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La situation du climat et de la biodiversité au Maghreb
Abdessalam Saad Jaldi
November 4, 2022
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Maghreb
La COP27 se déroulera du 7 au 18 novembre 2022 à Charm el-Cheikh, en Égypte, afin d’évaluer
l’impact des mesures prises par les parties et les progrès accomplis dans la réalisation des
objectifs de la Convention-cadre, à savoir stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre à un
niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse induite par l’homme du système
climatique. Alors que la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère est plus forte
que jamais, la température à la surface du globe entre 2011 et 2020 est supérieure de 1,1 °C à
celle de la période préindustrielle. A quoi donc les pays du Maghreb peuvent-ils s’attendre d’un
emballement du climat à l’horizon 2050 et 2100 ?
Un réchauffement inédit
Si la hausse des températures est bien constatée partout dans le monde, “le changement
climatique n’est pas un phénomène homogène dans le temps et dans l’espace”, explique Samuel
Somot, chercheur au Centre national de recherches météorologiques (CNRM) à Toulouse, en
France. Selon lui, un réchauffement global de 2 °C par rapport à avant 1900, le niveau haut de
l’accord de Paris, correspondrait à une hausse de 2,5 °C en Europe continentale. Mais cela
entraînerait plus de 3 °C d’augmentation sur la zone méditerranéenne. Des écarts importants dont
il est déjà possible d’avoir un avant-goût. Ces dernières années, le climat de la Méditerranée s’est
réchauffé plus rapidement qu’au niveau mondial, et à un rythme encore plus soutenu autour du
Maghreb en été. Il en va que les risques liés aux hausses des températures ne sont pas les mêmes
entre l’Europe scandinave et l’Europe méditerranéenne. Ainsi, durant l’été 2021, les
températures ont largement dépassé les 45 degrés au Maroc, rivalisant avec le record absolu de
chaleur jamais enregistré (50,3 °C), le 13 juillet 1961 à Smara dans les provinces du Sud du
Royaume.[1] En Tunisie, à la mi-août 2021, le thermomètre affichait 48 degrés à Tunis, battant
le précédent record de 46,8° de 1982,[2] alors que Beja, avec ses 48,9°C, était même la
quatrième localité la plus chaude à l’échelle mondiale.[3] En Algérie, le mercure avait même
grimpé jusqu’à 48°C dans les wilayas de Tizi-Ouzou, Bejaïa, Jijel, Skikda, Annaba et El-Tarf
durant l’été 2021.
Selon des projections réalisées par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du
climat (GIEC), le réchauffement climatique au Maghreb pourrait être plus fort que prévu
jusqu’ici. Dans le scénario où les émissions de gaz à effet de serre n’augmentent ni ne diminuent
de façon draconienne, la hausse des températures est annoncée à 3,8 °C à l’horizon 2100 par
rapport au début du XXe siècle, alors que les étés seraient 5°C plus chauds en moyenne au
Maghreb. Les canicules seraient donc plus fréquentes, plus intenses et plus longues. En outre, les
conséquences du réchauffement se feraient sentir plus en altitude : la durée d’enneigement et
l’épaisseur de la neige dans les montagnes de l'Atlas et du Rif au Maroc ont par exemple diminué
depuis les années 1960. Dans le cas extrême d’une hausse des températures supérieure à 4 °C
d’ici 2100, aucune station de ski ne resterait viable sans neige artificielle dans la station balnéaire
d’Ifrane.
Les principaux enjeux
Quatre risques clés ont été identifiés par le dernier rapport du groupe de travail 2 du GIEC,
chargé des questions de vulnérabilité et d’adaptation au changement climatique. D’abord,
l’augmentation de la mortalité humaine et les perturbations des écosystèmes en raison de la
chaleur. Ensuite, les pertes de production agricole sous l’effet de la chaleur et des sécheresses. La
rareté de l’eau est également mise en avant. Enfin, les impacts des inondations sur les personnes
et les infrastructures sont signalés par les experts.
