Accidents Thromboemboliques Veineux Et Grossesse
Accidents Thromboemboliques Veineux Et Grossesse
La maladie thromboembolique (MTE) est, au cours de la grossesse, une des principales causes de
mortalité et de morbidité maternelles dans les pays développés. Les modifications physiologiques liées à la
grossesse et d’autres facteurs comme l’âge maternel, la parité, l’obésité, un accouchement instrumental
ou par césarienne, une anesthésie générale augmentent le risque de MTE au cours des trois trimestres de
la grossesse et du post-partum. Surtout, près de 15 % de la population européenne blanche est porteur
d’une thrombophilie, désordre congénital ou acquis de l’hémostase responsable de plus de 50 % des
accidents thromboemboliques. La thrombose veineuse des membres inférieurs peut présenter de
nombreux aspects cliniques plus ou moins évocateurs. Son diagnostic fait appel en premier à
l’échodoppler. Lors de suspicion d’embolie pulmonaire, on ne doit pas hésiter à recourir à la scintigraphie
de perfusion-ventilation ou à l’angiographie pulmonaire en raison de l’état de grossesse. Le traitement de
la MTE repose sur l’alitement, la contention veineuse élastique et les traitements hépariniques. Au cours
des dernières années, on a aussi essayé de définir des traitements prophylactiques selon la gravité des
facteurs de risque et en particulier des diverses thrombophilies.
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Plan grossesses [1-3]. Cette pathologie est quatre à six fois plus élevée
au cours de la grossesse que chez les femmes non enceintes ne
prenant pas de contraception orale. Une méta-analyse regrou-
¶ Épidémiologie et facteurs de risque 1
pant 16 études publiées entre 1966 et 1988 étudiant le risque
Fréquence 1
thromboembolique pendant la grossesse et le post-partum a
Variations physiologiques de l’hémostase au cours de la grossesse
montré que 66 % des accidents thromboemboliques survien-
normale 1
nent pendant la grossesse et 34 % pendant le post-partum [4].
Facteurs de risque classiques des accidents thromboemboliques 2
Parmi les accidents thromboemboliques au cours de la grossesse,
Thrombophilies 2
22 % ont lieu au cours du 1er trimestre, 34 % au cours du
¶ Diagnostic. Aspects cliniques 4 2e trimestre et 44 % au cours du 3e trimestre.
Thrombose veineuse profonde 4 La phlébite non traitée se complique d’embolie pulmonaire
Embolie pulmonaire 5 chez 24 % des femmes enceintes et va être associée à une
¶ Aspects thérapeutiques 7 mortalité maternelle d’environ 15 % si elle n’est pas traitée [3].
Traitement curatif 7 L’embolie pulmonaire reste une cause importante de mort
Traitement préventif 8 maternelle. En 1997-1999, c’était la première cause de mort
maternelle directe en Grande-Bretagne [5]. En France, on a relevé
dans la période 1995-1997 un taux de 10,5 décès maternels par
an pour 100 000 naissances vivantes ; 25 % sont dus à une
■ Épidémiologie et facteurs embolie pulmonaire (n = 9) ou une thrombose veineuse céré-
brale (n = 2) ; un tiers de ces morts a été considéré a posteriori
de risque comme évitables [6]. C’est dire l’importance de cette pathologie
La maladie thromboembolique (MTE) est une maladie multi- en pratique courante et l’intérêt de connaître ses facteurs de
factorielle et la grossesse est souvent en cause. Virchow décrivait risque.
autrefois trois causes principales à la thrombose : la stase
sanguine, une modification de la paroi vasculaire et une Variations physiologiques de l’hémostase
modification de la composition du sang. Les facteurs de risque au cours de la grossesse normale
connus de thrombose veineuse au cours de la grossesse concer-
Tout au long de la grossesse normale, il existe une activation
.
nent les trois causes, mais, aujourd’hui, on tend à distinguer les
des processus de coagulation physiologique, associée à une
facteurs de risque de type génétique de ceux qui sont considérés
diminution des inhibiteurs physiologiques de la coagulation et
comme acquis.
de la fibrinolyse.
