Le culte des reliques
Edina Bozoky
Maître de conférence en histoire médiévale à l’université de Poitiers Membre du Centre d’études
supérieures de civilisation médiévale de Poitiers
La vénération des restes corporels et matériels du Christ incarné, de la Vierge Marie et des saints
est une spécificité du christianisme. Attesté dès l'époque paléochrétienne, le culte des reliques
atteint son apogée au Moyen Âge, et malgré son rejet par le protestantisme, est resté bien vivant
jusqu'à nos jours.
Origines du culte
Les origines du culte sont complexes. D'abord, les chrétiens qui reprenaient la tradition israélite, et
à la différence des païens, évitaient l'incinération des morts, prenaient un soin particulier des
martyrs qui avaient sacrifié leur vie pour leur foi en imitant le Christ. Pour entretenir leur
souvenir, les chrétiens avaient coutume de se retrouver auprès de leurs tombes. Au milieu du IIe
siècle, la Lettre sur la passion de Polycarpe précise pour la première fois que la communauté
chrétienne a rassemblé les restes du corps brûlé de Polycarpe et les a placés dans un lieu digne où
pourraient se tenir des réunions célébrant l'anniversaire de son martyre. Lors de ces
rassemblements, les fidèles priaient mais organisaient aussi de véritables banquets funéraires,
survivance de la pratique païenne de l'offrande aux morts et anticipation du banquet céleste.
Progressivement, des rites spécifiquement chrétiens donnèrent un nouveau sens à ces pratiques et
l'on célébra dans ces tombes l'Eucharistie, en rappelant que le sacrifice du Christ avait été imité
par les martyrs.
Le culte des reliques est alors fondé sur le concept d'une force (virtus) que l'on imagine demeurée
vivante et active dans les restes corporels des saints. Cette virtus – celle par laquelle le Christ et
les apôtres avaient opéré des miracles – révèle aux hommes le pouvoir de Dieu. À partir du IVe
siècle, les Pères de l'Église évoquent les miracles qui se produisent sur les tombeaux des saints.
Bien que le phénomène ait été considéré comme incompréhensible à l'intelligence humaine, au
même titre que les grands mystères tels que ceux de la Trinité ou de l'Incarnation, on croit que
Dieu est la source ultime de ce pouvoir. Vers 396, Victrice, évêque de Rouen, écrit que « l'Esprit
divin anime les saints dans le ciel et leur corps sur la terre. Leur sang, même après le martyre,
demeure tout imprégné du don de la divinité » (De la louange des saints). Autour de 420, saint
Augustin hésite entre plusieurs interprétations pour expliquer le pouvoir miraculeux des reliques.
Il imagine que Dieu lui-même agit, qu'il opère à travers les esprits des martyrs comme s'ils
vivaient encore ici-bas de la vie corporelle ou qu'il intervient par l'intermédiaire les anges (La Cité
de Dieu, XXII, IX). Nous avons aussi la trace d'une croyance selon laquelle le corps, même mort,
conserve la marque ou l'empreinte de l'âme : ainsi le pouvoir miraculeux des restes des saints
proviendrait de la qualité exceptionnelle de l'âme qui les a imprégnés. Pour cette croyance, la foi
en l'incarnation du Sauveur et en la résurrection des corps après le Jugement dernier était
fondamentale. Cyrille de Jérusalem écrivit que « le Christ a opéré la résurrection [...] pour que l'on
croie que subsiste une force enfouie dans les corps saints » (Catechesis, XVIII, 16). De même,
c'est cette croyance qui permettait la sublimation du corps, misérable durant sa vie terrestre, mais
glorieux dans l'éternité.
