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Sous la direction de Jean-François MARMION
HISTOIRE
universelle de la
CONNERIE
Racontée par Antoine de Baecque, Sylvie Chaperon,
Jean-Paul Demoule, Marc Ferro, Marylène Patou-Mathis, Steven Pinker,
Robert Sutton, Paul Veyne et bien d’autres encore
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Maquette couverture et intérieur : Isabelle Mouton.
Illustration couverture : ©Marie Dortier
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Diffusion/Distribution : Interforum
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit
de reproduire intégralement ou partiellement, par photocopie
ou tout autre moyen, le présent ouvrage sans autorisation
de l’éditeur ou du Centre français du droit de copie.
© Sciences Humaines Éditions, 2019
38, rue Rantheaume
BP 256, 89004 Auxerre Cedex
Tel. : 03 86 72 07 00/Fax : 03 86 52 53 26
ISBN = 9782361065683
978-2-36106-566-9
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HISTOIRE
UNIVERSELLE
DE LA
CONNERIE
SOUS LA DIRECTION DE JEAN-FRANÇOIS MARMION
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Sommaire
…Et le singe devint con (Jean-François Marmion) 7
La préhistoire de la connerie (Jean-Paul Demoule) 15
/DFRQQHULHHVWHOOHOHSURSUHGHOȇ+RPPHɋ"
(Jacques Vauclair) 29
La sélection naturelle des connards,
rencontre avec Steven Pinker 43
6RPPHVQRXVYLROHQWVGHSXLVWRXMRXUVɋ"
(Marylène Patou-Mathis) 49
La connerie au temps des pharaons
(Florence Maruéjol) 63
La connerie chez les Grecs (Aurélie Damet) 75
Sénèque contre Twitter, rencontre avec Rolf Dobelli 89
Les barbares. Histoire d’un malentendu
(Bruno Dumézil) 99
Astrologie et magie au Moyen Âge,
rencontre avec Jean-Patrice Boudet 111
5HOLJLRQVGXOLYUHHWFRQQHULHɋ
« et Dieu créa le con » (Virginie Larousse) 123
%RXGGKLVPHODFRQQHULHVHUDLWHOOHDLOOHXUV"
(Laurent Testot) 137
Mythologie indienne et connerie d’aujourd’hui
(Émilie Ponceaud Goreau et Anthony Goreau Ponceaud) 151
4XHIDLUHGHQRWUHE¬WLVHɋ"
5«ȵH[LRQVVXUOȇLGLRWLHHQ&KLQHDQFLHQQH
(Stéphane Feuillas) 165
La connerie vue par les Lumières (Martine Groult) 181
Idées reçues sur l’esclavage (Myriam Cottias) 193
/HVFRQQHULHVHQ+LVWRLUHGHODFRORQLVDWLRQɋ
le cas de l’Afrique française (Catherine Vidrovitch) 207
8QPDOGHVPRWVɋKLVWRLUHGHVLQMXUHVUDFLVWHV
(Marie Treps) 221
5
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/DJUDQGHVDJDGXVH[LVPH Martine Fournier) 235
)HPPHVRLVPªUHHWWDLVWRLɋ
rencontre avec Sylvie Chaperon 253
Le XIXe siècle, eldorado de la connerie médicale
(Anne Carol) 263
Histoire de la connerie dans un monde de fous ou
Histoire de la folie dans un monde de cons
(Patrick Lemoine) 279
Du dandysme et de la bêtise (Alain Montandon) 291
Antisémitisme et homophobie ordinaires
dans le spectacle (Chantal Meyer-Plantureux) 305
m'HPDLQWRXVFU«WLQVɋ"}
La grande peur des années 20 (Antoine de Baecque) 317
L'aveuglement au XXe siecle (Marc Ferro) 331
La connerie des peuples, de la volonté de puissance
au désir de normalité, rencontre avec Paul Veyne 349
« Quelle connerie la guerre » (Vincent Capdepuy) 355
&RQQHULHHWWHUURULVPH Gilles Ferragu) 373
/DPRQGLDOLVDWLRQHVWHOOHXQHFRQQHULHɋ"
(Vincent Capdepuy) 385
6LOLFRQ9DOOH\ɋTXDQGOHVFRQQDUGVVRQW¢ODEDUUH
rencontre avec Robert Sutton 399
Homo detritusɋODORQJXHKLVWRLUHGHQRVG«FKHWV
(Christian Duquennoi) 409
/HWUDQVKXPDQLVPHHVWLOOȇDYHQLUGHODFRQQHULHɋ"
(Elisabeth de Castex) 425
6RPPHVQRXVWURSFRQVSRXUVDXYHUOHPRQGHɋ"
Rencontre avec George Marshall 437
Le tour du monde en quatre conneries
(Laurent Testot) 451
La connerie, un moteur de l’Histoire
(Jean-François Dortier) 473
&RQWULEXWHXUV 485
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…Et le singe devint con
Ne sous-estimons jamais le péril juif. Les Israélites,
marionnettistes des groupes de presse et tapis dans la
pénombre des banques, nous saisissent à la gorge en faisant
mine de nous caresser, et nous briseront la nuque.
