DT Civil
DT Civil
Xavier DAVERAT
DROIT CIVIL
Droit des personnes et de la famille
SERIE A
-volume 1-
2012-2013
PRESENTATION
ET
METHODE DE TRAVAIL
-Ce cours intervient alors que les étudiants concernés sont encore
novices : il n'y a là rien de péjoratif, mais on doit bien admettre que la
première partie de l'année universitaire, pratiquement réduite à trois
mois effectifs de travail, ne suffit pas à donner assez de
connaissances et de recul pour aborder l'étude du droit civil en
maniant avec aisance la logique et le style juridiques, voire en
possédant les éléments de base nécessaires à la compréhension
rapide de la matière.
*
Devant ces trois difficultés majeures, j'ai choisi une méthode de
travail simple qui doit être brièvement résumée.
- le cours en amphithéâtre ;
- le cours polycopié ;
- le Code civil ;
-les documents servant la préparation des travaux dirigés.
ATTENTION:
.------------------------------------------
Du FAIT DE L'EVOLUTION DE LA MATIERE, IL EST
INDISPENSABLE DE SUIVRE LE COURS DE CETTE ANNEE ET DE
SE REFERER A LA PRESENTE EDITION DU POL YCOPIE, SOUS
PEINE DE NE PAS AVOIR CONNAISSANCE DE NOMBREUSES MISES
AJOUR.
L'usage du Code civil est autorisé à l'examen. Il est utile d'en avoir
fait par avance un support de travail pour ne pas se perdre en le
découvrant au cours de l'épreuve ... Chercher des éléments dans un
Code que l'on ne sait pas bien manier un jour d'examen est inutile
(recopier des éléments puisés dans le Code ne sert à rien), suspect
(quoi de plus aberrant que l'étudiant longuement plongé dans
l'index!) et dangereux (c'est le meilleur moyen d'être hors sujet en
rameutant des articles et concepts étrangers au propos). Vous
pouvez utiliser le site de Legifrance, mais ce serveur informatique ne
vous donne que les textes de loi, sans notes et références. Y avoir
recours peut être utile, mais ne remplace pas l'édition papier du
Code en préparation de l'examen.
8
N. 8. : Dans les pages qui suivent, les numéros d'arlicles donnés sans précision renvoient
au Code civil.
* *
PREMIERE PARTIE
Les différents sujets de droit sont, juridiquement des personnes. Celles-ci sont capables
d'exercer des droits, ou de jouir de prérogatives. Dans ce but, elles sont dotées d'une
personnalité juridique et ont la possibilité dès lors de se comporter en sujets de droit :
possession d'un patrimoine, possibilité d'agir en justice, de passer des contrats, etc. On
distingue entre personnes physiques et personnes morales. Ces dernières sont
constituées de divers groupements et peuvent être de droit privé (sociétés civiles ou
commerciales, associations, syndicats, comités d'entreprise, groupements d'intérêt
économique, fondations, etc.) ou de droit public (collectivités territoriales). Une étude
complète du droit des personnes devrait nous amener à envisager les personnes morales.
C'est chose impossible en raison du temps qui nous est imparti et de l'importance que
revêtirait cette étude. Mais, à 1'occasion, on sera confronté à 1' action de quelques
personnes morales (par exemple l'intervention judiciaire de certaines associations pour
la défense des intérêts qu'elles représentent).
Les personnes physiques, qu'il faut définir (Livre I), ont toutes une personnalité
juridique ainsi que nous l'avons dit (mais ce ne fut pas toujours le cas, comme dans les
hypothèses d'esclavage). Cette personnalité juridique peut toutefois être réduite pour
des raisons très diverses (minorité, personnes prodigues, maladie mentale, situations
particulières, etc.). Nous verrons ensuite comment est ménagé le respect de ces
personnes (Livre III).
Il
LIVRE 1
Une bonne logique impose que, avant d'envisager l'état des personnes physiques (Chapitre II),
nous en déterminions l'existence (Chapitre I).
CHAPITRE 1
L'EXISTENCE DES PERSONNES PHYSIQUES
On comprend facilement que la notion de personne physique puisse ramener à la vie (Section
I), mais certaines situations incertaines ne doivent pas nous échapper (Section II).
On n'entend pas par personne physique tout être vivant : seule une espèce est concernée. II
faut aussi faire état de l'espace qui lui est réservé, entre la vie et la mort.
1. - L'espèce concernée
Certes, l'idée de personnification de l'animal est ancienne. On se souvient des égards que
Caligula, selon Suétone, accordait à son cheval, de sa préservation contre le tapage nocturne à
l'accession aux plus hautes fonctions de l'Etat 1 (pour parler en termes juridiques) ; on pouvait
1 « En ce qui concerne son cheval lncitatus, la veille des jeux du cirque, pour que son repos ne fùt pas troublé, il
avait coutume de faire imposer le silence au voisinage par ses soldats ; outre une écurie de marbre et une crèche
d'ivoire, outre des housses de pourpre et des licous ornés de pierres précieuses, il alla jusqu'à lui donner un
palais, des esclaves et un mobilier, pour recevoir plus magnifiquement les personnes invitées en son nom : il
12
aussi le juger et les punir à la manière des humains2, voire leur faire porter le poids de peurs
irrationnelles (images associées aux chats que l'on clouait sur des portes ou aux loups, dont
l'hostilité de certains aux programmes de réimplantation témoigne encore aujourd'hui).
Les personnes physiques rte comprennent en droit français que les êtres humains. Les
animaux ne sont traditionnellement pas titulaires de droits, ce qui n'est pas exclusif d'une
protection à leur accorder. Ces questions sur la situation juridique de l'animaJ3 ne doivent pas
a priori être confondues avec les conséquences que l'on peut tirer sur le plan juridique du lien
d'affection unissant une personne à son animal (réparation du préjudice lié à la perte d'un
animal); toutefois, les deux problématiques se rejoignent s'agissant de la situation juridique
de l'animal4.
Dans la séparation canonique qui existe entre biens meubles et immeubles, les animaux sont
en principe des meubles. Ainsi, selon l'art. 528, « les animaux et les corps qui peuvent se
transporter d'un lieu à un autre, soit qu'ils se meuvent par eux-mêmes, soit qu'ils ne puissent
changer de place que par l'effet d'une force étrangère». Ils peuvent toutefois être des
immeubles dans certaines hypothèses ; c'est le cas des « animaux que le propriétaire du fonds
livre au fermier ou au métayer pour la culture», qui sont attachés au fonds (art. 522). C'est le
cas aussi des « animaux que le propriétaire d'un fonds y a placés pour le service et
l'exploitation de ce fonds », selon l'art. 524 : animaux attachés à la culture, pigeons des
colombiers, lapins des garennes, ruches à miel, certains poissons; dans ces cas, les animaux
font partie de ce qu'on nomme immeubles par destinations. Dans tous les cas, l'animal est
donc assimilé à une chose par le Code civil.
On signalera deux décisions (une ordonnance de référés confirmée par les juges du fond 6)
indiquant qu'un chien guide d'aveugle pouvait s'assimiler à une prothèse vivante (dont la
perte constitue un préjudice).
§ 2. La protection de l'animal
Dès que l'on s'est préoccupé du sort des animaux, la question s'est posée de savoir si l'animal
était ou non un sujet de droit : Demogue ne l'avait pas exclu7, mais cette conception ne s'est
pas imposée malgré certaines positions doctrinales qui l'entretiennent, telle celle qui voudrait
accorder à l'animal une personnalité réduites. Malgré tout, le droit s'est heureusement
préoccupé du sort de l'animal et on lui reconnaît parfois certaines prérogatives qui se
projeta même, dit-on, de le faire consul ». Suétone, Vie des douze Césars, trad. H. Ailloud, Gallimard, coll.
"Folio" n° 640, Caligula, LV, p. 257.
2 M. Rousseau, Les procès d'animaux, Wesmaei-Chalier, Paris, 1964.
3 Pour une réflexion à partir de la proposition, rejetée en Suisse par référendum, d'instaurer un avocat des
animaux dans chaque canton, v.: Droit des animaux: on en fait trop ou trop peu?, entretien avec J.-P.
Marguénaud, D. 2010, p. 816.
4 J.-P.Marguénaud & a., La protection juridique du lien d'affection envers un animal, D. 2004, 1, p. 3009.
5 Les art. 524 et 528 sont donnés dans leur nouvelle rédaction, issue de la loi du 6 janvier 1999. V. infra.
6 TGI Lille, 23 mars 1999 : D. 1999, 2, p. 350, note Labbée. - TGI Lille, 7 juin 2000 : D. 2000, 2, p. 750, note
Labbée.
7 RTDC 1909, p. 620.
8 C. Daigueperse, L'animal, sujet de droit: réalité de demain: Gaz. Pal. 1981, 1, p. 160.
13
rapprochent de celles des sujets de droit9 • On n'insistera pas sur les textes intemationauxlo,
mms on peut signaler l'existence d'une Déclaration universelle des droits de l'animal
intervenue en 1978 sous l'égide de l'UNESC0 11. On fera simplement état des deux axes deI~
protection de l'animal.
De façon générale, divers textes répriment au plan pénal certains actes envers les animauxl2.
La vieille loi Grammont du 2 juillet 1850 ne visait que « ceux qui auront exercé publiquement
et abusivement de mauvais traitements envers les animaux domestiques ». Un décret du 7
septembre 1959 a supprimé cette condition de publicité et institué la possibilité de confier
l'animal maltraité à une œuvre. Le délit d'acte de cruauté envers les animaux a été introduit
dans le Code pénal par une loi du 19 novembre 1963.
Le Code pénal 13 sépare les infractions à l'encontre des animaux de celles contre les biens, ce
qui intègre le vivant de l'animal. Il maintient en outre la sanction d'une contravention de
mauvais traitement envers un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité (art. R.
654-1 C. pénal) et d'un délit visant les sévices graves ou actes de cruauté envers les animaux
domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité (art. 521-1 C. pénal). L'art. 521-1 C. pénal,
après sa modification par la loi dite Perben Il, dispose : « Le fait, publiquement ou non,
d'exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté
envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans
d'emprisonnement et de 30 000 € euros d'amende » ; la chambre criminelle a fait application
de la disposition ajoutée relative aux sévices sexuels en considérant que des actes de sodomie
pratiqués sur un poney, que le prévenu considérait comme un jeu sans violence ni brutalité ou
mauvais traitement, constituaient bien des sévices de nature sexuelle 14 • En revanche, le défaut
de soins n'est pas assimilable aux sévices graves ou actes de cruauté :ainsi, si une association
de défense des animaux peut se porter partie civile dans le cadre de 1'application de l'art. 521-
1 C. pénal, elle ne le peut pas dans l'hypothèse d'une procédure pour défaut de soins visant
des bêtes destinées à 1'abattoiris.
Il existe toutefois des dérogations bien connues (art. 521-1, al. 3 C. pénal) en matière de
tauromachie et de combats de coqs 16. Dans le cas de la corrida, on échappe à l'incrimination
pénale d'actes de cruauté et de mauvais traitements envers les animaux «lorsqu'une tradition
locale ininterrompue peut être invoquée ». La jurisprudence considère que le maintien de la
tradition doit s'apprécier dans le cadre d'un ensemble démographique (et non sur le seul
9 Sur l'ensemble de la question : S. Antoine, Le droit de l'animal : évolution et perspectives : D. 1996, 1, p. 126.
- J.-P. Marguénaud: L'animal en droit privé, PUF, 1992.- La personnalité juridique des animaux, D. 1998, 1,
p. 205. Adde. L'homme et l'animal, rapport au Premier ministre par M. P. Micaux, Documentation française,
1980.
10 La France est partie à certaines conventions internationales, dont la Convention de Washington sur le
commerce international des espèces en voie d'extinction.
11 Pour une position critique, v. Sohm-Bourgeois : La personnification de l'animal: une tentation à repousser:
D. 1990, l, 33.- F. Chénédé, La personnification de l'animal: un débat inutile?, AJ Famille 2012, p. 72.
12 Il existe en outre nombre de réglementations très particulières, liées par exemple à l'alimentation, la chasse et
la pêche, l'agriculture, la détention d'animaux, etc.
13 M. Danti-Juan, La contribution du nouveau Code pénal au débat sur la nature juridique de l'animal, Rev. dr.
rural, 1996, p. 477. -J.-P. Marguénaud, L'animal dans le nouveau Code pénal: D. 1995, 1, 187.
14 Crim., 4 septembre 2007: D. 2008,jur. p. 524, note Chacornac.
15 Crim., 30 mai 2012, D. 2012, p. 1824.
16 V. art. R. 655-1, al. 3 duC. pénal, et les lois du 24 avril 1951 & 8 juillet 1964.
14
territoire d'une commune), lequel s'entend parfois, pour les juges, de tout le sud de la
France: la Cour de Toulouse 17 a ainsi repéré l'existence de la tradition taurine« dans le midi
de la France entre le pays d'Arles et le Pays Basque, entre garrigue et Méditerranée, entre
Pyrénées et Garonne, en Provence, Languedoc, Catalogne, Gascogne, Landes et Pays
Basque »18 • L'art. 521-1, al. 3 C. pénal crée ainsi une véritable immunité; cette décision a été
confirmée par la Cour de cassation, de sorte que l'on peut dire qu'il existe dorénavant une
sorte de vaste zone d'immunité, qui court, dans le sud et le midi de la Francel9, de
l'Atlantique à la Méditerranée. Mais il semblerait que la Haute juridiction exige désormais
l'organisation régulière de corridas20 , ce qui empêcherait alors dans la zone démographique
considérée, la création de nouvelles courses.
La loi du 6 janvier 1999 fixant le droit applicable aux animaux23 contient des dispositions
relatives à leur protection24 . En particulier, les autorités chargées des contrôles et des
inspections ont désormais des possibilités accrues d'investigation, notamment l'accès aux
locaux et l'ouverture des véhicules. En outre, en cas de mauvais traitements aux animaux, les
fonctionnaires et agents concernés peuvent prendre des mesures d'urgence et doivent
transmettre au Parquet. Le dispositif pénal de la loi est important et les sévices graves ou
actes de cruauté envers les animaux peuvent être punis d'une peine d'emprisonnement de deux
ans et d'une amende.
On note ensuite l'allusion très remarquée à la qualité d'être sensible (art. 9) dans une loi du 10
juillet 1976 (relative notamment aux réserves naturelles et espèces protégées) ; à partir de
cette notion, le Tribunal correctionnel de Strasbourg a remis en cause fermement la notion
d'animal-objet : « Un animal dont la sensibilité a été légalement reconnue par la loi du 10
juillet 1976 [ ... ] ne peut être assimilé à une chose », ce qui en l'occurrence conduisait à
exclure l'hypothèse de soustraction frauduleuse caractéristique du voJ25.
Une loi du 1o février 1994 permet la constitution de partie civile des associations de défense
et de protection des animaux déclarés depuis au moins cinq ans. Il s'agit d'un très léger
rapprochement avec la situation des sujets de droit.
Enfin, à la lecture de la loi du 6 janvier 1999, déjà évoquée, on Le discernement d'un cllien!
s'aperçoit de quelques mutations terminologiques au sein des
articles du Code civil relatifs à la distinction entre meubles et Une Cour d'appel, saisie d'une
demande en restitution d'un
immeubles. Ainsi, l'art. 524 parle des « animaux » (et non plus animal par le conjoint en
des « objets » pour viser les animaux) que le propriétaire d'un instance de divorce, a affirmé
fonds y a placés pour le service et l'exploitation de ce fonds ; que « saisir la justice de telles
dans l'art. 528, il est désormais questions des « animaux et des difficultés est regrettable et peu
corps » qui peuvent se transporter d'un lieu à un autre (et non sérieux, d'autant que le chien
est capable de se décider lui-
plus seulement des « corps » parmi lesquels on trouvait des même >> (Rouen, 22 novembre
animaux). Ces modifications confirment la volonté de ne plus 1978 : D. 1989, IR, obs.
tenir l'animal pour une chose. Bénabent).
§ 1. La naissance
Les conditions juridiques de la naissance font l'objet d'aménagements dans des circonstances
particulières.
L'enfant doit être né viable pour avoir une personnalité juridique. Le Code civil, à diverses
reprises, prolonge cette condition générale en indiquant :
0 qu'aucune action n'est reçue quant à la filiation d'un enfant qui n'est pas né viable
(art. 318);
0 qu'une donation ou un testament n'a d'effet que si l'enfant est né viable (art. 906).
Les seuils de viabilité de l'enfant avaient été fixés par une circulaire du Ministre de la santé du
22 juillet 1993, qui reprenait les critères de l'Organisation Mondiale de la Santé. Les critères
retenus, en référence aux préconisations de l'OMS, sont au nombre de deux :
0 vingt-deux semaines d'aménorrhée (ce choix coïncide avec celui qui constate
l'arrivée de l'air dans les poumons);
On remarque que les malformations n'entrent pas dans les critères de viabilité26.
L'art. 79-1, al. 2, (introduit par une loi du 8 janvier 1993) permet, lorsqu'un enfant est décédé
avant la déclaration de sa naissance, d'établir un acte de naissance et un acte de décès par
l'officier d'état civil, sur production d'un certificat médical indiquant que l'enfant est né vivant
et viable puis décédé. La circulaire du ministère de la Justice du 3 mars 1993 précise que ces
dispositions sont applicables quelle que soit la durée de la gestation, ce qui est en
contradiction avec la circulaire du ministère de la Santé précédemment évoquée. Il s'agit
d'une mesure qui répond surtout au souci d'ordre affectif de conserver une trace tangible de la
naissance d'un enfant mort-né.
Se posait alors la question de savoir ce que l'on devait entendre par« un enfant sans vie», et
notamment s'il fallait appliquer les critères de l'OMS. La Cour d'appel de Nîmes a rendu
trois arrêts le même jour en indiquant que l'établissement de l'acte de naissance supposait
obligatoirement que l'enfant avait franchi le seuil de viabilité tel qu'il est fixé par les deux
critères évoqués ci-dessus27. Mais, cassant ces décisions par trois arrêts rendus le 6 février
2008, la première chambre civile a jugé que, dans la mesure où l'article 79-l, al. 2 ne
subordonnait l'établissement d'un acte ni au poids du fœtus, ni à la durée de la grossesse, tout
fœtus né sans vie à la suite d'un accouchement pouvait être inscrit sur les registres de décès de
l'état civil, quel que soit son niveau de développement: l'article 79-1, al. 2, selon l'arrêt,« ne
subordonne l'établissement d'un acte d'enfant sans vie ni au poids du fœtus, ni à la durée de
la grossesse »28. Les arrêts de Nîmes sont donc censurés pour avoir ajouté à la loi des
conditions que celle-ci ne prévoyait pas.
26 C. Philippe, La viabilité de l'enfant nouveau-né, D. 1996, 1, p. 29. -P. Salvage, La viabilité de l'enfant
nouveau-né, RTDC 1976, p. 725.- P. Murat, Le décès périnatal, Rev. dr. san. et soc. 1995, p. 451.
27 Nîmes, 17 mai 2005, 3 décisions : Dictionnaire perm. bioéth. et biotch., 2005, no 152, p. 6594.
28 Civ. }0 , 6 févr. 2008: D. 2008, chr. p. 638, obs. Chauvin; AJfam. 2008, p. 165, obs. Chénédé; D. 2008, pan.
p. 1442, obs. Galloux; D. 2008, pan. p. 1371, obs. Granet-Lambrechts; D. 2008, act. p. 483, obs. Guiomard;
Petites Affiches 1° avril 2008, note Latina; Gaz. Pal. 13-14 février 2008, avis Legoux; JCP 2008, Il, 10045,
note Loiseau; RLDC 2008, 47, n° 2915 & 2916, obs. Marraud des Grottes, Delevoye & Surreau; 2008, act.;
Defrénois 2008, p. 866, obs. Massip ; Dr. fam. 2008, no 34, obs. Murat ; D. 2008, jur. p. 1862, note Roujou de
Boubée & Vigneau.
17
Face à cette situation, il a été choisi d'admettre l'inscription à l'état civil de tout enfant né
sans vie, à l'issue de deux décrets et deux arrêtés du 20 août 200829, dont l'application a été
détaillée par une circulaire du 19 juin 200930, Désormais :
0 l'acte est dressé par l'officier d'état civil sur présentation d'un certificat médical
mentionnant les heure, jour et lieu de l'accouchement, sans qu'il soit fait allusion
à la viabilité ;
0 l'indication d'enfants sans vie peut être portée sur le livret de famille avec,
également, mention des heure, jour et lieu de l'accouchement.
Il faut toutefois préciser que cette inscription est sans incidence sur la filiation et sur le statut
juridique du fœtus, qui n'a pas de personnalité juridique, ainsi qu'il sera dit plus loin.
La loi désigne les personnes tenues de déclarer une naissance et fixe les mentions portées sur
l'acte de naissance.
La naissance doit faire l'objet d'une déclaration à la mairie du lieu de naissance dans les trois
jours qui suivent l'accouchement. Selon l'art. 56, c'est au père de procéder à la déclaration. À
défaut, ce sont les personnes qui ont assisté à l'accouchement qui doivent effectuer la
déclaration; la code cite, à cet égard, les médecins, sages-femmes, officiers de santé ou autres
personnes qui ont assisté l'accouchement (sans qu'il faille voir un ordre dans cette
énumération). On constate que la loi ne fait pas peser sur la mère l'obligation de déclaration,
ce qu'a pu confirmer une vieille jurisprudence31 ; naturellement, cette situation ne prive pas la
mère de la possibilité d'effectuer la déclaration quand les personnes visées par l'art. 56 ne
peuvent y procéder ou quand l'accouchement a eu lieu sans témoins3 2•
L'acte de naissance est rédigé immédiatement (art. 56, al. 2). L'art. 57 précise (al. 1) les
mentions portées sur l'acte : jour, heure et lieu de naissance 1 sexe de l'enfant 1 prénoms
donnés 1 prénoms, noms, âges, professions et domiciles des parents (et du déclarant éventuel).
29 Décrets n° 2008-798 & 2008-800 du 20 août 2008 et arrêtés du même jour :JO du 22 août. -V. : L. Dargent,
Enfant né sans vie: inscription sur le registre d'état civil, D. 2008, act. p. 2061.- G. Rousset, De l'état civil des
enfants nés sans vie. À propos des décrets et arrêtés du 20 août 2000, JCP 2008, act. 553.- F. Sauvage, L'acte
d'enfant sans vie discrètement réglementé, AJ Fam. 2008, 392.
30 Circ. n° 2009-182 du 19 juin 2009 : BO santé, protection sociale, solidarités 2009, n° 7, p. 460.
31 Crim. 10 septembre 1847: DP 1847, 1, p. 302.
32 Trib. civ. Toulouse, 22 décembre 1915: DP 1917,2, p. 15.
18
B. Circonstances particulières
On a pu faire application d'un adage selon lequel infans conceplus pro nato habetur, quoties
de commodis ejus agitur. Il s'agissait, grâce à une rétroactivité relative, d'octroyer la
personnalité à la date de conception de l'enfant (fixée de 300 à 180 jours avant le mariage,
selon l'art. 311 que nous retrouverons en droit de la famille), dès lors que celui-ci peut y avoir
intérêt.
Une vieille décision avait ainsi accordé une rente à un enfant conçu mais pas encore né suite à
la disparition de son père du fait d'un accident du travaiP3. La même logique a permis de
prendre en compte l'enfant conçu dans le calcul d'une prime d'assurance lorsque le contrat
prévoyait des majorations en fonction du nombre d'enfants au moment du décès ; dans cette
décision, la Cour de cassation évoque certes un « principe selon lequel l'enfant conçu est
réputé né chaque fois qu'il va de son intérêt »34, mais il ne s'agit que d'une simulation de
personnalité juridique dans un sens favorable à l'enfant.
Nous reviendrons à plusieurs occasions sur des questions de bioéthique, au moins s'agissant
de les envisager dans le cadre du respect de la dignité humaine et d'évoquer la procréation
artificielle dans ses incidences sur le droit de la famille. Pour l'heure, on se contente ici de
s'interroger sur le droit applicable à l'embryon35 et au fœtus dans le cadre de la définition de
la vie humaine et de la recherche du moment d'acquisition de la personnalité. Aujourd'hui,
l'embryon et le fœtus n'ont pas de personnalité juridique en droit français, même si certaines
propositions vont en sens contraire ; on peut noter à cet égard que le médiateur de la
République s'était prononcé en faveur du «droit de reconnaître un enfant né sans vie dans le
but de lui attribuer un nom et une filiation »36.
L'embryon est-il un être vivant ? Il est évident qu'un ovule et un spermatozoïde sont
constitués de cellules vivantes ; mais, est-ce parce que s'opère une réunion que le groupe de
cel1ules vivantes que constitue l'embryon constitue un être vivant ? Ce problème délicat peut
être posé d'une autre manière: à quel stade de développement le statut de personne doit-il être
reconnu à un embryon humain ? La fécondation (éventuellement in vitro) ? L'implantation ?
Un stade particulier de développement (par exemple la formation du fœtus)?
33 Ch. réunies, 8 mars 1939: DC 1941, p. 37, note Julliot de la Morandière: S. 1941, 1, 25, note Batiffol.
34 Ci v.l 0 , 10 décembre 1985 : D. 1987, 2, p. 449, note Paire.
35 P. Pedrot, Le statut juridique de l'embryon et du fœtus humain en droit comparé : JCP 1991, I, 3483. - D.
Vigneau, Dessine-moi un embryon : Petites Affiches, 14 décembre 1994, p. 62.
36 RJPF2005-9, p. 4.
19
Intervenant sur la future révision des lois sur la bioéthique (v. infra), Je comité a donné son
avis en souhaitant notamment la limitation de l'interdiction de la conception d'embryons à
des fins de recherche, ou une définition de la notion d'embryon au stade préimplantatoire39.
On s'achemine progressivement vers une admission de la recherche sur les embryons, suivant
les étapes que nous décrirons plus précisément au travers des lois intervenues : en 1994, on
prévoit la destruction des embryons non réimplantés; en 2004, le principe d'interdiction de la
recherche sur embryons est affirmé, sauf dérogations exceptionnelles ; prochainement, sans
doute, l'ouverture à la recherche viendra d'une manière plus élargie.
Un avis du Comité consultatif national d'éthique recommande que les fœtus ne soient jamais
considérés comme déchets hospitaliers. Il précise aussi que le devenir du corps devrait
respecter les souhaits des parents, et que leur autorisation devrait être requise avant toute
autopsie médicale. Le même avis considère que les collections de fœtus sont « obsolètes et
contraires à l'éthique »40.
• Le Tribunal de grande instance de Rennes est intervenu pour dire que «l'œuf fécondé n'est
pas sujet de droit par rapport à ses géniteurs et le CECOS n'a pour limite dans ses
prérogatives que de ne pas supprimer cet embryon »4 1. Au contraire, la Cour d'appel de
Toulouse, saisie d'une demande d'implantation post mortem d'embryons congelés, a ordonné
leur destruction au motif que s'ils ne pouvaient plus conduire à la vie, leur destruction
s'imposait, « aucun texte ni aucun principe de notre droit positif ne rendant l'embryon congelé
titulaire de droits »42.
• Diverses décisions ont été amenées à se demander si les circonstances d'accidents survenus
à un fœtus sont susceptibles de faire retenir la qualification d'homicide involontaire en
application de l'art. 221-6 du Code pénal. L'avortement provoqué d'un fœtus de cinq mois
37 L'art. 1° de la loi du 6 août 2004 (v. infra) est consacré à sa mission et sa composition.
38 CE, 21 décembre 1990 : AJDA 1991, p. 91.
39 CCNE, avis du 18 janvier 2001 : Bull. 12 février, n° 98, p. 7629.
40 CCNE, avis du 22 septembre 2005 : JCP 2006, I, 137, chr. C. Byk.
4 1 TGI Rennes, 30 juin 1993 : JCP 1994, 22250, note Neirinck.
42 Toulouse, 18 avril 1994 ; JCP 1995, JI, 22472, note Neirinck.
20
par un médecin croyant enlever un stérilet avait bien, par exemple, fait l'objet d'une
qualification d'homicide involontaire par une Cour d'appeJ43, mais cette décision a été
censurée par la Cour de cassation44 . Les juges du fond ont pourtant pu continuer à retenir la
qualification d'homicide, comme dans le cas d'un fœtus de huit mois victime d'un accident
de la circulation, selon une décision de la Cour d'appel de Reims qui se fondait sur la viabilité
du fœtus 45 ; la question ouverte par la décision pouvait se concevoir ainsi : s'il n'y a pas
homicide quand il n'y a pas vie, la notion de viabilité ne permettrait-elle pas d'agir?
L'Assemblée plénière s'est prononcée le 29 juin 2001 en refusant de retenir la qualification
d'homicide involontaire : « le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une
interprétation stricte de la loi pénale, s'oppose à ce que l'incrimination prévue par l'art. 221-6
C. pénal, réprimant l'homicide involontaire d'autrui, soit étendue au cas de l'enfant à naître
dont le régime juridique relève de textes particuliers sur l'embryon ou le fœtus »46.
La chambre criminelle avait tenu à cet égard une même position indéfectible. Depuis l'arrêt
de l'Assemblée plénière, est a poursuivi dans le même sens en censurant par exemple une
décision des juges du fond qui avait conclu à la culpabilité d'une sage-femme du fait
d'imprudences et de négligences, en des termes qui renvoient à l'arrêt de l'assemblée
plénière, mais en s'opposant plus largement à J'application de l'incrimination d'homicide
involontaire «à l'enfant qui n'est pas né vivant »47. La CEDH, saisie de cette question, ne
prend pas position nettement et constate «qu'il n'est ni souhaitable, ni même possible
actuellement de répondre dans l'abstrait à la question de savoir si l'enfant à naître est une
«personne» au sens de l'article 2 de la Convention »48. Se pose également la question de
savoir quel est le statut juridique des fœtus morts avant terme49.
43 Lyon, 13 mars 1997: JCP 1997, II, 22955, note Fauré; Defrénois 1997, p. 640, note Malaurie; Dl. 1997,2,
p. 555, note Serverin.
44 Crim. 30 juin 1999: D. 1999, 2, p. 710, note Vigneau; JCP 2000, H, 10231, note Fauré.
45 Reims, 3 février 2000 : Dict. perm. bioéth. et biotechno., 15 février 2000, no 86, p. 7862.
46 Cass., ass. plénière, 29 juin 2001 : D. 2001, 2, p. 2917, note Mayaud; D. 2002, 2, p. 2917, concl. Sainte-Rose,
note Mayaud ; JCP 2001, Il, 10569, rapport Sargos, concl. Sainte-Rose, note Rassat. Adde : Un fœtus ne peut
être victime d'un homicide ÏfTVolontaire, interview de G. Avocat, D. 2001, p. 2523.
4 7 Crim., 25 juin 2002 : JCP 2003, 1, 132, n° 20, obs. Byk ; JCP 2002, Il, 10155, note Rassat. - Crim, 4 mai
2004, 0° de pourvoi : 03-86175.
48 CEDH, 8 juillet 2004 : D. 2004, 2, p. 2456, note Pradel ; D. 2004, somm. p. 2535, obs. Berro-Lefevre.- JCP
2004, li, 10158, note Levinet. Adde: J. Sainte-Rose, L'enfant à naître: un objet destructible sans destinée
humaine ?, JCP 2004, 1, 194.
491. Corpart, Décès périnatal et qualification juridique du cadavre, JCP 2005, 1, 171.
50 Cas s., ass. plén., 17 novembre 2000 : JCP 2000, 11, 10438, rapp. Sargos, concl. Sainte-Rose, note Chabas.
Adde.: G. Mémeteau, L'action de vie dommageable. JCP 2000, 1, 279; D. Salas, L'arrêt Perruche, un scandale
qui n'a pas eu lieu, D. hors série, Le corps humain saisi par !a justice, mai 2001, p. 14; F. Terré, Le prix de la
vie, JCP 2000, no 50, acmalités, p. 2267.
21
généralisée de la période prénatale. En outre, on peut s'étonner que, d'un côté, on permette
l'indemnisation d'un enfant du fait de sa naissance alors que, d'un autre côté, on se refuse à
sanctionner une atteinte au fœtus ... Mais la loi du 4 mars 2002 relative aux droits malades et
à la qualité du système de santé5 1 est intervenue pour dire dès son art. 1° que« nul ne peut se
prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance» (art. L. 114-5, al. 1, Code de l'action
sociale et des familles). Il s'agit donc d'empêcher l'action exercée au nom de l'enfant atteint
d'un handicap qu'une erreur de diagnostic aurait empêché de déceler pendant la grossesse;
l'action en réparation n'est possible qu'au profit d'une «personne née avec un handicap dû à
une faute médicale» (art. L. 114-5, al. 2, Code de l'action sociale et desfamilles). S'agissant
de contrer les effets de l'arrêt de l'Assemblée plénière, la loi de 2002 est familièrement
nommée « loi « Anti-Perruche ». Le Conseil constitutionnel a été saisi par le Conseil d'État52
d'une question prioritaire de constitutionnalité à cet égard et a déclaré cette disposition
conforme à la Constitution, considérant notamment que c'est dans l'exercice de ses
prérogatives constitutionnelles que le législateur a estimé qu'il n'y avait pas de lien de
causalité entre la faute médicale et le handicap ni d'intérêt légitime à agir, de sorte que la
responsabilité civile ne pouvait être engagée53.
• La Cour de justice de l'Union européenne refuse la brevétabilité d'une invention sui suppose
la destruction d'embryons humains au nom du respect de la dignité humaine 55 •
On s'est demandé si la loi sur l'interruption volontaire de grossesse pouvait donner quelques
indications à ce propos, avant l'intervention des textes sur la bioéthique.
La loi du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de grossesse, affirmait déjà, dans
son art. 1°, le droit au « respect de tout être humain dès le commencement de la vie » selon
une terminologie assez vague.
Avortement thérapeutique:
La loi sur l'I.V.G. fixait bien un délai de dix semaines
Outre les dispositions générales sur l'IVG pendant lequel l'avortement pouvait être pratiqué (sauf
rappelés ci-contre, on peut pratiquer des allongement pour motif thérapeutique) ~ mais ce délai
avortements thérapeutiques. Selon la avait-il une valeur indicative sur le commencement de
CEDH, chaque État autorisant ces
interventions est tenu de prévoir un cadre
la vie '? Certainement pas. C'était plutôt un délai
juridique adapté qui garantisse aux opportuniste ~ en effet, si l'on ajoute successivement les
femmes enceintes un accès à des délais nécessaires pour soupçonner l'état de grossesse
informations complètes et fiables sur la (en étirant au maximum par rapport au moment où on
santé de l'enfant qu'elles portent (CEDH, s'aperçoit de l'absence des règles), effectuer un test,
20 mars 2007, Tysiac: JCP 2007, II,
10071, note B. Mathieu). La Pologne a
consulter un praticien, respecter un délai de réflexion et
ainsi été sanctionnée pour défaut de prévoir l'intervention, on arrive vite aux dix
possibilité d'avoir accès à des possibilités semaines... La fixation de ce délai était donc bien le
de diagnostics fiables (CEDH, 26 mai résultat de contingences matérielles, et non un délai
2011, R. R. cl Pologne: JCP 2011, 914, § mûrement réfléchi autour de la notion de vie humaine
14, obs. Sudre).
(d'autant que, dans les circonstances qui ont entouré la
mise en œuvre de la loi sur l'I.V.G., on s'est privé d'un débat approfondi pour circonscrire les
interventions parfois outrancières des opposants). Depuis, on sait que le délai permettant de
pratiquer une I.V.G. a été porté à douze semaines par la loi du 4 juillet 2001 56 ; la France
s'aligne ainsi sur la pratique de plusieurs Etats européens.
Trois vagues législatives sont intervenues en matière de bioéthique. Nous retrouverons ces
textes à d'autres occasions (procréation assistée), mais l'occasion est donnée pour la première
fois, de présenter l'ensemble des étapes législatives.
1. Les lois du 29 juillet 199457. D'un point de vue général, l'art. 16 duC. civ. indique par
exemple que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de
celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie». Il est évident
que ce principe laisse subsister la difficulté d'une définition du début de la vie.
Plus spécifiquement, le législateur est intervenu sur la question du devenir des embryons
surnuméraires. L'existence de ces embryons est liée à des raisons médicales. Pour procéder à
une fécondation in vitro, du fait du taux potentiel d'échec de transplantation : on procède à
une ensemble de fécondations (un traitement médical de stimulation artificielle des ovaires
permet la production de plusieurs ovules) et à une implantation de plusieurs embryons (il y a
des désaccords sur le nombre d'embryons à implanter du fait de risques divers : fausse
couche, accouchement prématuré ; mais, à l'inverse, la réussite de l'implantation nous a fourni
l'exemple de naissance de grossesses multiples parmi lesquelles certains records, peu
honorables, se paient au prix de la vie et de la santé des enfants ... ). Dès que la transplantation
aboutit à une grossesse, se pose la question des embryons surnuméraires, qui étaient prêts
pour procéder à une nouvelle implantation en cas d'échec de la premièress.
0 celle des embryons déjà congelés : il est mis fin à leur conservation s'ils ont été
conservés plus de cinq ans et si leur réimplantation n'est pas envisagée ;
0 celle des embryons à venir : une conservation est prévue pour cinq ans.
2. La loi du 6 août 200460 • Les lois du 29 juillet 1994 devaient initialement être révisées dans
les cinq ans, mais la révision n'est intervenue qu'au bout d'une dizaine d'années. Cette
réforn1e nous intéresse sur deux points.
59 C. constit., 27 juillet 1994 : JCP 1994, III, 66974 bis. A ce propos, v. : B. Edelman, Le Conseil constitutionnel
et l'embryon : D. 1995, 1, 205.
60 Loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique: JO du 7 août, p. 14040.
6! A. Mirkovic, Recherche sur /"embryon: vers !afin d'un grand gâchis éthique?, JCP 2009, chr. p. 9.
62 L'art. 2 de la loi du 6 août 2004 (v. infra) est consacré à sa mission et sa composition.
63 J.-R. Binet, Le régime transitoire d'autorisation des recherches sur les cellules souches embryonnaires, JCP
2004, act. p. 540.
24
3. La loi du 7 juillet 2011 65• La réforme de 2004 annonçant une application pour cinq ans, la
révision des textes relatifs à la bioéthique était initialement programmée en 201 O. Le
processus s'est mis en place avec moins de retard qu'à l'occasion de l'étape législative
précédente. Il a surtout donné lieu à d'importants débats. De nombreux avis ont été émis
{Comité consultatif national d'éthique, Agence de la biomédecine, Conseil d'État66 ... ). Sous
l'égide d'un comité de pilotage présidé par Jean Léonetti, se sont tenus des états généraux de
la bioéthique. Ils ont donné lieu à trois forums régionaux, en juin 2009, consacrés à la
recherche embryonnaire et sur les cellules souches, ainsi qu'aux diagnostics prénatal et
préimplantatoire (Marseille), à 1' assistance médicale à la procréation (Rennes), aux greffes et
prélèvements et à la médecine prédictive (Strasbourg). Le rapport final a été communiqué le
16 juillet 200967• Le projet de loi a été présenté en conseil des ministres le 20 octobre 2010.
La nouvelle loi bioéthique du 7 juillet 201168 doit à son tour faire l'objet d'un réexamen dans
un délai de sept ans.
Le même texte prévoit que «les recherches alternatives à celles sur l'embryon humain et
conformes à l'éthique doivent être favorisées».
« Une recherche ne peut être menée qu'à partir d'embryons conçus in vitro dans le
cadre d'une assistance médicale à la procréation et qui ne font plus l'objet d'un projet
parental. La recherche ne peut être effectuée qu'avec le consentement écrit préalable
du couple dont les embryons sont issus, ou du membre survivant de ce couple, par
ailleurs dûment informés des possibilités d'accueil des embryons par un autre couple
ou d'arrêt de leur conservation. Dans le cas où le couple ou le membre survivant du
couple consent à ce que ses embryons surnuméraires fassent l'objet de recherches, il
est informé de la nature des recherches projetées atin de lui permettre de donner un
consentement libre et éclairé. A l'exception des situations mentionnées au dernier
alinéa de l'article L. 2131-4 et au troisième alinéa de l'article L. 2141-3, le
consentement doit être confirmé à l'issue d'un délai de réflexion de trois mois. Dans
tous les cas, le consentement des deux membres du couple ou du membre survivant
du couple est révocable sans motiftant que les recherches n'ont pas débuté» (Il).
« Les protocoles de recherche sont autorisés par l'Agence de la biomédecine après
vérification que les conditions posées aux II et III du présent article sont satisfaites.
La décision motivée de l'agence, assortie de l'avis également motivé du conseil
d'orientation, est communiquée aux ministres chargés de la santé et de la recherche
qui peuvent, lorsque la décision autorise un protocole, interdire ou suspendre la
réalisation de ce protocole si une ou plusieurs des conditions posées aux II et III ne
sont pas satisfaites » (III).
« En cas de violation des prescriptions législatives et réglementaires ou de celles
fixées par l'autorisation, l'agence suspend l'autorisation de la recherche ou la retire.
Les ministres chargés de la santé et de la recherche peuvent, en cas de refus d'un
protocole de recherche par l'agence, demander à celle-ci, dans l'intérêt de la santé
publique ou de la recherche scientifique, de procéder dans un délai de trente jours à
un nouvel examen du dossier ayant servi de fondement à la décision » (IV).
« Les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés
à des fins de gestation » (V).
26
« A titre exceptionnel, des études sur les embryons visant notamment à développer
les soins au bénéfice de l'embryon et à améliorer les techniques d'assistance
médicale à la procréation ne portant pas atteinte à l'embryon peuvent être conduites
avant et après leur transfert à des fins de gestation si le couple y consent, dans les
conditions fixées au IV » (VI).
Il est intéressant de relever que le texte parle désormais de « progrès médicaux majeurs », ce
qui constitue une ouverture par rapport au texte issu de la loi de 2004 qui parlait de « progrès
thérapeutiques majeurs», ce qui pourrait ouvrir le champ de la recherche au-delà d'une
finalité curative.
Enfin, il n'est pas inutile de signaler que le législateur a introduit un clause de conscience :
«Aucun chercheur, aucun ingénieur, technicien ou auxiliaire de recherche quel qu'il soit,
aucun médecin ou auxiliaire médical n'est tenu de participer à quelque titre que ce soit aux
recherches sur des embryons humains ou sur des cellules souches embryonnaires autorisées
en application de l'art. L. 2151-5 »(art. L. 2151-7-1 ).
Cette loi est plutôt attentiste et frileuse, sans grandes options pour l'avenir. La pratique de la
réévaluation toujours annoncée des textes est très révélatrice des difficultés à faire admettre
une réforme qui touche au vivant; mais elle pose d'autres questions s'agissant de l'autorité de
la loi quand un réexamen est systématiquement annoncé ... pour ne rien dire de l'absence de
responsabilité politique au travers du compromis permanent.
§ 2. Le décès
La personnalité d'un individu se perd logiquement à cause de mort. La mort s'entend de la fin
de la vie : cela paraît une banalité, mais il fallait signaler que, longtemps, il a existé aussi une
mort civile qui frappait les condamnés à perpétuité ; la loi du 31 mai 1854 a supprimé la mort
civile.
A. L'établissement du décès
Le décès, dont le moment doit être déterminé, fait l'objet d'une déclaration.
Quelques difficultés ont pu surgir pour déterminer le moment exact de la mort. C'est surtout
du fait des possibilités de maintien en vie de personnes en état végétatif que se pose la
question de la détermination du moment de la mort70. Il n'est en effet plus possible de dire
69 CEDH, 28 août 2012, Costa et Pavan: JCP 2012,1148, note C. Picheral; D. 2012, p. 1963.
70 G. Lebreton, Le droit, la médecine et la mort : D. 1994, 1, 352. - A. Poumoi, À propos de la définition légale
de la mort, Gaz. Pal. 1988, 2, p. 300.
27
simplement, comme naguère, que la mort est liée au moment de l'arrêt des battements du
cœur (circulaire du 3 février 1948).
Le Code de la santé publique exige, pour que soit pratiqué un prélèvement d'organes71, qu'il
existe « des preuves concordantes cliniques et paracliniques permettant au praticien de
conclure à la mort du sujet» (art. L. 671-7).
L'art. R. 1232-1, Code de la santé publique dispose que, « si la personne présente un arrêt
cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut être établi que si les trois
critères cliniques suivants sont simultanément présents :
Personne en état de mort cérébrale : Un chef de service de Les textes précisent également
réanimation en C.H.R. avait procédé à une expérience (inhalation de quels moyens doivent être mis
protoxyde d'azote) sur un sujet en état de coma prolongé. La section en œuvre pour conclure au
disciplinaire du Conseil national de l'ordre avait retenu notamment à
son encontre une violation de l'art. 2 du Code de déontologie médicale
décès. L'art. R. 1232·2, Code de
et sanctionné le médecin sur la base du non-respect de la vie et de la la santé publique indique que,
personne humaine. Le Conseil d'Etat a contredit cette décision, jugeant « en complément des trois
qu'un patient «en état de mort cérébrale», bien que «maintenu en critères cliniques mentionnés à
survie somatique », ne pouvait être considéré comme vivant ; deux l'article R. 1232·1, il est recouru
artériographies et deux encéphalogrammes pratiqués par d'autres
praticiens constituaient à cet égard « des modes de preuves [ ... ] aux
pour attester du caractère
résultats concordants». En revanche, le Conseil d'Etat a indiqué que irréversible de la destruction
« les principes déontologiques fondamentaux relatifs au respect de la encéphalique:
personne humaine, qui s'imposent au médecin dans ses rapports avec
son patient, ne cessent pas de s'appliquer avec la mort de celui-ci » 1°) Soit à deux
(CE, 2juillet 1993: D. 1994,2, p. 74, note Peyrical).
électroencéphalogrammes nuls
Sanction pénale: L'art. 223-8 C. pénal sanctionne les recherches et aréactifs effectués à un
biomédicales sur une personne sans son consentement. Un praticien, intervalle minimal de quatre
qui avait administré pendant cinq jours un nouveau produit à un patient heures, réalisés avec
victime d'un syndrome respiratoire aigu, a ainsi été condamné, la Cour amplification maximale sur une
d'appel ayant précisé que l'exigence du consentement libre, éclairé et
exprès de l'intéressé était destinée à «protéger l'intégrité physique et
durée d'enregistrement de trente
la dignité des personnes» (Aix-en-Provence, 19 mai 2008: JCP2009, minutes et dont le résultat est
IV, 1457). Le pourvoi contre cette décision a été rejeté (Crim., 24 immédiatement consigné par le
février 2009 : D. 2009,jur. p. 2087, note Delage ; JCP 2009, jur. p. 29, médecin qui en fait
note Mistretta). l'interprétation ;
71 Le débat échappe à l'objet de cours mais on signale que le Titre III de la loi du 6 août 2004, relative à la
bioéthique (v. infra), consacre de larges développements au don et à l'utilisation des éléments et produits du
corps humain.
28
2°) Soit à une angiographie objectivant l'arrêt de la circulation encéphalique et dont le résultat
est immédiatement consigné par le radiologue qui en fait l'interprétation».
Il résulte des textes en vigueur qu'il faut distinguer entre plusieurs phases de coma. La
jurisprudence en a d'ailleurs fait application : la mort corticale (ce qu'on nomme aussi un état
végétatif) doit ainsi être distinguée de la mort cérébrale72.
