DANIEL GAUDRY
LA LUMIERE
Experiences, pratique et savoir-faire
Compléments
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© Groupe De Boeck sa., Institut national de 'audiovisuel, 2008 2° édition
Editions De Boeck Université
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Iv est Interdit, sauf accord préalable et écrit de rediteur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totale-
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de quelque manire que ce soit.
Dépét légal:
Bibliotheque nationale, Pars: octobre 2008
Bibliothéque royale de Belgique, Bruxelles: 2008/0074/203 ISBN 978-2-8041-0123-7SOMMAIRE
SOMMAIRE 5
AVANT-PROPOS 7
PARTIE 1
DANS L'ACTION DU TOURNAGE, LA LUMIERE
Chapitre 1 LES REFERENCES POSSIBLES DE LA LUMIERE 13
Chapitre 2 LA LUMIERE EN FICTION 27
Chapitre 3 LES ATMOSPHERES LUMINEUSES 51
Chapitre 4 METHODOLOGIE DE MISE EN PLACE DE LA LUMIERE EN DECOR NATUREL
ELENSTupIQ
Chapitre 5 LA LUMIERE EN STUDIO TV-MULTICAMERA 105
Chapitre 6 CINO CAS PARTICULIERS TRADITIONNELS 129
Chapitre 7 LA LUMIERE EN TOURNAGE LEGER 151
Chapitre 8 LES MODALITES LUMIERE EN PRISE DE VUES VOITURE 171
Chapitre 9 SAISIE DE LA LUMIERE DANS LE METRO 185
Chapitre 10 LES CONTRAINTES DE LA LUMIERE EN PRISE DE VUES SOUS-MARINE 193
Chapitre 11 LA METEO UNE COMPOSANTE IMPORTANTE DE LA PRISE DE VUES 209
Chapitre 12 RACCORDS ET CONTINUITE LUMIERE 223
PARTIE 2
LES COMPOSANTS DE LA MISE EN LUMIERE
Chapitre 13, LUMIERE, CONTRASTE ET OMBRE
Chapitre 14 __LES LIBERTES DU CONTRE-JOUR
Chapitre 15 ___ MODELER LE VISAGE
B
This one
LOIN 0
YX40-W61-LRFB-
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
LUMIERE ET FILM
LE SUPPORT MAGNETIQUE
MODELER ET SCULPTER LA LUMIERE : LES ACCESSOIRES 425
LES EQUIPEMENTS LUMIERE DES SPECTACLES VIVANTS 453
COMMENT ETABLIR LA LISTE ELECTRIQUE 485
PARTIE 4
COLLABORER AVEC LES AUTRES PENDANT ET HORS TOURNAGE
Chapitre 27 LUMIERE ET PRISE DE SON : APPRENDRE ATRAVAILLER ENSEMBLE 509
Chapitre 28 _LUMIERE ET TOURNAGE EN DV 523
Chapitre 29 LUMIERE ET EFFETS SPECIAUX 539
Chapitre 30 LE DIRECTEUR DE LA PHOTO ET L’ETALONNAGE FINAL 557
LALUMIERE : UNE ADAPTATION OUUN STYLE 571.
. .
LEXTQUE ET DEFINITIONS PERSONNELLES. 577
BIBLIOGRAPHIES
ANNEXES 08AVANT-PROPOS
Honolulu (Iles Hawai -Etats-Unis) — Base Aéronavale
de Pearl Harbour — 12 heures.
Dans l'urgence, nous devons réaliser une interview décisive du Colonel Paul Tibbets,
pilote du B 29 de ('US AIR FORCE d’oii fut lancée la premiére bombe atomique :
Hiroshima — 6 aout 1945.
Cette interview, si importante, est programmée a cette heure-la, pour des raisons de
disponibilité du Colonel Tibbets.
Arrivé sur les tieux du tournage, je me rends vite compte que la lumiére naturelle est
totalement impossible. Evidemment, sous le Tropique du Cancer, a midi, le soleil est
exactement 4 la verticale — on imagine aisément les ombres disgracieuses sous les
yeux, le nez, le cou. A la place des yeux : deux morceaux de charbon sortis du fin
fond de la mine.
Il faut faire quelque chose, peut etre mettre le personage a contre-jour.
Impossible ; Varrigre plan est composé de facades de batiments. On est la sur un
tarmac, il faut apercevoir les avions : image évocatrice de l'événement et fondamen-
talement signifiante.
Bien sir équipe légére que nous sommes, nous n/avons aucune possibilité davoir
une lumiere d’appoint. Et il faut faire vite.
Venir de si loin pour ne pas voir les yeux de ce personnage qui a marqué Uhistoire
des Etats-Unis et du monde tout simplement, cest carrément suicidaire.
Aprés avoir retourné le probleme dans tous les sens, il ne peut y avoir qu’une
solution : une grande feuille blanche comme réflecteur, nous n’en avons pas. Javer-
tis le réalisateur (Daniel Costelle — Tournage « La bataille du Pacifique » qui s‘ins-
crit dans la série impressionnante des « Grandes batailles ») de ce problame, et jeEe
lui demande sil est possible de serrer le cadre. Il acquiesce, du moment que fon
situe l'endroit.
Jaménage rapidement le cadre, et cest notre directeur de production (Bernard
Ferran), qui, miraculeusement, trouve un grand journal dans sa serviette.
Et pendant toute l'interview, il tient la feuille de journal dépliée, juste au ras du
cadre.
Sauvé, je suis sauvé, la lumiére est plus douce, les ombres sont nettement éclaircies,
on peut voir maintenant les yeux pergants de cet aigle, sans état d/ame, de ('US AIR
FORCE.
Cet exemple vécu n'est évidemment pas une recette apprise dans les livres, mais une
débrouille ponctuelle sur le terrain. C'est surtout une appréhension immédiate de la
lumigre a travers un regard.
Cot ouvrage, « La lumigre » rfest pas un livre de recette pour tous les cas de figure.
Cest d’abord une approche de la lumidre pour continuer a former un ceil : le votre.