Fréquence Activation de la coagulation
La fréquence des thromboses veineuses et de l’embolie Elle s’effectue par une importante augmentation de la
pulmonaire en obstétrique est estimée entre 0,6 et 3 ‰ des synthèse des facteurs I, V, VII, IX, X, XII et du facteur de von
Gynécologie/Obstétrique 1
5-044-E-10 ¶ Accidents thromboemboliques veineux et grossesse
Âge
Autres facteurs de risque
C’est un facteur de risque indépendant. Anderson a montré
une augmentation exponentielle du risque avec l’âge (risque On distingue :
relatif [RR] = 1,9 par décennie) [7]. Le risque de thrombose • les manœuvres instrumentales ;
veineuse profonde est multiplié par 2 et celui d’embolie • la présence de varices ;
pulmonaire par 3 si la femme a plus de 35 ans [8, 9]. • l’obésité : bien que discuté, ce facteur de risque est retrouvé
dans la plupart des méta-analyses comme un facteur de risque
Ethnie et origine géographique indépendant de thrombose veineuse et d’embolie pulmo-
naire [11] ;
Dans une étude californienne, on a montré que comparative-
• la prééclampsie ;
ment aux sujets de race blanche, le risque de thrombose
• le tabac (au-delà de 10 cigarettes/j) favoriserait, selon certains,
veineuse profonde était multiplié par 1,3 chez les Américains
les MTE du post-partum et non de l’ante-partum ;
d’origine africaine, par 0,6 chez les sujets d’origine hispanique
• la compression mécanique de la veine iliaque gauche (syn-
et par 0,3 chez les personnes d’origine asiatique ou issues des
drome de Cockett), qui explique la localisation gauche de
îles du Pacifique [10] . Il est probable que les différences de
75 % des phlébites obstétricales.
prévalence des différentes thrombophilies (facteur V Leiden,
L’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé
mutation du facteur II) et d’autres particularités génétiques
(ANAES) et le Club de fœtologie ont organisé en 2003 une
expliquent au moins partiellement les différences de prévalence
conférence de consensus intitulée « Thrombophilies et grossesse.
des thromboses veineuses profondes entre les différentes
Prévention des risques thrombotiques maternels et placentai-
ethnies [11].
res » [8]. De façon très pragmatique, cette conférence a distingué
Parité trois groupes de facteurs de risque qui sont regroupés dans le
Tableau 1.
La parité (3e grossesse et au-delà) multiplie par 2 le risque de
MTE du post-partum par rapport à une deuxième grossesse [8].
Thrombophilies
Immobilisation et alitement prolongés Le terme de thrombophilie désigne d’une part des situations
Ils majorent la stase veineuse. cliniques caractérisées par la survenue de thromboses veineuses
précoces ou récidivantes ou de siège inhabituel, d’autre part des
Geste chirurgical situations biologiques caractérisées par une hypercoagulabilité.
Chez des patients sans traitement prophylactique, le risque
d’embolie pulmonaire est de l’ordre de 1 à 2 % dans les Thrombophilies constitutionnelles
semaines qui suivent un geste chirurgical important [12, 13]. Cela Le caractère constitutionnel d’une thrombophilie peut être
laisse penser que le geste chirurgical, l’hospitalisation et d’autres suspecté sur la notion d’antécédents familiaux de pathologie
facteurs de comorbidité multiplient par environ 200 le risque thrombotique veineuse. La biologie a permis, dans un certain
d’embolie pulmonaire par rapport à une population nombre de cas, de démontrer le mécanisme de cette hypercoa-
normale [11]. gulabilité constitutionnelle en identifiant le déficit ou l’anoma-
La césarienne, surtout en urgence, est un facteur de risque lie moléculaire de facteurs ou d’inhibiteurs de la coagulation,
reconnu, notamment durant le post-partum [14]. Le facteur de responsable de la tendance thrombotique. Le risque de throm-
risque lié à la césarienne est estimé entre 2 et 5 [15]. bose lié à la grossesse lors de thrombophilies peut être évalué de
2 Gynécologie/Obstétrique
Accidents thromboemboliques veineux et grossesse ¶ 5-044-E-10
Tableau 2.
Pourcentage de risque de thrombose veineuse profonde et d’embolie pulmonaire au cours de la grossesse ou du post-partum selon le type de
thrombophilie [16, 17].
Grossesse et post-partum Grossesse Post-partum
Déficit en AT
Avec antécédents de thrombose 36-46 % 14-40 % 16-22 %
Sans antécédent 3% 3% 0%
Déficit en protéine C
Avec antécédents de thrombose 15-20 % 4-10 % 5-17 %
Sans antécédent 1,7 % 1,7 % 0
Déficit en protéine S
Avec antécédents de thrombose 16-27 % 0-5 % 16-22 %
Sans antécédent 7% 0% 7%
Facteur V Leiden
Hétérozygote 2%
Homozygote 16-20 %
Facteur II 20210A
Hétérozygote 4%
Tableau 3.
Mode de transmission, méthode de diagnostic, prévalence et risque de thrombose des différentes thrombophilies héréditaires [18].
deux manières : soit par la fréquence des thromboses observées taux de prothrombine de manière non significative. Son
pendant la grossesse et le post-partum chez des femmes ayant diagnostic ne peut être réalisé que sur acide désoxyribonucléi-
une thrombophilie, soit par la fréquence des thrombophilies que (ADN) par biologie moléculaire.
chez des femmes ayant eu une thrombose liée à la grossesse. Le
Tableau 2 rapporte ces deux types de fréquences de thrombose Résistance à la protéine C activée ou facteur
au cours de la grossesse estimées à partir de plusieurs études [16, Leiden
17].