Les experts du GIEC estiment ainsi qu’un réchauffement climatique de 1,5 °C pourrait entraîner
30 000 décès annuels liés aux épisodes de chaleur extrême, et jusqu’à trois fois plus si la hausse
atteignait les 3 °C. Selon les chercheurs, le Maghreb est une région à haut risque du fait des
changements climatiques. L’agriculture, un pilier des économies maghrébines qui contribue à
15% du PIB du Maroc, 13% dans le PIB tunisien, et près de 12,5% du PIB de l’Algérie, est
menacée par la sècheresse qui a provoqué d’importantes distorsions dans la productivité des
forêts, de l’élevage et des cultures. Selon le GIEC, les principales cultures céréalières du
Maghreb verraient leur rendement moyen diminuer de 11%. Le riz et le blé devraient être les
plus malmenés, avec une perte de rendement estimée à respectivement 12% et 21%, tandis que le
millet et le sorgho résisteraient mieux, respectivement − 5% et − 8%.[4]
Autre problème posé au secteur agricole : la rareté de l’eau. Ce phénomène accentuera les
risques de stress hydrique. D’après le World Ressources Institute (WRI), les pays du Maghreb
atteindront un niveau de stress hydrique extrêmement élevé d’ici 2040. En outre, s’agissant de la
fréquence des pluies, la hausse des thermomètres provoque d’importantes modifications du
régime des pluies, qui prend la forme d’une diminution des précipitations dans la région.
Abderrahim Ksiri, coordonnateur de l’Alliance marocaine pour le climat et le développement
durable (AMCDD), prend ainsi l’exemple de l’accès à l’eau : « Au Maroc, qui fait partie des
pays les plus touchés par le réchauffement climatique, on est passé de 2000 m3 d’eau par
habitant, dans les années 1960, à moins de de 600 m3 par habitant actuellement ».[5]
La montée du niveau des océans met par ailleurs en péril certaines villes du Maghreb. La capitale
mauritanienne Nouakchott, la baie de Tunis et les rives tripolitaines, sont menacées par l’érosion
des côtes. Et en raison du changement climatique, la montée du niveau de la mer se poursuivra
pendant des siècles, quelle que soit l’évolution des rejets de gaz à effet de serre les prochaines
années, dans la mesure où l’océan se réchauffe très lentement par rapport à l’atmosphère et les
glaces fondent lentement aussi, explique Samuel Somot. Ainsi, le GIEC parle d’une fourchette
de +15 à 33 centimètres d’élévation du niveau des mers et océans d’ici 2050. Un chiffre qui
atteindrait entre +44 et 76 cm en 2100, et même au-delà d’1 mètre en cas d’explosion des
émissions de gaz à effet de serre.
Le Maghreb peut aussi s’attendre à une multiplication des feux de forêt du fait du phénomène
des changements climatiques. L’année 2021 s’est là aussi démarquée par son caractère
exceptionnel : les zones forestières ravagées par les incendies au Maroc ont culminé à 2 782
hectares, selon le département des eaux et forêts du ministère de l’Agriculture, bien que la
superficie des forêts endommagées par les flammes ait diminué de 47% et de 11%
respectivement en comparaison avec les moyennes de 2020 et des dix dernières années.[6] En
2021, le nord de l’Algérie a été submergé par un épisode caniculaire qui a ravagé le pays au
moment où dôme de chaleur s’abattait sur le Maghreb, alors que les incendies de 2022 ont
provoqué au moins 38 morts, selon France24.[7] La Tunisie a été frappée par une recrudescence
des incendies, qui ont détruit d’importantes superficies forestières à Ghardimaou, Fernana, Ain
Draham et Tabarka, venant à bout d’environ 25.822 hectares.[8] Les experts du GIEC relèvent
toutefois que de nouvelles régions sujettes aux feux de forêt pourraient apparaître.
