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Louis XIII, Tome II - Jean-Christian Petitfils

Le document décrit une succession contestée à Mantoue après la mort du duc en 1627, ce qui menace l'équilibre géopolitique en Italie du Nord entre la France et les Habsbourg d'Autriche et d'Espagne.

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Louis XIII, Tome II - Jean-Christian Petitfils

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Du même auteur

en poche

Louis XIV, Paris, Perrin, tempus no 8, 2002, rééd. 2008.


Le masque de fer : entre histoire et légende, Paris, Perrin, tempus no 62, 2004.
Fouquet, Paris, Perrin, tempus no 97, 2005.
Madame de Montespan, Paris, Perrin, tempus no 292, 2009.
Louis XVI, tome I, 1754-1786, Paris, Perrin, tempus no 357, 2010.
Louis XVI, tome II, 1786-1793, Paris, Perrin, tempus no 358, 2010.
Le véritable d’Artagnan, Paris, Tallandier, Texto, 2010.
Louise de La Vallière, Paris, Perrin, tempus no 400, 2011.
Les communautés utopistes au XIXe siècle, Paris, Hachette Livre, Pluriel, 2011.
L’assassinat d’Henri IV : Mystères d’un crime, Paris, Perrin, tempus no 441, 2012.
L’affaire des poisons : crimes et sorcellerie au temps du Roi-Soleil, Paris, Perrin, tempus no 492,
2013.
Jésus, Paris, Hachette Livre, Le Livre de poche no 32919, 2013.
Le Régent, Paris, Hachette Livre, Pluriel, 2013.
Le frémissement de la grâce : le roman du Grand Meaulnes, Paris, Hachette Livre, Le Livre de poche
no 33170, 2013.
Testaments et manifestes de Louis XVI, Sainte-Marguerite-sur-Mer, Éd. des Équateurs, Équateurs
poche, 2014.
Secrétaire générale de la collection :
Marguerite de Marcillac

© Perrin, 2008
et Perrin, un département d’Édi8, 2014
pour la présente édition revue

12, avenue d’Italie


75013 Paris
Tél. : 01 44 16 09 00
Fax : 01 44 16 09 01
www.editions-perrin.fr

Portrait en pied de Louis XIII en armure, peinture de l’école française du XVIIe siècle, détail.
Chambord, musée du château. © Deagostini/Leemage

EAN : 978-2-262-04970-6

« Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé
du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux,
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prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle.
L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété
intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. »

tempus est une collection des éditions Perrin.

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A Mathilde
Sommaire
Couverture

Titre

Du même auteur en poche

Copyright

Dédicace

XIII - La crise de Mantoue

Nouvelle succession à Mantoue


Le Conseil du 26 décembre 1628

L’Avis au roi ou le programme de Richelieu

Le roi s’en va-t-en guerre

La paix d’Alès

Le triomphe modeste du cardinal

Le premier orage

XIV - Entre guerre et diplomatie

Pignerol

Garder Pignerol ?
La deuxième campagne d’Italie

Louis XIII va-t-il mourir ?

L’internationalisation du conflit germanique

Le traité avorté de Ratisbonne


« Pace ! Pace ! »

XV - Le « grand orage de la Cour »

Une tragédie classique en trois actes

Acte un

Acte deux
Troisième et dernier acte

La disgrâce et l’exil de Michel de Marillac

L’arrestation du maréchal de Marillac

Marie fait de la résistance

À Compiègne

Monsieur à Nancy

Marie en exil
« La revanche de la Montagne Blanche »

Les projets de Marie et de Gaston

XVI - Le roi, la Cour et la société

Le roi

La Cour

La musique

Le nouveau Paris

Salons et tendances littéraires


Les arts : artitecture, décoration, ameublement

Les arts : la peinture et la sculpture


Les sciences

Les diables
XVII - Le cardinal et son maître
Portrait de Richelieu

La puissance et la gloire
Les collaborateurs

Un réseau hétérogène et tentaculaire


Le ministériat
Jalousie et méfiance
Le grand dessein

Les Grands et les résistances populaires


Richelieu, entre propagande et culture

Richelieu, l’économie et la mer


XVIII - Vers la guerre ouverte

Louis XIII et Charles IV

Henri II, duc de Montmorency


Le procès du maréchal de Marillac

Castelnaudary ou la fin de l’équipée


La mort du dernier paladin

De l’édit de Béziers à la reprise des intrigues

Gaston repart, la guerre se poursuit…

Nouvelles et vieilles intrigues


La ligue de Heilbronn
La mise au pas de la Lorraine

Wallenstein joue et perd

Nördlingen

Faut-il attaquer ?
Le système des protections

Monsieur rentre enfin


XIX - La grande épreuve

La guerre s’avance

La guerre, avec panache !


Les difficultés d’une campagne prématurée

La réorganisation des armées


La tragédie de Corbie

Branle-bas de combat !
La contre-offensive française

L’affaire d’Amiens
Sire, Corbie est repris !

Les finances en folie


Le temps des Croquants

Entre répression et mansuétude

Les opérations militaires


XX - Anne et le roi

Marie de Hautefort

Louise de La Fayette

Complot au Val-de-Grâce

« Il y a plus, Madame… »
La chute du père Caussin

L’enfant du miracle
L’enfant de l’orage

Le vœu de Louis XIII

L’origine du vœu de Louis XIII


L’attente

Louis Dieudonné
XXI - La guerre, toujours la guerre…

L’échec des tentatives de paix

La campagne de 1638
La campagne de 1639

Les derniers feux de la « créature »


Cinq-Mars

L’échec de Pygmalion

Les Nu-Pieds partent en guerre

Nouvelle poussée de l’absolutisme

XXII - Derniers complots


Les Français prennent le dessus

La sécession de la Catalogne et du Portugal

Le comte de Soissons

La dernière conspiration

Le traité avec l’Espagne


La route du Midi

Le siège de Perpignan

« Dieu assiste le roi par des découvertes merveilleuses »

Le procès

XXIII - Le cardinal est mort, le roi se meurt…


La fissure

La mort du cardinal

On garde le cap !…

Changement de style

Le roi malade
Louis prépare la régence

La bonne mort

Les derniers jours

La métamorphose de la reine

Les funérailles
Conclusion

Notes

Abréviations

Annexe

Sources

I – SOURCES MANUSCRITES
II – BIBLIOGRAPHIE

Généalogie

Cartes
XIII
La crise de Mantoue

Nouvelle succession à Mantoue


Le 26 décembre 1627, le duc de Mantoue, Vincent II, gravement
malade depuis plusieurs années, mourait à l’âge de trente-trois ans, sans
héritier direct. Ses possessions étaient, on l’a dit, composées de deux
territoires séparés, le duché de Mantoue, d’une part, situé au sud-est du
Milanais, avec la vieille et riche Mantoue pour capitale, et le marquisat de
Montferrat, d’autre part, à l’est du Piémont, avec pour capitale Casal, une
cité modeste de la haute vallée du Pô, mais dotée d’une citadelle d’une
importance stratégique exceptionnelle, à la croisée des routes des cols
alpins et de la voie reliant la Méditerranée aux Flandres. Ces deux fiefs
relevaient de la suzeraineté de l’empereur, à qui leur titulaire, le duc de
Mantoue, devait foi et hommage1. Qui allait recueillir l’héritage ?
Le centre névralgique de cette Europe, dominée par la rivalité séculaire
du roi de France et des Habsbourg, se trouvait dans cette région de l’Italie
septentrionale. La France, prise en tenaille par les deux branches espagnole
et autrichienne de la dynastie, surveillait de très près ce qu’il s’y passait.
Tout l’équilibre de la Chrétienté semblait s’y jouer. C’était, disait non sans
exagération Richelieu dans son Testament politique, comme le « cœur du
monde ». On l’a vu avec la crise de la Valteline. Or, cette fois, l’enjeu était
le même. Il s’agissait d’empêcher les communications entre les Etats des
deux branches de la maison d’Autriche. De son côté, la Savoie, qui
englobait les riches terres du Piémont, faisait figure de puissance régionale.
Son duc, Charles Emmanuel Ier dit le Grand, était un souverain ambitieux et
chimérique, rêvant d’étendre sa domination sur la plaine du Pô et lorgnant
sur la république de Gênes qui aurait élargi son accès à la Méditerranée. On
lui prête cette fameuse phrase : « L’Italie est un artichaut que la maison de
Savoie doit manger feuille à feuille. » Toujours prompt à voler au secours
du plus fort, ce vieux renard à collerette blanche pratiquait un cynique jeu
d’équilibre entre la France et l’Espagne, monnayant ses services aux deux
grands rivaux. Sa malice, sa duplicité, son irrésolution, sa constance dans
l’infidélité avaient fini par lasser. Il avait des liens de parenté avec les
grandes familles royales, descendant de François Ier par sa mère. Son
épouse, Catherine, était fille de Philippe II d’Espagne et d’Elisabeth de
France, elle-même fille d’Henri II et de Catherine de Médicis.
Deux ans avant sa mort, Vincent II avait désigné pour successeur son
cousin français, Charles de Gonzague, duc de Nevers, son plus proche
héritier mâle, spécialiste, avec le père Joseph, des croisades immobiles2. Le
17 janvier 1628, ce chevaleresque personnage vint prendre possession dans
la liesse populaire de la capitale de ses nouveaux Etats. Deux cents
gentilshommes l’accueillirent le soir avec des flambeaux de cire blanche. Il
était accompagné de quelques troupes à sa solde qui, faute de pouvoir
occuper toutes les places du duché de Mantoue et du marquisat de
Montferrat, se retranchèrent solidement dans Casal.
D’autres prétendants étaient sur les rangs, notamment le duc de Savoie
qui affirmait que le Montferrat, « fief féminin », à la différence du duché de
Mantoue, devait revenir à la nièce du défunt, Marie, qui se trouvait être sa
propre petite-fille. Pour couper court à cette revendication, Nevers, avec la
bénédiction de Vincent II sur son lit d’agonie, avait précipité le mariage de
Marie et de son fils de dix-neuf ans, Charles, duc de Rethélois3. Le pape
s’était empressé de donner la dispense de consanguinité ; la jeune fille avait
été tirée de son couvent ; l’union avait été célébrée dans la soirée de Noël
1627 et le mariage, incontinent consommé. Il était temps ! Quelques heures
plus tard, Vincent II exhalait son dernier souffle.
L’Espagne n’avait naturellement aucun intérêt à voir un client du roi de
France s’installer en Italie du Nord, mais elle avait signé avec Louis XIII un
traité d’alliance contre l’Angleterre, dont l’encre était à peine sèche. On ne
sait trop pour quelle raison le comte-duc d’Olivares, qui avait d’abord
reconnu la légitimité de Nevers sur l’héritage mantouan, décida
d’intervenir. Il est certain que le mariage à la va-vite du duc de Rethélois et
de la princesse Marie, sans l’accord de l’Empereur ni celui du duc de
Savoie, était un coup de force choquant. Le responsable, l’impudent
Nevers, méritait une belle mortification, comme la confiscation au moins
temporaire de ses Etats. Cette affaire était-elle pour autant si importante
qu’elle nécessitait, en pleine guerre européenne, cette remise en jeu radicale
des alliances ? Peut-être y avait-il des raisons intérieures à ce revirement ?
Le biographe d’Olivares, John H. Elliott, le pense. En butte à l’hostilité des
Grands, paralysé dans ses efforts de réforme, le Premier ministre espagnol
avait besoin de redorer son blason ; une victoire facile et spectaculaire à
Casal aurait eu cet effet4. Une commission de six théologiens ayant levé ses
derniers scrupules, il décida de rompre avec le roi de France et de s’allier
avec les « hérétiques », entendez les protestants du Languedoc.
Le 20 mars, l’Empereur refusa son investiture au nouveau duc de
Mantoue et prononça, à titre conservatoire, le séquestre de l’héritage de
Vincent II. Malgré les conseils de prudence de son entourage qui craignait
de le voir se détourner des affaires allemandes, Ferdinand II était très jaloux
de sa suzeraineté en Italie du Nord. Cependant, sous l’influence de sa
seconde épouse, Eléonore, sœur du défunt Vincent II, favorable aux
prétentions de sa nièce Marie, il désapprouva toute entreprise militaire
commune avec Philippe IV. Les deux branches des Habsbourg étaient donc
en désaccord.
Le 28 avril, le gouverneur espagnol du Milanais, Gonzalvo de Córdoba,
reçut de Madrid instruction de commencer le blocus de Casal, occupé par
4 000 Mantouans et quelques volontaires français, dont le casse-cou
Beuvron, l’ancien adversaire du duelliste Bouteville, qui faisait figure de
chef. Les troupes de Savoie, quant à elles, alliées des Espagnols, avaient
pris possession des autres places du Monferrat, Alba, Trino et Moncalvo.
Charles de Gonzague avait poussé les hauts cris et appelé à l’aide la France,
la république de Venise ainsi que le Saint-Siège, où son projet de Milice
chrétienne contre les Turcs avait bénéficié de toutes les faveurs.
La situation devenait fort préoccupante. La mainmise de l’Espagne sur
Casal allait lui donner une position inexpugnable en Italie du Nord. Comme
l’écrivait Richelieu, « il fallait craindre avec raison qu’après cette conquête
les Espagnols veuillent joindre l’Allemagne et l’Italie, se rendant maîtres,
sinon de toute la République helvétique, au moins des Grisons5 ». Or,
Louis XIII n’avait pas les moyens de mener la guerre sur deux fronts, à La
Rochelle et en Italie septentrionale, avec de surcroît une intervention
envisagée en Angleterre. Une tentative de ravitaillement de la place forte,
menée avec une petite armée de volontaires payée par Charles de Gonzague
et conduite par le marquis d’Huxelles, armée au demeurant fort mal
équipée, avait pitoyablement échoué6. Ces sinistres porte-rapières avaient
ravagé le Dauphiné et s’étaient dispersés comme une volée de moineaux à
l’approche des Alpes. Le seul espoir était que la garnison du duc de Nevers,
solidement retranchée derrière les murs de la puissante citadelle, pourvue de
plusieurs mois de vivres et de munitions, tînt plus longtemps que La
Rochelle, de façon, ensuite, à lui porter secours.
Richelieu, tout autant que Louis XIII, ne souhaitait en aucun cas
transformer cette confrontation franco-espagnole en territoire italien en un
choc frontal entre les Bourbons et les Habsbourg, mais le risque d’extension
du conflit n’était pas à négliger. Venise, menacée par les entreprises
impériales, suppliait la France d’intervenir. Bref, tous les éléments d’une
crise internationale étaient réunis. En juin, Richelieu répondait à
l’ambassadeur de la Sérénissime République que « dans deux ou trois
mois » le roi, son maître, espérait envoyer dans la région une armée de
20 000 fantassins et 4 000 cavaliers. Mais ce ne fut qu’à la fin d’octobre
que La Rochelle capitula.

Le Conseil du 26 décembre 1628


A ce moment-là, la situation se présentait différemment. La capitale du
Montferrat avait tenu bon. Les sept mille Espagnols qui l’assiégeaient
s’étaient révélés incapables de mener un assaut coordonné. Pourtant l’argent
venu de Madrid n’avait pas manqué, malgré le désastre de la baie de
Matanzas à Cuba, où le Hollandais Heyn avait audacieusement capturé les
galions au mouillage (8 septembre 1628). Gonzalvo de Córdoba était un
général de papier, lent et indécis, un matamore beau parleur. Il s’était
méthodiquement enlisé sous les remparts de Casal. Impossible de l’en
extraire ; autant, disait-on, « éperonner une tortue7 ! » Le temps seul jouait
en sa faveur : les réserves des vaillants assiégés s’épuisaient, et le duc de
Mantoue manquait d’hommes et d’argent8.
Le 26 décembre, trois jours après le retour du roi à Paris, le Conseil se
réunit. Autour du monarque prirent place la reine mère, Richelieu, le
cardinal de Bérulle, le garde des Sceaux Marillac, le maréchal de
Schomberg et les secrétaires d’Etat. Richelieu plaida pour une descente
rapide en Italie. La France ne pouvait laisser le duc de Nevers, né français
(bien que considéré à la Cour comme « prince étranger »), à ses seules
forces. Il y allait de son honneur. A défaut, elle perdrait non seulement son
prestige international, mais aussi le moyen de peser sur les affaires
d’Allemagne qui l’intéressaient au plus haut point. L’occasion était unique.
L’avenir se jouait là. Les Alpes et la plaine lombarde étaient les points
faibles de la politique espagnole. On devait empêcher Philippe IV de
s’installer à Casal et à Mantoue et détacher la Savoie de la coalition en lui
offrant, d’accord avec Nevers, une ou deux places du Montferrat. Cette
politique serait soutenue par le pape et Venise, qui à n’en pas douter
dépêcheraient dans la région quelques contingents militaires d’appoint.
Parallèlement, il convenait de s’entendre avec la Hollande et de se
réconcilier avec l’Angleterre… Le maréchal de Schomberg appuya ce plan
d’envergure.
C’est alors que se manifesta ouvertement l’opposition du cardinal de
Bérulle et du garde des Sceaux. Pierre de Bérulle, chef de file des dévots,
subordonnait la politique à la religion. Pour lui, seul le triomphe du
catholicisme importait. Son admiration révérencieuse pour les têtes
couronnées de la maison d’Autriche l’empêchait de voir, derrière leur
exaltation de la catholicité, leur rêve de puissance et de domination. Ce
mystique doux et humble, quoique entêté et pourvu d’une certaine dose de
machiavélisme, se croyait l’objet de révélations divines. Il était persuadé
que ses pensées étaient conformes à la volonté de Dieu. Ainsi avait-il
critiqué la construction de la digue de La Rochelle, prophétisant que la
place tomberait d’elle-même sous le coup d’une intervention providentielle.
Il en avait été assuré par ses voix. Par deux fois, Richelieu, fort sérieux,
s’était hasardé à lui demander quand précisément cet intéressant événement
se produirait. Bérulle lui en avait voulu de cette impertinence. C’était
pourtant ce même Richelieu qui, lorsqu’il était évêque de Luçon, l’avait
prié d’établir dans son évêché une maison de l’Oratoire, lui qui l’avait fait
nommer cardinal en 1627 et, en plein accord avec Marie de Médicis, l’avait
introduit au Conseil. A la vérité, les deux cardinaux, non seulement ne
partageaient pas les mêmes vues, mais avaient des tempéraments opposés.
L’un était mystique, l’autre politique.
Catholique zélé, ancien ligueur, Michel de Marillac était un homme
d’une probité avérée, d’une haute conscience morale et d’une piété sincère
quoique austère. Toute sa famille était engagée dans le combat de la Contre-
Réforme. Sa nièce, Louise, fut la fondatrice au côté de Monsieur Vincent
des Filles de la Charité. Longtemps, ce magistrat, maître des requêtes sous
Henri IV, avait figuré parmi la clientèle de Richelieu, qui le tenait pour un
homme de bien. En septembre 1624, après la disgrâce de La Vieuville, le
cardinal l’avait poussé à la surintendance des Finances, conjointement avec
Champigny. Moins de deux ans plus tard, en juin 1626, il lui avait fait
donner les sceaux à la place du chancelier d’Aligre et fait présider
l’assemblée des Notables. Autoritaire, têtu, lent, tatillon et scrupuleux,
jaloux de l’influence prépondérante de Richelieu, Marillac s’était peu à peu
éloigné de son patron et de sa ligne politique. Ce bon administrateur, fin
juriste, indiscutablement doué du sens de l’Etat, se chagrinait de voir
partout la noblesse bafouer l’autorité, les parlements refuser
l’enregistrement des édits et les peuples se soulever contre la pression
fiscale. Il pensait qu’il fallait tout faire pour éviter les conflits extérieurs et
conduire le royaume d’une main ferme, en l’occurrence la sienne.
Marillac et Bérulle partageaient des convictions religieuses et politiques
identiques, tirées des maximes de la Ligue. Ils se connaissaient depuis
longtemps. Ils s’étaient rencontrés chez la célèbre mystique Mme Acarie,
devenue en 1614 sœur Marie de l’Incarnation, dont le rayonnement spirituel
avait marqué le catholicisme français de la fin du règne d’Henri IV et de la
régence. Les deux alliés étaient d’accord pour dire que ce projet
d’expédition au-delà des monts, en plein hiver, était une dangereuse
aventure. Pour un incident infime et des territoires sans intérêt, on allait
s’enliser dans les plaines du Milanais espagnol, provoquer l’Europe
catholique, au risque de déclencher une guerre universelle en un temps où
les armées royales sortaient épuisées du siège de La Rochelle, où les
humbles criaient misère, où le trésor était vide, où les protestants du
Languedoc multipliaient les prises d’armes. La priorité était la paix de la
catholicité, l’union avec l’Espagne, championne de la Contre-Réforme,
l’extermination du parti huguenot et l’extirpation de l’hérésie protestante.
Ils rejoignaient en cela les vues d’Olivares.
Marillac et Bérulle reçurent l’appui attendu de la reine mère. Celle-ci
avait des raisons particulières, égoïstes, de s’opposer à la délivrance de
Casal : elle poursuivait de son impérissable rancune le duc de Nevers, son
ennemi en 1616-1617. Ce n’était pas à l’approche de la soixantaine qu’elle
allait s’abandonner au pardon des offenses ! Elle ne cachait pas son mépris
pour les Gonzague, des gens sortis du néant. Charles avait osé lui répliquer
que ses ancêtres étaient princes « avant que les Médicis fussent
gentilshommes9 » ! L’ennui était que son fils Gaston désirait convoler en
secondes et justes noces avec la fille du duc, Marie Louise de Gonzague,
accorte demoiselle de dix-huit ans, aux yeux de velours et au menton à
fossette, dont il s’était entiché après le décès de sa jeune épouse, la
princesse de Montpensier. La reine mère songeait plutôt à le marier à l’une
de ses nièces Médicis. D’autres parlaient d’une Allemande, fille de
l’Empereur. Mais Gaston ne voulait pas en démordre. Il aimait Marie
Louise et il l’épouserait ! Bref, la vindicative Marie de Médicis appuya
chaleureusement Bérulle et Marillac.
En quelques phrases, Richelieu balaya leurs arguments. Il répliqua qu’il
ne s’agissait nullement d’une guerre de conquête. L’armée du roi n’aurait
qu’une mission limitée : lever le siège de Casal. Ensuite, elle pourrait
achever la pacification du Languedoc, triomphant ainsi des ennemis de
l’intérieur après avoir donné une bonne leçon à ceux de l’extérieur.
Les opposants ne furent pas convaincus. Marie, qui avait marié,
rappelons-le, une de ses filles au roi d’Espagne et une autre à l’héritier de
Savoie, restait fidèle à sa politique d’entente avec les souverains
catholiques. Elle avait derrière elle le parti dévot. Le choix du Conseil du
26 décembre était donc décisif. S’y dessinaient de façon nette deux lignes
politiques opposées, ayant chacune leur logique et leur cohérence, comme
l’a bien montré Georges Pagès10. Fallait-il, à la suite des catholiques zélés,
pro-espagnols, donner la priorité aux affaires intérieures, réduire les
derniers foyers militaires du protestantisme, mais se contenter d’un rang
subalterne, ou au contraire, comme le préconisaient les dévots politiques
derrière Richelieu, privilégier une action d’éclat en Italie avant d’en finir
avec les huguenots ? La première option la plus raisonnable conduisait à la
médiocrité et à terme à l’inféodation à l’Espagne. La seconde, plus
audacieuse, relevait du pari. Le cardinal tablait sur une victoire éclair en
Italie à la fin de l’hiver, une campagne en Languedoc tambour battant, de
mai à juillet, et un retour triomphal à Paris en août.
Louis XIII, prié de trancher, n’hésita pas. Non, il ne se laisserait pas
humilier à Casal ! La fierté, l’orgueil monarchiques, le sens de l’honneur
parlaient. Il se sentait des devoirs vis-à-vis d’un prince français en
difficulté, dont les droits sur l’héritage mantouan étaient indiscutables. Du
reste, depuis les traités de Cambrai et de Vervins, le duché de Mantoue était
placé sous la protection de la France. C’était aussi une affaire de rang : la
France ne pouvait se retirer de la scène européenne et se contenter de
survivre, telle une petite nation à l’ombre des géants habsbourgeois. Il
porterait donc secours au duc de Nevers et, pour donner de l’éclat à sa
décision, annonça qu’il prendrait lui-même le commandement de l’armée,
assisté des maréchaux de Bassompierre et de Créqui. C’était faire pièce à
son frère qui avait d’abord été désigné pour diriger l’expédition et avait
reçu 50 000 écus pour ses équipages, moyennant sa renonciation au mariage
avec Marie Louise (preuve que Gaston n’avait pas l’étoffe d’un grand
amoureux et que sa passion exaltée pour la jeune fille était en partie feinte).
Le cardinal fut très mécontent. Souhaitant maintenir l’harmonie au sein
de la famille royale et associer Monsieur à l’affaire de Mantoue, il proposa
au souverain de réfléchir durant trois jours. Louis accepta, mais le troisième
jour, plus résolu que jamais, il confirma sa décision. Il ne tenait pas à voir
Gaston, ce jeune homme de vingt ans, aimable et trop aimé de sa mère, se
couvrir de lauriers à sa place dans les cols alpins ! Quelque temps
auparavant, un menu incident avait suffi à raviver sa jalousie : en forêt de
Saint-Germain, il avait failli un cerf alors que la meute de son frère en avait
pris un !

L’Avis au roi ou le programme de Richelieu


Sur le plan militaire, l’affaire ne traîna pas, d’autant que les nouvelles
de l’ambassadeur extraordinaire Bautru, expédié à Madrid, n’étaient pas
bonnes : le comte-duc d’Olivares entendait lier la négociation sur Casal à
l’abandon du soutien apporté par la France aux Hollandais. Il l’avait avoué
sans barguigner, il ne voulait pas que « le loup entrât dans la bergerie »
italienne11 ! Les préparatifs furent immédiatement commandés. On ne
lésina pas sur les moyens. Faire franchir les Alpes à une armée de 35 000
fantassins et 3 000 cavaliers exigeait une logistique considérable,
armement, munitions, vivres, argent. Richelieu l’avait emporté au Conseil,
mais la naissance de l’opposition dévote, soutenue par la reine mère, l’avait
perturbé. Le nombre de ses ennemis augmentait : Gaston lui en voulait –
injustement du reste – de l’avoir écarté de la direction de la campagne, et
les Grands n’avaient pas oublié l’affaire Chalais. Les rancœurs mijotaient.
Afin de consolider sa position, il sollicita du souverain un entretien
« pour le bien de ses affaires ». Le 13 janvier 1629, en présence de la reine
mère qu’il tenait à convaincre et de son confesseur, le père Suffren, le
cardinal lut et commenta un Avis au roi de plus de vingt pages, qui se
présentait comme un programme de gouvernement pour les mois à venir, où
ses grands principes politiques étaient exposés comme jamais.
Maintenant que La Rochelle était tombée et qu’une nouvelle étape du
règne s’ouvrait, il fallait, disait-il, si Sa Majesté voulait devenir le
monarque le plus glorieux et le plus puissant du monde, commencer par
ruiner la puissance protestante en prenant Castres, Nîmes, Montauban et les
autres places du Languedoc, du Rouergue et de Guyenne ; ensuite, raser les
châteaux forts importants, sauf ceux indispensables à la sécurité du
royaume, faire obéir les Grands, nommer de bons évêques, capables et bien
formés, racheter les portions du domaine royal aliénées aux engagistes,
abolir la paulette dans le délai d’un an, accroître les revenus de l’Etat…
Toutes ces propositions n’étaient pas pour déplaire à la reine et au parti
dévot, du moins à certains de ses éléments, tel Michel de Marillac,
favorable au renforcement de la centralisation monarchique.
Restait la politique étrangère qui se devait d’être vigoureuse. Pour
« arrêter le cours des progrès d’Espagne », il fallait acquérir des « portes »
permettant d’entrer aisément, en cas de nécessité, dans les Etats voisins. On
fortifierait donc Metz, possession française, dont la suzeraineté impériale
subsistait en théorie ; on entrerait dans Sedan ; on s’avancerait sans bruit
jusqu’à Strasbourg, afin de couper la route reliant la Franche-Comté aux
Pays-Bas espagnols ; Genève serait, d’une manière ou d’une autre, mise
« en état d’être un des dehors de la France », et l’on bâtirait une citadelle
non loin de là, à Versoy ; on achèterait la souveraineté de Neuchâtel au duc
de Longueville ; on récupérerait le marquisat de Saluces du duc de Savoie
et on songerait à s’emparer de la Navarre et de la Franche-Comté… Ce
n’était pas un plan conquête des « frontières naturelles » comme on l’a dit,
mais plutôt une volonté affirmée d’agrandir le royaume pour en faire un
sanctuaire inexpugnable. Dans cet ambitieux dessein, la marine n’était pas
oubliée. Le cardinal insistait sur l’impérieuse nécessité de posséder une
flotte de combat et d’entretenir au moins une trentaine de galères en
Méditerranée.
C’était une politique de grandeur, dont bien peu en France étaient
capables. On était loin de la simple affaire de Casal. Dans l’esprit du
ministre, la chute de La Rochelle signifiait pour la France le début de la
lutte contre la maison d’Autriche. La guerre ouverte avec l’Espagne et son
allié l’empereur romain, était sans doute inévitable, mais il fallait la retarder
le plus possible.
Rompant avec la prudence courtisane dont il avait fait preuve jusque-là,
le cardinal, toujours dans son mémoire-programme du 13 janvier, n’hésitait
pas à lancer des piques contre le caractère du roi, qui rendait difficile cette
grandeur recherchée : sa jalousie, « comme si le soleil pouvait être jaloux
des astres qui lui doivent la lumière », sa méfiance envers son frère et les
Grands, son souci excessif du détail, son manque de constance, ses
dérobades, sans oublier l’excès de sévérité dans lequel Louis se
complaisait : « Les rois doivent être sévères et exacts à faire punir ceux qui
troublent la police et violent les lois de leur royaume, mais ils ne doivent
pas y prendre plaisir. » On mesure à cette mercuriale l’amertume excédée
de Richelieu, lui d’habitude si réservé.
Marie de Médicis ne fut pas non plus épargnée : sous couvert
d’autocritique, le prélat égratignait durement son naturel ombrageux et
versatile, son goût de la médisance, sa susceptibilité exagérée pour des
peccadilles, son incapacité à placer l’intérêt de l’Etat au-dessus de ses
caprices… Au nom de l’efficacité gouvernementale, en prêtre, en
pédagogue, en sermonneur, il fustigeait son maître et sa maîtresse. Ensuite,
se sentant inamovible, il proposa de se retirer et de laisser la place à une
personne moins en butte aux critiques ou à l’envie des médiocres : un coup
d’audace insolent, car qui était-il lui-même, sinon une simple créature, petit
gentilhomme élevé à la pourpre, vite menacé du néant ! C’était sa manière à
lui, toujours tendu au suprême degré, de poser la question de confiance à la
veille de grands bouleversements.
Louis supporta de son mieux ces critiques et répondit, avec une maîtrise
de soi tout à son honneur, qu’il était résolu à en tirer profit, mais que le
cardinal ne devait point songer à la retraite. La rude franchise de son
ministre assortie de la glorieuse perspective d’une victoire en Italie, que
l’Eminence avait éclairée avec art, avait pour un temps fait taire son orgueil.
Louis admirait à ses dépens l’implacable lucidité de cet homme qui avait
voulu se prémunir contre ses faiblesses et ses emportements. Quant à la
superbe Marie, elle ravala sa rage derrière un sourire de commande. Cela
faisait des mois, surtout depuis la chute de La Rochelle, qu’elle sentait son
commensal lui échapper. Infatué de ses succès, il la négligeait, alors qu’il
lui devait tout ! Plus Richelieu aimait son fils, plus elle le haïssait. Ainsi, le
système de double fidélité, installé lors de l’entrée du cardinal au Conseil,
subissait-il sa première atteinte. Ce dernier, tiraillé entre les deux, prenait du
champ et, s’il restait évidemment serviteur du roi, il n’était plus celui de la
reine mère, décidée à entraver sa politique étrangère. Pour l’heure, il devait
dissimuler et lui renouveler son indéfectible affection.

Le roi s’en va-t-en guerre


Deux jours plus tard, le 15 janvier, Louis XIII tint un lit de justice au
cours duquel on enregistra trois décisions. La première concernait un
nouvel appel à l’amnistie pour les protestants désireux de faire leur
soumission : à la veille d’une campagne militaire, il convenait d’apaiser les
esprits. La seconde avait trait à la codification des ordonnances et arrêts du
Conseil. Cet important corpus de 461 articles, connu sous le nom de « Code
Michau » (du sobriquet dont on affublait le garde des Sceaux), touchait une
multitude de sujets, de la possibilité offerte à la noblesse de participer sans
déroger à des compagnies de commerce à l’encadrement du droit de
remontrance réservé aux cours souveraines (réduit de six à deux mois), en
passant par l’extension de la « directe universelle du roi », instaurant, contre
les maximes des pays de droit écrit, la suzeraineté du roi sur toutes les terres
sans titres. Religion, famille, moralité publique, police, justice, fiscalité,
droit civil, commerce, règlements militaires, tous ces domaines étaient visés
par les réformes. Même si celles-ci ne bouleversaient pas de fond en comble
les assises de la société, elles allaient dans le sens de la concentration de
l’autorité et l’abaissement des pouvoirs intermédiaires. Malheureusement,
ce travail législatif de grande ampleur, qui faisait suite aux états généraux et
aux deux assemblées des Notables de 1617 et 1626, se heurta à l’opposition
des autres parlements. Faute d’une volonté politique au sommet, il n’eut
finalement jamais force de loi. Il froissait trop de privilèges. En le faisant
enregistrer, peut-être le roi avait-il voulu donner satisfaction au garde des
Sceaux au moment où il s’apprêtait à pratiquer une politique étrangère
contraire à ses vœux ?
La troisième et dernière décision était de confier à la reine mère
l’intérim du gouvernement des provinces au nord de la Loire. Laisser seule
aux commandes l’intrigante Florentine, c’était prendre un risque certain,
mais pouvait-on faire autrement ? Il fallait en outre trouver un subtil
équilibre entre les forces rivales. Louis avait pris une décision énergique, à
laquelle il avait tenu à associer tous les membres du Conseil, opposants
compris.
Les jours précédents, penchés sur les cartes des Alpes et de l’Italie du
Nord, Richelieu et lui avaient arrêté d’un commun accord le plan de
ravitaillement de Casal. Tous deux se mettraient en marche avec 20 000
fantassins et 2 000 cavaliers, pendant que l’armée de La Rochelle, forte de
15 000 fantassins et d’un millier de cavaliers, passerait, sous le
commandement de Toiras, par l’Auvergne et le Lyonnais. Les troupes
effectueraient leur concentration à Chaumont (Chiamonte), à l’entrée de la
vallée de la Doire, au fond de laquelle se blottissait la petite ville de Suse.
Le jour même du lit de justice, le 15 janvier, Louis quitta Paris. Il lui fut
impossible de passer par Lyon, ravagée par la « peste » ; dans une folie
obsidionale, les habitants s’en prenaient aux protestants qu’ils accusaient
d’enduire les portes des maisons d’huile infectée et les massacraient
sauvagement. Les autorités étaient débordées12.
Le monarque traversa donc la Champagne et la Bourgogne, s’arrêta à
Troyes et à Dijon et retrouva le cardinal à Chalon-sur-Saône. Après une
étape à Grenoble le 14 février, il tint un premier conseil de guerre à Embrun
le 26 et arriva à Montgenèvre le 28. Partout, passant sous des arcs de
triomphe et des arbres « qui portaient la manne, l’agaric et la
térébenthine13 », on l’avait ovationné. Mais le brouillard, le froid, la neige
retardaient l’installation du camp. Hissés sur des traîneaux, les caissons
d’artillerie se frayaient péniblement un chemin à travers les branches des
sapins alourdies par leur fourrure neigeuse. Les hommes tiraient les canons
avec des cordes. Les mulets lourdement chargés avançaient d’un pas
hésitant. Les pentes étaient glissantes, les accidents fréquents. Hommes et
bêtes piétinaient dans les frimas, patinaient sur les sentiers verglacés. Le
ravitaillement manquait. Faisant office d’intendant d’armée, Richelieu prit
en main l’organisation, avec une maîtrise parfaite.
Restait à négocier le passage de la vallée de la Doire Ripaire avec le duc
de Savoie qui en était le maître. Tandis que Louis s’était installé dans la
grosse tour carrée d’Oulx, à deux lieues de la frontière, le cardinal était parti
en avant-garde au village de Chaumont. Victor Amédée, prince de Piémont,
fils de Charles Emmanuel et beau-frère de Louis XIII, s’efforçait de gagner
du temps, dans l’espoir d’apprendre la chute de Casal. Il cherchait à
arracher des avantages décisifs. Outre une coquette somme à titre
d’indemnité, les Savoisiens exigeaient de garder les places du Montferrat
déjà conquises. Des demandes extravagantes, notait Richelieu.
Le 4 mars, Son Eminence pressa une dernière fois le prince de Piémont
de conclure un accommodement, faute de quoi l’armée passerait en force.
Le prince agréa l’idée de ne garder qu’une place du Montferrat et promit de
revenir le lendemain avec la ratification de son père. Le lendemain soir, on
l’attendait encore lorsqu’on vit paraître un de ses émissaires qui réclamait
en supplément la remise à titre de gage d’une grande ville française. Cela
frisait l’impertinence ! « Oui, Orléans ou Poitiers ! » répliqua Richelieu
avec une ironie grinçante. Armand Jean informa Louis XIII de l’échec de la
dernière tentative de négociation, lui annonçant qu’en conséquence, dès le
lendemain, à la pointe du jour, les maréchaux de Créqui et de Bassompierre
forceraient le passage.
Le roi reçut cette lettre le 5, à 11 heures du soir. Il se leva, s’habilla,
revêtit sa cuirasse et partit à cheval pour Chaumont, malgré la nuit noire et
une neige épaisse qui ne cessait de tomber. Quelques fanaux tremblants
éclairaient sa marche. Il ne serait pas dit qu’il assisterait au combat en
spectateur ! A cause de l’abondance des précipitations, il dut faire une
grande partie du chemin à pied.
La Doire Ripaire était difficile d’accès, protégée par une gorge étroite et
sinueuse. S’appuyant sur des défenses rocheuses, trois retranchements hauts
de sept mètres, larges de quatre, agrémentés d’un fossé, avaient été
construits par les Savoisiens. Sur un escarpement se dressait le fort de
Jallon, sur un autre, celui plus important de Gélasse, tenu par une garnison
de 2 700 hommes et disposant de suffisamment de canons pour balayer la
vallée. Charles Emmanuel, réputé pour l’un des meilleurs généraux de son
temps, était prêt à défendre chèrement ce pas de Suse qui ouvrait
directement la route de sa capitale, Turin. Quelques détachements espagnols
étaient venus l’épauler. Qu’à cela ne tienne ! Louis était tout aussi
déterminé à vaincre. Jusqu’au dernier moment, on discuta de l’opportunité
de lancer l’assaut. La saison était rude. Les trois maréchaux présents,
Schomberg, Créqui et Bassompierre, les officiers généraux étaient d’avis de
le reporter au printemps. Le roi tint bon. C’était un spectacle étonnant que
ces officiers français, aux cuirasses étincelantes dans la neige, enveloppés
par l’haleine brumeuse des chevaux, entourant leur monarque, écharpe
blanche frangée d’or en bandoulière, qui piaffait d’impatience.
Fut-ce lui qui, dans la lumière froide du petit matin, découvrit et
explora, grâce aux indications d’un chevrier, le sentier de montagne
« extravagant » conduisant au fort de Gélasse, entre des rochers dentelés
aux silhouettes fantomatiques ? Saint-Simon le prétend dans ses Mémoires,
d’après le récit de son père Claude. Sans contester la vaillance du
souverain, ni Bassompierre ni Charles Bernard, l’historiographe du roi, ne
confirment le fait14. Toujours est-il que deux corps de pionniers, dont le
régiment dauphinois de Sault, devaient passer par ce chemin, afin de
surprendre les défenseurs du fort. En même temps, il était prévu que le gros
de l’armée, commandée par Louis XIII et les maréchaux, attaquerait de
front les barricades.
Enfin, le 6 mars, à 7 heures du matin, le brave Bassompierre dit au roi :
« L’assemblée est prête, les violons sont entrés, les masques sont à la porte.
Quand il vous plaira, Sire, nous danserons le ballet ! » Louis eut un moment
de désarroi : il venait d’apprendre que l’armée manquait de munitions. Mais
le maréchal balaya l’objection : « Faut-il donc renoncer à faire nos figures
parce qu’un artiste nous manque ? Laissez-nous aller. Tout ira bien15 ! » Le
monarque donna donc le signal de l’attaque. Comme une fourmilière en
mouvement, l’armée, bannières et étendards éployés, avança, au son des
trompettes, des ordres des bas-officiers, du cliquetis des armes et du
hennissement nerveux des montures caparaçonnées. Les mousquetaires du
roi et les « enfants perdus » marchaient en avant, suivis de plus de deux
cents gentilshommes volontaires commandés par le duc de Longueville.
C’était la fine fleur de la noblesse française : le comte de Soissons, le comte
de Moret, frère naturel du roi, le comte d’Harcourt, le duc de La Trémoille,
le marquis de La Valette, le marquis de Maillé-Brézé, beau-frère de
Richelieu, le marquis de La Meilleraye son cousin. Venaient ensuite les
gardes du roi et les vieux régiments.
L’assaut fut rapide et d’une extrême violence. En un instant les défenses
savoisiennes furent assaillies. Le roi, l’épée haute au poing, accompagné de
quelques grenadiers, chargea et se fit faire la courte échelle pour escalader
les rochers, les tonneaux et les palissades remparées16. La furia francese
balaya tout, semant l’épouvante parmi les défenseurs qui s’enfuirent sans
résister, y compris le duc de Savoie. M. de Tréville, cornette aux
mousquetaires, manqua de peu de le capturer et se rattrapa en faisant
prisonnier Serbelloni, capitaine général de l’artillerie espagnole17. En moins
de deux heures, les trois barricades furent emportées. Schomberg, qui avait
suivi le souverain, fut blessé d’une mousquetade ainsi que le commandeur
de Valançay.
Poursuivant son élan, l’armée arriva aux remparts de Suse, étageant,
autour de son église, ses toits ocre sur les derniers contreforts de la vallée.
D’ordre du roi, la place ne fut pas attaquée. Elle se rendit spontanément le
lendemain ainsi que le fort de Jallon et la citadelle de Santa-Maria juchée
sur un promontoire rocheux à l’extérieur18. Après cette éclatante victoire,
Louis XIII aurait pu aisément conquérir toute la Savoie. Mais il n’y songea
pas, car il y aurait eu déni de justice à s’emparer des Etats d’une dynastie
légitime, à laquelle sa sœur était unie.
Le 11 mars, le duc de Piémont, défilant devant l’armée victorieuse,
s’avança à la rencontre de son beau-frère. Au nom de son père, il acceptait
de lui laisser le libre passage à travers ses Etats, de lui donner en gage la
ville et la citadelle de Suse et de reconnaître Charles de Gonzague comme
duc de Mantoue. En contrepartie, Louis s’engageait à verser à Charles
Emmanuel une rente perpétuelle de 15 000 écus d’or et à lui remettre la
place de Trino en Montferrat. Le traité fut conclu le même jour. La route de
Casal était ouverte, et Louis XIII prêt à l’emprunter. Gonzalvo de Córdoba,
le bravache espagnol, en avait si bien conscience que, dans la nuit du 15 au
16 mars, il leva le siège. La capitale du Montferrat, à bout de forces, salua
avec enthousiasme l’arrivée si longtemps attendue des approvisionnements.
Il n’y eut que le nouveau duc de Mantoue pour trouver l’addition salée :
Trino était le grenier du Montferrat. Il fallut lui envoyer le père Joseph pour
lui expliquer que la levée du siège de Casal était déjà une belle victoire et
que les troupes françaises épuisées par La Rochelle se trouvaient en face
d’armées ennemies supérieures en nombre. Nevers se résigna. Il obtint, en
revanche, la soumission du marquis de Beuvron.
Enfin, le 5 avril, Charles Emmanuel, mince, élégant, raide, sourire de
composition aux lèvres, se présenta devant son vainqueur : le vieux
flagorneur de soixante-six ans ploya le genou devant le jeune roi de vingt-
huit ans, rayonnant et triomphant19. Quelle humiliation ! Louis eut la joie
d’embrasser sa sœur Chrestienne, princesse de Piémont, qu’il n’avait pas
vue depuis dix ans. Elle descendit de sa litière de velours cramoisi, vêtue à
la française, la chevelure toute bouclée, avec aux oreilles de grosses perles
en forme de poire. Il passa avec elle les troupes en revue et l’accompagna
jusqu’au château de Suse. Pour la jeune femme qui se sentait écrasée à la
cour de Turin, l’arrivée des Français était une délivrance. Elle joua les bons
offices, s’évertuant à arrondir les angles entre son frère, son mari et son
beau-père. Mais Richelieu, sec et direct, eut quelque mal à s’entendre avec
Charles Emmanuel, hâbleur et prince de la malice, méprisable « singe des
grands rois20 », comme il l’écrira. Glaciale fut leur première rencontre, à
peine plus cordiales les suivantes. « Dès que le cardinal parle, disait le
Savoyard, il est difficile de le contredire. » L’esprit toujours tourbillonnant
d’impossibles combinazioni, il eût aimé entraîner les Français dans une
guerre contre Gênes et Genève, pour son plus grand profit. Louis XIII
demeura six semaines à Suse, recevant les ambassadeurs de Venise, de
Florence et des principaux Etats italiens.
Le 19 avril, une ligue défensive, constituée de la France, du Saint-
Siège, de la Savoie et de la Sérénissime République, reconnut Nevers
comme nouveau duc de Mantoue. Cinq jours plus tard, la France et
l’Angleterre renouvelèrent leur alliance, au détriment des huguenots
français, abandonnés à leur sort – depuis la mort de Buckingham, le
souverain britannique s’était rapproché de son épouse catholique. A
Madrid, Philippe IV en eut un accès de fièvre et le comte-duc d’Olivares,
affolé et démoralisé au point de songer à abandonner son poste et à se faire
moine, déclara : « J’ai complètement perdu mes instruments de navigation,
mon sextant et mon compas ! »
L’action d’éclat de Louis XIII, magnifiée en gloire immarcescible par la
propagande, avait changé la donne en Italie septentrionale. En une
campagne éclair, au prix de peu de pertes (une quarantaine de morts), les
Français avaient vaincu la Savoie et l’Espagne, rendant vaines les craintes
de Bérulle et de Marillac. Mais ils s’étaient mis dans un dangereux
engrenage. En janvier, Olivares avait prédit que si l’armée française
franchissait les Alpes, la guerre durerait trente ans. Il ne croyait pas si bien
dire : le conflit franco-espagnol ne s’achèvera qu’en 1659, au traité des
Pyrénées !

Louis revint en France avec Schomberg, sa maison militaire et le gros


de la troupe, laissant à Richelieu, pourvu d’une commission de
commandant en chef – c’était la première fois, si l’on en croit Ménage, que
l’on utilisa le mot de généralissime –, le soin de négocier les questions
pendantes avec Mantoue, la Savoie, l’Espagne et l’empire. La citadelle de
Santa-Maria fut occupée par Créqui et 6 700 hommes bien équipés. De son
côté, Toiras, nommé gouverneur, s’installa à Casal avec 3 000 hommes et
400 chevaux. Le 11 mai, enfin, le cardinal partit rejoindre le roi qui avait
commencé sa campagne contre les rebelles huguenots, sans illusion sur les
accords qu’il avait pu ficeler avec l’artificieux duc de Savoie.

La paix d’Alès
Dans le sud de la France, les protestants n’avaient pas désarmé. Des
milliers de huguenots, montagnards cévenols, paysans provençaux ou
citadins languedociens, attaquaient toujours de la même manière, à
l’improviste, avec de petits détachements qui se perdaient aussitôt dans la
nature. Moins mobiles, les troupes royales répliquaient par des pendaisons,
des condamnations aux galères, des incendies de maisons et des
destructions de récoltes. L’énergique Rohan, général des Eglises
protestantes, avait organisé la résistance et, sans se laisser abattre, était entré
en contact avec les Anglais. C’était encore le temps où les deux pays se
combattaient.
Par une déclaration du 14 octobre 1627, Louis XIII avait déchu le chef
calviniste de ses qualités de duc et pair et commandé au parlement de
Toulouse d’entreprendre son procès criminel. La chute de La Rochelle
n’avait pas entamé la détermination de Rohan. Outre une aide anglaise, il
sollicita bientôt du Roi Catholique des secours en argent et en troupes,
dépêchant vers Olivares un de ses gentilshommes, Michel de Clausel. En
échange, il était prêt à « favoriser tous les desseins d’Espagne », y compris
à fonder un Etat protestant. C’était en pleine crise de Mantoue. Les
Espagnols n’avaient plus à ménager le roi. Le 3 mai 1629, jetant le masque,
ces vertueux champions de la catholicité signèrent un traité d’assistance aux
hérétiques et accordèrent une pension de 40 000 ducats d’or à Rohan. A son
retour, Clausel perdit ses papiers, qui ne tardèrent pas à se retrouver entre
les mains des agents du cardinal. Louis XIII fut courroucé par cette
trahison. Richelieu y vit un excellent argument pour faire apparaître cette
rébellion pour ce qu’elle était, une entreprise contre la France. Le crime de
Clausel n’était pas pardonnable. Il ne le fut pas. Six ans plus tard, cet
homme sera retrouvé et pendu haut et court.
Le plan de campagne visait à attaquer les citadelles calvinistes les unes
après les autres, en commençant par les plus fragiles, de façon à isoler les
gros bastions de la révolte, Nîmes, Montauban et Castres. Le 14 mai 1629,
Louis XIII, après avoir quitté Valence, mit le siège devant Privas, avec
10 000 fantassins et 600 cavaliers. Les opérations traînèrent en longueur.
On se perdait en vétilles. Parce que les ordres étaient exécutés avec
mollesse, le roi avait le sentiment de ne pas être obéi. Bassompierre,
Schomberg et Montmorency, qui dirigeaient chacun un quartier du camp, ne
s’entendaient pas, et les bombes huguenotes tombaient dans les tranchées.
Richelieu lui manquait. « Je vous attends avec grande impatience, lui
écrivait-il, et il me semble qu’il y a plus de six mois que je ne vous ai vu ! »
Enfin, son cher prélat botté arriva d’Italie, avec son ample cape rouge et ses
airs de grandeur, accompagné de neuf mille hommes.
Cette fois, Privas, démoralisé, ne tenta pas l’impossible. La ville ouvrit
ses portes le 28 mai, deux jours après l’arrivée du cardinal. Celui-ci,
semble-t-il, conseilla la clémence, comme pour les Rochelais. Mais Louis
voulait un « juste châtiment » et un exemple : une ville ne se révolte pas
impunément en présence de son roi ! Une bonne partie des fuyards furent
pendus, tout comme ceux qui s’étaient réfugiés dans le fort de Toulon, au
nord-ouest de la cité. Les survivants n’échappèrent pas aux galères. Le jour
même de la reddition, faisant à la reine mère un compte rendu du siège, il
ajoutait en post-scriptum : « J’oubliais à vous dire que j’ai donné le pillage
de la ville aux soldats21. » Tous les biens des habitants furent confisqués.
Défense était faite de rebâtir la cité (mesure levée deux ans plus tard). Louis
n’avait pourtant pas l’âme sanguinaire. Le 31, reprenant la plume, il écrivait
à Marie de Médicis : « Je veux espérer que la suite de mon voyage sera plus
doux et que l’obéissance volontaire plutôt que l’exemple me conviera à user
d’autant de clémence et de bonté envers ceux qui s’y portent d’eux-mêmes
que la rébellion et opiniâtreté de ceux-ci m’a contraint, à mon grand regret,
d’user de sévérité et de rigueur contre eux22. »
Il avait vu juste. Le carnage de Privas amena La Gorce, Vallon, Barjac,
Saint-Ambroix, Alès et Anduze à composer sans tarder. Au maréchal
d’Estrées échut la mission de réduire Nîmes, au prince de Condé celle de
s’emparer de Montauban et à M. de Ventadour celle de prendre Castres.
Sous l’influence de Richelieu, le roi s’était radouci : la liberté de conscience
et de culte était accordée aux habitants des villes conquises, de même que le
pardon des excès commis. Les fortifications seraient toutefois rasées.
Rohan qui, avec le revirement de la politique anglaise et les lenteurs
espagnoles, avait perdu tout espoir de secours extérieur, fut contraint de
négocier, ne fût-ce que pour empêcher les cités de conclure des paix
séparées. L’armée évangélique n’avait pas les moyens de poursuivre la
lutte. Son émissaire, M. de Candiac, proposa au roi la paix, avec la
destruction de toutes les murailles huguenotes du royaume aux frais des
religionnaires. Louis, intéressé, y ajouta la restitution des églises aux
catholiques, ce qui fut plus dur à admettre.
Finalement, l’assemblée des communautés protestantes, réunies à
Anduze, accepta. Le 27 juin 1629, le roi leur accorda l’édit de grâce d’Alès
(Alais). C’était un acte unilatéral, octroyé par sa seule bonté et non un traité
négocié avec des sujets rebelles. Henri de Rohan était amnistié mais banni
du royaume. Il recevait 100 000 livres à titre d’indemnité pour ses
propriétés dévastées et ses châteaux rasés. Il trouva refuge à Venise, où,
malgré sa religion, il devint général des armées de la Sérénissime. Richelieu
utilisera un peu plus tard ses services auprès des Cantons suisses pour
défendre la politique française en Valteline.
On ne mesure pas toujours l’importance de cet édit de grâce d’Alès, qui
marque vraiment la fin des guerres de Religion, plus que l’édit de Nantes,
trêve de circonstance, exagérément magnifiée par l’historiographie
française. La décision royale confirmait toutes les dispositions purement
confessionnelles de l’édit d’Henri IV, la liberté de culte là où elle était
traditionnellement autorisée, les assemblées consistoriales, les privilèges
judiciaires, en particulier les Chambres de l’édit mi-parties, destinées à
juger équitablement les procès des huguenots, mais interdisait les
assemblées politiques et supprimait les places de sûreté. Les murailles des
villes protestantes devaient être rasées à leurs frais. L’édit amnistiait les
faits passés et apportait la sécurité aux religionnaires, à qui étaient restitués
cimetières et temples. En revanche, ceux-ci, contrairement aux catholiques,
ne formaient pas un ordre séparé, avec droits et privilèges. Autre
restriction : ils ne pouvaient sans autorisation s’établir dans certaines villes
ou zones, comme La Rochelle, Privas, les îles de Ré et d’Oléron, où seules
les communautés existantes étaient tolérées. Bref, pour la première fois
depuis des décennies, le pays était pacifié et unifié. C’était la fin du parti
protestant. Privée des clauses politico-militaires de l’édit de Nantes, la
« huguenoterie » subsistait. Richelieu n’en doutait pas, elle allait bientôt
rentrer dans le giron de l’Eglise, sans violence ni pression sur les
consciences, grâce aux missions de prédicateurs zélés qui sauraient
convertir les cœurs. Il se trompait…
Parti d’Alès le 27 juin, le roi passa le pont du Gard, arriva à Beaucaire
le 7 juillet, assista à des fêtes et réjouissances populaires à Tarascon,
notamment à la fameuse Tarasque sur le Rhône, contant l’histoire de ce
monstre amphibie que sainte Marthe, selon la Légende dorée, aurait vaincu
en lui jetant de l’eau bénite : amusante procession qui lui arracha un sourire.
Puis il fit son entrée à Uzès le 11 et prit la direction de Nîmes. Dans le
cliquetis des armures et le hennissement des chevaux, l’armée marchait de
nuit tant il faisait chaud.

Le triomphe modeste du cardinal


Pour la politique de Richelieu, c’était un triomphe. Louis XIII en était
conscient, mais c’était au moment précis où son estime grandissait envers
ce loyal serviteur qu’il éprouvait le besoin de faire sentir son autorité. En
mai était mort le secrétaire d’Etat Raymond Phélypeaux, seigneur de La
Vrillière et d’Herbault. Son Eminence demanda le privilège de nommer son
successeur parmi sa clientèle. Refus sec. Devant Nîmes, le 14 juillet, le
souverain souffrant, accablé par les fortes chaleurs, annonça qu’il rentrait à
Paris sans tarder. Le cardinal, qui avait prévu un grand apparat après la
conquête de la ville, avec défilé de gardes françaises et suisses, s’inclina,
« pourvu, ajouta-t-il, qu’il plaise à Votre Majesté auparavant entrer dans
Nîmes ». Louis ne répondit pas. Une fois son interlocuteur parti, il explosa
de colère : « Pourvu que… » ! Il osait lui poser des conditions ! Il n’avait
aucun souci de sa santé ! Richelieu, mis au courant de cette sortie, courbant
l’échine, se précipita et lui proposa un moyen de s’esquiver sans froisser la
municipalité : on annoncerait son entrée solennelle dans la ville, on
commanderait le défilé des troupes, puis au dernier moment on ferait savoir
qu’il avait dû partir pour Tarascon afin de présider les états. On s’excuserait
de ce fâcheux contretemps, et un maréchal le représenterait. Louis
acquiesça. Pourtant, le lendemain, comme le cardinal souffrant était resté au
lit, il entra dans sa chambre et lui dit qu’il avait finalement décidé de faire
son entrée dans sa bonne ville de Nîmes, afin de se montrer à ses peuples.
Et qu’on ne cherche surtout pas à l’en dissuader, « on lui ferait aussi grand
déplaisir comme on faisait auparavant de le lui persuader » ! Brusqueries,
sautes d’humeur, caprices d’un maître inconstant à l’âme ombrageuse et
soupçonneuse à l’excès ? Pas vraiment. En lui tenant la bride haute, le roi
montrait qu’il restait le maître en toutes circonstances et que le glorieux
cardinal, tout prince de l’Eglise qu’il était, restait à ses ordres, que sa faveur
reposait uniquement sur sa confiance. Ce monarque nerveux, fiévreux,
valétudinaire, était lui aussi un fin politique, affirmant ses prérogatives à sa
manière, délimitant son champ d’action et celui de son principal
collaborateur. Il ne lui déplaisait pas de faire sentir sa puissance et, comme
d’habitude, de semer autour de lui mystère, doute et inquiétude.
Richelieu, grand anxieux à la sensibilité à fleur de peau, sujet à des
dépressions, en fut bouleversé. Au moment où il touchait à la gloire, le sol
semblait se dérober. Ses sincères remontrances du 13 janvier n’avaient
produit aucun effet. Cette sourde tension entre lui et l’indéchiffrable
souverain persistait. Il sentait peser le joug royal. Qu’il était dur de servir un
homme si ingrat, si mortifiant, qui tantôt manifestait envers lui « d’extrêmes
satisfactions », tantôt « quelque dégoût » dont il ne parvenait à le guérir !
Tout était possible avec lui, y compris la disgrâce foudroyante. Le spectre
de Concini, tiré sur le Pont-Neuf par des crocs de boucher, hantait encore
ses nuits. Et s’il n’y avait que les sautes d’humeur du roi ! Mais il savait
maintenant que la reine mère le reniait, que Gaston le haïssait, que les
cabales entrecroisées « des Grands, des femmes, des étrangers » œuvraient
à sa perte, profitant de son absence de Paris pour se renforcer. Plus il
réussissait, plus les médiocres et les envieux le jalousaient et préparaient sa
chute.
Le roi était parti pour Paris dès le 15 juillet. Comme convenu, le
cardinal assista au démantèlement des murailles d’une vingtaine de villes
(sur trente-huit), tout en poursuivant sa marche vers la fière Montauban, où
s’étaient enfermés quelques irréductibles acharnés à conserver leurs
fortifications. Ce fut une marche triomphale, comme il n’en avait jamais
connu, à travers les flancs vermeils des coteaux, les plantations d’oliviers et
de raisins chasselas. Les populations des villages et des bourgs lui faisaient
cortège ; la noblesse à cheval entourait sa litière ; les édiles municipaux
multipliaient harangues et louanges ; les magistrats du parlement de
Toulouse et des autres compagnies judiciaires, les évêques, le clergé
s’avançaient en procession, de même que les membres des universités et
des académies. Armand Jean goûtait avec une secrète ivresse l’encens des
flatteries.
Dans la structure socio-politique de l’Ancien Régime, cette allégeance
n’était pas sans signification : toutes ces personnes s’offraient à lui,
sollicitaient d’entrer dans sa clientèle, afin de lui rendre service et de
bénéficier de ses largesses. On avait compris qu’il était le premier serviteur
du souverain, l’homme fort du royaume. Lui seul en doutait ! Aux
flagorneurs il expliquait qu’il n’avait fait que suivre les ordres, que c’était
au roi que l’on devait ces chapelets de victoires, aussi bien dans les Alpes
qu’en Languedoc…
Emprisonnée derrière ses murailles ocre, Montauban, au confluent du
Tarn et du Tescou, restait la seule ville à refuser d’adhérer à la paix d’Alès.
Cela faisait huit ans que Luynes avait échoué devant elle. Bassompierre
était parti avec un solide corps de troupes afin de l’investir. Quand les
Montalbanais apprirent que le cardinal en personne se dirigeait vers leur
cité, ils dépêchèrent une députation pour lui signifier leur soumission. Un
tableau du musée de Versailles le représente monté sur un splendide cheval
blanc à longue crinière, précédé de sa compagnie de gardes à casaque rouge
ornée d’une croix blanche. Botté, élégamment vêtu d’une soubreveste grise
passementée d’incarnat, coiffé d’un feutre noir, il désigne d’un geste
impérieux, en chef de guerre, les édiles en costume noir et rabat ou fraise de
batiste blanche, qui s’avancent humblement.
Le 20 août, il arriva en vue de Montauban, accompagné des
archevêques de Toulouse et de Bordeaux, de sept évêques, de soixante
chanoines, suivis d’une escorte militaire et d’un millier de gentilshommes
de la région. Les consuls en robe rouge l’attendaient aux portes afin de lui
offrir les clés sur des coussins de velours frangés d’or. Pour montrer leur
soumission, ils avaient prévu de l’escorter tête nue en tenant un dais
d’honneur, comme pour un gouverneur. Le dais, symbole du Ciel sur la
terre, donc de la puissance royale, infinie et sacrée, pouvait sans doute être
offert à un gouverneur, représentant le souverain, mais pas à un de ses
ministres. L’Eminence, effrayée de la réaction possible du roi, refusa. Ces
honneurs n’étaient réservés qu’à Sa Majesté ou à ses représentants directs.
Lui, répétait-il, n’avait fait qu’exécuter ses intentions. C’est à sa conduite et
à la bénédiction de Dieu que l’on devait tant de grâces. Au milieu des
louanges, il gardait la tête froide. Point de morgue, de la simplicité, de la
modestie. Son entrée dans Montauban n’en fut pas moins triomphale. Un
peuple immense, catholiques et protestants confondus, riches et pauvres, se
pressait dans les rues aux cris de « Vivent le roi et le grand cardinal ! ». Il
voulait apercevoir le héros du jour, cet homme illustre aux mérites
exceptionnels, le pacificateur du royaume. On avait allumé des feux de joie
et on tirait le canon. Richelieu reçut chacun avec amabilité, y compris les
membres du consistoire, conduit par le pasteur Luillier. Dans cette joie
fusionnelle, la vieille cité parpaillote accepta sans sourciller la paix, la
démolition de ses murailles et le rétablissement du culte catholique. La
reddition de la « Rome calviniste du Midi » marquait bien la fin des
« guerres de Monsieur de Rohan ». « Tout ploie sous le nom de Votre
Majesté, écrivit alors le cardinal. On peut dire maintenant avec vérité que
les sources de l’hérésie et de la rébellion sont taries23. »
Pressé par son maître de rentrer, Richelieu n’y resta que deux jours. Il
gagna l’Auvergne par la vallée de l’Aveyron, partout accueilli sous des arcs
de triomphe, avec de continuels festins. Il s’embarqua sur l’Allier et la
Loire, jusqu’à Briare, sur une luxueuse gabarre ornée de tapisseries,
accompagné d’une flottille rutilante, où s’entassaient ses gardes et son
argenterie. Louis fut enchanté de l’humilité respectueuse du cardinal, qui
avait refusé de faire un bouclier de sa popularité. C’est ainsi qu’il voulait
ses collaborateurs. Il approuva son refus d’accepter le dais à Montauban. Il
admirait sa clairvoyance, savait tout ce qu’il lui devait. A un confident de
son frère Gaston il disait le 12 août : « Il faut rendre au cardinal l’honneur
qui lui est dû : tout ce qu’il y a eu d’heureux succès dedans et dehors le
royaume l’a été par ses conseils et ses avis courageux24 ! » « Mon cousin le
cardinal de Richelieu, écrivait-il encore à sa mère, m’a si dignement servi
que je ne puis dire combien je suis satisfait de son soin et de sa vigilance. »
Il ne tarissait pas de louanges. Non, sa tendresse, son affection, sa passion
pour lui ne diminueraient jamais. « Je vous aimerai jusqu’à la mort ! » lui
mandait-il. « Assurez-vous pour toujours de mon affection qui durera
éternellement » (1er novembre 1629). Richelieu, flatté, répondait dans la
même veine par des protestations de dévouement, de respect et de
soumission. Si Dieu lui donnait mille vies, elles ne suffiraient point à lui
faire reconnaître la faveur et la bienveillance que le roi lui octroyait !

Le premier orage
Depuis la fin d’août, le roi, les deux reines et la Cour séjournaient à
Fontainebleau. Quand on annonça l’arrivée de Richelieu le 13 septembre,
des gentilshommes en grand nombre vinrent au-devant de lui à Nemours.
Le roi étant à la chasse, il se rendit aussitôt chez les reines. L’accueil de
Marie de Médicis fut glacial, d’une indifférence méprisante. Si l’on en croit
un témoin, Lepré-Balain, confident du père Joseph, elle ne répondit même
pas à son salut. Le récit de Matthieu de Morgues est différent. Comme
Marie lui demandait des nouvelles de sa santé, il aurait répondu, le front
ridé et les lèvres tremblantes d’amertume : « Je me porte mieux que
beaucoup de gens qui sont ici ne voudraient25. » A la vérité, on ne sait pas
exactement ce qu’il se passa au cours de cette entrevue houleuse qui
marqua une première et grave rupture entre eux. Une énième fois, le
cardinal proposa sa démission. C’était, pourrait-on dire, dans la logique du
système de double confiance. Arrivé au pouvoir sous sa protection, il ne
pouvait gouverner qu’en étroite intelligence avec elle et le roi, et dès lors
qu’un de ses « patrons » lui faisait défaut, il se devait d’offrir de se retirer26.
Cette offre de démission, c’était une nouvelle question de confiance posée
au souverain. Elle serait refusée, mais il voulait se l’entendre dire. Cet
éternel dépressif avait besoin d’être rassuré. Sans trancher sur le fond,
Louis XIII désirait la paix. Richelieu raconte qu’il l’accueillit « avec des
tendresses et des affections qui ne se peuvent dire », mais lui conseilla de se
réconcilier avec sa mère et de lui écrire une lettre d’excuse, ce qu’il fit le
15 septembre. Etrange situation. Louis et Richelieu, les deux vainqueurs du
pas de Suse, semblaient redouter la véhémence et les foudres de
l’impétueuse matrone, secrètement aiguillonnée par son entourage. Ni l’un
ni l’autre n’osaient l’affronter. Le premier, nerveux, irritable, pleurait. Le
second, non moins sensible, tentait de naviguer entre les écueils, avec
souplesse et soumission.
La farouche femme donnait l’impression de ne ménager plus personne.
Quand Richelieu lui avait présenté les maréchaux qui s’étaient illustrés en
Italie, Schomberg, Bassompierre et Marillac (Louis, le demi-frère de
Michel), elle n’avait eu de sourire que pour ce dernier qui avait épousé une
de ses cousines. Les dévots n’avaient pas désarmé, en dépit de la mort
subite le 2 octobre de leur chef de file, Bérulle (les belles âmes accuseront
bien entendu Richelieu de s’en être débarrassé !). La paix d’Alès, trop
favorable aux huguenots, avait renforcé leur détermination. L’ennemi à
abattre, c’était lui. Mais Armand Jean n’était pas homme à se laisser faire.
Se sentant cerné par la haine des « âmes viles et basses », il attaqua sans
ménagement la cabale, accusa ouvertement la princesse de Conti, fille
d’Henri de Guise, le Balafré, la duchesse de Guise, née Joyeuse, et la
duchesse d’Elbeuf, sœur adultérine de Louis XIII, de desservir sa nièce,
Mme de Combalet, dame d’atour de la reine mère. Marie de Médicis ne
voulait rien entendre. « Je suis réduite à néant, gémissait-elle devant Claude
de Bullion, conseiller du roi, M. le cardinal a tout pouvoir. » Elle l’avait pris
en grippe. Avec l’âge, ses rancœurs tournaient à l’idée fixe. Une nouvelle
réconciliation eut lieu vers la Noël et tout fut rétabli comme devant, en
apparence du moins. L’atmosphère restait pourtant irrespirable.
L’attitude fanfaronne de Gaston, qui faisait mine d’être toujours entiché
de Marie Louise de Gonzague pour faire enrager sa mère et son frère,
inquiétait. De la part de ce jeune fol, on pouvait craindre un enlèvement
romanesque suivi d’un mariage secret et d’une fuite dans les Flandres. La
reine mère, toute à sa vindicte contre le père de la jeune fille, Nevers, avait
profité de sa régence partielle, pendant l’absence de son fils, pour faire
enlever la princesse et sa tante, Mme de Longueville, et les séquestrer à
Vincennes, dans l’appartement du roi. Louis XIII et Richelieu avaient
réprouvé ce procédé pour le moins fâcheux au moment où ils volaient au
secours du père. Finalement, au bout de deux mois, sur l’insistance de son
fils cadet qui se disait « toujours éperdument amoureux », Marie avait fait
libérer la jeune fille. Elle accusait à tort Richelieu d’avoir désiré cet
abominable mariage – c’était un grief de plus à son encontre –, tandis que
Gaston lui en voulait de s’y être opposé ! Et tous deux, mère et fils, de se
réconcilier sur son dos, signant un pacte par lequel elle s’engageait à
« ruiner le cardinal auprès du roi, et lui de n’épouser point la princesse
Marie ». Ce traité remis au duc de Bellegarde fut placé dans un petit
médaillon d’or que le duc se fit un devoir de porter constamment au cou…
Louis ne décolérait pas contre son frère : « Je me plains de vous, lui
écrivait-il, du peu de respect que vous rendez à la reine, notre mère. Je me
plains du peu de compte que vous faites de garder les paroles que vous
m’avez si souvent et si solennellement données… Je me plains des
désordres et des débauches de votre vie. »
Avant même le retour du roi du Languedoc, Gaston, qui s’était d’abord
retiré dans son apanage d’Orléans, s’enfuit en Lorraine grâce à la
complicité de Mme de Chevreuse. Il envoya son ami Bellegarde en
ambassade. Quelle situation ! L’héritier du trône quittant la France pour
s’installer en pays ennemi ! « Mon frère ne doit rien attendre de moi par
cette manière de faire, répondit avec hauteur le souverain. Quand il fera ce
qu’il doit et se tiendra près de moi, il aura ce qu’il voudra. » Mais Gaston
ne l’entendait pas ainsi. On souhaitait son retour ? Il fit monter les
enchères ! Conseillé par son chancelier, le président Le Coigneux, et son
favori, Puylaurens, il exigea les gouvernements de Champagne et de
Bourgogne. Impossible : ces provinces étaient limitrophes de l’empire, de la
Lorraine et de la Franche-Comté espagnole. La fugue hors de France de son
frère, alors qu’il n’avait pas d’héritier direct, jetait le monarque dans un
cruel embarras. C’était un cas de semi-rébellion.
Le 21 novembre, le roi réorganisa son Conseil et adressa à ses
« principaux ministres d’Etat » de nouvelles lettres de provision.
Contrairement à ce que les historiens ont longtemps cru, ces lettres ne
donnaient aucune supériorité à Richelieu sur les autres « principaux
ministres ». Il n’y avait pas de changement profond dans les attributions de
chacun. Dans la pratique, il en allait autrement. Mais le fait de le confirmer
dans ses fonctions était une manière pour Louis de donner au cardinal si
menacé un satisfecit. Le 26 du même mois, la terre de Richelieu fut érigée
en duché-pairie. Cette fois, c’était bien une faveur personnelle.
XIV
Entre guerre et diplomatie

Pignerol
Malgré la belle victoire du pas de Suse, rien n’était résolu en Italie.
L’Empereur refusait toujours de conférer son investiture à Charles de
Nevers pour le duché de Mantoue. Tenant l’accord avec les Français pour
un simple armistice, le duc de Savoie, avec sa déloyauté coutumière, avait
repris ses brigues et ses intrigues. Il s’était rapproché de la cour de Vienne,
avec laquelle il avait échangé une abondante correspondance, dépêchant
son meilleur diplomate, l’abbé Scaglia, auprès du ministre de la guerre de
Ferdinand II, le feld-maréchal Ramboldo Collalto. Quant aux Espagnols,
dont les finances chancelantes avaient été remises à flot avec l’arrivée des
galions du Pérou, ils avaient refusé de ratifier les conventions passées en
Italie par Gonzalvo de Córdoba. Mieux, ils avaient disgracié ce dernier,
nommant à sa place leur meilleur général, Ambrogio de Spinola, assisté du
duc de Lerma et du marquis de Santa Croce, avec un objectif : prendre
Casal, occupé par Toiras. Après le fiasco du printemps précédent, on allait
employer les grands moyens, en coordination avec Ferdinand II, enfin
décidé à envoyer une armée impériale de 55 000 hommes en Italie. Celle-ci
franchirait les cols des Grisons et se rassemblerait dans la plaine du Pô, afin
d’investir Mantoue et de châtier les Vénitiens qui avaient osé envoyer un
détachement au duc de Nevers ; simultanément, un corps espagnol de
15 000 fantassins et 3 000 cavaliers se concentrerait non loin de la capitale
du Montferrat. L’Empereur n’excluait pas non plus de faire une diversion
du côté des Trois-Evêchés et de la Champagne. La pesante machine de
guerre de l’empire et de la monarchie espagnole réunis se mettait donc en
marche. Rien ne semblait vouloir l’arrêter. « Aucun Français ne doit rester
en Italie », avait écrit rageusement le souverain madrilène en marge d’un
mémorandum d’Olivares. « Je désire me venger de la France et je ferai –
avec l’aide de Dieu – ce que je veux du monde1 ! » On ne pouvait mieux
exprimer son aspiration à la monarchie universelle ! Jaloux des lauriers de
son cousin français, il avait envisagé de se rendre en Italie, mais les sages
conseillers du palais royal l’en avaient dissuadé.
Richelieu, informé par ses services de renseignements, avait espéré un
temps un règlement à l’amiable. Le refus de Ferdinand II de négocier le
persuada qu’il n’éviterait pas la confrontation. Aussi hâta-t-il l’envoi dans
les Alpes de plusieurs régiments, de pièces d’artillerie et de munitions en
abondance. Résister, le pari était audacieux. Louis XIII n’avait guère les
moyens de rivaliser avec l’écrasante puissance des forces impériales et
espagnoles coalisées. Il eût fallu au moins 50 000 hommes. Dans sa
capacité à mobiliser et à équiper des troupes, la France était fort en retard
sur ses voisins. C’était un grand pays, certes, par sa géographie et sa
population, mais bien fragile politiquement et militairement, sortant d’une
longue convalescence. Avec la paix d’Alès, elle venait seulement de réaliser
son unification politique. Le duc de Savoie choisit ce moment pour refuser
aide et assistance au contingent français parti de Suse, contrairement aux
engagements pris l’année précédente.
Au Conseil, Michel de Marillac, lucide, pessimiste, mais accrocheur,
éleva une montagne d’objections. La victoire était impossible, la guerre une
présomptueuse folie ; on courait au désastre, à la ruine ; il fallait s’entendre
avec les Espagnols et les Impériaux. A cette logique sans défaut, Richelieu
répliqua que ce n’était connaître ni le roi d’Espagne ni l’Empereur que de
croire qu’ils renonceraient à prendre leur revanche sur la campagne
précédente. Louis XIII, une fois de plus, appuya son Premier ministre. Il
était parfaitement d’accord avec ce qu’il énonçait. Il fallait donner une
leçon à Charles Emmanuel, ce faux frère, ce provocateur perfide et
récidiviste, qui venait de signer une alliance et l’avait aussitôt trahie…
Le roi devait-il se mettre à la tête de l’armée ? Décision délicate tant
que Monsieur ne serait pas de retour en France. Richelieu, lui, en grillait
d’envie. Dans ce dessein, il avait incité les ambassadeurs vénitiens, Soranzo
et Contarini, à présenter par la bande un mémoire destiné au Conseil2…
Louis voulait partir. Pour l’en empêcher, l’Eminentissime prit argument de
l’urgence : Ramboldo Collalto était entré dans le Mantouan à la tête de son
armée ; un autre corps occupait la Valteline, et Ambrogio de Spinola, le
redoutable, marchait sur Casal. Le souverain resta de marbre. Bien sûr, il
eût été préférable de faire d’abord la paix avec son frère, mais il ne pouvait
se dérober à son devoir d’assistance envers Charles de Nevers. Honneur
oblige ! La seule concession qu’obtint le cardinal fut de le précéder d’une
quinzaine de jours, muni d’une commission spéciale de « lieutenant général
représentant sa personne » lui donnant pleins pouvoirs en Italie, avec
autorité sur les maréchaux de Créqui, La Force, Bassompierre et Toiras3.
« Puisque les Espagnols veulent la guerre, avait juré Louis avec énergie, ils
l’auront et jusqu’à la gueule ! »
Naturellement, on n’écouta pas les paroles melliflues de l’ambassadeur
du duc de Savoie, qui annonçait la conclusion soudaine d’une suspension
d’armes entre l’Empereur et le duc de Mantoue. Comment accorder crédit
aux assertions et aux promesses creuses du caméléon piémontais, qui à
chaque occasion se payait de mots, de mensonges et de faux-fuyants ? Sa
malice et son industrie, disait Richelieu en plaisantant à peine, surpassaient
celles de Lucifer ! Quant à l’onctueux secrétaire d’ambassade espagnol à
Paris, le sieur Navazza, qui se réjouissait hypocritement de voir Son
Eminence partir dans les Alpes « pour y établir une bonne paix », le
cardinal lui rétorqua : « Vous êtes mal informé. Le roi dans sa bonté m’a
donné plein pouvoir en tout, sauf en une seule chose, celui de faire la paix,
et vous pouvez le faire savoir de ma part au comte Olivares… »
Le jour de Noël, il offrit à Leurs Majestés une splendide collation en
son hôtel d’Angennes qui allait bientôt devenir le Palais-Cardinal. Au sein
du trio – Louis, Marie et Armand Jean –, l’entente semblait rétablie. Le
29 décembre, ce dernier quitta la capitale, accompagné du cardinal de La
Valette, des ducs de Montmorency et de La Rochefoucauld, ainsi que des
maréchaux de Bassompierre et de Schomberg. L’armée, placée sous la
conduite du maréchal de La Force, comptait, au moins dans les contrôles
d’effectifs, 22 000 hommes. Il ne déplaisait pas au cardinal – c’est le moins
qu’on puisse dire – de reprendre sa casaque de soldat couleur feuille morte
brodée d’or, sa cuirasse niellée d’argent, son épée et ses pistolets d’arçon.
Cela lui rappelait le bon temps de La Rochelle, quand il offrait roidement sa
silhouette aux vents impétueux de la digue ! Il avait obtenu de la Curie la
dispense de lire son bréviaire. A Lyon, où il fit halte, il retrouva son frère,
devenu archevêque, cardinal et primat des Gaules.
Il y rencontra également un autre personnage qui le fascina sur-le-
champ par son intelligence, son habileté à négocier et, comme il le dira plus
tard au cardinal Barberini, « sa parfaite bonne grâce, jointe à tant de
prudence et à un génie si élevé ». C’était un agent du pape Urbain VIII, un
homme de vingt-sept ans, doux et souriant, mais vif et tenace, qui portait
avec élégance la cappa magna et la moustache à la Buckingham. Fils d’un
intendant des Colonna, il était devenu capitaine dans l’armée pontificale,
avant de se retrouver diplomate et secrétaire du nonce à Milan,
Mgr Sacchetti. Son nom était totalement inconnu : Giulio Mazarini. Lui
aussi, jaugeant son interlocuteur, sut reconnaître dans le puissant
généralissime un homme exceptionnel. « Je me suis affectionné à lui par
instinct, avouera-t-il plus tard, avant même de connaître par expérience ses
grandes qualités. » Bref, un coup de foudre réciproque ! Ils devaient se
revoir à quatre reprises en cette année 1630, dans des rencontres ponctuées
de tensions et d’algarades, car Richelieu soupçonnait à tort son interlocuteur
d’être de mèche avec l’Espagne. Pour l’heure, il venait proposer un
arrangement avec le duc de Savoie, que Richelieu écarta avec dédain.
Celui-ci se rendit ensuite à Grenoble où, par acquit de conscience, il
reprit contact avec le duc de Piémont, sans en obtenir que des
atermoiements. Il exposa alors, dans un mémoire au roi, qu’il n’y avait pas
d’autre solution que d’attaquer Charles Emmanuel qui avait recruté une
armée de 15 000 hommes et gênait l’approvisionnement des troupes
françaises. Louis donna son accord. Le 23 février, le Premier ministre et
généralissime franchit le Mont-Cenis sous la neige. Après un ultimatum au
duc, l’armée royale parvenue à Suse traversa la Doire Ripaire dans la nuit
du 18 au 19 mars, sans rencontrer de résistance. Afin de protéger sa
capitale, Charles Emmanuel avait fait retraite sur Turin.
Après avoir subi un violent orage de grêle, accompagné de bourrasques
de neige, Richelieu arriva sur les hauteurs de Rivoli, au château natal du
duc de Savoie, à quelques lieues de sa capitale. Que faire ? Attaquer Turin
était déraisonnable, tous les généraux étaient d’accord. Le cardinal tenta de
reprendre contact avec le duc, lui dépêchant le nouveau secrétaire d’Etat à
la Guerre Abel Servien. En vain. Alors, Armand Jean joua la carte de
l’intimidation. A la surprise générale, l’armée française se présenta sous les
murs de la citadelle de Turin, édifiée sur un rocher imposant. De là, les
Savoisiens pouvaient apercevoir les sombres forêts de piques des fantassins
et le moutonnement des plumets blancs des cavaliers.
Allait-on vers un siège en règle ? Le duc de Savoie se crut grand
stratège en faisant venir de Pignerol l’armée de secours. C’était la faute
attendue : Richelieu, ne laissant qu’un cordon de troupes autour de Turin,
partit aussitôt avec le corps expéditionnaire pour Pignerol, où il arriva le
jour même, après une marche forcée de plusieurs heures. Malgré la fatigue
des hommes, ses deux lieutenants, Créqui et La Force, ouvrirent la tranchée
dans la pluie et la boue. La petite ville, avec ses maisons ocre aux tuiles
safranées, ses clochers effilés, ses campaniles et ses couvents discrets, était
mal fortifiée, mal défendue. Au milieu de la citadelle s’élevait un château
médiéval – appelé le donjon – surmonté d’une haute tour, la plus haute
d’Italie, le Belvédère, cible rêvée pour les artilleurs. Le siège ne dura qu’un
jour. Botté, éperonné, l’épée au côté, le cardinal-duc y fit son entrée le
22 mars 1630. Une semaine plus tard, le dimanche 29, jour de Pâques, le
gouverneur, le comte Urbano di Scalenghe, réfugié dans la citadelle,
capitula. Fort de ses pouvoirs, Richelieu désigna Antoine de Toulongeon,
capitaine au régiment des gardes, comme gouverneur général au nom de Sa
Majesté4.
La possession de cette place piémontaise, qui commandait la plaine du
Pô, était essentielle pour les Français, si essentielle qu’elle modifiait
quelque peu les enjeux de la guerre. Libérer Casal était important, mais
garder Pignerol l’était tout autant. L’idée n’était pas neuve. Déjà, en
avril 1628, dans un avis donné au roi, Richelieu avait plaidé pour la
conquête d’une place « seure » (sûre) – Pignerol ou Saluces – pouvant
servir de « passage » permanent aux troupes françaises en Italie. Dans son
esprit, ces « portes », ces « passages » avaient pour but de préserver la
France d’une invasion espagnole ou impériale5. Deux ans plus tard donc, on
en avait acquis un. Si par malheur Casal tombait, on avait Pignerol comme
appui pour sa reconquête. Les Français connaissaient l’avantage stratégique
de cette place au pied des Alpes cottiennes : conquise une première fois par
François Ier en 1536, elle n’avait été restituée au duc de Savoie qu’en 1574.
Garder Pignerol ?
Pendant ce temps, le roi s’était avancé jusqu’à Troyes, afin de surveiller
d’un œil Charles IV de Lorraine et d’empêcher une attaque de diversion de
l’Empereur à la frontière de l’est. Le commandement des troupes avait été
confié, par nécessité d’équilibre entre les clans, à Louis de Marillac, créé
maréchal de France en 1629. C’est là que Louis XIII apprit la prise de
Pignerol. Sa joie fut immense, mêlée du regret de ne pas s’y être trouvé.
Une seconde bonne nouvelle lui parvint peu après : le 18 avril, Gaston
faisait sa soumission, moyennant les gouvernements d’Amboise et
d’Orléans et une somme de 100 000 livres. Il revenait en France. Marie
Louise de Gonzague avait, de son côté, renoncé à l’épouser. L’énergique
jeune fille n’en avait pas fini de sa romanesque vie d’aventures. Elle sera
l’égérie de Cinq-Mars, le dernier favori de Louis XIII, avant de devenir
reine de Pologne, successivement mariée à Ladislas IV et Casimir V.
La réconciliation avec Gaston étant scellée – il était nommé lieutenant
général en la ville de Paris et provinces avoisinantes –, Louis XIII prit la
route des Alpes. La Cour le suivait, les intrigues aussi, hélas. Les
mécontents s’agitaient. Le duc de Guise, furieux d’avoir dû abandonner sa
charge d’amiral du Levant, qui allait de pair avec son gouvernement de
Provence, cherchait à unir les Grands contre le cardinal. Marie de Médicis,
qui avait refusé d’exercer la régence sur les pays au nord de la Loire pour
suivre son fils, était bien décidée à l’arrêter dans son aventure italienne. Elle
cabalait de tout son soûl avec Gaston, avec sa belle-fille, avec le garde des
Sceaux. Il s’agissait de faire pression sur le roi, d’ébranler ses convictions,
de lui faire comprendre dans quel bourbier son mauvais génie à calotte
rouge voulait l’entraîner. La paix ne valait-elle pas mieux que cette guerre
impossible, où il n’y avait que de mauvais coups à prendre ?
Un important mémoire du cardinal, daté du 13 avril, exposait à Louis
l’enjeu de Pignerol. En gardant cette pièce maîtresse, que l’on rendrait
inexpugnable, le roi ferait « la plus grande conquête qui se puisse faire et
aurait lieu d’être maître et arbitre de l’Italie ». Mais il fallait quitter « toute
pensée de repos, d’épargne et de règlement du dedans du royaume », car la
confrontation avec l’Espagne serait quasi inévitable. Si l’on voulait la paix,
on devrait alors abandonner « les pensées d’Italie pour l’avenir » et « se
contenter de la gloire présente que le roi aura d’avoir maintenu par force
M. de Mantoue en ses Etats contre la puissance de l’empire, d’Espagne et
de Savoie jointes ensemble6 ».
S’agit-il là du grand tournant du règne, comme le pensait l’historien
Georges Pagès7 ? Ce mémoire, avec la manière inimitable du cardinal de
présenter la politique étrangère sous forme d’options, tout en laissant
entrevoir ses préférences, brossait avec limpidité le rôle de la France en
Europe : protéger la liberté et l’indépendance des petites nations et des
principautés, au risque d’entrer en guerre directe avec l’Espagne. C’était
vrai pour les Allemagnes, où elle devait défendre les princes contre
l’Empereur, vrai pour les Provinces-Unies qu’elle devait soustraire au désir
de revanche de Madrid, vrai aussi pour l’Italie du Nord, Mantoue, Venise et
les petits Etats qui n’attendaient qu’un tuteur fort pour se débarrasser de
l’influence hispanoimpériale.
Malencontreusement, au début de mai, à peine arrivé à Lyon, Louis fut
repris par sa maladie intestinale chronique. Les archiatres, en robe noire et
bonnet, s’acharnaient sur ce pauvre corps qui une fois de plus le trahissait.
Richelieu était fébrile et déprimé. Il lui fallait soutenir à bout de bras deux
conflits : l’un en Italie, l’autre à la Cour, où personne ne le ménageait. Le
vertueux et sage Michel de Marillac, chef du parti de la paix depuis la mort
du cardinal de Bérulle, ne cessait de le bombarder de missives
péremptoires, l’invitant à traiter au plus vite. Déjà, au lendemain de la
victoire du pas de Suse, il s’était écrié : « C’est assez de gloire au roi ! »
Richelieu le jugeait maintenant « tortueux, artificieux, d’une malice
insupportable, d’une incroyable hypocrisie ».
Mais n’avait-il pas raison ? Ne fallait-il pas préférer les Français à la
France ? La situation intérieure ne cessait de se dégrader. Le cycle de
conjoncture économique s’était inversé depuis les années 1619-1622,
mettant fin au « long XVIe siècle ». On était entré dans une période de
dépression. Les mauvaises récoltes, liées aux caprices climatiques,
succédaient les unes aux autres, surtout depuis 1628. La disette se répandait
et avec elle les épidémies. Les campagnes souffraient : des centaines de
milliers, peut-être des millions de petites gens avaient à peine de quoi
survivre.
Or, cette crise se doublait d’un rude tour de vis fiscal, nécessité par les
dépenses de l’Etat, menaçant l’équilibre des communautés naturelles et les
libertés provinciales. La France, on l’a dit, se divisait en deux grandes
catégories de régions : les pays d’états et les pays d’élection. Dans les
premiers, une assemblée, réunissant les trois ordres, négociait avec le
représentant du roi le niveau de la contribution directe due par les habitants.
Celle-ci était ensuite perçue par un corps hiérarchisé d’agents locaux.
C’était le don gratuit, dont le montant annuel était largement inférieur à
l’impôt direct exigé des pays d’élection, qu’une compagnie d’officiers, les
élus, répartissaient. L’administration royale, à court d’argent, n’arrivait pas
à payer les titulaires d’offices ni la solde des troupes. Ses besoins ne
cessaient d’augmenter. La tentation était grande dans ces conditions
d’accroître le rendement fiscal des pays d’états.
Par un édit de 1628, Marillac avait décidé d’introduire progressivement
le système des élus dans certains de ces pays. Richelieu, bien entendu,
approuvait pleinement cette politique d’unification du royaume. Sur le plan
intérieur, les deux hommes étaient en phase. Certes, on se défendait de
vouloir aligner les deux régimes : c’eût été l’insurrection généralisée des
provinces dotées du privilège d’une représentation, qu’elles tenaient le plus
souvent des traités ou capitulations signés lors de leur incorporation. L’idée
était de maintenir le vote des assemblées d’états sur le montant annuel du
don gratuit, tout en confiant, comme en Normandie, à l’organisation
centralisée des élus le soin de répartir et de lever l’impôt. Henri IV avait
déjà tenté cette expérience en Guyenne, mais devant la levée de boucliers,
la régente, sa femme, avait dû annuler la mesure. En Languedoc, les édits
de Nîmes de juillet 1629, créant un bureau d’élection dans chacun des
vingt-deux diocèses, mirent en ébullition toutes les autorités de la province,
états, parlement, municipalités.
Crise économique, poussée de la fiscalité royale, paralysie de l’Etat
avaient déclenché des incidents violents, sauvages, tumultes de la faim,
séditions ou émotions populaires, en novembre 1623 à Rouen, en 1624, à
Lyon, Blaye, Niort, Poitiers, Montélimar. En mai de cette même année, le
Quercy, pays de taille réelle*1 doté d’une assemblée d’états, s’était révolté
contre l’introduction d’élections dans son territoire. Plusieurs milliers de
paysans exaspérés, surexcités, avaient saccagé les biens des candidats à
l’achat d’offices d’élus. L’émeute s’était prolongée plusieurs mois. En
1625, c’était au tour de Troyes, de Cognac et encore de Poitiers de
s’embraser. En 1626, l’agitation avait gagné Amiens, Auxerre, Paris et de
nouveau Troyes, puis l’année suivante, Paris, Bordeaux, Bergerac,
Villefranche-de-Rouergue et encore Troyes ; en mai 1628, la fièvre était à
Amiens, Auxerre, Laval, Rouen et persistait à Troyes, qui n’arrivait pas à
s’apaiser. En 1629, elle atteignit Angoulême, Lyon, Dijon8… Un peu
partout, on signalait des pillages de convois et de barques de blé, des
lynchages de sergents du fisc ou de fusiliers des tailles, des massacres de
gabeleurs à Saintes et à Saint-Jean-d’Angély (dans cette dernière localité,
les émeutiers, parodiant la justice royale, avaient attaché une de leurs
victimes sur une claie). En février 1630, en Bourgogne, la féroce
insurrection du Lanturlu*2, puissante parmi les vignerons mais aussi dans
les villes, fut réprimée sans état d’âme. Louis XIII, se rendant à Lyon, était
entré dans Dijon, le 27 avril, comme dans une ville conquise. Il avait
suspendu les libertés municipales, fixé d’autorité – en l’augmentant – le
montant du don gratuit, mais maintenu les états de Bourgogne. Devant les
résistances, il avait fini par renoncer à l’introduction des élus dans la
province. Quelques mois plus tard, la Provence connut semblable
explosion. Le 19 septembre 1630, lors de la « folie de la ville d’Aix »,
l’intendant Dreux d’Aubray fut chassé par une foule mobilisée au son du
tocsin9.
Ces mouvements, comme du temps d’Henri IV, embrasaient des régions
entières, associant toutes les couches sociales de la population. Des
seigneurs locaux, des curés, des officiers royaux prenaient le parti du petit
peuple. Chacun se sentait atteint dans ses prérogatives, agressé dans ses
libertés. Le paysan redoutait d’être davantage imposé, le noble craignait
pour ses droits seigneuriaux, le bourgeois voyait le prix de son office
baisser. Le curé qui ne voulait pas perdre l’affection de ses ouailles était
obligé de suivre par solidarité.
Ces révoltes n’étaient nullement l’expression d’une lutte des classes,
comme l’avait soutenu dans les années soixante un historien soviétique,
Boris Porchnev, dans un ouvrage remarqué, Les Soulèvements populaires en
France de 1623 à 164810. Les historiens français qui se sont penchés sur
ces émeutes, Roland Mousnier, René Pillorget, Yves-Marie Bercé
notamment, ont souligné qu’elles reflétaient la réaction de communautés
locales, menacées dans leur équilibre, voire dans leur survie, face à la
progression du pouvoir central. A aucun moment, il n’était question de
guerre sociale.

La deuxième campagne d’Italie


On comprend dans ces conditions la vigueur de l’offensive du garde des
Sceaux, légitimement inquiet devant le développement des désordres.
Adepte de surcroît de la conception ultramontaine et pro-espagnole de la
cause catholique, il ne tenait nullement à jeter la France dans un conflit
avec ses voisins. Pour Richelieu, attaché à la politique opposée, il fallait
avant tout que le roi, son seul appui, guérît. C’est pourquoi il écrivait
d’aimables lettres à la reine mère, la suppliant d’insister pour qu’il prît ses
remèdes ! Le 10 mai, enfin, faisant un effort, Louis partit rejoindre le
cardinal à Grenoble, laissant les reines à Lyon. Il avait choisi la guerre et la
gloire. Le duc de Savoie venait de se prononcer ouvertement pour
l’Espagne et l’Empereur ; il appelait Spinola au secours. La leçon de
Pignerol ne l’avait pas assagi ! Eh bien, on lui en donnerait une autre !
Il envoya Richelieu à Lyon, afin de convaincre sa mère et le garde des
Sceaux de la justesse de cette politique. Il tenait à refaire l’unité de son
Conseil. La séance fut houleuse. Marillac s’accrocha à son plan de paix,
invoquant les « misères et afflictions du peuple de France, qui languissait
sous de très grandes et incroyables pauvretés ». Il fallait mettre le plus
rapidement possible un terme à un conflit dans lequel on s’était
« étourdiment aventuré ». On ne pouvait sauver Casal en gardant Suse et
Pignerol. On ne devait surtout pas sacrifier le peuple à la gloire. La guerre
est un fléau, répondit le cardinal, « mais il ne s’ensuit pas pour cela qu’il se
faille porter à la paix à des conditions faibles, basses et honteuses ». Celle-
ci ne peut se concevoir que dans l’honneur ! L’aversion des peuples pour la
guerre n’est pas un argument, car ceux-ci sont « ignorants à connaître ce qui
est utile à l’Etat » ! D’ailleurs, ajouta-t-il pour clore le débat, le roi avait
déjà pris son parti. Il venait « attaquer la Savoie ». Et sur ce, laissant ses
adversaires pantois, il rejoignit Louis XIII aux armées. Marie de Médicis,
persuadée de la prochaine défaite française, avait cru jouer la politique du
pire en apportant son soutien apparent à Richelieu…
La campagne contre Charles Emmanuel ne dura que quelques semaines.
Chambéry, Rumilly et Annecy tombèrent presque sans coup férir11. Le
hardi Bassompierre, avec sept mille fantassins, escaladant les rochers au
milieu des neiges fondues et des torrents de boue, franchit les défilés du
Grand et du Petit-Cœur, parvint au village d’Aigueblanche en Tarentaise,
puis à Moutiers, d’où le prince Thomas de Savoie-Carignan avait déguerpi
avec les débris de l’armée de la Croix blanche. Le château de
Charbonnières tomba à son tour. Effiat et Montmorency l’emportèrent
brillamment à Veillane (Avigliana), et La Force occupa au sud le marquisat
de Saluces. A la fin du printemps, le duché de Savoie était à genoux.
Comme souvent au XVIIe siècle, la guerre et la diplomatie allaient de
pair. En même temps qu’il s’emparait des plus belles villes du duc,
Louis XIII négociait avec lui ainsi qu’avec le méthodique Spinola, qui
assiégeait Casal, et l’impétueux Collalto, qui avait investi Mantoue. Entre
les différents camps, Mazarin se démenait avec la plus grande habileté. Il
avait été présenté pour la première fois au roi lors de son séjour à
Chambéry. Richelieu l’appréciait de plus en plus, même s’il était loin de
partager ses vues. Le jeune diplomate cherchait en effet une solution de
compromis pour parvenir au plus vite à la paix : le retrait des Français
d’Italie, celui des Espagnols du Montferrat, contre la reconnaissance des
droits légitimes du duc de Nevers sur cette province et le Mantouan. Mais il
avait du mal à se faire entendre.
Fort de ces succès militaires, Louis, conseillé par Richelieu, reprit
contact avec sa mère, l’invitant à deux reprises à se rendre à Grenoble ou à
Vizille. Elle refusa. Sans condamner formellement la campagne contre la
Savoie, elle ne voulait pour rien au monde délivrer un satisfecit au cardinal
qui en avait été la cheville ouvrière. Son orgueil, sa rancune sans mesure le
lui interdisaient. Louis, craignant quelque coup fourré de sa mère et du
cauteleux Marillac, plus arc-bouté que jamais sur ses positions pacifistes,
décida de s’en retourner à Lyon les rencontrer en compagnie du cardinal.
Malheureusement, il leur fut impossible de les faire changer d’avis. Plus
grave, leur départ de l’armée avait provoqué la désertion de près de six
mille hommes. Louis et Armand Jean durent revenir au plus vite à Saint-
Jean-de-Maurienne, où le camp avait été établi.
En cet été de 1630, les nouvelles étaient mauvaises. Des épidémies –
rougeole, fièvre maligne, et surtout typhus –, que l’on désignait
indifféremment sous le nom générique de peste, sévissaient parmi les
troupes. Pignerol en était dramatiquement affecté, de même que les villes de
la plaine du Pô. En France, les émotions populaires se poursuivaient :
émeute à Caen en mai, à Lyon en juin, à Laval et à Angers en juillet. « Tout
est plein de séditions, gémissait Marillac le 15 juillet dans une lettre à
Richelieu. Les parlements n’en châtient aucune. Le roi a donné des juges
pour ces procès et le Parlement arrête l’exécution de ces jugements, et par
conséquent les séditions sont autorisées et je ne sais ce qu’il faut espérer ou
appréhender de cela, vu même la fréquence de ces émotions, dont tous les
jours quasi nous avons un nouvel avis12. »
La santé du monarque n’était pas bonne non plus. Son entérite
chronique s’était réveillée. Malgré son ardeur guerrière, il ne se sentait plus
en état de se rendre outre-monts. Et le fléau de la peste avait gagné Saint-
Jean-de-Maurienne. Le 10 juillet, son médecin Bouvard, successeur
d’Héroard, avait eu la grande joie de le voir évacuer durant plus de quatre
heures « quantité de colles et matières brûlées ». Cela l’avait
momentanément soulagé. Mais le 25, profondément las, Louis décida de
revenir à Lyon, laissant Richelieu dans un état de détresse tel qu’il dut se
faire saigner et purger. Sur lui seul reposait la conduite des opérations. Le
lendemain, à Turin, trépassa Charles Emmanuel, abattu, amer, emporté par
l’âge et le chagrin de la défaite. Lui succéda son fils Victor Amédée, mari
de Chrestienne, sœur du roi, dont on pouvait attendre moins de duplicité et
davantage de conciliation. Mais rien ne changea dans la politique
savoisienne, attachée à l’alliance espagnole.
Pendant ce temps, les Impériaux, après avoir soigneusement ravagé le
duché de Mantoue, s’étaient emparés par surprise à l’aube du 18 juillet de
sa capitale, Mantoue la rose, paresseusement étendue au milieu des lacs
formés par le Mincio, mal défendue par ses murailles de brique. Un
audacieux coup de main avait eu raison de sa garnison. Sans vergogne, la
soldatesque teutonique, les capitaines, les généraux avaient saccagé ce
joyau exceptionnel du Quattrocento, hérissé d’une forêt de clochers et de
campaniles. Eglises, couvents, belles demeures, palais enchanteurs avaient
été vidés de leur contenu, les femmes violées. Quant au fastueux Palazzo,
avec ses cinq cent cinquante chambres, ses douze appartements royaux, ses
jardins, ses meubles somptueux, ses statues, ses tableaux, ses tentures, ses
tapisseries, ses bijoux, sa vaisselle d’or, ses collections d’armes et de
monnaies, il avait été entièrement vandalisé. Ces trésors accumulés depuis
trois siècles par les Gonzague, ces fabuleux mécènes, avaient été entassés
dans des chariots qui avaient pris la direction des châteaux germaniques. On
se serait cru aux temps mérovingiens ! Nevers, dépossédé de son duché,
avait réussi à prendre la fuite avec sa famille, sans avoir pu emporter la
moindre chemise13… Louis XIII, profondément choqué par ces carnages,
eut du mal à croire que tant de crimes eussent été encouragés par les chefs
de guerre eux-mêmes. Cela renforça sa détermination de s’opposer à la
maison d’Autriche.
Tout le monde s’attendait à ce que la citadelle de Casal succombât à son
tour. Mais celle-ci, malgré les mines et les sapes, résistait grâce à
l’opiniâtreté de Jean de Toiras14. Sous les auspices de l’inlassable Mazarin,
une suspension d’armes de sept semaines fut conclue le 4 septembre à
Rivalto. Les belligérants, en proie aux épidémies, étaient tombés d’accord
pour souffler un peu, soigner leurs blessés et enterrer leurs morts. Spinola
n’eut pas le temps de voir la suite de la campagne. Malade, il expira le
25 septembre, devant les murs de Casal. Le duc de Feria, vice-roi de
Catalogne, lui succéda comme gouverneur du Milanais.

Louis XIII va-t-il mourir ?


A Lyon, où Richelieu était revenu le 22 août, la situation prit un tour
tragique avec l’aggravation de l’état du roi. Louis avait déclaré sa ferme
intention de ne pas restituer Pignerol, mais depuis des semaines il était
harcelé par sa mère, en furie, qui lui reprochait vivement cette seconde
expédition d’Italie. L’échec à Mantoue, celui probable devant Casal allaient
conduire à l’embrasement général, elle n’en doutait pas. Richelieu, qu’elle
avait comblé de charges et d’honneurs, était devenu un danger public ! Les
liens de fidélité personnelle semblaient à jamais rompus. Louis prit la
défense de son Premier ministre : « Le cardinal n’est pas Dieu et il n’y a
que Dieu seul qui eût pu empêcher ce qui s’est passé. Mais quand il serait
un ange, il n’a pu, avec plus de prévoyance et de prudence, pourvoir à
toutes choses comme il a fait, et il faut que je reconnaisse que c’est le plus
grand serviteur que jamais la France ait eu ! »
Exténué, il songeait à revenir à Paris. Armand Jean, désemparé, ne
savait plus à quel saint se vouer. Il voyait son avenir obstrué. La disparition
du souverain signifierait l’accession au trône de Gaston, et, par suite, la
ruine de son œuvre, la soumission de la France à l’Europe, la disgrâce
assurée, l’arrestation, la mise à mort peut-être. Songea-t-il à se réfugier à
Avignon ? Il était plongé dans un abîme de perplexité, prêt à se rendre à la
reine mère. « Il le fait savoir, écrit alors l’ambassadeur de Venise, et regrette
d’être entré dans cette guerre, abandonné qu’il est des Grands, haï du
peuple à cause des impôts, et c’est pourquoi il cherche une issue, mais
honorable, car de nature il répugne aux actions basses. Je m’aperçois que de
jour en jour il se range aux avis de la reine mère, bien résolu de ne pas lui
être opposé. Comme il la voit forte, alors que le roi est faible, il est plein
d’attention pour elle, et, comme il reconnaît qu’il est sa créature, il ne veut
pas la payer d’ingratitude, fût-ce au prix de sa propre fortune. C’est ce qu’il
m’a dit plusieurs fois très clairement15. »
Marie ne parvenait pas, malgré les conseils de son confesseur, à se
défaire de son aversion passionnelle pour le cardinal. Lui répandait l’idée
qu’il se retirerait, sitôt la présente guerre terminée. Ses ennemis sortaient du
bois : Marillac, le cauteleux, qui se voyait déjà à sa place et dressait la liste
des ministres de Gaston Ier, le duc de Bellegarde qui ne lui pardonnait pas
d’avoir fait donner la lieutenance générale de la Bourgogne à Tavannes, le
duc d’Epernon, l’ennemi de toujours, toute la maison de Guise, le duc en
tête, les bâtards du feu roi, Vendôme et Moret, le maréchal de
Bassompierre, les ducs de Longueville, de Retz, de Roannès, d’Elbeuf, le
comte de La Feuillade ; tous se préparaient à sonner l’hallali. Jamais les
dévots et le parti aristocratique, aux intérêts parfois divergents, n’avaient
paru plus unis contre l’homme à abattre.

Le clan des dévots s’était fortement structuré depuis peu, avec la


création en 1629 par le duc de Ventadour de la Compagnie du Saint-
Sacrement, dont l’influence allait s’étendre en province les années suivantes
(Lyon, Orléans, Angers, Blois, Aix, Marseille…). Cette société discrète,
pour ne pas dire secrète, prit pour armes la sainte hostie dans un soleil
rayonnant et pour devise : « Loué soit le Très Saint Sacrement de l’Autel »,
signes qu’elle se plaçait dans la droite ligne du christocentrisme bérullien.
La Compagnie, constituée de clercs et surtout de pieux laïcs, robins,
bourgeois ou marchands, s’était donné pour but, outre la sanctification
personnelle de ses membres, la christianisation de la société et la défense de
l’ordre moral16. Il s’agissait de fonder les bases d’une nouvelle chrétienté
en se mettant au service des pauvres, en se mobilisant pour le soulagement
des galériens, en luttant également contre les mauvaises mœurs et
l’immoralité ambiante, en dénonçant les blasphémateurs, les piliers de
cabaret, les prêtres scandaleux, les duellistes, les protestants, les libertins ou
les femmes aux toilettes trop décolletées… A la génération suivante,
Molière, on le sait, saura dénoncer les défauts de ces nouveaux croisés, qui
n’étaient pourtant pas tous de cyniques tartufes, mais des chrétiens inquiets
et pessimistes, marqués par la sensibilité baroque de leur temps et qui
voulaient, comme le dira Bossuet, « bâtir Jérusalem au milieu de
Babylone ».
Soucieux de la Réforme catholique, Richelieu n’était pas
fondamentalement hostile aux idéaux de reconquête spirituelle de cette
ligue indépendante de l’Eglise et de l’Etat – certains de ses membres étaient
ses proches, comme Philippe de Cospéan, évêque de Nantes, Antoine
Godeau, évêque de Grasse, ou Bertrand Drouard, intendant de la duchesse
d’Aiguillon, sa nièce ; il savait aussi que nombre de ses ennemis en
faisaient partie et cherchaient à l’écarter du pouvoir.

Les intrigues, les conciliabules allaient bon train, de Mme de


Chevreuse, revenue d’exil, qui n’avait aucun mal à aviver le ressentiment
d’Anne d’Autriche contre un mari détesté, à Madeleine de Silly, épouse du
sieur Du Fargis, dame d’atour, qui préparait le remariage de sa maîtresse
avec le futur roi. Quant au bouillant Tréville, bretteur en diable et lieutenant
des mousquetaires, il ne rêvait que de jouer les Vitry et d’occire l’Eminence
rouge d’un bon coup d’épée ou de pistolet. Chez les Grands, on ne discutait
que de la peine à lui appliquer : la mort, clamait le maréchal de Marillac,
l’exil, prônait le duc de Guise, la prison, défendait Bassompierre. Le destin,
étrangement, se retournera contre eux, infligeant à chacun la peine
souhaitée…
S’il n’y avait que cela ! Un fumet de haute trahison rôdait dans les
corridors. Durant l’été de 1630, Richelieu avait été avisé par son ami le père
Joseph, alors en Allemagne, qui le tenait du confesseur jésuite de
l’Empereur, que Vienne et Madrid étaient au courant des décisions du
Conseil et des « mauvais desseins » du cardinal de Richelieu. A n’en pas
douter, les informations transitaient par l’entourage de la reine mère, des
« gens de grande piété », disait le capucin. Olivares et l’ambassadeur
d’Espagne à Paris, le marquis de Mirabel, cherchaient à exploiter les
divisions françaises. Le Premier ministre espagnol, en liaison avec les
dévots, misait sur un changement de ministère.

Le 21 septembre, après le Conseil qui s’était tenu à l’abbaye d’Ainay,


Louis fut repris par la fièvre et son affection intestinale qui le contraignait à
se rendre constamment à la garde-robe dans d’intenses douleurs. Il avait
passé la Saône en barque avec son fidèle cardinal qui le soutenait. A
l’archevêché, il s’était alité. La reine mère s’était installée à son chevet. Les
médecins ne cessaient de lui tirer des palettes de sang et de le purger
impitoyablement. Le saint sacrement était exposé dans toutes les églises de
Lyon, où l’on récitait pour sa guérison la prière des Quarante Heures. Le
vendredi 27, jour de son vingt-neuvième anniversaire, il parut au plus mal.
A 2 heures du matin, il délirait. Profitant d’un léger mieux, il fit une
confession générale et communia des mains de l’archevêque.
Au meurtre de Richelieu, Marie de Médicis préférait son renvoi officiel.
C’était moins brutal, mais plus cruel. Ainsi assurerait-on légalement la
transition et la promotion éclatante de Michel de Marillac aux fonctions de
Premier ministre. De concert avec le père Suffren, elle s’acharnait donc à
arracher la décision à l’agonisant. Anne d’Autriche – la charmante
épouse ! – prenait le relais. Toutes deux le harcelaient, le suppliaient,
dénigrant le cardinal avec une constance confondante. Qu’importait à Sa
Majesté le destin de ce prêtre indigne, protecteur de l’hérésie protestante, au
moment où il s’apprêtait à paraître devant Dieu ! L’abandonner à son triste
sort, n’était-ce pas le meilleur moyen d’obtenir du divin Sauveur le pardon
de ses fautes ? Louis résistait. Mieux encore, sentant venir la fin, il fit
appeler le duc de Montmorency et le chargea de porter un message à Gaston
qui allait lui succéder : il lui recommandait dès son avènement de veiller
particulièrement sur deux personnes, sa femme et le cardinal…
Le dimanche 29, la crise prit un tour paroxystique. Le monarque ne
pouvait plus quitter sa couche. Les médecins ne cachaient pas leur
pessimisme. Le lundi, à 3 heures du matin, le père Suffren vint le préparer à
la mort. Louis communia de nouveau, au cours de la messe célébrée dans sa
chambre, puis ordonna qu’on ouvrît les portes. Les courtisans émus
entrèrent. D’une voix faible, il leur demanda pardon. Tout le monde
sanglotait. La reine, les cardinaux, les grands officiers de sa maison se
mirent à genoux. « C’est à nous, Sire, à vous demander pardon. Jamais vous
ne nous avez offensés. Pardonnez-nous, Sire ! » Il fit approcher son épouse
et l’embrassa. Richelieu, s’inclinant à son tour, eut droit lui aussi à un
baiser, avant la grande séparation. Puis chacun se retira, attendant l’issue
fatale.
Au moment où les Diafoirus lui faisaient sans espoir une septième
saignée, le malade eut une grande évacuation sanguinolente et noirâtre. Le
ventre dur et tendu s’affaissa aussitôt. L’abcès intestinal était percé. Le roi
revint à la vie. Le soir, à la stupéfaction générale, il trouva la force de se
lever et de manger de bon appétit. Miracle, il était sauvé ! L’affection avait
été d’une gravité extrême17. Richelieu respirait, après être passé par les
pires angoisses : « Je vous avoue, écrivait-il à son ami Schomberg, que,
quelques paroles que donnent les médecins, mon esprit n’est point encore
revenu des appréhensions incroyables que j’ai eues. » « Par la grâce de
Dieu, ajoutait-t-il à d’Effiat, le roi est hors de danger et, à vous dire le vrai,
je ne sais encore ce que je suis. Je supplie Dieu qu’il envoie plutôt la mort
qu’occasion de retomber en l’état où nous avons été18. »
Marie n’avait pas désarmé. Au chevet du convalescent, qu’elle étouffait
d’une fausse tendresse, elle expliquait que si le Seigneur avait eu la bonté
de lui accorder un répit, il devait s’empresser de renvoyer le cardinal pour
éviter une récidive… Pour se débarrasser de ses mielleuses jérémiades, le
roi « qui ne voulait ni lui accorder ce qu’elle demandait, ni la laisser aller
mal satisfaite, lui répondit seulement qu’il n’était ni en lieu ni en état où on
peut prendre résolution sur une chose si importante » (Fontenay-Mareuil)19.
Elle devrait donc attendre son retour à Paris : des paroles suffisamment
ambiguës pour entretenir des espérances trompeuses. Le 11 octobre, Louis
prit la route de la capitale.

L’internationalisation du conflit germanique


Durant tout ce temps, la guerre d’Allemagne avait connu de multiples
rebondissements, provoquant toujours davantage de ravages dans des
contrées ensanglantées depuis 1618. Après avoir signé le traité de
Compiègne avec les Provinces-Unies (10 juin 1624), Richelieu avait
encouragé la constitution d’une alliance entre l’électorat de Brandebourg, le
landgraviat de Hesse-Cassel, les duchés de Brunswick et de Saxe-Weimar et
les Provinces-Unies. C’était peu pour faire pièce aux ambitions de
Ferdinand II, au sommet de sa puissance, et de son alliée la Ligue
catholique. Les Hollandais n’étaient pas en bonne posture.
Christian IV, roi de Danemark et de Norvège, duc de Holstein, qui
s’était fait désigner à la présidence du cercle de Basse-Saxe, considéra alors
qu’il lui revenait de prendre la tête de la résistance protestante. Il avait déjà
obtenu des chapitres de Brême et de Verden l’expectative de ces évêchés et
n’allait pas tarder à mettre la main sur ceux d’Osnabrück et de Halberstadt.
Des considérations géostratégiques s’ajoutaient à ses motivations
religieuses. Contrôlant déjà par les détroits du Sund le trafic commercial
entre la mer du Nord et la Baltique, il aspirait à prendre celui de la Weser et
de l’Elbe avant son concurrent et rival, le roi de Suède, Gustave Adolphe.
Ces postes de douanes et péages étaient sources de grands revenus, que
percevaient aussi les villes commerçantes de la Hanse germanique.
Louis XIII et Richelieu ne pouvaient que se réjouir de voir un grand prince
luthérien de l’Europe du Nord lancer un défi au Habsbourg de Vienne.
En juin 1625, le corps expéditionnaire de Christian, dont les effectifs
atteignaient 25 000 hommes – réfugiés protestants de Bohême, mercenaires
danois et allemands, recrutés grâce aux subsides anglais et néerlandais –,
entra en Basse-Saxe. Le roi avait pour alliés le duc de Mansfeld et Christian
de Brunswick, qui occupaient, en le mettant en coupe réglée, le duché de
Berg. L’orgueilleux Ferdinand II se trouva soudainement dans une situation
délicate, d’autant que son vieil ennemi, Gábor Bethlen, prince de
Transylvanie, venait de s’allier aux Turcs et aux protestants du Nord (il
allait bientôt épouser Catherine de Hohenzollern, sœur de l’électeur de
Brandebourg). La seule armée dont il disposait, celle de la Ligue, dirigée
par Maximilien de Bavière et le roide Tilly, manquait d’argent,
d’équipement et se trouvait affectée par de multiples désertions.
C’est pourquoi il écouta avec intérêt les offres de service d’un riche
condottiere tchèque, qui avait combattu les Turcs et les Vénitiens, Albert
Valdštejna, plus connu sous son nom germanisé d’Albrecht von Waldstein,
autrement dit Wallenstein. Ce gentilhomme de bonne race, né en 1583 à
Hermanice au nord de la Bohême, avait fait preuve très jeune d’excellentes
qualités militaires. Il avait hérité de sa première femme, Lucrèce Neskovna
de Landek, de grandes propriétés en Moravie. Resté fidèle à Ferdinand lors
de la guerre de Bohême et de l’épisode de Frédéric V, il avait profité de
l’émigration des grands propriétaires protestants pour rafler leurs terres à
bas prix. Remarié à Catherine, fille du comte de Harrach, ministre de
l’Empereur et sœur de l’archevêque de Prague, il était devenu l’un des plus
riches propriétaires terriens d’Allemagne et de Bohême. En 1624, en
récompense de sa loyauté, l’Empereur avait érigé ses terres en principauté
de Friedland. Ce fils d’un couple d’utraquistes, orphelin de bonne heure,
converti au catholicisme par l’un de ses oncles, était surtout un adepte de
l’astrologie, à la recherche de sa bonne étoile…
Pour contrer les ambitions de Christian IV, Wallenstein proposa à
l’Empereur de lever à ses frais 20 000 mercenaires, qu’il commanderait,
distribuant librement les commissions de colonels et de capitaines. Une fois
payées les primes d’engagement, leur solde serait assurée par le Trésor
impérial, tandis que lui, Wallenstein, aurait droit ainsi que ses hommes aux
contributions de guerre et au butin conquis durant les campagnes. L’accord
fut conclu le 25 juillet 1625. Il fut convenu que le nouveau chef agirait de
concert avec Tilly.
Hautain, dur, sans scrupule, taciturne, mû par une ambition démesurée,
Wallenstein parvint en quelques mois à former une puissante armée de
30 000 puis de 50 000 hommes. Le 25 avril 1626, il battit Mansfeld au pont
de Dessau sur l’Elbe et chassa de Hongrie Bethlen, qui signa avec
l’Empereur la paix de Presbourg. De son côté Tilly, après s’être emparé de
Minden et avoir neutralisé le landgrave de Hesse-Cassel, prit Göttingen le
12 août et infligea le 26, à Lutter-am-Barenberg, une cinglante défaite aux
Danois (8 000 morts et blessés, plus de 3 000 prisonniers). En février 1627,
les troupes de Wallenstein et Tilly réunies ravagèrent le duché de Holstein,
possession personnelle de Christian IV, ainsi que les terres de deux de ses
alliés, les ducs de Poméranie et de Mecklembourg. Un an plus tard, les
Impériaux occupèrent le Jutland. Le chef malheureux du camp protestant
n’eut plus qu’à négocier son retrait, signant finalement le 7 juin 1629 la
paix de Lübeck. Wallenstein, qui craignait de voir Gustave Adolphe prendre
le relais, se montra très modéré dans ses exigences, laissant à Christian la
jouissance de ses péages sur l’Elbe, ses possessions patrimoniales, dont le
duché de Holstein, à l’exception des évêchés allemands, et n’exigeant
aucune indemnité de guerre.
Devant tant de prouesses, Ferdinand II n’avait rien à refuser à
Wallenstein. Il le fit duc de Sagan, en Silésie, lui donna le duché de
Mecklembourg et, malgré l’échec du siège de Stralsund – cette nouvelle et
indomptable La Rochelle sauvée par les volontaires suédois –, lui conféra le
titre de général des mers Océanique et Baltique, à charge pour lui de
construire une flotte impériale. Avant de se tailler un royaume dans cette
Allemagne du Nord que ses armées parcouraient en semant la mort et la
désolation, le condottiere insatiable, dont la présomption gâtait le génie
militaire, s’était fait construire à Prague, dans le quartier de Malá Strana,
sur la rive gauche de la Vltava, un luxueux palais, merveilleusement décoré
par les architectes Spezza, Marini et Campione. Agrémenté de jardins à
l’italienne ornés de souriantes déesses et de fontaines aux eaux jaillissantes,
c’est le chef-d’œuvre de l’art baroque en Bohême, que l’on peut encore
admirer20. Entre deux campagnes, Wallenstein menait grand train en ce lieu
enchanté, au milieu d’une cour d’artistes, de gens de lettres et d’âpres
hommes d’affaires, pressés de dépouiller les derniers protestants.
Profitant de sa victoire, Ferdinand II prit le 6 mars 1629 un édit non
soumis à la Diète, appelé « édit de Restitution », qui enjoignait aux princes
réformés de l’Allemagne du Nord de restituer tous les biens ecclésiastiques,
seigneuries, principautés, domaines, abbayes, couvents, bénéfices, usurpés
et sécularisés depuis la paix d’Augsbourg de 1555. Cela visait les
archevêchés de Brême et de Magdebourg, une dizaine d’autres évêchés,
dans la vallée du Main notamment, et plus de cent cinquante abbayes. Les
dispositions de cet acte qui violait les libertés germaniques étaient d’une
sévérité extrême, car ces biens avaient connu, en soixante-treize ans, de
multiples mutations, sources de conflits inextricables. Wallenstein et Tilly,
chargés d’appuyer les commissaires impériaux, agirent sans ménagement.
Ce transfert massif de richesses, et donc de pouvoir, allait naturellement
dans le sens d’une recatholicisation de l’empire.

Mais il était dit que Ferdinand II, dans sa malheureuse marche, non pas
vers l’absolutisme comme on le soutient parfois, mais vers la domination
impériale, ne connaîtrait qu’une suite chaotique d’heurs et de malheurs. Au
moment où il se croyait au pinacle, brusquement la situation se retourna en
sa défaveur. Après le retrait d’Allemagne de Christian IV de Danemark, la
cause des réformés paraissait désespérée. C’est alors que Gustave Adolphe,
indigné par l’édit de Restitution, décida d’intervenir.
Né en 1594, petit-fils du fondateur de la dynastie, Gustave Vasa, il avait
succédé à son père Charles IV à l’âge de dix-sept ans. A côté d’une
remarquable formation intellectuelle, ce farouche luthérien, frénétiquement
hostile au papisme et aux Jésuites, n’avait cessé de guerroyer en Pologne en
compagnie de son père. La Suède était alors un puissant pays qui
comprenait, outre les territoires de l’actuel royaume (à l’exception, au sud,
des provinces de Halland et de Scanie, acquises au Danemark), la Finlande,
l’Ingrie, l’Estonie, la Carélie orientale prises aux Russes, la Livonie
arrachée aux Polonais. Son économie prospère reposait sur l’exploitation
des forêts, des mines de fer et de cuivre, et sur des manufactures d’armes
déjà réputées. Grâce à ces dernières, l’armée suédoise disposait de
remarquables canons en fer à tir rapide (un boulet de 9 kilos envoyé à 1 700
mètres toutes les six minutes), transportés par deux chevaux, et des
mousquets à cartouche tirant des balles de plomb de 20 millimètres de
diamètre, ce qui évitait les longues opérations d’introduction séparée de la
poudre et des munitions, puis de la bourre à balle, comme dans les
mousquets à mèche ou à rouet des autres armées.
Fort de ses conquêtes, Gustave Adolphe, fier et jovial colosse toujours
drapé d’une peau d’ours, rêvait de faire de la Baltique un « lac suédois ».
D’où son intérêt pour l’Allemagne du Nord. Il avançait ses pions avec
l’ardeur d’un César. Grâce à son talentueux chancelier Axel Oxenstierna, il
avait épousé la princesse Marie-Eléonore, sœur de l’électeur de
Brandebourg Georges Guillaume. Après l’échec de son rival danois, il
comptait à la fois prendre sous sa protection les princes réformés et
conquérir quelques belles provinces, particulièrement la Poméranie. Mais
avant de lancer ses armées dans la mêlée, il devait faire la paix avec son
cousin polonais de la Baltique, Sigismond III, de la branche catholique des
Vasa. C’est ici qu’intervinrent les Français, ravis de trouver à Christian IV
un remplaçant prêt à rallumer les hostilités. Leurs relations avec le
souverain suédois dataient du siège de La Rochelle : un diplomate, le baron
Horace de Charnacé, avait en effet attiré l’attention de Richelieu sur les
remarquables qualités militaires du jeune souverain, ce « nouveau soleil
levant qui, ayant eu guerre avec tous ses voisins, avait emporté sur eux
plusieurs provinces ». Deux ans plus tard, le 26 septembre 1629, ce même
Charnacé, en compagnie d’un représentant anglais, sir Thomas Roe,
parvenait à faire signer à Altmark une trêve de six ans entre Suédois et
Polonais. Sigismond recouvrait Mittau, capitale de la Courlande, mais
laissait Riga et la Livonie à Gustave Adolphe. Ce dernier, grâce à la
médiation française, était désormais libre de s’adonner à son rêve d’empire
du Nord.
Après les victoires de Tilly et de Wallenstein, après l’édit de Restitution
qui allait écraser les princes protestants de son rouleau compresseur,
Louis XIII et Richelieu craignaient au plus haut point le retour de la paix en
Allemagne, qui renforcerait la puissance impériale. Ferdinand II aurait ainsi
le loisir de fournir un appui militaire décisif à l’Espagne, l’ennemi
redoutable. C’en serait fini de l’indépendance des alliés de la France,
Provinces-Unies, principautés germaniques et italiennes. Le royaume des
lys lui-même ne tarderait pas à être confronté aux coups de boutoir des
armées hispano-impériales. D’où le prix que le roi attachait, et Richelieu
avec lui, à l’entente avec le nouveau champion du protestantisme. Une
alliance en bonne et due forme, accompagnée d’une offre de 600 000 livres,
lui fut proposée.
Pourtant, en dépit d’un premier accord de subsistance signé en 1629, les
liens franco-suédois restaient ténus. Gustave Adolphe était jaloux de son
indépendance. Il comprenait que Richelieu cherchât à se servir de lui contre
Ferdinand II, tout en ménageant au mieux la cause des autres princes
catholiques, mais il redoutait une paix séparée entre la France et
l’Empereur, dont il serait la victime. Il voulait être un acteur à part entière,
non un simple jouet entre les mains du ministre. Il déclina donc l’alliance,
provisoirement.
En mars 1630, ses troupes de soldats-paysans occupèrent au chant des
Psaumes l’île de Rügen. Deux cents navires avaient été réquisitionnés pour
cette étonnante opération amphibie. En juillet, ces mêmes troupes
débarquèrent à Peenemünde, dans l’île d’Usedom, à l’embouchure de
l’Oder, puis s’établirent en juillet sur les côtes de Poméranie. Désemparé, le
vieux duc Boguslav XIV s’empressa de capituler et de faire du fringant
Gustave Adolphe son héritier ! Le 20 juillet, Stettin fut occupé. Partout, les
fantassins, l’artillerie, les cuirassiers, les dragons suédois faisaient
merveille ; partout les aigles impériaux battaient de l’aile !
Or, au lieu de s’inquiéter de ce réel danger, les princes catholiques,
Maximilien de Bavière en tête, dénonçaient avec véhémence les privilèges
exorbitants dont jouissait Wallenstein, exigeant le licenciement de son
armée, une armée gigantesque de 129 000 hommes dont 18 000 cavaliers,
qui représentait une grave menace pour les libertés germaniques et un
épouvantable fléau pour les régions déjà exsangues qu’elle traversait. La
rivalité avec les troupes de Tilly avait d’ailleurs pris un tour inquiétant, les
hordes du fantasque seigneur de la guerre n’hésitant pas à les chasser des
territoires qu’elles occupaient…

Le traité avorté de Ratisbonne


Poussé par la Ligue catholique, dont il était un membre actif,
l’archevêque de Mayence, von Wambold, convoqua en tant
qu’archichancelier de l’empire les Electeurs afin de débattre cette question
à Ratisbonne à compter du 3 juin 1629. Le duc de Bavière, les archevêques
de Mayence, Cologne et Trèves répondirent à l’invitation, les électeurs
luthériens de Brandebourg et de Saxe se firent représenter. Il s’agissait en
fait de contraindre l’Empereur à destituer son général en chef. Ferdinand II
céda, mais en profita pour faire élire roi des Romains son fils aîné,
Ferdinand Ernest. Celui-ci ayant déjà reçu les couronnes de Bohême et de
Hongrie, il serait automatiquement appelé à la dignité suprême du Saint
Empire à son décès. Sur leurs gardes depuis la Montagne Blanche, les
Electeurs, tant catholiques que protestants, n’y étaient pas favorables. Ils
n’entendaient pas faire du Saint Empire une monarchie héréditaire, surtout
au moment où le redoutable et imprévisible Wallenstein les inquiétait tant.

