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CAHIERS

DU CINÉMA

59 * REVUE MENSUELLE DU CINÉMA • MAI 1956 *


59
Donna Reed et Richard Widmark sonl les vedettes du film U n i v e r s a l ,
en Technicolor. COUP DE FO UET EN RETOUR (B lackla sh), réalisé
par John Sturges.
LE DES MATIERES
COMPLÈTE
IIERS DU CINÉMA
i° I à 50
Cahiers du Cinéma
no tre couverture
MAI 1956 TOME X - N° 59

SOMMAIRE
Max O phuls .................. Le dern ier jo u r de tournage .......................... 4
Fereydoun H oveyda . . . G ra n d e u r et décadence du S érial (III) ___ 8
Jacques Siclier .............. R Ita assassinée ou C om m ent on d é tr u it les
m y th es .................................................................. 20
J. Doniol-Yalcroae, F,
Hoveyda, E, Loinod,
A. M a rtin et t . Moul- /
let ............................•... L e P e tit J o u rn a l du C iném a ......................... 26
I iE MYSTERE PICASSO, de
Henri-Georges Clouzot, qui
vient d ’obtenir au Festival de
Cannes le Prix Spécial du
Jury.
Cet adm irable film et qui ne
Les Films
ressemble à aucu n au tre m ar­
que une date dans l’histoire Eric R o h m e r .................. A jax ou Le Cid (Rebel w ith o u t a cause) -. 32
du film d 'a rt et dans celle du Je a n D om archi ............ L a Loi du cœ u r (Rebel w h ito u t a cause) .. 36
cinéma to u t court. En ten­
ta n t de percer les arcanes de Jacques DonioI-Valcroze Le M assacre des innocents (N uit e t B rou il­
la création, Clouzot a démon­ la rd ) . . - ...... ......................................................... 37
tré de façon saisissante que
l’œuvre d’a r t n ’est pas pro­ Eric R o hm er .................. D eux im ages de la solitude (L’A m ore) .. 38
gression vers un achèvement
défini mais une suite de mys­ C harles B itsch .............. U n film o tto c ra tîa u e (The m a n w ith th e
térieuses métamorphoses. Si golden arm ) ...................................................... 41
Emmer puis Resnais accom­ J e a n D om archi ............ U ne tra g é d ie m usicale (Love M e o r Leave
plirent il y a quelques
années la prem ière révolution Me) ........................................................................ 43
dans le film d ’a rt en abolis­ J a c q u e s S iclier ............... O scar e t le p e tit m a rin (T he Rose T a to o ) . 45
sa n t le cadre e t en pénétrant
dans l ’univers pictural, Clou- Philippe D em onsabïon . U ne leçon de conduite (G ra n d H ôtel) ___ 46
zot accom plit la seconde en
y in tro duisant la durée. Le Andrê-S. L ab arth e ___ C om m ent s’en d éb arrasser ? (Voici le tem ps
génie demeurera toujours im­ des assassins) ..................................................... 48
pénétrable et celui de Picasso Jacques S i c l i e r .............. N azism e ? C onnais pas (08/15 s’en, va-t-en
n'échappe pas à la règle mais
jamais il ne nous fu t donné guerre^ .................................................................. 50
pareille occasion d ’en sentir la Philippe D em onsabïon . L’A m our des classiques (C attle Queen. of
présence d’aussi bouleversante M o n ta n a ) ................................................. ........... 51
façon (Filmsonor ).
Willy A cher .................... U n film p iran d ellien (V estire G li ignudi) . • 52

En raison de la médiocrité de
la program m ation cinémato­ Livres de Ciném a .................................................................................................... 54
g r a p h i q u e de ce m o i s et d ’une
ém igration générale vers Can­ C ourrier des L ecteurs ............................................................................................ 56
nes, nous sommes dans l’im­ Film s sortis à P aris du 28 m a rs a u 24 avril .............................................. 60
possibilité de vous donner le
CONSE IL DES DIX.

CAHIERS DU CINEMA, revue mensuelle du Cinéma e t du Télé-cinéma,


146, Champs-Elysées, PARTS (8e) - Elysëes 05-38 - Rédacteurs en chef :
André Bazin, Jacques Doniol-Valcroze e t Lo Duca.
D irecteur-gérant : L , Keigel.
Tous droits réservés — Copyright by les Editions de l’Etoile.

2
PALMARÈS DU 9e FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM
( Cannes 1956 ^

LONGS METRAGES,

PALME d ’o r : L e M onde du Silence, du commandant Cousteau (France).

PRIX S p é c ia l d u J ury : L e Mystère Picasso, d e H . - G . C louzot (France).

P r i x DE l a MEILLEURE REALISATION : O teilo, de Serge Youtkevitch (U .R .S .S .j

P r i x DE l a MEILLEURE INTERPRÉTATION FÉMININE : Suzanne H ayw ard dans


VU Cry to Morrow (U .S .A .).

P rix de L■'h u m o u r POÉTIQUE : Sourire d ’une nuit d ’été, de Ingmar Bergman


(Suède).

P r i x DU DOCUMENT HUMAIN ; Pather Panchaïi, de Sakyajit Ray (Inde).

COURTS METRAGES.

PALM E d ’o r : L e Ballon rouge, de A lbert Lamorisse (France),

P r ix du D o c u m e n ta ire : L a Course des Tours (Italie) e t A ndré M odeste Gre-


irÿ (Belgique).

P r i x DU FILM DE F i c t i o n ; L e Petit âne de Magdana (U .R .S .S .).

Mention spéciale au film : L es Marionnettes de Jîri Trnka (Tchécoslo­


vaquie). En hommage à l’imagination créatrice du grand réalisateur tchè­
que Jîri Trnka.

Mentions aux films de recherche : Together (Grande-Bretagne) et Tant


qu’il y aura des bêles (Fiance).
LE DERNIER JOUR DE TOURNAGE

M ax O pliuls d ir ig e a n t L o la M o n tes.

p ar Max Ophuls

Il n'y en a pas. Il y a, le dernier jour, quelques dernières heures, mais qui ne font
pas un jour. Pas de conclusion, pas d'apothéosef pas de dernier accord, pas de
baguette posée sur le pupitre ; le film se disloque, il se perd dans les sables.
Depuis plusieurs jours déjà, l'émiettement commence. Les gens s'en vont un à un.
Eux qui, il y a quatre mois, au moment d'un contrat, avaient perdu une heure à vous
prouver combien ils étaient indispensables, en prennent deux, maintenant, à vous per­
suader de leur inutilité. Ils veulent partir. Ils peuvent être engagés dans un autre film
qui commence cette semaine : « Voyez-vous, vous savez pourtant combien je suis
consciencieuse, mais vous vous tirerez aussi bien d'affaires avec une seule script-girl.
Eva le peut aussi bien que moi, et, dans ce cas, c'est aussi le syndicat français... mais,
mais j'ai déjà téléphoné... d'accord avec lui, pour qu'une jeune fille allemande soit
nommée... oui, déjà, je comprends... mais d'ailleurs, j'ai un télégramme. Lisez !... »

4
Les télégrammes venant des autres villes, des autres firmes, des autres continents,
ce sont comme des coups de ^poignard dans le dos, au dernier jour de la bataille.
La vedette a un télégramme, l'autre vedette en a deux. Le décorateur et l'assistant
cameraman, rhabilleuse... On porte involontairement la main à l'une de ses poches et
on s'étonne de n'en avoir soi-même aucun.
Molière s'en tirait mieux. C'était un chef de troupe avec le caractère désagréable,
autocratique propre à la fonction. Et en ce temps-lcr, il n'y avait pas de télégrammes,
pas d'autre film, pas de film du tout. Et puis les nôtres n'y peuvent rien : les coupables,
c'est la course au gain, c'est le grand escalier du succès. Aussi les déserteurs sont-ils,
plutôt de très lamentables déserteurs. Ils sont sensibles, lorsqu'ils'ont du talent, pres­
que autant que les membranes des appareils d'enregistrement « surcompensés » et,
avant d'avoir commencé, ils flairent dans l'air du studio, le sort qui. les attend.
Soudain, on aperçoit, derrière les décors le mur noir du studio. Soudain une per-
ruque:ine se trouve plus -être si bien peignée que le jeudi précédent, un bouton de
guêtre se découd, une page du script se décolle ; on dirait presque que le courant
est moins fort dans les lampes, la serveuse, à la cantine, vous présente votre compte
à régler et le coiffeur demande un' autographe « Pas 'pour, moi, pour ma fille. Elle
collectionne ceux de tous les artistes... ». /^ ^ ‘
Devant moi l'écuyer, éclairé de vert, chante dans l'objectif de 75 mm : * Celui
qui possédait Lola, était possédé par elle... » ’m Vç | f. ^
Derrière moi, on chuchote : « J'irai en Bretagne. Dans" Je Midi, il y a tellement de!
monde et je n'ai que 500 francs à mettre par repas ! » Je fais comme si je n'avais
d'oreilles que pour une direction : « Pierre, je t‘en prie, encore une fois. Et un tout
petit peu plus fort » C'est seulement pour que je n'aie pas à entendre ces Erynnies
de vacances.

*i Mesdames et messieurs, la com tesse de l-ansîeld... » (P eter Ustinov et M artine C arol


d a n s h o la M ontes.)

5
« Toujours plus h au t Lola... » (Décors clu cirque d«7ts Lola Montes).

« Celui qui avant ie premier jour de vacances, pense aux vacances, ne passera
pas de vacances à mon îhêâiie » me disait un jour un directeur de théâtre chez qui
j'étais engagé comme débutant. Mais ce n'était qu'un petit théâtre de province et non
lin grand film. Du reste le directeur était subventionné.
Les producteurs ne le sont pas. Ils aiment à donner des vacances. Ils sourient
lorsque les prises de vues tirent à leur fin. IJs sourient un : « Enfin ! » Ils sourient.
Au début — on ne sait déjà depuis combien de temps ça dure — ils avaient sorti
leur sourire d'inauguration. Mathématiquement leur bonne humeur avait disparu dès
la deuxième partie du tournage. Ils avaient perdu de vue les rives, surtout que, comme
il arrive si souvent, le film durant plus longtemps que prévu. Ils devaient nager au
large, sans côte devant eux, avec à peiné un horizon à leur disposition.
Je les comprends. Le temps, en notre temps, c'est surtout beaucoup d'argent.
Dans le marasme actuel, être homme d'affaires a quelque chose de particulièrement
héroïque. Entre les manœuvres de bourse et la bienfaisance, les frontières s'estom­
pent. Le dernier jour de tournage est comme un armistice pour eux. C'est dans une
telle ambiance qu'on demandait au président d'une firme d'Hollywood : « Pourquoi
prisez-vous tant les scénaristes et n'aimez-vous pas les metteurs en scène. » Et il
répondit : « Quand Je scénariste est là, il s'agit d'une histoire. Quand le metteur en
scène commence, il s'agit d'un devis. »
Si j'étais un commerçant, je ne serais pas un producteur. Seuls des artistes
devraient exercer ce métier. Les lourdes responsabilités financières et les cauche­
mars, on les supporte plus aisément, quand on a des espoirs sur le plan artistique et
la légèreté d'un esprit peu réaliste est propre à aplanir les difficultés. Le dernier jour
de tournage, je me suis réconcilié avec notre directeur général.

6
Un dernier jour de tournage, comme les lumières venaient de s'éteindre pour la
dernière fois, nous étions amis, dans le studio redevenu vide, trois acteurs et moi.
« Quels bons ef durs moments, nous avons passés », dit l'un. « Quel bon temps — ef
sans rideau ! Si nous brisions les décors, en guise de conclusion ! » Quelques minutes
plus tard, nous étions haches en main et nous abattions les murs de plâtre. C'était en
1930. En 1955 avec nos cheveux blancs et mon crâne chauve, on aurait peine à croire
à de tels emportements ! Et pourtant, cela me ferait tellement plaisir !
Ce matin, de bonne heure, j'ai voulu éncore une fois aller dans le cirque aban­
donné. Il y avait là des gens étrangers. Je ne voyais que leurs dos : des dos solides,
me semblait-il. Ils discutaient avec le chef du studio de la façon dont ils pourraient,
à leur tour, utiliser et transformer mes décors. le pense, bien à tort, que des gens qui
veulent faire recuire mes rêves et en nourrir leurs propres rêves, devraient avoir le
dos solide. le ne suis plus retourné au cirque.
Maintenant que me revoilà libre, je ne sais qu'entreprendre. Pendant la nuit,
comme on allait finir, j'ai perdu mes lunettes dans un tas de vieilleries. Je voulais
après déjeuner aller chez l'opticien m'en faire faire de nouvelles. Mais voici mon
charmant directeur de production qui me les rapporte. Que vais-je faire de mon après*
midi ?
Il devrait finir dans la tristesse, en ce dernier jour de tournage, scms cette con­
solation : il faut qu'il y ait un dernier jour de tournage. Sinon il n'y aurait pas de
prochain premier jour de tournage !

Max OPHULS.

« M aintenant que m e revoilà libre, je n e sais q u ’entre­


p ren d re ! »

7
GRANDEUR ET DÉCADENCE

DU SERIAL

par Fereydoun Hoveyda

II

PETITE HISTOIRE DU SERIAL

C'est en 1912-13 qu'bpparut le sérial proprem ent dit avec W h a t H ap p ened to M ary, p ro ­
duit en douze épisodes p a r la société Edison, bientôt suivi de six chapitres nouveaux inti­
tulés : W h o will M a rry, Mary- Le film fut édité en collaboration av ec le m agazine féminin
The Ladies W orld, dont il ^adaptait un feuilleton (1).
La m êm e année, devant le succès de ce film et des * sé ries » venues d'Europe, la com pa­
gnie Edison en produit d'autrès. A dven tu res of A n d y (Charles H. France) est d a v a n ta g e un
film à * séries » d a n s lequel le m êm e acteur principal revient d a n s ch aq u e bobine pour p r é ­
senter une aventure complète. Le film était plus comique q u e m ystérieux et contdit les
m alheurs d'A ndy qui tombait amoureux, avait m al au x dents, voulait a p p ren d re à n ager, etc.
De la m êm e veine sont les treize épisodes de Mr. W o o d B. W e d d 's sentim ental experiences
(C. J. Williams, Edison').* 'C'est égalem ent à la série q u e ressortît u n film en douze épisodes
de C harles H. S eay : .Ocfavius am ateur detective; niais cette fois le genre s'installe d a n s le
dom aine du m ystère policier : ch aq u e bobine raconte u n e av en tu re com plète du héros-détec­
tive. Il en v a de m ême d a h s une a u tre production d'Edison de l a m ême a n n ée : The chronicles
of cleek (treize épisodes1,- Lessay et Wilson).’ •
En m êm e temps qu'Edison, Feuillade aidait à im poser le sérial, sa n s qu'on puisse dire
avec certitude lequel était à l'origine du gente. Il n ous sem ble plutôt q u e des conjonctures
sem blables, tant aux Etats-Unis qu'en E urope ont contribué sim ultaném ent à s a naissance.
• \ ' "y‘-
Quoi qu'il en soit Gaumont é dité des àtfjril 1913 le prem ier Fantom as dont les q u a tre
a utres « suites » soilhenl à des d a te s s'échelonnant entre avril 1913 et juillet 1914. L 'œ uvre
d e Feuillade est cinématographiquerrient p a rla n t supérieure au x films am éricains. M ais
les histoires d u Ciném a contiennent suffisamment d e développem ents sur «Jes qualités de
Faniom as pour qu'il ne me soit p a s nécessaire d 'y insister ici. le voudrais ^Simplement faire

(1) je cite pour mémoire quinze des épisodes, n'a y an t pu retrouver les titres des trois -premiers :
T h e affaîr at Raynor's, A letter to the prîncess, A d u e to her p aren tag e, False to their trust, A will
and a way, A way to the underworld, T h e high tide of misfortune, A race to New York, Fortunes
smlles, A proposai from the Duke, A proposai from th e spanish Don, A proposition from th e sculptor,
A proposai from nobody, A proposai deferred, A proposai from Mary.

S
Les Souris grises ne dédaignent pas les têtès de vaclies.

re m arquer q u 'a u point de vue de la « longueur s, les épisodes de Fantom as ne sui­


vaient p a s le rythm e am éricain d e une et plus tard deux bobines p a r chapitre. La projection
du prem ier Fantom as durait plus d 'u n e heure. Dans beaucoup de salles am éricaines, la règle
de la longueur limitée était d é jà tellem ent ancrée, q u e Fanfom as y fut subdivisé en épisodes
supplém entaires.
A cet é g a rd je d é sïie ap p o rter u n e explication personnelle de l'apparition du genre. L'in­
fluence de la littérature feuilletonesque q u e tous les historiens du ciném a placent à l'origine
du « sérial » est certes énorme. Mais je crois qu 'u n e autre c au se doit être égalem ent invo­
q u é e ; le spectacle ciném atographique s'est développé a u cours du demi-siècle à l'intérieur
de conventions horaires qui se sont modifiées p eu à peu. Vers les années 1910, on ne conce
vait p a s d e séan ce d é p a ssa n t une demi-heure ou une heure tout a u plus. Les sujets a d a p ­
tab le s d a n s ces c a d re s étroits turent vite épuisés. Le îilm à épisodes fut à mon sens, u n
m oyen d e contourner la difficulté et de briser les limites de temps. Les films d ép assa n t le
tem ps norm al de projection étaient souvent morcelés en chapitres. Ainsi, Lewis Jacobs signale
d a n s son histoire du film am éricain, q u e Les M isérables, le film le plus long du monde,
produit en 1913, ne p a s s a jam ais en une seule séance : on en tira q u a tre épisodes de trpis
bobines chacun.
Parallèlem ent à l a F ia n ce et au x Etats-Unis, et sous cette double influence, la « série ».
et le « sérial * se développèrent d an s d 'a u lre s p a y s ; ainsi, à la veille de la guerre, la
G rande-Bretagne produisit The adventures o f Dick Turpin dont les trois épisodes s'intitu­
laient : Dick Turpin, The g un p ow d er plot, Two hundreds guinea rew a rd ; vers la même
époque fut tourné Exploits of iàe ih ie e lingered Kate comportant égalem ent trois chapitres
(The pseudo quartette, The chem ical fumes, The wedding présents). Mais comme d a n s le cas
d e Feuillade, les épisodes n e suivaient p a s la règle am éricaine et étaient d'environ
1.500 m ètres. En Italie a u ssi sortaient quelques films de ce genre, notamment Jack ï A p a ch e
d'Eugenio Testa. Le D anem ark poursuivait ses nom breuses » séries *, et abordait même fran ­
chem ent le sérial av ec Docteur' G ar El H am a empoisonneur oriental. Certaines histoires du
ciném a nous présentent L'X m ystérieu x de Christensen comme un film à épisodes; je ne puis
confirmer l'exactitude de cette information.
E n 1914, l'A m érique de v ait produire deux sériais qui allaient faire d a te d a n s l'histoire
du ge n re : The peri/s of Pauline et The million dollar m ystery. Ce dernier lancé p a r la

9
Thanhouser Film Corp., commença p a r q u atre épisodes et c hangea de titre pour les huit c h a ­
pitres suivants devenant Zuçfora'V il se poursuivit d 'ailleu rs en 1915 sous le titre d e The fw enty
million dollar m y ste ry qui comportait vingt parties, ce qui nous donne u n total de trente-deux
épisodes (1). Parfois m êm e le titre g é n éra l fut Zudora in fhe tw en ty million dollar m y s te r y f
comme d an s le chapitre dix p a r exem ple.

Q uant a ux Périls de Pauline (15 épisodes mis en scène p a r Donald Mackenzie), c 'est un
des films qui ont le plus im pressionné le public. le me souviens d'avoir vu vers 1935 le
rem ake p a rla n t des Périls (qui d a ta it de 1933) réalisé p a r Ray Taylor. Mais cette copie
n e peut expliquer le succès de l'original. C'est q u e Pearl White était in ég alab le d a n s le rôle
de PauJine. Le 'Paramount obîiul un g ra n d succès avec la biographie rom ancée de la c é lè b re
actrice q u 'u n v é té ran du genre, G eoige M arshall, devait réaliser en 1947, justem ent sous le
titre de The Périls of Pauline. Le film d e Mackenzie menait Pauline quinze fois à la m ort
pour la sa u v e r définitivement au x dernières im ages. Chaque épisode était projeté en m êm e
temps q u e les péripéties e n p a ra iss a ie n t d an s l a p resse quotidienne. Cette liaison a v e c la
grande presse qui devait être reprise d an s d 'a u tre s p a y s, et notamment en France, co n trib u a
beaucoup a u lancem ent du genre.
L 'année suivante, en 1915, P e a rl W hite devait revenir dans le fameux film d e Louis
G asnier The Exploits of E laine, plus connu en Europe sous le titre de Les M ystères de N e w
Y ork (2). Q uelques personnes attribuent ces deux titres à des films différents ; cep en d an t les
rares épisodes q u e j'ai p u voir, ainsi q u e des recherches me confirment dans m on opinion
qu'il n© s'a g it que d 'un seul et m êm e film. L'erreur que je signale provient sa n s doute d u fait
q ue les Exploits n e sortirent p a s d 'u n seul coup. Les trente-six épisodes furent projetés aux
Etats-Unis sous trois titres successifs. Entre le 20 janvier et lë 13 octobre 1915, les q u atorze
épisodes ci-après furent présentés sa u s le titre The exploits of E laine : The ciu(ching ftand,
The fwifighf sleep, The vanishing jew e ls, The frozen safe, The poisoned raom, The vam pire,
The double frap, T2ie hidden voice, The life currenf, The hour oi f/iree, The blaad crystals,
Thedevil w orshipers, The recfconing ; les dix épisodes suivants sortirent entre le 15 e t le
18 octobre sous le titre de The n e w exploits of E laine : The serpent sign, The cripfic ring,
The w afching e y e , The vengeance of W u-Fang, The saving rircles, Sponianneous combustion,
The ear in fhe w all, The opium sm ugglers, The Tell-Tale Hearf, Shadow s of w a r ; enfin,
les douze derniers épisodes furent affichés à p a rtir du 18 octobre sous le titre de The
rom ance of E laine : The lost torpédo, The g ra y inar. The vanishing man, The su bm arine
harbor, The conspirafors, The w ireless detective, The death cloud, The sirchlight gun, The
life chain, The flash, The disap p earîn g helmef, The friumph of Elaine.
Quoi qu'il en soit, l'exploitation du film se fit en France sim ultaném ent av ec l a publi­
cation d'un feuilleton d an s le * M atin », écrit p a r le rom ancier p opulaire Pierre Decourcelle,
réédité ensuite en brochures illustrées p a r l'adm inistration des Romans-Cinéma, à l a R enaissance
du Livre. Les vingt-deux prem iers épisodes devinrent alors Les m ystères de N e w Y orkt suivis
de dix a utres épisodes (ad ap tés e n roman-ciném a p a r Marc Mario) intitulés Les exploits
d'Elaine ; on re m a rq u era q u 'a u total il n 'y a plus que trente-deux épisodes alors q ue le film
am éricain en comportait trenle-six. On n e s a u r a peut-être jam ais si ces a bsents furent
supprim és ou inclus d a n s d 'a u tre s épisodes. Ces deux tifres utilisés en F rance expliquent la
confusion q u e je signalais plus h a u t. P a rlan t des M ystère s, Sadoul écrit (Histoire g é n é ra le
d u ciném a, Tome III, prem ier volume, p. 338) : « Il n 'est p a s invraisem blable q u 'a p rè s Je
douzième épisode où d isparaît le p e rso n n a g e de la « main gui étreint », D ecourcelles et le
« M atin » n'a ien t am a lg am é un a u tre sé rial de P e a rl W hïfe édité en 1915 a ux Etats-Unis, de
façon à poursuivre se s av en tu res p e n d an t dix épisodes supplém entaires. Les Exploits d'E laine
succédèrent d a n s le * M atin » au x M ystères. » C'est une erreur, car l'exploitation d e ce sé rial
aux Etats-Unis montre b ie» qu'il s'a g it d u m êm e film.

i(l) T h e ajrsfiîp în the nîght, The fatse frfend, A leap in the âark, T h e ton flour fiat, T h e m ystery
of th e spoJ ed collar, of th e 6leeplng house, of the d u tîh chesse, Haunted hills, T he p erpetual glare,
Tlhe casa of the Me WJnter fatmly, T h e lost ships, T h e frozen laugh, T h e gentleman croolrs an d the
lady, A message from the heart, T h e ra id on th e madhouse, The mlssing millions, T h e ru b y c o r o net,
T h e battle on fhe bridge, T h e Island of mystery, T h e c J p p e r code, T h e prlsoner in the p ilot h ourse,
T he rieh«st wonran ]n th e world, etc.
(2) La belle 'Elaine (Pearl White) est 3’b irltière de son banquier d’oncle exécuté p a r ]a « main
qui 'étreint » ou l'homme au mouchoir. Le bandit poursuit 1-a belle Elaine défendue p a r un détective
français, Justin Clarel, 'policier scientifique et inventeur de premier ordre (Arnold Daly). Les p our­
suites sont compliquées par l'intervention de mystérieux « Chinois », personnages auxquels les
romans -po îd e rs ont eu souvent recours depuis. Qut est l’homme au mouchoir ? Le propre cou&ln
d'Elaine, Perry Be-nnet (Sheldon Lewis).

10
*!î» Csisüases-, • • Toit* les Jeudi». •;

NOUVELLE MISSION
' . D E / - ' 4 ;: ;J

C haque sem aine, en m êm e tem ps que l’épisode de Judex, la <c R enaissance du livre »
publiait un fascicule. Ci-dessus, celui de l’épisode intitulé : La C h a m b re a u x em bûches.

Les Exploits ou M ystères eurent u n succès retentissant. Des imitations des aventures de
Pauline et d'EIaine Jurent entreprises u n p e u partout : chaque ville voulait avoir ses m ystères.
Vers les années 1914-15, l'Italie donnait entre a u tre s Le aventure di saiurnm o iaiandala.
d 'a p rès un rom an d'Alfred A ssolant (1) ; l'A ngleterre et le D anem ark produisaient encore
quelques filins à deux ou trois épisodes; le mouvem ent g a gnait m im e l'A llem agne ou dès 1913
on a vait mis en chantier des < séries * policières. Mais les détectives de ces films ga rd aien t
les a p p aren ces de leurs m odèles anglo-saxons jusque dans leur nom : Sfuarf W eb b s, Joe
Deebs, ffa rry Higgs, etc. Il est curieux de constater q ue les cinéastes allem ands n 'a ie n t p a s
pu créer des types « nationaux ». Seul H arry Piel incarna un perso n n a g e d'aventurier c h ev a ­
leresque, m ais ses films sont p lu s proches de l'esprit de l a < série ».

( I) Le générique du film prétend quJi! s’agit d ’un roman de Robida. En réalité ce dernier n ’a
fait qu'illustrer le livre de Assolant Le9 Aventures dtr capitaine Corcoran.

11
Toujours en 1915, l'Am érique produisit l'extraordinaire The red circle dont l a vedette lut
Ruth Roland. Maurice^ Leblanc l'ad a p ta pour la France et en m ême tem ps q ue le film, le récit
p a ru t e n fascicules sous s a signature (1).
L'engouem ent pour le sérial atteignait même les milieux les plus intellectuellem ent
« a v an c és ». O n connaît trop bien l'accueil des surréalistes aux « M ystères » et à
* Fantom as » pour qu'il soit nécessaire d 'y revenir ici. Le b e a u poèm e de Robert Desnos
* La grande complainte de Fantomas » n'est p a s san s rap p eler l a construction du sé rial avec
son prologue et ses épisodes : la stupéfaction du ministre, l'exécution du sosie, les fiançailles
tragiques, la cloche sanglante, la pesée du tsar, le coup d e l'autobus, le fiacre d e la nuit,
les fleurs empoisonnées, l'or des invalides, le mort qui tue, le p endu de Londres, le bom bar­
dem ent de Monte-Carlo.
Il e st temps, je crois, d e tenter une rapide explication de cet engouem ent, a v a n t de
poursuivre l'histoire du genre.

