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Sur Les Chemins Noirs: Sylvain Tesson

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SYLVAIN TESSON

SUR LES
CHEMINS NOIRS

GALLIMARD
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DU MÊME AUTEUR

Aux Éditions Gallimard


U N E V I E À C O U C H E R D E H O R S ,  (Folio no ). Goncourt de la nouvelle et
prix de la Nouvelle de l’Académie française .
H A U T E T E N S I O N . D E S C H A S S E U R S A L P I N S E N A F G H A N I S T A N (avec
les photos de Thomas Goisque et les illustrations de Bertrand de Miollis), .
D A N S L E S F O R Ê T S D E S I B É R I E ,  (Folio no ). Prix Médicis essai .
S I B É R I E M A C H É R I E (avec les photos de Thomas Goisque et les illustrations de Bertrand de
Miollis), .
S ’ A B A N D O N N E R À V I V R E ,  (Folio no ).

Chez d’autres éditeurs


O N A R O U L É S U R L A T E R R E (avec Alexandre Poussin), Robert Laffont, . (Pocket.)
H I M A L A Y A (avec Alexandre Poussin), Transboréal, .
L A M A R C H E D A N S L E C I E L (avec Alexandre Poussin), Robert Laffont, . (Pocket.)
L A C H E V A U C H É E D E S S T E P P E S (avec Priscilla Telmon), Robert Laffont, . (Pocket.)
N O U V E L L E S D E L ’ E S T , Phébus, .
C A R N E T S D E S T E P P E S (avec Priscilla Telmon), Glénat, .
L ’ A X E D U L O U P , Robert Laffont, . (Pocket.)
S O U S L ’ É T O I L E D E L A L I B E R T É (avec les photos de Thomas Goisque), Arthaud, .
(J’ai lu.)
P E T I T T R A I T É S U R L ’ I M M E N S I T É D U M O N D E , Éditions des Équateurs, .
(Pocket.)
É L O G E D E L ’ É N E R G I E V A G A B O N D E , Éditions des Équateurs, . (Pocket.)
L ’ O R N O I R D E S S T E P P E S (avec les photos de Thomas Goisque), Arthaud, . (J’ai lu.)
APHORISMES SOUS LA LUNE ET AUTRES PENSÉES SAUVAGES,
Éditions des Équateurs, . (Pocket.)
L A C B A Ï K A L , V I S I O N S D E C O U R E U R S D E T A Ï G A (avec les photos de Thomas
Goisque), Transboréal, .
V É R I F I C A T I O N D E L A P O R T E O P P O S É E , Phébus, . (Libretto.)

Suite des œuvres de Sylvain Tesson en fin de volume


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SYLVAIN TESSON

SUR LES
CHEMINS NOIRS

GALLIMARD
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© Éditions Gallimard, .


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à L.
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Je vais sortir. Il faut oublier aujourd’hui les vieux


chagrins, car l’air est frais et les montagnes sont
élevées. Les forêts sont tranquilles comme le cime-
tière. Cela va m’ôter ma fièvre et je ne serai plus
malheureux dorénavant.
  ,
Confessions d’un mangeur d’opium
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Carte de la France hyper-rurale établie par les auteurs du rapport sur l’hyper-ruralité.
L’enclavement, la faible densité de population, le manque d’équipement, de services et
de ressources sont les critères retenus pour classer dans l’hyper-ruralité 250 « bassins de vie »
(zones foncées de la carte). © Inra UMR CESAER / M. Hilal.
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Mon itinéraire à pied.


