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L'Histoire de L'esclavage Et de La Traite Collectif

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Sous la direction de Marc Cheb Sun

L’Histoire de l’esclavage et de la traite


négrière

10 nouvelles approches
Maison d’édition : J'ai lu
© E.J.L., 2021
Dépôt légal : mai 2021
ISBN numérique : 9782290257357
ISBN du pdf web : 9782290257371
Le livre a été imprimé sous les références :
ISBN : 9782290257340
Ce document numérique a été réalisé par PCA
Présentation de l’éditeur :
L’histoire de l’esclavage et de la traite négrière n’est pas uniquement celle
des Noirs ; elle nous concerne tous. Elle n’appartient pas qu’au passé
puisqu’elle imprègne notre présent. Elle a façonné la souffrance d’un
peuple, mais aussi mis en place des mécanismes sociaux, politiques et
économiques qui perdurent. Cette histoire parle de domination,
d’impérialisme, mais également de la façon dont des hommes et des
femmes ont, au quotidien, transcendé l’oppression en se révoltant, en
témoignant, en imaginant.
Dans ces pages, d’éminents spécialistes, historiens ou politiques, font surgir
de l’ombre des vérités méconnues sur l’esclavage et la traite négrière.

Couverture : Hervé Pinel © Éditions J’ai lu

Biographie de l’auteur :
Ont contribué à cet ouvrage : António d’Almeida Mendes, Jean-Marc
Ayrault, Pascal Blanchard, Myriam Cottias, Doudou Diène, Réjane Éreau,
Fanny Glissant, Aline Helg, Maboula Soumahoro, Françoise Vergès, ainsi
que les rédacteurs de dailleursetdici.news.
Avant-propos

Depuis le vote de la loi Taubira le 21 mai 2001 tendant à la


reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre
l’humanité, l’enseignement de cette histoire a, certes, progressé mais reste
très insuffisant.
Retracer ce pan de l’humanité est essentiel pour construire et se projeter
dans une identité plurielle qui ne saurait se figer ni dans son passé, ni dans
ses souffrances, ni dans les silences dont elle a, trop longtemps, été
entourée.
Il s’agit d’un enjeu majeur pour ne plus céder aux sirènes de l’exclusion
qui, de discriminations en invisibilisation, de contrôles au faciès en
propagation d’un racisme et de stéréotypes ravageurs, voudrait maintenir
une population dans un statut d’illégitimité.
Aussi nécessaires soient-ils, cet enseignement et cette transmission
pluriculturelle (littérature, cinéma, expositions, conférences, lieux de
mémoire, programmes scolaires), ne résoudront pas tous les problèmes
d’exclusion cités. Mais ils restent, à l’évidence, une condition essentielle
pour aller de l’avant. À toutes celles et ceux qui, une fois de plus, hurleront
à la « victimisation » et se targueront de refuser la « repentance », rappelons
qu’enseigner cette histoire, c’est aussi enseigner celle des résistances (une
large place leur est consacrée dans cet ouvrage), des refus, des révoltes, des
mouvements qui ont réduit à néant le funeste projet visant à déshumaniser
les victimes. Ce qui a justement fait de cette longue histoire un crime contre
l’humanité.
Cet ouvrage se veut un remède à ces manques, avec dix thématiques qui
se complètent et s’entrecroisent.
Saisissez-vous-en pour créer de l’échange, du débat, du désir de savoir.
Il est né d’une impulsion conjuguée à des années de pratique et de
réflexion. Faisons surgir cette histoire des affres de l’oubli : elle se prolonge
jusqu’à aujourd’hui et n’en finit pas de hanter notre société plurielle.
Ensemble, changeons cette donne.

Marc Cheb Sun

Marc Cheb Sun est directeur éditorial de D’ailleurs et d’ici. Il a participé


à plusieurs ouvrages collectifs, dont La France une et multiculturelle, sous
la direction d’Edgar Morin et Patrick Singaïny (Fayard). Il a publié en
2020 son premier roman, Et je veux le monde (JC Lattès/La Grenade).
1
La traite transatlantique repose-t-
elle sur une idéologie racialiste ?
Par Fanny Glissant

Fanny Glissant a produit plus d’une soixantaine de films documentaires


qui l’ont conduite du Brésil jusqu’en Afrique du Sud en passant par les
États-Unis. Avec Les Routes de l’esclavage 1, elle signe en tant que co-
autrice, coréalisatrice et productrice la première série documentaire
internationale qui embrasse l’histoire de l’esclavage et des traites dans leur
globalité.

L’esclavage, une pratique très ancienne et répandue

Le fait que l’esclavage soit perçu comme une pratique qui concerne
avant tout les Africains est une vision tronquée de l’histoire de
l’humanité. La question centrale, en réalisant la série Les Routes de
l’esclavage, était justement de comprendre comment ces différentes routes
se sont finalement concentrées sur la région subsaharienne et comment
l’esclavage qui, à l’échelle de l’histoire, a concerné majoritairement des
populations dites « blanches » – le vocable « esclave » vient de « slave » – a
basculé vers un esclavage exclusivement africain au point de créer un
deuxième vocable, « nègre », qui prétend signifier à la fois « noir » et
« esclave ».
L’esclave est défini par sa force de travail, sa seule fonction sociale. Il
est ainsi privé de son ascendance et de sa descendance. Pour que des
sociétés fabriquent un statut d’esclave, il faut d’abord construire une
distance avec l’Autre. Une distance facilement permise lors des guerres, ou
appuyée sur des différences d’ethnies, de religion.
On trouve des esclaves dans bon nombre de civilisations très
hiérarchisées, dans la Grèce et la Rome antiques, en Égypte, ou encore en
Europe au Moyen Âge.
On peut lire chez Aristote que la nature crée des êtres destinés à
commander ; d’autres, au contraire, caractérisés par leur seule force
corporelle, seraient destinés à l’obéissance.

Traite « transsaharienne » plutôt que traite « arabo-


musulmane »

Il est préférable d’utiliser des critères géographiques plutôt que culturels


ou religieux : si nous parlons de « traite arabo-musulmane », il faudrait
alors nommer une traite « occidentalo-chrétienne ». Les notions
géographiques rendent mieux compte des zones de production (là où l’on
fabrique des esclaves à partir de captifs) et des zones d’exploitation (zones
d’arrivée des esclaves).
Dans l’esclavage transsaharien, la « race » n’est pas la question qui
prévaut. Ce sont des caractères attribués à certaines populations qui
permettent de vendre des hommes et des femmes pour les esclavagiser,
selon des critères fabriqués : une ethnie décrite plus travailleuse et résistante
aux corvées, des Éthiopiennes présentées comme « bonnes reproductrices »,
certaines femmes jugées idéales pour les harems, des hommes de l’est de
l’Afrique subsaharienne supposés devenir de « bons eunuques », etc. On
désigne ces « particularités » supposées propices à la mise en esclavage ;
elles sont éditées dans des manuels qui précisent la « qualité » de ces
différentes peuplades.
On assiste cependant à une évolution de la représentation générale des
Noirs dans les premiers siècles de la traite. À partir du moment où celle-ci
prend une dimension continentale, en devenant essentielle pour l’économie
des marchés arabes, un imaginaire relatif aux peuples où l’on puise les
esclaves va être créé de toutes pièces afin de légitimer l’esclavage des
Noirs. Ce dernier va se développer à travers des récits de voyages, des
récits de marchands ; des compilations qui vont se développer entre le
e e 2
XIV et le XVI siècle, jusqu’à Léon l’Africain . Ces préjugés quant aux

populations noires vont imprégner durablement les sociétés moyen-


orientales.

Des femmes choisies pour l’esclavage domestique


La traite transsaharienne concerne, aux deux tiers, des femmes alors que
dans la traite transatlantique, la proportion est presque inversée. Une
donnée qui renvoie à la conception du genre prévalente dans les sociétés
esclavagistes ainsi qu’aux différents projets d’utilisation des esclaves, selon
les besoins.
On peut citer par exemple le traumatisme datant de l’époque abbasside,
au IXe siècle, dans la péninsule Arabique. Pour assécher les marais, on y
rassemble des esclaves en grand nombre. Or ces esclaves, les Zanj, vont
déclencher une immense révolte qui durera plus de vingt ans. La
conséquence sera le quasi-abandon de l’esclavage de production.
La traite transsaharienne organise un esclavage qui sera, avant tout,
domestique. Précisons qu’il faut faire attention au mythe qui ferait de cet
esclavage domestique un esclavage « doux ». Celui-ci est au contraire
intrinsèquement violent et ceci jusque dans l’intimité la plus secrète. Dans
l’esclavage domestique, les femmes vont payer le prix fort. Elles sont
utilisées comme concubines, violées et exploitées sexuellement. Elles vont
peupler les harems de l’Afrique du Nord et de tout le Moyen-Orient.
Cela entraîne des situations très complexes. En effet, les femmes
esclaves sont porteuses d’une certaine mobilité sociale à l’intérieur d’un
rapport de domination. Elles vont produire des enfants qui, dans la culture
musulmane, prendront automatiquement le statut du père, et seront de ce
fait affranchis. De plus, et c’est paradoxal dans des sociétés qui séparent les
hommes des femmes recluses à l’intérieur des maisons, les femmes esclaves
peuvent fréquenter les endroits mixtes. Elles ont la possibilité de circuler
car elles ne sont qu’une fonction et sont, de ce fait, totalement
déshumanisées. Les considérations genrées ne les concernent donc pas.
Elles peuvent aller au marché, négocier, représenter une maison sans
déshonorer la mère de famille. En somme, elles ont une vraie utilité dans
l’organisation sociale.
Elles servent aussi à indiquer le statut de leur propriétaire, et
symbolisent des signes extérieurs de richesse. Plus il y a d’esclaves, plus la
maison est riche. On leur donne d’ailleurs des noms incroyables : Succès,
Prospérité, Abondance ou encore Gazelle, Rose Sauvage, Musc, qui
évoquent des articles de luxe.
Elles occupent enfin, dans l’organisation de la parentalité, un rôle non
négligeable. Le taux de mortalité est, à cette époque, très important. Si un
parent meurt et que l’enfant est loin, et si son ascendance n’est pas en
mesure d’accompagner le malade, l’esclave va souvent assister la personne
jusqu’à son lit de mort. Avec la possibilité d’être affranchi pour service
rendu.
Lors de la naissance d’un enfant dans une famille, une petite fille
esclave peut être achetée afin d’être élevée en même temps que l’enfant qui
vient de naître. On crée une sorte de sororité où le niveau de confiance et de
proximité est suffisamment grand pour limiter le plus possible les risques de
révolte.
Toutes ces techniques sont là pour cadenasser et permettre un contrôle
intime des femmes dans un système qui est intrinsèquement violent.

Traite transatlantique et « race »


Alors qu’en Afrique des femmes travaillent aux champs, la conception
européenne veut que ce labeur soit avant tout masculin. Les premiers
bateaux européens vont donc chercher principalement des hommes. En
réalité, tout le monde va finalement travailler dans des conditions
extrêmement dures, hommes comme femmes. L’espérance de survie en
esclavage est très courte. Elle n’excède pas une durée de huit ans dans
certaines plantations. La rentabilité d’un esclave est calculée sur quatre
années de travail : le temps nécessaire pour amortir le coût des expéditions
de traite puis de mise en esclavage. Au-delà, c’est du pur profit.
C’est dans la plantation caraïbe que va se construire la « race ». Les
plantations sont gérées par des économes majoritairement blancs. Ils vont y
développer des relations strictement utilitaires. Dans ces plantations, la
main-d’œuvre est majoritairement noire et l’organisation sociale est la
même qu’il s’agisse de plantations de sucre, de café, etc. Ces sociétés
reposent sur 89 % d’esclaves africains, nouveaux arrivants dans les
colonies. De cette polarisation extrême se cristallise la construction de
la « race » : un système en noir et blanc.
Comme l’explique Marcus Rediker 3, lorsque des hommes quittent les
côtes anglaises ou françaises, ils sont normands, bretons, écossais,
anglais… Sur les côtes africaines, il y a des Peuls, des Sosos, des
Mandingues, des Soninkés… Alors s’opère une incroyable transformation :
lorsque les Européens arrivent sur les côtes de la Caraïbe, ils deviennent des
Blancs face à des Noirs. Au XVIe siècle, si on demande à un Beauceron s’il
est blanc, il ne saura pas répondre car cela ne correspond à aucune
représentation sociale, à aucune vision connue de lui. À cette époque, il n’y
a aucune construction identitaire racialisée. Il faut attendre la mise en place
de la plantation caraïbe, et d’une société socialement polarisée et racialisée,
pour utiliser cette terminologie.
La question de la hiérarchisation des races, de cette pensée pseudo-
scientifique, se développera plus encore à partir des abolitions de
l’esclavage. En effet, au sein même de la pensée des Lumières, il y a cette
faille terrible : l’esclavage et la possibilité de déshumaniser une population
en la réduisant à sa force de travail, tout en définissant le concept de liberté
individuelle, universelle et inaliénable. À partir du moment où les
sociétés démocratiques se mettent en place, il faut construire plus de
différence et développer l’idée de l’Autre afin de pouvoir continuer les
conquêtes et les dominations. La hiérarchisation des races devient l’outil
idéal de cette construction d’un « nous » et d’un « eux ».

Colorisme et métissage
On peut parler de « colorisme » dans la société caraïbe : quarterons,
mulâtres… Il existe dans ces sociétés esclavagistes un lexique
impressionnant pour définir la couleur de peau des uns et des autres, avec
une échelle d’ancêtres noirs allant de 1/2 (« mulâtre ») à 1/64 (« sang-
mêlé » à Saint-Domingue). La couleur de peau correspond à différentes
possibilités sociales. Au Brésil, par exemple, des femmes, en fonction de
leur couleur, pourront être vendeuses, brodeuses ou tisseuses pour
accumuler le petit pécule qui leur permettra d’être affranchies. La proximité
avec le maître permet aussi à ses enfants métis d’être possiblement
affranchis.
Au fur et à mesure de cette cohabitation – d’une violence extrême –
entre esclaves et maîtres va apparaître cette population libre de couleur qui
connaîtra une grande mobilité. De fait, tout en se développant au prix de
grandes violences et de viols répétés, le métissage crée aussi de
nouvelles fonctions sociales.

L’exemple de Sao Tomé

Dans le golfe du Bénin, l’île de Sao Tomé est inhabitée lorsqu’elle est
découverte par des navigateurs portugais, en 1471. Elle devient une sorte de
laboratoire d’expérimentation esclavagiste, dès 1530. On y cultive la canne
à sucre en employant des contremaîtres métis, dont les pères sont
possiblement portugais et les mères issues de grandes familles
aristocratiques de la côte africaine. Dès l’origine de la plantation sucrière,
tout en construisant un système maîtres blancs/esclaves noirs, on sait qu’on
aura besoin des métis, vus comme une population intermédiaire, pour
fluidifier les rapports sociaux d’une extrême violence.

Christianisme et racialisme

L’Église joue son rôle d’entité politique. Un système économique se


met en place et, parce que le monde occidental est régi par des lois
religieuses, l’Église encadre tout naturellement, dès le XVe siècle, le droit de
réduire des hommes en esclavage. La dite « malédiction de Cham »
(l’interprétation d’un verset biblique stipulerait que les fils de Cham
auraient été noircis et maudits du fait de leurs péchés 4 ) intervient plus
tardivement. Elle sera utilisée par les exégètes pour permettre, continuer et
valider un système déjà en place. Au XVIIe siècle se pose la question de
l’évangélisation des esclaves. On leur donne les trois Sacrements. Dans les
Petites Antilles, les esclaves sont baptisés à l’arrivée en terre chrétienne. Le
mariage n’existe pas : la durée de vie des esclaves est trop courte pour
réfléchir à une organisation sociale pérenne des familles. Tout est pensé
pour l’exploitation, et régi par le profit.
Le second esclavage, après l’abolition de la traite, en 1807, va
concerner avant tout les États-Unis et le Brésil. La question de la
reproduction du « cheptel » servile devient rapidement centrale… Il faut
donc faire grossir cette population. Des fermes de reproduction sont mises
en place, la bénédiction du mariage est accordée et même encouragée, ce
sacrement étant essentiel pour constituer des familles. Le ventre des
femmes devient un deuxième lieu d’exploitation pour produire des enfants
qui, à leur tour, vont travailler sur les champs. En effet, à partir du moment
où il y a des familles, les esclaves seront beaucoup moins fugitifs.
La traite transatlantique marque donc bien une rupture racialiste
avec les autres formes d’esclavage. Une rupture qui se prolongera avec le
développement d’une idéologie fabriquée à travers les conquêtes coloniales
et leur politique de domination.

Propos recueillis et mis en forme par Marc Cheb Sun, auteur et


directeur de la rédaction de dailleursetdici.news
Des dénominations raciales

Proportion
Saint-Domingue Guadeloupe/Martinique
d’ancêtres noir

7/8 Sacatra -

3/4 Griffe Capre

5/8 Marabou -

1/2 Mulâtre Mulâtre

1/4 Quarteron Métis

1/8 Métis Quarteron

1/16 Mamelouk Mamelouk

1/32 Quarteronné -

1/64 Sang-mêlé -

La classification ci-dessus a pour but de mesurer la proportion de sang « noir »


d’un individu (colonne de gauche) en fonction des origines de ses ancêtres. Une
dénomination est attribuée pour chaque degré de métissage, qui diffère selon
qu’on se trouve à Saint-Domingue ou en Guadeloupe (colonne du milieu et de
droite). Cette théorie sert à justifier une hiérarchisation raciale des personnes.
2
Résistances des victimes
Par Myriam Cottias

Myriam Cottias est historienne, directrice de recherche au


CNRS (Laboratoire caribéen des sciences sociales, Université des Antilles),
directrice du Centre international de recherche sur les esclavages et les
postesclavages (CIRESC, CNRS). Elle a coordonné plusieurs programmes
de recherche internationaux et a été présidente du Comité national pour la
mémoire et l’histoire de l’esclavage (CNMHE, 2013-2016). Elle est
corédactrice en chef de la revue Esclavages et Post-esclavages et autrice de
plusieurs ouvrages en relation avec les traites et les esclavages, parmi
lesquels Esclavages et subjectivité dans l’Atlantique luso-brésilien et
français (XVIIe-XXe siècles) 1.