La France observait avec attention la situation. La réunion des électeurs


germaniques était un événement trop rare pour négliger l’occasion de tisser
des liens et, au besoin, de nouer de nouvelles alliances. Pour quelques
semaines, Ratisbonne allait devenir un lieu de rassemblement non
seulement des membres du collège électoral, mais aussi des grands
seigneurs allemands, des délégués des villes libres d’empire, des
ambassadeurs d’Espagne, d’Angleterre, des Etats italiens, bref une sorte de
congrès européen, où il serait bon de se montrer.
C’est la raison pour laquelle Richelieu décida d’y envoyer un
négociateur de talent, Charles Brûlart, prieur de Léon, ancien émissaire du
roi à Venise et en Suisse, avec pour adjoint le père Joseph, qui connaissait
bien l’Allemagne et les princes catholiques pour les avoir de multiples fois
approchés. L’objectif essentiel de leur mission concernait l’Italie. Ils
devaient chercher à connaître les conditions posées par l’Empereur à la
reconnaissance du nouveau duc de Mantoue et aux modalités d’une paix
séparée dans cette région, une paix que préparait avec un inlassable zèle
l’envoyé du Saint-Siège, Mazarin21. Une mission plus secrète confiée au
capucin était de s’aboucher avec Maximilien de Bavière, de façon à
détacher à terme la Ligue catholique de Ferdinand II, tentative déjà
entreprise précédemment par d’autres diplomates français. Mais aucun des
deux émissaires n’avait pouvoir de signer le moindre document22. Leur
mission était uniquement exploratoire.
En chemin, à Memmingen, ils rencontrèrent Wallenstein. Leur entretien
fut très instructif. Il leur permit de mesurer sa morgue et sa redoutable
puissance. Arrivés à Nuremberg, ils encouragèrent discrètement les princes
à se débarrasser du condottiere bohémien et à différer l’élection du roi des
Romains. C’était jouer évidemment contre l’Empereur et favoriser
indirectement l’entreprise de Gustave Adolphe. Aveuglés par leur haine du
Tchèque, ceux-ci ne se rendirent pas compte qu’ils étaient manipulés.
Brûlart de Léon et le père Joseph eurent une première, puis une seconde
entrevue avec Ferdinand II. L’Empereur n’accepta de leur donner
satisfaction qu’au prix d’une paix générale, englobant l’Italie, l’Allemagne
et la Lorraine. Moyennant quelques concessions à Casal et à Mantoue, il
pourrait de la sorte empêcher la France de porter secours à Gustave
Adolphe et aux protestants révoltés. Richelieu était loin, Louis XIII malade
à Lyon ; les instructions tardaient à venir ; la situation en France était
confuse ; Casal allait tomber. Bref, les deux émissaires, illusionnés par les
accents de sincérité de l’Empereur, qui leur offrait sur un plateau cette
alliance catholique européenne si chère au cœur du père Joseph,
outrepassèrent leurs pouvoirs. Le 13 octobre, ils signèrent avec lui le traité
de Ratisbonne : Ferdinand promettait de donner au duc de Nevers
l’investiture du duché de Mantoue et du marquisat de Montferrat, après une
demande de pardon en bonne et due forme, et acceptait de laisser à la
France Pignerol et Suse ; en revanche, il contraignait celle-ci à n’assister
d’aucune manière les ennemis de l’Empereur ni ceux de l’empire, Lorraine
incluse. C’était couper les ailes à Gustave Adolphe, sur lequel comptait tant
Richelieu. Les émissaires avaient été bernés par Sa Majesté impériale !
A Lyon, quand ils apprirent la nouvelle, les dévots, Marie de Médicis et
Michel de Marillac en tête, explosèrent de joie. Même le fidèle Bouthillier
crut bon de céder à l’allégresse générale. A Roanne, au contraire, Richelieu
fut horrifié : cet accord abominable revenait à abandonner en rase
campagne les alliés protestants et à se priver de toute liberté de manœuvre
en Allemagne ! Courroucé, il désavoua les deux agents. Quelle folle guêpe
les avait donc piqués ! Quelle naïveté ! Quel aveuglement ! « Il n’y a
presque ligne au traité où il n’y ait à redire23 », leur écrivait-il. « Je suis plus
mort que vivant, mandait-il à l’ambassadeur de Venise Contarini. De Léon
et le capucin ne pouvaient faire pire qu’ils n’ont fait… » Le 26 encore, dans
une lettre au maréchal de Schomberg, il exhalait son « extrême affliction »
devant « la faute que M. de Léon et le P. Joseph ont commise en passant un
traité insupportable24 ». Louis XIII fut tout aussi sévère. Il exigea de Brûlart
de Léon de réparer « les défauts du traité, ayant compassion de la surprise
en laquelle, lui disait-il, vous vous êtes laissé aller25 ».
Tandis que le roi, encore mal remis, poursuivait sa route vers Paris,
Richelieu eut instruction d’attendre la reine mère et Marillac pour discuter
en Conseil de ce traité. Une nouvelle fois, le cardinal et le garde des Sceaux
s’affrontèrent violemment. A la surprise générale, la Florentine conclut à
son rejet, non parce qu’elle s’était ralliée aux conceptions belliqueuses du
Premier ministre, mais parce qu’elle voulait tout simplement endormir sa
méfiance dans l’attente de son renvoi. Un renvoi qu’elle désirait
spectaculaire et foudroyant ! Le reste lui importait peu.
Le mal était fait : impossible de reprendre les négociations sur de
meilleures bases. Le contre-projet envoyé à tout hasard à l’Empereur fut
aussitôt rejeté. Faute de ratification, le traité de Ratisbonne demeura donc
lettre morte. Brûlart de Léon et le père Joseph rentrèrent tête basse. En
souvenir des services rendus par l’actif et dévoué capucin, Richelieu se
garda d’une punition sévère. Il le laissa purger sa disgrâce en son couvent
parisien, avant de le rappeler quelques jours plus tard et de passer
définitivement l’éponge sur la plus grosse bévue de sa carrière.
Hormis ce succès à l’arraché, qui ne devait avoir aucune conséquence,
la Diète de Ratisbonne s’était très mal passée pour Ferdinand II. Malgré les
concessions qu’il avait faites, malgré les pressions dont il ne s’était pas
privé, il s’était heurté au refus des Electeurs de s’engager contre les
Provinces-Unies qui venaient pourtant d’occuper le duché de Clèves. Plus
grave encore avait été le report de l’élection de son fils comme roi des
Romains. Enfin, dernière humiliation, il avait dû consentir au renvoi de
Wallenstein. Ce dernier licencia son armée et se retira sur ses terres, blessé
par les épines de la rancune et se considérant comme délié de son serment
de fidélité : « L’Empereur et toute sa maison, déclara-t-il, sentiront dans la
douleur ce qu’il en coûte d’outrager un chevalier ! » L’armée impériale se
trouva ainsi réduite à 40 000 hommes placés sous le commandement de
Tilly, le général de la Ligue.

« Pace ! Pace ! »
La trêve franco-espagnole ayant expiré le 15 octobre 1630, l’armée
française, qui avait refait ses forces, quitta deux jours plus tard ses quartiers
de Saint-Jean-de-Maurienne et entra en Italie sous la conduite du maréchal
de La Force. Marie de Médicis, au Conseil de Roanne le 24 octobre,
désapprouva violemment la reprise de l’offensive et accabla de sa fureur
Richelieu, qui ne céda pas.
Le 26 octobre, aux abords des vieux remparts de Casal, les deux armées
se trouvèrent face à face, rangées en bataille à portée de mousquet. La
cavalerie n’attendait plus que l’ordre de charger. Les premiers coups de feu
venaient à peine d’éclater, tirés des rangs des enfants perdus lorsque,
soudain, on vit surgir un fringant cavalier agitant son chapeau et criant :
« Alto ! Alto ! Pace ! Pace ! » C’était le capitaine pontifical, le diplomate
courageux Mazarini qui, après avoir galopé d’un camp à l’autre, avait fini
par trouver un accord acceptable par tous.
Cette irruption spectaculaire frappa à ce point les contemporains qu’elle
fit le tour de l’Europe. On enjoliva la scène : certains mémorialistes comme
Brienne le Jeune rapportent que l’émissaire pontifical s’était avancé en
brandissant d’une main la feuille du traité et de l’autre une grande écharpe
blanche (on se demande comment il pouvait tenir les rênes de son cheval !).
« On n’a rien vu de si extraordinaire, confesse un témoin plus sûr, le futur
maréchal du Plessis-Praslin ; deux armées n’ont jamais été aussi prêtes à se
mêler, et c’est une espèce de miracle que l’entremise d’un seul homme les
ait arrêtées tout court. Il faut avoir vu la chose pour la croire26. »
Quelques années plus tard, Mazarin en fera lui-même le récit ; il n’y a
pas lieu de douter de son authenticité : « Lorsque je sortis des rangs
espagnols, m’avançant au galop vers le maréchal de Schomberg qui
commandait ce jour-là la bataille, quelque mousquetade me fut tirée de ceux
qui marchaient avec les enfants perdus. Je fis donc signe avec mon chapeau,
leur disant de s’arrêter, car je portais les conditions dont s’ensuivrait la paix.
Ainsi firent-ils et, arrivé devant le maréchal, je lui exposai ma mission.
J’obtins son accord et retournai vers le marquis de Santa Croce pour que,
les Français ayant fait halte, il commandât de son côté à ses soldats de ne
plus travailler à certaines fortifications encore inachevées. Ayant eu ce que
je voulais, je fis une seconde course vers le maréchal de Schomberg27… »
La proposition d’armistice apportée par le jeune secrétaire apostolique
était en réalité très favorable à la France (pour laquelle Urbain VIII, inquiet
des prétentions hispano-impériales en Italie, penchait désormais). Il avait dû
quelque peu forcer la main de Santa Croce, dont les troupes étaient
supérieures en nombre. Selon ce texte, l’armée ibérique en Italie,
commandée par Gonzalvo de Córdoba, devait se retirer la première de la
ville et les Français, de la citadelle aussitôt après. La place serait
démilitarisée et remise au duc de Nevers qui serait rétabli dans ses Etats de
Mantoue et du Montferrat et bénéficierait de l’investiture impériale. Il
fallait décider de suite. Le maréchal de La Force, sans ordre, prit sur lui
d’accepter cette proposition, nettement plus avantageuse que celle de
Ratisbonne, qui laissait le roi libre de ses mouvements en Allemagne. Sans
bien mesurer l’ampleur de leur recul, les officiers espagnols, ravis de ne pas
avoir à se battre, se jetèrent dans les bras des Français… Louis et Richelieu
approuvèrent, cette fois, l’initiative du maréchal. L’émissaire romain avait
fait pencher la balance du côté de la France. Il faudra encore quelques mois
pour conclure les accords : les traités de Cherasco d’avril et juin 1631 et un
dernier traité signé par Victor Amédée le 28 octobre 1632, cédant Pignerol à
titre définitif. Avec deux positions inexpugnables dans le nord de l’Italie,
Pignerol et Suse, la présence d’un prince français à Mantoue, l’alliance
retrouvée de la Savoie, Louis XIII était largement bénéficiaire.

Richelieu, qui était passé pendant la maladie du roi par des crises
d’insondable angoisse, croyait sans doute son calvaire terminé. Il ignorait
que le roi, de guerre lasse, pour faire cesser le harcèlement maternel, avait
promis – une pseudo-promesse – de le renvoyer. En réalité, à aucun
moment Louis XIII n’avait voulu se débarrasser du cardinal. Au contraire, il
lui écrivait de Versailles le 28 octobre : « Je vous assure de mon affection
qui sera toujours telle que vous la pouvez désirer » et lui conseillait de se
réconcilier avec sa mère.
Richelieu suivit cette recommandation. Empruntant la voie fluviale de
Roanne à Briare pour revenir à Paris avec la Cour, il s’arrangea pour se
trouver sur la même nef que Marie, multipliant les amabilités empressées, y
compris à ses dames de compagnie. La Florentine, experte en l’art de
dissimuler, lui présenta elle aussi le meilleur visage. « Jamais, dit Guron, le
collaborateur de Richelieu, elle ne lui fit meilleure chère, jamais il n’en
reçut plus d’honneurs. » Si bien que l’Eminence, abusée par sa propre
habileté, croyait avoir gagné la partie, alors que la reine mère était plus
décidée que jamais à sa perte. A La Charitésur-Loire, elle avait écrit au roi
pour renouveler sa demande de disgrâce. Le soir, aux étapes, elle
s’entretenait avec son amie la princesse de Conti et son médecin François
Vautier de la vengeance qu’elle lui ferait subir. Avec le « grand orage » qui
allait éclater quelques jours plus tard, les masques allaient tomber…

*1. Pays, rappelons-le, dans lesquels la taille était assise sur les biens, non sur les personnes.

*2. Ce nom venait du refrain populaire, en vogue à l’époque, qu’aimaient entonner les
émeutiers.
XV
Le « grand orage de la Cour »

Une tragédie classique en trois actes


Si le résultat de la journée des Dupes, cette grande crise politique qui
scella le triomphe de Richelieu sur Marie de Médicis, est bien connu, le
déroulement des événements n’a pas été sans poser quelques difficultés aux
historiens. Des divergences et des contradictions apparaissent en effet dans
les relations du temps sur les faits ou les intentions des protagonistes. Qui
croire ? Bassompierre, Fontenay-Mareuil, Montglat, Loménie de Brienne,
Goulas, Hay du Châtelet, Mme de Motteville ? Sans doute aurait-on pu se
fier entièrement aux Mémoires du cardinal, au cœur du drame, si l’on
n’avait su que ceux-ci avaient été rédigés longtemps après par des
secrétaires sur la base de papiers fragmentaires. La chronologie apparaît de
prime abord incertaine. La date même de la fameuse journée a fait l’objet
de discussions : faut-il retenir le dimanche 10 novembre, veille de la Saint-
Martin, le lundi 11, ou ces deux jours ?
Pendant longtemps on s’est appuyé sur le récit du chroniqueur italien
Vittorio Siri, établi d’après les dires du duc Claude de Saint-Simon, favori
de Louis XIII, et reproduit en 1679 au tome VII de ses Memorie recondite1.
Dans un fragment historique publié en 1834, Louis de Rouvroy, second duc
de Saint-Simon, le fameux mémorialiste, avait également rapporté le
témoignage de son père, avec des détails nouveaux2. S’ajoutaient deux
textes complémentaires de sa plume : une relation figurant dans le Parallèle
des trois premiers rois Bourbons et une autre dans sa notice consacrée à sa
maison, même si le génial écrivain, à l’imagination scintillante et aux
formules colorées, y ajoutait cette pointe de romanesque et cette griffe de
vie dont il savait agrémenter les plus froides chroniques. On tenait donc ce
récit pour exact. Claude de Saint-Simon se présentait en effet comme un
témoin oculaire de la fatale entrevue du Luxembourg entre le roi, la reine et
le cardinal. Pourquoi aurait-on douté de son témoignage ? Tel fut l’avis de
Jean-Hippolyte Mariéjol, Louis Batiffol, Victor-Lucien Tapié, Georges
Mongrédien. L’excellent Batiffol, toujours minutieux dans ses
reconstitutions, avait émis cependant quelques réserves sur l’exactitude des
narrations saint-simoniennes. Le favori de Louis XIII, âgé de vingt-trois ans
en 1630, était mort à quatre-vingt-cinq ans, lorsque son fils, Louis, n’en
avait que dix-sept : ce grand écart de générations pouvait être source de
déformation3.
En 1979, reprenant le dossier, Pierre Chevallier eut la bonne idée
d’utiliser les relations des diplomates en poste à Paris. Les dépêches de
l’envoyé vénitien Alvise Contarini étaient connues par leurs copies
conservées à la Bibliothèque nationale de France (elles avaient été utilisées
entre autres par Batiffol). Il n’en allait pas de même de celles du nonce
apostolique Bagni, du Florentin Jean-Baptiste Gondi, des résidents
britanniques René Augier et Henry de Vic, ni de l’ambassadeur mantouan
Priandi. Ces correspondances, s’échelonnant du 11 au 19 novembre, lui ont
permis d’établir une chronologie un peu plus sûre, démontrant par exemple
que la crise s’était déroulée en deux jours, les 10 et 11 novembre4. Mais les
agents étrangers, trop enclins à happer les bruits de couloir et les on-dit sans
en vérifier l’authenticité, ne sont pas toujours crédibles. Il ne faut donc pas
négliger d’autres sources, deux en particulier, une histoire inédite de Michel
de Marillac, écrite par Nicolas Lefèvre de Lézeau, contenant une relation
fort intéressante de son remplaçant, Châteauneuf, mêlé de très près à
l’affaire, et le Journal de Robert Arnauld d’Andilly, qui rectifie sur certains
points les assertions des ambassadeurs. Emanant d’un homme bien informé,
proche de la Cour et des milieux gouvernementaux, ce journal présente
l’avantage d’avoir été tenu au jour le jour par son auteur5. A partir de cette
base documentaire, il est possible de reconstituer les différentes phases de
cette crise. Le grand orage se déroule comme une tragi-comédie en trois
actes, avec deux grandes « scènes de ménage » entre la reine mère et
Richelieu et, à la fin, un rebondissement inattendu, désignant un vainqueur
(Richelieu) et deux vaincus (Marie de Médicis et Michel de Marillac).
Acte un
A son arrivée à Paris, le samedi 9 novembre, au lieu d’aller coucher au
Louvre, où des ouvriers remplaçaient le parquet défectueux de la salle des
gardes, Louis XIII s’installa à l’hôtel des Ambassadeurs, rue de Tournon, à
deux pas du Luxembourg, où logeait sa mère. C’était l’ancienne et
fastueuse résidence de Concini*1. Ce jour-là, nous dit Arnauld d’Andilly, il
essaya de réconcilier son frère Gaston avec le cardinal, réconciliation de
pure forme, comme devait le montrer la suite des événements. Monsieur
s’exécuta et jura amitié à Son Eminence. Cela confirmait en tout cas la
ferme intention du roi de conserver son Premier ministre.
Le dimanche 10, au matin, Louis se rendit à Notre-Dame. A son retour,
il fit une visite aux deux reines, à sa mère au Luxembourg et à son épouse
au Louvre. Marie lui rappela aussitôt sa promesse. Il devait maintenant se
prononcer. Le roi balbutia : il lui fallait encore du temps, « pour le bien des
affaires de l’Etat ». Pis, il lui demanda, si l’on en croit Mme de Motteville
(qui a recueilli les confidences directes d’Anne d’Autriche), de bien vouloir
pardonner au cardinal6. Ces tergiversations accrurent la colère de la veuve
d’Henri IV. Elle se demandait si les deux hommes n’étaient pas de
connivence. Elle n’avait pas tort. Quelques jours auparavant, Louis avait
averti son ministre qu’il ne fallait pas se fier au bon accueil de sa mère7.
Richelieu, qui logeait au Petit-Luxembourg*2, en eut confirmation
lorsqu’il se présenta vers 11 heures devant elle. Marie lui fit grise mine,
mais rentra ses griffes. Le ministre auparavant avait tenté, à trois reprises,
selon Arnaud d’Andilly, de rencontrer à nouveau Monsieur, seul. Il s’était
présenté et avait trouvé porte close. Même Michel de Marillac, qu’il avait
convoqué dans la matinée, avait fait répondre cavalièrement qu’il prenait
médecine et ne pouvait se déplacer. Pourtant, dans l’après-midi, alors qu’il
se rendait au Conseil au Luxembourg, il le croisa dans une antichambre.
« Hé ! monsieur, s’étonna-t-il, vous voilà ? Et vous disiez que vous étiez
malade8 ! » L’autre ne répondit mot. Tous l’esquivaient.
Au Conseil on traita de questions militaires, des généraux et des troupes
cantonnées en Italie l’hiver prochain. Il y fut décidé qu’Abel Servien
partirait signer la paix négociée par Mazarin, que les maréchaux de
Schomberg et de La Force seraient rappelés et que le commandement
général des troupes reviendrait au maréchal de Marillac. Cette dernière
disposition, arrêtée d’un commun accord, était évidemment une concession
faite à la Florentine. Richelieu appliquait les recommandations du roi : ne
pas la contrarier.
C’est en fin d’après-midi, semble-t-il, que Marie de Médicis jeta enfin
le masque. A cette scène assista, médusé, le jeune Saint-Simon, et non à
celle du lendemain, plus dramatique encore, qui n’eut d’autre témoin que le
roi. Précisons que la plupart des mémorialistes ont soit confondu les deux
scènes, soit omis l’une d’elles.
L’Italienne, à sa toilette, entourée de trois femmes de chambre et d’un
ou deux serviteurs, s’entretenait avec son fils. Elle était parfaitement calme.
L’arrivée inopinée de sa dame d’atour, Mme de Combalet, – attestée par
Saint-Simon et Loménie de Brienne – la glaça littéralement9. La nièce de
Richelieu eut beau se jeter à ses pieds « avec tous les discours les plus
respectueux, les plus humbles et les plus soumis », elle ne parvint pas à
apprivoiser sa maîtresse ni à parler en faveur de son oncle. « A la froideur
de la reine, l’aigreur succéda, puis incontinent la colère, l’emportement, les
plus amers reproches, enfin un torrent d’injures, et peu à peu de ces injures
qui ne sont connues qu’aux Halles10. » Le roi, surpris, choqué, rappela à sa
mère qu’il était présent et qu’elle s’oubliait. « De fois à autre, écrit Saint-
Simon, le roi regardait mon père et lui faisait quelque signe d’étonnement et
de dépit ; et mon père, immobile, les yeux bas, osait à peine et rarement les
tourner vers le roi, comme à la dérobée. Il ne contait jamais cette énorme
scène qu’il n’y ajoutât qu’en sa vie il ne s’était trouvé si mal à l’aise11. »
Eperdue, en larmes, Mme de Combalet sortit et rencontra son oncle qui
venait au rendez-vous. Après l’avoir écoutée, celui-ci eut un moment
d’hésitation. Enfin, il entra, s’agenouilla. Marie le releva, « mais peu après
la marée commença à monter : les sécheresses, puis les aigreurs vinrent ;
après les reproches et les injures très assenées d’ingrat, de fourbe, de
perfide et autres gentillesses ; qu’il trompait le roi et trahissait l’Etat pour sa
propre grandeur et des siens12 ». Saint-Simon poursuit : « Mon père, que le
roi regardait de fois à autre, comme à la scène précédente, m’a dit souvent
que le cardinal souffrait tout cela comme un condamné, et que lui-même
croyait à tout instant rentrer sous le parquet. A la fin le cardinal s’en alla. Le
roi demeura fort peu de temps après lui à faire à la reine de vifs reproches,
elle à se défendre fort mal. » Ulcéré, il revint chez lui à pied. Il se jeta sur
un lit de repos et, dit encore Saint-Simon, « un instant après, tous les
boutons de son pourpoint sautèrent à terre, tant il était gonflé de colère ». Il
n’y a pas de raison de douter de ce récit. La dépêche du nonce Bagni du
12 novembre confirme la teneur de l’entrevue. La reine mère avait déclaré
au cardinal que cela faisait « plus d’une année qu’elle avait matière de ne
plus avoir confiance en lui, mais qu’elle avait différé de le lui déclarer
jusqu’à son retour à Paris13 ». Elle lui retirait sa charge de surintendant de
sa maison et de chef de son Conseil. Les résidents anglais notaient que le
roi, toujours présent, entendit sa mère dégoiser contre son ancien protégé,
ce traître ! Elle ne se contrôlait plus ! Elle ne voulait plus « l’aimer »,
attestent les Mémoires de Richelieu, « ni aucun de ses parents ou amis
auxquels elle donna incontinent congé, et non seulement à eux, mais
jusqu’au moindre de ses officiers qui lui avaient été donnés de sa main14 ».
C’était une complète épuration. Etaient congédiés non seulement Mme de
Combalet, dame d’atour, mais Mlle de Pont de Courlay, dame d’honneur et
autre nièce du cardinal, Mme de La Porte, La Meilleraye, son capitaine des
gardes, et plusieurs officiers. Elle ne pouvait supporter les serments de
fidélité que ce fauteur de discorde avait exigés des agents placés dans son
entourage.
Ni Louis ni le cardinal, abasourdis, horrifiés, ne parlèrent de cette
consternante scène. Tous deux restèrent de marbre. Ils n’avaient cependant
pas renoncé à une réconciliation et convinrent de se rendre chez l’irascible
le lendemain matin pour une dernière tentative. Richelieu, bien qu’assuré
d’être soutenu par le roi, était pessimiste sur l’issue de cette crise qui, cette
fois, atteignait son paroxysme. A moins d’un miracle, il n’apercevait
d’autre solution que de se retirer de la Cour et de la vie publique. Il semblait
résigné. C’est alors qu’il composa un mémorandum « pour parler au roi »,
en réponse aux diverses accusations portées contre lui, notamment la
préférence accordée à son ami Sourdis, évêque de Bordeaux, contre le duc
d’Epernon, les fortifications de Brouage et du château de Richelieu,
présentées comme des places de sûreté… Il concluait sa note par ces mots :
« Je crois qu’il vaudrait mieux que je me retirasse, regardant mes
incommodités ; je ne puis plus être auprès du roi. On me changera. » Il
envisageait de quitter Paris pour son gouvernement du Havre.
Acte deux
Le lundi 11 au matin, Louis XIII entra à nouveau chez sa mère. Elle
revint à la charge. C’était sa tactique habituelle : user ses interlocuteurs, les
lasser à force d’insistance, les soûler d’arguments rabâchés et, de guerre
lasse, leur arracher ce qu’elle désirait. Or, que voulait-elle ? Elle avait
chassé Richelieu, l’avait destitué de ses fonctions ; il lui restait à obtenir sa
disgrâce, son éviction du Conseil et du gouvernement, sa mise aux arrêts et
son remplacement par le garde des Sceaux. C’était la condition nécessaire
du grand changement de politique auquel elle aspirait : la paix extérieure, le
rapprochement avec l’Espagne, l’Europe entière catholique. Pour ne plus
être dérangée, comme elle l’avait été la veille par Mme de Combalet, elle fit
dire à ses huissiers qu’ayant pris médecine, elle ne pourrait recevoir
personne d’autre que le roi.
Richelieu, se présentant au Luxembourg, se heurta à la consigne.
L’appartement de la reine mère était situé au premier étage de l’aile droite
du palais. Les portes en avaient été soigneusement verrouillées, y compris
celles donnant sur la galerie. Si le cardinal avait une chance de se
réconcilier, il ne voulait pas la gâcher. Il connaissait un passage dérobé, un
long couloir passant par la chapelle, située à l’extrémité ouest, un escalier
sombre. Il l’emprunta et, probablement avec la complicité d’une servante,
une des multiples espionnes dont il avait truffé la cour de la reine mère – la
petite Claire Brisset mariée à l’Italien Zoccoli, a-t-on dit, qui gardait le
corridor –, fit irruption15. Marie qui essayait toujours d’endoctriner son fils,
s’arrêta net, voyant surgir, telle la statue du commandeur, le sévère fantôme
rouge qu’elle n’attendait pas. « Si je n’avais pas négligé de fermer un
verrou, dira-t-elle plus tard, le cardinal était perdu. »
« Je gagerai que l’on parle de moi ! » fit l’intrus. La maîtresse des lieux
resta quelques instants interdite. Quelle hardiesse d’être venu
l’interrompre ! Mais puisque ce trouble-fête voulait tout savoir, elle allait le
lui dire ! Elle était impressionnante avec sa chevelure crêpelée d’or et de
roux vénitien, son cou noyé dans la graisse et son regard de lionne féroce.
Alors, au milieu des hoquets et des sanglots, se déchaîna un nouveau torrent
d’ordures, de grossièretés, d’injures de corps de garde, jaillissant tantôt en
français, tantôt en italien. « Elle ne pouvait dissimuler la haine qu’elle lui
portait, ni supporter son arrogance, relate le Toscan Jean-Baptiste Gondi.
Elle lui commanda avec des paroles pleines de ressentiment de se retirer de
sa maison et de ne plus se présenter devant elle, ne voulant plus le voir ni
entendre parler de lui pas plus que de ses parents et de ses partisans16. » Et
là-dessus, elle lui tourna le dos17. Prenant à parti son fils, elle jura qu’elle
n’assisterait plus au Conseil tant que le cardinal y siégerait, ni se trouverait
avec lui « en quelque lieu que ce soit ». C’était elle ou lui, elle ou ce valet…
Richelieu, immobile mais en proie à un vif émoi, répondit sans hausser
le ton qu’il lui revenait en effet de partir, « qu’aussi bien ne voulait-il plus
vivre puisqu’il était si malheureux que d’avoir perdu ses bonnes grâces ». Il
rassembla les bribes de son éloquence pour tenter de la fléchir, quémanda
son pardon. Il se mit à genoux, en larmes et, ne pouvant interrompre le flot
de ses invectives, alla silencieusement et humblement baiser le pan de sa
robe. C’était assurément un usage du temps, mais bien inhabituel de la part
d’un prince de l’Eglise, membre du Sacré Collège18 ! Même cet
abaissement n’apaisa pas l’impétueux courroux de la furie.
Selon le marquis de Fontenay-Mareuil, le roi, choqué par ces
hurlements hystériques, ne cherchait qu’à fuir. Il « dit seulement qu’il se
faisait tard et que, voulant aller à Versailles, il était temps de partir ; et,
faisant la révérence, il marcha aussi vite que s’il eût peur qu’on eût couru
après lui19 ». De son côté, Richelieu, n’ayant reçu aucun soutien ferme, se
crut perdu. Livide et flageolant, désespéré, accablé, il rentra au Petit-
Luxembourg et annonça à Bouthillier, le visage contracté et la gorge nouée,
qu’il allait se retirer des affaires. Il commanda son dîner et ses équipages.
C’était fini. Sa vie, sa fortune, ses ambitions, son œuvre, tout s’écroulait. Il
venait d’avoir quarante-six ans.
La Cour avait appris dès la veille la rupture de la reine mère et du
cardinal et le renvoi d’une bonne partie de sa maison. On parlait de
disgrâce, d’exil, avec l’assentiment royal. Ne disait-on pas que Mme de
Combalet s’apprêtait à se retirer au couvent des Carmélites du faubourg
Saint-Jacques ? Le ministre honni renversé ! La bête terrassée ! Quel
événement ! Les bons dévots, les chats fourrés, les rutilants cabaleurs, les
ennemis obscurs de l’homme rouge, tous exultaient. Ils couraient en foule
au Luxembourg féliciter la reine mère. « La presse était si grande, confesse
Montglat, qu’on ne pouvait s’y tourner20. » Marie la déesse, les yeux
pétillants, la narine palpitante, voyaient les cieux ouverts. D’aucuns lui
suggéraient bien de ne pas laisser le roi seul à Versailles tant que la disgrâce
de son ennemi ne serait pas annoncée. Pourquoi aurait-elle tenu compte de
ces conseils pusillanimes ? Elle était sûre de sa victoire. Enivrée de sa
puissance retrouvée, elle ne songeait qu’à savourer les délices du triomphe,
à goûter les congratulations et les louanges qui s’élevaient comme l’encens
des autels. Les Guise, la princesse de Conti, la duchesse d’Elbeuf, Mme du
Fargis l’étourdissaient de mignardes flatteries, d’aimables gracieusetés,
qu’elle avalait à longs traits. Les courtisans ne tarissaient pas d’éloges sur
son habileté, son admirable conduite, digne des plus grands souverains de
l’univers. Au milieu de cet incessant va-et-vient de robes, de pourpoints
soyeux et de simarres chatoyantes, faisant l’étonné, jouant les modestes
mais n’en jubilant pas moins, Michel de Marillac méditait la constitution de
son gouvernement. L’heure avait sonné. Le cours de l’Histoire allait
changer !

Le roi, sans un mot rassurant pour Son Eminence, n’avait songé qu’à
fuir la marâtre. Lui commanda-t-il un peu plus tard de le suivre à
Versailles ? Il y a là une incertitude, l’un des rares points qui demeure
controversé. Plusieurs mémoires de l’époque vont dans ce sens, ceux de
Richelieu et le Journal d’Arnauld d’Andilly notamment. Saint-Simon
précise que ce fut M. de Tourville qui se chargea, à la demande de son père,
de transmettre l’invitation royale. Mais pour Montglat et Fontenay-Mareuil,
il n’en fut rien : c’est le cardinal de La Valette qui l’aurait persuadé de s’y
rendre. « Qui quitte la partie la perd », lui aurait-il lancé21.
Le rôle du fils du duc d’Epernon, vieil ami de Richelieu, contrairement
à son père, est attesté par la grande majorité des mémorialistes.
Malheureusement, ce rôle n’est pas très clair. Le roi avait-il déjà prié son
ministre de le rejoindre à Versailles ? La Valette lui parla-t-il de sa propre
initiative ou vint-il de la part de Sa Majesté22 ? On ne sait. Richelieu, en
tout cas, comprit que c’était sa planche de salut. Le « cœur au ventre »,
comme dit Tallemant des Réaux23, il sauta dans son carrosse et partit,
déchiré entre le désir contradictoire de dételer et celui de vaincre. Armand
Jean, cyclothymique, pessimiste, souvent abattu, n’était pas homme à se
dérober aux défis du destin !
Troisième et dernier acte
Louis XIII était arrivé dans son pavillon de chasse au début de l’après-
midi. Outre quelques chambres exiguës au rez-de-chaussée et dans les
combles réservées aux rares invités, le château ne comportait que quatre
pièces à l’étage noble, qui constituaient l’appartement du roi : une
antichambre, un cabinet de travail, une chambre à coucher et une garde-
robe. Les cheminées étaient de plâtre et les parquets de sapin. Un
inventaire, publié il y a un siècle par E. Coüard, nous le décrit au moment
de la journée des Dupes. Le cabinet, couvert de tapisseries de haute lice
représentant des déesses et éclairé de quatre chandeliers d’argent, était
meublé de deux bahuts, d’un coffre et d’une table, couverte d’un tapis de
Turquie, sur laquelle étaient disposés une écritoire de maroquin rouge et un
bougeoir d’argent. Dans la chambre à coucher, tendue également de
tapisseries de Flandre ayant pour thème l’histoire de Marc Antoine, on ne
trouvait qu’un lit de damas vert, surmonté d’un dais de brocatelle à fond
bleu, deux chaises et six escabeaux, une table pliante recouverte de damas
frangé de soie et d’or et une chaise percée de damas vert… N’étant pas
résidence royale, ni la Cour ni les ministres n’étaient ordinairement conviés
dans ce pavillon sans prétention.
Accompagné du marquis de Sourdis et de M. Bouthillier, Armand Jean
monta au premier étage et pénétra dans le cabinet royal. Qu’il l’attendît ou
non, Louis l’accueillit avec plaisir, en présence de son confident Claude de
Saint-Simon, du premier gentilhomme de la Chambre, Gabriel de
Rochechouart de Mortemart, et de son premier valet de chambre, M. de
Beringhen. Dans son Histoire de Louis XIII, le père Griffet a conté la scène
en détail. Son récit paraît vraisemblable. Le cardinal s’agenouilla, remercia
le roi, le « meilleur de tous les maîtres ». Celui-ci répondit qu’il « était le
plus fidèle et le plus affectionné serviteur qui fût au monde ». Ce que le
monarque avait le plus apprécié en lui en ces heures de crise, c’était son
silence respectueux, sa sérénité désarmante, sa déférence envers sa mère, en
dépit de ses invectives. Il lui avoua que si, à un moment ou à un autre, il
s’était emporté et lui avait manqué de respect, il l’aurait abandonné. Le roi
voulait croire que Marie n’était pas vraiment fautive, qu’elle était le jouet
d’une méchante cabale, dont il entendait protéger son ministre. Après ce
premier échange d’amabilités, le roi invita le cardinal à coucher et lui
attribua la chambre au rez-de-chaussée, au-dessous de la sienne,
ordinairement réservée au comte de Soissons, prince du sang. On ne pouvait
lui faire meilleur accueil. Puis, l’entourage s’étant retiré à sa demande, les
deux hommes parlèrent très longuement, quatre heures durant, précise
Arnauld d’Andilly. Nous connaissons les sujets abordés par deux fidèles de
Richelieu, Guron et Sirmond, eux-mêmes informés par leur patron.
En réalité, Richelieu n’était pas rassuré pour l’avenir. L’éclatante
confirmation de sa faveur ne le prémunissait pas contre les difficultés qui ne
manqueraient pas de renaître avec la reine mère. Il savait qu’elle ne lui
pardonnerait jamais. On irait de crise en crise. Ses nerfs étaient incapables
de supporter plus longtemps cette atmosphère empoisonnée. Aussi proposa-
t-il à nouveau sa démission. Il mènerait une vie retirée dans son château.
Etait-il sincère ? Probablement. Son affrontement avec Marie l’avait
grandement éprouvé.
Le roi écarta ses arguments. L’intérêt du royaume exigeait qu’il restât.
Se dérober était une faiblesse, une lâcheté. Richelieu s’entêta. « Je vous
commande absolument de rester, lui répondit le roi, et de continuer de tenir
le timon des affaires, parce que telle est mon irrévocable décision. – Mais,
Sire, de quels yeux le monde verra-t-il Votre Majesté me garder avec le
reproche public d’être ingrat à l’égard de la reine ? – Il ne s’agit pas de la
reine, répliqua le souverain qui revenait à son idée fixe, mais de la cabale et
des monopoles de tel ou tel qui ont provoqué cette tempête. Je m’en
prendrai à eux24. » Il conclut en affirmant que s’il respectait sa mère, il était
plus obligé encore envers son Etat. Et il embrassa Son Eminence.
Certains historiens, se basant sur le récit de Vittorio Siri (1679), repris
par Valdori (1717)25, ont relaté cette journée décisive, ce « grand orage de
la Cour » comme dit Richelieu, à la manière d’un drame cornélien mettant
en scène le roi hésitant, tiraillé entre sa mère et son ministre, désemparé,
désarçonné. Or, ces récits, émanations déformées des souvenirs de Saint-
Simon père, présentent une interprétation erronée des événements (que
Saint-Simon fils dans son fragment historique atténue sensiblement). Il est
douteux en effet qu’à l’issue de l’entrevue du 10 novembre le roi se soit
rangé aux raisons de sa mère et ait accepté de nommer Marillac Premier
ministre. Aucun document d’époque ne vient étayer pareille hypothèse. Ce
serait une erreur de croire que, pendant les mois précédents, Louis XIII ait
refusé de choisir entre la politique du cardinal et celle de ses ennemis.
Depuis l’Avis au roi du 13 janvier 1629, il avait opté pour des actions
d’éclat à l’extérieur contre le pacifisme béat des dévots, pour la France
contre l’Espagne, pour la politique nationale contre l’internationale
catholique. Manifestement, les menées de Michel de Marillac et les
« intentions malignes » de l’Espagne, dont lui avait parlé le cardinal,
l’inquiétaient. Mais il avait pensé jusqu’au bout maintenir ses relations avec
l’ex-régente. Cette matrone accapareuse, susceptible et jalouse, représentait
une puissance politique. Outre l’attachement maternel qu’en chrétien
scrupuleux il s’efforçait d’entretenir, attachement tant de fois contrarié, il
savait que sa voix comptait au Conseil : n’était-elle pas la belle-mère de
trois puissants souverains, les rois d’Espagne et d’Angleterre et le nouveau
duc de Savoie ?
Richelieu aussi désirait conserver ce système de double allégeance qui
lui avait jusque-là réussi. Il avait tout fait pour demeurer dans les bonnes
grâces de la régente, avait multiplié les protestations de dévouement, lui
avait envoyé des cadeaux, dont elle ne l’avait jamais remercié. La rancune
de cette femme ulcérée, son aveuglement envenimaient tout. L’ascension de
son surintendant depuis le siège de La Rochelle lui portait ombrage. Il ne
dépendait plus d’elle et c’était bien là son principal grief. A cause de cet
ingrat, qui exerçait tous les pouvoirs, elle n’était plus rien ! Elle ne se
sentait plus la maîtresse incontestée, même si, dans la pratique, ses
compétences étaient nulles. Seules comptaient les apparences. Avec
l’amertume de la mélancolie, desservie de surcroît par sa médiocre
intelligence, elle refusait l’âge et le déclin. La première crise, à
Fontainebleau, en octobre 1629, n’avait été suivie que d’un mauvais
replâtrage. Il fallait une rupture violente, définitive, bref une révolution
politique. Et cette révolution, c’était l’obstination du roi à soutenir son
Premier ministre qui la rendait indispensable. Si l’on en croit le récit de
Lepré-Balain, biographe du père Joseph, Louis dès la première rupture avait
dit au cardinal qu’il voulait le voir contribuer « au soin de ses affaires » et
qu’il « se déferait plutôt des importunités de la reine sa mère et de celles de
ses cabaleurs ». Entre la piété filiale et la raison d’Etat, il avait choisi depuis
longtemps.
Au cours de cet affrontement, l’homme faible, fragile, avait été
Richelieu plutôt que le roi. Il paraissait tétanisé par l’hostilité déclarée de la
reine mère, par sa haine et ses calomnies. Il desséchait à vue d’œil, raconte
son premier biographe, Aubery (1660), s’abandonnant si fort au chagrin
« qu’il n’était tantôt plus reconnaissable ». Le « grand orage », à bien des
égards, est un drame de la fidélité à l’ancienne, le protégé ne pouvant
admettre d’être injustement renié par son protecteur, en l’occurrence sa
protectrice, alors que celle-ci avait le sentiment d’avoir été trahie. Un drame
qui avait la violence d’un amour déçu.

Mais revenons à Versailles, où la crise allait connaître son dénouement.


En cette soirée du 11 novembre, Louis XIII, après son entretien avec le
cardinal, arrêta seul les mesures qui s’imposaient. Il convoqua sur-le-champ
ses ministres et secrétaires d’Etat – Claude Bouthillier, seigneur de Pont-
sur-Seine, Henri de Loménie de Brienne, seigneur de La Ville-aux-Clercs,
tous deux secrétaires d’Etat, Claude de Bullion, surintendant des
Finances –, à l’exception de Marillac, à qui il commanda de se rendre à
Glatigny, à une demi-lieue de là. Le garde des Sceaux se méprit sur l’ordre
royal, et son entourage avec lui : il crut libre la route vers le pouvoir
suprême ! Et chacun au moment de son départ de féliciter obséquieusement
le nouveau maître de la France.
Tandis que sur la butte venteuse de Versailles les ténèbres et les
froidures de novembre enveloppaient le petit château, le Conseil s’ouvrit
dans le cabinet du roi, au premier étage. Parlant clairement, mais
sobrement, Louis XIII rappela la multitude des cabales qui avaient traversé
les affaires depuis plus d’un an, les obstructions lors de la première
expédition d’Italie, alors que le prestige de ses armes était en jeu, les
inadmissibles incidents à Lyon, les intrigues autour de la reine mère, les
agissements de Mme du Fargis dans l’entourage de sa femme, les mauvais
conseils du duc de Bellegarde à son frère… Le grand responsable portait un
nom : Michel de Marillac ! Il se devait de lui ôter les sceaux. Par respect
pour ses cheveux blancs, il ne serait pas châtié, mais exilé. Par qui le
remplacer ? Très vite un nom s’imposa, celui d’un conseiller d’Etat réputé
pour son intégrité, Charles de L’Aubespine, sieur de Châteauneuf, client de
Richelieu, qui l’avait employé dans diverses missions. Il avait les faveurs
des gens de robe longue. Cette décision fut suivie d’une autre : l’arrestation
de Louis de Marillac, le maréchal, demi-frère du disgracié, lourdaud jouant
au bellâtre, flagorneur hypnotisé par le luxe, la parure, et d’une cupidité
sans bornes. On venait malencontreusement de le nommer la veille à la tête
de l’armée d’Italie. Il fallait maintenant le neutraliser. S’il apprenait la chute
de son frère, ce soldat au caractère bouillant (au siège de Montauban, on
avait dû le suspendre six jours pour avoir cruellement battu une sentinelle !)
serait bien capable, tel un général romain, de faire tourner bride à ses
troupes et de marcher sur la capitale, d’autant qu’il venait de lever en
Champagne six ou sept mille hommes, encadrés par des parents ou amis. Il
était gouverneur de Verdun, l’une des clés de la capitale, que son dévoué
neveu, Biscarrat, tenait pour son compte. A l’abri de l’épaisse muraille grise
de cette place des Trois-Evêchés, il pouvait aisément fomenter une prise
d’armes. Bref, il fut décidé à titre préventif de le mettre aux arrêts et
d’expédier de toute urgence à cet effet une lettre de cachet au maréchal de
Schomberg, qui servait également en Italie. Ensuite, on aviserait. Le
Conseil, subjugué par la détermination du souverain, fut levé tard dans la
nuit. Richelieu n’avait presque rien dit. Restait à rédiger la dépêche au
maréchal de Schomberg. Claude Bouthillier, secrétaire d’Etat, s’y attela
sous la dictée du roi.

La disgrâce et l’exil de Michel de Marillac


Arrivé vers une heure du matin à Glatigny, où il avait trouvé un gîte de
fortune, Michel de Marillac apprit la présence de Richelieu à Versailles et la
tenue d’un Conseil auquel il n’avait pas été convié. Il tomba de haut, à en
avoir le vertige. Revenu de ses plus chères espérances, il rédigea sa lettre de
démission et ne dormit pas de la nuit. Son aumônier l’accompagnait. Il le
confessa et dit la messe. A l’épître, parurent La Ville-aux-Clercs et Charles
Duret de Chevry, président de la Chambre des comptes. « Monsieur, lui dit
La Ville-aux-Clercs, je viens vous parler de la part du roi. – Monsieur,
répondit le vieil homme, voulez-vous bien que nous achevions d’ouïr la
messe ? » L’office terminé, le secrétaire d’Etat lui redemanda les sceaux.
Marillac lui remit la petite clé, toujours suspendue à son cou, qui ouvrait le
coffret contenant les sceaux de France, coffret qu’il envoya quérir aussitôt.
Puis il signa sa démission. Il paraissait soulagé.
Un exempt des gardes du corps s’avança alors : il devait l’accompagner
jusqu’au lieu de sa retraite fixé par Sa Majesté. C’était donc l’exil !
Marillac aurait dû s’en douter. Un ministre disgracié reste rarement libre de
ses mouvements. En compagnie de son aumônier et de quelques serviteurs,
il fut donc invité à monter dans une voiture qui partit dans la brume du petit
matin, escortée de huit archers à cheval. Pour quelle destination ? On n’en
savait rien. Le pieux homme avouera le 26 novembre qu’il tremblait
d’épouvante, sous l’effet de « l’esprit malin » qui lui voulait faire perdre
l’espérance26. La voiture roula plusieurs jours. Il n’avait le droit ni d’écrire
ni de parler, sinon à ses gens. A Lisieux, où il resta six semaines enfermé
dans une hostellerie, il passa son temps en oraisons, messes, chapelets et
lectures pieuses. A Evreux, le pauvre Michau dut emprunter seize cents
livres à l’un de ses parents pour payer les frais de ce voyage vers l’inconnu.
Quel renversement de fortune ! Au moment où il croyait atteindre à la
félicité, il tombait dans l’abîme ! Il passait ainsi de « la plus grande autorité
du royaume – il n’y en a point de plus grande ni de plus étendue fondée en
charge que celle-là – à la plus basse sujétion ». On ne lui avait rien épargné,
jusqu’aux offenses à la pudeur. « Même pour les nécessités, précise-t-il,
j’avais la présence d’un archer ! » Le roi hésita sur le lieu de détention.
Enfin, il opta pour le solide château-forteresse de Châteaudun. Ce fut la
dernière demeure de l’ancien garde des Sceaux. Il y mourut le 7 août 1632,
à soixante-neuf ans, ravagé de chagrin27.

Ainsi s’achevait la tentative de résistance du parti dévot à la volonté


royale, exprimée par Richelieu. Des historiens n’ont pas caché leur
préférence pour la politique pacifique de l’honnête Marillac, à l’opposé de
celle, indiscutablement plus brutale et plus coûteuse en vies humaines, du
cardinal. On peut se demander néanmoins si cette option était cohérente et
viable à terme. En souhaitant à la fois la poursuite du processus absolutiste
à l’intérieur et l’entente avec la maison d’Autriche à l’extérieur, Marillac
privait en effet la noblesse guerrière, qu’il prétendait flatter au détriment de
la robe, d’une gloire lui servant d’exutoire. Il l’empêchait de se battre au
service du roi. En la maintenant sur ses terres, tout en rognant ses libertés,
en l’invitant à l’oisiveté et donc aux intrigues, il courait le risque de se
l’aliéner. Tôt ou tard, sa farouche volonté de centralisation se serait heurtée
à une réaction aristocratique plus vigoureuse peut-être que celle que le
grand cardinal dut affronter. Et la troisième voie, l’anarchie féodale, celle-là
même qu’affectionnait Gaston l’inconstant, le « prince charmant », aurait eu
probablement raison de l’expérience. La carte de l’Europe en aurait été
durablement modifiée, et la France peut-être dépecée, plus sûrement
satellisée. La soumission ou la grandeur, y avait-il alors d’autre choix ?

Après sa mission à Glatigny, M. de La Ville-aux-Clercs en avait une


autre à remplir tout aussi délicate, sinon plus, celle d’annoncer à Marie de
Médicis au palais du Luxembourg la disgrâce et l’arrestation de son
protégé, la promotion de Châteauneuf et la confiance du roi renouvelée au
cardinal. La reine mère, qui savourait encore les délices de son supposé
triomphe, tomba des nues. Elle manqua défaillir. Quand elle revint à elle, ce
fut pour exploser et se répandre en imprécations furibondes contre son
ancien factotum. Non, elle ne lui pardonnerait jamais ! Car pour elle, ce
n’était pas son fils qui avait pris ces foudroyantes décisions, mais bien ce
satané prélat, cet ingrat, ce parjure qui avait caché son jeu et trompé son
monde ! De rage, elle voulut courir à Versailles et « en tirer Richelieu par
violence ». Mais c’était impossible, La Ville-aux-Clercs le lui répéta. Au
reste, Sa Majesté allait bientôt quitter sa demeure. Chacun comprit la
situation. La désolation gagna le palais, d’où s’éclipsait discrètement la
foule des flatteurs et des solliciteurs. Quand on sut que le cardinal, radieux,
avait été aperçu dans Paris, à la portière du carrosse royal, il n’y eut plus au
Luxembourg que de grands salons vides. Guillaume Bautru, comte de
Serrant, réputé pour ses bons mots, ironisa : « C’est la journée des dupes ! »
L’Histoire retiendra la formule…

L’arrestation du maréchal de Marillac


Pendant ce temps, le sieur de L’Espine, huissier de cabinet, galopait à
franc étrier en direction des Alpes. Le 21 novembre, sur l’heure de midi, il
arriva la monture essoufflée au camp de Foglizzo, en Piémont. Au milieu
des faisceaux de mousquets et de carabines à rouet posés sur les gabions,
les tentes s’alignaient sagement le long des rives de l’Orco. Des soldats
pansaient les chevaux, d’autres fumaient leur pipe en terre ou jouaient aux
dés sur la peau d’un tambour, tandis que dans les chaudrons mijotait la
pitance de la troupe. Au quartier général, installé dans la plus spacieuse
maison du bourg, les trois maréchaux s’apprêtaient à se mettre à table. La
« viande était portée », avait-on annoncé. Alors, là aussi, se déroula une
journée des Dupes. Vingt-quatre heures auparavant un coursier avait remis
au maréchal de Marillac la lettre de Richelieu le nommant commandant en
chef de l’armée d’Italie. Le nouveau promu plastronnait. La cabale des
dévots, derrière la reine mère, venait enfin de l’emporter !
L’Espine tendit sa dépêche à Schomberg, qui la décacheta et s’approcha
d’une fenêtre pour la lire. La Force qui l’avait suivi, eut le temps de voir
dans la marge deux lignes de l’écriture du roi28. Il comprit qu’elle annonçait
quelque chose de grave. Il l’arracha des mains de son collègue et entraîna
celui-ci dans un corridor. « Monsieur, lui dit-il, lisez votre lettre en
particulier ! » Pendant ce temps, Marillac, qui ne s’était aperçu de rien,
s’était attablé. Schomberg, qui avait enfin lu la dépêche, regagna sa
chambre et chargea un officier des gardes françaises, le comte de Puységur,
de convoquer au plus tôt tous les capitaines de son corps. Une fois arrivés,
il passa en leur compagnie dans l’appartement du maréchal de La Force,
puis de là, traversant la cour, rejoignit la salle où Marillac achevait son
repas.
La Force s’adressa au maréchal : « Monsieur, je suis votre ami, vous
n’en devez pas douter, je vous demande comme tel que vous voyiez et
receviez les ordres du roi sans murmurer, sans vous emporter et même avec
patience : peut-être ne sera-ce rien, mais vous verrez dans la lettre du roi
une apostille écrite et signée de sa main… » C’est ainsi, relatent les
Mémoires de Puységur, que le frère du garde des Sceaux exilé prit
connaissance de son ordre d’arrestation29. Il accueillit la nouvelle avec
stupeur, blêmit, mais ne manifesta ni emportement ni violence, se
contentant de dire à La Force : « Monsieur, il n’est pas permis au sujet de
murmurer contre son maître… » On le mit donc aux arrêts, sous la
surveillance d’un capitaine et de cinq officiers, qui eurent la délicatesse
d’attendre le soir pour lui réclamer son épée. Résigné, prêt à renoncer aux
honneurs du monde, le maréchal écrivit au roi le 22 novembre : « Sire,
Votre Majesté m’a fait voir entre deux soleils mais d’une lumière fort
différente deux commandements de sa part, qui tous deux m’ont percé le
cœur ; le premier, de joie à la vérité très grande, parce qu’il me portait des
marques de sa confiance et de son estime, l’autre, de douleur très amère,
parce qu’il me donne celle de son indignation… Mais l’un n’a pas trouvé
moins que l’autre de prompte obéissance en moi30. »
D’abord transféré au vieux donjon de Veillane, près de Rivoli, il fut
conduit quelques semaines plus tard à Lyon par une escorte de vingt
cavaliers et, de là, au château de Sainte-Menehould, en lisière de la forêt
d’Argonne. Il y arriva fiévreux et courbaturé d’avoir voyagé deux mois
dans une inconfortable litière, étroite et basse.
L’homme au caractère épineux n’était pas un foudre de guerre ; il avait
fait preuve d’une prudence un peu excessive au siège de La Rochelle et,
plus sûrement, de mauvaise volonté lors de l’approche de Casal, mais en
fait on n’avait rien à lui reprocher, si ce n’est qu’il était demi-frère du chef
de la cabale ultramontaine et pro-espagnole et n’avait pas fait mystère d’en
être. Impossible de le condamner pour lèse-majesté : il avait invité sans
difficulté son neveu Biscarrat à rendre les clés de Verdun et désavoué les
officiers de ses compagnies qui s’étaient débandés. Néanmoins, on jugea
plus prudent de le garder en prison, où il pouvait servir d’otage.
Bassompierre subit aussi les foudres royales. Comme on avait trouvé chez
lui une lettre compromettante de son collègue Marillac et qu’il avait
toujours montré sa méfiance envers Richelieu, il fut conduit à la Bastille
(avant de monter en carrosse, l’exempt lui permit de brûler les quelque
6 000 lettres et billets que lui avaient valus ses bonnes fortunes). Il devait y
rester douze ans, jusqu’à la mort du cardinal… Le duc de Guise, quant à lui,
sollicita prudemment la permission de se rendre en pèlerinage à Notre-
Dame-de-Lorette, traversa les monts, passa en Italie et ne revint jamais…

Marie fait de la résistance


Richelieu, qu’on avait vu si hésitant, avait repris ses esprits et son
assurance. Au comble de la satisfaction, il écrivit dès le lendemain de son
séjour à Versailles une belle lettre de reconnaissance et de soumission au
roi. Désormais, il n’aurait plus qu’un unique patron :
« Les singuliers témoignages qu’il vous plut hier de me rendre de votre
bienveillance m’ont percé le cœur. Je me sens si extraordinairement obligé
que je ne saurais l’exprimer […]. Je vivrai en cet état comme étant cent fois
plus à Votre Majesté qu’à moi-même31… »

Tandis que Louis XIII s’était installé à Saint-Germain, mettant


ostensiblement quelques lieues entre sa mère et lui, Marie de Médicis, dans
son palais du Luxembourg désormais déserté, vit que le roi était sans état
d’âme, qu’il n’y avait rien à négocier ni à discuter, que son élimination
politique était totale.
Le cardinal n’était pas dans le même état d’esprit. L’inquiétude l’avait
repris et gâchait son triomphe. Il lui pesait de porter la responsabilité morale
de la rupture de la mère et du fils, se doutant bien que cela lui serait tôt ou
tard reproché. Dans le fond, il craignait la versatilité du roi. Aussi tenta-t-il
quelques ouvertures du côté de la reine mère. Que lui demandait-il ? Non de
revenir sur les décisions concernant sa propre maison, mais simplement
d’accepter de bon gré sa présence au Conseil, où il serait agréable à tous
qu’elle continuât de siéger. Pas plus. Admettre la situation nouvelle
d’entente étroite entre son fils et lui, tout en gardant sa place privilégiée
auprès du trône. Le 18 novembre, Claude de Bullion, surintendant des
Finances et partisan zélé de Richelieu, lui proposa cet accommodement.
Rien n’y fit. Marie était furieuse. Elle pleura, mais ne voulut pas se rendre :
« Cela est bon quand on se soumet, mais on m’étranglerait plutôt que de me
faire faire rien par la force ! »
Le lendemain, elle commanda son carrosse et fila voir le roi à Saint-
Germain. Louis la reçut avec froideur. Elle alla droit au but : plutôt mourir
que de s’asseoir à la table du Conseil en présence du cardinal ! Il répondit
qu’il continuerait de l’honorer comme sa mère, mais que sa décision
touchant son ministre était sans appel. Il le garderait « jusqu’à la mort ».
Deux jours plus tard, il répéta le propos à une délégation du Parlement :
« Vous savez où l’animosité a porté la Reine ma mère contre Monsieur le
cardinal. Je veux honorer et respecter ma mère, mais je veux assister et
protéger le cardinal contre tous. » L’apprenant, Marie s’exclama, en parlant
de Richelieu : « J’aime mieux être damnée que de manquer à lui faire sentir
les effets de ma vengeance ! »
L’intéressé multipliait les émissaires : Bouthillier de Rancé, le propre
secrétaire de la reine mère : elle le chassa sur-le-champ ; son confesseur, le
père Suffren : elle le rembarra ; un obscur père capucin : elle ne l’écouta
pas. Devant le nonce apostolique Bagni, dépêché en désespoir de cause, elle
changea de tactique : oui, elle acceptait cet accommodement, si les frères
Marillac étaient libérés. Inacceptable. Que faire d’une pareille obstinée ? De
Rome, Urbain VIII, le subtil Barberini, fin psychologue, l’avait bien dit :
« Elle a une tête telle qu’un marteau romprait plutôt le fer ! »
Enfin, le jour de Noël, charité chrétienne oblige, elle accepta de
recevoir l’ennemi dans la place, c’est-à-dire au Luxembourg, le père
Suffren en tiers. Ils échangèrent quelques propos sans se déchirer. Elle
renouvela sa demande de libération du maréchal de Marillac. Finalement,
sans condition préalable, d’assister au Conseil le surlendemain. Le cardinal
restait sur ses gardes. Comme l’écrivait le Vénitien Contarini, qui venait de
dîner avec lui dans la soirée du 26 décembre, il « ne pouvait et ne voulait
plus se fier à la reine, qui, comme tous les Italiens, conservait en elle
toujours verts les rameaux de la haine ».
Au Conseil, elle crut triompher en s’abstenant de jeter le moindre
regard en direction du félon. Mais ce fut pour constater l’ampleur de sa
défaite et ressentir l’humiliation de voir son fils, imperturbable, adopter les
dernières décisions décapitant sa coterie : la libération de M. de Vendôme,
l’exil de la cabaleuse Mme du Fargis et de la maréchale de Marillac (née
Catherine de Médicis, la « petite Catherine », comme on appelait cette
cousine de la reine mère), l’expulsion des derniers Espagnols de la suite
d’Anne d’Autriche (Louis venait d’apprendre le projet de remariage de sa
femme avec Gaston, agité pendant son agonie), la suppression des entrées
du Louvre au marquis de Mirabel, ambassadeur de Philippe IV, qui devrait
désormais solliciter des audiences, comme les autres. C’était dit : elle n’y
remettrait plus jamais les pieds !

Louis XIII et Richelieu essayaient parallèlement d’amadouer Gaston, de


crainte de quelque nouvelle et ténébreuse dissidence de sa part. Ils le
savaient manipulé par les deux reines. Tout était à craindre de ce fantaisiste
instable, de ce velléitaire virevoltant, de ce facétieux sautillant qui signait
ironiquement les lettres à ses amis d’un « Gaston Piedœil, marquis de
Vitelevant » ! Ils gagnèrent ses deux principaux conseillers, Puylaurens et
Le Coigneux. Au premier, ils firent miroiter une gratification de
150 000 livres et le duché d’Amville, au second une charge de président à
mortier au parlement de Paris et le chapeau de cardinal. En échange, ceux-
ci obtinrent de l’héritier du trône qu’il « promettrait et donnerait parole de
prince à Sa Majesté d’aimer, assister et protéger, selon les intentions du roi,
M. le cardinal de Richelieu en tout temps ; promettrait de fermer la bouche
à tous ceux qui lui en voudront parler mal, leur témoignant ouvertement
qu’ayant donné parole au Roi de l’aimer, il ne pourrait rien souffrir qui fût à
son désavantage ».
Mais les promesses de Gaston étaient promesses de Gascon ! Il est vrai
que, comme ses deux conseillers se disputaient sur les récompenses à
recevoir, le roi avait différé les nominations. Quelques jours plus tard, le
31 janvier 1631, Richelieu était surpris dans son hôtel d’Angennes, rue
Saint-Honoré, par des claquements de bottes et d’éperons : c’était le frère
du roi qui débarquait à l’improviste, entouré d’une tumultueuse cohorte de
gentilshommes, l’épée au côté. « Vous trouverez bien étrange, commença-t-
il, le sujet qui m’amène ici. Tandis que j’ai pensé que vous me serviriez, je
vous ai bien voulu aimer. Maintenant que je sais que vous me manquez à
tout ce que vous m’avez promis, je vous retire la parole que je vous ai
donnée de vous affectionner ! »
Richelieu fit l’étonné. Orléans évoqua alors les demandes non
satisfaites de son ami le duc de Lorraine et les bruits selon lesquels il
abandonnerait sa mère. « Il n’est pas besoin de plus grands
éclaircissements », ajouta-t-il. Avant de sortir, il lança, menaçant : « Si
votre qualité de prêtre ne m’avait pas retenu, je vous aurais déjà traité
comme vous le méritez ; mais sachez que votre caractère sacré ne vous
garantira pas à l’avenir des châtiments qui sont dus à ceux qui offensent des
personnes de notre rang ! » Puis, il tourna les talons, remonta en selle et
piqua avec sa troupe en direction d’Orléans32. Cette fureur était attisée en
vérité par ses conseillers Puylaurens et Le Coigneux, mécontents de n’avoir
rien reçu.
Louis XIII, aussitôt averti, rendit visite au cardinal déconcerté, et lui
manifesta publiquement son soutien. Il l’avait défendu contre sa mère, il le
défendrait contre son propre frère ! Marie de Médicis était, sinon à
l’origine, du moins au courant des projets de son cadet. Elle lui avait remis
les bijoux qu’elle avait hérités de sa défunte épouse, Marie de Montpensier.
Il y en avait pour un million de livres : de quoi lever une armée ! Louis se
précipita au Luxembourg, fit une scène à sa mère pour avoir laissé partir
Gaston. Elle le prit de haut, jetant feu et flamme contre le cardinal. On se
dirigeait vers une nouvelle guerre, non plus de la mère et du fils, mais des
deux frères…
Durant ces jours éprouvants, Richelieu avait eu la satisfaction de
constater que jamais le soutien du roi ne lui avait manqué. Il avait eu tort de
redouter sa versatilité. Entre les deux hommes, l’entente était étroite, sans
faille ; elle devenait presque amicale. Voici que Louis lui offrait des oiseaux
pour sa volière. Touchante attention. « Je suis très aise que mes oiseaux
vous aient fait plaisir, lui écrit-il. Je me porte fort bien, Dieu merci, et je
suis fort gaillard, en dépit de ceux qui ne vous aiment pas. Je vous puis
assurer que je vous tiendrai ce que je vous ai promis jusqu’à la mort. »
Loin d’être un éternel irrésolu, le roi était parfois un homme impulsif. Il
décidait vite, mais il lui arrivait d’être bourrelé de scrupules religieux,
surtout au sujet de sa mère. Elle était odieuse, abusive certes, une vraie
virago, une acariâtre, s’aigrissant avec l’âge, mais la traitait-il en fils
suffisamment respectueux ? Avait-il le droit d’agir ainsi ? Ces questions, il
se les était posées de multiples fois. Il se les posa encore après la journée
des Dupes. Pour en avoir le cœur net, il consulta plusieurs confesseurs et
théologiens, qui le rassurèrent : son devoir de roi passait avant celui de fils.
Ses peuples avaient droit à la tranquillité.

À Compiègne
En février 1631, la Cour partit pour Compiègne. Marie avait suivi.
C’était un geste de bonne volonté. Le roi en profita pour tenter une dernière
ouverture. Peut-être accepterait-elle finalement d’assister au Conseil ? Il lui
envoya successivement le père Suffren, le nouveau garde des Sceaux
Châteauneuf, le maréchal de Schomberg, son médecin Vautier, qui
insistèrent. En vain. L’entêtée réclamait l’éloignement de Richelieu. C’était
désolant !
Il fallait en finir. Le Luxembourg était devenu un foyer de révolte,
Gaston levait des troupes en province, l’or espagnol soutenait les complots.
Pour de misérables affaires de famille, la guerre civile menaçait de
reprendre et de ruiner l’Etat. Au Conseil du 22 février, le cardinal, toujours
perturbé par les vaines chicanes mère-fils, proposa encore une fois sa
démission. N’était-ce pas le meilleur moyen de réconcilier les parties en
présence ? Tous se récrièrent. Louis renouvela pour la énième fois sa
confiance à son principal collaborateur et, après avoir examiné avec lui les
solutions possibles, annonça sa décision de se séparer de sa mère, au moins
pour quelque temps, dût-il passer pour un fils ingrat. Il la laisserait à
Compiègne, en attendant de statuer sur son lieu d’exil, et il rentrerait à Paris
avec la Cour et le gouvernement.
Le lendemain 23, de très bonne heure, il prévint Anne d’Autriche de
devoir commander ses malles. Celle-ci lui conseilla d’aller prendre congé
de sa mère. C’était trop lui demander. Alors, Anne, qui avait été longtemps
en mauvais termes avec sa belle-mère, se chargea de lui porter la nouvelle.
Les deux femmes allaient être séparées pour toujours, mais elles resteraient
unies par la pensée, solidaires dans leur haine du cardinal, qu’elles
considéraient comme l’auteur de leur commun malheur.
En fin de matinée, un double mouvement s’opéra. Le cortège royal
quitta Compiègne, laissant le maréchal d’Estrées et huit compagnies du
régiment des gardes investir les accès à la cité. La reine mère demeurait au
château, libre de ses mouvements et de ses promenades, mais sous haute
surveillance. Ses meilleures amies, les duchesses d’Elbeuf et d’Ognano, la
connétable de Lesdiguières étaient exilées sur leurs terres ; la princesse de
Conti était priée de gagner son château d’Eu et le père Suffren était
renvoyé. Quant à son médecin Vautier, dont Louis s’était toujours plus ou
moins défié, il était arrêté à Sens et conduit à la Bastille, où il retrouva le
maréchal de Bassompierre.
Le 24, M. de La Ville-aux-Clercs, l’homme des mauvaises nouvelles,
vint proposer à Marie d’établir sa résidence à Moulins. Elle en recevrait le
gouvernement, ainsi que celui du Bourbonnais (Condé son titulaire en serait
dédommagé). Si elle acceptait, le roi lui rendrait son cher Vautier et
rétablirait ses pensions. L’offre était généreuse. Pour toute réponse, le
secrétaire d’Etat reçut une bordée d’injures. La reine mère redoutait que le
chemin du Bourbonnais ne se prolongeât au-delà de la frontière italienne…
Moulins était décidément trop près de Florence !
Puis, brusquement, elle changea d’avis. Elle courut à son écritoire et de
sa plus belle plume jeta sa soumission à son fils : « Je me suis résolue de
vous rendre l’entière obéissance que vous demandez de moi et de me retirer
à Moulins, en attendant que Dieu, protecteur de mon innocence, vous ait
touché le cœur et fait reconnaître le tort que la séparation d’avec vous me
fait, non seulement dans votre royaume, mais aussi par toute la
Chrétienté. »
C’était une ruse, évidemment, comme son tempérament dissimulé en
avait tant conçu lorsqu’elle était à Blois. Tout recommençait. Une fois de
plus, elle cherchait à endormir le roi et le cardinal. Son intention était de
rester à Compiègne, de s’y faire oublier et de s’en évader quand elle le
pourrait. Tous les prétextes étaient bons pour retarder son départ : elle
voulait de l’argent, puis la libération préalable de Vautier, puis la
modification de l’itinéraire par lequel elle devait rejoindre Moulins, et de
l’argent encore… Elle s’accrochait à la prédiction de la fin prochaine de son
fils aîné, que lui avait faite un astrologue. Le destin, pensait-elle, allait lui
venir en aide.
Louis XIII se doutait-il qu’elle ourdissait quelque chose ? Il fit revenir
les gardes françaises et les remplaça par douze compagnies du régiment de
Navarre. La surveillance aux abords du château fut renforcée. On restreignit
ses libertés dans l’espoir de la décider à partir. Elle refusa de quitter sa
chambre… Le roi était exaspéré. Il proposa de la rencontrer à Nantes, à
Chartres ou en tout autre lieu, si elle se mettait en route. Elle lui fit répondre
qu’il n’avait qu’à venir à Compiègne. Une vraie tête de mule !

Monsieur à Nancy
Pendant ce temps, Gaston, qui s’était installé à Orléans depuis son
algarade avec Richelieu, ne demeurait pas inactif. Il était entré en relation
avec l’ambassadeur d’Espagne et mûrissait avec ses conseillers le plan
d’une nouvelle rébellion. Il faisait des levées de troupes en Poitou et en
Limousin, accumulait armes et munitions, rassemblait des
approvisionnements. A la fin de février, le cardinal de La Valette fut envoyé
à Gaston pour le prier de se soumettre. Celui-ci refusa avec dédain. C’en
était trop !
Le 11 mars 1631, Louis XIII, prenant la tête de sa maison militaire, vint
s’établir à Etampes, à une étape d’Orléans. Monsieur, hors de lui, craignant
d’être assigné à résidence comme sa mère, décida de s’enfuir en Bourgogne
avec ses conseillers Puylaurens et Le Coigneux, les ducs d’Elbeuf et de
Roannès, son demi-frère Antoine, comte de Moret, et 400 cavaliers. Il
traversa la Bourgogne, talonné par les troupes royales. Dijon, de crainte de
représailles, refusa de lui ouvrir ses portes. Il prit alors la route de
Bellegarde (Seurre), où le duc l’accueillit à bras ouverts.
Son entourage rédigea en son nom une lettre au roi, que l’on imprima et
diffusa : le second fils de Marie de Médicis y prenait la défense de sa mère,
indignement traitée par d’odieux ministres. Le 26 mars, Louis XIII lui
répondit que, s’il quittait le royaume, c’était « l’effet de sa mauvaise
conduite, de ses mauvais conseils et de ses injustes desseins ». Allant plus
loin, le 30, de Dijon, il faisait enregistrer au Parlement une proclamation
flétrissant l’attitude de son frère et déclarant coupable de lèse-majesté tous
ceux qui l’avaient accompagné ou accueilli.
Gaston prit aussitôt leur défense et exposa les raisons de sa fuite,
essentiellement la crainte d’être arrêté33. Franchissant la frontière
espagnole, il traversa la Franche-Comté et parvint à Nancy le 28 avril, où le
duc de Lorraine, Charles IV, ennemi sournois de la France, lui fit fête. Il y
rencontra non seulement un ferme soutien politique, mais ce qu’il
n’attendait pas, l’amour ! Oubliant Marie Louise de Gonzague, il se prit en
effet d’une vive passion pour la jeune princesse Marguerite, la délicieuse
sœur cadette du duc de Lorraine, qui n’avait que quatorze printemps. Frêle,
douce et timide, la « petite Angélique » à la grâce juvénile, comme il la
surnommait, portait encore sa robe de couventine. De Compiègne, Marie de
Médicis, ravie de voir son fils renoncer à la fille des Gonzague, encouragea
l’idylle et le mariage…
Au lieu de faire de son départ une simple querelle privée avec son frère,
Monsieur saisit le Parlement et le prit à témoin dans son conflit avec
Richelieu. Il parvint à convaincre bon nombre de magistrats qui refusèrent
d’enregistrer la déclaration royale. Louis XIII fut obligé de les convoquer
au Louvre, d’en exiler quelques-uns et d’imposer l’enregistrement par un
arrêt du Conseil. Richelieu avait cherché à le calmer : « Je crois que Votre
Majesté, lui écrivit-il, pourrait user ici de son extraordinaire bonté et les
dispenser de l’exécution qu’elle résolut hier. Il est beaucoup meilleur que
les hommes reviennent d’eux-mêmes dans leur devoir que par la force qui
est un remède dont Dieu et les hommes ne se servent jamais qu’au défaut
du premier. » Mais Louis ne l’avait pas écouté. Au besoin, il aurait été
jusqu’au lit de justice !
Cependant, avec Gaston la surenchère continuait. Le 31 mai, celui-ci
rendit public un manifeste outrancier, d’une folle véhémence contre
Richelieu, qualifié de « prêtre inhumain et pervers, pour ne pas dire scélérat
et impie qui, trahissant son ordre et sa vocation, avait introduit dans le
ministère la perfidie, la cruauté et la violence ». Attaquant ce nouveau
« maire du palais », « ce tyran formidable » qui cherchait à devenir
« souverain de cette monarchie sous le titre de ministre », dénonçant ses
« crimes abominables », il prenait la défense des parlements et de leur droit
de remontrances, esquissant le modèle d’une monarchie non absolutiste
susceptible de satisfaire tant les dévots que les ennemis de la centralisation
royale. Suivait un couplet sur la misère et le dénuement des peuples, dont il
disait avoir été témoin lors de sa traversée de la France : « Il n’y a pas un
tiers de vos sujets dans la campagne qui mange du pain ordinaire, l’autre
tiers ne vit que de pain d’avoine, l’autre tiers n’est pas seulement réduit à la
mendicité dans une nécessité si lamentable qu’une partie meurt
effectivement de faim, l’autre ne se contente que de glands, d’herbes et de
choses semblables comme les bêtes et les moins à plaindre de ceux-ci ne
mangent que du son et du sang qu’ils ramassent dans les ruisseaux des
boucheries34… » Ce tableau de la grande misère du royaume de France,
sans doute réaliste, aurait paru plus émouvant si Monsieur l’avait brossé
avec le sincère désir d’y porter remède, à supposer que cela fût possible.
Mais il ne songeait qu’à en rendre responsable le cardinal et à se venger de
lui. A la vérité, cet étourneau de vingt-trois ans était manipulé par son
entourage, notamment par les Grands, qui se souciaient du peuple comme
d’une guigne. Le 13 août, le Parlement, cette fois bien stylé, enregistrait une
nouvelle déclaration royale, dirigée non seulement contre lui mais contre sa
mère. Entre-temps, en effet, celle-ci s’était enfuie de Compiègne…

Marie en exil
Si Marie de Médicis ne s’était pas évadée plus tôt de Compiègne, c’est
qu’elle n’avait pas encore réussi à trouver le moyen de gagner une place
forte sûre et au besoin les Pays-Bas espagnols. Mais, à la mi-juillet 1631,
tout était en place. Le jeune marquis de Vardes, qui venait d’épouser
Jacqueline de Bueil, l’ancienne maîtresse d’Henri IV, mère du comte de
Moret, ami et complice de Monsieur, était prêt à l’aider en lui ouvrant les
portes de La Capelle, proche de la frontière.
L’évasion fut moins romanesque que celle de Blois. Le vendredi
18 juillet, vers 10 heures du soir, une femme voilée entourée de quelques
gentilshommes se présenta au corps de garde. On confia au concierge, sous
le sceau du secret, qu’il s’agissait d’une noble dame de la maison de la reine
qui désirait se marier discrètement dans un ermitage voisin. Comment
s’opposer à une histoire d’amour ? Ce prétexte fut le sésame. A la sortie de
la ville, un carrosse attendait, qui partit aussitôt au galop. Au village de
Rosny, non loin de La Capelle, la fugitive apprit une mauvaise nouvelle : le
père du jeune Vardes était arrivé avant elle, avait exigé les clés de la
citadelle et contraint son fils à s’enfuir à Avesnes, de l’autre côté de la
frontière. C’était une opération de police remarquablement montée par
Richelieu. Après son mariage avec Jacqueline de Bueil, Vardes était en effet
étroitement surveillé. Son brusque départ de la Cour pour La Capelle, sans
autorisation, avait éveillé la suspicion du cardinal, qui avait demandé à son
père, indéfectible fidèle de Sa Majesté, de se renseigner. Sur place, celui-ci
ne tarda pas à découvrir l’intrigue et à reprendre en main la garnison.
Que faire ? Marie ne pouvait rebrousser chemin. La seule solution était
de franchir à son tour la frontière. Après tout, elle ne faisait qu’entrer dans
le royaume dont sa fille Elisabeth était reine. Elle passa la nuit au village
d’Estroeungt puis atteignit le lendemain 20 juillet Avesnes. De là, elle
écrivit une longue lettre justificative au roi. Le cardinal l’avait traitée en
criminelle et avait cherché à la faire mourir « entre quatre murailles ». Elle
n’avait agi que pour sauver sa vie et sa réputation ! La malheureuse délirait.
Balayant d’un revers cette « prison imaginaire », ces « persécutions
supposées », ces fausses « poursuites », son fils lui répondit que ses
récriminations étaient sans fondement. Le 25 juillet, au Louvre, devant les
représentants du Parlement, il fit lire une brève déclaration condamnant sa
mère, partie rejoindre son frère dans le camp des Espagnols. « Je ne les
crains pas et empêcherai bien qu’ils me fassent du mal », disait-il. Son
soutien à Richelieu était entier : « Quiconque l’aimera m’aimera, et je le
saurai bien maintenir. »
« La sortie de la reine mère et de Monsieur, écrit Richelieu dans son
Testament politique, fut comme une purgation salutaire. » Il reste que la
présence hors du royaume de la terrible femme, qui pouvait invoquer
l’appui de ses trois gendres, le roi d’Espagne, le roi d’Angleterre et le
prince de Piémont, et de son fils, Gaston, héritier de la couronne,
représentait une menace particulièrement grave. De purement privé, le
conflit familial s’internationalisait. L’enjeu, quoi que Marie en ait dit,
n’était pas seulement la disgrâce de Richelieu. C’étaient deux conceptions
de la politique qui s’opposaient et l’avenir de l’unité française qui se jouait.
Il n’y avait plus de discussion possible. Puisque Marie avait choisi
l’exil, que cet exil soit définitif ! Concrètement, elle fut autorisée à faire
venir ses meubles, ses bijoux et sa garde-robe, laissés à Compiègne, que
transportèrent jusqu’à Avesnes huit fourgons, cent chevaux et vingt-deux
mulets. Tous les membres de sa maison, officiers et serviteurs, purent la
rejoindre, à l’exception de deux, trop compromis, d’Argouges, son trésorier,
et Vautier, son médecin.

A l’invitation du roi d’Espagne, Marie se rendit à Mons, où elle fut


reçue avec magnificence par les chanoinesses de Saint-Wandru, les députés
des états du Hainaut et le corps de ville, qui organisèrent en son honneur
des festivités. L’énergique infante Isabelle Claire Eugénie, qui gouvernait
seule les Pays-Bas espagnols depuis la mort de son mari l’archiduc Albert
en 1621, vint chercher sa cousine*3 pour la conduire dans sa capitale, où un
accueil triomphal lui fut réservé : salves de mousquets et de canons,
sonneries de cloches, fanfares, harangues, visites aux églises, bals et
collations. On l’installa dans l’un des plus fastueux palais de Bruxelles,
celui des ducs de Brabant. Pierre Paul Rubens, qui avait peint la fameuse
série de tableaux du palais du Luxembourg, fut désigné pour la représenter
auprès d’elle. A Madrid, Olivares était moins enthousiaste, surtout quand il
vit ses demandes de subsides : 400 000 écus pour deux mois ! Il se
demandait comment se débarrasser de cette orgueilleuse, coûteuse et
encombrante, qui se leurrait sur son influence et perturbait le jeu
diplomatique, sans apporter de bien sérieux atouts. Il aurait aimé la voir se
retirer en Allemagne, à Aix-la-Chapelle, par exemple. Mais les
communications entre les deux parties du royaume étaient lentes. Marie en
profita.

L’arrivée de sa mère dans les Pays-Bas espagnols était pour Gaston,


toujours installé à Nancy, un encouragement à poursuivre ses menées contre
son frère et Richelieu. Son favori, Puylaurens, qui était allé la saluer à
Bruxelles, était revenu avec plusieurs caisses de ducats et de doublons :
100 000 écus offerts par l’Infante pour équiper son armée. Officiellement,
selon une dialectique éprouvée depuis longtemps par les Grands, il
s’agissait de faire la guerre non au roi de France mais à son mauvais
conseiller, cet abominable tyran de cardinal. Ses proclamations
commençaient ainsi : « Gaston, Fils de France, frère unique du Roi, duc
d’Orléans, Lieutenant général de Sa Majesté dans son royaume et sous son
autorité, contre le cardinal de Richelieu et ses adhérents… »
Gaston avait réussi à attirer à lui près d’un millier de gentilshommes
dont il avait formé un régiment installé à Luxeuil, sous le commandement
du marquis de Bressieux, membre éminent de la maison de la reine mère.
D’autres unités se créaient à partir de levées effectuées en Franche-Comté
espagnole. Il était entré, par ailleurs, en contact avec Wallenstein. Celui-ci
était prêt à lui louer pour trois ans une troupe de 25 000 fantassins et 4 000
cavaliers, à condition de garder toutes les conquêtes qu’elle ferait en
territoire français. Pourquoi pas ? Enfin il pouvait compter sur les effectifs
bien entraînés du duc de Lorraine : 18 000 hommes de pied et 2 000
cavaliers. Sa revanche, du moins l’espérait-il, allait être éclatante.

« La revanche de la Montagne Blanche »


Pendant ce temps, le brillant Gustave Adolphe avec son armée
disciplinée et bien équipée occupait la Poméranie, tombée comme un fruit
mûr. Il fallait poursuivre les conquêtes, faute de se retrouver rapidement sur
la défensive. Cette fois, le roi de Suède avait trop besoin d’argent pour
négliger les propositions françaises. Le 23 janvier 1631, un accord négocié
par M. de Charnacé fut signé à Bärwald ; il prévoyait l’entretien par le roi
de France, à raison de 400 000 rixdales par an pendant cinq ans, soit un
total de six millions de livres tournois, de 16 000 hommes, à utiliser
exclusivement en Allemagne. Ce n’était encore qu’un traité de subsides et
non un traité d’alliance35.
Ce rapprochement avec une puissance protestante contre la coalition
catholique de l’empereur posait un cas de conscience aux dévots. Proche
des milieux romains et ultramontains, tout en étant le plus intime
collaborateur de Richelieu, le père Joseph avait défini avec finesse le bon
usage de cette alliance de revers : « Il faut se servir de ces choses ainsi que
des venins, dont le peu sert de contrepoison et le trop tue. » Richelieu était
trop bon catholique, trop ennemi de l’hérésie protestante pour vouloir
délibérément favoriser le camp de la Réforme. Il avait d’ailleurs posé un
garde-fou dans les clauses du traité de Bärwald : Gustave Adolphe
s’engageait à respecter partout où il le rencontrerait le culte catholique.
C’est à l’Empereur et à son armée qu’il devait s’en prendre, non à l’armée
de la Ligue et des princes catholiques, celle de Tilly, sauf si elle ouvrait le
feu la première. Quelques mois plus tard, d’ailleurs, en mai 1631, une
alliance défensive était conclue entre la France et la Bavière, sous réserve
de la neutralité de cette dernière, rééquilibrant en quelque sorte l’alliance
protestante. La France garantissait à la maison de Bavière tant sa nouvelle
dignité électorale que ses acquisitions du Haut-Palatinat et du Palatinat
rhénan, menacées par l’Espagne. Ainsi se concrétisait l’idée du père Joseph
de constituer un tiers parti catholique entre l’Espagne et l’Empereur.
Equilibre subtil mais fragile. Comment faire jeu égal avec des alliés si
dissemblables, un monarque luthérien, se voulant le protecteur naturel des
Eglises et des entités protestantes d’Allemagne, et un prince, chef de la
Ligue catholique, qui tout en prenant ses distances avec les ambitions de
l’Empereur ne désirait pas se séparer de lui ?
Soutenue par la France, la descente de Gustave Adolphe dans les vastes
plaines germaniques fut foudroyante. Le roi de Suède prit sous sa protection
quelques princes allemands, à l’exception des électeurs de Saxe et de
Brandebourg qui voulaient ménager l’Empereur.
Pendant ce temps, l’armée de Tilly, à la recherche
d’approvisionnements, avait mis le siège devant la puissante place
protestante de Magdebourg qui espérait l’intervention de Gustave Adolphe.
Celui-ci n’eut pas le temps d’agir. Le 21 mai 1631, la ville fut prise
d’assaut, pillée, brûlée, la population – femmes, vieillards et enfants –,
sauvagement massacrée, malgré, semblet-il, les ordres de Tilly. Possédée
par une folie meurtrière, la soldatesque ivre, courant au milieu des flammes
et des corps qui se consumaient, n’épargnait rien, pas même les églises. On
estime le nombre des victimes à près de 25 000 sur une population
d’environ 29 000 habitants. L’épouvantable sac de Magdebourg, vieux
centre religieux et culturel de l’Allemagne du Nord, une des horreurs de la
guerre de Trente Ans, provoqua l’indignation générale. Surtout, il modifia
la donne : il jeta dans les bras des Suédois les derniers princes protestants
réticents, particulièrement Georges Guillaume, électeur de Brandebourg, et
Jean-Georges, électeur de Saxe, et permit à Gustave Adolphe de considérer,
conformément à l’accord de Bärwald, que, l’armée de Tilly portant la
responsabilité de la rupture, il lui était loisible de l’attaquer. La France
pouvait-elle encore jouer les arbitres entre protestants et catholiques
allemands ?
Cette armée catholique, le Suédois la rejoignit aux frontières de la Saxe,
à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Leipzig, dans la plaine de
Breitenfeld, où, le 17 septembre, il lui infligea une cinglante défaite, qui fit
plus de sept mille morts et neuf mille prisonniers dans les rangs bavarois et
impériaux. A ce moment-là, l’armée de Gustave Adolphe n’était plus
uniquement suédoise. S’y étaient adjoints plusieurs régiments d’infanterie
et de cavalerie, levés en Allemagne par des officiers tchèques ou allemands,
ce qui accentuait le caractère confessionnel de l’expédition. Breitenfeld fut,
selon l’historien germanique Ranke, la « revanche de la Montagne
Blanche ».

Les projets de Marie et de Gaston


Tous ces événements eurent naturellement des répercussions sur les
projets de Marie de Médicis et de Gaston. Avant même d’apprendre la
déroute de l’armée catholique, l’Empereur avait battu le ban et l’arrière-ban
de ses vassaux. S’acquittant de son devoir d’ost, Charles IV de Lorraine
quitta bientôt Nancy à la tête de ses troupes.
Depuis les intrigues entrecroisées de Mme de Chevreuse et de
Buckingham, Louis XIII et Richelieu se méfiaient de ce prince fourbe et
entreprenant, dont la majeure partie des Etats – vraie mosaïque de territoires
enchevêtrés, de culture à la fois française et germanique – relevait de
l’empire*4, et qui jouait un jeu trouble, analogue à celui du duc de Savoie.
Voyant la Lorraine ainsi dégarnie, ils décidèrent d’avancer le long de la
frontière les régiments cantonnés en Champagne. Afin d’en prendre la tête,
le roi se rendit d’abord à Troyes puis à Reims. Gaston, redoutant de voir son
frère marcher sur Nancy, gagna aussitôt les Pays-Bas espagnols avec ses
bataillons. L’affaire cette fois était beaucoup plus embarrassante pour
l’Infante. Accueillir avec les honneurs dus à son rang sa chère cousine, la
reine mère, qui s’était installée sur ses terres sans y avoir été invitée, n’était
pas franchement un geste d’hostilité à l’égard du roi de France. Il en allait
tout autrement de Gaston, de son entourage et de son corps d’armée, résolus
à la guerre. Or, il fallait se méfier des provocations, d’autant que les
Espagnols venaient d’essuyer en septembre un cuisant échec sur les
bouches de l’Escaut, lors d’une opération navale et terrestre lancée contre
les Provinces-Unies : près de 5 000 hommes avaient été faits prisonniers, et
la flottille de débarquement, avec ses chaloupes et ses pontons, avait été
totalement anéantie.
A la fin d’octobre, le maréchal de La Force, franchissant allègrement la
frontière du Luxembourg espagnol, dispersa près de Florenville, dans la
vallée de la Semoy, un des régiments de Gaston qui s’y était installé,
saisissant ses drapeaux et son unique canon. La nouvelle fit grand bruit en
France, où elle fut accueillie avec enthousiasme. La Gazette de Renaudot
invoquait la théorie du droit de suite, théorie promise à un bel avenir dans
les relations internationales… Le représentant du roi à Bruxelles fit ses
excuses à l’Infante, alléguant que le maréchal de La Force avait agi sans
ordre : il fallait évidemment éviter la guerre.
Outragé par cette agression, mais ne pouvant réagir directement faute
de moyens militaires, le gouvernement de l’Infante résolut d’aider de son
mieux Marie et Gaston dans leur révolte. L’idée était de s’appuyer sur la
place de Sedan, puissamment fortifiée, que tenait toujours le jeune duc de
Bouillon, sous la lointaine suzeraineté du roi de France. Bouillon, chef
protestant, nourrissait trop de rancœurs contre Louis XIII et Richelieu pour
ne pas s’associer à la très catholique Marie de Médicis et à son insatiable
désir de vengeance. L’accord fut négocié par Pierre Paul Rubens, qui
ajoutait à sa palette de peintre d’indiscutables talents d’agent diplomatique
secret. Il fut conclu le 7 novembre. Appuyées par des soldats espagnols, les
troupes de Gaston s’installeraient discrètement dans la ville qui servirait de
quartier général à l’expédition que la mère et le fils, désormais réunis à
Bruxelles, projetaient de mener dans le royaume.
Bien entendu, le cardinal fut mis au courant. Louis XIII, qui avait quitté
Reims pour Mézières, fit marcher l’armée du maréchal de La Force vers
Sedan, afin d’y entreprendre le blocus de la ville. Le vicomte de Turenne –
le futur et glorieux maréchal –, frère du duc de Bouillon (alors malade et
immobilisé à La Haye), comprit qu’il ne pourrait longtemps résister à
pareille concentration de forces. Il entama des négociations. Le
17 novembre, La Force entra dans Sedan, où les amis et partisans de Gaston
furent arrêtés. Elisabeth de Nassau, duchesse douairière de Bouillon, mère
du duc et du vicomte, prêta serment d’allégeance36. Quelques jours plus
tard, tous les habitants firent de même37.
Gaston d’Orléans essuya peu après une nouvelle défaite en tentant de
soulever les places de Rue et d’Ardres, en Picardie. Le responsable de
l’opération, La Louvière, fut capturé, condamné à mort et exécuté. Une
déclaration royale ordonna le séquestre de tous les biens et revenus en
France de Marie de Médicis et déclara coupables de lèse-majesté tous ceux
qui la soutiendraient. L’ancienne régente répliqua par une longue lettre
ouverte, publiée à Bruxelles en décembre 1631. Ressassant ses griefs, elle
présentait avec une infinie maladresse son fils comme l’esclave de
Richelieu, accréditant ainsi la légende du cardinal omnipotent et tyrannique.
Elle lança une nouvelle adresse au Parlement, en vain.

*1. L’actuelle caserne de la garde républicaine, 10, rue de Tournon.

*2. L’actuelle résidence du président du Sénat.

*3. Son père, Philippe II, était cousin germain de Jeanne d’Autriche, mère de Marie.

*4. A l’exception principalement du Barrois mouvant.


XVI
Le roi, la Cour et la société

Le roi
Entre le dessin de Daniel Dumonstier de 1621, conservé au musée de
Chantilly, et la célèbre toile de Philippe de Champaigne représentant le roi
dans son armure noire à lys d’or nuancée de reflets bleuis, peinte sept ans
plus tard*1, le contraste est saisissant. Le visage aux traits un peu lourds,
presque imberbe, s’est allongé. Physiquement, Louis s’est tardivement
épanoui aux abords de la trentaine : une silhouette élancée, sans être très
grande, un air d’élégance et d’indiscutable majesté, le teint pâle, le poil
noir, le front haut, les sourcils arqués, le nez fort et busqué, la lèvre
inférieure épaisse, le menton oblong, une moustache relevée et une courte
barbe à la royale. Des chutes de cheveux le contraignirent, à partir de 1633,
à porter une perruque, qui allait devenir un élément essentiel de la mode
masculine tout au long du siècle.
Parce qu’il n’a pas prononcé de grands discours ni laissé d’écrits, ne
faisons pas de lui un être intellectuellement diminué. Il comprenait vite.
Seule l’expression était déficiente. Au plan moral, il gardait la jalousie
ombrageuse de son adolescence, ce caractère défiant et soupçonneux que
nous lui connaissons, avec la même rudesse, la même fermeté, la même
âpreté contrainte, masquant une timidité, omniprésente. Il n’aimait pas
découvrir de nouveaux visages. Il prenait en aversion les personnes qui lui
déplaisaient et était souvent médisant. En même temps qu’il légiférait
contre les duels, rapporte Tallemant, il méprisait ceux qui avaient peur de se
battre. « Je pense, raillait-il, que tels et tels sont bien aises de mon édit sur
les duels1. » Par ailleurs, il était d’un naturel bon – « très humain » même,
disait le pape –, courtois, vertueux, soucieux d’équité, animé d’un sens
profond de la tempérance et de la modération. Il lui déplaisait de faire du
tort à quelqu’un. « Le roi est prudent et avisé, écrit Richelieu à Chavigny le
29 octobre 1636, affectionné au bien de ses affaires et à la conservation de
ses créatures. » Mme de Motteville note qu’il avait « de grandes vertus qui
pour son malheur n’étaient pas assez connues ». Cependant, l’élément
dominant était la fierté, et l’on sait combien il était pénétré de la grandeur
de sa fonction. Sa simplicité de mœurs ne l’empêchait pas d’apprécier les
éloges et les louanges, sans toutefois les rechercher. Sur la discipline, il était
particulièrement strict, impitoyable même. Il ne tolérait aucun murmure
dans les rangs. En mars 1622, par exemple, au Louvre, des soldats de la
garde, se plaignant de ne pas avoir touché leur solde, s’étaient révoltés. Il
descendit lui-même dans la cour, interpella les mutins, en saisit un au collet
et ordonna de le pendre dans les vingt-quatre heures. Le lendemain, le
condamné monta à l’échelle. Comme le bourreau allait lui donner « la
poussée », il lui accorda sa grâce2. L’exemple fit réfléchir.
Opiniâtre, il avait une volonté inflexible, qui nous éloigne de l’image du
roi débile, esclave de son Premier ministre. Il avait des mots durs, que
personne ne lui soufflait et des colères terribles, qu’annonçait le
frémissement du menton. Il passait pour un misanthrope à l’air renfrogné,
un chevalier à la triste figure. Ce n’était pas totalement faux. Perdu dans
une « tristesse morne », il lui arrivait de rester muet des jours, voire des
semaines. Mais, s’il riait rarement à gorge déployée, il savait sourire,
plaisanter, apprécier les saillies, surtout en étroite et amicale compagnie. Il
s’amusait ainsi des facéties de son bouffon Marais. Une anecdote :
mécontent des débauches de deux de ses musiciens, le roi leur avait
retranché la moitié de leur pension. Poussés par Marais, ceux-ci vinrent à
son petit coucher, habillés, l’un d’un pourpoint, l’autre d’un haut-de-
chausses. « Que veut dire cela ? » fit le monarque. « C’est, Sire, répondit
Marais, que gens qui n’ont que la moitié de leurs appointements ne
s’habillent aussi qu’à moitié ! » Au lieu de s’en offusquer, Louis éclata de
rire et leur redonna leurs émoluments.
C’était, il est vrai, un grand nerveux, un bilieux. On l’a vu, les
contrariétés avaient des effets immédiats sur sa santé, et sa santé sur son
caractère. Il lui fallait compter avec sa terrible maladie, aux crises répétées,
humiliantes, un sérieux handicap pour sa vie de roi. Combien de fois a-t-il
annoncé à Richelieu que son « ventre se bouffait » ? Les médecins ne
l’épargnaient pas, aggravant sans nul doute son état. En un an, Bouvard,
successeur d’Héroard, lui fit 47 saignées, lui administra 212 médecines et
215 lavements3. Ses sautes d’humeur donnaient l’impression qu’il était un
cyclothymique, et pourtant il ne manquait pas de constance, d’obstination
même. Ses difficultés d’élocution n’avaient pas disparu avec l’âge.
Tallemant nous relate sa rencontre avec le marquis d’Alambon, gouverneur
de Montmédy, lui-même « fort bègue » : « Le roi, la première fois qu’il le
vit, lui demanda quelque chose en bégayant. Comme vous pouvez penser,
l’autre lui répondit de même. Cela surprit le roi, comme si cet homme eût
voulu se moquer de lui. Voyez quelle apparence il y avait à cela ! Et si l’on
n’eût assuré le roi que ce gentilhomme était bègue, il l’eût peut-être fait
maltraiter4. » Voici bien Louis XIII tel qu’en lui-même, à la fois dur et
sensible, hésitant mais capable d’une incroyable fermeté, sans grand
charisme mais adoré de son peuple et de ses soldats.

La cérémonie du lever, très simplifiée par rapport aux règles édictées


par Henri III, avait lieu le matin entre 6 heures et 6 h 30, en présence d’un
petit nombre de privilégiés, premier gentilhomme de la Chambre, capitaine
des gardes, grand maître de la garde-robe, médecins, aumôniers. Peu de
courtisans, du reste, avaient le privilège de passer la nuit au Louvre. Un
simple valet présentait au roi sa robe de chambre, avant qu’un grand
seigneur ne lui tendît la chemise5. Parfois, Louis décidait de prendre son
bain dans sa chambre, ce qui déréglait le bon déroulement du rituel. Puis il
se rendait à la messe, dite, quand il était au Louvre, au Petit-Bourbon ou à
la chapelle des Feuillants. Il lui arrivait d’aller aussi à Notre-Dame. Ne
doutons pas de sa foi profonde et sincère, encline à un certain mysticisme,
même si son Dieu était sans doute plus proche du Dieu sévère et justicier de
l’Ancien Testament que du Dieu de miséricorde et d’amour de saint
François de Sales. Il communiait les premiers dimanches de chaque mois et
aux fêtes de Notre-Dame. Pour ses dévotions privées, il disposait d’un
oratoire, dans lequel il conservait précieusement les nombreuses reliques
dont on lui faisait cadeau dans ses voyages en province. Hypersensible,
scrupuleux, anxieux, il avoua un jour à Richelieu sa peur de la confession, à
laquelle pourtant il se soumettait très régulièrement.
Après la messe, se tenait le Conseil, au second étage, dans le cabinet
des Livres ou la Petite Galerie. Assis seul à l’un des côtés d’une table
rectangulaire, il était toujours couvert, tandis que les ministres et secrétaires
d’Etat étaient tête nue. La séance, qu’il présidait avec autorité, durait
rarement plus d’une heure, mais, en cas de nécessité, une seconde et une
troisième pouvaient se dérouler dans la journée. Il n’aimait pas les
longueurs, dans lesquelles se complaisait l’esprit subtil du cardinal. Il fallait
tout de suite aller au but. « Ses volontés nous sont des lois, écrivait en
octobre 1634 le garde des Sceaux d’Aligre ; le moindre retardement
l’offense grandement. » A l’issue du Conseil, le monarque accordait
audience aux ambassadeurs. Il les recevait debout avec amabilité, écoutait
leurs propos et répondait brièvement en mesurant ses mots. Tous les
témoignages s’accordent pour reconnaître qu’il remplissait parfaitement ce
rôle. Il connaissait les dossiers dans leurs moindres détails. Personne ne lui
en contait, notamment sur les affaires pourtant fort complexes de la
Valteline. Il parlait bien l’espagnol et l’italien, et ses connaissances
historiques et géographiques étaient loin d’être négligeables. Au fil des
années, il avait acquis une culture assez étendue, moins par la lecture que
par l’expérience, le contact direct avec ses peuples et ses nombreux
déplacements.
A midi, il prenait seul son dîner, même lorsqu’il était en compagnie.
Une gravure d’Abraham Bosse représente le festin des chevaliers du Saint-
Esprit le 26 mars 1633, à Fontainebleau : les chevaliers se répartissaient en
deux tables longues se faisant face, tandis que, un peu plus loin, près de la
haute cheminée, isolé au fond de la salle, le roi mangeait à une petite table
qu’on lui avait dressée. Malgré sa simplicité naturelle et le relâchement de
l’étiquette, il ne lui serait jamais venu à l’idée d’inviter l’un de ses sujets,
fût-ce un membre de sa famille, à partager son repas. On ne connaît qu’une
exception lorsque, le 7 janvier 1630, le nonce Bagni reçut de ses mains la
barrette de cardinal.
Ses loisirs, Louis les utilisait à peindre de petites toiles, à crayonner des
portraits ou des paysages, à dessiner des cartes. Il ne dédaignait pas non
plus les travaux manuels, la confection de lacets ou de filets, ou encore les
distractions gourmandes, car il était fin cuisinier et excellent pâtissier, « bon
confiturier, disait Tallemant, bon jardinier ». Il n’avait pas renié, tant s’en
faut, son goût pour la musique, nécessaire à son équilibre. Saisi par on ne
sait quelle mélancolie, ses doigts couraient alors le long du théorbe ou du
luth, dont il prisait la douceur et le murmure des plaintes mystérieuses. Il
composait des chansons. Celle d’Amaryllis*2 à quatre voix, Tu crois, ô beau
soleil…, visait probablement la jeune Marie de Hautefort, qui sera son
égérie à partir de 16306.

Naturellement, à côté de ces délassements artistiques, il n’avait pas


renoncé aux activités de plein air. Quand il était à Paris, il se promenait
dans le Petit Jardin de Marie de Médicis ou aux Tuileries, alors ouvertes à
tous. Mais, sitôt qu’il le pouvait, il partait pour la chasse, faisant à travers
bois et champs de longues chevauchées solitaires. Il aimait le grand air de
Saint-Germain. La journée des Dupes eut-elle une influence sur le destin de
Versailles ? Quelques mois plus tard en tout cas, il décida de transformer
cette modeste gentilhommière, agrémentée déjà d’un parc d’une
cinquantaine d’hectares et d’un jeu de paume7. Dans les premiers mois de
1631, il chargea l’architecte Philibert Le Roy de reconstruire l’édifice et de
l’agrandir. La même année, il créa un potager, un verger et accrut encore le
domaine par des acquisitions de terres alentour. L’année suivante, il racheta
la seigneurie de Versailles et du val de Galie à Jean-François de Gondi,
archevêque de Paris. Le Roy démolit la façade sur le parterre, donna au
bâtiment davantage de profondeur, suréleva le corps de logis de hauts
combles, ajouta de nouveaux communs et ferma la cour d’un portique à
arcades8. L’ensemble était achevé en 1634.
Rappelant les contrastes colorés des cartes à jouer, Versailles était bien,
comme le dira plus tard le second duc de Saint-Simon, un « petit château de
cartes » dont on admirait la symphonie polychrome de pierre blanche, de
brique rouge et d’ardoise gris bleuté. L’appartement du roi comportait une
galerie dans l’aile nord. Sa sœur, Chrestienne de France, duchesse de
Savoie, offrit pour l’équiper quatre ameublements saisonniers de velours à
fond d’argent : bleu, gris-de-lin, vert et orangé. Enfin, sur la façade ouest,
fut aménagée en 1639 une grande terrasse surélevée, pavée de grès et
bordée d’une belle balustrade, interrompue en son centre par un perron.
Les linéaments du jardin, avec ses compartiments de broderie disposés
autour d’un bassin rond, furent mis en place par Jacques Boyceau de La
Barauderie et son neveu Jacques de Menours, auxquels succéda Claude
Mollet, le jardinier des Tuileries. Une modeste pompe, actionnée par un
cheval, puisait l’eau dans l’étang voisin de Clagny. Plus loin, s’avançant
dans cette terre marécageuse souvent noyée de brume, une allée centrale
conduisait au Rondeau, le futur bassin des Cygnes ou d’Apollon, alimenté
par le ru de Galie et les étangs voisins. Malgré ces transformations,
Versailles restait le lieu de résidence personnel d’un roi timide et solitaire,
loin de la Cour. S’il y conviait à de rares occasions sa mère et sa femme
pour une collation champêtre, il ne tenait nullement à les voir séjourner en
ce lieu, accompagnées de leur suite, à cause, disait-il, de « ce grand nombre
de femmes qui me gâteraient tout »…

La Cour
La Cour formait une immense ruche qui, certes, n’atteignait pas la
dimension de celle de Louis XIV, mais comptait déjà 1 142 charges : grands
officiers de la Couronne, aumôniers, confesseurs, gentilshommes servants,
intendants, commis, musiciens, sommeliers, garde-vaisselle, femmes de
chambre, valets de pied. La Bibliothèque nationale de France conserve des
listes détaillées de ces dignitaires, publiées voici un siècle par Eugène
Griselle9. Les services civils de la maison du roi relevaient d’un éminent
personnage, le grand maître de France, fonction exercée par Louis de
Bourbon, comte de Soissons, puis par Henri II de Bourbon, prince de
Condé.
La Cour ne résidait pas à demeure au Louvre ou aux Tuileries. Elle
suivait le monarque dans ses multiples déplacements, allant selon les
saisons d’un château royal à un autre dans une longue suite de carrosses et
de voitures emportant ses meubles : Saint-Germain, Fontainebleau,
Compiègne, plus tard Chantilly confisqué aux Montmorency. En formation
plus réduite, elle accompagnait le souverain dans ses campagnes militaires.
Reflet de leur caractère indépendant et sauvage, la cour des deux
premiers Bourbons n’eut ni le prestige, ni le raffinement artistique, ni la
somptuosité de celle des Valois. Louis XIII avait hérité les mœurs rudes de
son père. Simple et peu cérémonieux, il n’aimait pas le paraître, se
considérant davantage comme un roi de guerre que comme un roi de
parade. « Il vivait comme un particulier », lui reprochait Mme de
Motteville. Sobre, économe – pingre, disaient ses détracteurs –, il
n’appréciait ni le luxe ni le déploiement de trop de faste. S’habillant
familièrement de drap grossier, gardant l’habitude des camps, il préférait
mener un train de vie frugal, au milieu des domestiques ou des huissiers,
plutôt que de frayer avec les frivoles gandins, occupés de leur bonne mine
et de leur costume enrubanné. Les grandes cérémonies lui paraissaient
inutiles. Si le mariage d’Henriette de France avec Charles d’Angleterre
connut une certaine solennité, celui de Madame Chrestienne avec Victor
Amédée de Savoie se fit sans grand éclat. Lui-même avait réduit très
sensiblement les charges : 10 aumôniers au lieu de 252, 11 secrétaires de la
Chambre au lieu de 316. Cela n’avait pas renforcé sa popularité chez les
courtisans. Pis, ses amitiés avaient créé une fâcheuse confusion des rangs.
L’élévation d’un gentilhomme de la Fauconnerie comme Luynes ou d’un
page de la Petite Ecurie comme Baradas en avait choqué plus d’un et semé
un certain désordre.
Or, la Cour n’était pas seulement un lieu de divertissements et de
plaisirs, de fêtes, de bals, mais un instrument de pacification nobiliaire,
d’affermissement de l’Etat, un incomparable moyen de gouvernement,
détournant « le second ordre de la tentation féodale10 ». Le roi avait-il
compris cette nécessité d’éblouir les Grands, de les fixer autour de sa
personne par la distribution savamment dosée de places et d’honneurs,
d’organiser leur rivalité dans la quête des faveurs ? Sans doute pas.
Richelieu, convaincu que ces petites manœuvres étaient le meilleur moyen
de leur faire oublier le goût des conspirations, lui avait pourtant
recommandé de leur faire « bonne chère » et « bon visage11 », sans succès.
C’était trop lui demander.
A moins d’avoir comme Louis la passion de la chasse, on s’ennuyait
donc ferme dans son entourage. La noblesse oisive se distrayait en jouant à
l’hombre, au lansquenet, au reversi, au brelan. Signes indiscutables de la
morosité officielle, de petites cours autonomes s’étaient formées : celle de
la reine mère au Luxembourg, celle de Monsieur à Blois. Cette dernière
était le rendez-vous des poètes libertins, écrivains épicuriens, philosophes
truculents, gentilshommes mécréants ou débauchés, tous franc-buveurs
devant l’Eternel : Saint-Amant, Tristan L’Hermite, François Maynard et
Théophile de Viau. Il y avait encore le cercle de la reine Anne, où l’on
aimait la vie en société, les douceurs du caquetage et les petites comédies
de salon. Ces cénacles, vite devenus d’insupportables foyers d’intrigues,
finiront par disparaître. Marie de Médicis sera condamnée à l’errance,
Monsieur écrasé et Anne sévèrement admonestée…

En quelques années, la mode des costumes avait changé. A la place des


hautes fraises, les femmes portaient de grands cols de dentelle empesés
s’ouvrant en éventail. Le décolleté carré descendait assez bas sur la poitrine.
Au lieu d’un corps de cotte (ou corsage) baleiné finissant en pointe12, s’était
développé le vertugadin, bourrelet de tissu placé sous la robe au niveau des
hanches et soulignant la minceur de la taille. Les robes étaient assorties de
larges manches. Cette mode parut encore trop rigide. Un col de fine
dentelle, assez semblable à celui des hommes, se substitua aux splendides
mais incommodes gaufrettes raides mettant en valeur les traits du visage. Le
corset fut séparé du corsage et le vertugadin disparut. Sur leurs chemises et
caleçons, les femmes portaient trois jupes l’une sur l’autre : la secrète, en
dessous, la friponne puis la modeste, avec mancherons garnis de rubans. La
taille rehaussée, les épaules élargies, les manches à gigot assez bouffantes
donnaient une particulière élégance à la silhouette. On portait des tissus
soyeux, aux tons discrets, avec prédominance de gris ou de brun. Ornée
parfois d’une voilette, la coiffure, surmontée d’un petit chignon natté,
présentait une frange en « garcette » sur le haut du front et des cheveux
tombant sur les côtés en agréables boucles (qu’on appellera plus tard
anglaises).
Pour les gentilshommes à la mode, la fraise qui engonçait le col laissa
place à de souples dentelles couvrant largement les épaules. Au lieu des
éternelles barbes carrées, les moustaches en croc et les barbiches à la royale
avaient fait leur apparition. Le pourpoint rembourré descendait en pointe
jusqu’à la ceinture, laissant entrevoir le jabot en lin de la chemise. Les
manches bouffantes étaient tailladées en crevés et les hauts-de-chausses,
fermés par des aiguillettes apparentes, s’arrêtaient aux genoux. Le luxe était
de mettre un peu partout des dentelles et des rubans. A la Cour, on portait
des bas de soie (ou de tricot en hiver) et de fins souliers, à la ville ou à la
campagne des bottes collantes dépassant le genou ; mais peu à peu celles-ci
s’abaissèrent et s’ouvrirent en entonnoir. Les perruques étaient diverses, à la
flamande ou à l’italienne, longues ou courtes. A cet ensemble vestimentaire
s’ajoutaient les manteaux, les capes, les gants. C’en était fini du haut
chapeau tromblon de messieurs les barbons. Les gentilshommes portaient
un feutre souple à large bord, avec des plumes multicolores couchées dans
le retroussis.

La mode des dorures atteignait des folies. Pour tenir son rang, la
noblesse était parfois contrainte de s’endetter, de vendre bijoux, fermes et
châteaux. Inquiétante dérive contre laquelle il fallut réagir. En 1629, 1633,
1634, 1636, 1639, des édits somptuaires interdirent aux particuliers, sous
peine de fortes amendes, de posséder des draps d’or ou d’argent, de porter
des dentelles de plus de neuf livres l’aune ou fabriquées à l’étranger. Le
pouvoir cherchait à orienter la mode vers davantage de sobriété : pour les
hommes, des habits de velours, de satin, de taffetas ou de soie, des
manchettes et des cols sans dentelle ; pour les femmes, des robes
agrémentées de simples galons ou de bandes de broderie. La répétition,
d’année en année, de ces interdits montrait qu’ils n’étaient guère respectés,
malgré l’exemple donné par le roi. En 1660, sous Louis XIV, il faudra
renouveler les défenses, avec aussi peu de résultat…

La maison militaire du roi s’était progressivement renforcée. A la fin du


XVIe siècle, elle se composait de quatre compagnies de gardes du corps, des
Cent-Suisses, des gardes de la Porte et de la prévôté de l’Hôtel ainsi que du
régiment des gardes françaises, l’unité la plus puissante de l’armée, forte de
vingt compagnies de 120 hommes, servant à la parade comme à la guerre.
S’ajoutèrent sous Henri IV les chevau-légers de la garde et les gendarmes
du roi. En 1622, Louis XIII créa la fameuse compagnie des mousquetaires,
dont le capitaine-lieutenant fut, à partir de 1634, le comte de Tréville ou
Troisvilles, intrépide Béarnais que mettra en scène Alexandre Dumas.
C’était l’ancienne compagnie des cent carabins qu’Henri IV avait
incorporée à sa garde personnelle. Son successeur ayant remplacé leurs
carabines par des mousquets à rouet, ceux-ci devinrent tout naturellement
les « mousquetaires du roi »*3. Ils étaient vêtus de la fameuse casaque bleue
ornée de quatre croix fleurdelisées, sur la poitrine, le dos et les manches. Le
régiment des gardes suisses, constitué en 1616, ne faisait pas formellement
partie de la maison militaire, mais il en avait tous les attributs. Lui aussi
était une unité combattante et non de parade comme les Cent-Suisses.
Le département de la Vénerie comprenait un grand Veneur, Hercule de
Rohan, duc de Montbazon, des lieutenants et sous-lieutenants de meutes
(chiens courants, chiens d’Ecosse chassant le lièvre, chiens blancs chassant
le chevreuil…), des gentilshommes, des limiers à pied et à cheval, des
pages, des piqueurs, gardes-chasses, maréchaux-ferrants, valets de chiens.
Les chasses royales avaient à leur tête le marquis de Mortemart pour la
garenne du Louvre, la muette du bois de Boulogne et le parc du château de
Madrid, le duc de Saint-Simon pour Saint-Germainen-Laye, le marquis
d’Effiat pour Longjumeau, Choisy, Juvisy et Fresnes…

La musique
S’il est un domaine où la cour de Louis XIII, réputée pour son atonie,
fut brillante, ce fut celui de la musique, une musique riche et subtile, à la
splendeur raffinée plus qu’éblouissante, que l’on redécouvre aujourd’hui
grâce aux recherches du Centre de musique baroque de Versailles13. Bien
sûr, le roi ne fut pas à l’origine de la flambée de ce nouveau style ; il reste
que sa passion pour cet art et la danse contribua largement à son
épanouissement à la Cour et à la Ville. Un tableau du musée de Troyes nous
montre un maître de chapelle, Etienne Bergerat, faisant exécuter devant lui
un petit motet par quelques enfants de chœur en soutanes noires et collets
blancs14. Cette œuvre modeste témoigne de l’engouement qui avait saisi le
pays, tout comme les tableaux de La Tour, des frères Le Nain ou les
gravures d’Abraham Bosse représentant des personnages de différents
milieux, jouant du flageolet, du luth ou de la viole.
Un peu délaissée sous Henri IV, qui n’était pas artiste, la musique
recouvra sous le règne de son fils son statut d’art aulique. Aux trois grandes
institutions remontant à François Ier, la Chapelle pour la musique religieuse,
la Chambre pour les divertissements et l’Ecurie pour les fêtes et parades
extérieures, Louis XIII en ajouta une nouvelle, vite enviée des autres
souverains d’Europe, les Vingt-Quatre violons du Roy, placés sous la
direction de Louis Constantin. Le monarque veillait en personne au
recrutement des instrumentistes et des chantres. Il s’entourait des meilleurs
compositeurs du royaume : Antoine Boesset, sieur de Villedieu, maître et
surintendant de la musique de la Chambre, héritier de la grande tradition
polyphonique de son beau-père Pierre Guédron, qui avait lui-même dirigé
cette formation au début de son règne, Nicolas Formé, sous-maître de la
Chapelle15, successeur d’Eustache du Caurroy, dont il appréciait tant les
œuvres qu’il resserrait leurs partitions dans son armoire personnelle fermée
à clé*4. Anne d’Autriche eut pour maître un Italien, Lorenzani*5. Chez elle,
on jouait du luth, de la guitare ou de l’épinette. A la cour de Monsieur, plus
leste que celle de son frère, on goûtait avec les plaisirs de la table les airs
après boire, que composait son intendant des Musiques, le Languedocien
Etienne Moulinié.
A côté des airs profanes, airs de cour, galants et légers, très en vogue
dans la haute société, avec des compositions savantes de Pierre Guédron,
Antoine Boesset, Jean Boyer, Louis de Rigaud, François Richard ou Pierre
de Nyert (ce dernier fort influencé par l’italianisme)16, la musique sacrée
avait connu un remarquable essor : cantiques spirituels, psaumes pour
vêpres, motets, Te Deum, Magnificat, Salve, Requiem et autres Missae pro
defunctis, exaltant, avec parfois des élans d’une sublime profondeur, la piété
ostentatoire et l’exubérance tridentines. S’y illustrèrent, outre les déjà
nommés Nicolas Formé, Etienne Moulinié et Antoine Boesset, Henri
Frémart, Artus Aux-Cousteaux, Eustache Picot, Jean Titelouze, Jean de
Bournonville, Guillaume Bouzignac, sans oublier le jeune Henry de Tier,
dit Henry du Mont, promis à un bel avenir sous Louis XIV.
Le roi lui-même composait, jusqu’à créer des œuvres polyphoniques et
des motets qu’il prenait plaisir à écrire la nuit. C’est ainsi qu’il mit en
musique quatre psaumes tirés de la Paraphrase des Psaumes de David en
vers français d’Antoine Godeau. « L’on avait régulièrement trois fois par
semaine, écrit la Grande Mademoiselle, le divertissement de la Musique,
que celle de la Chambre du Roy venait donner, et la plupart des airs qu’on y
chantait étaient de sa composition ; il en faisait même les paroles […]. J’ai
même ouï dire que, durant sa maladie, il avait mis en musique le De
Profundis qui fut chanté dans sa chambre incontinent après sa mort17. » On
lui attribua aussi un Office des Ténèbres pour le vendredi saint.
La Cour appréciait les danses en vogue – pavanes, branles, gaillardes,
sarabandes, allemandes, caroles, matassins, passe-pied, gigues (ces
dernières apparues vers 1640) – et se prit d’un singulier engouement pour
les ballets, spectacles complets et composites unissant chorégraphie,
pantomime, chant ou poésie18. Ce type de divertissement – on en compte
environ huit cents pour les règnes d’Henri IV et de Louis XIII – hésitait
entre le genre noble et facétieux, le tragique et le grivois, le merveilleux et
le burlesque. Dans un foisonnement de machineries baroques, imaginées
par les Francini, on voyait paraître sur scène des monstres, dragons ou
démons, des lions féroces ou d’élégants cygnes, à côté de déesses,
d’amours, de nymphes, de chevaliers ou de bergers. Des bois, des grottes et
des jardins enchantés servaient de décors à de complexes intrigues. Aux
ballets mélodramatiques du règne précédent succédèrent à partir de 1620 les
ballets à entrées, suites de tableaux symboliques et de défilés de
personnages vêtus d’étoffes rutilantes, réhaussées de broderies et de
pierreries, au milieu des chars de triomphe : ainsi, le Ballet de l’improviste
en 1636 ou celui de la Prospérité des armes de France en 1641, ce dernier
conçu par Richelieu dans le but éminemment politique d’associer les élites
curiales à la politique royale.
Les plus hauts seigneurs montaient sur scène et se mêlaient aux
baladins et aux comédiens professionnels. Le roi, au moins pendant la
première partie de son règne, n’hésitait pas à faire de même. Mais sa
timidité lui interdisait de trop se mettre en valeur. Il incarnait des
personnages secondaires ou effacés. S’il est vrai qu’en 1619 il figura en
chef des chevaliers dans le Ballet des aventures de Tancrède en la forêt
enchantée, en 1624 dans le Ballet des voleurs il ne fut qu’un simple
capitaine et apparut en tire-laine dans le Ballet des Bacchanales. L’année
suivante, dans le Ballet des fées des forêts de Saint-Germain, il tint le rôle
d’un danseur de chaconne espagnol puis d’un simple combattant et, en
1626, celui d’un gentilhomme persan dans le Grand Bal de la Douairière
de Billebahaut, où il dansa et joua de la guitare. Dans Le Sérieux et le
Grotesque (1627), il revêtit l’habit d’une « dame sérieuse ». Il faut préciser
que les femmes n’avaient pas le droit de monter sur scène, sauf dans les
ballets de la reine ou lorsqu’elles étaient expressément invitées à se joindre
à la farandole finale.
L’année 1635 fut riche en fastueux divertissements. En février, Louis
assista au Ballet des Triomphes, éclairé par huit cents flambeaux de cire
blanche et autant de chandeliers d’argent enrichis de cristal. Cette œuvre ne
comportait pas moins de trente-quatre entrées. Le roi n’y figurait pas, mais
il en avait composé le texte et dessiné les costumes. Ce même mois de
février, c’étaient encore le Ballet de la Marine et celui des Quatre
Monarchies chrétiennes, offert par Mlle de Montpensier, la fille de Gaston
alors âgée de huit ans. La thématique était plus nettement politique. On y
célébrait la « valeur et les armes de Louis », « le plus grand monarque de
l’univers »… La louange royale, faite par l’intermédiaire de thèmes
généralement puisés dans les Métamorphoses d’Ovide, servait ainsi à la
construction de la monarchie absolue. Ces spectacles avaient lieu dans la
grande salle du Louvre ou celle du Petit-Bourbon, puis à l’Hôtel de Ville, à
l’Arsenal, chez le grand maître de l’Artillerie, chez Richelieu au Palais-
Cardinal et dans les hôtels particuliers.
Dans le Ballet de la Merlaison (la chasse aux merles), donné au château
de Chantilly le jeudi 15 mars 1635, « les pas, les airs et la façon des habits »
avaient été entièrement inventés par le roi. Il figura dans deux des entrées,
déguisé en fermier et en femme d’un marchand de leurres et de sonnets.
L’Extraordinaire de la Gazette du 22 mars s’extasiait de voir « que les plus
augustes Majestés se trouvaient bien ailleurs que dans une sévérité
sourcilleuse », tout en ajoutant que « ces réjouissances ne faisaient pas
perdre à Sa Majesté un Conseil, ni une occasion de veiller à la conservation
de l’honneur de cette couronne ». A la vérité, les répétitions prenaient
plusieurs heures par jour. Rien que pour le ballet de Tancrède, il en avait
fallu trente !
Ces réjouissances curiales, où l’importance était donnée au décor, aux
costumes, au spectacle, empêchèrent le développement à cette époque de
l’opéra, illustré en Italie par Claudio Monteverdi et Francesco Cavalli. Il
faudra attendre, sous la régence d’Anne d’Autriche, les efforts de Mazarin –
efforts du reste peu couronnés de succès si l’on songe à l’accueil mitigé de
l’Orfeo de Luigi Rossi – pour tenter d’acclimater ce genre nouveau.

