Contribution Mercedes Baugnies Et J-F Plateau P. 52-159
Contribution Mercedes Baugnies Et J-F Plateau P. 52-159
A. Méthodologie
Démarche globale
Les interviews ont été enregistrées et retranscrites fidèlement. À partir de ce travail, très
chronophage, elles ont été codées, en fonction du choix du logiciel de traitement. Plusieurs
alternatives étaient possibles. Sans entrer dans les détails, le choix s’est porté sur IRaMuTeQ
(Interface de R pour les analyses Multidimensionnelles de Textes et de Questionnaires).
- D’abord, il est open source, c’est-à-dire que le code informatique avec lequel il est bâti
est accessible librement, sous les termes de la licence GNU GPL (v2)1, appelé
communément GPL. C’est un logiciel libre qui donne à l’utilisateur, la possibilité
d’accéder aux sources, de les modifier si besoin, avec cependant l’obligation de
communiquer ces transformations à l’ensemble des utilisateurs.
- Comme son nom l’indique, c’est une Interface, bâtie avec le langage python2 langage
de programmation libre d’accès également
- Interface de R3, plus précisément, autre logiciel libre d’accès et développé par toute une
communauté de chercheurs. R permet des calculs statistiques et des réalisations
graphiques très performants, mais son utilisation nécessite d’écrire du code par des
lignes de commande, ce qui n’est pas évident pour les publics non avertis. Ainsi
l’Interface avec R, rend ce dernier invisible, ou presque, car lors de traitement de gros
corpus, les résultats à l’écran ne sont pas immédiats et les lignes de commandes générées
par R défilent automatiquement dans une fenêtre.
- Les analyses Multidimensionnelles à partir de Textes ou de Questionnaires étudiés à
partir de matrices sont ainsi performantes, au niveau des calculs comme des
présentations
1 GNU pour « GNU's Not Unix » est un système d’exploitation pouvant fonctionner avec un noyau comme UNIX,
mais plutôt utilisé dans la tradition du logiciel libre avec le noyau LINUX. Pour plus de précision voir le site :
https://www.gnu.org/home.fr.html . GPL signifie Général Public License.
2 https://www.python.org/
3 https://www.r-project.org/
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- L’analyse textuelle repose sur la méthode Alceste dont il est question un peu plus loin
et qui par la création de classes lexicales aide fortement à l’analyse qualitative.
Son utilisation est relativement simple et une documentation très complète concernant
l’utilisation du logiciel (Loubère & Ratinaud, 2014), est téléchargeable sur le site
d’IRaMuTeQ4 .
Les membres de l’équipe de recherche ont tous été formés à son utilisation afin de comprendre
son fonctionnement, ses contraintes en termes de préparation des corpus et des variables,
comme aussi de ses limites. Il est en effet important de comprendre que les analyses logicielles
vont ouvrir des pistes, aider à l’interprétation des données, sans pour autant présenter une
analyse basée sur des réflexions ni, bien sûr, les recours aux non-dits des interviewés.
Pour préparer les corpus à leur analyse, un choix de variables à intégrer dans les corpus a été
validé par l’équipe chargée du traitement des données
Les cinq variables illustratives et leurs modalités ont été codées de la façon suivante :
Signification Syntaxe
Sexe féminin *S_f
Sexe masculin *S_h
Élève *ST_eleve
Parent *ST_parent
Personnel non enseignant *ST_personnel
4 http://www.iramuteq.org/documentation/fichiers/documentation_19_02_2014.pdf
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Personnel enseignant *ST_enseignant
Classe bilingue *TC_bilingue
Classe non bilingue *TC_nonbilingue
École *ET_ecole
Collège *ET_college
Lycée *ET_lycee
Abibac *ET_abibac
ABCM *ET_abcm
Etablissement public *ID_pub
Etablissement privé *ID_pri
Etablissement associatif *ID_ass
L’intégration des variables thématiques s’est faite en les intercalant dans le texte pour annoncer
les thèmes abordés.
Chaque corpus codé est composé de différentes interviews enregistrées dans des fichiers
séparés, par les binômes ayant réalisé les entretiens.
Les entretiens retranscrits et codifiés ont été enregistrés au format UTF8, afin d’être
interprétables par IRaMuTeQ.
Cette codification, somme toute exigeante au niveau de la syntaxe offre l’avantage de pouvoir
générer des sous-corpus, entendons de pouvoir stratifier le corpus, comme par exemple une
analyse selon les élèves de collège ou par enseignants de classe bilingue.
54
L’intérêt de ce logiciel, nous l’avons dit est de se baser sur la méthode Alceste en suivant la
méthode Reinert. Expliquons cela en quelques mots.
Appuis théoriques
Les mots pleins sont les verbes, adjectifs, adverbes et noms, paramétrés par défaut par le logiciel
et qualifiés de formes actives.
Cette méthode (dite méthode Alceste), « proposé par proposé par Reinert (1983, 1990) a
d’abord été implémentée dans le logiciel ALCESTE5 » (Ratinaud & Marchand, 2012).
Cette méthode, pour reprendre les termes du concepteur du logiciel IRaMuTeQ consiste à faire :
5 http://www.image-zafar.com/
6
Unité de contexte initial
7
Unité de contexte élémentaire
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Ces auteurs expliquent qu’IRaMuTeQ a adapté cet algorithme. Chaque bi-partition nécessite
trois phases :
• Une Analyse Factorielle des Correspondances (AFC) est menée sur le tableau puis, pour
toutes les partitions possibles le long du 1er facteur de l’AFC, l’inertie inter-classe est
calculée. Une première coupure intervient pour la partition qui maximise l’inertie inter-
classe.
• Chaque unité du tableau est permutée d’une classe à l’autre et l’inertie inter-classe est
recalculée. Si celle-ci est supérieure à l’inertie inter-classe précédente, la permutation
est conservée. Cette partie de l’algorithme boucle jusqu’à ce qu’aucune permutation
n’augmente l’inertie inter-classe.
• Les formes spécifiques d’une classe (au sens du chi2) sont retirées de l’autre (Ibidem).
C’est cette classification dite hiérarchique descendante de la méthode Alceste qui est reprise
par le logiciel IRaMuTeQ.
B. Analyse globale
L’analyse présentée ici reprend 197 interviews, réparties dans 15 établissements disposant de
filières bilingues et/ou non bilingues auprès d’enseignants, de personnels encadrant, d’élèves,
de parents d’élèves8.
Il s’agit d’une analyse qui s’appuie sur le logiciel présenté dans la partie précédente. Elle a été
réalisée à partir de l’analyse Reinert et de deux méthodes de classification.
Des classes obtenues, les 100 premiers segments de textes, lemmatisés ont été analysés.
Certains aspects de ce corpus de 750 pages en mode texte n’ont pas pu être tous repris mais les
principaux émergent et l’analyse des contextes est suffisante à notre sens pour faire ressortir de
la part des acteurs leur rapport avec les dispositifs proposés. Nul doute que dans ce rapport les
problématiques qui émergent sauront éclairer sinon les décisions au moins les réflexions des
commanditaires de ce rapport et des analyses présentées. Cette partie va un peu au-delà d’une
analyse strictement globale. En plus de présenter les grandes tendances de chaque classe,
quelques thèmes problématiques (élitisme, mixité, ambiance, difficultés rencontrées, influence
parentale) sont abordées. Cette analyse revêt aussi un habillage pédagogique à l’usage des
8 Seulement un échantillon des 241 entretiens a été analysé avec cette méthode.
56
étudiants et chercheurs ayant participé à l’étude comme à celui des lecteurs soucieux de mieux
s’orienter dans les nuages iramutequiens.
Statistiques
Nombre de textes : 197
Nombre d'occurrences : 356233
Nombre de formes : 7452
Nombre d'hapax : 3073 (0.86%des occurrences - 41.24% des formes)
Moyenne d'occurrences par texte : 1380.75
L’analyse présentée ici repose sur 197 interviews (nombre de textes séparés par les variables
illustratives). 356233 occurrences (mots) ont été identifiées, représentant 7452 formes
(initialement 11428 formes répétées ; la lemmatisation en répertorie 7452) et 3073 hapax (mots
uniques dans le corpus). Les interviews étaient composées en moyenne de 1381 occurrences.
Le graphe ci-dessous, généré par IRaMuTeQ, dessine « en abscisse les logarithmes de rang et
en ordonnées ceux des fréquences des formes » (Loubère & Ratinaud, 2014, p.12).
La distinction entre forme et occurrence mérite une explication, comme celle de lemmatisation,
technique utilisée dans le cadre de cette analyse, notamment dans l’utilisation de la méthode
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Reinert, qui rappelons le découpe le corpus en segments de texte en vue de regrouper les plus
significatifs dans des classes.
Le segment de texte suivant, est formé d’un ensemble d’occurrences et de formes : « J’ai des
amis qui n’aiment pas forcément ce que j’aime ». La forme « j’ » est unique, mais elle a deux
occurrences, la forme est reproduite 2 fois dans le Segment de texte (ST). Les formes « aiment »
et « aime » sont deux formes distinctes, avec pour chacune une seule occurrence.
La lemmatisation consiste à mettre les mots dans leur forme la plus simple (lemme).
Dans l’exemple précédent, la lemmatisation associe les deux formes distinctes « aiment » et
« aiment » au lemme : aimer.
Avec cette technique IRaMuTeQ réduit les verbes à leur infinitif, les noms et les adjectifs au
singulier et ces derniers au masculin. La lemmatisation a ses détracteurs comme ses fervents
adeptes, mais il s’agit d’avoir un regard critique sur son usage (Lemaire, 2008).
Les classes
Que nous indique la méthode Reinert appliquée à ce corpus ?
58
Le corpus a été décomposé en deux branches elles-mêmes séparées en deux autres ce qui donne
au final quatre classes, comme l’indique le dendrogramme ci-dessous.
Pour chacune des classes, les formes qui apparaissent le plus significativement dans la classe
sont classées par ordre décroissant.
L’analyse ultérieure des profils de chaque branche permettra de donner plus de sens à ce
classement.
En attendant il est intéressant d’observer les placements de ces formes et de leurs classes sur un
axe factoriel, comme de la position des variables utilisées.
59
Deux classes apparaissent très proches (les classes 1 et 2), tandis que les deux autres sont de
l’autre côté de l’axe vertical (facteur 2) et s’opposent mutuellement par l’axe horizontal (facteur
1).
Les variables sont assez groupées autour du centre ce qui suppose une certaine homogénéité
dans les discours, bien que celle qui caractérise les élèves se trouve à la marge des autres.
60
61
Les formes les plus fréquentes se répartissent ainsi sur la carte factorielle :
À l’extrémité droite de l’axe du facteur 1 se trouvent concentrées les formes ayant trait aux
parcours et projets des élèves (parcours, continuer, collège, lycée, abibac, abitur, poursuivre,
voie, concours, master, etc.). En allant vers les origines de l’axe, se trouvent les parents, l’école,
l’enfant, l’élève, les enseignants et déjà, dans ce contexte, le monolingue et le bilingue de part
et d’autre de l’axe vertical (facteur 2) où apparaissent aussi de chaque côté les difficultés ou
problèmes et inconvénients. Au bas de l’axe vertical, les visites et courses en famille, avec les
copains dans les pays de la Régio sont une opportunité d’affirmer son identité, sa culture et de
parler français et allemand. En remontant encore cet axe, l’apprentissage de la langue permet
l’ouverture à la culture, aux valeurs, le respect, la tolérance, la liberté. Parallèlement cet
apprentissage influence favorablement le développement de l’esprit et du cerveau.
62
L’analyse des similitudes ci-dessous, entre les formes (ici supérieures à 150, pour garder un
minimum de lisibilité) représente avec aussi beaucoup de similitudes (!) les commentaires
réalisés précédemment pour interpréter la carte factorielle et la position des mots les plus
significatifs.
L’épaisseur des traits entre les formes indique la fréquence de leur proximité dans les segments
de textes.
63
Une analyse plus détaillée va permettre, à l’aide des segments de texte les plus caractéristiques
de chaque classe de donner du sens à ces différentes représentations issues du corpus regroupant
les interviews. L’analyse va s’attacher aux détails de ce qui relie ces mots et plus
particulièrement au travers des segments les plus caractéristiques des classes.
64
La classe 1 ou le « contexte particulier des classes bilingues »
Le dendrogramme indique les formes les plus utilisées dans cette classe. Il s’agit en fait des
éléments de contexte de l’entretien.
Un regard en parallèle sur la significativité des variables concernées, montre le Chi2 le plus
élevé pour la variable thématique concernant justement le contexte.
65
La classe 1 donne une place significative au contexte (Chi2 = 1031,23, p < 0,0001) 9 et
notamment aux écoles (Chi2 = 26,78, p < 0,0001). La parole est donnée significativement aux
personnels (Chi2 = 241,53, p < 0,0001), enseignants (Chi2 = 211,71, p<0,0001) et aux femmes
(Chi2 = 7,86, p < 0,01). Les établissements publics y sont aussi fortement représentés (Chi2 =
4,87, p < 0,05), et les paroles émanant de cette classe rassemblent des segments
significativement encadrés par la variable illustrative correspondant à l’entretien autour des
représentations (Chi2 = 5,1, p<0,05).
Mais quelles sont ces paroles des acteurs du système éducatif où la parole des élèves semble si
peu compter ?
9P indique la probabilité que le calcul du Chi2 déterminant le degré de dépendance de la forme (ici la variable)
dans la classe soit faux. En général le seuil de significativité est indiqué par des valeurs inférieures à 0,05)
66
Un regard sur les segments les plus caractéristiques de la classe devrait apporter une réponse
du moins des pistes qui seront à conforter par des allers-retours avec la source, le corpus, les
interviews donc.
Graphe de la classe
67
(1) Hétérogénéité des publics
La classe 1 voit donc ses segments les plus caractéristiques s’exprimer par la voix des
enseignants et des personnels. Ils évoquent souvent l’entrée en collège pour certains élèves
après avoir suivi le cursus bilingue depuis l’école primaire voire maternelle.
Le segment de texte le plus caractéristique (score10 le plus haut), concerne les paroles de la
principale d’un collège qui évoque l’hétérogénéité et la diversité des profils. En retournant dans
le corpus, cette hétérogénéité est confirmée par les enseignants de ce collège ; Pour la personne
10
Le score correspond à la somme (en valeur absolue) des Chi2 des formes retenues
68
du service « inclusion scolaire » de ce collège, elle parle de la richesse de cette mixité, comme
d’une plus-value.
Cette diversité n’est donc pas vécue par toutes les institutions de la même façon.
Le troisième segment montre par le biais d’une autre enseignante du secteur public en primaire
et dans une classe non bilingue, du peu de mélange des élèves entre les deux filières. Une
observation dans le contexte de ce discours prolonge son point de vue. En parlant des élèves
bilingues, elle dit : « ils savent qu’ils sont les meilleurs élèves, souvent, ce n’est pas toujours le
cas, il y en a aussi de très bons en monolingue, mais quand même, la majorité est un peu plus
solide. Il y a peu d’élèves en difficulté en bilingue. Donc il y a quand même, même si ça ne
doit pas être dit, une étiquette élitiste ».