L’ENGOUEMENT POUR LE SERIAL

* Voilà bien le spectacle qui convient à ce siècle », s'écriait A rag o n d a n s Anicet ou Je


p a n o ram a, tandis q u 'à N antes André Breton était exalté p a r les sé riais (voir Kyrou : Le
surréalism e a u cinéma, p. 64). Bien av an t eux, Apollinaire n e cachait p a s son goût pour le
feuilleton d'av en tu res : * Lot lecture des romans populaires d'im agination et d 'aventure »,
écrivait-il, « est une occupation poétique du p /u s h a u t intérêt. Pour m a part, je m 'y suis
toujours Jivré p a r à-coups, mais complètement huit, dix jours de suite. Ce sont m êm e, je crois,
à p e u p rè s ies seuls livres que j'ai bien lus et j'ai eu Je plaisir de rencontrer nom bre d e
bons esprits gui partageaient ce goût avec moi... Nick C arter et B uffalo Bill, ces deux éloges
de /'énergie contre lesquels s'élèvent bien ma] à propos certains moralistes... » (rapporté p a r
J.L. Bouquet in Bizarre, num éro 2). Plus p rè s dé nous, en l'a n d e grâce 1954, pour présenter
le feuilleton radiophonique en six épisodes à la B.B.C. : Journey into fear, Louis Bloncourt
a v o u e son goût du feuilleton d'aventures et écrit : * /'assim ilais Les m ystères de Paris, Les
a ventures d'A rsène Lupin, Fantomas, bref tout ce qui nous était défendu comme lectures inutiles
et pernicieuses. Bien entendu, ces lectures m'ont plus profité q u e des an n ée s de cfasse et je
leu r dois le p eu d ’imagination que je puis avoir. » (Ici Londres, bulletin h e bdom adaire des
services européens Be la B.B.C., 8 janvier 1954.)
Il ne faut p a s s’étonner de l ’engouem ent pour le sérial. C ela tient à plusieurs raisons.
D 'une pcnt, d a n s le domaine littéraire, dès le mois de mai 1913, Jacques Rivière constatait
d a n s la N ouvelle Revue Française le décès du roman dit * classique » et définissait les c arac­
tères du rom an d e l'avenir, * Le iRoman d'Avenfure ^ qui doit éveiller en nous « cette
curiosité libre et radieuse, cette attente du n'importe quoi, cet a b an d o n à fa bea uté du monde ».
L'article de Rivière, comme la position des surréalistes et la citation d'A pollinaire que
j'a i rap p o rté e plus haut, sont symptomatiques d'une transform ation du goût ; et cette réh ab i­
litation du rom an populaire d ’aventures ne pouvait p a s ne p a s influencer le cinéma, Les
tenants du septièm e a rt accueillirent mal le sérial. Mais A pollinaire, Max lacob, Aragon,
Breton, lac q u e s V aché, etc., d'une part, et des millions de spectateurs * populaires » duats-.-
part, en consacrèrent le succès.
Une a u tre raison, p lu s ciném atographique, peut être aussi invoquée : le sérial, prodiguant
l'action, l'énergie, l'aventure, le mystère, l'am our, contrastait h eureusem ent avec les nom breux
m élodram es, historiques ou soi-disant sociaux, qui tendaient à engloutir toute la production
ciném atographique. Le sérial apportait u n e sorte de libération des p e rsonnages et des sujets,
exaltait l a jeunesse de l'époque, insoucieuse des préjugés littéraires et sociaux.
L 'engouem ent pour le sérial fut égalem ent très prononcé au x Etats-Unis, qui sont les
seuls aujourd'hui à en produire dans le dom aine ciném atographique. Lewis lacobs note dans
son livre su r l'histoire du iilm américain que, d urant les prem ières a n n é e s de la guerre de
1914-1918, u n penchant pour les w esterns mystérieux et les films « à vous faire froid dans
le dos », spécialem ent sous forme de sérial, se m anifesta d a n s le public. Les aventures
sensationnelles racontées p a r les sériais, véritables contes d e fées m odernes, enthousiasm èrent

r( I) Comme dans le cas des Mystères, il semble y avoir eu compression ou suppression die
■certains épisodes dans l’cditlon française qui en comporte douze alors que le film américain en
avait quatorze. Voici, à titre d'indication, les titres d’épisodes imaginés par Leblanc : Le client
..du I>r Lamar, La m ain d’une inconnue, Le passé surgit, Le m an teau «otr, Des voleurs mystérieux,.
Un autre cercle apparaît*, On retrouve les Bijoux. Chasse à l’homme, L a situation se tend. La ven~*
geance de SmiHng, La dame au cercle rouge, Epilogue. Les titres des épisodes américains étaient
différents : Nevermore, Pity the poor, In strange attire, False colors, etc. On voyait apparaître
dans 'la main du criminel un cercle rouge chaque fois que l’envie de tuer le prenait.

12
<t. Ju d e x b o n d is s a n t su r M orales, lu i p o r t e u n c o u p fo rm id a b le »
(U O n d in e , o n z iè m e épisode d e <c J u d e x ».

les spectateurs, m algré leur extravagance. Q uelque incroyable q ue fût l'intrigue, toute faculté
critique se trouvait p a ra ly s é e chez eux, lorsque l'héroïne m enacée a llait ê tre tuée ou * désho­
norée ». L 'aventure « à l'état p u r » tenait tellement le spectateur qu'il perdait toute notion
de la réalité. Jacobs ajoute que le public frappait des pieds et même, d a n s une sorte d 'é la n
de sym pathie envers les acteurs, pleurait. Le sérial est certainem ent à l'origine du développe­
m ent ultérieur des films de * suspense s.
Le succès du sérial fut général d a n s le monde et toutes les sociétés se mirent à en
produire (1).

LE SERIAL PENDANT LES ANNEES DE GUERRE

Ainsi, c'est surtout pendant les années de g uerre que le sérial atteignit le laUe du succès.
Si e n 1914 les Etats-Unis n'avaient produit q u e six films à épisodes, l'a n n é e suivante ils
devaient en sortir quinze ; en 1916, ce chiffre atteignait dix-huit, et les trois an n ée s suivantes
la m oyenne variait entre seize et vingt. En 1920, a u lendem ain m ême de l a guerre, on e n
coniptcnt vingt-huit, comportant de onze à dix-huit épisodes : tous les records étaient b attus !
Nous avons d é jà p a rlé des films d e Pearl W hite durant les aim ées 1914-1915. Signalons
pour 1916 aux Etats-Unis The s^ a n g e case of M ary P a g e (quinze épisodes de Frederik Lewis)
produit p a r l'E ssa n ay et Thïmofhy dofabs th a ïs m e (dix épisodes) où W allace B eery jouait un
d e se s prem iers rôles et était même m etteur e n scène.
Cette m ême année, en France, Feuillade ré a lisa la série des Vampires,, av ec M usidora
et M arcel Levesque. L'Allem agne donna HoznuncuJus d'Otto Eipert qui se rapproche beaucoup
plus du Golem et des dram es fantastiques q u e des aventures habituelles des films à épisodes.
Ses six chapitres illustrent le dram e d 'u n person nage artificiel créé p a r u n sa v a n t, qui finit
p a r a p p ren d re son origine, essaie de se cacher et de revivre d a n s de lointains p a y s ; m ais
les g e n s le reconnaissent et le regardent avec horreur ; il est obligé de fuir, éternel solitaire.
S a ha in e des hom m es augm ente ; devenu dictateur d'une contrée im aginaire, il fom ente lui-
m ême des troubles a iin de trouver l'occasion de sévir. Frappé p a r l a foudre, il périt à la fin.
Au lendem ain, de l a g u e rre d'autres sériais sont tournés en A llem agne ; Die Herrin d e r W elt

C-l ) Y compris des pastvclies : Les mystères du jam bon d ’York ou le ;pied qui reumie, La (main
qui éteint, Le pied qiii ctreint (France), etc.

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(Maîtresse du Monde), en 8 parties, conte les av en tu res d'une vaillante jeune fille allem ande
qui s'enfonce jusqu'en Chine centrale pour s'ap p ro p rier le trésor de l a Reine de S a b a ; Die
Spinnen (Les A raignées, 1919) de Fritz Lang, est égalem ent un sérial (1). P a r ailleurs beaucoup
de films d e m étrage norm al de l'époque s'inspirent nettem ent de l a technique de notre genre
(comme p a r exem ple Le tom beau hindou d e Joe May).
En Italie Emile Ghïone tourna Za-la-Mort, l'archange de la mort violente. Signalons en outre,
pour l a France, Tih Minh, Le Baron M ystère et un iilm en q u atre épisodes. Le Roman d'un
Mousse, qui est u n simple mélodrame.
Il ne faut d'ailleurs p a s croire q ue le sérial se soit toujours uniquem ent attaqué a u dom aine
du m ystère ; à cet é g ard il faut signaler un film am éricain produit en 1915-1916, p a r l a société
Universal, Gra/f (20 épisodes) et qui, tout comme certains rom ans populaires, contient une critique
sociale à peine déguisée. Les épisodes s'appellent, d a n s l'ordre, Liguor a n d the iaw , The fene-
m ent house evil, The traction grab, The pow er of fhe peopJe, Grindig life down, The railraad
monopoly, A m erica sa v e d from w ar, O ld kin g coaL The Insurance swindlers, The harJbor tra n s ­
portation trust, The illégal Jbuckef shop, The milk battle, The pow der trust a n d fhe w ar, The
iron ring, The pa ten t m edecine danger, The pirates of finance, Queen of the prophets, The
hidden city of crimer The phofo b a d g e r gam e, The final conques?, Graft (La griffej est u n
réquisitoire contre les trusts (2), Certes l a critique et le symbolisme d e ce film sont très sim ­
plistes. Mais il n 'e n reste p a s moins vrai q u e le sérial au rait pu (et il l'a fait parfois) servir
d e c an e v as à a u tre chose q u 'à des histoires de m eurtres ou de cow-boys. Cette volonté d e cri­
tique se retrouvera, sous une forme légèrem ent plus évoluée, dans les « ciné-romans » fra n ­
çais d'après-guerre. Aujourd'hui, le ge n re en décadence est devenu stéréotypé. Les sé ria is
contem porains répèrent les mêmes aventures, les m êm es situations, les mêmes perso n n ag es.
M ais que le sérial puisse servir une a u tre cause, c ela n e fait p a s de doute. A cet é g a rd o n
trouve des renseignem ents précieux d a n s la revue corporative Motion Picture Herald. C 'est ainsi
q u e d a n s le num éro du 30 juillet 1949, on peut lire l a lettre suivante d 'un certain Robert H.
Perkins, directeur d 'u n ciném a de W oodbine (U.S.A.), à propos de The Ghosl of Zorro : * J 'a i
d é jà projeté trois épisodes d e cette production qui m e paraît sem blable en tout point a u x
précédents Zorros en sériais. Le genre sem ble avoir besoin d'un p eu d 'a ir frais. Pourquoi n e
p a s réaliser des comédies-sérials ? N'importe quoi de nouveau, de différent a u lieu d e c e s
redites... >
En 1917, aux Etats-Unis, on voit, entre autres, W illiam Christy C abanne, assistant d e D.W.
Grüfith et m etteur en scène d e Fairbanks, tourner The G iea t Secret en 18 épisodes, et C h a rle s
Brabin, le futur ré alisa te u r du M asque d e Fu-Manchu, réaliser les 15 chapitres d e The Secret
Kingdom. Désormais la plupart des sériais comportent deux bobines p a r chapitre a u lieu d'une.
Signalons aussi que P a th ê édite en Am érique un dram e conjugal en 25 épisodes, The N egJecled
W ile.
En France, Feuillade réalise coup sur coup Judex et La N ouvelle Mission de Judex. Ce p e rso n ­
n a g e im aginé p a r Arthur Bernède et Louis Feuillade est une sorte de justicier red resseu r d e
torts. Depuis Rocantbole, le défenseur de la veuve et de l'orphelin est devenu le héros p a r
excellence du feuilleton populaire : il se m aintiendra d an s le sérial. (Il est curieux de noter q u e
le nouveau Judex américain, dans le sérial contem porain, a pris la figure assez sinistre d e Bat-
man...) Cette m ême année, on projette en France, en 16 épisodes. Le M asque aux Dents blanches,
tiré d'une production am éricaine de Pathé, e n 20 épisodes, The Iron C law (il sem ble q u e d a n s
l'édition française de ce Iilm quelques épisodes aient été supprimés)
En Italie, vers 1916-1917, Emile Ghione lan ce 1 Topi Grigi (Les Souris Grises), Il Triangolo
Gialto (Le Triangle Jaune), etc. (3). G hione av o u e lui-même q u e le p ersonnage d e Za-la-Mort lui

(1) Récemment iprojeté à l a Cinémathèque française, >ce sérial .a gardé plus de fraîcheur que
bien des films de son temps. Le récit se suit aisément, malgré l’absence de sous-titres. L a technique
cinématographique apparaît fort audacieuse pour {‘époque. Seuls «n décor peint, une grosse invrai­
semblance, un ]eu d'acteur très appuyii, Ici et là, rappellent parfois l’âge véritable de l’ouvrage.
On n’y sent peut-être pas ce que les connaisseurs appellent le « style Lang », mais cela tien t
davantage aux nécessités du genre traité. Quant à croire que ce film ne signifie rien, c’est aller
•un peu vite en besogne. Le héros sportif, justicier et casse-cou, y est souligné jusque dans le
choix de ses nombreux vêtements. On connaît Je culte de ce genre de héros dans le sériât américain
où 31 a fini par donner naissance aux Superman et autres Batman. 11 est intéressant de noter en
■plus les nombreuses similitudes de conception, de scénario et de style entre ces A rraignées de
l’époque al emande de Lang et (tous les sériais américains. Enfin, devant la bêtise consternante de
beaucoup de films d'aventures d ’aujourd’hui, on &e demande pourquoi îl_ ne se trouve p as un
producteur audacieux pour reprendre une histoire du genre de celle des Arraignées.
(2) Sadoul donne le résumé du scénario du seizième épisode dans eon Histoire (Tome III,
1er vol., p. 336).
(3) Les Souris comportaient six épisodes : La btista n era, La to rtu ra, Il covo, 6 000 volts,
A mezzaquarasslma.

14
a été inspiré p a r A rsène Lupin. < Pour l'honneur de notre production nous avions besoin de
créer queJçue chose d 'équ ivalen t » (1). Et Za-la-Mort {en argot ! vive la mort) fut fiancé à
Za-la-Vie (rôle joué p a r Kally Sanibucini). Ces aventures a b rac ad a b ra n te s, comme plus tard celles
d u Fiacre numéro treize (de Pacchioretti et Capozzi) s'inspiraient nettement des conceptions ciné­
m atographiques de Feuillade ; je n'insisterai p a s d a v an ta g e, tout le monde a y an t eu l'occasion
de les revoir dans le c ad re de l ’exposition italienne organisée p a r la Ciném athèque française (2).
En 1919, G eorge M arshall commence à ré alise r la série des .Advenfures of fîufh, qui allaient
se poursuivre les an n ée s suivantes et rendre célèbre la belle Ruth Roland.

LES AVENTURES DE RUTH ROLAND

Le prem ier film de cette série comportait 15 épisodes : The wrong Cauntess, The celestial
maîden, The bew itching sp y , The stolen picture, The b o n k robbery, The border fury, The su bsti­
tu ts m essenger, The harem model, The cellar gangsters, The forged checfr, The (rap, Ï7ie vault
of terror, W ithin hollow w alls, The fighting chance, The k e y of victory.
Le film fut présenté en France e n 1924. En voici le scénario.
Les journaux ïap p o rte n t quotidiennem ent les forfaits de la « Bande des Treize ». On en parle
partout, m ême a u collège de jeunes filles où se trouve la belle Ruth dont le fiancé, Bob W right,
voyage en France. Ruth est a p p elé e au chevet de son p è re mourant. Son cousin P aul Brighton
est égalentent là. Le p è re révèle qu'il est la victime de la B ande des Treize qui recherche un
éventail contenant un secret fort important. 11 ad ju re sa fille et son n e v eu d e continuer la lutte
contre les redoutables bandits. Il annonce à Ruth q u e des clefs lui seront remises en m ême temps
que des instructions q u 'e lle doit suivre à l a lettre. Le m aître d'hôtel Ralph et le cousin décident

•(1) Voir « Cinquante anni di cinéma. ïtalïano », Rome, 1954, pp. 22-24. Citons comme autres
sériais 3ta iens : La grande Vergogne, Anime Btioi, etc.
(2) II convient de mentionner les films du réalisateur-acteur-acrobate Harry 'Piel rfui s ’est acquis
un nom important dans le genre en A.le.nagne. A notre sens, il se rapproche plus <lc la série que
du sérial.

N’est-ce pas le sinistre Or Fu-M anchu qui, entouré com m e d ’k a b .tu d e


de fort jolies filles, gouverne la planète M a rs? (Flash G ordon conquers
the Uni verse, 193S).

15
d 'a id e r Ruth d a n s s a mission de vengeance. La première clef 1er conduit a u G rand Hôtel où ©lie
entre en possession de l'éventail ; là, la m ystérieuse comtesse Zilka a reten u une table. Les
ém issaires de la Bande prenant Ruth pour la comtesse, la conduisent à leur repaire, où les
Treize se tiennent derrière un rideau. La véritable comtesse arrive et une lutte s 'e n g a g e entre
les deux femmes. R alph qui, pour mieux venir e n aide à s a jeu n e m aîtresse, s'était e n g ag é
d a n s l a Bande, arrive à la faire fuir. Chez elle, une deuxième clef l'attend : elle doit se rendre
chez son cousin pour lui rem ettre un collier qui lui avait été volé. M ais celui-ci, réveillé, avait
alerté l a police. Ruth s’enfuit grâce à un déguisem ent. Son cousin p a rt po u r l'Europe, m ais le
fiancé d e Ruth doit arriver bientôt. Bull-dog, chef des Treize, vient d e découvrir q u e Ruth n'est
p a s la vraie comtesse. Il s’introduit chez la jeune fille pour l a tuer. M ais l a police v a arriver.
Ruth qui veut faire a rrêter toute la bande, laisse pour le moment BuIl*dog s'enfuir.
Q uelques jours plus tard. Bob arrive de Paris et Ruth convie à cette occasion tous ses amis
à une gaiàen-party. Sur u n e table, elle trouve un nouveau billet lui enjoignant d'em m ener se s
am is à u n ra n ch q u ’elle possède, afin d'a id e r une nouvelle victime des Treize, un réfugié mexi­
cain, Don Justino. A rrivée a u ranch, elle vole se u ls a u secours d e Don Justino q u 'u n certain
colonel H ard ac e vient de dépouiller d e trois paires de sacoches contenant de l'or. D éguisée en
d a n se u se espagnole, e lle . se rend chez le faux colonel et retrouve l'or. Entre tem ps, la vraie-
fausse-com tesse Zilka, en accord avec Bull-dog, s'était e n g ag é e chez un m illiardaire dont elle
devait enlever Je fils unique. Mais u n e nouvelle clef met Ruth sur la voie. Bull-dog essaie alors
d'e n le v e r Ruth, m ais Bob arrive à temps pour sa u v e r s a fiancée.
A quelque temps de là arrive de Russie le véritable comte Zilka qui invite l a m ystérieuse
comtesse à venir prendre s a part d 'un héritage fabuleux. Mais la v é rita b le héritière n'était autre
q u e Ruth, qui grâ ce à u n e nouvelle clef, pénètre d a n s le c h â te a u du comte Zilka, s'e m p a re de
l'év en tail authentique et entre en possession de la fortune. La Bande des Treize eèt a rrê té e et
l a b elle et b o n ne Kuth épouse tranquillem ent son amoureux.
Ici le justicier prend la figure d'une jeune et belle fille, rom pue a u x acrobaties, pleine
d'énergie et de santé. C’est une nouvelle réincarnation d e Pauline et d'Elaine. M algré toute
ab se n ce de réalité, m algré l'enchevêtrem ent et la multiplication d e s m ystères, le film était m ené
à un tel rythm e q ue le public m archait sans se soucier du reste.
Les A ventures de flufh obtinrent u n succès com parable à b ie n des é g a rd s à celui des
M ystères cfe New-York. En 1920 on retrouvait Ruth d a n s Ruth o f The Rackies, mis en scèn e p a r
G. M arshall, et en 1921 dans The A vçn g in g Arrow, réalisé p a r W illiam Bowman et W.S. Van
Dyke. Elle tourna d e nom breux autres sériais ju sq u 'au parlant.

LES DERNIERES ANNEES DU MUET

1920 est l'a n n é e qui m arque l'ap o g é e du genre. Sur les 28 sériais produits aux Etats-Unis,
citons notam m ent Daredevi] Jack réalisé p a r V an Dyke, et deux autres, m is en scène p a r Jam es
W . Hom e, et où W arn er Oland retrouve son succès des M ystères, The Third E ye et The Y ello w
Arm. Pour 1921, signalons la première apparition régulière de T arzan av ec les 15 épisodes de
The Son of Tarzan, réalisés p ar H arry I. Revier (1). Le personnage créé p a r E d g ar Rice Burroughs
devait revenir d a n s de nombreux sériaJs. La m êm e année E dw ard Sedgw ick réalise un nouveau
Fantom as en 20 épisodes pour la Fox-Filiris, En 1922 E dw ard L eam m ale met e n scène, chez
Universal, The D ays of Buf/alo BîJJ en 17 chapitres ; grâce a u succès d e Tarzan, de nom breuses
a v en tu res africaines et de jungle sont produites. D ans ùn d e ces sériais, on voit même la recons­
titution plus ou moins rom ancée d'u n e aventure réelle, With Stanley in Africa (18 épisodes). En
1923, W illiam Desmond, le prestigieux acteur dont j'ai d é jà p arlé, tourne ses prem iers sériais, et
P e a rl W hîte revient a v ec Plvnder. ErJe C. Kenlon, q u e les am ateurs d ’épouvante connaissent
b ie n po u r ses films de la série Frankenstein, met en scène, en 1924' les dix épisodes de Tight
a n d Win. L 'année suivante, Spencer Gordon Bennet, le prolifique sérialom an d e la Columbia,
réalise son prem ier film à épisodes, The Green Archer, tiré du fam eux roiïïan d 'E dgar W allace,
L 'archer vert av ec la belle Aliène Ray. On voit en 1927 Je a n A rthur tenir l a vedette d a n s les
10 chapitres de The M asked Menace. En 1928, Tarzan, qui a vait d é jà fait l'objet d 'un sérial et de
quelques m étrages norm aux, revient dans notre genre av ec A d ven tu ies. of Tarzan et T arzan the
M ighty. L'influence exercée p ar les sériais de T arzan sur les enfants d e l'époque est notam m ent
évoquée d a n s la nouvelle de William S aroy an intitulée Le Zeppelin du Dimanche.
Dans mes souvenirs d'enfance, je revois encore W illiam Desmond sa u tan t d e son cheval
d a n s u n train en m arche et fiiehard Talm adge se laissan t tom ber d u p a ra p e t d 'un pont. Je peux

(1) Le premier T arzan cinématographique date de 1916, T arzan , T h e Ape Man.

16
. . . T andis qu e Flash Gordon, S uperm an a v a n t la lettre, accom pagné d e son éternelle
fiancée, cherche l’alliancfe et la protection du roi des ho m m es ailés dans la lointaine
planète Mongo (Flash G ordon, 1936).

a u ssi évoque! le sourire d e Tom Mix triom phant des * traîtres *■ qui sortaient des branches d'un
a rb re et les nonibreux sa u v e ta g es opérés p a r les chiens Bin Tin Tin, p è re et fils. Mais je serais
bien in ca p a b le d e vous raconter en détail les péripéties de tous les sériais que je cite. J'ai e u
la chance d e voir ou de revoir plus récemment quelques-uns d'entre eux, comm e Les A ven tu res
de Hufh, chez des am ateurs qui en avaient acheté des copies au x débuts du parlant,
Au lendem ain de la guerre de 1914-1918, l a production du sérial se poursuivit encore quelque
tem ps et su r une petite échelle en dehors des Etats-Unis. En France on produit M ysteriat Voleur
de Fem m es, La Hurle, etc. L'Italie donne Vers 1'lmpzévu. Ghione, acteur et m etteur en scène
dont nous avons d é jà parlé, réalise Za-la-Mort conho Za-la-Mort, 1 Quatri Tramonti, 11 Sagno Di
Za-la-Vie. Emile Ghione, né en 1891 et mort e n 19 30, fut une des plus intéressantes ligures du
vieux ciném a italien. Il rappelle à bien des é g ard s Feuillade ; comme lui, il joua un g rand rôle
d a n s le développem ent de l'art du ciném a (1). t e Danem ark tourne en 1921 La Favorite du M aha­
radjah. Signalons aussi quelques iilms de Feuillade, comme P ansetie (12 épisodes).
Mais petit à petit la plupart des p a y s délaissent le genre. En. F ran ce sous l'im pulsion d e
Feuillade et de ses collaborateurs et im itateurs, le sérial devient le ciné-roman, genre à mi-chemin
entre le film à épisodes et le film à plusieurs époques. Comme je l'a i d é jà indiqué, à mon avis
il ne faut p a s confondre ces deux genres, m algré les points de ressem blance. Le ciné-roman ou
ciné-feuilleton tel qu'il a été réalisé jusqu'aux dernières années du muet, notam m ent p a r la
société q u e dirigeait Louis N alpas, n 'a p a s la rigueur de construction du sérial am éricain, ni ses
rebondissem ents périodiques. J'ai cité a u début de cette étude q uelques titres de ciné-romans
d e cette époque. Je désire simplement ajouter ici q u 'e n ce qui concerne les sujets, ce genre
s'éloigne de plus en plus du m ystère policier pour se rapprocher d a v a n ta g e de la formule du
* rom an p o pulaire ». Tout n 'y est p a s qu'action ; un souci de critique sociale, de reconstitution

(1) Voir notamment « Storia del cinéma m u te ilallano » de Maria Adriana iProlo. Tiome I er
(Milan, 1951), ,pp. 40-41, 71-72, etc.