La résistance à la traite qui déporte dans les terres d’Amérique et dans


l’océan Indien les populations d’Afrique, et à la mise en esclavage dans les
différentes sociétés esclavagistes, débute au XVIe siècle, dès le début du
processus de domination, de violence et de déshumanisation. Individuelle
ou collective, la résistance s’est déroulée au moment du départ, pendant
la traversée ou dans les sociétés esclavagistes, et s’est inscrite dans un
plan de rejet par les esclaves de leur condition et de leur statut.
Résister à la déportation
La traite, c’est-à-dire le commerce des êtres humains organisés dans le
système atlantique, débute dès le XVIe siècle. Quand elles quittent l’Afrique,
les personnes capturées n’ont pas le statut d’esclave, ce sont des captifs et
des captives (sauf pour certain.e.s qui étaient esclaves dans leur société
d’origine). La vente en place publique lors du débarquement des navires
négriers, à l’arrivée dans les sociétés coloniales, leur donne ce statut. Il
correspond à une prise de possession par un propriétaire, à une mise au
travail forcé et à une situation de déshumanisation, de domination et de
contrôle qui se veut absolue. Mais les personnes soumises à ce régime ont
toujours montré combien elles pouvaient résister à ces systèmes.
Les campagnes de traite sont organisées en Europe mais la capture se
déroule en Afrique, principalement sur la côte de l’Afrique (fédération
Ashanti, royaume d’Abomey, royaume du Kongo, Mozambique et
Madagascar). Les Européens possèdent alors des comptoirs fortifiés le long
de la côte atlantique et paient des tribus, des taxes, aux souverains pour
engager les discussions commerciales. Des razzias sont opérées sur les
villages. Quoique le combat soit inégal, des résistances à la traite s’y
organisent. Des romanciers ont très bien décrit comment les nouvelles
circulent sur les chasseurs de marchandises humaines. Dans son roman
Ségou 2, Maryse Condé raconte comment les villages sont informés de ces
razzias et comment ils tentent de s’en protéger. On dit aux enfants de ne pas
s’éloigner du centre du village parce que des razzieurs africains et des
hommes blancs peuvent les attraper. Il y a également des suicides pour se
soustraire à la capture.
Une campagne de traite ne se fait pas en une fois et il arrive que les
bateaux négriers attendent plusieurs mois ou doivent faire plusieurs arrêts
sur la côte africaine avant d’avoir le nombre de captifs fixé par l’armateur
européen. De sinistres objectifs sont établis par les armateurs : il faut
obtenir un nombre défini de personnes, et pas dans un seul endroit. Les
bateaux se déplacent sur la côte en attrapant des captifs selon la règle d’un
marché régulé par des rois africains. Ils vont de port en port, de fort en fort,
pour atteindre l’objectif fixé dans le contrat. Au fur et à mesure, la demande
va augmenter. Il y a aussi pénétration des terres : généralement, le long des
fleuves. Des captifs sont amenés à pied jusque dans les forts au bord de
l’Atlantique (Arguin, Gorée, Ouidah…). On emprunte alors des chemins de
traite qui vont des terres aux ports. Au terrible nombre de victimes estimé
(de l’ordre de douze millions et demi), il faut ajouter un tiers de personnes
mortes sur ces longs chemins de traite, soit près de sept millions d’hommes,
femmes et enfants.

Le rôle des rois africains


« Les Africains ont vendu leurs frères africains » : cette affirmation est
souvent utilisée pour minorer l’importance de la traite organisée par
l’Europe. Cette phrase sous-entend qu’il y aurait « trahison » et « traîtrise »
morales entre des personnes qui auraient une même origine et
appartiendraient au même monde. Or, l’Afrique est constituée d’empires et
d’États. La notion de frères africains est erronée jusqu’au XIXe siècle
(moment où l’Afrique est pensée comme entité globale, sur le plan politique
et culturel) : comme tout autre continent, l’Afrique a une histoire. Et
l’histoire se fait aussi par des oppositions, des guerres entre États constitués,
des conquêtes qui, comme partout, font des captifs dont le sort est peu
enviable. Face à la demande européenne, certains chefs d’État vont
effectivement négocier des captifs (le plus souvent des étrangers à leur
société sauf en cas de règlement de comptes politiques) en échange de
produits qui ont beaucoup de valeur : des fusils, des chevaux, des devises
très cotées sur le cours international. L’économie est dominée par des
Européens qui exercent un pouvoir sur des royautés africaines. Mais ces
rois africains formulent très bien leurs attentes économiques et contrôlent
l’accès aux captifs dont ils connaissent le destin sans être exactement au fait
de la violence esclavagiste.
Il y a eu quelques retours vers l’Afrique. La « porte du non-retour 3 »
créée par Joseph Ndiaye sur l’île de Gorée, symbolise le départ, mais
quelques déportés africains dans les Amériques sont revenus sur les terres
d’origine. Ainsi, deux princes du Vieux Calabar (Nigeria), Ancona Robin et
Little Ephraim, ont été vendus au XVIIIe siècle, en 1767 : ils ont été déportés
en Dominique dans la Caraïbe, puis aux États-Unis, en Virginie, et leur
histoire a été recueillie par des abolitionnistes. Ces princes vont revenir en
Europe, à Bristol, y être libérés grâce à des abolitionnistes anglais, puis ils
repartiront en Afrique… où ils redeviendront marchands d’esclaves !
Par ailleurs, des rois africains à la tête d’États musulmans se sont
opposés à la traite avec les Européens pour garder captive cette population
et la faire travailler au sein de leurs propres États.

Rébellions et résistances sur les navires

Sur les navires, là encore, se manifestent des phénomènes de


résistance. Des personnes captives se suicident en se jetant par-dessus bord
pour ne pas partir en déportation. Et puis il y a cette peur – réciproque –, la
peur d’être mangé. Les captifs craignent d’être mangés par les Blancs, c’est
une terreur face à l’inconnu avec l’idée que l’on est englouti lorsqu’on est la
proie d’une force dominante. C’est un mélange de données factuelles et de
croyances. Et les Blancs ont cette même peur, car l’imaginaire d’alors
associe l’Afrique au cannibalisme.
Des rébellions se déroulent dès le départ des forts. Parfois les captifs
prennent le contrôle du navire et forcent l’équipage à les ramener à terre. La
révolte peut survenir à la suite de manque de vivres et d’eau. Ces révoltes
sont redoutées car elles mettent en péril, du point de vue des organisateurs
des voyages de traite, leur investissement financier. En 1785, les captifs se
révoltent, tuent tous les marins et se suicident en faisant exploser les barils
de poudre qui sont sur le bateau.
On connaît le cas du navire Amistad, dont le célèbre film de Spielberg
raconte l’histoire. Le 2 juillet 1839, alors que la traite est devenue illégale,
53 captifs dirigés par Joseph Cinqué se révoltent. Ils demandent au
capitaine de les ramener en Afrique mais celui-ci les trompe et les amène
aux États-Unis, près de New York où ils sont arrêtés. Un procès est alors
instruit. En 1841, en appel, la cour qualifie leur révolte de légitime défense
et ordonne leur libération. En 1842, ils retournent en Afrique.

De multiples résistances en terres de déportation

Dans toutes les sociétés esclavagistes, des résistances se sont


développées.
Dans l’Empire français, Saint-Domingue, appelée la Perle des Antilles,
est la colonie qui produit le plus de sucre. Elle garantit l’équilibre de la
balance commerciale française et lui attribue un surplus de production qui
permet de commercer avec d’autres pays. C’est donc une colonie
extrêmement importante, mais aussi extrêmement violente puisque la durée
de vie moyenne pour les personnes mises en esclavage y est de huit années
alors que, sur une plantation guadeloupéenne ou martiniquaise, elle se situe
autour de quinze ans. La différence d’organisation des sociétés coloniales a
un effet concret sur la vie et la mort des esclaves. Saint-Domingue est une
colonie de rentabilité où les maîtres sont absents. Ce sont des gérants de
plantation qui organisent un travail tourné vers un profit maximum. Le
souci de cette main-d’œuvre esclave est moindre : acheter de nouveaux
captifs est plus facile et moins cher qu’assurer la longévité des esclaves ou
de leurs enfants. La logique est sinistrement économique.
Dans les Antilles françaises, c’est un autre modèle. Il s’agit d’une
colonisation plus ancienne que Saint-Domingue, avec une population de
maîtres esclavagistes implantée sur le sol. Ceci introduit des relations entre
maîtres et esclaves sensiblement différentes. Les violences restent
extrêmes : entre 0 et 5 ans, 70 % des nouveau-nés esclaves meurent. Malgré
cela, à partir de 1800, on constate un accroissement naturel de cette
population dans les Antilles françaises, qui n’aura jamais lieu à Saint-
Domingue où l’on reste dans une logique de renouvellement avec des
populations captives qui viennent remplacer les esclaves décédés.
Partout, les résistances se mettent en place très rapidement, et de façon
continuelle, dès la mise en esclavage. Elles prennent plusieurs formes. Des
femmes avortent pour refuser que leurs enfants soient mis en esclavage ;
d’autres vont les tuer à la naissance. Le pourcentage de suicides est
important, c’est aussi une façon de se soustraire à l’esclavage avec l’idée
que, en mourant, on retourne en Afrique.
Il y a des empoisonnements, c’est d’ailleurs la grande peur des maîtres.
Que leur ampleur soit réelle ou en partie imaginaire, on a constaté des
vagues de mortalité attribuées à l’empoisonnement dans toutes les colonies.
Et puis, bien que sévèrement punie, une résistance au quotidien se
développe, comme le refus de travailler ou le sabordage des instruments de
labeur.

Révoltes et soulèvements

Des révoltes et soulèvements vont s’organiser. Saint-Domingue en


marque l’apogée avec la cérémonie du Bois Cayman, dans la nuit du
23 août 1791 et le soulèvement général des esclavisé.e.s. Cette révolution
qui embrase la colonie française la conduit à l’indépendance en 1804. Saint-
Domingue change de nom pour s’appeler Haïti (en reprenant le nom pré-
colonial).
Après Haïti, les révoltes deviennent plus fréquentes, à partir du
e
XIX siècle où l’on va détruire les possessions des maîtres et obliger les
mouvements humanistes à rechercher des solutions en vue de l’abolition.
Depuis le début du système esclavagiste s’est développé le
« marronnage ». L’expression vient du terme espagnol cimarron qui signifie
« s’échapper, s’évader ». On différencie le grand marronnage du petit
marronnage. L’expression « petit marronnage » tient à des raisons
géographiques : il a lieu sur des colonies de taille réduite. C’est un
marronnage qui dure peu de temps. Peu ou prou, les maîtres savent alors où
se trouvent ces esclaves marrons. Ils vont organiser des campagnes pour les
récupérer. Dans les petites Antilles, on crée une police spéciale pour
rechercher les marrons.
Et il y a le « grand marronnage » sur un espace qui est beaucoup plus
vaste et très montagneux. Ce phénomène se retrouve, dans l’espace colonial
français, à Saint-Domingue et en Guyane. Les Boni de Guyane sont une
communauté qui descend des esclaves en fuite. C’est vrai aussi en Jamaïque
où il y a des négociations entre les communautés marronnes et les autorités.
Le grand marronnage conduit à des réorganisations de sociétés qui
deviennent des sociétés autonomes et vivent à la marge du système
esclavagiste.

Des résistances culturelles


Les Africains qui arrivent sur les colonies y viennent avec les cultures
de différentes sociétés : des rythmes musicaux, une mémoire, des
croyances, des savoirs et des coutumes qui ne peuvent évidemment être
reproduites à l’identique. Ils vont alors les transformer, les redéfinir à partir
de leurs nouvelles conditions de vie. C’est un phénomène de résistance
culturelle. Ces faits culturels et religieux vont se mélanger avec une culture
européenne, elle-même très diverse au XVIIIe siècle. En France, on parle à
l’époque plusieurs langues. Des croyances, des peurs, des symboles vont se
mélanger, se créoliser avec les croyances africaines. Les danses d’Afrique
se mêlent aux danses d’Europe. Une langue naît, le créole. Il mêle du vieux
français à des termes empruntés à plusieurs langues d’Afrique. Il se
mélange aussi à la langue des marins qui, du fait de leurs différentes
origines, ont créé un baragouin leur permettant de communiquer. C’est une
première étape du créole qui, lui, est une vraie langue, va se stabiliser et
devenir le moyen de communication, y compris avec les maîtres
esclavagistes.

Victimes et résistants

L’esclavage tend à déshumaniser, à réduire un humain à sa seule force


de travail, à devenir un outil de production 4. Ainsi, les esclaves peuvent être
vendus avec la plantation. C’est un facteur essentiel de la relation
esclavagiste. Les résistances démontrent que, malgré l’horreur,
l’humanité a toujours persisté. C’est pour cela que nous, chercheuses et
chercheurs travaillant sur les sociétés esclavagistes, différencions deux
termes. Nous parlons d’« esclaves » pour évoquer un statut juridique,
mais d’« esclavisé.e.s » pour nommer l’être humain mis en esclavage,
celui qui garde son humanité. Les résistances en sont un exemple et il est
important de les traduire dans les termes. Si l’on dit aux personnes qui se
sentent porteuses de cette histoire : « Vos ancêtres n’étaient que des
objets », cela produit des dégâts considérables en termes de construction de
soi. Les esclaves étaient victimes d’un système esclavagiste mais, dans le
même temps, les esclavisé.e.s ne se sont jamais pensés comme des victimes,
ils ont toujours résisté et nous devons transmettre cette humanité
inaltérable.

Propos recueillis et mis en forme par Marc Cheb Sun, auteur et


directeur de la rédaction de dailleursetdici.news
Qu’est-ce que le Code Noir ?
« En 1685, le Code Noir, qui est un règlement de police pour codifier les
nouvelles colonies esclavagistes, déclare que les esclaves sont des biens
meubles, une force de travail attachée à la terre que les esclavagistes
exploitent », explique Myriam Cottias.
Ce Code légifère notamment les délits, peines et châtiments, y compris les
mutilations comme le marquage au fer, ainsi que la peine de mort (articles 33-36
et 38) : tout fugitif disparu pendant un mois aura les oreilles coupées et sera
marqué d’une fleur de lys avant d’avoir le jarret coupé en cas de récidive, et
condamné à mort à la deuxième récidive.
Une part importante du Code Noir traite également des relations familiales. Le
maître, « qui n’était point marié à une autre personne durant son concubinage
avec son esclave, épousera dans les formes observées par l’Église ladite esclave,
qui sera affranchie par ce moyen, et les enfants rendus libres et légitimes »
(article 9).
Un enfant né de parents esclaves devient à son tour esclave, selon
l’article 12. L’article 13 précise que « si le mari esclave a épousé une femme libre,
les enfants tant mâles que filles suivent la condition de leur mère, et que si le père
est libre et la mère esclave, les enfants sont esclaves pareillement ».
3
La lutte contre l’esclavage :
le rôle des femmes
Par Françoise Vergès

Françoise Vergès, politologue féministe antiraciste, s’interroge sur les


problématiques de l’esclavage et des logiques postcoloniales. Présidente du
Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage de 2009 à 2013, elle est
notamment l’auteure du catalogue de l’exposition Dix femmes puissantes
paru en 2013 pour le Mémorial de l’abolition de l’esclavage de Nantes, de
La Mémoire enchaînée : Questions sur l’esclavage (Albin Michel, 2006)
ainsi que d’Une théorie de la violence : Pour une politique antiraciste de la
protection (La Fabrique, 2020).

Des résistances plurielles


L’histoire de l’esclavage colonial est à la fois commune et diverse, car
non seulement celui-ci dure plusieurs siècles (du XVe siècle au XIXe siècle) et
dans plusieurs endroits du globe, mais il connaît aussi des bouleversements
causés par les résistances incessantes des esclaves. Dans les colonies
françaises, encore plus qu’ailleurs, les esclavagistes choisissent de recourir
principalement à l’importation d’hommes. Ce déséquilibre entre les
hommes et les femmes aura des conséquences. Sous l’esclavage, ces
dernières ne seront jamais protégées par leur genre. Alors que la « femme
blanche » fragile, soumise et douce est inventée, les femmes noires ne sont
pas considérées comme « femmes ». Les esclavagistes les font travailler, et
les punissent, aussi durement que les hommes. Mais domestiques,
nourrices, travailleuses, elles sont aussi exposées à des violences sexuelles.
Dans les plantations, les formes de résistance des femmes sont
multiples – culturelles, économiques, politiques. Elles se battent pour que
leurs enfants ne soient pas vendus ou soient préservés des travaux les plus
durs, elles participent aux insurrections et aux rébellions. Elles
« marronnent » (s’enfuient des plantations) et sont membres de
communautés libres en Jamaïque, au Brésil, à l’île de la Réunion, à
Trinidad, en Colombie, en Guyane française, et ailleurs. D’autres sont de
véritables cheffes de guerre, de grandes stratèges.

Résister juridiquement

D’autres encore font des procès à leurs propriétaires qui veulent


s’emparer de leurs enfants ; elles montrent leur capacité à défendre
leurs droits. Certaines gagnent même leur procès. Elles établissent des
petits commerces, tiennent des auberges. Elles publient des témoignages.
Contre tous les obstacles, contre toute la brutalité et la violence
esclavagiste, elles demeurent actrices de leur histoire.
Des femmes noires ont ainsi mené ces longues et difficiles batailles
juridiques pour obtenir leur liberté ou pour exiger une compensation
financière comme Elizabeth Freeman qui, en 1781 aux États-Unis, gagne
son procès et obtient une indemnisation pour ses années de travail servile.
Son cas fera jurisprudence. Aux Antilles, des femmes esclaves font
appliquer par le tribunal l’article du Code Noir qui fait de leurs enfants des
êtres libres, si elles-mêmes le sont. Les esclavagisées comprennent
comment fonctionne la loi et comment la contourner ou la combattre.

Résister économiquement
Les résistances économiques sont diverses. Des femmes noires vendent
leurs marchandises sur des marchés dans les Caraïbes ou au Brésil, comme
le montrent déjà des tableaux du XVIIe siècle. D’autres tiennent des
auberges, sont repasseuses, couturières, modistes, lavandières, épicières,
nourrices. En France, les archives d’une présence féminine noire sont
encore très fragmentaires. Le journal d’une communarde de 1871 évoque
une femme noire cantinière dans son régiment mais sans donner aucun
détail. Des recherches beaucoup plus fines seront nécessaires mais on sait
que dans les colonies en Martinique, en Guadeloupe ou à La Réunion, des
femmes tenaient des petits commerces, des étals de marché, étaient
ouvrières agricoles.

Témoigner
Si des femmes esclavagisées sont prêtresses, assurent la transmission de
savoirs et de rituels, peu auront l’occasion de faire publier leurs
témoignages, ce qui rend les quelques autobiographies et textes connus
encore plus précieux. Les obstacles ne relèvent pas seulement de l’accès à
l’écriture ou à l’impression. Quand Phillis Wheatley, première poétesse
noire connue, publie ses créations, trois ans avant la révolution américaine 1,
la société blanche refuse de croire qu’une Noire en est l’auteure. Car le
racisme repose sur l’idée d’une inhumanité des Noir.e.s, de leur incapacité à
faire preuve de créativité artistique. Avec leurs publications, Mary Prince,
Harriet Tubman ou encore Harriet Jacobs, démontrent l’absurdité de cette
idée.
Dès que la photographie est inventée, des femmes noires s’en saisissent
comme Sojourner Truth qui se fera photographier plusieurs fois dans sa vie,
dans une pose pleine de dignité, assise avec un livre à la main. Ainsi, elle
renverse les représentations stigmatisant les femmes noires. Sillonnant les
États-Unis, elle prône l’abolition de l’esclavage et les droits des femmes et
intervient, en 1851, à la première National Women’s Rights Convention à
Worcester dans le Massachusetts. Elle y prononce son plus fameux
discours : « Ne suis-je pas une femme ? », répondant ainsi à un homme qui
lui conteste son humanité. Dans les colonies françaises, aucun texte de
femmes esclavagisées n’est connu. L’histoire de leur résistance s’est
transmise oralement à travers les mémoires.