Avant Vaction, il faut nécessairement la réflexion et Uanalyse.
Il ne s‘agit pas de faire une nomenclature sche et didactique, de tous les compo-
sants notre disposition pour réaliser une Lumiere quelle qu’elle soit. Il ne faut pas
slattendre non plus, ici, a trouver un manuel scientifique avec formules nombreuses
et diverses et calculs fastidieux, dans le but évident d’épater le lecteur.
Notre démarche allie simplement la connaissance nécessaire et (‘expérience vécue.
Dans une journée de tournage, il faut étre de plus en plus rapide pour disposer la
lumidre. Méme si nous avons fait une bonne préparation, les imprévus sont cons-
tants, nous devons réagir vite, mais sur quelles bases ?
Les données techniques, les outils de la lumiére, la connaissance des supports
denregistrement, la post-production, etc. tout ceci est naturellement indispensable
pour le futur chef opérateur, mais r’est-ce pas un univers sans ame ? Sil n'y a pas
un ceil derriére la caméra, qui interpréte et qui crée, image est sans invention, sans
caractere, sans originalité.
Chacun de nous a une maniére particuliére d’appréhender la lumiére, mais nous som-
mes tous confrontés 4 un moment ou a un autre aux méme conditions et aux mémes
configurations sur le terrain. Chaque ceil rend le résultat different.
Créer et enregistrer la lumiare, Cest etre comme un cuisinier quand il concocte ses
plats. Il doit, avant tout, bien connaitre et choisir ses produits, les mélanger harmo-
nieusement pour réaliser un plat succulent, qu'il soit simple (pot au feu) ou sophis-
tiqué (pice d’agneau au beurre d’ail et coulis de truffe)..Avant-popos ERI
Cest aussi se transformer en chef d’orchestre qui connait sa partition, et qui joue
avec tous les sons des instruments ; pour entamer, par exemple, le deuxigme mouve-
ment de la « 7® Symphonie de Beethoveen ».
Etre responsable de la lumiére c’est enfin étre en mesure de créer une émotion, c'est
contribuer faire réver le spectateur, c'est avant tout avoir un REGARD.PARTIE
DANS L’ACTION
DU TOURNAGE,
LA LUMIERE
Chapitre 1 Les références possibles de la lumigre
Chapitre 2 La lumiare en fiction
Chapitre 3 Les atmosphéres lumineuses
Chapitre 4 Méthodologie de mise en place de la lumiére en décor naturel
et en studio
Chapitre 5 La lumigre en studio Tv-multicaméra
Chapitre 6 Cing cas particutiers traditionnets
Chapitre 7 La lumiére en toumage léger
Chapitre 8 Les modalités lumiéres en prise de vues voitures
Chapitre 9 Saisie de la lumiére dans le métro
Chapitre 10 Les contraintes de la lumiére en prise de vues sous-marine
Chapitre 11 La météo, une composante importante de la prise de vues
Chapitre 12 Raccords et continuité lumigreC H A P I
T RE
LES REFERENCES
POSSIBLES
DE LA LUMIERE
« Test révélateur que pas une mémoire de grand ar-
tiste ne retienne une vocation née d'autre chose que
de lémotion ressentie devant une aeurre : représen-
tation ihéatrale, lecture d'un poéme ou d'un roman
pour les écrivains ; audition pour les musiciens ;
contemplation d'un tableau pour les peintres »
André MALRAUX, « Les voix du silence »
1. Analyse d’ceuvres picturales choisies 4
2 Observation permanente de la lumiére qui nous entoure a
3 Cinq directeurs de la photo nous font part de leurs rapports
a art pictural 24Plus notre inconscient est nourri de références : peintures, films, observation de la
lumigre naturelle, spectacles, etc., plus nous pouvons, soit nous en évader, soit y
faire appel. Dans les deux cas, leur influence est évidente
Trois directions vont guider nos références possibles :
analyse dceuvres picturales choisies.
™® observation permanente de la Lumiére qui nous entoure.
cing directeurs de la photo nous font part de leurs rapports a art pictural.
oo
ANALYSE D’CEUVRES PICTURALES CHOISIES
Se former ceil, c’est-d-dire acquérir un regard, n‘est pas une démarche si
simple. Il faut le vouloir. Il faut aussi en comprendre la nécessité et avoir un certain
courage pour s‘extraire du quotidien et aller admirer des ceuvres dart, cest-a-dire
entrer dans des univers.
Le Louvre, le musée d'Orsay & Paris, les musées Royaux des Beaux-Arts (art ancien et
art moderne) a Bruxelles, le musée Rath et le petit palais a Geneve, la National Gal-
lery a Londres, le Metropolitan museum a New York, le Rijks museum a Amsterdam, la
maison de Rubens a Anvers, le musée des Beaux-Arts a Montréal, etc. sont des passa-
ges obligés pour alimenter Vimaginaire du futur directeur de la photo. Nous isons
bien « imaginaire », car il serait tellement prétentieux de vouloir copier Rembrandt,
La Tour, Moret... La peinture ne peut étre assimilée 4 un support photographique,
cinématographique, ou numérique. Elle n’en a pas la méme matiére, ni la méme des-
tinée, Elle n’obéit pas aux mémes régles, bien sir, mais ce qui relie la peinture a la
cinématographie est le cadre et la lumiére, les ombres et les penombies, une certaine
architecture de ces éléments, c’est enfin (emotion qui s’en dégage.
Osons comparer la palette d'un peintre avec lventail des sources lumineuses et
leurs accessoires pour réaliser la lumigre d'un plan. Comme celui-ci, nous allons
créer des lumigres, des ombres, éclairer des décors, des visages, disposer des con-
trastes et les transmettre sur une toile : 'ecran.
