Médiation. Thérapeutique.

Corps
Introduction
Catherine Potel
Dans Thérapie Psychomotrice et Recherches 2022/2 (N° 186), pages 24 à 29
Éditions Syndicat National d'Union des Psychomotriciens (SNUP)
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ISSN 1253-8256
DOI 10.3917/tpr.186.0024

Article disponible en ligne à l’adresse

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 Plantons le décor

Médiation.
Thérapeutique. Corps.
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Introduction

Catherine POTEL *

C’ est un honneur pour moi d’introduire ce colloque sur les médiations et je remercie
vivement toute l’équipe de Montpellier, avec qui j’ai eu le plaisir de travailler
pour la préparation de ces journées.
Je devrai malgré tout, leur en vouloir un peu, car la tâche est rude.
En effet, ne nous y trompons pas, si le thème est alléchant, il peut être néanmoins sujet
à polémiques. Le challenge de ce colloque pourrait être, par le biais de cette réflexion,
de rassembler notre communauté de praticiens
Mots clés : autour de nos fondements spécifiques, tout en
Médiations – Corps – Symbolisation – autorisant cette même communauté à vivre la
Émotion – Espaces transitionnels. singularité de chacun comme autant de richesses
et valeurs ajoutées. Dans notre société tellement
malmenée par les risques d’intégrisme, c’est un
beau pari ! Posons donc comme hypothèse que nous n’aurons pas peur d’entrer dans des
discussions passionnées et passionnantes. Et que, malgré les différences de pratiques
et les diverses influences théoriques des courants actuels, de nouveau, nous sortirons
de ces journées, fiers et heureux de pouvoir nous entendre.

* Catherine POTEL
Psychomotricienne, psychothérapeute, thérapeute en relaxation analytique Sapir.
Travaille actuellement au CMPP de l’OSE à Paris et en privé, à Sceaux. Enseigne à l’institut
de formation en psychomotricité Pitié Salpetrière, université Pierre et Marie Curie.
Membre du conseil scientifique de la SFPEADA (société française de psychiatrie de l’enfant
et de l’adolescent et disciplines associées). Formatrice en relaxation analytique (AREPS).
Fondatrice et responsable formation de l’association Vivre l’eau. A reçu le prix Sapir de la Fondation
de France en 2003 pour l’un de ses travaux de recherche théorico clinique.