Parmi les signes qui témoignaient de la force vivante résidant dans les restes des saints, l'un des
plus importants était l'état incorrompu des corps, accompagné parfois de certains phénomènes
attestant la continuité de la vie – la croissance des cheveux, de la barbe, des ongles, mais aussi le
sang frais qui s'écoule du corps. En 395, Paulin de Nole assiste à la découverte (ou « invention »)
du corps du martyr Nazaire dans un jardin de Milan : il voit le sang du saint aussi frais que s'il
avait été répandu le jour même ; sa tête est restée intacte et incorrompue, et la suavité de l'odeur
qui émane de son tombeau est supérieure à celle de n'importe quel parfum... Ces différents signes
connaîtront une postérité considérable dans la littérature hagiographique, et seront même évoqués
comme preuves pour affirmer la sainteté. Dans le même registre, la lumière surnaturelle qui
entoure les apparitions de Dieu, des anges et des saints, indique aussi la présence des reliques et
révèle la virtus divine qui les habite.
Enfin, on imagine que les âmes des saints se trouvent déjà au Ciel auprès de Dieu où elles peuvent
intercéder en faveur des vivants. Ce concept de la « communion des saints », qui atténue la
séparation entre les vivants et les morts, doit être aussi pris en compte pour la compréhension du
culte des reliques. Les endroits où celles-ci sont conservées constituent des lieux de médiation, des
lieux saints (loca sancta) reliant terre et ciel, corps et âme. Les fidèles s'y rendent pour implorer
les faveurs des saints, en pensant qu'ils peuvent y entrer en rapport direct avec eux. Ces lieux sont
d'abord les tombeaux des martyrs, bientôt surmontés d'édifices (martyria) pour abriter le culte. Ils
se trouvent en dehors des murs des cités, dans la zone cémétériale. Beaucoup de ces endroits se
transforment en sanctuaires de pèlerinage, nombreux dans la partie orientale de l'Empire romain,
où l'implantation du christianisme a été plus précoce et plus massive. On dépose ensuite des
fragments de reliques dans les églises édifiées à l'intérieur des villes. Dès le VIe siècle, le dépôt de
reliques dans les autels est fortement répandu, avant d'être généralisé au VIIIe siècle.
Catégories de reliques et sainteté
Parmi les reliques, celles du Christ sont les plus recherchées : tout ce qui peut demeurer de sa
réalité charnelle, son sang mais aussi ses vêtements, les linges qu'il a imprégnés de son empreinte
et surtout les instruments de sa Passion, parmi lesquels la Croix. C'est Hélène, mère de l'empereur
Constantin, qui l'a retrouvée à Jérusalem. Vénérée dans la Ville sainte, la Croix a été prise par les
Perses au début du VIIe siècle et ils l'ont emportée dans leur capitale. Après les avoir vaincus,
l'empereur Héraclius la récupère en 630 et la fait transporter à Constantinople. C'est de là que le
culte de la Croix se diffuse ensuite en Occident. Ses fragments, offerts aux Grands comme
cadeaux diplomatiques, distribués aux églises ou aux simples pèlerins, figurent parmi les reliques
les plus répandues. Selon la tradition relative aux clous de la Crucifixion, l'un aurait été
transformé en mors du cheval de Constantin et un autre inséré dans le diadème impérial. Un autre
récit rapporte que l'un des clous fut incorporé dans la Sainte Lance de l'Empire romain
germanique. Mais l'abbaye de Saint-Denis se vanta également d'en posséder un depuis l'époque de
Charles le Chauve. Quant à la lance qui avait transpercé le côté du Christ, Jérusalem puis
Constantinople (à partir de 644) prétendaient la posséder. Cependant, lors de la première croisade,
des visions miraculeuses permirent de la découvrir à Antioche (1098). D'après les récits des
chroniqueurs, cet événement donna un nouvel élan aux Croisés qui finirent par prendre Jérusalem,
réalisant ainsi leur objectif qui était la reconquête du Saint-Sépulcre, le tombeau du Christ,
principale relique du Seigneur, car témoin de sa résurrection. Le sang du Christ fut assimilé au
sacrement de l'Eucharistie depuis le début du christianisme, mais le culte du Précieux Sang prit
son essor assez tardivement. En Occident, à partir du IXe siècle, plusieurs villes prétendirent
posséder cette précieuse relique. Enfin, la couronne d'épines, conservée à Constantinople, mise en
gage à Venise, fut finalement rachetée par saint Louis avec d'autres reliques du Christ, et conféra
au royaume de France un prestige religieux sans équivalent. La Sainte-Chapelle, construite après
1240 pour abriter ces reliques, servit ainsi de modèle à toute une série de chapelles princières en
France et à l'étranger.