Devant une ceuvre d'art, on peut passer le temps que l'on veut, le temps de U'ana-
lyse, celui du charme, le temps du silence complice entre le peintre et son admira-
teur. On peut aussi y revenir au cours de la visite. C’est tout Vavantage d'une telle
démarche, et est précisément ce qui fait la profonde difference avec une ceuvre
cinématographique 00 les images qui apparaissent sur lcran sont comptées en
minutes, en secondes. La perception de ces images est donc tributaire de la notion
de montage, qui régit souvent la construction émotionnelle de la lumiére d'un plan,
d'une succession de plans.Dans un musée, sur le plan pratique, il est préférable de faire quelques courtes
visites (environ deux ou trois heures) bien ciblées, plutot que de passer une journée
entire. Loeil doit garder son esprit de découverte et ne pas se Lasser.
1.1 Musée du Louvre
1.1.1 Salle 38 (Deuxiéme étage, Pavillon Richelieu, Ecole Hollandaise)
MM « LA BUVEUSE » (1658) DE PreTeR DE HOOCH (1629-1684)
© RMN — Gérard Blot
Scéne a quatre personages, dans une grande piéce illu-
minée par une fenétre située @ gauche, la lumiére grise
dhiver envahit le décor, ceil est attiré d’emblée par la
clarté des vétements de cette jeune buveuse 4 moitié
affalée sur le sol. Un personage, fumant la pipe, a grand
chapeau noir, est assis a la table dos a la fenétre. Appro-
chons-nous pour en voir les détails. Son visage est un
peu sombre mais bien visible. La lumiére est douce, sans
ombre. Il recoit en réflexion la clarté des murs.
Par la porte ouverte, on apercoit, aprés un couloir, une
piéce voisine, qui est plus lumineuse, ce qui donne une
profondeur (de champ) au tableau. La lumiére est des-
criptive, uniforme, logique. Les ombres des personages
sont peu marquées. Il y a peu de différence d’intensité
lumineuse entre les personnages et les murs de la piece.
On s‘apercoit dans ce tableau que la lumiére s’efface
devant le sujet.
Le détail précis caractérise cette ceuvre.
I « VASTRONOME » (1668) Dz JOHANNES VERMEER (1632-1675)
© RMN — RG-Ojeda
Un astronome en grande robe vert sombre parcourt de la
main droite une mappemonde posée sur une table, prés de la
fenetre, a gauche du tableau, sur la table, au milieu des dra-
peries, un grand livre est ouvert. La lumiére diffuse arrive
sur la mappemonde et sur le personage avec une direction
toute géographique. Observons la progression de la lumiére
dans la piéce : ce qui apparait au premier coup d’ceil est la
mappemonde, le livre ouvert, et enfin le personage; le mur
de la pice est dans une certaine obscurité, ce qui provoque
le relief.On peut observer que ‘architecture de la lumiére de ce tableau est radicalement dif-
férente de celle de « la buveuse ».
MM « L’ARRIERE COUR D'UNE MAISON HOLLANDAISE » DE PIETER DE HOOCH
© RMN — Jean Schormans
A Uintérieur de la maison sur la partie droite du tableau,
une mére est assise, occupée a laver quelque chose dans
une grande bassine en bois, et sa fille, jeune, debout a
cote delle. A Larridre plan, la porte de la pice s‘ouvre
sur une cour, od une femme de dos se dirige vers un
appentis.
La cour est baignée par une lumiare triste d’hiver hollan-
dais, sans ombre, ciel gris et bas, de fin de jour. Vinté-
rieur est logiquement plus sombre que la cour. La femme
et sa fille sont illuminges par la cour, donc découpées a
contre-jour. Une douce pénombre inonde leurs visages
que Von devine aisément.
Sur le carrelage, les ombres des personnages sont trés ténues. On distingue bien les
objets au sol et sous la table. De haut en bas du tableau, la lumiére est uniformé-
ment répartie. Eloignons-nous de ce grand tableau (a environ 4 metres), la tache
blanche du mur de la cour crée cette différence de densité entre l'extérieur et la
pénombre de Uintérieur, entre les nuances des lumiéres et celles des ombres. Une
paix indicible se dégage de cette couvre.
Pénétrons plus avant dans ce contraste des ombres et des lumiéres, Rembrandt en
est le maitre, maitre du clair-obscur.
«Tandis que chez ceux qui vulgariseront son Clair-obscur, tout séparpille et tout
jacasse au lieu de se concentrer, en Rembrandt tout se tient, tout se sait » (Claude
Roger Marx : « Rembrandt »)
HH « LE PHILOSOPHE EN MEDITATION » DE HARMENSZOON VAN RIJN REMBRANOT
(1606-1669) — ce tableau est de petite taille.
© RMN —
A travers la grande fenétre située a gauche du tableau,
on ne distingue qu'une grande surface grise d'un ciel bas
d'hiver, le philosophe est assis prés d’une table non loin
de la fenétre, il est déja dans la pénombre. Pras de lui,
Vescatier en colimagon monte au premier étage. Il faut
bien observer comment Vintensité de la lumiére diminue
reguligrement de la fenétre jusqu’au fond de la piece a
droite du tableau. A gauche de la fenétre, le mur est siseeped nie
sombre que méme en s‘approchant (a 50 centimetres, cest possible) on ne distingue
aucun détail. Les ombres du personage et de Uescalier sont trés diffuses, trés
estompées.
Uceil se surprend a découvrir, en bas a droite, un foyer avec des braises rouges et
quelques flammes qu’illuminent faiblement le visage dune vieille femme qui attise
le feu avec des pincettes. Ce qui est autour delle est si sombre que on n'y distin-
gue que peu de détails.
La fenetre et le feu créent une diagonale de Lumiere qui fait apparaitre la géométrie
du décor. Cest la Lumiére qui anime les visages. Le personnage principal chez Rem-
brandt c'est la lumiére, une lumiére qui fige les atres pour les rendre plus éternels.
WM « LA SAINTE FAMILLE DITE LE MENAGE DU MENUISIER » DE RENBRANDT
© RMN — Amaudet-J. Schormans
Dans ce tableau, Rembrandt dirige la lumigre a
sa facon, et en fait le centre d'intérét du
tableau. Le peintre a imaginé qu'un rayon de
soleil arrive au centre de la piace sur la vieille
femme et la jeune personne qui donne le sein a
son bébé, alors que le soleil ne touche pas le
menuisier, qui, lui, par contre, est situé prés de
la fenétre. Illogisme certain, lumidre surnat
relle, les visages des deux femmes sont illumi-
nés avec douceur, par la réflexion du soleil sur
le corps de enfant.
