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La Recherche en Temps D'épidémie Du Sida Au Covid, Histoire de l'ANRS

Ce document décrit l'histoire de l'Agence nationale de recherches sur le sida en France. Il présente les objectifs initiaux de l'agence sous la direction de Jean-Paul Lévy et le contexte de l'émergence du sida. Le document est long et contient de nombreuses informations sur la recherche contre le sida en France.

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La Recherche en Temps D'épidémie Du Sida Au Covid, Histoire de l'ANRS

Ce document décrit l'histoire de l'Agence nationale de recherches sur le sida en France. Il présente les objectifs initiaux de l'agence sous la direction de Jean-Paul Lévy et le contexte de l'émergence du sida. Le document est long et contient de nombreuses informations sur la recherche contre le sida en France.

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© ODILE JACOB, NOVEMBRE 2021

15, RUE SOUFFLOT, 75005 PARIS

www.odilejacob.fr

ISBN : 978-2-7381-5784-3

Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-


5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à
l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part,
que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration,
« toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le
consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art.
L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon
sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété
intellectuelle.

Composition numérique réalisée par Facompo


À tous ceux qui ont participé aux activités de l’ANRS,
Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales.

À tous ceux qui en ont bénéficié.


« Il savait cependant que cette chronique, ne pouvait pas être celle de
la victoire définitive. Elle ne pouvait être que le témoignage de ce qu’il
avait fallu accomplir et que, sans doute, devraient accomplir encore,
contre la terreur et son arme inlassable, malgré leurs déchirements
personnels, tous les hommes qui, ne pouvant être des saints et refusant
d’admettre les fléaux, s’efforcent cependant d’être des médecins. »
Albert CAMUS, La Peste.
Prologue

Il neigeait ce jour-là. C’était un moment, fin d’après-midi, où les


flocons savent écraser les bruits, le silence mener à la réflexion. Celle-ci fut
interrompue par un coup de téléphone. C’était Jean-François Delfraissy :
« Je suis avec Françoise Barré-Sinoussi et Michel Kazatchkine, et nous
avons un souhait et une proposition. Nous pensons qu’il est important de
raconter l’expérience unique que fut la recherche sur le sida en France, et sa
conduite par l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites.
Entre deux livres, serais-tu intéressé ? »
Certes j’étais intéressé. J’avais participé à cette recherche dès le début
de l’épidémie, et même auparavant, ayant travaillé sur l’immunité contre les
rétrovirus avant même l’émergence du VIH, dans le laboratoire de Jean-
Paul Lévy qui fut le premier directeur de l’agence. Michel Kazatchkine puis
Jean-François Delfraissy qui furent ses successeurs à la direction, ainsi que
Françoise Barré-Sinoussi, étaient des compagnons de longue date, avec qui
j’avais partagé les espoirs, joies, mais aussi les difficultés des recherches
contre l’infection. L’histoire de l’agence permettait d’embrasser les
multiples facettes de la riposte scientifique, médicales et biologiques en
immunologie et virologie, vaccinologie, sciences humaines et sociales, en
France et avec les partenaires étrangers, notamment ceux du Sud. Il
s’agissait aussi de raconter le partage avec les associations de malades, la
rencontre entre disciplines qui, auparavant, interagissaient peu. Le décor
était vaste…
J’acceptai la proposition. Restait à convenir d’une méthode de travail,
car je compris que mes trois amis souhaitaient examiner les avancées de
l’ouvrage. Nous convînmes de réunions régulières qui eurent lieu au Comité
consultatif national d’éthique que Jean-François présidait. Chaque chapitre,
au fur et à mesure, fut ainsi commenté par un petit groupe, car s’étaient
joints France Lert, une chercheuse en sciences humaines et sociales, Alain
Volny-Anne, militant associatif, et Marie-Christine Simon, qui avait dirigé
le service de communication de l’agence. Tout au long de l’écriture, j’ai
bénéficié de leurs regards et de leurs critiques. De celles de Jean-Paul Lévy
également quand je l’ai interrogé. Mais la plume sait prendre ses libertés,
tracer ses espaces propres sur le papier vierge. Elle se laisse guider par son
expérience et les envies de l’écriture. J’assume ainsi les manques, certaines
prises de position, mais peut-être aussi le plaisir qu’aura le lecteur à
s’informer des recherches sur les épidémies émergentes, au regard de celle
sur le Covid-19, et celui des participants à la lutte contre le sida à s’y
retrouver.
Introduction

« Lorsque j’ai pris la direction de l’agence, dit Jean-Paul Lévy, j’avais


deux objectifs, deux volontés profondes, complémentaires certes, mais qui
pour moi partaient d’ambitions et expériences différentes. L’une, la
recherche sur le sida, allait de soi, dans mon esprit comme dans celui des
décideurs, ceux-ci essentiellement ancrés sur une approche politique
beaucoup plus que médicale et scientifique. Que la recherche fasse partie de
la lutte apparaissait évident. Cependant le ministère de la Recherche n’avait
pas de stratégie et me laissait sans aucune directive. J’étais livré à moi-
même, sans but défini par mes interlocuteurs ministériels, une mission qui
se résumait en quelques mots. L’autre, la création de l’agence, représentait
un objectif complémentaire du premier. Il s’agissait de mettre sur pied un
organisme de recherche efficace, avec des procédures certes rigoureuses,
mais échappant à la rigidité des établissements de recherche. Il me semblait
important de pouvoir mener une vraie politique directrice dans certains
domaines, alors que les organismes ont une stratégie limitée à attendre que
les projets naissent des scientifiques, une programmation réduite à la seule
évaluation des projets qui sont soumis. Il n’était pas question pour ces
établissements d’interférer dans les choix de recherche, de les guider…
Aussi, ajouta Jean-Paul Lévy en haussant discrètement la voix, je proposai
une nouvelle manière d’administrer la recherche et, partant, de tenter de
faire évoluer nos organismes vers plus de souplesse, plus de réalisme aussi,
en dépit de l’autosatisfaction du système français, et d’oser jouer un rôle
directif dans certains secteurs appliqués. De plus, ne créant pas d’unités de
recherche pérennes et ne recrutant pas de chercheurs statutaires ni
n’intervenant dans leurs carrières, je n’avais pas à me soucier de celles-ci et
évitais ainsi le redoutable contact avec les syndicats. »
Au bout de ce long monologue, que je n’ai pas voulu interrompre,
ponctué de temps à autre par un regard tourné vers des notes dont il m’avait
dit qu’il les avait écrites pour notre entretien, il insista : « C’était une double
aventure. Je voulais que l’une fasse réussir l’autre. J’étais libre, chose très
inhabituelle en France dans la gestion de la recherche » ; puis, après un
temps d’arrêt, il ajouta en levant le doigt : « et responsable ». Jean-Paul
Lévy fut le premier directeur de l’ANRS, l’Agence nationale de recherches
sur le sida.
Nous nous connaissions, Jean-Paul et moi, depuis de longues années.
J’avais travaillé dans son unité de l’Inserm presque cinq ans avant l’ère du
sida et beaucoup appris sur les rétrovirus dans les modèles expérimentaux
de souris. C’était un des meilleurs spécialistes français du domaine qui
s’était entouré déjà d’une équipe de scientifiques de disciplines différentes,
virologues, immunologistes, biologistes, biologistes moléculaires,
cliniciens, spécialistes de la différenciation des cellules, du vaccin. La
rétrovirologie que l’on étudiait dans le laboratoire était tournée vers les
virus oncogènes. Ces rétrovirus qui provoquaient des cancers chez la souris
avaient des équivalents humains, les virus HTLV. Ceux-ci, décrits par
Robert Gallo qui travaillait alors aux NIH (National Institutes of Health),
donnaient des leucémies, une découverte qui en avait fait un des leaders de
la rétrovirologie mondiale. À Paris, le laboratoire de Jean-Paul Lévy
abordait presque tous les aspects expérimentaux des rétrovirus murins,
étudiant notamment les réponses immunitaires qu’ils induisaient. Personne
d’autre ou presque ne tentait de décrire les multiples aspects des défenses
immunes et le rôle qu’elles jouaient dans le contrôle de ces virus par les
anticorps neutralisants et les lymphocytes tueurs. Lors de l’apparition du
sida, ces modèles oncogènes passèrent au second plan pour expliquer la
physiopathologie du VIH, même si on allait découvrir chez l’homme
nombre de similitudes dans la description des réactions immunologiques.
À la fin du XXe siècle, le monde prit conscience que les maladies
infectieuses étaient toujours présentes et que l’effusion d’optimisme dont le
directeur général de la santé des États-Unis, William Stewart, se faisait le
porte-parole, en déclarant en 1967 que « le chapitre des maladies
infectieuses est clos », n’était qu’un vœu pieu. Quelques-unes d’entre elles,
telle la légionellose, survenue lors d’un congrès des vétérans en 1976, ou la
première épidémie d’Ebola, la même année, marquèrent les esprits. Les
infections émergentes n’appartenaient pas au passé. Il fallait compter sur
elles à l’avenir. Liées à des bactéries, champignons ou virus, elles allaient
rythmer nos proximités avec la faune sauvage, notamment par les
modifications de l’environnement dont la déforestation, l’explosion
démographique des mégapoles, les déplacements touristiques, migrations,
nos modes de vie qui balayaient certaines règles d’hygiène ou les prises de
risque. Ce fut pourtant l’apparition du sida qui fut le principal élément de
cette prise de conscience. Le microbe revint sur le devant de la scène et,
depuis, ne l’a plus quitté. Écrivant ces lignes, en pleine épidémie de
coronavirus, je ne peux m’empêcher de penser que l’histoire se répète. Il
nous faut apprendre à vivre avec les épidémies et comprendre qu’elles sont
imprévisibles dans leur forme, sinon dans leur survenue.
Le prologue des découvertes concernant l’infection par le VIH se joue
en 1970 quand deux scientifiques américains, Howard Temin et David
Baltimore, découvrent l’existence d’une enzyme particulière, la
transcriptase inverse, qui permet à certains virus, appelés de ce fait
rétrovirus, un fonctionnement à l’inverse de ce qui se passe dans une cellule
normale : leur ARN est transformé en ADN, permettant leur intégration
chromosomique. Un nouvel épisode concernant ces virus sera connu début
1981, quand un bulletin américain du Centre pour le contrôle des maladies
(CDC), Morbidity and Mortality Weekly, daté du 5 juin, rapporte une forme
grave de pneumonie frappant de jeunes homosexuels à Los Angeles. Un
mois plus tard, le même bulletin fait état d’un nombre inhabituel de cas de
Kaposi, un cancer de la peau, chez les jeunes gays. L’épidémie démarre et
avec elle les premières recherches aboutissant à la découverte du virus VIH.
La contribution française est largement connue et doit beaucoup à un
groupe de jeunes cliniciens interpellés par les premiers cas à l’Assistance
publique-Hôpitaux de Paris. Au sein du groupe, deux cliniciens s’opposent
assez vite, deux caractères aussi : Willy Rozenbaum, alors à l’hôpital
Bichat-Claude-Bernard, et Jacques Leibowitch, médecin à Garches. Les
hypothèses, évoquées en commun, auront des destinées différentes. Tandis
que Willy Rozenbaum, sur la suggestion de Françoise Brun-Vézinet et de
Christine Rouzioux, ses collègues virologues de Bichat, contactera l’équipe
de Luc Montagnier, notamment Françoise Barré-Sinoussi, Jacques
Leibowitch de son côté s’adressera à Jean-Paul Lévy. Un temps intéressé
par l’offre d’un prélèvement lui permettant la recherche du présumé virus,
celui-ci, après moult hésitations, déclinera. Ainsi que nous l’avons vu, le
laboratoire tout entier était engagé dans d’âpres recherches sur les
oncogènes et nul ne souhaitait élargir son champ de recherche. Raccrochant
le téléphone après lui avoir confié ses regrets, Jean-Paul Lévy l’orientera
vers Robert Gallo avec qui il venait d’avoir une conversation téléphonique
sur le virus HTLV-1. L’autre versant de l’histoire, et le rôle de Françoise
Barré-Sinoussi, est autrement connu. Il reste que, quelques années plus tard,
en pleine crise du combat qui opposa Montagnier à Gallo pour la paternité
du virus, Jean-Paul Lévy retrouva une lettre signée du virologue américain
datée des tout premiers instants. Il disait être à la recherche d’un rétrovirus,
qu’il pensait être similaire à ceux qu’il avait déjà découverts dans les
leucémies, et n’avait à ce jour rien observé « qui ressemble à ce que décrit
Montagnier ». Bien mal lui en prit car la lettre fut une des pièces maîtresses
à charge lors du procès qui les opposa sur la paternité de la découverte du
virus !
La publication française de Françoise Barré-Sinoussi et de ses collègues
dans la revue Science de mai 1983 avait engendré des réflexions et projets
de recherche. Pourtant ceux-ci restaient encore limités à quelques équipes
de l’Institut Pasteur, de la Pitié-Salpêtrière, Bichat, Cochin, Necker à
l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris et aussi en province, à Lyon, à
Strasbourg ou à Bordeaux. On avait compris que le virus infectait les
lymphocytes, particulièrement une sous-population, les CD4, dont le rôle
était majeur pour les défenses immunitaires. Ces lymphocytes avaient pris
le nom de CD4 du fait de l’expression d’un récepteur indispensable au
fonctionnement de ces cellules, qui dépassa le monde des immunologistes
lorsqu’on sut qu’il était utilisé par le VIH pour faciliter sa pénétration. En
même temps, les premières recherches allaient se porter sur l’étude du
génome viral et la description des réponses immunitaires contre ce virus –
sur lesquelles on reviendra – ainsi que sur l’établissement d’outils
diagnostiques que Françoise Brun-Vézinet et Christine Rouzioux mirent au
point avec les équipes de l’Institut Pasteur. Mais ces travaux et d’autres
également importants ne s’inscrivaient pas dans le cadre d’une politique
publique scientifique concertée à l’échelle française. Il faudra d’ailleurs
attendre 1986 pour que le sida devienne « cause nationale ». À l’époque,
l’industrie pharmaceutique restait faiblement mobilisée et sans réelle
proposition d’essais thérapeutiques. En effet les antiviraux n’étaient plus
une priorité parce que les virus donnant à la fois des maladies très graves et
fréquentes étaient rares dans les pays solvables. Rhône-Poulenc en France
allait fermer ses départements antiviraux. En recherche académique, le petit
nombre de recherches et d’équipes engagées était bien insuffisant pour une
épidémie de cette ampleur. Il fallait agir, mais on pensait soin et non
recherche. L’ambition d’inscrire plus fortement la science dans la lutte
viendra des chercheurs, ou plus exactement de leur administration.
Début 1987, Philippe Lazar, alors directeur général de l’Inserm, lance
un appel aux unités Inserm pour savoir de quelle manière elles pourraient
contribuer à la recherche sur le sida et demande à Jean-Paul Lévy de les
coordonner. Ce dernier a vite fait de recenser les unités Inserm et s’aperçoit
rapidement qu’un programme, s’il veut être ambitieux, doit dépasser les
contours de ce seul établissement, si prestigieux soit-il. On consulte
l’Institut Pasteur, le CNRS et l’université ou plutôt leurs unités, et celles
aussi que représentent les structures hospitalières. Sur le papier, la stratégie
et les forces nécessaires se voient aisément réparties. Manque le budget, qui
viendra d’une circonstance exceptionnelle fin 1987. Était-ce l’intérêt de
Jacques Chirac pour cette cause ou bien plutôt des circonstances électorales
qui nécessitaient quelques effets d’annonce ? Quoi qu’il en soit, des
promesses virent le jour : un budget fut avancé pour un programme de
recherche et devait atteindre 100 millions de francs. Il faut dire que la
presse et les associations s’étaient largement mobilisées autour du sida.
L’ampleur du drame du sang contaminé n’était-elle pas connue depuis
août 1986 ? Le Programme national de recherche sur le sida, le PNRS, était
né. Sa présidence fut confiée à Pierre Louisot, un médecin, biochimiste,
spécialiste en biologie moléculaire.
L’argent n’existait qu’en promesse, de plus le PNRS n’avait été mis en
place que pour une année, décision politique bien loin de tenir compte des
besoins et de la nécessité des recherches à effectuer. Devant le comité, Jean-
Paul Lévy déposa le programme qu’il avait conçu. Il hérita de 60 millions
de francs de fonds de réserve de l’Inserm, fonds que tout organisme a
l’obligation de conserver en fin d’année, et qui avait été opportunément
intégré aux annonces gouvernementales. Il fallut attendre le départ de la
droite du pouvoir pour que le ministre sortant ajoute in extremis 20 millions
dont 14 furent affectés au programme de Jean-Paul Lévy. Sur le papier, la
stratégie et les forces nécessaires se virent aisément réparties. Quatre
groupes de recherche ou comités furent créés : virologie et mise au point de
médicaments, VIH et défenses immunitaires, recherche clinique,
épidémiologie et sciences humaines et sociales, les ancêtres des « actions
coordonnées ».
En même temps, la recherche se faisait mieux connaître du politique et
prenait part au débat du jour. Ainsi, bien plus tard, lors d’un déjeuner à
l’Hôtel de Ville, Jean-Paul Lévy accompagné de quelques scientifiques était
interrogé sur l’intérêt d’un dépistage systématique. Certains des
intervenants le souhaitaient fortement. On y voyait une mesure de santé
publique efficace, des chercheurs chevronnés n’hésitant pas à dépasser la
recherche fondamentale pour prôner des mesures politiques. Jacques Chirac
se tourna vers Jean-Paul Lévy.
« Et vous, cher professeur, qu’en pensez-vous ?
– Monsieur le maire, je vais être franc. Il n’y a pas de traitement et sans
doute n’y en aura-t-il pas avant un certain temps. S’il y en avait un, on
pourrait obliger les contaminés à se traiter, mais sans traitement le dépistage
ne sert à rien, à moins de proposer le casernement comme Fidel Castro. Au
mieux vous n’arriverez même pas à une épidémiologie rigoureuse.
– Vous avez raison, reprit Jacques Chirac au bout de plusieurs minutes,
je n’y avais jamais pensé. »
On verra que l’ANRS reprit le débat bien plus tard, les traitements étant
disponibles… Pour l’heure, il s’agissait pour Jean-Paul Lévy de gérer son
budget avec l’arrivée d’un nouveau ministère au printemps 1988, dirigé par
Hubert Curien. Les circonstances étaient assez semblables à celles du
gouvernement précédent. Il n’y avait pas de projet politique ou même de
vision claire des besoins. Ainsi, quand Jean-Paul Lévy dut discuter
brièvement de la répartition de son premier budget avec un membre de son
cabinet, il lui fut suggéré de le répartir sur deux ans, comme si cela suffisait
à résoudre le problème. L’idée d’un plan à long terme n’apparaissait pas
prioritaire ! De toute manière, la gestion des crédits par l’administration
était d’une incroyable lenteur : les fonds de 1987 n’arrivèrent dans les
laboratoires que fin 1988, un an et demi plus tard ! Il restait qu’un
programme, un budget, une direction embarrassaient les coutumes de
l’Inserm dont ni le conseil d’administration, ni le conseil scientifique, ni les
syndicats ne pouvaient voir d’un bon œil la croissance. Ne s’agissait-il pas
d’un champ disciplinaire unique, et d’un budget qui échappait à leur
contrôle ? Le directeur général de l’Inserm proposa alors la création d’une
agence hors du giron de son organisme. C’était plus que suffisant pour
troubler le ministère. Comment un établissement pouvait-il suggérer de se
séparer d’un tel fleuron ? Ne pouvait-il y avoir quelque embrouille, un loup
caché, un piège ? L’affaire traîna en palabres et tergiversations. Jean-Paul
Lévy qui était pressenti pour diriger cette nouvelle agence était reçu
poliment mais les choses semblaient avancer si peu qu’aucun dossier,
document, planification ne lui était demandé. Vint un jour de novembre
1988, où il fut convoqué d’urgence par le ministère de l’Enseignement
supérieur et de la Recherche : « Nous apprenons que le ministère de la
Santé s’apprête à créer une agence de son côté. Nous ne pouvons les laisser
nous dépasser et prendre le pas. L’Agence sida doit être créée sur l’heure »,
lui dit-on alors. De fait, il fallut une heure pour la créer. On promit à Jean-
Paul Lévy un statut dans les trois mois. Il attendit quatre ans et un arrêté du
Conseil d’État pour la création d’un GIP, un groupement d’intérêt public.
Le plus important n’était-il pas que Jean-Paul Lévy repartait avec une
lettre de mission, un budget exceptionnel pour l’époque de 150 millions de
francs, qui dépassait ses espérances, et qu’il n’avait d’ailleurs pas demandé,
toutefois sans locaux et sans personnel ? Son premier acte fut de changer le
nom de ce nouvel organisme. L’« Agence sida » devint « l’Agence nationale
de recherches sur le sida », l’ANRS, ce nouvel organisme où tout restait à
découvrir, hormis ses espoirs.
Tout paraissait simple, au moins sur le papier. L’agence était créée.
L’Inserm fut d’une grande aide pour sa mise en place, notamment par
l’intermédiaire de Françoise Sevin, directrice du département
de l’évaluation et de la programmation, qui s’impliqua dans nombre de
détails pratiques, telle la recherche de locaux. L’agence était un service
décentralisé du ministère de la Recherche. Il y avait un budget, il n’y avait
qu’à avancer. Ce fut cependant plus compliqué que prévu. D’abord le
ministère souhaitait s’impliquer et Jean-Paul Lévy se trouva vite pris en
tenaille entre la direction de la recherche et celle du budget. Être en accord
avec l’une des directions sur un point le faisait bannir de l’autre et
réciproquement. Chacun voulait y aller de sa prééminence. S’en plaignant
un jour au directeur de cabinet, celui-ci le prit à part, ferma la porte puis :
« Mais de quelle tendance politique êtes-vous ? dit-il.
– Aucune, répondit Lévy, je n’ai pas de carte du parti.
– Je comprends tout, rétorque le directeur de cabinet. Ici, il y a d’un
côté les fabiusiens et de l’autre les rocardiens. Quand vous êtes bien avec
les uns, vous êtes automatiquement mal avec les autres. Mais ne vous
inquiétez pas, je vais arranger cela. »
Et Lévy n’en entendit plus parler…
Puis il y eut les relations avec les autres établissements. Dans un
premier temps, le budget resta localisé au ministère de la Recherche. Cela
sembla vite si compliqué, les attributions arrivant parfois après la date
butoir d’utilisation, que le nouveau directeur souhaita vite en sortir. On
proposa un temps de loger l’ANRS à la Fondation pour la recherche
médicale, une association caritative. Le fait qu’il s’agissait d’un
établissement public hébergé dans une fondation privée ne choqua
personne, sauf les intéressés. Au bout d’un certain temps, le personnel de
l’agence croissant, la fondation s’aperçut qu’il fallait introduire une
modification réglementaire ou plutôt créer un comité d’entreprise, ce que
ses responsables refusaient. Exit la fondation, il fallut trouver une autre
solution. Le ministère s’entendit alors avec l’Inserm pour accueillir
l’agence et gérer ses crédits, ce qui fut fait avec une parfaite efficacité. Mais
en même temps, l’Inserm s’inquiéta vite d’un organisme qui fonctionnait en
son sein en totale autonomie, avec des règles différentes. Par exemple, le
personnel des commissions n’était pas élu mais nommé par le directeur
de l’agence, ce qui dérogeait à la règle. Ce qui fut possible près de vingt-
cinq ans plus tard apparaissait alors déraisonnable. Les deux directions de
l’Inserm et de l’ANRS furent soulagées par la création du GIP qui fut ainsi
bienvenue même si la communauté scientifique n’y prêta guère attention.
On avait quitté les locaux provisoires de la rue Jean-Moulin pour s’installer
au treizième étage de la rue de Tolbiac, au-dessus de l’Inserm, un symbole
parmi d’autres.
Tout restait encore à faire, bien que les premières mesures eussent
planté le décor. Quelques principes avaient été érigés en règle, sans réelle
hiérarchie. Il s’agissait de soutenir la recherche fondamentale, ce que Jean-
Paul Lévy avait toujours appliqué dans son laboratoire. Ensuite, énonçait-
il : stimuler la recherche clinique, en souhaitant faire atteindre le niveau de
rigueur méthodologique nécessaire, s’appuyant sur une commission
préoccupée de cet objectif et chargée d’une fonction pédagogique. D’un
autre côté il fallait mettre en place les essais thérapeutiques. N’était-ce pas
la toute première fois qu’un organisme de recherche public se chargeait
d’organiser, financer et contrôler des protocoles thérapeutiques en France ?
Il fallait également soutenir les sciences humaines et sociales,
principalement pour savoir guider les mesures de prévention. Quant aux
recherches dans le Sud, une des premières initiatives fut de proposer de les
développer au Rwanda. « J’avais agi selon les suggestions du ministère de
la Coopération pour qui ce pays était un des plus sûrs d’Afrique », rappelle-
t-il, évoquant les massacres que l’on connaît.
Pour la méthode, il paraissait nécessaire de maintenir un équilibre entre
deux formules. L’une, classique consistait à laisser remonter du milieu des
initiatives de tous domaines en réponse à des appels d’offres non ciblés. Il
s’agissait ainsi de soutenir largement tous ceux qui passaient le cap de
l’expertise pour qu’ils n’aient pas à chercher leur budget ailleurs et perdre
du temps à des écritures de projets.
L’autre mesure était plus révolutionnaire et concernait la création des
« actions coordonnées », à travers ce que Jean-Paul Lévy appelle une
recherche dirigée. Il s’agissait de réunir des groupes de chercheurs
provenant de disciplines et d’horizons divers, sans distinction de leur
appartenance institutionnelle pourvu qu’ils apportent une expertise
originale. La recherche clinique, notamment les essais thérapeutiques dont
les infectiologues, pour beaucoup, ignoraient au départ la méthodologie, le
vaccin et la virologie médicale en bénéficièrent. Parallèlement, Alfred Spira
dirigea une mission d’enquête sur le comportement sexuel des Français. Par
la suite, le nombre et la typologie de ces « actions coordonnées » connurent
des variations. Il fallait s’adapter au gré des problèmes et des avancées de la
science, de ses échecs aussi. Avec le temps Jean-Paul Lévy pensa qu’il
fallait faire évoluer l’agence en la consacrant aux infections virales
chroniques, à commencer par les hépatites. Une querelle de clocher avec
l’Assistance publique, qui considérait que le champ des hépatites relevait de
sa compétence exclusive, s’y opposa à l’époque. Malgré quelques projets
financés, il fallut attendre quinze ans et un nouveau gouvernement pour que
cela soit possible à grande échelle. L’évolution vers d’autres élargissements
fut longtemps à l’ordre du jour et n’a été accélérée que plus de trente ans
plus tard, à l’occasion de l’épidémie de Covid-19.
Pour qui s’intéresse au fonctionnement des laboratoires et à leur
personnel, il est un frein majeur, celui du manque de personnel. Il y a le
personnel technique dont les différentes expertises et rythmes de carrière
limitent bien souvent le nombre dans les structures de recherche. À cet
égard Jean-Paul Lévy réussit à obtenir du ministère sur deux ou trois ans un
déblocage de quatre-vingts postes environ, de toutes catégories, qui furent
affectés par l’agence dans les différentes unités, surtout à l’Inserm, moins
au CNRS, quelques-uns à l’Institut Pasteur. Mais le manque criant était
aussi la difficulté d’embauche de postdoctorants. Le problème le plus
particulier était celui de ces bourses pour jeunes chercheurs ou médecins
travaillant pour la recherche clinique, essentiellement les essais
thérapeutiques. Très utiles au suivi correct des essais, ces « moniteurs de
recherche clinique », comme on le reverra, en acquéraient une formation
rigoureuse. Les ministères ne craignent rien tant que cette population
d’employés précaires qu’il est impossible d’absorber par la fonction
publique.
« Je pus me jouer de ces règlements, me rappela Jean-Paul Lévy.
“Surtout pas de postdoctorants”, me disait Hubert Curien, me croisant dans
la cour du ministère.
– Bien sûr que non, monsieur le ministre », et il ajouta à mon intention :
« J’en finançai beaucoup.
– Voyez-vous Patrice, me dit Jean-Paul Lévy en terminant notre
entretien. Je crois avoir tout créé de cette maison qui, bien sûr, a su se
développer magnifiquement par la suite. Vous allez, en parcourant l’histoire
des recherches qui y ont été soutenues, faire connaître les performances
françaises, mais une de mes plus grandes satisfactions est aussi d’avoir su
imaginer un modèle administratif original, et surtout, peut être plus encore,
une forme originale de gestion de la recherche, notamment dans ses
applications médicales. »

De très nombreux livres, textes de réflexion, rapports ont été écrits sur
le VIH/sida, et l’on pourrait discuter de l’intérêt et de l’opportunité de
traiter une fois de plus du sujet, s’il ne s’agissait de décrire le rôle très
particulier qu’a joué la recherche française dans la lutte contre cette
infection et les hépatites. La recherche face à une épidémie est un enjeu
majeur, pour les malades bien sûr, mais aussi pour les politiques, les
médias, le grand public qui veut comprendre et connaître mieux les
multiples facettes des questions de santé et de biologie que pose celle-ci.
S’il est encore tôt pour tirer les conclusions et les enseignements de
l’épidémie de SARS-CoV-2, il est intéressant d’examiner et comprendre la
manière dont la recherche française a su traiter d’autres fléaux infectieux.
Les travaux sur le sida dans cette perspective représentent un exemple
unique pour analyser les questions posées par une épidémie émergente et la
manière dont les porteurs d’enjeux s’en sont emparés, en science comme en
politique publique. Les travaux des chercheurs n’ont pu avoir lieu que grâce
au soutien d’un établissement exceptionnel créé à cette occasion selon un
nouveau modèle. La recherche française a initié ou participé à l’élaboration
d’une stratégie thérapeutique aujourd’hui bien codifiée. À de multiples
égards, elle a aidé à mieux comprendre la physiopathologie de la maladie,
apporté son lot d’espoirs et de désillusions aux essais vaccinaux, permis de
cerner les enjeux sociétaux de tous ordres et les multiples manières dont la
société française réagissait à cette épidémie. La recherche conduite et
soutenue par l’agence est intervenue dans le Sud, confortant des partenariats
historiques en Afrique subsaharienne et Asie du Sud-Est et les développant,
associant science et politique du développement dans des régions où le
risque épidémique croissait, créant à travers de telles collaborations une
meilleure prise en charge des malades. Ce qui n’a jamais été écrit ou décrit
concerne cette vision rétrospective sur les avancées scientifiques françaises
que seul un retour à l’histoire permet : découvrir l’origine et la conduite des
hypothèses et de leur réalisation, le rythme des découvertes, l’intrication
des champs disciplinaires et leur fécondation réciproque.
La création de l’ANRS vint tard, très tard, bien après la découverte du
virus. Elle doit beaucoup à l’activisme des malades du sida. Car une des
dimensions particulières de cette infection est la pression qu’exercèrent dès
l’origine les malades pour en justifier, à juste titre, l’urgence. Ceux-ci
souhaitaient dès le début être partie prenante de la riposte. Leur
mobilisation fut considérable : « Rien sans nous », « On n’a rien à perdre ».
Au contexte sanitaire s’ajoutaient ainsi des considérations sociales et
politiques qui nécessitaient diverses approches pour la prise en charge de
malades ou leur vulnérabilité, la lutte contre la discrimination liée au genre,
à l’orientation sexuelle ou l’origine ethnique, les mesures de prévention et
de recherche. Il fallait une réponse. Le gouvernement y vint à la suite d’un
rapport commandé en 1988 à Claude Got, un professeur de santé publique.
Dans ses conclusions, celui-ci préconisait de consacrer chaque année à la
recherche l’équivalent d’une journée du budget de la sécurité sociale, soit
1 milliard de francs. « Si notre pays veut apporter quelque chose au monde
pour le bicentenaire de 1789, qu’il donne à la recherche sur le sida des
moyens dignes de nos chercheurs, et mène une politique de prévention à la
hauteur des enjeux, mais qu’il n’oublie pas le système de soins. » Claude
Évin, alors ministre de la Santé, préfaçant ce rapport lors de sa publication,
rappela qu’avec une estimation des patients infectés entre 150 000 et
300 000, et 5 000 cas de sida, un triste record plaçant la France au second
rang des pays développés derrière les États-Unis, il prenait les décisions
suivantes : la création d’une agence de programme pour coordonner et
évaluer l’action d’éducation pour la santé, la mise en place du Conseil
national du sida pour réfléchir sur les conséquences sociales du sida, la
prise en charge de la personne en accroissant le budget hospitalier et, last
but not least, des crédits d’intervention triplés pour 1989, confiés à un
conseil scientifique, « souhaitant que cette structure prenne une dimension
européenne dès cette année ».

Ce livre a ainsi une double histoire, ou plutôt ambition. L’une est de


décrire les performances scientifiques et de mettre à la portée du public la
diversité des recherches qui ont été menées : enjeux, victoires et défaites.
Les malades d’aujourd’hui ne sont pas guéris, et doivent, sauf exception,
maintenir un traitement à vie pour contenir le virus. L’épidémie n’est pas
arrêtée, même si de nombreux progrès sur la santé des patients et la
transmission de l’infection sont à ce jour réalisés. L’autre ambition de ce
livre est de décrire l’originalité de cette institution dans le paysage français.
Mais au-delà de ces deux récits qui se croisent et se complémentent, il
s’agit de faire revivre l’enthousiasme de chercheurs qui apprirent à se
connaître et, venant d’horizons distincts, à travailler ensemble.
Enfin, et non des moindres réalisations, cette recherche a su et voulu
faire participer les malades et leurs associations. Ils ont été au cœur de la
mobilisation, imprimant le cap à maintenir quand les médecins et les
chercheurs se décourageaient ; ils étaient innovants ; ils ont introduit la
notion de responsabilité individuelle et de responsabilité partagée dans la
société, pour une prévention imposée qui, jusque-là, restait dans un état
d’esprit hygiéniste.
Ils ont entraîné le monde de la recherche dans leur mobilisation, malgré
le contexte sociétal de la discrimination et celui, mondial, des inégalités
majeures d’accès à la santé entre les pays riches et les pays pauvres. Mille
leçons que la pandémie récente montre que nous n’avons que très
partiellement retenues. La démarche scientifique qui s’est développée au fil
des années est aussi la leur, portée par leurs espoirs et leurs demandes,
effectuée pour beaucoup avec leur contrôle, ou au moins leur regard et leur
participation.
Leur travail a créé une nouvelle manière d’envisager la recherche, ce
« faire ensemble » motivé par l’urgence des enjeux. Ce long trajet de 1988 à
2021, entre hypothèses et réalités des recherches, est aujourd’hui rejoint par
les initiatives conduites autour d’autres émergences virales. La leçon des
recherches sur le sida doit nous permettre d’interpréter, de manière
exemplaire, les menaces d’aujourd’hui et de demain. En pleine actualité
épidémique liée au SARS-CoV-2, elle fait mieux comprendre la crise que le
monde subit de plein fouet.
PREMIÈRE PARTIE

La recherche sur le sida


Plus de quarante ans ont passé depuis les premières descriptions de
l’infection, et l’on a tendance à oublier le climat si particulier des premières
années du sida au moment où fut prise la décision de créer une agence de
recherche spécifique. Avant tout, il y avait l’angoisse, générée par la gravité
d’une maladie qu’on avait appris à connaître dès lors que les symptômes
apparaissaient. La mortalité croissante fit rapidement du sida une des
premières causes de décès chez les jeunes adultes. En même temps, et
presque paradoxalement, nombreux étaient ceux qui se demandaient encore
si la plupart des patients ne pouvaient rester sans manifestations cliniques
tout au long de leur vie, une interrogation qui revenait à mieux comprendre
ce qui risquait de les faire évoluer vers le sida. La connaissance de
l’évolution plus ou moins rapide mais inexorable du déficit immunitaire
chez la quasi-totalité des personnes séropositives n’est venue qu’à la fin des
années 1980.
Ni les malades ni les médecins ne pouvaient prévoir l’avenir. D’ailleurs,
on ne disposait que de peu d’outils pour l’évaluer, mis à part la chute des
lymphocytes, traduction du déficit immunitaire. Nombreux parmi les
scientifiques les plus éminents pensaient encore que l’immense majorité des
cas n’évolueraient pas vers une maladie mortelle, et ne ressentiraient que
des troubles temporaires. Le doute s’installait et ne rendait que plus
dramatique l’état de ceux qui, jusqu’alors sans symptômes, se mettaient à
perdre du poids, devenaient cachectiques avec fièvre et diarrhées.
De fausses informations circulaient sur les espoirs de traitement et sur
les modes de transmission. L’affaire du sang contaminé illustre ce défaut de
connaissance et l’hésitation des pouvoirs publics sur les mesures à prendre.
Vers la fin des années 1980, en l’absence de tout traitement, la prévention
restait la priorité des actions de santé publique. Or celles-ci ne pouvaient
venir seulement de circulaires ministérielles ou des interventions télévisées
de politiques avisés. De plus la lutte contre la maladie ne pouvait se limiter
à des mesures de prévention, malgré leur importance. Il fallait stimuler les
recherches sur le sida, dans toutes ses dimensions : recherches cliniques
pour favoriser l’innovation et appeler à tester de possibles médicaments,
recherche fondamentale et physiopathologique afin de comprendre les
déterminants de l’infection et du déficit immunitaire, mettre au point des
vaccins, recherches épidémiologiques et de santé publique, ou en sciences
humaines et sociales. Toutes les expertises étaient nécessaires. Elles
n’avaient pas l’habitude de travailler ensemble. Une des forces de l’ANRS
fut d’embrasser les champs de ces diverses disciplines en les réunissant, de
les féconder l’une par l’autre, de mobiliser et stimuler des communautés de
scientifiques et cliniciens qui se parlaient jusqu’alors insuffisamment.
Découvrir la démarche de ces différentes approches dans leur dimension
historique, des premières recherches sur le sida, puis celles sur les hépatites,
jusqu’à 2021, date de l’intégration à l’agence des activités sur le Covid-19,
permet ainsi de mieux comprendre les questions que posent les épidémies
émergentes et de percevoir leur complémentarité.
CHAPITRE 1

Traiter

Trente ans après les premières études françaises qui testaient de


possibles médicaments contre le VIH, un après-midi d’automne 2019, je
retrouvai Jean Dormont pour évoquer ses souvenirs d’alors. Ces temps
paraissaient loin et proches. Professeur de médecine, infectiologue réputé, il
avait été nommé en mars 1987 par le directeur général de l’Inserm, Philippe
Lazar, coordinateur des essais thérapeutiques de l’ANRS.
« Regardez cette lettre, me dit-il en montrant le document qui annonçait
ses nouvelles fonctions. Elle est très particulière car le directeur général
s’adresse aux responsables des services cliniques concernés par la lutte
contre le sida. Dans le système cloisonné de nos administrations, il est assez
inhabituel que le directeur d’un établissement de recherche comme l’Inserm
nomme une personnalité dans des fonctions qui engagent les hôpitaux
même si, comme l’écriture le précisait, il “n’entrait nullement dans les vues
de l’Inserm de se substituer en quoi que ce soit au déroulement normal des
procédures habituelles de libre choix, par les équipes concernées, de leurs
thèmes de travail et de leurs partenaires, publics et privés”. »
Pour qui connaît les subtilités de langage administratif, le geste avait
son importance. L’Inserm voulait jouer un rôle de « coordination et de
fédération des efforts entrepris ici et là pour gagner de vitesse le
développement de cette pathologie » et – sous-entendu – gagner aussi de
vitesse les tentatives françaises concurrentes. Afin de tester l’efficacité de
médicaments capables de lutter contre le virus, rien de sérieux n’avait été
tenté en France jusqu’alors ! L’initiative était judicieuse.
« Peu après, nous raconte Jean Dormont, je me suis rendu aux États-
Unis pour observer les interventions effectuées par les Américains. Bien
sûr, je connaissais leur potentiel, mais étais loin de m’imaginer ce qu’ils
avaient déjà mis en place : une énorme organisation pour étudier de
possibles molécules actives avait été établie au cœur des National Institutes
of Health de Bethesda, dans le Maryland. Avec un état-major d’une
vingtaine de personnes, ils avaient déjà piloté plus de cent essais, inclus
14 000 malades sur 50 sites répartis dans tout le pays pour tester tous les
produits candidats. En m’apercevant de notre retard, j’avais beau me
rassurer en constatant que beaucoup de ces essais étaient de petite taille, la
leçon était cinglante ! À mon retour, ou presque, nous avons réuni la
communauté scientifique et médicale française dans un grand amphithéâtre
de l’hôpital de Bicêtre pour prendre le pouls de ceux qui souhaitaient
s’engager en recherche thérapeutique. Ce jour-là, l’amphi était plein à
craquer. On nous attendait. Nous avons commencé par un long plaidoyer
pour raconter nos efforts et particulièrement ces études de cohortes, qui se
contentaient de colliger le suivi des patients. Nous en étions assez fiers.
Mais je me souviens d’avoir été bien vite interrompu. “Comment peut-on
imaginer que la recherche française se contente d’observer des malades,
sans comparer le moindre traitement !” entendait-on dans la salle. Les
critiques pleuvaient. Les immunologistes étaient parmi les plus virulents.
Nous étions déjà en 1988, il devenait évident qu’il fallait agir. Il était plus
que temps d’étudier l’effet des quelques molécules dont on entendait
parler. »
C’est l’histoire qui allait parler, notamment celle des milliers de
patients, et aussi de leurs médecins, qui allaient participer à ces essais
thérapeutiques.
ANRS, année zéro
« L’ANRS fera des essais thérapeutiques l’une de ses priorités. » Ainsi
s’exprimait en 1990 son directeur en commentant les premiers mois de la
jeune agence et plantant les décors de ceux à venir. Il ne fut jamais démenti.
Jusqu’à ce jour encore, cet aspect de la recherche clinique en reste le
principal fleuron. A fortiori quand il était clair dans ces premières années
qu’on ne pouvait rester les bras ballants à attendre l’inexorable chute des
CD4, faute d’un médicament capable de l’enrayer. S’il était bien une
mission qui justifiait la création de cette nouvelle entité, c’était de répondre
à ce besoin vital, comme l’indiquait le ministre de la Recherche en
assignant à Jean-Paul Lévy ce qu’il attendait de lui. On estimait alors à
150 000 le nombre de séropositifs et la survenue annuelle de 5 000 à 7 000
cas de sida.
L’épidémie bouleversait la société française. L’affaire du sang
contaminé avait donné un éclairage nouveau sur les nécessités de la
prévention et les missions de l’autre agence de lutte contre le sida, l’AFLS.
L’ANRS devait agir et, avant tout, initier la recherche de nouveaux
traitements. Certes quelques molécules, dont il fallait d’ailleurs guider les
indications, pouvaient être proposées pour traiter ou prévenir les infections
des germes opportunistes que favorisait le déficit immunitaire, mais c’était
avant tout le VIH qu’il fallait combattre, à défaut de pouvoir l’éradiquer
comme on le pensait possible alors. Or, contre le VIH, dont on avait appris
qu’il était bien responsable de l’immunodépression, il n’y avait rien ou
presque sinon quelques substances tout juste bonnes à désinfecter les
paillasses de laboratoires de microbiologie. On donnait quelques conseils de
prévention, mais aucun ne pouvait servir à traiter les patients. La tâche était
immense, les médias et les militants d’Act Up-Paris dénonçaient le manque
de réactivité du monde de la recherche. Les biologistes au cœur du
dispositif hospitalier n’étaient pas éduqués pour la découverte de nouveaux
produits, même s’ils possédaient les technologies pour les tester.
Quant aux cliniciens, pour ceux qui étaient entraînés à monter des
essais, ils ne pouvaient agir que s’ils disposaient de molécules à étudier. On
se tourna alors vers l’industrie pharmaceutique, cherchant à tester ce qu’elle
possédait dans son escarcelle, et vers les banques de molécules de synthèse
chimique ou extraits naturels dont elle disposait et dont il fallait montrer un
éventuel effet contre le virus.
Faute de produits disponibles, il avait bien fallu se contenter d’abord de
suivre des cohortes de patients, celles d’enfants en 1986, puis d’adultes en
1987, avant que ne puissent débuter les premiers essais en France en 1989.
Ceux-ci avaient cependant commencé à l’étranger, notamment aux États-
Unis, qui avaient lancé deux ans plus tôt cet ambitieux programme d’essais
thérapeutiques dont parlait Jean Dormont : l’ACTG pour AIDS Clinical
Trials Group, soutenu par la division des maladies infectieuses des NIH, le
NIAD.
« Il était clair que les Américains n’avaient pas besoin de nous, avait-il
ajouté. D’emblée, pourtant, il semblait préférable que les essais soient
montés à l’échelle internationale. Ne valait-il pas mieux lutter ensemble que
d’en faire l’enjeu de compétitions farouches ? L’Europe avait à s’affirmer et
les Britanniques, qui en faisaient alors partie, furent approchés dans le cadre
des contacts qui s’étaient effectués depuis 1987 avec le Medical Research
Council auquel, sur leur demande, s’associa le laboratoire britannique
Wellcome. »
De quoi discutait-on alors, sinon de la seule molécule dont on pouvait
disposer pour des études chez l’homme, la zidovudine ou AZT ? Ce produit
semblait prometteur, du moins d’après les premières données des essais
américains sur les courbes d’évolution des lymphocytes. Ce médicament est
un analogue de la thymidine, connu depuis 1964 pour ses potentialités
anticancéreuses. Il avait été découvert par un chercheur américain, Jerome
Horwitz, dans le cadre d’un grand programme fédéral soutenu par le
gouvernement des États-Unis. Il avait cependant été mis de côté, car l’effet
sur les tumeurs avait été jugé modeste, et surtout le produit semblait
présenter des effets secondaires inacceptables. Mais cela n’avait pas
empêché en 1974 un scientifique allemand de l’Institut Max-Planck de
tester son effet sur des rétrovirus murins et d’en montrer une certaine
efficacité. Ces résultats étaient totalement passés inaperçus, inexploités, et
de plus restés inexpliqués, jusqu’à certains jours de janvier 1985 où trois
chercheurs du NCI (National Cancer Institute) en collaboration avec
d’autres scientifiques de Burroughs Wellcome (antérieurement
GlaxoSmithKline) testèrent à nouveau ce médicament, cette fois contre le
VIH. Leur découverte jeta un nouvel éclairage sur les perspectives offertes
à cette drogue de placard.
L’AZT inhibait in vitro la rétrotranscriptase, qui, comme nous l’avons
vu, était l’enzyme clé du VIH, impliquée dans son intégration cellulaire.
Devant l’urgence et la pénurie de candidats thérapeutiques, les barrières
réglementaires américaines furent franchies rapidement et l’on s’empara de
l’AZT pour monter un des premiers essais du genre. Les résultats pionniers
chez l’homme avaient pu montrer que le produit induisait une augmentation
des lymphocytes CD4 chez les patients infectés. Poursuivi à plus large
échelle sur six mois chez des malades en phase terminale du sida, un essai
ultérieur confirmait la tendance, mais, mieux, semblait prolonger
l’espérance de vie, doublant l’appréciation biologique sur son efficacité par
des arguments bien plus convaincant pour des cliniciens. Il n’y eut pas
qu’eux à être convaincus. L’industriel s’était empressé de déposer un brevet
d’exploitation en 1984, et l’agence fédérale américaine du médicament, la
FDA, d’approuver l’utilisation clinique dès 1987. Mais la dose alors
proposée, en six prises, élevée et contraignante, suscitait des critiques.
Surtout, le maniement de ce médicament restait à trouver : à quel stade de la
maladie fallait-il l’utiliser ? Devait-on attendre une chute importante des
lymphocytes comme les Américains semblaient le proposer ? D’ailleurs que
voulait dire « importante » pour des scientifiques qui raisonnent en nombre
de globules et recherchent plus l’objectivité qu’un adjectif qualitatif ? C’est
sur ces questions que s’arrêtèrent les stratèges français et leurs collègues
anglais. Elles avaient leur opportunité et permettaient également d’entrer
dans la cour des grands, de ceux qui testaient l’effet des médicaments,
limités alors à un face-à-face (dont on verra d’autres exemples) entre les
chercheurs américains et leur industrie.

Concorde et la méthodologie des essais


Premier essai français d’efficacité thérapeutique, Concorde était le
deuxième de la jeune agence, précédé d’une étude plus modeste en taille sur
la pharmacocinétique et biodisponibilité de l’AZT. Il s’agissait là de savoir
à quel stade d’évolution de la maladie les personnes infectées par le VIH
devaient débuter leur traitement avec ce médicament.
L’utilisation d’un nouveau produit thérapeutique chez l’homme, depuis
sa conception au laboratoire, qu’il soit industriel ou public, jusqu’à sa mise
sur le marché, passe par une série d’étapes pour confirmer son effet médical
et valider sa tolérance. Les molécules issues de la recherche, dont l’activité
et l’absence de toxicité sont d’abord testées in vitro en culture cellulaire et
sur des modèles animaux, doivent franchir les différentes phases d’étude
chez l’homme. On nomme protocole le dessin de ces essais, phase I leur
tolérance (doses, modes d’administration, etc.). Les phases II et III en
testent l’efficacité chez des groupes de plus en plus importants de malades
jusqu’à la phase IV qui étudie son introduction dans les communautés de
patients. C’est bien ainsi, chez les malades, qu’il faut recueillir les données
aussi bien cliniques que biologiques ou autres. Or il faut s’assurer de leur
adhésion.
Les patients ne peuvent ainsi être inclus qu’après une information
précise des recherches poursuivies et un recueil de leur consentement. Ces
modalités réglementaires ne sont pas propres au VIH et ne sont pas
nouvelles, mais la loi qui les encadre du nom des sénateurs Huriet et
Serusclat n’est pas très ancienne puisqu’elle date de 1988, l’année du
démarrage de l’essai Concorde. L’histoire avait un temps bégayé car si la
notion qu’on ne peut expérimenter chez l’homme sans son accord remonte à
1945 et au procès des médecins de Nuremberg, il fallut une série
d’incidents et d’inculpations pour qu’on note les dérives que la recherche
avait fait courir à la dignité humaine. Qui ne se souvient ainsi des
expériences menées aux États-Unis jusqu’aux années 1970 sur les Noirs
américains qu’on observait, sans les traiter et sans les informer des
médicaments possibles, pour étudier les effets de la syphilis, ne les
indemnisant que le jour de leur enterrement ?
Un essai thérapeutique encadré ainsi par le règlement juridique repose
sur l’autonomie de la personne, mais aussi sur un principe de précaution. Le
patient doit connaître les objectifs des recherches, les avantages attendus et
risques des médicaments testés, sachant que les règles éthiques ne rendent
plus obligatoire un possible bénéfice thérapeutique. Pour le VIH, comme
pour d’autres pathologies, mais plus particulièrement lors de cette infection,
au fur et à mesure du déroulement des essais, il devint important de mieux
connaître la sociologie et les motivations des patients qui acceptaient d’y
participer. Ce devint un sujet de recherche en soi, mais aussi une aide pour
le dessin et la mise en place de telles études, de sorte que des chercheurs
spécialisés en sciences humaines et sociales participèrent activement aux
délibérations conduisant aux essais. Progressivement, il devint important de
recueillir également l’avis des patients et de leurs associations pour
concevoir les protocoles thérapeutiques. La rencontre des médecins et de la
société civile, dont on reverra les fondements et les influences croisées par
ailleurs, fut un fait majeur, déterminant sur le fond et la forme des essais, et
plus largement encore sur la médecine et recherche médicale. Les militants
des associations de malades allaient ainsi intervenir aussi bien sur l’urgence
que les modalités du traitement.
Tester un nouveau médicament, en l’occurrence contre le VIH, dépend
des questions posées. S’il s’agit d’évaluer un effet clinique, celui-ci dépend
du stade où le traitement est proposé. Utilisé en phase de sida, état avancé
de la maladie, il lui sera plus difficile d’être efficace. Plus précocement,
avant l’apparition des symptômes cliniques, l’effet possible nécessite une
observation plus longue. D’un autre côté la biologie peut aider à mesurer
l’efficacité, même si pour des cliniciens l’effet clinique doit primer. La
mesure de la quantité de virus, facilitée par l’introduction de la technique
appelée amplification en chaîne par polymérase (PCR), apparaît à
l’évidence la méthode de choix, mais ne fut mise en place qu’au début des
années 1990, et ne pouvait être appliquée à Concorde. Quant au taux de
lymphocytes CD4, il est certes adéquat pour évaluer l’état du déficit
immunitaire, mais ne mesure que la conséquence indirecte de l’activité
thérapeutique sur le virus.
L’essai Concorde fut confronté d’emblée à ces problèmes car le
protocole avait pour but de tester l’efficacité précoce de l’AZT dans le but
de retarder la progression de la maladie. L’inclusion s’adressait ainsi à des
sujets sans manifestations cliniques qui avaient une séropositivité connue
depuis au moins trois ans. Afin d’apprécier scientifiquement un possible
effet de ce traitement, encore fallait-il comparer ces résultats à ceux obtenus
par administration d’un placebo.
« Ce fut un des premiers points de discussion avec les Anglais, se
rappelle Jean Dormont. Il ne semblait pas éthique de laisser ses patients
sous placebo si la situation s’aggravait. Mais que voulait dire aggravation ?
Maxime Seligmann, en brillant immunologiste et investigateur principal,
penchait pour la biologie et voulait imposer un chiffre de CD4 pour
proposer l’AZT aux patients sous placebo dont la situation se détériorait.
Les Anglais refusaient. La situation s’éternisait. Nous nous réunissions dans
les aéroports de Heathrow ou Roissy, mais n’arrivions pas à prendre une
décision. Seligmann parlait d’une limite de 200 CD4. Je lui dis alors :
– Mais comment as-tu la preuve qu’il faut appliquer ce chiffre plutôt
qu’un autre ?
– Je n’en ai pas, répondit-il.
Comme il persistait, je le pris à part :
– C’est la clinique qui va trancher. Il faut qu’il en soit ainsi.
Les Anglais approuvèrent et il dut s’y résoudre. »
Mais le rôle de Maxime Seligmann n’était pas fini, loin de là. D’ailleurs
il animait remarquablement un des axes prioritaires de l’agence, celui de la
recherche clinique.
C’est ainsi que les malades furent répartis en deux groupes : le groupe
« immédiat » dans lequel les patients reçurent d’emblée l’AZT et le groupe
« différé » où l’on donna le placebo jusqu’à l’apparition des premiers
symptômes de la maladie, légitimant alors la prise d’AZT. Parce qu’il
s’agissait avant tout de critères cliniques, l’essai allait inclure un grand
nombre de patients : 1 749 personnes infectées par le VIH y participèrent. Il
débuta en France en janvier 1989 dans 35 centres. Les Anglais avaient
commencé les inclusions dès novembre 1988. Un conseil scientifique, un
comité de coordination furent mis en place, ainsi qu’un comité de
surveillance qui, disposant des résultats, se réunissait régulièrement pour
juger du bon déroulement de l’étude. Les cliniciens ignoraient le traitement
qu’ils donnaient au patient. Les malades également.
Dans chacun des deux pays, les données étaient recueillies de manière
rigoureuse et transmises par Minitel, une invention française qui avait son
heure de gloire car Internet n’existait pas encore. Mais l’Europe n’était pas
seule à se préoccuper de l’utilisation de l’AZT. En poursuivant leurs études
préliminaires, les Américains allaient jeter un pavé dans la mare. Ils
annoncèrent à grand fracas qu’ils interrompaient l’essai d’administration
d’AZT contre placebo qu’ils poursuivaient indépendamment de leur côté :
la drogue ayant fait définitivement la preuve de son efficacité chez les
patients ayant moins de 500 CD4, l’utilisation du placebo n’était dès lors
plus licite.
Cette annonce mit les investigateurs franco-britanniques dans
l’embarras. Que fallait-il faire ? Arrêter toute investigation, c’était se plier
aux résultats américains ; poursuivre, c’était risquer de donner un placebo à
des patients qui auraient pu bénéficier de l’AZT.
Finalement ce fut le comité de surveillance qui trancha et suggéra la
poursuite de l’essai. Il était licite de tester l’effet à long terme de l’AZT. Le
protocole permettrait de voir si le traitement par AZT retardait l’évolution
clinique vers le sida, son effet sur la qualité de vie et sur la survie, et puis
aussi, préoccupation des virologues, si l’on induisait une résistance de
certains isolats viraux à ce médicament. Restait aussi à examiner la possible
toxicité. Bref, il y eut des deux côtés de la Manche un commun accord de
ne pas tenir compte des données d’outre-Atlantique pour interrompre
l’essai. Concorde continua.

Des médicaments et des hommes


Imaginer un protocole, qu’il soit thérapeutique ou non, est une activité
délicate ; le conduire est un autre exercice. Il faut ainsi des expertises
diverses qui en font un travail d’équipe et des rapprochements de multiples
natures, autant d’étapes à franchir pour dresser des collaborations avec
l’industrie pharmaceutique, avoir l’accord de l’Agence du médicament et
des comités d’éthique, s’assurer d’une promotion, etc. Encore fallait-il
disposer de médicaments. Aussi, dès le début, la direction de l’ANRS
s’était tournée vers l’industrie et, devant la pénurie de candidats
pharmaceutiques capables de lutter contre le VIH, avait engagé un véritable
partenariat pour découvrir de nouvelles molécules. Le dialogue débuta avec
la société Synthélabo et une association envisagée entre celle-ci et trois
laboratoires publics, chacun chargé de missions différentes. L’un devait
synthétiser les candidats possibles, l’autre devait tester les activités
fonctionnelles in vitro pour éliminer toute toxicité, le troisième, à
Strasbourg, en cribler les activités antirétrovirales. Ces laboratoires devaient
bénéficier de nouveaux équipements et d’une aide des collectivités locales.
Sur le papier tout semblait assez simple. Mais le passage en série de milliers
de molécules et d’autant de tests fut un long et douloureux périple, même si
deux autres compagnies pharmaceutiques, Rhône-Poulenc Rorer et
Transgène, rejoignirent les premiers acteurs. Dix ans plus tard, et plus de
4 000 molécules testées, les partenaires se séparèrent sur un échec. Pas un
seul produit ne dépassa le cadre de l’expertise en laboratoire et ne put être
expérimenté chez l’homme. Sans attendre, l’ANRS s’était recentrée sur
d’autres stratégies, accumulant les essais de molécules disponibles que lui
fournissaient l’une après l’autre les industriels du médicament.
Passer du laboratoire à l’homme ne demande pas la même expertise. La
recherche biologique et la recherche clinique ont leurs lois, leurs nécessités,
et demandent des compétences différentes.
Les essais in vivo tels ceux de Concorde impliquent une connaissance
méthodologique que tout clinicien n’a pas et qui repose sur des analyses
statistiques pointues qui, en France, furent introduites par Daniel Schwartz.
Il bénéficiait d’une aura particulière dans le paysage français de la
médecine. Polytechnicien, ingénieur dans l’industrie du tabac, il s’était
laissé guider par son oncle Robert Debré pour quitter celle-ci et rejoindre le
monde de la santé. Il avait fondé le premier service de statistique médicale
et, au fil des ans, formé toute l’École française des biostatisticiens pour
appliquer les règles de cette science à la recherche clinique. Ce faisant, il
avait introduit une véritable révolution dans la manière de penser et gérer
les essais, comme cela fut appliqué pour Concorde (traitement testé contre
un placebo, patients tirés au sort pour recevoir l’un ou l’autre à leur insu, et
d’ailleurs aussi à celui du médecin…).
Une des principales actions coordonnées, l’AC 5, fut créée pour
réfléchir aux essais à venir et à la mise au point de médicaments, nouvelles
molécules issues de la recherche fondamentale. Des personnalités de poids,
membres du conseil scientifique de l’agence, tels François Gros, un des plus
éminents scientifiques de l’Institut Pasteur et futur collaborateur de Laurent
Fabius, ou Luc Montagnier, qui n’avait pas encore reçu son prix Nobel,
participaient aux délibérations. L’AC 5 était présidée par Jean Dormont,
assisté de Daniel Schwartz. On retrouvait les immunologistes Claude
Griscelli (pédiatre) et Maxime Seligmann (médecine adulte), les
infectiologues Claude Carbon, Willy Rozenbaum, Jean-Louis Vildé,
Christine Katlama. « Les réunions de l’AC 5, se souvient Christine
Katlama, étaient extrêmement riches. Nous étions de jeunes cliniciens
passionnés, mais ce qu’il y avait d’extraordinaire c’était que nous avions la
possibilité de passer très rapidement à l’action. Nous arrivions assez
facilement à nous mettre d’accord sur les priorités. L’ANRS nous donnait la
possibilité de les exécuter. Les associations de malades qui nous ont rejoints
par la suite apportaient un autre regard. Nous avons appris à réfléchir
ensemble. » Pourtant discuter d’opportunités, argumenter et sélectionner les
futurs essais était loin d’être suffisant. Il fallait des mesures
d’accompagnement. Elles vinrent vite, cherchant à couvrir l’étendue du
spectre des activités en recherche clinique.
Dans ce pays qui manquait remarquablement de bourses de recherche –
et dont les décideurs n’ont toujours pas pris la mesure, à l’heure où les
meilleurs, qu’ils soient ou non français, gagnent les équipes étrangères qui
leur en font l’offre –, il fallait susciter des vocations pour des études chez
l’humain. Jean-Paul Lévy avait compris l’importance et la nécessité
d’emplois dédiés au suivi des essais. Il créa des subventions pour des
moniteurs d’études cliniques et fut vite convaincu que des postes étaient
aussi nécessaires à la surveillance des tests biologiques qui, bien souvent,
représentaient des marqueurs d’efficacité. De jeunes médecins, à temps
plein ou plus partiel, furent ainsi engagés au fur et à mesure que le nombre
d’essais augmentait et avec eux les besoins d’en assurer le soutien clinique.
Mais l’effort ne se limita pas à cette mesure, quelle qu’en soit
l’importance. Il fallait une aide d’une autre nature pour couvrir la
méthodologie des essais, s’assurer que leur conception, leur déroulement,
leur analyse satisfassent aux bonnes pratiques cliniques, et à celles des tests
statistiques, sans lesquelles aucun résultat ne pouvait être crédible et encore
moins publié. L’ombre de Daniel Schwartz était omniprésente. D’ailleurs il
était dans les couloirs de la jeune agence. Mais il fallait une équipe dédiée
et un chef, jeune et disponible.
On désigna Jean-Pierre Aboulker. De grande rigueur, ce dernier savait
ne pas s’en laisser conter. Il avait une extraordinaire capacité de travail. On
pouvait s’en assurer au nombre de barres nutritives qui jonchaient sa voiture
et lui permettaient de déjeuner en hâte pour se consacrer à ses travaux. Il
s’était illustré avec brio dans un essai qui avait statué sur l’effet controversé
d’un médicament utilisé comme immunosuppresseur, la ciclosporine,
concluant à son inefficacité. Il fallait à Aboulker une équipe. Celle-ci lui fut
fournie par l’Inserm. Un groupe dédié au nom prometteur, VIGIE, fut
chargé de fournir l’aide méthodologique aux premiers essais. Cela prit bien
vite la forme d’un service commun (SC), une couverture administrative
pour assurer à tous, c’est-à-dire aux protocoles qui se multiplièrent, la
formation aux pratiques de l’essai, l’intégration aux équipes de gestion
statistique.
Le SC 10 devint le premier centre de méthodologie des études que
finançait l’ANRS. Il acquit une réputation non usurpée et d’une certaine
manière servit de modèle aux futures unités de recherche clinique que les
hôpitaux mirent en place quelque dix ans plus tard pour la gestion des essais
sur d’autres pathologies que celles liées au VIH. Soutien en méthodologie
statistique, surveillant le bon déroulement des protocoles et des inclusions
de patients, le SC 10 fut aussi chargé d’assurer la conservation des
biobanques d’échantillons biologiques. Avec le temps et le nombre de
protocoles à suivre, les moyens du SC 10 furent débordés et il fallut créer
d’autres entités comparables dans d’autres lieux, à Paris (hôpitaux de la
Pitié-Salpêtrière, Bicêtre et Bichat) et à Bordeaux. Mais un fait demeurait :
même si quelques améliorations et expertises locales y furent apportées, le
modèle du SC 10 qui rendit un service considérable fit référence, envié par
beaucoup de jeunes cliniciens que la recherche clinique attirait.
Les mesures d’encadrement des essais cliniques ne s’arrêtèrent pas là.
Un groupe de travail participa à l’implantation d’un thésaurus qui permit le
codage des événements médicaux et sociaux. Pour répondre à la déclaration
d’événements indésirables graves, susceptibles d’être liés aux médicaments
en essai, l’ANRS s’entoura également d’une équipe de pharmacovigilance
dotée d’un médecin et d’un pharmacien qui devaient les rapporter aux
autorités de santé. L’Afssaps, l’Agence nationale de sécurité des
médicaments d’alors, plus rarement d’autres, pouvaient ainsi demander ou
recevoir les rapports de tolérance qu’exigeaient les protocoles, souvent
compliqués par ceux qu’imposaient des législations étrangères dans le cas
d’essais internationaux. Ces spécialistes des affaires réglementaires et de la
pharmacovigilance employés par l’ANRS furent d’autant plus nécessaires
que la file active de patients susceptibles de participer allait s’accroître avec
le temps, ayant atteint vingt ans après Concorde près de 30 000 patients
suivis par l’ANRS sur de multiples sites, presque la moitié de la file
nationale.

Où l’on reparle de Concorde… pour


l’après
L’essai Concorde, dont les résultats furent publiés le 1er avril 1993, fut
« un coup dur pour les séropositifs et les médecins engagés dans la lutte
contre le sida », comme le titraient les médias d’alors. Il montrait en effet
que l’AZT n’avait pas de bénéfice clinique assuré. Il ne permettait pas
d’apprécier l’efficacité de l’AZT lorsqu’il est prescrit à des patients sans
symptômes cliniques. Comme souvent, l’arbre cachait la forêt (à moins que
ce ne fût l’inverse), car l’essai n’était pas sans montrer une certaine
efficacité de l’AZT, même si elle n’avait qu’une traduction biologique. Le
traitement entraînait une augmentation claire des CD4 et, par là même, une
amélioration du système immunitaire. Mais une annonce brouillait l’autre et
la biologie, de tout temps, est passée derrière la clinique, faute d’en faire
comprendre la valeur prédictive à un moment donné. Souvent même, la
valeur reconnue, on en profite pour critiquer la biologie !
« Concorde avait pour but de déterminer si le traitement devait être ou
non engagé avant la survenue des premiers symptômes », avaient précisé
les coordinateurs de l’essai, et de conclure : « Les résultats de l’étude
n’incitent pas à utiliser l’AZT à un stade précoce chez les personnes
infectées par le VIH et créent une confusion supplémentaire. » Ils ajoutaient
que « la discordance entre le bénéfice biologique et l’apparente absence de
bénéfice clinique [faisait] douter sérieusement de la valeur des chiffres de
CD4 comme test prédictif d’un traitement antirétroviral sur l’évolution
clinique et la survie ».
Ces résultats ne bénéficiaient même pas à une controverse
internationale. Ils étaient en phase avec l’analyse bénéfique précoce sur les
lymphocytes des essais américains qui n’avaient pas parié sur le long terme
et étaient d’ailleurs passés à une autre stratégie. S’il y avait une leçon à tirer
du prestigieux essai Concorde, qui bénéficia de l’aura d’avoir été le premier
à tester l’efficacité d’une drogue, c’est bien la difficulté à en tirer des
conclusions en connaissance. « En matière de traitement du sida, déclarait
alors Jean-Paul Lévy aux journalistes, on est arrivés aujourd’hui à un stade
où toutes les pistes initiales ont été épuisées. Il nous faut donc maintenant
explorer les quelques pistes d’avenir existantes. » L’arrivée de nouveaux
médicaments allait en effet permettre de dégager de nouveaux espoirs et
modifier le cours des choses, notamment des essais.
Entre-temps, en effet, de nouveaux médicaments étaient devenus
disponibles pour de nouvelles tentatives thérapeutiques. De fait les
cliniciens, heureusement, n’étaient pas restés les bras ballants à attendre les
résultats de Concorde. L’état d’esprit des infectiologues n’était d’ailleurs
pas à la monothérapie. Contrairement à la stratégie des spécialistes du
cancer qui aimaient tester les drogues en alternance plus qu’en association,
les spécialistes des maladies infectieuses s’étaient depuis longtemps heurtés
aux résistances médicamenteuses et, surtout, grâce à la panoplie de cible et
de fonction qu’offraient les antibiotiques, à les utiliser en association.
C’était d’ailleurs le cas, puisqu’on identifia rapidement les premières
résistances à l’AZT. On parlait, on comprenait, on soutenait le principe des
multithérapies, que les stratèges, qui connaissaient sur le bout des doigts les
combinaisons utiles, distillaient depuis longtemps pour traiter efficacement
les maladies infectieuses. Deux antibiotiques valent mieux qu’un seul, si
l’on se base sur leur complémentarité, une stratégie que l’industrie
pharmaceutique s’était empressée d’approuver et que l’on apprenait aux
jeunes étudiants en médecine. Il semblait logique que le sida satisfasse à la
règle si plusieurs molécules se présentaient à la sagacité des
expérimentateurs.
Ce fut le cas, notamment à l’AC 5, où l’on discutait sous la houlette de
Jean Dormont et de Daniel Schwartz les différents protocoles
thérapeutiques. La multithérapie devint vite une évidence à peine brisée par
le nombre de médicaments disponibles et leur mode d’action. Dans le cas
du sida, les médicaments qui faisaient l’objet de recherches et aussi
d’enjeux thérapeutiques étaient doubles. Lutter contre le virus et prévenir et
traiter les infections dites opportunistes, dues aux microbes, aux bactéries,
aux parasites et aux virus de tous ordres, secondaires à l’immunodépression
induite par le VIH. Dans un cas il s’agissait de traiter la cause du sida, dans
l’autre ses conséquences. Dans tous les cas, ces malades que l’épidémie
ciblait au Nord comme au Sud posaient de redoutables problèmes
hospitaliers. Pour l’ANRS, la mission était claire ; encore fallait-il bien
comprendre, avant toute réflexion et stratégie, les mécanismes par lesquels
les antirétroviraux dans un cas (la lutte contre le VIH), les antibiotiques
dans l’autre (ses complications) pouvaient agir.