« L’élitisme » écrit comme tel est effectivement évité par les enseignants dans leur discours. Le
concordancier12 est assez instructif à cet égard. L’interrogation des segments de texte où la
forme « élitisme » est présente montre, malgré sa rareté dans le corpus qu’il rassemble parents
et enseignants autant qu’il les sépare dans la façon d’en parler, pour ceux qui ont osé le faire :
11
Établissements appartenant à des Réseaux d’Éducation prioritaire accueillant des élèves classés comme étant en
difficulté scolaire et/ou sociale. Voir le schéma produit par le CRDP de Strasbourg à ce sujet : http://www.crdp-
strasbourg.fr/educ_prio/wp-content/uploads/2015/10/Le-profil-du-public-en-REP.pdf
12
Fonction du logiciel IRaMuTeQ qui permet à partir d’une forme de retrouver toutes ses occurrences dans les
segments de texte de la classe considérée.
69
La raison en est sans doute au travers de cette marginalité qu’il ne faut pas écarter de
l’exploration du corpus, même si nous sommes partis, pour l’instant, des trois segments les plus
significatifs que personnels ou enseignants évitent, pour certains, d’employer ce terme
« tabou ». Ils se retranchent en voulant éviter, dans leur pratique, de le favoriser, pour qu’il ne
soit pas un « dispositif fermé », et parlent plutôt « d’excellence ». L’un d’eux exprime ses
craintes d’un parcours qui deviendrait élitiste, tout en avouant dans le même contexte : « Voilà
on les regroupe et on retrouve quasiment un seul type sociologique de famille ».
Dans ce petit concordancier, deux parents sur trois n’ont par contre aucune crainte d’employer
le terme, le troisième est plus hésitant en évoquant encore la confusion avec l’excellence. Un
70
regard sur le contexte nous apprend qu’il est aussi enseignant…en allemand dans une classe
euro.
Si la forme « élitisme » est souvent évitée, elle n’en existe pas moins sous d’autre forme que
l’excellence, par exemple déguisée sous la recherche de la performance, propre à l’élite.
L’enseignante d’une classe non bilingue d’un collège l’illustre en disant qu’elle a mis son enfant
en section bilingue pour être « dans une meilleure classe à l’école primaire, dans une classe plus
performante, plus homogène ».
Un regard sur les concordanciers des autres formes, « élite » et « élitiste » témoigne d’une
fréquence plus marquée.
Le premier, « élite » est utilisé 16 fois par les personnels ou enseignants des écoles, collèges ou
lycée et une seule fois par un élève, jamais par les parents.
Le graphique ci-dessous indique l’usage significatif (valeurs positives) du mot selon les
interviewés et selon les établissements. Ainsi c’est le personnel encadrant qui l’utilise le plus
significativement. C’est aussi en ABCM et Abibac qu’il se prononce le plus.
Le dilemme entre exclusion et inclusion y est très prégnant. Les partisans de la mixité, la
défendent en la pratiquant dans leurs structures bilingues, ou la souhaiteraient, quand elle n’est
pas appliquée manifestement dans leur établissement, ou ceux qui en font le constat, tout en la
déplaçant vers les élèves… « qui se marginalisent par rapport aux autres parce qu’ils estiment
être des élites ».
Le second (« élitiste ») est employé à 14 reprises, 6 fois par les parents 6 fois parmi les
personnels encadrants, de façon plus significative chez les premiers, et 2 fois par les
71
enseignants. Il est associé au parcours ou aux classes bilingues et s’entend plus
significativement dans les écoles et les collèges.
Les parents l’associent parfois au mot « prestigieux », en tout cas lui reconnaissent tous ce
qualificatif, comme les enseignants, l’un ne voyant pas d’élèves en difficulté dans cette filière,
l’autre les associant à « un milieu socio-culturel plutôt aisé ». Les personnels encadrants des
écoles ne souhaitent pas faire « du bilinguisme une voie élitiste » ; c’est pourquoi certains
réclament de la mixité.
Mais si ces formes émergent peu ouvertement dans le corpus, l’élitisme se trouve souvent sous
les fourrés, quand est souvent évoqué, par exemple, le rapport avec le milieu socioprofessionnel
des parents. Un enseignant d’une école primaire bilingue fait remarquer à ce propos, que les
élèves sont « un peu favorisé, de milieu favorisé et c’est vrai qu’au niveau des classes bilingues
on va avoir tendance à retrouver les élèves issus d’un milieu socio professionnel un petit peu
plus haut ».
Cette différence de classe sociale se calque sur celle des classes de l’école.
Un parent d’un enfant en classe bilingue voit ce dispositif comme permettant aux enfants
d’avoir : « un tout autre niveau. Les élèves bilingues sont dans la même classe et il y a un très
bon esprit de groupe ; ce sont des belles classes des classes groupées qui s’entraident ».
72
Cette école à deux vitesses crée aussi des tensions entre les enseignants. Une directrice d’école
privée montre ce clivage, cette source de conflit latent en évoquant le fait que « vraiment les
enseignants de classes ordinaires n’apprécient pas le bilinguisme et ne mettent pas leurs enfants
en classes bilingues ».
En tout cas, la forme « élite », n’est prononcée qu’une fois, par un élève. Les autres formes,
« élitisme » ou « élitiste » ne le sont pas parmi les apprenants… Elles sont au bout des lèvres si
on se contente de compter son apparition dans la totalité du flot des mots produits par le corpus
entier, et utilisées quasi exclusivement par les enseignants, personnels ou parents. Comme l’a
montré l’AFC le placement marginal de la variable « élève » se confirme même dans les
exceptions, comme si parents, enseignants et personnels des établissements parlaient à leur
place.
L’élève en question, en prononçant le mot « élite », préfère toutefois celui d’« excellence ».
Peut-être est-ce par référence, ou mimétisme, avec ce que disent ses professeurs ou les
encadrants de son établissement ?
Il complète ses propos en disant : « du coup il y a des petits groupes qui se forment et ça fait
pas une classe super il n'y a pas une cohésion vraiment forte entre toutes les personnes même
s'il y a de l'entraide et tout, mais il y a quand même des groupes avec des caractères assez
opposés et ça c'est un point assez négatif ».
Nostalgique du passé, il explique qu’« avant il n'y avait pas d ‘élèves qui se connaissaient plus
petit. Et je trouve que ces cohortes-là étaient beaucoup plus intéressantes parce que plus
éclectiques plus ouvertes ; c'était des élèves qui se rencontraient ». Le terme de « sectarisme »
est utilisé par le fait que «le savernois ou proche de Saverne qui met ses enfants dans le
bilinguisme créé une sorte d'esprit de caste et de la condescendance de la part de ces élèves qui
se connaissent depuis tout petit ; et qui ne laisse aucune place et aucune marge d'erreur à tous
les élèves qui viennent se joindre à cette classe ».
73
C’est d’ailleurs dans les écoles et par le biais des enseignants et personnels encadrants que la
mixité est évoquée significativement.
Le parcours prévu de la maternelle jusqu’à l’Abibac semble donc être un des motifs de ce
manque de cohésion et source, à la longue de tensions. Cette idée sera évoquée à plusieurs
reprises. Un personnel de collège dont la filière bilingue a démarré depuis peu, avec un mixage
des classes ne connaît pas les problèmes qu’il a rencontrés lorsqu’il était auparavant dans un
autre établissement.
Il s’agissait « surtout des problèmes relationnels, de groupe d'élèves bilingues, le fait qu'ils
étaient ensemble très longtemps, depuis Marc Bloch pour faire le lycée, et donc c'était un peu
voilà un peu d'étouffement des élèves parce qu'ils étaient toujours ensemble ». Un membre du
personnel non enseignant d’un collège public appuie ce fait en disant : « lorsqu’on a une classe
mixte il arrive très souvent que les élèves ne se mélangent pas les non bilingues restent ensemble
et les bilingues ensemble ».
Ce n’est pas l’avis de parents d’une école primaire qui redoutent les classes remixées comme
par exemple cette maman d’une autre école, regrettant que sa fille en arrivant au CP, n’a
« trouvé aucun camarade de maternelle. Voilà. C’est dur, après les enfants s’y font, s’y
adaptent ».
« Le mélange est enrichissant, ajoute-t-elle plus avant dans le discours, mais là, je trouve que
là c’est trop de mélanges. Il faudrait trouver un compromis ».
Un membre du personnel encadrant d’un collège donne une solution quand il dit : « Les
bilingues viennent de trois écoles différentes. Parfois ils sont scindés pour pas que ça reste des
74
élèves à part. Les parents ont parfois du mal à le vivre et on leur explique qu’ils peuvent être
séparés ».
Ce souci sera aussi repris assez fréquemment par des parents ou enseignants, à savoir des
problèmes relationnels inter filières. Il ne touche pas que les enfants, comme vu précédemment
entre les enseignants des deux filières dans une école privée. Une enseignante d’une école
publique non bilingue estime que « les enseignants monolingues restent dans le monolingue et
le bilinguisme plutôt de son côté ».
Dans un autre établissement, « les classes bilingues par rapport aux monolingues ont l’esprit
très critique développé. Ils prennent des initiatives quand ils ne comprennent pas ou qu’ils ne
sont pas d’accord pour une décision avec l’équipe ».
Souvent les élèves qui ne suivent pas dans les sections bilingues sont retirés de la filière.
« Ce n’est pas parce qu’un élève est en classe bilingue qu’il ne peut pas être en difficulté et
quand il est en difficulté on l’accompagne au même titre qu’un autre dans la section bilingue
tout en lui permettant de conserver le bilinguisme », affirme au contraire la principale d’un
collège.
Des clivages semblent donc réels entre les dispositifs. Ils ne cohabitent pas forcément bien. Les
échanges ne sont pas spontanés entre les filières, explique un membre du personnel d’une école.
La mixité est difficile à mettre en place tant côté enseignants qu’élèves et si la mixité est
reconnue, par certains enseignants de classes bilingues notamment, elle peut être forcée par
manque d’effectifs, comme dans le cas d’une création récente d’une filière bilingue dans un
collège.
Quelle que soit sa constitution voulue, ou forcée, la mixité est souhaitable, la « classe unique »
regrettée peut-être par certains. Elle se heurte cependant à un système qui prône l’élitisme,
l’entretien, même s’il s’en défend, et se résigne à ces cloisonnements. Sans doute la mixité,
pour exister a-t-elle besoin d’autres ingrédients, plus pragmatiques, comme l’accompagnement
pour ne plus être difficile à convoquer ?
75
(5) De quelques difficultés évoquées
La forme « difficulté » est significativement plus évoquée par le corps enseignant et ses cadres,
surtout en milieu primaire.
• Le manque de mixité, déjà évoqué, est amplifié par la concentration des enfants en
difficulté dans les classes monolingues, ce qui entraîne des clivages entre élèves mais
aussi entre enseignants
• L’orientation des enfants
• Les familles qui ne les suivent pas (surtout en monolingue)
• Les nouvelles directives du rectorat imposant l’enseignement de toutes les matières dans
les deux langues
• Le manque de documents, de manuels pour travailler en bilingue, et « d’outils
performants qui permettent de garder de l’énergie pour les élèves »
• La mise en difficulté des débutants par le manque d’outils pédagogiques
• L’absence de sélection dans la filière qui oblige à gérer les difficultés des élèves dans
les deux filières et « à gérer l’hétérogénéité »
• Des élèves devant quitter la filière bilingue en collège car ils n’ont pas le niveau….
• Des parents insistent pour que leur enfant reste en bilingue malgré ses difficultés
d’apprentissage, « ils ne veulent absolument pas que l’enfant quitte le bilinguisme, c’est
terrible ».
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En collège les difficultés dévoilées sont la rencontre des effectifs surchargés avec des
enseignants stagiaires qui « rencontrent certaines difficultés dans l’acceptation des
différences ». Ceux qui travaillent « sur la performance et l’excellence ne travaillent peut-être
pas sur l’accompagnement des difficultés et ça c’est peut-être quelque chose à revoir ».
Un parent d’élève de collège en bilingue, conscient de la différence de niveau entre les filières,
empêche les enfants bilingues « de côtoyer des enfants en difficulté soit sociale ou
économique ».
Le mot difficulté n’a pas la même résonance. Un parent de l’école ABCM en parlant du sens
de l’effort, invite « à ne pas toujours choisir la voie de la facilité parce que quand on choisit la
voie de difficulté, dit-il, on a plus de satisfaction ».
Certes, mais encore faut-il que ces difficultés soient bien amenées et contrôlées pour permettre
le développement cognitif serein de l’apprenant. Ce développement doit être favorisé par le
"médium scolaire", l’école elle-même qui met en relation l’adulte et l’enfant en permettant la
mise en œuvre d’apprentissages nouveaux, et pourquoi pas difficiles, dans la "zone proximale
de développement"13 (Ivic, 1994) ou plus exactement dans la « zone de développement le plus
proche » (Chaiguerova, 2012, p. 60).
La difficulté de l’accompagnement, tant par l’institution qui sépare, que par l’enseignant en
prise à des classes surchargées, auxquelles il n’est pas préparé dans sa formation, sont des points
à prendre en compte si la cohabitation, la mixité, sont effectivement parties prenantes des
directives des politiques éducatives.
Une directrice d’école résume assez bien le panorama au sujet de ces voies qui se ferment en
parallèle des parcours qui spécialisent l’enfant parfois trop vite :
Alors mon sentiment c’est que… si vous avez des chiffres plus tard vous verrez certainement,
mais à mon avis la proportion d’élèves qui ont démarré en maternelle et qui ont continué jusqu’à
l’Abibac, parce que c’est ça l’objectif, l’Abibac… ça doit être très faible. Et il y a autre chose
qui, je trouve, est un peu dommage, déplorable même, c’est que ce côté élitiste vous voyez…
le discours des autorités c’est, il faut qu’il y ait des élèves, dont des CAP, qui font des filières
professionnelles qui puissent faire bilingue parce que comme ça, ça permettra d’aller trouver
du boulot en Allemagne, on est frontalier etc, Très bien, mais dans les faits ce n’est pas le cas.
13 « Cette zone est définie comme la différence (exprimée en unités de temps) entre les performances de l’enfant
laissé à lui-même et les performances du même enfant quand il travaille en collaboration et avec l’assistance de
l’adulte » (Ivic, 1994, p. 11).
77
Parce qu’effectivement, il y a un écrémage vous voyez et… il est encore plus prégnant au
collège. Au collège, un gamin qui a des difficultés en bilingue, ils le mettent en monolingue, ça
c’est sûr. Ils ne se posent pas ce genre de question avec, naturellement… alors, les parents
d’élèves, même ceux qui ont des principes humanistes tout ça, ils sont… ils ne vont rien dire
quoi, ça ne les dérange pas parce que finalement ça ne les concerne pas, c’est souvent des élèves
de CSP inférieures, ou les parents n’osent pas mettre un pied dans l’école, dans le collège. Et
ça c’est vraiment dommage. Parce que c’est le discours qui est tenu, mais j’aimerais savoir
combien d’élèves qui font des CAP ont fait bilingue au moins jusqu’en 4ème. À mon avis, ça
se compte sur les doigts de la main.