Lémotion jaillit de cette lumigre, car la lumiare,
ici, est provocatrice de la naissance, et de Uori-
gine du monde.
La lumiére n’est donc pas naturelle, elle EST la
lumiére de Rembrandt.
Ces deux tableaux, trés différents, ont Yoppor-
tunité de se trouver voisin, Uceil est attiré par la
beauté de cette comparaison.1.1.2 Salle 35
i « LECTURE DE LA BIBLE » DE GERARD Dou (1613 -1675)
Un vieil homme, prés dune fenetre, une vieille
femme assise en face de lui, un grand livre sur
les genoux : la bible. Dehors le ciel est bleu, le
soleil dessine la fenétre et atteint le vieil
homme. La vieille femme est a contre-jour, son
visage recoit la lumiére reflétée par le livre
ouvert. Tout ce qui est autour des personages
est noyé dans une pénombre trés dense, ot on
ne distingue que peu de choses, méme en
s‘approchant. En bas a droite, un refiet sur un
objet en cuivre crée la diagonale de la Lumiere.
La pénombre qui envahit le tableau fait juste-
ment mieux apparaitre la lumiére naturelle dis-
pensée par la fenétre. Il sfen dégage une inti-
mité profonde entre ces deux étres.
© RMN — Jean Schormans
1.1.3 Salle 57 Deuxiéme étage — Pavillon de Sully
WH « L'INTERIEUR D'UNE CUISINE » (1815) DE MARTIN DROLLING (1752-1857)
Cest un tableau d’assez grande envergure. Au
milieu de ce tableau, une grande fenétre en
hauteur, dehors le ciel bleu avec quelques nuées
blanches, et des arbres aux contours bien nets
et présents.
Le soleil pénétre dans la piéce. Contre la fenétre
une jeune fille coud, assise sur une chaise. Elle
regarde le peintre. A droite et plus avant vers
Uintérieur de la piéce, la mére est assise sur une
chaise. Elle coud également et a aussi le visage
tourné vers le peintre. A ses pieds, une petite fille 2 méme le sol, sur le carreau,
joue avec un chat, prés d'un grand panier en osier.
© RMN — 3.6 Berizri
Le peintre ayant placé son chevalet face a la fenétre, les personnages et tous les
objets au sol et sur les étagéres sont a contre-jour. Une lumisre douce et sans ombre
illumine le visage des personnages dans une pénombre naturelle. On distingue par-
faitement leur regard.
La fenétre distribue la lumiare sur le carrelage, sur les objets, sur les étageres. Leurs
ombres d’une direction logique, ne sont pas noires, elles sont habitées par leLes réféencespossbles de la lumitre
détail ; le mur de gauche est légérement plus lumineux que celui de droite. La
lumiére fait chanter les cuivres et les pots en céramique. Elle est douceur alors que
les effets sont bien marqués.
Il est intéressant de noter la subtilité des différentes densités des ombres dans la
géographie de la pice.
Ce tableau est un peu comme un instantané, un moment d‘intimité volé. Ce quexpli-
quent les regards des personnages dirigés vers le peintre. La lumiére exprimée par
celui-ci donne une impression de calme et de sérénité.
« LE PETIT CHAPERON ROUGE » DE FLEURY FRANCOIS RICHARD (1777-1852)
Une etable avec une litiére au centre ou est ins-
tallé le loup, au pied se tient le chaperon
rouge ; au sol, de la paille. Au fond de Uétable
deux fenétres en ogive donnent sur le jardin. Un
peu de soleil pénatre sur le rebord d'une fené-
tre. Un puit de Lumiere illumine la scéne en son
centre, mais tout autour, la pénombre parfois,
profonde envahit (étable. Seul le plafond en
latte de bois, prés de la fenétre, prend un peu
de lumiere.
‘© RMN — Gérard Blot
En se rapprochant du tableau, on peut quand méme observer quelques détails dans
cette pénombre trés dense. Limpression réaliste crée par la lumiére contribue a la
vérité du lieu, mais aussi au mystére. Latmosphére y est inquiétante, lourde et dense.
WH « INTERIEUR D'UNE CHAPELLE DE L'EGLISE DES FEUILLANTS A PARIS » (1814)
Un tableau étonnant, quil faut voir absolument ;
tout simplement parce quiil a été peint par Louis
Jacques Daguerre (1787-1851), inventeur des
Daguerréotypes, premieres photographies.
Une imposte située au-dessus de la porte diffuse la
lumigre du ciel. Un grand rayon de soleil traverse la
chapelle et illumine fortement le mur de droite, par
taches avec la forme de la fenetre. Leffet de soleil
est d/autant plus apparent que le reste de la cha~
pelle est dans une pénombre plus ou moins dense.
Un personnage de dos se dirige vers le jardin, son
ombre est fugace. Il est intéressant d’observer les
© RMN — Gérard Blot differentes nuances de cette penombre, car ce sont
des plages de soleil qui, par réflexion, dispensent la lumigre douce dans la chapelle.La logique est scrupuleusement respectée comme en photographie. La lumiére est
trés aliste ; au détriment de Uémotion ?
1.2 Musée d’Orsay
1.2.1. « Femmes au jardin » (1866-1867)
@ CLAUDE MoneT (1840-1926)
Promenade dans le jardin aprés le déjeuner un
dimanche ; scéne toute naturelle, familiale, de
détente, a Yombre propice des arbres et de
Vombrelle.
Les sous-bois sombres et les endroits ensoleillés
donnent bien cette impression de chaleur d’été.
On entendrait presque le chuchotement des
conversations.
Lombre légére sur les visages fait mieux appa-
raitre les éclats cu soleil sur les robes : blanche
pour la femme a Vombrelle, blanche et bleue
pour la femme qui s‘avance vers le sous-bois.