Le nouveau Paris
Après la Cour, la ville. Paris connut sous Louis XIII un développement
spectaculaire, passant de 230 000 ou 250 000 habitants au début du règne à
plus de 400 000 à la fin19. Cette croissance rapide ne fut évidemment pas
sans conséquences. La vieille cité aux rues étroites et nauséeuses étouffait à
l’intérieur de son enceinte. Il fallut démolir les restes des remparts de
Charles V pour en construire de nouveaux, élargir certaines voies. Dès
1620, un voyageur allemand écrivait : « Celui qui n’aurait connu que le
Paris d’avant le commencement des travaux ne le reconnaîtrait pas
aujourd’hui. Et l’on n’arrête pas de bâtir20… » Le début du règne vit
l’achèvement de la place Royale et de l’hôpital Saint-Louis, construits selon
des schémas architecturaux voisins. Partout s’édifiaient de nouvelles
habitations, des hôtels particuliers. Beaucoup ont disparu ou ont été
reconstruits21. Heureusement, quelques-uns subsistent, comme l’hôtel de
Châlons-Luxembourg, rue Geoffroy-l’Asnier, édifié à partir de 1626 pour le
compte de Guillaume Perrochel, trésorier de France à Amiens, ou l’hôtel de
Sully, dans le Marais, élevé de 1625 à 1630 par le maître maçon Jean Notin
sur les plans de Jean Androuet du Cerceau pour le compte du financier
Mesme-Gallet, sieur du Petit-Thouars. En 1634, le duc de Sully l’acheta
pour en faire sa demeure parisienne et fit bâtir au fond du jardin l’orangerie,
dite le Petit-Sully.
Dans le même temps, de nouvelles paroisses se peuplaient : Saint-Leu,
Saint-Jacques-du-Haut-Pas, Saint-Louis-en-l’Ile, Saint-Roch. Le
lotissement des nouveaux terrains donnait lieu à de frénétiques
spéculations : terrains de la reine Margot sur la rive gauche jusqu’à la rue
du Bac, île Saint-Louis (avec la construction de plusieurs hôtels qui
subsistent aujourd’hui, comme l’hôtel Lambert dû au jeune architecte Le
Vau…). Le palais du Luxembourg, achevé en 1631, au moment de l’exil
définitif de Marie de Médicis, fut jusqu’à cette date le plus gros chantier de
la capitale. A partir de 1633, lui succéda la construction, en plusieurs
étapes, du nouveau et monumental Palais-Cardinal, autour du vieux logis de
l’hôtel d’Angennes et ses dépendances, situés à proximité du Louvre, dont
le ministre voulait se rapprocher. Après avoir demandé à Marin de La
Vallée d’agrandir le petit pavillon du nord-ouest, afin d’y installer sa
chambre, il chargea Jacques Lemercier de repenser l’ensemble et d’édifier
un logement digne de ses fonctions. En 1633, il acquit l’académie équestre
de Benjamin et y installa les communs et les offices. Peu après, il obtint
l’autorisation du roi de combler les fossés, de manière à étendre ses jardins.
En 1636, il fit don à la Couronne de sa demeure en cours d’achèvement et, à
sa mort, tout naturellement, le Palais-Cardinal devint le Palais-Royal qui
servira de résidence à la régente Anne d’Autriche et au jeune Louis XIV.

L’essor des ordres religieux masculins et féminins était frappant. Pas


moins de 55 maisons religieuses s’ouvrirent dans la capitale de 1598 à
1640. Ce bouillonnement spirituel se manifestait aussi par la fondation de
nouveaux séminaires – Saint-Magloire, Saint-Nicolas-du-Chardonnet et
Saint-Sulpice –, la création de noviciats – ceux des Jésuites, des
Dominicains et des Feuillants – et la construction de nombreux édifices
religieux, l’Oratoire du cardinal de Bérulle, Saint-Joseph-des-Carmes, la
Visitation de la rue Saint-Antoine par François Mansart (devenu temple
protestant depuis le début du XIXe siècle), l’église professe des Jésuites
(actuelle Saint-Paul-Saint-Louis) dans le Marais. Un tableau, attribué à
Michel Corneille, représente Louis XIII offrant sa maquette à saint Louis,
vêtu de bleu fleurdelisé comme lui. En 1621, les architectes Salomon de
Brosse et Clément Métezeau achevèrent le portail de Saint-Gervais, dont la
construction avait commencé en 1494. En mai 1635, Richelieu, proviseur
du collège de la Sorbonne, posa la première pierre de l’église dont Jacques
Lemercier avait dressé les plans. Enfin, Saint-Eustache, construite à partir
de 1532 sur le modèle d’une cathédrale gothique, fut consacrée en 1637.
Il est certain que Louis XIII n’a pas été personnellement un grand
bâtisseur. Il fit moins que son père qui avait poursuivi les chantiers de ses
prédécesseurs (la Grande Galerie du Louvre, le Château Neuf de Saint-
Germain, les aménagements de Fontainebleau). Néanmoins, en 1624, il
décida de relancer les travaux du Louvre. Il chargea alors Jacques
Lemercier de démolir la vieille aile nord de Charles V, de doubler en
longueur l’aile Lescot, d’ajouter deux pavillons, celui de Beauvais et le
pavillon central de l’Horloge (aujourd’hui pavillon Sully). Ainsi se
dessinaient les limites de la Cour carrée. Faute d’argent, malheureusement,
ces travaux ne seront pas encore terminés à sa mort22.
A mesure que la ville s’étoffait de populations nouvelles venues des
villages et régions alentour, les difficultés grandissaient concernant
l’approvisionnement en pain, en vin, en animaux de boucherie et en
« marée », l’hygiène des rues, l’évacuation des immondices, le maintien de
l’ordre… Les quelques sergents du guet royal étaient incapables d’assurer la
sécurité de la capitale, particulièrement à la tombée de la nuit. Dans les
quartiers délabrés s’étaient développées, depuis le Moyen Age, une
vingtaine de « cours des miracles ». La plus célèbre était située entre les
actuelles rues du Caire et Réaumur, dans le IIe arrondissement. Là, dans les
rues malodorantes aux méandres ténébreux, les culs-de-sac étroits
transformés en coupe-gorge, proliféraient des bandes de gueux, de filous,
pendards et ribaudes, aux noms pittoresques : narquois ou drilles, simulant
les blessures de guerre, malingreux ou francs-mitoux, faux infirmes,
mercadiers ou marcandiers, faux marchands ruinés, coquillards, faux
pèlerins de Saint-Jacques, rifodés ou milliards, qui mendiaient en famille…
Elles étaient organisées en petites monarchies hiérarchisées avec leurs rites
et leurs lois, sous la direction d’un chef, dont le plus célèbre était le Grand
Coesre, à la tête des Argotiers. Elles représentaient un danger croissant pour
la population. En 1630, quand le roi ordonna de percer une rue à travers la
plus importante de ces cours, les ouvriers furent assassinés. Le projet fut
repris quatre ans plus tard, à la démolition des remparts de Charles V. On
ouvrit alors les rues de Cléry et de Saint-Cosme (aujourd’hui rues de
Bourbon et d’Aboukir). Ce fut le début de l’assainissement de Paris, que
poursuivra sous le règne suivant le lieutenant général de police, Nicolas
Gabriel de La Reynie.

Salons et tendances littéraires


Au début du XVIIe siècle, mal dégrossis, peu instruits, les nobles ne
pratiquaient que quelques jeux sportifs, équitation, escrime, paume. Leurs
mœurs, comme disait Agrippa d’Aubigné, sentaient « la poudre, la mèche et
le soufre ». Bretteurs, jureurs, blasphémateurs, ces guerriers impénitents,
braves, magnifiques et ombrageux, étaient rétifs aux belles-lettres. Les filles
de la noblesse, soumises et ignorantes, étaient marquées par l’étroitesse des
conceptions éducatives de l’époque, qui leur refusaient l’accès au savoir au
nom de la vertu. Cependant, des évolutions étaient perceptibles. Les
collèges jésuites, celui de Clermont en particulier, avaient commencé à
enseigner les « humanités » aux enfants de l’aristocratie et de la robe. Des
ponts s’établissaient entre la culture savante et l’humanisme mondain23. En
1630, l’avocat Nicolas Faret dans son Honnête homme ou l’art de plaire à
la Cour, qui connut un succès considérable, opposait l’idéal du
gentilhomme raffiné au seigneur inculte.
Déterminées à rompre avec la rusticité et la brutalité des mœurs issues
des guerres de Religion, avec le laisser-aller de la Cour, un petit nombre de
femmes de la haute société, aidées de quelques beaux esprits, créèrent des
cercles où l’on célébrait les arts, les lettres, l’élégance. Ainsi se
développèrent les salons, dont l’esprit était assez éloigné des académies
érudites précédentes, de la reine Margot par exemple. C’étaient des écoles
d’honnêteté, de civilité, de savoir-vivre, où s’élaboraient les règles de la
« société polie ». Le plus célèbre, ouvert dès 1607, était celui de Catherine
de Vivonne, fille de l’ambassadeur Jean de Vivonne et de Julia Savelli,
épouse du marquis de Rambouillet, qui recevait une cour raffinée en son
hôtel de la rue Saint-Thomas-du-Louvre, non loin des Tuileries. C’était elle
qui avait conçu l’aménagement de sa fameuse Chambre Bleue, haut lieu de
la culture parisienne à partir des années 1620. Ces salons présentaient un
aspect « démocratique » et bourgeois, en rupture avec la pesante hiérarchie
de la société. On n’y était pas admis en raison de son rang ou du nombre de
ses seigneuries, mais de ses qualités personnelles et artistiques. Ainsi, un
duc et pair, pour peu qu’il fût tourné vers le beau savoir, pouvait côtoyer
dans une parfaite égalité un poète « crotté » et nécessiteux.
Délaissant la Cour, l’« incomparable Arthénice » (anagramme de
Catherine), belle et vertueuse, recevait les lettrés en vogue, Malherbe,
Racan, Gombauld, Chapelain, le cardinal de La Valette, les marquis de
Vigean et de Montausier, Conrart, Godeau (futur évêque de Vence), Vincent
Voiture, Ménage, Gomberville, Benserade, Corneille, Madeleine de
Scudéry, la marquise de Sablé, sans oublier Angélique Paulet, la « Lionne »
à la crinière au « blond hardi » (rousse) et à la voix si éclatante. On
s’amusait à des jeux de société (le cœur volé, la chasse à l’amour, le
corbillon, la lettre…). On se divertissait de sonnets, rondeaux, billets
galants, énigmes, romans de chevalerie, pastorales ; on y lisait des tragédies
ou des comédies. La fille de la maîtresse des lieux, Julie d’Angennes, future
duchesse de Montausier, inspira la fameuse Guirlande de Julie, cet
exceptionnel recueil manuscrit de soixante-deux madrigaux, calligraphiés
sur vélin par Nicolas Gaillard et ornés de fleurs par le miniaturiste Nicolas
Robert.
Langage dru, grossièretés, paillardises ou gaillardises étaient bannis de
ce sanctuaire des Muses, où l’on tentait de codifier les règles de la politesse,
des bienséances et du beau langage, et où triomphait une nouvelle
esthétique de la grâce, de l’amitié et du sourire. Ce n’était pas encore la
grande période de la Préciosité, mais on n’en était pas loin, avec le
développement d’un maniérisme alangui, fuyant, dans les volutes
sentimentales et les subtils jeux de masques, les fureurs grossières de la
sensualité. Vincent Voiture d’ailleurs n’allait pas tarder à devenir l’« âme du
rond » – autrement dit le centre du cercle – de Mme de Rambouillet, et la
pédante Madeleine de Scudéry à s’en émanciper pour voler de ses propres
ailes… L’épuration des mœurs, le raffinement des goûts littéraires, après le
foisonnement humaniste un peu anarchique de la Renaissance, marquaient
l’entrée dans les temps modernes et le début de la période classique.
A côté de ce salon et de quelques autres comme ceux de la vicomtesse
d’Auchy ou de la marquise de Sablé, existaient des académies plus lettrées,
celles de Marolles fondée en 1619, d’Antoine Brun en 1620, de Nicolas
Frénicle en 1625, de Valentin Conrart en 1629. C’est ce dernier cénacle, qui
se réunissait rue Saint-Martin « sans bruit et sans pompe », et dont la devise
était « Cache ta vie ! », qui servira de creuset à l’Académie française.

C’était une époque protéiforme, riche en contrastes, recherchant avec


passion l’exubérance, voire l’excès et la démesure, sans négliger pour
autant la quête tâtonnante de règles de discipline et de bon ton. « Dans
l’architecture et les arts, disait Victor-Lucien Tapié à propos du premier
XVIIe siècle, tout est juxtaposition de goûts et de tendances24. » Art de la vie,
art des outrances théâtrales et des fantaisies séduisantes, le baroque*6, à côté
d’un classicisme naissant, illustrait le triomphe du mouvement, de
l’ornementation, de la couleur en tous les domaines, littérature, architecture,
arts plastiques, peinture, musique…

La floraison poétique du début du siècle explorait les modes


d’expression les plus divers, la satire démesurée et la verve réaliste, avec
Mathurin Régnier (1573-1613), chanoine bon vivant, pilier du cabaret
parisien de la Pomme de Pin, le lyrisme délicat et mélancolique, nuancé de
grâce précieuse, devant la beauté de la nature, la fuite du temps ou la mort,
avec Théophile de Viau (1590-1626), Antoine Girard dit Saint-Amant
(1594-1661) et François dit Tristan L’Hermite (1601-1655). Dominant de
loin ces petits maîtres, François de Malherbe (1555-1628), brillant
continuateur de Ronsard, fut certainement le poète le plus représentatif de
cette époque, passant de la richesse luxuriante du baroque à la recherche
d’une langue plus simple, plus naturelle, débarrassée de ses archaïsmes. Ses
deux disciples, François Maynard (1582-1646) et Honoré de Bueil, sieur de
Racan (1589-1670), prolongèrent son inspiration qui annonçait la fluidité
magnifiquement épurée de la tradition classique.

La même diversité se retrouvait dans le théâtre. A côté de quelques


troupes nomades, dont les triviales farces montées sur les tréteaux branlants
de la foire Saint-Germain ou du Pont-Neuf attiraient les badauds (celle
notamment du bateleur Tabarin et de son compère Mondor, médecin
vendeur d’onguents), deux théâtres rivalisaient à Paris. Le premier était
celui de l’hôtel de Bourgogne, rue Mauconseil, dont la troupe, dirigée par
Valleran Lecomte, fut qualifiée à partir de 1628 de « compagnie des
comédiens du roi ». Après avoir interprété elle aussi des farces, avec Henri
Legrand dit Turlupin, Robert Guérin dit Gros-Guillaume et Hugues Guérin
dit Gautier-Garguille, elle se mit à jouer des tragédies avec Zacharie Jacob
dit Montfleury. Le second théâtre était celui du Marais, situé au jeu de
paume de la rue Vieille-du-Temple. La troupe qui se prétendait, elle aussi,
celle des « comédiens du roi », fut conduite à partir de 1634 par Mondory
(Guillaume Dosgilberts). Elle avait commencé par s’installer au jeu de
paume de la Fontaine, rue Michel-Lecomte. Rejointe quatre ans plus tard
par Floridor alias Josias de Soulas, elle jouait des farces de Julien Joffrin dit
Jodelet et quelques pièces à machines. Les conditions n’étaient pas idéales.
Les deux théâtres parisiens n’avaient pour salles que de grands hangars, où
un public populaire, remuant, bruyant, crachant, n’hésitant pas à
apostropher les acteurs, se tenait debout, avec au fond et sur les côtés une
galerie pour les dames et les quelques personnes de qualité osant
s’aventurer en pareils lieux (ce ne fut qu’à partir des années 1630 qu’un
public plus bourgeois commença à les fréquenter et à assurer leur succès).
La scène, mal éclairée par une rangée de chandelles, n’offrait le plus
souvent qu’un seul et médiocre décor. Les comédiens paraissaient en
costumes fatigués, tenant eux-mêmes les rôles féminins. A ces troupes
s’ajoutaient celles des Comici Fedeli, appelés par Marie de Médicis, et de
Niccolò Barbieri dit Beltrame, qui jouaient au hasard de la ville,
improvisant sur les planches quelques répliques burlesques autour des
canevas stéréotypés de la commedia dell’arte.
La complexité débridée des intrigues, l’exacerbation des passions
étaient typiques de l’écriture théâtrale de cette période. Parmi les
dramaturges les plus célèbres – outre Tristan L’Hermite dont la Mariane,
créée en 1636, avait été un triomphe –, on trouvait Alexandre Hardy (1570-
1632) et Théophile de Viau, auteur notamment des Amours tragiques de
Pyrame et Thisbé, pièce dans laquelle figure le fameux hémistiche que
l’infortunée Thisbé prononce en contemplant le poignard ayant servi au
suicide de Pyrame :
Ha ! Voici le poignard qui du sang de son maître
S’est souillé lâchement. Il en rougit le traître !

Le retour à plus de mesure et à des règles d’écriture plus rigoureuses,


signes de la montée du classicisme, ne se fit que progressivement. Une
nouvelle génération s’affirma avec Jean Mairet (1604-1686). Ses
Galanteries du duc d’Ossonne (1632), inspirées du théâtre espagnol,
réhabilitaient le genre de la comédie au détriment de la tragi-comédie,
tandis que sa Sophonisbe (1634) ouvrait le chemin à la tragédie classique.
Citons encore les noms de Jean de Rotrou (Hercule mourant, 1634, La
Bague de l’oubli, 1635), de Gautier de Costes de La Calprenède (La Mort
de Mithridate, 1636) et de Georges de Scudéry (La Mort de César, 1637).
La voie était ainsi préparée pour le jeune Corneille.
Pierre Corneille, né à Rouen en juin 1606 dans une famille de petits
officiers de judicature, obtint un premier succès théâtral à vingt-trois ans
avec sa comédie Mélite. Il réhabilita le genre dans ses pièces suivantes : La
Veuve, La Galerie du Palais, La Suivante, La Place Royale. Après
L’Illusion comique, la création en 1637 du Cid, première grande tragédie
classique, lui apporta à trente ans triomphe et célébrité. Mais il eut à subir
les attaques de ses adversaires comme Jean Mairet ou Georges de Scudéry
qui lui reprochaient d’avoir copié servilement Guilhem de Castro dont il
s’était inspiré. Son œuvre marquait l’évolution vers les grandes règles du
théâtre : unité de temps, d’action et de lieu, définies par Chapelain. Dans
L’Illusion comique (1636), dont l’intrigue s’étalait sur plusieurs mois, trois
niveaux d’action se découvraient. Le Cid se déroulait en quatre endroits
différents, ce qui choqua les puristes. Dans Horace (1640), Corneille
appliquait la règle des vingt-quatre heures et de l’unité de lieu. Une égale
simplicité se retrouvait dans Cinna (1641) et Polyeucte (1642). Toutefois, il
gardait toujours une conception large des règles classiques, dont il ne
voulait pas devenir esclave. Son œuvre exaltant l’honneur castillan, la
grandeur romaine ou chrétienne, était en résonance avec l’esprit du temps :
des héros hors du commun, faisant appel au courage, à la maîtrise de soi, à
la lucidité, des actions illustres et enthousiasmantes, une conception de
l’Etat à la fois noble et réaliste, le triomphe du devoir sur la passion, la
morale du dépassement. C’est ce « sublime cornélien » (Paul Bénichou),
joint à son immense talent de poète, qui expliquait l’extraordinaire succès
de ce petit-bourgeois rouennais à la vie bien réglée, qui ne participa lui-
même à aucune action d’éclat. L’art français forgeait ainsi ses splendeurs,
en même temps que croissait l’appareil de l’Etat et que s’affirmait l’orgueil
de la nation.

Dans le genre romanesque triomphait l’œuvre foisonnante –


aujourd’hui délaissée – d’Honoré d’Urfé (1567-1625), L’Astrée,
représentant plus de 5 000 pages, dont la publication s’étendit de 1607 à
1627 (le dernier tome fut achevé par son secrétaire Baro). Avec ce gros
« bréviaire de la galanterie25 » s’imposaient à la fois l’idéalisme lyrique des
subtilités amoureuses, dans la tradition du roman bucolique, et la verve des
aventures à rebondissements. A côté de ce genre qui à force de répétitions
commençait à s’épuiser, s’affirmait un courant réaliste, illustré notamment
par Charles Sorel (1602-1674), dont l’Histoire comique de Francion, parue
en 1623, puis reprise et prolongée, décrivait dans une langue inspirée du
picaresque espagnol, mais avec une plus froide lucidité, les contrastes
colorés de la société de l’époque et les préoccupations de la vie quotidienne.
Un peu plus tard, au début du règne de Louis XIV, Paul Scarron (1610-
1660) reprendra le flambeau de ce réalisme, l’infléchissant vers le
burlesque, la dérision et la caricature, en complète opposition avec le roman
idéaliste.
Les arts : artitecture, décoration, ameublement
En architecture, en décoration comme en ameublement, le premier
XVIIe siècle marque un sensible renouvellement. Les références antiques
étaient utilisées avec une plus grande liberté que pendant la Renaissance.
Rompant avec les excès de la ligne droite, les volutes, les rinceaux, les
guirlandes et les draperies donnaient davantage de vie et de mouvement.
Cependant, la France tâtonnait. Elle recherchait son style propre dans le
goût baroque affectant les arts aussi bien en Italie – la référence suprême ! –
qu’en Flandre, en Espagne, en Allemagne ou au Portugal. Il est vrai que la
naissance d’un art national ou son renouvellement ne pouvaient surgir qu’à
travers la lente alchimie des opérations d’appropriation, de filtrage et de
greffe, comme l’a bien vu André Chastel26, la décadence ne se manifestant
que dans l’imitation servile et stérile d’une culture.
La péninsule italienne attirait les peintres et sculpteurs français qui
n’hésitaient pas à y passer quelques années, voire à s’y fixer, tels Nicolas
Poussin (1594-1665) ou Claude Gellée dit le Lorrain (vers 1600-1682). La
mode était aux marbres et aux miroirs de Venise, aux velours de Gênes et de
Milan. Si les artistes italiens se dispensaient de venir en France,
contrairement au siècle précédent, nombreux étaient les immigrés flamands,
eux-mêmes imprégnés d’italianisme : Pierre Paul Rubens (1577-1640),
Justus Van Egmont (1601-1674), Philippe de Champaigne (1602-1674),
Pieter Van Mol (1599-1650), Jacques Fouquières (vers 1580/1590-1659)…
L’art ultramontain inspira fortement le style des églises nouvelles,
comme celle de la Visitation de Nevers, au baroque très maniéré, ou, en
moins exubérant, celle du collège des Jésuites à La Flèche (l’actuel
Prytanée), due au père Etienne Martellange, l’importateur discret du « style
jésuite » en France. Le Gesù de Rome servit de modèle libre aux Carmes de
la rue de Vaugirard à Paris. En matière d’architecture civile, on notera la
présence sur les façades de hautes fenêtres sans balcons, la disparition des
meneaux, le goût des toits élevés, avec des combles à deux pentes continues
et des dômes à pans coupés, autant d’innovations qui modifiaient la
physionomie des châteaux et des belles demeures. Apparu à la fin du règne,
le toit mansardé n’avait sans doute pas François Mansart pour créateur.
L’emploi du bossage, plus ou moins rustique, servait à mettre en valeur la
pierre de taille, comme au palais du Luxembourg ou au château de Vizille…
La fameuse architecture de brique et de pierre, avec ses variantes qui
jouaient sur la polychromie et les effets de couleur, rouge et blanc, noir et
blanc, avec emploi de carrés ou de losanges, remontait à Henri IV et à
Pierre Lescot. Contrairement à une idée reçue, elle n’était pas spécifique de
l’époque, puisqu’on construira encore de la sorte au XVIIIe siècle. Il reste
que sous le règne de Louis XIII, elle se répandit, principalement en Ile-de-
France, Normandie et pays de la Loire. Au château de Balleroy, on mariait
la pierre et le schiste vert, à Cheverny la pierre et le moellon gris, à Effiat la
pierre et la lave grise de Volvic. Cette mode n’était pas unique. A la fin du
règne, on se tourna davantage vers des constructions classiques en pierre de
taille, dont le coût était plus élevé. Même si le castel féodal, avec ses
grosses tours, ses murs humides et ses douves profondes, restait
prédominant dans l’aristocratie, le nombre élevé de demeures seigneuriales
bâties en deux ou trois décennies témoignait de la richesse et de la
puissance des différentes noblesses : Maisons, Cany, Daubeuf, Vassy,
Bâville, Wideville, La Ferté-Saint-Aubin, Thouars…
Déjà développé sous Henri IV, l’art des jardins se perfectionna sous le
règne de son fils, avec Claude Mollet, Jacques Boyceau de La Barauderie et
Jacques Lemercier, précurseurs immédiats de Le Nôtre. Les grandes pièces
d’eau, les grottes et les cascades nourrissaient le goût du merveilleux et de
la féerie au cœur des jardins baroques. Ainsi, celui de Cheverny,
parfaitement harmonieux, celui de Rueil, splendide, appartenant au cardinal
de Richelieu, ou celui très ingénieux de Liancourt, créé vers 1637 par Roger
du Plessis, marquis de Liancourt, duc de La Roche-Guyon.
Si l’hôtel de Sully, l’un des joyaux de cette époque – style Renaissance
revisité par l’exubérance baroque –, est original, celui de Châlons-
Luxembourg, rue Geoffroy-l’Asnier, reste typique de l’architecture en
brique et pierre du temps de Louis XIII, avec ses corniches à modillons, ses
lucarnes cintrées et ses masques surplombant les fenêtres. Il s’ouvre sur un
monumental portail ionique assorti d’un fronton arrondi, lui-même orné
d’un impressionnant mufle de lion. N’en déplaise à certain critique,
l’ensemble fait mieux qu’évoquer « fâcheusement les villas de
banlieue27 »…
La distribution intérieure des châteaux et hôtels subit des changements
notables avec l’apparition ou le développement des antichambres, des
alcôves et des galeries. Les salles n’étaient pas encore spécialisées selon
leur fonction – salles de festins, de réceptions ou de bals –, mais cela
n’allait pas tarder. L’agencement des cages d’escaliers monumentales, des
hautes cheminées dites à la royale, des plafonds à caissons, à solives ou à
compartimentages de stucs, retenait tout particulièrement l’attention des
architectes. Les murs étaient couverts de boiseries, de lambris, de
brocatelle, de cuir doré ou gaufré, de grandes tapisseries à motifs.
Parmi le mobilier de luxe, on notera la vogue des cabinets d’ébène
flamands ou allemands, richement « architecturés », aux caissons marquetés
d’ivoire et décorés de peintures, agrémentés de vantaux, de tiroirs et de
casiers. Ils servaient à ranger papiers et bibelots rares. Dès le début du
siècle, Pierre Boulle, « tourneur et menuisier du roi », et Laurent Stabre,
« menuisier en ébène, faiseur de cabinets du roi », excellèrent dans ces
créations. Les estampes de l’époque – celles notamment d’Abraham
Bosse – nous font découvrir l’ameublement de personnages aisés de la
haute bourgeoisie ou de la moyenne noblesse : des meubles simples en bois
équarri ou en bois tourné (moins fréquent qu’on ne le pense), des armoires à
deux corps et des buffets à pointes de diamant, des bahuts à couvercles
bombés ou plats, servant parfois de sièges, de grands lits à colonnes dont les
boiseries étaient cachées par une profusion de cantonnières, pentes et
passements de velours, de satin ou de brocart. Les femmes y recevaient
leurs invités qui se plaçaient dans la « ruelle », entre le mur et le lit (mais le
mot finit par désigner les alentours du lit). Le reste du mobilier se
composait de pliants rembourrés et recouverts de housses, de « chaires à
bras », autrement dit de fauteuils, aux dos rectangulaires, légèrement
inclinés, garnis de tapisserie ou de cuir, de tables en noyer ou en chêne,
moins nombreuses que de nos jours : il arrivait dans les châteaux de les
remplacer par des planches posées sur des tréteaux.

Les arts intérieurs étaient en grande vogue et les productions


étonnamment brillantes, comme ces tapis, tentures, portières, garnitures de
sièges et de coffres, produits par l’atelier du Louvre, placé sous la direction
de Simon Lourdet, tapissier ordinaire du roi. Depuis 1608, en effet,
Henri IV avait logé gratuitement à l’entresol de la Grande Galerie nombre
d’artistes et d’artisans, d’origine souvent étrangère – Flamands et Italiens –,
chargés d’honorer les commandes royales, de former des apprentis et de
faire rayonner les productions françaises qui leur étaient confiées. Un
second atelier fut installé dans une ancienne fabrique de savon du village de
Chaillot (d’où son nom de Savonnerie). Ses productions étaient destinées à
concurrencer les tapis d’Orient. Le brevet royal du 31 janvier 1631 la
désignait comme « Manufacture de tapisseries de Turquie et ouvrages du
Levant ». L’un de ses patrons, Pierre Dupont, avait séjourné à
Constantinople.
Pour lutter contre l’importation des tapisseries de Flandre, une
manufacture fut créée aux Gobelins, faubourg Saint-Marcel. Elle était
dirigée par deux Flamands chevronnés, Marc de Comans et François de La
Planche. A partir de 1633, Raphaël, le fils de celui-ci, prit la direction d’une
succursale, faubourg Saint-Germain. En province, il existait d’autres
ateliers, à Cadillac, Bordeaux, Felletin et Aubusson. Malgré les édits
somptuaires, les travaux de broderie prospéraient, autant que ceux de
dentelle, qui atteignaient alors leur apogée. Il suffit de voir la richesse de
certains costumes fixés sur la toile par les peintres de l’époque (ceux de
Pourbus notamment). Pour répondre à une demande croissante et freiner les
importations d’Italie et de Flandre, de nombreuses fondations avaient surgi
à Paris, Alençon, Aurillac, Sedan, Loudun, Charleville, Senlis. Quant aux
tissages à base de soie, velours, damas, taffetas, on poursuivit les efforts
entrepris sous Henri IV, particulièrement à Lyon et à Tours. Les autres
objets d’intérieur, miroirs, pièces d’orfèvrerie, aiguières d’or, bassins
d’argent doré, plats en or, faïences, flambeaux, etc., témoignaient aussi d’un
art d’une richesse particulièrement exubérante28.

Les arts : la peinture et la sculpture


La peinture, comme tous les « arts de la main », avait suscité tout au
début du siècle une certaine indifférence, pour ne pas dire un franc
désintérêt. Le roi joua sans doute un rôle dans sa renaissance au cours des
années 1620-1630. Lui-même avait une prédilection pour Georges de La
Tour, le plus important des maîtres lorrains du XVIIe siècle, dont les œuvres
se caractérisent par une quête de l’éternité et de la pureté, nés de l’intensité
bouleversante de clairs-obscurs fortement contrastés. La Tour reçut le titre
de peintre du roi et un logement au Louvre. Son Saint Sébastien pleuré par
Irène, composé pour lui en une nuit, l’émut tant qu’il fit décrocher de sa
chambre tous les autres tableaux.
Louis XIII voulut se perfectionner dans l’art du pastel et prit pour
maître Simon Vouet, réputé moins pour son coup de crayon que pour le
coloris merveilleux et la douceur de son style. En 1627, il le fit revenir de
Rome, où il était entretenu à ses frais. C’était un acte politique, signe d’une
volonté fondatrice, car Vouet à ce moment-là était auréolé de gloire. Il le
pensionna, le logea au Louvre et le plaça à la tête d’un atelier, d’où devait
sortir la nouvelle et prestigieuse école française de peinture. Le strict
contrôle exercé par le maître sur ses élèves fut source d’homogénéité (mais
aussi d’attribution d’œuvres qu’il n’avait pas réalisées). Pierre Mignard,
Eustache Le Sueur, Charles Le Brun et le jardinier André Le Nôtre
passèrent à leurs débuts par son atelier.
Prenant plaisir au travail de Vouet, le roi lui commanda les portraits des
principaux seigneurs de la Cour. Très doué pour les arts décoratifs, il fut
prié de fournir aux ateliers de tapisserie des cartons originaux. Certains sont
remarquables par l’harmonie de leur composition, comme ceux de l’Ancien
Testament (Moïse sauvé des eaux, La Fille de Jephté…), dont les tapisseries
sont conservées au musée du Louvre. A côté de décors privés (l’hôtel de
Séguier, par exemple), Vouet eut à répondre à de multiples commandes
religieuses (le maître-autel de Saint-Nicolas-des-Champs, le Martyr de saint
Eustache à l’église Saint-Eustache, L’Adoration du nom divin par quatre
saints à Saint-Merri)…
D’autres artistes furent rappelés d’Italie, notamment Jacques Blanchard,
surnommé « Le Titien français » pour la lumière vénitienne de ses
peintures, Perrier, Mellan ou Poussin. Ce dernier, titré à quarante-six ans
peintre du roi, pensionné de 1 000 écus, reçut de Louis XIII « la direction
générale de tous les ouvrages de peinture et d’ornements » des résidences
royales. Il travailla un moment à une histoire d’Hercule à réaliser à la voûte
de la Grande Galerie du Louvre, tandis que le paysagiste Fouquières
décorait le premier étage. Mais la jalousie de celui-ci le fit retourner en
Italie deux ans plus tard, sans qu’il fût possible de le retenir.

A l’égal du roi, Richelieu encouragea les artistes. Il fit travailler


Blanchard, La Hyre et le jeune Le Brun, confia à Simon Vouet et à Philippe
de Champaigne la décoration de la galerie des Hommes illustres et celle des
Objets d’art au Palais-Cardinal29.
Une véritable politique culturelle fut mise en œuvre par un de ses
proches collaborateurs fort apprécié du roi, François Sublet de Noyers, dès
sa nomination en 1638 comme surintendant des Bâtiments. Aidé de ses
cousins, Roland Fréart de Chambray, attaché à la tradition antique, et Paul
Fréart de Chantelou, mécène et grand collectionneur de tableaux italiens, il
exerça des fonctions que l’on pourrait comparer à celles d’un ministre des
Beaux-Arts30. Jacques Stella et Claude Deruet furent gratifiés de l’ordre de
Saint-Michel31. Cette sollicitation déclencha au sein des couches aisées un
engouement pour les genres picturaux, notamment les portraits, dont
profitèrent Nicolas Quesnel ou Daniel Dumonstier. La noblesse de
province, les robins, les financiers devinrent clients des grands peintres. A
son retour d’Italie, Louis Finson, influencé par le Caravage, s’établit à Aix,
où il travailla dans les églises de la ville. Le Provençal Trophime Bigot, lui
aussi marqué par le rêve italien, partagea son temps entre Arles et Avignon.
En Bourgogne s’étaient installés les Tassel. Lyon avait retenu Horace Le
Blanc et Montpellier Sébastien Bourdon.
A Paris, les commandes se multipliaient pour les édifices religieux, où,
à côté de Simon Vouet et de son école, se remarquait le talent de Quentin
Varin, François Pourbus, Georges Lallemant, Jacques Blanchard, Claude
Vignon ou Jean de Saint-Igny (à ce dernier on doit les étonnants lambris de
la Chapelle dorée de Saint-Gervais-Saint-Protais représentant des Scènes de
la vie du Christ)32.

Sur le plan stylistique, plusieurs courants s’opposaient, le baroque


italianisant, derrière Vouet et ses élèves, le classique français avec
Champaigne, La Hyre et Stella. Attaché au détail, marqué par la manière
flamande, Philippe de Champaigne représentait le réalisme et la rigueur du
pinceau. Né à Bruxelles en 1602, à dix-neuf ans, il choisit de se fixer à
Paris, qui n’était pas un centre artistique particulièrement rayonnant, plutôt
que de poursuivre sa route vers Rome33. Il participa au chantier du palais du
Luxembourg, sous la direction du paysagiste Nicolas Duchesne, dont il
épousa la fille et auquel il succéda avec le titre de peintre ordinaire de la
reine mère. Il passa ensuite au service du roi et du cardinal. Son œuvre ne se
limite pas à ses célèbres portraits qui rappelaient par leurs carnations et
leurs étoffes la manière de Rubens et de Van Dyck. Innombrables sont ses
peintures décoratives et surtout ses œuvres religieuses, commandes
d’églises et de congrégations, reflets aussi de sa grande piété. Son art
s’épura progressivement des éléments baroques pour atteindre une austérité
toute spirituelle sous l’influence de Port-Royal.
Ce souci de précision dans l’art des portraits se retrouve dans les
natures mortes, où excellent Louise Moillon, Jacques Linard, Simon Renard
de Saint-André et Lubin Baugin, célèbre pour son superbe Dessert de
gaufrettes (vers 1631) depuis le film d’Alain Corneau Tous les matins du
monde.
La quête du réel, qui n’excluait pas cependant quelques flambées
lyriques de poésie raffinée ou de gravité méditative, se retrouvait chez des
artistes attachés à transcrire la mode et les goûts de la société du temps : les
intérieurs bourgeois avec le graveur Abraham Bosse, les milieux simples
des campagnards avec les frères Le Nain (Antoine, Mathieu et surtout
Louis). Quoique situées dans un autre genre, les gravures sur les « malheurs
de la guerre » de Jacques Callot (1592-1635) relevaient du même goût
descriptif.
A côté de ces « peintres de la réalité*7 », qui puisaient leur inspiration
dans la représentation du quotidien, Nicolas Poussin, Claude Gellée dit le
Lorrain, les plus classiques des italianisants, s’inspiraient des sujets grecs
ou romains, composaient des fresques mythologiques ou symboliques, des
scènes religieuses tirées de l’Ancien et du Nouveau Testament, toutes d’une
singulière richesse dans leur idéal de beauté et de simple grandeur. Le bref
séjour de Poussin en France, de 1640 à 1642, fut plus fécond qu’on ne l’a
cru : il allait faire éclore un nouvel art, plus harmonieux, plus mesuré, plus
classique en un mot, qu’on a appelé l’atticisme parisien (par référence à
l’Attique grecque).

En comparaison de la riche efflorescence de l’art pictural, la sculpture


était moins éclatante, avec malgré tout quelques artistes de renom comme
Simon Guillain (1581-1658) et Jacques Sarrazin (1588-1660) qui, sans
atteindre la maîtrise d’un Jean Goujon, ne manquaient ni de métier ni de
brio. Au premier, on doit le groupe du Pont-au-Change, représentant
Louis XIII, Anne d’Autriche et le dauphin ; au second, le tombeau du
cardinal de Bérulle au Carmel de la rue Saint-Jacques et les grandes
cariatides du pavillon de l’Horloge. De son côté, Michel Bourdin (1579-
1640) réalisa l’effigie d’Henri IV à la fois vivante et sobre (conservée au
musée Carnavalet) et la statue de bronze de Louis XI à la basilique de
Cléry. Guillaume Berthelot, qui travailla beaucoup à Rome, exécuta une
statue de Louis XIII en marbre. Pour la décoration intérieure et extérieure
des monuments ou pour la sculpture funéraire, les artistes utilisaient le
marbre, le stuc et le bronze. Leur art ne se dégageait que lentement de
l’influence italienne.

Les sciences
Le premier XVIIe siècle a été le théâtre d’une révolution scientifique et
philosophique sans précédent, qui constitue l’un des moments essentiels de
l’histoire de l’humanité. En quelques décennies, le temps et l’espace
devinrent mesurables, quantifiables avec une précision inconnue
jusqu’alors. Le monde brusquement se dilatait de façon vertigineuse, et les
espaces de finis devenaient infinis. Le besoin de mesure, le souci de la
rigueur s’emparaient des savants, à la recherche des clés de la nature. La
raison remplaçait le vieil empirisme dans la connaissance du monde : mise
au point de nouveaux instruments permettant d’apercevoir l’infiniment
grand comme l’infiniment petit, découvertes scientifiques nées de ces
progrès techniques, remises en cause des données intellectuelles sur
lesquelles reposaient les croyances. Tout était lié d’ailleurs. L’évolution des
conceptions n’était pas seulement la résultante des progrès techniques, elle
en était aussi sa cause. Bref, une mutation gigantesque affectait l’Europe
savante.
L’étude des astres fit un pas immense avec la mise au point au début du
XVIIe siècle, probablement en Hollande, de la lunette astronomique. Galileo
Galilei, autrement dit Galilée (1564-1642), professeur de mathématiques à
Pise puis à Padoue, fut le premier à en construire une en 1609 et à l’utiliser
pour ses observations célestes. Il perfectionna l’instrument, portant son
grossissement de 3 à 6, puis à 9 et enfin à 20. Il découvrit les cratères
lunaires, les anneaux de Saturne et les satellites de Jupiter. En 1611,
l’Allemand Johannes Kepler (1571-1630) imagina une lunette plus
puissante à oculaire convergent, dont l’un des premiers exemplaires fut
fabriqué en 1615 par le jésuite et astronome allemand Christoph Scheiner
(1575-1650). Avec un instrument du même genre, le philosophe Pierre
Gassend dit Gassendi (1592-1655) analysa le mouvement des comètes, les
éclipses de Lune, les aurores boréales, l’occultation de Vénus par la Lune,
le transit de la planète Mercure devant le Soleil. Munis d’une lunette de
verre fumé, les pères Christoph Scheiner et Giuseppe Biancani, David
Fabricius et Galilée étudièrent les taches du soleil, polémiquant d’ailleurs
sur leurs origines. Ce ne fut que vers 1630 que Bonaventura Cavalieri et
Niccolo Zucchi exposèrent la théorie du télescope à réflexion concave, qui
ne fut réalisé que plus tard. En revanche, les premiers microscopes suivirent
de peu le développement des lunettes astronomiques et permirent
l’observation des petits animaux, comme les puces ou les poux. Vers 1641,
apparurent en Italie les premiers thermomètres, avant leur perfectionnement
par Evangelista Torricelli. Galilée étudia de son côté l’isochronisme et
l’oscillation des pendules, ouvrant les voies à la mesure du temps (invention
du pulsomètre) et à l’élaboration d’une nouvelle science, la mécanique.
En France, Blaise Pascal, né en 1623 à Clermont-Ferrand, fils d’Etienne
Pascal, président à la Cour des aides, fut l’enfant prodige éblouissant de
cette révolution, un « effrayant génie », dira Chateaubriand. A douze ans, en
cachette, alors que son père, passionné de mathématiques, voulait retarder
son initiation à cette discipline, il redécouvrit les trente-deux premières
propositions d’Euclide. A dix-sept, il écrivit un étonnant Essai sur les
coniques, qui fit l’admiration du monde savant, se payant le luxe d’énoncer
un nouveau théorème appelé l’« hexagone de Pascal ». A dix-huit, il
construisit la « pascaline », la première machine à calculer, assortie d’un
mode d’emploi (Avis nécessaire à ceux qui auront la curiosité de voir ladite
machine et s’en servir)…
A cette époque, les mathématiques connaissaient des progrès fulgurants.
A la fin du XVIe siècle, un seigneur écossais, John Napier (1550-1617) avait
trouvé les logarithmes. En une génération, deux mathématiciens français,
François Viète (1540-1601), maître des requêtes, et Pierre de Fermat (1601-
1665), conseiller au parlement de Toulouse, élaborèrent la géométrie
analytique. Un ingénieur militaire, Girard Desargues (1591-1661), énonça
les premiers concepts de la géométrie projective. Pour la première fois, les
mathématiques étaient conçues comme un moyen de compréhension
globale. L’univers, écrivait Galilée en 1623 dans le Saggiatore, est « écrit
en langage mathématique et ses caractères sont le triangle et le cercle et
autres figures géométriques sans lesquels il est humainement impossible
d’en comprendre un mot ». Le monde donc était rationnel, mû par un jeu de
forces mécaniques, qu’il revenait à l’homme de décrypter. C’est ce
qu’exprimait aussi le Traité de mécanique écrit en 1636 par Gilles Personne
de Roberval (le futur concepteur de la balance portant son nom).
Comme Galilée, René Descartes, Tourangeau né en 1596, éveillé à la
science par le savant néerlandais Isaac Beeckman, auteur de la Dioptrique
et des Météores, faisait des mathématiques, de l’algèbre et de la géométrie
les outils privilégiés de l’exploration du monde. En 1637, il proposait de
résoudre les problèmes de géométrie par le recours au calcul algébrique.
Mais des découvertes affectaient d’autres disciplines. Un père minime,
Marin Mersenne (1588-1648), érudit, théoricien de la musique, auteur d’un
traité musical sur l’Harmonie universelle, énonça les lois de vibration des
cordes. Il poussait la conception mécaniste du monde jusqu’à imaginer la
fameuse théorie des animaux-machines. En 1628, William Harvey, membre
du Royal College, médecin personnel de Charles Ier d’Angleterre,
s’opposant aux vieilles idées de Galien, démontra que le sang ne venait pas
du foie, mais du cœur et y retournait. C’est à cette époque aussi que la
science botanique prit son essor. Le Jardin royal des plantes médicinales fut
créé en 1626 à Paris à l’initiative de Jean Héroard et de Guy de La Brosse
(1586-1641), médecin ordinaire du roi. Son objet était de répondre aux
besoins thérapeutiques, à la curiosité scientifique et à la formation des
« escholiers » de l’Université de médecine. Ce jardin – préfiguration de
l’actuel Jardin des plantes – fut aménagé à l’entrée du faubourg Saint-
Victor, de 1633 à 1635, et ouvert au public cinq ans plus tard.

Animés par une grande curiosité scientifique, tous ces savants avaient
une approche pluridisciplinaire. Galilée était physicien, mathématicien,
astronome, philosophe. Girard Desargues était géomètre, architecte et
mathématicien, Gassendi étudiait la philosophie, les mathématiques,
l’astronomie, la cartographie, après avoir passé une thèse en théologie.
Roberval enseignait au prestigieux Collège royal*8 l’arithmétique, la
géométrie, l’astronomie, l’optique, la mécanique et la musique. Leurs
découvertes, évidemment, bouleversaient les concepts les mieux admis, les
catégories intellectuelles les plus reconnues. Comment comprendre la
cohérence et l’unité du monde à travers la diversité sans cesse grandissante
du sensible, telle était l’une des questions philosophiques qui préoccupaient
les esprits. Au désir de déchiffrer les lois de l’univers se mêlait la quête
passionnée de la vérité. Qu’est-ce que la vérité ? Les savants se faisaient
philosophes et les philosophes savants.
En Angleterre, Francis Bacon (1561-1626), chancelier du roi
Jacques Ier, ouvrit la voie à la méthode expérimentale. Il insistait sur
l’observation, les expériences, l’importance des résultats concrets et
tangibles, la nécessité d’une classification méthodique des sciences,
conseillant de se défier de l’imagination et des théories. « Ce ne sont pas
des ailes qu’il faut ajouter à l’entendement, disait-il, mais du plomb. » Pour
lui, la recherche scientifique devait être indépendante du principe d’autorité.
Dans son Novum organum scientiarum, il posait que le moyen unique de
parvenir à la vérité dans les sciences était l’induction, qu’il opposait au
syllogisme.
Dès 1609, Johannes Kepler avait énoncé les lois de la mécanique
céleste. Divulguant la théorie du moine Copernic du double mouvement de
la Terre sur elle-même et autour du Soleil, Galilée aussi récusait l’antique
théorie de Ptolémée, cautionnée par la plupart des théologiens, celle d’une
Terre immobile, placée au centre de l’univers, et optait pour
l’héliocentrisme copernicien, plaçant le Soleil au centre du monde et de
l’univers. De telles vues ébranlaient la pensée d’Aristote et tout le champ du
savoir qu’elle couvrait. Convoqué par le tribunal de l’Inquisition pour
« sérieuse suspicion d’hérésie », il fut condamné en 1633 pour son livre
Dialogue sur les deux grands systèmes du monde et contraint de renier sa
théorie. Urbain VIII commua sa peine de prison à vie en résidence
surveillée. Ce qu’on a appelé l’affaire Galilée n’émut guère l’Europe
savante. On dédramatisa vite l’incident, et son enseignement continua de se
propager, en France notamment, grâce au père Mersenne et à Gassendi. Le
dominicain Campanella, réfugié en France après vingt-sept ans passés dans
les geôles napolitaines pour raisons politiques, publia même un ouvrage,
Philosophia Realis, s’efforçant d’accorder les thèses de Galilée et l’Ecriture
sainte. Les censeurs de l’Eglise, pas plus que ceux du roi, n’y trouvèrent à
redire.
Dans la fiévreuse nuit du 10 novembre 1619, à Neuberg, en Allemagne,
René Descartes eut la révélation de son destin : celui de découvrir les lois
de la science et le chemin cohérent menant à la vérité, rien de moins.
S’exilant volontairement en Hollande en 1628, où il pensait pouvoir mieux
exercer sa liberté d’expression, il y écrivit l’essentiel de son œuvre. Son
livre majeur, naturellement, est le Discours de la méthode pour bien
conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, paru en 1637, où
il légitimait la raison comme méthode d’investigation, divisant les
difficultés en autant d’objets d’analyse, eux-mêmes soumis à une étude
classifiée, passant du plus simple au plus complexe.

La physique des lois, la mathématisation du monde n’éliminaient pas la


possibilité par Dieu de faire des miracles. Pas plus Kepler que Descartes ne
rejetaient l’idée métaphysique d’un Dieu créateur. Ils recherchaient trace de
la pensée divine dans le mouvement des planètes ou la grammaire
mathématique du cosmos. Tout chercheur et savant qu’il était – et des plus
grands – le père Mersenne luttait contre le scepticisme et l’incrédulité dans
son traité de L’Impiété des déistes, athées et libertins de ce temps, paru en
162434. Ce siècle de la raison et des savants était, ne l’oublions pas, celui de
la foi et des saints. En revanche, chez les élites intellectuelles et savantes,
c’était le vieil univers magique, matrice de la connaissance, qui s’effondrait,
les concepts datant de plusieurs siècles qui étaient culbutés, le cosmos de
l’aristotélisme et de la scolastique thomiste qui était pulvérisé.
Nous sommes très éloignés encore du grand affrontement de la Raison
et de la Foi, même si ces découvertes avaient réveillé le scepticisme des
libertins érudits, ces esprits forts, épicuriens et rationalistes, qui
dissimulaient plus ou moins leur pensée : Théophile de Viau, François de
La Mothe Le Vayer, Gabriel Naudé, Guy de La Brosse ou Nicolas
Vauquelin des Yveteaux35. En 1623, Théophile de Viau, accusé d’athéisme
(mais aussi de sodomie), avait été condamné par le parlement de Paris au
bûcher et n’avait dû son salut qu’à l’intervention de son protecteur, le duc
de Montmorency. Ce courant libertin restait très minoritaire, relativement
souterrain et peu significatif du fait de son manque d’homogénéité. Tous
d’ailleurs n’étaient pas matérialistes, mais tous, au nom des sciences
nouvelles et d’une nouvelle vision du monde, remettaient en cause les
pratiques religieuses et la théologie, tous peu ou prou bousculaient, par
leurs propos subversifs, les vérités établies, les dogmes chrétiens et surtout
la dimension sacrée qui fondait le mystère de la monarchie française. La
contestation de la religion allait de pair avec celle du pouvoir royal.

Le mouvement savant ne se limitait pas à quelques érudits isolés,


travaillant dans le silence de leur chambre ou de leur laboratoire. Il avait
une dimension collective. Un peu partout, en France, en Italie, en Hollande,
en Allemagne, en Angleterre, se créaient des académies privées, des revues,
des observatoires, des jardins botaniques, des cabinets de curiosités, où l’on
rassemblait, classait les fossiles, les cristaux, les instruments de mesure. On
échangeait des renseignements, des arguments, des références, des résultats
d’expérience, on se communiquait les manuscrits de ses travaux, écrits en
latin ou en italien.
Avide de nouveautés scientifiques, un humaniste, Nicolas Claude Fabri
de Peiresc, conseiller au parlement de Provence, entretenait une foisonnante
correspondance (près de 10 000 lettres) avec les grands esprits de l’Europe
savante, Galilée, Gassendi, les frères Dupuy, Grotius, et avec Rubens,
Campanella, Malherbe. Dans sa vaste demeure d’Aix-en-Provence, il
collectionnait les sculptures, les peintures, les médailles, les livres.
Passionné d’astronomie, il découvrit dès 1610 la nébuleuse d’Orion. Le
père Mersenne, fondateur avec les frères Dupuy de l’Academia Parisiensis,
écrivait abondamment lui aussi aux savants les plus en vue, Descartes,
Gassendi, Peiresc, Pascal, Fermat… Ainsi circulait la pensée au-dessus des
frontières, au sein de ce qu’on pourrait appeler déjà la communauté
scientifique internationale.

Les diables
Si Dieu, dans cette société du début du XVIIe siècle était omniprésent, le
diable ne l’était pas moins. La fameuse affaire de Loudun permet
d’appréhender de façon paradigmatique l’imaginaire collectif, ses horizons
mentaux, ses peurs et ses hantises, les réalités politiques locales, sans
oublier les interventions du pouvoir royal36. Les progrès phénoménaux de
la science et de la technique avaient laissé intactes dans les profondeurs de
la société les vieilles superstitions et les croyances venues de la nuit des
temps. Dans un manichéisme grossier, on était convaincu de l’intervention
fréquente du diable et de ses suppôts dans la vie des hommes, à l’égal de la
Providence divine. On croyait au mauvais sort jeté, au nouement des
aiguillettes pour empêcher la consommation des mariages, au pouvoir des
puissances infernales de faire mourir bêtes et gens à leur convenance, à la
réalité de la lycanthropie, des loups-garous, des sabbats, du transport des
sorcières sur des balais et des copulations avec les démons…
L’obsession de la démonologie et de la chasse aux sorcières conduisait
les magistrats à confondre dans une même réprobation les empiriques,
connaissant les propriétés secrètes de certaines plantes ou métaux, les
magiciens, adonnés aux arts divinatoires, les thaumaturges, invoquant
l’esprit des morts, et les sorciers jeteurs de sort, soupçonnés d’avoir signé
des pactes avec Satan. Pour ces hommes de loi, mais également pour les
théologiens, magie et sorcellerie étaient assimilées à des pratiques
démoniaques et réprimées comme telles. Jehan Bodin, célèbre savant et
jurisconsulte angevin, auteur réputé des Six Livres de la République (1576),
avait écrit en ce sens une Démonologie des sorciers (1580) qui faisait
autorité. En cas de possession démoniaque, il fallait chercher, parmi les
cicatrices suspectes, le point d’insensibilité par lequel le ou les démons
avaient pénétré le corps de leurs victimes. Si une aiguille enfoncée dans ce
point ne provoquait ni souffrance ni saignement, on avait la preuve de la
possession.
Le Moyen Age avait vu flamboyer en Europe des milliers de bûchers.
Ce n’était pas fini. Les premières décennies du XVIIe siècle représentent,
comme le dit Robert Mandrou, « l’ultime grande vague de chasse aux
sorcières, inégalement répartie à travers le royaume, mais partout
florissante37 ». Certes, des médecins avaient manifesté leur doute, des
théologiens s’étaient montrés prudents, des juges hésitants (le parlement de
Paris, avant tous les autres, avait récusé les possessions diaboliques). Mais
rares encore étaient ceux qui recherchaient des explications naturelles à ces
phénomènes.
En Provence, une affaire de possession avait défrayé la chronique, celle
de Louis Gaufridy, curé des Accoules à Marseille, accusé d’avoir débauché
une jeune religieuse ursuline, Madeleine de Mandols La Palud, de l’avoir
ensorcelée par des maléfices et transportée au sabbat. Au bout de longs
mois et après de multiples interrogatoires, le prêtre dépravé admit avoir
signé un pacte avec Lucifer, dont il donna le texte, et avoir « enchanté » un
très grand nombre de femmes qu’il avait confessées. Il fut brûlé vif en
1611. Mais l’affaire qui eut le plus d’ampleur fut celle de Loudun, en Haut-
Poitou, à laquelle ont été consacrés un bon nombre d’études historiques,
médicales ou psychiatriques, des romans, des films et même un opéra…
Cité de près de 14 000 âmes, en majorité huguenotes, Loudun avait été
l’une des places de sûreté prévues par les brevets de l’édit de Nantes, où
s’étaient tenus plusieurs synodes. Pourtant, au début du XVIIe siècle, les
protestants avaient commencé à s’inquiéter de la reconquête catholique,
avec l’installation en ville de congrégations religieuses, Cordeliers, Jésuites,
Carmes, Capucins, Calvairiennes, Ursulines, et le remplacement en 1617 de
leur gouverneur coreligionnaire Marc Antoine Marreau de Boisguérin par
Jean d’Armagnac, premier valet de chambre du roi. La chute de La
Rochelle fut un nouvel avertissement. S’y ajouta, de mai à septembre 1632,
une violente épidémie de peste qui fit 3 700 victimes, soit plus d’un
habitant sur quatre. Les Loudunais en furent terrorisés.
Durant cette tragédie, un prêtre de quarante-deux ans s’était montré
particulièrement courageux et charitable, Urbain Grandier, curé de la riche
paroisse Saint-Pierre-du-Marché, chanoine prébendé de la collégiale de
Sainte-Croix. Protégé des Jésuites, il était mal vu des Capucins, l’ordre du
père Joseph. C’était une forte personnalité, mais contestée. Bel homme,
intelligent, excellent orateur, il menait en effet une vie peu accordée à la
dignité de sa charge. Sa réputation de séducteur, ses frasques étaient
connues et dénoncées : une première jeune fille de la ville, Philippa Tricant,
fille d’un procureur du roi, s’était trouvée enceinte de ses œuvres, puis une
seconde, Madeleine de Brou, âgée de dix-huit ans, qu’il avait installée chez
lui, bravant le qu’en-dira-t-on. Il justifiait son comportement dans un Traité
du célibat des prêtres, que l’on découvrit plus tard dans ses papiers. Son
ennemi juré, le père Mignon, confesseur des Ursulines, l’accusait même
d’avoir forniqué dans son église. Frappé par son évêque d’une suspense a
divinis*9, perpétuelle pour Loudun et de cinq ans pour le diocèse, il en avait
obtenu la levée grâce à l’intervention de son ami et protecteur l’archevêque
de Bordeaux, Mgr Escoubleau de Sourdis. Celui-ci toutefois lui avait
conseillé de quitter Loudun. L’orgueilleux Grandier n’en avait pas tenu
compte. Il avait regagné sa cure et repris ses activités, avec morgue et
assurance, narguant ses adversaires de plus en plus nombreux.
Or, Loudun appartenait à la zone d’influence directe du cardinal de
Richelieu. Maladroitement, Grandier s’était opposé à lui à deux reprises, en
1618, lorsqu’il avait prétendu lui ravir la préséance dans une procession, et
neuf ans plus tard, lorsqu’il avait écrit – du moins les Capucins le lui
reprochaient – un libelle anonyme intitulé Lettre de la cordelière de la reine
mère à M. de Baradas, attaquant sans ménagement les « mauvais
conseillers » du roi.
A l’automne de 1632, alors que l’épidémie de peste venait de s’achever,
trois religieuses du couvent des Ursulines, rue du Pasquin, donnèrent des
signes de possession, la prieure Jeanne de Belcier, en religion Jeanne des
Anges, la sous-prieure, sœur de Colombiers, et la sœur Marthe de Sainte-
Monique. Elles avaient d’abord été témoins de phénomènes paranormaux :
dans la nuit du 21 septembre, elles avaient aperçu le fantôme de leur
confesseur, le père Moussaut, mort quelques semaines auparavant, puis
avaient entendu des appels à travers les murs et reçu des coups d’on ne sait
qui. Le 23 septembre, une boule noire avait soudainement traversé le
réfectoire. A la messe, saisies de convulsions, elles se mirent à faire
d’horribles grimaces et à insulter Dieu, hurlant des blasphèmes, crachant la
sainte hostie qu’elles venaient de recevoir. Le mal gagna. Les quatorze
autres ursulines furent bientôt atteintes, avec quelques laïques. Les sœurs en
folie cessaient de s’alimenter et couraient à demi nues sur le toit du
couvent, grimpaient aux branches des arbres, malgré les intempéries, et
criaient des obscénités. Après leurs crises de contorsions et de
somnambulisme, elles redevenaient normales, se souvenant à peine de ce
qu’il s’était passé. S’agissait-il d’épilepsie, d’hystérie (ces deux
phénomènes cliniques étaient connus à l’époque), de simulations ou de
véritables possessions par les esprits malins ? Pour en avoir le cœur net, les
autorités ecclésiastiques désignèrent des exorcistes, qui procédèrent selon le
rituel romain à l’interrogatoire des nonnes exaltées. Après quelques
hésitations, les démons, par la bouche des malheureuses, passèrent aux
aveux. Ils se nommaient : Asmodée, Astaroth, Béhémot, Baruch, Zabulon,
Léviatan, Balaam, Isaacaron, etc. Certains étaient lubriques, d’autres
facétieux ou insolents. Le 11 octobre, une religieuse accusa Urbain
Grandier d’être l’auteur de leurs malheurs. Les attaques des diables
convergèrent bientôt vers le curé luxurieux. La prieure, Jeanne des Anges,
qui avait été très affectée par son refus de devenir le confesseur de la
communauté, avait révélé des rêves impudiques, au cours desquels Urbain,
qu’elle n’avait jamais vu, l’aurait invitée à lui accorder ce que, « par ses
vœux, elle avait consacré à son Saint Epoux ». Les autres religieuses,
victimes de maléfices, étaient tombées amoureuses de lui en humant des
roses enchantées…
Les premiers exorcismes, accompagnés comme toujours de scènes de
contorsions et de prostrations impressionnantes, avaient été faits en secret
par le père Mignon et un chanoine de Chinon nommé Barré. Mais bientôt,
pour frapper l’opinion, les capucins les rendirent publics, suscitant une
curiosité malsaine. La ville, bruissante d’effrayantes rumeurs, était en émoi.
Grandier appela une nouvelle fois au secours Mgr de Sourdis. Celui-ci
envoya un médecin rendre visite aux religieuses et ordonna l’arrêt de cet
exhibitionnisme extravagant, nullement prévu par le nouveau rituel de
1614. Le calme revint, pour peu de temps. Soutenu par le gouverneur, Jean
d’Armagnac, l’épineux curé s’opposa au démantèlement des château et
donjon de la place, comme le roi et Richelieu l’avaient ordonné.
S’ensuivirent des affrontements avec un magistrat de Bordeaux, envoyé, à
titre de commissaire départi, surveiller les travaux, Jean Martin, baron de
Laubardemont. Aggravant son cas, Grandier voulut empêcher le transfert
vers la ville nouvelle de Richelieu du grenier à sel de Loudun.
Laubardemont fit son enquête et s’intéressa à la possession collective du
couvent des Ursulines. Une de ses cousines, Mlle de Dampierre, était
d’ailleurs parmi les hallucinées et lui-même avait eu à se pencher sur des
cas de sorcellerie en Béarn.
Muni d’un épais dossier, Laubardemont vint rendre compte au cardinal
des activités de ce prêtre sulfureux qui se dressait si insolemment contre
l’autorité royale. Un Conseil tenu à Rueil le 30 novembre 1633, en présence
de Louis XIII, de Richelieu, de Séguier, du secrétaire d’Etat Phélypeaux, du
père Joseph et de Laubardemont, évoqua son cas. Le magistrat reçut ordre
d’enquêter officiellement sur lui et de faire procéder à son jugement par une
commission spéciale composée de douze magistrats qu’il présiderait,
excluant tout appel au parlement de Paris, dont Loudun relevait. Des lettres
patentes furent établies à cet effet.
Le 6 décembre 1633, Grandier fut arrêté et conduit au château
d’Angers, puis ramené à Loudun, où le père Mignon reprit ses
interrogatoires. Il nia tout. Les expertises furent faites avec la plus parfaite
mauvaise foi. Le chirurgien Manoury, ennemi du curé comme Mignon, fit
semblant de le piquer « jusques aux os en plusieurs endroits du corps » et
déclara à la cantonade avoir trouvé le fameux point d’insensibilité. Un
témoin assure qu’en fait il « fit semblant de picquer Grandier, et au lieu de
ce faire appuyoit son poulce et disoit qu’il y mettoit la lancette, et qu’en ce
lieu il était insensible ». Le rapport contradictoire d’un apothicaire de
Poitiers fut écarté, alors qu’il attestait n’avoir pas remarqué sur son corps la
moindre marque indolore. On produisit aussi de prétendus pactes avec le
diable signés par l’accusé.
En juillet 1634, la commission spéciale, présidée par Laubardemont, se
réunit, examina les quatre mille pages de l’instruction. Le 18 août, Grandier
fut condamné à mort. Malgré la question ordinaire et extraordinaire, il
n’avoua rien, sinon ses débordements sensuels, connus de tous. Le même
jour, place du Marché, il monta sur le bûcher, devant six mille personnes de
la ville et des environs.
L’affaire n’était pas close. Les diables reprirent leurs attaques,
particulièrement contre la prieure Jeanne des Anges. Cela dura de longs
mois. En juin 1637, les Capucins furent écartés au profit des Jésuites. L’un
d’eux, Jean Joseph Surin, âgé de trente-cinq ans, s’efforça de ramener au
bercail cette brebis possédée. Il eut à subir lui-même les assauts des esprits
diaboliques qu’il combattait : suggestions perverses, obsessions, impulsions
violentes, sentiments de culpabilité et de damnation, qu’il décrit avec
grande précision dans ses mémoires. Sous l’influence de ce directeur
spirituel, qui n’en continuait pas moins à s’occuper de sa pénitente –
prières, confessions, communions régulières, application de la discipline –,
Jeanne des Anges se transforma progressivement. Le dernier démon,
Béhémot, sortit de son corps et en signe de soumission marqua sa main
gauche de stigmates rouges sur lesquels on pouvait lire : « Jésus, Maria,
Joseph, François de Sales ». A sa demande, la religieuse fit un pèlerinage au
tombeau de l’évêque, mort en 1622, dont le procès en béatification avait été
ouvert en 1626. D’hystérique, de cabotine, d’érotomane, elle devint pieuse,
mystique même, au point de passer pour une sainte et de faire des miracles.
Sa chemise dégageait une odeur suave qui ne s’estompait pas. En 1638, elle
fut présentée par Laubardemont à Richelieu ainsi qu’à Louis XIII et Anne
d’Autriche.
Cette troublante affaire, sulfureuse et merveilleuse à la fois, comme on
pouvait en conter à l’époque, souleva passions et discussions. Malgré
l’ampleur du débat, malgré le scepticisme croissant de certains, on était loin
encore du revirement de jurisprudence des tribunaux français, qui
n’écartèrent leur croyance en la sorcellerie que dans le dernier tiers du
XVIIe siècle. L’histoire des possédées de Loudun, sans pour autant se réduire
à une machination montée par le pouvoir, fut marquée par des
considérations politiques : si elles ne furent pas la cause de ces désordres,
elles interférèrent notablement. On accusa Richelieu et son adjoint le père
Joseph d’avoir manœuvré pour se débarrasser de ce gêneur de Grandier.
Cette intention, même s’ils laissèrent la justice agir (une justice
extraordinaire et sans appel), paraît difficile à nier.

*1. Le musée de l’Armée conserve cette armure – ou l’une de ses semblables –, surmontée
d’une imposante bourguignotte ornée d’une couronne de lauriers.

*2. Du nom de ce lys de Saint-Jacques que l’on donnait depuis Virgile à une bergère aimée des
dieux.

*3. Notons qu’il y avait à l’armée d’autres mousquetaires, c’est-à-dire des porteurs de
mousquet, mais disséminés dans les rangs. Ils ne formaient pas un corps autonome et n’avaient pas le
prestige des mousquetaires du roi, dont la compagnie montée à cheval servait d’école de formation
pour la noblesse. Le célèbre d’Artagnan, Charles de Batz de Castelmore, fit partie de cette dernière
dès 1633, avant d’en devenir le capitaine-lieutenant trente-quatre ans plus tard.

*4. Ces œuvres ont à peu près toutes disparu. On ne possède plus de Nicolas Formé que
quelques Magnificat et une messe à deux chœurs.

*5. Peut-être un parent de ce Paolo Lorenzani (1640-1713) qui vint s’établir à la cour de
Louis XIV.

*6. Le mot baroque vient du mot portugais barroco, employé pour désigner des « perles qui ne
sont pas parfaitement rondes » (Furetière). Au figuré, il désigne tout ce qui est « irrégulier, bizarre,
inégal » (Dictionnaire de l’Académie de 1740). De là la prédilection du baroque pour le mouvement,
pour la courbe et la dissymétrie, au détriment de la ligne droite. En art, le mot ne peut être séparé du
contexte historique de la Contre-Réforme.
*7. L’expression, souvent utilisée, est due au critique d’art du XIXe siècle, Jules Champfleury.

*8. Fondé par François Ier, le Collège royal est l’actuel Collège de France.

*9. Interdiction d’administrer les sacrements.


XVII
Le cardinal et son maître

Portrait de Richelieu
La légende de la tyrannie du cardinal a pris tôt naissance dans les
médisances des amies de la reine, Mmes de Chevreuse et du Fargis, des
conseillers de Gaston et des libellistes stipendiés par Marie de Médicis, qui
l’ont couvert de tous les noms : « monstre exécrable », « digne prévôt de
Lucifer », « ministre des enfers », « Antéchrist sous la pourpre ». Grand
serviteur de l’Etat et de la monarchie, Richelieu méritait assurément mieux
que ces flèches venimeuses. Sans tomber dans les excès inverses d’une
héroïsation excessive ou d’une glorification mémorielle, les historiens
contemporains, nombreux à étudier ce fascinant personnage, se sont
évertués à rectifier ce portrait à charge, que ce soit William Church, Michel
Carmona, Robert Knecht, Roland Mousnier, Jörg Wollemberg, François
Bluche ou Françoise Hildesheimer1.
Armand Jean en imposait par sa prestance, sa distinction, son
indiscutable fierté. Que de visiteurs, de gentilshommes, d’ambassadeurs, de
prélats ont été intimidés en sa présence ? On connaît le portrait célèbre de
Philippe de Champaigne, montrant l’homme drapé dans sa robe écarlate
comme dans sa grandiose simplicité, tel qu’il avait voulu se mettre en scène
pour l’éternité, debout à l’égal d’un roi, alors que l’usage était de peindre
les cardinaux assis, le visage émacié, le regard acéré, le nez busqué et
volontaire. Le peintre a forcé à dessein la perspective réduisant la
proportion de la tête par rapport au reste du corps, de façon à faire paraître
la stature plus élancée. Quelle majesté imposante, quelle effrayante
assurance !
S’il était d’un abord difficile – c’était un moyen de se prémunir contre
la multitude des solliciteurs –, sa froideur naturelle n’était pas sécheresse de
cœur. Quand il le voulait, il savait mettre à l’aise ses interlocuteurs.
Contrairement au roi, très complexé à ce sujet, il avait un exceptionnel
talent d’orateur, une remarquable puissance de séduction. Il souriait, se
montrait aimable, affable, tout en fuyant la familiarité. « Il faut avouer le
vrai, écrivait le secrétaire de Gaston d’Orléans, Nicolas Goulas, cet homme
avait de grandes qualités, la mine haute d’un grand seigneur, la parole
agréable, la facilité de parler merveilleuse, l’esprit très présent et très délié,
le procédé noble, une dextérité inconcevable à traiter les affaires et une
grâce à ce qu’il faisait et disait à ravir tout le monde2. » Un de ses proches,
Abra de Raconis, évêque de Lavaur, le trouvait même « doux et charmant ».
Quant à Hay du Chastellet, un autre de ses collaborateurs, il s’exclama un
jour : « Où est le premier homme qui l’ait jamais vu sans l’aimer ? » Ces
éloges étaient exagérés. On croira davantage l’ambassadeur vénitien
Contarini qui le dépeignait comme un homme direct et sans bassesse. On
est loin, en tout cas, des clichés habituels du prélat fourbe, perfide et cruel,
présenté par Vigny, Hugo ou Dumas ! Ses familiers lui étaient attachés, et
bien peu le quittaient. Son valet de chambre et concierge du Palais-
Cardinal, Desbournais, resta à son service durant quarante ans. Son
secrétaire Charpentier, son confesseur l’abbé Mulot, son intendant Michel
Le Masle lui furent pareillement d’une grande fidélité.
Pour bien cerner sa personnalité, il faut prendre en compte sa santé
extrêmement fragile, comme celle du roi. Ces deux valétudinaires, se
consolant mutuellement, ont pendant dix-huit ans gouverné la France et
lutté contre les défaillances de leur propre corps. Constamment Armand
Jean se plaignait de ses fièvres, migraines, insomnies, névralgies,
rhumatismes, rages de dents, qui l’empêchaient de travailler. Louis XIII
pour le rassurer lui disait que ces maux, loin d’être mortels, étaient signes
de longévité, « ce qui, ajoutait-il, est la chose que je désire le plus au
monde, vous aimant comme je le fais ». Mais à cela s’ajoutaient des
ulcères, des abcès, des plaies suppurantes, sans oublier la gravelle qui le
torturait périodiquement. En 1632, alors qu’il se trouvait à Bordeaux, une
rétention d’urine mit sa vie en péril. On le crut au bord de la tombe.
Son hypersensibilité était extrême. Il réagissait toujours avec quelque
excès, d’où ses offres périodiques de démission. Il avait des sautes
d’humeur, des impatiences, des emportements, de brutales colères qui,
heureusement, ne duraient pas. Les observateurs ont tous noté ses larmes
faciles qui désarmaient ses interlocuteurs, mais révélaient aussi, sous la
carapace, une singulière fragilité, peut-être même une angoisse profonde.
« Il pleure quand il veut ! » disait avec mépris Marie de Médicis. Nul doute
que ses nerfs étaient malades. Il les maîtrisait mal. Son entourage en tenait
compte et prenait soin de lui annoncer graduellement les mauvaises
nouvelles. Les coups de griffe des pamphlétaires de Bruxelles, par exemple,
le plongeaient dans une immense affliction. Il lui arrivait de s’isoler et de se
mettre au lit, en attendant l’apaisement. Faut-il aller plus loin, parler
d’instabilité, d’hypocondrie, de névrose ? Etait-il atteint d’épilepsie, comme
l’ont assuré ses ennemis, sur le témoignage postérieur de son valet Olivier ?
Deux ou trois jours par mois, il aurait été saisi de violentes crises, au cours
desquelles on l’aurait vu se rouler par terre, se cacher sous les lits en
hurlant. Selon le médecin et bibliothécaire Gabriel Naudé, il se divertissait
parfois à tirer sur ses gens « d’un coin de sa chambre avec une sarbacane, à
leur jeter des livres à la tête ». Les preuves manquent. Mais il est certain
qu’il y avait chez certains membres de la famille de Richelieu des signes
évidents d’aliénation. Sa sœur, Nicole du Plessis, épouse du maréchal de
Maillé-Brézé, finira folle et enfermée. Sa nièce, Claire Clémence, épouse
malheureuse du Grand Condé, connaîtra elle aussi la nuit de l’esprit.
Pour calmer ses nerfs, ses médecins Chicot et Bontemps lui
recommandaient bains et purgations. Ses repas étaient on ne peut plus
frugaux. La plupart du temps, il refusait les dîners ou soupers officiels,
expédiant dans sa chambre un ou deux plats et une salade. On raconte que
quand il invitait à table son collaborateur Sublet de Noyers, celui-ci était
obligé de dîner une seconde fois ! Fuyant Paris, il recherchait la campagne,
l’air pur, la nature, les grands arbres, la solitude. « Son esprit était
mélancolique, relatait Abra de Raconis ; il était infecté du faible de la bile
noire. » Il louait une maison au village de Chaillot, une autre sur les
hauteurs de Charonne, mais son lieu de séjour préféré était Rueil. Là, il
entrecoupait ses séances de travail d’une ou deux longues promenades dans
le jardin.
Il n’aimait guère les audiences, particulièrement celles des
ambassadeurs, ce qui créait d’inévitables frustrations et mécontentements.
En revanche, il trouvait agréable la compagnie de quelques amis à la gaieté
facile et communicative, comme l’abbé Mulot, son confesseur, les abbés de
Beaumont et de Boisrobert, Rossignol, Hay du Chastelet, les frères Bautru
ou Desmarets. Leurs facéties, reparties et commérages le mettaient en joie.
Telle était, comme dit Tallemant, son « académie de campagne ». Le plus
apprécié était Boisrobert, poète, littérateur, joyeux drille, réputé pour ses
plaisanteries bouffonnes. C’est à lui que l’on doit dans sa parodie du Cid la
fameuse réplique : « Rodrigue, as-tu du cœur ? – Non, je n’ai que du
carreau ! » Richelieu avait lui-même le sens de l’humour et plus encore le
goût de la raillerie. Il affublait ses ennemis comme ses amis de sobriquets
parfois cruels. Mme de Chevreuse, on l’a dit, était la « Chevrette », le
chancelier Sillery « Nicolas le Plâtreux » (à cause de son goût des
bâtiments), d’Epernon « Cacofin », Monsieur « Hébertin », le père Joseph
« Ezechieli » ou « Tenebroso Cavernoso ». Mazarin sera « Colmardo »,
« frère coupe-choux », « Nunzinicardo » (le cher petit nonce)… Il lui
arrivait de faire de bons mots. Quand Léon Bouthillier décida de baptiser de
son nom l’hôtel de Saint-Paul, rue du Roi-de-Sicile, il ricana : « Tous les
Suisses y voudront aller boire ; ils liront l’hôtel de la Bouteille ! »
Eut-il des aventures amoureuses ? Fut-il l’amant de la courtisane
Marion de Lorme (« Mon Dieu, que c’est peu de chose qu’un cardinal ! » se
serait exclamée la courtisane) ? Eut-il quelque trouble sentiment pour Anne
d’Autriche ou Marie de Rohan ? Il s’en est défendu furieusement, accusant
Mme du Fargis d’avoir répandu « ces faussetés ». A la vérité, on n’est sûr
de rien, sinon qu’il paraissait emprunté avec les femmes et ne savait pas
leur parler.
Sa personnalité, écrit avec pertinence Françoise Hildesheimer,
« juxtapose imprégnation féminine et refus de la féminité, sensibilité
exacerbée, sexualité refoulée et exaltation intellectuelle de la raison3 ».
Mais des femmes l’ont entouré, encouragé, cajolé à leur manière : Marie de
Médicis, fascinée par son ascendant, qui fut sa puissante protectrice pendant
longtemps, Mme Bouthillier, née Marie de Bragelongne, qui le connaissait
depuis sa jeunesse, et surtout sa nièce la duchesse d’Aiguillon, cette chère
« princesse nièce » qui s’occupait avec tendresse et dévouement de sa vie
domestique. Point n’est besoin de prêter l’oreille aux ragots, aux
insinuations gratuites qui ont couru sur ces femmes et dont se sont faits
l’écho les malveillants pamphlétaires.
Ce tempérament féminin n’empêchait pas le cardinal d’être misogyne
au plus haut degré – plus encore que Louis XIII – et de redouter l’incursion
des femmes en politique : « Ces animaux sont étranges, écrivait-il. On croit
quelquefois qu’ils ne sont pas capables d’un grand mal, parce qu’ils ne le
sont d’aucun bien : mais je proteste en ma conscience qu’il n’y a rien qui
soit plus capable de perdre un Etat. » Il est vrai que Marie de Médicis était
un bon exemple !
Il avait la farouche volonté de maîtriser sa sensibilité, de surmonter son
émotivité, bref de se contrôler. On ne saurait non plus lui disputer le
courage. A La Rochelle, il n’hésita pas à prendre des risques, à monter sur
les parapets, à braver la mitraille. La prudence le poussait à ne rien décider
sous l’emprise de la colère. Raison, volonté, fermeté transparaissent dans
ses écrits, particulièrement son Testament politique. La postérité a surtout
retenu la dernière qualité, mais en a fait un défaut, source de sa « tyrannie ».
« Le gouvernement, écrivait-il, requiert une vertu mâle et une fermeté
inébranlable contraire à la mollesse. » La répression, les châtiments lui
paraissaient une nécessité. « En matière de crime d’Etat, affirmait-il, il faut
fermer la porte à la pitié, mépriser les plaintes des personnes intéressées et
les discours d’une populace ignorante. » Cependant, plus d’une fois il
plaida, en tant que prêtre, pour le pardon et l’indulgence, conseilla au roi les
« voies de la douceur », la patience, la modération. Les grandes
décapitations du règne, la plupart approuvées à regret par lui, ne furent pas
son œuvre, mais celle de Louis, contraint souvent à son corps défendant de
refuser sa grâce, par crainte d’encourager de nouvelles séditions.
Il faut souligner sa vive intelligence, jointe à une puissance de travail
exceptionnelle, une passion du détail qui le rendaient redoutable. Il
comprenait tout, devinait tout, pénétrait les ruses, les biais, les faux-
semblants de ses interlocuteurs. Les contemporains sont unanimes à
souligner la clairvoyance, la sûreté, la rapidité, la fulgurance de son
jugement. Dans les affaires les plus touffues, les plus embrouillées, il
mettait d’emblée le doigt sur le cœur du problème, sériait les complications,
dénouait le nœud des difficultés. Son raisonnement ordonné, bien balancé,
le conduisait sans hésitation à la conclusion la plus rationnelle. Mais il lui
arrivait d’avoir des scrupules4. Son esprit appréhendait mieux les situations
que les êtres. Il se trompa sur Michel de Marillac, sur Châteauneuf, sur
Mlle de La Fayette, le père Caussin, Cinq-Mars… Ce fut le défaut de la
cuirasse, qui faillit bien le perdre à plusieurs reprises.
On ne lui disputera pas sa vaste culture. Comme tous les prélats de son
temps, il parlait et écrivait parfaitement le latin, l’italien, l’espagnol
également. Sa religion, sa dévotion ont été mises en doute. N’a-t-on pas dit
qu’il n’avait « qu’une foi de protestant », ou même qu’il ne croyait pas en
l’immortalité de l’âme ? Rien n’est plus faux. Ce n’est pas parce qu’il
cherchait à convertir les huguenots par la persuasion plutôt que par la force
et qu’il leur laissait la liberté de conscience qu’il faudrait en faire un
mauvais catholique ou un libertin au sens que le siècle donnait à ce mot !
Son emploi du temps montre, au contraire, que sa vie était rythmée par la
prière, matin et soir, la messe quotidienne, la confession et la communion
tous les dimanches. Il lisait les œuvres de mystiques, particulièrement sainte
Thérèse d’Avila. Lui-même célébrait la messe lors des grandes fêtes et des
fêtes mariales, selon l’usage de l’époque. Il le faisait, disait le père Joseph,
avec une « dévotion exemplaire ». Sous l’influence de son ami capucin,
cette piété sincère évolua vers une certaine forme de mysticisme. Il avait
une grande vénération pour la Vierge Marie. C’est ainsi qu’en remerciement
de l’avoir sauvé de la mort, à son retour du Languedoc en 1632, il fit
construire à Saumur une chapelle votive à Notre-Dame des Ardilliers.
Il paraît donc difficile de mettre en doute la sincérité et la profondeur de
sa foi, même s’il n’avait pas eu au départ la vocation de la prêtrise.
Françoise Hildesheimer et le père Blet ont souligné la place essentielle de la
religion dans sa vie et dans son œuvre. Il était acquis aux idéaux de la
Contre-Réforme et se soumettait sur le plan disciplinaire à l’autorité
romaine. Il n’hésitait pas du reste à s’entourer de dévots et de catholiques
convaincus, comme le père Joseph, Claude de Mesmes, le comte d’Avaux5,
Sublet de Noyers ou Pierre Séguier.

La puissance et la gloire
D’instinct, a-t-on dit, il se méfiait des flatteries, des éloges, des
harangues fleuries. Dans les minutes des lettres que lui préparait son
secrétaire Charpentier, il biffait toute vantardise et expression de vanité
personnelle. Quand on lui soumit le projet des statuts de l’Académie
française, il en raya l’article 5, stipulant que « chacun des académiciens
promettait de révérer la vertu et la mémoire de Monseigneur leur
protecteur ». Pourtant, ne nous y trompons pas, ce faux modeste était en
réalité avide de louanges et ne s’en cachait pas toujours. Dans le recueil
collectif Le Sacrifice des Muses, où jaillissaient les hyperboles au « divin
Armand », au « héros incomparable », à « la merveille du siècle » – qu’il se
garda bien de désavouer –, l’abbé de Boisrobert dédiait un bouquet de vers
« à Monseigneur le cardinal de Richelieu, sur ce qu’il m’avait reproché que
je ne faisais plus rien pour lui »… Dans le même recueil, Gomberville
poussait l’audace jusqu’à faire dépendre l’épanouissement des lys royaux
du soleil cardinalice…
Soleil de qui l’éclat remplit toute la terre,
Et rend aux fleurs de lys leurs premières beautez
Richelieu, je t’admire et voy de tous costez
Que ton puissant Démon fait la Paix ou la Guerre6…

Le « divin Armand » ne dédaignait pas non plus, tant s’en faut, les
biens matériels. En 1985, travaillant à partir de sources inexploitées,
l’historien Joseph Bergin a publié un ouvrage éclairant qui renouvelle nos
connaissances sur sa fortune, l’une des plus importantes de l’Ancien
Régime avec environ 20 millions de livres de patrimoine, devancée
seulement par celle de son successeur Mazarin (35 millions)7.
L’accumulation de richesses constituait pour la haute aristocratie et les
grandes familles d’officiers un élément essentiel de leur stratégie politique.
Non seulement Richelieu désirait hisser sa famille au niveau des Grands,
mais être plus grand qu’eux. N’allons pas croire qu’il agissait en vulgaire
harpagon ensoutané, accumulant pour le plaisir d’accumuler. Sa fortune
était un instrument de pouvoir et de prestige mis au service de son ambition.
Il voulait que les plus hauts personnages de l’Etat fussent, comme le dit
Montglat, « heureux et honorés d’entrer dans son alliance8 ». Pour cela, il
lui fallait de grands biens.
Jusqu’à son entrée au Conseil en 1624, son train de vie était resté
relativement modeste. Il avait profité des largesses de Marie de Médicis
pour engranger quelques gratifications et recevoir la charge de grand
aumônier de la reine Anne. Tout changea lorsqu’il devint ministre. Il
cumula alors les gages, les pensions, les gouvernements avec une avidité
confondante : celui du Havre, de Harfleur, de Montivilliers, de Pont-de-
l’Arche, de Honfleur, de Brouage, des îles d’Oléron et de Ré, de l’Aunis, de
La Rochelle, de Nantes, de Bretagne, des îles d’Hyères…
En 1626, il se vit décerner la charge de grand maître et surintendant
général du Commerce de France, à laquelle le roi ajouta quelques mois plus
tard celle de la navigation, à la suite de la démission du duc de
Montmorency de son office d’Amiral. Cette charge lui procurait la
jouissance des lucratifs droits de naufrage (produits des épaves flottantes ou
échouées) et de confiscation, puis à partir de 1628 des droits d’ancrage pour
les navires étrangers entrant dans les ports du royaume et enfin, en 1631, du
droit de nommer les fonctionnaires de la marine et d’encaisser la partie
casuelle des offices concernés. Dans le compte de résultats de l’entreprise
Richelieu, la mer occupait le quart des revenus (230 216 livres en 16309).
Parallèlement, il se constitua un immense patrimoine foncier : terres,
châteaux, seigneuries, métairies, forêts, profitant des difficultés financières
de certains grands seigneurs. Il chercha à asseoir sa puissance économique
dans deux grandes régions, l’Anjou-Poitou et l’Aunis-Saintonge. Dans la
première, il acquit les seigneuries de Bessay et de Chanvan, la baronnie de
Faye, les domaines de Mirebeau, Beaufort-en-Vallée, L’Ile-Bouchard, La
Chapelle-Bellouin, Saint-Cassien et Champigny – les pierres de son château
servirent à construire celui de Richelieu. Dans la seconde, il jeta son dévolu
sur la seigneurie d’Arvert, les baronnies de Coses et de Barbezieux, la terre
de Saujon, celles de Mortagne-sur-Gironde, de Cosnac et de Fronsac. Une
des grandes étapes de sa prodigieuse fortune fut naturellement l’érection en
août 1631 de l’obscure et modeste terre poitevine de Richelieu en duché-
pairie, par lettres patentes signées du roi. Il reçut de plus l’autorisation de
construire la ville fortifiée du même nom avec réduction de taille et
dispense de gabelle.
Outre ces deux régions, il détenait quelques terres dispersées : Ansac,
Le Plessis-Billebaud, Cambronne près de Clermonten-Beauvaisis, les
château et comté de Limours non loin de Fontainebleau (qu’il vendit pour
acquérir Arvert), Bois-le-Vicomte, Mitry, Graville près du Havre, La Ferté-
Bernard dans le Maine. En août 1633, il acheta aux héritiers d’un riche
fermier des aides et gabelles, Jean de Moisset dit Montauban, le château du
val de Rueil et son parc, qu’il arrondit deux ans plus tard de la seigneurie du
même nom, appartenant à l’abbaye de Saint-Denis. Il avait un hôtel à Saint-
Germain-en-Laye, à proximité du château, pour loger près du roi. A Paris,
hormis le Petit-Luxembourg dont Marie lui avait fait don, il possédait
l’hôtel de Sillery et celui d’Angennes, qu’il agrandit et transforma, comme
on l’a dit, en Palais-Cardinal.
Le domaine royal, en principe inaliénable, avait été au fil des ans très
largement cédé moyennant des « prêts » à des personnes privées (les
engagistes) qui se considéraient comme de véritables propriétaires.
Richelieu ne négligea pas ce type de placement lucratif. Ainsi acheta-t-il le
domaine royal de Montlhéry, celui de Brouage et ses marais salants, celui
de Chinon. Les revenus fonciers augmentant moins vite que le prix des
terres, il se tourna vers l’acquisition d’offices (lieutenants civil ou criminel,
greffiers de parlement, de Cour des aides ou de greniers à sel, commissaires
des tailles, contrôleurs des poids et mesures, vendeurs de cuir à Paris, etc.),
dont il percevait les revenus sous des prête-noms. Il ne négligeait pas non
plus les rentes, les fermes des impôts royaux (comme les aides de Rueil et
surtout les droits sur le sel de Brouage et de La Rochelle, merveilleux
pactole plus rentable que toutes ses terres). « La simple énumération de ces
opérations, écrit Joseph Bergin, coupe le souffle, mais suffit à démontrer à
quel point le cardinal savait tirer parti de la politique financière de la
Couronne10. »
Sans doute se livra-t-il également à des spéculations embrouillées, des
transactions financières compliquées, ventes fictives, contrats antidatés,
masqués par des ordonnances de comptant. En 1665, sa succession sera
frappée d’amendes pour le rachat suspect de certaines rentes. Il faut dire à
sa décharge qu’à cette époque la séparation entre les domaines public et
privé ne faisait que s’ébaucher11. On était encore dans un système que Max
Weber qualifiait de « patrimonialisme ». Richelieu comblait de sa poche les
besoins de trésorerie de l’Etat, puis se rattrapait en faisant main basse sur
les opérations en cours. En 1634, en prévision de la guerre contre les
Habsbourg, le roi décida de révoquer tous les droits aliénés sur les tailles,
aides et gabelles, et de les convertir en rentes moins avantageuses12. Cette
première remise en ordre des finances ne gêna nullement le ministre, qui se
fit rembourser en numéraire, privilège choquant au moment où le Trésor
criait misère.
En outre, Armand Jean convoitait des revenus ecclésiastiques,
accumulant les commendes et bénéfices (abbayes de l’Ile-Chauvet, de
Moreille, Redon, Saint-Benoît-sur-Loire, Pontlevoy, Saint-Pierre de
Châlons, Notre-Dame-du-Vast, de Saint-Riquier, de Ham, Signy, Saint-
Arnoul de Metz…). Il obtint aussi le prieuré de La Charité et devint en 1629
supérieur de l’ordre de Cluny, faisant main basse à ce titre sur la grande
abbaye de Saint-Martin-des-Champs à Paris. En 1634, il se fit nommer
abbé, chef et général administrateur de la communauté de Chezal-Benoît. A
la fin de l’année suivante, il fut élu abbé général de Cîteaux et des
Prémontrés. Agissant à la fois comme Premier ministre et comme cardinal,
il intervint dans la réforme des ordres monastiques, s’efforçant de fédérer
les monastères bénédictins et clunisiens de France en une congrégation
unique, sous l’égide des Mauristes. Sans doute fut-il un réformateur
intelligent et zélé, mais Bergin montre que, même dans ces fonctions, il se
souciait très sérieusement de ses intérêts personnels, étalant sans vergogne
son âpreté au gain. A sa mort, il disposait de quinze abbayes, de quatre
prieurés et du généralat de Chezal-Benoît. La manne ecclésiastique qu’il en
retirait représentait plus de 30 % de ses revenus.
Quand on considère l’ensemble de ceux-ci, on est frappé par leur
diversité : pensions, gratifications de ministre, gages et émoluments de
gouverneur, rentes foncières, droits sur le roi, ressources casuelles, droits de
l’amirauté. Parvenu à un tel degré de puissance et de fortune, les occasions
d’enrichissement se présentaient spontanément : pour se faire bien voir et
garder leur statut fiscal, les Bretons lui remettaient régulièrement une
« offrande » de 100 000 livres… Au total, de 1624 à 1642, il décupla ses
revenus personnels qui atteignirent le million de livres à la fin de sa vie.
Richelieu était un organisateur méticuleux, parfaitement au courant du
détail de ses affaires personnelles. Il apportait une grande application à la
constitution et à la rentabilité de cette fortune, discutant personnellement les
clauses des transactions notariées. Il confia la perception d’une bonne part
de ses rentrées à un consortium de receveurs généraux protestants : Gédéon
Tallemant, Antoine Rambouillet et Marc-Antoine Acéré, qu’il avait pris
sous sa protection. Pour compenser les « décimes », cette contribution
financière que les titulaires de bénéfices ecclésiastiques devaient verser à la
couronne de France, il obtint une pension du receveur général du Clergé.
Au pape, il demanda des décharges de ses droits financiers. Urbain VIII les
lui accorda jusqu’au jour où il commença à s’inquiéter de sa trop grande
puissance. Aussi refusa-t-il d’entériner son élection comme abbé général de
Cîteaux et des Prémontrés, ce qui déclencha dans la foulée des oppositions
internes à ses réformes.
Le seul homme fortuné capable de rivaliser avec lui était Henri II de
Condé, premier prince du sang, mais il était devenu l’obligé de Son
Eminence, au point de solliciter, à genoux a-t-on dit, la main de sa nièce,
Claire Clémence de Maillé-Brézé, fille du maréchal, pour son fils, Louis de
Bourbon, duc d’Enghien. Entrer dans la famille royale était pour Richelieu
un honneur insigne : il se plut néanmoins à faire languir M. le Prince avant
de donner sa réponse et, quand le mariage fut résolu, il s’arrangea pour
doter très chichement la jeune fille, ne lui donnant que 300 000 livres – la
moitié de ce qu’espéraient les Condés –, les terres d’Ansac, Cambronne et
du Plessis-Billebaud, afin de bien montrer qu’ils avaient recherché cette
union pour l’éminente qualité de sa famille et non pour l’argent. Il ne lésina
pas, en revanche, sur les fêtes du mariage (11 février 1641), où il étala sa
magnificence. La timide Claire Clémence, sacrifiée telle Iphigénie à
l’ambition de son oncle, fut jetée dans les bras d’un mari – le futur Grand
Condé – qui jamais ne l’aimera, qui la persécutera, avant de la faire interner
durant vingt-trois ans, jusqu’à sa mort, au donjon de Châteauroux…

Contrairement à Louis XIII, simple et économe, vivant dans l’humilité


chrétienne en gentilhomme campagnard, Armand Jean avait des goûts de
grand seigneur. Il aimait le luxe, les dépenses somptueuses, l’apparat. Il
voulait éblouir. Il avait une puissante maison, une vaste domesticité, des
équipages. Lui-même était élégant, raffiné, exigeant le linge le plus fin.
Sa maison civile, composée de près de deux cents serviteurs, était celle
d’un cardinal romain et d’un prince : un maître de chambre, des aumôniers,
des écuyers et gentilshommes servants, des maîtres d’hôtel, contrôleurs,
argentiers, cuisiniers, écuyers d’office et gens du service de la Bouche,
valets de chambre, laquais de livrée… Comme le roi, l’archevêque de Paris
ou le duc de Nevers, il avait sa musique, une compagnie de douze
musiciens qui le suivait partout.
Sa maison militaire comportait une grande et une petite écurie, la
première pour les chevaux de guerre et de parade, la seconde pour les
carrosses et les litières, au total 140 chevaux13, avec des palefreniers, des
valets de pied et un corps de jeunes pages portant sa livrée couleur feu, tous
choisis parmi les enfants de la meilleure aristocratie. En septembre 1626,
après l’affaire Chalais, le roi lui permit d’entretenir une garde personnelle,
chargée de protéger sa chambre et sa demeure. En mai 1634, il fut encore
autorisé à lever une compagnie de cent mousquetaires à pied, s’ajoutant aux
cent vingt chevau-légers de sa garde et aux cent gendarmes qu’il avait déjà.
Les hommes du cardinal portaient la casaque rouge galonnée et ornée de
quatre croix blanches. Il avait en outre le commandement d’un ou de
plusieurs régiments, recrutés par commission, qui faisaient partie de l’armée
royale.
Quand il voyageait, une fastueuse escorte lui faisait honneur :
gentilshommes ordinaires, secrétaires, estafiers, officiers, tous empanachés.
Avec l’âge, ses rhumatismes et ses hémorroïdes finirent par l’empêcher de
monter à cheval. Même les carrosses brinquebalants lui étaient
insupportables. Il se déplaçait alors en litière, suivie d’une file de carrosses,
de fourgons, de mulets portant ses bagages. Il lui arrivait aussi d’emprunter
de grandes barques. Celles-ci, toujours magnifiquement parées de tentures
rouges, étaient escortées d’une flottille portant ses serviteurs et ses gardes.
Comme Sully avec Henrichemont ou Nevers avec Charleville, il voulut
avoir sa ville. Il dépensa des sommes considérables pour bâtir Richelieu, en
Poitou, aux rues en damier. Cette abstraction géométrique, modèle de cité
rationnelle, d’où toute fantaisie était bannie, fut une création artificielle, une
cité sans âme, une utopie vite désertée, malgré les privilèges accordés à
ceux qui acceptaient de s’y installer. Non loin de là, le château de Richelieu,
construit à l’emplacement du manoir de ses ancêtres, lui coûta également
fort cher. Il devint la demeure la plus importante jamais détenue par un
particulier*1. A Rueil, il fit agrandir le château*2 par Jacques Lemercier et
embellir les jardins, déjà très réputés, par de nouveaux bassins, des grottes
et des jeux d’eau. L’ensemble n’était pas achevé à sa mort. Le Palais-
Cardinal, conçu pour rivaliser avec le Louvre, fut lui aussi somptueusement
décoré, avec – grande nouveauté – un théâtre particulier, la troisième salle
de la capitale. Rien qu’en ce lieu on estima, lors de sa succession, à plus
d’un million et demi de livres la valeur du mobilier. Il collectionnait
tapisseries, statues antiques, pièces d’argenterie, joyaux. Parmi ses tableaux,
on notait des Raphaël, des Michel-Ange, des Léonard de Vinci, des
Corrège, des Tintoret, des Poussin, des Claude Lorrain, des Rubens.
Pourtant, il n’avait pas le goût des arts. Paradoxalement, Louis XIII était
artiste sans être mécène, tandis que lui était mécène sans être artiste…

Les collaborateurs
N’imaginons surtout pas le cardinal décidant seul dans le silence de son
cabinet, au milieu de ses chats, comme se plaisent à le représenter les
images d’Epinal. Il parlait longuement de ses projets avec les autres
ministres et secrétaires d’Etat, avant de s’en entretenir avec le roi et de les
aborder en Conseil. Il s’appuyait sur une garde rapprochée de collaborateurs
qui, comme l’a montré l’historien Orest Ranum, formaient un cabinet
efficace, participant non seulement à l’exécution de sa politique, mais à son
élaboration14. Parmi ces gens d’origines diverses, théologiens, juristes ou
historiens, on réservera une place de choix – à tout seigneur, tout
honneur ! – à François Le Clerc du Tremblay, baron de Maffiers, en religion
Père Joseph de Paris, son ami et homme de confiance, qui a fasciné des
générations d’historiens, de romanciers et de dramaturges.
L’homme était multiple. Figure marquante de l’Eglise de la Contre-
Réforme, grand mystique, prédicateur austère et rigoriste, auteur d’une
« méthode universelle d’oraison » pour un chemin de perfection, fondateur
des religieuses du Calvaire, acteur du renouveau missionnaire, instigateur
d’une croisade contre les Turcs, ce ne fut certainement pas un cynique
Machiavel, religieux dévoyé dans la politique, comme le dépeint Aldous
Huxley, mais un honnête et habile serviteur de l’Etat et de l’Eglise
militante, « mélange d’ambition et d’abnégation », ainsi que le montre son
dernier biographe, Benoist Pierre.
Né en 1577 au sein d’une famille de robins parisiens, il était de sept ans
l’aîné du grand cardinal. Après une brève expérience des armes, il entra à
vingt et un ans chez les Capucins. De tempérament anxieux et tourmenté,
comme Richelieu, il était vivement préoccupé de convertir les Ottomans
infidèles et les hérétiques protestants. Le fiasco de la Milice chrétienne,
qu’il attribuait à la mauvaise volonté des Habsbourg, l’amena à constater
que ceux-ci, sous couvert de défense de la catholicité, ne cherchaient que
leur propre gloire. Il revenait donc, selon lui, au roi de France, le Très-
Chrétien, bras armé du Tout-Puissant, de combattre sans état d’âme la
maison d’Autriche, puis de réaliser l’unité religieuse pour la plus grande
gloire de l’Eglise universelle. Telle était la mission providentielle revenant
au fils d’Henri IV, champion de la foi, futur roi de l’univers. Tôt convaincu
de ses capacités de médiateur et de négociateur, de son influence à Rome et
dans les milieux ecclésiastiques, Richelieu fit appel à ses services dès 1624.
De secrétaire particulier, composant des mémoires, déchiffrant ou codant
les dépêches, il devint diplomate, rédigeant les lettres d’instructions des
ambassadeurs, puis agent dévoué, dirigeant ses services secrets, et enfin
conseiller politique et religieux15. L’Eminence rouge s’appuyait sur les
grandes connaissances de l’Eminence grise, son talent de négociateur, sa
maîtrise des langues, ses relations avec la cour de Rome. Les affaires
d’Allemagne furent son principal champ d’activité.
La crise du traité de Ratisbonne montra que les deux hommes ne
partageaient pas totalement la même vision du monde. Plus proche du
courant dévot, le père tenait par-dessus tout à l’instauration d’une pax
christiana sous l’égide du roi de France, afin de relancer son projet de
Sainte Alliance catholique. Ennemi des Espagnols – et cela le distinguait
des proches de Marillac ou de Marie de Médicis –, il était fort réticent à
l’égard des alliances protestantes, qu’il considérait comme des pis-aller.
Richelieu, au contraire, estimait que Louis XIII devait animer une double
coalition de princes catholiques et protestants. Plus réaliste, il préférait
s’attacher à la gloire et à la grandeur du roi qu’à ces projets chimériques de
croisade contre les Turcs. Malgré ces points de divergence, les deux
hommes s’entendaient relativement bien.

Comme tout réseau clientéliste bien ordonné, celui de Richelieu se


composait de plusieurs cercles concentriques, en fonction des liens de
parenté, d’amitié et de fidélité. Le cardinal accordait en premier lieu la plus
grande confiance à sa famille. C’était, disait le second duc de Saint-Simon,
« le meilleur parent qui fût au monde ». Il distribuait les principales charges
et offices à ses neveux, cousins et alliés, pratiquant sans vergogne le
népotisme sur une large échelle. Son frère, le pieux Alphonse, qu’il tira de
son couvent de Chartreux, fut créé archevêque d’Aix, puis de Lyon. Il reçut
encore grâce au roi la charge de grand aumônier de France, à la démission
en 1632 du vieux cardinal de La Rochefoucauld. Son neveu, Charles de
Camboust, baron de Pont-Château, fut lieutenant du roi en Basse-Bretagne
et exerça pour son compte le gouvernement de Brest. Son beau-frère,
Urbain de Maillé-Brézé, tint ceux de Saumur et de Calais, puis de l’Anjou.
Malgré son franc-parler et son caractère incommode, il fut nommé maréchal
de France, ambassadeur en Suède en 1632, en Hollande en 1635-1636. A la
vérité, cet ours mal léché manquait de compétence et de constance. Un jour,
Richelieu le tança vertement d’avoir planté là son armée pour aller
s’occuper « de ses melons » en son cher Milly ! Son neveu, le jeune Jean
Armand de Maillé-Brézé, devint chef de la flotte du Ponant et s’illustra
brillamment dans plusieurs batailles navales, avant d’être tué devant
Orbitello en 1646. Le comte d’Harcourt, qui avait épousé la fille de Pont-
Château, eut le gouvernement de Touraine. Le cousin de Richelieu, Charles
de La Porte, marquis de La Meilleraye, fut lieutenant général de Bretagne,
gouverneur de Nantes, remplaça Sully comme grand maître et capitaine
général de l’Artillerie et reçut le bâton de maréchal. Son oncle, le
commandeur Amador de La Porte, eut le gouvernement d’Angers, la
lieutenance du roi en Aunis, îles de Ré et d’Oléron, avant de se faire élire
grand prieur de l’ordre de Malte. L’importante place du Havre fut confiée à
la garde de son neveu, René de Vignerod, marquis de Pont de Courlay, qui
exerça également la charge de général des galères. Le manque de
compétence et les dilapidations de cet inconséquent finirent par irriter le
cardinal qui, las d’éponger ses dettes, lui ôta ses très importantes
responsabilités navales en 1639 et les confia au bailli de Forbin. César de
Camboust, marquis de Coislin, autre neveu, fut colonel général des Suisses,
malgré sa petite taille et sa bosse. Pour avoir épousé Jeanne de Maillé-
Brézé, parente du maréchal, le baron Hercule de Charnacé, l’un des
meilleurs diplomates de l’époque, fit partie lui aussi du cercle rapproché.
A côté des parents et alliés, Richelieu choisit avec soin un état-major de
collaborateurs et de scribes dévoués. Un de ses plus fidèles était Claude
Bouthillier (1581-1652), fils de Denis, riche avocat au parlement de Paris,
lié depuis longtemps à la famille. Il fut tour à tour conseiller au Parlement,
secrétaire des commandements de la reine mère, conseiller d’Etat. En 1628,
le roi le nomma secrétaire d’Etat en remplacement de Nicolas Potier
d’Ocquière, ajoutant à ses attributions l’année suivante le département des
Affaires étrangères16. Quatre ans plus tard, il devint conseiller au Conseil de
la marine et surtout surintendant des Finances, à la place du fidèle maréchal
d’Effiat, trop tôt disparu. Son fils, l’habile Léon Bouthillier de Chavigny,
« M. le Jeune », conseiller d’Etat, lui succéda comme secrétaire d’Etat.
Richelieu, qui l’appréciait fort, l’utilisa dans de nombreuses missions, tant
privées que politiques. Après la disgrâce de La Ville-aux-Clercs, il ajouta la
maison du roi à son département qui couvrait déjà les Affaires étrangères, la
Champagne, la Bretagne, la Brie et la flotte du Ponant. Dans le sillage du
cardinal, Chavigny fit une belle fortune. Quant à Armand Jean Bouthillier,
autre petit-fils de Denis l’avocat, né en 1626, dont Richelieu fut le parrain,
il sera l’abbé de Rancé…
Conjointement à Claude Bouthillier, la charge de surintendant fut
exercée par une autre créature du cardinal, Claude de Bullion (1569-
1641)17. Ce dernier avait eu une longue carrière administrative avant de
faire allégeance : maître des requêtes, conseiller d’Etat, commissaire du roi
à l’assemblée protestante de Saumur en 1612, ambassadeur extraordinaire
en Piémont en 1619. Avec l’appui de son nouveau maître, cet homme
d’expérience fut projeté dans les hautes sphères gouvernementales :
conseiller ordinaire du roi en ses Conseils d’Etat privé et de finances en
1629, surintendant des Finances en 1632, chevalier du Saint-Esprit en 1633.
Sa position dans le réseau de Richelieu n’était pas négligeable. Le prélat
comptait beaucoup sur lui pour faire fonctionner la machine administrative
des finances, qu’il connaissait mal. Bullion en profita pour s’enrichir,
acceptant toutefois de sacrifier une partie de ses revenus lors de la crise de
163618. Son collègue, Claude Bouthillier, plus scrupuleux, plus prudent
gestionnaire ou tout simplement moins hardi, fit une moindre fortune19.
Autre collaborateur : Abel Servien, marquis de Sablé et de Bois-
Dauphin, comte de La Roche-Servien, né en 1593, était le fils d’un
conseiller honoraire au parlement de Grenoble. Lui-même fut procureur
général à ce parlement, avant de devenir maître des requêtes et d’entrer
dans l’orbite de Richelieu. Mais lorsqu’il fut nommé intendant de justice en
Guyenne, le parlement de Bordeaux refusa de le recevoir. Le roi, furieux,
ôta son office au premier président de ce parlement et le donna à Servien,
pour bien montrer qu’il le soutenait. Une charge de secrétaire d’Etat se
trouvant alors vacante, celui-ci préféra l’acquérir, comme on lui en avait
laissé le choix. Il hérita du département de la Guerre. Richelieu, qui avait
remarqué ses talents diplomatiques, l’utilisa dans plusieurs négociations,
notamment en Italie. Il se brouilla cependant avec lui, car il le soupçonnait
d’avoir perçu des pots-de-vin, et l’exila sur sa terre de Sablé. Le 12 février
1636, François Sublet, seigneur de Noyers et baron de Dangu, lui succéda
au secrétariat d’Etat à la Guerre20. Ce fils d’un maître des comptes avait été
secrétaire du roi, trésorier de France à Rouen, puis intendant des finances
aux armées, chargé à ce titre de diverses missions en Picardie et sur la
frontière du Nord21. En septembre 1638, il devint, comme on l’a vu,
surintendant des Bâtiments, contrôlant une partie de la politique culturelle
du royaume. C’était un fidèle protégé par le père Joseph et appartenant à la
mouvance des dévots ralliés.
Parmi les proches du cardinal, notons encore quelques figures
singulières de prélats, Léonor d’Etampes, évêque de Chartres puis
archevêque de Reims, utilisé lors de certaines négociations délicates, Louis
de Nogaret d’Epernon, cardinal de La Valette, lieutenant général des armées
du roi, bon militaire, si dévoué à son protecteur que son père, le vieux duc
d’Epernon, l’avait surnommé le « cardinal valet22 ». Le plus original était
Henri d’Escoubleau de Sourdis, archevêque de Bordeaux, moine-soldat,
autoritaire et arrogant. Il avait commencé sa carrière dans la maison de
Richelieu et participé à la défense de l’île d’Oléron. Promu lieutenant
général, il avait été envoyé à Bordeaux afin de rassembler des navires et du
ravitaillement pour le siège de La Rochelle. Puis il avait suivi son patron
durant le siège. Celuici lui confia la marine qui faisait tant défaut à la
France, une mission considérable qu’il remplit avec une efficacité
remarquable.
Au sein des réseaux de Richelieu, dans les dernières années, une
puissance montante fut Pierre Séguier. Né en 1588, il appartenait à une
modeste famille de la bourgeoisie parisienne (l’un de ses ancêtres était
marchand épicier) qui s’était élevée progressivement par l’acquisition
d’offices de judicature, de seigneuries et de fiefs de dignité. Son père, Jean
Séguier, seigneur d’Autry, était lieutenant civil à Paris. Pierre commença sa
carrière comme conseiller au Parlement, puis maître des requêtes de
l’Hôtel. En février 1633, il devint garde des Sceaux en remplacement de
Châteauneuf, avant de devenir chancelier deux ans plus tard, au décès
d’Aligre23. Dévot, bon juriste, grand travailleur, c’était un opportuniste sans
état d’âme, comme il le montrera lors de la révolte des Nu-Pieds de
Normandie en 1639, talentueux au demeurant, mais sans envergure
politique, ne faisant de ce fait aucune ombre à l’Eminence. Sa fille épousa
le marquis de Coislin, neveu du cardinal : il entrait ainsi dans le saint des
saints, consolidant sa position dans le clan, dont il était l’une des figures de
proue avant la montée de Mazarin.

Au-delà de ces précieux collaborateurs, Richelieu disposait d’un cercle


plus large de robins, maîtres des requêtes, intendants : l’implacable
Laubardemont, l’homme de Loudun, conseiller d’Etat et intendant de la
généralité de Tours, le dévoué Michel Le Tellier, procureur du roi au
Châtelet, maître des requêtes, intendant d’armée, Isaac de Laffemas,
lieutenant civil de Paris, conseiller d’Etat, dont l’exécrable réputation lui
avait valu le surnom de « bourreau du cardinal ». Dans l’équipe des
secrétaires personnels, on notera aussi la présence du fidèle Charpentier, de
son cousin Cherré, d’Antoine Rossignol, spécialiste de la cryptographie,
d’Isaac Martin pour les affaires maritimes, de Jacques Godin.

Un réseau hétérogène et tentaculaire


Les réseaux de Richelieu étaient protéiformes, avec des attributions
enchevêtrées, mal définies. L’essentiel était de bien servir le « patron » et de
répondre à son attente. C’était lui qui choisissait ses collaborateurs, et non
l’inverse. Il avait l’embarras du choix. La fidélité, la relation personnelle
comptaient davantage que la compétence. Pour ses affaires privées, il avait
constitué une équipe solide derrière son vieil intendant et maître d’hôtel,
Michel Le Masle, prieur des Roches : Vincent Langlois, Julius de Loynes,
Isaac Habert, futur évêque de Vabres*3, Claude Morel, Antoine Froissard,
Claude Bruillard, abbé de Coursan. Occasionnellement, il faisait appel à
d’autres. Des proches qui jouaient un rôle politique lui servaient d’agents
d’affaires et de rabatteurs. François Fouquet, maître des requêtes et père du
futur surintendant de Louis XIV, s’occupait des affaires ecclésiastiques et
maritimes du royaume, mais présidait en même temps son conseil privé.
Sourdis, factotum modèle et bon maître Jacques, à côté de la marine,
supervisait les intérêts de son patron à La Rochelle et dans l’Aunis, dirigeait
les travaux du nouveau château de Richelieu, contrôlait l’administration du
duché et de l’ordre de Cluny. Le maréchal d’Effiat négocia l’achat de L’Ile-
Bouchard, le surintendant de Bullion celui de Brouage. A un plus bas
échelon, Jean Hilayreau de La Traversière, lieutenant de marine, collectait
ses pensions et devint fermier d’une de ses abbayes. En sens inverse, le
cardinal utilisait des gens de sa maison pour des missions diplomatiques,
portant des instructions secrètes dans les provinces ou auprès des armées.
Une de ses relations, le curieux seigneur Alfonso Lopez, juif converti,
marchand de bijoux et de pierreries, s’occupa d’affaires navales et fut
promu conseiller d’Etat.

Tous ces réseaux étaient interconnectés et agissaient de concert en une


zone géographique donnée. Richelieu, a dit Victor-Lucien Tapié, a gouverné
« plus avec des hommes que des institutions ». Voici, à titre d’exemple,
comment fonctionnait son système clientéliste dans les trois pays d’états les
plus importants, la Bretagne, la Provence et le Languedoc. En Bretagne,
dont il était gouverneur, sa clientèle était vaste et variée : des gouverneurs
de ville, des évêques, des abbés, des membres des cours souveraines… Il
s’agissait de tenir en main les institutions provinciales, états, parlement,
Chambre des comptes, Cour des aides, et de les enserrer dans un maillage
de puissants courtiers… Outre La Meilleraye, lieutenant général de la
province, qui le remplaçait, Armand Jean s’appuyait sur quelques grands
seigneurs bretons, comme le duc de Retz, gouverneur de Belle-Isle et de
Machecoul, et le comte de Vertus, gouverneur de Rennes. Son cousin
Charles de Camboust, seigneur de Pontchâteau, était non seulement
gouverneur de Brest, mais président de l’ordre de la noblesse aux états de la
province. Parmi les autres agents du cardinal aux états, il y avait le trésorier
Michel Poullain, le syndic La Grée de Bruc, puis son successeur Vincent de
Brénugat. Un autre cousin de l’Eminentissime, l’abbé de Gestor, qui
s’occupait de ses bénéfices ecclésiastiques dans la région, était un membre
influent de ces mêmes états. Au sein du clergé, faisaient partie de sa
clientèle les évêques de Saint-Malo, de Nantes, de Rennes et de Léon. Eux
aussi prenaient place aux états. Au parlement de Rennes, Richelieu pouvait
compter sur la fidélité du président Claude de Marbeuf et sur celle de son
fils François, conseiller. A la Chambre des comptes, le président Harouys
de La Seilleraye lui était acquis…
En Provence, les élites politiques formaient un groupe étroit et
homogène, se soutenant par les relations, l’amitié ou les mariages. Ces
grands notables, leurs amis, leurs obligés dominaient les principales cités de
la province, Marseille, Aix et Arles. En leur apportant globalement son
appui politique et financier, en leur distribuant pensions ou nouvelles
charges, le cardinal confortait leur pouvoir local, leur permettait d’accroître
le nombre de leurs clients et de satisfaire leurs besoins financiers. En
échange, naturellement, il exigeait d’eux une loyauté absolue envers le roi.
Contrairement à la Bretagne, où il exerçait le pouvoir suprême, il avait
besoin d’un puissant réseau de courtiers, poussant ses tentacules jusque
dans l’entourage des deux gouverneurs qui ne lui étaient pas acquis, Charles
de Lorraine, duc de Guise, puis son successeur le maréchal de Vitry. De
cette manière, il doublait l’administration provinciale à son profit. Dans ce
but, il fit nommer son frère Alphonse archevêque d’Aix et abbé de Saint-
Victor à Marseille, puis il confia à l’un de ses proches, Melchior de
Chevières, marquis de Saint-Chamond, militaire et diplomate, la
lieutenance générale de Provence et le gouvernement de la forteresse de
Sisteron. Enfin, il soudoya deux clients du duc de Guise, Vincent Anne de
Forbin-Maynie d’Oppède, premier président du parlement d’Aix, et le
comte Cosme de Valbelle, qui verrouillait toute l’administration municipale
de Marseille avec l’aide de son oncle, Léon de La Tour-Saint-Symphorien.
C’était un atout d’importance, car Marseille, jalousement attachée à ses
privilèges, était une ville malcommode et quasi indépendante. Ce ne fut pas
tout. Richelieu embaucha le bailli Paul Albert de Forbin, de l’ordre de
Malte, marin réputé, qu’il adjoignit à son peu compétent neveu Pont de
Courlay à la tête des galères de Méditerranée. Il gagna la confiance de
Joseph Dubernet, premier président du parlement d’Aix, d’Henri de
Séguiran, sieur de Bouc, premier président de la Chambre des comptes
d’Aix, dont il fit un lieutenant général des armées navales et un capitaine
honoraire de galères. Le rapport de ce dernier sur la situation des ports,
côtes et fortifications de Provence est un modèle du genre (1633), informant
minutieusement le Premier ministre24. Sur les quinze intendants
provinciaux, d’armée ou de marine, envoyés dans la région, huit
appartenaient à sa clientèle : Nicolas Arnoul, Antoine Dreux d’Aubray,
Charles de Besançon de Basoches, Bernard de Besançon du Plessis,
François Bochard de Champigny, Jean Lequeux, Charles Machault, Michel
Particelli d’Emery.
Même schéma en Languedoc, où le gouvernement et l’administration
étaient aux mains d’un puissant féodal à la loyauté fluctuante, Henri II de
Montmorency. Richelieu y constitua méthodiquement un noyau de fidèles,
dans le but d’accroître son contrôle de la région et de saper le pouvoir local
du gouverneur. Dans cette province, les états étant dominés par le haut
clergé, il importait de s’assurer la fidélité de quelques évêques bien placés :
Claude de Rebé, archevêque de Narbonne, Silvestre de Marcillac, évêque
de Mende, et Clément de Bonzi, évêque de Béziers. Enfin, Richelieu
envoya à Toulouse des intendants bien à lui, comme Robert Miron de
Tremblay ou Antoine Le Camus d’Hémery. Le plus étonnant fut qu’après
l’exécution de Montmorency et son remplacement par un fidèle, Charles
duc d’Halluin, le même système de contrôle subsista. Le cardinal se méfiait
des velléités d’indépendance du personnage25.
En l’absence de rouages institutionnels bien établis, ces méthodes
contribuaient à la centralisation du royaume. Dans certaines provinces, il
suffisait à Richelieu de s’appuyer sur un Grand pour faire prévaloir
l’autorité du roi. Ainsi, en Bourgogne, toutes les institutions (états,
parlement, Chambre des comptes, Cour des aides, gouvernements des
villes, échevinage…) étaient à la dévotion du prince de Condé. Par rapport
au clientélisme antérieur, celui du cardinal présentait trois originalités :
c’était un réseau permanent de courtiers installés en province à des
positions stratégiques, qui bénéficiait largement du patronage royal,
associant les élites à la croissance du pouvoir de l’Etat, et qui s’appuyait sur
les nouveaux agents que le gouvernement commençait à installer
méthodiquement, les intendants26.
Une des missions essentielles des collaborateurs et clients de Richelieu,
aussi bien en France qu’à l’étranger, était de collationner les informations,
de les recouper, d’espionner les suspects, de prévenir les conspirations. Le
cardinal disposait d’informateurs et d’informatrices dans tous les milieux (à
défaut d’avoir été sa maîtresse, Marion de Lorme fut très probablement
l’une d’elles). Il avait recours aux religieux réguliers, dont il aidait
financièrement les couvents : Jacobins, Cordeliers, Augustins, Minimes
(l’un d’eux, le père Sachi, de Lyon, était le chef d’un important groupe
d’espions). Il faisait souvent appel aux Capucins du père Joseph, comme le
père Ange de Mortagne, son secrétaire, le père Valeriano Magni de Prague,
le père Hyacinthe de Casal, le père Hilarion, le père Athanase ou le père
Alexandre d’Alès… Placé au cœur de la diplomatie française, Joseph de
Paris avait la haute main sur les agents diplomatiques du cardinal, l’habile
comte d’Avaux, Isaac Launay de Razilly, Manassès de Pas, marquis de
Feuquières, Charles de Gournay, évêque de Sitie, Hercule Girard, baron de
Charnacé, La Grange aux Ormes, résident de France auprès de Gustave
Adolphe. Son frère puîné, Charles Le Clerc du Tremblay, était gouverneur
de la Bastille, une adresse utile… Ces personnes menaient parfois une
diplomatie parallèle à celle des ambassadeurs en poste. Partout, à la Cour,
dans les provinces, à l’armée, à l’étranger, à Madrid, à Bruxelles, à Londres,
à Vienne, Richelieu entretenait des espions, des informateurs, des agents de
confiance.
S’il n’avait guère besoin d’inciter le roi à la sévérité envers les ennemis
de l’Etat, il est certain qu’il a largement usé de la justice retenue de Sa
Majesté. La Bastille et le donjon de Vincennes devinrent des prisons d’Etat,
où se retrouvaient les hommes qu’il jugeait dangereux : le pamphlétaire
Langlois de Fancan, les maréchaux d’Ornano, de Bassompierre et de Vitry,
le médecin Vautier, le commandeur de Jars, le comte de Cramail, le comte
de Puylaurens, Du Fargis ou Coudray-Montpensier, l’abbé de Saint-Cyran.
Certains y laissèrent leur vie. Cette sévérité, excessive dans certains cas,
mais nécessaire au salut de l’Etat dans d’autres, a contribué à façonner
l’image de tyran du cardinal, surtout dans la haute aristocratie, habituée à
plus d’égards. Passion du renseignement, goût du secret, obsession du
complot, police parallèle, contrôle du cabinet noir et des services de poste,
ce fut certainement ce côté sombre, avec ses méthodes plus ou moins
tortueuses, qui a le plus desservi sa mémoire. Grand homme assurément,
mais grand manipulateur.

Le ministériat
Ne fallait-il pas s’inquiéter de cette concentration de pouvoirs sans
précédent aux mains d’un seul homme, de la création en d’autres termes
d’un « absolutisme ministériel » ? Louis XIII recevait de nombreux
avertissements, mises en garde, dénigrements insidieux27. Il n’ignorait rien
du prodigieux enrichissement du cardinal, encore moins de sa toute-
puissance, qu’il encourageait car lui-même en retirait des avantages. Il était
ravi, par exemple, de voir les états de Bretagne ou de Languedoc, les
assemblées des communautés de Provence voter sans trop de difficulté le
montant de leur don gratuit. Sans le noyautage de Richelieu, sans sa
machine administrative officieuse et parallèle, l’entreprise aurait été
infiniment plus ardue.
Le ministériat et le système clientéliste du cardinal se sont constitués de
façon informelle, empirique, comme le fruit des circonstances28. Ce fut le
dégoût du roi de laisser ses favoris s’emparer des fonctions politiques qui
facilita l’émergence de cette nouvelle figure de la science politique : celle
d’un Premier ministre, indépendant des chaînes féodales des grandes
familles, choisi pour ses qualités propres et non par amitié personnelle.
Malgré l’institutionnalisation progressive de la fonction, il resta longtemps
quelque chose du système précédent, celui du favori, du valido, comme on
disait au-delà des Pyrénées, qui accumulait des biens matériels dans la
hantise de la disgrâce. En recherchant des places de sûreté, Armand Jean
n’agissait pas différemment des Concini et Luynes qui n’avaient cessé de
consolider leur puissance terrienne et financière. Ainsi, de 1626 à sa mort, il
consacra des sommes considérables à faire du Havre la place de guerre la
plus forte de France.
Cela dit, Richelieu n’était pas un favori comme eux. Jamais il ne fut
l’ami de cœur du roi. La grille de lecture clientéliste peut être appliquée à
leurs relations. Sa position dépendait exclusivement des relations
personnelles qu’il entretenait avec son patron et protecteur. De même qu’il
avait réussi à s’entourer de créatures, de même il se définissait comme une
simple créature de son souverain. La chaîne des relations était clairement
établie29. Il était l’homme du roi et ne pouvait être que cela, totalement
dévoué, payant de sa personne, ayant l’insigne honneur de parler et de
frapper à sa place, pour faire appliquer sa volonté. Un contrat tacite le liait :
il était chargé de mettre en œuvre la politique de grandeur et de gloire.
On peut avancer que la dimension rapidement acquise en France par le
ministériat vient de la personnalité hors du commun de Richelieu, de sa
différence d’âge avec le souverain (seize ans). Sans doute. Il est non moins
sûr qu’à un moment ou à un autre la fonction se serait imposée. Les
hésitations de Louis XIII de 1621 à 1624 en sont la preuve. Il était à la
recherche d’une telle solution. Dès lors que l’Etat royal cessait d’être une
simple institution couronnant la société de corps et d’ordres pour devenir un
instrument de sa transformation, il fallait un puissant coordinateur de
l’action ministérielle et un réseau de fidèles susceptible de faire appliquer
les mesures prises en Conseil. Comme le dit Richelieu, le roi ne pouvant
avoir « continuellement l’œil sur sa carte et sa boussole, la raison veut qu’il
en donne particulièrement la charge à quelqu’un pardessus tous les autres ».
La société était encore beaucoup trop divisée – tiraillée entre les membres
de la famille royale, les Grands, les huguenots –, soumise à la menace
extérieure, pour que le monarque fût capable d’assumer seul ces fonctions.
Ce n’était pas uniquement affaire de tempérament. La structure éclatée de la
société l’en empêchait. Il en ira très différemment après la Fronde : la
France, plus ramassée, plus unifiée, pourra plus aisément se mouler dans
l’absolutisme louis-quatorzien en dépit de certaines résistances locales.
En tant que principal ministre, Richelieu a rempli un rôle que connaît
bien la science politique moderne, celui d’écran protecteur du chef de
l’Etat. Préservant le caractère à la fois sacré et paternel de la monarchie, il
était dans son rôle lorsqu’il cristallisait la haine des Grands et des
courtisans. Jusqu’à un certain point, il ne lui déplaisait point d’être le
bouclier d’un monarque inaccessible et intouchable, d’être pour lui couvert
de boue. Le 27 février 1630, il écrivait à Bouthillier : « Ce m’est gloire
d’être en butte à tout le monde pour le service du roi ! Grâce à Dieu, ce qui
me console, c’est que je n’ai pas un seul ennemi pour mon particulier, que
je n’ai jamais offensé personne que pour le service de l’Etat, en quoi je ne
fléchirai jamais quoi qu’il me puisse arriver. » Ainsi se flattait-il d’attirer la
foudre pour en épargner son maître !