La mort corticale n'enlève pas à l'intéressé sa qualité de sujet de droit73 et n'empêche pas la
victime de bénéficier d'une indemnisation. En revanche, un coma dépassé s'assimile à la
mort74 •
C'est le Code des communes qui fixe les règles relatives à la déclaration du décès, laquelle
doit intervenir auprès de l'état civil dans les vingt-quatre heures de la mort par un parent ou
une personne qui a connaissance du décès. Le décès doit avoir été constaté par un médecin.
Si la vie humaine prend fin avec le décès, la personnalité du décédé peut, dans certaines
circonstances, lui survivre.
0 du lieu de sa sépulture.
Le droit d'avoir une sépulture et de régler librement les conditions de ses obsèques ne peut
s'exercer que dans le cadre législatif et réglementaire qui intervient en la matière.
Peu de testaments prévoient la forme des funérailles et visent le lieu de sépulture, de sorte que
des contentieux assez réguliers naissent à propos de l'interprétation des dernières volontés du
décédé. Généralement, la jurisprudence considère que les proches, et plus particulièrement le
conjoint survivant (sauf en cas de mésentente avérée), sont les mieux placés pour interpréter
les volontés du défunt. Quelques décisions intéressantes sont venues enrichir ce contentieux à
propos du sort des restes du défunt.
-D'une manière générale, il faut rechercher autant que faire se peut la volonté du
décédé. Une affaire a opposé la veuve et les enfants d'une personne musulmane,
décédée sans avoir fait connaître ses volontés à propos de son mode d'inhumation;
la tradition musulmane exige en effet une inhumation mais les enfants, désignés pour
organiser les funérailles, souhaitaient procéder à une crémation (des difficultés
supplémentaires venaient du fait que le décédé était certes musulman mais non
pratiquant, et qu'il avait indiqué ses dernières volontés la veille du décès, sans
qu'une preuve à cet égard n'ait pu être rapportée. Dans cette espèce, la Cour de
cassation a indiqué qu'il convenait «de rechercher par tous moyens quelles ont été
les intentions d'un défunt en ce qui concerne ses funérailles, et, à défaut, de désigner
la personne la mieux qualifiée pour décider de leurs modalités »76. Dans une autre
espèce, la durée d'une amitié avec une femme décédée a été retenue pour désigner
«la personne la mieux placée pour rapporter l'intention» du défunt, encore à propos
de l'organisation des obsèques selon le rite musulman77,
Hors de ces situations qui témoignent à l'évidence du respect post mortem de la volonté du
décédé, on pourrait trouver d'autres cas de survie de la personnalité d'un disparu. Ainsi, dans
certaines circonstances, des mariages posthumes peuvent être célébrés ; lorsque, avant les lois
sur la bioéthique, l'insémination post mortem d'une veuve avec le sperme de son mari a été
demandée en justice, on a évoqué la volonté du disparu d'avoir un enfant ...
La dépouille mortelle n'est plus, au sens juridique, une personne. C'est ce qui ressort par
exemple d'une décision du Tribunal de grande instance d'Arras78 :un prévenu, en compagnie
d'un complice, avait descellé la dalle d'un caveau et ouvert le cercueil d'une jeune fille de
quinze ans récemment décédée ; ayant dénudé le cadavre et écarté ses jambes, il avait pris
plusieurs photos, données par la suite à développer en Italie, ce qui avait permis de
l'appréhender. Les intéressés ont été condamnés à des peines de prison ferme sur le
fondement de dispositions pénales qui sanctionnent la violation ou la profanation de sépulture
et l'atteinte à l'intégrité du cadavre. Il est à remarquer qu'un même texte sanctionne des
agissements visant les biens (le caveau) et la dépouille mortelle : il n'est pas possible
d'appliquer en effet au cadavre des dispositions relevant du droit des personnes, les restes
humains devenant en quelque sorte une chose ; par exemple, aucune incrimination pour
attentat à la pudeur ou viol ne peut être retenue si les faits ont été pratiqués sur un cadavre.
Toutefois, la personnalité du décédé lui survit dans une certaine mesure après son décès. Hors
le cas lié à l'organisation des obsèques, vu plus haut, il en va ainsi s'agissant du respect des
dernières volontés du disparu, généralement exprimées par testament, qui seront exécutées
après sa mort (l'étude des successions testamentaires est au programme du cours de droit civil
de licence). En outre, l'honneur ou la mémoire d'un disparu méritent encore protection.
On constate aussi que les dispositions du Code pénal visant les « atteintes au respect dû aux
morts» s'insèrent sous un intitulé général consacré à la dignité des persotmes (livre II, titre II,
chap. V, section 4). Une loi du 19 décembre 2008 a ajouté au Code civil un article 16-1-l :
« Le respect du au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes
décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être
traitées avec respect, dignité et décence». L'article 16-2, qui prévoit la possibilité pour tout
juge de prescrire les mesures propres à faire cesser toute atteinte illicites au corps humain ou
aux agissements illicites portant sur des éléments ou produits de celui-ci se trouve désormais
assorti d'une précision selon laquelle cette intervention peut avoir lieu «y compris après la
mort >>8o.
Les art. L. 2223-1 & s. du Code général des collectivités territoriales fixent les règles
concernant les opérations funéraires.
À considérer l'état du droit relatif à la dépouille mortelle, certains ont pu s'étonner d'une
différence de traitement de l'humain en situation prénatale et post mortem. Par exemple, il a
été avancé que «l'être humain mort est aujourd'hui plus complètement protégé dans la
froidure de son tombeau que ne l'est l'être humain en gestation, embryon chosifié dans la
glace des congélateurs-conservateurs ou fœtus menacé dans la chaleur du ventre maternel
qu'on croyait naturellement protecteur >>86. Mais, on peut aussi considérer que le cadavre est
un reste de ce qui a été humain (ce qui justifie une extension de mémoire), alors que
l'embryon ou le fœtus n'ont été que personnes humaines «potentielles» (l'absence de vie
humaine restreignant le champ d'application de la dignité de la personne).
Le Code pénal sanctionne l'« atteinte à l'intégrité du cadavre, par quelque moyen que ce soit,
est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende (art. 225-17, al. 1, du C. pénal),
de même que « la violation ou la profanation, par quelque moyen que ce soit, de tombeaux, de
sépultures, d'urnes cinéraires ou de monuments édifiés à la mémoire des morts » (ibid., al. 2).
Le cumul de cette dernière atteinte à celle du cadavre doubles mes peines encourues (ibid., al.
3).
Les autopsies destinées à faire connaître la cause du décès ne peuvent en revanche être
entravées par l'opposition de la famille du disparu ou l'opposition préalable du décédé. Il n'y
a ni atteinte à l'intégrité du cadavre (art. 225-17 du C. pénal) ni atteinte à l'intégrité de
l'espèce humaine (art. 16-4 du C. civil: v. développements infra) lorsqu'une autopsie est
pratiquée87. En outre, comme l'indique une décision de la chambre criminelle, les
prélèvements qui sont effectués lors d'opérations d'autopsie, «qui ne peuvent faire l'objet
d'un droit patrimonial aux termes de l'art. 16-1 du C. civil, ne constituent pas des objets
susceptibles de restitution au sens de l'art. 41-4 du Code de procédure pénale »88.
Au-delà du cadavre lui-même, le statut des prothèses peut être questionné: vu le coût de
certaines prothèses bioniques, la récupération du matériel peut-elle être opérée? S'agit-il
simplement d'un bien89?
86 J.-F. Seuvic, Variations sur l'humain comme valeurs pénalement protégées, Mélanges Bolze, Economica,
1999, p. 384.
87 Tri b. adm. Nantes, 6 janvier 2000 : JCP 2000, Il, 10396, note Prieur.
88 Crim., 3 février 2010: D. 2010, chr. Cour de cassation, p. 1658, obs. Leprieur.
89 Sur ce point: X. Labbée, L'homme augmenté, D. 2012, p. 2323.
32
0 elles peuvent être aussi dispersées « en pleine nature, sauf les voies publiques »
(ibid); dans cette hypothèse, «la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles
en fait la déclaration à la mairie de la commune du lieu de naissance du défunt.
L'identité du défunt ainsi que la date et le lieu de dispersion de ses cendres sont inscrits
sur un registre créé à cet effet» (art. L. 2223-18-3 ).
Selon la loi, donc, il ne peut y avoir que dispersion ou conservation sur des sites appropriés.
Est-ce dire que la conservation d'une ume à domicile est désormais impossible? La pratique
s'était instaurée et la jurisprudence l'admettait92. Un décret du 12 mars 200793 avait
Signalons que le parquet de Bobigny a admis l'inhumation avec une ume contenant les
cendres du chien de la personne décédée94 ...
Il a fallu déterminer une conduite Guridique) à tenir quant à la situation des personnes dont on
n'est pas certain du décès, mais qui ont disparu depuis un certain temps. Les art. 112 & s. C.
civ. (dans une rédaction consécutive à la loi du 28 décembre 1977) définissent deux
situations.
1.- L'absence
L'absent est celui qui a cessé de paraître à son domicile sans que l'on ait de ses nouvelles :
ainsi un voyageur qui n'est pas revenu.
§ 1. La présomption d'absence
Dans une sorte de première phase, celle de la présomption d'absence, l'intéressé est considéré
comme vivant, et on organise la situation à titre provisoire.
A. La constatation judiciaire
L'absence doit être constatée par le juge des tutelles, sur demande du ministère public ou des
personnes intéressées, qui peuvent être, par rapport à l'absent :
0 son conjoint ;
0 ses créanciers ;
0 ses associés.
93Décret no 2007-328 du 12 mars 2007 relatif à la protection des centres funéraires: JO du 13 mars. V. D.
2008, pan. p. 1443, obs. Galloux; X. Labbée, L'urne au fond du jardin: quel statut pour les cendres ?, JCP
2008, act. 239.
94X. Labbée, Le chien dans Je cercueil. JCP 2012, 1261.
34
Par extension, le régime de l'absence peut être admis pour des personnes qui, par suite
d'éloignement sont hors d'état de manifester leur volonté.
B. Le régime de l'absence
Il s'agit d'aménager une administration des biens de l'absent, pendant une période qui peut
durer dix ans. Le juge des tutelles désigne à cet égard des représentants chargés d'administrer
le patrimoine de la personne absente. Ces représentants peuvent effectuer des actes
d'administration et de gestion courante, mais une autorisation du juge des tutelles est
nécessaire pour les actes de disposition (par exemple la vente d'un bien immobilier). Ce
régime a un caractère subsidiaire. En effet, certaines situations juridiques, permettant de
déterminer que l'absent peut être représenté, excluent le recours à la désignation d'un
représentant par le juge des tutelles. C'est le cas lorsque l'absent a donné mandat à une
personne de le représenter et d'administrer ses biens. Le fait que l'absent soit présumé vivant a
des conséquences tangibles. Par exemple, son conjoint ne peut se remarier durant la période
de présomption d'absence ; de même, il est possible de recueillir une succession pour le
compte de l'absent.
§ 2. La déclaration d'absence
Du fait que l'absent est présumé mort découlent des conséquences particulières. D'abord, le
jugement de déclaration est porté sur les registres de l'état civil. Ensuite, comme c'est le cas
pour une personne décédée, son mariage est dissous et sa succession est ouverte. Du même
coup, la réapparition de l'absent quand la déclaration est prononcée pose des problèmes plus
complexes que lorsqu'elle intervient en période de présomption. Par exemple, son mariage
reste dissous : « Le mariage de l'absent reste dissous, même si le jugement déclaratif
d'absence a été annulé» (art. 132). L'absent pourra certes recouvrer ses biens, mais il faut
demander l'annulation du jugement déclaratif d'absence.
II. - La disparition
La disparition vise la situation dans laquelle une personne n'est pas réapparue, mais dont on
sait qu'elle s'exposait à un péril. On vise là les hypothèses d'accident (naufrage, avalanche ... )
qui laissent penser au décès mais sans que le corps de l'intéressé ait été retrouvé.
CHAPITRE Il
L'ETAT DES PERSONNES PHYSIQUES
L'identification des personnes physiques se fait à l'état civil. D'un point de vue matériel, la
tenue de l'état civil répond à certaines règles de fonctionnement que nous décrirons (Section
II) après avoir envisagé les éléments de l'état civil (Section 1).
Dans la mesure où une personne physique est un sujet de droit, auquel s'attachent droits et
obligations, il faut l'individualiser pour pouvoir la localiser.
1. -L'individualisation de la personne
Traditionnellement, en droit, la personne est individualisée par des éléments d'identité, et par
la détermination de son sexe. Ces éléments traditionnels sont-ils en voie d'être dépassés par le
recours à la biométrie? L'ensemble des données biométriques peut constituer effectivement
un élément déterminant de l'identité d'une personne physique. Le Comité consultatif national
d'éthique s'est déjà saisi de la question95. Pour l'heure, nous en resterons ici aux traditionnels
éléments qui fondent l'identité.
§ 1. L'identité
L'identité d'une personne est caractérisée par son nom et son prénom.
A. Le nom
Outre un nom légal, il est possible d'utiliser quelques autres éléments accessOires
d'identification.
La loi du 4 mars 2002 96 a, dans un premier temps, réformé la matière. Devant certaines
critiques, des modifications sont intervenues avec la loi du 18 juin 20039 7, laquelle a repoussé
la date d'entrée en vigueur des nouvelles dispositions (au 1° janvier 2005 alors qu'elle était
prévue à l'origine au 1° septembre 2003); des dispositions réglementaires sont venues
préciser notamment les modalités de déclaration de nom98. Mais, l'ordonnance du 4 juillet
2005 99 a encore modifié le régime applicable au nom de famille. En effet, cette ordonnance
réforme profondément le droit de la filiation, notamment en mettant fin à la séparation entre
filiation légitime et filiation naturelle (nous en traiterons dans le seconde partie du cours). Du
coup, les règles dévolution du nom de famille ont été modifiées.
Jusqu'aux réformes, même si le Code civil ne le prévoyait pas, il était de coutume que l'enfant
légitime portât le nom du père. En cas de filiation naturelle, si l'enfant était reconnu
simultanément par les deux parents, il portait le nom de son père (bien que l'autorité parentale
soit en principe exercée par la mère). On a contesté cette solution eu égard à l'absence de
dispositions impératives en la matière, et au nom d'une égalité entre les sexes, la référence
traditionnelle au nom du père résonnant comme trace de patriarcat. Dans les cas les plus
difficiles liés aux substitutions de nom (désaccord des parents, décès d'un des parents,
substitution du nom de la mère à celui du pèreioo ... ), la substitution nécessite une décision du
juge aux affaires familiales, à la demande de l'un des parents ou de l'enfant si celui-ci est
majeur. L'intervention judiciaire ouvrait naturellement la porte à une appréciation du juge et à
la prise en compte des intérêts en présence. On pense à l'intérêt primordial de l'enfant,
notamment pour faire coïncider le nom avec celui des deux parents auprès duquel vit l'enfant.
Mais, ce n'est pas le seul critère puisqu'il convient de tenir compte des intérêts des parties (et
donc du défendeuriOI), voire même ceux des grands parents: par exemple, après le décès de la
mère d'un enfant, des grands parents maternels avaient estimé que l'attribution du nom du
père à leur petit-fils pouvait leur nuire ; la jurisprudence ne les a pas suivis en ce sens dans la
mesure où, « en raison de leurs relations privilégiées et régulières avec leur petit-fils, [ils]
étaient en mesure d'entretenir chez celui-ci le souvenir de la mère »102 (mais la première
chambre civile a confirmé l'intérêt légitime des grands parents en rappelant que les juges du
fond devaient prendre en considération l'ensemble des intérêts en présence). Mais, d'une
façon générale, on constatait une tendance de la jurisprudence à préférer le nom du père, en ce
que celui-ci opérait un rapprochement avec la situation de l'enfant légitime qui semble
socialement plus adéquatelOJ.
Le législateur a opté pour une liberté de choix, telle que nous allons la décrire, mais celle-ci
ne peut être exercée qu'une seule fois (art. 311-24).
l. Enfant dont la filiation est établie à l'égard de ses deux parents. Selon 1'art. 311-21,
« lorsque la filiation d'un enfant est établie à l'égard de ses deux parents au plus tard le jour de
la déclaration de sa naissance ou par la suite mais simultanément, ces derniers choisissent le
nom de famille qui lui est dévolu : soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit leurs deux
noms accolés dans l'ordre choisi par eux dans la limite d'un nom de famille pour chacun
d'eux ». Le principe est donc bien celui de la liberté de choix. Mais, le même texte poursuit en
visant l'hypothèse dans laquelle les parents s'abstiendraient d'exercer leur choix. La loi pallie
alors cette difficulté en imposant une solution : « En l'absence de déclaration conjointe à
l'officier de l'état civil mentionnant le choix du nom de l'enfant, celui-ci prend le nom de celui
de ses parents à l'égard duquel sa filiation est établie en premier lieu et le nom de son père si
sa filiation est établie simultanément à l'égard de l'un et de l'autre »104. À partir de ce dispositif
simple et le souci de ménager la liberté des parents, on empêche malgré tout que des noms
différents soient choisis pour chaque enfant d'un même couple: «Lorsqu'il a déjà été fait
application du présent article [ ... ] à l'égard d'un enfant commun, le nom précédemment
dévolu ou choisi vaut pour les autres enfants communs» (art. 311-21, al. 4)105. Enfin,
« lorsque les parents ou l'un d'entre eux portent un double nom de famille, ils peuvent, par une
déclaration écrite conjointe, ne transmettre qu'un seul nom à leurs enfants » (art. 31 1-21, al.
5). Toutes ces dispositions sont applicables aux enfants qui deviennent français (art. 311-
22)106.
Dans un souci de clarté, on a voulu distinguer les noms composés (qui se transmettent en
totalité) des noms doubles (déterminés par application des règles ci-dessus). Une circulaire du
6 décembre 2004 prévoyait que les noms composant un double nom, suite au choix exercé en
vertu de l'art. 311-21, devaient être séparés par un double tiret sur les actes de l'état civil. Elle
prévoyait aussi que le procureur de la République devait faire procéder à la rectification en
cas d'omission par l'officier d'état civil; en outre, si les parents s'opposaient à l'adjonction
du double tiret, on devait leur refuser la possibilité de choix ouverte par l'art. 311-21 et
appliquer la règle prévue en cas de non-exercice du choix (nom du parent à l'égard duquel la
filiation est établie en premier et nom du père si la filiation est établie simultanément à l'égard
des deux parents). Le Conseil d'État a relevé l'incompétence de l'Administration, en ce que
celle-ci soumettait l'application de dispositions légales à l'acceptation par les parents de
l'adjonction d'un signei07.
2. Enfant dont la filiation n'est établie qu'à l'égard des deux parents. On part d'une situation
très simple qui exclut logiquement toute possibilité de choix : « Lorsque la filiation n'est
établie qu'à l'égard d'un parent à la date de la déclaration de naissance, l'enfant prend le nom
de ce parent (art. 311-23, al. 1). Les textes ménagent ensuite la possibilité de changement du
nom : « Lors de l'établissement du second lien de filiation et durant la minorité de l'enfant, les
parents peuvent, par déclaration conjointe devant l'officier de l'état civil, choisir soit de lui
substituer le nom de famille du parent à l'égard duquel la filiation a été établie en second lieu,
soit d'accoler leurs deux noms, dans l'ordre choisi par eux, dans la limite d'un nom de famille
pour chacun d'eux. Le changement de nom est mentionné en marge de l'acte de naissance»
(art. 311-23, al. 2). On retrouve la même liberté de choix que lorsque l'enfant a une filiation
104 Les textes visent le cas particulier de naissance à l'étranger d'un enfant dont l'un au moins des parents est
français. Si les parents n'ont pas usé de la possibilité de choix du nom dans les conditions qui sont décrites, ils
« peuvent effectuer une telle déclaration lors de la demande de transcription de l'acte, au plus tard dans les trois
ans de la naissance de l'enfant » (art. 311-21, al. 2).
105 Cette disposition vaut également lorsqu'il a été fait application de l'art. 31 1-23, al. 2 (v. infra).
106 Application des dispositions de l'article 22-1, dans les conditions fixées par décret.
107 CE, 4 décembre 2009 : JurisData no 2009-015423.
39
établie à l'égard de ses deux parents le jour de la déclaration de sa naissance ou par la suite
mais simultanément 108• Mais, on demandera le consentement personnel de l'enfant s'il a plus
de treize ans (art. 311-23, al. 4).
1. Adoption plénière. L'adoption plénière produit, selon les cas, deux effets de base très
simples:
0 en cas d'adoption par une seule personne, «l'adoption confère à l'enfant le nom de
l'adoptant» (art. 357, al. 1);
0 en cas d'adoption par deux époux, le nom conféré à l'enfant est déterminé en
application des règles énoncées à l'article 311-21 (art. 357, al. 2) »(avant la réforme
de la filiation, 1'enfant adopté par les deux époux se voyait appliquer les mêmes
règles que celles applicables à l'enfant légitime). «Sur la demande du ou des
adoptants, le tribunal peut modifier les prénoms de l'enfant» (ibid).
L'art. 357, al. 3 vise le cas d'adoption par une personne mariée. Dans ce cas, «le tribunal
peut, dans le jugement d'adoption, décider, à la demande de l'adoptant, que le nom de son
conjoint, sous réserve du consentement de celui-ci, sera conféré à l'enfant. Le tribunal peut
également, à la demande de l'adoptant et sous réserve du consentement de son conjoint,
conférer à l'enfant les noms accolés des époux dans l'ordre choisi par eux et dans la limite d'un
nom de famille pour chacun d'eux ». En outre, « si le mari ou la femme de l'adoptant est
décédé ou dans l'impossibilité de manifester sa volonté, le tribunal apprécie souverainement
après avoir consulté les héritiers du défunt ou ses successibles les plus proches» (art. 357, al.
4)109.
2. Adoption simple. En cas d'adoption simple, les noms se cumulent: «L'adoption simple
confère le nom de l'adoptant à l'adopté en l'ajoutant au nom de ce dernier» (art. 363, al. 1).
Lorsqu'il existe un double nom de famille (celui de l'adopté et de l'adoptant), «le nom
conféré à l'adopté résulte de l'adjonction du nom de l'adoptant à son propre nom, dans la
limite d'un nom pour chacun d'eux. Le choix appartient à l'adoptant, qui doit recuei1lir le
consentement de l'adopté âgé de plus de treize ans. En cas de désaccord ou à défaut de
choix, le nom conféré à l'adopté résulte de l'adjonction du premier nom de l'adoptant au
premier nom de l'adopté» (art. 363, al. 2).
Les textes règlent encore le cas d'adoption par deux époux. Dans cette hypothèse, un choix
s'impose:« Le nom ajouté au nom de l'adopté est, à la demande des adoptants, soit celui
du mari, soit celui de la femme, dans la limite d'un nom pour chacun d'eux et, à défaut
1°8 « Toutefois, lorsqu'il a déjà été fait application de l'article 311-21 ou du deuxième alinéa du présent article à
l'égard d'un autre enfant commun, la déclaration de changement de nom ne peut avoir d'autre effet que de donner
le nom précédemment dévolu ou choisi » (art. 311-23, al. 3).
109 Selon l'art. 357-1 : « Les dispositions de l'article 311-21 sont applicables à l'enfant qui a fait l'objet d'une
adoption régulièrement prononcée à l'étranger ayant en France les effets de l'adoption plénière. Les adoptants
exercent l'option qui leur est ouverte par cet article lors de la demande de transcription du jugement d'adoption,
par déclaration adressée au procureur de la République du lieu où cette transcription doit être opérée. Lorsque les
adoptants sollicitent l'exequatur du jugement d'adoption étranger, ils joignent la déclaration d'option à leur
demande. Mention de cette déclaration est portée dans la décision. La mention du nom choisi est opérée à la
diligence du procureur de la République, dans l'acte de naissance de l'enfant ll.
40
d'accord entre eux, le premier nom du mari. Si l'adopté porte un double nom de famille, le
choix du nom conservé appartient aux adoptants, qui doivent recueillir le consentement de
l'adopté âgé de plus de treize ans. En cas de désaccord ou à défaut de choix, le nom des
adoptants retenu est ajouté au premier nom de l'adopté» (art. 363, al. 3).
0 Forme : la déclaration doit être corüointe (pour entériner un choix fait en commun par
les parents); elle est obligatoirement écrite, datée et signée par les deux parents.
0 Compétence: c'est l'officier d'état civil qui est compétent pour recevoir la
déclaration.
1°) quand la filiation est établie à l'égard des deux parents au plus tard le jour de sa
déclaration de naissance, elle doit être remise à l'officier d'état civil au moment de
la déclaration de naissance (art.2 du décret);
Les textes permettent également d'applique dans une certaine mesure les dispositions
nouvelles aux situations établies. 11 s'agit d'une rétroactivité limitée permettant une
adjonction de nom, possibilité ouverte jusqu'au 1° juin 2006. Selon la loi (loi de 2002, art.
23), les parents peuvent demander par déclaration conjointe l'adjonction du nom qui n'avait
pas été transmis pour l'aîné de leurs enfants communs, à condition que celui-ci ait moins de
treize ans (au 1° septembre 2003 ou à la date de la déclaration); le consentement de l'enfant
de plus de treize ans est requis. Dans cette hypothèse, le nom qui n'avait pas été transmis
110 Selon l'art. 363-1 : « Les dispositions de l'article 363 sont applicables à l'enfant ayant fait l'objet d'une
adoption régulièrement prononcée à l'étranger ayant en France les effets d'une adoption simple, lorsque l'acte de
naissance de l'adopté est conservé par une autorité française. Les adoptants exercent l'option qui leur est ouverte
par cet article par déclaration adressée au procureur de la République du lieu où l'acte de naissance est conservé
à l'occasion de la demande de mise à jour de celui-ci. La mention du nom choisi est portée à la diligence du
procureur de la République dans l'acte de naissance de l'enfant ».
111 Sont visées également les cas de naissance à l'étranger et d'acquisition de la nationalité française (art. 4 et 5
à 8 du décret).
41
vient obligatoirement en seconde position, et ce choix s'impose à tous les autres enfants
communs 112 •
On indiquera quels sont les caractères qui s'attachent au nom patronymique avant d'envisager
différents aspects du droit au nom.
Outre son caractère obligatoire, sur lequel nous ne reviendrons pas, quatre caractères
s'attachent au nom.
1. L'unicité du nom. Tout individu n'a qu'un seul nom. Le Code pénal sanctionne l'utilisation
d'un autre nom que le sien. Selon l'art. 433-19 C. pénal, «est puni de six mois
d'emprisonnement et de 7 500 € d'amende le fait, dans un acte public ou authentique ou dans
un document administratif destiné à l'autorité publique et hors les cas où la réglementation en
vigueur autorise à souscrire ces actes ou documents sous un état civil d'emprunt :
1°) de prendre un nom ou un accessoire du nom autre que celui assigné par l'état civil ;
2°) de changer, altérer ou modifier le nom ou l'accessoire du nom assigné par l'état
civil».
La femme mariée a seulement l'usage du nom de son mari. Toutefois, l'auteur d'une œuvre
littéraire ou artistique a la possibilité d'user d'un pseudonyme (ou de choisir l'anonymat) ; dans
ce cas, le droit d'auteur s'applique au pseudonyme comme au nom des auteurs.
2. L'immutabilité du nom. Par principe le nom est immuable, selon la loi du 6 fructidor An II :
« aucun citoyen ne pourra porter de nom et de prénom autres que ceux exprimés dans son acte
de naissance : ceux qui les auraient quittés seront tenus de les reprendre». Toutefois, des
procédures de changement restaient ouvertes, quand le nom porté était ridicule, quand il
s'agissait de jouir d'un surnom devenu célèbre ou pour prolonger l'usage d'un nom dans une
lignée maternelle.
112 Sur un cas particulier en période transitoire, v. Versailles, 29 juillet 2995 : JCP 2005, Il, 10138, note Fossier.
113 CE, 19 avril2000: JCP 2000, IV, 2259.
114 CE, 29 septembre 2003 : D. 2003, IR p. 2669.
115 CE, 22juin 2012: D. 2012, p. 1738.
42
changement nécessite un décret publié au Journal Officiel ; chaque personne intéressée peut
faire opposition devant le Conseil d'Etat.
Les conséquences d'un changement de nom ne se limitent pas à celui qui en a fait la demande,
mais atteignent les enfants qui portent son nom. La loi a toutefois précisé que les effets
n'étaient pas les mêmes en fonction de l'âge des enfants :
Naturellement, nous aurons l'occasion de voir, dans le cadre de l'étude du droit de la famille,
que la contestation de la filiation d'un enfant peut avoir des incidences quant au nom de ce
dernier.
Sur le plan des principes, la seconde loi intervenue à l'occasion de la réforme ajoute, par l'art.
311-23, que« la faculté de choix ouverte en application des art. 331-21 et 334-2 ne peut être
exercée qu'une seule fois». Il s'agit, sans remettre en cause le principe du libre choix, de
garantir une stabilité du nom en ne permettant pas des changements successifs : le nom est un
élément d'identification des personnes physiques et, à ce titre, ne peut être modifié que dans
un cadre baliséllS.
En droit des marques, il est acquis que toute personne peut déposer son nom (ou une partie de
celui-ci) comme marque 120 ; mais, dans ce cas, la marque s'autonomise encore par rapport à
l'individu.
Toutefois, dans l'importante affaire visant le chef cuisinier Alain Ducasse, il a été jugé que
« le consentement donné par un associé fondateur dont le nom est notoirement connu, à
l'insertion de son nom de famille dans la dénomination d'une société exerçant son activité
dans le même domaine, ne saurait, sans accord de sa part, et en l'absence de renonciation
expresse ou tacite à ses droits patrimoniaux, autoriser la société à déposer ce patronyme à titre
de marque pour désigner les mêmes produits ou services »121. Cet attendu a été repris presque
mot pour mot dans une espèce impliquant le constructeur immobilier André Beau, mais avec
la précision selon laquelle la notoriété devait s'apprécier «sur l'ensemble du territoire
national »122.
• Sur le terrain de la prescription extinctive, on s'aperçoit que l'on peut toujours revendiquer
un nom même longtemps inutilisé, à certaines conditions évoquées par la Cour de cassation
dans un arrêt du 15 mars 1988 : « si la possession loyale et prolongée d'un nom est propre à
conférer à l'individu qui le porte le droit à ce nom, elle ne fait pas obstacle à ce que celui-ci,
renonçant à s'en prévaloir revendique le nom de ses ancêtres qu'il n'a pas perdu en raison de
l'usage d'un autre nom par ses ascendants les plus proches »123 ; autrement dit, le fait que
plusieurs générations n'aient pas porté un nom n'en fait pas perdre l'usage.
Toutefois, la première chambre civile a précisé dans un arrêt du 25 mai 1992 que la
possession invoquée pour porter un nom inutilisé doit être souverainement appréciée par les
juges du fond 124 ; il s'agit de contrôler la tentation qui pouvait se généraliser de rechercher
dans sa généalogie un nom tombé en désuétude.
l. La protection contre l'utilisation de son nom. Tout individu peut s'opposer à ce que son
nom patronymique soit utilisé sans son autorisation. Diverses hypothèses peuvent être à cet
égard envisagées.
• On peut ainsi s'opposer à l'usurpation de son nom par un tiers, sans être tenu de justifier
d'un intérêt autre que celui de défendre son patronyme contre une usurpation, selon une
jurisprudence constante126.
Ainsi, n'ont pu obtenir gain de cause les Kirgence de Planta suite à l'utilisation du mot Planta
pour désigner une margarine végétalel27, Mademoiselle Badoit du fait de l'homonymie avec
une eau minéraJe128, Monsieur Ala en raison de l'existence d'une lessive du même nom 129 ou
Monsieur Dop qui se disait traumatisé par la chanson publicitaire du shampooing éponyme
qu'on lui chanta durant toute son enfance et même lors du conseil de révision 130 ...
~ Il faut qu'une confusion existe. Mais, en la matière, on peut plus facilement concevoir
une confusion entre une personne réelle et un personnage de fiction que, en matière
commerciale, entre un individu et un produit. L'appréciation est laissée aux juges du fond,
comme certaines espèces peuvent l'illustrer.
- Dans la série de romans d'Henry de Montherlant, Les jeunes filles, le personnage principal
était nommé Pierre Costa. Le contentieux initié par un M. Costa ne fut pas favorable à celui-
ci : les juges ont relevé que, selon l'annuaire téléphonique, il y avait dix-huit personnes
nommées Costa sur la ville de Paris, se prononçant ainsi au vu de la rareté du nom, et
décidant qu'il n'y avait pas de risque de confusion 131.
-La famille Le Court de Béru fut à l'origine d'une espèce dans laquelle était visé Frédéric
Dard lorsque l'auteur, qui avait introduit dans ses romans le personnage de Bérurier, dit «
Béru », auprès du commissaire San Antonio, publia un ouvrage intitulé Béru-Béru. Les juges
ont considéré qu'il n'y avait aucune confusion possible entre la fami1le noble à l'origine de
l'assignation et le personnage haut en couleurs qu'est Bérurier, et rejeté la demandel32.
- Dans son roman Snobissimo, Pierre Daninos avait décrit une famille de concierges
nommés Camuse/. Or, un couple de concierges du même nom habitait bien un immeuble
proche de celui où vivait la mère de l'auteur. Cette fois, le risque de confusion était plus
qu'évident, et l'auteur fut condamné133.
-En revanche, les consorts Bidochon n'ont pas obtenu gain de cause dans le contentieux
qu'ils ont introduit contre le dessinateur Christian Binet puisqu'il n'existe pas, selon la Cour
de Paris, «de ressemblance -hormis l'homonymie - de nature à créer une confusion
préjudiciable »134.
Q Il faut aussi que le personna~e qui porte le même nom que l'individu se sentant visé
soit odieux ou ridicule (ce qui était le cas, déjà, dans l'affaire Snobissimo ), faute de quoi il n'y
a pas automatiquement préjudice. Ainsi, à l'occasion d'une affaire introduite à propos du film
de Christian-Jaque Babette s'en va-t-en guerre, la prétention du demandeur fut rejetée, le
personnage considéré n'étant pas montré sous un jour défavorablel35.
Q Demeure enfin une question de procédure : il n •est pas forcément facile de faire
interdire en référé l'usage d'un nom que l'on soupçonne préjudiciable. On pouvait le
constater avec le refus de l'interdiction de l'affiche du film documentaire Choron dernière, au
motif que l'apposition des noms des demandeurs sur celle-ci constituait une atteinte à leur vie
privée et que sa diffusion engendrait un péril imminent136. C'est ce que montre aussi l'affaire
concernant Les Bougon. Une chaîne de télévision envisageait de diffuser une série baptisée
ainsi, montrant des personnages vulgaires, grossiers et malhonnêtes, « archétypes des
magouilleurs-arnaqueurs». Plus d'une soixantaine de porteurs du nom (réunis en une
association de défense) ont voulu faire interdire la diffusion avec cet usage du nom. Ils n'ont
131 Trib. civ. Seine, 18 juillet 1941 : Gaz. Pal. 1941, 2, p. 235.- D. A. 1942, p. 30.
132 TGI Versailles, 2 avril 1974 : D. 1974, p. 714, note Lindon.- Paris, 24 mai 1975: D. 1975, p. 488, note
Lindon.
133 Paris, 28 décembre 1968 : D. 1968, p. 437. - Civ. 2 juillet 1969 (confinnation): RTDC 1970, p. 161, obs.
Nerson.
134 Paris, 30 octobre 1998 : D. 1998, IR, p. 259; RTDC 1999, p. 61, obs. Hauser. V. R. Combes, Les Bidochon:
une bande dessinée irrespectueuse du nom d'autrui?, Petites Affiches 2000, 0° 163, p. 9.
135 TGI Seine, 13 mars 1962 : Gaz. Pal. 1962, 2, p. 158.
136 TOI Paris, réf., 19 décembre 2008, Cabul & a. d SARL 3 B & a.: Légipresse 2009, no 259,1, p. 37.
46
pas eu gain de cause, n'ayant pu prouver ni «l'existence d'un dommage imminent qu'il
conviendrait de prévenir, ni la manifeste illicéité d'un trouble qu'il conviendrait de faire
cesser» (ils présentaient deux extraits et quelques documents). Or, c'est le principe de la
liberté d'expression qui leur est opposé, et l'on voit la difficulté à rassembler, en urgence, des
éléments propres à faire exception à son application totalel37 ...
• Il est dans l'objet d'autres matières de protéger le nom, dans certaines circonstances. Ainsi,
en droit de la propriété littéraire et artistique, certaines prérogatives de ce qu'on nomme droit
moral permettent d'agir si le nom de l'auteur n'est pas indiqué (publication de photographies
sans le nom de l'auteur 138, film omettant le nom du compositeur au génériquel39) ; il en va de
même pour ceux qu'on appelle artistes-interprètes (acteurs, musiciens, chanteurs, etc.).
2. La nature du droit au nom. L'existence d'un droit au nomi40 est souvent réaffirmée, mais
on a beaucoup discuté sur sa nature.
• Si le nom est une sorte d'institution de police civile ainsi que le pensait Planiol (comme les
différents numéros qui sont attribués : INSEE, URSSAF ... ), c'est la notion même de droit au
nom qui disparaît : il n'y a plus de droit subjectif qui s'attache au nom, mais seulement un
souci objectif d'individualiser chaque individu. Cette conception ancienne est aujourd'hui
abandonnée.
• S'agirait-il d'un droit de propriété ? En cas d'utilisation, il n'y aurait alors pas lieu de prouver
un préjudice, et la constatation de l'usage devrait suffire à condamner l'utilisateur frauduleux.
On a vu que la jurisprudence ne s'est pas engagée sur cette voie. D'ailleurs, certains caractères
du nom (comme l'inaliénabilité) sont incompatibles avec la notion de propriété. On a pu
proposer alors d'inclure le droit au nom dans une sorte de sous-catégorie du droit de propriété
qui deviendrait un droit de propriété familial, à l'instar par exemple des souvenirs de famille
ou des sépultures qui font l'objet d'un régime particulierl 4 1.
• On a pu penser les inscrire aussi dans les droits de la personnalité. Mais, le nom étant
destiné à identifier une personne dans les actes de la vie civile, il est difficile de dire que son
utilisation étant destinée à être publique, le nom demeure dans la sphère de la vie privée 142 .
C'est aussi la conception dominante qui tend à considérer plus aisément le nom comme
constituant de l'image d'un individu qu'un simple élément d'identification. Toutefois, certaines
atteintes à la vie privée peuvent intervenir en mettant en jeu leur nom : ainsi, la révélation
dans un périodique du fait qu'un directeur de centre hospitalier avait changé de nom a été
sanctionnée, d'autant plus que des commentaires désobligeants accompagnaient l'information
(le changement « révèle une faille chez celui qui procède à ce qui est au départ une
dissimulation : honte avouée ou inavouée des origines et une certaine faiblesse de
caractère ») ; les juges du fond avaient considéré que, la procédure de changement de nom
impliquant une insertion au Journal officiel, celle-ci était publique, mais, pour la première
137 Versailles, 13 octobre 2008: cité par F. Casorla & J. Pai1hès, Atteinte au nom et liberté d'expression. Le
porteur légitime d'un nom de famille est-il vraiment protégé contre un usage abusif?, D. 2009, chr. p. 2375.
138 TGI Paris, 26 juin 1985 : D. 1986, somm. p. 184, obs. C. Colombet. - Paris, 25 février 1988: D. 1989, somm.
p. 43, obs. C. Co1ombet.
139 TG! Paris, 31 mars 1969: RIDA 1969, no LXII, p. 148.
140 Civ. 1°, 17 décembre 2008: D. 2009, chr. Cass. p. 747, obs. Chauvin; RTDC 2009, p. 91, obs. Hauser; AJ
famille 2009, p. 86, obs. Milleville.
14 1 TGI Paris, 29 jun 1988: JCP 1989, II, 21195, note Agostini.
142 En ce sens: Paris, 30 octobre 1998, précité, et les approbations de J. Hauser.
47
chambre civile, «l'ancienne identité de celui qui a légalement fait changer son nom est un
élément de sa vie privée »143.
Le nom d'usage est un nom qui n'a pas été transmis, et qu'une personne peut ajouter à son
nom à titre d'usage, selon l'art. 43 de la loi du 23 décembre 1985144.
1. Les enfants mineurs. S'il s'agit d'enfants mineurs, il est possible d'ajouter au nom légal celui
des deux parents qui ne leur a pas été transmis. Il peut s'agir indifféremment du nom du père
ou de la mère, mais c'est le plus souvent le nom de la mère qui est ajouté à celui du père. Ce
sont les titulaires de l'autorité parentale qui en décident 145 (de sorte que le père naturel ne
pouvait intervenir puisqu'il n'était pas investi de l'autorité parentale). On remarquera que l'avis
de l'enfant n'est pas requis.
2. Les conjoints. Il est possible à la femme mariée d'ajouter le nom de son mari au sien (qu'il
s'agisse du nom légal ou d'usage de son conjoint, ou les deux ; elle peut d'ailleurs les ajouter à
son propre nom légal ou nom d'usage, ou aux deux ... ). Elle peut aussi substituer les noms de
son mari au( x) sien(s), ce qui, dans l'absolu, pourrait mener à quatre noms ... En revanche, les
hommes mariés ont une même possibilité d'ajouter les noms, mais pas de substituer ceux de
leur épouse au leurs.
Le nom d'usage n'est pas mentionné à l'état civil. À l'issue d'une réponse ministérielle 146, il a
été admis que le nom d'usage pouvait être indiqué dans le livret de famille mais pas sur les
documents officiels qui sont établis à partir de l'état civil.
L'usage d'un pseudonyme, volontairement choisi est possible, sauf dans le cas de certaines
professions (notamment, dans le domaine de la santé, les Codes de déontologie en interdisent
l'usage). C'est surtout dans le domaine artistique que le recours au pseudonyme est utilisé; le
droit d'auteur protège (au nom du droit moral) les conditions d'utilisation du pseudonyme. Le
surnom, dont l'usage est possible, peut être mentionné dans certains documents administratifs.
143 Civ. 1°, 7 mai 2008 :Petites Affiches 2009, n° 19, obs. Daverat.
144 V. R. Lindon, La nouvelle disposition législative relative à la transmission du nom: D. 1986, 1, p. 82.
145 Civ. 1°, 16 novembre 1982 : JCP 1983, II, 19954, rapport Ponsard. - Civ. 1°, 25 juin 1991 : D. 1992, som m.
p. 174; RTDC 1991, p. 293, obs. Hauser.
146 JCP 1997, IV, p. 88.
48
La particule fait partie intégrante du nom et peut être protégée comme celui-ci. C'est pour
cette raison que la jurisprudence a pu admettre une réutilisation de particule qui avait été
abandonnée puisque, selon les règles que nous avons envisagées, le nom ne se perd pas son
non-usage 147 . En revanche, les titres nobiliaires (duc, baron, marquis ... ) ne sont pas des
éléments du nom. Ils peuvent néanmoins faire l'objet d'une procédure visant à se protéger
contre une usurpation.
Filiation légitime
Volonté de transmettre chacun à l'enfant leur - ils ne peuvent transmettre qu'un des éléments de
nom : chaque double nom, dans l'ordre qu'ils veulent :
147 Civ. 1°, 15 mars 1998: JCP 1989, II, 21347, obs. Agostini; D. 1988,2, p. 549, note Massip.
49
Filiation naturelle
Filiation de l'enfant établie avec ses deux parents au pus Mêmes règles que pour l'enfant légitime
tard le jour de la déclaration de la naissance A défaut de déclaration : nom du père
Filiation de l'enfant établie postérieurement à la Mêmes règles que pour l'enfant légitime
déclaration de la naissance et simultanément avec son A défaut de déclaration : nom du père
père et sa mère
Enfant né hors mariage, dont la filiation n'a été établie à Mêmes règles que pour l'enfant légitime
l'égard d'aucun de ses parents, et légitimé :
- par le mariage subséquent des parents et
bénéficiant d'une décision de reconnaissance ; La légitimation ne peut toutefois pas entraîner la
- par autorité de justice à l'égard des deux modification du nom d'un enfant majeur sans l'autorisation
parents. de ce dernier
Filiation de l'enfant établie successivement, après sa Par principe t'enfant porte le nom de celui avec lequel la
naissance, è l'égard de l'un puis de l'autre des parents. filiation a été établie en premier.
Mais, par déclaration conjointe devant l'officier d'état civir
(et non plus le greffier en chef du TG/ selon la première - Substitution possible du nom porté par celui du parent
loi) au cours de la minorité de l'enfant, des modifications avec lequel/a filiation a été établie en second;
sont possibles. - Possibilité d'accoler les noms des deux parents dans
Elles devront faire l'objet d'une mention en marge de l'ordre de leur choix (le cas échéant : un seul des
l'acte de naissance de l'enfant éléments qui les composent).
N.B.: Si l'enfant a plus de 13 ans, son accord est, dans
les deux cas, obligatoire.
* Légitimation par le mariage de l'enfant dont la filiation a • Le choix du nom au moment de la légitimation n'est pas
été établie successivement et quand les parents n'ont pas possible si les parents ont déjà choisi le nom de l'enfant
exercé l'option de l'art. 334-2. La déclaration conjointe est dans la déclaration de naissance ou par la suite
possible au moment du mariage
Filiation de l'enfant établie uniquement avec l'un de ses L'enfant porte le nom du parent avec lequel fa filiation a
deux parents. été établie.
Mais, si le parent se marie pendant la minorité de J'enfant, - Substitution possible du nom porté par le nom du
des modifications sont possibles par déclaration conjointe. conjoint;
- Possibilité d'accoler le nom du conjoint au nom porté
dans l'ordre de leur choix (le cas échéant : un seuf des
éléments qui les composent).
Si l'enfant a plus de 13 ans, son accord est, dans les deux
cas, obligatoire. Dans les deux ans suivant sa majorité,
l'enfant peut demander à reprendre le nom qu'il portait
initialement.
B. Le prénom
La loi du 8 janvier 1993 est intervenue en la matière, fixant des dispositions désormais
insérées dans le Code civil sous les articles 57 et 60.
Jusqu'en 1993, l'attribution du prénom était prévue par la loi du 11 Germinal an XI.
Il était possible de choisir « les noms en usage dans les différents calendriers et ceux des
personnages connus dans l'histoire ancienne ». Le choix des prénoms n'était donc pas libre ;
en outre, il était acquis qu'une réserve générale liée à l'intérêt de l'enfant devait être opposée
aux prénoms jugés ridicules, auxquels les services de l'état civil pouvaient s'opposer. Nombre
de difficultés quant à l'application de ces dispositions étaient apparues. Ainsi, on s'est
demandé ce qu'il fallait entendre par calendrier en usage : la première chambre civile a par
50
exemple indiqué, à propos du calendrier de Fabre d'Eglantine, qu'il n'y a pas lieu d'exiger que
le calendrier émane d'une autorité officieJlei4S ; mais, dans cette espèce, la Cour de renvoi
s'est opposée au choix du prénom Cerise, jugé ridicule149 ...