Certaines images dites « non faites de main d'homme » ont été aussi assimilées à des reliques. Il
s'agit des empreintes du visage ou du corps du Christ – dont les plus célèbres sont le mandylion
d'Édesse et la « Véronique », vera icona ou « vraie image » gardée à Saint-Pierre de Rome et
disparue lors du sac de Rome par les lansquenets en 1527 – ou encore des sculptures représentant
le Christ, achevées miraculeusement par des anges, comme plusieurs crucifix arrivés en Occident
par la mer, dont le Volto Santo de Lucques. Le célèbre suaire du Christ est mentionné en 1353
dans la collégiale de Lirey, d'où il fut transporté d'abord à Chambéry et, en 1578, à Turin où il est
toujours vénéré.
C'est Constantinople qui a rassemblé les reliques les plus importantes de la Vierge. Son vêtement
(maphorion) et sa ceinture servaient à la protection de la ville. Mais un grand nombre d'images
mariales jouaient le même rôle que les reliques, accomplissant des miracles fréquents dans divers
sanctuaires d'Orient et d'Occident. Un important pèlerinage s'est développé autour de la casa
(maison) de la Vierge, qui aurait été transportée par des anges de Nazareth jusqu'à Lorette en
Italie.
Quant aux saints, la vénération de leurs reliques est largement attestée depuis le IVe siècle, depuis
la Paix de l'Église qui rendit libre la pratique de la religion chrétienne. Parmi les cultes les plus
célèbres et les plus anciens figurent celui des apôtres Pierre et Paul sur leurs tombes à Rome, ou
d'Étienne le Protomartyr, dont le corps fut retrouvé à Jérusalem en 415. Plus tard, l'acquisition ou
la découverte de restes des apôtres entraînèrent le développement de centres de pèlerinage
(comme le sarcophage de saint Jacques le Majeur à Compostelle, arrivé de Jérusalem par la mer,
découvert entre 818 et 830) ou prêtèrent un statut exceptionnel à une ville (ce fut le cas de Venise
qui se procura les reliques de saint Marc l'Évangéliste à Alexandrie vers 829). Très tôt, dès le IVe
siècle, on commença aussi à vouer un culte aux saints non martyrs : aux ermites, qui s'étaient
d'abord établis dans les déserts d'Égypte, de Syrie, de Palestine, mais aussi aux évêques,
évangélisateurs et défenseurs des cités, qui devinrent souvent leurs saints patrons. De même,
beaucoup d'abbés et d'abbesses de monastères acquirent une réputation de sainteté et devinrent
l'objet d'un culte après leur mort, ainsi saint Colomban, saint Benoît ou sainte Radegonde.
Les laïcs furent élevés beaucoup plus rarement au rang de saints. Dans le haut Moyen Âge,
quelques rois martyrs furent vénérés comme saints, en particulier en Angleterre anglo-saxonne.
Oswald, roi chrétien de Northumbrie, perdit la vie dans une bataille contre le roi païen Penda en
642. Son frère et successeur, le roi Oswiu, ainsi que sa nièce, épouse du roi de Mercie,
recueillirent sa tête et son corps et les déposèrent réciproquement dans deux monastères
(Lindisfarne et Bardney). Edmond, roi d'East-Anglie, tué et décapité en 869/870 lors de l'invasion
danoise, devint également un saint dynastique particulièrement vénéré par les rois anglais. À une
phase ultérieure, l'Église admit parmi les saints quelques rois qui s'étaient distingués par leur règne
« juste » et par leurs bienfaits pour l'Église, tels Étienne de Hongrie (+ 1038), Édouard le
Confesseur (+ 1066), dernier roi anglo-saxon, ou l'empereur romain germanique Henri II (+
1024). Les reliques et le culte des saints rois servaient à renforcer l'identité nationale mais aussi le
prestige des dynasties régnantes. Les laïcs de simple condition accédèrent à la sainteté seulement à
partir du XIIe siècle, en particulier en Italie, où les communautés urbaines participèrent au
développement de cultes nouveaux et à l'édification des tombeaux et des monuments pour les
saints populaires.