La mutation 506 du facteur V (appelé facteur V Leiden) rend
Déficit en antithrombine le facteur V beaucoup moins sensible à l’inhibition physiologi-
que par la protéine C activée, d’où la dénomination de résis-
L’AT est le principal inhibiteur physiologique de la coagula-
tance à la protéine C activée.
tion. Comme le montrent les Tableaux 2 et 3, le déficit de l’AT
On la recherche par un test fonctionnel d’hémostase qui
est le plus thrombogène des thrombophilies constitutionnelles,
consiste à réaliser un temps de céphaline activée (TCA) en
mais est heureusement rare dans la population générale. Il a
présence et en l’absence de protéine C activée, le rapport entre
d’ailleurs été l’un des premiers décrits dans les années 1960. Son
les deux étant normalement supérieur à 2.
action inhibitrice est accélérée par l’héparine qui est son
Ce test est un test de dépistage qui permet de suspecter
cofacteur. Cela explique une certaine « résistance à l’héparine »
fortement la présence de la mutation du facteur V Leiden qui
lors du traitement d’une thrombose chez les patients présentant
doit être confirmée. Dans de rares cas, la spécificité du test de
ce type de déficit.
dépistage peut être mise en défaut. En effet, il peut exister une
Le gène de l’AT est situé sur le chromosome 1 et peut faire
résistance acquise à la protéine C activée au cours de certaines
l’objet de nombreuses mutations qui sont à l’origine de déficit.
pathologies : cancers, syndromes inflammatoires importants en
La transmission est de type dominant. Les formes homozygotes
dehors de la présence de la mutation Leiden.
ne concernent que des déficits qualitatifs, les déficits quantita-
La recherche de la mutation par biologie moléculaire permet
tifs étant vraisemblablement létaux lorsqu’ils sont homozygotes.
de confirmer la mutation et d’en préciser le caractère homo- ou
Le diagnostic se fait par un dosage fonctionnel de type le plus
hétérozygote.
souvent chromogénique (N > 80 %) ou par un dosage immu-
nologique (N > 240 mg/l). Sous l’effet des œstrogènes et de la
grossesse peut survenir une légère baisse de l’AT. Ce dernier est
Déficit en protéine C
également diminué par l’héparine. Il est dû à des mutations du gène de cette protéine situé sur
le chromosome 2. Il s’agit exceptionnellement de forme homo-
Mutation de la prothrombine (facteur II 20210A) zygote, qui entraîne un tableau de purpura fulminans néonatal.
La mutation 20210 du gène de la prothrombine ne modifie Le dosage se fait avec un test fonctionnel (test de coagulation
pas les tests de coagulation classiques, mais peut augmenter le ou test chromogénique). Les valeurs normales se situent
Gynécologie/Obstétrique 3
5-044-E-10 ¶ Accidents thromboemboliques veineux et grossesse
au-dessus de 65 %. Comme il s’agit d’un facteur vitamine C ≥ 1 mort fœtale après 10 semaines d’aménorrhée,
K-dépendant, son taux est diminué chez les patientes sous C ≥ 1 accouchement prématuré avant 34 semaines d’aménor-
antivitamine K (AVK) et il faut attendre 3 semaines après l’arrêt rhée d’un enfant morphologiquement normal associé à
des AVK pour doser la protéine C. une prééclampsie sévère ou une insuffisance placentaire.
Sur le plan biologique, il faut préciser que les anticorps (AC)
Déficit en protéine S de ce syndrome ne sont pas dirigés contre les phospholipides,
Il est dû à des mutations du gène de cette protéine situé sur mais contre les protéines liées aux phospholipides. Il s’agit :
le chromosome 3. Son dosage se fait à l’aide d’un test de • soit d’anticorps anticardiolipines (ACL) (ß2-glycoprotéine-1) :
coagulation ou d’un test immunologique, qui permet de C immunoglobulines G (IgG) et/ou IgM présentes,
distinguer les formes quantitatives et qualitatives. Il s’agit C à titre élevé ou moyen,
également d’un facteur vitamine K-dépendant et il faut attendre C ≥ 2 reprises séparées 6-8 semaines,
3 semaines après l’arrêt des AVK pour doser la protéine S. C mesurées par un test enzyme linked immunosorbent assay
(Elisa) standardisé pour la b2-glycoprotéine 1 ;
Hyperhomocystéinémie • soit d’un anticoagulant circulant (ACC) (défini selon l’Inter-
L’homocystéine est issue du métabolisme de la méthionine. national Society on Thrombosis and Hemostasis) :
Les hyperhomocystéinémies sont dues le plus souvent aux C présent dans le plasma,
dysfonctionnements des deux principales voies métaboliques : C ≥ 2 reprises séparées de 6-8 semaines,
celle de la méthylène-tétra-hydrofolate réductase (MTHFR) et C mis en évidence par :
celle de la cystathionine b-synthétase [17]. Ces anomalies sont – allongement d’un test de dépistage,
liées soit à des mutations, soit à des carences vitaminiques – correction ou raccourcissement du test anormal par
(vitamines du groupe B, principalement B 6 , B 9 , B 12 ). Un adjonction d’un excès de phospholipides,
polymorphisme présent sur la voie de la MTHFR, mutation – exclusion d’autres coagulopathies (inhibiteur du facteur
C677T, rencontré à l’état hétérozygote chez 52 % de la popula- VIII) ou héparinothérapie.
