HGGSP 3 : HISTOIRE ET MÉMOIRES
OTC L’HISTOIRE ET LES MÉMOIRES DU GÉNOCIDE DES JUIFS ET DES TSIGANES
Introduction : Le 27 janvier 1945, les troupes soviétiques libèrent les derniers survivants du camp d’Auschwitz-
Birkenau. Le génocide des Juifs et des Tsiganes se termine avec un bilan effroyable : entre 5 500 000 et 6 000 000 de
Juifs et 250 000 Tsiganes exécutés, torturés, du seul fait de leur origine. « Ceux qui ne connaissent pas leur histoire
s’exposent à ce qu’elle recommence » disait l’écrivain Elie Wiesel, rescapé de la Shoah. Alors que les rescapés rentrent
dans leur pays, les processus de la mémoire et de la justice des génocides s’affirment lentement et inégalement.
Problématique : Comment l’histoire du génocide des Juifs et des Tsiganes s’inscrit-elle dans la mémoire
collective des sociétés ?
I. Se souvenir : les lieux de mémoire du génocide des Juifs et des Tsiganes.
A. Le « grand silence » (Annette Wieviorka).
La libération des camps : L’extermination des Juifs et des Tsiganes débute dès l’année 1941 sur le front de l’Est. Elle
est réalisée par des groupes spéciaux, les Einsatzgruppen. Les Juifs sont aussi regroupés dans des ghettos à Lodz,
Varsovie. Mais, à partir de 1942 dans le cadre de la Solution Finale, le génocide prend un caractère industriel dans des
centres de mises à mort : Treblinka, Chelmno, Belzec, Sobibor, Majdanek et Auschwitz. Dès la fin de la guerre, l’un des
enjeux majeurs des Nazis est de faire disparaître les preuves. Dès novembre 1943, les centres de mise à mort de
Treblinka, Sobibor et Belzec sont liquidés. En novembre 1944, Himmler donne l’ordre de détruire les fours crématoires
d’Auschwitz.
Des mémoires dissoutes : Devenu musée en 1947, Auschwitz est rapidement le symbole des atrocités commises sur
les populations civiles. La spécificité du génocide des Juifs et des Tsiganes n’est pas toujours perçue à la libération des
camps. La mémoire du génocide est relativement peu entendue. Il est alors intégré dans un cycle de violences faites
aux civils et de nombreux rescapés des camps de la mort ne veulent pas témoigner. C’est ce qu’Annette Wieviorka
appelle « Le grand silence ». Cependant, des voix s’élèvent dès l’immédiat après-guerre et des lieux de mémoires sont
créés. En avril 1948, un monument est inauguré à Varsovie pour commémorer le soulèvement du ghetto. En 1953, le
mémorial du martyr juifs inconnu est créé à Paris.
Israël et la mémoire de la Shoah : une partie de la population juive libérée des camps décide de migrer vers la Palestine
pour fuir les persécutions en Europe. En 1947, plus de 4000 rescapés s’entassent sur un navire baptisé l’Exodus qui
défie les autorités britanniques et débarquent en Palestine. La mémoire de la Shoah devient mémoire nationale
d’Israël. En 1953, est votée « la loi sur le souvenir des héros et des martyrs » qui prévoit la mise en place de l’institut
international pour la mémoire de la Shoah, le Yad Vashem. Il est chargé de collecter la documentation, les témoignages
de la Shoah et de rendre hommage aux Justes qui ont aidé les populations juives.
B. Le génocide juif devient central dans les mémoires de la guerre.
En Europe : A partir des années 70, la mémoire de la Shoah prend progressivement le pas sur celle des combattants
de la Seconde Guerre Mondiale. Le chancelier allemand de l’Ouest Willy Brandt met en place une politique de repentir.
En 1970, il s’agenouille devant le monument du ghetto de Varsovie. Partout en Europe et dans le monde, la Shoah
devient centrale dans les programmes scolaires. Dans les lieux de déportation et d’exécution, des plaques
commémoratives, des monuments et des mémoriaux fleurissent sous l’impulsion des associations de déportés et des
états. A l’occasion du 60 e anniversaire, de nombreux monuments sont inaugurés : le mémorial commémorant le
massacre des juifs sur le bord du Danube à Budapest et le 8 mai 2005, le mémorial aux juifs assassinés d’Europe est
inauguré à Berlin, accompagné d’un centre d’information et de ressources. Le lieu central de la commémoration reste
Auschwitz qui a accueilli en 2018 plus de 2 millions de visiteurs, avec parfois des attitudes totalement déplacées ce qui
pose la question d’un tourisme mémoriel de plus en plus déconnecté de la Shoah.