Désormais, l'art. 57 opte pour la liberté de choix ; en outre, tout prénom inscrit dans l'acte de
naissance peut être choisi comme prénom usuel. Lorsque le prénom semble contraire à
l'intérêt de l'enfant ou aux droits des tiers à voir protéger leurs patronymes, l'officier d'état
civil peut saisir le procureur de la République qui peut à son tour saisir le juge aux affaires
familiales. Si ce dernier considère que le prénom choisi porte effectivement atteinte aux
intérêts de l'enfant ou aux droits des tiers, il peut en ordonner la suppression sur les actes
d'état civil et les parents sont invités à procéder à un nouveau choix ; à défaut, le juge attribue
lui-même un nouveau prénom. Ce contrôle du choix parental a donné lieu à une affaire dans
laquelle le prénom Titeufa été jugé contraire à l'intérêt de l'enfantlSJ.
Le changement de prénom est régi par l'art. 60 C. civ, dans une rédaction consécutive à la loi
du 8 janvier 1993.
La question s'est posée de savoir si la modification de l'ordre des prénoms par rapport à celui
déterminé dans l'état civil s'assimilait à un changement. Les juges du fond ont eu tendance à
dire, dans un premier temps, que, si l'on pouvait demander un changement, on pouvait a
fortiori demander d'intervertir l'ordre des prénoms 154.
La Cour de cassation n'a pas admis cette solution. En effet, selon la première chambre civile,
« rien ne s'oppose à ce que soit utilisé, en tant que prénom usuel, l'un quelconque des prénoms
figurant sur les registres de l'état civil, un tel usage s'imposant aux tiers comme aux autorités
publiques »1ss (art. 57) ; en outre, la loi ne vise que le changement, l'adjonction ou las
suppression du prénom: la modification de l'ordre n'est pas envisagée par les textes (art. 60).
Une demande visant à intervertir l'ordre des prénoms doit être rejetée156.
148 Civ. 1°, 10 juin 1981 : D. 1982, 2, 160, note Agostini ; Gaz. Pal. 1982, 1, 163, note Massip.
149Bourges, 2 mars 1983: Gaz. Pal. 1983,2,378, concl. Petit.
ISO TGJ Caen, 20 décembre 1965: JCP 1966, Il, 14626, note Malaurie.- Civ. 1°, 1o juillet 1980, Bull. n° 207.
151 Versailles, 7 décembre 1989: D. 1990, IR, 53.
152 Paris, 21 novembre 1968: JCP 1969, Il, 15842.
153 Versailles, 7 oct. 2010: AJ fam. 2011, p. 53, obs. Chénedé; RTDC 2011, p. 97, obs. Hauser.- Civ. !", 15
févr. 2012: D. 2012, p. 552; AJ fam. 2012, 231, obs. Lambert; RTDC 2012, p. 287, obs. Hauser; D. 2012,
p. 2267, obs. Gouttenoire.
154 Paris, 20 novembre 1987 : D. 1988, IR p. 30.
155Civ.l 0 ,4avrill991 :D.I99l,IR,p.I27;JCPI991,1V,p.l25.
156 Grenoble, 27 mars 2002: JCP 2002, IV, 3088.- Grenoble, 9 mars 2005: JCP 2005,IV, 3379.
51
On est quand même un peu perplexe quand on découvre que Zébulont6o et Méganet61 (pour
une famille nommé Renaud) n'ont pas été sanctionnés en comparaison avec Titeuf(v.supra).
Curieusement, il a été jugé que le prénom Mélanie devait être changé dans l'intérêt de
l'enfant du fait de sa signification dans la communauté grecque et au Liban, compte tenu des
attaches familialesl62. La recherche de l'intérêt légitime a permis à une Cour d'appel de
débouter la mère d'une demande de changement du prénom Haroun, pourtant choisi par les
deux parents, mais qui relevait plus d'un conflit dans l'exercice de l'autorité parentale,
tangible dans l'opposition entre les parents et les prochesl63,
Mais la question est à mettre également en relation avec le problème du changement de sexe,
ainsi qu'il sera dit ultérieurement. La jurisprudence est assez souple en ce domaine, bien que
des décisions de refus un peu surprenants puissent toujours être relevées 164 •
La demande peut est effectuée par les parents pour le changement de prénom d'un enfant
mineur ; toutefois, ci celui-ci est âgé de treize ans, il devra donner son consentement au
changement.
157 TGI Montluçon, 12 avr. 1974: D. 1974, p. 639, note Ayache.- Versailles, 8 juillet 1987: JCP 1988, IV, p.
37.
158 Versailles, 9 janvier 1989: D. 1989, IR p. 69.
159 Dijon, 23 novembre 1999: JCP 2000,1V, 2629.
160 Besançon, 18 nov. 1999: D. 2001, p. 1133, note Philippe et Pouech; RTDC. 2001, p. 559, obs. Hauser.
161 Rennes, 4 mai 2000: JCP 2001, IV, 2655.
162 TGI Lille, 18 décembre 2003; D. 2004, 2, p. 2675, note Labbée.- V. également sur le prénom de Bibi-
Marie: Civ. ) 25 octobre 2005: JCP 2005, IV, 3511.
0 ,
§ 2. Le sexe
A. Le cas du transsexualisme
Les juges du fond ont pu hésiter quant à la conduite à tenir en cas de demande de
modification de l'état civil, avant l'intervention des juridictions européennes.
Dans une décision du TGI de la Seine du 18 janvier 1965, les juges ont avancé qu'il pouvait
exister une différence entre un changement de sexe voulu et un changement de sexe subi (du
fait d'un traitement médical)166. Mais, des difficultés sont apparues pour tenir compte de cette
ligne de partage, notamment face à l'argument selon lequel une intervention chirurgicale
(voulue) pouvait être la conséquence d'une pression psychologique (subie)167.
Plus généralement, les décisions du fond étaient partagées. Tantôt il s'agissait d'accepter une
demande de rectification en aboutissement d'un processus permettant d'« accorder son sexe
physique et son sexe psychique », ce qui, du point de vue de l'intéressé n'était que
« l'aboutissement de l'évolution naturelle de son être profond »168 ; tantôt on opposait aux
demandeurs un refus dans la mesure où « nul ne peut prétendre ( ... ) sur la foi d'une apparence
de s'être créé un sexe différent de celui constaté à la naissance par l'état civil, sans erreur
démontrée de constatations »169.
D'autre part, quand les demandes visaient un changement de prénom, on risquait d'aboutir à
une situation de discordance entre le sexe mentionné à l'état civil (non modifié) et le prénom
(modifié).
166 TGI Seine, 18 janvier 1965 : JCP 1965, II, 14421, conc. Fabre; RTDC 1966, p. 74, obs. Nerson.
167 Civ. 1°, 16 décembre 1975: JCP 1976, II, 18503, obs. Penneau.
!68 Grenoble, 26 avril 1989: Juris-Data n° 043923.
169 Rouen, 26 octobre 1988: Juri-Data no 003045.
53
La Cour de cassation, de son côté, s'est toujours opposée aux rectifications d'état civil dues au
transsexualisme 170. Elle a réaffirmé cette hostilité de façon emblématique dans quatre arrêts
rendus le 21 mai 1990 171 . Naturellement, ce refus posait quelques problèmes de fond : en
particulier, le droit tournait le dos à une réalité médicale qui témoignait pour sa part d'un
changement de sexe ; en outre, de telles décisions faisaient fi de toute dimension
psychologique dans le processus ayant abouti au changement.
On ajoutera que divers arguments tirés de la Convention européenne de sauvel{arde des droits
de l'homme et des libertés fondamentales avaient été avancés dans ce débat. A partir de l'art.
8, al. 1° (« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale »), il a été soutenu
qu'un refus de changement de sexe lié à des considérations psychologiques portait atteinte à la
vie privée et familiale. La Cour de cassation ne l'avait pas admis à l'occasion d'espèces
antérieures 172, et la première chambre civile, dans l'un des arrêts de 1990 considère que le
respect imposé par le texte « n'impose pas d'attribuer au transsexuel un sexe qui n'est pas en
réalité le sien »173.
À la suite d'un rejet par la Cour de cassation de sa demande de rectification d'état civil 174 , une
transsexuelle a saisi les juridictions européennes sur le fondement de la violation de l'art. 8 de
la Convention européenne de sauvegarde. L'accueil de sa demande a conditionné une
intervention en France de l'assemblée plénière. Depuis lors, la Cour européenne des droits de
l'homme a franchi une étape supplémentaire dans la reconnaissance du statut du
transsexualisme.
a) ?.~~.tlf.ç.i:Yi.t!l!/!..4.1!..~1!-..f.f!.IJJm~~~tJ.~.~(.r!.tt.!.l!..Ü!.'!l.
~'!:r.t!P.f.tt.t!.t!:.!!..4!!.~..4.~f!!.IJ.r!.tt.!.~~f!m.'!!:~
170 Par exemple : Ci v. 1°, 30 novembre 1983 : D. 1985, 2, p. 165, note Edelman. - Civ. 1°, 7 juin 1988 : Gaz.
Pal. 1989, 1, p. 417.
171 Civ. 1°, 21 mai 1990 : JCP 1990, Il, 21588, rapport Massip, concl. Flipo; D. 1991, 2, p. 169 (un arrêt),
rapport Massip.
172 Civ. 1o, 7 juin 1988 : Gaz. Pal. 1989, 1, p. 417, obs. De la Marnière.
173 Précédemment, la Cour de cassation avait également indiqué que le refus de changement d'état civil ne
portait pas atteinte au droit de se marier: Civ. ) 0 , 10 mai 1989: Bull. n° 189. D'autre part, les arrêts de 1990 ont
éludé le débat qui était entretenu autour du principe d'indisponibilité de l'état des personnes (question «
complètement dépassée» selon Je rapport Massip) et en tout cas difficile à cerner.
174 Civ. 1°, 31 mars 1987 : JCP 1988, Il, 21000, obs. Agostini.
175 CEDH, 25 mars 1992: JCP 1992, Il, 21955, note Garé; RTDC 1992, p. 540, obs. Hauser; D. 1993,2, p.
\0\, note Marguénaud ~ D. 1992, somm. p. 325, obs. Renucci.
54
C'est sur la base du respect de la vie privée que se fonde l'assemblée plénière, en visant soit
l'art. 8 de la Convention européenne soit l'art. 9 du C. civ. selon lequel « chacun a droit au
respect de sa vie privée» (que nous retrouverons dans l'étude des droits de la personnalité). Il
est à noter que c'est la première fois que la haute juridiction utilise l'art. 9 en matière de
transsexualisme.
Ce faisant, les arrêts s'écartent des trois motivations possibles suggérées par le Ministère
public, qui étaient autant d'options à des degrés divers de reconnaissance ; soit, partant de la
reconnaissance la plus importante :
0 reconnaissance d'une identité sexuelle (permettant de jouir de tous les droits qui
en découlent et en particulier le mariage) ;
Dans un même temps, l'assemblée plénière rejette l'argument fondé sur l'indisponibilité de
l'état des personnes qui était opposé aux requérants à l'appui du refus des juges du fond
d'accéder à leur demande.
176 Cass., ass. plén., Il décembre 1992 : JCP 1993, Il, 21991, con!. Jeol, note Memeteau; RTDC 1993, p. 97,
obs. Hauser.- Adde. J. Massip, Le transsexualisme: suite, Petites Affiches 1993, no 33, p. 14.
55
2. Les critères de recevabilité de la demande. En lisant ensemble les deux arrêts, on peut
relever quatre conditions pour que la demande de modification de l'état civil soit acceptée:
La CJCE, statuant par deux fois sur la prise en compte du changement de sexe par la
législation en vigueur au Royaume Uni, a franchi une étape supplémentaire.
En droit interne, on peut signaler que, dès lors que le transsexualisme est reconnu, il n'est pas
possible à un maire de refuser de célébrer un mariage au motif que l'un des époux n'était pas
du sexe mentionné initialement sur l'état civi}l84,
B. Le cas de l'intersexualité
Même si, selon la Cour d'appel de Paris, le « statut mixte d'intersexualisme » n'existe pas en
droit françaistss, il faut bien considérer le cas de l'intersexualité. Celle-ci s'entend
182 CEDH, Il juillet 2002, Goodwin: D. 2003, somm. p. 525, obs. Birsan.- D. 2003, 2, p. 2032, note Chavent-
Leclère.
l83 CJCE, 7 janvier 2004, K.B.d National hea/th service pensions agency and Secretary of State for hea/th,
affaire C-117/0 1.
184 CAA Papeete, 1o septembre 200 1 : JCP 20 Il, 1132, note P. Gourdon.
185 Paris, 8 novembre 1990 : Juris-Data no 025091.
57
§ l. La nationalité
La question de la nationalité fait-elle l'objet d'un cours de droit civil? Il faut répondre par
l'affirmative dans la mesure où une personne est individualisée par sa nationalité et puisque
les dispositions relatives à la nationalité sont intégrées au Code civil (depuis 1993 et
l'abrogation de l'ordonnance du 19 octobre 1945, aux art. 18 & s.).IJ n'en demeure pas moins
que le sujet reste marqué par le droit public s'agissant de diverses procédures importantes
(naturalisation, déchéance, etc.).
La question est délicate à traiter : sujet éminemment sensible d'un point de vue politique (et
lié à la question plus vaste de l'accueil des étrangers), le mode d'acquisition de la nationalité a
été amené à changer à diverses reprises. Depuis la loi du 22 juillet 1993, une réforme est
intervenue à l'initiative d'Elisabeth Guigou avec la loi du 16 mars 1998189, entrée en vigueur
le 1° septembre 1998. La loi du 16 juin 2011 relative à la l'immigration, à l'intégration et à la
nationalité, dite «Loi Besson »190, sans trop modifier le droit de la nationalité, a néanmoins
apporté des éléments supplémentaires (bien des dispositions de la loi Besson sont intégrées
dans le Code du séjour et de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; certaines
d'entre elles, très discutées, visent l'obligation de quitter le territoire).
-D'abord, l'un des grands enjeux en matière de nationalité tient au choix du critère de base
qui doit être retenu :
0 jus soli : soit la nationalité est attribuée en référence au pays de naissance, selon
le principe du droit du sol : il s'agit cette fois d'une nationalité déterminée par
naissance et résidence en France.
- Enfin, on n'oubliera pas de rappeler que tout débat sur la nationalité porte en lui la question
de l'intégration, dans la mesure où l'acquisition de la nationalité française est également
conçue comme outil d'intégration à la communauté nationale, ce qui donne une autre
dimension à la question.
A. L'acquisition de la nationalité
Les dispositions générales du droit français prennent en considération les conditions générales
de la naissance. S'y ajoutent nombre de cas particuliers.
La solution française a mis en place un régime mixte qui accueille à la fois les logiques du
droit du sang et du droit du sol.
Par principe, est français l'enfant (art. 18) ou l'adopté dans le cadre d'une adoption plénière
(art. 20) dont l'un des parents au moins est français. On ne tient compte que de la filiation et
pas du lieu de naissance : c'est le droit du sang.
Si un seul des parents est français, l'enfant qui n'est pas né en France peut répudier sa qualité
de français. Il doit le faire dans les six mois qui précèdent ou les douze mois qui suivent sa
majorité.
Tout étranger né en France de parents étrangers peut acquérir la nationalité française à deux
conditions liées à la stabilité de sa situation en France.
L'acquisition de la nationalité française est automatique à la majorité et peut faire l'objet d'une
demande à partir de seize ans.
• Par principe, selon l'art. 21-7, «tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la
nationalité française à sa majorité si, à cette date, il a en France sa résidence et s'il a eu sa
résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d'au moins cinq
ans, depuis l'âge de onze ans ». Cette condition n'est toutefois pas requise pour l'étranger
59
francophone, c'est-à-dire celui qui (art. 21-20) «appartient à l'entité culturelle et linguistique
française » :
0 ressortissants d'états dont la langue (ou l'une des langues) officielle(s) est le
français ;
L'enfant qui se trouve dans cette situation acquiert donc automatiquement la nationalité
française. Dans le système antérieur à la réforme, il lui fallait manifester sa volonté d'obtenir
la nationalité française entre 16 et 21 ans. Cette manifestation de volonté pouvait être
expresse (devant un juge d'instance ou une autorité administrative -préfet, maire,
commandant de gendarmerie - , agent diplomatique français) ou pouvait découler de
comportements tendant à prouver la volonté d'intégration dans la communauté française (par
exemple : recensement en vue du service national, incorporation avant 21 ans). C'était au
moment de manifester sa volonté d'obtenir la nationalité française que l'intéressé devait
justifier d'une résidence habituelle en France dans les cinq années qui précédant la demande.
Pour parachever le renversement des logiques, l'intéressé qui ne désire pas obtenir la
nationalité française doit décliner la qualité de français : « l'intéressé a la faculté de déclarer
( ... ), sous réserve qu'il prouve qu'il a la nationalité d'un Etat étranger, qu'il décline la qualité
de Français dans les six mois qui précèdent sa majorité ou dans les douze mois qui la suivent
» (art. 21-8). Il est alors réputé n'avoir jamais été français. Cette faculté de décliner la
nationalité française se perd si l'intéressé contracte un engagement dans les armées françaises
(ou si le mineur né en France de parents étrangers a été régulièrement incorporé en qualité
d'engagé (art. 21-8).
• Selon l'art. 21-11, il est possible d'acquérir la nationalité française sur demande avant la
majorité. Deux situations doivent être distinguées :
0 entre treize et seize ans, la demande de nationalité française est faite au nom de
l'enfant mineur né en France de parents étrangers, avec le consentement personnel
de l'intéressé ; dans ce cas, la condition de résidence habituelle en France doit être
remplie depuis l'âge de huit ans.
La jurisprudence exige des ressources professionnelles stables en France : de sorte, que, par
exemple, les étudiants ne remplissent pas cette conditionl91.
Les époux d'un couple philippin avaient demandé la nationalité française pour leur enfant (sur
le fondement de dispositions abrogées en 1993). Le ministère public leur opposait que,
puisque l'épouse tirait ses ressources d'un emploi à la mission diplomatique de son pays
d'origine, la condition de résidence stable n'était pas satisfaite et une cour d'appel avait suivi
cette interprétation. La Cour de cassation, au contraire, a estimé que «la qualité de son
employeur n'est pas de nature à exclure, à elle seule, l'existence en France du centre des
occupations de l'intéressé »192.
0 s'il est un enfant né en France lorsqu'un de ses parents au moins y est né. Dans
cette hypothèse, il peut répudier la nationalité française dans les six mois qui
précèdent et les douze mois qui suivent sa majorité ; mais cette faculté de
répudiation se perd si l'un des parents acquiert la nationalité française au cours de
la minorité de l'enfant.
On envisagera ici cinq cas particuliers d'acquisition de la nationalité par déclaration (hors de
l'hypothèse générale de réclamation de nationalité française pour les enfants de parents
étrangers nés en France au cours de leur minorité, déjà visée). Cette déclaration peut être
assortie d'une demande que soit reconnu l'effet collectif de l'acquisition de nationalité sur les
enfants.
I9I Paris, 21 juin 1991 : D. 1992,2, p. 158, note Guiho.- Paris, 23 mai 1995: D. 1995,2, p. 610, note Guiho.
192Civ. 1°, 10 avrill996: D. 1997.2, p. 105, note Guiho.
61
[ 1] Le mariage
Par principe, «le mariage n'exerce de plein droit aucun effet sur la nationalité)) (art. 21-1).
L'étranger ou l'apatride qui se marie avec un ressortissant français peut acquérir la nationalité
française par déclaration à quatre conditions (art. 21-2, al. 1 & 3):
française obtenue par déclaration à raison du mariage n'a pas à être prononcée puisqu'il n'y a
pas séparation des époux, et donc maintien de la communauté de viei96.
En outre, les conjoints postulant à la nationalité française ne doivent pas non plus (art. 21-
27):
0 « avoir fait l'objet d'une condamnation pour crimes ou délits constituant une
atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de terrorisme, soit,
quelle que soit l'infraction considérée, s'il a été condamné à une peine égale ou
supérieure à six mois d'emprisonnement, non assortie d'une mesure de sursis » ;
0 « soit d'un arrêté d'expulsion non expressément rapporté ou abrogé, soit d'une
interdiction du territoire français non entièrement exécutée».
Le Conseil constitutionnel est intervenu par deux fois à propos de l'art. 21-2. Il a considéré
que ni le respect de la vie privée, ni aucune exigence constitutionnelle n'impose que le
conjoint d'une personne de nationalité française puisse acquérir la nationalité française à ce
titre 197 ; cette décision, rendue sous l'empire des dispositions anciennes de l'article, a été
confirmée à propos de l'art. 21-2 dans sa rédaction issue de la réforme de 2006198, à l'issue de
deux questions prioritaires de constitutionnalité fondées sur le droit de mener une vie
familiale normalel99.
Une déclaration faite avant les 18 ans de l'enfant peut permettre de faire acquérir la nationalité
française à diverses catégories d'enfants qui résident en France :
0 ceux qui font l'objet d'une adoption simple (celle-ci n'ayant en elle-même pas de
conséquences sur la nationalité) par un français ;
0 ceux recueillis en France et élevés avec une formation française pendant cinq
ans.
La loi ajoute que « l'obligation de résidence est supprimée lorsque l'enfant a été adopté par
une personne de nationalité française n'ayant pas sa résidence habituelle en France »(art. 21-
12).
Les personnes ayant joui d'une possession d'état de français, de façon constante pendant dix
ans, peuvent obtenir la nationalité française par déclaration devant un juge d'instance (art. 21-
13). Il faut pouvoir prouver la souscription de cette déclaration pour se prévaloir des
dispositions de l'art. 21-13200. Des dispositions réglementaires indiquent que les déclarants
doivent fournir tous les documents propres à prouver qu'ils jouissent de façon constante de
cette possession d'état: carte d'identité, passeport français, cartes d'électeur, immatriculation
dans les consulats de France ... On peut citer, à titre d'exemple, une décision qui refuse l'effet
collectif d'une déclaration au motif que les enfants mineurs de l'intéressé n'avaient jamais
quitté le Sénégal, alors que leur père résidait en France depuis 2001 ; la condition de
résidence habituelle commune n'était alors pas remplie20I.
Les personnes ayant perdu la nationalité française par désuétude relèvent de deux catégories :
Ces personnes peuvent obtenir la nationalité française par déclaration à certaines conditions :
conservation avec la France de liens manifestes d'ordre culturel, familial, professionnel
service national effectué dans les armées françaises ou alliées, etc ....
Des personnes ayant perdu la nationalité française par mariage avec un étranger ou par
acquisition volontaire de nationalité étrangère et qui auraient conservé des liens avec la
France peuvent réintégrer la nationalité française (en établissant qu'ils l'avaient possédée).
département étant invités, et doit se tenir dans les six mois de l'acquisition de la nationalité,
que celle-ci soit volontaire ou de plein droit. Cette procédure existait déjà pour les naturalisés
par décret203 et était spontanément organisée dans certaines communes.
C'est à l'issue de cette cérémonie que la charte des droits et devoirs du citoyen français,
instaurée par la loi Besson (v. infra) est remise.
La loi du 20 novembre 2007204 permet aux salariés de prendre un congé pour participer à cette
cérémonie: «Tout salarié a le droit de bénéficier, sur justification, d'un congé non rémunéré
d'une demi-journée pour assister à sa cérémonie d'accueil dans la citoyenneté française» (art.
L. 3142-116 et L. 225-28 C. trav.).
La loi Besson a introduit les dispositions de l'art. 21-24: «Nul ne peut être naturalisé s'il ne
justifie de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance
suffisante, selon sa condition, de la langue, de l'histoire, de la culture et de la société
françaises, dont le niveau et les modalités d'évaluation sont fixés par décret en Conseil d'Etat,
et des droits et devoirs conférés par la nationalité française ainsi que par l'adhésion aux
principes et aux valeurs essentiels de la République». Selon l'al. 2 du même texte,« à l'issue
du contrôle de son assimilation, l'intéressé signe la charte des droits et devoirs du citoyen
français. Cette charte, approuvée par décret en Conseil d'Etat, rappelle les principes, valeurs
et symboles essentiels de la République française».
Il s'agit donc de demander des preuves d'intégration dans le cadre d'un pacte républicain, sur
la base d'un engagement (certains imaginaient une prestation de serment).
B. La perte de la nationalité
On se bornera à mettre l'accent sur la grande diversité des situations. II peut y avoir:
À titre de sanction, un décret peut intervenir (personne ayant la nationalité d'un autre pays et
se comportant comme un ressortissant de ce pays, français occupant un emploi dans un
service public étranger ou une armée étrangère et qui refuse de mettre fin à cet emploi après
injonction). La perte de la nationalité par désuétude se constate quant à elle par jugement.
Selon l'art. 25, «l'individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis
conforme du Conseil d'Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour
résultat de le rendre apatride :
1°) s'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte
aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un
acte de terrorisme ;
2°) s'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le
chapitre II du titre III du livre IV du code pénal ;
3°) s'il est condamné pour s'être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du
service national ;
4 °) s'il s'est livré au profit d'un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité
de Français et préjudiciables aux intérêts de la France »2o5.
L'art. 25-1 précise que « la déchéance n'est encourue que si les faits reprochés à l'intéressé et
visés à l'article 25 se sont produits antérieurement à l'acquisition de la nationalité française ou
dans le délai de dix ans à compter de la date de cette acquisition (al. 1) et qu'« elle ne peut
être prononcée que dans le délai de dix ans à compter de la perpétration desdits faits» (al. 2).
§ 2. Le domicile
Une personne physique est également individualisée par son domicile, c'est-à-dire un lieu
géographique de rattachement. Le rattachement d'une personne à un lieu de domicile a une
importance considérable, dans divers domaines. D'un point de vue administratif, le domicile
205 La loi de 1998 a supprimé la déchéance pour un crime ayant donné lieu à une peine d'emprisonnement (en
France ou à l'étranger) de cinq ans et plus.
206 V. Entretien avec Paul Lagarde, D. 2010, p. 1992.
66
détermine le lieu de certaines démarches (par exemple, l'inscription sur les listes électorales).
En matière procédurale, le Code de procédure civil donne une compétence générale au
tribunal dans le ressort duquel est situé le domicile du défendeur ; en outre, c'est au domicile
que les actes sont signifiés.
En droit civil, l'utilité du domicile est manifeste s'agissant du droit de la famille ; par exemple
0 selon l'art. 74, un mariage est célébré par principe dans la commune où l'un des
deux époux a son domicile ;
A. La détermination du domicile
On s'attachera à définir le domicile après avoir indiqué l'utilité qui s'attache à la notion.
Le domicile est défini par l'art. 102 : « Le domicile de tout Français, quant à l'exercice de ses
droits civils, est au lieu où il a son principal établissement». Ce lieu d'établissement est
repérable au moyen de deux éléments :
La résidence est un lieu d'habitation à distinguer du domicile. Soit il s'agit de localiser une
personne qui n'a pas de domicile, soit il s'agit de repérer un lieu de vie effectif distinct du
domicile. Déterminer la résidence suppose une certaine stabilité de vie dans le lieu, et non un
simple passage ou séjour.
Le Heu de résidence est souvent évoqué par le droit. Ainsi, l'art. 74 prévoit qu'un mariage peut
être célébré « dans la commune où l'un des deux époux aura son domicile ou sa résidence
établie».
67
Normalement, une personne a le libre choix de son domicile. Ce principe de libre choix est
parfois réaffirmé par les textes (comme ce fut le cas dans les toutes premières dispositions de
la loi Quillot du 22 juin 1982).
La loi impose parfois un lieu de domicile. C'est le cas dans quatre hypothèses :
0 le majeur sous tutelle a comme domicile celui de son tuteur (art. 108-3);
0 le mineur non émancipé est domicilié chez ses parents (art. 108-2);
0 certaines personnes ont un mode de vie qui oblige à choisir un domicile. Les
forains et nomades doivent choisir une commune de rattachement (loi du 3 janvier
1969) et les bateliers doivent choisir un domicile sur une liste de communes
établie par le garde des Sceaux (art. 102, al. 2).
B. La protection du domicile
La protection du domicile relève du champ d'application de l'art. 9 C. civ., ainsi qu'il est dit
par ailleurs. Mais c'est sur le fondement de l'art. 8 de la CEDH que la France a été condamnée
du fait d'intervention d'agents des douanes au domicile avec saisie de documents au cours
d'enquêtes sur des infractions à la législation relative aux relations financières avec
l'étranger207. Par ailleurs, le C. pénal réprime le fait pour des dépositaires de l'autorité
publique de s'introduire au domicile des personnes contre leur gré hors des cas prévus par la
loi (art. 432-8), ou le fait de s'introduire au domicile par manœuvres, menaces ou contraintes
(art. 226-4).
On envisagera les règles relatives à l'établissement des actes de l'état civil et les sanctions qui
interviennent en ce domaine.
Les actes de l'état civil sont, comme leur nom l'indique, des actes juridiques, qui résultent d'un
instrumentum (écrit, titre).
Les intervenants à l'établissement des actes sont désignés par les textes.
A. Les intervenants
Les personnes habilitées à rédiger les actes de l'état civil, clairement déterminées, ne sont pas
les seules à intervenir.
Les actes sont passés devant un officier d'état civil. Il s'agit donc d'actes authentiques comme
tous les actes passés devant des officiers ministériels.
C'est l'art. L. 112-25 du Code des communes qui indique que, dans chaque commune, le
maire a la qualité d'officier d'état civil. Le plus souvent, pour des raisons matérielles, le maire
ne peut assurer cette fonction, et ses pouvoirs sont délégués à des agents communaux. Ceux-
ci peuvent alors rédiger les actes de l'état civil, à l'exception des actes de mariage. En effet,
les actes de mariage ne peuvent être passés que devant le maire ou l'un de ses adjoints. La
compétence des officiers d'état civil est déterminée territorialement, limitée au territoire de la
commune et n'intervenant que pour des actes en lien avec la commune considérée.
Il est à relever que, dans sa fonction d'officier d'état civil, le maire dépend du Parquet.
Les parties intéressées doivent être présentes : ainsi les époux doivent naturellement être
présents à l'occasion de leur mariage ... Mais, dans d'autres circonstances, des personnes sont
précisément appelées à participer à l'élaboration des actes : selon l'art. 36, le père ou la mère
doivent être présents pour la reconnaissance d'un enfant.
L'art. 75, al. 1 exige la présence d'au moins deux et au plus quatre témoins, dont la fonction
est d'attester de la rédaction des actes et de vérifier leur exactitude.
69
B. Les actes
La fonne des actes et le contenu des registres de l'état civil font l'objet de dispositions.
Les actes sont inscrits sur des registres selon les modalités prévues à l'art. 34. Des règles
précises (répondant à un double souci d'éviter toute ambiguïté et de conservation)
interviennent à cet égard. Par exemple, les registres ne peuvent être constitués de feuilles
volantes (mais les feuillets mobiles sont acceptés à certaines conditions).
Les registres doivent être établis en double original. À la fin de chaque exercice, les registres
sont clos par l'officier d'état civil, et un exemplaire est transmis au Tribunal de grande
instance pour vérification par le procureur de la République.
0 les actes eux-mêmes (indication d'une naissance, d'un mariage, d'un décès), avec
nombre d'éléments obligatoires (relatifs aux parties, à l'officier d'état civil
intervenu, aux témoins) ;
0 les « mentions en marge >>, qui viennent ajouter une precisiOn, comme
l'indication du mariage en marge de l'acte de naissance, d'un jugement de divorce
en marge de l'acte de mariage, etc. (pour faire le lien avec de précédents
développements relatifs à la nationalité, on peut indiquer que la loi du 16 mars
1998 précise qu'est mentionnée en marge de l'acte de naissance toute première
délivrance d'un certificat de nationalité française);
Pour faciliter l'accès aux éléments du registre de l'état civil et leur utilisation, on a prévu la
possibilité de délivrer certains éléments aux intéressés et une centralisation des infonnations.
dépositaire de 1' acte de naissance de procéder à la mise à jour du livret de famille (décret du
29 octobre 2004, art. 17).
Très longtemps, des fiches d'état civil (individuelles ou familiales) étaient établies au vu du
livret de famille, dont elles reprenaient le contenu : leur délivrance semblait faciliter les
démarches en permettant d'éviter la copie du registre d'état civil, mais elle rajoutait la
production d'un document intermédiaire obligeant l'intéressé à une démarche supplémentaire.
Un décret du 26 décembre 2000208, dans la perspective d'une simplification des formalités
administratives, a supprimé ces fiches. Du coup, la présentation du livret de famille ou de sa
photocopie suffit. Ainsi :
On peut obtenir des copies du registre d'état civil, intégrales ou par extraits. Néanmoins, les
règles varient en fonction des demandes. Les copies intégrales sont réservées en principe à la
personne intéressée, ses ascendants et descendants, son conjoint, son tuteur ou représentant
légal, ou au procureur de la République ; hors de ces personnes, il faut obtenir une
autorisation du procureur de la République pour se faire délivrer une copie intégrale du
registre. En revanche, toute personne peut obtenir la copie de l'acte de décès. Les extraits de
l'ensemble des actes peuvent au contraire être délivrés à toutes les personnes qui en font la
demande. Mais, ils ne portent que des mentions sommaires (depuis la loi du 16 mars 1998, les
mentions relatives à la nationalité peuvent être portées sur les extraits des actes de naissance,
à la demande de l'intéressé : art. 28-1 ).
Ici encore, les dispositions relatives à la simplification des formalités administratives limitent
les besoins de copies ou extraits du registre. Selon le décret du 26 décembre 2000 :
B. Le répertoire civil
Le répertoire civil a été créé en 1968 : « Le répertoire civil est constitué par l'ensemble des
extraits des demandes, actes et jugements qui, en vertu des textes particuliers se référant à ce
répertoire, doivent être classés et conservés aux greffes des tribunaux de grande instance »
(art. 1057 duC. proc. Civ.). Il est tenu par le greffe du Tribunal de grande instance. Son utilité
est double. Il centralise d'abord les indications figurant sur le registre d'état civil qui,
lorsqu'elles se cumulent, peuvent être nombreuses. Il permet en outre de réunir des indications
qui ne sont pas mentionnées sur le registre, mais dont la connaissance peut s'avérer
importante : tutelle ou curatelle, modification du régime matrimonial, déclaration d'absence.
On séparera l'inobservation des règles de forme de la contestation des éléments de l'état civil.
A. L'inscription en faux
Dans la mesure où les actes de l'état civil sont des actes authentiques, ils sont supposés faire
foi.
Une procédure d'inscription en faux peut être engagée, mais deux modalités sont à signaler :
0 les mentions par lesquelles l'officier d'état civil fait état d'un simple constat
(identité des parties ou des témoins, date de l'acte ... ) font foi jusqu'à l'inscription
en faux;
0 les mentions par lesquelles l'officier d'état civil fait état des déclarations des
parties font foi jusqu'à ce que soit rapportée la preuve du contraire.
72
B. Le contentieux
Il faut de toutes manières un jugement, qu'il s'agisse de réparer une erreur ou pour suppléer à
l'absence d'acte.
Les jugements rectificatifs des actes de l'état civil (art. 99 à 101 ; art. 1046 s. duC. pr. civ.)
sont ceux qui permettent la rectification d'une erreur portée sur le registre de l'état civil.
0 Dans les autres cas, la demande de rectification doit être adressée au président
du Tribunal de grande instance.
Il faut bien noter que la rectification n'est pas modification de l'état des personnes. Il s'agit par
exemple d'intervenir en cas d'oubli de porter mention d'un divorce2o9, ou en cas d'erreur sur la
date de naissance du fait d'une transcription sur les registres de l'état civil avec retard pour un
enfant adoptif210.
Les jugements supplétifs des actes de l'état civil interviennent en l'absence d'actes (par
exemple, lorsqu'une naissance n'a pas été déclarée dans le délai de trois jours imparti) ou en
cas de perte, absence d'acte pour des raisons de force majeure (art. 46).
LIVRE Il
CHAPITRE 1
LE RESPECT DE LA DIGNITE
L'art. 16 dispose que la loi interdit toute atteinte à la dignité de la personne. Le respect de la
dignité est au cœur d'interventions de plus en plus fréquentes2II. Pour appréhender cette
question, nous nous heurtons au moins à deux difficultés. L'une, intrinsèque, tient à la grande
imprécision de la notion, dont on a l'impression qu'elle intervient parfois comme dernier
ressort pour gérer, de façon ponctuelle, des situations moralement ou socialement
inadmissibles: cerner la notion de dignité est délicat212; l'autre, plus conjoncturelle, tient à ce
que l'examen de la notion de dignité humaine passe par quelques excursions au-delà du droit
civil dans des sphères que l'étudiant de première année ne connaît pas. D'où une approche
limitée, mais raisonnable de la notion dans le cadre de ce cours.
2 11 T. Hassler & V. Lapp: Droit à la dignité: le retour!, Petites Affiches 1997, n° 14, p. 12.- V. Saint-James,
Réflexions sur la dignité de l'être humain en tant que concept juridique du droit français, D. 1997, 1, p. 61.
212 Mais, considérant qu'il y a consensus sur la notion: E. Dreyer, La dignité opposée à la personne, D. 2008,
chr. p. 2730.
74
La notion de dignité surgit quand il s'agit d'intervenir dans des situations jugées
inadmissibles à divers titres. En l'état actuel, le concept de dignité est utilisé pour viser des
situations diversifiées, parmi lesquelles certaines concernent les conditions de vie et la
présentation ou l'exploitation dégradantes de la personne humaine.
La lutte contre l'exclusion est un enjeu fondamental des dernières décennies. On ne peut
évidemment pas détailler ici l'ensemble des dispositifs mis en place (ce qui serait
disproportionné dans le cadre établi pour le cours de droit civil et devrait amener à s'aventurer
dans d'autres domaines juridiques que l'étudiant de première année ne connaît pas, de la
politique sociale à la politique de la ville ... ). Mais, tout le monde en connaît certains
éléments, dont l'existence du Revenu Minimum d'Insertion (RMI), aide peut-être à la fois la
plus fondamentale et la plus emblématique d'une volonté de généraliser des prestations en
prenant conscience qu'il n'est pas tolérable, au nom d'une dignité élémentaire, de laisser une
personne dans le besoin sans qu'elle puisse bénéficier d'un certain niveau de ressources,
même si celui-ci demeure très modeste.
Il faudra donc se limiter à un panorama qui veut quand même montrer l'ampleur et la diversité
des domaines d'intervention de la loi (hors de mesures trop ponctuelles, certes intéressantes
comme le droit à disposer d'un compte en banque, mais trop nombreuses pour être étudiées
ici), déjà prolongée par quelques textes plus récents.
Sous cet intitulé du Titre I, la loi vise à renforcer l'accès des intéressés à des droits
fondamentaux, dont trois retiendront notre attention.
Le droit au logement, déjà invoqué par la loi Quillot (1982), a été de plus en plus invoqué
devant l'importance croissante des S.D.F., et l'on connaît les différentes mobilisations
intervenues à l'initiative d'associations de défense du droit au logement. Ce droit a trouvé un
écho dans une décision du Conseil constitutionnel du 19 janvier 1995 ; mais il s'agit moins,
213 Loi no 98-657 du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, JO du 31 juillet, p.
11679.
75
dans cette décision, de consacrer le droit au logement décent que d'accorder un droit de nature
sociale aux plus démunis sur la base de la sauvegarde de la dignité hurnaine214.
Une loi du 31 mai 1990, puis la loi du 29 juillet 1998 assurent la mise en œuvre du droit au
logement. Ces textes prévoient que des plans départementaux d'action interviennent en faveur
du logement des personnes les plus défavorisées, avec diverses aides (et la définition des
critères d'accès à celles-ci). Les mesures les plus médiatisées sont celles qui instituent une
taxe sur les logements vacants, et permettent de réquisitionner ceux qui appartiennent à une
personne morale pour assurer des relogements. Ainsi, le droit au logement, consubstantiel
d'une dignité de la personne humaine, permet-il de contrarier dans une certaine mesure le
droit de propriété (le propriétaire du logement vacant se trouvant privé du droit de choisir s'il
souhaite que son logement soit habité ou non).
En droit interne, certaines décisions avaient déjà lié dignité de la personne et conditions de
logement en condamnant les bailleurs qui proposaient des logements ne disposant pas de
conditions minimales de confort21 5. En revanche, une limite peut être opposée à ce type de
décisions. En effet, la pauvreté elle-même ne semble pas être considérée comme dégradante
au sens de la Convention européenne des droits de l'homme, si l'on en croit la Commission
européenne intervenant à propos de conditions générales de précarité216.
Il a fallu l'action spectaculaire de ces dernières semaines pour que la question du droit au
logement revienne sous les feux de l'actualité par le biais du droit au logement opposable.
Mais, l'inapplication des textes en vigueur pourrait être dénoncée avant l'effet d'annonce
d'une loi nouvelle ...
L'accès aux soins du plus grand nombre est encore en lien avec la dignité humaine. Au cours
des années soixante-dix, l'idée de généralisation de la sécurité sociale visait l'extension du
bénéfice des assurances sociales à des populations non couvertes (ou insuffisamment
couvertes) au titre de l'assurance maladie : c'était le cas d'une loi sur le concubinage (1978 :
couverture de la personne avec qui l'on mène une vie maritale par son compagnon ou sa
compagne, si l'intéressé(e) ne relève pas d'un régime de sécurité sociale) puis d'un texte
étendant la couverture sociale plus généralement à la personne vivant au foyer de l'assuré. La
loi du 29 juillet 1992 avait aussi facilité l'admission à l'aide médicale (admission de plein
droit) de certaines catégories de personnes particulièrement défavorisées (bénéficiaires du
RMI, jeunes de 17 à 25 ans remplissant les conditions d'attribution du RMI, bénéficiaires de
l'allocation veuvage).
La loi du 29 juillet 1998 avait déjà réaffirmé que l'accès à la prévention et aux soins des
personnes les plus défavorisées constituait une priorité de la politique de santé. Dans la
foulée, la loi du 27 juillet 1999217 a créé une couverture maladie universelle «qui garantit à
214 Conseil constit., 19 janvier 1995: Petites Affiches 1995, n° 68, p. 9, note Mathieu et Verpeaux.
215 Paris, 26 juin 1996 : Droit péna/1996, no 243.
216 F. Sudre, La première décision« quart-monde» de la Commission européenne des droits de l'homme: une
bavure dans une jurisprudence dynamique, RUDH 1990, p. 349.
2 17 Loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 portant création d'une couverture maladie universelle : JO du 28 juillet, p.
11129. V. M. Long, La mise en place de la couverture maladie universelle, JCP 1999, 1, 186. Décrets
d'application du 9 décembre 1999 (JO du 10), du 13 décembre 1999 (JO du 14) et du 15 décembre 1999 (JO du
16).
76
tous une prise en charge des soins par un régime d'assurance maladie, et aux personnes dont
les revenus sont les plus faibles le droit à une protection complémentaire et à la dispense
d'avance de frais » (art. 1°). Ainsi, selon l'art. L 111-2-1 du Code de la sécurité sociale, « la
Nation affirme son attachement au caractère universel, obligatoire et solidaire de l'assurance
maladie » (al. 1) ; « Indépendamment de son âge et de son état de santé, chaque assuré social
bénéficie, contre le risque et les conséquences de la maladie, d'une protection qu'il finance
selon ses ressources» (al. 2). Naturellement, la loi subordonne cette affiliation au versement
de cotisations, mais les intéressés n'en sont redevables que si leurs ressources dépassent un
certain plafond (art. L. 380-2). C'est affaire de dignité, sans aucun doute, que d'aménager de
façon générale l'affiliation de toute personne au régime général et de lui ouvrir ainsi droit aux
prestations servies en cas de maladie et de maternité218. De surcroît, le dispositif mis en place
prévoit des protections complémentaires pour les personnes les plus défavorisées.
La notion de citoyenneté n'est pas nouvelle. On se souvient par exemple, pour changer de
domaine, que le « rapport Auroux », qui préludait aux réformes du droit du travail en 1982,
parlait de « citoyenneté du travailleur » dans l'entreprise. La loi du 29 juillet 1998 prend
quelques mesures ponctuelles :
0 elle édicte un droit des personnes détenues à une information sur leurs droits
sociaux.
B. La prévention de l'exclusion
La loi s'est déjà souciée des conditions d'existence d'un débiteur à plusieurs égards. Par
exemple, il s'agit de laisser à une personne endettée un minimum de ressources pour vivre, de
sorte que les textes aménagent l'insaisissabilité d'une fraction du salaire ou disposent que le
R.M.I., versé à des personnes en situation de précarité, est totalement insaisissable. D'autre
part, certains biens sont insaisissables : on comprend aisément qu'il faille ainsi laisser au
débiteur table et chaises destinées à prendre les repas, appareils de cuisson et de conservation
des aliments, vêtements et literie, biens destinés à l'entretien ou aux soins corporels, matériel
de chauffage, etc.. . . On conçoit aussi qu'on ne puisse saisir les jouets des enfants ou un
animal. Toutes ces dispositions (et bien d'autres plus complexes) sont inscrites au sommaire
du cours de « Voies d'exécution » (enseigné en maîtrise). La loi du 29 juillet 1998 est
intervenue sur deux axes principaux.
La loi du 31 décembre 1989, dite« loi Neiertz »(désormais art. L. 331-1 & s. du Code de la
consommation), avait créé des procédures applicables lorsque apparaît une « impossibilité
manifeste pour le débiteur de bonne foi de faire face à l'ensemble de ses dettes non
professionnelles exigibles ou à échoir ». Il s'agissait, pour le débiteur de bonne foi et pour les
dettes non professionnelles, de permettre un réaménagement des dettes en saisissant une
218 L'aide sociale, pour sa part, prenait en charge au titre de l'aide médicale l'affiliation à l'assurance personnelle
des personnes qui n'étaient pas assurées sociales ou qui ne disposaient pas d'une couverture sociale suffisante.
77
Avec la loi du 29 juillet 1998, la période de réaménagement des dettes passe de cinq à huit
ans maximum (ce qui permet d'étaler plus encore le paiement des dettes d'un débiteur). En
outre, en cas d'insolvabilité constatée du débiteur, la loi vient en aide aux plus démunis au
travers de deux dispositions :
0 l'effacement total ou partiel des dettes peut désormais être recommandé par la
Commission, dans une proposition spéciale et motivée.
Dans diverses hypothèses, il est possible d'expulser une personne. Mais, même dans ce cas,
on tente de ménager la dignité de la personne en fixant des conditions d'expulsion: il s'agit de
s'entourer de diverses garanties (obligation d'agir dans le cadre d'une décision de justice,
respect d'une trêve hivernale entre le 1° décembre de chaque année, jusqu'au 15 mars de
l'année suivante selon l'art. 613-3 du Code de la construction et de l'habitation), etc.
Des nouvelles dispositions sont intervenues dans deux cas bien particuliers. En cas de vente
consécutive à une saisie immobilière de la résidence principale du débiteur, la loi du 29 juillet
1998 permet, si l'intéressé a des revenus modestes (c'est-à-dire s'il remplit les conditions
d'attribution d'une H.L.M.), à la commune de faire jouer un droit de préemption pour assurer
le maintien du saisi dans les lieux (en quelque sorte, la municipalité devient propriétaire et le
débiteur devient son locataire, mais reste dans son logement). Dans les rapports entre
preneurs et bailleurs, la défaillance du locataire met en jeu une clause résolutoire insérée dans
Je contrat de bail au travers d'une action aux fins de constat de résiliation. Pour assurer la
prévention des expulsions locatives, la loi du 29 juillet 1998 institue :
0 une obligation d'avertir le Préfet qui peut lui-même saisir les organismes dont
relèvent les aides au logement ou les services sociaux compétents (à défaut
d'informer le Préfet, la clause résolutoire ne jouerait pas) ;
0 une obligation pour les bailleurs, lorsque des locataires bénéficient des
allocations de logement ou de l'aide personnalisée au logement, de saisir la
Commission de maintien des aides ou les organismes payeurs de l'APL (pour
envisager le maintien éventuel du versement des aides même en cas de difficultés
du locataire, en même temps que, si le loyer reste impayé, les allocations et l'APL
peuvent faire l'objet d'un versement direct au bailJeur ou au prêteur).