tion caucasienne, peut induire une hyperhomocystéinémie en
cas de carence vitaminique associée.
Le taux plasmatique normal d’homocystéine en dehors de la ■ Diagnostic. Aspects cliniques
grossesse se situe entre 5-12,5 µmol/l. Ce taux diminue de 30 %
dès le 1er trimestre de la grossesse. La prise d’acide folique (200
µg j–1), et/ou de vitamine B6 et de vitamine B12 permettent de
Thrombose veineuse profonde
le diminuer, alors que le café, le tabac et l’alcool le font Diagnostic clinique
augmenter.
En dehors de la grossesse, l’augmentation du risque throm- Il est important de noter que 50 % des patients présentant
boembolique (veineux et artériel) en cas d’hyperhomocystéiné- une pathologie thromboembolique veineuse ne présentent
mie a été clairement mise en évidence. Au cours de la grossesse, aucun symptôme [22]. De plus, chez des patientes symptomati-
il n’existe cependant pas d’étude confirmant ce risque [19]. Il est ques, le diagnostic est plus difficile qu’en dehors de la grossesse.
possible que la diminution du taux plasmatique d’homocystéine En effet, des signes d’appel classiques tels que œdèmes, crampes
provoquée par la grossesse additionnée de la prise fréquente ou douleurs des mollets, douleurs thoraciques ou dyspnée sont
d’acide folique explique l’absence d’accidents thromboemboli- banals au cours de la grossesse. La suspicion de thrombose des
ques imputable à l’homocystéine en cas de grossesse [20]. membres inférieurs ou d’embolie pulmonaire est de ce fait
moins souvent confirmée qu’en dehors de la grossesse (5-8 ver-
Dysfibrinogénémie sus 20-30 %) [23, 24].
La thrombose veineuse profonde des membres inférieurs ne
Cette rare affection familiale se traduit par l’existence de
présente pas de spécificité clinique lors de la grossesse. Toute
fibrinogène anormal sur le plan qualitatif. Il en existe de
douleur d’un mollet doit faire évoquer le diagnostic de phlébite
nombreux types (Amsterdam, Bethesda I et II, Oslo, Parme, Paris
surale. La méta-analyse de Ray et Chan a montré que dans
I et II, Troyes, etc.) [3]. La transmission se fait sur le mode
82,2 % des cas, la thrombose veineuse est à gauche ou
dominant ou récessif. Le plus souvent, les patientes sont
bilatérale [4].
asymptomatiques. Exceptionnellement, elles vont présenter un
On recherche un œdème inflammatoire unilatéral gauche le
accident thromboembolique.
plus souvent, avec diminution du ballant musculaire, ainsi
Sur le plan biologique, une dysfibrinogénémie provoque en
qu’un signe de Homans positif (douleur à la dorsiflexion passive
général un allongement du temps de prothrombine. Le dia-
du pied sur la jambe). Au plan général, une fébricule est
gnostic fait appel au temps de reptilase ou au temps de
éventuellement associée.
thrombine.
Lorsque la douleur est unilatérale et « haut située » (inguinale,
Thrombophilie acquise : syndrome des anticorps rétrocrurale ou du triangle de Scarpa), il faut suspecter une
phlébite iliofémorale dont la symptomatologie est souvent
antiphospholipides
fruste, mais dont le rique emboligène est majeur.