Et… les moments-clés pour… ou là on n’a pas trop la main, ou je ne peux pas agir c’est…
quand on change de, comment on appelle ça, de degré entre guillemets, quand on passe du
premier au seconde degré, entre le CM2 et la 6ème, là… on peut juste dire, vous avez pris un
engagement mais on ne peut pas faire grand-chose si le parent décide de sortir du bilingue.
Après au collège là on n’a plus du tout la main, dans les collèges ils font ce qu’ils veulent. Et
puis… même… mais là je me suis mis d’accord avec mon IEM parce qu’il y en a pas mal aussi
qui de la grande section… au CP sortaient du bilingue, vous voyez. Enfin pas mal… quelques-
uns. Parce qu’il y en a certains qui sont attirés par les classes musicales ici aussi et c’est
incompatible avec le bilinguisme. Donc il y en a qui font du bilingue en maternelle parce que
voilà puis après hop on les sort parce qu’on vise les classes musicales qui sont aussi assez
cotées. Là, c’est clairement une filière d’élite, entre guillemets, mais assumée. Il y a un concours
d’entrée au conservatoire, disons que c’est moins hypocrite.
Ne pourrait-on pas aussi créer des sections sport études dès la maternelle, en vue des JO de
2032 ? La mixité des matières d’enseignement, ou discipline, ne doivent-elles pas rester la règle
pour tous ? Doit-on investir dans la création d’écoles d’excellence ou mobiliser ses ressources
pour une vraie mixité ?
Ce décalage entre les objectifs politiques, et la réalité du terrain, avec des dispositifs pas
toujours cohérents, en tout cas pas à la hauteur des moyens matériels comme humains et des
acteurs dont on ne prend pas toute la mesure a fait émerger des difficultés.
En revisitant le concept de dispositif, par l’approche ternaire de Brigitte Albero, ces difficultés
peuvent être mieux comprises, en observant ce qui fait force ou non entre les dispositions
idéelles, fonctionnelles et actorielles (Albero, 2010).
78
Il semblerait que les dispositions idéelles, composées d’idées, de valeurs, de modèles, impulsées
par les directives politiques et ministérielles ne se mettent pas vraiment en acte de façon
opérationnelle. Les ressources matérielles et humaines en direction des utilisateurs, des acteurs
de la formation ne sont pas toutes au rendez-vous, comme il l’a été remarqué dans les
interviews. Les acteurs dans ce système ternaire s’approprient ou pas le dispositif, pour certains
difficilement, avec parfois des résistances, ce qui rend aussi le système peu opérationnel.
• Le manque d’entraide et le niveau superficiel des relations humaines entre lycéens pour
un élève bilingue du lycée
• « Je n’aime pas y aller parce depuis qu’on a eu une nouvelle maitresse il y en a des fois
qui crient les réponses ou qui se lèvent sans demander donc, des fois c’est pas amusant,
enfin ça énerve » dit un élève d’une classe bilingue dans une école publique.
• Le manque de qualité dans les filières bilingues pour une enseignante non bilingue d’une
école primaire, manque de qualité dû à la qualification des intervenants : « C’est
quelque chose que je ne connaissais pas avant, c’est-à-dire, je travaille depuis 17 ans, je
n’ai jamais vu dans aucune école qu’on confiait une classe à quelqu’un qui n’est pas
professeur (…) Ben… je ne sais pas vraiment, ils sont… on les qualifie de vacataires
mais je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire, contractuels ». Un statut des
intervenants extérieurs contesté donc par cette professeure.
• La Directrice de cette école confirme qu’elle n’a que des vacataires pour les classes
bilingues, et évoque une « lourdeur dans l’ambiance de l’équipe » due au fait de
l’absence d’enseignants. La répartition des élèves dans d’autres classes nuit à l’efficacité
pédagogique. Le système, dans ses propos est nettement mis en cause avec une
répercussion néfaste sur les enfants.
• Le fait de déplacer des élèves bilingues ayant des difficultés à suivre dans les classes
monolingues est un autre vecteur de tensions entre les enseignants relate la directrice
d’une autre école. Les relations entre enseignants et parents (pour la plupart enseignants
79
ou de classes sociales supérieures) du fait que ces derniers font preuve parfois
d’ingérence, ce qu’elle explique par le fait qu’ils « veulent le meilleur pour leur enfant ».
• La responsable d’un collège évoque le cas des élèves qui « sortent avec un ras-le-bol.
Concernant l’ambiance, du fait de notre grande hétérogénéité on a à travailler sur le
vivre ensemble ».
Bien que globalement les interlocuteurs qualifient l’ambiance comme étant bonne, celle-ci
s’altère par des dispositions fonctionnelles perturbantes, nuisant à la qualité des services, soit à
des dispositions actorielles, comme l’influence imprimée par les parents sur le dispositif.
Un parent d’une école estime que « certains parents pensent déjà abibac sans savoir comment
leurs enfants peuvent être en classe ».
Un enseignant de cette même école souligne que le bilinguisme est le projet éducatif des
parents.
Cela se reflète certainement par la sur représentation des parents d’enfants bilingues dans les
conseils de classe en proportion des classes monolingues, comme l’a souligné un directeur
d’école :
« Pour vous donner quand même un exemple, je vous ai parlé de 15 classes, normalement, toute
classe dans l'école donne droit à un représentant par an au conseil d'école, nous avons 6 classes
bilingues et 9 classes monolingues. Nous avons 14 parents bilingues et un parent monolingue »
Des problématiques se profilent en contrariant les projets des parents d’élèves en classe
bilingue.
Une école voit les classes bilingues se développer (autant de classes dans chacune des filières)
tandis qu’un collège en a très peu.
Cela entraîne, d’après un enseignant une plus grande difficulté à gérer les classes monolingues.
80
D’autre part, le passage devient difficile du primaire au collège en sous-effectif, en entraînant
la tentation de l’orientation vers le privé, ce qu’explique une enseignante en classe bilingue
3: « il y a des parents qui mettent leur enfant en classe bilingue et qui après en 6ème le mettent
dans le privé ». Ceci est constaté aussi par un enseignant d’une autre école.
Une directrice d’école déplore « les moyens mis à disposition de l’enseignement bilingue,
l’absence d’enseignants formés en capacité de prendre en charge des classes bilingues sur la
partie allemande ».
C’est ce qu’appuie un parent : « je trouve cela assez étonnant que l’on continue à ouvrir des
classes bilingues en alsace alors qu’il manque cruellement d’enseignants titulaires et de
remplaçants en bilingue. J’ai 3 enfants en bilingue et ils ont tous les 3 été touché par ce problème
d’enseignants non remplacés ».
Cela est expliqué par un responsable d’un collège par l’utilisation d’enseignants stagiaires.
Cette problématique est amplifiée par la surcharge des effectifs évoquée par ce même
responsable, comme celui d’une école ou de parents ou encore d’enseignants. Le taux de
demande d’entrée en classe bilingue augmente dans certaines écoles tandis que les collèges ne
suivent pas au même rythme.
Cela suppose une volonté institutionnelle, celle de faire cohabiter la volonté d’ouvrir
l’apprentissage des langues dès la petite enfance à tous, et pas seulement aux plus nantis. Mais
n’est-ce pas contradictoire de relancer l’usage des classes bilingues et les sections européennes
dans les collèges, au risque de creuser encore plus les inégalités qui affaiblissent la mixité
sociale (Dubet, 2017) si l’accompagnement des plus démunis n’est pas investi ?
Rendre l’école mixte impose de favoriser l’accompagnement de chacun, quel que soit son
milieu socio-culturel, mais force est de constater que les moyens humains, mais aussi matériels
manquent cruellement. L’éducation doit relever ce défi, au risque de laisser se propager tensions
et incompréhensions entre les acteurs. La formation des maîtres a peut-être aussi un rôle à jouer
dans l’apprentissage de la gestion des différences, car la course à la performance est peut-être
à relativiser au profit de l’inclusion et de l’égalité des chances, principes éducatifs élémentaires.
81
La classe 2, ou « classe bilingue pour quel projet ? »
82
La classe 2, ou « classe bilingue pour quel projet ? » est proche de la classe 1 et évoque très
significativement le projet (Chi2 = 1144,03, p < 0,0001) sous-entendu des élèves. Pourtant ces
derniers ne sont représentés dans les 50 premiers segments de texte caractéristiques que par un
collégien qui évoque le souhait d’intégrer un lycée plus tard, « soit Marc Bloch soit Kléber ;
Marc Bloch pour abibac et parce que je sais que le lycée a très bonne réputation et mes frères
et sœurs y sont déjà ».
Le discours est prédominant, pour cette classe, chez le personnel encadrant (Chi2 = 102,74,
p<0,0001) et les enseignants (Chi2 = 14,92, p<0,0001). Au niveau des établissements, il
concerne très significativement le lycée abibac (Chi2 = 179,3, p < 0,0001), les collèges (Chi2
= 45,47, p < 0,0001) et significativement les lycées (Chi2 = 4,61, p < 0,004). Les filières
bilingues sont très significativement présentes dans le discours de cette classe autour du projet
(Chi2 =10,1, p < 0,002) comme les établissements publics (Chi2 = 20,78, p < 0,0001).
83
Graphe de la classe
84
« quelques élèves une petite proportion d’élèves intègrent les secondes professionnelles et
d’une manière rare quelques-uns intègrent l’apprentissage pour le bilingue massivement ils
intègrent la seconde générale éventuellement les sections Abibac ou les sections européennes
du lycée Leclerc. ». Pour elle encore, il n’y a pas que l’insertion professionnelle mais aussi la
poursuite d’études à l’étranger qui peut prolonger l’Abibac.
Une enseignante du même collège indique aussi que « les élèves bilingues qui vont au lycée
Kléber c’est pour poursuivre en section euro et continuer en anglais mais ils ne vont pas arrêter
l’allemand ». Un parent d’enfant du collège bilingue apprécie qu’en Abibac certaines matières
autres que les langues sont enseignées en langue allemande. Cette filière Abibac est considérée
comme difficile par les enseignants de collège.
Ces parcours vus sous différents angles. Un enseignant et parent d’un lycée indique que la
mixité des publics ne facilite pas les choses. Pour un enseignant Abibac, ce parcours en classe
bilingue, de la maternelle au bac lui paraît très long, ce qui peut expliquer qu’un membre du
personnel encadrant d’un collège s’étonne de voir les élèves arrêter le bilinguisme après la 3ème.
Il semblerait cependant, pour cette même personne, que la cause provient de la crainte qu’on
leur en demande plus au lycée.
La directrice d’une école bilingue, en parlant des élèves, projette, qu’au-delà des déperditions,
la poursuite de leurs études peut les conduire jusqu’à l’Abibac « et ensuite se tourneront vers
des métiers comme traducteurs, des métiers ou la langue qu’ils ont étudiée toute leur scolarité
depuis la petite section jouera un rôle important ». Un parent d’école primaire a le même projet
d’abibac pour sa fille car elle « a un pied au lycée avec la grande » (sœur) et « voit que c’est
déjà un autre niveau ». Un autre encore définit le parcours type comme allant de la maternelle
à l’Abibac. C’est aussi la même tendance pour les parents d’enfants en collège bilingue. Le
niveau d’excellence des sections bilingues semble influencer fortement le choix des parents à
y inscrire leurs enfants.
Le chef d’établissement d’un lycée disposant d’une filière Abibac anticipe sur les projets des
élèves ayant le projet des classes préparatoires dans ce même lycée en leur proposant une
formation. Un accompagnement somme toute élitiste. Un enseignant d’une classe non bilingue
85
en collège indique que les parcours des élèves vont du CAP au bac pro ou général voire aux
classes préparatoires. Mais au fait, que disent les apprenants de leurs projets scolaires,
universitaires et professionnels ?
Collège
Primaire Assomption Bil Assomption Colmar Ingénieur En France
Collège
Primaire Assomption Bil Assomption Colmar Véterinaire En France
Collège Saint
Primaire Assomption Bil André Colmar Avec les animaux En Alsace
Collège
Primaire Assomption Bil Assomption Colmar Pharmacien En France
En Allema ?gne,
peut-être en
Primaire Wickram Bil Collège Berlioz Colmar Professeur d'allemand France
le plus près de
Primaire Wickram Bil ça m'est égal Colmar Véterinaire ma maison
Collège St.Jean,
Primaire Wickram Bil bilangue Colmar Avocate En France
Jean-Petit, Collège
Primaire ABCM Bil Ingersheim Ingersheim ne sait pas aucune idée
En Allemagne,
en Alsace, en
Jean-Petit, Collège Suisse ou en
Primaire ABCM Bil Ingersheim Ingersheim Architecte Bosnie
86
Établissement Lieu Bil Projet études Où études ? Projet métier Où métier ?
ou
Non
bil
Non
Primaire Exen-Pire bil Maîtresse, Coiffuse
Non
Primaire Exen-Pire bil
maîtresse d'école en
Primaire Saverne bil college Poincaré classe bilingue en Alsace
Non
Primaire saverne bil college ne sais pas vétérinaire
Non
Primaire saverne bil college
collège
Primaire Pfister bil college d'Orbey Scientifique en France
Molière à
Primaire Pfister bil college Colmar acteur en France
Assomption à
Primaire Pfister bil college Colmar vétérinaire en France
Assomption
Non college non ou Molière à en Normandie ou
Primaire Pfister bil bilingue Colmar maitresse en alsace
en France ou en
Primaire Pfister bil collège Berlioz écrivaine Allemagne
Non
Primaire Pfister bil collège Assomption cuisinier en France
87
Établissement Lieu Bil Projet études Où études ? Projet métier Où métier ?
ou
Non
bil
Chercheuse scient.
Collège Kléber Bil Kléber Strasbourg math. Peu importe
Probablement en
Collège Kléber Bil Marc Bloch Strasbourg Ecriture, journalisme France
Non Alsace de
Collège Kléber bil Kléber Strasbourg Médecin préférence
Non
Collège Kléber bil Kléber Strasbourg
Non Si possible en
Collège Kléber bil Architecte d'intérieur Alsace
Non
Collège Kléber bil Kléber Strasbourg Psychologue
Non
Collège Stockfeld bil Apprentissage
Non
Collège Stockfeld bil Docteur En France
Non
Collège Stockfeld bil Bafa
En France ou en
Collège Stockfeld Bil Vétérinaire Allemagne
Union
Collège Stockfeld Bil Traducteur de langues Européenne
88
Établissement Lieu Bil Projet études Où études ? Projet métier Où métier ?
ou
Non
bil
En France ou en
Collège Stockfeld Bil Vétérinaire Allemagne
L’accès au collège est la destination logique des élèves de primaire, comme le lycée, celle des
collégiens. La projection dans les métiers ne voit pas se détacher, selon l’origine (classe bilingue
89
ou non), une spécificité qui voudrait par exemple que le choix des métiers les plus prestigieux
soit le fait des classes bilingues.
Si trois lycéens sur trois en Abibac bilingue expriment le vœu de continuer leurs études en
Allemagne, contrairement au lycéen en section non bilingue, ils ne se projettent pas
professionnellement vers l’étranger. Ce nombre n’est pas représentatif, mais globalement des
écoles primaires à l’enseignement secondaire, les vœux de travailler à l’étranger sont peu
nombreux chez les 54 apprenants qui se sont exprimés.15 autres n'ont formulé aucun lieu précis.