© RMN — Amnaudet-H. Lewandowski
« Soleil couchant a Ivry » (1872-1873)
ARMAND GUILLAUMIN (1841-1927)
>) «un coucher de Soleil admirable, en peinture,
n’est pas un beau coucher de soleil, mais le
coucher de soleil d'un grand peintre » (André
MALRAUX — « les voix du silence »)
Observons le dégradé de Uhorizon jusqu’en haut
du tableau, la couleur du ciel passe du jaune
orangé au bleu annoncant la nuit, avec une
palette infinie de couleurs changeantes. Le
soleil vient de passer sous U'horizon derriére le
bouquet de peupliers, ce qui donne l'impression
d'un bois en feu.
© RMN — RG. Ojeda
La Seine refléte aussi le ciel flamboyant.Les références possibes de fa lumiére Ba
Les maisons n’ont plus d’ombre, et leurs facades comme le sol deviennent bleutés a
cause de ‘ambiance du ciel au zenith ; ce qui d’ailleurs donne une impression de
froid malgré les couleurs chaudes du ciel.
La lumiére de ce tableau est naturelle, voire naturaliste. On peut méme y déceler un
vent d’ouest assez fort, les fumées des usines étant trés rabattues.
Ce magnifique dégradé crée un véritable contraste des couleurs.
Profitons d’étre au musée d'Orsay pour monter au niveau supérieur ; entre « la route
de Louveciennes » de Camille Pissaro et « Portrait de modéle ou Margot » de Pierre-
Auguste Renoir, il y a un espace, comme une fenétre donnant sur Vextérieur : regar-
dons couler la Seine, un instant.
Notre parcours aurait pu étre tout autre et tout aussi révélateur, car aucun choix
est innocent. Il faut se laisser prendre progressivement par ta magie de la
peinture : cet univers ou (ceil devient regard, et ou le quotidien, un champ, un pay-
sage, un intérieur, se transfigure sous la palette du peintre, La peinture est bien ce
dialogue intime entre ‘esprit qui la regarde, et l'artiste qui l'a composée.
Ce rapport a la peinture doit étre souhaité. Soyons curieux. Dans chaque ville, il y a
un musée oil se cachent des ceuvres qui nous interpellent sirement. Nous devons y
répondre ; nous devons avoir soif de ces découvertes progressives.
Lenvie est trop présente de s‘inspirer de tant de perfection. S‘inspiter n’est pas
copier, cest interpréter.
Il n'est de temps perdu a visiter un musée que pour celui qui a définitivement rejeté
Venrichissement personnel de son inconscient pictural
woe OBSERVATION PERMANENTE DE LA LUMIERE
HB OUT Nous ENTOURE
Si nous voulons composer un effet de lumiere dans un décor et sur des
personages, que ce soit en extérieur, en intérieur naturel ou en studio, il faut
Vavoir préalablement observé. Cest-a-dire qu’il faut en quasi-permanence étre en
« éveil lumiére ». Cela doit tre instinctif, un réflexe nécessaire.
Quelques exemples parmi tant d’autres
peuvent nous guider dans notre réflexion
» Cest [été, nous roulons sur une départementale sous un soleil de
plomb. Il est aux alentours de midi, 13 heures, Nous sommes partis trés tat, il est
donc temps de s‘arréter pour pique niquer.Mais comme toujours dans ce cas-la, on met un temps fou a trouver le bon endroit.
Finalement nous optons pour les bords dune riviére 4 Vombre des arbres, pour y
trouver un peu de fraicheur. Premiere observation : on a impression d'arriver dans
un endroit trés sombre aprés avoir traversé ces champs de blé d’un jaune éclatant
sous le soleil. Nous installons cette jolie nappe blanche @ méme le sol pour disposer
le pique nique. Quelques taches de soleil parsément fombre de la prairie.
De Vautre cété de la rivigre le champs de mais au soleil nous parait bien lumineux.
Dans le lointain, les falaises prennent les tons bleutés de la clarté du voile atmos-
phérique.
Puis peu a peu les taches de soleil envahissent la nape blanche. La réflexion de la
lumidre illumine tous les visages. Les ombres y sont douces, un de nous met un
chapeau pour se protéger du soleil.
> Restons en été, a (heure de la sieste. Les volets des deux fenétres de
la chambre sont mi-clos. La piéce est dans la pénombre. Les personnages et les
objets n’ont pas d’ombre. Le soleil fait un rai de lumidre sur le parquet. Puis un des
personages se léve, ouvre brusquement les volets pour regarder la campagne ; les
yeux sont un instant éblouis, le paysage apparait brilé. Et il referme les volets, pré-
férant la freicheur.
} Sur la plage au sable blanc, deux personnes se proménent sous le
soleil. La mer scintille avec la petite brise. Ils s’arrétent un instant ; on a du mal a
distinguer les yeux de la personne a cété, le contre-jour de la mer est si violent.
> On se proméne dans la rue a la tombée de la nuit, entre chien et Loup.
Arrétons-nous un instant pour lever la téte vers les immeubles environnants. Les
appartements commencent a s‘allumer, on a impression que la rue et les facades
baignent dans une lumiére plutét bleutée, alors que les fenétres allumées nous
paraissent de couleur chaude.
Uoeil fait la difference entre la lumiere artificielle et la Lumiere du jour finissant. Ce
qui créé ce mélange de chaud intérieur et de froid extérieur.
> Cest Uhiver, le soit, prés d’une grande cheminée oi le feu crépite,
observons la couleur des flammes qui se reflétent sur les visages et qui animent tel-
lement les yeux. Puis la Lumiére se perd dans espace de la piéce, et la pénombre
vacillante envahit les murs.
» Ce soir-la, Cest la pleine lune sur la petite route ; nous en éteignons
méme les phares de la voiture ; nous roulons ainsi quelques centaines de matres, et
Rous nous arrétons pour admirer le spectacle. On distingue parfaitement les collines
alentour. Lombre des arbres proches est trés dense. Les couleurs de nos habits ontLes erences possiies ce ia umieve: EZ
complétement disparu et sont transformées en gamme de gris. Les ombres sur les
visages sont trés nettes. Cette absence générale de couleur est tres caractéristique.