On distingue en théorie : Cranley et al. ont montré que tous ces signes cliniques sont
• les SAPL primaires, où les anticorps (AC) antiphospholipides très peu spécifiques : sur 124 suspicions cliniques de thrombose
sont présents sans autre désordre auto-immun ; veineuse profonde des membres inférieurs (TVP), 72 seulement
• les SAPL secondaires, où existe une affection auto-immune étaient confirmées par les examens complémentaires [25]. C’est
comme le lupus érythémateux disséminé. dire la nécessité, dans toute suspicion de phlébite au cours de
Aujourd’hui, la définition de ce syndrome est devenue très la grossesse, de faire appel aux examens complémentaires pour
stricte et exige l’association de manifestations cliniques et confirmer le diagnostic.
d’anomalies biologiques [21]. Une thrombose veineuse superficielle des membres inférieurs
Sur le plan clinique, il s’agit : est évoquée devant la palpation d’un cordon linéaire, inflam-
• soit de thrombose artérielle ou veineuse ou de petits vais- matoire et induré, siégeant sur un trajet veineux ou variqueux.
seaux de n’importe quel organe. Cette thrombose doit être Cette localisation pose la question de son association avec une
confirmée par imagerie ou doppler ou anatomopathologie. Il localisation profonde présente jusque dans 23 % des cas [26].
s’agit volontiers de thrombose de localisation atypique (veine Devant toute phlébite superficielle, il est donc recommandé de
cave inférieure, axillaire, oculaire, hépatique, rénale), récidi- réaliser un échodoppler qui objectivera la thrombose superfi-
vant au même endroit ; cielle et vérifiera l’absence de thrombose profonde associée
• soit d’une morbidité obstétricale : asymptomatique.
C ≥ 3 avortements spontanés, inexpliqués (sans cause Les thrombophlébites pelviennes suppurées se rencontrent
anatomique, génétique ou hormonale), surtout en cas de césarienne compliquée d’une infection et
4 Gynécologie/Obstétrique
Accidents thromboemboliques veineux et grossesse ¶ 5-044-E-10
Gynécologie/Obstétrique 5
5-044-E-10 ¶ Accidents thromboemboliques veineux et grossesse
Suspicion de thrombophlébite
Échodoppler
des membres inférieurs
Suspicion de
Traitement Phlébographie ou IRM
thrombose iliaque
Normal Anormal
Oui Non
Contrôles par
Traitement* Pas de traitement Traitement Pas de traitement Traitement
échodoppler
Figure 1. Arbre décisionnel. Algorithme des investigations lors de suspicion de thrombophlébite durant la grossesse [30]. *Après éventuelle confirmation par
phlébographie ou résonance magnétique nucléaire (RMN). IRM : imagerie par résonance magnétique.
6 Gynécologie/Obstétrique
Accidents thromboemboliques veineux et grossesse ¶ 5-044-E-10
Green et al. ont montré, dans une étude rétrospective d’embo- Les héparines peuvent être responsables d’ostéoporose, de
lies pulmonaires documentées, que la PaO2 était supérieure à thrombopénie immunoallergique et de douleurs aux points
80 mmHg chez 29 % des patients de moins de 40 ans, contre d’injection.
3 % dans le groupe plus âgé [43]. L’hypocapnie classiquement Le risque hémorragique est faible pour toutes les héparines
décrite dans les embolies pulmonaires ne présente pas d’intérêt chez la femme enceinte [46, 47].
chez la femme enceinte du fait d’une hyperventilation Le diagnostic de thrombopénie induite par l’héparine (TIH)
physiologique. est posé en cas de numération plaquettaire inférieure à
Scintigraphie de ventilation et perfusion pulmonaire 100 109/l ou en cas de diminution de 50 % de la valeur initiale
entre le 5e et le 15e jour après le début du traitement [48]. Il est
Cet examen est très sensible, mais peu spécifique. La spécifi-
alors recommandé de rechercher systématiquement les anticorps
cité est améliorée en combinant scintigraphie de ventilation et
héparine-dépendants. La suspicion de TIH est une urgence et
scintigraphie de perfusion. En raison du caractère plus jeune des
nécessite l’arrêt immédiat de l’héparine et la consultation d’un
femmes enceintes et, de ce fait, de la moindre fréquence de
pathologies associées, la scintigraphie de perfusion est plus avis spécialisé.
souvent informative. Une diminution de la densité osseuse maternelle est retrouvée
Il s’agit de l’examen de première intention, permettant chez 30 % des patientes traitées par HNF au long court (plus de
d’éliminer le diagnostic d’embolie pulmonaire en cas de 1 mois) [49] . On observe 2 à 3 % de fractures vertébrales
normalité. symptomatiques chez ces mêmes patientes. Le risque ostéopo-
rotique semble plus faible en cas d’utilisation des HBPM [50, 51].