Ils sont toutefois en proportion plus élevée par les apprenants en classe bilingue (8/42 contre
1/12)
90
Bilingues
Etablissements
Projection lieu de travail
abibac Collège Primaire Total général
Allemagne 3 3
Alsace 1 5 6
Alsace ou Allemagne 1 1
Antarctique 1 1
Etranger 2 2
France 4 10 14
France ou Allemagne 2 2 4
France ou étranger 1 1
Ne sait pas 2 2 4
Peu importe 1 1 1 3
Suisse 1 1
Suisse et France 1 1
USA 1 1
Total général 3 13 26 42
Non bilingues
Etablissements
Projection lieu de travail
abibac Collège Lycée Primaire Total général
Alsace 2 1 1 4
France 1 2 3 6
Peu importe 1 1
USA 1 1
Total général 1 5 1 5 12
91
La classe 3, ou « L’usage des langues étrangères »
92
La classe 3, ou « L’usage des langues étrangères » donne de façon très significative la parole
aux élèves (Chi2 = 1240,88, p < 0,0001) et beaucoup moins aux parents, bien que ça reste
significatif (Chi2 = 6,13, p < 0,02). La variable thématique convoquée très significativement
est celle concernant la culture et l’identité (Chi2 = 812,72, p<0,0001). Les écoles y trouvent
une place très significative également (Chi2 = 50,46, p<0,0001), les classes non bilingues (Chi2
= 19,93, p < 0,0001) et significativement les établissements associatifs - ABCM -(Chi2 = 10,65,
p < 0,002) et privés (Chi2 = 8,9, p < 0,003).
93
Graphe de la classe
Sur les 100 premiers segments de texte les plus caractéristiques, 62 sont énoncés par les élèves,
20 par les parents, 14 par les enseignants et 4 par du personnel non enseignant des
établissements.
Parmi les plus significatifs se trouvent des élèves étant en contact avec d’autres langues que le
français dans leur milieu familial (allemand, alsacien, serbe cambodgien, russe) et certains,
minoritaires pratiquent une langue étrangère en famille. Pour les autres, ils y sont en contact,
94
car beaucoup des parents, de par leurs origines ou études ou travail pratiquent des langues
étrangères (allemand, anglais, serbe, alsacien, cambodgien, espagnol, portugais, polonais,
arabe, algérien, marocain, arménien roumain).
Les élèves, comme les adultes aiment leur environnement, leur région, leurs quartiers, la ville
de Strasbourg, la proximité avec l’Allemagne, l’Alsace, ses traditions…).
Élèves, enseignants vont à l’étranger pour faire des courses, ou pour leurs loisirs.
95
La classe 4, ou « L’ouverture culturelle »
96
La classe 4, ou « L’ouverture culturelle» donne de façon très significative la parole aux
parents (Chi2 = 196,13, p < 0,0001). Les discours encadrés par les variables thématiques
‘représentation’ (Chi2 = 167,92, p < 0,0001) et ‘culture - identité’ (Chi2 = 153,81, p < 0,0001)
y sont aussi très significatifs mais beaucoup moins les parents, bien que ça reste significatif
(Chi2 = 6,13, p < 0,02). La variable thématique convoquée très significativement est celle
concernant la culture et l’identité (Chi2 = 812,72, p<0,0001). Les collèges y trouvent une place
significative (Chi2 = 8,02, p < 0,05), comme les lycées (Chi2 = 10,65, p < 0,05) et les classes
bilingues (Chi2 = 19,93, p < 0,05).
97
Graphe de la classe
Sur les 100 premiers segments de texte les plus caractéristiques, 43 sont énoncés par les parents,
32 par les enseignants, 21 par les personnels non et enseignants et 4 par les élèves.
Le segment le plus significatif émane d’une enseignante Abibac d’une classe bilingue. Remis
dans son contexte, elle exprime que « c'est très important pour un jeune de savoir pratiquer une
seconde langue à part sa langue maternelle d'une part. D'autre part avec le temps avec mes
98
enfants je trouve que le fait d'apprendre une deuxième langue étrangère leur donne aussi un
avantage pour apprendre une autre langue étrangère. Je pense que c'est une ouverture à une
culture de langue qui est assez importante pour eux ».
L’idée de levier de progression pour l’apprentissage de nouvelles langues sera reprise, aussi par
des parents.
Le second, de la part d’un parent ayant son enfant dans une classe non bilingue d’une école
avec des filières bilingues exprime une idée assez semblable en parlant des avantages de
« l’ouverture à une culture voisine », mais avec un moyen différent : « Je pense que l'expérience
d'aller dans un pays pour apprendre la langue me paraît meilleure que faire du bilingue ». Le
troisième parent occupe le troisième segment en mettant en exergue l’importance du
bilinguisme et son expérience faite à la fois d’études des langues, comme de voyages permettant
de « découvrir les autres cultures ».
Cette importance d’être bilingue et « d’apprendre à minima celle de son voisin » est reprise par
un enseignant d’une classe bilingue dans une école publique en ajoutant toutefois qu’il « faut
se donner les moyens de cet enjeu éducatif ».
Une autre enseignante en classe bilingue dans une école primaire, relate le fait que ses collègues
souhaiteraient consacrer plus de temps à l’apprentissage de la « vraie culture » et à la « vraie
maîtrise de ce qu’est l’Allemagne en termes de partenaire économique ». Mais en allant
prolonger ses propos, les programmes ne sont pas conçus en ce sens et se résument à « une
traduction telle qu’elle est des programmes français. Et dans ce cadre-là, aucun outil utilisé
n’est utilisable, donc elle se demande depuis tout ce temps comment ça se fait que personne n’a
jamais vraiment créé de vrais manuels ou en tout cas très récents ou un outil… ». Ce manque
d’outils génère une surcharge de travail, car « chacune est obligé de créer dans son coin ».
Les idées qui émanent des discours suivants affinent les précédents.
Les avantages du bilinguisme sont perçus comme « ouverture » sur différents plans : ouverture
d’esprit, à la tolérance, à la découverte de l’autre, aux échanges, aux partages de valeurs, « aux
sonorités à l’oreille pour d’autres langues », à la littérature allemande, à l’apprentissage « d’une
troisième langue », à d’autres connaissances, au respect de l’autre.
L’ouverture d’esprit est vue autrement avec ce parent d’une élève en classe bilingue dans une
école publique. Elle la considère comme permettant aux enfants de faire « une gymnastique
intellectuelle ; ils apprennent à passer d’une langue à l’autre spontanément naturellement je
99
pense que c’est pour leur avenir un grand plus. Cela donne une plus grande tolérance, une plus
grande plasticité au cerveau et que plus on peut enrichir la vie d’un enfant mieux c’est ». Cette
notion de plasticité cérébrale, permise par le bilinguisme, en parcourant le corpus, est reprise
par un autre parent d’une autre école et un enseignant d’une autre école publique bilingue. Elle
ne semble pas être évoquée par les acteurs en collège ou lycée.
Ils donnent d’autres perspectives comme l’opportunité « pour trouver du travail plus tard si on
parle deux langues », nous dit cet élève d’une classe Abibac.
La langue n’est pas l’essentiel, ce que précise un parent d’un collège dont l’enfant est en classe
bilingue. Elle propose cette définition du bilinguisme : « c’est ça le bilinguisme c’est aller au-
delà de l’étude de la langue pour pouvoir avoir une plus grande ouverture d’esprit et une facilité
à échanger avec d’autres cultures ». Une enseignante en classe bilingue d’une école publique
élargit cette approche : « le bilinguisme dépasse la langue et englobe la culture ».
Car « la culture n’est pas que la langue. On peut découvrir une culture sans maitriser la langue »,
ajoute cette autre enseignante d’une classe bilingue dans la même école. Une autre d’Abibac
estime que « la langue ce n’est pas seulement un outil mais elle est liée à une culture à des
souvenirs, c’est indissociable ».
Le bilinguisme, c’est aussi cette confrontation avec l’altérité rendu possible par la mobilité
(Colin, 2014b), comme cela a été dit à plusieurs reprises. Le bilinguisme est aussi une façon de
renverser l’image de l’ouverture aux cultures et langues étrangères qui est donnée par la France
et faire mentir cette remarque d’un parent d’une école associative : « on a en France une
dominante monolingue et ça c’est peut-être une particularité française ».
100
Complément d’analyse à partir d’une double classification
L’analyse précédente basée sur la lecture des 100 segments de texte les plus significatifs dans
chacune des classes et réalisée à partir d’une classification simple ayant croisé segments de
texte (ST) et formes, peut être complétée par une autre classification.
IRaMuTeQ propose en effet une « Classification double sur RST », entendons par RST un
Regroupement de Segments de Texte. Dans l’algorithme de classification, ce ne sont plus les
ST mais les RST qui sont pris en compte par un double passage, « mais en changeant le nombre
de formes actives par RST ») (Loubère & Ratinaud, 2014, p. 20).
Cette méthode, en appui de la première, réalisée depuis le même corpus, le divise en 5 classes
en ne conservant que 76% des ST, ce qui donne encore une grande cohérence et reprend des
éléments qui n’ont pas été forcément visibles dans l’analyse précédente (réalisée, ce n’est pas
inutile de le rappeler sur les seuls 100 premiers segments de chaque classe).
Nombre de classes : 5
101
102
La classe 2 de chacun des dendrogrammes montre un nombre de formes communes important.
Elle est rattachée à la classe 3 dans la représentation en 5 branches et à la classe 1 dans celle à
4 branches. Ces 2 classes montrent aussi un nombre de formes communes important. La même
remarque peut s’appliquer entre la classe 5 du dendrogramme à 5 branches et la classe 3 de
l’autre. Un regard sur les profils et le positionnement des variables le confirmera ou non.
Les deux formes de la classe 4 de la première analyse en 4 classes se retrouvent dispersées entre
la classe 1 et la classe 4 de cette représentation en 5 classes.
Il semble utile de regarder de plus près ce que présentent ces deux classes.
Visuellement elles se distinguent des autres en se positionnant toutes les deux au-dessus de
l’axe horizontal. La classe 1 est sur la lisière de l’axe vertical. Les classes occupent tout l’espace
factoriel, ce qui n’était pas le cas avec la première classification.
103
Comme dans la classification en 4 branches, sur les simples ST, cette classification à partir des
RST, place l’élève à l’écart et l’axe horizontal le sépare un peu de la variable ‘culture-identité’.
Ceci est aussi le cas des variables ‘contexte’ et ‘projet’ ; elles se situent de part et d’autre de
l’axe horizontal, alors qu’elles étaient plus proche dans la représentation précédente. Les
répartitions par rapport à l’axe vertical restent plus stables.
104
L’AFC qui en découle montre un nouveau positionnement des classes 1 et 4.
Un regard sur les profils et le positionnement des variables selon leur seuil de significatibilité
va permettre de mieux voir les nuances entre les deux classifications.
105
Le profil de la classe 1 offre peu de similitude sur ce positionnement. Il est intéressant de noter
un seuil de significativité important pour la variable ‘représentation’ (Chi2 = 701,34, p <
0,0001), ce qui invite à analyser les segments les plus significatifs de cette classe, qui semble
reprendre des éléments de la classe 4 de la première analyse, mais sans doute d’autres.
Les classes 2,3 et 5 de cette classification (5 branches) sont très semblables, au regard des
variables significatives, respectivement aux classes 2, 1 et 3 de la première (4 branches), ce qui
n’est pas le cas de la classe 4 où la variable illustrative ‘représentation’ n’est plus présente.
106
(1) Les représentations autour du bilinguisme
Dans les 100 premiers segments les plus significatifs, les parents s’y expriment 70 fois, les
enseignants 22 fois, les personnels 8 fois. Les élèves y sont muets.
Ils viennent à 58 reprises d’écoles primaires, 31 fois de collèges, 7 fois de l’école ABCM, 2
fois d’Abibac, 2 fois de lycées.
Un enseignant d’Abibac explique que l’apprentissage d’une langue étrangère facilite celui
d’une autre langue et un membre du personnel encadrant explique l’ouverture sur l’Europe
permise par cet apprentissage.
Un parent de lycée exprime l’intérêt de cet apprentissage pour ce qu’il nomme « la vraie vie »,
et « cela sert toute la vie » dit un autre parent.
Pour les parents d’élèves de l’établissement ABCM, il est question de « chance » offerte par cet
apprentissage, d’acquérir peut-être une « deuxième langue maternelle », « d’impact sur le
développement personnel », « d’élasticité de l’esprit (…) qui permet quand même
l’apprentissage assez facile d’une troisième langue », de recherches « qui prouvent que le
bilinguisme n’altère en rien l’apprentissage de la langue principale ». Cet apprentissage précoce
est plus bénéfique que de l’entamer au collège, ce qui complète les idées émises par les parents
d’élèves de cette institution associative.
Cette notion de plasticité cérébrale facilitée par l’apprentissage des langues est reprise
plusieurs fois, tant par les parents des élèves en école primaire ou en collège.
Les deux premiers segments les plus significatifs de cette classe parlent d’eux-mêmes, d’abord
par la mère d’une élève de primaire : « la gymnastique intellectuelle que le bilinguisme attend
cette capacité de passer d’une langue à l’autre je pense que c’est vraiment très important ça
donne une plus grande tolérance une plus grande plasticité au cerveau et que plus on peut
enrichir la vie d’un enfant mieux c’est ».
Le père d’un élève de collège tient à peu près le même discours en évoquant l’avantage du
bilinguisme :
107
« L’avantage principal ça permet au cerveau de se développer de façon plus souple qui va
favoriser l’apprentissage de toutes les langues et aussi les matières non linguistiques c’est
vraiment une gymnastique du cerveau »
Il est aussi question, par le père d’un élève de primaire en classe bilingue de prêter au
bilinguisme une « capacité à jongler » augmentant « la capacité d’adaptation de l’enfant » aux
problèmes qui lui sont posés.
La facilité d’apprentissage d’une autre langue chez le jeune enfant est très souvent évoquée,
surtout dans les écoles primaires.
Un parent d’élève de collège étend cette plasticité à d’autres apprentissages que de nouvelles
langues, comme « …. les mathématiques (qui) sont aussi une forme de langage ».
Une maman de classe non bilingue associe la connaissance de deux langues à « plus de
liberté ».
Le troisième segment extrait de la parole d’un père dont l’enfant est en collège bilingue annonce
des éléments très présents et complémentaires aux précédents dans cette exploration :
« D’autre part avec le temps avec mes enfants je trouve que le fait d’apprendre une deuxième
langue étrangère leur donne aussi un avantage pour apprendre une autre langue étrangère. Je
pense que c’est une ouverture à une culture de langue qui est assez importante pour eux »
Il est question aussi d’ouverture culturelle pour un membre du personnel encadrant d’un
collège bilingue, éléments rencontrés aussi dans la première analyse
Une difficulté apparaît, non pas en termes d’organisation ou de mixité, mais bien dans
l’apprentissage d’une langue en bilingue, à savoir le travail qu’il suppose, à savoir « un effort
supplémentaire », comme l’énonce une directrice d’école. Cela oblige certains parents, comme
cette mère d’un collégien, à devoir, avec leurs enfants, « être derrière les motiver les valoriser
euh par rapport au temps consacré à cet apprentissage qui est vraiment long et difficile ».