Les antirétroviraux à l’honneur


Il n’existe pas d’antibiotiques actifs contre les virus, car ceux-ci ne se
répliquent pas indépendamment des cellules. Agir contre un virus impose
ainsi une autre stratégie qui consiste à tenter d’interférer avec les différentes
étapes de son cycle : attachement du virus à un récepteur cellulaire,
pénétration dans la cellule, réplication du génome viral, assemblage des
copies pour former le nouveau virus. Au début des recherches, peu de
médicaments étaient actifs sur les étapes d’attachement et de pénétration du
virus, la plupart d’entre eux agissant sur sa réplication. Il fallait pour cela
interférer principalement avec les enzymes nécessaires à la réplication des
gènes viraux, ou avec celles utilisées lors des étapes finales de la
multiplication, pour permettre l’assemblage des protéines du virion et la
formation des particules infectieuses.
Une des principales stratégies utilisées pour inhiber l’activité de telles
enzymes consiste à leur présenter des leurres, molécules analogues à celles
utilisées par le virus pour sa réplication, mais modifiées. Il s’agit de
détourner l’enzyme de ses cibles initiales. Les premiers médicaments
commercialisés furent ainsi des inhibiteurs par des analogues de la
transcriptase inverse, enzyme propre au rétrovirus. À côté des analogues
nucléotidiques, l’industrie réussit à découvrir d’autres classes de
médicaments, agissant directement sur la transcriptase inverse pour
l’inactiver, véritable prouesse. Avec ces deux classes d’inhibiteurs, la
panoplie des antirétroviraux s’accrut ainsi au fil du temps et avec lui le
nombre des essais susceptibles d’être effectués, autant de défis pour
l’ANRS et les chercheurs.
Après l’AZT, le premier inhibiteur de transcriptase inverse testé, il y eut
d’abord la didanosine (ddI). Il s’agissait d’un médicament initialement
expérimenté aux USA chez moins d’une centaine de patients avec une
certaine efficacité thérapeutique malgré une toxicité qui, pour ne pas être
négligeable, différait cependant de celle de l’AZT, autorisant son
association. Des essais de phase II avaient débuté outre-Atlantique en
partenariat avec l’industriel Bristol Meyer, plusieurs protocoles
s’échelonnant durant l’année 1990. L’ANRS l’expérimenta dès le mois de
mai de cette année-là, à nouveau avec les Britanniques, en étudiant
plusieurs doses d’abord chez les patients intolérants à l’AZT, puis en
association avec cette drogue. Il y eut ensuite la zalcitabine (ddC), testée
également bien qu’un peu plus tard par les équipes françaises, qui fut
précédée par l’étude d’un dérivé fluoré, la Fddc, ou son association à
l’interféron, ou encore la statuvidine (d4T) et la lamivudine (3TC). Seuls,
associés avec l’AZT ou entre eux, selon une combinaison de jeu de domino,
une stratégie rapidement rodée, il s’agissait d’en tester l’efficacité, les
comparant les uns aux autres, et, point capital, de juger de leurs possibles
toxicité et effets secondaires.
Souvent, les Français n’étaient pas seuls, comme ce fut le cas pour cet
essai qui fut aussi un véritable exercice diplomatique : l’essai Delta (1993),
coordonné par les Franco-Britanniques, recruta en France et Grande-
Bretagne mais aussi aux Pays-Bas, en Suisse, au Luxembourg, en Australie
et au Canada pour comparer l’AZT associé au ddI, ddc ou placebo, tandis
que les Américains à travers l’ACTG, boudant l’alliance franco-anglaise,
testaient de leur côté la même combinaison outre-Atlantique avec quelques
mois d’avance.
Qu’importe la redondance. Les deux essais de part et d’autre de
l’Atlantique allaient démontrer l’intérêt des bithérapies. Le bénéfice
clinique de l’AZT tant attendu était ainsi obtenu, mais au prix d’une
association avec un autre antirétroviral, analogue de transcriptase inverse au
demeurant. Cet essai eut un second intérêt. Il consacrait l’importance d’un
nouveau marqueur : la charge virale. C’était la première fois que la
quantification virale dans les échantillons de plasma était appliquée au
monitorage d’un essai. Pourtant, d’après le clinicien, ni le CD4, dont les
mesures apparaissaient trop pessimistes comme le montrait Concorde, ni
celles de la charge virale, considérée comme trop optimiste, ne pouvaient se
substituer aux critères objectifs médicaux. Bien sûr, dans ces années 1990,
il n’était pas question d’en rester là et de se limiter à quelques associations
pharmaceutiques. Tous les stades et manifestations cliniques avaient leur
importance et représentaient autant de symptômes à passer au crible.
Quelques essais plus tard, ce fut à l’association D4T et 3TC de démontrer
son pouvoir antiviral. Mais les résultats restaient insuffisants. En 1995, nous
voyions mourir deux de nos malades par semaine, rappelait les larmes aux
yeux une technicienne d’étude clinique à un journal parisien en 2001.
« En matière thérapeutique, énonçait le directeur de l’ANRS en 1994,
après une première phase pendant laquelle les pistes les plus accessibles ont
été testées l’utilisation de molécules qui existaient ou la mise au point de
méthodes thérapeutiques d’accès relativement simple. Les autres pistes sont
à un stade de développement beaucoup moins avancé. Il importe de drainer
vers la recherche de [nouvelles] équipes. »
Jean-Paul Lévy ne demandait pas tant de l’audace – bien qu’il en
fallût – que de l’imagination. Mais ces découvertes françaises qu’il appelait
de ses vœux ne vinrent pas, ou très peu. L’évolution thérapeutique vint
d’ailleurs, et d’abord d’une meilleure connaissance des cibles
thérapeutiques.
Deux révolutions allaient modifier le paysage, l’une qui vint de
l’industrie avec l’apparition des antiprotéases, l’autre des cliniciens, en les
combinant aux autres médicaments en trithérapie.
Les antiprotéases furent le second grand groupe de médicaments
antirétroviraux. Les protéases sont des enzymes qui interviennent dans le
clivage et l’assemblage des protéines virales nouvellement synthétisées,
processus indispensables pour produire des virus infectieux. Inhiber ce
mécanisme, c’est agir directement sur la réplication virale, empêcher la
formation des nouveaux virus. Le rôle des protéases est bien différent de
celui de la transcriptase inverse. Par là même, antiprotéases et inhibiteurs de
transcriptase inverse deviennent des médicaments complémentaires et
potentiellement synergiques.
Les études cliniques à large échelle au cours de l’infection VIH, au
moins pour l’ANRS, apparurent à partir de 1995, mais le développement
des antiprotéases date de 1988, après la première description de la structure
de l’enzyme et de son rôle. Les recherches sur cette enzyme ont bénéficié
d’une circonstance particulière et non fortuite, sa correspondance avec une
hormone du rein, la rénine, enzyme protéolytique. Celle-ci intervient dans
l’hypertension et, de ce fait, le marché aidant, avait fortement attiré
l’attention des compagnies pharmaceutiques. Dès 1980, une recherche
industrielle active s’était développée qui bénéficia aux antiprotéases quand
on découvrit les analogies entre l’enzyme virale et l’hormone rénale.
L’action des inhibiteurs de transcriptase inverse pouvait être doublée par ce
nouveau traitement dont le mécanisme est bien différent. Quelques
molécules firent ainsi leur apparition sur le marché, dont trois furent testées
lors des essais de l’ANRS : le saquinavir du laboratoire Roche, dont l’action
antirétrovirale apparut modeste, le ritonavir du laboratoire Abbott, dont le
nombre élevé de prises limitait l’emploi, et l’indinavir de Merck,
d’utilisation plus aisée. Mais au début du moins, même pour ce dernier
produit, un des défauts majeurs restait la formulation, et le nombre de
gélules qu’il fallait absorber pour être efficace.
Les premiers résultats d’efficacité au cours de l’infection VIH furent
démontrés sur un petit nombre de patients grâce à un produit délivré par le
laboratoire Roche avec qui l’ANRS collaborait. Ils furent communiqués
dans une atmosphère de grande controverse au cours du congrès
international de San Francisco en juin 1990. Selon la réglementation
américaine, les patients infectés par le VIH devaient alors adresser une
demande de dérogation afin d’obtenir un visa. Celle-ci, au cas où elle était
acceptée, avait pour conséquence l’application d’un tampon spécifique
mentionnant la lettre G, sigle attestant que le titulaire était atteint d’une des
pathologies répertoriées par les lois sur l’immigration.
Le 19 janvier de cette année-là, un premier assouplissement supprimait
l’obligation du tampon sur le visa, mais en maintenant l’apposition sur un
document confidentiel à part. Le 13 avril, devant les protestations de
beaucoup, ces mesures étaient annulées pour ceux souhaitant assister à la
conférence, mais maintenues pour les autres. En mai le ministre français
Claude Évin, considérant que la persistance de telles mesures était une
entrave à la libre circulation des personnes, suspendait sa venue, tandis que
l’OMS, satisfaite de cette demi-mesure, maintenait son parrainage de la
manifestation. Les associations continuèrent de s’insurger et Daniel Defert,
président d’AIDES, annonçant la décision d’une assemblée générale,
décidait de boycotter l’événement. Quant aux chercheurs académiques
français, eux-mêmes divisés, beaucoup pensèrent qu’il valait mieux
manifester sur place aux États-Unis contre une mesure qui, de fait, allait
être abolie quelque temps plus tard.
La réunion de San Francisco fut importante : elle fut l’occasion
d’annoncer les premiers effets des antiprotéases. « L’année 1991 fera
apparaître les premiers essais d’inhibiteurs de protéase », énonçait Jean-
Paul Lévy, ajoutant : « Nous ignorons quel sera l’impact de ces nouvelles
drogues sur le traitement du sida, mais il y a lieu d’espérer qu’avec ces
approches nouvelles qui s’attaquent à des phases du cycle viral jusqu’ici
inaccessibles, nous allons améliorer notre efficacité antivirale. »
La première étude menée, celle du saquinavir, débuta fin 1991 dans
deux centres parisiens de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris à
Antoine-Beclère et Cochin. Il s’agissait d’en étudier sous un nom de code
complexe la tolérance et pharmacocinétique chez un petit nombre de
patients traités préalablement par l’AZT. Les premiers résultats s’avérant
satisfaisants, au moins concernant l’absence de toxicité, d’autres essais
devaient être mis en place pour tester en trithérapie les antiprotéases
disponibles. On n’était plus au temps des monothérapies, ni même des
bithérapies. Le ritonavir, seul disponible pour un essai à plus large échelle,
fut étudié en association avec le D4T et le 3TC. « Au début, il n’y en avait
pas pour tout le monde et les polémiques ont été vives concernant la
distribution des traitements », rapporte Jean-François Delfraissy à propos
des antiprotéases, indiquant que l’année 1996 fut un tournant avec le
premier grand essai de trithérapie en France. Par la suite, on passa à une
échelle supérieure avec une quadrithérapie comparant l’effet de plusieurs de
ces inhibiteurs en association avec l’AZT et le 3TC.
Essai après essai, en France ou ailleurs, l’effet des antiprotéases devait
se confirmer.
Mais au fur et à mesure, d’autres molécules apparurent sur le marché,
testées les unes après les autres ou en association : des inhibiteurs d’entrée
(2006), du corécepteur du VIH, le CCR5, avec le maraviroc (2009), les
inhibiteurs d’une enzyme favorisant l’intégration du virus dans les
chromosomes, l’intégrase (2006), ou encore des inhibiteurs de protéase dont
l’association de certaines combinaisons favorisait l’absorption et ralentissait
l’élimination, un processus très efficace dit « de boost » (2007). Mais même
réduit en nombre et prises, l’obligation de prendre des médicaments qui
rappelle la maladie, et le mauvais souvenir des prises répétées des
antiprotéases, suscitaient des critiques. Bien vite, on en vint à écouter les
patients dont la charge virale devenue indétectable avec les nouveaux
protocoles soulevait d’autres questions. Pouvait-on, une fois le virus en
sommeil après quelques semaines de traitement, se poser la question de son
allégement ? Qui peut le plus peut aussi le moins, disait alors Jacques
Leibowitch, un des pionniers de la lutte contre le sida, qui annonçait à qui
voulait l’entendre qu’il avait réduit les prises de certains patients à quelques
jours par semaine. Mais l’expérience avait appris qu’il fallait des essais, et
des essais justement contrôlés.

Qui peut le plus peut-il le moins ?


La question était dans toutes les bouches, mais la réponse vint tard. Ce
n’est qu’en 1998 qu’il fut tenté d’alléger le lourd régime médicamenteux
que de nombreuses personnes rencontraient des difficultés à suivre. Nombre
de drogues, prises répétées, obligation de se conformer à certaines périodes
de la journée, tout se combinait pour rendre la vie difficile et puis, bien
évidemment, il s’ensuivait des complications de tous ordres qui faisaient
croire à un mal pour un bien. Les graisses mal réparties changeaient l’aspect
des patients et creusaient les joues au point que pour un œil averti, un
patient traité se reconnaissait d’emblée. On portait son infection sur le
visage comme un nouveau stigmate, les comprimés marquaient la peau de
rides profondes mieux qu’un tatouage, une sorte de tampon sur le front qui
vous cataloguait comme un séropositif traité. À cette atrophie au niveau de
la face s’ajoutaient d’autres anomalies morphologiques sur le ventre ou le
dos, une véritable bosse de bison. Le mot de lipodystrophie était sur toutes
les lèvres des patients infectés, un symptôme dont la racine grecque ne
suffisait pas à faire passer les désagréments. Toutes les recherches sur leurs
causes, comme sur les complications cardio-vasculaires également liées aux
médicaments, comme les appelait de ses vœux Willy Rozenbaum qui
dirigeait à l’ANRS une action coordonnée à leur propos, ne suffisaient pas à
convaincre. Ne valait-il pas mieux absorber moins de médicaments ?
Ce fut le but d’un nouvel essai, dont l’acronyme, Trilege, fut un temps
porteur d’espoir. De trois médicaments, on chercha à passer à deux. Débuté
en octobre 1996, l’essai fut interrompu quatorze mois plus tard par le
comité indépendant. Un nombre important de patients échappaient au
traitement. Une étude américaine de l’ACTG publiée au même moment
dans le New England Journal of Medicine rapportait des données similaires.
Ces résultats ne remettaient pas en cause l’effet des médicaments, mais il
fallait se garder de modifier leur association et d’alléger leur régime, au
moins après quelques semaines seulement d’efficacité. Le concept
cependant n’était pas à négliger, comme le suggérait la revue scientifique en
rapportant les résultats décevants des deux essais. Il fut repris des années
plus tard avec d’autres médicaments plus puissants, d’autres protocoles,
d’autres investigateurs et d’autres malades. L’histoire a ses détours.
L’ANRS était toujours là pour les parcourir.
Parmi ces autres chemins, on testa les interruptions thérapeutiques
programmées, ainsi que s’appelaient ces vacances thérapeutiques, parfois
remplacées par d’autres tentatives tel l’interféron. Mais les acronymes
évocateurs Intervac ou Window (2001) cachèrent mal leurs échecs. Le virus
mesuré par PCR, la fameuse charge virale, réapparaissait au bout de
quelques semaines d’arrêt. Les CD4 baissaient et tout était à recommencer.
Certains, tel Bernard Hirschel, professeur à l’hôpital cantonal universitaire
de Genève, continuaient d’en vanter l’intérêt dans certaines circonstances
comme le montre cette interview de décembre 2002 : « Je pense aux
patients qui subissent des effets indésirables importants et qui possèdent un
nombre de CD4 relativement élevé. Dans ce cas il est tout à fait justifié
d’arrêter le traitement. »
« Survivre et vieillir avec le sida après des années de trithérapie », titrait
Le Monde dans un article de 2005, qui rapportait le souhait de nombreux
patients d’en finir avec les prises continues, d’en diminuer les doses. Une
observance totale est impossible, notait l’enquête. On rapportait le cas d’un
patient qui se permettait deux interruptions par an, l’un le jour de son
anniversaire, l’autre le 31 décembre, un rituel qui tranchait sur un marathon
pharmacologique qui l’avait conduit à absorber 43 comprimés par jour au
début, puis 30, puis 20. Les associations médicamenteuses en une seule
pilule et l’utilisation de génériques allaient changer la donne. Restait
l’obligation de prises quotidienne, à cette période où ne se testaient pas
encore de formules retard. Des vacances de quelques semaines n’avaient
pas de préjudices cliniques majeurs, mais bien souvent entraînaient une
nouvelle chute des CD4 et une certaine difficulté à faire à nouveau baisser
la charge virale. Il n’en fallait pas plus pour que les stratèges de l’ANRS
entament d’autres réflexions. Il y eut de multiples discussions, propositions,
suggestions, de véritables comptes d’apothicaire, jusqu’à ce qu’on s’arrête à
une nouvelle proposition : tester la non-infériorité d’un traitement
seulement suivi quatre jours par semaine. Le test a commencé en 2017, on
en attend les résultats courant 2021.
Mais au passage on s’était posé le problème de savoir quand débuter le
traitement. Sur quels stigmates cliniques ou biologiques s’accorder ? De
manière logique, on en vint à proposer de traiter tôt, au moins dès le
diagnostic fait. Une attitude d’autant plus raisonnable qu’un des résultats les
plus intrigants des dernières années allait joindre vacances thérapeutiques et
précocité de l’installation du traitement. Appelée Visconti, cette étude
française effectuée par l’ANRS à partir d’une base de données et de
dossiers médicaux de patients vivant avec le VIH montrait qu’un petit
nombre d’entre eux, traités par multithérapie à un stade précoce de
l’infection, ayant après quelques années arrêté leurs traitements, gardaient
une charge virale contrôlée. Ils vivaient ainsi parfaitement bien sans
médicaments. Longtemps resté sans explication, le mystère de ce
phénomène, comme on le verra plus loin, semble s’éclaircir aujourd’hui.

Des femmes et des enfants


Depuis janvier 1986, une enquête sur les nouveau-nés de mères
séropositives pour le VIH avait conduit à la constitution d’une cohorte
pédiatrique coordonnée par Stéphane Blanche. Elle avait pour but de suivre
la transmission materno-fœtale, de décrire les paramètres qui pouvaient la
modifier, qu’ils soient cliniques ou biologiques, et de déterminer les
facteurs pronostiques de la survenue du sida chez l’enfant. Mais, même si
cette étude était de grand intérêt, et avait d’ailleurs conduit à des
publications remarquées, elle restait du domaine de l’observation. Or les
formes pédiatriques pouvaient être épouvantables avec des atteintes
neurologiques profondes et gravissimes, et une mortalité très élevée. On ne
pouvait se contenter de les décrire sans tenter de les traiter.
Un événement allait précipiter les décisions d’essais thérapeutiques. En
septembre 1992, les autorités sanitaires internationales avaient rapporté un
angoissant constat. Une infection par le VIH était décelée chez près de
3 500 enfants de pays européens dont 2 000 étaient des enfants roumains, le
reste partagé entre la France, l’Italie et l’Espagne. Que s’était-il passé en
Roumanie qui puisse ainsi expliquer une telle prévalence ? On apprit alors
que ces enfants avaient été victimes de transfusions par du sang contaminé.
Mal nourris, dénutris, vivant pour la plupart dans des conditions
effroyables, casernés dans des orphelinats sous tutelle gouvernementale, ils
recevaient des transfusions sanguines pour compenser leur malnutrition,
auxquelles s’ajoutaient des vitamines et des antibiotiques par voie
injectable. Or le matériel utilisé pour de telles injections n’était pas stérile et
servait de proche en proche à plusieurs enfants. Une chaîne de l’horreur
avait ainsi abouti à ce désastre. La découverte des conditions de vie de ces
enfants et des conséquences engendrées par la politique nataliste de
Ceausescu fut pour les pédiatres envoyés en mission un traumatisme
profond, dont ils eurent du mal à se remettre et qui alimenta leur plaidoyer
pour lancer des essais thérapeutiques.
La France, a fortiori l’ANRS, ne pouvait rester insensible. D’ailleurs le
pays avait été secoué par une histoire semblable d’infection
transfusionnelle. Il fallait proposer, susciter, tester des traitements
pédiatriques et, en la matière, l’ANRS savait user de son expérience et de
ses moyens. Tout commence, comme l’avaient prouvé les tentatives
thérapeutiques précédentes, par des essais randomisés. Et puis aussi par
l’usage raisonné des molécules susceptibles d’être étudiées. On reprit tout
selon l’ordre chronologique et la stratégie institués pour les adultes,
cependant à dose diminuée avec une pondération bien calculée. Le premier
de ces protocoles fut initié en mars 1993. C’était le vingt et unième de
l’agence. Appelé Penta 1, il s’agissait de tester l’effet de l’AZT chez
l’enfant infecté à plusieurs stades de l’évolution. On en était encore au
temps où l’on comparait l’effet à un placebo. D’emblée européen, cet essai
fut coordonné en France par Claude Griscelli. On s’attacha une
biostatisticienne de renom, Janet Darbishyre, et bien sûr les talents de Jean-
Pierre Aboulker. Bien vite, le dispositif fut complété. Les résultats de Delta
firent autoriser l’association des antirétroviraux. Avec l’autorisation des
parents, on testa par la suite des bi- et des trithérapies nucléotidiques puis
des antiprotéases.
Les négociations avec l’industrie pharmaceutique furent souvent
difficiles pour obtenir des présentations de médicaments adaptées à des
enfants parfois très jeunes. Qu’il s’agisse de sirop au goût acceptable, de
gouttes, de formulations que l’on puisse donner à un bébé non à jeun, d’un
volume raisonnable, avec un nombre de prises par jour limité, il fallut tout
discuter et se battre pied à pied avec les sociétés pharmaceutiques pour les
obtenir. Pendant les décennies suivantes, Penta devint cependant un
acronyme européen reconnu qui accrocha plusieurs chiffres à son sigle au
fur et à mesure de la sagacité et de l’audace des expérimentateurs, et surtout
de la disponibilité, au moins en Europe, des malheureux petits patients car,
bien heureusement, la transmission de la mère à l’enfant put être
considérablement réduite.
La transmission materno-fœtale peut s’effectuer au cours de la grossesse
par infection du placenta, à la naissance par contamination par le sang, le
mode de transmission majoritaire, et au cours de l’allaitement. Un rapport
de l’OMS estimait en 1996 dans le monde plus de 300 000 enfants infectés
par transmission materno-fœtale.
Une première réunion de réflexion suscitée par l’ANRS sur ce mode de
transmission eut lieu à Paris le 18 mai 1990. Elle avait donné lieu à diverses
interventions sur les problèmes posés par le VIH mais aussi un autre
rétrovirus qui sévit aux Antilles et dans nombre de pays du Sud, le virus
HTLV qui, à la différence du précédent, induit des leucémies. À cette
occasion, on écouta plusieurs enquêtes épidémiologiques chez la femme
enceinte, montrant l’importante prévalence de la séropositivité VIH dans
certaines populations. De manière inquiétante, celle-ci avait augmenté au
cours des dernières années. Si près des deux tiers étaient des usagers de
drogues, une part notable avait été contaminée par voie sexuelle,
spécialement parmi les populations migrantes. Gynécologues et pédiatres
s’accordaient pour indiquer que malgré le caractère défavorable des suites
pour l’enfant, près de la moitié des jeunes mères refusaient une interruption
de grossesse. On avait évoqué ce jour-là la possible contamination in utero
vers la quinzième ou seizième semaine de gestation, d’où l’intérêt d’un
traitement des femmes infectées dès le début de la grossesse, car le risque
de transmission semblait d’autant plus important que le taux de CD4 était
bas et, comme on le vit quand on put la mesurer, la charge virale était
importante. Les connaissances sur le passage de l’AZT à travers le placenta
de la mère à l’enfant étaient très modestes ; la toxicité sur le fœtus
inconnue. Plusieurs projets de transfusion d’anticorps dont on pourrait
espérer qu’ils profitent au fœtus avaient été proposés, mais l’efficacité était
douteuse et surtout une telle administration posait de difficiles problèmes
éthiques.
On conclut qu’il était difficile de monter des essais, délicat de trouver
des produits acceptables pour la mère et l’enfant. Il était question de plus du
nombre de sujets nécessaires et de l’utilisation des placebos. Se séparant ce
jour-là, et discourant dans la rue des suites à donner, les participants
restaient songeurs quant aux difficultés qui attendaient les futurs
investigateurs. Ils ne furent pas si nombreux à se porter candidats pour
poursuivre l’aventure. 18 % des nourrissons nés de mère infectée étaient
contaminés. Ces données allaient précipiter les décisions. Dans un élan de
solidarité, l’ANRS et l’ACTG allaient décider d’un protocole commun et,
sautant les obstacles et réticences sur la stratégie et le produit, débuter en
1992 un essai comparant l’AZT à un placebo. L’étude prévoyait pour la
femme enceinte cinq prises d’AZT par jour et une perfusion intraveineuse
du produit au moment de l’accouchement, poursuivi par un traitement du
nouveau-né. Les résultats furent spectaculaires et le traitement dut être
interrompu en février 1994 devant le taux de succès. L’AZT diminuait de
deux tiers le risque de transmission du virus !
La presse fit une large place à ces résultats. Jean-François Delfraissy,
qui en était le principal investigateur, raconte qu’il fut alerté le 22 février de
la parution d’un article du journal Le Monde. Pensant que la communication
dépassait le simple cadre d’un essai, mais mettait en valeur des enjeux
internationaux, il quitta en catastrophe son lieu de vacances en montagne
pour accompagner l’annonce dans les médias, tandis que Jean-Paul Lévy,
alors directeur de l’agence, énonçait dans une juste bouffée d’optimisme :
« Ces résultats sont à marquer d’une pierre blanche. C’est la première fois
depuis bien longtemps que nous avons l’occasion d’annoncer une bonne
nouvelle ! » « Cela était d’autant plus vrai que le partenariat avec les NIH
avait été difficile à mettre en place, raconte Jean-François Delfraissy.
J’avais éprouvé la dureté de la collaboration avec les confrères américains,
mais beaucoup appris à leur côté. » De fait, l’impact fut majeur. L’OMS
allait notamment s’en servir pour préconiser une prise en charge de la mère
et de l’enfant, tandis qu’une réflexion pour en pousser les perspectives allait
se poursuivre au niveau international. Diffusé dans le monde entier,
notamment dans les pays à haut revenu, complété par l’utilisation d’un
autre antirétroviral, la névirapine, au moment de l’accouchement, le risque
de transmission allait considérablement diminuer.
L’amélioration ne s’arrêta pas là. En 2013, l’ANRS et d’autres
montrèrent dans une magnifique étude qu’un traitement pendant
l’allaitement réduisait d’autant la transmission du VIH aux nouveau-nés,
car, point capital, on s’était aperçu des contaminations possibles par le lait.
Puis, en 2014, qu’une monothérapie avec un inhibiteur de protéase était
aussi efficace et mieux tolérée qu’une trithérapie standard pour prévenir la
transmission du VIH pendant la grossesse et l’accouchement.

Mourir du sida
Jusqu’à l’arrivée des traitements contre le VIH, on mourait du sida. Le
déficit immunitaire se compliquait d’infections dites opportunistes car elles
profitaient de la défaillance du système de défense. Selon l’importance de la
chute des CD4, l’évolution propre du virus se doublait d’infections
bactériennes, virales ou parasitaires dont l’importance et la fréquence
dépendaient de l’environnement et de l’écologie des germes. Dans le Sud,
les tropiques étaient redoutables. Partout, l’insalubrité liée à la pauvreté,
l’air pollué des mégapoles, la proximité des animaux, les séjours
hospitaliers, les contacts avec des patients infectés étaient autant de causes
favorisant les rencontres de l’homme avec ses principaux prédateurs.
S’y ajoutait la prolifération de germes normalement contenus, avec
lesquels on faisait ordinairement bon ménage, les microbes commensaux
des microbiotes. Ceux-ci dépassaient ainsi la mesure, c’est-à-dire leur
habitat. Faute de système immunitaire, on en mourait. Des courbes que l’on
publiait dans les journaux scientifiques les plus prestigieux alimentaient des
conférences scientifiques. Des diagrammes établissaient ligne par ligne
l’angoissante corrélation entre le pool de lymphocytes restants et le risque
avéré, pour autant qu’il soit spécifique, des principaux microbes.
Pneumocystose et toxoplasmose étaient de ceux-là. Ils eurent leurs tristes
jours de gloire en manifestant leur agressivité lors de la découverte de
l’infection VIH chez les tout premiers patients américains. Ils étaient certes
à combattre, mais il était bien plus légitime de tenter de les prévenir. C’est
cette stratégie que l’ANRS soutint lors des premiers essais du genre.
L’un des tout premiers, justement appelé Prio, fut d’emblée un essai dit
de phase II sur plusieurs centaines de patients pour étudier l’activité d’un
antibactérien sulfoné, la dapsone, qui avait été découvert en 1908. L’histoire
n’avait pas voulu lui donner l’occasion de montrer son efficacité, sinon en
1939 où il fut essayé sur la tuberculose. Mais les résultats furent jugés
incertains et vite balayés par d’autres nouveautés telles que la
streptomycine. On s’aperçut cependant de son efficacité contre la lèpre, une
découverte qui ne devait rien au hasard compte tenu de la parenté entre le
bacille de Koch responsable de la tuberculose et celui de Hansen pour la
lèpre. Un tel regain d’intérêt fit découvrir son action sur les toxoplasmes.
Selon la bonne règle des infectiologues, on chercha d’emblée à lui associer
un produit compagnon. Celui que l’agence se proposa d’étudier dans son
premier essai de lutte contre les opportunistes, le pyriméthamine, était un
parasiticide connu pour avoir certains effets sur le paludisme résistant. Sur
la toxoplasmose aussi. Il faisait partie des médicaments recommandés par
l’OMS, ce qui ne l’empêcha pas d’être pris dans un scandale, quand les
acteurs de lutte contre le sida ne se défendaient pas encore suffisamment
contre le prix de ceux qui guérissaient les infections opportunistes. Les
brevets du pyriméthamine avaient été achetés par un industriel sans foi ni
loi, Turing Pharmaceuticals, et son prix multiplié du jour au lendemain par
plus de cinquante, sous le prétexte fallacieux, comme l’énonçait son
président Martin Shkreli, que c’était une « société capitaliste, vivant dans
un système capitaliste, appliquant des règles capitalistes ».
L’effet de ces deux produits, ainsi proposés en prophylaxie par l’agence
dans des premiers essais de prévention, fera date. Tout en ayant un effet sur
la pneumocystose, l’association s’avérait meilleure que le traitement
standard sur la prévention de la toxoplasmose, un parasite du chat
volontiers transmis par les animaux domestiques et l’ingestion de viande
mal cuite. Sans danger pour l’homme dont le système immunitaire n’est pas
atteint, il est cependant dangereux pour la femme enceinte, et bien entendu
au cours de l’infection VIH.
Action préventive certes, mais il fallait tenter de faire mieux, en
particulier sur la toxoplasmose cérébrale, localisation redoutable. Deux
essais, l’un américain de l’ACTG, l’autre de l’ANRS, testant l’utilisation du
fameux pyriméthamine en monothérapie avaient été un échec. Il fallait une
autre stratégie. Ce fut l’un des résultats annexes du protocole Delta, car s’il
n’avait pu convaincre sur l’utilisation de la ddI seule, il montra l’effet d’une
association de deux sulfamides, antibiotiques commercialisés sous le nom
de cotrimoxazole. Produits, doses, voies et rythme d’administration furent
autant de paramètres à tester pour démontrer l’efficacité et maîtriser la
toxicité. De nombreux essais furent ainsi discutés tant pour le traitement
que pour la prévention… et proposés à financement ! Dans le panel des
médicaments possibles, la victoire revint finalement au cotrimoxazole, dont
l’ANRS annonça fièrement en 1994 la primauté sur toute autre forme de
prévention.
La source des questions se tarit bien heureusement car il vint une
difficulté, celle du recrutement ! Les effets des multithérapies et des lignes
de conduite médicales allaient diminuer le nombre et la gravité des
infections opportunistes, au moins sous nos climats. On eut du mal, tant
s’en fallut, à trouver des volontaires dont le chiffre bas de lymphocytes
légitimait la prévention. Quand il ne devint plus licite de les laisser sans
traitement contre le VIH, on testait autant la restauration immunitaire que
l’effet de la lutte contre les microbes opportuns. L’affaire, qui était bonne
pour les patients, compliquait le travail des chercheurs.
D’autres cibles que la toxoplasmose et la pneumocystose furent l’objet
de propositions thérapeutiques ou surtout préventives. Parmi elles, la
tuberculose. La lutte contre l’association de cette pandémie à l’infection
VIH fut une première préoccupation de la jeune agence. Dans une étude
qu’elle avait financée, on montrait en 1991 que 14 % des sujets séropositifs
étaient atteints de tuberculose. Cette fréquence élevée reste une
préoccupation d’actualité car même sous les possibles traitements
d’aujourd’hui, le risque de tuberculose maladie reste dix fois plus important
chez les patients infectés par le VIH. Dans les essais des premiers temps, on
ne craignait pas de se conformer aux règles du tirage au sort contre placebo,
ce que recommanda l’OMS. Ce fut une double association rifampicine et
pyriméthamine qui l’emporta à l’insu des malades comme des médecins,
lors du premier protocole du genre. L’isoniazide seule en prophylaxie, alors
proposée par les Américains chez les immunodéprimés, avait été écartée,
n’ayant pas fait la preuve d’une efficacité suffisante. De plus l’expérience
montrait que les préventions prolongées par ce médicament étaient d’intérêt
réduit par le manque d’observance des patients.
Toxoplasmose, pneumocystose, tuberculose ne sont pas les seuls germes
qui firent l’objet d’essais thérapeutiques, car des champignons
(microsporidiose) et surtout d’autres virus que le VIH profitaient de
l’immunodépression pour s’immiscer et entraîner de redoutables dégâts. Le
syndrome de Kaposi, dû à un virus du groupe de l’herpès, est de ceux-là. Ce
cancer cutané qui avait été décrit pour la première fois en 1872,
habituellement observé dans d’autres contextes, notamment en Afrique
centrale où il sévit sous forme endémique, avait marqué les esprits par sa
survenue atypique chez les sujets atteints par le VIH et ainsi contribué à la
découverte des premiers cas et à la définition du sida en 1981. Si les
muqueuses sont rarement touchées et les atteintes cutanées assez
spectaculaires par les taches violacées, les formes viscérales, notamment
pulmonaires, en font toute la gravité. Faute de traitement contre ce virus
herpétique, l’agence testa divers procédés plus ou moins imaginatifs accolés
à des chimiothérapies de circonstance. Ce fut ainsi que l’on testa les
facteurs de croissance, supposés interférer avec la revascularisation
tumorale, le GCSF ou la vitamine A, qui avait montré dans les années 1980
un certain effet biologique, des traitements par le froid ou la chirurgie, mais
l’intérêt vint essentiellement du taxotere, produit anticancéreux qui fit la
gloire (et la fortune) de chercheurs du CNRS car découvert dans les jardins
du Centre à Gif-sur-Yvette.
On proposa également l’utilisation d’un anticorps contre un facteur de
croissance, une étude qui fit aussi l’objet d’un essai contrôlé. Curieusement,
si l’effet sur le cancer resta modéré, les investigateurs furent bien surpris de
noter l’efficacité du traitement sur l’état nutritionnel des patients. La prise
de poids, spectaculaire, fit couler de l’encre sur les hypothèses
physiopathologiques concernant la dénutrition du sida, un syndrome bien
connu pourtant bien mal expliqué.
Herpès, EBV, la panoplie de virus opportunistes ne s’arrête pas là, ni
n’échappa à la sagacité des investigateurs. Le cytomégalovirus, qui
bénéficia de chimiothérapie antivirale spécifique, ou encore le
polyomavirus, responsable de la leuco-encéphalite progressive, redoutable
atteinte neurologique centrale, furent de ceux-là.
Ainsi, le déficit immunitaire rapprocha des communautés entières de
spécialistes, virologues, biologistes, infectiologues, cancérologues et bien
sûr immunologistes. Car, quels que soient le bestiaire de ces microbes et
l’étendue de leurs manifestations et complications, tout partait de cette
réponse immunitaire déficiente contre les germes si multiples de
l’environnement.

Les laboratoires en renfort


Une des plus importantes révolutions de la création en 1958 des centres
hospitalo-universitaires, avec le temps plein hospitalier et la double
appartenance en santé et éducation, fut l’arrivée en secteur hospitalier des
« fondamentalistes ». On vit apparaître toute une génération de jeunes
scientifiques qui allaient révolutionner la biologie hospitalière et développer
une véritable interface entre la recherche fondamentale et la pratique
clinique, ce qui fut appelé recherche translationnelle. Des années plus tard,
celle-ci fut aux premières loges des énigmes que posait le VIH quand il
s’agissait d’apprécier l’intensité du déficit immunitaire ou de la réplication
virale, sans compter l’identification des germes opportunistes. Rapidement
les cliniciens se tournèrent vers ces biologistes, immunologistes, virologues
ou bactériologistes pour tester, par d’autres paramètres que cliniques, les
stigmates biologiques de l’infection VIH.
Lorsque l’épidémie survint, en 1981, l’immunologie cellulaire venait
d’apparaître sur les campus hospitaliers mais restait balbutiante. Un seul
compteur de lymphocytes CD4 existait en véritable prototype à l’Assistance
publique-Hôpitaux de Paris. Il assurait à la Pitié-Salpêtrière un service
commun pour l’ensemble des hôpitaux. La machine était d’ailleurs louée à
son début, l’AP-HP hésitant à se lancer dans un achat onéreux dont elle
mesurait mal l’importance. L’allure exponentielle de l’infection allait
rapidement déborder les premières mesures et l’on sut s’adapter. De leur
côté, les laboratoires de virologie et de microbiologie, science disposant
d’une bien plus grande ancienneté, étaient d’emblée mieux achalandés.
Mais les unes comme les autres, ces communautés de biologistes eurent à
démontrer que les paramètres qu’elles mesuraient étaient utiles à la pratique
clinique.
Ce fut obtenu relativement rapidement pour l’immunologie. La mesure
des CD4 devint un test utile et utilisé pour mesurer l’immunodépression. Ce
marqueur semblait cependant bien indirect pour indiquer l’importance de la
réplication virale qui en semblait la cause. Quant aux laboratoires de
virologie, leurs mesures s’imposèrent avec les techniques. Certes, ils
disposaient de capacités pour diagnostiquer l’infection virale, mais la
quantification de la réplication du virus, la fameuse charge virale, ne prit
son essor qu’avec les applications par PCR, c’est-à-dire par amplification
enzymatique. L’ANRS s’investit également dans la lutte contre la résistance
aux antirétroviraux, notamment avec Françoise Brun-Vézinet et, plus tard,
Vincent Calvez. Il fallait imposer de nouveaux paramètres pour guider les
essais et les objectifs des cliniciens.
« Avec la multiplication des molécules supposées antirétrovirales qui
entrent ou entreront à brève échéance en essai thérapeutique, les méthodes
de virologie quantitative… prennent une importance évidente. Les
laboratoires de virologie médicale des centres hospitalo-universitaires ne
disposent pas actuellement des moyens nécessaires au développement
rapide de ces objectifs », énonçait Jean-Paul Lévy dans les premiers temps
de l’agence. Ainsi fut créée dès 1990 une action coordonnée ayant pour but
de soutenir des études qualitatives et quantitatives des marqueurs
virologiques. La virologie médicale se scinda par la suite en deux groupes :
l’un, animé par Christine Rouzioux, fut chargé de quantifier la virémie,
qu’elle soit plasmatique ou cellulaire, l’autre par Françoise Brun-Vézinet
pour étudier la sensibilité et la résistance aux antirétroviraux.
La virologie quantitative s’attela d’abord à un travail comparatif, non
seulement pour tester deux techniques américaines publiées dans de
prestigieuses revues, mais pour mesurer leur corrélation avec le taux de
CD4. Il s’agissait de comprendre le lien de l’un à l’autre, à défaut de savoir
lequel des deux aurait la meilleure valeur pronostique. Quant à l’étude de
l’efficacité in vitro des antirétroviraux, elle tenta de mesurer la sensibilité
des divers isolats du VIH dont disposaient les laboratoires français à l’AZT,
seul médicament disponible, un effort qui s’amplifia et s’élargit
progressivement avec l’arrivée d’autres traitements.
Petit à petit, les missions s’amplifièrent, pour appliquer aux essais
thérapeutiques et enquêtes épidémiologiques les techniques les plus
performantes et les plus adaptées, conseiller les firmes pharmaceutiques sur
le développement des antirétroviraux et, surtout, valider au fur et à mesure
les nouvelles techniques virologiques, notamment de biologie moléculaire.
Les laboratoires d’immunologie n’en faisaient pas moins, mais la mesure de
CD4 resta inégalée pour prédire l’évolution de la maladie, même si elle était
complétée, comme on le verra, de nombreux tests immunitaires.

Où l’on reparle de l’ANRS


L’ANRS fut à l’avant-scène des grandes avancées thérapeutiques du
VIH et de leurs stratégies. Au cours des années, au-delà des grandes phases
princeps décrites plus haut, on en vint à améliorer les associations
médicamenteuses, étudier leur emploi dans des multithérapies en pilules
réduites, tester plus récemment des drogues de longue durée et bientôt
injectables, effectuer de nombreux essais dans les pays du Sud. L’agence
joua un rôle fondamental sur la coordination de la recherche clinique. Le
caractère pionnier des premiers protocoles mis en place ne doit pas cacher
les recherches cliniques qui s’imposent encore aujourd’hui. Cependant
l’infection VIH, heureusement, est devenue une maladie chronique pour
laquelle le panel des drogues s’est étendu et l’industrie est relativement
florissante.
Mais il y a un moment où le stylo qui crisse sur le papier s’arrête,
comme pour poser une interrogation plus lourde que la plume, plus sensible
que l’écriture, plus profonde que l’histoire résumée à des protocoles
d’investigations thérapeutiques : l’ANRS est-elle un modèle pour la
recherche clinique française ? L’ANRS est aussi une maison qui mêle les
réflexions sur les investigations thérapeutiques à celles des nombreuses
autres recherches qu’elle abrite, programme, évalue : recherches
fondamentales, sur le vaccin, sciences humaines et sociales, recherche
tournée vers les pays du Sud. Le succès, pour le sida comme pour de
nombreuses pathologies, tient à l’animation d’un continuum par une seule
institution ! Une réflexion qu’on ne saurait assez valoriser…
L’ANRS, c’est aussi une maison où l’on croise tard le soir l’homme de
ménage boitant qui vient vider les corbeilles de papier, où l’on se dirige le
matin, guidé par la pancarte du jour, vers l’une ou l’autre de salle baptisée
d’après quelque scientifique disparu, vers un comité, un conseil, un groupe
de travail. Certains franchissent la porte du secrétariat pour évoquer
quelques problèmes ou réussites et rencontrent un directeur tirant une valise
lourde de documents, la chemise largement ouverte. D’autres se dirigent
plus rapidement vers l’administration financière, le nerf de la guerre, ou le
secrétariat général. Au mur, des panoplies d’affiches renouvelées égrènent
les moments et les facettes de la lutte. Mais l’ANRS est surtout une
communauté aux aguets de la science et d’un nouvel humanisme.
Scientifiques de toutes disciplines cliniques, sciences biologiques ou
humaines, fondamentalistes ou ingénieurs techniques, côtoient les
représentants des associations de malades et de diverses communautés que
le mal a secouées. La recherche clinique y a certainement bénéficié de
contacts qui ne se trouvent rassemblés nulle part ailleurs. Les contacts
s’élargissent aussi, quand ce monde de recherche se tourne vers l’industrie.
Selon les circonstances et la demande, avec le temps et l’exigence, les
rapports avec l’industrie ont varié. D’abord l’ANRS eut pour vocation de
subventionner l’industrie pour la découverte de nouvelles molécules. On se
rappelle les laboratoires mixtes et les nombreux essais pour tester les
banques chimiques de candidats antirétroviraux possibles.
Jean-Paul Lévy fut sévère et amer sur cette expérience. « Le soutien
accordé aux industriels est-il justifié ? » s’interrogeait-il en 1998, pour
conclure : « Dans le domaine thérapeutique, trois sociétés s’étaient
engagées. Synthélabo, qui s’était consacré à la recherche de nouveaux
inhibiteurs de transcriptase inverse, s’est brusquement retiré de ce projet à
l’occasion d’un changement de l’équipe dirigeante. La société Rhône-
Poulenc Rorer n’a pas tenu à côté des grandes multinationales une place
plus importante dans la compétition. La réponse est vraisemblablement
simple : la direction générale de cette société semble avoir soutenu cette
recherche “du bout des lèvres”. Transgène s’était engagé sur la piste de la
thérapie génique pour y renoncer malgré un soutien important de l’ANRS. »
Plus tard, avec les essais cliniques des produits pharmaceutiques, la
coopération fut plus fluide, chacun y trouvant son intérêt. Les malades et les
financiers eurent leur part de résultats. Souvent réduites à des protocoles de
phase II (et non III et IV au coût majoré du fait d’un grand nombre de
patients) du fait de l’urgence médicale, les autorisations de mise sur le
marché étaient obtenues plus rapidement. Aucun produit pharmaceutique
n’eut de tels privilèges. Les associations de patients y furent pour beaucoup.
On se rappelle les « 120 battements par minute » des militants d’Act Up-
Paris. Mais l’industrie fournissait aux essais des médicaments que l’agence
aurait été bien en mal d’acheter. Le privé y gagnait en indications
médicales, donc en vente de médicaments, les malades en bénéfice
thérapeutique, c’est-à-dire en survie. L’agence arbitrait. Le compte était
bon, et probablement correct. Plus tard, les produits furent conduits sur le
terrain expérimental par les contacts que l’un ou l’autre clinicien pouvait
avoir sur des développeurs ou génériqueurs. On s’éloignait d’une stratégie
dirigée, pour se plier aux circonstances de l’offre… Progressivement les
essais passèrent de la lutte contre la mort à celle contre la maladie, le déficit
immunitaire, puis contre le virus. Comme nous le reverrons, l’industrie
quittera ainsi, au moins en partie, ce rapport sensible et particulier avec
l’agence pour voguer de son côté, recrutant directement à travers des essais
internationaux dans un pays ou l’autre, sans privilégier les relations que
pourrait offrir cette institution française. La stratégie industrielle des
médicaments du VIH rejoignit celle des autres enjeux médicaux et des
autres problèmes de santé publique choisis par les grandes firmes
pharmaceutiques pour valoriser leurs produits.
On tenta bien un moment de créer une structure européenne dédiée aux
essais thérapeutiques du VIH, qui trouva un soutien politique du
gouvernement français. Mais, même réduite aux ambitions de lutte
médicale, l’Europe a du mal à se coordonner. On le voit aujourd’hui pour le
Covid-19… Maxime Seligmann en son temps, pour le sida, prit en vain son
bâton de pèlerin pour convaincre. Ce fut un échec. Chacun préférait rester
maître de ses choix et de sa stratégie. L’ANRS se replia sur son ambition et,
faute de la satisfaire avec d’autres, sinon au coup par coup, en eut pour elle-
même et la santé mondiale. L’agence resta cette grande maison ouverte aux
discussions des protocoles qu’on lui présentait à travers les réflexions de la
fameuse action coordonnée qui leur était dédiée. Au cœur de celle-ci, on
retrouvait, interagissant, des scientifiques de toutes disciplines et ceux qui
représentaient les communautés de patients. Le sida avait su créer cet
amalgame, et l’ANRS le favoriser à travers une politique tournée vers une
cause : la lutte contre le VIH. Un modèle pour la recherche clinique
française ? Certainement !… « Parmi d’autres », ajouta prudemment Jean
Dormont quand je lui posai la question. Une question qu’il faut à nouveau
poser au temps du Covid…
CHAPITRE 2

Comprendre la maladie

Félicitant en 2008 Françoise Barré-Sinoussi pour le Nobel, Jean-


François Delfraissy indiquait que ce prix « mettait en lumière pour le public
la contribution essentielle de la recherche fondamentale à l’innovation
thérapeutique » et il ajoutait qu’« elle avait représenté cette année-là plus du
tiers du budget de l’agence ». Cette vision n’était-elle pas une sorte d’écho
à un éditorial quinze ans plus tôt de Jean-Paul Lévy qui liait le cognitif à
l’appliqué ? « La recherche sur le sida est profondément liée à l’évolution
de la recherche biomédicale fondamentale et ne peut se développer
correctement que là où celle-ci est déjà suffisamment active. » C’est dire
que ce pan des recherches a toujours représenté pour l’agence une part
importante de sa stratégie et de son soutien. Celui-ci ne fut pas seulement
budgétaire. L’animation scientifique par diverses actions coordonnées ou
par des groupes de réflexion a alimenté les interactions entre disciplines
différentes, mêlé les expertises. L’agence avait souhaité pousser les équipes
à définir et tenter de résoudre les multiples problèmes que posait le virus, sa
composition génétique et protéique, sa réplication, ses interactions avec
l’hôte à travers son intégration cellulaire et son contrôle par l’immunité, la
pathologie qu’il entraîne, etc.
« La recherche fondamentale, me dit un jour Françoise, est une boucle,
qui part d’observations épidémiologiques et cliniques pour inspirer des
études sur les connaissances qui s’y rapportent et s’en réclament. En retour,
un des premiers objectifs est de susciter par les résultats du fondamental de
nouvelles questions de recherche clinique et opérationnelle. Tout est
interaction. Les préoccupations, les hypothèses, et je dirais même les
ambitions scientifiques, se mêlent les unes aux autres. Je ne peux penser, du
moins sur le sujet dont nous parlons, à une recherche fondamentale isolée,
indépendante, qui ne débouche pas sur des applications médicales. La
caractéristique de l’ANRS, justement, fut de créer cette interface entre tous
les composants de la science et, bien entendu, entre les différentes
catégories de personnes concernées par la recherche, qu’il s’agisse des
professionnels de santé ou des représentants de patients.
» Du fondamental à la clinique et de la clinique au fondamental, pour et
avec les patients. Dès mes premiers travaux sur le VIH, j’ai rencontré des
cliniciens, des patients, étant auparavant sans contact avec l’hôpital.
Pouvoir interagir avec ceux qui travaillent au contact des patients et avec
leurs représentants est indispensable. Le cadre institutionnel de l’agence a
accompagné cette démarche, l’a confortée et a permis à d’autres d’en
bénéficier. L’ANRS a su réunir des scientifiques d’horizons différents, des
expertises diverses et leur a permis de répondre aux mêmes objectifs
d’urgence en santé publique et à l’attente des patients. Tous les
fondamentalistes ne s’y sont pas pliés, certains même se sont plaints de ne
pouvoir collaborer avec les cliniciens et les représentants des patients, de
percevoir des difficultés à les rencontrer, discuter avec eux, se faire
comprendre. C’est ne pas voir qu’il faut vouloir le dialogue. Regarde
combien l’étude des cohortes a nourri des sujets d’études fondamentales ! »

Connaître pour comprendre


Qu’il s’agisse de virologie ou d’immunologie, mais aussi de génétique,
de biologie cellulaire, de biologie moléculaire ou de chimie des protéines,
l’évolution de ces disciplines depuis la création de l’agence a modifié le
paysage des unités de recherche. La nature des questions posées et
l’irruption de nouvelles méthodes, telles celles liées au numérique, ont
légitimé avec le temps la mise en place de techniques de plus en plus
complexes et des plateformes sophistiquées que l’ANRS allait soutenir. Les
technologies sont déterminantes. Cela a fait dire à un directeur de l’Inserm
qu’« elles orient[aient] la recherche fondamentale et non l’inverse ». Une
position que d’autres, à juste titre, nuanceront pour reconnaître que derrière
la technologie, il y a toujours des cerveaux.
La vie dans un laboratoire est bien différente de celle des cliniciens. Si
l’on se rencontre, c’est pour discuter d’expériences, non de l’examen de
malades ou des prises de médicaments, même si l’on sait prendre en compte
l’attente des patients. Il est question d’hypothèses scientifiques et de
réactifs, de données biologiques et de méthodes de culture. On apprend
l’utilisation d’appareillages, tels les spectromètres de masse, les automates à
PCR… Les pipettes, les tubes à essai, les cultures cellulaires sont plus
discutés que les nouveaux traitements, même si l’on se soucie aussi de
l’attente des patients et de leur évolution virologique ou immunitaire.
Visitant ces unités de recherche, on vous montre des hottes à flux laminaire,
des congélateurs, les places d’ordinateur. La science d’aujourd’hui vit au
rythme des machines… et des hommes. Il y a les chercheurs professionnels,
mais aussi ceux, doctorants ou postdoctorants, qui n’ont que des contrats
provisoires. Qui a tant soit peu pratiqué la vie de laboratoire, ces jours sans
fin, ces dimanches où l’on retourne à ses cultures cellulaires pour mettre
quelques gouttes de milieu choisi, où l’on vient passer des « manips » au
compteur, dresser quelques colonnes de chromatographie, sait à quel point
ces collaborateurs sont indispensables. La passion de l’apprentissage
scientifique est un des biens les plus précieux. Il faut l’entretenir, montrer
qu’on soigne les expériences comme les malades, avec le même
dévouement, la même attention. Des jours, semaines ou mois peuvent être
gâchés en un instant.
Or, si l’ANRS était là pour soutenir les projets de recherche, les
directeurs successifs de l’agence se sont battus pour obtenir ces ressources
humaines que le ministère acceptait au compte-gouttes, craignant une
population précaire de scientifiques contractuels.
Pour un certain nombre d’équipes de recherche, l’ANRS a représenté à
sa création une source budgétaire nouvelle. Pourtant, tout le monde ne se
laissa pas entraîner vers les nouveaux horizons du sida. On ne change pas si
aisément d’un thème de recherche dont on a l’expérience et l’expertise.
Chez les médecins qui suivaient des patients infectés par le VIH, la
recherche clinique s’est vite imposée comme la continuité des activités de
soin. Mais il n’en est pas de même pour la recherche fondamentale. Rien
n’obligeait les virologues et les immunologistes fondamentaux qui
n’avaient pas de tâche hospitalière, ces deux catégories de scientifiques les
plus concernées, à travailler dans le domaine du sida. Rien, sauf une
curiosité scientifique pour cette pathologie, l’appétence pour de nouveaux
thèmes de recherche, l’intérêt porté aux questions innovantes que soulevait
le virus, ou la solidarité avec ceux qui étaient infectés et leur souffrance.
À ce titre, une des particularités de l’agence, comme l’indique Françoise
Barré-Sinoussi, fut de rapprocher les laboratoires de la clinique. Le
chercheur du fondamental est cependant avant tout jugé sur ses hypothèses,
la qualité scientifique de son projet, les moyens de le conduire. S’il lui est
suggéré d’en montrer l’impact, ce n’est qu’un élément parmi d’autres. En
intégrant la réflexion des fondamentalistes aux cliniciens, l’ANRS créa un
nouvel exercice qui valorisa la science et ses applications à travers un
continuum et une ambition partagée. De plus, au sein des actions
coordonnées, l’ANRS allait faciliter la rencontre de chercheurs d’horizons
différents et des réflexions pluridisciplinaires. De fait, dès la mise en place
des premières actions coordonnées, il fut souhaité de ne pas laisser le
champ des recherches aux seuls spécialistes du système immunitaire et des
virus. Il s’agissait aussi d’attirer des professionnels en chimie organique,
microbiologie, biologie structurale, génomique, ou des neurosciences.
Souvent, il fallut convaincre. L’effort paya. En quelques années, les
connaissances sur les virus du sida, les perturbations du système
immunitaire et leurs conséquences physiopathologiques furent mieux
analysées. Le soutien à la recherche fondamentale consacrée au sida fut
sans précédent en France. Moins connus, voire reconnus par la société et
peut-être aussi des patients, ce sont à ces chercheurs que l’on doit nombre
des avancées sur la compréhension de la maladie. Combien de fois entendit-
on retentir le back to the bench, ce fameux « retour à la paillasse », comme
une nécessité aussi importante que celle de conduire des essais
thérapeutiques ? Encore fallait-il comprendre ces interactions si subtiles
entre les virus et les réponses de l’hôte à l’infection, qu’elles soient
génétiques, métaboliques, immunitaires ou autres.

Des rétrovirus, de l’infection


et des cellules immunocompétentes
En ne possédant que l’un ou l’autre des composants génétiques, ADN
ou ARN, les virus se définissent d’eux-mêmes. Incapables de se multiplier
par division binaire, ils sont conduits pour se multiplier à un parasitisme
absolu. Ils ne peuvent se passer des cellules qu’ils infectent et, ce faisant,
peuvent perturber durablement ou gravement la vie des cellules, au moins
celles qui les ont intégrés. La sélection des virus, leur transformation
éventuelle et leur pouvoir infectant dépendent de leur matériel génétique et
des propriétés métaboliques des cellules qui les abritent, tout en assurant
leur survie et leur réplication. Les virus sont caractérisés en définitive par
leur constitution chimique. Celle-ci leur donne une affinité particulière pour
certaines espèces, ou pour une espèce donnée, pour certains tissus, organes
ou cellules. Par comparaison avec les bactéries, ou avec les cellules des
tissus vivants, la taille du virus est faible et ne permet de coder que pour un
petit nombre de protéines – de quelques centaines à plus de deux cents pour
les plus gros virus, soit de dix à mille fois moins que les bactéries.
L’essentiel du virus est constitué par un matériel génétique entouré d’une
coque de nature protéique, la capside, qui le protège. L’ensemble constitue
la nucléocapside. Celle-ci est elle-même entourée d’une enveloppe qui,
outre glucides et peptides (composants des protéines), est constituée de
lipides sensibles à des actions physiques ou chimiques, ce qui fait que les
virus ne persistent pas ou peu dans le milieu extérieur.
Les rétrovirus font partie d’une famille de virus enveloppés dont l’acide
nucléique est constitué d’ARN. En identifiant la transcriptase inverse,
Temin et Baltimore, qui reçurent le prix Nobel de physiologie ou médecine
à cette occasion en 1975, ont fait mieux que de lever un obstacle de poids à
la compréhension des rétrovirus, ils ont fourni un outil pour les traquer dans
les liquides biologiques, une cible pour les détruire. Mais la transcriptase
inverse est une enzyme peu fiable et peut commettre des erreurs. Les copies
ne ressemblent pas toujours à l’originale et donnent parfois naissance à des
variants viraux. Indispensable à la réplication, l’enzyme est ainsi à l’origine
de l’extrême variabilité des rétrovirus, de la diversité de leur évolution et
vraisemblablement de leur émergence, comme le pensait Temin à propos du
VIH. Nous avons vu que la transcriptase inverse n’est pas la seule enzyme
nécessaire à la survie des rétrovirus, l’intégrase pour l’insertion
chromosomique et la protéase pour l’assemblage des particules infectantes
sont aussi partie prenante.
Les virus ne doivent pas seulement se répliquer dans les cellules, ils
doivent aussi y pénétrer. Cette caractéristique dépend de leur capacité
d’attachement puis de fusion à la membrane des cellules vivantes. Cette
double fonction est assurée par le VIH par deux protéines virales,
constituants de l’enveloppe, appelées du fait de leur poids et composition en
glucides et en protides, gp120 et gp41. Seule, l’enveloppe du virus,
véritable clé, ne suffit pas à permettre son entrée dans la cellule. Un
récepteur spécifique sur la membrane des cibles joue le rôle de serrure. Or
la nature n’a pas créé de structure cellulaire pour faciliter le parasitisme.
Les virus doivent emprunter des voies d’accès naturellement utilisées pour
d’autres fonctions. Le VIH se sert ainsi de deux molécules de surface
habituellement affectées à d’autres activités : un récepteur et un
corécepteur. Le premier récepteur, le plus anciennement décrit, est la
molécule CD4, présente à la surface des lymphocytes et d’une autre
population de cellules immunitaires dont la fonction est de présenter aux
lymphocytes compétents les composants étrangers à l’organisme. Le CD4
n’assure pas à lui seul la pénétration du virus, d’autres récepteurs, ainsi
appelés corécepteurs, ont été identifiés. Ce sont des structures normalement
utilisées par les cellules pour leur attraction dans l’organisme par les
chimiokines, molécules sécrétées par les tissus lors des processus
d’inflammation. Le VIH est le symbole même du leurre.
Après sa pénétration et sa réplication, le VIH intègre les gènes
cellulaires. Sa latence ou, au contraire, sa production dépendent de
l’inhibition ou de la stimulation des gènes viraux par la cellule hôte. Tout
type d’activation des lymphocytes, en particulier à l’occasion des stimuli et
stress du système immunitaire, réveille les virus intégrés à l’état quiescent.
Il existe deux familles de rétrovirus pathogènes. Les plus anciennement
décrits sont les oncovirus, qui, à cause de leur propriété transformante,
occasionnent des cancers. Chez l’homme, de tels virus qui donnent des
leucémies, les virus HTLV, ont été découverts en 1980. Le virus du sida,
VIH-1, appartient à la seconde sous-espèce, celle des rétrovirus
responsables d’une longue période d’incubation – d’où le nom de lentivirus,
et la mort des cellules immunitaires.
Les lentivirus infectent de nombreuses espèces dont les primates non
humains. De nombreux travaux de l’ANRS vont s’intéresser à ces modèles.
Après la découverte du VIH, un virus voisin fut isolé de macaques captifs,
qui prit le nom de SIV (pour simian deficiency virus) auquel fut ajoutée la
racine « mac » pour cette espèce. Il est maintenant connu que le VIH et les
SIV viennent de transmission interespèces de virus qui normalement
infectent les primates non humains. Le SIV du chimpanzé a été ainsi
directement transmis à l’homme, responsable des groupes M et N du VIH,
et celui du gorille, des groupes O et P, ces différents groupes traduisant la
diversité génétique du VIH liée aux passages interespèces. Malgré un taux
élevé d’infection (séroprévalence allant de 20 à 60 %) dans les populations
adultes sauvages, ces infections par lentivirus sont naturellement
asymptomatiques chez leur hôte naturel, à l’exception cependant de certains
cas. Outre l’utilisation du SIV(mac), deux modèles d’Afrique
subsaharienne, dont on reparlera, ont été particulièrement étudiés par les
équipes françaises, les singes verts d’une part, et, d’autre part, les singes
verts mangabey qui sont à l’origine d’un second virus VIH, le VIH-2.
Face à ces multiples formes virales, les cellules immunitaires, les
lymphocytes, font également montre de leur diversité, et entretiennent avec
le VIH une double relation : les lymphocytes sont la cible du virus, et le
virus la cible des lymphocytes. Quelles sont les cellules du système
immunitaire qui luttent contre le VIH et quelles sont leurs fonctions ?
Les cellules clés du système immunitaire sont les lymphocytes. Il en
existe deux populations : les lymphocytes T et les lymphocytes B. Les
premiers – ainsi appelé car ils proviennent du thymus, une glande située
derrière le sternum – constituent une population relativement hétérogène de
cellules qui se distinguent par leurs fonctions et peuvent être reconnues par
des marqueurs situés à leur surface. On identifie principalement les
lymphocytes T CD4, qui possèdent le récepteur pour le VIH, et les
lymphocytes T CD8. Les lymphocytes CD4, véritables chefs d’orchestre,
sont indispensables à toute fonction immunitaire. De leur stimulation et de
leur efficacité dépend l’activité des autres catégories de lymphocytes, en
particulier des lymphocytes CD8 et des lymphocytes B. Les CD8 quant à
eux peuvent jouer différents rôles. Ils peuvent tuer les cellules étrangères,
notamment les cellules infectées, ou sécréter des substances antivirales. La
fonction des lymphocytes B, cellules qui ne transitent pas par le thymus, est
d’agir à distance en fournissant des molécules qui reconnaissent les
antigènes, les anticorps.
Les lymphocytes représentent ainsi une véritable armée capable de
mobilisation à tout moment. L’introduction des microbes tels que le VIH
déclenche leur stimulation. La défense anti-infectieuse est alors assurée par
deux mécanismes. L’un, dépendant des CD8, par l’inhibition virale et par la
cytotoxicité qui agissent en détruisant les cellules infectées ; l’autre,
moléculaire (appelée aussi immunité humorale), par la production
d’anticorps. Les cellules CD4 ne s’activent cependant contre un antigène
qu’après sa présentation par une autre catégorie de cellules, dont on
distingue plusieurs sortes parmi lesquelles les macrophages. Dès qu’une
particule étrangère est captée par les macrophages, elle est digérée, pour
être présentée aux lymphocytes CD4. Ces cellules jouent ainsi un rôle
essentiel qui explique leur diffusion dans tous les tissus de l’organisme.
À côté de cette immunité dite adaptative, parce qu’elle est induite en
réaction à une infection, existe une première ligne de défense cellulaire.
Cette immunité, qui préexiste à la mise en place d’une réponse adaptée, est
appelée innée. Celle-ci est composée, notamment, de cellules dites
naturelles tueuses car elles patrouillent en permanence dans le corps, prêtes
à tuer toute cible étrangère. Il existe également une autre catégorie de
cellules innées, les cellules dendritiques, qui sont chargées de digérer et de
présenter l’antigène au niveau des portes d’entrée, peau et muqueuses, et de
se déplacer avec leur proie dans les zones riches en lymphocytes. Fait
important, qui fait du VIH un microbe redoutable, les macrophages et
cellules dendritiques expriment également le CD4, de sorte que le virus
n’atteint pas seulement le chef de file du système immunitaire mais
également les cellules accessoires indispensables à son fonctionnement.

Entre le marteau et l’enclume


Une des toutes premières séries de recherches soutenues et encouragées
par l’ANRS fut la mise au point de nouvelles armes thérapeutiques par la
biologie moléculaire. La stratégie, compliquée à mettre en place, mais
simple à comprendre, consistait à inhiber ou détruire ce virus ARN par une
batterie de nucléotides dont on se rappelle que ce sont des associations de
bases puriques ou pyrimidiques, les constituants de l’acide nucléique. Ces
nucléotides devaient reconnaître des séquences complémentaires sur le
virus et ainsi avoir une grande spécificité. Un tel objectif nécessitait
d’associer des compétences variées.
Il fallait d’abord imaginer et dessiner des éléments moléculaires de
petite taille, pour leur donner une certaine flexibilité, permettre torsion et
distorsion afin d’atteindre le but, faire en sorte que les séquences soient
parfaitement adaptées à la cible choisie. Mais reconnaître est une chose,
encore fallait-il que le missile soit actif. Se posait alors la question de sa
fonction. Deux mécanismes d’action furent prévus. Dans un cas il s’agissait
d’inhiber le virus, de s’intercaler pour bloquer son action, l’empêcher
d’agir. Dans l’autre, il s’agissait de greffer des ciseaux moléculaires pour le
découper, une stratégie qui reste de grande actualité avec le prix Nobel de
chimie 2020 attribué à Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna.
Au fur et à mesure, plusieurs dizaines d’équipes soutenues par l’ANRS
se sont consacrées aux différentes étapes par de nombreuses études, du
design moléculaire aux tentatives d’attachement aux membranes par des
lipides, ou, manœuvre plus sophistiquée, par des anticorps, ou même des
nanoparticules. Du choix des cellules cibles, secondairement infectées in
vitro dans les enceintes protégées, au destin de dizaines d’essais
d’oligonucléotides de toutes formes et compositions, ces recherches
occupèrent presque dix ans l’avant-scène du théâtre de la biologie
moléculaire et d’une stratégie française de la lutte antivirale. De
nombreuses réunions furent consacrées à stimuler les groupes de recherche,
confronter les résultats, la plupart décevants, ou tenter d’autres manœuvres
encore plus hasardeuses. On se rencontrait avec les équipes étrangères pour
ne pas se sentir isolé, notamment avec les Britanniques qui effectuaient des
expériences proches sans plus de résultats. Les plages du sud de la France
ou la Royal Academy de Londres accueillent ces réunions d’échange.
Le succès ne fut pas au rendez-vous. En une décennie, malgré la
tentative d’un seul oligonucléotide menée jusqu’en phase I de clinique
humaine, il fallut bien se déclarer forfait.