§ 2. La fin de la vie
L'accompagnement de la fin de vie a fait l'objet, à la suite du rapport Neuwirth, d'une loi du 9
juin 1999219 . Dans la définition qui en est donnée par le texte de l'art. L. 1° B du Code de la
santé publique, « les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe
interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la
souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son
entourage». Outre qu'un texte de loi vise pour la première fois les soins palliatifs (jusque-là
organisés de manière éparse au sein de certains services), il s'agit de se donner les moyens de
mettre réellement en œuvre 1'accompagnement en fin de vie. D'où en découlent des
dispositions relatives au personnel impliqué (travail spécifique des équipes médicales, statut
des accompagnateurs bénévoles chargés d'écouter les malades et rôle des associations de
bénévoles ... ) et aux structures (équipes mobiles dans les CHU et à domicile). Les textes
prévoient même un congé d'accompagnement de la personne en fin de vie de trois mois
maximum pour les salariés (transformable en aménagement du travail en période d'activité à
temps partiel), mais dont la mise en œuvre risque d'être parfois difficile (art. L. 225-25 & s.).
S'agissant de définir des soins palliatifs, le législateur a reconnu une vocation de la médecine
à accompagner un mourant, ce qui rompt déjà avec une appréhension strictement
thérapeutique de la fonction médicale (et aux obstinations qu'elle peut parfois engendrer).
La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie22o constitue une étape
supplémentaire importante22t ; elle a été complétée par trois décrets du 6 février 2006222. La
notion de « fin de vie » est évidemment délicate à cerner : la loi parle d'« affection grave et
incurable» et de «phase avancée ou terminale». Il s'agit de déterminer le moment à partir
duquel la proximité du décès est telle «l'obstination» (terme préféré à «acharnement»)
médicale est « déraisonnable » ; par exemple, a été jugée déraisonnable la réanimation d'un
nouveau-né en état de mort apparente, à la suite de laquelle des séquelles importantes sont
apparues 223. Sans en faire l'étude complète, on donnera seulement quelques aperçus simples
de cette loi.
Les textes aménagent autant que faire se peut le choix de la personne. Plusieurs hypothèses
peuvent alors intervenir :
219 Loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs: JO du JO juin, p. 8487.
220 Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à !afin de vie: JO du 23 avril, p. 7089.
221 D. Bailleul, Le droit de mourir au nom de la dignité humaine. À propos de la loi relative aux droits de
malades et à /afin de vie, JCP 2005, 1, 142.- J. Pradel, La Parque assistée par le droit. Apports de la loi du 22
avril 2005 relative aux droits des malades et à /afin de vie, D. 2005, chr. p. 2106.- F. Vialla, Droits de malades
enfin de vie, D. 2005, point de vue, p. 1797.
222 D. no 2006-119 du 6 février 2006, JO du 7 février (conditions de validité, de confidentialité et de
conservation des directives anticipées); D. n° 2006-120 du 6 février 2006, JO du 7 février (procédure collégiale
de décision prise à l'égard des patients hors d'état de manifester leur volonté); D. n° 2006-122 du 6 février
2006, JO du 7 février (conditions de l'inclusion d'activités palliatives dans le projet des établissements de santé).
223 TA Nîmes, 2juin 2009: JCP A 2010, p. 2070, note Albert.
79
0 l'intéressé peut aussi avoir prévu par avance les instructions nécessaires au cas
où il ne serait plus en état de faire valoir ses choix. On applique alors les
dispositions de l'art. L. 1111-11 du Code de la santé publique : « Toute personne
majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour
hors d'état d'exprimer sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les souhaits
de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou
l'arrêt de traitement ».
La volonté qui est exprimée, soit directement, soit de manière anticipée, soit par
l'intermédiaire de la personne de confiance ou des proches, vaut justification du praticien qui
laisse mourir, et le dégage donc de sa responsabilité.
On peut ajouter qu'une loi du 2 mars 2010 a créé une allocation journalière
d'accompagnement permettant d'interrompre ou diminuer une activité pour demeurer auprès
de la personne en fin de vie224.
Selon l'art. L. 1111-13 du Code de la santé publique,« lorsqu'une personne, en phase avancée
ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, est hors d'état
d'exprimer sa volonté, le médecin peut décider de limiter ou d'arrêter un traitement inutile,
disproportionné ou n'ayant d'autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de cette
personne, après avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie
médicale et consulté la personne de confiance visée à l'article L. 1111-6, la famille ou, à
défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne. Sa
décision, motivée, est inscrite dans le dossier médical ».
B. La question de l'euthanasie
La loi du 4 mars 2002 relative aux droits malades et à la qualité du système de santé221 a
ouvert une brèche en la matière. À l'issue de ce texte, 1'art. L. 111-4 du Code de la santé
publique prévoit en effet que « le médecin doit respecter la volonté de la personne après
l'avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne est de refuser ou
d'interrompre un traitement mettant sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre
pour la convaincre d'accepter les soins indispensables. Aucun acte médical ni aucun
traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne si ce
consentement peut être retiré à tout moment». Sans régler le problème de l'euthanasie (en
particulier donner la mort), il découle de cet article que le malade peut choisir d'interrompre
le traitement qui le maintient en vie, et que le praticien ne peut que lui opposer l'obligation de
tenter de le convaincre. On sent bien que le souhait demeure d'éviter de laisser mourir, même
si l'intéressé en manifeste le désir. D'ailleurs, en ce sens, le rapport de la psychologue Marie
de HennezeJ228, hostile à l'élaboration d'une loi sur l'euthanasie, préfère envisager une
amélioration de l'accompagnement des malades en phase terminale par le renforcement des
soins palliatif, l'harmonisation des pratiques et la formation des équipes médicales et des
professionnels de la santé et prône également un droit à l'information et au dialogue sur sa
mort et l'émergence d'une culture de l'accompagnement du mourant. Mais il n'en demeure
pas moins que l'on ne peut s'opposer à la volonté de ne pas poursuivre un traitement. Comme
on l'a dit, la loi du 22 avril 2005 (v. supra) prolonge celle du 4 mars 2002 (droits du malade,
soins palliatifs) en le précisant (notion d'« obstination déraisonnable») ; mais, d'autre part,
elle intervient sur quelques points nouveaux: administration possible d'un traitement anti-
225 B. Beignier, Existe-t-i/ un droit à la mort ?, Le Monde, 26 mars 2008. - B. Mathieu, Euthanasie : ne pas
céder à l'émotion, JCP 2008, act. 222.
226 Rapport du Comité consultatif national d'éthique n° 63, 27 janvier 2000, Les cahiers du CCNE, avril 2000,
n° 23, p. 3.
227 JO 5 mars 2002, p. 4118. V. A. Cheynet de Beaupré, Vivre et laisser mourir, D. 2003, 1, p. 2980.
228 Mission (< Fin de vie et accompagnement », rapport remis par Mme. Marie de Hennezel à M. Jean-François
Mattéi, ministre de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées, octobre 2003.
81
douleur qui peut avoir pour conséquences secondaire le décès, demande de limitation ou
d'arrêt de tout traitement par le patient. On est alors proche de l'euthanasie, mais sans traiter
de face la question. En tout cas, la dépénalisation de l'euthanasie n'est pas à l'ordre du
jour229.
C'est ici le droit pénal qui est plus particulièrement impliqué. On en donnera quelques
exemples, pris dans des interventions multidirectionnelles23 3.
Les peines infamantes et les mauvais traitements peuvent porter atteinte à la dignité. Mais, les
circonstances d'exécution des peines peuvent également être évoquées.
Certaines peines veulent frapper d'indignité les personnes condamnées, et même s'en faire
l'écho auprès d'un large public. Il existait d'ailleurs, dans l'Italie du XIII 0 siècle, des
peintures dites infamantes qui représentaient sur les murs de la ville le supplice subi par un
229 Pour une discussion: A. Prothais, Notre droit pénal permet plus qu'il n'interdit en matière d'euthanasie,
JCP 2011, 536.
230 V. E. Alfandari, Suicide assisté et euthanasie, D. 2008, entretien, p. 1600.
231 CEDH, 29 avri12002, Pretty: JCP 2003, 1, 132, no 23, obs. Byk; JCP 2003, Il, 10062, note Girault; RTDC
2002, p. 483, obs. Hauser ; Rép. Defrénois 2002, p. 1131, obs. Malaurie; RTDC 2002, p. 858, obs.
Marguénaud; JCP 2002, 1, 157, obs. Sudre. Adde. : J. Hauser, L'euthanasie et/a qualité de la vie, Politeia, no
5, printemps 2004, p. 149.
232 CEDH, 20 janvier 2011, Haas cl Suisse: JCP 2011, act. 122, obs. Byk ; JCP 20 Il, 914, § 13, obs. Sudre.
233 P. Mistretta, La protection de la dignité de la personne et les vicissitudes du droit pénal, JCP 2005, 1, 100.
82
condamné (on en trouve des prolongements chez Ambrogio Lorenzetti ou Andre del Sarto)234,
Sans doute l'exhibition à l'occasion de l'accomplissement des peines pénales a-t-elle disparu
en France, qu'il s'agisse du vieux pilori ou du déroulement en public des exécutions capitales
(avant l'abolition de la peine de mort). Mais, on sait que certains Etats affectionnent la
pratique des (dé)monstrations judiciaires, telle la lapidation en place publique jadis pratiquée
à Ryad pour punir une princesse royale coupable d'être partie avec un routier23S, et plus
récemment prononcée à l'encontre d'une femme adultère, ce qui avait déclenché une ·
mobilisation de la communauté internationale. De leur côté, les Etats-Unis appliquent des
peines qui obligent les condamnés à confesser leurs fautes par port d'un écriteau sur la voie
publique : regain de puritanisme aidant, c'est là le dernier avatar des marques d'infamies, telle
celle, célèbre, qui faisait porter aux femmes adultères la lettre rouge indiquant leur faute236 ...
Toutefois, le droit français connaît encore quelques peines infamantes. Elles sont diverses:
dégradation militaire, interdiction de porter les décorations les plus honorifiques, privation
des droits civiques, etc. Comme on le voit, elles sont plutôt symboJiques ; il n'en demeure pas
moins qu'elles sont destinées à frapper d'indignité les personnes auxquelles elles sont
appliquées. Il en va ainsi de la privation des droits civiques et des mandats électifs, comme
suite à la pratique de fausses factures par l'intermédiaire du bureau d'études Urba pour le
financement du Parti socialiste ou d'emplois fictifs de la Mairie de Paris, à l'issue de
condamnations visant le trésorier du parti et l'adjoint aux finances de la municipalité (Henri
Emmanuelli et Alain Juppé).
Longtemps les sévices sur les détenus ont été autorisés, qu'il s'agisse d'obtenir des aveux (la
question ordinaire et extraordinaire) ou de punir (la main coupée du voleur); ou, en d'autres
lieux et temps, cette peine en vigueur dans l'Inde mais qu'on croirait sortir des Cent-vingt
journées de Sodome : soit, pour avoir souillé la couche du guru, l'obligation pour le condamné
de « se coucher sur un lit de fer rougi au feu ou serrer contre lui une plaque de fer rouge
découpée en forme de femme, ou bien encore se couper la verge et les testicules et les tenant
dans ses mains jointes, marcher vers le sud sans s'arrêter jusqu'à ce qu'il tombe mort »237.
Certes, des exactions tout à fait odieuses se produisent encore : le traitement des prisonniers
en Irak est malheureusement venu le rappeler. Mais, on pourrait croire que la pratique de
sévices n'est plus le fait de la loi. Pourtant, en 1978, la CEDH était intervenue à propos de
peines de fustigation en vigueur dans l'Ile de Man ; celles-ci furent condamnées comme
portant atteinte à la dignité et l'intégrité physique de la personne, en référence à l'art. 3 de la
Convention européenne des droits de l'homme238, aux termes duquel « nul ne peut être soumis
à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».
234 G. Ortalli, La pittura infamante nei secoli XII/-XV!, Rome, Jouvence, 1979.
235 E. Agostini, Droit comparé, coll. Droit fondamental, PUF, 1988, pp. 54-55.
236 V. N. Hawthorne, La lettre écarlate, trad. L. Perrin, Paris, Confluences, 1946.
237 R. Lingat, Les sources du droit dans le système traditionnel de l'Inde, Paris, 1967, p. 71.
238 CEDH, 25 avrill978, Tyrer, A, no 26.
83
C'est la solution qui se dégage de l'arrêt du 22 août 1992 dans la L'affaire Tomasi:
célèbre affaire Tomasi, à l'occasion de laquelle la France avait été
condamnée pour « traitements inhumains et dégradants »239. Cette Pour la CEDH, «à l'égard
décision remettait également en cause au passage l'idée de « seuil de la personne privée de
liberté, tout usage de la force
de gravité » des exactions et renversait la charge de la preuve des physique qui n'est pas rendu
sévices. strictement nécessaire par le
propre comportement de
La jurisprudence Tomasi a été prolongée par l'arrêt Ribitsch, dans ladite personne, porte
une affaire de sévices infligés à l'occasion d'une garde-à-vue en atteinte à la dignité humaine
et constitue, en principe, une
Autriche240. Par la suite, c'est la Turquie qui, à deux reprises, a été violation du droit garanti par
condamnée pour « tortures policières »241. l'art. 3 de la Conv. EDH >>.
La France a eu, depuis lors, le triste privilège de s'inscrire dans liste des Etats condamnés pour
« actes de tortures » d'initiative policière dans l'affaire Selmouni242. Un prévenu, soupçonné
de trafic de stupéfiants, et par la suite condamné de ce fait à une peine d'emprisonnement,
avait été placé en garde-à-vue pendant trois jours. À l'issue de celle-ci, il a prétendu avoir été
victime de sévices graves - coups, pratiques humiliantes, atteintes sexuelles, menaces de
torture avec chalumeau et seringue ... - , plusieurs certificats médicaux attestant l'existence de
blessures sans autres explications plausibles sur leur origine. Saisie sur le fondement de l'art.
3 de la Convention européenne des droits de l'Homme, la Commission européenne des droits
de l'Homme avait déclaré sa requête recevable et l'affaire avait été déférée à la CEDH. Deux
aspects de la décision rendue par celle-ci doivent être soulignés.
0 Quant à la qualification retenue, la Cour n'hésite pas à parler de torture, selon une
lecture de l'art. 3 qui va dans le sens d'une plus grande sévérité : « le niveau d'exigence
croissante en matière de protection des droits de l'Homme et des libertés fondamentales
implique ( ... ) une plus grande fermeté dans l'appréciation des atteintes aux valeurs
fondamentales d'une société démocratique » (la CEDH avait déjà indiqué que l'art. 3 de
la Convention européenne des droits de l'Homme « consacre l'une des valeurs
fondamentales des sociétés démocratiques »243). Relevant le « caractère odieux et
humiliant» des faits, la Cour a affirmé que « dans ces conditions, ( ... ) les actes de
violence physique et mentale commis sur la personne du requérant, pris dans leur
ensemble, ont provoqué des douleurs et des souffrances "aiguës" et revêtent un
caractère particulièrement grave et cruel. De tels agissements doivent être regardés
comme des actes de torture au sens de l'art. 3 de la Convention ».
0 Sur le terrain de la preuve de l'imputabilité des faits, la Cour affirme que, « lorsqu'un
individu est placé en garde-à-vue alors qu'il se trouve en bonne santé et que l'on constate
qu'il est blessé au moment de sa libération, il incombe à l'Etat de fournir une explication
plausible à l'origine de ses blessures ». Il s'agit d'une présomption selon laquelle les faits
allégués sont réels, à charge pour l'Etat français de prouver le contraire (et non au
demandeur de prouver que ses blessures ont été occasionnées au cours de la garde-à-
239 CEDH, 27 août 1992, Tomasi: D. 1993, somm. p. 383, obs. Renucci. -Ad de. : F. Sudre, L'arrêt de la Cour
europenne des droits de l'homme du 27 août 1992 Tomasi cl France: mauvais traitement et délai déraisonnable,
Rev. Sc. crim. 1993, p. 36.
°
24 CEDH, 4 décembre 1995, Ribitsch cl Autriche: D. 1997, somm. p. 202, obs. Renucci.
24 1 CEDH, 18 décembre 1996, Aksoy: Rec. 1996, p. 2260.- CEDH, 25 septembre 1997, Aydin: Rec. 1997, p.
1866.
242 CEDH, 28 juillet 1999 : JCP 1999, II, 10193, note Sudre.
243 CEDH, 7 juillet 1989, Soering: Grands arrêts, n° 33, 88.
84
vue). Ce renversement de la charge de la preuve est le gage d'une plus grande facilité
d'application de l'art. 3.
Dans une décision intéressante, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré que
«le fait de prononcer la peine de mort à l'encontre du requérant à l'issue d'un procès
inéquitable s'analyse en un traitement inhumain contraire à l'art. 3 ». Cette décision, qui met
en cause la Turquie dans l'affaire Ocalan, montre que la peine capitale en elle-même n'est pas
(encore?) considérée comme un traitement inhumain~ mais les conditions qui entourent le
prononcé de la peine se trouvent ici visée, au travers d'une «procédure inéquitable qui ne
saurait être jugée conforme aux stricts critères d'équité »244.
La CEDH a également considéré que les menaces de mauvais traitement adressées par des
policiers à un individu dans le but de parvenir à le faire avouer sont contraires aux
dispositions de l'article 3. Ces menaces constitueraient un traitement inhumain et dégradant
quand bien même il s'agirait d'obtenir des informations pour quelque raison que ce soit, y
compris sauver la vie d'une personne. Les dispositions de l'article 3 ont, en effet, «un
caractère absolu indépendamment des agissements de la personne concernée et même en cas
de danger public menaçant la vie de la nation- ou a fortiori celle d'un individu »245.
C. - La procédure pénale
Le Code de procédure pénale s'ouvre par un article préliminaire, au sein duquel on lit que les
mesures de contraintes dont une personne peut faire l'objet« sont prises sur décision ou sous
le contrôle effectif de l'autorité judiciaire. Elles doivent être strictement limitées aux
nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et ne pas
porter atteinte à la dignité de la personne». On trouve ensuite dans le Code diverses
déclinaisons du devoir de respect de la dignité: mise en examen et placement en cellule (art.
716), pouvoirs du juge d'instruction dans interrogatoires, confrontations et auditions pour
s'assurer du respect de la dignité (art. 120), possibilité de s'opposer à la publicité d'une
enquête ou de débats (art. 145, 221-3) ou la police de l'audience (art. 309), garantie du respect
de la dignité d'un condamné placé sous surveillance électronique mobile (763-12), etc.
Le quotidien des détenus peut particulièrement être envisagé. On donnera trois exemples.
244 CEDH, 12 mars 2002, Ocalan: D. 2003, somm. p. 2267, obs. Renucci.
245 CEDH, 30 juin 2008, Gafgen cl Allemagne: JCP 2008, 1, 167, n° 3, chr. Sudre.
246 TA Rouen, 27 mars 2008: D. 2008,jur. p. 1959, note Herzog-Evans.
247 Pour une discussion, v. : entretien avec N. Ferran, D. 20 Il, p. 2784.
85
0 L'accès aux soins des détenus doit également être aménagé. Il incombe à
l'administration pénitentiaire d'administrer les soins médicaux rendus nécessaires par
l'état de santé du détenu, sauf à entrer sous le coup de l'article 3 (de de la Conv.
EDH). Ainsi, il y a eu condamnation pour traitement inhumain et dégradant lorsqu'un
détenu n'a pas bénéficié des soins ad hoc pour traiter une hépatite C : la décision fait
porter la charge de la preuve sur l'État défendeur, puisqu'elle se prononce en l'absence
de pièces médicales pertinentes fournies par celui-ci252. La fourniture des soins
appropriés ferait même peser sur les autorités une obligation de transfert dans un
établissement pénitentiaire mieux équipé, voire même « de suspendre 1'exécution
d'une peine qui s'analyserait désormais en traitement contraire à l'article 3 »2 53.
L'actualité récente, d'autre part, montre que l'on enregistre un nombre important de suicide
de détenus. La France a été condamnée pour violation de l'article 3 de la Conv. EDH, mais
également sur le fondement de l'article 2 (droit à la vie) à l'occasion du suicide d'un détenu
qui était atteint de troubles psychotiques importants, caractérisés notamment par des
hallucinations auditives, et qui avait déjà fait une tentative de suicide. Certes, l'intéressé
faisait l'objet d'une surveillance renforcée, mais la Cour s'est étonnée du fait que,« malgré la
tentative de suicide du détenu et le diagnostic porté sur son état mental, l'opportunité de son
248 Par exemple : CEDH, 15 novembre 2001, Jwanczuk cl Pologne : Gaz. Pal. 24-26 février 2002, p. 3.- CEDH,
4 février 2003, 2 décisions, Van der Ven cl Pays-Bas & Lorsé cl Pays-Bas : RSC 2004, p. 441, obs. Massias.
249 CEDH, 24 juillet 2001, Valasinas cl Lituanie: JCP 2002, 1, 105, § 4, obs. Sudre.
250 CEDH, 12 juin 2007, Frérot cl France: D. 2008, pan. p. 1016, obs. Céré; AJ pénal 2007, p. 336, obs.
Herzog-Evans; D. 2007, pan., obs. Roujou de Boubée, Garé, Gozzi, Milrabail; JCP 2007, 1, 106, chr. Sudre. ~
Adde, pour des fouilles pendant les neuf jours de la tenue d'un procès, quatre à huit fois par jours, pratiquées par
des agents cagoulés, filmées: CEDH, 20 janvier 2011, El Shennawy cl France: JCP 2011, chr. 914, § 7, obs.
Sudre.
251 CE, 14 novembre 2008: Dr. adm. 2009, comm. n° 11, note Melleray; JCP 2009, 1, 130, § 4, obs. Plessix:
D. 2008, act. p. 3013, obs. Royer.
252 CEDH 7 février 2008, Metchenkov d Russie: JCP 2008, I, 167, n° 4, chr. Sudre.
253 CEDH, 10 juin 2008, Scoppola cl Italie: JCP 2008, 1, 167, n° 4, chr. Sudre.
86
On sait, enfin, que les conditions de détention liées à l'âge et à la maladie des détenus sont
débattues. Certains cas, très médiatiques, ont été particulièrement discutés (situation des
anciens membres du groupe terroriste Action Directe, libération de Maurice Papon ... ). Plus
généralement, la longueur même de la peine prose problème, dans sa compatibilité avec
certaines dispositions de la Conv. EDH (art. 3 & 5). La CEDH, intervenant sur les suites
d'une affaire célèbre (l'enlèvement et l'assassinat d'un jeune garçon) a estimé qu'une
détention de quarante et un ans n'était pas arbitraire eu égard à la gravité des faits, de
l'incertitude des experts sur la personnalité et la dangerosité. En même temps, la peine n'était
pas incompressible et la libération conditionnelle avait pu être demandée plusieurs fois. La
Cour considère dès lors que le maintien en détention, quoique long, n'a pas constitué un
traitement inhumain ou dégradant257.
Dans le cadre du travail, certains comportements portent atteinte à la dignité des personnes
salariées2ss. La brutalité du licenciement, certaines contraintes vestimentaires imposées au
salarié, peuvent ainsi porter atteinte à leur dignité. En prolongement de nos développements
sur le transsexualisme, signalons par exemple qu'une décision de Cour de justice des
communautés européennes est intervenue à propos du licenciement lié à un changement de
sexe. Il s'agissait bien sûr de raisonner sur le principe de l'égalité de traitement des personnes,
sans discrimination liée au sexe. Mais, d'une part, elle a élargi les discriminations liées à
l'appartenance à tel ou tel sexe à la « conversion sexuelle » de l'intéressée ; d'autre part, elle a
affirmé qu'une discrimination pour changement de sexe méconnaîtrait « le respect de la
dignité et de la liberté» auquel la personne visée à droit259.
On peut aussi évoquer l'art. 4 de la Conv. EDH qui prohibe l'esclavage, la servitude et le
travail forcé ou obligatoire. À ce titre, une décision de la CEDH a sanctionné l'esclavage
domestique, caractérisé par l'utilisation d'une ressortissante togolaise en France par un couple
pour du travail domestique d'une quinzaine d'heures par jour sans régularisation de situation
administrative, sans jour de repos, sans rémunération et sans scolarisation (la jeune fille était
âgée d'un peu plus de quinze ans)26o.
260 CEDH, 26 juillet 2005, Si/ladin cl France : JCP 2005, Il, 10142, note Sudre.
261 CEDH, Il septembre 2007, Tremblay cl France: RTDC 2007, p. 730, obs. Margunéaud.- Adde.: C. Geslot,
Prostitution, dignité ... Par ici la monnaie!, D. 2008, chr. p. 1292.
262 CE, 27 octobre 1995,2 décisions: Commune de Morsang-sur-Orge 1 Ville d'Aix-en-Provence: D. 1996,2, p.
177, note Lebreton. -JCP 1996, II, 22630, note Hamon.
88
affiche portait atteinte à la dignité des malades, selon un raisonnement bien plus satisfaisant
que celui des premiers juges qui se fondaient sur le respect de la vie privée263.
1. -Les médias
En matière audiovisuelle, la loi du 30 septembre 1986 Droits de la personne dans les émissions de
(art. 1) soumet le principe de liberté de télévision :
communication audiovisuelle au « respect de la
dignité de la personne humaine ». Le Conseil Des dispositions avaient été insérées dès le 8
octobre 200 1 dans la convention
Supérieur de l'Audiovisuel (C.S.A.), instance de quinquennale conclue entre TF1 et le CSA,
régulation, est intervenu à plusieurs reprises sur ce
visant le respect de l'art. 10, au nom du droit
fondement: dans certains cas, seul un rappel à l'ordre
à la dignité des personnes et du droit au
a été adressé aux chaînes concernées (notamment respect de la vie privée. Sur le terrain de la
dignité, elle prévoyait, par exemple, qu'il
s'agissant du sort des casques bleus, soit lorsque la
faut agir avec «retenue dans la diffusion
mort d'un soldat français ait été montrée, soit lorsque
d'images ou de témoignages susceptibles
l'interrogatoire de prisonniers en ex-Yougoslavie ait
d'humilier les personnes», et «éviter la
fait l'objet d'un reportage). complaisance dans l'évocation de la
souffrance humaine ainsi que tout traitement
Mais, lorsqu'un animateur de radio s'est réjoui à avilissant ou rabaissant l'individu au rang
l'antenne du décès en service d'un policier, "'d;;..'.-ob;.:>j.-jet;..>,;.>._ _ _ _ _ _ _ _ _ _ __.
l'organisme de radiodiffusion s'est vu infliger à titre de sanction une suspension d'antenne (art.
42-11 de la loi de 1986) et les propos de 1'intéressé ont été considérés comme portant atteinte
à la dignité de la personne264 (et les sanctions infligées par le C.S.A. n'ont pas été
annulées)265. Il faut toutefois faire la part des choses, en lien avec la liberté de création: seule
une volonté délibérée de sanctionner peut occulter par exemple la dimension métaphorique du
rap pour prendre à la lettre les propos tenus; d'ailleurs, la Cour d'appel de Rouen a relaxé les
rappeurs du groupe Sniper mis en examen du fait des paroles de la chanson La France, sur
plainte du ministère de l'Intérieur pour provocation directe à la commission de crimes et de
délits, les textes étant considérés comme incitation directe à tuer des représentants de l'État ( «
On n'est pas dupes, en plus on est chauds 1 Pour mission : exterminer les ministres et les
fachos »266). C'est également la chanson de Monsieur R, FranSSe («La France est une
salope, n'oublie pas de la baiser jusqu'à l'épuiser. Comme une salope il faut la traiter »)267,
qui s'est attirée les foudres du député UMP de Moselle, François Grosdidier, lequel a
demandait au garde des Sceaux (à l'époque Pascal Clément) d'engager des poursuites contre
le rappeur268.
Dans une autre optique, un jugement du Tribunal de grande instance de Nanterre a épinglé
Canal + à propos de l'image donnée de nains dans une émission humoristique: «en
assimilant les nains à de la nourriture et au règne animal, l'idée de dérision qui animait Bruno
Gaccio l'a conduit à dénier l'humanité même de ses victimes, suscitant le rire aux dépens de
leur handicap physique irréversible, de leur souffrance quotidienne, de leur profonde faiblesse
et de leur fragilité ; il a ainsi indiscutablement porté atteinte au respect de la dignité des
personnes de petites taille et commis un abus de la liberté d'expression »269.
On ne peut donc se priver totalement, au nom d'une « pudeur médiatique »2 70, de véhicules
médiatiques de la violence, du désarroi ou du désespoir ; mais il appartient à chacun, et
notamment aux professionnels impliqués, de faire la part de ce qui est montrable ou pas en
lien avec les objectifs que l'on s'assigne : autant l'information et la dénonciation de certaines
situations peuvent justifier que certaines images soient montrées, autant la flatterie du
voyeurisme d'un téléspectateur ou d'un lecteur pour s'attirer une audience ou faire augmenter
ses ventes est naturellement abject.
Une affaire illustre ce type de complaisances. Au cours d'une émission de radio, des
animateurs sont intervenus à propos de la découverte des cadavres d'un enfant et de sa mère,
en multipliant les témoignages d'auditeurs à l'antenne, et en demandant à ceux-ci toujours
plus de détails sur l'état des corps; l'organisme de radiodiffusion a fait l'objet d'une mise en
demeure par le CSA, laquelle a été contestée: pour le Conseil d'État, l'objectif recherché par
les animateurs n'était pas l'information, mais l'accroissement de l'audience par l'étalage de
faits morbides, constituant une atteinte à la dignité de la personne humaine27t.
269 TGI Nanterre, 20 septembre 2000 : Comm. corn. électr. 2000, n° 12, p. 28, note Lepage.
270 Hassler & Lapp, op. cit. Adde : Leinhard, JCP 1996, no 51-52, act.
271 CE, 30 août 2006 : Juris-Data n° 2006-070632.
90
II. - La bioéthique
Nous avons déjà évoqué les lois sur la bioéthique à propos de J'embryon et nous les
retrouverons s'agissant de la procréation assistée dans la partie du cours consacrée au droit de
la famille. À ce stade des enseignements, on indiquera que l'art. 16 du C. civ., dans sa
rédaction consécutive à la loi du 29 juillet 1994, prohibe l'atteinte à la dignité « dès le
commencement de la vie ».
Mais, si l'on se place sur le terrain de la dignité de la personne humaine dans le Code civil,
les dispositions pénales issues de la loi du 29 juillet 1994 sont inclues dans le livre V du Code
pénal relatif aux infractions en matière de santé publique, et ne possèdent pas le même
caractère emblématique que celui qui découle de l'art. 16.
La Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'homme, élaborée par
l'UNESCO, a été adoptée le 11 novembre 1997. Dans une partie expressément intitulée « La
dignité humaine et le génome humain », elle indique notamment que « chaque individu a droit
au respect de sa dignité et de ses droits, quelles que soient ses caractéristiques génétiques » et
que « cette dignité impose de ne pas réduire les individus à leurs caractéristiques génétiques
et de respecter leur caractère unique et leur diversité » (art. 2). On notera bien aussi quelques
allusions fondamentales à la dignité humaine dans le préambule du texte, où il est renvoyé au
préambule de l'Acte constitutif de l'UNESCO qui évoque lui-même un « idéal démocratique
de dignité, d'égalité et de respect de la personne humaine ». En outre, on signalera qu'il y est
272 Le concept de dignité humaine intervient aussi en matière médicale. Bien qu'il n'y soit jamais fait allusion, il
est par exemple sous-jacent dans la décision du Conseil d'Etat du 2 juillet 1993 relative à une expérimentation en
état de coma prolongé, quand il est fait allusion aux « principes déontologiques fondamentaux relatifs au respect
de la personne humaine, qui s'imposent au médecin dans ses rapports avec son patient » et qui se poursuivent
comme nous l'avons dit au-delà de la mort de ce dernier (CE, 2 juillet 1993 : D. 1994, 2, p. 74, note Peyrical).
27 3 Décret no 2012-855 du 5 juillet 2012, JO 5 juillet. A. Mirkovic, La ratification (enfin !) de la convention
d'Oviedo sur les droits de l'homme et la biomédecine, D. 2012. Point de vue, llO.
91
fait allusion au rejet du «dogme de l'inégalité des races et des hommes »274 (encore en
référence au préambule de l'Acte constitutif), précision qui n'est pas dénuée de sens compte
tenu de certaines déclarations intervenues ces derniers temps à l'initiative du leader ou de
membres d'un parti d'extrême droite ...
La conférence sur la bioéthique qui s'est ouverte le 12 janvier 1998 à la Maison de la Chimie
à Paris a ouvert à la signature le protocole du Conseil de l'Europe interdisant le clonage
humain. L'exposé des "considérants" montre la difficulté de saisir la matière, en son dosage
subtil entre progrès technique et dignité de l'homme (on remarquera le troisième dans notre
débat relatif à la dignité) : « Conscients des progrès que certaines techniques de clonage
peuvent, en elles-mêmes, apporter à la connaissance scientifique, ainsi qu'à leurs applications
médicales ; Considérant que le clonage d'êtres humains pourrait devenir une possibilité
technique ; Considérant que l'instrumentalisation de l'être humain par la création d'êtres
humains génétiquement identiques est contraire à la dignité de l'homme et constitue un usage
impropre de la biologie et de la médecine ». Par la suite, le Protocole comprend huit articles,
parmi lesquels cette disposition : « est interdite toute intervention ayant pour but de créer un
être humain génétiquement identique à un autre être humain vivant ou mort >>, étant précisé
dans un autre article : « aucune dérogation n'est autorisée ».
*
On ne fera, en conclusion, qu'approcher l'extrême difficulté qui transparaît dès que l'on
souhaite cerner la notion27s, déterminer la valeur juridique du respect de la dignité humaine,
qui semble bien relever d'un« principe matriciel par excellence »276.
Mais la décision n'est pas très claire s'agissant de l'expression du principe et de la valeur à lui
accorder278 . Elle souffre en particulier de différentes imprécisions, notamment quand il s'agit
de tracer les lignes de partage entre dignité et respect ou entre personne humaine et corps
humain. En outre, si le respect de la dignité humaine a valeur constitutionnelle, on se heurte à
des difficultés particulières d'affrontement entre principes ayant sensiblement la même
274 Il est évident que cette pétition de principe préside à son application plus spécifique dans le domaine de la
bioéthique proscrivant comme nous l'avons dit la réduction des individus à leurs caractéristiques génétiques.
27 5 V. Saint-James, Réflexions sur la dignité de l'être humain en tant que concept juridique du droit français, d
1997, chr. p. 61.
276 B. Mathieu : La dignité de la personne humaine : quel droit ? que/titulaire ? D. 1996, 1, p. 282.
277 Conseil constit., 27 juillet 1994: D. 1995, somm. p. 299, obs. Favoreu; D. 1995, 2, p. 237, note Mathieu.-
Adde. : B. Edelman, Le Conseil constitutionnel et l'embryon, D. 1995, 1, p. 205.
278 J.-P. Duprat, À la recherche d'une protection constitutionnelle du corps humain, Petites affiches 1994, no
149, spécial bioéthique, p. 34.
92
valeur ; c'est le cas, par exemple, dans l'opposition que nous avons rencontrée entre droit au
logement et droit de propriété
• Une règle non écrite ? C'est ce qui pourrait ressortir à lecture de l'arrêt du Conseil d'Etat du
2 juillet 1993 qui évoque des « principes déontologiques fondamentaux >>, même s'il est vrai
que la notion de dignité n'est jamais visée expressément.
• La synthèse d'un ensemble de textes? À l'occasion des affaires relatives au lancer de nain, le
raisonnement du Commissaire du gouvernement évoque un « corpus juridique » dont on
pourrait tirer l'existence d'un impératif de respect de la dignité humaine 281 . Il s'agirait alors
d'un principe tiré de l'interprétation d'un certain nombre de textes tangibles, même si le
principe lui-même n'est pas aussi clairement indiqué.
*
On se demande en fin de compte s'il ne s'agit pas tout simplement de promouvoir une éthique,
à tel point que ce serait peut-être de la dignité, qui aurait ainsi un rôle matricieJ282, de fixer des
lignes de conduite, dont découleraient même certains principes des droits de l'homme.
279 Y. Lachaud, Une déclaration des droits du corps humain, Viejud. 1996, n° 2618, p. 2.
280 F. Sudre, La Convention européenne des droits de l'homme, Economica, 1995, p. 155.
281 CE, 27 octobre 1995, 2 décisions, précitées.
282 B. Mathieu, Pour une reconnaissance des «principes matriciels » en matière de protection constitutionnelle
des droits de l'homme, D. 1995, 1, p. 211.
93
CHAPITRE Il
LA PROTECTION DE LA PERSONNALITE
Avec les droits de la personnalité, nous abordons une catégorie de droits (subjectifs) dont les
finalités sont diversifiées et la nature assez trouble. On peut convenir que les doits de la
personnalité ont comme but de préserver l'intégrité (Section 1) et l'individualité (Section II) de
la personne.
I. L'intégrité physique
L'intégrité physique découle naturellement, elle aussi, de la notion de droit à la vie, déjà
examinée. Il faut surtout faire état ici des textes intervenus en matière médicale et bioéthique.
En effet, un certain nombre de dispositions visent ou encadrent des interventions portant
atteinte à l'intégrité physique des personnes.
0 C'est le cas pour les prélèvements d'organe. Après la loi du 22 décembre 1976,
désormais inclue dans le Code de la santé publique (art. L. 665-10 & s.), une
nouvelle loi du 20 décembre 1988 a précisé les règles relatives au consentement
des personnes au prélèvement (Code de la santé publique, art. L. 1232-1 & s.).
0 La loi du 29 juillet 1994 a introduit dans le Code civil (art. 16 & s.) diverses
dispositions relatives au respect du corps humain. Il s'en dégage un principe
selon lequel le corps, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'une
patrimonialisation et, par voie de conséquence, la précision selon laquelle toute
convention dans ce domaine qui aurait une finalité patrimoniale doit être
considérée comme nulle. Il en découle par exemple que le don d'organe ou le don
de sperme est possible, mais qu'en aucun cas leur commerce ne peut être
organisé. Naturellement, tout n'est pas si simple. On s'est par exemple demandé
s'il était possible d'obtenir un dépôt de brevet s'agissant de produits d'origine
humaine (en particulier après manipulation génétique) ; il s'agit bien évidemment
d'une question liée à l'exercice d'un droit patrimonial sur le brevet qui serait
déposé. Mais demeurent au moins un problème technique (la notion d'invention
est-elle applicable ?) et une question éthique (peut-on breveter le vivant ?)
94
auxquelles il a été très partiellement répondu puisqu'il existe déjà, par exemple,
un droit de propriété intellectuelle concernant les obtentions végétales.
L'art. 16-1 duC. civil parle d'un respect dû au corps humain (que prolonge l'art.
L. 671-3 du Code de la Santé publique en matière de prélèvements d'organes). Sa
faisant plus précis, l'art.l6-3 duC. civil, dans sa rédaction d'origine, indiquait
pour sa part qu'« il ne peut être porté atteinte à J'intégrité du corps humain qu'en
cas de nécessité thérapeutique pour la personne >>. L'article poursuit en disant que
« le consentement de J'intéressé doit être recueiJli préalablement hors le cas où
son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à
même de consentir ». Avec la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique, déjà
évoquée, le recours aux donneurs vivants a été élargi. L'art. 16-3 du Code civil
est désormais en harmonisé avec le Code de la santé publique en prévoyant que
des atteintes à l'intégrité physique des personnes peuvent intervenir «à titre
exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui ».
Dans une affaire intéressante, un juge des tutelles a saisi la Cour de cassation pour avis2ss. Il
s'agissait de procéder à une stérilisation par ligature des trompes sur une majeure protégée.
Deux questions pouvaient se poser en l'espèce :
La CEDH a condamné la stérilisation d'un jeune Rom de vingt ans qui, au moment de son
second accouchement, a été avertie des risques d'une troisième grossesse et a accepté sur le
champ un stérilisation ; la condamnation de la Slovaquie, sur la base des art. 3 et 8 de la
Convention européenne, relève l'altération des facultés mentales au moment de
283 Décret n° 2005-223 du 10 mai 2005 relatif aux prélèvements d'organes et de cellules hématopoiëtiques
issues de la moelle osseuse, JO du 11 mai, p. 8155.
284 F. Dreifuss-Netter, Les donneurs vivants, ou la protection des personnes en état de vulnérabilité, D. 2005,
chr. p. 1808.
285 Cass., avis du 6 juillet 1998 :Dr. famille 1998, no 162, note T. Fossier; RTDC 1998, p. 881, obs. Hauser.
95
l'accouchement, du fait de la douleur, et les troubles psychologiques ultérieurs (ainsi que son
divorce) provoqués par cette décision286.
La rédaction de l'art. 16-3 a été modifiée par la loi du 27 juillet 1999 créant la couverture
maladie universelle28 7 : on parle désormais de « nécessité médicale », au lieu de « nécessité
thérapeutique ». On répond ainsi à une partie des problèmes posés par l'affaire visée
précédemment. En effet, le but thérapeutique s'appréciant strictement comme réponse à un
but curatif, le domaine de l'intervention
Art. L 2123-2 C. santé publique :
médicale préventive lui restait étranger ;
en parlant désormais de nécessité « La ligature des trompes ou des canaux déférents à visée
médicale, l'art. 16-3 permet une atteinte à contraceptive ne peut être pratiquée sur une personne
l'intégrité physique dans un objectif de mineure. Elle ne peut être pratiquée sur une personne
prévention. Mais tous les problèmes posés majeure dont l'altération des facultés mentales constitue
un handicap et a justifié son placement sous tutelle ou
par divers types d'interventions médicales curatelle que lorsqu'il existe une contre-indication
ne sont pas résolus pour autant, médicale absolue aux méthodes de contraception ou une
notamment dès qu'il s'agit d'assumer le impossibilité avérée de les mettre en œuvre efficacement.
choix d'une intervention chirurgicale, L'intervention est subordonnée à une décision du juge des
portant atteinte à l'intégrité du corps tutelles saisi par la personne concernée, les père et mère ou
le représentant légal de la personne concernée. Le juge se
humain (mammectomie, lobotomie, prononce après avoir entendu la personne concernée. Si
chirurgie transsexuelle) alors que d'autres elle est apte à exprimer sa volonté, son consentement doit
thérapeutiques pouvaient être utilisées288. être systématiquement recherché et pris en compte après
que lui a été donnée une information adaptée à son degré
de compréhension. Il ne peut être passé outre à son refus
On peut ajouter que la réforme des lois
ou à la révocation de son consentement. Le juge entend
bioéthique doit intervenir sur plusieurs père et mère de la personne concernée ou son représentant
points en ce domaine. Par exemple : légal ainsi que toute personne dont l'audition lui paraît
utile. Il recueille l'avis d'un comité d'experts composé de
0 le don de gamètes serait autorisé personnes qualifiées sur le plan médical et de représentants
d'associations de personnes handicapées. Ce comité
dès que le donneur a procréé et un
apprécie la justification médicale de l'intervention, ses
même donneur pourrait intervenir risques ainsi que ses conséquences normalement
pour la naissance de dix enfants (et 1 prévisibles sur les plans physique et psychologique ».
non cinq comme aujourd'hui);
- La loi du 4 juillet 2001 289 est également intervenue à propos de la stérilisation des
incapables majeurs à des fins contraceptives. Le texte, désormais sous l'art. L. 2123-2 C.
santé publique, donne un cadre précis à l'intervention. On remarque ainsi que la stérilisation
intervient en dernier recours (contre-indication médicale absolue à la contraception ou
impossibilité de contraception), en tenant compte autant que faire se peut de la décision de
l'intéressé (personne concernée si possible informée et entendue), en s'entourant de
précautions (intervention d'un comité d'experts), et sur décision judiciaire (décision du juge
des tutelles), etc.
Prévue par l'art. 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui définit la
diffamation comme« toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou
à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé». Il s'agit donc de
l'énonciation d'un fait, d'une affirmation personnelle. L'allégation ou l'imputation doit, selon
la jurisprudence, «se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à
être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire »292. On note bien
l'atteinte à la considération ou à l'honneur.
En l'absence d'imputation de fait précis, de nature à être l'objet d'un débat contradictoire ou
d'une preuve, il peut y avoir injure, mais absolument pas diffamation, ainsi que l'a indiqué
1'Assemblée plénière293.
L'art. 32 de la loi du 29 juillet 1881 décline, à partir de cette définition générale, entre
plusieurs types de diffamations294 :
290 Loi du 3 juillet 1972 et décret du 13 mai 1975.- Adde. ; C. Goudet, Le droit de réponse à la radio et à la
télévision : D. 1975, 1, p. 197.
291 Loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, art. 6,1V.
292 Crim., 6 mars 1974: Bull. 1974, n° 96.
293 Cass., ass. plén., 25 juin 2010: Comm. cam. é/ectr. 2010, comm. n° 127, note Lepage; D. 2010, chr. Cour de
cassation, p. 2090, obs. Vigneau.
294 S'y ajoutent- mais nous nous écartons du droit des personnes -les diffamations contre les cours, tribunaux,
armés, corps constitués et administrations publiques (art. 30) ainsi que contre les membres du ministère, les
membres de chambres, les fonctionnaires, les dépositaires ou agents de l'autorité publique, etc. (art. 31).
97
Lorsque la diffamation est établie, celui qui en est à l'origine a toujours la possibilité
d'invoquer l'exceptio veritatis: la preuve de la vérité des faits allégués peut pennettre
d'aboutir à la relaxe du prévenu. Il faut toutefois préciser deux choses.
D'une part, l'art. 35 de la loi du 29 juillet 1881 exclut la possibilité de rapporter la preuve de
la vérité des faits :
Ce texte prévoyait aussi que la possibilité de rapporter la preuve de la vérité était exclue
quand l'imputation se référait« à des faits qui remontent à plus de dix ans». Le Conseil
constitutionnel, saisi d'une QPC, a déc1aré cet article contraire à la Constitution; Certes,
selon la décision,« a pour objet d'éviter que la liberté d'expression ne conduise à rappeler
des faits anciens portant atteinte à l'honneur et à la considération des personnes qu'elles
visent», ce qui s'inscrit dans un souci «d'intérêt général de recherche de la paix
sociale», mais, «par son caractère général et absolu, cette interdiction porte à la liberté
d'expression une atteinte qui n'est pas proportionnée au but poursuivi». Il en découle une
contradiction avec l'art. 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de
1789295,
D'autre part, la preuve de la vérité des faits est très étroitement encadrée. L'art. 55 de la loi du
29 juillet 1881 impose que l'intéressé rapporte la preuve« dans le délai de dix jours après la
signification de la citation ». Il doit faire signifier au ministère public ou au plaignant :
0 les faits articulés et qualifiés dans la citation, desquels il entend prouver la vérité ;
0 les noms, professions et demeures des témoins par lesquels il entend faire la
preuve.