108
Cet effort devrait payer plus tard comme l’évoque ce père d’une élève bilingue en classe
primaire quand il dit qu’« on a vu l’apport que ça avait sur le plan professionnel. On voulait
que nos enfants aient la chance de maitriser une langue étrangère voir deux le plus tôt possible
pour pouvoir ensuite l’optimiser et l’utiliser plus tard ».
Pour les parents de classes non bilingues, les avis ne diffèrent pas beaucoup. Un père d’un élève
de primaire, déjà rencontré dans l’analyse précédente estime que rien ne vaut l’apprentissage
dans le pays et une mère pense que l’enseignement bilingue « est vraiment judicieux quand un
des deux parents parle sa langue maternelle ».
Deux parents d’enfant scolarisé en primaire dans une classe non bilingue, évoquent
l’inconvénient pour eux, ne parlant pas l’allemand de pouvoir suivre leur enfant s’il était en
bilingue.
Un enseignant de collège est circonspect sur l’apprentissage bilingue effectué trop tôt avec des
enfants pas ou peu à l’aise avec le français.
Un parent d’élève primaire pense que « c’est un peu rude de ne pas pouvoir faire de passerelle
en CP » pour ceux qui manquent de vocabulaire et pour qui cet apprentissage n’est pas permis.
L’accompagnement de tous à cet apprentissage ne serait-il pas la clé, la passerelle vers plus de
mixité, d’inclusion, de justice sociale et d’ouverture culturelle ?
C’est de cette classe autour de l’ouverture culturelle, implémentée différemment dans cette
classification en 5 branches, dont il est maintenant question.
Cette classe s’y attache un peu plus, puisque la forme suisse est utilisée 52 fois (elle ne l’était
que 5 fois dans les 100 premiers segments dans la précédente analyse de la classe 4 et 9 fois
dans la classe 3), tout comme les formes issues de la racine Alsace y figurent 64 fois (elles
étaient réparties en nombre quasi équivalent mais sur 2 classes). L’Allemagne (avec les formes
Allemagne et allemand) figurait en conquérante avec 160 représentations dans la classe 4 de
l’analyse en 4 classes. Ici, elle ne figure que 64 fois.
109
« Ce qui peut rassembler les trois nationalités, dit un enseignant de collège, c’est le regard
d’ouverture de l’identité européenne parce que même si on garde chacun sa spécificité
identitaire par rapport à sa culture souche on est imbibé de la culture de l’autre ».
La proximité géographique souvent évoquée est un des ciments de ces cultures qui se croisent.
Un parent d’élève Abibac, ne cache pas son bilinguisme, ni sa fierté de l’être par rapport au
« français », ni son identité, ni ses représentations :
« parce qu’on parle allemand toute la journée et si j’étais pur français je ne pourrais pas profiter
de ces moments d’échange, de partage, et puis apprendre à connaître. J’ai réussi à faire
progresser ces équipes en France grâce à cette culture et rigueur allemande ou suisse qui est
similaire ».
Ceci est souligné par un enseignant de collège bilingue. Il dit : « les allemands ont beaucoup de
la culture suisse ; ils sont ponctuels, droits, organisés ; ils font du travail de qualité je trouve ».
Les représentations du citoyen suisse comme étant « très carré » (parent d’un élève en lycée
non bilingue). Dans ce type de stéréotype, un enseignant d’une école bilingue catalogue le
français de « râleur » et un élève d’Abibac, les Allemands comme n’ayant « pas cette mentalité-
là de voler, de dérober ». Une enseignante d’une classe bilingue dans une école privée venant
du sud de la France, trouve les « mentalités » différentes au nord en trouvant plus sincères les
relations de travail à proximité de l’Allemagne et de la Suisse.
Le citoyen suisse est perçu par la mère d’un élève de collège bilingue comme « acceptant plus
facilement les différences de culture » et comme très attaché à sa culture par un cadre d’un
collège bilingue.
La « spécificité alsacienne » d’être « beaucoup plus tournée vers le Rhin vers l’Allemagne et la
Suisse que vers les régions françaises » est énoncée par le père d’un élève d’école en classe
bilingue. Un fort attachement aux traditions et à la culture alsaciennes ressort de nombreux
discours.
Les sorties familiales pour les membres de famille vivant en Allemagne ou en Suisse sont une
occasion de se déplacer, comme les sorties culturelles, musées, spectacles, théâtre, courses,
magasins, ski, etc.
110
La culture alsacienne est rattachée aux fêtes et à « ce qui est culinaire » pour une personne d’une
école non bilingue.
Un élève d’Abibac pense toutefois que les cultures du nord de l’Alsace et des Allemands sont
différentes.
Un parent de collégien en classe bilingue a été surpris : 14 ans auparavant, en arrivant en Alsace
« d’entendre des gens dans les commerces parler alsacien ».
Le père d’un élève d’une classe ABCM apprécie la culture du travail en Suisse, qu’elle estime
« plus paisible que celle en France » dans l’observation qu’elle en fait dans son travail.
Un parent de collégien en bilingue, et une enseignante de l’école ABCM ont le sentiment d’être
« multiculturel(le) »
Un parent d’élève de la classe ABCM, conscient des spécificités de la région « donc deux
cultures » avec « des nuances mais on n’est pas sur des fractures majeures entre deux cultures ».
Des différences certes, mais aussi des points de rencontre.
C’est ce point de rencontre qui fait la force de la Région regroupant les trois pays, ce mélange
de cultures. Une prise de recul invite à retenir cette réflexion d’un personnel cadre d’un collège,
métisse : « j’ai une double culture africaine et européenne ; je considère que c’est une
richesse ».
N’est-ce pas la plus sage des positions que de se situer comme européen, au-delà des clivages
de cultures, entre régionalisme et simplement bilinguisme ?
Le collège est une charnière dans le parcours des apprenants. Ils quittent l’école primaire,
poursuivent ou non le parcours entamé dans les classes bilingues et au terme s’engagent ou non
dans un parcours bilingue au lycée.
Cette étude établit d’abord avec IRaMuTeQ les contours des 19 interviews réalisées dans le
collège Kléber à Strasbourg, pour ensuite entrer dans une analyse qualitative plus classique en
explorant le corpus sous différentes facettes, dans lesquelles nombre de points soulevés dans
l’analyse globale vont se révéler et d’autres plus pointus vont émerger.
111
Les paroles du collège Kléber sous le regard d’IRaMuTeQ
Le résumé ci-dessous est issu des statistiques générées par IRaMuTeQ après l’intégration du
corpus du collège Kléber. Il indique que l’analyse repose sur 19 interviews, 33057 occurrences
(mots) représentant 2668 formes et 1340 hapax (mots uniques dans le corpus). Les interviews
étaient composées en moyenne de 1740 occurrences.
Résumé
Nombre de textes : 19
Nombre d'occurrences : 33057
Nombre de formes : 2668
Nombre d'hapax : 1340 (4.05%des occurrences - 50.22% des formes)
Moyenne d'occurrences par texte : 1739.84
112
L’analyse Reinert effectuée sur le corpus a généré une classification en quatre branches.
113
114
La classification isole une branche à son extrémité (classe 2) ; elle correspond au contexte de
l’étude. À l’opposé, elle se subdivise en deux branches. La première (classe 4) correspond aux
discours autour des rencontres et échanges culturels des interviewés avec les pays frontaliers.
Sur le même niveau une autre branche se subdivise en deux autres, assez proche (classe1 et
classe 3)
115
Le contexte, à droite de l’axe vertical, est surtout décrit par les représentants du personnel non
enseignant. Le personnel enseignant est très proche, toutefois séparé par l’axe horizontal. Les
représentations, le projet et la culture et l’identité sont à gauche de l’axe vertical. Elles
concernent surtout les discours des élèves et parents de classes non bilingues. La variable
‘culture-identité’ se place un peu à l’écart, au niveau de l’axe horizontal, par rapport aux autres
variables thématiques.
116
L’AFC répartit les classes et leur corpus distinctement selon les axes, avec les mots utilisés le
plus fréquemment.
Le long de l’axe horizontal (facteur 1), les origines culturelles, le contexte familial, le
positionnement géographique et la langue parlée définissent la classe 1. Proche des origines de
la carte factorielle, elle s’imbrique avec la classe 3 où le fait de parler l’allemand symbolise
l’ouverture vers l’étranger, la culture et la compréhension, le vocabulaire. L’ouverture mène
vers le contexte de la scolarité (classe 2), le collège, les professeurs, son ambiance, ses équipes
et la réalisation de projets. L’ouverture suit aussi l’axe vertical (facteur 2) vers le plaisir des
déplacements en Allemagne, les courses, les voyages, les échanges avec les correspondants et
117
les sorties pour les loisirs ou les activités culturelles, comme les expositions, ce qui constitue la
classe 4.
L’analyse des similitudes de mots (à partir de 17 occurrences pour ne pas surcharger le graphe)
montre la façon dont les liaisons s’organisent entre les formes principales.
118
Culture et identité
Les variables illustratives ‘projet’ trouve une place très significative dans cette classe mais aussi
celle qui a trait à la culture identité de façon significative (Chi2 = 3,94, p < 0,05). Les élèves
s’y expriment très significativement en priorité (Chi2 = 36,73, p <0,002). Les classes non
bilingues y sont aussi très significativement représentées (Chi2 = 32,8, p < 0,01). Nous
119
exposons ici les éléments signifiant la culture et l’identité des personnes interviewées. Les
projets des élèves se trouvant également dans d’autres classes seront énoncés sous forme d’un
tableau un peu plus loin.
Les personnes interrogées sont pour la plupart de nationalité française et ont parfois des origines
dans d’autres pays comme une maman qui a des origines coréennes, une élève de section non-
bilingue dont le grand-père paternel est russe et qui parle anglais avec son père et français avec
sa mère, la principale qui a des origines alsaciennes et camerounaises, un professeur de DNL
qui a sa maman allemande, une autre personne qui a une grand-mère allemande, un enfant dont
la maman est cambodgienne etc. Une maman est marocaine. Toutes les personnes françaises ne
sont pas originaires d’Alsace mais tous apprécient ou aiment Strasbourg, leur quartier... Une
maman d’élève non-bilingue aime Strasbourg mais pointe la difficulté de s’intégrer dans les
villages lorsqu’on n’en est pas originaire. Plusieurs personnes ont un ancrage familial important
en Alsace, certaines vivent selon une double culture alsacienne et marocaine. Une maman
d’origine bretonne se considère comme une « pièce rapportée ». La plupart parle le français à
la maison et à l’école. Il arrive que le dialecte soit employé ou entendu (alsacien parlé par les
grands-parents, un ou les parent(s) mais généralement aucun ou seulement quelques mot(s) par
la personne interrogée, idem pour un couple de parents profs d’allemand d’origine bretonne,
maîtrise du créole pour la CPE guadeloupéenne, conversation en créole et avec sa maman en
espagnol pour une élève de section non-bilingue d’origine guadeloupéenne…
Une enseignante d’allemand parlait également l’allemand quand elle était petite car elle a vécu
en Allemagne de ses 2 ans à ses 18 ans. Les professeurs enseignant en classes bilingues ou étant
professeurs d’allemand parlent également l’allemand à l’école. Une personne parle l’anglais
avec les parents allophones des enfants inscrits en UPE2A. Des personnes d’origine marocaine
parlent le marocain/l’arabe à la maison. Une maman française d’origine marocaine pense que
les premiers mots qui lui ont été adressés l’ont été en arabe mais que le français a pris le dessus
très vite comme ils étaient plusieurs enfants à la maison.
Les personnes interrogées habitent à Strasbourg ou à côté. Ces personnes aiment leur région ou
l’apprécient. Un couple de professeurs d’allemand d’origine bretonne dont nous avons
rencontré le monsieur, est ravi de la proximité avec l’Allemagne et a offert une multitude de
stimuli à ses enfants (il parlait allemand avec ses enfants, DVD, rencontre avec des dessinateurs
et une écrivaine devenue une amie etc.). Parmi les images véhiculées par l’Alsace, on retrouve
les coiffes et costumes traditionnels, les cigognes ou un symbole culinaire : bredele, bretzel
et/ou tartes flambées.
120
« En habitant en Alsace et en entendant un peu l’alsacien à la maison, c’est logique de faire de
l’allemand ». Cette réflexion nous amène à explorer le contexte d’étude des collégiens.
Graphe de la classe
121
Les représentations autour de la langue, culture et ouverture
La variable ‘représentation’ est dans cette classe représentée très significativement (Chi2 =
27,24, p < 0,0001).
122
Les discours des parents, par rapport aux autres acteurs, y sont très significativement plus
importants (Chi2 = 11,61, p < 0,001), ainsi que ceux émanant des classes bilingues (Chi2 =
6,18, p <0,02).
123
• les Allemands qui aiment bien les saucisses, le base-ball, le foot, regarder le Bayern,
venir en France, visiter des villes et des parcs d’attractions (enfant).
Ce même enfant conclut qu’ils n’ont « pas les mêmes manières de faire, de juger, avec la
politique voilà et pas la même manière de parler car ils n’ont pas la même langue ». Une maman
exprime le fait « qu’il y a peut-être une ambiance générale due à la façon de gérer le pays,
politique, mais en règle générale, la personnalité des gens me paraît prioritaire ». Le professeur
d’allemand parent d’élève (couple de professeurs d’allemands) connaît un parent d’élève suisse,
il souligne la différence d’accent des Suisses qui ont du mal à les suivre quand ils parlent le
« hochdeutsch », le côté alternatif des Allemands, les voyageurs qui ramènent des souvenirs de
vacances, le côté francophile des Allemands. Il a du mal à les définir précisément tellement il
en connaît ! Il ajoute que l’opinion de l’enfant est importante et qu’on ne peut pas plaisanter sur
un sujet important en allemand. Une dame voit la zen attitude, le calme chez les Suisses et n’a
pas trop d’idées concernant les Allemands, son seul souvenir d’accueil d’un Allemand n’étant
pas bon car il refusait de parler français et de participer aux visites culturelles. Cette même
personne, maman d’un enfant en bilangue allemand-anglais, regrette que bien que l’Allemagne,
ce soit l’Europe et que le Parlement européen se trouve à Strasbourg, on n’en profite pas assez
et que cela dépend parfois des parents. Elle regrette le manque d’entraînement de la compétence
orale au profit de la compétence écrite en classe alors que c’est dès le plus jeune âge qu’on peut
acquérir l’accent et avoir envie de voyager. Une personne a souligné les préjugés comme le
côté râleur des Français, l’aigreur des Allemands, les Suisses bosseurs, les Antillais toujours en
retard alors que ce n’est pas le cas ! Quelques autres clichés ont été exprimés (Français coincés,
Allemands gourmands mais sportifs et accueillants…). D’autres ont insisté sur le fait que,
quelles que soient les généralités les concernant/leur nationalité, ils étaient tous pareils ou
n’avaient que quelques différences (pouvant avoir trait au caractère ou au physique), que
c’étaient tous des êtres humains qui étaient « comme nous » et que seule la langue différait. La
principale de l’établissement estime que ce qui les rassemble, c’est ce qu’ils sont et leurs valeurs
et que les différences (probablement culinaires et culturelles) sont secondaires. Nous relevons
un commentaire d’une maman d’origine bretonne qui a appris l’allemand dans les années 80.