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 Métier d’ouverture nous sommes, métier face à une psychanalyse très classique où
d’ouverture nous resterons. En tout cas je le corps occupait peu de place. L’influence
nous le souhaite. incontestable des écrits de Winnicott, ses
travaux sur l’influence de l’environnement
Les questions qui vont se poser à nous tout et les processus de transitionnalité dans la
au long de ces journées vont être à mon avis construction de l’enfant, y sont bien sûr pour
de trois ordres : beaucoup. Un univers théorique formidable
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s’ouvrait à nous et permettait de nous dégager
1- Les différentes définitions du terme d’une tendance fâcheuse à la surinterprétation
médiation. D’où vient-il ? De quelle de mots, quasi obligée à l’époque.
appartenance théorique relève-t-il ? Ce
terme parle-t-il à tous les psychomotriciens Dans nos espaces, « faire, éprouver,
et comment ? Peut-on superposer activité et percevoir, jouer » – autre couleur de l’univers
médiation ? Psychomotricité et médiation ? des médiations - devenaient non seulement
des matières à expression, mais également
2- Pour qualifier une médiation de thérapeu- des voies d’impression, plus que nécessaires,
tique, suffit-il de proposer quelque chose fondamentales à la construction identitaire
à un patient ? De faire quelque chose et à la subjectivation.
avec lui ?
Si d’autres auteurs, à la même époque,
3- Enfin, si on lui associe plus facilement les nous ont éclairé aussi formidablement,
termes de créativité, partage, subjectivité, Winnicott est sans conteste celui qui a donné
plutôt que les ceux de programme, toute sa valeur aux espaces d’expériences
résultats, évaluation, la médiation obéit- (entre autres non verbales), et est à l’origine
elle pour autant au seul principe de plaisir de la réflexion qui engage chaque thérapeute
(pour le patient comme pour le thérapeute). dans ces lieux qui signent l’humanité de
Ne s’agit-il pas au contraire d’une forme l’humain et son inscription dans l’espèce
particulière de tension qui mettrait au humaine.
travail le sujet dans « sa matière première Je cite : « … des expériences culturelles qui apportent
psychique », pour reprendre (un peu à l’espèce humaine cette continuité transcendant
autrement) la belle formulation de René l’expérience personnelle. »
Roussillon ? Univers partagé, créativité déployée, zone
transitionnelle ouverte sur du singulier et de
Mais en premier lieu, il serait difficile l’unique à partir d’une appropriation subjective,
d’entrer dans le sujet « médiation » sans entrecroisement (et parfois portage) qui
évoquer les origines et la rencontre entre se noue dans la rencontre thérapeutique,
psychomotricité et médiation. concrétude d’un environnement perceptible
Pour ce que j’en sais, cette rencontre n’a pas et palpable par les sens,… Nous avons, pour
été immédiate, loin de là. A une époque où beaucoup d’entre nous, intégré - parfois
la psychanalyse était la voie de théorisation presque au delà du raisonnable - ces concepts,
la plus convaincante pour une majorité de et le risque est actuellement de nous perdre
psychomotriciens, le terme de médiation dans les méandres d’une répétition stérile.
apparaît timidement dans les années 1980, très
circonscrit dans les institutions thérapeutiques Nous ne sommes plus en 1980 et si les
innovantes qui faisaient des pas de côté théorisations qui nous ont fait nous épanouir

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 dans nos découvertes ne sont pas pour autant bien avant l’heure, nous étions naturellement
à renier et à jeter à la poubelle, nous devons tournés vers le « faire », le « concret », le corps
continuer à nous renouveler et à poursuivre charnel habité, habitant, existant, symbolisant.
sur la voie de la créativité, si chère à Winnicott. L’intérêt grandissant des autres pour notre
Ce colloque invite donc chacun à approfondir discipline s’accompagne en même temps d’un
et conceptualiser ses outils de travail, afin de risque de dépossession de celle-ci. Pourquoi ?
ne pas rester dans un « copier coller » inutile.
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En 2015, l’enjeu de notre profession, me - Tout le monde fait des médiations, et qui dit
semble-t-il, est de garder son originalité, médiation, dit corps.
de la nourrir et de la frotter à d’autres idées - La voie psychothérapique des médiations
théoriques, tout en conservant ses repères psychocorporelles est très en vogue et
fondamentaux. malgré tout, nombre de psychomotriciens se
sont vus refuser le titre de psychothérapeute.
Un autre enjeu : ne pas se laisser - Par ailleurs, on assiste à l’éclosion d’une
« dévorer » tout cru par l’intérêt grandissant médecine instrumentalisant les pratiques
pour le corps, tant du côté de la psychanalyse thérapeutiques (entre autres psycho-
que par les neuro sciences. motrices). Et il est parfois difficile pour les
En effet : Les sciences cognitives – avec les psychomotriciens de se dégager de cette
nouvelles connaissances sur le fonctionnement nouvelle emprise.
neurologique et le cerveau – placent au
premier plan l’expérience corporelle et Pour toutes ces raisons, plus que jamais,
l’imprégnation de ces expériences sur des me semble-t-il, il nous faut défendre notre
zones corticales insoupçonnées jusqu’alors. position thérapeutique originale et originelle,
Parallèlement, certains courants de la fondée sur le tissage psycho corporel.
psychanalyse contemporaine étudient de
plus en plus ce qui s’inscrit par le corps dans Et continuer à soutenir :
la psyché, poursuivant ainsi les travaux des - Que le sujet s’organise et se construit autour
précurseurs des années 1980 comme R. Kaës, d’un axe double, un corps psychique.
D. Anzieu, J.J. Baranes pour ne citer qu’eux. - Qu’une pratique psychomotrice qui instru-
mentaliserait le corps au détriment d’une
Les uns et les autres (psychanalystes, incarnation habitée, passerait à côté de son
neuropsychiatres) sont séduits par les travaux originalité et sa spécificité.
de A. Bullinger, ignorés pendant longtemps, - Que ne s’improvise pas qui veut à l’exercice
car ils soulignent de façon magistrale les difficile des médiations corporelles. Il faut
passerelles entre psychologie et neurologie. être formé pour cela, et les psychomotriciens
Ainsi, les médiations, jusque là investies le sont dès le début de leurs études.
essentiellement par les infirmiers et les….
psychomotriciens, deviennent d’un côté Le champ (chant) de l’humain est complexe
comme de l’autre, les nouveaux terrains de et l’organisation motrice et fonctionnelle se
recherches sur le fonctionnement mental soutient d’un indispensable investissement
(ex. : méditation), deviennent également les du sujet pour lui-même, par lui-même.
nouvelles formes psychothérapiques.
Et quoi qu’on en dise, la perception de soi
Tout ceci est très bien, et apporte de l’eau dans son image du corps ne se rééduque pas.
à notre moulin, nous qui, au delà des modes et Il faut autre chose.