> Dans le sud Quest de la France, l’été, il y a souvent beaucoup d’orages
la nuit. Il arrive parfois que toutes les 3 ou 4 secondes les éclairs déchirent le ciel.
Heureusement, nous sommes a l'intérieur de la maison, car, dehors, un déluge s‘abat
sur la campagne. Nous avons éteint pour admirer ce vrai spectacle, a la fois dehors
et dans la piece.
> Il fait nuit dans Uappartement, les lampes du salon sont toutes allu-
mées. Elles ont des grands abat-jour plutot dans les couleurs chaudes. Une per-
sonne, installée dans son fauteuil, lit un livie auprés d'une de ces lampes. Une autre
personne lui rend visite et reste debout a lui parler, prés de la lampe.
> IL n'y a plus de place de libre dans le restaurant qui donne sur le petit
port. Ce soir, il fait bon y diner. Toutes les tables sont éclairées par des bougies, ce
qui donne a tous ces visages une teinte chaude et conviviale, La pénombre des murs
de la salle crée une certaine intimité.
> La chambre d’hétel, située au 3¢ étage, donne sur la rue. Il fait si
chaud dehors que lon est obligé d’ouvrir un peu les persiennes pour laisser passer
un peu dlair. La chaleur empéche de dormir, mais il n'y a pas que la chaleur, il y a
cette lumiére intermittente diffusée par l'enseigne lumineuse verte de la pharmacie
voisine qui envahit la chambre.
> En ce jour de mois de juillet ensoleillé, nous pénétrons dans ce monu-
mental édifice gothique : « la Cathédrale Notre-Dame » & Anvers. Les rayons colorés
du soleil déchirent Vombre intérieure et la rendent encore plus majestueuse. Cette
lumigre caractéristique des monuments religieux porte au silence et au recueillement.
etc.
La question n'est pas de se dire : « oui, bien sti, je connais cet effet ; jai déja vu »,
mais déja d'amorcer la réflexion sur place : comment faire pour transcrire cette
lumiére en prise de vues sur le plan pratique.
Uintérét de observation en général est que quotidiennement nous sommes environ-
nés, jour et nuit, de lumiéres changeantes.
Il n'y a donc aucune raison de ne pas y porter attention, chacun a son rythme per-
sonnel.
Couleur, lumiare, et ombre : trois données qui régissent lenregistrement des images.
Elles doivent guider notre regard et surtout le former.go CINQ DIRECTEURS DE LA PHOTO NOUS FONT
PART DE LEURS RAPPORTS A L’ART PICTURAL :
Daniel Gaudry : Pour vous la peinture est-elle source d'inspiration ?
3.1 Jean-Pierre Aliphat
Je vais dans les musées, surtout quand je suis en extérieur, quand on est
dans des villes of on a le temps.
Enfant on a toujours des références, par exemple celles des tableaux hollandais.
Jaime aussi le Caravage.
Si je faisais un film d’époque, avec une demande particulidre, je feuilleterais des
livres sur un peintre de cette époque, pour en discuter avec le metteur en scéne.
Dans les films que je fais actuellement, je n’ai pas besoin de référence de tableaux.
3.2 Gérard de Battista
Je ne vais pas voir uniquement des tableaux liés a la lumiere, mais des
tableaux qu’on fait aujourd'hui.
On analyse un tableau de Vermeer avec un spot meter, on s‘apercoit que ce n'est
absolument pas réaliste, puisque la grande liberté de la peinture, cest que les pein-
tres font ce quils veulent. Ils ne sont pas obligés de se plier aux lois physiques.
Ga peut-étre une source d'inspiration de temps en temps, mais si je dis que j'aime
bien Miro et Mondrian, c'est bien évidemment pas pour la lumidre.
Mes peintres de référence c’est un peu tout le monde. J’aime bien Bonnard, Valloton,
Vermeer, Rembrandt.
3.3 Robert Jaffret
Je vais de plus en plus dans les musées, car je m’apergois de carences
profondes. On ne connait son ignorance qu’en vieillissant,
Je suis plutdt sensibitisé a la sculpture, et aux volumes.
A Vécole Louis Lumiére, on nous emmenait au musée pour voir les tableaux de
Bruegel, de Poussin. Bien sir cest une bonne chose de penser la direction de
lumiére sur un tableau d’un maitre flamand, mais je pense qu’on aurait dd nous par-
ler d'une sculpture, de la umiére sur une sculpture.Uachoppement de notre métier étant de donner une notion de perspective alors
qu'on va restituer tout ca sur un plan, je pense quiil y a une étape intermédiaire qui
est d’éclairer des volumes.
Je regarde de plus en plus la peinture. Il est évident que nous, nous ne sommes que
des petits maitres avec notre lumidre. Car nous avons tout de méme cet outil
palpable qu’est le projecteur, méme si la lumiére est impalpable. On peut le changer
rapidement de place. Alors que sur un tableau, décider tout d’un coup, pour le
maitre flamand, de changer la direction de lumiére, ca veut dire refaire tout le
tableau.
3.4 Philippe Pavans de Ceccaty
Je vais souvent dans les musées, toutes sortes de musées d'ailleurs.
Musée du Louvre, musée d'art modeme, musées étrangers aussi, surtout 4 une épo-
que oii je tournais beaucoup 4 létranger. (a faisait partie de mes premiers objectifs,
quand j‘étais dans un pays, je cherchais le musée de peinture local. A Budapest, a
Buenos Aires, au Prado, a Londres. La National Gallery est un de nos points de chute
préférés. Le Métropolitan 4 New York, et tous les musées new yorkais.
Chacun se crée sa culture, il n'y a pas une culture de limage, ca peut étre aussi
purement photographique. Lunivers de la bande dessinée n'est pas moins important,
ni moins respectable.
Que la peinture soit la référence de notre travail, moi je ne crois pas. Cest une idée
regue.
Peuvent nous influencer : la peinture classique, la peinture moins classique, mais
aussi des milliers d'autres choses, tout ce qui fait limage.