Elle a expliqué que c’était encore dur, à l’époque, de faire accepter qu’on apprenne l’allemand
car des gens avaient encore de mauvaises perceptions liées à la seconde guerre mondiale.
Personnellement, elle adorerait qu’un de ses enfants s’installe un jour en Allemagne. L’idée de
citoyen européen émerge dans les propos de plusieurs personnes interrogées.
124
Une élève non bilingue trouve que le français est une langue difficile et que parler allemand
revenait à hurler…
Dans Bilingualité et bilinguisme (Hamers & Blanc, 1983), Josiane Hamers et Michel Blanc
distinguent avant tout les termes bilingualité : « un état psychologique de l’individu qui a accès
à plus d’un code linguistique », le degré d’accès étant fonction de dimensions psychologiques,
cognitives, psycholinguistiques, sociopsychologiques, sociologiques, sociolinguistiques,
socioculturelles et linguistiques (Hamers & Blanc, 1983, p. 21) et bilinguisme : bilingualité se
référant à l’état de l’individu ou à l’état d’une communauté où deux ou plusieurs langues sont
en contact, ce qui engendre une possibilité d’utilisation des deux codes dans une même
interaction et que certains individus sont bilingues (bilinguisme sociétal). Toutefois, les
définitions existantes du bilinguisme s’avèrent nombreuses et très différentes les unes des
autres. Deux d’entre elles s’opposent fortement : celle de Bloomfield (1935, p.56) pour qui le
bilinguisme suppose une maîtrise de locuteur natif dans deux langues alors que celle de
Macnamara (1967 a) suggère qu’un bilingue fait preuve d’une compétence minimale dans une
des quatre habiletés linguistiques : la compréhension à la lecture, la compréhension à l’audition,
l’expression orale ou l’expression écrite.
Les auteurs expliquent que la bilingualité suppose des compétences dans deux langues. Ainsi,
il existe des bilingues équilibrés dont les compétences linguistiques sont de niveau équivalent
dans les deux langues, et des bilingues dominants, dont les compétences sont supérieures dans
l’une des deux langues, généralement la langue maternelle (Lambert, 1955). Les auteurs
stipulent que des dimensions comme l’âge et les conditions d’acquisition des deux langues
peuvent influencer le fonctionnement cognitif. Se référant à Ervin & Osgood (1954), ils
distinguent les bilingues composés des bilingues coordonnés. Le bilingue composé « possède
deux étiquettes linguistiques pour une seule représentation cognitive »14 tandis que le bilingue
coordonné possède des équivalents de traduction pour des unités cognitives légèrement
différentes. Prenons l’exemple du chat en français (Katze en allemand).
14
Id., p. 23.
125
Bilingue composé : Bilingue coordonné :
chat chat
Katze Katze
Il s’agit simplement d’une organisation cognitive différente, même si un enfant qui a appris sa
seconde langue dans un autre contexte que celui de sa langue maternelle aura plus de probabilité
de développer un bilinguisme coordonné. Il serait donc plus probable que les élèves de classes
bilingues développent un bilinguisme coordonné.
Sonia El Euch signale l’existence du système subordonné défini par Weinreich (1953). Dans ce
système, un individu traite le vocabulaire issu de sa seconde langue à travers le vocabulaire de
sa langue maternelle, comme illustré ci-après :
Katze chat
126
Le système subordonné trahirait une faible compétence langagière, contrairement au système
composé. Sonia El Euch (2010) cite à cet effet les travaux de Kroll et Tokowicz (2001) et de
Woutersen (1997).
Le milieu socioculturel de l’enfant ainsi que le statut relatif des deux langues dans la
communauté influenceront la forme de bilingualité de l’enfant. Ainsi, si les deux langues sont
valorisées, l’enfant tirera des avantages cognitifs de sa bilingualité par rapport à un enfant
monolingue. C’est la bilingualité additive. La bilingualité soustractive (Lambert, 1974, 1977),
quant à elle, concerne des apprenants qui, exposés à deux langues, ne parviennent pas à
« développer une performance complète et correcte dans aucune des deux langues et où leurs
capacités intellectuelles ne se verraient pas augmentées mais au contraire amoindries »15. Le
bilinguisme soustractif peut engendrer des préjudices linguistiques16 (ex. : l’enfant ne maîtrise
convenablement aucune des deux langues ; il s’agit alors d’un semi-linguisme), des préjudices
culturels (souffrances identitaires, bégaiements, …) ou cognitifs (difficultés et retards
scolaires…). Cela peut arriver en cas de submersion : un enfant d’immigrés est scolarisé dans
une langue autre que sa langue maternelle. Par ailleurs, Cummins (1978) craint qu’une mise en
contact trop précoce avec une seconde langue puisse mener à un bilinguisme soustractif. […].
15 BRAUN A., Bilinguisme additif, CIAVER/AIF, Séminaire de Mons, 25 novembre au 4 décembre 2005, p. 27.
16
Id., p. 27-28.
127
Josiane Hamers et Michel Blanc ont essentiellement travaillé sur l’immersion. L’immersion est
« un programme d’éducation bilingue dans lequel une langue seconde est utilisée comme
langue d’enseignement à côté de la langue maternelle »17. Le terme « immersion » employé
par Hamers et Blanc correspond donc à l’enseignement bilingue tel que nous le
connaissons en Alsace. La chercheuse canadienne Ellen Bialystok (1992) a également travaillé
sur l’enseignement immersif tel que défini par Hamers et Blanc. Ellen Bialystok rappelle les
avantages cognitifs liés au développement bilingue mis en évidence par les auteurs précités
(Hamers & Blanc, 2000) qui s’expriment dans l’intelligence verbale et non verbale, la pensée
divergente, la reconstruction d’une situation perceptuelle, les relations sémantiques, la
construction de concept piagétien, les tâches de perception non verbales, des tâches
métalinguistiques ainsi que dans la transformation verbale et la substitution de symbole. Elle
souligne que pour Hamers et Blanc (2000), ces avantages témoignent d’une créativité et d’une
réorganisation de l’information de meilleure qualité. À partir de là, elle présente les résultats
d’une recherche grâce à laquelle elle démontre que les petits bilingues présentent une meilleure
compétence en attention sélective que leurs pairs monolingues. Elle explique que l’attention
sélective doit être définie avec précision et que Jackendoff (1987) distingue l’attention
(processus cognitif) et la conscience (la conscience du déroulement d’un processus). Elle
précise : “As Jackendoff points out, there is an important distinction to be made between
attention, which is a cognitive process, and consciousness, which is our awareness of some
process” (Bialystok, 1992, p. 502). En ce qui concerne la définition de la sélectivité, Ellen
Bialystok cite Enns (1990) pour qui il s’agit du « plus haut niveau de construction mentale qui
caractérise l’attention » (« The highest level construct that characterizes attention is called
selectivity » (Bialystok, 1992, p. 502). Elle ajoute que la sélectivité en question constitue une
« restriction dans le domaine auquel l’attention peut être appliquée » (« This selectivity is a
restriction in the domain to which attention can be applied ») (Ibidem). Enfin, elle souligne
qu’Enns (1990) repère la sélectivité dans quatre composants de l’attention :
• l’intégration : c’est l’attention requise pour comparer deux entités qui permet la
production de décisions de type jugements similaires, par exemple ;
• le filtrage : c’est l’attention servant à éviter le traitement d’information hors sujet ;
128
• la recherche : elle permet de localiser une information ciblée. La sélectivité guidera la
recherche ;
• « priming » (« l’amorce ? ») qui « renvoie à l’effet de stimuli répétés sur l’attention de
sorte que les enfants deviennent meilleurs en résolution de problèmes qu’ils ne le
seraient si de nouvelles stratégies étaient chaque fois requises » (Bialystok, 1992, p.
502).
« Un apprentissage à 50% en français et à 50% en allemand mais c’est pas comme ça qu’on le
vit ».
« Cela signifie qu’on parle deux langues. Pas forcément important, ce n’est pas nécessaire, mais
potentiellement utile pour se faire comprendre si on se rend à l’étranger » (élève bilingue).
« Je suis bilingue, je pratique deux langues. C’est important parce qu’on comprend mieux les
autres quand ils viennent d’autres pays, on connaît mieux leur pays et leurs fêtes aussi. »
« C’est le fait de parler deux langues sur un niveau équivalent ». L’importance réside dans le
fait que dans le monde d’aujourd’hui, quasiment tout se construit à l’international et qu’il faut
pouvoir communiquer dans plus de deux langues.
Pour un professeur en section bilingue, « c’est avant tout la richesse d’une culture double et pas
uniquement les outils linguistiques ». L’important, c’est l’ouverture des cultures.
Pour une professeure en section bilingue, « C’est une très belle opportunité pour les jeunes, une
chance inouïe de pouvoir travailler et se faire comprendre dans un autre pays ». « Être bilingue,
129
c’est fondamental en voyant le devenir de nos élèves, même s’ils ne continuent pas en ABIBAC,
après la 3ème, ils vont pouvoir passer le C1 et directement intégrer le cursus en Allemagne ».
Pour un membre du personnel encadrant, c’est « Très important, fondamental dans cette
ouverture qu’il peut donner […]. Ça s’additionne pour faire un tout riche et ouvert […] C’est
important pour avoir une ouverture. »
Pour un autre membre du personnel encadrant : « Pour moi, c’est un adulte qui parle
parfaitement deux langues qui peut vraiment se débrouiller et avoir une conversation soutenue
avec quelqu’un. » Importance : nécessité (Alsace, frontière allemande). Il faut au moins faire
l’effort de parler l’autre langue. « Quand quelqu’un vient chez nous, on est content qu’il parle
notre langue, ouverture vers l’autre ».
« Quand on apprend, on est, on parle deux langues – ça permet d’avoir deux possibilités si on
ne veut pas vivre en France ». (élève bilingue)
« Quelqu’un qui parle allemand et français » (élève non bilingue.). Qui parle deux langues.
C’est intéressant. »
« Parler deux langues exactement bien parallèles. Parler plusieurs langues, c’est vraiment un
truc qu’il faut savoir faire car on peut aller visiter des pays et discuter avec plusieurs personnes
de plusieurs pays » (élève bilangue).
Élève bilingue. : « Ça veut dire parler 2 langues et apprendre une nouvelle des fois. Comme
moi, j’apprends le français et l’anglais, je suis plus bilingue que trilingue ».
« Ça me paraît évident. (…) On ne devrait pas juste apprendre une langue mais enfin que ça
devrait être normal d’être bilingue parce qu’avec la mondialisation, une langue doit être apprise
dans le tas comme on le faisait avec le grec et le latin, ça faisait partie prenante de
l’enseignement ».
Selon une maman, il ne faut pas forcément être bilingue mais il est indispensable d’avoir une
autre langue étant donné les voyages, le travail et les études à l’étranger. On n’irait pas loin
avec le français seul. Cette maman, comme un papa professeur d’allemand dans un autre
établissement, n’ont pas vraiment donné de définition du bilinguisme mais de l’enseignement
bilingue. Cependant, le papa en question amène une « définition » comme ceci : « Quand on
est linguiste, on sait qu’on ne peut pas être parfaitement bilingue. Je dirais que le système, c’est
de plonger l’élève dans ce bain linguistique et de l’aider à grandir dans les deux langues, par la
130
culture essentiellement, mais pas seulement. Le fait d’être bilingue, autrement, c’est de faire ce
pas de côté. Ne pas avoir une approche trop franco-française et trop nombriliste ».
« Normalement, c’est la pratique de deux langues indifféremment l’une, l’autre, c’est peut-être
le cas de familles où l’un parle une langue et l’autre une autre. » (maman d’ancien élève
bilingue, actuellement en seconde).
« C’est le fait de pouvoir passer aisément d’une langue à l’autre et d’être capable aussi bien
dans la langue maternelle que dans la langue étrangère de pouvoir se débrouiller même en
termes de lecture. Oui, pour moi, c’est fondamental en termes d’ouverture culturelle. Après,
moi, je pense qu’on peut avoir une vie épanouie sans maîtriser une langue étrangère mais pour
peu qu’on ait envie ou besoin de rencontrer d’autres personnes, c’est nécessaire et pour nous,
Alsaciens, ça me semble primordial ». (Enseignant en section bilingue)
« Parler couramment les deux langues, savoir écrire, lire, communiquer assez facilement dans
les deux langues. Je crois que je vous confirme que citoyen du monde, ça passe par
l’apprentissage d’une, de deux langues étrangères. Erasmus, c’est formidable pour ça et je
trouve que c’est un plus indéniable. Et même sur le futur CV du jeune, partir un an, ce n’est pas
anodin. C’est très bien pour la future intégration professionnelle. Les grands groupes en France
ou les petites entreprises en Alsace, c’est indéniablement un plus de parler en allemand (pause)
ou en anglais » (parent d’ancien élève non-bilingue actuellement au Lycée Kléber).
18 Les phrases en italique indique que les idées énoncées peuvent appartenir à d’autres classes
indiquées entre parenthèses.
131
langue est apprise tôt, plus il y aura des réminiscences » (professeure en section
bilingue qui observe également cela avec ses propres enfants en section bilingue)
(classe 4);
• la présence d’une ouverture
1. vers d’autres langues (pas seulement l’anglais), (cité par des parents) (classe
4) ;
2. aux autres ;
3. vers une autre culture à découvrir : « Découvrir une autre culture, d’autres
populations, un autre pays, un autre fonctionnement. Il n’y a pas que la France
dans le monde. On devient plus tolérant. Nous avons également relevé la
projection comme citoyens du monde et l’ouverture culturelle vers des œuvres
en direct, autrement qu’au travers de manuels (classe 4 ;)
4. d’esprit, une autre manière de parler et de comprendre les choses ;
5. à la curiosité, l’envie d’apprendre par d’autres biais (Internet) (classe 4) ;
6. à d’autres sonorités (classe 4 ;)
7. aux voyages (classe 4) ;
• un mode de travail différent. A ce titre, quelques personnes insistent sur un autre mode
de fonctionnement cérébral, « une certaine gymnastique d’esprit car comme la langue
ne se construit pas comme le français, forcément faut penser différemment et faire des
efforts et pour elle l’anglais, c’est pour ça que c’est devenu très facile car c’est une
langue très difficile au départ ce qui n’est pas le cas de l’anglais »;
• une ambiance facilitant l’intégration, qualifiée de « chouette » ;
• la possibilité de poursuivre des études (mais nous avons entendu un bémol sur ce point
concernant les sélections) et de travailler en Allemagne ;
Bref, comme l’a dit une maman : « Beaucoup plus de positif que de négatif ».