Ne gâtons pas trop les sauvages auxquels nous accor-
dons les lumières de la civilisation : ils pourraient se croire
nos égaux. Et Dieu préserve nos filles de jamais épouser des
nègres, qui abâtardiraient le sang hérité de Vercingétorix
et Clovis.
Les femmes qui lisent sont dangereuses. Elles emplissent
leur minois de délires de grandeur et ne demanderont bien-
tôt qu’à fumer, porter le pantalon, mettre leur nez dans les
comptes, régenter les menus plaisirs de leur mari, travail-
ler… dans des carrières scientifiques, même ! Les hommes,
concurrencés, se retrouveront au chômage et sombreront
dans l’alcoolisme tandis que leurs adolescents, livrés à eux-
mêmes, se verront voués à l’oisiveté et aux pires maux.
Les sodomites sont des malades dont il importe de cor-
riger la perversion. Sinon, qui sait de combien de mineurs
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ils finiraient par abuser ? Quant aux égarées qui se récla-
ment de Lesbos, qu’un gaillard les honore avec une mâle
vigueur pour les remettre dans le droit chemin !
Et puis ce qu’il faut aux jeunes, c’est une bonne guerre.
Il n’y a pas si longtemps, de tels propos reflétaient
l’opinion dominante. D’ailleurs, ils n’ont pas tout à fait
disparu… Si une Histoire universelle de la connerie avait
vu le jour en France au début du xxe siècle, sans doute
aurait-elle qualifié d’abrutis, de scélérats et d’imprudents
dégénérés les féministes, pacifistes, anticolonialistes, cos-
mopolites et laïcards alors marginalisés. Et qui sait quels
beaux principes d’aujourd’hui atterriront demain dans les
poubelles de l’Histoire !
Exactement comme les individus, les groupes d’une
époque donnée, du village à la nation, entretiennent des
représentations simplistes et binaires sur ce qui est bien,
mal, noble, vulgaire, civilisé, barbare, s’attribuant de plus
ou moins bonne foi les meilleures qualités, affublant les
autres de toutes les tares, se
définissant en miroir inversé
de tels épouvantails, boucs
émissaires et cibles idéales.
Si, à l’échelle de notre seule
société, l’étude des hauts
faits de la connerie humaine
paraît donc hasardeuse,
y adjoindre les points de
vue d’autres cultures risque
encore de brouiller les lignes.
Le caractère protéiforme du
phénomène, le relativisme,
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les risques d’anachronisme, l’absence de données peuvent
rendre le présent livre parfaitement vain. Il faudrait donc
capituler sans même livrer bataille ? Déclarer forfait ? L’en-
treprise dût-elle relever du seul baroud d’honneur, nous
avons la faiblesse de penser qu’une connologie, ou étude
de la connerie, ne saurait s’avérer totalement inutile, non
pour nous risquer à la moindre conclusion définitive, ce
qui serait d’une abyssale présomption, mais pour alimenter
la réflexion. Proposer une tentative de débroussaillement,
une exploration de contrées intimidantes car luxuriantes…
en un mot, une enquête. Ce qui rejoint très précisément
l’étymologie du vocable historia.
Mais par où commencer ?
« Que la connerie soit ! » Et la connerie fut.