En France : En France, les enjeux mémoriels tournent autour de la responsabilité de l’État français dirigé par le
Maréchal Pétain dans la Shoah. Si l’historien Robert Paxton démontre dans les années 70 sans ambiguïté la
collaboration du régime pétainiste et sa participation à la déportation des Juifs français et étrangers, il faut attendre
le discours de Jacques Chirac de 1995 dans lequel il reconnaît la responsabilité de l’État français dans la déportation.
Ce discours, prononcé devant le monument du Vel d’Hiv, marque un tournant dans la politique mémorielle. En 2005,
un mémorial de la Shoah est inauguré à Paris, rappelant l’identité des 76 000 Juifs déportés de la France. L’autre grand
lieu mémoriel de la Shoah en France est la cité de la Muette à Drancy. Lieu de transit de près de 63 000 Juifs avant leur
déportation vers les camps de la mort, Drancy redevient un lieu de résidence. Sous l’impulsion d’associations de
déportés, un monument commémoratif est inauguré en 1976. En 1988, un wagon du souvenir est installé au cœur de
la cité. Classé monument protégé en 2001, un mémorial de la Shoah à Drancy est inauguré en 2012.
C. Porajmos, une mémoire oubliée ?
Le génocide des Tsiganes : Les Tsiganes furent l’un des groupes persécutés pour des raisons raciales par le régime
nazi et ses alliés dans toute l'Europe. Les Nazis considéraient les Tsiganes comme "racialement inférieurs". En France,
les populations tsiganes et roms sont internées dès la fin de l’année 1940, sous l’impulsion des troupes allemandes
dans la partie occupée. Dans la zone libre, le gouvernement de collaboration interne lui aussi les Tsiganes. Au total, ce
sont près de 27 camps qui ouvrent en France dans lesquels on estime qu’environ 30 000 Tsiganes ont été enfermés de
1940 à 1946, dans des conditions sanitaires et d’hygiène souvent déplorables. En Europe, le sort des Tsiganes
s’apparentait souvent à celui des Juifs. Au total, près de 250 000 Tsiganes meurent soit 34 % de la population tsigane
d’Europe. À l’Est de l’Europe, les Einsatzgruppen ont été chargé de leur élimination méthodique alors que dans le reste
du continent, ils étaient convoyés vers les centres de mise à mort. À Auschwitz Birkenau, des baraquements leur
étaient réservés.
Construire la mémoire du génocide tsigane la mémoire du génocide des Tsiganes a longtemps été rejetée au second
plan. Le premier lieu de mémoire des massacres de populations roms est inauguré en 1956 en Pologne à la mémoire
des victimes du massacre de Szczurowa. L’Allemagne ne reconnaît qu’en 1982 sa responsabilité dans le génocide des
Tsiganes. En 2012, un mémorial aux Sinti et aux Roms d’Europe assassinés est inauguré à Berlin. En France, sous
l’impulsion de l’historien Emmanuel Filhol, la mémoire de l’internement des Tsiganes ressurgit. Il publie en 2004 « La
mémoire et l’oubli, l’internement des Tsiganes, 1940-1946 » puis en 2009, « Les Tsiganes en France, un sort à part
1939-1946 ». Dans ses ouvrages, Emmanuel Filhol met en évidence l’enfer des camps d’internement. En 2016, François
Hollande a reconnu la responsabilité de la France dans l’internement des nomades et un monument commémoratif a
été dévoilé à Montreuil-Bellay sur le site qui accueillit le plus grand camp d’internement de Tsiganes en France durant
la Seconde Guerre mondiale.
II. Juger les criminels nazis après Nuremberg.
A. Une dénazification incomplète de l’Allemagne.
Dénazifier l’Allemagne : alors que les Alliés s’entendent pour organiser un tribunal jugeant les dignitaires nazis (Procès
de Nuremberg), l’autre question majeure est celle de la dénazification de la société allemande. Ce concept, né lors de
la Conférence de Postdam, décide d’extraire de la société allemande le nazisme. Dans les zones occupées par les Alliés,
des procès militaires sont organisés contre les criminels de guerre et les responsables des camps. Par un questionnaire,
les populations sont classées selon leur appartenance au nazisme. Les procès se multiplient mais avec la naissance de
la Guerre Froide, les enjeux changent. Il s’agit de donner des responsabilités croissantes aux populations allemandes,
qui prennent en charge la dénazification. En 1947, une loi amnistie les 300 000 nazis prisonniers des camps
d’internement. Seuls quelques milliers de personnes sont jugées et condamnées. Le chancelier Adenauer déclare en
1954 qu’il faut laisser le passé au passé et prononce une amnistie pour les peines légères.