Est-ce pour autant que Louis se considérait comme un roi fainéant,


soumis à son omnipotent maire du palais ? On sait qu’il n’en était rien. Pour
chacun de ses projets, le cardinal devait soigneusement tenir compte de son
opinion, ménager son amour-propre, lui en expliquer les raisons, leur bien-
fondé, obtenir son consentement. Cela n’avait rien d’une formalité.
Louis XIII avait une haute conscience de son « métier de roi » au service de
son royaume. Il ne renonçait à aucune bribe de son autorité. Le cardinal
était là pour clarifier les affaires, au besoin les lui expliquer, préparer les
grandes options, mais il se réservait la pleine liberté de juger et de trancher.
Aucun blanc-seing n’était donné à quiconque.
Avant d’être soumises au Conseil pour approbation, les affaires étaient
étroitement débattues entre le souverain et son Premier ministre. Celui-ci en
faisait l’instruction, celui-là prenait la décision. On n’a pas d’écho de leurs
tête-à-tête. Par chance, les deux hommes étaient souvent éloignés l’un de
l’autre. Le roi étant toujours par monts et par vaux, le cardinal guettait ses
réponses. Il avait besoin des formules, souvent laconiques, écrites en
apostille de ses mémoires : « Bon », « Il le faut », « J’approuve votre
proposition », qui n’étaient pas simples figures de style. Sans elles, il ne
pouvait pas agir. Compte tenu du caractère jaloux du roi, Richelieu n’avait
qu’une pensée, s’engager le moins possible à découvert et s’arranger pour
lui faire prendre les décisions qu’il souhaitait. Au Conseil, les discussions
étaient libres. Le cardinal parlait le dernier, immédiatement avant le roi.
Parfois, on passait aux voix, mais la décision revenait au monarque. En fait,
tout était à peu près résolu dans leur travail en duo.
Ils le savaient, ils étaient complémentaires. Dépourvu d’administration
propre, n’ayant qu’un petit nombre de fidèles, Louis XIII était obligé de
compter sur le réseau des créatures et des clients du cardinal pour être
informé et faire exécuter ses décisions. Sans l’aval explicite du roi,
Richelieu risquait toujours un cinglant désaveu. Il serait erroné d’évoquer
ici la notion de dyarchie ou de duumvirat, comme l’ont fait certains, en ce
qu’elle implique le partage d’un pouvoir de même nature. Le destin du roi,
souverain sacralisé, ne dépendait que de Dieu, alors que celui du cardinal
était totalement entre les mains du monarque ! Il y avait là une inégalité
fondamentale, qu’atténuait à peine l’influence de son statut d’homme de
Dieu, de directeur de conscience et d’expert en théologie. Tout autoritaire
qu’il fut, le cardinal se gardait bien de songer à usurper la moindre parcelle
de la majesté royale. Le roi était seul dépositaire de la souveraineté, et celle-
ci, comme l’écrivait en 1632 le grand juriste Cardin Le Bret dans son traité
De la Souveraineté du Roy, de son domaine et de sa couronne, n’était « non
plus divisible que le point en géométrie ». Concis, méthodique, rigoureux,
Richelieu était plus intelligent que Louis, cela ne fait aucun doute. Il
concevait, proposait, exécutait, mais Louis restait maître du processus de
décision, corrigeant éventuellement les vues de son collaborateur, renâclant,
le rabrouant, lui donnant parfois des coups de caveçon. Quand Richelieu
sentait une résistance, non seulement il ne défendait pas son point de vue,
mais il se hâtait d’adopter celui de son maître. On trouve de multiples
exemples de ce comportement dans leur correspondance. Il agissait alors
comme un simple exécutant. Ce furent les pamphlétaires de Marie de
Médicis, ne comprenant rien ou ne voulant rien comprendre aux véritables
rapports entre les deux hommes, qui accusèrent le cardinal d’avoir « usurpé
la monarchie ».

Jalousie et méfiance
A première vue, une grande confiance régnait entre eux deux. Persuadé
qu’en son absence, ses affaires iraient très mal, le roi était résolu à protéger
Richelieu contre ses ennemis. Quand on lit leurs billets, leurs lettres, les
formules de loyauté et de soumission de l’un, d’amitié de l’autre ne
manquent pas. Une complicité badine existait, allant jusqu’à des
confidences intimes. Louis ne cessait de lui redire son impatience de le
revoir. En février 1632, par exemple, il lui écrivait : « Je vous aime plus que
jamais » ; en février 1633, il le traitait de « meilleur ami que j’ai au
monde ». Il avait des élans frisant la phraséologie amoureuse : « Je vous
puis assurer que le feu de Versailles est plus enflammé que celui de Rueil et
qu’il durera à jamais » (28 janvier 1634). Pourtant rien n’était moins
passionné que les relations de ce prêtre émacié et de ce roi neurasthénique.
En réalité, leurs rapports étaient extraordinairement complexes.
Ce roi solitaire et sauvage, vite ombrageux et susceptible, avait du mal à
supporter l’ascendant et le tempérament dominateur du cardinal.
Secrètement, il s’irritait de sa supériorité intellectuelle. A mesure que les
années passaient, il s’inquiétait de son pouvoir grandissant, de ses
dissimulations. Il lui était très difficile à certains moments d’accepter des
avis ou des conseils laissant transparaître son autoritarisme et dépourvus du
ton de déférence que son orgueil de roi attendait. Ce fut sa grandeur de
surmonter ses dégoûts, de se brider, pour reconnaître que Richelieu lui était
non seulement utile, mais indispensable au bien de son royaume. Ils étaient
inséparables. C’est sans doute Mme de Motteville qui a le mieux saisi leurs
relations : « Ne pouvant vivre heureux sans lui ni avec lui, disait-elle à
propos de Louis XIII, il ne put jamais l’être. »
Mais il était clair que le maître, c’était lui, le roi ! Un jour, le graveur
Jacques Callot avait représenté le combat de Saint-Martin-de-Ré avec
Richelieu, à cheval, un bâton de commandement à la main, entre lui et son
frère Gaston. Louis fit détruire cette scène et en refaire une autre, où il
figurait seul avec son frère30. Un souverain ne saurait paraître au côté d’un
« domestique » ! Sans doute n’avait-il jamais vu cette Clémence de Titus de
Stella, conservée dans les collections du cardinal, où la disposition et
l’allure des personnages révèlent très clairement que le principal
dispensateur des grâces était Son Eminence et non lui…
Pouvait-on servir deux maîtres à la fois ? Pour les gens du Premier
ministre, il le fallait bien. Mais leur allégeance à leur patron immédiat
inquiétait toujours Louis XIII. La fameuse rivalité entre les mousquetaires
et les gardes du cardinal n’est pas une légende créée par Alexandre Dumas :
« C’était un plaisir pour le roi, raconte au XVIIIe siècle le père Daniel dans
son Histoire de la Milice françoise, d’apprendre que les mousquetaires
avaient malmené les gardes du cardinal et le cardinal pareillement
s’applaudissait quand les mousquetaires avaient le dessous. Comme les
duels étaient défendus on faisait aisément passer ceux des mousquetaires ou
des gardes du cardinal pour des rencontres… » Au roi d’arbitrer et de
trancher. Dans les cas où d’autres personnages de l’Etat étaient impliqués, il
ne le faisait pas nécessairement en faveur de l’Eminence. En 1639, au cours
d’une revue donnée en son honneur, Richelieu avait essayé de faire défiler
sa compagnie de gendarmes avant celle du comte de Soissons, prince du
sang. Il en était résulté une violente dispute dans les rangs. Louis ne soutint
pas son Premier ministre : « Sa compagnie ne doit point marcher devant
celle de M. le Comte. Les gendarmes des princes du sang vont
immédiatement après ceux de mon frère. »
A tout instant, le monarque lui tenait la bride serrée. On était loin du
temps où le roi « ne voulait pas être roi », comme l’écrivait en juillet 1620
le nonce Bentivoglio, loin du temps où il se reposait largement sur Luynes,
sur Brûlart de Sillery et son fils, sur La Vieuville. Les expériences
fâcheuses de sa jeunesse lui avaient été utiles. Il lisait lui-même tous les
rapports d’ambassade, travaillait plusieurs fois par jour avec les secrétaires
d’Etat, ne supportait pas que l’un d’eux écrivît une dépêche sans l’en
avertir.
On a dit que Richelieu avait l’art de présenter au roi les différentes
solutions tout en le guidant doucement vers celle qui avait sa préférence. Le
danger pour le souverain était de se laisser subjuguer, asphyxier. Louis
aurait pu y remédier en cherchant d’autres informateurs, d’autres
conseillers. Il ne semble pas qu’il ait abusé de ce moyen. En revanche, pour
tenir en éveil son unique interlocuteur, il ne consentait jamais
systématiquement à ce qu’il proposait. Par sa manière de choisir ou
d’écarter les projets, il préservait son autorité et sa liberté, manifestait son
pouvoir discrétionnaire, son « bon plaisir ». Son subordonné devait
supporter sans broncher ses camouflets, ses mercuriales et ses colères. « Je
n’ai jamais connu que le roi fût mal content de vous, écrivait Richelieu au
cardinal de Bérulle, mais bien qu’il n’avait pas envie d’effectuer en tous
sujets tous les conseils que vous lui pouvez donner. Je tombe tous les jours
en pareil inconvénient et m’estime heureux quand de quatre de mes
propositions deux sont agréables31. » Louis jouait au sphinx. Ses silences
épistolaires effrayaient plus que ses mercuriales. Un jour, le cardinal s’était
écrié qu’il était plus difficile de conquérir les quatre pieds carrés du cabinet
du roi que tous les champs de bataille de l’Europe !
Sa situation était instable, précaire, il le savait bien avant la journée des
Dupes. Il pouvait être remercié du jour au lendemain sans justification. La
clé de Richelieu ? Ni l’ambition, ni l’orgueil, ni le tempérament dominateur,
mais la crainte, la crainte qui le tenaillait au ventre, le poussait à avancer, le
forçait à se dépasser, la crainte d’être congédié brutalement, la crainte d’une
impulsion irraisonnée du roi, lui faisant subir le sort de Concini. D’où son
besoin d’un attachement constamment réaffirmé. Cette crainte de tous les
instants, de combien d’insomnies la paya-t-il ? Beaucoup ont fait grief à
Louis XIII de sa fatigante jalousie, de son éternelle méfiance qui retardaient
inutilement la marche des affaires, sans comprendre que sans elles il aurait
abdiqué son pouvoir. Disons-le, il sut élever ces deux défauts en vertus
royales…
Sachant que son sort dépendait entièrement de lui, on comprend que le
cardinal, toujours vigilant, ait multiplié les espions dans son entourage,
comme il l’avait fait autour de la reine mère, d’Anne d’Autriche ou de
Gaston. Partout à la Cour rôdaient ses affidés. Il lui était vital de savoir ce
que faisait le roi, ce qu’il pensait, éventuellement ce qu’il tramait contre lui.
Ce réseau de surveillance était là aussi pour le tenir au courant du
comportement du favori ou de la favorite du moment, source prévisible de
danger. Le souverain le savait si bien, comme le dit l’ambassadeur de
Venise Angelo Correr, qu’il ne parlait avec ses domestiques « que de choses
indifférentes ». Un jour, Louis congédia sans ménagement son premier valet
de chambre, Boissenval, lorsqu’il sut qu’il renseignait le cardinal sur ses
amours avec Mlle de La Fayette. « Boissenval, je vous donne votre congé,
vous êtes un traître, je ne veux plus vous voir32. »

Le ministériat, correspondant à un état de la France à un moment donné,


n’était pas destiné à durer. En 1631, un apologiste du cardinal, Silhon, avait
publié Le Ministre d’Etat, dans lequel il affirmait que Son Eminence était
un homme providentiel, envoyé pour rétablir l’ordre et redonner la
prospérité à la France. Lui obéir sans défaillance relevait donc d’un
commandement divin. Le cardinal reprendra peu ou prou le même
raisonnement dans son Testament politique. Or, ni l’un ni l’autre ne se
rendaient compte que là résidait l’inconvénient majeur du système : le
peuple ne voulait pas d’un intermédiaire entre lui et son souverain, élu de
Dieu. Il souhaitait qu’il régnât pleinement. La délégation de pouvoir à un
ministre qui n’avait pas l’aura sacrée du roi – fût-il cardinal romain –
choquait, passait pour un abus de pouvoir. « Le commandement souverain,
disait le légiste Le Bret, est tellement singulier qu’il n’est communicable à
personne. » La fin du ministériat sera l’une des principales revendications
de la Fronde. Louis XIV l’assumera, avec quel plaisir.

Le grand dessein
Un des points essentiels de la pensée du cardinal résidait dans son
affirmation de l’autonomie de la politique par rapport à la sphère religieuse.
Soumise aux lumières de la raison, la politique obéissait à ses lois propres, à
sa morale. Dans la vie temporelle, par exemple, on n’avait pas à se
demander si un partenaire était ou non un hérétique. Si le bien commun
l’exigeait, il fallait s’allier avec lui. Sur le plan intérieur, il s’agissait de
laisser un espace à la tolérance et à la liberté de conscience.
Déconfessionnalisée, au moins en partie, la politique n’était pas pour autant
pur abandon à la raison d’Etat, coupée de l’ordre divin, de la théologie,
totalement sécularisée. C’était un instrument au service du salut des
hommes, et non une Realpolitik, sans frein juridique. Ne faisons pas trop
vite du cardinal le précurseur de la laïcité moderne33. « Le premier
fondement d’un Etat, écrivait-il dans son Testament, est l’établissement du
règne de Dieu. » On ne peut être plus clair. Quand Matthieu de Morgues,
stigmatisant sa politique, écrit que « la France n’a plus d’autre religion que
celle de l’Etat fondée sur les maximes de Machiavel », il lui fait d’évidence
un mauvais procès, malheureusement repris par trop d’historiens. Dans ses
travaux, Françoise Hildesheimer fait litière de cette thèse, encore défendue
par Etienne Thuau34 et Henry Kissinger. Richelieu, loin d’exalter la raison
d’Etat, la condamne, n’hésitant pas à écrire par exemple : « Les rois doivent
observer les traités avec religion. » L’affirmation de l’autonomie du
politique n’impliquait donc pas la violation de la loi divine et du droit
naturel, ni la mise entre parenthèses des orientations du concile de Trente.
Sans doute a-t-il légitimé le recours à des procédés d’exception, celui de la
justice retenue, autrement dit les lettres de cachet, pour juguler l’opposition
politique, sans doute en a-t-il abusé pour ses ennemis, et son autoritarisme
policier a sans conteste terrorisé la noblesse, mais on n’a pas connaissance
de meurtres qu’il aurait ordonnés. On est fort éloigné par exemple du
machiavélisme cynique de Gabriel Naudé, auteur des Considérations
politiques sur les coups d’Etat (1639) ou de l’Apologie pour Machiavel
composée par le chanoine Louis Machon. N’oublions pas d’ailleurs que le
théologien, le moraliste, l’homme d’Eglise avaient précédé l’homme d’Etat.
Les préoccupations religieuses ne l’avaient jamais abandonné. Lors du
siège de Corbie, n’avait-il pas commencé l’écriture de son Traité de la
perfection du chrétien ? Lui-même se définissait comme un « catholique
d’Etat » (c’était le nom d’un libelle écrit sous sa direction35).

Que veut avant tout Richelieu ? Faire de la France la première


puissance en Europe. Ecartons l’idée anachronique des frontières naturelles,
qui ne font pas partie de son univers conceptuel36. Sans doute a-t-il rêvé de
reconquérir les terres ayant autrefois relevé de la suzeraineté française :
l’Artois, les Flandres et la Franche-Comté. C’est ce qu’on peut déduire de
son Avis au roi de janvier 1629. Il ne s’agissait pourtant pas de pratiquer
une politique agressive. Son système de portes permettant de contrôler et de
faire passer en cas de nécessité des troupes, soit en Italie, soit en
Allemagne, répondait à une logique défensive et non offensive.
Il ne partageait pas la vision outrageusement expansionniste de
quelques théoriciens isolés, comme le père Besian Arroy, pour qui
Louis XIII devait reconstituer l’empire de Charlemagne, ou Henri de
Montégut, magistrat proche de Schomberg, qui, dans son Avis important sur
l’état et occurrence des affaires (1641), envisageait l’annexion de la Suisse.
Peut-on pour autant, comme le pensait Jörg Wollemberg, l’inscrire parmi
les précurseurs de l’unité européenne ? Ce serait exagéré. Il envisageait un
nouvel ordre de paix, assurant la liberté des petits Etats, dont la France
serait le garant37. Faute de pouvoir reconstituer la res publica christiana,
celle-ci deviendrait l’arbitre de la Chrétienté. Qu’il y ait derrière cette idée
d’équilibre européen un appétit caché de domination est bien possible,
encore que la France, à cette époque, ne fût pas en mesure d’imposer sa
prépondérance aux deux branches des Habsbourg. Imaginait-il un système
de sécurité collective par des médiations, des négociations, des congrès,
bannissant la guerre du continent européen et fondant une paix chrétienne
universelle, le but ultime étant bien sûr le triomphe pacifique du
catholicisme ? Cette vision correspondait probablement davantage à celle
du père Joseph qu’à la sienne.
Louis XIII n’avait pas non plus en tête d’aussi vastes perspectives. Le
cardinal et lui se retrouvaient sur les objectifs essentiels : la grandeur, la
prospérité de la France, la gloire de ses armes, son rayonnement extérieur.
Leurs pensées, leurs desseins étaient en ce domaine si en phase, disait
Goulas dans ses Mémoires, que le cardinal ne proposait presque jamais rien
que le roi « n’eût déjà dans l’esprit38 ». Tous deux étaient des pragmatiques,
animés du culte de l’Etat, éloignés des rêveries irréalistes. Sur le plan
intérieur, ils voulaient une noblesse fidèle et disciplinée, servant la
Couronne avec loyauté. Rêvant de convertir les hérétiques protestants par
les « voies de la douceur », sans asservir les consciences, ils ne leur
demandaient que de se comporter en sujets humbles et soumis, pratiquant
leur culte sans causer ni scandale ni désordre. Cela signifiait en revanche
qu’il fallait ruiner impitoyablement toute tentative de relèvement du parti
huguenot. Ils voulaient aussi une Eglise de France formant de bons prêtres
et de bons chrétiens, point trop soumise à Rome, mais n’abusant pas non
plus de ses privilèges gallicans.
Il y avait, en revanche, un sujet sur lequel Louis XIII et Richelieu
n’avaient pas la même approche : les parlements. Dans ses rapports avec les
cours souveraines, le roi était infiniment plus ferme que son ministre. Là
plus qu’ailleurs il entendait avoir le dernier mot, car cela touchait à la
souveraineté royale et à la majesté du trône. « Je vous avoue que deux
choses me piquent extraordinairement et m’empêchent quelquefois de
dormir, lui écrivait-il en janvier 1633 : l’insolence du Parlement et les
moqueries que les personnes que vous savez font de moi, sans vous y
oublier39. »
Les magistrats multipliaient les obstacles à la progression de l’Etat,
retardant l’enregistrement des édits bursaux par de longues et spécieuses
remontrances, protestant contre la constitution de commissions
extraordinaires et de chambres de justice parfaitement légales. Le roi
répliquait sans état d’âme par des lettres de jussion, des lits de justice, l’exil
des agitateurs.
Lors du siège de La Rochelle, des magistrats de Bordeaux vinrent lui
porter des doléances. Le premier président Marc Antoine de Gourgues osa
remarquer qu’il était étrange et sans précédent qu’à deux occasions les
membres du parlement aient présenté eux-mêmes leurs remontrances et
n’aient pas été écoutés ! Louis XIII le prit très mal. Il lui répondit d’un ton
sévère : « A genoux, petit homme, devant votre maître40 ! » Jugeant indigne
pour un magistrat de son rang de se prosterner, l’autre refusa. Alors, de
colère, Louis se leva et, le saisissant par la robe, l’obligea à s’exécuter. Le
lendemain, Gourgues mourut d’une crise d’apoplexie.
En janvier 1632, à propos d’une déclaration contre Gaston, le roi se
heurta encore aux magistrats. Les recevant à Metz, il leur dit sans
barguigner, après les avoir fait attendre une heure : « Je veux que vous
sachiez que vous êtes les seuls qui entrepreniez contre l’autorité royale.
Vous n’êtes établis que pour juger entre Maître Pierre et Maître Jacques…
Si vous continuez vos entreprises, je vous rognerai les ongles de si près
qu’il vous en cuira. » Richelieu et le garde des Sceaux en parurent « aussi
étonnés que les autres41 ». Là où le souple cardinal cherchait le compromis,
Louis était prompt à s’enflammer.
A la fin de 1631, il avait suspendu de leurs fonctions pour insolence
deux présidents de chambre et trois conseillers du Parlement. Ceux-ci, pour
tenter d’obtenir leur grâce, suivirent le roi durant tout le voyage de
Champagne, sans être reçus. A Richelieu qui avait cru bon d’intercéder en
leur faveur, il répondit le 12 février 1632 :
« Mon Cousin, je vous accorderais volontiers ce que vous me demandez
pour les cinq longues robes. Mais outre qu’il y a plaisir à les voir se
promener à la suite de ma Cour, plus on se relâche avec de tels gens, plus ils
en abusent. Quand un mousqueton manque à se trouver à l’exercice d’un
quart d’heure, il entre en prison. S’il désobéit à son capitaine lorsqu’il lui
fait quelque commandement en sa charge, il est cassé, et s’il désobéit
encore, il perd la vie ! Et il sera dit que les robes longues me désobéiront
librement et hardiment et que je demeurerai du côté du vent ? Et lesdits
seigneurs gagneront leur cause sous ombre qu’ils déjeunent le matin à leur
buvette et sont trois heures assis sur mes fleurs de lys*4 ? Par arrêt donné à
Sainte-Menehould, il n’en sera pas ainsi ! Il est ordonné que vous serez
moins facile et moins capable d’avoir pitié desdits seigneurs parce qu’ils
sont en peine pour avoir méprisé ce qu’ils doivent au maître de la
boutique42 !… »
On pourrait citer d’autres exemples. En 1636, en pleine guerre contre
l’Espagne, il exila plusieurs magistrats du Parlement pour s’être opposés à
la vente de nouveaux offices, dont le président Jean-Jacques de Barillon à
Saumur. Une délégation de parlementaires vint solliciter sa libération.
Interrompant le discours du premier président, Louis répondit avec
fermeté : « Je ne capitule pas avec mes sujets et mes officiers ! Je suis le
maître et veux être obéi. » Barillon mourra cinq ans plus tard dans son exil
alpin…

Les Grands et les résistances populaires


La destruction des châteaux fortifiés inutiles pour la défense des
frontières, susceptibles de résister à la puissance royale ou de former une
base de pouvoir à l’aristocratie, ne fut pas une initiative de Richelieu. On ne
l’avait pas attendu pour démanteler Dreux, Montlhéry, Carlat, Chalusset,
Château-Gaillard et Pierrefonds. En 1622, deux ans avant l’arrivée du
cardinal au pouvoir, semblable décision avait déjà été prise. Mais c’est lui
qui donna toute l’ampleur à la mesure par la déclaration de Nantes du
31 juillet 1626, faite à la demande des députés des états de Bretagne. On
commença par Lamballe, Ancenis et les places appartenant au duc de
Vendôme. La mesure s’étendit ensuite à toute la France. Dans les opérations
de « rasement », on faisait sauter les murailles crénelées, on éventrait les
donjons et les tours, on comblait les fossés. Le travail était parfois si
difficile qu’on se contentait de pratiquer quelques brèches à coups de barils
de poudre. Ainsi en fut-il des forteresses féodales de Touraine, du Limousin
ou d’Auvergne. On rendait le château inhabitable, comme à Crussol, les
déprédations venant ultérieurement des habitants eux-mêmes à la recherche
de pierres pour construire leurs maisons. A Coucy, l’ingénieur Métezeaux,
fils du constructeur de la digue de La Rochelle, fut chargé d’abattre le haut
des tours, les voûtes et d’incendier l’énorme château. Pour d’autres
forteresses comme celles de Neufchâteau et Châtenois, en Lorraine, on alla
beaucoup plus loin. En 1634, le prince de Condé ordonna de les détruire
jusqu’à leurs fondations. Au total, on estime à 2 000 environ les
destructions effectuées à cette époque sur 70 000 châteaux et manoirs.
Si la demande émanait souvent des populations locales, ces actions
rencontraient parfois de vives résistances de la part des seigneurs du lieu.
Le cardinal n’hésita pas à les poursuivre. Sur son ordre, les intendants
arrêtèrent et emprisonnèrent de nombreux gentilshommes séditieux. En
Poitou, la province de Richelieu, il y eut 133 pendaisons. Œuvre de longue
haleine, la mise à bas des forteresses dura des années. Elle n’était pas
terminée à sa mort.

Faisons litière d’une légende tenace : Richelieu ne voulait pas abaisser


systématiquement la noblesse, comme on le dit souvent. Comment aurait-il
pu être un adepte du nivellement des rangs, lui qui aspirait à hisser sa
famille le plus haut possible dans l’échelle sociale ? De fait, il ménageait les
Grands, proches du pouvoir, comme le prince de Condé, les ducs
d’Angoulême et de Ventadour, se montrait prudent avec le duc de Guise,
tout en minant sa puissance territoriale en Provence. Son projet, en réalité,
visait à créer un nouveau type de Grands, dont il serait le prototype, non
plus rebelles, mais loyaux, soumis au roi et travaillant pour la gloire du
pays. Il désirait changer les mentalités, non les hiérarchies sociales.

L’arrestation de Michel de Marillac n’avait nullement mis un terme aux


révoltes populaires. Avant même l’entrée en guerre de la France, la misère
avait gagné les provinces. La récolte de l’été de 1630 avait été
particulièrement mauvaise dans la France du Nord. Jamais le cours du setier
de froment n’avait été si haut, passant de 12 à 21 livres, atteignant même
23 livres le 1er février 163143. A Paris, le Bureau de la ville s’évertuait à
maintenir le niveau des arrivages de blé et à assurer la sécurité sur les
marchés. Or, pendant ce temps, les impôts n’avaient cessé de croître. De
1628 à 1633, la taille avait triplé. Le surintendant des Finances, le maréchal
d’Effiat, faisait pression sur les fermiers et traitants pour enfler le
rendement des impôts indirects44. Mais ceux-ci éprouvaient de plus en plus
de difficulté à faire payer les contribuables. On demandait des remises, on
présentait des doléances. La tension était extrême au point qu’en
février 1631, à Bordeaux, Antoine La Butte, commis du Convoy et
Comptablie de la ville fut saisi par une populace en furie, traîné sur la claie
et pendu45. On signalait des révoltes à Lyon, Orléans, Bordeaux, Poitiers,
Marseille et Aix. Paris eut aussi son « émotion populaire », sortie de l’oubli
par l’historien Reynald Abad46. Les 3 et 4 février 1631, des marchands de
vin, taverniers, cabaretiers et valets de taverne, aidés de charretiers et de
crocheteurs, en tout quatre à cinq cents personnes, assiégèrent la maison du
richissime fermier général des aides, Etienne Briois, seigneur de Bagnolet,
rue Saint-Bon, à côté de l’Hôtel de Ville. Ils protestaient contre le
doublement du droit du huitième sur le vin vendu au détail, dont ils
rendaient responsable ce financier, jalousé par tous, qui avait commencé sa
carrière dans une échoppe de la rue de l’Arbre-Sec. La milice du quartier de
la Grève refusant d’intervenir contre les émeutiers, le prévôt des
marchands, Christophe Sanguin, et les échevins firent venir le chevalier du
guet et le prévôt de l’Hôtel. Peine perdue. Le roi, informé, dut tenir un
conseil extraordinaire avec les édiles parisiens, le maréchal de Schomberg
et les lieutenants civils et criminels. Pour rétablir l’ordre, on dépêcha deux
compagnies de gardes françaises. Il y eut plusieurs morts. La sécurité de la
capitale était considérée comme un objectif prioritaire. Paris comptait, en
effet, de nombreux titulaires de rentes sur l’Hôtel de Ville – un habitant sur
quatre environ –, dont la rémunération était assignée sur les aides, impôts
indirects que les fermiers étaient astreints de remettre à la municipalité, qui
gérait ces rentes. Des retards de paiement pouvaient déclencher de terribles
émeutes, comme on le vit sous la Fronde.

Richelieu, entre propagande et culture


La férocité des pamphlétaires contre le cardinal ne se relâchait pas et
faisait la joie des crieurs du Pont-Neuf et des polémistes47. Matthieu de
Morgues, ancien abbé de Saint-Germain devenu aumônier de la reine mère,
excellait dans ce genre de littérature incendiaire : ainsi sa Très Humble, très
véritable et très importante remontrance au Roy ou sa Charitable
remontrance de Caton chrétien au cardinal de Richelieu.
Attentif à gouverner les esprits, Richelieu, dès son arrivée dans
l’entourage de la reine mère, avait compris la puissance de l’opinion. Pour
répondre à ces bordées de canon, il loua le concours de polémistes adverses,
dont Jean Sirmond qui signait sous le pseudonyme de Des Montagnes, son
cher abbé de Boisrobert, le juriste Paul Hay du Chastelet et le poète
Chapelain48. Il faisait aussi insérer les déclarations royales dans le Mercure
françois, dont le premier numéro remontait à 1611. Dès 1624, le père
Joseph en était l’un des principaux rédacteurs. La périodicité de cet organe
n’étant qu’annuelle, ses commentaires étaient tardifs. Pour diffuser plus
rapidement les nouvelles, des feuilles naquirent dans le sillage des
hebdomadaires d’Amsterdam ou de Rotterdam. Créées en janvier 1631, les
Nouvelles ordinaires de divers endroits, de Jean Martin et Loïs Vendosme,
furent vite supplantées à partir de juin de la même année par la Gazette de
Théophraste Renaudot. Ce protestant de Loudun converti au catholicisme
était l’inventeur des bureaux d’adresses de France (ancêtres des agences de
placement). Son hebdomadaire, doté d’un privilège royal, paraissait
ordinairement le samedi, sur quatre puis seize pages, auxquelles s’ajoutaient
parfois des numéros spéciaux. Diffusé essentiellement par abonnement, ce
n’était pas un journal indépendant ou impartial. Donnant des nouvelles de la
Cour, des voyages du roi, de la réception d’un ambassadeur ou des pays
étrangers, c’était un journal officiel, « journal des rois et des puissances de
la terre », instrument de propagande et de manipulation diplomatique, dont
le cardinal s’était emparé. Y collaboraient des écrivains comme La
Calprenède, Mézeray ou Voiture. Richelieu et Louis XIII lui-même ne
dédaignèrent pas d’y prendre la plume.
A un échelon supérieur, l’écrivain Jean Louis Guez de Balzac défendait
la politique royale dans ses multiples correspondances et dans son traité du
Prince (1631), tandis que le jurisconsulte Cardin Le Bret justifiait la
monarchie absolue dans son important Traité de la souveraineté du roi, de
son domaine et de sa couronne (1632). Ce mouvement d’exaltation de la
gloire monarchique se retrouvait un peu partout en France. Dans le
Triomphe du roy (1628), le littérateur troyen Jean Saigeot assimilait
Louis XIII au « guerrier des guerriers », au « Soleil et le jour de nos jours »
et finalement à « Dieu sur terre ». La réactivation du culte de saint Louis,
élevé dès 1618 au rang de patron et protecteur de la France, participait
naturellement à ce courant de renforcement de l’absolutisme royal.

Louis XIII était une personnalité trop timide et trop indépendante pour
susciter un florissant mécénat littéraire. Sur ce plan, les deux hommes se
complétaient fort bien, puisque Richelieu suppléa à cette carence. Il
protégea les écrivains, leur accorda des pensions et gratifications, intervint
dans la création de l’Imprimerie royale, installée au Louvre, qui commença
par publier L’Imitation de Jésus-Christ, les œuvres de Virgile et un
Nouveau Testament en grec. Gravitait autour de lui un cercle d’amis, de
littérateurs, journalistes, écrivains, amateurs de belles-lettres : Desmarets
(futur Desmarets de Saint-Sorlin), Boisrobert, Antoine Godeau, Nicolas
Faret, le poète Gombauld. Tous n’étaient pas des polémistes, mais tous
mettaient leur plume au service de sa renommée et de sa gloire. Gombaud
publia en 1633 un Panégyrique de Monseigneur le cardinal de Richelieu et
Chapelain une ode à sa gloire.
Au début de 1634, le cardinal fut averti de l’existence d’un groupe
discret animé par Valentin Conrart, dont plusieurs de ses amis faisaient
partie. Il eut l’idée de le muer en une institution officielle, l’Académie
française, composée de quarante membres dont il serait le protecteur. Après
quelques réticences, la grande majorité accepta, et Conrart fut élu secrétaire
perpétuel de la nouvelle compagnie. Créée par lettres patentes signées du
roi le 29 janvier 1635, elle avait pour but d’établir les règles sûres de la
langue, à travers une grammaire, un dictionnaire, une rhétorique et une
poétique, de l’embellir, de la rendre « non seulement élégante mais capable
de traiter tous les arts et toutes les sciences ». Le Parlement n’était guère
chaud. Il traîna avant de vérifier l’édit du roi le 9 juin 1637. L’entreprise
était au départ très politique, puisque, à travers la défense et la codification
d’une langue unique, il s’agissait de mobiliser une élite cultivée au service
du rayonnement et de la gloire de la France et de légitimer le propre
pouvoir de Richelieu. Ce dernier, cependant, ne parvint pas à faire de cette
institution un organe aligné sur sa conception absolutiste, ni à donner une
orientation officielle à la littérature française.

Le cardinal ne réussit pas davantage à contrôler le théâtre, dont il aurait


aimé faire une institution de propagande, soumise à la critique de
l’Académie et inspirant aux peuples le goût de la gloire et des vertus
héroïques. Témoin, la querelle du Cid : l’Académie, ne voulant pas se mêler
d’actualité, proposa seulement trois dénouements autres que celui de
Corneille. Il avait pourtant en la matière de larges vues, se mêlant lui-
même, par vanité, d’écriture dramatique. Fournissant le canevas, le
« dessein » comme on disait, il rédigeait quelques vers et laissait le reste à
ses collaborateurs, tel Desmarets. Sa comédie Les Visionnaires, qui connut
un franc succès en 1637, annonçait Les Fâcheux de Molière.
Outre ce divertissement, Roxane, Mirame et Europe devaient servir la
grandeur du roi, et partant celle de son principal ministre… Roxane, qui n’a
peut-être jamais été jouée, vantait la sévérité en matière de révolte : « Qui
s’attaque à son roi commet un parricide ! » Mirame est souvent présentée
comme une pièce destinée à indisposer la reine, sous prétexte que l’héroïne
balançait un instant entre l’amour et le devoir ; on y célébrait surtout
l’exaltation du devoir sur l’amour, et en ce sens Anne d’Autriche pouvait y
voir un satisfecit. Europe, œuvre épique, totalement symbolique, était quant
à elle une ode à la paix, admirant les vertus de la politique étrangère de son
inspirateur. Une belle jeune fille, Europe, était courtisée par un hypocrite
matamore à haute fraise, Ibère, qui ne songeait qu’à l’enchaîner, mais la
donzelle ne s’en laissait pas conter. Elle lui préférait le beau et
chevaleresque Francion, vêtu à l’antique, avec un coq gaulois sur son
casque, qui lui déclarait :
Ibère est bien constant ? Il voit la nymphe Afrique,
Il court la belle Indie, il possède Amérique :
Puis il veut vous avoir ; rien ne peut l’assouvir.
Pour moi je ne prétends que l’heur de vous servir.

Ibère multipliait les manœuvres, cherchant à conquérir Ausonie


(l’Italie). Francion, agissant autant par générosité que par légitime défense,
volait à son secours. Ibère se tournait alors vers Germanique, au casque à
deux aigles, qui refusait elle aussi de se laisser duper, lui préférant le brave
Francion parce qu’il est :
Sans intérêt, sans orgueil, sans malice.
Son cœur franc veut la paix, sans fard, sans artifice.

Et Francion, qui ne prétendait « ni à conquête ni à bien », d’apporter


finalement à tous la paix, y compris à Ibère, qui était aussi « de son sang ».
La pièce est intéressante en ce qu’elle livre une vision globale de la
politique étrangère du cardinal, notamment son projet de concorde
européenne placée sous la tutelle française. Il mourut malheureusement
avant d’assister à la première.

Richelieu, l’économie et la mer


Partageant la vision mercantiliste de l’époque, Richelieu estimait que la
prospérité d’un pays résidait dans le développement économique intérieur
axé sur une production de qualité, l’accroissement des exportations de
produits manufacturés, la diminution des importations, l’accumulation d’or
et d’argent provenant des recettes commerciales. Pour améliorer les
infrastructures, il s’attacha à quelques grands travaux, dont l’achèvement du
canal de Briare, mis en exploitation par une compagnie financière, et la
canalisation de l’Ourcq, restée malheureusement inachevée malgré les
sommes considérables engagées. Il encouragea le développement, tant à
Paris qu’en province, de manufactures de draps, de verre, de miroirs,
cherchant à concurrencer les produits étrangers. Son soutien allait à
l’initiative privée, qu’il voulait encadrer et protéger au besoin par des
monopoles et des privilèges. Pour montrer l’intérêt qu’il portait aux
questions économiques, il présida lui-même la Chambre générale du
commerce, créée par Henri IV, comprenant des membres du Parlement, des
conseillers d’Etat, des commerçants, des industriels et le prévôt des
marchands.
Analysant la pensée économique du cardinal, l’historien Henri Hauser a
noté qu’elle était essentiellement tournée vers les questions commerciales,
sources de la richesse de l’Etat49. La balance des échanges était très
bénéficiaire avec l’Espagne, qui importait des blés de Provence et du
Languedoc, des toiles de Normandie ou de Touraine. L’or espagnol affluait
dans les caisses du roi de France. Un courant exportateur existait également
avec l’Europe du Nord. Mais la France ne disposait pas de flotte
commerciale propre. Deux ports seulement faisaient fonction de grandes
places marchandes, Saint-Malo et La Rochelle, avec leurs navires, leurs
entrepôts, leurs comptoirs à l’étranger. Les Bordelais, moins bien lotis,
armaient pour Terre-Neuve et les Marseillais travaillaient avec le Levant.
C’était bien peu. Les ports français s’envasaient, les côtes méditerranéennes
faisaient l’objet de fréquentes incursions des Barbaresques d’Alger.
Le grand commerce, les implantations coloniales, le peuplement outre-
mer, notamment en Nouvelle-France (Canada) et aux Antilles, étaient
encore balbutiants. La noblesse, trop attirée par la rente terrienne et les
offices, devait être incitée à investir dans le négoce international sans
déroger. C’était l’idée d’un économiste de l’époque, Du Noyer de Saint-
Martin, qui poussait Louis XIII à être « roi absolu et seigneur de la mer »,
les deux allant de pair, disait-il, car « qui est puissant à la mer est roi partout
et respecté et au contraire qui est faible ne sera tenu pour rien50 ».
Avec Richelieu, à la fois ministre de la Marine de guerre, de la Marine
marchande et des Colonies, on inaugura un « premier essai de politique
globale de la mer51 ». Moins convaincu que son Premier ministre de la
nécessité d’un empire des mers, il semble que Louis XIII n’ait joué qu’un
rôle mineur, laissant au cardinal le soin de développer librement ses talents.
S’inspirant des modèles anglais et hollandais et de quelques tentatives
de son prédécesseur Montmorency, celui-ci opta pour la formule des
compagnies commerciales « mixtes », sous l’impulsion de l’Etat, et résilia
les monopoles antérieurs. Le premier projet fut celui, en 1626, de la
Compagnie des Cent Associés, dite aussi Compagnie du Morbihan, dont les
membres se voyaient promettre l’accession à la noblesse héréditaire et la
libre jouissance d’immenses terres en Amérique du Nord. Mais il se heurta
à la vive résistance des villes bretonnes. Le second projet, celui de la
compagnie de la Nacelle de Saint-Pierre fleurdelisée, prévoyait la
constitution d’entrepôts en France et la disposition de deux ports francs,
l’un en Atlantique, l’autre en Méditerranée. L’entreprise avait surtout une
vocation religieuse, dans la perspective de la Contre-Réforme : installer
quatre cents catholiques sur quatre ans et évangéliser les indigènes, les
Peaux-Rouges d’Amérique septentrionale. Ce projet se heurta à son tour
aux intérêts acquis. Ce nouvel échec obligea Richelieu à réduire ses
ambitions. La Compagnie générale de la Nouvelle-France, fondée en
avril 1627, comprenait des financiers, des trésoriers généraux de Finance,
des receveurs généraux, des secrétaires du roi, auxquels s’ajoutaient des
conseillers et avocats au Parlement. Pour la développer, Richelieu s’appuya
sur un spécialiste des questions maritimes fort compétent, Isaac de Razilly,
gentilhomme de Touraine, chevalier de Malte et ami du père Joseph. Ce
brillant officier s’était illustré lors du siège de Saint-Martin-de-Ré en
capturant trente navires ennemis. A partir de 1625, il devint le principal
conseiller du cardinal pour les affaires maritimes et coloniales. Son célèbre
mémoire, l’année suivante, sur les Entreprises maritimes de colonisation,
dans lequel il soulignait l’importance de la maîtrise des mers, fut à l’origine
des efforts d’installation française au Canada. Malheureusement, la
Compagnie générale de la Nouvelle-France arrivait au moment de
l’expédition anglaise contre l’île de Ré et du siège de La Rochelle. En
avril 1628, le capitaine britannique Kirke saisit sur le Saint-Laurent quatre
navires français transportant des colons, des approvisionnements, du bétail
et du matériel de construction. En juillet 1629, après un hiver
particulièrement éprouvant, Samuel de Champlain finit par rendre aux
Anglais la ville de Québec, qu’il avait fondée en 1608, et rentrer en France
démoralisé. En mai 1632, le traité de paix de Saint-Germain entre
Louis XIII et Charles Ier permit à la France de revenir au Canada.
Champlain fit son retour à Québec l’espoir au cœur. Il restaura les
bâtiments, en fit construire de nouveaux, rehaussa les fortifications afin
d’empêcher les incursions iroquoises, transformant cette bourgade en un
centre actif de colonisation. Montréal, où ne se dressaient que quelques
cabanes, fut également développé et le bourg de Trois-Rivières, fondé. Isaac
de Razilly, nommé vice-amiral et vice-roi de la Nouvelle-France, assura
jusqu’à sa mort en 1635 le gouvernement du Canada, distribuant les terres,
transférant le comptoir de Port-Royal à La Hève en Acadie, sur l’océan,
faisant creuser un port à Canseau et organisant une pêcherie à Port-
Rossignol.
La région des Caraïbes attira aussi l’attention du ministre. En 1625,
deux gentilshommes dieppois, Belain d’Esnambuc et Urbain de Roissey,
avaient atteint l’île de Saint-Christophe, où une petite colonie de réfugiés
protestants vivait de la culture du tabac. Ils partagèrent l’île à l’amiable
avec les Anglais. A leur retour, ils obtinrent du cardinal la création d’une
compagnie de peuplement, qui se développa et se transforma en
février 1635 en Compagnie des Iles d’Amérique, dotée du privilège exclusif
du commerce et du droit de souveraineté sur les territoires conquis. Cette
même année, Belain d’Esnambuc, avec quatre-vingts hommes, prit
possession de la Martinique, repoussant les populations caraïbes dans la
partie occidentale. Un autre colon de Saint-Christophe, Liénart de L’Olive,
avec 500 hommes occupa la Guadeloupe, en chassa les Caraïbes, puis
s’empara de Marie-Galante, de la Désirade et des Saintes. Des centaines
d’aventuriers commencèrent alors à converger vers ces Antilles françaises,
où les colons, à l’égal des Anglais et des Hollandais, se mirent à importer
frauduleusement les premiers esclaves noirs. Des capucins, des carmes et
des dominicains arrivèrent à leur tour. En 1642, on comptait 6 000 Français
à Saint-Christophe, 1 500 à la Martinique et 1 000 à la Guadeloupe. A partir
de 1638, ces deux dernières îles furent soumises à l’autorité d’un
gouverneur, nommé par le roi, le lieutenant général Longvilliers de Poincy.
En 1640, l’un de ses adjoints, Le Vasseur, s’empara avec une folle audace
de l’île de la Tortue, repaire de la flibuste. On notera aussi un début
d’établissement français en Guyane et à l’embouchure du fleuve Sénégal,
où l’on commença la traite négrière. En 1642, un capitaine de la marine
royale, Rigault, obtint de Richelieu la constitution d’une nouvelle
Compagnie des Indes orientales qui envoya un premier vaisseau à
Madagascar, où sera fondé quelques mois plus tard Fort-Dauphin (un
dauphin devenu roi entre-temps…).
Malgré la relative réussite des Antilles, les résultats de toutes ces
compagnies commerciales ne furent pas à la hauteur des espérances.
Comme l’a dit l’historien Marcel Marion, leur histoire ne fut « qu’un long
martyrologe52 ». Les causes en sont connues : insuffisance de capitaux,
manque d’enthousiasme des hommes (à côté de quelques dévouements
spectaculaires), refus assez général de la noblesse de s’engager dans
l’aventure coloniale…
Richelieu chercha à ouvrir de nouvelles routes économiques. En 1629,
des accords douaniers furent conclus avec le roi de Danemark et le grand-
duc de Moscovie et, trois ans plus tard, avec le sultan du Maroc. Il songea
aussi à réactiver le commerce des Echelles du Levant. Un autre de ses
projets consistait à nouer des relations commerciales avec la Perse par la
Caspienne, les grands fleuves russes et la Baltique. Il envoya en repérage au
Proche-Orient un de ses agents, Des Hayes de Courmenin. Son regard se
tourna également vers l’Inde et la Chine. Mais la guerre continentale à
partir de 1635 l’accapara. La domination des mers, l’ouverture de la France
vers le grand large, en un temps où ni l’Espagne, ni l’Angleterre, ni la
Hollande n’étaient en mesure de s’imposer seules, ont été des occasions
perdues qui ne se retrouveront plus.

Le cardinal réussit plus spectaculairement avec la marine de guerre53. Il


donna la pleine mesure à sa charge de grand maître, chef et surintendant
général de la navigation et commerce de France avant la création avec
Colbert d’un secrétariat d’Etat spécialisé. Il avait racheté à Montmorency
les amirautés du Ponant, acquis au duc de Guise celle du Levant. Son
objectif était double : sortir l’organisation navale de sa gangue féodale (il
n’y parvint que partiellement, notamment en raison des résistances
bretonnes à l’unification des offices d’amirauté54) et posséder une puissante
marine de guerre, capable de rivaliser avec celle d’Espagne, d’Angleterre
ou des Provinces-Unies.
A son arrivée au Conseil, la flotte du Ponant était quasi inexistante – il
faudra emprunter des navires privés pour le siège de La Rochelle – et celle
du Levant ne comptait qu’une douzaine de galères vieillies. Il n’y avait que
trois maîtres charpentiers dans les ports du Ponant. L’urgence était donc
d’acquérir des Hollandais quelques gros galions et vaisseaux ronds, de
Malte quelques galères supplémentaires et de créer des arsenaux.
Il choisit trois ports au Ponant, Le Havre, Brest et Brouage. Ce choix,
qui n’était pas parfaitement judicieux, sera remis en cause par Colbert, sous
le règne suivant. Néanmoins, Richelieu s’attela à la tâche avec ardeur,
faisant venir de Hollande ou d’Angleterre des charpentiers de marine
expérimentés. Il s’était fixé un objectif de 40 vaisseaux de combat, 10
galions et 30 galères. En 1635, au moment de la déclaration de guerre à
l’Espagne, la France s’en approchait avec 35 vaisseaux de ligne, douze
navires de soutien, vingt-quatre galères, trois frégates, dix brûlots, un
brigantin et quatre felouques. Jamais les escadres françaises, réparties en
quatre secteurs, Normandie, Bretagne, Guyenne et Provence, n’avaient été
si fournies. Sortie en 1638 des chantiers de La Roche-Bernard, La
Couronne, vaisseau de 2 000 tonneaux, de 88 canons en deux batteries, était
le symbole de cette renaissance, censé rivaliser avec son contemporain
britannique, le Sovereign of the seas, 1 800 tonneaux, 102 canons en trois
batteries.
Richelieu s’efforça également de doter les affaires maritimes d’une
structure centralisée, créa un conseil de la marine, envoya des inspecteurs
généraux dans les ports, choisit les officiers parmi les anciens corsaires,
catholiques ou huguenots, ou les chevaliers de Malte. Dans ses projets, il
s’appuya sur son oncle, Amador de La Porte, promu intendant général, et
sur un secrétaire général, par Martin de Mauvoy puis Julius de Loynes.
A cette jeune et brillante arme, il manquait un authentique corps
permanent d’officiers, comme dans la Royal Navy, et de solides équipages.
Richelieu en avait conscience. Le 30 juin 1627, il écrivait à La Porte : « Je
désire plutôt de gros mariniers vaillants, nourris dans l’eau de mer et la
bouteille que des chevaliers frisés, car ces gens-là servent mieux le roi55. »
Il manquait surtout à toutes ces bonnes volontés de l’expérience qui, faute
d’écoles navales et de manœuvres fréquentes, ne s’acquérait que sur le
tas…

*1. Il fut détruit après la Révolution, en raison de son coût d’entretien excessif. La ville
remaniée a survécu.

*2. Aujourd’hui disparu.

*3. Diocèse détaché au XIVe siècle de celui de Rodez.


*4. Un des privilèges des magistrats de Paris était de siéger sur des bancs couverts de fleurs de
lys, en tant que représentants de la majesté royale.
XVIII
Vers la guerre ouverte

Louis XIII et Charles IV


Profitant de ce qu’une bonne partie de l’armée de Charles IV de
Lorraine s’était débandée devant les Suédois de Gustave Adolphe,
Louis XIII résolut de prendre son avantage dans ce duché. En
décembre 1631, il se rendit dans les Trois-Evêchés qui constituaient des
enclaves administrées par la France. Après une inspection à Verdun, il
s’installa à Metz, où Anne d’Autriche et la Cour vinrent le rejoindre. Ses
troupes obtinrent la reddition de deux places, Vic et Moyenvic, que
l’Empereur avait indûment fortifiées en 1629 au prétexte qu’elles étaient
terres d’empire. Puis il demanda au duc de venir expliquer son attitude
déloyale. Charles prit peur et obtempéra. Louis le reçut à Metz avec cette
hautaine froideur dont il faisait montre quand les circonstances l’exigeaient.
Il énuméra ses griefs et le contraignit à signer, le 6 janvier 1632, le traité de
Vic, qui lui interdisait de donner refuge à Marie de Médicis, à Gaston
d’Orléans et à leurs partisans, et l’obligeait à fournir des moyens de
transport et du matériel aux troupes françaises si elles se portaient au
secours des électeurs ecclésiastiques de l’empire ; enfin, « parce qu’il avait
souvent manqué de parole à Sa Majesté et qu’elle ne pouvait pas se fier à
lui » – cet aveu humiliant figurait dans le texte même du traité ! –, il
s’engageait à lui remettre en gage la place de Marsal et ses riches salines à
titre de gage, pour une durée de trois ans.
Charles signa les yeux fermés, mais c’était un rusé compère. Trois jours
auparavant, il avait organisé le mariage de Gaston et de sa jeune sœur
Marguerite de Vaudémont-Lorraine. La cérémonie, bénie par un moine
bénédictin, s’était déroulée sans faste le 3 janvier, à 7 heures du soir, dans la
chapelle du prieuré de Saint-Romain de Nancy. Nicolas François, cardinal
de Lorraine, frère du duc, avait signé la dispense des bans.
C’était un affront inouï au roi de France qui, selon la tradition
monarchique, avait seul le droit d’autoriser le mariage des membres de sa
famille. Or, cette union ne pouvait lui convenir. Les Lorrains, qui
prétendaient descendre de Charlemagne, avaient contesté à Henri de
Bourbon sa légitimité au trône de France, auquel eux-mêmes aspiraient. Un
fils de Gaston et de Marguerite, à supposer que Louis n’eût pas d’enfant
mâle, pouvait-il lui succéder ? Cette éventualité lui paraissait inimaginable.
Charles IV était ravi. D’ailleurs, de nouveaux horoscopes avaient prédit
la mort du souverain français avant la Pentecôte prochaine. Pourquoi
n’aurait-il pas favorisé ce providentiel hyménée qui allait faire de sa
charmante sœur une reine et de lui le beau-frère d’un nouveau monarque ?
Naturellement, la bénédiction avait été tenue secrète en attendant le moment
opportun de sa révélation. Mais, au cas où la nouvelle aurait filtré, il
comptait sur l’Espagne pour éviter les représailles.
Madrid, en fait, n’était pas en état d’ouvrir les hostilités. Olivares avait
beau s’affliger de voir le roi de France assaillir « l’Empereur et la maison
d’Autriche, au mépris total de Dieu, de la loi, de la raison et de la justice »,
il savait que l’argent et les effectifs manquaient : cinq millions de ducats
pour lever une nouvelle armée et quatre autres pour l’entretenir. Impossible
dans ces conditions d’envisager une campagne préventive contre la France.
Gonzalvo de Córdoba, promu commandant de l’armée du Palatinat, fut
donc prié de passer par Paris afin d’explorer les possibilités d’un
arrangement1.
En attendant, pour respecter le traité de Vic, le duc de Lorraine fit
savoir à Monsieur qu’il était indésirable sur son territoire. Gaston n’eut que
le temps de consommer son mariage. Délaissant sa tendre épouse, il quitta
Nancy, accompagné d’une fière escorte de 2 000 cavaliers. Il se rendit
d’abord à Longwy, puis à Luxembourg et enfin à nouveau à Bruxelles, où il
fit son entrée le 28 janvier, ovationné comme le futur roi de France et
merveilleusement accueilli par l’Infante, qui lui offrit l’appartement de son
défunt mari.
De son côté, Charles IV crut possible un rapprochement avec
Louis XIII, inquiet de l’évolution de la situation en Allemagne. En effet,
Gustave Adolphe, le « roi des neiges », ne rencontrant aucune résistance,
avait dévalé comme une avalanche jusqu’à la zone rhénane, occupant
Erfurt, Würzburg, Francfort-sur-le-Main – la capitale de l’empire – et
Mayence, où il s’était installé dans le magnifique palais de l’archevêque-
électeur, tandis que son allié, l’électeur de Saxe, était entré à Prague, qu’il
avait mise à sac. Gustave Adolphe n’avait pas respecté ses engagements :
les villes catholiques avaient été pillées, la cathédrale de Würzburg
saccagée. Ses victoires répétées allaient-elles lui livrer l’empire ? Pour la
France, une telle perspective n’était pas plus admissible que la suprématie
de Ferdinand II. Mais comment protéger ses alliés rhénans des razzias de
l’armée suédoise, dont on avait aperçu des avant-gardes en Alsace ?
Comment éviter la guerre ouverte contre la maison d’Autriche, alors qu’en
raison des troubles intérieurs et de la rébellion de Monsieur elle non plus
n’était pas prête ? Bref, les relations avec son client protestant, trop brillant
et entreprenant, commençaient à se tendre dangereusement. Charles IV
songeait au moment où elles rompraient et où une Lorraine alliée du roi
reprendrait tout son lustre. Ce ne fut qu’un espoir de brève durée.
Dès le 6 janvier 1632, jour de la signature du traité de Vic, Louis XIII
tint Conseil. La plupart des ministres étaient d’avis de resserrer les liens
avec Gustave Adolphe, de rompre avec l’Empereur, de faire entrer des
troupes en Alsace, d’occuper la rive gauche du Rhin, bref de se partager
l’empire avec l’allié suédois. Le plus écouté des conseillers de Richelieu, le
père Joseph, ne partageait pas du tout cette opinion. Affolé à l’idée de voir
se constituer une Allemagne unifiée par la Suède luthérienne, il considérait
qu’il fallait continuer à soutenir la Ligue catholique, arracher aux Suédois
un nouvel accord de neutralité avec les électeurs catholiques et les pousser
vers les possessions héréditaires de Ferdinand II. Plus ils s’éloigneraient du
Rhin et des frontières du royaume, mieux ce serait ! Richelieu n’avait pas
pris parti, mais, le lendemain, il rallia le point de vue de son cher capucin et
convainquit le roi de la justesse de ce raisonnement.
Deux émissaires, le baron de Charnacé et le marquis de Maillé-Brézé,
partirent pour Mayence. Enivré de ses victoires, le monarque suédois n’était
guère disposé à se laisser dicter une conduite. Il toisa ces messieurs, leur
demandant s’ils apportaient la paix ou la guerre. Comme ils abordaient la
question de fond, il explosa. Qu’on ne lui parle pas des princes catholiques !
Des fourbes qui ne songeaient qu’à prendre leur revanche ! Pas question de
pactiser avec eux ! La mission française rentra bredouille.
La méfiance du souverain suédois était d’ailleurs fondée. Tilly,
reconstituant l’armée de la Ligue catholique, lui ravit Bamberg le 28 février.
De son côté, Ferdinand II, décontenancé par l’effondrement de sa puissance
militaire et l’invasion de la Bohême par l’électeur de Saxe, avait rappelé
d’urgence Wallenstein. Savourant sa revanche, celui-ci avait obtenu
d’énormes avantages, au point de faire de l’Empereur son obligé : le titre de
généralissime, la remise de toutes ses dettes, l’octroi du duché de Glogau en
compensation du Mecklembourg conquis par les Suédois, la promesse de
nouvelles terres en Bohême et d’une liberté de manœuvre pour chasser les
Saxons par la guerre ou la négociation. Faute d’arriver à un accord avec ces
derniers, Wallenstein entreprit la reconquête de la malheureuse Bohême.
C’est dans ce contexte que Gustave Adolphe reprit l’offensive au mois de
mars 1632. Quittant la zone rhénane, confiée à son adjoint, Bernard de
Saxe-Weimar, il se dirigea vers l’Allemagne centrale. Le 15 avril, au
passage du Lech, il battit le comte de Tilly, qui fut grièvement blessé et
mourut. Puis il ravagea les terres bavaroises, contraignant le duc régnant à
la fuite, sans que Wallenstein pût faire quelque chose. Il entra bientôt dans
Munich, au côté de Frédéric V, comte palatin, ravi de fouler la belle capitale
de celui qui l’avait si odieusement dépouillé de sa dignité électorale.
Philippe IV, dont les armées traversaient régulièrement l’Allemagne
pour aller combattre les Provinces-Unies, ne restait pas non plus inactif. Il
jugeait inévitable le conflit avec Louis XIII. L’arrangement que Gonzalvo
de Córdoba devait négocier à Paris n’était qu’un leurre. Il comptait, en
réalité, sur la présence de Marie de Médicis et du duc d’Orléans à Bruxelles
pour susciter le plus d’ennuis possible à la France… Les complots avaient
donc repris. Au mépris du traité signé, le duc de Lorraine armait de
nouvelles unités. Outre un subside de 20 000 écus, l’Infante s’engageait à
lui remettre armes et munitions. Madrid, de son côté, promettait à Gaston
100 000 écus et une pension mensuelle de 20 000 écus pendant cinq mois.
Au comble de la surexcitation, Marie avait mis en gage ses plus belles
pierreries, afin de lever des régiments. La haine l’emportait sur la
coquetterie, c’était dire ! Elle avait même entamé des négociations avec
Wallenstein, dont elle aurait aimé louer les services. Par l’intermédiaire
d’un de ses fidèles, Des Hayes, baron de Courmenin, elle lui avait offert les
Trois-Evêchés ! Mais le puissant duc de Friedland, couvert d’or et de
duchés, dédaigna cette menue monnaie. Maître du jeu, sollicité de toute
part, il désirait davantage…
Le plan de Marie et de son fils cadet, arrêté de concert avec les autorités
bruxelloises, était ambitieux. Il consistait à lever 4 000 à 5 000 cavaliers à
Trèves. A leur tête, Gaston entrerait en France au mois d’août, traverserait à
vive allure la Bourgogne, entraînant dans son sillage tous les
gentilshommes mécontents, obliquerait vers le Languedoc et gagnerait la
frontière des Pyrénées, où il recevrait de nouveaux renforts. Parallèlement,
Charles IV attaquerait en Champagne tandis que ses Etats seraient protégés
par l’armée de Gonzalvo de Córdoba venue du Palatinat. Enfin, le marquis
de Valançay livrerait le port de Calais, dont il était gouverneur, à une flotte
espagnole qui irait croiser ensuite le long des côtes atlantiques. Dans ce
dispositif, le personnage clé était le duc de Montmorency, maître incontesté
du Languedoc. C’est en définitive sur lui que reposait le succès ou l’échec
de l’entreprise.

Henri II, duc de Montmorency


Henri II de Montmorency, duc de Damville, comte de Dammartin et
d’Offémont, appartenait à l’une des plus anciennes familles du royaume,
qui avait donné quatre connétables, deux grands maîtres, six maréchaux,
cinq amiraux, deux grands chambellans. Fils du dernier Connétable, frère
de la ravissante Charlotte de Montmorency, l’égérie du Vert Galant, il était
né à Chantilly en avril 1595 et avait eu Henri IV pour parrain. Au physique,
il ne manquait pas de charme, malgré un strabisme à l’œil droit. Il était
agréable, d’un naturel gai2. Les chroniques de l’époque vantent son
courage, son impétuosité au combat. Sans être d’une grande culture, ce
fastueux personnage s’intéressait aux arts et aux lettres, protégeait en
mécène les écrivains libertins, Théophile de Viau, Maynard, Boissat,
Mairet, Hardy. Fort galant, il rencontrait beaucoup de succès auprès des
femmes, courtisant la belle Angélique Paulet, la Choisy, la marquise de
Sablé, Mme de Scépeaux, future duchesse de Retz (il appelait son mari le
« duc de mon Reste »…). Sa femme, Marie Félice des Ursins, nièce de
Marie de Médicis, que les poètes chantaient sous le nom de Silvie, avait dû
s’accommoder de la situation. « Pourvu qu’il lui fît confidence de ses
galanteries, elle ne lui donnait point de peine », disait Tallemant.
La puissance de ce grand féodal venait de sa solide position en
Languedoc, dont il était gouverneur, après son père, et de la multitude des
clientèles qu’il entretenait au sein de la noblesse locale, du parlement et des
états de Toulouse3. Brillantes étaient ses réceptions au château de Pézenas
ou dans son hôtel de Montpellier. Ses liens étaient à la fois personnels,
familiaux et militaires. Il s’appuyait particulièrement sur son beau-frère,
Henri de Lévis, duc de Ventadour, commandant la province en son absence,
et sur trois barons locaux, Louis de Cardailhac, comte de Bieules, Jean de
La Croix, comte de Castries, et Jean-Louis de Nogaret, marquis de
Calvisson4. Il se comportait en vice-roi quasi indépendant, tout en
ménageant avec un soin extrême le pouvoir royal. C’est ainsi que, malgré sa
sympathie pour Marie de Médicis, il était resté loyal envers Louis XIII
pendant les guerres de la mère et du fils. Il avait même dirigé le siège de
Montpellier contre le duc de Rohan.
Mais plusieurs sujets de mécontentement l’aigrissaient. En 1618, sa
belle-mère, la Connétable*1, dame d’honneur d’Anne d’Autriche, s’était
retirée vexée à Chantilly quand la jeune duchesse de Chevreuse avait été
nommée surintendante de la maison de la reine. Plus grave avait été
l’audacieuse déclaration d’amour, rédigée en vers par Théophile de Viau,
qu’Henri le Magnifique avait adressée lors de la grande fête de février 1623
à la reine Anne, déclaration qui, semble-t-il, n’avait pas été mal reçue.
Louis XIII y avait mis le holà. C’était avant l’aventure de Buckingham. Une
lutte d’influence s’ensuivit, à laquelle furent mêlés les Chevreuse, les Guise
et les Montmorency. Cela n’empêcha pas le duc de poursuivre sa carrière
militaire et de remporter, en qualité d’amiral de France, la victoire de l’île
de Ré le 16 septembre 1625. Pourtant, le roi lui battait froid et ne tenait pas
à le voir à la Cour. Quant à Richelieu, à qui il avait fait allégeance, il se
méfiait de son caractère instable et susceptible. « Montmorency, écrit-il
dans ses Mémoires, tantôt promettait des merveilles, tantôt, à la moindre
piqûre de mouche, disait qu’il servirait mal. » Ami du prince de Condé, son
beau-frère, il l’avait suivi dans le parti de « l’aversion au mariage ». Le
cardinal en avait profité pour le contraindre à se défaire de sa charge
d’Amiral, ce qui n’empêcha pas Montmorency, lors de la grave maladie du
roi à Lyon, de lui offrir asile si jamais il avait été inquiété par ses ennemis.
Des difficultés d’un autre ordre apparurent quand Louis XIII, par lettres
patentes du 3 août 1628, fixa à 200 000 livres le montant du supplément de
la taille, le taillon, sans en référer aux états de Languedoc. Il s’agissait de
pourvoir au plus vite aux énormes dépenses du siège de La Rochelle. Dans
toute la province, jalouse de ses franchises, ce fut une levée de boucliers.
Les protestations fusaient des états, du parlement de Toulouse, des
receveurs diocésains, des consuls, des syndics des communautés. La
pression du pouvoir royal se fit de nouveau sentir l’année suivante, quand
Richelieu dépêcha en Languedoc un conseiller d’Etat et deux trésoriers de
France, avec mission de lever 150 000 livres pour l’armée. Le 18 juillet, le
cardinal, à Montpellier, établit dans la province vingt-deux élections et 490
offices fiscaux. Le parlement de Toulouse cassa l’arrêt instituant les élus, et
les états provinciaux protestèrent violemment. Le conflit dura deux ans,
mettant en fâcheuse posture le duc de Montmorency, contraint à
l’obéissance mais enclin à prendre fait et cause pour ses administrés.
Richelieu ayant fait dissoudre les états, il vint à Paris négocier leur
rétablissement. Il obtint gain de cause sur le principe, mais ceux-ci, tout en
conservant le droit de consentir à l’impôt, perdirent le contrôle et le
contentieux financiers. Et si les élus étaient formellement supprimés, ils
étaient remplacés par des commissaires royaux, chargés d’établir l’assiette
et la répartition de la taille et du taillon, ce qui n’était guère mieux. Cette
mise sous tutelle, qui déplaisait souverainement aux farouches défenseurs
des libertés provinciales, porta un coup au prestige du duc.
Il n’en continua pas moins à afficher son loyalisme. En 1630, il servit
brillamment dans la campagne de Savoie et du Piémont, s’illustrant à
Veillane et à Carignan, où il bouscula l’ennemi avec ardeur et courage.
Louis XIII se déclara enchanté de sa conduite – « Je me sens obligé envers
vous autant qu’un roi peut être », lui écrivait-il alors – et le nomma
maréchal de France. Montmorency avait alors trente-cinq ans. Il pouvait
espérer la dignité de Connétable et la charge de grand Chambellan, comme
il en avait reçu la promesse. Cependant, il avait été froissé de lire dans la
relation officielle de la bataille de Veillane que tout le mérite en revenait à
son adjoint, le maréchal d’Effiat. Il en voulait à Richelieu d’avoir fait
publier ces propos injustes5. La soif de reconnaissance, l’amour-propre
blessé et la fidélité déçue étaient à l’époque les meilleurs moteurs des
révoltes nobiliaires.
Bientôt tout bascula. Les affaires du Languedoc repartirent de plus
belle. A l’automne de 1631, deux nouveaux commissaires royaux, Miron et
d’Emery, installèrent une administration chargée de répartir les tailles,
suscitant une nouvelle flambée de protestations des états et des autorités
locales. Les agents de Richelieu s’infiltraient dans la province, occupant les
postes clés : le marquis de Fossez tenait la citadelle de Montpellier, Mgr de
Rebé, président des états, gouvernait le diocèse de Narbonne, Mgr de
Marcillac celui de Mende, Mgr de Bonzi celui de Béziers. Cette mise en
place représentait une dangereuse concurrence pour la clientèle du duc et
son système de verrouillage de la province. Au printemps de 1632, poussé
par sa propre femme et par l’archevêque d’Albi, Mgr Alphonse d’Elbène*2,
frère de l’abbé du même nom, familier de Gaston, le vainqueur de Veillane
se rallia à Monsieur et à Marie de Médicis. Trop de frustrations, trop de
promesses non tenues l’empêchaient de continuer à servir le roi. Ne lui
avait-on pas encore refusé le gouvernement de la citadelle de Montpellier ?
Seule l’épée de Connétable l’aurait calmé. Mais on l’avait oublié ! Le pacte
unissant le grand féal à son souverain était rompu !

Le procès du maréchal de Marillac


L’efficace service de renseignements de Richelieu fut vite informé du
plan des conjurés. « MM. de Montmorency, de Créqui et de Chaulnes sont
de la partie », précisait un espion dans une note du 12 mai 1632. Par
bienveillance, dans l’espoir de le faire revenir à la raison, le cardinal avertit
Montmorency qui s’enferra, nia et poursuivit ses tractations avec Monsieur.
Qu’à cela ne tienne ! Richelieu sortit sa botte secrète : le procès du
maréchal de Marillac, bon moyen d’intimidation pour calmer l’ardeur des
comploteurs.
Le maréchal, enfermé au château de Sainte-Menehould, où il était traité
fort rudement, sans médecin ni confesseur, espérait servir de monnaie
d’échange lors de la réconciliation du roi et de sa mère, comme il l’écrivait
à sa femme. En fait, il pâtissait du comportement criminel de Marie de
Médicis et des foucades de Gaston.
Louis XIII et Richelieu décidèrent d’ouvrir son procès6. On ne pouvait
l’accuser du crime de lèse-majesté. Un personnage sans scrupule,
l’impitoyable Isaac de Laffemas, prit en charge l’instruction du dossier,
conjointement avec son collègue M. de Moricq7. Les deux magistrats
épluchèrent ses papiers, fouillèrent son passé et entendirent les plaintes des
anciens administrés de son gouvernement de Verdun. A cet avantageux
militaire, qui prisait un peu trop le luxe et la parade, on reprochait sa
gestion malhonnête des marchés de fournitures, les pots-de-vin empochés à
l’occasion des travaux de fortification de la citadelle, le détournement d’une
partie de la solde de l’armée de Champagne. Ses abus d’autorité étaient
nombreux. Il lui était arrivé d’imposer arbitrairement des corvées en nature
et des prestations en argent aux villages champenois dépendant de sa
juridiction.
Il s’était vanté d’avoir besoin de 100 000 livres par an pour vivre.
L’inventaire de ses biens au palais du Luxembourg, où Marie de Médicis lui
avait réservé un logement, est révélateur de ses richesses et de son goût de
la magnificence à faire pâlir les mânes des Concini8 : meubles de prix,
tapisseries de Bergame, de Flandre, de Hongrie, d’Auvergne, tableaux
religieux ou profanes en abondance, argenterie (dont plus de 80 plats
estimés à plus de 20 000 livres), cinquante douzaines de draps, nappes,
serviettes de toile de Hollande, plus de mille aunes de toile… Son
époustouflante garde-robe dépassait celle de sa femme, pourtant bien
pourvue : pourpoints de toile d’or et d’argent, ornés de dentelles, de canevas
de Flandre blanc, de velours noir, de tabis nacarat, hauts-de-chausses de
velours cramoisi, grègues de velours amarante, de drap écarlate, de satin
noir, casaques de soie rouge garnies de boutons et galons d’argent,
camisoles de satin nacarat avec broderies d’argent, de satin bleu ou vert
d’eau, manteau de drap d’Espagne violet, de serge doublée de satin gaufré,
de velours avec passements d’or et d’argent de Milan, jarretières ornées de
dentelles d’argent, fraises de batiste, bas de soie, souliers et bottes de
maroquin…
Il apparut vite au roi qu’il fallait faire rendre gorge à ce dévot,
particulièrement corrompu, lui intenter un procès dont la sentence serait un
exemple à l’adresse des partisans de la reine mère. Le 13 mai 1631, la
Commission extraordinaire chargée de juger le maréchal fut désignée : deux
présidents à mortier, douze conseillers du parlement de Dijon, où le
prisonnier devait être transféré, ainsi que cinq maîtres des requêtes, dont les
deux magistrats instructeurs déjà nommés, Laffemas (bientôt remplacé par
M. de Bretagne) et Moricq. Comme une épidémie s’était déclarée à Dijon,
on décida de transférer la Commission et le prisonnier à Verdun, lieu des
malversations du maréchal.
On ne décrira pas les méandres de la procédure, les nombreuses
récusations et requêtes en incompétence déposées par les amis du prisonnier
contre les commissaires, requêtes soutenues par le Parlement, frustré
d’avoir perdu ses prérogatives au profit d’une juridiction extraordinaire
quoique légale, et la cassation de ses arrêts par le Conseil du roi.
Sous couvert d’une instruction criminelle, c’était bien évidemment un
procès politique dans toute son iniquité. Une tentative d’évasion du
maréchal se retourna contre lui : on lui enleva ses serviteurs et les dernières
commodités dont il jouissait, et on l’enferma dans une cellule. « Je ne vois
la lumière du jour que par une triste fenêtre, écrivait-il à sa femme, elle-
même exilée ; je n’ai promenoir que de la table au lit9. » Un peu plus tard,
on le transféra au château de Pontoise. Plus la rébellion de Marie et de
Gaston s’étendait, plus le pouvoir royal accentuait la pression sur l’otage,
censé payer pour tous. Les hésitations, la lenteur, la tiédeur des juges,
l’absence de preuves flagrantes – car les dénonciations étaient souvent
vagues –, la vigueur des contre-attaques des partisans du maréchal
indisposèrent le roi. Au bout d’un an d’instruction, il décida de dessaisir les
magistrats par trop indolents : « Sachant le désir que vous avez de faire un
tour en vos maisons pour pourvoir à vos affaires domestiques, nous avons
bien voulu faire ces lettres pour vous en donner la permission… » Quelle
suggestion aimablement avancée !
Les historiens ont reproché à Richelieu son intervention dans la
procédure. En mars 1632, par exemple, la Commission, présidée par le
garde des Sceaux Châteauneuf, fut transférée à Rueil, « en la maison de
Mgr le Cardinal ». Pourtant, les rapports entre le ministre et l’officier
général n’avaient jamais été mauvais. C’est le cardinal qui avait poussé à le
nommer maréchal de France en mai 1629. Lorsque l’avocat Rouyer était
venu voir Richelieu à Metz en décembre 1631, celui-ci avait répondu : « Si
M. de Marillac avait fait quelque chose contre moi, il aurait véritablement
commis une grande lâcheté et ingratitude, m’ayant des obligations comme
personne au monde. Mais je ne m’attache pas à mes intérêts et ceux du roi
seuls me sont en considération. Ce sera à lui de les vider. On mettra bientôt
fin à son procès. Cela ne me regarde pas… On verra s’il est coupable ou
non. » Il est vrai que les mois passant et le parti de la reine mère devenant
de plus en plus dangereux, l’Eminence manifestait lui aussi son impatience.
« Il faut dépêcher le procès de Marillac, conseillait-il à Louis XIII, étant
certain que les longueurs et négligences de telles affaires témoignent
faiblesse et donnent de grandes espérances. » Mais il semble bien que ce fût
le roi qui, par raison d’Etat, tînt à un châtiment, et un châtiment exemplaire.
Du fond de son cachot, le prisonnier clamait son innocence : « Je suis
net et blanc comme un cygne et suis sans tache et sans ordure », écrivait-il
dans un mémoire personnel au cardinal. Il ne se voyait pas de fautes. Il faut
convenir que les abus commis étaient conformes aux mœurs du temps :
pratique des passe-volants, des revenants-bons*3 et autres pots-devin, trafic
sur le pain de munition largement répandu aux armées. Le frère de l’ancien
garde des Sceaux avait eu seulement le tort de pousser les abus plus loin
que les autres. Les commissions occultes qu’il se faisait verser sur les
fournitures s’élevaient jusqu’à 33 %. « C’est une chose étrange, répliquait-il
incrédule, qu’on m’ait poursuivi comme on fait. Il ne s’agit dans mon
procès que de foin, de paille, de bois, de pierre et de chaux. Il n’y a pas dans
tout cela de quoi fouetter un laquais ! » Et de mettre ces friponneries sur le
dos de sa valetaille et de ses officiers. Les défenseurs de l’accusé essayaient
de remuer l’opinion en sa faveur. Afin d’attendrir les juges, le jeune
Corneille avait fait représenter son Clitandre ou l’Innocence persécutée.
Louis XIII, honnête et scrupuleux, reconnut qu’un des juges, le maître des
requêtes Paul Hay du Chastelet, pamphlétaire aux gages de Richelieu et
auteur de violentes épigrammes contre l’accusé, n’avait pas la sérénité
nécessaire pour juger en conscience. Il le fit arrêter et le disgracia six mois.
Enfin, du 28 au 30 avril, le maréchal comparut devant ses juges. Les
délibérations de la cour durèrent du 5 au 8 mai et furent, si l’on en croit les
notes conservées par l’un des commissaires, assez vives. La Cour était
partagée. Marie de Médicis choisit ce moment pour menacer les magistrats :
en cas de condamnation à mort, ils seraient considérés comme complices du
cardinal et ennemis de l’Etat ; ils répondraient de leurs biens et de leurs
personnes. L’effet fut contraire à celui attendu. Le 8, le verdict tomba : la
peine de mort l’emporta par treize voix contre dix pour le bannissement ou
l’exil. « Je ne savais pas, s’étonna Richelieu, qu’il y eût motif à condamner
le maréchal à mort. » Bien qu’il fût lui aussi pénétré de la nécessité d’un
avertissement exemplaire, il demanda au roi si l’on ne pouvait pas sauver le
maréchal à l’occasion d’une amnistie générale10. Mais Louis prit cette
ultime pitié pour une marque de faiblesse. Insensible aux démarches qui se
multipliaient en faveur du condamné, le 9, recevant à Saint-Germain les
juges et leur président, il leur déclara : « Vous m’avez rendu bonne justice,
je vous remercie, je vous protégerai envers et contre tous. Retournez en vos
maisons et continuez à faire rendre la justice à nos sujets. »
Le 10 mai 1632, à neuf heures du matin, Marillac, vêtu de noir, car il
était en deuil de sa femme, un livre d’heures à la main, fut conduit à l’Hôtel
de Ville. Il ignorait la sentence. Voyant que le cortège ne se dirigeait pas
vers la Bastille, où il croyait être transféré, il s’écria : « Ah, nous quittons
cette fois le chemin de la Bastille pour prendre celui du paradis ! » Une
foule immense de curieux se pressait aux abords de la place de Grève, où
les chaînes avaient été tendues. Les meilleures fenêtres se louaient huit
pistoles. La troupe était sur le pied de guerre. A genoux, le maréchal
entendit lecture de son arrêt. Puis il baisa le crucifix : « Mon Dieu, je vous
résigne mon âme ; mon corps est sacrifié. » Il s’entretint longuement avec
les deux pères feuillants et les deux docteurs en Sorbonne commis à son
exécution, se confessa, régla ses affaires domestiques, fit part de ses
dernières volontés et récita les psaumes et la litanie des saints. Terrible
agonie ! Elle dura de la fin de la matinée au début de l’après-midi. Vers
3 heures, il mangea quelques bouchées et but un peu de vin. Puis, on le
remit aux mains de maître Guillaume, qui ouvrit sa chemise et lui coupa les
cheveux. La seule grâce que le roi lui avait accordée fut de ne pas être
conduit au supplice dans le tombereau de l’infamie. Le condamné
s’agenouilla, pardonna à ses ennemis. D’un seul coup, le bourreau lui
trancha la tête. La mort, avait dit Louis de Marillac, n’est qu’un « vent
d’acier »…

Castelnaudary ou la fin de l’équipée


Ignorant le verdict et espérant toujours sauver son fidèle, Marie de
Médicis avait hâté l’expédition militaire. Le 18 mai, Gaston, qui menait à
Bruxelles joyeuse vie au milieu de ses commensaux et de jolies filles (il en
oubliait déjà sa petite Angélique !), quitta la capitale des Pays-Bas
espagnols pour Trèves, où l’armée d’invasion s’était concentrée. De leur
côté, Louis XIII et Richelieu galopaient à bride abattue vers Calais : il
fallait à tout prix empêcher l’opération navale espagnole. Le gouverneur, le
marquis de Valançay, se vit imposer le rachat de sa charge et fut remplacé
incontinent par un fidèle du roi, cela sans la moindre allusion à sa trahison.
Quelques jours plus tard, les troupes des maréchaux de La Force et
d’Effiat entrèrent en Lorraine. Le 18 juin, après avoir franchi la Meuse,
Louis XIII en personne écrasa à Vaubécourt un détachement de cavaliers
lorrains, alors que l’allié néerlandais mettait le siège devant Maëstricht (qui
tombera deux mois plus tard, le 24 août). Ainsi se trouvaient immobilisées
les armées espagnoles des Pays-Bas et du Palatinat, occupées à contenir
l’offensive des Provinces-Unies. Le 26 juin, Charles IV capitula et signa le
traité de Liverdun, qui l’obligeait à remettre au roi de France les places de
Stenay et Jametz pour une durée de quatre ans et à lui céder en pleine
propriété, moyennant compensation financière, le comté de Clermont-en-
Argonne, dépendance féodale de l’empire, que la France revendiquait ; il
était prévu enfin qu’il rendrait en bonne et due forme, dans le délai d’un an,
un hommage au roi pour le Barrois mouvant.
Cependant, l’insouciant Gaston était entré en France, publiant le 13 juin
un nouveau manifeste incendiaire contre « Jean Armand, cardinal de
Richelieu, perturbateur du repos public, ennemi du roi et de la maison
royale, dissipateur de l’Etat, usurpateur de toutes les meilleures places du
royaume, tyran d’un grand nombre de personnes qu’il a opprimées, de tout
le peuple qu’il a accablé ». Peu étoffé et mal équipé, son corps de cavalerie
hétéroclite, composé de Français, d’Allemands, de Croates et de
Napolitains, semait le désordre dans les campagnes et villages traversés.
Les pillages étaient surtout le fait des mercenaires, reîtres et soudards,
rebuts de l’armée espagnole, qui s’en prenaient jusqu’aux gentilshommes
de sa suite et les dévalisaient ! Bref, au lieu d’être accueilli en libérateur,
comme le jeune prince l’avait cru, il était partout honni et rejeté. Langres
refusa de lui ouvrir ses portes et Dijon, le 17 juin, lui résista à coups de
canon. Un boulet s’abattit à ses pieds. Quittant la Bourgogne pour le
Charolais, il franchit la Loire à Digoin. Il eut un peu plus de succès en ces
régions. Trois cents gentilshommes d’Auvergne et de Provence se rallièrent
à son appel, confortant son incorrigible vantardise. « Il s’agit du salut de la
France ! » clamait-il partout sans rire11.
Peu après, il reçut un message de Montmorency qui se plaignait de sa
précipitation. Il arrivait trop vite ! L’argent manquait, les états de
Languedoc ne devaient voter les subsides qu’en août ! L’armée de
Monsieur, qui avait fondu en route, dut en conséquence rester deux
semaines à Vichy, refaisant ses forces en vivant sur le pays. La traversée de
l’Auvergne fut assez pitoyable. Le comte d’Ayen, lieutenant du roi dans la
province, tenta à plusieurs reprises de l’arrêter. Enfin, ce ne fut qu’au début
d’août qu’elle pénétra en Languedoc par le col de l’Hospitalet. Ses moyens
étaient très limités. Gaston bientôt se prit d’inquiétude. Son odyssée risquait
de tourner au cauchemar. Il ne pouvait retourner en Lorraine, qui l’avait
expulsé. Afin de gagner la frontière des Pyrénées, il sollicita l’aide du
cardinal-Infant, Ferdinand de Habsbourg, vice-roi de Catalogne, du duc de
Feria, gouverneur du Milanais, de Wallenstein, de l’Empereur. Personne ne
lui répondit…
Le 20 juillet, Montmorency, encouragé par sa femme, franchit le
Rubicon : il faisait arrêter les deux commissaires royaux, Miron et d’Emery,
ainsi que l’archevêque de Narbonne, Claude de Rebé, fidèle au roi. Les
correspondances saisies lui apprirent que l’on connaissait en haut lieu ses
tractations avec Gaston. Il n’avait plus rien à perdre. Il se sentait
« soupçonné, diffamé et calomnié de toute part », comme il l’écrivait à son
neveu le comte d’Alais, menacé dans sa liberté par les « ordres pleins de
mépris et de méfiance » qu’il avait reçus, malgré sa fidélité et les services
rendus12. Il reconquerrait donc son honneur par les armes ! On était en plein
délire féodal ! Le 22, réunis à Pézenas, les états, soigneusement noyautés
par ses partisans, entrèrent à leur tour en dissidence, entraînant quelques
grandes villes comme Béziers, Albi ou Alès. Les rebelles cherchèrent
vainement à gagner les protestants à leur cause : ces catholiques
ultramontains, partisans de la reine mère, suscitaient par trop leur méfiance.
Enfin, à Lunel, le duc accueillit Gaston et son armée. La jonction était faite.
Pendant ce temps, libéré de la menace à l’est, depuis la mise au pas de
la Lorraine, Schomberg était descendu à marche forcée dans le Sud-Ouest à
la recherche des séditieux. Arrivant par le Limousin, son armée prit d’abord
Saint-Félix-de-Carmain. Deux fois moins nombreuse que les troupes
coalisées de Gaston et de Montmorency, mais mieux aguerrie, avec les
gendarmes et chevau-légers de la garde, elle les rencontra au matin du
1er septembre 1632 dans une plaine entourée de vignobles et de coteaux
verdoyants, aux abords de Castelnaudary. En une demi-heure, elle emporta
la victoire. Se jetant à l’étourdi dans la mêlée, avant même la jonction de
l’infanterie et de l’artillerie, le comte de Moret, qui commandait un corps de
cavalerie, y trouva la mort d’une décharge de pistolet dans le ventre13. Le
corps ensanglanté, il agonisa dans le carrosse qui le conduisait à l’abbaye
voisine de Prouille.
Fastueusement harnaché et empanaché, le beau Montmorency s’avança
jusqu’au septième rang ennemi, courant « à la désespérade14 » avec une
fougueuse témérité plus « digne d’un carabin que d’un général » (Loménie
de Brienne). Blessé de douze ou treize coups d’épée, le corps tailladé de
toute part, vomissant le sang, il finit par se faire capturer, en dépit des
efforts de Schomberg de laisser ses partisans l’emporter – il préférait éviter
les complications prévisibles d’un procès et d’une condamnation. Le duc
gisait sous son cheval, au milieu du feu et de la fumée. Quelle folie l’avait
jeté dans cette charge à l’aveugle ? Avait-il, dans un geste de désespoir,
cherché une fin glorieuse ? Des rivalités en étaient-elles la cause ? Gaston
lui avait promis la lieutenance générale de son armée, mais le duc d’Elbeuf
lui avait disputé la place. Le prisonnier fut conduit au château de Lectoure,
où on le soigna, puis à Toulouse. Selon une rumeur, on aurait trouvé sur lui
un bracelet renfermant un petit portrait de la reine… La révolte du
Languedoc ne tenant que par lui, ce fut le signal de la débandade. La
province retrouva aussitôt son calme. Gaston, décontenancé, indécis à son
habitude, ne savait plus que faire. Il finit par renoncer à gagner le
Roussillon et les terres espagnoles.
Le roi avait quitté Paris à la mi-août et était descendu avec Richelieu
jusqu’à Lyon. Il arrivait à la tête de sa maison militaire et d’une puissante
armée, prélevée sur les forces de Picardie et d’Ile-de-France, bien décidé à
profiter de la déroute de Castelnaudary pour mettre Gaston à genoux. Celui-
ci crut monnayer son ralliement et sa sauvegarde : par l’intermédiaire d’un
de ses gentilshommes, Chaudebonne, il réclama un pardon total pour la
reine mère et son retour en France, la libération de Montmorency, le
rétablissement dans leurs biens et charges de ceux qui l’avaient suivi, en
particulier les ducs d’Elbeuf et de Bellegarde, la restitution de Marsal à son
légitime propriétaire, la remise entre ses mains d’une place de sûreté,
comme Béziers, Laon ou Verdun, enfin le versement d’une indemnité d’un
million, lui permettant de rembourser les emprunts qu’il avait contractés
auprès du roi d’Espagne et du duc de Lorraine !
Louis trouva que, pour un vaincu, son cadet ne manquait pas d’audace !
« Mon frère, lui écrivit-il d’un ton de majesté, les propositions que le sieur
de Chaudebonne m’a faites de votre part sont si peu convenables à ma
dignité, au bien de mon Etat et à votre propre avantage, que je n’ai pas
d’autre réponse à y faire que de vous offrir encore les mêmes choses que
j’ai ordonné au sieur d’Aiguebonne de vous dire. C’est un nouveau
témoignage de mon affection : je vous prie de vous mettre en état de le
recevoir. En ce cas, j’oublierai le passé de bon cœur et je vous ferai paraître
que je suis de plus en plus votre très affectionné frère15. »
L’héritier présomptif du trône n’avait plus qu’à s’incliner. Après trois
jours de discussion sur des points mineurs, les onze « articles de paix » de
Béziers du 29 septembre lui rendirent ses charges et dignités ; en échange, il
renonçait à toute intelligence avec l’Espagne, la Lorraine, les princes
étrangers et les réfugiés de Bruxelles. Il s’engageait à ne pas interférer dans
le châtiment que le roi réserverait à ses complices, à l’exception de ceux qui
se trouvaient près de sa personne et qui étaient pardonnés. Dans un article
secret, il donnait sa « parole et foi de prince » d’aimer tous les serviteurs du
roi, particulièrement le cardinal de Richelieu, dont, disait-il, il avait
« toujours estimé le zèle et la fidélité ». Le favori de Monsieur, Antoine de
Puylaurens, avait été convaincu par les agents de Richelieu de la nécessité
de cet accommodement. Sans rencontrer son « très affectionné frère », qui
ne tenait d’ailleurs pas à le voir, Gaston partit pour Tours, où il était assigné
à résidence.
Louis entra dans Béziers le 6 octobre puis, quelques jours plus tard, prit
la route de Narbonne. Le temps brusquement vira à l’orage. A partir du 14,
la pluie tomba à verse pendant plus de trente heures. Au milieu de terribles
bourrasques, les charrettes et carrosses du convoi royal s’embourbèrent.
Une centaine de personnes, soldats, muletiers, garçons d’équipage, femmes
de chambre, périrent noyées, dont deux filles d’honneur de la reine dans un
carrosse renversé, emporté par un torrent de boue. Le roi avait perdu ses
meubles et ses habits, et la reine toutes ses robes ; la moitié du bagage du
régiment des gardes était engloutie. Un désastre ! De Narbonne, où l’on
répara, Louis XIII gagna Carcassonne, visita le champ de bataille de
Castelnaudary et arriva à Toulouse le 22.

La mort du dernier paladin


La justice royale frappa avec la plus grande rigueur. Trois agents de la
reine mère furent exécutés : M. de Capestan, décapité à Lyon, M. de
L’Estrange, à Pont-Saint-Esprit, et Des Hayes de Courmenin, enlevé en
territoire germanique pour avoir proposé à Wallenstein la cession des Trois-
Evêchés, mis à mort à Béziers. Le procès de Montmorency s’engagea
devant le parlement de Toulouse, placé sous la présidence de Châteauneuf.
Escorté par les mousquetaires du roi, le maréchal-duc, dans un état de
grande faiblesse, fut conduit à l’hôtel de ville. Il accepta de renoncer à son
privilège de pair de France, qui le rendait justiciable du parlement de Paris,
mais il lança avec mépris au garde des Sceaux qui lui demandait de décliner
son nom : « Mon nom, Monsieur, vous devez le savoir ! Vous avez mangé
assez longtemps le pain de mon père ! »
Sept témoins furent entendus, trois capitaines des gardes françaises, un
lieutenant, deux sergents, le greffier des états de Languedoc. L’orgueilleux
seigneur fut placé sur la sellette, cette chaise basse humiliante où les
criminels étaient interrogés, mais, en considération de sa naissance, on lui
épargna les fers aux pieds. Il avoua tout, prit tout sur lui, sans chercher la
moindre excuse, reconnaissant que « pour les fautes qu’il avait commises
envers Dieu et son roi comme pécheur qu’il était, il méritait la mort au-delà
de tout ce que l’on pourrait dire ». Les magistrats de la cour, qui s’étaient
opposés aux impôts royaux, avaient besoin de faire acte d’allégeance. Ils se
prononcèrent à l’unanimité pour la sentence capitale et la confiscation de
ses biens16.
Louis allait-il, pour la première fois de son règne, laisser exécuter un
des grands barons du royaume ? Cela paraissait impensable, alors que le
principal responsable, intouchable du fait de sa position d’héritier du trône,
était lui-même pardonné. La duchesse de Montmorency, la princesse de
Condé, sa sœur, le confesseur du roi, le duc d’Angoulême, la duchesse de
Ventadour, les ducs de Châtillon et de Chevreuse, le cardinal de La Valette,
Saint-Simon, jusqu’au duc de Savoie et au nonce apostolique, au nom
d’Urbain VIII, tous le suppliaient d’accorder sa grâce. N’osant intervenir
auprès de son mari (à cause peut-être de son portrait trouvé sur le
prisonnier), Anne d’Autriche fit la démarche auprès du cardinal de
Richelieu. Le vieux duc d’Epernon vint de Bordeaux à Toulouse pour le
même motif, hasardant devant le souverain un long plaidoyer, que celui-ci,
les yeux baissés, ne sembla pas écouter. Gaston lançait des appels pressants
et pathétiques. Trois fois, un gentilhomme de sa suite, M. de La Rochepot,
se jeta aux pieds du monarque. La fine fleur de la noblesse française était en
émoi. Jamais la procession des pénitents bleus de Toulouse n’avait été aussi
suivie. On criait dans les rues : « Grâce ! Grâce ! Miséricorde ! » Seul le
veule prince de Condé, étroitement inféodé au cardinal, ne fit rien pour
sauver la tête de son beau-frère…
Comme d’habitude, le Premier ministre, objet lui aussi de multiples
pressions, avait balancé dans un long mémoire au roi, rédigé à Beaucaire le
17 septembre, les arguments pour et contre, insistant sur le risque
d’encourager de nouvelles prises d’armes en pardonnant. Ne pas céder
reviendrait au contraire à affaiblir les mécontents, à les déconsidérer, plus
personne n’osant s’engager derrière eux. Au reste, le crime de
Montmorency s’était accompagné de circonstances aggravantes : une
longue préméditation, le soulèvement minutieusement préparé d’une
province qu’il tenait au nom du roi. « Ne pas châtier une faute dont
l’impunité ouvre la porte à la licence, c’est une omission criminelle. »
Louis XIII était convaincu de la nécessité d’un nouvel exemple propre à
faire réfléchir les amateurs de séditions. Au lieu de demeurer intègre,
Montmorency avait envoyé sept courriers protestant de sa fidélité, alors
qu’il conspirait avec l’étranger ; il avait levé une armée contre lui.
Comment pardonner ? Se souvenant de la grâce refusée à Biron par son
père, il décida de laisser la justice suivre son cours. Il fallait saisir de
stupeur l’opinion européenne.
Ce serait pourtant une erreur de croire qu’il agissait d’un cœur léger. Il
fut vraiment tourmenté ; on lui avait vu les larmes aux yeux. Il hésitait
devant le caractère spectaculaire de cette exécution. Mais il savait comme
Richelieu que, face aux factieux, aucune défaillance n’était permise.
L’heure n’était pas à la clémence. L’exigence de discipline et d’obéissance
était vitale pour le royaume. Pour en finir avec ces jeux féodaux de la
révolte, il fallait maintenir une politique de rigueur. Montmorency avait
commis l’irréparable, l’impardonnable.
Empli de contrition, s’abîmant dans la dévotion, Montmorency,
souffrant toujours de ses blessures, se résigna courageusement à son sort. Il
fit une confession générale et communia. « Mon père, dit-il au père Arnoux
venu l’assister, qui a en soi la Vie ne doit plus craindre la mort ; j’espère de
voir bientôt face à face ce bon Dieu que je viens de recevoir
présentement. » Puis il écrivit à sa femme ce dernier et émouvant billet :
« Mon cher cœur, je vous dis le dernier adieu avec une affection toute
pareille à celle qui a toujours été entre nous ; je vous conjure, pour le repos
de mon âme et par Celui que j’espère voir bientôt par sa miséricorde dans le
ciel, de modérer votre ressentiment. J’ai reçu tant de grâce de mon doux
Sauveur que vous avez tout sujet d’en recevoir une grande consolation.
Adieu encore une fois17. »
Se rendant à l’archevêché de Toulouse, où résidait le souverain, le
comte de Charlus, capitaine des gardes, lui apporta le bâton de maréchal et
le collier de l’Ordre du condamné. Louis jouait aux échecs avec M. de
Liancourt, gendre du maréchal de Schomberg. Charlus, imité par les
assistants, se jeta soudain à ses pieds et les embrassa : « Ah, Sire, que Votre
Majesté fasse grâce à M. de Montmorency, ses ancêtres ont si bien servi les
rois ses prédécesseurs, faites-lui grâce, Sire. – Non, répondit celui-ci
inexorable, il n’y a point de grâce ; il faut qu’il meure. On ne doit pas être
fâché de voir mourir un homme qui l’a si bien mérité. On doit seulement le
plaindre de ce qu’il est tombé par sa faute dans un si grand malheur. Allez
lui dire que toute la grâce que je puis lui faire, c’est que le bourreau ne le
touchera point, qu’il ne lui mettra point la corde sur les épaules et qu’il ne
fera que lui couper le cou18. »
De crainte d’un mouvement populaire, le régiment des gardes, sur le
pied de guerre, tenait les points stratégiques de la ville. L’exécution eut lieu,
non en public, selon l’usage, mais dans la cour du Capitole19. La fin du duc
fut édifiante, comme celle du maréchal de Marillac. « Le grand pécheur que
je suis, reconnut-il, ne peut mourir avec assez d’ignominie, Jésus-Christ a
été non seulement battu mais servi par ses bourreaux ! » On coupa le col de
sa chemise et ses cheveux. Il salua d’un geste l’assistance, le père Arnoux,
le chirurgien, le grand prévôt et ses gardes, les capitouls en robe rouge et les
officiers du corps de ville, puis il se laissa bander les yeux. « Frappez
hardiment ! » ordonna-t-il au bourreau. Il eut plus de chance que Chalais.
Sa tête sauta d’un seul coup, grâce à un système de hache placée entre deux
montants de bois, préfigurant la machine du docteur Guillotin.
Le populaire et magnifique Henri, dernier des Montmorency, avait
trente-sept ans. Avec cet incorrigible paladin disparaissait un peu du vieil
esprit féodal. Son corps fut inhumé dans l’église Saint-Sernin de Toulouse.
Treize ans plus tard, il sera transféré à Moulins, où sa veuve, l’inconsolable
Marie Félice des Ursins, retirée au couvent des filles de Sainte-Marie, qui
se reprochait de l’avoir jeté dans la rébellion, lui avait fait bâtir un
splendide mausolée, œuvre du sculpteur Anguier.
« Sire, dit au souverain le père Arnoux, Votre Majesté a fait un grand
exemple sur la terre par la mort de M. de Montmorency ; mais Dieu, dans sa
miséricorde, en a fait un grand saint dans le ciel. – Mon père, lui répondit le
souverain, je voudrais avoir contribué à son salut par des voies plus
douces. » Dans son Histoire de Louis XIII, le père Griffet conte que, sur son
lit de mort, il avouera au prince de Condé s’être fait violence à refuser sa
grâce… Qu’il est dur parfois d’être roi !

De l’édit de Béziers à la reprise des intrigues


Après cette tourmente qui avait ébranlé les bases de l’Etat, en raison de
la très haute naissance du coupable, les fidèles furent récompensés : le
brave Schomberg fut nommé gouverneur de Languedoc, avec survivance
pour son fils, Charles, duc d’Halluin*4 ; l’habile La Force reçut la charge de
grand maître de la garde-robe ; le marquis de Maillé-Brézé, beau-frère de
Richelieu, fut élevé à la dignité de maréchal de France.
Le 11 octobre 1632, les députés des états de Languedoc, les
représentants du parlement de Toulouse, de la Chambre des comptes et les
trésoriers de France furent convoqués en séance royale dans l’église des
Augustins de Béziers. Après les avoir fait attendre une heure, Louis parut
en majesté, accompagné de la reine. Châteauneuf lut le texte aménageant
les libertés de la province. Par cet édit de Béziers, elle conservait ses états,
mais leur session était limitée à quinze jours par an. Les pouvoirs des
diocèses et des communautés se trouvaient soigneusement encadrés. Sa
participation au budget du royaume était fixée à un don gratuit d’un peu
plus d’un million de livres et à quelques autres impôts dont le montant était
garanti. Même si elle conservait sa liberté de lever des taxes additionnelles,
l’administration fiscale de la province était remodelée et le contrôle des
trésoriers de France, renforcé. Les états devaient en outre racheter pour
2,3 millions les offices des élus qui avaient été vendus. Sans être parvenu
totalement à ses fins, puisqu’on n’avait pas osé réintroduire l’impopulaire
système des élections, l’absolutisme royal s’était donc servi de la crise pour
renforcer sa mainmise sur cette grande région jugée trop autonome20.

Au lendemain de la tragédie de Toulouse, Mme de Chevreuse, qui


regrettait sans doute l’inaction – la diablesse n’avait pas été du complot
Montmorency ! –, tissa soigneusement la trame d’une nouvelle conspiration
contre sa bête noire, Richelieu. L’instrument en était cette fois le garde des
Sceaux Châteauneuf qui avait remplacé Michel de Marillac. A cinquante-
deux ans, ce galant homme, bien fait de sa personne, était tombé amoureux
de la voluptueuse déesse aux yeux de velours. Un de plus ! Pour apercevoir
sa belle, il chevauchait à la portière du carrosse de la reine, lui faisant de
grands ronds de chapeau à l’espagnole. Il faut dire que Marie de Rohan y
avait mis du sien, aguichant ce barbon sur le retour comme elle ne l’avait
jamais fait, pas même pour le naïf Chalais. Il est difficile de mesurer la
sincérité de son élan amoureux. Pourtant elle lui resta longtemps fidèle :
une prouesse ! Lui était tombé dans ses rets ! Aux délires de la passion, la
Chevrette avait glissé l’insidieux levain de l’ambition politique : une fois le
cardinal mis à bas, il pourrait espérer les fonctions de Premier ministre !
Raison de plus pour œuvrer à la disgrâce de son ancien bienfaiteur. Dans
une lettre étonnante de machiavélisme, elle levait le masque : « Je vous
ordonne de m’obéir, non seulement pour suivre votre inclination si elle vous
y convie, mais pour satisfaire à mon désir qui est de disposer absolument de
votre volonté… »
Richelieu, quoique aux aguets, ne se doutait de rien. Il cherchait pour
l’heure à plaire à la reine et à son amie, à se réconcilier avec elles, à entrer
dans leurs bonnes grâces, avec cette timidité maladroite de l’homme qui ne
savait pas séduire les femmes. Au retour du voyage de Toulouse, il voulut
les éblouir par sa magnificence. Pendant que la Cour remonterait vers Paris,
des festivités, avec arcs de triomphe, bals et concerts, joutes et combats
nautiques, étaient prévues à Brouage, dont il était gouverneur, puis d’autres
à La Rochelle et à son château de Richelieu, en cours d’édification.
La malchance se mit de la partie. Atteint de cruels maux de reins, il
souffrit bientôt d’une rétention d’urine, qui le cloua au lit. Invité
subrepticement au château de Cadillac avec toute la Cour, il se demandait
s’il n’allait pas être assassiné ou arrêté par le maître des lieux, le vieux
d’Epernon, qui ne le portait pas dans son cœur. Tandis que le garde des
Sceaux, vêtu d’un pourpoint de soie et d’un haut-de-chausses de drap
d’Espagne gris brodé de dentelles d’or et d’argent, dansait d’un air radieux,
l’Eminentissime passa des heures dans les affres de l’angoisse. Anne
d’Autriche et Marie de Rohan se réjouissaient ouvertement de le voir si
proche de l’issue fatale. Hélas pour elles et heureusement pour le cardinal,
l’abcès à la vessie creva. Ce n’était que partie remise… Le cardinal quitta
Bordeaux en galiote, gisant sur un matelas, surveillé par ses chirurgiens, et
gagna en solitaire, certain d’avoir encore de nombreux ennemis, sa place de
Brouage, qui ne connaîtrait pas de réjouissance.

Gaston repart, la guerre se poursuit…


Cependant, dès le 12 novembre, Monsieur, une nouvelle fois parjure, fit
volte-face. Dans une lettre ouverte au roi, il affirmait n’avoir signé
l’accommodement de Béziers que sous promesse de la grâce de
Montmorency, comme le lui avait laissé entendre le surintendant des
Finances Bullion. Trahi, il reprenait donc son engagement et annonçait qu’il
quittait le royaume. Six jours auparavant, à la nuit tombée, il avait faussé
compagnie aux hommes du cardinal, avec Puylaurens, Du Fargis et l’abbé
d’Elbène. Sa lettre usait d’un prétexte fallacieux. Louis XIII lui répondit
sèchement qu’il n’avait pris aucun engagement de ce genre et qu’il était
donc impossible de se méprendre.
La vraie raison était que, peu avant son exécution, Montmorency avait
appris au roi son mariage avec la princesse Marguerite. Il avait pris peur, et
Puylaurens n’avait rien fait pour l’apaiser, bien au contraire. En effet, lui-
même, inclus dans la paix de Béziers sous condition de dire la vérité, avait
menti aux commissaires royaux en déclarant que Monsieur n’était que
fiancé. Par crainte des représailles, il avait donc poussé son maître à la fuite.
Le 21 novembre, Gaston retrouva Bruxelles, son insouciante gaieté, ses
beautés flamandes et sa vie de plaisirs. La vieille et pieuse Infante le prit
sous sa maternelle protection. Marie de Médicis, au contraire, toute à ses
rancœurs et à ses chimères, partit aussitôt pour Gand sans le rencontrer…
Elle était pleine d’amertume. Elle avait sacrifié ses bijoux, financé en pure
perte l’équipée de ce fils préféré qui n’avait pas même songé à l’inclure
dans la paix de Béziers ! Quelques mois plus tard, en mai 1634, un homme
de main soudoyé par son principal conseiller, le père Chanteloube, tira une
décharge de mousquet sur Puylaurens, qui ne reçut qu’une éraflure…
Vengeance de Florentine !

Cependant, les affaires d’Allemagne devenaient très préoccupantes. En


juillet, sans rompre avec Gustave Adolphe, Louis XIII avait pris sous sa
protection l’archevêque-électeur de Trèves, Philippe Christophe de Soetern,
et avait envoyé à son secours l’armée du maréchal d’Effiat. La France
s’engageait pas à pas dans le conflit. L’équilibre était bien difficile à trouver
entre la nécessité de protéger les princes protestants contre la volonté
hégémonique de l’Empereur, le souci de se rapprocher des archevêques
rhénans et celui de conserver l’alliance suédoise.
Après avoir méthodiquement ravagé la Bavière, Gustave Adolphe
s’était heurté à la résistance de l’armée impériale, reprise en main par
Wallenstein, qui tenta de lui barrer le passage vers le nord. Des discussions
s’étaient ouvertes entre les deux champions. Wallenstein, qui n’avait pas
pardonné à Ferdinand II sa disgrâce, étudiait toutes les possibilités
d’apporter une paix de compromis à l’empire, au détriment de son
commanditaire.
Mais, faute de trouver un accord, les belligérants étaient repartis en
campagne. Le 16 novembre 1632, l’armée impériale se heurta aux Suédois
à Lützen, non loin de Leipzig. Un épais brouillard couvrait l’immense
plaine. La supériorité tactique de Gustave Adolphe et de son adjoint,
Bernard de Saxe-Weimar, éclata ; Wallenstein fut battu à plate couture.
Mais alors qu’il chargeait à la tête de sa cavalerie, le glorieux roi de Suède
fut tué. Il avait trente-sept ans. Le grand rapace de Bohême fut consolé de
sa défaite par la disparition de son coriace adversaire : « Il n’y a pas de
place pour deux coqs sur un même fumier ! » s’écria-t-il en guise d’oraison
funèbre.

Nouvelles et vieilles intrigues


C’est dans ce contexte que Marie de Médicis et Gaston reprirent
séparément leurs tortueuses intrigues avec Madrid. Des polémistes virulents
jetaient contre le cardinal des brûlots enflammés. Pour sauver la tête de
Montmorency, la reine mère avait envisagé de le faire chanter en enlevant
sa chère nièce, Mme de Combalet. Puis elle songea à un nouveau
soulèvement des Grands. Le héros de l’île de Ré, le maréchal de Toiras,
gouverneur de Casal, avait été approché, de même que le duc de Guise,
gouverneur de Provence. On avait proposé à Philippe IV de s’avancer
jusqu’à Bayonne ou Narbonne, afin d’établir une tête de pont en territoire
français, d’où Gaston et elle pourraient lancer un appel à la révolte
générale. Des tractations avaient été également entamées avec Wallenstein
et Charles IV qui, en dépit des engagements de Liverdun, avait renoué avec
l’Empereur et l’Espagne. Gaston attendait du premier un secours de 6 000
fantassins et du second 1 000 cavaliers ainsi que la mise à disposition de
son armée reconstituée, 8 000 fantassins et 2 500 chevaux. Des courriers
partaient de Bruxelles dans toutes les directions… L’un d’eux fut
opportunément attaqué en forêt de Loches et le contenu de sa précieuse
sacoche, déposé sur le bureau de Richelieu. A la lecture des
correspondances, le cardinal ne sut trop si Toiras était prêt à rallier les
séditieux. Dans le doute, le roi préféra s’assurer sa fidélité en le nommant
chevalier de l’Ordre et en le rappelant de Casal. Charles de Lorraine, duc de
Guise, peu fiable, prit opportunément la route d’Italie, sous prétexte d’un
pèlerinage à Notre-Dame de Lorette. Louis le remplaça au gouvernement de
Provence par le maréchal de Vitry, l’exécuteur de Concini.
Le cardinal attisait sa suspicion envers le garde des Sceaux, Mme de
Chevreuse et l’entourage de la reine, laissant lentement fermenter la
vindicte dans son cœur comme un vin aigre dans un tonneau. Par une
dépêche de Fontenay-Mareuil, ambassadeur de France à Londres, le
monarque apprit que la reine Henriette, sa sœur, avait imprudemment
annoncé la mort de Son Eminence et son remplacement par Châteauneuf…
Les ramifications de la conspiration s’étendaient donc jusqu’à l’étranger.
« Si l’affaire s’échauffe, avait écrit Louis XIII à Richelieu en janvier 1633,
et qu’il soit nécessaire de marcher, je suis prêt ! » La justice royale tomba
comme l’éclair. Le 25 février 1633, à Saint-Germain, Louis, sans en avertir
personne, envoya La Vrillière, secrétaire d’Etat, reprendre les sceaux à
Châteauneuf, puis le fit arrêter par son capitaine des gardes, Guillaume de
Simiane, marquis de Gordes. Dans sa correspondance, on trouva des billets
galants des anciens amis ou amants de la duchesse, comme lord Holland,
Montagu ou le commandeur de Jars, qui tous étaient de la conjuration. On
sut que l’impénitente Chevrette avait averti Charles IV de Lorraine que le
roi allait s’emparer de la forteresse de Moyenvic, ce qui expliqua a
posteriori la résistance qu’on y avait rencontrée. Des lettres plus prosaïques
de Marie de Rohan se moquaient du cardinal et de la cour qu’il lui faisait
ainsi qu’à la reine. Elle n’appelait gracieusement le pauvre homme que
« cul pourri » !… Châteauneuf confessa toutes les folies que l’amour lui
avait fait faire. Il paya sa toquade de dix ans d’emprisonnement au château
d’Angoulême. Plusieurs de ses comparses furent condamnés par
contumace.
Le Parlement fut mécontent des peines édictées contre les magistrats,
amis et complices de Châteauneuf, comme le président Le Coigneux ou le
conseiller Payen, bannis à perpétuité. Le président de Mesmes, qui protesta,
fut exilé à Blois, et la délégation venue réclamer son retour fut reçue avec
rudesse par le roi : « C’est à moi à user de mon autorité à votre égard,
quand vous vous oubliez de ce que vous me devez ! » Comme les hourvaris
continuaient, il tint un lit de justice le 12 avril, où, en son nom, le nouveau
garde des Sceaux Pierre Séguier déclara qu’en matière de crime de lèse-
majesté « la clémence était inhumaine ». Quant à François de
Rochechouart, commandeur de Jars, il fut arrêté et interrogé par le
lieutenant civil Laffemas qui, pour qu’il donnât ses complices, lui fit
éprouver la plus belle frayeur de sa vie. Condamné à mort, mené au
supplice, ce ne fut en effet que les yeux bandés sur l’échafaud, au moment
où il allait s’agenouiller pour recevoir le coup fatal, qu’il lui remit la grâce
royale signée depuis vingt-quatre heures…
Richelieu aurait sans doute préféré garder près de la reine son
infatigable amie, afin de mieux les surveiller toutes deux. Mettant à profit la
découverte de la conspiration, il lui avait suggéré de persuader le duc de
Lorraine de licencier son armée, ce qui avait été fait. Mais Louis XIII en
décida autrement. Il ne pouvait plus supporter sa présence. Mme de
Chevreuse fut donc reléguée au château de Dampierre.
Fallait-il aussi mettre Anne d’Autriche au pas ? Depuis que la situation
internationale s’était obscurcie, la reine triste vivait dans la crainte
constante d’être répudiée. Au lieu de chercher à se rapprocher de son mari,
elle ne mettait ses espoirs de salut qu’en l’Espagne. Folle attitude,
redoutable jeu dont elle ne mesurait pas les conséquences ! A partir de cette
époque, avec la complicité de son amie exilée, avec celles de sa demoiselle
d’honneur, Mlle de Hautefort, et de Mme du Fargis à Bruxelles, elle se mit
à entretenir une correspondance secrète avec Madrid, Londres et la
Lorraine. Mme de Chevreuse arrivait le soir à Paris, se glissait au Louvre,
babillait longuement avec la reine, avant de regagner, en cavalière
indomptable, son val perdu au milieu des bois.
Richelieu finit par découvrir son manège et décida, en accord avec
Louis XIII, de l’exiler à Couzières, en Touraine. Ne pouvant plus faire le
voyage de la capitale, elle se rendait de temps à autre à Tours, où, dans
l’éclat de ses trente-trois ans, elle enflammait ses admirateurs : des jeunes
comme le prince de Marcillac, futur duc de La Rochefoucauld, des vieux
comme Bertrand Deschaux, archevêque de la ville, qui l’avait mariée à
Luynes et se montrait « plus zélé pour elle qu’il ne convenait à un homme
de son âge et de sa profession », et même, à en croire Tallemant, un rustre
anonyme, qui, un peu trop complimenté sur sa bonne mine, n’aurait pas
hésité à la culbuter dans un fossé !

La ligue de Heilbronn
En Allemagne, après la défaite de Lützen et la disparition de Gustave
Adolphe, Wallenstein s’était replié en Bohême afin de reconstituer son
armée. Les Suédois, de leur côté, cherchaient à préserver l’œuvre de leur
glorieux souverain. Celui-ci laissait une fille unique, Christine, âgée de six
ans, sous la régence de sa mère. Les affaires politiques furent reprises en
main par le chancelier Axel Oxenstierna, énergique luthérien de cinquante
ans, sec et autoritaire, d’une grande intelligence. Ce dernier jugeait
lucidement la situation. Les forces suédoises, puissantes, étaient
commandées par d’excellents généraux, Horn, Baner, Torstensson et Saxe-
Weimar. Il n’était pas question de plier bagage, mais de tenir les positions
acquises dans le nord de l’Allemagne et la zone de Mayence, où l’on
renforcerait le camp fortifié, le « Gustavsburg », à la jonction du Rhin et du
Main, tout en évitant les dépenses extravagantes des années 1630-1631, qui
avaient atteint près de dix fois le budget annuel de la Suède. Ces positions,
on les marchanderait ultérieurement, dans le cadre d’une conférence
générale de paix, en avantages du côté de la Baltique, notamment en
Poméranie et en Prusse.
En attendant, les princes allemands amis devaient être mis encore plus à
contribution. En mars 1633, une nouvelle ligue protestante se constitua
donc à Heilbronn, réunissant les quatre Cercles de l’empire proches de la
Suède, la Franconie, la Souabe, la Basse et la Haute-Alsace, le Wurtemberg,
les margraviats de Bade-Dourlach, Ansbach et Kulmbach ainsi que les
délégués des villes libres de Strasbourg, Francfort, Ulm et Nuremberg. La
ligue autorisa la levée de 56 régiments d’infanterie et de 216 compagnies de
cavalerie, pour dix millions de thalers, et mit à sa tête Oxenstierna, qui
devenait ainsi le vrai maître de l’Allemagne septentrionale. Sans entrer
formellement dans la ligue, la Saxe et le Brandebourg demeuraient alliés.
Afin de porter un coup fatal aux forces impériales, Oxenstierna comprit
qu’il fallait se rapprocher de la France, en recevoir de nouveaux subsides et
l’encourager à soutenir les électeurs rhénans et les Hollandais, ces derniers
jouant un excellent rôle de diversion en concentrant les attaques espagnoles.
L’intervention de Philippe IV au côté de l’Empereur était en effet sa hantise,
comme elle était celle du roi de France. L’union militaire des deux branches
des Habsbourg pouvait retourner une nouvelle fois la situation. Lors de la
conférence de Heilbronn, le marquis de Feuquières, ambassadeur de
Louis XIII et parent du père Joseph, eut avec le chancelier suédois de longs
entretiens qui aboutirent le 19 avril 1633 au renouvellement des accords de
Bärwald. Le 15 septembre, la France apposa sa signature sur le traité de
Heilbronn. Néanmoins, pour Louis XIII et Richelieu, il n’était toujours pas
question d’entrer en guerre ouverte. Même si elle leur paraissait inévitable,
ils espéraient pouvoir la retarder, pour mieux s’y préparer.

La mise au pas de la Lorraine


En Lorraine, Louis XIII et Richelieu étaient déterminés à accentuer la
pression sur Charles IV qui avait entrepris de fortifier les principales villes
de son duché, Nancy, Lunéville et Pontà-Mousson, et levait de nouvelles
milices pour remplacer les troupes qu’il avait licenciées à la demande de
Mme de Chevreuse. Il prétextait que la progression des armées suédoises en
Alsace menaçait sa neutralité. Saverne, qui dépendait de l’évêché de
Strasbourg, et les forteresses de Haguenau et du Hohbar s’étant mises sous
sa protection, il ne pouvait se déjuger. Il envoyait donc ses régiments à
Saverne pour contrer les Suédois, qui assiégeaient déjà la garnison
impériale de Haguenau…
Il fallait mettre au pas cet impudent félon. Le 30 juillet 1633, le
parlement de Paris rendit contre lui un arrêt pour ne pas avoir rendu
hommage au roi au titre du Barrois mouvant. En guise de sanction, cette
terre, qui relevait de la suzeraineté française, était saisie, ainsi que le
Barrois non mouvant. A la mi-août, Louis XIII ordonna à tous ses sujets de
quitter l’armée du duc de Lorraine et donna instruction au marquis de Saint-
Chaumont, commandant les troupes de l’est, de s’avancer dans les Vosges,
pendant que lui-même, se mettant à la tête d’une seconde armée, prenait la
route de Nancy.
Pour se disculper, Charles IV, qui venait d’être battu par les Suédois à
Pfafenhoffen, lui envoya son frère, le cardinal Nicolas François, évêque de
Toul et cardinal de Lorraine. La rencontre eut lieu à Château-Thierry, en
présence de Richelieu. Le prélat lorrain, au lieu de présenter la défense du
duc, reconnut ses manquements, révéla qu’il était en relation suivie avec les
Espagnols et le duc de Feria et finit par avouer le mariage de Gaston et de
Marguerite de Lorraine, conclu à l’insu, prétendait-il, de Charles IV. Après
la révélation du duc de Montmorency, c’était en tout cas la confirmation de
la cérémonie clandestine du 3 janvier 1632.
Louis eut ensuite avec lui deux autres entrevues, le 23 août à Saint-
Dizier, le 28 près de Pont-à-Mousson. Voulant éviter à tout prix de livrer
Nancy, Nicolas François proposa de lui confier sa sœur Marguerite jusqu’à
l’annulation du mariage. Richelieu, qui venait de remettre à son maître un
Avis sur les affaires de Lorraine, fut hostile à cette solution. La saison était
trop avancée pour entreprendre un siège de la capitale ducale ; de nouveaux
événements en Allemagne risquaient de le retarder. Il fallait profiter de
l’occasion pour forcer Charles IV, décontenancé, à négocier. Mais le
ressentiment du roi contre Gaston était tel qu’il choisit de retenir en otage la
jeune femme et qu’il chargea SaintChaumont d’aller la chercher.
Malheureusement, les choses ne se passèrent pas comme prévu : avertie, la
petite princesse s’enfuit, déguisée en homme. Enfourchant un cheval, elle
gagna Thionville, aux Pays-Bas espagnols, puis de là Bruxelles, où les bras
de Monsieur l’attendaient. Louis XIII, dupé, ne décoléra pas.
Richelieu reprit la négociation avec le cardinal de Lorraine. Il lui
imposa la cession de Nancy jusqu’au retour de la paix en Allemagne et
l’annulation du mariage de Marguerite « par voies légitimes et valables ».
En gage, le Barrois resterait sous la dépendance de la France, de même que
les forteresses de Marsal, Stenay et Jametz.
Monsieur, de Bruxelles, pouvait bien narguer son frère en faisant bénir
et officialiser par l’archevêque de Malines son mariage avec Marguerite, il
en allait autrement de Charles IV menacé sur ses terres. Il avait la corde au
cou. Que pouvait-il faire, sinon céder ? Après avoir vainement essayé de
gagner du temps, dans l’espoir de l’arrivée des Espagnols, le 18 septembre
1633, il rencontra Richelieu au village de Charmes, à mi-chemin entre
Nancy et Epinal. Le lendemain matin, épuisé, vaincu, il confirma les
engagements de son frère, s’engagea à se comporter loyalement envers le
roi de France, à ne pas participer à la guerre en Allemagne sans son
autorisation et à lui livrer sa capitale à titre de gage. Enfin, il donna son
accord à la procédure de dissolution du mariage. C’était l’humiliation
totale ! Le 20, Louis XIII rencontra le duc pour l’échange des ratifications
du traité. Il lui pardonna son comportement, ajoutant qu’il voulait vivre
avec lui en bonne entente. Quatre jours plus tard, ses troupes entrèrent dans
Nancy. La Lorraine passait sous la tutelle française.
Charles IV tenta encore de nouvelles et tortueuses manœuvres.
Richelieu lui envoya un premier avertissement en octobre, puis un second
au lendemain de Noël, le sommant de placer son armée sous le
commandement du maréchal de La Force et de s’éloigner de Nancy. En
janvier 1634, le duc abdiqua en faveur de son frère, le cardinal de Lorraine,
et partit se mettre au service de l’Espagne et de l’Empereur avec ses
derniers fidèles. Il deviendra capitaine général de la Franche-Comté.
Nicolas François monta à sa place sur le trône lorrain. Il renonça à la
pourpre et, comme il n’avait pas reçu le sacrement de l’ordre, se maria avec
sa cousine Claude, au vif mécontentement de Richelieu. La France, en effet,
songeait à l’annexion du duché. La naissance possible d’un héritier mâle
risquait de compromettre ce projet. Effrayés, le nouveau duc et sa jeune
épouse préférèrent fuir, vêtus en paysans. Ils gagnèrent Florence, où ils
filèrent le parfait amour…

La conquête de la Lorraine représentait un lourd échec pour l’Espagne,


qui craignait pour sa province voisine, la Franche-Comté. Pour conforter
ses positions, Olivares prit deux mesures. Durant l’été de 1633, il fit passer
en Allemagne deux puissantes armées, l’une de Catalogne, sous les ordres
du cardinal-Infant Ferdinand, archevêque de Tolède*5, frère de Philippe IV
et neveu de Ferdinand II, l’autre du Milanais, conduite par le duc de Feria
qui mourut durant cette marche. En dépit du traité de Cherasco, elles
empruntèrent le passage de la Valteline. Leur objectif était de venir à bout
de la résistance des Provinces-Unies, de peser sur le jeu des forces en
Allemagne, de s’assurer de la route d’Alsace et de chasser les Français de
Nancy. La seconde mesure fut la nomination du cardinal-Infant à la tête des
Pays-Bas espagnols en remplacement de l’Infante, morte le 1er décembre
1633 à soixante-sept ans. Avec la disparition de la fille de Philippe II, le
gouvernement des Pays-Bas espagnols perdit l’autonomie dont il avait joui
jusqu’alors. Les décisions de Madrid allaient prévaloir à Bruxelles.