Dès le début du culte des reliques, on pensait que non seulement les restes corporels des saints
s'étaient imprégnés de leur virtus, mais à leur contact, leurs vêtements, leurs objets et leurs tombes
devinrent aussi des reliques, et on leur attribua aussi, dès le IVe siècle, un pouvoir miraculeux.
Des morceaux de tissu ayant été au contact des tombeaux, des liquides qui s'en écoulaient (huiles
suintantes, eau), ou même la poussière d'un sarcophage ou la terre ramassée à sa proximité ont été
considérés comme détenteurs d'un pouvoir miraculeux.
Manifestations et fonctions du pouvoir des reliques
Selon les premiers témoignages au IVe siècle, les restes des corps saints manifestaient leur
présence en faisant fuir les démons du corps des possédés et des malades : on constatait des
guérisons miraculeuses sur leurs tombeaux. À l'intérieur et autour des sanctuaires, on organisa
l'accueil des pèlerins, qui y restaient souvent durant des mois voire des années en attente d'un
miracle. Pour l'obtenir, ou pour le remercier, les fidèles offraient au saint des cadeaux, appelés
ex-voto : c'étaient parfois des objets qui correspondaient par leur forme à la partie guérie du corps
(œil, jambe, tête), mais ils pouvaient être aussi des dons en nature (animaux, oiseaux), des objets
précieux, des terres, des privilèges accordés à l'établissement religieux.
Les reliques se virent attribuer bien d'autres fonctions bénéfiques pour la communauté. Certaines
devinrent gages de victoire sur l'ennemi, ou au contraire, protectrices des villes. Grégoire de Tours
raconte qu'en 542, lorsque les Francs assiégèrent la ville de Saragosse, ses habitants agitèrent la
tunique de saint Vincent sur les remparts, contraignant ainsi les attaquants à lever le siège. À
l'époque des invasions normandes, lors du siège de Paris de 885-886, les reliques de sainte
Geneviève et de saint Germain furent portées aux points vitaux de l'enceinte urbaine. Pour obtenir
la victoire, on emporta des reliques à la guerre : par exemple, Charlemagne fit emporter celles de
saint Denis lors de son expédition contre les Saxons. Les morceaux de la Croix, incorporées dans
des crucifix, furent considérés comme des gages de victoire : selon le rituel wisigothique, l'évêque
de Tolède remettait une croix reliquaire au roi avant son départ à la guerre, en lui donnant sa
bénédiction, afin que « le bois par lequel le Christ a vaincu les principautés et puissances [...] le
mène à la victoire militaire... ».
Beaucoup de miracles attribuent aux reliques une emprise sur la nature : la régulation du temps
météorologique, le renouveau de la vie, l'abondance des récoltes. La découverte d'un corps saint,
sa translation, ou la procession organisée avec des reliques provoquaient la pluie ; dans d'autres
cas, les inondations furent maîtrisées, comme par exemple lors de la translation des reliques de
saint Martial de Limoges à Angély (en Charente-Maritime) en 1016. Non seulement les reliques
étaient considérées comme pouvant arrêter les calamités, mais elles faisaient reverdir les arbres
desséchés, éclore les fleurs en automne ou en hiver, produire de riches moissons. La verdeur
inhabituelle de la végétation pouvait indiquer l'emplacement d'un corps saint : là où le roi martyr
Oswald avait été tué en 642, le sol était devenu plus verdoyant. Après l'arrêt des invasions
normandes, au retour des reliques de saint Martin en Touraine, malgré la saison hivernale, les
arbres se vêtirent de feuilles et de fleurs. Ou encore, dans le Ponthieu, quand Hugues Capet y
ramena les corps des saints Valéry et Riquier (981) : bien que les champs de blé aient été piétinés
par le passage de son armée, les moissons furent particulièrement abondantes sous l'effet des
reliques.