Quand situer l’acte de naissance de la connerie dans
une « histoire universelle » ? Serait-elle apparue avec l’uni-
vers lui-même ? Après tout, si Dieu existe, quelle mouche l’a
piqué de créer quoi que ce soit, lui si insurpassable ? Pourquoi
cette volonté, ce désir, cette envie ? Il avait donc un manque,
une faille ? Il était donc imparfait, lacunaire, oisif, qu’il lui
fallut déclencher la grosse pichenette du Big Bang ? Pourquoi
extirper du néant ce désert immense dont nous n’arpentons
qu’un grain de sable avant de retourner nous-mêmes en
poussière ? Mais sachons rester humbles devant ces questions
qui ne sont pas du ressort de l’Histoire. « Comment veux-tu
que je te parle de Dieu ? Je ne sais même pas me servir d’un
ouvre-boîte… » : ainsi parlait Woody Allen.
Voici toutefois des millénaires que des téméraires se
demandent si l’univers, en tout cas notre planète, ne serait
pas une connerie. Par exemple, certaines sectes contempo-
raines et rivales du christianisme primitif avançaient déjà
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l’hypothèse que s’il existe bel et bien un Créateur éternelle-
ment parfait, notre monde, lui, fut créé par un sous-dieu,
un ersatz, un amateur, un empoté : le Démiurge (ou les
Démiurges : pour certains spéculateurs, ces Gaston Lagaffe
cosmiques s’y seraient mis à plusieurs). Se prenant pour
l’égal de Dieu, ce grossier personnage, en guise de création,
n’aurait commis qu’une approximation, un brouillon,
ni fait ni à faire. C’est à lui seul que nous devons notre
soumission à la matière corrompue, illusoire, éphémère, et
à son corollaire le temps. À nous d’échapper à cette réalité
en palimpseste pour embrasser le chef-d’œuvre enfoui sous
la caricature, démasquer l’imposteur pour s’unir au vrai
Dieu. Les retrouvailles tant espérées avec le Divin portent
un nom : la Gnose, c’est-à-dire la connaissance. Et tous les
moyens sont bons pour y parvenir, au gré des sectes d’alors,
y compris se jouer systématiquement des interdits religieux,
alimentaires et sexuels, mépriser totalement le décor qui
nous entoure et les spectateurs fantoches qui le confondent
avec la vraie vie, connaître toutes les expériences possibles,
quitte à faire consciencieusement le mal jusqu’à s’en blaser.
Le prix à payer de l’évolution
Dans la perspective gnostique, la tache originelle n’est
donc pas humaine, mais cosmique, lorsque la connerie
gangrena le Démiurge, le poussant à se croire l’égal de
Dieu. Adam et Ève ont-ils jamais cherché autre chose en
goûtant aux fruits de la Connaissance, apanage de leur
créateur ? Les Grecs ont qualifié d’hubris cette démesure
catastrophique qui nous éloigne de la tempérance que
Montaigne résumera dans l’ultime phrase ajoutée à ses
Essais : « Et au plus eslevé throne du monde, si ne sommes
assis, que sus nostre cul. »
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Dans les années 1970, François Cavanna, fondateur
de Hara Kiri puis Charlie Hebdo, publia un triptyque,
L’Aurore de l’humanité. Les livres avaient pour titre :… Et
le singe devint con (1972), Le con se surpasse (1975), et Où
s’arrêtera-t-il ? (1977). Tout est dit. Certes, on peut contester
cette généalogie trop linéaire pour être honnête. Nous ne
descendons pas du singe, puisque nous sommes plutôt cou-
sins. Nos catégories de primates respectives seraient issues de
l’introuvable LUCA (Last Universal Common Ancestor, ou
dernier ancêtre commun universel). Ledit commun ancêtre
était-il un grand con, déjà ? Est-ce lui qui apparaît au début
de 2001, l’Odyssée de l’espace, lorsqu’un singe, au contact
d’un monolithe extraterrestre, acquiert l’intelligence, use
d’un os comme outil… et, très vite, comme massue pour
occire son semblable sur fond de Richard Strauss ? Une arme
est née, l’humanité peut prospérer, la connerie et l’hubris
dans son giron. Jadis considéré comme l’apparition fulgu-
rante et miraculeuse des ingrédients qui firent de l’homo
sapiens une espèce hors normes, il arrive que le néolithique
se voie justement interprété aujourd’hui comme le temps
d’éclosion de la propriété privée, du pouvoir pyramidal, du
patriarcat, des inégalités, des injustices, de la colère sociale
et de la violence. En l’occurrence, un prodigieux catalyseur
de connerie envers laquelle nous fîmes promptement acte de
servitude volontaire, complaisante et zélée, quel que soit le
malheur qu’elle nous cause en retour.