Dès lors, le phénomène des changements climatiques risquera d’aggraver la migration climatique
au sein des pays du Maghreb. Selon une étude de la Banque mondiale (BM), la rareté de l’eau
accentuera le phénomène de la migration climatique le long de la côte Nord-est de la Tunisie, la
côte Nord-ouest de l’Algérie, l’ouest et le sud du Maroc ainsi que les contreforts de l’Atlas
central qui subissent d’ores et déjà le stress hydrique.[9]
Besoin d’une stratégie climatique
La relance économique post Covid-19, et la guerre en Ukraine qui a provoqué d’importantes
distorsions dans les chaines d’approvisionnement énergétiques et alimentaires, ont fragilisé le
Maghreb. La crise climatique quant à elle risque d’accroitre davantage les vulnérabilités des pays
du Maghreb, exacerbant le besoin d’élaborer une stratégie leur permettant de remédier aux effets
des changements climatiques, tout en préservant la biodiversité du Maghreb. Selon un rapport
conjoint du GIEC et de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la
biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), le climat et la biodiversité sont deux enjeux
qui doivent être considérés ensemble. Ainsi, “le renforcement mutuel du changement climatique
et de la perte de biodiversité signifie que pour résoudre de manière satisfaisante l’une ou l’autre
de ces questions, il faut tenir compte de l’autre”[10], concluent les chercheurs du GIEC. Dans
cette perspective, et en l’absence d’un espace régional maghrébin commun qui tarde à émerger
depuis l’adoption du traité de Marrakech en 1989, quatre réformes structurelles doivent être
amorcées dans les pays du Maghreb :
favoriser l’agriculture durable : alors que le Maghreb, comme le reste du monde, est
aux prises avec le changement climatique, l’élaboration d’une agriculture durable qui
applique les principes du développement durable à la production agricole, sans remettre
en cause l’usage des ressources naturelles pour les générations futures, s’avère urgente en
vue de parvenir à une agriculture plus résistante et durable. S’appuyant sur les trois
attendus du développement durable, être économiquement viable, socialement équitable
et écologiquement saine, elle est en mesure de répondre aux problèmes qui affectent la
productivité des agriculteurs tels que la dégradation des sols, la chute de la biodiversité et
les maladies des plantes, à l’exemple de l’usage des cultures alternatives capables de
valoriser les sols arides. L’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) au
Maroc[11] peut stimuler le débat sur l’agriculture verte, aussi bien au Maroc que dans les
autres pays du Maghreb ;
encourager le recours aux énergies renouvelables : partout dans le monde, les énergies
renouvelables se développent. Les panneaux solaires, les éoliennes, mais aussi le
biométhane (le gaz renouvelable) font désormais partie intégrante des mix énergétiques
partout à travers la planète. Pourtant au Maghreb, et à part le Maroc et dans une certaine
mesure la Tunisie, l’écrasante majorité de la consommation énergétique est pourvue par
des énergies non durables, polluantes et épuisables, à l’exemple de l’Algérie, où la
production des hydrocarbures occupe une place prépondérante dans l'économie
algérienne. Or, les avantages des énergies renouvelables sont nombreux : elles sont
inépuisables sur l’échelle du temps humain, elles sont plus écologiques que les énergies
non durables et elles sont sûres. Par exemple, contrairement aux énergies fossiles, les
énergies renouvelables émettent très peu de gaz à effet de serre : selon les données du
GIEC, pour produire 1 kWh d’électricité avec des éoliennes, on n’émet que 11 g de CO₂,
soit près de 75 fois moins qu’avec le charbon, qui émet environ 820 g de CO₂ ! De plus,
contrairement aux énergies fossiles ou au nucléaire, les énergies renouvelables n’utilisent
pas des matériaux épuisables comme le pétrole ou l’uranium. Dans cette perspective, le
pacte vert européen, qui ambitionne de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans
l’espace européen à 55% en 2030, ainsi que d’atteindre la neutralité carbone en 2050,
peut inspirer les pays du Maghreb, sachant que Rabat a signé le 18 octobre 2022 avec
Bruxelles, un ambitieux accord permettant d’accélérer la transition verte au Maroc, sur la
base du pacte vert européen ;
le financement de la lutte contre les changements climatiques : la question cruciale du
financement de la lutte contre le changement climatique au Maghreb d’une manière
générale et dans les pays pauvres est plus que jamais à l’ordre du jour, et doit être
sereinement débattue lors du 27ème sommet de Charm el-Cheikh. En effet, lors de la
COP15 de Copenhague, les pays riches s’étaient engagés à porter leur aide en la matière à
100 milliards de dollars par an en 2020. Une promesse jusqu’ici non tenue : alors que
l’aide n’atteignait que 79,6 milliards de dollars en 2019, les États doivent faire le point
sur les progrès réalisés, sachant que l’Afrique ne contribue qu’à 4% des émissions de gaz
à effet de serre ;
l’éducation citoyenne à la crise climatique : dans le contexte de nos sociétés de
surconsommation, le changement climatique s’est certes accéléré de façon alarmante. Or,
ce phénomène constitue non seulement le plus grand défi écologique de notre humanité,
mais aussi le plus grand enjeu sociétal. Dans cette perspective, l’éducation citoyenne à la
crise climatique, aussi bien à l’école que dans le cadre de la famille, est essentielle pour
promouvoir l’action climatique. Elle permettra aux citoyens de comprendre les effets de
la crise climatique, en les dotant des connaissances, compétences, valeurs et attitudes
dont ils ont besoin pour faire face au dérèglement climatique.