295 C. constit., 20 mai 2011 : Constitutions 2011, 388, obs. de Bellescize; D. 2011, 1440, obs. Lavric; RSC
2011,401, obs. Mayaud; AJ péna/2011, 414, obs. Perrier; Dr. péna/20!!, comm. no 90, obs. Véron.
98
La Cour de cassation a ajouté que la preuve doit être « complète, parfaite et corrélative aux
imputations ou allégations formulées »296 • La rigueur de ce dispositif et la rapidité de la
procédure tiennent au fait que l'on considère que le diffamateur devrait être en mesure de
prouver les faits allégués au moment où il tient ses propos.
Quelques éléments susceptibles de prouver la bonne foi se sont dégagés. Ainsi, selon une
décision du 17 novembre 1998, « les imputations diffamatoires peuvent être justifiées lorsque
le but poursuivi par la journaliste apparaît légitime et lorsque ce journaliste apporte la preuve
qu'il a écrit son article en se conformant à un certain nombre d'exigences, notamment de
sincérité, prudence et objectivité, susceptibles d'établir sa bonne foi »298. En l'espèce, il
s'agissait d'une publication dans le périodique Actuel d'une information selon laquelle un
professeur de droit public prétendant accéder à l'Académie française avait, sous le régime de
Vichy, commenté favorablement des textes prévoyant l'exclusion des Juifs de certains
emplois publics, et du fait qu'il avait fait disparaître de plusieurs bibliothèques le numéro de
la revue où ce texte avait été publié. L'intérêt légitime de l'information donnée par Actuel
avait notamment été reconnu au travers du fait d'avoir voulu informer le public sur le
comportement d'une personne prétendant entrer dans une institution emblématique ; en
revanche, une absence de prudence était relevée dans la brièveté de l'information jugée
incompatible avec « l'importance du sujet abordé, qui aurait nécessité des explications
circonstanciées ».
Cette décision offre un parfait résumé des critères de la bonne foi, qui sont donc au nombre de
quatre et cumulatifs:
En application de ces critères, il y a alors bonne foi, par exemple, si « les imputations,
exprimées dans le contexte d'un débat politique, concernent l'activité publique de la personne
mise en cause, en dehors de toute attaque contre sa vie privée, et à la condition que
l'information n'ait pas été dénaturée »304.
Les contentieux intervenus autour de la série télévisée qui a été réalisée sur 1'affaire Vil/emin
méritent d'être évoqués. Saisis d'une action en diffamation, les premiers juges ont considéré
que le délit n'était pas constitué puisque le film retraçait des faits connus et n'ajoutait en rien
une thèse défavorable aux demandeurs; au contraire, la Cour d'appel a considéré que les
dernières séquences avaient «insinué de graves éléments de suspicion», à la fois du fait de
certaines omissions et de caractéristiques de mise en scène. Mais, la seule sanction fut celle
d'une condamnation à des dommages-intérêts3os.
§ 2. L'injure
L'injure s'entend, selon l'art. 29, al. 2 de la loi du 29 juillet 188 I comme «toute expression
outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait».
Comme pour la diffamation, l'injure peut viser des personnes ou des corps (art. 30 & 31), et
elle peut avoir un caractère discriminatoire (art. 33). C'est depuis 2004 qu'a été introduit dans
l'art. 33 un al. 4 punissant une injure publique commise envers une personne ou un groupe de
personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap306. Une
affaire très médiatisée visait un député UMP du fait des propos tenus sur 1'homosexualité
(entre autres: «L'homosexualité est une menace pour la survie de l'espèce. Je n'ai pas dit
que l'homosexualité était dangereuse, j'ai dit qu'elle était inférieure à l'hétérosexualité. Si on
la poussait à l'universel, ce serait dangereux pour l'humanité. Il y a un modèle social qui est
celui du mariage hétérosexuel et de l'éducation des enfants»). La Cour d'appel de Douai
l'avait condamné, à la fois pour des propos contraires à la dignité des personnes et parce que
l'assertion d'infériorité de l'homosexualité tombait sous le coup de l'art. 33 dès lors que ce
jugement de valeur n'entrait pas dans le cadre d'W1 débat de pensée aux fondements
philosophiques, mais s'adressait à un large public par l'intermédiaire d'un organe de presse.
Cet arrêt a été cassé. La chambre criminelle a considéré, entre autres, que, « si les propos
301 Civ. 1°, 3 avril2007: Bull. n° 146; Crim., Il mars 2008: D. 2008,jur. p. 2256, note Lapousterle ..
302 Crim., 12 mai 2009 : D. 2009, jur. p. 2316, note Agostini ; D. 2009, AJ p. 1762, obs. Lavric; Comm. corn.
électr. 2009, n° 9, p. 43, note Lepage.
303 Crim., Il septembre 2007 : AJ Péna/2001, p. 482, obs. S. L.
304 Cass., ch. mixte, 24 novembre 2000 : Bull, n° 4.
305 TGI Nanterre, 27 mars 2008 & Paris, 1° ch., 1° sect., 9 avril 2009, inédits.
306 Loi no 2004-1486 du 30 décembre 2004.
100
litigieux, qui avaient été tenus à l'issue du « Enculé de ta race ! " n'est pas une injure à
débat et du vote de la loi du 30 décembre 2004, caractère racial :
ont pu heurter la sensibilité de certaines
personnes homosexuelles, leur contenu ne Le tribunal correctionnel de Paris a estimé que
l'emploi de l'expression Enculé de ta race! ne
dépasse pas les limites de la liberté constituait pas une injure à caractère racial et a
d'expression» {en revanche, elle avait relaxé le prévenu. Le jugement a considéré que,
approuvé les juges du fond de manière tout à « comme d'autres insultes de la même veine,
fait intéressante quand ceux-ci constataient que désormais devenues courantes - sinon communes -
l'art. 9 duC. civ. et les art. 225-1 et 225-2 du telles que "ta race", "fils de ta race" ou "putain de ta
race", l'expression poursuivie ne stigmatise par
C. pénal n'étaient pas suffisants pour assurer la l'origine particulière ou identitaire réelle ou
protection des droits des individus, ne supposée de l'autre en le renvoyant à la "race"
permettant pas d'empêcher les propos imaginaire de tous ceux que le locuteur entend, à
diffamatoires ou mJuneux liés à leur cet instant, distinguer de lui ». La décision indique
orientation sexuelles)307. encore que, « en renvoyant son interlocuteur à une
"race" - mot à très forte charge émotionnelle et
unanimement proscrit - non autrement qualifiée, ni
L'absence d'un fait susceptible d'être prouvé, précisée, le propos se veut performatif, faisant
en revanche, constitue une différence naître sur l'instant la "race" métaphorique et
essentielle avec la diffamation. Sans en être un indistincte des gêneurs et des fâcheux à maudire ».
élément indispensable, les grossièretés ou Enfin, les juges considèrent que « ni la légitimité, ni
la nécessaire vigueur de la répression du racisme et
termes violents peuvent constituer une injure. de l'antisémitisme ne sauraient s'accommoder de
Précisons encore qu'une injure peut être tenir pour raciste ou antisémite une injure publique
publique ou privée. Nous retrouverons qui ne l'est ni intrinsèquement, ni au regard des
l'incrimination d'injure lorsque nous circonstances dans lesquelles elle a été proférée »
(Trib. corr. Paris, 17° ch., 23 juin 2005 ; v. X.
évoquerons les demandes opposant le respect Daverat, Une incivilité démocratique, op. cit.). Il
des croyances à la liberté d'expression. n'en demeure pas moins que, même métaphorisée et
exclusive d'un caractère racial, la seule violence du
A. L'excuse de provocation propos pourrait justifier la qualification d'injure ...
Les textes admettent au bénéfice de celui qui se voit reprocher l'injure une excuse de
provocation. La provocation relève de« tout fait accompli volontairement dans le but d'irriter
une personne et venant par suite expliquer et excuser les propos injurieux qui lui sont
reprochés »308.
B. L'invocation du contexte
Il n'y a pas d'invocation possible de la bonne foi en matière d'injure, comme pour la
diffamation. Néanmoins, certaines décisions s'en rapprochent en acceptant de prendre en
considération le contexte dans lequel l'injure est intervenue. Ce fut le cas, par exemple, pour
la reprise par un journaliste de propos injurieux tenus par un homme politique309 •
C'est l'art. 26 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui prévoit l'incrimination
de l'offense au Président de la République. Cette disposition n'était plus invoquée depuis
307 Crim., 12 novembre 2008: JCP 2008, actu p. 687, obs. Derieux; AJ Péna/2009, p. 228, obs. Duparc; D.
2009, pan. p. 1781, obs. Dupeux; JCP 2008, II, 10206, note Dreyer; RSC 2009, p. 129, obs. Francillon; Comm.
com. électr. 2009, n° 1, p. 44, note Lepage; D. 2009, jur. p. 402, note Pradel; Dr. Pénal 2009, p. 20, note
Véron.
308 Crim. 17 janvier 1936: Gaz. Pal. 1936, 1, p. 320.
309 TOI Paris, 10 avrill992: Légipresse 1992, no 94, III, 93.
101
On ne reviendra pas sur la protection du nom, que nous avons évoquée avec l'étude du nom
patronymique (utilisation du nom à des fins littéraires et artistiques ou à des fins
commerciales) mais nous n'oublions pas que la protection du nom peut être considérée
comme faisant partie intégrante des droits de la personnalité. Nous n'envisagerons ici que la
protection des attributs physiques d'une personne et de son intimité.
On se bornera à cerner ici de façon générale les droits de la personnalité. Il est évident que des
mises en perspectives particulièrement intéressantes pourraient être opérées, en particulier en
confrontant la liberté de création ou plus généralement d'expression aux droits de la
personnalité lorsque critiques où caricature d'un individu312.
310 TGI Laval, 23 octobre 2008: D.2008,jur. p. 3133, note Dreyer; Comm. corn. électr.2009, comm. n° 9, note
Lepage.
311 Angers, 24 mars 2009 : Comm. corn. électr. 2009, comm. n° 48, note Lepage.
3l2 On peut dire un mot du célèbre contentieux qui a opposé Canal + au P.D.G. de la Société des Automobiles
Peugeot, Jacques Calvet. Canal + avait été assigné au motif d'utilisation non autorisée de la marque Peugeot et
de dénigrement de celle-ci par Les Guignols de l'info. En invoquant le dénigrement de la marque, Je demandeur
espérait contourner l'argument selon lequel l'émission humoristique ne faisait que caricaturer une personnalité.
Contrairement à la Cour d'appel de Paris (Paris, 14 mars 1995: D. 1996, somm. p. 252, obs. M.-L. lzorche; D.
1997, somm. p. 75, obs. C. Bigot), la Cour de cassation avait décidé que" le caractère outrancier provocateur et
renouvelé des propos tenus" constituait une faute (Civ. 2°, 2 avril 1997 : JCP 1998, Il, 10010, note C. Bigot ; D.
1997,2, p. 411, note B. Edelman; RJDA 1997, cane!. Kessous.- J.-P. Gridel, Brèves remarques approbatives
de la cassation intervenue dans l'affaire dite des Guignols de l'injo, D. 1998, 1, p. 183). La Cour de renvoi a
résisté à la Haute juridiction : pour les magistrats de Reims, il fallait d'abord séparer l'homme et l'entreprise qu'il
dirige : « les moqueries dont a fàit l'objet le PDG d'une société automobile ne visent pas cette société en tant
qu'entreprise commerciale, mais les attitudes de son PDG » ; d'autre part, le dénigrement n'était pas retenu, à la
fois parce que des actes de dénigrement « doivent présenter un minimum de sérieux et viser un concurrent », ce
qui n'est pas le cas en l'espèce et parce qu' « il n'existe aucun risque de confusion entre la réalité et l'œuvre
caricaturale satirique créée par Les guignols de l'info »(Reims, 9 février 1999: JCP 1999, n, 10144, note C.
Bigot; D. 1999, 2, p. 449, note B. Edelman). Enfin, l'Assemblée plénière s'est rangée à cet avis, indiquant que
102
Les droits de la personnalité protègent l'image et la voix d'une personne. À 1' occasion de la
révision des lois sur la bioéthique, le législateur a prévu des dispositions relatives au respect
des personnes face à l'utilisation des caractéristiques génétiques.
§ 1. L'image
À l'origine, le droit à l'image apparaît dans la jurisprudence. Un vieil arrêt le fait naître en
l'absence de dispositions légales313, et il demeure évoqué par décisions de justice314
quasiment jusqu'à ce que la loi du 17 juillet 1970 n'inclue dans le Code civil l'art. 9 sur
lequel il s'arrime aujourd'huiJ 15. Mais, d'autres textes interviennent également pour protéger
l'image des personnes.
Le principe du droit à l'image se fonde en droit civil sur l'art. 9 du Code civil selon lequel
«chacun a droit au respect de sa vie privée», même si l'image de la personne n'y est pas
spécialement évoquée. La Cour de cassation a expressément visé l'art. 9 dans un arrêt de
principe qui y voit le fondement du droit à l'image: «Selon l'art. 9 du Code civil, chacun a le
droit de s'opposer à la reproduction de son image »316. Depuis lors, d'autres décisions visant
l'utilisation de l'image ont été rendues sur le fondement de l'art. 93 17 • Autrement dit, ainsi que
le constate Jean-Christophe Saint-Pau318, «le droit au respect de la vie privée( ... ) a vocation
à absorber tous les droits de la personnalité ayant pour objet de protéger l'intégrité morale
comme le droit au respect du corps humain » et l'art. 9 peut être vu comme « matrice des
droits de la personnalité »319,
les propos incriminés « s'inscrivaient dans le cadre d'une émission satirique ( ... )et ne pouvaient être dissociés
de la caricature faite du P.D.G. de cette firme, de sorte que ces propos relevaient de la liberté d'expression sans
créer aucun risque de confusion entre la réalité et l'œuvre satirique » (Cass., ass. Plén. 12 juillet 2000: JCP
2000, li, 10439, note Lepage. - V. E. Derieux, Abus de liberté d'expression et droit à réparation, Petites
Affiches 2000, n° 161, p. 4).
313 Paris, 8 juillet 1887 : D. 1888, p. 18.
314 TGI Seine, 14 octobre 1960: Gaz. Pal. 1961, 1, p. 17.- Paris, 27 février 1967: D. 1967, p. 450.
3l5 Sur la genèse de cette loi, v. infra les développements relatifs à la protection de la vie privée.
316 Civ. 1°, 13 janvier 1998: D. 1999, somm. p. 167, obs. C. Bigot; RTDC 1998, p. 341, obs. J. Hauser; JCP
1998, Il, 10082, note G. Loiseau; D. 1999,jur. p. 120, note Ravanas.
317Civ.l 0 ,!6juillet 1998:D. 1999,jur.p.54l,noteSaint-Pau.-Civ.l 0 , 11 décembre2008:Contrats, conc.,
consomm. 2009, comm. no 68, obs. Leveneur; JCP 2009, Il, note Loiseau ; Légipresse 2009, n° 262, Ill, p. 109,
note Roussineau.- Ci v. 1°, 9 juillet 2009, Aznavour d Sté Jacky Boy Music: Légipresse 2009, Hl, p. 211, note
P. Guez; Comm. corn. é/ectr. 2009, comm. n° 91, obs. Lepage.
318 Op. cil.
319 Même si l'on tient les arrêts de 1998 comme décisifs en matière de droit à l'image, la première chambre
civile avait déjà reconnu celui-ci (Civ. 1°, 10 juin 1987 : Bull. I, n° 191. -Ci v. 1°, 13 avril 1988 : Bull. l, no 98.
-Civ.l 0 , 12juin 1990: Bull. l, n° 164).
103
On ajoutera que certaines dispositions pénales sanctionnent aussi des atteintes à l'image.
320 Civ. ] 0 , 12 décembre 2000: D. 2001. somm. p. 1987, obs. Caron; RTDC 2001, p. 329, obs. Hauser; Comm.
com. électr. 2001, comm. n° 94, 1° espèce, note Lepage; D. 200l,jur. p. 2434, note Saint-Pau.
321 Ci v. 1°, 10 mai 2005 : D. 2005, IR p. 1380.
322 Civ. 1°, 9 juillet 2009, précité.
323 CEDH, 15 janvier 2009, Rek!os & Davourlis cl Grèce: JCP 2009, chr. p. 38, n° 7, obs. Sudre.
104
inclus dans un bâtiment ouvert au public » (le premiers juges avaient considéré que le tribunal
était un lieu public par destination) et le caractère intentionnel de l'infraction ne faisait pas
défaut324 ; le pourvoi contre cette décision a été rejeté325. Comme on le voit avec ces
exemples, le domaine privilégié d'intervention de l'art. 226-1 duC. pénal vise l'activité des
médias. Mais, l'usage domestique des moyens de communication conduit à agir sur son
fondement hors du cadre des délits de presse. Par exemple, le fait de placer des caméras pour
voir des personnes prenant leur douche dans les vestiaires d'une piscine publique a été
sanctionné au regard de l'art. 226-1 duC. pénaJ326.
-Selon l'art. 226-8, la publication d'un montage Réutilisation d'un entretien avec montage :
réalisé avec l'image d'une personne sans son
Hors du cadre pénal, les juridictions civiles
consentement est également réprimée «s'il sanctionnent aussi les manipulations d'images. La
n'apparaît pas à l'évidence qu'il s'agit d'un société Canal + a ainsi été condamnée pour avoir
montage ou s'il n'en est pas expressément fait utilisé, dans un documentaire, des extraits de
mention». films antérieurs présentant Alexandre del Valle
s'exprimant à propos d'une alliance entre Islam,
extrême droite et extrême gauche. L'intéressé, se
-L'art. 227-23 sanctionne la détention en vue de disant piégé par les journalistes, avait interdit
leur diffusion d'images à caractère cette utilisation. La Cour de Paris a sanctionné
pédopomographique, ainsi que leur mise à une atteinte au droit à l'image à l'encontre de
disposition (al. 2). Cet article a permis la l'intéressé, «désarçonné et embarrassé», de
sanction de la diffusion de telles images sur surcroît dans une séquence « délibérément
tronquée et sans lien avec Je sujet pour lequel il
Internet au travers d'un logiciel de peer to avait accepté d'être filmé >> (Ci v. 1°., 30 octobre
peer327, voire même de déduire de la seule 2007: Petites Affiches 2009, n° 19, obs. Daverat)~
possession d'un tel logiciel la volonté de
diffuser328.
324 Amiens, ch. corr., 4 février 2009: JCP 2009, II, 10063, note Benillouche; Comm. corn. électr. 2009, comm.
n° 38, note Lepage.
325 Crim., 16 février 2010: Comm. corn. électr. 2010, comm. 66, note Lepage; JCP 2010, jur. p. 1063, note
Lennon.
326 Crim., 26 mai 2009: JCP 2009, chr. p. 57, n° 12, obs. Tricoire.
327 Crim., 29 mars 2006: Comm. corn. électr. 2006, comm. 117, note Caprioli ; AJP 2006, p. 260, obs. Royer;
Dr. péna/2006, comm. 82, note Véron.
328 Crim., 21 janvier 2009: Comm. corn. électr. 2009, comm. 40, note Caprioli; JCP 2009, chr. p. 58, no 13,
obs. Tricoire.
105
La Cour de cassation a d'abord considéré que« le propriétaire a seul le droit d'exploiter son
bien, sous quelque forme que ce soit» et que «l'exploitation du bien sous la forme de
photographies porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire »331 • L'application est
intervenue tant sur des biens meubles (chambre dans un musée3 32) que des immeubles
(propriété à flanc de volcan333), cependant qu'une vaste partie de la jurisprudence est entrée
en résistance33 4 • L'Assemblée plénière est intervenue pour le clore le débat sur l'image de
biens en indiquant que le propriétaire n'a pas un droit exclusif sur cette image, mais que, s'il
329 C. Castets-Renard, La proposition de loi visant à donner un cadre juridique au droit à l'image: une
occasion manquée, Petites Affiches 2004, no 4, p. 10.
330 Civ. ! 0 , 5 novembre 1996: JCP 1997, Il, 22805, note Ravanas.
331 Civ. 1°, 10 mars 1999: Rev. dr. imm. 1999, p. 859, obs. M. Bruschi & J.-L. Berge!; RIDA 1999, n° 182, p.
149, note M. Cornu; D. 1999, somm. p. 247, obs. S. Durrande; RTDCom. 1999, p. 397, obs. A. Françon;
Comm. corn. 2/ectr. 1999, comm. n° 4, note Y. Gaubiac; JCP 1999, Il, 10078, note P.-Y. Gautier; JCP 1999,1,
175, no 2, obs. H. Périnet-Marquet; D. 1999, jur. p. 319, obs. J. Sainte-Rose & noteE. Agostini; JCP E 1999,
n° 819, note M. Serna; D. 2000, somm. p. 281, obs. O. Tournafond; RTDC 1999, p. 859, obs. F. Zenati.
332 TGI Puy-en-Velay, 20 avril 2001 : Légipresse 2001, n° 184, I, p. 103.
333 TGI Clermont-Ferrand, 22 janvier 2002: D. 2002, jur. p. 1226, note J.-M. Bruguière; Comm. cam. électr.
2002, comm. no 52, note C. Caron.
334 Paris, 31 mars 2000 : Légipresse 2000, 11° 173, III, p. 115, note C. Alleaume ; Gaz. Pal. 2000, 2, somm. p.
2736, obs. S. Benoliei-Claux; Comm. cam. é/ectr.2000, comm. n° 52, note C. Caron; D. 2001, jur. p. 770, note
B. Edehnan.- TG! Paris, 31 mai 2000: Comm. cam. électr. 2001, comm. no 34, note C. Caron.- Paris, 19
novembre 2002 : JCP 2003, II, 10073, note J .-M. Bruguière ; D. 2002, somm. p. 2511, obs. N. Reboui-Maupin.
-Aix-en-Provence, 18 septembre 2003 : Comm. corn. électr. 2003, comm. n° 91, note C. Caron ; D. 2003, jur. p.
2461 , note E. Dreyer.
106
prouve qu'il subit un trouble anormal, il peut s'opposer à l'utilisation de celle-ciJJs. Cette
conception a été réaffirmée par la Haute juridiction336 et répercutée dans les décisions des
juges du fond33 7• Le propriétaire qui veut agir doit donc prouver le trouble anormal de qui
résulte de l'utilisation de l'image du bien contre laquelle il agit : on pense à l'atteinte à sa
tranquillité, mais la dévalorisation du bien et des investissements entre aussi en ligne de
compte338; en revanche, l'exploitation commerciale de l'image d'un bien ne suffit pas, à elle
seule, pour caractériser un trouble anormaP 39. En l'absence de trouble, il n'y a pas matière à
action34o.
On peut donner l'exemple d'une décision qui sépare le droit à l'image des biens et l'atteinte à
la vie privée. À partir de la publication de l'image d'une façade, la Cour d'appel de Metz a
considéré qu'il n'y a avait pas de trouble anormal, la maison étant visible de la rue et assez
singulière pour « attirer l'œil du passant » par elle-même. Passant sur le terrain de 1' atteinte à
la vie privée, la décision considère qu'il n'y a pas plus atteinte, la publication ayant été faite
sans mention de l'identité du propriétaire ou d'éléments visant son intimité341 ; en cas
contraire, la condamnation aurait été possible, comme le dit une décision intervenant lorsqu'il
y a eu indication du nom du propriétaire et localisation du bien 342 .
0 une photo de Brigitte Bardot prise au téléobjectif alors que, dans sa propriété,
elle tenait son fils dans ses bras344, de Romy Schneider nue, également prise au
téléobjectif, alors qu'elle se trouvait au large sur un bateau3 45, de la princesse
Diana et de son amant sur le pont d'un yacht, enlacés346, ou encore une photo prise
sur un yacht à J'occasion d'une soirée montrant une personne près d'une femme nue et, à
335 Cass., ass. plén., 7 mai 2004 : Propr. intel/. 2004, n° 12, p. 817, note V.-L. Bénabou ; D. 2004, jur. p. 2445,
note J.-M. Bruguière & E. Derieux; Légipresse 2004, n° 213, III, p. 117, note J.-M. Bruguière & B. Gleize;
Propr. intel/. 1004, n° 12, p. 833, obs. J.-M. Bruguière et M. Vivant; JCP 2004, Il, 10085, note C. Caron; RLDI
2005, n° 6, p. 6, note C. Geiger. - Adde. : C. Caron, Requiem pour le droit à l'image des biens, commentaire de
/'a"êt rendu par l'Assemblée plénière de la Cour de Cassation du 7 mai 2004, Comm. com. électr. 2004, n° 6,
p. 9.
336 Civ. 1°, 5 juillet 2005 : Comm. com. électr. 2005, comm. n° 158, note C. Caron.
337 Bordeaux, 30 mai 2005 : Comm. com. électr. 2005, comm. n° , C. Caron ; Légipresse 2005, no 225, Ill, p.
193, note B. Gleize.- Orléans, 10 novembre 2005 & Paris, 11 janvier 2006: Comm. com. électr. 2006, comm.
n° 38, note C. Caron.
338 Orléans, 10 novembre 2005 : Comm. com. électr. 2006, comm. n° 38, note C. Caron.
339 Orléans, 15 février 2007: Comm. com. électr. 2007, comm. no 78, note C. Caron.
340 Paris, 27 septembre 2006 : Comm. com. électr. 2007, comm. n° 1, note C. Caron ; Légipresse 2007, no 240,
ur, p. 84, note B. Gleize.
341 Metz, 22 novembre 2007: Petites Affiches 2009, n° 19, obs. Daverat.
342 Civ. 20, 5 juin 2003 : D. 2003, IR p. 1809.
343 Paris, 24 mars 1965: JCP 1965, n, 14305.
344 TGI Paris, 24 novembre 1965 : JCP 1966, II, 14521.
345 Paris, 5 juin 1979 : JCP 1980, li, 19343, note Lindon.
346 Paris, 2 novembre 2000 : Légipresse 200 1, n° 178, Ill, 19.
107
l'occasion d'une publication dans une revue à caractère pornographique, évoquant une
«sexualité présentée comme débridée »347 ;
Limites d'une utilisation de l'image suite à 0 une photo du fils de Gérard Philipe sur
une participation au « Téléthon )) : son lit d'hôpitaJ348 ;
Une Cour d'appel avait considéré que, la
participation d'un malade au << Téléthon » 0 un professeur photographié dans un bar en
impliquant le désir de servir la cause de la
recherche concernant leur affection << en compagnie d'une de ses élèves, alors que la
s'abstrayant de leur vie privée pour diffuser photo a été utilisée pour illustrer un article
leur image le plus largement possible », il n'y sur les méfaits de l'alcoolisme349;
avait pas d'atteinte à leur image et à leur vie
privée à l'occasion de la publication d'une 0 la photographie dans un lieu public d'une
photographie prise au cours de l'émission (sans
autorisation) dans un manuel scolaire. La personne qui se reconnaît ultérieurement sur
première chambre civile a cassé cet arrêt car des affiches électorales du parti
cette image était utilisée « dans une perspective communiste3SO ;
différente de celle pour laquelle elle avait été
réalisée» et que l'autorisation spéciale des 0 l'utilisation non autorisée de
intéressée était alors obligatoire (Civ. 1°, 14 photographies d'une chanteuse et de son
juin 2007: JCP 2007, Il, 10158, note Brusorio- fils3 51 , etc.
Aillaud).
Le droit à l'image a prise sur les réseaux informatiques. Mais, la jurisprudence a pu dégager
la responsabilité d'un hébergeur de site Internet à l'occasion d'une publication de photos de
nu d'un mannequin: la charte de la société prestataire d'hébergement prévoyait l'obligation
pour ses clients de respecter les droits de la personnalité, notamment le droit à l'image, et ce
fournisseur d'hébergement ne pouvait soupçonner le contenu litigieux du site ; dès lors, la
société saurait contrôler le contenu du site sans risque de porter atteinte à la liberté
d'expression ou de communication352.
L'atteinte à l'image peut concerner une représentation post mortem. Au siècle dernier, on avait
sanctionné la diffusion d'un portrait de la tragédienne Rachel sur son lit de mort353. La
divulgation d'une photo de la dépouille mortelle de Jean Gabin a également été
sanctionnée354. Quand une personne est décédée, ses héritiers peuvent agir; mais il a
également été décidé que ses proches pouvaient s'opposer à la reproduction de son image
après décès, à condition qu'ils justifient d'un «préjudice personnel établi, déduit le cas
échéant d'une atteinte à la mémoire ou au respect dû au mort »355.
Dès lors que l'image de la personne est protégée, il faut obtenir l'autorisation d'utiliser celle-
ci. Cette autorisation est même nécessaire pour l'utilisation de l'image d'un chanteur à des
fins de promotion, et on ne peut pas se rabattre sur le droit à l'information du public pour
utiliser la photo356. C'est normalement l'intéressé qui donne l'autorisation. Mais, s'agissant
347 Colmar, 15 février 2007 : Petites Affiches 2009, n° 19, obs. Daverat.
348 Paris, 13 mars 1965: JCP 1965, Il, 14223.
349Civ.l 0 ,ll février 1970: Gaz. Pal. 1970,1,323.
350 TGI Paris, Il juillet 1973 : JCP 1974, II, 17600.
351 Paris, 28 février 1995, Sheila: D. 1995, somm. p. 288, obs. C. Colombet.
352 Versailles, 8 juin 2000 : D. 2000, IR p. 270.
353 Trib. ci v. Seine, 16 juin 1858 : DP 1858, 3, p. 62.
354 Cri m., 21 octobre 1980 : D. 1981, 2, p. 72, note Lindon.
355 Civ. l'>, 22 octobre 2009: Comm. com. électr. 2010, comm. n° 7, note Lepage; D. 2009, AJ, p. 2616.
356 Ci v. 1°, 9 juillet 2009, Aznavour cl Sté Jacky Boy Music: Légipresse 2009, III, p. 211, note P. Guez ; Comm.
com. électr. 2009, comm. TI0 91, obs. Lepage.- Arrêt réformé: Paris, 6 juin 2007 ~ Légipresse 200&, n° 248, 1,
108
des mineurs, il appartient aux parents de donner l'autorisation de reproduire leur image: ainsi
en va-t-il d'un enfant au sein d'une institution scolaire dont l'image est utilisée dans un but
pédagogique 357 ; on a également sanctionné l'utilisation de l'image d'un enfant mineur
participant à une fête folklorique et dont une photo a été publiée sans l'autorisation des
parents35 8. Quand les parents sont séparés, mais exercent en commun l'autorité parentale
(nous parlerons de cette situation dans la partie relative au droit de la famille), l'un d'entre
eux ne peut donner son autorisation sans l'autre, comme il a été jugé dans des espèces visant
des photos d'enfants à but publicitaire359.
Le cadre de cette autorisation est strict. Par exemple, l'accord donné par des policiers de la
brigade anti-criminalité pour la diffusion de leur image« floutée » en cours d'intervention ne
vaut pas accord pour leurs noms et grades360.
Au-delà du fondement du droit à l'image sur l'art. 9 duC. civ. (v. supra le débat sur ce point),
l'atteinte au droit à l'image peut se doubler (ou être le vecteur) d'une atteinte à la vie privée
des personnes. Par exemple, lorsqu'une
Exemple ancien d'une double atteinte: caméra de surveillance, installée sur le
Une ancienne décision est à remarquer pour sa double
évocation de la vie privée et de l'image: «La mur de l'immeuble d'une société, permet
publication de la photographie d'une comédienne, à sa de voir les habitants du fonds voisin, on
sortie d'hôpital, assise dans un fauteuil roulant et porte atteinte à leur vie privée par le
poussée par son mari, prise à l'insu des intéressés et truchement de l'image36 1• Pour la Cour de
divulguée sans leur autorisation, porte atteinte au droit
cassation, statuant sur le double visa des
au respect de la vie privée, aussi bien qu'à l'image de
l'actrice et de son époux» (Civ. 1°, lOjuin 1987: Bull. art. 9 du C. civ. et 8 de la CEDH, il y a
1, n° 191, nous soulignons) atteinte à l'image et à la vie privée lorsque
des photos d'enfants malades, prises à
l'occasion du « Téléthon », son réutilisées dans des manuels scolaires; il fallait recueillir
spécifiquement le consentement des intéressés, et l'on ne pouvait pas, comme l'avait fait la
Cour d'appel, que la seconde utilisation des images relevait d'un même désir de servir la
cause de la lutte contre leur maladie362.
p. 6. - Une autre espèce est allée dans le même sens à l'occasion de disques de Henri Salvador: sur le seul
troisième moyen de cet arrêt du 24 septembre 2009, visant le droit à l'image : Comm. corn. électr. 2009, comm.
no 117, obs. A. Lepage.
357 Paris, 14 février 2002: D. 2002, 2, p. 2004, note Ravanas; RTDC 2002, p. 487, obs. Hauser. Rejet du
pourvoi : Civ. 2°, J juin 2004: D. 2004, IR p. 1867.
358 Ci v. 1°, 12 décembre 2000 : JCP 200 l, Il, 10572, note Abravanei-Jolly.
359 Nancy, 12 mars 2009 (publicité pour opération commerciale) & Bordeaux, 27 août 2009 (communication
d'un centre héliomarin): Comm. com. électr. 2010, comm. n° 8, obs. A. Lepage.
360 Civ. 1°,4 novembre 2011 : D. 2011, p. 2796.
361 Nancy, 18 septembre 2006: JCP 2007, IV, 2586.
362 Civ. 1°, 27 juin 2007: JCP 2007, Il, 10158, note Brusorio-Aillaud.
363 TG! Nancy, 8 juin 1973 : D. 1973, 2, p. 126.
109
celui du droit à J'image, ainsi que le montrent respectivement les deux affirmations selon
lesquelles :
0 l'intéressé, « comme tout autre personne quelle que soit sa notoriété a droit au respect
de sa vie privée et est fondé à en obtenir la protection en fixant lui-même les limites de
ce qui peut être divulgué à ce sujet » ;
0 « toute personne dispose sur son image ou sur l'utilisation qui en est faite d'un droit
exclusif qui lui permet de s'opposer à sa diffusion sans son autorisation expresse et
spéciale »364.
Mais, dans la terminologie employée, on sent bien un rapprochement avec un autre domaine
(le droit des artistes interprètes tel que l'évoque la propriété littéraire et artistique), en terme
de patrimonialisation du droit à l'image. L'une des questions saillantes du droit à l'image
concerne le profit que l'on peut tirer de son image en lien avec sa notoriété. Une comédienne,
mannequin et présentatrice de télévision peut évidemment autoriser que soit faites des photos
de nu en cédant des droits sur le cliché à des fins d'édition, de publication ou d'exposition;
mais elle ne peut dès lors plus agir sur la base du droit à 1'image pour demander une
rémunération supplémentaire quand un ouvrage d'art connaît un succès particulier365 ...
Un contentieux suivant la publication d'un ouvrage consacré à Coluche se place sur le double
terrain du respect de la vie privée (sanction des révélations concernant le divorce de l'artiste)
et du droit à l'image (pris à la fois sur le plan du préjudice moral et celui du dommage
commercial lié à la notoriété de l'intéressé) ; en outre, le jugement distingue entre atteinte à la
vie privée et diffamation366. La diffamation est pour sa part un délit pénal qu'il faut distinguer
de l'atteinte à la vie privée. Par exemple, un article évoquait une enquête sur le dopage dans
le milieu cycliste et, au détour des propos tenus, faisait allusion à la condamnation de deux
personnes pour mauvais traitements à animaux, avec publication d'une photographie
représentant l'une de ces personnes. Il y a bien, par l'utilisation de la photo dans un contexte
étranger à celui dans lequel elle avait été prise, atteinte au respect de l'image de la personne;
mais il n'y a pas diffamation puisque rien ne permet de faire le lien entre l'image publiée et
l'enquête judiciaire sur le dopage qui est évoquée dans l'article367.
Dans une affaire concernant la publication de la photo de François Mitterrand sur son lit de
mort, prise clandestinement à l'insu de la famille, le Tribunal de grande instance de Paris s'est
fondé plutôt sur la volonté de porter atteinte à l'intimité de la vie privée du défunt368 . Cette
motivation était curieuse dans la mesure où on pourrait penser que la vie privée cesse avec la
mort de J'intéressé : existe-t-il une vie privée des personnes décédées ? Peut-on faire jouer
rétroactivement, en quelque sorte, la protection de la vie privée quand l'individu a disparu ?
La Cour d'appel avait été bien inspirée de ne pas se fonder sur de telles considérations369. La
Cour de cassation, en rejetant le pourvoi contre l'arrêt de Paris, a indiqué clairement que « la
fixation de l'image d'une personne, vivante ou morte, sans autorisation préalable des
personnes ayant le pouvoir de l'accorder, est prohibée ». Ainsi, si le droit à l'image d'une
personne doit être respecté, que celle-ci soit vivante ou décédée, il appartient dans le second
364 TGI Paris, réf., 24 janvier 1997: Petites Affiches 1997, n° 37, p. 22, note Sema.
365 Civ. } 20 mars 2007: JCP 2007, IV, 1867.
0 ,
366 Paris, 10 septembre 1996, consorts Co/ucci: RIDA 1997, n° 171, p. 345.
367 Civ. } 5 juillet 2005: D. 2005, IR p. 2341: JCP 2005, IV, 2981.
0 ,
368 TG 1 Paris, 13 janvier 1997, 2° espèce : Petites Affiches 1997, n° 82, p. 26, note Gras.
369 Paris. 2 juillet 1997 : D. 1997, 2, p. 596.
110
cas aux héritiers d'autoriser qu'une photographie soit prise (ce qui pourrait parfois conduire à
des choix contestables en lien à la notoriété du disparu ... ) ; par ailleurs, la Cour affirme que
la liberté de communiquer des informations au public s'arrête où commence la sphère de
l'intimité de la vie privée37 0. L'affaire relative au décès accidentel de la princesse de Galles et
de son compagnon à Paris fait pourtant resurgir l'idée d'une vie privée des personnes
décédées. Selon la chambre criminelle, «attendu qu'en retenant, par les motifs repris au
moyen, que F. C. aurait volontairement porté atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui en
photographiant avec un téléobjectif, sans qu'il y ait été consenti, le corps d'E. A. F. dans une
voiture accidentée, la cour d'appel a justifié sa décision, au regard de l'article 226-l du Code
pénal »371.
Dignité, respect des personnes, atteinte à la vie privée se trouvent pris au travers
d'interactions diverses. En contrepoint de l'affaire tristement célèbre du «Gang des
Barbares», la première chambre civile37S a rejeté le pourvoi interjeté contre un arrêt376 qui
sanctionnait la publication par la presse de la photo que des ravisseurs avaient envoyé à la
famille d'lian Halimi, à l'appui d'une demande de rançon, et que les juge du fond avaient
estimée contraire à la dignité humaine puisqu'elle montrait l'otage bâillonné, le visage
ensanglanté et tuméfié, les poignets entravés, sous la menace d'une arme, portant atteinte au
respect dû aux morts et à la vie privée des proches.
370 Crim., 20 octobre 1998 : JCP 1999, II, 10044, note Loiseau.
371 Crim., 20 novembre 2007: Petites Affiches 2009, n° 19, obs. Daverat; Comm. com. électr. 2008, n° 43, note
Lepage.
372 Paris, 24 février 1998 : D. 1998, 2, p. 225, note Beignier.
373 TI Montreuil-sur-Mer, 25 septembre 2003 : D. 2003, 2, p. 2530, note Labbée.
374 Metz, 12 avril2000: D. 2000,2, p. 817, note Hocquet-Berg.
375 Civ. 1°, JO juillet 2010: Comm. com. électr. 2010, comm. n° 126, note Lepage; JCP 2010, 942, note
Loiseau ; D. 2010, act., p. 1870.
376 Paris, 28 mai 2009: Légipresse 2009, n° 263, Ill, p. 157, noteE. Derieux.
Ill
Dans l'affaire médiatisée, des images du couple princier britannique, ont été sanctionnées des
photos « qui divulguent l'intimité d'un couple partiellement dénudé sur la terrasse d'une
résidence privée entourée d'un grand parc, à plusieurs centaines de mètres d'une route
ouverte au public, et pouvant légitimement supposer être à 1' abri des regards indiscrets » ; la
décision stigmatise la« nature particulièrement intrusive »des clichés377.
Il faut préciser que l'utilisation de l'image se conjugue souvent avec une atteinte à l'honneur
des personnes visées. C'est le cas dans les exemples cités, qu'il s'agisse des articles peu
engageants relatifs au comportement de nos ressortissants ou aux jeunes et l'alcool, ainsi que
dans l'affaire visant les participants au « téléthon », dès lors que, en lisant l'arrêt de la
première chambre civile, on constate que la décision d'appel censurée évoquait l'absence
« de toute dégradation, dévalorisation ou dénaturation de la personnalité des enfants
représentés », ce qui renvoie à juger de 1' image dégradante de la personne.
Une affaire intéressante a mêlé le droit à l'image au droit à l'honneur des individus. Un jeu
multimédia intitulé « Jean-Marie jeu national multimédia FN 1992 » consistait à guider une
image de Jean-Marie Le Pen et à lui faire détruire au moyen de flammes tricolores différents
adversaires, dont le président de S.O.S. Racisme, Fode Sylla. En outre, la documentation
relative au jeu avait fait successivement allusion aux « ennemis de la France » et aux
adversaires qui rôdent. Dans un contentieux engagé par F. Sylla, la Cour d'appel de Versailles
a conclu à l'atteinte aux droits de la personnalité en considérant notamment que :
- puisque dans le jeu, M. Syl1a était associé à une nuisance et à un score négatif,
l'atteinte à l'image était renforcée »379.
C'était déjà se placer à la fois sur le terrain du droit à l'image et du droit à l'honneur. La Cour
de cassation a rejeté le pourvoi introduit contre cet arrêt. Devant les juges suprêmes, il était
soutenu que le jeu ne portait pas atteinte à la vie privée de l'intéressé en mettant en scène une
image, tentant en quelque sorte de déconnecter l'image de la personne de sa vie privée. La
première chambre civile a rejeté cet argument de manière très nette : « selon l'art. 9 du C.
civil, chacun a le droit de s'opposer à la reproduction de son image, et l'utilisation, dans un
377 Nanterre, réf., 18 septembre 2012: Comm. corn. électr. 2012, comm. n° 128, note A. Lepage; JCP 2012,
1032.
378 Civ. 1°, 16 mai 2012: JCP 2012, chr. 1318, n° 12, obs. E. Dreyer; Comm. corn. éleclr. 2012, comm. n° 114,
note A. Lepage; Gaz. Pal. 3-4 octobre 2012, p. 16, note C. Michalski.
379 Versailles, 8 mars 1996: Gaz. Pal. 1°-4 mai 1996, p. 6, concl. Duplat.
112
sens volontairement dévalorisant, de l'image d'une personne, justifient que soient prises par le
juge toutes mesures propres à faire cesser l'atteinte ainsi portée aux droits de la personne »380.
Si les circonstances de cette affaire étaient singulières, le problème réside surtout dans les
commentaires qui accompagnent les images. Par exemple, lorsqu'une autorisation de
publication de la photographie d'une femme a été donnée pour illustrer un article sur la
maltraitance des femmes à la Réunion, une Cour d'appel a conclu à l'atteinte au droit à
1'image du fait des propos tenus ( « femmes faciles, à la recherche de mariages avec des
hommes métropolitains dans le seul but de promotion sociale et usant de manœuvres
déloyales à leur égard pour parvenir à leurs fins »). Les conditions de la publication
s'écartaient certes de la finalité pour laquelle l'autorisation de l'image était donnée, mais ce
sont aussi les remarques désobligeantes à l'égard d'une communauté qui sont, en même
temps, sanctionnées381.
Il faut toutefois, pour pouvoir revendiquer un droit sur son image, que la personne soit
identifiable: par exemple, il n'y a pas de violation du droit à l'image d'une personne lorsque
celle-ci est vue de dos et de trois-quarts de manière accessoire dans un lieu public3 85 , ou
quand sa photographie est utilisée dans une vignette de millimètres, de mauvaise qualité, sur
l'emballage de morceaux de sucre38 6 • Globalement, lorsqu'une personne vue sur une
photographie n'est qu'un élément accessoire par rapport à l'ensemble (sujet, groupe ... ), le
droit à l'image ne peut être invoqué3 87. Mais, si l'image ne permet pas de reconnaître les
personnes et que celle-ci sont pourtant identifiables par un article ou une légende, les droits de
la personnalité s'en trouvent atteints: ainsi en a-t-il été décidé s'agissant de photographies des
enfants de François Hollande et Ségolène Royal pris en photo sur la plage ; la décision
résonne plus sur l'atteinte à la vie privée que sur le droit à l'image, faisant entrer la période de
vacances dans « la sphère familiale »388.
Mais, à partir de ce principe simple, des problèmes peuvent encore se poser. On conçoit par
exemple que le choix de participer à une manifestation puisse exclure que l'on revendique le
droit à l'image dès lors que l'on accepte de paraître en public dans un rassemblement
organisé389. En revanche, il y a atteinte si une personne ou un groupe de personnes est
manifestement trop isolé sur la photo390 ; toutefois, lorsque, même en cas d'individualisation
de la personne sur la photo, le lien entre l'événement d'actualité et l'image peut faire exclure
l'interdiction d'un usage sur le fondement du droit à l'image, comme cela a été jugé à propos
d'une personne tenant un drapeau vietnamien et assises sur les épaules d'un ami pendant une
manifestation en mai 1968, cliché devenu célèbre à propos des événements de l'époque et que
l'on pouvait donc, aux dires des juges, utiliser «dans le seul but d'illustre la mémoire
d'événements qui appartiennent à l'histoire »391. Selon la Cour d'appel de Versailles qui
s'inscrit dans le droit fil de la jurisprudence antérieure392, «s'il est de principe que la
publication d'une photographie d'une manifestation publique ne nécessite pas d'autorisation
particulière, il n'en est pas de même pour la publication de photographies de manifestations
homosexuelles lorsque cette publication n'est pas justifiée par l'information du public sur cet
événement »393. On voit que la présentation de l'image de la personne procède aussi à une
révélation quant à la sexualité de l'intéressé (le choix du mode de vie sexuelle relève de la vie
privée: v. infra). On peut, du coup, considérer qu'il en va de même à chaque fois qu'une
révélation à caractère intime interviendrait, notamment en lien à la religion ou la santé d'un
individu.
On peut aussi discuter de la notion d'actualité. Il n'y a pas de problème s'il s'agit de «couvrir
un événement». Mais, certaines photos peuvent être utilisées à de simples fins d'illustration.
A propos de la publication d'images de Pitbulls prises dans un élevage, une décision relève
que « les agressions fréquentes par des chiens de combat, notamment de la race des Pitbulls
constituent des sujets d'actualité sensibilisant l'opinion publique et qui justifie la diffusion
photographique des éleveurs et entraîneurs de ces animaux à quelque titre que ce soit » (en
l'espèce, statuant sur d'atteinte à la vie privée, la décision avait également relevé que la
personne visible sur la photo avait le visage masqué, que le nom et la profession du plaignant
et même sa qualité de président d'une association d'éleveurs n'était pas indiqués, et que de
surcroît une des photos avait été prise au cours d'un entretien avec un journaliste de sorte que
l'intéressé ne pouvait ignorer l'usage qui en serait fait)394.