Nous avons toutefois observé que certaines personnes inscrivaient leur enfant au Collège Kléber
pour sa renommée et son environnement attractif. Ainsi, certains demandent une dérogation
que leur enfant puisse le fréquenter. Une maman a souligné qu’on allait dans l’enseignement
bilingue pour des raisons culturelles (en habitant Strasbourg) mais aussi pour une « classe qui
va bien fonctionner, de bon niveau » et comme le bilinguisme constitue une difficulté
supplémentaire, pour y trouver des élèves motivés. On nous a également parlé de « très bonnes
132
classes », d’ « élèves qui souhaitaient bien faire, qui sont bons voire très bons » et qui sont
soutenus à la maison ;
La motivation d’une autre famille était double : si le choix de l’enseignement bilingue était
incontournable pour cette famille de professeurs d’allemand dans d’autres établissements, la
proximité de ce collège réputé n’a pas été étrangère au choix de leur domicile. Le parent
rencontré a ainsi expliqué que son enfant était à Kléber car c’était « le collège de secteur » mais
a avoué ensuite que l’achat de l’appartement familial avait été motivé par la proximité de ce
bon collège qui proposait un enseignement bilingue.
Certains, comme une professeure en section bilingue, un autre membre du personnel encadrant,
ou une personne en section bilangue anglais-allemand et les élèves bilingues, pensent que ses
collègues partagent les mêmes avis.
Un papa professeur d’allemand, est en accord seulement avec la moitié de ses collègues
D’autres, comme un élève bilingue ne pense pas être vraiment du même avis que ses camarades
de classe à ce sujet, ce qui est le cas aussi d’un membre du personnel encadrant.
À l’opposé, une maman croit faire figure d’extra-terrestre pour son avis sur la mixité
bilingue/non-bilingue et une autre pense que les avis sont moralement différents.
C’est ce que pense aussi une étudiante bilangue anglais-arabe, elle ne sait pas car
« franchement, chacun a sa manière de penser ».
133
Graphe de la classe
134
Le contexte
135
Le personnel encadrant s’y exprime très significativement (Chi2 = 66,84, p < 0,0001), ainsi que
les enseignants (Chi2 = 10,75, p <0,002). Les classes bilingues y sont très significativement
représentées (Chi2 = 6,93, p < 0,01).
Il nous a été rapporté, par un professeur qu’il s’agissait d’une demande des parents de l’école
Branly afin de donner une suite à l’enseignement bilingue en primaire.
Un autre membre du personnel encadrant n’était pas là à l’époque et suppose que ce fut
l’ouverture d’une suite d’un parcours maternel et primaire dans le secteur.
Un enseignant bilingue ne connaît pas l’historique mais le suppose en lien avec la politique
mise en place en maternelle.
136
Les enfants trouvent que leur collège est grand mais s’y sentent bien car il y a une bonne
ambiance et qu’ils sont bien intégrés dans leur classe. Une jeune l’a comparé à une tortue dont
les écailles sont symbolisées par ses briques rouges ; une autre l’a comparé à un éléphant grâce
à sa taille ; il est également assimilé à un ours, un « animal protecteur » ou à un loup à cause de
la disposition de ses bâtiments.
L’établissement est bien organisé. Il dispose d’une classe pour élèves présentant un handicap
et une classe d’élèves en UPE2A (allophones). L’enseignement des langues y est favorisé.
Ainsi, le choix entre quatre langues vivantes est proposé aux enfants et une section bilingue y
est offerte. Sur ses 575 élèves, environ un quart est inscrit en section bilingue, à raison d’une
classe par année (4 classes sur 19, certains groupes bilingues sont divisés en deux et répartis sur
deux classes dans lesquelles ils sont mélangés à des non-bilingues). Les élèves bilingues se
connaissent souvent depuis la maternelle, sont issus de classes sociales plus favorisées et ne
côtoient guère les personnes de sections non-bilingues qui, à leur tour, les considèrent avec
méfiance. Certaines personnes déplorent ce manque de mixité sociale, cet « entre-soi » qui ne
reflète pas la diversité de la société. Pour pallier ce manque d’échanges, certains groupes de
bilingues sont scindés en deux et sont regroupés avec des étudiants non-bilingues. Lorsque des
classes regroupant des bilingues et des non-bilingues sont formées, il y a un temps d’adaptation
mais les contacts s’établissent finalement entre les élèves des deux sections. Par ailleurs, la
principale essaie que les professeurs qui travaillent en section bilingue enseignent également en
section non-bilingue. Les professeurs en section bilingue ont passé la certification DNL, ce qui
prouve leur motivation. L’équipe est également très soudée. Les parents sont reconnaissants de
l’investissement des professeurs en section bilingue car ils ne disposent pas de manuel et
s’investissent énormément.
Pour intégrer un parcours bilingue, il suffit d’y être inscrit depuis la moyenne section de
maternelle. Les élèves proviennent de trois écoles primaires parmi lesquelles Branly et
Hautepierre. Les élèves issus de Branly auraient un arrière-plan familial davantage
germanophone que ceux venant de Hautepierre. Aucun test n’est prévu. Toutefois, il arrive
qu’un élève abandonne le parcours bilingue pendant un an puis le réintègre ou qu’un élève s’y
inscrive en cours de route. Nous avons entendu le cas d’un élève qui maîtrisait déjà bien
l’allemand et a pu intégrer le cursus après demande aux inspecteurs ainsi qu’un élève venu
d’une autre région qui est passé de la section bilangue, dans laquelle il s’ennuyait, à la section
bilingue. Il est rare que l’école doive conseiller l’arrêt de la section bilingue à l’issue de la
sixième (environ 2 sur 30). Cela pose toutefois problème s’ils ne sont pas du secteur car ils ne
137
peuvent alors pas rester dans l’établissement. Ensuite, il n’y a pas plus de pertes mais on propose
cependant l’arrêt, même si la famille veut qu’il reste, si l’élève a de grandes difficultés.
138
(i) Avantages et apports du parcours bilingue
Les personnes interrogées estiment que le parcours bilingue présente de nombreux avantages
et apporte beaucoup à ceux qui le suivent, à savoir :
139
porter un masque, de se cacher derrière et vivre les choses différemment […]
J’espère que ça nourrit une forme de tolérance. Chez mon fils, c’est le cas » ;
• évolution et intégration des élèves : ce parcours est considéré comme un facteur de leur
future intégration professionnelle. La maîtrise de l’allemand ou de l’anglais constitue
un plus pour les grands groupes en France ou les petites entreprises en Alsace. Il y a une
possibilité de poursuivre des études (mais nous avons entendu un bémol sur ce point
concernant les sélections à l’entrée des études) et de travailler en Allemagne.
Concernant le groupe-classe, une maman considère que « la classe de son enfant est très
bien, que les enfants se sont suivis de la maternelle jusqu’à maintenant, qu’il y a un
noyau de parents qui s’entendent très bien et font des sorties ensemble, partagent les
mêmes valeurs et les mêmes attentes, qui sont unis ». Une autre maman observe le
niveau de performance des élèves dont la vitesse de travail est encouragée par les
professeurs. Ce sont généralement de très bonnes classes remplies d’élèves qui
souhaitent bien faire, qui sont bons voire très bons mais qui reçoivent du soutien à la
maison. « Les élèves qui suivent sérieusement peuvent aller très loin » selon un membre
du personnel encadrant. Le personnel a un avis très positif sur ce type de parcours mais
déplore des arrêts durant le parcours scolaire.
A nouveau, comme le dit une maman : « beaucoup plus de positif que de négatif ».
141
trouver beaucoup d’inconvénients non plus. Elle explique cependant la surcharge de travail
pour les enseignants DNL car il n’existe pas de manuel. Elle émet toutefois la remarque que si
un enfant a trop de difficultés, il ne faut pas que la charge de travail devienne trop volumineuse.
L’investissement supplémentaire de la part des élèves est également exprimé par un membre
du personnel encadrant qui souligne que ce sont des enfants très stressés qui ont le sentiment
d’avoir beaucoup de choses à faire et doivent beaucoup se concentrer. Ils subissent la pression
de leurs parents qui visent l’excellence. Le système de classe sans notes pourrait d’ailleurs être
proposé. Cela a été instauré dans une autre classe dont les élèves sont à présent beaucoup plus
détendus. Un papa pense que s’il n’y avait pas cette charge de travail supplémentaire comme
ce ne sont pas des locuteurs natifs, son fils se reposerait sur ses acquis. Une personne suivant le
parcours bilingue nuance également ce surcroît de travail : ce n’est « pas trop compliqué à
apprendre sauf certaines choses comme les déclinaisons ».
142
L’image de bons élèves de la section bilingue les suivrait également chez certains professeurs
qui les surnommeraient les « bibis » et s’attendraient parfois « à mieux pour une section
bilingue ». Cette stigmatisation n’est pas appréciée des élèves.
Un jeune aime l’espagnol et voulait en faire depuis trois ans. Par contre, il n’aimait pas
l’allemand qui lui était « impossible à enregistrer ». Il aime l’aspect utile de l’anglais. Une
étudiante du parcours bilangue français-arabe a choisi ce parcours parce qu’elle n’était pas
vraiment intéressée par l'allemand. Enfin, un élève a choisi cette option parce que « l’anglais,
il y a une base qu’il aime déjà très fort et sinon les parents veulent ». Il regrette « d’avoir eu
moins le choix pour l’espagnol car c’est une langue très facile ».
Concernant les méthodes de travail, deux classes ont été constituées en anglais et cela favorise
les activités orales : « Au début, il faut faire le co-teacher en anglais, cela forme à mieux parler »
explique un élève. Ce type de pratique existe aussi en espagnol : les étudiants peuvent demander
d’écrire la date en espagnol et d’établir la liste des élèves. Une étudiante apprécie le « travail
en îlots pour le partage et la comparaison de connaissances ». Les devoirs permettent de
s’exercer et elle apprécie la possibilité d’échanger avec les assistants des professeurs. Elle a vu
une fois l’assistante en arabe et un assistant en anglais devait arriver (élève rencontrée en
octobre 2017).
143
(ii) Aspects négatifs du parcours non-bilingue
Une élève du parcours bilangue regrette le manque de contacts avec les bilingues. Elle ne
connaît que ceux qui suivent les cours de latin et de grec.
Graphe de la classe
Nombre d’occurrences >2
144
Culture et mobilité
Cette classe définit sans ambiguïté les discours principaux des acteurs au sujet de la culture et
de l’identité (Chi2 = 44,51, p < 0 ;0001) sans qu’aucun des acteurs ne soit significativement
plus représenté qu’un autre.
145
(1) Habitudes dans les pays germanophones
Les personnes interrogées se rendent généralement régulièrement (de deux fois par mois à une
fois tous les deux mois…) en Allemagne en voiture, en tram, à vélo ou à pied. Les déplacements
personnels s’effectuent avec les enfants. Certaines personnes y ont des amis (parfois des
Français partis s’installer en Allemagne) ou de la famille (personne marocaine). Très peu ont
un ami ou de la famille en Suisse et ils s’y rendent peu, tout au plus deux fois par an. Un enfant
bilingue a un copain allemand qui vit à Strasbourg. Les gens vont en Allemagne pour leurs
courses, leurs loisirs (parcs d’attraction, visites culturelles, visite de son correspondant pour un
ancien élève bilingue dont nous avons rencontré la maman, balade, randonnée etc.) ou dans le
cadre d’échanges scolaires ou de stages (but professionnel s’il s’agit d’enseignants. Le couple
de professeurs d’allemand s’y rend également en vacances.
Le collège participe aux frais liés aux échanges organisés avec l’Allemagne. Elle a développé
des partenariats avec trois établissements allemands : Kehl en 6ème (une semaine dans chaque
établissement), Spire en 5ème et Trèves en 4ème. Les échanges impliquent un lourd travail en
amont. Certains correspondants se voient en-dehors des échanges officiels avec l’école et
plusieurs gardent des contacts sur le long terme. La proximité avec l’Allemagne et sa facilité
d’accès, notamment en tram, favorisent les visites des personnes interrogées sur son territoire.
La Fête de la Réunification a été citée par une maman. Les personnes interrogées vont par contre
rarement en Suisse et aucun échange scolaire n’y est prévu. La Suisse est plutôt fréquentée lors
de voyages. Une personne parle toutefois d’amis et de famille en Suisse. Une autre personne va
en Suisse pour les montagnes ou s’est rendue à Bâle pour un tournoi de tennis.
Des partenariats ont été noués avec des écoles primaires : Branly, l’école des Romains et
Hautepierre certaines années.
Des voyages sont également organisés en Angleterre et en Espagne pour les élèves bilangues.
Il ne s’agit pas d’échanges même si les élèves sont hébergés en famille. Il existe également des
voyages pour les latinistes et les hellénistes. La Grèce est le seul pays où les élèves sont logés
à l’hôtel.
Il y a une enseignante stagiaire germanophone dont la nationalité n’est pas connue dans
l’établissement. En revanche, il semble ne pas y avoir de collègues statutaires allemands ou
suisses dans l’établissement.
D’une manière générale, les personnes s’accordent sur le fait que la langue fait partie de la
culture, qu’elle permet de partager et « facilite les échanges ». Les réseaux sociaux, utilisés à
146
bon escient, peuvent y aider. On peut être fier de sa langue et la faire connaître aux étrangers.
La maman qui fait cette remarque regrette que dans les pays nordiques, les jeunes regardent très
tôt la télé en anglais, ce qui n’est pas le cas ici, comme en Espagne et en Italie d’ailleurs. Une
autre maman explique que « la langue véhicule la manière de penser, la phrase véhicule ce
qu’on pense ». Certaines personnes mentionnent leur identité plurielle, leur culture européenne,
multiculturelle, notamment une personne qui a vécu aux Etats-Unis et en Angleterre.
Concernant les valeurs, celles de la République ainsi que la solidarité, la tolérance, le partage,
le respect (de l’autre/de soi/de la planète…), les formules de politesse de base (bonjour etc.),
l’honnêteté, de pouvoir vivre avec tous, « ne pas s’occuper de ceux qui vivent mieux »,
l’ouverture à l’altérité, profiter de chaque jour, avoir des passions, avoir des rêves et les
poursuivre, accompagner avec bienveillance, sans jugement, plaisir dans les études, « les
valeurs de l’éducation religieuse appliquées de façon laïque »… Les valeurs des personnes
interrogées sont en adéquation avec celles de l’établissement.
Les échanges scolaires avec les correspondants, lors des déplacements en Allemagne, sont des
occasions propices souvent évoquées. Au même titre, les visites et loisirs, les courses dans les
magasins sont aussi l’occasion de s’entraîner à parler, seul ou avec l’aide parentale. Plus
rarement, le fait d’avoir des parents eux-mêmes professeurs d’allemand est une aide précieuse.
Les recherches sur Internet, les médias, la télévision sont aussi des vecteurs non négligeables
d’apprentissage, ce qu’exprime la maman d’une élève en parcours bilangue ; elle aime regarder
des films en espagnol ce qui leur donnent l’occasion parfois, à toutes les deux, de parler en
espagnol. Ces modes informels prolongent et enrichissent les enseignements scolaires.
147
Graphe de la classe
148
Les projets
Le tableau suivant répertorie les projets depuis les différents interlocuteurs (cf. tableau 54).