Angiographie pulmonaire Cet effet ostéoporotique n’est pas constant et, lorsqu’il survient,
Il s’agit de l’examen de référence. Une embolie se traduit par est réversible.
un défaut de remplissage ou une interruption brutale du produit Complications fœtales. Les héparines ne traversent pas la
de contraste injecté sélectivement dans les branches lobaires ou barrière placentaire et n’exposent par conséquent pas le fœtus
segmentaires des artères pulmonaires. L’angiographie numérisée à un risque malformatif [52] . Une étude récente a affirmé
après injection du produit de contraste dans une veine périphé- l’absence de passage placentaire de l’énoxoparine par mesure de
rique présente une moindre agressivité, au prix d’une résolution l’activité anti-Xa dans le sang fœtal [53].
d’image moins bonne du fait des mouvements respiratoires et Le risque de prématurité et de mort fœtale in utero en cas de
cardiaques. Cet examen est pratiqué lorsque la scintigraphie ne traitement maternel par HNF a été évalué par des études dont
permet pas de conclure. les résultats sont discordants. Sur 135 grossesses traitées par
Scanner hélicoïdal HNF, Hall et al. retrouvent un taux de prématurité de 14 %, un
risque de fausse couche spontanée de 1,5 % et un risque de
Le scanner hélicoïdal est de plus en plus utilisé pour le
mort fœtale de 12,6 % [54] . À l’inverse Ginsberg et al. ne
diagnostic d’embolie pulmonaire. Certains auteurs recomman-
retrouvent pas plus de pathologies fœtales que dans la popula-
dent cet examen en première intention, compte tenu de la
tion non traitée [30] . Les auteurs précisent que les études
faible irradiation reçue par le fœtus [44]. Néanmoins, s’il présente
une sensibilité et une spécificité correctes pour le diagnostic montrant plus d’effets secondaires fœtaux en cas de traitement
d’embolie pulmonaire massive, rappelons qu’il est très peu par héparine intéressent des grossesses à risque, avec facteurs de
performant en ce qui concerne les petites embolies pulmonaires comorbidité.
où des investigations complémentaires restent indispen- La morbimortalité pré- et néonatale a été évaluée pour les
sables [45]. HBPM. Lepercq et al. ont réalisé une étude rétrospective sur
701 fœtus nés de 624 grossesses sous énoxoparine [55] . Les
auteurs ne retrouvent pas de risque accru de malformations et
■ Aspects thérapeutiques d’hémorragies néonatales par rapport à la population non
traitée. Sorensen et al. ne retrouvent pas d’augmentation du
Traitement curatif risque de malformations fœtales, d’hypotrophie fœtale et de
mort fœtale dans une population de 66 femmes traitées par
Thrombose veineuse profonde HBPM, comparée à 17 259 gestantes non traitées [56].
Les AVK traversent le placenta et peuvent entraîner des
Contention veineuse
embryofœtopathies lorsqu’ils sont administrés entre 6 et
Une suspicion de thrombose veineuse profonde implique un 12 semaines de gestation. Les malformations le plus souvent
alitement strict avec surélévation des membres inférieurs et mise rapportées sont : retard mental, fente labiopalatine, pathologies
en place d’une contention veineuse élastique n° 2 jusqu’à oculaires, hypoplasie des os du nez, ponctuation des épiphy-
confirmation du diagnostic. Le lever avec déambulation sera ses [57, 58]. Quel que soit le terme de la grossesse, les anticoagu-
autorisé lorsque l’on aura éliminé le diagnostic ou en cas de lants oraux exposent le fœtus à un risque hémorragique et de
caillot non flottant à l’échographie et situé au niveau ou en aval mort in utero [59, 60]. Enfin, on a montré qu’une exposition aux
du creux poplité. En cas de caillot sus-poplité (fémoral, iliaque, AVK in utero, surtout aux 2 e et 3 e trimestres, augmentait
cave) et non flottant, la marche est autorisée s’il n’est pas
significativement le risque de présenter à l’âge scolaire
obstructif. Devant un caillot obstructif, une anticoagulation
(7-15 ans) de petites anomalies neurologiques et un quotient
durant 48 heures précédera le lever. Tout caillot flottant impose
intellectuel bas (< 80) [61].
un repos strict jusqu’à ce que l’échographie (répétée toutes les
Modalités thérapeutiques. Le traitement de référence repose
48 heures) montre une adhérence.
sur l’héparinothérapie poursuivie dans le post-partum. La dose
Traitements anticoagulants initiale d’HNF est de 50 UI/kg, suivie d’une dose d’entretien à
Moyens. Les anticoagulants évalués pour la prévention et le la seringue électrique de 400 à 600 UI/kg/24 h de manière à
traitement de la maladie thromboembolique durant la grossesse obtenir un TCA entre 1,5 et 2,5 fois le témoin. Après 4 à 5 jours
sont l’héparine non fractionnée (HNF), les héparines de bas de traitement intraveineux, le relais est assuré par une héparine
poids moléculaire (HBPM) et les antivitamines K (AVK). Le sous-cutanée.