La virologie fondamentale
« La recherche virologique fondamentale ne doit pas être confondue
avec la recherche en virologie médicale, très directement liée à la recherche
clinique, et qui porte sur l’évaluation virologique des essais », écrivait un
des directeurs de l’agence que l’on interrogeait sur la subtilité des
disciplines. Cette part fondamentale de la virologie tenait à la vie des
rétrovirus et à l’intérêt qu’ils avaient suscité depuis de nombreuses années
dans la communauté scientifique, des virologues avant tout, mais aussi des
biologistes, généticiens, biologistes moléculaires, cancérologues ainsi que
ceux qui s’intéressaient à la phylogénie des espèces. Lors de l’apparition du
VIH et de sa première analyse, certaines équipes françaises, peu
nombreuses, qui s’intéressaient aux espèces virales animales se
reconvertirent dans des recherches sur le VIH, ou exploitèrent les modèles
animaux comme études expérimentales de sa pathologie. Le fait que le
HTLV soit un rétrovirus humain fit d’ailleurs que l’ANRS soutint un temps
des études le concernant avant de l’exclure des financements.
Principalement les virologues, une fois connue la séquence du virus et de
ses gènes dans les premières années 1980 ainsi que ses capacités d’infection
et de multiplication, allaient animer un secteur actif pour mieux comprendre
les déterminants d’entrée du virus et de sa pénétration cellulaire dans les
lymphocytes CD4. Le rôle de ce récepteur était certes connu, mais il fallait
analyser avec précision celui de l’enveloppe virale. Comme il avait été
démontré par des équipes internationales que les premières étapes de
l’attache virale nécessitaient un corécepteur, un certain nombre des études
soutenues par l’ANRS cherchèrent à mieux caractériser et comprendre les
déterminants moléculaires de l’enveloppe utiles ou indispensables à son
attache. Ces travaux concernaient des analyses structurales ou tentaient de
mesurer son interaction des composants du virus. Ce phénomène est
d’autant plus important que certains individus qui ne possèdent pas de
corécepteur ne peuvent être infectés, un bénéfice aujourd’hui utilisé pour
des tentatives de thérapie génique. Ces travaux de biologie structurale
concernèrent également la nucléocapside qui, à côté de l’enveloppe
extérieure, est une seconde protection qui entoure l’ARN. Dans l’ensemble,
on acquit beaucoup de connaissances, mais celles-ci ne furent pas valorisées
dans l’élaboration de nouveaux médicaments.
Elles permirent cependant une meilleure compréhension des
mécanismes physiopathologiques. Il en fut de même des études concernant
les trois séries d’enzymes qui permettent la transcription, l’intégration et
l’assemblage des virions. Les questions posées n’échappèrent pas à la
sagacité des virologues. L’ANRS soutint nombre de leurs projets,
notamment pour comprendre les obstacles aux activités des traitements qui
les ciblaient. J’interrogeai un jour à ce propos Monsef Benkirane, directeur
à l’Inserm, qui fut un des acteurs de cette recherche fondamentale. « On
doit beaucoup aux équipes françaises, dit-il. Si nous considérons les travaux
de celles-ci en virologie fondamentale sur cette enzyme du VIH, l’intégrase,
ils permirent d’en mieux connaître la structure et furent ainsi à l’origine de
la seconde génération des médicaments dirigés contre cette molécule.
Conceptuellement, ces recherches servirent à mieux cibler l’activité de cette
enzyme du virus et ainsi à l’inhiber. Est-ce à dire que nous sûmes en tirer
pleinement le bénéfice ? Je n’en suis pas si sûr. En France, contrairement
aux États-Unis, nous ne sommes que peu outillés pour transformer la
recherche fondamentale en principe thérapeutique. Souvent, les concepts et
travaux princeps viennent de chez nous et leur valorisation est orchestrée
par des groupes américains. Car la compétition est sans pitié. »
Plus récemment, les recherches en virologie fondamentale donnèrent
lieu à des études fascinantes sur les interactions entre cellules et virus, au
plus profond des rencontres de l’hôte et de son redoutable parasite. Le VIH
n’échappe pas à la règle. Il utilise la machinerie des cellules CD4 pour
pénétrer, produire de nouvelles particules et se propager. Les cellules, cibles
innocentes de cette intrusion, ne restent pas sans défense, et tentent de s’en
protéger. Elles mettent en place deux ordres de mécanismes purement
cellulaires, l’un d’attaque, l’autre de résistance. Ces phénomènes, qui se
situent à l’échelle des lymphocytes infectés, sont indépendants et
complémentaires des réponses du système immunitaire par les cellules
cytotoxiques et les anticorps.
La première réponse biologique, connue depuis les premiers exemples
d’interaction virus et cellules, concerne la sécrétion de facteurs anti-
inflammatoires, les cytokines, médiateurs naturels de l’immunité, dont
l’interféron est le chef de file. Chez la plupart des vertébrés, il s’agit d’une
réponse classique à la présence d’une double hélice d’ARN étranger.
Plus étonnants sont les produits cellulaires que la cellule met
directement en jeu pour se prémunir de l’invasion. Beaucoup d’entre eux
ont été découverts à l’occasion des virus VIH, et certains par des équipes
françaises. Ces modes de défense remarquables, hérités sans doute de
multiples circonstances où l’homme eut à lutter contre les virus, font
barrage à plusieurs temps de l’infection. Parce qu’ils contraignent le virus à
s’en prémunir, ils sont dénommés facteurs de restriction. Ces mécanismes
de blocage sont si nombreux qu’on peut aisément se demander comment les
virus arrivent à y échapper. Il faut du génie !
On dénombre deux séries de ces facteurs. Les premières diminuent la
capacité de pénétration du VIH, les secondes, la sensibilité des cellules à la
« survie » virale. Les projets de recherche soutenus par l’ANRS aborderont
plusieurs d’entre eux. Certains de ces mécanismes rendent compte de
l’absence d’infection de populations cellulaires immunitaires qui, bien que
possédant le CD4, sont préservées de l’attaque rétrovirale. Redoutable, le
virus tente de contourner de telles défenses par certains gènes viraux et
produits dits de régulation. Les retombées indirectes de ces études
complexes furent de rapprocher des chercheurs fondamentalistes de
problématiques cliniques, de leur ouvrir de nouveaux champs de réflexion,
mais aussi de réfléchir ensemble à des nouveaux modes de lutte antivirale.
Le combat ? Les virologues ne furent pas seuls à y prendre part. Il fallait
compter aussi sur l’expertise des immunologistes.

Le VIH a-t-il plus bouleversé le système


immunitaire que les immunologistes ?
En 1994, le directeur de l’agence constatait avec quelque regret que peu
d’équipes françaises avaient encore consacré leurs efforts à comprendre les
anomalies qualitatives des lymphocytes, des cellules présentatrices
d’antigène, les raisons de la disparition des CD4, ou celles de l’activation
des cellules immunitaires. « La recherche sur le sida ne doit pas être un
monde à part, séparé, sanctuarisé. Elle doit être profondément liée à
l’évolution de la recherche biomédicale tout entière. Elle ne peut se
développer correctement que si elle est intégrée et interagit avec la
communauté des chercheurs. » Cet appel à la mobilisation suscita de
nombreuses réunions à l’ANRS, pour tenter de comprendre le déficit
immunitaire, le sida, dont la chute des CD4 est le témoin le plus éloquent.
Dans un premier temps on s’interrogea sur cette diminution quantitative
des lymphocytes T et celle, qualitative, de leurs fonctions. On s’intéressa
ainsi aux mécanismes de mort cellulaire des lymphocytes, l’apoptose. Toute
une série d’expériences in vitro, au laboratoire, allait montrer qu’en activant
les CD4 dans un tube à essai par une série d’artifices qui auraient dû les
faire survivre et proliférer, on assistait bien au contraire à leur mort. Il
suffisait d’un faible signal, d’un léger toucher, pour qu’ils disparaissent,
comme s’ils étaient déjà programmés à cette fin.
Les lymphocytes étaient malades, mais de quoi ? Ce fut un sujet dans
lequel les premières équipes françaises d’immunologie se lancèrent avec
enthousiasme. Au-delà de la mort, on touchait aux déterminants de la vie et
à son propre contrôle. Il avait là de quoi séduire des scientifiques de tous
bords. La pêche ne fut pas miraculeuse et se heurta même à des préjugés.
Le sida n’était qu’une question parmi d’autres…
S’il s’agissait d’étudier la vie ou survie des lymphocytes, pensèrent
certains, pourquoi ne pas revenir à une explication simple, celle d’une
anomalie de leur développement dans le thymus, comme si les cellules
d’emblée mal formées trouvaient aisément leur mort dans quelques
cimetières du corps ? Certaines expériences, sur lesquelles se penchèrent
des équipes qui s’intéressaient à la maturation des cellules immunes,
devaient effectivement montrer que l’infection des précurseurs thymiques
pouvait entraîner des modifications profondes de la survie et des capacités
de différentiation des lymphocytes T. Mais ces quelques démonstrations, si
éloquentes soient-elles, n’avaient pas emporté l’adhésion de tous. D’abord
de nombreuses cellules mouraient qui n’étaient pas infectées, puis, de plus
en plus d’observations se multipliaient pour montrer que les anomalies du
système immunitaire ne se limitaient pas aux CD4. Exit pour un temps,
avant qu’ils ne soient attirés par de nouvelles questions : les
immunologistes de la différenciation laissèrent la place à ceux que
préoccupaient des fonctions immunitaires. Les études ont leurs modes, leurs
groupies, leurs spécialistes ! Les chercheurs français allaient apprendre et
décrire avec d’autres que les divers composants du système immunitaire, au
demeurant multiples, montraient également des anomalies. Les monocytes
et macrophages qui exprimaient également le CD4 n’assuraient plus
efficacement leurs fonctions de présentateurs de l’antigène, les cellules B
apparaissaient anormalement stimulées et produire des anticorps de manière
désordonnée. Les cellules CD8, ces fameuses cellules tueuses, montraient
une forte réactivité. On abandonna un moment l’étude du déficit
immunitaire, qui avait attiré les premiers pionniers – sans d’ailleurs
s’accorder sur les causes de l’apoptose –, pour tenter de mieux caractériser
les modes de défense contre le virus. Questions de mode, d’hommes et de
priorités de recherche qui tenaient aussi compte, comme parfois en science,
des choix et travaux des équipes concurrentes.
Mais le sujet rebondira d’importance avec la découverte en 1997 par
Brigitte Autran et collaborateurs qu’une reconstitution immunitaire pouvait
avoir lieu au-delà de la simple mesure des CD4. De la sorte, non seulement
le VIH, mais le sida, donc le déficit immunitaire, pouvaient se traiter avec
des médicaments antirétroviraux efficaces. Une lueur d’espoir majeure
puisque, faute d’éradiquer complètement le virus, on pouvait en supprimer
les conséquences et obtenir réparation des dégâts qu’il avait causés. La
mesure des CD4 devenait ainsi un réel marqueur biologique d’efficacité
thérapeutique. Ces résultats ouvraient la voie aux multiples contributions
que les études biologiques apportèrent pour étudier les différentes sous-
populations lymphocytaires lors des diverses étapes et formes de la maladie,
avec ou sans traitement.
De la réponse cytotoxique…
En 1987, deux séries de travaux français et américains avaient démontré
l’existence d’une attaque cellulaire (cytotoxicité) contre les cellules
infectées par des lymphocytes tueurs, les CD8. Dans les dix années qui
suivirent, un certain nombre d’équipes allaient rejoindre cette thématique
centrée sur la prolifération de ces cellules CD8 qui, mesurée dans le sang,
était sans aucune mesure par rapport à celle habituellement observée au
cours des infections virales. On nota que cette immunité, dite cellulaire,
s’accroît dès les premières semaines, et se maintient pendant des années,
comme allaient le montrer différentes études de cohortes de patients
prélevés à divers temps de leur évolution. On allait décrire que cette
réponse s’exerce contre de nombreuses protéines du virus exprimées par les
cellules infectées, et ainsi détermine leur mort. Certaines de ces cibles, donc
fragments de protéines ou peptides, sont extrêmement variables d’un virus à
l’autre chez le même individu, mais également d’un individu à l’autre. Ce
polymorphisme est une des caractéristiques du virus VIH. Il en est de même
des cellules cytotoxiques. À peine une cellule tueuse naît-elle pour le tuer
que le virus mute pour résister à celle-ci, entraînant une incroyable diversité
de virus. Cette poursuite du chat et de la souris est un jeu dont la mort est
l’enjeu, pour le lymphocyte comme pour l’homme. Il existe ainsi presque
autant de cellules tueuses différentes que de virus. Comme il y a toujours du
virus chez l’homme infecté, on peut penser qu’il a épuisé des générations
entières de cellules tueuses, mais qu’il en sort vainqueur. La réponse
s’exerce certes, mais a toujours un temps de retard. Est-elle ou non efficace
dans la lutte contre le VIH ? Peut-elle avoir une action délétère, participant
au déficit immunitaire en tuant les lymphocytes infectés ? Cette hypothèse
d’ailleurs plausible fut mise un temps de côté, car ces CD8 tueurs
semblaient avoir un effet protecteur au stade précoce et asymptomatique de
la maladie en réduisant d’emblée le nombre de cellules infectées.
De manière très intrigante, de telles réponses furent également
retrouvées chez des sujets exposés au VIH mais non infectés. La proximité
d’un individu malade avait été suffisante pour induire une immunité
cytotoxique, ainsi purement cellulaire, chez des individus indemnes de tout
virus. Tandis que des études étaient faites en parallèle par des équipes
anglo-saxonnes en Afrique sur des prostituées qui résistaient à l’infection,
les équipes françaises soutenues par l’ANRS caractérisaient de telles
réponses immunitaires contre le VIH dans des couples sérodiscordants. Une
vaccination naturelle ? La question est encore non résolue et, faute de
l’avoir été, a été mise de côté, non sans avoir démontré le rôle protecteur de
certains facteurs génétiques, les gènes HLA ou gènes d’histocompatibilité.
Le champ de telles études n’est certes pas épuisé, et suscite encore des
réflexions que soutient l’agence, mais elles devaient culminer dans le
tournant des années 2000. Les résultats allaient conduire à des publications
de choix, couvrir de posters les cimaises des congrès, entraîner nombre de
communications orales, de discussions entre équipes concernées, à l’ANRS
ou ailleurs. Ces travaux scientifiques ont une limite d’importance : malgré
tant d’efforts en France et dans le monde, la question de savoir si
l’immunité cellulaire est un corrélat nécessaire et suffisant à la lutte et à
l’élimination du virus n’est pas encore totalement résolue. D’autant qu’il y
a une très grande diversité virale liée à la prédominance de certains variants,
due à des mutations et à des pressions de sélection par d’autres mécanismes,
dont certains sont liés à d’autres pans de la réponse immunitaire.

Quand l’immunité humorale entre


en scène
e
Longtemps, dans le courant du XX siècle et même auparavant, les
écoles françaises se sont heurtées entre tenants de l’immunité cellulaire et
humorale. Les collaborateurs de Pasteur, Metchnikoff d’un côté, Émile
Roux de l’autre, ont entraîné toute une série de partisans de l’une et de
l’autre théorie de l’immunité à travers une guerre fratricide qui culmina en
son temps à l’Institut Pasteur. Les modes de défense contre les agents
infectieux sont-ils avant tout dus à des cellules tueuses ou à la production
d’anticorps ? Il fallut attendre de nombreuses années pour que la paix
revienne parmi les immunologistes. Chacune des deux formes de la réponse
immunitaire a son efficacité pour lutter contre l’agression des microbes.
Avec des nuances. On pensait que l’immunité cellulaire cytotoxique jouait
un rôle majeur dans la défense contre les virus tandis que celle humorale
par production d’anticorps agissait contre les bactéries et leurs toxines. Bien
entendu cette dichotomie n’était pas si simple. Il y avait des anticorps
neutralisants contre les virus dont le rôle et le mécanisme, au demeurant
spécifiques pour chaque virus, restaient largement incompris.
Or tout évaluateur penché sur les contributions scientifiques de l’ANRS
au sujet de cette maladie pourrait s’interroger sur les travaux qui portent sur
l’immunité humorale. Certes, des équipes de virologues qui s’intéressaient à
la nature de la variabilité virale, et par extension à la capacité de
neutralisation des anticorps qu’on retrouvait dans le sérum des patients
infectés, avaient tenté de stimuler les immunologistes pour qu’ils étudient la
biologie de la réponse des cellules B. Mais très peu de ces spécialistes de
l’immunité s’étaient penchés sur le problème. Nombre de questions n’ont
pas été posées par les équipes françaises, telles : comment et pourquoi
apparaissent les anticorps neutralisants ? Quels sont antigènes – c’est-à-dire
les fragments de sucre ou protéines du virus – qui sont reconnus ? Quelle
est la fonction que portent ces anticorps pour qu’ils parviennent à
neutraliser le virus ? S’agit-il d’un contact purement physique pour
empêcher le virus d’atteindre sa cible, le lymphocyte CD4, ou d’une autre
qualité plus curieuse qui nécessite l’aide des cellules tueuses qui agissent
parfois de concert ? Jusqu’à une période récente, très peu de travaux de ce
type ont été proposés pour financement à l’agence. Or ce mode de réponse
immunitaire est un composant important de la lutte contre le VIH, comme
l’ont bien montré les équipes de virologues étudiant la neutralisation des
sérums de patients. La recherche fondamentale effectuée dans des
laboratoires étrangers a produit des anticorps monoclonaux neutralisants,
aujourd’hui utilisés par ces équipes, américaines notamment, pour inhiber
chez l’homme la progression du virus, voire en prévenir l’infection. De
telles approches furent longtemps négligées par les équipes françaises. On y
revient aujourd’hui à l’ANRS, pour en proposer d’autres, utilisant de tels
anticorps au décours de la primo-infection, un moment propice au
renforcement d’un système immunitaire en pleine action.
Face à la très grande diversité virale, celle du système immunitaire est
grande et ne se résume pas à cette immunité cytotoxique et humorale, dite
adaptative car elle tente d’y répondre. À côté de celle-ci, des réponses des
cellules T et B, l’exploration des cellules de l’immunité innée allait attirer
d’autres travaux. Les cellules dendritiques arborisées par leurs
prolongements captent les antigènes qui passent à leur portée. Ce sont les
sentinelles des muqueuses et de la peau. On les trouve aux tréfonds des
organes lymphoïdes. Cette sous-population de cellules immunitaires allait
regrouper un certain nombre de scientifiques au sein d’une action
coordonnée de l’ANRS. « Nous avions envie de comprendre leur rôle et
leurs anomalies », dit Anne Hosmalin, qui anima un temps ce groupe de
chercheurs autour des fonctions de ces cellules, dont le rôle malheureux et
délétère par propagation du virus avec leurs trop efficaces dendrites. On
chercha ainsi à déceler leur fonction dans la transmission du virus. Grâce à
un modèle de prépuce, il fut ainsi possible de mieux comprendre l’effet de
telles cellules dans la contagion par voie sexuelle, et la protection de
l’infection après circoncision.
Un autre pan de l’immunité innée est celui joué par les cellules NK, les
fameuses cellules naturelles tueuses. Divers travaux allaient montrer
qu’elles semblent exercer un double contrôle sur l’infection, le yin et le
yang : l’un positif luttant contre le virus aux premiers temps de l’infection
pour tenter de l’éradiquer, l’autre délétère pouvant expliquer, au moins
partiellement, la chute des CD4.
Le rôle des cellules NK dans le contrôle de l’infection est
magnifiquement illustré par l’étude et la caractérisation des patients de la
cohorte Visconti. On en rappelle les circonstances. Un petit nombre de
sujets, de l’ordre d’une vingtaine, allaient intriguer les investigateurs de
l’ANRS, car bien qu’ayant arrêté tout traitement, après deux ou trois ans de
stricte observance, ils conservaient un contrôle de la charge virale et, de ce
fait, maintenaient un taux de CD4 stable sans prise médicamenteuse. Deux
caractéristiques y étaient associées, un traitement précoce durant la primo-
infection et un réservoir viral relativement faible. Or la réponse des CD8 ne
semblait pas différente qualitativement et quantitativement de celle des
autres sujets. Il fallait chercher ailleurs, notamment du côté de l’immunité
innée. Des études génétiques, montrant la fréquence de certains gènes HLA,
mirent sur la piste des cellules NK, rattachant le contrôle de la charge virale
observée à l’activité de ces cellules, un phénomène qu’on allait rapprocher,
comme on le reverra, de celui observé chez les primates non humains, hôtes
naturels de l’infection SIV. Mais les cellules NK pourraient avoir également
une fonction délétère et intervenir dans la chute des lymphocytes. De fait,
ce processus probablement multifactoriel a longtemps été une énigme.
Durant la phase chronique de la maladie, les lymphocytes CD4 qui
disparaissent – la fameuse apoptose – ne sont pas les cellules infectées. Des
études de l’équipe de la Pitié-Salpêtrière ont pu montrer que ces cellules
expriment une cible des cellules NK ce qui, pour une part, pourrait
expliquer la chute de ces lymphocytes CD4, un mécanisme qu’un prototype
récent de vaccin semble pouvoir prévenir.
Recherche de rupture
Peut-être faut-il ici laisser le lecteur reprendre son souffle, et l’auteur
comprendre les critiques des uns qui trouvent l’analyse trop simple et des
autres, trop compliquée, le regret de certains qui pensent qu’on escamote
leurs découvertes, ou au contraire qu’on tente de les grandir. « Tu parles
trop d’immunologie », m’a dit Françoise Barré-Sinoussi à propos de ce
chapitre, connaissant pour une part mes défauts. À cela l’auteur répondrait
que l’histoire de l’ANRS passe par les recherches qui furent supportées par
l’agence et que l’exercice est parfois difficile quand il s’agit de respecter au
mieux leur chronologie, ou trouver leur logique, qui d’ailleurs n’existe pas
toujours. « Et c’est bien ainsi, répondraient Michel Kazatchkine et Jean-
François Delfraissy. La recherche fondamentale n’a pas à être dirigée. Elle
doit laisser libre cours à l’imagination. Bien sûr tout en étant soumise à
l’évaluation. » Chacun est ainsi à la recherche de ruptures, qui s’éloignent
des sentiers battus. À la différence de la recherche thérapeutique, qui se
concrétise la plupart du temps avec l’arrivée des produits médicamenteux,
la recherche fondamentale bénéficie d’une grande liberté.
Elle nécessite cependant de connaître parfaitement l’état de l’art – à
quoi sert d’effectuer une expérience déjà réalisée par d’autres ? – et de se
soumettre à l’avis de ses pairs, à travers les commissions scientifiques, pour
être financée. C’est dire toute l’aide qu’apportent les actions coordonnées
qui permettent la rencontre d’expertises diverses, l’intégration dans des
réseaux, la critique des idées. Combien de fois, réunis dans l’une ou l’autre
des salles de l’agence aux noms prestigieux, salle Dominique Dormont,
Jonathan Mann ou autre, j’ai senti que ces échanges étaient enrichissants,
mêlant les visions des uns et des autres. Là, autour de tables savamment
ordonnées, nous critiquions nos résultats, laissant les courbes des
diapositives se soulever sur les enthousiasmes ou s’aplatir sous les critiques,
les histogrammes s’ordonner ou se détruire. Le nombre et le type d’actions
coordonnées en matière de recherches fondamentales ont varié en fonction
des directions et des sujets, confrontés à l’actualité de la littérature. Ces
réunions furent un des grands succès de l’agence et permirent des avancées
qui, pour être individuelles et bien sûr compétitives, n’en étaient pas moins
souvent le reflet d’ambitions collectives. Lire la description de ces
recherches fondamentales peut laisser le lecteur insatisfait, mais il me
semble qu’elle illustre le fait qu’il n’y a pas de recherche en temps
d’épidémie sans apport du fondamental, et que le retour sur celui-ci permet
d’imaginer l’étendue du problème. Beaucoup sont encore non résolues
concernant le VIH, mais s’agissant de l’interaction de l’homme et des virus,
nombre de ces questions touchent aussi à d’autres pathogènes qui, tel le
coronavirus SARS-CoV-2, remettent l’histoire dans l’actualité. Le monde
entier est à l’écoute de recherches de rupture, de recherches qui soient des
ruptures…

Les succès des cohortes


Les cohortes de patients, dont on a vu qu’ils alimentaient des travaux de
recherche, constituent un instrument précieux pour analyser et caractériser
l’évolution naturelle de la maladie. Avec le temps, au-delà du suivi clinique,
le monitorage virologique et immunologique devint de plus en plus précis et
permit d’intéressantes corrélations avec l’état de la maladie. On put
analyser la sérologie antivirale, puis la charge virale circulante ou cellulaire,
ou encore la résistance qui s’installa contre les drogues au fur et à mesure
de leur apparition. De même, toutes les différentes techniques qualitatives et
quantitatives d’étude des cellules immunitaires permirent de mieux décrire
les anomalies du déficit et de caractériser les réponses anti-infectieuses. On
distingua bien vite celles qui étaient indispensables à l’évaluation
thérapeutique de celles qui apportaient d’importants renseignements en
physiopathologie. Des banques de données cliniques et biologiques sur la
maladie furent ainsi constituées. Ces cohortes furent également sources de
matériel cellulaire ou tissulaire pour des programmes d’études biologiques.
Par ailleurs, de tels groupes de patients représentaient, avec bien sûr leur
accord, des sujets privilégiés pour de nouveaux essais thérapeutiques. En
1999, au moment où le nombre de ces cohortes culmine, l’ANRS en
soutenait six principales, regroupant au total 6 000 personnes, auxquelles
s’ajoutaient, à des fins de données épidémiologiques et économiques, les
43 000 personnes de la base de données hospitalière française sur
l’infection VIH (le DMI 2) dont l’accès, se rappelle Jean-Jacques Valleron,
ne fut pas si facile, du moins au début. Cette cohorte, dont l’exploitation
doit également beaucoup à Dominique Costagliola, épidémiologiste de
l’Inserm, permit d’étudier la morbidité et mortalité à long terme des patients
infectés, les effets de l’immunodépression, les facteurs de risque des
populations clés, ou encore de participer au consortium de cohortes
européennes identiques. Ce fut un outil majeur d’observation de la prise en
charge des malades vivant avec le VIH. Si certaines cohortes furent ainsi
soutenues, ou plus nouvellement mises en place pour des observations
spécialisées, d’autres, plus généralistes, cessèrent de l’être avec le temps,
telle la première d’entre elles, l’emblématique Seroco, qui concernait
l’évolution naturelle.
On apprit beaucoup de ces cohortes, dont les données représentent une
des richesses de l’agence. Tandis que le traitement statistique des
paramètres cliniques et biologiques allait bénéficier de l’intelligence
artificielle et de ses algorithmes, les banques de cellules furent aussi un
apport exceptionnel pour d’autres investigations, celles du génome et de la
génétique.
L’immunogénétique est la science de la génétique appliquée au système
immunitaire. Mise en exergue par les travaux de Brauj Benacerraf et Jean
Dausset qui eurent ensemble en 1981 le prix Nobel de médecine, elle devait
consacrer le complexe majeur d’histocompatibilité, le HLA, comme un
marqueur dominant de l’immunologie. Des gènes, groupés en un complexe
déterminant ou non le rejet des greffes, dit ainsi d’histocompatibilité,
contrôlent l’ensemble des réponses immunitaires, dont celles contre les
infections. Comme l’apprend l’histoire des maladies infectieuses, la
susceptibilité ou résistance à certaines maladies virales (hépatites B et C),
bactériennes (lèpre et tuberculose) ou parasitaires (paludisme,
leishmaniose) purent ainsi leur être corrélées. Bien évidemment, la question
se posa au moment de l’infection VIH, à nouveau et de manière plus
prononcée, pour tenter d’expliquer la différence d’expression du virus et
prédire l’évolution du déficit immunitaire. Certains patients appelés non-
progresseurs à long terme semblaient capables de contenir l’infection.
Assez logiquement, on imagina retrouver des gènes de résistance chez de
tels sujets naturellement protégés ; et localiser ceux-ci dans la région HLA,
ce qui fut fait et bien sûr publié. Les Français ne furent pas les seuls : au
même moment et dans d’autres pays, ces loci et d’autres furent également
retrouvés. Certains furent décrits par la suite, correspondant aux gènes des
cofacteurs du VIH. Quels qu’ils soient, le nombre et la nature de ces
marqueurs donnent des indications fructueuses sur les paramètres
génétiques d’importance qui pourraient influencer l’évolution de la maladie.
Ils ne permettent cependant pas avec une totale certitude de prédire son
horizon, qu’il soit rassurant ou non. Ils ouvraient cependant d’intéressantes
perspectives sur la physiopathologie. On en revient ainsi aux cohortes.
Un des phénomènes intrigants de l’infection est l’existence d’une
minorité de patients, moins de 1 % de l’ensemble des sujets infectés, qui ont
spontanément une réplication virale extrêmement faible, difficilement
décelable, pendant une période très prolongée en l’absence de tout
traitement. Bien que présent, le virus n’entraîne pas de déficit immunitaire.
Les patients bénéficient en quelque sorte d’une guérison fonctionnelle de
l’infection VIH. En 2004, on décida de créer une cohorte afin de mieux
étudier ces patients qu’on appelait « élite contrôleurs ». Il s’agissait de
mieux comprendre les mécanismes d’une telle résistance et d’en
caractériser l’évolution. Les connaissances fondamentales acquises lors des
études virologiques et immunologiques et l’évolution des concepts
conduisirent assez rapidement à la découverte de possibles causes. Une des
premières possibilités était qu’il puisse s’agir d’un virus particulier, à faible
virulence, sorte de virus atténué, se répliquant mal dans les cellules du fait
de modifications de l’un ou l’autre de ses gènes. En isolant les CD4 de tels
patients et en les activant in vitro, on put voir que cette hypothèse ne tenait
pas. L’activation conduisait à une production normale de virus, capable
d’infecter de nouvelles cellules CD4 et, au demeurant, ne montrant aucun
défaut viral génétique particulier. Des techniques ultrasensibles vinrent
d’ailleurs montrer qu’il existait à bas bruit une production décelable de
virus.
Une seconde hypothèse, soulevée concomitamment, fut l’existence de
facteurs génétiques de l’hôte, c’est-à-dire propres aux patients. Certains
correspondent à la production de facteurs qui rendent les cellules moins
sensibles à l’infection. D’un autre côté une minorité de patients possédaient
des gènes d’histocompatibilité leur permettant de répondre plus
efficacement au virus, notamment à quelques-unes de ses protéines et de
mieux tuer ainsi les cellules infectées. On pouvait ainsi imaginer chez ces
patients une défense contre le VIH composée d’une double particularité
génétique – que les spécialistes lient à leur restriction –, l’une négative
limitant l’infection des cellules cibles, l’autre positive facilitant la
production de lymphocytes tueurs, rapporte Olivier Lambotte, un des
principaux investigateurs, en guise de conclusion.
Ces résultats allaient rejoindre d’autres études et réflexions sur une
forme particulière d’infection, celle liée à un second virus VIH, le VIH-2.
Ce virus fut isolé en 1985 chez des patients d’Afrique de l’Ouest atteints de
sida, mais séronégatifs pour le VIH-1. Il fut découvert chez des prostituées
sénégalaises dans le laboratoire de l’hôpital Le Dantec de Dakar, grâce à la
collaboration de chercheurs africains avec des équipes américaine et
française. Une des curieuses particularités de cette infection est son très
faible effet sur la déplétion lymphocytaire, les patients conservant pendant
longtemps un taux normal de CD4. Cela s’explique en partie par la faible
réplication virale, qui explique la grande difficulté à isoler ce virus in vitro.
Des études récentes, à partir d’une cohorte établie et soutenue par l’ANRS,
ont montré qu’il existe une capacité diminuée de ce virus à infecter
certaines populations lymphocytaires.
Ces exemples d’études physiopathologiques montrent comment à partir
d’une double observation, l’une clinique, la lente évolution vers le sida,
l’autre biologique, la faible réplication virale, l’identification de certains
patients et l’analyse de leurs paramètres peuvent conduire à mieux en
comprendre le mécanisme de contrôle. Plus globalement, elles interrogent
la manière dont le virus et l’hôte interagissent, notamment ce phénomène
particulier qu’est la latence virale.

La latence
Leurre de pénétration, multiples évasions à la résistance cellulaire, les
ruses que le VIH développe pour intégrer son hôte sont diaboliques. Une
des questions, ou plutôt un des mécanismes, qui domine l’ensemble des
activités du virus est sa capacité à rester latent, niché dans les chromosomes
humains. Or l’éradication du virus passe par sa détection et sa destruction
dans les cellules infectées. Il s’agissait de mener à bien un rêve des
premiers instants. Non plus seulement empêcher le virus de se répliquer,
mais le tuer in situ. En 2010, une part de la réflexion pour tous ceux que la
lutte concernait devait ainsi se porter sur la description des réservoirs qui
abritaient l’ADN viral. Françoise Barré-Sinoussi, alors présidente de
l’International AIDS Society, tenta de stimuler la communauté scientifique
autour de ce thème. L’ANRS se sentit bien entendu partie prenante. Elle
accueillit et finança un certain nombre de projets sur ce sujet. De la
description des différentes populations de cellules CD4 abritant le virus aux
moyens de le détruire en réveillant sa latence, une série de projets vit le
jour. Une des rares start-up françaises du domaine fut ainsi créée pour lutter
contre la persistance du virus dans les réservoirs. On proposa de purger
ceux-ci en forçant le virus à se répliquer tout en maintenant un traitement
antirétroviral puissant (2015). On tenta de changer par diverses drogues la
structure de la chromatine qui contribuait à favoriser la latence, de modifier
la machinerie de transcription, ou encore de promouvoir la mort des cellules
qui abritaient le virus, en croyant pouvoir les identifier. Ces tentatives
restèrent lettre morte ou n’ont pu encore aboutir. Mais un espoir précède
l’autre. En 2014, des chercheurs, conduits notamment par Christine
Rouzioux de l’hôpital Necker et Asier Sáez-Cirión de l’Institut Pasteur,
rapprochèrent les ambitions nées de la cohorte Visconti et celles des études
autour du réservoir. Ils créèrent un consortium pluridisciplinaire pour
développer de nouveaux projets afin d’obtenir une rémission durable du
VIH, une infection qui soit contrôlée à titre individuel même si elle n’était
pas éradiquée. Au-delà, il s’agissait de mieux comprendre les mécanismes
qui empêchaient la réplication du VIH en l’absence de traitement
médicamenteux, de trouver les marqueurs prédictifs des rechutes, ou encore
de développer des stratégies permettant d’obtenir pour une large majorité le
contrôle de l’infection seulement réservé aux quelques individus de la
cohorte Visconti. Sous le nom de RHIVIERA, cette initiative, à laquelle
s’était jointe l’ANRS, se tourna vers l’industrie, cherchant à lancer avec son
concours une série de projets sur l’étude des réservoirs, le contrôle de la
maladie, associant virologie, immunologie, imagerie, mais aussi sciences
humaines et sociales. Ils ne faisaient pas qu’entraîner l’homme dans leurs
réflexions et recherches. Les modèles animaux eurent leur part.
De l’homme à l’animal… et vice versa
La plupart des maladies légitiment l’étude de modèles animaux, s’ils
existent. Or les rétrovirus infectent de nombreux mammifères. Il était ainsi
normal que l’ANRS s’en préoccupe, suscite et finance des projets de
recherche à leur propos. La compréhension des modalités de l’infection par
des rétrovirus responsables de déficit immunitaire dans différentes espèces,
des relations entre le virus et son hôte, des conséquences de l’infection, tout
comme certaines mesures préventives ou thérapeutiques, vaccin comme
antirétroviraux, y trouvaient leurs justifications expérimentales. Bien
entendu, les études devaient être autorisées par les comités d’éthique
appropriés. L’animal comme l’homme ne peuvent faire l’objet de
recherches sauvages, ni de souffrances gratuites. Le VIH provenant des
primates non humains, ce type de modèle avait un intérêt supplémentaire,
pour tester leur tolérance aux virus qu’ils infectent naturellement, ou au
contraire montrer les stigmates de l’infection et des complications qu’elle
entraîne. Mais les études de singe étaient onéreuses, demandaient des
précautions opératoires, des élevages en conditions de sécurité particulières,
si bien que les premiers travaux chez l’animal tentèrent de soutenir
également d’autres modèles d’études.
Les expérimentations animales furent ainsi variées durant les premières
années de l’ANRS. On chercha en premier choix à utiliser des modèles
murins. Les souris ne s’infectent pas par le VIH, mais, par thérapie génique,
il était possible de leur faire exprimer certains gènes rétroviraux. On tenta
de faire exprimer aux souris le CD4 humain, afin qu’elles deviennent
infectables, ou encore le complexe majeur d’histocompatibilité, le HLA,
pour étudier la cytotoxicité de cellules tueuses. Mais le premier type de
modèle ne donna pas de résultats, quant au second il ne convainquit
personne de sa véritable relation avec la pathologie humaine. Rapidement
ceux-ci furent abandonnés, emportant avec eux une part de mystère :
pourquoi ces rongeurs résistent-ils à ce rétrovirus qui ravage l’homme ?
On passa alors à d’autres espèces, notamment le chat qui s’infecte par le
FIV, un virus identifié en 1986 et appartient à la famille des lentivirus. Les
troubles chez ces animaux sont assez similaires à ceux dus aux VIH, mais
malgré la participation de l’ANRS à des infrastructures d’importance, ces
modèles parurent après quelque temps trop loin de l’homme pour qu’on
investisse plus. Il en fut de même des expériences chez le mouton, la chèvre
ou les bovins.
Les primates non humains représentaient un bien meilleur modèle
expérimental. La communauté scientifique internationale, les Américains en
tête, investissait dans leur étude. Certes, toutes les espèces de singes ne
pouvaient être étudiées. Les chimpanzés pouvaient être infectés par un virus
apparenté au VIH mais, malgré une série de tentatives vaccinales, le fait
qu’il s’agisse d’une espèce protégée mit un frein à des expériences sur la
physiopathologie. Ainsi qu’on le reverra, on dut se rabattre sur les
macaques, qui pouvaient être infectés par un virus, le SIV, représentant
certaines des caractéristiques de l’infection humaine, ou encore par ce
même virus habillé de l’enveloppe du VIH, qui permettait d’étudier la
réponse contre celle-ci. Les premiers temps de l’infection par voie
intraveineuse ou muqueuse furent ainsi analysés. La réponse inflammatoire,
cellulaire puis humorale fit l’objet de descriptions soignées, le rôle des
différentes fractions du sperme ou l’influence du pH vaginal étudiés,
l’influence du cycle hormonal de la guenon ou la qualité de l’épithélium
vaginal ou rectal commenté, la dynamique de réplication virale analysée,
sur laquelle furent tentées des stratégies de thérapies ou quelques candidats
vaccins. La majorité des questions que posait la pathologie humaine y
trouvait son compte, dont celles concernant le contrôle spontané de la
maladie dans les modèles que représentent certaines espèces de singe, hôtes
naturels du SIV. Leur étude, comme le rappelle Michaela Muller-Trutwin,
chercheuse à l’Institut Pasteur, a conduit à des observations remarquables.
Les singes verts et les singes verts mangabey sont deux espèces de primates
non humains qui, naturellement infectés, ne développent pas de maladie,
malgré un taux relativement élevé de virus SIV. Divers travaux menés par
cette équipe allaient montrer qu’après un pic de réplication virale, le virus
est contrôlé dans les tissus lymphoïdes, rate et ganglion, en même temps
qu’on observe une régression de l’inflammation.
Or, fait d’intérêt qui rapproche cette observation décrite en 2017 de
celles des patients de la cohorte Visconti, cette activité sur l’infection
tissulaire semble liée à l’action des cellules NK. Cet exemple illustre
l’importance des modèles animaux, et notamment des modèles de primates
non humains, qu’ils soient hôtes naturels de l’infection ou permettent d’en
étudier l’évolution chez les espèces sensibles qui développent la maladie.
L’intérêt pour les primates non humains culmina avec la participation de
l’ANRS à la création de l’Infectious Diseases Model for Innovative
Therapies, l’IDMIT, une infrastructure dédiée à ces modèles qui fut
inaugurée dans les locaux du CEA à Fontenay-aux-Roses, en juin 2018.
Consacré à l’étude de toutes sortes de virus, cet établissement d’avenir
plaçait le VIH au cœur d’une panoplie de microbes, et les techniques
d’imagerie les plus performantes à l’analyse des infections simiennes. On
les entoura des meilleurs spécialistes dont des éthologues pour étudier leurs
comportements. Ne pouvait-on faire moins pour les singes, en pensant
qu’ils pourraient apporter une solution à l’homme, pari dont on jaugea le
risque et le coût à l’aune des avancées de la recherche fondamentale !

Les limites de la singularité


Évoquant la science, Pasteur affirmait qu’il ne fallait pas séparer la
science pure – c’est-à-dire fondamentale – de ses applications. Or les
recherches que soutient l’ANRS restent par définition soumises à des
objectifs. L’ANRS ne finançait pas d’activités qui ne se réclamaient pas du
sida, ou, comme on le reverra, des hépatites. Le modèle a ses avantages,
mais il ne favorise pas des interactions avec des scientifiques qui travaillent
hors du champ, en « science pure », car ne peut les financer.
Le mot de fondamental était en fait celui qu’employait l’agence pour
désigner principalement – mais non seulement – les investigations
physiopathologiques. « Cette recherche avait ses limites, indique Brigitte
Autran, qui dirigea une des actions coordonnées d’immunologie. En fait de
recherche fondamentale en immunologie, il s’agissait plutôt d’une
recherche mécanistique, pouvant aller plus loin que la simple
phénoménologie, mais limitée au virus du sida ou aux virus associés. Rien
ne nous isolait des autres chercheurs, mais il était quasi impossible de faire
financer les projets de “vrais” fondamentalistes travaillant sur des modèles
murins qui ne pouvaient être infectés par le VIH, même s’ils posaient des
questions scientifiques pouvant aider à mieux comprendre le sida. Le
système avait ses contraintes car il fallait démontrer l’impact possible sur la
maladie. » Et d’ajouter : « Nous formions une communauté habituée à
dialoguer ensemble, relativement privilégiée si on la compare à d’autres
disciplines, mais qui fonctionnait comme un monde à part car soutenu par
une institution indépendante. C’était le revers de la médaille. Au Royaume-
Uni, toutes les recherches, aussi bien celles concernant le sida que les
autres, étaient soutenues par un même organisme, le Medical Research
Council ou le Wellcome Trust, et cela permettait un plus grand brassage de
l’expertise. » On en revient au modèle…
CHAPITRE 3

Vacciner

« Pour prévenir l’infection par le VIH, nous avons plus que jamais
besoin de vous, les immunologistes, me dit la directrice intérimaire
d’Onusida en entrant dans le taxi qui nous conduisait de l’aéroport de
Berlin à un événement sur la santé mondiale.
– Pourquoi dites-vous “plus que jamais” ?
– Avec la PrEP, ce traitement prophylactique pris en fonction du risque
avant une exposition possible au VIH, les individus se croient protégés. Les
organisations non gouvernementales les y encouragent. L’efficacité des
thérapeutiques montre par ailleurs que la maladie peut être contrôlée. Or les
épidémies sont concentrées dans des populations marginalisées qui
continuent à les propager. Face à cela, le vaccin n’a guère donné d’espoir
depuis près de trente ans, à l’exception de quelques résultats, d’ailleurs
partiels, qui datent maintenant d’une décennie. Le vaccin aujourd’hui est
derrière d’autres préoccupations de prévention thérapeutique. C’est pourtant
la mesure qui semble la plus efficace pour enrayer la progression de
l’épidémie. Mais les politiques, les décideurs, ceux qui portent les
plaidoyers pour vaincre cette infection semblent oublier cette perspective et
l’éloignent de leur discours. Certains continuent même de craindre le
vaccin, comme si c’était contre nature.
– C’est vrai », répondis-je, en pensant à une réunion que nous avions
eue la veille au CEA de Fontenay-aux-Roses pour faire le bilan d’un
programme européen sur ce sujet. On en revenait à des recherches
fondamentales pour produire des molécules innovantes à partir des
enveloppes virales. Les essais chez les animaux avaient donné un semblant
d’espoir de faire naître des anticorps à large spectre, capables de lutter
contre les différentes souches de virus. Mais les études chez l’homme
débutaient seulement. Depuis trente ans on avait tenté régulièrement de
nouveaux produits, souvent de manière empirique. Une stratégie chassait
l’autre. Cette dernière réunion avait permis de confronter les bilans de
nouvelles constructions moléculaires dont on espérait qu’elles puissent
lutter contre la diversité virale. Un retour vers l’immunologie pour de
nouvelles applications vaccinales.
Lors de la réunion, à la fin des exposés scientifiques, une discussion
plus politique avait suivi. La Commission européenne qui avait soutenu de
nouvelles initiatives vaccinales pendant ces dernières années pensait en
avoir fait assez. Les nouveaux responsables n’entendaient pas poursuivre. Il
n’y aurait pas de programme vaccin financé par l’Europe dans le futur
proche. Les décideurs politiques ou scientifiques qui géraient de Bruxelles
les crédits communautaires considéraient qu’il y avait d’autres priorités et
pas assez de découvertes scientifiques pour soutenir de nouveaux essais.
À Fontenay-aux-Roses, l’ambiance morose s’était encore assombrie quand
un représentant de la Global HIV Vaccine Enterprise, une organisation de
plaidoyer soutenue par l’International AIDS Society, s’était exprimé. Son
discours portait le même constat. Les politiques ne soutenaient plus ou pas
assez le vaccin. Les ONG semblaient se contenter des nouveautés
pharmaceutiques que les industriels mettaient au point, des formules
injectables à longue durée de vie, des implants sous-cutanés délivrant de
nouvelles drogues pendant six mois ou plus, supprimant ainsi toute prise
orale. Devant une telle concurrence, le vaccin était-il encore de mise ?
D’ailleurs, ajoutait ce responsable de la Global HIV Vaccine Enterprise, les
essais vaccinaux devenaient eux-mêmes de plus en plus difficiles. Comment
trouver des volontaires pour tester un nouveau produit sans proposer la
PrEP comme autre méthode prophylactique ? Beaucoup acceptaient
d’emblée la seconde solution. Un élément pouvait faire cependant pencher
la balance différemment. Accepter la PrEP revenait à avouer un
comportement à risque, souvent difficile à admettre dans un couple qui se
voulait fidèle. Vaccin et PrEP ne faisaient pas bon ménage et entraient ainsi
en compétition pour une prévention qui aurait dû les solliciter de concert.
« Vous avez raison, repris-je après avoir évoqué ces souvenirs récents
avec mon interlocutrice. Le vaccin continue d’être le principal moyen
d’enrayer la propagation de l’épidémie. C’est l’un des plus importants défis
pour les immunologistes qui s’intéressent à cette pathologie. Cela doit
devenir aussi celui des responsables, qu’ils soient à la tête d’agences, de
programmes nationaux, européens ou internationaux. »
L’arrivée du taxi interrompit une conversation qui me fit me souvenir
des choix et stratégies de l’ANRS.

Les succès du début


Les premiers essais de vaccins furent encourageants. Avec l’aide de la
société Pasteur-Mérieux-Connaught, une série de tentatives semblait en
effet pleine de promesse au début des années 1990 : on disposait de
protéines d’enveloppes provenant d’une souche de laboratoire. Ce produit,
injecté à l’animal, avait toute chance d’entraîner la production d’anticorps
qui reconnaîtraient l’équivalent à la surface des virus et, pensait-on,
pourraient bloquer l’infection. Il restait à choisir l’espèce animale pour de
telles expériences. On pensa d’abord au chimpanzé, primate le plus proche
de l’homme. Comme tout modèle, il avait certes ses limites. Cette espèce
est réfractaire aux isolats de virus provenant des patients.
En revanche, ce qui en faisait une solution expérimentale de choix, c’est
que le chimpanzé était sensible aux souches de laboratoire de l’époque
(HIV-1 LAI) inoculées par voie veineuse ou muqueuse. L’animal devient
alors porteur de virus, séropositif, sans autre manifestation pathologique ni
symptôme particulier sinon une légère baisse passagère des lymphocytes
CD4. C’est ainsi que fut tentée une inoculation avec des protéines
provenant de l’enveloppe d’un virus, un de ces prototypes de laboratoire
cultivés aux États-Unis. Il y eut plusieurs essais financés par l’ANRS, bien
qu’effectués aux États-Unis, dans le New England Primate Center, sur
moins de cinq animaux – les chimpanzés en cage sont rares et chers –,
montrant que ceux-ci étaient ainsi immunisés et surtout protégés contre une
infection expérimentale par le virus dont provenait l’enveloppe virale qui
avait servi à l’immunisation. Les investigateurs ne pouvaient faire mieux
car on ne disposait pas d’autre source d’enveloppe mais, comme on le
reverra, ce point n’était pas anodin.
Ainsi que l’espéraient les chercheurs, la protection semblait dépendre
du taux d’anticorps dirigés contre l’enveloppe virale, et, fait majeur, ceux-ci
semblaient bien fonctionnels puisqu’ils étaient capables in vitro de
neutraliser le virus, c’est-à-dire d’empêcher une infection expérimentale en
culture. Forts des premiers résultats, on tenta une seconde série
d’expériences avec une autre espèce virale bien connue des
expérimentateurs. Le constat fut tout aussi clair et allait dans le sens
recherché : ces animaux étaient protégés contre la seconde souche de
laboratoire. On vaccinait contre deux virus et l’on se croyait déjà proches de
la victoire sans trop s’attarder sur le fait que le modèle ne tenait pas compte
de la multitude des espèces virales et de leur extraordinaire diversité.
« Plus que jamais, annonçait Marc Girard, virologue de l’Institut
Pasteur qui coordonnait alors les recherches vaccinales en France, il nous
faut travailler entre spécialistes. Au lendemain de tels résultats, la mise au
point d’un vaccin efficace implique la détection d’une réponse immunitaire
protectrice chez l’animal puis le développement du ou des vaccins [on
parlait déjà au pluriel] capables d’induire des réponses chez l’homme. » La
voie était toute tracée.
Elle n’était pourtant pas si simple, mais on pensa qu’une des mesures
les plus urgentes était de recruter des volontaires non infectés, capables de
subir la même expérience que les chimpanzés, sans bien sûr leur faire
supporter les épreuves infectieuses. L’ANRS se lança ainsi dans la
constitution d’un réseau de sujets prêts à se dévouer pour la science et le
bien public. En parallèle, rue Jean-Moulin, la première localisation de
l’ANRS, on se mit à évoquer les nombreuses questions psychologiques,
éthiques, médicales et même épidémiologiques qui devraient être prises en
compte. Cette préoccupation était loin d’être superflue. Ce réseau devait
être constitué de personnes suffisamment motivées pour participer à une
expérience dont elles ne tiraient aucun bénéfice direct ni sur le plan de leur
santé ni bien sûr financier. Il s’agissait avant tout, pensait-on alors,
de sélectionner des partenaires de recherche. Ils allaient faire partie de
l’équipe scientifique, comme une nouvelle interaction entre scientifiques et
la société civile. Que recevraient ces volontaires en retour ? Des
informations sur les résultats d’expériences qu’on imaginait déjà positifs,
sur les progrès de la recherche clinique et fondamentale que soutenait
l’ANRS, sur l’avancée des vaccins contre le VIH tentés ailleurs dans le
monde, sur une compétition où l’équipe France se distinguait.
Il y avait cependant une mesure d’importance à prendre en compte et
pour les volontaires à accepter : en s’immunisant contre des fragments de
virus, ces audacieux témoins seraient pour un temps séropositifs, au moins
envers les molécules virales reçues. Une telle qualité sérologique risquait de
ne pas être anodine vis-à-vis de leur entourage, d’une activité
professionnelle, d’un éventuel voyage aux États-Unis qui fermaient les
frontières aux patients infectés portant naturellement la marque d’une
immunité contre le virus, ou encore face à une compagnie d’assurances.
Bien entendu, on imaginait que cette positivité serait transitoire, mais dans
le secret des expérimentateurs on l’espérait la plus longue, la plus forte et la
plus importante possible. Bref, l’enrôlement devait tenir compte de toutes
ces considérations et manifestations secondaires éventuelles. Compte tenu
de leurs modalités, la direction de l’ANRS s’entoura d’un groupe de
scientifiques, immunologistes, virologues, cliniciens, épidémiologistes,
psychologues et spécialistes de l’éthique.
À peine constitué, ce comité se mit rapidement au travail pour définir le
ou les modes de sélection. Il était clair qu’on ne pouvait se limiter aux seuls
critères médicaux démographiques – l’âge choisi fut entre 18 et 55 ans. Il
fallait tenir compte des nombreuses contingences qu’une telle
expérimentation entraînait. À cette fin, les volontaires seraient munis d’une
carte personnalisée qu’ils devaient conserver sur eux expliquant les
conditions de l’expérience et leur séropositivité. Un numéro de téléphone
d’appel d’urgence permettait un contact permanent avec les
expérimentateurs en cas de manifestations secondaires, d’angoisse, ou
même de stigmatisation de leur entourage.
Il restait un point majeur qu’à la fin de chaque interrogatoire on ne
cessait de marteler. En aucun cas les sujets ne devaient comprendre qu’ils
étaient vaccinés contre le VIH. En conséquence, ils devaient continuer à se
protéger d’une éventuelle contamination, avant tout sexuelle. Bien
évidemment, s’agissant d’une expérimentation humaine, il fallait en
respecter les règles. La constitution du réseau avait reçu l’avis favorable
d’un comité d’éthique hospitalier, celui de l’hôpital Cochin en l’occurrence,
et la CNIL, consultée, avait émis un avis favorable pour la constitution du
fichier. Pour ce premier recrutement, la direction de l’ANRS pensa à utiliser
le concours de la presse. Les encarts devaient signaler qu’on ne pourrait
retenir les personnes déjà séropositives, ce qui allait de soi, mais mieux en
l’écrivant, qu’on souhaitait se limiter à des volontaires vivant en France,
explicitant du mieux possible leurs motivations. Assez rapidement,
plusieurs centaines de volontaires furent reçus à la consultation de l’hôpital
Cochin, conjoints ou proches de patients infectés, parents d’enfants
malades, ou encore personnalités motivées comme les donneurs de sang,
prêtes à se dévouer pour les autres et au bien public.
Ce fut ainsi qu’on commença à tenter les premiers essais chez l’homme,
d’abord en immunisant avec la protéine d’enveloppe, celle précisément
utilisée chez le chimpanzé. Cette molécule fut administrée sous deux
formes : la première dite inerte, car s’effectuant par la protéine d’enveloppe
soluble avec un adjuvant pour amplifier la réponse anticorps, un procédé
classique en immunologie, notamment vaccinale. Cet accompagnement
pharmaceutique devait donner une forte réaction inflammatoire pour
recruter et activer les cellules immunitaires et ainsi les réponses attendues.
L’adjuvant utilisé fut l’adjuvant incomplet de Freund, un produit très connu
des vaccinateurs, qui ne s’utilise plus aujourd’hui où la science a appris à
faire mieux, en limitant les complications locales avec d’autres
formulations.
À côté de la protéine inerte de l’enveloppe, une autre composition
vaccinale fut également étudiée dans le but de tester alors son effet
dominant sur la réponse cellulaire : les virus recombinants. Derrière ce mot
technique, un brin barbare, se cache un concept. Comment faire mieux
rentrer un produit étranger dans l’organisme sinon en l’introduisant par un
virus ? C’est le principe même de l’infection, du parasitisme, utilisé alors à
bon escient, ou plutôt pour susciter une réponse antivirale mais dirigée
contre de nouveaux antigènes qu’on y a intégrés. Encore s’agit-il d’utiliser
un virus faiblement ou non réplicatif sans danger pour la cellule et l’hôte
qui l’abrite, de taille suffisante pour qu’il puisse accueillir les gènes
sélectionnés, certains de ceux du VIH en l’occurrence, capable de produire
les composants étrangers comme s’il s’agissait des siens. En bref, avec cette
chimère virale et les gènes choisis, on espérait transporter par voie
d’infection les fameuses protéines vaccinales.
Ce fut le poxvirus du canari qu’on choisit comme virus porteur dans les
tout premiers temps des essais vaccinaux. Quelques cycles d’infection,
qu’on savait sans danger – qui se soucie du canari ? –, devaient apporter
suffisamment d’antigènes du VIH pour stimuler une réponse qui serait à la
fois humorale, productrice d’anticorps, et surtout cellulaire cytotoxique.
Vingt volontaires furent sélectionnés pour ces deux séries d’expériences à
taille humaine, garantissant, noblesse oblige, l’équité du genre. Dix femmes
de 30 à 55 ans faisaient partie du groupe. Hormis les quelques
inconvénients de la réponse inflammatoire liée à l’adjuvant, tout se passa
bien. La tolérance du vaccin était bonne, la présence d’anticorps allait être
détectée encore six mois après la dernière injection. On se réjouissait déjà
d’une telle positivité.

Les lendemains qui déchantent


Face à ces deux séries d’expérimentations chez les chimpanzés d’abord,
espèce si proche de l’homme, et chez l’homme lui-même, on pouvait penser
avoir testé deux protocoles de choix et, comme le proposait Marc Girard,
espérer chez les volontaires sains des résultats qui viendraient brillamment
confirmer les premiers tests animaux. D’une certaine manière ce fut le cas.
Chez les deux espèces, homme et animal, des cas de séropositivité et la
présence d’anticorps neutralisants furent observés. Malheureusement, au
grand dam des expérimentateurs, les anticorps n’étaient actifs –
n’entraînaient une inhibition de l’infection virale in vitro – que contre la
souche d’où provenait l’enveloppe. Chez l’homme l’immunité se réduisait
au virus vaccinal originel.
Elle n’était spécifique que d’un seul virus, au demeurant souche
prototype de laboratoire qui avait servi à l’immunisation, mais n’avait
aucun effet croisé contre d’autres souches virales de VIH, sinon très faible
avec une seconde espèce proche cultivée en laboratoire. Aucun des
anticorps animaux ou humains n’étaient notamment actifs contre les isolats
primaires, ceux isolés des patients français ou nord-américains, dont la
biodiversité s’épanouissait sous hotte et étuve comme dans des collections
recherchées qui faisaient la gloire de quelques équipes hospitalières. La
déception était de taille. L’étendue du spectre fonctionnel de ces anticorps,
c’est-à-dire leur capacité à neutraliser l’ennemi, apparaissait si limitée qu’il
était impossible d’imaginer les utiliser si l’on voulait arriver à un vaccin
universel qui puisse protéger contre les virus tout-venant si tant est
qu’on puisse s’exprimer de la sorte à propos d’espèces virales dont on
s’apercevait qu’elles étaient différentes selon qu’il s’agissait de sous-types
africains, européens ou nord-américains. En attendant qu’on puisse mettre
sur le marché un tel vaccin, ce qui s’annonçait déjà autrement plus difficile
qu’on l’avait imaginé, il valait mieux informer le grand public, indiquer les
difficultés qu’on allait rencontrer, et propager surtout les seules mesures de
prévention efficaces alors, l’utilisation des préservatifs et des seringues à
usage unique. Quant aux expérimentateurs, il leur fallait revoir leur
stratégie, revenir aux concepts de base qui pourraient faire découvrir un
vaccin préventif, immuniser contre les virus ou les cellules infectées, ou à
défaut produire un vaccin thérapeutique pour protéger de la maladie, le sida,
comme Pasteur l’avait fait pour la rage. Dans tous les cas, il était
indispensable de réfléchir aux antigènes immunisants et au type d’immunité
souhaitée. Il n’était pas question d’aller trop vite chez l’homme, de se
précipiter dans des phases I vaccinales sans preuve préclinique d’un
possible résultat. L’effet escompté devait être au préalable testé chez
l’animal et donner des pistes probantes autant que crédibles.
On allait comprendre assez vite les limites et les artefacts possibles de
telles expériences. Mais bien évidemment il fallut d’abord revoir le modèle
expérimental. Les chimpanzés, espèce protégée, ne pouvaient être utilisés
en pratique courante, de telles expériences étaient interdites par la loi en
France, et se heurtaient à l’hostilité des ligues de protection des animaux et
aux lois en vigueur dans les différents pays possédant les moyens de
recherche appropriés. Si quelques animaux avaient abrité les premiers
espoirs, il n’était pas question de leur faire porter nos désillusions.
On se rabattit sur les macaques, qui semblaient un choix moins discuté,
sinon plus raisonnable. Chez les macaques asiatiques, l’infection par le
virus simien de l’immunodéficience ou SIV, un virus très proche du VIH,
n’existe pas naturellement. Celle-ci avait été cependant introduite chez ces
porteurs animaux par une contamination accidentelle dans les centres de
primatologie américains à la suite d’une transmission interespèces. Le
modèle avait son intérêt en matière de vaccin. L’infection qu’on souhaitait
prévenir par vaccin préventif, ou traiter par vaccin thérapeutique, entraînait
l’apparition de signes cliniques et biologiques identiques à ceux de
l’infection humaine par le VIH : on retrouvait la chute des CD4 et le sida.
Il existe néanmoins une différence d’importance, la maladie survient
chez l’homme en moyenne dix ans après l’infection tandis que les
macaques inoculés par le SIV meurent deux ans en moyenne après
l’épreuve virulente, un délai qu’il faut relativiser compte tenu de leur durée
de vie comparée à celle des hommes. L’Asie n’était cependant pas la seule
terre du globe à abriter les singes de l’arche de Noé. À côté des macaques
asiatiques, existent des singes africains, que les touristes aiment croiser
dans leurs périples subsahariens. Ces espèces-là sont naturellement
porteuses du SIV. Chez ceux-ci, probablement par tolérance d’une endémie
très ancienne, ce qui en dit long pour l’homme s’il n’éradique pas le VIH, le
SIV n’induit pas de syndrome d’immunodéficience. Ces animaux, lorsqu’ils
sont infectés expérimentalement, développent une infection chronique
totalement asymptomatique. Leur étude reste cependant d’intérêt pour
comprendre les mécanismes de protection et, au-delà, ceux d’un possible
vaccin.

Dans les pas de Louis Pasteur


Utilisant les macaques, plusieurs équipes de par le monde, dont
certaines françaises soutenues par l’ANRS, allaient ainsi revenir aux
fondamentaux pasteuriens, c’est-à-dire les méthodes employées par Louis
Pasteur et ses collaborateurs : vacciner avec des virus tués ou des virus à
virulence atténuée. On commença par les virus atténués. N’était-ce pas le
principe du BCG, qui avait comme avantage d’induire une forte immunité
aussi bien humorale que cellulaire comparable à celle observée lors d’une
immunisation naturelle, celle de la tuberculose ? Le fait qu’il existait par la
persistance du virus une présentation chronique des multiples antigènes
semblait le mieux à même d’entraîner une prévention efficace. L’utilisation
d’un tel procédé parut un temps possible car la plupart des vaccins viraux
employés chez l’homme sont fondés sur des virus atténués. L’atténuation ne
se faisait plus comme au XIXe siècle, par passage en série sur des cellules en
culture ou dans le crâne des chiens ainsi que le faisait Pasteur pour la rage.
On pouvait obtenir par génie génétique la délétion de différents gènes du
virus, dont ceux bien évidemment qui interviennent dans la régulation
virale, et diminuer ainsi la virulence de l’agent infectieux, c’est-à-dire sa
capacité à induire une maladie. La méthodologie étant connue, il suffisait de
l’appliquer au SIV. Diverses expériences, un peu partout dans le monde,
furent tentées avec de tels vaccins atténués et selon des modalités
différentes. Les résultats les plus encourageants furent obtenus par le
groupe américain de Ronald Desrosiers avec la délétion d’un gène
régulateur, le gène nef, ainsi nommé par le rôle de facteur négatif sur la
virulence qu’exerce la protéine qu’il code.
Une seule inoculation du vaccin SIV atténué entraînait en effet une
protection à long terme contre une épreuve infectieuse à forte dose de virus
SIV pathogène. Fait majeur pour tous ceux qui avaient déchanté en voyant
l’absence de réaction croisée entre candidats vaccins, l’immunité s’exerçait
là bien différemment : elle était active contre différents types de virus.
La délétion d’un seul gène viral induisait une réaction immunitaire qui
se jouait de la diversité virale et semblait conférer une protection
universelle. S’agissait-il du Graal attendu, au moins pour prémunir les
singes contre le SIV ? À cela, il y avait cependant une restriction
d’importance : l’effet n’était obtenu qu’après une épreuve virulente
effectuée au moins dix mois après la vaccination. Une assez longue période
de réplication infectieuse à bas bruit était nécessaire pour se prémunir d’une
agression aiguë. Aussi, même si l’enthousiasme fut un temps présent, assez
vite des voix et des expériences contradictoires soulevèrent diverses
questions sur l’innocuité du vaccin. D’abord, comme cela fut argumenté par
certains, ce vaccin par un virus même atténué, mais bien vivant, ne
l’empêcherait sans doute pas de se recombiner avec d’autres formes virales
et de devenir à nouveau virulent. Plus convaincantes furent les expériences
d’inoculation chez le macaque nouveau-né, dont le système immunitaire
était encore immature. Elles montraient que le virus atténué,
insuffisamment contrôlé par la capacité de réponse naturelle de son jeune
hôte, pouvait redevenir agressif et conduisait au sida. On ne pouvait prendre
un tel risque chez l’homme, qu’il soit sain ou porteur d’un déficit
immunitaire d’autre nature. Exit les virus atténués. On avait appris qu’il
serait sans doute possible d’avoir un vaccin, mais un tel procédé était à
exclure.
Restait le modèle de virus inactivé, le virus tué. Là encore, les
premières expériences donnèrent quelques espoirs. L’inactivation était un
vieux procédé, déjà utilisé par Louis Pasteur, que l’on tenta notamment par
le formol. Les premiers résultats semblaient positifs. Les préparations
vaccinales après culture virale en présence d’agents toxiques protégeaient
efficacement. Mais on s’aperçut vite d’un possible artefact. Roger Legrand,
à l’époque préparant une thèse de virologie, dirige aujourd’hui un centre de
recherche sur les maladies infectieuses humaines qui héberge les
expériences de l’ANRS chez le macaque. Il s’en souvient encore. « Ma
carrière a commencé en démontrant que les premières lueurs d’espoirs du
vaccin par virus tué reposaient sur un artefact expérimental. L’efficacité
qu’on observait, bien réelle, n’apparaissait qu’après un challenge infectieux
par des cellules humaines infectées ou par des particules virales infectieuses
produites par ces cellules. Mais le vaccin était totalement inactif contre les
mêmes particules virales lorsqu’elles provenaient de cellules de macaques.
Nous mîmes un long temps à comprendre à quoi était due la différence.
» Le virus utilisé pour préparer le vaccin inactivé était cultivé sur
cellules humaines et s’était ainsi humanisé, se recouvrant de molécules qui
lui étaient étrangères mais appartenaient aux cellules qui l’avaient produit.
C’est contre elles que la réaction immunitaire était dirigée lorsque l’on
vaccinait les macaques, et contre elles que la protection s’exerçait, non
contre le virus. Nous avions fait fort pour démontrer l’absurde, un excellent
article dans un excellent journal, mais qui détruisait des résultats jusque-là
encourageants qui attiraient la grande presse. » Et, ajoute Roger Legrand,
avec un petit geste d’excuse : « D’autres arguments allaient contribuer à
enterrer le procédé. En matière d’inactivation virale, personne ne pouvait
assurer qu’il ne persistait pas quelques particules infectieuses prêtes à se
propager à la moindre occasion. Tout était à revoir, même à comprendre :
comment pouvait-on induire une immunité par anticorps neutralisant ? »

Back to the bench


La vaccination contre le VIH, dont on a vu qu’elle était restée jusque-là
affaire de virologues, est aussi, sinon principalement, une spécialité de
l’immunologie. Ne s’agit-il pas de mettre en action le système
immunitaire ? Cela n’est cependant pas si simple. Théorie et pratique pour
produire efficacement un vaccin voudraient qu’on adjoigne à ces deux
séries de spécialistes les talents de scientifiques provenant de disciplines
aussi diverses que la chimie ou la biologie moléculaire et structurale afin
d’imaginer de nouveaux immunogènes, ou des biologistes, capables de
comprendre l’effet des réactions immunitaires sur l’infection des cellules
cibles. La neutralisation est un phénomène complexe qui semble lié à
différents mécanismes de blocage ou d’inhibition d’une réplication virale,
même si les résultats semblent identiques d’une cible à l’autre.
Les stratèges de l’ANRS comprirent à cette étape de retour vers une
recherche fondamentale qu’il fallait s’entourer d’un panel multidisciplinaire
pour concevoir les vaccins. Mais en même temps, il semblait nécessaire de
sérier les questions. Souhaitait-on protéger de l’infection ou de la maladie,
le sida, comme ce fut le cas de nombreux vaccins tels ceux contre le tétanos
ou diphtérie ? Dans une infection aiguë, celle-ci peut être contrôlée par la
défense immunitaire dans nombre d’exemples d’infections virales. Est-ce
possible pour le VIH si l’on stimule suffisamment l’immunité ? Qu’en est-il
en phase chronique ? Un vaccin peut-il être efficace pour lutter contre la
réplication virale ? Si l’on considère que le contrôle de l’infection est le but
recherché pour enrayer la contagion, le vaccin idéal doit agir contre toutes
les souches virales et ainsi assurer une protection croisée contre les divers
isolats du VIH. Si cet objectif n’est pas atteint, il s’agit de savoir quel degré
de protection il faut obtenir pour diminuer significativement l’importance
de l’épidémie, d’ailleurs différente en taille et variété dans les différentes
régions du monde, du Nord ou du Sud.
Des réponses à ces diverses questions, comme le fait de souhaiter mettre
au point un vaccin préventif ou thérapeutique, une prévention de l’infection
ou de la maladie, pouvaient dépendre la construction et les tests de
différents vaccins et l’utilisation de divers modèles expérimentaux.
« Nous sommes devant une situation entièrement nouvelle que la
vaccinologie n’avait jamais eue à affronter », affirmait Jean-Paul Lévy à la
fin des années 1990. De fait, à l’exception du virus de l’hépatite B, les
vaccins antiviraux avaient tous été obtenus grâce à des vaccins tués :
adénovirus, influenza, polio (vaccin Salk), hépatite A, rage ; ou grâce à des
vaccins atténués : variole, entérovirus, rougeole, polio (vaccin Sabin),
rubéole, varicelle, fièvre jaune. Les caractéristiques du VIH rendaient peu
probable l’utilisation de vaccins vivants. Les virus s’intégrant dans le
génome cellulaire pouvaient faire craindre l’activation d’un oncogène,
donnant le cancer, ou la recombinaison avec des séquences virales
endormies, présentes dans nos chromosomes, qui sont nombreuses chez
l’homme.
De la production virale chronique, on pouvait redouter l’apparition de
maladies imprévisibles notamment de lymphomes, cancers des ganglions et,
après de nombreuses années, se demander quels seraient les risques de
diffusion vaccinale. Quant aux vaccins tués, il semblait difficile de s’assurer
de l’inactivation complète des rétrovirus et il paraissait difficile de les
produire en quantité massive, ce qui les rendrait très coûteux et de
distribution incertaine. En outre, les expériences, comme on l’a vu,
montraient des artefacts.
L’ANRS se trouvait alors à un tournant stratégique. Il fallait inventer
d’autres méthodes et, pour cela, revenir à des concepts de base.
La première réflexion dans la poursuite des expériences effectuées chez
les singes aurait pu être de mettre au point un vaccin capable de produire
des anticorps neutralisant le virus et ainsi d’en rechercher les cibles sur
l’enveloppe virale. La possibilité de stimulation d’une telle réponse était
cependant faible. Seuls 10 à 30 % des patients font une production tardive
d’anticorps de ce type.
L’essentiel des activités neutralisantes, capables d’inhiber le virus,
s’exerce contre des structures leurres ou contre des parties variables du
virus, et ne peut ainsi avoir d’action contre les différentes souches. La
multiplicité des variants viraux est sans aucune mesure avec ce que l’on
observe pour tout autre virus y compris celui de la grippe. Or les cibles
d’anticorps neutralisants doivent être hautement conservées d’un virus à
l’autre si l’on veut espérer un vaccin universel. Cela ne semblait cependant
pas impossible, si l’on considérait les résultats d’équipes américaines et
européennes obtenus avec des anticorps monoclonaux, induits in vitro.
Certains étaient capables de neutraliser un large panel de souches virales.
La cuirasse du virus n’était donc pas sans défaut. Un nombre restreint de
zones sensibles partagées par tous les virus, ou presque, permettait
d’empêcher l’infection lorsque ceux-ci servaient de cibles à de tels
anticorps. Il restait un problème de taille : on ne savait pas induire ces
derniers par la vaccination. En position de tir, face à l’ennemi, on ne savait
produire ni les arcs, ni les flèches qui touchent au but. Tout ce qu’on
pouvait dire, c’est qu’ils pouvaient exister. Restait à l’imagination de faire
le reste, c’est-à-dire d’inventer un tel vaccin neutralisant.
Une autre possibilité vaccinale consistait à stimuler l’immunité
cellulaire, notamment la production des cellules cytotoxiques dont les
modèles animaux du SIV avaient montré qu’elle était importante pour
diminuer la réplication virale. Si cette immunité était probablement peu
active pour prévenir l’infection, empêcher l’entrée des virus, elle semblait
pouvoir la contenir de telle manière qu’elle pouvait prévenir l’apparition de
la maladie, le sida.
Arrivée à ce tournant stratégique, au point où il fallait investir dans un
premier type de vaccin qui élimine le virus dès son entrée, en le neutralisant
par quelque point faible sur l’enveloppe, ou dans un second qui détruirait
les premières cellules infectées pour diminuer la production virale, la
direction de l’ANRS, dans le courant des années 1990, fit un choix. Ce
choix allait engager la recherche française sur le vaccin depuis cette date
jusqu’à nos jours, car il fut celui des directeurs successifs. Il devait
privilégier un soutien à des méthodes vaccinales qui stimulent l’immunité
cellulaire. La production d’anticorps neutralisants à large spectre nécessitait
d’autres approches.

Les vaccins de l’ANRS


Trois séries de produits vaccinaux furent l’objet des choix et des études
financées par l’agence. La première série de tentatives expérimentales fut
d’élargir le spectre et la nature des recombinants viraux à partir du virus
atténué de la vaccine humaine, dans lequel furent introduits divers gènes du
VIH. Dans ce cas, la vaccine (variole des bovidés) servait de vecteur.
D’autres vecteurs viraux furent également utilisés, comme la variole du
canari.
Un second type de produit fut l’ADN nu, ainsi appelé car il s’agit d’une
fraction du génome viral, sans autre composant. Les données obtenues dans
d’autres modèles avaient montré qu’il était possible, après injection d’acide
nucléique dans le muscle, d’obtenir une expression prolongée de l’antigène.
Une telle technique entraînait une bonne réponse cellulaire au moins chez
l’animal. Chez l’homme, on s’aperçut que la réponse était plus faible que
l’autre composant.
Qu’il s’agisse des gènes du VIH incorporés aux virus de la vaccine ou
des gènes injectés sous forme d’ADN nu, deux composants susceptibles
d’induire une réponse cellulaire, encore fallait-il les déterminer, c’est-à-dire
choisir leurs séquences. On s’en remit aux résultats obtenus avec une
troisième série de produits qui n’avaient pas d’équivalent et dont les
séquences furent brevetées par l’ANRS : les lipopeptides. Les lipopeptides
étant obtenus à partir des gènes du VIH, et non du SIV, il devenait
impossible d’étudier leur effet antiviral dans des modèles simiens. On fut
conduit ainsi à tester leur capacité à induire une réponse cellulaire avec une
pirouette conceptuelle : plus l’immunité serait forte chez l’animal, plus elle
aurait de chances d’être efficace chez l’homme.

Que sont les lipopeptides ?


L’invention des lipopeptides doit beaucoup à Jean-Gérard Guillet, un
chercheur de l’unité de recherche dirigée par Jean-Paul Lévy à Cochin, qui
en prit la direction par la suite. L’utilisation de peptides dans les approches
vaccinales était une alternative aux virus recombinants, bien qu’ils fussent
dessinés pour les mêmes expériences. Entre 1995 et 2000, beaucoup de
travaux avaient porté sur l’apprêtement des antigènes, soit la fragmentation
des protéines en peptides et la présentation de ceux-ci par les cellules
présentatrices. Les cellules dendritiques aux longs prolongements, ces
sentinelles spécialisées dont on a vu l’importance dans la stimulation
primaire des lymphocytes, représentaient des cellules de choix pour étudier
la fonction des protéines ou peptides d’intérêt et leur capacité de stimulation
des lymphocytes. Jean-Gérard Guillet, après un stage postdoctoral à
l’Institut de technologie du Massachusetts, apporta l’intérêt et l’expérience
qu’il avait acquis sur la digestion de peptides plus ou moins grands par les
cellules dendritiques à un projet d’insertion à l’Institut Cochin. Il en
continua l’étude avec deux nuances d’importance : il s’attaqua à des
peptides du VIH dans l’idée d’une stimulation cellulaire, dogme alors
dominant. Surtout, il greffa à ces peptides une partie lipidique leur
permettant d’entrer dans les cellules dendritiques sans restriction,
notamment de taille. Le fragment lipidique avait en outre probablement un
effet adjuvant, ce qui n’était pas négligeable.
Avec les virus recombinants, l’ADN nu et surtout les lipopeptides,
l’ANRS disposaient de trois produits composés de gènes identiques du
VIH. Suivant le procédé classique alors en cours, la plupart des essais, sur
l’animal ou sur l’homme, seraient effectués en stratégie de prime-boost,
c’est-à-dire utilisant les lipopeptides en immunisation de rappel après une
première vaccination par vecteurs recombinants. Il ne restait plus qu’à les
tester.
Tout était prêt pour de nouveaux essais. Encouragé par les résultats
obtenus chez l’animal et les fortes réponses immunes cellulaires, le
directeur de l’ANRS, Michel Kazatchkine, annonçait en décembre 2001
l’expérimentation d’un nouveau vaccin, qui n’empêcherait pas l’infection
mais conférerait aux personnes vaccinées qui s’infecteraient un état
virologique et immunologique du même type que celui observé chez les
patients qui spontanément ont une infection qui ne progresse pas. Les
produits, la volonté et l’espoir étaient là.

Retour à la clinique
En même temps, il fallut se préoccuper d’une nouvelle campagne de
recrutement de volontaires. Certes les médias y avaient participé les
premières années de manière active mais ils ne souhaitaient plus s’associer
à une nouvelle tentative. À leur avis, de telles sollicitations relevaient non
pas du journalisme mais de la publicité, du marketing ou encore de
l’événementiel. On proposa alors que les volontaires soient eux-mêmes les
acteurs de recrutements. On fit un nouveau plan de communication basé sur
Internet et des interviews audio. Si l’opération recueillit un bon succès
d’estime auprès des scientifiques, des journalistes et de ceux qui s’étaient
connectés sur la Toile, le succès fut cependant modeste. Seule une centaine
de personnes se portèrent candidates. Des encarts dans la presse
quotidienne, hebdomadaire et mensuelle furent alors loués. « Pour que le
sida soit vaincu, soyez comme moi volontaire. » Un numéro vert fut ouvert
au public afin qu’il puisse répondre à toutes les questions qui pouvaient se
poser. L’effort en budget communication fut sans précédent. Plus de 5 000
personnes répondirent à l’appel et reçurent un dossier d’information ; 2 000
renvoyèrent un formulaire affirmant leur souhait de participer à l’essai ; 300
furent examinées dans les centres vaccinaux et une soixantaine de candidats
retenus.
Plusieurs essais furent mis en place pour étudier l’activité des
lipopeptides seuls, ou en association avec le virus recombinant de la variole
du canari ou de la vaccine, chez des patients sous antirétroviraux. Certains
étaient injectés au décours de leur primo-infection ou d’un essai lors duquel
ils avaient reçu de l’interleukine 2. Il restait à en tester l’effet. On proposa
alors d’arrêter le traitement et d’observer si, après une telle stimulation, le
virus était contrôlé. Ce résultat, s’il était obtenu, indiquerait le pouvoir de
tels produits à lutter contre la réplication virale.
Les résultats furent communiqués à la dixième conférence sur les
rétrovirus et les infections opportunistes qui se tint à Boston en
février 2003. Avec la précipitation des premières heures qui suivirent leur
annonce, l’information fut maladroitement relayée par certains médias en
employant le terme curatif. En fait, on ne pouvait éliminer le virus. Les
résultats montraient des signaux qui allaient dans le bon sens. Si le virus
réapparaissait dans tous les cas, il se répliquait plus tardivement chez les
patients qui avaient reçu le vaccin. L’enthousiasme, cependant, devait être
largement tempéré : les effets étaient modestes et ne dépassaient pas trois
semaines, tandis qu’une réponse satisfaisante n’était installée que chez
60 % des patients. Dans l’ensemble, c’était un message d’espoir bien
nuancé.
Ailleurs dans le monde
Les efforts français, quels que soient leurs espoirs, apparaissaient
lilliputiens par rapport aux énormes budgets que les États-Unis avaient
affectés à la recherche sur le vaccin contre le sida. Dès 1987 et les premiers
essais vaccinaux sur leur sol, la recherche s’était organisée, créant deux ans
plus tard aux NIH sous l’égide de Bill Clinton le Vaccine Research Center,
puis un réseau de 25 centres consacrés aux essais vaccinaux aux États-Unis,
en Afrique, Asie du Sud-Est, Caraïbe, qui prit le nom de HVTN pour « HIV
Vaccine Trials Network ». Le budget était à l’unisson. Sur la seule année
2016-2017, alors que le financement total des NIH sur le sida était de
1,4 milliard (contre 40 millions pour l’ANRS), celui dédié au vaccin allait
être de 500 millions (cent fois plus que celui de l’ANRS), auquel il faut
ajouter les 20 millions au titre de l’AVAC (AIDS Vaccine Advocacy
Coalition), organisation new-yorkaise de communication et de collecte de
fonds, et 160 millions financés par USAID, l’Agence de développement
américaine pour des essais en Afrique.
Cette puissance de feu accompagna – ou plutôt en fut responsable – une
série de tentatives qui, dans l’ordre, favorisa des vaccins protecteurs
induisant des anticorps contre l’enveloppe virale, puis ceux induisant une
réponse cellulaire cytotoxique contre les cellules infectées, avant qu’on
n’imagine qu’il faudrait les deux. Plus récemment, l’intérêt porta sur des
vaccins induisant des anticorps neutralisant le virus.
Les Américains, et encore moins les Français, ne furent pas les seuls à
se lancer dans l’évaluation de vaccins. Les Britanniques, Allemands,
Hollandais, Suédois furent aussi de la partie.
De fait, entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, un très
grand nombre d’essais de vaccin préventif contre le sida fut conduit dans le
monde entier, dont près de 50 études cliniques de phase I, au moins deux de
phase II, et deux de phase III. Plus de 15 000 volontaires ont participé à ces
essais. Les leçons tirées de ces premières tentatives d’efficacité furent
cependant plus des constats d’échec que des encouragements.
En 1999-2003, Aidsvax, un vaccin de l’industriel américain Genentech
testé en phase III, conçu avec une protéine de l’enveloppe, avait en effet
stimulé des anticorps contre celle-ci sans aucune efficacité, c’est-à-dire sans
la moindre protection.
Deux vaccins en 2005-2007 avec des vecteurs viraux recombinants,
constructions proches de celles de l’ANRS précédemment décrites, avaient
fait parler d’eux. Étudiés sur un grand nombre de sujets, ils n’entraînaient
aucune prévention et avouaient l’impuissance des recherches malgré
d’importants budgets. L’un, développé par Sanofi, avait testé un virus de
canari greffé avec des gènes du VIH. Quant à l’autre, mis au point par
Merck, il avait nécessité un essai incluant 3 000 sujets aux États-Unis, en
Amérique du Sud et aux Antilles et avait été interrompu. Ce vaccin utilisant
un adénovirus, virus banal des rhumes, induisait un nombre supérieur
d’infections VIH chez les volontaires immunisés que ceux qui avaient reçu
le placebo ! Il semblait que la vaccination facilitait l’entrée du virus plus
qu’elle ne l’inhibait.
Une grande réflexion au niveau mondial eut alors lieu sur les stratégies
à adopter pour les années à venir par les différentes plateformes
internationales. Trois suggestions avaient été ainsi proposées en mars 2008
par l’ensemble des différents investigateurs, industriels comme
académiques :
– revenir sur le terrain de la science fondamentale en amont pour
comprendre les échecs ;
– poursuivre un programme de phase I et phase II d’essais cliniques
pour apprendre le maximum d’informations sur de nouveaux candidats
vaccins ;
– utiliser le modèle des primates pour poser des questions
d’immunogénicité de tels produits et des connaissances de science
fondamentale sur le fonctionnement des vaccins en général.
Ces conclusions partaient d’un constat : aucun des essais chez l’homme
comme chez l’animal ne montrait de résultats significatifs. Une étude
thaïlandaise, très critiquée, donna quelques signes positifs. L’analyse des
résultats fut communiquée le 24 septembre 2009. L’armée américaine qui
en avait été le promoteur annonçait pour la première fois une protection
partielle contre le VIH. Le protocole avait été réalisé sur plus de 16 000
volontaires séronégatifs entre 18 et 30 ans. Les sujets avaient été recrutés
dans le sud-est de la Thaïlande, qui connaissait une grande épidémie de sida
depuis la fin des années 1980. Ils avaient été répartis en deux groupes, le
premier recevant la solution vaccinale, le second le placebo. Les deux
préparations de Sanofi-Pasteur et de Genentech étaient utilisées selon la
technique maintenant classique du prime-boost, en immunisant d’abord
avec le virus recombinant, suivi par deux injections de la protéine
d’enveloppe sous forme monomérique en combinaison avec le vecteur. Les
résultats repris par la grande presse et celle spécialisée apportaient pour la
première fois un message d’espoir : l’analyse démontrait une protection de
30 % en moyenne dans le groupe vacciné.
Deux éléments restreignaient cependant cette notion d’efficacité. Le
vaccin n’avait aucun impact sur le développement de la maladie chez les
personnes vaccinées qui s’étaient infectées. Il n’y avait ainsi aucune
différence de réplication virale ou du nombre de lymphocytes CD4 entre les
individus séropositifs et ceux qui recevaient le placebo. De surcroît l’effet
semblait diminuer avec le temps. Aussi, si les résultats apparaissaient
encourageants, il s’agissait d’une seule étude, qui montrait une efficacité
très partielle et de courte durée. La réponse de plus n’était a priori dirigée
que contre un seul sous-type de virus, celui existant en Thaïlande. En
mai 2011, une nouvelle analyse des données à l’université de Duke, aux
États-Unis, allait d’ailleurs montrer qu’il y avait 30 % de chances que le
vaccin ne soit pas efficace. Quoi qu’il en soit, il restait à comprendre les
conséquences immunitaires et peut-être les causes des effets observés. Or
une telle stratégie n’induisait pas d’anticorps neutralisants. La protection
quand elle était obtenue semblait due à une catégorie d’anticorps qui
pouvaient agir en conjonction avec les cellules NK par un phénomène de
cytotoxicité contre les cellules infectées.
À côté de ces résultats, que la communauté scientifique accueillait
cependant avec soulagement, car même critiqués – on sait aujourd’hui
qu’ils n’ont pu être reproduits – ils semblaient montrer une possibilité de
prévention, les modèles simiens apportaient d’autres critères encourageants.
Certes toute une série d’expériences confirmait la difficulté d’obtenir une
protection. Aucun des vaccins effectués avec des virus recombinants seuls,
à l’inverse des nouvelles stratégies de prime-boost, n’avait pu empêcher
l’infection des macaques par le virus SIV. Cependant ils avaient permis aux
animaux de mieux contrôler celle-ci, ce qui s’était traduit par une
diminution de la charge virale et un maintien du taux de lymphocytes. Ces
résultats avaient institué un nouveau concept de vaccins, ou plutôt
d’immunothérapie, traitement par stimulation de l’immunité, non capable
d’empêcher l’infection mais d’en atténuer les conséquences cliniques. À
défaut de prévenir, on contrôlait l’infection. Une telle stratégie de
vaccination thérapeutique était, on l’a vu, dans la ligne de la stratégie
adoptée par l’ANRS.

Le Vaccine Research Institute,


préfiguration et création
À partir de 2005, il devint évident pour la direction de l’ANRS que les
lipopeptides représentaient une formule originale pour stimuler l’immunité.
Grâce à leur partie lipidique qui leur permettait de s’attacher à la membrane
cellulaire, les peptides pouvaient cibler, sans restriction, tout type de
cellules, notamment celles dont la fonction était de présenter les antigènes
aux lymphocytes T, les cellules présentatrices. On pouvait penser accroître
les réponses immunitaires et le nombre de répondeurs par quelque procédé
pour faire mieux que les premiers essais.
À côté des lipopeptides, l’ANRS disposait des mêmes produits,
cependant présentés différemment, car recombinés avec le virus de la
vaccine. Dans les deux cas, produits peptidiques ou vecteurs recombinants,
ceux-ci concernaient certains fragments du VIH, dont l’espoir était qu’ils
puissent stimuler une immunité principalement cellulaire, donc
thérapeutique, même si la possibilité d’induire des anticorps neutralisants
préventifs de l’infection ne pouvait être écartée. De manière presque
attendue, on allait d’ailleurs s’apercevoir par la suite que les gènes
d’enveloppe sélectionnés, ainsi que cela avait été vu au début des
programmes vaccinaux, pouvaient certes induire de tels anticorps, mais
limités au virus d’origine. Induire des anticorps à large spectre par un
vaccin prophylactique nécessitait une autre réflexion et une autre approche.
L’ANRS disposait d’un portefeuille de brevets qu’il s’agissait alors de
valoriser. Depuis 2006, un nouveau service de recherche vaccinale avait été
créé pour coordonner les activités de l’agence sur le plan scientifique,
clinique et réglementaire. Afin de capitaliser sur les premiers résultats
obtenus par les lipopeptides, on chercha dans un premier temps à favoriser
leur captation, englobement et présentation par cette classe particulière de
cellules de l’immunité innée, les cellules dendritiques, qui sont capables de
stimuler les lymphocytes par leurs prolongements arborescents. C’est dans
ce cadre que les dirigeants du programme allaient entrer en 2007 en relation
avec le Baylor Institute de Dallas, qui se mit en rapport avec l’ANRS à un
moment où cet institut texan cherchait à démontrer et explorer en clinique
le rôle fonctionnel de telles cellules chez l’homme. Un premier essai, sous
le nom de Dalia, fut effectué aux États-Unis. Il consistait à prélever des
cellules du sang de patients infectés, cultiver des cellules dendritiques et y
ajouter le vaccin lipopeptidique avant de les réinjecter in vivo. La prise par
les cellules dendritiques apparaissant insuffisante, on jugea utile par la suite
de développer une technique mise au point dans cet institut texan en
associant aux lipopeptides des anticorps ciblant ces cellules. Une telle
méthode permettait théoriquement au vaccin de stimuler l’immunité et,
peut-être, d’être plus efficace. Un nouvel agenda fut ainsi mis au point pour
produire une batterie d’anticorps, capables de reconnaître les différentes
populations de cellules dendritiques et ainsi de moduler la réponse contre
les produits vaccinaux. Progressivement, la partie lipidique perdit de
l’importance et fut ainsi supprimée au profit de cette nouvelle modalité
d’appontement.
En 2011, à l’occasion du grand emprunt qui permit le soutien et la
labellisation de plateformes, l’ANRS ira plus loin encore et créera, avec 10
ans de ressources et en association avec l’université Paris-Est-Créteil, le
Vaccine Research Institute (VRI) situé au CHU Henri-Mondor. L’idée était
ancienne et avait même précédé l’essai Dalia. Il s’agissait de comprendre
les mécanismes d’action des candidats vaccins et des immunomodulateurs,
de développer des vaccins de nouvelle génération, de mettre au point des
modèles précliniques et, tout en mettant en place des essais vaccinaux, d’en
suivre les résultats immunologiques et virologiques. Mission et
responsabilité d’envergure, le VRI se voyait confier le portefeuille de
brevets de l’ANRS et était chargé d’en faire l’exploitation à travers des
essais cliniques. En novembre 2019, l’ANRS annonçait la production et la
libération d’un premier lot clinique répondant aux normes internationales
ciblant les cellules dendritiques par les constructions précitées et réalisé
avec deux sociétés de biotechnologie.

La table ronde imaginaire


Puisque tout auteur a droit à l’imaginaire, cet épisode de fiction peut
servir la réalité…
Biopark, où une salle de réunion de l’Inserm a été retenue par l’ANRS
pour une discussion grand public sur le vaccin VIH, quelques mois avant
l’apparition du Covid-19. En fin de réunion, quelques-uns des principaux
intervenants se prêtent à une session de questions-réponses avec la salle.
« Il y a maintenant trente ans qu’on parle de tels procédés pour prévenir
le sida et je comprends qu’on en est encore au début, ou presque. Pouvez-
vous nous parler des principaux obstacles ?
– Je vais vous répondre, rétorque l’interlocuteur, un peu déçu car il
pensait avoir été clair dans ses explications. Trente ans sont passés, c’est
vrai, mais nous apprenons chaque jour un peu plus, et pas seulement des
essais vaccinaux, de la science fondamentale également. L’infection par le
VIH n’induit pas de protection. Ainsi que je l’ai dit, et vous l’avez sans
doute compris, nous ignorons encore quels sont les corrélats pour prévenir
et contrôler celle-ci. Ce ne sont sans doute pas les mêmes. Nous avons vu
que les contrôleurs peuvent mobiliser des lymphocytes CD8 cytotoxiques,
des cellules NK comme des anticorps. Ce type d’immunité n’est
probablement pas identique à celle nécessaire pour empêcher l’infection. La
neutralisation du virus par des anticorps est sans doute une nécessité pour
barrer son entrée dans l’organisme. Savoir induire une telle réponse est
difficile car elle doit être à large spectre et s’adresser ainsi à diverses
souches virales qui ne sont pas identiques dans les différentes régions du
monde. Il y a ainsi des essais de vaccins préventifs et de vaccins
thérapeutiques et nous aurons sans doute besoin des deux. Louis Pasteur
avait mis au point les deux sortes de vaccins, l’un préventif contre la
maladie du charbon, l’anthrax, et un autre, thérapeutique, contre la rage.
Mais dans les deux cas il s’agissait de microbes tués ou atténués dont vous
avez bien compris, j’espère, qu’ils sont impossibles à tenter chez l’homme.
Il nous faut d’autres procédés.
– Monsieur le directeur de l’ANRS, demande alors un autre participant
en s’adressant à celui-ci, vous avez soutenu une stratégie qui s’intéresse
surtout à un vaccin thérapeutique. Pouvez-vous nous dire comment et
pourquoi vous avez fait ce choix ?
– C’est vrai que nous avons fait un choix, mais un choix raisonné. Nous
ne pouvons pas tout faire. L’ANRS depuis le début s’est tournée vers une
certaine forme de produits, dont les lipopeptides représentent la marque
essentielle. Pourquoi se lancer dans l’immunité thérapeutique et non
préventive ? D’abord il y avait tout un cortège de recherches à l’ANRS qui
favorisaient la réponse cytotoxique au moment où le premier programme se
mettait en place. Beaucoup d’autres recherches dans le monde concernaient
déjà ce procédé. Cela dit, tout programme vaccinal se heurte à des
difficultés scientifiques et organisationnelles qui nécessitent d’être prises en
compte. Le modèle choisi est très proche de celui mis en place par les NIH
aux États-Unis. Le principe des appels d’offres, très pertinent pour
sélectionner des projets, devient plus difficile quand il s’agit du programme
de développement d’un produit à injecter avec les différentes étapes
cruciales et coûteuses de fabrication d’un vaccin. Aussi l’ANRS a-t-elle fait
des choix et décidé de soutenir délibérément certains programmes aux
dépens d’autres. Seule l’histoire pourra dire si c’était la bonne approche.
– Je ne sais qui doit répondre, s’interroge un autre participant, mais je
voudrais avoir d’autres renseignements concernant les efforts
internationaux actuels. Nous en sommes restés à l’essai thaïlandais. Rien
n’a-t-il été tenté depuis ? »
Ce fut le directeur de recherche qui répondit : « L’essai thaïlandais
reposait effectivement sur un seul sous-type viral, qui de plus était de courte
durée. Un nouveau protocole de phase III a été depuis ainsi mis en place en
Afrique du Sud selon la même stratégie. Mais les vaccins ont été produits à
partir d’une souche prédominante dans cette région du monde, et il était
prévu une injection supplémentaire de rappel un an plus tard, afin
d’augmenter la réponse immunitaire. Débuté en novembre 2017, les
résultats de l’essai étaient attendus en janvier 2022. Il a été interrompu le
3 février 2020 devant un constat d’inefficacité après avoir vacciné 5 000
volontaires de 18 à 25 ans, sans retrouver par conséquent les résultats qui
avaient été considérés comme encourageants de l’essai thaïlandais. Quels
qu’ils soient, ils ne devaient pas cependant répondre aux problèmes liés à
l’extraordinaire diversité du virus. N’oubliez pas qu’un seul patient peut
être porteur de milliers de variants différents. Cette diversité est bien
supérieure à celle générée lors d’une épidémie mondiale de la grippe qui
nécessite, faut-il le rappeler, un nouveau vaccin tous les ans.
» Pour répondre à ce problème, les chercheurs ont mis au point des
vaccins mosaïques. Portés par un seul vecteur viral, ce n’est plus une seule
enveloppe, mais des morceaux de protéines issues de plusieurs souches,
identifiés grâce à la bio-informatique pour couvrir une réponse plus large.
Cette stratégie, validée dans les modèles de primates non humains, a
conduit à la mise en place d’un essai baptisé Imbokodo. Commencé en
novembre 2018, il devait inclure 2 600 femmes dans cinq pays d’Afrique
subsaharienne, essentiellement en Afrique du Sud, et se terminer en 2022.
Ces deux stratégies pourraient aboutir à un taux de succès aux alentours de
50 %, ce qui serait déjà une grande avancée non seulement à l’échelle
individuelle mais également populationnelle. Il reste que beaucoup pensent
que le Graal serait l’induction d’anticorps neutralisants à large spectre. Des
recherches en cours sur diverses cibles en Europe et aux États-Unis, à partir
de reconstitution d’enveloppe ou de petits peptides isolés de régions
sensibles du virus, diront s’il est possible d’en obtenir. La France est
présente dans ces grands programmes de consortiums internationaux.
– N’y a-t-il pas de nouvelles approches, non par vaccin, mais par
anticorps monoclonaux, qui seraient envisagées aujourd’hui ?
– C’est vrai, répondit le directeur de recherche. C’est une méthode que
les Américains ont largement développée et qui ne fut suivie en France que
très récemment. Nous avons pris beaucoup de retard en cela. De quoi s’agit-
il ? De produire des anticorps neutralisants monoclonaux extrêmement
puissants, capables de neutraliser le virus non seulement en tube à essai ou
dans les modèles animaux, mais en les utilisant aussi chez l’homme.
L’injection de tels produits, encore en début d’expérimentation, permet chez
certains patients de pouvoir arrêter leurs traitements sans observer de
rebond viral comme c’est normalement le cas. De plus des analyses
structurales fines des cibles virales permettent d’obtenir de nouveaux
immunogènes capables, espère-t-on, de créer de nouveaux vaccins.
– Mais faut-il croire encore au vaccin ? l’interrompt abruptement son
interlocuteur.
– Bien évidemment, mais il faut reconnaître que devant tant d’années
d’échec, le plaidoyer n’est peut-être plus aussi percutant. Le directeur du
programme des NIH, Anthony Fauci, se plaît dans ses discours à signaler le
bénéfice préventif de la PrEP, les effets sur le virus d’injection d’anticorps,
ou encore l’arrivée de médicaments injectables de longue durée, pour
évoquer les grandes avancées de la recherche préventive ou thérapeutique.
Les perspectives du vaccin et sa nécessité n’ont peut-être plus la première
place.
» Pourtant, la poursuite d’une recherche d’un vaccin est indispensable et
les essais pour en tester l’efficacité également. Ce n’est qu’à ce prix qu’on
peut espérer éliminer l’infection à l’échelle du globe. De plus, quelles que
soient les connaissances acquises, toutes ces recherches ne devraient pas
avoir des retombées limitées au VIH. Elles permettront sans doute
d’améliorer le concept d’un vaccin dirigé contre les pathogènes complexes
ayant une grande capacité à muter, comme celui de la grippe pour lequel on
cherche toujours un vaccin universel ou encore, comme cela vient d’être
montré contre le SARS-CoV-2, même s’il existe déjà des produits
commerciaux, dont on ne sait cependant assurément pas l’effet sur la
transmission du virus. »
CHAPITRE 4

Comprendre la société

L’irruption du sida confronta la société française, ceux qui étaient


atteints et les autres, à de nombreux déterminants du drame telles
l’impuissance des thérapeutiques, au moins au début, la discrimination des
populations exposées, la perception de l’infection et des comportements
face à la prévention, les mesures de santé publique parfois autoritaires, les
conséquences économiques… Les sujets de réflexion, et par conséquent de
recherche ne manquaient pas. Ils s’immisçaient dans la sphère intime de la
sexualité, alors que les homosexuels s’étaient déjà mobilisés de longue date
contre les mesures discriminatoires et se trouvaient en première ligne.
Les dimensions sociales, psychosociales et culturelles du sida étaient
majeures. C’est à leur exploration que se sont consacrées les recherches en
santé publique et celles des sciences de l’homme et de la société. Les
connaissances découlant de ces recherches allaient permettre d’améliorer et
rendre plus efficaces les stratégies et dispositifs de prise en charge des
personnes infectées ainsi que de prévention. Il s’agissait tout autant de
prévention de la contamination que des répercussions sociales et
économiques de la maladie et des phénomènes de discrimination. À cette
production de connaissances qui participa au contrôle de la gestion de
l’épidémie, se superposait une autre fonction, la nécessité d’une approche
critique du fonctionnement de la société et de ses acteurs.
Les sciences humaines et sociales (SHS) correspondent à de
nombreuses disciplines : psychologie, philosophie, sociologie,
sciences politiques, ethnologie, anthropologie, sciences économiques,
sciences de l’éducation… Avant l’apparition du sida, celles s’intéressant à
la santé concernaient principalement la sociologie et l’économie. Un des
principaux objets d’étude était l’impact de la vie sociale sur le taux de
mortalité, et réciproquement. On s’intéressait peu aux maladies elles-
mêmes. Précédant la création de l’agence, un certain nombre de
scientifiques français, venant d’horizons distincts, s’étaient mobilisés à
propos du sida autour du rapport au risque et de ses tensions. Jean-Paul
Moatti, spécialiste en économie de la santé, et William Dab,
épidémiologiste et spécialiste en santé publique, avaient notamment
effectué l’analyse des comportements et pratiques à risque, tandis que
Michael Pollak, élève de Pierre Bourdieu, avait lancé, en 1985, la première
enquête sur le sida en France, à l’aide d’un questionnaire diffusé par Le Gai
Pied, et effectué une large étude sur l’homosexualité. À ces scientifiques
s’associa Alfred Spira, qui venait du monde de l’épidémiologie et de la
santé publique et présida une des premières actions coordonnées du
domaine à l’ANRS, lançant des recherches sur les comportements sexuels
en France. Accompagnant leurs préoccupations, on retrouvait l’approche
éthique des problèmes de santé publique, les relations entre santé publique
et droits de l’homme, les notions de responsabilité individuelle et collective
que prônait Jonathan Mann, qui dirigeait les premières recherches sur le
sida à l’OMS. Ces experts furent rejoints également par le sociologue
Lucien Brams et l’économiste Yves Souteyrand. Il y eut quelques débats
entre sociologues au départ, certains y voyant un risque
d’instrumentalisation par les pouvoirs publics, un risque aussi de se lancer
dans une recherche dont le but serait la lutte contre la maladie et non une
connaissance fondamentale sur les déterminants de l’épidémie. Mais
beaucoup y trouvèrent de l’intérêt et surtout l’occasion d’une sociologie
appliquée. Mieux, progressivement, allaient se développer des études
multidisciplinaires, largement fondées sur des enquêtes, introduisant une
notion de recherche interventionnelle. Les efforts de financement par
l’agence dans le domaine de la santé publique et des sciences humaines et
sociales furent considérables. Intéressant l’ensemble des disciplines
scientifiques de ce champ, aucune pathologie n’a suscité en France et dans
le monde un tel intérêt.
La mobilisation des SHS, en termes de disciplines, d’objets de
recherche, de méthodes a été fortement liée à l’évolution de l’épidémie, de
la maladie, des progrès médicaux et des mobilisations sociales et
politiques : une période initiale fut centrée sur la compréhension du sida
dans la société, sa capacité à s’emparer de cet outil dérisoire (et jusque-là
disqualifié) qu’était le préservatif (1,5 gramme de latex, comme l’exprimait
Hugues Lagrange dans Les Temps modernes), l’expérience des personnes
malades confrontées à une mort annoncée et à un rejet massif, la forme
politique et la portée du caractère d’exception que représentaient le sida et
l’émergence de nouvelles formes d’activisme. Le tournant thérapeutique de
1996 a focalisé les recherches sur les personnes atteintes et les moyens
médicaux face à l’infection et à la maladie.
L’infection VIH a pris le pas sur le sida, le traitement, son observance,
le dépistage et de nouvelles questions sur la prévention. Les sciences
humaines et sociales se sont ainsi rapprochées de la médecine, tandis que la
sociologie critique, une fois le sida « normalisé », s’en est éloignée ; la
pression humanitaire pour que les traitements efficaces aillent aussi aux
malades du Sud a amené l’économie à analyser les enjeux autour des
brevets, de l’industrie des médicaments et du financement des programmes
de santé dans les pays à faibles ressources. Dans les années 2000, la
confirmation de l’efficacité des moyens médicaux pour dépister et traiter a
amené à interroger les processus pouvant expliquer la persistance de
l’épidémie VIH et a conduit les SHS à accompagner de nouvelles stratégies
préventives et de dépistage. De façon volontariste, l’ANRS a affiché la
recherche interventionnelle en France comme une priorité pour les travaux
menés en France (et plus seulement dans les pays du Sud) et c’est ainsi
qu’ont été testées par exemple de nouvelles approches du dépistage du VIH,
l’augmentation de la couverture vaccinale contre le VHB parmi les
migrants ou encore bien sûr l’essai Ipergay de PrEP « à la demande ». Cet
essai fut emblématique, car ainsi que nous le verrons, il a introduit un
nouveau rapport avec les associations de malades, ceux-ci devenant
investigateurs des recherches conduites dans les communautés.

Premières enquêtes en population


générale : la maladie, les attitudes,
les comportements, les pratiques
Les premières formes de mobilisation des sciences sociales sur le sida,
en France et dans le monde, ont été, sous l’impulsion de l’OMS, des
enquêtes quantitatives en population générale sur la perception sociale de la
maladie et les attitudes et comportements liés au VIH (enquêtes KABP pour
knowledge, attitudes, beliefs, practices). Réalisées depuis 1990 tous les trois
ans environ, celles-ci furent effectuées sur des échantillons représentatifs de
la population de 18 à 69 ans (de 18 à 54 ans pour 2001), menées auprès
d’échantillons aléatoires constitués à partir des abonnés au téléphone,
modifiés par la suite lors de l’introduction du mobile et des échanges
Internet. Elles furent pondérées selon la taille des ménages et tenaient
compte des principales caractéristiques sociodémographiques décrites dans
les enquêtes sur les populations. Les études tenaient compte, notamment,
des modes d’accès aux pratiques préventives, dont les préservatifs, des
décisions individuelles sur leur emploi, avec une particulière attention pour
les partenaires sexuels et les jeunes, dont ceux qui avaient commencé une
vie sexuelle en 1996, date de l’avènement de nouvelles thérapeutiques.
Les enquêtes KABP étaient un instrument de connaissance des
perceptions et des représentations de la maladie et des personnes atteintes,
mais aussi d’attitudes et de pratiques de prévention. Ce faisant, elles
permettaient un ajustement continu des politiques de prévention. Elles ont
montré la pénétration de l’information, l’adoption du préservatif, croissante
de génération en génération, mais restant limitée aux relations avec des
nouveaux partenaires, le recul – modéré – des positions favorables aux
mesures autoritaires en matière de dépistage ou de mise à l’écart des
personnes atteintes. La présence forte des associations et des personnes
atteintes dans les médias témoignant de la réalité de la vie avec la maladie,
de la diversité de ses visages, de l’expérience du rejet, les campagnes
successives contre la discrimination ont fait diminuer les attitudes de rejet,
même s’il persistait encore une résistance à laisser une personne atteinte
devenir un partenaire sexuel ou le baby-sitter de ses enfants ou petits-
enfants. Au tournant des années 2000, les indicateurs de prévention et
d’acceptation des personnes séropositives ont atteint un plateau dont se
distingue seulement le recours au dépistage porté par des campagnes de
promotion répétées à partir de la fin des années 1990.
Mais le sida a aussi mis en lumière la nécessité d’approcher les logiques
sociales des comportements « à risque de VIH ». Il s’agissait d’aller bien
au-delà en les resituant dans les trajectoires de vie, dans la succession des
générations, les transformations des rapports hommes-femmes et les
conditions sociales. Alfred Spira, épidémiologiste et spécialiste de la
reproduction, mobilisa un groupe de chercheurs épidémiologistes,
sociologues, psychosociologues, psychanalystes, démographes, mais aussi
statisticiens chevronnés de l’Institut national d’études démographiques,
pour réaliser une enquête analysant les comportements sexuels en France
auprès de plus de 20 000 participants. Ceux-ci étaient recrutés par un tirage
au sort parmi les abonnés au téléphone au terme d’un processus méticuleux
de précautions garantissant la confidentialité. L’enquête a montré qu’un
questionnaire long et détaillé sur la vie sexuelle (bien au-delà du simple
questionnaire des enquêtes d’opinion), passé par téléphone par des
enquêteurs bien entraînés et bien encadrés auprès de personnes tirées au
sort, était possible et bien accepté. Cette étude en 1992, ses déclinaisons en
1994 dans les Antilles et en Guyane et auprès des jeunes pour décrire et
comprendre l’entrée dans la sexualité puis répétée en 2006, illustrent de
façon exemplaire la conjonction de l’approche pluridisciplinaire dans la
construction de la recherche en sciences humaines et sociales.

Des politiques sanitaires pour


des communautés exposées
Les enquêtes en population générale n’apportaient cependant pas de
compréhension des attitudes et comportements liés à la surexposition de
certaines populations au sida, leur vécu de la maladie et leurs pratiques face
à la prévention. Une première raison est que même les très grands
échantillons aléatoires de la population générale ne comptent dans le
meilleur des cas que quelques dizaines ou centaines d’hommes ayant des
rapports entre hommes ou d’immigrés d’Afrique subsaharienne et ne
permettent aucune analyse statistique fine. Il a fallu se rendre à l’évidence
que, lorsque le champ du sida a émergé, l’application de cette approche
universaliste – ne pas considérer l’existence de minorités – à la
compréhension de l’épidémie négligeait celle de la maladie et les besoins
des groupes dévastés par le sida : les homosexuels, les hémophiles, les
usagers d’héroïne, les migrants et les personnes vivant avec le VIH/sida.
Partant de ce même principe, on ne pouvait concevoir qu’une seule stratégie
de prévention avec de légères adaptations pour les différentes
communautés. Il a fallu attendre les années 2000 pour que la politique
sanitaire soit pensée pour chaque groupe en replaçant la transmission du
VIH dans ses contextes sociaux, de sexualité ou d’exposition au VIH.
L’analyse de ces épidémies par les sciences sociales s’est faite au sein des
groupes eux-mêmes en étroite relation avec l’expérience des personnes
elles-mêmes ou d’acteurs impliqués (militants, associations de malades ou
professionnels de santé selon les cas), débouchant sur des revendications de
changement des stratégies sanitaires vis-à-vis du VIH mais aussi de
changements dans les lois ou les codes : par exemple, le retrait de
l’homosexualité de la classification des maladies ou comme circonstance
aggravante de certains délits sexuels.
Ce sont les homosexuels qui se sont les premiers mobilisés dans
l’urgence en organisation pour s’imposer comme des acteurs
incontournables des stratégies de santé associant revendications identitaires
et mesures de santé publique. Néanmoins l’ombre de la stigmatisation de
l’homosexualité et du sida a amené dans cette première période à définir
l’exposition au VIH comme un comportement et non comme un risque
collectif. Les premières enquêtes ont mesuré chaque année la
transformation des pratiques pour réduire le risque : adoption du préservatif,
baisse du nombre de partenaires, moindre fréquentation des lieux de
rencontre, pratiques sans pénétration. Ces changements ont été
extrêmement forts et rapides, mis au compte d’une adaptation raisonnée
portée par la communauté, mais peut-être aussi, comme l’a affirmé plus tard
Martin Danneker, sexologue et militant allemand, à cause de la peur et du
deuil qui ont pesé pendant les années 1980 et 1990 sur une communauté
menacée et décimée. Les limites de ces pratiques préventives sont apparues
au tournant des années 1990 quand les indicateurs de prévention ont fléchi
et que les nouveaux diagnostics malgré une baisse se poursuivaient.
Interrogeant les styles de vie, la recherche s’intéressa alors à l’intersection
de l’épidémiologie et des diverses disciplines des sciences sociales, aux
multiples dimensions de la sexualité entre hommes : dimensions
subjectives, affirmation identitaire ou vie homosexuelle discrète ou
complètement secrète, préférences pour certaines pratiques ou certains lieux
de rencontre (lieux extérieurs, backrooms), place du travail sexuel, vie de
couple et place de la drague, rapports avec pénétration et sexe oral.
Il avait fallu admettre que le safe sex était difficile à tenir et que la
norme devait plutôt s’établir autour de la notion de safer sex, qui sollicite
l’évaluation du risque entre les partenaires. Cependant, comme l’ont montré
les chercheurs dans la littérature internationale, l’énoncé explicite de leur
situation par les partenaires s’effaçait le plus souvent pour une
interprétation en matière de « sero-guessing » ou de « protections
imaginaires », selon Rommel Mendès-Leite. Ces observations et ces
questionnements, de même que le mouvement pour la reconnaissance
sociale de l’homosexualité, ne furent pas propres à la France. Le caractère
d’emblée international de la mobilisation contre le sida avait mis en relation
beaucoup plus que dans le passé les mouvements sociaux, les chercheurs et
les acteurs de santé publique aussi bien aux niveaux national et international
par les rencontres lors des conférences, par les projets de recherche
transnationaux et les échanges académiques. Les associations qui se sont
créées dans le contexte du sida ont pris le relais des mouvements de
libération homosexuels des années 1970 avec plus de force, de nouvelles
méthodes d’action politique plus visibles et plus déterminées. Elles se sont
appuyées fortement sur la médiatisation, des revendications concrètes
comme le Pacte d’union civile, adopté progressivement dans la plupart des
pays occidentaux, et non sans déchaînement des positions homophobes : en
France le PACS en 1999 et finalement, en 2013, le mariage entre personnes
du même sexe. De façon très paradoxale, les bonnes nouvelles sur les
avancées thérapeutiques, confirmées année après année, ont conduit
beaucoup d’acteurs à redouter ouvertement et dans les conférences
scientifiques que l’optimisme thérapeutique ne soit un obstacle à la
prévention et ne se transforme en pessimisme pour la prévention,
déclenchant en France notamment une « étrange » campagne tous publics
avec le slogan : « Le sida, on en meurt encore » en 2000.

Réduire le risque chez les usagers


de drogues…
Les toxicomanes, comme on disait à l’époque, ont payé le prix fort de la
catastrophe du sida. Le partage de seringues contraint par l’impossibilité
d’acheter des seringues en pharmacie, la répétition souvent plusieurs fois
par jour des injections, le rejet par les professionnels des traitements de
substitution, les conditions d’existence misérables furent autant de facteurs
qui favorisaient l’infection. Beaucoup sont morts avant qu’arrivent les
antirétroviraux efficaces. À l’époque, s’occuper des ulcères et multiples
lésions de la peau et des veines comptait beaucoup moins que la prise en
charge de l’addiction des toxicomanes. À côté des médecins de ville
harcelés dans leurs cabinets pour prescrire des opiacés ou des psychotropes,
des personnalités engagées et les spécialistes du sida furent confrontés à
l’absence de gestion des risques chez des personnes jeunes et proches de la
mort.
Le seul décret de libéralisation de la vente des seringues en pharmacie
pris en 1987 par Michelle Barzach a donné aux injecteurs d’héroïne, mais
trop tard, les moyens d’éviter la transmission. Le changement de regard sur
les besoins des usagers de drogues est venu du mouvement social avec le
rôle d’intellectuels, de médecins du VIH, de chercheurs comme Anne
Coppel et d’un fort engagement des associations VIH et Médecins du
monde. La recherche n’a pas alors joué un rôle majeur jusque dans le milieu
des années 1990, avec des figures d’exception comme le psychiatre
Rodolphe Ingold, qui a initié dès 1988 une série d’études ethnographiques
dans quelques grandes villes joignant l’observation des pratiques et la
mesure quantitative des usages et de leurs risques. Sur la réduction des
risques, il a fallu attendre que les services offrant de réels dispositifs de
prévention et de soin, les programmes d’échange de seringues puis
laborieusement les traitements de substitution pour disposer d’espaces de
recrutement pour de larges enquêtes (Coquelicot) qu’a soutenues et
continue à soutenir l’ANRS.
Il a aussi fallu la cohorte MANIF2000 pour apporter des preuves que les
usagers de drogues séropositifs pouvaient atteindre aussi les objectifs du
traitement antirétroviral, certes de manière un peu inférieure que d’autres
patients mais grandement améliorée par un traitement de substitution et
donc qu’il n’y avait pas lieu de reporter l’initiation du traitement comme le
proposaient certains cliniciens doutant de leurs capacités à maintenir une
observance suffisante. Le passage des résultats d’une recherche à des
mesures de santé publique, cependant, est parfois laborieux. On en voudrait
pour exemple l’étude prouvant que les médecins généralistes pourraient
initier les traitements de substitution par méthadone, alors que la
réglementation oblige à les faire démarrer en centres spécialisés. Depuis
2014, les publications de l’étude Méthaville confirmant les observations
faites de longue date ailleurs en Europe montrent que les primo-
prescriptions peuvent être effectuées en ville, mais aucune décision n’est
prise en conséquence malgré de nombreuses réunions ministérielles à ce
propos.
Un autre exemple est donné par les mesures de prévention en milieu
pénitentiaire. La France a instauré depuis une vingtaine d’années une
réglementation de la réduction des risques en prison par la remise de
préservatifs, l’initiation et la dispensation des opiacés de substitution, mais
pour la prévention de la transmission on en reste aux flacons d’eau de Javel
quand des pays voisins ont de longue date mis en place des échanges de
seringues. Là encore l’exemple étranger ne suffit pas. La démonstration
scientifique en France est exigée, une équipe multidisciplinaire en prépare
toutes les étapes scientifiques et administratives, le projet mûrit, est
approuvé et financé par l’ANRS, les établissements pénitentiaires sont
d’accord… mais la ministre quitte ses fonctions, d’autres lui succèdent,
restent fermés aux demandes répétées d’autoriser la mise en place de
l’expérience et, de ministre en ministre, les chercheurs ont abandonné.

… et chez les migrants d’Afrique


subsaharienne
La surreprésentation des patients infectés par le VIH est apparue très
vite dans les services hospitaliers ou dans les enquêtes auprès des femmes
enceintes ou parmi les nouveau-nés infectés provenant d’Afrique
subsaharienne dès la première décennie du sida. En France, dans
l’incertitude de la diffusion de l’épidémie à la population hétérosexuelle et
dans un pays où toute catégorisation ethnique est un sujet délicat,
l’identification du risque sur une population migrante risquait d’enflammer
les discours xénophobes ou racistes, comme l’évoquait Didier Fassin.
On pouvait craindre que des voix s’élèvent pour les rejeter hors des
frontières alors même que s’affirmait le principe de ne pas faire de la
séropositivité un obstacle légal à l’entrée en France. Il s’agissait de sortir
des préjugés essentialisants pour retrouver des explications sociologiques
ou historiques concernant le passé colonial de la France en Afrique et les
conditions sociales des immigrés en France. C’est l’Institut national de
prévention et d’éducation pour la santé (INPES), aujourd’hui partie de
Santé publique France, qui lança les premières études recrutant des hommes
et femmes noirs interrogés par des enquêteurs et enquêtrices noirs dans un
échantillon de communes ayant selon le recensement une forte proportion
de population née en Afrique. Ce type d’enquête rompait avec l’orthodoxie
des méthodes d’échantillonnage. Elle s’est avérée riche d’enseignements
après avoir essuyé force critiques. Forte de cette expérience partagée au
sein du groupe migrant de l’action coordonnée « Prévention et
comportement » confrontant les méthodes des démographes, les
connaissances épidémiologiques, les attentes des cliniciens du VIH et des
hépatites pour comprendre et prévenir le retard au diagnostic du VIH ou de
l’hépatite B, elle fut à l’origine de l’étude Parcours, sous la responsabilité
d’Annabel Desgrées du Loû (IRD). Elle a apporté des connaissances sur les
déterminants de l’acquisition du VIH, les délais au diagnostic pour le VIH
et l’hépatite B, les différences entre hommes et femmes mais a constitué
aussi une mine de résultats sur les conditions de l’immigration en France, la
diversité des parcours, les effets des politiques restrictives.

Vivre avec le VIH… et ses traitements


Très tôt les sociologues de la maladie ont cherché à comprendre et
rendre compte de l’expérience d’adultes, souvent jeunes, d’une maladie à
l’évolution irréversible vers la mort, et parmi ces adultes beaucoup vivaient
déjà des expériences de maladie (les hémophiles), de discrimination et de
rejet (les homosexuels), pour les usagers de drogues le cumul de la
dépendance à l’héroïne, de la précarité et de l’exclusion. Les études
montrèrent comment les attaches, les ruptures ou les malheurs de la vie
d’avant le diagnostic généraient des configurations différentes vis-à-vis de
la maladie, les uns essayant de vivre le plus normalement possible sous la
contrainte de la maladie, d’autres faisant du diagnostic le point de départ
d’une vie centrée sur de nouveaux investissements où peut s’accomplir un
projet personnel dans le temps qui reste et ceux encore que le diagnostic
enfonce encore plus loin dans la solitude et l’échec. On montra aussi
comment l’inscription de sa contamination dans un destin collectif, celui
des gays et l’engagement collectif à travers des associations autonomes du
monde médical, constituaient un soutien très fort face à la maladie. Avec
l’arrivée des traitements antirétroviraux efficaces, les traits distinctifs
s’atténuèrent et l’expérience des patients vivant avec le VIH se rapprocha
de celle des malades chroniques, en gardant pourtant la singularité de cette
maladie à contour médical et social.
L’ère des traitements efficaces ouvre le chapitre des travaux en
psychosociologie sur l’observance qui devait être quasi parfaite à la fin des
années 1990, observance d’autant plus difficile à tenir que les contraintes et
les effets secondaires étaient alors très importants. Ainsi la cohorte Aproco
qui regroupait des patients suivant toutes les thérapies incluant un inhibiteur
de protéase a permis d’analyser et surtout de mesurer les comportements
qu’induisaient ces médicaments. Quelques essais d’éducation
thérapeutique, menés selon les méthodes classiques de comparaison, ont été
conduits avec des résultats limités, mais c’est l’amélioration continue des
traitements disponibles qui a permis aux malades de mieux respecter
l’observance. La révolution thérapeutique avec ses résultats en termes de
santé et de gains en espérance de vie n’a cependant pas fait disparaître la
rupture que constitue le diagnostic, mais a posé la question de la continuité
ou de la reprise des projets de vie en termes d’insertion professionnelle, de
projet de couple ou de famille, de vie affective et sexuelle et de conditions
de vie.
L’ANRS a poussé à la mise sur pied d’une vaste enquête auprès des
personnes atteintes (VESPA), menée en 2003 et 2011 avec une large
collaboration des services hospitaliers dans l’Hexagone et dans les
départements d’outre-mer. Les résultats montrent les écarts de situation
sociale (emploi, pauvreté, isolement, sexualité) entre les personnes vivant
avec le VIH et la population générale, et entre elles selon les groupes ;
certains écarts cependant se réduisent dans le temps même si l’infection à
VIH atteint toujours de manière disproportionnée des groupes faisant déjà
l’objet de discrimination, discrimination au sein de la famille, dans les
soins, dans le travail et bien sûr dans les liens intimes.
Les professionnels de santé ne furent pas oubliés des chercheurs en
sciences sociales et humaines. Au tout début du sida, le mouvement
homosexuel est marqué par une proximité avec la médecine gay et une
certaine distance avec les autres spécialistes en biomédecine extérieurs à la
communauté. Il apparut ensuite une véritable conversion associant autour
de la lutte divers responsables politiques, des nouveaux médecins du sida
mais aussi des chercheurs, prônant une prise en charge appuyée sur la
science. C’est ce rapprochement, notamment dû à l’âge des médecins et
patients dont plusieurs fois on a rappelé l’importance, qui va rendre
possible dès le début des années sida un lien entre recherche médicale et les
associations, sous l’égide de l’ANRS.
Qu’apprit-on ? Sur l’hôpital mais aussi sur la ville, montrant que celle-
ci représentait de nombreux enjeux notamment pour la prévention primaire,
que la prise en charge des patients bouleversa les rapports entre médecine
de ville et médecine hospitalière, qui resta le lieu de décision thérapeutique.
En même temps, on nota une orientation de la médecine vers le social,
notamment à travers la prise en charge des usagers de drogues, cherchant à
dépasser l’habitude discontinue d’une approche sanitaire ou sociale pour
proposer une définition transversale des prises en charge. À côté des
structures de soin, on vit apparaître de nouvelles fonctions professionnelles
légitimant la spécialisation du domaine médical et celle des essais. Les
moniteurs et techniciens de recherche clinique constituaient ainsi un
exemple entre l’activité de recherche et de soin. La création de ces
nouvelles fonctions s’inscrivait dans la transformation des pratiques
cliniques et leur adaptation, même si de nombreux obstacles depuis
l’évaluation des connaissances et les incertitudes des recommandations de
la recherche en fragilisaient parfois l’apprentissage.
Il reste que celles-ci ont donné lieu à de profondes modifications de
l’activité médicale comme la mise en place de structures informelles de soin
où se côtoyaient les médecins hospitaliers et ceux exerçant en ville. Le
premier REZO 1985, dans le prolongement du service hospitalier de Willy
Rozenbaum, résultait de l’engagement de ce lieu, mais aussi du souhait
d’être convenablement relayé en ville et de limiter l’hospitalisation
traditionnelle des soins, même pour les plus fragiles. Ce réseau, par un
fonctionnement quotidien entre médecins libéraux et hospitaliers, proposait
une prise en charge entre professionnels autour des personnes malades en
même temps qu’un outil de coopération. Certes la formule n’était pas
totalement inédite, mais l’originalité tenait au fait qu’il s’agissait d’un
savoir non stabilisé. Comme le montraient ainsi les études en sciences
humaines et sociales, les enjeux professionnels furent aussi des enjeux
d’institutions. L’ANRS à ce titre en porte la marque.

Les évolutions du risque


Dans le courant des années 2000, la discipline de la prévention
n’apparaissait plus comme une condition d’accès librement consentie à la
sexualité. Dans certains cas elle semblait une contrainte ou un obstacle
potentiel aux relations de couple et à l’épanouissement. Ce comportement
ne se limitait pas aux générations qui n’avaient pas encore connu les
ravages du sida. Les enquêtes de la presse gay montraient que le
relâchement était général. Le sida se banalisait comme une maladie
chronique. L’espérance de vie des séropositifs progressant, et ainsi leur
espérance de vie sexuelle, il devenait difficile d’avoir une exigence de
protection absolue. En même temps les enquêtes montraient qu’une
modification des pratiques de la société gay était en cours avec un recul des
approches dans des lieux où la prévention avait tout à la fois sa place et
gagné sa légitimité. Des rencontres sur Internet qui avaient connu un succès
fulgurant chez les homosexuels masculins donnaient accès à des contacts
faciles et faisaient envisager de nouvelles communautés qui semblaient
moins sensibles aux exigences de prévention. Cette fréquence accrue des
pratiques à risque s’accompagnait d’une plus grande visibilité de celles-ci
selon le bareback, thème dont on entendit parler d’abord aux États-Unis
vers 1995, puis en France des années plus tard, et qui correspondait au
choix de certaines communautés gays d’opter pour des pratiques non
protégées.
Les discours de santé publique sur celles-ci étaient tenus à distance par
des enjeux personnels qui cherchaient à rationaliser la protection : il fallait
convaincre de réduire les risques sans perturber les relations ou les loisirs.
Dès lors les recherches menées par l’ANRS pour étudier la prévention
prenaient le pas sur les recherches sur la précaution. Il fallait approfondir
les connaissances sur le fonctionnement des relations homosexuelles et
inventorier les pratiques mises en place. Les controverses autour de ces
questions ont opposé les associations entre elles (violemment AIDES et Act
Up-Paris). Dans une certaine mesure, cependant, la polarisation du débat
qui se jouait sur un terrain politique n’a pas trouvé son prolongement du
côté de la recherche, à la différence de ce qui s’est fait dans les autres pays
où des phénomènes similaires étaient apparus.
Mais les décisions de l’ANRS ne pouvaient se réduire à des recueils de
constats, si brillantes et intéressantes que fussent les enquêtes. Avant tout, il
fallait s’impliquer dans d’autres stratégies de prévention que le « tout-
préservatif ». Il fallait procéder d’une autre manière pour limiter les
contaminations, alors que la communauté homosexuelle montrait une
prévalence de l’infection VIH qui ne diminuait pas.
Ipergay :
des médicaments pour le risque
Vers la fin des années 2000, il sembla clair que la connaissance et
l’information transmise sur les modes de protection étaient insuffisantes
pour enrayer la poursuite de l’épidémie chez les groupes à risque. Il
apparaissait que l’utilisation du préservatif ne progresserait plus, que la
promotion du dépistage ne réduirait pas rapidement les délais au diagnostic
et que l’effet préventif du traitement ne suffirait pas pour arrêter l’épidémie
en quelques petites décennies comme le prédisaient les modélisateurs. De
nouveaux moyens d’intervention semblaient nécessaires. La suggestion de
TasP (treatment as prevention) était ces années-là dans toutes les bouches,
et avait ouvert de nouvelles perspectives. Il s’agissait de traiter précocement
les patients pour enrayer l’épidémie. Le concept d’un traitement
antirétroviral comme moyen pour éviter la transmission du VIH était
cependant ancien. Il avait été au cœur du principe de prévention de la
transmission materno-fœtale. En 2008, Bernard Hirschel et ses collègues
suisses relancèrent le débat en publiant un article dans le bulletin des
médecins suisses annonçant que les personnes séropositives sous traitement
antirétroviral efficace, suivies médicalement, ne transmettaient pas le VIH
par voie sexuelle. À la conférence internationale de Vienne deux ans plus
tard, fort d’un modèle mathématique, Hirschel présentait un protocole de
recherche d’un essai clinique en population générale pour tester une telle
approche. L’idée avait pris corps d’utiliser les médicaments comme
prévention, une intervention dont la science avait démontré l’efficacité à
travers la prévention materno-fœtale. Il s’agissait cependant d’une
prophylaxie qui succédait à l’exposition : à défaut d’un vaccin qui n’existait
pas, on proposait de donner un médicament aux uns pour éviter la
contamination des autres.
Cette méthode, qui allait être testée les années suivantes dans des essais
internationaux, ne pouvait cependant correspondre à une prévention qui
prenait en compte, chez ceux qui n’étaient pas infectés, le risque
d’exposition et des comportements et pratiques sexuels qui, on l’a vu,
mettaient en danger certaines pratiques et contribuaient à la poursuite de
l’épidémie, notamment parmi les gays « fatigués » du préservatif. De cette
réflexion et de l’utilisation de traitements considérés alors comme efficaces
est né le projet Ipergay. Au lieu d’un traitement des patients infectés par le
VIH, comme le proposait Hirschel (et qui fut suivi d’autres stratégies en
France et dans le monde, notamment aux États-Unis), il s’agissait de
proposer un traitement antirétroviral à la demande chez les sujets soumis à
des expositions à risque. Portant sur une population particulière, le projet
apparaissait d’une ambition inégalée dans le champ de la prévention contre
le VIH en France, aussi bien par son ampleur que ses retombées
potentielles. Il fit l’objet d’un long processus de maturation et d’évaluation
à l’ANRS au cours de l’année 2010 et bénéficia ainsi d’expertise et de
contributions pluridisciplinaires notamment en sciences de l’homme et de la
société. De fait, si la dimension de recherche clinique était centrale,
notamment dans le design choisi – un essai randomisé en double aveugle
contre placebo –, le projet comportait d’autres dimensions biomédicales, et
des contributions de recherche sociologique et psychosociologique.
L’association AIDES, qui avait accepté d’y participer, eut une contribution
majeure, car, plus que participant à la recherche, elle joua un rôle moteur
dans son élaboration et mieux encore dans la mise en place du protocole,
notamment pour le recrutement des patients, comme on le reverra.
Au demeurant, cette participation conduisit l’ANRS à élaborer une
véritable réflexion sur le rôle des associations dans les projets
d’intervention en prévention. Le partenariat avec le collectif des
associations de lutte contre le VIH, le TRT-5, qui était parfaitement adapté
pour les protocoles concernant les essais thérapeutiques dans le cadre d’une
infection VIH, ne l’était pas pour la recherche en prévention auprès de
personnes séronégatives au VIH. Il fallait envisager un nouveau type de
collaboration avec d’autres acteurs engagés dans la vie communautaire gay
et la lutte contre l’homophobie. Un comité associatif indépendant fut ainsi
constitué, ouvert au TRT-5 et à l’ensemble des associations qui le
souhaitaient. Il avait pour mission d’apporter un regard critique sur l’essai
Ipergay et de protéger les droits et la sécurité des patients. En créant ce
comité, l’ANRS engageait ainsi de nouveaux liens avec les représentants de
la société civile, au-delà de la simple lutte contre le sida. Un groupe de
travail recherche communautaire fut ainsi constitué en partenariat avec
l’association AIDES pour réfléchir aux enjeux et aux méthodes entourant
de manière plus générale la participation des communautés aux actions de
recherche soutenues par l’agence. Le débat était plus large que l’essai
Ipergay mais il en fut moteur.
Pourtant, même accompagné par les associations de patients, l’essai
souleva des polémiques. « L’ANRS cherche des cobayes », put-on lire dans
les journaux de cette époque. Un membre de l’association de suivi et
d’information des gays sur la prévention du VIH (ASIGP-VIH) contesta cet
essai et posta sur son site : « La science n’est pas une roulette russe et le gay
de la chair à canon. » Certes, ajoutait-il, le protocole prévoit une incitation à
l’utilisation de préservatifs, mais l’intérêt des acteurs de l’étude était
implicitement que les participants n’utilisent pas ceux-ci pour favoriser des
résultats significatifs. On mettait en avant de plus le risque d’effets
indésirables.
L’étude, menée par des investigateurs très impliqués dans la lutte contre
le sida, présentée comme une recherche communautaire, n’eut pas qu’à
convaincre dans le milieu des personnes exposées pour recruter les 2 000
sujets nécessaires. Il y eut un autre examen de passage : son évaluation par
le Comité de protection des personnes. Diverses critiques rendirent difficile
son acceptation et il fallut tout le poids de l’ANRS pour en expliquer le
bien-fondé. Certains firent part de leurs oppositions, déclarant qu’un tel
essai, ou plutôt une telle stratégie, risquait de multiplier les comportements
à risque que certaines certitudes moralisatrices ou religieuses montraient du
doigt. D’autres, partant d’une réflexion plus scientifique, considéraient que
le projet, qui cependant préconisait l’usage du préservatif, viendrait à le
diminuer et entraînerait ainsi une recrudescence des infections sexuellement
transmissibles, dont la syphilis, ce qui fut d’ailleurs le cas comme on le vit
par la suite ; il faut rappeler cependant que la reprise à la hausse des IST
datait du tournant des années 1990-2000 et cela dans tous les pays
partageant des cultures sexuelles similaires parmi les HSH. Débutée en
2012, la première phase de l’essai chez plus de 400 volontaires en France et
au Canada mit en évidence l’efficacité de prophylaxie préexposition chez
les individus déclarant des comportements à haut risque.
Le TDF-FDC (truvada) au moment des périodes d’activité sexuelle
diminuait de 86 % le risque d’être infecté par le VIH. Ces résultats qui
furent publiés dans le New England Journal of Medicine en 2015,
confirmés par la suite, conduisirent au remboursement de la PrEP, la prise
de médicaments préventifs à la demande, ainsi qu’à l’adhésion de
nombreux pays et de l’OMS, qui l’inscrivit dans ses recommandations. Au-
delà, cet essai de prophylaxie, tout en consacrant le rôle de la société civile
comme acteur de recherche, allait mettre en exergue l’action des sciences
sociales et son rôle dans les concepts de prévention combinée. Les
réflexions sur les comportements, la prise de risque, l’évolution de l’offre,
nécessitaient en effet une vision pluridisciplinaire mêlant les sciences
sociales aux activités de virologie, épidémiologie et recherche clinique.
C’est peut-être à cet égard une des activités les plus emblématiques
d’expertise complémentaire et diversifiée associant des membres de la
société civile et des scientifiques autour d’un programme de recherche. De
fait, depuis 2006, un groupe de travail consacré à la recherche en sciences
sociales dans les essais cliniques avait permis de favoriser l’émergence de
questions sociocomportementales au sein des essais, d’évaluer les outils de
mesure des perceptions et comportements recueillis auprès des patients, de
standardiser les données sociodémographiques individuelles et de prendre
en compte les aspects médio-économiques. Un tel groupe avait défini un
module définissant un nombre minimal de variables lorsque les essais ne
développaient pas d’approches particulières sur les dimensions sociales ou
comportementales.

Dépistage communautaire :
au cœur d’une nouvelle prévention
Je me souviens d’un congrès international en 2010, que Roselyne
Bachelot, la ministre de la Santé de l’époque, avait inauguré pour la France.
Prise à partie par des militants d’Act Up-Paris, attaquée par des sachets de
sang de bœuf, injuriée et vouée au pilori, elle avait lu son discours sans trop
se démonter, avouant cependant être choquée avant de se prêter, le bras
tendu, à une prise de sang pour dépistage. Il s’agissait de la part de
l’association (que d’autres assistaient en spectateurs) de relancer
violemment le débat autour des tests et d’obtenir qu’ils ne soient plus
seulement réservés aux indications médicales et sur ordonnance des
praticiens, généralistes ou spécialistes, mais soient ouverts aux associations.
En France le diagnostic tardif de l’infection restait encore trop fréquent,
associé à une surmortalité et à un risque de transmission du virus par des
personnes ignorant leur séropositivité. Après avoir observé les usages du
dépistage dans les différentes populations et leurs déterminants dans les
enquêtes KABP, l’incapacité du large dispositif existant à réduire le délai
entre infection et diagnostic, le difficile passage de l’initiative spontanée de
l’individu à demander un dépistage à une proposition active par un médecin
(recommandée par l’OMS à partir de 2006), il paraissait légitime de mettre
à l’épreuve de nouveaux dispositifs, de promouvoir la diffusion du
dépistage dans les groupes à risques et d’en susciter l’usage. En parallèle
des programmes de proposition systématique du test rapide aux usagers des
urgences hospitalières, l’agence décida de soutenir l’évaluation d’une offre
de dépistage communautaire non médicalisée auprès des homosexuels,
proposée par AIDES et s’appuyant sur les exemples d’autres pays. Cette
recherche-action permit de faire entrer ce dépistage démédicalisé et hors les
murs dans les moyens déployés par les associations ou les centres
spécialisés pour sortir des institutions et aller au-devant des groupes les plus
exposés par un arrêté fixant les conditions d’utilisation des tests rapides
d’orientation diagnostique. Il s’agissait bien de tests d’orientation, la
confirmation restant du ressort médical à l’aide de tests sérologiques plus
poussés.
Cette mise en place nécessita un vaste programme de recherche,
notamment en sciences humaines et sociales pour évaluer les opinions et le
niveau de connaissance de ceux qui acceptaient ainsi de s’y prêter ainsi que
les différentes modalités offertes, tels les tests à domicile achetés sur
Internet par les homosexuels masculins. Le dépistage par test rapide allait
être également évalué lors de sa proposition par les consultants des services
d’urgence d’Île-de-France. De même, on allait apprécier les opportunités
manquées de diagnostic chez les patients à facteurs de risque que les
manifestations cliniques, et non les tests de dépistage, avaient conduits à se
présenter pour la première fois dans un service de maladies infectieuses.

La science,
facteur de changement social
Le sida a été souvent évoqué comme un révélateur social et un
catalyseur de changements sociaux. Les sciences sociales, principalement la
sociologie, à l’interface de la santé publique, ont rendu compte de la
configuration du sida dans l’espace politique. Dans les années 1990, les
sociologues ont mené une analyse critique des politiques publiques et de
leurs erreurs (« affaire du sang contaminé »), du surgissement de nouvelles
formes d’action politique des malades et des populations les plus exposées
ou encore du militantisme scientifique et de la mobilisation
« thérapeutique ». Le développement du secteur associatif et son rôle
comme acteur de la santé publique ont mis en exergue les changements
survenus dans les pratiques scientifiques et médicales. Le caractère
exceptionnel du sida mettant au premier plan la responsabilité individuelle,
le droit des personnes, la participation des associations et leur rôle dans la
définition des politiques publiques qui les concernaient furent analysés par
rapport aux mesures gouvernementales qui faisaient la part belle à la
réglementation, à l’obligation, voire à la sanction. Mais l’efficacité des
traitements est venue modifier le champ et, partant, le caractère
exceptionnel des politiques de santé publique au profit d’une approche plus
classique où la médicalisation a pris une part croissante. De nouveaux
enjeux ont mis un coup d’arrêt à cette forme de sociologie politique pour
attirer l’attention vers ceux de la gouvernance mondiale, du financement et
de la propriété industrielle pour l’accès au traitement, la prévention dans les
régions du monde les plus touchées et les plus pauvres et leurs implications
économiques.

Science et conscience de l’économie


Il n’y a pas de vision sociale et encore moins médicale complètes si l’on
n’y associe une dimension économique. Les recherches financées par
l’ANRS sur les aspects économiques de l’infection firent partie de celles
qui contribuèrent à évaluer le coût de la pathologie liée au VIH en France et
ses modes de prise en charge à travers les filières de soin. Les travaux en
économie de la santé révélèrent l’importance des dépenses d’une médecine
protocolisée de même que la diversité de pratiques qui ne répondaient pas
seulement à des considérations médicales. Ainsi, à travers la base de
données DMI-2, put-on observer entre services hospitaliers, en même temps
qu’une homogénéité des prescriptions thérapeutiques, une certaine
hétérogénéité de celles d’actes biologiques. Différentes études permirent de
mieux évaluer les dimensions organisationnelles et institutionnelles des
dispositifs de lutte, parfois en les comparant à ceux d’autres pays. Face à
d’autres politiques de santé, des initiatives diverses, dont l’agence fut un
des aspects, furent mises en place pour faire face à ces multiples facettes de
la santé publique. Ce furent autant de besoins d’évaluation économique. On
l’a vu, les divers modes de communication en matière de dépistage et de
prévention furent ainsi l’objet au fil des ans de nombreuses prises en
charge.
Certaines relevaient de la politique médicale, d’autres d’actions
publiques locales ou nationales, les unes gouvernementales, les autres liées
à la société civile. Les considérations de leur élaboration, les contraintes et
obstacles de leur mise en œuvre ont été autant de mesures socio-
économiques que de réflexions en politique publique. La place du secteur
associatif et les innovations qu’il a introduites dans le champ sanitaire et
social, la durée de ses actions, interpellant les chercheurs du domaine,
conduisirent à des évaluations diverses. Il en fut de même des réseaux ville-
hôpital qui légitimèrent des enquêtes autant sur les activités que les moyens
attribués à de telles interventions. Mais c’est au Sud, ou plutôt pour le Sud,
qu’on retrouvera également des recherches sur les perspectives
économiques, à travers les compromis entre solidarité, efficacité et
demandes de traitement et prévention, à partir d’une inégalité qui obligea à
gérer autant la lutte contre les pauvretés que celle de l’épidémie du sida.
Des programmes en sciences de l’homme
et de la société dans les pays du Sud
De nombreux projets de sciences humaines et sociales ont concerné les
pays du Sud. Les disciplines les plus mobilisées furent l’anthropologie,
l’éthologie, ainsi que, comme cité ci-dessus, l’économie. Des thématiques
d’importance furent étudiées telle la perception culturelle et sociale du sida,
pour comprendre la représentation du sida dans les sociétés, le contexte
social et dynamique de l’épidémie qui regroupait des études sur les facteurs
multiples, sociaux, démographiques, politiques ou économiques du
développement de l’épidémie, ou les réponses à l’épidémie au niveau
individuel, communautaire et institutionnel. Sans les reprendre en détail –
nous en reparlerons au chapitre suivant –, elles apportèrent des données
précieuses sur la prévention du risque dans ces pays où l’épidémie sévissait.
Au sein des très nombreuses études, peut-être peut-on souligner deux séries
d’entre elles pour le rôle qu’elles eurent, ou voulaient avoir, dans la
conduite des politiques publiques. L’une concerne le contexte socio-
économique qui entourait l’accès au traitement en Afrique subsaharienne à
la fin des années 1990 et au début des années 2000. Les avancées de la
recherche fondamentale et clinique bouleversaient alors, comme nous
l’avons vu, la prise en charge médicale de l’infection VIH. De nouveaux
concepts physiopathologiques, notamment sur la réplication virale et sa
mesure, permettaient de mieux accompagner les multithérapies
antirétrovirales.
Des défis concernaient l’accès au dépistage et aux traitements mais
aussi l’équité en période de contrainte des médicaments, ou pour réduire les
écarts de santé entre les plus démunis et les autres, qui se discutait à partir
des conceptions de justice sociale et d’éthique. L’ANRS fut présente pour
étudier ces enjeux, non seulement dans leurs aspects sociaux et
comportementaux mais aussi économiques. À ce titre, les travaux eurent la
contribution d’économistes en santé, tels Jean-Paul Moatti et Benjamin
Coriat, mais mobilisèrent d’autres expertises, anthropologie, innovation
industrielle, propriété intellectuelle.
Une autre série de recherches concerna les conditions des femmes
vivant avec le VIH dans les pays du Sud, notamment en Afrique
subsaharienne francophone. Elles furent entreprises à la fin des années 2000
et au début des années 2010 et eurent le regard de Françoise Barré-Sinoussi.
Il s’agissait d’étudier la vulnérabilité des femmes de ces pays face au risque
d’infection, mais aussi leur situation lorsque l’infection VIH est
diagnostiquée, ou encore leur condition lorsque la pauvreté, la domination
masculine, la stigmatisation liée au VIH s’additionnent et méritent d’être
mieux comprises. Il fallait également ne pas oublier leur rôle de mère, et de
plus celui souvent de mères d’enfants qu’elles avaient infectés. Il y avait un
besoin d’information et de recommandations pour faire évoluer les
comportements, réduire les obstacles pour l’accès au dépistage et aux
traitement, ceux qui concernaient les femmes, mais aussi les enfants. En
même temps, il fallait favoriser l’égalité sociale, politique et économique
entre homme et femme, soutenir le plaidoyer en faveur de solutions qui
prennent en compte la question du genre et du droit humains. Ces thèmes de
recherche – dont autant de recommandations – ne furent pas les seuls, loin
de là. Pour beaucoup, ces recherches en sciences sociales et humaines en
accompagnaient d’autres, de différentes natures, marquant l’étendue des
partenariats de l’agence dans les pays du Sud et des thématiques abordées.
SECONDE PARTIE

Un modèle de politiques
publiques
Novembre 2019. Une rencontre scientifique au centre de conférences de
l’Institut Pasteur. Édifié grâce aux dons de la duchesse de Windsor, le grand
amphithéâtre accueillait ce jour-là une des réunions périodiques de l’ANRS.
Il y était question des dernières avancées scientifiques sur le sida, mais
aussi de l’histoire de cette institution, et de ce modèle très particulier qui a
su s’imposer dans le paysage des politiques de recherche en France. La
complexité du système de recherche y est telle – du fait de multiples
institutions qui soutiennent, animent, évaluent ou financent la recherche,
chacune avec une responsabilité différente, parfois redondantes,
insuffisamment coordonnées – que l’agence détonne par son organisation,
ses activités, sa gouvernance, bref par sa singularité, même si les
compétences que lui a conférées le gouvernement restent encore limitées à
quelques épidémies. Confortablement calés dans des fauteuils à sièges
rabattables, les spécialistes de multiples disciplines appréciaient de se
retrouver presque autant que de confronter leurs avancées scientifiques.
À juste titre, Michel Kazatchkine, au pupitre, débuta son discours en
parlant d’ambitions partagées : « C’est un des traits de l’ANRS que d’avoir
construit au fil des ans une véritable communauté, au-delà d’un simple
collectif multidisciplinaire partageant un objectif commun. » Il fut
beaucoup question du modèle ce jour-là, de la recherche conçue comme un
élément fondateur de la réponse au sida, de sa structure institutionnelle
comme un instrument de la lutte pour réduire la mortalité, améliorer l’état
de santé des personnes atteintes, prévenir l’infection à l’échelle individuelle
et de la population, éviter la diffusion de l’épidémie.
La connaissance scientifique décrite précédemment sur le virus et ses
conséquences pathologiques s’était traduite en action clinique, avec une
dynamique constante au fil des années, s’ancrant dans une politique de
santé en même temps qu’elle enrichissait la recherche fondamentale. On
évoqua le rôle essentiel des actions coordonnées qui associaient les études
sur les cibles potentielles thérapeutiques ou vaccinales ou encore les
avancées physiopathologiques aux essais cliniques, faisant naître une
véritable dialectique entre les travaux du laboratoire et les applications
cliniques à l’homme. Il s’agissait également d’acquérir des connaissances
sur le comportement des acteurs, pour favoriser l’application médicale dans
un contexte réel plutôt que dans le cadre d’un essai thérapeutique.
Cette recherche qu’on appelait opérationnelle, si utile en période
épidémique, posait de redoutables défis méthodologiques, pour traduire les
applications de la science dans la vraie vie. L’ANRS avait su y répondre,
sans supporter seule le défi. Car la multidisciplinarité que l’on évoquait ce
jour-là se doublait d’un autre phénomène, la participation à la recherche des
personnes atteintes et de la société civile, à travers une offre multisectorielle
qui dépassait ainsi le cadre des médecins et des chercheurs. Chacun se disait
qu’en réunissant tant d’acteurs, à travers un spectre si étendu de recherches
en biologie et médecine, en sciences humaines et sociales, en singularisant
la recherche épidémiologique, la marque ANRS s’était imposée en France
et à l’international dans le paysage des noms, des sigles et acronymes.
Les présentations scientifiques rappelèrent ainsi qu’à l’étranger l’ANRS
menait une recherche solidaire dans les pays à ressources limitées – au Sud,
comme on disait en raccourci –, pour éviter une épidémie à deux vitesses.
Nombre d’études furent ainsi conduites en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au
Burkina Faso, au Cameroun, au Cambodge, ou plus récemment en Égypte
ou au Brésil. Comme on le reverra, il s’agissait d’effectuer des recherches
adaptées aux besoins des pays partenaires, mais aussi à l’émergence et au
renforcement des communautés scientifiques de ces pays à travers la
création d’ensembles collaboratifs coconstruits, les sites ANRS. Ainsi,
même si les recherches restaient limitées au sida, étendues heureusement
par la suite aux hépatites puis aux infections émergentes – beaucoup plus
cependant sous la pression de l’opinion publique, des associations de
malades et de l’extension des fléaux que par une vision et une décision
prospectives du gouvernement –, c’est bien un modèle original de politique
publique que l’ANRS sut construire. L’histoire mérite qu’on s’y réfère.
CHAPITRE 5

Intégrer les associations de malades

Depuis le début des années 1980, un sentiment de peur et d’angoisse


s’était installé chez les patients infectés par le VIH et ceux craignant de
l’être. Certaines communautés, gays, usagers de drogues, hémophiles, se
découvraient infectées, atteintes des infections opportunistes du sida,
voyant leurs proches mourir dans des états de cachexie avancée. Ces gens
avaient aussi à affronter le rejet et les discours d’exclusion. Pendant ces
années noires où les décès se multipliaient, les malades et leurs proches
étaient à l’affût d’informations sur les possibilités thérapeutiques et les
avancées de la recherche.
Or les connaissances sur la maladie et son évolution, au-delà des
souffrances et des morts, se limitaient à celles provenant du milieu médical,
très souvent parcellaires. Les fausses rumeurs voisinaient avec des
hypothèses parfois sans grande rationalité et aggravaient l’inquiétude.
Certaines des initiatives comme l’essai thérapeutique de la ciclosporine
suscitèrent des espoirs bientôt démentis. Des associations de lutte se sont
ainsi créées, cherchant à développer un mouvement favorisant la cause des
malades et en premier lieu le droit à l’information. Qui détenait cette
information ? Où la trouver ?
Les patients s’en remettaient aux associations, les associations aux
médecins, les médecins aux chercheurs, mais la boucle ne se refermait pas.
Toutes les parties se tournaient vers le gouvernement, chacune estimant
qu’il entrait dans les missions de l’administration de s’assurer que l’état des
connaissances était à la disposition des malades. Faute d’initiative de sa
part, devant la forte demande pour connaître l’état des lieux et les
recherches entreprises, il fallait agir. C’est cette carence que le mouvement
associatif, dans un premier temps, essaya de pallier, au bénéfice des
patients. Toutes les associations n’avaient pas la même stratégie, ni
n’exprimaient le besoin d’approcher la recherche de la même manière. Elles
différaient par leur vision, la hiérarchie ou la nature des actions à mener, les
pratiques et stratégies, notamment vis-à-vis des scientifiques.
D’une association à l’autre, les points de vue et connaissances sur la
maladie, ses modes de contamination, ses capacités de transmission et ses
facteurs épidémiologiques n’étaient pas identiques. D’ailleurs, pendant de
nombreuses années avant la diffusion des tests de dépistage qui datent de
1985, l’infection n’apparaissait qu’à travers la face immergée de l’iceberg,
c’est-à-dire par les symptômes de la maladie, données vite relayées par
l’estimation du nombre de personnes diagnostiquées séropositives. Le
mouvement associatif se développa ainsi sur les carences des institutions
qu’elles soient publiques ou semi-publiques, qu’il s’agisse de soins, de
santé publique et bien évidemment de recherche. L’initiative privée se
substitua ainsi pour un temps à celle de la fonction publique et investit en
toute légitimité le débat sociétal.
Encore fallait-il le nourrir en connaissance de cause. Certes, quelques
médecins militants pouvaient y contribuer, ce fut notamment le cas du
Journal du sida, fondé en 1988 par le journaliste Frédéric Edelmann et le
médecin Jean-Florian Mettetal, animé par leur collègues d’Arcat-Sida, une
association créée un an auparavant à partir d’AIDES. La communication et
l’information scientifiques se sont ensuite enrichies de la revue
Transcriptase, la première revue bibliographique, créée en 1991, dont les
rédacteurs en chef, Didier Jayle et Gilles Pialloux, ont créé un véhicule
d’information scientifique destiné à un large public de chercheurs, de
soignants et de patients, apportant chaque mois une sélection des articles
scientifiques les plus marquants accompagnée d’une discussion critique de
leur contenu. Transcriptase a par ailleurs collaboré depuis le début avec
l’ANRS pour produire des numéros spéciaux, à l’occasion de chaque
grande conférence internationale pendant lesquelles Transcriptase tenait,
avec le CRISP (Centre régional d’information et de prévention du sida) un
stand « France » vitrine de la recherche française et lieu d’échanges et de
dialogues entre chercheurs. Mais cela ne suffisait pas, il devint vite évident
que si elles voulaient imposer un jour leur point de vue comme partenaires,
les associations devaient développer leur propre expertise, apprendre par
elles-mêmes pour aborder les multiples aspects de l’infection, de la maladie
qu’elle entraîne, le sida, et de ses complications, et plus généralement des
questions scientifiques qui se posaient. Il fallut beaucoup de courage pour
affronter à travers cette formation l’image des proches qui mouraient et de
la mort qui attendait les contaminés. Dans ce désarroi terrible, la colère vis-
à-vis de l’abandon par les pouvoirs publics était en balance avec le besoin
de trouver des interlocuteurs institutionnels. L’annonce par Claude Évin des
mesures gouvernementales créant l’Agence française de lutte contre le sida,
l’AFLS, le Conseil national du sida et le PNRS fut ainsi accueillie avec
grand espoir.

Des initiatives militantes aux premiers


contacts avec l’ANRS
Au sein d’un certain nombre d’associations de malades, des militants
s’étaient regroupés pour partager les informations, créer des réunions de
réflexion. Pour diffuser les avancées de la science, si l’on excepte le rôle
joué par Arcat-Sida, dans laquelle militaient de nombreux médecins, le
combat d’Act Up-Paris, porté en majorité par des personnalités qui n’étaient
pas issues du milieu médical, fut un des plus emblématique. Il s’agissait de
mettre la médecine à la portée des malades, mieux, de prendre part aux
stratégies de recherche thérapeutique.
Un an après la création d’Act Up-Paris en 1989, sur la proposition de
Didier Lestrade qui en devint président, le besoin de mettre en commun les
connaissances et les questions, à défaut d’y répondre, aboutit à la création
d’une structure particulière : la commission médicale. Comme en
témoignent Didier Lestrade, mais aussi Alain Volny-Anne, François Houÿez
ou encore Robin Campillo, le réalisateur de 120 battements par minute, il
s’agissait pour une part de reprendre le modèle américain qui, par des
initiatives de cet ordre, avait montré l’intérêt et l’importance des liens qui
pouvaient se tisser avec les institutions publiques. Aux États-Unis, les
interactions et échanges qui avaient eu lieu avec les NIH et la FDA, entre
autres, avaient porté leurs fruits. Ils avaient notamment permis aux militants
de mieux connaître et comprendre les principaux déterminants de la
maladie, et les moyens mis en place ou nécessitant de l’être pour faciliter la
lutte contre l’infection et ses conséquences. L’exemple était là. Encore
fallait-il le suivre. Or, pour mieux comprendre et interagir, il fallait aussi se
former. Aux États-Unis, un certain nombre de brochures simplifiant les
articles spécialisés dans les grandes revues médicales comme The Lancet ou
le New England Journal of Medicine fournissaient un état des lieux des
recherches en cours. Elles publiaient aussi le résultat des essais avant même
leur conclusion officielle. Les associations américaines entretenaient des
contacts permanents avec les chercheurs, organisaient des réunions
publiques d’information, tentaient d’éclairer sur l’état de la recherche et le
développement des médicaments. Il s’agissait aussi de vulgariser et mettre
le savoir scientifique à la portée des patients. Bien évidemment, il apparut
vite nécessaire de pallier en France ce manque que l’administration ne
remplissait pas. S’il faut comprendre ce besoin de mettre la connaissance à
la portée de tous, il faut aussi interpréter ce mouvement vers la science, non
forcément comme une attraction en soi, mais par la volonté de la
transmettre et de communiquer par un langage abordable pour tous. Le
besoin de culture médicale devenait un défi. Les militants, face à celui-ci,
avaient un mantra, un credo, une charte : les principes de Denver.
De quoi s’agissait-il ? Des gays, assistant au deuxième forum américain
sur le sida se déroulant à Denver en 1983, découvrirent le fossé qui existait
entre eux et les spécialistes médicaux. Tandis qu’on parlait d’eux, les
patients n’avaient pas droit à la parole. On discutait de recherches sur leur
maladie, de leur mort à venir, sans tenir compte de leur présence. Quelques-
uns des militants américains se réunirent alors et élaborèrent une liste de
principes qu’ils firent adopter aux scientifiques. On y stipulait qu’il n’y
avait pas de lutte contre le sida sans les malades eux-mêmes. Il fallait une
révolution thérapeutique à laquelle ils devaient prendre part. Ils devaient
être présents à tous les niveaux de la recherche, activité comme
gouvernance, car l’effort devait être commun. Cette demande signifiait que
les chercheurs devaient se mettre à la portée des malades, fournir un effort
de communication, créer des groupes communautaires de réflexion
participative. Mais cela imposait aussi en retour que les malades se forment
et s’autoéduquent pour pouvoir discuter à niveau égal avec les scientifiques
de métier.
Si le modèle était ainsi tracé, encore fallait-il le mettre en place en
France et le suivre. À AIDES, comme le rapporte Stéphane Korsia,
la création d’Arcat-Sida – qu’avaient rejoint les médecins – avait laissé les
militants avec une capacité amoindrie de réflexion médicale. Les premières
réunions de la commission médicale d’Act Up-Paris furent difficiles. Il
fallait organiser l’apprentissage. La somme de travail paraissait énorme et,
parmi les premières initiatives, il fallut recueillir puis analyser les textes à
disposition, dont un certain nombre en anglais. Bien sûr, on se basait sur le
volontariat. Peu nombreux au départ, le groupe s’étoffa vite cependant. En
même temps, certains militants de l’association, à l’instar de ce qui se
passait aux États-Unis, se mirent à craindre la création d’une élite
médicalisée qui se dissocierait de la base et risquait de s’éloigner de
certaines des valeurs du mouvement. Il y eut des critiques, des
revendications dont on comprend qu’elles étaient d’autant plus pertinentes
que Didier Lestrade cumulait la présidence d’Act Up-Paris et celle de la
commission médicale de l’association. Mais le succès l’emporta, si bien que
la commission, un temps pléthorique, se scinda, en correspondance avec les
intérêts différents de ses membres. Les uns furent plus attirés par le suivi
hospitalier et la prise en charge sociale, les autres par les traitements et leur
possibilité de développement. Il se créa ainsi un groupe qui prit le nom de
« Traitement et recherche ». Les tâches étaient réparties entre militants qui
se spécialisaient en fonction des aspects de la maladie, notamment des
infections opportunistes, certains s’intéressant à la tuberculose, ou aux
parasitoses, d’autres encore aux mécanismes d’action des antirétroviraux.
On institua des séminaires et même des retraites pour échanger et mettre en
commun les connaissances. Les militants d’Act Up-Paris ne furent pas seuls
à se former ainsi, ou à échanger leurs réflexions. Si l’on retient ici leur
parcours, c’est qu’ils se passaient d’un encadrement médical pour discuter
de recherche. Fallait-il se rapprocher de l’ANRS ?
En réalité, pour les associations, l’interaction avec l’agence de
recherche, remise dans le paysage que créaient les mesures
gouvernementales, n’allait pas forcément de soi. Certes certains militants,
tels Jean-François Mettetal, puis par la suite Jean-François Chambon,
avaient été intégrés à l’action cordonnée AC 5 de l’ANRS qui concevait et
mettait en place les essais thérapeutiques. Mais ils devaient leur cooptation
à leur qualité de médecin. Pour les autres, l’ANRS apparaissait comme plus
difficile d’abord. L’ALFS avait été créée pour diffuser l’information et était
donc prédisposée à interagir avec les associations. Mais les premiers
contacts avec cette agence furent difficiles et tournèrent court. Puis, pour
une série de militants, il fallait remonter à la source de l’innovation et de la
recherche. L’ANRS attira alors les regards, en particulier ceux d’Act Up-
Paris.
Ce fut avec une modalité dont cette organisation avait l’expérience, le
« zap », action éclair, un de leurs happenings emblématiques. C’est ainsi
qu’un jour de 1990, les locaux de l’ANRS furent envahis par des militants
avec panneaux et banderoles. Ils étaient une dizaine, proférant leurs
revendications d’un ton coléreux. Un rendez-vous avait été pris avec Jean-
Paul Lévy pour s’assurer de sa présence. Il les attendait, et la manifestation
tourna à son avantage. Sans s’étonner qu’ils soient si nombreux, et leur
proposant d’échanger en salle de réunion, il écouta les demandes et y
répondit de manière constructive en proposant d’emblée d’interagir. Pris de
court, les militants surpris se sentirent presque gênés de leur ton agressif.
La colère tomba. « Prévenez-moi lorsque vous décidez de me zapper, leur
dit-il ironiquement en les raccompagnant à la porte. » Mais le plus
important était qu’il avait compris leurs demandes et leur avait proposé
d’avoir des réunions régulières d’information à l’ANRS, sans cependant les
limiter à Act Up. Il fallait que toutes les associations qui le souhaitent
puissent être présentes.
Le happening d’Act Up l’y autorisait et il se sentait libre d’y répondre.
Pour les associations, il s’agissait de se renseigner sur les traitements en
cours, le développement des essais thérapeutiques contre le VIH et les
infections opportunistes. Les réunions furent d’abord mensuelles, souvent
animées par Jean-Paul Lévy, parfois par Jean Dormont. Dès les premières
rencontres cependant, il devient vite évident pour les associations comme
pour l’agence que l’initiative nécessitait d’être mieux coordonnée entre
militants. Certes la commission médicale d’Act Up représentait sans doute
le collectif non médecin le mieux organisé, les autres associations hormis
Arcat-Sida étant moins structurées sur le plan médical, parfois réduites à
quelques membres seulement au fait des questions. L’ensemble des
participants, face à l’ANRS, faisait montre d’un certain désordre, présentant
des capacités d’intervention différentes et un niveau d’instruction variable.
Certaines associations boudaient, d’autres avaient leur propre agenda.
Lors des réunions, les questions étaient parfois contradictoires, ou en
tout cas peu hiérarchisées. Les représentants associatifs devaient s’entendre
sur les sujets à traiter, réfléchir ensemble aux questions à aborder. Cette
demande de l’ANRS vis-à-vis des associations n’était pas liée à une rigueur
excessive ou à quelque règle administrative particulière à leur égard. Les
militants interagissaient aussi avec l’agence du médicament et les
laboratoires pharmaceutiques. La demande était la même : il fallait tenter de
parler d’une seule voix. Les associations en ressentaient également le
besoin. La coordination vint presque comme une évidence et prit le nom de
TRT-5, un sigle pour « traitement et recherche thérapeutique » qui réunissait
cinq associations : Act Up, Arcat-Sida, AIDES, Vaincre le sida, Actions et
traitements. Créé en 1992, le collectif fut vite rejoint par d’autres.
Chacune des réunions à l’ANRS était centrée sur un thème choisi par
les associations. Il s’agissait tout aussi bien de tuberculose, de sarcome de
Kaposi que de l’action de l’AZT. L’ANRS invitait, et choisissait de
présenter l’un ou l’autre des cliniciens ou chercheurs pour y répondre. On
s’y instruisait, mais le but était clair : les associations avaient à charge de
mieux informer les patients, prévenir leur angoisse, tenter d’expliquer
l’évolution des surinfections, virales, bactériennes ou fongiques. Des sujets
plus fondamentaux, immunologiques, tel le déficit immunitaire, ou
virologiques, furent aussi abordés, comme la découverte du rôle joué par les
corécepteurs et par leurs mutants de résistance. Rapidement, pour les
associations, un important rythme de travail s’imposa. Il y avait d’abord les
réunions en propre de chacune d’entre elles, et, pour ce qui concernait Act
Up, celle de la commission médicale, une fois par semaine, le jeudi soir. Il y
avait ensuite les réunions du TRT-5, tous les quinze jours, dont un des
ordres du jour était de préparer la rencontre avec les spécialistes de
l’ANRS. À chaque réunion du TRT-5, le nombre de militants présents était
variable, car basé sur le volontariat, dépendant de l’intérêt de chacun et de
chaque association pour les sujets de recherche. Les réunions de l’ANRS,
d’abord mensuelles, par la suite sans réelle périodicité, dépendaient de la
demande des associations et de la capacité de l’agence à réunir ses
interlocuteurs. L’information sur les essais en cours dominait, mais ce
faisant, en 1993, un nouveau pas fut franchi. Le TRT-5 souhaita aborder la
méthodologie des protocoles thérapeutiques. Sous couvert de prendre part
aux règles d’éthique et ainsi à la relecture des notes d’information pour
permettre le consentement éclairé, on en vint à discuter des essais, à
s’assurer qu’il n’y avait pas de groupes de malades exclus, ni de mauvaise
répartition éliminant certains patients d’une participation volontaire. Le
lecteur qui aurait pénétré dans ce livre avec quelques difficultés et mis
quelque temps à s’initier au besoin de randomisation, de double aveugle, de
placebo, peut comprendre la difficulté qu’eurent certains militants à intégrer
les règles de la recherche clinique. Mais cela se fit apparemment sans
grande difficulté, même s’il fallut y mettre la volonté de s’instruire pour les
uns, l’art d’enseigner ou de renseigner pour les autres. Académiques
comme associatifs durent fournir un effort pour travailler ensemble et se
mettre à portée les uns des autres. Le TRT-5 eut ainsi à discuter des
protocoles de recherche, recevoir les investigateurs, entendre la stratégie et
le suivi des essais.
De simple information au départ, on avait glissé à une autre étape de la
coopération entre ANRS et associations, celui d’un regard critique sur les
essais en cours. Chacun était gagnant, l’ANRS se sentant confortée dans sa
stratégie, les associations dans leur responsabilité vis-à-vis des patients.
Pourtant cela ne suffit pas, notamment à Didier Lestrade qui souhaitait aller
plus loin encore.
De l’information à l’intégration
L’accélération de l’épidémie en 1993 et les résultats de l’essai Delta
montrant la supériorité des biothérapies faisaient réfléchir et souhaiter
passer à d’autres modes de relation. Fortes du modèle américain et du rôle
joué par le monde associatif au sein de l’ACTG sur l’évolution des
thérapeutiques, il apparaissait aux associations françaises qu’elles pouvaient
jouer un rôle encore plus actif dans l’accomplissement, mais surtout dans le
dessein des essais. Tous les militants, notamment ceux qui ne s’étaient pas
frottés à l’expérience des États-Unis, n’en avaient pas conscience, mais il
suffisait de quelques voix pour que cela apparaisse comme un élément
critique et évident.
Certes, ainsi que cela a été rapporté, à la suite des réunions entre le
TRT-5 et l’ANRS, les essais étaient devenus le point de mire des
associations. Mais il s’agissait de les examiner. De là à participer à leur
conception, il y avait un gap que seuls les responsables d’Arcat-Sida, parce
qu’ils étaient médecins, avaient pu franchir en intégrant l’AC 5. Écrire les
protocoles thérapeutiques relevait naturellement de prérogatives du pouvoir
médical dont des années de formation universitaire, d’expérience
scientifique, mais aussi de pratique clinique, validaient et couronnaient
l’expertise. Ce n’était pas dans les habitudes, les mœurs, le choix même des
médecins de laisser la décision même partiellement reposer sur des avis qui
n’avaient pas un label : celui de la médecine et de la science. D’un autre
côté, même si les associations avaient au cours des années précédentes,
ensemble et individuellement, appris à mieux appréhender et comprendre la
maladie, il restait une frontière liée à la connaissance, mais aussi à un
certain formalisme, celui du langage médical. Ce fut, une fois encore,
Lestrade qui franchit le Rubicon en demandant que des militants non
médecins puissent faire partie de l’AC 5. La première demande se heurta à
un refus. La seconde fut renouvelée à l’été 1993, et Jean-Paul Lévy se
donna le temps des vacances pour y réfléchir. Il raconte : « Sur le coup,
associer des non-médecins me semblait bien difficile et je me demandais
comment ces possibles trublions pourraient s’intégrer dans un milieu assez
peu ouvert. Pendant mes vacances en Provence, j’y ai réfléchi, puis, au
cours d’un dîner chez Jean Dormont, à Nyons au mois d’août, nous avons
conclu que cela valait la peine d’essayer et je l’ai annoncé à la réunion
suivante en demandant qu’ils s’engagent à respecter les règles de discrétion
pendant l’élaboration des protocoles thérapeutiques… Je dois dire que nous
n’avons eu à tous égards qu’à nous féliciter de cette coopération, qui a
abouti à leur présence habituelle à l’agence. Et je suis étonné que cela ne se
soit pas étendu à d’autres domaines que le sida. »
Au début de 1994, Lestrade, seul membre associatif non médecin, fut
ainsi admis à l’AC au titre du TRT-5. Les premiers pas ne furent pas si
simples. Il faut l’entendre décrire drôlement le premier jour : « Le 4 février
1994, j’assistai à ma première réunion. J’étais franchement angoissé. Je ne
savais même pas où je devais m’asseoir (après j’ai toujours essayé d’être
ponctuel car un simple retard me mettait en situation d’infériorité). Cette
réunion fut très décevante. L’organisation était à peine crédible, l’ordre du
jour mal respecté. Les membres de l’AC 5 parlaient entre eux, certains
arrivaient en retard ou partaient avant la fin de la séance. »
Du côté de l’ANRS, Jean-Paul Lévy comprit vite l’avantage – on dirait
aussi l’importance – de permettre à la voix des patients de s’exprimer et
ainsi de valider, toutes discussions abouties, les protocoles en cours. La
parole militante pouvait légitimement éclairer la stratégie, voire la modifier.
On était gagnant de part et d’autre. En même temps, on fit sentir à Lestrade
qu’il n’était pas là pour servir de garantie et encore moins de potiche. Il
devait s’exprimer. On comptait sur les militants associatifs pour réfléchir
aux essais, non pour le silence. Les discussions devaient être nourries, sans
que le langage médical eût à se modifier. Il fallait se mettre à sa portée.
Lestrade rapportait au TRT-5 de nombreuses informations qui, prises à la
source, nourrissaient un nouveau débat.
Les réunions à l’ANRS, pour les militants, se doublaient d’autres
rencontres comme au ministère de la Santé. Les liens avec l’institution de
recherche leur donnaient une expérience du dialogue et renforçaient leurs
arguments. Ainsi savaient-ils se plaindre de la pénurie des masques FFP2,
dont on manquait déjà dans les hôpitaux, soumettant le personnel à des
risques sans que l’administration hospitalière s’en préoccupât suffisamment.
Mais l’expérience des uns et la coordination de tous servirent aussi aux
contacts du TRT-5 avec l’industrie, et d’une certaine manière en retour
bénéficia à l’ANRS. Les liens avec l’industrie comptèrent sans doute autant
que les conflits et les projections de faux sang lors de « zaps ». L’industrie
dut se plier à l’écoute et aux revendications, les associations exigeant que
certaines molécules puissent être accessibles avant même d’être sur le
marché. Parallèlement à l’ANRS, la coordination associative servit au
dialogue.
L’année 1996 fut probablement le sommet de la réussite. Grâce à la
mobilisation du TRT-5, les malades français, avant les autres Européens et
en même temps que les Américains, bénéficièrent de l’arrivée des
antiprotéases. Les associations avaient favorisé l’agenda des laboratoires
pharmaceutiques, aidant les centres recruteurs, favorisant l’homologation
des drogues ou leur utilisation avant mise sur le marché, comme
l’utilisation du 3TC. L’industrie y trouva si bien son compte qu’elle alla
jusqu’à subventionner Act Up-Paris. Cette interaction avec le privé
bénéficia également en retour à l’ANRS, où les investigateurs furent parfois
surpris de suivre grâce aux militants les projets industriels en gestation.
« Il y eut plusieurs périodes, rapporte Hélène Pollard, aujourd’hui
responsable à Sol En Si, une association qui accompagne les enfants
infectés et leur famille. Au début, les membres du TRT-5 venaient pour une
soif de savoir, de comprendre. C’était la période d’apprentissage qui fut si
importante pour l’accès aux médicaments. Aujourd’hui, les associations
sont des partenaires à part entière de l’ANRS, considérées sur un pied
d’égalité avec les partenaires institutionnels. »
« Le TRT-5 apprit à faire travailler ses membres ensemble, reprend
Hugues Fischer, membre du TRT-5 et ancien président d’Act Up-Paris. Il y
eut un consensus interassociatif, dans un esprit constructif. L’évolution fut
majeure au point que dans les projets plus récents des statuts, les dirigeants
sont venus nous chercher pour travailler avec eux. L’inverse de ce qui s’est
passé au début. L’agence a su accepter les premières violences et
contradictions. Il fallut du temps pour arriver à ce qui existe aujourd’hui :
nous sommes présents dans les différents organes de la gouvernance,
conseil scientifique, conseil d’orientation, comités d’évaluation, actions
coordonnées. Le TRT-5 rencontre tous les trois mois les décideurs et les
chefs des différents départements avec un ordre du jour construit ensemble.
L’habitude de rencontrer des investigateurs permet de participer aux essais
et bien sûr d’intervenir sur la note d’information confiée aux patients. Point
d’importance car avant l’intervention du TRT-5, celle-ci étant souvent mal
rédigée, l’essai était refusé par le comité d’éthique. »
Ces années et les vingt-cinq ans qui ont suivi vont sceller les liens de
l’ANRS et du TRT-5. En 2005, un article du journal Libération écrit : « Le
TRT-5 poursuit son action. Il se révèle comme une des plus belles réussites
de ce milieu, en imposant un rapport de force inédit avec l’industrie
pharmaceutique et le monde de la recherche, fait d’expertises et de
sentiment » et de rapporter une de ces manifestations comme il y en eut
annuellement, ces années-là, dans le grand amphithéâtre du ministère de la
Santé réunissant militants associatifs, médecins, chercheurs et responsables
de l’industrie pharmaceutique pour l’intérêt de tous et d’abord des malades.
On doit à la présence des associations à l’AC 5 et au TRT-5 un certain
nombre de décisions ayant trait aux essais cliniques : ainsi, des usagers de
drogues furent inclus dans les essais, la charge virale put être utilisée
comme marqueur primaire d’efficacité, une mesure aujourd’hui évidente,
certains traitements prometteurs purent être fournis à des patients sans
demander d’autorisation à l’agence du médicament s’ils étaient inclus dans
des cohortes observationnelles avec registre. Il y eut aussi les modifications
protocolaires obtenues lors de l’étude du Saquinavir, un inhibiteur de
protéase, en 1994-1995.
Les critiques des militants parvinrent à modifier profondément le
protocole, se jouant des règles orthodoxes de la méthodologie de la
recherche clinique. Les demandes du TRT-5 parvinrent en effet à obtenir
que les indicateurs virologiques et biologiques soient communiqués aux
patients, rompant avec l’aveuglement des tests sanguins, afin que les
participants puissent décider au non de continuer à participer à l’essai ou se
retirer. Ils obtinrent également que le Saquinavir soit distribué aux patients
dès lors que les résultats préliminaires en montraient une plus grande
efficacité. Les fondements de la randomisation, du double aveugle avec
placebo volèrent en éclats ainsi que la place attribuée au choix du patient
dans le déroulement de l’étude. Mais c’était l’inscrire pour le bénéfice des
malades.
Le VIH n’était d’ailleurs pas le seul fléau épidémique. Les hépatites
étaient d’une grande fréquence, parfois chez les mêmes malades, double
peine due pour certains à des risques partagés. L’agence avait été prévue et
conçue par l’administration pour se consacrer à une seule pathologie, le
sida, un seul virus, le VIH, mais certains posèrent vite la question de
s’occuper aussi de ces autres infections. Il faut dire que les patients co-
infectés étaient nombreux, près de 30 % des patients VIH. Nous avons vu
que Jean-Paul Lévy y avait lui-même très vite songé, mais qu’une
compétition entre institutions et le silence du ministère de la Recherche s’y
opposèrent. Là encore le militantisme eut gain de cause, un temps limité
aux co-infections hépatites et VIH. L’initiative débuta en 1998. Elle doit
beaucoup à une femme, Michelle Sizorn, qui prit son bâton de pèlerin et
associa à son plaidoyer quelques-uns des grands noms de l’hépatologie
médicale française pour que l’ANRS s’intéresse aux hépatites au point d’en
financer la recherche. On s’aperçut de l’effet de l’interféron, de ses
complications aussi, du besoin de nouvelles molécules. Pour les militants de
cette communauté, réunis sous la bannière d’une association, SOS
Hépatites, créée petitement au départ en Haute-Marne, et limitée un temps à
une ligne d’écoute, il fallut lutter. Comme pour le VIH, il s’agissait d’aider
à une meilleure réalisation des essais, de faire que les informations pour
éclairer les consentements aient un langage plus compréhensible. Il fallut
s’instruire pour instruire les patients sur l’évolution des hépatites, le risque
de cirrhose et de cancer, le bénéfice des nouvelles drogues. Les chemins se
rejoignant, les préoccupations aussi, il y eut un rapprochement avec le TRT-
5. Le collectif contre les hépatites virales rassembla onze associations de
lutte contre ces virus, dont les principales associations de lutte contre le
VIH. Lors des assises de la recherche, TRT-5 et collectifs hépatites virales
s’exprimèrent. Il fut rappelé lors de réunions appropriées quelques mois
plus tard que les associations remplissaient trois missions : faciliter
l’information aux patients sur leur maladie, exercer une vigilance éthique,
faire valoir le besoin des malades pour faire évoluer, en fonction, le système
de santé, la prise en charge des effets indésirables, l’accompagnement des
patients en échec thérapeutique. Cette position était dans la droite ligne de
la loi sur les droits des malades du 4 mars 2002 qui, telle qu’elle était
couchée sur le papier, avait placé les patients au cœur du système de santé,
leur reconnaissant un rôle primordial d’« acteurs » au sein de celui-ci. La
situation fut heureusement bouleversée, concernant l’hépatite C, avec la
révolution thérapeutique des dernières années, mais la réflexion associative
trouva son prolongement avec la cohorte Hepather de l’ANRS.

De l’intégration à la réalisation des essais


L’ANRS, nous l’avons vu, ne soutenait pas seulement des études
cliniques. Les divers chapitres de ce livre ont introduit d’autres pans de
science, animés par les multiples actions cordonnées. Dans leur souhait
d’informer les patients, et d’en représenter la parole pour infléchir certaines
thématiques de recherche, jusqu’où les associations cherchèrent-elles à
développer leur partenariat ? Certes il y eut bien, en matière de recherche
fondamentale, certaines mises au point faites par tel spécialiste ou autre sur
des sujets de physiopathologie. Mais, de l’avis de nombreux interlocuteurs
associatifs, il était souvent difficile de pénétrer dans l’état des
connaissances au point de pouvoir dialoguer. Certains essais, tels ceux
effectués avec l’interleukine 2 qui demandaient pour être bien compris une
analyse sur l’hypothèse mécanistique, eurent bien du mal à être suivis et
interprétés par les militants non médecins afin qu’ils puissent donner un
avis éclairé. La recherche fondamentale dans son ensemble, qu’elle soit
virologique ou immunologique, échappa ainsi à la sagacité des militants
associatifs, dont l’effort pour la comprendre demandait une autre formation
et une autre expertise.
Il en fut de même pour le concept des vaccins. Certes ils entraient dans
une politique de prévention, donc un pan de politique publique qui
concernait les risques de contamination. Le choix des produits et les
hypothèses sur lesquelles reposait leur effet semblaient cependant trop loin
des connaissances acquises ou à acquérir pour que les milieux associatifs
revendiquent d’intervenir dans la stratégie de l’agence. Comme le souligne
Marie Ahouanto, le TRT-5 fut cependant présent dans la relecture des essais
chez l’homme, la plupart de phase I, et les aspects psychosociaux qui les
concernaient, tel le fait de devenir séropositif par vaccination, ce qui, on l’a
vu, n’était pas sans conséquence. Ils n’intervinrent cependant pas ou peu sur
le recrutement des volontaires dont nous avons décrit les modalités.
Concernant les pays du Sud, le TRT-5 fut certes présent en examinant
les protocoles des essais proposés par les investigateurs. Ainsi, les bras
placebo sous prétexte d’une méthodologie rigoureuse furent critiqués pied à
pied. Tel essai de Bactrim, antibiothérapie contre infections opportunistes,
se vit supprimer le bras contrôle qui avait été instauré sous prétexte que son
inutilité au Nord ne pouvait être transposable au Sud. Mais s’il s’agissait
bien de relecture des protocoles par les représentants du collectif, de
certains amendements ou d’une participation à leur évaluation à travers les
commissions spécialisées, les militants associatifs n’infléchirent pas la
stratégie de l’agence avec les pays du Sud, qui d’ailleurs dépendait en
grande partie de la direction.
En fait, les associations du Nord n’intervenaient pas directement avec
l’ANRS sur le terrain du Sud. Certes, certaines d’entre elles développaient
des activités dans les pays à ressources limitées, telles Sidaction ou AIDES,
mais de manière indépendante de l’agence. Le TRT-5 cependant formait les
membres associatifs de ces pays à participer aux programmes de recherche.
Comme le raconte Christine Kafando, décrivant l’expérience associative au
Burkina Faso et en Afrique de l’Ouest, l’ANRS avait une autre stratégie :
collaborer avec les associations africaines. « Nous étions 156 associations
au Burkina Faso, dont la très grande majorité développait des activités de
prévention et de sensibilisation aux risques du VIH et des hépatites. Une
subvention du ministère des Affaires étrangères français nous permit de
nous réunir et de nous coordonner à travers une opportune création : la
Maison des associations burkinabés de lutte contre le VIH. C’est au titre de
cette institution, et du réseau des associations d’Afrique de l’Ouest, que j’ai
intégré à l’ANRS la commission d’évaluation des projets de recherche
menées dans les pays à ressources limitées. » L’agence, se rappelle-t-elle,
lui offrait de venir quelques jours à l’avance afin qu’elle puisse être formée
par le TRT-5 à ces travaux d’expertise. De fait, sous l’impulsion de Michel
Kazatchkine puis de Jean-François Delfraissy, les responsables associatifs
du Sud furent conviés à cette activité de l’agence et Christine Kafando
d’ajouter que la Maison des associations burkinabés joua un autre rôle :
celui de faire connaître et respecter la charte éthique de l’ANRS, s’assurant
du consentement éclairé de certains patients qui, ne comprenant pas le
français, s’égaraient dans les longues pages des protocoles de recherche.
Une activité d’autant plus importante que la militante avait obtenu que la
Maison des associations participe aux essais qui les concernaient depuis le
concept jusqu’à la réalisation.
Cette logique ne se limitait pas au Sud. À partir de 2007, le TRT-5 entra
dans un nouveau mode de relations avec l’ANRS. Il ne s’agissait plus
seulement pour les membres associatifs d’agir comme évaluateurs, mais de
participer directement à la recherche elle-même. Non comme concepteurs,
mais comme investigateurs. C’était un pas considérable. Les associations
faisaient de la recherche, étape ultime de leur interaction avec les
scientifiques de métier. Bruno Spire, à la présidence d’AIDES, fut un des
promoteurs de cette nouvelle avancée. Il raconte : « Cela s’est mis en place
à l’occasion de l’essai Ipergay. L’investigateur principal, Jean-Michel
Molina, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital
Saint-Louis à Paris, est venu expliquer le principe du protocole lors d’un
séminaire organisé par les associations gays. Lors du discours de clôture, il
explique ce qu’est la PrEP et propose aux militants de construire le projet
avec lui. Les quatre-vingts à quatre-vingt-dix participants LGBT écoutent
d’une oreille attentive. On décide d’un groupe ad hoc pour être moteur de la
réflexion et, par la suite, de confier à AIDES, en capacité d’embaucher des
investigateurs, la responsabilité de prendre la tête des opérations. Cette
initiative prenait l’allure d’un nouveau symbole. » Étape nouvelle, les
militants participaient directement à la science, expérimentaient. Certes il
s’agissait de recherche-action, concernant les essais de prévention et de
santé publique, mais ce pas était majeur. Plusieurs ordres de circonstances
s’y prêtaient. Ainsi, la volonté de la direction de Jean-François Delfraissy
de faire participer les associations à la recherche académique dont on
pensait qu’elle pouvait faciliter le recrutement de patients, mais aussi
bénéficier de leur expertise et de leur expérience. D’un autre côté, comme
le souligne Bruno Spire, les associations avaient compris, la maladie étant
devenue chronique, que les pouvoirs publics ne prendraient en compte leurs
revendications que si elles étaient validées scientifiquement. Ce qui pouvait
s’obtenir au début par des manifestations bruyantes n’était plus adapté pour
des mesures de santé publique. Le dépistage ou la PrEP bénéficièrent ainsi
d’investigations partagées. Ce fut une nouvelle étape majeure qui scella de
manière très complémentaire aux initiatives antérieures l’interaction des
associations avec l’ANRS.

Reproduire le modèle ANRS


De l’avis de tous ses directeurs, l’intégration des associations aux
activités de l’agence fut une de ses plus grandes réussites. Lorsque Alain
Volny-Anne demanda à Jean Dormont si « la présence de malades à
l’ANRS avait vraiment changé quelque chose », sa réponse fut sans
ambiguïté : « Absolument ! Nous avons même appris à parler différemment
aux malades. » L’ANRS y acquit progressivement une expérience unique
qui constitua une de ses modalités d’action les plus emblématiques. « Ce fut
une des principales originalités du modèle », reconnaît Paul Benkimoun, un
des journalistes du Monde lorsque je l’interrogeai à mon tour sur les
spécificités de l’ANRS.
Le rôle des associations fut important pour susciter ou amender les
protocoles de recherche clinique, informer les patients, améliorer les
formules de consentement éclairé. Il aida à la réalisation et au suivi des
essais thérapeutiques et ainsi fut à l’origine d’un mode d’interaction entre
chercheurs investigateurs et militants associatifs. Certaines de ces
associations, telle notamment Sidaction, eurent des actions
complémentaires et, mieux, en partenariat, avec l’ANRS. Ce modèle
original fut-il reproduit dans d’autres circonstances, d’autres thématiques,
officialisé dans les institutions qui financent ou labellisent les essais dont ils
assurent la promotion ? Rien n’est moins sûr. Le rôle du privé et des
patients est très différent dans la recherche sur le cancer, où les malades ne
sont pas aux commandes ni n’interviennent profondément sur les concepts
des essais. Seul, lié à quelques personnalités, le rôle associatif se retrouve
dans le cadre des maladies rares, en France ou dans l’agence européenne
qui les concerne. Hormis cet exemple, qui mériterait une analyse
comparative plus poussée, le rôle des associations et leur responsabilité
dans la conception des protocoles de recherche sur le sida et les hépatites
n’eurent pas d’équivalent véritable, même si l’Inserm tente aujourd’hui
certaines réflexions à ce propos. Il faut y voir peut-être les circonstances
très particulières dans lesquelles la coopération s’est construite, le rôle
pionnier des premiers militants face à l’urgence et à la mort, et bien sûr la
clairvoyance des dirigeants de l’ANRS ainsi que ceux des associations.
Mais peut-être faut-il aussi examiner d’autres considérations. L’ANRS ne
chercha pas vraiment à exporter et publiciser son modèle, qui ne fit pas
tache d’huile. Doit-on penser que les porteurs d’enjeux, notamment au
niveau des politiques publiques, ne s’en préoccupèrent pas ? Ou bien tout
simplement que la recherche en France reste cloisonnée, éclatée entre de
multiples structures au point de ne pas susciter de vision d’ensemble, qu’il
s’agisse des institutions, de la société ou des médias ? Le Covid-19 montre,
on le reverra, à quel point la santé publique peut d’une épidémie à l’autre
susciter des initiatives différentes, notamment si l’on y observe le rôle joué
par les malades. L’exemple des militants du sida manque aujourd’hui
fortement à cette nouvelle émergence épidémique !
CHAPITRE 6

Coopérer avec le Sud

En octobre 2014, un article de la revue Science démontrait à partir


d’échantillons sanguins que la pandémie du sida avait débuté dans les
années 1920 à Kinshasa, la capitale de la République démocratique du
Congo. Que s’est-il passé pendant soixante ans, avant qu’on ne prenne
conscience du fléau ? Des morts inaperçues, une diffusion ignorée, ralentie,
une virulence atténuée ? Nul n’a la réponse, mais, en 1988, lorsque l’ANRS
fut créée, l’épidémie en Afrique atteignait déjà des proportions
catastrophiques. Plus d’un dixième de la population des villes était infecté
dans plusieurs pays d’Afrique centrale, dont la Tanzanie, la Zambie, le
Zimbabwe, le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda, le Zaïre et la République
centrafricaine, avec lesquels, pour certains, la France entretenait des
relations historiques. Il semblait que les campagnes étaient moins atteintes
que les centres urbains où le taux de contamination dépassait parfois 30 %,
mais, selon les rares données dont on disposait, l’épidémie s’y propageait
progressivement.
Au Rwanda, plus de 30 % des femmes enceintes étaient séropositives et
à Kigali, parmi les couples, on retrouvait un même pourcentage d’infection
parmi les deux partenaires. Initialement moins atteinte, l’Afrique de l’Ouest
voyait l’épidémie se répandre, y compris dans les pays qu’on croyait un
temps protégés. La Côte d’Ivoire connaissait des taux de contamination
analogues à ceux de l’Afrique centrale. Il existait certes des différences
entre pays et populations de ce continent du fait de l’intrication de facteurs
structurels, conflits, migrations et surtout pauvreté. Le Maghreb semblait
relativement épargné, probablement par les normes strictes encadrant la
sexualité et peut-être la pratique des circoncisions, comme l’ANRS allait le
démontrer, tandis qu’elle progressait avec une rapidité effroyable en
Afrique du Sud ou stagnait dans certaines régions après un développement
initial important sans que l’on en comprenne clairement les raisons. Mais
tout adulte ou adolescent en Afrique subsaharienne pouvait être considéré
comme exposé. Ils n’étaient pas les seuls : les enfants payaient aussi un
lourd tribut. En une décennie, à la fin des années 1980, le sida y était
devenu la première cause de mortalité. Le nombre de malades désorganisait
les systèmes de santé. Les hôpitaux débordés peinaient à accueillir ceux qui,
faute de médicaments, venaient y mourir. Les centres de soin restaient
cependant des espaces protégés pour lutter contre les inégalités sociales, en
même temps qu’ils tentaient d’apporter la maîtrise médicale des infections
opportunistes.
La propagation de l’épidémie semblait déjà si redoutable, pouvait-on
noter à cette période, et les moyens de l’endiguer si faibles que l’Afrique
subsaharienne devait s’attendre à connaître une crise sans précédent,
risquant de poser un problème démographique majeur en l’absence de
distribution et d’utilisation des médicaments et de prévention de la
transmission, notamment materno-fœtale. L’infection n’avait pas seulement
un impact sanitaire et démographique. Elle atteignait les forces vives des
pays d’Afrique australe et de l’Est, décimant la population active, tandis
que les enfants restaient à charge des grands-parents. Plus de professeurs
mouraient qu’il n’en sortait des écoles de formation. Les systèmes de santé
étaient dépassés et déstructurés, manquant de moyens et de médecins. Le
faible nombre d’hôpitaux pesait lourd. D’ailleurs le virus ne se développait
pas qu’en Afrique. Dès cette époque, l’Asie qui pendant longtemps avait été
considérée comme indemne montrait qu’elle était massivement atteinte
dans certains pays, où le tourisme et la prostitution avaient joué un rôle
certain. La Thaïlande connaissait une épidémie aussi grave que certains
pays africains, l’Inde dans ses grandes villes était massivement touchée,
alors qu’on notait l’absence ou l’insuffisance d’informations concernant
nombre de pays asiatiques, notamment en Asie centrale.
Tous ces pays d’Afrique et d’Asie, les « pays du Sud », comme on les
appelait à l’agence, connaissaient une épidémie en forte croissance, certains
à transmission hétérosexuelle prédominante, d’autres par l’usage des
drogues injectables. Les estimations de l’OMS parlaient de 30 à 40 millions
de personnes contaminées au début du XXIe siècle. Ce qui fut le cas : les
rapports d’Onusida en 2019 signalent 36,9 millions de personnes vivant
avec le VIH, dont 21,7 millions seulement bénéficient d’un traitement.
Heureusement, le nombre de décès par sida a diminué, quoique seulement
d’un tiers par rapport à 2010, atteignant 770 000 en 2018. Il y avait ces
années-là encore 1,7 million de nouvelles infections qui, même s’il
s’agissait d’un chiffre nettement plus bas que vingt ans auparavant quand
l’épidémie avait atteint son maximum (2,9 millions de nouvelles
infections), stagnait depuis quelques années avec d’ailleurs une répartition
inégale selon les régions.
Alors que la lutte s’organisait au Nord, il paraissait insupportable de
laisser le Sud sans moyens, sans aides et aussi sans ces recherches qui
accompagnent et parfois précèdent le progrès. Les thérapeutiques
antirétrovirales, qui, on l’a vu, avaient bouleversé la situation, notamment
en France, n’étaient pratiquement pas accessibles ou seulement de façon
limitée, ne touchant qu’une frange minime de privilégiés. Les médicaments
de lutte contre les infections opportunistes, pourtant moins onéreux,
n’étaient que très partiellement disponibles. L’emblématique infection
tuberculeuse se développait en même temps que le déficit immunitaire et
devenait une cause majeure de mortalité. La transmission materno-fœtale
sévissait.

Quelles initiatives françaises ?


Au-delà de ses partenariats historiques, notamment en santé, avec de
nombreux pays d’Afrique – Afrique de l’Ouest et centrale – et d’Asie du
Sud-Est, la France ne pouvait ignorer l’épidémie galopante et rester à
l’écart des politiques d’aide qui s’étaient mises en place. Ainsi, le ministère
des Affaires étrangères avait lancé dans le courant des années 1980 des
programmes d’intervention, à travers le soutien de quelques projets de
recherche, avant tout en épidémiologie. L’ANRS devait s’y joindre dès sa
création. D’emblée, la recherche allait marquer sa différence en souhaitant
qu’elle se concrétise par des résultats que les pays s’approprieraient et
mettraient en pratique. Il s’agissait d’une recherche opérationnelle en même
temps que se poursuivait une recherche fondamentale collaborative. Mais
pour les décideurs de l’agence, soutenir des études dans les conditions
locales africaines posait de tout autres problèmes que celles mises en place
dans les pays du Nord, en France notamment. Les accès aux soins et aux
plateaux techniques avaient été des facteurs indispensables pour qu’une
recherche clinique puisse être envisagée et prétendre à des succès.
Au Sud, de telles conditions n’étaient réunies que dans un nombre
restreint de sites. Si certaines équipes africaines étaient déjà formées à la
recherche sur l’homme, elles restaient peu nombreuses, et il en était de
même si l’on observait la disponibilité des équipes françaises pour animer
une telle activité au Sud. Il fallait aussi tenir compte d’un certain nombre de
critères essentiels pour s’assurer d’une possible efficacité, telles la
motivation et la concentration des équipes, et leur capacité à travailler
ensemble sur certains sites où l’on pouvait disposer d’appuis logistiques.
Une autre considération tenait au réalisme de la situation, et concernait le
choix des recherches à mener. Il s’agissait de privilégier des études qui
tenaient compte des caractères propres aux pathologies africaines, des
travaux dont on pouvait espérer que les résultats puissent, à brève échéance,
entraîner des conséquences sur les politiques publiques des populations
concernées.
Certes, le côté formateur d’une recherche fondamentale avait longtemps
été souligné dans les murs de l’ANRS, mais en première instance il
semblait peu réaliste de vouloir la privilégier dans un contexte qui ne s’y
prêtait guère. Il fallait limiter et même bannir ces recherches safari dont les
chercheurs américains se faisaient volontiers les opérateurs, pour remplir
leurs congélateurs et canisters d’échantillons de tous ordres, dans la
perspective d’une publication originale. Rapidement on mit en avant à
l’ANRS le bénéfice d’une recherche clinique de qualité, dont on allait
s’assurer qu’elle allait former une nouvelle génération de scientifiques,
mais également influer sur les politiques de santé locales. L’enthousiasme
autour d’une collaboration en soin et recherche ne suffisait pas, même si
elle était nécessaire. Il fallait tenir également compte des contraintes
administratives régionales, obtenir le plein accord des responsables, mieux,
leur propre choix, ainsi que la disponibilité des équipes capables de
s’inscrire dans un contexte éthique qui devait se plier aux mêmes règles de
consentement éclairé qu’au Nord. Rapidement, il apparut ainsi que les
recherches qui allaient se développer, et qu’il apparaissait nécessaire de
soutenir, portaient sur les domaines de la clinique, de l’épidémiologie, des
sciences de l’homme et de la société. Au fil des années et de l’avancée des
connaissances, ces recherches allaient bien évidemment se modifier, mais
étant donné leur contexte particulier, elles mirent en priorité l’accent sur
l’accès aux soins et la lutte contre la transmission materno-fœtale.
L’accès aux traitements antirétroviraux
Un des principaux et premiers domaines de recherche où l’ANRS allait
s’impliquer, capital pour la santé publique, concernait l’accès aux
antirétroviraux en Afrique. Il ne s’agissait pas seulement de faciliter
l’obtention des drogues, il fallait aussi s’assurer de leur bon maniement en
fonction du contexte. À partir de 1996, comme cela a été vu, d’importantes
avancées au Nord, notamment en France, en recherche clinique, avaient
bouleversé la prise en charge du VIH. L’introduction des multithérapies
antirétrovirales, les nouvelles classes thérapeutiques des inhibiteurs de
protéase rendaient la charge virale indétectable chez une proportion
importante de patients traités et, avec elles, une diminution spectaculaire
des infections opportunistes et de la mortalité. Dans les pays industrialisés,
où l’accès à ces traitements était largement possible, et à grande échelle, les
hospitalisations diminuaient. Dès 1997, de nouvelles données fournissaient
des arguments pour une prise plus précoce et un renforcement de leur
emploi. Certes de nombreuses difficultés et incertitudes subsistaient quant à
leur tolérance et leur acceptabilité, sur la détermination des critères pour les
initier ou les modifier, leur posologie, leur combinaison, ou encore sur
l’émergence de souches virales résistantes. Mais les progrès dans la survie
et la qualité de vie étaient une réalité indéniable.
Lors de la onzième conférence mondiale sur le sida à Vancouver, en
juillet 1996, un double courant, associatif et politique, s’était formé pour
demander l’accès à ces progrès pour les 95 % de patients infectées par le
VIH qui vivaient dans les pays à ressources limitées. On soulignait le
caractère moralement intolérable qu’avait l’impossibilité pour ceux-ci de
disposer des traitements contre le VIH à l’efficacité démontrée. Plusieurs
initiatives virent ainsi le jour dès 1997, notamment celle du programme
commun des Nations unis sur le VIH/sida, Onusida, afin de favoriser
l’accès aux antirétroviraux. Annoncée à Genève en novembre de cette
année-là, comme une phase pilote, elle restait limitée à quatre pays : le
Chili, la Côte d’Ivoire, l’Ouganda et le Vietnam, une initiative dont l’ANRS
mesura l’impact tout du long.
Le prix élevé des médicaments sur le marché international limitait
grandement leur accès dans les pays d’Afrique subsaharienne où la
demande et le besoin étaient considérables face aux moyens économiques
dont disposaient l’État et les ménages. En décembre 1996, dans les pays
d’Afrique, la Journée mondiale du sida, dont le thème était « Unis dans
l’espoir », avait été l’occasion d’une mobilisation pour dénoncer le non-
accès du Sud aux nouveaux traitements. Ce n’étaient plus seulement les
sommets des États africains qui s’exprimaient à cette occasion, mais les
associations de personnes vivant avec le VIH qui manifestaient leur colère.
De manière spectaculaire, le président ivoirien de l’une d’entre elles,
Lumière Action, décédé quelques jours avant cette manifestation
internationale, avait lui-même refusé d’utiliser les antirétroviraux tant que
ceux-ci ne seraient pas accessibles pour tous. Ce faisant, Sénégal et Côte
d’Ivoire s’inscrivaient dans un courant plus large, stigmatisant les inégalités
d’accès entre le Nord et le Sud. Ce fut l’occasion de le manifester lors de la
dixième Cisma (Conférence internationale sur le sida et les maladies
transmissibles en Afrique) tenue à Abidjan en décembre 1997, en présence
des plus hautes autorités de ces deux pays, mais aussi de la France, qui
saluaient Onusida pour le lancement de son initiative. Le président Jacques
Chirac, qui y participait, dénonça « le caractère choquant et inacceptable
d’une épidémie à deux vitesses, la coexistence de deux façons de lutter
contre le sida : en traitant les malades dans les pays développés, en
prévenant seulement les contaminations au Sud ». Il appelait à ce que tout
soit fait « pour que le bénéfice des nouveaux traitements soit étendu aux
peuples démunis d’Afrique et du reste du monde, là où les populations sont
les plus meurtries par la maladie » et il s’engageait à ce que le prochain
sommet du G8 marque une nouvelle étape en ce sens – intervention relayée
par le secrétaire d’État à la Santé Bernard Kouchner, qui plaidait « pour la
solidarité thérapeutique internationale ». L’inégalité d’accès aux traitements
allait ainsi donner une impulsion politique et de santé mondiale nouvelle à
la recherche en Afrique et en Asie. C’est à cette époque que le concept de
santé mondiale et son interdépendance avec celui de santé nationale sont
nés, et avec eux celui de solidarité, ainsi que de biens publics mondiaux
présidant aux « Objectifs du millénaire pour le développement ».
Dans la lignée de ces initiatives et principalement de la déclaration
d’Abidjan, Ibra N’doye, un jeune Sénégalais visionnaire, devait proposer
l’année suivante à Dakar le premier projet de recherche soutenu par
l’ANRS pour tester l’accès et l’efficacité des traitements antirétroviraux en
Afrique. Un tel programme avait été précédé de différentes initiatives au
Sénégal ou ailleurs pour lutter contre les infections opportunistes,
notamment par le cotrimoxazole, mais c’était la première étude sur
l’utilisation des antirétroviraux, et ses premiers succès. Elle démontra
qu’une thérapie avec un inhibiteur de protéase et un inhibiteur non
nucléosidique montrait une efficacité clinique et biologique comparable à
celle observée dans les pays du Nord, en particulier en France. Point
d’importance, cause et conséquence du résultat, l’observance des patients
avait été très élevée. Restait à convaincre les firmes pharmaceutiques de
changer leur stratégie. Fort des chiffres observés, le Programme de lutte
contre le sida du Sénégal put négocier avec celles-ci. Au début des années
2000, le prix annuel des médicaments allait passer de 100 000 à 100 dollars
américains. Les recherches financées par l’ANRS suivaient bien
évidemment les prix des antirétroviraux, vrais ou faux, vendus au marché
aux légumes de Dakar. Ils tenaient compte des variations du marché
pharmaceutique. À partir de janvier 2004, le président Abdoulaye Wade
allait annoncer la gratuité des antirétroviraux, que des aides du Fonds
mondial et de la Banque mondiale, ainsi que des fonds dégagés par la
remise de la dette, permettaient de subventionner. Du jour au lendemain, les
médicaments qu’on trouvait en vente libre au marché à légumes de Dakar
disparurent des étals.
Le sida était ainsi devenu, à travers ces initiatives et plaidoyers, un sujet
de santé mondiale, et la santé un enjeu de politique internationale. Il
s’agissait de penser le monde différemment, comme on allait le revoir au
sommet de Rio sur le sujet de l’environnement. La France y avait joué un
rôle majeur et l’ANRS allait accompagner cette vision politique. Cette
conscience et cette solidarité internationale n’ont bien évidemment pas
existé lors de la pandémie actuelle !
« Il s’agissait bien des missions que m’assignait Bernard Kouchner dans
ma lettre de nomination de directeur de l’ANRS, en 1998, rappelle Michel
Kazatchkine. Deux ans plus tard, dans la même logique, il avait souhaité
que je fasse partie de la délégation diplomatique qui allait négocier la
constitution du Fonds mondial à Bruxelles pour plaider le rationnel
scientifique et politique de la nécessité de permettre l’accès aux traitements
dans les pays pauvres, en plus du rationnel éthique ou humanitaire. C’est
cette dynamique qui a lancé l’accroissement rapide de la part des
financements consacrée à la recherche dans les pays en développement à
l’agence et la croissance des sites dans les années 1999-2005. »
La stratégie d’accès aux antirétroviraux était cependant loin d’être
complète. Tandis que les résultats au Nord avaient validé l’efficacité des
médicaments à doses fixes, certains grands programmes internationaux de
financement de traitement anti-VIH se refusaient à utiliser ceux-ci, même
qualifiés par l’OMS, compte tenu de leur coût. C’est alors que le Cameroun
entra en lice. Plutôt que de suivre le programme Access par la mise en place
d’un partenariat négocié avec les organisations onusiennes et les
multilatérales pharmaceutiques, ce pays fut l’un des premiers à proposer
l’emploi des génériques en Afrique. Initié pendant la conférence de Durban,
en Afrique du Sud, ce fut l’objet, au début des années 2000, de négociations
entre le laboratoire indien fabricant de génériques Cipla et le gouvernement
camerounais. De tels médicaments bénéficiaient de circonstances
favorables. Les firmes pharmaceutiques qui, on l’a vu, avaient baissé leur
prix, s’étaient également résignées à la concurrence des génériques,
annulant le recours qu’elles avaient tenté, du fait de controverses et
d’appels à rétorsion. Les échanges sur Internet les traitaient de marchands
de mort ! En outre, la conférence mondiale de Barcelone, deux ans après
celle de Durban, avait vu naître l’initiative de l’OMS de passage à l’échelle
et de faire accéder au moins 3 millions de personnes aux antirétroviraux.
Génériques à doses fixes… Encore fallait-il les tester et démontrer leur
efficacité et leur innocuité. Ce fut l’objet d’un essai de l’ANRS effectué au
Cameroun par une équipe de l’Institut de recherche pour le développement
(IRD) avec la section suisse de MSF et, bien sûr, leurs partenaires
camerounais. L’équivalence avec les médicaments brevetés fut démontrée,
ce qui fut l’objet d’une publication dans la revue britannique The Lancet et
permit une diffusion en Afrique de traitements dont le coût était encore
réduit par deux. Le Cameroun fut le premier pays à en bénéficier. On allait
passer de 17 000 patients traités en 2005 à 75 000 en 2009, soit 46 % des
patients vivant dans ce pays avec le VIH, une des couvertures les plus
élevées d’Afrique de l’Ouest et centrale. Cet essai d’équivalence n’eut pas
seulement une répercussion sur le prix des médicaments, il eut une
importance symbolique, car il aura été le premier au monde à contribuer à
la signification politique que peut avoir une recherche.
Emblématiques et montrant la voie, les initiatives sénégalaises puis
camerounaises à travers les programmes de l’agence avaient ainsi fait tache
d’huile, pour ouvrir ces pays, mais aussi les pays voisins, à une politique
d’accès généralisé que les budgets de la Banque mondiale et du Fonds
mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme allaient
favoriser par la suite à travers la gratuité généralisée des médicaments. La
recherche avait ainsi apporté des arguments, au-delà de ceux éthiques, au
plaidoyer sur l’accès libre et gratuit des médicaments.
En 2005, sous l’ombre irisée des acacias, non loin des tentes rayées de
bleu, le directeur de l’ANRS Michel Kazatchkine et le président de l’IRD
Jean-François Girard, ainsi que le Premier ministre sénégalais en habit
traditionnel, Macky Sall, coupaient un ruban : celui qui scellait la création
du Centre régional sénégalais de recherche et de formation. Un peu en
arrière, Ibra N’doye pouvait se féliciter. Il avait été le principal artisan d’un
partenariat qui dure encore, depuis les mesures de prise en charge
thérapeutique jusqu’au développement de recherches innovantes sur le
monitorage des patients. Ce partenariat a un nom : le site ANRS du
Sénégal, le premier des sites ANRS à avoir été créé dans le Sud, quelques
années auparavant.

L’organisation des recherches au Sud


Il existait au début deux programmes français de soutien des recherches
dans les pays du Sud, l’une assurée par le secrétariat d’État à la
Coopération, l’autre par l’ANRS. Ces recherches étaient les mêmes,
assurées par les mêmes équipes, expertisées par les mêmes personnes.
Rapidement, il parut évident qu’il fallait simplifier les procédures, réaliser
un programme commun dont la coordination était assurée conjointement
par le directeur de l’ANRS et le directeur de la Santé et du Développement
social du ministère des Affaires étrangères. Il s’agissait surtout et avant tout
de favoriser une politique de partenariat et d’appropriation. Différentes
personnalités appartenaient au comité de pilotage de ce programme
commun, expertes en sciences sociales, membres des services du ministère,
ainsi que des personnalités étrangères, comme de l’Institut tropical
d’Anvers ou d’Onusida. Progressivement la composition allait changer,
notamment pour l’évaluation des programmes, accueillant des chercheurs
du Nord comme du Sud, et des membres votants d’associations du Sud. Au
début, les opérations furent limitées à un certain nombre de sites. À
Brazzaville, les tentatives d’établissement d’un programme dans cette ville
se heurtèrent rapidement à de nombreuses difficultés. Les équipes
françaises engagées sur place, jeunes et manquant d’expérience, limitaient
l’encadrement. L’engagement des partenaires africains n’était pas au
rendez-vous. À Kigali où certains coopérants, comme Philippe Van de
Perre, étaient établis et tentaient avec un laboratoire rudimentaire de
dépister et suivre l’épidémie, la guerre vint détruire les premières
installations. Elle obligea à rapatrier hommes et matériels dans des lieux
plus sûrs, Abidjan en Côte d’Ivoire et Bobo-Dioulasso au Burkina Fasso.
Bien vite on prit ainsi conscience que les recherches en partenariat ne
pouvaient se passer d’investissements et d’établissements pérennes,
devaient se structurer dans quelques lieux où se retrouvaient des équipes
françaises et locales, enthousiastes et complices, associant expertise et
volonté de coopération.
Les sites se construisirent ainsi progressivement : 1990 au Sénégal
autour de l’hôpital Le Dantec et le Centre hospitalier national de Fann ;
1994 en Côte d’Ivoire avec le CHU Freicheville d’Abidjan et un partenariat
de l’université Bordeaux-II ; 1994 au Burkina Fasso avec le Centre Muraz,
ceux de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso en partenariat avec l’université
de Montpellier ; 1999 au Cameroun avec l’hôpital militaire et l’hôpital
central de Yaoundé et la participation de l’Institut Pasteur ; en Asie du Sud-
Est : au Cambodge et Vietnam en 2000, en collaboration avec l’Institut
Pasteur de Phnom Penh et avec l’Institut Pasteur de Hô Chi Minh-Ville. Au
Brésil s’établit en 2001 une coopération dite de site, sans structure propre,
mais autour de programmes, en 2006-2007 en Égypte autour d’études sur
les hépatites. Les recherches à l’international de l’ANRS ne se limitèrent
pas à ces partenariats. Dépendant d’opportunités et de l’imagination de
nouveaux projets, de nombreux autres virent le jour en Afrique du Sud, au
Mali, au Togo, à Madagascar, en République centrafricaine, etc. Mais la
singularité en matière de politique publique venait de la notion de site
ANRS.

Les sites ANRS


Au fil des années, les coopérations avec le Sud prirent une importance
grandissante, non seulement à travers les opportunités et défis de la science,
mais dans le souhait, comme on l’a vu pour l’emblématique recherche sur
l’introduction des antirétroviraux, d’accompagner les politiques publiques
des pays partenaires. Chaque site ainsi labellisé reposait en effet sur le
principe d’une cocréation et d’une coévaluation des recherches effectuées.
Deux coordinateurs, l’un Nord, l’autre Sud, avaient la responsabilité des
activités. Indépendamment de leurs programmes de recherche, les sites
recevaient un soutien financier récurrent pour des équipements,
constructions ou rénovations de bâtiments, et en personnel.
À la différence des Américains, dont la recherche au Sud reposait sur
des prélèvements testés au Nord, l’ANRS avait privilégié des recherches
effectuées sur le terrain. Celles-ci s’appuyaient au début presque
essentiellement sur des équipes hospitalières qu’il s’agissait de renforcer et
d’aider dans la conception et la réalisation des études, principalement au
départ fondées sur des essais thérapeutiques et diagnostiques.
Progressivement, rejoignant en cela le modèle américain, les partenaires
allaient passer de l’hôpital aux universités locales, notamment en raison de
la nécessité et de l’opportunité de former des doctorants. Au Cameroun, au
Vietnam, au Cambodge, au Burkina Faso, les partenariats des recherches se
sont ainsi développés en ce sens. Il ne s’agissait pas en effet seulement de
produire des recherches mais aussi de contribuer à la naissance de jeunes
scientifiques avec lesquels se sont progressivement tressés des liens forts.
Des leaders internationaux sont nés de ces projets en coopération, certains
d’entre eux occupant par la suite des postes ministériels, comme au
Sénégal, au Burkina Faso, au Vietnam. Comme cela a été vu pour les
antirétroviraux, les recherches de l’ANRS ont accompagné et légitimé les
programmes de lutte des pays partenaires, appuyant les gouvernements dans
la mise à l’échelle de leurs résultats. Forts du modèle ANRS de
participation de la société civile, les sites ANRS ont permis de faire éclore
et de valoriser ses revendications. Le monde associatif local est entré
progressivement dans l’évaluation des projets au Sud et a soutenu la
légitimité des recherches effectuées. On se rappelle l’engagement militant
de certains, telle Christine Kafando, première femme burkinabé à signaler
sa séropositivité et à prendre la défense des « femmes sur tabouret » de
Bobo-Dioulasso, ces travailleuses du sexe, revendiquant leurs droits.
Les sites ANRS, à travers leurs partenariats, témoignaient d’une
présence et d’une expertise françaises à l’international. Sur le fond, il était
clair qu’ils représentaient un levier d’influence. S’agissait-il d’une stratégie
partagée par le ministère des Affaires étrangères ? Celle-ci, au moins au
début, était vécue comme telle par les politiques français. On se rappelle le
discours de Jacques Chirac à Abidjan, qui résonna jusqu’au Sénégal, pour
accompagner la mise en place du premier site de Dakar. Mais la
participation à une vision politique et diplomatique de la France, prégnante
dans les premières années, a progressivement diminué avec le temps,
symboliquement représentée par la disparition quasi complète de la
contribution budgétaire du ministère des Affaires étrangères. Les
ambassades apportèrent certes leur soutien, bien que de manière inégale,
selon la volonté des conseillers de coopération et des attachés scientifiques.
Avec le temps, les sites n’allaient plus être considérés par les diplomates
que pour leurs fonctions de recherches, sauf quand s’exerçait l’influence
politique de quelque personnalité locale issue de leurs rangs. Les
modifications heureuses de la maladie VIH avec les avancées
thérapeutiques ont probablement écarté le politique du rôle de soft power et
d’influence que jouaient les recherches sur le sida. Progressivement, ces
sites furent moins perçus comme un outil de coopération et de diffusion de
l’expertise française, d’impact sur les partenariats. L’écriture d’une
politique d’aide au développement passe moins aujourd’hui à travers eux
qu’aux premiers temps du sida. D’ailleurs, la demande des partenaires a
évolué, la recherche fondamentale y reprenant sa place, comme le rappelle
le Sénégalais Souleymane Mboup. Science et politique ne sont jamais très
éloignées et savent cependant se marier à nouveau lors des grandes crises
sanitaires comme Ebola.
Je crois avoir visité presque tous les sites pour une mission ou pour une
autre, notamment à l’occasion des réunions annuelles. Sous les étoiles
d’Asie du Sud-Est, en descendant le Mékong, entre bruits, odeurs et
couleurs d’Afrique, partout j’ai admiré la qualité des recherches, le
professionnalisme des jeunes chercheurs du Sud et la disponibilité efficace
des partenaires français. On retrouvait des études de toute nature,
d’épidémiologie moléculaire qui fit l’objet des premiers travaux sur la
circulation des souches virales, de l’instauration des traitements et de la
reconstitution immunitaire, comme de l’enjeu des génériques, qui vinrent
ensuite, des recherches opérationnelles allant de l’installation des
techniques de mesure de la charge virale et l’émergence de résistance aux
recherches en sciences sociales sur la vulnérabilité des femmes d’Afrique.
Certains de ces programmes, comme ceux concernant les antirétroviraux,
ont correspondu aux grands enjeux de prévention, de la transmission du
VIH aux comorbidités.

Retour d’Afrique
À la fin des années 1990, une mission de l’ANRS rapporte : « Les
projets de l’ANRS sur le continent africain font couler plus d’encre et de
salive que tous les autres protocoles réunis : choix méthodologiques,
produits à l’étude, comparaison à un placebo, responsabilité vis-à-vis des
populations, limites budgétaires, attitude des firmes, tout ou presque est
l’occasion d’une remise en cause. » À Yopougon, banlieue nord d’Abidjan,
un essai est en cours sur la prévention de la transmission materno-fœtale.
Un dispensaire accueille un médecin ivoirien et son équipe (quatre
assistantes sociales et une infirmière) qui effectuent les consultations
prénatales des femmes enceintes de la région. Il fait 35 degrés, la chaleur
est moite, suffocante, l’attente des patientes dure de deux à quatre heures
sur un banc d’écolier sans dossier. Plus loin, la salle d’accouchement, toutes
portes ouvertes sur la terre battue, accueille quarante femmes par jour alors
que sa capacité n’est que de quinze. Le budget de l’ANRS a permis de
construire au sein du dispensaire trois pièces ventilées un peu à l’écart des
consultations surchargées et du brouhaha des enfants. On y informe,
conseille et dépiste le VIH. Quand elles sont décelées comme séropositives,
et si elles acceptent – consentement éclairé de rigueur –, les participantes
sont incluses dans l’essai : au moment de l’accouchement, après respect des
calendriers de visite et de prélèvements, et bonne observance du traitement.
Ces futures mères n’hésiteront pas du fond d’une palmeraie, parfois à
20 kilomètres de la ville, à « biper » le médecin pour le prévenir de leur
arrivée. Mais de quoi s’agit-il ? De tester l’effet de l’AZT au moment de
l’accouchement pour prévenir la transmission du VIH au nouveau-né selon
des modalités d’intervention alors courantes à cette époque dans les pays du
Nord. Il a fallu cependant s’adapter à la situation. Le traitement prénatal de
la mère est restreint aux toutes dernières semaines avec une durée qui ne
dépasse pas le plus souvent deux semaines, contre douze dans les pays du
Nord. L’administration d’une dose de charge, suivie d’un traitement bref
d’une semaine après l’accouchement alors qu’il est de plusieurs semaines
au Nord. Ce choix n’est pas dû à des raisons économiques. Il s’agissait de
savoir si un protocole allégé qui tenait compte du contexte local était
néanmoins efficace. Menée contre placebo jusqu’en 1998, en regard des
résultats d’un essai similaire en Thaïlande, l’étude avait eu à tenir compte
de l’allaitement maternel courant en Afrique et de ses risques de
transmission par le lait qui, inconnus, risquaient de fausser les résultats. Il
fallut y substituer un lait en poudre et convaincre de l’utiliser. La mise en
route d’un tel essai, particulier par une prévention si différente du Nord, ne
s’était pas faite sans de nombreuses réflexions. Laurent Mandelbrot qui en
fut l’investigateur principal s’en souvient.
Les conditions locales l’avaient emporté et avaient légitimé une
coordination entre Abidjan et le Centre Muraz du Burkina Fasso. Était-ce
éthique ? Un essai américain assez proche utilisait également un bras
placebo. Un accord entre les deux programmes aurait permis de réduire le
nombre de femmes sans traitement, mais n’avait pu être obtenu. Alors on
s’adressa aux recommandations des comités du Nord, qu’il fallut
convaincre. Cela ne suffisait pas, le Sud devait s’exprimer. À Abidjan, il
fallut réveiller à cette occasion un comité d’éthique un peu endormi, peu
soumis à de telles sollicitations. Au Burkina, un comité fut quasiment créé à
cette occasion. Était-ce même faisable ? Ce ne fut pas simple et nécessita de
nombreuses réunions, trajets d’avion où l’on réécrivait les protocoles,
recommandations, évaluation des équipes. La ténacité paya. L’essai fut
déterminant et si la transmission ne fut pas diminuée autant qu’au Nord et
qu’on l’espérait, les résultats furent suffisants pour proposer l’utilisation
d’un régime court d’utilisation de l’AZT en routine. Par la suite, d’autres
essais allaient modifier le paysage telle l’utilisation de Viramune
(névirapine), puis l’adjonction des deux, avant que l’étude Keshabora
conduite au Burkina Faso, au Kenya et en Afrique du Sud, coordonnée par
l’OMS, ne vienne proposer de nouvelles guidelines en 2010 avec
l’utilisation de la trithérapie depuis le dernier trimestre jusqu’à six mois
d’allaitement.
La charte de l’ANRS
Le début des années 2000 fut un nouveau tournant. On assistait à une
progression dramatique de l’épidémie qui atteignait en 2001 plus de
40 millions d’adultes et d’enfants dont 95 % dans les pays du Sud.
L’Afrique restait la plus touchée, mais l’incidence augmentait aussi en Asie
(140 %), au Moyen-Orient (100 %), en Russie et en Europe de l’Est
(130 %), incluant toutes les couches de la société. Cette année-là, 3 millions
de personnes devaient décéder du sida. Les conséquences sur l’économie,
les systèmes de santé, l’éducation et le développement étaient dramatiques
et contribuaient à accroître la pauvreté. L’espérance de vie avait reculé en
Afrique subsaharienne de quinze ans. Devant cette évolution
catastrophique, la communauté internationale s’était mobilisée. Nous avons
vu l’initiative d’accès de l’antirétroviral de l’Onusida, qu’accompagnait la
campagne des ONG, dont MSF, plaidant en leur faveur. Les fondations
privées, telles que les Bill and Melinda Gates Foundation, Clinton
Foundation, Rockefeller Foundation, Mandela Foundation, débloquèrent
des fonds pour la prévention et l’accès aux soins. Ces différents
programmes et le développement du marché des génériques permirent
d’obtenir la réduction de 80 à 90 % des coûts des antirétroviraux. Des
politiques nationales, notamment au Brésil, au Sénégal, en Thaïlande, les
accompagnaient. La France avait pris sa part et proposé un jumelage
interhospitalier de « solidarité thérapeutique », le programme Esther, pour
la formation des médecins intervenant dans la prise en charge des patients et
le partage d’expérience dans le maniement des antirétroviraux. C’est
également en 2001, à la suite de la réunion de l’assemblée extraordinaire
des Nations unies, qu’a été créé le Fonds mondial de lutte contre le sida, le
paludisme et la tuberculose, adoptant en première mesure une série de
subventions en faveur des programmes nationaux de prévention et prise en
charge dans les pays du Sud. Accompagnant cet effort international,
l’ANRS allait donner une place croissante à ses recherches dans le Sud,
multipliant par trois le budget qui leur était dédié. En même temps, on
s’était rendu compte, comme cela s’était produit pour les recherches sur la
transmission materno-fœtale, combien le contexte du Sud était particulier :
pénurie hospitalière, inégalité d’accès aux soins, faible investissement en
recherche, absence de cadre réglementaire et, comme nombre d’essais
l’avaient démontré, faiblesse voire absence de comités d’éthique.
Il parut ainsi indispensable de réfléchir aux conditions d’exercice des
essais, d’en préciser les règles éthiques, ainsi que les bonnes pratiques qui
devaient encadrer leur mise en œuvre. Une charte pour les pays en
développement fut ainsi envisagée. Elle vit le jour en 2002, s’appuyant sur
les rapports internationaux de référence dont la déclaration d’Helsinki de
2000 ou encore la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.
Bien évidemment cette charte avait été établie après de nombreux débats et
concertations avec les multiples partenaires africains de l’ANRS. On
pouvait en dégager trois grands principes.
Le partenariat devait impérativement s’afficher dans tous les types de
gouvernance des recherches : comités d’évaluation, groupes de réflexions,
actions coordonnées. Il était indispensable que ces diverses commissions
soient mixtes et d’y faire participer des personnalités du Sud. De plus, tout
projet en gestation devait être soumis aux autorités locales avant sa mise en
place, conduisant ainsi au préalable à un accord officiel.
Une protection accrue des personnes devait être garantie : un comité
indépendant devait étudier le respect des conditions éthiques, l’application
des bonnes pratiques, la validation des résultats obtenus. Lors
d’interventions thérapeutiques, il était nécessaire que l’ANRS soit
promotrice, s’engageant par une assurance de responsabilité civile à couvrir
patients et investigateurs.
La prise en charge médicale des patients était certes assurée pendant
toute la durée de la recherche, mais surtout un engagement était requis
auprès des autorités nationales pour que celle-ci soit prolongée au cours de
l’essai et permette ainsi à ceux qui y avaient participé de bénéficier des
résultats.
Cette initiative éthique, conceptuelle autant que logistique, allait ainsi
encadrer les activités des sites ANRS et leur coordination, qui s’étaient
progressivement accrues au fil des années. Un tel tournant accompagna les
innovations thérapeutiques proposées, tels les microbicides, produits
toxiques contre le VIH à usage local, utilisés en agents de prévention, mais
qui furent remplacés par la suite par d’autres mesures telle la PrEP ; ou
encore des techniques nouvelles de mesure de charge virale, à moindre coût
que les kits onéreux diagnostiques des grandes firmes pharmaceutiques,
mises au point et évaluées dans des réseaux Nord-Sud sous l’impulsion de
Christine Rouzioux. On parlait de science, mais aussi de formation, ou de
cette recherche dite opérationnelle, si près des patients qu’on en guidait les
soins, si proche des systèmes de santé qu’on créait de nouvelles pratiques.
L’éthique y trouvait son compte et mieux qu’ailleurs encore une nouvelle
justification, car la recherche faisait ingérence pour lutter contre la
stigmatisation des homosexuels ou le rejet des jeunes filles infectées.

Questions qui cherchent réponses…


au Sud
Le Sud, qui s’ouvrait aux antirétroviraux, bruissait de questions sur leur
utilisation. On avait les produits, au moins certains d’entre eux, mais il
s’agissait aussi de savoir quand les utiliser. On se référait aux
recommandations de l’OMS, d’ailleurs qui se modifièrent au cours des ans
entre 2008 et 2012. Personne n’osait contrer cette parole aussi établie que
les tables de la loi. Elle avait cependant un défaut pour ceux qui, nombreux,
pensaient qu’il fallait intervenir tôt, sans atteindre un déficit immunitaire
marqué par une chute symbolique des CD4. L’ANRS décida de départager
les assertions des premiers et les désirs des seconds par un protocole à deux
bras, intervention précoce ou retardée. L’essai Temprano, au nom de code
qui fait allusion au temps qui passe, fut sans appel. Traiter précocement
réduisait de près de la moitié les complications opportunistes et autres
manifestations secondaires. Pied de nez aux directives internationales, on
montrait de plus l’utilité d’un traitement préventif de la tuberculose. Les
résultats firent l’objet d’une communication soignée en 2015 lors du
congrès américain sur le VIH et ses infections opportunistes, le CROI. Les
montagnes enneigées de Vancouver et les gratte-ciel proches, leurs images
sur l’océan, renvoyaient les webcasts de l’annonce en ondes circulaires.
Tuberculose ? Le mot était jeté et avec lui la stratégie de prévention de
cette redoutable infection opportuniste qui jouait avec le déficit immunitaire
ou plutôt sa reconstitution un étrange jeu de chat et souris. Car s’il existe
une infection patente lors de la brutale remontée des lymphocytes, les
cellules immunitaires, réagissant avec force contre les germes étrangers,
créent une réponse inflammatoire si forte que, voulant lutter contre
l’infection opportuniste, elle dépasse son but et devient toxique pour le
malade, responsable de cas mortels. En bref, l’immunité restaurée autant
qu’attendue était pire que le mal qui profitait de sa faiblesse pour se
disséminer. Restait ainsi à comprendre et édicter le moment le plus
favorable pour introduire l’un et l’autre des deux traitements, contre le VIH
et le bacille de Koch, l’agent de la tuberculose. Si l’on débutait en toute
logique le traitement antituberculeux, combien de temps fallait-il attendre
pour mettre en route le traitement antirétroviral ? L’OMS n’avait osé
trancher et, faute de données fiables, avait proposé un large intervalle de
deux à huit semaines, un retard de traitement qui pouvait être lourd de
conséquences puisque le déficit immunitaire ne pouvait que s’accroître de
ce fait. L’organisation internationale s’en était remise aux initiatives
étrangères, en l’occurrence des Français et des Américains, qui
s’associèrent pour répondre à la question ou plutôt au défi. Les alliés
décidèrent de faire l’essai au Cambodge dans deux hôpitaux de la capitale
et deux centres provinciaux. L’étude se déroula avec célérité et permit de
rendre hommage aux investigateurs khmers. Les résultats furent sans appel.
Il valait mieux débuter tôt les traitements contre le VIH, après un traitement
mis en route contre la tuberculose deux semaines auparavant. Ce schéma de
prise en charge était susceptible d’éviter chaque année dans le monde
150 000 décès parmi les 450 000 cas de patients co-infectés par ces deux
microbes. L’OMS sut s’en servir et, des résultats d’un essai, faire une
nouvelle directive.
Au demeurant, collaboration étroite de l’ANRS et des NIH, cet essai eut
à intégrer trois séries de préoccupations, les unes liées aux bonnes pratiques
cliniques, les autres à la charte éthique de l’ANRS et ceux enfin de la cour
américaine de la federal regulation. Mais, au-delà, ce fut surtout un
exemple remarquable de recherche opérationnelle contextuelle. Il fallait
mettre en œuvre ces standards dans des centres sans expérience de
recherche clinique parfois compliquée de déficit de logistique et de
différences culturelles. Il fallait former, coordonner et agir à la fois. Lutter
contre les difficultés structurelles du système de santé, car l’étude
nécessitait pour les investigateurs un investissement supplémentaire au
quotidien dans un contexte de travail où l’activité scientifique restait peu
valorisée. La traduction en termes de santé publique fut cependant
immédiate : intégration du démarrage précoce des antirétroviraux et
renforcement des équipements dans les hôpitaux de Phnom Penh. En même
temps les associations de patients s’étaient mobilisées, familiarisées avec la
recherche clinique et constituées en community advisory board, un collège
qui servit pour des études ultérieures. Car il en eut beaucoup d’autres dont
celle, du nom de code PAANTHER, qui visait à améliorer le diagnostic de
la tuberculose chez les enfants infectés par le VIH, effectuée au Cambodge
mais aussi au Vietnam, au Burkina Faso et au Cameroun entre 2011 et 2015.
Des premiers essais une règle demeura : dans tous les pays à forte endémie
tuberculeuse, on ne pouvait traiter le sida sans penser à la tuberculose et
réciproquement.

Circoncision
Une des énigmes de l’épidémie africaine, qui en comportait beaucoup,
était la différence de prévalence entre les régions du continent. Certes on
pouvait l’attribuer intuitivement à nombre de caractères distinctifs, qu’un
quidam peut noter quand il parcourt l’Afrique du nord au sud, d’est en
ouest, comme liés à autant de cultures, de mœurs, d’habitudes, de
comportements sexuels, de politiques éducatives, migratoires, bref de
sociétés différentes.
On aurait pu s’arrêter là et se réjouir de la relativement faible
prévalence du VIH en Afrique du Nord, de l’Ouest et centrale par rapport à
l’Afrique australe et de l’Est. Certains avaient voulu s’y intéresser. Il y eut
d’abord une discrète lettre du New York State Journal of Medicine de 1986
qui émit l’hypothèse d’un rôle protecteur de la circoncision, plus fréquente
dans les zones d’Afrique où la prévalence du VIH était relativement faible.
Cette lettre fut suivie d’études suggérant que de nombreuses autres
hypothèses étaient également possibles : polygamie, prostitution, âge au
premier rapport sexuel, âge au premier mariage, rôle facilitateur des autres
infections sexuellement transmissibles… L’énigme resta en jachère jusqu’à
ce qu’une équipe internationale cherche à la résoudre en menant une
enquête comparative auprès de plus de 8 000 personnes à la fin des années
1990 dans quatre grandes villes africaines, un projet soutenu entre autres
par l’ANRS. Parmi les investigateurs, Bertran Auvert, qui travaillait
régulièrement en Afrique depuis 1985, fut frappé lors de l’analyse des
données par le fait que, parmi les nombreux facteurs étudiés, seuls la
circoncision et l’herpès génital étaient corrélés au niveau de prévalence du
VIH. L’hypothèse du rôle protecteur de la circoncision redevenait ainsi
crédible.
Cette étude observationnelle était cependant bien insuffisante pour
convaincre d’utiliser la circoncision comme nouvelle méthode de
prévention en Afrique. En effet, corrélation n’équivaut pas à une preuve
physiopathologique. Prouver que la circoncision peut expliquer, au moins
en partie, les différences de prévalence en Afrique nécessitait une étude
expérimentale. De quoi s’agissait-il, sinon de comparer l’effet de la
circoncision entre deux groupes, selon l’habitude qu’a maintenant le lecteur
des essais contrôlés ? C’est à ce protocole que Bertran Auvert s’attela. Il
fallut batailler, et avant tout convaincre les commissions scientifiques de
l’ANRS que l’étude était faisable et qu’elle serait utile. Ce ne fut pas si
simple. Onusida affirmait qu’un tel essai n’était pas éthique. Prévenir une
infection sexuellement transmissible par un acte chirurgical était osé et loin
des habituelles recherches cliniques qui passaient par l’emploi des
médicaments dont on avait avec le temps une bonne habitude. Il s’agissait
d’une tout autre technique de prévention dont on pouvait comprendre
qu’elle déroutait, tant elle pouvait se heurter à des préjugés et habitudes
culturelles et religieuses.
Restait aussi à savoir où tester l’hypothèse. On en revenait à l’Afrique
du Sud pour les mêmes raisons que précédemment. Il fut décidé de mener
cette étude dans un bidonville qui jouxtait Johannesburg, à Orange Farm.
Le budget une fois obtenu de l’ANRS, en 2002, après accord du comité
d’éthique local, le protocole démarra en collaboration avec des scientifiques
sud-africains. Une étude préliminaire montra que dans cette communauté la
prévalence du VIH chez les jeunes femmes de 30 à 34 ans atteignait 50 %.
Ironie de l’épidémiologie, celle-ci montra aussi que les hommes circoncis
d’Orange Farm n’étaient pas moins infectés que les autres ! Selon le
protocole, l’essai comparait deux groupes, l’un circoncis d’emblée, l’autre
deux ans plus tard. Circoncis ? La circoncision n’était pas une méthode
totalement méconnue dans la population de ce bidonville. Près de 12 % des
habitants avaient subi cette opération dans leur adolescence, ce qui limitait
l’étonnement de ceux à qui l’on venait proposer l’acte chirurgical. Car, au
demeurant, il fallut trouver des volontaires, les uns pour accepter de subir
sans risque de surinfection l’ablation du prépuce, les autres pour l’effectuer.
Ce furent les trois médecins généralistes d’Orange Farm qui se chargèrent
des interventions, les réalisant sur la petite table opératoire de leur cabinet
médical. On allait y diriger tous ceux qui, hommes de 18 à 24 ans sollicités,
avaient accepté de participer à l’étude et de suivre les conduites de
prévention, de surveillance et, bien sûr, de circoncision à un temps ou
l’autre. L’équipe constituée sur place associant les autorités et les
associations locales fut chargée de recruter les 3 200 hommes nécessaires à
l’obtention de résultats significatifs, de les faire répondre à un
questionnaire, d’obtenir un consentement éclairé, de les suivre dans le
temps et de prélever les échantillons biologiques. Il n’y eut que quelques
incidents chirurgicaux minimes car l’acte avait été codifié par un urologue
universitaire de Johannesburg. Les résultats furent éloquents : la
circoncision protégeait très significativement et réduisait de 60 % le risque
d’être infecté. Des physiopathologistes expliquèrent ce résultat par le fait
que la face interne du prépuce était une muqueuse contenant des cellules
cibles du VIH, et que sa suppression par la circoncision réduisait d’autant le
risque d’infection. Donnée complémentaire, la contamination par l’herpès
génital était également réduite.
Il y a un moment où, au bout de toute recherche scientifique, après cette
satisfaction qu’on peut éprouver devant les résultats démontrant une
hypothèse, se pose la question de son application. Pour un scientifique,
c’est souvent se confronter à un autre métier. On laisse à d’autres, autorités
locales ou internationales, organisations non gouvernementales ou
industrielles, le soin de mettre en place l’application de la science.
Concernant la circoncision et son effet, les données étaient là. Qu’allait-on
en faire ? Si l’on voulait aller aux limites de l’aventure, il restait à passer à
l’échelle, celle de la population, la vraie vie. C’était une tout autre affaire.
Bertran Auvert, non sans inquiétude devant l’ampleur de la tâche,
s’engagea cependant dans cette voie. Il proposa de mener une grande
campagne de circoncision dans tout le bidonville d’Orange Farm qui
comportait environ 110 000 adultes. Était-ce du ressort de l’ANRS ?
L’agence recula un moment devant la difficulté, à moins qu’elle ne préférât
être confortée par de nouveaux résultats. Ce qui fut le cas, car des essais
américains conduits au Kenya et en Ouganda vinrent confirmer en 2007
l’essai d’Orange Farm qui datait de 2005. L’OMS et Onusida
recommandant alors l’utilisation de cette technique de prévention du VIH
en Afrique, il s’agissait de passer à l’acte. Ce ne fut pas si simple. Il fallut
d’abord vaincre ou ignorer à nouveau certains préjugés ou croyances, tel
celui du Conseil national du sida qui trouva cette méthode discutable. Il
fallut également lutter contre l’hostilité des ONG du Nord, notamment celle
du TRT-5 qui pensait que cette étude négligeait les femmes, que la
circoncision ruinerait les efforts du « tout-préservatif » et faciliterait la prise
de risque, risquant paradoxalement d’augmenter l’épidémie.
Heureusement, les activistes sud-africains vinrent à la rescousse pour
soutenir le projet et l’agence donna son autorisation… ainsi qu’un budget.
On put se passer de l’acceptation incertaine d’un comité d’éthique officiel
du Nord, pour ne consulter que celui de Johannesburg qui y fut favorable.
Orange Farm resta le lieu choisi pour la nouvelle aventure. Pour les
chercheurs, ce fut une autre affaire. Une équipe de quatre-vingts personnes
fut recrutée pour cette campagne de circoncision de masse qui dura cinq
ans, de 2008 à 2013, et associa du porte-à-porte à l’utilisation des médias
locaux. La logistique chirurgicale dut être à l’unisson. Une clinique
médicalisée installée dans un centre commercial, dont les box étaient cachés
par des rideaux, abritait une équipe de chirurgiens opérant à temps plein.
Dans les premiers temps, les locaux furent attaqués par une équipe
d’opposants dont on ne sut jamais qui les animait. Mais la population suivit.
Les enquêtes épidémiologiques répétées de manière régulière montraient
que la méthode s’appliquait sans difficulté notable, une majorité adhérant à
cette nouvelle prévention. Après environ 20 000 circoncisions, lorsque le
dernier prépuce tomba dans le bassinet, Bertran Auvert put se féliciter. Il
avait tenu le pari qu’il s’était fixé. La circoncision s’appliquait en routine.
Les chiffres lui donnaient raison. L’analyse des données collectées lors de
cette étude montra en effet que la proportion d’hommes circoncis était
passée de 12 à 53 %, que les hommes circoncis n’avaient pas modifié leur
comportement sexuel et que l’effet sur le VIH était à la hauteur des
espérances. Chez les hommes circoncis les résultats étaient bien semblables
aux précédents. C’était la première fois qu’une méthode de prévention de la
transmission hétérosexuelle s’avérait efficace en population. On observa
aussi que celle-ci était très favorable pour les femmes, qui bénéficiaient
indirectement de l’effet protecteur de la circoncision.
Cette étude opérationnelle eut, comme l’essai randomisé, un
retentissement international. En prenant modèle sur les travaux d’Orange
Farm, les Américains et le Fonds menèrent alors des campagnes de
circoncision de masse dans quatorze pays africains prioritaires. Ainsi, près
de 20 millions d’Africains à risque en Afrique australe et de l’Est furent
circoncis. Ces campagnes ont coûté 4 milliards de dollars et évité plusieurs
centaines de milliers d’infections à VIH.

Où l’on reparle de prévention


L’épidémie faisant rage au Sud, il apparut bien vite qu’une attitude
limitée à l’emploi des rétroviraux, certes indispensable, ne suffisait pas.
L’utilisation des microbicides, un temps envisagée, restait une mesure
précaire, difficile à adapter à toute situation et culture. D’ailleurs, l’ANRS
ne s’était pas jointe aux programmes en cours et en avait arrêté l’évaluation.
Il fallait une autre stratégie, qui soit à la hauteur des enjeux et du nombre de
personnes menacées. Ce fut l’objet de la réflexion d’un groupe d’experts
français et internationaux, réunis en 2009 à l’agence pour discuter d’une
approche qui, sans être nouvelle, car elle reposait sur l’utilisation des
antirétroviraux pour bloquer la transmission, méritait d’être essayée au Sud.
Le traitement systématique de toute personne infectée dès que dépistée,
utilisé ainsi comme moyen de prévention, qui semblait possible au Nord,
était-il applicable au Sud et, mieux encore, efficace ? L’année suivante,
décision prise, l’agence se portait promoteur d’une telle étude. Il avait fallu
examiner et rechercher avec grande attention le terrain d’une telle
expérimentation. On devait en effet, si l’on voulait démontrer le quelconque
effet d’une telle stratégie, opérer dans une région où l’incidence était forte.
La carte du monde offrait diverses possibilités, mais il était aussi nécessaire
de disposer de possibles équipes et de soutiens logistiques que toutes ne
permettaient pas. On choisit le Kwazulu Natal, qui correspondait aux
critères nécessaires. L’Afrique du Sud ne faisait pas partie des sites ANRS,
mais elle était prête à accueillir une telle recherche. La prévalence du VIH y
était de 20 % (une personne sur cinq infectée) et l’incidence de 3 %.
De quoi s’agissait-il ? La stratégie consistait à proposer un dépistage
volontaire répété tous les six mois, puis, une fois décelés les individus
séropositifs, à leur proposer différentes modalités de traitement selon leur
appartenance à une aire géographique. Un tirage au sort avait réparti deux
modalités entre les aires. Dans un cas les sujets infectés se verraient offrir
un traitement immédiat quel que soit l’état du déficit immunitaire, dans
l’autre, un traitement selon les directives sud-africaines et internationales
seulement proposé à un taux bas de lymphocytes CD4 (inférieur à
350/mm3). Les habiles calculs des statisticiens avaient montré qu’il fallait
inclure 8 000 personnes pour espérer avoir une conclusion significative. Sur
le papier, le schéma paraissait simple, les conclusions attendues porteuses
d’un grand espoir, le moyen d’enrayer une quasi inéluctable transmission à
portée de main. Un conseil scientifique fut mis en place, dont la présidence
confiée à Bernard Hirschel, celui-là même qui en avait préconisé l’emploi
dans une proposition qui avait fait long feu au Nord. On s’associa aux
équipes sud-africaines, avec une organisation locale de lutte contre le sida et
l’African Center de la fondation britannique Wellcome Trust heureusement
situé, en base arrière, dans cette région d’Afrique. Au demeurant, l’essai
n’intéressait pas seulement les épidémiologistes, divers projets de sciences
humaines et sociales y étaient joints.
Fin 2012, tout était en place. La première phase de l’étude pouvait
débuter. Ce qui au début semblait simple allait se révéler cependant plus
difficile que prévu. D’abord il avait fallu réunir des équipes de plusieurs
dizaines de personnes prêtes à s’impliquer dans une telle mise en œuvre. Or,
dans cette région d’Afrique, connue pour ses plages autour de Durban, sa
savane qu’entourent des montagnes, l’habitat rural, fait de maisons en
torchis couvertes de toits de chaume ou parfois en tôle ondulée, est avant
tout dispersé. En rase campagne, point de villages, mais des maisons
isolées, séparées l’une l’autre par des kilomètres de mauvaise piste
poudreuse. Lorsqu’on arrivait à la porte d’une modeste habitation, l’accueil
était certes courtois, mais un rien suspicieux.
Après avoir salué le chef de famille qu’on s’était fait désigner, tout le
monde s’asseyait par terre, le responsable de l’équipe des saigneurs au
centre, l’ordinateur contre sa poitrine avant de l’ouvrir et de montrer les
chiffres. Les palabres commençaient. Il fallait expliquer l’épidémie, la
contagion qui rôdait, les risques que faisaient encourir les sujets infectés si,
bien sûr, il y avait rapports sexuels. « Que les volontaires lèvent la main »,
s’exclamait-il. À chacun d’accepter d’être testé, un examen de dépistage
rapide, qui serait bien sûr suivi d’une confirmation et d’une mesure de CD4.
On n’en avait pas fini, car la participation à l’étude faisait passer sous les
fourches caudines du tirage au sort et de son suivi, traitement ou non, qu’il
fallait aller chercher dans un dispensaire voisin. Une fois les premières
explications terminées, on allumait l’ordinateur. Encore fallait-il trouver
une prise électrique compatible, souvent éloignée, à l’autre bout de la case.
Et, sortant les bandelettes du test, on attendait les questions, on regardait les
sourcils froncés qui cachaient le doute ou plutôt la gêne. Car comment
imaginer ce que serait la vie, l’avenir au sein de la famille, de celui ou celle
détecté(e) positif(ve), et qui pourtant allait poursuivre les gestes de tous les
jours au milieu du clan. Et puis, si le tirage au sort l’y poussait, aller
chercher sans se faire repérer des autres les médicaments qui lui seraient
attribués chaque mois.
Certes on tenta de créer des réseaux de distribution et même des
cliniques mobiles qui évitaient de se faire remarquer, tard le soir ou encore
les dimanches, mais la suspicion, mieux, l’exclusion rôdait, et la
participation à l’étude comportait une part de risque majeure : être montré
du doigt, mis à l’écart du groupe, quand ce n’était pas la famille, celui des
voisins. De plus, pour compliquer la tâche, nombre des hommes de cette
région d’Afrique migraient des mois entiers pour chercher du travail
ailleurs et disparaissaient des écrans. Quand les enquêteurs en 4 × 4
revenaient, six mois plus tard, on ne trouvait que des populations de
femmes. L’étude n’eut pas les succès escomptés, du moins sur l’efficacité
du procédé appliqué à cette population d’Afrique. La prévalence ne fut pas
modifiée, le « test et traite » n’entraîna pas de modification de la
transmission, un résultat attribué aux conditions de mise en œuvre plus qu’à
un échec du principe, ou plutôt de la tactique et de ses freins. La preuve du
concept ne pouvait se faire en Afrique du Sud, dans une population
marquée par la pauvreté et les effets de longue durée de l’apartheid,
obligeant à la migration des jeunes vers des zones d’emploi. Restaient
d’intéressantes études en sciences humaines et sociales, que le terrain et
l’essai avaient heureusement fécondées.
L’ANRS rattrapée par les politiques
publiques
Je me souviens, au Vietnam, d’une de nos premières rencontres avec les
autorités, au ministère de la Santé. Un grand salon, rideaux tirés comme
souvent au Sud pour échapper à la lumière. Deux rangées de fauteuils de
bois aux sièges matelassés. Au centre, le ministre qu’entourait un interprète
qui traduisait en douceur chacune de nos phrases. Le politique hochait la
tête, dégageant un large sourire de temps à autre. Le moment était
d’importance. La délégation, à laquelle Françoise Barré-Sinoussi et moi-
même appartenions, était conduite par Michel Kazatchkine, alors directeur
de l’ANRS. Le sujet était très politique. Nous devions, ou plutôt voulions,
débuter un essai – dépistage et traitement – au Vietnam. Les circonstances
n’étaient pas si simples, car il s’agissait d’une population particulièrement
exposée, celle des usagers de drogues. Or le Vietnam d’alors n’avait
imaginé d’autre quarantaine que la prison, ou un équivalent, pensant que de
ses dures leçons sortirait une sorte de réhabilitation. Ces centres de
réhabilitation accueillaient des usagers de drogues, qui y séjournaient sans
pouvoir en sortir pendant plusieurs mois, certains placés par leur famille, ou
à la suite de rafles policières, ou encore sur les « conseils » de travailleurs
sociaux. Une mesure avant tout discriminatoire, terrible aussi, vu les
conditions d’emprisonnement. Un moyen également d’isoler les contagieux,
tout en leur offrant le choix d’une rédemption, car ceux-ci étaient porteurs
de nombreuses infections.
Adeptes des shooting galleries, ils avaient utilisé des seringues qui
passaient de bras en bras. Une première étude effectuée au centre de Binh
Trieu, situé près de Hô Chi Minh-Ville, financée par l’ANRS, avait
introduit une énigme : plus de 90 % d’entre eux étaient infectés par les virus
des hépatites B et C, mais une proportion bien moindre était porteuse du
VIH. Soumis aux mêmes règles d’exposition, y avait-il un contrôle
particulier de ce virus ? L’étude avait ainsi pour but de comparer les patients
co-infectés par le virus de l’hépatite C et du VIH, à ceux infectés seulement
par celui du VIH. L’ANRS, étant promotrice de l’étude, se devait de
financer le traitement des personnes participant à la recherche, si elles le
nécessitaient. C’est ainsi que les premiers antirétroviraux du Vietnam sont
arrivés au bénéfice des patients de Binh Trieu. Il n’en fallait pas plus pour
évoquer un essai thérapeutique dont le bénéfice serait double, médical pour
les patients, politique aussi, en montrant du doigt la stigmatisation et
l’exclusion, et que la recherche se jouait des barrières discriminatoires. Pour
autant, il fallait s’assurer que, l’essai une fois terminé, le traitement ne serait
pas interrompu et pourrait être poursuivi. On ne pouvait guère compter pour
cela sur le gouvernement vietnamien. Des contacts furent pris avec Pepfar,
le plan américain d’aide d’urgence à la lutte contre le sida à l’étranger que
le président George Bush avait lancé en 2003. L’assurance une fois donnée
qu’il n’y aurait ainsi pas de rupture thérapeutique, condition dont il fallait
d’ailleurs s’assurer pour chaque essai, l’étude commença cette même année
des débuts de Pepfar : une trithérapie à prise unique quotidienne, chez de
tels patients, une fois ambulatoires, sortis du centre.
L’essai fut mené avec succès, et après lui bien d’autres études qui
s’éloignèrent des interdits sociaux et de l’exclusion. Des dizaines d’années
plus tard, le dialogue reprit sous une autre forme. Poussé par les bailleurs
internationaux et une situation désastreuse, le gouvernement souhaitait
faciliter la distribution de méthadone chez les usagers de drogues. À charge
pour chacun d’entre eux de conduire au centre de distribution quelques-uns
de ceux soumis à la même addiction afin qu’ils puissent profiter du
programme de substitution médicamenteuse. La ronde… L’ANRS allait y
participer par une intervention communautaire de prévention et soin pour
limiter le risque de transmission du VIH et de l’hépatite C en lien avec cette
mesure de politique publique. Les rôles s’étaient inversés, et la recherche
était sollicitée pour aider à la lutte contre les infections… contre la
stigmatisation aussi.
CHAPITRE 7

Les hépatites et les infections émergentes

Le 25 novembre 2013, l’ANRS célébrait les vingt-cinq ans de son


existence. Magnifique événement en soirée, la Cinémathèque de Paris
accueillait le président de la République, François Hollande, qui honorait la
manifestation de sa présence et de son haut patronage, ainsi que les trois
anciens et actuel directeurs de l’agence. Sur les gradins, dans les coursives,
se pressait la foule de tous ceux, scientifiques, membres des associations,
médias, partenaires du Sud et d’autres institutions, qui avaient contribué à
faire de l’agence ce qu’elle était devenue : un des premiers moyens de lutte
contre le VIH. Les applaudissements, cris et youyous ponctuaient la
projection sur grand écran de quelques dizaines d’enregistrements des
principaux protagonistes. Un ton émouvant, parfois humoristique, racontait
pêle-mêle les étapes, les succès, et aussi les perspectives de la science qui
avait accompagné les combats contre l’infection, la discrimination et la
stigmatisation. Certes il s’agissait de recherche, mais tous les orateurs
devaient rappeler qu’elle était présente – et avait été soutenue – pour
contribuer à servir les malades, répondre aux questions de santé publique,
insistant sur l’importance qu’avait jouée l’interaction entre scientifiques
d’expertises diverses, médecins, biologistes, sciences humaines et sociales,
et la rencontre avec les malades, leurs proches, leurs associations. Ce jour-
là, pont posé entre les messages d’avenir et ceux du passé, était aussi une
occasion particulière. Il s’agissait de lancer un nouveau logo pour l’agence.
La marque dévoilée sur les écrans géants avait nécessité durant de
nombreux mois un long travail de réflexion et de consultation. Plus qu’un
dessin, elle revêtait une valeur symbolique : la reconnaissance de ce qui se
faisait déjà depuis plusieurs années, les recherches sur les hépatites. De
nombreux plaidoyers, émanant notamment des infectiologues, hépatologues
et virologues, avaient œuvré pour que cette nouvelle mission sur les
infections virales du foie rejoigne celle sur le sida, en 1999 pour l’hépatite
C, 2004 pour l’hépatite B. Les images du VIH et des virus des hépatites
s’entrecroisant derrière celles des officiels de la direction en témoignaient.
Certes, les partenaires des années écoulées avaient tous souligné
l’importance scientifique et médicale des travaux sur les hépatites que
l’agence avait soutenus, l’ombre du VIH dans le logo antérieur occultait
cependant leurs succès. Chacun reconnaissait le poids de l’histoire, mais
l’agence devait honorer sur sa nouvelle marque la lutte contre les infections
du foie. Au demeurant, la nouvelle identité illustrait aussi les recherches au
Sud qui leur étaient communes. Sur le nouveau logo du jour de l’ANRS, on
pouvait lire le mot FRENSH dont les lettres F pour France, RE pour
recherche, N pour Nord et Sud, S pour sida et H pour hépatites associaient
thèmes et ambitions… Recherches sur les hépatites : le président de la
République allait en répéter l’importance dans cette soirée de
commémoration : « Cette agence a été créée dans les premières années du
sida pour y répondre. Mais votre mission va au-delà du sida puisqu’elle
concerne aussi les hépatites. Vous en avez rendu compte dans votre nouveau
logo. C’est une marque et en même temps une conviction. »

L’hépatite C d’abord
Dans le courant des années 1970, Harvey J. Alter, un spécialiste du sang
travaillant aux NIH, identifiait des infections du foie, hépatites, qui,
survenues après transfusions, n’étaient pas dues à l’un ou l’autre des deux
virus connus pour en être la cause, le virus des hépatites A, VHA, et celui
des hépatites B, VHB. Pendant une décennie, malgré de nombreuses
tentatives internationales pour identifier le probable virus qui en était
responsable, les hépatites non A non B, ainsi qu’on les appelait alors,
étaient restées sans agent décelable. Ce ne fut qu’en 1988 que l’existence de
ce virus put être prouvée grâce à une nouvelle approche de clonage
moléculaire, ce qui valut à son auteur, Michael Houghton, d’être associé à
Alter pour l’obtention du prestigieux prix Lasker en 2000 et du prix Nobel
en 2020. Ce délai de deux ans entre la remise du prix Lasker et la
découverte était suffisant, et peut-être rendu nécessaire, pour que s’engage
une bataille d’experts autour des prises de brevet. L’industriel Chiron, qui
avait à tenir compte de la part jouée par le Centre de contrôle des maladies,
fut pris à partie par l’un de ses scientifiques qui fut débouté devant une cour
d’appel pour quelques centaines de millions de dollars de royalties. Fort de
ses droits, le développement des tests de dépistage, dont l’intérêt pour les
malades primait légitimement sur celui financier des industriels, allait
réduire de manière drastique les risques d’hépatites transfusionnelles,
passant aux États-Unis de 30 % en 1970 à proche de zéro en 2000.
Ce nouvel agent, petit virus à ARN baptisé, selon la rigoureuse liste
alphabétique, virus de l’hépatite C, le VHC, se trouva rapidement intégré
dans une famille de virus déjà connus pour être responsables de la peste
porcine ou d’autres affections transmises par les arthropodes, moustiques et
tiques. L’hépatite C, quant à elle, est bien transmise par le sang (ainsi que
l’avait décrit sa première évocation). Latent, torpide, le VHC peut rester des
années sans se manifester, infectant des porteurs sains pourtant capables de
transmettre l’infection et la maladie, qui, quand elle se déclare, peut
entraîner une cirrhose du foie, et dans 10 % des cas un cancer. De fait le
VHC ne donne le plus souvent aucun signe ou symptôme lors de son
intégration dans l’organisme, sinon des anomalies biologiques, pouvant
passer inaperçu dans près d’un tiers des cas, occasionnant ailleurs chez une
minorité de patients baisse de l’appétit, fatigue anormale ou, plus évocateur,
un ictère, la fameuse jaunisse.
En 1999, l’ANRS fut chargée d’une nouvelle mission qui élargit son
territoire d’action : les recherches sur l’hépatite C, officialisant et
prolongeant le soutien que l’agence apportait aux comorbidités depuis
quelque temps déjà, notamment, comme on l’a vu, sous l’influence des
associations. Cette année-là, cette infection atteignait environ 170 millions
de personnes dans le monde, dont plus de 6 millions en France. La réunion
d’une série d’experts du domaine en février, le plaidoyer de nombreux
cliniciens hépatologues et de virologues ou encore l’affaire du sang
contaminé, qui avait trouvé un épilogue tardif en faisant comparaître
Laurent Fabius et trois de ses ministres pour homicide involontaire, avaient
sans doute été déterminants pour ouvrir l’agence à d’autres microbes
indésirables et à risque. Possible conséquence du rôle que le ministère de la
Santé avait joué dans la décision, les premières missions confiées à l’ANRS
furent de développer une recherche clinique et thérapeutique et d’allier ses
budgets aux crédits de recherche hospitaliers que le ministère mettait à la
disposition des pathologies.
Que la recherche sur les hépatites rejoigne celle sur le VIH était
logique. Il s’agissait d’accompagner et de renforcer l’aide au dépistage, de
favoriser la prise en charge médicale par une recherche de pointe, de plus
les populations atteintes étaient, pour nombre d’entre elles, infectées par les
deux virus. La comorbidité était courante chez les usagers des drogues
injectables et ceux qui avaient été soumis à des risques transfusionnels. De
plus, l’ANRS disposait d’un budget que les décideurs souhaitaient
diversifier, et l’agence avait fait montre des qualités nécessaires à la mise en
place des essais thérapeutiques, du dessin des protocoles aux centres de
méthodologie, et de la logistique à installer. L’institution savait associer les
spécialistes de disciplines diverses, virologues, cliniciens, épidémiologistes,
méthodologistes, biologistes et, bien sûr, des experts en sciences humaines
et sociales ainsi que les associations de patients. Certes, on allait s’appuyer
sur des partenaires différents de ceux du VIH, sur les services spécialisés
des maladies du foie ou de médecine interne et d’autres réseaux ville-
hôpital ou groupements associatifs. Comme le rappelait un virologue, on
put reconnaître qu’au sein des services de virologie, ou de nombre d’entre
eux, les spécialistes des hépatites n’étaient pas ceux du VIH qui avaient
depuis longtemps pignon sur rue. Mais ne partageaient-ils pas les mêmes
laboratoires, chefferie de service, structures de recherche et nombre de
techniques ? Forte son expérience, l’ANRS n’eut aucun mal à mobiliser les
uns, à réunir les autres, à créer des réseaux interdisciplinaires qui faisaient
son originalité et sa force, et à demander aux programmes de recherche
clinique qu’on associe les compétences des humanités. Si, curieusement, les
premières missions furent seulement limitées à ces tentatives et mesures de
recherche clinique, il devint vite évident qu’il fallait s’engager dans les
divers domaines qui, de la recherche fondamentale aux soins, concernaient
toutes les problématiques de l’infection. Rapidement, comme le modèle
ANRS le voulait, une nouvelle action coordonnée fut mise sur pied et réunit
en son sein scientifiques, cliniciens et biologistes, afin de dessiner des
priorités de recherche, mettre en place des mesures d’animation et surtout
créer des réseaux qui allaient rapidement incorporer les stratégies de
l’agence pour l’étude de l’hépatite C.
Dès mars 2000, quelques mois seulement après qu’on lui eut confié ces
objectifs, l’ANRS avait dégagé d’importantes sommes pour financer dix-
huit programmes de recherche, des bourses, quatre essais thérapeutiques et,
point d’actualité si l’on en juge la demande sociale, des études évaluant les
risques associés à la procréation assistée chez les couples sérodiscordants.
Physiopathologie et santé publique ne furent pas oubliées. L’arrivée de
l’hépatite C ne bouleversa qu’à la marge l’agence, qui mit en phase son
expérience avec l’ambition de ses commanditaires. Hépatite C car, ainsi
qu’il a été dit, la recherche sur les hépatites, même étendue rapidement à
divers aspects de cette pathologie, ne concernait de manière limitative au
début que ceux liés à ce type de virus et ses conséquences. La virologie
médicale, précédemment dédiée au seul VIH, allait se mettre à l’unisson et
dresser des mesures quantitatives fondées sur la biologie moléculaire.
Beaucoup restait à faire en épidémiologie pour caractériser les modes de
contamination et les réservoirs, analyser le sort des usagers de drogues et de
ceux qui vivaient en milieu carcéral. On retrouva la nécessité des études
socio-économiques sur la stratégie de prise en charge des patients, les
obstacles du dépistage, les facteurs de risque, et de manière plus spécifique
les mécanismes de l’atteinte hépatique, leur prévention ou progression. Un
bon exemple de telles études est l’enquête Coquelicot sur la prévalence du
VIH et des hépatites chez les usagers de drogues lancée en 2004, après une
phase d’étude de sa faisabilité.
Ces enquêtes répétées à intervalles réguliers continuent à fournir des
données originales en 2021 ! Certes les essais cliniques prenaient le pas –
patients obligent – sur les autres modes de recherche, du moins au début,
mais leur lourdeur et le nombre de produits disponibles en ces temps
historiques en limitaient le nombre et l’imagination. Parmi les produits dont
l’efficacité semblait possible, régnait une molécule au nom barbare,
l’interféron pégylé. De quoi s’agissait-il ? L’interféron est une molécule
inflammatoire, cytokine, produite par le système immunitaire en réponse
aux agressions microbiennes, sorte de défense innée et certainement
primitive. Injecté dans le sang, l’interféron était rapidement détruit et, de
plus, éliminé dans les urines. Une amélioration de son emploi s’était
profilée grâce à la conjugaison avec une autre molécule, permettant d’éviter
sa dégradation. Plusieurs études avaient montré l’efficacité d’un tel produit
contre le VHC. Mais, en utilisation solitaire, le traitement était insuffisant.
D’un autre côté les laboratoires Shering Plough avaient souligné l’intérêt
d’un médicament qui avait un certain effet. Il avait un nom : la ribavirine.
Essayé contre l’hépatite C, il montra une certaine efficacité.
Il fallut quelque imagination pour tenter d’associer les deux produits
interféron pégylé et ribavirine, dont l’action sur le VHC, bien
qu’insuffisante pour chacun, pouvait légitimement se complémenter. Cette
bithérapie, d’emblée proposée, fit l’objet de certains programmes en y
associant des molécules innovantes, telles d’autres cytokines, pour tenter
d’en amplifier encore l’activité. Les chercheurs de l’ANRS et leurs
publications trouvèrent aisément leur place dans de telles études qui allaient
tirer profit des divers plans de lutte que le ministère allait élaborer en
matière de santé publique, tous les trois ans, à partir de 1999. Les travaux
de recherche thérapeutique en suscitèrent d’autres pour tenter de déceler de
nouveaux biomarqueurs, déterminants de la cirrhose, de ses premiers
stades, la fibrose, de la vitesse de progression de l’une ou l’autre de ces
complications, ainsi que du cancer qui en découlait. Celles-ci, redoutables,
avec un taux annuel pour le VHC de 4,5 ‰ , se répartissaient entre les
cirrhoses, deux tiers des cas, le reste aux cancers. C’est dire l’intérêt de
recherches sur les marqueurs non invasifs pour éviter les délicates
ponctions biopsies du foie et prévoir ainsi leur évolution. De manière
semblable au VIH, on s’intéressa à quelques protéines qui pouvaient être
cibles d’une réponse immunitaire ainsi que de comprendre le mécanisme
d’entrée du VHC dans les hépatocytes, les cellules du foie, ses récepteurs
cellulaires, ses mécanismes de fusion. On étudia la capacité du virus à
développer des anticorps neutralisants. Profitant de l’observation mise en
place pour le VIH, on s’intéressa, évidence oblige, aux doubles infections,
par des travaux qui firent rejoindre les intérêts des deux catégories de
scientifiques qui travaillaient sur ces pathologies virales. Symboliquement,
l’agence qui régnait sur les deux y développa sa pleine ambition. On
retrouvait aussi des préoccupations qui avaient été celles de l’infection VIH,
les dangers de transmission mère-enfant qu’il fallait contrôler, l’importance
des infections à virus C au Sud, où un foyer en Égypte fit l’objet d’un grand
programme et suscita l’identification d’un site ANRS. Les sciences
humaines et sociales furent bien évidemment de la partie, en particulier
concernant l’observance thérapeutique chez les sujets multitraités, les
usagers de drogues, les patients en situation de précarité. Le coût des
thérapeutiques audacieuses, notamment après transplantation hépatique,
dont les premiers résultats déjà en 2008 prouvaient qu’elles pouvaient être
proposées, fit l’objet d’estimations.

L’hépatite C guérie
L’évolution des thérapeutiques apparut un coup de tonnerre dans un
paysage scientifique en évolution. Stimulés, les industriels avaient en effet
développé un nombre non négligeable de nouvelles molécules qui, si l’on
s’en réfère aux enzymes qui furent aussi la cible des anti-VIH, cherchaient à
avoir une activité sur les protéases. L’infection virale, quelle qu’elle soit, est
en effet conditionnée par une série d’étapes : fixation et pénétration des
virus, réplication et intégration, puis maturation et libération. Agir sur la
maturation virale, à l’intérieur des cellules, mécanisme majeur, empêche
ainsi la production de nouveaux virions et la propagation de l’infection.
L’action inhibitrice des antiprotéases fut dominante en matière de lutte
contre le VIH. Il en fut de même concernant les drogues qui s’adressaient
au virus de l’hépatite C. La contribution des chercheurs français, des études
de cohortes françaises et de l’ANRS dans la compétition internationale fut
majeure. De plus, les résultats issus des cohortes à différents bras de
traitement ont nourri les recommandations thérapeutiques nationales par les
groupes d’experts, comme ce fut le cas avec le VIH.
Un temps, le développement des antiprotéases fut limité par des
problèmes de tolérance. De plus il fallait pour tester ces médicaments les
associer d’abord à la bithérapie déjà en place : interféron pégylé et
ribavirine. Au même moment survenait un difficile problème de résistance,
qui nécessita la création d’un réseau d’étude qui dépassa les frontières pour
s’allier notamment à l’expertise allemande. Différents essais, par et avec les
industriels, en 2011 et 2012, favorisés par la mise sur le marché de la
première génération d’inhibiteurs de protéase, représentèrent une avancée
thérapeutique majeure pour les patients atteints d’hépatite C chronique.
Quand les antiprotéases sont associées aux traitements en cours, les études
montrent une augmentation de plus d’un tiers des réponses, par rapport à la
bithérapie standard, avec une réponse virologique prolongée chez les trois
quarts des patients en rechute. On écrivait déjà à cette époque que
l’irruption de telles molécules, appelées antiviraux à action directe, devrait
permettre dans les années qui suivraient des améliorations certaines. Pour la
première fois, l’éradication du virus de l’hépatite C semblait envisageable.
Cet optimisme ne fut pas démenti. Mieux, les efforts de l’industrie et des
essais thérapeutiques allèrent plus vite encore. Les antiviraux de seconde
génération, qui apparurent fin 2013, allaient entraîner une guérison
supérieure à 90 %, associée à un meilleur profil de tolérance. Avec la
montée en charge de cette thérapeutique, ce furent plus de 3 000 patients
qui furent ainsi traités avec succès dans le second trimestre 2014. Tandis
que les premiers traitements, souvent mal supportés, nécessitaient six à dix
mois d’observance, les nouvelles drogues qui apparurent en seconde puis en
troisième génération permirent progressivement de supprimer l’interféron
pégylé et la ribavirine, des prises orales simples et des traitements de
quelques semaines. De nombreux industriels étaient entrés en compétition,
Gilead, Janssen, Bristol Mayer Squibb, AbbVie… Les indications
augmentaient. D’abord réservés au stade de fibrose hépatique et de
comorbidité, les antiviraux à action directe furent bien vite dispensés aux
patients à risque, tels les usagers de drogues, puis, depuis 2017, furent
étendus à l’ensemble des sujets infectés, guérissant la quasi-totalité des
patients. La mortalité diminua en conséquence. Le coût de ces traitements
parut un temps insupportable. Presque plus de 15 milliards d’euros durent
être remboursés par l’assurance maladie entre janvier 2014 et juin 2015. Le
coût extrêmement élevé auquel les premiers médicaments de Gilead ont été
vendus, en disproportion majeure avec le coût de production, est resté un
cas d’école de la façon dont les firmes sont libres de fixer des prix
invraisemblables (80 000 euros par traitement), a fortiori quand il n’y a pas
de concurrence comme c’était le cas au début pour le sofosbuvir. Le coût
actuel du traitement générique est de 800 dollars américains ! Le prix baissa
par la suite à des valeurs raisonnables, suivant en cela la chute des prix des
antirétroviraux. L’optimisme apparut dans toutes les bouches au point que
l’OMS fixait un cadre mondial pour l’éradication virale à l’horizon 2030. Il
fallait bien avoir des lendemains qui chantent.
Au moment où il quitta l’agence, en 2017, Jean-François Delfraissy
pouvait se féliciter que l’engagement financier de celle-ci sur les hépatites
soit passé de 5 à 8 % à près d’un tiers de son budget ; et noter qu’elle avait
accompagné une révolution thérapeutique, même si cette dernière était allée
si vite que la contribution de l’agence à celle-ci était « restée moindre que
prévu ».

Ce n’est pas fini !


Ces améliorations spectaculaires eurent quelques effets sur les
recherches physiopathologiques concernant l’hépatite C. Je me souviens
d’un jour où, penché sur l’expression d’une structure virale comparable à
celle trouvée sur l’enveloppe du VIH, cherchant à comprendre l’effet du
VHC sur le système immunitaire, nos partenaires nous firent remarquer que
le succès des traitements risquait de rendre nos réflexions obsolètes. Cédant
à l’impression ambiante, ces données furent un temps rangées dans un
placard. Pourtant, suggérant qu’il y avait encore des travaux sur la rage
même si elle se prévient aujourd’hui, Jean-Michel Pawlovsky, un virologue
leader du domaine, exhortait les scientifiques à s’intéresser encore à
l’hépatite C et continuer des recherches sur le sujet. Il énonçait que
l’apparition des cancers restait un point majeur, pour lequel il fallait
décrypter le rôle direct de l’inflammation et de la cirrhose, comme
d’ailleurs d’autres complications des hépatites C, telle l’apparition de
maladies auto-immunes.
L’agence n’en avait pas fini avec la lutte contre les hépatites virales.
Plus la guérison de l’hépatite C s’observait, plus il fallait une mobilisation
comparable pour guérir de l’hépatite B qui sévissait encore et dont l’agence
avait hérité quelques années après l’hépatite C. La recherche sur
l’hépatite B vint compléter dès 2004 les missions de l’ANRS. Un service
dédié à l’ensemble de ces recherches fut alors créé au sein de l’agence de
sorte que 2004 peut être considérée comme la date de l’autonomisation de
l’ANRS comme agence de recherches sur les hépatites.
Tandis que le virus de l’hépatite C est un virus à ARN, celui de
l’hépatite B est un virus à ADN, capable de rétrotranscription, transmis par
la salive, le sperme et les sécrétions vaginales, qui se multiplie dans les
cellules hépatiques. En 2014, au moment où les recherches à son propos
prenait leur essor, cette affection atteignait 250 millions de personnes dans
le monde. Elle constituait la première cause de cancer de foie, le carcinome
hépatocellulaire.
Dans les pays qui disposaient de ressources financières, dont la France,
les traitements permettaient une suppression du virus mais non son
éradication. La réplication virale, si elle peut être contrôlée, à l’instar du
VIH, n’est pas éliminée, les traitements doivent être prolongés pour obtenir
une latence. Il devenait ainsi indispensable de trouver de nouvelles cibles
thérapeutiques. On devait se mobiliser sur tous les fronts, et d’abord à
travers le suivi de cohortes.
Mêlant un temps les hépatites B et C, l’ANRS avait mis sur pied dès
2012 une cohorte nationale des hépatites baptisée Hepather, dans l’objectif
de suivre leur évolution sous traitement. 25 000 patients, à l’exclusion des
co-infections avec le VIH, devaient être inclus et recrutés dans une trentaine
de centres en France. Les données allaient servir à une meilleure prise en
charge de l’infection avec l’ambition de mieux comprendre les mécanismes
liés aux succès thérapeutiques des uns, aux échecs des autres, d’analyser les
effets des traitements au long cours et de tenter de mettre en évidence des
biomarqueurs prédictifs. Comme attendu de son savoir-faire, on retrouvait
derrière une telle organisation le modèle de suivi que préconisait l’agence,
associant autour des patients et des problèmes posés par la maladie des
spécialistes d’origines diverses, infectiologues, virologues, cliniciens et
fondamentalistes, physiologistes, épidémiologistes, sans oublier les
chercheurs en sciences humaines et sociales à qui l’on demandait, entre
autres, d’évaluer le rapport coût/efficacité des traitements et la qualité de
vie des patients. Tous virus confondus, cette cohorte, par son ampleur et par
son ambition, dépassa les initiatives de l’ANRS. Elle allait impliquer dans
sa réalisation un partenariat avec l’Association française pour l’étude du
foie, l’Institut national de veille sanitaire, aujourd’hui Santé publique
France, l’Agence de santé, la Haute Autorité et la Direction générale de la
santé. Les industriels avaient été conviés autour de la table, introduits par
une filiale de l’Inserm, Inserm Transfert, chargée d’assurer les diverses
facettes des subtilités de négociation du prix des médicaments et des
brevets. L’industrie n’était pas seule à assurer le financement, une initiative
publique, le grand emprunt, y participait. Le tableau d’une telle mise en
place ne serait pas complet si on oubliait les associations de patients, et un
volet particulier ayant trait à l’international par des collaborations
italiennes. L’ANRS fit rejoindre le flot de cette cohorte à celui d’autres, si
bien que, comme le souligna Stanislas Pol, un de ses principaux
investigateurs, Hepather allait devenir une des plus importantes sources de
données au monde pour les hépatites virales.
Mais il fallait plus encore. En même temps qu’on s’inquiétait du devenir
des patients atteints de l’hépatite B, maintenant que ceux infectés par le
VHC trouvaient leur résolution, il devenait indispensable de s’inquiéter de
nouvelles cibles hépatiques contre le VHB. Le cycle viral devenant de
mieux en mieux connu, l’agence accueillit de nouveaux programmes de
recherche pour en exploiter les données. Des modèles de souris humanisées
par des xénogreffes ou des cellules souches furent ainsi mis au point. Grâce
à eux, on vit ainsi combien et comment la réplication virale pouvait être
contrôlée par les récepteurs des sels biliaires ou encore l’intérêt de
nouvelles stratégies d’immunothérapie. De nouveaux partenariats
industriels furent recherchés pour lutter par de nouvelles drogues contre la
forme circulaire du génome viral responsable de sa persistance. À l’instar
de ce qui avait été créé pour le VIH, un programme « HBV cure » vit ainsi
le jour.
A, B, C, les virus des hépatites n’avaient pas tout dit, ou plutôt leur
historiographe, car un nouveau virus fit son apparition à l’agence en 2017,
celui de l’hépatite E. Ce n’était pourtant pas une découverte récente. Ce
virus à ARN qui se transmet par la viande fut pour la première fois décrit en
1955 au cours d’une épidémie à New Delhi. Fréquent dans les pays du Sud,
il infecte 20 millions de personnes dans le monde et est responsable de
plusieurs dizaines de milliers de décès annuels. Se penchant sur cette
nouvelle problématique, les scientifiques soutenus par l’agence choisirent
de réfléchir à de nouveaux tests de dépistage et de tenter de visualiser le
virus par microscopie électronique. L’histoire des hépatites est donc loin
d’être finie et encore moins décrite. Le logo de l’ANRS peut continuer
d’abriter sous son sigle de nombreux programmes qui leur sont dédiés et
réveiller les applaudissements qu’on avait entendus à la Cinémathèque de
Paris.

Quand l’ANRS rencontre l’émergence


infectieuse
Il faut ici s’arrêter un instant et tenter de porter un regard critique sur la
manière dont les tutelles gouvernementales envisagent la recherche
médicale. Celle-ci est peu conçue par ces décideurs comme un instrument
de la lutte sanitaire. Les ministères concernés, ceux de la Santé et de la
Recherche, mais aussi des Affaires étrangères et du Budget, ont des liens
très insuffisants, quand ils n’entrent pas parfois en compétition, pour
concevoir une politique d’ensemble. Certes le sida fut un contre-exemple,
mais les programmes de l’agence montrèrent combien l’expertise
scientifique dans tous ses états, en biologie, médecine, sciences humaines et
sociales, fut utile à l’avancée des mesures préventives thérapeutiques et de
santé publique. Or l’examen historique concernant les maladies infectieuses
indique que les décisions gouvernementales furent prises avec retard, en
silo, enfermant les travaux dans des goulots thématiques, sans vue
d’ensemble, sans regard prospectif. Il suffit de se rapporter aux dates, qui
plaident pour elles-mêmes. L’ANRS fut créée en 1988, soit cinq ans après
la découverte du virus par les équipes françaises, et n’eut d’existence
administrative réelle (création du GIP) que quatre ans plus tard.
Il fallut attendre onze ans, sous la poussée des associations de malades
et de l’opinion publique, pour que l’agence se voie confier la mission de
s’intéresser aux hépatites – d’ailleurs seulement à l’hépatite C, puisqu’une
autorisation de financer les recherches sur l’hépatite B ne vint qu’en 2004.
Il fallut ensuite attendre l’apparition du Covid-19 pour que, une longue
année après l’apparition de l’épidémie de SARS-CoV-2, l’ANRS reçût
instruction de travailler sur celle-ci et les autres qui pourraient surgir,
comme s’il s’agissait d’une initiative originale. Encore s’agit-il seulement
d’épidémies virales. La feuille de route de la nouvelle agence, que consacre
un troisième logo, laisse de côté plus d’une vingtaine de maladies tropicales
émergentes parasitaires ou bactériennes qui atteignent 1 milliard d’hommes
et que la France, comme d’autres, continue de négliger. L’agence n’a pas
vocation non plus à s’intéresser à la résistance aux antibiotiques,
considérable fléau qui nous menace à l’échelle mondiale. Alors que
beaucoup constatent le déclin de la recherche médicale française, ne faut-il
pas voir qu’un des facteurs qui le favorise est l’absence d’un regard
d’ensemble, d’une vision prospective qui intègre la science à ses
applications de santé publique ?
De fait, pendant plusieurs années, les recherches sur le sida et les
hépatites de l’ANRS allaient être menées parallèlement, mais
indépendamment, de celles dédiées aux autres épidémies naissantes qui
secouèrent le monde dans les deux premières décennies des années 2000.
Les recherches conduites dans la lutte contre ces épidémies le furent dans
un cadre différent, sans soutien ni coordination par l’agence. Il fallut le
Covid-19 pour officialiser un mariage de raison qui aurait pu et dû avoir
lieu bien plus tôt si les enjeux de l’émergence infectieuse avaient
suffisamment mobilisé les décideurs politiques.
Il faut ici revenir en arrière sur le rôle de la recherche en temps
d’émergence infectieuse, et les initiatives qui furent proposées par Jean-
François Delfraissy pour la prendre en compte. Traiter de l’émergence, s’y
préparer, mobiliser la recherche dès sa survenue, non seulement dans la
lutte contre la maladie, celle-ci une fois installée, pourraient sembler aller
de soi pour qui s’intéresse aux épidémies. Mais ce serait ne pas tenir
compte de certaines décisions politiques qui voudraient que le sujet ne se
traite que lorsque le mal est visible. J’en avais moi-même fait l’expérience à
certaines occasions et les plaidoyers portaient peu. S’agissant de sécurité,
cela peut sembler paradoxal alors que le principe de précaution est débattu
pour d’autres catastrophes, telles celles concernant le climat. Il y a, en
France, une absence criante de réflexion sur les questions de santé mondiale
et d’interdépendance dans la santé. La recherche sur les maladies
émergentes est pensée dans un esprit d’aide au développement plutôt que de
coconstruction d’une sécurité sanitaire mondiale. La prévention et la
préparation à l’assaut épidémique ne faisaient pas partie des politiques
publiques de recherche. C’est pourtant à ce sujet que Jean-François
Delfraissy, alors directeur de l’ANRS, mais aussi de cet institut sans mur
constitué au sein d’Aviesan (Alliance nationale pour les sciences de la vie et
de la santé, associant sans personnalité morale, donc sans pouvoir juridique,
les établissements de recherche, les universités et les hôpitaux) autour de
l’immunologie et de l’infection, s’est attaqué à partir de 2009. Il s’agissait
de mettre la recherche aux premières loges des mesures prises en cas de
survenue d’une nouvelle épidémie. En 2009, l’épidémie de grippe H1N1
allait lui donner l’occasion de vérifier la portée d’une telle réflexion. La
recherche et la production scientifique devaient s’organiser dans l’urgence
et être coordonnées.
La recherche dans tous ses états, de l’opérationnel au fondamental –
faut-il le rappeler ? –, est un des premiers moyens de lutte contre la
propagation d’un danger infectieux. La placer sous la responsabilité de
l’ANRS aurait été simple, mais, s’agissant d’une menace d’un nouveau
microbe, il y avait les textes qui limitaient les ambitions de l’agence, et son
budget, au sida et aux hépatites. Les orientations ministérielles ne
permettaient pas d’en déroger. S’intéresser aux nouvelles épidémies, c’était
dépasser le cadre autorisé et enfreindre les limites des missions autorisées
par la gouvernance. Jean-François Delfraissy n’était pourtant pas homme à
se laisser arrêter par ces contingences. Il décida de créer une autre structure
qu’on baptisa Reacting, le suffixe anglophone « -ing » insistant sur
l’opérationnel, en action, ou plutôt en réaction. Il ne suffisait pas cependant
de réunir des équipes, chercher des volontaires, convaincre des chercheurs,
trouver un logo d’attaque. Encore fallait-il disposer d’un budget, à défaut
d’une décision politique qui n’était pas là. Un dossier fut alors déposé à
l’appel d’offres sur les instruments d’avenir, une initiative liée au grand
emprunt, chargée de déceler et soutenir des projets ambitieux… et d’avenir.
Par deux fois, le projet fut présenté et retoqué. La recherche sur
l’émergence infectieuse n’intéressait pas, ou en tout cas pas suffisamment,
même parmi les pairs qui faisaient partie du jury chargé de sélectionner les
dossiers. « Ce que vous proposez n’est pas de la recherche, dit-on poliment
à Jean-François Delfraissy. Se préparer à traiter de l’émergence n’entre pas
dans nos choix [ni dans les canons de la science classique]. Continuez à
vous intéresser à ces épidémies dont vous avez la charge. » Bref, pas de
soutien des agences de financement. La structure était là, mais sans budget.
Le ministère lui-même semblait peu intéressé, ne comprenant pas
les besoins ni ne prenant la mesure de ce qui était proposé. Dans les
bureaux de l’administration, les recommandations mettaient l’accent sur un
point d’interrogation, de ceux qu’on met en bout de phrase non pour poser
une question, mais pour s’interroger sur la pertinence de cette structure. À
quoi cela peut-il correspondre ? Aucun des critères de choix, aucune
décision ministérielle n’y répondait.
Survint la crise d’Ebola en Afrique de l’Ouest, qui fit véritablement
parler d’elle en avril 2014. Fin mars, se souvient Jean-François Delfraissy,
lors d’une réunion un soir à l’Inserm, se trouvaient son directeur André
Syrota, Alain Mérieux, président de l’Institut Mérieux, ainsi qu’Hervé
Raoul, directeur du P4 Jean-Mérieux de Lyon, un de ces laboratoires
hautement protégés où l’on isole les virus dangereux. Une nouvelle en
provenance de celui-ci parvint : on venait d’y isoler la dernière souche
Ebola dans les prélèvements des premiers morts de Guinée, un résultat sans
appel permettant de donner un nom à l’épidémie. On fit passer les plateaux-
repas, mais les réflexions prirent plus de place que la nourriture : c’était la
première fois qu’une telle découverte était faite en France. Si le dîner vint à
son terme pour que les hôtes lyonnais puissent prendre leur TGV à temps,
l’histoire n’allait pas s’arrêter là. Très vite l’épidémie prit de l’ampleur.
Alors que les premiers secours à y répondre furent ceux de Médecins sans
frontières, l’ONG internationale se tourna vers Reacting, qui se mit à pied
d’œuvre.
L’OMS n’intervint que plus tard, rattrapant ce délai par des moyens
autrement plus importants. Confronté à la nécessité d’une recherche
opérationnelle, Jean-François Delfraissy pensa d’emblée qu’il fallait
engager l’ANRS. Mais comment le faire sans enfreindre les directives,
sinon en engageant les sites impliqués dans la région ? Liée par ses
objectifs, l’agence ne pouvait y mettre directement des moyens. Il fallait
tenter d’y associer les partenaires du Sud. Mi-juillet, une réunion fut
organisée avec les sites ANRS de Dakar, de Côte d’Ivoire et du Cameroun.
Il s’agissait de leur suggérer d’intervenir, sans déroger à leur autonomie de
décision. La réponse fut immédiate. Xavier Anglaret, chercheur Inserm, à
partir du site de Côte d’Ivoire où il travaillait, Éric Delaporte, professeur de
l’université de Montpellier, à partir de celui de Dakar et du Cameroun, et
leurs partenaires africains intervinrent immédiatement en Guinée.
L’Inserm prit le relais en septembre. Les activités, essais thérapeutiques,
cohorte des survivants, furent rapidement en place. La mise en œuvre
n’était pas si simple. À la différence des NIH qui pouvaient à tout instant
donner ordre à leurs chercheurs de répondre à une demande de la direction,
les initiatives françaises respectaient le volontariat. Qui, cet été-là, voulut
bien arrêter toute recherche pour se dévouer à une cause humanitaire et
comprendre que la science y trouverait son compte autant que les malades ?
Ce fut cependant le cas. L’ANRS, indirectement ou plus directement mais
sans le dire, soutint Reacting, attendant des subsides européens qui vinrent
fin 2014 et permirent d’accompagner la crise à son terme en juin-
juillet 2015. Pendant cette période, Jean-François Delfraissy, alors délégué
interministériel, avait remis la direction de Reacting entre les mains d’un
professeur de l’hôpital Bichat, chef du service des maladies infectieuses,
Yazdan Yazdanpanah. On devait retenir de l’expérience Ebola le rôle de
cette structure, Reacting, qui y avait trouvé son bien-fondé,
l’accompagnement de l’ANRS, même s’il fut largement à travers ses sites
au Sud, mais aussi, pour la première fois, le lien avec les grandes ONG
internationales, MSF, Médecins du monde, et les anglo-saxonnes telle
Alima. En même temps, de nouvelles questions de science s’étaient
construites, comme celles qui liaient métabolisme et infections encore
aujourd’hui traitées à Abidjan.
Arriva l’épidémie de Zika, fin 2015 et 2016. Reacting intervint à
nouveau avec l’aide de quelques mini-appels d’offres émis contre les règles
par l’ANRS. Quand Jean-François Delfraissy quitta les deux directions, de
l’ANRS et de l’ITMO d’Aviesan, fin 2016, tout était en place. Mais dans
quel but ? L’agence d’un côté, Reacting de l’autre étaient des entités
distinctes, travaillant dans des locaux séparés, avec des objectifs différents.
D’ailleurs Jean-François Delfraissy fut remplacé par deux directeurs, un
pour chacune des deux structures, l’une pour traiter du sida et des hépatites,
disposant des finances, l’ANRS, véritable agence de moyens avec sa propre
gouvernance, conseil de surveillance, conseil scientifique, actions
coordonnées, commission d’évaluation, etc., l’autre sans moyen, couvert
par Aviesan, sans personnalité morale, sans budget, sans personnel ou
presque, pour traiter de toutes les épidémies du futur. Elles se succédèrent :
épidémies de fièvre de Lassa, de peste, de Marburg, de Zika, de
chikungunya. Mais il s’agissait du Sud. L’alerte était pour les autres. Si l’on
voulait faire de la science humanitaire, les chercheurs n’avaient qu’à se
débrouiller. Le ministère veillait à maintenir sa vision. Peu importaient les
exceptions que représentaient l’ANRS et l’INCa, l’institut dédié au cancer,
il fallait se plier aux règles administratives, séparer les agences de moyen et
d’évaluation des établissements de recherche, éliminer la programmation et
l’animation, refuser la réflexion sur les partenariats internationaux,
maintenir l’éclatement des structures et, niant tout intérêt du continuum
pour la recherche en santé, ne retenant aucune des leçons apprises des
associations de malades, maintenir la recherche clinique d’un côté financée
par le ministère de la Santé et la recherche fondamentale de l’autre
subventionnée par le ministère de la Recherche à travers son agence
nationale. Les épidémies n’avaient qu’à se débrouiller, à moins qu’elles ne
fassent mieux parler d’elles. Cette étrange situation, pour laquelle on
trouvera des partisans, n’appelle-t-elle pas une réflexion ? L’État a-t-il
compris ce qu’est la recherche médicale ? Après tout, la création des centres
hospitalo-universitaires, les CHU, fut l’ambition d’une poignée de
visionnaires…
Mais qu’avait changé Ebola dans l’organisation de la recherche
mondiale ? Était-ce un coup de feu sans lendemain ? une alerte sans suite ?
Pendant toutes ces années, le monde prit conscience du danger et
s’organisa. D’abord, il y eut d’autres initiatives nationales, qui, à l’instar de
Reacting, se sont créées dans divers pays. Le Royaume-Uni disposait déjà
du Wellcome Trust, le Canada, le Japon, l’Allemagne et la Suède en
créèrent de leur côté. En 2013, on conçut GloPID, un réseau comprenant
vingt-sept organisations de recherche et de financement de la recherche,
ainsi que l’OMS, dont l’objectif était une collaboration mondiale pour
anticiper et se préparer aux menaces futures des maladies infectieuses. Cette
initiative fut complétée d’une seconde, la CEPI, fondation subventionnée
par des dons provenant d’États, d’organisations philanthropiques et
d’organisations de la société civile, créée à l’occasion du Forum
économique mondial de Davos en 2016. Elle fut dotée d’un fonds de
460 millions de dollars américains par la fondation Bill et Melinda Gates, la
fondation Wellcome Trust et un ensemble de pays, en particulier la
Norvège, le Japon et l’Allemagne, pour subventionner les innovations en
matière de vaccins contre les épidémies émergentes. Les virus les premiers
ciblés furent le MERS, le virus de la fièvre de Lassa et les virus Nipah,
Ebola, Marburg et Zika. Le concept de grande plateforme vaccinale était né.
Mais cela ne suffit pas : l’EDCTP (European and Developing Countries
Clinical Trials Partnership), créé pour soutenir la recherche sur le VIH, la
tuberculose et le paludisme en Afrique subsaharienne, s’élargit aux
infections émergentes. On aurait pu se croire ainsi bien protégé et avoir
prévu les menaces du futur. Le déferlement du Covid-19 déborda les efforts
de la mondialisation et rendit leur portée aux mesures nationales…
Car le Covid-19 survint. Il n’entrait pas dans les missions de l’ANRS
d’en organiser la lutte en matière de recherche. Reacting, à l’étage du
dessous du bâtiment Inserm, s’organisa. En particulier pour tenter de
coordonner du mieux possible les initiatives parties de toutes parts et de
multiples équipes de recherche, instituts, universités, efforts régionaux,
fondations publiques ou privées : 365 essais cliniques français furent
déclarés, presque autant que les États-Unis, deux fois plus que les autres
pays européens. Ils ont rejoint, dupliqué parfois, nombre d’initiatives prises
dans le monde, pour tester le repositionnement de certaines drogues,
antérieurement destinées à certaines affections auto-immunes, à Ebola ou au
sida. Certes, le grand nombre d’études pouvait témoigner de la vitalité des
équipes françaises. Mais on pouvait s’interroger sur leur pertinence et leur
faisabilité au moment où, heureusement, en raison du premier confinement,
la vague de l’épidémie se mit un temps à décroître. L’urgence devait-elle
nécessiter autant d’essais indépendants, dont certains, qui ont attiré
l’attention des médias, se sont affranchis d’une méthodologie rigoureuse au
risque de donner de faux espoirs ? Quoi qu’il en soit, Reacting fit
magnifiquement, bien que sans budget ou presque, sinon par la disposition
d’un fonds modeste pour des recherches d’amorçage. On créa un conseil
scientifique, mais il fallait rentrer dans le moule des financements habituels,
ceux soutenus d’un côté pour la recherche fondamentale par l’Agence
nationale de recherche, et de l’autre pour la recherche clinique par le
ministère de la Santé. Restait à tenter d’assurer le continuum. Reacting, par
un habile dialogue avec ces deux interlocuteurs et surtout ses capacités
d’animation et de coordination, fit du mieux possible. La structure fédéra
les équipes de recherche et de veille, organisa les collectes de données,
répondit aux médias et tenta d’informer du mieux possible le grand public
et les chercheurs sur les données vérifiées, luttant contre la désinformation,
organisa le plaidoyer, renforça les capacités en Afrique subsaharienne en
relation avec l’ANRS. D’un petit groupe de trois personnes, l’équipe grossit
à plus d’une dizaine, organisant l’animation de séances dédiées aux essais
thérapeutiques, aux manifestations durables du Covid, à la transmission, à
l’immunologie entre la réponse contre le virus et le déferlement des
cytokines, ce fameux orage cytokinique, responsable, pour une grande part,
des symptômes de gravité. On s’organisa certes, mais de nombreuses voix
s’élevèrent pour constater une fois de plus le morcellement des structures,
des initiatives, des stratégies, des modes de mise en œuvre. Le message finit
par être entendu au ministère de la Recherche. En janvier 2021, l’ANRS
reçut mission de couvrir les champs de l’émergence infectieuse et, à travers
un nouveau logo, intégra Reacting.
CHAPITRE 8

Communiquer

« Lors de ma prise de fonction, à la direction de l’agence, les tutelles


m’avaient laissé entendre que le service de la communication était trop
important. Qu’il fallait donc le réduire. Je n’en ai rien fait, et bien m’en a
pris, car ce fut un des déterminants de la réussite de la maison. » Ainsi le
rappelle Jean-François Delfraissy, insistant à nouveau sur l’importance
d’une communication et d’une information bien pratiquées… Le contexte
actuel de la communication sur le Covid-19, avec ses multiples sources de
scientifiques et d’institutions, son cortège de fausses rumeurs, renforcées
par les réseaux sociaux, justifie le regard sur celle qui fut portée par
l’ANRS à propos du sida et des hépatites. En coordonnant les recherches à
leur sujet, l’agence a su créer une communication respectée par les
politiques, les scientifiques, les patients et leurs associations, les
journalistes et l’opinion publique, une leçon à méditer !
Créée en 1989, dans les premières années de l’agence, la cellule
s’appela d’abord « information scientifique et relations extérieures ».
C’était tout un programme, qui, à son début, consistait principalement à
mettre en place les différents ingrédients de l’animation scientifique : réunir
des chercheurs de disciplines diverses, établir des ateliers de réflexion,
s’assurer de la croissance d’une production scientifique de taille. La
communication était entre les mains de scientifiques qui s’adressaient
d’abord à leurs collègues. Cette cellule s’inscrivit également par la suite
dans la nouvelle dynamique mise en place avec les associations de patients :
accompagner leur formation, partager avec elles les connaissances. Certes,
cette fonction d’information sur le sida n’était pas la mission initiale de
l’ANRS, ni une de ses principales, mais elle le devint. Ce tournant, comme
nous l’avons vu, doit beaucoup à la demande des associations. Ce fut
certainement un des premiers succès de l’agence que de les avoir conviées.
Pour la communication comme pour la maîtrise des traitements, l’histoire
du sida montra là encore combien la crainte de l’irruption des malades dans
la pratique médicale et scientifique fut rapidement balayée. On se rendit
vite compte que la communication devait avant tout tenir compte des
préoccupations de ceux que les recherches concernaient, qu’il fallait bannir
le marketing scientifique pour prôner une information objective. Les
annonces des succès comme des échecs devaient en premier lieu bénéficier
aux malades. Mais les malades n’étaient pas les seuls qui cherchaient à être
informés. Il fallait également répondre aux questions de la presse et
expliquer aux médias les avancées scientifiques.
Un agréable petit journal, dénommé ANRS Information, aux pages un
peu épaisses, servait de liaison. Il recueillait les éditoriaux des deux
premiers directeurs, qui y décrivaient leurs réflexions et cherchaient à
stimuler les recherches. On y rapportait des comptes rendus de réunion, on
y trouvait quelques nécrologies lors du décès des grands témoins comme
ceux de Michael Pollak, un des pionniers des sciences humaines et sociales,
Jean-Florian Mettetal, le président d’Arcat-Sida, ou encore Dominique
Dormont, un des principaux spécialistes des maladies infectieuses du
système nerveux. Quelques offres d’emploi encadraient des interviews. À la
fin des années 1990, avec l’arrivée de Michel Kazatchkine et l’affirmation
de nouvelles priorités de recherche, le terme de communication extérieure
prit de l’importance. Il s’agissait de se tourner plus largement vers l’opinion
publique à une période où les attentes et l’intérêt pour la maladie avaient
changé.

Aux sources de l’information scientifique


Tandis que l’ANRS et son service de communication étaient dans les
premiers temps l’objet d’une sollicitation intense sur la connaissance de la
maladie et l’irruption des traitements, les années 2000, lorsque les
thérapeutiques firent leurs effets et que l’angoisse décrût, marquèrent un
tournant. La demande était moindre. L’information de l’opinion publique
nécessitait un autre regard et une nouvelle forme. La direction changea de
stratégie et, trait symbolique autant que souci d’efficacité, s’adressa à des
professionnels de la communication pour accomplir cette tâche. Certes les
scientifiques étaient sollicités autant que de besoin, mais ils n’étaient plus
en première ligne. On se reposa sur une nouvelle équipe. La transmission de
l’information, les relations avec le tissu social, les médias, les porteurs
d’enjeux, qu’ils soient nationaux ou internationaux, furent confiés à des
communicants rompus aux méthodes, à la logistique et au langage de
l’information. Le service s’agrandit, prit une position et une place plus
fortes au sein de l’agence et devint un des fers de lance de la direction pour
dialoguer avec les partenaires. Ce fut un des instruments importants de
gouvernance.
De son côté, la nouvelle équipe dirigée par Marie-Christine Simon
choisit d’établir certaines priorités, quelques grands axes sur lesquels il
semblait important de faire valoir les avancées scientifiques et les
problèmes qui se posaient majoritairement. Avec le succès des trithérapies,
l’opinion publique qui voyait se résoudre une de ses principales attentes
était plus difficile à mobiliser. Il fallait trouver de nouveaux sujets d’intérêt.
Un tournant s’opéra avec le lancement d’un nouvel essai vaccinal dont
l’appel aux volontaires, comme nous l’avons vu, débuta par un échec et
légitima la tenue d’un atelier de réflexion rassemblant scientifiques,
journalistes et anciens volontaires. Ces deniers furent sollicités pour en
recruter d’autres. Le slogan si bien trouvé « Faites comme moi, soyez
volontaire » fit tache d’huile. Un changement dans l’échelle de la
communication s’est opéré à cette occasion, l’ANRS ayant gagné une
visibilité inédite dans les médias nationaux et internationaux. Mais d’autres
défis restaient à relever alors que l’opinion et les décideurs manifestaient un
moindre intérêt pour le VIH et une certaine méconnaissance des enjeux liés
aux hépatites. Concernant la thérapeutique, qui restait certes dominante et
dont il fallait expliquer les améliorations successives et la nécessité
d’observance, on devait calmer les angoisses des traitements chroniques,
des complications qui peu à peu s’atténuaient, de la dispensation de prises
médicamenteuses qui, bien qu’encore en trop grande quantité,
s’amélioraient avec le temps. Les recherches fondamentales, en sciences
humaines et sociales faisaient l’objet d’attentions nouvelles. Le vaccin sur
le VIH bien sûr trouvait largement sa place dans les annonces. Ne fallait-il
pas faire comprendre le(s) choix, faire taire les fausses rumeurs, expliquer
les difficultés rencontrées, le peu de connaissances sur le contrôle naturel de
la maladie, qui trouvait d’ailleurs ainsi son lien avec la recherche dite
fondamentale ? Le dépistage et le traitement, le fameux « test and treat »,
ou encore la PrEP lors des prises de risque, furent autant de sujets
d’information sur lesquels on devait habilement rapporter et, mieux,
convaincre. On ne saurait reprendre tous les sujets de communication, que
le lecteur a appris à découvrir dans les chapitres précédents… Il y avait un
fil rouge permanent : les annonces des succès comme des échecs devaient
prendre en considération la réception possible de ces messages par les
malades. Les associations de patients étaient là pour y veiller.
La nouvelle équipe avait sa stratégie. Elle organisait ses plans de
communication en étroite relation avec les scientifiques. Elle se distinguait
cependant de la communication « corporate » qui se devait de valoriser ses
institutions. L’ANRS, nous l’avons vu, n’en privilégiait aucune. Seules
comptaient la science et ses avancées. Cela ne se fit pas sans écueil. Il
fallait régulièrement endosser le rôle de gendarme et redresser les
conséquences d’annonces prématurées faites par les médias ou encore
traiter des situations d’échec tels ceux d’essais vaccinaux ou les inévitables
arrêts d’études, voire se confronter à des situations de crise. Il fallait aussi
faire comprendre les choix, faire taire les fausses rumeurs qu’on voit
d’ailleurs fleurir à nouveau avec le Covid-19.
La communication fut aussi concernée par les recherches effectuées au
Sud. Là, peut-être surtout, derrière la transmission des progrès
thérapeutiques, il s’agissait de stigmatiser les graves problèmes posés par le
coût des médicaments et l’économie de la santé. L’éthique, avec la mise en
place de la charte qui, rappelons-le, s’adressait aux conditions d’exercice
des essais, à leurs règles ainsi qu’à leurs bonnes pratiques, s’imposa vite.
D’ailleurs, progressivement, les rencontres au Sud changèrent de forme,
tout autant que les informations qui les accompagnaient. Les réunions plus
informelles du début se transformèrent en véritables séminaires de
recherche qui, de plus, allaient attirer pour leur ouverture des responsables
politiques locaux, officiels des villes ou du gouvernement, autant de
messages à faire passer, de sujets à faire valoir, de communications à
diffuser. La communication a accompagné cet essor et la formidable
dynamique de la recherche dans ces pays : prévention de la transmission du
VIH de la mère à l’enfant, prise en charge des infections opportunistes,
démonstration de l’efficacité des médicaments génériques pour les
populations du Sud, amélioration de la prise en charge des patients infectés
par le VIH et aussi par la tuberculose, le traitement comme outil de
prévention ou son acronyme anglais TasP, les travaux d’économistes de la
santé sur les brevets et la propriété intellectuelle… Un foisonnement
d’études, menées sur les sites de l’ANRS en Afrique et en Asie du Sud-Est,
dont on a vu pour certains l’impact… Les réunions sur les sites ANRS
faisaient l’objet de communiqués de presse et de rencontres avec les médias
locaux. Des sessions de formation à la recherche ont même été organisées à
plusieurs reprises. L’agence faisait venir des journalistes français sur place,
pour découvrir au plus près la réalité de l’épidémie, les enjeux de la
recherche et la traduction de ses résultats. Pourtant, les relations entre
partenaires concernant le Sud ne furent pas toujours simples et le service de
communication participa à l’extinction de quelques feux polémiques. On se
souvient des colères d’Act Up-Paris concernant la circoncision et il fallut
toute l’habileté de Jean-François Delfraissy et l’organisation d’un
déplacement à Johannesburg pour les gérer. Ailleurs ce fut l’opposition
d’une ONG camerounaise qui parlait d’ingérence colonialiste lors d’un
nouvel essai thérapeutique ou encore, comme le rapporte François Dabis,
les violentes critiques contre les essais français de lutte contre la
transmission materno-fœtale. Le bras placebo fit grincer des dents, et fut
attaqué dans la presse internationale par l’éditeur du JAMA, une
prestigieuse revue internationale, comme un manquement aux règles de
l’éthique. Ces réunions Nord-Sud entre spécialistes des divers continents ne
se tenaient pas qu’à l’étranger. Certaines de ces rencontres, qu’il fallait
couvrir, eurent lieu à Paris ou en Europe, lors des conférences
internationales francophones sur le VIH, les hépatites et la santé sexuelle de
l’Afravih.
La cellule bien évidemment sut s’appuyer sur les scientifiques. Autant
cependant on avait appris à connaître les pionniers du VIH, autant il fallut
s’habituer à ceux des hépatites. On eut à traiter avec une nouvelle
communauté que l’ANRS ne connaissait pas ou mal, médecins comme
chercheurs, qu’il fallut accompagner dans la communication lors du
pilotage des essais ou du suivi de cohortes. Si certains étaient entrés à
l’ANRS par la petite porte à propos des co-infections, l’intégration du VHC
les ouvrit en grand. Une nouvelle gestion de l’information s’imposa en
fonction, mais on était en terrain connu, sinon conquis. La puissante
Association française pour l’étude du foie fut de grande aide. Pourtant il y
avait un certain désintéressement du public. Malgré des opérations
d’envergure telles celles organisées dans les gares, les centres
commerciaux, ou lors de journées dédiées, cela ne fut pas suffisant pour
mettre en lumière l’ensemble des programmes multidisciplinaires que
soutenait l’ANRS, la mesure des enjeux de la prévention et du traitement
des hépatites virales, comme leur impact sanitaire. « En dehors des
recherches en sciences humaines et sociales sur lesquelles j’arrivais à attirer
l’attention de la presse et du public, je dois reconnaître une certaine forme
d’échec dans la communication sur les hépatites, sauf bien sûr la glorieuse
victoire du traitement de l’hépatite C. Quel plaisir de communiquer à ce
sujet ! » reconnaît Marie-Christine Simon.

Gérer la communication
La communication en France ou concernant les travaux de l’agence
avec ses partenaires des sites ANRS allait de soi. Tout autre était celle qui
concernait les relations de l’agence avec les porteurs d’enjeux de
l’international, car elle était le terrain privilégié des grandes organisations
multilatérales, Onusida, OMS, Fonds mondial de lutte contre le VIH, le
paludisme et la tuberculose. L’ANRS, forte des résultats scientifiques
français, eut à entrer de plein fouet dans la diplomatie sanitaire
internationale et à prendre sa part du discours parmi celui de ces diverses
institutions. Le plaidoyer était devenu une arme politique et diplomatique,
d’ailleurs largement pratiqué par les ONG. L’agence dut se faire connaître à
partir de la science.
On ne pouvait laisser les stratégies en santé mondiale se passer de la
France, même si quelques-uns des éléments qui s’exprimaient sur les places
publiques correspondaient à ceux de l’ANRS. Il fallait savoir se faire
entendre dans le concert des nations concernées, au Nord comme au Sud.
L’Europe ne s’exprimait pas d’une seule voix et les Américains avaient une
puissance inégalée. Le service de communication eut ainsi à établir des
éléments de langage et à les porter. L’international n’était pas seul en cause,
il fallait aussi compter sur les décideurs nationaux, qu’on devait parfois
convaincre. La PrEP en est un exemple, un temps critiquée pour nombre de
motifs dont certains culturels et d’autres sociaux. Les associations
proposèrent de hausser le ton pour emporter la décision d’un
remboursement, ce qui finalement ne fut pas nécessaire, mais la cellule de
communication fut mobilisée à ce propos.
Dans ces divers enjeux, les médias furent cruciaux. Bien entendu il était
nécessaire de les informer. Il y eut les fidèles qui venaient régulièrement
aux nouvelles. Mais il fallut s’organiser plus largement en utilisant les outils
professionnels, communiqués vulgarisés et points presse, en respectant la
déontologie : ne médiatiser que s’il existe une publication scientifique ou
une communication à un congrès. La relation avec les médias devint avec le
temps de particulière importance. Un travail en commun s’installa ainsi
entre la cellule communication de l’ANRS et un groupe de journalistes
(France Inter, Libération, Le Monde, Europe 1, France 2…) à qui revient le
mérite d’avoir créé au début des années 2000 une communication de très
grande qualité. Certes Michel Kazatchkine ou Jean-François Delfraissy
n’étaient pas toujours d’accord avec les informations que tel ou tel
journaliste choisissait finalement de mettre en avant, mais entre eux et la
direction de l’ANRS s’établit une relation de confiance, de respect, une
exigence de qualité qui, d’une certaine manière, créa un précédent dans les
relations entre la science et la presse, au moins dans ces domaines.
La communication nécessitait de trouver des occasions. Il y avait bien
sûr les avancées scientifiques, notamment celles des essais, mais on chercha
à profiter des événements internationaux tels que la Journée de la femme ou
la Journée mondiale du sida pour faire état des résultats récents ou des
perspectives à venir. Ces occasions conduisirent la communication dans
d’autres lieux, comme le Parlement, où l’agence fut conviée à dialoguer
avec les parlementaires.
Une des activités particulières fut celle qui s’instaura lors des grands
colloques internationaux tels que la CROI, la conférence américaine
annuelle sur le sida et les infections opportunistes, celles de l’IAS ou encore
de l’Icasa, la conférence sur le sida et les infections sexuellement
transmissibles en Afrique. Chacune demandait une longue préparation,
d’autant que l’agence organisait parfois des symposiums satellites. La
stratégie devait s’adapter au public, mettre en avant les faits majeurs, tout
en faisant respecter certains embargos sur des publications originales. Un
véritable réseau et une relation de confiance s’installèrent ainsi entre la
cellule communication et les journalistes scientifiques de la presse
francophone qui couvraient ces congrès. L’ANRS leur proposait sur place
des communiqués de presse sur les travaux français et des rencontres
informelles avec les chercheurs. Des « directs » de France Inter, de RFI, de
TF1 ou de France 2 avaient lieu depuis Mexico ou Bangkok. La chambre
d’hôtel d’un chercheur pouvant dépanner en cas de défaillance technique…
Les journalistes du Monde, de Libération, de La Croix, de l’AFP aussi,
tout un monde qui relayait la science et le plaidoyer a participé aux « dix ou
quinze glorieuses » de cette première partie du siècle. Entre eux et la
direction de l’ANRS s’établit une relation de confiance et de respect qui,
d’une certaine manière, était inédite dans le domaine de la recherche.
L’ANRS avait réussi à créer une communauté de scientifiques soudée,
toutes disciplines confondues, médecins, biologistes, épidémiologistes,
membres d’associations qui aimaient à se retrouver presque à chaque
congrès. On contemplait les lumières de Boston ou de Seattle, devisait
autour de quelques verres lors de ces rendez-vous savamment organisés par
le service de communication pour ceux de l’ANRS et leurs principaux
partenaires qui y assistaient.
Porteurs d’enjeux nationaux ou internationaux, médias, occasions de
congrès, le service de communication conservait aussi la charge des
réunions scientifiques collectives. Annuellement dans le grand amphithéâtre
de l’Institut Pasteur, des journées scientifiques étaient organisées pour faire
le point sur les recherches cliniques ou plus fondamentales, quand ce
n’étaient pas des symposiums dédiés à quelque activité tel le vaccin.
L’information scientifique ne se gérait pas seulement de la sorte. Il fallut
revisiter l’édition. ANRS Information se transforma en actualité scientifique
annuelle, des ouvrages, notamment en sciences humaines et sociales, furent
publiés en couvertures brochées. Un site Web dédié, qui n’existait pas, fut
construit. Quant aux réseaux sociaux, Twitter et Facebook, ils ne se
développèrent que plus récemment. Aujourd’hui ils représentent une part
importante des missions de l’équipe et des nouveaux enjeux qui, au temps
du Covid-19, challengent la communication scientifique et ses rapports
avec la société.

Organiser des congrès internationaux


En juillet 2003, l’ANRS organisa la seconde conférence internationale
sur la pathogenèse et le traitement du sida de l’IAS, le colloque
international sur le sida le plus fréquenté. Aux manifestations scientifiques,
celles des associations, à la présence des malades, s’ajoutaient les discours
politiques. Fernando Henrique Cardoso, Romano Prodi, Jacques Chirac et
Nelson Mandela se succédèrent à la tribune. L’ANRS était mise en valeur,
la communication aux premières loges. « We have failed to transfer
progress into action where it is more needed. This is a global injustice »,
devait énoncer Mandela, faisant écho au discours de Jacques Chirac sur le
coût d’alors des médicaments. Science, politique, inspiration et
communication, les quatre ingrédients nécessaires à la lutte contre les
épidémies avaient été réunis. La communication et la couverture
médiatique, qui avaient fait l’objet d’une véritable stratégie réfléchie de
l’agence, ont été essentielles à son succès, son retentissement et ses
conséquences. L’agence en est sortie renforcée et l’aide au développement
en matière de sida accrue. La réussite d’une telle manifestation créa un
précédent car le congrès se répéta sous cette forme à Paris en 2017.
L’ANRS l’avait à nouveau organisé et put se réjouir : la mobilisation avait
été massive, plusieurs milliers de congressistes se retrouvèrent au Palais des
Congrès. Elle se prolongea jusqu’à l’Académie des sciences, à l’Institut
Pasteur, au musée du Quai Branly-Jacques Chirac et à Solidays, un festival
de musique installé à l’hippodrome de Longchamp. Le service de
communication était entré dans la danse…
CHAPITRE 9

Au cœur des politiques publiques

« Le 1er décembre 2004, lors de la Journée mondiale du sida, se rappelle


Michel Kazatchkine, nous avions été conviés par Jacques Chirac à l’Élysée
pour lui présenter les performances de l’agence. Françoise Barré-Sinoussi,
Jean-François Delfraissy, France Lert et Yves Lévy m’accompagnaient.
Chacun devait présenter un des aspects de nos recherches. Le président
s’intéressait beaucoup à celles-ci, et, concentré, écoutait avec une grande
attention. Nous avions réfléchi à un temps de parole limité et préparé nos
présentations. Un moment, alors que Jean-François décrivait les essais
thérapeutiques, et ceux en sciences humaines et sociales, parlant de la
compliance des patients, le président l’interrompit : “Compliance, que
voulez-vous dire par là ?” Jean-François reprit avec un exemple :
“Monsieur le président, lorsqu’on fait une prescription antibiotique de huit
jours, très souvent, le patient, quand il n’a plus de fièvre et se sent mieux,
ne comprend pas l’intérêt de le prolonger et l’arrête.
– Ah bon ! reprit Jacques Chirac, eh bien, moi, je suis toujours l’avis
des médecins et, sans déroger d’une pilule, prends tout traitement jusqu’à
son dernier jour.” »
Quelques années plus tard, en 2010, alors que j’étais ambassadeur
contre le sida et les maladies transmissibles, Jean-François et moi-même
retournions à l’Élysée, pour un autre 1er décembre. Un grand ruban rouge
croisé qui rappelait la lutte contre le sida flottait dans l’immense hall. Le
sida et ses recherches faisaient bien toujours partie des préoccupations de la
présidence.
Pourtant, au moment de la création de l’agence, comme nous l’avons
vu, le pouvoir politique avait peu discuté les propositions qu’avait faites
Jean-Paul Lévy et l’avait laissé libre de ses choix. Il n’avait eu que peu de
comptes à rendre sur ceux-ci à la principale tutelle de l’agence, le ministère
de l’Enseignement supérieure et de la Recherche, sinon à travers quelques
visites de courtoisie aux membres du cabinet pour échanger sur les
programmes en cours. L’agence ne recevait des visites régulières que des
membres de la Cour des comptes, qui marquaient d’ailleurs un vif intérêt
pour la science. Mais il n’y eut ni injonctions ni pressions, pour le premier
directeur comme pour ses successeurs, à l’exception des demandes tardives
de prise en charge des programmes de recherche sur les hépatites. Il en fut
très différemment avec l’arrivée de Bernard Kouchner au ministère de la
Santé, et Michel Kazatchkine, alors directeur, à travers de nombreuses
réunions et contacts, en eut bien plus avec le ministère de la Santé qu’avec
celui de la Recherche. La recherche sur le VIH représentait pour le ministre
un des temps forts de la lutte contre le sida. Elle s’inscrivait aussi dans la
politique de lutte contre les inégalités sociales, la stigmatisation des
minorités et, bien évidemment, la lutte contre la pauvreté, notamment dans
le Sud. Avec le départ de Bernard Kouchner, l’intérêt pour l’agence et ses
programmes passa à l’Élysée. Jacques Chirac tenait à rester informé des
questions scientifiques. Nicolas Sarkozy, dont l’épouse, Carla Bruni, avait
été un temps ambassadrice mondiale pour la protection des mères et des
enfants contre le sida auprès du Fonds mondial, s’intéressait aux résultats.
Quant à François Hollande, son discours lors des 25 ans de l’agence
témoigna d’un soutien.
Que la lutte contre le sida soit au cœur des préoccupations politiques et
que la recherche ait été partie prenante étaient des faits. Qu’en était-il de la
place de l’agence dans les politiques publiques en biologie et en santé en
France ?

L’agence en bref
L’ANRS est la seule agence de recherche en Europe dédiée à
l’animation scientifique et au financement de la recherche scientifique sur
le sida et les hépatites, et, depuis 2021, les infections émergentes. Sa
situation est très particulière dans le panorama de la recherche française et
n’a pas d’équivalent, sinon, bien qu’elle soit très différente, celle de
l’Institut national du cancer (INCa) dont la recherche est une des missions.
L’ANRS avait été conçue pour permettre de conduire les activités de
recherche à travers une stratégie, une animation, une programmation, une
évaluation, un financement et, in fine, une mise en œuvre, sous une même
direction afin de mener une politique scientifique nationale, et à
l’international.
L’animation, cette réflexion partagée entre scientifiques de différentes
origines et expertises, a fait l’objet, comme nous l’avons vu, dès la création
de l’ANRS, d’une attention particulière des directions successives. Ce fut
un des points forts de la politique de l’agence et, il faut le souligner, son
originalité, au point d’être copiée par d’autres. Elle s’exerce à travers des
groupes de travail et surtout des actions coordonnées dont il a été plusieurs
fois question. Leur nombre et leurs thèmes ont varié avec le temps, les
opportunités, les avancées scientifiques et les directions. Ces actions
coordonnées couvrent – et ont couvert – les différents champs d’expertise,
dans une volonté de mettre en phase des disciplines variées, y compris, on
l’a vu, celles des sciences humaines et sociales, sous le regard et avec des
représentants de la société civile. Si ces actions coordonnées préparaient la
réflexion à des projets soumis à évaluation, deux d’entre elles furent
directement pilotées par la direction : la programmation des essais
thérapeutiques et celle sur le vaccin, cette dernière dorénavant assumée,
indépendamment, par le VRI depuis sa création. La mise en place des essais
cliniques, après consultation et réflexion des experts et évaluation des
projets, pouvait être rapidement effectuée et explique leur réactivité ainsi
que leurs succès. Au début de l’agence, Jean-Paul Lévy tint également à
exercer un suivi sur la virologie médicale, réunissant les experts pour mettre
en place des tests standardisés, distribuer des équipements quand ils
manquaient et adapter des laboratoires aux normes de sécurité.
Il ne s’agissait pas seulement d’élaborer une programmation. Des
projets de recherche, en réponse aux différents appels d’offres, arrivaient
sur les bureaux des responsables des différentes disciplines. Il fallait les
faire évaluer, juger de leur qualité scientifique et de leur originalité, de leur
faisabilité aussi, ainsi que du budget demandé. Tout projet ne pouvait être
retenu, bien sûr pour des questions financières, mais peut-être surtout à
cause de leur opportunité, de l’état de l’art ou de la méthodologie proposée.
Les projets devaient être jugés, interclassés, jaugés. On créa dès le début
des commissions d’experts français et étrangers pour ce faire. Un nom leur
fut donné : comités scientifiques sectoriels.
Actions coordonnées, comités scientifiques sectoriels, on aurait pu
croire l’agence suffisamment dotée en organes dits de gouvernance, utiles à
son fonctionnement. Quiconque a travaillé dans une telle organisation sait
qu’il n’en est rien. Il faut dessiner une stratégie, savoir faire des choix,
prendre des décisions en fonction de la conjoncture. Le directeur ne saurait
être seul. Il a besoin d’avis, de consulter. D’où la nécessité d’un conseil
scientifique. Celui-ci a varié au cours du temps, des différentes directions,
de l’évolution des enjeux. Mais sa composition et sa mission sont restées
sensiblement les mêmes depuis l’origine. Ce conseil scientifique composé
d’experts français et étrangers, ainsi que de membres des associations, a une
fonction essentielle. Il donne son avis sur les orientations scientifiques de
l’agence tandis qu’un conseil d’administration, aujourd’hui conseil
d’orientation, où l’on retrouve des représentants des ministères et des
établissements de recherche concernés, mais aussi des associatifs, évalue le
fonctionnement de l’ANRS et sa stratégie. Ainsi, même au sein de l’Inserm,
qu’elle a à nouveau intégré en janvier 2012, l’agence reste autonome. Les
différents directeurs reconnaissent qu’ils ont toujours gardé une capacité de
gestion indépendante de ce premier établissement de recherche en santé et,
d’ailleurs, d’excellentes relations avec ses présidents-directeurs généraux
successifs.
L’ANRS dispose depuis sa création d’un budget très important. Nous
avons vu qu’il avait été fixé arbitrairement, sans évaluation réelle des
besoins. Certains dès l’origine se plaignirent de son insuffisance,
notamment Luc Montagnier, mais, signale Jean-Paul Lévy, ce ne fut jamais
vrai, contrairement à d’autres domaines scientifiques. Le soutien était
massivement supérieur à celui d’autres pays européens. La comparaison
avec la recherche américaine est plus délicate, car les salaires sont inclus,
les coûts plus élevés, la monnaie différente et surtout le nombre d’équipes
beaucoup plus important. « Un jour, dit-il, j’ai indiqué au Premier ministre
[Édouard Balladur] que mon budget n’était pas insuffisant et cela a paru
curieux, car il est peu habituel de ne pas se plaindre. » Il a été jusqu’à fin
2020 de 45,6 millions d’euros, soit approximativement équivalent à celui
de l’INCa dédié à la recherche sur l’ensemble des cancers. Le budget de
l’ANRS finance des projets conduits par des équipes de recherche
appartenant à des établissements très divers : unités de recherche de
l’Inserm, du CNRS, de l’Institut Pasteur, de l’IRD, du CEA, des universités
et hôpitaux. Près d’un tiers du financement concerne la recherche
fondamentale, un quart la recherche clinique, le reste se répartit entre la
recherche vaccinale, environ 13 % – le VRI recevant de plus une somme
allouée par le programme des investissements d’avenir –, et les sciences
sociales.
L’ANRS à l’international
La politique de l’ANRS au Sud fut, comme nous l’avons vu, et reste
aussi un des éléments forts de sa politique internationale, qui s’inscrivit
d’ailleurs dans un élan de solidarité internationale de lutte contre le sida. Au
début des années 2000, le sida et ses morts avaient fait prendre conscience
que la santé n’était pas seulement une conséquence du développement, mais
en était à l’origine. La terrible inégalité d’accès aux soins et de leur pratique
entre le Nord et les pays du Sud, qui subissaient de plein fouet les grandes
pandémies, fut ainsi à l’origine d’une série d’initiatives. Dans la foulée des
Objectifs du millénaire pour le développement, adoptés par les États
membres de l’ONU, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose
et le paludisme et Unitaid, une autre initiative conduite entre États, furent
créés pour financer prévention et soins contre ces pandémies. Unitaid est
une organisation multilatérale conçue par le président Chirac pour être
dédiée au sida dans laquelle pour la première fois des financements
innovants français, obtenus par une taxe sur les billets d’avion, sont utilisés
à des fins internationales. D’importants budgets furent ainsi versés par la
France à ces institutions multilatérales. Lors de la dernière reconstitution du
Fonds pour la période 2020-2022, le chef de l’État fit une promesse de don
de 1,5 milliard de dollars soit une augmentation de 15 % par rapport au
budget précédent, tandis que le Royaume-Uni proposait une contribution de
1,7 milliard. La France restait le premier donateur pour Unitaid. L’essentiel
du budget en santé de la France à l’international, si l’on exclut celui de
l’Agence française de développement, est ainsi consacré à la lutte contre les
trois principales pandémies, lesquelles sont également soutenues par des
programmes de coordination et de plaidoyer d’autres agences
internationales (Onusida, Roll Back Malaria, Stop TB). Les diplomates
apprirent à s’asseoir à la table des conseils d’administration de ces
organisations multilatérales aux côtés de la société civile efficacement
mobilisée, des récipiendaires du Sud et des représentants du privé
(fondations et industrie). La diplomatie entra dans le défi de la
mondialisation et des biens publics mondiaux. Mais la recherche n’était pas
concernée par ces organisations et restait ainsi exclue de leur financement.
On ne pouvait cependant la laisser pour compte. Ce fut une occasion que la
Commission européenne ne voulut pas manquer en créant en 2003 un
programme particulier pour l’Afrique subsaharienne, l’EDCTP,
un acronyme pour European and Developing Countries Clinical Trial
Partnership, concernant, entre autres, la recherche clinique et vaccinale
contre le sida. Il s’agissait de réunir les États membres, si possible aussi leur
budget, autour d’une subvention mise sur la table pour le Sud subsaharien
par la Commission européenne. Je devais y porter la voix de la France pour
sa création et longtemps après…
Ces initiatives diverses où la France prit sa part, notamment par
d’importantes contributions budgétaires, mais aussi politiques,
n’entamèrent pas la volonté de l’ANRS d’harmoniser sa stratégie de
recherche avec celles d’un certain nombre d’États, principalement
européens. Des contacts initiaux furent pris avec le Medical Research
Council (MRC), avec lequel des partenariats ponctuels et un respect mutuel
existaient, et quelques protocoles comme l’essai Concorde effectués en
commun. Ceux-ci restèrent limités. Il en fut de même avec l’Allemagne
dont, après la chute du mur de Berlin, les investissements en recherche sur
le sida fléchirent. Des discussions trouvèrent également place avec les Pays-
Bas pour des cohortes. Mais l’ANRS resta une entité unique en Europe et,
malgré les efforts de Michel Kazatchkine pour fédérer les efforts en
recherche dans le cadre d’une possible agence européenne, les allers et
retours à Bruxelles ne furent pas suivis d’effets. Il n’y eut pas d’accroche
politique et l’intérêt de développer une puissance européenne forte en
recherche sur le sida et les hépatites par un lien entre États membres sembla
moins attractif pour la Commission que de lancer ses programmes propres à
travers les orientations que ses experts donnaient annuellement. Après tout
il y avait l’EDCTP, dont cela avait été un des buts, et la Commission se
contentait de cette expérience. Que les États de l’Union s’emparent de toute
autre initiative s’ils le souhaitaient, ce qu’ils firent d’ailleurs au moins lors
d’une occasion, les administrateurs de Bruxelles ne voyaient pas
d’opportunité autre, et pliaient la tête devant la difficulté de déroger à leurs
habitudes bureaucratiques.
Les relations avec les NIH furent liées à quelques personnalités. Le
budget consacré à la recherche sur le sida, dont nous avons vu l’importance
pour le vaccin, était distribué par l’Office of AIDS Research, dont plusieurs
directeurs, tels Neal Nathanson et plus récemment Jack Whitescarver,
entretenaient des rapports d’amitié avec la direction de l’ANRS. Mais
quand il s’agissait de collaborer, on se heurtait à des difficultés
administratives pour mettre en phase des budgets, et de plus se plier à des
modalités d’évaluation bien différentes des nôtres. Anthony – Tony – Fauci,
qui dirigeait l’Institut national des allergies et maladies infectieuses des
NIH, trouvait certes matière à converser car, comme l’évoquait Michel
Kazatchkine, il était un immunologiste, intéressé par les immunoglobulines,
mais il veillait à conserver son budget. Il était convaincu de l’originalité de
nombre de travaux venant de France, mais aussi que seuls les États-Unis
auraient la puissance de feu pour les mettre en place. Une série de
collaborations eurent néanmoins lieu, tel l’essai Camelia mené contre la
tuberculose au Cambodge et au Vietnam avec la cohorte des usagers de
drogues, lors de l’initiative Cure ou encore sur le vaccin avec le Baylor
Institute. Alors qu’une même ambition internationale avait accompagné les
essais thérapeutiques, ceux qui concernaient le vaccin n’avaient pas ou peu
suscité de stratégie d’ensemble, réunissant les produits candidats dans des
protocoles communs. De manière plus générale, mis à part quelques
initiatives, les équipes de recherche gardaient leur indépendance. Si l’on se
réunissait lors de colloques, d’ailleurs pour beaucoup tenus aux États-Unis,
la science restait une aventure majoritairement nationale et, il faut bien le
dire, compétitive. L’Europe ne donnait pas l’exemple, chaque État membre
appliquant sa propre politique et initiant ses partenariats sans ou avec peu
de concertation. Il reste que l’ANRS est restée une institution particulière
en Europe et, comme l’indique Peter Reiss, professeur de médecine à
Amsterdam et un temps membre du conseil scientifique, que la France est
reconnue « pour avoir su maintenir un important soutien financier à la
recherche sur le sida ». Pourtant, ajoute-t-il, les études n’ont pas toujours
été aussi visibles qu’elles le méritaient, peut-être du fait « que la barrière de
la langue ait eu plus d’impact qu’on ne l’avait imaginé » même si « la
proportion de publications clés dans les plus importantes revues tels
The Lancet ou le New England Journal of Medicine était impressionnante ».

Se comparer avec la recherche française


en biologie-santé
La recherche médicale en France est sous une double tutelle, du
ministère de la Santé et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la
Recherche. Le financement abondé par ceux-ci n’a pas évolué en quinze
ans, alors que le coût des projets de recherche qui nécessitent des
techniques de plus en plus onéreuses et une masse critique
significativement plus importante a été multiplié par dix. La part budgétaire
qui y est consacrée correspond à 18 % des crédits de recherche affectés par
le gouvernement alors que nombre de pays européens consacrent 35 à 40 %
de leur budget à la recherche médicale, allant jusqu’à 50 % pour le
Royaume-Uni. Un tel budget place la France au onzième rang derrière, en
Europe, outre le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Suisse, la Suède,
l’Autriche, le Danemark, la Finlande et la Belgique. En 2017, la part du
produit intérieur brut dévolue à la recherche était estimée à 0,77 %
comparée à 1 % en Allemagne, qui projetait de l’augmenter à 3 % en 2020.
Dans les grands organismes de recherche tels l’Inserm ou le CNRS, la part
dont ils disposent pour financer des programmes de recherche sur leurs
fonds propres, toutes disciplines confondues, est aux alentours de
50 millions d’euros, un chiffre équivalant au budget de l’ANRS. En 2004,
une agence nationale de recherche, l’ANR, couvrant toutes les recherches à
l’exclusion de celles concernant le sida et le cancer, sauf lien avec un
industriel, a été créée pour financer et évaluer les projets de recherches
fondamentales et finalisées, à l’exception de la recherche clinique. Son
budget a débuté à 666 millions d’euros pour atteindre 708 millions en 2018,
augmenté de 444 millions en 2021. Le pourcentage de projets acceptés est
faible avec un financement le plus souvent insuffisant obligeant chaque
porteur scientifique, à la différence des financements par l’ANRS, à
rechercher d’autres sources de financement, notamment caritatif. Tandis que
les recherches d’amont, dont celles de biologie, sont ainsi financées par le
ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, le financement
de la recherche clinique dépend du ministère de la Santé. Son principal
guichet est le Programme hospitalier de recherche clinique qui, avec un
budget de 130 millions, finance toutes les études cliniques à l’exception du
sida et du cancer. L’insuffisante concertation entre l’ANR et le PHRC fait
que le continuum et la cohérence des recherches du fondamental à
l’appliqué ne sont pas assurés. En l’absence de programmation, le lien entre
disciplines différentes qui est une des forces de l’ANRS ne se fait pas ou
mal, de même que la recherche de rupture. Cela semble d’autant plus
nécessaire que la recherche en biologie et santé couvre un vaste domaine
disciplinaire et se développe aux interfaces de la recherche en physique,
chimie, environnement ou numérique. Le manque de stratégie laisse place à
une grande fragmentation des activités effectuées par des structures
extrêmement diverses, services cliniques, unités appartenant à différents
organismes de recherche, ou universités, lesquelles ont subi un changement
culturel profond avec leur autonomie. Celle-ci, loin d’être effective, a
cependant conféré aux universités l’obligation d’une réflexion sur les
recherches qu’elles hébergent. Les sciences de la vie ont un positionnement
qui est le fruit d’un demi-siècle d’histoire complexe. Huit EPST
(établissements publics à caractère scientifique et technologique) différents,
dont l’Inserm et le CNRS, et huit EPIC (établissements à caractère
industriel et commercial), dont le CEA, se partagent le champ avec des
programmes parfois redondants. Si l’on se réfère aux deux principaux,
l’Inserm dédié aux pathologies a élargi son domaine de compétence au-delà
de la seule recherche pour le malade, tandis que le CNRS, en sciences de la
vie, a introduit ses compétences dans les hôpitaux. Questionnant leur mode
de recrutement parallèle et parfois compétitif, 45 % des chercheurs Inserm
sont dans des unités CNRS et 47 % des chercheurs CNRS en sciences de la
vie dans des unités Inserm. Quel dédale pour l’ANRS, qui en définitive
n’en a cure, subventionnant toute recherche, quelle que soit sa provenance
administrative, laissant aux établissements le soin de se l’approprier sans
heurt et y associant de nombreux acteurs en dehors du monde institutionnel
de la recherche ! De plus, une des originalités et supériorités de l’ANRS fut
le fait qu’elle a mobilisé les personnels hospitaliers, implanté des moniteurs
d’études cliniques dans les services et les laboratoires, ouvert l’hôpital à la
participation aux cohortes et aux enquêtes et établi un lien véritablement
organique entre le monde de la recherche et celui du soin.
Constatant le faible budget attribué à la recherche médicale en France,
mais aussi cette fragmentation incroyable du dispositif de recherche,
compliqué pour chaque établissement de règles administratives propres de
gestion, mais également du manque d’attractivité financière des carrières de
recherche et de leur rigidité, un vif débat s’était instauré en 2008 et 2009 au
sein de la communauté scientifique pour tenter d’améliorer le puzzle des
structures et des hommes. Une commission mise en place par le ministère
de la Recherche et de l’Enseignement supérieur eut tôt fait de conclure que
toute interaction entre organismes, dont la possibilité de programmation
mutualisée, était bridée par des réflexes identitaires et des spécificités
administratives. Recherche de pouvoir propre, statuts et règlements distincts
limitaient tout rapprochement, même en cas de bonne volonté. De plus,
comment imaginer une programmation si elle ne pouvait faire levier ni sur
le bras armé qui finançait et évaluait la recherche fondamentale, l’ANR, ni
sur celui qui contrôlait la recherche clinique, le Programme hospitalier de
recherche clinique (PHRC) ? Sources de financement d’un côté, opérateurs
de l’autre, force était de constater qu’ils ne faisaient pas vraiment bon
ménage, ou, plutôt, qu’ils s’ignoraient. Quant à imaginer une politique de
l’innovation, ou internationale, ou encore une interaction science/société,
l’affaire était entendue. Chacun avait la sienne à travers des partenariats
multiples. Si l’on voulait comprendre, il fallait parcourir des jungles
d’initiatives pour deviner un éventuel sens commun. De plus, comme le
signalait le rapport ministériel, le rôle des grandes écoles, telles Centrale,
Polytechnique ou l’École normale supérieure, ajoutait à la confusion. La
multiplicité des structures et le manque d’alignement sur l’étranger
expliquaient l’absence de visibilité et lisibilité des laboratoires français à
l’extérieur et l’incompréhension qui résultait d’un tel système. Ces
conclusions ne surprirent personne, mais il fallait y donner réponse. Le
ministère créa alors des « alliances », qui se voulaient des superstructures
dont on attendait une meilleure coordination. Malheureusement ce fut une
demi-mesure. L’alliance Aviesan, qui était chargée de la coordination des
sciences de la vie et de la santé, ne disposait d’aucune responsabilité réelle
(droit moral), d’aucun budget, d’aucun pouvoir d’évaluation, qui restait
entre les mains de l’ANR. L’interaction des équipes était livrée à la bonne
volonté des établissements et à leur capacité à collaborer. Aviesan était une
table pour s’asseoir, un logo en forme de tigre de papier qui n’eut d’effet,
réduit au plus petit dénominateur, que lorsqu’un pouvoir de conviction fort
ou quelques intérêts communs purent se faire entendre.
Un observateur pourrait ainsi conclure que pour programmer, évaluer,
mettre en œuvre les programmes de recherche, construire une position en
Europe et à l’international, développer l’innovation et les interfaces avec la
société, deux modèles s’opposent : l’un, celui de l’ANRS, qui confie toutes
ces fonctions à un établissement qui fut l’objet de ce livre ; l’autre, choisi
pour toutes les autres sciences de la vie que le sida et les hépatites (et
dorénavant les infections émergentes), qui les disperse entre plusieurs
structures : ministères de la Recherche, de la Santé, des Affaires étrangères,
Aviesan, ANR, multiples établissements de recherche, universités, hôpitaux.
Ce même observateur pourrait dire : analysons et comparons les résultats !

Où l’on évalue les résultats français


Une découverte, un résultat publié, une idée brevetée peuvent être à
l’origine d’avancées extraordinaires pour la société, de nouveaux champs
incroyables de réflexion, de saut conceptuel. Un des meilleurs exemples fut
celui d’Ignace Semmelweis, inventeur de la première mesure d’hygiène, le
lavage des mains, bienvenu en ces temps de coronavirus. Il n’en fit aucune
publication et sombra dans la folie. L’histoire sut le rattraper. Mais toute
estimation de politique publique, surtout en recherche, ne peut se passer
d’indicateurs. Ceux-ci, principalement, sont d’ordre quantitatif. Aussi
l’estimation des performances, pour l’ANRS comme pour tout
établissement de recherche, se nourrit-elle de bases comme celles de Web of
Science, qui permet d’examiner et de comparer les publications par année et
entre pays. Évaluées par les pairs, les publications permettent, quoique
indirectement, de juger du résultat des recherches. Celles-ci s’apprécient par
le nombre d’articles, total ou par discipline, et par un facteur d’impact
calculé selon le nombre de fois où l’article est référencé. Comment se situe
la recherche française à travers ces critères ? La fragmentation des
structures, établissements, financements, processus de mise en œuvre a-t-
elle joué sur nos performances ? L’ANRS eut-elle de bons résultats ? Autant
de questions auxquelles une analyse ne peut que donner des indications de
réponse et laisser un lecteur en tirer, s’il le souhaite, quelques éléments de
conclusion.
La courbe de représentation du nombre de publications scientifiques
annuelles en France, toutes disciplines confondues, montre une
augmentation sensible dans la période 2005 à 2013, ensuite une stagnation
de sorte que la France est globalement passée de la cinquième à la huitième
place et devrait reculer à la neuvième place, désormais dépassée par le
Canada et l’Italie, et bientôt par l’Australie. Le volume des publications
n’est certes pas un facteur suffisant pour en déterminer l’impact, même si
cette mesure, qui peut être potentiellement biaisée, ne reflète pas forcément
le mérite du travail cité. Si, nonobstant, on regarde l’évolution de la France
comparée au taux mondial, l’impact des travaux à la fin des années 1990
avait un taux inférieur de 10 % à la moyenne mondiale. Ce taux est
aujourd’hui de 20 % supérieur à cette moyenne. Force est de constater
cependant qu’il stagne à ces valeurs depuis cinq ou six ans par rapport à
d’autres pays et se trouve ainsi derrière la Chine, le Danemark, la Hollande
et la Suisse. Cette performance moyenne doit être tempérée car elle diffère
par discipline. Biologie, dont immunologie et microbiologie, ces sciences
du sida et des hépatites sont en tête.
Qu’en est-il des publications de l’ANRS ? Sur la période 2013-2017, la
France représente 1,8 % des publications mondiales sur le VIH sida. Elle
arrive en sixième position derrière les États-Unis, le Royaume-Uni,
l’Afrique du Sud, la Chine, le Canada. L’ordre des pays qui devance la
France a changé si l’on considère les publications sur les hépatites, mais
elle conserve son sixième rang presque à égalité avec l’Allemagne. En
matière d’impact, la France est en quatrième position derrière l’Allemagne,
l’Australie et le Canada pour le VIH, Mais, de manière remarquable, en
première position si l’on considère les hépatites. Dans l’un et l’autre cas, la
France devance les États-Unis pour l’impact. Si la qualité des recherches
françaises sur le sida et les hépatites est à souligner, un regard doit aussi se
porter sur les efforts financiers des grandes nations qui figurent dans les
classements internationaux : les États-Unis disposent au cours des cinq
dernières années d’un budget annuel de recherche pour la seule recherche
VIH/sida (hors hépatites) de plus de 3 milliards de dollars, soit plus de
soixante fois le budget annuel de l’ANRS.
« L’ANRS est évaluée par son conseil d’administration, aujourd’hui
conseil d’orientation, rappelle Michel Kazatchkine, par la Cour des
comptes, le Conseil d’État, et de manière légère par la tutelle du ministère
de la Recherche. Sa meilleure forme d’évaluation ne reste-t-elle pas ce
positionnement de la recherche française sur le sida et les hépatites à
l’international, mais aussi, derrière ce contrat rempli, l’enthousiasme de
celles et ceux qui y participent ? »
Contrat rempli, mais, avec le temps, les enjeux ont changé…

Faire évoluer l’agence


Lorsque François Dabis, spécialiste en santé publique et épidémiologie,
prend la direction de l’agence en mars 2017, succédant à Jean-François
Delfraissy, celle-ci est prospère. L’ANRS a une feuille de route claire de
recherches sur le sida et les hépatites, et s’apprête à affronter un important
défi pour les mois à venir puisqu’elle doit coorganiser à Paris le congrès de
l’IAS, l’International AIDS Society, du 23 au 27 juillet de cette année-là.
Un succès pour la France. À Tolbiac, les services sont en pleine activité, les
projets arrivent régulièrement en réponse aux appels d’offres, évalués par
les comités, tandis que les actions coordonnées poursuivent leurs missions
d’animation. Tout semble en place pour durer. Tout ? S’il est un trait
commun aux épidémies, c’est bien leur évolution. Un jour émergentes et en
progression, elles peuvent s’atténuer, notamment du fait des médicaments
ou des mesures de prévention. Or, s’agissant des épidémies dont l’ANRS a
la charge, le paysage avait changé.
Non d’un bloc, mais progressivement au cours des cinq années
précédentes. Avec les progrès de la recherche passée aujourd’hui
disponibles pour le plus grand nombre, les défis que les scientifiques
devaient affronter avaient évolué. Un observateur pouvait ainsi noter que
l’infection VIH était devenue une maladie chronique, la charge virale dans
la très grande majorité des cas étant heureusement contrôlée par les
médicaments, ce qui empêchait à la fois l’infection de progresser chez
l’individu mais aussi bloquait sa transmission à l’autre. L’allégement
thérapeutique, les drogues de longue durée et bientôt injectables
restreignaient d’autant la construction de nouveaux protocoles, même s’il y
avait toujours des hypothèses possibles d’optimisation. Les nouvelles idées
innovantes avaient plus de mal à s’imposer. Mais il y avait autre chose, qui
tenait aussi au rapport entre l’ANRS et l’industrie, ou plutôt à une nouvelle
stratégie des groupes pharmaceutiques internationaux. Alors que
précédemment, les essais étaient souvent envisagés avec une participation
académique, l’industrie investissait désormais différemment. Il s’agissait
pour elle de tester ses nouveaux médicaments, choisissant à sa guise l’un ou
l’autre site dans le monde, dont certains français, mais se libérant de tout
partenariat institutionnel, au moins avec l’agence.
L’industrie voulait être maîtresse de son agenda et recruter à sa guise, en
France si l’occasion s’y prêtait, ou ailleurs si l’offre était plus opportune.
Au succès de la PrEP par voie orale avaient succédé de nouvelles stratégies
liées à l’utilisation possible de médicaments de longue durée. Là encore,
Jean-Michel Molina, membre du comité stratégique de l’ANRS, quand il
était sollicité, était amené à discuter plutôt à titre individuel qu’au nom de
l’agence. Les opportunités du futur se traitaient en direct avec des
investigateurs potentiels, s’écartant du modèle précédent de partenariat. Les
cohortes de patients VIH, désormais tous sous traitement, un des fleurons
de l’agence, restaient de grand intérêt pour traiter de nouvelles questions de
suivi à long terme, mais il fallait les faire évoluer en fonction notamment
des capacités à exploiter les importantes collections de spécimens
biologiques accumulés au fil du temps et précieusement stockés. La
recherche d’un vaccin préventif anti-VIH nécessitait sans doute aussi d’être
à nouveau réfléchie, alors qu’elle avait été négligée de longue date par
rapport au vaccin thérapeutique qui se testait de manière relativement
autonome sous l’égide du VRI avec le financement de l’agence. Or la
recherche française offrait peu de candidats vaccins crédibles à court terme.
Par ailleurs, il y avait du côté du VIH de nouvelles recherches de grand
intérêt si l’on regardait par exemple du côté des tentatives de mise en
rémission d’une partie des patients déjà traités efficacement par des
antirétroviraux. Le consortium de chercheurs RHIVIERA faisait des
découvertes intéressantes sur les mécanismes de contrôle du virus grâce
notamment à des expérimentations animales et se lançait à partir de 2019
dans l’utilisation d’anticorps monoclonaux dans certaines indications chez
l’homme, toutes tentatives dont on attendait les fruits à cinq ou dix ans.
Le paysage avait aussi beaucoup bougé du côté des hépatites. L’hépatite
C pouvait être guérie dans 95 % des cas par les médicaments antiviraux à
action directe, résultats auxquels, nous l’avons vu, l’ANRS avait largement
participé. Dès 2016, ces médicaments avaient pu être prescrits en France
pour tous les porteurs du virus de l’hépatite C. Des négociations avaient
abouti en 2017 à la baisse des prix pour en permettre un usage universel
remboursé par la Sécurité sociale. Agnès Buzyn, peu de temps après sa
prise de fonction en tant que ministre, avait fixé parmi les objectifs de la
stratégie nationale de santé la fin de l’épidémie d’hépatite C en France pour
2025. Ces circonstances heureuses n’étaient pas sans conséquence sur le
flux des recherches sur cette infection, même si la biologie et la
physiopathologie restaient en demande et que de grandes compétences en
recherche fondamentale ou translationnelle restaient mobilisées. Pour
l’hépatite B, le paysage était différent mais tout aussi évolutif. Depuis des
décennies, on disposait d’un vaccin très efficace contre l’hépatite B, mais il
n’avait pas été assez utilisé, y compris en France, pour qu’on en obtienne
tous les bénéfices. Ainsi, 257 millions de personnes de par le monde
restaient infectées par le VIH et les virus des hépatites (71 millions pour le
virus de l’hépatite C et 38 millions pour le VIH). Bon nombre de personnes
vivant avec une infection par le virus de l’hépatite B étaient à risque de
complications sérieuses, cirrhose ou cancer du foie. Restait aussi l’hépatite
D, souvent associée à l’hépatite B et qu’on connaissait encore mal.
VIH, hépatites virales… mais d’autres infections sont aussi dans le
spectre des infections qu’on qualifie de sexuellement transmissibles,
bactériennes, à champignons ou virales. L’usage de la PrEP les rendait
désormais plus visibles puisqu’elles touchaient les mêmes populations à
haut risque : homosexuels masculins à partenaires multiples, personnes des
deux sexes exerçant la prostitution, personnes transgenres. À toutes ces
modifications du champ et des opportunités de recherche, les sciences
humaines et sociales avaient apporté leur concours, mais, mobilisées autour
du VIH dont la transmission restait faible et limitée à ces groupes à haut
risque et difficiles d’accès, leurs recherches de terrain avaient du mal à
apporter des solutions contributives innovantes en matière de prévention.
En bref, devant ce paysage qui se découvrait différemment par de
nombreux côtés, la direction se devait de réfléchir à une nouvelle vision, et
pourquoi pas à une nouvelle agence. François Dabis se tourna vers le
président du conseil d’orientation, Louis Gautier, un haut fonctionnaire
d’expérience par son passage au secrétariat général à la Défense et à la
Sécurité nationale mais aussi en tant qu’administrateur du Sidaction ; il
consulta également beaucoup le conseil scientifique international de
l’agence.
On fit d’abord ce qui semblait simple. Modifier certaines des actions
coordonnées, notamment celle concernée par la recherche thérapeutique,
pour séparer animation et évaluation, en sorte de revenir à un modèle plus
classique, et supprimer l’action coordonnée dédiée au Sud pour l’incorporer
dans les autres instances d’animation jusqu’alors consacrées à la recherche
en France, ce qui avait été jusqu’alors formellement séparé car pouvant
relever d’autres populations et domaines des pays à ressources limitées.
Mais cette politique avait ses limites. Aussi prit-on une décision de plus
grande envergure. Ouvrir en 2019 les appels d’offres aux infections
sexuellement transmissibles et à la tuberculose. Il fallut vaincre quelques
préjugés car, le budget restant identique, l’ouverture n’était pas sans
partage. Surtout, il fallait mobiliser une nouvelle communauté qui,
s’agissant de la tuberculose, s’était sentie concernée dans les cas de co-
infections mais négligée autrement. Certes, on pouvait penser répondre par
ces mesures à certaines attentes, mais Francois Dabis comprenait bien qu’il
s’agissait d’initiatives ponctuelles qui ne faisaient pas vraiment évoluer le
modèle. Adapter le modèle… les précédents directeurs y avaient songé.
D’abord car, il faut le répéter, les épidémies nécessitent une continuelle
adaptation des recherches, ensuite car il faut aussi savoir attirer de
nouveaux talents. Avant son départ, Jean-François Delfraissy avait porté
une idée, celle de transformer l’agence en un Institut des maladies
infectieuses avec le contour de l’institut thématique d’Aviesan qu’il
dirigeait. Le ministère n’y donna aucune suite. François Dabis prit le sujet
différemment et, un temps, envisagea de créer une agence plus transversale,
sans se laisser limiter par un microbe ou l’autre, mais prenant à bras-le-
corps les problèmes de santé publique qu’ils induisaient et sans limites
géographiques ou de populations. Une agence de recherche en santé
mondiale. Un colloque international à Paris à l’automne 2019 fut l’occasion
de tester l’idée… et même le mot, un temps repris par d’autres avec
certaines ambitions.
Mais l’idée et le mot firent long feu. Les couloirs de l’Inserm n’en
faisaient pas écho et ceux du ministère de la Recherche encore moins, bien
absent sur ces nouveaux enjeux, pensant sans doute qu’il fallait donner du
temps au temps, sans savoir ou présumer que les épidémies n’attendent pas.
Or le microbe va plus vite que l’homme, et le SARS-CoV-2 survint début
2020. Ce fut lui, beaucoup plus que le politique, qui prit en main les
destinées de l’agence. Une leçon qui n’est pas totalement retenue, si l’on
pense aux défis des microbes qui nous menacent et sont laissés de côté par
la feuille de route de la nouvelle agence créée en janvier 2021. Car si la
nouvelle agence a bien pour mission de financer les recherches sur les
maladies infectieuses émergentes, tout en continuant celles concernant le
VIH et les hépatites, nombre de pathologies infectieuses restent encore
négligées !
Conclusion

Chaque épidémie a sa riposte, sanitaire, sociale, économique et


politique. Si le sida ne fut pas la seule démonstration où la recherche est
apparue comme un des premiers éléments de lutte contre une maladie
infectieuse, il en fut certainement un des principaux exemples, celle qui fut
le mieux conçue et conduite en France. Certes il y eut des recherches
françaises entreprises dès 1981, au moment où l’infection fit son apparition,
dont la qualité fut notamment reconnue par l’attribution du prix Nobel de
médecine ou physiologie à Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier.
Mais la structuration et la coordination des études entreprises n’apparurent
réellement qu’avec la création de l’Agence nationale de recherches sur le
sida, l’ANRS (cependant précédée d’un programme national en première
étape). L’histoire et l’analyse de la recherche française sur le sida puis, plus
tard, les hépatites, ainsi que les conclusions et perspectives que le lecteur
pourrait en tirer, se mêlent ainsi à celles de l’agence. Nous avons pris le
parti de décrire l’une par l’autre. Si cet ouvrage apporte ainsi un éclairage
sur les visions du passé consacrées à l’urgence infectieuse, il prend toute sa
valeur dans la perspective des épidémies à venir, dont l’alerte est donnée
par celle du Covid-19, bien que très différente. Nous entendons cependant
aller plus loin encore, en proposant à réflexion ce modèle dans le cadre de
la recherche en biologie et santé en France, mais plus encore dans celui de
la santé mondiale.
Les recherches sur le VIH rapprochent, nous l’avons vu, les multiples
aspects de la maladie. Les unes concernent le long cheminement des
associations médicamenteuses depuis le positionnement de drogues déjà
connues telle l’AZT jusqu’aux combinaisons aujourd’hui supportables et
efficaces faisant de cette infection une maladie chronique, qui cependant
continue à émerger et se diffuser dans le monde. Nous avons montré
l’importance des recherches physiopathologiques, où de nombreuses
incertitudes subsistent, y compris sur les principales questions telles que la
cause du déficit immunitaire, ou le contrôle de la latence virale. Nous avons
tenté d’identifier les études pour comprendre les corrélats de l’immunité ou
l’interaction du virus avec son hôte. Nous avons évoqué les multiples
tentatives de vaccination, leurs stratégies, dans l’espoir qu’un vaccin puisse
être trouvé un jour, sans qu’il soit possible aujourd’hui encore de
l’affirmer : une réponse immunitaire ne veut pas dire qu’elle puisse être
protectrice. Nous avons rapporté les recherches de tous ordres en sciences
humaines et sociales, qu’elles soient anthropologiques, sociologiques,
économiques ou politiques, et montré leurs rôles dont celui qu’elles
pouvaient avoir dans la prévention des risques. Nous avons décrit les
partenariats des scientifiques au Sud et montré de quelle manière cette
recherche, qui portait sur une épidémie qui sévissait dans des pays à
ressources limitées, notamment en Afrique subsaharienne et en Asie du
Sud-Est, fut associée aux politiques de développement. Nous avons vu
comment et combien ces recherches furent étendues avec succès au
domaine des hépatites, et, nous l’espérons, s’appliqueront avec réussite au
Covid-19.
Toutes ces recherches ne furent possibles qu’à travers la
programmation, le financement, l’évaluation des projets par l’agence. On
comprend, bien sûr, que la science n’est jamais loin du doute et qu’il n’y a
de vérité qui ne puisse être mise en cause par de nouveaux résultats. Que la
recherche ne peut répondre à tous les problèmes. Mais à ces généralités se
joignent deux séries de réflexions qui valent pour le modèle. L’une tient à la
manière si particulière dont les études furent exercées, l’autre aux actions
qui furent menées, au titre des politiques publiques, et lui donnent de ce fait
un rôle à part dans le panorama des recherches en santé.
Les recherches sur le sida, telles qu’elles furent encadrées par l’agence,
ont certes fait avancer les connaissances, mais, de manière tout aussi
importante, elles ont répondu à une attente sociétale et internationale. Elles
ont tenté d’apporter des réponses aux multiples questions que posait la
maladie, dépassant celles-ci pour apporter des solutions. Les essais
cliniques sont éloquents à cet égard. Alors qu’ils étaient dans le passé
tournés vers la valorisation d’une molécule issue de l’industrie, il s’est agi
d’élaborer une stratégie thérapeutique. L’ANRS est apparue comme une
ambition de rupture avec le paysage conceptuel de la clinique plus tourné
vers l’observation. Parce qu’il s’agissait de s’intéresser à la demande et aux
besoins de la société, il est intéressant de noter que la lutte contre les
maladies infectieuses est apparue comme une mise à disposition publique
de la connaissance, parmi les premiers biens publics mondiaux proposés par
Joseph Stiglitz lorsque le concept s’est développé dans la seconde moitié
des années 1990. Cela ressort d’ambitions partagées par les scientifiques et
la société.
Très tôt, en effet, il fut montré que les questions découlent les unes des
autres et s’enchevêtrent, si bien que la manière d’y répondre ne peut
dépendre que d’interactions entre disciplines différentes. Bien évidemment,
s’agissant d’un virus, l’infectiologie, la microbiologie, l’immunologie
furent sollicitées, mais justement parce que le sida revêtait une dimension
sociale comme sanitaire, les sciences de l’homme et de la société y ont été
associées. Tous les acteurs de la recherche ont été réunis. Certes, dans le
monde d’aujourd’hui, cette attente est évidente. Pour analyser, connaître et
comprendre, il faut savoir passer d’un domaine à l’autre. Ce n’était pas le
cas avant les années 1990, avant que la constitution des actions
coordonnées ne réunisse dans un même objectif des experts de disciplines
diverses. Cette multidisciplinarité, qui fut un des éléments clés de la
réussite, demeure une des nécessités majeures de la recherche en santé. En
même temps, on retiendra que sa mise en œuvre a induit de nouvelles
méthodes. Ainsi, la conduite des essais thérapeutiques, comme cela fut
indiqué, a nécessité une réflexion appropriée sur les techniques de
randomisation en double aveugle, les traitements statistiques, précurseurs,
au moins en France, d’une nouvelle expertise clinique. Ces stratégies
d’intervention avaient un double bénéfice, pour les patients et la santé
publique. De nombreux cliniciens y ont vu une continuité de leurs activités
de soin et une amélioration de leur qualité. De même, de manière originale
et novatrice, les recherches en sciences humaines et sociales sont passées
d’une réflexion avisée à une stratégie interventionnelle de dépistage et de
communication. L’épidémiologie y a contribué. Toutes ces initiatives
permirent aux chercheurs de l’ANRS d’être pionniers d’un certain nombre
d’avancées, telles que la prévention de la transmission fœto-maternelle,
la circoncision, la PrEP (essais Ipergay) ou encore les effets de la co-
infection par la tuberculose (essais Camelia). La rançon du succès fut qu’un
tel bénéfice fut parfois attribué, sinon revendiqué par d’autres, notamment
les équipes anglo-saxonnes.
La conduite des activités de recherche s’est aussi enrichie par deux
autres évolutions qui nous paraissent remarquables. La première est d’avoir
associé à la réflexion et la mise en œuvre des essais cliniques les
scientifiques et la société civile, représentée par les associations de patients.
Nous avons vu que cette initiative fut effectuée à la demande de ceux-ci,
mais justement de ce fait, cette rencontre de deux mondes différents, de
deux cultures, prend une importance majeure et nous semble conduire à
l’exemplarité dans d’autres domaines. D’un autre côté, un des aspects
majeurs des recherches entreprises fut d’avoir mêlé cliniciens et
fondamentalistes, ou au moins d’avoir provoqué chez ces derniers une
réflexion sur leur impact et d’une certaine manière sur leurs choix de
recherche. S’agissant des maladies infectieuses, on rejoint là une tradition
pasteurienne, mais la science fondamentale, qui par définition est livrée à la
liberté et à la sagacité de l’expérimentateur, est d’ordinaire plus portée vers
la connaissance que ses applications. Elle y a trouvé des passerelles jusqu’à
voir l’importance de l’expérimentation animale, que les directions
successives de l’ANRS ont su favoriser. Cette approche intégrée fut
essentielle pour mieux comprendre la physiopathologie, identifier de
nouvelles molécules, interventions thérapeutiques ou vaccinales. Ce
dialogue entre amont et aval, fondamental et clinique, fut indispensable
pour assurer une complémentarité et s’est enrichi de coordination par
l’agence. Il se poursuit plus loin aujourd’hui, en favorisant une recherche
dite « opérationnelle », car elle s’effectue dans ses applications grandeur
nature en vie sociétale. Les études sur la circoncision sont à cet égard
emblématiques. À travers ce continuum, dont on peut dire qu’il a mis la
recherche française souvent au premier rang, il est cependant une faille, car
ainsi que l’ont signalé certains interlocuteurs, la recherche n’a pu parfois
conduire à l’innovation, à l’identification de nouveaux produits. Cela est dû
sans doute à un défaut français qui lie insuffisamment la recherche et sa
valorisation.
D’un autre côté, l’ANRS a joué un rôle important en matière de
politique publique. D’abord, ainsi que nous l’avons dit, elle s’est installée
comme un des éléments majeurs de la riposte, montrant qu’il n’y a pas
d’action efficace contre les épidémies si l’on n’instaure pas une recherche
d’importance, dont l’ambition fut aussi de s’installer dans la contribution
internationale à la lutte. Elle accompagna les initiatives des autres agences
françaises en matière de soin et de prévention. Mais aussi, elle s’est
mobilisée en même temps que le discours politique en faveur des pays à
ressources limitées, notamment avec l’introduction des antiprotéases,
l’accès aux génériques, ou la réduction des infections chez les usagers de
drogues. Dans ces partenariats avec le Sud, l’ambition était triple. Il
s’agissait pour l’ANRS de participer activement et prioritairement à la lutte
contre une épidémie qui touchait avant tout ces pays dans le cadre d’une
réponse internationale, comme l’indiquait le discours de Jacques Chirac
d’Abidjan. Les initiatives cherchaient aussi à étendre à d’autres les
bénéfices des recherches à travers la cocréation de programmes et biens
communs, ou à favoriser un renforcement de capacité. Au-delà, il s’agissait
d’actions militantes de lutte contre la pauvreté, la stigmatisation, pour la
solidarité, les droits de l’homme. La lutte contre le sida a apporté un
nouveau regard, non seulement sur la santé, mais également sur les
iniquités. En cela, ce fut une recherche engagée.
S’il existe ainsi de nombreuses particularités et spécificités du modèle,
non par une seule des caractéristiques que nous avons définies ci-dessus,
mais par l’ensemble, peut-on dire que l’analyse en fut suffisamment
réfléchie par les pouvoirs publics nationaux ou internationaux pour vouloir
le reproduire ou l’incorporer à certaines stratégies concernant d’autres
domaines ? En France le modèle est resté unique, et s’il a intéressé nos
présidents, peut-être plus que nos ministres, c’est pour signaler son
originalité, s’intéresser à ses actions, non pour en tirer des conséquences sur
la manière de concevoir et structurer la recherche française. Nous avons vu
que Jean-Paul Lévy avait accepté la direction de l’ANRS pour tenter de
changer le système. S’il y eut une évaluation des prouesses scientifiques,
aucune réflexion de fond ne s’est engagée à notre connaissance pour
étendre le modèle à d’autres champs de la santé, incorporer certains de ses
bénéfices dans une vision élargie de la conduite de nos politiques publiques
de recherche. Dans le système français de recherche, l’ANRS est restée à
part, un instrument original mais nullement revendiqué pour être reproduit
ou intégré dans une vision d’avenir. De même, les actions internationales de
l’ANRS ne furent que peu associées aux priorités, à la stratégie et à la mise
en œuvre de la politique de la France à l’étranger. Pour beaucoup, elle ne
fut qu’un des éléments du dispositif extrêmement complexe de notre
influence et de nos partenariats sans qu’une réelle intégration soit
revendiquée même si, comme on l’a vu, elle accompagna les actions
humanitaires et humanistes de certains de nos dirigeants. Ce qui fut vrai en
France, le fut au niveau européen. Ainsi, dans la conduite subtile des essais
cliniques où la collaboration entre institutions aurait pu être facilitée, nous
avons vu les échecs des tentatives de l’ANRS pour proposer un partage
d’expérience et une mise en œuvre par une politique commune.
Le modèle singulier que représente ainsi l’ANRS fut une illustration de
ce qu’on a appelé l’« exception du sida » en réponse au drame de l’infection
par le VIH. L’agence soutiendra par la suite la recherche sur les hépatites.
Les défis du Covid-19 viennent aujourd’hui à nouveau modifier sa feuille
de route. Son modèle devrait lui permettre de continuer une politique
innovante de lutte contre les épidémies, poursuivant son dialogue avec la
société. S’intégrera-t-il à d’autres éléments de la politique française en
recherche, en les transformant ? Se tournera-t-il vers une vision plus large
sur la mondialisation qui cependant requiert de concilier les ambitions de
lutte contre les maladies infectieuses avec les priorités de la couverture
universelle et les objectifs du développement, dans un monde où persistent
des inégalités en santé et où les droits de l’homme sont encore malmenés ?
La décision appartient au politique, mais il restera, quoi qu’il en soit, que la
recherche française consacrée au sida et aux hépatites que nous avons
cherché à décrire et à analyser devrait être proposée en modèle pour
d’autres domaines médicaux car elle a su créer, en plus de ses
performances, une communauté de scientifiques dont le partage des valeurs
va bien au-delà de la connaissance : à la poursuite d’un nouvel humanisme.
Le 16 décembre 2020 nous nous sommes retrouvés Jean-François
Delfraissy et moi-même pour discuter des perspectives de l’ANRS, et plus
largement de la lutte contre les épidémies. Une pâle lumière d’hiver
éclairait la table qui nous séparait et nos masques de protection contre le
Covid-19. La veille, la ministre de la Recherche et la direction de l’Inserm
avaient annoncé la création d’une nouvelle agence ANRS, à dater du
1er janvier 2021. Fusion de deux structures, l’ANRS et Reacting, la
direction du nouvel établissement était confiée à Yazdan Yazdanpanah, qui
dirigeait déjà le consortium Reacting. Le logo symbolique était conservé
avec quelques améliorations tandis que les missions s’élargissaient. Au
soutien des recherches sur le sida et les hépatites, ainsi que depuis un an
celles sur la tuberculose et les maladies sexuellement transmissibles,
l’ANRS intégrait la lutte contre les épidémies émergentes, une décision que
la crise du Covid-19 faisait plus que légitimer. L’agence repartait sur de
nouvelles bases, suivant les défis de l’actualité – plus cependant que les
précédents – comme cela avait été par le passé. « Ce qui est important,
énonça Jean-François Delfraissy que j’interrogeais alors, c’est que le
modèle demeure. Si nous analysons ensemble les nouvelles ambitions
confiées à l’établissement et sa feuille de route, nous retrouvons la
recherche sur les épidémies dans tous ses états, de l’opérationnel au
fondamental, un terme qui s’applique aux sciences de base, même si la
recherche est conçue pour être appliquée. L’ANRS continuera de mener des
essais thérapeutiques, testant les produits innovants de l’industrie
pharmaceutique, une place que cette agence d’État a su prendre pour
valoriser la découverte de nouvelles molécules sans laisser les Big Pharma
en tester seuls les performances. On peut s’attendre à ce que la
multidisciplinarité des sciences de la biologie et de la médecine, enrichie
des sciences humaines et sociales et de la santé publique, mènera les
nouveaux combats contre les microbes, mais en favorisant plus encore une
vraie politique de prévention. Il faudra encourager et accompagner la
nouvelle agence dans ses partenariats au Sud en coconstruction,
développant plus encore des programmes à l’international. Bien sûr, le
milieu associatif y trouvera toujours sa place, renforcée, au cœur d’une
recherche créée autour et pour le citoyen. Le modèle va perdurer, et c’est
bien. » Il marqua un temps d’arrêt, puis ajouta : « Tu vois, si nous nous
rappelons tous les deux les débuts de l’agence, il y a plus de trente ans
maintenant, et l’attente que nous en avions, je suis convaincu que nous
avons fait bouger les lignes et valorisé ce qu’apporte la recherche à la lutte
contre les maladies infectieuses. Avons-nous cependant été toujours et
suffisamment compris ? Je ne sais.
– Pourtant il faut que la science soit comprise, aussi bien du politique
que de la société », repris-je alors, concluant notre entretien sans cependant
mettre une fin à celui construit avec le lecteur, et que ce livre souhaite
poursuivre ! En matière de menace infectieuse, comme celle du SARS-
CoV-2 aujourd’hui, nous savons combien il est important de connaître et
comprendre les moyens de lutte qu’offrent la recherche et les chercheurs.
C’est toute l’ambition de l’ouvrage. Puisse le lecteur nous accompagner
dans cette démarche, s’armer ainsi pour les défis actuels du Covid-19 et
ceux du futur, car l’histoire fait prédire d’autres émergences infectieuses et,
au-delà, mieux comprendre ce qu’est la recherche en temps d’épidémie,
facteur essentiel de la lutte contre ces fléaux.
1
Bibliographie

Rapports, publications et ouvrages ayant trait


à la recherche sur le sida et les hépatites

ANRS, Bulletin de l’Agence nationale de recherches sur le sida, no 1


(octobre 1989)-no 39 (janvier 2004).
(Éditoriaux, rapports de réunions, ateliers, colloques, conférences,
rapports de recherche, analyses, publications…)
Rapport ANRS 1989-1993 : 5 années d’activités et perspectives.
Rapport ANRS 1989-1993 : Les recherches soutenues.
Rapport ANRS 1988-1998 : 10 ans de recherche sur le sida en France.
Rapport ANRS 1989-1992 : Recherches cliniques et épidémiologiques.
Rapport ANRS 1989-1996 : Activités et perspectives.
Rapport ANRS 1998-2000 : Rapport d’activité.
Rapport ANRS 2000-2002 : Rapport d’activité. Pour lutter contre le
VIH/sida et l’hépatite C.
Rompre le silence, numéro spécial 2000.
Access for all, numéro spécial 2004.
Rapport ANRS 2006 : Rapport d’activité.
Passons aux actes, numéro spécial 2006.
Rapport ANRS 2008 : Rapport d’activité.
Rapport ANRS 2009 : Rapport d’activité.
Rapport ANRS 2010 : Rapport d’activité.
Rapport ANRS 2011-2012 : Rapport d’activité.
Rapport ANRS 2013-2014 : Rapport d’activité.
Rapport ANRS 2014-2015 : Rapport d’activité.
Rapport ANRS 2017-2018 : Rapport d’activité.

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sexuels en France, La Documentation française, 1993.
Les Jeunes face au sida : de la recherche à l’action. Une synthèse des
enquêtes et des recherches françaises, ANRS, collection « Sciences
sociales et sida », 1994.
Connaissances, représentations, comportements, ANRS, collection
« Sciences sociales et sida », 1994.
Les Homosexuels face au sida : rationalités et gestion des risques,
ANRS, collection « Sciences sociales et sida », 1996.
Le Dépistage du VIH : politiques et pratiques, ANRS, collection
« Sciences sociales et sida », 1996.
Geneviève Paicheler, « Modèles pour l’analyse et la gestion des risques
liés au VIH : liens entre connaissances et actions », Sciences
sociales et santé, 1997, 15, 4.
Le Sida en Europe : nouveaux enjeux pour les sciences sociales, ANRS,
collection « Sciences sociales et sida », 1998.
Des professionnels face au sida : évolution des rôles, identités et
fonctions, ANRS, collection « Sciences sociales et sida », 1998.
Séropositivité, vie sexuelle et risque de transmission du VIH, ANRS,
collection « Sciences sociales et sida », 1999.
Évaluer la prévention de l’infection par le VIH en France, synthèse des
données quantitatives (1994-1999), ANRS, collection « Sciences
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Annabel Desgrées du Loû, France Lert (dir.), Parcours. Parcours de vie
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Gabriel Girard, Véronique Doré, « Thirty years of research on gay men
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Recrutement-engagement dans des essais cliniques en prévention :
contextes, logiques sociales et médiations, ANRS, collection
« Sciences sociales et sida », 2018.

Ouvrages de référence, essais et réflexions, récits


et fictions ayant trait au sida et aux hépatites

Claude Got, Rapport sur le sida, Flammarion, 1988.


Cyril Collard, Les Nuits fauves, Flammarion, 1989.
Hervé Guibert, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Gallimard, 1990.
Robert Gallo, Chasseur de virus. Cancer, sida et rétrovirus humain,
Robert Laffont, 1991.
Ariel Beresniak, Gérard Duru, Économie de la santé, Masson, 1992.
Luc Montagnier, Des virus et des hommes, Odile Jacob, 1994.
Mirko D. Grmek, Histoire du sida. Début et origine d’une pandémie
actuelle, Payot, 1995.
Patrice Debré, Les Traitements du sida, Flammarion, 1997.
Willy Rosenbaum, La vie est une maladie mortelle sexuellement
transmissible constamment mortelle, Le Livre de Poche, 2000.
Didier Lestrade, Act Up, une histoire, Denoël, 2000.
Patrice Pinell, Christophe Broqua, Une épidémie politique, la lutte
contre le sida en France (1881-1996), PUF, 2002.
Éric Favereau, Nos années sida. Vingt-cinq ans de guerres intimes, La
Découverte, 2006.
Évelyne Moulin, Les Virus, Le Cavalier bleu, 2007.
Françoise Barré-Sinoussi, Pour un monde sans sida. Un combat
partagé, Albin Michel, 2012.
Stéphane Biacchesi, Christophe Chevalier, Marie Galloux, Christelle
Langevin, Ronan Le Goffic, Michel Bremont, Les Virus. Ennemis ou
alliés ?, Quae, 2017.
Act Up-Paris, Sida, des bases pour comprendre, La Découverte,
collection « Information = pouvoir », 2010.
Didier Lestrade, Gilles Pialoux, Sida 2.0. Regards croisés sur trente ans
d’une pandémie… et demain ?, Fleuve Éditions, 2012.
Sida, trente ans de lutte contre le virus, Le Monde Éditions/Le Monde
Histoire, collection « Comprendre un monde qui change », 2014.
1. Cette bibliographie est classée par ordre chronologique.
Index chronologique
1981 Annonce par le CDC américain des premiers cas de sida.

1983 Première description française du VIH-1, virus responsable du sida, dans la


revue Science.
Déclaration de Denver, charte rédigée par les gays américains malades du
sida, décrivant le programme de l’activisme sida, lors du IIe Congrès
national des États-Unis sur le sida : Nous luttons pour la vie.

1985 Commercialisation des premiers tests de dépistage sérologiques du VIH-1.


Première enquête sur le sida en France.
Premier réseau ville-hôpital pour le sida.
Découverte du VIH-2.

1986 Le sida est déclaré cause nationale en France.

1987 Mise en place du Programme national de recherche sur le sida.


Libéralisation de la vente de seringues en France.
Début des essais internationaux de vaccin contre le VIH basés sur la
réponse anticorps contre l’enveloppe virale.
L’Assemblée générale des Nations unies vote une résolution invitant tous
les États et toutes les agences onusiennes à coopérer pour lutter contre la
pandémie de VIH.

1988 Création de l’Agence nationale de recherches contre le sida.


La direction de l’ANRS est confiée à Jean-Paul Lévy.
Début de l’essai Concorde (effet de l’AZT).
Mise en place de la cohorte Seroco de suivi de patients infectés par le VIH
avec collection d’échantillons biologiques.

1990 Communication des premiers résultats d’efficacité des antiprotéases lors du


congrès de San Francisco.

Première enquête KABP sur les connaissances, attitudes, comportements


et pratiques face au sida.
Création du premier site ANRS au Sénégal.

1991 Premier recrutement par l’ANRS de volontaires pour le vaccin contre le


VIH.
Des études internationales de cohortes montrent qu’un faible pourcentage
de patients maintiennent un taux de lymphocytes normaux pendant plus de
dix ans sans traitement.

1992 L’ANRS est créée en tant que groupement d’intérêt public (GIP).
Constitution du TRT-5, groupe de travail interassociatif (Action Traitement,
Act Up-Paris, AIDS, Arcat-Sida, Vaincre le sida).
Enquête de l’ANRS sur le comportement sexuel en France.
Rapport des autorités sanitaires internationales sur l’infection par le VIH de
3 500 enfants en Europe (2 000 en Roumanie).
Premier cas de résistance à un traitement antirétroviral (AZT).

1993 Publication des résultats de l’essai Concorde.


Mise en place du premier essai pédiatrique contre le VIH (Penta 1).
Conférence de consensus de la Société de pathologie infectieuse de
langue française sur le traitement de la toxoplasmose au cours de
l’infection VIH.

1994 Création des sites ANRS en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso.


Premier succès de prévention de la transmission mère-enfant par l’AZT
administrée lors de l’accouchement.
Sommet de Paris sur le sida organisé conjointement par l’OMS et le
gouvernement français. 42 États y participent. Une déclaration commune
affirme la solidarité avec les patients infectés par le VIH, la priorité de la
lutte contre le sida, mais aussi contre la pauvreté, l’exclusion et la
discrimination.

1995 Essais internationaux de vaccins utilisant des virus recombinants à partir du


virus de la variole du canari ou utilisant l’ADN.
Premiers résultats de trithérapies avec antiprotéase. Ceux-ci sont confirmés
lors de la IIIe Conférence sur les rétrovirus et les maladies opportunistes qui
se tiendra à Washington en janvier 1996.
Premiers résultats internationaux d’efficacité de traitement par interféron
pégylé et ribavirine dans l’hépatite C.
Création d’Onusida, programme commun des Nations unies sur le
VIH/sida.

1996 Essais Trilege d’allégement thérapeutique.


Le slogan de la XIe Conférence internationale sur le sida qui se tient à
Vancouver est : « One World One Hope ».

Identification du SDF-1, ligand du récepteur de chimiokine CXCR-4, un des


corécepteurs du VIH, par une équipe française.
Découverte par une équipe française d’un des mécanismes d’échappement
du VIH, la réduction de l’expression du complexe majeur
d’histocompatibilité de classe 1 par la protéine virale Nef.

1997 Première démonstration dans la revue Science de reconstitution


immunitaire lors des traitements antirétroviraux efficaces.

1998 Nomination de Michel Kazatchkine à la direction de l’ANRS.


Discours de Jacques Chirac à Abidjan témoignant sur les différences
d’accès aux traitements entre Nord et Sud lors de la Xe Conférence
internationale sur le sida et les maladies transmissibles en Afrique.
Premier essai d’évaluation des thérapeutiques antirétrovirales en Afrique.
Début de subvention par l’ANRS de recherches sur l’hépatite C limitées aux
cas de comorbidité.
Le slogan de la XIIe Conférence sur le sida qui se tient à Genève est :
« Bridging the Gap ».

1999 Les recherches cliniques, thérapeutiques et en sciences sociales sur


l’hépatite C sont confiées à l’ANRS.
Premiers essais de trithérapie en une prise.
Création du site ANRS au Cameroun.

2000 Création de sites ANRS au Cambodge et au Vietnam.


Des essais internationaux de vaccin favorisent une stratégie de prime-boost
pour induire des cellules cytotoxiques et des productions d’anticorps contre
l’enveloppe du VIH, utilisation d’adénovirus comme virus recombinants,
recherche de réponses dirigées contre des protéines de régulation virale.
Conférence internationale sur le sida à Durban, pour la première fois dans
un pays du Sud. Le slogan est : « Break the Silence ». La revue Nature
publie à l’occasion de cette conférence une déclaration dite de Durban où
5 000 médecins et scientifiques, dont onze prix Nobel, affirment que le VIH
est la cause du sida.

2001 Étude de l’efficacité du traitement antirétroviral au Vietnam chez les


usagers de drogues.
Création du site ANRS Brésil.
Session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies
consacrée à la lutte contre le VIH/sida afin de susciter un engagement
mondial pour la lutte contre l’épidémie : l’OMS avait communiqué pour
l’année 2000 que l’infection atteignait 36 millions d’individus, dont 70 % des
adultes et 80 % des enfants en Afrique subsaharienne. En France, cette
année-là, il y eut 100 000 personnes infectées.

Création du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le


paludisme, instrument financier pour la lutte contre ces épidémies qui
commencera ses activités en janvier 2002.

2002 Charte d’éthique de la recherche créée par l’ANRS à usage des pays à
ressources limitées.

2003 Enquête auprès des personnes atteintes du VIH (VESPA).


L’ANRS coorganise avec l’IAS (International AIDS Society) la
IIe Conférence internationale sur la pathogenèse et le traitement du sida.
Création du President’s Emergency Plan for AIDS’ Relief (Pepfar),
programme d’urgence consacré à la lutte contre le sida à l’étranger, lancé
par le président des États-Unis, George W. Bush.
Création de l’EDCTP, European and Developing Countries Clinical Trials
Partnership, programme proposé par l’Europe et les pays africains pour
soutenir les essais cliniques, le développement de médicaments et vaccins
pour la lutte contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme.

2004 Enquête sur la prévalence du VIH et du VHC chez les usagers de drogues
(Coquelicot).
Efficacité de l’utilisation des génériques antirétroviraux en Afrique.

2005 Jean-François Delfraissy prend la direction de l’ANRS.


Efficacité de la circoncision en prévention de l’infection VIH démontrée par
un essai conduit en Afrique du Sud.
La recherche fondamentale sur le VHC et la recherche sur le VHB sont
confiées à l’ANRS.
Début des études sur le rôle des réponses innées dans le contrôle des
réponses VIH/SIV chez les singes verts et chez l’homme.

2006 Essais des traitements inhibant l’entrée du VIH.


Essais des traitements anti-intégrase.
Le chimpanzé Pan troglodytes est le réservoir naturel des souches M et N
du VIH.
Création du programme/site de l’ANRS en Égypte sur les hépatites.
Création d’Unitaid, organisation proposée par le président Jacques Chirac
et le président brésilien Luiz Inacio Lula Da Silva, financée par une taxe de
solidarité sur les billets d’avion, pour réduire le prix des médicaments contre
le VIH, la tuberculose et le paludisme ainsi que les comorbidités liées au
VIH dans les pays à ressources limitées ou intermédiaires.

2007 Combinaison d’antiprotéase avec effet boost.


Autorisation de l’Agence européenne de mise sur le marché de trithérapie
en une seule prise.

2008 Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier reçoivent le prix Nobel de


physiologie ou médecine pour la découverte du VIH.
2009 Essais de traitements par inhibiteurs du corécepteur du VIH.
Publication de premiers résultats d’efficacité d’un vaccin contre le VIH
effectué en Thaïlande (RV144). Ceux-ci ne seront pas confirmés par la
suite.
Les types O et P du VIH-1 sont proches du SIV infectant le gorille.
Recommandation par la Haute Autorité de santé de l’utilisation des tests de
dépistage rapides (TROD) du VIH dans les structures non médicalisées.

2010 Nouvelle stratégie internationale de vaccination contre le VIH cherchant à


induire des anticorps neutralisants à large spectre.

2011 Démonstration de la supériorité de la trithérapie prise au cours de la


grossesse et de l’allaitement pour prévenir la transmission mère-enfant.
Publication des résultats de l’essai Camelia testant l’introduction précoce
des antirétroviraux après l’initiation du traitement antituberculeux chez les
patients co-infectés.
Découverte du SAMHD-1, facteur de restriction du VIH dans les cellules
dendritiques par une équipe française.
Résultats d’efficacité des antiprotéases associées à l’interféron pégylé et à
la ribavirine contre l’hépatite C.

2012 L’ANRS devient agence autonome de l’Inserm et cesse d’exister en tant


que GIP.
L’essai Ipergay confirme que la prophylaxie préexposition (PrEP) « à la
demande » est une méthode très efficace de prévention du risque.
Création du Vaccine Research Institute.
Mise en place de la cohorte de suivi des hépatites (Hepather).
Début de l’essai TasP (traitement comme mode de prévention, dont l’effet
est testé en Afrique du Sud).
Premiers résultats des antiviraux à action directe contre l’hépatite C.

2013 Première publication de l’essai Visconti démontrant que des patients


peuvent contrôler leur infection sept ans après arrêt de leurs traitements.
Financé par Unitaid et porté par un consortium réunissant l’association
Solthis, Expertise France, l’ANRS et Sidaction, le projet OPP-ERA permet
l’introduction de la mesure de charge virale au Burundi, au Cameroun, en
Côte d’Ivoire et en Guinée.
Création par Jean-François Delfraissy de Reacting, réseau
interinstitutionnel d’équipes collaborant à la recherche sur les maladies
infectieuses émergentes.
Création de GloPID-R, réseau international de fondations pour la
préparation aux épidémies émergentes.
2014 Contrôle de la transmission mère-enfant par monothérapie antiprotéase.
Apparition d’une épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest.
Isolement de la souche d’Ebola au P4 de Lyon.

2015 Les nouvelles recommandations de l’OMS préconisent de traiter les


patients infectés par le VIH dès leur diagnostic.
Les programmes « test and treat » (tester et traiter) pour le VIH sont
recommandés par l’OMS comme moyen de réduire la maladie et les décès
liés au VIH, ainsi que la transmissibilité du VIH.

2016 Création du CEPI (fondation privée/publique pour aider les innovations en


matière de lutte contre l’émergence épidémique).

2017 François Dabis prend la direction de l’ANRS.


IXe Conférence sur le VIH à Paris coorganisée par l’ANRS.

2018 Création de l’IDMIT, infrastructure dédiée aux modèles animaux.


Définition de nouvelles priorités associant au VIH et aux hépatites les
recherches sur la tuberculose et les maladies sexuellement transmissibles.
L’OMS annonce qu’un traitement de courte durée par des antiviraux à
action directe est en mesure de guérir la plupart des personnes présentant
une infection par le VHC avec ou sans cirrhose.

2020 Apparition de l’épidémie de SARS-CoV-2.

2021 L’ANRS se voit confier la recherche sur les maladies infectieuses


émergentes.
Yazdan Yazdanpanah est nommé à la direction de l’ANRS.
L’efficacité de la PrEP à la demande après trois ans de suivi est présentée
à la CROI 21.
Glossaire terminologique et des acronymes

AC 5. Action coordonnée (numéro 5) dédiée aux essais thérapeutiques.

ACTG. Aids Clinical Trials Group ; c’est l’organisation américaine des


centres de soins et d’essais cliniques sur le sida.

Adjuvant de Freud. Mélange lipidique utilisé dans les techniques


d’immunostimulation.

AFLS. L’Agence française de lutte contre le sida fut créée en 1989 par le
gouvernement français. Elle avait notamment pour mission de coordonner
les efforts de prévention du sida. Elle fut dissoute en 1995.

AFRAVIH. Alliance francophone des acteurs de santé contre le VIH et les


infections virales chroniques.

AFSSAPS. Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.


Créée en 1999, elle a pris depuis 2012 le nom d’Agence nationale de
sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Apoptose. Une des voies possibles de la mort cellulaire. Ce mot provient


d’une locution grecque évoquant la « chute des feuilles ».

Apprêtement de l’antigène. Processus consistant en la fragmentation


partielle d’un antigène protéique en peptides antigéniques, puis en
l’association de chacun de ces peptides à une molécule du complexe majeur
d’histocompatibilité (HLA).

Aviesan. Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé.

AZT. Zidovudine, premier médicament antirétroviral utilisé contre le VIH.

Bareback. Ce terme désigne le choix délibéré de rapports sexuels non


protégés malgré un risque de contamination par le VIH ou autres infections
sexuellement transmissibles.

CDC. Centers for Disease Control and Prevention (Centres pour le contrôle
et la prévention des maladies), principale agence fédérale des États-Unis en
matière de protection de la santé publique.

CD4. Glycoprotéine exprimée à la surface de certaines populations de


cellules immunitaires, impliquée dans la réponse immune, principal
récepteur du VIH.

CD8. Glycoprotéine exprimée à la surface de certaines populations de


cellules immunitaires, impliquée dans la réponse immune cytotoxique
(tueuse).

CEA. Commissariat à l’énergie atomique.

CEPI. Coalition pour les innovations en matière de préparation aux


épidémies. Fondation créée à l’occasion du Forum économique mondial de
Davos en 2017, elle est dotée de fonds provenant d’États, d’organisations
philanthropiques ou d’organisations provenant de la société civile.

Chimiokines. Cytokines impliquées dans la migration cellulaire.


CNIL. Commission nationale de l’informatique et des libertés créée en
1978.

CNRS. Centre national de la recherche scientifique.

CROI. Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes.

Cytotoxicité. Désigne la propriété à être toxique pour une cellule.

DdC (2’-3’-didesoxycytidine ou ddC). Aussi appelée didesoxycytidine,


c’est un médicament antirétroviral, analogue nucléosidique, inhibiteur de la
transcriptase inverse.

Dendritique (cellules dendritiques). Cellules du système immunitaire inné


impliquées dans la présentation de l’antigène, caractérisées par des
prolongements cytoplasmiques (dendrites).

Didanosine (2’-3’-dideoxyinosine ou DDI). Médicament antirétroviral


inhibiteur nucléosidique de la transcriptase inverse.

DMI 2. Système d’information centré sur le patient qui a pour but de saisir
et de traiter des informations de nature médicale, clinique, épidémiologique
et d’activité hospitalière, concernant les patients infectés par le VIH et
suivis dans les services hospitaliers. Il est cogéré par le ministère de la
Santé et l’Inserm.

D4T (2’-3’-didéhydro-2’-3’-didéoxythymidine ou d4T). Médicament


antirétroviral inhibiteur nucléosidique de la transcriptase inverse.

EDCTP (European and Developing Countries Clinical Trials


Partnership). Organisation multilatérale, partenariat entre les pays
européens et l’Afrique subsaharienne pour les essais cliniques, notamment
contre le VIH, la tuberculose et le paludisme.
EPIC. Établissement public à vocation industrielle et commerciale.

EPST. Établissement public à caractère scientifique et technologique.

FDA (Food and Drug Administration). Administration américaine de


surveillance des denrées alimentaires et des médicaments.

GIP. Groupement d’intérêt public qui permet à des partenaires publics et


privés de mettre en commun des moyens pour la mise en œuvre de missions
d’intérêt général.

GloPID. Initiative mondiale fédérant un réseau de bailleurs de la recherche


afin de permettre une réponse efficace contre les épidémies.

HLA (human leucocyte antigens). Les antigènes HLA sont codés par les
gènes d’une région appelée « complexe majeur d’histocompatibilité »,
impliquée dans le rejet des greffes et la présentation des antigènes.

HTLV (human T-lymphotropic virus). Les virus HTLV font partie de la


famille des Retroviridae (rétrovirus) mais sont différents des virus VIH. Le
virus HTLV-1 est responsable d’une leucémie à cellules T et d’une affection
neurologique tropicale, la paraparésie spastique.

HVTN. Le HIV Vaccine Trials Network est une organisation à but non
lucratif qui relie les médecins et les scientifiques aux activistes et aux
éducateurs communautaires dans le but de mener des essais cliniques à la
recherche d’un vaccin contre le VIH.

IAS. L’International AIDS Society est une association de professionnels de


la lutte contre le VIH, fondée en 1988 et basée à Genève.

Icasa. Conférence internationale bilingue sur le VIH et les infections


sexuellement transmissibles organisée tous les deux ans sur le continent
africain par la Société africaine anti-sida (SAA) et le pays hôte.

Immunomodulateur. Traitement qui stimule ou freine les réactions du


système immunitaire.

INCa. Institut national du cancer.

Incidence. En épidémiologie, l’incidence d’une maladie est le nombre de


nouveaux malades sur une période donnée. Le taux d’incidence est calculé
en rapportant ce nombre de nouveaux malades à la taille de la population
cible, toujours pendant une période donnée.

Inserm. L’Institut national de la santé et de la recherche médicale est un


établissement public à caractère scientifique et technologique français
spécialisé dans la recherche médicale.

Inserm Transfert. Filiale privée de l’Inserm sous délégation de service


public, spécialisée dans le transfert de technologies en sciences de la vie.

Intégrase. Enzyme produite par les rétrovirus qui permet l’intégration de


leur matériel génétique converti en ADN à l’intérieur du génome de la
cellule hôte.

Interféron. Cytokine à action antivirale, antitumorale et antiproliférative


sécrétée par les cellules immunitaires.

IRD. Institut de recherche pour le développement, établissement public à


caractère scientifique et technologique.

IST. Infections sexuellement transmissibles.

ITMO. Institut thématique de l’Alliance nationale pour les sciences de la


vie et de la santé (Aviesan).
KABP (knowledge, attitudes, beliefs and practices). Les enquêtes KABP
portent sur les connaissances, les attitudes, les croyances et les
comportements face au VIH/sida.

Kaposi. Le sarcome de Kaposi est une tumeur vasculaire due à un


herpèsvirus de type 8 qui peut être observé dans sa forme classique associée
au sida.

Légionellose. Infection pulmonaire grave d’origine bactérienne


(Legionella) qui se traduit par une atteinte respiratoire.

Lentivirus. Virus de la famille des Retroviridae (rétrovirus) ayant pour


caractéristiques essentielles d’avoir une longue période d’incubation.

Lipodystrophie. Dystrophie du tissu graisseux, en général de la région


sous-cutanée (pannicule), due à une anomalie de la répartition des graisses.

Lymphome. Tumeur maligne d’origine lymphocytaire.

MERS (MERS-CoV). Famille de coronavirus hautement pathogènes


découverte en 2012 au Moyen-Orient, provoquant en particulier une
pneumonie aiguë.

Microbiote. Ensemble des micro-organismes (virus, bactéries ou parasites)


vivant dans un écosystème. Chez l’homme, le microbiote le plus étudié est
la flore intestinale.

MRC. Le Medical Research Council est l’organisme de coordination et de


financement de la recherche médicale au Royaume-Uni.

MST. Maladies sexuellement transmissibles.

Murin. Adjectif relatif à la souris.


NCI. Le National Cancer Institute est l’institut fédéral américain de
recherche contre le cancer.

NIAD. Le National Institute of Allergy and Diseases est l’institut fédéral


américain de recherche sur les maladies allergiques et infectieuses.

NIH. Les National Institutes of Health sont les instituts fédéraux américains
en charge de la recherche biomédicale.

NK. Les cellules NK ou natural killer (« tueuses naturelles ») sont des


lymphocytes du système immunitaire inné capables de tuer des cellules
tumorales et des cellules infectées. Elles sécrètent également des cytokines
qui participent à l’orientation de la réponse immunitaire adaptative.

Nucléocapside. Ensemble constitué de la capside et de l’acide nucléique


viral (ADN ou ARN).

Nucléotide. Élément constitutif d’une molécule d’acide nucléique (ADN ou


ARN), formé par la combinaison de trois substances : une base purique
(adénine ou guanine) ou pyrimidique (cytosine, thymine ou uracile), un
sucre (ribose ou désoxyribose) et un acide phosphorique.

Oligonucléotide. Petit segment d’ADN simple brin ou d’ARN, comptant


quelques dizaines de nucléotides.

OMS. Organisation mondiale de la santé, institution spécialisée des Nations


unies (ONU) chargée de la santé, créée en 1948.

Oncogène. Gène qui peut déclencher l’apparition d’un cancer.

ONG. Organisation non gouvernementale, association à but non lucratif,


d’intérêt public, qui ne relève ni d’un État ni d’institutions internationales.
Onusida. Programme de l’ONU destiné à coordonner l’action des
différentes agences spécialisées de l’ONU pour lutter contre la pandémie de
VIH/sida, créé le 1er décembre 1995.

PACS. Pacte civil de solidarité conclu entre deux personnes adultes pour
organiser leur vie commune.

PCR (polymerase chain réaction). Méthode de biologie moléculaire


d’amplification génique in vitro pour dosage biologique.

Pepfar. President’s Emergency Plan for AIDS Relief, plan d’aide d’urgence
à la lutte contre le sida à l’étranger que le président des États-Unis George
W. Bush a lancé en 2003.

PHRC. Programme hospitalier de recherche clinique, financé et géré par le


ministère de la Santé et des Solidarités.

Phylogénie. Étude des liens existant entre espèces apparentées permettant


de retracer les principales étapes de l’évolution des organismes depuis un
ancêtre commun et ainsi de classifier plus précisément les relations de
parenté entre les êtres vivants.

PrEP. Abréviation de prophylaxie préexposition (pre-exposure prophylaxis


en anglais). Principe de prévention qui consiste à prendre un médicament
afin d’éviter de se faire contaminer.

Prévalence. Rapport du nombre de cas d’un trouble morbide à l’effectif


total d’une population, sans distinction entre les cas nouveaux et les cas
anciens.

Protéase. Enzyme qui coupe les liaisons peptidiques des protéines.


Reacting. Le Research and Action Targeting Infectious Emerging Diseases
est un réseau interinstitutionnel d’équipes collaborant à la recherche sur les
maladies infectieuses émergentes.

Recombinant (virus). Virus résultant d’un processus permettant la genèse


d’une nouvelle variété de virus en mélangeant le programme génétique de
deux virus de la même famille ou sans parenté, ou, par extension, en
introduisant de nouveaux gènes dans un virus donné.

Rétrovirologie. Science qui étudie les rétrovirus.

Rétrovirus. Famille de virus à ARN qui se distinguent notamment par la


présence d’une enzyme virale : la transcriptase inverse (TI pour
transcriptase inverse ou encore RT pour reverse transcriptase), qui
rétrotranscrit leur génome d’ARN en ADN pour être intégré par la suite
dans le génome de la cellule hôte.

SARS-CoV-2. Nom du coronavirus responsable de la maladie appelée


Covid-19.

SC10. Centre de méthodologie et de gestion des essais cliniques de


l’Inserm.

Spectromètre. Appareil de mesure permettant d’identifier par faisceaux


lumineux en spectroscopie une ou plusieurs molécules, permettant ainsi leur
identification et leur dosage.

TasP (treatment as prevention). Traitement antirétroviral comme


prévention du sida.

TDF. Combinaison générique à dose fixe de ténofovir (FDC), lamivudine


(3TC) et éfavirenz (EFV).
Test and treat. Stratégie de dépistage et traitement pour réduire l’impact du
VIH au niveau populationnel.

Transcriptase inverse. La transcriptase inverse (ou encore RT pour reverse


transcriptase) rétrotranscrit le génome des rétrovirus d’ARN en ADN pour
être intégré par la suite dans le génome de la cellule hôte.

3TC (lamivudine). Inhibiteur nucléosidique de la transcriptase inverse


commercialisé sous le nom d’Epivir. Elle peut inhiber la transcriptase
inverse du VIH et du virus de l’hépatite B.

TRT-5. Collectif interassociatif français créé en 1992 pour la lutte contre le


sida regroupant Action Traitement, Act Up-Paris, AIDS, Arcat-Sida,
Vaincre le sida.

Unitaid. Organisation internationale d’achats de médicaments, créée en


2006 afin de soutenir des programmes de prévention, de diagnostic et de
traitement pour la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. L’une
de ses principales sources de financement est une taxe sur les billets
d’avion.

VRI. Le Vaccine Research Institute est un institut de recherche sur le


vaccin, créé et soutenu par l’ANRS et l’UPEC (université Paris-Est-
Créteil), labellisé laboratoire d’excellence (LabEx) en 2011 dans le cadre du
Programme investissements d’avenir (PIA).

Web of Science. Plateforme d’information scientifique et technique qui


donne accès à des bases de données bibliographiques.

Zap. Action éclair d’Act Up (l’association de lutte contre le sida) contre


une personnalité, un groupe ou une institution.
Zika. Flavivirus transmis par les moustiques du genre Aedes. Il est répandu
en Asie et en Afrique, et a récemment émergé en Amérique centrale.
Remerciements

Je tiens à remercier Jean-Paul Lévy, qui m’a introduit à la


rétrovirologie, avec toute mon amitié et mon admiration pour avoir créé
l’ANRS, et pour nos échanges.
Mes remerciements, avec l’amitié qu’ils connaissent, pour le petit
groupe composé de Françoise Barré-Sinoussi, Jean-François Delfraissy,
Michel Kazatchkine, France Lert, Marie-Christine Simon et Alain Volny-
Anne, pour nos séances de travail et la relecture attentive des chapitres,
avec une pensée particulière pour l’aide de France Lert au sujet des sciences
humaines et sociales, pour Marie-Christine Simon pour la communication
et pour Alain Volny-Anne pour la sélection des militants associatifs que j’ai
interviewés.
Chaleureuse amitié et remerciements également à François Dabis et à
Yazdan Yazdanpanah, les deux derniers directeurs de l’ANRS, pour nos
échanges.
J’ai une pensée particulière pour Jean Dormont, récemment disparu.
Infectiologue réputé, ayant exercé un rôle important à l’ANRS, nous nous
connaissions de longue date quand il me reçut avec une grande courtoisie
pour parler de l’institution.
Mes remerciements également et amical souvenir pour nos échanges à :
Brigitte Autran, Bertran Auvert, Brigitte Bazin, Paul Benkimoun, Monsef
Benkirane, Françoise Brun-Vézinet, Vincent Calvez, Robin Campillo, Jean-
François Chambon, Behazine Combadière, Marianne Debré, Véronique
Doré, Hugues Fischer, Louis Gautier, Marc Girard, François Houÿez,
Christine Katlama, Stéphane Korsia, Mélanie Jaudon, Olivier Lambotte,
Roger Legrand, Diane Leriche, Didier Lestrade, Marianne L’Hénaff,
Laurent Mandelbrot, Sophie Matheron, Souleymane Mboup, Thierry
Menvielle, Michaela Muller-Trutwin, Ibrahim N’doye, Hélène Pollard,
Peter Reiss, Christine Rouzioux, Assia Samri, Gabriella Scarlatti, Michelle
Sizorn, Yves Souteyrand, Alfred Spira, Bruno Spire, Alain-Jacques
Valleron, Vincent Vieillard, Jean Louis Vilde.
Remerciements chaleureux à tous mes amis, collaborateurs, partenaires,
qu’ils soient chercheurs, cliniciens, enseignants, administratifs, techniciens,
ingénieurs ou militants associatifs, qui se reconnaîtront entre les lignes pour
avoir participé à ces recherches, car ce sont eux qui en ont fait l’histoire.
Merci à Charlotte Zamith, bibliothécaire de l’ANRS, pour son aide dans la
documentation, à Étienne Rabotin pour sa relecture, et à Virginie Brûlé-Le
Rhun pour sa constante et fidèle participation à la frappe du manuscrit,
comme elle l’a fait pour les précédents.
Enfin, un tout particulier remerciement pour Odile Jacob, pour son
amitié sans faille, nos entretiens réguliers lors de la crise du Covid-19 et
l’intérêt qu’elle porte à la lutte contre les épidémies, à la recherche française
et, au-delà, sa volonté que la science et sa démarche soient comprises de
tous.
DU MÊME AUTEUR

Chez Odile Jacob


Les Révolutions de la biologie et la condition humaine, 2019.
Robert Debré, une vocation française, 2018.
L’homme microbiotique, 2015.
Vie et mort des épidémies, avec Jean-Paul Gonzalez, 2013.

Chez d’autres éditeurs


Les Ateliers d’Olivier Debré, La Guêpine Éditions, 2018.
Le Sida à l’ère des multithérapies (avec Jacques Thèze), Elzevier, « Annales de l’Institut Pasteur »,
2000.
Le Roman de la vie, Flammarion, 1999.
La Maîtrise du vivant, Flammarion, « Domino », 1998.
Les Traitements du sida, Flammarion, « Domino », 1998.
Jacques Monod, Flammarion, 1996 (prix de la Biographie de l’Académie française 1997).
Louis Pasteur, Flammarion, 1993.
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TABLE
Prologue

Introduction

Première partie - La recherche sur le sida


Chapitre 1 - Traiter

ANRS, année zéro

Concorde et la méthodologie des essais

Des médicaments et des hommes


Où l'on reparle de Concorde… pour l'après

Les antirétroviraux à l'honneur

Qui peut le plus peut-il le moins ?

Des femmes et des enfants


Mourir du sida

Les laboratoires en renfort

Où l'on reparle de l'ANRS

Chapitre 2 - Comprendre la maladie

Connaître pour comprendre


Des rétrovirus, de l'infection et des cellules immunocompétentes

Entre le marteau et l'enclume

La virologie fondamentale

Le VIH a-t-il plus bouleversé le système immunitaire que les immunologistes ?


De la réponse cytotoxique…

Quand l'immunité humorale entre en scène

Recherche de rupture

Les succès des cohortes

La latence
De l'homme à l'animal… et vice versa

Les limites de la singularité

Chapitre 3 - Vacciner

Les succès du début

Les lendemains qui déchantent

Dans les pas de Louis Pasteur

Back to the bench


Les vaccins de l'ANRS

Que sont les lipopeptides ?

Retour à la clinique

Ailleurs dans le monde

Le Vaccine Research Institute, préfiguration et création

La table ronde imaginaire

Chapitre 4 - Comprendre la société

Premières enquêtes en population générale : la maladie, les attitudes, les comportements,


les pratiques
Des politiques sanitaires pour des communautés exposées
Réduire le risque chez les usagers de drogues…

… et chez les migrants d'Afrique subsaharienne

Vivre avec le VIH… et ses traitements

Les évolutions du risque


Ipergay : des médicaments pour le risque

Dépistage communautaire : au cœur d'une nouvelle prévention


La science, facteur de changement social
Science et conscience de l'économie
Des programmes en sciences de l'homme et de la société dans les pays du Sud

Seconde partie - Un modèle de politiques publiques


Chapitre 5 - Intégrer les associations de malades

Des initiatives militantes aux premiers contacts avec l'ANRS


De l'information à l'intégration
De l'intégration à la réalisation des essais

Reproduire le modèle ANRS


Chapitre 6 - Coopérer avec le Sud

Quelles initiatives françaises ?


L'accès aux traitements antirétroviraux

L'organisation des recherches au Sud

Les sites ANRS


Retour d'Afrique

La charte de l'ANRS
Questions qui cherchent réponses… au Sud

Circoncision

Où l'on reparle de prévention

L'ANRS rattrapée par les politiques publiques


Chapitre 7 - Les hépatites et les infections émergentes
L'hépatite C d'abord

L'hépatite C guérie

Ce n'est pas fini !

Quand l'ANRS rencontre l'émergence infectieuse


Chapitre 8 - Communiquer

Aux sources de l'information scientifique


Gérer la communication

Organiser des congrès internationaux


Chapitre 9 - Au cœur des politiques publiques

L'agence en bref
L'ANRS à l'international

Se comparer avec la recherche française en biologie-santé


Où l'on évalue les résultats français

Faire évoluer l'agence

Conclusion

Bibliographie

Index chronologique

Glossaire terminologique et des acronymes

Remerciements

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