17
2
historique s'y {ait sentir. le m e ra p p e lle encore aujourd'hui u n e scène de Surcouf où le p irate
juché su r un m ât m enait ses hommes. Un oflicier lui dem andait « Qui es-tu ? », et lui, de ré pon­
d re * Surcouf / » Des im ages rapides se succédaient, entrecoupées toutes les dix secondes p a r
un titre : * Surcouf » / qui g ra n d issa it petit à petit po u r rem plir tout l'écran. Ce m ontage don­
nait un rytum e haletant à la scène qui m 'av a it beaucoup impressionnée.
Pour mieux souligner m a thèse, je résum erais ci-dessous 3 scénarios des a nnées 1924 (j'ai
vu les films en 1935).
L'Orphelin d e Paris {1924, je crois) d e F euillade était divisé en 6 chapitres : Félix est o rphe­
lin à 15 a n s et est recueilli à Nice p a r son oncle, qui exerce le m étier de garçon de recettes.
A près le dîner, le fiancé de s a cousine s'e n va, p e n d an t q u e l'oncle découvre que de l'arg e n t lui
a été dérobé. Félix saute sur un vélo, suit le fiancé et, a u moment où ce dernier allait p re n d re
le train le confond et le fait arrêter. La police l'en g a g e comme détective, et dès lors l'histoire
sè transform e ; on m enace u n riche rentier d'e n le v e r s a fille Josette. l e rentier e n g ag e Félix
qui se déguise en bonne et finit p a r d ép ister les criminels, la gouvernante de Josette et le propre
neveu du rentier.
L'Enfant des HaJJes de René Leprince, d 'a p rè s un rom an de J.-H. Magog, som bre tout à fait
dans le mélodrame. Au prem ier chapitre, un riche canadien, Belmont, perd son fils d a n s un
accident d'auto alors q ue s a tille est enlevée p a r le v a g ab o n d P eaudure (Signoret) qui, pris de
peur, l a dépose d a n s un fas d e choux.., a u x halles. Le petit Berlingot, fils d'un avare, la trouve
et la fait adopter p a r une famille d'honnêtes travailleurs, les Mercadion, Un jour que Berlingot
dormait sous un arb re, les Belmont p a sse n t, et la dam e obsédée croit q u e c'est son fils disparu.
Les médecins déclarent a u m ari que, pour sa u v e r la raison d e s a femme, il doit adopter l'enfant.
Le père a v are accepte contre esp è ce s sonnantes. Quinze ans après, Berlingot a hérité des Bel-
mont et revient en France. Son p è re est devenu m em bre d 'u n e b an d e dirigée p ar Mortimer qui
n'est autre, q u e l'ex-vagabond P eau d u re. Le b an d it cherche à voler Berlingot p a r l'interm édiaire
de la belle « princesse » Mila. Son p è re essaie d e le rejoindre. Mais Mortimer qui a tout compris,
séquestre le véritable p è re et p re n d s a place. Berlingot, tombé amoureux de l'ex-petite fille
trouvée, Renée, découvre qu'on veut l'em poisonner. Il surprend les m anœ uvres de Mortimer qui
arrive à prendre la fuite. C ependant le véritable p è re a pris égalem ent l a fuite et se meurt dans,
un hôpital où il a p p e lle Berlingot e t lui a v o u e tout. 'Berlingot poursuit les bandits. Mortimer,
abattu p ar s a complice Mila, « se met à table » a v a n t de mourir. Berlingot rend toute s a fortune
à Renée, puis tout deux se marient...
On est vraim ent loin d u sérial am éricain.
Je cite un dernier scénario, celui d e M andrin d e Henri Fescourt, d 'a p rès Arthur B em ède
(l'auteur des Judex) et qui pa ru t en feuilleton d a n s le Petit Parisien, C 'est une aventure d a n s un
cadre historique. Le film commence p a r m ontrer l a m isère du peuple sous Louis XV ; les a g e n ts
du fisc briment les pauvres, notam m ent le beau-frère d e Mandrin. Ce dernier se révolte, org an ise
une b a n d e et le film raconte alors plusieurs épisodes de s a lutte contre le sinistre fermier
général. On y voit même Voltaire sa u v a n t à plusieurs reprises Mandrin.
A près la mort de Feuillade en 1925, d e nom breux ciné-romans sont produits, notam m ent
p a r Maurice Champreux (Son gendre), Henri Fescourt, René Leprince, Le Somptier, Luitz-Morat,
etc. J'en a i cité, à titre indicatif, quelques-uns d an s m a filmographie, aux années correspon­
dantes (1).
Ces quelques précisions données, revenons a u sérial proprem ent dit. En 1929, l'ap p aritio n
du son m arque aux Etats-Unis une b a is s e d a n s s a production. Q uelques films d é jà com m encés
sont terminés et on n 'e n compte plus q u e dix en tout, dont deux avec « bruits ».
A cette époque les lois du sé rial sont définitivement élaborées, et le genre se plie scrupu­
leusem ent aux caractéristiques q u e j'a i e ssa y é es de d é gager. Les grands réalisateurs ont tous
quitté ce domaine, laissant la place à d 'a u tre s q u i ne se soucient guère d'innover. Les sujets né
se renouvellent p a s et l a p lu p art d e s productions des dernières années du muet, élouiient d a n s
le cadre de * lois » strictement appliquées. On est loin de Fanfom as ou des M ystères : les
situations ont été tellement répétées q u e le public ne les supporte plus. Les scénarios privés d e s
« trouvailles » des m aîtres sont de plus en plus enfantins. En m ême temps on projette de moins
en moins les chapter-plays d a n s les g ra n d e s sa lle s des autres p a y s : l'exploitation se rétrécit.
(A suivre.)

Fereydoun HOVEYDA.

(I) A paraître avec la troisième partie de cette étude.

18
Les q u atre grandes figures du serial am é­
ricain contem porains, inpirés p a r les
com iques : de h a u t en b a s :
~ C aptain Africa,
— B atm an et son inséparable petit Robin,
— S uperm an e t ses deux collègues ès
journalism e,
—• R ocketm an, le justicier à la fusée
portative.
O n rem arquera l’analogie vestim entaire
d e ces q u a tre héros qui ne so n t qu’une
seule e t m êm e personne : le surhom m e.
C aptain Afi\ca est un B a tm a n sans
cornes. S uperm an se passe du m asque
classique, tandis que le casque interpla­
n étaire d e R ocketm an lui d o n n e l’allure
des chevaliers du m oyen âge.
RITA ASSASSINEE
ou comment on
détruit les mythes

par Jacques Siclier


R ita Hay'worth et O rson W elles dans La
D am e de Shanghaï.

Les Editions du Cerf publieront prochainem ent un iivre de Jacques Siclier intitulé LE MYTHE
DE LA FEMME DANS LE CINEMA AMERICAIN. L'auteur a tenté de retracer, d an s se s grandes
lignest ef en soutenant une thèse personnelle, J'évoiuiion gui p a rt de la figure idéale de Garbo,
la D ivine, -pour aboutir à la. m isogynie sans concession du T ram w ay nommé Désir. Selon lui,
pour des raisons sociales, inscrites en filigramme dans les films qu'il exam ine, fe ciném a a m é­
ricain a été am ené p eu à p eu à détruire un mythe qu'ii avait créée au tem ps du m uet e t qui
correspondait a lo rs à une concepfion de la femme qui n 'a p lusr cr partir d 'un certain moment,
trouvé de correspondance d an s la réalité. .........
Il ne s'a g it p a s d'un panoram a de f'am aur ou de l'érotisme m a is d'une histoire de la fem m e
am éricaine envisagée d a n s ses différentes représentations m ythiques.
Le chapitre suivant, qui est i'un des chapifres-clés de cette histoire racontée un p eu comme
■ un rom an nous fait assister à la destruction de Rita Hayworth dans La D am e de S hangaï. flita
H ayw orfh a été présentée a u p ara v an t comme la reine des pin-up g iris, consacrée p a r La reine
de B roadw ay. Uné a n a lyse de Gilda, film incompris au Festival d e C annes 1946, a montré
com ment, dès cette époque, Ja royauté de la femme atom ique était d an g ereu sem en t m enacée.
Voici la m ise à mort p a r Orson W elies, génie m audit de H ollyw ood et époux de la splen-
; dide dam e d e Shangaï.

20
ORSON WELLES TOURNE UN FILM COMMERCIAL AVEC RITA HAYWORTH

Au printem ps? 1946, Orson W elles et Rita H ayw orth a v aien t annoncé leu r intention de
divorcer. •
A près réflexion, ils partirent en croisière. Ori apprit ensuite qu'ils tournaient ensem ble La
Dame de S hangaï ■ „ "
Depuis l a rupture, en 1942, de son contrat a v ec la R.K.O., Orson W elles est en p a sse de
devenir un nouveau Stroheim. On ne l'accepte plus que comme acteur. En 1945, l'échec de
L'Etranger a mis^ pratiquem ent fin à s a carrière, a u moment où celle de Rita H ayw orth s'af­
firmait a u contraire éclatante. -
Orson Welles, m etteur en scène maudit, n 'a plus rien à faire en Am érique. Orson Welles,
m ari d e Rita, peut boucler ses m alles et s'en aller. Mais, Rita, g ra n d e vedette de la Columbia,
n e m anque p a s d'influence. Réconciliée pour un temps ■— le dernier — av ec son monstre
d'époux, elle dem ande aux dirigeants d e l a firme d e confier un film à Orson W elles, Concert
de clam eurs épouvantées. Rila revient ■ à la charge. Elle sait choisir ses argum ents. Il suffit
d'im poser un scénario sans danger. La réunion a u générique d e ces deux noms célèbres :
Rita Hayworth-Orson W elles, fournira u n élém ent commercial de prem ier ordre.
Les hommes d'affaires rélféchissent et se laissent convaincre. Orson W elles accepte de
tourner un film policier, tiré d 'un rom an de Sherw aod King. Pour la prem ière fois, il dirige s a
femme, super-vedette de cette production qui doit faire du bruit.
Pour faire du bruit, elle en fait. Maïs p a s exactem ent celui qu'on espérait. Et la belle
Rita ne sort p a s indem ne de cette entreprise qu'elle a , p a r inconscience ou p a r masochisme, on
ne sait trop, encouragée. Il ne faut p a s tenter le diable. La femme d'O rson W elles au rait bien
dû sa v o ir q u e le diable a plus d'un tour d a n s son sac (1).
Docile, en apparence, Orson W elles a fait ce q u'on lui et denlandé. Mais il l 'a fait avec
une intention bien précise. Aux yeux des producteurs, il a gâché s a dernière chance. En fait,
il prend s a revanche su r Hollywood a v an t de disparaître; il lue Rita Hayworth.
On se dem ande pourquoi le film, achevé, n 'a p a s été détruit. Geste chevaleresque de la
part des gens de l a Columbia, dupés m ais b e au x joueurs et adm irant ce dernier coup d 'a u ­
d a ce ou, simplement, désir de récupérer tout de m ême un peu d 'argent ? A près quelques cou­
pures p a r ci, p a r là, le film a été lancé d a n s le circuit commercial. Les spectateurs américains
n e l'ont jam ais pardonné à Orson Welles.
Rien, d an s le scénario de La Dame de S hangaï n e laissait supposer une telle explosion.
L'histoire si compliquée qu'on a du m al à s'y reconnaître n'est m êm e p a s a u niveau d e l'intrigue
de Gjlda. C'est du roman policier de second ordre, relevé p a r l'attrait érotique des belles épaules
de l'héroïne ; u n e sorte d e résum é des poncifs du film noir.
Se prom enant un soir d an s San-Francisco, un m arin irlandais, M ichaël O 'Shea, rencontre
une très belle femme qu'il sauve d 'u n e agression. La d am e disparaît, m ais, le lendem ain, un
avocat infirme, Arthur Bannister, vient trouver Michaël et lui offre de l'em bauche sur son yatch;
l'inconnue, Eisa, est la femme de ce curieux p erso nnage qui part en croisière avec quelques
am is au x allures fort inquiétantes. Michaël accepte. A u cours du voyage, il s'éprend d'Eisa.
Elle répond à son amour. Cette déesse rayonnante a soif d e pureté. L'atm osphère dans laquelle
son riche mari la fait vivre est corrompue. Elle rê v e de p a rtir vers « le p a y s du soleil levant ».
C'est u n e rom antique q u e l'honnêteté et la virilité du m arin ont touchée.
Bannister sem ble ne p a s s'apercevoir d e l'idy lle e ngagée à ses côtés. Au moment où
s ’achève la croisière, Georges Grisby, ami de l'avocat, propose à Michaël une singulière
affaire : il s'agit de simuler son m eurtre à lui, Grisby, pour toucher une grosse prime d 'a ssu ­
rance. Michaël a besoin d 'argent p o u r fuir av ec E isa ; il accepte. Tout le monde revient à
S an Francisco. On retrouve Grisby assassiné p rè s d e la dem eure de Bannister. Michaël, qui
a signé a u mort un p a p ie r compromettant, est arrêté et p a ssé en jugem ent. Bannister se
ch arg e d e le défendre et déploie, p a r jalousie, tous ses efforts pour le faire condam ner.
Michaël réussit à s'é c h ap p e r a v a n t le verdict. C 'est a u cœ u r de la ville chinoise, d a n s u n fanto­
m atique p a rc d'attraction, qu'il retrouve E isa et a p p ren d la vérité. La dam e de Shangaï a tué
G eorges Grisby. Elle tirait toutes les ficelles de cette intrigue. Elle et son m ari se m assacrent
à coups de revolver ; Michaël, écœ uré, s'e n va tout seul a b andonnant derrière lui la femme
b lessée à mort.

0 ) On aime à penser, du moins avec Jacques Donloi-Valcroze, que les choses se sont ainsi passées;
l'idée que Rifa Hayworth ait pu s’entremettre auprès de la Columbia est extrêmement savoureuse.

21
Rita Hayworth et Orson Welles dans La Dame de Shanghai.

Ce résumé est peut-être insuffisant. La Dame de S hanghaï est un film impossible à racon­
ter; son scénario se contente d'accum uler des événem ents dont on ne sait jam ais ce qu'ils
signifient vrairrient ; les mobiles des p e rsonnages restent fort obscurs; l'histoire du faux m eurtre
a p p a ra ît totalement invraisem blable. On dirait des m orceaux d'anthologie criminelle réunis a u
h asard, cousus tant bien que ,mal et flanqués à la figure du public, sans aucun souci de
Agique.
La Dame d e Shanghai est, m algré — ou à c au se — de cela, un bel exemple de style b a ro ­
q u e et de ciném a pur. C'est, pour l'A m érique, le chant d u 'c y g n e esthétique d'Orson Welles.
Sur un scénario impossible, il a réussi les im ages les plus suffocantes de toute s a c a r­
rière aux Etats-Unis, (

METAMORPHOSE DE R1TA

Mais, a u d e là de ce scénario qui n 'au rait été, sa n s lui, q u 'u n nouvel a v a ta r d e la tu eu se


blonde des films noirs, il répond à l'entreprise d e destruction sociale d e Verdoux p a r une en tre ­
prise de démythification totale. Pour les gens d e la Columbia, l ’histoire em pruntée à Sherw ood
King n 'a v ait p a s d'im portance puisque Rita H ayw orth, comme d a n s Gilda, devait a ssu re r le
succès du film. C'est à partir de cet élém ent q u e s'exerce donc l'action d'O rson W elles.
Il /ait prendre à Rita l a suite de ces * Vartipiresses s incarnées d'habitude p a r B arbara Stan-
wyck. Cover-girl, dan se u se ou femme frustrée, Rita, av an t La Dame de Shangaï n 'a jam ais é té
criminelle. Sa transformation est ici d 'a u ta n t plus d a n g ere u se que rien ne laisse supposer, Jus­
q u 'aux séquences du quartier chinois, qu'elle est u n e nouvelle m ante religieuse. Tout a u long
du film, elle prom ene son spleen d e nym phe é g a ré e au x Enfers. Bannïster est un filou, G risby
est un filou, tous les hommes d e son monde sont des filous. Elle est b lanche comme le lis et rê v e
d'aniour, Qu'on se souvienne de cette im age de la b a ig n a d e en m er ; allongée à demi nue, sur
un rocher, E isa Bannïster étale s a b eauté, g u ettée p a r les re g a rd s visqueux de ces hommes q u e
M ichaël com pare à des requins ; ce n'est p a s la sirène qui attire les b a te a u x et p e rd les
m arins p a r ses charm es, m ais A ndrom ède attendant Persée.
Il suffit de voir a p p a ra ître B a rb ara Stanw yck pour être fixé sur son compte. Rita H ayw orth,
d a n s La Dame de Shangar; nè peut être soupçonnée de perfides, intentions. Cette fausse id en ­
tité, donnée pendant p resque toute l'action à Eisa, est 1er se u le idée forte du scénario. P a r ail-

22
leurs, Michaël O 'Shea. l'honnête homme, est m élancolique, lourd d'a llu re s et simple. L'amour
qu'elle dit éprouver pour cet ê tre frustre innocente d 'a v a n c e l a belle Mme Bannister. A
cause de lui, on ne la soupçonne pas. Mais, a u moment où tout désigne Bannister comirie re s­
ponsable de la perte d e Michaël, Rita s e transforme. Et l'on p rend réellem ent conscience d'un
détail im portant : Rita est blonde; elle est coiifée comme les héroïnes des films noirs. La rousse
G ilda s'est m étam orphosée ; elle portait en elle B a rb ara Stanwyck. Le spectateur américain,
horrifié, a vu brusquem ent a p p a ra ître la femme dam née là où il ne l'attendait p a s. En essay an t
de comprendre ce qui se p assait d a n s cette histoire absurde, il s'est laissé pren d re au x a p p a ­
rences habituelles. Tout d 'un coup, il s'aperçoit qu'on l'a trompé ; il n 'y a plus d e niythe ; Rita
H ayw orth aussi est m audite et il est impossible de revenir sur cette malédiction.
Ce tour de force, Orson W elles l'a réussi, en multipliant les artifices de mise en scène, les
a ngles d e prises de vues insolites, en brouillant volontairement les cartes de l'histoire policière
qu'on lui a donnée à tourner. U n p eu plus d e cohésion d an s les im ages, u n p eu de perversité a u
d é p art d a n s le comportement de * La Dame S hanghaï * et personne n 'a u rait cru à la m étam or­
phose. L'actrice au rait sim plem ent changé d'emploi.
P a r un artifice diabolique» W elles sublime le m ythe d e Rita, y ajoute tous les élém ents
rom anesques possibles, puis, d 'un coup, il brise la coquille parfaite de la femme idéale et la
femme fatale ap p araît. La victime fragile, qui cherchait l'anlour, celle qu'on a vu fuir éperdu­
ment, vêtue d 'u n e robe b lanche féerique, devant Mexico illuminé ; celle qui em brassait Michaël,
sous les yeux des poissons monstrueux d 'un aqu arium géant, c'est l'héroïne perverse du
Faucon Maltais, du Grand Som m eil et d'A ssurance sur la Mort.
W elles a poussé le m achiavélism e jusqu'à prévenir, un p eu avant, de ses intentions. Lors­
q ue Michaël propose à E isa d e fuir avec lui, il lui annonce qu'il disposera « pour commencer »
de cinq mille dollars et la b elle sourit d'une certaine façon. Mais elle était trop belle et trop
p u re et trop désirable encore, trop Rita H ayw orth en un mot, pour qu'on comprenne la signi­
fication d e ce sourire, pour qu'on reconnaisse la lèvre perfide d e B arbara Stanwyck. Q ue reste-
t-il donc à faire, la m étaniorphose im posée ? Il faut assister à l'agonie de Rita détrônée. Per­
sonne ne s a u ra jam ais b ien ce que tram ait E isa Bannister d a n s le quartier chinois de San
Francisco, ni pourquoi les A siatiques entrevus dans l'ombre et le m ystère lui obéissaient fidè­
lement. Reine secrète d 'un m onde ignoré, E isa parent, revolver en main, d a n s la galerie des
glaces. Bannister s'a v a n c e à s a rencontre, arm é lui aussi. C'est l'heure des règlem ents d e

E v erett Sloan d a n s La D am e de S hanghaï,

23
comptes. L'aventurière a trompé Michaël, elle ne l'aim ait pas ; elle n 'a jam ais eu l'intention d e
fuir av ec lui ; elle voulait qu'il l a d é b arra sse de son mari ; elle au rait touché la prim e d 'a s ­
surance ; Bannïster sa v a it la vérité sur sa femme ; il' a d'abord p a ré les coups ; M ichaël n 'a
été qu'un, jouet entre les m ains du couple ; il assiste a u m assacre. Menteuse, cupide, m eurtrière,
E isa v a m aintenant trouver s a punition. Elle tue Bannister, mais elle est tuée p a r lui. L 'im age
d e l a femme blonde, multipliée d a n s les miroirs, vole en éclats, s'effrite, d isp a raît sous les
coups de revolver. Il n e reste plus à terre qu'un corps s'agitant comme u n v er coupé et
cherchant à retenir u n e vie q u e l'homme vient de détruire. Une a u b e livide s e lève. B lessée à
mort, E isa se traîne sur le plancher, a u milieu des débris de verre. Elle lève vers M ichaël un
re g a rd suppliant.
Mais, indifférent, il l a laisse agoniser et s'en v a seul délivré.

LA FIN D’UN MYTHE

Dans le dernier qu a rt d'heure du film, Rita Hayworth, pour la prem ière fois, est tu ée à
l'écran et, dernier trail accablant, elle ne m eurt p a s d a n s les bras du héros (1). M ichaël O 'S h ea
n'obéit m ême p a s aux régies de courtoisie élémentaire. Il laisse la femme crever comme u n e
chienne et sort d e ce cauchem ar de glaces fracassées avec un haussem ent d 'é p a u le s m éprisant.
La cruauté d e cette conclusion porte ce film en apparence a b rac ad a b ra n t, a u n iv eau de la
tragédie. Tout le dénouem ent est fidèle à la convention policière : procès où l'on juge l'inno­
cent, fuite qui perm et à celui-ci d e trouver la solution du problèm e ; poursuite de g ra n d style
reh au ssée ici de l'exotisme inquiétant du quartier chinois de San Francisco ; M ichaël trav e rse
toutes les salles du parc d'attractions : fait une chute spectaculaire en toboggan, pour ab o u ­
tir à la g a le rie des glaces. Le style expressionniste du m assacre d an s les miroirs donne à
toute la séquence u n e allure extrahum aine. Chaque fois qu'une g lace tombe en miettes, elle
emporte avec elle le visage de Rita. Ce n'est p a s seulement le corps p é rissa b le d e la femme
qui est visé, m ais l'idée, l'allégorie de la femme. Destruction m éthodique accom plie p a r l'époux
qui en m eurt ; acceptée p a r l'homme amoureux qui n'intervient p as. Michaël est sym bolique­
ment tué sous les traits d e Bannïster, prem ière victime d'Eisa. Il lit d a n s les g lac e s du destin
ce q u ’aurait été son avenir. Il reçoit l'avertissem ent des dieux et laisse mourir la femme.
Et M ichaël redevient alors Orson W elles qui part, les épaules courbées, dégoûté, am er,
comme M onsieur Verdoux m archant à la guillotine.
« Morte, il m e îa u t tâcher maintenant de l'oublier. Mon innocence éclate.., m ais innocent ou
coupable, c ela n e veut rien dire, l ’essentiel, c'est de savoir bien vieillir. »
Cette œ uvre q u e tout, a u départ, destinait a u succès commercial, s e ra ju g ée d é te sta b le p a r
les producteurs et le public ; m ais elle porte l a m arque du génie. Elle ræAasse d a n s un
condensé tragique le courant m isogyne des films noirs, le pam phlet social de V erdoux et le
v isa g e trom peur de l'érotisme am éricain ? elle démontre le néant du mythe de la femm e am éri­
caine, c réa tu re sa n s amour, ne s'intéressant q u 'à l'argent et à l'assurance-vie.
Comme Verdoux, La Dam e de Shangaï contient un m essage personnel. W elles se venge
d 'un systèm e dé production a u sein duquel il fut brimé et incompris :
« Vous croyez-vous vraim ent indépendant de l'argent ? » dem ande Bannïster à Michaël.
« Je suis indépendant », répond le m arin irlandais.

C'est le la n g a g e de l'homm e libre dans l'organisation hollywoodienne asservie au x intérêts


financiers.
Lié p a r le m aria g e à une actrice qui est le produit de cette organisation, Orson W elles,
av an t de ;divorcer, la tue d a n s son m ythe et l a rend brisée et inutilisable, aux producteurs qui
l'ont engendrée.
Il sort du parc d'attractions p a r la porte sym bolique que désigne le mot * exü ». Il s e
retire d e la scène. Il n 'a p a s m anqué son effet.
L'essentiel, m aintenant, c'est de savoir bien vieillir. Il s'en ira vieillir ailleurs, en Europe,
où il a s a légende. Tueur de femmes comme Verdoux, maïs tueur victorieux i S usan A lexander
a v a it p e rd u la face d a n s son m ariage avec Kane. Rita H ayw orth perd, d a n s son union avec
W elles, la royauté qu'Hollywood lui avait fabriquée. Sa mort clôt . toute une m ythologie en

(1) Voir l’article de J. Doniol Valcroze « Rita est morte à l’aube... seule ». REVUE DU CINEMA,
n» II. . .

24
Oison Welles dirige Rita Hayworth dans La Dame de Shanghai,

décomposition, m arque la chute finale de Garbo, transform ée à travers les â g es en objet de


m alheur et de dérision.
A vant de disparaître, pourtant, elle brille d'un incom parable éclat. Comme s i , . da n s les
* noces de sa n g » qu'il apprêtait, Orson W elles a v a it voulu q ue la m ariée fut splendide.
* EJfe fait penser, p a r moments, dit Jacques Doniol Valcroze (1), à la plus belle femme
gué j'aie jam ais vue sur un écran, Lee Miller, la statue du Sang d'un Poète. »
Dans tout l'éclat d'une beauté idéalisée, elle se montre égalem ent — phénom ène unique
d a n s s a carrière — excellente actrice. Il sem ble q u e W elles ait tiré d'elle la quintessence de
ses possibilités av an t de la mettre en pièces.
Le règne de Gilda s'achève dans cette su rp ren an te et explosive démonstration.

M aintenant, les temps sont révolus. La femme idéale est définitivement morte.
Rita Hayworth, dégringolée de son piédestal, m ais d é b a rra ssé e de son époux turbulent et
pourvue d'abondantes ressources personnelles, n 'a plus q u 'à déclarer, pour se consoler : * On
ne peut p a s vivre av ec un génie ; c'est irop fa tig a nt. »
Ce qui .est, pour elle, la façon la plus spirituelle de se tirer de l'aventure où elle s'est,
trop légèrem ent, laissée prendre.

Jacques SICLIER.

(1) REVUE DU CINEMA, n “ il (article cité).

25
LE PETI T J O UR NAL DU C I N É M A
PAR J. DONIOL-VALCROZE, F. HOVEYDA, E. LOINOD, A. MARTIN ET L. MOULLET.

\ /

15 avril Strada, 2° Bellissima, 3° Graine de V io­


lence, 4° L a M ort d ’un Cycliste, 5° S u r les
Quais. Suivent ex-æ quo ; L a Porte de VEn­
L E R E FEREN D U M DES L E C T E U R S. — fer, Roméo- et Juliette (de Castellani) et Sen-
Nous aurions dû dans notre dernier n u m é ­ so vient en huitièm e position. M, da Costa
ro publier le résultat de notre référendum nous signale en outre que Les Mauvaises
auprès des lecteurs sur les dix m eilleurs R encbnfres et Cela s'appelle 1‘A urore ont
films de l'année, mais de m ultiples répon­
ses nous parvenaient encore et nous avons été interdits au Portugal.
voulu donner leur chance aux récalcitrants.
Nos • résultats tiennent compte de 134 ré ­ 17 a v r i l
ponses. Parm i ces aim ables collaborateurs
nous tenons à remercier ceux de nos cor­
respondants qui ont accom pagné leurs let­ P E T IT E S AN NON C ES. — Les qualités des
tres d ’un certain nom bre de comm entaires : courts m étrages anim és publicitaires n ’ont
M’m es A. Béthery et Coulomiès, Mlles Jo­ cessé de croître depuis quelques années. Sans
sette Benarch e t M. R . L ebïond, MM. J. leur accorder encore l’attention perpétuelle
Quioc, M. R . Bataille, W . A chterberg, j. C, q u ’ils m éritent, quelques chroniqueurs accep­
Corrège, J.P . Maréchal, R . M alm azet, A , ten t d ’en parler.
T errisse, J. Coûté, H. Soissons, J, Gouî- Ces échos tardifs couronnent le travail intré­
nard, P. Cap, H. Ricard, P . "Wever, S. G on­ pid e de quelques pionniers ingénieux qui
zalez, J.M . d e Miscault, A . Blanchard, J. créent, défen den t et organisent u ne véritable
Dufresne, J. A zerad et C. Beylie. production qui échappe à certaines lois con­
traignantes a e l ’art ciném atographique « ré ­
Voici donc les résultats : créatif ». L es découvertes expressives, les
1° L a Strada ; talents révélés et formés qui accom pagnent
2° O rdet ; ces productions app artiennent à u n cinéma
3° Lola Montes ; virtuel autrem en t passionnant que les fins de
4° L a , Comfesse aux Pieds iVtus ; carrière du ciném a courant.
5° Voyage en Italie ; M ais q u i n ’avance pas recule. Certains de
6° E n Q uatrièm e Kifesse ; ces chefs d ’équipe p ensent que leur produc­
7° D u R ififi chez les H o m m e s ; tion doublera l ’a n prochain et se préparent
8° Fenêtre sur Cour ; à p re n d re u n e place internationale. Il faut
9° French Cancan ; d e n ouveaux animateurs. Pas des interval-
10° Johntj Guitare ; listes (ces prolétaires de l’image^ par image)
11° exæquo : L e s m auvaises Rencontres, m ais des « m o rd u s » d u ciném a à une image
L a M ort d 'u n Cycliste, L e S e l de la T'erre. près q u ’au cu ne faculté ne peut nous donner.
14° A l’E st d ’E den ; Il s’agit de form er des équipes mobiles,
15° L e G rand C outeau, organiques et fécondes toujours prêtes pour
tren te m ètres d ’aventure ciném atographique
V ien n en t ensuite : Vera Crux, L e s Gran­ et non des usiniers à images prisonniers de
des M anœ uvres, L e s S e p t Sam ouraï, L es hiérarchies métalliques.
Diaboliques, L ’Or de Naples, Comicos, L e
Crim e était presque pariait, L a Tour de Ceci n ’est pas une chim ère, mats un d é fi.
Nesle, La Terre des Pharaons, L a M ain au — A . M.
Collet, Graine de Violence, L e D ernier
Ponf, M arty, etc... 19 a v r i l
U n grand nom bre de te s lecteurs chan ­
gés e n électeurs déplorent de n ’avoir vu C IN E M A SE C R E T . — professeur à Bou­
ni Ordet, ni L e G rand Couteau. logne, A lb e rt P îerru réalise depuis plusieurs
U n journaliste portugais, Enrico da Costa, ann ées des films directem ent dessinés sur pel­
nous écrit égalem ent q u ’il s’est livré à la licule 16 m /m . Ce form at minuscule lui per­
m êm e enquête pour son quotidien DlARIO m et seul d e contrôler continuellem ent son
DE LlSBOA, dont voici les résultats : 1° La travail p ar projection.