L’aurore de la connerie coïncide-t-elle vraiment avec la
civilisation ? Prudence, évidemment. En tout cas déferla
sur tous les continents notre danse macabre menée par
la mort et l’aveuglement, tout un Pandémonium tra-
gicomique digne d’un tableau de Jérôme Bosch. Que
de taches, de coulures et de repentirs dans cette fresque
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que l’on aimerait imaginer pour illustrer notre destinée !
Et gageons que, dans son ironique Éloge de la folie, bien
avant que ce dernier vocable ne se voie confisqué par la
psychiatrie, Erasme évoquait en réalité la connerie. C’est-
à-dire le contraire de la sagesse, et non pas de l’intelligence,
puisqu’il existe tant de cons qui n’ont pas même l’excuse
de l’ignorance.
Si tentant que ce soit, nous commettrions néanmoins
une assez belle ânerie en résumant l’aventure humaine à
ces éraflures. Après tout, nous comptons à notre actif l’art
et la science, la démocratie, la coopération internationale,
et tant de fleurons dont n’auraient pas même osé rêver
nos milliards d’ancêtres disparus. Nos capacités uniques à
nous abstraire de nos perceptions immédiates, à spéculer
sur ce qui n’existe pas encore, à ruminer ou fantasmer
ce qui n’existe plus, à forger, manipuler, exacerber des
croyances et des idées dont nous nous persuadons qu’elles
sont réelles, nous rendent individuellement ou collective-
ment capables du meilleur comme du pire. Le meilleur,
par exemple avec les avancées inouïes de la science des xixe
et xxe siècles, desquelles nous restons redevables. Le pire,
lorsqu’au nom du progrès, cette même science déclencha
des campagnes d’eugénisme radical pour lutter contre la
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dégénérescence censée menacer notre patrimoine culturel
et biologique commun. Tout et son contraire, la splendeur
et la crapulerie, les miasmes et l’éclat, enchevêtrés, indis-
sociables au gré des vents et tourbillons des siècles… Dans
2001, sans la simiesque andouille découvrant le pouvoir de
la violence à la sauce Strauss (Richard, celui d’Ainsi parlait
Zarathoustra), nous ne jouirions pas du gracile ballet des
engins spatiaux à la mode Strauss (Johann, celui du Beau
Danube bleu). Aujourd’hui, en martyrisant la planète, en
lui demandant plus qu’elle ne peut fournir pour nos si
précieuses personnes, nous scions la branche de l’évolution
sur laquelle nous sommes assis, mais aussi toutes les autres,
si ce n’est le tronc. Nous avons cependant élaboré les outils
scientifiques pour en prendre conscience, numériques
pour nous mobiliser en un temps record, politiques pour
agir. Connerie et sagesse jumelées, revers l’une de l’autre,
toujours et encore. Reste à savoir si, au seuil enténébré
d’une catastrophe verte, nous serons suffisamment futés
pour échapper au tout-à-l’égout de l’évolution, nous qui
refuserons toujours les histoires dont nous sommes les
héros si elles se terminent mal.
La connerie, ça fait des histoires
Justement, l’Histoire sert à écrire des histoires. À tirer
les lois générales et les enseignements d’une infinité de
micro-faits saupoudrés par le hasard. À nous persuader
que nous ne nous trouvons pas embarqués dans une
course folle, une caracole absurde, mais qu’à l’échelle des
siècles nous allons du point A au point B en empruntant
des détours. Que nous survivons aux épreuves. Que nous
en tirons profit, et nous améliorons. Que les événements
ont un sens, c’est-à-dire à la fois une trajectoire et une
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signification. Mais comment les raconter, ces récits ? En
sélectionnant quels faits ? Les batailles et les « grands
hommes » ? Les échanges culturels et commerciaux ? Les
mentalités ? La vie quotidienne ? Pour montrer quoi ? À
quel public ? Quelles histoires de l’Histoire sont les plus
véridiques ? Ou les plus utiles, ce qui n’est pas la même
chose ?