Il ne faut pas non plus qu'il y ait de détournement de l'image. Par exemple, il n'y a pas
détournement lorsqu'un cliché pris à l'occasion d'une manifestation contre le PACS est
utilisée en relation directe avec l'article publié, mais il y a détournement quand une photo
illustrant la proche maternité d'une actrice reprend en fait un cliché tiré d'un dossier de presse
388 TOI Paris, 15 septembre 2003 :Petites Affiches 2004, n° 193, obs. Daverat.
389 Paris, 12 mai 1995 : D. 1997, somm. p. 71, obs. Dupeux.
390 Paris, 19 juin 1987 : JCP 1988, II, 20957, note Auvret.
391 Versailles, 7 décembre 2000: Légipresse 2001, no 179, III, 35.
392 Paris, 14 juin 1985 : D. 1986, somm. p. 50, obs. Lindon & Amson.- Paris, 29 mai 1998 : Légipresse 1998,
no 155, Ill, p. 140.
393 Versailles, 31 janvier 2002 : D. 2003, somm. p. 1533, obs. Caron.
394 Bordeaux, 10 février 2003 : JCP 2003, IV, 29991.
114
vieux de deux ans39S. Il y a atteinte également au droit à l'image lorsqu'une photo prise sur un
champ de course a été utilisée pour illustrer un article sur le dopage dans le milieu cycliste396,
Dans l'affaire de la manifestation contre la PACS, la photo illustrait un article se voulant
critique à propos d'une France traditionaliste, faisant référence aux combats contre la pilule et
l'avortement ainsi qu'aux positions de Christine Boutin; il a toutefois été jugé que ces
commentaires ne débordaient pas le cadre de la manifestation.
Comme on 1' a dit, ces affaires sont en interférence avec le respect de la dignité de la
personne. Selon la Cour de cassation, la publication d'images relatives à un événement est
possible au nom de la liberté de communication « sous la seule réserve du respect de la
dignité de la personne humaine »4oo; dans l'espèce évoquée concernant la publication des
photos de la veuve du policier, par exemple, la Cour de cassation indique bien qu'il n'y a pas
d'atteinte à la dignité de cette dernière. Le débat s'est enrichi des décisions rendues dans
l'affaire concernant les poupées vaudou à l'effigie du président de la République. On se
souvient que l'image de Nicolas Sarkozy a été utilisée pour réaliser des poupées qui
pouvaient être piquées par une douzaine d'épingles. L'ensemble était offert en cadeau pour
l'achat d'un ouvrage. Selon les premiers juges, il n'y a pas d'atteinte au droit à l'image, à la
dignité ou à l'honneur de la personne; l'ensemble s'inscrivait« dans les limites autorisées de
la liberté d'expression et du droit à l'humour». Il n'y avait, en outre, pas d'utilisation
exclusivement mercantile de l'image de la personne, le produit n'étant pas purement
commercial. Mais, cette décision a été infirmée par la Cour d'appel. Certes, celle-ci reconnaît
que la poupée en elle-même, porteuse d'expressions reprenant les propos du président, n'est
pas critiquable. En revanche, elle sanctionne sur le fondement de la dignité de la personne. En
incitant le lecteur à avoir un rôle actif qui consiste à piquer une poupée dont le visage est celui
de Nicolas Sarkozy, et dont le corps porte des mentions qui se rattachent à lui, il y aurait
395 Civ. 2°, 11 décembre 2003 & 19 février 2004: D. 2004, 2, p. 2596, note Bigot; Petites Affiches 2004, no
193, obs. Daverat.
396 Civ. 2°, 30 juin 2004, 2° espèce : JCP 2004, Il, 10160, note Bakouche.
397 Civ. 1°, 12 juillet 2006 : Juris-Data n° 2006-034563 ; D. 2006, IR p. 2128.
398 Civ. 1°, 7 mars 2006: JCP 2006, Il, 10105, note Dreyer; Comm. corn. électr. 2006, comm. no 133, note
Lepage.
399 Civ. 1°, 5 juillet 2006 : JCP 2006, IV, 2696.
400 Civ. l 0 , 20 février 2001 : D. 2001, 2, p. 1119, note Gridel ; somm. p. 1990, obs. Lepage.
115
atteinte à la dignité pour outrepasser les limites admises, en particulier du fait de la piqûre
volontaire, ne serait-ce que de façon symbolique40I.
Une décision intéressante visait la publication d'une photo en couverture d'un ouvrage
intitulé Laface cachée de Frank Ribéry. La décision de la Cour de Parie ne sanctionne pas
d'atteinte au droit à l'image. Cet arrêt est intéressant dans le mesure où il distingue l'aspect
extrapatrimonial (pas d'atteinte à la vie privée dès lors que la photo été prise à l'occasion d'un
match en public) et l'aspect patrimonial (pas une simple exploitation commerciale de l'image
du footballeur) 402; il n'en demeure pas moins que l'usage de la photo conditionne un ·attrait
commercial. ..
§ 2. La voix
La voix a été considérée comme un autre attribut de la personnalité. Aussi, lorsqu'un clip
publicitaire imita la voix de Claude Piéplu pour une marque de chaussettes, l'atteinte à la
personnalité de l'acteur fut caractérisée et ce dernier obtint réparation403. Une autre affaire
trouve son origine lorsque, en 1976, alors qu'elle s'était déjà retirée de la scène, Maria Callas
procéda à quelques essais de voix dans la salle du Théâtre des Champs-Elysées mise à sa
disposition. Le Secrétaire Général du théâtre avait procédé, manifestement à l'insu de l'artiste,
à l'enregistrement de certaines des pièces interprétées. Maria Callas disparut le 16 septembre
1977, sans s'être produite en public ni avoir enregistré après ces essais. Quelques années plus
tard, au cours d'une émission sur France-Musique, deux extraits de l'enregistrement litigieux
étaient radiodiffusés. La mère et la sœur de la cantatrice disparue assignèrent Radio-France et
le Secrétaire Général du Théâtre des Champs-Elysées, au motif que l'enregistrement effectué
au cours des essais constituait « une intrusion fautive dans l'intimité de la vie artistique de
Maria Callas et une atteinte grave à sa mémoire >>. Le Tribunal de grande instance de Paris
accueillit favorablement leur demande par un jugement du 19 mai 1982, précisant que la voix
devait être considérée comme une « image sonore » et comme un « attribut de la
personnalité »404. Outre que l'idée d'image sonore est plutôt ridicule (même si elle est
défendue par certains405), la décision confond aussi droits la personnalité et droits des
interprètes : en effet, les artistes (parmi lesquels les chanteurs) bénéficient d'une protection
spécifique de leurs interprétations, d'origine prétorienne au moment de l'affaire Callas et,
depuis une loi du 3 juillet 1985, par des dispositions contenues désormais dans le Code de la
propriété intellectuelle. C'est un autre mode de protection de la voix lorsque celle-ci est mise
au service d'une interprétation artistique, par un droit qu'on dit« voisin du droit d'auteur».
Dans une perspective plus récente, on discute (comme en matière de droit à l'image) pour
savoir si la protection de la voix doit encore relever des droits de la personnalité ou prendre
son autonomie. Certaines décisions demeurent, sur ce point, opposées: ainsi l'une d'entre
elles considère que le droit au respect de la vie privée couvre entre autres le droit à la voix (et
401 TGI Paris, réf., 29 octobre 2008, N. Sakozy cl SARL Tear Prad : JCP 2008, IV, act. 647. -Paris, 28
novembre 2008, N. Sakozy cl SARL Tear Prod. : JCP 2008, IV, act. 742. -Ensemble, sur les deux decisions de
première instance et d'appel : Comm. com. é/ectr. 2009, comm .. no 17, note Lepage.
4 02 Paris, 9 mai 2012, Ribéry: Comm. com. électr. 2012, chr. 10, n° 12, obs. C.-A. Maetz.
403 TGI Paris, 3 décembre 1975: D. 1977,2, p. 211, note Lindon.
404 TGI Paris, 19 mai 1982: D. 1983,2, p. 147, noteR. Lindon; JCP 1983, Il, 19955, obs. Gobin; RIDA 1982,
no 114, p. 198; X. Daverat, L'Art et la manière, A propos de TG! de Paris, 19 mai 1982 et de Versailles, 23 juin
/982, Cahiers du droit, 1984, tome Ill, p. 85.
405 D. Bécourt, Image et vie privée, L'Harmattan, 2004, J'. 185.
116
fait d'ailleurs l'analogie avec le droit à l'image)406 cependant qu'une autre considère qu'« une
personne ne peut prétendre, sur le fondement de l'art. 9 du Code civil, à la protection de sa
voix, considérée comme 1'un des attributs de sa personnalité, que si la reproduction
incriminée constitue une atteinte à sa vie privée »407.
Les textes aménagent les droits de la personne eu égard à 1' examen de ses caractéristiques
génétiques. Après intervention de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique, l'art. 16-10 C.
civ. prévoit que cet examen ne peut être effectué qu'à des fins médicales ou de recherche
scientifique, et que le consentement exprès de la personne doit préalablement être recueilli par
écrit ; ce consentement est révocable à tout moment. Selon l'art. 16-11, l'identification post
mortem par empreintes génétiques ne peut intervenir que si la personne concernée a donné
son consentement exprès de son vivant.
D'autres dispositions inclues dans le Code de la santé publique donnent des precisions
importantes, visant certaines situations: possibilité d'entreprendre l'examen si l'on ne peut
recueillir le consentement de l'intéressé et consulter la personne de confiance qui pourrait
donner l'autorisation, information des conséquences du silence en cas de détection d'une
anomalie génétique faisant courir des risques à la famille concernée, etc.
§ 1. La vie privée
Le respect de la vie privée est aménagé par l'art. Intervention du juge des référés :
9 du Code civiL Celui-ci a été introduit par une
loi du 17 juillet 1970. Auparavant, la protection L'atteinte au respect de la vie privée (et à l'image)
entraîne souvent l'intervention du juge des référés,
de la vie privée était intervenait sur le notamment lorsqu'il s'agit de prendre des mesures
fondement de la responsabilité civile (art. 1382 en cas de publication par la presse: l'urgence vient
du Code civil). Les circonstances qui ont souvent du souci de limiter l'atteinte aux droits de
entouré l'apparition de cet article méritent d'être la personnalité en faisant retirer de la vente Je
rappelées; elles procèdent directement d'un périodique.
contentieux resté célèbre. Mais le pouvoir du juge des référés s'étend à la
publication de la décision dans le journal, ordonnée
Le mensuel Lui avait publié un article consacré sous astreinte. L'arrêt de la Cour de cassation qui le
à Gunther Sachs, intitulé « Sexy Sachs ». confirme considère que « la seule constatation de
L'intéressé a agi en référés et a obtenu la saisie l'atteinte au respect de la vie privée et à l'image par
voie de presse caractérise l'urgence et ouvre droit à
des exemplaires du journal. Toutefois, la Cour réparation» (Civ. 1°, 12 décembre 2000: D. 2001.
d'appel considéra que l'urgence n'était pas somm. p. 1987, obs. Caron; RTDC 2001, p. 329,
établie et que l'article litigieux ne faisait que obs. Hauser ; Comm. corn. électr. 2001, comm. no
reprendre des informations déjà publiées 94, 1o espèce, note Lepage ; D. 200 1, 2, p. 2434,
antérieurement dans d'autres périodiques, de obs. Saint-Pau).
406 TGI Paris, 27 septembre 2004 : Comm. cam. é/ectr. 2004, comm. n° 153, note Caron.
407 Paris, 12 janvier 2005 : Comm. com. électr. 2005, comm. n° 92, note Lepage.
117
sorte qu'on aboutit à une mainlevée de la saisie4os. Lorsque l'affaire fut jugée au fond, la Cour
d'appel de Paris considéra à la fois qu'il y avait une responsabilité du périodique intervenu sur
la vie privée de Gunther Sachs, mais que, du fait de la tolérance passée de l'intéressé à l'égard
des détails de sa vie affective, le montant des dommages et intérêts à lui allouer devait être
réduit409• La Cour de cassation a confirmé l'arrêt d'appeJ4IO.
On voit bien apparaître dans cette espèce les difficultés inhérentes à la situation en l'absence
de textes : impossibilité d'agir en référés (alors que la saisie des exemplaires permet de
diminuer l'étendue du préjudice), incertitude sur la réparation (en référence à l'attitude des
personnes visées) ... D'où est venue la loi introduisant les dispositions relatives à la protection
de la vie privée.
L'art. 9 du Code civil dispose désormais: «Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les
juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures,
telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à
l'intimité de la vie privée; ces mesures peuvent, s'il y a lieu, être ordonnées en référé».
0 l'art. 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dit la même
chose avec quelques variantes (« immixtions arbitraires ou illégales ») ;
P'J l:.t!..t/llim!!.l!.~i~!!..t!.'!..Ç.t!.if..t:!t
À l'écart des domaines traditionnels de la vie privée, quelques situations donnent lieu à débat
et l'on en évoquera un exemple.
Très tôt (par rapport à l'introduction de l'art. 9), le juge des référés avait tenté de fixer Je
domaine de la vie privée : « si le domaine de la vie privée de l'homme est parfois malaisé à
déterminer, il s'étend incontestablement à tout ce qui concerne sa vie amoureuse, sa vie
familiale, ses ressources et les aspects non publics de sa vie professionnelle et de ses loisirs ;
( ... )se trouvent au contraire généralement en dehors des frontières de la vie privée, la part de
• Prolongeant le fait que le domaine de la vie privée s'étend au domicile, une décision admet
que la publication dans la presse d'une photographie de la résidence accompagnée du nom du
propriétaire et de sa localisation porte atteinte à la vie
Carte des cultures OGM sur Internet: privée de ce dernier42J. Un arrêt de la première
L'édition sur Internet par l'association chambre civile casse une décision de Cour d'appel qui
Greenpeace d'une carte de champs décidait qu'il n'y avait pas atteinte à la vie privée en
ouverts à des cultures OGM, avec photos utilisant des photos d'un intérieur d'HLM dans le cadre
aériennes des terrains, constitue une d'une procédure (il s'agissait de prouver le
atteinte à la vie privée car elle permet
désordre régnant dans les lieux): le droit au respect de
l'identification des exploitants et le
repérage de leurs domiciles (TG! Paris,
la vie privée s'étend en effet« à la présentation interne
réf., 26 juillet 2006 : D. aff 2006, act. jur. des locaux constituant le cadre de son habitat » et
p. 231 1, obs. Manara). l'utilisation des photos était soumise à autorisation 422.
• On sait également que le domaine de la vie privée s'étend aux correspondances : l'art. 8 § 1
de la CEDH les cite expressément, et la Cour européenne des droits de l'homme opte pour
412 TGI Grasse, réf., 27 février 1971 : JCP 1971, Il, 16734, obs. Lindon.
4 13 Paris, 13 février 1971, Belmondo: .!CP 1871, II, 16774, note Lindon.
41 4 Paris, 3 octobre 1986: D. 1987, somm. p. 137, obs. Lindon & Amson.
4!5 Paris, 13 novembre 1986, Orléans: D. 1987, somm. p. 139, obs. Lindon.
416 Et en même temps du droit à l'image puisque des photographies prises au téléobjectif ont été prises et
publiées pour illustrer« l'indiscrétion commise par ailleurs » : Paris, 5 décembre 1997 : D. 1998, IR p. 32.
4 17 Paris, 12 octobre 1988: D. 1989, somm. p. 359, obs. Amson.
4t8civ.l 0 ,25févrieri997:D.l997,1Rp.93.
41 9 Paris, 20 février 1986 : D. 1986, somm. p. 446, obs. Lindon & Am son.
420 CE, 10 juin 2009 : JCP 2009, act. 80, obs. Rouault.
421 Civ. 2°, 5 juin 2003: D. 2003, IR p. 1809.
422Civ. 1°,7 novembre 2006: D. 2007,jur. p. 700; note Brugiuère.
119
une conception extensive de la notion de vie privée en parlant d'un« droit pour l'individu de
nouer et développer des relations avec ses semblables »423, ce qui va bien au-delà de rapports
par correspondances interposées. Des dispositions pénales s'ajoutent à cette protection (art.
226-15 & 432-9 C. pénal visant les agissements attentatoires au secret des correspondances,
du fait de particuliers ou d'agents de l'administration des postes). On doit étendre le champ
des correspondances aux e-mails, ainsi que 1'a dit de manière emblématique la Cour de
cassation à propos des messageries électroniques des salariés424 . Mais une décision justifie
une surveillance liée à la préoccupation de « sécurité du réseau » lorsque le CNRS avait
décidé l'interception de messages dans le cadre d'incidents survenus entre étudiants: il était
donc admis que les administrateurs puissent faire usage des « possibilités techniques dont ils
disposaient pour mener les investigations et prendre les mesures que cette sécurité
imposait de la même façon que la Poste doit réagir à un colis ou une lettre suspect » ; pour
autant, si cette surveillance et cette interception étaient possibles, la divulgation du contenu
des messages ne l'était pas425.
423 CEDH, 16 décembre 1992 : JCP 1993, 1, 3654, n° 18, chr. Sudre.
424 Soc., 2 octobre 2001 :Petites Affiches 2001, n° 245, p. 6, note Picca.
425 Paris, 17 décembre 2001 : JCP 2002, Il, 10087, note Devèze & Vivant.
426 Riom, 21 décembre 2006: JCP 2007, IV, 2051.
427 V. J. Hauser, La vie privée et l'argent: RTDC 1994, p. 77.
428 Paris, 12janvier 1987: D. 1987, somm. p. 86, obs. Lindon.
429Civ. }0 , 20 novembre 1990: Bull. no 257.
430Civ. 1°,28 mai 1991 : D. 1992,2, p. 213, note Kayser; JCP 1992, Il, 21845, note Ringel.
431 Civ. ]0 , 20 octobre 1993: RTDC 1994, p. 77.
432 Civ. 1°, 15 mai 2007: D. 2007, pan. p. 2773, obs. Bigot; D. 2007, act. jur. p. 1603, obs. Delaporte-Carré;
RTDC 2007, p. 546, obs. Hauser; JCP 2007, II, 10155, note Lasserre-Capdeville; Comm. corn. électr. 2007,
comm. n° 127, note Lepage; RJPF2001, 9, p. 14, obs. Putman.
120
Encore fut-il tenir compte des circonstances dans lesquelles intervient la divulgation
d'informations. Par exemple, lorsque les avis d'imposition de Jacques Calvet ont été publiés
par Le Canard Enchaîné, le journaliste responsable et le directeur de la publication ont été
condamnés pour recel de photocopies d'avis d'imposition obtenues en violation du secret
professionnel433. Mais, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré que «les
questions patrimoniales concernant une personne menant une vie publique, tel un dirigeant
d'une grande entreprise, ne relevaient pas du domaine de la vie privée»; «il convenait de
«déterminer si, dans les circonstances particulières de l'affaire, l'intérêt d'informer le public
l'emportait sur les devoirs et les responsabilités »434.
L'art. 6-1 de la Conv. EDH indique que« l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la
presse et au public pendant la totalité ou une partie du public » lorsque « la protection de la
vie privée des parties au procès l'exige». Ainsi, la partie civile victime de viol peut-elle
décider que les débats ne soient pas publics43S.
• De son côté, la Cour européenne des droits de l'homme a également élargi le domaine de la
vie privée, en allant bien souvent au-delà du strict domaine visé par l'art. 8, § 1 de la
Convention européenne des droits de 1'homme. On a déjà vu quelques exemples de son
intervention dans le cas du transsexualisme. Elle est intervenue en matière d'autorité
parentale (autorité parentale confiée à un père homosexuel), de vie professionnelle ou
religieuse.
433 Crim. 3 avril 1995 : JCP 1995, II, 22429, note Derieux ; D. 1995, somm. p. 320, obs. Pradel.
434CEDH, 21 janvier 1999: JCP 1999, Il, 10120, note Derieux; RTDCom. 1999, p. 783, obs. Deboissy; RTDC
1999, p. 359, obs. Hauser; RTDC 1999, p. 910, obs. Marguénaud & Raynard; RJF 1999, n° 3, p. 325, obs.
Mignon; D. 1999, somm. p. 272, obs. Fricero; JCP 1999, 1, n° 149, obs. Teyssié.- Adde.: F. Deboissy & J.-C.
Saint-Pau, La divulgation d'une information patrimoniale (à propos de 1'affaire Calvel}, D. 2000, 1, p. 267.
435 Crim. 4 janvier 2006 : Comm. com. électr. 2006, comm. n° 135, note Lepage.
121
imputable aux autorités compétentes qui ont « manqué de cohérence et de respect pour
la personne et la vie professionnelle de la requérante » 436.
0 Une certaine jurisprudence de la CEDH fait entrer le droit à un environnement sain dans
le champ de l'art. 8. Une question importante a été posée à la Cour à partir d'une plainte
liée aux nuisances provoquées par les vols de nuits sur l'aéroport d'Heathrow, à la suite
d'un nouveau plan de réglementation de ceux-ci. Le problème amène alors à se demander
si une atteinte à 1'environnement peut porter atteinte au respect de la vie privée et familiale
en référence à l'art. 8 de la Convention EDH. Selon la Cour, «la Convention ne reconnaît
pas expressément le droit à un environnement sain et calme, mais lorsqu 'une personne pâtit
directement et gravement du bruit ou d'autres formes de pollution, une question peut se
poser sous l'angle de l'art. 8 ». Mais, en l'espèce, la Cour a considéré que « les autorités
n'ont pas dépassé la marge d'appréciation dans la recherche d'un juste équilibre entre,
d'une part, le droit des personnes touchées par la réglementation litigieuse à voir respecter
leur vie privée et leur domicile, et, d'autre part, les intérêts concurrents d'autrui et de la
société dans son ensemble »437. Il n'en demeure pas moins que, même si un droit à
1' environnement sain n'est pas reconnu, si la Cour se refuse à adopter « un statut spécial
qui serait accordé aux droits environnementaux de l'homme» ainsi qu'elle le dit, la
décision admet la possibilité d'agir sur le fondement de l'art. 8 au cas où les
réglementations étatiques remettraient en cause l'équilibre entre les intérêts antagonistes438•
Il a, par exemple, été jugé qu'une personne habitant depuis 1950 à trente mètres d'une
usine de stockage de produits dangereux « a subi une atteinte grave à son droit au respect
de son domicile[ ... ]. Ainsi, l'Italie n'a pas su ménager un juste équilibre entre l'intérêt de
la collectivité à disposer d'une usine de traitement de déchets industriels toxiques et la
jouissance effective par la requérante du droit au respect de son domicile et de sa vie privée
et familiale »439. Un prolongement particulier de la jurisprudence relative à
l'environnement peut être remarqué dans l'arrêt du 7 avril 2009 qui évoque le droit à un
environnement sain au profit d'une personne en détention; en l'espèce, le détenu se
plaignait d'odeurs nauséabondes et d'un air vicié du fait de l'existence d'un dépôt
d'ordures à proximité de l'établissement carcéral dans lequel il était placé. La Cour a fait
entrer son « espace de vie » dans le domaine de la vie privée (le substituant en quelque
sorte au domicile) et sanctionné la présence d'un environnement« qui a nui à sa vie privée
et qui n'était pas une simple conséquence du régime privatif de liberté »440. La pollution
atmosphérique du fait de la présence d'une usine de plomb et de zinc a également été
stigmatisée, dès lors que effets nocifs ont été relevés, qu'une passivité des autorités
roumaines a été avérée, l'État n'ayant mis en œuvres des «mesures raisonnables et
adéquates» propres à préserver le« bien-être »des habitants441
0 La CEDH a également ouvert la notion de vie privée et familiale. Par exemple, elle y
fait entrer la protection de la santé et oblige notamment à donner accès aux informations
436 CEDH, 28 mai 2009, Bigaeva cl Grèce: JCP 2009, chr. p. 38, n° 7, obs. Sudre.
437 CEDH, 8 juillet 2003 : D. 2003, somm. p. 2273, obs. Haumont.
438 V. J. Bodart, La protection de 1'environnement par le biais du droit au respect de /a vieprivée et familiale et
du domicile, Aménagement-Environnement 2003, n° 4. - M. Dejeant-Pons, Le droit de l'homme à
l'environnement ... , Rev.jur. env. 1994, p. 373.- Y. Winisdœrffer, Lajurisprudence de la Cour européenne des
droits de l'homme et l'environnement, Rev.jur. env. 2003, p. 213.
439 CEDH, 2 novembre 2006: D.2007,jur. p. 1324, note Marguénaud.
440 CEDH, 7 avril2009, Branduse cl Roumanie: JCP 2009, chr. p. 38, n° 7, obs. Sudre.
441 CEDH, 30 mars 2010, Bacilla cl Roumanie: JCP 2010, act., 452, obs. Sudre.
122
0 Une question spécifique vise le choix de ses pratiques sexuelles44 4. Déjà, la CEDH
avait rappelé que s'il en va de la liberté individuelle en la matière, celle-ci était tout de
même limitée par un impératif de protection des individus contre des blessures 445 . Le
débat a été relancé autour d'une décision de la CEDH considérant que « le droit
d'entretenir des relations sexuelles découle du droit de disposer de son corps, partie
intégrante de la notion d'autonomie personnelle '' ; aussi, pour la Cour, en matière
d'orientation sexuelle, chacun peut «s'adonner à des activités perçues comme étant
d'une nature physiquement ou moralement dommageables ou dangereuses pour sa
personne »446. La pratique sadomasochiste était donc protégée sur le fondement de l'art.
8 de la Conv.EDH, alors que d'autres, la considérant comme acte de barbarie et
traitement inhumain, voulaient la faire sanctionner en référence à l'art. 3. La question a
rebondi avec un arrêt du 16 septembre 2008. En l'espèce, une personne avait une
activité de fabricant et de fournisseur de matériel de BDSM (« bondage, domination et
sadomasochisme ») sur Internet ; cette activité publique était exercée en même temps
que l'intéressé travaillait dans un service de probation spécialisé dans le traitement des
délinquants sexuels. Pour la Cour, si le choix d'une mode de comportement sexuel
relève toujours du domaine protégé par l'art. 8 de la Convention, la nature particulière
des activités de la personne en cause, publiques et auxquelles il ne voulait pas renoncer,
permettait un licenciement, mesure disciplinaire qui n'apparaissait pas disproportionnée
eu égard à la situation créée447. On peut d'ailleurs se demander si l'aspect public de
l'activité devrait faire demeurer celle-ci dans la sphère de la vie privée: la Cour s'était
déjà posé la question à propos de pratiques sexuelles réunissant une quarantaine de
personnes pour des séances sadomasochistes448 ...
• On s'est également interrogé sur le fait de savoir si le nom faisait partie du domaine de la
vie privée. Il est à la fois un élément d'identification de la personne449 et un révélateur
d'éléments familiaux. Cette ambivalence n'a pas échappé à la CEDH, qui constate que le nom
est « un signe sous lequel on se fait connaître et reconnaître », mais également que, « en tant
442 CEDH, 28 avril2009, K. H. cl Slovaquie: JCP 2009, chr. p. 39, n° 7, obs. Sudre.
443 CEDH, 14 février 2008, Habri-Vionnel cl Suisse: D. 2008, pan. p. 1442, obs. Galloux & Gaumont-Prat;
JCP 2008, 1, 167, n° 14, chr. Sudre.
444 Sur cette question : D. Roman, (( Le corps a-t-il des droits que le droit ne connaît pas >> ?. La liberté sexuelle
et ses juges: étude de droit français et comparé, D. 2005, chr. p. 1508.
445 CEDH, 19 février 1997 : D. 1997, 2, p. 97, note Larralde.
446 CEDH, 17 février 2005, KA & AD cl Belgique: D. 2006, somm. P. 1200, obs. Galloux & Gaumont-Prat;
RDPubl. 2006, p. 805, obs. Levinet ; JCP 2005, chr. 1, 159, no 12, obs. Sudre. - Adde. : M. Fabre-Magnan, Le
sadisme n'est pas un droit de 1'homme, D. 2005, chr. p. 2973 ; Controverse sur la liberté personnelle et
l'autonomie de consentement, Droits n° 48, avril 2009, p. 3.
447 CEDH, 16 septembre 2008, Pay cl Royaume-Uni: D. 2009,jur. p. 1861, note Marguénaud & Mouly.
448 CEDH, 19 février 1997, Laskey, Jaggard & Brown : D. 1998, jur. p. 97, note Larralde ; RTDH 1997, p. 738,
obs. Levinet.
449 V. supra les développements relatifs aux éléments de l'état civil.
123
que moyen d'identification personnelle et de rattachement à une famille, [il] concerne la vie
privée et familiale de cette personne »450. Selon la jurisprudence, il « échappe par sa nature à
la sphère de la vie privée »451.
Toutefois, les révélations qui sont faites et qui mettent en jeu le nom peuvent être
sanctionnées sur le fondement d'une atteinte au respect de la vie privée. Il en va ainsi, par
exemple, lorsqu'on dévoile la véritable identité d'une personne connue sous pseudonyme, de
surcroît en donnant des indications sur les coordonnées (adresse et téléphone) de la
personne452 (si, de surcroît, le pseudonyme est celui de l'auteur d'une œuvre, il y aurait
atteinte au droit moral de l'auteur dans l'hypothèse où l'on exploiterait sa création sous sa
véritable identité, solution qui s'applique aussi si l'intéressé a choisi l'anonymat453). Un arrêt
de la Cour de cassation a considéré qu'il y a atteinte à la vie privée lorsque l'identité d'origine
de celui qui a fait procéder légalement à un changement de nom, du fait de sa consonance
étrangère, est révélée454.
La question du respect de la vie privée prend une acuité particulière dans certaines
circonstances.
La question du respect de la vie privée est plus délicate à traiter s'agissant de personnes
célèbres, ou ayant des fonctions de responsabilité, ou encore placées sous les feux de
l'actualité à l'occasion d'un événement. Sans aller jusqu'à viser les comportements limites de
certains paparazzi, ou d'une presse qui se nourrit de révélations, c'est évidement le rôle des
médias qui est ici enjeu455. La CEDH elle-même a bien indiqué que la sphère de la vie privée
est plus importante chez une personne ordinaire que chez une personne publique456,
Un premier problème tient à la délimitation de la vie privée et de la vie publique (que dire
quand un événement lié à la vie privée se déroule en public457 ?). De manière plus générale et
plus fondamentale, s'opposent ici le droit au respect de la vie privée et la liberté d'expression.
Cette dernière, fondamentale, est d'ailleurs aménagée par des textes emblématiques:
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (art. Il), loi de 1881 sur la liberté
de la presse (art. 1°), Convention européenne des droits de 1'homme de 1950 (art. 10, § 1).
450 CEDH, 22 février 1994, Burghartz d Suisse : D. 1995, jur. p. 5, note Marguénaud.
451 Paris, 30 octobre 1988 : D. 1998, IR p. 259 ; RTDC 1999, p. 61, obs. Hauser.
452 Paris, 15 mai 1970: D. 1970,jur. p. 466, concl. Cabannes, note P. A. & H. M.
4 53 Paris, 17 février 1989 in chr. B. Edelman, JCP 1989, /, 3376.- G. Bonet, L'anonymat et le pseudonyme en
matière artistique, thèse, Paris, 1966.
454 Ci v. 1°, 7 mai 2008 : D. 2008, act. p. 1481, obs. Le Douaron.
455 M. Domingo, La protection de la personne face aux médias, Gaz. Pal. 1994, 2, doctr. p. 1427. Adde: CE, 11
mars 1994, La Cinq: AJDA 1994, p. 402; chr. C. Maugüé & L. Touvet, ibid., p. 370.
456 CEDH, 1 l janvier 2005 : JCP 2005, chr. 1, 159, n° 13, obs. Sudre.
457 TGI Paris, ré(, 7 mai 1974: D. 1974,2, p. 530, note Lindon.
124
Or, par principe, toute personne, quelle que soit sa notoriété a droit au respect de sa vie privée
(comme cela fut rappelé au demeurant s'agissant des frasques du prince Karim Aga Khan458);
à l'occasion d'une interview, même, le respect de la vie privée de la personne interviewée
s'impose 459 . La Cour de Paris a sanctionné l'annonce sur les réseaux nationaux d'information
de l'internement psychiatrique d'un maire sortant, candidat aux élections municipales sur le
fondement de l'atteinte à l'intimité de la vie privée et du secret attaché à l'état de santé de
l'intéressé, sans qu'on puisse y opposer qu'il s'agissait d'une information légitime460. Comme
le dit une ordonnance de Nanterre, le seul fait qu'une personne soit un homme politique ne
prive pas celui-ci de la possibilité d'avoir «des moments strictement privés de détente et de
loisirs »461• La jurisprudence veille également au respect de la vie privée des mineurs. Ainsi,
l'article publié à propos de la fille d'une famille princière en évoquant son âge, sa scolarité ou
ses goûts porte atteinte au respect de sa vie privée : aucune implication dans un événement
d'actualité n'aurait pu justifier telle publication; de même, les photographies accompagnant
cet article, même prises au cours de manifestations publiques, portent atteinte au droit à
l'image dès lors qu'elles illustrent un article portant atteinte à sa vie privée 462.
L'annonce d'un événement familial peut servir d'exemple. Un article publié à propos de
l'annonce du mariage d'une présentatrice de télévision ne peut par principe être sanctionné,
dès lors qu'il s'agit d'un événement, même si un mariage relève évidemment de la vie
privée; dans cette affaire, il est intéressant de voir que la Cour cassa l'arrêt d'appel qui avait
distingué entre le mariage et les <<digressions et les commentaires relatifs aux circonstances
de la rencontre des intéressés, leurs sentiments, leurs projets et autres détails », ce qui laisse
supposer implicitement une certaine liberté de la presse qui traite le sujet et qui pourrait
utiliser des éléments visant des moments de la vte privée antérieurs au manage pour
commenter celui-ci467.
467 Civ. 2°, 8 juillet 2004 : D. 2004, IR p. 2694.- JCP 2004, IV, 2924.
468 Paris, 7 novembre 2001 : D 2002, somm. p. 2372, obs. Marino.
469 TGI Paris, réf., 18 janvier 1996, consorts Mitterrand: JCP 1996, Il, 22589, note E. Derieux. - E. Agostini,
Le grand secret, D. 1996, 1, p. 58.- Adde. : Paris, 13 mars 1996 : Gaz. Pal. 22-23 mars 1996, p. 5, obs. B.
Gizardin.
470 TGI Paris, 23 octobre 1996, consorts Mitterrand: RIDA 1997, n° 171, p. 389.
471 CEDH, 18 mai 2004: Légipresse n° 215, octobre 2004, p. 173, noteE. Derieux; D. 2004, somm. p. 2539,
obs. Fricero.
126
Balance des intérêts, passage du temps : y a-t-il une interprétation ultralibérale de la liberté
d'expression par la CEDH472?
Il reste à savoir jusqu'où on peut considérer qu'il y a vie publique, ou pour le moins exercice
d'activités ou de fonctions qui peuvent justifier la diffusion d'informations sur une personne.
Ainsi, un arrêt avait sanctionné l'édition d'un hebdomadaire révélant les noms et prénoms de
dirigeants de loges franc-maçonniques, ainsi que leurs fonctions au sein de l'ordre, sur la base
de l'atteinte à la vie privée (intimité des convictions philosophiques de chacun, sanction de
leur révélation publique non autorisée). La Cour de cassation a censuré cette décision au
motif qu'il n'y a pas d'atteinte à la vie privée dans« la révélation de l'exercice de fonctions
de responsabilité ou de direction au titre d'une quelconque appartenance politique, religieuse
ou philosophique »473. Autrement dit, si les convictions appartiennent à la sphère de la vie
privée, on ne peut s'en prévaloir pour empêcher la révélation d'exercice d'activités
(politiques, associatives ... ) dans ces domaines; en quelque sorte, l'engagement prive alors
d'agir sur ce point.
D'une manière générale, on ne peut s'appuyer sur un élément de la vie privée du salarié pour
le sanctionner. Ainsi, relève de la vie privée le fait de s'être fait envoyer une revue échangiste
sur son lieu de travail474. Mais, nous avons vu la limite opposée par la CEDH, du fait de
circonstances particulières, à cette protection, s'agissant précisément du choix de ses
pratiques sexuelles475 . L'arrêt de la CEDH peut être rapporté à la jurisprudence sociale selon
laquelle la particularité des fonctions ou de l'activité peut limiter la protection de la vie
privée476 : par exemple, un éducateur ne peut recevoir à son domicile une mineure dont il a
professionnellement la charge au sein d'un établissement dans le but d'organiser un téléthon;
même s'il s'agit d'une restriction à la liberté d'user de son domicile, celle-ci est justifiée par
la nature du rapport à entretenir avec les personnes placées en établissements spécialisés477 .
Plusieurs décisions visent l'écoute des conversations des salariés478, jusque dans des
hypothèses particulières : ainsi a été sanctionné le fait d'enregistrer une conversation entre
deux salariés pour la diffuser devant l'ensemble du personnel479. Sans aller jusqu'à de tels cas
outranciers, le simple enregistrement de conversations sans autorisation constitue une atteinte
à la vie privée qui peut être sanctionnée pénalement par l'art. 226-1 C. pénal: l'infraction est
constituée par la captation, l'enregistrement ou la transmission de propos tenus à titre privé ou
Il ne faut pas en déduire que le salarié peut largement utiliser Internet à titre privé sur son lieu
de travail ; ainsi, le fait se connecter de manière manifestement excessive, sur son lieu de
travail et à des fins non professionnelles, en effaçant 1'historique des connexions, constitue
une faute grave qui peut être sanctionnée par un licenciement494. Il existe d'ailleurs, dans les
entreprises, une charte informatique que les salariés doivent respecter49S. L'informatique
nécessitant une maintenance, le salarié ne peut, au nom du respect de sa vie privée, empêcher
l'administrateur des réseaux d'avoir accès à ses messages, même lorsque ceux-ci sont
qualifiés de personnels ou classés comme tels; mais, naturellement, l'administrateur est tenu
d'une obligation de confidentialité dans l'exercice de sa mission496.
0 L'astreinte (redéfinie par la« loi Fillon »du 17 janvier 2003), qui permet de tenir
un salarié à disposition de l'employeur pendant ses temps de repos, impose la
disponibilité du salarié, qui peut certes utiliser son temps libre comme bon lui
semble, mais se voit opposer des contraintes (rester à son domicile ou être joignable,
ne pas s'éloigner, pourvoir répondre à un sollicitation sur le champ, etc.). Qu'il y ait
interférence avec la vie privée est indéniable, et l'on s'est demandée si cette atteinte
pouvait être sanctionnée. La Cour d'appel de Lyon s'y refuse: «le principe du droit
du salarié à l'intimité de sa vie privée ne fait pas obstacle à l'organisation d'un
système d'astreinte auquel le salarié est soumis pendant les périodes de repos
journalier ou hebdomadaire >>498.
0 La clause de mobilité est celle qui, dans un contrat de travail, prévoit, comme son
nom l'indique, le déplacement ou le changement d'affectation du salarié. Par
principe, le refus du déplacement constitue dès lors un manquement à 1'obligation
contractuelle, mais pas une faute grave du salarié justifiant son licenciement499.
S'applique en outre le principe d'une exécution de bonne foi du contrat de travail.
Ainsi, la clause de mobilité ne doit pas être étrangère aux intérêts de l'entreprisesoo.
Elle ne doit pas non plus heurter, dans certaines circonstances, la vie familiale du
salarié : c'était le cas, selon quelques décisions, visant des employeurs qui voulaient
imposer un déplacement immédiat à un salarié se trouvant dans une situation
familiale difficile 501 , ou imposer une disponibilité à une salariée mère d'un enfant
handicapé qui devait s'occuper de celui-ci à l'heure du déjeunerso2. Il reste alors une
question de preuve à trancher: la bonne foi dans l'exécution d'un contrat étant
présumée, une Cour d'appel avait rejeté la demande d'une salariée licenciée faut
pour elle d'avoir prouvé la mauvaise foi de l'employeur (en l'espèce, la clause de
mobilité prévoyait des déplacements en France et à l'étranger, ainsi que la possibilité
de demander à une salariée d'effectuer des missions justifiant l'établissement
temporaire de sa résidence sur place). La chambre sociale a cassé cette décision pour
défaut de base légale au motif que les juges du fond n'avaient pas recherché si la
mise en œuvre de la clause portait atteinte à la vie personnelle (v. infra sur cette
notion) et familiale de l'intéressée (outre qu'elle devrait être justifiée par la nature du
travail et proportionné au but visé)S03.
Il est constant que, dans les recherches de preuves d'une faute imputable au salarié,
1'employeur ne peut user de moyens qui porteraient atteinte à sa vie privée. La Chambre
sociale est intervenue plusieurs fois à cet égard, sanctionnant un mode de preuve illicite tant
que la procédure utilisée n'avait pas été portée à la connaissance des salariés504. Un arrêt
ultérieur de la Chambre sociale condamne la pratique des filatures beaucoup plus par
principe, sans lier cette condamnation au fait de ne pas avoir averti le salarié ; mais elle
introduit une possibilité de justification ouverte à l'appréciation des juges : « Une filature
organisée par l'employeur pour contrôler et surveiller l'activité d'un salarié constitue un
moyen de preuve illicite dès lors qu'elle implique nécessairement une atteinte à la vie privée
de ce dernier, insusceptible d'être justifiée, eu égard à son caractère disproportionné, par les
intérêts légitimes de tt employeur »505; on remarque aussi que la décision est rendue sous le
triple visa des dispositions du Code civil, de la Convention EDH et du Code du travail. Déjà,
il avait été jugé qu'il y a immixtion arbitraire dans la vie privée lorsqu'une personne fait
l'objet d'une surveillance disproportionnée avec le but à atteindre, en l'occurrence lorsqu'un
ancien employeur fait épier, surveiller et suivre une personne pour vérifier si elle ne déroge
pas aux dispositions d'une clause de non-concurrence506.
• La notion de vie personnelle du salarié a vu le jour à côté de celle de vie privée. Il s'agit
d'un domaine dans lequel des faits sont étrangers à l'activité professionnelle, mais sans pour
autant entrée dans la sphère de la vie privée puisque ne dévoilant rien de l'intimité de celle-ci.
La jurisprudence défend également cette sphère de vie personnelle, par exemple face à un
employeur qui avait pris prétexte d'une condamnation du fait d'alcoolémie pour sanctionner
un salarié (les faits étant survenus hors du cadre et du temps de travail). II a été jugé que
l'adhésion à un syndicat relevait de la vie personnelle: aussi, le syndicat qui voulait prouver
l'existence d'une section au sein d'une entreprise ne pouvait-il fournir une liste nominative de
ses adhérents sans porter atteinte à la vie personnelle du salarié507.
• L'existence de ce que l'on nomme un emploi de tendance constitue toutefois une limite
importante au respect de la vie privée du salarié. On désigne ainsi le travail effectué pour le
compte d'un employeur dont l'activité est exercée sur la base de convictions religieuses ou
philosophiques, le salarié ayant alors une obligation de loyauté particulière en lien avec la
morale de l'établissement. Partant donc du principe selon lequel, «au regard de la Convention
[EDH], un employeur dont l'éthique est fondée sur la religion ou une croyance
philosophique » a la possibilité d' «imposer à ses employés des obligations de loyauté
spécifique», la Cour européenne des droits de l'homme a estimé que le licenciement d'un
dirigeant pour l'Europe de l'Église mormone du fait d'une relation adultère était justifié (au
regard de la position qu'il occupait), mais que celui d'un organiste chef de chœur d'une
paroisse catholique pour liaison extraconjugale avec naissance d'un enfant ne l'était pas
(notant une insuffisance de la prise en considération du poste occupé et de la difficulté à
trouver un autre emploi)Sos.
Cl1amp d'application du secret La loi du 4 mars 2002 relative aux droits malades et à la
médical: qualité du système de santé509 traite à la fois du secret des
informations médicales et du respect de la vie privée. L'art.
« L'ensemble des informations
concernant la personne venue à la L. 1110-4 du Code de la santé publique dispose dorénavant
connaissance des professionnels de que « toute personne prise en charge par un professionnel,
santé, de tout membre du personnel un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme
et de toute autre personne en participant à la prévention et aux soins a droit au respect de
relation, de par ses activités, avec sa vie privée et du secret des informations la concernant».
ces établissements».
[4] La vie privée des débiteurs
Les procédures de saisie aménagent des possibilités d'agir qui interfèrent avec la vie privée du
débiteur. Par exemple, l'huissier de justice peut engager une procédure auprès du procureur de
la République pour rechercher des informations sur le débiteur ; mais l'objet de cette
507 Soc., 8 juillet 2009 : D. 2009, jur. p. 2393, note Loi seau.
508 CEDH, 23 septembre 2010, 2 espèces (Obst d Allemagne, n° 425-03 & Schüth d Allemagne, n° 1620-03):
JCP 2010, act. 1006, obs. Levinet.
509 JO 5 mars 2002, p. 4118.
131
La récollection des informations sur la situation patrimoniale d'un ménage a constitué une
atteinte à l'intimité de la vie privée. Une caisse de retraite avait adressé à la mairie de la
commune dans laquelle résidait un de ses assurés, débiteur de cotisations, un questionnaire
portant sur des éléments liés à l'identité de celui-ci et à celle de son conjoint, à son adresse,
ainsi qu'à la situation professionnelle et patrimoniale du ménage ; pour la première chambre
civile, « la seule qualité de créancière de cotisations dues au titre du régime de retraite ne
justifie pas une telle intrusion dans la vie privée », et « les juges du fond ont, à bon droit,
refusé de communiquer de telles informations, relatives à la vie privée »5 12.
On imagine aisément que les besoins de l'instruction nécessitent des investigations qui
interfèrent avec la vie privée : surveillance, écoute, etc. Le Code de procédure pénale prévoit
des actes de surveillance dans diverses hypothèses (art. 706-73, 706-74, 706-80), ainsi que
des modalités de mise en place par l'officier de police judiciaire, qui doit notamment en
aviser le procureur de la République, lequel peut être amené à s'y opposer.
La Cour européenne des droits de 1'homme est intervenue à propos de la surveillance par GPS
du véhicule d'un complice présumé d'attentats à la bombe. Il est bien relevé que l'installation
du dispositif sur le véhicule et la surveillance des déplacements qui en écoule font ingérence
dans la vie privée; mais, en considérant, entre autres, l'impératif de sécurité nationale, elle a
jugé que la mesure mise en place était justifiée et n'était pas disproportionnée avec la gravité
des faits suspectés, au regard de l'art. 8, 2 de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme513.
Le régime français d'application des peines se soucie peu du droit à une vie privée et
familiale de la personne incarcérée. On sait par exemple que la possibilité d'avoir une vie
sexuelle se heurte à un certain archaïsme. D'une part, à la différence de ce qui se pratique
dans certains pays étrangers, peu d'unités de vie familiale ont été aménagées dans les
établissements français. D'autre part, les demandes des détenus à cet égard sont souvent
rejetées sur le fondement de mesures d'ordre intérieur. Ainsi, dans deux affaires Remli, les
tribunaux administratifs ont-ils rejeté une demande tendant à modifier la configuration des
parloirs afin que les détenus puissent entretenir une vie conjugale normale avec leurs épouses,
puis refusé d'annuler une décision de l'administration pénitentiaire refusant le transfert du
détenu vers un autre établissement pour permettre un rapprochement familial5I4.