26
Il vient de nous envoyer son dernier film 20 A vril
en 16 m /m : Taches, touches et teintes, illus­
tration visuelle d e 12 Th. Sttfeeé Blues de Kid
A P R O P O S D E F R IT Z L A N G . - —
Ory. A vec une im prévisible m aîtrise, Pierru Toujours pas de sortie prévue pour Les
trace m ain ten an t sur la pellicule étroitissime Pirates de M oonfleet (Moonfleet) le prem ier
des signes et des form es repérées. U n passage
notam m ent peuplé d e taches som bres, oursins Cinem aScope d e Fritz Lang, achevé il y a
m ouvem entés qui s'agitent sur un fond m ou­ bientôt vingt mois. Raison probable : l ’insuc­
vant, possède la finesse d u dessin sur p el­ cès total aux U .S .A . ; en effet ce film n e
resta q u ’une sem aine en exclusivité à Broad­
licule standard. Q uelques souvenirs u n peu
way, et les recettes ne dépassèrent pas sept
trop précis de Begone DuJI Care, mais un millions. C ependant M o on fleet, tout com m e L e
final blinfc d ’autant p lu s intéressant que Pierru Bandit ou R u n for Couer bénéficierait d 'u n
n ’a pas encore vu BlinJ^ity Blank,. public certainem ent plus nom breux à Paris.
A vec cette bande, P ie rru abandonne enfin Q ue le3 adm irateurs d e L ang se consolent,
le form at réduit pour la pellicule 35 m /m . car deux nouveaux fülms de lui paraîtront sur
Des prem iers essais prévus pour le ciném a­ nos écrans la saison prochaine, tous deux
scope l ’ont excité considérablem ent. Pour le tournés pour la firme in d ép e n d a n te Bert E.
prem ier de l'a n , Pierru a reçu 120 m ètres de Friedlob. W h ile the cïfy sleeps, tourné l’été
pellicule débrom urée et 120 m ètres de noire passé, nous perm ettra de revoir Ida L upino et
cadrée qui vont lui perm ettre de continuer Satly Forrest, les transfuges de la « Film a-
ses expériences. — A . M. kers » aux côtés de D ana A ndrew s et d'u n e
pléiade de bons acteurs. Photo d ’E rnest Laszlo,
A V IS. — Le procédé C inépanoram ic devient chef-opérateur attitré d e R obert A ldrich.
le Franscope « en h o m m ag e aux pionniers B eyond a Reasonable D ou b t (Sans le M oindre
français de l’image anim ée A n to in e Plateau Doute), q ue L ang a com m encé le 15 m ars sur
(Phenakistiscope, IS32) et E m ile R ey n a u d un scénario de Douglas M orrow, m arq u era la
(Praxinoscope, 1877) » et pas d u tout, comm e rentrée de Joan Fontaine, aux côtés de D ana
certains pourraient le croire, en hom m age au. A ndrew s.
C inem aScope et au Superscope. L. M.

27
26 avril

T E H E R A N . — II paraît q ue Rossellini va
entreprendre un grand voyage d an s le M oyen
Orient (depuis le tem ps q u ’il en parle...} E n
tous cas la bonne nouvelle s’est ré p a n d u e jus­
q u’aux confins de l ’A fghanistan et a m ê m e
provoqué de3 rem ous d a n s l ’excellent C iné-
Club de T éhéran dirigé par le jeune réalisa­
teur Kavoussi (ancien élève d e I’Idhec). A p rè s
mille aventures les persans dénichèrent u n e
copie de Paisa et d'E urope 51, pour u n é ven­
tuel hom m age à Rossellini. L ’u n des a n im a ­
teurs d u Club m e dem anda si Rossellini vou­
drait bien prendre la parole à ladite séance.
Com m e je disais que l ’auteur d V lm o re d é te s­
tait ce genre de choses et préférait se taire,
le jeune iranien m e répondit : a T a n t m ie u x ,
com m e ça, ça sera plus facile à traduire ». —
F.H .
30 a v r il

BUNUEL E T L A JE U N E FIL L E. —
L 'équipe française de L a m ort en ce jardin
découvrit au début du tournage de ce film
que le gouvernem ent m exicain non se u le ­
m ent censurait les films une fois q u 'ils
étaient term inés m ais en faisait suivre le
Verrons-nous un jour MEXIQUE, de François tournage, en plus d ’un médecin, et d ’infir­
Reichenback. mières, par un surveillant. Son éto n n e m en t
grandit encore quand le prem ier m atin arri­
va ledit surveillant : c ’était u ne c h arm ante
jeune fille de dix-huit ans, fraîche ém oulue
25 a v ril de l ’Université, am oureuse de B rahm s et d e
Chopin. Les Français respirèrent m ais Bu­
L A C A M É R A D A N S L ’ŒIL. — II ach è­ nuel ne paraissait pas soulagé pour au ta n t.
te et vend des tableaux avec u n goût infail­ L a jeune fille les suivit partout, d a n s la
lible. C 'est peut-être parce q u 'il connaît si brousse, sur les rivières, et devint une am ie.
bien la peinture que certaines de ses images V int u ne scène où u n des personnages
font penser à des M onnet, certains de ses (Shenko le batelier) dit aux prostituées : <t Et
visages à des Goya. Il a* com m encé à faire m aintenant au travail. « Lèvres pincées la
du ciném a po u r s’am user m ais son talent jeune fille se leva : « D éfendu f » dit-elle.
fut tellement évident pour ceux qui virent E t rien ne put l’attendrir. Bunuel n ’était
ses prem iers m ètres d e pellicule q u ’il lui pas content du tout. —■ J.D .V .
faut bien se faire peu à pe u à l'idée qu e
le ciném a sera pour lui un m étier, com m e
les tableaux, et peut-être bien q u ’il n ’aura 2 m ai
m êm e plus le tem ps de s ’occuper de ses
tableaux. Il a tourné à New-York, au TABLE. — Nos slogans pour la T able
Mexique d a n s le Mississippi, dans la Pouille... des Matières ont inspiré à notre am i G eor­
et m êm e à Paris. Nous verrons bientôt ges Sadoul ces quelques lignes acc o m p a ­
Netû-Yorîz ballade, Im pressions de N ew - gnant un ch èque : « Ci-joint 350 francs pour
Yorîz et P . com m e Capitale. II fau dra b ien votre TABLE, placem ent renTABLE, les tables
aussi q u ’il se décide u n jour à m ontrer son précédentes étant inconsulTABLES, inadap-
Mississippi qui conte u n e juvénile aventure TABLES, ïnsupporTABLES, inconforTABLES, non
dans un climat très Faulknérien. Sa façon de — proftTABLES... etc.
voir les gens et des villes que l’on a vus Par ailleurs d ’un sém inaire de la banlieue
mille fois à l ’écran est telle que l’on croit de Paris nous arrive, u n , marîdjit d e notre
voir pour la p rem ière fois ces gens et ces ami le R .P . Jean M am bnno, sur le talon
vill es. Il est né avec u n e cam éra d a n s l’ceil duquel, en lettres de" feu, sont discernables
et son œil saisit de l ’existence . l ’aspect le , ces quelques mots : « L a TABLE n e m a n q u e
plus insolite et le plus aigu. Il s’appelle pas de M a t i è r e , A t t a b l e z - v o u s : c’est dé-
François R eichenbaçh. — E-L. lecTABLE. » ■- j \

28
3 M ai m an de d e l'am bassade d ’Allem agne. Maïs
bientôt tout le m on d e affirm era que p er­
sonne n 'e n a tenu compte, T o u t se réglera
F E S T IV A L G REM ILLON. — Le Ciné hu it jours plus tard dans le bureau de M.
Club d e Caen organise cette année son 2e L em aire. Ce film ira à Cannes mais « hors
Festival, dédié à Jean Grém illon. L e pre­ compétition ». C 'est le m axim um que p o u ­
mier, consacré à l ’œ uvre de Marcel Carné, vait faire le ministre sans « revenir » sur
avait rencontré un grand succès. u n e décision q u ’il n ’aurait sans doute
jam ais prise s'il avait été m ieux informé.
Les séances auront lieu du 22 au 25, m ai Il est dom m age q u ’u n tel film ait été la
sous la présidence de Jean G rém illon. Jean victime d e ces a mauvaises informations. »
T edesco et Gaston Bonoure inaugureront J.D .V .
le Festival auquel assistera F e m an d Ledoux,
et Roland M anuel présentera G rém illon
compositeur. 10 Mai

Le program m e ge compose de : JA P O N A I SERIE. — A partir du 16 mai,


— L e 22 m ai, au C iném a T ria NON : Mal­ le C ardinet présente en première exclusivité
C om m e W e fleur des cham ps, un film japo­
donne, La Maison aux Images (court m é­ nais d e Keisuke Kinoshita. D ’ores et déjà ce
trage inédit sur la fabrication des estam ­ film bénéficie d ’un préjugé très favorable.
pes) et Çardien de Phare (dont u n e copie ean-Charles T ach ella, dans son enquête sur
vient d ’être retrouvée au D anem ark). e ciném a japonais publié p ar j4ris, en ayant
— L e 23 mai, au Ciném a SELECT : L e 6 p arlé en term es flatteurs. U ne exposition d e
photographies illustrant l'histoire a u film au
Juin à l’A u b e et L ’A m o u r d ’une F em m e. ja p o n renseignera les spectateurs sur ce c i'
— Le 24 mai, au C iném a NORMANDIE ; A u n ém a m al connu : le vernissage en aura lieu
Coeur d e Vile de France et Remorqtues. le 22 m ai, avec la participation d e M. l’A n v
bassadeur du Japon et d e M. Jacques Flaud.
— Le 25 m ai, au Ciném a M àJESTIC .• de C om m e u n a /feufl des cham ps devant ensuite
larges extraits de Pattes Blanches et L u ­ n ’être q u ’exploité a u 'e n ciné-club, les am a­
mière d'Eté. teurs se garderont bien, de laisser passer ce
p rogram m e.
Ce cycle de projections est com plété par
une exposition illustrant les grandes pério­
des et les grands thèm es de l ’œ uvre de
Grém illon. Le 2e Festival du Ciné Club de
C a e n est placé sous le patronage de la F.C.
C .C., d e la F.L .E .C . et des C a h ie r s d u C i ­
néma .

5 M ai

N U IT E T BRO U ILLA RD . — M aintenant


que l'incident est réglé d e façon... dirons-
nous honorable ? on n ’a plus envie d ’en
parler. E n effet N uit et Brouillard n ’est pas
le genre de film autour duquel on a envie
de faire du scandale. Ce n’est pas de gaieté
de cœ ur, on le croira aisém ent, q u ’u n cer­
tain nom bre de gens ont entrepris des d é­
m arches pour tenter de réparer u n e injus­
tice et voulu par la voie de la presse alerter
l ’opinion publique. O n se souvient des
faits : N u it et Brouillard sélectionné à l ’u n a ­
nimité par la commission de sélection est
retiré d e la liste par le m inistre de tutelle
du cinéma, M. Lem atre, en accord avec le
Q uai d’Orsay. (C'est du m oins ce q u ’affir­
m ait le com m uniqué officiel). Décision
d ’autant plus surprenante puisque le m inis­
tre des Affaires Etrangères, m . P ineau, va
bientôt faire savoir q u ’il désapprouve cette
décision et que l ’on va apprendre que M.
Lem aîre a un frère qui a été déporté. Sur­
prenantes aussi les raisons mises en avant.
Mais ce qui est indécent n ’est-ce pas de
prendre des mesures contre ce film . D e­ COMME UNE FLEUR DES CHAMPS

29
LA PHOTO DU MOIS

Luis Bunuel dirige Simone Signoret et Charles Vanol, deux de ses interprètes de
LA MORT EN CE JARDIN.

Le tournage de L a M ort e n 'c e jardin com m encé le 26 m ars dang la région de V era-Cruz
continue à Mexico. A près avoir em m ené toute sa troupe en pleine forêt vierge, Bunuel a
fait construire un véritable studio flottant pour les scènes de rivière. Il est étonnant de voir
ce réalisateur savoir aussi bien tourner en vingt-cinq jours l ’inoubliable E l ou l’irrésistible et
insolite A rchih a îd de Ja C raz (qui va bientôt sortir à Paris) que de diriger en général avisé
"une g rande et longue opération com m e La Mort en ce jardin. Il n ’y a pas d e secret au talent
m ais à la possibilité de l’exercer dans les circonstances les plus différentes, celui de Bunuel
c ’est la conscience dans le travail. Q uiconque l ’a vu tourner a été frappé de la tranquille
m éthode avec laquelle il avance dans son œ u v re, de la sûreté de son inspiration, d e son
« économie » de la création. Il ne tourne pas dix m ètres d e pellicule inutile, il sait exacte­
m en t ce a u ’il veut et com m ent il l ’obtiendra. Et rien ne ressem ble m oins a u n système que
sa m éthode car son extrêm e m inutie et sa précision calculée s ’accom pagnent d ’u n e grande
liberté : il est toujours p rêt à la dernière m inute à bouleverser une scène parce q u ’il vient
d ’im aginer un geste, un jeu de scène, une parole qui ne sont pas m ie u x q u e ce q u ’il cherchait,
m ais exacfem ent ce q u ’il cherchait.
Ce q u ’il cherche dans La Mort en ce jardin, ce q u ’il a longtem ps étudié avec Q ueneau.
Alcoriza et A rout et q u e Sim one Signoret, Georges M archai, C harles V an el et Michèle Girar-
don doivent m aintenant incarner, c’est à exprim er u n certain sens de la fraternité. Cinq p er­
sonnes qui ne se connaissaient pas sont liées bru sq u em en t p ar le danger et l’aventure, se
découvrent et découvrent leur solidarité. C ette m étam orphose de l ’être soudain lié à son
sem blable par u n tournant de l ’existence n ’est-elle point, |5 u s ou m oins secrètem ent, la grande
leçon de l’œ uvre de Bunuel? j D .V .

30
En complément à LA PHOTO DU MOIS, ci-dessus deux photos de Travail de la MORT EN
CE JARDIN. En haut le studio flottant, en bas, l’équipe tournant dans les marais avec
Bunuel a droite, coiffé d’un casque colonial, et Simone Signoret et Georges Marchai, enfouis
dans la végétation.

31
LIS FILMS

Nntalie W ootl et Ja m e s Dertn (à droite) dans R ebel W ithout a cause de Nicholas Ray.

Ajax ou Le C id ?
REBEL WITHOUT A CAUSE (LA FUREUR DE VIVRE), film am éricain en
CinémaScope e t Warnercolor de N ic h o la s Ray. Scénario : Stewart Stern,
d'après une histoire de Nicholas Ray. A daptation : Irving Shulman.
Im ages ; Ernest Haller. Décors : William Wallace. Musique : Léonard Rosenman.
M ontage : William Ziegler. Direction artistique : Malcolm Bert. In te r p r é ta tio n :
James Dean, Natalie Wood, Sal Mineo, Jim Backus, Ann Doran, Virginia Brissac,
William Hopper, Rochelle Hudson, Corey Allen, Dennis Hopper, M arietta Canty,
Edward Platt, Ian Wolfe, Nick Adams, Jack Grinnage, Steffi Sidney, Tom Ber­
nard, Clifford Morris, Beverly Long. Production : David Weistaart - Warner Bros.,
1955.

Déplorons que les distributeurs fran- qu’est l’amalgame (je n ’ose dire l’ex-
gais, aient cru bon d’affubler, en guise pression) La Fureur de Vivre. C’est
de titre, le dernier Nicholas Ray de ce . laid, c'est vulgaire et de plus çà ne
non-sens, ce monstre grammatical veut strictement rien dire. Le titre

32
américain, lui, est sobre, juste ; s’il ne bles ou de Cagney dans A l’ombre des
livre pas la clef de l’œuvre, il éclaire potences. Le personnage incarné par
comme il convient le dessein de son Nathalie Wood n ’est pas si différent,
auteur : Rebel w ith o u t a cause, re­ malgré la distance de leurs âges, de la
belle sans cause, la cause pour la ­ Joan Crawford de J o h n n y Guitare.
quelle on combat. J’irai plus loin, toutes les héroïnes
Le lecteur des Cahiers sait que féminines, sans exception, de ses films,
nous tenons Nicholas Ray pour l'un les Catie O’Donnel, Gloria Grahame,
des plus grands — le plus grand, di­ Susan Hayward, Ida Luplno, Viveca
rait Rivette, et je le suivrai volon­ Lindfors et les deux déjà citées, pren­
tiers — de la nouvelle génération de nent sous sa direction un air de res­
cinéastes américains, celle qui n e fit semblance physique assez surprenant.
ses premières armes qu'après la Comme il est celui de la violence, Ni­
guerre. En dépit de la modestie ap­ cholas Ray est peut-être le seul poète
parente de son propos, c'est un des de l’amour : c’est la fascination pro­
Tares qui possède un style à lui, une pre à, ces deux sentim ents qui l’obsède,
vision du monde, une poésie à lui, c'est plus que l’étude de leur genèse et de
un auteur, un grand auteur. Décou­ leurs répercussions proches ou loin­
vrir une constante tout au long d’une taines. Non pas la fureur, ni la
œuvre est une arme à double tran­ cruauté, mais cette ivresse particu­
chant : preuve de personnalité, mais lière où nous plonge une action physi­
aussi en certains cas de sécheresse. que, une situation, une passion vio­
Toutefois telle est la condition faite lentes. Non pas le désir, comme chez
par les firmes au cinéaste, si nombreux la plupart de ses confrères américains,
les faiseurs, les directeurs de fabri­ mais le mystérieux accord qui scelle
cation, les bons contremaîtres, que la deux êtres. J’ajouterai à tout cela un
présence d'un leitmotiv est indice, sens de la nature, discernable à l ’ar-
a priori favorable. La diversité des rière-plan — au propre comme au fi­
sujets traités par Nicholas Ray, la guré — en accord avec son tempéra­
richesse des variations dont il agré­ m ent de coloriste — même dans ses
m ente ses trois ou quatre grands th è­ films en hoir et blanc — plus que de
mes favoris rendraient plutôt son ori­ plasticien.
ginalité plus m alaisément décelable Et puis, nul metteur en scène ne
que celle de tels de ses rivaux. Impos­ sait imprimer à son personnage un
sible de mettre sur sa morale une éti­ air de famille aussi évident. Ils sont
quette commode, comme sur John marqués du sceau de la même fa ta ­
Huston. Ce ne sont pas les problèmes, lité, du même m al moral ou physi­
à la manière d’un Brooks, m ais les que mais qui n ’est pas exactement
êtres qui l'intéressent. Point de subti­ tare ou déchéance. Regardez les visa­
lités psychologiques chères à Man- ges fém inins aux joues suaves, mais
kiecwicz. Point de fulgurant lyrisme, aux paupières cernées, aux lèvres
à vous étourdir, comme Aldrich, au lourdes, ces silhouettes d’hommes
premier contact. Son tempo est lent, athlétiques, les Ryan, les Derek, les
sa mélodie le plus souvent monocorde, Mitchum, écrasées ou, plutôt, comme
mais d'un dessin si précis, d'une mar­ ramassées sur elles-mêmes. James
che si prenante que nous n ’en pouvons Dean pousse encore plus loin cette
distraire un seul instant. Les mor­ apparence, chrysalide mal dépliée de
ceaux de bravoure eux-mêmes, si son cocon. Repliement sur soi ? Soli­
brillants qu'ils soient, ne surgissent tude plutôt subie que voulue, quête
qu'après un lent crescendo. C’est un angoissée d'affection, d’amour ou
art de « rapports s- plus que d’ « éclats d’amitié. Je parlais à l’instant d’un
L'esprit de ce film est semblable à développement linéaire : il ne s’agit
celui des précédents, mais les situa­ pas d'une de ces belles droites dont
tions mêmes offrent des analogies très Hawks est coutumier, cette route large
précises. La jeunesse des héros, leur de l’épopée, ces démarches calmes, ces
ardeur rétive est celles des personna­ ports hautains. Ici tout est circulaire,
ges des Ruelles du M alheur et des des gestes de l’amour jusqu'à la course
A m a n ts de la Nuit. Le thèm e de la des étoiles, de ces regards qui enve­
violence nous l'avons rencontré dans loppent, plus qu'ils ne fuient de côté,
La Maison dans VOnïbre et Le Violent. à ces poursuites errantes, ces morts qui
L’héroïsme inutile de James Dean c’est bouclent la boucle et rendent les héros
celui de Mitchum dans Les In d o m p ta ­ à leur innocence première. Oui, c’est

33
3
celà, ce qui leur manque à ces hom - honneur tout court, nous le sentons —
m es-enfants c’est cette sorte de virgi­ de ne pas se dérober. Lutte au couteau
nité dont les conteurs d’aventure p a­ dont l ’âpreté, la beauté du paysage
rent d’ordinaire leurs personnages. Ils sur lequel elle se découpe font ou­
n'ont pas la complaisance résignée, ni blier qu’elle n ’est qu’un jeu de gamins.
la volonté d'abjection de l'homme du Ce n ’est pas tout : la seconde manche
roman moderne. Ils ne sont pas tout doit être jouée le soir même dans un
à fait coupables non plus... exercice* encore plus absurde et plus
périlleux. Ce sera l’acte troisième.
Poète, Nicholas Ray, l'est à coup sûr, L’intrigue, remarquez-le, a eu jusqu’ici
mais c'est sur le caractère tragique et pour principal ressort la volonté des
non seulement lyrique de son dernier personnages : il en sera ainsi jusqu’à
film que je voudrais aujourd’hui m et­ la fin. Le héros se retire un instant
tre l’accent. Par sa forme, d’abord, dans sa ten te — id est sa fam ille —
aspect superficiel, mais qui n'est pas pour méditer. Puis il se rend au duel.
négligeabe. Rebel w ith o u t a cause est Nouveau morceau de bravoure, mais
un véritable drame en cinq actes. Acte nocturne celui-ci. Péripétie qui fait
premier. Exposition. Deux adolescents rebondir l’action : il s’agit de précipi­
et une jeune fille viennent d’être ter des voitures dans la mer et de
raflés par la police. Intervention des sauter au dernier moment. L’adver­
parents. Le débat se place d'emblée saire se tue. Débandade. Acte quatre.
sur le plan moral sur lequel il restera Dean a sauvé son honneur, conquis
pendant tout le film ; pourquoi cette l’amour du flirt de la victime, la jeune
révolte ? Elle n ’a même pas cette sorte fille du commissariat, incarnée par
de profondeur propre à l ’absurde Nathalie Wood. Il rentre chez lui,
voulu comme tel. Ce n'est pas, non avoue à ses parents son intention de
plus, le simple sursaut de jeunes ani­ se dénoncer à la police. Ceux-ci l ’en
m aux rétifs. C’est l’honneur de ces dissuadent. Cette lâcheté l'indigne. La
garçons et de cette fille qui est en jeu, faiblesse du père n ’ « explique » pas
un honneur mal conçu, mais qui ne seulem ent chez le fils la présence de
peut pas l'être autrement parce que le ce « complexe » de l’honneur, de cette
milieu, les circonstances ne savent lui gloriole maladive. Elle la justifie, au
laisser un champ d’exercice plus no­ sens moral du terme, la réclame,
ble. Trop de naïve psychanalyse alour­ l’exige. Violence, scènes déplaisantes
dit, certes, le propos. Mais je ne crois traitées avec une rare franchise. Il se
pas qu'il faille la prendre comme une rend au commissariat, mais la police
explication ni une excuse ; elle fait ne veut pas le recevoir- Pendant ce
partie du décor de vie américain. Telle tem ps ses camarades redoutant sa
est, du moins, mon opinion, vision trahison, le recherchent. Son seul ami,
achevée : ce fatras m'a gêné sur le un petit brun curieusement nommé
mom ent même ainsi qu’une certaine « Platon » (Sal Mineo) après m aints in­
impudeur, une veulerie, j ’oserai même cidents, réussit à le joindre : ' c’est
dire de la bêtise, chez les personnages. l’acte fin a l, la nuit, dans une villa
Ils sont ainsi, le drame les exige tels. abandonnée qui nous fait songer à La
Laissons donc courir et passons à M aison dans VOmbre ou à Jo h n n y
l’acie second. Notre héros principal, Guitare. Deuxième intermède lyrique,
donc, incarné par James Dean a pro­ Nathalie Wood ayant rejoint les deux
mis d'être sage et se rend à l’école. garçons. Scène d ’amour à la lueur des
Sarcasmes de ses camarades au cou­ bougies dans la pièce vide ; angoisse
rant de ses prétentions de « dur ». et paix dans la nuit; au-delà du cy­
Premier intermède lyrique, avec ce nism e enfantin, premier trouble, pre­
cours au planétarium, cette évocation mières pudeurs : beauté des baisers et
d’apocalypse qui réussit à peine à des caresses. Devant la Femme notre
voiler d'inquiétude ou de feinte indif­ héros de tout à l’heure se fait le petit
férence l’œil creux de nos potaches. garçon qu’auprès de ses parents il
Idée un peu simple, sur le papier, forte n ’avait pu être, mais en même temps,
et profonde en sa réalisation, parée, découvre sa responsabilité d’homme.
comme tout ce qui va suivre, à la fois L’érotisme de Ray est, qu’importe,
de grave et de dérisoire. A la sortie, aussi trouble, louche, qu’on voudra. Le
nouvelles provocations. Dean essaye psychanaliste, là encore, aura beau
de s'y soustraire, mais il y va de son jeu; Mais à coup _sûr, il ne peut se
honneur — non pas de son honneur rendre compte de l ’émotion que nous
de coq de petite ville, mais de son éprouvons, nous spectateurs, à voir

34
Ja m e s D ean e t NTata lie W ood dans R eb el W ith o u t a cause de
Nicholas Ray,

les collégiens de l’après-midi se pré­ soit, ici, artificiel. L’idée de destin est
parer enfin à un combat physique et partout infuse, dans les œuvres de
moral digne de ce nom... Et nous m a r­ tous les âges et de toutes les nations.
chons. Nous ne marchons pas seule­ Elle ne suffit pas seule à fonder le
m ent « aux faits » (qui alors se préci­ tragique : il lui faut le support de
pitent : arrivée des camarades, lutte quelque grand débat entre des forces
avec Mineo qui, apeuré, tire, entrée de présentes à tout moment en l'homme
la police, poursuite dans les taillis) ; ni et autour de lui, entre l’orgueil propre
à la grandeur théâtrale, au bon sens à l’individu et 1$ société — ou la na­
du mot, de la mise en scène (ces voi­ ture — qui ne peut l’admettre, le
tures aux phares brillants qui cernent brime, le châtie. Un héros tragique est
le planétarium, ces sommations, ce toujours en quelque sorte un guerrier
dialogue dans l’ombre où Dean essaye réveillé de l’ivresse du combat, et
de ramener son camarade à la raison) s’apercevant soudain qu’il n ’est plus
ni au tragique de la conclusion (lors­ dieu. Qui, ses classes terminées,
qu’un policier abat « Platon comme s’amuse à relire le théâtre grec, sera
il apparaît en haut des marches, ser­ frappé par la présence en lui d’un
rant nerveusem ent son revolver que thèm e dont ses commentateurs ont
Dean, à son insu, avait déchargé). peu touché et qui n ’a pas eu l’heur
Nous marchons absolum ent ; nous d’inspirer nos classiques : celui de la
avons supprimé cette distance que violence (ainsi faut-il entendre hybris
nous tenions encore prudemment en­ et orge) d’une violence dangereuse,
tre les personnages et nous. Leurs rai­ condamnable mais grisante, belle.
sons sont nos raisons, leur honneur L’image moderne du destin ce n ’est
notre honneur, leur folie la nôtre. Ils pas l’accident banal, stupide comme
sont sortis, pour employer le jargon celui où mourut James Dean, l’acteur,
moderne, de l’inauttientique. Ils ont en plein succès. Ce n ’est pas l’absur­
acquis, mérité cette dignité de héros dité du hasard, mais celle de notre
tragiques, que nous ne pouvions au> condition ou de notre volonté. C’est
début, tout à fait leur décerner. la disproportion qu’il y a entre la
Qu’on me pardonne m on vice fa ­ part toujours noble de l’homme et la
vori, d’évoquer le souvenir des an­ futilité, l’inutilité de la tâche que
ciens Grecs. Je ne crois pas, en toute souvent il se propose. Ce n ’est pas
bonne foi, qu’un tel rapprochement que les âges précédents aient été plus

35
L

sages que nous, n ’aient pas donné le chés, ne serait-ce, que de la faute de
meilleur d'eux-mêmes dans des com­ leur siècle. Il appartient aux politi­
bats, eux aussi sans cause : mais des ques, aux philosophes de montrer à
règles d'un honneur plus strictem ent l’hum anité des horizons plus clairs
formulé offraient toujours à la que ceux où elle a décidé de s’enfer­
conduite la plus absurde quelque m o­ mer, mais c’est la mission du poète de
tif. Ce que j'aime dans ce film est que ne pas croire tout à fait à cet opti-
le mot honneur, pour sortir de la bou­ m isme-là, d’extraire de la lie de son
che d'êtres enfantins, veules, p etits- temps la pierre rare, de nous appren­
bourgeois n ’en brille pas moins de dre à aimer sans interdire de juger,
son éclat pur, inaltérable que ces d'entretenir toujours vif en nous le
gamins, comme les spécialistes du sens de la tragédie. Ces réflexions je
rodéos, les hors-la-loi de la prairie en les fis, un jour, dans une salle de
ont gardé le sentim ent vivace, bien quartier qui projetait Le Violent. A
que, d’ailleurs, leur vanité, leur sotte chaque vision d’un nouveau film de
obstination, la société, la morale, que Nicholas Ray, elles me reviennent à
sais-je, bref le destin les condamne. l'esprit, et de celui-ci surtout, son
Us ne sont pas tout à fait coupables, chef-d'œuvre.
mais non entièrem ent innocents, tâ-- Eric ROHMER.