L’Histoire, après tout, ne serait-elle qu’une connerie de
plus ? Oui, pour peu qu’on la prenne pour une machine à
pondre des certitudes. Et que l’hubris ubuesque saisisse les
historiens pour juger les temps arriérés du haut de notre
Olympe actuelle. En temps normal, ils savent éviter cet
écueil. Une enquête est le fruit d’une curiosité, d’une soif
d’explorer, de débroussailler, de comprendre. Sans savoir
ce qu’on va trouver, ni forcément ce qu’on cherche. Et
sans s’ériger en théoriciens ni donneurs de leçon. À ces
conditions, pourquoi la connerie, au fil de ses mues, de
ses défroques ou de ses paillettes, ne serait-elle pas digne,
elle aussi, d’intérêt ? Pourquoi ne pas esquisser le portrait
de cette créature incendiaire renaissant perpétuellement
de nos cendres ?
En un mot, disséquons les cons ! Mais avec doigté.
Et allons voir chez eux si j’y suis !
Jean-François Marmion
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La préhistoire
de la connerie
Jean-Paul Demoule
Professeur émérite d’archéologie
à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
membre honoraire de l’Institut universitaire
de France et ancien président de l’Institut
national de recherches archéologiques
préventives (Inrap).
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T
out a très mal commencé : on ne sait même
pas, en effet, d’où vient le mot « con ». Certes,
du latin cunnus, mais au-delà ? On met parfois
cunnus en relation avec le latin cuniculus, lui-même
d’origine inconnue mais peut-être ibérique, et qui
désigne à la fois le lapin et une petite galerie souter-
raine… En effet, comparer le sexe féminin à un petit
lapin pourrait ne pas être très différent que de le com-
parer à un félidé femelle, allusion à chaque fois à une
douce pilosité. Mais cette étymologie conjecturelle est
parfois qualifiée de « populaire », donc suspecte.
Si l’on remonte maintenant à l’hypothétique langue
indo-européenne originelle censée avoir été parlée au
néolithique quelque part en Europe, les linguistes qui
s’en disent spécialistes hésitent à faire dériver ce cunnus
d’une racine skeu qui voudrait dire « cacher », ou au
contraire d’une racine kust qui désignerait l’intestin ou
la vessie, ou encore d’une racine skere qui voudrait dire
« couper ». On rapproche aussi cunnus de l’anglais cunt
et du néerlandais kut, appellations vulgaires actuelles
du sexe féminin dans ces langues et qui proviendraient
d’un mot protogermanique kunton ; mais les linguistes
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se disputent pour savoir si ce kunton proviendrait à son
tour, toujours dans l’indo-européen originel, d’une
racine guneh, « femme » (à rapprocher du grec ancien
gunê, d’où provient « gynécée »), ou bien de la racine
genh, « naître » (à rapprocher du grec genos, qui a donné
« généalogie »), ou encore de la racine geu, « cavité »,
sans compter la racine kundjan, « allumer » (que l’on
retrouve dans l’anglais kindle)…
Dans tous les cas, cela n’explique pas pourquoi un
mot d’usage (très) vulgaire désignant à l’origine le sexe
de la femme servirait en même temps à qualifier la
bêtise humaine en général – même s’il est des expres-
sions ambivalentes, comme « con comme une bite ». Il
est difficile de ne pas y voir un symptôme éclatant de
la domination masculine. Dans l’excellente Psychologie
de la connerie (2018), Edgar Morin rappelait comment
Jacques Prévert, condamnant son utilisation injurieuse
et machiste, lui avait fait remarquer que « con » était
« un des plus beaux mots qui soit ». Mais je reviendrai
sur cette question originelle.
Des primates déjà très cons…
Retournons auparavant en ces temps, il y a quelques
millions d’années, où toutes sortes de primates arpen-
taient les savanes et forêts d’Afrique. Ces espèces frivoles
et primesautières copulaient les unes avec les autres, ne
cessant de se métisser. Sans entrer dans des détails trop
érudits, un promeneur ou une promeneuse aurait pu
identifier, selon les lieux et les époques, les ancêtres
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des gorilles, des chimpanzés ou des bonobos, mais
aussi bien des ardipithèques, des australopithèques,
des kenyanthropes, des sahelanthropes ou des
paranthropes, entre autres, tous subdivisibles eux-
mêmes en diverses et éphémères variétés – chaque
paléontologue (ils sont loin d’être cons) tenant à
chaque fois à définir sa propre espèce à partir de
quelques frêles fragments osseux.