Wallenstein joue et perd


La lassitude générale poussait le duc de Friedland au double, voire au
triple jeu. Telle fut ce qu’on a appelé la « conspiration de Wallenstein », qui
remodelait la carte de l’Allemagne à sa convenance : le duc de Bavière
serait dépossédé de ses territoires, la Poméranie cédée aux Suédois ; la
Bohême deviendrait indépendante et sa couronne, redevenue élective, lui
reviendrait (un de ses parents ne l’avait-il pas ceinte en 1458 ?)… Ce plan
mirifique fut exposé au marquis de Feuquières par un magnat tchèque, le
comte Kinsky, proche de l’électeur de Saxe et beau-frère du généralissime.
Il fut examiné à Saint-Germain-en-Laye au Conseil qui se tint le 16 juillet
1633. La France et la Suède étaient prêtes à le soutenir, à condition que
Wallenstein retournât son armée contre l’Empereur. Une aide d’un million
de livres lui était offerte. La Suède avait donné son accord.
Il fallait néanmoins se méfier des foucades de cet excentrique, de moins
en moins contrôlable, livré aux mages et aux astrologues. Le succès
l’égarait et sa présomption ne connaissait plus de limite. L’insatiable
condottiere, prêt à vendre ses services à quiconque, avait-il vraiment un
but ? Tout en reprenant les opérations militaires contre l’électeur de Saxe, il
lui avait fait des propositions visant à chasser de concert avec lui et
l’électeur de Brandebourg tous les étrangers de l’empire, Suédois,
Espagnols et Français. Tel était ce qu’on a appelé le « petit projet », celui
d’une paix allemande, fondée sur les libertés germaniques, à côté du
« grand projet », incluant la France et la Suède. Il n’avait pas oublié non
plus de prendre langue avec les Espagnols, leur marquant son intérêt pour le
Palatinat et leur laissant entendre que, faute de subsides pour son armée, il
ne pourrait les aider21. On se perdait dans l’imbroglio de ses intrigues. En
attendant, la guerre se poursuivait et les Suédois engrangeaient de nouvelles
victoires : la Bavière fut encore envahie par le général Gustave Horn et
Bernard de Saxe-Weimar. Ratisbonne, le siège de la Diète impériale, tomba
le 14 novembre.
Les deux principaux lieutenants de Wallenstein, les Italiens Matthias
Gallas et Ottavio Piccolomini, apportèrent à l’Empereur, qui n’en fut pas
surpris, la preuve de ses tractations avec les ennemis. En janvier 1634, le
généralissime n’avait-il pas exigé de ses colonels un serment d’allégeance
personnelle ? Cela laissait augurer un coup d’Etat. Ferdinand II prit la
décision de le destituer. Il désigna Piccolomini comme chef effectif de
l’armée, avec rang de feld-maréchal, sous le commandement nominal de
son fils, l’archiduc Ferdinand, et chargea Gallas, promu lieutenant général,
de prendre Wallenstein mort ou vif.
Voyant son armée se détacher de lui, ce dernier quitta brusquement ses
quartiers de Pilsen, en compagnie de quelques fidèles, et alla se réfugier à
Egra*6. Tous y furent assassinés par des officiers de la garnison, zélés
serviteurs de l’Empereur, dans la nuit du 24 au 25 janvier. Ainsi périt ce
singulier personnage, fastueux, grand guerrier, homme de culture raffiné,
mais brutal, tortueux, superstitieux, énigmatique et assurément hors du
commun, que Schiller devait mettre en scène de façon si grandiose dans sa
célèbre trilogie. Bourrelé de remords, se sentant responsable d’un assassinat
qu’il n’avait pas tout à fait commandité – un peu comme Louis XIII avec
Concini – le pieux Ferdinand II fit célébrer trois mille messes pour le repos
de son âme et celles de ses compagnons22.
Nördlingen
Dans ce contexte, la présence sur les terres espagnoles de l’héritier du
trône constituait pour le roi de France, incapable de contrôler ce frère
instable et déroutant, non seulement une atteinte à son prestige, mais une
menace. Il fallait une fois pour toutes faire cesser ce scandale en négociant
son retour. En attendant le verdict du Parlement au sujet de l’annulation de
son mariage avec Marguerite de Lorraine, Louis fit enregistrer le 18 janvier
1634 par lit de justice une déclaration accordant le pardon à Gaston et la
restitution de ses biens, à condition de revenir en France dans les trois mois.
Richelieu, de son côté, passant l’éponge sur la traîtrise de Puylaurens,
cet écervelé qui s’était parjuré en dissimulant le mariage de Monsieur,
acheta une nouvelle fois au prix fort sa collaboration, lui promettant la
puissance et la fortune d’un Grand : le gouvernement du Bourbonnais, avec
la capitainerie de Moulins, celui de la ville et citadelle de Châlons, une
gratification de 100 000 livres en espèces. De plus, il lui accordait la main
d’une de ses jeunes cousines, Mlle de Pontchâteau, et, en guise de dot, lui
proposait le duché-pairie d’Aiguillon.
Malgré ces avances, les négociations traînèrent en longueur. La pierre
d’achoppement restait le mariage, que Louis XIII n’admettait toujours pas :
il voulait que la princesse fût assignée à résidence à Blois, en attendant la
décision du Parlement. Gaston rejeta ce traitement humiliant. En mai 1634,
toujours à Bruxelles, il signa avec les Espagnols un nouveau traité, par
lequel il s’engageait à ne rien conclure avec son frère dans les trente mois,
sans le consentement formel de Philippe IV. En échange, ce dernier lui
versait une pension de 45 000 livres et mettait à sa disposition
15 000 hommes qui seraient opérationnels à la fin de septembre. De concert
avec un corps d’armée espagnol pénétrant par le sud, Monsieur entrerait en
France à leur tête. Une traîtrise de plus !
Après la mort de Wallenstein, l’armée impériale, remobilisée et dirigée
par l’archiduc Ferdinand, assisté de Piccolomini et Gallas, reprit l’offensive
et chassa Bernard de Saxe-Weimar de Ratisbonne. Quelques semaines plus
tard, en août, pour la première fois, les troupes espagnoles et impériales
firent leur jonction. Elles rencontrèrent le 6 septembre 1634, à Nördlingen,
près de Donauworth, les unités de la ligue de Heilbronn et d’Oxenstierna,
conduites par Gustave Horn et Bernard de Saxe-Weimar. La supériorité
numérique et tactique était désormais du côté des Hispano-impériaux, qui
s’étaient retranchés derrière les collines au sud de la ville. Avec les 15 000
recrues venues d’Italie, leurs effectifs s’élevaient à 33 000 hommes, contre
25 000 aux Suédois. Ces derniers subirent une terrible défaite :
12 000 morts, 4 000 prisonniers, dont le général Horn lui-même. Olivares
s’écria en jubilant : « C’est la plus belle victoire de nos temps ! »
C’en était fini, en tout cas, de la réputation de l’armée suédoise et de sa
prépondérance en Allemagne centrale. Du coup, les électeurs de Saxe et de
Brandebourg firent défection, déposèrent les armes et signèrent le
24 novembre avec l’Empereur les préliminaires de Pirna, suivis par une
majorité de villes ou de petits Etats protestants, le duché de Mecklembourg,
les villes libres de Nuremberg, Francfort, Erfurt, Strasbourg…
Ces préliminaires aboutirent le 30 mai 1635 à l’accord de Prague qui
imposait une paix de compromis, réaliste et pragmatique, habilement
exploitée par la maison d’Autriche, renvoyant aux calendes grecques l’édit
de Restitution, suspendu « pour quarante ans »… Le partage des biens
ecclésiastiques devait se faire suivant la situation en vigueur en
novembre 1627 et non plus en 1555. C’était une pause dans la reconquête
catholique. De plus, le culte protestant était reconnu dans l’empire. Pour
apaiser ses scrupules, Ferdinand II avait au préalable consulté une
commission de théologiens qui l’avait assuré que rien dans le texte n’était
incompatible avec la vraie foi. Sa décision fut saluée par le plus grand
nombre. Il était au zénith de sa puissance. Que de chemin parcouru depuis
la Défenestration de Prague ! La couronne de Bohême était devenue
héréditaire, les Etats de l’électeur palatin, ce félon, avaient été partagés
entre l’Autriche et la Bavière, alliée de l’Empereur, et son duc avait reçu la
dignité électorale. Si le Habsbourg n’avait pu revenir sur la division
religieuse de l’Allemagne, celle-ci ne représentait plus le même danger.
L’accord de Prague ne laissait de côté que les Suédois dépités et quelques
seigneurs allemands trop engagés, comme le condottiere Bernard de Saxe-
Weimar.

Faut-il attaquer ?
La bataille de Nördlingen constituait bien entendu un dur revers pour
Louis XIII et Richelieu, qui en conçurent une vive inquiétude. Après la
Montagne Blanche, ils avaient voulu contrebalancer l’ambition impériale en
apportant leur soutien aux princes protestants, aux Danois puis aux Suédois.
Pour bien montrer qu’ils ne défendaient pas que les réformés, ils avaient en
même temps cherché à constituer un tiers parti catholique, hostile à
l’autoritarisme viennois. Puis ils avaient espéré s’entendre avec Wallenstein
pour imposer une paix de compromis.
L’écrasante victoire du cardinal-Infant et du jeune roi de Bohême et de
Hongrie renversait la donne. La puissance coalisée des deux branches des
Habsbourg représentait une menace directe pour la France qui allait devoir
monter en première ligne. C’était bien entendu le vœu de son allié, le prince
d’Orange, stathouder de Hollande. En août 1634, l’infatigable baron de
Charnacé, dépêché par Richelieu, avait obtenu de lui, moyennant
renouvellement des subsides français, de ne signer aucune trêve avec
l’Espagne pendant au moins huit mois. On s’était gardé d’aller plus loin, en
dépit d’une proposition du prince d’un partage des Pays-Bas espagnols.
Louis XIII ne voulait toujours pas d’une guerre de conquête.
De leur côté, Oxenstierna et les derniers princes allemands en armes
poussaient aussi la France à s’engager davantage. Pour garantir les
« libertés germaniques », certains, comme Guillaume de Hesse-Cassel, se
demandaient s’il ne fallait pas élire empereur le Roi Très Chrétien. Quant
aux Espagnols, ils n’attendaient que la paix en Allemagne pour entraîner
Ferdinand II et l’empire à l’assaut des Provinces-Unies et du royaume des
lys, derniers pôles de résistance à la puissance habsbourgeoise reconstituée.
La mauvaise ceinture des places de la Somme pouvait-elle résister
longtemps au déferlement de leurs armées triomphantes qui, depuis
Nördlingen, volaient de succès en succès ? La sécurité de la France était
menacée. Un des meilleurs généraux allemands, l’implacable Jean de
Werth, nommé lieutenant feld-maréchal après sa brillante conduite à
Nördlingen, se vantait d’arriver à Paris en deux ou trois semaines et, pour
ajouter à la provocation, avait fait frapper des médailles représentant un
glaive tombant des nuées et tranchant le lys français…
La découverte du traité signé entre l’Espagne et le duc d’Orléans
provoqua la stupeur et l’indignation des Français, ajoutant à leur crainte
obsidionale de l’encerclement. Le 4 août 1634, Louis XIII envoyait à
Richelieu une lettre en dix points lui démontrant que la France ne pouvait
plus temporiser. Il ne fallait pas décevoir ses alliés, particulièrement les
Hollandais, travaillés par un parti favorable à la paix. La coalition
protestante menaçant ruine, elle risquait de se retrouver seule face à l’union
des deux Habsbourg. Du reste, poursuivait le roi, l’Espagne n’était pas aussi
puissante qu’on l’imaginait. Avec l’arrivée en Allemagne des troupes du
Milanais, l’Italie du Nord se trouvait dégarnie. Conclusion : elle pouvait,
elle devait attaquer… « On ne doit point douter que le projet des Espagnols
ne soit d’attaquer la France toutes fois et quantes qu’ils pourront, soit
ouvertement, soit en baillant des troupes et de l’argent à la reine, ma mère,
et mon frère ou à quelques malcontents du royaume […]. C’est pourquoi,
j’aimerais mieux les attaquer présentement que d’attendre qu’ils nous
attaquent. » Réflexions ultra-confidentielles, jetées à la hâte, loin de la belle
et concise rhétorique du cardinal, mais révélatrices de sa lucidité et de sa
détermination. « Ame qui vive ne les a vues, précisait-il. Excusez si elles ne
sont en bons termes, n’ayant jamais étudié en éloquence que dans l’armée et
parmi les soldats23. » Manifestement, le fils d’Henri IV ne rêvait que
d’enfourcher son cheval et de coiffer son casque à panache blanc. La
grandeur et l’honneur l’exigeaient !
Mais le cardinal, fidèle à sa ligne temporisatrice, calma son ardeur24. Il
fallait certes renforcer ses défenses, mais attendre, attendre encore, car le
pays n’était pas prêt militairement. D’où la nécessité de resserrer les liens
avec les alliés, de remonter leur moral, d’employer tous les moyens
possibles pour ramener l’Espagne à la paix, encourager les initiatives du
pape Urbain VIII en faveur d’un congrès général à Rome. A la fin de
décembre 1634, Richelieu reçut avec grande cordialité l’envoyé
extraordinaire de Sa Sainteté, Mazarin, et l’assura « qu’il ne souhaitait rien
de plus au monde que la paix et tout le Conseil d’Etat avec lui ». Deux mois
plus tard, il lui dit encore : « Le roi rejettera la rupture aussi longtemps que
possible. »

Le système des protections


Il reste que la situation devenait explosive. A la moindre étincelle, un
terrifiant incendie pouvait ravager l’Europe chrétienne, d’autant que la
France, avec un curieux mélange d’audace et de prudence, après avoir
longtemps considéré l’Italie comme son principal terrain d’action,
« glissait » vers le Rhin. Terre d’empire, divisée entre catholiques,
luthériens et calvinistes, l’Alsace formait une mosaïque de terres et de
seigneuries laïques ou ecclésiastiques aux statuts les plus divers. La majeure
partie du Sundgau et de la Haute-Alsace appartenait aux domaines
héréditaires du Habsbourg d’Autriche, qui pouvait y faire passer ses troupes
par leurs forteresses et le pont de Brisach, sur le Rhin. Celui-ci exerçait en
outre la préfecture de la Décapole, confédération de dix villes unies depuis
le XIVe siècle : Haguenau, Wissembourg, Landau, Sélestat, Obernai,
Rosheim, Colmar, Turckheim, Kaysersberg et Munster. A Haguenau,
capitale de cet ensemble, résidait le préfet impérial, le Landvot. L’évêché
protestant de Strasbourg étendait sa domination sur une partie de la Basse-
Alsace, tandis que celui de Bâle possédait de multiples seigneuries en
Haute-Alsace. Depuis 1515, Mulhouse était liée aux Cantons suisses…
Louis XIII ainsi que Richelieu avaient conscience de l’importance
géographique de la région, carrefour de routes vers la Champagne, la
Lorraine, le Bas-Palatinat, les Pays-Bas espagnols ou la Franche-Comté.
Les luttes d’influence y étaient grandes, entre les deux branches des
Habsbourg, entre le duc de Lorraine et les Suédois qui cherchaient à
s’étendre.
On se souvient que, dans son Avis au roi de janvier 1629, Richelieu
avait préconisé de « se fortifier à Metz et de s’avancer jusqu’à Strasbourg,
s’il [était] possible, pour acquérir une entrée en Allemagne ». Il tenait la
Haute-Alsace pour « une seconde Valteline ». Avec l’arrivée des troupes
espagnoles, il devenait urgent de raffermir les liens de la France et de
l’Alsace.
Dérivé de la notion médiévale de « garde », un concept juridique s’était
fait jour au XVIe siècle, celui de « protection » : un prince faible mettait sa
ville ou sa seigneurie sous la protection du roi, qui y installait une garnison
permanente, tout en conservant son indépendance, son statut politique et
économique, ses privilèges religieux, garantis dans des lettres de garde ou
de protection dont la durée était fixée. Se rattachant au système général des
clientèles, le lien personnel n’abolissait pas la hiérarchie féodale. En
principe, la ville protégée restait donc dans la dépendance de son suzerain.
Cependant, la notion de protection supportait plusieurs acceptions, avec des
graduations dans le degré d’autonomie laissée aux bénéficiaires. A la limite,
on entrait dans une tutelle « souveraine », notion qui pourrait correspondre
à celle de protectorat. Le prince, placé sous la « protection et obéissance »
du monarque, « son souverain seigneur », lui prêtait allégeance. Un
exemple de ce système était les Trois-Evêchés. Metz, ville d’empire dont
les habitants n’étaient pas français, était placée depuis le traité de
Chambord de 1522 sous la protection du roi de France. A partir de 1588,
son magistrat lui prêtait serment comme « souverain seigneur ». En 1606,
on ajouta le mot « obéissance » à celui de « protection25 ». En février 1632,
Louis XIII, de passage dans la ville, décida d’y créer une cour souveraine,
servant de cour d’appel pour les Trois-Evêchés. Allant plus loin, un édit de
janvier 1633 y institua un parlement, dont on vendit les offices. En
septembre de la même année, la gabelle fut introduite en pays messin :
c’était un pas de plus vers l’incorporation au royaume.
Sans aller jusqu’à ce stade, c’est ce système qui fut utilisé en Alsace et
en Allemagne rhénane, où l’on était affolé par les ravages des troupes en
déplacement, allemandes, espagnoles, lorraines ou suédoises. Des régions
entières étaient dévastées, affamées ; partout la typhoïde, la diphtérie
semaient la désolation ; on n’avait plus de médicaments, de farine, de bois
de chauffage, de fourrage. Dès 1632, on l’a vu, l’archevêque-électeur de
Trèves, évêque de Spire, l’un des sept électeurs de l’empire, avait autorisé
le roi de France à garantir sa sécurité en installant sur son territoire des
garnisons. L’année suivante, c’était au tour du comté de Montbéliard,
propriété de la maison de Wurtemberg, avec les seigneuries de Riquewihr et
de Horbourg, en Alsace, qui en dépendaient. Bouxwiller, Ingwiller et
Neuwiller suivirent. En janvier 1634, le comte de Salm, administrateur de
l’évêché de Strasbourg, confiait au maréchal de La Force les clés de la ville
impériale de Haguenau. En février, Saverne se faisait reconnaître un traité
identique. A la fin d’août, en accord avec la ligue de Heilbronn,
Philippsbourg, dans l’évêché de Spire, sur la rive droite du Rhin, était
remise au roi. En novembre, la protection de Louis XIII s’étendit à Thann,
rejointe l’année suivante par Landau, Wissembourg, Sélestat, Colmar,
Turckheim, Kaysersberg. Strasbourg, tout en conservant jalousement son
indépendance, finit par autoriser les troupes françaises à franchir son pont
sur le Rhin.

Monsieur rentre enfin


La débandade des Suédois à Nördlingen accéléra la réconciliation entre
les deux frères. Monsieur, en effet, fut profondément choqué par les
bruyantes réjouissances populaires qui saluèrent à Bruxelles cette victoire
habsbourgeoise. Un feu d’artifice où l’on voyait un aigle terrassant une
fleur de lys lui parut particulièrement insupportable. Pour la première fois,
la fibre patriotique parlait en lui, lui qui s’était si souvent fait manipuler par
l’Espagne. Il fallait profiter de ses bonnes dispositions malgré l’arrêt du
Parlement qui invalidait son mariage. Le 1er octobre 1634, une déclaration
royale signée à Ecouen lui donnait deux semaines pour accepter les
dernières propositions de paix et trois pour rejoindre la France.
Monsieur profita de l’offre, cette fois sans atermoiement ni arrière-
pensée. Il s’ennuyait à mourir à Bruxelles, dont il avait épuisé tous les
plaisirs. Il voulait retrouver ses châteaux, ses amis, ses habitudes. Le 8 au
petit matin, avec la complicité de Puylaurens, délaissant sa jeune épouse à
qui il ne souffla mot, il sortit de Bruxelles avec une trentaine de cavaliers,
annonçant qu’il allait chasser le renard en forêt de Soignes. Là,
subrepticement, il prit la route de La Capelle, la première place française à
la frontière, où il arriva vers 10 heures du soir après dix-huit heures de route
et un cheval crevé sous lui. Les voyageurs n’avaient rien mangé depuis la
veille. On ne les attendait pas. « Qui va là ? – Baron de Bec, cria-t-il au
gouverneur accouru sur le rempart, empêchez qu’on tire sur moi, je viens
ici avec les bonnes grâces du roi et sa permission ! » Une gravure de
l’époque représente cette scène insolite au clair de lune. De La Capelle,
Monsieur se rendit à Soissons.
Son retour fut salué comme celui de l’enfant prodigue. Les deux frères
se rencontrèrent à Saint-Germain le 21 octobre. « Monsieur, dit à Louis XIII
un Gaston fort ému et d’habitude plus loquace, je ne sais si c’est la crainte
ou la joie qui m’interdit la parole, mais il ne m’en reste à présent que pour
vous demander pardon de tout le passé. » Le roi s’avança, l’embrassa.
« Mon frère, je vous ai pardonné, ne parlons plus du passé mais de la joie
que je ressens très grande de vous revoir ici. » Les courtisans se félicitaient
de ces retrouvailles. On ne lésina pas sur les révérences et les compliments.
L’unité de la famille royale, c’était l’unité du royaume assurée ! Richelieu,
lui aussi, fut de la fête. « Mon frère, fit le roi, je vous prie d’aimer M. le
Cardinal. – Monsieur, je l’aimerai comme moi-même et suis résolu de
suivre ses conseils. » Louis et Armand Jean étaient sincères. En était-il de
même de l’instable Gaston ?
Pendant que celui-ci partait pour Blois, où il allait surveiller les travaux
de reconstruction d’une des ailes du château par François Mansart,
Richelieu chercha à circonvenir l’entourage de l’inconstant farfadet. Le
28 novembre, comme convenu, il donna la main de sa cousine, Mlle de
Pontchâteau, à Puylaurens, promu duc et pair. Le même jour, il mariait la
cadette au duc de La Valette et une troisième de ses parentes, Mlle du
Plessis-Chimay, à Antoine de Gramont, comte de Guiche.
Le Premier ministre comptait sur Puylaurens pour persuader Monsieur
de renoncer à son mariage. Mais Gaston, malgré ses frasques, aimait sa
petite Lorraine et ne céda pas. Y eut-il d’autres manigances ? Puylaurens et
ses complices poursuivirent-ils leur intelligence coupable avec Bruxelles ?
Ce n’est pas impossible. Si l’on en croit le nonce apostolique, un des
gentilshommes de Gaston, M. de Vieux-Pont, aurait projeté de tuer le roi, et
Puylaurens, au courant, n’aurait rien révélé. Le 14 février 1635, Louis XIII
prit prétexte d’un bal pour convoquer son frère au Louvre et faire arrêter
trois de ses conseillers intimes, Puylaurens, Du Fargis et Coudray-
Montpensier. Il expliqua son geste à Gaston : il ne s’agissait nullement des
fautes passées, qui étaient pardonnées, mais de nouvelles intrigues qui
auraient pu lui être dommageables. Monsieur feignit à peine la surprise et
convint que si cela était, il aurait été le premier à les châtier… Il
abandonnait donc ses amis à leur sort. Louis, satisfait, embrassa son frère.
Le nouveau duc d’Aiguillon ne supporta pas son régime carcéral.
Enfermé à Vincennes dans un cachot qui, dira Tallemant avec une féroce
ironie, valait « son pesant d’arsenic », il mourut quatre mois plus tard,
laissant une jeune veuve inconsolable. Richelieu, qui avait un sens poussé
des affaires familiales, racheta à cette dernière le duché d’Aiguillon et le
donna à sa nièce Mme de Combalet. C’était de la haute stratégie, un subtil
jeu de billard à donner le frisson. Le cardinal en effet caressait
probablement l’espoir que Gaston finirait par consentir à l’annulation de
son mariage et épouserait la nouvelle duchesse d’Aiguillon. Ainsi entrerait-
il, par personne interposée, dans la famille royale et si, par malheur, Sa
Majesté venait à décéder, non seulement il ne serait pas congédié dans
quelque évêché crotté, mais, devenu l’oncle de la reine de France, il
continuerait d’exercer son influence sur les affaires du royaume… Il reprit
en main la maison du prince, envoyant à la Bastille un dernier gêneur, son
aumônier, l’abbé de La Rivière, et nommant Chavigny surintendant de sa
maison et chef de son conseil.
L’affaire du « démariage » s’enlisait dans les méandres de la procédure
parlementaire et canonique26. Après l’arrêt du Parlement, le cardinal
Barberini avait protesté au nom du pape : le mariage étant un sacrement,
seule l’Eglise avait le pouvoir de juger, selon ses lois, de sa validité. Afin de
peser sur Rome, le Conseil demanda alors à l’assemblée générale du Clergé,
réunie à Paris en mai 1635, un avis secret. L’assemblée fut sensible à
l’argument selon lequel une union ne pouvait être valablement contractée
dans la famille royale sans le consentement du souverain. Telle était la
coutume de France. Elle rejoignit donc l’avis du Parlement et conclut à son
invalidation27. Sous la pression, le 16 août 1635, Monsieur signa à Rueil, en
présence de Son Eminence, un acte, demeuré lui aussi secret, par lequel il
reconnaissait la nullité de son mariage. Il restait encore une étape à
franchir : faire confirmer l’avis du clergé par une seconde sentence d’une
assemblée ecclésiastique – telle était la procédure – et éviter un dernier
appel au Saint-Siège. Dans ce but, Richelieu chargea l’évêque de
Montpellier de convaincre Urbain VIII. Mais c’était compter sans les
lenteurs pontificales…

*1. Laurence de Clermont de Montoison, qui avait épousé en troisièmes noces le connétable
Henri Ier de Montmorency.

*2. La famille d’origine florentine s’appelait en réalité Del Bene.

*3. « Profit casuel et éventuel provenant d’un marché, d’une charge, d’une affaire » (Littré).

*4. Schomberg mourut d’apoplexie un mois plus tard. Son fils lui succéda aussitôt.

*5. Bien que lui aussi ne fût pas prêtre.

*6. Aujourd’hui Cheb.


XIX
La grande épreuve

La guerre s’avance
Le 26 mars 1635, un corps d’armée espagnol pénétra par surprise dans
Trèves, massacra la garnison et enleva l’archevêque-électeur Philippe
Christophe de Soetern*1. Un casus belli ! Louis XIII, qui avait pris cette
principauté ecclésiastique sous sa protection, ne pouvait laisser sans
réponse pareil coup de force, menace pour les princes allemands et insolent
défi pour lui. Il y allait de sa crédibilité. Son inaction aurait été prise pour
un signe de faiblesse et aurait ruiné ses efforts en Allemagne. Le 31, il alla à
Rueil se concerter avec Richelieu. Au cours d’un Conseil extraordinaire
tenu le lendemain, tous les ministres furent d’avis de venger l’affront par les
armes1. Plusieurs réunions se succédèrent durant la semaine sainte et, le
jeudi saint, 5 avril, le Conseil arrêta sa décision définitive : ce serait la
guerre contre l’Espagne ! Le 16, Louis partit pour Compiègne avec la Cour.
Avant d’ouvrir les hostilités, il importait de s’assurer des alliés. On
s’empressa donc de ratifier le traité franco-hollandais de février, prévoyant
une alliance offensive et défensive. Si les habitants des Pays-Bas espagnols
souhaitaient former un Etat libre et neutre, on accéderait à leur demande,
sinon leur territoire serait partagé entre les deux contractants. Puis, on
s’efforça de boucler un accord avec l’épineux Oxenstierna, qui accepta de
venir à Compiègne négocier avec le roi, Richelieu et Bouthillier. La
convention fut signée le 28. Elle n’envisageait pas de déclaration de guerre
à l’Empereur, comme l’aurait souhaité le Suédois. Le cardinal, qui savait
que Ferdinand II convaincrait difficilement la Diète de se lancer dans un
conflit avec la France, voulait traiter différemment les deux branches des
Habsbourg et les séparer le plus possible. La Suède se voyait reconnaître le
droit d’occuper l’archevêché de Mayence et l’évêché de Worms, mais
s’engageait à maintenir le culte catholique dans les régions conquises. En
contrepartie, la ligue de Heilbronn et elle autorisaient Louis XIII à installer
des garnisons dans toutes les villes d’Alsace ainsi qu’à Brisach-en-Brisgau.
En même temps, Richelieu envoyait à Varsovie le comte d’Avaux, afin
d’obtenir de Ladislas IV une prorogation de la paix. L’accord fut scellé en
septembre : une trêve de vingt-six ans était accordée aux Suédois…
De son côté, le président Pomponne de Bellièvre partit pour l’Italie
négocier avec les princes italiens, notamment Victor Amédée de Savoie et
le duc de Parme. Les discussions aboutirent au traité de Rivoli, en
juillet 1635. Mais des pays comme la Sérénissime République, le duché de
Modène et le duché de Mantoue préférèrent rester en dehors de l’accord.
Quant à l’Angleterre, concentrée sur ses difficultés internes et inquiète de
voir Louis XIII lorgner sur les Pays-Bas espagnols, elle n’était nullement
disposée à le soutenir.
Richelieu ne s’engageait pas dans le conflit d’un cœur léger. Il
connaissait les scrupules religieux du roi, et lui-même, prêtre et cardinal
romain, n’en était pas exempt. Il savait qu’il ne pouvait pas y avoir de
guerre juste, même contre l’ennemi héréditaire, si l’on n’avait pas épuisé
toutes les voies de règlement diplomatique. Il fallait aussi prendre à témoin
l’opinion internationale. Parmi les interprètes suédois présents à
Compiègne, figurait le célèbre juriste Hugo Grotius, auteur en 1625 du
traité qui faisait autorité en la matière et qu’il avait dédié à Louis XIII, De
jure belli ac pacis (Du droit de la guerre et de la paix). Ses principes
servaient de références.
Une dernière tentative pour sauver la paix fut faite le 21 avril 1635. Ce
jour-là, le résident français à Bruxelles, le sieur d’Amontot, partait de
Compiègne avec des instructions démontrant le bon droit du roi de France à
défendre son client, l’électeur de Trèves, et demandant solennellement au
cardinal-Infant de le libérer. Le rejet de cet ultimatum, daté du 4 mai, arriva
le 6 à Péronne, où Louis XIII et Richelieu s’étaient transportés.
Manifestement, l’Espagne souhaitait la rupture. Elle rappela son
ambassadeur, qui partit de Paris le 5, sans solliciter la moindre audience de
congé. Puis elle fit saisir les vaisseaux de commerce français au mouillage
dans ses ports. En réponse, le 10, Louis donna l’ordre de séquestrer les
biens des Espagnols résidant en France. Alea jacta est !

La guerre, avec panache !


Le jeudi 16, Jean Gratiolet de Daubis, vêtu de son hoqueton violet
fleurdelisé et de sa toque de héraut d’armes de France au titre d’Alençon,
quitta au galop le village de Neufchâtel-sur-Aisne, porteur d’un message
officiel destiné au cardinal-Infant. Il prenait la route de Bruxelles
accompagné d’un trompette ordinaire du roi. Trois jours plus tard, le 19, à
9 heures du matin, les deux hommes arrivèrent devant la vieille porte de
Hal*2. Après avoir sonné la chamade, ils demandèrent audience au frère du
roi d’Espagne. Le texte du message qu’ils devaient lui remettre était le
suivant :
« Je viens vous trouver de la part du roi mon maître, mon unique et
souverain seigneur, pour vous dire que puisque vous n’avez pas voulu
rendre la liberté à Mgr l’archevêque de Trèves, électeur du Saint Empire,
qui s’était mis sous sa protection lorsqu’il ne la pouvait recevoir de
l’Empereur ni d’aucun autre prince et que, contre la dignité de l’empire et le
droit des gens, vous retenez prisonnier un prince souverain, contre lequel
vous n’avez point de guerre, Sa Majesté vous déclare qu’elle est résolue de
tirer raison par les armes de cette offense qui intéresse tous les princes de la
Chrétienté.
« Fait à Saint-Quentin le deuxième jour de mai seize cent trente-cinq.
(signé) Louis (et plus bas) Servien2. »
Le sergent-major de la ville fit attendre les visiteurs chez lui, place du
Sablon. Il effectua plusieurs allers et retours au palais royal, mais personne
ne voulut recevoir la déclaration. A 6 heures du soir, perdant patience,
refusant de quitter son habit chamarré et de remettre son caducée
fleurdelisé, comme on l’en avait prié, Jean Gratiolet sortit du logis de son
hôte et tendit vainement sa déclaration aux trois hérauts d’armes de Flandre,
Toison d’Or, Hainaut et Gueldre, venus à sa rencontre. Ceux-ci crièrent à la
foule rassemblée sur la place : « Que personne ne touche à ce papier ! »
Alors, l’émissaire du roi jeta le document à leurs pieds, remonta dignement
sur son cheval suivi du trompette et sortit de Bruxelles tête haute, toquée de
plumes. A la frontière, au village de Larouillies, sur le grand chemin
d’Avesnes à La Capelle, il attacha copie de sa déclaration à un poteau,
faisant de nouveau sonner la chamade. A bon entendeur, salut ! C’était la
dernière fois dans l’histoire de France que l’on déclarait la guerre comme
au temps du roi saint Louis…
Sa Majesté Louis Treizième du nom avait porté un soin attentif à
respecter les formes protocolaires traditionnelles, afin de bien montrer que
ce conflit défensif, dont il prenait l’initiative mais qui lui était imposé par la
seule perfidie de l’adversaire, était parfaitement légitime. L’enlèvement
d’un prince de l’Eglise, qui ne demandait qu’à vivre en paix, était non
seulement une agression flagrante, en violation du droit des gens et du droit
divin, mais une offense à sa dignité et à son honneur de monarque. Au nom
de la « liberté publique », il réagissait aux prétentions espagnoles de
monarchie universelle et d’asservissement des peuples. Le but de cette
guerre était « une paix honorable, sûre et durable ».
L’acte du héraut d’armes fut complété de plusieurs documents officiels :
La déclaration du Roy sur l’ouverture de la guerre contre le Roy
d’Espagne, contresignée du secrétaire d’Etat à la Guerre Abel Servien le
6 juin, enregistrée par le Parlement le 18 et diffusée dans le royaume ; la
Lettre du Roy escrite à Monseigneur le duc de Montbazon, pair et grand
veneur de France, gouverneur et lieutenant général pour le Roy de Paris et
Isle-de-France, contenant les justes causes que Sa Majesté a eues de
déclarer la guerre au Roy d’Espagne. A ces proclamations à usage interne
s’ajoutait un Manifeste contenant les justes causes que le roi a eues de
déclarer la guerre au roi d’Espagne, destiné à la Chrétienté. Dû au père
Joseph et à Claude Bouthillier, Richelieu y avait mis la dernière main. Une
estampe de Blondus largement diffusée représentait le roi, « vêtu à l’antique
et portant les attributs d’Hercule », foulant aux pieds les armes ennemies, et
le coq français toisant fièrement le lion espagnol3…

Les difficultés d’une campagne prématurée


Louis, fébrile, ne rêvait que de prendre la tête des troupes et de marcher
à l’ennemi. Il savait que le cardinal s’y opposerait, mais il ne tenait plus en
place. Le 3 juin, à une heure du matin, il lui écrivit : « Je vous avoue que je
suis dans un tel ennui que les jours me durent des mois ; je fais ce que je
puis pour me divertir, mais je n’en puis venir à bout4. » Il est vrai qu’il avait
eu quelques picoteries avec son favori, Saint-Simon. Le 5, Richelieu lui
répondit par un avis argumenté, rédigé à Château-Thierry. Il comprenait
bien que sa « mélancolie » venait de ce qu’il n’était pas à l’armée, mais il
savait aussi que l’humeur de Sa Majesté était « de s’inquiéter
extraordinairement » quand il y était. Bref, il devait réfléchir avant de
s’engager, songer à sa santé chancelante qui lui interdirait en cas de maladie
de vaquer aux affaires. Ses alliés en seraient découragés et ses ennemis
ragaillardis. Le lendemain, Louis se rangea à ces raisons5.
Le ministre n’ignorait pas que la présence du souverain à la tête des
armées stimulait l’ardeur des soldats. La prise de La Rochelle, le passage
des Alpes, la défaite des huguenots en Languedoc, la reddition sans coup
férir de Nancy en étaient des illustrations. Mais pour l’heure, des raisons
personnelles le poussaient à le retenir à Paris. Si Louis partait, il devrait le
suivre, ne fût-ce que pour prévenir les intrigues qui ne manqueraient pas de
pousser sous ses pas comme des champignons vénéneux. Or, il se sentait
mal en point, « l’expérience de trois maladies, se disculpait-il, m’ayant fait
connaître que le débordement de mon sang vient des travaux de mon
malheureux esprit et de l’ébranlement du plus faible et plus délicat corps
qui soit au monde » (lettre au roi du 16 juin6).
Sur le plan militaire, tous deux s’illusionnaient. La France ne pouvait
aligner qu’une cinquantaine de milliers d’hommes, soit à peu près autant
que l’Espagne, mais son commandement et son encadrement étaient
médiocres, nettement inférieurs à ceux de l’ennemi. Les fortifications des
villes et des places de guerre étaient partout en mauvais état. Le plus grave
est qu’à force d’avoir temporisé, on avait perdu une bonne partie des
positions acquises en Alsace et en Allemagne rhénane : Philippsbourg,
Trèves, Sierck, Coblence, Ehrenbreitstein, repris par les Impériaux…

Quatre théâtres d’opérations furent retenus : l’Escaut, avec les


maréchaux de Châtillon et de Maillé-Brézé, le Rhin avec le cardinal de La
Valette et le duc de Saxe-Weimar, l’Italie avec le maréchal de Créqui, enfin
la Valteline avec le duc de Rohan, l’ancien chef rebelle des protestants rallié
au roi.
La déclaration de guerre sitôt faite, les 20 000 hommes de Châtillon et
Maillé-Brézé s’avancèrent en pays liégeois, afin de rejoindre les troupes du
stathouder Frédéric Henri d’Orange-Nassau. Dès le 20 mai, aux Avins, au
sud de Huy, cette armée mit en déroute un corps espagnol aux ordres du
prince Thomas de Savoie, frère du duc Victor Amédée, qui avait choisi le
camp adverse. Les Espagnols déplorèrent 5 000 morts, 1 500 blessés, 600
prisonniers et la perte de 16 pièces d’artillerie. Cent drapeaux, treize
cornettes et trois guidons avaient été pris. La nouvelle de cette victoire fut
saluée à Paris par des explosions de joie. Louis XIII, alors à Château-
Thierry – c’était le jour de la Pentecôte –, fit chanter un Te Deum dans
l’église des Cordeliers et ordonna d’en faire autant dans toutes les églises de
France. La seule note discordante fut les larmes qu’Anne d’Autriche ne put
s’empêcher de verser en présence du roi, preuve qu’elle souhaitait la
victoire de son frère, le cardinal-Infant. Louis, furieux de ce comportement
qui ajoutait à ses soucis, saisit sur son bureau une brassée de papiers et les
jeta dans l’âtre : « Voilà, martelat-il, le feu de joie de la défaite des
Espagnols contre le gré de la reine ! » L’entente ni la confiance ne
régnaient.
Après leur jonction effectuée entre Maëstricht et Van Loo, les deux
armées alliées s’emparèrent sans difficulté de Tirlemont, dans le Limbourg,
qu’elles mirent à sac avec férocité. Mais, très vite, la situation se modifia.
Les troupes du roi, mal équipées, mal nourries, mal ravitaillées, souffraient
de la faim et du typhus. L’intendance ne suivait pas, faute de magasins et de
charrois. Dans les campagnes, les paysans wallons, pro-espagnols,
harcelaient les traînards, causant des désertions en grand nombre. Le moral
en berne, les Français s’arrêtèrent épuisés devant Louvain, qu’ils ne
parvinrent pas à prendre et dont ils levèrent le siège le 14 juillet. Leur
ardeur belliqueuse s’était calmée. Pis, ils n’étaient pas d’accord avec les
Hollandais sur la stratégie à adopter. Frédéric Henri, affligé de découvrir de
tels alliés, dont les carences sautaient aux yeux, fit rapatrier par voie
fluviale, puis par mer, les débris de l’armée de Châtillon et de Brézé, réduite
de moitié. Manifestement, la France était partie trop tôt…
Le roi et le cardinal furent atterrés. Ils voyaient le royaume affaibli,
confronté à de très sérieuses difficultés financières et sans force militaire
efficace. La désorganisation de l’armée venait en bonne partie du
comportement de la petite et moyenne noblesse, qui n’avait jamais servi et
se débandait à la première alerte. La convocation du ban et de l’arrière-ban,
antique institution médiévale, était un désastre. La leçon était cruelle. Des
ordonnances sévères furent prises contre les officiers qui s’absentaient sans
motif : ils étaient menacés de déchéance de leur grade, titres et armes.
« Aux extrêmes maux, écrivait le roi à Richelieu, il faut d’extrêmes
remèdes. » Mais la question du ravitaillement était essentielle. Dans la
correspondance qu’il échangea durant l’été avec le cardinal de La Valette,
chargé de faire sa jonction sur les bords du Rhin avec le duc de Saxe-
Weimar, le monarque insista tout particulièrement sur ce point7.
Louis dépêcha deux intendants en Champagne afin de réquisitionner
des sacs de blé et d’établir de nouveaux greniers à Metz et Nancy, en
complément de ceux de Marsal et de Moyenvic. Les Franco-Weimariens
guerroyèrent tout septembre autour de Mayence, sans grande conviction,
gênés par le mauvais temps. Offensives et contre-offensives se succédaient.
Le cardinal de La Valette dut bientôt battre en retraite. Cependant, près de
Handreheim, le maréchal de camp Turenne tomba, le 21, avec quelques
unités sur 4 000 cavaliers croates commandés par Colloredo et les mit en
déroute.
Pendant ce temps, la situation s’était dégradée sur le front lorrain, où
peinait le vieux maréchal de La Force – soixante-seize ans – face à un
Charles IV guilleret, servant dans les troupes de l’Empereur et dont la
popularité était restée très grande dans son duché. Louis XIII envoya en
renfort Du Hallier (le futur maréchal de L’Hospital), le duc d’Angoulême et
le prince de Condé. Ce dernier, avec sa cruauté habituelle, reprit aux
Lorrains la place de Boulay, fit pendre toute la garnison, puis partit pour
l’Allemagne, sans régler la situation.
A son habitude, Louis voulait avoir un œil sur tout et décider en maître.
Exaspéré par tant d’impréparation, il eut tôt fait d’en rendre responsable son
compère, le cardinal. Leurs relations se tendirent. Piaffant d’impatience, en
dépit d’une nouvelle crise intestinale, il se rendit sur place avec une armée
qu’il fit assembler à Saint-Dizier, confiant à son Premier ministre, fatigué et
souffrant d’hémorroïdes, le commandement de l’Ile-de-France, de la
Picardie et de la Normandie. Ragaillardi à l’idée de combattre, il ne
semblait avoir peur de rien, pas même de la foudre qui tomba sur son
carrosse, alors qu’il se trouvait dans les environs de Montceaux. Un valet
avait été blessé et le cocher, dont il avait pris la place, légèrement
incommodé. « Revenant ce soir de la chasse, mandait-il presque gaiement à
Richelieu, le tonnerre est tombé sur le derrière de ma brouette, moi étant
dedans qui la menais. Grâce au bon Dieu, je n’ai point eu de mal ; j’ai senti
seulement un peu de chaleur. […] Cela sentait si mauvais que Kérouël,
enseigne de mes gardes, a été contraint de jeter la casaque sur laquelle le
feu et la fumée avaient passé8. »
Avant même son arrivée sur le théâtre des opérations, il était averti de
l’état pitoyable de la troupe. Richelieu en prit à nouveau pour son grade :
« Mon cousin, lui mandait-il aigrement de Montceaux le 4 septembre, je
suis très fâché d’être contraint de vous écrire qu’il n’y a à Saint-Dizier ni
trésorier ni munitionnaire et que toute la troupe est sur le point de se
débander s’il n’y est pourvu promptement. Pour moi, sans cela, je n’oserais
y aller à cause des plaintes et des crieries que j’aurais de tout côté, ce à quoi
je ne pourrais remédier9. »
Louis essayait de pourvoir à tout, commandant aux commis des vivres
d’acheter du blé et des voitures avant l’arrivée des pluies, faisant convoyer
le pain au plus vite, mais la pénurie d’argent et de nourriture était extrême.
Le 20 septembre, enfin, il parvint à Saint-Dizier, accompagné du comte de
Soissons. Le 24, il coucha à Bar-le-Duc. Malgré l’absence quasi complète
d’artillerie (on ne disposait que de quatre canons), il décida aussitôt
d’entreprendre le siège de Saint-Mihiel, capitale du duché de Bar, dont le
pont sur la Meuse était stratégique. Le 27, il établit son camp aux Kœurs, au
sud de la ville, qui se rendit cinq jours plus tard.
Après ce petit succès, Louis, déçu de l’indiscipline et du piteux état de
ses troupes, décida de retourner à Saint-Dizier, puis de là à Saint-Germain-
en-Laye. Il n’avait pas remporté la victoire décisive qu’il escomptait. Il était
d’une humeur sombre. Les médecins durent le saigner. « Je ramène avec
moi les seize compagnies des gardes, écrivit-il à Richelieu, les quatre
suisses et mes chevau-légers et gendarmes, dont il n’y a plus que soixante-
dix à pied, le reste n’ayant que des bidets, leurs bons chevaux étant morts et
les Croates leur ayant pris, en revenant, tout leur bagage près de
Vaudrevanges. J’espère les remettre en état de servir. […] Je ne sais avec
quel visage j’aborderai à Paris, ayant fait si peu de chose10. » Il ne pouvait
être que victorieux ou malheureux !
On comprend dans ces conditions le pont d’or qu’il fit à Bernard de
Saxe-Weimar pour le prendre à son service. Ce remarquable général, habile
entrepreneur de guerre à la manière d’un Wallenstein, avait jusque-là servi
Mansfeld, Maurice de Nassau et surtout Gustave Adolphe, dont il était
devenu l’un des adjoints. Seul à posséder une cavalerie digne de ce nom, il
était à la recherche d’un commanditaire payant mieux qu’Oxenstierna.
Contre l’entretien en Allemagne d’une armée de 12 000 fantassins et 6 000
cavaliers, il obtint une aide annuelle de 1,6 million de rixdales jusqu’à la
conclusion de la paix, une pension de 150 000 livres, la suzeraineté sur le
landgraviat de Haute-Alsace ainsi que le bailliage de Haguenau ; c’était
quatre fois plus que n’en offraient les Suédois ! Quelques mois plus tard, il
vint en France, où il fut reçu comme un souverain par Louis XIII et
Richelieu, d’abord à Saint-Germain, puis à Chantilly et à Paris. Ceux-ci
discutèrent longuement stratégie avec lui. On raconte qu’un jour,
l’incorrigible père Joseph se mêlant de lui indiquer péremptoirement sur
une grande carte d’Allemagne les places à emporter, il lui rétorqua avec
ironie : « Votre doigt ne vaut pas un pont ! »
Pour l’heure, ces dispositions ne remédiaient pas au drame de la
malheureuse Lorraine, épuisée par les mouvements incessants de troupes et
de bandes armées, semant la terreur, saccageant les récoltes, rançonnant,
torturant, mutilant les habitants. C’est ainsi que des soudards, en majorité
« cravates », c’est-à-dire croates*3, ravagèrent et incendièrent le village de
Saint-Nicolas-de-Port, violant les femmes, tuant les enfants, brûlant vifs les
vieillards, sabrant jusqu’aux prêtres en train de dire la messe. Ce n’était
qu’un exemple parmi d’autres. Le siège de Briey, quelques semaines plus
tard, se termina par de semblables atrocités. Partout les localités meurtries,
mises à feu et à sang par la soldatesque de Gallas ou de Jean de Werth,
offraient un spectacle de fin du monde. Les épidémies suivaient de peu :
typhus, peste, dysenterie. La famine poussait à déterrer les cadavres
fraîchement ensevelis. Si l’on en croit les Mémoires du marquis de
Beauvau, on vit des femmes affamées manger leurs propres enfants.

Après une première tentative en mai 1635, les Espagnols avaient


débarqué en septembre aux îles de Lérins, au large du port de pêche de
Cannes et du gros canon de la pointe de la Croix*4. Ils en avaient chassé la
garnison, vite désarmée : le calibre de ses balles ne correspondait pas à
celui de ses mousquets ! Vingt-trois galères de combat, cinq brigantins,
trente barques à fond plat, trois mille soldats et deux canons avaient eu
raison de la défense des îles. Les régiments de Vitry et de Maillane, aidés de
la milice provençale, s’étaient révélés incapables de les reprendre11. En
Italie, cela n’allait guère mieux. Victor Amédée de Savoie et Créqui avaient
pris deux ou trois villes sans importance dans la plaine du Milanais, mais
avaient dû s’arrêter devant Valenza. Seule note positive au tableau, le duc
de Rohan, avec sept régiments et quatre escadrons, avait gardé les passages
des Grisons et de la Valteline et fortifié les points clés, battant tour à tour les
Espagnols et les Impériaux, venus s’aventurer dans les parages. Ainsi avait-
il empêché Olivares d’envoyer des renforts en Allemagne.

La réorganisation des armées


Il fallait remédier aux multiples défaillances de la campagne bâclée de
1635. Richelieu s’y attela au cours de l’hiver. Malgré l’âge – il avait
cinquante ans, âge certain à l’époque –, malgré sa mauvaise santé, il mit
toute son énergie à lever de nouvelles unités, à trouver de bonnes recrues, à
les armer, les équiper, les payer, les nourrir. Tâche immense nécessitant une
attention et un labeur constants, jour et nuit. C’est à cette époque que
François Sublet de Noyers remplaça Abel Servien au secrétariat d’Etat à la
Guerre. Aidé de ce commis fidèle et méticuleux, il parvint au printemps de
1636, à constituer une armée de 170 000 fantassins et 21 000 cavaliers,
répartis en onze corps. Ce n’était, à vrai dire, que chiffres sur le papier. Les
effectifs réels étaient bien moindres et le soutien logistique, encore très
insuffisant.
L’armée restait marquée par la vénalité des charges, qui était loin, on
s’en doute, d’assurer un recrutement de qualité. Le roi vendait aux nobles
des brevets de colonel. Ils recrutaient eux-mêmes les officiers de leur
régiment, généralement choisis parmi les natifs de leur région. Les
capitaines se voyaient allouer des fonds pour le recrutement et l’équipement
de leur compagnie. La solde leur était versée lors des contrôles ou
« montres » qui se faisaient épisodiquement. Un commissaire dressait la
liste nominative des présents et faisait signer l’officier les commandant. La
Bibliothèque nationale de France conserve plusieurs registres de ces
documents sur parchemin. Ces contrôles peu efficaces favorisaient les
passe-volants, ces soldats fictifs déjà évoqués. Pour la fourniture des vivres
et du fourrage, le secrétariat d’Etat à la Guerre passait des marchés avec des
munitionnaires, riches courtiers intégrés aux réseaux financiers. Par esprit
de lucre, ceux-ci remplissaient irrégulièrement leurs contrats, si bien que les
chariots d’approvisionnement prévus manquaient souvent. Dans l’urgence,
le soldat se rattrapait en pillant les fermes environnantes. Faute de moyens,
on vivait dans l’improvisation. Il n’y avait pas de service de santé. Les
blessés, les malades, rarement secourus, mouraient en plus grand nombre
que les soldats au cours des engagements. Louis XIII en était fort soucieux ;
c’est pourquoi il créa le premier hôpital militaire en 1639. Les campagnes
duraient en général six mois ; les six autres étaient occupés à hiverner. Mais
comme il n’y avait pas de caserne, il fallait soit licencier les unités, soit les
répartir chez l’habitant dans de très vastes zones, ce qui entraînait quantité
de violences dont pâtissaient les populations.
Quant à la marine, les gros efforts entrepris par Richelieu depuis sa
nomination de grand maître et surintendant de la navigation étaient certes
appréciables – on partait de presque rien –, mais la situation était loin d’être
parfaite. La flotte du Ponant ne se composait que d’une quarantaine de
navires. Les vaisseaux étaient de toutes tailles, des légères « hirondelles »
ou des frêles « dragons », contraints à ne pas trop s’éloigner des côtes, aux
quelques vaisseaux de ligne plus lourds achetés aux Hollandais, seuls en
état d’affronter la haute mer. En Provence, Toulon servait de port d’attache
à une vingtaine de galères destinées à combattre les incursions des
Barbaresques. Cette flotte était mal équipée. « Il n’y a en Provence ni
poudre ni salpêtre, se lamentait le lieutenant général des galères, le bailli de
Forbin, et la chiourme se compose d’un misérable rebut de galériens
harassés, malades et nus. »

Le Roi Catholique n’éprouvait pas moins de difficultés à mobiliser,


malgré la longue tradition militaire de son pays. Certaines provinces
contestaient l’effort de guerre ou refusaient de s’y associer, comme la
Navarre, l’Aragon, la Catalogne. Quant à l’indocile Portugal, il en avait
profité pour réclamer son indépendance. Le Trésor accusait un grave déficit,
les arrivages de métaux précieux se raréfiant en raison des raids des
corsaires hollandais contre les convois de galions. De 1631 à 1640, les
entrées annuelles s’établissaient en moyenne à 3,34 millions de pesos contre
5,2 millions durant la décennie 1621-1630. Les nouveaux impôts sur la
consommation, dont un équivalant à la gabelle française, étaient aussi
impopulaires qu’au-delà des Pyrénées. Les autres mesures – ventes
d’offices, réductions des rentes et emprunts auprès des banquiers génois –
n’étaient que des expédients insuffisants, renouvelés périodiquement. La
banqueroute menaçait. L’économie s’anémiait, générant des masses de
miséreux et de vagabonds. Plus grave était la crise démographique qui
s’était accélérée depuis la mort de Philippe II. En quelques décennies,
Tolède, Ségovie ou Valladolid avaient perdu plus de la moitié de leur
population. Les troupes n’étaient pas homogènes ni d’égale valeur. Si les
natifs d’Espagne étaient incorporés dans l’infanterie d’élite, les tercios, les
Flamands, les Belges et surtout les Napolitains servaient dans des unités
d’appoint peu sûres. La marine, orgueil de Philippe III, périclitait, avec des
navires vieillissants et des matelots de moins en moins zélés.
Bref, derrière une façade qui faisait encore illusion et semblait
prolonger son âge d’or, l’Espagne se craquelait inexorablement, alors que la
France, en pitoyable état, se dirigeait vers la grandeur louis-quatorzienne.
Leur route se croisait. Comme un fier capitaine sur le gaillard d’arrière d’un
lourd vaisseau qui lentement prenait l’eau, Olivares, non moins actif et
travailleur que son homologue Richelieu, insomniaque et surmené comme
lui, attendait, avec une étrange inconscience et une forte dose d’illusion
l’inéluctable triomphe de son pays si chargé de gloire et à qui Dieu, il n’en
doutait pas, avait confié la mission de faire triompher la foi catholique dans
le monde12.

La tragédie de Corbie
Selon un curé franc-comtois, le roi devait prendre garde à lui jusqu’au
onzième du mois de mai. Le cardinal était plongé dans les affres de
l’angoisse, se souvenant des avertissements qui avaient précédé l’assassinat
du roi Henri. Qu’adviendrait-il si Louis XIII venait à disparaître dans cette
conjoncture si fragile ? Le monarque fut suffisamment alarmé pour annoter
ainsi la dépêche qui l’en avertissait : « La Pentecôte est le onzième, auquel
jour je touche les malades. Je ne sais si, ce jour-là, parmi tous ces gueux, il
ne se mettrait point quelqu’un qui eût mauvais dessein contre moi, et s’il ne
serait point à propos de remettre le touchement des malades jusques à la mi-
août. Toutefois, j’en userai comme vous le jugerez à propos. » Finalement,
le toucher des écrouelles fut remis à la Notre-Dame d’août, sous prétexte
que la peste sévissait en Ile-de-France…

La campagne de 1636 commença comme l’année précédente par une


bonne nouvelle : la prise par les alliés hollandais du fort de Schenk, occupé
par les Espagnols. Mais elle n’allait pas tarder à tourner au tragique…
Le 29 mai 1636, s’avançant en territoire franc-comtois, le prince de Condé
assiégea Dole, occupé par une bonne garnison espagnole qui refusa de se
rendre, malgré la peste, l’absence de vivres – comme à La Rochelle, on
mangeait chiens, chats et rats ! – et les bombes de 250 livres tirées par
l’artillerie de La Meilleraye. M. Le Prince, découragé, menacé par une
armée de secours ennemie qui harcelait ses quartiers, leva le camp et se
replia sur Saint-Jean-de-Losne. C’était le 15 août.
L’empereur, se considérant comme agressé – la Franche-Comté, pays
neutre depuis le traité de Cateau-Cambrésis de 1559 et la paix de Vervins de
1598, était terre d’empire (elle faisait partie du cercle de Bourgogne) –,
déclara la guerre au roi de France. N’étant pas parvenu à convaincre la
Diète, il le faisait à titre personnel. Sans le suivre formellement, les
Electeurs exigeaient l’abandon de toutes les positions françaises en Alsace
et en Lorraine, y compris les Trois-Evêchés. Un coup rude pour la
diplomatie de Richelieu, attachée à faire de Louis XIII le protecteur des
libertés germaniques.
Au début de l’été de 1636, une puissante armée de 19 000 fantassins,
18 000 cavaliers et 40 canons, avec à sa tête le prince Thomas de Savoie,
Piccolomini et Jean de Werth, fit sa concentration du côté de Valenciennes.
Elle était composée d’Espagnols, d’Allemands, de Polonais, de Hongrois,
de Wallons, d’Italiens, de Croates et de Lorrains. Il était convenu que le
cardinal-Infant attaquerait en Picardie pendant que Gallas et Charles IV
débarrasseraient la Franche-Comté des derniers Français.
Le 2 juillet, le cardinal-Infant investissait La Capelle. Le commandant
de la place, le marquis de Vardes, s’affola et capitula. Prompte à célébrer les
victoires, la Gazette minimisa ce premier revers. Il fallait, comme le disait
Richelieu, « rassurer le bourgeois ». Guise, assiégé à son tour, supporta
mieux le choc. Guébriant réussit à contenir les ennemis et à les rejeter vers
Le Catelet. Mais le gouverneur de cette dernière place, Etienne de Saint-
Simon, baron de Saint-Léger, oncle du favori du roi, se rendit après un
simulacre de résistance.
A Paris, l’opinion commençait à s’inquiéter. Le comte de Soissons
dirigeait l’armée de Picardie : elle manquait d’artillerie, de poudre et de
mèche ; ses effectifs réels ne dépassaient pas 6 200 hommes, cavalerie
comprise, au lieu des 12 000 prévus. De La Fère, il fit mouvement vers
Bray-sur-Somme, à l’ouest de Péronne, de façon à empêcher les Germano-
Espagnols de franchir la Somme. Las, Bray fut pris et incendié par
Fuensaldaña le 1er août et le fleuve, franchi le 4 au moyen de ponts de
bateaux. Roye et Montdidier, assiégés à leur tour, capitulèrent deux jours
plus tard. Le comte de Soissons, conformément aux ordres reçus, se replia
sur Noyon et Compiègne.
Le 7 août, le siège fut mis devant Corbie. Cette fois, la situation
devenait très grave. Si Corbie tombait, seule l’Oise en basses eaux restait à
franchir avant Paris. La ville, bien pourvue en vivres et munitions, pouvait
tenir. Son gouverneur, le marquis de Mailly, avait d’ailleurs reçu des
renforts du comte de Soyecourt, lieutenant général de Picardie. Mais celui-
ci, peu après, sans avoir subi le moindre assaut, prit sur lui de négocier et de
signer la capitulation, en échange de sa liberté. Le lendemain 15, l’ennemi
pénétrait en ville. La dernière ligne de défense s’effondrait donc. Désastre
aux conséquences incalculables ! Paris n’était plus qu’à deux jours de
marche de la puissante armée hispanoimpériale.
Tout allait mal. En Lorraine, Jean de Werth, balayant la résistance
française, s’avançait dans la plaine champenoise. Ses redoutables avant-
gardes croates, qui semaient partout l’épouvante, avaient été aperçues dans
les environs de Compiègne et de Pontoise, à huit lieues de Paris. En
Picardie, la situation était désespérée. Amiens résistait, mais pour combien
de temps ? Le comte de Soissons avait replié son armée. Des artificiers
détruisaient systématiquement les ponts sur les rivières du nord de l’Ile-de-
France. Les moulins étaient mis hors d’état, de façon à gêner
l’approvisionnement en farine de l’ennemi.

Branle-bas de combat !
A l’annonce de la chute de Corbie, la panique s’empara de l’Ile-de-
France. Coches, litières et carrosses bondés, charrettes chargées de meubles
et de ballots, miséreux portant leurs enfants dans des hottes, bestiaux en
grand nombre encombraient les routes et refluaient dans un désordre
inimaginable vers la capitale qui à son tour se vidait de ses habitants. On
faisait des réserves de vivres. C’était l’exode. Le sauve-qui-peut n’était sans
doute pas général, mais les familles aisées essayaient de gagner Orléans,
Chartres ou Tours par carrossées entières. Consterné par la situation qui
prenait l’ampleur d’une tragédie nationale, le parlement de Paris fut prompt
à s’en prendre à Richelieu, responsable de l’état exécrable des places de
Picardie : il était à nouveau le bouc-émissaire. On manquait d’argent ? Il
n’y avait qu’à se rendre dans les villes fortes de Son Eminence, à Brouage
ou au Havre, pour en trouver ! L’opinion lui emboîtait le pas.
Au milieu de cette tempête défaitiste, un homme seul, refusant de céder
à la panique, faisait face : le roi ! C’était toujours dans les moments de crise
paroxystique qu’il révélait le mieux son caractère d’airain. Il n’y avait plus
d’armée pour défendre Paris ? On en créerait une ! Et de lancer un appel à
la mobilisation générale : la patrie était en danger ! Le 5 août, à 5 heures du
soir, dans la Grande Galerie du Louvre, les corps de métiers, des plus riches
aux plus pauvres – passementiers, bouchers, bourreliers, selliers,
savetiers… –, défilèrent et tombèrent à ses pieds, embrassèrent ses genoux.
La mystique royale jouait à merveille et resserrait les liens de la nation
troublée. L’Oint du Seigneur, le père de ses peuples, était l’ultime recours.
Louis en profita pour multiplier les ordonnances. Tous les corps
constitués étaient sollicités, Parlement, Chambre des comptes, Cour des
aides, Grand Conseil, sans oublier les trésoriers de France, les Six-Corps
des marchands et artisans de Paris. Les abbayes et monastères étaient
frappés d’une taxe exceptionnelle. Les hommes sans emploi en âge de
porter les armes étaient priés de rejoindre l’armée que constituait le
populaire maréchal de La Force. Le bureau de recrutement se tenait place
de Grève, face à l’Hôtel de Ville. Il suffisait de taper dans la main du vieux
chef : « Ouy, Monsieur le maréchal, nous voulons aller avec vous ! » Le ban
et l’arrière-ban des gentilshommes de l’Ile-de-France étaient convoqués à
Saint-Denis. Chacun devait venir avec son équipement. C’était la levée en
masse. Les chevaux étaient réquisitionnés, à l’exception de ceux des
laboureurs : chaque carrosse devait céder un cheval et un valet. Maçons et
tailleurs de pierre étaient embauchés aux fortifications*5. Les bourgs et
villages des environs étaient priés de fournir un tiers de leurs habitants à ce
travail. L’économie de guerre tournait à plein, et pas seulement en région
parisienne. Les manufactures d’armes étaient sollicitées à Lyon et dans les
Ardennes pour livrer des mousquets à l’Arsenal, à l’abbaye de Saint-
Martin-des-Champs ou à l’hôtel de Richelieu. Les barils de poudre
affluaient vers Paris, tout comme les sacs de blé… Une fourmilière se
mettait en mouvement. Louis parcourait à cheval les rues de la capitale, et
les passants l’apostrophaient comme ils l’auraient fait avec le feu roi.
Pour avoir voulu installer à l’Hôtel de Ville une commission de douze
magistrats chargée de superviser cette mobilisation, le Parlement se fit
vertement rabrouer : « Ce n’est point à vous, leur dit Louis, de vous mêler
des affaires de mon Etat […]. Je ne souffrirai en aucune façon de continuer
votre délibération et d’entreprendre d’être mes tuteurs en vous mêlant des
affaires de l’Etat. » Et, afin de bien montrer qu’il était solidaire du cardinal,
il s’écria : « Si on a envoyé quelque chose au Havre, ç’a été par mon
ordre ! » Cet engagement personnel du roi, qui en imposait par son courage
et sa détermination, fit rapidement taire les récriminations et suscita un
gigantesque élan d’enthousiasme et de patriotisme. Les bourses se déliaient.
Richelieu, le garde des Sceaux Séguier, Claude de Bullion et Claude
Bouthillier, surintendants des Finances, les membres du Parlement, les
communautés religieuses, les fabriques, les corporations rivalisaient de
générosité. On fondait la vaisselle d’or pour en faire de bons louis et de
bonnes pistoles. L’Arsenal, les hôtels particuliers, les cours, les cloîtres, les
salles, les étables, les bûchers étaient emplis d’armes et de munitions. Les
nouveaux enrôlés s’entraînaient sous la conduite des gens de guerre. Les
tambours battaient dès le matin. Soixante-douze compagnies furent ainsi
mises sur pied. De grands convois de vivres, d’Etampes ou de Montlhéry,
convergeaient vers la capitale. On comptait près de 10 000 seigneurs en
armes et 3 000 fantassins. Oubliant ses connivences passées avec les
Espagnols, Gaston lui-même vint d’Orléans avec 4 000 fantassins et 800
gentilshommes à cheval, levés dans les villes et campagnes de son apanage.
Sans désemparer, le roi inspecta le quartier général de La Force à Senlis,
puis tint le 17 août à Pont-Sainte-Maxence un conseil de guerre auquel
participèrent le comte de Soissons et le vénérable maréchal. Tous les deux
jours, il faisait le tour du camp, surveillant la tenue des corps de garde, la
fermeture de la ligne de contrevallation, l’acheminement des ponts de
bateau, le pain qui était « très mauvais » et qu’il fallait remplacer… S’il
n’avait été roi, il eût été maréchal de camp ou de bataille ! Malgré l’effort
entrepris, il n’était qu’à demi rassuré. La qualité des recrues était loin d’être
excellente. Il constatait d’autres carences : « Beaufort, qui fait travailler aux
gués depuis Creil jusqu’aux marais de Réaumont, parle beaucoup et
travaille peu, écrivait-il le 19 août à Richelieu. M. de Laffemas en fait
autant. J’ai trouvé deux des meilleurs gués où on n’avait fait aucune chose,
lesquels seront rompus ce soir. » Il fallait se méfier des saboteurs, infiltrés
dans les rangs. Quatre fois de suite, des inconnus avaient mis le feu à son
quartier.
Pendant ce temps, le cardinal se calfeutrait dans la belle résidence de
Chaillot que lui avait prêtée le maréchal de Bassompierre. Ses nerfs étaient
sur le point de lâcher. Malade, surchargé d’affaires, en butte à l’hostilité
générale, craignant d’être assassiné, il parlait à nouveau de démission et de
retraite, sa tentation permanente. Il était d’avis de replier l’armée derrière la
Loire. Des ministres lui emboîtaient le pas. D’autres préconisaient de se
barricader derrière les murailles de Paris. « Cet avis n’est pas le mien, fit le
roi. Des remèdes faibles n’en sont pas à un mal pressant. » Non, il fallait
marcher à l’ennemi ! Ce fut lui qui remonta le moral de son Premier
ministre. Il lui conseilla de se montrer à la foule, de se promener dans la
capitale, comme lui-même. Richelieu, qui ne manquait pas de courage,
essaya la recette. Elle fut couronnée de succès. L’Eminence, le visage
cireux, sortit en carrosse sans garde ni escorte et fut à son tour acclamée.
C’est à ce moment-là sans doute qu’une fêlure, encore imperceptible, se
produisit dans leurs relations. Louis avait considéré le cardinal comme un
être d’exception, certes difficile à supporter tous les jours en raison de son
tempérament impérieux, mais au génie fulgurant, au charisme étonnant.
D’avoir constaté et mesuré sa défaillance l’avait éclairé sur les travers du
personnage, son obsession policière, sa vanité, son goût du luxe et de
l’ostentation. Il se mit à douter de son infaillibilité. Descendu de son
piédestal, Armand Jean, cessant d’être un surhomme, pouvait supporter la
critique…
En attendant, il fallait jeter des coupables à la vindicte populaire.
Louis XIII fit traduire en justice, pour crime de « lèse-majesté, perfidie et
lâcheté », Vardes et Saint-Léger, les gouverneurs de La Capelle et du
Catelet qui s’étaient enfuis en Angleterre. Un conseil de guerre les déchut
de leur noblesse et les condamna par contumace à l’écartèlement. Ils furent
exécutés en effigies. Il en fut de même un peu plus tard de Soyecourt qui,
en abandonnant si piteusement Corbie, avait ouvert la route à l’invasion.
Lui aussi avait traversé la Manche.
Enfin, le 1er septembre, Louis quitta Paris sous les vivats pour prendre
le commandement des troupes et lancer la contre-offensive. Trois jours plus
tard, il fut rejoint à Chantilly par Richelieu. Sur le conseil de ce dernier,
soucieux de montrer à l’opinion un front familial uni (à l’exception, bien
entendu, de la reine mère), il avait nommé pour la forme son frère
lieutenant général de l’armée de Picardie, assisté du comte de Soissons
comme chef de la cavalerie, et avait remis la régence à Anne d’Autriche.
Les agents du cardinal, dont le fidèle Chavigny, étaient chargés de les
surveiller. Richelieu n’avait d’ailleurs pas tort d’être vigilant. Un émissaire
secret du prince Thomas de Savoie avait approché Gaston et lui avait fait
d’alléchantes propositions s’il changeait de camp. Orléans avait dédaigné
cette offre. En serait-il de même à l’avenir ? Sans doute pas.

La contre-offensive française
Il est probable que si les Espagnols, emportés dans leur élan, avaient
poursuivi leur offensive jusque sous les murs de Paris, ils n’auraient
rencontré qu’une résistance limitée. Mais, après avoir franchi l’Oise, ils se
divisèrent sur la stratégie à suivre. Si l’impétueux Jean de Werth, informé
par ses éclaireurs, était partisan d’aller de l’avant, Thomas de Savoie et
Piccolomini, plus prudents, craignaient les conséquences d’un long siège.
Déjà, les lignes de communication s’étiraient ; le fourrage et les vivres
manquaient. Quand il eut la certitude que les Hollandais s’apprêtaient à
lancer une attaque sur Bruxelles et Breda, le cardinal-Infant décida de
replier son armée vers ses campements des Pays-Bas espagnols, en laissant
quelques garnisons dans les places conquises. « C’est un coup de Dieu ! »
s’exclama Richelieu, redevenu optimiste. Louis XIII le constatait : les
paysans picards repassaient l’Oise avec femmes, enfants, chariots et
bestiaux.
Cette brusque retraite favorisa la contre-offensive française. Le
18 septembre, prenant à cœur son rôle de chef de guerre, Monsieur
s’empara de Roye, où une poignée d’Espagnols veillaient sur d’importantes
réserves de grains. Il s’avança ensuite vers Péronne et Corbie. Louis en
conçut-il de la jalousie ? Toujours est-il qu’il lui reprocha sèchement
d’avoir autorisé la garnison de Roye à sortir avec armes et bagages. Il lui en
voulait de son manque « de vigueur envers des gens qui ne pouvaient et ne
devaient pas tenir devant une si grande armée13 ».
Gaston était inexpérimenté. A Péronne, alors qu’il ne devait laisser
aucun répit aux Germano-Espagnols en retraite, il commença à flancher
devant le manque de vivres et de fourrage. Le monarque, avec le sentiment
de ne pouvoir compter sur personne, décida de reprendre les choses en
main. Le 2 octobre, à Amiens, un conseil de guerre résolut d’entreprendre le
siège de Corbie, malgré la saison et l’avis contraire d’un bon nombre
d’officiers généraux. Seuls le roi, le cardinal, le maréchal de Châtillon,
grand spécialiste des sièges, et un mestre de camp avaient été d’avis
d’attaquer en force.
La place, tenue par le comte de Fuensaldaña, était défendue par 37
compagnies d’infanterie, soit environ 3 000 hommes, et trois compagnies
de cavalerie, représentant 250 hommes, tous vétérans aguerris. Il fallait se
méfier des partis ennemis qui battaient encore la campagne : près de
Querrieu, un détachement de Jean de Werth s’était subrepticement emparé
d’un campement français.
Louis, installé à deux lieues de Corbie et ne déléguant à son frère que la
conduite des travaux de siège, reprit ses longues chevauchées, galopant
sous la pluie battante à travers champs inondés et fossés fangeux. Le 9, il
passa douze heures en reconnaissance du côté de Bapaume et d’Arras, à la
recherche d’un champ de bataille. Ce jour-là, le conseil de guerre se tint le
cul sur la selle, en présence du comte de Soissons, des ducs d’Angoulême et
de Beaufort, du maréchal de La Force et de Du Hallier. Le 14, le roi décida
de faire construire trois nouveaux ponts de bateaux, de façon à relier les
différents quartiers de l’armée. Il y avait alors 18 000 fantassins et 5 000
cavaliers français sous les murs de la place. Mais les deux camps étaient
très affectés par le manque de ravitaillement, le typhus et le paludisme.
L’affaire d’Amiens
Pendant ce temps, un nouveau complot contre Richelieu avait été
fomenté par le comte de Soissons, mécontent d’avoir été supplanté dans sa
propre armée par le roi. Il en rendait responsable – bien à tort – le cardinal,
depuis longtemps son ennemi. Entré dans la conspiration de Chalais, il
s’était retiré en Italie, était revenu pour participer au siège de La Rochelle,
puis avait accompagné le roi en Italie. Cette fois, c’était trop ! Il était
déterminé à agir.
Deux gentilshommes, Antoine de Bourdeilles, comte de Montrésor,
petit-neveu de Brantôme et grand veneur de Monsieur, et son cousin
germain, Henri d’Escar de Saint-Bonnet, seigneur de Saint-Ibar, premier
conseiller du comte de Soissons, devaient avec trois autres sicaires
assassiner le cardinal, « ennemi du souverain bien » et de la « vertu » dont
ces messieurs, aristocrates de vieille roche, se targuaient. Faisaient partie du
complot le duc de La Valette*6, Blérancourt, gouverneur de Péronne,
Varicarville et Bardouville, gentilshommes normands, Beauregard,
capitaine des gardes du comte de Soissons, Alexandre de Campion,
gentilhomme attaché à César de Vendôme, qui tous estimaient que le
cardinal, tenant le roi sous sa férule, avait dévoyé la nature de la monarchie
française. Le cardinal de Retz cite encore deux proches de Gaston
d’Orléans, Lespinay et La Rochepot, fils de Mme du Fargis. Tous ces
nobles, grands lecteurs de Plutarque, nourris de philosophie stoïcienne,
d’idéal chevaleresque et de nostalgie féodale, rejoignaient les dévots dans
leur dénonciation des souffrances populaires. Ils avaient repris l’idée d’une
monarchie mixte, rééquilibrée par la tenue d’états généraux périodiques,
que les Grands avaient abandonnée depuis le traité de Loudun.
Leur plan consistait à larder le cardinal de coups de poignard, comme
Brutus, incarnation de la justice patricienne, avec César. Le moment avait
été soigneusement choisi : à la sortie d’un prochain Conseil, dans la cour de
l’hôtel du gouverneur d’Amiens, le duc de Chaulnes. Il serait sans escorte
car, là où se tenait le roi, Son Eminence ne pouvait venir avec sa garde
personnelle.
Monsieur, en colère lui aussi de voir son frère lui voler la gloire des
armes, était non seulement dans la confidence, mais c’était lui qui, par un
discret clin d’œil, devait donner aux tueurs le signal de sortir leur lame. Le
prince, éternel indécis, recula au dernier moment, monta quatre à quatre
l’escalier, le cœur palpitant, et se réfugia au premier étage, au grand
étonnement de Richelieu. Montrésor courut le rejoindre et l’adjura de
redescendre. Il était encore temps ! Monsieur refusa. Le comte de Soissons,
resté près du cardinal, n’osa suppléer l’héritier du trône de France. Il laissa
donc le Premier ministre remonter dans son carrosse, tandis que le roi
regagnait sous bonne escorte le château qu’il occupait de l’autre côté de la
Somme. C’est ainsi, comme le reconnaît Montrésor dans ses Mémoires, que
l’homme rouge « échappa au plus grand péril qu’il eût connu toute sa
vie14 ». Une seconde tentative trouva Gaston tout aussi hésitant. Richelieu
était venu au camp, mais cette fois avec sa compagnie des gardes.
L’entreprise parut plus risquée. On y renonça.
Le second fils d’Henri IV avait-il vraiment voulu occire le cardinal15 ?
Montrésor et son âme damnée Saint-Ibar n’avaient-ils pas plutôt caché leurs
intentions meurtrières à leur maître respectif ? C’est ce que suppose
Georges Dethan, le biographe complaisant de Gaston. Il est difficile de le
suivre sur ce terrain, comme le révélèrent les comportements ultérieurs de
Gaston et de Soissons. L’historien Jean-Marie Constant, quant à lui, note
qu’avec les deux gentillâtres de leur suite, ivres de haine et de vengeance,
apparaissait une nouvelle génération de conspirateurs, prenant le relais des
Grands des premières années du règne16.
Le crime était manqué, mais rien n’avait été ébruité. Monsieur et le
comte de Soissons revinrent à Paris, laissant aux généraux le soin d’achever
le siège de Corbie. Louis XIII, cédant aux supplications de Richelieu,
inquiet pour sa santé dans une atmosphère délétère, avait regagné Chantilly.
Neuf de ses serviteurs, dont cinq qui avaient accès à sa chambre, avaient
péri de la peste…
A partir de ce moment, les deux princes complices de l’attentat
d’Amiens n’eurent qu’une idée en tête, quitter la Cour et gagner leur
province respective. Soissons fit part au roi de son désir de se rendre en
Champagne. « Je lui ai fait connaître et dit doucement que je ne voulais pas
qu’il y allât, écrivit Louis à Richelieu le 18 novembre ; à même temps, les
larmes lui sont venues aux yeux et n’a rien répondu… J’ai reconnu son
esprit fort ulcéré. Nous nous sommes séparés fort civilement en apparence,
mais je crois qu’il n’est pas content. »
Le 20, en effet, Soissons gagna au galop la forteresse-refuge de Sedan,
chez le duc de Bouillon, et Gaston, par précaution, se retira à Blois. C’était
à n’y rien comprendre. « Je ne sais pas pourquoi mon frère et M. le Comte
sont partis, confiait le roi à l’ambassadeur vénitien Contarini. Le Comte a
suspecté que je voulais le faire arrêter. Si j’avais voulu le faire, cela m’eût
été très facile. Il est resté avec moi pendant six heures dans un carrosse
depuis Chantilly et je lui ai donné mes courriers qui l’ont servi jusqu’ici.
Mon frère a cette mauvaise disposition de croire trop facilement le premier
qui parle. Ils veulent être en sécurité. Mais quelle sécurité veulent-ils que je
leur donne17 ? »
Il fallait s’inquiéter. Un prince du sang et un Fils de France qui
« s’absentaient », n’était-ce pas le prélude à de nouveaux troubles ?
Soissons pouvait livrer aux Espagnols la clé de la Champagne. Gaston,
étant donné ses antécédents, n’était pas fiable. Dans une lettre, il expliquait
qu’il redoutait l’attitude méfiante de son frère. Dans une seconde datée du
11 décembre, il mettait en avant son union avec la princesse de Lorraine,
qu’on refusait toujours de reconnaître. Ce mariage, il suppliait le roi de
l’accepter enfin et de pardonner le mouvement d’humeur du comte de
Soissons qui avait soutenu sa démarche. Pas un mot, bien entendu, du
complot d’Amiens.
En effet, la question du mariage n’était toujours pas réglée
canoniquement. Sitôt qu’il avait été averti par l’évêque de Montpellier de
l’avis de l’assemblée du Clergé, Urbain VIII avait réuni le Sacré Collège à
huis clos. Par deux brefs, l’un adressé à Louis XIII, l’autre à Monsieur, le
pape faisait savoir qu’il se saisissait de l’affaire18. Le frère du roi reprit
espoir. Il en profita pour dénoncer la lettre secrète que Richelieu lui avait
fait signer un an plus tôt. Fait, disait-il, sous la contrainte, c’était un
engagement non valide. Affligeante palinodie dont on n’avait que trop
l’habitude !

Louis XIII aurait aimé « monter à cheval pour s’en aller à Orléans »,
malgré le froid (la Seine charriait des blocs de glace). Richelieu le calma. Il
fallait d’abord composer et rassurer. Il fit tirer de la Bastille l’abbé de La
Rivière, aumônier de Monsieur, avec mission de parler à son ancien maître.
Chavigny, secrétaire des commandements du prince, partit également pour
Orléans, et un autre émissaire prit la route de Sedan.
Bientôt, les tensions s’apaisèrent. Le 27 janvier 1637, le roi gagna
Orléans, où il rencontra Gaston. La réconciliation des frères ennemis se fit
une fois de plus. La situation internationale était trop grave pour laisser
l’héritier du trône prendre en France la tête d’un parti d’opposition (on
ignorait toujours sa participation au complot d’Amiens). On relâcha donc la
pression, sur les instances du père Joseph. Louis accepta de payer ses dettes,
pardonna à ses serviteurs et surtout reconnut le principe de son mariage
avec Marguerite, sous réserve que cette union fût accomplie selon les
formalités en usage dans le royaume. Ce serait à lui d’en décider… Le
9 février, il écrivait aux maréchaux, lieutenants généraux d’armée et
gouverneurs de province que, Monsieur l’ayant rassuré, il oubliait la faute
de son départ brusqué de la Cour. L’amnistie en faveur de Gaston, incluant
celle du comte de Soissons, sera vérifiée au Parlement le 12 mars 1637.
Le raccommodement fut plus difficile avec le réfugié de Sedan. Les
deux parties échangèrent quelques protestations d’amitié, acceptèrent de
mettre un terme à leurs « brouilleries », mais Soissons refusa de revenir à la
Cour. Finalement, il fut convenu, faute de mieux, qu’il demeurerait à Sedan
pour une durée maximale de quatre années, le prince donnant sa parole –
parole de menteur, naturellement – qu’il ne susciterait pas le moindre
trouble dans le royaume…

Sire, Corbie est repris !


Sans répit, la guerre continuait. Pour comprendre la situation militaire,
il convient de revenir quelques mois en arrière, au moment où Corbie était
assiégé par les Français. Sur les autres fronts, l’incertitude demeurait.
Tandis que les soldats de Condé avaient évacué la Franche-Comté pour se
replier autour de Paris, les Espagnols étaient entrés en Bourgogne. Dijon
avait manqué d’être pris. La puissante armée impériale de Matthias Gallas
semblait sur le point de triompher lorsque la résistance opiniâtre d’une
petite place fortifiée, Saint-Jean-de-Losne, arrêta son élan : six cents
hommes tenant tête à une armée de 30 000 hommes ! Les femmes
confectionnaient les balles, pansaient les blessés, prenaient leur place,
faisaient le coup de feu. Le Danois Josias, comte de Rantzau, ancien général
des armées suédoises passé au service de la France, reçut instruction de
marcher à son secours. Il chargea héroïquement les assaillants et les
contraignit, après un dur combat, à lever le siège. Rantzau fut nommé
maréchal de camp, et Saint-Jean-de-Losne reçut le surnom bien mérité de
Saint-Jean-Belle-Défense.
Le 10 novembre 1636, enfin, le marquis de Fuensaldaña signa la
reddition de Corbie. Louis XIII apprit la nouvelle avec un plaisir infini à
Chantilly, où il fit chanter un Te Deum. Le royaume était sauvé ! Il annonça
son intention de consacrer sa personne et son royaume à Dieu, sous la
protection spéciale de la Vierge Marie, qu’il avait beaucoup priée. C’est ce
qu’il fera quelques mois plus tard. « Depuis la prise de Corbie, écrivit-il à
Richelieu le 24 novembre, je me suis mis à la dévotion beaucoup plus que
devant, pour remercier Dieu des grâces que j’en ai reçu19. »

Cette guerre entre les deux grands royaumes chrétiens d’Occident, la


France et l’Espagne, même si elle se déroulait sans concession et avec
d’effrayantes dévastations, n’était pas un conflit idéologique. Les deux
peuples partageaient la même foi, étaient imprégnés d’une culture
identique, exaltant l’héroïsme chevaleresque, les lois de l’honneur et le
service de leur roi. Les deux monarques étaient aussi pieux l’un que l’autre,
et leurs Premiers ministres partageaient bien des traits communs. Cela
permet de comprendre l’extraordinaire triomphe remporté en janvier 1637
par Le Cid, que les Parisiens éblouis, délivrés de la menace espagnole,
applaudirent à tout rompre. En entendant les stances de l’héroïque
Rodrigue, peut-être songeaient-ils à ce stoïque fils d’Henri IV de trente-cinq
ans, lui aussi inspiré par le sens du sublime et de l’honneur, qui, par sa
fermeté et le dépassement de soi, venait de les préserver de l’invasion ?

Ainsi, la France, après la grande frayeur de Corbie, avait pris sa


revanche. Tout ne s’était pas bien passé par contre en Provence et au Pays
basque. Les Espagnols avaient puissamment renforcé les îles de Lérins, qui
leur servaient d’escale sur la route maritime de Barcelone à Gênes. A
Sainte-Marguerite, outre le fort Royal (ou Réal), entièrement rebâti, ils
avaient construit cinq redoutes et un quartier pour leur cavalerie. Afin de les
en déloger, Richelieu avait mobilisé les escadres de Normandie, de
Bretagne et de Guyenne, en tout trente-neuf gros vaisseaux, six brûlots et
douze flûtes, sous le commandement de Mgr de Sourdis. A la tête des
troupes de débarquement se trouvait Henri de Lorraine, comte d’Harcourt et
d’Armagnac. Cet homme de guerre, énergique et tenace, lieutenant général
des armées du roi, était un cadet de la maison de Lorraine-Elbeuf,
surnommé Cadet la Perle, en raison de la grosse perle qu’il portait à
l’oreille droite.
L’opération navale devait se combiner avec l’intervention des régiments
et milices du maréchal de Vitry, gouverneur de Provence. Partie en juin,
l’armée navale du Levant franchit sans encombre le détroit de Gibraltar,
rejointe par la flotte de Provence, les douze galères de M. de Pont de
Courlay, un galion réquisitionné au duc de Guise, des chébecs, tartanes et
brigantins. Ces vaisseaux arrivèrent en ordre dispersé devant les îles à partir
du 18 août 1636, empêchant les Espagnols de les ravitailler. Mais il fallait
se méfier des galères espagnoles, longues et effilées, basées à Monaco, qui
attaquaient en meute aussi vite qu’elles se retiraient. La flotte française alla
mouiller dans la rade de Golfe-Juan. A terre, le maréchal de Vitry était en
retard, ses unités d’assaut n’étaient pas prêtes, le matériel de siège peinait à
être rassemblé.
En raison de l’imprécision des ordres reçus, voire de leur caractère
contradictoire, les chefs se disputaient le commandement général. Sourdis
alla s’installer à Antibes, Vitry au château de Cannes et Harcourt à bord du
Bretagne, le vaisseau amiral. Quand ils se réunirent à nouveau, ils
s’affrontèrent violemment. L’impétueux et arrogant Vitry frappa de la canne
de bambou qui lui servait de bâton de commandement l’obstiné et hautain
Sourdis, le traitant de cagot et de bréviaire. Il faut dire que ce dernier, rogue
et autoritaire, avait déjà été fouetté à Bordeaux par le vieux d’Epernon.
C’est dans cette atmosphère exécrable de guerre des chefs que l’opération
de débarquement échoua. Vitry donna l’ordre de dispersion aux milices de
Provence. Manquant de « biscuit », les équipages étaient au bord de la
révolte. L’hiver était venu et avec lui les vents tempétueux qui balayaient la
rade de Cannes. La flotte se replia à Toulon. Louis XIII et Richelieu étaient
furieux. Chacun fut blâmé et Vitry, exilé.
D’autres difficultés étaient apparues au Pays basque. Le 25 octobre,
l’Amiral de Castille franchissait la Bidassoa et s’emparait d’Hendaye et de
Saint-Jean-de-Luz. Seul Bayonne, réparé de toute urgence et pourvu d’une
garnison, résista derrière le comte de Gramont…

Les finances en folie


Les historiens qui se sont occupés des finances de cette époque, Richard
Bonney, Julian Dent, Alain Guéry, Françoise Bayard, d’autres encore, ont
attiré l’attention sur l’extrême gravité de la situation financière. Les années
1635-1637 marquent le grand tournant, l’irruption dramatique et
désordonnée de l’Etat moderne, avec sa violence et ses moyens de
coercition, au sein d’une société archaïque et traditionnelle, menacée dans
ses structures communautaires les plus profondes. Le péril aux frontières,
l’urgence des besoins imposaient une hausse massive de la fiscalité, seul
moyen d’échapper à la banqueroute. Raimondo Montecuccoli, le célèbre
général qui commença à s’illustrer lors de la guerre de Trente Ans, le dira
plus tard : « Pour faire la guerre il faut trois choses : premièrement de
l’argent, deuxièmement de l’argent, troisièmement de l’argent. »
Quelques chiffres permettent de comprendre l’ampleur du gigantesque
effort exigé. En 1610, les recettes de l’Etat s’élevaient à environ 33 millions
de livres tournois. En 1630, avec la lutte contre les protestants et la guerre
d’Italie, elles atteignaient déjà 43 millions. En 1634, veille de l’entrée en
guerre, elles bondirent à plus de 120 millions. L’année suivante, date de
l’ouverture des hostilités avec l’Espagne, on arriva au chiffre record de
208 millions de livres (avant de redescendre à 88 en 1637 et 89 en 1642).
La contrainte était insupportable. Ainsi, de 1610 à 1635, la collecte des
trésoriers de l’Epargne avait-elle été multipliée par plus de six. Jamais
semblable effort fiscal n’avait été demandé aux populations ! Qui supporta
cette hausse ?
Face aux besoins gigantesques, les ventes de bois et les revenus du
domaine royal représentaient une misère. La fiscalité directe, quant à elle,
avait atteint les limites du supportable. Il était impossible d’accroître dans
de trop fortes proportions le brevet de la taille. Celle-ci passa néanmoins de
38 millions en 1634 à 44 en 1638. Les autres impôts à brevet, le taillon, et
ceux nouvellement créés pour l’entretien des armées, les étapes, le quartier
d’hiver ou la subsistance, ne représentaient que des revenus d’appoint. En
1637, le quartier d’hiver et la subsistance atteignaient 8,5 millions de livres.
Ils furent portés à 13,65 en 164120. On a vu les pressions exercées sur les
pays d’états afin d’augmenter leur contribution et les tentatives plus ou
moins réussies d’y introduire l’administration plus centralisée des élus.
Le roi sollicita de l’assemblée générale du Clergé un don gratuit accru.
Ne faisait-on pas la guerre pour la liberté d’un prince ecclésiastique,
l’archevêque de Trèves ? Mais ces messieurs de la prêtrise se faisaient tirer
l’oreille, en dépit des efforts de Mgr de Sourdis, l’archevêque botté de
Bordeaux, président de l’assemblée. Ils voulurent rédiger auparavant des
cahiers de doléances. Louis s’impatienta. « Vous êtes bien longs à délibérer
du don que vous voulez me faire, dit-il à l’évêque d’Auxerre, cela m’ennuie
bien fort… Mes armées ne vivent pas de cahiers, je vous prie de finir. »
C’était en août 1635. Ce ne fut qu’en avril de l’année suivante qu’ils
accordèrent un peu moins de 4 millions. On en avait espéré 5. Richelieu
avait joué dans les coulisses. Membre de l’assemblée, il persuadait ses
confrères qu’il employait tout son crédit à faire agréer leurs propositions,
tout en inspirant au roi les réponses à leur donner ! « J’ai ouï Messieurs du
Clergé, lui écrivait Louis le 20 avril 1636, auxquels j’ai répondu de mot à
mot suivant votre mémoire […]. J’ai brûlé votre mémoire. »
Tailles et dons gratuits étant insuffisants, que restait-il sinon frapper la
consommation (gabelles, impôts et billots de Bretagne) et la circulation des
produits (traites, aides et octrois), dont le recouvrement se faisait par
l’intermédiaire des fermes ? Les baux des principales fermes étaient les
aides, les gabelles de France, le convoy de Bordeaux, les Cinq grosses
fermes, les gabelles du Dauphiné, celles du Languedoc… Entre 1632 et
1640, par exemple, la ferme des gabelles passa de 6,5 à 14 millions de
livres. En 1635, il fut aussi décidé de taxer d’un sol par livre toutes les
marchandises. Pour le vin, l’impôt s’éleva à un écu par barrique, qui se
répercutait sur le chaland. Ces mesures, intervenant dans une conjoncture
dépressive, s’ajoutant dans certaines régions aux ravages de la peste et de la
guerre, firent baisser dramatiquement la consommation. Des commerces
entiers s’effondraient, des artisans et des ouvriers étaient réduits à la
mendicité, des milliers de chômeurs vagabondaient sur les chemins.
La fiscalité indirecte croissait plus vite que la fiscalité directe, de sorte
que le poids de la taille baissait relativement. C’est de cette époque que date
l’explosion des « affaires extraordinaires », dont le plus gros poste était les
ventes d’offices. Le Conseil du roi augmenta leur nombre et les vendit en
bloc à des compagnies de traitants pour 15 millions : il s’agissait d’offices
de présidents à mortier, de conseillers, de maîtres des requêtes, de trésoriers
de France, de procureurs, de greffiers, de l’institution d’un présidial à
Rodez et à Brioude, d’une élection à Cognac, etc. Ne pouvant constamment
créer des charges, on divisait les anciennes en offices triennaux ou
quadriennaux (les titulaires ne servant à tour de rôle que trois ou quatre
mois par an). Les magistrats du parlement de Paris en eurent un haut-
lecœur, la multiplication des offices ayant pour effet de déprécier les leurs !
Louis XIII fut contraint de tenir un lit de justice pour imposer sa décision.
Une autre technique était celle des augmentations de gages. C’était a priori
alléchant. On promettait d’accroître dans le futur le revenu annuel d’un
office. On en revalorisait donc le capital, autrement dit son prix de vente, et
l’on demandait la différence à son titulaire. Toutes ces opérations donnaient
lieu à des traités avec des groupes de financiers, assortis de décharges
financières exorbitantes : 19 millions de remise en 1635, pour quatre-vingts
traités signés portant sur un total de 81 millions.
Sans être aussi importants, les prêts qui allaient monter en flèche à
partir de 1639 contribuèrent grandement à désorganiser le système
financier21. Outre les prêts simples consentis par de riches particuliers, prêts
gagés (on disait alors « assignés ») sur les recettes de l’Etat, tailles, taillon,
subsistance, étapes, dons gratuits, il existait des avances sur recettes,
sollicitées des officiers comptables, receveurs généraux, secrétaires des
finances, receveurs du clergé, des ponts et chaussées, trésoriers de
l’extraordinaire des guerres, fermiers, avances remboursables sur les
revenus dont ils avaient la gestion. Assurant aux pouvoirs publics des
rentrées fixes et à bonne date, elles donnaient lieu à de nouveaux
escomptes. Et comme les besoins de trésorerie de l’Etat étaient immenses et
pressants, ces prêts étaient renouvelés plusieurs fois sur les mêmes recettes,
de sorte que leur rotation rapide créait en elle-même un nouveau système de
crédit, les groupes financiers jouant le rôle de banquiers du Trésor.
Devenant le « mode normal de paiement des impôts directs22 »,
l’administration royale perdait le contrôle de ses propres contribuables au
profit des bailleurs de fonds. Jamais l’innovation et la créativité fiscale ne
s’étaient tant développées ! On n’en finirait pas de citer toutes les mesures
prises. A côté du versement anticipé de la paulette pour les années 1637 et
1638, on imposa un emprunt forcé aux villes, conduisant à un
renchérissement des octrois, donc des marchandises. En 1635, ces affaires
extraordinaires représentaient plus de 75 % des ressources de l’Etat, 71 %
en 1641.
Conséquence de cette flambée de la fiscalité, ce ne fut pas seulement le
menu peuple qui la supporta, mais également la noblesse de robe et la
bourgeoisie. L’Etat, dit Françoise Bayard, avait réussi « ce tour de force
inouï de faire payer volontairement les riches23 ». Jouant sur la vanité des
ordres privilégiés, il les avait partiellement fiscalisés. Les recettes des
Parties casuelles témoignaient de ce mouvement : de 1,9 million en 1610
elles atteignaient 33 millions en 163524. Si l’Etat royal ne s’est pas effondré
à cette époque, c’est grâce non pas au peuple mais aux bourgeois et aux
nobles de robe, à leur vanité, à leur engouement pour les offices…
Parallèlement, on eut recours aux manipulations monétaires, l’enfant
chéri de tant de gouvernements ! Pourquoi s’en priver ? Si les prix étaient
libellés en unités de compte (la livre tournois et ses divisions, sols et
deniers), les pièces circulant dans le royaume – louis d’or, écus d’argent ou
billons de cuivre – ne portaient aucune valeur nominale, ce qui facilitait les
dévaluations de l’unité de compte. Deux édits de mars et de juin 1636 la
dévaluèrent ainsi, réduisant son équivalent en argent à 8,69 grammes. En
augmentant la valeur des pièces, on allégeait d’autant les dettes. Mais c’est
à peine si l’on tira profit de cette jonglerie.
La détresse financière était telle que le cardinal, sur le conseil du père
Joseph, accueillit avec le plus vif intérêt les propositions d’un certain Noël
Picard, dit Dubois, capucin défroqué, passé au luthérianisme, natif de
Coulommiers, qui prétendait avoir trouvé le secret de la transmutation des
métaux, à la manière de feu maître Nicolas Flamel. Il finança ses travaux
alchimiques. Quelle supériorité sur l’Espagne si la France possédait la
pierre philosophale ! D’un coup de baguette magique, on changerait le
déficit en excédent et les défaites en victoires ! A défaut de pouvoir réaliser
le Grand Œuvre, Dubois avait trouvé l’art de l’esbroufe et de l’escamotage :
il transforma deux balles de mousquet en un petit lingot d’or pur. Richelieu,
subjugué, voyait déjà s’empiler des caisses remplies d’écus neufs et
scintillants ! Le maestro fut bombardé président des trésoriers de France.
Mais la suite, hélas, tarda à venir. Les mois passaient et l’or ne coulait
toujours pas dans les creusets. La déception fut à la hauteur de l’espérance.
Pour avoir trop fait rêver, Dubois sera traduit en justice pour sorcellerie et
exécuté le 25 juin 1637…
Au moment où les taux réels s’envolaient, le taux légal de l’argent –
qu’il était interdit de dépasser sous peine d’usure – avait été abaissé en
1634 du denier 16 (6,25 %) au denier 18 (5,55 %). Comment pallier cet
interdit, étroitement surveillé par la Chambre des comptes, les traitants et
partisans exigeant naturellement d’être rémunérés aux taux réels ? Il fallut
tricher en acceptant une somme inférieure à celle inscrite dans le contrat et
couvrir cette différence par une « ordonnance de comptant », dont le motif
n’avait pas à être justifié. C’était la porte ouverte aux abus en tous genres.
De la fraude sinon légale, du moins légitime, puisque la France était en état
de guerre, on passa insensiblement aux indélicatesses et aux malversations,
aux pots-de-vin, aux concussions et autres tripotages.
Le désordre financier avait contribué à l’émergence d’un puissant
groupe relativement homogène de plusieurs centaines de personnes,
enrichies par les besoins pressants de l’Etat, la spéculation ou la rapine :
financiers, fermiers, entrepreneurs, munitionnaires, banquiers, riches
négociants internationaux, agioteurs professionnels. Leur réussite sociale
était étonnante. Ces affairistes de haut vol, gavés d’or mais jamais rassasiés,
menaient grand train et frayaient avec la noblesse, achetant sans compter
offices, seigneuries, châtellenies, fiefs de dignité, baronnies, vicomtés ou
marquisats, mariant leurs filles à des gentilshommes, construisant des
châteaux en province et des hôtels particuliers à Paris, accumulant bijoux et
œuvres d’art. Un certain nombre spéculaient à grande échelle sur l’essor de
la construction immobilière, avec d’ailleurs des résultats inégaux, puisqu’il
y eut des faillis : urbanisation de l’Ile-aux-Vaches et de l’île Notre-Dame,
réunies en île Saint-Louis, développement du faubourg Saint-Germain,
construction de la nouvelle enceinte nord… Des familles, des dynasties se
constituaient : les Cornuel, les Tallemant, les Scarron, les Gruyn, les
Rambouillet, les d’Argouges, les Feydeau25, les Lumagne, les Guénégaud,
les Le Ragois, les Le Barbier, les Jeannin de Castille, etc.
Ces gens n’étaient nullement « venus de la lie du peuple », comme le
prétendait Furetière. C’étaient de riches marchands, des robins aisés, parfois
des nobles de plus ou moins fraîche date, dont la famille avait travaillé dans
le maniement des espèces. Beaucoup avaient commencé par acquérir la
charge anoblissante de secrétaire du roi. Leurs fortunes se chiffraient en
centaines de milliers de livres. Si elles n’atteignaient pas celles des princes
et des Grands, certaines les talonnaient. A la tête d’un réseau de clients, ils
apparaissaient rarement au grand jour, laissant à des hommes de paille et
des prête-noms – bourgeois ou domestiques – le soin de se porter
adjudicataires des traités ou des baux. Eux servaient de cautions et de
certificateurs. A l’arrière-plan, se tenaient de plus puissants bailleurs,
véritables détenteurs des espèces, princes, ducs et pairs, grands dignitaires
ecclésiastiques, à la recherche de profits sans risque sur les droits et revenus
domaniaux, les aides, les fermes et les prêts… Dès 1624, la noblesse avait
été autorisée à participer aux affaires de finances sans déroger. Ce n’est pas
autrement que Richelieu avait édifié une bonne part de sa gigantesque
fortune. Toute l’élite du pays, largement complice, était mouillée dans cet
inquiétant et lucratif capitalisme fiscal, avec son système d’avances de
trésorerie fortement rémunérées, de croupes, de remises ou de donatifs, qui
remplissait davantage les cassettes privées des seigneurs que les caisses de
l’Etat.
L’enrichissement des publicains, installés aux affaires, créait une
osmose malsaine au sein de l’administration fiscale, altérant les règles
d’équité et de justice : les traitants achetaient des offices de finances, les
officiers de finances se faisaient traitants. L’Etat, contraint d’amadouer les
publicains, était insensiblement noyauté par des financiers privés,
concussionnaires et cyniques virtuoses de la maltôte, qui, au travers de
mécanismes d’une inextricable complexité, ponctionnaient la manne des
deniers royaux et s’enrichissaient par un processus de réinvestissement
cumulatif. Le pouvoir perdait ses prérogatives au profit d’une forteresse
financière qui n’était pas près d’être démantelée. Les conséquences fiscales
de la guerre menaçaient ainsi la nature même de la monarchie. Au milieu
d’une gabegie généralisée, imposée par les circonstances, on glissait d’un
Etat de justice à un Etat de finance. Grande révolution moderne, dont les
répercussions sur l’ordre social allaient être considérables.

Le temps des Croquants


« L’argent que je demande, avait déclaré le roi à son parlement, n’est
pas pour jouer ni pour faire de folles dépenses. Ce n’est pas moi qui parle,
c’est mon Etat, c’est le besoin qu’on en a ; ceux qui contredisent mes
volontés me font plus de mal que les Espagnols26. » Malheureusement,
cette politique fut mal relayée au sein de la société. Accompagnées de
pénibles tracasseries de la part des agents royaux, les innovations fiscales
étaient incomprises dans les provinces. Aux tumultes habituels, limités dans
le temps et l’espace, succédèrent de longues révoltes s’étendant sur de
vastes aires géographiques. La misère, fruit amer de la guerre, expliquait
cette exaspération paysanne, qui allait ouvrir, comme l’a dit Yves-Marie
Bercé, « la plus grande crise d’insurrections populaires de l’histoire de la
monarchie27 », assombrissant les dernières années du règne de Louis XIII.
Ce ne furent pas les zones les plus ravagées, comme la Picardie ou la
Champagne, qui connurent les troubles les plus graves – les survivants,
hâves et exsangues, se nourrissant de glands et d’herbe pouvaient-ils
prendre les armes ? –, mais la Bretagne et surtout le Sud-Ouest, où les
troupes régulières étaient moins nombreuses. Là se ravivèrent des foyers
insurrectionnels mal éteints.
En Bretagne, pays d’états, dont la contribution financière à l’effort de
guerre était plutôt réduite, la rumeur courut qu’on allait introduire la
gabelle. Aussitôt se produisirent des manifestations de rue, qui se calmèrent
rapidement, grâce à la confirmation des privilèges de la province aux états
de Vannes en octobre 1636. Il en alla différemment dans le Sud-Ouest. La
taxe d’un écu par barrique de vin déclencha, en mai et juin 1635, une série
d’émeutes urbaines à Bordeaux, Agen, dans les bourgades de la moyenne et
basse Garonne, jusqu’au sud de la Saintonge. A Périgueux, on dressa des
barricades. Tout en hurlant « Vive le roi ! » la foule s’en prenait aux
officiers des élections et aux huissiers, sergents et archers des tailles, dont
plusieurs furent massacrés. Le tocsin résonnait au fond des campagnes. Une
folle épidémie de rumeurs et de mots d’ordre entretenait une atmosphère
insurrectionnelle. Les milices bourgeoises étaient débordées. Il fallut faire
venir la troupe. Finalement, le pouvoir royal dut renoncer à l’édit sur les
cabarets.
En 1636, la hausse des tailles et des taxes eut des répercussions dans les
campagnes, en Poitou, en Angoumois, en Aunis, en Saintonge, en
Limousin. Profitant des foires de printemps, des assemblées paysannes
lançaient des adresses au roi, réclamant le retour à la justice fiscale et à
l’âge d’or. Le 6 juin, à la foire de Blanzac, 4 000 paysans conduits par leurs
curés, armés de mousquets, de fourches et de piques, massacrèrent un
malheureux chirurgien de Bergerac, qu’ils avaient pris pour un gabeleur. Ils
le dénudèrent, lui coupèrent un bras, le promenèrent dans la ville, tout
ensanglanté et hurlant, avant de le transpercer.
L’émeute la plus importante fut celle des Croquants en Périgord au
printemps de 1637. Une ordonnance du 16 décembre 1636, signée du duc
d’Epernon, gouverneur de Guyenne, et de son fils le duc de La Valette,
commandant l’armée du Pays basque, imposait la fourniture de rations de
blé pour les troupes. Pour faire face à cette taxe en nature, les communautés
visées durent acheter des sacs de grains aux maisons pieuses et aux
marchands. Elles se remboursèrent au moyen d’une taxe sur les habitants.
Cela conduisit à un regrèvement de la taille, sans le contrôle formel des
officiers des finances. Dans le courant de l’année 1637, une nouvelle « crue
pour l’armement de Guyenne » fut décidée. Ces impôts s’ajoutaient aux
frais de logement des gens de guerre en quartiers d’hiver et surtout à la
modification de la perception des tailles ordinaires, qui frappaient sous le
nom d’« emprunt » – pur euphémisme – les bourgs et villes jouissant
jusque-là de franchise ou d’abonnement. Rien que cette dernière mesure,
arrêtée par une déclaration royale de décembre 1636, représentait une
hausse d’un tiers28. L’absence de respect des règles habituelles dans la levée
et la répartition des taxes donnait aux assujettis l’impression de tromperies
et de vols. Qui s’enrichissait sur le dos du pauvre peuple pressuré, sinon les
infâmes traitants et autres maltôtiers ?
L’insurrection commença le 22 avril 1637 par le meurtre de deux
sergents d’élection, dont on découvrit les cadavres sur le grand chemin
d’Auriac, à proximité de Nanteuil-de-Bourzac. Bientôt, d’autres commis,
chargés de distribuer les commissions de taxes pour l’armée de Bayonne,
furent blessés ou tués. Le soulèvement était parti de la forêt de Vergt et du
Paréage. Le 1er mai, 5 000 hommes se présentèrent sous les murs de
Périgueux, exigeant des canons et la livraison des gabeleurs qui y
résidaient, afin de les mettre à mort.
Périgueux refusant d’obtempérer, les Croquants tinrent une assemblée
générale. Ils portèrent à leur tête un gentilhomme quinquagénaire, Antoine
du Puy, sieur de La Mothe-La Forest, avec des pouvoirs « absolus » et le
titre de général des Communes. A ses côtés se tenaient des seigneurs
comme Antoine de Ribeyreix ou Léon de Laval, baron de Madaillan. Deux
autres assemblées suivirent, rassemblant jusqu’à 30 000 paysans et
villageois. Dans les rangs des révoltés, on comptait des gentilshommes, des
curés, des procureurs, des notaires, bref une représentation des « trois
ordres du royaume reportés à l’échelon du clocher29 ». Reproduisant les
hiérarchies traditionnelles, le soulèvement des Croquants n’avait rien d’une
jacquerie égalitaire. Sélectionnant les paysans les plus aguerris, La Mothe-
La Forest forma une armée de 8 000 hommes, divisée en 60 compagnies,
elles-mêmes encadrées par d’anciens soldats ou bas-officiers. Cette armée
s’empara de Bergerac, place protestante dont les murs avaient été
démantelés en 1631, et de quelques bourgs environnants, où elle mit en
place un système de réquisition et d’imposition à son profit.
Le discours des révoltés, qui transparaît à travers leurs requêtes et
adresses, est typique de ces mouvements. On jugeait les impositions
extraordinaires « insupportables, illégitimes, excessives, inconnues à nos
pères ». Les paysans, ruinés par la fiscalité et la circulation des troupes,
réclamaient justice contre les gabeleurs et autres « larroneaux » qui
« mangeaient jusques aux os les pauvres laboureurs30 ». En revanche, les
revendications proprement politiques étaient assez floues. On réclamait la
suppression des élus, la transformation du Périgord en pays d’états, plus
protecteur sur le plan fiscal, le rétablissement de la « liberté publique » et
des anciens usages. On ne critiquait pas le roi ni son autorité que l’on tenait
pour bonne et juste, mais son entourage qui le conseillait mal. On voulait lui
ouvrir les yeux. Se considérant comme l’instrument de la Providence, La
Mothe-La Forest avait placé son armée sous la protection de Notre-Dame
des Vertus et adopté pour drapeau les couleurs mariales, le bleu et le blanc.
La vindicte des Communes se portait contre les agents du fisc en général :
on pillait leur maison et leur grange, on volait leur bétail, on saccageait leur
jardin et leur vigne, on les rançonnait, quand on ne les égorgeait pas au coin
d’un bois.
La rapidité avec laquelle l’incendie s’était allumé surprit les autorités,
qui ordonnèrent de courir sus aux rebelles. Malheureusement, le duc
d’Epernon, malade et âgé de quatre-vingt-deux ans, n’avait que quelques
gardes et mestres de cavalerie à sa disposition. Il était désemparé, d’autant
que les Croquants s’avançaient en Agenais, prenant tour à tour Eymet, La
Sauvetat-du-Dropt, Miramont et Lauzun. Le roi lui commanda ainsi qu’à
son fils, le duc de La Valette, de rameuter les troupes disponibles, y compris
en dégarnissant la frontière, et de marcher sur les émeutiers. Avec 3 000
fantassins et 400 cavaliers, le 1er juin, La Valette donna l’assaut au bourg de
La Sauvetat, où le gros de l’armée des Communes s’était retranché. La lutte
fut acharnée et la victoire arrachée au prix d’un monceau de cadavres.
L’estimation du nombre de morts chez les royaux varie selon les récits entre
200 et 800, et chez les Croquants entre 1 000 et 1 500. La Sauvetat, qui
avait échappé à la sauvagerie des paysans, n’évita pas les méfaits de la
soldatesque. Les horreurs de la guerre civile rejoignaient celles de la guerre
extérieure. Au moins, par cette victoire, La Valette avait-il fait oublier sa
collusion passée avec Monsieur et le comte de Soissons.
La Mothe-La Forest prit peur. Protestant qu’il n’avait agi que dans la
crainte de voir les siens massacrés, il se hâta de négocier la dispersion des
bandes restantes et d’obtenir de La Valette qu’il plaiderait leur grâce auprès
du roi. La noblesse locale, dans son ensemble, avait été plutôt attentiste,
n’ayant pas choisi d’emblée la fidélité au roi. Et c’est bien ce qui parut le
plus inquiétant. Des intérêts financiers étaient en jeu, les ponctions de la
fiscalité royale venant concurrencer les droits seigneuriaux. Il n’est pas
impossible non plus que certains aventuriers compromis dans cette
explosion paysanne comme Ribeyreix et Madaillan, aient été en relation
avec le comte de Soissons ou le duc de Lorraine. On retrouve en effet dans
les proclamations des Communes des expressions identiques à celles
utilisées dans le manifeste de Sedan, La Voix du peuple au Roy31…
Heureusement, la conjonction des oppositions nobiliaires et populaires,
rêvée par quelques-uns, ne se fit pas.
Les manifestes croquants avaient circulé d’une région à l’autre ; c’est
ainsi que s’enflamma le Bas-Quercy de juin à août 1637, particulièrement
Cahors et les paroisses autour de Montcuq. En Haut-Quercy, le mouvement
s’étendit à une trentaine de villages du Causse de Gramat, entre Lot et
Dordogne. Là aussi une armée de Communes se constitua, renforcée par des
paysans du Sarladais. Elle brûlait les maisons, les métairies et les moulins
des gabeleurs. Mais la noblesse quercinoise était restée fidèle au roi. Aussi,
le sénéchal, assisté de nombreux seigneurs, parvint-il aisément à disperser
les émeutiers. Dans les grandes villes du Sud-Ouest, de Bordeaux à
Toulouse, la garde bourgeoise reçut des mousquets et veilla aux remparts.
Rien ne s’y passa.

Périgord, Agenais et Quercy ne furent pas les seules régions à connaître


des troubles durant l’année 1637. En juin, en Bas-Poitou, où l’on pouvait
craindre un débarquement de Soubise, toujours réfugié en Angleterre, des
commis des fermes furent assassinés. Plusieurs paroisses de l’élection des
Sables n’étaient pas sûres. Gabriel des Roches Baritaut, lieutenant général
en Bas-Poitou, et l’intendant Villemontée s’employèrent à rétablir l’ordre et
à restaurer les bureaux des traites qui avaient été désertés. Avec les archers
de la maréchaussée, ils disposaient d’une troupe bien équipée de
6 000 hommes et 800 chevaux. En juillet, pour venir à bout des émeutes
dans le Cognaçais, Jean de Galard de Béarn, comte de Brassac, gouverneur
de l’Angoumois, dut faire appel à des renforts, que lui envoyèrent La
Valette et Des Roches Baritaut. On signala aussi des difficultés dans les
monts de la Marche et en Haute-Auvergne, où le régiment d’Effiat dispersa
quelques centaines de tumultuaires en rupture de ban. Ces soubresauts
furent en fait de moindre ampleur que les insurrections du Sud-Ouest, qui
avaient opposé aux troupes du roi des armées paysannes, sans doute mal
équipées, mais relativement bien disciplinées.

Entre répression et mansuétude


Peines de mort, de bannissement et de galères furent prononcées à
l’encontre des chefs séditieux capturés ou en fuite. Les exécutions, peu
nombreuses il est vrai, furent faites en public, de façon à frapper les
imaginations. Antoine de Ribeyreix, condamné à la décapitation par le
présidial de Périgueux, monta à l’échafaud sur la grand-place, à l’heure de
midi, au roulement des tambours. Buffarot, tisserand à Capdrot, capitaine
des communautés révoltées du Sardalais, jugé prévôtalement par le vice-
sénéchal d’Agenais, fut roué vif un jour de foire à Monpazier. Ses restes
démembrés furent exposés aux portes de la ville et sur un cerisier bien
visible au carrefour d’un grand chemin32. Quant à La Mothe-La Forest, il
avait eu la bonne idée de disparaître dans la nature…
Le pardon du roi fut largement octroyé aux autres, aux sans-grade,
nonobstant la gravité de leurs crimes, assemblées illicites, levées de gens de
guerre et de deniers publics, prises de villes. Dans un esprit d’apaisement,
les réquisitions de blé au profit de l’armée furent révoquées, de même que
les emprunts forcés sur les municipalités. Mais on eut du mal à rétablir le
paiement normal des tailles, malgré l’aide des compagnies de carabins et
des archers des vice-sénéchaux, remplaçant les officiers des finances,
receveurs des tailles et sergents des élections, qui avaient fui et n’osaient
revenir. Ce début de militarisation de la collecte fiscale, sous le contrôle des
intendants, s’accompagnait de nombre de retards et de plaintes. Le refus de
l’impôt avait encore de beaux jours devant lui, en Guyenne et ailleurs.
Transformées en bandits de grands chemins, des hordes de Croquants, sous
la direction d’un nommé Greletty, sorte de Robin des Bois désespéré,
avaient trouvé refuge au fond de la forêt de Vergt, tendant des embuscades
meurtrières et faisant des razzias.
La Valette ne profita guère de sa réconciliation avec Richelieu. Son
inaction devant les Espagnols, éprouvés par les fièvres, lui fut reprochée.
Son père et lui tombèrent en disgrâce, et leur client, l’intendant de
Verthamont, trop soumis aux intérêts locaux, fut rappelé et remplacé par
l’énergique Etienne Foullé. Ce robin, qui tenait son pouvoir du Conseil, se
comporta en vice-roi, avec un faste digne d’un grand seigneur, éclipsant
celui du vieux gouverneur. C’était un pas de plus vers le centralisme
monarchique, autrement dit l’absolutisme. Le 30 octobre 1637, le prince de
Condé était nommé commandant en chef des armées de Guyenne, et La
Valette lui était subordonné.

Les opérations militaires


Revenons en Allemagne, où l’équilibre des forces s’était de nouveau
modifié. Les Suédois n’avaient pas pardonné la défection de leurs alliés
saxons lors de la bataille de Breitenfeld en septembre 1631 ni la signature
en mai 1635 de la paix de Prague avec l’Empereur. Il fallait leur infliger une
sévère leçon. En mars 1636, l’armée du général Baner écrasa celle du duc
Jean Georges à Dömitz et se mit à piller systématiquement le duché. En
juillet, une contre-offensive des troupes impériales, commandées par le
général Hatzfeld, auxquelles s’étaient joints des contingents saxons, reprit
Magdebourg. Pourtant, quelques semaines plus tard, le 24 septembre, à
Wittstock, cette puissante armée, renforcée d’un contingent
brandebourgeois, fut battue par Baner et Torstensson. Ce fut l’engagement
le plus meurtrier de la guerre : 11 000 tués ou blessés du côté impérial,
5 000 du côté suédois. Le prestige des Suédois était néanmoins rétabli, et
leur revers de Nördlingen oublié.

En décembre, de son côté, Ferdinand II engrangea un succès à la Diète


de Ratisbonne : l’élection à l’unanimité de son fils l’archiduc Ferdinand
comme roi des Romains, élection qui, on s’en souvient, avait été reportée. Il
était temps. Le 15 février 1637, malade depuis plusieurs mois, il s’éteignait
à l’âge de cinquante-neuf ans. Malgré les terribles convulsions nées de la
Défenestration de Prague, il avait réussi à anéantir l’influence du parti
protestant en Allemagne, à donner à la Contre-Réforme les moyens d’action
qui lui manquaient et à accroître la puissance de sa maison au détriment des
structures féodales de l’empire. La cour de France prit officiellement le
deuil. Princesses et duchesses portaient des mantes noires. Le roi des
Romains monta sur le trône impérial sous le nom de Ferdinand III. Ferme,
quoique moins tenace, le nouveau souverain ne changea rien à la ligne de
conduite paternelle.
Les Français tentèrent une ouverture de paix avec l’Espagne, profitant
du voyage du père Bachelier parti chercher les reliques de saint Isidore à
l’intention d’Anne d’Autriche. Mais ils butèrent sur le sort de la Lorraine,
que Louis XIII et Richelieu auraient aimé confisquer à son duc et annexer
au royaume, à titre de dédommagement.
La guerre se poursuivit donc. L’année 1637 ne donna aucun résultat
décisif. La Franche-Comté fut ravagée par Bernard de Saxe-Weimar et le
duc de Longueville, la Lorraine déjà exsangue le fut par le maréchal de
Châtillon. Damvillers tomba aux mains des Français, après soixante-dix-
huit jours de siège. La misère s’étendait. Les populations civiles, par crainte
des pillages et des violences, s’enfuyaient dans les forêts. Des bandes de
hors-la-loi, les Loups des Bois, répandaient la terreur et écumaient le pays,
sans prendre parti pour l’un ou l’autre camp. Les miséreux se nourrissaient
de glands, d’herbes sauvages, de charognes trouvées au hasard des chemins.
Près de Château-Salins, une femme fut pendue pour avoir tué une petite
fille et salé sa chair dans un cuveau. Non loin de Metz, on découvrit trois
têtes d’enfants en train de cuire dans un chaudron33…
Sur le front des Pays-Bas espagnols, la campagne menée par le cardinal
de La Valette permit aux troupes royales de reprendre Landrecies le
26 juillet. Louis XIII s’en montra ravi. Le 10 octobre, Breda, dont la
reddition en 1625 avait été célébrée avec éclat par les Espagnols, était à son
tour repris, après dix semaines de siège, ce qui n’empêcha pas le cardinal-
Infant, excellent manœuvrier, de lancer une attaque sur Maubeuge, pendant
que, dans le camp adverse, le cardinal de La Valette entreprenait le siège de
La Capelle. Mais l’action remarquée du vicomte de Turenne brisa net
l’offensive espagnole.
La mission du duc de Rohan en Valteline finit par échouer. Entretenir
des relations d’amitié avec les Ligues Grises, protestantes, tout en
défendant les Valtelins catholiques, relevait du tour de force. Il y avait
pourtant réussi au traité de Thusis, en mars 1636. Les Grisons attendaient
un million de livres comme promis. On ne leur en donna que 200 000. Ils
décidèrent donc de s’allier secrètement à l’Espagne, qui jouait sur les deux
tableaux. En mars 1637, Rohan se vit contraint de capituler, parvenant
seulement sans trop de dégâts à évacuer son armée. La route du Tyrol et de
l’Allemagne était rouverte aux armées espagnoles du Milanais. Dans cet
échec patent de la politique française, Rohan fut sans doute moins coupable
que le père Joseph, obstinément hostile aux Grisons protestants. L’ancien
général huguenot préféra ne pas se justifier. Il gagna Genève, avant de
rejoindre l’armée de son ami Bernard de Saxe-Weimar et de reprendre du
service à ses côtés.
Un malheur ne venant jamais seul, on eut à déplorer le 8 octobre la mort
brutale de Victor Amédée, duc de Savoie. Il laissait un fils de cinq ans. La
régence échut à sa veuve, Chrestienne, sœur de Louis XIII, mais ses beaux-
frères, proches de l’Espagne, le prince Thomas et le cardinal Maurice la lui
contestaient. Bref, l’allié savoyard n’était plus sûr. Après la mort, le 14 mai
1637, de Charles de Gonzague, pour lequel la France s’était tant battue, le
duché de Mantoue fut remis à sa belle-fille, Marie, fille de Charles
Emmanuel, duc de Savoie, et mère du nouveau duc, Charles, âgé de sept
ans. Soumise à l’influence des Habsbourg (elle était nièce de l’impératrice
douairière Eléonore), elle ne tarda pas à déclarer sa neutralité. L’Italie allait
mal…
Une bonne nouvelle fut la reprise des îles de Lérins, qu’on considérait
comme un enjeu majeur, autant pour des raisons stratégiques que d’amour-
propre. Il paraissait ridicule en effet d’avoir cette verrue ibérique au flanc
de la Provence. Le 24 mars 1637, sur la plage de Golfe-Juan, une messe
solennelle était célébrée au milieu des troupes françaises enfin réunies après
les péripéties peu glorieuses de l’année précédente. A l’issue d’un banquet
auquel les officiers furent conviés, la flotte de quatre cents vaisseaux et
esquifs appareilla : les plus originaux étaient les barques à fond plat,
remorquées par des brigantins, susceptibles de transporter 400 soldats. Cette
invention de l’ingénieur Duplessis-Besançon était la première barge de
débarquement ! Le soir à 6 heures, les dix-sept navires de ligne se mirent à
tirer sur le fort et les redoutes. Malheureusement, vers minuit, le vent se
leva, puis la tempête se déchaîna, une forte tempête comme il en arrive
parfois en Méditerranée, qui dura trois jours.
Le 28, l’attaque recommença, avec bombardement préliminaire. Cette
fois, le débarquement eut lieu, chaloupes pavoisées en tête. Tandis que les
enfants perdus et les soldats des régiments partaient en vagues successives à
l’assaut des rochers, les douze cents Espagnols de la garnison répondaient
par des tirs nourris de mousquets. La reprise de l’île se révéla difficile.
Certes, les galères génoises portant des secours espagnols furent repoussées
à deux reprises par les galères du bailli de Forbin (c’étaient les premiers
fruits de la politique navale de Richelieu), mais la résistance des assiégés à
l’intérieur de l’île fut telle qu’il fallut une mobilisation générale de la
Provence. A la requête du roi et de Richelieu, le parlement d’Aix arrêta que
tous les gentilshommes de la province devaient partir combattre sans délai,
sous peine d’être déclarés déserteurs et de perdre leurs terres et châteaux.
Bientôt 4 000 hommes arrivèrent en renfort avec de la poudre, des boulets
et du plomb34. Le 12 mai, vaincus par la soif, les derniers assiégés du fort
Réal, amaigris et hagards, se rendirent. La vieille forteresse de Saint-
Honorat fit de même deux jours plus tard. L’artisan de la victoire, le comte
d’Harcourt, fut célébré comme un grand général, tandis que le maréchal de
Vitry, qui avait encore multiplié les embûches, était rappelé à Paris et
envoyé à la Bastille, d’où il ne sortira qu’après la mort du roi.

Les Espagnols, qui avaient à faire face au soulèvement du Portugal,


n’eurent pas plus de chance du côté des Pyrénées : ils durent évacuer Saint-
Jean-de-Luz. A la fin d’août, ils lancèrent une armée, commandée par le
général Serbelloni, à l’assaut de la citadelle de Leucate, aux frontières du
Roussillon et du Languedoc. Le 15 septembre, grâce à une forte artillerie,
elle parvint à pratiquer une brèche dans les remparts, mais l’assaut fut
vaillamment repoussé. A partir du Languedoc, les Français, malgré leur
infériorité numérique, lancèrent une contre-offensive. Après cinq attaques
sur les quartiers espagnols, menées par le duc d’Halluin, fils du maréchal de
Schomberg et gouverneur de Languedoc, la bataille se termina confusément
dans la nuit du troisième jour, de sorte que les Français ne surent qu’au
matin que les Espagnols s’étaient enfuis et que beaucoup s’étaient noyés
dans les étangs. Ce glorieux fait d’armes fut célébré dans l’allégresse par
des libelles et comparé par un jésuite toulousain, le père Poussines, à la
victoire grecque de Marathon pendant les guerres médiques35 ! Un mois
plus tard, le 26 octobre 1637, le roi nommait d’Halluin maréchal de France
et l’autorisait à relever le nom de Schomberg. La venue de l’hiver arrêta
partout les armées sur leurs positions.

*1. Il devait rester dix ans en prison.

*2. Elle subsiste toujours, bien que très remaniée.

*3. Le foulard que ces soldats portaient autour du cou donna le nom à la cravate.

*4. L’actuelle Croisette.

*5. Elles n’avaient pas encore été totalement démolies.

*6. Bernard de Nogaret, duc de La Valette (duc d’Epernon à la mort de son père Jean Louis, le
mignon d’Henri III). A ne pas confondre avec son frère cadet, Louis, cardinal de La Valette, ami et
serviteur de Richelieu.
XX
Anne et le roi

Marie de Hautefort
Depuis longtemps, Louis n’aimait plus la reine. Un lourd passif les
séparait : ses imprudences répétées, l’affaire Chalais, les folies de
Buckingham, l’influence néfaste de Mme de Chevreuse, les pernicieuses
moqueries de ses amies, son attitude lors de la journée des Dupes. Non
moins inquiétante était son incapacité à donner naissance à un héritier. On
se souvient de sa chute sur le plancher du Louvre en 1622 et de la fausse
couche qui en était résultée. En 1625, 1626, 1630, 1631, retards de règles,
nausées ou vomissements avaient fait naître de nouvelles espérances, vite
déçues. Louis s’en était montré fort affligé. « Il en a pleuré de douleur »,
écrivaient les ambassadeurs vénitiens en novembre 1626. Cette stérilité
passait pour une malédiction du Ciel. La guerre n’arrangeait rien. Anne ne
parvenait pas à dissimuler ses sentiments pro-espagnols ni ses affinités avec
le parti dévot, que la chute des Marillac n’avait pas totalement anéanti.
Louis ne pouvait le supporter. C’est ce qui lui perçait le plus cruellement le
cœur, assombrissait son humeur. Alors qu’il pourchassait sans relâche
l’ennemi aux frontières, son épouse pleurait aux défaites de ses deux frères
Philippe IV et Ferdinand d’Autriche et se réjouissait à l’annonce de leurs
succès. Il avait songé à une solution radicale : la répudier et la renvoyer à
Madrid. Un de ses proches, Créqui, avait sondé le pape sur l’éventualité
d’une annulation. Mais Urbain VIII s’y était opposé, comme il s’était
opposé à la rupture du mariage de Monsieur.
Plus triste et esseulé que jamais, Louis se repliait, muré dans ses griefs.
Cependant, dans son isolement affectif, un être féminin était apparu, la
splendide Marie de Hautefort. Contrairement à une légende tenace, le roi
n’était pas ennemi du beau sexe. Il était sensible à la beauté des femmes,
son cœur savait prendre feu. Ce qu’il refusait, par conviction religieuse, par
force de caractère, par pruderie sans doute, par faiblesse de tempérament
peut-être, c’était d’y mêler l’adultère. Il ne recherchait que l’amour
platonique. On se souvient qu’en 1617, il avait témoigné une première
inclination pour une fille d’honneur de la reine, Mlle de Maugiron, que
Luynes s’était empressé de marier. Lui avait succédé l’ensorceleuse Marie
de Rohan-Montbazon, duchesse de Luynes, future duchesse de Chevreuse.
Fugace penchant qui s’était mué en haine tenace de part et d’autre.
Les deux années de rapprochement avec la reine furent suivies à partir
de 1622 de longues périodes d’éloignement. Dans cette absence de
sensualité, de désirs, point n’est besoin de parler de libido pervertie ou
névrotique, même dans les pulsions les plus équivoques. Sans doute sa
sexualité adulte trouvait-elle ses racines dans les troubles de sa jeunesse,
tels qu’ils transparaissent dans le Journal d’Héroard. Il était de
tempérament misogyne. Mais l’interdit moral jouait un rôle essentiel. Il
méprisait les effrontées ou les aguicheuses, et Dieu sait si elles étaient
nombreuses à tenter leur chance. Avec ce genre de femmes, il se montrait
froid et distant, voire grossier. On conte qu’un jour à Dijon, lors d’un repas
public, voyant une jeune péronnelle venir à lui avec un décolleté peu décent
– la mode était de découvrir le bout des seins –, il cracha une gorgée de vin
sur sa poitrine trop généreuse.
Son amour pour Marie de Hautefort fut beaucoup plus profond que ses
premières inclinations. Il dura plus de neuf ans, assorti il est vrai de hauts et
de bas, de fâcheries et de réconciliations1. C’était une jeune Périgourdine de
bonne et vieille famille, blonde au visage d’un bel ovale, aux grands yeux
bleus et aux émouvantes fossettes. Elle venait d’avoir quatorze ans lorsqu’il
la vit pour la première fois à Troyes, en avril 1630. Il en avait vingt-neuf.
D’emblée, il fut saisi par son charme singulier et ses grâces naissantes. La
démarche insolite qu’il fit auprès de sa mère prête à sourire. Il lui confia
qu’il s’était pris d’affection pour cette jeune fille et lui demandait donc
l’autorisation d’être son chevalier servant, tout en protestant qu’il n’y aurait
de sa part nul mauvais dessein. Marie de Médicis devint vermeille, rapporte
le nonce Bagni dans sa dépêche du 22 avril 1630 ; elle fut flattée de cette
délicatesse, car la petite faisait partie de ses filles d’honneur, et ne vit
aucune raison de rejeter sa requête2.
Le premier geste ostensible qu’il eut à son égard fut de lui faire passer
un coussin de velours, lors d’un sermon au Louvre. Les filles d’honneur
étaient en effet assises à même le sol. Marie, surprise, voyant les regards se
fixer sur elle, tourna les yeux vers la reine mère, qui lui fit signe d’accepter.
Elle prit le carreau et, modestement, le mit à côté d’elle. La Cour ne tarda
pas à être au fait de cette tendre inclination et répéta ces vers :
Hautefort la merveille
Réveille
Tous les sens de Louis
Quand sa bouche vermeille
Lui fait voir un souris*1.