La loi du cœ ur
O God t T h a t it were possible
To u n d o th in g s done, to call back yesterday
T h a t tim e m ig h t tu r n u p h is s w ift sandy glass
T o u n te ll th e days a n d to redeem th ese hours.
H ayw ood : A w om an kUIed w ith k ln d n ess.

Il est des m om ents où le sens criti­ se tend, c'est Nicholas Ray qui les re­
que est déplacé, voire injurieux et sor­ découvre. Mais fau t-il dire qu’il en
dide. Certaines œuvres réclam ent et appelle exclusivement à notre sensi­
obtiennent un si total abandon, une bilité ? Nullement, car il se révèle
adhésion si profonde qu’elles réson­ aussi admirable psychologue. En osant
nent en nous telles un chant et de­ montrer un fils, qui frappe son père
viennent un instant privilégié de par am our (un amour où se m êlent
notre propre vie. Toute dissertation déception et rancœur), nous songeons
apparaît alors dérisoire, le pour et le invinciblement à certaines pages des
contre risibles. Frères K aram azov ou de B éatrice :
Oui, il s'agissait avec Rébel w ith o u t les situations fausses, rien n ’y peut
a cause (La fureur de vivre) de tout m ettre fin que la fureur et le délire.
autre chose que d’un spectacle. C'était Ce que Jim condamne en son père,
un songe où, du temps aboli, ressur- c’est moins sa lâcheté., sa vaine solli­
citude que l’image veule de lui-m êm e
gissait un passsé, le m ien (le vôtre qu’il lui renvoie. Obligé de se contre­
aussi peut-être), ce passé qui pareil à faire, de jouer à l'homme fort, Jim
la Belle au Bois dormant n ’attendait n’en rejette pas moins la mièvrerie
plus qu’un poète pour renaître. C’était insipide de l’amour paternel. Il aspire
aussi toute la tendresse et tout à la vérité et tout n'est qu’illusion.
l ’amour du monde et donc le refus de Tout, sinon l’amour par lequel cette
tout ce qui, rejetant l’amitié, le don conscience déchirée, crucifiée retrou­
de soi, l'estime l ’amour enfin, fait de ve le calme et pourra dilapider les
notre propre vie une solitude glacée inépuisables réserves d'une tendresse
bien plus irrémédiable que le vide in ­ jusqu’ici sans emploi. Nous avons
fini des espaces sidéraux. donc affaire moins à l'amour fou qu’à
Le cinéma connaissait déjà l'hymne, l'amour-médiation par lequel la cons­
l’élégie, mais il avait oublié depuis cience apaisée se réconcilie avec le
Un pauvre am our de G riffith et monde. Cette solution que Hegel,
V A urore de Murnau la valeur irrem­ G œthe et Kafka avaient dépassée (ou
plaçable d’un haussem ent d'épaules, refusée). N. Ray s’y accroche avec tout
d’un sourire, d’une m ain qui se tend l’enthousiasme et la conviction de la
vers une autre et ce haussem ent jeunese .11 incarne au plus haut degré
d'épaules, ce sourire, cette m ain qui cette résurrection du Romantisme,

36
cette renaissance de la loi du cœ ur, pête ! Son rythme est celui du cœur :
chassée depuis longtemps de l'art m o­ détendu et crispé, inquiet et confiant.
derne. Et combien son style coïncide Nicholas Ray est le cinéma comme
avec cette exigence, par la manière Bach est la musique.
qu’il a de retrouver la sérénité après
l’exaltation, le calme après la tem ­ Jean DOMARCHI,

Le m assacre des innocents


NUIT ET BROUILLARD, film français en Eastmancolor d'A lain R esnais .
Im ages : Ghislain Cloquet. Musique : Hans Eisler. C om m entaire : Jean Cayrol,
dit par Michel Bouquet. Production : Argos Films - Comô Films, 1955.

N uit e t Brouillard est un film, qui, lard n'aurait pas cette force s’il n ’était
en principe, n ’appelle aucune critique d’abord une grande œuvre d’art, le
d'ordre cinématographique. La m a- plus pétrifiant « écorché » de tous les
tière même dont est tissé cet oratorio films-tém oins, si le chemin de sa gesr
funèbre commande un respect, une tation n ’en passait pas par l’abstrac­
sorte de silence dont la rupture pour­ tion presque indifférente de la compo­
rait, à juste titre, être considérée sition, avant d'atteindre son but où
comme sacrilège. Je m'explique. Sup­ alors plus rien ne compte que l’inson­
posons que, cinématographiquement dable phénomène, que le portrait inou­
parlant, N u it et Brouillard soit un bliable du monstre.
mauvais film. Il n ’est pas absurde
d’imaginer en effet que, même en pos­
session des mêmes documents et
pourvu des mêmes possibilités m até­
rielles, un autre réalisateur qu’Alain Art de l'oubli et du temps qui passe,
Resnais ait abouti à autre chose le ciném a soudain, en souvenir du
qu’une simple addition de morceaux sang et de la souffrance, nous jette au
d’horreurs ou, ce qui serait pire, à un visage le film de la mémoire et du
réquisitoire haineux, étroit, dém agogi­ temps suspendu pour l’éternité. Je
que. Même si cela était, on ne pour­ l'ai déjà dit, le premier réflexe est le
rait se permettre de critiquer ce film, silence, la première réaction, l'impos­
la simple présence des images susci­ sibilité d'en dire deux mots, tant est
tant une somme de sentim ents où la grande l’impression que même neuf
critique n’a plus de place. m illions de mots ne pourront rendre
On pourrait donc s’en tirer en d i­ compte, ne seront qu'indécence et res­
sant simplement qu'Alain Resnais a pect manqué ; mais seul le silence
fait preuve du maximum possible de appelle le silence, N uit e t Brouillard
sobriété, de discrétion et d'élévation de c’est le tonnerre et l ’orage, et, même
pensée. Ce serait là pourtant une si par son propre bruit il étouffera
fausse pudeur et ce film où tout est toujours les échos qu'on lui fe r a ,. il
vrai, appelle d'abord la franchise. Il faut cependant mêler sa plainte et son
importe donc à mon avis de savoir cri à la plainte et au cri.
aussi que Nuit e t Brouillard est le N u it e t Brouillard est le film du
chef-d’œuvre du film de montage et scandale et de l’impudeur. Arrivé à ce
qu’entre les documents employés, les degré d’horreur, de bassesse et d’indi­
passages tournés (en codeurs) en P o­ gnité l'homme, presque toujours, pré­
logne, le commentaire de Jean Cayrol fère se taire ; par le silence il m ani­
et la musique de Hans Eisler, Resnais feste son refus d’admettre, ne serait-
a réalisé une extraordinaire osmos e ce qu'en condamnant, que ce bour­
au bout de laquelle il n ’y a plus qu’un reau est son frère et qu'il a une mère.
chant unique et dont c’est l’incroyable Se souvenir de son existence, c’est
paradoxe, après plusieurs visions du reconnaître que l’on est de la même
film, que d’être satisfaisant dans sa race et que, de notre indifférence ou
perfection, harmonieux dans son in é ­ de notre lâcheté à l'ignominie des
luctable progression. Il en est ainsi massacres, il n ’y a qu’une terrifiante
des supplices de Goya ou des pages les mais simple graduation dans le degré
plus cruelles de Kafka. N u it e t B rouil­ de culpabilité, qu’il ne peut avoir ni

37
de Dieu ni d’amour sur cette terre de il y a encore de l’horreur et de l’atroce.
désolation où l ’innocent, par millions, Arrivé à cette pointe extrême de la
a pu être torturé et mourir dans la dégradation, il n ’y a plus pour se sau­
honte et l'humiliation, sans que la ver du néan t que la foi aveugle dans
terre tremble, tous les volcans se ré­ l’homme et à refaire tout le chem in
veillent et le soleil éclate. C’est pour­ dans le sens de l’espoir. Cette preuve
quoi, pendant et après, le déporté est désespérée de l’hum anism e revient à
un pestiféré. C’est pourquoi celui qui prouver la santé du corps par l’exis­
est revenu n ’est qu’un objet de gêne tence du cancer et à découvrir ceci :
pour ses semblables, porteur dans le il y avait bien des hommes, le courage,
regard d’une lueur insoutenable : il la dignité, l’innocence des enfants, la
nous regarde, et nous savons qu’il grâce des femmes, la sérénité des
pardonnera peut-être à. ses bourreaux, vieillards. Après la troisième vision,
mais pas à nous, pas à la terre, pas N uit e t Brouillard devient le récit
aux volcans, pas au soleil. bouleversant de la tendresse et de
l ’amour. Tous ces corps confondus
T-
aim ons-les comme s’ils étaient vivants,
car ils ne nous quitteront plus.
N u it e t brouillard nous montre
qu’au-delà de l ’horreur et de l’atroce, Jacques DONIOL-VALCROZE,

Deux im ages de la solitude


L’AMORE, film italien de R oberto R ossellini 1er épisode : L a V oce H umana
(La V oix H umaine ). Scénario : Roberto Rossellini d’après un acte de Jean Coc­
teau. Im ages : Robert Juillard. Décor : Christian Bérard. M usique : Renzo Ros­
sellini. In terp réta tio n : Anna Magnani. 2e épisode ; I l M iracolo (L e M iracle ).
Scénario : Federico Fellini, Tullio Pinelli et Roberto Rossellini. Im ages : Aldo
Tonti. Musique : Renzo Rossellini. In te rp ré ta tio n : Anna Magnani, Federico
Fellini. Production : Roberto Rossellini, Tever Films — 1947-48.

Après une attente de huit ans, voici d'ailleurs pas de cinéaste chez qui il
que sortent, sur les écrans parisiens, soit plus difficile de discerner ce qui
La Voix H um aine et t e Miracle, dont appartient au contenu et ce qui relève
le public des ciné-clubs n’avait connu de l'expression : c’est parce qu’il ne
qu'une version non sous-titrée. La pa­ recherche jam ais volontairem ent le
renté d'inspiration qui unit ces deux symbole que l ’art de Rossellini est im ­
m oyens métrages est plus étroite que m édiatem ent profondément symboli­
ne laisserait supposer le terme vague que, que ce « documentaire sur la
d ’A m our donné comme titre à l’en­ souffrance d'une femme » peut être
semble. Il s’agit dans les deux cas d’un considéré, sans aucune sollicitation
amour sans réciprocité, ou plus exac­ abusive de notre part, comme l'arché­
tem ent sans réponse. Ces deux histoi­ type de toute souffrance, de la souf­
res, pour être Signées, l'une de Cocteau, france même, l ’im age terrestre de
l’autre de Fellini, n'en traitent pas cette peine du d a m que l’Eglise con­
moins le thèm e commun à toutes les sidère comme plus terrible que celle
œuvres de leur metteur en scène : du se n s. Que Rossellini me pardonne
l'idée de la solitude à la fois physique d’insister sur l'aspect allégorique d’une
et morale. Les cris de l’amante délais­ œuvre qui, comme il l'a affirmé sou­
sée, la douce illusion de la folle ne vent lui-m êm e, ne se veut pas allé­
sont que les m anifestations particu­ gorie. Son m érite est, je le sais, de
lières de cet isolement, provisoire ou transfigurer la réalité par des ressour­
définitif, auquel, dans l’univers rossel- ces qu’il n ’emprunte qu’au réel et,
linien, chaque être, du fait de sa con­ puisque la seconde partie de l’œuvre
dition terrestre, se voit, en quelque fut taxée de sacrilège, qu’on me per­
manière, toujours condamné. m ette à m on tour, de prétendre qu’il
La Voix hu m a in e est donc plus n ’est pas un seul des passages les plus
qu’une performance technique, qu'un réalistes de ses films qui ne soit com ­
pur exercice de style. Je ne connais me l’écho, le reflet palpable d’un ordre

38
A nna M agnani dans L ’A m ore (L a v u ix hum aine) de R oberto Rossellini.

qui n ’est pas celui de la chair et de la choses telles qu’elles sont, mais du
créature, bref qu’il, se trouve être, temps dans sa durée exacte et indif­
même dans ses descriptions les plus férenciée n ’est pas étranger à l’affaire.
profanes, l’auteur le plus indiscutable­ La recherche de la « continuité » qui
m ent religieux, le seul peut-être, que n ’est, pour certains que parti pris
le cinéma, que l’art tout entier du XX e d'esthétique est proposé chez lui com ­
siècle, aient connu. me éthique. « C’est avec la m êm e
Le sketch célèbre de Cocteau, s’en­ h u m ilité, nous confiait-il, que fessa ie
richit donc à Técran d’une dimension de transcrire les grands gestes e t les
nouvelle, toute morale, et Qui me fait v e tits fa its n o rm a u x de la vie (1) ».
oublier, à mesure de son déroulement, D ’autres ont pu ou pourront s ’engager
ce que cette frénésie, cette impudeur dans la même voie, mais, n’étant pas
femelle peut avoir de déplaisant au nantis de la même conviction in t é ­
premier contact. Une mise en scène rieure, ce principe, ici vivifiant, n ’est
théâtrale n ’a d’autre pouvoir que de plus, chez eux, que procédé. Plus une
mieux étoffer le texte, alors que le ci­ technique est simple, plus elle doit
néma, tel, du moins, que le conçoit s ’armer de nécessité interne : si Ros­
Rossellini, nous aide au contraire, vis- sellini s’acquitte mieux que tout autre
à-vis de lui, à m ettre les distances. de ce morceau de bravoure qu’est une
Notre adhésion finale sera d’autant scène à un personnage, c’est que la
plus grande que nous avions au début, peinture de la solitude de l’homme sur
plus de peine à participer. Notre re­ la terre est, le leitmotiv quasi-unique
gard scrutera d'autant plus à fond de son œuvre.
qu’il a su prendre à l’avance un plus Nombre de mes confrères ont rap­
grand recul. Par quel mystère s’opère proché le thèm e du Miracle de celui de
cette sorte de retournement que tout la Strada. De là à gonfler l’importance
spectateur des films de Rossellini n ’a de la «collaboration de Fellini dans la
pu manquer, au moins une fois, d’ac­ seconde parte d ’Amore, il n ’y avait
complir ? Je ne me sens pas encore à qu’un pas, bien sûr. Ce genre de chi­
même de le décéler, mais tout me por­ cane est déplaisant, mais il serait dé­
te à croire que ce respect qu’observe le loyal de ne pas rendre à Rossellini ce
m etteur en scène non seulement des qui lui appartient. Sur le papier, la

(1) C aM ers d u C in é m a N° 37, j u i l l e t 1954.

39
Anna Magnani dans L ’Am ore (Le Miracle) de Roberto Rossellini.

folle du Miracle et Gelsomina ne sont conclusion suivante : « M a inten a n t,


pas, je veux bien, très différentes et (c'est le texte de Fellini que je cite (1)
les deux œuvres portent en elles la la grosse cloche se balance, m u e par
même signification, la m ême morale, u n e force exa lta n te et désespérée
qui est aussi celle de Strom boli ; que Elle se balance toujours plus fo rt, to u ­
l’être le plus proche de Dieu est le jours plus fo r t jusqu’à ce qu’u n coup
plus humble, le plus disgracié ; mais de cloche, ample, sonore, solennel,
alors que Fellini, dans son amour du tom be sur la vallée, descende en vol­
choquant, du baroque, du monstrueux, tig e a n t jusqu'aux m aisons des hom~
ne sait nous faire accéder à cette idée m.es, éparpillés là-bas, to u t au fo n d.
que par le truchem ent de rintellect, E t d’autres coups de cloche succèdent
c’est l’unité visible de la nature que au prem ier. D’autres pressés, joyeu x,
Rossellini s’applique, avant tout, à trio m p h a n ts, e t qui a n n o n cen t au
faire éclater. Et d'ailleurs, si ce der­ m o n d e que l’e n fa n t d u miracle, le
nier se montre dans ce film, plus en­ nouveau sauveur est né... Là h a u t,
core que dans Païsa ou A llem agne perdw à la cime du m ont, il y a u n
année zéro, en pleine possession de p e tit sanctuaire, u n m inuscule p o in t
son art, la recherche constante de noir à peine perceptible sur l’in fin i de
l'effet, la présence de clichés d'école, la voûte azurée. On en tend le son ar­
relents de Vigo ou de Stroheim, qui g e n tin d ’u n e cloche qui sonne, qui
émaillent les Vitelloni, la S trad a ou sonne,.. E t on dirait qu’il v ie n t du
Il Bidone, tém oignent d’un style qui ciel... »
se cherche encore. Signalons à ce su­
jet, que Rossellini a amputé la version La suppression de cette « cauda >
actuellement présentée d'une fin un n ’est pas sans altérer la signification
peu trop éloquente à son gré. Le film primitive de Pœuvre. D’après le scé­
se termine par les premières paroles nario, il n ’y a de « miracle » que dans
de la mère à son enfan t : « m io santo l’esprit de la folle, c’est une illusion,
fîiio » (mon fils chéri). Le scénario m ais que nous aimerions à partager.
intégralem ent tourné, comportait la Du propre aveu de Rossellini, le m ira-

(1) R e v u e d u C in é m a N° 14, j u i n 1948.

40
cle est, au contraire, un fait réel : et dans laquelle sa volonté n’entre en
« C’est une pauvre folle gui a u n e es­ rien. Je le suivrai volontiers, tout en
pèce de m anie religieuse, mais, en plus remarquant qu’il n ’est là rien de
de cette manie, la foie, vraie, profonde. contraire à renseignem ent de l’Eglise
Elle p e u t croire to u t ce qu’elle v e u t. pour qui le but de chaque chrétien est
Ce qu’elle croit p eu t être aussi blas­ l’im itatio n du Christ dans ses paroles,
p hèm e, je Vadmets ; mais, cette foi est dans ses exemples, et jusque dans sa
te lle m e n t im m ense Que cette fo i la ré­ vie même. Libre de penser que le M i­
com pense ; son geste est absolum ent racle peut se satisfaire d’une explica­
h u m a in e t norm al ; donner le sein à tion plus « naturelle » que celle que
son en fa nt. » (1). je suggère ici ; il n ’est pas nécessaire
Rossellini s’est toujours montré, à d’être croyant pour en apprécier les
propos de ce film, plus encore que des beautés. Mais je crois qu’un film de
autres, avare de commentaires. Mais Rossillini exige et, dirai-je, obtient de
ce résumé est un aveu ; ce n ’est pas nous un peu plus que cette complicité,
la poésie propre à la folie qu’il a vou­ cette adhésion de passage que nous
lu peindre, mais la grandeur de la foi accordons à toute œuvre de fiction.
qui sait triompher de toutes les folies, N’usant que des moyens de l ’art, il
comme ailleurs, dans Strom boli ou nous délivre de l'hypocrisie propre à
Europe 51, de tous les systèmes et d.e l ’amateur d'art, interdit ce dédouble­
toutes les raisons. « Cette œ uvre, ajou- m ent que requiert en général le spec­
te-t-il, n ’est pas u n sym bole : ces êtres tacle dramatique, nous jette dans un
son t ainsi, je les ai m ontrés tels q u ’ils trouble de pensées d’autant plus h a r­
son t : il n ’y a pas plus in te n tio n celantes qu’elles semblent naître au
d ’apologie que volonté de blasphèm e ». spectacle de la réalité même. Est-ce
En somme, d’après l’auteur, les assez dire ou trop peu ? Je ne pense
analogies précises que présentent les pas que ces films soient plus prenants,
attitudes de la M agnani avec telle ou plus émouvants que d’autres, mais
telle scène de la Passion, popularisée d’une espèce d’émotion différente,
par deux m ille ans d'iconographie d’un autre ordre, comme disait Pas­
chrétienne sont un •fa it indiscutable, cal, et c’est cela qui compte.
une conformation des choses mêmes Eric ROHMER.

Un film ottocratique
THE MAN WITH THE GOLDEN ARM (L’HOMME AU BRAS D ’OR), film
américain d’Orro P reminger. Scénario : Walter Newman, Lewis Meltzer, d’après
le roman de Nelson Algren. Im ages : Sam Leavitt. Musique : Elmer Bernstein.
Décors : Darrell Silvera. M ontage : Louis R. Loeffler. In terpréta tion : Frank
Sinatra, Eleanor Parker, Kim Novak, Arnold Stang, Darren McGavin, Robert
Strauss, John Conte, Doro Meraude, George E. Stone, George Mathews.
Production : Otto Preminger, 1955.

projet de filmer Bonjour Tristesse n’in ­


firme pas ce postulat.
Depuis 1953 et La Lune é ta it bleue
dont il était producteur — Preminger Il ne faudrait pas pour autant se
a de plus en plus fondé sa carrière sur hâter de ranger Preminger parmi les
les films « osés soit qu’ils s'attaquent bons techniciens, à refuser de voir en
directement aux tabous de la censure, lui un auteur de films, dans le sens où
soit que leur originalité constitue par l ’on emploie volontiers ce terme au sein
elle-même un gage certain de publicité. des Cahiers: s’il est avant tout metteur
Ce n ’est donc pas dans le domaine des en scène, ce rôle implique à ses yeux
thèmes profonds qu’il convient de tant de responsabilités, d’exigences,
s’aventurer pour retrouver Otto : n ’im ­ d’impératifs, que son style marque la
porte quelle histoire lui convient, si moindre de ses œuvres.
tant est qu’elle fera du bruit, et son Ce style demeure pour certains un

(1) C ah iers d u C in é m a N ° 37, j u i l l e t 1954.

41
m ystérieux point d’interrogation. Il longue routine responsable de la jau ­
faut alors croire qu’ils ne se sont nisse qu’attraperait le pire technicien
jamais .posés beaucoup de questions sur à la projection des « rushes » du m eil­
la mise en scène, ou bien qu’ils cher­ leur plan de L’H om m e au Bras d’Or.
chaient à résoudre de faux problèmes. Cette parenthèse refermée, hâtons-
Quoiqu’il en soit, L'H om m e au Bras nous, pour notre part, de remercier
d ’Or devrait faire réfléchir les détrac­ Preminger de ces « im perfections » qui
teurs d’Otto et, plus simplement, ceux lui ont permis de réussir un m erveil­
qui l’ignorent, car de tous ses films, leux opéra cinématographique où la
c’est celui où il se livre le plus, nouvelle beauté se mêle subtilem ent a u cocasse
preuve que l’on doit attendre beaucoup le plus débridé, où chaque idée — et il
des productions indépendantes qui se y en a — force l ’a-dmiration tout en
m ultiplient actuellem ent aux Etats- donnant l ’envie de faire un clin d’œ il
Unis. Un m etteur en scène y jouit d’une complice à son auteur, tels ces deux
liberté totale et peut faire ce qui lui travelling successifs qui viennent
serait interdit dans l’une des grandes cadrer en gros plan les pupilles de
com pagnies et plus encore en France, Sinatra, dilatés avant la piqûre, con­
pour d e . tristes motifs, comme vous tractées après. S i l’exubérance est,
î’allez voir. comme certains le pensent, la marque
Chez Preminger, cette liberté est de la jeunesse, celle-ci étant elle-m êm e
source d'une rare frénésie technique : fonction de l’âge du réseau artériel,
la caméra danse autour des personna­ plus d’un cinquantenaire pourrait
ges, fonce au milieu du décor et se envier les artères d’Ofcto ; jouant avec
retrouve sans prévenir à la hauteur du une candeur roublarde les enfants ter­
deuxième étage : plus d’une fois, le rible, il s’amuse ferm e à m ener sa
cam eram an ne doit d’avoir la vie sauve barque et s'il baille sur notre photo,
qu’à la promptitude des réflexes d’un imité d’ailleurs par Sinatra, ce n ’est
m achiniste qui empêche in extrem is la pas d’ennui, mais pour indiquer un jeu
grue de passer sous une voiture ou de de scène.
tomber par la fenêtre : cela dit presque L'Homme au B ras cPOr ne nous m é­
sans exagération. On s’étonne de ne nage pas les surprises, la moindre
pas entendre dans la bande sonore les n'étant pas d'y découvrir un Preminger
jurons de l’équipe technique tem pêtant très germanique. On sait l ’influence
contre ce sacré Otto qui choisit tou­ que le cinéma des années trente exerça
jours pour faire un plan la solution la sur la production hollywoodienne. Dans
plus difficile, d’autant que le temps de l ’œuvre de Preminger elle demeurait
tournage était très réduit. Et si nous assez dissimulée, se m anifestant plus
sommes particulièrement sensibles à ce sous forme d’une tendance générale
constant effort physique, c’est que la que par des détails précis. Et pourtant,
virtuosité contrariée par la nécessité tout semblait prédisposer ce Viennois,
de tourner vite fait que dans chaque émule de Max Reinhardt, à prendre la
plan se m ultiplient les ombres de suite de la grande tradition germ ani­
caméra ou de micro, les reflets de pro­ que des Murnau, Lang, Ulmer, H itch­
jecteurs, que dans les travellings avant cock. C’est m ain ten ant chose faite.
nous voyons souvent le mobilier s’esca- L’histoire se déroulant dans un lieu
m oter rapidement de chaque côté du clos, Preminger retrouve spontaném ent
champ (ce qui ne fait d’ailleurs qu’ac­ le style du ka m m ersp iele et, du même
croître la sensation de vitesse). Bref, coup, le décor, conçu en fonction de la
nous ne sommes plus spectateurs, mais mise en scène, celui de Cari Vollbrecht
nous participons au travail : nous som­ ou d’Eric Hasler, parenté qu’accentue
mes sur le plateau, aux côtés du m et­ un certain côté vieillot ; n ’étaient la
teur en scène. Il ne faudrait pas croire télévision, l'aérodynamique des carros­
que Preminger n ’en est pas conscient : series et le style des strip-teases, nous
avec le dernier plan, dans un vertigi­ croirions volontiers que l’action se situe
neux élan en arrière, il nous offre en il y a vingt ou trente ans. Jusqu’aux
supplém ent l ’extrémité du chemin de figurants dont la démarche obstinée et
travelling et les projecteurs eux-mêmes. lasse évoque l’allure des passants de
Voilà pourquoi L’H om m e au Bras YAurore.
d’Or serait un film rigoureusement De même que le « bras d’or » sert
impossible à faire en France, à cause pour donner les cartes, jouer de la bat­
d’une censure bien plus grave que tou­ terie ou recevoir la piqûre, il y a au
tes les censures d’état ou de produc­ moins trois façons d’apprécier ce film,
teurs timorés : celle engendrée par une et de m ultiples raisons de l’aimer. Pour

42
O tto P re m in g e r m o n tra n t à F ra n k S în a tra co m m en t il faut bailler dans L ’H o m m e
au bras d ’or.

conclure, à ceux qu’étonnerait la ligne générique de Saul Bass, promoteur m a-


de points en tête de cet article, je dirai clarenien d’une nouvelle esthétique du
qu’elle exprime mon regret après une titre dont Sept ans de R éflexio n nous
vision unique (mais qui ne le restera avait donné un avant-goût prometteur.
pas) d’avoir manqué les premières m i­
nutes du film et, par conséquent, le Charles BITSCH.