Mais voici deux millions d’années émergea une
nouvelle espèce, Homo Erectus, ainsi nommé parce
que cet individu se tenait un peu plus droit que ses
congénères, position redressée qui eut aussi pour consé-
quence de rendre le sexe de la femelle (puisqu’on en
parle) beaucoup moins visible. Certains, trop curieux
ou irresponsables (ou trop cons), s’écartèrent un peu
plus, à chaque génération, de leur territoire africain
d’origine. Peu à peu, au fil des millénaires, quelques-
uns atteignirent ainsi l’Asie, où ils évoluèrent progres-
sivement en Homo Denisovensis, puis l’Asie du Sud-Est,
jusqu’à se retrouver isolés dans des îles de l’Indonésie
(comme Homo Floresiensis) ou des Philippines (comme
le tout nouveau Homo Luzonensis). Une connerie, d’ail-
leurs, car ces deux derniers y devinrent de plus en plus
petits, avant de disparaître – mais j’anticipe. D’autres
étaient remontés vers l’Europe et se retrouvèrent, au gré
des glaciations, dans des environnements très froids, ce
qui était plutôt, et inutilement, inconfortable : c’étaient
les Hommes de Néandertal. Encore heureux qu’ils
aient appris à domestiquer le feu !
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La plupart des Erectus, cependant, étaient sagement
restés sous les cieux cléments de l’Afrique. Ils n’en
continuaient pas moins à « évoluer », puisque telle était,
chez cette espèce comme chez d’autres, l’incontour-
nable – mais aux résultats pas toujours très heureux –,
« loi » de la sélection naturelle : une peau plus noire
protégeait certes mieux des rayonnements solaires, mais
un cerveau plus gros, avec plus de connexions neuro-
nales, était plus propice à des idées nouvelles et plus ou
moins saugrenues – ou, autrement dit, à l’invention de
nouvelles conneries. D’autres espèces, telles les étoiles
de mer, s’étaient trouvées très bien comme elles étaient,
ayant atteint une sorte de perfection, et n’« évoluaient »
plus depuis des centaines de millions d’années : la
sagesse… À la sélection naturelle s’ajoutait la sélection
sexuelle, c’est-à-dire le choix préférentiel de telle ou tel
partenaire dotée ou doté de telle ou telle particularité
physique – sans que l’on sache si des critères non maté-
riels entraient aussi en ligne de compte, une propen-
sion à la connerie par exemple.
Et avec Sapiens, ça ne s’arrangea pas…
Nos Erectus se transformèrent donc peu à peu,
en divers points d’Afrique et à partir de 300 000 ans
environ, en Homo Sapiens. Et à nouveau, les plus irres-
ponsables (les plus cons ?) d’entre eux commencèrent,
il y a quelque 160 000 ans, à s’aventurer peu à peu
hors d’Afrique vers des contrées de moins en moins
hospitalières, de plus en plus froides, jusqu’à carrément
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Crédits photos Intérieur :
P. 16, 30, 44, 50, 64, 76, 90, 100, 112, 124, 138, 152, 166, 182, 194, 208, 222, 236,
254, 264, 280, 292, 306, 318, 332, 350, 356, 374, 386, 400, 410, 426, 438, 452, 474
©Marie Dortier ; p. 8, 12, 22, 70, 93, 118, 132, 149, 156, 170, 178, 199, 204, 215, 242,
261, 270-271, 286, 302, 313, 321, 328, 343, 344, 378, 390-391, 403, 406, 430, 445,
465, 468, 479, 480 ©AdobeStock ; p. 58 ©Shutterstock ; p. 83, 97, 297, 368 ©Designed
by Freepik ; p. 34, illusion de Delboeuf, A.E. Parrish, S.F. Brosnan & M.J. Beran, «
Do you see what I see? A comparative investigation of the Delboeuf illusion in humans
(Homo sapiens), rhesus monkeys (Macaca mulatta), and capuchin monkeys (Cebus apella)
», Journal of Experimental Psychology: Animal Learning and Cognition, 41, 2015 ; p. 35,
illusion du corridor, I. Barbet, & J. Fagot, « Perception of the corridor illusion by baboons
(Papio papio) », Behavioural Brain Research, 132 (1), 2002 ; p .36, illusion du solitaire,
A.E. Parrish, C. Agrillo, B.M. Perdue & M.J. Beran, « The elusive illusion : Do children
(Homo sapiens) and capuchin monkeys (Cebus apella) see the Solitaire illusion? », Journal
of Experimental Child Psychology, 142, 2016.