choix thérapeutique est guidé par les risques de complications Selon les recommandations de l’American College of Chest
maternelles et fœtales. Deux HBPM, l’énoxoparine et la dalté- Physicians (ACCP) [62] , les HBPM peuvent également être
parine, sont utilisables actuellement en France au 2e et au utilisées initialement à la dose de 100 UI anti-Xa/kg/12 h de
3e trimestre de la grossesse. Les données actuellement disponi- manière à obtenir une activité anti-Xa entre 0,5 et 1,2 U/ml
bles ne permettent pas de recommander l’utilisation des HBPM 4 heures après la troisième injection. Il est recommandé
au 1er trimestre de la grossesse [8]. d’ajuster régulièrement le traitement au cours de l’évolution de
Complications maternelles. Tous les anticoagulants exposent à la grossesse en évaluant l’héparinémie par la mesure de l’activité
un risque de saignements. anti-Xa.
Gynécologie/Obstétrique 7
5-044-E-10 ¶ Accidents thromboemboliques veineux et grossesse
Tableau 5.
Examens complémentaires à demander en fonction du contexte clinique [8].
Situation clinique Examen de 1re intention Examen de 2e intention Examens non recommandés
Grossesse en cours avec soit une NFS-plaquettes, TQ, TCA, dosages de Si TCA allongé : recherche d’ACC PS, homocystéinémie
thrombose évolutive, soit un l’AT, PC, facteur V Leiden, ACL, Si TCA normal : recherche d’ACC par
antécédent personnel de MTE recherche de la mutation du facteur II méthodes sensibles
Femme enceinte aux antécédents Dosages de l’AT, PC, facteur V Leiden, PS
familiaux de MTE sans diagnostic recherche de la mutation du facteur II
étiologique
Femme enceinte aux antécédents de ACL, ACC Si ACL négatif, anti-b2GB1 PS
pertes fœtales ou d’accouchements
prématurés évocateurs de SAPL
Femme non enceinte avec ≥ 3 FC de ACL, TCA et recherche d’ACC, NFS, Si ACL et ACC négatif, anti-b2GB1 Dosages de l’AT, PC, PS, facteur V
moins de 10 SA homocystéinémie Si hyperhomocystéinémie, recherche Leiden, recherche de la mutation du
de mutation MTHFR facteur II
NFS : numération-formule sanguine ; TQ : temps de Quick ; TCA : temps de céphaline activée ; AT : antithrombine ; PS : protéine S ; SAPL : syndrome des antiphospholipides ;
MTE : maladie thromboembolique ; ACL : anticorps anticardiolipines ; ACC : anticoagulant circulant ; FC : fausse couche ; SA : semaine d’aménorrhée.
La surveillance de la numération plaquettaire se fait deux fois Pronostic vital engagé immédiatement
par semaine pendant 21 jours puis une fois par semaine jusqu’à
Son traitement impose un transfert en réanimation et il
la fin du traitement.
s’apparente à celui de l’embolie pulmonaire en dehors de la
Un arrêt du traitement par HNF ou HBPM est souhaitable
grossesse.
24 heures avant l’accouchement si celui-ci peut être programmé.
Le traitement fibrinolytique utilisant le RtPa ou la streptoki-
Si la TVP date de moins de 4 semaines, il est possible de
nase s’impose le plus souvent dans cette situation [69, 70]. Une
remplacer l’HBPM par une HNF, ou de poursuivre une HNF,
revue de la littérature par Turrentine et al. rapporte, à partir de
jusqu’à 4 à 6 heures avant l’accouchement [62].
172 femmes enceintes traitées par thrombolytique, un taux de
Lorsqu’un travail spontané survient chez une patiente sous mortalité maternelle de 1,2 % et des complications hémorragi-
HNF, il convient de doser le TCA après l’arrêt du traitement. Il ques maternelles dans 8,1 % des cas [64].
est possible de neutraliser l’HNF par le sulfate de protamine. L’extraction fœtale en urgence ainsi que l’embolectomie
L’héparinothérapie est reprise 6 heures après la délivrance, à chirurgicale seront discutées de façon pluridisciplinaire en
doses curative ou préventive selon les cas [35]. tenant compte de la sévérité de l’embolie pulmonaire et du
Les AVK sont rarement utilisés au cours de la grossesse [63]. Le terme de la grossesse.
cas exceptionnel est représenté par la patiente à très haut risque
de mortalité secondaire à une thrombose et qui ne serait pas Phlébite superficielle des membres inférieurs
suffisamment anticoagulée avec de l’héparine ou des HBPM.