Une tragédie musicale


LOVE ME OR LEAVE ME (LES PIEGES DE LA PASSION), film américain
en Cinémascope et Eastmancolor de Charles Vidor. Scénario : Daniel Fuchs
et Isobel Lennart, d'après une histoire de Daniel Fuchs. Im ages : Arthur E.
Arling. M usique : chansons de Nicholas Brodszky et Sammy Cahn, Chilton Price,
Irving Berlin, De Sylva, Brown et Henderson, Walter Donaldson, Arthur Freed,
Gus Kahn, McCarthy et Monaco, Rodgers et Hart, Turk et Ahlert, arrangements
de Percy Faith et George Stoll. Décors : Edwin B. Willis. M ontage : Ralph E.
Winters. In terp réta tio n : Doris Day, James Cagney, Cameron Mitchell, Robert
Keith, Tom Tully, Harry Bellaver, Richard Gaines. Production : Joe Pasternak-
M.G.M., 1955.

Je ne sais rien de plus émouvant que nous Tavoir si bien racontée. Le mérite
l ’histoire d’un amour déçu et il faut est d’autant plus grand qu’il n ’y a rien
féliciter les scénaristes de Love m e or de plus banal au monde qu’un amour
Leave m e (Les pièges de la passion) de non partagé (d’où le danger permanent
de tomber dans le mélodrame) et rien m ent extraordinaire. Quel travail e t
de plus pénible aussi car à l ’obstination quelle réussite trop brève à mon goût
vaine de l'amoureux répond la malice car le reste du film, fort honnêtem ent
et la mauvaise foi naturelles de la fem ­ réalisé par m a foi, n ’atteint pas, à
me, merveilleusement apte à profiter beaucoup près, le brio de ces quelques
de tous les avantages de cette situation, minutes de très bon cinéma. Mon Vidor
très fréquente comme l’on sait. n ’est pas Minnelli (il lui manque la
Tout le film n e sera donc qu’une lita­ délicatesse de touche et la subtilité de
nie d’imprécations, une série de varia­ son illustre confrère), ni Cukor (dont il
tions sur le thème unique de l’amour n ’a pas le sens du paroxysme). Il ne
sans espoir, chaque scène reprenant s’agit donc pas d’un film de metteur en
littéralement la précédente u n to n au scène au sens où l’admirable A sta r is
dessous. A l’exaspération croissante de b o m en est un. Quel est le technicien
l’homme honteux et ulcéré répondent du cinéma qui ne reconnaîtra pas avec
le refus, la résignation et les larmes. Ce' moi que les vingt-cinq premières m inu­
crescendo passionnel que le crime seul tes de A star is born sont d’une richesse
interrompt, comment se fait-il qu’il dïnvention et d’une sûreté de m ain
n ’engendre jamais la monotonie ni la exceptionnelles ? -Ici, à part de çà et là
gêne ? Peut-être parce que Charles quelques détails et la séquence du m on­
Vidor, le metteur en scène, a choisi le tages dont j,’ai déjà parlé, rien de pareil.
parti-pris de la pudeur. Il ne cherche Heureux Vidor ! La réussite de Gilda
jamais à nous apitoyer et si nous finis­ tenait à la présence de Rita Hayworth
sons par nous ranger du côté du m a l­ et à la photographie de Maté, celle,
heureux héros de cette histoire (un moins évidente de Cover Girl à Rita
•petit gangster de quartier) c’est en rai­ Hayworth toujours et aux danses de
son 'précisément de sa très naïve Gene Kelly, celle de Love m e or leave
vanité: il a une manière assez tou­ ■me tient aux scénaristes, au monteur,
chante de ne jamais perdre la face. à rétonnant James Cagney, à Doris
L’ultime séquence du film mérite Day enfin. Doris Day n ’est pas Judy
une mention particulière : Marty Sny- Garland cette femme-orchestre, m oins
der notre gangster qui, après avoir encore Cyd Charisse dont elle n ’a pas
essayé sans succès de supprimer son l’extraordinaire éclat ni le génie des
heureux rival est abandonné, ruiné et gestes, mais je souhaiterais que nous
poursuivi pour meurtre, est aussi dé­ en ayons l’équivalent en France. Elle
possédé de la dernière arme qui pouvait se tire fort bien de l’affaire avec des
lui permettre de conserver sa femme : airs aussi connus que It's ail dep en d on
la reconnaissance. Grâce à lui Ruth you et Y o u ’re m ea n to m e et elle tire
Etting avait pu, en effet, sans trop de le maximum d’une mélodie assez pau­
dommages, gravir les échelons qui m è­ vre comme Never loolc back. J’ai le sen­
nent d’entraîneuse de bastringue â la tim ent qu’elle s’est perfectionnée de­
situation enviable de chanteuse de puis le temps déjà lointain de Tea fo r
charme N° 1. Elle s’acquitte d’un seul two (No no, N anette) et sa voix m oel­
coup de sa dette en acceptant de chan­ leuse fait merveille dans la chanson
ter dans la boîte de n u it qu’il vient tendre.
d’ouvrir et qui, sans son concours, serait Un scénario parfaitem ent insolite
obligée de fermer ses portes. Le mira­ (c’est la première fois sauf erreur que
cle qu’on pouvait espérer ne se pro­ le cinéma traite de plain-pied un sujet
duira pas et c’est bien ainsi car la der­ pareil), quelques belles trouvailles tech ­
nière scène est très belle. niques, des airs charmants chantés par
Toute cette histoire est, paraît-il, la une femme charmante, tout cela fait
vie de la fameuse chanteuse Ruth un film parfaitem ent agréable et quel­
Etting, d’où l’abondance de numéros quefois émouvant. Sans doute les lois
musicaux dont Vidor use avec ingénio­ du genre ne sont-elles pas respectées
sité pour rompre en temps opportun et bien plus que d’une comédie m usi­
une ambiance quelquefois très tendue. cale s’agit-il finalem ent d’une tragédie
Ce n ’est donc qu’accessoirement une où il arrive quelquefois que l ’on prenne
« comédie musicale » sans que, pour les choses au tragique, sans doute aussi
autant les droits de ce genre, aimable ne peut-on parler de mise en scène...
et difficile entre tous, soient sacrifiés. Il n ’en reste pas moins que par com pa­
Bien au contraire ! Nous devons même raison à ta n t d’insanités qui encom ­
au monteur Winter une séquence de brent ces jours-ci nos écrans, ce film
surimpressions qui évoque les airs célè­ est une manière de réussite.
bres de la chanteuse et qui est propre­ Jean DOMARCHI.

44
Doris Day dans Love m e or Leave me de Charles Vidor.

Oscar et le petit m arin


THE ROSE TATOO (LA ROSE TATOUEE) film américain en VistaVision de
D aniel M ann. Scénario : Tennesse Williams, d’après sa pièce. A d a p ta tion : Hal
Kanter. Im ages : James Wong Howe. Musique ; Alex North. Décors : Sam Corner,
Arthur Krams. M ontage : Warren Low. In terp réta tio n ; Anna Magnani, Burt
Lancaster, Marisa Pavan, Ben Cooper, Virginia Grey, Jo Van Fleet, Sandro
Giglio, Mimi Aguglia, Florence Sundstrom, Production : Hal B. W allis-
Paramount, 1955.

L’univers romanesque (Le P rintem ps être réussie, doit tenir compte du fait
rom ain de Mrs Stone), ou théâtral CLa qu’à la base de ce théâtre du sexe et
Ménagerie de verre, Etés e t fu m é e s, des nerfs, de cette physiologie du
Un Tram w ay n om m é Désir, La Rose refus, l ’homosexualité est le facteur
ta to u ée) de Tennesse Williams, est déterminant. Blanche Dubois, dans Le
celui des femmes qui ne peuvent pas Tram w ay nom m é Désir, ne deviendrait
faire l’amour. A partir de cette frus­ pas folle si son mari n ’avait pas aimé
tration' des héroïnes, dont l ’âge moyen les garçons.
se situe assez près de la quarantaine,
s’organise tout un jeu de complexes Le rôle de S 6rafin a de La Rose T a ­
qui tend vers la même conclusion touée fut écrit pour Anna Magnani,
affirm ée ou sous-entendue : le refus que Tennessee Williams rêvait de faire
de la femme. jouer à Broadway. Plus exactement,
sem ble-t-il, pour l ’idée que l’écrivain
Contrairement à l ’opinion établie, je se faisait de l’actrice. C’est pourquoi
ne vois pas le moindre inconvénient La Rose Tatouée se déroule dans le
à parler de corde dans la m aison d’un milieu des émigrés siciliens de Floride,
pendu. L'adaptation à l'écran de toute sorte de cadre exotique approprié au
œuvre de Tennessee Williams, pour tempérament volcanique de la Ma-

45
gnani. La pièce boîte ; cette passion­ au théâtre, La Rose Tatouée se dérou­
née n e pouvait interpréter un person^ le-t-elle dans un clim at morbide (Lila
nage de névrosée. Tennessee Williams Kedrova, au Théâtre Gramont, s'ac­
a dû le sentir ; il a essayé., par de mal­ cordait mieux à son optique). L'adap­
habiles artifices, de justifier sa pré­ tation de Daniel Mann est ratée. Pas
sence dans un univers auquel elle ne tant à cause de l ’inexistence de la
colle pas. La pièce finit bien. Sérafina mise en scène, où l’on ne trouve pas
retrouve un homme parce que la une seule Idée cinématographique,
Magnani ne 'saurait rester frustrée. qu’à cause du manque de subtilité
Mais tout le processus habituel, frus­ dans la suggestion des ressorts secrets
tration d’abord (son mari étant mort, de l’intrigue. Au lieu de faire planer
Sérafina s’obstine â vivre dans le sou­ le doute sur le sexe d'Estelle, Daniel
venir, cloîtrée devant une urne funé­ Mann a effém iné à outrance les pro­
raire), refus ensuite (ce mari extra­ tagonistes masculins. Le s u n e tête de
ordinaire avait trompé Sérafina et clown sur le corps de m o n m ari » par
porté ailleurs ses élans charnels) est lequel Sérafina d éfin it Alvaro, sert de
truqué au départ, par la mise en situa­ prétexte aux folâtreries grotesques de
tion d’un personnage mensonger, ce­ Burt Lancaster, assez m al à l'aise. Et
lui d’Estelle. Pour que le déséquilibre Ben Cooper (le petit m arin), dont
nerveux de Sérafina ait un sens, il l'ambivalence avait dans J o h n y G ui­
faut que tout se passe comme si la tare, face à la virilité de Joan Craw-
« maîtresse » du camionneur défunt ford, une résonance tragique, semble
était en réalité un petit ami. Alors, sortir d’un numéro spécial du « Cra-
tout s'explique : le symbolisme des pouillot ».
tatouages, la chem ise de soie rose, la Rien ne correspond au vrai Ten­
manière dont la femme bafouée réagit nessee Wiliams. Kazan n ’est pas passé
en apprenant la vérité, son recul de­ par là. Comment expliquer, alors, le
vant Alvaro lorsqu’il apparaît avec une succès de La Rose Tatouée et ses
rose sur la poitrine, ses craintes lors­ Oscars ? Le numéro de la Magnani a
que sa fille tombe amoureuse d’un pe­ tout fait. Elle a repris le personnage
tit m arin américain au pantalon trop à son compte, l’a passé au crible de
collant ; ce genre de garçon apparte­ son extraordinaire tempérament. Cela
n a n t à la mythologie homosexuelle, n ’a rien à voir avec ses interprétations
Sérafina réagit comme une Blanche dirigées par Rossellini et Renoir. Mais,
Dubois qui craindrait pour sa fille dans un rôle, écrit peut-être mais pas
l’aventure dont elle a cruellement pâti. fa it pour elle, elle arrive à être adm i­
C’est ainsi qu’à Broadway on manie rable.
l’équivoque. Ces Intentions ne convien­ Il est vraiment dommage qu’elle
n en t pas à la Magnani, et Tennessee n'ait pas été chargée de diriger Daniel
Williams a frelaté ce qui dans ses au­ Mann.
tres pièces apparaît comme l’expres­
sion d'un profond désespoir. Du moins, Jacques SICLIER.

Une leçon de conduite


GRAND HOTEL. Film américain d ’EDMUND G oulmng . Scénario tiré du roman
de Vicki Baum. Im ages : William Daniels. Musique : Blanche Sewelod. I n te r ­
prètes : Greta Garbo, Jean Crawford, John Barrymore, W allace Beery,' Lionel
Barrymore, Lewis Stone, Jean Hersholt, Robert McWade, Purnell Pratt, Edwin
Maxwell. Production : M.G.M., 1932.

L’actualité dévore et disperse et mort en elles lorsqu'elles virent le


toujours son tourbillon réussit à nous jour ? Tant de film s paraissent démo­
prendre de vitesse. Peu importe que dés, qui ne sont et ne furent jam ais
ce film soit vieux de plus de vingt ans, que des morts-nés. Toute oeuvre garde
car c’est au présent qu'il faut en par­ l ’âge qu’elle avait à sa naissance, et
ler. Ce qui vieillit dans les œuvres, serions-nous assez étourdis pour dé­
n’est-ce pas en effet ce qui était déjà clarer chevrotantes les bandes de

46
Jo a n C iaw fo rd et W all ace Beery dans G rand H ô tel d’E d m u na
Goulding,

Gritfith ? Que l’on me pardonne plusieurs l'ennui d'un seul inspire­


d’avoir aligné ces évidences ; il me rait.
fallait d’abord régler leur compte aux Goulding a donc pris ce sujet pour
délicieuses agaceries du temps qui ce qu’il était. H y a souligné l ’unité
passe et au parfum des fleurs séchées. de lieu, et com m ent ne pas voir, dans
Or, si G rand Hôtel porte sa charge les scènes auxquelles il confie ce soin,
de bois mort, il le fait allègrement et une référence explicite au Dernier des
sans prétendre le cacher : c'est fort H om m es de M urnau (1). Mais il n ’a
bien ainsi, une démarcation prodi­ cherché autrem ent à, renouer les fils
gieusement nette s’établissant entre de l’intrigue sans rigueur qui lui était
le livre tout à fg.it indifférent de Vicfei offerte, n a sim plem ent fait le tra­
Baum et le travail remarquable du vail négligé par le romancier et le
metteur en scène Edmund Goulding. travail n'était pas mince, il a donné
La plupart des médiocres romanciers consistance à ses personnages, il a di­
dissimulent leur incapacité de créer rigé ses acteurs.
en parant d'une unité tout extérieure Direction qui ne considère pas les
une suite de notations ' à peine ébau­ acteurs comme du bétail et ne cherche
chées. Habitants d'une même rue, pas à les p liera des démons personnels;
membres d’une même famille, tout assez ferme, cependant, pour leur
prétexte est bon à d'interminables ro­ faire exprimer sans faillir ce qu’ils
mans; l'unité de lieu apporte la ga­ portaient en eux. Goulding montre
rantie d'une construction à un îatras en celà beaucoup de discernement et
d'épisodes dont le manque d’invention de détermination; s’agissant de m ons­
saute aux yeux : mais elle n ’est guère, tres sacrés comme de comédiens plus
en pareil cas, utilisée du point de vue dociles, il fait donner à chacun d’eux
dramatique, elle fournit seulement la le maximum de ses possibilités expres­
commodité de trouver rassemblés des sives e t y em ploie les moyens les plus
personnages divers et de répartir sur divers. Ainsi John Barrymore, acteur
(1) Ainsi n ’est-ce pas coïncidence si l’on retrouve ici le thèm e visuel de la porte to u r­
n an te : certain plan de voiture rangée le long du tro tto ir devant la porte, est le même due
dans le film de M urnau, Et il y a aussi certain travelling av an t à la grue dans le h all de
l ’hôtel, qui me p a ra ît fo rt inspiré de la célèbre ouverture dxi Dernier des Hommes,

47
sans grand relief à mon sens, a d’ex­ incitant au lieu de tenter de la conte­
traordinaire son profil. Le faire jouer nir, et l ’y incitant au delà de tout ce
de profil est une idée de photographe; qu’elle eût osé sans invite. Garbo fut
jouer sur ce profil est une idée de en effet la fem m e d’un seul rôle, et
metteur en scène et c'est ce que fait Goulding l ’aide à le porter à son p a ­
Goulding, soit qu’il l ’am ène à une roxysme qui est aussi son point de
volte face autour d’un autre acteur, perfection. SI elle fut pour beaucoup
soit que contre toute attente, il le sou­ la Divine, il est manifeste, tout au long
m ette à une immobilité, alors dram a ­ de G rand Hôtel que la pensée l ’en
tiq u em en t ressentie. Chaque acteur est habitait aussi jusqu’à la hantise : le
ainsi l'objet de soins différents, pro­ m ythe n e fu t possible que parce
pres à provoquer chez Joan Crawford qu’elle en était le plus fervent adepte.
ses regards, chez Wallace Beery ses A i-je dit mythom ane ? Le tragique
moues, chez Lionel Barrymore sa ner­ d'une personnalité aussi tentaculaire
vosité et ses gestes hésitants, et Goul­ est bien de n ’avoir pu s’exprimer que
ding y apporte toujours assez de dans les apparences les plus fugaces,
souplesse pour éviter de verser dans dans les reflets les plus dérisoires.
les numéros d'acteurs, assez de m aî­ D'où cette frénésie et cette volonté,
trise aussi pour se permettre de jouer tendue à l’extrême, de suspendre l ’ins­
sim ultaném ent sur des registres di­ ta n t qui va suivre en *prolon géant des
vers, dans des scènes souvent com­ mimiques insensées pour le faire a t­
plexes où chacun continue dans le ton tendre et redouter tout à la fois. Welles
qui lui a été assigné. Il faut un sens a au m oins la chance de pouvoir s ’ex­
très sûr de la situation pour conser­ primer en bâtissant pour lui seul de
ver une telle aisance, dont je retrouve fascinants Xanadous; Welles qui dut
l’équivalent dans la mise en scène de comprendre assez Garbo pour s’e f­
Mankiewicz. frayer de la comprendre, ou me trom -
H semble bien que les m etteurs en p é-je si j'avance qu’il pensait à elle
scène de Greta Garbo se soient le plus lorsqu'il dirigeait Dorothy Commin-
souvent résignés à la subir, dans la gore dans les scènes d’opéra de Citizen
mesure où la responsabilité et le K ane ? C'est pour elle seule aussi que
contrôle leur échappaient, de ses fré­ joue Greta Garbo et il est naturel
missements, de ses transes, de ses qu’elle le fasse sans pudeur, la dé­
spasmes et de ses prostrations. Ainsi m ence est impudique car elle s’ignore
Pabst, Stiller, Mamoulian, Lubitsch d ifféren te. Son spectacle ne laisse
échouèrent à la maîtriser et visible­ place qu’à la gêne et à la stupeur et
ment, la subirent. Goulding a le m é­ Fenvie de fuir n ’y est balancée que
rite de réussir à la diriger ici — selon par une égale terreur.
sa propre pente sans doute, mais l'y Philippe DEMONSABLON.

Comment s’en d éb arrasser ?


VOICI LE TEMPS DES ASSASSINS, film français de J ulien D uvivier .
Scénario : Julien Duvivier, Charles Dorât, Maurice Bessy. Im ages : Armand
Thirard. Musique : Jean Wiener. In te rp ré ta tio n : Jean Gabin, Danièle Delorme,
Lucienne Bogaert, Henri Vilbert, Robert Arnoux, Liliane Bert, Robert Pizani,
Gérard Blain, Germaine Kerjean, Gabrielle Fontan, Jean-Paul Roussillon.
Production : C.I.C.C. - S.N. Pathé Cinéma - Georges Agiman, 1956,
« A h ! il fa u t bien le dire, n ous
som m es mai, nous som m es très
m al avec le tem p s »
André BRETON, 1929.
Un beau matin, débarque a u ’ quar­ de son ancienne épouse et qu’elle se
tier des Halles une jeune fille de vingt trouve, depuis peu, orpheline. Peu à
ans. Elle se présente chez André Châ­ peu, sous sa naïveté provinciale, dont
telain, restaurateur en renom, à qui elle se sert comme d’un masque, nous
elle apprend, tout de go, qu’elle se discernons son véritable visage et ses
nomme Catherine, qu'elle est la fiUe intëntions profondes. En fait, sa mère

48
n'est pas morte à Marseille, mais Vit, que jamais plus, parce qu’on falsifiait
avec 2e secours de la drogue, dans u n les denrées qui entrent dans la fabri­
hôtel du quartier. Pour des raisons cation des hosties. Je veux dire que
strictement pécuniaires, elle a conçu chez Duvivier, comme chez ses illustres '
pour sa fille un monstreux projet en devanciers, la preuve par le fait-divers
trois étapes : se faire adopter, se faire (ou le fait tout court) est le garant du
épouser, devenir enfin l’héritère de réalisme. « Est-ce que vous allez m e
son époux. dire que ceci est extraordinaire ? dé­
Le sujet, on le devine, peut se prêter clare Duvivier. J e p e u x vous citer des
aux plus brillantes comme aux plus exem ples avec des n o m s ». Voilà l'aveu
scabreuses adaptations. U offre une significatif d’une forme de réalisme
matière première trop proche de la vie qui répond à l'esthétique naturaliste ;
pour porter en elle la chance assurée . celle-ci est fondée sur un postulat :
d’une réussite. Comme la vie, il est à l’affirmation d'une solution de conti­
la fois la promesse du meilleur et la nuité entre le domaine des faits et le
tentation du pire. domaine de l ’esprit. Issue du Positi­
visme d’Auguste Comte et, comme
En relevant le défi, Julien Duvivier telle, imbue de matérialisme, elle pos­
redore un peu le blason du cinéma tule avec Huysmans le lien entre la
français. Son travail est d’une tenue transsubstantiation et la composition
irréprochable ; il témoigne d’une fran­ chimique des hosties, comme elle cau­
chise, assez rare chez nos réalisateurs, tionne les entreprises artistiques à
toujours à l ’affût de l'effet, pour qu'il l ’aide de faits-divers et de statistiques
soit permis de s'en étonner. (Cela arrive fréq u em m en t, dit encore
Par exemple, l ’histoire : elle se dé­ Duvivier de son histoire). Et nous en
roule dans le quartier des Halles. On arrivons à la grande règle naturaliste
pouvait parier que le pittoresque de en matière de psychologie : l’explica­
l’endroit donnerait lieu à des « scènes tion par le milieu et l'hérédité.
de genre » pim entées d’expressions Car c’est bien dans le passé des per­
savoureuses, choses vues, saisies sur sonnages que nous devons chercher
le vif. Nous connaissons le danger de leur justification psychologique. Le
telles scènes : elles noient le récit sous comportement du quinquagénaire Ga-
le prétexte du documentaire. Or, Duvi­ bin, ses excès de bonté, ses accès de
vier — et ce n ’est pas un mince mérite colère, nous les comprenons parfaite­
— s’est refusé toute diversion hors de m ent dès que nous savons son aven­
son récit ; la couleur n ’empiète pas ture et ses déboires avec sa première
sur le dessin ; il s'est un peu attardé épouse. De même, nous trouvons pres­
dans la caricature du beau monde de que naturel que celle-ci ait forgé le
la financé, qui han te ce haut lieu satanique projet de faire épouser son
gastronomique, encore l’a -t-il fait ancien mari par sa propre fille ta n t
avec sobriété et sans qu'en souffre la abondent les mobiles capables de la
conduite de l’intrigue. déterminer dans ce sens : débauche,
Aux deux pôles de l ’inspiration, il y misère, drogue.
a deux façons de parler des Halles : C'est cette préoccupation de charger
celle d’André Breton, qui y poursuit sa le moindre geste de toute une généalo­
quête du Merveilleux (« les m a g n ifi­ gie qui tue dans l’œ uf le germe de
ques cubes blancs, rouges, verts des merveilleux que pouvait receler le
‘p rim eurs :>) et celle de Duvivier, dont
le réalisme est l’héritier direct du sujet à l’origine. Le Merveilleux ne
Naturalisme de Zola et du premier peut éclore librement à l’ombre d’une
Huysmans (1). Si la première ne va esthétique naturaliste. Il lui faut l’in ­
pas sans une réflexion morale (Allons ! sécurité d’une météorologie détraquée.
c’est se u le m e n t d ans les contes qu'il L’intérêt du réalisme am éricain et
est im possible au doute de s’insinuer, du néo-réalisme italien est précisé­
qu'il n ’est pas question de glisser sur ment, en se situant aux antipodes
une Écorce de fr u it — André Breton), d’un naturalisme périmé, de remettre
la seconde fait la part plus belle à le mystère au cœur de l ’homme. L ’im ­
cette honnêteté qui faisait dire à prévisible, l’inattendu, le merveilleux
Huysmans que le m ystère de la trans­ sont à ce prix. James D ean et Kiss m e
substantiation ne se produisait près- âeadly nous en assurent. L’esthétique

(1) Compte ten u , bien entendu, de toce


u t que ce dernier doit à Des Esseintes, ne
serait-ce que sa to rtu e sertie de diam ants.

49
4:
naturaliste est im puissante à les sai­ créatures débitrices d'un m ensonge
sir ; seule peut s’en approcher une volé à leur créateur .et n e m e faire
psychologie du comportement. citer Cocteau qu’à contre-sens ;
Pourtant Voici le te m p s des assassins « L’A rt est u n m ensonge qui d it la
est autre chose que le dernier sursaut vérité ».
d’un cadavre qu’aucun procédé de Par sa nouveauté, le personnage de
respiration artificielle ne pourrait plus Catherine introduit, dans les rouages
rendre à la vie. En définitive, le film bien huilés du film, le seul grain de
ne m e semble sauvé que grâce au per­ sable capable de déranger le confor­
sonnage que campe Danièle Delorme. misme du cinéma français. Mais, avan t
Catherine est, en effet, le seul per­ tout, une question se pose : Catherine
sonnage du film qui ait échappé au est-elle la fille du hasard ou l'augure
contrôle de Duvivier ; et, cette liberté, d’une proche métamorphose de l ’art
ce n ’est pas tant à son caractère amo­ de Duvivier (2) ? De la réponse, dé­
ral qu’elle la doit qu’à l'ambiguité que pend le sort d'un cadavre : le n a tu ra ­
lui confère le constant mensonge lisme.
qu'est sa vie. Car voilà bien le para­
doxe de Fart : rendre la vie de ses André S. LABARTHE.

