devraient pas s‘accorder... Et pourtant, noir.
Le blanc de la neige et de la station— Jacques Demy
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Bernard Evein, le décorateur, a réussi service pour Guy apaisé. Heureux ? Le et Michel Legrand.
ce miracle de créer de la beauté en noir du deuil pour Geneviève, apaisée Une amitié féconde.
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mariant le rose et le saumon, le rose et le aussi. Moins heureuse ?
»
rouge, le vert et le bleu, le mauve et le « C‘est beau de vivre, non ? », disait
vert... Pour un temps, toutes ces couleurs Lola à Roland Cassard. Chacun des
s‘accordent. personnages des Parapluies, même nos—
Pour un temps... Car Geneviève oublie talgiques, pourrait reprendre à son
Guy. Elle épouse Roland Cassard, compte cette profession de foi e
l‘amoureux évincé de Lola. Et, soudain, Claude—Marie Trémois
le décalage entre les couleurs s‘estompe. Réalisation, scénario, dialogues : Jacques Demy.
Images : Jean Rabier. Décors : Bernard Evein.
Madeleine, dans le café où Guy lui
Musique : Michel Legrand. Montage : Anne—Marie
demande d‘être sa femme, porte une Cotret. Avec Catherine Deneuve (Geneviève — voix
robe orange, de la couleur exacte du de Danielle Licari), Nino Castelnuovo (Guy — voix
de José Bartel), Anne Vernon (Mme Emery — voix
mur du café. Et le film s‘achève dans les de Christiane Legrand), Marc Michel (Roland
couleurs de la sérénité : le blanc et le Cassard — voix de Georges Blanès).
Michel Legrand et Jacques Demy
ont écrit « Les Parapluies »... en vacances.
Le bonheur familial
acques avait écrit L‘Infidélité ou comme on jouait aux petites voitures. Lola. C‘est comme ça qu‘on s‘était
Les Parapluies de Cherbourg. ”Tu Aux vacances de novembre 62, nous connus, Jacques et moi. On a écrit cette
ne crois pas qu‘on pourrait en sommes partis avec femmes et enfants histoire si triste dans un tel bonheur !
Jaire un musical avec des chan— à Noirmoutier. On avait installé un On hurlait, on riait. On disait : ”Là, les
sons ?” Je me mets au travail. Dix jours piano dans une petite pièce qu‘un spectateurs sortent leur troisième mou—
après, on regarde si ça fonctionne. Eh ostréiculteur louait l‘été aux estivants. choir.” Et on dessinait des mouchoirs sur
bien, ce qui ne fonctionnait pas, c‘était On caillait. Aux vacances d‘hiver, la partition.
”e
le passage du chanté au parlé. Je pro— départ pour Verbier, en Suisse. Là, Le tournage à Cherbourg s‘est passé
pose de laisser tomber. ”Non, dit nos récrés, c‘était le ski et les maquettes aussi dans la joie et en famille. Rosalie,
Jacques. Si on faisait tout chanté ?” Je d‘avions. Les enfants ont attrapé la la fille d‘Agnès Varda, jouait ”l‘enfant
me mets dans un coin et j‘écris : coqueluche... du péché”, comme disait Agnès en riant.
‘Jacques, viens vite écouter ça !” C‘était Le soir, on appelait nos femmes : La petite fille dans la voiture de
une musique sérieuse, ”opératique”, ”‘Les filles, venez vite !” Et on leur jouait Geneviève, à la fin, c‘est elle. Bt c‘est
alambiquée. ”Ce n‘est pas ça, dit ce qu‘on avait écrit. C‘était la première mon fils Hervé qui jouait le fils de Guy
Jacques. /! faut que ce soit très simple fois que je composais des mélodies. et de Madeleine. » e
pour que le public puisse déchiffrer la Jusque—là, je n‘avais écrit que de la Propos recueillis par
partition à la première audition.” musique de film. Entre autres, celle de Claude—Marie Trémois
On s‘est mis au boulot : faire du
sublime avec trois notes, donner l‘illu—
Epreuve réussie
sion au public que ce qu‘il écoute pour
la première fois, il le connaît par cœur...
Jacques m‘apportait une scène. On
la lisait. J‘essayais. Jacques était Quand, en 1986, Jacques Demy reprit les droits de son film, il découvrit l‘état
patient : il fallait des plombes avant que lamentable du négatif original et de l‘internégatif. Ce n‘est que quelques années
je sorte une note potable. Il me plus tard qu‘il se souvint d‘avoir fait faire une « sélection trichrome » (trois posi—
conseillait : ”Plus haut, plus vite — Tu tifs de sécurité noir et blanc monochromes, dont l‘un ne laisse passer que les
ne t‘emmerdes pas quandje cherche rouges, l‘autre les verts et le troisième les bleus). A partir de là, on pouvait
pendant deux heures ? — Oh non !” refaire un négatif. La mort l‘empêcha de mener à bien ce projet. Grâce à une
Jacques adorait la musique. J‘inven— subvention et un prêt du ministère de la Culture, sa femme, Agnès Varda, réus—
tais d‘autres notes. Il récrivait d‘autres sit non seulement à tirer un nouvel internégatif, mais aussi à remplacer le son
mots. Je lui disais : ”Il me faut deux optique à une seule piste — terriblement abîimé — par un son multipiste. C‘était
syllabes de plus”, ou bien ”deux syl— le vieux rêve de Jacques Demy, qui, en 1963, avait même essayé de créer une
labes de moins”. Jacques ciselait tous deuxième piste sonore sur la pellicule. Mais il n‘existait pas d‘appareil de pro—
les mots sur la mélodie. jection approprié... Aujourd‘hui, tout est possible. Mais les bandes magné—
On avait loué un circuit électrique tiques 35 mm perforées et synchrones avec l‘image avaient disparu en même
de petites voitures, avec un train qui temps que les trois auditoriums où avait eu lieu le mixage mono. Alors, avec
coupait le circuit. On y jouait pendant l‘aide d‘Anne—Marie Cotret, la monteuse des Parapluies, Agnès Varda s‘est
nos récréations, mais, en fait, il n‘y livrée à une véritable enquête policière... Et elle a retrouvé les bobines. Nouveau
avait pas grande différence entre le tra— négatif, nouveau mixage — en stéréo cette fois. « Ce n‘est plus une rénova—
vail et les récrés : on jouait à écrire tion, dit Agnès Varda, mais une novation. » C.—M.T.
Télérama N°2235 — 11 novembre 1992 43