L’abbé de Boisrobert consacra de flatteuses rimes à cette étonnante


passion royale, la comparant à une flamme brûlant de désirs. Mais il n’eut
pas l’heur de plaire : « Otez le mot désirs, lui fit le chaste Louis, car je ne
désire rien. » Le quatrain fut ainsi modifié :
Je l’aime sans désir : aussi jamais langueur
Ne vient troubler ma vie.
O bienheureuse flamme
Qui conservez l’amour et la paix dans mon âme.

Le favori, Claude de Saint-Simon, avait beau partager la compagnie de


son maître, cet être secret et pudique lui restait un mystère. Le voyant
devant Marie timide et embarrassé, il lui offrit d’être son entremetteur. La
réponse du roi le surprit : « Vous me parlez bien là en jeune homme qui ne
pensez qu’au plaisir. Il est vrai que je suis amoureux ; je n’ai pu m’en
défendre parce que je suis homme et sujet aux sens ; il est vrai que je suis
roi et que par là je puis me flatter de réussir si je le voulais ; mais plus je
suis roi et en état de me faire écouter, plus je dois penser que Dieu me le
défend, qu’il ne m’a fait roi que pour lui obéir, en donner l’exemple, et le
faire obéir par tous ceux qu’il m’a soumis. Plus je suis amoureux, […] plus
je dois faire d’efforts pour me surmonter moi-même ; et si je me permets
des amusements que les occasions et l’humanité m’arrachent, plus je dois
être en garde contre le crime et le scandale et demeurer le maître de moi-
même. Je veux bien vous faire cette leçon et vous pardonner votre
imprudence ; mais qu’il ne vous arrive jamais d’en faire une seconde de
cette nature devant moi3. »
Ces propos rapportés longtemps plus tard par le duc de Saint-Simon,
fils du favori, ont évidemment été reconstitués, mais ils traduisent avec
vraisemblance ce que Louis a pu ressentir. Chez lui, la vertu et le devoir
passaient avant la passion, et la domination de soi était le préalable à celle
des autres. Cela faisait partie de l’héroïsme chevaleresque dont il voulait
entourer la fonction royale. Cette ardeur sublimée n’avait du reste rien
d’exceptionnel à l’époque où l’hôtel de Rambouillet la cultivait avec délice
et où Marie y paraissait sous le nom d’Hermione. « Ma compagne, lui avait
glissé une de ses amies, fille d’honneur comme elle, tu ne tiens rien, le roi
est saint ! »

A la fin de 1630, après la brouille avec sa mère, Louis fit admettre son
égérie chez les demoiselles d’honneur de sa femme en la priant « de l’aimer
et de la bien traiter ». Après quelques jours de froideur, la reine lui sourit et
en fit sa confidente.
Louis conversait souvent avec Marie, mais il ne lui parlait que de
chasse, de chiens et d’oiseaux. Tout en étant d’une vertu irréprochable – le
roi ne l’aurait pas aimée un seul instant dans le cas contraire –, la noble et
fière Hautefort avait le caractère vif et railleur, qui ajoutait du piquant à son
charme juvénile. Des soupirants s’étaient discrètement déclarés.
La chronique galante a retenu une amusante scène. Un jour que son
adorateur dévoué était entré dans la chambre de la reine, celle-ci et sa
demoiselle d’honneur parlaient d’une lettre que tenait Marie. Il se tourna
vers elle et l’interrogea. De quoi s’agissait-il ? Elle ne souffla mot. Il insista.
Elle glissa alors la lettre sous son col de dentelle : « Prenez-la tant que vous
voudrez à cette heure !… » lui fit-elle malicieusement. Louis apercevant
près du feu des pincettes d’argent, s’en saisit et s’avança, tandis qu’Anne,
en riant, emprisonnait les mains de la mutine. L’histoire ne dit pas s’il fit
bonne pêche. Mais assurément, il était jaloux de ses succès et de ses grâces
provocantes !
Le monarque, aimable et gai comme il ne l’avait jamais été, s’était
rapproché de sa femme pour mieux entretenir son badinage amoureux.
Mlle de Montpensier, fille de Gaston, alors toute jeune, participait à ces
agréables promenades. « Nous étions toutes vêtues de couleur, sur de belles
haquenées richement caparaçonnées, et, pour se garantir du soleil, chacune
avait un chapeau garni de quantité de plumes. L’on disposait toujours la
chasse du côté de quelques belles maisons où l’on trouvait de grandes
collations, et au retour le roi se mettait dans mon carrosse entre Mme de
Hautefort et moi4. » La jeune favorite recevait des présents des princesses et
des compliments de tous. S’il y avait quelqu’un que cet innocent manège
agaçait prodigieusement, c’était bien le cardinal de Richelieu. Plus
s’affirmait l’emprise de Marie sur le roi, plus celui-ci lui échappait. Amie et
complice de la reine, la jeune fille en secret sapait sa position.
Heureusement, Louis commença à se lasser de cette artificieuse coquette.

Louise de La Fayette
Le cardinal sentit que le roi, âme secrète et torturée, était en quête de
tendresse féminine. Aussi, de concert avec Claude de Saint-Simon, poussa-
t-il en avant une autre demoiselle d’honneur, plus discrète, qui ne lui ferait
pas d’ombre, Louise Angélique Motier de La Fayette, parente du père
Joseph5. Louis XIII l’avait remarquée un dimanche de février 1635, alors
qu’elle interprétait quelque figure du Ballet triomphant dans la grande salle
du Louvre. Il avait été aussitôt ébloui. Un modèle d’innocence ! Sans avoir
l’éclatante beauté de Marie de Hautefort, c’était une jolie brunette au visage
délicatement arrondi, avec de grands yeux bleus tendres et mélancoliques et
des cheveux tignonnés à la mode. Elle était petite, un peu maigre, mais
d’elle émanaient une douceur charmante, une candeur ingénue, à l’opposé
de la sculpturale et impérieuse égérie.
Née en novembre 1618 au château de Vésigneux, en Nivernais, au sein
d’une famille de quatorze enfants, elle était la fille de Jean Motier de La
Fayette, seigneur de Hautefeuille, et de Marguerite de Bourbon-Busset. Dès
l’âge de dix ans, elle fut introduite à la Cour, où grâce à la protection de
plusieurs de ses parents, Louise de Bourbon-Busset, sa grand-mère,
Mme de Senecey, sa tante, toutes deux dames d’honneur de la reine,
Mgr François de La Fayette, évêque de Limoges et premier aumônier de la
reine, son oncle, elle ne tarda pas à devenir demoiselle d’honneur d’Anne
d’Autriche.
Cette fine et attirante demoiselle n’avait pas seize ans lorsque le roi
s’éprit d’elle. Elle lui semblait par sa fraîcheur, son désintéressement,
différente des autres. Malgré un léger goût pour la parure confinant à la
coquetterie, elle avait le maintien modeste, dépourvu d’afféterie, le
jugement droit et solide, l’âme pieuse. Elle chantait et dansait divinement
bien, ce qui le ravissait. Le 15 mars suivant, à Chantilly, elle parut dans le
Ballet de la Merlaison, dont il était l’auteur. Double plaisir ! Le 20 dans
l’après-midi, revêtue d’une élégante capeline, portant sur la tête un feutre
orné de plumes et de rubans multicolores, elle accompagna la reine à la
chasse. Louis trouvait un doux plaisir à chevaucher près d’elle et à lui jeter
de furtifs regards. Le lendemain 21 et le 23 encore, il renouvela les
cavalcades cynégétiques avec Anne et ses filles d’honneur, Mlles de Vieux-
Pont, d’Hautefort, de Saint-Louis et de La Fayette. Le 28, après une grande
chasse entre Saint-Germain et Crouy, dont pies, milans et corneilles avaient
fait les frais, on remarqua qu’il revint dans le carrosse de la reine en
compagnie des quatre troublantes amazones. Ainsi naquit la chaste idylle
entre le « vieux » roi de trente-quatre ans et la jeune fille à la touchante
physionomie. Il était plus souriant qu’à l’ordinaire, assistait aux bals et aux
comédies.
Eloigné de sa femme qui le trahissait, Louis avait besoin d’une âme
sœur, pure, discrète, confiante, lui vouant une admiration sincère, écoutant
ses plaintes et partageant ses peines. Il se sentait seul sans mère, sans
épouse, sans enfant, sans ami véritable, avec un ministre austère. Il s’isolait
dans l’embrasure d’une fenêtre et conversait avec la jeune fille, faisant fi
des regards curieux ou narquois.
C’était à prévoir : Louise Angélique fut l’objet de jalousies. Un jour, au
cercle de la reine, en présence du roi, la jeune fille, assise à terre, avait été
prise d’un tel fou rire qu’elle s’était oubliée sous sa robe. Elle n’osait se
lever. Il fallut bien s’exécuter. On aperçut alors une petite flaque. « C’est La
Fayette qui a pissé ! » clama Anne d’Autriche, ravie de l’embarrasser tout
autant que son mari. Mlle de Vieux-Pont, gentiment, assura que ce n’était là
que jus de citron ! La reine chargea son portemanteau La Porte de s’en
assurer. Celui-ci identifia aisément le liquide. Anne, poursuivant sa cruauté,
décida de « faire visiter » toutes ses filles. Celles-ci n’eurent d’autre
ressource que de s’enfuir dans leur chambre, laissant le royal amoureux
dans la gêne et la confusion. La Cour fit des gorges chaudes de ce menu
incident et chantonna bientôt :
Petite La Fayette,
Votre cas n’est pas net :
Vous avez fait pissette
Dedans le cabinet,
A la barbe royale.
Et là, aux yeux de tous,
Vous avez fait la sale,
Ayant pissé sous vous.

Ces petites mortifications ne prêtaient pas à conséquence. Au contraire,


Richelieu se félicitait de voir le roi épanoui et gai. C’est alors que Louise
Angélique commença à exprimer quelques réflexions qui ne furent pas de
son goût. Elle affirmait son hostilité à la politique belliciste et aux alliances
protestantes en Allemagne, elle plaignait la misère du peuple, intercédait en
faveur de la reine mère et de la jeune reine. De quoi se mêlait donc cette
brunette ! Son Eminence commença à regretter d’avoir encouragé pareille
bluette. A la fin de 1635, il résolut de l’éloigner. Depuis sa tendre enfance,
Louise Angélique songeait à prendre le voile. Il restait à encourager « la
fille » – ainsi l’appelait-il – à réaliser au plus vite sa vocation. Saint-Simon
d’un côté, le père Carré, son confesseur, supérieur du noviciat des
Dominicains de Paris, de l’autre, s’y employèrent.
Au début de l’année suivante, quelques discours alambiqués de la
demoiselle persuadèrent le roi qu’elle voulait se retirer de la Cour. Au matin
du 17 janvier, son maître d’hôtel Sanguin l’avertit qu’il avait trouvé en
pleurs sa compagne, Renée de Vieux-Pont. La belle n’avait rien voulu dire,
mais Sanguin était convaincu que son amie venait de lui confier son désir
de se faire religieuse. Louis accusa le coup, éprouvant même un
ressentiment à l’égard de la jeune fille qui lui avait celé son projet. Mais
quoi ! Pouvait-il disputer à Dieu une vocation qui ne faisait que
s’approfondir ? « Pour moi, avoua-t-il à Chavigny, j’y suis tout résolu, non
sans grand déplaisir, ayant pleuré toute la nuit ; mais je suis de cette opinion
qu’elle s’est toujours moquée de moi depuis que je lui ai témoigné de
l’affection. » Dépit amoureux !
L’incertitude le rendait malade. Si cela devait être, eh bien ! que cela
soit, mais le plus vite possible, « parce que quand les choses sont faites,
disait-il à Richelieu, on s’y résout plus facilement6 ». En attendant, il décida
d’aller à Versailles, afin, comme il l’avouait lui-même, d’« essayer à [se]
faire divertir le mieux [qu’il] pourrai[t]7 », et y cacher son chagrin. En mars,
il avertissait le cardinal qu’il était parvenu à retenir Mlle de La Fayette à la
Cour.
Ce qu’il ignorait, c’est que celui-ci n’était pas étranger à l’élan de la
demoiselle vers le cloître et qu’un dur combat se déroulait dans les
coulisses entre les agents de Son Eminence, qui s’employaient à la
convaincre de réaliser sa vocation, et ses ennemis qui agissaient en sens
contraire. Ainsi, la famille, principalement son oncle, Mgr François de La
Fayette, et sa tante Mme de Senecey, décida-t-elle de l’éloigner du père
Carré. Un jésuite, le père Armand, le remplaça. Richelieu trouva la parade
en gagnant le domestique chargé de porter les correspondances entre le roi
et son égérie. Ce fourbe, promu premier valet de chambre, réussit à semer
de petites brouilleries entre eux, en déformant sciemment leurs propos.
En mars 1637, le père Gordon, d’origine écossaise, confesseur du roi
depuis deux ans, démissionna. Le cardinal l’y avait-il poussé ? Il lui
chercha avec soin un successeur. Bien chapitré, ce nouveau directeur de
conscience ne pourrait qu’aider à orienter Louise Angélique vers le couvent
de ses rêves. Il arrêta son choix sur un autre jésuite, réputé pour sa vertu et
ses vastes connaissances, son caractère droit et franc, éloigné des intrigues,
Nicolas Caussin, auteur d’un volumineux ouvrage de piété fort réputé, La
Cour sainte, ou l’institution chrétienne des grands8. Le recevant à Rueil,
Richelieu l’informa que depuis quelque temps Sa Majesté paraissait
attachée à une demoiselle de la reine. Certes, connaissant sa vertu, il n’y
voyait aucun mal, mais, s’empressa-t-il d’ajouter, une si grande affection
entre personnes de sexe différent est « toujours dangereuse ». C’était lui
indiquer la voie à suivre : la détacher du roi et la porter à entrer au couvent.
« Il ne faut pas rompre cette liaison brutalement, lui susurra-t-il, mais
seulement, insensiblement, la découdre. » Dix jours plus tard, il lui envoya
son collaborateur Sublet de Noyers lui chanter la même antienne9.
Richelieu venait de commettre là une erreur. Se fiant trop à son instinct,
il avait passé outre l’avis du provincial de Paris, pour qui le rugueux père
Caussin manquait des qualités requises. « Jugement au-dessous du
médiocre en matière pratique, expérience des affaires quasi nulle, peu
prudent dans l’action » : ainsi était-il noté dès 1633 par ses supérieurs.
Le père jésuite, qui n’était pas dépourvu de subtilité, ne fut pas long à
se rendre compte que Mlle de La Fayette appartenait comme lui à la
sensibilité dévote. Elle était hostile à la guerre contre l’Espagne, souhaitait
le retour de la reine mère. Aussi se mit-il à jouer dans le sens contraire à
celui qu’attendait le cardinal. Tout en faisant mine d’acquiescer à la
vocation de cette « innocente brebis », comme il l’appelait, il cherchait à la
retenir près du roi afin de contrebalancer l’influence du Premier ministre.
Les mois passèrent. Louis redevint malheureux. Comme il tenait à sa
chère Angélique ! Mais pouvait-il la disputer à Dieu ? « Il est vrai que je
l’aime, avouait-il à son confesseur, et que je la tiens bien chère pour sa
vertu, mais si Dieu l’appelle en religion, je n’y mettrai point
d’empêchement, et si je savais que ma présence y fît quelques obstacles, je
m’en irais à cette heure et ne la reverrais plus. » Plus elle s’éloignait, plus sa
passion s’avivait. Qui donc a soutenu qu’il était froid et sans cœur ?
Témoigna-t-il alors d’un brusque mouvement d’abandon à la sensualité ?
Pressa-t-il Louise Angélique de devenir sa maîtresse ? Mme de Motteville,
qui recueillit plus tard ses confidences à Chaillot, raconte dans ses
Mémoires que le roi, « ce grand roi, si sage et si constant dans la vertu, avait
eu néanmoins des moments de faiblesse, dans lesquels, cessant d’être
modeste, il l’avait pressée de consentir qu’il la mît à Versailles pour y vivre
sous ses ordres et être tout à fait à lui10 »… Cette suggestion, si contraire à
ses « sentiments ordinaires », effaroucha tant la jeune vierge qu’au lieu de
l’inciter à s’abandonner, elle hâta son entrée au cloître. « Le refus de La
Fayette, poursuit la dame de compagnie d’Anne d’Autriche, lui fit ouvrir les
yeux. La honte qu’ils eurent de ce petit dérèglement rappela leur vertu et
leur piété, et la peur qu’ils eurent tous deux, elle de lui et lui d’elle, leur fit
prendre la résolution de se quitter. La nature combattit quelque temps contre
la grâce, mais enfin la grâce fut victorieuse11. »
Au début de mai 1637, elle annonça à son oncle l’évêque de Limoges
son intention de se faire religieuse visitandine, l’ordre fondé par Jeanne de
Chantal et François de Sales. Louis en fut informé. Il eut le cœur si serré, si
désespéré qu’il tenta une dernière manœuvre. Persuadé que Mme de
Senecey était derrière cette décision, il demanda à Richelieu de faire
intercepter par son cabinet noir la lettre et la réponse du prélat. C’était,
pensait-il, le moyen d’empêcher l’inexorable de se produire.
Le 9, Louise lui écrivit son inébranlable résolution. « Qu’est-ce qui la
hâte ? demanda-t-il au père Caussin. Ne pouvait-elle encore différer
quelques mois, attendant que je partisse pour l’armée ? Cette séparation
m’eût été moins sensible. Maintenant j’en suis à en mourir12. » Violemment
secoué, malade à nouveau, le pauvre roi sanglota et avertit Richelieu : « Je
m’en irai lundi à Versailles ou à Chantilly, pour essayer de passer mon
affliction qui me reprend de fois à autres, extrêmement forte, surtout quand
je suis seul. […] J’espère que le bon Dieu me donnera de la consolation13. »
Le 19, Mlle de La Fayette fit ses adieux à la reine et au roi, revenu de
Versailles, qui ne put retenir ses larmes. « Allez où Dieu vous appelle,
l’exhorta-t-il ; il n’appartient pas à un homme de s’opposer à sa volonté. Je
pourrais de mon autorité royale vous retenir à la Cour et défendre à tous les
monastères de mon royaume de vous recevoir, mais je connais cette sorte de
vie si excellente, que je ne peux pas avoir à me reprocher un jour de vous
avoir détournée d’un si grand bien14. » Il se retira. Quand elle le vit monter
en carrosse, la postulante, qui ne maîtrisait pas non plus les mouvements de
son cœur, jeta ce cri : « Hélas, je ne le verrai plus ! » Le même jour, elle
franchissait pour toujours la clôture du monastère de la Visitation, rue
Saint-Antoine. Elle aurait préféré un ordre à la discipline plus rigoureuse, le
Carmel, mais le père Caussin l’en avait dissuadée.
Avec une sobriété glacée, la récente Gazette de France de M. Renaudot
annonça la nouvelle le 23 mai : « De Paris. Le 19, le roi partit de Saint-
Germain et fut coucher à Versailles. Le même jour, la demoiselle de La
Fayette, l’une des filles d’honneur de la reine, s’est rendue religieuse dans
le monastère des Filles de la Visitation et a été grandement regrettée du roi,
de la reine et de toute la Cour. » Richelieu l’avait donc emporté, dans
l’intérêt du souverain, il en était persuadé.
Le pâle Claude de Saint-Simon ne fut d’aucun secours au malheureux
Louis. Depuis qu’il l’avait comblé de charges et d’honneurs, créé duc et
pair, capitaine de Versailles, grand louvetier, premier gentilhomme de la
Chambre, conseiller du roi en ses conseils d’Etat, gouverneur de Blaye, ce
futile écuyer suivait les traces de Luynes et de Baradas, mettant à l’épreuve
l’amitié qu’il lui portait. Quel vil et ingrat personnage ! Un « petit punais »,
comme l’appelait Bassompierre dans ses Mémoires, hautain et désinvolte.
Le roi, très attaché aux mœurs de son entourage, lui reprochait d’avoir
commerce avec des « garces ». Leurs brouilleries et leurs disputes étaient
constantes. La reddition honteuse de son oncle, M. de Saint-Léger,
gouverneur du Catelet, avait affaibli fortement sa position, Richelieu
assurant même que c’était lui, Saint-Simon, qui par ses indiscrétions avait
permis la fuite en Angleterre du coupable. Un beau jour, Louis l’envoya
dans son château de Blaye en Bordelais, sous le vague prétexte que les
ennemis risquaient de débarquer sur les côtes de Guyenne.
Richelieu n’était pas mécontent. Le favori, qui avait réussi à se
maintenir une dizaine d’années en le flattant, ne lui avait jamais été d’une
grande utilité. Une autre jeune fille restait en place, qui pouvait profiter du
désarroi royal, Marie de Hautefort, tout aussi dangereuse, sinon plus, que la
petite La Fayette, puisque liée à la reine, à Monsieur et au comte de
Soissons. Comment s’en débarrasser ? Fin joueur d’échecs, le cardinal
avança un nouveau pion : Françoise de Barbezieux, demoiselle de
Chémerault, fille d’honneur de la reine et grande amie de Mlle de
Hautefort. Habilement chapitrée, celle-ci devait lui adresser régulièrement
des rapports. Mieux encore, Anne d’Autriche, qui l’appréciait beaucoup,
parut disposée à encourager cette idylle.
Mais Louis XIII la trouvait méchante, brouillonne ; son visage ne lui
revenait pas. « Je sais que la reine a mis en campagne tous ceux qui étaient
de son parti pour m’y porter », écrit-il le 4 juin 1637 à Richelieu, dont il
ignorait la nouvelle duplicité. Il aimait mieux encore se « raccommoder »
avec Hautefort. Il était surtout résolu à ne plus avoir d’amie intime. Il
l’avait promis à Mlle de La Fayette. « Je n’ai jamais manqué de parole, ni à
elle ni à moi. Je persisterai jusqu’à la mort dans ledit dessein de ne
m’engager à personne, et essayerai à vivre le mieux que je pourrai en ce
monde, pour faire en sorte de pouvoir gagner le paradis à la fin, qui est le
seul but qu’on doit avoir en ce monde. Voilà mon intention, en laquelle je
persisterai tant que le bon Dieu me fera la grâce de vivre15. »
Richelieu n’était pourtant qu’à moitié rassuré, car le roi, désemparé, ne
pouvait se passer de Louise Angélique. Il allait la voir en son monastère et
avait avec elle de longues conversations mêlées de larmes derrière la grille
du parloir. Sa première visite, le 30 juin, dura plus de trois heures. Il avait
négligé d’en avertir le cardinal ! Les officiers et les courtisans qui
l’accompagnaient se tenaient à distance. Il était heureux de la douce
sérénité qui régnait dans ce couvent. A son retour, il dit au père Caussin
« qu’il embrasserait volontiers l’état religieux, s’il n’était pas attaché au
gouvernement du royaume16 ». Ces entretiens répétés le réconfortaient. Ils
lui redonnaient, comme il l’écrivait à son Premier ministre, « la santé
parfaite » et augmentaient sa dévotion17. Sans doute faisaient-ils l’effet
contraire sur son correspondant ! Mais c’est d’un autre couvent qu’allait
venir la menace la plus grave…

Complot au Val-de-Grâce
Anne d’Autriche, soupçonnée, espionnée, traitée en demi-recluse,
n’était pas plus heureuse que Louis. Dès 1621, elle avait acheté au lieu-dit
le Petit-Bourbon, faubourg Saint-Jacques, un vaste terrain, où s’élevait un
ancien couvent d’Oratoriens. Elle y avait installé les religieuses
bénédictines du Val-Profond, près de Bièvres-le-Châtel. Ainsi naquit le Val-
de-Grâce*2. Elle y allait souvent faire ses dévotions. C’est en ce lieu que,
dans le courant de l’année 1636, elle commença à entretenir une
correspondance assidue avec ses frères, Philippe IV et le cardinal-Infant, sa
belle-sœur, la reine d’Angleterre, le Premier ministre Olivares, le marquis
de Mirabel, ambassadeur d’Espagne, et naturellement sa chère Marie de
Rohan, l’industrieuse duchesse de Chevreuse, exilée en Touraine. La
supérieure du couvent, Louise de Milley, en religion mère de Saint-Etienne,
franc-comtoise d’origine et espagnole de cœur (son frère était gouverneur
de Besançon), couvrait cette activité.
Un des plus fidèles serviteurs de la reine, Pierre de La Porte, qui
exerçait la charge de portemanteau, était le pivot de cette conspiration
épistolaire. C’était cet homme discret, habile et intelligent, qui chiffrait et
déchiffrait les lettres, qui s’occupait des cachets et de l’encre sympathique,
réalisée au moyen de jus de citron. Il dissimulait son matériel, ainsi que les
missives adressées clandestinement au couvent, dans la petite chambre qu’il
occupait à l’hôtel de Chevreuse, où son frère était domestique. Un certain
nombre d’intermédiaires servaient de « boîtes aux lettres », portaient les
plis et les réponses : la galante Mme du Fargis, chassée du service de la
reine au lendemain de la journée des Dupes, M. de La Thibaudière des
Ageaux, gentilhomme poitevin, lord Ralph Montagu, Auger, secrétaire de
l’ambassadeur d’Angleterre à Paris et ancien serviteur de Buckingham, le
prince de Marcillac, qui avait une « très grande liaison d’amitié » avec
Mme de Chevreuse, tout comme le jeune lord William Craft, également du
complot. L’abbesse Odette de Jouarre, belle-sœur de cette dernière,
transmettait les correspondances en Lorraine. Certains agissaient en toute
innocence, comme l’archevêque de Bordeaux qui, de passage à Tours, remit
une missive à son collègue l’archevêque, lequel se rendait fréquemment à
Couzières, chez Mme de Chevreuse.
La trahison était patente. La reine était coupable d’intelligences avec
l’ennemi. Heureusement, elle ne savait pas grand chose des affaires de
l’Etat, ne détenait aucun secret susceptible de mettre la sécurité de la France
en péril18. Manœuvres brouillonnes, lettres futiles, toutes de maigres
conséquences, n’incitèrent pas le puissant comte-duc d’Olivares à prendre
au sérieux l’activité épistolaire de la fille de Philippe III, de son amie
Chevreuse et de la petite coterie des exilés français de Bruxelles qui ne
songeaient qu’à se repaître de l’or du Roi Catholique.
Dès le milieu de 1636, peut-être avant, Richelieu, par les rapports de ses
espions, avait acquis la conviction que, sous couvert de dévotion, la reine
profitait de la liberté qu’elle trouvait dans ce discret refuge, loin du Louvre
ou de Saint-Germain, pour avoir des relations avec l’étranger. Cachotteries
de femme ? Mais la reine de France n’était pas une femme ordinaire. Ses
faits et gestes ne supportaient pas l’ombre et le mystère. Le cardinal
attendait son heure.
Vers le mois de février 1637, le roi s’étonna de voir La Porte parler à
l’oreille de la reine à des heures inhabituelles, jusqu’à minuit passé. De là à
supposer qu’elle conspirait, peut-être en liaison avec son âme damnée la
Chevrette, il n’y avait qu’un pas. Devait-on arrêter La Porte ? Les preuves
manquaient. Richelieu, à qui Louis s’était ouvert de ses soupçons, conseilla
la patience. « Sire, je ne voudrais pas que Votre Majesté accomplisse
quelque chose hors de propos, si on le faisait arrêter et que l’on ne trouvât
rien ensuite. Dieu fera découvrir en temps voulu ce qu’il peut y avoir de
mal19. »
A la fin de juin ou au début de juillet, une lettre de la reine au marquis
de Mirabel, l’ambassadeur d’Espagne à Bruxelles, qui atterrit sur son
bureau, fournit la preuve accablante qui manquait. Des correspondances
circulaient bien entre le Val-de-Grâce et l’extérieur, grâce à des porteurs
non identifiés, mais dont faisait sans doute partie le portemanteau de la
reine. Le cardinal fit donc surveiller les allées et venues de cet inquiétant
factotum.
Le 9 août, le roi pria sa femme de le rejoindre à Chantilly. Celle-ci
retarda son départ de deux ou trois jours. Louis s’en étonna. Le 10, à
7 heures du matin, du château de Madrid, il griffonna ce billet à Richelieu :
« Je trouve étrange ce changement, car elle m’avait dit avant-hier au soir
qu’elle serait mardi à Chantilly sans faute. » Si Anne avait différé son
voyage, n’était-ce pas parce qu’elle avait des messages urgents à écrire à
ses correspondants ? Et ce La Porte dont la mine ne lui revenait pas, que
faisait-il ? N’était-ce pas lui qui allait se charger des plis ?
Pour Richelieu, c’était le moment d’agir. C’est ce qu’il conseilla au roi.
Le même jour, à 8 heures du soir, d’Ecouen, celui-ci lui adressa un nouveau
billet : « J’approuve votre proposition sur l’affaire que vous savez ; j’envoie
Dumont vous trouver pour savoir plus amplement votre pensée sur ce qu’il
y a à faire. Je ne crois pas que ce soit l’homme de qui il est question qui
aille porter les paquets au Val-de-Grâce pour les porter à celui qui les fait
tenir. Toutefois, il est bon d’y faire prendre garde. Au pisaller, l’affaire se
peut faire comme vous l’avez proposé20… »
Le 12, vers 6 heures du soir, une discrète voiture était arrêtée au coin de
la rue Coquillière et de la rue des Vieux-Augustins. La Porte fut poussé
dedans. Aussitôt elle partit à vive allure, rideaux baissés, et ne s’arrêta
qu’une fois relevé le pont-levis de la Bastille.
On trouva dans son habit, à hauteur du genou, une lettre assez anodine
de la reine à la duchesse de Chevreuse. Pas de quoi fouetter un chat ! Le
lendemain, après avoir passé une mauvaise nuit au cachot sur un lit de
sangles, sous la garde d’une sentinelle peu délicate qui avait dévoré son
maigre repas, le portemanteau fut conduit au logis du gouverneur et
interrogé par un grave maître des requêtes, le sieur Leroy de La Potterie, qui
étala sous ses yeux non seulement la lettre en question, mais d’autres
encore. La Porte redouta que l’on eût découvert sa cachette de l’hôtel de
Chevreuse, un trou dans le mur, fermé d’une plaque de plâtre (en fait, il
n’en avait rien été) ; il fit front courageusement, ce jour-là et les autres,
niant tout, avec la dernière énergie, sachant que par son silence il protégeait
sa maîtresse21.
Dès le 13, sur ordre exprès du roi, l’archevêque de Paris Mgr Jean-
François de Gondi et le chancelier Pierre Séguier effectuèrent une
perquisition au Val-de-Grâce et pressèrent de questions l’abbesse qui avait
d’abord prétexté une maladie pour leur échapper. Elle fut tout aussi muette
que La Porte, résistant même à une menace d’excommunication. Le
couvent fut fouillé de fond en comble, du parloir à la chambre de la reine,
en passant par l’appartement de l’abbesse. Rien ! Un fort caractère que cette
mère de Saint-Etienne ! Elle s’obstina dans ses dénégations. Alors, sans
ménagement, Mgr de Gondi la déposa de ses fonctions et la fit jeter dans un
carrosse. Elle était reléguée au couvent de La Charité-sur-Loire. Le
lendemain, la communauté porta docilement à sa tête la sœur de
Pontchâteau, une cousine du cardinal…
Le même jour, l’infatigable Pierre Séguier arriva à Chantilly et se rendit
incontinent à l’appartement de la reine. Respectant à peine les convenances,
il la harcela de questions, puis, pour la confondre, sortit la lettre du marquis
de Mirabel en sa possession. N’était-ce pas la preuve de sa connivence avec
l’étranger ? En pleine guerre ! Avec brutalité, le Chancelier lui dit qu’il
avait ordre d’interroger ses domestiques, de sonder ses coffres et armoires.
Anne d’Autriche, dans un geste d’affolement, s’empara du billet et le glissa
dans son décolleté. Mais, sous la menace d’une fouille corporelle, elle finit
par le lui rendre, folle de rage et de confusion devant les menaces de cet
arrogant robin. Selon Tallemant des Réaux, qui corse toujours ses récits de
gaillardises, l’impudent ministre aurait alors commis une scandaleuse
privauté, frisant la lèse-majesté : « Il la fouilla en quelque sorte, écrit-il, car
il lui mit la main dans son corps et l’approcha de ses tétons22. »
Elle jura avec hauteur et colère qu’elle n’entretenait aucune
correspondance criminelle. Atrocement choquée par cette scène, elle eut un
malaise et se fit saigner à deux reprises. Elle était bouleversée, humiliée –
elle l’arrière-petite-fille de Charles Quint ! –, persuadée qu’on allait cette
fois la répudier et l’enfermer dans un couvent ou peut-être à la forteresse du
Havre, chez son ennemi. Ne disait-on pas que le roi se remarierait avec
Mme de Combalet ? C’était évidemment une pure vue de l’esprit ! Mais,
dans la cour de Chantilly, les courtisans évitaient de lever les yeux vers ses
fenêtres : quelle disgrâce !
Le 15 août, après avoir communié, elle chargea son secrétaire des
commandements, Nicolas Le Gras, de se rendre chez le cardinal et de lui
confirmer sur le saint sacrement qu’elle n’avait eu aucune part à ces
supposées correspondances, que La Porte n’avait transmis que des lettres
sans importance à son amie Mme de Chevreuse. Sacrilège ! Le Gras revint
confus vers sa maîtresse avec la réponse de Son Eminence : les
renseignements dont il disposait lui interdisaient de tenir compte de ses
dénégations ! Anne, effondrée, pria Richelieu de venir chez elle à son lever.

« Il y a plus, Madame… »
Le Premier ministre s’y rendit, accompagné de Mme de Senecey, des
secrétaires d’Etat Chavigny et Sublet de Noyers. Son onctueuse déférence
contrastait avec la roide sécheresse de Séguier. Il avait un message à lui
transmettre de la part de Sa Majesté : tout serait oublié, à condition de tout
avouer ! Anne reconnut alors qu’elle avait écrit au cardinal-Infant, son
frère, mais, s’empressa-t-elle d’ajouter, des lettres sans conséquence. « Il y
a plus, Madame ! » répliqua Richelieu impavide. La reine se troubla,
balbutia. Elle était en position de faiblesse, en accusée, devant ce prêtre
redoutable. Oui, elle avait échangé des lettres avec Mme de Chevreuse, reçu
d’elle de mauvais conseils. « Il y a plus, Madame ! » insista Richelieu. Elle
avait écrit en Angleterre. « Il y a plus, Madame ! » Elle était à la torture,
affolée. Elle demanda aux assistants de sortir, à l’exception de son
confesseur le père Fernandez et avoua qu’elle avait voulu empêcher les
Anglais de se déclarer contre l’Espagne. Elle pleura. On l’avait si mal
traitée en France ! Le cardinal la pressait de questions. A qui écrivait-elle,
comment, quand ? C’est au Val-de-Grâce qu’elle rédigeait ses
correspondances. La Porte les portait à Auger, à l’ambassade d’Angleterre à
Paris. La valise diplomatique permettait de transmettre ces lettres sans
encombre à l’ambassade britannique à Bruxelles. De là, elles arrivaient
dans les mains du marquis de Mirabel. Cet Antonio de Toledo, marquis de
Mirabel, était un homme dangereux. Avant d’être en poste à Bruxelles, il
avait été ambassadeur d’Espagne à Paris de 1621 à 1632 et avait travaillé
activement à contrecarrer la politique française, aidant en sous-main par
exemple le duc de Rohan et les protestants révoltés ou cherchant à
corrompre le connétable de Lesdiguières, lors de l’affaire de la Valteline.
Si l’on en croit Richelieu, qui relate la scène, Anne en pleurs manifesta
« beaucoup de déplaisir et de confusion d’avoir fait tous les serments
contraires à ce qu’elle confessait ». Alla-t-elle, comme il le prétend, jusqu’à
le remercier de s’entremettre auprès du roi ? Peut-être. Elle était si
désemparée. L’entretien était achevé. « Donnez-moi la main », l’implora-t-
elle, en lui présentant la sienne. Mais Richelieu se déroba, « par respect »,
précise-t-il.
Elle n’en était pas quitte pour autant. Elle dut réitérer ses aveux au roi
qui la fixait de son regard glacial, dans un silence effrayant. Puis, celui-ci
exigea une confession de sa main, dont le cardinal lui rédigea le modèle :
« … Nous, Anne, par la grâce de Dieu, reine de France et de Navarre,
avouons librement, sans contrainte aucune, avoir écrit plusieurs fois à M. le
cardinal-Infant, notre frère, au marquis de Mirabel, à Gerbier, résident
d’Angleterre en Flandres, et avoir reçu souvent de leurs lettres. […]
Qu’entre autres choses, nous avons quelquefois témoigné du
mécontentement de l’état auquel nous étions et avons reçu et écrit des
lettres au marquis de Mirabel qui étaient dans des termes qui devaient
déplaire au roi ; que nous avons donné avis du voyage d’un minime en
Espagne pour que l’on eût l’œil ouvert à prendre garde à quel dessein on
l’envoyait ; que nous avons donné avis audit marquis de Mirabel que l’on
parlait ici de l’accommodement de M. de Lorraine avec le roi et que l’on y
prît garde… »
Suivait la liste des manquements et des correspondances auxquels
étaient mêlés La Porte et Marie de Rohan. Anne promettait de « ne
retourner jamais à pareilles fautes » et signa23. Louis ajouta sur le document
– toujours l’obsession notariale des pactes écrits :
« Après avoir vu la franche confession que la reine, notre chère épouse,
a faite de ce qui nous a pu déplaire en sa conduite depuis quelque temps et
l’assurance qu’elle nous donne de sa conduite, selon son devoir envers nous
et notre Etat, nous déclarons que nous oublions entièrement tout ce qui s’est
passé, n’en vouloir avoir jamais souvenance, mais voulons vivre avec elle
comme un bon roi et un bon mari doit faire avec sa femme24. »
Une annexe précisait les restrictions qui lui étaient imposées :
interdiction d’écrire en son particulier, interdiction jusqu’à nouvel ordre de
se rendre dans un couvent ; pour le cas où cet ordre serait levé, une dame
d’atour et une dame d’honneur l’accompagneraient25… Et elle dut signer à
nouveau : « Je promets au roi d’observer religieusement le contenu ci-
dessus26. » Par l’intermédiaire de Chavigny, Richelieu lui demanda une
autre lettre reconnaissant qu’elle avait fait croire « à diverses personnes
dans le monde » qu’il l’avait persécutée pour des raisons « toutes fausses »
(dont celle, on l’imagine, de lui avoir fait la cour…). Malheureusement, le
texte n’a pas été conservé27. Anne avait touché le fond de l’humiliation.

Le lendemain, à Paris, on tira La Porte de son cachot. La nuit était


tombée. Il sortit de l’enceinte de la forteresse, le cœur oppressé ; de son
carrosse, il voyait défiler les endroits sinistres de la capitale, où le guet
retrouvait habituellement au petit matin des corps sans vie, la gorge trouée.
Ce fut la plus grande frayeur de sa vie, comme il l’avoue dans ses
Mémoires. Passé le coin de l’église Saint-Paul, le cimetière Saint-Jean, la
place de Grève et la Croix-du-Trahoir, il se mit à respirer « plus à son
aise ». La voiture enfin s’immobilisa dans la cour des cuisines du Palais-
Cardinal. La Porte comprit qu’il allait être interrogé par le grand cardinal en
personne.
Il était là, en effet, à son bureau, entouré de Séguier et de Sublet de
Noyers qui servait de greffier. La conversation commença aimablement. A
quoi servaient ses dénégations ? Qu’il passe aux aveux, et sa fortune était
faite ! « A propos, lui dit le cardinal, on n’a trouvé que 500 livres dans votre
cabinet, est-ce là tout votre bien ? » C’était la plus grande partie, en effet.
« Voilà bien de quoi être si opiniâtre ! » s’exclama le cardinal, railleur, en se
tournant vers Séguier. La Porte répondit qu’il n’était pas homme à se laisser
corrompre. C’était pour lui une question de devoir, de fidélité à sa charge.
La fidélité ? Mais c’est au roi qu’il la devait, lui répliqua Richelieu. Qu’il
reconnaisse donc que la reine entretenait des correspondances avec
l’Espagne et les ennemis de la France ! L’autre résista. Non, il n’avait rien à
dire, puisqu’il ignorait tout ! Alors le cardinal lui lança : « Mais elle l’avoue
et dit que c’est par vous qu’elle entretient ses correspondances ! » Pierre de
La Porte demeura de marbre… Même la menace des instruments de torture
que lui fit voir M. de Laffemas, le « bourreau du cardinal », dans la
chambre de la question ne le fit pas desserrer les dents. Sorti de la Bastille à
8 heures du soir, il ne retrouva son cachot qu’à une heure du matin.
Il subit encore d’autres interrogatoires. Pour l’ébranler, on lui présenta
une lettre de la reine lui demandant de parler ; mais lui, persuadé d’une
ruse, demeura muet. Enfin, par l’intermédiaire du commandeur de Jars,
embastillé depuis l’affaire Châteauneuf, et par plusieurs prisonniers,
enfermés les uns au-dessus des autres et qui avaient percé leur plancher,
Mlle de Hautefort réussit à le joindre et à l’avertir de ce que la reine avait
reconnu… La jeune fille avait rendu visite au commandeur, déguisée en
femme de chambre de son amie, Mme de Villarceaux, qu’elle avait
accompagnée à la grille du corps de garde28. La Porte fabriqua de l’encre
avec de la cendre de paille brûlée délayée dans un reste d’huile de salade,
utilisa une paille taillée en pointe et écrivit sur une lettre qu’on avait oubliée
dans sa poche. On était en plein roman29 ! Le fidèle factotum, jusque-là
muet comme une tombe, fit donc des aveux partiels. A Chantilly, Anne eut
encore à s’en expliquer. Le 22, elle donna quelques détails complémentaires
à Séguier. Le 23, le procès-verbal de l’interrogatoire de La Porte lui fut lu à
Chantilly en présence du père Caussin et du roi.
Le portemanteau de la reine resta encore sept mois à la Bastille, dans un
régime allégé, fréquentant les ennemis du cardinal qui jouaient aux boules
dans la cour… La seule à échapper aux mailles du filet fut la redoutable
châtelaine de Couzières. Richelieu lui dépêcha deux abbés pour l’assurer
qu’elle était incluse dans l’amnistie royale. Elle ne voulut leur accorder
aucun crédit. Elle se méfiait trop des procédés cardinalices. Elle convint
d’un code avec Mlle de Hautefort, qui lui avait envoyé à cet effet son
cousin, M. de Montalais : si elle lui faisait passer un livre d’heures relié en
vert, il n’y avait rien à craindre. En revanche, s’il était rouge, il fallait fuir.
Le 5 septembre, elle reçut enfin le livre de prières : il était rouge ! On a
conté qu’il y avait eu méprise, car le cardinal voulait faire la paix avec elle.
Toujours est-il que, déguisée en homme, la Chevrette quitta aussitôt
Couzières, accompagnée de deux domestiques, pour la frontière espagnole.
Le vieil archevêque octogénaire de Tours l’avait aidée dans sa fuite. « Vous
verrez qu’il fera tout ce que je voudrai, s’était-elle exclamée un jour, je n’ai
qu’à lui laisser toucher ma cuisse ! » De Madrid, elle se rendit en
Angleterre, multipliant amours et intrigues, selon son habitude. Elle ne
reverra la France qu’après la mort du roi…

La chute du père Caussin


Entre Richelieu et le confesseur du roi, le père Caussin, rien n’allait
plus. A la suite de la première visite de Louis XIII au couvent de la
Visitation, il avait prié le jésuite de lui rapporter les confidences qu’il
pourrait apprendre. Il importait au bien de l’Etat que la postulante n’ait pas
d’influence sur le monarque. « Hé quoi, Monseigneur ! s’exclama le bon
père Caussin, qu’y aurait-il à craindre ? Mlle de La Fayette est une
enfant ! » Le cardinal lui répliqua : « Vous n’êtes pas méchant, il faut que je
vous apprenne la malice du monde ; sachez que cette enfant a pensé tout
gâter. »
Tout gâter ? Mais c’était précisément ce que voulait le bon apôtre !
Obtenir du roi l’arrêt de cette guerre indigne et injuste entre puissances
catholiques, soulager les peuples écrasés d’impôts nouveaux, assurer la
réconciliation de la famille royale par le retour de Marie de Médicis, depuis
trop longtemps exilée. La piété filiale l’exigeait. Une sainte alliance ne
tarda pas à se nouer entre Louise Angélique, qui prit l’habit le 22 juillet, et
le confesseur. Chacun devait agir de son côté, afin de persuader le souverain
qu’il faisait fausse route. Anne d’Autriche, qui assista à la cérémonie de
vêture, au cours de laquelle le père Caussin prononça l’homélie – Louis,
trop ému, s’était abstenu –, rejoignit la pieuse cabale. Après la cérémonie,
elle eut un long entretien avec lui, lui soulignant les dangers de la politique
du cardinal. L’autre acquiesça, bien entendu. On était à quelques jours de la
crise des lettres espagnoles.

Le roi reprit ses entretiens au parloir de la Visitation Sainte-Marie. Il


était ébranlé. Il commençait à douter de Richelieu, à s’interroger sur le
bien-fondé de son action. Pieux et scrupuleux jusqu’à l’inquiétude, il
craignait que Dieu n’approuvât pas son alliance avec les hérétiques, c’est-à-
dire avec les princes protestants d’Allemagne, voire avec le Turc, comme il
l’envisageait, de façon à reconstituer la fameuse alliance de revers de
François Ier. Il parlait longuement de ces sujets et d’autres avec son
confesseur, ce qui ne fit qu’accroître les appréhensions du cardinal, qui ne
manquait pas d’interrompre leurs tête-à-tête. Pour se débarrasser de
l’importun, le roi et le prêtre décidèrent d’une ruse : ils feraient semblant de
réviser ensemble les offices chantés en latin que Louis composait pour les
grandes fêtes de l’année. « Voilà de petits offices qui nous rendent un grand
service », jubilait le roi.
L’influence occulte du père Caussin s’étendait dangereusement. En
novembre 1637, il obtint la nomination d’un de ses amis, l’abbé de La
Ferté, au siège épiscopal du Mans. Richelieu ne l’apprit que par la bande. Il
s’empressa alors de proposer au souverain le même candidat, feignant
d’être le premier à le lui suggérer. Louis, flegmatique, approuva, sans lui
avouer qu’il avait déjà fait ce choix.
Caussin se crut tout permis. Il voulut frapper un grand coup, accroître le
trouble et l’inquiétude du roi, de façon à provoquer la chute du cardinal et
un salutaire renversement à la tête de l’Etat. Il profita de l’entretien
préalable à la confession du 8 décembre, jour de la fête de Notre-Dame,
pour porter l’estocade. Le peuple criait misère. Il fallait le soulager. « Ah,
mon pauvre peuple ! » soupira le monarque. Oui, renchérit le prêtre, il était
responsable devant Dieu des atrocités de la guerre, particulièrement de
celles commises par ses alliés hérétiques, les Suédois, qui ravageaient
l’Allemagne. Et il serait responsable encore de l’alliance qu’il recherchait
avec les Turcs contre l’empire. Quelle honte pour le Très-Chrétien ! A cette
remontrance, Louis brusquement comprit que le confesseur allait trop loin,
qu’il se trompait, faisait le jeu de l’ennemi. Il lui rétorqua avec vivacité :
« Je voudrais que le Turc fût dans Madrid pour obliger les Espagnols à faire
la paix, et puis après je me joindrais à eux pour lui faire la guerre. » Le
prêtre fut indigné de cette réponse. Il s’offusqua du mauvais traitement
infligé à la reine dans l’affaire du Val-de-Grâce.
Louis sortit furieux de l’entretien. Ah, le vilain sermonnaire ! Il hésita à
solliciter de lui l’absolution de ses péchés… En dépit des plaintes qu’il
avait pu formuler contre son Premier ministre, la maladroite hardiesse de
son directeur de conscience l’avait conforté, s’il en était besoin, dans ses
convictions en matière de politique extérieure. Il se confessa néanmoins. Au
moment du prône, Caussin, sûr de sa victoire, s’écria : « Quand donc
s’élèvera cette paix, paix tant aimée du monde qui souffre ? Voici vos
sujets : chaque jour ils perdent tout, et jamais cependant ils ne perdront le
sentiment d’affection que leur cœur a pour vous. La terreur empêche leurs
plaintes d’arriver jusqu’à votre trône. Mais mon ministère m’oblige à être
leur représentant auprès de vous et à vous parler pour eux. Sous un roi très
chrétien ils souffrent ce que sous un maître infidèle ont à souffrir des sujets
à peu près esclaves. » Tous ces détails nous sont connus grâce au compte
rendu que le roi fit à Chavigny, sachant pertinemment qu’ils seraient
rapportés à Richelieu.
Ce fut le branle-bas de combat à Rueil. Le père Caussin fut convoqué.
Le roi arriva à son tour. Le confesseur se retira discrètement, et le cardinal
entreprit Louis XIII pour lui démontrer l’inanité des arguments d’un homme
de Dieu qui avait outrepassé sa mission et ne comprenait rien à la politique.
La guerre contre les Habsbourg était une guerre juste et légitime. Quant au
rappel de Marie de Médicis, il ne créerait que misérables confusions et
basses intrigues, comme toujours.
Le 10 décembre, une lettre de cachet parvint au supérieur de la maison
professe des Jésuites de Paris : le trop zélé directeur de conscience était
exilé à Rennes. Il sera envoyé un peu plus tard à Quimper-Corentin. Il fut
remplacé dans ses fonctions de confesseur par un autre jésuite, plus docile
et plus effacé, le père Sirmond30. Recevant en audience l’ambassadeur de
Venise Contarini, le roi lui déclara : « J’ai éloigné mon confesseur, il y avait
longtemps que je m’étais aperçu qu’il ne marchait pas dans la bonne voie,
car il était tout espagnol. »
Jugement sans doute injuste. Caussin était un homme maladroit, mais
foncièrement sincère et honnête. Il avait agi selon sa conscience, en homme
hostile à la politique menée, pour qui le catholicisme devait l’emporter sur
les intérêts de l’Etat. « J’ai dit au roi ce que je ne pouvais taire sans me
damner, écrira-t-il de son exil à Sublet de Noyers, lui remontrant avec
effusion de larmes l’extrême misère de son peuple et le devoir de sa
charge. » Nombreux dans ce royaume de France, meurtris, appauvris,
anéantis par cette terrible guerre, partageaient ce point de vue sans toujours
le dire. Et c’était bien ce qui ajoutait aux soucis du roi…
Le parti dévot n’avait nullement disparu avec Bérulle et les Marillac. En
1637 avait été traduit le Mars Gallicus de l’évêque d’Ypres, Cornelius
Jansen (le futur père involontaire du « jansénisme »), sous le titre : Le Mars
français ou la guerre de France, en laquelle sont examinées les raisons de
la justice prétendue des armes et des alliances du roi de France. Sous
couvert de prendre position dans un débat moral non résolu par le concile
de Trente – l’attrition (c’est-à-dire le regret du péché par simple peur du
châtiment divin) suffit-elle pour obtenir l’absolution du pécheur, au lieu de
la contrition, autrement dit le regret du péché par amour de Dieu ? –, Jansen
attaquait le choix des alliances protestantes de Louis XIII et cherchait à
troubler sa conscience de chrétien. Pour lui, la contrition parfaite et non
l’attrition était nécessaire au pardon du péché, ce qui supposait
l’engagement de ne plus le commettre. De là, bien entendu on glissait à la
politique et aux accords exécrés avec les hérétiques, ennemis de la vraie foi.
On ne pouvait simplement les regretter, il fallait y renoncer pour l’avenir.
Telle était aussi la position du père Caussin. Richelieu et nombre de prélats,
favorables à l’attrition, soutenaient l’opinion contraire. Le livre de Jansen
donnait des armes aux dévots.
En France, l’ennemi politique et religieux le plus dangereux pour
Richelieu était devenu Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran,
qui avait connu à Louvain Jansen. Il était le directeur de conscience des
religieuses de Port-Royal et des premiers Messieurs qui faisaient retraite
près de ce couvent. Le jansénisme n’allait pas tarder à naître : l’Augustinus
de Jansen, paru en 1640, sera condamné par la bulle d’Urbain VIII In
Eminenti de mars 1642, mais l’état d’esprit janséniste avait déjà imprégné
une partie de l’Eglise de France. Dès 1635-1636, on constatait une baisse
des communions. En mai 1638, Richelieu avait fait embastiller un prêtre
oratorien disciple de Saint-Cyran, le père Claude Séguenot, auteur d’un
Traité de la Sainte Virginité qui avait beaucoup troublé le roi, car il y avait
lu qu’une absolution donnée à un fauteur de guerre œuvrant contre le
catholicisme était nulle. L’ouvrage avait été censuré par la Sorbonne. Saint-
Cyran était lui aussi partisan de la contrition parfaite et hostile aux alliances
protestantes. Bon polémiste et homme d’influence, il avait pris la tête du
parti dévot. Il avait été un des rares théologiens à admettre la validité du
mariage de Marguerite de Lorraine et de Gaston d’Orléans, ce qui n’était
pas pour plaire, on s’en doute, aux autorités. Une semaine après
l’arrestation du père Séguenot, Richelieu le faisait saisir et conduire au
donjon de Vincennes. « J’ai fait aujourd’hui une chose qui fera crier contre
moi, écrivait-il. J’ai fait arrêter par ordre du roi M. l’abbé de Saint-Cyran.
Les savants et les gens de bien en feront peut-être du bruit. Quoi qu’il en
soit, j’ai la conscience assurée d’avoir rendu service à l’Eglise et à l’Etat.
On aurait remédié à bien des malheurs et des désordres si l’on avait fait
emprisonner Luther et Calvin dès qu’ils commencèrent à dogmatiser31. »
Nombreux furent les évêques, les prêtres engagés dans la Contre-Réforme –
dont Monsieur Vincent –, les parlementaires à s’émouvoir d’un acte aussi
odieux. Au prince de Condé qui intercédait pour lui, l’inexorable cardinal
répliqua : « Savez-vous bien de quel homme vous me parlez ? Il est plus
dangereux que six armées… » La division à l’intérieur de l’Eglise n’était
pas près de disparaître.

L’enfant du miracle
Il n’y avait pas à tergiverser : Louis devait se réconcilier avec Anne la
perfide, remplir ses obligations maritales et engendrer un fils, faute de quoi
il laisserait le trône à Gaston et à Marguerite. Avec ce prince influençable,
soumis aux Grands, qui pouvait dire ce qu’il adviendrait de la France ? Et
pourtant, le roi demeurait obstinément hostile à la reine. Sa vie de couple
était en morceaux depuis des années. L’affaire du Val-de-Grâce était encore
toute récente et l’avait bouleversé. De la savoir si proche de l’adversaire
espagnol faisait souffrir intensément sa fibre patriotique. Entièrement
accaparé par sa lutte contre la maison d’Autriche, tendu vers la victoire, il
ne faisait qu’un avec son royaume. Le moindre échec l’abattait, la moindre
contrariété le rendait malade, au sens propre du terme.
Pour dénouer cette crise du couple, deux personnes jouèrent un rôle
essentiel : Louise Angélique et Armand Jean, la visitandine et le cardinal.
Paradoxalement, les ennemis d’hier devenaient les alliés de demain. Tous
deux le suppliaient de surmonter son aversion, de reprendre ses relations
conjugales.
Anne avait, elle aussi, grand intérêt à cette réconciliation, ne fût-ce que
pour consolider sa situation incertaine. La maternité était sa meilleure
protection contre la répudiation, une assurance pour l’avenir. Le roi était
dans un tel état de délabrement physique, fatigué, usé avant l’heure,
constamment valétudinaire, qu’il était évident qu’elle ne pourrait se
maintenir à la Cour s’il venait à mourir sans postérité. Monsieur monterait
sur le trône et, d’une manière ou d’une autre, se débarrasserait d’elle. Bref,
elle avait tout intérêt à se montrer complaisante envers son mari, quels que
fussent son amertume et ses griefs.
Malgré les obstacles et les échecs répétés, elle gardait au plus profond
d’elle-même un désir d’enfant. Dans l’espoir d’être exaucée, elle eut
recours aux prières de nombreuses communautés, notamment, en 1632,
celles de l’abbaye Saint-Michel-de-Frigolet*3. L’année suivante, elle se
rendit en cure avec son mari à Forges-les-Eaux, dont les eaux ferrugineuses
étaient réputées pour leurs vertus antianémiques. La même année, elle alla
se recueillir à Breuil sur le tombeau de saint Fiacre de Meaux. On ne sait
qui lui avait donné ce conseil, car ce saint ermite du VIIe siècle, patron des
jardiniers, avait la réputation de guérir les fistules et les hémorroïdes plutôt
que la stérilité ! Elle invoqua aussi un chanoine de Cologne, fondateur de
l’ordre des Prémontrés, saint Norbert de Xantren, sans oublier saint
Léonard, patron des femmes en couches (un échevin de Saint-Léonard-de-
Noblat lui aurait apporté le verrou fermant le portail de l’église). Sur ce
dernier circulait une historiette égrillarde. Frappé par la foudre, jeté à bas de
son cheval, on l’aurait retrouvé tout roidi par le feu du ciel, spécialement
une certaine partie de son individu restée « à la redresse »…
Anne ne savait plus à quel saint se vouer ! On baignait alors dans un
climat de religiosité intense, fruit de la Contre-Réforme. Un courant
mystique exaltait la sainte enfance de Jésus et attendait des signes
manifestes du Ciel. Une accumulation de merveilleux, de prophéties et de
révélations privées entourait cette grossesse fébrilement espérée par la
France entière.
Une carmélite de Beaune, Marguerite du Saint-Sacrement, qui avait une
dévotion particulière à l’Enfant Jésus, reçut du Christ cette réponse le jour
de Noël de 1635 : « Je t’accorde le dauphin que tu demandes, et tu ne
mourras point sans avoir la joie et la consolation de voir ma promesse
accomplie ! » Le 15 décembre 1637, une nouvelle communication de l’au-
delà l’avertissait que la reine était enceinte. Anne d’Autriche fut aussitôt
mise au courant et, après la naissance de son fils aîné, envoya à sœur
Marguerite une petite statue de Louis XIV.
A quatre reprises, la Vierge apparut à un religieux augustin déchaussé
de Paris, Denis Anthaume, dit frère Fiacre*4, et lui demanda de faire dire
trois neuvaines pour la fécondité de la reine, dans trois sanctuaires
différents, Notre-Dame-des-Grâces à Cotignac, en Provence, la cathédrale
Notre-Dame et NotreDame-des-Victoires, à Paris. Dans la vision du frère, la
Vierge tenait un enfant dans ses bras : « Ce n’est pas mon fils, lui dit-elle,
c’est l’enfant que Dieu veut donner à la France ! » Elle lui fit voir ensuite
une image miraculeuse la représentant, qui se trouvait dans le sanctuaire de
Cotignac (où elle-même était apparue en 1519 avec l’Enfant Jésus), image
que le frère reconnut lorsqu’il s’y rendit officiellement en pèlerinage à la
demande du roi. Monsieur Bernard, aumônier de l’Hôtel-Dieu, prévint la
reine de ces apparitions et de la naissance promise. « Vous n’êtes pas le
premier qui m’ayez prédit cette grâce de Dieu, lui répondit la reine, mais
vous êtes le premier qui me l’ayez fait croire32. » Beaucoup plus tard, le
21 février 1660, Louis XIV, lors de son voyage dans le Midi, se rendra à
Cotignac, en pèlerinage d’action de grâces. Il fera don de son grand cordon
du Saint-Esprit et de son anneau de diamant à la statue de Notre-Dame et
apposera dans l’église une stèle de marbre noir, qui existe toujours.

L’enfant de l’orage
Dans son Histoire du règne de Louis XIII, le père Henri Griffet a donné
au XVIIIe siècle une explication anecdotique à la naissance de Louis XIV, qui
a longtemps fait figure de version officielle. Le 5 décembre 1637, le roi
avait quitté Versailles pour aller coucher à Saint-Maur, où son lit et ses
bagages l’avaient précédé. Les châteaux à l’époque, on le sait, n’étaient que
partiellement meublés. Passant par Paris, il ne put s’empêcher de s’arrêter
au couvent de la Visitation. Pendant qu’il s’entretenait avec sœur Louise
Angélique, survint un violent orage, rendant impossible aussi bien un
déplacement à Saint-Maur qu’un retour à Versailles. La nuit était tombée et
l’orage redoublait. Bref, il ne savait que faire. Guitaut, son capitaine des
gardes du corps, lui suggéra de se rendre au Louvre, dans l’appartement de
sa femme, qui était le seul meublé. Un souper et un logement tout préparé
l’attendaient. Louis refusa d’abord, espérant que le temps changerait
bientôt. La douce Angélique insista. Alors, il accepta. Guitaut partit à bride
abattue avertir la reine. Ils soupèrent ensemble et comme il n’y avait qu’un
lit, ils le partagèrent… Le pieux complot avait réussi. Les religieuses de la
Visitation s’étaient toutes mises en prière, suivies d’autres églises et
couvents. Neuf mois après, jour pour jour, poursuit le père Griffet, Anne
mettait au monde un fils, « dont la naissance inespérée causa une joie
universelle à tout le royaume ». Dans ses Mémoires, La Porte nommait
Louis XIV « l’enfant de mon silence », rappelant que sans son mutisme
héroïque de la Bastille, la réconciliation avec la reine n’aurait pu se faire. Si
l’on se rapporte à la version du R.P. Griffet, le Roi-Soleil serait plutôt le fils
de l’orage !

Mais la date du 5 décembre et les circonstances de ce prétendu voyage à


Saint-Maur sont-elles si sûres ? Selon une lettre du 14 janvier 1638 de
Bouvard, premier médecin du roi, à Richelieu, l’enfant était « déjà conçu et
formé de six semaines », ce qui renvoyait la conception au 2 ou 3 décembre
1637. D’après une dépêche de Richelieu à Chavigny datée d’août 1638,
Bouvard avait calculé que la naissance aurait lieu entre le 23 et le 28 de ce
mois. La conception remonterait donc à la période du 23 au 28 novembre
1637. Le 2 septembre 1638, soit trois jours avant la naissance, Louis XIII
lui-même écrivait : « Elle est deux jours dans le dixième mois », ce qui
nous renvoie encore à la fin de novembre33. Si l’on considère maintenant
les lieux possibles, selon la Gazette, le roi et la reine auraient séjourné à
Saint-Germain du 9 novembre au 1er décembre, puis se seraient rendus
ensemble à Paris. Le 2, Louis XIII quittait le Louvre pour Crosne, puis pour
Versailles le 5, tandis que la reine restait dans la capitale34.

Un fait est sûr : la paternité du roi. Certains, aux XVIIIe et XIXe siècles
ont cité, sans aucun fondement, parmi les pères possibles de Louis XIV, le
marquis de Créqui, le comte de La Rivière, le comte de Rochefort, le duc de
Beaufort, le comte de Rantzau, le comte de Moret (mort à la bataille de
Castelnaudary en 1632 !), voire le beau Buckingham (assassiné en 1628 !).
Quelques auteurs ont attribué la grossesse de la reine à Mazarin, en raison
de la passion amoureuse qui les unira sous la Fronde. Les dates ne
coïncident pourtant pas. En 1636, le futur cardinal occupait les fonctions de
vice-légat du pape en Avignon. Rappelé à Rome en octobre de cette année-
là, il y resta jusqu’en 1640, ne revenant à Paris que le 4 janvier. Le dauphin
avait alors seize mois. Le monsignore était assurément très doué, mais il est
difficile de croire qu’il ait pu procréer à distance ! D’aucuns, comme
Georges et André de Wissant, ont imaginé qu’il aurait pu faire un rapide
aller et retour à Paris dans le courant de l’année 1637. Des lettres de Rome
datées de novembre et décembre, époque de la conception du futur
Louis XIV35, viennent les contredire. Laissons là ces fantaisies.
Comme reine de France, Anne était une femme entourée jour et nuit de
dames d’honneur, de dames d’atour, de demoiselles d’honneur, de femmes
de chambre, servantes, mi-espionnes mi-domestiques. On ne la laissait
jamais seule. Pour la protéger, elle avait un chevalier d’honneur (Emmanuel
de Crussol, duc d’Uzès), un premier écuyer (François de Béthune, comte
d’Orval), des écuyers, des gentilshommes servants, des gardes du corps…
Cette étroite surveillance, liée à sa fonction procréatrice, essentielle en
monarchie, s’était encore accrue après l’affaire du Val-de-Grâce. Il est donc
invraisemblable, inimaginable, qu’elle ait pu avoir un amant. Ajoutons que
tout ce qu’on sait d’elle s’oppose à une telle hypothèse. La fille de
Philippe III était foncièrement honnête, noble de caractère, trop pieuse, trop
fière pour tomber dans l’adultère. Même son idylle avec Buckingham
n’avait pas été très loin et il y a tout lieu de penser que, plus tard, sa liaison
avec Mazarin ne franchira pas les bornes d’un amour platonique. On
observera enfin qu’aucun de ceux qui auraient eu intérêt à contester la
filiation du dauphin ne s’avisa de le faire, pas plus Gaston d’Orléans que
Marie de Médicis, le comte de Soissons ou le duc de Vendôme. Mme de
Chevreuse elle-même, si insinuante, si méchante langue et en même temps
si bien placée pour connaître tout ce qui se passait dans l’entourage de son
amie, n’en souffla jamais mot. Rien non plus dans les pires libelles que tous
ces gens financèrent en sous-main. La fable n’apparaît qu’en 1692 dans un
pamphlet orangiste contre Louis XIV : Les amours d’Anne d’Autriche,
épouse de Louis XIII, avec M. le C.D.R., le véritable père de Louis XIV…,
où il faut se garder de trouver quelque vérité historique. Quant à Louis XIII,
qui engendra un nouvel enfant, Philippe, né à Saint-Germain le
21 septembre 1640, il ne douta jamais de la paternité du premier. A ceux
qui parlaient de miracle à propos de sa naissance, il répondait agacé « que
ce n’en était pas un qu’un mari qui couchât avec sa femme lui fît un
enfant ».

Le 30 janvier 1638, la très officielle Gazette annonçait la grossesse de


la reine : « Le 30, tous les princes, seigneurs et gens de condition se sont
allés conjouir avec Leurs Majestés à Saint-Germain sur l’espérance conçue
d’une très heureuse nouvelle de laquelle, Dieu aidant, nous vous ferons part
dans peu de temps. » Au début de février, on présenta à la reine la ceinture
de la Vierge, conservée au Puy-Notre-Dame, près de Montreuil-Bellay.
Cette relique, qu’avait rapportée de Palestine Guillaume IX, duc
d’Aquitaine, à l’issue de la première croisade, en 1099, était censée
protéger les femmes enceintes des fausses couches ou des douleurs de
l’accouchement (Anne de Bretagne l’avait portée pour le dauphin Charles).
Que ne la lui avait-on donnée plus tôt ! En tout cas, Louis était ravi, comblé
par la grossesse de sa femme, mais il n’avait rien oublié ni rien pardonné.

Le vœu de Louis XIII


Le 10 février 1638, le Conseil, réuni à Saint-Germain, expédia les
lettres patentes plaçant, comme Louis XIII l’avait promis, le royaume sous
la protection divine, par l’intermédiaire de Marie, mère du Christ et mère de
Dieu, en remerciement de la délivrance de Corbie et de l’héroïque défense
de Saint-Jeande-Losne. Louis XIII fixa au 15 août suivant, fête de
l’Assomption*5, la date de la cérémonie. Il fit ériger à Notre-Dame de Paris
un autel dédié à la Vierge où il devait figurer offrant sa couronne et son
sceptre à une Pietà (cet autel ne sera réalisé qu’un demi-siècle plus tard,
sous le règne de Louis XIV). Tous les évêques de France étaient priés de
commémorer solennellement le vœu le 15 août de chaque année, en
présence des compagnies souveraines et du corps des villes, et de consacrer
à la Vierge Marie la principale chapelle de leurs églises. Le texte était d’une
parfaite rigueur théologique, ne comportait aucun excès de mariolâtrie de
mauvais aloi comme on en verra éclore au XIXe siècle :
« Louis, par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre, à tous ceux
qui ces présentes lettres verront, Salut. […] Lorsque nous sommes entré au
gouvernement de cette couronne, la faiblesse de notre âge donna sujet à
quelques mauvais esprits d’en troubler la tranquillité : mais la main divine
soutint avec tant de force la justice de notre cause que l’on vit en même
temps la naissance et la fin de ces pernicieux desseins. En divers autres
endroits, l’artifice des hommes et la malice du diable ayant suscité et
fomenté des divisions non moins dangereuses pour notre Couronne que
préjudiciables au repos de notre Maison, il lui a plu en détourner le mal
avec autant de douceur que de justice ; la rébellion de l’hérésie ayant aussi
formé un parti dans notre Etat, qui n’avait autre but que de partager notre
autorité, il s’est servi de nous pour en abattre l’orgueil […]. Si nous avons
entrepris la protection de nos alliés, il a donné des succès si heureux à nos
armes qu’à la vue de toute l’Europe, contre l’espérance de tout le monde,
nous les avons rétablis en la possession de leurs Etats dont ils avaient été
dépouillés […]. A ces causes, nous avons déclaré et déclarons que, prenant
la très sainte et très glorieuse Vierge pour protectrice spéciale de notre
royaume, nous lui consacrons particulièrement notre personne, notre
couronne et nos sujets, la suppliant de nous vouloir inspirer une si sainte
conduite et défendre avec tant de soin ce royaume contre l’effort de tous ces
ennemis que, soit qu’il souffre le fléau de la guerre ou jouisse de la douceur
de la paix que nous demandons à Dieu de tout notre cœur, il ne sorte point
des voies de la grâce qui conduisent à celles de la gloire […]. »

Ce serait ne rien comprendre à la personnalité du roi que d’en négliger


sa dimension religieuse. Animé d’une foi ardente, humble de cœur devant
Dieu, pénétré de son indignité, il avait une dévotion particulière pour la
Vierge Marie, en qui il mettait toute sa confiance. Il avait multiplié envers
elle les actes de piété, visitant au cours de ses multiples déplacements en
province les sanctuaires mariaux. Il croyait aussi à la justice immanente, à
l’intervention de la divine Providence dans les affaires du royaume. Or,
pendant longtemps, le sort incertain de ses armes l’avait fait hésiter. On l’a
vu avec le père Caussin. En déclarant la guerre à un pays catholique,
l’Espagne, en soutenant contre l’empereur catholique des princes réformés,
avait-il fait vraiment le bon choix ? Cet affreux cortège de misères et de
ruines, qui avait suivi l’ouverture des hostilités, n’était-ce pas le sceau de la
condamnation divine ? Certes, pour les grandes orientations de sa politique
étrangère, il avait fait confiance à un homme d’Eglise, un prêtre, un cardinal
romain, membre du Sacré Collège. Mais, tant que le Ciel n’avait pas fait
connaître clairement sa réponse, il était en droit de se demander s’il ne
faisait pas fausse route. Fallait-il faire passer l’intérêt de l’Etat avant la paix
de la Chrétienté ? N’était-ce pas une immense erreur désapprouvée par
Dieu, comme le pensaient les dévots, qui voyaient dans l’alliance suédoise
une alliance diabolique ? Des remords traversaient parfois son esprit, car
Louis, malgré son apparente raideur, son sens inexorable du devoir, son
goût de l’ordre et de la justice, n’était pas un être insensible, monolithique,
impitoyable, tant s’en faut. On peut même dire que ce furent ses tourments
et ses inquiétudes qui lui donnèrent, au creux de l’âme, cette dimension
profondément humaine qu’on lui a si souvent contestée.
Le spectaculaire rétablissement des armes françaises après Corbie –
cette « bataille de la Marne » du Grand Siècle – lui avait apporté la
réponse, apaisante et merveilleuse, qu’il attendait anxieusement. D’où cet
immense Alléluia. La naissance d’un héritier mâle viendra ensuite, comme
un signe miraculeux, éclatante confirmation que l’Espagne n’avait pas « le
monopole de la cause de Dieu36 ». Acte de piété et d’abandon à sa mère du
Ciel, le vœu était aussi un geste politique, par lequel le roi remerciait le
Christ et sa divine mère de l’avoir soutenu dans l’épreuve et de lui avoir
montré qu’il ne s’était pas trompé. Comme l’annonce coïncida avec celle de
la grossesse de la reine, on a souvent assimilé les deux événements et
considéré – à tort – que Louis XIII avait demandé à la Vierge un dauphin.
Mais le lien qui n’existait pas au départ se fera tout naturellement lors de la
seconde commémoration en août 1639. « Cet événement exquis du Ciel, lui
disait alors le père Maimbourg, tu le dois au royal présent que tu fis de toi-
même et de la France37 ! »

L’origine du vœu de Louis XIII


Ici deux questions se posent. Si le roi est bien le signataire du vœu, qui
en eut le premier l’idée ? Et qui l’a rédigé ? On a longtemps prêté
l’initiative à Richelieu qui, dès le mois de mai 1636, proposait à Louis XIII
d’offrir en signe de vœu à la Vierge une belle lampe rituelle brûlant
perpétuellement en son honneur dans la cathédrale. « Un redoublement de
dévotion ne peut produire que de très bons effets38 », lui écrivait-il. La
lampe fut suspendue le 9 octobre, jour de la Saint-Denis, devant l’autel de
la Vierge. Mais ce n’était pas ce qu’attendait le roi.
Une mystique des Filles du Calvaire de Morlaix, cet ordre créé par le
père Joseph, passa également pour en être l’inspiratrice. Elle s’appelait
Anne-Marie de Goulaine, en religion sœur Anne-Marie de Jésus Crucifié.
Stigmatisée le vendredi saint de 1630, elle avait été témoin en juillet 1636 –
au moment de la crise de Corbie – de plusieurs apparitions de la Vierge et
du Christ, dont elle fit part au père Ange, secrétaire du père Joseph. A
propos du roi, le Fils de Dieu lui aurait dit : « Il n’aime pas le vice et les
mauvais plaisirs, mais il se laisse trop porter à la mélancolie et aux chagrins
et aux aversions des personnes qui déplaisent à ses sens, aimant et haïssant
selon leurs mouvements. Cela n’est pas bien en un particulier, beaucoup
moins en un roi que je veux aimer et qui est aimé de ma mère… » La
voyante avait prophétisé la reprise de Corbie et annoncé le désir du Christ
d’une consécration spéciale à la Vierge : « Je veux aussi qu’il fasse honorer
ma Mère en son royaume, en la manière que je lui ferai connaître39. » Le
compte rendu du père Ange avait été transmis au roi. Quelques mois plus
tard, en décembre 1637, Richelieu et le père Joseph travaillaient à la
rédaction du vœu et, le 10 de ce mois, la Vierge était instituée protectrice
spéciale du royaume.
Ces influences spirituelles ont joué certainement un rôle, mais il faut
aussi compter avec la volonté personnelle du roi et de l’antériorité de sa
décision. En examinant aux Archives nationales le dossier, le père René
Laurentin a découvert que dès 1630 Louis XIII, sans doute après
l’éprouvante maladie de Lyon où il avait failli périr, avait rédigé un premier
texte en latin, dont voici un extrait en français :
« A la Vierge Mère de Dieu, reine du monde, fondatrice des Eglises,
protectrice du royaume, combattante des hérésies, réconciliatrice de la paix
éternelle, […] Louis XIII […] se livre lui-même et son royaume à Dieu en
premier, à l’empire de la Très Puissante Dame, les consacre à la Majesté, les
confie à leur assistance, atteste le motif perpétuel de ce don votif… » Tout
ou presque était déjà dans cette première formulation. Le souverain
demandait même que le jour de l’Assomption fût célébré avec solennité et
procession « en commémoration perpétuelle d’une si singulière
protection40 ». Le vœu de Louis XIII est donc bel et bien son œuvre
personnelle et non celle de Richelieu, comme on le dit souvent. On ignore
la raison pour laquelle il ne fut pas proclamé dès 1630. Toujours est-il qu’à
l’automne de 1637 Louis XIII conçut une nouvelle version, dont le cardinal
et son ami capucin firent disparaître les aspects trop subjectifs (« dès notre
jeune âge », « nous donnant des sentiments intérieurs de la prendre pour
protectrice »…).
Le 15 août 1638 à Abbeville, il le prononça pour la première fois dans
l’église des Minimes et conduisit la procession mariale, entouré d’une foule
immense. Ce vœu inspira à Philippe de Champaigne une toile célèbre,
actuellement au musée de Caen, où l’on voit la Vierge au pied de la croix,
soutenant de la main gauche la tête de son fils et recevant du monarque sa
couronne et son sceptre. Simon Vouet peignit pour sa part un Vœu de
Louis XIII et d’Anne d’Autriche à la Vierge du Rosaire. Ce ne sont que deux
exemples parmi d’autres. De nombreuses églises de France conservent
encore des tableaux des XVIIe et XVIIIe siècles représentant cette scène. Sur le
plan politique, le vœu fut tout de suite très populaire. Associé à la fête de
saint Louis, déclaré dès 1618 « patron et protecteur de la France », il joua
un rôle de grande importance dans l’union des Français autour du trône,
renforçant la monarchie de droit divin et le culte de la personne royale.

L’attente
A l’automne de 1637, contraint et forcé par la nécessité dynastique,
Louis avait accompli le devoir conjugal sans amour, la rancune au cœur.
Comment aurait-il pu oublier les constantes trahisons, les odieuses
perfidies, les menées souterraines de cette femme qui avait été jusqu’à
souhaiter sa disparition et songé à son remariage avec Gaston ? Cela
explique qu’il ait eu un grand besoin de tendresse, comme une
compensation affective à ses souffrances et à son esseulement. Mystère de
cette âme énigmatique ! Son vif penchant pour la superbe Hautefort reprit
soudain, comme un feu couvant sous la cendre. Il avait nommé sa grand-
mère, Mme de La Flotte, dame d’atour de la reine, avec pour Marie la
survivance de cette fonction qui lui donnait droit de se faire appeler
Madame41. Puis il lui avait accordé le péage du pont de Neuilly, à charge
pour elle de restaurer cet ouvrage (construit en bois trente ans plus tôt, il
venait de s’effondrer !). Louis semblait très épris. Il est vrai qu’à vingt-deux
ans, Marie n’avait jamais paru si belle, si éclatante. Mais ses défauts
s’étaient accentués. Désintéressée pour elle-même, elle cherchait à
accumuler pour ses proches, frères ou cousins, places, honneurs et pensions.
Plus grave, elle traitait avec hauteur son royal chevalier servant, dont elle
faisait souvent le désespoir.
Le 22 avril, grande nouvelle : l’enfant remua dans le ventre de sa mère.
Deux jours plus tard, on tira en cet honneur un feu d’artifice à l’Arsenal, en
présence de Son Eminence, le tout ponctué de trente-trois coups de canon et
de soixante-quinze « boîtes » qui explosèrent dans un vacarme
assourdissant. Pour faire plaisir à la reine, on libéra La Porte, qu’on exila au
Mans. « Le premier coup de pied du roi, écrira-t-il dans ses Mémoires, me
fit ouvrir les portes de la Bastille et m’envoya à plus de quarante lieues de
là ! »
Puis on se préoccupa de la maison du futur enfant. Pour la charge de
nourrice, on retint une aimable matrone, Elisabeth Ancel, femme de Jean
Longuet de La Giraudière, procureur du roi au bureau des finances
d’Orléans. Celle très enviée de gouvernante échut à la marquise douairière
de Lansac, fille de feu le maréchal de Souvré, gouverneur du jeune
Louis XIII, au lieu de Mme de La Flotte qui visait la place. C’était une
parente et une bonne espionne de Richelieu. Louis savait que la reine n’en
voulait pas. Il en était d’autant plus satisfait, clamant que « cette seule
raison, quand il n’y aurait que celle-là, le confirmerait dans la résolution
qu’il avait prise » (lettre du surintendant de Bullion à Richelieu). Anne
restait toujours l’hypocrite et artificieuse Chesnelle, comme il la
surnommait dans sa correspondance avec le cardinal !
Après une tournée d’inspection à Amiens et à la frontière du nord,
Louis XIII revint à Saint-Germain-en-Laye. C’est là, au Château Neuf, que
la reine devait faire ses couches*6. De la voir triomphante et adulée, au
milieu de toutes les femmes caquetantes de la Cour, la princesse de Condé,
la comtesse de Soissons, la duchesse de Vendôme, la Connétable de
Montmorency, le rendit de mauvaise humeur. Le plus désagréable fut de
constater que Marie de Hautefort était tombée sous l’influence d’une autre
demoiselle d’honneur, Marguerite de Chaumont, et par là de la reine.
Grande était sa déconvenue. Furieuse de la nomination de Mme de Lansac,
son égérie ne cessait de le harceler de picoteries. Jamais leurs relations
n’avaient été si froides. Les serviteurs du roi Nogent et La Chesnaye
travaillaient vainement à leur raccommodement.
Dans un billet à Richelieu du 19 août, Louis étale sa mauvaise humeur :
« J’arrivai hier sur les deux heures après midi, où je trouvai la reine en
bonne santé et non prête d’accoucher qu’on nous mandait. Je voudrais bien
n’être arrivé ici si tôt et être encore en Picardie. Je m’en vais demain à
Versailles pour deux ou trois jours. J’ai trouvé le sexe féminin avec aussi
peu de sens et aussi impertinent en leurs questions qu’ils ont accoutumé. Il
m’ennuie bien que la reine ne soit accouchée pour m’en retourner en
Picardie, si vous le jugez à propos, ou ailleurs : pourvu que je sois hors
d’avec toutes ces femmes, il m’importe où. Je vous prie d’avoir soin de
votre santé42. »
La santé de la reine lui importait peu, du moment qu’elle pût mettre au
monde sans difficulté son enfant et que ce fût un fils ! C’étaient ses rapports
avec Marie qui l’obsédaient. Elle ne l’aimait pas, lui échappait, se moquait
de lui. Quand leurs relations se tendaient, « il ne parlait à personne, observe
la Grande Mademoiselle, et personne aussi n’osait lui parler ; il s’asseyait
dans un coin, où le plus souvent il bâillait et s’endormait. C’était une
mélancolie qui refroidissait tout le monde, et pendant ce chagrin il passait la
plus grande partie du jour à écrire ce qu’il avait dit à Mme de Hautefort et
ce qu’elle lui avait répondu ; chose si véritable qu’après sa mort l’on a
trouvé dans sa cassette de grands procès-verbaux de tous les démêlés qu’il
avait eus avec ses maîtresses, à la louange desquelles l’on peut dire, aussi
bien qu’à la sienne, qu’il n’en a jamais aimé que de très vertueuses43 ».
Allait-il devoir se séparer de cette ingrate, comme il s’était séparé de
ses confidents masculins, Baradas et Saint-Simon ? Dans sa correspondance
avec le cardinal, il ne l’appelait plus que la « créature », c’est dire ! Il en
était malade. Son ventre une fois de plus était enflé. A son retour de
Versailles, il était si mécontent qu’il laissa courir qu’il « s’ajusterait » avec
Mlle de Chémerault, pour le cas où il se séparerait définitivement de sa
cruelle. Tout un parti, d’ailleurs, travaillait pour elle à la Cour. Mais
Richelieu, alors à Chaulnes, se demandait, vu l’extrême contrariété de
Louis, si le mieux ne serait pas leur réconciliation : « Cela ne m’empêchera
pas d’aller mon grand chemin et de le servir toujours, en préférant les
contentements du roi qui sont justes et innocents en toutes choses. »
Le 25, Chavigny, de Saint-Germain, informait Son Eminence que le roi
avait rédigé la veille au matin une lettre de rupture. Depuis, il avait changé
d’avis. « L’après-dînée, Sa dite Majesté me commanda de renvoyer après le
courrier pour l’empêcher de partir, parce qu’elle voulait encore voir le soir
si elle pourrait se remettre en bonne intelligence avec la créature. Enfin,
l’inclination a été la plus forte, le raccommodement a été fait le mieux du
monde, et le roi, qui avait une inquiétude extraordinaire et un fort mauvais
visage, est revenu gai au dernier point et son ventre s’est abaissé sans user
des remèdes qu’il pratique d’ordinaire. » Le 27, le vigilant Chavigny
mandait encore à Son Eminence : « Sa Majesté eut presque envie, hier, de
se rebrouiller, mais, véritablement, il ne put trouver de sujet… » Cette
correspondance montre le souci extrême de Richelieu d’être mis au fait des
histoires de cœur du roi dans leurs moindres détails. Il y en allait de sa
survie politique et du bien du royaume.

Louis Dieudonné
C’est dans la chambre du roi, décorée de peintures allégoriques dues au
pinceau de Simon Vouet, que s’était installée la royale parturiente. Selon
l’usage et ainsi que l’avait fait sa belle-mère à Fontainebleau trente-sept ans
plus tôt, elle devait accoucher en public. Le samedi 4 septembre, vers une
heure de l’après-midi, elle ressentit les premières douleurs. Le travail ne se
faisait pas dans de bonnes conditions. Elle souffrait énormément. Bouvard,
premier médecin, et Honoré, chirurgien, s’installèrent dans l’antichambre.
On craignait pour la vie de la malheureuse. Louis en restait insensible. La
mort de Chesnelle ne lui aurait pas coûté une seule larme ! Mais il s’étonna
de voir Marie de Hautefort pleurer dans l’embrasure d’une fenêtre.
Pourquoi s’affligeait-elle ? « Je serai assez content si l’on peut sauver
l’enfant, lui dit-il ; vous aurez lieu, Madame, de vous consoler de la
mère… »
Cette phrase qui figure dans une Vie de Marie de Hautefort a
naturellement beaucoup choqué les historiens, qui ont douté qu’elle ait pu
être prononcée. Sa femme accouchait, et il n’attendait (n’espérait ?) que sa
mort ! Elle n’a pourtant rien d’invraisemblable si l’on considère son refus
obstiné du pardon, contrastant avec la ferveur du chrétien. Mais que voulait-
il laisser entendre à Marie ? Qu’il était prêt à se remarier avec elle ? On
conte que durant la nuit il se fit lire par son valet de chambre La Chesnaye
quelques histoires de rois veufs qui, comme Assuérus, avaient épousé leurs
sujettes…
A 4 heures du matin, l’évêque de Lisieux vint dire une messe sur un
petit autel dressé dans les appartements royaux. Il fut relayé dans la matinée
par Dominique Séguier, évêque de Meaux et premier aumônier du roi. La
foule se pressait dans la chambre. Louis était épuisé, au comble de
l’angoisse. Trois jours auparavant, la fièvre l’avait pris à la suite d’une rude
chevauchée en forêt. Vers le milieu de la matinée du 5, comme le travail
n’était pas achevé, on lui conseilla de se retirer et d’aller prendre son dîner.
Vers 11 heures, alors qu’il venait de se mettre à table, vite on le pressa de
revenir. La reine enfin accouchait. En chemin, il rencontra Mme de Senecey
qui lui annonça triomphalement : « C’est un dauphin ! » Des cris de joie et
de félicitations l’accueillèrent. Quand il arriva dans la chambre de la reine,
il faisait une chaleur étouffante. La sage-femme, dame Péronne, lui présenta
l’héritier, un enfant vagissant, robuste et de belle taille. Louis, le visage
radieux, ému jusqu’aux larmes, mit un genou à terre et rendit grâces. Il était
transporté d’émotion. Cela faisait près de vingt-trois ans qu’il était marié !
Gaston, désappointé d’avoir vu « par raison physique » que le nouveau-né
était bien de sexe mâle, s’efforçait de cacher sa déconvenue sous une mine
de convenance : il n’occupait plus que la seconde place dans la liste des
héritiers du trône.
L’enfant, ondoyé par l’évêque de Meaux, fut confié à sa nourrice,
Mme de La Giraudière, et porté avec solennité entre deux haies de gardes
du corps jusqu’à l’appartement prévu pour l’accueillir, qu’on avait tendu de
damas blanc. Il n’avait pas encore de prénom, mais il avait déjà le surnom
de Dieudonné ! A une heure de l’après-midi, un Te Deum improvisé fut
chanté à la demande du roi dans la chapelle du Château Vieux. Sitôt la
naissance du dauphin, les courriers étaient partis annoncer la grande
nouvelle. Arrivés au guet de Neuilly – car le pont n’avait pas encore été
restauré par Mlle de Hautefort –, ils firent virevolter longuement leurs
chapeaux à plumes au-dessus de leur tête. C’était le signal convenu. Pour
une fille, ils devaient croiser les bras !
Les jours précédents, le clergé parisien avait multiplié les prières
publiques, exposant jour et nuit le saint sacrement. Les couvents étaient en
oraison. L’heureuse délivrance était un soulagement pour la nation entière et
une source d’immense espérance. Jamais, après tant d’attente, la ferveur
monarchique n’avait été si grande. Une immense onde sonore, vibrant
d’une céleste allégresse, se propageait à travers le royaume des lys, de
clocher en clocher, comme un remerciement aux promesses du Ciel.
A Paris, les quarante canons de l’Arsenal tirèrent leurs salves joyeuses,
le bourdon de Notre-Dame « bourdonna ». On promena des reliques de
saints de par la ville. On alluma trois cents boîtes fumantes et tonnantes et
de grands feux sur le Pont-Neuf, en place de Grève, sur d’autres places
encore. Tambours, trompettes, flambeaux et fusées, la liesse populaire s’en
donnait à cœur joie. Le peuple dansait aux carrefours. Généreusement, les
cabaretiers perçaient des tonneaux et distribuaient des pichets de vin. A
Saint-Germain, les festivités étaient non moins exceptionnelles. Derrière le
Château Vieux, un obélisque fut dressé ; de quatre dauphins en argent
jaillissait le vin que le peuple s’empressait de boire. Le soir, chaque maison
s’illumina d’une lanterne ou d’une chandelle.
Richelieu, qui était en voyage à la frontière nord, montra au roi son
immense satisfaction : « Je crois que Dieu vous l’ayant donné, il l’a donné
au monde pour de grandes choses. » Il mesurait autant que le souverain
toutes les conséquences politiques de l’événement. C’en était fini des
pleutreries et palinodies de l’inconstant Gaston, de l’agitation nobiliaire
autour de lui et de Marie de Médicis, otages des Espagnols ou des Lorrains.
La Couronne était enfin affermie, la succession assurée, l’Etat stabilisé.
Cela n’empêchera pas d’autres complots – les derniers du règne – d’éclater.
Les Grands, toujours si puissants avec leurs réseaux de clients et d’obligés,
ne s’assagiront pas immédiatement. Mais, avec la naissance du futur
monarque, ces derniers soubresauts violents perdront toute légitimité.
La reine était heureuse, heureuse de sa maternité, heureuse d’être la
mère du futur roi et d’avoir conjuré la menace d’une répudiation, heureuse
d’être entourée, félicitée par les courtisans, célébrée par les poètes. Jamais,
depuis le mariage de Bordeaux, elle n’avait connu tant de bonheur. Elle
retrouvait confiance en elle. Louis aussi était radieux. Il allait plusieurs fois
dans la chambre de son fils le voir téter et remuer.
Mais ni Richelieu ni lui n’étaient revenus sur leurs préventions. Tout au
plus, témoignaient-ils à la reine une politesse et une déférence un peu plus
appuyées. Pressé par son entourage, Louis après la naissance avait esquissé
un léger baiser – un bien léger baiser – à sa femme. Il n’était pas question
de l’admettre au Conseil, ni même de la laisser s’occuper de son enfant. Ce
n’était pas le sien, mais celui de l’Etat ! Mme de Lansac avait été nommée
pour cette tâche. C’était elle, assistée de la sous-gouvernante, Mme de La
Chesnaye, femme du premier valet de chambre du roi, qui changeait les
nourrices quand elles ne convenaient pas, sans lui en référer. Et des
nourrices, il y en eut de nombreuses, car le petit dauphin, robuste et joufflu,
né avec une dent, déchirait leurs mamelles avec une surprenante ardeur.
Sept victimes se succédèrent ainsi. L’ambassadeur de Suède conseillait aux
voisins de la France de « se précautionner d’une rapacité si précoce » !
Déjà ! Les astrologues rivalisaient à esquisser son portrait d’après la
configuration du ciel au moment de la naissance : le médecin Jean-Baptiste
Morin, le juriste hollandais Hugo Grotius, le moine calabrais Tommaso
Campanella s’essayèrent à cet exercice conventionnel avec plus ou moins
de bonheur, ne tarissant pas d’éloges. Dès sa naissance, le futur Roi-Soleil
avait trouvé l’hyperbole dans son berceau, en guise de hochet !

*1. Un sourire.

*2. Les bâtiments actuels, notamment la magnifique église due à Mansart, seront élevés de 1645
à 1667.

*3. Cette abbaye, qui inspirera plus tard Alphonse Daudet pour son Elixir du Révérend Père
Gaucher, contient quatorze tableaux qui auraient été offerts, avec les boiseries dans lesquelles ils sont
encastrés, par Anne d’Autriche après la naissance de Louis XIV.

*4. Mort en réputation de sainteté en 1684, le frère Fiacre était particulièrement vénéré des
cochers parisiens : c’est ainsi qu’il donna son nom à leur voiture…

*5. Comme d’autres églises, l’Eglise de France célébrait l’assomption de la Vierge Marie, avant
la proclamation en 1950 du dogme de l’Assomption par l’Eglise universelle.

*6. Mal entretenu, le château tomba en ruine sous le règne de Louis XV. Il fut démoli sous celui
de son successeur, de 1777 à 1782. L’unique vestige, qu’on appelle le pavillon Henri IV, était l’un des
deux pavillons en saillie servant de chapelle.
XXI
La guerre, toujours la guerre…

L’échec des tentatives de paix


La paix ? On en discutait beaucoup entre belligérants. Des pourparlers
s’étaient ouverts à Hambourg, ville hanséatique, entre les représentants du
nouvel empereur Ferdinand III et ceux de la reine Christine. Les diplomates
des grandes puissances y étaient présents ou représentés, chacun campant
sur ses exigences et ne songeant qu’à améliorer sa situation sur le terrain,
afin de discuter en position de force. Les Suédois, qui avaient abandonné le
rêve impérial de Gustave Adolphe, ne pensaient « qu’à se faufiler dehors »
par « tous les moyens », comme le disait le chancelier Oxenstierna, mais ils
ne s’étaient pas battus pour se retirer sans avantages territoriaux. Il leur
fallait aussi couvrir leurs frais de guerre. Voyant le pays épuisé, Louis XIII
et Richelieu poursuivaient une stratégie identique, avec toutefois deux
volets différents : ils cherchaient à la fois à négocier avec Philippe IV et à
empêcher, en attendant un éventuel traité avec lui, un brutal arrêt des
conflits en Allemagne, dont la conséquence immédiate aurait été le
retournement de toutes les forces habsbourgeoises contre la France.
Avec l’Espagne, ils avaient bon espoir d’arriver à un accord : fatiguée
militairement, elle connaissait aussi des difficultés économiques
croissantes, y compris dans son empire, où l’occupation du nord du Brésil
par les Hollandais paralysait une grande partie du commerce du sucre et des
bois précieux. Le cardinal avait à Madrid un espion en la personne du baron
de Pujols, membre de la Compagnie du Saint-Sacrement. Sa proximité avec
Olivares lui fit découvrir bien des secrets, en particulier son sincère désir de
parvenir à une trêve.
En mai 1638, le comte-duc dépêcha en France un émissaire, don Miguel
de Salamanca, qui rencontra discrètement Son Eminence dans la pénombre
d’une église de Compiègne. Richelieu était favorable à une cessation des
hostilités, à condition de conserver au moins Pignerol et la Lorraine, ce qui
était difficilement acceptable par les Espagnols. De leur côté, ceux-ci
exigeaient la restitution par les Bataves du Brésil, de Breda et de
Maëstricht. Mais comment prendre pour eux des engagements ? On savait
que tant que les armes leur seraient favorables ils ne se montreraient pas
accommodants. Ils avaient déjà refusé une indemnité de cinq millions de
ducats qu’Olivares leur avait proposée. Bref, la situation était figée :
impossible de poser les bases d’un accord.
En attendant, la France devait consolider son alliance avec les Suédois,
ne fût-ce que pour les empêcher de conclure une paix séparée. Le prix à
payer était élevé, mais Louis et Richelieu l’acceptèrent. Le traité de
Hambourg, conclu entre Adler Salvius, au nom de la reine Christine, et le
comte d’Avaux, au nom du roi de France, entra en vigueur le 15 mai 1638.
Il prévoyait le paiement de l’arriéré des sommes promises au traité de
Compiègne, soit un million de livres, et le versement pour les trois années à
venir de trois autres millions. Français et Suédois s’engageaient à assurer
aux catholiques et protestants d’Allemagne le libre exercice de leur religion
et la conservation de leurs biens.
La France eut moins de chance avec ses alliés italiens : on s’en
souvient, après la mort de Victor Amédée de Savoie le 7 octobre 1637,
Chrestienne devint régente. Malgré les pressions de ses deux beaux-frères,
Thomas de Savoie, qui combattait en Flandre dans les rangs espagnols, et le
cardinal Maurice, qui regroupait à Turin le parti favorable aux Habsbourg,
elle accepta de proroger pour deux ans le traité de Rivoli. Mais on n’était
plus très assuré du soutien de ses armées. A Mantoue, la veuve de Charles
de Gonzague, Marie, préféra se rapprocher du camp espagnol, signant le
21 mars 1638 une alliance avec un envoyé du marquis de Legañes. Le
château de Casal, occupé par une garnison française, se trouvait de ce fait
en danger. Quant au duc de Parme, il se retira tout bonnement. Pour
compenser ces faiblesses ou ces défections, Richelieu se mit en quête de
deux nouveaux alliés : le prince de Transylvanie Georges Rákóczi, qui se
préparait à envahir la Hongrie royale avec l’appui des Turcs, et Charles Ier
d’Angleterre. Les ouvertures furent plus faciles avec le premier, même si les
discussions traînèrent ensuite en longueur, qu’avec le second. Le Stuart, en
effet, s’inquiétait du renforcement de la puissance navale française. Sous la
pression de sa femme, Henriette de France, il avait accordé l’hospitalité à sa
belle-mère, Marie de Médicis, qui avait quitté les Pays-Bas espagnols déçue
du cardinal-Infant. Sa présence à Londres n’était pas un signe encourageant.
Enfin et surtout Charles, qui s’était jusque-là borné à soutenir
financièrement la cause des protestants allemands, n’était plus en état
d’entrer dans une coalition anti-espagnole. Rencontrant de sérieuses
difficultés à réformer l’église presbytérienne d’Ecosse, son pouvoir
paraissait de plus en plus contesté dans le pays. La guerre civile se profilait.

La campagne de 1638
En cette année 1638, malgré le désir de paix quasi unanime, l’option de
la guerre restait donc la seule possible. Au prix d’efforts surhumains, la
France avait réussi à mettre sur pied une gigantesque armée de
120 000 hommes, répartis en sept corps combattant sur tous les fronts. Des
progrès sensibles avaient été réalisés pour l’intendance, mais le
commandement restait médiocre. Le duc d’Angoulême, les maréchaux de
Châtillon et de La Force étaient usés sous le harnois, le maréchal de Maillé-
Brézé, imprévisible et peu compétent.
Il fallait se battre sur tous les fronts, de la mer du Nord à la
Méditerranée, des Flandres aux Pyrénées ; les résultats furent inégaux, avec
de belles victoires, mais aussi de fâcheuses défaites. A la fin de
février 1638, s’attaquant méthodiquement aux villes allemandes établies sur
le cours inférieur du Rhin, Bernard de Saxe-Weimar, qui avait cru
s’emparer sans coup férir de la place de Rheinfelden, avait échoué. Les
Impériaux résistèrent avec bravoure, et il dut se retirer. Mais alors que les
vainqueurs fêtaient bruyamment leur victoire, sans se soucier de la sécurité
de leur campement, les Weimariens, audacieusement, repartirent à l’attaque.
Ils emportèrent tout sur leur passage et firent même prisonnier Jean de
Werth, le diabolique soudard qui avait semé la terreur en France avec ses
cavaliers croates et hongrois. Celui-ci fut conduit à Paris sous bonne escorte
et exhibé comme prise de guerre au milieu des drapeaux ennemis, avant
d’être jeté dans un cachot de Vincennes.
Après Rheinfelden, Fribourg-en-Brisgau capitula en avril. Restait à
prendre Brisach, cette imposante forteresse qui dominait la rive droite du
Rhin entre Colmar et Fribourg. Commencé le 12 août 1638, le siège ne
s’acheva que le 17 décembre. La ville, totalement épuisée, fut vaincue par
la famine comme La Rochelle. Victoire capitale qui garantissait la sécurité
de l’Alsace, donnait aux Français une porte d’entrée en Allemagne et
barrait la seconde route militaire allant du Milanais aux Pays-Bas espagnols
(la première, la Valteline, était déjà fermée). Avant même que l’annonce
officielle parvînt à Rueil, où sur un lit de fer se mourait dans sa soixante-
deuxième année le père Joseph, on raconte que Richelieu exhorta son cher
collaborateur en lui soufflant à l’oreille en guise de viatique : « Courage,
père Joseph, Brisach est à nous ! » Ce pieux mensonge, qui ne faisait
qu’anticiper de quelques heures la nouvelle, accompagna ainsi dans l’au-
delà le fondateur des religieuses calvairiennes… « Je perds ma consolation
et mon unique secours, mon confident et mon appui », dira peiné
l’Eminence rouge.
Sur les autres théâtres d’opérations, la situation était moins
encourageante. La rivalité entre les maréchaux de Châtillon et de La Force
paralysait l’offensive dans les Flandres, malgré les importants moyens mis à
leur disposition. En septembre 1638, la reprise du Catelet compensa à peine
la piteuse levée du siège de Saint-Omer en juillet.
En Italie, la mort du maréchal de Créqui, frappé par un boulet en pleine
poitrine (17 mars), causa la reddition du fort de Breme, sur le Pô, dans la
province de Pavie. Déshonorante capitulation, presque sans combat, qui
affligea le camp français. Le responsable, le baron de Montgaillard, fut
traîné devant un conseil de guerre, condamné à mort et décapité le 22 avril
sur la place du château de Casal. Grâce à la protection de Richelieu, le
cardinal de La Valette, qui avait échoué à Maubeuge l’année précédente,
remplaça Créqui à la tête de l’armée d’Italie. Mais, faute d’effectifs
suffisants, il ne parvint pas à délivrer Verceil, assiégé par le marquis de
Legañes. Le 6 juillet, la garnison franco-piémontaise se rendit. Chrestienne,
qui détestait l’impérieux ministre, en vint à regretter de s’être alliée à son
frère. On se demandait si elle n’allait pas tourner casaque. Les Espagnols
lui faisaient d’alléchantes propositions. Ils s’engageaient à lui rendre
Verceil si seulement elle déclarait sa neutralité. Louis XIII vit le danger.
Sans aucune considération familiale, il donna des instructions secrètes à La
Valette de la traiter, dans cette hypothèse, comme une ennemie à part
entière. Les intérêts de son royaume passaient avant ceux de sa famille !
Finalement, Madame préféra rester de son côté.
La défaite de Verceil fut vengée le 1er septembre par le marquis de Pont
de Courlay, dont les galères envoyèrent par le fond une partie de la flotte
espagnole au Vado, près de Gênes, alors qu’elle conduisait des renforts dans
le Milanais. L’affrontement fut rude. La Guisarde, galère capitane de
France, avait éperonné l’étrave de La Capitana de l’amiral don Rodrigo
Salfat de Velasco et tiré ses bordées au dernier moment, détruisant d’un seul
coup toutes ses pièces d’artillerie1. Six mille marins, galériens et soldats
périrent. Cette victoire isolait le Milanais et rendait plus aléatoire pour les
Espagnols la conquête de Pignerol et de Casal.
En Savoie, nouveau drame : la mort, le 4 octobre 1638, du petit
François Hyacinthe, à la suite d’une chute de cheval, ouvrit une fois encore
la succession ducale. La France s’en serait bien passée. Le dernier enfant de
Chrestienne et de Victor Amédée, Charles Emmanuel, âgé de quatre ans, lui
succéda, sous la seconde régence de sa mère, elle-même de plus en plus
contestée par ses deux beaux-frères, désireux de s’en débarrasser avec
l’aide des Espagnols.
Sur le front pyrénéen, la campagne de Biscaye fut la plus désastreuse de
toutes. Elle avait pourtant commencé en fanfare. Le 22 août 1638, la flotte
de Mgr de Sourdis, qui revenait de Méditerranée, détruisit l’escadre
espagnole de Lopez de Hoces à Guetaria, à l’ouest de San Sebastian,
incendiant onze des douze galions amarrés dans le port et faisant plus de
quatre mille victimes parmi les marins2. A terre, le prince de Condé ne sut
pas profiter de cette victoire. Il assiégeait depuis trois semaines la forteresse
de Fontarabie, en face d’Hendaye, tenue seulement par 7 000 hommes,
alors qu’il en avait lui-même 12 000. Le 7 septembre, une mine ouvrit une
énorme brèche dans les fortifications. Les ennemis étaient à bout de souffle,
la place allait tomber. Louis XIII s’en réjouissait à l’avance : « J’attends,
écrivait-il à Richelieu, la nouvelle de la prise de Fontarabie avec une grande
impatience, me semblant un peu trop longue à venir. Le bruit en court ici
depuis hier ; je prie le bon Dieu qu’il soit véritable. » Malheureusement,
M. le Prince était si confiant qu’il négligea d’ordonner l’assaut. Son adjoint,
Bernard de Nogaret, duc de La Valette, frère du cardinal, affirmait que la
brèche était impraticable. C’est alors qu’une contre-offensive de cinq cents
hommes, lancée avec l’énergie du désespoir à travers cette même brèche,
sema la panique dans les rangs français, contraignant l’armée à refluer en
désordre vers Bayonne. Toute l’artillerie fut perdue. Pitoyable déconfiture
que les réjouissances de la naissance royale firent heureusement passer au
second plan !
M. le Prince, sans reconnaître ses torts, chargea le duc de La Valette.
Celui-ci, se doutant de son sort, refusa de venir s’expliquer à la Cour et
s’enfuit en Angleterre. La disgrâce rejaillit sur son père, le vieux duc
d’Epernon, qui fut prié de quitter son château de Cadillac et de s’exiler sur
sa terre de Plassac en Saintonge. Louis XIII était navré. « Le déplaisir que
j’ai de cette affaire m’a failli faire retomber malade », confiait-il à
Richelieu. Le procès du fugitif eut lieu devant une commission composée
de ducs et pairs, de membres du Parlement et de conseillers d’Etat. Le roi y
apporta son propre témoignage et son sentiment : La Valette ne pouvait être
accusé ni de lâcheté ni d’incompétence, mais du refus délibéré de participer
au combat pour mettre en difficulté son chef, Condé, « par un mouvement
de jalousie qui ne peut être justifié par aucun prétexte ». A l’unanimité, la
commission condamna donc à mort le duc par contumace, fit saisir ses
biens et pendre son effigie en place de Grève. Richelieu, cousin par alliance
et ami de son frère, fut tenu à l’écart. Il nota simplement : « Cette affaire,
écrit-il, fut trouvée plus sale que nous le pensions ». Tout au plus parvint-il
à préserver de la vindicte royale son protégé, le prince de Condé.

La campagne de 1639
Au printemps de 1639, malgré une défaillance de santé, Louis XIII
décida de se rendre en Artois, où le duc de La Meilleraye, grand maître de
l’Artillerie, commandait l’armée. Le 3 juin, il parut sous les murs de
Hesdin, entreprenant à son habitude des chevauchées à travers les différents
campements, plaçant les batteries, visitant les blessés et donnant ses ordres
pour améliorer l’approvisionnement toujours défectueux. « Nos gens
boivent de l’eau du fossé », écrivait-il horrifié au cardinal3. Le 25, les
Espagnols tentèrent une sortie et détruisirent les ponts de bois que les
Français avaient construits à la hâte. Le roi, toujours assailli d’inquiétudes
excessives, n’en dormit pas de la nuit. La Meilleraye le rassura : ce n’était
pas si grave ; dans la semaine, on serait maître de la ville grâce à l’artillerie.
C’est ce qui se produisit. Le 29, un tambour espagnol parut sur la brèche et
battit la chamade : Hesdin capitulait. Louis accorda au comte de Hanapes,
gouverneur, les honneurs de la guerre. Le 30 juin, vers 10 heures, les
assiégés apparurent donc, « tambour battant, enseignes déployées, mèche
allumée par les deux bouts et balle en bouche4 ». La Meilleraye sur la
brèche jonchée de cadavres fut élevé au maréchalat. Avant de régulariser sa
nomination, Louis avait emprunté un simple bâton de commandement à
Puységur et le lui avait solennellement remis… Le monarque eut le plaisir
de pénétrer dans la ville en vainqueur et d’assister dans l’église au Te Deum.
Un vieux sujet espagnol n’en revenait pas : « J’ai plus de quatre-vingts ans
et jamais encore je n’avais vu mon roi. Il n’y a qu’une heure que je suis au
roi de France et je le vois déjà5 ! »
Celui-ci ne s’attarda pas à Hesdin. Il voulut rejoindre Châtillon qui
avait levé le siège de Thionville devant les troupes impériales de
Piccolomini. Laissant Richelieu regagner Paris, il partit de Saint-Quentin
pour Guise et Stenay, où il arriva à la tête de ses escadrons. De là, il gagna
Mézières puis Mouzon, ordonnant au maréchal de reprendre au plus tôt la
place d’Yvois*1, dont un adjoint de Piccolomini venait de s’emparer. Il
n’arrêtait pas. Vite, il fallait se rapprocher de l’Italie, où la situation était
préoccupante…
En Savoie, en effet, on se battait entre Madamisti, partisans de la
régente, et Principisti, qui soutenaient ses beaux-frères. Or, ce dernier parti
gagnait de l’influence sur le petit peuple turinois. La fille d’Henri IV était
attachée à l’alliance française, dont elle avait besoin, mais aussi à
l’indépendance de son pays. Avec la grande offensive militaire que
préparait le marquis de Legañes, l’équilibre paraissait difficile à tenir.
Richelieu, qui la méprisait, la jugeait incapable de gouverner. Il l’avait
contrainte à se débarrasser de son conseiller jésuite, le père Monod, pro-
espagnol, et aurait bien voulu en faire autant du comte d’Aglié, son amant,
qui lui susurrait sur l’oreiller des conseils de neutralité.
En avril, les Espagnols, assistés d’un corps d’armée du prince Thomas,
parurent sous les murs de Turin. Le cardinal de La Valette, retranché dans la
ville, n’avait à sa disposition que des unités franco-piémontaises mal
équipées. Il appelait au secours. La cavalerie des mercenaires allemands
occupait déjà les faubourgs. Par chance, les assiégeants, manquant eux aussi
de ravitaillement, étaient épuisés. Le 24 avril, soir de Pâques, ils levèrent le
camp6. Mais ce n’était que reculer pour mieux sauter…
La régente était au comble de l’inquiétude et Richelieu en profita pour
accentuer davantage la pression : « L’extrémité en laquelle sont vos affaires,
lui écrivait-il, me met la main à la plume pour vous dire en peu de mots
qu’il ne vous reste aucun moyen de salut que celui qui vous a été proposé
par MM. les ambassadeurs du roi qui sont auprès de vous, touchant le dépôt
des places de Piémont… » La mort dans l’âme, elle accepta de resserrer ses
liens avec les Français. Par un traité signé le 11 juin 1639, elle les autorisa à
occuper – à titre provisoire – plusieurs places de son duché, Carmagnole,
Savigliano, Cherasco et Riva. En contrepartie, le roi s’engagea à entretenir
à ses frais « des forces suffisantes pour résister à celles des ennemis » et à
lui verser une rente annuelle d’un million de livres, destinée à ses dépenses
militaires7.
Les Espagnols et le prince Thomas, après avoir refait leurs forces,
revinrent devant Turin et, cette fois, emportèrent la ville basse le 28 juillet.
Tandis que les habitants saccageaient avec frénésie les maisons des
Madamisti, Chrestienne trouva refuge dans la citadelle, que les Français
continuaient de tenir. Elle réussit à en sortir discrètement et à gagner Suse,
où elle arriva le 5 août. C’est en apprenant ces nouvelles que Louis XIII
quitta Mouzon pour le Dauphiné, espérant lever en Auvergne et dans le
Lyonnais un renfort de 10 000 hommes. La situation paraissait désespérée :
les places du Piémont tombaient les unes après les autres, et le Sénat de
Savoie venait de proclamer les deux beaux-frères tuteurs du petit Charles
Emmanuel II et administrateurs du duché. Dans la crainte de voir le roi et
Richelieu rechercher un accommodement avec les vainqueurs, Chrestienne
se précipita en Dauphiné à la rencontre de son frère.
A une lieue de Grenoble, dans un simple pré clos d’une barrière, émus
jusqu’aux larmes, ils se tinrent longtemps embrassés. Ils ne s’étaient pas
vus depuis dix ans. Louis lui témoigna tendresse et affection, et l’assura
qu’il ne l’abandonnerait pas. Tous deux se rendirent ensuite à Grenoble. La
régente exhala sa colère contre Richelieu qui voulait prendre en main,
disait-elle, l’administration de son duché et faire élever le petit duc de
Savoie à la cour de France. Non, elle ne laisserait pas ses Etats finir comme
la Lorraine ! Malheureusement, les affaires se présentaient mal, tant pour
elle que pour le roi. Si la citadelle de Turin tenait toujours, le 28 septembre,
à Rivoli, la maladie emporta le commandant en chef de l’armée d’Italie, le
cardinal de La Valette. Il fut remplacé par le comte d’Harcourt qui, avec
deux régiments supplémentaires et quelques compagnies de gardes
françaises et suisses, s’efforça de consolider les positions restantes,
notamment Casal.
En juillet, en Roussillon, Condé, ou plus exactement son adjoint le
maréchal de Schomberg, avait réussi un joli coup en s’emparant de la
redoutable forteresse de Salces, construite en 1497 en pierres rouges et ocre
par l’ingénieur aragonais Ramirez, qui ouvrait la route de Perpignan. Hélas,
il ne put surprendre la capitale du Roussillon, trop bien fortifiée, et Salces
fut repris cinq mois plus tard par 35 000 Castillans et Aragonais aux ordres
de Felipe de Spinola, le fils du vainqueur de Breda. Sur ce front, les
positions étaient donc stabilisées.
A l’est, des difficultés d’un autre ordre attendaient les Français. En
récompense de la prise de Brisach, Bernard de Saxe-Weimar avait reçu les
charges de landgrave de Haute-Alsace et de grand bailli de la préfecture de
Haguenau. Mais le condottiere luthérien réclamait davantage. Marchant sur
les brisées de Wallenstein, il rêvait de se constituer une principauté
indépendante, comprenant la Haute-Alsace et le Brisgau, avec Brisach pour
capitale. En attendant, il refusait de remettre cette place aux Français. Ce
désir d’émancipation inquiétait. On se demandait comment amadouer cet
exceptionnel mais indocile stratège, lorsque, le 18 juillet 1639, par un
heureux hasard, il fut enlevé par la peste à Neuenbourg à l’âge de trente-
cinq ans. La Cour porta le deuil, s’affligeant de cette perte cruelle. En
réalité, le roi et le cardinal étaient soulagés. Ils négocièrent avec son héritier
et fidèle lieutenant, le Suisse Johann Ludwig von Erlach, gouverneur de
Brisach, qu’on flatta en le nommant général-major. Celui-ci accepta de
continuer à mettre les troupes weimariennes au service de la France, sous
l’autorité du duc de Longueville, commandant en chef de l’armée française
du Rhin, et de son adjoint, le comte de Guébriant. Brisach ouvrit enfin ses
portes aux Français. On en profita pour demander aux commandants des
garnisons alsaciennes de prêter serment d’obéissance au roi.
Après la fermeture de la Valteline et la chute de Brisach, les Espagnols
n’avaient plus que la voie maritime pour joindre leurs Pays-Bas et y
acheminer de l’or, des armes et des renforts. Mais cette voie, qui partait du
port de La Corogne pour arriver à Dunkerque, était hasardeuse, car les
convois affrontaient souvent en haute mer les raids des pirates hollandais.
Pour pallier cette difficulté, Olivares décida de former une flotte imposante,
composée de 77 vaisseaux, portant 1 700 canons (soit une puissance de feu
supérieure à celle de l’Invincible Armada de 1588) et transportant 6 000
marins, 8 000 soldats de marine et 8 500 fantassins destinés aux Flandres.
Ce grand renfort devait soulager Bruxelles dont les moyens militaires et
financiers s’essoufflaient dangereusement. Appareillant de La Corogne le
6 septembre 1639 sous le commandement de l’amiral basque Antonio de
Oquendo, la flotte parvint à éviter l’escadre française du Ponant mais
rencontra dans la Manche celle de l’amiral hollandais Martin Tromp. Ne
cherchant pas l’affrontement, malgré sa supériorité numérique, elle alla
mouiller dans les eaux anglaises du Kent, dans la zone des Downs.
Plusieurs semaines après, le 21 octobre, la flotte de Tromp qui continuait à
la surveiller se jeta à l’improviste sur elle, sans respect de la neutralité
anglaise. Oquendo tenta une sortie, mais les vaisseaux hollandais se jetèrent
rageusement sur les vingt et un galions qui cinglaient vers le large. La
tempête s’en mêla. Bref, en quelques heures l’Armada fut anéantie : 60
vaisseaux coulés, 7 000 morts, 1 800 prisonniers… Ce désastre naval, qui
faisait perdre à l’Espagne la maîtrise de l’Atlantique, marquait un net
affaiblissement de sa puissance et un tournant dans l’histoire de la guerre de
Trente Ans8.

Les derniers feux de la « créature »


Cependant, l’étrange passion du roi pour Marie de Hautefort se
poursuivait, malgré de puériles brouilleries, suivies de brèves
réconciliations. « La créature est en mauvaise humeur, confessait-il à
Richelieu le 5 février 1639. On ne sait comment se gouverner avec elle,
trouvant mauvais tout ce qu’on fait pensant lui plaire. Pour moi, j’y perds
mon latin. Si cela dure comme aujourd’hui, je m’en irai demain à Versailles
chercher du repos. » Louis pourtant était envoûté. Même quand ils ne se
parlaient pas, raconte Montglat, il la dévorait des yeux. A son valet de
chambre, La Chesnaye, qui rapportait tout à Richelieu, il avouait son
désespoir : « Je suis en impatience de la voir […]. Je l’aime plus que tout le
reste du monde ensemble […]. Je veux me mettre à genoux pour lui
demander pardon. » Marie, qui avait la tête sur les épaules, cherchait à
profiter de la situation. Faute d’avoir obtenu la place de gouvernante du
dauphin pour sa grand-mère, elle avait espéré celle de Mme de Senecey qui
avait été disgraciée. Elle avait encore échoué et en était fort piquée,
déversant sa mauvaise humeur sur son amoureux transi. Elle était plus liée
que jamais avec la reine, à qui elle se confiait totalement, au grand dam de
l’infortuné soupirant, qui n’en dormait pas… « Je ne désire autre chose que
l’égalité, écrivait-il à Richelieu de Saint-Germain le 8 mars 1639, qui est
qu’elle garde le secret avec la reine des choses qu’elle lui dit, et que, quand
je lui dirai quelque chose, elle ne lui aille pas redire. Je reconnais tous les
jours la mauvaise volonté qu’elle a contre moi, ce qui me met au désespoir,
l’aimant comme je fais9. »
C’était une vraie coquine, autoritaire et rusée. Mais il n’y avait rien à
faire, il ne pouvait se séparer d’elle, se passer de sa présence. Il en avait des
accès de fièvre, se tourmentait, se faisait des reproches, « bien malheureux
qu’elle ne l’aimât point ». Outre les migraines qu’elle lui provoquait, cette
tempétueuse mais toujours chaste liaison continuait d’aviver sa jalousie. Sa
surprenante beauté faisait tourner les têtes et chavirer les cœurs. Les
prétendants se pressaient autour d’elle : le secrétaire d’Etat Chavigny, le
vieux duc d’Angoulême, le poète octogénaire Nicolas Vauquelin des
Yveteaux, le duc de Liancourt, le prince de Marcillac et surtout le jeune
marquis de Gesvres, capitaine aux gardes. Louis XIII, averti par Richelieu,
qui tenait le fait d’une de ses espionnes, Mlle de Pontbriant, s’offusqua des
assiduités du capitaine. Il donna par écrit des instructions alambiquées à
l’exempt des gardes du corps Riquetty, qui devait s’enquérir des intentions
exactes du jeune officier, « Sa Majesté ayant trouvé fort étrange que le sieur
marquis de Gesvres, étant son domestique, eût osé entreprendre de
rechercher ladite dame de Hautefort, aussi domestique de la reine, sans la
permission de Leurs Majestés ». Ce n’était point « la coutume de procéder
de la sorte » ; néanmoins, si Gesvres voulait reconnaître sa faute, continuer
sa cour « dans le dessein d’épouser ladite dame », il y consentait volontiers
pour sa part, « attendu que c’est une très belle, très sage et très vertueuse
fille, de très bonne maison, et d’un aussi grand mérite que fille qui soit en
France »… Gesvres, en bon courtisan, s’empressa de laisser le champ libre,
déclarant qu’il n’avait « aucune intention de parachever ledit mariage10 ».

Cinq-Mars
Richelieu en était convaincu, il fallait se débarrasser au plus vite de
cette insupportable effrontée. Comprenant que le roi aurait toujours besoin,
en dehors de lui, d’un confident autre que lui, il admit que le mieux serait
de pousser dans la place un de ses protégés – assez des femmes ! –, qui lui
ferait connaître ses pensées les plus secrètes et serait capable d’influer sur
ses décisions.
Pour cette mission de la plus haute importance, il jeta son dévolu sur un
cadet de famille, Henri Coiffier de Ruzé d’Effiat, marquis de Cinq-Mars,
fils de son ami le maréchal d’Effiat, surintendant des Finances, dont il avait
contribué à l’élévation et qui avait trouvé la mort en Allemagne en
juillet 1632. Mince, élancé, le visage régulier, les cheveux fins et frisés, de
grands yeux caressants, des lèvres en cerise, épaisses et sensuelles,
surmontées d’une moustache légère, Henri était bel homme, parfaitement
élégant, à l’esprit agréable et séducteur11. En 1635, alors qu’il n’avait que
quinze ans, le cardinal, en souvenir de son père, lui avait fait donner le
commandement d’une compagnie du régiment des gardes. Trois ans plus
tard, en mars 1638, pour le rapprocher du roi, il incita le marquis de La
Force à lui céder sa charge de grand maître de la garde-robe.
Cinq-Mars mit plus d’un an à le conquérir. A Abbeville, au début de
l’été de 1639, à force d’entendre vanter ses qualités, Louis se laissa séduire
et manifesta les premiers signes de familiarité tant attendus. Henri, suivant
les instructions de son protecteur, commença alors à s’en prendre à Mlle de
Hautefort qui n’avait pas suivi le roi à la guerre. C’était sa première
mission. Chaque jour, insidieusement, il multipliait les piques contre la
jeune fille, l’accusant de médisance à son égard, si bien qu’à la fin du
voyage le monarque lui promit de s’éloigner d’elle. Il tint parole. Au début
de novembre, à son arrivée à Fontainebleau, il lui réserva un accueil glacial.
Dès le 26 octobre, Chavigny écrivait à Mazarin : « Nous avons un
nouveau favori à la Cour, qui est M. de Cinq-Mars, fils de feu M. le
maréchal d’Effiat, dépendant tout à fait de Mgr le cardinal. Jamais le roi n’a
eu passion plus violente pour personne que lui. Sa Majesté récompense la
charge de grand Ecuyer qu’a M. de Bellegarde, pour la lui donner. Ce n’est
pas un trop vilain début pour un homme de dix-neuf ans12. » Poussé par le
roi, le vieux Bellegarde, en disgrâce, renonça donc à sa charge de grand
Ecuyer de France, et le nouveau dignitaire prêta serment le 15 novembre.
Cinq-Mars devenait « Monsieur le Grand », exerçant ainsi l’une des
principales charges de la Cour, alors que Baradas et Saint-Simon n’avaient
été que premiers Ecuyers de la Petite Ecurie, ce que le fils du maréchal
d’Effiat avait dédaigné. En février 1640, le roi lui fera cadeau du comté de
Dammartin, confisqué depuis la mort du duc de Montmorency, avec réserve
d’usufruit et réversibilité à la Couronne au cas où il mourrait sans postérité
mâle. L’acte stipulait que la cession était faite « à cause de la singulière
affection du roi pour le sieur de Cinq-Mars13 ».
Il est probable que l’attirance qu’exerçaient sur lui la jeunesse et la
beauté du jeune homme était de nature homosexuelle ; sans doute fut-elle
plus forte que les fois précédentes. Mais y eut-il passage à l’acte ?
Tallemant des Réaux est le seul à citer deux anecdotes allant dans ce sens.
« Fontrailles dit qu’étant entré une fois à Saint-Germain brusquement dans
la chambre de M. le Grand, il le surprit comme il se faisait frotter depuis les
pieds jusqu’à la tête d’huile de jasmin et, se mettant au lit, il lui dit d’une
voix peu assurée : Cela est plus propre. Un moment après on heurte, c’est le
roi. Il y a apparence, comme le dit le fils de feu l’Huillier à qui on contait
cela, qu’il s’huilait pour le combat14. »
Fontrailles, le petit marquis aigri, nostalgique de la féodalité,
compromis dans l’affaire Cinq-Mars, est-il un témoin crédible ? On en
doutera, comme du second récit que Tallemant prétendait tenir de Nyert,
valet de chambre du roi : « On m’a dit aussi qu’en je ne sais quel voyage le
roi se mit au lit dès sept heures. Il était fort négligé, à peine avait-il une
coiffe à son bonnet. Deux grands chiens sautent aussitôt sur le lit, le gâtent
tout en se mettant à baiser Sa Majesté. Il envoya déshabiller M. le Grand,
qui revint paré comme une épousée : Couche-toi, couche-toi, lui dit-il
d’impatience. Il se contenta de chasser les chiens sans refaire le lit, et ce
mignon n’était pas encore dedans qu’il lui baisait déjà les mains. Dans cette
grande ardeur, comme il ne trouvait pas que M. le Grand correspondît trop,
car il avait le cœur ailleurs, il lui disait : Mais, cher ami, qu’as-tu ? Que
veux-tu ? Tu es tout triste. Nyert, demande-lui ce qui le fâche ; dis-moi, as-
tu jamais vu une telle faveur15 ? »
Certes, les Historiettes de Tallemant ne manquent pas de fondement,
mais s’y mêlent trop souvent le romanesque et le scandaleux, correspondant
à l’esprit irrévérencieux de l’auteur. De surcroît, le chroniqueur avait ses
têtes de Turc, Richelieu et surtout le roi, qu’il peint exagérément en noir. A
ces allégations qui tiennent du ragot, on opposera la piété du roi, son attrait
de la vie religieuse, son horreur du péché, son rigorisme moral. Tallemant
est le seul témoin, et encore indirect, à nous donner une version
malveillante des faits. Dans une Cour aussi cancanière, les mémoires du
temps, les correspondances privées en auraient parlé. S’ils avaient eu le
moindre doute sur la nature de leurs relations, les confesseurs seraient
intervenus pour y mettre le holà et Richelieu lui-même, dont on connaît
l’attachement aux bonnes mœurs, ne l’aurait pas toléré. Observons que la
reine, très jalouse des amitiés féminines de son mari, n’eut aucune alarme
contre ses amitiés masculines. Bref, la prudence conduit à rejeter ces textes
suspects. Si pulsions homosexuelles il y eut, elles restèrent latentes.