Des figures féminines de résistance

En Jamaïque, Cudjoe Queen Nanny, cheffe marronne, importante figure


spirituelle et grande résistante, contrôle avec son frère Quao la région des
Blue Mountains et, ensemble, ils fondent Nanny Town où des esclaves
libérés s’installent. Grande stratège, Cudjoe Queen Nanny mène une
guérilla, notamment en dissimulant ses troupes sous des feuillages afin que
les soldats anglais ne les voient pas et tombent dans leurs embuscades. La
communauté qu’elle dirige parviendra à imposer aux Anglais des traités
reconnaissant leur souveraineté. Elle pratique le commerce, le troc, cultive,
crée une culture spécifique.
Au Brésil, au XVIIe siècle, dans les communautés marronnes très bien
organisées, appelées quilombos, Dandara devient l’une des grandes figures
de la résistance afro-brésilienne. En août 1791, lorsque les esclaves de
Saint-Domingue se soulèvent, des femmes, comme Sanité Belair, Marie-
Jeanne Lamartinière, Catherine Flon, Marie-Claire Heureuse, ou Victoria
Montou, combattent dans les armées révolutionnaires haïtiennes. Elles sont
infirmières, cantinières, portent le fusil ; plusieurs d’entre elles
meurent héroïquement sous les coups de l’armée française. Des rivières
et des montagnes portent aujourd’hui leur nom.
Souvent, seul le prénom d’une résistante apparaît, furtivement, comme
Claire, maronne du XVIIIe siècle en Guyane française. À l’île de La Réunion,
on ne connaît pas grand-chose d’Héva, marronne de la première moitié du
e
XVIII siècle, si ce n’est qu’elle vécut avec son compagnon marron,
e
Anchaing, jusqu’à leur mort dans les montagnes. Au XIX siècle,
Harriet Tubman, une des grandes héroïnes de l’Underground Railroad aux
États-Unis, mène plus de 300 familles d’esclaves des plantations du Sud
vers les États du Nord ainsi qu’au Canada où l’esclavage était aboli. Elle vit
dans des conditions extrêmement dangereuses, risquant sa vie à chaque
minute, puisque les esclavagistes avaient le droit de tuer les esclaves qui
s’échappaient et les personnes qui les aidaient.
Si les luttes des femmes noires sont encore à découvrir, malgré de
grands progrès, c’est que les archives coloniales non seulement sont
fragmentaires, mais privilégient les hommes. L’histoire des femmes noires
continue de s’écrire.

Le caractère sexiste du racisme


Les femmes noires ont toujours montré que racisme et sexisme étaient
intimement liés. Elles ont démontré les interactions entre représentations,
lois, exploitation, racisme et pratiques sociales et culturelles, que la
construction du genre est traversée par la race et la classe.
Esclaves, quand elles étaient enceintes, elles devaient travailler jusqu’au
dernier jour, parfois accoucher dans les champs où elles étaient souvent
reléguées aux travaux les plus durs. Elles devaient s’occuper des enfants
des femmes blanches, avant des leurs.
Les femmes noires n’ont jamais cessé de se battre. Au XXe siècle,
elles ont continué à être actives dans les luttes. Aux États-Unis, elles ont
créé un syndicat des travailleuses domestiques ; à La Réunion, celui des
lavandières. En Guadeloupe et en Martinique, elles ont participé aux
grandes grèves dans les usines et les plantations, elles ont participé à toutes
les luttes. Aujourd’hui encore, elles sont là, au sein de Black Lives Matter,
les luttes contre les violences policières et les féminicides.

Les limites du mouvement féministe européen

Dans les colonies, les femmes blanches esclavagistes ont été aussi
cruelles et dures que les hommes, comme l’ont montré des historiennes.
Celles qui avant leur mariage possédaient des êtres humains imposaient de
les garder comme leur propriété dans leur contrat de mariage, pour pouvoir
les punir ou les vendre à leur guise, sans l’accord de leur époux.
En France, des membres de familles riches résidant dans les colonies
esclavagistes tissent ainsi des liens étroits entre colonie et métropole, mais
la présence noire reste à distance. Quand des esclavagistes viennent avec
leurs domestiques esclaves noir.e.s, l’inquiétude s’installe. Une « police des
Noirs », créée en 1777, interdit aux Noir.e.s de circuler librement. Si des
Noir.e.s apparaissent dans des tableaux, c’est pour faire contraster leur peau
noire à la « beauté » et à la blancheur des personnages centraux.
Dans le mouvement abolitionniste européen qui émerge au XIXe siècle et
qui lie l’Amérique du Nord, les Caraïbes, l’Angleterre et l’Europe, des
femmes émergent, comme Amanda Berry Smith. En France, l’auteure de la
Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne de 1791, Olympe de
Gouges, s’élève contre l’esclavage au début des années 1780 avec la
première pièce du théâtre français dénonçant le système économique
esclavagiste, Zamore et Mirza. Pourtant, cet anti-esclavagisme féministe
n’ira pas jusqu’à combattre pour une réelle égalité car il ignore le racisme.
L’anti-esclavagisme européen n’affaiblit pas le racisme anti-Noir.e, et s’il
est pour l’abolition de l’esclavage, il n’envisage pas une complète égalité.
Aux États-Unis, la féministe nord-américaine Elizabeth Cady Stanton
proteste en 1865 contre le droit de vote accordé aux hommes noirs avant de
l’être aux femmes blanches. Ce « discours de la priorité », dira Sojourner
Truth, ne vise pas l’égalité pour toutes et tous.
Les questions que soulèvent les luttes des femmes esclaves ne
deviendront jamais une cause centrale du féminisme européen. Pour la
plupart de ces féministes, les femmes noires restent des victimes à sauver et
à protéger.

Le Code Noir ne fait pas de distinction entre les sexes

Le Code Noir (promulgué par Louis XIV en mars 1685) ne fait pas
distinction ni entre les sexes ni entre les âges. Femmes, hommes, enfants y
sont tous déclarés « meubles », comptés au même titre que des mules, des
chaises ou des tables. Femmes, enfants et hommes sont punis de la même
manière – coups de pied, oreille coupée, marques au visage, mutilations. Là
où une distinction se fait, c’est dans le statut de l’enfant qui suit le statut de
la mère, le père n’ayant aucun droit.

Les héritages de l’esclavage colonial

Aujourd’hui encore, les héritages de l’esclavage colonial continuent


de peser de manière spécifique sur les femmes noires. Elles n’ont
toujours pas accès à la justice reproductive. Les politiques de contrôle des
naissances restent racistes. Dans les années 1960-1970, des milliers
d’avortements et de stérilisations forcés ont été pratiqués à l’île de La
Réunion alors qu’en France la natalité était encouragée et l’avortement
criminalisé. Les femmes noires sont en majorité employées dans les métiers
sous-qualifiés et sous-payés. L’exploitation continue. On continue de les
accuser de ne pas être de bonnes mères et d’avoir une sexualité débridée.
Tout cela, ce sont des restes de l’esclavage.
Une femme noire vit le fait d’être femme et noire. Pas l’un ou l’autre.
Le féminisme français qui reste historiquement indifférent à la situation des
femmes non blanches est un féminisme qui ne défend pas la libération de
toutes les femmes.
Ces héroïnes, ces résistantes sont, aujourd’hui encore, des modèles pour
contrer un récit de passivité et de victimisation. Elles sont bien sûr victimes
de l’esclavage mais elles ne sont pas restées passives. Ce sont des leçons de
courage, de détermination et de solidarité, des messages de liberté et
d’égalité qui restent tout à fait pertinents. Quand en Haïti, les
révolutionnaires ont proclamé Tout mounn sé mounn (l’égalité entre
humains), les Haïtiennes ont ajouté que, sans la libération des femmes
noires, toute la société ne serait pas libre. Les récits de toutes ces femmes
rebelles sont passionnants. Ils constituent un message d’égalité tout à fait
contemporain.

Propos recueillis et mis en forme par Florian Dacheux,


journaliste, pour dailleursetdici.news
Qui est Sojourner Truth, esclave
affranchie ?
Née esclave sous le nom d’Isabelle Baumfree autour de 1787 à New York,
Sojourner Truth fait rapidement le lien, une fois adulte, entre l’oppression des
femmes et celle des esclaves. Elle change son nom le 1er juin 1843 pour s’appeler
Sojourner, manière d’affirmer son rôle de voyageuse. Truth pour montrer aux gens
la voie de la vérité. En 1850, ne sachant ni lire ni écrire, elle dicte ses Mémoires à
l’écrivain William Garrison. Alors qu’elle parcourt les États-Unis pour dénoncer
l’esclavage, elle prononce un discours en 1863 contre le racisme : « Dieu n’aime-
t-il pas autant les enfants de couleur que les enfants blancs ? » En 1865, elle
monte volontairement dans les tramways de Washington destinés aux Blancs afin
de dénoncer la ségrégation. Infatigable, elle militera jusqu’au bout de sa vie pour
l’accès des Noirs à la propriété privée et pour l’émancipation des Afro-Américains.
Elle meurt le 26 novembre 1883.

Bon, les enfants, quand il y a autant de raffut quelque part, c’est qu’il y
a quelque chose de chamboulé. Je crois qu’entre les Noir·e·s du Sud et les
femmes du Nord, qui parlent tou·te·s de leurs droits, l’homme blanc va
bientôt être dans le pétrin. Mais de quoi parle-t-on ici au juste ? Cet homme
là-bas dit que les femmes ont besoin d’être aidées pour monter en voiture,
et qu’on doit les porter pour passer les fossés, et qu’elles doivent avoir les
meilleures places partout. […] Et ne suis-je pas une femme ? Regardez-
moi ! Regardez mon bras ! J’ai labouré, planté et rempli des granges, et
aucun homme ne pouvait me devancer ! Et ne suis-je pas une femme ? Je
pouvais travailler autant qu’un homme (lorsque je trouvais du travail) ainsi
que supporter tout autant le fouet ! Et ne suis-je pas une femme ? J’ai mis
au monde cinq enfants, et vu la plupart d’entre eux être vendus comme
esclaves, et quand j’ai pleuré avec ma douleur de mère, personne à part
Jésus ne m’écoutait ! Et ne suis-je pas une femme ?
Extrait du discours de Sojourner Truth à la Convention des
droits des femmes (1851)
4
Résistances des Européens
Par Aline Helg

Aline Helg est professeure émérite d’histoire des Amériques à l’université


de Genève. Ses recherches et publications portent sur l’esclavage et son
abolition, la diaspora africaine, le racisme pseudo-scientifique, les
relations raciales et ethniques comparées ainsi que sur les processus
d’indépendance et de construction nationale en Amérique latine. Elle est
notamment l’auteure de Our Rightful Share : The Afro-Cuban Struggle for
Equality, 1886-1912 (1995), Liberty and Equality in Caribbean Colombia,
1770-1835 (2004), et Plus jamais esclaves ! De l’insoumission à la révolte,
le grand récit d’une émancipation (1492-1838) (Éditions de La Découverte,
2016).

De la contestation de l’esclavage par les quakers


à la campagne britannique contre la traite
L’abolitionnisme est un mouvement d’origine religieuse et anglo-
saxonne qui vise à supprimer l’esclavage. Bien sûr, les esclaves n’ont pas
attendu son émergence pour chercher à se libérer. Dès le XVIe siècle, des
milliers d’entre eux y parviennent en s’enfuyant, en achetant leur liberté ou
en l’obtenant de leur maître, et constituent la classe sociale dite des « libres
de couleur ». Mais l’abolitionnisme se situe à un autre niveau : il veut
interdire le système social et économique qu’est l’esclavage et sa source, la
traite d’Africains esclavisés.
Dès la fin du XVIIe siècle, dans les colonies britanniques de la Barbade et
de la Pennsylvanie, puis en Grande-Bretagne, quelques protestants
dissidents, surtout parmi les quakers, jugent la traite et l’esclavage
contradictoires avec leur vision du christianisme : selon eux, tous les êtres
humains sont des créatures de Dieu, égales en humanité, qui ne peuvent
donc pas être esclavisées – la plupart des catholiques et des protestants, eux,
considèrent alors que l’esclavage est légitime car reconnu par la Bible.
Progressivement, les quakers condamnent la traite puis l’esclavage comme
des péchés. En 1761, ils interdisent à leurs membres de négocier et posséder
des esclaves, mais estiment que ces derniers doivent être émancipés
graduellement, après un processus d’évangélisation et d’éducation.
Ce discours libérateur se propage dans d’autres sphères de la société, et
des esclaves se l’approprient pour exiger leur liberté immédiate après le
baptême. Mais la guerre d’indépendance des États-Unis (1775-1782) divise
provisoirement les abolitionnistes entre les Étatsuniens de la Pennsylvania
Abolition Society qui, dès 1780, font adopter par leur État la première loi
d’abolition graduelle des Amériques, et les Britanniques, qui créent en 1787
le Comité pour l’abolition de la traite des esclaves (non pas l’abolition de
l’esclavage).
En Grande-Bretagne les abolitionnistes lancent une campagne sans
précédent contre la traite pour sensibiliser une opinion publique souvent
analphabète et ignorante des conditions de vie des esclaves des colonies. Ils
recourent à des techniques de mobilisation alors inédites : procès pour la
libération d’esclaves amenés en métropole par leur maître, lobbying
parlementaire, enquêtes chiffrées et illustrées sur la traite négrière,
pamphlets, poèmes et chansons, formation d’un réseau de soutien local,
meetings publics, participation d’Africains libérés, diffusion des
autobiographies poignantes de trois d’entre eux (Ottobah Cugoano, Olaudah
Equiano et Ignatius Sancho), pétitions munies de milliers de signatures,
boycott du sucre et du rhum produits par les esclaves. Et aussi l’émission de
posters montrant des documents chocs, tel le plan d’un navire négrier
chargé de 482 esclaves, et la création d’un logo, le médaillon de
Wedgwood, qui suscite l’empathie : un esclave enchaîné demandant à
genoux « Am I not a Man and a Brother ? »

La Révolution française, la révolte de Saint-Domingue


et la première abolition française

Le mouvement abolitionniste britannique fait des émules en France : en


1788, la Société des amis des Noirs est créée et compte 141 membres, dont
Condorcet, Mirabeau, Brissot, Lamartine et l’abbé Grégoire. Circonscrit à
des élites éclairées, le mouvement est vite dépassé par la Révolution de
1789 et par les révoltes dans les Antilles françaises.
À Saint-Domingue, en particulier, ce sont d’abord les « libres de
couleur » qui, dès 1790, s’approprient la proclamation révolutionnaire de
l’égalité pour réclamer la suppression des lois de discrimination raciale
dans les colonies. En 1791, ce sont les esclaves qui s’insurgent et exigent la
liberté, dans la révolte servile la plus massive de l’histoire des Amériques.
Menée tant sur le mode de la guérilla par des Africains survivants de la
traite que par des combattants plus conventionnels, sous le commandement
de Toussaint Louverture, un ancien esclave affranchi, l’insurrection n’est
que partiellement jugulée. Elle contraint les commissaires de Saint-
Domingue, alors sous la menace d’une invasion par les armées royales
britannique et espagnole, à déclarer en 1793 l’abolition de l’esclavage afin
de pouvoir mobiliser les esclaves dans la défense armée de la colonie. En
1794, sans qu’il y ait popularisation de l’abolitionnisme en France, la
Convention nationale abolit « l’esclavage des nègres » et « décrète que tous
les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont
citoyens français ». Ce décret révolutionnaire est reçu dans la liesse par les
quelque 600 000 esclaves de Saint-Domingue, de la Guadeloupe et de la
Guyane, désormais libres, mais reste sans effet en Martinique, alors
occupée par les Britanniques.

La restauration de l’esclavage par Napoléon


et l’indépendance d’Haïti,
première nation sans esclavage des Amériques

L’insurrection de 1791 chasse de nombreux colons de Saint-Domingue,


et Toussaint Louverture s’impose peu à peu pour devenir en 1797
gouverneur général de la colonie au nom de la France. Après son coup
d’État, Napoléon Bonaparte commence par renforcer le pouvoir du général
noir avant d’envoyer, en 1802, une armée de 20 000 hommes neutraliser les
officiers indigènes et rétablir l’esclavage ; une expédition moins fournie est
dépêchée à la Guadeloupe. Si Napoléon et le lobby esclavagiste parviennent
à leurs fins par des massacres en Guadeloupe, à Saint-Domingue, par
contre, les « nouveaux libres » (les Noirs bénéficiaires de l’abolition de
1794) et les « anciens libres » (les « libres de couleur » d’avant 1794)
s’unissent contre la restauration de l’esclavage et des discriminations
raciales et triomphent des troupes françaises. En 1804, Haïti, première
nation indépendante sans esclavage des Amériques, est née, mais la France
ne la reconnaît qu’en 1825, après l’avoir soumise au paiement de
réparations énormes.
Aux antipodes du médaillon de l’esclave enchaîné demandant
humblement son émancipation diffusé par l’abolitionnisme britannique, les
images de « Noirs révoltés » et « massacreurs de Blancs », largement
diffusées durant la révolution haïtienne, affaiblissent l’abolitionnisme
« blanc » et mettent en lumière le rôle historique des Noirs dans la fin de
l’esclavage.