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L’année avait été rude. Longtemps, les dieux avaient favo-


risé la famille, nous avaient baignés de leur douceur. Peut-
être se penchent-ils sur certains d’entre nous, comme les fées
des contes ? Puis leur sourire se crispe en grimace.
Nous ne savions rien de ces choses mais nous goûtions cette
amabilité du sort avec une désinvolture énergique. Elle nous
affranchissait de la moindre gratitude mais nous contraignait
à une épuisante légèreté. La vie ressemblait à un tableau de
Bonnard. Il y avait du soleil sur les vestes blanches, des com-
potiers sur les nappes, des fenêtres ouvertes sur un verger où
passaient des enfants. Dehors, les pommiers bruissaient : le
décor idéal pour un bon coup de massue.
Cela n’avait pas tardé. Mes sœurs, mes neveux, tout le
monde avait été atteint de l’un de ces maux qui s’infiltrent
par les remparts dans les fables médiévales : une ombre rampe
dans les ruelles, atteint le cœur de la ville, gagne le donjon.
La peste avançait.
Ma mère était morte comme elle avait vécu, faisant faux
bond, et moi, pris de boisson, je m’étais cassé la gueule d’un
toit où je faisais le pitre. J’étais tombé du rebord de la nuit,

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m’étais écrasé sur la Terre. Il avait suffi de huit mètres pour


me briser les côtes, les vertèbres, le crâne. J’étais tombé sur
un tas d’os. Je regretterais longtemps cette chute parce que
je disposais jusqu’alors d’une machine physique qui m’autori-
sait à vivre en surchauffe. Pour moi, une noble existence res-
semblait aux écrans de contrôle des camions sibériens : tous les
voyants d’alerte sont au rouge mais la machine taille sa route
et le moindre Cassandre à gueule d’Idiot qui agite les bras en
travers de la piste pour annoncer la catastrophe est écrasé
menu. La grande santé ? Elle menait au désastre, j’avais pris
cinquante ans en huit mètres.
On m’avait ramassé. J’étais revenu à la vie. Mort, je n’aurais
même pas eu la grâce de voir ma mère au Ciel. Cent milliards
d’êtres humains sont nés sur cette Terre depuis que les Homo
sapiens sont devenus ce que nous sommes. Croit-on vraiment
qu’on retrouve un proche dans la cohue d’une termitière éter-
nelle encombrée d’angelots ?
À l’hôpital, tout m’avait souri. Le système de santé français
a ceci de merveilleux qu’il ne vous place jamais devant vos
responsabilités. Dans une société antique régie par un principe
d’éthique, on ne devrait pas s’occuper d’un soûlographe avec
les mêmes égards que ceux dispensés aux vrais nécessiteux. On
ne m’avait rien reproché, on m’avait sauvé. La médecine de fine
pointe, la sollicitude des infirmières, l’amour de mes proches, la
lecture de Villon-le-punk, tout cela m’avait soigné. Il y avait
surtout eu la sainteté d’un être venu chaque jour à mon chevet,
comme si les hommes de mon espèce méritaient des fidélités de
bête. Un arbre par la fenêtre m’avait insufflé sa joie vibrante.
Quatre mois plus tard j’étais dehors, bancal, le corps en peine,
avec le sang d’un autre dans les veines, le crâne enfoncé, le

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ventre paralysé, les poumons cicatrisés, la colonne cloutée de


vis et le visage difforme. La vie allait moins swinguer.
Il fallait à présent me montrer fidèle au serment de mes
nuits de pitié. Corseté dans un lit, je m’étais dit à voix presque
haute : « Si je m’en sors, je traverse la France à pied. » Je m’étais
vu sur les chemins de pierre ! J’avais rêvé aux bivouacs, je
m’étais imaginé fendre les herbes d’un pas de chemineau. Le
rêve s’évanouissait toujours quand la porte s’ouvrait : c’était
l’heure de la compote.
Un médecin m’avait dit : « L’été prochain, vous pourrez
séjourner dans un centre de rééducation. » Je préférais deman-
der aux chemins ce que les tapis roulants étaient censés me
rendre : des forces.
L’été prochain était venu, il était temps de régler mes comptes
avec la chance. En marchant, en rêvassant, j’allais convoquer le
souvenir de ma mère. Son fantôme apparaîtrait si je martelais les
routes buissonnières pendant des mois. Pas n’importe quelle
route : je voulais m’en aller par les chemins cachés, bordés de
haies, par les sous-bois de ronces et les pistes à ornières reliant
les villages abandonnés. Il y avait encore une géographie de
traverse pour peu qu’on lise les cartes, que l’on accepte le détour
et force les passages. Loin des routes, il existait une France
ombreuse protégée du vacarme, épargnée par l’aménagement qui
est la pollution du mystère. Une campagne du silence, du sor-
bier et de la chouette effraie. Les médecins, dans leur vocabulaire
d’agents du Politburo, recommandaient de se « rééduquer ». Se
rééduquer ? Cela commençait par ficher le camp.
Des motifs pour battre la campagne, j’aurais pu en aligner des
dizaines. Me seriner par exemple que j’avais passé vingt ans à
courir le monde entre Oulan-Bator et Valparaiso et qu’il était