Des décisions antagonistes ont été rendues en matière d'écoute des conversations des détenus
au parloir. La CEDH avait considéré que l'enregistrement de conversations constituait une
ingérence dans le vie privée des détenus, et indiqué que le droit français ne comportait pas
assez de précisions sur les modalités d'intervention des autorités dans ce domaine, et
notamment quant à leur pouvoir d'appréciation du fait de pouvoir procéder à des écoutes5Is.
Mais, un arrêt de la chambre criminelle valide ces écoutes après que l'enregistrement ait été
ordonné par une commission rogatoire et que le respect des textes permettant sa mise en
œuvre est avéré5I6.
Deux décisions de la CEDH s'opposent, cette fois à propos de l'accès des détenus à
l'insémination artificielle. D'abord refusée5I7, elle a été admise deux ans plus tard. Cette
nouvelle décision intervenait alors qu'un couple, dont le mari était incarcéré pour une durée
de quinze ans, n'avait pas été autorisé à faire procéder à l'insémination de l'épouse, les
juridictions nationales ayant statué au vu de 1'intérêt de 1' enfant qui ne connaîtrait pas son
père. Pour la Cour, «si l'État a une obligation positive de garantir la protection effective des
enfants, [... ] cela ne peut aller jusqu'à empêcher les parents qui le désirent de concevoir un
enfant dans des circonstances telles que celles de l'espèce, d'autant que la requérante était en
liberté et pouvait, jusqu'à la libération de son mari, prendre soin de l'enfant éventuellement
conçu »518 .
On comprend bien que les événements historiques échappent dans une certaine mesure aux
réserves dues au respect de la vie privée. Néanmoins, certaines limites peuvent voir le jour.
Par exemple, l'actualité judiciaire peut amener à dévoiler des éléments de la vie privée51 9 ;
toutefois, la jurisprudence a eu l'occasion d'affirmer, à propos du film de Michel Drach sur
l'affaire Ranucci, que le cinéaste heurtait « un sentiment de pudeur morale élémentaire qui
appartient à ce qu'il y a de plus intime chez tout individu », et que certaines scènes devaient
être soumises à l'approbation des parents du condamné52o.
Faire revivre dans une œuvre de fiction des faits réels liés à une affaire criminelle ne porte pas
forcément atteinte à la vie privée: les éléments sont connus du public et repris dans «une
création obéissant au principe de liberté qui régit cette matière » selon une décision qui
considère au passage que le« droit à l'oubli» est« tout à fait hypothétique» dans la mesure
514 Trib. adm. Clermont-Ferrand, 7 juillet 2000 & Trib. adm. Versailles, 15 décembre 2000:D. 2002, chr. p.
l 14, obs. M. Herzog-Evans.
515 CEDH, 20 décembre 2005: D. 2006,jur., p. 764, note Roets.
516 Crim., 1° mars 2006: D. 2006, IR p. 1249.
517 CEDH, 18 avril2006: JCP 2006, 1, 164, chr. Sudre, no 8.
518 CEDH, 4 décembre 2007, Diskson cl Royaume-Uni: D. 2008, pan. p. 1446, obs. Galloux.
519 TGI Paris, réf., 27 février 1970: JCP 1970, II, 16293. -TGI Paris, réf., 6 décembre 1979: D. 1980, Il,
p. 150, note Lindon.
520 Paris, 6 octobre 1982, Le pu/l-over rouge : D. 1983, 2, p. 185, note R. Lindon.
133
où 1' affaire n'était vieille de que de trois ans et encore présente dans les esprits5 21 • Dans le
même sens, il n'y a pas non plus automatiquement atteinte à la vie privée ou à la dignité des
parents d'une victime lorsqu'un ouvrage remet en cause la culpabilité d'un condamné. Pour la
Cour d'appel d'Aix-en-Provence, «le rappel d'informations à l'occasion de l'expression
d'opinions sur un fait criminel qui appartient à l'histoire judiciaire n'est pas en soit porteur
d'une atteinte à la vie privée dès lors que l'interrogation portée sur la culpabilité du condamné
et le militantisme pour la révision du procès induisent nécessairement le rappel des faits déjà
rendus publics». Vingt ans après l'assassinat d'un enfant, un ouvrage dont les juges ne
manquent de rappeler qu'il «ravive évidemment la douleur de ses proches» ne porte
«aucune atteinte concrète et tangible[ ... ] au respect de l'une quelconque des composantes de
leur vie privée ou de leur dignité »s22. Certes, la Cour de cassation a bien confirmé
l'interdiction de la diffusion de certains passages du film documentaire de Raymond
Depardon, Faits divers, portant sur des faits rendus publics, mais il s'agissait d'appliquer une
ordonnance d'interdiction plus ancienne, ce qui rend cette décision isolée (on peut toujours
débattre pour savoir si le temps doit générer l'oubli, mais il n'interfère pas avec le caractère
exécutoire d'une décision dejustice ... )52J.
des éléments relatifs à sa grossesse. Il n'y a pas d'atteinte à la vie privée au motif que la
grossesse est manifeste et que les détails donnés étaient anodins526.
Les tribunaux se plient à cette jurisprudence. Ainsi, il a été décidé que l'évocation d'un drame
conjugal dans l'émission Faites entrer l'accusé ne porte pas atteinte à la vie privée dès lors
qu'ils sont liés «indissolublement» (comme dit le juge des référés) à l'évocation de faits
publics ; la décision précise aussi, ce qui est intéressant, que l'émission peut se situer tant sur
terrain judiciaire que sur plan sentimental527. On a refusé également une demande
d'interdiction de diffusion du téléfilm Rien dans le poches par Canal +, introduite par un
demandeur qui considérait que l'un des personnages s'inspirait de lui, au motif qu'on ne
pouvait l'identifier dans le film au travers du personnage de fiction et que les faits relatés
étaient notoires et anodins, ce qui excluait l'atteinte aux droits de la personnalité ; il est
singulier, dans cette affaire, de voir que l'intéressé demandait aussi l'insertion de son nom au
générique du film, ce qui lui a été refusé528, et qui était pour le moins antinomique avec une
demande d'interdiction visant plus à préserver une discrétion à son égard529 ...
Le fait de dévoiler qu'une procédure est engagée contre une personne ne constitue pas une
atteinte au respect de la vie privée: à l'occasion de la publication d'un article, la Cour de
cassation a confirmé qu'une affaire financière en cours (avec émission d'un mandat d'arrêt
international), les titres de la personne publique en cause, sa fuite à l'étranger et ses activités
relevaient de l'actualité judiciaire et de la liberté d'informer; en revanche, la révélation de
conversations de la personne avec sa compagne et des relations avec leurs enfants
constituaient une atteinte à la vie privée530.
Il est souvent débattu de l'incidence des révélations faites par une personne sur la possibilité
d'agir par la suite sur le fondement du respect de la vie privée5Jt. Pour le moins, on en tiendra
compte dans l'évaluation du préjudice: «Le fait que les intéressés ont fait de nombreuses
révélations sur leur vie privée atténue le préjudice que la publication litigieuses leur a
causé »532.
Mais renonce-t-on pour autant aux prérogatives liées à la protection de la vie privée ? Tout
dépend d'abord ce que livre l'intéressé. Ainsi, le fait pour une personne d'exposer sa vie
privée dans le cadre d'une émission de télévision ne permet pas toutes les révélations sur
celle-ci. C'est ce qui a été décidé dans une affaire consécutive à l'émission Loft Story par le
Tribunal de grande instance de Nanterre: «Le fait qu'une personne participe volontairement
533 TGI Nanterre, réf., 31 mai 2001: Comm. com. é/ectr. 2001, n° 7-8, p. 31, note Lepage. On aura soin de
mettre cette décision en parallèle avec la convention entre TF1 et le CSA visée précédemment.
534 TGI Paris, réf., 1° juin 2011: JCP2011, 882.
535 Civ. 2°, 6 janvier 1971, précité.
536 Civ. 2°, 14 novembre 1975: D. 1976,jur. p. 421, note Edelman.
537 Paris, 27 janvier 1989: JCP 1989, li, 21325, note Agostini.
136
538 TOI Paris, 4 février 1988, Lara : JCP 1988, II, 21107, note Agostini. - TGI Nanterre, 3 mars 1999:
Légipresse 1999, 1, p. 75.- TGI Paris, 8 septembre 1999: D. 2000, somm. p. 271, obs. Caron; Comm. com.
électr. 2000, comm. n° 60, note Lepage. - TGI Nanterre, 20 décembre 2000 : Comm. com. électr. 2001, comm.
n° 54, note Lepage. - TGI Paris, Il décembre 2002: Légipresse 2003, n° 200, 1, p. 50. - TGI Paris, 5 avril
2006 : D. 2006, pan. p. 2704, obs. Marino ; Légipresse 2006, n° 233, 1, p. 108.
539 Civ. 1°,3 avril2002,précité.
540 Civ. 2°, 3 juin 2004: D. 2005, pan. p. 2647, obs. Bigot.
541 Limoges, 23 septembre 2003 : D. 2003, IR p. 2411.
542 Civ. ) 0 , 7 octobre 2004: D. 2005; jur. p. 122, note Bonfils; RTDC 2005, p. 135, n° 19, obs. Mestre &
Fages ; AJ Péna/2005, p. 30, obs. Enderlin ; Comm. com. électr. 2005, comm. n° 11, note Stoffel-Munck.
543 Civ. ) 0 , 6 octobre 2011 : D. 2011, p. 2771, noteE. Dreyer; Comm. com. é/ectr. 2012, comm. n° 6, note A.
Lepage.
137
Toutefois, l'interception des télécommunications peut être nécessaire pour des motifs d'ordre
public, et il faut alors trouver à nouveau un équilibre entre deux intérêts antagonistes. Tout un
dispositif légal encadre, en France, le recours possible aux interceptions : elles doivent faire
l'objet d'une autorisation du juge (lorsqu'elles sont pratiquées à des fins judiciaires) ou par le
chef du gouvernement (s'il s'agit d'interceptions à des fins de sécurité). Deux résolutions du
Conseil de l'Europe (du 15 janvier 1995 et du 3 mai 1999544) ont vu le jour à cet égard. Un
principe de respect de la vie privée y est réaffirmé, tandis que les interceptions légales doivent
constituer une exception.
Dans quelques hypothèses particulières, la qualification pénale de violence (art. 227-7 & s. C.
pénal) peut être retenue pour des faits qui visent une atteinte à l'intimité et à la vie privée. Il
en va par exemple d'une photographie de femme prise alors qu'elle était ceinturée et que sa
poitrine était dénudée (il y a eu précisément dans cette affaire requalification de l'atteinte à
l'intimité de la vie privée en agression sexuelle)548, enregistrement vidéo par dissimulation
d'un caméscope dans une housse pour filmer sous les jupes des femmes dans des lieux
publics549, ou divulgation de l'identité et des coordonnées d'une femme, à son insu, sur un
site Internet de rencontres en la présentant comme désireuse d'établir des relations
544 V. : <europa.eu.int>.
545 Ci v. 1°, 25 janvier 2000: D. 2000, somm. p. 267, obs. Lepage.
546 Soc., 26 novembre 2002 : D. 2003, jur. p. 1858, note Bruguière ; ibid. somm. p. 394, obs. Fabre ; ibid. p.
1536, obs. Lepage ; RTDC 2003, p. 58, obs. Hauser ; Dr. socia/2003, p. 225, note Savatier; JCP 2003, 1, 150,
n° 1, obs. Teyssié.
547 Civ. 2°, 3 juin 2004 : RTDC 2004, p. 489, obs. Hauser; D. 2004, jur. p. 2069, note Ravanas.
548 Crim. 19 septembre 2006: Comm. com. électr. 2006, comm. n° 164, note Lepage.
549 Douai, 1° mars 2006 : Comm. com. électr. 2006, comm. n° 165, note Lepage.
138
sexuelles550. La violence est caractérisée à chaque fois par le choc psychologique, soit direct,
soit indirect (les hommes téléphonant à la femme dans le troisième exemple).
Lorsqu'il s'agit de prouver un fait, ou de confirmer une situation, dans quelle mesure
l'administration de la preuve peut-elle se concilier avec le respect de la vie privée? Nous
retrouverons cette problématique lorsqu'il s'agit, dans le cadre du divorce, de rapporter la
preuve de la faute du conjoint, ce qui débouche souvent sur des révélations quant à la vie
privée. De même, le fait de faire épier et suivre une femme par un détective privé pour
rechercher les éléments de son train de vie et l'existence d'un concubinage, au motif qu'il
fallait pouvoir établir la réalité des revenus devant le juge aux affaires familiales a été
sanctionnéS 51.
Hors des hypothèses interférant avec le droit de la famille, la question s'est posée à diverses
reprises, et la première chambre civile enjoint les juges du fond à « caractériser la nécessité de
la production [de la preuve] quant aux besoins de la défense et sa proportionnalité au but
recherché552; une lettre peut donc être produite en justice à titre de preuve sans qu'il soit
besoin de demander une autorisation à son auteur dans le cadre d'un contentieux relatif à une
indivision successoralem .. On ne peut pas non plus s'abriter derrière les dispositions de l'art
9 pour refuser de remettre à un employeur son relevé de carrière, seule preuve possible de la
situation du salarié lors d'une mise à la retraite anticipée554. Il a également été jugé que la
preuve rapportée à un assureur au moyen d'une filature ne constituaient pas des atteintes
disproportionnées à la vie privée de la personne suivie555.
Le droit au respect de la vie privée présente un caractère individuel, ne vise que les atteintes
subies personnellement par l'intéressé, et ne se transmet pas aux héritiers. La Cour de Paris a
ainsi décidé que des articles de presse relatifs au suicide d'un avocat ne pouvait porter atteinte
à sa vie privée (puisqu'il était décédé) et qu'une demande d'indemnisation par sa veuve et son
fils était irrecevable (le droit n'étant pas transmissible aux ayants cause. En outre, dans cette
affaire, il n'y avait pas non plus atteinte à la vie privée des demandeurs eux-mêmes puisque
les articles incriminés ne faisaient que relater les circonstances de la mort de l'avocat556 .
Le fait que l'intéressé lui-même ait dévoilé certains aspects de sa vie privée dans des récits
autobiographiques peut aussi priver sa veuve de la possibilité d'invoquer, lors de la parution
d'un ouvrage ultérieur, l'atteinte au respect de la vie privée, ainsi qu'il en a été décidé à propos
d'une publication relative au dernier empereur de Chine, Pu Yi557.
550 TGI Carcassonne, 16 juin 2006 : Comm. com. électr. 2006, comm. n° 132, note Lepage.
551 Civ. 2°, 3 juin 2004,précité.
552 Civ. 1°, 16 octobre 2008 : Comm. corn. électr. 2009, n° 7-8, p. 40 (/ espèce), note Lepage.
0
553 Civ. } 5 avril20l2: Comm. corn. électr. 2012, comm. n° 83, note Lepage.
0,
554 Soc, 13 mai 2009: Comm. com. électr. 2009, no 7-8, p. 40 (2° espèce), note Lepage.
555 Civ. 1°,31 octobre 2012: Comm. corn. électr. 2012, comm. n° 137, note A. Lepage.
556Paris, 6 mai 1997: D. 1997,1R. p. 160.
557 Civ. 1°, 10 octobre 1995, Li ShuXian: JCP 1997, Il, 22765, note Ravanas.
139
A. La liberté d'expression
La Cour a persisté en ce sens au travers d'un arrêt du 9 juillet 2003, rendu à propos de la
publication dans un périodique, sous forme de feuilleton estival, d'éléments liés à une affaire
de disparition. Visant à la fois les art. 8 & 10 de la Convention EDH et l'art. 9 duC. civil, elle
considère que« les droits au respect de la vie privée et à la liberté d'expression[ ... ] font ainsi
devoir au juge saisi de rechercher leur équilibre et, le cas échéant, de privilégier la solution de
1'intérêt le plus légitime » ; mais, il faut remarquer que, dans cette décision, la Cour distingue
entre les publications, en considérant que «le respect de la vie privée s'impose avec
davantage de force à l'auteur d'une œuvre romanesque qu'à un journaliste remplissant sa
mission d'informatiom>s6o.
Dans le domaine de l'information, la liberté d'expression est également visée par la loi du 29
juillet 1881 sur la presse. Il est constant que, si la liberté d'expression doit être respectée,
certains abus peuvent être sanctionnés. Mais, la Cour de cassation, en Assemblée plénière, a
considéré que «les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet
1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'art. 1382 du Code civil», ce qui signifie
que ce corpus est autonome561. Un juge des référés fait dire plus à ce principe lorsqu'il
considère que « le principe de légalité exige que toute restriction apportée à la liberté
d'expression soit inscrite dans le droit positif» et que, dès lors, «seule l'existence d'une
diffamation au sens de la loi sur la presse serait susceptible de caractériser le trouble
allégué». En l'espèce, il s'agissait d'une action engagée contre le producteur du film de
Constantin Costa-Gavras, Amen, du fait de la présence dur l'affiche d'une croix qui se
prolongeait par le bas en croix gammée562.
- Suite à un article concernant une encyclique et soutenant que la religion catholique, dans
une perspective antisémite, avait favorisé l'Holocauste, son rédacteur avait été condamné du
fait de diffamation publique envers un groupe de personnes en raison de leur appartenance à
une religion (loi du 29 juillet 1881, art. 32). Saisie au nom de la liberté d'expression, la
CEDH considère l'article comme« une contribution, par définition discutable, à un très vaste
débat d'idées déjà engagé, sans ouvrir une polémique gratuite ou éloignée de la réalité des
réflexions contemporaines» (en ce sens, le fil Amen, évoqué précédemment, posait lui aussi
la question du rôle de l'Église catholique pendant la seconde guerre mondiale). La Cour n'y
voit alors que l'expression d'une opinion, et non une attaque contre des convictions
religieuses563.
- Un tract à l'initiative de l'association de lutte contre le SIDA, AIDES, invitait à une «Nuit
de la Sainte Capote» associait l'image d'une religieuse au préservatif. Une association
catholique intégriste avait porté plainte et les responsables d'AIDES avaient été condamnés '
par le Tribunal de grande instance puis la Cour d'appel de Toulouse pour injures publiques
envers un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une religion. Cet arrêt est
cassé par la chambre criminelle: pour la Cour, «l'association de l'image dénaturée d'une
religieuse à l'expression Sainte Capote et à un dessin de préservatifs a pour effet de créer un
amalgame provocateur et de mauvais goût ayant pu être ressenti comme une offense envers la
communauté catholique en raison de sa croyance et de ses pratiques». Néanmoins, elle juge
que le contenu du tract« ne dépasse pas les limites admissibles de la liberté d'expression »564.
B. La liberté de création
La liberté de création de l'auteur d'une œuvre littéraire ou artistique peut être contrariée à
certaines occasions (auxquelles s'ajoutent les usages du nom évoqués précédemment).
L'atteinte au respect des croyances a été invoquée pour tenter de faire interdire des œuvres
cinématographiques.
Les demandeurs n'ont pas eu gain de cause, dans la mesure où celui qui effectue la démarche
d'entrer dans une salle de spectacle s'expose à voir une œuvre qui ne correspond pas à ses
opinions, ou même le heurte, et qu'il ne peut faire interdire eu égard à la liberté de création,
qui découle elle-même de la libre communication des pensées et des opinionss6s.
A l'inverse, une décision avait sanctionné l'affiche du film Ave Maria, mais celle-ci se
trouvait sur la voie publique ; on ne pouvait alors pas opposer le fait que le spectateur a assisté
volontairement à une projection : « la représentation du symbole de la Croix, dans des
conditions de publicité tapageuse et en des lieux de passage public forcé, constitue un acte
d'intrusion agressive et gratuite dans le tréfonds intime des croyances de ceux qui, circulant
librement sur la voie publique et ne
Atteinte au respect des croyances et liberté de ton ..• recherchant aucun contact ou
colloque singulier avec une œuvre ou
L'Association Internationale pour la Conscience de Krishna
avait voulu faire interdire un film pornographique au motif un spectacle déterminé se voient -
qu'un personnage s'y livrait «à des exhibitions érotiques en hors toute manifestation de volonté de
chantant grotesquement les textes les plus sacrés» de la religion leur part nécessairement et
védique. Le Tribunal de grande instance de Paris ne lui a pas brutalement confrontés à une
donné gain de cause, en des termes assez surprenants, puisque manifestation publicitaire et
« l'honneur des dieux plane à une hauteur où ne sauraient
l'atteindre les outrages des pornographes» ou que, dans la commerciale, contestable et
mesure où on attribue à Krishna seize mille épouses et cent trompeuse, constitutive en tout état de
quatre-vingt mille fils, « sa mémoire ne souffrira guère d'avoir cause d'un trouble manifestement
été mêlée à quelques manifestations sexuelles illicite »566. Mais, depuis lors, le juge
complémentaires » (TGI Paris, réf., 2 février 1977). Ce sont les des référés a rejeté une demande
termes irrévérencieux qui surprennent le plus : les juges ont
toujours répondu avec délicatesse aux associations catholiques
d'interdiction de l'affiche du film de
intégristes... Faut-il y voir une petite discrimination Milos Forman, Larry Flynt, estimant
inconsciente? (Sur cette affaire comparée à l'espèce Godard, v. que celle-ci était dénuée de tout
X. Daverat, De quelques entités hypostatiques face au droit. A caractère pornographique et ne
propos de l'ordonnance du TG! de Paris du 21 janvier 1985 constituait pas un outrage flagrant aux
(Jean-Luc Godard), Cahiers du Droit, 1986, tome Il, p. 5)
sentiments religieux567.
Sur un autre versant de ce contentieux, les maires interdisent parfois aux cinémas de leurs
communes de poursuivre l'exploitation de certains films. En la matière, le Conseil d'Etat s'est
prononcé à plusieurs occasions en imposant le respect de la liberté des créateurs568 •
566 TGI Paris, réf., 23 octobre 1984 : Gaz. Pa/.1984, 2, p. 727 (confirmation par Paris, 26 octobre 1984, même
réf.).
567 TGI Paris, 20 février 1997, réf., Larry Flynt : Petites Affiches 1997, 0° 24, p. 10, note Gras.
568 CE, 25 janvier 1975, La Religieuse: JCP 1976, Il, 18395, obs. Bazex. - CE 9 mai 1990, Scorsese: Rev. adm.
1990, p. 431, obs. Ruiz-Fabri.
569 Paris, 13 novembre 1997 : D. 1998, IR p. 21. A rapprocher : la condamnation au profit des Scouts de France
était intervenue sur le fondement de la responsabilité civile, lorsqu'une publication avait associé des symboles du
scoutisme à une photo de femme nue : Paris, 8 novembre 1989 : Cahiers dr. aut. 1990, no 25, p. 20.
142
qui doit être pris au premier degré et de ce qui relève d'une violence symbolique ; de plus, le
lien entre l'image donnée (par un dessin, une œuvre de fiction, un texte) et le passage à l'acte
n'est pas aussi direct que certaines imputations aux créateurs veulent bien le faire croire,
cependant que la violence, même esthétisée,
Injures religieuses et liberté d'expression :
joue aussi sur un mode ambigu (v. par Un quotidien avait publié un dessin représentant le
exemple tous les procès d'intention faits au Christ en gloire, nu, portant un préservatif. Des
rap). Les situations de ce type interviennent évêques le regardaient et l'un d'eux (blanc) disait à
toujours sur les marges, les limites : où l'autre (noir) : «lui-même aurait sans doute usé d'un
s'arrête la tolérance ? Où commence la préservatif». Une association a fait citer le directeur
de la publication en correctionnelle du chef d'injure
censure larvée ? envers la communauté des chrétiens. La chambre
criminelle a considéré que ce dessin, s'il a pu heurter
Plusieurs contentieux importants ont évoqué certains, illustrait à la fois la question débattue entre
l'injure sur le fondement de l'article 33, al. 3 cardinaux de se protéger contre le SIDA, et celle
de la loi du 29 juillet 1881, du fait d'injure à tenant à la propagation du virus en Afrique. Les
limites admissibles à la liberté d'expression ne se
un groupe de personnes à raison de leur trouvent dès lors pas dépassées. Il est intéressant de
appartenance à un groupe religieux. Ce fut relever que l'arrêt indique que les restrictions à la
d'abord le cas à propos de la réutilisation de liberté d'expression sont «d'interprétation étroite»
l'image de La Cène de Léonard de Vinci, (Crim., 2 mai 2007: D. 2007, AJ p. 1734).
détournée à l'occasion d'une publicité pour des vêtements. L'association Croyances et
Libertés avait agi à l'encontre d'une photographie qui substituait aux personnages du Christ et
des apôtres de Vinci des femmes portant des vêtements de la marque MFG et un homme au
torse nu vu de dos. Après que la Cour d'appel de Paris ait admis cette demande (injure
grave) 570, la Cour de cassation a censuré les juges du fond au motif qu'il n'y a dans l'affiche
publicitaire pas d'« attaque personnelle et directe dirigée contre un groupe de personnes en
raison de leur appartenance religieuse »s71. Vint ensuite l'affaire célèbre et très discutée des
caricatures de Mahomet? On se souvient qu'un journal danois avait publié une douzaine de
caricatures du prophète, ce qui avait déclenché des manifestations parfois violentes. Par
solidarité avec le périodique, l'hebdomadaire Charlie Hebdo avait reproduit les dessins
incriminés et ajouté à la Une un dessin de Cabu montrant Mahomet désespéré, s'écriant:
«C'est dur d'être aimé par des cons». Le tribunal a bien considéré que l'une des caricatures
- provenant du journal danois -, « prise en soi et prise isolément » pouvait outrager les
musulmans, mais qu'il fallait la considérer « comme participant à la réflexion dans le cadre
d'un débat d'idées sur les dérives de certains tenant à un Islam intégriste ayant donné lieu à
des débordements violents»; s'agissant des autres dessins, il a été jugé que «les limites
admissibles de la liberté d'expression n'ont [pas] été dépassées», notamment dans la mesure
où des dessins visant les musulmans intégristes ne manifestaient pas une «volonté délibérée
d'offenser l'ensemble des musulmans »m. La décision a été confirmée en appel5 73. Les
restrictions à la liberté d'expression sont donc strictement appréciées. La Cour de cassation ne
s'en cache pas, ainsi qu'en témoigne l'arrêt du 2 mai 2007 détaillé en encadré.
570 Paris, 8 avril 2005 : D. 2005, jur., p. 1328, note Rolland ; Légipresse 2005, no 223, Ill, p. 143, note Leclerc.
571 Civ. 1°, 14 novembre 2006: D. 2007, jur. p. 2072, note Dreyer; JCP 2007, 11, 10041, note Malaurie.-
Adde : X. Daverat, Une incivilité démocratique, op. cit.
572 TGI Paris, corr., 22 mars 2007: JCP 10079, II, note Derieux; RCS2007, p. 564, obs. Francillon; Légipresse
2007, III, p. 123, note Leclerc; Dr. péna/2007, comm. n° 66, note Lepage; Comm. cam. électr. 2007, n° 74,
note Lepage; JCP 2007, actu. 146, obs. Maréchal.
573 Paris, 12 mars 2008: D. 2009, pan. p. 1780, obs. Dupeux; Légipresse 2008, no 252, Ill, p. 107, note Leclerc.
143
La censure se caractérise par un acte d'interdiction émanant d'une autorité qui poursuit un but
(politique, religieux, etc.). Les décisions d'interdiction pour atteinte au respect de la vie
privée ou au respect d'un sentiment religieux ne constituent pas des actes de censure même si,
sur le versant religieux, certaines associations intégristes mènent une sorte de guérilla
judiciaire par assignation systématique.
Une conséquence évidente s'impose alors: on ne peut, au nom du respect de la vie privée,
tenter d'exercer un contrôle a priori sur un projet d'ouvrage. Dès qu'il avait eu connaissance
d'un projet de biographie le concernant, et à partir du seul synopsis envoyé par le journaliste
qui proposait cette biographie à un éditeur, l'acteur Alain Delon avait agi pour faire interdire
la publication de celui-ci. Le Tribunal de grande instance de Paris ne lui a pas donné gain de
cause :d'une part, la nature particulière d'un synopsis, qui n'est que« l'ébauche d'un ouvrage
en gestation » pour informer l'éditeur des intentions de l'auteur, ne peut constituer une atteinte
à la vie privée du fait de sa seule communication à la maison d'édition et en dehors de toute
publication ; d'autre part, on ne peut interdire par avance un livre qui n'est pas écrit, comme le
dit nettement la décision : « le principe à valeur constitutionnelle de la liberté d'expression
s'oppose à ce que le tribunal, qui ne dispose pas d'un pouvoir général de contrôle préalable
des publications, interdise la mise en vente d'un ouvrage non encore écrit dont la teneur réelle
demeure incertaine ou détermine a priori les faits qui, dans une éventuelle biographie d'un
artiste, ne devraient pas être évoqués »574. Le contrôle anticipé des publications renverrait en
effet à un acte de censure.
n'est pas acceptable. Il ne s'agit d'ailleurs pas de critiquer banalement sa subjectivité, mais de
s'insurger contre une immixtion qui enjoint à un créateur d'adapter son expression à une
lisibilité, tant sur le fond (exiger une dénonciation et non un simple constat, fixer 1' objet de ce
qui doit être dénoncé) que sur la forme (se fonder sur une «intention affichée » revient à
enjoindre d'être explicite, d'appuyer le trait), y compris jusque dans l'économie narrative du
film (pourquoi seraient-ce« d'autres séquences » qui deviendraient dénonciatrices et non les
séquences incriminées elles-mêmes, par le choc qu'elles peuvent provoquer?). Soit, en fin de
compte, une sorte d'obligation pédagogique aussi déplacée que la décision de classement elle-
même577.
On peut aussi considérer que le siglage des films imposé aux chaînes de télévision par le CSA
relève pour une part (dans sa volonté de canaliser la représentation de la violence) de la
volonté de ne pas montrer d'images pouvant heurter la sensibilité aux jeunes téléspectateurs.
Mais, dans cet interventionnisme du CSA, on s'achemine plutôt vers un effet de censure
larvée (retour sous une autre forme des anciens carrés ou rectangles blancs de l'O.R.T.F.),
quand on ne conditionne pas des tentations d'autocensure (programmation maladroite d'un
film de Bertrand Tavernier, L'appât, en seconde partie de soirée par une chaîne de service
public qui avait pourtant participé à sa production, et contre laquelle plusieurs créateurs se
sont insurgés).
La présomption d'innocence est évoquée dans l'art. 6, 2 de la Convention EDH et dans l'art.
9-1 du Code civil (depuis une loi du 4 janvier 1993). Après en avoir rappelé le principe
(«Chacun a droit au respect de la présomption d'innocence», al. 1), l'art. précise dans son
second alinéa : « Lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement
comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le
juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes
mesures, telles que l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communiqué, aux fins de
faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou
morale, responsable de cette atteinte »578. Une décision en avait fait un raccourci simple:
«l'atteinte à la présomption d'innocence consiste à présenter publiquement comme coupable,
avant condamnation, une personne poursuivie pénalement »579.
Il convient toutefois d'indiquer que la Cour de cassation a fait une interprétation restrictive de
ce texte, ne l'appliquant que lorsque l'on est en présence de «conclusions définitives
manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité »580.
577 X. Daverat, La pornographie au cinéma: pour une nouvelle approche juridique, Gaz. Pal., 11-13 mai 2003,
n° 131-133, p. 23.
578 Ancienne version: «Lorsqu'une personne placée en garde à vue, mise en examen ou faisant l'objet d'une
citation à comparaître en justice, d'un réquisitoire du procureur de la République ou d'une plainte avec
constitution de partie civile, est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme coupable de faits
faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la
réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, comme l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un
communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, sans préjudice d'une action en
réparation des dommages subis et des autres mesures qui peuvent être prescrites en application du Nouveau code
de procédure civile, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de l'atteinte à la
présomption d'innocence».
579 Civ. 2°, 19 octobre 1999: D. 2000,2, p. 737, note Dubemat.
580 Civ. 1°, 6 mars 1996 : Bull. I, no 123.
145
Dans une affaire visant l'hebdomadaire Le Canard Enchaîné, il avait été écrit que «les
éléments rapportés [allaient] tous dans le sens d'une culpabilité». Selon les juges du fond, il y
avait là une atteinte à la présomption d'innocence dans la mesure où, si l'on pouvait
« informer son lectorat de 1' existence de poursuites » et « faire état de graves présomptions »
en étant très critique, il y avait dans l'article incriminé une présentation de l'intéressé «sous
un tel jour que le lecteur ne pouvait que conclure à sa responsabilité». Au contraire, pour la
première chambre civile, cet article « se plaisait à souligner la discordance entre le discours
public de l'intéressé et le comportement rapporté» mais ne contenait pas des «conclusions
définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité »582 •
Une décision retient l'atteinte à la présomption d'innocence dans le cas fort médiatisé de
Francis Heaulme, lorsque ce dernier a été présentée dans une« fiction documentaire» de TF1
(Dans la tête d'un tueur) par un gendarme enquêteur comme coupable d'un double meurtre
pour lequel Patick Dils a été condamné puis acquitté après révision de son procès. Quel que
soit le passé judiciaire de Francis Heaulme, il est patent qu'il n'était pas, dans l'instruction
ouverte après enquête sur cette affaire, mis en examen; mais une mesure d'interdiction ou
581 Civ. r, 20 juin 2003: JCP 2003, 1, 126, n° 12, obs. Beignier: JCP 2003, Il, 10101, note Garaud.
582 Civ. 1°,20 mars 2007: JCP 2007,ll, 10141 (1° arrêt), note Derieux.
146
visant à faire supprimer les passages incriminés du film a été jugée disproportionnée, et c'est
l'insertion d'un avertissement sur l'atteinte à la présomption d'innocence qui a é été
ordonnée583 (on peut comparer cette solution, qui retient une atteinte mais n'interdit pas
l'exploitation qui la véhicule, à la décision qui sanctionne le délit de contrefaçon par des seuls
dommages-intérêt: v. supra).
583 TGI Nanterre, réf., 9 mars 2005 : JCP 2005, II, 10094, note Derieux ; Comm. corn. électr. 2005, comm. n°
61, obs. Lep age.
584 Civ. J 0 , 6 mars J996: D. J997, somm. p. 72, obs. Dupeux.- Civ. J 0 , 19 octobre 1999: D. 2000,2, p. 737,
note Dubernat.
585 Civ. 2°, 8 juillet 2004: JCP 2004, IV, 2927.
586 Paris, 10 mars 1999: D. 2000, somm. p. 408, obs. Bigot.
587 Paris, 7 octobre 2003 : D. 2003, IR p. 2732.
588 Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des
victimes, JO du 16 juin 2000.
147
0 Le port des menottes ou d'entraves devait déjà être une mesure à caractère
exceptionnel, ce que rappelle la loi nouvelle (la pratique débouchant au contraire sur une
systématisation des menottes). Les nouvelles dispositions créent aussi le délit de
diffusion sans l'accord de l'intéressé de l'image d'une personne menottée, entravée ou
placée en détention provisoire, ainsi que le délit de réalisation ou de diffusion d'un
sondage sur la culpabilité d'une personne.
0 Les accusés libres ne sont plus obligés de se constituer prisonniers la veille des
audiences.
Une circulaire ministérielle du 11 mars 2003 a précisé ces dispositions; elle a été complétée
par une instruction du Directeur générale de la Police nationale le 9 juin 2008. On y relève,
par exemple, l'obligation de consigner sur un registre les fouilles de sécurité avec
déshabillage, ainsi que les raisons qui ont amené à la pratiquer, sachant qu'elle ne peut
intervenir que dans un cadre prescrit (par exemple au vu de 1' âge, des conditions de
l'interpellation, de l'agressivité, de la découverte d'arme, etc.). Un rapport du Contrôleur
général des lieux de privation de liberté a attiré l'attention sur le respect de la présomption
d'innocence en cas de garde à vuess9. Une réponse du ministre de l'Intérieur à une question
posée à l'Assemblée nationale rappelle que les mesures de sécurité prises par les forces de
l'ordre doivent être exécutées avec discemement590.
Pour élargir le débat, il faut s'interroger sur la confrontation entre le respect de la présomption
d'innocence et la liberté d'expression. La Cour européenne des droits de l'homme a rendu, à
cet égard, une décision emblématique. Elle avait été saisie suite à la publication, en Finlande,
d'un article relatif à l'accusation de viol lancée par une étudiante, à l'encontre de plusieurs
joueurs d'une équipe de baseball. Le journaliste et la publication furent condamnés pour
diffamation. Saisissant la Cour de Strasbourg, les intéressés considéraient que leur
condamnation violait les dispositions de l'art. 10 de la Convention EDH, ce qui ne fut pas
retenu, la restriction à la liberté d'expression étant, en l'occurrence, justifiée par le fait que la
révélation portait sur des faits non établis et avant enquête pénale. Ce faisant, la Cour érige la
présomption d'innocence en principe« nécessaire dans une société démocratique »591 .
*
De la même manière que pour le droit à la dignité et pour les mêmes raisons, on se bornera à
effleurer le débat relatif à la nature des droits de la personnalité. Quelques grandes questions
se posent.
• Des droits extrapatrimoniaux ? Il est de notoriété que les droits de la personnalité relèvent
de la catégorie des droits extrapatrimoniaux. Il s'agit en effet de prérogatives destinées à
préserver l'intimité, l'individualité ou l'intégrité d'une personne, hors de tout commerce
juridique. Toutefois, une tendance générale à la "patrimonialisation" des droits de la
personnalité s'instaure: on établit des contrats d'exploitation de l'image d'une personne;
c'est le cas pour les mannequins, dont l'exploitation de l'image se fait à titre professionnel,
mais aussi pour diverses personnalités dont l'image est utilisée dans le cadre de campagnes
publicitaires. La nature extrapatrimoniale du droit s'en trouve naturellement affectée592: une
décision (qui confond d'ailleurs droit à l'image et droit d'auteur) indique clairement que le
droit à l'image «comporte des attributs d'ordre patrimonial »593. Dérive patrimoniale, de
longue date, quelques personnes de notoriété assignent assez parfois en demandant des
dommages et intérêts substantie)s594 ...
• Des droits réels ou personnels ? L'hésitation est permise et pourrait faire conclure à une
impossibilité de ranger les droits de la personnalité dans l'une ou l'autre des deux catégories.
En effet:
0 si les droits réels sont ceux qui s'exercent sur une chose (res), les droits de la
personnalité n'en font pas partie dans la mesure où ils ne portent pas sur un objet
(comme les meubles ou les immeubles sur lesquels peuvent s'appliquer des droit
réels patrimoniaux) ;
0 si les droits personnels sont des prérogatives dont dispose une personne à l'égard
d'une autre, les droits de la personnalité n'en font pas non plus partie car on peut
difficilement admettre que chaque individu puisse les opposer à tous.
592 E. Gaillard, La double nature du droit à l'image et ses conséquences en droit civil français, D. 1984, chr. p.
161.
593 Paris, 10 septembre 2008: D. 2008,jur., p. 2985, note Bruguière & Brégou.
594 Paris, 4 mars 1987, Hallyday et 26 mars 1987, Sardou: JCP 1987, Il, 20904, note Agostini.- TGI Paris, 4
février 1988, Lara: JCP 1988,11,21107, note. Agostini.
595 Conseil constit. 12 janvier 1977 : RJC 1, p. 45.
596 Conseil constit. 18janvier 1995: D. 1997, somm. p. 121, obs. Trémeau.
597 Conseil constit. 22 avri11997: D. 1999, somm. p. 237, obs. Mélin-Soucramanien.
149
SECONDE PARTIE
LA FAMILLE
On entend par famille l'ensemble des personnes qui sont unies par un lien de sang et qui
descendent d'un géniteur commun. Cette conception générale ne doit pas cacher
l'existence d'une pluralité de situations. Ainsi les relations familiales peuvent être
conjugales ou extraconjugales selon que les couples sont mariés ou non ; la famille peut
être monoparentale si elle n'est constituée qu'autour d'un seul des parents ; elle peut être
légitime ou naturelle, etc. Pour notre part, nous distinguerons dans les pages qui suivent
le couple (Livre 1) qu'il soit ou non marié, et le groupe familial qui se constitue dès lors
que l'on est en présence d'enfants (Livre II), que le couple ait été constitué et subsiste,
ou que la famille soit monoparentale du fait d'un divorce, d'un veuvage ou simplement
d'un choix de vie.
La matière est évidemment marquée par le projet visant à ouvrir le mariage aux
homosexuels. Le statu quo est devenu intenable : aspiration à 1' égalité, reconnaissance
du choix d'un mode de vie, sens de l'histoire ... Les arguments hostiles au mariage
homosexuel, fondés sur des arguments naturalistes ou anthropologiques («Le mariage
est une réalité anthropologique fondamentale »1) alimentent les conservatismes, et la
religion ne peut intervenir que dans le cadre d'un gouvernement des consciences
accepté par ceux qui choisissent de s'y plier2 • Partant de l'engagement de François
Hollande d'accorder« le droit au mariage et à l'adoption pour les couples homosexuels
»(proposition n ° 31 du candidat à l'élection présidentielle), le projet de« mariage pour
tous» est en voie d'élaboration. Il a été question l'opposition n'a pas manqué de le
demander - de soumettre la réforme à référendum. Outre qu'il faudrait faire entrer
celui-ci dans le cadre de l'art. 11 de la Constitution, en considérant qu'il porterait sur
« la politique sociale de la nation», ce qui relève d'une conception large du « social »,
cette option n'est politiquement pas envisagée. Il resterait la possibilité qu'un cinquième
des membres du Parlement ou un dixième des électeurs inscrits soumette à un
1 P. Malaurie, Le mariage homosexuel et l'union civile. Réponse à Xavier Labbée, JCP 2011, 1096.
Article mis en cause: X. Labbée, Le mariage homosexuel et l'union civile, JCP 2012, 977.
2 P. Rcigné, Arsilda, regina di Ponta, JCP 2011, 1126.
150
référendum une proposition de loi (art. 11, al. 4); ce ne serait possible qu'à l'issue
d'une procédure soumettant au suffrage des électeurs une proposition d'abrogation de la
loi nouvelle, et ce en respectant un délai d'au moins un an après la promulgation de
celle-ci 3 ••• Sans se projeter dans cet avenir incertain, la cause est entendue : le projet
sera soumis au Parlement.
Cette actualité dépasse le seul cadre du mariage et constitue un enjeu pour l'ensemble
du droit de la famille, ce qui justifie qu'il en soit question dans cette introduction, à titre
liminaire. Les questions sont multiples. Elles visent le mariage (la question du rapport
entre mariage et autres situations juridiques de couples), la filiation, l'autorité parentale,
le recours à la procréation assistée et peut même se prolonger dans des questions très
particulières (par exemple l'incidence d'un remariage homosexuel du conjoint
survivant4). Dès lors que le mariage est ouvert aux couples de même sexe, la question se
déplace à la filiation et le mariage ne peut être envisagé seul. Limiter la filiation à
l'adoption n'est pas satisfaisant: le petit nombre d'enfants adoptables réduirait les
possibilités de filiation adoptive et viderait de facto cette possibilité d'une application
pleine et entière ; en outre, le mariage étant une union destinée à fonder une famille,
l'objet même de l'institution en serait affecté. La notion d'égalité se heurte évidemment
à diverses questions 5 qui trouvent toutes leur origine dans la différence sexuelle époux.
Comment pallier ce que commande la différence des sexes, et que 1' on traduit en termes
d'inégalité, même si celle-ci est foncière, biologique. Il y a bien sûr la différence entre
couple hétérosexuel et couple homosexuel, le premier pouvant donner la vie sans
intervention extérieure au couple. Mais il y a également une différence entre couples de
même sexe: dans un couple féminin, chacune des deux femmes peut procréer, alors
qu'un couple masculin ne peut avoir recours qu'à une gestation pour autrui. Le recours
à la procréation médicalement assistée supposerait alors, si 1'on voulait assurer la pleine
égalité des chances de réussite d'un projet parental, que l'on admette aussi les
grossesses de substitution. Il demeure, mais on ne l'inclut pas tellement dans le débat,
que la procréation médicalement assistée est à 1'heure actuelle réservée pour pallier une
stérilité. Elle n'est donc pas seulement «médicalement assistée», mais constitue un
palliatif thérapeutique. Si l'on admettait son utilisation afin de permettre une filiation au
sein d'un couple homosexuel, elle interviendrait cette fois pour accompagner un mode
de vie choisi. Serait-il envisageable d'introduire de nouvelles discriminations? On
imagine le recours à l'insémination artificielle au sein d'un couple homosexuel féminin,
désireux d'élever un enfant. Or, une femme qui décide de vivre seule, aujourd'hui, se
voit refuser toute possibilité d'insémination artificielle : en quoi la vie célibataire
exclurait-elle le recours à l'insémination, s'agissant tout autant d'un choix de vie. On
rétorquera qu'en cas de célibat, il n'y a pas de projet parental de couple, alors que celui-
ci existe dans le couple homosexuel. Mais, opposer comme « norme » la présence de
deux parents- quel que soit le sexe de l'un ou de l'autre- peut-il être un argument dans
un contexte où l'importance des familles monoparentales est déjà très grande?
Le débat ne fait que s'ouvrir6 et va resurgir dans les pages de cette seconde partie.
LIVRE 1
LE COUPLE
Longtemps, le droit n'a connu le couple qu'au travers du mariage. Ceux qui choisissaient
de se situer hors mariage n'avaient qu'à se passer des avantages accordés aux couples
mariés. La situation a nettement évolué. Au milieu des années soixante-dix, en
particulier, l'importance du concubinage a interpellé les juristes puis, l'établissement de
liens familiaux entre homosexuels s'est lui-même développé jusqu'à conditionner la
création du pacte civil de solidarité.
Dans tous les cas, il y a communauté de vie. Mais, les situations sont très différentes. Le
concubinage ou union libre constitue une communauté précaire, et peut prendre fin
selon le bon vouloir de chacun des membres du couple (même si certaines circonstances
de la rupture peuvent permettre l'engagement de la responsabilité de celui qui a pris
l'initiative de rompre). Le PACS peut lui-même prendre fin de façon très simple, malgré
le fait qu'un« pacte» (ce qui n'est pas neutre) est passé entre les intéressés. Certes, en
cas de concubinage ou de PACS, des modalités ou aménagements s'appliquent à la
gestion de la vie en commun, et surtout au moment de la rupture. Mais, il n'en demeure
pas moins que l'union, pouvant prendre fin sur décision unilatérale et très facilement,
est fragile.
De sorte qu'il convient de consacrer une partie de notre étude à la situation du couple
hors mariage, dans un cadre extraconjugal (Titre II) après avoir envisagé la situation des
couples unis par un lien conjugal (Titre I).
TITRE 1
LE LIEN CONJUGAL
------------------
Selon un processus simple, on abordera cette étude en envisageant d'abord
l'établissement du lien matrimonial par le mariage (Chapitre 1) puis ses effets (Chapitre
Il). Enfin, le mariage n'étant pas forcément destiné à durer toute la vie comme chez les
romains (consortium omnis vitœ), il restera à envisager la rupture du lien matrimonial
(Chapitre Ill).