N azism e? Connais pas


i0835 S ’EN VA T ’EN GUERRE, cfilm allemand de F atji, M ay. Scénario :
(Ernst Von Salomon, d'après le roman de Hans Hellmut Kirst. Im ages : Georg
Krause. M usique : Rolf ïWiîhelm. Décors : Fritz Môgle et Toni Blchl. I n te r p r é ­
ta tio n : O.-E. Hasse, Armin Dahlen, Rolf Kutschera, Rainer Penkert, Paul Bosiger.
Helen Vita, Eva ïngeborg Seholz, Production : Divina, 1955.

Le premier épisode de OS/15, « La ré­ lieu, c'est ce pauvre p etit Vierben, an­
volte du Caporal Asch 2 pouvait à la cienne tête de Turc de Schnulz, qui,
rigeur faire illusion et passer pour un sorti de la caserne, est devenu u n ex­
film antim ilitariste. Le titre en forme cellent soldat.
de ritournelle dont on a afflublé le
2? épisode, en donne, par contre, la Le nazisme ? Cela n'a jam ais existé.
mesure exacte. L’antim îütarism e sup­ La satire peut avoir de saines yertus.
posé devient réflexion attendrie et juste Celle-ci, hélas, est fausse et l’o n voit
amère sur les bords. La vie d’une bat­ très bien pourquoi.
terie allemande sur le front russe en­
neigé de 1942, se déroule selon les rites L'entreprise 08/15 a eu pour résultat
transposés de Courteline, U n Courteline immédiat de faire fleurir en A llem a­
revu par quelque épais humoriste teu­ gne des brasseries où l'on se coiffe de
ton. Les qualités de m etteur en scène bonnets de papier ornés des fam eux
de Paul May se confirment, mais il chiffres en braillant des refrains guer­
veut nous faire prendre des vessies pour riers. Je ne crois pas qu’Hans H ellm ut
des lanternes, aidé par les adapteurs Kirst ait voulu cela; il prétend que le
de l'inépuisable roman de Hans Hell­ cinéma a trahi son roman, d’ailleurs
m ut Kirst. Bref, l’honneur de l'armée ennuyeux et prudent jusqu’à la co n fu ­
allemande est sau f ; il suffira de chan­ sion.
ger quelques officiers, comme ce fan­ Mais l’œuvre de Paul May se révèle
faron d e Witterer qui fait l’idiot pour de plus en plus m alhonnête et le troi­
gagner des galons, et l’on repartira du sième épisode est déjà lancé dans lé
bon pied. Les adjudants-chefs, leur circuit commercial. Il n e tardera pas à
cause est entendue depuis le 1er film nous arriver. T ant d’uiüformes, e n un
et d'ailleurs, ils on.t m onté en grade. an, c’est un peu trop.
S’il y a une victim e dans cette guerre
dont on ne sa it Jamais pourquoi elle a Jacques SICLIER.

(2) La te ch n iq u e de Duvivier, aussi fluide que celle de Dassin, n 'e st pas ici en cause,
mais sa vision du monde.

50
L’axnou? d e s c l a s s i q u e s
CATTLE QUEEN OP MONTANA (LA REINE DE LA PRAIRIE), Film améri-
pain en technicolor cI’A llan D wan . Scénario : Thomas Blacîçburn. Dialogues ,*
Robert Elees. /m ages : John Alton. Musique : Louis Forbes, M ontage ; James.
Leicester, Décors : Van Nest Polglase et John Sturtevant. in terp rètes ; Barbara
Stanwyck, Ronald Reagan, Gene Evans, I^ance Fuller, Antony Caruso, Morris
Ankrum, Yvette Dugay, Jack Elam, Ohubby Johnson, Myron Jîealy, Rod Éedwing,
Barry Kelley. Production ; Benedict Bogeaus, R,K.Q„ 1954.

Considérant le nombre des événe­ rencontre des sollicitations du scénar


ments qui trouvent place dans ce film rio — comme si jugeant suffisante la
d’une heure et demie, on reste, confondu teneur dramatique de celui-ci, elle se
qu'une telle multiplicité ne nuise pas détournait résolument d ’en souligner
un instant à la clarté, du récit, que les effets, dédaignant un côté specta­
la complexité de l’intrigue soit obte­ culaire où elle sait fort bien affirmer
nue sans arbitraires revirements e t sa maîtrise à l ’occasion et s’attachant
pratiquement sans inconnu, et ftU'en- au contraire à tout ce qui lui permet
fin il reste iau m etteur en scène assez d ’exprimer l’apaisement au lieu de
dç temps pour prendre son temps, l ’action, l’accord au lieu de la lutte :
maintenu* un rythme m ajestueux au à tout ce que l’homme rencontre au-<
cœur de la précipitation et s ’accorder tour de son' action et de sa lutte. Au­
pour le plaisir m ainte belle scène sans ta n t que l ’observation des gestes et des
s’astreindre aux exigences du scénario, actes, la nature des extérieurs et leur
N’allons pas oublier pour autant de rapport avec les personnages me pa«
rendre justice aux mérites dij texte, raissçnt être les éléments sur lesquels
qui sont de discrétion et d’efficacité. peut s ’exercer la mise en scène de
Sans doute l’amateur de westerns ne toute une catégorie de films commo­
trouvant ici aucune situation qui n e dém ent appelés westerns, S’agissant
soit classique, ne verra-t-il pas à leur d’extérieurs, rarement beautés furent
matière beaucoup d’originalité ; mais plus évidentes qu’ici : combien savent
leur combinaison, leur enchaînem ent affirm er sans conteste que l’eau est
en recèlent bien davantage. L’ouver­ belle parce qu’elle est eau et la col­
ture a le. rôle et les proportions du line, colline ? Rarement aussi furent-
premier acte des tragédies classiques, elles m oins préméditées et voici un
celui où les personnages sont successi­ point sur quoi 'Allan Dwan diffère
vement introduits et définis leurs d’Anthony Mann. Si l ’on s ’assied au
rapports. Tout ce qui suit obéit à une, bord de l'eau pour parler, quoi de plus
dynamique des passions. Je jeu des naturel que ce soit au milieu des
forces et le renversement des alliances fleurs; ne sommes-nous pas au Mon­
commandés tan tôt par le calcul et tana? Anthony Mann établit des rap­
tantôt la colère. Ainsi la construction ports plus abstraits dans ses exté»
respecte les éléments psychologiques rieurs, pour lui un certain cadre ap­
et s’en sert subtilement sans rien ce­ pelle une certaine action, l ’action ne
pendant leur demander d’autre qu’une p o u va it pas se passer n ’importe où et
certaine assise (1). Mann ne cherche pas nous persua­
der qu’elle se passe n ’importe où (2).
Mais sans doute est-ce trop peu dire Pour Allan Dwan elle se passe n ’im ­
que de parler de construction quand porte où et il y a des fleurs, de l’eau
Éien des nuances (ainsi te ressentie vive ou u n détail qui toujours ravit à
m ent de Jack Elam à l'égard dç R o­ moins au’ii n ’émeuve.
nald Reagan) sont notées sans être
1 appelées par les nécessités d’un déve­ S’il faut expliquer pourquoi, comme
loppement dramatique. Et le plus sin­ la Belle d u M ontana, comme Tornade,
gulier est que la mise en sçône aille à comme Les Quatre étranges cavalier?,

(X) Il fau d ra it exam iner de même la ferm eté des 133363 psychologiques dans le scénario
d ’u n îiîïn 3e facture e t d’esprit aussi classiques que l ’adm irable CQlçrçdo Ferritory {ha
du désert) de R aoul Walsh,
(2) Ce oui é ta it vrai des film s policiers d1A nthony Mar^n l'e st encore davantage de ses
westerns. £ 'expressionnisme des paysages fest d ’a u ta n t p lu s saisissant que leiw apparence est
plus natureUe.

51
ce film. est beau du premier plan jus­ Jamais son invention aie se lasse, et
qu’au dernier, son secret tient dans la pris de pudeur il fa it comme s’il n ’in ­
joie de créer. I l respire la joie de ventait rieii du tout. La joie de Raoul
créer. A un âge où d’autres éclatent Walsh est énorme, elle prend volon­
de m échanceté sénile, après quarante tiers des allures de cataclysme. Celle
ans de m ise en scène et une centaine d’Allan Dwan abrite une ferveur sous
de films, Allan Dwan a conservé la des dehors modestes, elle est semblable
sensibilité d’un Jeune réalisateur et à la doublure écarlate de la veste de
une sincérité à l’épreuve de toute rou­ toile grossière que porte Barbara
tine. Allan Dwan est l'homme qui peut Stanwyck.
se permettre, sans parodie, de montrer
une Indienne chaussée d’escarpins. Philippe DEMONSABLON.

Un film pirandellien
VESTIRE GLI IGNUDI (VETIR CEUX QUI SONT NUS), film franco-italien
de M arcel P agliero. Scénario : Francesco de Feo, Attilio Riccio d'après la pièce
de Luigl Pirandello. Im ages : Enzo Serafin. M usique : Franco Manino. M ontage :
Giuliana Atteni. In terpréta tion : Eleonora Rossi-Drago, Pierre Brasseur, Gabrlelle
Ferzetti, Frank Latimore, Micheline Francey, Jacqueline Porel, Jacqueline Mar-
beau. Production : Cigraf — Eva Film — SFC. 1953.

La coproduction italienne donne en songe, elle est celle qui réduit les au­
V êtir ceux qui so nt nus, film de Mar­ tres personnages à leur rôle de com­
cel Pagliero d’après la pièce de Piran­ parses agréablem ent dessinés.
dello, une œuvre intéressante dont le
doublage partiel, franchem ent mau­ Que fait la caméra dans tout cela ?
vais, accentue cependant le charme Plus qu’on ne croit. Le charme insolite
insolite. de la vie heureuse, inventée ou spon­
tanée, le ton délirant et feutré, la v i­
U ne pièce de Pirandello est toujours sion plate ou brusquement chargée de
comme un tour de manège de plus en relief, la lumière écrasée de la m é- ,
plus rapide autour des facettes d’une moire onirique, la présence existentiel­
vérité ou d'un mensonge (qui le dira?) le des autres avec leurs visages d’au­
traversant au passage d’incroyables tres, de la jeune fille avec son visage
alternances d’hum anité et de théâtra­ subjectif, comme dans les classiques
lité. Il en est ainsi de celle dont Pa­ surréalistes, sont des prises m iracu­
gliero a dirigé l’adaptation cinémato­ leuses propres à la caméra. Le drame
graphique en respectant son rythme de celle-ci dans le film, c’est le retour
heurté et grinçant. La musique de — justifié par le sens de l ’œuvre —
Franco Mannino, les imperfections du à la théâtralité des scènes à plusieurs
doublage, les disparités de manière voix où la cam éra à force de faire ta ­
entre les interprètes convergent vers pisserie (en dépit de très bons plans
la création de l’atmosphère pirandel- construits sur les lignes chères à A n-
lienne. On n'a pas hésité pour la ren­ tonioni, Bardem, Astruc) perd de sa
dre à pratiquer dévotement les con­ dignité fonctionnelle au grand agace­
ventions les plus établies en matière m ent de certains : le plaisir trouvé
de mise en scène pirandellienne : jeu aux ruptures de ton n ’est pas donné
efficace du principal protagoniste, in ­ à tout le monde. En fin de film, c’est
terprétation plus fondue des autres, la caméra qui, pour avoir trop joué de
acteurs passifs vus de dos ou décalés rôles est définitivem ent dévêtue, c'est
à un proche second plan, décors ras­ elle que la pudeur feinte ou sincère
surants. L’interprétation ^Eleonora des hom m es du ciném a spécifique aura
Rossi Drago est excellente et serait sa­ b'esoin de rhabiller très vite parce
luée au théâtre comme une perfor­ qu’elle est nue.
m ance : véridique et conventionnelle,
elle passe de la rigidité voulue à la Voilà un film dont il n ’y a pas lieu
souplesse animale de son personnage, certes d’exalter indûm ent la valeur
des sourires absurdes du bonheur ins­ (l’absence complète d’épaisseur dans
tantané à ce ton vif et clair qui mar­ le jeu des acteurs autres que la Rossi
que les approches de l’extrême m en­ Drago est la bienvenue dans la trama

52
du pirandellisme conventionnel — elle spécifique va s’engouffrer dans la brè­
eût été inacceptable partout ailleurs che.
— m ais dont il faut dire le charme), Un th éâ tre film é est souhaitable qui
l'efficacité par rapport à ses intentions ne soit pas plus la photographie d’une
(une excellente soirée pirandeïlienne, représentation qu’un essai film é n ’est
la -dose de m alaise n ’atteignant toute­ celle d’un texte, mais qui donne au
fois jam ais l'intolérable), et surtout spectateur de ciném a que cela in té­
l ’opportunité au m om ent où, avec la resse, une œuvre valable, où se retrou­
crise de maturité du néo-réalisme, va vent l’atmosphère, le rythme et l ’in ­
rebondir la Querelle du cinéma spé­ térêt d’un spectacle dramatique. La
cifique. chose n ’est pas nouvelle, et à la lim ite
V êtir ceu x qui so nt n us prend la « le cinéma » des spécifiques n ’en est
stridence provocatrice de la Fem m e guère éloigné ; elle n ’est possible
su r .la plade de Renoir il y a quinze qu’avec précaution et hardiesse à la
ans, ou de La p o in te courte d’Agnès fois, comme vient de le faire Pagliero,
Varda aujourd’hui. De quoi s’agit-il c’est-à-dire sans hésiter quand il le
dans l'hostilité des bons esprits à ces faut, à faire th é â tre . En France, ce
deux derniers films et, je pense, à ce­ genre de tentatives (pour lesquelles
lu i duquel je les rapproche ? D’une Autant-Lara est particulièrem ent doué
confusion entre le caractère spécifique encore qu'avec des fortunes diverses)
des moyens du cinéma et une fidélité se heurterait à un puissant tabou (les
maladroitem ent justifiée à ses genres spectateurs de V êtir au P anthéon ne
les plus éprouvés de 1929 à nos jours. se privent pas de ricaner) d ’étanchéité
Une fois dissipée cette confusion en­ des genres, qui a son fondem ent éco­
tretenue par l'expression « spécifique », nomique et social. Le ciném a doit s’en
on n ’aura pas de peine à reconnaître moquer, comme le fait la télévision à
que l ’originalité du langage ne peut l’égard du ciném a lui-même et du
exclure la diversité des genres dans théâtre (voir les pièces de Paddy
la création cinématographique, parmi Chayefsky pour la T.V. et son intéres­
lesquels la dramaturgie a sa place au sante préface au volume qui en a été
m êm e titre que l’essai. De la légiti­ publié chez Simon et (Schuster, New-
m ité de cette place, V êtir ceux qui sont York, 1955). Quant à Vêtir, reprendre
n u s et La Pointe courte sont des illus­ les arabesques idéalistes de Pirandello
trations de grand mérite même si elles sur mensonge et vérité est peut-être
n ’ont pas ’la perfection substantielle du temps consacré aux distractions
du Voyage en Italie de Rossellini à la d’un autre âge, m ais là n ’est pas la
suite duquel, comme l’avait écrit Ri- question.
vette, toute une époque de cinéma non Willy ACHER.

Nous rappelons que notre système de reliure est souple, résistant, d’un
m aniem ent facile et que nous le proposons à nos lecteurs au même tarif
que l ’ancien modèle.
Cette reliure à couverture jaune et noire» dos noir titré CAHIERS DU
CINEMA en lettres or, prévue pour contenir 12 numéros, s’utilise avec
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53
LIVRES DE C IN É M A

J ean M it r y î S.M. EISENSTEIN (Editions Universitaires).

Le point de vue m ême du créateur n ’est pas forcément la porte d'accès la


plus facile à son œuvre. Félicitons Jean Mitry d’avoir eu le courage de s’engager
sur cette route là et de la suivre jusque dans ses méandres glissants et ses droites
les plus traîtresses. Une phrase de Valéry qu’il cite en exergue, nous suggère
entre Vinci — celui du Louvre et celui de l’in tro d u c tio n — et l'auteur de P o te m -
Jcine un séduisant parallèle. Eisenstein est comme Léonard, ou Goethe, un de c es
génies dont il serait non m oins léger de mépriser le système que de le considérer
comme la seule clef possible de son oeuvre. La théorie fameuse du « m o n ta g e
d'attractions », nous la découvrons moins fruste qu'il ne nous avait semblé ju s ­
qu’ici. Quelle fut l'ambition du plus grand cinéaste russe ? Créer un ciném a
d’idées ? Donner, surtout, au film la forme, non plus de la fiction romanesque ou
dramatique, m ais du poèm e et emprunnter à ce dernier sa charpente et so n
ornement spécifiques le nom bre et la m étaphore. Que, malgré son exemple, le
cinéma ait refusé de le suivre sur cette voie du lyrism e pur, où il voulait l’en g a ­
ger, n’infirme en rien la valeur de son propos. Dans maintes œuvres récentes, la
poésie n ’est plus dans la forme même, mais sait faire irruption par un biais, qui
à force de s’infléchir, nous replace dans la direction même qu’Eîsënstein avait
indiquée. Le feu d'artifice de To catch a Thief, la séance au planétarium d e
Rebel w ith o u t a cause sont bien des « attractions au sens êisensteinien du
terme. Ce-qui légitim e leur emploi, est qu'elles s’adressent plus à notre sensibilité
qu’à notre intelligence : elles son t irrationnelles, quasi délirantes, nous suggèrent
une infinité d’interprétations possibles, alors que le lelt motiv de la vague, dans
la Red, par exemple, nous irrite. Nous avons, il y a dix ans, condamné sans ind ul­
gence l’abus des effets de montage, approuvé cette réaction salutaire que fut le
« plan séquence » de Welles ou de Wyler. Nous n’oublions pas cependant que la
caractéristique première de l’expression cinématographique est, comme le rap­
pelle Mitry « la m ultiplicité des points de vue ». Multiplicité qui, je l'ajoute, p eu t
rester toute virtuelle, être faite d ’élém ents moins faciles à isoler que le sim ple
plan. Dans le style moderne, non seulement un mouvement d’appareil, mais u n
geste, un regard, une parole constituent une coupure plus franche qu’un ra c­
cord de montage.
Le visage du ciném a est à double face : à qui l’oppose aux autres arts, p e in ­
ture, drame ou roman, il apparaît tourné vers le concret, la continuité spartiale
ou temporelle. Mais si nous voulons soutenir qu'il est un art digne de ce nom
(plaidoyer moins nécessaire aujourd'hui qu’il ne fut du temps de sa croissance),
c’est le côté abstrait que nous mettrons en lumière. On peut ainsi diviser le s
grands cinéastes du m uet en deux groupes : d'une part les « naïfs & (terme qui
n ’a rien de péjoratif), Griffith, Chaplin ou Stroheim qui, pour conscients qu’ils
fussent de leurs moyens, n ’essayaient pas de raccorder leurs propres préoccupa­
tions avec celles de l’art de leur temps. En face d’eux les grands maîtres euro­
péens : M umau, Dreyer, Gance, Eisenstein tous plus ou m oins imbus de cette
idée que le film devait s’inspirer des principes de l’esthétique la plus m oderne
(celle des Stanislawsky, des Meyerhold, des Reinhart). A ne considérer que l’évo­
lution postérieure, force est d’accorder raison aux premiers. Et pourtant l’œ uvre
des seconds, fu t peut-être la plus grande. Contradiction qu’il est toujours fruc­
tueux de méditer...

54
Toutefois nous avons peine à suivre Jean Mitry lorsque sous prétexte qu’ils
sont inachevés, il tient à l’écarfc Que Vive Mexico et Iv a n le Terrible, les deux
des film s d'Eisenstein qui ont, au contraire, le plus séduit m a génération. Le pre­
mier est, pour ma part, celui que je place le plus haut, non ta n t parce qu’il est
resté à l’état d’esquisse, nous livrant toute nue une poésie qui n ’a pas besoin
d’articulations trop appuyées, mais bien parce qu’il est, comme le Tabou de
Murnau, la précieuse étincelle jaillie au contact de deux civilisations, de deux
formes d’art, de deux philosophies, corrigeant par le luxe brut de sa matière
l ’excès d’intellectualism e dont on peut accuser notre auteur : et puis peut-être
aussi parce que le génie du cinéaste marxiste trouve dans l’expression du
« sacré son meilleur champ d’exercice. Quant à Iv a n le Terrible, c’est beaucoup
plus qu’une « suite d’images prodigieuses >. La beauté strictem ent pictorale de
chaque plan y est peu de chose vis-à-vis de la rigueur architecturale de l'ensem­
ble, de cette géométrie si exigeante qu’il n ’est pas un seul geste des acteurs qui ne
s’y doive à tout instant plier. C’est à cette œuvre que s’applique avec le plus
d'exactitude ce qu’en 1929, Eisenstein confiait à Jean Mitry, au Louvre devant
La Vierge aux R ochers : « Je sais que les sentim ents d’harmonie, de perfection,
que cette œuvre m e procure, dépendent en partie de l ’organisation géométrique
des lignes et des formes. Or, tout en le sachant, je n'en éprouve pas moins cette
ém otion intense, ce sentiment d’extase qui me bouleverse et me prend tout
entier. La raison m ’éclaire, mais après coup. Elle n e détruit pas le sentiment,
elle Fillumine. » Une conscience aussi aiguë, si elle n ’est pas la compagne néces­
saire du génie, ne doit pas non plus nous sembler suspecte. L'art d’Eisenstein,
certes, dépasse en profondeur, son système, mais ainsi le prévoyait-il, le souhai­
tait-il lui-m êm e.
Eric ROHMER,

M arcel M artin : LE LANGAGE CINEMATOGRAPHIQUE (.Editions du Cerf).

C’est bien, comme il nous est d it « un recensem ent méthodique, une étude
détaillée de tous les procédés d’expression utilisés par le film ». Le travail auquel
s ’est livré l’auteur, le nombre de citations, de références (1) force l'estime.
L’inconvénient de tels ouvrages est que, soucieux de choisir les faits de langage
les plus caractéristiques, ils m ettent sur le m ême plan les artifices les plus
déplaisants et les plüs belles trouvailles du génie. H fallait, ou bien se borner a
n ’être qu’un répertoire, s'in ter dire tout jugem ent de valeur, ou bien prendre une
position esthétique mieux définie. La m êm e confusion se marque dans le choix
des chapitres : les éclairages, le montage, les ellipses, les symboles, ces notions
n ’ont pas, à m on sens, de dénominateur commun. H convenait, peut-être de sui­
vre tout sim plem ent la genèse du travail créateur, de la préparation à la réali­
sation, et de n ’accepter que les catégories traditionnelles de montage, cadrage,
découpage, etc... ou, plus ambitieusement, adopter la division observée par les
grammairiens : morphologie, syntaxe, stylistique, rhétorique. La notion même de
langage cinématographique étant arbitraire, un peu de parti pris n'eût pas nui.
Nous attendions une prise de position, plus ferme, plus personnelle (la conclusion
est vague et décevante) un jugem ent m ieux affranchi de certains préjugés.
Pourquoi, cette sévérité envers .l’écran large, la couleur ? S’il existe un la n ­
gage cinématographique, il ne peut se plier à d’autres règles que « l'usage des
bons auteurs », Sans doute, n ’avons-nous pas encore assez de recul pour séparer
la bonne herbe de l ’ivraie. Un dictionnaire, une grammaire « historiques -■»,
n ’eussent pas prêté le flanc aux mêmes reproches. L'ouvrage de M. Marcel Martin
aurait, ainsi conçu, présenté l ’utilité d’ün bon instrum ent de travail : il n’est
qu’une dissertation d’écolier, m al affranchi de l ’influence de ses maîtres.
E. R.

(1) Exacte en son ensemble, si ce n'est Que l’illustration n° 28 est une photographie
de plateau e t non pas un extrait du iilm Notorious.

55
LE C O U R R I E R DES L E C T E U R S
Le début de for Icttie que nous publions ci-dessous sert de lui-même d'introduction à ce
courrier.