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 Le territoire des médiations de soi par soi, qui ne peut exister que parce
thérapeutiques psychomotrices qu’il y a un autre qui sert d’intermédiaire et
d’appui. La formation à la médiation se doit
C’est justement dans cet « autre chose » de préparer à la fois à des techniques et
que j’inscrirai le territoire des médiations des méthodes corporelles, mais aussi à cet
thérapeutiques psychomotrices qui prennent engagement du sujet dans des passerelles
ici toute leur place et leur efficacité dans originales, singulières, entre langage du corps
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le champ du soin. Un champ « abrité » où et langage des mots.
le psychomotricien puise dans ses propres Quand je propose à mes étudiants en
capacités d’invention et d’investigation, formation de traduire ce qu’ils ont vécu dans
où peuvent se déployer des points de leur corps, je ne leur impose aucune forme
suspension, d’exclamation, d’interrogation, « scolaire ». Au contraire, je les invite à choisir
ces aspérités qui surgissent de l’écoute du leur forme singulière. C’est ainsi que certains
corps. Un corps qui dit, un corps qui chante, se découvrent peintres, poètes, musiciens,
qui danse, qui éprouve, qui exprime. Là où le preneurs d’images ou de sons. Chacun à sa
psychomotricien se permet de rêver pour son manière va chercher en lui ce qui lui ressemble.
patient, attend, espère, et donne du temps
au temps. La médiation soumet le sujet à
la tension d’existence. Se ressentir vivant, Pour conclure
en « faisant » ! N’être en aucun cas faiseur
« opératoire » et opérationnel. Parler des médiations, c’est donc choisir
De la terre, de l’eau, de l’air, de la lumière. d’ouvrir la porte de nos salles et multiples
Des matières, souples, aériennes, dures, lieux de la psychomotricité et d’entrer dans le
molles, vibratoires. « vif du sujet ». S’ancrer dans nos pratiques,
De la couleur, de la chaleur, des sons et au quotidien, et échanger autour de celles-ci.
des odeurs. Comment, pourquoi, pour qui ? Autant de
De la voltige, de l’équilibre, du mouvement, questions « de fonds » qui vont chercher à
du geste. argumenter (parfois légitimer) et spécifier le
De l’espace et du temps. choix de ces « matières » à travail et à penser
qui sont là, non pas pour occuper la tête et le
De tout temps le sujet humain s’est saisi corps, mais bien pour ouvrir sur une rêverie,
de ses perceptions pour exprimer au dehors une nouvelle expression ou image de soi,
ce qu’il ressent à l’intérieur. une nouvelle émotion.
De tout temps, le sujet humain s’est saisi de ce
qu’il éprouve à l’intérieur pour donner forme à Les espaces de médiation sont avant tout
la rencontre entre lui et le monde. Son langage des activateurs d’émotions et comme le dit si
naît de ce double mouvement. Tout ceci est, bien Christine Angot, il n’y a rien de plus concret
on ne peut plus sérieux, car pour nos patients, que l’émotion dans le corps. Des tentatives
ce double mouvement s’est arrêté ou ne s’est pour sortir du silence et contourner la violence.
jamais produit.
C’est bien là l’intérêt de ces journées :
Nos espaces de médiation tentent de non pas dresser un catalogue de toutes les
remettre en mouvement ce processus de activités psychomotrices existantes, mais bien
représentation et d’auto représentation qui offrir à tous ici présents un espace pour penser
nourrit la permanence et l’investissement ce qui nous fait fonctionner et nous prépare à