Les qualités surnaturelles attribuées aux reliques firent qu'elles furent utilisées par les pouvoirs
politiques, au temps où la monarchie présentait la dimension sacrée illustrée par les cérémonies de
Reims. On faisait ainsi prêter serment sur elles pour garantir les engagements ou respecter la paix
conclue, surtout durant la période allant du VIIIe au XIIIe siècle. Quand se développe au XIe
siècle le mouvement que l'on désigne sous le nom de « Paix de Dieu » on sort régulièrement les
reliques de leurs sanctuaires, pour enrichir d'une présence surnaturelle ces assemblées au cours
desquelles, sur l'initiative ecclésiastique ou princière, les seigneurs et leurs hommes d'armes
s'engagent à limiter les guerres privées et les calamités qu'elles engendrent.
Cérémonies autour des reliques
Les manipulations rituelles des reliques ont été en général soigneusement rapportées dans les
écrits de caractère hagiographique ou historique. Les premières grandes découvertes (ou «
inventions ») ont eu lieu au IVe siècle : celle du tombeau du Christ en 325 ou 326, celle de la
Croix entre 338 et 347 à Jérusalem. En Occident, en 386, l'évêque de Milan Ambroise retrouve les
corps des martyrs Gervais et Protais, et en Orient, on assiste partout à une « passion localisatrice »
des lieux saints et des reliques. Dès le milieu du même siècle, on organise les premières
translations des corps saints : on les extrait de leur tombe originelle pour les installer dans un
sanctuaire plus digne, ou tout simplement plus en sécurité, à la mesure de la vénération dont ils
doivent être l'objet. La dispersion des reliques est attestée à peu près à la même époque : c'est ainsi
que les fragments – parfois infimes – des corps ou d'autres restes matériels (vêtements, etc.) des
saints se trouvent répartis entre de très nombreuses églises. L'arrivée à leur nouvelle destination,
appelée en latin adventus (« avènement »), est en général célébrée en grande pompe, car elle
signifie l'intervention de nouvelles protections surnaturelles pour la communauté. On dépose
ensuite les reliques soit dans une crypte, soit dans un autel, soit encore dans un autre endroit de
l'église. Pour commémorer le jour anniversaire de la mort du saint, ou le jour de sa translation, on
inscrit la date dans le calendrier liturgique. Jusqu'au XIIe siècle, la reconnaissance de la sainteté
dépend de l'évêque diocésain, qui autorise et organise la translation des reliques et la célébration
publique d'un nouveau culte. À partir de la seconde moitié du XIIe et du début du XIIIe siècle en
Occident, la papauté contrôle directement l'apparition des nouveaux cultes et instaure des
procédures de canonisation et des enquêtes rigoureuses portant sur la vie et les miracles des
candidats à la sainteté. De nouveaux cultes de portée locale ou régionale sont cependant tolérés.