Un peintre de référence pour moi c’est « le Caravage » qui est sans doute un des pre-
miers a avoir joué avec la Lumiere au sens le plus dramatique du terme. Je pense a
ce tableau « Lincrédulité de Saint Thomas » qui est un tableau incroyable.
ILy a aussi toute la peinture hollandaise qui est fondamentale pour moi. C’est ca
que j‘aime travailler : lidée d’une source, d'une source unique de lumiére, la fenétre,
une bougie et cest tout. C'est vrai que ce sont des tableaux trés pédagogiques. Je
pense aussi a la « Vue de Delphes » de Vermeer qui est un tableau saisissant, parce
que cest un tableau avec des fausses teintes ; on sent trés bien Vombre des nuages
qui ne couvre pas entiérement le tableau. En plus les ombres de nuages, les fausses
teintes, c'est notre métier. Cest quand méme assez rare de trouver cela dans un
tableau.
Voir des tableaux, ¢a fait partie des references de Uceil, de gymnastique de Uceil. Ce
sont des impressions, des palettes.EEG = 12100 a tourageia titre
3.5 Jacques Renoir
ILy a une chose évidente : la création d'une image dépend d'une grande
culture. Il faut s‘intéresser a tout, il faut aller dans les musées, dans les concerts. Il
y a un apprentissage du regard qui est évident.
Ilya une comparaison qui peut étre intéressante a faire : dans un musée, ce nest
pas un tableau qui compte, c'est Uensemble des tableaux, c'est la mise en place ;
Vaccrochage d'une exposition est important, car le visiteur va suivre un certain che-
min. Tout coup il va s‘arréter devant un tableau, pourquoi celui-ta ? parce quiil a
accroché son regard, parce qu'il est bien présenté, bien mis en valeur ; et le peintre
va guider son regard. On va étre attiré par un point de lumidre, la composition
d'image, par des lignes, que ce soit un tableau figuratif ou abstrait. Il va s‘attarder
plus ou moins longtemps. Son choix délibéré va étre de passer a un autre tableau et
ainsi de suite.
Dans un film on peut comparer un tableau a un plan et une salle de musée a une
séquence, et le musée a tout le film.
Le spectateur, dans un musée, a le pouvoir de s‘arréter sur le tableau quiil veut, de
ne pas voir tout le musée, de voir simplement une salle. Dans un film cest different,
‘on impose un temps donné de visite qui va durer 1 heure et demie, on impose la
durée d'une scéne et la durée d’un plan. Le spectateur n/a pas le choix, le travail de
image doit étre en fonction de la durée de ce plan. Le juste temps, cest le temps
du regard que va poser le spectateur. La lumiére dépend de ce temps de regard.
TLya un peintre que je connais bien, bien sir (NDLR : Jacques Renoir est larridre-
petit-fils du peintre Auguste Renoir). Il y a Vermeer ou Rembrandt pour leur cla
obscur, et aussi Georges de la Tour. Ils ont tellement porté un regard sur la lumiére.
Et puis il y a des artistes o¥ ce sont plus des sensations qui m’intéressent. Ce sont
des peintres de vibrations, de sensations de lumiére, d’ambiances et d’atmosphére,
par exemple Vuillard,
Avec les peintres abstraits, Cest plus une démarche d'esprit, ce n'est pas forcément
une démarche de lumiere,C HA PET R
LA LUMIERE
EN FICTION
aunune
E
La lumiere naturelle
La lumiere volontairement sans effet particulier
La lumiére de ta douceur
La lumiére dictée par le décor
La lumiére dictée par un sujet particulier
La lumigre vue par Raoul Coutard
(Directeur de la photo)
28
30
35
38
40
46EGR os tection cu touragea wire
la fiction est la discipline qui concerne tout travail avec les comédiens : long
métrage, téléfilm, fiction institutionnelle, etc.
Le support de la fiction est bien entendu le scénario ou Uhistoire. Pour le directeur
de la photo, la premiére approche sur la lumiére est donnée par le genre du film :
comédie, comédie musicale, drame psychologique, policier, Fantastique, etc.
La lumidre d'une fiction se congoit selon le style voulu par le réalisateur, les idées
du directeur de la photo, le sujet, la psychologie des personnages, les nouveaux
outils de lumiére, les contraintes du temps de tournage, les décors, le budget, le
type de diffusion, la mode, etc.
Il faut savoir que les temps consacrés a la lumiére en long métrage et en téléfilm
sont souvent bien différents, Parfois, certaines conditions de toumage font du
directeur de la photo un funambule qui hésite entre cellule et chrono.
Quoi quil en soit, donner un style de tumiére a une fiction, cest prendre automa-
tiquement un parti pris. Le probléme est de sy tenir malgré les tempétes possibles
d'un tournage. Dés lors qu'il y a un parti pris apparent dans une lumiére, image
devient lexpression tangible d’une réflexion.
Tout art du directeur de la photo n’est donc pas de subir la lumidre quelle quelle
soit mais de la transformer. C'est par son intervention que se matérialise la chose
écrite,
Chaque directeur de la photo a une maniére de faire, pour ne pas dire un style, qui
lui est propre. Il n'y a pas de lumiére qui soit meilleure que d’autre, mais des lumié-
res différentes. Comme chaque sujet et chaque histoire déterminent un style parti-
cutier, le directeur de la photo doit donc avoir une faculté permanente d’adaptation.
IL est important de situer quelques atmospheres de lumiere en fiction. Les quelques
exemples proposés ont été choisis pour leur alliance esthétique entre un sujet, le
rGalisateur et la « mise en lumiére » du directeur de la photo.
oP?
MER La LuMiéRE NATURELLE
Cest essentiellement la lumiére du jour, le soleil ou le temps gris. Cest la
lumiére qui entre par les fenétres et qui peut créer un contraste fort dans les décors
intérieurs. C’est la lumigre qui définit le temps et ‘instant, donc qui est indicatrice
de données essentielles pour action. Cest aussi la lumidre des grands espaces ott
ombre et soleil se partagent l’écran. Deux exemples :La lumiere en fiction
1.1 «Lola » (film de Jacques Demy — Directeur de la photo :
Raoul Coutard)
Cest a Nantes que « Lola » fut tourné en scope noir et blanc selon les
principes de la nouvelle vague. On a une impression permanente d'images non éclai-
rées mais prises dans la lumigre naturelle existante sans rajout visible de sources
lumineuses d'appoint. Ce qui accroit impression de pris sur le vif et donc met en
valeur la perception des propos des personages.