Conclusion
Le Maghreb subit de plein fouet les conséquences du réchauffement climatique. La hausse des
températures, l’élévation du niveau de la mer, la modification du régime des précipitations ou
encore la fulgurante diminution des précipitations font peser de graves menaces sur la santé, la
sécurité alimentaire et le développement socio-économique. Au cœur de l’urgence climatique,
des solutions concrètes doivent être mises en place dès maintenant, aussi bien dans les systèmes
de production, par l’élaboration de modèles économiques climato-responsables, que par la
généralisation de l’éducation climatique dans toutes les sphères de la société.
[1] Alerte chaleur. Au Maroc, le thermomètre flirte avec les 50 degrés. Courrier international.
Juillet 2021. https://www.courrierinternational.com/article/alerte-chaleur-au-maroc-le-
thermometre-flirte-avec-les-50-degres
[2] Au Maghreb, le réchauffement climatique pousse la population vers les villes. LesEchos.
Septembre 2021. https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/au-maghreb-le-
rechauffement-climatique-pousse-la-population-vers-les-villes-1345935
[3] Romain Sinnes. Le Maghreb suffoque sous un dôme de chaleur. TV5 Monde. 2021.
https://information.tv5monde.com/info/le-maghreb-suffoque-sous-un-dome-de-chaleur-420210
[4] Audrey Garric. La crise climatique menace toujours plus la santé et la sécurité alimentaire
des Africains. Le Monde. 2020. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/10/26/la-crise-
climatique-menace-toujours-plus-la-sante-et-la-securite-alimentaire-des-
africains_6057416_3212.html
[5] Changement climatique : 3 experts marocains commentent le rapport du GIEC. Médias 24.
Mars 2022. https://medias24.com/2022/03/06/changement-climatique-des-politiques-adaptees-
simposent-au-maroc-experts/
[6] Les feux de forêt au Maroc chutent de 47% en 2021. Challenge. Octobre 2021.
https://www.challenge.ma/les-feux-de-foret-au-maroc-chutent-de-47-en-2021-222192/
[7] Kalidou SY. Le nord de l'Algérie meurtri par des incendies dans plusieurs villes. France 24.
2022. https://www.france24.com/fr/afrique/20220817-le-nord-de-l-alg%C3%A9rie-meurtri-par-
des-incendies-dans-plusieurs-villes
[8] Teycir Ben Naser. Feux de forêt en Tunisie : l’été de tous les dangers. 2021.
https://nawaat.org/2022/07/12/feux-de-forets-en-tunisie-lete-de-tous-les-dangers/
[9] Viviane Clement, Kanta Kumari Rigaud, Alex de Sherbinin, Bryan Jones, Susana Adamo,
Jacob Schewe, Nian Sadiq, Elham Shabahat. Acting on internal climate migration. World Bank
Group. 2021. file:///C:/Users/a.jaldi/Downloads/Groundswell%20Part%20IIov.pdf
[10] Arthur Olivier. Climat et biodiversité : que disent les rapports des scientifiques sur l’avenir
de l’Europe ? Toute l’Europe. 2022. https://www.touteleurope.eu/environnement/climat-et-
biodiversite-que-disent-les-rapports-des-scientifiques-sur-l-avenir-de-l-europe/
[11] Cyril Fourneris. Agriculture et défi climatique : les solutions du Maroc pour l'Afrique.
Euronews. 2021. https://fr.euronews.com/next/2021/12/22/agriculture-et-defi-climatique-les-
solutions-du-maroc-pour-l-afrique
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