Messieurs,

Puisque, dans le * courrier des lecteurs > du n° 56, vous publiez, en premier, une lettre
d'un lecteur mécontent en indiquant que vous supposez que l'avis de ce lecteur * n'engage
que lui seul >, je me sens tenu de vous adresser ce mot pour, moi aussi, crier « g are ! ».
Votre lecteur mécontent du n° 56 n'est p as le seul.
On ne peut pas toujours voir autant d e films qu'on le voudrait, et on peut désirer se
faire une idée d'un film qu'on n 'a p a s vu (ou ne v erra pas) en en lisant la critique. On ne
peut connaître à l'avance les parti pris et les ntanïes d e fous vos collaborateurs, et à priori
(s'il ne s'agit pas d'un film signé Hawks, Lang, Aldrich, Hay, et encore quelques autres
ex-grands ou jeunes fumistes), on est tenté de les prendre au sérieux. Mais lorsqu'on se
trouve avoir vu, p a r accident, un navet aussi sensationnel que < Magnificent Obsession »,
où vraiment rien ne peut être mis à l'actif du film, et qu'on lit, dans le n° 49 des « C ahiers »
— sous le titre < Portrait d'un honnête homme »! — la critique qu'en fait Philippe Demon-
sablon (qui trouve moyen de citer P ascal à propos du film), on se dem ande si la revue n e
se p aie pas, de temps en temps, la tête de ses lecteurs...
Mais vous dites que le nombre d e vos abonnés croît. Vous devez vous demander pourquoi
les mécontents s© réabonnent? Ma foi, dans l'espoir que la situation s'am éliorera — ou
peut-être pour rigoler, franchement, à des critiques conlme celle de < Magnificent Obsession »...
ou celle de < Gentlemen Prefer Blondes »...
Pour passer à Hawks : que * Scarface », « Only Angels Have Wings », et quelques
autres, soient des chefs-d'œuvre, c'est certain. Mais à côté de ceux-là, il y a « Sergeant York ».
< Air Force », c To Have and H ave Not », et combien d'autres navets I Lorsque H awks,
devenu, comme tant d'autres « ex-grands » d'Hoîlywood, metteur en scène à tout faire,
produit un « Land of the Pharaohs », vos critiques ont recours à l'astuce du < malentendu » :
on admet — on ne peut faire autrement — que « les apparences sont dangereuses, puisqu'elles
sont celles du pire genre hollywoodien » [ Tu parles] Hawks lui-même, dans ces entretiens
qui occupent quatorze pag es du xx° 56, traite de plaisanterie ce navet qu'est < Gentlemen
Prefer Blondes •>, dans lequel, à en croire MM. Eivette, Domarchi et Scherer, il faudrait voir
un film sérieux (quant au fond). Voye2 la technique : on titre « Alceste est dans le sa c »,
on mentionna en passant Faulkner (qui ne compte sûrement pas, pour assurer sa renommée,
sur ce qu'il a pu livrer comme marchandise à Hawks !), et, pour ceux qui ne m archeraient
pas, on annonce à l'avance que le film v a faire commettre (aux autres} d’énormes contresens I
Encore le malentendu ! Hawks reste < le plus grand cinéaste américain vivant » (Rivette),
« le plus grand metteur en scène am éricain « (Domarchi), et tant pis pour le spectateur (ou
le critique « qui passe à côté ») ! De qui se moque-t-on ?
Et, soit dit entre parenthèses, à quel degré d'aveuglem ent faut-il être parvenu pour écrire,
comme le fait un de ces messieurs dans le n° 38, qu'on trouve dans « Gentlemen P refer
Blondes » un réquisitoire plus fort q ue ceux de Laszlo Benedek (je pense au « Wild One ») I
Je croîs q u'il y a u rait intérêt à dim inuer (car il n e fa u d rait p a s l a supprim er entièrem ent)
la ration m ensuelle des articles — e t surtout des critiques — ém anant d 'u n e certaine équipe,
reconnaissable à son vocab u laire pata-m étaphysique, à l a glorification systém atique d 'u n
certain genre d e produits (am éricains, d e préférence), e t à u n e d ép la isa n te attitude d e gam ins
a u ssi sûrs d'eux-m êm es q u e d e l'in cap acité d e s confrères qui « .p assen t à côté » d e ce
qu'ils adm irent.
Dans le n° 44, André Bazin dem ande « cornaient peut-on être hitchcocko-hawksien ? »,
et reconnaît que « Ie3 thuriféraires d'un certain cinéma américain > paraissent « réduire le
cinéma à ce qu'il exprime » — mais il ne s'agit p as seulement de ça ! Et comment le même
Bazin peut-il penser que la publication (« courrier » du n° 50) de la lettre d'un père jésuite
emballé p ar * Rear Window » v a satisfaire les lecteurs qui critiquaient les « jeunes Turcs »
d e la rédaction — puisque ces critiques s'adressaient justement à ce genre d'exégèses (en
général, il est vrai, beaucoup plus tirées p ar les cheveux, et sur des films le justifiant moins

56
X
q u e « R ear W indow ») ! S 'il e st exact q u e « le s gen res réputés d e p ur divertissem ent peuvent
fort bien servir de truchem ent aux m essag es le s p lu s profonds », il est au ssi e x act q u e toute
personne douée d'im agination e t d e p a rti p ris p e u t fabriquer les choses le s p lu s profondes
à p a rtir d e n'im porte qu el produit d e p u r divertissem ent d e l'usine hollyw oodienne. Est-ce
d e crainte d 'ê tre accusés d e m anquer d'intelligence, d e « p a sse r à côté », q u e ta n t d e
critiques d es < C ahiers * se battent le s flancs p o u r voir q u elque chose l à où il n 'y a rie n —
ni fond ni form e?
A p rès le s rem ous c au sés p a r le num éro sp écial s u r « Hitch », on pouvait s ’atten d re à
ce q u e l a situation s'am éliore u n peu. M ais d a n s ce m êm e n ° 44 où A ndré Bazin * m arquait
le coup », le lecteu r a encore droit, su r treize p a g e s, à l'u n d e c es cocasses « entretiens a v ec
A lfred », où l ’on n e sa it qu 'ad m irer le p lu s : le m auvais a n g la is reproduit d a n s le s notes,
ou l a niaiserie d e s rép liq u es d u g ra n d hom me (< th a t is m y soul getting into the siibject »).
Les adm irateurs d'A lfred devraient b ie n se g a rd e r d e le faire p arler.
Qui plus est, e t pour n e s 'e a tenir q u 'a u x critiques d e filnis, il est p a ru e n u n a n
environ u n e vingtaine d e critiques signées p a r : C habrol, la c h e n a y , Dem onsablon, Truffant,
Hivette, Goûte, critiques q u i relevaient toutes d u dithyram be hystérique. Parm i ces critiques
grotesques, deux sont rem arq u ab les p a r leu r d ern ier a lin é a, a u ton prétentieux e t typiquem ent
« jeune Turc > (l'accent é ta n t mis su r le m ot < je u n e ») : le s critiques de * Johnny G u itare >
et de « R ear W indow », toutes deux p a ru e s d a n s le n ° 46.
Je trouve q u'il y u n p eu d e l’a b u s. On trouve d a n s le s « C ahiers » foule d'articles —
e t m êm e de critiques d e films l — fort intéressants. Il est d 'a u ta n t plus n écessaire q u e vous
sachiez ce qui, du point d e v u e de certain s lecteurs, < cloche > nettement.
P our finir, u n e suggestion. Si, c h aq u e fois q u e sort à Paris quelque article d e pacotille
du genre « The Big Knife » (film prétentieux, qui n e dit p a s plus q u e l a pièce d e th éâ tre
e t le dit moins bien, b ie n am éricain p a r son pseudo-intellectualism e et s a fa u sse audace),
l a critique en est réserv ée à l'u n d e vos exégètes spécialistes d u vide, pourquoi n e p a s fa ire
su iv re le « p a p ie r » d 'u n e contre-critique, autrem ent dit d'u n e v raie critique ?...

A. LEVEILLE,
NEW YORK.

Nous rem ercions M. Leveiilé, m algré s a sévérité, d e lire le s CAHIERS a v e c autanf d'attention
et laissons répondre cfaufres .lecteurs.

M essieurs,

Je joins à celte lettre le m ontant d e m on abonnem ent au x Cahiers. Votre revue est d evenue
tout à fait excellente ces derniers tem ps, et votre num éro sp écial « Ciném a am éricain ». outre
ses qualités critiques, e st m erveilleusem ent documenté.
En tan t q u e jeune réalisateur, je. tiens à vous dire q u e j'ap p récie énormém ent le com bat
q u e vous menez pour u n certain ciném a d 'a u te u r, le se u l v a la b le à mon point d e v u e a u ta n t
q u ’a u vôtre.
Je suis p arfois en complet désaccord a v e c l'u n d e vous, je vous reprocherais volontiers
certains tics plutôt énerv ants, m ais votre re v u e n 'e st jam ais b ê te ni vulgaire, alors q u e le
ciném a français s'en lise d a n s l a bêtise et l a v ulgarité, à cinq ou six noms près.
Votre attitud e porte s e s fruits, p u isq u e François Truffaut fait d é jà figure d 'é p o u v an ta il
d a n s l a profession e t q u e les tenan ts d e l a < q ualité » française commencent à s'interroger av ec
effroi ! Je vous supplie d e continuer à fustiger le s m édiocres, à rétablir les v aleu rs, à détruire
les m ythes traditionnels, p o u r e n é rig e r d 'a u tre s, fussent-ils parfois contestables, à lutter p our
u n ciném a p u issan t et digne, e t je vous a ssu re M essieurs, d e m a sincère estime.

Louis MALLE.
PARIS.

57
Messieurs,

...Je suis à p e u p rè s d'accord a v ec la plu p art d e vos classem ents î m aïs je tiens à m ani­
fe ster nton étonnem ent devant le p e u d e succès q u e sem blent a v o ir e u a u p rè s d e l a m ajorité d e
vos critiques Lcr Terre d e s P h arao n s (deux fois classé seulem ent e t très mal) e t A l'om bre d e s
Potences qui n 'e st p a s mentionné u n e seul© fois.
D 'autre p a rt je m e perm ets d e vous a d re sse r u n e suggestion : vous pourriez revenir u n p e u
p lu s souvent « e n a rriè re > pour étudier certaines périodes d e l'histoire d u ciném a, E tant
donné q u e vous a v ez renouvelé le se n s et les fins d e l a . critique d e ciném a à p e u p rè s, vos
lecteurs trouveraient certainem ent un g ra n d profit à vous voir reconsidérer le s fa u x jugem ents
po rtés à l'ép o q u e d e l a sortie des films d'il y a quinze o u vingt a n s : attachez-vous p a r exem*
p ie à l a pério d e d u ciném a français d 'a v a n t 1939 ; efforcez-vous d e d étru ire le s m ythes d e
D uvivier gran d m etteur en scène, d e C arné ou de R ené C lair g ra n d s g én ies d u ciném a ; souli­
gnez b ie n q u e le se u l gran d ré alisa te u r français d e cette époque fut Renoir e t m ontrez com bien
il est drôle d e voir d a n s les Histoires d u Ciném a Duvivier ihis s u r le m êm e p la n q u e Renoir.
Je term ine cette lettre en vous encourageant — comme doivent le fa ire d 'a illeu rs la plus
g ra n d e p a itie d e vo s lecteurs — à p ersé v ére r d a n s votre m agnifique effort d e d éfense dil vrai
ciném a.
Fidèles sym pathies à tout l'équipe des C ahiers et en particulier au x « Hitchocko-Hawksiens ».
H. RICARD.
PARIS.

M onsieur.

... Je veux dire q u e je me ra n g e a u coté d e tous le s lecteurs qui ap p ro u v en t l a * lig n e *


et le ton des C ahiers. Il est bon q u e ces derniers soient moins a b stra its e t s e rapprochent
à l a fois d e leurs lecteurs (qui me p araissaien t, jadis, u n e fa u n e in q u iétan te d a n s son a b se n c e
de m anifestation) et d u ciném a tout court (même en se s futilités). Com bien nous aim ons ces
réflexions, aperçus d e rencontres, détails farfelus e t * sig n au x » à l a sa u v e tte q u i font le
* p etit jo u rn al intim e du ciném a »...
M ais tout ceci n 'e st rien : l'im portant, c'est q u e tous le s réd acteu rs, ou p resq u e, sa c h en t
traiter les sujets le s plus grav es sa n s nous infliger un e lourdeur élép h a n te sq u e . C ette désin­
volture sévère, ce dandysm e que j'entends certains vous reprocher, n 'em pêchent p a s l'étude
é lé g a n te et claire sur un sujet difficile (et je pense p a r exem ple à l a < lettre su r Rossellini >,
d e J. Rivette).
M ais je n e veux p a s term iner sa n s chanter le s louanges d e l a T able. S a précision
m éticuleuse, am oureuse, est un ré g a l d e cinéphile. Il est b ien v rai q u 'o n l a consulte p a r
plaisir, sa n s doute p a rce qu e ces noms, c es titres, c es signes arithm étiques (cousins de
« six e t demi-onze », ou de « 08/15 ») suffisent e u ra p p el d e tel ou tel article q u'on a aim é.
Savez-vous qu el instrument d'étude sociologique offre p a r a illeu rs cette tab le î Je m e
pro p o sais d e faire u n e crilique historique d e l a rédaction d e s C ahiers à l'a id e d e c e docu­
m ent : le chassé-croîsé des divers collaborateurs des C ahiers y tra c e u n a h u rissa n t b a lle t
de coïncidences, apparitions, disparitions, tendances, etc., d u p lu s b e l effet.
H é la s ! je v is bientôt l'insuffisance d e mon information. P o u r a p p réc ie r objectivem ent,
il m 'eût fa llu connaître l'âg e , le physique, les fies, le s com plexes, le com portem ent sexuel
de tous c es critiques. Tâche colossale ! . .
C onnaître l'existence d u crocodile d e Bazin, ou du petit c h at d islo q u é ; sav o ir l'im portance
d e s d essous d a n s l'œ u v re philosophique de Robert L achenay : c'est bien.
C es élém ents suffisent-ils? Honnêtem ent, scientifiquem ent, je n e p o u v ais l'affirm er.
V oilà pourquoi, M onsieur le Directeur, j'a i renoncé à ce tra v a il im portant.
A vec m es sentim ents les m eilleurs.
M ichel GUINAMANT.
LE BOÎISCAT.

P. S. — D ans cette Table, ou les erreurs, s'il y e n a , doivent être infim es, j'a i re le v é '
deux om issions : je vous les signale.

58
M etteurs e n scène.
CIAMPI Y ves
« L'Esclave ».
Noie (J. Doniol-Valcroze) : 28/62.

PÆBST ' G.W.


E ncore l'O p é ra d e Q u at' Sous (L.H. Eisner) : 37/32-33.

L'indulgence des trois lettres précédentes e t l ’intérêt q u e leu rs a u te u rs portent a u x CAHIERS


no u s réconfortent e t no u s le s en remercions. M aintenant, terminons sur la lettre q u i e st peut-être
Ja plus? « critique » de ce courrier.

M onsieur,

Je vou d rais ajouter q u e lq u e s réflexions a u réabonnem ent q u e j'a i souscrit e n janvier.


Vous écriviez il y a q u e lq u e tem ps dans « France O bservateur ■» à propres d e Lolar
M ontés q u e vous pratiquez le m oins possible un e critique < subjective » e t q u e vous e ssay ez de
toujours nlotiver vos jugem ents favorables ou non. Voilà la règ le d e toute critique et vous l a sui­
vez toujours. M alheureusem ent trop de collaborateurs d e s C ahiers sem blent s e fa ire un m alin
p laisir d 'e n p re n d re exactem ent le contre-pied, e t n e livrent a u lecteur, d a n s u n jarg o n pseudo-
psychologique et prétentieux, q u e des épanchem ents de le u r « m oi * ce qui n e p e u t guère inté­
re sse r q u e leurs am is qui les lisent. Et le film dont on est censé faire la critique é ta n t supposé
connu, on s 'y réfère de telle façon q u e le lecteur qui n e l'a p a s encore v u ne peu t tirer d e l'article
a u cu n élém ent d 'a p p réc ia tio n objective, e t s e dem ande si oui ou non, le film e n question m érite
qu 'o n aille le voir. J’ajo u te q u e trop souvent, le m êm e Bla-bla-bla n e présente p a s p lu s d 'intérêt
lo rsqu'on le relit a p rè s a voir v u le film, c a r il n 'a p p o rte rien d e cohérent ni d e clair. Là e st le
défaut m ajeur d e s C ahiers et c e la d evrait être corrigé (je pense d 'ailleu rs pour être juste q u 'il y
a u n e am élioration d ep u is q u e lq u e temps). Le c as Bazin, qui tom be a u ssi trop souvent d a n s l a
critique subjective p a r un e ten d a n c e n atu relle à « reconstruire » le film q u 'il vien t d e voir (le
sp ectateu r n e fait-il p a s le film a u ta n t q u e le réalisateu r ?) e st tout d e m êm e différent p a rc e q u e
Bazin donne toujours su r le film q u'il a n a ly se assez d e précisions pour q u e le lecteur s 'y recon­
n a isse p a rc e q u 'il e st clair, non prétentieux, rigoureux. Je n 'a tta q u e ra i p a s le s C ahiers à propos
de certains films e t d e certain s réalisateurs. C ependant je trouvé l'idolâtrie « hitchcocko-
haw k sien n e > u n p e u lassa n te . N e serait-il p a s tem ps de se tourner v e rs d 'a u tre s dieux. J'adm ets
q u e H aw ks ait ré alisé d e très bons films, m ais de l'u n à l'a u tre on n e voit s'édifier u n e œ uvre.
Et rien du tout d e ce q u e p o u rra écrire Hivette n e fe ra qu e je m e précipite voir Les H om m es
p ré ièie n t le s B londes ou La T erre des Pharaons. Mais les C ahiers ont b ien rem pli leu r rôle e n
donnant toute le u r im portance à d e s films conlme La Com tesse au x p ied s nus (qui n 'a tenu ici
q u e trois jours J) o u Lola M ontés {déception générale d a n s le public iroyen) ou le s M auvaises
\Rencontres.
L'éditorial d u ’num éro d e jan v ie r souligne les efforts accom plis p our ren d re le s C ahiers plus
vivants. le crois q u 'e n effet le s Cahiers sont en progrès. L a revue d e s films est u tile et l'id é e
d u « Conseil d e s Dix » très bonne; je déplore q u e Sadoul n 'y participe plus : il m e sem ble
q u e so n point d e v u e m an q u e d a n s l'éventail idéologique d e cet aéro p a g e.
J'aim erai q u e vous critiquiez plus profondém ent le s films qui sont d e g ran d s succès com­
m erciaux et qui sont d e faux < bons films * qu'un public, m êm e évolué autrem ent q u e su r le
p la n ciném a, ju g e bons ; p a r exem ple Les A ristocrates ou Les E v ad é s ou C hiens p e rd u s sans
collier. V ous m e dires q u e parm i vos lecteurs, personne ne peu t trouver q u e ce sont d e bons
films. M ais vous avez des l e c t e u r s ' récents, non encore « form és » p a r l a lecture suivie des
C ahiers. Et il m e sem ble qu'il ne serait p a s m auvais d e lutter avec plus d e précision contre
cette fa u sse 'idée d e « b o n film » qu'est de p lu s en plus celle du ciném a français. Je n e veux p a s
term iner p a r une note Restrictive. On est touché p a r l'am our d u ciném a dont tém oigne l'éq u ip e
des C ahiers. J'envie T iu ffa u f de s'êtr& g risé cinq fois en sept jours de L alà Montés. Moi qui
ne peux a lle r a u ciném a q u e très p eu (m anque d e santé, d'arg en t, de temps}, j'e s sa ie d e voir
ce qui im porte. L es C ahiers m 'aident d a n s mon choix et je les e n rem ercie. Félicitations pour
le num éro su r le ciném a am éricain et p o u r l a T able des M atières.
Veuilles a g rée r. M onsieur, m es m eilleures salutations.
M adam e A . BETHERY,
TROYES.

59
F IL M S SORTIS A PARIS
DU 28 MARS AU 24 AVRIL
11 FILMS AMERICAINS

T h e Plttrple MasJz (Le C avalier au M asque), film e n C inem aScope e t en. T ech n ico lo r d e
Bruce H um berstone, avec T o n y C urtis, C olleen Miller, G e n e Barry, D a n O ’H erlihy. — R ien n e
convient m ieux au g e n re aventures chevaleresques qu e le ton d y n am iq u e d e la co m éd ie : telle
est la leç o n q u e l’o n p e u t tire r de ce 6lm fort divertissant.
T h e R o a d to D ^n oer {Colorado Saloon), film e n T rucolor de Jo sep h K a n e , a v ec Jo h n
P a y n e , M ona F reem an , L ee J. Cobb. — C e K a n e est u n drôle d e citoyen.
S h u C om m an d o (C om m ando d u Ciel), film d e F red F . Seara, avec D a n D ury ea, F rancea
G ifford, T o u ch Connors. — A cteu r B, scénario C , m etteu r en scène D , film Z , ,
T h e Sw a n (Le C ygne), film en C inem aScope et en Eaafcmancolor d e C harles V id o r, avec
G râce K elly, A lec G uiness, L ouis Jo urd an . — O n y trouve à lire et à p le u re r : to ut le m o n d e
est satisfait. Im aginé p o u r exploiter la veine d es aventures de M argaret, c e film bénéficie d 'u n e
actualité b ie n plus brûlante,
D avy C rockçft, K in g o f th e W iîd W e st (D avy Crocfceff, R o i d es T rappeurs), film en
T echnicolor d e N orm an Foster, avec Fier P ark er, B uddy E bsen, K e n n e th T o b e y , Basil
R uysdael. — D avy C rockett, c ’est d u gâteau {pour le jeu di après-m idi) ; m ais fait p o u r les
enfants, ils n e p e u v en t e n com prendre les intentio ns hum oristiques.
R e b e l w ith o tâ a Cause (Le Fureur de V ivre), film e n C inem aScope et e n W arnerco lor
d e Nicholas R ay , avec Jam es D e a n v N atalie W o o d , S a l M ineo, Jim B ackus. —■ V o it critiq ues
dans ce n um éro , pag e 32,
T h e L e ft H a n d o f G od (La M ain gauche d u Seigneur), film en C inem aScope et e n D eL uxe
d e E dw ard D m ÿtryk, avec H u m ph rey B ogart, G ene T ierney, L ee J. C o b b . —■ U n c o u p d e
point, u n cou p d e d és. Bogart ae dégu ise en p rêtre et courtise G ene T ie rn e y : on reg rette
que le sujet n e soit p a s traité à fond .
L o v e m e or I&ave m e (Les P ièges d e la Passion), film en C inem aScope et e n E astm an co lor
de C harles V id o r, avec D oris Day, Jam es C agney, C am eron M itchell. — V o ir c ritiq u e d a n s
ce num éro, pag e 43,
D ream s that M o n ey can buy {R êües à vendre), film en 16 m m . K od ach ro m e d e H ans
R ichter, avec la collaboration d e M ax E m st, F ern an d L éger, M an R ay , M arcel D u c h a m p ,
A lex ander C alder, avec Jack Bittner, V ictor V icas, D orothy Griffith. — Le surréalism e à la
portée de tous : u n F e m a n d b ien léger, u n M an qui n e v aut p as N icholas, u n D u c h a m p
qui ferait m ieux de reto u rn er à la terre. A u m ilieu d e tout cela, A le x a n d e r p a raît le grand.
77»e R ose T atoo (La R o se Tatouée), film en V istaV ision d e D aniel M ann, avec A n n a
M agnani, B u rt L ancaster, M arisa P a v a n . — V o ir critique d a n s ce n um éro, p a g e 45.
T h e B o u n ty H u n te r (Terreur à VOuest), film en W arnercolor d ’A n d ré d e T o th , avec R an-
d olph Scott, D olorès D orn, M arie W indsor. — Q uelle que soit la salle o ù passe ce W este rn ,
ne v aut pas le d éplacem ent.

3 FILMS ANGLAIS

. C onfession {Piège po u r u n e Canaille), film d e K e n H ughes, avec S ydney Chaplin»


A u d re y D alton, Jo h n Bentley. — P â le copie' de L a L o t d u Silence accom m odée d e m o rceau x
piqués à droite et à gauche d a n s l ’œ uv re hitchcocltienne. Plus con stern an t q u e scandaleux.
Y ou Jpioto xûhat Sailors are {Prisonnier d u H arem ), film en T echnicolor de K e n .A n nakin,
avec A k im T am iroff, D o nald S in d en , Sarah Law son. — U n p e tit bijou d u plus p u r
« h u m o u r an g lais ».
Doctor a t S e a (T oubib e n m er), film en V istaV ision et en T echn icolor d e R a lp h T h o m a s,
avec Brigite B ardot, D irk B ogarde, B ren d a d e B anzie, Jam es R obertson Justice. —>V o ir le p ré cé ­
d en t ; n e m érite p as q u ’on lui lance u n e bouée de sauvetage.

. 8 FILMS FRANÇAIS

L e s A v e n tu re s d e Gil Blas d e Santillane', film en A gfacolor de R ené Jolivet, avec G eorges


M archai, Susana C anales, Jacq u es Castelot, B arbara L aage (film franco-espagnol). — L e p lu s
L esag e des d e u x est b ien celui q u ’on pense.

60
C rtte Sacrée G am ine, film e n C inem aScope et E astm ancolor d e M ichel Boisrond, aVec
Brigitte B ardot, Je a n B retonnière, R aym ond Busaières. — V o ir critique d a n s le num éro 58,
page 43.
L e Couturier d e ces D am es, film d e Je a n Boyer, avec F ernand el, Suzy D elair, G eorges
C ham arat, P a sq u a li. -— U n F ernandel d e ia gran de cuvée. M ais nous avons toujours pensé
q u e cette vigne d onn ait u n p icrate, qui n 'e st p as roi d u rail.
L a M eilleure Part, film e n C inem aScope et en E astm ancolor d e Yves A llégret, avec
G érard P hilipe, M ichèle C ordoue G é rard O u ry. — G ageons q u e C arné et, surtout, G ance
a u raien t su tirer m eilleur parti d e ce sujet pour leq uel ils avaient été pressentis : il fa u t
un e certaine carrure p our n e pas se laisser écraser p a r u n barrag e.
Paris Canaille, film d e P ierre G aspaid-H uit, avec D any R obin, T ild a T ham ar, D aniel
G élin. — L es paris stu pid es ; am itiés à A n n e tte W a d e m a n t pour la qualité des dialogues
et à D arry C ow l p o u r u n num éro irrésistible.
Plu'a d e W hialm pour Calîaghan, film d e W illy Rozier, avec T o n y W rig ht, R obert
B urnier, M agali d e V and eu ill — L e rival d e L em m y C aution le bat sur son propre terrain.
L a sobriété sied m al à ce d ig n e fils d e la p e rfid e A lbion.
L a Sorciètie, film d ’A n dré M ichel, avec M arina V lad y, M aurice R onet, Nicole Courcel. —
P ourqoi s ’obstiner à faire d e s films d e balais ? U n e po inte d e gentillesse n e suffit pas
à faire passer la m ise e n scène p o u r de « la be lle ouvrage s.
Koacf le T e m p s des A ssassins, film d e Ju lien D uvivier, avec Je a n G abin, D anièle
Delorme, G érard Blain. — V oir critique dans ce num éro, page 48.

8 FILMS ITALIENS

LMmoJle, film d e R o berto Rosselini, avec A n n a M agnanï, Federico Fellini. — V oir cri­
tiq ue d ans ce num éro, page 38.
M usoduro (Marco la Bagarre), film en F erraniacolor d e G îusepp e Bennati, avec M arina
V lady , Cosetta G reco, Fausto Tozzi, G érard L and ry. — M élodram e p ay san sans intérêt : u n
poing, c ’est tout.
Il Sçgno di V enere (Le S ig n e d e V énus), film d e D ino Risi, avec Sophia L oren, Vittorio
d e Sica, r r a n c a V aleri, R af V allone. — Les av en tu res d e S o phia : cette fois, après avoir
délaissé u n photog raph e hu rlu berlu, u n m arch an d d e stylos escroc et u n poète décati, la vam p
épouse u n pom pier. Mais o ù est le bon goût ?
U n Siècls d ’A m o u r, film d e L ionello de F elice avec M aurice C hevalier, N adia G ray, A ldo
Fabrizi, E d u ard o d e Filipo. — C hevalier était b ien l ’in te rp rè te idéal. L es cinq sketches se le
disputent e n platitude.

1 FILM RUSSE

V eliiw V o in e A lb a n y {Scander Beg), film en Sovcolo'r d e Serge Y outkevitch, avec A kaki


K hoiava, v e sa lm ani, A divis A libali. C e ne sont p as d ix m ille figurants qui font un grand
film . O n risque d e couper l ’ép iq ue et d e se retrouver capot.

1 FILM SUISSE

H eidi e t Pierre, film e n T echnicolor d e F ra n z S chnyder, avec H einrich G retler, E isbeth


S igm un d, T liom as K lam et. — U n p u b lic sentim ental ou d e m oins d e douze an s goûtera cer­
tainem ent les aventures d e ces charm ants b a m bin s. A h I ces petits suisses...

1 FILM YOUGOSLAVE

L a R oute S anglante, film d e K a re Bergstrom et R ad os Novakovic, avec M ilan Milosevic,


O la Isene. — L a conscience professionnelle, c’est très b ien , m ais ce long m étrage en tier n e
vaut pas u n p la n d e N u it e t Brouillard.

P.-S, — Nous avons om is d e signaler d a n s le n um éro 57 V illa S a n s Souci, film français


d e M aurice L abro, avec Je a n B retonnière, G eneviève K erv ine, sorti le 22 février, et d a n s le
num éro 58 H o llyw oo d B urlesque (Les D anseuses d e V A m o u r), film am éricain d e E m m a Golds-
tone, avec les reines d u strip-tease, sorti le 23 m ars. Ils pouvaient d ’ailleurs aussi b ien rester
d a n s l ’oubli.

61
AU SOMMAIRE DE NOS PR O C H A IN S NUM ÉROS

JACQUES BECXER : Vacances en novembre (scénario inédit),


ROBERT BRESSON et JEAN COCTEAU : Les Dames du Bois de Boulogne
(dialogue). ■
JEAN DOMARCHI : Le fer dans la plaie.
JACQUES DONIOL=VALCROZE et JACQUES RIYETTE : Entretien ayec
Jean Cocteau. 5

CARL DREYER : Réflexions sur mon métier.


LOTTE H. EISNER : Notes sur Stroheim.
PAUL GUTH : Après « Les Dames ».
FERBYDOUN HOVEYDA ; Grandeur et décadence du Sérial III.
JEAN^JACQUE'S KÎM : Orphée et le Livre des Morts Thibétaîns,
FRITZ LANG : Mon expérience américaine.
ANDRE MARTIN : Un cinéma de la personne (Federico Fellini).
JEAN RENOIR : Le Cœur à l’aise.
JACQUES RIVETTE et FRANÇOIS TRUFFAUT : Entretien avec Max Ophuls;
Entretien avec Nicolas Ray.
ROBERTÔ ROSSELLINI : Dix ans de Cinéma (suite).
JOSEF VON STERNBERG : Plus de lumière.
FRANÇOIS TRUFFAUT : La Politique des Auteurs.

ET DES TEXTES D’ALEXANDRE ASTRUC, JEAN COCTEAU, Fp*


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MANUEL, FAUSTO MONTESANTI ET GEORGES SADOUL.

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