149
(2) Tableau récapitulatif des projets des élèves
Tableau 1 : Tableau récapitulatif des projets des élèves - collège Kléber
150
Thèmes Personnel Parents Elèves
Enfants en classe bilingue Enfant en classe non- bilingues non-bilingues
bilingue
section bilingue, Lycée professionnel en 3. Sa fille vient de Branly. Les parents Travailler plusieurs
fonction de la section demandée. Beaucoup aimeraient qu’elle continue en 4.Veut bien langues, pas de bilingue,
continuent en fonction du lycée qu’ils bilingue mais Kléber ne le fait pas et sa poursuivre en ça la perturberait, avoir
veulent intégrer plutôt qu’en fonction de la fille est scientifique et préfère ce bilingue mais toujours la même
section bilingue. domaine à l’allemand. Ce n’est pas pense rester à scolarité.
parce que les parents ne veulent pas Kléber, ce sera
qu’elle continue mais elle est très forte peut-être un peu
en math et veut continuer là-dedans. moins bien mais
4.La décision lui appartiendra car pour l’instant,
histoire-géo en DNL=gros reste à Kléber. Pcq
investissement. Ses sœurs sont en pour l’instant, les
bilingue mais, contrairement à lui, bilingues sont
elles y sont depuis la maternelle. séparés mais ses
Kléber : seulement une section parents espèrent
européenne, pas évident pour garder qu’ils soient de
un bon niveau d’allemand. Sinon, nouveau
Abibac à Marc Bloch et, sur dossier ou ensemble. Juge
pas (ne sait plus), Pontonniers, c’est Koenigshoffen
comme à Marc Bloch. C’est dans le comme pas bons
secteur. en allemand car
5.Fils ancien collégien bilingue, loisir mauvais prof en
piano, pas littéraire et Abibac plus primaire !!!!! mais
littéraire, d’où admission en section ajoute que dans les
sciences à Kléber (et a conclu autres matières, ça
va.
151
Thèmes Personnel Parents Elèves
Enfants en classe bilingue Enfant en classe non- bilingues non-bilingues
bilingue
concernant la filière bilingue : « Tout
ça pour ça ? »)
Parcours-types 1.Viennent de classes bilingues et après,
selon personnel ? majorité en seconde pro et technologique et
Lycée ?
très peu en Abibac (parfois un(e) seul(e)).
Université ? Pq ?
Détails voir première question.
2.prof en section bilingue : parcours bilingue
en primaire, viennent de l’enseignement
paritaire, désaffection après la 3e,
généralement une 2de générale classique
certains continuent à entretenir l’allemand,
pour certains, possibilité d’Erasmus et
rebondir par rapport au cursus universitaire.
Généralement, les élèves se tournent vers le
lycée Kléber.
3. Prof en section bilingue. : Abibac: Marc
Bloch/Section euro : Kléber/International :
Pontonniers. On pourrait croire qu’ils vont
aller en Abibac mais ils hésitent car gros
investissement. Même s’ils ne vont pas en
Abibac, après la 3e, ils peuvent passer le C1
et intégrer le cursus directement en
Allemagne.
4.Membre du personnel endcadrant :
Linéaire de la moyenne section jusqu’à la fin
152
Thèmes Personnel Parents Elèves
Enfants en classe bilingue Enfant en classe non- bilingues non-bilingues
bilingue
du collège ; après, les profils s’affirment et
pour les scientifiques, ce n’est plus possible
de continuer l’allemand. On passe du choix
des parents au choix de l’enfant qui
s’affirme.
5.Beaucoup d’arrêts après la 3e.
6.Ens.en section bilingue : enfants qui ont
suivi la section bilingue mais assez peu
poursuivent en Abibac, la plupart
poursuivent en section européenne.
Différentes raisons du taux de déperdition :
lourd investissement depuis le début de la
scolarité, peu de natifs allemands, lassitude,
stratégie des parents pour que leurs enfants
se retrouvent dans des classes préservées,
cela se pose moins au lycée, surtout s’ils
peuvent aller à Kléber. Représentations des
parents par rapport aux classes (les classes
bilingues tournent mieux) et aux
établissements.
Futur métier ? 2. On sait ce que certains sont devenus : 1.Aucune envie de l’enfant pour le 1.Chance que ses enfants 1.Chercheuse 1.Médecine (quelle
Voie médecin, avocat. moment. Chance, bonne en tout. Pense savent ce qu’ils veulent faire, scientifique dans spécialité ?)
professionnelle ?
à un BAC S puis pâtissière. important à l’heure actuelle. les
Ce lycéen de 2de veut devenir mathématiques. 3.Architecte d’intérieur
ingénieur.
153
Thèmes Personnel Parents Elèves
Enfants en classe bilingue Enfant en classe non- bilingues non-bilingues
bilingue
2. Aucune idée : sa fille s’investit 2.Diplomate pour 4.Aimerait être
beaucoup dans la musique, elle adore pouvoir voyager astronaute comme son
les sciences… père le souhaitait quand il
3. Écriture… était jeune mais il faut
3.Filière scientifique (99% de chance), journalisme avoir un niveau supérieur
réelle passion pour les maths. à la moyenne et ne pense
4.Policier car aime pas être aussi forte. Alors
4.Pour l’instant, il veut être vétérinaire bien les psychologue, « qui parle
(avant, architecte) cavalcades et les de l’inconscient, de ce
poursuites. qui se passe dans la
tête ».
4. aimerait peut-
être aller aux
Etats-Unis
154
(3) Que font les anciens élèves ?
Contacts avec les anciens élèves de l’enseignement bilingue ? Quel est leur métier ?
Influence des parcours bilingues sur les choix professionnels ? Où travaillent-ils : en
Alsace ? France ? Suisse ? Ailleurs ?
Un membre du personnel encadrant ne reste pas en contact avec les anciens élèves mais elle dit
que les professeurs, oui. Elle n’est pas sûre que l’enseignement bilingue ait une influence sur le
choix professionnel car très peu continuent en Abibac. Cette personne n’est pas en contact avec
d’anciens élèves autres que des lycéens sur le campus car elle n’est là que depuis 4 ans. Le
collège organise une cérémonie de remise des diplômes et des anciens viennent présenter leur
année de seconde. D’autres viennent spontanément saluer les professeurs. D’anciens étudiants
suivent des filières comme le journalisme, STAPS… Comme il y a une perte d’élèves, ce
membre du personnel encadrant pense que les choix professionnels ne sont pas influencés par
le parcours bilingue. Elle ne peut pas en dire plus car elle n’a pas de recul mais, selon elle, les
élèves du parcours bilingue seront toujours des personnes impliquées dans leur groupe-classe,
qui iront vers autrui mais n’iront pas faire leurs études à l’étranger : la discipline choisie prendra
le pied sur la langue. Elle constate une déception des parents qui s’aperçoivent que leur enfant
« ne s’empare pas forcément du bilinguisme » et espèrent quand même une mobilité plus tard…
Pour une professeure en section bilingue, les contacts sont plutôt rares mais on sait ce que
certains sont devenus : médecin, avocat. Elle ne pense pas qu’on puisse « poser la question de
l’influence du parcours bilingue sur le parcours professionnel dans ce sens ». Elle pense que
« le parcours bilingue est un plus culturellement mais le choix du parcours d’études ou de
profession est là, peu importe la langue ». Il y a des anciens élèves en Allemagne ou en Suisse.
Une autre professeure en section bilingue est restée en contact avec d’anciens élèves et il y en
a plein en PSO, en école de kinés, en parcours Deutsch INSA. Il y a un ancien élève qui est
kiné, un autre fait Deutsch INSA et après, il sera ingénieur. Certains ont fréquenté une faculté
de droit et ont passé une année en Allemagne pour se perfectionner en droit international des
affaires. Certains anciens travaillent en Suisse, en Allemagne, en Alsace et un peu partout.
Concernant le choix professionnel, le parcours bilingue leur offre simplement plus
d’opportunités, le fait de pouvoir poursuivre en Allemagne et « ce panel s’étoffe lors du forum
franco-allemand ». Il y a des anciens élèves qui travaillent en Suisse, en Allemagne et ailleurs.
155
Un autre membre du personnel encadrant explique qu’il n’y a pas spécialement de contacts avec
les anciens, qu’on en croise mais que « vu leur nombre… » (Et le nombre d’établissement dans
lequel elle a travaillé !). Le parcours bilingue permet d’aller travailler ailleurs, de s’ouvrir à
d’autres pays, au marché du travail. En France, pas nécessairement beaucoup d’offres mais
beaucoup de demandes.
Un professeur en section bilingue n’est pas en contact avec les anciens élèves (en
généralisant cette affirmation : « Nous ne sommes pas… »). Selon lui, l’enseignement bilingue
« crée une ouverture qui rend la possibilité d’aller travailler à l’étranger beaucoup plus
évidente ». Mais il affirme ne pas avoir de recul.
156
D. Conclusion de la partie IV
L’analyse globale a survolé les nuées de mots d’IRaMuTeQ, arrêtant sa navigation pédagogique
sur quelques mots en permettant de dégager les grandes idées de ces interviews.
Il s’agit d’abord d’un constat, celui d’une mixité prônée par des principes éducatifs se heurtant
à des structures, des organisations qui divisent et cloisonnent, plus qu’elles ne réunissent, le
tout dans une ambiance dite agréable. Les classes bilingues n’échappent pas à leur cachet
élitiste, même si dans les discours ce terme « tabou » pour les uns, en flatte d’autres, et en
dérange d’autres encore.
Élitiste ou pas, cet enseignement possède pour ses utilisateurs finaux la vertu d’ouvrir leur
esprit, leur système cognitif, d’autant plus quand il est précoce, mais aussi de stimuler leur éveil
culturel, ce que d’autres nommeront intelligence culturelle, voire compétence culturelle.
Cependant, le sens de cette compétence en formation se réalise par la confrontation à l’autre
par les échanges (correspondants), des voyages, des visites culturelles, des loisirs ainsi que des
achats dans les magasins de proximité en Allemagne. L’Alsace a cette particularité de favoriser
ces fructueux échanges, tant par sa géographie que par son histoire.
Ce premier survol s’est d’ailleurs enrichi d’un second pour donner plus d’espace à la « Regio »,
plus de présence aux cultures de Suisse et d’Allemagne, pays facilitateurs de cette ouverture.
L’influence du bilinguisme sur la plasticité cérébrale et les facultés d’adaptation permet
davantage de liberté et de légèreté pour la mobilité. Cette dernière apparaît de manière
significative, tout comme l’élargissement des possibilités pour la vie professionnelle future. Sur
ce dernier point, l’analyse n’a pas pu déceler si le parcours fléché par des classes bilingues
pouvait avoir une influence sur l’insertion professionnelle des apprenants. Seulement constater
que la projection d’études hors frontière pour les rares lycéens interviewés était évoquée mais
pas forcément celle d’un métier hors frontières. Des représentations autour des cultures
environnantes, parfois caricaturales, sont venues à la surface des discours. Mais il ne nous a pas
échappé d’entendre que la création de passerelles permettant à tous d’intégrer ces dispositifs
bilingues serait sans doute souhaitable.
Ce survol n’était pas suffisant pour refléter notre analyse. Se plonger dans le détail du corpus
d’un établissement et, qui plus est, avec l’une de ses intervieweuses, s’est avéré indispensable.
Le cas d’un collège, faisant la charnière entre l’enseignement primaire et celui des lycées est
venu confirmer et surtout compléter cette première approche. Dans ce collège, le Collège
Kléber, réputé et situé dans un quartier favorisé de Strasbourg, les langues, l’ouverture vers
157
autrui - tous milieux socio-culturels confondus - et la multiculturalité occupent une place
prépondérante. S’il n’est pas le collège de leur secteur, les parents demandent une dérogation
pour pouvoir y inscrire leur enfant en classe bilingue. Une désaffection du parcours bilingue
s’observe cependant après la troisième car le lycée Kléber, situé sur le même campus, ne
propose pas la continuité de ce parcours. Au collège, il y a une classe bilingue par niveau.
Comme les enfants suivant cette filière se connaissent, pour bon nombre d’entre eux, depuis la
maternelle, l’école essaie de diviser certaines classes en deux et de répartir les élèves dans des
classes mixtes de jeunes bilingues et non-bilingues. Toutefois, cette intégration ne fonctionne
pas parfaitement et les élèves bilingues, qui semblent ressentir une certaine supériorité par
rapport à leurs collègues non-bilingues, ont tendance à rester entre eux. Cet entre-soi interpelle
aussi bien le personnel de l’établissement que des parents et élèves car cela ne correspond pas
à l’ouverture prônée par l’apprentissage d’une langue étrangère.
Afin de pallier ce manque d’ouverture des élèves bilingues vers leurs pairs non-bilingues, nous
avons réfléchi à une piste d’action. Chaque année, la journée européenne des langues, créée par
le Conseil de l’Europe, a lieu le 26 septembre, c’est-à-dire suffisamment tôt dans l’année
scolaire pour permettre la prise de contact ou le renforcement de liens entre élèves de classes
différentes mais également suffisamment tard pour en assurer l’organisation dès les premiers
jours de classe (http://www.education.gouv.fr/cid57914/journee-europeenne-des-
langues.html).
Des ateliers-langues pour débutants animés par des élèves de classes non-bilingues pourraient
être organisés à l’attention des élèves bilingues dans les langues que ces derniers ne suivent pas
dans leur cursus (exemple : l’espagnol ou l’arabe). Les élèves bilingues pourraient ainsi
apprécier les compétences de leurs condisciples non-bilingues dans des langues qu’ils ne
maîtrisent pas. Par ailleurs, des ateliers en anglais pourraient être animés par des groupes mixtes
d’élèves bilingues et non-bilingues qui pourraient partager leurs compétences (équivalentes)
dans cette langue dans le cadre d’un projet commun. Libre cours serait laissé à l’imagination
des étudiants lors de la création d’activités ludiques destinées à ces ateliers (jeux de société
favorisant l’expression orale, chant…). La coopération entre élèves serait favorisée, notamment
entre élèves de classes bilingues et non-bilingues lors de la préparation des activités en anglais
(conception des activités, préparation du matériel etc.). Lors des préparatifs, nous suggérons un
158
changement de posture des enseignants qui joueraient alors le rôle d’accompagnateurs qui
encadreraient leurs élèves et les conseilleraient si besoin.
Il s’agit d’une piste parmi d’autres. Dans le même ordre d’idées, certains parcs à thème
proposent des activités de « team building » destinées aussi bien aux adolescents qu’aux
adultes. Lors de ces stages, des équipes sont formées et doivent résoudre une énigme ou
participer à un projet scientifique virtuel (stage d’astronaute, avec ou sans développement de
compétences en anglais en lien avec les activités scientifiques proposées etc.). Il n’est donc pas
indispensable de valoriser les compétences des étudiants et le développement de la coopération
et du mieux vivre ensemble uniquement autour d’un projet incluant les langues.
L’interdisciplinarité peut être de mise, ce qui impliquerait la participation d’un maximum de
professeurs. Il peut également s’agir de l’organisation d’une pièce de théâtre des élèves, d’un
spectacle des étudiants ou de la mise en place d’une radio étudiante. Nous pensons qu’il est
possible de réduire l’éloignement entre élèves bilingues et non-bilingues en proposant des
activités, notamment coopératives, qui leur permettent de valoriser leurs compétences
respectives.
159