CHAPITRE 1
LE MARIAGE
Le mariage est l'union légale d'un homme et d'une femme. Dans la perspective qui est
celle d'un cours de droit civil, le mariage est avant tout un acte juridique, raison pour
laquelle il s'articule autour de règles que l'on retrouve en droit des obligations (par
exemple l'expression nécessaire d'un consentement), mais c'est également une
institution, un pilier de notre système juridique qui tient la cellule familiale comme
cadre privilégié de la vie sociale (d'où découle la symbolique de la célébration du
mariage). Les règles d'établissement du lien matrimonial (section Il) témoignent de cette
dualité, cependant que la liberté individuelle autant que des revendications plus
particulières ont introduit une idée de droit au mariage (section 1), dont les grandes
lignes doivent être évoquées en débutant cette étude.
Comme nous l'avons déjà dit, l'évocation d'un droit à relève de façon typique de
l'expression d'un droit subjectif : droit de se marier, éventuellement en toutes
circonstances (par exemple : revendication d'un droit au mariage des homosexuels), ou
droit de ne pas se marier.
Ce droit est d'ailleurs reconnu par divers textes supra-nationaux, qu'il s'agisse de l'art. 12
de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (v. document publié
supra) ou de l'art. 23, al. 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il
faut donc veiller à limiter les atteintes, directes ou indirectes à ce droit.
154
1. - Les atteintes directes
Roy Johnston, ressortissant irlandais, marié et père de trois enfants nés de ce mariage,
s'est séparé de son épouse en 1965 et a conclu un accord de séparation (la loi irlandaise
n'admettant pas le divorce). Roy Johnston vit depuis 1971 avec Janice Williams-
Johnston, d'ailleurs globalement à sa charge, et de cette union est née en 1978, Nessa
Williams-Johnston. Le couple et l'enfant vivent ensemble en Irlande et le père subvient
à ses besoins.
En 1982, ils ont saisi la Commission, et l'affaire est venue devant la CEDH dont l'arrêt
du 18 décembre 1986 1 mérite d'être approfondi eu égard à quelques arguments soulevés
par les requérants.
1 P. Rolland & P. Tavernier: Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme,
Le Code civil suisse contient une disposition qui, en certaines circonstances, limite le
droit de se marier. Son art. 150 indique en effet que, « en prononçant le divorce, le juge
fixe un délai d'un an au moins, de deux ans au plus, pendant lequel la partie coupable ne
pourra se remarier; en cas de divorce prononcé pour cause d'adultère, le délai peut être
étendu à trois ans ». Un citoyen suisse, Monsieur F., frappé d'une interdiction de trois
ans pour cause d'adultère, avait tenté sans succès d'attaquer cette décision devant les
juridictions internes (tribunal cantonal et tribunal fédéral). Il saisit alors la Commission
sur le fondement de l'art. 12 de la Convention européenne, puis l'affaire vint devant la
Cour qui rendit son arrêt le 18 décembre 1987 1•
La Cour s'est livrée à une analyse substantielle de la disposition de l'art. 150, eu égard
aux buts poursuivis et en confrontation au principe du droit au mariage. Cette
disposition constitue selon la Cour une sorte de sanction civile, qui tient compte de la
conduite passée de M.F. Quant à son but, il vise la stabilité du mariage, dont la Cour
reconnaît bien qu'il s'agit d'un but légitime. En revanche, elle considère que la mesure
ne préserve pas les droits d'autrui comme le disait le gouvernement suisse, puisque la
future épouse de M.F. pouvait être lésée par cette interdiction, de même que les enfants
à naître pouvaient eux aussi en ressentir le contrecoup. De même, l'argument tendant à
dire que cette interdiction octroyait un délai de réflexion imposé à l'intéressé est sans
valeur, puisqu'on ne peut opposer cette restriction à une personne majeure et dont les
facultés mentales ne sont pas altérées... Face à ces arguments, la Cour a décidé que
l'interdiction de remariage portait atteinte à la substance même du droit au mariage, et
qu'elle s'avérait disproportionnée par rapport au but légitime de ménager la stabilité du
mariage.
II en va ici des engagements préalables au mariage. Si ceux-ci lient les intéressés, c'est
alors la liberté de ne pas se marier qui se trouve limitée.
Par principe, une promesse de mariage ou des fiançailles n'ont aucune valeur juridique,
et la Cour de cassation a eu l'occasion d'affirmer qu'elles n'ont aucune conséquence
quant au mariage, n'étant génératrices d'aucune obligation à cet égard2 • Pourtant, deux
aménagements peuvent être signalés, dont le premier interfère plus directement avec le
droit au mariage.
Considérer, comme Josserand, qu'on pouvait voir dans les engagements préalables au
mariage une sorte de contrat emportant des obligations réciproques3, était abusif.
Toutefois, les circonstances de la rupture peuvent révéler une faute permettant d'engager
la responsabilité de celui qui en est à l'origine.
C'est surtout dans les cas de brusque rupture que la jurisprudence sanctionne l'attitude
de celui qui rompt son engagement: quelques jours avant le mariage 5, voire la veille de
la célébration6 ou encore une heure auparavant' ! On a même vu cas d'époux ne se
Par ailleurs, la naissance d'un enfant n'empêche pas de renoncer librement au mariage4 ,
mais la brusque rupture (liée à l'arrivée de l'enfant) peut constituer une circonstance de
rupture fautive, singulièrement quand celle-ci est assortie d'une action en recherche de
paternité 5.
en cas de décès (mort accidentelle du fiancé) peut être accordée : Civ. 2°, 27 février 1970 : D. 1970, 2, p.
201, note Combaldieu ; JCP 1970, Il, 16305, concl. Lindon, note Parlange.
8 Civ. \ 0 , ] 0 février 1960: Bull. n° 62.
9 Paris, 3 décembre 1976: D. 1978, 2, p. 339, note Foulon-Piganiol.
La question du sort des cadeaux se double parfois d'un problème de preuve, car ceux-ci,
lorsqu'ils sont offerts, ne font naturellement pas l'objet d'un écrit ... Il peut alors être
difficile d'appliquer l'art. 1088, même si la jurisprudence, de longue date, a décidé que
les dons manuels entre fiancés entraient dans son champ d'application2 . La preuve est
naturellement possible par tous moyens, et il faut donc que celui qui réclame la
restitution du bien prouve le don; si ce don est prouvé, c'est à celui qui a reçu le cadeau
de prouver que la restitution a été effectuée. Dans les règlements de comptes après
rupture, tous les coups sont parfois permis : ainsi, une fiancée a soutenu que la bague de
fiançailles a été laissée dans la voiture de son ex-fiancë.
B. Le courtage
11 reste parfois à définir le champ d'application de ces dispositions. Tous les clubs ou
associations de rencontres ne sont pas visés. Ainsi, pour la Cour d'appel de Bordeaux,
«n'est pas soumis à la législation sur le courtage matrimonial le contrat en vue de
l'adhésion à un club de loisirs, même si cette adhésion est réservée à des personnes
majeures et célibataires, divorcées, veuves ou séparées, dès lors que ce contrat ne
comporte ni informations confidentielles, ni description physique de l'adhérent ou d'un
partenaire recherché et n'envisage que la réalisation de prestations culturelles,
touristiques et sportives dont l'effectivité n'est pas contestée »4 • Autrement dit, les juges
déduisent des circonstances que le mariage ou l'union ne sont pas le but principal, ou en
tout cas celui qui transparaît comme tel des renseignements demandés. Il a également
été jugé que la conclusion avec un professionnel d'un contrat visant des rencontres à
destination d'un mariage ou d'une union ne se confond pas avec cette réalisation et
n'est pas nul du fait d'une cause contraire à l'ordre public et aux bonnes mœurs 5 .
1 Civ. ] 0 , 23 mars 1983: JCP 1984, II, 20202, note Barbiéri; D. 1984,2, p. 81, note Breton.~ Adde.:
Il est parfois prévu qu'une libéralité entre époux soit assortie d'une condition interdisant
un remariage. Depuis une décision ancienne 1, il est admis que ces restrictions ne
peuvent intervenir que si elles vont dans l'intérêt du légataire. Mais, elles tombent
largement en désuétude.
La société Air-France imposait le célibat à ses hôtesses de l'air. Une salariée avait ainsi
été licenciée du fait de son mariage qui contrevenait à la réglementation en vigueur dans
l'entreprise ; elle a porté l'affaire en justice et a obtenu gain de cause à l'occasion d'un
arrêt de la Cour de Paris qui se fondait sur le droit au mariage, dont les caractères
Le raisonnement conduit à considérer que les parents qui placent leurs enfants dans une
institution religieuse sont en droit d'attendre que les enseignants de l'institution se
conforment à la morale en vigueur dans l'établissement et aux préceptes religieux que
celui-ci enseigne. La décision est toutefois largement abusive ; elle revient à admettre
qu'une clause de conscience implicite accompagnait l'engagement de l'institutrice. En
réalité, rien n'empêchait de considérer que les événements liés à la vie privée de la
salariée n'interféraient pas avec ses enseignements et ne rejaillissaient pas sur ses
rapports avec les élèves.
1 Paris, 30 avril 1963 : D. 1963, 2, p. 428, note Rouast; RTDC 1963, p. 570, obs. Cornu.
2 Cass., ass. plén., 19 mai 1978 : D. 1978, 2, p. 546, concl. Schmelck ; JCP 1978, Il, 19000, rapport
Sauvage.
3 Cass., ch. mixte, 17 octobre 1975 ; D. 1976, 2, p. Sll, note Guiho ; JCP 1976, ll, 18238, note Lindon.
161
Section Il. - L'établissement du lien matrimonial
On évoquera les conditions du mariage avant d'envisager les sanctions des règles de
formation du mariage.
Des conditions d'ordre physiologique sont imposées aux futurs époux, et des
interdictions limitent la possibilité de se marier en toute liberté. En outre, le
consentement des époux ne doit pas être vicié. Hors du cas de la différence des sexes, le
mariage peut être contesté, « dans un délai de trente ans à compter de sa célébration, soit
par les époux eux-mêmes, soit par tous ceux qui y ont intérêt, soit par le ministère
public» (art. 184). L'at. 187 précise que, «dans tous les cas où, conformément à
l'article 184, l'action en nullité peut être intentée par tous ceux qui y ont un intérêt, elle
peut l'être par les parents collatéraux, ou par les enfants nés d'un autre mariage, du
vivant des deux époux, mais seulement lorsqu'ils y ont un intérêt né et actuel» ; ainsi,
des demandeurs qui ont vocation successorale sur les biens de leur frère justifient-ils
d'un intérêt à agir en annulation d'un mariage pour déficience mentale, à titre
posthume 1.
Le Code civil n'indique pas dans une disposition générale que les époux doivent être de
sexes opposés (dans la mesure où cela semblait, au moment de l'élaboration du Code,
une évidence). Toutefois, certains articles sont clairs quant aux intentions du législateur.
L'art. 75, décrivant la procédure de mariage, se termine en indiquant que l'officier
d'état civil, après avoir reçu« de chaque partie, l'une après l'autre, la déclaration qu'elles
veulent se prendre pour mari et femme ~>, déclarera que les parties sont unies par le
mariage, est sans ambiguïté. L'art. 144, qui intervient à propos de l'âge des conjoints,
évoque expressément l'homme et lafemme. En outre, l'un des buts du mariage étant la
procréation, il semblait évident (avant les supputations à partir des nouvelles formes de
procréation assistée) que les membres du couple devaient être des sexes différents.
1 TGI Bordeaux, 27 juillet 2004: D. 2004,2, p. 2392, note Agostini; JCP 2004, Il, 10169, note Kess1er.
2 Bordeaux, 19 avrîl2005, D. 2005, jur., p. 1687, note Agostini.
3 Civ. 1°, 13 mars 2007: D. 2007, jur. p. 1389, rapport Pluyette, note Agostini. - H. Fulchiron, Un
homme, une femme : la Cour de cassation rejette le mariage homosexuel, D. 2007, études et comm.
P· 1375.
TGI Brest, 15 décembre 2011 : JCP 2012, 100, note Dubarry.
5 Rennes, 16 octobre 2012: AJ Famille 2012, p. 559; JCP 2013, chr. 38, n° 2, obs. Lamarche.
6 CEDH, 24 juin 2010, Schalk & Kopf cl Autriche: D. 2010, act., obs. Le Douaron.
7 Civ. 1", 16 novembre 2010: D. 2010, act. p. 2773; D. 2010, p. 2773, obs.
Gallmeister; D. 2011, p. 1040, obs. Lemouland & Vigneau; D. 2011, p. 209, note
Roux..
8H. Fulchiron, Le droit français et les mariages homosexuels étrangers, D. 2006, chr. p. 1253.
9C. constit., 28 janvier 2011 :JO du 29 janvier, p. 2773. AJ Famille 2011, p. 157, obs. Chénédé; JCP
2011, chr. 29, obs. Gouttenoire; D. 2011, p. 1040, obs. Lemouland & Vigneau.
163
Une loi est désormais en S'agissant de la différence de sexes, les
préparation 1•
allusions à « homme » et « femme » disparaîtraient des art. 75 et 144, et un art. 143
disposerait : « Le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de
même sexe».
Cette modification, à elle seule, est déjà discutée. On se demande, en particulier, si elle
serait conforme à la Constitution. Il a, en effet, été avancé que l'altérité sexuelle était un
principe fondamental reconnu par les lois de la République2 - de même, pour certains,
que la différence sexuelle inhérente à la filiation 3 - et qu'une révision de la Constitution
sur ce point serait nécessaire. En Espagne, une loi du 1° juillet 2005 a introduit une
disposition selon laquelle « le mariage aura les mêmes conditions et les mêmes effets
que les cocontractants soient du même sexe ou d'un sexe différent ». Saisie par des
députés du Parti Populaire, qui considéraient que l'article 32.1 de la Constitution
espagnole de 1978, selon lequel « l'homme et la femme ont le droit de contracter
mariage en pleine égalité de droits » était violé, la Cour constitutionnelle espagnole a
rejeté le recours : ni la tradition du mariage, ni le fait que les personnes de même sexe
puissent s'unir sans se marier n'a été opposable4 •
Selon l'art. 144 C. civ., il est impossible de contracter mariage avant dix-huit ans
révolus (auparavant, les textes fixaient un âge de quinze ans pour la femme, les limites
voulant s'indexer sur un âge présumé de puberté). La sanction du manquement au
respect de cette règle est la nullité du mariage (art. 184).
Il existe néanmoins une dérogation, prévue par l'art. 145, qui permet au procureur de la
République d'accorder des « dispenses d'âge pour des motifs graves ». Le plus souvent,
c'est l'état de grossesse de la jeune fille qui entraîne ces dérogations.
Un certificat prénuptial a longtemps été exigé, mais sa portée était limitée. Les futurs
époux n'étaient tenus que de rapporter la preuve qu'ils avaient subi l'examen prénuptial
obligatoire par le biais d'un certificat, fourni à l'officier d'état civil avant la publication
du mariage (art. 63, ancien) et daté de moins de deux mois. Les résultats de l'examen
n'avaient pas à être fournis, et ceux-ci n'étaient indiqués aux intéressés que séparément.
On s'était posé la question de savoir si, dans le cadre de la lutte contre le SIDA, il
convenait d'imposer aux futurs époux un test prénuptial de dépistage ; ce test était
seulement proposé, mais pas imposé (sur la demande de nullité d'un mariage du fait de
la séropositivité, v. infra dans la question des vices du consentement). La pratique de
l'examen prénuptial a été abandonnée, et la proposition de test de dépistage du SIDA est
désormais réservée au moment de la grossesse : « A l'occasion du premier examen
prénatal, après information sur les risques de contamination, un test de dépistage de
1 D. 2012. Actu 2599, obs. 1. Gallmeister. Une proposition de loi avait été rejetée, le 14 juin 2011, sous
une législature à majorité de droit.
2 F.-X. Béchot, La constitutionnalité du« mariage pour tous» en question. JCP 2012, 1388.- L. Sertor,
octobre 2012, p. 7.
4 C. constit. Espagnole, 6 novembres 2012 :D. 2012, p. 2890, obs. C. Mialot.
164
l'infection par le virus de l'immunodéficience humaine est proposé à la femme enceinte
» (L. 2122-1, al. 3, C. santé publique).
B. Les interdictions
Une seconde union peut être entachée de nullité absolue (art. 14 7 & 184), cependant
que des sanctions pénales interviennent en la matière : l'époux bigame encourt une
peine d'un an d'emprisonnement et une amende (art. 433-20 C. pénal; on peut noter que
l'officier d'état civil qui aurait célébré un mariage en ayant connaissance de l'existence
d'un précédent mariage encourt les mêmes peines). Les juges du fond ont déjà eu
l'occasion de prononcer la nullité de mariages en cas de bigamié. La Cour de cassation
l'a confirmé en déclarant qu'un mariage à l'étranger n'a pas d'effet en France à partir du
moment où la première union du mari n'a pas été dissoute (far exemple lorsqu'un
mariage a été célèbre auparavant selon le rite chrétien maronite ). Une décision a visé
une situation pour le moins curieuse: sanctionnant la bigamie sur le fondement de l'art.
147, il intervient dans un cas où les deux unions visent les mêmes époux (du fait d'un
mariage coutumier)4 •
1 Longtemps, un délai de viduité a imposé à la femme d'attendre trois cents jours à compter du décès de
son époux avant de pouvoir contracter un nouveau mariage (art. 228). Il s'agissait d'empêcher un risque de
difficulté de détermination de la paternité entre le mari décédé et le nouveau conjoint. On prévoyait donc
un délai qui tenait compte de la période de gestation (il comcidait avec la durée maximale de gestation
prévue dans le cadre de l'établissement de la filiation légitime). Il pouvait être abrégé en cas
d'accouchement avant la fin du délai ou en cas de production d'un certificat médical attestant que
l'intéressée n'était pas en état de grossesse. Il était possible, en outre, par décision du président du
Tribunal de grande instance (ordonnance sur requête) d'obtenir une réduction de ce délai «lorsqu'il
résulte avec évidence des circonstances que, depuis trois cents jours, le précédent mari n'a pas cohabité
avec sa femme». Ces dispositions, qui n'avaient que peu d'intérêt, ont été supprimées.
2 Paris, 14 juin 1995 : D. 1996, som. p. 174, obs. Audit ; D. 1996, 2, p. 156, note Boulanger ; Rev. crit.
DIP 1997, p. 45, note Gannagé.- Grenoble, 23 janvier 2001 : Dr. famille 2002, n° 54.
3 Civ. 1°, 24 septembre 2002: Defrénois 2002, p. 1467, obs. Massip, R.JPF 2003, p. 14, note Oudin; JCP
Quant aux conséquences de l'annulation d'un mariage pour cause de bigamie, la Cour de
cassation a ouvert au profit du conjoint le bénéfice de la prestation compensatoire
(laquelle, en matière de divorce est destinée à compenser les disparités qui peuvent
naître de la rupture du lien conjugal) ; il s'agissait de permettre ici l'intervention, « en
tant que de besoin », d'une disposition relative aux conséquences du divorce, au profit
d'un époux de bonne foi 1•
1 Civ. ] 0 , 23 octobre 1990: D. 1991,2, p. 214, note Mascala; JCP 1991, II, 21774, note Moneger.
2 Bourges, 4 tëvrier 201 1 : JCP 201, 574, obs. Joseph-Parmentier.
3 Avant 1'ordonnance du 4 juillet 2005, on séparait famille légitime et famille naturelle, mais l'assimilation
Les interdictions fixées par les art. 162 et 163 se prolongeront, dans le cas du mariage
homosexuel, avec des interdictions de mariages entre frères, entre oncle et neveu, entre
sœurs et entre tante et nièce.
Selon l'art. 164, le Président de la République peut lever, pour des causes graves, les
prohibitions portées :
0 par l'article 161 aux mariages entre alliés en ligne directe lorsque la
personne qui a créé l'alliance est décédée;
0 par l'article 163 aux mariages entre l'oncle et la nièce, la tante et le neveu.
On dit alors que, dans ces cas, l'interdiction de mariage n'est que relative, par opposition
aux hypothèses dans lesquelles la levée de l'interdiction ne peut intervenir, qui relèvent
d'une interdiction absolue. Le plus souvent, la cause grave est en lien avec l'intérêt des
enfants (en matière de successions).
1 Qu'ils soient germains (mêmes pères et mères), utérins (même mère) ou consanguins (même père).
2 La loi du Il juillet 1975 a supprimé l'interdiction du mariage entre beau-frère et belle-sœur.
3 CE, 12 octobre 2005: D. 2006,jur. p. 1433, note Glandier.
167
b) Ç.tJ§.J!.t!.t:!.~Ç.'!;(it;.r..t!.f..(IJ.lq.lf!!:l!~.~d.l!P.!.~!'..f.
Dans le cas de l'adoption plénière, on applique les règles ci-dessus (on avait l'habitude
de dire, avant la réforme de la filiation, que l'enfant se retrouvait, à l'égard de la famille
adoptante, dans la même situation que si cette famille était légitime). S'agissant de la
famille d'origine, la prohibition est également maintenue, même si l'adoption plénière
consomme une rupture totale avec cette famille qui reste inconnue de la famille
adoptante.
L'adoption simple est celle qui maintient des liens avec la famille d'origine.
C. Le consentement au mariage
Depuis l'abaissement de l'âge de la majorité à dix-huit ans (1974), le mariage de tous les
majeurs est libre et le consentement au mariage relève de la seule volonté des époux ;
mais, à moins de dix -huit ans, il faut obtenir le consentement des parents.
C'est dans le cas de personnes faisant l'objet d'une mesure de protection, ou en cas
d'aliénation mentale, qu'il faut s'assurer de la réalité du consentement (ou déterminer des
méthodes de substitution à l'expression du consentement de l'intéressé).
168
1. Une personne sous sauvegarde de justice peut se marier librement (il n'y a pas
d'incapacité d'ordre général dans ce cas). En revanche, on aura l'occasion de dire que
son divorce est soumis à diverses conditions particulières.
3. Pour la personne sous tutelle, le mariage n'est possible qu'à deux conditions ; il faut :
Hors des hypothèses précédentes, une personne peut faire l'objet de troubles mentaux.
La question s'est posée de savoir si les intéressés pouvaient consentir valablement au
mariage du fait des répercussions de leur affection sur leur lucidité.
1 Civ. 1°, 12 avr. 2012: Dr.fam. 2012, comm. 102, note Maria; RTDC. 2012, p. 293, obs. Hauser.
2 C. Constit., 29 juin 2012: Dr. fam. 2012, comm. 136, note Bruggemen ; JCP 2013, chr. 38, no 1, obs.
Lamarche; RTDC 2012, p. 510, obs. Hauser; Dr.fam. 2012, comm. 148, note Maria; D. 2012, p. 1675;
D. 2012, p. 2699, obs. Noguéro & Plazy; D. 2012, p. 1899, point de vue Raoul-Cormeil; AJ Famille
212, p. 463, obs. Verheyde ..
3 Civ. 1°, 5 décembre 2012: AJ Famille 2013, p. 61, obs. Verheyde.
[ 1] L'erreur
On peut y ajouter immédiatement la rigueur d'une décision célèbre rendue par la Cour
de cassation : l'arrêt Berthon. Dans les circonstances de cette espèce, une épouse avait
demandé l'annulation de son mariage du fait du passé pénal de son conjoint, qui était un
ancien forçat, ce qu'elle ignorait au moment du mariage. La Cour ne lui avait pas donné
gain de cause, au terme d'une décision qui n'admettait que le mariage ne puisse être
annulé que pour une erreur sur la personne au sens le plus strict, c'est-à-dire sur
l'identité de celle-ci : « le texte et l'esprit de l'art. 180 C. civ. n'admettent la nullité que
pour l'erreur qui porte sur l'identité de la personne »1•
Encore faut-il indiquer que cette erreur sur l'identité de la personne ne s'entendait pas
obligatoirement de l'erreur sur l'identité civile étendue à tous les éléments de l'état civil.
La dissimulation d'un divorce par exemple, a pu d'abord faire conclure au vice du
consentemenr avant que, une trentaine d'années après, un mari ne puisse obtenir la
nullité pour un mariage et un divorce antérieurs de son épouse3
La jurisprudence a par la suite tempéré cette rigueur, admettant que le passé pénal d'un
conjoint4 , son état physique ou mental 5, peuvent permettre d'agir sur le fondement de
l'erreur. Cette tentation des juges du fond a presque été couronnée par un ralliement
implicite de la Cour de cassation6 •
1 Ch. réunies, 24 avril1862: D.P. 1862, l, p. 153.- S. 1862, J, p. 341, concl. Dupin.
2 Trib. civ .. Bordeaux, 9 juin 1924: Gaz. Pal. 1924,2, p. 201.
· 3 Bordeaux, 21 décembre 1954 : D. 1955, 2, p. 242.
4 Trib. Bressuire, 26 juillet 1944 : D. 1945, 2, p. 94 ; RTDC 1945, p. 105, obs. Lagarde.
5 Trib. civ. Seine, 4 avril 1951 : JCP 1953, II, 7418.- TGI Le Mans, 18 mars 1965: D. 1967,2, p. 203,
note Pradel.- TGI Paris, 8 février 1971 : JCP 1971, U, 17244.- TGJ Avanches, 10 juillet 1973: D.
1973,2, p. 714.
6 Civ. 1°, 13 octobre 1970: Bull. n° 257.
170
S'ajoute aussi une réticence des juridictions à ordonner une expertise psychiatrique,
laquelle pourrait porter atteinte à l'intégrité physique de la personne autant qu'à sa
dignité 7 .
0 L'erreur sur les qualités sexuelles du conjoint (à laquelle on peut ajouter la non-
consommation du mariage8) est parfois évo~uée. La capacité d'avoir des relations
intimes reste une qualité essentielle du mariage .
Rubellin-Devichi.
8 TGI Lille, 5 décembre 200 l : D. 2002, 2, p. 3226, note Labbée.
9 Paris, 26 mars 1982: Gaz. Pal. 1982,2, p. 519, note J. M.; Defrénois 1982, p. 1240, obs. Massip.
171
santé par l'épouse était sans incidence, puis que l'action en annulation était fondée sur
l'erreur (et non sur le dol, ce qui aurait supposé des manœuvres pour cacher sa
maladie) 1•
0 Une affaire très largement médiatisée concernait l'erreur du mari sur la virginité de
son épouse, celle-ci ayant menti sur son état. Le Tribunal de grande instance de Lille
avait admis la demande. Le jugement rappelait d'abord que l'erreur sur las qualités
essentielles du conjoint « suppose non seulement de démontrer que le demandeur a
conclu le mariage sous l'empire d'une erreur objective mais également qu'une telle
erreur était déterminante de son consentement». Par la suite, dans la mesure où l'épouse
avait acquiescé à la demande de nullité, le tribunal en déduisait « que cette qualité avait
bien était perçue par elle comme une qualité essentielle déterminante du consentement
de Monsieur C. au mariage projeté »2 . Mais la Cour d'appel de Douai a réformé ce
jugement; selon l'arrêt (outre la question de sa preuve), le mensonge qui aurait porté
sur une vie sentimentale passée et sur la virginité n'est pas un fondement valide pour
annuler le mariage : la virginité« n'est pas une qualité essentielle en ce que son absence
n'a pas d'incidence sur la vie matrimoniale>?.
0 Plus ponctuellement, une décision Erreur sur les qualités essentielles à l'occasion d'un
retient l'erreur sur les convictions mariage musulman :
religieuses du conjoint. Il faut dire Dans le cas d'un mariage entre deux époux musulmans,
que, dans cette espèce, l'époux qui le mariage civil doit être suivi du mariage religieux.
Entre les deux cérémonies, les époux ne cohabitent pas
avait semblé manifester une ferveur et le mariage n'est pas consommé. Il a été jugé que le
religieuse certaine avait continué à refus d'un époux de participer à la célébration du
entretenir des relations avec une mariage religieux permet à l'autre d'invoquer l'erreur
maîtresse au cours de ses fiançailles et sur les qualités essentielles de la personne pour faire
s'était empressé de rejoindre cette annuler le mariage. Le consentement, pour la Cour
d'appel d'Aix-en-Provence, s'entend de l'ensemble des
dernière dès le mariage célébré4 ••• cérémonies.
Une affaire intéressante est intervenue (Aix-en-Provence, 15 novembre 2005: JCP 2006, IV,
à propos de mariage 2366.
0 Parfois, l'attitude d'un conjoint entre difficilement dans une catégorie précise. Ainsi,
la Cour d'appel de Grenoble a admis l'erreur sur les qualités essentielles de l'épouse au
bénéfice d'un mari qui a pu prouver que la volonté de s'unir par le mariage n'existait
pas : désintérêt pour le mari et dénigrement, ennui de la vie menée et dans le lieu de vie
du couple, regrets affichés à l'égard d'un ancien fiancé, pleurs au cours de la cérémonie,
aveu que le mariage permettait d'échapper à la tutelle parentale, absence de changement
des papiers d' identité 5 ... Au vu des faits rapportées, c'est bien une absence de
consentement véritable au mariage qui transparaît.
Le dol est une manœuvre qui provoque une erreur. Il faut ici l'envisager comme des
simulations, des mensonges qui auraient permis d'aboutir au mariage en conditionnant
sciemment l'erreur du conjoint. C'est une hypothèse assez rare. Une décision rejette une
demande d'annulation de mariage d'un époux qui, se disant dépressif, avait évoqué les
manœuvres de son épouse qui l'avaient conduit à consentir au mariage; mais, d'une
part il n'en rapportait pas la preuve et, d'autre part, les futurs époux avaient vécu six
mois ensemble avant le mariage cependant que les quatre enfants de l'épouse ont par la
suite été légitimés ... Le couple s'était séparé neuf mois après le mariage .
[3] La violence
La violence s'entend d'une contrainte sous laquelle l'un des conjoints a été obligé de se
marier. La violence peut être physique. Ainsi en va-t-il lorsque différents éléments
(témoignage de l'officier d'Etat civil, rapports de police, certificats médicaux ... )
viennent prouver la contrainte physique2 . Mais elle est plus souvent morale que
physique, dans tous les cas où l'intention de se marier n'était pas réelle mais dictée par
une raison extérieure3 • Par exemple, le mariage imposé par convenances du fait de la
naissance prochaine d'un enfant peut être annulé . On imagine facilement que ces
contraintes puissent provenir également de situations matérielles 5• La difficulté, dans le
cadre d'une contrainte purement morale, vient de la preuve à rapporter de l'existence de
cette obligation dans laquelle l'intéressé(e) a été placé(e)6 .
1 Paris, 13 janvier 2005 (1° espèce): JCP2005, II, 10068, note Boulanger.
2 Civ. ] 0 , 2 décembre 1997: Defrénois 1998, p. 1917, obs. Massip.
3 Paris, 9 janvier 1996: RTDC 1996, obs. Hauser.
4 Civ. 17 mars 1959 : D. 1959, 2, p. 540.
5 Quelques décisions en la matière interviennent pour de faits situés en Corse : Bastia, 24 octobre 1955 :
Gaz. Pal. 1956, 1, p. 78. - Sur pourvoi contre Bastia : Ci v. 17 décembre 1968 : D. 1969, 2, p. 410.
6 Douai, 17 janvier 2000 : D. famille 2000, n° 124, 3° espèce, obs. Lécuyer.
7 Cass. Il janvier 1820: S. 1819-1821, l, p. 64.
173
Pendant un temps, la jurisprudence a pu L 'a"h Appietto :
établir une distinction selon que le but
poursuivi était secondaire par rapport au Des époux s'étaient mariés pour légitimer un enfant à
mariage ou visait un but primordial de naitre, en convenant de divorcer après la cérémonie.
Par la suite, l'épouse a refusé de divorcer et le mari a
l'institution du mariage ; dans le second invoqué la nullité du mariage en dévoilant la
cas, le mariage fictif ne devait pas être convention passée. Pour la Cour de cassation, « si le
annulé, par exemple lorsqu'il s'agissait mariage est nul faute de consentement, lorsque les
de légitimer un enfant'. Cette distinction époux ne se sont prêtés à la cérémonie qu'en vue
a perdu sa raison d'être dans la mesure d'atteindre un résultat étranger à l'union
matrimoniale, il est au contraire valable lorsque les
où, déjà, avant la réforme de la filiation, conjoints ont cru pouvoir limiter ses effets légaux et
la légitimation d'un enfant par le notamment n'ont donné leur consentement que dans
mariage n'avait plus d'intérêt; la fin de le but de conférer à l'enfant commun la situation d'un
la distinction entre filiation légitime et enfant légitime ».
filiation naturelle parachève ce (Civ. 1o, 20 novembre 1963: Bull. no 506)
mouvement.
Certaines hypothèses révèlent d'étranges situations: un mariage était ainsi prévu entre
une future épouse transsexuelle qui, par traitement médicochirurgical avait changé de
sexe et avait obtenu une modification de son prénom, et un futur époux de sexe
masculin. Le mariage pouvait donc, normalement, être célébré. Or, il se trouve que le
futur conjoint se revendiquait comme une femme, en avait 1'apparence physique et
prétendait qu'il souhaitait changer de prénom mais sans changer de sexe ... La Cour
d'appel de Versailles a conclu à l'absence de consentement au mariage, relevant, dans le
comportement décrit, une visée militante et provocatrice destinée à combattre la
prohibition du mariage entre personnes du même sexe2•
La jurisprudence est donc régulièrement conduite à annuler des mariages dans le but
d'obtenir la nationalité française 3 ou un avantage particulier. On peut à ce titre évoquer
quelques exemples.
1 Civ. 1°,20 mars 1963: JCP 1964, II, 13498, note Massaud.
2 Versailles, 8 juillet 2005 : D. 2006, jur., p. 772, note Bonnet.
3 Rennes, 11 avril2006: JCP 2007, IV, 1802.
4 Bourges, 23 avrill996: JCP 1997,IV, 1484.
174
La mère célibaJaire et le Marabout : - La Cour d'appel de Grenoble a annulé
le mariage d'un conjoint de nationalité
Les raisons véritables d'un mariage sont parfois turque en situation irrégulière pour défaut
bien surprenantes. C'est ce que montre le cas de de consentement. Dans cette affaire, les
cette femme qui espérait bénéficier des pouvoirs de
faits indiquaient clairement que le mariage
Marabout de l'homme qu'elle épousait, sans lui
payer d'honoraires, pour retrouver le père de sa était de pure complaisance, et le mobile
fille, cependant que le mari comptait obtenir un apparaissait immédiatement. La Cour a
titre de séjour pour régulariser sa situation sur le relevé en effet que les époux ne s'étaient
territoire français. Inutile de préciser que le mariage vus qu'une fois avant la cérémonie lors
a été annulé ...
d'une rencontre organisée par un tiers ; il
i (Rennes, 26 octobre 1998: JCP 1999, IV, 2743)
n'y a jamais eu cohabitation des conjoints
et, au contraire, l'épouse était repartie
vivre chez une amie dès la fin du repas de mariage (alors que le mari était en compagnie
d'une autre femme). Les époux ont ensuite divorcé et l'ex-mari avait fait venir sa
véritable épouse de Turquie, avec ses enfants, au titre du regroupement familial. Pour la
Cour de Grenoble, « le mari comme la femme ne se sont mariés qu'en vue d'atteindre un
résultat totalement étranger à une véritable union matrimoniale, la régularisation en
France de la situation d'un étranger n'étant pas une des fins naturelles du mariage ». On
notera au passage, à l'occasion de cette affaire, que l'action du Ministère public a été
jugée recevable alors même que les époux avaient divorcé. C'est au nom de sa mission
(intérêts de la société, ordre public, application des lois) que le Ministère public peut
engager une action pour fraude (ce qui est le cas ici puisqu'il s'agit d'une union
matrimoniale irrégulière). Le fait que les époux aient divorcé n'empêche donc pas d'agir
en nullité ; les juges de Grenoble ont même indiqué que ce divorce prouvait en lui-
même la volonté des époux de ne pas fonder un foyer, ce qui autorisait d'autant plus le
Ministère public à agir .
- Un arrêt de la Cour de Paris retient une présomption de fraude dès lors que la
communauté de vie entre les époux a cessé dans les deux mois suivant l'enregistrement
de la déclaration de nationalité, l'épouse ayant alors quitté le domicile conjugal. Les
éléments rapportés par celle-ci, soit pour prouver le maintien d'une vie commune
(existence d'un compte joint), soit pour justifier son départ (violence du mari), n'ont pas
convaincu les juges de leur capacité à combattre la présomption de fraude 2•
0 S'il n'y a ni père, ni mère, ni aïeuls, ni aïeules, ou s'ils se trouvent tous dans
l'impossibilité de manifester leur volonté, les mineurs de dix-huit ans ne
peuvent contracter mariage sans le consentement du conseil de famille (art.
160).
Le consentement des parents ou des autres personnes pressenties est un simple acte de
volonté, mais dont le caractère est discrétionnaire (c'est-à-dire qu'il ne peut pas faire
l'objet de recours). Par ailleurs, le consentement doit être donné en considération de la
personne du conjoint et ne peut pas prendre la forme d'une autorisation d'ordre général.
1 « Il n'est pas nécessaire de produire l'acte de décès du père ou de la mère de l'un des futurs époux
lorsque le conjoint ou les père et mère du défunt attestent ce décès sous serment (art. 149, al. 2); mais le
faux serment expose à des poursuites pénales)) (art. 149, al. 3). .
2 « Si la résidence actuelle des père et mère est inconnue et s'ils n'ont pas donné de leurs nouvelles depuis
un an, il pourra être procédé à la célébration du mariage si les aïeuls et aïeules ainsi que l'enfant lui-même
en font la déclaration sous serment. Il en est de même si, un ou plusieurs aïeuls ou aïeules donnant leur
consentement au mariage, la résidence actuelle des autres aïeuls ou aïeules est inconnue et s'ils n'ont pas
donné de leurs nouvelles depuis un an}) (art. 150, al. 2).
176
À partir de la publication, le mariage doit intervenir dans un délai minimum de dix jours
(art. 64) et maximum d'un an, faute de quoi il devra être procédé à un nouvel affichage
(art. 65). Dans certaines circonstances, le procureur de la République peut dispenser
d'effectuer l'affichage (art. 169).
B. La solennité du mariage
Le fait qu'il ait un caractère solennel rejaillit sur le mode de preuve du mariage. Il se
prouve en effet au moyen des actes de l'état civil (art. 194 & s.) .
1 C. Eoche-Duval, Faut-il dépénaliser les célébrations religieuses effectuées sans mariage civil ?, D.
2012, p. 2615.
2 Pour certains autres moyens de preuve: v. art. 46, 98-l, 198 à 200. En ce qui concerne la possessions
La célébration a lieu au moment déterminé par les intéressés. Seules quelques exigences
interfèrent avec cette liberté générale : le respect des délais de publication, ou
l'obligation de procéder au mariage civil avant le mariage religieux. Mais, des
impératifs administratifs obligent aussi à fixer un moment de célébration qui coïncide
avec le fonctionnement des services municipaux ...
Les conjoints doivent être présents au moment de la célébration du mariage: selon l'art.
146-1, « le mariage d'un français, même contracté à l'étranger, requiert sa présence ».
Ainsi, le ministère public est-il fondé à demander la nullité d'un mariage célébré au
Maroc hors de la présence d'un des époux qui s'était fait représenter par son frère 1, ou a-
t-on pu annuler pour défaut de consentement un mariage célébré en Turquie au cours
duquel la femme, française, était représentée par son père2 • Mais, il faut être conscient
du fait que la loi étrangère autorise parfois le mariage par procuration: aussi, si l'on doit
prononcer la nullité d'un mariage franco-algérien en l'absence de l'époux, on doit aussi
rejeter une demande de dommages-intérêts présentée par l'épouse parce que la loi
algérienne prévoit cette procuration, de sorte que le mari n'avait commis aucune faute3 •
L'officier d'état civil est tenu de donner lecture des articles du Code civil relatifs aux
droits et devoirs des époux (art. 75, 212, 213, 214, al. 1 & 215, al. 1), demander aux
futurs conjoints s'ils consentent à se marier et s'ils ont établi un contrat de mariage. Il les
La loi du 14 novembre 2006 relative au contrôle de la validité des mariages 1 (le Conseil
constitutionnel n'a pas considéré ses dispositions comme contraires à la Constitution2),
outre les quelques détails très généraux signalés plus haut, intervient en deux sens.
Un mariage à l'étranger peut-il être célébré selon la procédure locale (qu'il s'agisse de
mariage entre français et étranger ou entre français) sous réserve que les conditions de
fond déterminées par la loi française soient réunies et qu'une publication soit effectuée
en France si l'un des conjoints a un domicile en France.
La loi donne notamment le pouvoir à l'administration de rejeter les actes étrangers qui
se révèleraient irréguliers ou frauduleux. Elle met fin du même coup à la procédure de
sursis administratif et de vérification judiciaire qui avait été instituée en 2003.
Il a pu également être célébré des mariages posthumes en vertu de l'art. 171, introduit
par une loi du 31 décembre 1959 1, dans le cadre d'une autorisation spéciale par décret
du Président de la République. Pour procéder à un mariage après le décès de l'un des
époux, il faut s'assurer (au travers des éléments dont on dispose qui peuvent le prouver)
de la volonté du décédé et justifier d'un motif grave (il en va surtout de l'intérêt matériel
du conjoint survivant et des enfants). Allant un peu loin dans un sens favorable au
survivant, la Cour de cassation a admis un mariage posthume alors même que
l'intéressé, de son vivant, ne pouvait valablement exprimer son consentemenr. Mais,
une décision de la première chambre civile est intervenue dans un sens moins libéral,
indiquant «qu'il appartient au juge, saisi d'une demande d'annulation de mariage
posthume, de vérifier si ce consentement a persisté jusqu'au décès »3 •
La sanction logique des règles de formation du mariage est la nullité. Celle-ci peut
d'ailleurs avoir des prolongements: à la suite d'une annulation de mariage, qui avait
permis l'obtention de la nationalité française, le ministère public a pu intervenir et
obtenir la cadîcité de cette déclaration de nationalité4
1 D'un point de vue conjoncturel, cette loi avait vu le jour suite à la rupture du barrage de Malpasset.
2 Civ. 1°,6 décembre 1989: JCP 1990, II, 21157, note Boulanger; D. 1990,2, p. 225, note Hauser.
3 Civ. 1°, 28 février 2006 : D. 2006, jur. p. 2085, note Raoui-Conneil.
4 Civ. 1°, 7 novembre 2012: JCP 2012, 1235.
180
A. Les conditions d'intervention de l'opposition
Parmi les personnes qui peuvent faire opposition, parents et ascendants ont des pouvoirs
plus étendus.
L'opposition s'effectue par acte d'huissier, lequel répond d'ailleurs à des exigences
particulières (art. 66 & 176).
On évoquera les conditions de l'action en nullité avant d'en envisager les conséquences.
Dans certaines hypothèses (les deux premiers et le dernier des cas cités), la doctrine a pu
proposer d'appliquer plutôt la théorie de l'inexistence. Si un élément constitutif du
mariage particulièrement important est manquant (différence de sexes, célébration,
consentement), il n'y aurait pas simplement nullité mais inexistence de l'acte. Cette
conception, qui n'a pas été retenue, aurait notamment permis d'ouvrir l'action à toute
personne intéressée, et pas seulement à celles qui sont expressément visées par les
textes comme pouvant invoquer la nullité.
Il faut rappeler qui est habilité à agir avant d'envisager les règles régissant l'action.
Diverses catégories de personnes sont habilitées à agir, en référence aux intérêts qu'elles
poursuivent:
0 les époux pour la nullité de leur mariage (même s'ils en sont la cause);
0 un conjoint antérieur du fait de la bigamie ;
0 les parents dans la mesure où les intérêts de la famille sont en jeu ;
0 le conseil de famille, dont l'autorisation était requise, etc.
De façon plus particulière, certaines personnes ne peuvent agir que si elles justifient
d'un intérêt pécuniaire (alors que, dans le cas de personnes visées précédemment,
l'intérêt peut être purement moral). Ce sont les enfants d'une précédente union, les
collatéraux ou des tiers. Enfin, le Ministère public peut agir chaque fois qu'il y va de
l'intérêt de la société (inceste, non-respect de l'âge requis, bigamie, etc.).
Par principe, l'action peut être exercée à tout moment : J'action est imprescriptible.
Seule, une situation fait exception ; en cas d'impuberté :
Comme précédemment, on rappellera qui est habilité à agir avant d'envisager les règles
régissant l'action.
Seules les personnes protégées peuvent agir. L'action est donc ouverte :
Les règles relatives à l'exercice de l'action doivent ici être complétées par la possibilité
de confirmation du mariage.
183
1. Les règles relatives à l'exercice de l'action varient selon que celle-ci est introduite
pour vice du consentement ou défaut de consentement des parents.
• S'il s'agit d'une action pour vice du consentement, le délai de prescription est de cinq
ans à compter du jour de la découverte du vice. La jurisprudence a admis en effet depuis
longtemps que l'on appliquait alors l'art. 1304 1•
• S'il s'agit d'une action pour défaut de consentement des parents, le délai de
prescription est celui de l'art. 183, c'est-à-dire d'un an à compter soit:
• S'il s'agit d'une nullité pour vice du consentement, l'action en nullité devient
impossible dès lors qu'il y aura eu cohabitation continue de plus de six mois à compter
du jour où le vice a cessé (erreur révélée, contrainte levée).
• S'il s'agit d'une nullité pour défaut de consentement des parents, celui dont le
consentement était requis peut confirmer le mariage en renonçant expressément à
exercer une action ou en s'abstenant d'agir et considérant les époux comme mariés.
Lorsque le mariage est annulé, l'acte est normalement considéré comme n'ayant jamais
existé. Cette solution, appliquée au mariage dans toute sa rigueur, produirait
naturellement des effets désastreux. Peut-on considérer, par exemple, qu'il faut tenir
rétroactivement les époux dont le mariage a été annulé comme des concubins ? Pour
éviter de telles conséquences, on a imaginé la théorie du mariage putatif.
Le mariage putatif est celui dont on croyait qu'il était valable de bonne foi. L'origine de
son appellation vient du latin putare =penser.
Dans un premier temps, c'est la jurisprudence qui a développé cette théorie. Lorsque le
mariage avait été contracté en toute bonne foi par l'un des époux au moins :
L'époux qui demande à bénéficier de la putativité doit être de bonne foi. Toutefois, la
jurisprudence s'est parfois montrée assez accueillante, par exemple lorsqu'il a fallu
admettre la nullité à la demande d'un époux bigame (alors que c'est son conjoint qui
était victime de l'erreur) et dans une hypothèse où cette nullité était demandée pour
éviter l'application des règles du régime matrimonial'. En revanche, les enfants
bénéficient en toutes hypothèses des effets du mariage. Normalement, le bénéfice de la
putativité s'acquiert au moment où la nullité est prononcée. Toutefois, il peut également
être demandé après l'instance en nullité2 .
Les effets diffèrent à l'égard des époux et des enfants. S'agissant des époux, c'est la
liquidation sur le fondement d'un régime matrimonial qui est la conséquence la plus
intéressante. S'agissant des enfants, c'est essentiellement leur intérêt successoral qui est
ménagé.
1. En matière d'autorité parentale, il est statué comme en matière de divorce : l'art. 202
prévoit que la nullité du mariage produit à cet égard les mêmes effets que le divorce.