L’après Révolution haïtienne :


de l’abolition de la traite à l’abolition de l’esclavage
Après la défaite napoléonienne de Trafalgar en 1805, le mouvement
abolitionniste britannique reprend du terrain : en 1807, il fait abolir la traite
par le Royaume-Uni, argumentant notamment que cet acte protégera les
Antilles britanniques d’une révolution de type haïtienne, dans laquelle des
guerriers africains récemment importés ont joué un rôle majeur. Pourtant,
l’espoir que l’arrêt des importations contraigne les maîtres à mieux traiter
leurs esclaves (qu’ils ne pourront désormais plus exploiter à mort et
remplacer par de nouveaux arrivants) ne se réalise pas. Londres initie alors
une politique d’« amélioration de l’esclavage » comprenant le contrôle
accru des planteurs, l’évangélisation des esclaves et la possibilité pour ces
derniers d’acheter leur liberté.
De leur côté, de nombreux esclaves ne se contentent pas d’une
amélioration de l’esclavage, ils veulent son abolition immédiate, souvent au
nom d’un christianisme égalitaire. Entre 1816 et 1831, ils se révoltent à la
Barbade, au Demerara, à la Jamaïque, et sont chaque fois réprimés dans le
sang. Mais les images et les récits de cette répression renversent ceux
véhiculés par la révolution haïtienne : dorénavant, ce sont les esclavagistes
« massacreurs de Noirs » qui sont dénoncés par les abolitionnistes. Ils
lancent une campagne d’abolition immédiate de l’esclavage basée sur les
techniques de mobilisation employées à la fin du XVIIIe siècle, et cette fois
appuyée par le mouvement ouvrier. En 1833, des milliers de pétitions
signées par un total d’un million et demi d’hommes et de femmes
parviennent au Parlement. Ce dernier décrète alors l’abolition de
l’esclavage au Royaume-Uni, incluant cependant l’indemnisation des
propriétaires et la méthode graduelle : le décret ne sera effectif qu’en
août 1834. De plus, avant d’être libres, les esclaves seront encore soumis à
six ans d’« apprentissage ». Loin de la liberté attendue, ce gradualisme
suscite tant d’opposition parmi les esclaves que les colonies britanniques
abolissent définitivement l’esclavage le 1er janvier 1838.
En France, le pouvoir de Napoléon devient de plus en plus dictatorial
après sa défaite à Saint-Domingue, et l’abolitionnisme est réduit au silence.
Le rétablissement brutal de l’esclavage en Guadeloupe et en Guyane et la
reprise de la traite sont peu contestés. Les importations d’Africains
esclavisés par les colonies françaises se poursuivent jusqu’à l’avènement de
la monarchie de Juillet en 1830. Ce n’est qu’après le décret britannique de
1833 que l’abolitionnisme reprend en France, avec la création de la Société
française pour l’abolition de l’esclavage en 1834. Celle-ci suit le modèle
britannique, mais avec une grande différence : elle ne réussit pas à
s’appuyer sur une large mobilisation populaire. En 1845, la monarchie de
Juillet adopte les lois Mackau pour améliorer la condition des esclaves,
similaires aux textes britanniques des années 1820. Des milliers d’esclaves
s’empressent alors d’acheter leur liberté, d’autres dénoncent leurs maîtres
pour mauvais traitements devant les tribunaux. Mais la campagne de la
Société française pour l’abolition de l’esclavage peine à former des comités
locaux et à faire signer des pétitions. Il faut attendre la révolution de 1848 et
l’avènement de la IIe République pour que le décret d’abolition de
l’esclavage, avec indemnisation des propriétaires, soit signé le 27 avril
1848, prenant effet deux mois plus tard. Les manifestations d’esclaves en
Martinique et en Guadeloupe forcent toutefois les gouverneurs à déclarer
l’abolition immédiate dès le mois de mai. Plus d’un demi-siècle après la
première abolition française de 1794 et quarante-six ans après le
rétablissement de l’esclavage par Napoléon, ce décret se réfère au dogme
républicain de 1789 : Liberté, Égalité, Fraternité.
La fin de l’abolitionnisme,
les questions de l’égalité et la fraternité
L’abolitionnisme est né de l’engagement de protestants dissidents en
faveur de l’égalité et la fraternité humaines, fondamentalement
incompatibles avec l’esclavage. Pourtant, une fois les principaux décrets
d’émancipation adoptés – en 1833, pour le Royaume-Uni ; 1848, pour la
France ; 1865, pour le sud des États-Unis ; 1886, pour Cuba ; et 1888, pour
le Brésil, entre autres –, les mouvements abolitionnistes se dissolvent et les
idéaux d’égalité et de fraternité disparaissent. Les idéologies dominantes
consacrent alors la supposée supériorité de la race blanche, laquelle justifie
la reprise de l’expansion coloniale de la France et du Royaume-Uni en
Afrique et en Asie et des politiques de discrimination à l’encontre des Afro-
descendants et des Amérindiens des Amériques. Presque partout, l’abolition
de l’esclavage inclut l’indemnisation des propriétaires pour leurs pertes en
« capital humain », mais elle n’accorde jamais de compensations aux
esclaves émancipés pour une vie de travail impayé : ni pécule, ni
distribution de terres, ni programmes d’éducation. Ces derniers se
retrouvent donc, partout, dénués face à l’avenir, munis seulement de ce qui
leur reste de force de travail et des espoirs qu’ils ont placés dans la liberté.
De plus, peu après l’abolition, les gouvernements marginalisent à
dessein les affranchis sur le marché du travail en faisant venir des dizaines
de milliers de travailleurs engagés d’Afrique et d’Asie, soumis à un travail
quasi forcé, et en accueillant des centaines de milliers d’immigrants
d’Europe chassés par l’industrialisation. En même temps, dans un cercle
vicieux raciste, ils font porter aux affranchis et à leurs descendants la
responsabilité de leur misère. Prétextant que la constitution de la république
ou de la nation garantit la liberté et l’égalité citoyenne aux Afro-
descendants, ils attribuent à leur soi-disant incapacité, voire à leur
« infériorité raciale », le fait que, même libres, ils continuent d’être au bas
de l’échelle sociale. Certes, la lutte pour la liberté des populations afro-
descendantes a pu être gagnée, en partie, grâce à plus d’un siècle
d’abolitionnisme, mais leur combat pour la pleine égalité se poursuit
jusqu’à aujourd’hui.

Propos recueillis et mis en forme par Walid Hajar Rachedi,


auteur et fondateur de Frictions.co

Qui est André-Daniel Laffon de Ladebat,


fils de négrier et abolitionniste ?
Né en 1746 à Bordeaux, le fils de l’armateur et négrier Jacques-Alexandre
Laffon de Ladebat a un avenir tout tracé : André-Daniel doit faire prospérer les
affaires familiales grâce à la traite négrière. Ses idées progressistes lui feront
prendre une autre direction. Le 26 août 1788, à l’Académie royale des sciences,
belles-lettres et arts de Bordeaux, l’homme prononce un texte mémorable : son
« Discours sur la nécessité et les moyens de détruire l’esclavage dans les
colonies ». « Réduire un homme à la condition d’esclave est donc, après le
meurtre, le plus violent des attentats », ose-t-il proclamer au sein du premier port
colonial de l’époque. Quelques années plus tard, le texte sera lu en séance à
l’Assemblée législative.
Si les positions de cet abolitionniste – et futur député – sont celles d’un
modéré, elles auront une influence importante car elles émanent d’un
représentant du grand négoce.
5
La traite négrière a-t-elle favorisé
le développement économique
de l’Europe ?
Par António de Almeida Mendes

Enseignant chercheur à l’université de Nantes, António de Almeida


Mendes est historien spécialiste de l’esclavage et des traites de la première
modernité. Codirecteur du Centre international de recherche sur les
esclavages et les postesclavages (CIRESC), il est membre de la Fondation
pour la mémoire de l’esclavage.

L’impact financier de la traite : un débat non résolu


Il convient de distinguer l’esclavage de la traite. Le premier est un
système de domination humaine. Il désigne un statut de propriété
individuelle et, dans le même temps, de travail non libre et non rémunéré.
La traite atlantique, notamment, est un mécanisme marchand qui a conduit à
la création d’une catégorisation raciale. Elle a profondément modifié les
sociétés actuelles qui en sont le produit, de part et d’autre de l’Atlantique. Il
peut y avoir esclavage sans traite, cela a été le cas dans de nombreuses
sociétés humaines. Mais à partir du XVe siècle, avec le mouvement que l’on
a longtemps nommé les « grandes découvertes » et les expansions
coloniales qui ont suivi s’est mis en place un système esclavagiste nouveau,
avec hiérarchisation de la race et transmission biologique du statut de
l’esclave. Auparavant être esclave pouvait découler d’un événement – la
prise de guerre, la mise en captivité, l’esclavage pour dettes – ou d’une
opposition comme celle entre chrétiens et musulmans en Méditerranée. À
partir de la traite transatlantique, ce statut social s’hérite et il est étroitement
lié à la couleur de la peau.
La question des retours économiques de la traite n’est pas encore
entièrement résolue. Plusieurs courants historiographiques s’affrontent.
L’un, de penchant marxiste, est très axé sur les chiffres et l’image de la
plantation sucrière. Il se développe dans les années 1970-1980 et associe la
figure de l’esclave à un statut de victime passive. Les esclaves ne seraient
que marchandises : des « pièces » au service d’un système inégalitaire. Ce
courant cherche à relier esclavage et capitalisme, à expliquer le passage du
féodalisme et du servage à des sociétés européennes capitalistes.
Une tendance plus récente, incarnée notamment par le chercheur Dale
Tomish, ne nie pas l’imbrication entre développement économique de
l’Europe et traite. Elle privilégie, en revanche, la vision parallèle d’une
mutation européenne en société de consommation de masse au XVIIIe siècle,
ainsi que le développement d’une classe moyenne qui dope le système de la
traite et des sociétés coloniales aux Amériques, dans les années 1770. La
demande européenne croissante en produits coloniaux aurait provoqué
l’essor d’un « second esclavage », qui a stimulé les économies de traite.
Auparavant, le système n’aurait enrichi qu’une petite catégorie.
Le cœur du débat réside donc dans le fait de savoir si, parmi de
multiples facteurs, la traite est au centre du développement économique
de l’Europe.
Quelle que soit la thèse privilégiée, il ressort qu’au XVIIIe siècle, la traite
fait partie intégrante du système économique européen et qu’elle est un
facteur central de recomposition de l’économie mondiale.

Peu de données et travaux disponibles en France


L’esclavage et la traite sont des sujets de recherche relativement récents,
qui n’ont pas été vus comme prioritaires pour penser l’histoire de la nation
française. Par ailleurs, l’histoire économique est en général le parent pauvre
de l’historiographie. Récemment l’économiste Thomas Piketty a travaillé
autour de la question de la production et du développement des inégalités
économiques associées à l’histoire coloniale, sur une longue durée. Il s’est
notamment intéressé au cas des Antilles après l’abolition de 1848. Il ressort
de ses travaux que l’abolition s’est accompagnée de réparations financières
substantielles au bénéfice des propriétaires d’esclaves, qu’il n’y a pas eu de
redistribution des terres après les abolitions. De ce fait, les inégalités entre
descendants d’esclaves et de planteurs restent encore très visibles dans les
Antilles.
Les Anglo-saxons sont décomplexés sur ces sujets. Des chercheurs de
l’université de Londres ont mis en ligne la liste de 3 000 propriétaires
d’esclaves et les détails sur les indemnités reçues 1…
Ces questions viennent se confronter au discours universaliste français
et au courant assimilationniste 2 qui les évacuent aisément. C’est un débat
compliqué dans le champ de la recherche universitaire. Par ailleurs, en
France, l’accès aux archives n’est pas simple, en particulier aux archives
privées car les familles tendent à les cacher. Celles des banques et des
compagnies d’assurances ne sont pas encore divulguées ou n’ont pas été
exploitées.
Le système bancaire et financier européen a été stimulé par la grande
Traite du XVIIIe siècle. Les Anglais – et notamment l’équipe de recherche
dirigée par Catherine Hall 3 – ont travaillé sur la naissance de la Lloyds, et
révélé que les aïeux de l’ancien Premier ministre Tony Blair devaient leur
fortune à la traite. Les banques portugaises développées au XIXe siècle
étaient très liées à l’économie sucrière et à l’esclavage au Brésil.

Les secteurs d’activité français ayant profité de la traite

Lorsqu’on mesure précisément la rentabilité d’une expédition négrière,


on oublie que l’activité du port de Nantes ruisselle sur toute la vallée de la
Loire et, entre autres, jusqu’à Sedan, où l’industrie textile a pu alimenter
l’activité de traite. On n’a pas mesuré en France l’impact économique
indirect de la traite en dehors de l’activité strictement maritime. On constate
pourtant, à cette même époque, un réel développement. La vallée de la
Loire a fortement profité de l’essor de la traite par l’intermédiaire du
développement de l’activité de raffinage du sucre.
Nantes est devenu au XVIIIe siècle un port de commerce international qui
doit beaucoup à la traite 4. Pour citer des références actuelles, les biscuits Lu
sont liés aux aliments emportés par les marins lors des expéditions ; la firme
sucrière Beghin Say a ses racines dans l’économie sucrière de Saint-
Domingue. De nombreuses familles nantaises possédaient des plantations à
Saint-Domingue et développaient l’industrie sucrière par l’esclavage. Les
travaux d’Olivier Pétré-Grenouilleau 5 ont notamment révélé que
l’enrichissement de Nantes est davantage dû à cette industrie qu’à la
navigation. Saint-Domingue devient au XVIIIe siècle le premier producteur
mondial de sucre. Après son indépendance, renommée Haïti en 1804,
l’activité s’est reportée sur Cuba et les autres îles des Antilles.
Ainsi l’économie maritime a objectivement été stimulée, le
commerce international également. Les villes portuaires de Bordeaux,
La Rochelle, Nantes, Lorient, Saint-Malo, Le Havre ont vu apparaître une
classe marchande d’armateurs qui s’est enrichie. Ils ne sont pas forcément
issus de la noblesse. Des particuliers s’associent pour monter des
expéditions. Et l’État soutient le secteur, avec différentes initiatives comme
la création du port et de la ville de Lorient en 1666, avec pour objectif de
fournir une base à la Compagnies des Indes orientales et de commercer
avec l’Inde. La ville doit d’ailleurs son nom à ce projet. De 1723 à 1725,
Lorient est devenu le premier port négrier français. Près de 170 expéditions
négrières sont recensées en ligne sur le site des Archives nationales 6.
La documentation est disponible via les journaux de bord de ces
expéditions. On peut en retracer les noms et les généalogies, car cela se
passait à une époque où les mariages restaient très endogames, et les gens
sédentaires. Toutes les typologies sociales de familles des environs ont pu
être liées à ce commerce. Les mêmes navires qui allaient chercher des
textiles en Inde faisaient du commerce triangulaire.

L’estimation du développement économique occidental


On a longtemps compté sur la déduction et l’extrapolation pour évaluer
la richesse produite par l’esclavage. Eric Williams, auteur de l’ouvrage
classique Capitalisme et Esclavage paru originellement en 1944, a estimé à
partir de données disponibles ce que la traite a apporté à l’économie
anglaise, qui ne possédait pas de ville industrielle vers 1750. Il attribue
l’essor industriel anglais à l’impact de la traite, et calcule qu’un Anglais
possédant dix esclaves aux Antilles fournissait quatre à cinq emplois dans la
métropole. Ce travail a été ensuite pondéré par les recherches de David Eltis
qui a recensé environ 95 % des expéditions négrières mondiales au sein de
la base de données The Slave Voyage. David Eltis apporte des chiffres
précis sur la quantité d’expéditions, et sur leur comptabilité tenue avec
rigueur. Ce domaine comptable doit beaucoup à la traite dont les
transactions étaient reportées très précisément car l’État français,
notamment, prélevait un tiers du prix de la vente de chaque esclave.
Néanmoins, ces chiffres ne tiennent pas compte de la traite illégale. En
effet, toute une partie des activités de la traite a pu être volontairement non
répertoriée pour éviter le paiement des taxes. On n’a aucune certitude de la
véracité des chiffres avancés officiellement, ni du degré de corruption de
ceux qui, pour l’État, contrôlaient ce système. Beaucoup d’argent était en
jeu.
Une thèse très intéressante de Kenneth Pomeranz 7 explique pourquoi la
Chine, qui a très longtemps été une puissance richissime, est entrée dans un
grand vide au niveau de son développement vers le XVIIe siècle. Son
immense marché intérieur ne la poussait pas à chercher des débouchés à
l’export, à l’inverse de l’Europe. La Chine n’a pas eu de colonie et s’est
repliée sur elle-même. Les Européens ont donc pu dominer les mers et le
commerce extérieur. Ils ont été à l’origine de la première mondialisation.
Pour autant, on ne peut pas décorréler l’esclavage et sa violence de tout ce
processus commercial, car l’Europe est la seule à avoir eu des colonies.
L’histoire va indéniablement dans le sens d’une occidentalisation du monde.

Rentabilité et démantèlement du système

On a pu chiffrer la rentabilité des expéditions mais elles varient, de 10 à


30 %, en fonction des périodes. Plus on avance dans le XVIIIe siècle, plus les
taux de mortalité des esclaves sont élevés. La traite étant devenue une
économie exponentielle, on prend moins soin de celles et ceux que l’on
qualifie de « pièces ». Le mécanisme était rôdé, les esclaves moins chers,
on pouvait retourner en chercher facilement. Après le pic de la traite
transatlantique des années 1760-1830, le système est devenu moins
rentable, on a perdu le contrôle du fait des révoltes. Cela a abouti à
l’émergence des thèses abolitionnistes et à la mise en image de l’esclavage
pour éveiller les consciences publiques. Les Britanniques ont décrété
l’abolition de la traite atlantique jugée inhumaine en 1807, cela a conduit à
plus de traite illégale et au développement de l’esclavage reproductif.
Le discours moralisateur autour de l’abolition n’aboutit pourtant pas à
l’égalité raciale. Les philosophes des Lumières comme Rousseau n’ont pas
remis l’esclavage en question. On est juste passé à la vision coloniale d’une
mission civilisatrice. On a développé des thèses biologistes expliquant que
les Africains sont, par nature, nés pour être au bas de l’échelle. On a
également pu s’interroger sur quel statut de travail serait le plus rentable :
celui d’ouvrier d’usine ou celui d’esclave ?

Les réparations financières

Si les abolitions ont conduit dans un premier temps à l’arrêt de la traite,


puis à l’arrêt de l’esclavage, on a pour cela indemnisé les planteurs de la
perte de leurs biens. La république d’Haïti a versé des milliards à l’État
français jusqu’en 1947 pour son indépendance, grevant ainsi son
développement. L’État a contribué à évaluer le montant des pertes pour les
colons revenus en métropole. La question de la réparation financière est
sensible : les familles de propriétaires faisaient partie des élites locales des
Caraïbes, mais elles ne recoupaient pas les lignes de démarcations raciales.
Ce sont des familles très métissées bien que rangées dans la catégorie des
Blancs concernés par ces indemnisations. On ne peut pas évacuer la
dimension de la couleur et de la race de ces sociétés, mais il reste
compliqué de dire comment il serait possible d’indemniser financièrement
ces territoires. Ce travail minutieux mais néanmoins crucial est en cours
afin de produire un discours dépassionné sur les réparations.

Propos recueillis et mis en forme par Bilguissa Diallo, auteure,


journaliste, pour dailleursetdici.news
Les colonies de plantation,
un modèle esclavagiste nouveau
Eric Williams a mis au jour un système caribéen où l’esclave est au cœur de
la plantation sucrière. Sur le temps long de l’esclavage et de la traite, ce système
constitue l’exception, mais il reste central dans la construction de l’idée de la
« race » et de la société coloniale.
Il a engendré des sociétés de plantation produisant un modèle esclavagiste
nouveau. Celui-ci repose sur l’importation de main-d’œuvre où l’on est esclave de
père en fils. L’affranchissement ne libérait pas à proprement parler. Seule la
possession d’esclave permettait d’accéder à la liberté. Ce phénomène
d’affranchissement d’anciens esclaves par la possession d’esclaves n’est pas
marginal dans les Antilles françaises. L’étude du statut des femmes « libres de
couleur », très métissées, a mis au jour l’impact de la hiérarchisation raciale dans
les sociétés caribéennes qui ont engendré des stratégies de « blanchiment » pour
sortir de la condition servile et connaître une ascension sociale.
6
Nantes, Bordeaux, La Rochelle :
l’héritage des grands ports
négriers français
Par Jean-Marc Ayrault

Ancien Premier ministre et maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault a été à


l’avant-garde du travail de mémoire sur l’esclavage mené par la cité des
ducs de Bretagne, ancien premier port négrier français. Il est désormais
président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, créée fin 2019.

Les grands ports et leur passé négrier :


un état des lieux chiffré

Figurant parmi les principaux pays esclavagistes d’Europe engagés dans


le commerce triangulaire, la France a organisé près de 14 % des campagnes
de traite négrière du continent. Dans l’Hexagone, la quasi-totalité des ports
de la façade ouest – Nantes, Bordeaux, La Rochelle, Lorient, Saint-Malo,
Le Havre… – et même Marseille, au sud, s’imposent comme les chevilles
ouvrières de ce business d’exploitation. Ainsi, du milieu du XVIIe siècle
jusqu’au milieu du XIXe siècle, la France organise 4 220 expéditions de
traite, dont 43 % sont menées par les armateurs nantais, responsables à eux
seuls de 5 à 6 % de la traite atlantique européenne. 1 714 navires entrent et
sortent de ce premier port négrier français, leurs cales remplies de
marchandises vouées à être échangées auprès des rois africains contre des
êtres humains capturés, déportés dans les plantations et réduits
en esclavage. En un peu plus d’un siècle, les navires nantais auront
transporté plus de 50 % des 1,3 millions de captifs africains enlevés vers les
colonies françaises. Des centaines de milliers d’autres Africains déportés
par les Français ont été embarqués dans des navires en provenance
du Havre, de La Rochelle ou de Bordeaux. Ces trois villes peuvent se
disputer peu ou prou le triste titre de deuxième port négrier du pays.
À commencer par Le Havre, avec 451 expéditions négrières comptabilisées
(100 000 captifs estimés), un nombre de navires qui grimpe à environ 580 si
l’on inclut le site d’Honfleur, de l’autre côté de l’embouchure de la Seine, et
celui de Rouen, fournisseur clé de capitaux pour armer les navires havrais.
Au-delà de ce complexe portuaire normand, La Rochelle affiche à son actif
448 expéditions (capture de 130 000 à 150 000 Africains), et Bordeaux
environ 420 (130 000 victimes).

Des villes françaises enrichies et façonnées par la traite


Le commerce triangulaire a largement contribué à leur prospérité. Tous
les grands ports de la façade atlantique lui doivent une part clé de leurs
richesses ; le patrimoine architectural fastueux de leurs quartiers historiques
en atteste. À commencer par Nantes, dont, au XVIIIe siècle, près d’un tiers du
commerce maritime au long cours correspond à des armements négriers,
une autre part étant consacrée à l’économie de plantation esclavagiste. Les
vestiges d’un tel passé sont donc nombreux dans la ville : les luxueux
immeubles d’armateurs de l’île Feydeau, le long des bords de Loire, les
sculptures de Neptune, dieu de la Mer, et surtout de Mercure, dieu du
Commerce, sont autant de preuves de cette activité. Sur certaines façades,
des mascarons aux traits africains témoignent de la présence de près d’un
millier de domestiques noirs dans la ville à cette période… Car même si
l’esclavage est alors interdit dans l’Hexagone, certains commerçants
n’hésitent pas à ramener des colonies des esclaves à leur service. Ce fut
aussi le cas dans la capitale girondine où les traces de la traite sont
multiples (voir encadré). Ne serait-ce qu’au fort du Hâ, où les premiers
habitants noirs de la cité furent – pour certains – enfermés. De fait,
4 000 personnes noires vivent à Bordeaux au XVIIIe siècle. La capitale de
l’Aquitaine a vécu de l’esclavage – peut-être davantage que d’autres ports
du pays – du fait de l’activité de ses commerçants propriétaires de
nombreuses plantations dans les colonies. En particulier à Saint-Domingue
où la majorité des planteurs esclavagistes vient de Bordeaux ou
d’Aquitaine. Mais aussi de La Rochelle où des fouilles attestent l’existence
passée de… seize raffineries de sucre dans la ville portuaire ! Des pots en
terre pour conserver des pains à sucre, de grandes cuves, des fours…,
auxquels s’ajoutent des hôtels particuliers reconnaissables à leur
architecture, ou encore des ex-voto 1 dans les églises. Le passé négrier
rochelais transparaît encore pour qui veut bien le voir. Ainsi, dans le
quartier du Gabut, où le vieux port a abrité un véritable chantier de
construction de navires. Les armateurs y entreposaient leur cargaison de
trocs (vins, armes, toiles de tissu imprimées…) en attente d’acheminement
vers l’Afrique. Toute une économie locale profite donc des opérations de
traite. D’autant que celles-ci s’achèvent – et c’est l’objectif – par l’afflux
massif en France de denrées coloniales (sucre, café, cacao, huile de palme,
rhum, indigo, roucou…) produites grâce à l’esclavage. À Bordeaux, par
exemple, les alcools forts partent dans le quartier des Chartrons, le reste
étant stocké dans les entrepôts Lainé, devenus aujourd’hui le musée d’Art
contemporain. À Nantes, au XIXe siècle, ces denrées permettront l’essor de
biscuiteries ou parfumeries. De quoi largement attester le rôle pivot de la
traite dans le dynamisme de ces territoires portuaires, qui deviendront, après
l’abolition de l’esclavage en 1848, les premiers ports coloniaux de
l’Hexagone.

Le travail de mémoire, fruit d’un long processus…


C’est une histoire douloureuse qui est longtemps restée enfouie. Dans
tous les anciens ports négriers, le travail de mémoire indispensable sur
l’esclavage prend du temps. Même à Nantes, lever un tel tabou tient de la
gageure. Un long processus initié il y a une trentaine d’années, bien souvent
sous l’impulsion d’associations d’ultra-marins pour faire accepter à la
société française – et en l’occurrence nantaise – son histoire. Ainsi, dans
l’ancien principal port négrier de France, un premier colloque a eu lieu en
1985, à l’occasion des 300 ans du Code Noir 2, mais la mairie refusa
l’organisation d’une exposition sur la traite qui devait également se tenir.
Celle-ci, baptisée « Les anneaux de la mémoire », a finalement eu lieu en
1992 au sein du château des ducs de Bretagne, attirant 400 000 visiteurs du
monde entier. Plus encore, depuis l’ouverture en 2007 du musée d’Histoire
de Nantes 3, les visiteurs bénéficient d’un éclairage sans concession sur ce
pan de l’histoire locale via un parcours dédié jalonnant une quinzaine de
salles sur les trente-deux de l’exposition permanente. La ville fut ainsi la
première de France à regarder son passé en face. Une reconnaissance qui
atteint son apogée en 2012 avec l’ouverture sur le quai de la Fosse – ancien
point d’accostage des navires du commerce triangulaire – du Mémorial de
l’abolition de l’esclavage. Unique dans l’Hexagone, ce monument est à la
fois un lieu de recueillement et de méditation.

… facteur de luttes symboliques

À Bordeaux également, la fin de l’amnésie sur la traite négrière reste le


fruit d’un lent mûrissement, d’abord initié par le rôle actif de la société
civile. Il faudra attendre 1995, avec la sortie du livre Bordeaux, port
négrier : XVIIe-XIXe siècles, de l’historien Éric Saugera 4, pour qu’un
électrochoc se produise. Dès lors, la capitale girondine passera de la posture
du silence à l’aveu de l’oubli. Première action phare : l’organisation, en
juillet 2005, d’un comité de réflexion sur la traite des Noirs. Suivie, en
2009, de l’ouverture, au musée d’Aquitaine, d’une section entière dédiée au
« Bordeaux lié à la traite ». Plus encore, la ville mise sur diverses
signalétiques pour rendre visible les traces de ce lourd héritage dans
l’espace urbain. Avec la pose d’une plaque commémorative sur les quais,
un symbole qui se trouvait initialement… dans un parking à proximité. Ou
encore celle de la statue de Modeste Testas, Africaine déportée à Saint-
Domingue par les Bordelais. De Bordeaux à La Rochelle, on rend aussi
hommage à Toussaint Louverture, père de l’indépendance haïtienne. Dans
la première, avec son buste posé dans un square à son nom. Dans la seconde
– qui comporte aussi une allée Aimé-Césaire 5 et une promenade Toussaint-
Louverture –, la statue de ce dernier est installée dans la cour du musée du
Nouveau Monde, au sein de l’hôtel Fleuriau, ex-résidence d’armateurs
rochelais, qui consacre une part de son exposition à cet obscur passé. Un
choix d’emplacement peu apprécié de certaines associations locales qui
lancèrent une pétition demandant un lieu plus visible, comme le port de
La Rochelle. Preuve qu’au-delà de telles actions, alliant des visites guidées
dans certains quartiers (voir encadré) aux traditionnelles commémorations
du 10 mai organisées par ces villes, un tel travail de mémoire reste une
affaire sensible. Surtout dans les ports initiant une telle introspection, à
l’instar de Lorient où les premières actions commencent véritablement
aujourd’hui. Au Havre, la municipalité s’est lancée en 2019 dans la
réalisation d’un livret pédagogique, à destination des élèves de la commune,
intitulé Le Havre, un port négrier. L’année précédente, une pétition
réclamait un lieu de mémoire dédié à la traite des Noirs dans la ville, pour
l’heure dotée d’une seule et discrète plaque explicative.
Un débat à déverrouiller pour une mémoire réconciliée

Statues de négriers déboulonnées aux États-Unis, en Belgique et au


Royaume-Uni, œuvres dégradées en France… À l’heure où les crispations
s’accentuent autour de la mémoire de l’esclavage, le moment semble venu
de franchir une nouvelle étape dans ce travail mémoriel. Or pour créer un
récit commun qui rassemble et répare les blessures du passé et les
fractures du présent, il ne s’agit pas de faire table rase des symboles de
la traite négrière. Bien au contraire, il faut plutôt les commenter, les
expliquer davantage, sans ambages. Alors que les revendications se
cristallisent notamment autour des noms de rues faisant référence à des
esclavagistes, à Nantes 6 ou Bordeaux, à la charge des élus locaux de mener
une réflexion au cas par cas. En analysant, avec la société civile, le
patrimoine dans l’espace public pour identifier les figures à débaptiser, et
celles dont le maintien exige de nouvelles plaques explicatives n’occultant
plus le sombre passé des intéressés. Ainsi, à Bordeaux, cinq panneaux ont
été apposés sous les noms de cinq rues, sur les vingt désignant des
armateurs. À Nantes, un panneau situé rue Kervégan, indique le travail
désormais à l’œuvre par la municipalité. Dans le centre du Havre, si cinq
rues 7 restent baptisées en l’honneur de ces commerçants, aucune ne
comportent encore d’explications sur leur implication. Des actions à venir
d’autant plus cruciales pour que la société française s’empare des questions
liées à la traite et à son continuum, la colonisation, dont elle marque la
première époque.
Diffuser les connaissances autour de cette période trouble n’est en rien
rechercher à diviser la nation. Il s’agit au contraire de la rendre plus forte.
Ne plus oublier cette page de notre histoire participe à endiguer le racisme
anti-Noirs, largement lié à celle-ci et, surtout, à sa méconnaissance.
Enfin, pour apaiser le débat en France autour de cette mémoire – et ainsi
dépasser la polarisation actuelle –, pourquoi ne pas s’inspirer des bonnes
pratiques de l’étranger ? La Grande-Bretagne œuvre pour la construction
d’une mémoire partagée, notamment dans les anciens ports négriers, de
Liverpool à Bristol. À Londres, le maire propose de créer une commission
de réflexion sur la représentation de cette histoire dans l’espace public. Ce
partage d’expériences menées sur le terrain peut contribuer à créer plus de
cohésion, et illustre – vingt ans après la loi Taubira 8 – le rôle central de ces
cités maritimes, pionnières de la mémoire. Tant elles assument leur héritage
complexe en le réintégrant dans leur récit global… Demain, espérons-le, la
France tout entière considérera ce sujet comme faisant pleinement partie de
son récit national 9 ! Car en s’imposant comme les fers de lance de la
conscience française sur l’esclavage dans l’Hexagone, après le travail
majeur réalisé par les élus d’outre-mer, ces grands ports ont réussi un tour
de force : celui de devancer l’État dans ce devoir de mémoire.

Propos recueillis et mis en forme par Charles Cohen,


journaliste, pour dailleursetdici.news
Mémoires & Partages : des visites
guidées qui révèlent les héritages
esclavagistes
Faire ressurgir les traces vivantes du passé dans des lieux de mémoire qui les
ont longtemps ignorées, c’est la vocation de l’association Mémoires & Partages,
fondée par l’essayiste Karfa Sira Diallo, qui organise des visites guidées, loin des
circuits formels, à Bordeaux, La Rochelle et au Havre, à la découverte des
vestiges de leur histoire patrimoniale esclavagiste et coloniale. Des immeubles
d’armateurs rue de l’Escale ou rue Réaumur à La Rochelle, la tombe d’Isaac, l’un
des fils de Toussaint Louverture, au cimetière de la Chartreuse de Bordeaux ou
encore le quartier bordelais du Triangle-d’Or avec son Grand Théâtre décoré
d’une fresque représentant une Noire enchaînée… Six parcours sont proposés
dans la capitale girondine (cœur de ville, quartiers de sucre…), ainsi qu’un
parcours à La Rochelle et un tout nouveau au Havre.
7
Comment l’esclavagisme
et le colonialisme se sont-ils
superposés dans l’histoire ?
Par Pascal Blanchard

Pascal Blanchard est historien, chercheur-associé au CRHIM (Centre


d’histoire internationale et d’études politiques de la mondialisation) à
l’université de Lausanne. En 1989, il fonde, avec Nicolas Bancel et de
nombreux chercheurs, le groupe de recherche Achac qui travaille sur les
champs liés aux questions coloniales, aux immigrations, aux enjeux
postcoloniaux. Il écrit, co-écrit et dirige de nombreux ouvrages, réalise
plusieurs expositions et documentaires, dont Décolonisations françaises. La
chute d’un empire (Éditions de La Martinière, 2020) et Décolonisations, du
sang et des larmes diffusé sur France 2 en octobre 2020.

Penser qu’il y aurait eu le temps de l’esclavage, puis celui de la


colonisation est une erreur, le passage entre les deux temporalités est bien
plus complexe. Les processus de colonisation et de fin de l’esclavage
vont se faire en superposition.
L’année 1830 est marquée par la conquête de l’Algérie ; 1848, par
l’abolition de l’esclavage. L’idée coloniale d’un « Nouvel Empire »
s’inspire de l’ancien empire : par le négoce, par la traite qui se prolonge
pendant deux décennies et le système esclavagiste dans les « anciennes
colonies », par la volonté de développer des comptoirs. La volonté aussi de
retrouver la dimension impériale d’une grande puissance française perdue
depuis 1763 : le traité de Paris 1 (qui mettra fin à la guerre de Sept Ans) et
qui fera perdre son premier empire colonial à la France.
On note par ailleurs un tournant décisif du contexte international.
L’économie mondiale se fonde dorénavant sur d’autres principes que la
seule économie de traite : l’économie impériale développe un sentiment de
commerce-monde et de nécessité d’adaptation aux échanges internationaux,
en sortant du seul mécanisme de la traite. Désormais, le système
d’exploitation s’organise de manière « différente » : déplacement de
populations, engagisme 2, travail forcé. Un présalariat voit même le jour
dans les vieilles colonies comme aux Antilles.
Enfin, les empires coloniaux ont besoin de se légitimer dans un contexte
où plusieurs nations sont en concurrence – Angleterre, France, Allemagne,
Italie, Empire austro-hongrois… Dans ce cadre, les accords internationaux
se signent sous la pression des opinions publiques anti-esclavagistes et un
nouveau rapport entre les grandes puissances. Ce contexte, conduisant à de
nombreuses conférences internationales, fait de la lutte officielle contre
l’esclavage un nouvel argumentaire des puissances occidentales. C’est dans
ce contexte-là que plusieurs nations sortent progressivement de la traite et
de l’esclavage.

e
Une continuité au XIX siècle

Lors de la conquête de l’Algérie, la France met en avant des arguments


juridiques, diplomatiques, militaires et sécuritaires… et la fin mythique des
barbaresques et du trafic d’esclaves. Mais cela ne suffit pas. Nous sommes
dans un temps où l’Occident se construit en voulant affirmer des « valeurs
morales » et un « droit à coloniser ». Le discours « civilisateur » est alors
mis en avant, comme le fait de placer sous sa tutelle des « peuples
enfants ». Or, on peut difficilement prétendre apporter la lumière, protéger,
et continuer à mettre des populations en esclavage (notamment en Afrique
subsaharienne depuis les comptoirs du Sénégal).
N’oublions pas que l’un des thèmes défendus par les colonisateurs au
congrès de Vienne 3, c’est la fin de l’esclavage en Afrique. La civilisation,
c’est « libérer l’Africain de l’esclavage », le libérer aussi des potentats
locaux et monarchies qui le pratiquent encore. C’est un argument à
dimension morale et religieuse qui vise à légitimer les conquêtes et
l’appropriation des terres. Ce discours devient dominant sous Napoléon III,
lui-même très influencé par les saint-simoniens qui mettent en avant une
vision « humaniste » de la colonisation. Il élaborera un certain nombre de
textes sur le statut de l’autre, le respect de la religion musulmane par
exemple : une dialectique plus complexe que ce que l’on peut imaginer
aujourd’hui d’une conquête simplement brutale. Ce qui ne veut pas dire que
cette conquête n’ait pas été brutale, loin de là. Mais un discours nouveau
émerge, en rupture avec celui qui a été élaboré au temps de la traite et de
l’esclavage, et qui repose sur les abolitions de 1848.
Dans ce contexte s’efface progressivement la légitimité de l’esclavage
(remplacé par l’engagisme et le travail forcé). Se distinguent alors deux
typologies : les États qui récusent désormais l’esclavage et la traite, et ceux
qui maintiennent des sociétés esclavagistes (Brésil, États-Unis).
La meilleure des illustrations de la mission civilisatrice affichée par
l’Occident (et donc par la France), c’est, par définition, l’abolition de
l’esclavage. Un modèle où l’on va accoler l’idée d’une France protectrice
en Méditerranée à de vieilles colonies esclavagistes et de nouveaux
territoires : la Nouvelle-Calédonie, une expansion au Sénégal, au Congo, au
centre de l’Afrique, un premier pas en Indochine ou à Madagascar.
1848, c’est l’abolition de l’esclavage mise en œuvre par Victor
Schœlcher ; 1850-1852, c’est le début des théorisations du Second Empire
sur une colonisation « humaniste », mais aussi le début d’une expansion
régulière que prolongera la IIIe République, un peuplement de terres
(en Algérie), un développement de la « lumière » vis-à-vis de peuples dans
l’obscurité. Une forme de prérépublicanisme porté par Napoléon III 4… On
sort, peu à peu, du système esclavagiste pour entrer dans un système
colonialiste, sans être esclavagiste. Les opinions publiques françaises
passent d’un temps à l’autre sans véritablement en prendre conscience.

Victor Schœlcher et l’abolition


Victor Schœlcher est un personnage paradoxal. D’une part inspiré par
une vision, à savoir que l’homme ne peut mettre un autre homme en
esclavage. C’est pour lui une valeur fondamentale. Mais, à l’époque, un
abolitionniste n’est pas un humaniste dans le sens où nous l’entendons
aujourd’hui. Le film de Steven Spielberg en 2012, Lincoln, montre très bien
l’ambiguïté des abolitionnistes, comme celle de ceux qui veulent maintenir
le système esclavagiste. Car Victor Schœlcher pense aussi que l’homme
blanc a une « mission civilisatrice ». Il en arrive à la conclusion que la
colonisation, c’est la lumière. Dans le même temps où il est abolitionniste,
Victor Schœlcher considère que le système économique qui fonctionnait
dans les colonies esclavagistes doit être sauvegardé. D’où l’indemnisation
des maîtres qu’il votera finalement après s’y être opposé. Il est
abolitionniste et colonialiste. Ce qui à l’époque n’est pas un paradoxe, mais
une « opinion ». À la différence de beaucoup d’autres, Victor Schœlcher
considère qu’il peut exister des « élites noires ». Mais ces élites restent pour
lui une incroyable exception et, la France les ayant produites, le devoir de
ces élites est de s’allier au système colonial. La dialectique est la suivante :
c’est l’homme blanc qui libère le Noir, comme si les révoltes noires
n’avaient jamais existé. L’homme blanc fabrique le destin des Noirs libres.
Il serait formidable de disposer d’un film français à la Lincoln, à propos
de Victor Schœlcher, pour arriver à comprendre les méandres de sa pensée.
Notamment les contradictions de ce récit dans notre présent, et certaines
réactions face à son image. Pourquoi Victor Schœlcher est-il devenu une
cible aujourd’hui aux Antilles ? Parce qu’il est le symbole d’une certaine
lecture de l’histoire. L’une des deux statues démontées en Martinique était
très particulière. Elle symbolisait le « peuple noir » remerciant Victor
Schœlcher de l’abolition. Pour certains, cette vision de l’histoire n’est plus
tolérable.

L’engagisme, un entre-deux
C’est un statut très vite oublié dans l’historiographie contemporaine, il
est pourtant essentiel à appréhender pour comprendre les évolutions et les
continuités. Aux Antilles par exemple, il n’y a pas que des descendants
d’esclaves mais aussi beaucoup de descendants d’engagés. On estime que
vingt-cinq à trente millions d’individus ont été déplacés de Sud en Sud, de
l’Asie vers l’Afrique et les Antilles, de l’Afrique vers les Antilles, dans ce
qui fut certainement la première migration de travail massive, au XIXe siècle
et au début du XXe siècle. L’engagisme, c’est un entre-deux, c’est aussi le
symbole du passage d’un système à l’autre, comme le travail forcé.
Le principe est alors que les gens doivent donner des années de labeur
pour rembourser leur voyage. Ils sont logés et nourris dans les plantations,
avec un statut parfois très proche de celui d’esclave. Il existe pourtant des
variabilités de conditions en fonction des territoires : les contrats de travail
ne sont pas les mêmes, selon les populations. L’engagisme durera plusieurs
décennies et va constituer le passage d’un système à l’autre, une transition
postesclavagiste et précolonialiste non esclavagiste. C’est une continuité du
système esclavagiste qui se superpose à la mise en place du système
colonial stricto sensu. Les engagés ne sont pas du tout perçus comme une
population qui va s’installer sur ces territoires. Ceux qui vont survivre y
resteront cependant, et ainsi composer une nouvelle strate dans le temps où
s’invente le système colonial.
On constate donc que, sur bien des plans, il n’y a pas de rupture nette
entre esclavagisme et colonialisme.
Très rapidement, le droit va s’adapter avec le Code de l’indigénat. Le
droit colonial se met en place avec l’expansion territoriale. L’Empire va
produire, selon les territoires, une diversité de statuts différents – ce qui
n’était pas le cas au temps de l’esclavagisme. Ainsi, on inventera le
protectorat à Madagascar, à Annam, au Maroc, en Tunisie. Tout cela
fabrique, petit à petit, le postesclavagisme qui va devenir la base de
l’empire colonial « moderne ». Lors des premières Expositions universelles,
comme celle de 1855 à Paris, on présente les colonies comme une
continuité de ce qui existait auparavant : on n’annonce pas un nouvel ordre
du monde. On présente le Sénégal, la Guadeloupe, la Martinique, l’Algérie,
comme des prolongements de l’Ancien Régime. Comme si tout cela
s’inscrivait dans le long flux d’une présence montrée comme normale,
légitime, bénéfique à tous. À partir des Expositions universelles de 1878
et 1889, l’idée de libération des peuples s’affirme et elle est totalement
structurante en 1900.

Le discours sur la « race »

Le discours sur la « race » est sous-jacent, sans être théorisé au


e e
XVIII siècle. Il devient un élément structurant au XIX siècle. Il est une

évidence à la fin du XIXe siècle dans la transition du système esclavagiste au


système colonial. En fait, la France est bien plus racialiste en 1900 qu’en
1800. L’État colonial s’empare du statut de l’indigène pour légitimer, ad
vitam æternam, son infériorisation dans un système qui se prétend
démocratique. On a davantage besoin d’une théorisation raciale poussée, de
discours anthropologique et juridique aboutis, pour légitimer l’édifice
colonial.
Dès les années 1880-1890, les images populaires (celles affichées par le
chocolat Suchard, par exemple) invitent à penser que l’homme blanc est
présent dans les colonies pour libérer l’esclave. Dans l’iconographie
populaire, cela devient le premier élément de légitimation d’une relation
avec des territoires que l’on irait non pas « conquérir », mais « libérer ». Le
personnage emblématique de cet imaginaire est Savorgnan de Brazza au
Congo.

Travail forcé dans les colonies

La France est certainement l’un des pays qui a le plus structuré le


principe du travail forcé : comme à Madagascar où il est inscrit dans les
règlements administratifs. Il sera également pratiqué dans d’autres
territoires qui n’ont jamais connu l’esclavage. On ne peut donc pas
superposer la cartographie du travail forcé à celle des pays mis en
esclavage. C’est plus complexe, là aussi.
Cependant, on va toujours considérer que le corps noir doit être
contraint pour travailler, dans une logique purement racialiste. S’il y a un
lien, c’est celui-là : on perpétue un imaginaire racial. On considère que
l’Afrique noire n’a pas de structure sociale, pas de structure d’organisation
du travail.
Il reste évident que le travail forcé en Algérie, au Maroc, en Tunisie
n’existe pas sous la forme que l’on connaît en Afrique noire. Au Maghreb,
la logique sera celle de l’exploitation de l’individu, nourri sur sa terre par le
colon. Un capitalisme d’appropriation à caractère privé.
Un récit construit

En fait, chaque système d’oppression se met en place dans l’espace


colonial en adaptant ses schémas à ce qu’il parfois connaît, parfois croit
connaître, des sociétés préexistantes dans les pays colonisés. Au final, au
e
XX siècle, la France parvient à expliciter un discours d’autopromotion de

son propre récit. Elle a « libéré » et non pas « oppressé », elle a « civilisé »
et non « colonisé », elle est guidée par une mission morale et non par
l’exploitation des terres.
Le mirage éclate à partir de 1945 avec le début des décolonisations.
Désormais, la répression et les réformes vont de pair. Ainsi, en 1946, la fin
du travail forcé mettra plusieurs années à se mettre explicitement en œuvre
dans les colonies. Mais il est trop tard. Plus personne ne peut croire que la
colonisation libère… Le mythe élaboré dans la période 1830-1880
s’effondre.

Propos recueillis et mis en forme par Marc Cheb Sun, pour


dailleursetdici.news
Qui sont les saint-simoniens ?
Saint-Simon (1760-1825) aspire à un changement sociétal profond : il
souhaite passer d’une aristocratie « de naissance » à une aristocratie « de
talent ».
Les saint-simoniens préconisent une société fraternelle dont les membres les
plus compétents (industriels, scientifiques, intellectuels, ingénieurs, artistes…)
administreraient la France en favorisant la solidarité, l’esprit d’entreprise, l’intérêt
général, la liberté et la paix. Substituer « l’exploitation du globe par l’association »
à « l’exploitation de l’homme par l’homme » est la philosophie de leur projet final.
Sans pour autant remettre en cause le projet colonialiste. Les saint-simoniens
développeront même une vision « humaniste » et « civilisatrice » de la
colonisation qui va influencer le Second Empire.
8
L’esclavage et la traite négrière,
à l’origine du discours
sur la « race »
Par Maboula Soumahoro

Maboula Soumahoro est docteure en civilisation du monde anglophone et


spécialiste en études africaines-américaines et de la diaspora
noire/africaine. Elle est maîtresse de conférences à l’université de Tours et
présidente de l’association Black History Month, dédiée à la célébration de
l’histoire et des cultures noires.
Dans son essai Le Triangle et l’Hexagone (Éditions de la Découverte,
2020), l’enseignante-chercheuse livre une réflexion sur son parcours
personnel et, plus largement, sur la question des identités noires au sein de
la société et de l’université françaises.

La fabrication du Noir et du Blanc


Les identités noire et blanche sont nées au même moment historique,
dans le contexte de la traite négrière transatlantique. Du XVIe siècle au
e
XIX siècle, au moins 12 millions d’Africains sont violemment déplacés vers
les Amériques, ce qui ne prend pas en compte les nombreux morts sur le
chemin de la déportation. Cette traite négrière triangulaire a
véritablement fabriqué le Noir, le Blanc ainsi que leur hiérarchisation.
L’Occident à l’ère moderne produit cette dichotomie.
Ces identités s’opposent. L’une, noire, est désignée comme inférieure ;
l’autre, blanche, comme supérieure. L’une est laide et dominée, l’autre est
belle et dominante. Dans cette opposition, les Noirs se retrouvent en bas de
l’échelle sociale, politique et économique. Contrairement aux idées reçues,
ces deux catégories n’ont pas toujours existé. À travers l’histoire, on
constate de nombreuses façons de catégoriser les hommes sur des bases très
diverses, qu’elles soient religieuse, sociale, géographique ou politique.
Avant cette période, il existait, certes, des Noirs et des Blancs, mais cela
ne disait rien de leur statut. Les Européens et les Africains étaient déjà en
relation, par exemple lors de la période gréco-romaine. On parlait alors des
« Éthiopiens » ; le terme faisait référence à l’ensemble du continent
africain. On pouvait donc être noir et esclave, blanc et esclave. Ou
inversement : noir et vainqueur, blanc et vainqueur.
L’institution de l’esclavage a précédé la traite transatlantique. Elle a
existé tout au long de l’histoire de l’humanité. Mais, jusqu’alors,
l’esclavage n’était pas basé sur la couleur de peau. Au début des
expéditions au XVe siècle, les Européens ont évidemment conscience que
les Africains ont la peau noire. Et inversement : les Africains voient que
les Européens ont la peau blanche. Néanmoins, les Européens
reconnaissent les entités politiques africaines. Des liens diplomatiques
existent. Chacun est ancré dans une identité politique à l’image du royaume
du Congo ou de celui d’Espagne. Les Africains peuvent négocier d’égal à
égal avec les Européens. Des rois africains se sont d’ailleurs impliqués dans
la traite négrière. Ils ne se définissent alors pas comme Noirs ou Africains.
Ils vendent des esclaves qui sont perçus comme des ennemis, et non comme
des frères.
La traite négrière occidentale a commencé en Europe. À partir du
e
XVI siècle, des centaines d’esclaves africains ont été, chaque année,

importés dans la péninsule Ibérique. Au Portugal, par exemple, ces derniers


ont appris la langue locale. Ils ont été assimilés, comme le montre les
travaux du chercheur António de Almeida Mendes 1. Leur trace a
aujourd’hui quasiment disparu. Dans le même temps, des princes et des
membres de l’élite africaine sont envoyés en Europe : ils sont perçus
comme noirs mais sont reçus selon leur rang. Ils sont libres et noirs, dans un
même temps où il existe une population servile africaine.

L’infériorisation des Africains


La racialisation totalise et englobe tout le monde dans une même
catégorie. Puisque seuls les Noirs sont des esclaves, ce qui ne veut pas dire
qu’ils le sont tous, tous les Noirs vont appartenir « physiquement » à une
catégorie infériorisée. Ils sont, dans leur ensemble, en bas de l’échelle
sociale, même si des trajectoires individuelles peuvent être différentes de
celle du groupe.
Cela conduit à produire un discours sur l’infériorité généralisée des
Africains. La hiérarchisation de leur différence va impliquer la mise en
place d’un ordre socioracial. L’équation entre une couleur de peau et
un statut social, politique et de fait économique, découle de cette
période de l’histoire.
Une fois que la traite négrière a cours, il faut trouver une justification à
cette mise en servilité. Un discours scientifique, philosophique, religieux,
anthropologique et ethnographique va servir à légitimer la mise en
esclavage massive d’une population africaine. Cette dernière est inférieure
et déshumanisée. Les crânes sont mesurés. Les corps sont disséqués.
Ce discours scientifique sur les races devient structurant au XIXe siècle.
Mais il commence à être pensé au siècle précèdent. Le siècle des Lumières
est, de fait, la période la plus intensive de la traite négrière transatlantique,
comptant le plus grand nombre d’esclaves africains déplacés.

Le discours scientifique sur la « race »

Aujourd’hui, on a souvent tendance à dire que le racisme est le fait de


populations non éduquées. Mais, au XIXe siècle, toute une frange de l’élite
scientifique et intellectuelle occidentale a produit des savoirs pseudo-
légitimes et des théories sur le sujet.
Le Français Georges Cuvier (1769-1832) a disséqué le corps, les parties
intimes de Saartjie Baartman, la « Vénus hottentote », femme khoisan de la
région du Cap, esclave exhibée en Europe. Ses restes ont été conservés au
musée de l’Homme à Paris avant d’être rendus en 2002 à l’Afrique du Sud.
L’Allemand Friedrich Hegel (1770-1831) parle de l’Afrique comme d’un
continent qui n’a pas d’histoire. Le comte de Gobineau (1816-1882) a
théorisé dans son Essai sur les inégalités des races humaines la supériorité
de la race blanche sur les races noire et jaune. Les grands esprits de cette
époque ont donc élaboré la hiérarchisation entre les races et les cultures.
Lorsque l’esclavage est définitivement aboli par la France en 1848,
après avoir été rétabli en 1802 par Napoléon suite à la première abolition de
1794, on a intégré l’idée que cette pratique ne peut plus être justifiée. Mais
cela ne met pas cause le colonialisme, bien au contraire. Le racisme
continue. À la fin du XIXe siècle, le discours sur la hiérarchie des cultures
et des races se fonde sur des centaines d’années de domination. La
IIIe République justifie ainsi la colonisation au nom d’une mission
civilisatrice : les races supérieures ont le devoir de civiliser les races
inférieures. Ce discours justifie un ordonnement du monde dans un esprit
colonialiste.
Dans son Discours sur le colonialisme, paru en 1950, Aimé Césaire
défend l’idée que l’esclavage et la colonisation ont produit la Shoah. Le
poète, penseur et homme politique martiniquais parle d’ensauvagement de
l’Occident : ce dernier aurait commis, depuis la traite transatlantique,
tellement de crimes et d’atrocités dans ses espaces coloniaux que cette
violence reviendrait forcément sur son territoire. Cet ensauvagement de
l’Europe ne pouvait que lui exploser à la figure. La Shoah est un crime
contre l’humanité qui s’inscrit dans l’histoire des atrocités qui a commencé
dans l’espace extra-européen.
L’antisémitisme est très ancien. Il précède la question de l’esclavage
transatlantique. Ce processus de racialisation se fonde sur une base
religieuse et culturelle. Les juifs ont été victimes de méfiance, de
stigmatisation, de ségrégation, de pogroms, de lois antisémites. Ils ont été
répertoriés et ciblés. Des siècles d’antisémitisme européen ont culminé
jusqu’au projet d’extermination des juifs. Les mécanismes sont différents
par rapport à la hiérarchisation basée sur la couleur de peau, parce qu’ils
s’inscrivent dans des histoires différentes, mais il n’y a aucune hiérarchie à
faire quant à l’importance de l’un et de l’autre.

Aveugle à la « race » ?
On constate aujourd’hui une réticence ou une impossibilité à
reconnaître la catégorisation raciale en France. Pourtant, notre pays a une
histoire esclavagiste et impérialiste. Ce déni de la race serait, nous dit-on,
une longue tradition française. Cet aveuglement structurel est absolument
contredit par l’histoire. La France édicte, en 1685, le Code Noir. Le Code de
l’indigénat de 1881 dans les colonies françaises faisait bien la différence
entre Français et indigènes. Lors de la Seconde Guerre mondiale, la France
occupée a participé à la Shoah, le régime de Vichy a collaboré. À cette
époque, la France compte et répertorie les juifs.
Dire que la question raciale est importée des États-Unis est une
ineptie. C’est une forme de négationnisme. L’institution esclavagiste a
existé en dehors de l’Hexagone dans les colonies et territoires dits
« d’outre-mer français ». Certes, les États-Unis ont géré sur leur propre sol
les populations noires, depuis l’arrivée des premiers Africains en 1619.
Mais cette différence ne peut pas justifier le déni. La France a un passé
colonial et esclavagiste, tout comme la Grande-Bretagne, le Portugal, la
Belgique, l’Espagne, le Danemark, les Pays-Bas… Personne ne peut
échapper à cette histoire.
Une société n’est pas dans la dénégation pour rien. Beaucoup en retirent
un bénéfice. Cela permet d’assoir une domination, de masquer les inégalités
raciales, de développer un confort politique, économique, social mais aussi
psychique. Les personnes blanches ont ainsi le luxe de ne pas devoir se
soucier de la question raciale.
Pourtant, la question de la racialisation concerne l’ensemble de la
société. Toutes ses composantes sont touchées et jouent un rôle dans ce
processus. Car la « race » est construite pour toutes et tous : il n’existe pas
de Noirs sans Blancs. Mais la catégorie blanche bénéficie de l’invisibilité,
de la normativité.
La race biologique n’existe évidemment pas. Ces catégories raciales ont
été inventées, elles ont été créées. Nous devons en connaître les nuances et
les subtilités. Être défavorablement racialisé aujourd’hui, c’est avoir des
problèmes d’accès au logement, à l’emploi, aux soins, à tout ce qu’on
appelle « les biens rares ». Cela influence les rapports avec la police,
l’orientation en milieu scolaire. Cet ordonnancement du monde s’immisce
jusque dans l’intime, par exemple dans la transmission des langues dans les
familles. Certaines d’entre elles disparaissent, du fait d’être minorées.
Pour autant, la question de la race est une question complexe qui
s’imbrique avec d’autres problématiques : le genre, l’orientation sexuelle, la
classe sociale, la géographie…
Pour sortir du racisme, nous devons d’abord commencer par sortir du
déni. Nous devons enseigner cette histoire raciale. Nous devons l’étudier en
profondeur.

Propos recueillis et mis en forme par Aziz Oguz, journaliste,


pour dailleursetdici.news
Police et question raciale
Novembre 2020 à Paris, Michel Zecler, un homme noir, est violemment arrêté
par des policiers. Il est roué de coups, insulté de « sale nègre ». La même année,
en avril, à L’Île-Saint-Denis, un homme maghrébin se jette dans la Seine pour fuir
des policiers. L’un d’entre eux s’esclaffe : « Un bicot, ça ne sait pas nager !» Cette
expression raciste, désignant un Arabe, date de l’époque coloniale.
Ces deux faits récents montrent à quel point la police française est structurée
par la question raciale, depuis la naissance même de la notion de race. Dès le
e
XVIII siècle, le roi Louis XVI promulgue ainsi en 1777 la police des Noirs pour
contrôler, encadrer, voire interdire la présence de « Noirs, mulâtres ou autres gens
de couleur » à l’intérieur du royaume de France.
Il faut alors contrôler les corps noirs sur le territoire hexagonal. Cette histoire
raciale se poursuivra avec la colonisation. L’État français mate les insurrections
dans les colonies mais aussi les manifestations des immigrés en France :
le 17 octobre 1961, des policiers sous l’autorité du préfet Maurice Papon (1910-
2007) jettent des Algériens dans la Seine. Le parcours du haut fonctionnaire
Pierre Bolotte (1921-2008) est encore plus emblématique. Formé dans les
colonies, cet homme d’État sera à l’origine de la police des banlieues. Dans les
années 1950, il a pris part à la répression des mouvements indépendantistes en
Indochine puis en Algérie. Et en 1971, premier préfet de Seine-Saint-Denis, il y
créera la Brigade Anti-Criminalité (BAC) qui sera ensuite déployée dans tous les
quartiers dits « sensibles » de France.
Cette police des banlieues sera chargée de contrôler les jeunes Français
issus de l’immigration postcoloniale jusqu’à embraser ces quartiers périphériques.
En 1983, la Marche pour l’égalité et contre le racisme nait après l’agression à
Vénissieux de Toumi Djaïdja par un policier. Depuis, des dizaines de jeunes
hommes, noirs ou arabes, sont morts sous la main des forces de l’ordre. L’une
des dernières affaires en date, celle d’Adama Traoré mort en 2016 dans la
gendarmerie de Persan (95) deviendra le symbole de la lutte contre les violences
policières. Et symbole d’une police française marquée par la question raciale.
9
Alexandre Dumas,
petit-fils d’esclave
Par Réjane Éreau

Réjane Éreau est journaliste. Elle explore depuis une vingtaine d’années
les thèmes des peuples et des cultures du monde, de la connaissance de soi
et de l’identité. Son travail aux côtés de Marc Cheb Sun auprès des
jeunesses minoritaires a été récompensé par l’ONU en 2009. Elle collabore
à Dailleursetdici.news depuis sa création.

Une pâle adaptation

En 2010, c’est Gérard Depardieu qui incarne Alexandre Dumas dans le


film de Safy Nebbou L’Autre Dumas. Du géant de la littérature, le comédien
a l’œil bleu et l’embonpoint. La truculence, surtout, cette impulsivité à
croquer la vie avec une intensité qui frise parfois la démesure. Dumas, c’est
l’aventure, l’emphase. Le film le dépeint grand amateur de cuisine et de
femmes. Sans conteste, l’écrivain était une force de la nature. De son
vivant, son succès fut immense.
Mais le film laisse dans l’ombre une part essentielle de son histoire :
Alexandre Dumas avait un quart de sang noir. Sa mère était une fille
d’aubergiste picard et son père une figure à lui seul, fils d’un noble et d’une
esclave. Sur les images d’époque, l’écrivain apparaît le teint plutôt clair,
mais les cheveux frisés et les lèvres épaisses. De cet héritage, le film ne fait
pas cas, se contentant de quelques bouclettes sur la tignasse blonde de notre
Gérard national, d’un teint plus rougeaud que cuivré.
L’omission a eu le mérite de faire polémique. À sa sortie, L’Autre
Dumas est accusé de whitewashing : gommer la couleur du personnage.
Pourquoi ne pas avoir confié le rôle à un comédien noir ? Que croit-on,
qu’il n’y a pas en France d’acteurs d’origine afro-caribéenne capables de le
tenir ? Ce « détail » aurait-il risqué de troubler le public, voire d’affecter la
commercialisation du film ?
Ses producteurs plaident la « liberté artistique » d’un cinéma qui
« comme la vie, ne se réduit heureusement pas à la génétique ». Si Dumas
était au quart noir, arguent-ils, il était aussi aux trois quarts blanc. Certes, et
le film est plutôt centré sur sa collaboration littéraire avec Auguste
Maquet… Mais il évoque également ses sympathies républicaines. Or il est
impossible de comprendre celles-ci sans les relier à ses origines.

Un père héroïque
Dans L’Autre Dumas, il y a cette phrase, incompréhensible pour qui ne
connaît pas l’histoire : « Je tiens ça de mon père », dit Dumas-Depardieu en
parlant de ses convictions politiques – sans autre explication. Alors parlons-
en du père : Thomas Alexandre Davy naît en 1762 sur l’île de Saint-
Domingue. Son père, Alexandre Antoine Davy, marquis de La Pailleterie,
est un hobereau coureur et dispendieux, ayant quitté sa Normandie pour
tenter l’aventure en Haïti. Sa mère, Marie-Cessette, est une esclave noire
que son père a achetée, puis qu’il affranchira et dont il aura quatre enfants.
Lorsque Alexandre Antoine décide de rentrer en France en 1775, il vend
sa progéniture pour payer son retour. Un an plus tard, il rachète son fils et le
fait venir auprès de lui. L’enfant prend le titre de comte, s’instruit, suit son
père dans ses frasques, puis rejoint une prestigieuse académie où il alterne
études et apprentissage des armes. Alliant force, intelligence et grâce,
Thomas Alexandre excelle. À 24 ans, il s’engage dans les dragons sous le
pseudonyme de Dumas. Habile au fusil, admirable cavalier, il grimpe
rapidement dans la hiérarchie.
En 1792, à la faveur de la création de la Légion franche de cavalerie des
Américains et du Midi – un corps constitué d’hommes « de couleur » –, il
est recruté comme commandant en second par le Chevalier de Saint-
Georges 1. La même année, il épouse la fille d’un aubergiste de Villers-
Cotterêts. Un an plus tard, il est nommé général, devenant ainsi le premier
général noir de l’armée française.

Le sceau de la différence
De ce père d’exception, né esclave, devenu aristocrate – mais qui aura à
supporter le chancre du racisme tout au long de sa carrière (notamment de
la part de Napoléon) –, Alexandre Dumas a peu de souvenirs : né à Villers-
Cotterêts en 1802 (année où l’abolition de l’esclavage, décidée une
première fois en France en 1794, est révoquée), l’enfant n’a que 3 ans et
demi lorsque son père meurt.
Élevé par sa mère dans des conditions difficiles, l’écrivain grandit dans
le mythe paternel. Obligé de travailler dès 13 ans comme coursier, il étudie
en autodidacte, monte à Paris, est embauché comme clerc et nourrit sa
passion : l’histoire, le théâtre et l’écriture. La notoriété survient en 1829
avec la pièce Henri III et sa Cour. Remarquable dialoguiste, doté d’une
vitalité insolente, l’écrivain multiplie les livres et les pièces, fonde un
théâtre, achète un château… mais, comme le rappelle son biographe,
l’auteur et éditeur Claude Schopp, sa vie reste à jamais marquée du double
sceau de la bâtardise raciale et sociale.
À l’époque, son métissage n’est pas une exception dans le monde de la
culture : le peintre Guillaume Guillon-Lethière, fils d’une esclave affranchie
de Guadeloupe et d’un procureur du roi, a dirigé l’Académie de France à
Rome 2. Mais, face au succès, les attaques contre Alexandre Dumas vont
bon train. Celui que George Sand décrit comme « le génie de la vie »
dérange. Pour le dénigrer, on l’attaque sur sa naissance et on met sa part
noire en lumière.
Ainsi, le journaliste Eugène de Mirecourt écrit : « Lèvres saillantes, nez
africain ; tête crépue, visage bronzé. Son origine est écrite d’un bout à
l’autre de sa personne ; mais elle se révèle beaucoup plus encore dans son
caractère. » En effet, « aiguillonnez un point quelconque de la surface
civilisée, bientôt le nègre vous montrera les dents. […] Monsieur Dumas
aime tout ce qui brille, tout ce qui chatoie. […] Les joujoux le séduisent, les
fanfreluches lui tournent le cerveau – Nègre ! » Ou encore : « Grattez
l’œuvre de Monsieur Dumas et vous trouverez le sauvage. Il déjeune en
tirant de la cendre du foyer des pommes de terre brûlantes, qu’il dévore
sans ôter la pelure ! »
Pour se défendre, Alexandre Dumas l’attaque en diffamation et joue de
son humour. À un contradicteur qui lui demande lors d’un débat : « Au fait,
cher Maître, vous devez bien vous y connaître en nègre ? », l’écrivain
répond : « Mais très certainement. Mon père était un mulâtre, mon grand-
père était un nègre et mon arrière-grand-père était un singe. Vous voyez,
Monsieur : ma famille commence là où la vôtre finit. » Claude Schopp le
confirme : toute sa vie, Alexandre Dumas mettra en scène ce qu’il est, y
compris sa négritude. Quand il se décrit dans ses Mémoires comme un
« nègre » avec des « cheveux crépus » et un « accent légèrement créole », il
joue avec le stigmate et se moque de ses détracteurs – car comment lui qui
est né et a grandi à quatre-vingts kilomètres de Paris pourrait-il avoir
l’accent créole ?
Justice et liberté
Certains travaux le dépeignent obsédé par les questions d’hérédité, de
racines et d’origine. Claude Schopp, lui, préfère insister sur la façon dont sa
différence a profondément nourri sa personnalité et son œuvre.
Alexandre Dumas est un hybride. Sur le plan littéraire, il ne cesse de
transcender les genres et d’inventer des formes, publiant des feuilletons
dans les journaux, contaminant le roman avec le théâtre…
De ses origines multiples, de son désir de ne pas déchoir vis-à-vis de
son père, du tiraillement entre notoriété et raillerie, Alexandre Dumas fait
un style. Un engagement, aussi. L’écrivain n’est pas un militant flamboyant,
mais sa sympathie envers la cause noire est réelle. Proche de l’homme
politique martiniquais Cyrille Bissette, l’un des artisans de la deuxième
abolition de l’esclavage en France (votée le 27 avril 1848), Dumas écrit en
1830 aux Haïtiens, s’adressant à eux comme à des frères. En 1850, il se
présente aux élections législatives en Guadeloupe. Quelques années avant
sa mort, quand éclate la guerre de Sécession, il envoie même des
autographes au président américain Abraham Lincoln afin qu’ils puissent
être vendus en soutien aux troupes abolitionnistes.
Quelques-uns de ses romans abordent le thème de la traite : Georges est
l’histoire d’une famille de gens « de couleur ». Son héros, mulâtre
charismatique, préfigure le comte de Monte-Cristo. Dans Le Capitaine
Pamphile, un chapitre évoque les négriers qui déportaient des Africains vers
le Nouveau Monde. Dans Ingénue, un passage décrit les réunions des
« amis des Noirs »… Mais c’est surtout en filigrane que l’influence
familiale sur l’œuvre de Dumas se fait sentir. Comme son père, l’auteur est
épris de justice, de fraternité et de liberté. Les Trois Mousquetaires sont-ils,
comme certains le suggèrent, la transposition des aventures du général
Dumas et de trois de ses camarades de cavalerie ? Et le désir de revanche
qui anime Le Comte de Monte-Cristo, est-il celui de Dumas pour lui-même
et pour les siens ? Proche du peuple, l’écrivain aime l’histoire. Pour Claude
Schopp, son désir profond est de l’instruire tout en l’amusant – convaincu
peut-être qu’on ne peut aller de l’avant que lorsqu’on sait d’où l’on vient.

Un déficit de représentation

À sa mort en 1870, Alexandre Dumas laisse plus de cent cinquante


romans, essais ou pièces de théâtre, dont certains deviendront des mythes,
adaptés dans le monde entier. En novembre 2002, lorsque ses cendres sont
transférées au Panthéon, le président Jacques Chirac rappelle combien il a
dû « affronter les regards d’une société française » qui lui fera « grief de
tout : son teint bistre, ses cheveux crépus, à quoi trop de caricaturistes de
l’époque voudront le réduire ».
La question de la représentation des descendants de l’histoire de la traite
négrière et de l’esclavage n’est pas nouvelle. À l’époque de Dumas, naît
aux États-Unis une forme théâtrale qui perdurera jusqu’aux années 1960 : le
blackface. Un comédien s’y grime en noir pour amuser le public,
notamment en singeant les caractéristiques supposément inhérentes aux
Noirs. Si ces spectacles, malgré leur racisme, marquent un pas dans la
représentation scénique jusqu’alors inexistante des Noirs – certains d’entre
eux feront même du blackface –, ils les enferment dans un type de rôle. En
France, on se souvient de Rafael Padilla, dit le clown Chocolat. Né esclave
vers 1865 à Cuba, l’acteur connaît le succès grâce à un duo comique basé
majoritairement sur les relations entre un Blanc autoritaire et un Noir
souffre-douleur. Mais lorsqu’il est le premier acteur noir à interpréter
l’Othello de Shakespeare, le public ne suit pas. Il meurt dans l’oubli.
Pour le comédien et metteur en scène Samuel Légitimus, la question
soulevée par L’Autre Dumas n’est pas tant qu’un acteur blanc puisse
jouer le rôle d’un métis, mais que les comédiens non blancs, eux, soient
encore aujourd’hui assignés à certains personnages, définis par leurs
origines. Quand pourront-ils accéder à une palette de rôles aussi variée que
leurs homologues à peau claire ? Si Depardieu joue Dumas, Sonia Rolland
pourrait-elle incarner Jeanne d’Arc ? En 2015 au Royaume-Uni, quand la
comédienne originaire de l’Eswatini Noma Dumezweni interprète
Hermione dans une pièce de théâtre adaptée de Harry Potter, l’auteure J.K.
Rowling doit intervenir pour faire taire ceux qui crient au scandale : la
couleur de peau de la jeune sorcière n’est jamais abordée dans le livre ; ses
yeux marron, ses cheveux frisés et son intelligence, si !
Samuel Légitimus est né à Bondy, son père à Paris. Français, souligne-t-
il, mais porteur d’un complément d’histoire. Son arrière-grand père, le
Guadeloupéen Hégésippe Jean Légitimus, ami de Jaurès, fut le premier élu
noir de l’Assemblée nationale. Sa grand-mère, la comédienne Darling
Légitimus, obtint le prix de la meilleure actrice à la Mostra de Venise pour
le film Rue Cases-Nègres. Pourtant, après cette distinction, elle ne reçut pas
plus de propositions de rôle… En 2018, le manifeste Noire n’est pas mon
métier, rédigé par seize comédiennes françaises noires ou métisses, met les
pieds dans le plat : il est temps de nourrir les imaginaires d’autres visages et
d’autres parcours. Pas pour une couleur, rappelle Samuel Légitimus : pour
une justice. Pour une humanité et un rapport au monde.

Élargir les références


Fondateur du Collectif James Baldwin, Samuel Légitimus a bataillé
pendant vingt-cinq ans pour que soit reconnue l’œuvre de cet écrivain
essentiel. Longtemps, on lui a rétorqué que le romancier américain n’était
important que « pour les Noirs » et que cela n’intéresserait personne… Le
succès en 2016 du documentaire de Raoul Peck I Am Not Your Negro 3 a
prouvé le contraire. Depuis, le collectif croule sous les propositions.
James Baldwin a vécu pendant quarante ans en France. Qui s’en
souvient ? Qui sait encore que pour écrire ses fables, Jean de La Fontaine
s’est inspiré de l’écrivain grec Ésope, ancien esclave nubien dont le nom
signifie « nègre » ? Ou qu’Alexandre Pouchkine, l’un des plus célèbres
auteurs russes, était l’arrière-petit-fils d’Abraham Hanibal, Tchadien
victime de la traite ottomane puis vendu en Russie, où il finit par devenir
brillant ingénieur et général en chef ?
Des personnalités issues (entre autres) de l’histoire de la traite négrière
et de l’esclavage, nous n’avons pas ou peu de représentations. D’où
l’importance d’un Dumas. Pas pour l’essentialiser : pour nourrir la richesse
et la complexité de nos identités. Quand le film de Tarantino Django
Unchained évoque en 2012 la négritude de l’écrivain Dumas, c’est un pas.
Quand Google en 2020 fête l’anniversaire de la parution du Comte de
Monte-Cristo en représentant Dumas sous les traits d’un homme noir – plus
qu’il ne l’était en réalité –, c’est aussi un pas… À condition de ne pas
colorer que sa peau, mais aussi l’histoire dont il est porteur, modelée par la
société dans laquelle il a évolué, et ce que lui-même en a fait.
L’œuvre et la vie de Dumas n’ont-elles pas encore plus de relief, de
profondeur, quand on connaît ses origines ? Nommer sa part noire, la
représenter, c’est la faire entrer dans l’imaginaire collectif. Car l’histoire
de la traite négrière et de l’esclavage n’est pas que celle des Noirs ; elle
nous concerne tous. Elle n’est pas que passée : elle imprègne le présent.
Elle a façonné la souffrance d’un peuple, mais aussi mis en place des
mécanismes sociaux, politiques et économiques qui perdurent toujours.
Cette histoire parle de domination, d’impérialisme, mais également de la
façon dont des hommes et des femmes ont au quotidien transcendé
l’oppression en témoignant, en imaginant, en créant des formes par des
fusions et des mélanges. Ainsi est né le reggae, ainsi sont nés le blues et le
jazz…

Enseigner Dumas
Gwenaëlle Hamon est professeure de français depuis vingt ans. Quand
elle étudie Albert Camus avec ses élèves, elle commence par présenter
l’homme, car elle estime que c’est un prisme essentiel pour comprendre son
œuvre. Quand elle leur dit : « Né en Algérie, prix Nobel de littérature, mère
illettrée », elle sent leur engouement. Car non seulement cela résonne avec
l’histoire familiale de certains, mais cela nourrit leur estime d’eux-mêmes et
élargit leurs perspectives.
De même, aborder Dumas en ayant conscience de son lien avec
l’histoire de la traite négrière et de l’esclavage peut être passionnant. Pour
les élèves qui ont des origines multiples et qui peinent à se retrouver dans
ce qui leur est enseigné, ignorant souvent l’existence de telles personnalités
dans le patrimoine culturel français, mais pas uniquement.
Un homme, une œuvre, c’est un contexte. Dumas est un exemple : d’où
que l’on vienne, qui que l’on soit, il est possible, à partir de son histoire
singulière, de construire son propre récit et d’en nourrir l’histoire commune.
Allez chiche : « Un pour tous, tous pour un ? »

D’où vient le terme « nègre littéraire » ?


Alexandre Dumas fut accusé de faire rédiger certaines œuvres par Auguste
Maquet. De là naquit l’expression de « nègre », utilisée pour qualifier celui qui
écrit pour autrui. Si le terme fut employé dès le XVIIIe siècle, en référence à
l’esclavage, pour désigner quelqu’un qui travaille pour un commanditaire sans
droit de reconnaissance, c’est en 1845 qu’un pamphlet d’Eugène de Mirecourt
contre Dumas le popularisa. « Il embauche des transfuges de l’intelligence, des
traducteurs à gages qui se ravalent à la condition de nègres travailleurs sous le
fouet d’un mulâtre », écrivit le critique. Comme si un métis ne pouvait être un
auteur de génie… Depuis 2017, le ministère de la Culture recommande de parler
de « prête-plume » ou de « plume de l’ombre » plutôt que de « nègre ».
10
Faut-il décoloniser l’histoire
pour comprendre le monde ?
Par Doudou Diène

Ancien diplomate, Doudou Diène a effectué l’essentiel de sa carrière au


sein de l’Unesco. Dans ce cadre, il a supervisé l’élaboration de l’histoire
générale de l’Afrique. Devenu directeur du dialogue interculturel et
interreligieux, il a initié les programmes Route de la Soie, Route de
l’Esclave, Route de la Foi et Route Al-Andalus, qui mettent en lumière les
interactions et les apports des différentes cultures, ainsi que la mémoire de
la traite négrière. Désormais membre du Comité d’orientation de la
Fondation nationale pour la mémoire de l’esclavage en France, il
contribue à ce que l’histoire de l’Afrique ne soit plus considérée sous le
seul prisme de la traite.

Les mémoires africaines à l’épreuve du colonialisme


Le continent africain a une position centrale, tant sur le plan
géographique que civilisationnel. On trouve trace des Africains sur tous les
continents. Les ressortissants actuels des pays d’Afrique ont gardé une
empreinte très profonde de leur histoire. Celle-ci passe notamment par la
transmission de la généalogie des lignées et de la mémoire des cultures
africaines aux périodes des traites et de la colonisation.
Au Sénégal, par exemple, la prééminence de l’idée d’universalité et
d’humanité interdépendante est une composante majeure des valeurs
immatérielles et historiques de ce pays. L’un des proverbes centraux de la
culture sénégalaise dit que « l’homme est le remède de l’homme »,
désignant le fait que tous les êtres humains sont liés, malgré leur diversité
de culture et d’apparence.
Les Africains ont une chronologie de l’accès à la connaissance de soi
issue essentiellement de la famille traditionnelle, qui pourvoit à l’éducation
historique et culturelle de l’enfant. Cette dimension a été contrariée par le
projet civilisationnel colonial, qui voulait imposer aux Africains une vision
de leur continent et d’eux-mêmes. Les deux regards se sont notoirement
confrontés. L’objectif prétendu de la colonisation étant de civiliser, cela
suppose d’effacer l’histoire ancienne, de la réécrire, puis d’en modifier
l’enseignement pour légitimer une domination politique. Les premières
consciences politiques ont émergé de l’opposition entre la connaissance
intime que les peuples colonisés ont de leur histoire profonde et ancienne, et
la vision officielle colportée par les colons.

Pour une histoire africaine décolonisée


Pour pouvoir aborder objectivement et scientifiquement l’histoire de
l’Afrique, il faut s’appliquer à faire une lecture critique de l’histoire, telle
que le projet colonial l’a envisagée, sous le prisme de l’ethnologie et de
l’anthropologie. L’écriture et l’enseignement de l’histoire revêtent un
caractère central dans la construction et la transformation des identités
nationales. C’est dans ce cadre qu’a été décidé la rédaction d’Histoire
générale de l’Afrique, par l’Unesco 1. Un ouvrage pluridisciplinaire qui, en
plusieurs tomes, aborde sous divers angles (sociologique, historique,
culturel, géographique…) les différentes civilisations ayant existé au sein de
ce continent.
Un tel projet, visant à redonner à l’Afrique une réelle dimension
historique, a réuni un comité d’historiens (africains, occidentaux et
asiatiques). Ensemble, ils ont inscrit l’histoire de l’Afrique (et par extension
du monde) dans sa profondeur historique et géographique. Il s’agissait en
fait de décentrer l’histoire de ce continent, de la soustraire au regard
que l’Europe a porté sur l’Afrique et de replacer l’esclavage et la
colonisation comme des périodes à l’échelle de l’histoire de l’humanité.
Plusieurs vérités ont ainsi émergé. On sait désormais que le premier
hominidé est issu de l’Afrique, ce qui, jusqu’à récemment, avait été occulté.
Or il convient de le rappeler : cela sous-tend que tout être humain descend
de ces premiers hominidés. Le temps long des remaniements génomiques,
marqueurs de la permanence du métissage de l’humanité, découle de la
migration hors de l’Afrique.
Ainsi, des traces des hommes noirs ont été trouvées sur tous les
continents, ce qui souligne l’universalité des Africains et leur participation à
l’édification de nombreuses cultures extra-africaines. La traite et
l’esclavage transatlantique n’est en rien la première rencontre entre les
Africains et le reste du monde. Il faut donc remettre en question la
réduction de l’histoire de l’Afrique à sa rencontre avec l’Europe par
l’esclavage et la colonisation. C’est cette profondeur historique et son
extension géographique que l’eurocentrisme a systématiquement occulté.

La contribution des Noirs à l’histoire du monde


Il est fécond de s’emparer de la notion de mouvement pour analyser
l’histoire du monde comme une dynamique permanente de rencontre et de
transformation. Ce concept met au jour la nature essentielle de l’identité
comme une construction plurielle, une interfécondation des peuples et des
cultures.
La présence ancienne des Noirs dans les îles du Pacifique en atteste. Les
premiers habitants de l’Inde sont ainsi les Mélano-Dravidiens 2. De même,
l’ouvrage phare d’Ivan Van Sertima, They Came Before Columbus 3, émet
l’hypothèse d’une présence africaine, les Olmèques, sur le continent
américain avant l’arrivée des Européens. L’écrivain et scientifique Cheikh
Anta Diop, quant à lui, a perturbé le monde de l’égyptologie lors de la
publication de sa thèse d’histoire, qui deviendra, en 1954, l’ouvrage Nations
nègres et Culture 4, sur l’origine africaine et noire de la civilisation
égyptienne.
L’apport des civilisations africaines et leur complexité se matérialise par
exemple dans l’extraordinaire richesse de la culture et de la langue dogon,
documentée par Marcel Griaule, Germaine Dieterlin et Michel Leiris en
1948 5.
Par ailleurs, pour ancrer l’histoire des Noirs hors d’Afrique, il convient
de rappeler leur présence en Europe à l’époque romaine où l’on a connu des
empereurs noirs.
Ainsi, le poète Pouchkine, figure majeure de la culture russe, avait pour
ancêtre Hanibal Abraham 6, enlevé avec son frère dans la principauté de
Logone au nord de l’actuel Cameroun. Les deux enfants ont été emmenés à
Constantinople, lors d’une razzia effectuée par l’Empire ottoman. Les deux
jeunes princes ont ensuite été achetés et adoptés par le tsar Pierre le Grand,
et Hanibal Abraham est devenu le général des armées impériales. Il a
notamment construit les grandes fortifications de l’Empire russe. Parmi les
descendants d’Abraham, certains ont conclu des mariages au sein de
familles royales européennes (suédoises ou anglaises notamment).

Un universalisme africain
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 n’a pas
inauguré le concept de l’universalisme et de la primauté de l’humain. La
première trace documentée des droits de l’homme est la charte du Manden
dans l’empire de Soundiata Keïta, au XIIIe siècle, élaborée par les chasseurs
mandingues à l’époque de l’Europe médiévale. Ainsi, cette charte a été
inscrite au patrimoine immatériel de l’Unesco : il serait nécessaire que cela
soit enseigné dans les écoles. Les notions majeures de non-violence,
d’égalité, de respect mutuel, inscrites plus tard dans la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen, figurent dans cette charte qui débute par
cette affirmation forte : « Toute vie est une vie. »
La force du colonialisme a été de travestir le concept d’universalisme
pour le réserver aux hommes blancs occidentaux.

L’histoire incarnée dans la ville européenne

La dénomination des rues et l’édification de statues sont des actes


politiques qui visent à la construction identitaire de modèles d’une nation
par le choix de figures emblématiques et représentatives des valeurs du pays
en question. L’écriture et l’enseignement de l’histoire nationale en est un
outil privilégié.
Le paysage urbain, la ville constituent par leur configuration la
scénographie de légitimation de ces modèles. La promotion de ces lieux
s’accompagne de l’invisibilisation de figures et d’événements qui semblent
ne pas correspondre à ces critères, du fait de la « race », de la religion ou de
la culture auxquelles ils renvoient.
Par conséquent, l’acte de déboulonner n’est pas gratuit. Il s’agit de
problématiser, d’historiser et de débattre sur les motivations et les
valeurs qui sous-tendent le choix des noms de rues et l’élévation des
statues, en vue de parvenir à vivre ensemble, et puisque notre société
contemporaine est multiculturelle, l’histoire qui s’incarne dans nos
rues doit témoigner de cette multiculturalité. Il conviendra ensuite de
réfléchir s’il faut détruire la statue ou y juxtaposer, par exemple, celle du
Haïtien Toussaint Louverture, à l’origine de la première République noire,
en 1802. Il s’agit de lancer un processus qui transforme la société et vise à
ce que toutes les composantes de la société se sentent parties prenantes et
respectées.

Aborder intelligemment la question de la réparation


historique
La question de la réparation historique ne saurait être financière : se
limiter à cette approche signifierait que la souffrance incommensurable de
la traite ou du colonialisme puisse être compensée par l’argent. Il faut
plutôt privilégier la réparation comme un processus de vérité, qui passe
par une prise de conscience et un souci de justice. Quatre formes de
réparation peuvent et doivent se mettre en place :
– la réparation éthique et morale : accepter que l’esclavage est un
crime contre l’humanité. La tragédie de la traite négrière nous concerne
tous en tant qu’humains ;
– la réparation historique : documenter par la recherche, l’accès aux
archives écrites et à la tradition orale de l’esclavage ;
– la réparation éducative : intégrer les résultats de la recherche
historique sur l’esclavage dans l’écriture et l’enseignement de l’histoire
nationale ;
– la réparation sociale : reconnaître l’esclavage comme la source
historique du racisme et des inégalités économiques et sociales vécues par
les Afro-descendants, intégrer cette reconnaissance dans les politiques et
programmes économiques et sociaux nationaux.
Enfin, la question centrale est la suivante : pourquoi les citoyens issus
de ces communautés anciennement dominées et racialement identifiée sont
également ceux que l’on a relégués dans des zones socialement
discriminées ? Lorsque la carte historique et raciale de la marginalisation
correspond avec la carte sociale de la pauvreté, c’est que le problème est
systémique.

Les peurs identitaires à l’épreuve de l’histoire


Nous sommes actuellement en France dans un processus
d’accouchement identitaire multiculturel. Les anciennes identités
nationales, basées sur la « race », la religion et la culture sont en train d’être
profondément bousculées et remises en question par les dynamiques
multiculturelles de la globalisation. Dans ce contexte, le communautarisme
et le séparatisme sont des concepts idéologiques défensifs. Les
communautés visées par ces accusations sont victimes de la traditionnelle
stratégie du paradigme racial : raciser, discriminer, séparer, réprimer.
Or pour sortir du silence historique et mémoriel national et de
l’invisibilité politique, sociale et économique, il faut revisiter et questionner
les signes et symboles de leur marginalisation, ainsi que l’universalité et la
signification profonde des valeurs nationales emblématiques : Liberté,
Égalité, Fraternité.
Pour toutes ces raisons, l’enseignement d’une histoire plus globale,
décolonisée et factuelle, est stratégique, afin d’améliorer le vivre-ensemble
et transmettre une vision plus claire de l’état du monde et de ses enjeux.

Propos recueillis et mis en forme par Bilguissa Diallo, autrice


et journaliste,

pour dailleursetdici.news
Qu’est-ce que la charte du Manden ?
Également connue sous le nom de la charte de Kouroukan Fouga 7, cette
charte est un ensemble de règles juridiques proclamées par les chasseurs de
l’empire de Soundiata Keïta (1190-1255). Elle servit de constitution à l’Empire
mandingue, transmise oralement par l’intermédiaire des griots (les Djely). Elle fut
ensuite retranscrite en 1998.
Intégrée à la liste du patrimoine mondial immatériel de l’Unesco en 2009, la
charte régissait de nombreux aspects de la vie de cet empire qui regroupait les
actuels Mali, Guinée(s), Sénégal, Gambie, Burkina Faso, Côte d’Ivoire et
Mauritanie. Elle est apparue dans un contexte d’une guerre remportée par
Soundiata, qui décida de légiférer sur son grand royaume afin de l’unifier.
Quarante-quatre articles composent la charte qui reconnaît notamment le
caractère sacré de la vie et le droit à la propriété. Tous les droits de l’homme
moderne de la Déclaration universelle des droits de l’homme, élaborée plusieurs
siècles plus tard, y figurent.
Remerciements

Nous avons créé D’ailleurs et d’ici pour valoriser les apports à la


France plurielle de toutes ses composantes. Les dynamiques culturelles,
sociétales, économiques se conjuguent à partir de son histoire. Notre
histoire est un point de départ, nécessaire à connaître et à appréhender pour
nous projeter dans un destin commun. Voilà pourquoi, à côté de notre
média, nous avons initié un centre de ressources en ligne offrant des
références de films, écrits, bandes dessinées, spectacles : un centre pluriel
sur l’histoire de la traite et de l’esclavage, l’histoire coloniale et celle de la
Shoah. Voilà pourquoi nous animons de nombreux ateliers sur l’histoire des
racismes dans diverses régions de France ; des ateliers qui permettent de
relier, et non pas de fragmenter, refusant le dangereux et réducteur piège de
la concurrence mémorielle.
De nombreux encadrants jeunesse (enseignants, mais aussi éducateurs,
animateurs, y compris animateurs sportifs) nous ont fait part d’un problème
qui se pose à eux dans leur pratique professionnelle : celui de ne pas
pouvoir, de ne pas savoir répondre aux questionnements des jeunes sur ces
sujets. Parfois faute de connaissance, souvent par manque d’outils et/ou par
crainte de remuer une histoire douloureuse, sans véritable fil conducteur
pour dépasser cette peur.

Marc Cheb Sun tient à saluer la réactivité de chaque contributeur et chaque


contributrice – Bilguissa Diallo, Charles Cohen, Walid Hajar Rachedi, Aziz
Oguz et Florian Dacheux qui ont pensé la cohérence de chaque chapitre,
recueilli les propos des spécialistes et complété chaque chapitre de
l’encadré de conclusion, ainsi que l’engagement de notre éditeur. Tous ont
immédiatement compris à quel besoin, à quelle urgence il répondait. Merci
à MultiKulti Média, l’association qui produit D’ailleurs et d’ici, ses
partenaires et ses dirigeants, Gérard Bourgeois et Zaïa Khennouf, sans qui
rien n’aurait été possible.

Merci aussi à Géraldine Julliard, Boniface N’Cho, Alexandra Palt et Marie


Vanaret.
Table des encadrés

Des dénominations raciales


Qu’est-ce que le Code Noir ?
Qui est Sojourner Truth, esclave affranchie ?
Qui est André-Daniel Laffon de Ladebat, fils de négrier et
abolitionniste ?
Les colonies de plantation, un modèle esclavagiste nouveau
Mémoires & Partages : des visites guidées qui révèlent les héritages
esclavagistes
Qui sont les saint-simoniens ?
Police et question raciale
D’où vient le terme « nègre littéraire » ?
Qu’est-ce que la charte du Manden ?
TABLE

Identité

Copyright

Couverture

Avant-propos

1. La traite transatlantique repose-t-elle sur une idéologie racialiste ?

2. Résistances des victimes

3. La lutte contre l'esclavage : le rôle des femmes

4. Résistances des Européens

5. La traite négrière a-t-elle favorisé le développement économique de l'Europe ?

6. Nantes, Bordeaux, La Rochelle : l'héritage des grands ports négriers français

7. Comment l'esclavagisme et le colonialisme se sont-ils superposés dans l'histoire ?

8. L'esclavage et la traite négrière, à l'origine du discours sur la « race »

9. Alexandre Dumas, petit-fils d'esclave

10. Faut-il décoloniser l'histoire pour comprendre le monde ?

Remerciements
Table des encadrés
Notes
1. Une série documentaire de 4 x 52 minutes de Daniel Cattier, Juan Gélas, Fanny Glissant, diffusée
en 2018 sur Arte.
2. Compilation littéraire de récits de voyages de Léon l’Africain, explorateur, géographe et historien
du XVIe siècle.
3. Professeur, historien, auteur américain.
4. « Maudit soit Canaan (fils de Sham), qu’il soit l’esclave des esclaves de ses frères », Genèse 9,
20-27.
Notes
1. Esclavages et subjectivité dans l’Atlantique luso-brésilien et français (XVIIe-XXe siècles),
M. Cottias et M. Mattos (dir.), OpenEdition, Marseille, 2016.
2. Ségou, Maryse Condé, Robert Laffont, Paris, 1984.
3. La porte que les captifs devaient traverser pour embarquer sur le navire de leur déportation.
4. Voir encadré « Qu’est-ce que le Code Noir ? », page 27.
Notes
1. 1765, début de la révolution.
Notes
1. Voir projet Legacies of British Slave-Ownership, https://www.ucl.ac.uk/lbs/
2. Traditionnellement, le système assimilationniste se méfie des particularismes.
3. Catherine Hall est une historienne dont les travaux portent sur la Grande-Bretagne et son empire.
Elle a notamment mené une enquête sur les familles impliquées dans la traite négrière.
4. À ce titre, la directrice du musée des Ducs de Bretagne à Nantes a effectué un travail formidable
dont le fil conducteur est l’histoire de la ville via son volet « Histoire décoloniale ».
5. Olivier Pétré-Grenouilleau est un historien, auteur de L’Argent de la traite. Milieu négrier,
capitalisme et développement : un modèle, Éditions Aubier, Paris, 1996.
6. Voir https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr
7. Kenneth Pomeranz est un historien spécialiste de la Chine, auteur d’Une grande divergence : La
Chine, l’Europe et la construction de l’économie mondiale, Albin Michel, Paris, 2010.
Notes
1. Des offrandes dans les églises représentent, à La Rochelle, des maquettes de navires ou des
tableaux dépeignant des personnes noires réduites en esclavage.
2. Le Code noir est un recueil d’une soixantaine d’articles publié en plusieurs fois en 1685. Sous
l’autorité du Roi de France, il rassemble toutes les dispositions régissant l’esclavage dans
les colonies françaises. (Voir encadré, p. 27.)
3. Après quinze ans de travaux et trois ans de fermeture, le château des ducs de Bretagne rouvre en
hébergeant désormais l’ambitieux musée d’Histoire de Nantes.
4. Bordeaux, port négrier : XVIIe-XIXe siècles, Éric Saugera, Éditions Karthala, Paris, 1995.
5. Aimé Césaire fut un poète et homme politique martiniquais, anticolonialiste.
6. Kervégan, Guillaume-Grou, Colbert, les avenues Guillon et Bourgault-Ducoudray : à Nantes, cinq
voies publiques portent le nom de personnalités impliquées dans le commerce triangulaire.
7. Au Havre, les rues Jules-Masurier, de Begouen, Lestorey-de-Boulongne, Jean-Baptiste-Eyriès et
Massieu-de-Clerval font référence à des notables locaux ayant participé à la traite négrière.
8. La loi Taubira de 2001 reconnaît la traite et l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. À
l’origine de la journée du souvenir de l’esclavage, fixée le 10 mai, la loi stipule que les programmes
scolaires doivent accorder à la traite négrière la place conséquente qu’elle mérite.
9. Le 10 mai 2019, le Président de la République a renouvelé son engagement de voir ériger à Paris
dans le jardin des Tuileries, un mémorial qui rende hommage aux victimes de l’esclavage.
Notes
1. Le traité de Paris (1763) consacre la Grande-Bretagne comme première puissance mondiale qui
évince la France de presque tous les espaces coloniaux indiens et nord-américains.
2. Statut intermédiaire entre esclavage et salariat. Voir « L’engagisme, un entre-deux », p. 63.
3. Le congrès de Vienne (1814-1815) a été l’une des plus importantes conférences internationales de
l’histoire européenne.
4. Empereur français de 1852 à 1870.
Notes
1. Voir le documentaire Les Routes de l’esclavage de Daniel Cattier, Juan Gélas, Fanny Glissant,
diffusé en 2018 sur Arte.
Notes
1. Musicien et militaire français, né esclave en Guadeloupe, figure de la Révolution.
2. Institution située dans la Villa Médicis, dédiée à l’accueil d’artistes en résidence.
3. Le film retrace la lutte des Noirs américains pour les droits civiques à partir d’un texte de James
Baldwin.
Notes
1. Voir Histoire générale de l’Afrique, 8 volumes, Edicef, Présence africaine et Unesco, Paris, 1986-
1997.
2. Noirs indiens, cités dans le Journal de la Société des Africanistes, L. Homburger, Paris, 1955.
3. Ils y étaient avant Christophe Colomb, Ivan Van Sertima, traduction de l’anglais par Marie
Matignon, Flammarion, Paris, 1981.
4. Nations nègres et Culture. De l’antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique
noire d’aujourd’hui, Cheikh Anta Diop, Présence africaine, Paris, 1954.
5. La Langue secrète des Dogon de Sanga, Michel Leiris, Institut d’ethnologie, Paris, 1948.
6. Abraham Hanibal, l’aïeul noir de Pouchkine, Dieudonné Gnammankou, Présence africaine, Paris,
1996.
7. Du nom d’un village frontalier entre le Mali et la Guinée.

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