005 - 2002 - V1 - Jean Pruvost - Les Dictionnaires Dapprentissage Monolingues Du Francais Langue Materne
005 - 2002 - V1 - Jean Pruvost - Les Dictionnaires Dapprentissage Monolingues Du Francais Langue Materne
Résumé
Brosser un panorama analytique des dictionnaires d'apprentissage monolingues du français langue maternelle,
depuis leur écIosion patente au cours du XIXe siècle jusqu'à leur plus récente évolution au début du XXIe
siècle, suppose, d'une part, que l'on ait déjà défini et recensé les dictionnaires destinés aux élèves du système
scolaire français et, d'autre part, que l'on ait au préalable distingué les différentes grandes étapes parcourues au
cours de ces trois siècles.
C'est en suivant la chronologie des publications et en examinant, au regard des mouvements linguistiques de la
période concernée, le contenu de ces dictionnaires ainsi que les objectifs poursuivis par leurs auteurs, qu'une
telle analyse peut être efficacement élaborée.
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les enfants de quatre à treize ans) et fortement sensibilisé au caractère indispensable d'un
dictiormaire d'apprentissage.
Quant à la dictionnairique - un mot que Charles Nodier a déjà utilisé au XIXe siècle mais
qui était tombé dans l'oubli jusqu'à ce que B. Quemada ne l'exhume-, elle définit le fait
d'élaborer un dictionnaire en tant que produit offert à la vente, avec donc toutes les
problématiques dont relève chaque réalisation, en tant qu'instrument de consultation, média
culturel conçu à dessein pour un public déterminé d'acheteurs potentiels. Ainsi, ne faut-il
jamais oublier que le dictionnaire représente un produit technico-commercial dont le contenu
est défini en fonction des moyens qui lui sont consentis pour une clientèle délimitée, dans le
cadre d'une étude de marché précise.
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Pour forcer un peu le trait, nous dirons qu'à la recherche gratuite portant sur les ensembles
de mots, sur leurs sens à attester, sur les rapports sémantiques à établir entre eux, sur leur
morphologie, etc. - et nous sommes ici en lexicographie - fait en principe suite une
éventuelle seconde étape, correspondant au choix d'une mise en forme éditoriale pour un
public donné avec des contraintes financières, par exemple le choix d'un nombre déterminé
de pages et donc de signes typographiques, le tout impliquant une sélection d'informations,
qu'il s'agisse de la nomenclature ou du contenu des articles, pour entrer dans le moule défini
- et nous sommes alors en dictionnairique.
Ainsi, il convient de se souvenir que, par exemple, lorsqu'un mot est à ajouter dans la
nomenclature d'un dictionnaire millésimé, saufsi l'édition à venir correspond à une refonte
complète, en principe l'éditeur demande à ce que soit gagnée de la place dans la page
concernée par ce mot pour pouvoir l'insérer sans changer les feuillets qui suivent et ceux qui
précèdent. On diminue alors çà et là quelques articles de ladite page, supprimant tantôt un
exemple, tantôt une acception, etc., pour gagner la place nécessaire à l'introduction du mot
nouveau. On ne se situe plus ici en lexicographie mais en dictionnairique : le produit à
vendre, avec le souci éditorial de n'avoir qu'une page à changer pour la prochaine édition,
est plus important que la précision sémantique.
Afin de mieux percevoir encore ce que l'on entend par lexicographie et dictionnairique,
signalons que si l'on peut à la fois être un bon lexicographe et un bon dictionnariste, il est
aussi possible de dissocier les deux attitudes. Ainsi, P. Imbs, qui a conçu le Trésor de la
languefrançaise (TLF) et assuré la direction des sept premiers volumes, s'est distingué en
tant qu'excellent lexicographe, conduisant avec talent la recherche portant surles mots mais,
en revanche, ¡1 n'a pas fait réellement ses preuves en tant que dictionnariste. On sait en effet
que si l'on avait continué la rédaction de ce grand dictionnaire sur le modèle des quatre
premiers volumes, ce ne sont pas seize volumes qui auraient été nécessaires pour aboutir,
mais quarante... Ce qui n'empêche pas bien entendu le TLF d'être un dictionnaire
remarquable, même si les premiers volumes relèvent en partie d'une hypertrophie. Chacun a
su gré à Bernard Quemada d'avoir cumulé les qualités de très bon lexicographe et de très
bon dictionnariste pour redonner à l'ouvrage une homogénéité propice à son achèvement
harmonieux dans les temps impartis. Le bon dictionnariste est aussi en effet celui qui sait
tenir compte d'un temps d'élaboration programmé.
Un dernier cas de figure permettra de faire mieux appréhender la distinction à opérer entre le
lexicographe et le dictionnariste. Signalons par exemple le cas inverse et plus rare du très
bon dictionnariste qui n'a pas eu au préalable à faire œuvre de lexicographe : on sait ainsi
que le Maxidico qui s'est vendu en 1996 et 1997 dans les établissements scolaires, en
concurrence forte avec le Petit Larousse illustré, a fait l'objet d'un procès pour plagiat du
Petit Larousse et du Petit Robert, les auteurs du Maxidico ayant semble-t-iI puisé un grand
nombre d'informations dans ces deux derniers ouvrages. Or, il faut bien l'avouer, l'ouvrage
ne manquait pas de charme et on ne saurait blâmer un grand linguiste comme Charles Muller
d'en avoir vanté les aspects pertinents pour la personne qui le consultait, enfant ou adulte.
C'est qu'en définitive, sans avoir apparemment procédé à la recherche lexicographique qui
s'imposait, cet ouvrage résultait indéniablement d'une dictionnairique bien conduite et
attractive. Si l'on s'en tient au procès, on pourrait ainsi conclure que, la lexicographie ayant
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été extraite d'autres ouvrages, la seule mais réelle originalité du produit résultait d'une
dictionnairique de talent.
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Puis, dans un deuxième temps, en partant de deux récents dictionnaires d'apprentissage qui
ont fait sensiblement progresser la méthodologie, nous esquisserons ce qui paraît
correspondre en ce début de XXIe siècle aux premières traces de ce que nous appelons une
lexicographie-dictionnairiquepragmatique, nouvelle étape de cette histoire des dictionnaires
d'apprentissages monolingues français.
À cet égard, nous ferons référence à la dichotomie établie par A. P. