QU'EST-CE QUE LE DIMANCHE?
Enzo Bianchi
Centre Sèvres | « Recherches de Science Religieuse »
2005/1 Tome 93 | pages 27 à 51
ISSN 0034-1258
DOI 10.3917/rsr.051.0027
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QU’EST-CE QUE LE DIMANCHE ?
par Enzo BIANCHI,
Comunità di Bose
P our saisir la signification et la valeur du dimanche, il convient d’évo-
quer la signification et la valeur du sabbat : celui-ci représente en effet
le paroxysme du rythme hebdomadaire juif qui a été hérité par le
christianisme, où le dimanche a assumé le rôle central.
L’attitude de Jésus à l’égard du sabbat
Un problème complexe
L’exégèse biblique n’est pas parvenue à une position unanime concer-
nant l’attitude de Jésus envers le sabbat ; au contraire, l’éventail des
opinions qu’elle présente est ample et diversifiée 1. Il n’est pas facile de
reconnaître les différentes « situations de vie » que reflète la rédaction
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actuelle des textes des controverses de Jésus sur le sabbat : le niveau de
Jésus, celui de la communauté chrétienne primitive et celui de l’évangé-
liste. On se demande : les controverses sur le sabbat qui opposent en
général Jésus aux pharisiens (cf. Mc. 2,23-28 et par. ; Mc. 3,1-6 et par. ;
Lc. 14,1-6) ne comportent-elles pas plutôt l’écho de contrastes entre Jésus
et les sadducéens ou, peut-être, les esséniens de Qumran qui défendaient
une observance du sabbat beaucoup plus rigoureuse que les pharisiens 2 ?
Dans ces diatribes, quelle part prend le reflet de la situation post-pascale
de conflit entre la Synagogue, liée à l’observance sabbatique, et l’Église,
qui opère un déplacement du jour festif du sabbat au dimanche, le jour
« après le sabbat » (Mt. 28,1 ; Mc. 16,1) 3 ? Ou ces textes évangéliques
1. Survol des différentes opinions chez H. Weiss, « The Sabbath in the Synoptic
Gospels », in Journal for the Study of the NT 38(1990), p. 13-16.
2. H. Maccoby, Early Rabbinic Writings, Cambridge, 1988, p. 170-172.
3. P. Benoît et M.-E. Boismard soutiennent que le lógion sur le sabbat de Mc. 2,27
est issu de communautés chrétiennes provenant du paganisme et a été attribué à
RSR 93/1 (2005) 27-51
28 E. BIANCHI
reproduisent-ils peut-être le souvenir de disputes internes aux différentes
communautés chrétiennes qui observaient encore le sabbat et s’interro-
geaient sur les modalités de cette observance, sur ce qu’il était permis ou
non de faire ce jour-là 4 ?
Sans entrer dans ces problématiques, nous chercherons à faire émerger
l’aspect kérygmatique présent dans ces controverses. On a, du reste,
relevé depuis longtemps que le genre littéraire de la controverse ne se réduit pas
à présenter un simple débat d’école mais véhicule une signification révélative de
grande portée 5.
Probablement le souvenir historique du comportement de Jésus le jour
du sabbat et la transmission de quelques lógia sur le sabbat dans les
communautés chrétiennes (cf. Mc. 2,27.28 ; 3,4) ont servi de noyau
autour duquel se sont concentrés certains récits relatant des gestes réali-
sés par Jésus le jour du sabbat et des controverses concernant le sabbat
qu’il a eues avec les pharisiens. Et derrière leur rédaction, on entrevoit les
problèmes et les positions des différents milieux chrétiens à l’égard du
sabbat.
Le dossier synoptique sur le sabbat est constitué de matériel lié à la
triple tradition : la controverse qu’a fait naître l’épisode des épis arrachés
le jour du sabbat (Mc. 2,23-28 ; Mt. 12,1-8 ; Lc. 6,1-5) et le récit de la
guérison de l’homme à la main sèche (Mc. 3,1-6 ; Mt. 12,9-14 ; Lc. 6,6-
11). Puis nous avons du matériel uniquement lucanien, deux controver-
ses autour de guérisons accomplies par Jésus le jour du sabbat : la guéri-
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son de la femme courbée (Lc. 13,10-17) et celle d’un hydropique
(Lc. 14,1-6). Et nous trouvons par ailleurs quelques annotations éparses :
Mc. 1,21 ; 6,2 ; Lc. 4,16.31 6.
Dans le quatrième Évangile, le matériel se constitue des deux récits de
guérison du paralytique à la piscine de Bethesda (Jn 5,1-18) et de
l’aveugle-né (Jn 9,1-41) : l’une et l’autre ont lieu le sabbat et suscitent
l’opposition des juifs. En outre, on trouve une argumentation de style
rabbinique, où Jésus part du fait que la halakah juive permettait la
Jésus pour justifier leur non-observance du sabbat (Synopse des quatre évangiles en
français, III, Paris 1972, p. 117).
4. Cf. Weiss, « The Sabbath », p. 13-27.
5. P. Mourlon Beernaert, « Jésus controversé. Structure et théologie de Marc
2,1–3,6 », in Nouvelle Revue Théologique 95/2(1973), p. 129-149.
6. Dans les synoptiques, on parle encore de « sabbat » en Mt. 24,20 ; 28,21 ;
Mc. 15,42 ; 16,1 ; Lc 23,54.56.
QU’EST-CE QUE LE DIMANCHE ? 29
circoncision le jour du sabbat, pour répliquer aux contestations qu’a
suscitées chez les juifs sa guérison du paralytique (Jn 7,22-23) 7.
Le témoignage des Évangiles synoptiques
1) Le sabbat pour l’homme, non l’homme pour le sabbat
Le récit des épis arrachés présente les disciples traversant, avec Jésus,
un champ de blé le jour du sabbat et arrachant des épis (Mc. 2,23).
Matthieu et Luc ajoutent, par rapport à Marc, le fait que les disciples
« mangeaient » les épis (Mt. 12,1 ; Lc. 6,1) ; Matthieu spécifie la raison de
cet acte : « ses disciples eurent faim » (Mt. 12,1) ; Luc en indique la
modalité : « en les froissant de leur main » (Lc. 6,1). Marc ne fournit
d’autre précision, si ce n’est qu’ils arrachaient les épis en « se frayant un
chemin » ; mais la justification que Jésus donne à leur acte, en rappelant
l’exemple de David et de ses compagnons dans le besoin (Mc. seul), quand
ils eurent faim et mangèrent les pains de la proposition réservés aux
prêtres, implique que c’est là la situation des disciples : une situation de
besoin. Des récriminations se lèvent en effet de la part des pharisiens à
propos du comportement des disciples : ils font ce qu’il n’est pas permis
de faire le sabbat (Mc. 2,24 ; Mt. 12,2 ; Lc. 6,2). En soi, cette action était
consentie par la loi (Dt 23,26) : la transgression qui est reprochée consiste
dans le fait qu’elle est réalisée le jour du sabbat.
La Mishnah énumère trente-neuf travaux interdits le sabbat pour sau-
vegarder le repos prescrit par la loi (Ex 20,8-11 ; Dt 5,12-15) : la moisson
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est parmi ceux-là (Shabbat 7,2). Arracher des épis avec les mains était
considéré par la loi orale comme un travail assimilable à la moisson,
interdite le sabbat par Ex 34,21 également 8. Ailleurs, les évangiles rap-
portent des interprétations analogues de l’Écriture présentes dans la
halakah juive : il est interdit de soigner un malade le jour du sabbat si sa vie
n’est pas en danger (MJoma 8,6 etc. ; cf. Mc. 3,2 ; Lc. 132,14), sont défen-
dus les gestes qui équivalent à un travail visant à soigner un malade (par
ex. pétrir, MShabbat 7,2 ; 24,2 ; cf. Jn 9,6), il est prohibé de transporter un
lit vide (MShabbat 10,5 ; 7,2 ; cf. Jn 5,10)... La codification de ces règles est
postérieure au temps de Jésus, mais elle se base sur des traditions et des
positions précédant la destruction du temple.
Les disciples de Jésus sont accusés d’enfreindre le commandement du
sabbat comme il était interprété dans les milieux pharisiens. Et puisque
7. Autre mention du sabbat en Jn 19,31.
8. Philon, De vita Moïsis 2,22 rappelle l’interdiction de « couper un sarment, une
branche, une feuille ou de cueillir quelque fruit ».
30 E. BIANCHI
les disciples se voient reprochés, au nom de l’Écriture, de faire ce qui n’est
pas permis (Mc. 2,24), Jésus répond aux pharisiens en évoquant l’épisode
que relate 1Sam 21,2-7, où David et « ceux avec lui » (Mc. 2,25), dans une
situation de besoin, firent ce qu’il n’est pas permis (Mc. 2,26) en mangeant
les pains d’oblation, les cinq pains sacrés, « les pains de la face » (Ex
25,30 ; Lv 24,5-9), qu’il n’était consenti qu’aux prêtres de manger. Une
tradition rabbinique atteste que c’est un jour de sabbat que David prit la
fuite devant Saül, se présenta au prêtre Ahimélek 9 et mangea les pains
consacrés (MMenachot 11,9), et ceci rendrait plus fort le rapport avec le
cas de Jésus et de ses disciples, si l’on parvenait à prouver que Marc
connaissait cette tradition ; mais ce que l’évangéliste tient à souligner,
c’est qu’un cas analogue d’« illégalité » fait partie des Écritures et qu’il est
accepté par les pharisiens eux-mêmes. Pourquoi accuser alors ses disci-
ples ? L’Écriture elle-même les justifie ! Immédiatement après avoir inter-
prété le cas de David et de ses compagnons comme un état de « besoin »,
Jésus affirme : « Le sabbat a été fait (egéneto) pour (diá) l’homme, et non
l’homme pour le sabbat » (Mc. 2,27). L’affirmation n’est que de Marc et
renvoie à « l’intention fondamentale de la prescription du sabbat, qui
devait permettre aux humains de se reposer en imitant le Créateur » 10.
De même en Mc. 10,1-12, lors de la controverse sur la répudiation, Jésus
cite les Écritures en se référant à la volonté originelle du Dieu créateur
pour retrouver et actualiser le dessein de Dieu pour l’homme. Jésus donc,
par l’aphorisme qui relativise le sabbat par rapport à l’homme, ne fait que
confirmer l’intention profonde du commandement divin du sabbat :
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protéger et bénir la vie de l’homme dans toutes ses expressions et
dimensions, à partir de sa corporéité. Ce n’est pas un hasard si les disputes
sur le sabbat, tant dans les synoptiques que chez Jean, concernent en
général des situations humaines de besoin (comme dit Marc) : des hom-
mes et des femmes marqués par la maladie, dont la plénitude de vie et de
relations est amoindrie. L’introduction de la part de Jésus du « cas de
besoin humain » ne signifie en aucun cas une abrogation du précepte
sabbatique, mais sa confirmation et sa valorisation radicale. Certes, l’ha-
lakah pharisienne n’est pas observée : Jésus se révèle libre à l’égard des
9. Le texte de Mc. 2,26 l’appelle Abiathar, confondant le prêtre Ahimélek, dont
parle 1Sam 2-7, avec le prêtre Abiathar, précisément, dont il est question en 1Sam
22,20-23 ; 23,6 ; 30,7.
10. M. Gourgues, « Halakâh et Haggadâh chrétiennes. Les indications de Marc
2,23-28 et parallèles (les épis arrachés) sur le ‘sens chrétien de l’Ancien Testa-
ment’ », in Département des études bibliques de l’Institut Catholique de Paris, La
vie de la Parole. Mélanges Pierre Grelot, Paris 1987, p. 202.
QU’EST-CE QUE LE DIMANCHE ? 31
nombreuses prescriptions sur le sabbat et il critique les cas où la tradition
humaine ajoutée à l’Écriture en vient à suffoquer la Parole de Dieu :
Mc. 7,1-12. Du reste, la Mishnah elle-même atteste que « les prescriptions
sur le sabbat ... qui comportent peu d’Écriture et de nombreux préceptes
sont comme des montagnes pendues à un cheveu et n’ont pas d’appui »
(Tosefta ‘Erubim 9,23).
Jésus obéit donc aux Écritures (il se réfère explicitement à elles), il
remonte à la volonté du Législateur et, dans cet espace d’obéissance, il va
au-delà de la casuistique pharisienne pour en venir à critiquer le rigo-
risme auquel il pouvait aboutir. Et les réglementations pharisiennes
étaient des mesures pastorales déjà libératrices par rapport à l’observance
sabbatique rigide telle qu’elle était défendue à Qumran ou chez les
Samaritains.
Le sabbat a donc été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat.
2M 5,19 s’exprime de manière analogue à propos du temple : « Le
Seigneur a choisi non pas le peuple à cause du lieu saint, mais le lieu à
cause du peuple. » Et on se trouve proche d’une sentence de R. Simeon b.
Menasja : « Le sabbat a été donné à vous et non pas vous au sabbat ». La
parole de Jésus se présente comme une herméneutique incontournable
de la volonté de Dieu sur le sabbat et donc comme une halakah chrétienne
autorisée. Par fidélité à l’intention du Législateur, on pourra ainsi, face au
besoin humain, accomplir le jour du sabbat ce qui est exigé pour la vie
pleine de l’homme. Jésus répètera constamment que la plénitude de la
vie humaine est la finalité du sabbat : Mc. 3,4 ; cf. Lc. 6,9 ; Mt. 12,11-12.
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Dans le quatrième Évangile revient également ce leitmotiv par lequel
Jésus conteste le caractère illogique d’une obéissance littérale de la loi qui
va jusqu’à se manifester comme une transgression de la fin profonde de la
loi elle-même ; Jésus y critique l’incohérence d’une casuistique qui,
tandis qu’elle permet d’accomplir la circoncision le sabbat, ne tolère pas
les gestes à travers lesquels un homme est amené à la guérison intégrale
(Jn 7,22-23).
Mais surtout, face à ces contestations, Jésus proclame son autorité et sa
seigneurie sur le sabbat (Mc. 2,28 et par.).
2) Le Fils de l’homme est maître du sabbat
Chacune des rédactions synoptiques de l’épisode des épis arrachés se
conclut par l’affirmation solennelle de Jésus : « Le Fils de l’homme est
maître du sabbat » (Mc. 2,28 ; Mt. 12,8 ; Lc. 6,5). La controverse sur le
sabbat se fait révélatrice d’une qualité christologique de Jésus. Dans le
récit marcien, le passage sans transition de l’affirmation que le sabbat est
32 E. BIANCHI
fait pour l’homme à celle de la seigneurie du Fils de l’homme sur le sabbat
est éloquent. Ce lógion final se réfère quoi qu’il en soit à toute la péricope
qui a montré comment Jésus interprète l’Écriture en discernant, par
rapport au sabbat, la volonté de Dieu et la finalité du commandement.
L’amour et le service envers les autres, et les autres dans le besoin, sont le
but auquel l’obéissance de la loi doit mener le croyant. En effet, au centre
des commandements de la loi se trouve celui de l’amour pour Dieu et
pour les hommes (Mc. 12,28-34) : comme tout autre commandement de
la loi, celui de l’observance sabbatique est lui aussi soumis à ce critère
herméneutique établi par les paroles et l’exemple de Jésus. Il n’est donc
pas étonnant que Jésus, après avoir proclamé cette distinction entre les
moyens et la fin dans la vie du croyant (et entre ce qui est de Dieu et ce qui
est des hommes), affirme sa seigneurie sur le sabbat. Lui-même, à travers
ses actes le jour du sabbat, en dévoile le sens profond et se place comme
l’herméneute authentique qui réalise pleinement le commandement du
sabbat.
En Marc, la connotation christologique des controverses sur le sabbat
est particulièrement évidente : Mc. 2,23-28 et 3,1-6 sont les deux derniè-
res controverses d’une série de cinq, littérairement et théologiquement
homogènes, qui ont toujours en leur centre la personne de Jésus mar-
quée christologiquement et révélatrice des actions de Dieu. Jésus y appa-
raît comme le Fils de l’homme qui a sur terre le pouvoir divin de remettre
les péchés (2,1-12), comme le médecin venu pour les malades et les
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pécheurs, ceux qui sont dans le « besoin » (2,13-17), comme l’époux qui
inaugure les temps messianiques (2,18-22), le Seigneur du sabbat, dispo-
sant de l’autorité même de Dieu qui en a donné le commandement
(2,23-28), le sauveur et le juge qui exerce le jugement de Dieu (3,1-6).
Chez Marc, le sabbat assume une claire valeur eschatologique et messia-
nique. Après avoir proclamé que le temps est accompli et que le Royaume
de Dieu s’est approché (Mc. 1,15), Jésus dévoile son autorité d’envoyé de
Dieu et commence à chasser les démons, accomplissant des gestes escha-
tologiques et messianiques qui attestent que le Royaume de Dieu a été
inauguré précisément un jour de sabbat (Mc. 1,21-34), le jour qui marque
l’irruption du temps de Dieu dans le temps de l’homme. Ce jour-là, les
foules se demandent : « Qu’est cela ? Un enseignement nouveau donné
avec autorité ! » (Mc. 1,27). Et ce sera encore le sabbat que sa présence et
sa parole dans la synagogue de Nazareth poseront le problème de son
autorité et de son identité : « Qu’est-ce que cette sagesse qui lui a été
donnée et ces grands miracles ? » (Mc. 6,1-6a).
QU’EST-CE QUE LE DIMANCHE ? 33
Dans les controverses réunies en Mc. 2,1–3,6, le parallélisme entre 2,10
(« Le Fils de l’homme a le pouvoir de remettre les péchés sur la terre ») et
2,28 (« Le Fils de l’homme est maître du sabbat ») montre que la seigneurie
de Jésus sur le sabbat est une partie intégrante de la nouveauté messianique
instaurée dans sa personne (cf. Mc. 2,21-22), elle manifeste la seigneurie de
Dieu sur la terre et elle est constitutive du salut de l’homme. Pour cette
raison, Jésus guérit le jour du sabbat : pour donner un sens eschatologi-
que à la libération qu’il est venu apporter, une libération qui n’est pas
seulement soulagement du mal, qui n’a pas qu’un sens négatif, mais qui
est une réintégration positive et active de tout l’homme dans la plénitude de
vie à laquelle Dieu l’a appelé et destiné. Ainsi, son œuvre de guérison le
jour du sabbat acquiert également une valeur prophétique d’anticipation
du sabbat éternel, de la rédemption pleine lorsqu’adviendra le Royaume.
Prophète eschatologique, Jésus se fait herméneute de la colère divine
contre la sklerokardía de l’homme et, par un regard de jugement, dévoile
son indignation prophétique aux pharisiens et aux hérodiens qui préfè-
rent l’obéissance morte à une loi plutôt que le geste de celui qui redonne
la plénitude de vie et de santé à un homme dont la main est sèche
(Mc. 3,1-6) 11. « Est-il permis, le jour du sabbat, de faire du bien plutôt
que de faire du mal, de sauver une vie plutôt que de la tuer (seul Mc ; Lc. a
‘la perdre’) ? » (Mc. 3,4 ; Lc. 6,9). Le sabbat, couronnement de toute la
création, mémorial de la libération de l’exode et sacrement de la seigneu-
rie de Dieu sur le temps et la vie de l’homme, est observé quand se réalise
concrètement la libération de l’homme amoindri. Le sabbat est le temps
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du salut dans l’économie de Dieu ; et Jésus, en opérant des guérisons ce
jour-là, actualise, accomplit et manifeste dans l’histoire l’œuvre de libéra-
tion, de salut et de re-création de Dieu.
Par ailleurs, Jésus accomplit toutes les guérisons (du moins celles que
relatent les synoptiques) par la force de la parole (cf. cependant
Lc. 13,13), sans enfreindre les préceptes rabbiniques qui interdisaient
non la guérison en soi, mais les gestes thérapeutiques qui pouvaient être
considérés comme un travail et qui étaient tolérés uniquement en cas
d’urgence, lorsque la vie était en danger 12 ; mais ceci ne fait que donner
11. Luc, spécifiant qu’il s’agit de la « main droite » (Lc 6,6), organe et symbole de
tout l’agir humain, veut indiquer l’impuissance radicale à laquelle cet homme est
contraint.
12. D. Flusser argumente ainsi : Jésus « guérit par la parole, ce qui était parfaite-
ment légitime un jour de sabbat... Si l’on considère les évangiles synoptiques, Jésus
n’a jamais enfreint ces règles dans les guérisons qu’il a faites » (Jésus, Paris, 1970,
p. 54-55). G. Vermès objecte que (si l’on se limite aux guérisons opérées le sabbat),
34 E. BIANCHI
davantage de relief à l’autorité de Jésus et au fait que les oppositions se
déployaient davantage contre sa personne que contre ses gestes puissants. Le
sabbat apparaît ainsi comme un élément théologique subordonné au
Christ, montrant qu’il est le Seigneur du sabbat, visant à indiquer sa
mission eschatologique et de rédemption. La rédaction matthéenne de la
controverse sur les épis arrachés (Mt. 12,1-8) et du récit de la guérison de
l’homme à la main sèche (Mt. 12,9-14) est précédée par les paroles de
Jésus invitant ceux qui peinent et ploient sous le joug de préceptes
pesants à aller à lui, le Christ, pour trouver le repos. Les deux épisodes
suivants, situés le jour du repos, où Jésus légitime, face aux critiques des
pharisiens, le comportement de ses disciples qui, affamés (12,1), arrachè-
rent des épis et les mangèrent, et où il motive devant eux son activité de
guérisseur le jour du sabbat (12,11-12), veulent peut-être montrer que le
vrai « fardeau léger » (11,30) qui offre le repos et la liberté est l’enseigne-
ment de Jésus. C’est certain, l’ajout matthéen de 12,5-6 constitue une
nouvelle connotation christologique de Jésus. Après l’exemple de David,
Jésus ajoute : « N’avez-vous pas lu dans la Loi que, le jour du sabbat, les
prêtres dans le temple violent le sabbat sans être en faute ? Or je vous le
dis, il y a ici plus grand que le temple ! » (Mt. 12,5-6). C’est la loi
elle-même qui justifie la violation de la loi du sabbat de la part des prêtres
pour qu’ils accomplissent le service du temple : le passage de Nb 28,9-10
énumère les sacrifices à offrir le sabbat. À plus forte raison, les disciples de
Jésus voient leur violation justifiée par le fait que Jésus est « plus grand
que le temple ». Le texte prend une forte teinte christologique.
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C’est surtout le texte de Lc. 13,10-17 qui présente la caractéristique
lucanienne du rapport entre Jésus et le sabbat. Jésus annonce la libération
d’une femme courbée par une série de passifs divins qui attestent que
Dieu est à l’œuvre : « Femme, tu as été déliée de ton infirmité... À l’instant
même elle fut rendue droite et glorifiait Dieu » (Lc. 13,12-13). Face à la
réaction du chef de la synagogue qui assimile la guérison au travail et
affirme qu’il y a le temps pour cela non le sabbat, mais les six autres jours,
Jésus, par l’argument a fortiori du bœuf et de l’âne que l’on délie égale-
ment le sabbat pour les mener boire (13,15), montre qu’« il était néces-
saire (édei, nécessité divine) de délier cette fille d’Abraham, que Satan a liée
voici dix-huit ans, précisément le jour du sabbat » (13,16). Jésus dévoile sa
qualité prophétique en montrant qu’il connaît le temps long de la
maladie, de l’esclavage de cette femme, et en attestant que le sabbat,
il y a imposition des mains et contact physique avec la personne malade au moins en
Lc 13,10-17 (Jésus le juif, Paris, 1978, p. 29-31).
QU’EST-CE QUE LE DIMANCHE ? 35
mémorial de la libération de l’esclavage égyptien (Dt 5,13-15) 13, est le
jour où Dieu doit délier, libérer de l’esclavage. Ce n’est qu’ainsi que cette
femme peut participer à la joie du sabbat en retrouvant pleinement sa
vocation de fille d’Abraham et en confessant et en témoignant dans sa
chair l’œuvre de libération de Dieu réalisée à travers le Christ. Ayant été
libérée, elle peut louer Dieu (13,13).
3) C’est la miséricorde que je veux, non le sacrifice
En Matthieu, la réponse de Jésus aux pharisiens sur la question des épis
arrachés est structurée en trois sentences, dont la dernière est une
citation prophétique (d’Os 6,6) : « Si vous aviez compris ce que signifie :
‘c’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice’, vous n’auriez pas
condamné des gens qui sont sans faute » (Mt. 12,7). On retrouve la même
citation en Mt. 9,13, toujours adressée par Jésus aux pharisiens qui lui
reprochent de partager ses repas avec des pécheurs et des publicains. À
une autre occasion, Jésus adresse aux scribes et aux pharisiens une
invective prophétique qui démasque leur perversion de la loi au travers
des observances : « Vous acquittez la dîme de la menthe, du fenouil et du
cumin, et vous négligez les points les plus graves de la loi, la justice, la
miséricorde et la fidélité » (Mt. 23,23).
Il est significatif que Matthieu ait inséré la parole prophétique d’Osée
dans le contexte de la discussion sur le sabbat. Face au besoin humain, la
casuistique, l’observance littérale des prescriptions sabbatiques doit cé-
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der la place à la miséricorde. Mais la citation d’Os 6,6 est éloquente en
particulier parce qu’elle nous ramène à la volonté de Dieu, à ce qui est
agréable à Dieu : éleos, la miséricorde. Une fois encore, le discours sur le
sabbat nous pousse à vérifier que Jésus n’en abroge pas le commande-
ment, mais qu’il l’observe en en accomplissant la finalité, en se confor-
mant à la volonté même de Dieu lorsqu’il a fait le don du sabbat à son
peuple. Cette volonté se réduit, selon Matthieu, à la miséricorde, à
l’amour réciproque, à la compassion. Si l’observance du précepte sabba-
tique comporte une offense à la charité, elle ne correspond pas à la
volonté de Dieu ; en ce cas, la loi peut être invoquée contre la distorsion
de la loi. Les trois références vétérotestamentaires constituent l’appel à
l’Écriture que fait Jésus, elles trouvent leur sommet dans la citation
d’Osée et veulent montrer que l’observance du sabbat est absolument
inconciliable avec le manque de miséricorde 14. L’affirmation finale sur le
13. J.-N. Aletti, L’art de raconter Jésus Christ, Paris, 1989, p. 128.
14. Cf. J. Gnilka, Il vangelo di Matteo, I, Brescia, 1990, p. 643-653.
36 E. BIANCHI
Fils de l’homme qui est « en effet » (gár, Mt. 12,8) maître du sabbat (dans
l’AT, JHWH lui-même est maître du sabbat : Lv 23,3) résume les lignes
argumentatives de toute la péricope, christologique (v. 5-6) et parénéti-
que (v. 7), et dévoile que la seigneurie pleine du Fils de l’homme est la
miséricorde.
À travers cela, Matthieu entendait également fournir une norme de
conduite pratique à ses communautés qui observaient encore le sabbat
(comme il ressort du texte uniquement matthéen de 24,20). En ajoutant
encore qu’« il est permis de faire une bonne action le jour du sabbat »
(Mt. 12,12), Matthieu soumet l’observance du sabbat au primat du com-
mandement de l’amour (Mt. 12,34-40), affirmant de fait que la véritable
violation du sabbat est d’offenser la charité, de refuser de faire miséri-
corde.
L’Évangile selon Jean
En de nombreux aspects, le témoignage johannique concernant l’atti-
tude de Jésus à l’égard du sabbat est semblable à celui que présentent les
synoptiques 15 et se situe en continuité avec ce qui transparaît déjà de
ceux-ci : que les guérisons de Jésus le sabbat ont surtout pour tâche
d’accomplir l’œuvre salvifique de Dieu, son intention rédemptive 16. Cet
aspect révélatif est particulièrement souligné par Jean. On retrouve éga-
lement chez Jean les critiques des pharisiens (en Jn il s’agit des « juifs »)
qui accusent Jésus de « ne pas observer le sabbat » (9,16), parce qu’il
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ordonne au paralytique guéri de faire une action défendue le jour du
sabbat (5,20 : « c’est le sabbat, il ne t’est pas permis de porter ton
grabat »), ou parce qu’il guérit l’aveugle en accomplissant une série de
gestes interdits (9,6) : la vie de l’aveugle n’était pas en danger, un jour de
sabbat on ne peut pétrir de pâte (MShabbat 7,2), ni oindre un œil
(bAdodah Zarah 28b), ni appliquer à jeun de la salive sur les yeux (jShabbat
14d, 17f)... Si donc Jésus n’observe pas le sabbat, « il ne vient pas de
Dieu » (9,16), « c’est un pécheur » (9,24). Une réplique de Jésus aux
pharisiens, dans le style rabbinique argumentant a minori ad maius, nous
est aussi transmise : si la circoncision, qui concerne une seule partie du
corps, est permise le sabbat (« Grande est la circoncision parce qu’elle
15. Cf. D. A. Carson, « Jesus and the Sabbath in the four Gospels », in Id. (éd.),
From Sabbath to Lord’s Day : a Biblical, Historical and Theological Investigation, Grand
Rapids 1982, p. 58-97 (sur le quatrième évangile, p. 80-84).
16. Cf. R. E. Brown, Giovanni, I, Assise 1979, p. 409.
QU’EST-CE QUE LE DIMANCHE ? 37
s’impose sur le sabbat », MNedarim 3,11), combien plus doit être admise
une action qui guérit l’homme intégralement (7,21-23).
L’apport spécifique de Jean sur ce sujet réside dans l’épisode de la
guérison du paralytique (5,1-15) et dans la discussion (5,16-18) et le
discours (5,19-30) qui lui font suite 17. Après le récit qui montre Jésus
donnant la vie dans l’acte de la guérison de l’homme malade depuis
trente-huit ans et jugeant quand il prononce les paroles sur le péché (5,14)
et viole les normes juives du sabbat (5,8), voici que les juifs le persécutent
« parce qu’il faisait ces choses-là le jour du sabbat » (5,16). Jésus alors
réplique : « Mon Père est à l’œuvre (‘travaille’ : ergázetai) jusqu’à présent
et j’œuvre (‘travaille’ : ergázomai) moi aussi » (5,17). A ce stade, les juifs
cherchent à le tuer, « non seulement parce qu’il violait le sabbat, mais
parce qu’il appelait Dieu son propre Père, se faisant égal à Dieu » (5,18).
La formulation montre que la « condamnation à mort » de Jésus n’est pas
due à la transgression du sabbat, mais au fait qu’il prétend exercer
l’activité salvifique même de Dieu : il se fait égal à Dieu et mérite pour cela
la mort. La tradition juive attestait que Dieu continuait à accomplir,
même le sabbat, certaines œuvres qui lui revenaient à lui seul, parce
qu’elles touchaient ses propriétés divines : la Mekilta de R. Ismael rappelle
par exemple l’activité du juge, qui se manifeste tant comme châtiment
pour les impies que comme miséricorde pour les justes 18.
D’une série étoffée de passages rabbiniques émerge une tradition selon
laquelle Dieu a l’exclusivité de trois clés : le pouvoir de la résurrection,
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celui de donner la vie et celui de juger 19. Ces œuvres touchant le salut
sont précisément celles – donner la vie (faire ressusciter) et juger – que
Jésus réclame pour soi dans le discours sur l’œuvre du Fils (5,19-20) :
« Comme le Père ressuscite les morts et leur donne vie, ainsi le Fils donne vie
à qui il veut... Le Père a donné au Fils le jugement tout entier... il lui a donné
pouvoir d’exercer le jugement... L’heure vient, et c’est maintenant, où les
morts entendront la voix du Fils de Dieu et ceux qui l’auront entendue
vivront. »
Jésus revendique pour lui-même les activités que la théologie juive
réservait exclusivement à Dieu et que Dieu continuait à réaliser même le
17. Cf. J. Bernard, « La guérison de Bethesda. Harmoniques judéo-hellénistiques
d’un récit de miracle un jour de sabbat », in Mélanges de Science religieuse 33(1976),
p. 3-34 ; 34(1977), p. 13-44).
18. Textes chez J. Bernard, « La guérison » (1976), p. 29.
19. Cf. encore J. Bernard, « La guérison » (1976), p. 32-34.
38 E. BIANCHI
sabbat. Chez Jean, l’activité de Jésus durant le sabbat souligne donc sa
dimension d’envoyé eschatologique et de révélateur parfait du Père.
Synthèse
Sur la base de ces textes et de l’attitude de Jésus à l’égard du sabbat telle
qu’elle ressort de tous les évangiles, nous nous demandons : Jésus viole-t-il
le sabbat ou non ? Je crois que l’on doit répondre que Jésus n’a pas violé le
sabbat, mais qu’il a critiqué certains comportements liés au sabbat et qu’il a
prétendu en donner l’interprétation ultime. Jésus en effet remonte à l’inten-
tion du législateur, de Dieu, et confirme ainsi le sabbat, mais en le libérant
d’une observance légaliste et en en montrant la signification pleine de
jour de vie et de joie. C’est là l’intention de Dieu concernant le sabbat,
réalisée par Jésus : et peut-être est-ce cette autorité que montre Jésus qui
scandalise et apparaît insupportable à ceux qui le critiquent. Jésus fait du
sabbat le jour de la restitutio ad integrum de l’homme, le jour qui manifeste
le mieux la pleine portée de son œuvre messianique de rédemption. Le
jour du sabbat, Jésus fait le bien, il redonne la vie et la joie, il œuvre ainsi
afin de conduire à la plénitude et à l’abondance de vie ceux qui en
manquent au niveau physique, psychique, spirituel : le malade, le pos-
sédé, le pécheur, des hommes et des femmes amoindris dans la plénitude
de leur vie et de leurs relations. Jésus choisit d’opérer des guérisons le
sabbat plutôt que d’autres jours précisément parce que le sabbat est le
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jour mémorial de la création et de la libération, le jour caractérisé par la
fécondité et la joie. Il le fait en transgressant la halakah pharisienne qui
exigeait que l’on attende de guérir une personne s’il s’agissait d’une
maladie chronique et que la vie n’était pas en danger. Jésus assume donc
la position d’herméneute autorisé du sabbat. Il n’a pas aboli le sabbat,
mais l’a observé et confirmé, tant il est vrai que les premiers disciples de
Jésus, l’Église primitive, sanctifiaient le sabbat en se rendant au temple et
à la synagogue comme les fidèles juifs (Ac 13,14-43.44-52 ; 17,2-3 ; 18,4 ;
cf. Ac 16,13). Le NT ne comporte pas de signe qui ferait penser que les
apôtres, après la résurrection, auraient abandonné l’observance du sab-
bat ; au contraire, tout porte à dire que le sabbat était observé par les
femmes et les disciples à l’occasion également de la sépulture de Jésus (cf.
Mc. 15,42–16,2 ; Lc. 23,50–24,1 ; surtout Lc. 23,56 : « Le sabbat, elles se
tinrent en repos, selon le précepte »). Le problème de l’observance
chrétienne du sabbat se posera dans le débat entre la communauté
d’extraction juive et celle provenant des gentils. La lettre apostolique
adressée de Jérusalem aux Églises de Syrie et d’Asie ne mentionne pas
QU’EST-CE QUE LE DIMANCHE ? 39
l’observance du sabbat parmi les obligations requises des chrétiens pro-
venant du paganisme (cf. Ac 15,28-29), et Paul s’oppose aux tendances
judaïsantes qui se manifestent dans les communautés de la Galatie et de
Colosses, qui veulent proposer l’observance du sabbat comme élément
essentiel à l’obtention du salut pour les éthno-chrétiens aussi (Gal 4,8-10 ;
Col 2,16-17).
Jésus n’a donc pas abrogé le sabbat, mais il en a enrichi la signification
en en accomplissant la typologie messianique. L’attitude de Jésus le jour
du sabbat manifestait la venue du Royaume de Dieu et les signes du temps
messianique. Son attitude envers le sabbat doit donc être comprise sur un
plan révélatif, et non sur d’autres plans. Ce n’est pas un hasard si Jésus
inaugure son ministère dans la synagogue de Nazareth par l’annonce du
sabbat messianique (Lc. 4,18-21) et par la révélation que sa mission vise à
accomplir les promesses de salut et de libération liées au sabbat (compa-
rer Lc. 4,18-21 avec Is 61,1-4). Il me semble pouvoir être affirmé :
a) Jésus n’a jamais attaqué le principe de la loi de Dieu concernant le
sabbat. Il n’y a pas de violation du sabbat de la part de Jésus, au contraire,
il le confirme, obéissant radicalement au commandement sabbatique.
b) Jésus remonte à la volonté du législateur, il se fait porteur d’une
interprétation radicale du sabbat, en en manifestant la dimension escha-
tologique. Il montre la prétention prophétique d’en dévoiler le sens
profond, inscrit dans la volonté de Dieu.
c) Jésus redonne le sabbat à ceux qui en étaient privés, en radicalisant
le principe du besoin humain et le commandement de l’amour du
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prochain. Ceux-ci prévalent, dans la pratique de Jésus, sur les formules de
la halakah pharisienne.
d) Jésus, par son attitude face au sabbat, dévoile, dans les synoptiques,
sa qualité messianique et, dans le quatrième Évangile, son intimité avec le
Père, en participant lui-même à son « œuvre ». Au centre des débats sur le
sabbat se trouve la personne de Jésus et son autorité.
e) Si Jésus n’a pas aboli le sabbat, pourquoi le dimanche s’est-il imposé
comme jour saint des chrétiens ? Le choix du dimanche comme jour de
fête des chrétiens se situera en continuité avec la présentation évangéli-
que de la position de Jésus face au sabbat. Le sabbat est le jour que Jésus
a choisi pour accomplir ses œuvres messianiques et révéler sa qualité de
prophète et d’envoyé eschatologique de Dieu. Le jour après le sabbat, qui
est resté gravé dans la mémoire apostolique comme le jour de la résurrec-
tion, donc jour de l’intervention eschatologique de Dieu qui confirme la
qualité messianique de Jésus, paraîtra le jour adéquat pour célébrer la
nouveauté chrétienne. Et surtout pour célébrer celui qui « a apporté
40 E. BIANCHI
toute nouveauté en apportant sa propre personne » (Irénée de Lyon,
Contre les hérésies IV,34,1).
La naissance du dimanche
Le premier jour de la semaine
Le jour après le sabbat apparaît central dans le NT, caractérisé comme
il l’est par la nouveauté de l’événement chrétien, la Pâque de Jésus Christ.
La résurrection de Jésus est l’acte décisif de la révélation de Dieu dans
l’histoire des hommes. Les évangiles s’accordent pour affirmer que Jésus
est ressuscité « le premier jour après le sabbat », « le premier jour de la
semaine » (cf. Mc. 16,2.9 ; Mt. 28,1 ; Lc. 24,1 ; Jn 20,1). Puisque la résur-
rection est le oui eschatologique que Dieu dit à Jésus comme son Fils et
Messie, ce jour devint très tôt jour mémorial de l’intervention salvifique
par excellence. Le quatrième Évangile affirme que les apparitions du
Christ ressuscité, accompagnées par le don de l’Esprit aux disciples
réunis, se situent également le premier jour après le sabbat (cf. Jn
20,19.26). Luc place l’apparition aux deux disciples d’Emmaüs le « même
jour » (Lc. 24,13) que la résurrection, c’est-à-dire toujours le premier jour
après le sabbat. La Pentecôte (qui se produit cinquante jours après la
résurrection : 7 x 7 + 1) se situe elle aussi, selon Luc, le premier jour après
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le sabbat. Ainsi, la résurrection, les apparitions du Ressuscité, le don de l’Esprit
Saint – soit les trois événements eschatologiques fondamentaux – prennent tous
place le premier jour de la semaine, non le jour du sabbat ni un autre jour. Les
chrétiens ont donc repris le rythme hebdomadaire juif mais, en vertu de
la résurrection (et des apparitions de Jésus et de la Pentecôte), ils ont
attribué une importance centrale au jour qui suit le sabbat. Par ailleurs,
les récits évangéliques des apparitions du Ressuscité parlent souvent de
repas qu’Il a pris avec les disciples. Selon Luc, le Seigneur se met à table
avec les deux disciples d’Emmaüs, il prend le pain, prononce la bénédic-
tion, le rompt et le leur donne (Lc. 24,30), et eux le reconnaissent à la
fraction du pain (Lc. 24,35). Tout ceci se produit « le premier jour de la
semaine » (Lc. 24,1). Le même jour, il se rend présent au milieu de la
communauté des disciples réunis et mange avec eux (Lc. 24,41-43). Jean
parle du Ressuscité qui, étant apparu aux disciples au bord du lac de
Tibériade, les invite à manger (Jn 21,12 : « Venez, mangez ! ») et il leur
donne du pain et des poissons (Jn 21,9-14). Il s’agit là d’allusions éviden-
tes à l’eucharistie : la célébration dominicale de l’eucharistie se veut en
QU’EST-CE QUE LE DIMANCHE ? 41
continuité avec ce repas pris par le Seigneur avec ses disciples. En somme,
c’est le lien avec l’événement pascal dans sa plénitude qui caractérise le « premier
jour de la semaine » et fonde son importance dans la vie des communautés
chrétiennes 20.
« Le premier jour de la semaine » : telle est la plus ancienne dénomi-
nation du dimanche, une dénomination de claire dérivation juive et non
encore marquée en sens spécifiquement chrétien, comme le sera l’appel-
latif « jour du Seigneur » qui s’imposera bien vite et que l’on trouve pour
la première fois en Ap 1,10. « Le premier jour » était, en effet, dans le
calendrier juif le jour suivant le sabbat, et ce n’est que dans la chrétienté
de langue sémitique que le dimanche continue à être appelé, aujourd’hui
encore, « premier jour de la semaine » 21. Cette appellation, tout comme
le rythme hebdomadaire des synaxes qui se déroulaient ce jour-là, dénote
un lien évident avec le calendrier et la pratique liturgique juive et en
particulier avec la fréquence hebdomadaire de la fête du sabbat 22.
La semaine juive était structurée à partir du sabbat, son dernier jour, et
les autre jours ne portaient aucun nom particulier, mais étaient simple-
ment appelés premier, deuxième, troisième jour... sauf le vendredi qui se
nommait parascève (préparation) ou avant-sabbat (prosabbáton).
Les premiers chrétiens partent de la situation juive, caractérisée par un
rythme hebdomadaire organisé autour du sabbat, qui était le jour de
repos officiel, pour aller vers le monde méditerranéen gréco-romain, où
le rythme hebdomadaire (planétaire) n’était pas encore attesté avec
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20. « La résurrection du Christ d’entre les morts, sa manifestation dans l’assem-
blée des siens, le repas messianique pris par le Ressuscité avec ses disciples, le don de
l’Esprit (‘Recevez l’Esprit saint’, Jn 20,22) et l’envoi en mission (‘Comme le Père
m’a envoyé, je vous envoie moi aussi‘, Jn 20,21), telle est la Pâque chrétienne dans
sa plénitude. Tel est l’événement central de l’histoire du salut, qui a marqué pour
toujours le premier jour de la semaine. Tout le mystère que célébrera le dimanche est
déjà présent au jour de Pâques ; le dimanche ne sera rien d’autre que la célébration
hebdomadaire du mystère pascal » (P. Jounel, « Le dimanche et la semaine », in A.
G. Martimort, L’Église en prière, IV : La liturgie et le temps, Tournai, 1983, p. 24).
21. En syriaque, le dimanche s’appelle encore actuellement « premier jour de la
semaine ». Dénomination analogues en arabe et en éthiopien ; cf. H. Dumaine,
« Dimanche », in DACL, IV, Paris 1928, col. 859-860, n. 5 ; B. Botte, « Les dénomi-
nations du dimanche dans la tradition chrétienne », in Le dimanche (Lex Orandi
39), Paris, 1965, p. 7-8.14.25-26.
22. Cf. P. Grelot, « Du sabbat juif au dimanche chrétien », II, in La Maison-Dieu
124(1975), p. 27-34 ; C. S. Mosna, Storia della domenica dalle origini fino agli inizi del V
secolo (Analecta Gregoriana 170), Rome, 1969, p. 4-5.
42 E. BIANCHI
sûreté au Ier siècle av. J.-C. et qui ne disposait pas d’un jour de fête
analogue au sabbat juif.
Les chrétiens continuent donc, au début, à observer le sabbat, comme
les juifs, surtout dans le territoire palestinien ; mais après le sabbat, ils
sentent le besoin de faire mémoire de la résurrection de Jésus et de se
réunir pour un repas appelé fractio panis, dont on peut présumer qu’il a
lieu au soir du sabbat 23 ou (en un second temps) à l’aube du jour
suivant 24.
Le troisième jour
Le premier jour après le sabbat coïncide avec ce « troisième jour » que
Jésus a annoncé à plusieurs reprises comme le jour de sa résurrection et
qui désigne, dans l’AT déjà, l’attente de l’intervention salvifique de Dieu
et l’événement même du salut. Le texte midrashique de Genèse Rabbah, en
partant de l’expression « le troisième jour, Abraham leva les yeux » (Gn
22,4), énumère une longue série de textes bibliques qui situent le « troi-
sième jour » les interventions de libération et de salut de Dieu à l’égard de
ses serviteurs et qui culminent dans la résurrection des morts (Os 6,2). Le
texte hébreu d’Os 6,2 (« Après deux jours, il nous donnera la vie, le
troisième jour, il nous relèvera ») devient dans la LXX annonce de la résur-
rection des morts (« Il nous redonnera la vie aux jours de la consolation
qui viendront à l’avenir, le jour de la résurrection des morts, il nous relè-
vera ») 25. L’interprétation eschatologique du Targum d’Os 6,2 nous
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place devant la compréhension qu’avait le judaïsme de cette expression
que le NT applique bien quinze fois à la résurrection de Jésus Christ
(Mt. 16,21 ; 17,23 ; 20,19 ; 27,63.64 ; Mc. 8,31 ; 9,31 ; 10,34 ; Lc. 9,22 ;
23. Selon C. S. Mosna, P. Grelot et d’autres. W. Rordorf soutient en revanche que
ces réunions eucharistiques des premiers chrétiens se déroulaient non le sabbat au
soir (début du dimanche selon le décompte juif qui calcule les journées du coucher
au coucher), mais le dimanche soir, en souvenir du repas du Ressuscité avec ses
disciples le soir de Pâques ; cf. W. Rordorf, « Origine et signification de la célébra-
tion du dimanche dans le christianisme primitif. État actuel de la recherche », in La
Maison-Dieu 148(1981), p. 113-115. Cette thèse a été reprise par L. Lemmens, « Le
dimanche à la lumière des apparitions pascales », in Questions liturgiques 72(1991),
p. 177-190.
24. Si, comme il ressort du NT, la communauté chrétienne connaissait dans un
premier temps des réunions le soir ou la nuit, le IIe siècle témoigne que ces synaxes
avaient lieu à l’aube du dimanche (cf. C. S. Mosna, cit., p. 73-78).
25. P. Grelot, « La résurrection de Jésus et son arrière-plan biblique et juif », in La
résurrection du Christ et l’exégèse moderne (Lectio divina 50), Paris 1969, p. 38-39.
QU’EST-CE QUE LE DIMANCHE ? 43
18,33 ; 24,7.21.46 ; Ac 10,40 ; 1Co 15,4). Enseveli durant la Préparation,
soit la veille du sabbat, et ressuscité le premier jour après le sabbat, Jésus
(selon le mode juif de compter comme un jour entier également la
fraction d’un jour) est ressuscité le troisième jour. La résurrection est
l’événement eschatologique qui atteste la seigneurie du Christ sur le
temps et prélude au sabbat éternel qui sera instauré par le Christ à travers
sa venue dans la gloire. On trouve donc la spécificité chrétienne à
l’origine du dimanche : l’influence juive est visible dans la reprise du
rythme hebdomadaire, dans la périodicité des célébrations dominicales
analogue à celle des sabbats, dans la possible récupération de quelques
éléments particuliers comme le geste caritatif de la collecte pour les
pauvres ; toutefois l’idée du dimanche comme simple prolongement du
sabbat est absolument insuffisante.
Trois textes scripturaires
a) 1Co 16,1-2 : jour de la koinonía
S’adressant aux chrétiens de Corinthe, Paul établit un jour déterminé
pour mettre à part les offrandes qui devront être envoyées aux pauvres de
l’Église de Jérusalem. Ce geste de charité doit avoir lieu « chaque premier
jour de la semaine » (1Co 16,2) : s’agit-il là d’une application au jour
dominical de l’usage caritatif qu’une bonne part du judaïsme contempo-
rain réservait au sabbat 26 ? La mise en commun des économies person-
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nelles se produit-elle en lien avec une célébration liturgique domini-
cale 27 ? Le milieu corinthien connaît-il le transfert d’une pratique
sabbatique au dimanche ? Les réponses des exégètes sont discordantes.
26. Selon P. Grelot, cette collecte « prend, dans le cadre de l’Église, une place
analogue à celle qu’occupait dans le judaïsme le ramassage hebdomadaire du
panier des pauvres, à la veille du sabbat » (P. Grelot, « Du sabbat juif », II, p. 31-32).
27. S’il est vrai que certains l’excluent (cf. S. Bacchiocchi, Du sabbat au dimanche,
Paris, 1984, p. 77-84), il est intéressant d’observer que quelques décennies plus tard
seulement, la collecte sera réalisée précisément durant la synaxe eucharistique
dominicale. Justin l’atteste, affirmant au milieu du IIe s., dans sa célèbre description
du déroulement de la synaxe : « Les personnes aisées et ceux qui le désirent
donnent librement chacun ce qu’il veut et ce que l’on récolte ainsi est déposé
auprès de celui qui préside (litt. ‘le préposé’). Celui-ci secourt les orphelins, les
veuves et les indigents en raison de la maladie ou pour quelque autre raison, ainsi
que les prisonniers et les étrangers qui se trouvent auprès de nous : en somme, il
prend soin de quiconque est dans le besoin » (1e Apologie 67,6). Cette pratique
manifeste le lien entre l’eucharistie et la charité fraternelle et elle révèle la compré-
hension profonde de l’aspect théologique de la charité : c’est l’agápe de Dieu qui,
44 E. BIANCHI
Le texte ne parle pas expressément de réunion cultuelle, cependant il
témoigne, pour le moins, de l’importance prise par le premier jour de la
semaine à une époque assez ancienne déjà (55 ou 56 ap. J.-C.). On peut
déduire d’un texte lucanien (Ac 20,7-12) qu’avant l’an 60 déjà le diman-
che est devenu jour de réunion liturgique de la communauté chrétienne.
Du reste, les noms mêmes qui définissent la collecte sont pour une bonne
part liturgiques (prosphorá = offrande : Ac 24,17 ; diakonía = service : 2Co
8,4 et 9,1 ; koinonía = communion : 2Co 8,4 et 9,13 ; leitourgía = ministère :
2Co 9,12) et peuvent indiquer un lien avec le culte chrétien.
b) Ac 20,7-12 : jour du repas du Seigneur
A Troas, une synaxe eucharistique a lieu le premier jour de la semaine :
nous sommes en 57 ou 58. Célébrée probablement dans la nuit entre le
samedi et le dimanche (Ac 20,7), selon l’usage juif qui compte les jours du
coucher au coucher, elle a lieu « dans la chambre haute » (Ac 20,8 ;
comme la dernière cène : Mc. 14,15) et comprend la « fraction du pain »
(Ac 20,7.11) ainsi qu’une longue explication des Écritures (Ac 20,7.9.11).
Suivant ce texte, le dimanche apparaît être le jour où les chrétiens se
réunissent (syághein : Ac 20,7.8) pour la fractio panis (klásis toû ártou : Ac
20,7.11 ; cf. Lc. 2,42) : c’est le jour de l’assemblée chrétienne. Celle-ci
célèbre l’événement pascal, le Christ mort et ressuscité, source de vie et
d’espérance pour la communauté. De nombreux détails du texte don-
nent une coloration pascale à l’événement 28 : l’indication qui renvoie à la
semaine des azymes (Ac 20,6) ; la dynamique du passage de la nuit (20,7)
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à l’aube (20,11), des ténèbres à la lumière ; le mouvement de chute dans
la mort (20,9) et de relèvement à la vie (20,12) du jeune Eutyque qui
s’était endormi ; le mouvement correspondant de descente (katabás :
20,10) et de remontée (anabás : 20,11) de Paul qui provoque la résurrec-
tion du garçon ; le fait que ce soit la dernière rencontre de l’apôtre avec
la communauté de Troas et donc son dernier discours, son « dernier
repas » avant son départ (20,7.11). Au « premier jour de la semaine »
– jour de la résurrection du Seigneur Jésus –, les énergies du Ressuscité se
manifestent actuelles et efficaces au cœur de la communauté réunie
autour de l’apôtre pour l’écoute de la Parole et la fraction du pain.
dans l’eucharistie, édifie l’Église et lui donne forme dans la charité, et la rend
témoin de la charité parmi les hommes.
28. Cf. B Trémel, « À propos d’Actes 20,7-12 : puissance du thaumaturge ou du
témoin ? », in Revue de théologie et de philosophie 112(1980), p. 359-369. Forte contex-
tualisation pascale de l’épisode chez B. Standaert, L’Évangile selon Marc. Composition
et genre littéraire, Bruges, 1978, p. 594-597.
QU’EST-CE QUE LE DIMANCHE ? 45
c) Ap 1,10 : jour du Seigneur
Ce passage comporte l’unique attestation néotestamentaire de l’ex-
pression kyriaké eméra (« jour du Seigneur » ; litt. « jour seigneurial ») qui
se répandra également dans les milieux de l’Asie Mineure sous la forme
kyriaké (avec l’usage substantivé de l’adjectif), qui deviendra en latin (dies)
dominicus, d’où dimanche. La grande vision inaugurale qui ouvre la révé-
lation de l’Apocalypse – vision du Christ ressuscité et glorieux – est située
« le jour du Seigneur » (Ap 1,10). Cette expression a une connotation
eschatologique, qui n’est pourtant pas prioritaire ici, comme si le texte
(c’est l’idée de certains 29) se référait à un jour non concret mais symbo-
lique ; non, il implique bien une référence très concrète liée au jour du
dimanche. Certes, puisqu’il comporte en son cœur la célébration de
l’événement pascal, le jour dominical contient aussi une référence au
« jour du Seigneur » eschatologique, au jour de la Parousie, car le Sei-
gneur Ressuscité est celui qui doit venir. Mais si Jean avait voulu indiquer
le jour du jugement indépendamment de l’ancrage au jour du dimanche,
il aurait fait recours à l’expression eméra toû kyríou, que la LXX utilise
systématiquement pour rendre l’hébreu jom Jhwh et que Paul utilise avec
une acception judiciaire : 1Th 5,2 ; 1Co 1,8 ; 5,5. Le choix de l’adjectif
kyriakós au lieu du génitif toû kyríou veut souligner dans notre texte une
référence différente. L’unique autre usage dans le NT de l’adjectif ky-
riakós peut nous illuminer : on le trouve en 1Co 11,20 où il désigne le
repas du Seigneur, le « cène du Seigneur » (kyriakón deîpnon), l’eucharis-
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tie qui – comme en témoigne également la Didaché – était célébrée préci-
sément le jour du Seigneur : « Lorsque vous vous réunissez, le Jour du
Seigneur (katà kyriakèn kyrióu), rompez le pain et rendez grâces, après
avoir confessé vos péchés » (Didaché 14,1). Donc : le repas du Seigneur
durant le jour du Seigneur. Et il est significatif que l’on ait appelé plus tard
l’édifice cultuel où l’on célébrait l’eucharistie tò kyriakón 30.
Le « jour du Seigneur » d’Ap 1,10 est donc le jour dominical concret,
jour qui célèbre le Christ ressuscité présent dans l’assemblée réunie pour
l’écoute de la Parole et le repas eucharistique. Ce n’est pas par hasard
qu’on trouve, au centre de la vision-audition de Jean, le Christ ressuscité
(Ap 1,17-18) présent dans l’Église (Ap 1,13.20). Bien plus, dans toutes les
29. S. Bacchiocchi, cit., p. 95-111 : « le ‘jour du Seigneur’d’Ap 1,10 ne représente
pas un jour de 24 heures, mais bien plutôt le grand Jour du Seigneur dans lequel
Jean est transporté en vision », ce « jour est symbolique plutôt que littéral » (p. 106).
30. W. Rordorf, « Le dimanche, source et plénitude du temps liturgique chré-
tien », in Cristianesimo nella storia 5(1984), p. 5, n. 13.
46 E. BIANCHI
Églises, les ekklesíai (Ap 1,20), les assemblées cultuelles concrètes qui,
célébrant le repas du Seigneur, connaissent l’épiphanie de la présence du
Seigneur vivant au milieu d’elles, sa présence actuelle qui représente les
arrhes de sa venue finale pour le banquet eschatologique : « Le jour de la
résurrection du Christ, jour de la célébration du culte chrétien, apparaît
comme une anticipation du grand jour final » 31.
Témoignages antiques non scripturaires
D’autres témoignages de l’Antiquité, hors de l’Écriture, confirment
l’usage qu’avaient les chrétiens de se réunir pour le culte le jour domini-
cal 32. Un passage d’Eusèbe de Césarée, tiré de son Histoire ecclésiastique
(303 ou 312), traite de l’observance dominicale des ébionites, groupe
judéo-chrétien remontrant aux origines et qui s’en tenait encore « avec
insistance, à une observance littérale de la Loi » (III,27,3). Eusèbe rap-
porte : « les ébionites, qui ne se référaient qu’à l’Évangile dit ‘des Hé-
breux’, observaient... le sabbat et suivaient les autres coutumes juives,
mais le dimanche, ils célébraient des rites assez semblables aux nôtres en
mémoire de la résurrection du Sauveur » (III,27,4-5). En parlant des
ébionites, Eusèbe nous place probablement en présence d’une pratique
judéo-chrétienne très ancienne consistant à coupler l’observance sabba-
tique et la célébration du dimanche en mémoire de la résurrection 33.
L’origine du dimanche comme jour de réunion des chrétiens pour la
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célébration du Christ ressuscité, peut donc être situé dans le milieu
palestino-hiérosolymitain à une époque très ancienne. « Les disciples de
l’Évangile n’ont pas pris l’initiative de rompre avec le judaïsme. Pourtant,
dès l’origine, ils eurent conscience de former, à l’intérieur de celui-ci, un
groupe original qui trouvait dans le Christ son principe d’unité. La
conséquence logique de cette situation a été l’affirmation d’un culte
autonome, par la célébration du jour du Seigneur » 34.
Le dimanche plonge ses racines dans un terrain judéo-chrétien et
remonte à une période antérieure à la fondation par Paul de communau-
31. O. Cullmann, La foi et le culte dans l’Église primitive, Neuchâtel 1963, p. 109.
32. Voir E. Bianchi, Le jour du Seigneur. Pour un renouveau du dimanche, Paris 1992,
p. 65-69.
33. À l’intérieur du judéo-christianisme, une situation plutôt articulée devait
exister. Le même texte d’Eusèbe parle d’une aile radicale des ébionites qui n’ob-
servait que le sabbat (Histoire ecclésiastique III,27,2-3.5).
34. P. Grelot, « Du sabbat juif », II, p. 15.
QU’EST-CE QUE LE DIMANCHE ? 47
tés d’extraction pagano-chrétienne 35. Dans ce milieu judéo-chrétien, le
culte dominical était accompagné du repos du sabbat, mais ce dernier
n’était pas exigé des pagano-chrétiens. Les communautés fondées par
Paul devaient certainement se ressentir de la liberté d’esprit de l’apôtre,
qui s’exprime dans la réprobation des judaïsants de la Galatie (Ga 4,9-10),
dont on retrouve l’écho dans la lettre aux Colossiens : « Que personne ne
vous juge plus sur des questions de nourriture ou de boisson, ou en
matière de fêtes annuelles, de nouvelles lunes ou de sabbats. Tout cela
n’est que l’ombre des choses à venir, mais le corps est celui du Christ »
(Col 2,16-17).
Durant le IIe et le IIIe siècle, on retrouve toutefois ici ou là des phéno-
mènes de vénération du sabbat, comme il ressort des polémiques
d’Ignace (en 110) contre les judaïsants (Aux Magnésiens 9,1-3), des affir-
mations de Justin (en 160 environ) qui estimait qu’on pouvait conserver
une pleine communion avec les judéo-chrétiens fidèles aux pratiques
juives et observant le sabbat, à condition qu’ils n’exercent pas de pression
morales sur les éthno-chrétiens pour les induire à se faire circoncire et à
observer le sabbat (Dialogue avec Tryphon 47). Enfin, vers la fin du IIe siè-
cle, Tertullien parle d’un groupe de chrétiens qui ne s’agenouillent ni le
sabbat ni le dimanche 36. On doit donc parler d’un déclin de l’observance
du sabbat de la part des chrétiens durant cette période, mais non d’une
disparition totale.
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Le repos et le dimanche
Le dimanche est né comme un jour essentiellement cultuel, le jour du
rassemblement de l’assemblée chrétienne célébrant la mort-résurrection
du Christ, et il s’est peu à peu développé au cours des trois premiers
35. Ainsi C. S. Mosna, cit. p. 53 et ss. ; contre S. Bacchiocchi qui défend la thèse
selon laquelle le culte dominical aurait été introduit par l’Église de Rome comme
une réaction anti-juive et aurait été influencé par le modèle païen du culte solaire.
Cf. S. Bacchiocchi, cit., p. 141-219. Il est vrai que les trois textes du NT parlant du
dimanche (1Co 16,2 ; Ac 20,7 ; Ap 1,10) s’adressent à des communautés pagano-
chrétiennes, mais ceci ne signifie pas que la célébration du dimanche soit propre au
christianisme provenant des gentils. Du reste, comment le premier jour de la
semaine juive aurait-il pu acquérir en un temps si bref une place aussi importante
dans les communautés pagano-chrétiennes, au point de devenir le centre de la
semaine, si ce n’est parce qu’il a été soutenu par le témoignage autorisé de la
première communauté chrétienne ? Cf. W. Rordorf, « Le dimanche, jour du culte
et jour du repos dans l’Église primitive », in Le dimanche, p. 91-97.
36. Pour un approfondissement et d’autres textes, cf. C. S. Mosna, cit ; p. 201-206.
48 E. BIANCHI
siècles de notre ère, sans pour autant assumer l’élément du repos, central
et déterminant dans le sabbat juif. Les témoignages issus de cette période
soulignent tout au plus la nécessité de différer certains travaux afin de
trouver le temps de participer à l’assemblée eucharistique et ne pas faire
passer les activités propres avant la Parole de Dieu (cf. Tertullien, De
oratione 22,2 ; De idolatria 14,7 ; Didascalia Apostolorum II,59 ;2).
Ce n’est qu’à partir du IVe siècle que le dimanche s’enrichit de l’élé-
ment de l’abstention du travail. Avec les constitutions promulguées en
321 par Constantin, puis complétées par des dispositions impériales
ultérieures tout au long du IVe siècle et jusqu’au début du Ve, le diman-
che devenait un jour de fête officiel dans la société romaine. Ainsi, la loi
civile faisait du jour du culte chrétien un jour d’abstention du travail, et
durant les siècles suivants, dès le VIe siècle surtout (3e synode d’Orléans :
538), le repos dominical se transformait même en une obligation établie
par les lois ecclésiastiques. C’est à ces siècles-là que remonte le précepte du
dimanche, qui sera toujours caractérisé par l’obligation du repos domi-
nical et la participation à l’eucharistie.
Quoi qu’il en soit, le fait que le dimanche soit devenu un jour de repos,
même si cela correspondait certainement à des exigences de l’Église, a
pourtant posé à cette dernière des problèmes d’ordre théologique et
pastoral. Quelles qu’aient été les finalités réelles des dispositions de
Constantin et ses véritables intentions en les promulguant, il demeure
que l’Église n’y était pas complètement préparée, et qu’elle manquait
d’une conscience théologico-spirituelle adéquate au repos du jour du
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Seigneur : elle se trouva à devoir affronter les problèmes et les dérives qui
ne manquèrent pas de s’élever parmi les chrétiens. De nombreux chré-
tiens « tièdes » en vinrent à abuser du dimanche pour s’adonner à des
divertissements auxquels ils donnaient la priorité sur les devoirs de la foi.