Le 26 novembre, Cinq-Mars obtint la complète disgrâce de Marie de


Hautefort et son exil de la Cour. On n’en connaît pas parfaitement les
circonstances. Selon le Vénitien Correr, Richelieu aurait persuadé le
monarque, par l’entremise du grand Ecuyer, que cette intrigante, pire que
Mme de Chevreuse, était de connivence avec Monsieur16. De quelle affaire
se mêlat-elle ? Entra-t-elle dans un nouveau projet d’assassinat du
cardinal ? Une lettre du père Carré, adressée à Richelieu et emplie
d’allusions étranges, est si floue qu’il est difficile d’entrevoir la vérité17.
Il est certain que Louis avait l’amitié exclusive. Dans son esprit, il ne
pouvait pas y avoir de cohabitation entre deux confidents, entre un favori et
une favorite. L’élévation de Cinq-Mars impliquait le retrait de la jeune
fille18. Hautefort quitta la Cour avec son amie Mlle de Chémerault. Elles
trouvèrent d’abord refuge dans un couvent parisien, puis se séparèrent en
janvier 1640, la première se rendant au château de La Flotte, près du Mans,
la seconde en Poitou. Ce congé eut d’ailleurs une fâcheuse conséquence
pour Cinq-Mars qui rêvait d’épouser la jolie Chémerault.
L’échec de Pygmalion
Nombre des malheurs de Richelieu venaient de son incapacité à
discerner ceux qui le serviraient utilement auprès du roi. Il s’était trompé
sur le père Caussin et sur Louise de La Fayette. Cinq-Mars fut son erreur
suprême. Il croyait avoir affaire à un jeune homme aimable et souple, gai et
primesautier, faible de caractère, sensible aux plaisirs et aux honneurs, dont
il pourrait faire un instrument de sa politique. Il découvrait un être hautain,
audacieux, inconstant, à la fois violent, étourdi et brouillon, qui ne lui savait
aucun gré de son élévation. Il lui échappait, au point qu’il dut le faire
espionner par La Chesnaye en attendant de trouver le moyen de l’abattre…
Cinq-Mars s’aperçut de ce jeu et obtint le renvoi du domestique.
A mesure qu’il s’élevait, son ambition croissait. A dix-neuf ans, il
rêvait de commander une armée. Sa nouvelle passion pour Marie Louise de
Gonzague le poussait à se surpasser. Belle, d’une beauté froide et
impérieuse, altière, tout en étant vive et moqueuse, elle était la fille du duc
de Nevers, devenu duc de Mantoue. Cette intraitable amazone, qui entre
deux cavalcades s’adonnait à des recherches alchimistes, avait été quelque
temps – on s’en souvient – l’égérie de Gaston d’Orléans, jusqu’au jour où,
réalisant qu’elle ne pourrait ébranler l’opposition conjuguée du roi, de sa
mère et du cardinal, elle avait préféré renoncer à ce projet un peu fou.
Son cœur en gardait une amertume qui se mua en haine de Richelieu.
Ayant reçu en héritage en 1637, à la mort de son père, le Rethélois et le
Nivernais, elle partageait dès lors son temps entre la Cour et ses duchés.
Trois ans plus tard, à vingt-neuf ans, elle n’avait rien perdu de son charme
éclatant et dominateur. Est-ce elle qui enjôla le grand Ecuyer, ce fragile
Eliacin de huit ans son cadet ? Est-ce lui, au contraire, qui fit le premier
pas ? Marie, calculatrice, voyait là le moyen d’assouvir sa rancune, de se
débarrasser du cardinal et de gouverner le roi par personne interposée ; lui,
porté par l’ambition, espérait sans doute faire un mariage éblouissant avec
une princesse souveraine, haussant sa puissance d’une manière prodigieuse.
Toujours est-il qu’ils tombèrent amoureux l’un de l’autre. Envoûté, Henri
faisait assaut de galanterie, à la mode du temps ; elle, en coquette avertie,
nourrie des chimères de L’Astrée, répondait à ses transports avec une
délicieuse réserve, sans lui laisser outrepasser les bornes de la bienséance.
Cette romanesque et flamboyante idylle, connue de toute la Cour, ne
tarda pas à avoir de fâcheuses conséquences. Henri, contraint de suivre le
roi dans ses ennuyeuses errances cynégétiques, s’irrita vite d’être séparé de
sa bien-aimée, laissant éclater sa mauvaise humeur, quittant brusquement la
compagnie de son maître ou faisant bande à part. Louis était bouleversé par
ces insolences et ces emportements immérités. « Je n’ai point dormi toute
cette nuit de rage, confiait-il à Richelieu, et j’ai eu un peu d’émotion. Je ne
puis plus supporter ses hauteurs, car elles sont venues à trop haut point19. »
Mais, le soir même, il faisait partir un cavalier pour annoncer l’heureux
retour du jeune inconséquent et leur réconciliation. « Je vous écris ce billet,
parce que j’ai peur que vous soyez en peine de moi sur ce que je vous ai
écrit ce matin. Dès aussitôt que M. le Grand a voulu revenir il a été très bien
reçu de moi et nous sommes à présent bien ensemble20. »
Marie Louise cependant tenait la dragée haute à son amoureux. Un
mariage ? Peut-être, mais pas avant qu’il n’ait été fait duc et pair, ou
Connétable comme Luynes, ou Premier ministre comme Richelieu ! La
descendante des Paléologue, des Lorraine, des Clèves et des Gonzague ne
saurait épouser un Effiat ! Que pouvait faire M. le Grand sinon ambitionner
de devenir plus grand encore ! Pour mettre toutes les chances de son côté, il
courut se réconcilier avec Richelieu. Le cardinal eut tôt fait de juger la
situation. Connaissant la haine que lui portait l’ancienne fiancée de
Monsieur, il comprit que cette aventure risquait de mener à sa propre
disgrâce. Eclatant alors d’une colère aussi vive que feinte, il déclara à Cinq-
Mars qu’il ne croyait pas que la princesse eût à ce point oublié sa naissance
« qu’elle voulût s’abaisser à si petit compagnon ». Il n’était qu’un fol ! La
scène accompagnée de dures railleries avait été violente. Henri, fondant en
larmes, se retira et regagna en titubant son carrosse, anéanti.
Avec la cruauté de la jeunesse, il reporta sur le roi sa haine du cardinal,
mettant en balance les liens privilégiés qui l’unissaient à son maître. C’était
à lui de choisir. Quand Louis partait pour la chasse et qu’Henri devait
s’éloigner de Marie, les scènes redoublaient, plongeant Richelieu dans
l’angoisse. Mais le roi n’avait pas l’intention de se séparer de lui. Il
reprochait à son favori sa légèreté, ses goûts luxueux, ses costumes trop
riches, son ameublement, son carrosse plus somptueux que celui de la reine,
son opiniâtreté, sa paresse surtout qu’il puisait dans la fréquentation des
gens du Marais, « tout à fait adonnés au plaisir ». Il savait qu’à côté de
Marie Louise, l’éthérée, Cinq-Mars continuait de fréquenter Marion de
Lorme et autres lascives courtisanes. Et les querelles repartaient de plus
belle : bouderies, brouilleries, raccommodements se succédaient comme
autant d’enfantillages. Louis, soucieux de se justifier et de rester dans son
bon droit, contait tout, scrupuleusement, au cardinal. Il avait beau répéter
qu’il ne pouvait plus « souffrir ses hauteurs », il n’arrivait pas à s’en
défaire.
Indépendant, le jouvenceau n’aspirait qu’à la liberté. Il aimait les fêtes,
les plaisirs de Paris. Il exécrait les chasses au merle dans la neige, les
marches harassantes dans les bois, les terriers que l’on fouillait jusqu’à la
nuit tombante en compagnie de quelques rustres à grosses bottes. Sitôt le roi
couché, il se déguisait, se pommadait, sautait à cheval et passait la nuit dans
la capitale. Il revenait au matin, pâle, fatigué et somnolent. C’était le
moment où le roi l’attendait. Vite exaspéré par la jalousie et l’attachement
exclusif que celui-ci lui portait, il se demandait s’il ne devait pas mettre un
terme à cette « vie misérable » d’esclave des caprices royaux, condamné à
s’ennuyer avec lui. Ces chaînes lui paraissaient impossibles à supporter plus
longtemps. Mais tout le monde lui conseillait de n’en rien faire, tant la
réaction du souverain était à craindre.
Quant à Richelieu, il se retrouvait dans un rôle qu’il n’avait pas
imaginé : celui de médiateur. Le roi se plaignait à lui, le prenait sans cesse à
témoin, comme un directeur de conscience à qui l’on peut confier les
tourments de son cœur en toute sincérité, et l’Eminence devait gronder
durement le jeune homme. Au lieu de tirer les ficelles, il ravaudait la trame
du ménage ! Comme du temps de Mlle de Hautefort, tout cela finissait par
de puérils traités signés des deux parties. Le 27 novembre 1639, Louis
écrivait ainsi à Richelieu : « Vous verrez par le certificat que je vous envoie
en quel état est le raccommodement que vous fîtes hier. Quand vous vous
mêlez d’une affaire, elle ne peut mal aller. » Le certificat en question était
ainsi rédigé : « Nous, ci-dessous signés, certifions à qui il appartiendra être
très contents et satisfaits l’un l’autre, et de n’avoir jamais été en si parfaite
intelligence que nous sommes à présent. En foi de quoi nous avons signé le
présent certificat. Fait à Saint-Germain, ce 26e novembre 1639. (Signés)
Louis et, par mon commandement, Effiat de Cinq-Mars21. »
Voici encore un engagement postérieur : « Aujourd’hui, neuvième
mai 1640, le roi étant à Soissons, Sa Majesté a eu agréable de promettre à
M. le Grand que de toute cette campagne, elle n’aura aucune colère contre
lui et que, s’il arrivait que ledit sieur le Grand lui en donnât quelque léger
sujet, la plainte en sera faite par Sa Majesté à M. le Cardinal sans aigreur,
afin que par l’avis de Son Eminence ledit sieur le Grand se corrige de tout
ce qui pourrait déplaire au roi et qu’ainsi toutes ses créatures trouvent leur
repos dans celui de Sa Majesté. Ce qui a été promis réciproquement par le
roi et Son Eminence. (Signés) Louis, Effiat de Cinq-Mars. »
Ces gamineries duraient à peu près autant que les serments écrits de
Monsieur… Etrange roi, malheureux et solitaire, à la recherche de quelques
bribes d’affection et qui ne rencontrait partout que désillusions ! C’était
pourtant le même qui, avec le cardinal, s’occupait de conquérir les marches
indispensables à la sécurité de la France, en Artois, en Lorraine, en Alsace,
en Italie du Nord, le même qui surveillait de l’œil inquiet et sévère du
maître les bouillonnements internes de son royaume…

Les Nu-Pieds partent en guerre


Provoquées par les excès de la fiscalité endémique, les émotions
populaires n’avaient cessé d’éclater dans les provinces. Rurales ou urbaines,
les violences débouchaient ici et là sur des assassinats de collecteurs, de
traitants ou de partisans. En 1639, par exemple, un financier, venu à Aix-en-
Provence percevoir une taxe sur les notaires et les greffes, fut retrouvé sans
vie dans la rue. Personne ne s’avisa de rechercher les coupables. A Toulon,
en 1642, la foule en furie s’en prit à l’agent d’un traitant, le larda de coups
de pique et d’épée. Son corps nu attaché par les pieds fut traîné à travers la
ville22. Mais seule l’insurrection normande de 1639 rejoint par son
importance celle des Croquants de 1636-163723.
La Normandie, l’une des plus riches provinces de France, avait
beaucoup souffert des épidémies, particulièrement de la peste de 1619 à
1639, de la crise agricole et commerciale ainsi que du logement des gens de
guerre, des étapes et autres quartiers d’hiver. Trop de morts, trop de charges
pour les vivants. La région à elle seule, si l’on en croit le surintendant de
Bullion, supportait le quart des impositions du royaume, des impôts qui
n’étaient plus consentis par les trois ordres, puisque les états provinciaux
n’étaient plus réunis depuis 1635. A ces désordres s’ajoutait la création
d’un trop grand nombre d’offices, ce qui exaspérait la bourgeoisie et la
noblesse de robe.
La décision en juin 1639 d’introduire la gabelle en Basse-Normandie
déclencha ce qu’on a appelé la révolte des Nu-Pieds, du nom de ces
sauniers du pays d’Avranches qui avaient l’habitude de marcher pieds nus
sur les grèves. L’impôt sur le sel menaçait les maigres revenus des paysans
de cette région, qui vivaient de la production et de la vente du sel de la baie
du Mont-Saint-Michel. Or, ceux-ci bénéficiaient du privilège dit du quart-
bouillon, les exonérant de taxes. Etablir la gabelle, c’était porter atteinte aux
libertés locales du Cotentin, des vicomtés de Vire et de Domfront, aux
enclaves d’Isigny dans la vicomté de Bayeux et de Touques dans le ressort
du grenier de Honfleur…
Les émeutiers – sauniers, artisans, paysans, petits bourgeois –
s’équipèrent, formèrent un corps de plusieurs milliers d’hommes, « l’armée
de souffrance », et prirent pour chef un mystérieux « capitaine Jean Nu-
Pieds », pseudonyme cachant peut-être un hobereau local, le baron de
Ponthébert, à moins que ce ne fût Jean Morel, curé d’un faubourg
d’Avranches. Une partie de la noblesse et du clergé soutenait le mouvement
qui avait adopté pour enseigne une ancre noire sur champ vert et placé sur
son étendard l’image de saint Jean-Baptiste avec la devise « Il fut un
homme envoyé de Dieu dont le nom était Jean ».
Le 16 juillet 1639, le lieutenant particulier au siège présidial de
Coutances, Charles de Poupinel, fut assassiné à Avranches et son cadavre
mutilé (des fileuses en furie lui avaient arraché les yeux avec leurs fuseaux).
On pensait, à tort, qu’il venait pour la gabelle. Le gouverneur, le marquis de
Canisy, lui-même assiégé dans le château, n’avait pu empêcher le crime.
Dès le 4 août, un conseiller à la Cour des aides de Caen, M. de Beaupré
alla demander audience au roi à Mouzon, en Lorraine, afin de lui décrire la
situation tendue de la région : il obtint la révocation de la gabelle en Basse-
Normandie. Mais les officiers royaux, ravis des troubles, se gardèrent de
diffuser l’arrêt du Conseil correspondant, si bien que la révolte fit tâche
d’huile, s’étendant à plusieurs villes : Pontorson, Saint-Aubin, Domfront, au
total plus de trente paroisses. Encadrés par des hobereaux, les paysans
s’entraînaient au maniement des armes et se mobilisaient au son du tocsin.
On connaît par quelques écrits ou manifestes le programme plutôt
réduit de ce mouvement : abolition de la gabelle et des impôts établis depuis
la mort d’Henri IV, suppression des agents du fisc et des traitants. Sans
présenter aucune autre revendication politique, le texte faisait l’éloge du
tyrannicide et était imprégné d’un dangereux particularisme provincial,
fondé sur les souvenirs encore vivaces du duché de Normandie.
L’augmentation des droits sur les étoffes teintes, enregistré par la Cour
des aides de Rouen le 7 juin 1639, déclencha une émeute à Rouen, où
vivaient de nombreux artisans liés à l’industrie du drap. L’officier venu
mettre en application l’édit fut assassiné sur le parvis de la cathédrale, son
corps lardé de clous. Des bandes de jeunes pillèrent les maisons des
partisans, les bureaux des trésoriers de France, ceux des aides, ceux des
taxes sur les cuirs et les cartes, le contrôle des droits sur les teintures de
draps. Un horloger, Gorin, qui dirigeait les émeutiers, se faisait passer pour
un lieutenant de Jean Nu-Pieds. Une partie de la milice bourgeoise,
mobilisée pour arrêter l’insurrection, s’y rallia, tuant l’un de ses capitaines à
l’intérieur de la basilique Saint-Ouen.
Les magistrats, qui avaient jusque-là regardé les troubles antifiscaux
avec indulgence, prirent peur et aidèrent le receveur général des gabelles,
Nicolas Le Tellier de Tourneville, à s’échapper de sa maison assiégée. Peu à
peu les loyalistes rétablirent l’ordre dans la ville, malgré l’absence de son
gouverneur, le comte de Guiche, et du gouverneur de la province, le duc de
Longueville, tous deux à la guerre. Des troubles identiques éclatèrent à
Bayeux, à Vire, à Caen, où un crocheteur du nom de Bras-Nu avait pris la
tête de la révolte. Comment contenir sans troupes toute une province au
bord de l’explosion ?
Richelieu s’inquiétait fort de ces désordres et déprédations. Il en rendait
responsable la bureaucratie fiscale et les publicains, à la recherche de
lucratifs profits. Ces gens volaient le roi et scandalisaient les populations
par leurs exactions. Mais que faire ? Son fidèle Bouthillier, surintendant des
Finances, écrivait en octobre 1639 à son fils Chavigny : « Les dépenses du
comptant montent à quarante millions. Les traitants nous abandonnent et les
peuples ne veulent rien payer, ni les droits anciens, ni les nouveaux. Nous
sommes maintenant au fond du pot […]. Et je crains que notre guerre
étrangère ne dégénère en guerre civile24. » L’Etat, aux abois, ne tenait pas
ses engagements, même les plus récents. Un exemple : en 1636, Abbeville
avait accepté un impôt temporaire sur le vin à condition de le lever elle-
même. Quelques mois plus tard, l’impôt était devenu perpétuel et confié
sans vergogne aux agents du fisc. Nécessité fait loi, dirat-on ! Mais la
justice dont le roi était redevable à ses sujets n’y trouvait pas son compte.
La répression de la milice rouennaise, reprise en main, fit trente morts
et de nombreux blessés. Restait à éteindre les autres foyers. Un brillant
officier gascon, protestant, qui s’était battu sur tous les fronts, Jean de
Gassion, maréchal de camp, fut choisi pour réduire les foyers d’insurrection
restants. Il arriva à Caen en novembre. Ses mercenaires allemands ou
wallons étaient prêts à faire la guerre comme en Allemagne, et ils la firent
en effet, mettant au pillage la Basse-Normandie. Bras-Nu fut pris et roué
vif. Le gros des Nu-Pieds fut aisément vaincu sous les remparts
d’Avranches, où l’on dénombra trois cents morts. Le gouverneur, M. de
Canisy, qui avait soutenu le siège du château, fut enfin délivré et la ville,
offerte au pillage des reîtres de Gassion.
Le soutien apporté à la révolte par nombre de titulaires d’offices
normands avait inquiété le roi. Sa déclaration du 17 décembre 1639 en
dressait l’amer constat : « La négligence, la connivence et la lâcheté des
magistrats ont laissé croître la sédition jusqu’aux derniers excès […]. La
Cour des aides a fait des défenses de faire aucune levée de deniers. Le
bureau des Finances a pris part aux soulèvements populaires à Rouen et en
Normandie ; il a refusé de rétablir dans ladite ville les bureaux de recettes
forcés, pillés et brûlés par les séditieux25… »
Contrairement aux Croquants du Sud-Ouest qui avaient bénéficié d’un
pardon assez généreux, le Conseil du roi, excédé, décida de traiter les
rebelles avec la plus grande rigueur. Muni des pleins pouvoirs, le chancelier
Pierre Séguier fut désigné pour aller porter le châtiment qui s’imposait.
Avec 4 000 hommes de troupe, il arriva le 2 janvier 1640 à Rouen, où,
malgré les supplications des échevins et des notables, il suspendit la
municipalité et le parlement, confia l’administration de la justice à une
commission extraordinaire composée de magistrats parisiens. Non
seulement la taxe sur les étoffes teintes fut maintenue, mais la ville fut
condamnée à payer une amende de plus d’un million de livres. Les troupes
s’installèrent chez les habitants, à charge pour eux de les loger, les nourrir et
payer leur solde. Le désarmement général de la Normandie fut exigé. Une
déclaration royale du 10 janvier 1640 rendit responsables des désordres
éventuels les magistrats, les officiers, les seigneurs des paroisses.
L’horloger Gorin fut écartelé sur la place du Vieux-Marché et quatre de ses
compagnons, pendus. Séguier, solennel, imperturbable et féroce, poursuivit
sa route vers Gaillon, Pont-de-l’Arche, Lisieux, Saint-Lô, Coutances,
Bayeux, Caen26. Partout où il passait, les villes étaient condamnées à verser
des indemnités et les municipalités étaient remplacées par des commissions
extraordinaires. On pendait sans cesse, les moins coupables partant aux
galères.
D’autres « émotions » assombrirent la fin du règne. C’est ainsi que le
comté de Pardiac, en Gascogne, composé d’une cinquantaine de paroisses
entre Adour et Baïse, résista à partir de 1638 aux collecteurs des tailles.
Chaque communauté portait secours à l’autre, attaquait les collecteurs et les
fusiliers, libérait les prisonniers pour tailles. De grands rassemblements
paysans se produisirent à Mirande, en juillet 1639, et à Plaisance, en
juin 1642, où le commis à la recette générale de Montauban, le lieutenant
du vice-sénéchal d’Armagnac et ses archers furent faits prisonniers et
libérés moyennant rançon. Plusieurs seigneurs furent condamnés à mort et
les paroisses du comté durent verser une indemnité de 48 000 livres.
Quelques semaines plus tard, des gabeleurs furent massacrés à Saint-
Estèphe. Bref, les révoltes étaient multiformes et endémiques.
Dans de nombreux cas, les troupes venues prendre leurs quartiers dans
les bourgs et villages violaient la discipline militaire, n’observaient pas les
règlements des gîtes d’étape. En réaction, des groupes d’autodéfense se
formaient, avec tours de guet organisés. Convoqués par le tocsin et les
roulements de tambour, les paysans tenaient tête aux cavaliers, se
retranchaient derrière leurs murailles ou dans les églises. En août 1639, au
Dorat, la compagnie de cavalerie du baron de Linard fut accueillie par des
arquebusades. « Il faut tuer tous ces voleurs et ne permettre ce logement »,
criait-on à Abjat, en Périgord, en mai 1640. Le bourg s’était barricadé et des
paysans en embuscade n’hésitèrent pas à faucher une compagnie, officiers
compris, avec le soutien des notables. La cité, habituée « à se rebeller
contre les armes du Roy, voler et assassiner les gens de guerre qui y
logent », fut durement punie : dix-huit condamnations à mort par
contumace, dix à la roue, huit à la potence, amende collective de
28 000 livres, descente des cloches, destruction de la halle, érection d’une
pyramide commémorative27. La centralisation et la fiscalisation du royaume
se faisaient donc dans la douleur par la mise au pas des communautés
locales ou rurales. Obligeant le roi à distraire des frontières une partie de
ses troupes, ces révoltes contribuaient en fait à la prolongation du conflit
extérieur, dont elles déploraient pourtant les effets.

Nouvelle poussée de l’absolutisme


Ces explosions populaires n’étaient que la manifestation d’un
phénomène plus vaste. On constate en effet, à partir des années 1639-1640,
une nouvelle poussée de l’absolutisme au détriment de la société
traditionnelle de corps et d’ordres. Les organes de l’Etat se façonnaient, se
spécialisaient, se rationnalisaient, se dotaient de règles de procédure. On
passait « de l’improvisation à l’institutionnalisation28 ». Ainsi avançait la
modernité, sous la contrainte de la nécessité. Le pouvoir ne se contentait
plus d’empiler les institutions les unes sur les autres, selon la bonne
habitude de l’Ancien Régime, il détruisait, balayait les résistances, y
compris par la force. La violence d’Etat pénétrait un monde habitué jusque-
là à percevoir le roi comme un père lointain, mais attentionné, protecteur de
l’ordre existant. Un tel phénomène était visible dans à peu près tous les
domaines, la justice, l’organisation ecclésiastique, l’administration
provinciale ou locale, la levée de l’impôt. Partout les vieilles libertés se
trouvaient étouffées ou restreintes.

Les parlements, bousculés dans leur routine, étaient choqués par les
« novelletées ». La monarchie leur semblait changer de nature. Plus leur
résistance augmentait, plus la volonté du pouvoir royal de s’imposer
s’exacerbait. Pour preuve la multiplication du nombre de lits de justice sous
le règne de Louis XIII. Alors que huit seulement s’étaient tenus entre 1527
et 1597, on en comptait vingt de 1610 à 1641. Le roi était déterminé à
museler l’opposition des magistrats. Le 21 février 1641, il leur imposa de la
sorte l’enregistrement de lettres patentes en forme d’édit, scellé du grand
sceau de cire verte, leur interdisant de faire des remontrances et de délibérer
sur les textes concernant l’administration et le gouvernement de l’Etat.
En avril 1640, le roi tenta de taxer le clergé en généralisant un droit
d’amortissement sur certains biens qui entraient dans le patrimoine des
communautés religieuses et échappaient définitivement à l’impôt. En dépit
des manœuvres de Richelieu, l’organisation corporative du clergé était si
puissante, si solide, qu’il fut impossible de le circonvenir. Le pape vint
d’ailleurs à sa rescousse en condamnant par un bref les mesures fiscales
envisagées. Mais les besoins de l’Etat étaient criants. Louis XIII profita de
la tenue d’une nouvelle assemblée générale du Clergé à Mantes en
février 1641 pour lui demander un don gratuit de 6 millions.
Si, en 1615, Richelieu, évêque de Luçon, avait dit que les
ecclésiastiques ne devaient à l’Etat que le secours de leurs prières, il avait
depuis bien changé d’avis ! En 1636, il avait arraché à ses confrères, non
sans mal d’ailleurs, 4 millions, sous promesse de ne pas renouveler pareille
sollicitation. La guerre se poursuivant, il se sentait libéré de son
engagement. Les discussions, parfois tendues, durèrent six mois. La
nouveauté venait de la présence au sein de l’assemblée de deux
commissaires, Particelli d’Emery, intendant des Finances, et Brûlart de
Léon, conseiller du roi, chargés de convaincre les prélats. A peine un
compromis fut-il trouvé sur un montant de 5,5 millions qu’une minorité
conduite par les deux présidents de l’assemblée, Mgrs Octave de Bellegarde
et Charles de Montchal, archevêques de Sens et de Toulouse, quitta la salle
en signe de protestation, suivis des évêques d’Evreux, de Maillezais, de
Bazas et de Toulon. Le roi, excédé de ce comportement égoïste, alors que le
pays suait sang et eau pour soutenir la guerre, exila par lettres de cachet ces
« esprits mutins » (la formule est de Richelieu) dans leurs évêchés29.
La pratique tendait un peu partout à la restriction des libertés locales.
Cela remontait déjà à quelques années. Du Hallier, gouverneur de Provence
de 1631 à 1637, avait ainsi suspendu sans vergogne les élections
municipales pour nommer directement ses propres clients, malgré les
plaintes du parlement d’Aix. En 1639, les états de Provence, qui avaient
résisté à l’enregistrement des édits fiscaux, furent remplacés par une
assemblée de communautés, moins puissante, chargée de voter le don
gratuit.
Si les gouverneurs de province restaient les représentants du roi, à côté
d’eux, pour les aider dans leurs tâches administratives ou judiciaires,
figuraient désormais des intendants de police, justice ou finance. Cette
institutionnalisation s’était faite progressivement, de façon empirique, en
fonction des nécessités, dans un souci de salut public. Initialement, le roi,
pour résoudre une situation particulière, un problème ponctuel, délivrait une
commission à l’un de ses proches ou à un magistrat dévoué. Cette
commission, limitée dans son objet comme dans sa durée, donnait à son
titulaire les moyens extraordinaires de briser les résistances. Ainsi étaient
nés au XVIe siècle, nous l’avons dit, les intendants de province. Ces
magistrats, rattachés au Chancelier, étaient des coordinateurs, des
négociateurs, mais aussi des juges. C’est sous le règne de Louis XIII qu’ils
devinrent une institution stable et permanente.
Dès 1633, sans pour autant se substituer aux corps des officiers, ils
contrôlaient la répartition et l’assiette des impôts directs ainsi que les corps
municipaux. Avec la guerre, leurs pouvoirs ne firent que se renforcer. Un
édit de mai 1635 systématisa leur implantation au sein des généralités. Des
commissions furent également délivrées à des magistrats, attachés aux
responsables de corps d’armée, avec mission d’assister aux conseils de
guerre, de réprimer les délits et abus commis, de contrôler les finances,
l’activité des munitionnaires et de veiller au paiement régulier de la solde.
Une créature de Richelieu, Cruzy de Marcillac, évêque de Mende, fut ainsi
désigné pour s’occuper des vivres, munitions et magasins des armées
opérant dans l’est, y compris en Alsace. Avant de remplacer Servien au
secrétariat d’Etat à la Guerre, Sublet de Noyers avait été intendant d’armée,
spécialisé dans les fortifications et le ravitaillement des places de Picardie.
Ces intendants ne disposaient d’aucun personnel ni de moyens propres.
Leurs compétences n’étaient pas à la hauteur de leur mission, beaucoup trop
vaste. L’évêque de Mende en particulier déçut. D’où l’idée d’une
concentration administrative, d’une unification et d’une
professionnalisation. Les intendants, aussi bien ceux d’armée que de
province, furent essentiellement choisis dans le corps des maîtres des
requêtes de l’Hôtel. Le ressort géographique de leur action fut réduit, de
façon à accroître leur efficacité. Cette centralisation s’étendait aussi aux
provinces nouvellement conquises, signe de leur incorporation progressive.
En 1639, l’Alsace était détachée de l’administration des Trois-Evêchés. Une
commission d’intendant de justice, police, finance et vivres était confiée à
M. de Bélesbat, avec autorité sur les gouverneurs de places, habitants des
villes et gens de guerre de « quelque nation qu’ils soient ». Compte tenu des
traités de protection existants, celui-ci ne se substituait pas aux
administrations en place, mais agissait comme arbitre.

Sur le plan financier, pour répondre aux plaintes des habitants, de plus
en plus d’intendants – à Lyon, Amiens, Bordeaux, Moulins, Rouen… –
reçurent des pouvoirs leur permettant de refaire, dans le sens d’une plus
grande justice, la répartition des tailles, décidées par les élus et les trésoriers
de France. Ainsi des commissaires du roi, fonctionnaires révocables à
volonté, se substituaient-ils à des officiers inamovibles, propriétaires de
leurs charges, qui avaient le défaut d’écraser les plus pauvres30.
Le règlement du Conseil du 22 août 1642 fut, comme l’a montré Roland
Mousnier, « une manière de révolution ». Les attributions fiscales des
trésoriers de France et autres officiers de finance furent systématiquement
dévolues aux intendants. Ceux-ci, assistés dans chaque élection de trois
élus, du trésorier de France (réduit désormais au simple rôle de conseiller
technique), du procureur du roi, du receveur et du greffier de la
circonscription, devaient dresser la répartition de ces tailles sur les villes,
bourgs et paroisses. Au nom du roi, ils pouvaient taxer d’office les
privilégiés exempts de tailles, procéder souverainement aux jugements des
seigneurs ou des notables s’opposant à la levée de l’impôt. D’inspecteurs
réformateurs, les intendants devenaient administrateurs. Ce règlement reçut
pleine autorité par une déclaration royale du 16 avril 1643.
La nouvelle administration des finances bousculait ainsi les hiérarchies
locales et régionales, déstabilisait les équilibres anciens, minait les
situations acquises par la bourgeoisie officière. Le roi, d’un côté, créait pour
des raisons financières de nouveaux offices mais, de l’autre, les vidait de
leur substance pour des raisons de justice et d’efficacité. A travers ce
système complexe, hétéroclite, s’affirmait la progression de l’Etat.
Ce mouvement était d’autant plus mal perçu qu’il se combinait à deux
autres, l’extension continuelle de la fiscalité et la militarisation de sa
perception. En 1640, les impôts des années à venir étaient déjà consommés.
Les prêts et avances des financiers atteignant des records difficiles à
dépasser, il fallait constamment augmenter la matière fiscale. En novembre,
une déclaration royale assujettissait à la taille tous les anoblis par lettres
depuis trente ans. C’était toucher à un des privilèges les plus sensibles de la
noblesse. En même temps, était créé un nouvel impôt, la « subvention »,
frappant d’une taxe de 5 % les marchandises et denrées les plus diverses
(acier, fer, quincaillerie, bétail à pied fourché, poissons d’eau douce…)
circulant dans le royaume.
Déjà engagée au début de la guerre, la militarisation de la fiscalité fut la
conséquence des difficultés de recouvrement de l’impôt et des révoltes
provinciales. A partir de 1640, le Conseil du roi se mit à préconiser un peu
partout l’emploi de la force armée. Le 30 janvier 1641, par exemple, le
sieur de La Potherie était autorisé « à lever, pour l’accompagner dans
l’exécution des ordres du roi et prêter main forte à ceux qui font le
recouvrement des deniers de la subsistance, un lieutenant et vingt archers de
la Connétablie ». Certains groupes financiers refusaient d’ailleurs
d’accorder des prêts ou de percevoir les impôts et taxes au nom du roi s’ils
ne recevaient pas la protection de « fuzeliers » (fusiliers). D’où le sentiment
largement répandu de « terrorisme fiscal31 ». Devant cette situation,
comment les peuples ne se seraient-ils pas rebellés contre la misère et
l’injustice ? On regrettait le bel autrefois, vite confondu avec l’Age d’Or.

*1. Aujourd’hui Carignan, dans les Ardennes.


XXII
Derniers complots

Les Français prennent le dessus


Louis XIII et Richelieu le constataient avec plaisir, le sort des armes
lentement tournait en faveur de la France. Raison de plus pour tenter un
nouvel et – espérait-on – ultime effort, afin de parvenir à des conditions de
paix satisfaisantes. En Artois, l’armée de La Meilleraye disposait de
20 000 hommes de pied et de 7 000 chevaux ; à la frontière flamande, celle
de MM. de Chaulnes et de Châtillon alignait 15 000 hommes et 4 500
chevaux ; en Lorraine, celle de Du Hallier (futur maréchal de L’Hospital)
comptait 7 000 fantassins et 1 500 cavaliers ; le marquis de Villeroy en
avait autant en Bourgogne. Pour secourir la duchesse de Savoie, Sourdis
avait rassemblé 8 000 soldats et 1 200 chevaux et disposait de la flotte de
Méditerranée, 22 galères et 50 bâtiments auxiliaires. Pour suppléer aux
faiblesses observées sur ce front l’année précédente, il fut décidé de lever
30 000 recrues supplémentaires.
En Italie, la ville de Turin était aux mains des Espagnols, à l’exception
de sa citadelle, toujours tenue par une poignée de Français. Le comte
d’Harcourt, avec son armée, entreprit d’enfermer les troupes ennemies, tout
en résistant aux attaques extérieures du marquis de Legañes. Ainsi plusieurs
sièges s’emboîtaient les uns dans les autres… Cadet la perle fit merveille.
Le 19 septembre 1640, le prince Thomas, enfermé dans la ville basse,
capitula avec les honneurs de la guerre. Un mois plus tard, la duchesse
rentra dans sa capitale, acclamée par une population versatile, mais avide de
paix.
Au début de 1640, Mazarin, passé du service du Saint-Siège à celui de
Richelieu qui lui avait fait obtenir des lettres de naturalité*1, avait de fait
remplacé le père Joseph. Sa parfaite connaissance de la situation
internationale et son habileté diplomatique étaient pour la France de
nouveaux atouts. Ce fut lui qui se chargea de négocier le ralliement des
deux beaux-frères de Madame. Le cardinal Maurice reçut des terres, une
pension de 50 000 écus, le remboursement de ses dettes et l’autorisation de
se marier – il n’était pas prêtre – avec sa nièce. Le prince Thomas, qui se
plaça sous la protection du roi de France, fut comblé lui aussi de bienfaits,
reçut une place de sûreté et signa sa réconciliation avec la duchesse. Enfin,
pour parer à toute mauvaise surprise, le comte d’Aglié, l’amant de
Chrestienne, fut arrêté et conduit au donjon de Vincennes. Richelieu tenait à
rappeler à Madame qui était le maître…

La conquête de l’Artois passait nécessairement par la prise de la


capitale de cette province, Arras, une ville forte, si bien protégée – Henri IV
à deux reprises s’y était cassé les dents – qu’un dicton moqueur courait chez
les Espagnols : « Quand les Français prendront Arras les souris mangeront
les chats ! » Le Conseil du roi décida d’en entreprendre le siège. Louis XIII
se rendit à Amiens et prit en main la direction des opérations. Pendant que
Châtillon faisait une diversion du côté d’Aire-sur-la-Lys et de Béthune,
contraignant le gouverneur d’Arras à dégarnir ses effectifs et à y envoyer un
détachement de secours, le gros de l’armée du maréchal de La Meilleraye
fut rejoint par des unités de Du Hallier, distraites du front de Champagne.
Bientôt, 23 000 fantassins et 9 000 cavaliers se trouvèrent sous les murs de
la vieille place espagnole. Le jeune et brillant duc d’Enghien – le futur
Grand Condé – faisait là ses premières armes. On ne négligea rien pour
établir un puissant camp retranché, avec des fossés larges de 18 pieds et
profonds de 12, des redoutes et des fortins. Le cardinal installa son quartier
général au château de Lucheux près de Doullens, et Louis partit inspecter
les cantonnements.
En juillet, une première armée hispano-impériale conduite par le
général de Lamboy tenta de faire lever le siège en s’en prenant au camp
retranché. Elle fut repoussée par La Meilleraye. Cet échec incita le cardinal-
Infant à se mettre à la tête de ses dernières troupes. Sa tactique consistait
cette fois non pas à affronter les royaux, mais à chercher à contrôler la
campagne et à intercepter les convois de ravitaillement, bref à affamer les
assiégeants. Au début d’août, un dur combat se déroula autour d’un renfort
de 6 000 chariots de vivres et de munitions, escortés par 19 000 hommes,
que Richelieu avait formé depuis Doullens. Les accrochages furent
meurtriers, mais la majeure partie de la colonne parvint à gagner les lignes.
Le 9 août, la ville, épuisée et affamée, demanda à capituler avec les
honneurs de la guerre, ce qui lui fut accordé. Les habitants, ardents
catholiques, se virent reconnaître le droit de ne pas appliquer dans leur cité
l’édit de Nantes. Avec cette nouvelle victoire, la conquête complète de
l’Artois était en bonne voie. On ne sait quel facétieux modifia le dicton
moqueur en enlevant le « p » de « prendront » : « Quand les Français
rendront Arras les souris mangeront les chats ! » Il est vrai que la ville avait
tellement souffert qu’il n’y avait plus ni chat ni souris…
A son habitude, Louis avait manifesté ses angoisses jusqu’à la
capitulation. L’ambassadeur vénitien Angelo Correr, qui l’avait rencontré
quelques jours avant, le trouva accablé. « Les victoires et les défaites, lui
confia-t-il, n’aboutissent toutes également qu’à la destruction des peuples, à
la désolation des pays et à des calamités déplorables qui ne peuvent que
déplaire aux princes justes et qui me déplaisent à moi seul qui ne désire rien
d’autre que le repos public1. » Bref, il était las de ce conflit qui
ensanglantait l’Europe et dont il ne voyait pas la fin…

La sécession de la Catalogne et du Portugal


L’insuccès des armées espagnoles s’expliquait par le manque d’argent,
les difficultés économiques croissantes, la crise de l’Outre-Mer. « Dans
notre position présente, écrivait Olivares en janvier 1640, non seulement
nous avons besoin d’une paix, d’une trêve ou d’un cessez-le-feu, mais nous
ne pouvons continuer sans cela. » Les discussions, qui avaient échoué à
Compiègne avec la mission de don Miguel de Salamanca, reprirent donc.
Les Espagnols étaient prêts à céder sur tout, à l’exception du Brésil et des
possessions italiennes. Malheureusement, ils n’eurent pas le temps
d’avancer leurs propositions : leur pays soudain s’embrasa, menacé
d’implosion…
Afin de répartir plus équitablement l’effort de guerre entre les
différentes provinces – tel avait toujours été son credo –, Olivares avait
augmenté la contribution financière et militaire de la Catalogne. Cette
poussée du centralisme madrilène se heurta à une violente réaction
autonomiste de la fière province, attachée à ses libertés et privilèges plus
qu’au sort de la monarchie habsbourgeoise. Indifférent à cette grogne,
impatient et nerveux, Olivares ne vit rien. En mai, en réponse à un
soulèvement de paysans de la région de Gerona contre les réquisitions et les
logements des gens de guerre, il fit incendier et raser le village à l’origine
des troubles. Un noble catalan fut brûlé vif dans sa maison. Ce fut le signal
de l’embrasement. Le 7 juin, jour de la Fête-Dieu, les Barcelonais
fraternisèrent avec ces segadores (moissonneurs) au cri de « Mort au
tyran ! », mirent au pillage les maisons des partisans de Madrid et
massacrèrent les juges royaux ainsi que le vice-roi de Catalogne, le comte
de Santa Colona, qui s’apprêtait à fuir par la mer. Madrid tenta la
négociation, la médiation pontificale, la mobilisation du ban et de l’arrière-
ban de la noblesse castillane, rien n’y fit. Les révoltés proclamèrent leur
indépendance et portèrent à leur tête le chanoine Pau Claris. L’oligarchie
catalane qui avait pris le pouvoir se trouva vite aux prises avec les
revendications paysannes qui poussaient à la surenchère sociale. La
situation était instable et les violences populaires incessantes. Villes et
villages étaient pillés par des bandes errantes de chômeurs et de déserteurs.
Au cours de l’été, Francesco Vilaplana, neveu de Pau Claris, fut
secrètement dépêché en France afin de solliciter du Très-Chrétien une aide
militaire contre une prochaine offensive de l’armée castillane. On imagine
le plaisir avec lequel Louis XIII accueillit sa demande. En réponse, les ports
catalans s’ouvrirent aux vaisseaux français. Mais, en novembre, une armée
castillane reprit Tortosa, traitant avec une extrême violence les révoltés.
Louis envoya alors en Catalogne un maréchal de bataille, Bernard du
Plessis-Besançon, afin d’évaluer la situation, suivi d’un premier contingent
de 4 000 hommes sous la conduite d’un officier général, le comte
d’Espenan, gouverneur de Leucate. Le rapprochement franco-catalan
s’accélérait. Le 16 décembre, les envoyés du roi signèrent avec les membres
du Consistoire du Principat un pacte dit de la Fraternité. Les Français
s’engageaient à fournir aux rebelles un secours de 6 000 fantassins et 2 000
cavaliers, des ingénieurs militaires et des armes. En échange, les insurgés
promettaient de conclure un traité d’alliance perpétuelle. Les ambassadeurs
catalans arrivèrent à Paris dix jours plus tard, allèrent saluer
respectueusement à Saint-Germain le roi, la reine et le petit dauphin de
deux ans. Le 23 janvier 1641, sur proposition du chanoine Pau Claris, les
Cortes proclamèrent Louis XIII comte de Barcelone et souverain de la
Catalogne sous le nom de Louis Ier, aux conditions suivantes : les lois et
privilèges de la province seraient respectés ; les principales charges
militaires et judiciaires reviendraient à des Catalans, à l’exception de celle
de vice-roi ; la paix ne se ferait pas sans inclure leur province.
Trois jours plus tard, au fort de Montjuich, les Franco-Catalans
repoussèrent l’armée espagnole de Los Velez de Guevara. L’étau d’Olivares
se desserrait. En mars 1641, l’amiral de Sourdis captura l’escadre de Rosas,
entre Barcelone et Port-Vendres. Il ne restait plus à prendre que Tarragone
au sud. Cette fois, l’opération navale échoua. L’Espagne mobilisa trente-
cinq vaisseaux et quinze galères afin de ravitailler la ville assiégée par le
comte de La Mothe-Houdancourt. Sourdis avec dix-neuf vaisseaux et autant
de galères refusa le combat. Il fut disgracié.

Au cours de l’année 1640, Madrid eut à faire face à une seconde


dissidence, moins violente, mais plus grave puisqu’elle avait des
répercussions outre-mer : la sécession du Portugal. Depuis 1581, le petit
royaume lusitanien était une province espagnole, qui avait conservé ses
Cortes, ses lois, son administration, sa monnaie et son empire colonial. Un
Conseil du Portugal réglait à Madrid les affaires du pays, tandis qu’à
Lisbonne un vice-roi représentait l’autorité de Philippe IV. Le
mécontentement des Portugais s’était accru au fil des ans en raison de la
brutalité des fonctionnaires espagnols et, à partir de 1630, de la hausse de la
fiscalité, destinée à financer la guerre contre les Provinces-Unies. Un petit
groupe de conjurés décida de tenter un coup de force et de porter à la tête
du royaume l’un des héritiers de la maison royale d’Aviz, Jean de Bragance.
Le 1er décembre 1640, ils s’emparèrent du palais royal de Lisbonne, tuèrent
le gouverneur Miguel de Vasconcellos et obligèrent le vice-roi, Marguerite
de Mantoue, fille de Charles Emmanuel de Savoie et cousine de
Philippe IV, à s’enfuir. Le 15, Jean de Bragance fut proclamé roi sous le
nom de Jean IV, avec le soutien enthousiaste du peuple et de l’Eglise. En
janvier 1641, le nouveau Parlement portugais ratifia son accession à la
couronne et vota des subsides pour entrer en guerre contre la Castille et
contre les Provinces-Unies au Brésil et en Inde. La France et le Portugal
échangèrent bientôt des ambassadeurs.
Décidément, tout allait mal pour le hiératique Philippe IV. La
centralisation à la française, entreprise par son omnipotent favori, avait
totalement échoué et conduit le pays à la ruine. Il ne restait aux Espagnols
qu’un espoir, une révolution politique en France2… C’est ce que pensait le
cardinal-Infant quand, en mars 1641, il écrivait à son frère : « Les armées
espagnoles et impériales sont si réduites qu’elles ne peuvent rien
entreprendre. Il n’y a qu’une ressource : se créer des partisans en France et
chercher, grâce à eux, à amener le gouvernement français à se montrer
raisonnable… »

Le comte de Soissons
Nous avons laissé Louis de Bourbon, comte de Soissons, à Sedan, où il
s’était enfui après l’échec de l’attentat d’Amiens contre Richelieu. Sa
mauvaise humeur et sa présence dans la principauté souveraine du duc de
Bouillon inquiétaient autant le cardinal que le roi.
Marie de Médicis, ravie d’embaucher contre son fils un général si
réputé, avait convaincu le cardinal-Infant de lui fournir 500 000 livres pour
lever une armée et entrer en France. Signé en juillet 1637, le pacte avait été
dénoncé au bout de quelques jours par l’intéressé, qui avait préféré obtenir
le pardon du roi, moyennant sa neutralité politique. Ainsi avait-il pu
conserver ses gouvernements de Champagne et du Dauphiné, le revenu de
ses abbayes, et demeurer à Sedan, à l’abri de ses ennemis. La reine mère
avait été fort mécontente de cette volte-face, mais ne désespérait pas de le
retourner. Elle n’avait pas tort.
Au printemps de 1640, à l’expiration du délai de quatre ans que lui
avait octroyé le roi, Soissons décida d’entrer en dissidence. Dans ce but, il
noua des contacts avec son hôte, Frédéric Maurice, duc de Bouillon, lui-
même en relation avec les Espagnols, puis avec trois opposants notoires, le
duc Henri de Guise, archevêque de Reims, fils de Charles, chef de la
maison, mort en exil en Italie, le duc de La Valette et le duc de Soubise, ces
deux derniers réfugiés en Angleterre. Par l’intermédiaire du duc de Guise, il
se rapprocha de Monsieur. On imagine combien celui-ci, toujours friand de
complots, aurait aimé se jeter une nouvelle fois dans l’aventure mais, se
sachant surveillé, il déclina l’offre. Le comte de Soissons méditait – autant
qu’on puisse pénétrer ses plans – de conjuguer une opération militaire à
partir de Sedan, une agitation huguenote dans le Sud-Ouest et une descente
de Soubise et de La Valette en Bretagne. Dangereux et vaste dessein, dont
Richelieu prit connaissance lorsque, en décembre, on arrêta et embastilla un
gentilhomme du prince de Soubise nommé La Vigerie, arrivé d’Angleterre
avec des lettres secrètes évoquant un nouveau soulèvement protestant et de
grands avantages « à tirer de l’embarras où était la Cour ». Il s’ensuivit un
échange de courriers entre Paris et Sedan, et des protestations d’innocence
de la part du comte de Soissons.
Bien entendu, le roi et le cardinal n’en crurent rien. Ils étaient décidés à
en finir avec la principauté, repaire de mécontents et foyer d’agitation pro-
espagnole. Mais avant, pour ne pas embraser la région, ils décidèrent de
profiter des bonnes dispositions du duc de Lorraine pour se réconcilier avec
lui. La petite histoire croise souvent la grande : quelques années auparavant,
Charles IV était tombé éperdument amoureux de la belle Béatrix de
Cusance, veuve du comte de Cantecroix, dont la beauté avait inspiré un
tableau à Van Dyck. Il l’avait épousée secrètement en 1637. L’ennui était
qu’il était déjà marié à Nicole de Lorraine, dont il vivait séparé. A tout
moment, il risquait d’être excommunié. Il lui fallait obtenir au plus vite de
Rome son absolution et l’annulation de son premier mariage, par
l’intercession de Richelieu. Il s’était donc rapproché des Français…
Il arriva à Saint-Germain le 10 mars 1641, se jeta aux pieds du roi et lui
demanda, avec des accents de sincérité, le pardon de ses nombreuses fautes.
Louis généreusement accepta : « Mon cousin, tout le passé est entièrement
oublié, je ne pense plus qu’à vous donner à l’avenir des marques de mon
amitié. » Les négociations s’engagèrent. Il fut convenu que le duc
recouvrerait ses Etats de Lorraine et de Bar, y compris Marsal, se
reconnaîtrait vassal du roi de France pour le Barrois, lui céderait à titre
définitif Clermont-en-Argonne, Stenay, Jametz et Dun-sur-Meuse,
s’engagerait à ne pas s’allier aux ennemis du royaume et à concourir à la
lutte contre l’Espagne. A titre de gage, l’occupation provisoire de Nancy
par les troupes françaises se poursuivrait jusqu’à la paix. Telles furent les
principales dispositions du traité de Paris que Charles IV signa, jurant sur
l’Evangile de l’observer inviolablement. C’est alors, semble-t-il, que
Richelieu l’avertit qu’il pourrait très difficilement plaider sa cause à
Rome… Evidemment, cela changeait la donne ! Le 26 avril, sitôt arrivé à
Epinal, le duc protesta chez un notaire que le traité lui avait été extorqué
sous la contrainte. En lui rejaillissait toujours la haine de la maison de
Lorraine contre celle de France, accusée d’usurpation…
Persuadés qu’ils avaient assuré leurs arrières, Louis XIII et Richelieu
firent savoir au comte de Soissons qu’il ne pouvait plus prolonger son
séjour à Sedan et qu’il devait soit revenir en France, soit se retirer à Venise.
Celui-ci, nullement résolu à obtempérer, était en train de conclure un accord
avec le cardinal-Infant et un représentant de Ferdinand III, accord aux
termes duquel l’Espagne lui promettait des troupes et de l’argent, et
l’Empereur lui envoyait au plus vite 7 000 hommes commandés par le
général de Lamboy.
En l’absence de réponse du comte, le roi confia le commandement
d’une armée de 8 000 hommes et 2 000 cavaliers au maréchal de Châtillon
et lui ordonna de prendre la route de Sedan. On escomptait une aide du duc
de Lorraine, mais, quand un gentilhomme vint lui rappeler de la part de
Richelieu la signature toute fraîche qu’il avait apposée au traité de Paris, le
beau Charles jeta le masque, déclarant que les Français l’avaient trahi et
qu’il était naturel qu’il leur rendît la pareille !
C’est le moment que choisit Soissons pour lancer son Manifeste pour la
justice des armes des princes de la paix, expliquant les raisons de son
soulèvement : il déclarait n’agir que pour libérer le roi de la tyrannie du
cardinal. Cet écrit exprimait la quintessence de la philosophie
aristocratique, à la fois féodale et libérale3. Et pour souligner son loyalisme
envers la Couronne, il fit prendre à ses troupes l’écharpe blanche.
La rencontre entre les troupes rebelles et françaises eut lieu le 6 juillet
1641 sur la rive gauche de la Meuse, dans la plaine de Bazeilles qui s’étend
du village de Chaumont au bois de la Marfée, d’où le nom que prendra la
bataille. Elle ne dura que trois quarts d’heure. D’abord à l’avantage des
Français de Châtillon, elle tourna vite à leur déroute. Le duc de Bouillon
manifesta son incontestable supériorité tactique sur le petit-fils de l’amiral
de Coligny. Victoire à la Pyrrhus cependant : l’impétueux Soissons fut tué
d’un coup de pistolet à la tête. Les relations de sa mort sont contradictoires.
Selon une version, la moins crédible, ce seraient des agents du cardinal qui
lui auraient porté le coup fatal. Selon une autre, le prince, au moment où la
bataille s’achevait, se serait lancé à la poursuite des Français et se serait
brusquement trouvé enveloppé par une escouade de gendarmes du roi. La
dernière version veut que le comte se soit lui-même malencontreusement
donné la mort : il avait en effet l’habitude de relever la visière de son
casque avec le canon de son pistolet, et le coup serait parti…
Toujours est-il que l’armée rebelle victorieuse, mais désemparée,
désorganisée par la soudaine disparition de son chef, resta sur ses positions,
sans foncer sur Paris comme prévu. La route était pourtant libre… La
France, épuisée par la guerre, la misère et les impôts, était dans un tel état
qu’elle aurait sans doute accueilli avec des transports de joie ce jeune prince
du sang décidé à chasser l’homme rouge. Le père Carré le reconnaissait :
« Si Monsieur le Comte n’avait pas été tué, il eût été bien reçu de la moitié
de la France […], à cause du sol par livre et autres vexations que les
partisans font au peuple, qui est très mécontent. »
Louis XIII avait eu chaud ! Il fut si choqué de la trahison de son cousin
qu’il voulut lui intenter un procès posthume, faire traîner son corps sur une
claie et interdire son inhumation dans la nécropole familiale de Gaillon.
Richelieu lui conseilla non sans mal de n’en rien faire. « Le roi m’a défendu
de lui en parler, écrivait-il, et s’est même emporté contre moi. Je ne le veux
pas fâcher ; j’ai à combattre toute son humeur, celle du petit coucher et celle
du cabinet : cela me fait plus de peine que tout ce que pourraient faire
l’Empereur et le roi d’Espagne contre les desseins que nous avons. »
Finalement, Louis céda.
Il fallait châtier Bouillon. L’armée royale se dirigea vers Mézières et
Sedan, que l’on investit le 5 août. Le duc félon comprit qu’il n’aurait pas le
dessus. Il négocia sa soumission, accepta de placer sa principauté jusque-là
indépendante sous la suzeraineté de la France et obtint le pardon complet de
ses partisans, à l’exception du duc de Guise, en fuite, qui sera un peu plus
tard condamné à la décapitation et exécuté en effigie.
Cependant, la campagne de 1641 se poursuivait. Le roi détacha de
l’armée de Châtillon un corps de 5 000 hommes et 500 cavaliers, sous les
ordres du comte de Grancey, qui eut pour mission d’occuper le Barrois et de
réduire la Lorraine à l’obéissance, ce qu’il fit sans difficulté. En octobre,
Louis XIII offrit encore à son duc le pardon, à condition de placer son
armée à son service, mais celui-ci refusa. Dans le Nord, Lens fut prise par le
maréchal de Brézé et La Bassée par le maréchal de La Meilleraye. Un
tragique incident se déroula lors de la capitulation de Bapaume, qui s’était
rendu aux Français. Escortée par un trompette, la garnison sortit. Ignorant
qu’elle était protégée par les lois de la guerre, François de Jussac, comte de
Saint-Preuil, gouverneur d’Arras, l’attaqua alors qu’elle faisait retraite et la
massacra. L’homme, un client de Richelieu, fut arrêté, traduit devant un
conseil de guerre et décapité à Amiens le 9 novembre. Le cardinal avait
intercédé en sa faveur, en vain. Louis XIII ne voulait pas donner aux
Espagnols l’impression qu’il avait manqué à sa parole. Il avait promis de
placer la garnison vaincue sous sa protection, il ne pouvait faillir au code de
l’honneur.

La dernière conspiration
Comme toujours, les conspirations se succédaient. A peine l’une était-
elle terminée qu’une autre voyait le jour. A deux reprises en 1640, les
partisans du comte de Soissons avaient tenté de gagner à leur cause le
marquis de Cinq-Mars. Celui-ci avait refusé de sauter le pas, mais avait
soutenu en secret leur entreprise. Lorsque, au printemps de l’année
suivante, Bouillon et Soissons avaient jeté le masque, il avait juré au
cardinal qu’il arrêterait les factieux dans leur marche vers Paris, tout en
souhaitant leur succès. L’esprit pénétrant de Richelieu avait percé la
duperie. De fait, la mort de l’impétueux conspirateur à La Marfée plongea
le favori dans la consternation : la tyrannie du cardinal allait continuer et
jamais il ne pourrait épouser Marie Louise de Gonzague. L’inconsolable
jeune homme était prêt à tomber dans les rets du marquis de Fontrailles,
implacable idéologue des révoltes aristocratiques, ami de Soissons, dont il
voulait venger la mort. Ce sombre gentilhomme languedocien, « bossu par
devant et derrière et fort laid de visage », vouait à Richelieu une haine sans
mesure qui, selon Tallemant, trouvait son origine dans une raillerie cruelle
de l’Eminence. Alors qu’on annonçait l’arrivée d’un ambassadeur, il lui
aurait dit : « Rangez-vous, M. de Fontrailles, ne vous montrez point ! Cet
ambassadeur n’aime pas les monstres4 ! » Cette parole-là, écrit Tallemant,
« a peut-être fait faire la grande conjuration qui pensa ruiner le cardinal ».
Leur commune exécration de l’homme rouge les amena à vouloir
constituer un parti de révoltés. Cinq-Mars, au comble de la faveur, bascula
ainsi dans l’intrigue politique. Il se confia à son ami d’enfance François
Auguste de Thou, fils de feu le président Jacques Auguste de Thou,
humaniste érudit, historien, qui avait été l’un des rédacteurs de l’édit de
Nantes. Cet homme de trente ans, âme à la fois ardente, généreuse et
tourmentée (Cinq-Mars le surnommait « Son Inquiétude »), avait été tour à
tour conseiller au Parlement, maître des requêtes, intendant d’armée puis
maître de la Bibliothèque du roi. Emu par le triste sort réservé à la reine, il
avait servi un temps d’agent de liaison à Mme de Chevreuse, rachetant pour
elle les bijoux qu’elle avait engagés. Richelieu ne l’aimait pas en raison de
sa parenté avec les ducs de Bouillon et d’Epernon, mais il avait bien voulu
passer l’éponge. De Thou ne lui en avait su aucun gré.
Or, en 1640, une nouvelle crise avait éclaté au sein du couple royal. Le
8 septembre, à Saint-Germain, le roi accompagné de sa suite rendit visite à
sa femme, enceinte de huit mois. Il était de bonne humeur et demanda à
voir le dauphin. L’enfant de deux ans, surpris par l’arrivée de tant de monde
et par les avances de Cinq-Mars qui avait voulu le caresser, se mit à hurler
et à rejeter violemment son père. Dans les rapports entre parents et enfants,
on était alors mauvais psychologues. Louis ne comprit pas qu’il intimidait,
avec son visage sévère et sa sombre moustache. Frustré dans son affection,
il fut bouleversé de l’attitude de l’héritier du trône, dont il préparait le règne
avec tant de soin. Cela suffit à faire renaître ses préventions contre
Chesnelle et à attribuer cette révolte enfantine à l’éducation qu’elle lui
inculquait. Elle le choyait trop, le cajolait en mère possessive, le remontant
contre lui, sans comprendre qu’il était aussi l’enfant de l’Etat. Il quitta la
pièce furieux. Anne fut effondrée. On allait lui retirer son fils, la reléguer
peut-être dans un couvent sitôt l’accouchement. Déjà, après la naissance du
premier, on l’avait plus étroitement surveillée. On lui avait ôté son amie et
dame d’honneur, Mme de Senecey, que Richelieu avait exilée et remplacée
par Mme de Brassac, dont le mari, lui aussi sa créature, avait été nommé
surintendant de la maison de la reine.
Deux jours plus tard, le roi écrivait au cardinal : « J’ai le profond regret
de devoir vous donner des nouvelles de la grande aversion que mon fils
éprouve à mon égard. Elle va si loin qu’il crie comme si on l’écorchait dès
qu’il me voit traverser la cour de sa fenêtre ; il suffit qu’on prononce mon
nom pour qu’il devienne tout rouge. Je l’ai visité deux fois dans sa chambre
depuis que je vous ai écrit, sans l’approcher de trop près : dès qu’il
m’aperçoit il pousse des braillements de colère. » Il demandait conseil au
cardinal. Fallait-il, dans l’intérêt du royaume, faire conduire l’enfant à
Chantilly ou ailleurs « afin qu’il ne voie plus la reine ni toutes ces femmes
qui l’adulent et le flattent toute la journée » ?
Le ministre, déjà informé de la scène par les Brassac, en profita pour se
rapprocher d’Anne. Entre-temps, d’ailleurs, la réconciliation avait eu lieu,
après une nouvelle scène où l’enfant effarouché avait refusé d’embrasser
son père (il était cette fois en camisole et bonnet de nuit…). Le lendemain,
toute la maison de la reine s’était mobilisée et l’évêque de Lisieux était
venu voir le roi, tenant l’enfant par la main : « Je viens traiter de la paix
avec Votre Majesté, dit-il avec un léger sourire, de la part d’un des plus
grands princes du monde… » Le dauphin se mit à genoux, demanda pardon.
Louis, tout ému de ce retour de tendresse, lui offrit alors des jouets : une
épée et un petit cheval pour tirer sa brouette…
En tout cas, grâce à la bonne volonté du roi et à l’action modératrice de
Richelieu, le second accouchement, le 21 septembre 1640, se fit dans un
climat apaisé. L’enfant, un garçon, recevra à son baptême le prénom de son
grand-père maternel, Philippe. La naissance d’un nouvel héritier potentiel
éloignait un peu plus Gaston du trône.
Ignorant les démarches de Richelieu, quelques courtisans s’indignaient
du sort de la reine. Parmi eux, le duc d’Epernon et le jeune de Thou, prêts à
cabaler. Le cardinal, aux aguets, y mit bon ordre. Il exila cette incorrigible
tête de mule de d’Epernon à Loches (où il décédera en janvier 1642 dans sa
quatre-vingt-huitième année), mais, jugeant le brillant homme de robe
inoffensif, le laissa libre de ses mouvements. C’était une erreur.
A la fin de juillet 1641, tandis que l’armée royale avait gagné Mézières
et s’apprêtait à s’emparer en représailles de la place de Sedan, Richelieu en
commit une seconde. Il fit une violente scène à Cinq-Mars, dont il voyait
sans cesse monter la faveur. Louis XIII l’avait autorisé à assister au Conseil,
mais debout et sans voix délibérative. « Je veux, avait-il dit, que mon cher
ami s’instruise de bonne heure des affaires de mon Conseil, afin qu’il se
rende capable de me rendre service. » Armand Jean ne l’entendait pas ainsi.
Il harcela tant le roi que celui-ci accepta de revenir sur sa décision. Fort de
cet accord, le cardinal arrêta le jeune homme alors qu’il s’apprêtait à gagner
la salle des délibérations. Il le traita d’ingrat et d’incapable, s’acharna sur
lui, le mettant au défi d’aller se plaindre à son maître. Frémissant sous
l’outrage, le favori ravala sa rage. Il courut retrouver Fontrailles et
s’abandonna à ses sanglots. Bien entendu, le diabolique bossu souffla sur
les braises. Quelques jours plus tard, Cinq-Mars rencontra le duc de
Bouillon, qui dissimulait mal son amertume d’avoir dû se soumettre au roi
de France. Les deux hommes convinrent de leur intérêt commun à se
débarrasser du Premier ministre. Quand la Cour revint à Paris, de Thou se
chargea d’être leur agent de liaison.
A quelque temps de là, Fontrailles leur amena un troisième larron – et
pas n’importe lequel –, Gaston en personne, que Louis venait d’exclure du
Conseil en raison de sa connivence avec Soissons. « Si le cardinal pouvait
mourir, avait-il dit à Amiens en sa présence, nous serions trop heureux ! »
Durant l’hiver de 1641, le roi tomba à nouveau malade. La santé du cardinal
n’étant pas non plus des meilleures, les spéculations sur l’avenir du
royaume allèrent bon train et rallumèrent l’agitation. Bouillon, appelé par
Cinq-Mars, se rendit à Saint-Germain.
Connue pour son hostilité au Premier ministre, Anne d’Autriche fut
contactée. Malgré l’amélioration de leurs rapports, trop d’humiliations
antérieures l’empêchaient de prendre sa défense. Elle aussi approuva ce
énième projet d’éviction, incitant, par l’intermédiaire de son admirateur de
Thou, certains de ses proches comme Marcillac à prêter main-forte à M. le
Grand. Elle craignait en cas de mort du roi la prise du pouvoir par
Richelieu. On ne manqua pas non plus de prévenir Marie de Médicis qui,
après avoir quitté l’Angleterre en proie à l’agitation politico-religieuse,
avait trouvé refuge en Hollande puis en Allemagne. Ainsi naquit la
conspiration de Cinq-Mars, unissant en un seul front tous les opposants au
cardinal, mais qui, comme l’a dit l’historien Jean-Marie Constant,
s’apparentait « davantage à un complot de cour tendant à créer un parti
nobiliaire qu’à une tentative clairement réfléchie de rénovation politique5 ».

Le traité avec l’Espagne


Comment procéder ? Fontrailles aurait voulu recommencer l’opération
manquée de 1636 : l’assassinat de Richelieu, sans protection, chez le roi.
Cinq-Mars répugnait au crime. Le plus simple n’était-il pas, compte tenu de
l’hostilité grandissante du souverain, de pousser à la disgrâce de
l’Eminence ? Malgré le retournement assez spectaculaire de la situation
extérieure, de belles victoires, la naissance d’un héritier, qui lui montraient
que Dieu favorisait ses vues, Louis XIII était toujours en butte aux
scrupules. Etait-il juste de poursuivre cette guerre qui coûtait tant à ses
peuples, les réduisait à la misère ? Il s’était caché pour pleurer quand on lui
avait rapporté que les officiers du brave Fabert (le futur maréchal) n’avaient
pu empêcher les paysans de déterrer les morts pour se nourrir. On ne
pouvait continuer ainsi. Ne détenait-on pas suffisamment de gages pour
hâter la paix ? Richelieu ne cessait de lui seriner que ses envoyés à Vienne
et à Madrid, malgré toutes les ouvertures faites, se heurtaient à la roideur
d’Olivares et des ministres de Ferdinand III. Mais disait-il vrai ? Cinq-Mars
poussait son avantage, multipliait les railleries et les propos mordants,
revenait à la charge : ne serait-ce pas plutôt Son Eminence qui poursuivait
la guerre pour mieux asseoir son pouvoir ? La tyrannie du cardinal ! Un
sujet irritant pour le roi ! Il souffrait de sa morgue, de son caractère
impérieux qui ne le ménageait plus comme au début de leurs relations.
Toutes les piqûres faites à son amour-propre ressortaient. Plus le favori
compatissait, plus le monarque épanchait sa bile. La maladie, la fatigue, la
jalousie étaient causes de sombres et troubles pensées. Ce cardinal, dont il
supportait le pesant joug, comme il aimerait que quelqu’un pût contester
son autorité ! Dans un accès d’humeur, alla-t-il jusqu’à dire : « Je voudrais
qu’il y eût un parti contre lui en France comme il y en avait eu un autrefois
contre le maréchal d’Ancre » ? C’est possible, tant le monarque était excédé
par l’orgueil sans mesure de son collaborateur, qui semblait se prendre pour
le « roi Luynes ».
Les doléances du souverain dépassaient assurément sa pensée. Il se
plaignait du Premier ministre, comme il l’avait fait devant Mlles de
Hautefort et de La Fayette, tout en sachant qu’il lui était indispensable pour
poursuivre la politique engagée. On ne change pas d’équipe
gouvernementale en pleine guerre ! Mais la tension psychologique était trop
vive. Il avait seulement besoin d’un exutoire pour se défouler, déverser ses
colères rentrées et revenir à la raison. Cinq-Mars ne le comprit pas. Il crut
porter l’estocade en lui demandant tout de go de renvoyer son Premier
ministre. Louis l’arrêta, soudain dégrisé : « Tout beau, n’allez pas si vite ! »
Et de lui expliquer qu’il ne saurait se passer des services du cardinal…
Le bel Henri n’en crut rien. Il était convaincu d’avoir surpris le secret
du roi, cette haine inextinguible de Richelieu qui ne serait satisfaite que
lorsqu’on l’en aurait débarrassé. Puisque le roi refusait de le congédier, les
conjurés, sous l’influence de Bouillon, décidèrent de reprendre la stratégie
du comte de Soissons. Pour s’emparer du pouvoir, liquider le clan
tentaculaire de l’homme rouge, il fallait disposer de l’appui de l’Espagne et
de ses armées. Gaston, Cinq-Mars, Fontrailles, tous acquiescèrent, à
l’exception, semble-t-il, de De Thou, qui dès lors prit ses distances. Plutôt
que d’en venir à l’extrémité d’un accord avec l’Espagne, il suggérait à son
ami d’obtenir un passeport pour Rome et Madrid afin de s’enquérir des
véritables propositions de paix faites par les services français. C’était jouer
la carte de la diplomatie parallèle. Si grande était alors la méfiance de
Louis XIII à l’égard de son Premier ministre qu’il donna un accord signé de
sa main. Mais de Thou n’eut pas le temps de mener à bien son projet.
Bouillon se mit donc à l’œuvre, dictant à Cinq-Mars les articles d’un
traité que l’on soumettrait à Philippe IV. Cela se passait à l’hôtel de Venise,
place Royale, où demeurait M. de Brion, premier écuyer de Gaston. Le duc
d’Orléans, sous prétexte que son frère, envoûté par le cardinal, était
incapable d’agir librement, irait s’enfermer dans Sedan et se ferait
reconnaître par Madrid comme lieutenant général du royaume. Il recevrait
de l’Espagne l’aide d’un corps de 12 000 fantassins et 5 000 cavaliers, un
train d’artillerie et des munitions en rapport, une subvention de 400 000
écus pour lever d’autres unités et une pension mensuelle de 12 000.
Bouillon et Cinq-Mars se verraient reconnaître, pour leur part, une pension
de 80 000 ducats. La paix – une paix blanche – serait aussitôt signée, sur les
bases d’un retour aux frontières antérieures, Monsieur s’engageant
formellement à abandonner les alliés de la France, Suède et princes
allemands. Le texte promettait de ne pas porter atteinte aux personnes
sacrées du roi et de la reine6. Parallèlement, les conjurés décidèrent
d’envoyer dans les Cévennes le comte de Chavagnac, afin d’organiser un
soulèvement protestant. Le 20 janvier 1642, Fontrailles fut désigné pour
aller soumettre ce texte au comteduc d’Olivares. Il partit pour Madrid dans
la nuit du 27, déguisé en ermite, deux exemplaires du traité cousus dans la
doublure de son pourpoint7.
Anne d’Autriche approuva l’entreprise, ou du moins fit mine de
l’approuver. Peut-être s’inquiétait-elle de l’éventualité d’un nouvel échec et
des conséquences désastreuses pour elle ? Plus sûrement, on peut penser
qu’insensiblement la fibre patriotique se greffait sur la fibre maternelle : la
santé de son mari laissait présager une prochaine régence. Elle allait devoir
se battre pour son fils, qui venait d’avoir trois ans et qui pourrait devenir roi
plus tôt que prévu. Et si Richelieu n’était pas abattu, il faudrait compter
avec lui. Ecrivant à l’un des proches du cardinal, le père Carré, elle lui
demanda d’intercéder en faveur du retour de Mlle de Hautefort, faisant part
incidemment de sa désapprobation du comportement de Cinq-Mars envers
le cardinal. Elle savait que le bon père montrerait sa lettre à Richelieu…
Elle jouait ainsi sur les deux tableaux.

La route du Midi
Pendant ce temps, Louis XIII et Richelieu arrêtaient les plans de la
nouvelle campagne de printemps. La situation ne se présentait pas mal. Dès
le 17 janvier 1642, le Breton Guébriant, successeur de Saxe-Weimar, avait
remporté sur les Impériaux du général Hatzfeld la victoire de Kempen, au
nord-ouest de Cologne, ce qui lui avait valu le bâton de maréchal. Restait à
s’occuper du front sud. Le roi de France portait certes le titre nominal de
comte de Barcelone, mais il ne pouvait accéder à sa nouvelle province que
par mer. Il fallait reconquérir le Roussillon, autrefois réuni à la Couronne
par Louis XI, mais cédé par Charles VIII à Ferdinand d’Aragon. Cette
province, avec ses trois positions clés, Salces, Collioure et Perpignan,
restait solidement tenue par les Espagnols. C’est là que devait se situer le
principal théâtre d’opérations.
Malgré sa santé défaillante, Louis XIII grillait de prendre le
commandement de l’armée qui irait assiéger Perpignan, mais il hésitait par
délicatesse, à cause de Richelieu qui n’allait pas bien. Celui-ci finalement se
résigna : peu lui importait de « mourir en un lieu ou en un autre » ! Louis se
sentit aussitôt libéré8. Ce long voyage n’était pas du goût de M. le Grand,
fâché d’être séparé de son égérie, Marie Louise, qui le guidait dans ses pas
d’apprenti conspirateur. Il voulut le forcer à y renoncer, insista, mais se fit
publiquement rabrouer. Avant le départ, le Conseil arrêta que le duc de
Bouillon, dont on redoutait l’esprit factieux – on ignorait encore sa nouvelle
trahison –, servirait en Italie en tant que commandant en chef. C’était,
croyait-on, un excellent moyen de se l’attacher et de l’éloigner.
Le 3 février au matin, le roi et une partie de la Cour quittèrent
Fontainebleau pour Perpignan. Le cardinal prit aussi la route, avec ses gens
et ses gardes. Comme les deux cortèges risquaient de se gêner aux étapes,
faute de gîte et de ravitaillement convenables, on décida que chacun
voyagerait de son côté. Pendant ce temps, la reine resterait à Saint-Germain,
où elle s’occuperait de ses deux fils. Mais il était prévu qu’elle rejoindrait le
roi en avril. Avant de partir, celui-ci, redoutant un enlèvement de ses enfants
par Gaston, resté à Paris, avait fait venir le capitaine Montigny, qui
commandait la compagnie des gardes françaises chargée de leur sécurité. Il
lui avait recommandé de ne jamais perdre de vue ses enfants, de ne se fier à
aucun ordre écrit, même signé de lui, et de n’accorder crédit qu’à la
personne qui lui présenterait l’autre moitié de l’écu d’or qu’il lui mit dans la
main… Cet épisode, digne d’un roman d’aventures, n’a rien de fictif : il
figure dans les Mémoires de la Grande Mademoiselle9.
Richelieu se tourmentait de voir Cinq-Mars voyager avec le roi. Malgré
l’incident du départ, la faveur du grand Ecuyer semblait au zénith. Les
ministres étaient à ses ordres, les courtisans s’empressaient de lui rendre
hommage et les femmes se jetaient à sa tête. Deux cents gentilshommes le
suivaient. On vantait ses manières douces et agréables, la magnificence de
ses costumes et de ses trois cents paires de bottes. Un petit groupe
d’officiers, Tréville, capitaine-lieutenant des mousquetaires, Tilladet, La
Salle et Des Essarts ne juraient que par lui et lui offraient de poignarder le
cardinal. C’était l’idée de Fontrailles qui avait toujours préféré un bon coup
de stylet à un mauvais traité…
Cinq-Mars commençait à se faire à cette idée. Profitant d’un nouvel
accès de mauvaise humeur de Louis XIII contre son ministre, il lui dit que
le meilleur moyen de s’en débarrasser était de le faire assassiner quand il
viendrait seul dans ses appartements. Si l’on en croit les Mémoires de
Montglat, Louis ne sursauta pas, disant seulement qu’il « serait
excommunié parce que Richelieu était prêtre et cardinal ». Tréville, présent
à l’entretien, se serait exclamé que « pourvu qu’il eût l’aveu de Sa Majesté,
il ne s’en mettrait pas en peine, et qu’il irait à Rome pour s’en faire
absoudre où il était sûr d’être bien reçu ». En l’absence d’autre source, on
n’est pas sûr que la conversation se soit déroulée ainsi. En tout cas, le roi ne
voulut pas, même par un silence tacite, comme pour Concini, donner son
consentement.
Les conjurateurs se préparaient néanmoins à passer à l’acte. A Briare,
où les équipages du roi et du cardinal s’étaient retrouvés, M. le Grand,
hésitant, manqua une première occasion. A l’étape de Lyon, Richelieu se
présenta à nouveau chez le roi, mais, en l’absence de Monsieur, Cinq-Mars
ne se décida toujours pas. Louis XIII ne resta que six jours à Lyon. Il passa
en revue l’armée et reprit la route. A l’étape de Valence, le 25 février, il
remit à Mazarin la barrette de cardinal qu’avait apportée le camérier du
pape. C’était la récompense de son action diplomatique en Italie. Après être
passé par Nîmes, Montpellier, Pézenas et Béziers, le roi arriva le 10 mars à
Narbonne, où l’attendait l’état-major de l’armée. Tandis qu’en Catalogne le
maréchal de Maillé-Brézé et le comte de La Mothe-Houdancourt,
respectivement nommés vice-roi et commandant en chef, devaient
empêcher l’acheminement en Roussillon de renforts espagnols, le maréchal
de La Meilleraye fut chargé de prendre les places de Collioure, Perpignan et
Salces.
Pendant ce temps, Fontrailles avait franchi la frontière sans encombre et
gagné Madrid par la route de Hueca et de Saragosse. Après quelques jours
de discussion, le 13 mars, le traité fut signé et Olivares présenta l’envoyé
des conspirateurs au roi d’Espagne. Sans se douter de ses intentions, mais
simplement parce qu’il était suspect, le service d’espionnage de Richelieu
l’avait fait suivre à l’aller jusqu’à la frontière. Quelques jours plus tard, le
cardinal avait reçu une lettre secrète du nonce à Madrid lui signalant
« qu’un certain Français avait été vu pendant deux ou trois jours dans
l’antichambre du comte-duc et qu’il avait eu une longue conférence avec le
ministre10 ». Mais rien ne permettait d’établir un lien entre les deux faits.

Le siège de Perpignan
La campagne de Roussillon commença immédiatement après l’arrivée
du roi à Narbonne, malgré la neige qui tombait en abondance. Le 14 mars
au soir, les Français occupèrent le bourg d’Elne et empêchèrent un convoi
de ravitaillement ennemi de poursuivre sa route en direction de Perpignan.
Le 16, secondé par Turenne qu’on avait fait revenir d’Italie, La Meilleraye
assiégea Argilliers (Argelès) et Collioure. La première place se rendit
rapidement. La seconde tint une quinzaine de jours. Le 2 avril, la ville et le
port tombèrent, mais la citadelle, bâtie sur un solide rocher, résista jusqu’au
13.
On allait pouvoir mener sans encombre le siège de Perpignan. La ville,
bien fortifiée et munie d’un stock de munitions considérables, commença à
être entourée de lignes de contrevallation. Le 26, le roi, qui avait laissé
Richelieu de plus en plus malade à Narbonne, fit le tour du camp en
compagnie des maréchaux de Schomberg et de La Meilleraye11.
Il fallait s’attendre à un long siège. Olivares était résolu à tout
entreprendre pour secourir la Fidelissima, comme on appelait la capitale du
Roussillon de l’autre côté des Pyrénées. Dans ce but et afin de prendre le
contrôle de la Méditerranée occidentale, il fit rassembler dans le port de
Tarragone et en baie de Rosas une puissante flotte placée sous le
commandement de l’amiral Ciudad-Real : 30 vaisseaux de haut bord, 20
navires flamands, 14 napolitains, 22 galères. Richelieu, au courant, ordonna
à son neveu, Jean Armand de Maillé-Brézé, fils du nouveau vice-roi de
Catalogne, qui avait succédé à Sourdis, d’armer à Brest vingt vaisseaux de
combat et de partir rejoindre la flotte du Levant avec six mois de vivres. Le
23 mai, les escadres françaises se retrouvèrent devant Barcelone, en tout 44
navires de toutes tailles, 17 galères et 13 brûlots. Mais ce ne fut que le
29 juin que les deux armées navales s’affrontèrent. Le combat dura deux
jours et une nuit. Malgré l’infériorité numérique de son escadre, le jeune et
fougueux Maillé-Brézé en sortit vainqueur. Quinze vaisseaux espagnols
furent mis hors de combat, les autres s’enfuirent vers les Baléares12.
Richelieu resta à Narbonne. Deux abcès au bras droit l’empêchaient
d’écrire et le faisaient souffrir horriblement. Il était surtout dans une
inquiétude mortelle d’avoir laissé Cinq-Mars seul avec le roi. Au camp
devant Perpignan, M. le Grand, ravi de l’éloignement du cardinal, se
jugeant désormais inexpugnable, avait repris avec le roi ses caprices, le
faisant attendre tandis qu’il « crapulait » le soir avec les gueuses de
Narbonne. Il se plaignait de lui, disant qu’il ne pouvait plus supporter « la
mauvaise haleine qui sortait de sa bouche » (Vittorio Siri). Le monarque, au
contraire, donnait l’impression de ne plus écouter que son favori,
témoignant de la froideur à l’égard des amis du cardinal et dédaignant
d’écrire à ce dernier pendant plusieurs jours. Et Cinq-Mars gagnait partout
des affidés, se forgeait une clientèle, notamment parmi les officiers
généraux. Il jouait au commandant en chef. Ses partisans s’appelaient les
royalistes par opposition aux cardinalistes. Ils parlaient ouvertement de
délivrer le roi de la tyrannie du Premier ministre. Fabert, capitaine des
gardes, que Louis appréciait, fut le seul à lui dire : « Je tiens pour les
cardinalistes, Sire, car le parti du cardinal est celui du roi ! »
C’est à ce moment-là que Fontrailles, de retour de son voyage à Madrid,
arriva au camp devant Perpignan et annonça à M. le Grand le succès de sa
mission. Le jeune homme venait de recevoir une lettre alarmiste de Marie
Louise de Gonzague : « Votre affaire est sue aussi communément à Paris
qu’on sait que la Seine passe sous le Pont-Neuf13. » Il la lui montra. Expert
en conspiration, le bossu le pressa de s’enfuir à Sedan. L’autre ne se crut
pas en danger.
Le siège de Perpignan se poursuivait. Louis inspectait les troupes, jouait
au mail ou chassait quand le temps le permettait. Le 23 mai, au camp, il
présida pour la première fois une réunion du Conseil souverain de
Catalogne. A la fin du mois, des pluies diluviennes s’abattirent sur la
région, entraînant une crue du Têt qui rompit les communications entre son
quartier et celui de La Meilleraye. Les assiégés mouraient de faim devant
leurs 150 grosses pièces d’artillerie et leur immense stock de munitions. Ils
tuaient les chevaux dans les écuries, tentaient des sorties pour cueillir des
mauves et ramasser des escargots. A la table du gouverneur, on servait du
chat…
Louis avait supporté jusqu’à présent toutes les avanies que lui faisait
subir son ami de cœur. Mais sa patience était à bout, ce dont ne s’aperçut
pas d’emblée celui-ci. Le monarque commença à faire l’éloge du cardinal
en sa présence, puis il éclata de colère en voyant cet ignorant faire la leçon
au maréchal de La Meilleraye. Qu’avait-il à disputer contre un homme qui
faisait la guerre depuis si longtemps ? « Sire, lui rétorqua le présomptueux,
quand on a du sens et de la lumière, on sait les choses sans les avoir vues ! »
Une scène éclata encore avec Fabert à propos des fortifications du siège.
« Vous avez tort, s’exclama le roi, vous qui n’avez jamais rien vu, de
vouloir l’emporter sur un homme d’expérience ! » Cinq-Mars partit en
claquant la porte. « Il y a six mois que je le vomis », soupira Louis à Fabert.
A partir de ce moment, il le tint à distance. Le jeune gandin, pour sauver les
apparences et laisser croire qu’il continuait d’avoir libre accès chez le roi,
passait son temps dans l’antichambre assis sur un tabouret…
Le monarque tomba gravement malade. Il souffrait de fièvres, de vives
douleurs abdominales, de diarrhées, accompagnées de glaires
sanguinolentes. Il perdait l’appétit, le sommeil. Le 10 juin, sur le conseil de
ses médecins qui trouvaient malsain l’air du Roussillon, il partit pour
Narbonne sans attendre la chute de Perpignan. Son intention était de revenir
à Paris.
Richelieu n’était pas en meilleur état. Dévoré d’inquiétude, il voyait
venir la disgrâce, une disgrâce foudroyante comme Louis XIII savait les
décider. Le duc d’Enghien, qu’il avait pris sous sa protection, lui avait
proposé d’occire de ses propres mains le grand Ecuyer. S’apprêtant lui aussi
à remonter vers Paris, le cardinal était parti pour Béziers et Agde, après
avoir dicté son testament. Ne supportant plus les carrosses, il voyageait
dans une litière que ses gardes portaient sur les épaules. Avant son départ, il
avait fait remettre un mémoire sibyllin au roi : « On est très certain qu’on
attaque mon innocence, ne rien dire est donner le moyen aux méchants de
venir à leurs fins. » La vérité est qu’il ne savait plus comment assurer sa
défense. Il prit la direction de la forteresse de Tarascon, proche des Etats du
pape, pour parer à toute éventualité…

« Dieu assiste le roi par des découvertes merveilleuses »


Or, en un instant, comme par enchantement, la situation se retourna. Le
10 ou 11 juin à Arles, le cardinal eut en main copie du traité signé par
Olivares. Par quel hasard providentiel ce document lui était-il parvenu ? Les
historiens l’ignorent toujours. Plusieurs versions ont couru. On a parlé
d’une trahison de l’abbé de La Rivière, le favori de Monsieur, d’un soldat
du maréchal de Maillé-Brézé qui l’aurait trouvé dans une barque échouée
près de Barcelone. Pour d’autres, il aurait été découvert dans la malle du
courrier d’Espagne arrivé à Paris. Pour d’autres encore, l’indiscrétion serait
venue d’un familier d’Olivares, soudoyé par le baron de Pujols, ou
d’Olivares lui-même, « ne voyant rien se préparer pour l’exécution14 ».
Certains ont évoqué le nom du maréchal de Schomberg qui, mis dans la
confidence du complot, aurait voulu ainsi se démarquer des conjurés.
L’historien Pierre de Vaissière penchait, quant à lui, pour une lettre de
Marie de Médicis à Cinq-Mars, qui aurait été interceptée par les services du
cardinal. Une version différente, dont se sont faits l’écho Montglat et
Tallemant, a eu longtemps les faveurs des chercheurs : ce serait Anne
d’Autriche qui, contrainte de rejoindre le roi sans ses enfants et angoissée à
cette perspective, aurait une nouvelle fois cherché à se concilier le cardinal,
lui apportant la preuve absolue de son dévouement. Richelieu serait alors
intervenu pour lui donner satisfaction. « Jamais on n’a pu savoir de quelle
façon il (le traité) était venu à sa connaissance, écrivait le marquis de
Montglat. Tout le monde a raisonné là-dessus sans en pouvoir découvrir la
vérité. Seulement on a remarqué que la reine avait envoyé un peu devant un
gentilhomme au cardinal, par la faveur duquel elle obtint que ses enfants ne
lui seraient point ôtés. » Telle est aussi la thèse qui recueillait la faveur de
Georges Dethan et de Michel Carmona15. Matériellement, il est difficile
d’admettre qu’un coursier, même crevant jour et nuit des chevaux de poste,
ait pu joindre le cardinal en un si court laps de temps. En réalité, comme l’a
montré Mme Claude Dulong, les dates ne coïncident pas : ce fut avant le
5 juin et non le 15, comme on l’a longtemps cru, que le roi pria
affectueusement sa femme, et de sa seule autorité, de rester à Saint-Germain
avec ses deux fils16. Il faut donc renoncer à cette piste. Cependant, une
lettre de Richelieu parlant de l’arrestation de Bouillon fait une étrange
allusion à Mme de Chevreuse, à ses « auteurs » (informateurs) et à sa
participation à cette « découverte17 ». Est-ce là une indication ? Selon
Vittorio Siri, elle aurait envoyé le traité, caché dans un paquet de dentelles,
pour se venger du duc de Bouillon qu’elle n’aimait pas18… Après avoir
longtemps vécu à Londres, elle se trouvait alors aux Pays-Bas espagnols. Le
mystère demeure.
Toujours est-il qu’Armand Jean, le sourire aux lèvres, dépêcha aussitôt
Chavigny auprès de Louis XIII, avec un mot pour Sublet de Noyers : « Le
sujet du voyage de M. de Chavigny vous étonnera. Dieu assiste le roi par
des découvertes merveilleuses… » Chevauchant toute la nuit, l’émissaire
arriva à Narbonne à l’aube du 12, avant le lever du roi. Il parla une heure
avec Sublet, puis tous deux, écartant Cinq-Mars de leur route, se rendirent
chez Sa Majesté, qui crut d’abord à une manœuvre malveillante du cardinal.
Il leur fallut du temps pour le persuader du contraire. Ils obtinrent enfin les
ordres d’arrestation de Cinq-Mars et de De Thou. Ce dernier fut vite
appréhendé par Jean Ceton, lieutenant de la garde écossaise. Mais le grand
Ecuyer, alarmé par leur visite matinale, était introuvable. Il ne fut découvert
que le lendemain dans une maison de Narbonne, chez une femme de
mauvaise vie « qui lui avait vendu la veille sa fille19 ». Il fut transféré de
Narbonne à la citadelle de Montpellier, sous la conduite de Ceton. Les
jeunes ducs de Mercœur et de Beaufort, fils de César de Vendôme, avaient
été approchés par de Thou pour rejoindre la conspiration. Ils avaient hésité
à s’engager. A l’annonce de son arrestation, ils s’enfuirent en Angleterre
rejoindre leur père.
M. de Castellan, maréchal de camp, partit pour Casal avec l’ordre de se
saisir du duc de Bouillon, remplacé à la tête de l’armée d’Italie par le duc
de Longueville. Les nouvelles de la Cour arrivèrent plus vite que lui. Le duc
tenta de s’enfuir. On le trouva caché sous une botte de foin dans le grenier
d’un cabaretier. Il fut aussitôt conduit à Pignerol dans un carrosse
cadenassé. Un peu plus tard, quand leur rôle fut connu, un décret de prise de
corps sera lancé contre les complices, Fontrailles, Montrésor, Aubijoux,
Brion et Montmort, tous envolés naturellement.
Malgré les rancœurs nées de leurs dernières querelles, Louis fut très
affecté par la culpabilité de Cinq-Mars. Il n’en revenait pas. Il en avait « le
cœur serré ». Il demanda à Sublet si l’on était bien sûr de ce qui figurait
dans les documents découverts, si l’on n’avait pas « mis un nom pour un
autre » ? « Quel saut a fait M. le Grand ! » dira-t-il par trois fois d’un air
songeur. Tout d’abord, il crut possible de faire porter toute la responsabilité
de l’affaire sur le duc de Bouillon, mais peu à peu il se pénétra de la gravité
de la faute de l’impétueux jouvenceau et finit par parler de lui « comme du
plus grand scélérat et du plus grand traître qui ait jamais été ». Dans une
lettre officielle envoyée un peu plus tard aux gouverneurs, aux parlements
et aux municipalités, il s’expliquait sur les « déportements » de son grand
Ecuyer : « Il parlait d’ordinaire des choses les plus saintes avec une grande
impiété, si bien qu’il était aisé de voir que Dieu n’était pas dans son cœur.
Son imprudence, la légèreté de sa langue, les divers courriers qu’il envoyait
de toutes parts et les pratiques ouvertes qu’il faisait dans notre armée nous
ayant donné sujet d’entrer en soupçon de lui, l’intérêt de notre Etat, qui
nous a toujours été plus cher que notre vie, nous obligea à nous assurer de
sa personne et de celle de quelques-uns de ses complices20… »
Le 14 juin, Richelieu avait enfin gagné Tarascon. C’est là que Louis,
deux semaines plus tard, vint le trouver après avoir été prendre les eaux de
Montfrin, à mi-chemin entre Nîmes et Avignon. Ils étaient si malades l’un
et l’autre qu’ils ne purent se parler debout. On rapprocha leurs lits. On
ignore les propos qu’ils échangèrent durant quatre heures, en la seule
présence de Chavigny et de Sublet. Contrairement à ce que certains ont dit,
on imagine mal, dans ce contexte de crise, le cardinal ulcéré sermonnant le
roi. On peut penser qu’il se contenta de jouer le rôle de l’humble créature
soumise. En tout cas, il y avait une volonté commune d’entente et
d’apaisement. Le lendemain, chacun écrivit à l’autre son plaisir de la
rencontre. Louis : « Je ne me trouve jamais que bien de vous voir. Je me
porte beaucoup mieux depuis hier et ensuite de la prise de M. de Bouillon. »
Richelieu : « J’envoie savoir comment Sa Majesté se porta hier de son
voyage, priant Dieu de tout mon cœur qu’il lui ait produit un aussi bon effet
que j’en ai reçu de l’honneur de sa visite, qui me soulagea tellement qu’en
me faisant panser à six heures, je levai mon bras tout seul à la vue de la
Faculté […]. Sa Majesté ayant autant de tendresse pour ses créatures
qu’elles ont d’excès de passion pour sa personne et autant de confiance en
elles qu’elles en prendront éternellement en sa bonté, elles mettraient avec
contentement mille vies si elles en avaient autant pour la servir et pour lui
plaire21. »
Il fut convenu que le cardinal, moins malade, resterait sur place, tandis
que le roi reviendrait le premier à Paris. Comme lors du siège de La
Rochelle, Louis lui confia donc les pleins pouvoirs pour achever le siège de
Perpignan, régler les différends apparus entre Schomberg et La Meilleraye,
et superviser le procès de M. le Grand et ses complices.
Sur le chemin du retour, une nouvelle chagrina le roi : la mort de sa
mère, survenue à Cologne le 3 juillet, dans sa soixante-dixième année.
Après un long séjour en Angleterre, elle avait gagné la Hollande puis
l’Allemagne. Par deux espions placés chez elle, dont son médecin Riolant,
Richelieu avait su qu’elle était impliquée dans le complot de Cinq-Mars.
Peu avant son décès, elle avait même acheté des litières et des mulets en
prévision de son retour triomphal en France ! Comme toujours elle fondait
sa stratégie sur les horoscopes qui lui prédisaient la mort prochaine de son
fils aîné. Elle le précédait de quelques mois, reniée, oubliée. Louis XIII fut
pris de remords, se reprochant d’avoir laissé la reine mère finir ses jours en
terre étrangère, après onze ans d’exil, dans un dénuement indigne de sa
condition. Avait-il fait tout ce qui était en son pouvoir pour se réconcilier
avec elle ? Pourtant, quand il avait appris sa maladie, il avait libéré de la
Bastille son médecin Vautier et le lui avait envoyé. Elle l’avait jeté dehors,
croyant qu’il venait l’espionner…
Le 17 août, Richelieu quitta Tarascon pour Valence, emmenant avec lui
de Thou. Il remonta le Rhône sur un bateau, couché dans un lit de taffetas
pourpre, entouré de ses gens et suivi d’une barque où se tenait son
prisonnier sous la surveillance d’un exempt du roi et de douze de ses
gardes. Une petite frégate et un autre vaisseau rempli d’arquebusiers le
précédaient et ses deux compagnies de cavalerie protégeaient les berges. Le
5 septembre, il arriva à Lyon, où Cinq-Mars se trouvait déjà depuis le 3. Les
deux complices, bientôt rejoints par Bouillon, venu de Pignerol sous haute
escorte, furent enfermés dans la citadelle de Pierre-Encize dominant la
Saône.

Le procès
Le 27 août, le roi, de Chantilly, constitua une commission chargée
d’instruire et de juger l’affaire. Présidée par le chancelier Séguier, elle était
composée de conseillers au Parlement, de conseillers d’Etat et de maîtres
des requêtes. Sa première tâche fut de recevoir la déclaration de Monsieur à
Villeneuve-en-Beaujolais. Gaston, que le roi avait nommé commandant de
l’armée de Champagne afin d’éviter sa fuite à l’étranger, avait appris avec
effroi l’arrestation de Cinq-Mars. Il avait alors écrit plusieurs lettres
trahissant sa perplexité, puis il avait envoyé l’abbé de La Rivière rendre
visite à son frère, prêt, comme d’habitude, à négocier son raccommodement
en livrant ses complices. Devant Séguier, il avoua tout, notamment le traité
avec l’Espagne, dont il fournit une copie aux juges, n’hésitant pas à charger
Cinq-Mars, Bouillon et Fontrailles, sans oublier ses familiers, Brion et
Aubijoux. La seule personne qu’il épargna fut Anne d’Autriche, dont il ne
dit mot.
Bouillon reconnut qu’il avait promis à Gaston et à Cinq-Mars de les
accueillir à Sedan si le roi mourait, mais assura qu’il avait été opposé au
traité avec l’Espagne. Cinq-Mars nia d’abord tout ; puis, à la lecture de la
déclaration de Monsieur et de l’interrogatoire de Bouillon, il eut un moment
de stupeur, avant de se réfugier à nouveau dans les dénégations les plus
farouches.
Louis XIII avait mauvaise conscience. N’avait-il pas par ses soupirs et
ses plaintes contre le cardinal contribué à la conspiration ? N’avait-il pas
fait croire, malgré lui, au grand Ecuyer qu’il était prêt à se défaire de son
ministre ? Il ne lui avait peut-être pas assez montré que, même odieux, il lui
était nécessaire. Dans son trouble, il écrivit à Séguier, comme pour se
disculper, cette lettre étonnante par sa sincérité : « Monsieur le Chancelier,
ayant appris par les dépositions des sieurs Ceton, du Repaire et de l’abbé
son frère*2 que le sieur de Cinq-Mars affecte de dire, d’insinuer et de laisser
croire que les pensées et mauvais desseins qu’il a eus contre mon cousin le
cardinal de Richelieu ont été sus et consentis de moi, j’ai bien voulu vous
faire la présente pour vous dire que ce n’est pas de cette heure que j’ai
reconnu le sieur de Cinq-Mars grand imposteur et calomniateur, ce dont
ceux qui sont auprès de moi m’ont souvent ouï plaindre […]. Il est vrai que
le sieur de Cinq-Mars m’ayant vu quelquefois mal satisfait de mon cousin
le cardinal de Richelieu […], ledit sieur de Cinq-Mars n’a rien oublié de ce
qu’il a pu pour m’échauffer contre mondit cousin, ce que j’ai souffert quand
ses mauvais offices demeuraient dans les bornes de quelque modération.
Mais quand il a passé jusqu’à cette extrémité que de me proposer qu’il
fallait se défaire de mondit cousin et de s’offrir de le faire, j’ai eu en horreur
ses mauvaises pensées et les ai détestées… »
Pour se défendre, il usait d’un argument supplémentaire : « Bien qu’il
me suffise de le dire pour que vous le croyiez », M. le Grand « ne se serait
pas lié au roi d’Espagne contre ma personne et mon Etat » s’il avait
« trouvé son compte avec moi dans l’approbation de ses mauvais
desseins22… »
On comprend mieux le retrait gêné du roi dans ce procès et
l’acharnement de Richelieu, au contraire, à le voir aboutir. Cinq-Mars serait
condamné à mort, cela ne faisait aucun doute, mais le cardinal aurait voulu
qu’il en fût de même pour de Thou qui n’avait pas trempé dans
l’élaboration du traité criminel avec l’Espagne. Pour cela, il fallait des
aveux circonstanciés. Le cauteleux Séguier vint trouver le grand Ecuyer
dans sa cellule. D’un ton de chattemite, il lui dit que le roi l’aimait trop pour
le perdre, qu’il aurait pitié de sa jeunesse et ne le laisserait condamner qu’à
« quelque temps » de prison. S’il parlait, « il n’aurait pas sujet de s’en
repentir ». Cinq-Mars, tête légère et candide, ne résista pas au sourire
doucereux de Pierre Séguier. Il lui demanda de promettre que les aveux
qu’il lui ferait ne seraient rapportés qu’au cardinal et non aux magistrats.
Séguier jura. Alors, il s’expliqua. Oui, de Thou, contrairement à ce qu’il
avait dit, avait eu connaissance du traité. Il exécrait tant Son Eminence qu’il
fallait prendre garde à lui au cas où il sortirait de prison. Oui, lui-même
avait conçu contre le cardinal « une haine qu’il n’avait jamais pu vaincre ni
modérer ». Et de conter dans le détail toutes les occasions où il s’était
heurté à son protecteur, niant seulement son intention de l’assassiner.
Séguier fut fidèle à son serment. Il ne souffla mot aux juges de cette
conversation, se contentant de la rapporter à Richelieu. Celui-ci s’abaissa, il
faut en convenir, à une misérable manœuvre, indigne de sa pourpre, de sa
fonction et de sa gloire. Il dépêcha auprès de Cinq-Mars son fidèle
Laubardemont, rapporteur de la commission chargée de juger les
conspirateurs. Sans scrupule, l’homme de Loudun n’y alla pas par quatre
chemins : de Thou, lui dit-il, a tout avoué (ce qui était faux, de Thou ayant
cherché au contraire à préserver son ami) ; il devait à son tour faire une
sincère confession. A quoi bon rester fidèle à un homme qui l’avait chargé ?
En disant la vérité, il sauverait sa vie et se soustrairait à la question
ordinaire et extraordinaire appliquée aux condamnés à mort. M. le Grand
tomba dans le piège et accepta de tout révéler.
Les aveux de Bouillon et de Cinq-Mars admettant que de Thou était au
courant du traité et le silence complice de celui-ci suffisaient à le faire
condamner pour crime de lèse-majesté, en vertu d’une vieille ordonnance
de Louis XI. La confrontation entre les deux amis fut dramatique. Cinq-
Mars comprit que de Thou n’avait pas parlé et que Laubardemont l’avait
odieusement dupé. Il avoua que son ami l’avait toujours dissuadé de
s’engager dans ce projet, mais le mal était fait. Le jeune conseiller prit alors
la parole : « Je le confesse, Messieurs, j’ai su la conspiration et ai fait tout
mon possible pour en détourner M. de Cinq-Mars. Il m’a cru son ami
unique et fidèle et je n’ai pas voulu le trahir… »
Le procureur requit la peine de mort contre eux deux. Le 12 septembre,
les juges suivirent ces réquisitions, à l’unanimité pour Cinq-Mars, par onze
voix sur treize pour de Thou. Richelieu demanda à Séguier les noms des
deux qui avaient osé se singulariser, MM. de Miromesnil et de Sautereau, le
premier conseiller d’Etat, le second conseiller au parlement de Grenoble…
On lut aux deux hommes l’arrêt de la cour. « Eh bien ! Monsieur, fit de
Thou à son complice, humainement je pourrais me plaindre de vous !…
Vous m’avez accusé, vous me faites mourir ! Mais Dieu sait combien je
vous aime ! Mourons, Monsieur, mourons courageusement et gagnons le
Paradis ! » Et ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre.
La sentence était exécutoire immédiatement. La grâce du roi, trop loin
pour être consulté, ne fut pas sollicitée. D’un commun accord, Richelieu et
Séguier décidèrent, malgré l’arrêt de la commission soumettant Cinq-Mars
à la question ordinaire et extraordinaire, de lui épargner cette éprouvante
procédure, dans la crainte d’en apprendre trop sur le roi…
Haut de sept pieds, l’échafaud avait été dressé place des Terreaux dès le
11, veille de la sentence. Pas moins de douze cents hommes avaient été
mobilisés pour contenir la foule immense des badauds, impatients de voir
mourir le favori du roi. Les fenêtres s’étaient louées à prix d’or et des
grappes de curieux occupaient les toits.
Les deux condamnés firent preuve de courage et de foi. Cinq-Mars,
coquettement vêtu d’un justaucorps de drap de Hollande brun liséré de
dentelles d’or, de chausses de soie verte liées par un ruban blanc et portant
un chapeau noir retroussé à la catalane, y ajoutait l’ostentation crâneuse
d’un petit-maître. François de Thou, portant un habit noir de drap
d’Espagne et un manteau court, avait le maintien plus sobre d’un homme de
robe.
Comme pour le supplice de Chalais, on manqua de bourreau
professionnel (celui de Lyon s’était cassé la jambe). On désigna un
portefaix inexpérimenté. Autant dire que la double exécution fut encore une
boucherie. Le large couperet carré ne tomba que sur une partie du cou.
Cinq-Mars, poussant un grand cri vite étouffé par le sang, leva les genoux
comme pour se redresser. Sous les clameurs indignées de la foule,
l’exécuteur changea de côté. Tenant les cheveux de la main gauche, il scia
avec son couperet la trachée artère et la peau du cou. La tête roula sur
l’échafaud et tomba.
Le second condamné, montant les huit marches de l’escalier de bois, eut
un recul devant le corps décapité et sanglant de son ami. Il voulut se faire
bander les yeux, ce que l’autre, avec son visage charmant et un petit air
d’insolence, avait refusé… « Je l’avoue, fit François de Thou, je suis
poltron, je crains de mourir… » Le premier coup de hache ne lui trancha
également qu’une partie du col. Le corps tomba du côté gauche du poteau,
face vers le ciel, remuant les jambes et levant faiblement les mains. Le
bourreau voulut le retourner pour l’achever mais, effrayé par les
imprécations de la foule, il y renonça et lui donna trois ou quatre coups sur
la gorge avant de séparer la tête… Selon une relation du temps, payant sa
maladresse, il fut écharpé par la foule en descendant de l’échafaud.
Richelieu, qui avait quitté Lyon le même jour sur une gabare, reçut à
Lentilly la nouvelle de l’exécution en même temps que celle du départ des
Espagnols après la capitulation de Perpignan, le 29 août, aussitôt occupée
par le duc d’Enghien*3. Il écrivit immédiatement à Louis XIII – le « chêne »
comme il l’appelait familièrement dans sa correspondance avec
Chavigny –, parti chasser dans la forêt de Montceaux : « Votre Majesté aura
tout à la fois deux nouvelles bien différentes : l’une est la reddition de
Perpignan qui est la plus belle et la plus considérable place de la terre pour
la France ; l’autre est la condamnation et l’exécution de M. le Grand et
M. de Thou qui se sont trouvés si coupables au jugement de tous les juges
qu’ils ne virent jamais un procès si clair. Ces deux événements font voir
combien Dieu aime Votre Majesté23. »
Le 15 septembre, Sublet de Noyers lui fit part de la réaction du roi. Ce
lui fut une grande joie d’apprendre la première ; pour la seconde, il
ajoutait : « Sa Majesté ne me parut point affligée lorsque je lui dis celle de
la mort de M. le Grand et de M. de Thou ; seulement elle a témoigné
d’impatience de savoir s’ils sont morts chrétiennement24. »
A Pierre-Encize, le duc de Bouillon, épouvanté par le supplice de ses
complices, supplia Richelieu de l’épargner. On fut indulgent, dans l’intérêt
du royaume. On lui proposa en effet de recouvrer la liberté à condition de
céder au roi en pleine propriété sa principauté de Sedan. Comment résister ?
L’acte fut signé le 15 septembre et, dès le 29, Mazarin en prit possession.
Quant à Gaston, qui avait regagné Blois, il reconnut ses fautes par écrit
et renonça à tous ses droits, même à la régence semble-t-il : « … Nous
déclarons que nous nous tiendrons extrêmement obligé et bien traité s’il
plaît à Sa Majesté de nous laisser vivre comme simple particulier dans le
royaume, sans gouvernement, sans compagnie de gens d’armes ni de
chevau-légers ni sans prétendre jamais à pareilles charges ni administrations
telles qu’elles puissent être et à quelles occasions elles puissent arriver… »
Seule la reine échappa à toute condamnation. Elle avait été au courant
de la conspiration et ne l’avait pas dénoncée. Mais pas plus Cinq-Mars ni de
Thou que Monsieur ne prononcèrent son nom. Dès les premières
arrestations, elle avait envoyé Mme de Saint-Georges rappeler à Gaston son
engagement. « Vous assurerez votre amie, avait répondit Goulas, serviteur
du prince, qu’elle peut dormir de bon sommeil25. » Louis XIII se douta-t-il
de quelque chose ? C’est probable. Le comte d’Espenan lui aurait laissé
entendre au Louvre la compromission de la reine, ce qui explique la mine
sévère qu’il lui fit à son retour. Bien entendu, Richelieu en fut averti. Le
25 octobre, il écrivait à Chavigny : « M. de Noyers m’a rapporté au long
tout ce qu’on a dit au roi sur le sujet de la reine, à quoi je vous avoue que je
ne puis ajouter aucune foi et crois fermement que ce sont impostures et
inventions de Fontrailles qui est, comme vous savez, capable de toutes
sortes de malices. » Il lui fallait ménager Anne dans la perspective de la
régence…
Nul autre que le cardinal n’avait éprouvé un aussi violent ressentiment
contre le grand Ecuyer, cette trop séduisante créature qu’il avait fabriquée
de ses mains et qui lui avait échappé. Un « démon infernal », disait-il, qui
l’avait trahi, avait failli ruiner son œuvre, au point de faire vaciller le roi.
Jamais il ne s’était impliqué avec tant d’acharnement que dans ce procès-là.
Il se sentait mourir, et cela exacerbait son impatience et sa volonté de
vengeance. « Le sacrifice qu’on venait de lui faire de la tête de MM. de
Cinq-Mars et de Thou ne parut pas lui suffire, écrit la Grande
Mademoiselle : pour se satisfaire, il voulut que tous ceux qui avaient été des
amis de ces malheureux et qui lui faisaient ombrage se sentissent des effets
de sa colère26. » Il priva son frère et sa sœur, Jean et Charlotte d’Effiat, de
leurs abbayes et bénéfices. Puis il envoya les démolisseurs abattre les tours
du château de Cinq-Mars, en Touraine, et raser les bois « à hauteur
d’infamie ».
*1. Ces lettres lui avaient été accordées en avril 1639, mais le bref pontifical les confirmant ne
fut jamais produit. Sans faire de lui un pur sujet du roi de France, elles lui permettaient de recevoir
des bénéfices ecclésiastiques.

*2. Ceux qui avaient accompagné Cinq-Mars à Pierre-Encize et à qui celui-ci avait fait certains
aveux.

*3. Salces, dernière position espagnole, tomba le 15 septembre. C’est ainsi que le Roussillon
redevint français.
XXIII
Le cardinal est mort, le roi se meurt…

La fissure
Le terrifiant supplice de Cinq-Mars et de De Thou avait laissé au
sommet de l’Etat comme un goût de cendre. Louis XIII et Richelieu ne
s’aimaient plus. Entre ces deux moribonds aux forces déclinantes,
qu’attendait le tombeau – on ne savait lequel y descendrait le premier –,
l’amitié s’en était allée. Restaient les liens d’intérêt et de nécessité, pour
combien de temps ? Le soupçon, la méfiance, la jalousie les séparaient. Le
monarque ne pouvait plus supporter les remontrances du hautain cardinal
qui considérait qu’on lui avait gravement manqué.
Les deux hommes se retrouvèrent à Fontainebleau le 13 octobre,
l’Eminence toujours affaiblie. Le roi dut se déplacer à l’hôtel d’Albret pour
le rencontrer1. Leur réconciliation n’était qu’apparente. Le cardinal voulait,
exigeait même des garanties pour que pareille situation ne se renouvelât
point, faute de quoi il se retirerait. Le 27 octobre, il précisait au roi ses
conditions, au nombre de cinq. Sa Majesté devait :
1°) renoncer à avoir un favori ;
2°) ne mettre sa confiance que dans son Conseil ;
3°) garder le secret inviolable sur ce qu’il s’y dirait ;
4°) accepter de recevoir de ses collaborateurs les avis qu’ils lui
donneraient librement, sans crainte ni retenue ;
5°) enfin « nettoyer de temps en temps la Cour des esprits mal
intentionnés ».
Parmi ces esprits, le cardinal désigna les officiers proches du roi,
Tréville, Tilladet, La Salle et Des Essarts. Cinq-Mars les avait approchés, et
il ne doutait pas qu’ils auraient été prêts à jouer les Vitry si on le leur avait
demandé. Il requérait donc leur bannissement.
A sa grande surprise, Louis XIII ne répondit pas à ce mémoire, se
retranchant « dans un mutisme indéchiffrable, insoutenable2 ». La
communication entre les deux hommes était rompue, fait d’autant plus
grave que le cardinal s’était toujours imposé par l’empire du dialogue, de la
raison et de la rhétorique, de la séduction intellectuelle. Non seulement ils
ne se voyaient plus, mais ils ne se parlaient plus. Chavigny, qui servait
d’intermédiaire, se faisait rabrouer. Tandis qu’il revenait à la charge pour
obtenir au moins une réponse, Richelieu, au comble de l’angoisse, faisait
parvenir au souverain deux nouveaux mémoires. Le premier du
5 novembre, dur, presque menaçant, laissait sous-entendre qu’il savait tout
de la complicité du roi : « Sa Majesté saura, s’il lui plaît, qu’on a appris
beaucoup de chose de M. le Grand, dont jusqu’ici on n’a pas voulu lui
donner connaissance. Elle saura de plus qu’expressément on ne lui voulut
pas faire donner la question de peur qu’il dît en public ce qu’il avait fait
connaître en particulier. Elle saura enfin que son confesseur eut bien de la
peine à l’empêcher de parler sur l’échafaud, conformément à ce qu’il avait
dit que, lorsqu’il serait pressé et n’aurait plus rien à espérer, il n’épargnerait
personne3… »
Le second du 13, plus soumis, demandait des instructions : « Sa
Majesté est très humblement suppliée de mettre ses intentions au pied de ce
mémoire… Elle est aussi suppliée d’y vouloir ajouter les conditions
auxquelles elle veut se relâcher pour faire la paix. »
Par l’entremise de Chavigny, Louis daigna apaiser Son Eminence, mais
pas dans les conditions imposées. Ce ne fut que le 20, voyant la santé de
son ministre se dégrader, qu’il accepta les cinq propositions, tout en
refusant de reconnaître ses torts devant l’un de ses sujets : « Je n’ai rien à
dire à mon cousin le cardinal de Richelieu, sinon qu’il a trop connu,
pendant que le sieur de Cinq-Mars était auprès de moi, sa malice, ses
impostures et ses artifices, pour qu’il puisse ajouter foi à ce qu’il a dit au
préjudice de l’amitié que je porte à mondit cousin et de l’estime que je fais
de sa personne […]. Je désire qu’il continue et veux qu’il agisse sous mon
autorité avec plus de liberté et de pouvoir qu’il ne fit jamais. »
Il lui donna ensuite son point de vue sur la politique étrangère. Les
derniers succès des armes de France – la chute de Perpignan, suivie de la
prise de Salces le 15 septembre, la nouvelle victoire suédoise à Breitenfeld
le 2 novembre… – posaient derechef la question des objectifs de la guerre.
En 1635, on avait déclenché les hostilités uniquement pour protéger
l’archevêque-électeur de Trèves et les princes allemands qui avaient
sollicité l’aide de la France, non pour faire des conquêtes. Sept ans plus
tard, la situation était différente. Fallait-il renoncer au nom des grands
principes aux régions occupées, au risque d’encourager des invasions
ultérieures ? La descente vers Corbie avait montré la fragilité des frontières
françaises. Richelieu, rompu à l’art de la négociation, savait pourtant que, si
l’on voulait une paix rapide, il faudrait accepter certaines concessions et
restituer des territoires. Le roi, en revanche, désirait la paix, mais pas à
n’importe quel prix. Il lui fallait conserver les conquêtes, toutes les
conquêtes. Même s’il ne les avait pas recherchées à l’origine, il les
considérait désormais comme indispensables à la sécurité du royaume :
« Pour ce qui est de la paix, il faudrait que je m’exposasse à la risée du
monde et que je donnasse lieu à mes ennemis de me faire de nouveau la
guerre quand bon leur semblerait, s’ils ne payaient les dépens de celle qu’ils
m’ont contraint de leur faire. Il ne faut point parler de rendre la Lorraine,
Arras, Hesdin, ni Bapaume, Perpignan et le Roussillon, Brisach et les places
de l’Alsace qui conjoignent avec la Lorraine. J’ai acquis Pignerol à titre
trop légitime pour penser jamais le rendre. Le rétablissement de mon neveu,
le duc de Savoie, est trop juste pour que jamais je puisse consentir à la paix
sans qu’il soit fait. Ces conditions accordées, je serai bien aise qu’on trouve
toutes les inventions qui se pourront pour faciliter une paix générale en
laquelle je ne puisse, en aucune façon, me séparer de mes alliés4. »
Il n’avait toujours rien décidé sur le sort de Tréville et de ses
compagnons. Chavigny ayant échoué dans ses démarches, Richelieu sortit
son atout : Mazarin. Le virtuose monsignore obtint l’accord à l’arraché. Le
29 novembre, donc, Louis se résolut « pour diverses considérations » à
exiler ces officiers. Mais il était si peu convaincu des arguments avancés
qu’il leur fit part en même temps de sa satisfaction et leur annonçait qu’il
leur conservait les avantages de leurs charges…
La mort du cardinal
Dans ce vieux couple usé et fatigué, pétri de rancunes et d’amertume,
ressassant en silence leurs mutuelles humiliations, chacun souffrait,
songeait secrètement à survivre à l’autre, à exister sans lui. Le cardinal,
s’abandonnant à la rêverie, se serait bien vu, comme Suger au XIIe siècle,
régent du royaume, mais quand il redescendait sur terre une telle
perspective lui paraissait peu réaliste. Il roulait alors dans son esprit
d’autres scénarios : une alliance avec Monsieur ? Ce n’était guère
envisageable compte tenu de la haine tenace que celui-ci lui vouait et de son
caractère de feu follet. Une assemblée des Notables ? Difficile à concevoir :
sitôt le roi expiré, tous les Grands et leurs clients de la noblesse seconde ne
manqueraient pas de se liguer contre lui. Une entente avec la reine lui
semblait donc la meilleure solution. Anne exercerait nominalement la
régence et lui la réalité du pouvoir. Ainsi, tout continuerait comme avant, ou
plutôt mieux qu’avant, car il gouvernerait enfin seul ! Dès le 30 octobre
1642, il offrait à celle-ci une splendide collation en son château de Rueil, ce
qui surprit plus d’un courtisan.
Hélas, Armand Jean n’eut pas le temps de poursuivre ses méditations
prospectives. Le 29 novembre, une pleurésie se déclara. Fiévreux et
souffrant de douleurs au côté, il dut s’aliter. Comme il étouffait, on le saigna
deux fois. Le 2 décembre, il était au plus mal ; il crachait le sang ; les
bonnets noirs s’agitaient en vain à son chevet. Le même jour, le roi lui
rendit visite. « J’ai la consolation, lui dit le cardinal, de laisser votre
royaume dans le plus haut degré de gloire et de réputation où il n’a jamais
été, et tous vos ennemis abattus et humiliés. » Dans la nuit, il reçut
l’extrême-onction du curé de Saint-Eustache. Comme celui-ci le priait de
pardonner à ses ennemis, il aurait répondu : « Je n’ai d’autres ennemis que
ceux de l’Etat ! » Louis revint le voir une seconde fois. Leur adieu dura plus
d’une heure. Le cardinal lui remit son testament politique et lui
recommanda les siens. Le jeudi 4, il rendit son dernier soupir. Il avait
cinquante-huit ans.
Sa disparition souleva une immense et indécente vague de joie.
Monsieur jubila, persuadé qu’il allait enfin revenir aux affaires. Anne,
malgré les civilités de dernière heure, ne se montra guère plus affligée.
Aveuglés par leur invincible rancune, bien peu portaient à son égard un
jugement équitable (les protestants n’étaient d’ailleurs pas les plus
injustes5). On le rendait responsable de tout, du déséquilibre des finances,
de l’insupportable pression fiscale, des désordres du royaume, des révoltes
provinciales, de l’affreuse misère paysanne. La haute noblesse ne pensait
qu’aux exilés de marque qui rongeaient leur frein en Angleterre, comme La
Valette, Vendôme et ses fils Beaufort et Mercœur, en terre espagnole,
comme Mme de Chevreuse, ou en province, comme Bellegarde. Elle était
outrée que des opposants de renom, tels Bassompierre, Vitry ou Cramail, se
morfondissent à la Bastille depuis des années ! Jamais on n’avait traité
pareillement les « gens de qualité » !
Le roi accueillit la nouvelle avec des sentiments partagés. En public, il
témoigna sa douleur pour cette perte immense, ne cacha ni ses larmes ni ses
regrets. Malgré leurs vifs et récents différends, il ne pouvait nier ses
incomparables qualités d’homme d’Etat, son intelligence, sa largeur de
vues, sa fermeté, son exceptionnelle capacité politique. L’anecdote de
Montrésor dans ses Mémoires, nous montrant Louis XIII quittant le chevet
du mourant et se promenant dans sa galerie de tableaux en riant, a tout lieu
d’être fausse. Il n’en reste pas moins, comme le dit Montglat, qu’en son for
intérieur il était ravi d’être délivré de sa cinglante férule. Il le confia à ses
familiers6. Il ne lui déplaisait pas de se savoir le survivant !
C’était un soulagement identique à celui qu’il avait ressenti à la mort de
Luynes en décembre 1621. Il se sentait parfaitement libre, après des années
d’effacement volontaire, même si dans la pénombre il était resté le maître.
L’impérieuse tension qui avait présidé à l’action de son principal ministre,
cette constante crispation dans l’effort s’évanouissaient soudainement. Il
allait prendre les rênes du pouvoir, gouverner en maître absolu, en roi. Cette
perspective le ragaillardissait. Sa joie éclatait de décacheter lui-même les
paquets de correspondance des ambassadeurs, des gouverneurs ou des
intendants, de prendre connaissance le premier de la moindre dépêche.
A la Cour comme à la Ville, les aristocrates, les robins, les dévots, les
bourgeois, le petit peuple, tous attendaient avec impatience un changement
et un nouveau souffle : la fin de la guerre, l’allègement des impôts, la
disgrâce des parents et créatures du prélat honni, de Mme d’Aiguillon à
Chavigny en passant par Sublet de Noyers et Séguier, sans oublier la
nouvelle Eminence, cet étranger – suspect parce que étranger –, ce cardinal
Mazarini…

On garde le cap !…
Louis XIII ne céda pas à la facilité. Son idée était de ne rien modifier,
de ne procéder à aucune purge, à aucun règlement de comptes. On garderait
les mêmes maximes, la même politique, la même équipe ministérielle. Il
n’y aurait pas de vacance du pouvoir. Il importait de montrer que c’était lui,
et non le défunt, qui avait tracé la route et qu’il n’en dévierait pas. Les
dispositions furent prises pour la prochaine campagne militaire. Vingt-sept
régiments, soit 18 000 hommes, furent envoyés en Catalogne. La paix bien
sûr, on y travaillerait, mais pas au prix du déshonneur…
Le jour même de la mort de Richelieu, le souverain convoqua le
chancelier Séguier, le surintendant des Finances Bouthillier, les secrétaires
d’Etat Chavigny et Sublet de Noyers, pour leur annoncer ses volontés : leur
maintien en fonction et l’entrée au Conseil de son « très cher cousin » le
cardinal Mazarin qui connaissait les affaires à la perfection et dont il avait
apprécié la fidélité, le zèle et les talents de négociateur.
« Je veux que toutes les choses restent comme elles sont, sans les
modifier », dit-il à Giustiniani, l’ambassadeur de la Sérénissime, en
recevant ses condoléances. Valentin Conrart rapporte qu’il mit en garde
ceux qui croyaient triompher, et ils étaient nombreux. Rigueur et sévérité
restaient de mise. Non, les exilés ne reparaîtraient pas de sitôt, et le duc de
Beaufort, audacieusement revenu en France sans autorisation, fut prié de
demeurer à Vendôme ! Baradas, qui avait supplié le roi de rejoindre la Cour,
se fit sèchement répondre d’attendre le moment où l’on aurait besoin de ses
services… Quelle déception !
Les affaires avaient repris leur cours normal. Le Conseil se réunissait
trois fois par semaine, mais les principaux collaborateurs, Mazarin, Séguier,
Bouthillier et Chavigny, travaillaient avec Louis XIII dans un conseil
informel plus ramassé. Les deux autres secrétaires d’Etat, Louis Phélypeaux
de La Vrillière et Henri Auguste de Loménie de Brienne, seigneur de La
Villeaux-Clercs (ce dernier remplacé dès février 1643 par Henri du Plessis-
Guénégaud, trésorier de l’Epargne), n’étaient que des agents d’exécution.
Quant à Gaston d’Orléans qui piaffait d’impatience, Louis lui intima
l’ordre de ne pas quitter Blois. Après sa dernière trahison, à aucun prix il ne
souhaitait mettre le sort de son fils entre ses mains. Sa colère était si vive
que, devant l’abbé de La Rivière, il s’était écrié « qu’il aimerait mieux
égorger sa femme et ses enfants que de les laisser à la discrétion de son
frère7 ». Ce fut sa volonté expresse de le dépouiller de ses gouvernements,
compagnies de gendarmes et de chevau-légers et surtout de son droit à la
régence8. Richelieu n’avait pu qu’acquiescer, préparant avec le Chancelier
le texte d’une déclaration royale en ce sens, datée du 1er décembre. Dès le
5, lendemain de sa mort, Louis ordonna au Parlement d’enregistrer le texte,
sans examen ni délibération.