27 THÉRAPIE PSYCHOMOTRICE -et Recherches- N° 186 - Collection 49

 ce processus très actif dans les médiations, harmonisation, une vraie zone de créativité
l’activité de transformation psychique, qui peut exister pour le sujet, dont dépendent
fait de la matière ou du vécu « concret », la son existence et sa capacité d’être en lien avec
promesse d’une nouvelle mise en forme de lui-même et avec les autres.
soi. Opération de transformation qui décale
et met de l’espace entre le sensori perceptivo Ainsi, le questionnement central d’une
moteur et la représentation. Le sensible et médiation psychomotrice ne se réduit
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le dire. pas au « comment on fait » qui serait un
« Matérialiser l’activité de symbolisation1 » questionnement sur la méthode, mais
est donc ce vers quoi tend chaque « pourquoi on le fait ».
psychomotricien, en suscitant du vécu et de Ainsi, quand je reçois Paolo chaque semaine
l’éprouvé. – Paolo est un adulte enfermé dans l’autisme
Organiser, structurer, élaborer à partir des depuis 40 ans – et que chaque semaine il me
projets et contenus des médiations, vont dit : « On chante ? On va chanter ! Voilà ! »,
donc être les tenants et aboutissants de ces chanter avec lui prend toute son sens quand
dispositifs thérapeutiques qui dessinent je le vois sourire et danser avec moi. Alors je
un contour, des limites, des règles de convoque pour lui les plus grands : Charles
fonctionnement, autour d’un objet à partager, Trenet, Al Jarreau, Michel Petrucciani, Michel
à construire ensemble, à désirer, à investir. Legrand, Nathalie Desey, Bireli Lagrenne, et
tant d’autres…
Dans chacune des situations cliniques Jamais Paulo ne sortira de sa gangue autistique,
rencontrées, et quelle que soit la proposition mais ceci n’a pas tellement d’importance dans
(de l’eau, du sable, des jeux logico ces moments où je sens du plaisir de vivre,
mathématiques, du mime, de la pâte à qui circule entre lui et moi !
modeler, du dessin, des marionnettes, de la
danse, du chant, du cheval, du cirque, etc,…), La théorisation des médiations théra-
le savoir faire du psychomotricien est de peutiques transitionnelles n’est pas une
donner une place juste au corps et aux actes, histoire simple, mais c’est une histoire riche,
entre expériences corporelles et langage, à construire et à déconstruire, à fabriquer, à
afin d’harmoniser le rapport entre la fonction tisser, à « couturer ». Mais c’est toujours une
instrumentale du corps et sa fonction de histoire à inventer avec les patients.
résonateur émotionnel. A la faveur de cette Car « ça s’invente ensemble ». n

(1) René Roussillon dans « Les médiations thérapeutiques »,

sous la direction de Anne brun, ères, 2011.

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