Pendant la seconde moitié du IVe siècle déjà, Ephrem le Syrien dénonce
la mondanisation du dimanche qui amène les chrétiens à en faire un jour
où ils pèchent davantage que les autres jours (Sermo ad nocturnum Domi-
nicae Resurrectionis 4 ; avant 363).
Du point de vue théologique, le repos dominical pose le problème de
l’interprétation du commandement biblique – inscrit dans le décalo-
gue – du repos le jour du sabbat. La réponse est allée dans le sens d’une
interprétation spirituelle du commandement du repos sabbatique : le commande-
ment doit être compris de manière typologique, c’est-à-dire eschatologi-
que, ou morale, ou encore allégorique. Augustin affirme que le comman-
dement du repos sabbatique est le seul du décalogue qui ne doive pas être
observé à la lettre de la part des chrétiens, mais qu’il faut l’entendre dans
QU’EST-CE QUE LE DIMANCHE ? 49
un sens spirituel (Lettre LV, 12,22). Parallèlement, une théologie se déve-
loppe qui rapporte tout court au dimanche ce que la Bible affirmait du
sabbat : « Tout ce qui a été prescrit pour le sabbat, nous l’avons transposé
au dimanche » (Eusèbe de Césarée, In Psalmis 91).
Durant ce temps, diverses déclarations pastorales et disciplinaires inter-
disent aux chrétiens d’observer le sabbat pour ne pas se confondre avec
les juifs : au IVe siècle, en effet, différentes régions de la chrétienté
connurent un retour de flamme de l’ancien usage sabbatique en parallèle
de la célébration dominicale.
Dès le VIe siècle, la motivation du repos dominical est fournie de
manière définitive par la loi sabbatique ; et la nécessité de spécifier
l’extension et les modes de ce repos fait naître dans le domaine chrétien
une casuistique qui a peu à envier à la casuistique juive sur le sabbat,
pourtant si critiquée. À la fin du VIe siècle (avec Martin de Braga ; environ
580), cette casuistique se concentrera sur la définition des « œuvres
serviles » interdites le dimanche ; aux attitudes rigoristes, voire judaïsan-
tes, qui tendront à transposer au dimanche les obligations du sabbat juif,
s’opposeront des tendances qui, par crainte de « judaïser », défendront
un comportement plus modéré 37. Le repos dominical, surgi au sein de
ces contradictions, est resté suffoqué par l’étreinte des préceptes et d’une
application juridique dont les conséquences se paient aujourd’hui en-
core, bien que Vatican II ait marqué un tournant à l’égard de l’interpré-
tation réglementaire du dimanche. Les applications historiques mêmes
du précepte ont été diverses : le protestantisme a relativisé l’aspect de la
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participation au culte dominical et a rendu plus rigoureux le repos,
comme cela se voit surtout dans les pays de tradition puritaine 38. S’il est
vrai que, à l’intérieur d’une théologie de la substitution (absolument
dépourvue de soutien néotestamentaire 39) qui délégitime l’existence
d’Israël en méconnaissant le mystère de sa permanence dans l’histoire du
salut, le dimanche a connu un processus de « sabbatisation », en raison
duquel il est devenu « le sabbat chrétien », il est vrai aussi que le repos
reste un élément important du dimanche. Le repos a partie liée avec la
37. Que l’on pense aux différentes positions sur la question de savoir si l’on peut
se coiffer et se laver le dimanche : P. Massi, La domenica nella storia della salvezza,
Napoli, 1967, p. 345 ; A. Verheul, « Du sabbat au jour du Seigneur », in Questions
liturgiques 51(1970), p. 20.
38. B. Chenu et G. Gerest, « Le dimanche protestant », in Faculté de théologie de
Lyon, Le dimanche : une obligation ?, Lyon, 1975, p. 47-50.
39. Cf. la note pertinente de P. Stefani, « Settimo e ottavo giorno », in Il Regno-
attualità 10(1990), p. 327.
50 E. BIANCHI
joie du jour de la résurrection et sa dimension communautaire ; il est
occasion d’une communion plus intense avec Dieu dans la prière, la
charité et la fraternité ; il est préfiguration du jour du repos éternel dans
la communion avec Dieu ; il est par ailleurs chargé des dimensions
sociales et anthropologiques du jour de fête 40.
Si le sabbat juif est un jour de repos et de culte, le dimanche chrétien est un jour
de culte et de repos ; si le premier est la fête de la création et de l’alliance, le second
est la fête de la nouvelle alliance et de la nouvelle création : dans une optique
chrétienne, les deux jours – tout comme les deux peuples – peuvent se
tenir l’un à côté de l’autre dans une complémentarité qui n’exclut pas les
tensions mais qui, en sauvegardant la « différence » des jours, empêche
l’assimilation du sabbat dans le dimanche, et donc son abrogation. Cette
différence n’élimine pas les ressemblances, incontestables, dues aussi aux
analogies du développement du jour de fête dans les deux milieux
religieux « frères ». Nous savons que l’Église des quatre premiers siècles a
connu une triple position concernant le maintien ou non d’une obser-
vance du jour du sabbat : l’attitude favorable à la conservation de l’obser-
vance sabbatique en plus du dimanche, voire exclusive, dans les milieux
judéo-chrétiens 41 ; la tendance, qui s’est affirmée dès le IIe siècle, qui
soulignait la rupture avec le sabbat en faveur de l’observance uniquement
du dimanche (sans pour autant que des formes de vénération et de culte
sabbatique aient complètement disparu aux IIe et IIIe siècles) dans les
milieux pagano-chrétiens 42 ; enfin la position intermédiaire, qui s’est attes-
tée dans les Églises d’Orient du IVe siècle, où une observance sabbatique
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spiritualisée, non sujette à prescriptions légales ni à l’abstention absolue
du travail, cohabitait avec la fête dominicale, qui maintenait sa supréma-
tie par rapport au sabbat et aux autres jours de la semaine. Grégoire de
Nysse a écrit : « Avec quels yeux pourras-tu regarder le dimanche en face
après avoir déshonoré le sabbat ? Ne sais-tu pas que ces deux jours sont
frères ? Et que si tu commets une offense à l’encontre de l’un tu offenses
également l’autre ? » (De castigatione ; après 371). Et les Constitutions
apostoliques (œuvre rédigée au IVe siècle et qui présente les usages des
grandes communautés de Syrie et de Palestine) déclarent : « Surtout le
jour du sabbat et le jour de la résurrection du Seigneur, le dimanche,
40. Sur le caractère théologique, spirituel et anthropologique du dimanche, cf.
E. Bianchi, cit., p. 74-91 ; de manière plus développée, Id., Giorno del Signore, giorno
dell’uomo. Per un rinnovamento della domenica, Casale Monferrato, 1994, p. 131-183.
41. W. Rordorf, Sabato e domenica nella chiesa antica (Traditio Christiana 2), Turin,
1979, p. XV.
42. C. S. Mosna, cit., p. 201-206.
QU’EST-CE QUE LE DIMANCHE ? 51
mettez encore plus de zèle à vous réunir pour adresser votre louange à
Dieu qui a créé toutes choses par Jésus, qui nous l’a envoyé, qui a accepté
qu’il souffre et qui l’a ressuscité des morts » (II,59,3).
Le problème, à la base, est ecclésiologique et concerne l’existence
d’une Église judéo-chrétienne. En effet, seule une Église judéo-chrétienne
pourrait aujourd’hui « vivre » de façon adéquate une observance du sabbat, et
donc réfléchir à la manière appropriée pour des croyants en Jésus de l’articuler avec
la célébration dominicale. Le lien entre ces deux jours se trouve dans la
personne de Jésus, qui est juif et l’est pour toujours, qui a vécu la fidélité
au sabbat et qui est ressuscité des morts, qui a révélé Dieu par ses
comportements le jour du sabbat et par sa résurrection des morts.
Le dimanche est un temps sacramentel qui rappelle que l’histoire du salut
est récapitulée dans le Christ Jésus et que toutes les choses, créées en
Christ (Col 1,16), sont appelées à être réunies dans le Christ (Ep 1,10) ;
c’est le jour de la résurrection, le début de la « nouvelle » création, mais
la résurrection et la « nouvelle » création sont l’accomplissement de la vie
et de la création initiales, qui sont inséparables d’elles. Il s’agit alors, pour
les chrétiens, d’inventer, avec intelligence et un esprit de foi, avec créati-
vité et fidélité à la tradition chrétienne, des formes de repos et de fête qui
permettent de vivre pleinement les dimensions du jour dominical 43.
Même si une loi de l’État imposait un autre jour férié durant la semaine,
pour le chrétien, c’est le dimanche qui, même ouvrable, resterait le jour
à sanctifier par l’assemblée eucharistique. Les chrétiens des milieux
païens l’ont vécu de cette manière durant des siècles, jusqu’à Constantin,
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en célébrant l’eucharistie à des horaires qui leur permettaient l’accom-
plissement de leur travail et en la célébrant au risque de leur vie aux
époques de persécution. Mais l’Église doit faire ressortir les dimensions
proprement chrétiennes du repos dominical et ne pas le fonder sur une
simple transposition spiritualiste du commandement sabbatique : il s’agit
de nous reposer de nos œuvres pour faire émerger l’œuvre faite par le
Seigneur, la résurrection de Jésus Christ, qui dilate ses énergies de victoire
dans la mort aux dimensions de la création et de l’histoire tout entières.
(Traduction de l’italien par Matthias Wirz)
43. E. Bianchi, Giorno del Signore, p. 181-183.