Cependant, les observateurs notèrent l’apparition de tensions entre les


membres du gouvernement. Le roi manifestait à Sublet de Noyers une
considération grandissante. Il lisait avec lui le bréviaire, ce qu’il n’avait
jamais fait avec Richelieu. Le secrétaire d’Etat à la Guerre allait-il devenir
le nouveau confident ? Les trois autres collaborateurs du défunt, Bouthillier,
Chavigny et Mazarin, s’unirent afin de contrer l’ascension du « petit
bonhomme ». Sublet, de son côté, s’appuyait sur le chancelier Séguier et le
confesseur du roi, le père Sirmond, âgé de quatre-vingt-cinq ans, bientôt
remplacé par un autre de ses proches, le pétulant Jacques Dinet.
Au milieu de ces intrigues, l’étoile de Mazarin amorçait son ascension.
Louis n’avait pas attendu les recommandations de Richelieu sur son lit de
mort pour entretenir avec lui des relations amicales. Avec ostentation, il lui
témoignait estime et confiance, bien décidé à le protéger contre ses
ennemis. L’habileté courtisane de l’ancien diplomate romain irritait en effet
les princes du sang, mécontents d’être exclus du Conseil, les Grands,
méprisant cet industrieux compatriote de Concini. Si le nouveau cardinal
plaisait tant au souverain, c’était qu’il entendait poursuivre la voie de son
devancier, avec sa touche personnelle, mélange de souplesse, de bénignité,
de rondeur romaine et de feinte humilité, loin de l’âpreté redoutable de son
altier prédécesseur, de cette continuelle atmosphère d’orage et de tragédie
dans laquelle l’homme rouge à la fin de sa vie avait paru se complaire.
Louis appréciait la douceur naturelle, la modération de cet enjôleur. Malgré
la fermeté affichée au lendemain de la mort de Richelieu, la maladie, la
lassitude, après tant d’années d’efforts et d’austérité, le portaient sinon à
l’indulgence, du moins à une certaine souplesse.
Il décida de quitter Paris et de résider au Château Vieux de Saint-
Germain, la reine et ses enfants s’installant au Château Neuf. Là au moins il
ne verrait plus la mine renfrognée des Parisiens qui depuis quelque temps
lui mesuraient leurs vivats. Son ambition était de gouverner seul
dorénavant. « Le roi, écrivait Mme de Motteville, quoique malade, faisait
lui-même toutes ses affaires et publiait hautement qu’il ne voulait plus de
gouverneur9. » Changement d’importance, répondant aux vœux de
l’opinion, qui avait souffert du ministériat. C’est la raison pour laquelle
Mazarin ne fut pas nommé Premier ministre. En dépit de la confiance qu’il
lui accordait, de la sincère amitié qui les liait, il n’était pas question de faire
de l’Eminence seconde un autre Richelieu. Pour contrebalancer l’influence
grandissante du cardinal Jules qui tissait habilement sa toile, s’introduisant
dans la familiarité du nonce apostolique Grimaldi, de Gaston, de la reine, le
roi prenait ostensiblement appui sur Sublet de Noyers. Ainsi s’esquissait un
nouveau mode de gouvernement et même un nouveau système politique,
dans lequel le monarque élargissait son espace en partageant les faveurs, en
entretenant la rivalité et l’émulation de deux principaux ministres. Cette
configuration n’eut pas le temps de s’institutionnaliser, mais elle
s’épanouira sous son successeur avec la dualité des clans Colbert et Le
Tellier-Louvois10.

Changement de style
Le dimanche 13 décembre, par les rues pleines de monde, la dépouille
du cardinal de Richelieu fut transportée du Palais-Cardinal à la chapelle de
la Sorbonne avec un cérémonial digne d’un monarque. Orné des armes de
Son Eminence, le char funéraire, couvert d’un poêle de velours noir croisé
de satin blanc, était tiré par six chevaux magnifiquement harnachés de deuil
et accompagné par les pages de Son Eminence portant un flambeau de cire
blanche. Le 20 janvier, le service solennel du défunt se fit à Notre-Dame, à
la lumière de milliers de cierges, en présence de tous les corps constitués,
clergé, cours souveraines, université, municipalité… Sa barrette rouge, une
couronne ducale d’or massif enrichie de pierreries et une ancre d’or
reposaient sur des coussins au milieu du chœur. On n’avait pas vu une telle
pompe depuis longtemps.
Dans son testament, Richelieu avait institué pour légataire universel son
petit-neveu Armand Jean de Vignerot, sieur de Pont de Courlay, à charge
pour lui de porter le patronyme et les armes des du Plessis de Richelieu.
Son neveu Jean Armand de Maillé-Brézé ne recevait que le duché de
Fronsac. Sa nièce, la duchesse d’Aiguillon, hérita entre autres du Petit-
Luxembourg et du château de Rueil. Louis ne s’opposa pas à la plupart des
dispositions testamentaires, mais, pour les charges d’Etat, il prit un malin
plaisir à brouiller les cartes. Avec la grande maîtrise de la navigation,
Maillé-Brézé eut le gouvernement de Brouage et de La Rochelle, à la place
du jeune Pont de Courlay qui reçut le généralat des galères et le
gouvernement du Havre. La Bretagne échut au valeureux La Meilleraye.
Richelieu mort, Louis devait-il pardonner à ses ennemis ? Si l’on en
croit le Journal de d’Ormesson, il aurait déclaré « qu’il ne voulait pas
mourir comme le cardinal qui, à sa mort, n’avait voulu pardonner à
personne et était mort en chien ». Lui, au contraire, « voulait mourir en
chrétien et pardonner à tout le monde, et il demandait à ceux qu’il voyait
pardon du mal qu’il leur pouvait avoir fait ». Au prince de Condé, qui le
pressait de rappeler les exilés et les emprisonnés, Louis marqua son
acquiescement, ajoutant « qu’il n’avait jamais fait aucun mal à personne
que par force et que jamais homme n’avait tant souffert que lui pendant
cinq ou six ans sous la tyrannie du cardinal ». Un roi ne doit point épouser
les inimitiés d’un particulier. Libérer les détenus, c’était une manière de
désavouer Son Eminence en un domaine où elle avait été le plus haïe ; en
outre, après la mort de Marie de Médicis et l’abaissement de Monsieur, ils
ne représentaient plus aucun danger sérieux. Cette clémence, de surcroît, lui
permettait de parfaire son image de roi juste, de se concilier l’opinion, de
faire croire à une rupture, alors que la continuité l’emportait en politique
étrangère. Enfin, dernier argument, que firent valoir notamment Mazarin et
Chavigny, mais auquel Louis ne fut point insensible, l’Etat faisait des
économies au moment où il en avait tant besoin. Déjà le monarque avait
réduit de trois mille hommes les garnisons de Brouage et du Havre, les plus
importantes places du défunt. Bref, cette option l’emporta, malgré l’hostilité
du « petit bonhomme », qui se campait en continuateur du grand cardinal.
Les exilés de décembre, Tréville, Tilladet, Des Essarts et La Salle furent
rappelés et rétablis dans leur charge. Monsieur, encore tout récemment
stigmatisé par la déclaration royale, sollicita humblement son pardon et son
retour à la Cour. Pourquoi ne pas les lui accorder ? C’est ce que Louis
décida. Le 13 janvier 1643, une foule considérable s’étouffait à Saint-
Germain pour assister à la rencontre des deux frères. Gaston mit un genou à
terre devant son aîné, qui le releva. « Mon frère, lui dit le roi avec sévérité,
voici la sixième fois que je vous pardonne. Je vous prie de ne plus retomber
dans vos erreurs passées et de vous souvenir de vos promesses, ne prenant
plus conseil que de moi. Je suis résolu de ne croire que les actes et non les
paroles. Je suis disposé à vous accueillir, non comme votre roi, mais comme
votre père, votre frère et votre bon ami… » Puis les deux hommes parlèrent
de « toutes choses comme à l’ordinaire ». Prenant son cadet par la main,
Louis le conduisit chez la reine. Le soir, à la cérémonie du coucher, Gaston
se présenta, mit de nouveau genou à terre, demandant pardon de sa conduite
avec un ton de sincère repentance. Le roi, attendri, se leva et l’embrassa.
Tout le monde feignait de croire qu’il n’avait combattu que le cardinal,
qu’une fois mort, il n’avait plus de raison de se révolter. Cette réconciliation
solennelle, proprement extraordinaire quand on pense au passé ancien et
récent, mit en joie les courtisans, car un prince du sang de France, quelles
que fussent ses fautes, participait par nature à la souveraineté royale.
Pourtant, dans l’esprit du monarque, ce n’était pas encore un retour en
grâce, mais un simple apaisement : la déclaration du 1er décembre restait
toujours valable.
Quelques jours plus tard, les maréchaux de Bassompierre et de Vitry, le
comte de Cramail sortirent de la Bastille et furent assignés à résidence sur
leurs terres. Recouvrant la pleine liberté après quelques semaines d’exil, le
chenu Bassompierre, qui avait passé plus de onze ans derrière les barreaux,
fut ahuri par le nombre de carrosses circulant dans Paris, choqué par la
liberté de mœurs des jeunes gens de la Cour, étonné par les changements de
la mode, la fin de la fraise et de la barbe en escopette11 ! Le vieux monde
s’en était bien allé ! On le tint aussitôt, dit Tallemant, pour un « Turlupin ».
Deux revenants encore, Baradas et Saint-Simon, furent aperçus dans la
foule des courtisans, mais ils ne rencontrèrent que le regard indifférent de
Sa Majesté. Le 6 février, le digne et austère Jean Duvergier de Hauranne,
abbé de Saint-Cyran, sortit triomphalement du donjon de Vincennes. A leur
tour, Matthieu de Morgues, le père Caussin, le duc de Bellegarde, César de
Vendôme et le duc de Mercœur rentrèrent d’exil. Les ducs de La Valette et
d’Elbeuf reçurent leurs lettres d’« abolition ». Mais rien pour ces petites
pestes de Hautefort et Chevreuse. En sens inverse, Isaac de Laffemas,
lieutenant civil au Châtelet, fut prié de faire ses malles et de quitter Paris
dans les vingt-quatre heures. Sa réputation de « bourreau du cardinal » était
odieuse à tous.
Louis semblait revivre. Ses nuits étaient moins agitées. Il apprenait à
mieux répartir son temps entre les affaires et les divertissements. Il préparait
avec sérieux la campagne de printemps en Picardie, qu’il se flattait de
conduire en personne, car Philippe IV, qui venait de remplacer le
malchanceux Olivares par son neveu don Luis de Haro, était résolu à
frapper fort. Parfois, il faisait une brève escapade à Versailles. Le 10 février,
il y dîna avec le cardinal Mazarin, le 15, avec son frère Gaston, son demi-
frère l’évêque de Metz (Henri de Bourbon, fils de la marquise de Verneuil),
le maréchal de Schomberg et quelques autres seigneurs. Puis il annonça
qu’il confiait le commandement de l’armée de Flandre et de Picardie au
jeune duc d’Enghien, vingt et un ans, ce qui piqua fort Monsieur qui
convoitait déjà cette fonction.

Le roi malade
Le dimanche 16 février, Louis XIII tomba malade. Il eut une rechute le
21 : accès de fièvre, hoquets, vomissements, intenses douleurs abdominales,
diarrhées, évacuation d’« humeurs », que les disciples d’Esculape
attribuèrent à « une combustion interne due à un relâchement de
l’estomac ». En trois longs mois, le mal allait le conduire au tombeau. On
est assez bien renseigné – malgré quelques divergences chronologiques –
sur ses dernières semaines par trois témoignages, ceux d’un garçon de la
Chambre, Jacques Antoine, de son valet de chambre, Marie Dubois, sieur
de Lestourmière, et de son confesseur, Jacques Dinet, témoignages auxquels
s’ajoute une précieuse lettre de Vincent de Paul.
Les médecins lui firent prendre de l’eau ferrugineuse de Forges et une
pharmacopée aussi abondante qu’inefficace, accompagnée de purgations
répétées qui réveillaient impitoyablement ses hémorroïdes. Très abattu,
malgré quelques rémissions passagères qui lui permettaient de chasser ou
de se promener dans les jardins de Saint-Germain, le roi gardait la plupart
du temps la chambre. Antoine rapporte qu’il se délassait en peignant ou en
composant de la musique. Mais il avait « mauvaise opinion » de sa maladie.
Souvent, il faisait venir à son chevet les deux petits princes, Louis et
Philippe, leur manifestait une tendresse inhabituelle. Avec la reine aussi ses
rapports s’étaient améliorés ; ils avaient ensemble de fréquents entretiens.
Le 19 mars, devenu presque grabataire, il fit une confession générale.
Pensant que l’air vif de la vallée de la Seine serait meilleur, il se fit
transporter du Château Vieux au Château Neuf. Ayant un peu trop confiance
en Charles Bouvard, son premier médecin, vrai docteur-tant-mieux, il crut
qu’il pourrait retourner bientôt à Versailles. Au dernier moment le médecin
s’y opposa. Louis fulmina, l’accusant d’être responsable de son état. Il était
anéanti.
Le 24 mars, un peu par forfanterie, il reprit la cérémonie du lever qui
avait été suspendue depuis le début de la maladie. Le 3 avril, il fit le tour de
la galerie, soutenu d’un côté par M. de Souvré, premier gentilhomme de la
Chambre, et de l’autre par M. de Charost, capitaine des gardes du corps,
avec quelques haltes sur une chaise que transportait son dévoué valet de
chambre Marie Dubois. Ce fut sa dernière promenade. Les jours suivants, il
ne s’habilla plus. On le transportait jusqu’à l’ancien cabinet de la reine, la
plus belle pièce du château, et là, on l’étendait sur une « grande chaise à la
romaine », où il pouvait allonger ses jambes. Il se faisait ouvrir la fenêtre.
La vue portait loin. Derrière quelques bouquets d’arbres on devinait plus
qu’on n’apercevait la tour de la basilique de Saint-Denis avec sa couverture
de cuivre vert : « Mes amis, dit-il en se tournant vers ses serviteurs, voilà
ma dernière demeure que je vois ! » D’un geste, raconte Antoine, « il leur
montra le chemin même par où l’on devait le mener. Ce discours ne passa
pas sans être mêlé de soupirs et de larmes de ceux qui l’avaient entendu,
étant dit avec une si grande fermeté et sans émotion de la bouche de Sa
Majesté, qui regardait le lieu de son tombeau avec un si généreux
mépris12 ».
Le soir, on le ramenait dans sa chambre. Il chantait quelque psaume
avec le maréchal de Schomberg puis se faisait lire jusqu’à minuit par son
secrétaire de cabinet Lucas La Vie des saints ou l’Introduction à la vie
dévote de François de Sales. Le jeudi saint, 9 avril, il communia mais, trop
faible pour se livrer, selon l’usage, au traditionnel lavement des pieds de
douze pauvres, représentant les douze apôtres, il se fit remplacer par le
dauphin.

Louis prépare la régence


Malgré la débilité de ce corps qu’il ne maîtrisait plus, Louis voulait
exercer son autorité jusqu’à la fin. La désinvolture grandissante avec
laquelle agissait Sublet de Noyers, sans lui rendre compte, l’irritait. Il
trouvait inadmissible, par exemple, qu’il eût de sa propre initiative renforcé
de dix compagnies des gardes l’armée de son ami le maréchal de La
Meilleraye. Il n’admettait pas son refus de lui détailler l’affectation des
fonds secrets de son département – plus de trente millions de livres –, sous
prétexte que Richelieu ne l’avait jamais fait13. Peu à peu leurs relations se
dégradèrent. Le roi balaya sa requête d’admettre au Conseil La Meilleraye,
de façon à contrebalancer le tandem Chavigny-Mazarin qui lui était hostile.
Sa vindicte ne connut plus de bornes quand il apprit qu’au cours d’une
réunion chez les Jésuites il avait évoqué la nécessité de lui faire faire un
testament et de désigner la reine comme régente. De quoi se mêlait-il ? Le
vendredi saint, 10 avril, quand Sublet se présenta, le royal grabataire lui fit
des reproches cinglants. Fouetté par cette volée de bois vert, le ministre
demanda son congé, persuadé que le roi le lui refuserait. Au contraire,
celui-ci l’accorda. Abasourdi, Sublet se retira et partit pour son château de
Dangu en Normandie. Il gardait ses charges de surintendant des Bâtiments,
de responsable de l’Imprimerie royale et de capitaine du château de
Fontainebleau, mais perdait ses fonctions de ministre et de secrétaire d’Etat.
Il mourut deux ans plus tard. Ce loyal serviteur, devenu dévot, avait
réorganisé l’armée avec beaucoup d’efficacité, institutionnalisant certains
services comme celui des ingénieurs du roi ou des fortifications. Il fut
remplacé au département de la Guerre par Michel Le Tellier, intendant de
justice à l’armée de Piémont, que Mazarin avait remarqué en Italie.

En même temps que son salut éternel, il fallait préparer la régence.


Louis n’avait confiance ni en son frère, trop léger, trop instable, ni en son
épouse, inexpérimentée, espagnole de cœur, qui ne manquerait pas, en dépit
de ses promesses, de rappeler à ses côtés la pernicieuse Chevrette.
Comment d’ailleurs pourrait-elle conduire la guerre contre son propre frère
Philippe IV ? Elle s’empresserait à coup sûr de traiter à des conditions
inacceptables pour la France. Louis écarta la suggestion de Chavigny
d’instituer une co-régence de Monsieur et de la reine et finit par se rallier à
un système où, derrière les apparences, on ôtait à ces deux acteurs
incontournables le moyen de méfaire ou de nuire, tout en les intégrant à
l’appareil de l’Etat, en compagnie d’un autre trublion potentiel, le prince de
Condé. Le chancelier Séguier rédigea le brouillon de la déclaration fixant
ses dernières volontés14.
Soulagé d’avoir trouvé la solution à sa succession, il se prépara à
mourir. On lui porta le viatique. Son état ne cessait de se détériorer. A ses
flux de ventre s’ajoutait désormais une toux sèche et opiniâtre. Le lundi 20,
à 2 heures de l’après-midi, il fit venir dans sa chambre la reine, ses deux
fils, Gaston, Condé, le Chancelier, les ducs et pairs, les ministres et les
grands officiers de la Couronne. D’une voix fatiguée, il pria La Vrillière de
lire à l’assemblée les dispositions qu’il avait arrêtées.
Après un préambule, dans lequel il rappelait les bénédictions que le Ciel
lui avait prodiguées au cours de sa vie et les nécessités de l’union du
royaume derrière le trône – « La France a bien fait voir qu’étant unie elle
est invincible et que de son union dépend sa grandeur comme sa ruine de sa
division » –, il désignait Anne d’Autriche, « notre très chère et très aimée
épouse et compagne, la reine, mère de nosdits enfants », comme régente. A
elle revenaient l’éducation du nouveau roi jusqu’à sa majorité et celle de
son frère, le duc d’Anjou, ainsi que l’administration et le gouvernement du
pays. Sous son autorité, Monsieur recevait la lieutenance générale du
royaume. Toutefois, et c’est là que résidait l’innovation politique, pour
assister la reine un conseil inamovible de sept membres était créé. Composé
de la reine, de Gaston d’Orléans, du prince de Condé, du cardinal Mazarin,
du chancelier Séguier, de MM. Bouthillier et de Chavigny, il devait décider,
à la pluralité des voix, de la paix ou de la guerre, des mesures financières et
de la collation des charges et bénéfices. Monsieur en était le chef, le prince
de Condé en recevait la direction, remplacé, en cas d’absence, par le
cardinal Mazarin, que le roi désignait ainsi comme le véritable successeur
de Richelieu. « Nous défendons très expressément, stipulait-il, d’apporter
aucun changement audit Conseil en l’augmentant ou diminuant pour
quelque cause et occasion que ce soit. »
Par ce dispositif contraignant, le roi ménageait à la fois les formes et les
exigences de la loi coutumière, marginalisait la reine, Gaston et Condé, et
assurait la poursuite de son œuvre et de celle de Richelieu, le quatuor des
ministres d’Etat, Mazarin, Séguier, Bouthillier, Chavigny, qui détenait la
majorité, étant tout acquis à cette politique. Deux proches d’Anne étaient
nommément exclus de l’amnistie : l’ancien garde des Sceaux Châteauneuf,
libéré mais en résidence surveillée à Angoulême, et Mme de Chevreuse,
exilée pour sa « mauvaise conduite » et ses « artifices ». Au seul énoncé de
son nom, le gisant somnolent se redressa soudain et s’écria : « Voilà le
diable, cela ! Voilà le diable15 ! »
Au cours de cette pathétique cérémonie, dont Marie Dubois a laissé une
relation circonstanciée, l’assistance était incapable de retenir ses larmes,
même la reine, assise au pied du lit. « Le roi qui paraissait ce jour-là avec
un visage vermeil, content et sans inquiétude, marquait qu’il n’avait nulle
appréhension de la mort. Tout le monde voyait le plus grand roi de la terre,
chargé de conquêtes et de victoires, quitter son sceptre et sa couronne avec
aussi peu de regret que s’il eût laissé une botte de foin pourri16. » Il
appartenait déjà à l’autre monde.
La lecture terminée, Louis se fit remettre le document, au bas duquel il
écrivit avant de signer : « Ce que dessus est ma très expresse et dernière
volonté que je veux être exécutée. » Anne et Gaston furent priés d’y
apposer ensuite leur paraphe, procédure inhabituelle pour un acte de
chancellerie, prouvant la volonté royale d’impliquer ses proches dans le
nouveau mécanisme gouvernemental17. Ceux-ci s’exécutèrent, la reine non
sans restriction mentale, Gaston avec la satisfaction de voir annuler la
récente déclaration l’écartant de toute fonction publique, et Condé, pas
mécontent de savoir sa position en second au Conseil contrebalancée par
des compensations reçues par ailleurs : la grande maîtrise de la maison du
roi, vacante depuis la mort du comte de Soissons, et la promotion de son fils
à la tête de l’armée de Flandre et de Picardie.
Anne, ulcérée d’être placée sous la haute surveillance des créatures de
feu Son Eminence, ne pouvait se contenter du rôle de figurante qui lui était
assigné. Pour conserver la plénitude de ses droits, elle fit rédiger une
protestation secrète que l’abbé de Montrouge, l’un des membres de son
entourage, porta à un notaire parisien. Ce fut dans les mêmes dispositions
d’esprit que, le lendemain 21, les parlementaires enregistrèrent la
déclaration royale sous forme de lettres patentes, revêtues du grand sceau
de France. Eux aussi étaient décidés à briser à la première occasion ce
carcan perpétuant le pouvoir du tyran défunt. Pour les amadouer et éviter
les marchandages, Louis leur avait pourtant accordé le retour en grâce des
exilés de février 1641.

L’après-midi du même jour, dans la chapelle du Château Vieux,


l’évêque de Meaux, Dominique Séguier, neveu du Chancelier, procéda au
baptême du dauphin. Louis XIII avait espéré que le parrain serait
Urbain VIII. Mais la réponse tardant à venir, il choisit Mazarin pour remplir
cette insigne responsabilité. Ce geste politique ne manqua pas d’être
interprété comme la volonté du souverain de voir l’Italien devenir tuteur de
son fils. La marraine fut la princesse de Condé, Charlotte de Montmorency.
C’est à ce moment-là que l’enfant, âgé de quatre ans et demi, qui n’avait été
qu’ondoyé à sa naissance, fut prénommé Louis.
On connaît l’anecdote tant de fois contée18. Trop faible pour assister à
la cérémonie, le roi aurait fait amener à son chevet le petit garçon, vêtu de
sa robe de taffetas d’argent, et l’aurait interrogé : « Comment vous appelez-
vous à présent ? – Louis XIV, mon papa. – Pas encore, mon fils, pas encore,
mais ce sera pour bientôt si c’est la volonté de Dieu. »

La bonne mort
Il restait au monarque à se préparer à la bonne mort. Depuis plusieurs
jours il ne cessait de s’abîmer en prière, lisant et relisant les offices du
service divin qu’il avait composés avec l’aide du père Caussin. Il ne
craignait pas tant sa disparition – la mort lui avait toujours été familière –
que la comparution devant le Créateur. Il savait qu’en tant que roi il était
plus exposé à la colère divine et à la damnation éternelle qu’un simple
particulier. Richelieu le lui avait bien souligné dans son Testament
politique : « Beaucoup se sauveraient comme personnes privées, qui se
damnent en effet comme personnes publiques. » Sa conscience ne le laissait
pas en repos, ne l’avait jamais laissé en repos : n’avait-il pas été trop dur
envers sa mère, trop inflexible envers les conspirateurs, trop cruel envers
ses peuples ? N’avait-il pas eu tort de déclencher la guerre contre
l’Espagne, de s’allier aux princes protestants ?
Au lieu de chercher à apaiser ses inquiétudes, son confesseur, le père
Dinet, proche des dévots, le poussait dans ses retranchements, tisonnait ses
scrupules, attisait ses regrets19. Sur son lit de mourant, à la grande
satisfaction de son guide spirituel, il dressait la liste des mesures qu’il
prendrait s’il était guéri. Il voulait tellement atteindre la sagesse et la
perfection chrétienne : « Je remédierai, Dieu aidant, au libertinage, je
supprimerai les duels, j’étoufferai l’injustice et communierai tous les huit
jours ; et sitôt que je verrai le dauphin à cheval et en âge de majorité, je le
mettrai en ma place pour me retirer à Versailles avec quatre de vos pères, où
je m’entretiendrai avec eux des choses divines, ne penserai plus du tout
qu’aux affaires de mon âme et de mon salut, à la réserve du divertissement
de la chasse que je désire toujours prendre, mais avec plus de modération
qu’à l’ordinaire20. »
Louis avait-il changé à ce point et rallié le parti dévot ? Nullement.
Comme Richelieu, il se gardait de confondre religion et politique. C’est
pourquoi il apportait son soutien à Mazarin, fils spirituel du grand cardinal.
Il voulait à la fois la sainteté et la grandeur, la sainteté pour lui, la grandeur
pour son royaume ! Le pardon des offenses lui avait toujours coûté. Son
intransigeante droiture, sa raideur naturelle s’y prêtaient difficilement.
Désormais les exilés étaient revenus, les captifs libérés… Il les voyait tous
défiler dans sa chambre, et à tous il parlait aimablement, sans vraiment être
dupe. « Ces gens, soupirait-il, viennent voir si je mourrai bientôt. » Il aurait
bien aimé leur jouer un mauvais tour, comme à Lyon en 1630 : « Ah ! si
j’en pouvais revenir, je leur vendrais bien cher ce désir qu’ils ont que je
meure21. » Mais il savait que la camarde ne lui ferait pas ce plaisir.
Avec Anne sa femme, la réconciliation semblait accomplie. Il lui
montrait de l’affection ; elle, émue, sortait parfois en larmes. Le 22 avril, le
bruit de sa mort se répandit dans Paris. Le lendemain, on lui administra
l’extrême-onction. Voyant un des chanoines de Notre-Dame en larmes, il lui
dit : « Je ne trouve pas mauvais que vous me pleuriez ; c’est une
démonstration de votre amitié, et c’est ce qui m’attendrit le cœur ; hors de
là, Dieu m’est témoin si la vie m’a plu et si je ne suis pas ravi d’aller à Lui
en peu d’heures22. »
Il restait encore quelques dispositions politiques à arrêter. Il désigna le
duc de Longueville chef de la délégation française chargée de négocier la
paix avec l’Empereur et l’empire. Il fit ensuite annuler la déclaration du
1er décembre 1642 qui privait Gaston de toute charge et fonction publiques.
L’acte fut enregistré le 23 par le Parlement. Le même jour, le prince
récupérait son gouvernement d’Auvergne. Le 25, les archevêques de Sens et
de Toulouse, les évêques d’Evreux, de Bazas, de Maillezais et de Toulon,
qui s’étaient opposés à la hausse du don gratuit en février 1641, étaient
autorisés à revenir à la Cour.
La veille, une rémission avait fait reprendre espoir. Le roi se leva, dîna
en public et improvisa un petit concert d’airs religieux avec le maréchal de
Schomberg et des valets de la garde-robe. Les courtisans étaient surpris.
« Messieurs, dit-il, je suis fort résigné à la volonté du Seigneur ; s’il me fait
la grâce de me redonner la santé, je travaillerai de tout mon pouvoir à
donner la paix à tout mon royaume et à soulager mes peuples23. » Mais ce
n’était qu’une « bluette de santé » (Goulas). Dès le 26, il déclina. A Paris, le
saint sacrement était exposé dans toutes les églises et l’on multipliait les
prières publiques pour son rétablissement.

Les derniers jours


Louis n’en finissait pas de mourir. Fiévreux et insomniaque, il respirait
avec difficulté. De sa chambre émanait une odeur insupportable. On avait
glissé sous ses reins des oreillers de paille d’avoine et placé près de lui un
bassin, dans lequel il évacuait – détail sordide – de gros vers. Il lui arriva
d’en rejeter un par la bouche. Le corps n’était plus que pourriture, mais
l’âme restait ferme. « Il est impossible d’imaginer, écrivait Mazarin au
cardinal de Lyon, Alphonse de Richelieu, une plus grande force d’esprit
dans une grande faiblesse de corps que celle qu’il a montrée. Jamais en cet
état personne n’a vu plus clair que lui en ses affaires, ni n’a fait des
établissements plus judicieux. Jamais personne n’a regardé la mort avec
plus d’indifférence, ni ne s’est soumis avec une plus entière résignation à la
volonté de Dieu24. »
Les prêtres, les évêques, Monsieur Vincent lui rendaient visite et
s’entretenaient avec lui. Louis manifestait une foi intense, inébranlable, une
confiance totale dans la bonté et la miséricorde divines. Faisant son
introspection, il cherchait à déceler les injustices qu’il avait pu commettre,
avec la volonté de les réparer. Ainsi désirait-il ne pas mourir sans s’être
pleinement réconcilié avec son frère. Le 6 mai, il l’autorisa, comme promis,
à faire confirmer son mariage avec Marguerite de Lorraine par une nouvelle
bénédiction nuptiale en France. Le même souci de justice l’incita à
ordonner le retour des restes de sa mère, Marie de Médicis, à Saint-Denis.
Mais il ne poussa pas la mansuétude jusqu’à pardonner à Châteauneuf, à
Mme de Chevreuse et à Marie de Hautefort…
Autour de son lit d’agonie, les coteries s’agitaient. Malgré les mesures
d’amnistie individuelles, on soupirait de voir la politique de Richelieu
poursuivie, la guerre s’éterniser et les princes tenus à l’écart du Conseil. Les
factions s’armaient : le duc de Vendôme voulait récupérer son
gouvernement de Bretagne, La Meilleraye, qui l’avait reçu à la mort de
Richelieu, prétendait le conserver, Condé et Gaston mobilisaient leurs
clientèles… La reine elle-même ne restait pas inactive. A mesure que son
mari déclinait, sa position se renforçait. On la regardait, dit Mme de
Motteville, « comme un soleil de qui chacun en particulier espérait recevoir,
à son tour, quelque favorable influence25 ». Par l’intermédiaire de Loménie
de Brienne et des évêques de Beauvais et de Lisieux, elle s’était assuré
l’appui de plusieurs membres du Parlement, des gardes françaises et suisses
et de l’impétueux duc d’Enghien qui s’apprêtait à rejoindre son nouveau
commandement.
De son côté, le roi se rendait compte que tant que sa femme
n’accepterait pas du fond du cœur, dans l’intérêt bien compris de leur fils
aîné, la poursuite de sa politique, tout le subtil équilibre qu’il avait imposé
risquait de voler en éclats. Anne avait bien signé et juré de respecter la
déclaration la plaçant sous la tutelle du Conseil de régence, mais pouvait-il
lui faire confiance ? Lors de l’affaire du Val-de-Grâce n’avait-elle pas été
parjure ? Se doutant qu’elle ferait sauter le verrou instauré le 20 avril avec
l’aide du Parlement, il la supplia de conserver Mazarin à la direction des
affaires, de l’empêcher de se retirer à Rome. Lui seul, par son habileté
politique, serait capable d’affermir le trône et d’arriver à l’extérieur à une
solution négociée.
Anne comprit enfin que tel était son intérêt et celui de son fils. Le
signore Giulio, le dévoué serviteur de Richelieu, ne lui avait jamais été
désagréable. Toujours aimable et prévenant, il lui avait offert de petits
présents quand il était revenu d’Italie. Régulièrement, il lui apportait des
eaux de toilette, des parfums ou des éventails. Elle n’était pas non plus
insensible à son charme (« Vous l’aimerez, lui aurait dit Richelieu en le lui
présentant, il ressemble à Bouquinquan ! »). Il plaisait aux dévots de son
entourage, particulièrement à son premier aumônier, Augustin Potier,
évêque de Beauvais. L’Eminence courtisait d’ailleurs avec soin cet homme
d’influence. Ne faisant pas partie des Grands, n’ayant en France aucun
réseau sur lequel s’appuyer, il serait pour Anne une créature totalement
dévouée. Bref, admettant que cette solution était en effet la meilleure, elle
donna au mourant sa « parole que, dans une affaire de cette importance, elle
obéirait religieusement aux ordres qu’il avait donnés ». Louis « en témoigna
une extrême satisfaction26 ». Il lui recommanda encore de vivre en bonne
entente avec Gaston. Puis, faisant venir Mazarin, il le conjura de ne pas
quitter la France et de servir, au côté de la reine, l’enfant-roi, son filleul, qui
avait tant besoin de lui. L’Italien promit.
Au matin du 10 mai, il eut, si l’on en croit plusieurs témoignages, dont
celui de Dubois, la vision prémonitoire de la bataille de Rocroi qui se
déroula le 19, cinq jours après sa mort. S’éveillant brusquement en sursaut,
il dit au prince de Condé qui se trouvait dans la ruelle : « Je rêvais que votre
fils le duc d’Enghien en était venu aux mains avec les ennemis, que le
combat était fort rude et opiniâtre et que la victoire a longtemps balancé ;
mais qu’après un rude combat, elle est demeurée aux nôtres, qui sont restés
maîtres de la bataille. » Condé crut que le cerveau du roi se troublait… Il
est vrai qu’il allait mal. Il portait le masque de la mort, avait le teint cireux,
la bouche ouverte et les yeux révulsés. C’est dans cet état semi-comateux
que le vit pour la dernière fois le dauphin…
Le 12, comme Bontemps, son premier chirurgien, le suppliait à genoux
de s’alimenter, il répondit, se tournant vers ses serviteurs : « Mes amis, c’en
est fait, il faut mourir. » Le soir, il communia. Le même jour, il avait dicté
son testament personnel à La Vrillière : il léguait son cœur à la maison
professe des Jésuites, ne souhaitait aucune cérémonie pour ses obsèques,
distribuait des aumônes aux pauvres et demandait des messes pour le repos
de son âme. La reine le veilla jusqu’à 3 heures du matin.
Le 14, Louis commanda à Dubois d’ouvrir les rideaux de son lit et les
fenêtres. Il prit avec peine un petit verre de lait. A ses médecins il demanda
s’il passerait la journée. Leur réponse négative le rassura. « Dieu soit
loué ! » soupira-t-il. L’étiquette exigeait d’un roi de mourir en public. La
reine, Monsieur, M. le Prince, les princes et princesses, les grands
dignitaires de la Couronne se pressaient dans sa chambre, au milieu des
prêtres et religieux, dont Monsieur Vincent. Il faisait une chaleur étouffante.
On récita à sa demande la prière des agonisants, qu’il avait lui-même
rédigée.
Louis resta lucide jusqu’à la fin. Il s’entretint encore avec le père Dinet,
lui fit part de sa crainte d’une dernière attaque du démon. L’autre lui
répliqua : « Sire, il faut résister, vous êtes au fort du combat. Il faut
combattre généreusement afin de remporter la victoire. » L’agonisant lui
murmura alors quelque chose à l’oreille et on l’entendit soupirer dans un
ultime effort : « Jésus. » Ce fut tout. Plus tard, si l’on en croit le Vénitien
Giustiniani, le père Dinet expliquera que Louis XIII avait eu la révélation
personnelle et divine de son salut. A 2 h 45 de l’après-midi, il rendit le
dernier soupir. Il avait quarante-deux ans. Monté sur le trône le 14 mai
1610, il régnait depuis trente-trois ans jour pour jour. Beaucoup y virent un
signe du Ciel : c’était, en effet, le jeudi de l’Ascension.
« Depuis que je suis sur terre, écrivait le lendemain Vincent de Paul qui
avait assisté à ses derniers instants, je n’ai vu mourir une personne plus
chrétiennement27. » Et Giustiniani d’ajouter : « Il est mort presque
saintement, après une vie sans tache. » Anne d’Autriche confia à Mme de
Motteville qu’il lui semblait qu’on lui arrachait le cœur28.

La métamorphose de la reine
Cependant la nouvelle, tant attendue, ne surprit personne, et Louis ne
fut guère regretté. « Pour l’affliction à la Cour, écrivait Turenne, elle a été
très médiocre. » Il est vrai que la conjoncture économique et financière était
mauvaise. Jamais le prix des grains n’avait été aussi élevé. En Poitou, tous
les habitants de Maillezais s’étaient armés de bâtons et de fusils afin de
résister aux huissiers du fisc. En Rouergue, en Basse-Guyenne des troubles
identiques avaient éclaté. A Bordeaux, la foule assiégeait les boulangeries
et s’attroupait sur les quais du pont Saint-Jean et à la porte du Chapeau-
Rouge, où l’on vendait les blés déchargés des bateaux. Un peu partout, les
autorités municipales étaient inquiètes. A Paris, on avait mobilisé plusieurs
compagnies du régiment des gardes. Les caisses de l’Etat étaient vides, et
les financiers ne voulaient plus rien prêter. Les Suisses eux-mêmes n’étaient
plus payés.
Oubliant le défunt, les courtisans ne s’occupaient que de rendre
hommage à la reine et au nouveau roi. On vit alors, comme le dit Goulas
dans ses Mémoires « le soleil levant adoré29 ». Saisie, happée par la
fonction royale, Anne n’avait qu’une idée, s’assurer la régence dans les
meilleures conditions possible, de façon à transmettre à son fils, lorsqu’il
atteindrait sa majorité, la plénitude du pouvoir. En quelques jours, la petite
reine espagnole était devenue française jusqu’au bout des ongles, plus
française sûrement que tous les Grands qui déjà relevaient la tête et se
réjouissaient de la prochaine curée. Elle était désormais attachée à
l’absolutisme royal et à la politique extérieure de son mari, menée contre
son pays d’origine, contre son frère : oui, il fallait la paix, mais dans
l’honneur et si possible dans la gloire !
Elle souhaitait donc à la fois casser l’humiliante déclaration qu’il lui
avait imposée et son œuvre. Pour cela elle était résolue à s’appuyer, non sur
le clan des dévots, des anciens bannis et des victimes de Richelieu, avides
de revanche, mais sur Mazarin, comme elle l’avait juré. C’était dit, elle
serait le digne successeur de son austère époux, dont elle comprenait enfin
la grandeur…
Elle agit avec une remarquable habileté manœuvrière, étonnante pour
une faible femme manquant d’expérience. D’un côté, elle se reposa sur le
prince de Condé, son fils Enghien et le vaniteux Beaufort, fils de César de
Vendôme, pour prévenir toute tentative de Gaston de s’emparer du roi et de
son frère Anjou ; de l’autre, elle sollicita l’aide du Parlement pour se faire
reconnaître pleinement régente, sans pour autant lui céder la moindre
parcelle d’autorité. Bref, elle se révélait un grand politique.
C’est elle qui fixa le calendrier des mesures à arrêter, quitte à bousculer,
comme on l’avait déjà fait après l’assassinat d’Henri IV, l’ordre habituel des
cérémonies. Plutôt que de songer au sacre du nouveau roi à Reims, suivi de
son entrée triomphale à Paris, il lui parut urgent de commencer par son
apparition publique dans la capitale et par le lit de justice inaugural, au
milieu de la pompe royale habituelle. Son pouvoir s’en trouverait
immédiatement consolidé.
Dès le vendredi matin 15, tous les carrosses pénétrèrent dans Paris : la
Cour rentrait de Saint-Germain. A 3 h 30 de l’après-midi, le duc de
Montbazon, gouverneur, le prévôt des marchands, les échevins et les
quarteniers accueillirent leur nouveau souverain et la régente au village du
Roule, les assurant de leur fidélité et de leur affection. Vers 4 heures, les
troupes défilèrent dans la ville, gardes du corps, mousquetaires, chevau-
légers, gardes françaises, gardes suisses, précédant ou entourant le carrosse
royal qui roulait au pas et dans lequel se trouvaient l’enfant-roi, son frère
Anjou, la reine et le duc d’Orléans. On n’avait pas eu le temps de décorer
les rues et les places, mais la ferveur populaire suppléait à l’improvisation.
Au Louvre, Anne se paya le luxe de faire attendre ces messieurs du
Parlement. En outre, au lieu d’une lettre royale les confirmant dans leurs
fonctions, elle leur demanda de prêter le « serment accoutumé » pour la
continuation de leurs offices. Les parlementaires en eurent un haut-le-cœur.
L’opportuniste chancelier Séguier – celui-là même qui avait voulu fouiller
son corsage, mais qui lui était tout acquis désormais – fut chargé de
négocier. Il fut convenu qu’ils auraient confirmation de leurs charges et
qu’un lit de justice se tiendrait dans les formes au Palais. En contrepartie, ils
se garderaient de disputer au roi mineur l’autorité législative.
Le lundi 18 mai, à 8 heures du matin, Louis XIV, vêtu de violet, arriva
au Palais. Il assista à la messe en la Sainte-Chapelle et pénétra dans la
Grand-Chambre ou « chambre dorée ». On l’installa sur des coussins, sous
le dais fleurdelisé. Devant la frémissante et somptueuse assemblée de
simarres violettes, de robes rouges, de manteaux noirs, de bonnets carrés et
de Saint-Esprit chatoyants en sautoir, il se leva puis se rassit benoîtement,
oubliant son texte. Anne, couverte d’un crêpe noir, parla la première,
évoquant son affliction et flattant les conseillers, dont elle serait bien aise,
disait-elle, de suivre les avis. Elle céda la parole à Gaston et à Condé, qui
acceptèrent sa régence. Séguier et l’avocat général Omer Talon conclurent
alors, après quelques paroles convenues sur les qualités du défunt roi et la
joie du nouvel avènement, à la nécessité de donner à la reine « pleine,
entière et absolue autorité », autrement dit d’oublier les dispositions
gênantes de la déclaration précédemment enregistrée, ce qui fut accordé. En
revanche, comme prévu, Gaston était reconnu lieutenant général du
royaume et le prince de Condé, chef du Conseil en son absence.
Dans l’après-midi du même jour, alors que tout le monde s’attendait à
voir Augustin Potier, le bon et pieux évêque de Beauvais, accéder au rang
de principal ministre, ce fut Mazarin qui fut confirmé. Ignorant le serment
d’Anne au chevet de son mari mourant, l’opinion fut stupéfaite. Comment
comprendre que celle qui avait eu tant à souffrir de l’homme rouge pût
accorder sa confiance à son principal collaborateur ?
Ainsi était assurée la continuité de la politique royale. La régence
commençait, mais l’œuvre de Louis XIII et de Richelieu perdurait. Le 19,
comme le mourant l’avait prophétisé, le jeune et fougueux Louis II de
Bourbon, duc d’Enghien, remportait dans les bruyères de Rocroi une
magistrale victoire sur l’armée espagnole de don Francisco de Melo, qui
assiégeait la ville. Une déroute totale : 8 000 morts et 7 000 prisonniers
dans les rangs espagnols, vingt canons, deux cents drapeaux, cornettes et
guidons pris. Arrêtée, l’offensive de la frontière nord ! Enfoncés, les
redoutables et invincibles tercios ! Pour la grandeur espagnole c’était le
commencement de la fin ! Le 26, un Te Deum solennel à Notre-Dame
célébra cet éclatant succès.

Les funérailles
Etendu sur un lit de velours rouge couvert de passements d’or, le corps
de Louis XIII resta exposé trois jours dans l’antichambre du Château Neuf,
vêtu d’une simple camisole de satin blanc, un bonnet de nuit sur la tête et
un crucifix d’ébène entre ses doigts raidis. Les prêtres se succédaient aux
deux autels qu’on avait installés dans la pièce pour célébrer des messes.
Le 18 mai, à 5 heures du matin, dix-huit médecins et chirurgiens
procédèrent à l’autopsie, comme le voulait l’usage. L’odeur était telle que
les praticiens « pensèrent crever30 ». On trouva les viscères dans un état de
délabrement complet, révélant plusieurs pathologies graves, « les intestins
grêles boursouflés et blafards nageant dans une sanie séreuse épaisse au
fond et cendrée, la face extérieure du foie roux pâle et comme s’il avait été
bouilli ». Dans l’estomac, on découvrit un ver d’un demi-pied de long, « de
la grosseur d’un lacet, avec plusieurs petits flottant sur une quantité
d’humeurs brun et noir dit atrabilaire ». Le duodénum, quatre fois plus gros
que la normale, était « plein d’humeur jaune brun bile poracée (couleur
poireau) ». Le colon parut « érodé et dépouillé presque de la tunique
intérieure et charnue ». A la jonction du rectum, une perforation avait laissé
s’écouler une grande quantité de « pus verdâtre ». « Le trou fait audit boyau
par l’érosion était de grandeur à passer le tuyau d’une grosse plume d’oie. »
A cela s’ajoutaient d’autres atteintes organiques : un abcès au rein droit,
« de la grosseur d’une noisette pleine d’une humeur noirâtre, épais et
huileux », les poumons rongés et ulcérés31… On se demanda comment le
roi avait pu survivre à tant de maux.
En 1981, un groupe de médecins, dont le professeur Jean-Jacques
Bernier, attribua la cause du décès à une péritonite aiguë purulente par
perforation colique. Pour eux, la maladie dont souffrait le roi depuis des
années était bien une « entéropathie chronique à poussées successives ».
Etait-ce une entéropathie tuberculeuse, comme le pensait en 1897 le docteur
Paul Guillon ? L’apparition tardive de la toux, d’abord sèche puis purulente,
indique qu’il s’agit plutôt de la maladie de Crohn ou recto-colite
hémorragique, décrite en 1932 aux Etats-Unis par les docteurs Crohn,
Ginsberg et Oppenheimer32. On trouvera en annexe une étude du docteur
François Krainik, l’un des meilleurs spécialistes actuels de gastro-
entérologie et d’hépatologie, donnant le point de vue de la médecine
moderne sur les pathologies de Louis XIII et sa dernière maladie*1. Il
penche lui aussi pour une « entérocolite inflammatoire de type Crohn ».

Immédiatement après l’autopsie, on procéda à l’embaumement. Le


cœur et les entrailles furent déposés dans des urnes de plomb, la première
destinée à l’église Saint-Louis des Jésuites, la seconde à Notre-Dame. Le
19, à 4 heures du matin, après un De Profundis chanté par la musique de la
Chapelle, le cercueil fermé fut descendu dans la cour du château par la
garde écossaise, elle-même accompagnée des douze gardes de la Manche.
Placé sur un « grand chariot d’armes », il fut recouvert d’un poêle de
velours noir croisé de satin blanc tombant jusqu’à terre. Tiré par six
chevaux noirs revêtus de housses de même couleur, ce char funéraire ne
partit qu’à 2 heures de l’après-midi et gagna Saint-Denis, par Nanterre,
Neuilly et Clichy en évitant de traverser Paris où se trouvait le nouveau roi.
A 10 heures et demie, à la lumière des flambeaux, on remit le corps aux
religieux de l’abbaye, qui chantèrent l’office des morts. Dans la nuit, on fit
descendre dans la crypte le cercueil de Marie de Médicis, arrivé de
Cologne, qui attendait là depuis quelques semaines. On laissa un espace
entre la sépulture d’Henri IV et la sienne, de façon à y placer le corps de
Louis XIII.
Le défunt n’avait voulu aucune pompe pour ne pas aggraver les
souffrances du peuple. Par nécessité politique, on ne tint pas compte de sa
volonté et l’on s’inspira du cérémonial des funérailles de son père, à
l’exception du rituel désuet de l’effigie, devenu inutile puisque le lit de
justice du 18 mai avait aboli l’interrègne symbolisé par le mannequin33.
Dans la journée du 20, on célébra en présence d’une nombreuse assistance
la messe de requiem. Installée au milieu du chœur de la basilique, la bière,
entourée de six cierges blancs, était exposée sous un haut dais tendu de
deux bandes de velours. Recouverte d’un grand poêle, elle portait des
coussins de velours sur lesquels on avait disposé les deux couronnes, le
sceptre et la main de justice.
Le cercueil y resta jusqu’au 22 juin, date du service solennel. De
grandes tribunes de bois avaient été dressées. Tous les princes du sang,
Gaston d’Orléans, Condé, Conti, les membres du Conseil, dont Mazarin, les
grands officiers de la Couronne, étaient présents… Le Parlement au
complet en robe rouge, les autres cours souveraines, les ambassadeurs et
une multitude de seigneurs assistaient à la cérémonie que présidait
Alphonse de Richelieu, grand aumônier de France, assisté des évêques de
Marseille, Bazas, Amiens et Saint-Brieuc. Seuls la reine régente et le
nouveau roi, respectant l’usage interdisant à un souverain en exercice
d’assister aux funérailles de son prédécesseur, étaient absents. Dehors, les
aumôniers du roi distribuèrent quelques pièces d’argent aux pauvres qui le
matin avaient reçu une paire de bas et de souliers. L’oraison funèbre fut
prononcée par Mgr Jean de Ligendes, évêque de Sarlat. Elle était bâtie en
forme de panégyrique et d’édification, comme le seront, dans un esprit de
« surenchère messianique34 », les quelque 43 ou 44 autres prononcées dans
toute la France. La sainte mort de Louis le Juste, ce héros digne successeur
de Louis IX, était offerte en modèle aux chrétiens, à l’image du Christ
souffrant jusqu’au bout sa Passion. Ces louanges d’un homme qui avait
voulu mourir dans le dépouillement et l’humilité la plus totale ne servaient
pas seulement à l’édification de ses sujets, elles venaient paradoxalement
renforcer la religion monarchique. Ce fut, comme le dit Françoise
Hildesheimer, « l’ultime contribution de Louis XIII à l’affirmation de l’Etat
royal », mais une contribution involontaire35.
Après le chant du De Profundis, le cercueil, précédé des officiants et
des aumôniers du roi, fut porté avec lenteur et solennité jusqu’au lieu de la
sépulture, dans la crypte. Alors le roi d’armes enleva son chaperon et sa
cotte et les jeta dans le caveau. S’avançant vers la chapelle ardente, il cria
d’une voix forte : « Hérauts d’armes de France, venez faire vos offices ! »
Ceux-ci, à leur tour, se dépouillèrent de leur chaperon et de leur cotte et les
firent tomber sur la bière. L’un d’eux descendit dans la fosse, afin de ranger
ces vêtements et les trophées qui allaient les rejoindre. « M. de Bouillon, fit
ensuite le roi d’armes, apportez l’enseigne des Cent-Suisses de la garde,
dont vous avez la charge. » L’enseigne fut précipitée dans la fosse béante.
« – M. de Bazoches, lieutenant des gardes du roi, en l’absence de votre
enseigne, apportez l’enseigne à M. le comte de Charost, votre capitaine et
celui des cent archers de la garde, dont il a la charge. »
« – M. de Balloy, donnez l’enseigne à M. de Rebais, lieutenant, pour la
porter, en l’absence de M. de Villequier, capitaine des cent archers de la
garde, dont il a la charge. »
« – M. d’Ivoy, en l’absence de M. le comte de Tresmes, apportez
l’enseigne des cent archers de la garde, dont il a la charge. »
« – M. Céton, en l’absence de M. de Champdenier, apportez l’enseigne
des cent archers de la garde, dont il a la charge… »
Ainsi se poursuivit la litanie des serviteurs de la maison du roi qui, à
l’appel de leur nom, émus jusqu’aux larmes, se débarrassaient des symboles
de leur pouvoir. Puis ce furent les insignes royaux portés par des écuyers
qui tombèrent un à un : les éperons, les gantelets, l’écu, la cotte d’armes, le
heaume timbré à la royale, le pennon, l’épée. Enfin, les maîtres d’hôtel
jetèrent leurs bâtons brisés couverts de crêpe. Tel était le saisissant rituel
des funérailles des rois capétiens, à la pompe majestueuse et à la poignante
grandeur que l’ancienne France savait donner aux cérémonies les plus
solennelles.
« Le roi est mort ! » s’exclama le duc de La Trémoille, faisant office de
grand maître de France à la place du prince de Condé. Le roi d’armes se
tourna vers l’assistance. « Le roi est mort ! répéta-t-il par trois fois d’une
voix forte. Prions tous Dieu pour le repos de son âme. » Après quelques
instants de silence, pendant que se mourait l’écho de ces paroles sous les
voûtes ombreuses de la basilique, le duc de La Trémoille lança un « Vive le
roi ! » Le roi d’armes reprit : « Vive le roi ! Vive le roi ! Vive le roi Louis
quatorzième du nom, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, très
chrétien, très auguste, très puissant, notre très honoré seigneur et bon maître
à qui Dieu donne de très bonne et très heureuse vie. Crions tous : Vive le
roi, vive le roi, vive le roi ! » Alors, tandis que l’assistance reprenait ces
acclamations et qu’au bas de la nef éclatait la fanfare joyeuse des
trompettes, fifres et tambours, le grand Chambellan lentement releva la
bannière de France.

*1. Pages 897-899.


Conclusion

Il est malaisé de dresser un bilan de ce règne de trente-trois ans,


interrompu par la mort prématurée du roi. La France va se trouver plongée
dans une nouvelle régence, fragilisée par de nouvelles révoltes. Le même
sentiment d’inachèvement se retrouve sur le théâtre extérieur, avec la guerre
qui se terminera en 1648 aux traités de Westphalie, pour l’Empereur et
l’empire, et en 1659 au traité des Pyrénées pour l’Espagne. La situation
aurait été tout autre si Louis XIII, au lieu de disparaître à quarante-deux ans,
avait pu atteindre la soixantaine.
Un fait est indiscutable, le roi a eu la chance de rencontrer un homme
d’exception, Richelieu, énergique et de bon conseil, mettant son intelligence
et son ardeur à son service, l’aidant à révéler ce qui était latent mais confus
en lui. Si l’on passe sur ses faiblesses et ses erreurs, et sans en faire un
demi-dieu, on reconnaîtra que le cardinal a mené une entreprise immense. Il
a fait de Louis XIII « l’un des plus grands monarques du monde » (Mme de
Motteville) et mis « la France au plus haut point de grandeur où elle eût été
depuis Charlemagne » (Montglat).
Mais qu’aurait-il été sans lui ? Sans ce roi tragique, sans sa passion de
la grandeur et de l’indépendance, sans sa volonté de surmonter ses
ressentiments, y aurait-il eu un Richelieu ? Le souverain a admis sa
complémentarité, accepté – lui si susceptible, si jaloux de son autorité –
cette étrange cohabitation avec l’un de ses sujets. Ce ne fut pas un chemin
parsemé de roses. Sans Richelieu, pas de Louis XIII, mais sans Louis XIII,
pas de Richelieu ! Leur œuvre fut commune. A eux deux, ils ont porté l’Etat
à bout de bras jusque dans la maladie et la souffrance partagée. Ils ont été
les maîtres artisans d’une monarchie renouvelée, plus solide, plus
centralisée. Ils laissent une œuvre immense.
A la mort du roi, les menaces extérieures se sont affaiblies. La France a
su préserver son indépendance face à la menace d’absorption dans une
entité habsbourgeoise. L’étau de la maison d’Autriche s’est desserré.
L’Allemagne est ravagée, réduite à l’impuissance pour près d’un demi-
siècle, l’Espagne est à genoux, avant d’être à terre quinze ans plus tard.
Sans doute, les frontières du royaume, reconnues par des traités
internationaux, n’ont-elles pas varié depuis 1601, date de l’incorporation de
la Bresse, du Bugey et du pays de Gex, mais la France a récupéré de facto
des provinces essentielles pour sa sécurité, l’Artois, une partie de la Flandre
wallonne, le Roussillon, et s’est avancée en Lorraine et en Alsace.
A l’intérieur, l’autorité royale s’est progressivement imposée contre les
Grands, les protestants, les terribles fauteurs de troubles de la famille
royale, la reine mère et Gaston en tête. L’unification du royaume n’a jamais
été si poussée, l’autorité royale si affirmée. Comme le dira Nicolas de
Grillé, évêque d’Uzès, dans son oraison funèbre, « soixante-trois rois l’ont
devancé dans son empire, mais lui seul l’a rendu absolu ».
L’« absolutisme », aujourd’hui, a mauvaise presse : ne le jugeons pas
cependant à l’aune de nos critères, en partant d’une France uniformisée par
la table rase révolutionnaire. Un pouvoir fort était à l’époque une nécessité
absolue, face à l’extrême diversité de la société et à la menace constante de
chaos et d’émiettement féodal. Gardons-nous aussi des jugements moraux
rétrospectifs, fondés sur une échelle de valeurs qui n’était pas celle de
l’époque. En cette période dure, sombre, tragique, dominée par la misère,
les mœurs sont peu portées à la douceur. Si l’on veut apprécier
équitablement le règne, il faut en tenir compte.
Or, ce règne est capital. C’est une transition entre un monde qui
disparaît irrémédiablement et l’Etat moderne émergent. Louis XIII est ainsi
le dernier grand roi de guerre à la manière médiévale, partageant la rude vie
du soldat et des camps. La montée de la monarchie administrative
empêchera ses successeurs de jouer ce rôle chevaleresque. Louis XIV et
Louis XV ne seront plus que des rois de parade, ce qui n’enlève rien à leur
courage personnel ; quant à Louis XVI, élevé dans l’ignorance du fait
militaire, il n’aura aucune compétence en la matière, hormis le domaine
naval.
Plus que les traités théoriques, comme ceux de Loyseau ou de Cardin
Le Bret, la présence du roi dans les provinces, « image vivante de Dieu », a
conduit à l’affirmation toujours croissante de l’autorité monarchique. Le
polymorphisme de l’image royale – le Très-Chrétien, l’Oint du Seigneur, le
thaumaturge, le roi de justice, père de ses peuples, le guerrier, le suzerain,
chef de la hiérarchie féodale – n’a nullement nui, bien au contraire, à
l’affermissement de son pouvoir.
C’est l’époque où la monarchie se met à mieux organiser son système
d’information et de communication, à multiplier les discours laudatifs, les
entrées royales dans les villes, les Te Deum célébrant les victoires, les récits
de bataille publiés par la Gazette. Même le vœu du roi à la Vierge a joué un
rôle intégrateur non négligeable. Pour justifier les exigences fiscales de plus
en plus pressantes, elle s’est servie – on ne le souligne pas suffisamment –
du relais très efficace des noblesses et des élites locales. En achetant des
offices, en prêtant des fonds, en participant aux lucratives « affaires du
roi », celles-ci ont vu là un moyen d’enrichissement et de promotion,
cristallisant leurs ambitions et modifiant insidieusement les hiérarchies et
les représentations sociales. Par la multiplication de ces charges, la
monarchie s’est ainsi nourrie de la mobilité sociale, devenant même le fer
de lance de la transformation du pays, ce qui ne l’a pas empêchée, par une
contradiction inhérente à sa nature, d’augmenter le nombre des
commissaires et d’institutionnaliser les intendants, dont le pouvoir à la fin
du règne est entré en rivalité avec les titulaires d’offices.
Le roi a fait de rudes guerres aux protestants. Il s’est emparé – avec
quelle détermination ! – de leur place principale, l’indomptable La
Rochelle. Il les a combattus en tant qu’ennemis de l’Etat, non pour leurs
convictions religieuses, se montrant toujours respectueux de leur liberté de
conscience, refusant de se lancer dans une croisade de catholicisation
forcée, comme l’a fait Ferdinand II de Habsbourg après la Montagne
Blanche. La paix d’Alès clôt le cycle des guerres de Religion. Louis a été
de ce point de vue un pacificateur, se gardant bien de l’erreur que
commettra son fils en révoquant l’édit de Nantes en 1685.
A côté de l’actif, reconnaissons-le, lourd est le passif, lourde la rançon
de la grandeur : la détresse des provinces, les horreurs de la famine, la
destruction des circuits économiques. La France de 1643 est sans aucun
doute dans un état plus pitoyable qu’en 1610, alors qu’elle se remettait
lentement des désordres de la fin du XVIe siècle. L’agriculture, le commerce
périclitent ; la misère surgit où on ne l’attendait pas et il aurait fallu
d’innombrables Monsieur Vincent pour la soulager. Toutes les forces vives
du pays sont absorbées par la guerre comme par la vertigineuse spirale
d’une tornade. Courant après des dépenses en croissance exponentielle, la
fiscalité ne vit que d’artifices et d’expédients, dont profite une caste exécrée
de publicains. Les réformes promises, comme la suppression de la vénalité
des offices, sont impossibles. Cette incapacité de la monarchie à maîtriser
l’évolution sociale sera à terme l’une des causes de la Révolution.
Obéissant à des dynamiques propres, le renforcement de l’autorité
centrale, la poussée de l’Etat, l’émergence de ce nouveau et tentaculaire
Léviathan dont allait bientôt parler l’Anglais Thomas Hobbes étaient sans
doute indispensables, mais ils sont à l’époque sources d’un profond
malaise, plus encore de déséquilibres ravageurs. Pétrie d’archaïsmes, la
France provinciale s’oppose dans la souffrance à cette réduction à
l’obéissance. Police, censure, surveillance administrative, encadrement
militaire, soldats traversant les villages, prolifération des agents royaux,
huissiers saisissant les biens des récalcitrants, vagabonds mis au pas, tout
venait perturber les usages, les solidarités anciennes. L’opinion éclairée
souffrait des embastillements et de la chape de plomb imposée par
Richelieu. L’absolutisme sera le règne de la soumission. Tableau sombre,
parfois désespérant.
Cela dit, la France reste dans ses profondeurs un pays riche, travailleur,
productif. Sa puissance paysanne et terrienne est considérable, comme ses
capacités de rebond. Elle ne tire pas son salut, telle la stérile Espagne, du
retour des galions d’Amérique chargés d’or et d’argent. Les populations,
choquées par les « novelletés », ne mesurent sans doute pas à leur juste
valeur les bienfaits d’un Etat tutélaire. A la même époque, le tragique
effondrement démographique entre Oder et Vosges vient en grande partie de
l’absence d’Etat et de la sous-administration locale et impériale. En France,
malgré les souffrances de la guerre, se sont affirmés une opinion nationale,
un sentiment patriotique profond. En soi, c’est une force d’avenir.
Ingratitude du destin ! Louis XIII et Richelieu ont semé, mais rien
récolté, sinon troubles et misères. Ils sont morts au milieu du gué, avant
d’avoir atteint leurs objectifs, en politique étrangère comme en politique
intérieure. De la couronne de gloire, Louis n’aura vu que les épines, et, à
quelques heures près, sur son lit d’agonisant, il ne lui sera même pas donné
d’apprendre la victoire décisive de Rocroi !
Tous deux ont été simplement des précurseurs. Louis XIV n’a pas voulu
le reconnaître, mais il a eu la chance d’avoir un tel père. Son règne, en effet,
ne peut vraiment se comprendre sans le sien. Tout était en place pour
l’épanouissement de la monarchie absolue, y compris les grands outils de
l’Etat, l’armée, la marine, la diplomatie, le renseignement, sans compter les
arts et les lettres en plein bouillonnement créatif. Louis Dieudonné,
achevant dans la plénitude l’œuvre de son père, a apporté la pièce
manquante que la personnalité timide et effacée de ce dernier n’osait poser
sur l’échiquier royal : la théâtralisation du pouvoir, la mise en scène de son
propre personnage, la volonté de vivre en représentation. Le reste, tout le
reste était déjà présent, le système allégorique, l’exaltation du soleil royal,
même Versailles, comme une fleur prête à s’épanouir. Faut-il dire que
Louis XIV a volé à son prédécesseur sa réputation et sa gloire ? Certes, non,
mais il les a involontairement et injustement éclipsées.
Sur la personnalité même du monarque, on a vu combien était fausse
l’imagerie traditionnelle. Les clichés historiographiques ont la vie dure. Ils
se prolongent jusqu’à nos jours, occultant le vrai visage de ce fondateur de
l’unité française. On déplorera à cet égard l’indigence de certains manuels.
Rien sur sa sensibilité d’artiste, son fol amour de la musique, son
intelligence droite et franche, sa pétulance naturelle, déjà perceptible en son
jeune âge, son courage à la guerre, son goût de l’honneur et du panache, ses
audaces, ses coups d’éclat, sa fermeté impétueuse, son dévouement sans
répit pour son royaume, son sens inné de la majesté et de la dignité royale,
sa jalousie aiguë de la grandeur, son âpre passion pour la gloire de la
France ! Comment ne pas comprendre que ce n’est pas parce que Louis a
fait le choix d’un ministre d’une envergure exceptionnelle qu’il a renoncé à
gouverner et à être pleinement roi ! Comment ne pas voir que, s’il met tout
le poids de son autorité au service de cet homme, c’est lui qui, en dernier
ressort, tranche et décide – et avec quelle brutalité parfois ! – au nom du
bien commun qu’il incarne ! Revers de la médaille, il n’a pas eu que des
qualités royales. Mesquin, vétilleux, tatillon, trop soupçonneux, il manque
de largeur de vues. Ses rapports avec ses favoris et confidentes sont d’une
puérilité confondante, qui plonge peut-être ses racines dans les complexes
de la petite enfance. Mais l’homme s’efface toujours devant le souverain. Il
fait son devoir d’état sans faiblesse, sans pourtant rechercher de
glorification personnelle, contrairement à Marie de Médicis, à Richelieu et
à Louis XIV.
Que l’on ait pu être roi et malheureux, Louis XIII en est assurément le
meilleur exemple. Sur son berceau doré de Fontainebleau, les fées ne se
sont guère penchées, et les astrologues cherchent encore sa bonne étoile ! A
quelque instant que l’on se place dans sa vie relativement brève, on bute sur
le tragique. Voici un enfant exubérant, joyeux, qui adore son père : le
couteau de Ravaillac se charge de briser net ce fragile bonheur, le sevrant
d’une vie familiale à un âge où il commençait à s’ouvrir au monde.
Traumatisme irréparable ! Sa mère cherche-t-elle à compenser l’immensité
de cette perte ? Nullement. Elle ne l’aime pas, ne l’aimera jamais, lui
préférant ostensiblement son cadet, plus gai, plus séduisant. Le prépare-t-
elle en tant que régente à son métier de roi ? Pas même. Elle ne songe qu’à
le tenir à l’écart, afin d’assouvir le plus longtemps possible sa passion du
pouvoir, son goût du luxe et du paraître. Elle n’attend que sa mort qui lui a
été maintes fois prédite. Ainsi, la jeunesse de cet infortuné est-elle
empoisonnée par leurs relations tumultueuses. Orphelin de père, frustré
d’une mère aimante, rencontre-t-il l’amitié fraternelle ? Pas plus. Gaston,
prince de l’inconséquence, mal entouré, mal conseillé, ne cesse de conspirer
contre lui, guettant sa disparition pour prendre sa place. Ses frères naturels
l’envient, le haïssent, se jettent dans les complots. L’entourage international
n’est guère plus encourageant. Lui, toujours droit et honnête, attaché à la
parole donnée et au sens de l’honneur, a pour voisins des souverains
fourbes, profondément déloyaux comme Charles IV de Lorraine ou Charles
Emmanuel de Savoie, ou des ministres sournois comme Buckingham ou
Olivares.
Son mariage ne lui octroie aucun bonheur. Sa nuit de noces est un
échec. Anne est légère, intrigante. Elle ne l’aime pas. Il sait qu’elle conspire
contre lui avec Mme de Chevreuse, le « démon ». Les crises conjugales se
succèdent. Il faudra attendre son lit de mort, pour que, touchée enfin par la
grâce du « miracle capétien », Anne devienne une femme énergique, bien
différente de sa belle-mère, une régente exceptionnelle, déterminée à se
battre contre son pays d’origine pour affermir la couronne sur la tête de son
fils. Elle reprendra alors l’œuvre de son mari, servant de pivot entre les
deux règnes. Lui n’aura connu qu’une épouse égoïste et ingrate, pleurant
ses victoires et prenant le parti de ses ennemis ! Si encore elle lui avait
donné un fils, sur qui reporter ses affections et ses espoirs ! Il dut attendre
vingt-trois longues années cette joie, vivant cette absence comme une
malédiction.
Eprouvé par la solitude, il ne pouvait même pas compter sur ses propres
forces qui constamment le trahissaient. Quelle énergie lui a-t-elle été
nécessaire pour supporter la douleur, tenir sur ses épaules, seul contre tous,
le poids du destin ! Roi valétudinaire, miné par une éprouvante maladie
intestinale, ruiné par les purges et les saignées répétées d’archiatres
incompétents, il a frôlé la mort à plusieurs reprises. Il avait de plus ce
bégaiement handicapant, l’obligeant à se taire souvent, à se refermer
comme une huître. Il faut avoir à l’esprit ses angoisses, ses malheurs
physiques pour comprendre ce taciturne dépressif, souvent indéchiffrable, et
se garder de le juger péremptoirement. « Cette âme, écrit Mme de
Motteville, accoutumée à l’amertume, n’avait de la tendresse que pour
sentir davantage ses peines et ses douleurs. » La dame d’honneur de la reine
pointe l’un de ses grands défauts lorsqu’elle écrit qu’« il ne s’aimait pas lui-
même ».
Ne lui restaient que l’âpre courage de la lutte et la pleine conscience de
son statut unique, de son éminente dignité, y joignant le sentiment profond
d’être élu de Dieu. Il a fait corps avec sa fonction. Homme fragile, diminué,
inquiet, neurasthénique, tourmenté, mais homme debout, jamais
démissionnaire, constamment attaché à faire prévaloir sur ses désirs et ses
inclinations le service de son royaume, la construction de son Etat,
reléguant au second plan ses sentiments, ses penchants, sa piété filiale, son
engagement conjugal. Il a tout sacrifié à la France, conçue non pas tant
comme une entité temporelle que comme une personne morale et
spirituelle. Lui aussi a eu « une certaine idée de la France », telle « la
princesse des contes ou la madone aux fresques des murs ». Il s’est donné à
son royaume, comme il a donné son royaume à Marie. Il l’a épousé
mystiquement.
Mais, en définitive, ce qui fait la grandeur de Louis XIII, ce n’est pas
tant son obsession de l’Etat, son amour de la majesté, son désir exacerbé de
construire la France, de l’asseoir dans le concert européen, que son côté
humain – oui, humain –, sa lucidité devant ses propres faiblesses, ses
remords, ses hésitations devant la gravité des décisions à prendre. On met
souvent en avant son rigorisme, son intransigeance, sa raideur native, mais
on ne souligne pas assez qu’il est aussi un roi qui pardonne et
généreusement, à condition qu’on le lui demande : sa mère, son frère, sa
femme, le duc de Lorraine en sont témoins. Il souffre de la misère de son
peuple. Non, il n’a rien d’un cœur de pierre, inaccessible à la pitié ! Au
contraire, il est vulnérable, mais il sait se dominer, se ressaisir, laissant
finalement parler le devoir – si cruel soit-il – plutôt que les impulsions du
cœur. Il admet qu’une fois la guerre décidée, on ne peut s’arrêter en chemin.
Une paix honorable est à ce prix. Il comprend aussi que, devant les Grands,
il serait suicidaire de se laisser fléchir et de baisser la garde. Au moment de
la condamnation de Montmorency, sa conscience est déchirée, mais la
décision s’impose. Aux solliciteurs implorant sa grâce, il laissera tomber
cette phrase qui résume peut-être mieux que tout l’héroïsme cornélien de sa
vie, ce combat émouvant et pathétique à vouloir se hisser au niveau du
modèle idéal qu’il s’était forgé : « Je ne serais pas roi si j’avais les
sentiments des particuliers ! » Et roi, c’est rendre à Louis le Juste le plus bel
hommage que de reconnaître qu’il l’a été pleinement jusqu’à la fin.
Notes

Abréviations

A.A.E. Archives des Affaires étrangères


A.N. Archives nationales
BnF Bibliothèque nationale de France
Mss Manuscrits
Fr. Français
N.A.F. Nouvelles acquisitions françaises
Vol. Volume

XIII. La crise de Mantoue


1. Romolo QUAZZA, La guerra per la successione di Mantova e del Monferrato (1628-1631),
2 vol., Mantoue, G. Mondovi, 1926.

2. BnF, Mss, Fr. 4705, ff° 25-30.

3. Emile BAUDSON, op. cit.

4. John H. ELLIOTT, Olivares (1587-1645). L’Espagne de Philippe IV, Paris, R. Laffont, 1992,
p. 398.

5. GRILLON, t. IV, p. 25.

6. Vittorio SIRI, Anecdotes du ministère du cardinal de Richelieu, Amsterdam, 1717, t. I,


p. 191.
7. Ibid., p. 410.

8. Voir l’appel pressant de Charles de Gonzague à Louis XIII du 4 octobre 1628, BnF, Mss, Fr.
3675, ff° 27-34.

9. François de Paule de Clermont, marquis DE MONTGLAT, Mémoires contenant l’histoire de


la guerre entre la France et l’Autriche…, nouvelle coll. des mémoires pour servir à l’histoire de
France, Michaud et Poujoulat, Paris, éd. du commentaire analytique du Code civil, 1838, p. 18.

10. Georges PAGÈS, « Autour du grand orage ; Richelieu et Marillac, deux politiques », Revue
historique, no 179, 1937, pp. 79-80.

11. BnF, Mss, Fr. 3675, f° 32 et suiv.

12. M. A. BAZIN, op. cit.

13. Journal de Bassompierre, t. VI, p. 6.

14. Charles BERNARD, op. cit., pp. 150 et suiv.

15. Paul-M. BONDOIS, Le Maréchal de Bassompierre, Paris, Albin Michel, 1925, p. 354.

16. SAINT-SIMON, Mémoires, éd. Boislile, Paris, Hachette, 1879, t. I, p. 173.

17. Jean de JAURGAIN, Troisvilles, d’Artagnan et les trois mousquetaires, études


biographiques et héraldiques, Paris, Champion, 1910, pp. 27-28.

18. Castelli e fortezze della Valle di Susa, Cahier Museomontagna, no 26, p. 63.

19. Charles BERNARD, op. cit., p. 155.

20. RICHELIEU, Mémoires, op. cit., Michaud et Poujoulat, 1837, t. VII, p. 614.

21. GRILLON, t. IV, p. 342, note 2.

22. Ibid., p. 351.

23. Ibid., pp. 560-561.

24. Cité par Louis BATIFFOL, Richelieu et le roi Louis XIII, op. cit., p. 209.

25. Matthieu de MORGUES, La Vérité défendue, ensemble quelques observations sur la


conduite du cardinal de Richelieu, s. l., 1635, pp. 41-47.

26. Michel CARMONA, Richelieu…, op. cit., Paris, Fayard, 1983, p. 490.

XIV. Entre guerre et diplomatie


1. John H. ELLIOTT, op. cit., pp. 441-442.
2. Pierre CHEVALLIER, op. cit., p. 364.

3. GRILLON, t. IV, pp. 729-735.

4. Giovanni VISENTIN, Pinerolo, tra cronica e storia, Pinerolo, Alzani, 1996, pp. 95 et suiv.

5. Klaus MALETTKE, Les Relations entre la France et le Saint-Empire au XVIIe siècle, Paris,
H. Champion, 2001, pp. 90 et suiv.

6. AVENEL, t. III, pp. 663 et suiv.

7. Georges PAGÈS, « Autour du grand orage. Richelieu et Marillac : deux politiques », Revue
historique, t. 179, janv.-juin 1937, pp. 63-97.

8. Roland MOUSNIER, La Plume, la Faucille et le Marteau, Paris, PUF, 1970, pp. 335-368.

9. René PILLORGET, Les Mouvements insurrectionnels de Provence entre 1594 et 1715, Paris,
A. Pedone, 1975, pp. 334-354.

10. Boris PORCHNEV, Les Soulèvements populaires en France de 1623 à 1648, Paris,
SEVPEN, 1963.

11. Charles DUFAYARD, Histoire de Savoie, Paris, Boivin, 1914, p. 176.

12. Archives des Affaires étrangères, Mémoires et documents, France, vol. 795 bis, f° 290.

13. Emile BAUDSON, op. cit., pp. 298-299.

14. Jacques HUMBERT, Les Français en Savoie sous Louis XIII, Paris, Hachette, 1960, p. 77.

15. Cité par Pierre CHEVALLIER, op. cit., p. 369.

16. R. ALLIER, La Cabale des dévots, 1627-1666, Paris, A. Colin, 1902 ; Alain TALLON, La
Compagnie du Saint-Sacrement, Paris, Cerf, 1990.

17. Paul-M. BONDOIS, L’Affaire du Val-de-Grâce, Paris, Bibl. de l’Ecole des chartes, 1922,
pp. 45 et suiv.

18. GRILLON, t. V, p. 585.

19. FONTENAY-MAREUIL, op. cit., p. 229.

20. Victor-Lucien TAPIÉ, Baroque et Classicisme, Paris, Plon, 1957, pp. 276-278.

21. Georges DETHAN, « Le Père Joseph et Mazarin », Revue de Paris, no 89, 1968, pp. 23-30.

22. G. FAGNIEZ, « La mission du père Joseph à Ratisbonne », Revue historique, t. 28, 1885,
pp. 33-89 ; Benoist PIERRE, op. cit., pp. 233-241.

23. AVENEL, t. VII, pp. 960-964.


24. Ibid., t. VII, pp. 966-967.

25. Madeleine HAEL, Les Affaires étrangères au temps de Richelieu. Le secrétariat d’Etat, les
agents diplomatiques (1624-1642), Paris, Bruxelles, Berne, Berlin, PIE-Peter Lang, 2006, p. 55.

26. Maréchal DU PLESSIS, Mémoires, coll. des mémoires relatifs à l’histoire de France, éd.
Petitot, Paris, Foucault, 1827, t. 57, p. 160.

27. Lettre du 29 mars 1638, publiée par Georges DETHAN, Mazarin et ses amis, étude sur la
jeunesse du cardinal, suivie d’un choix de lettres inédites, Paris, Berger-Levrault, 1968, p. 264.

XV. Le « grand orage de la Cour »


1. VALDORI, Anecdotes du ministère du cardinal de Richelieu, Amsterdam, 1717, t. I, pp. 237-
245.

2. Texte publié par la Revue des Deux Mondes du 15 novembre 1834 et reproduit en
appendice IV du tome I de l’édition Boislile des Mémoires, Paris, Hachette, 1879 (pp. 496-502).

3. Louis BATIFFOL, Richelieu et le roi Louis XIII, op. cit., pp. 269-270.

4. Pierre CHEVALLIER, op. cit., pp. 379 et suiv. Voir également du même : « La véritable
journée des Dupes (11 novembre 1630). Etude critique des journées des 10 et 11 novembre 1630
d’après les dépêches diplomatiques », Mémoires de la Société académique de l’Aube, CVIII, 1974-
1977, 63 p.

5. Robert ARNAULD D’ANDILLY, Journal inédit, 1620-1632, op. cit., t. X. L’original se


trouve à la bibliothèque de l’Arsenal, Mss 5185.

6. Mme DE MOTTEVILLE, op. cit., t. I, pp. 43-46.

7. FONTENAY-MAREUIL, op. cit., pp. 228-231. Voir également une lettre du père Joseph du
4 novembre (Louis BATTIFOL, Richelieu et le roi Louis XIII…, op. cit., pp. 261-262).

8. Louis BATTIFOL, op. cit., p. 267.

9. LOMÉNIE DE BRIENNE, op. cit., p. 52.

10. SAINT-SIMON, Mémoires, op. cit., t. I, pp. 497-498.

11. Ibid., p. 498.

12. Ibid., p. 498-499.

13. Pierre CHEVALLIER, op. cit., p. 384.

14. RICHELIEU, Mémoires, op. cit., p. 308.

15. La Zoccoli sera d’ailleurs congédiée par Marie de Médicis le lendemain ou le surlendemain.
16. Pierre CHEVALLIER, op. cit., p. 387.

17. C’est ce que précisent les envoyés anglais dans leur relation du 12 novembre (Pierre
CHEVALLIER, op. cit., p. 388).

18. Françoise HILDESHEIMER, op. cit., p. 232.

19. Selon les résidents anglais à Paris, ce serait Richelieu qui aurait quitté le premier le cabinet
de la reine mère (Pierre CHEVALLIER, op. cit., p. 389). Toujours est-il que le résultat fut le même :
à l’issue de l’entretien, le roi et le cardinal n’eurent pas le temps de se concerter.

20. Marquis DE MONTGLAT, op. cit., p. 21.

21. Selon Nicolas Lefèvre de Lézeau (Mémoires sur la vie de Michel de Marillac, garde des
Sceaux de France, BnF, Mss, N.A.F., 82-83), Châteauneuf lui tint à peu près le même discours. Le
récit est un peu confus, mais Lefèvre de Lézeau disait le tenir de Châteauneuf lui-même (« M. de
Châteauneuf me le raconta à Montrouge, à son retour d’Angoulême… »).

22. Selon la version de Saint-Simon, qui n’est pas à rejeter a priori, Tourville arriva au Petit-
Luxembourg quand le cardinal de La Valette s’y trouvait : « A la mention d’un gentilhomme de la
part de mon père, les portes du cardinal tombèrent, quelque barricadées qu’elles fussent. Le cardinal,
assis en tête à tête avec le cardinal de La Valette, se leva avec émotion dès qu’on le lui annonça et
alla quelques pas au-devant de lui, écouta le compliment et, transporté de joie, il embrassa Tourville
des deux côtés. Il fut le jour même à Versailles… » (SAINT-SIMON, Mémoires, op. cit., t. I, p. 502).

23. TALLEMANT DES RÉAUX, op. cit., t. I, p. 388.

24. Louis BATIFFOL, Richelieu et le roi Louis XIII…, op. cit., p. 273.

25. VALDORI, op. cit., t. I, pp. 237-245.

26. Georges MONGRÉDIEN, La Journée des Dupes, Paris, Gallimard, 1961, pp. 219-222, et
S.-M. MORGAIN, « La disgrâce de Michel de Marillac. Edition critique du Papier envoyé de Lisieux
à la Révérende Mère Madeleine de Saint-Joseph, du 26 décembre 1630 », Histoire et Archives, no 7,
janv.-juin 2000, pp. 49-79.

27. LEFÈVRE DE LÉZEAU, op. cit., BnF, Mss, Fr. 14027 et N.A.F., 82-83.

28. AVENEL, op. cit., t. IV, p. 3.

29. PUYSÉGUR, Mémoires, Paris, Morel, 1690, t. I, pp. 98-103.

30. Pierre DE VAISSIÈRE, Un grand procès sous Richelieu : l’affaire du maréchal de


Marillac, 1630-1632, Paris, Perrin, 1924, pp. 83-84.

31. AVENEL, t. IV, pp. 11-12.

32. GRILLON, t. VI, pp. 62-68.

33. Ibid., pp. 200-207.


34. Ibid., pp. 395-411.

35. Lucien BÉLY, Jean BÉRENGER, André CORVISIER, Guerre et paix dans l’Europe du
XVIIe siècle, t. I, Paris, SEDES, 1991, p. 164.

36. A.N. 273 AP 178.

37. Jean BÉRENGER, Turenne, Paris, Fayard, 1987, p. 96.

XVI. Le roi, la Cour et la société


1. TALLEMANT DES RÉAUX, op. cit., t. II, p. 92.

2. Dépêche du nonce Corsini du 7 mars 1622, A.N., L 397, fol. 336 v°.

3. Archives curieuses de l’histoire de France, Cimber et Danjou, 2e série, t. V, p. 63.

4. Tallemant DES RÉAUX, op. cit., t. II, p. 77.

5. Louis BATIFFOL, Le Louvre sous Henri IV et Louis XIII. La vie de la Cour de France au
e
XVII siècle, Paris, Calmann-Lévy, 1930, chap. IV.

6. Pour d’autres auteurs, la chanson aurait été composée pour Anne d’Autriche du temps de leur
lune de miel.

7. Jean-Claude LE GUILLOU, « Le jeu de paume de Louis XIII à Versailles », Versalia, no 9,


2006, pp. 130-141.

8. Pierre VERLET, Le Château de Versailles, Paris, Fayard, 1985, pp. 18-23, et surtout Jean-
Claude LE GUILLOU, « Le domaine de Louis XIII à Versailles », Versalia, no 3, 2000, pp. 86-111.

9. BnF, Mss, Fr. 7854, 7856, Clairambault, vol. 72 ; Etat de la maison du roi Louis XIII, de celle
de sa mère, Marie de Médicis ; de ses sœurs, Chrestienne, Elisabeth et Henriette de France ; de son
frère, Gaston d’Orléans, de sa femme, Anne d’Autriche ; de ses fils, le dauphin (Louis XIV) et
Philippe d’Orléans, comprenant les années de 1601 à 1665, éd. Eugène GRISELLE, éd. du
Document d’histoire, 1912.

10. Jean-François SOLNON, La Cour de France, Paris, Fayard, 1987, p. 136.

11. Cité par Louis BATIFFOL, Richelieu et le roi Louis XIII, op. cit., p. 80.

12. François BOUCHER, Histoire du costume en Occident, Paris, Flammarion, 1996, p. 458.

13. Journées Louis XIII musicien et les musiciens de Louis XIII, sous la dir. de Georgie Durosoir
et Thomas Leconte, Paris, CMBV, 2003 ; Regards sur la musique au temps de Louis XIII, textes
réunis sous la direction de Jean Duron, CMBV, Wavre, Mardaga, 2007.
14. Albert BABEAU, « Un maître de chapelle sous Louis XIII : Etienne Bergerat », Annuaire
administratif, statistique et commercial du département de l’Aube, 1890, t. 64, pp. 35-64.

15. Michel LE MOËL, « La chapelle de musique sous Henri IV et Louis XIII », Recherches sur
la musique française classique, Paris, A. et J. Picard, 1966, t. VI, pp. 5-26.

16. Georgie DUROSOIR, L’Air de cour en France, 1571-1655, Liège, P. Mardaga, 1991.

17. Mlle DE MONTPENSIER, Mémoires, éd. Chéruel, t. I, Paris, Charpentier, 1858, pp. 40 et
74.

18. Marie-Françoise CHRISTOUT, Le Ballet de cour au XVIIe siècle, Genève, Minkoff, 1987 ;
Georgie DUROSOIR, Les Ballets de la cour de France ou les fantaisies et les splendeurs du
baroque, Genève, éd. Papillon, 2004.

19. Roland MOUSNIER, Paris, capitale au temps de Richelieu et de Mazarin, Paris, A. Pedone,
1978 ; René PILLORGET, Paris sous les premiers Bourbons, Paris, Association pour la publication
d’une histoire de Paris, 1988 ; Orest RANUM, Paris in the Age of Absolutism, an Essay, 2e éd.,
Univ. Park, Pennsylvania Univ. Press, 2002. Dès 1637, le registre des boues faisait état d’un peu plus
de 20 000 maisons, soit 412 000 à 415 000 habitants.

20. Cité par René et Suzanne PILLORGET, France baroque, France classique. Récit, op. cit.,
p. 610.

21. Jean-Pierre BABELON, Demeures parisiennes sous Henri IV et Louis XIII, Paris, éd. Le
Temps, 1965.

22. Louis BATIFFOL, Le Louvre sous Henri IV et Louis XIII, op. cit. ; Georges POISSON,
Histoire de l’architecture à Paris, Association pour la publication d’une histoire de Paris, 1997,
pp. 107-108 ; Michel CARMONA, Le Louvre et les Tuileries, huit siècles d’histoire, La Martinière,
Paris, 2004, pp. 109-146.

23. Marc FUMAROLI, L’Age de l’éloquence. Rhétorique et « res litteraria » de la Renaissance


au seuil de l’époque classique, Genève, Paris, Droz, H. Champion, 1980, pp. 530 et suiv.

24. Victor-Lucien TAPIÉ, Baroque et classicisme, Paris, Pluriel, éd. de 1980, p. 194.

25. Bernard CHAMPIGNEULLE, Le Règne de Louis XIII, Paris, Arts et Métiers graphiques,
1949, p. 11.

26. André CHASTEL, Introduction à l’histoire de l’art français, Paris, Flammarion, éd. de
1993, p. 63.

27. P. DU COLOMBIER, Le Style Henri IV-Louis XIII, Paris, Larousse, 1941, p. 110.

28. « Un temps d’exubérance », exposition au Grand Palais, Les Arts décoratifs sous
Louis XIII, Dossier de l’art, no 86, mai 2002.
29. Bernard DORIVAL, « Art et politique en France au XVIIe siècle : la galerie des Hommes
illustres du Palais-Cardinal », Bulletin de la société de l’histoire de l’art français, Paris, 1974, pp. 43-
60.

30. C. MICHAUD, « François Sublet de Noyers, surintendant des Bâtiments du roi », Revue
historique, t. 241, avril-juin 1969, pp. 327-364 ; A. LE PAS DE SECHEVAL, « Les missions
romaines de Paul Fréart de Chantelou en 1640 et 1642 : à propos des moulages d’antiques
commandés par Louis XIII », XVIIe siècle, no 172, 1991, pp. 259-274.

31. René CROZET, La Vie artistique en France au XVIIe siècle (1598-1661). Les artistes et la
société, Paris, PUF, 1954, p. 35.

32. « Peintures françaises du XVIIe siècle des églises de Paris », Dossier de l’art, no 149,
février 2008.

33. « Philippe de Champaigne, exposition à Lille », Dossier de l’art, no 140, avril 2007.

34. Robert LENOBLE, Mersenne ou la naissance du mécanisme, Paris, Vrin, 1943.

35. R. PINTARD, Le Libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, Paris, Boivin,
1943.

36. La Possession de Loudun, textes choisis et présentés par Michel de Certeau, Paris, Julliard,
1970 ; P. A. DE VOYER D’ARGENSON, « Le procès de Grandier et la possession de Loudun.
Nouvel examen à partir des sources », Histoire des faits de la sorcellerie, actes de la huitième
rencontre d’histoire religieuse tenue à Fontevrault les 5 et 6 octobre 1984, Angers, Presses de l’univ.
d’Angers, 1985 ; Michel CARMONA, Les Diables de Loudun, sorcellerie et politique sous
Richelieu, Paris, Fayard, 1988.

37. Robert MANDROU, Magistrats et Sorciers en France au XVIIe siècle, une analyse de
psychologie historique, Paris, Plon, 1968, p. 17.

XVII. Le cardinal et son maître


1. William F. CHURCH, Richelieu and Reason of State, Princeton, Princeton Univ. Press,
1972 ; Michel CARMONA, Richelieu, op. cit. ; Robert Jean KNECHT, Richelieu, Londres,
Longman, 1991 ; Roland MOUSNIER, L’Homme rouge, op. cit. ; Jörg WOLLENBERG, Les Trois
Richelieu, servir Dieu, le roi et la raison, trad. E. Husson, Paris, François-Xavier de Guibert, 1977 ;
François BLUCHE, Richelieu, Paris, Perrin, 2003 ; Françoise HILDESHEIMER, op. cit.

2. Nicolas GOULAS, Mémoires, éd. Charles Constant, Société de l’histoire de France, Paris,
Renouard, 1879, t. I, p. 283.

3. Françoise Hildesheimer, Richelieu, op. cit., p. 155. Voir également Maximin Deloche, Le
Cardinal de Richelieu et les Femmes, Paris, Emile-Paul frères, 1931.
4. Françoise HILDESHEIMER, « Les scrupules de Richelieu », Le Journal des savants, janv.-
juin 2000, pp. 99-122.

5. Paul SONNINO, « From d’Avaux to Devot : Politics and Religion in the Thirty Years War »,
History, the Journal of the Historical Association, vol. 87, no 286, avril 2002, pp. 192-203.

6. Le Sacrifice des Muses, Paris, Cramoisy, 1635, p. 193.

7. Traduction française : Joseph BERGIN, Pouvoir et fortune de Richelieu, Paris, Robert


Laffont, 1987.

8. MONTGLAT, op. cit., p. 103.

9. Joseph BERGIN, op. cit., p. 104.

10. Ibid., p. 161.

11. Nannerl O. KEOHANE, Philosophy and the State in France. The Renaissance to the
Enlightenment, Princeton, Princeton Univ. Press, 1980.

12. Richard BONNEY, The King’s Debts. Finance and Politics in France, 1589-1661, Oxford,
Clarendon Press, 1981, pp. 165 et suiv.

13. Maximin DELOCHE, La Maison du cardinal de Richelieu, document inédit, Paris,


H. Champion, 1912, p. 485.

14. Orest RANUM, Les Créatures de Richelieu. Secrétaires d’Etat et surintendants des
Finances, 1635-1642, Paris, A. Pedone, 1966.

15. Benoist PIERRE, op. cit., p. 232.

16. Madeleine HAEHL, op. cit.

17. Orest RANUM, op. cit., pp. 179-204.

18. Jean-Pierre LABATUT, « Aspect de la fortune de Bullion », XVIIe siècle, no 60, 1962,
pp. 11-39.

19. Yves LE GUILLOU, « L’enrichissement des surintendants Bullion et Bouthillier ou le


détournement des fonds publics sous Louis XIII », XVIIe siècle, no 211, 2001, pp. 195-213 ; du
même, « Un surintendant des Finances en Champagne : Claude Bouthillier », La Vie en Champagne,
no 1, 1997, pp. 5-15, et « Des Bouthillier aux Chavigny : l’implantation de créatures de Richelieu en
Touraine », Mémoires de la Société archéologique de Touraine, t. XVL, 1998, pp. 502-528.

20. Orest RANUM, op. cit., pp. 129-152.

21. C. SCHMIDT, « Le rôle et les attributions d’un intendant des Finances aux armées : Sublet
de Noyers de 1632 à 1636 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. II, 1901.
22. Kenneth M. DUNKLEY, « Patronage and Power in Seventeenth-Century France :
Richelieu’s Clients and the Estates of Brittany », Parliaments, Estates and Representation, t. I,
Londres, Pageant, 1981, pp. 1-12.

23. Denis RICHET, De la Réforme à la Révolution. Etudes sur la France moderne, Paris,
Aubier, 1991, pp. 165 et suiv. ; Françoise HILDESHEIMER, « Richelieu et Séguier ou l’invention
d’une créature », Etudes sur l’ancienne France offertes en hommage à Michel Antoine, Paris, Ecole
des chartes, 2003, pp. 209-226.

24. Henri DE SÉGUIRAN, « L’état véritable de la côte maritime de Provence »,


Correspondance de Henri d’Escoubleau de Sourdis, archevêque de Bordeaux, 1636-1642, éd.
Eugène Sue, Paris, Crapelet, 1839, t. III, pp. 257-262.

25. Sharon KETTERING, Patrons, Brokers and Clients…, op. cit., pp. 158-161.

26. Ibid., p. 233.

27. Celui-ci, par exemple : « Le roi devait prendre garde au cardinal, vu qu’outre le Havre, il
voulait Brest, Brouage et avoir places maritimes, et qu’il voulait par le moyen de la charge qu’il avait
au commerce et ces places brider la France (GRILLON, t. I, p. 550).

28. A. L. MOOTE, « Richelieu as Chief Minister. A Comparative Study of the Favourite in


Early Seventeenth-Century Politics », in J. BERGIN, et L. BROCKLISS (dir.), Richelieu and his
Age, Oxford, Clarendon Press, 1992, pp. 13-43.

29. Sharon KETTERING, Patrons, Brokers and Clients…, op. cit., p. 16-17.

30. Roland MOUSNIER, L’Homme rouge, op. cit., p. 422.

31. Richelieu à Bérulle, août 1629, Correspondance du cardinal Pierre de Bérulle, éd. Jean
Dagens, t. III, Paris, Desclée de Brouwer, Louvain, 1939, p. 690.

32. Henri GRIFFET, Histoire du règne de Louis XIII, Paris, Les Libraires associés, 1758, t. III,
p. 13-14.

33. J. LECLERC, « Les principes de Richelieu sur la sécularisation de la politique française »,


Cahiers d’Histoire, t. IV, 1959, pp. 41-52.

34. Etienne THUAU, op. cit. ; Françoise HILDESHEIMER, « Le Testament politique de


Richelieu ou le règne terrestre de la raison », Annuaire-Bulletin de la Société de l’histoire de France,
1994 (1995), pp. 17-34 ; du même auteur, « Au cœur religieux du ministériat dans le Testament
politique de Richelieu », Revue d’histoire de l’Eglise de France, 1998, pp. 21-38, voir également W.
F. CHURCH, Richelieu and Reason of State, op. cit.

35. Le Catholique d’Etat ou discours politiques des alliances du roi très chrétien contre les
calomnies de son Etat, publié en mai 1625.

36. Gaston ZELLER, « Saluces, Pignerol et Strasbourg. La politique des frontières au temps de
la prépondérance espagnole », Aspects de la politique française sous l’Ancien Régime, Paris, PUF,
1964, pp. 115-127.
37. Françoise HILDESHEIMER, « L’Europe de Richelieu », L’Europe à la recherche de son
identité, Paris, CTHS, 2002, pp. 131-144.

38. GOULAS, op. cit., t. I, 425.

39. R. de BEAUCHAMP, op. cit., p. 108.

40. Charles BOSCHERON DES PORTES, Histoire du Parlement de Bordeaux depuis sa


création jusqu’à sa suppression (1451-1790), Bordeaux, C. Lefebvre, 1877, t. II, pp. 453, 460, 466.

41. Mathieu MOLÉ, Mémoires, Société de l’histoire de France, Paris, J. Renouard, 1855,
p. 143-144.

42. Louis BATIFFOL, Richelieu et le roi Louis XIII…, op. cit., p. 87.

43. Micheline BAULANT et Jean MEUVRET, Prix des céréales extraits de la « mercuriale de
Paris » (1520-1698), Paris, SEVPEN, 1960-1962, t. I, p. 243, t. II, p. 135.

44. Richard BONNEY, op. cit., p. 143.

45. Yves-Marie BERCÉ, Histoire des Croquants, op. cit., p. 247.

46. Reynald ABAD, « Une première Fronde au temps de Richelieu ? L’émeute parisienne des 3-
4 février 1631 et ses suites », XVIIe siècle, no 218, 2003, pp. 39-70.

47. Jeffrey K. SAWYER, Printed Poison : Pamphlets, Propaganda, Faction politics and the
Public Sphere in early Seventeenth-Century France, Berkeley-Los Angeles, Oxford, Univ. of
California Press, 1990.

48. M. DELOCHE, Autour de la plume du cardinal de Richelieu, Paris, Société française


d’imprimerie et de librairie, 1920.

49. Voir Henri HAUSER, op. cit.

50. Louis-Augustin BOITEUX, « Un économiste méconnu, Du Noyer de Saint-Martin et ses


projets, 1608-1639 », Revue d’histoire des colonies, t. 49, 1957, pp. 5-68.

51. Etienne TAILLEMITE, L’Histoire ignorée de la Marine française, Paris, Perrin, 1988,
pp. 42 et suiv.

52. Marcel MARION, Dictionnaire des institutions de la France, XVIIe-XVIIIe siècles, Paris,
Picard, éd. de 1984, p. 426.

53. Louis-Augustin BOITEUX, Richelieu, grand maître de la navigation et du commerce, Paris,


Ozanne, 1955 ; P. CASTAGNOS, Richelieu face à la mer, Rennes, Ouest France Univ., 1989 ;
Françoise HILDESHEIMER, « Raison, puissance, force et richesse. Richelieu et la mer », Chronique
d’histoire maritime, no 11, 1985, pp. 1-5.

54. Henri HAUSER, op. cit., pp. 30-33.


55. Charles DE LA RONCIÈRE, Histoire de la Marine française, t. IV, p. 599, Paris, Plon,
1909-1911.

XVIII. Vers la guerre ouverte


1. John H. ELLIOTT, op. cit., pp. 507 et suiv.

2. Simon DU CROS, Histoire de la vie de Henry, dernier duc de Montmorency, contenant ce


qu’il a fait de plus remarquable depuis sa naissance jusqu’à sa mort, Paris, A. Courbé, 1643.

3. David BUISSERET, « Les précurseurs des intendants du Languedoc », Annales du Midi,


t. 80, 1968, pp. 80-88 ; Paul GACHON, Les Etats de Languedoc et l’édit de Béziers (1632), Paris,
Hachette, 1887.

4. William BEIK, Absolutism and Society in Seventeenth-Century France, Cambridge,


Cambridge Univ. Press, 1985, pp. 235-236.

5. Lettre de Frotté, secrétaire du maréchal de Marillac (BnF, Mss, Fr. 15644, f° 455 v°).

6. Pierre DE VAISSIÈRE, « Les Marillac et Richelieu. La journée des Dupes », Revue des
questions historiques, no 2, 1er avril 1923, pp. 257-289 ; du même, Un grand procès sous Richelieu :
l’affaire du maréchal de Marillac, Paris, Perrin, 1924.

7. Georges MONGRÉDIEN, Le Bourreau du cardinal de Richelieu, Isaac de Laffemas, Paris,


Bossard, 1929.

8. BnF, Mss, Fr. 11425 et Pierre de Vaissière, « Les Marillac et Richelieu. La Journée des
Dupes », op. cit., pp. 272-274.

9. Pierre DE VAISSIÈRE, L’Affaire du maréchal de Marillac, op. cit., pp. 117-118.

10. Carl J. BURCKHARDT, op. cit., t. I, p. 339.

11. Georges DETHAN, op. cit., p. 403.

12. Arlette JOUANNA, op. cit., p. 240.

13. Michel LE VASSOR, op. cit., t. IV, p. 156.

14. Ibid., p. 156.

15. Ibid., p. 162.

16. A.A.E., Mémoires et Documents, France 803 et 805.

17. Georges MONGRÉDIEN, La Journée des Dupes, op. cit., p. 143.

18. Michel LE VASSOR, op. cit., t. IV, p. 101.


19. Le Récit de la mort de Monsieur le Duc de Montmorency, 1632 ; Histoire véritable de tout
ce qui s’est fait dans la ville de Toulouse en la mort de Monsieur de Montmorency, 1633.

20. William BEIK, op. cit., p. 130-131.

21. John H. ELLIOTT, op. cit., pp. 540 et suiv.

22. Henri SACCHI, op. cit., t. II, p. 481.

23. AVENEL, t. VII, pp. 718-724.

24. Pierre BLET, Richelieu et l’Eglise, op. cit., pp. 127 et suiv.

25. Roland MOUSNIER, L’Homme rouge, op. cit., pp. 515 et suiv.

26. Pierre BLET, Richelieu et l’Eglise, op. cit., pp. 145-184.

27. Pierre BLET, Le Clergé de France et la Monarchie. Etude sur les assemblées générales du
clergé de 1625 à 1666, Rome, Librairie de l’univ. grégorienne, 1959, t. I, pp. 399 et suiv.

XIX. La grande épreuve


1. Georges PAGÈS, La Guerre de Trente Ans, Paris, Payot, 1949, p. 197.

2. AVENEL, t. IV, p. 761.

3. Hélène DUCCINI, Faire voir, faire croire. L’opinion publique sous Louis XIII, Paris, Seyssel,
2003, pp. 474-475.

4. Lettre citée par Louis VAUNOIS, Vie de Louis XIII, Paris, Grasset, 1944, p. 446.

5. Ibid., lettre du 6 juin 1635.

6. AVENEL, t. VI, pp. 54-55.

7. Cité par Henri SACCHI, op. cit., p. 30.

8. Louis VAUNOIS, op. cit., p. 448.

9. AVENEL, t. V, p. 161.

10. Henri SACCHI, op. cit., p. 38.

11. Joseph-Antoine DURBEC, Un épisode de la guerre de Trente Ans : L’occupation des îles de
Lérins en 1635-1637, Paris, Imp. nat., 1953.

12. Henri SACCHI, op. cit., pp. 15-17.

13. Louis XIII à Monsieur, 20 septembre 1636, Archives des AE, Mémoires et Documents,
France, 1678, f° 317 et suiv.
14. Comte de MONTRÉSOR, Mémoires, éd. Michaud et Poujoulat, Paris, 1838, p. 204.

15. Georges DETHAN, op. cit., p. 178 et suiv.

16. Jean-Marie CONSTANT, Les Conjurateurs. Le premier libéralisme politique sous


Richelieu, Paris, Hachette, 1987, pp. 79 et suiv.

17. Pierre CHEVALLIER, op. cit., p. 525.

18. Pierre BLET, Richelieu et l’Eglise, op. cit., pp. 181-182.

19. R. DE BEAUCHAMP, op. cit., p. 282.

20. Christian BOUYER, Louis XIII, Paris, Tallandier, 2006, pp. 103-104.

21. Françoise BAYARD, op. cit., pp. 228-266.

22. Ibid., p. 251.

23. Ibid., p. 452.

24. Roland MOUSNIER, La Vénalité des offices, op. cit., pp. 420-427.

25. P. HEUMANN, « Un traitant sous Louis XIII : Antoine de Feydeau », in Etudes sur
l’histoire administrative et sociale de l’Ancien Régime, éd. Georges Pagès, Paris, Alcan, 1938,
pp. 184-222.

26. Cité par Henri SACCHI, op. cit., t. III, p. 93.

27. Yves-Marie BERCÉ, Histoire des Croquants, Paris, Seuil, 1986, p. 127. Du même, Histoire
des Croquants. Etude des soulèvements populaires dans le sud-ouest de la France, Genève-Paris,
Droz, 1974, 2 vol., et Croquants et Nu-Pieds. Les soulèvements paysans en France du XVe au
XIXe siècle, Paris, Gallimard, 1974. Voir également Roland MOUSNIER, Fureurs paysannes, les
paysans dans les révoltes du XVIIe siècle (France, Russie, Chine), Paris, Calmann-Lévy, 1968.

28. Yves-Marie BERCÉ, Histoire des Croquants, op. cit., p. 129-131.

29. Ibid., p. 139.

30. Ibid., p. 141.

31. Ibid. p. 157.

32. Ibid., p. 171.

33. Henri SACCHI, op. cit., t. III, p. 110.

34. Jean-Jacques ANTIER, Les Grandes Heures des îles de Lérins, Paris, Perrin, 1975, p. 177.
35. Anne-Marie FAVREAU-LINDER, « De Marathon à la victoire de Leucate : lorsque
l’actualité des guerres du Roussillon envahit l’œuvre érudite d’un jésuite toulousain », Anabases,
Traditions et Réception de l’Antiquité, 2006, pp. 79-110.

XX. Anne et le roi


1. Victor COUSIN, Mme de Hautefort : nouvelles études sur les femmes illustres et la société du
e
XVII siècle, Paris, Perrin, 1886 ; Jacques MAGNE, Marie de Hautefort, le grand amour de
Louis XIII, Paris, Perrin, 2000.

2. Pierre CHEVALLIER, op. cit., p. 426.

3. SAINT-SIMON, Parallèle des trois premiers Bourbons, éd. M. P. Faugère, Paris, Firmin
Didot, 1880, pp. 70-71.

4. Mlle DE MONTPENSIER, op. cit., t. I, p. 40.

5. Abbé Adolphe SORIN, Louise Angélique de La Fayette, la Cour, le cloître, 1618-1665,


Nantes, Lanoë-Mazeau, s. d. ; Louis VAUNOIS, Le Roman de Louis XIII, Paris, Grasset, 1944.

6. Louis VAUNOIS, Vie de Louis XIII, op. cit., p. 455.

7. Ibid., p. 454.

8. Père Camille DE ROCHEMONTEIX, Nicolas Caussin, confesseur du roi, et le cardinal de


Richelieu, Paris, Picard, 1911.

9. Ibid., p. 98.

10. Mme DE MOTTEVILLE, op. cit., t. I, p. 63.

11. Ibid., p. 64.

12. Camille DE ROCHEMONTEIX, op. cit., p. 124.

13. R. DE BEAUCHAMP, op. cit., p. 299.

14. Camille DE ROCHEMONTEIX, op. cit., pp. 128-130.

15. Louis VAUNOIS, op. cit., p. 472.

16. Henri GRIFFET, op. cit., t. III, pp. 14-15.

17. Louis VAUNOIS, op. cit., p. 479.

18. Voir quelques pièces de la correspondance échangée avec Mme du Fargis, avec le cardinal-
Infant, le marquis de Mirabel, BnF, Mss, Fr. 3747, f° 32-32v°, 38, 41-41v°, 42, 43.

19. Pierre CHEVALLIER, op. cit., p. 536.


20. Louis VAUNOIS, op. cit., p. 474.

21. Un résumé des interrogatoires et de la procédure se trouve à la BnF, Mss, N.A.F., 4334, f° 1-
31v°.

22. TALLEMANT DES RÉAUX, op. cit., t. I, p. 380.

23. BnF, Mss, N.A.F., 4334, f° 4-5v°.

24. BnF, Mss, N.A.F., 4334, f° 4v°-6.

25. BnF, Mss, N.A.F., 4334, f° 6v°-7.

26. BnF, Mss, N.A.F., 4334, f° 7.

27. Claude DULONG, Anne d’Autriche, Paris, Hachette, 1980, pp. 132-133.

28. Pierre DE LA PORTE, op. cit., pp. 362-373.

29. Historiquement, toute la question est de savoir si les Mémoires de La Porte, publiés pour la
première fois en 1755, rapportent fidèlement les événements qu’il a vécus ou s’il n’y a pas une part
de recomposition. Peut-être Georges Dethan (Mazarin, un homme de paix à l’âge baroque, 1602-
1661, Paris, Impr. nat., 1981, p. 330) les juge-t-il avec un excès de sévérité : « S’ils continuent à faire
les délices des amateurs de ragots, leur authenticité pose aux historiens un problème qui ne saurait
être longtemps éludé. » La question des mémoires de ce temps n’est pas facile à démêler. Nous avons
parlé de ceux de Pontis, pittoresques et brillants, mais sur lesquels, c’est certain, on ne peut
s’appuyer.

30. Gazette, 26 décembre 1637, p. 804.

31. Lettre à Hardouin Beaumont de Péréfixe citée par G. FAGNIEZ, Le Père Joseph et
Richelieu, 1894, t. II, p. 73.

32. René LAURENTIN, Le Vœu de Louis XIII, Paris, O.E.I.L., 1988, p. 58.

33. Selon la « Vie » manuscrite de Marie de Hautefort, la date de la conception serait plus
tardive. « A la veille d’une grande fête », très certainement la fête de l’Immaculée-Conception, le
8 décembre, « sachant que le roi ne manquerait pas d’aller à confesse », Marie aurait résolu d’attirer
l’attention de son confesseur, le père Caussin, sur le fait que l’indifférence du roi était « préjudiciable
à l’Etat et, plus encore, à son salut » (Jacques MAGNE, op. cit., p. 104). Cela semble difficile à
concilier avec la brusque tension qui survint à ce moment-là entre le roi et le père Caussin, et entraîna
l’exil de ce dernier deux jours plus tard…

34. Gazette, 5 septembre 1638, p. 503. Jean MEYER, La Naissance de Louis XIV, Paris,
Complexe, 1989, p. 135.

35. Georges et André DE WISSANT, Anne d’Autriche, femme… de Mazarin (Le mystère d’une
vie conjugale), Paris, Baudinière, 1939, pp. 137 et suiv. ; Georges DETHAN, Mazarin, un homme de
paix à l’âge baroque, 1602-1661, Paris, Impr. nat., 1981, pp. 184-185.
36. Pierre CHAUNU, préface du livre de René LAURENTIN, op. cit., p. 10.

37. René LAURENTIN, op. cit., p. 127.

38. AVENEL, t. V, 466-468.

39. René LAURENTIN, op. cit., pp. 46-54.

40. A.A.E., Mémoires et Documents, France, vol. 828, f° 199 ; René LAURENTIN, op. cit.,
p. 94.

41. Gazette, 27 mars 1638, p. 156.

42. A.A.E., Mémoires et Documents, France, vol. 2164, f° 89v°.

43. Mlle DE MONTPENSIER, op. cit., t. I, p. 41.

XXI. La guerre, toujours la guerre…


1. Léon GUÉRIN, Histoire maritime de France, Paris, Dufour et Mulat, 1854, t. III, pp. 19 et
suiv.

2. Robert DUFOURG, Un prélat amiral sous Louis XIII, Henri de Sourdis, Bordeaux,
R. Picquot, 1944.

3. Louis VAUNOIS, Vie de Louis XIII, op. cit., p. 503.

4. Roland MOUSNIER, L’Homme rouge…, op. cit., p. 688.

5. Henri SACCHI, op. cit., t. III, p. 184.

6. Ibid., p. 191.

7. Ibid., p. 194.

8. John H. ELLIOTT, op. cit., pp. 641 et suiv.

9. Louis VAUNOIS, Vie de Louis XIII, op. cit., p. 501.

10. BnF, Mss, Dupuy, nos 548, 549, 550.

11. J.-P. BASSERIE, La Conjuration de Cinq-Mars, Paris, Perrin, 1896 ; Pierre DE


VAISSIÈRE, Conjuration de Cinq-Mars, Paris, Hachette, 1928 ; Philippe ERLANGER, Cinq-Mars
ou la passion et la fatalité, Paris, Perrin, 1962.

12. Ibid., pp. 22-23.

13. Ibid., pp. 32-33.

14. TALLEMANT DES RÉAUX, op. cit., t. II, p. 97.


15. Ibid., pp. 97-98.

16. Pierre CHEVALLIER, op. cit., pp. 429-430.

17. Jacques MAGNE, op. cit., p. 119.

18. MONTGLAT, op. cit., p. 80.

19. Louis VAUNOIS, Vie de Louis XIII, op. cit., pp. 523-524.

20. Ibid., p. 524.

21. J.-P. BASSERIE, op. cit., pp. 30-31.

22. René et Suzanne PILLORGET, op. cit., 1995, p. 314.

23. Madeleine FOISIL, La Révolte des Nu-Pieds et les révoltes normandes de 1639, Paris,
1970 ; voir également R. TRIBOULET, « La révolution normande : la révolte des Nu-Pieds en
1639 », Mémoires de l’Académie nationale des sciences, arts et belles-lettres de Caen, 1989, t. 27,
pp. 107-112.

24. Cité par Victor-Lucien TAPIÉ, La France de Louis XIII et de Richelieu, op. cit., p. 379.

25. Louis VAUNOIS, Vie de Louis XIII, op. cit., p. 508.

26. Pierre SÉGUIER, Diaire ou journal du voyage du chancelier Séguier en Normandie, après
la sédition des Nu-pieds, 1639-1640, éd. Amable-Pierre Floquet, Slatkine, Genève, 1975.

27. Pour tous les exemples cités, voir Yves-Marie BERCÉ, Histoire des Croquants…, op. cit.

28. Roland MOUSNIER, L’Homme rouge, op. cit., p. 623.

29. Pierre BLET, Richelieu et l’Eglise…, op. cit., pp. 242 et suiv.

30. Roland MOUSNIER, Les Institutions de la monarchie absolue, Paris, PUF, 1992, t. II,
pp. 490-496.

31. Yves-Marie BERCÉ, Histoire des Croquants…, op. cit., t. I, p. 96.

XXII. Derniers complots


1. Cité par Pierre CHEVALLIER, op. cit., p. 585.

2. Jean BÉRANGER, « Relations internationales et subversion : essai de typologie », in La


France, l’Alsace et l’Europe : problèmes intérieurs et relations internationales à l’époque moderne,
études réunies en l’honneur du doyen Georges Livet…, Colmar, éd. d’Alsace, 1986, pp. 245-255.

3. Jean-Marie CONSTANT, Les Conjurateurs…, op. cit., pp. 191 et suiv.

4. TALLEMANT DES RÉAUX, op. cit., t. I, p. 443.


5. Jean-Marie CONSTANT, Les Conjurateurs…, op. cit., p. 227.

6. Voir le texte du traité dans J.-P. BASSERIE, La Conjuration de Cinq-Mars, Paris, Perrin,
1896, pp. 195-201.

7. Relation faite par M. de Fontrailles des choses particulières de la Cour pendant la faveur de
M. le Grand, pub. dans la collection des mémoires pour servir à l’histoire de France, éd. Michaud et
Poujoulat, t. III, 1838, pp. 245-266.

8. AVENEL, t. VII, pp. 117-118.

9. Mlle DE MONTPENSIER, op. cit., t. I, 52.

10. J.-P. BASSERIE, op. cit., p. 103.

11. Henri SACCHI, op. cit., t. I, p. 287.

12. Ibid., t. I, p. 288.

13. Michel LE VASSOR, op. cit., t. VI, p. 581.

14. M. A. BAZIN, Histoire de France sous Louis XIII, Paris, Chamerot, 1846, t. III, p. 149.

15. Georges DETHAN, op. cit., p. 201 ; Michel CARMONA, Richelieu, op. cit., pp. 682 et suiv.

16. Claude DULONG, op. cit., pp. 177 et suiv.

17. Pour justifier la légitimité de l’arrestation du duc de Bouillon, Richelieu écrivait en effet le
27 juin : « Pour ce faire, ou il faut découvrir les auteurs (autrement dit les informateurs) de Mme de
Chevreuse, ce que la dame ne voudrait pas, ou trouver quelque autre invention par laquelle on puisse
faire connaître qu’on a eu cette découverte » (J.-P. BASSERIE, op. cit., pp. 165-166).

18. J.-P. BASSERIE, op. cit., p. 125.

19. J.-P. BASSERIE, op. cit., p. 130.

20. Ibid., pp. 152-153.

21. AVENEL, t. VI, pp. 951-952.

22. Ibid., p. 219-220.

23. AVENEL, t. VII, p. 122.

24. Pierre CHEVALLIER, op. cit., p. 623.

25. Claude DULONG, op. cit., p. 401.

26. Mlle DE MONTPENSIER, op. cit., t. I, p. 57.


XXIII. Le cardinal est mort, le roi se meurt…
1. AVENEL, t. VII, pp. 150-151.

2. Françoise HILDESHEIMER, « Richelieu ou la rhétorique de la raison », in Pouvoirs,


contestations et comportements dans l’Europe moderne, B. Barbiche, J.-P. Poussou et A. Talon (dir.),
mélanges en l’honneur du professeur Yves-Marie Bercé, Paris, PUPS, 2005, p. 243.

3. J.-P. BASSERIE, op. cit., p. 221.

4. AVENEL, t. VII, pp. 176-179.

5. Hans BOTS et Pierre LEROY, « La mort de Richelieu vue par les protestants », André Rivet
et ses correspondants, Lias IV, 1977, pp. 273-289.

6. MONTGLAT, op. cit., p. 134.

7. GOULAS, op. cit., t. I, p. 410.

8. Françoise HILDESHEIMER, La Double Mort du roi Louis XIII, op. cit., pp. 36-38.

9. Mme DE MOTTEVILLE, op. cit., t. I, p. 91.

10. Voir notre Louis XIV, Perrin, éd. 2008, pp. 223 et suiv.

11. Paul-M. BONDOIS, Le Maréchal de Bassompierre, Paris, Albin Michel, 1925, p. 458.

12. ANTOINE, Fragments du journal de la maladie et de la mort de Louis XIII, notes d’Alfred
Gramail, Fontainebleau, 1880, p. 20.

13. Olivier LE FÈVRE D’ORMESSON, Journal, t. I, pp. 23, 25.

14. Ce brouillon est conservé dans les manuscrits de la BnF (Fr. 17319 f° 34-39). Madeleine
LAURAIN-PORTEMER, Etudes mazarines, t. II, 329-356.

15. Mme DE MOTTEVILLE, op. cit., t. I, p. 96.

16. Marie DU BOIS DE LESTOURMIÈRES, Mémoire fidèle des choses qui se sont passées à
la mort de Louis XIII, nouvelle collection des mémoires pour servir à l’histoire de France, éd.
Michaud et Poujoulat, 1838, pp. 523-531.

17. Michel ANTOINE, Le Cœur de l’Etat…, op. cit., p. 222.

18. Notamment par Antoine, qui n’était pas présent (op. cit., p. 23-24).

19. Françoise HILDESHEIMER, La Double Mort du roi Louis XIII, op. cit., p. 200.

20. DINET, L’Idée d’une belle mort ou d’une mort chrétienne dans le récit de la fin heureuse de
Louis XIII…, éd. P. Girard, Paris, Impr. royale, 1756, p. 17.

21. Mme DE MOTTEVILLE, op. cit., t. I, p. 94.


22. DINET, op. cit., p. 29.

23. ANTOINE, op. cit., p. 22.

24. Lettres du cardinal Mazarin pendant son ministère, éd. A. Chéruel, t. I, Paris, 1872, p. 167.

25. Mme DE MOTTEVILLE, op. cit., t. I, p. 90.

26. Projet de déclaration en faveur de Mazarin rédigé probablement par Hugues de Lionne,
Madeleine Laurain-Portemer, op. cit., t. II, pp. 355-356.

27. VINCENT DE PAUL, Correspondance, éd. Coste, t. II, Paris, 1921, pp. 393-394.

28. Mme DE MOTTEVILLE, op. cit., t. I, p. 96.

29. GOULAS, op. cit., t. I, p. 449.

30. Olivier LE FÈVRE D’ORMESSON, op. cit., t. I, p. 44.

31. BnF, Mss, Dupuy 672, f° 206-207 ; copie dans Françoise HILDESHEIMER, La Double
Mort du roi Louis XIII, op. cit., pp. 345-347.

32. J.-J. BERNIER, P. CHEVALLIER, D. TEYSSEIRE, J. ANDRÉ, « La maladie de


Louis XIII, tuberculose intestinale ou maladie de Crohn ? », La Nouvelle presse médicale, 20 juin
1981, no 27, op. cit.

33. Cédric CORAILLON, « La construction de l’événement politique : Les deux morts de


Louis XIII », Revue d’histoire moderne et contemporaine, janv. 2008, pp. 50-73.

34. Alexandre Y. HARAN, « Louis le Juste à travers les oraisons funèbres : roisauveur et
monarque providentiel », in Pouvoirs, contestations et comportements dans l’Europe moderne,
B. Barbiche, J.-P. Poussou et A. Talon (dir.), mélanges en l’honneur du professeur Yves-Marie Bercé,
Paris, PUPS, 2005, p. 247.

35. Françoise HILDESHEIMER, La Double Mort du roi Louis XIII, op. cit., p. 196.
Annexe
Pathologies de Louis XIII

On trouvera ci-après une brève étude sur les maladies de Louis XIII
que m’a fait parvenir le docteur François Krainik, spécialiste de gastro-
entérologie et d’hépatologie. Je l’en remercie très vivement.

Louis XIII est mort « jeune » à 42 ans, d’une maladie abdominale dont
les premiers symptômes sont apparus sans doute au début de son âge adulte.
Les symptômes de l’enfance, signalés avant l’âge de 4 ans (diarrhée,
« coliques »), ne sont pas du tout spécifiques et peuvent être liés à la
conjonction ou à la succession de phénomènes bénins comme une
intoxication alimentaire, une infection digestive intercurrente ou des
perturbations fonctionnelles dépendant des émotions ; ces considérations
valant aussi pour la crise de 1616 qui fut particulièrement intense.
En revanche, à partir de 1627, à l’âge de 26 ans, il fait des « crises »
répétées associant fièvre, diarrhée, rectorragie, ballonnement abdominal.
Ces poussées durent plusieurs jours ou semaines avec des rémissions, et ce
pendant une quinzaine d’années. Des poussées sévères et prolongées, se
succédant à intervalles de quelques mois, le frappent à l’âge de 26, 27 et
28 ans. Entre 31 et 41 ans, on parle de manifestations goutteuses, donc
articulaires. Durant les deux dernières années de son existence, le tableau
clinique se complète progressivement avec une anorexie et un
amaigrissement conduisant à la cachexie, des abcès périanaux et des
émissions rectales et pelviennes purulentes qui seront constatées lors de sa
mort. L’autopsie ne fournit naturellement que des données macroscopiques
et il manque à l’observateur d’aujourd’hui les indispensables éléments
bactériologiques et histologiques.
Les conclusions reposent ainsi sur l’aspect des lésions lors du décès, les
signes et symptômes recueillis par l’entourage, mais aussi sur l’étude de la
chronologie des événements pathologiques qui se sont déroulés au cours de
sa brève existence.
Il a donc été atteint d’une maladie du tube digestif qui a touché la partie
basse du côlon (rectum et sigmoïde) dont témoignent les rectorragies, les
abcès de la région anale et les émissions purulentes. Cette atteinte
chronique à rechutes était étendue en profondeur et était de nature
infectieuse ou inflammatoire (fièvre, diarrhée, douleurs abdominales et
constations autopsiques). L’examen post mortem constate le caractère
ulcéreux puis perforatif de cette maladie qui a évolué, nous dit l’anamnèse,
de façon chronique. De surcroît, la topographie colique de l’atteinte est
diffuse mais avec vraisemblablement des lésions d’âges différents, l’aspect
n’étant pas rigoureusement le même au niveau du rectosigmoïde, du côlon
transverse et du coecum. Le diagnostic est bien celui d’une entérocolite
inflammatoire chronique qui peut correspondre à une maladie infectieuse
comme la tuberculose ou à une maladie inflammatoire cryptogénétique
comme la recto-colite ulcéro-hémorragique (RCH), la colite
granulomateuse ou maladie de Crohn, ou à une colite indéterminée (qui ne
s’en distingue aujourd’hui que par des critères microscopiques). Les autres
maladies du tube digestif paraissent exclues. Certes, la famille royale a été
et sera atteinte de tuberculose et il a été constaté une caverne pulmonaire,
mais la topographie préférentielle et initiale de l’atteinte digestive était
rectosigmoïdienne, ce qui est inhabituel dans la tuberculose. D’ailleurs, il
n’y a pas non plus d’argument tiré d’un point de vue génétique ou
généalogique pour une pathologie digestive inflammatoire familiale. En
autopsie, il n’y a pas d’atteinte iléocoecale prédominante comme cela est
décrit dans les atteintes digestives du bacille de Koch, il n’est pas fait état
de granulomes péritonéaux ou hépatiques visibles à l’œil nu, lesquels
s’observent habituellement en association avec la tuberculose intestinale.
L’abcès pulmonaire peut parfaitement s’expliquer par une surinfection
bactérienne chez cet homme cachectique. La chronicité s’observe dans les
deux types d’affections (infectieuse et inflammatoire), mais l’évolution par
poussées et rechutes est beaucoup plus en faveur d’un processus
inflammatoire que bacillaire. Dernier point, les entérocolites inflammatoires
peuvent donner, même en dehors des poussées, des atteintes extra-
digestives, au premier rang desquelles les manifestations articulaires ; les
« crises de goutte » pourraient en témoigner et être un subtil argument de
plus en faveur d’une entérocolite inflammatoire de type Crohn.

Docteur François KRAINIK


Sources

I – SOURCES MANUSCRITES

ARCHIVES NATIONALES
E 26B-179b.
K 109-116B, 1718.
KK 197-202, 815, 816, 1355-1366.

ARCHIVES DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES


Mémoires et documents, France, vol. 19, 44-48, 57-69, 80-82, 242-250,
252-259, 286, 288, 289, 403-407, 768-847, 1676-1681, 2164.

BIBLIOTHÈQUE DE L’ARSENAL
Mss 5185.

BIBLIOTHÈQUE MAZARINE
Mss 2127, 2131.

BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE


Fr. 3649, 3675, 3708, 3722, 3747, 3812, 3820, 7854, 7856, 9293, 9305,
9309-9312, 9560, 11425, 14027, 15644, 15588, 16537, 17319, 17544,
18201, 18536, 18538, 18540, 20633, 20635, 20742, 23315, 23939.
N.A.F. 82, 83, 1830, 2043, 2044, 3078, 3079, 3156, 4334, 4713, 5012,
5130, 5154, 5267, 6163, 7198, 7226, 7797, 9637, 13272, 14482, 17629,
17630, 22896, 22938, 23004, 24381, 24615, 25092, 25116.
Baluze, vol. 103, 147, 153, 154, 168, 196, 322, 323, 326, 341, 348.
Cinq Cents Colbert, vol. 1, 2, 12, 17, 86, 92-98, 213, 214, 218, 221, 225,
327, 328, 340.
Clairambault, vol. 72, 363-365, 367-371, 373-375, 377-385, 1128, 1129.
Dupuy, vol. 26, 36, 46, 76, 90-94, 100, 210, 380, 381, 403, 458, 470, 473,
487, 538, 548, 574, 586, 627, 640, 644, 658-662, 672, 767, 848.
Mélanges Colbert, vol. 14, 28, 31, 56.
Moreau, vol. 779.
Mss, Italiens, 1762-1820.

II – BIBLIOGRAPHIE

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contenant l’histoire de la guerre entre la France et l’Autriche…,
nouvelle coll. des mémoires pour servir à l’histoire de France, Michaud
et Poujoulat, Paris, éd. du commentaire analytique du Code civil, 1838.
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