Le « travail de mémoire » de l’Allemagne : Malgré tout, de nombreux procès émaillent la vie politique allemande et
rappelle les limites de la dénazification. En 1958, au procès d’Ulm, 10 membres des Einsatzgruppen sont condamnés.
La même année, le service central d’enquête sur les crimes nationaux-socialistes de Ludwigsburg est créé pour mener
des enquêtes contre les anciens nazis. De son côté, Simon Wiesenthal, rescapé des camps, fonde à Vienne un centre
de documentation chargé de traquer les criminels de guerre nazis en fuite.
B. La chasse aux nazis : de Eichmann à nos jours
Eichmann ou la libération de la parole : dirigeant nazi organisateur de la Solution Finale, caché en Argentine, Adolf
Eichmann est enlevé en 1960 par les services secrets israéliens. Jugé à Jérusalem, notamment pour crimes de guerre
et crimes contre l’humanité, il est condamné à mort. Son procès marque un tournant dans l’émergence de la mémoire
du génocide dans le monde car le procureur israélien transforme le procès en leçon d’histoire où se succèdent 111
témoins. Filmé, le procès a un retentissement mondial et est considéré comme le Nuremberg du peuple juif car il
donne la parole aux survivants de la Shoah. C’est à partir du procès Eichmann que la mémoire de la Shoah s’installe
définitivement dans l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale.
Le temps des procès mémoriels : Dans la continuité du procès Eichmann, de nombreux procès permettent de mettre
en lumière les mémoires de la Shoah et les paroles des déportés. En Allemagne, les procès de Francfort-sur-le Main,
qui se déroulent entre 1963 et 1965, jugent 22 anciens surveillants d’Auschwitz. Ce procès présente le fonctionnement
et l’embrigadement de la société allemande nazie. Le verdict relativement clément, suscite la polémique (6
condamnations à perpétuité, 3 acquittements). En France, une loi de 1964 rend imprescriptible les crimes contre
l’Humanité. Sous l’impulsion des époux Klarsfeld, qui traquent les anciens nazis et les criminels de guerre, la question
de la Shoah devient centrale dans les années 70. Klaus Barbie, arrêté en Bolivie grâce aux époux Klarsfeld, est jugé en
France pour les rafles de Juifs et notamment pour celles des enfants d’Izieu le 6 avril 1944. Le procès pour crimes
contre l’Humanité s’ouvre en 1987 et devient, comme le procès Eichmann, un moment de mémoire : face aux victimes
venues témoigner, Klaus Barbie reste muet. Il est condamné à la prison à vie. Il s’agit du premier procès filmé dans son
intégralité en France. En 1998, Maurice Papon, ancien préfet et ministre, est condamné pour complicité de crimes
contre l’Humanité. En 2021, le procès de Josef Shütz, âgé de 100 ans, ancien gardien du camp de Sachsenhausen et
caporal-chef de la Waffen-SS, accusé d'avoir contribué à la déportation vers les camps de la mort de 3 518 personnes,
souligne les difficultés de juger 70 ans après les faits.
III. Témoigner : le génocide dans la littérature et le cinéma
A. Écrire pour témoigner.
Les récits de victimes : De nombreux témoignages écrits, réalisés sous la forme de textes ou de dessins, furent
retrouvés dans les ruines des ghettos ou des camps de la mort. Ils sont aujourd’hui conservés dans les musées et les
mémoriaux comme Yad Vashem ou le Mémorial de la Shoah. Les premiers témoignages d’ampleur à être édités
connaissent des succès divers :
• Le Journal d’Anne Franck raconte la vie d’une jeune néerlandaise cachée à Amsterdam entre 1942 et 1944.
Seul rescapé des camps, le père d’Anne Franck fait publier son journal qui obtient un succès important. Il est
traduit dans plus de 70 langues et adapté au théâtre et au cinéma.
• Si c’est un homme de Primo Levi, qui est aujourd’hui un classique de la littérature de la Shoah, est édité en
1947 en Italie dans une petite maison d’édition. Seule la moitié des ouvrages sont vendus. Le témoignage de
Primo Levi ne sort de l’anonymat qu’à l’occasion de sa réédition en 1958. Il décrit les processus de
déshumanisation des camps de la mort et la difficulté de survivre et de faire le deuil de la Shoah.