Dans l'appartement de Lola, la lumiére est crue, trés contrastée. La caméra (le plus sou-
vent a ‘épaule), place Anouk Aimée et Marc Michel fréquemment en contre-jour total
pres des fenétres, la forte lumiére de l'extérieur irisant meme le contour des visages.
Photo : Raymond Cauchetier — Archives famille Demy
La lumiére participe inconsciemment a (émotion dégagée par les personnages. Elle
donne au visage ¢’Anouk Aimée une grace diaphane naturelle certaine.
Une scéne trés caractéristique a ce sujet est celle de la fin du film : intérieur « boite
de nuit, la Cigale ». Ce matinla, départ de Lola pour Marseille. Elle commence a
embrasser une A une ses amies entraineuses, 2 ses cétés son petit garcon. Une
lumigre naturelle arrive de Vextérieur & travers les fenétres composées de vitraux.
Cest une lumidre de cathédrale, lumidre divine comme sil allait se passer un miracle.Et justement il a lieu !
Contrechamp sur lentrée de la piéce : arrive, découpé dans un halo de lumiére,
«homme en blanc » (Jacques Harden), son amour de toujours, qui dit simplement
aprés 7 ans d'absence : « je suis venu te chercher ». La lumiére, alors, est aussi sim-
ple, belle, élégante, chargée d’émotion, que la phrase prononcée. Elle participe
Venchantement de ce conte de fée.
1.2 « Pale Rider » (de et avec Clint Eastwood — Directeur de la
photo : Bruce Surtees)
La lumiére, dans ce film, r’est que naturelle, c’est-a-dire qu'elle en a tou-
tes les qualités. Le soleil est un des personnages du film. Il est partout, de tous les
plans, le matin, au zénith, en fin de journée. Il envahit ces paysages immenses et
les acteurs en font un partenaire, ils jouent avec. La lumiére sur les gros plans des
acteurs, notamment Clint Eastwood, est révélatrice. Avec son grand chapeau, il se
place souvent soleil de cété, ou carrément 4 contre-jour. La partie du visage a
Vombre est trés dense, parfois meme on ne lui voit pas les yeux. Cette volonté pho-
tographique de ne pas éclairer, méme un peu, en extérieur, va bien dans le sens de
la dureté de Uhistoire et participe a la création « du personage ». Cest la lum
brutale des grands espaces.
Les décors intérieurs recoivent presque uniquement la lumiére qui entre par les
fenétres, ce qui rend trés présent le paysage ou le rue de la ville, et qui silhouette
les personnages. Plus ceux-ci s’éloignent des fenétres, plus ils sont dans la pénom-
bre, comme dans la réalité.
2" Ly LUMIERE VOLONTAIREMENT SANS EFFET
WM PaRTICULIER
Certains metteurs en scéne peuvent demander a leur chef opérateur de
créer une lumiére, normale, naturelle, of le contraste entre les hautes et basses
lumiégres est trés atténué. Les ombres ne sont pas denses, les effets a travers les
fenétres non violents, a la fois sur les décors, mais aussi sur les visages.
Cette lumiére n'est d'ailleurs pas toujours facile a réaliser, tant il faut se contenir
dans Venvie d'aller plus loin dans les effets. Il faut trouver un juste équilibre dans le
contraste pour metire en valeur le visage des personnages, et surtout la présence de
leur regard. Une lumiare trop contrastée peut alors faire dévier l'attention du spec-
tateur sur d'autres intentions non voulues par le réalisateur.cm 31 |
« Ainsi soit-il » (film de Gérard Blain — Directeur de la
photo : Daniel Gaudry)
Gérard Blain : « image, C'est ce que, sur le terrain, je peux le moins con-
troler parce quiily a toute une chimie, C'est une discussion de sensibilite, de compré-
hension mutuelle. Le rapport chef opérateur-réalisateur, c'est surtout sur la parole.
De temps en temps, pour faire le malin, je me ballade avec un truc pour regarder le
contraste.
Je fais entiérement confiance au chef opérateur. Je lui dit : fais-moi une lumiére
lumineuse, qu’on voit les visages, qu'on voit les yeux, parce que pour moi, ce qui
miintéresse, c’est la fenétre de l’ame. Il faut une lumiére aussi simple que mon film
IL peut y avoir une lumiére particuliére, si ca ne fait pas un effet.
Je ne fonctionne que par la sensibilité, Cest comme ¢a. Avec les acteurs, cest
pareil, Pour moi important c'est le regard et je reste bloqué la-dessus. C'est pour ca
que je veux qu’on voit les regards.
La lumiére dans « Ainsi soit-il » est simple et va avec le film. Et puis surtout avec
objectif que j/emploie tout le temps (le 50 mm) elle donne une présence, les fonds
sont moins nets,
Il faut laisser au chef opérateur, quand il a bien compris le metteur en scéne, quel-
que chose de créatif. Un film c'est une ceuvre de collaboration de méme sensibilité.
Yemmane mon chef opérateur en repérage, évidemment, parce que je sais qu'il con-
nait des choses mieux que moi. Cest le chef opérateur qui peut dire : « la, tu peux
tourner, la, tu ne peux pas tourner ». Et 4 ce moment-la, je ferme ma gueule. Moi, je
ne détiens pas la vérité ».
Ce parti pris de lumiére ne conduit pas a la platitude de timage mais au contraire &
une unite photographique discréte et maitrisée.
Photo 1 — Film « Ainsi soit-il »
Intérieur chambre jour — Décor naturel
Photo : Anne-Claire CieutatWi IMPLANTATION LUMIERE
TERRASSE
Cadre tole strong 2 m x 2m
7 | Calque 216
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