Pour écarter les calamités – épidémies, inondations, sécheresse, etc. – l'Église organise des
processions accompagnant les reliques, sorties pour la circonstance de leur sanctuaire. En
certaines occasions, on expose les précieux objets aux yeux des fidèles. Quand on retrouve en
1016 la tête de Jean-Baptiste à Angély, le duc d'Aquitaine Guillaume le Grand ordonne de
l'exposer dans le monastère. À la fin du Moyen Âge, les ostensions de reliques, sorties de leurs
reliquaires, deviennent périodiques dans certaines villes. Parmi les plus célèbres figurent celles
d'Aix-la-Chapelle, qui s'enorgueillit de posséder une collection de reliques exceptionnelles, dont la
tunique du Christ, la chemise de la Vierge, le perizonium du Christ, et le linge sur lequel la tête de
saint Jean-Baptiste avait été déposée. Selon la légende, c'est Charlemagne qui les aurait ramenées
de Constantinople. Comme Aix-la-Chapelle, ancienne capitale de l'empereur, est aussi le centre de
son propre culte après sa canonisation survenue en 1165, les ostensions y font affluer, à partir du
XIVe siècle, des foules considérables de pèlerins et de curieux, qui peuvent aussi aller voir et
vénérer les reliques montrées à Cologne, à Trèves, à Maastricht, à Tongres. Lors de ces
assemblées, ceux qui ne peuvent pas s'approcher des reliques utilisent des petits miroirs censés
capter le rayonnement de leur pouvoir miraculeux... En France, les ostensions des reliques des
saints limousins deviennent périodiques – tous les sept ans – à partir de 1518.
Les reliques des saints patrons des villes, fortement associées à l'identité collective des habitants,
sont utilisées dans le cadre de divers rituels urbains, tels que les entrées solennelles des rois, reines
et princes (XIVe-XVe siècles). On sort alors les reliques de leurs églises pour les présenter
pendant le parcours du royal visiteur, balisé de représentations et de décors allégoriques. De
même, lors des fêtes civiques en Italie, les reliques sont portées en procession.
Reliquaires et trésors de reliques
La possession du corps entier d'un saint ou d'une sainte était particulièrement recherchée. Bien
naturellement, on abrita le corps saint dans son tombeau, en général embelli de sculptures, ou
rehaussé de plaques de métal précieux. Pour faciliter l'accès des pèlerins, on aménageait les
sanctuaires, ce qui permettait aux fidèles de toucher le tombeau (directement, ou au moyen de
linges qu'on y descendait) ou de déambuler tout autour. Mais les reliques se trouvaient aussi
déposées dans les autels, ou dans des niches autour du chœur de l'église. D'une façon générale,
leur emplacement dans le sanctuaire déterminait la disposition des différents éléments constituant
l'édifice tels que chapelles ou cryptes.
Mais la plupart des reliques que l'on conservait dans les églises n'étaient que des parties ou
seulement des fragments de corps, ou encore des objets ayant appartenu aux saints, comme un
bâton pastoral, un vêtement, une chaussure, un calice, un anneau, etc. En dehors des fragments
utilisés pour les autels, on conservait ces reliques partielles dans des reliquaires, dont les formes
ont connu une très grande variété. La forme la plus classique et la plus répandue est la châsse :
coffret, cassette, boîte. Certaines d'elles étaient en métal pur, en os, en pierre, mais le plus souvent,
une châsse avait une « âme » en bois, que l'on recouvrait de métal précieux (or, argent) ou
semi-précieux (laiton), et décorait de pierres précieuses, de camées ou simplement de cabochons
en verre. En Occident, l'orfèvrerie héritée de l'époque des invasions investit l'art somptuaire et en
particulier les châsses dès le VIIe siècle. La forme la plus habituelle des châsses imitait la
structure d'une maison, d'une église ou d'une tombe. Les châsses monumentales apparurent au XIe
siècle, mais leur fabrication fut particulièrement importante aux XIIe et XIIIe siècles dans les
régions mosane et rhénane. À Aix-la-Chapelle, la châsse de Charlemagne (terminée en 1215) et
celle la Vierge Marie (terminée entre 1236-1238), ainsi qu'à Cologne la châsse des Rois Mages
(1180-1220), sont toujours conservées. En même temps, à partir du XIIe siècle, les petits
reliquaires en émail limousin et en laiton se répandirent largement.
Les reliques de petite taille pouvaient être portées dans des reliquaires en forme de bourse,
suspendus à une chaîne, et pour l'usage personnel, on enfermait des fragments de reliques dans des
petits médaillons que l'on appelle phylactères ou encolpia (sing. encolpion).