Cela peut également concerner les patientes porteuses de valves Il n’existe pas de recommandation précise sur la prise en
artificielles mécaniques. La reprise des AVK est possible durant charge thérapeutique de cette pathologie.
le post-partum (la warfarine ne passant pas dans le lait Classiquement, après vérification de l’absence de thrombose
maternel) [20]. profonde associée, on se limitait à une contention élastique et
des anti-inflammatoires locaux.
Traitement fibrinolytique Aujourd’hui, l’emploi des HBPM associées à une contention
Leur utilisation est à réserver aux accidents thromboemboli- élastique semble être un bon compromis pour traiter et prévenir
ques sévères [64]. une complication, sans iatrogénie pour la patiente, même
enceinte. La durée varie de 6 à 30 jours selon les études et sera
Thrombectomie chirurgicale fonction du terme de la grossesse, de l’extension et du siège de
Son indication est exceptionnelle et semble se limiter à la la thrombose (proximité de la crosse de la saphène) et du
phlegmatia caerulea dolens. Pillny et al. rapportent une série terrain.
concernant 97 patientes traitées par thrombectomie puis
traitement anticoagulant pour des thromboses profondes Traitement préventif
iliofémorales [65]. Ils concluent que ce traitement permet de
prévenir l’embolie pulmonaire et réduit le risque de syndrome Dépistage des femmes enceintes à la recherche
postphlébitique sévère. de thrombophilie
Filtre-cave Il n’est pas recommandé de faire un dépistage systématique
de facteurs de risque biologiques de maladie thromboembolique
L’interposition d’un filtre-cave a peu d’indications :
chez la femme enceinte [8]. Une recherche n’est justifiée que s’il
• la thrombose veineuse profonde avec contre-indication au
existe à l’interrogatoire un contexte personnel ou familial (au
traitement anticoagulant ;
1er degré) documenté de maladie thromboembolique. Dans le
• la thrombose flottante ;
cas d’un déficit familial connu en PS, une femme enceinte
• la thrombose après embolectomie chirurgicale [23, 66] ;
apparentée directe est considérée a priori comme porteuse de
• l’allergie à l’héparine [67].
l’anomalie jusqu’après son accouchement lorsqu’il devient
Il s’agit en général de filtre temporaire, dont on réalise
possible de réaliser le dosage.
l’ablation dans le post-partum sous anticoagulation efficace [68].
Le Tableau 5 précise les examens complémentaires recom-
mandés selon la situation clinique par le consensus et les
Embolie pulmonaire
recommandations pour la pratique clinique (RPC) établies en
Pronostic vital non engagé à court terme France en 2003 [8].
Les mesures hygiénodiététiques et le traitement anticoagulant
sont identiques à ceux de la thrombose veineuse profonde (cf.
Prophylaxie systématique
supra). Concernant les HBPM, la tinzaparine sodique et l’énoxa- Toutes les femmes à risque majeur, élevé ou modéré doivent
parine sodique ont l’autorisation de mise sur le marché dans porter une contention élastique pendant toute la grossesse et le
cette indication. post-partum. Un sevrage tabagique mérite d’être proposé.
8 Gynécologie/Obstétrique
Accidents thromboemboliques veineux et grossesse ¶ 5-044-E-10
Tableau 6.
Degrés de risque de maladie thromboembolique en obstétrique [15].
Gynécologie/Obstétrique 9
5-044-E-10 ¶ Accidents thromboemboliques veineux et grossesse
Tableau 7.
Traitement prophylactique recommandé selon le niveau de risque en obstétrique [15].
• les patientes ayant subi une césarienne en urgence ; Chez celles ayant comme antécédent un avortement tardif,
• les patientes ayant subi une césarienne associée à une une mort in utero ou un accouchement prématuré dans un
chirurgie pelvienne majeure ; contexte de prééclampsie, de décollement prématuré du pla-
• les patientes présentant trois facteurs ou plus de risque faible. centa normalement inséré (DPPNI) ou de retard de croissance
La prévention par anticoagulant ne sera réalisée qu’au cours intra-utérin (RCIU), on recommande, dès le début de la gros-
du post-partum (6-8 semaines) par HBPM à doses prophylacti- sesse (voire avant la conception) l’association aspirine
ques (enoxaparine 4 000 UI/j ou dalteparine 5 000 UI/j). (75-100 mg/j) – HBPM (enoxaparine 4 000 UI/j ou dalteparine
5 000 UI/j).
Risque faible . Les autres traitements tels que les corticoïdes ou les immuno-
Font partie de ce groupe : globulines ne sont plus actuellement recommandés en dehors
• les patientes sans facteurs de risque ; de protocoles de recherche [76].
• les patientes ne présentant que un ou deux facteurs de risque
faible : âge supérieur à 35 ans, obésité, varices, hypertension
artérielle (HTA), césarienne, multiparité supérieure à 4, .
10 Gynécologie/Obstétrique