• Elie Wiesel, philosophe et écrivain d’origine roumaine, publie en 1958 La Nuit dans lequel il raconte la
déportation de sa famille, sa séparation avec sa mère et sa sœur et les conditions de vie dans les camps.
Les fictions : Après la parole des déportés, la littérature publie celle de la deuxième génération incarnée par Art
Spiegelmann qui publie en 1980 le premier tome de Maus. Dans cette bande dessinée où les Nazis sont des chats, les
Polonais des cochons et les Juifs des souris, Art Spiegelmann, raconte les évènements vécus par son père Vladeck,
rescapé d’Auschwitz. Il aborde aussi la question de la transmission de la mémoire par son père. Art Spiegelmann
obtient le prix Pullitzer en 1992. Jonathan Littell, écrivain américain d’origine juive, témoigne à sa façon de la Shoah
qui a marqué son enfance, même si sa famille n’a pas été directement touchée. Dans son roman Les Bienveillantes
publié en 2006 Jonathan Littell prend le point de vue d’un officier SS pour raconter la Shoah par balle. Son roman
suscite une très forte polémique, accusant Littell de banaliser le mal et la violence. Il reçoit le Prix Goncourt et le prix
de l’Académie française.
B. La Shoah au cinéma.
Le temps des documentaires : Les premières images de la Shoah se font sous la forme de documentaires. Dès la
libération des camps, les premiers films sont tournés et projetés lors du procès de Nuremberg. Pour les réalisateurs,
l’image doit permettre de témoigner de l’horreur de la Shoah. De nombreux documentaires sont alors réalisés. En
France, sort en 1956 le court-métrage Nuit et Brouillard réalisé par Alain Resnais qui dénonce le système
concentrationnaire nazi. Cependant, Ce film n’aborde pas la spécificité du génocide juif et tsigane. Il ne parle pas non
plus des centres de mises à mort. Certaines images montrant des gendarmes français surveillant un camp sont
retouchées. A Hollywood, les premiers films abordent indirectement la question de la Shoah. En France, l’émission de
télévision phare Cinq colonnes à la Une consacre un dossier sur le Journal d’Anne Franck.
Holocaust, le tournant télévisuel : En 1977 est produite une série qui va bouleverser la vision de la Shoah. Holocaust
raconte en 4 épisodes diffusés en 1978 la vie d’une famille juive. La série connait un succès immédiat dans un contexte
mondial d’affirmation de la parole des déportés juifs. Holocaust devient alors la série la plus regardée et diffusée. En
France, le film Shoah de Claude Lanzmann fait sensation. Pendant près de dix heures, le réalisateur tourne sur les lieux
mêmes du génocide des témoignages de rescapés. Le premier grand succès hollywoodien est « la Liste de Schindler ».
Réalisé par Steven Spielberg, le film raconte comment Oskar Schindler, un industriel allemand a réussi à sauver 1200
juifs.
Comment représenter la Shoah ? La liste de Schindler suscite la polémique, montrant les difficultés à filmer la Shoah.
Après Steven Spielberg, d’autres réalisateurs tentent de représenter la Shoah par la fiction. En 1997, Roberto Benigni
réalise « La vie est belle » dans lequel il raconte l’histoire d’un librairie italien déporté avec son fils et sa femme. Il fait
alors croire à son fils est un jeu. Ce film suscite de nombreuses critiques mais son succès est immense. Dans Amen,
film réalisé en 2002 par Costa-Gavras dans lequel le silence de l’église catholique face à la Shoah est dénoncé, le
réalisateur choisit de montrer les trains vides pour illustrer les morts. Si aujourd’hui, la Shoah est souvent présente au
cinéma comme dans les séries TV, la question de la représentation du génocide pose question.
Conclusion :
Face aux génocides juif et tsigane, les questions mémorielles se sont progressivement construites autour des
témoignages des déportés, même si ceux-ci n’ont pas toujours été entendus. D’abord intégrée dans une logique de
violence générale faite aux civils, la spécificité des génocides est démontrée, notamment lors des grands procès
comme celui d’Adolf Eichmann qui secoue le monde en 1961. Face à la construction de ces mémoires, un vaste travail
de reconnaissance est mis en œuvre s’appuyant sur des témoignages, des procès mémoriels qui ont permis de donner
à la Shoah une place singulière, symbolisée par les nombreux lieux de mémoires. Le génocide des Tsiganes est lui
longtemps resté dans l’ombre. Mais aujourd’hui, grâce aux travaux d’historiens, aux associations de déportés, leur
mémoire est davantage entendue.