À partir du IXe siècle, de nouvelles formes « révolutionnaires » apparurent : les statues
reliquaires. Elles représentaient le saint ou la sainte dont elles contenaient aussi les reliques,
déposées dans une cavité située soit dans la tête, soit dans la poitrine ou dans le dos de la statue.
La « Majesté » de sainte Foy de Conques, abritant les reliques d'une martyre, le plus ancien
témoin conservé de cette nouveauté, et en grande partie exécutée au Xe-XIe siècle. La jeune fille
couronnée est assise sur un trône, dans une position hiératique, fixant d'un regard intense le
spectateur. Toute la statue est recouverte de plaques d'or, d'argent, de camées, de pierres
précieuses. Quant aux reliquaires de forme anatomique, ils suggèrent par leur apparence la nature
de la relique qu'ils contiennent : tête, bras, pied, doigt, etc. À l'époque gothique, bon nombre de
reliquaires monstrances dévoilaient leur contenu aussi par la transparence, une ouverture
permettant d'apercevoir les reliques nues : une épine de la couronne d'épines, le sang du Christ, un
fragment d'os. De plus en plus, on créait de véritables mises en scène pour présenter les reliques :
par exemple, des anges portant un reliquaire en cristal de saint Louis (vers 1300, Bologne, trésor
de l'église Saint-Dominique) ; ou encore, le reliquaire contenant les restes de saint Siméon et
entouré des figures de Siméon, tenant l'enfant Jésus et de Marie, qui tient les colombes apportées
pour la circoncision de son fils (XIVe siècle, trésor d'Aix-la-Chapelle).
Les reliques étaient aussi partie intégrante des retables. En Italie, on les plaçait dans des logettes
autour du panneau central ou dans le socle d'un retable peint. En Allemagne, les retables sculptés
peuvent comporter des compartiments à reliquaires intégrés dans une structure architectonique
(retable de l'abbaye cistercienne de Marienstadt, XIVe siècle). À la fin du Moyen Âge, apparurent
les arrangements dits « jardins de reliques », tableaux composés de fragments de reliques entourés
d'étoffes, de fleurs artificielles, de perles et de paillettes de couleurs brillantes et joyeuses. Ce
genre de composition deviendra particulièrement populaire à l'époque baroque.
Par tous ces moyens d'expression, l'art des reliquaires transcende et sublime la mort, manifestant
la croyance en la force miraculeuse qui anime les corps saints.
De nos jours, le culte des reliques est intimement lié à la religiosité populaire là où celle-ci est
solidement enracinée, il conserve toute sa valeur comme support de la foi en la communion des
saints. Même si il est difficile d'établir une « géographie » précise de ce culte. C'est ainsi que
l'Orient chrétien – incluant le monde slave – le pourtour méditerranéen et l'Amérique latine restent
très fidèles à cette dévotion. Il faut noter qu'en France, certaines régions réputées « moins
observantes » continuent à y être très attachées.
Edina Bozoky
Septembre 2005
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Bibliographie
Les reliques. Objets, cultes, symboles.
Edina Bozoky (dir.), A.M Helvétius (ed.)
In Actes du colloque international de l'Université du Littoral-Côté
d'Opale, 4-6 septembre 1997
Brepols, 1999
Des reliques et de leur bon usage
P. Broussel
Balland, Paris, 1971
Byzance et le culte des reliques
Sous la direction de J. Durand et B. Flusin
Centre de Recherche et de Civilisation de Byzance, Paris, 2004
Les routes de la foi. Reliques et reliquaires de Jérusalem à Compostelle
M.-M. Gauthier
Bibliothèque des art/Office du Livre, Paris/Fribourg, 1983
Le vol des reliques au Moyen Âge
P-J. Geary
Aubier, Paris
Les reliques des saints. Formation coutumière d'un droit
N. Hermann-Mascard
Klincksieck, Paris, 1975
Courte histoire des reliques
P. Lefeuvre
Les éditions Rieder, Paris, 1932