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absurde de connaître Samarcande alors qu’il y avait l’Indre-et-


Loire. Mais la vraie raison de cette fuite à travers champs, je la
tenais serrée sous la forme d’un papier froissé, au fond de mon
sac.
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Dans le train

Pourquoi le TGV menait-il cette allure ? À quoi servait-il


de voyager si vite ? L’absurdité de laisser filer à  à l’heure
le paysage qu’il faudrait ensuite remonter à pied, pendant des
mois ! Pendant que la vitesse chassait le paysage, je pensais
aux gens que j’aimais, et j’y pensais bien mieux que je ne
savais leur exprimer mon affection. En réalité je préférais
penser à eux que les côtoyer. Ces proches voulaient toujours
que « l’on se voie », comme s’il s’agissait d’un impératif, alors
que la pensée offrait une si belle proximité.

Le  août, à la frontière italienne

C’était mon premier jour de marche, depuis la gare de Tende


où m’avait mené le train de Nice. Je montai à pas faibles vers le
col. Des graminées blondes balayaient l’air du soir. Ces révé-
rences étaient une première vision d’amitié, de beauté pure.
Après des mois si tristes, même les moucherons au soleil

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offraient d’heureux présages. Leur nuage dans l’or tiède adressait


un signe à la solitude. On aurait cru une écriture. Peut-être nous
disaient-ils : « Cessez votre guerre intégrale contre la nature » ?
Des cèdres se tenaient sur le bord du chemin, sérieux :
leurs racines enserraient les talus – l’arbre a souvent l’air sûr
de son bon droit. Un berger descendait d’une foulée plus
hardie que la mienne, il apparut, noueux, dans le virage, avec
l’allure d’un héros de Giono. Un homme d’ici. Moi, j’avais
toujours eu l’air d’un mec d’ailleurs.
— Salut, tu vas à la ville ? dis-je.
— Non, dit-il.
— Il y a le troupeau, là-haut ? dis-je.
— Non.
— Tu descends te reposer ?
— Non.
J’allais devoir me débarrasser de cette habitude de citadin
de vouloir lier conversation.
Le col de Tende marquait un ensellement de la ligne de crête
du Mercantour. Il séparait l’Italie de la France. J’avais décidé de
commencer là, dans le coin sud-est du pays, et de rejoindre le
nord du Cotentin. Les Russes, par tradition, avant de partir en
voyage, s’asseyent quelques secondes sur une chaise, une malle,
sur la première pierre venue. Ils font le vide en eux, pensent à
ceux qu’ils quittent, s’inquiètent de savoir s’ils ont fermé le gaz,
caché le cadavre – que sais-je encore ? Je m’assis donc, manière
russkoff, le dos contre un oratoire de bois où une Vierge médi-
tait devant le paysage d’Italie. Soudain je me levai et je partis.
Sur les talus, mes yeux abîmés prirent les vaches pour des
pierres rondes roulées dessus les pentes. Les crêtes hérissées de
pins noirs faisaient penser aux collines que j’avais vues, à vingt

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Sur les chemins noirs
Sylvain Tesson

Cette édition électronique du livre


Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson
a été réalisée le 6 septembre 2016 par les Éditions Gallimard.
Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage,
(ISBN : 9782070146376 – Numéro d’édition : 269753).
Code Sodis : N64259 – ISBN : 9782072559457.
Numéro d’édition : 269755.

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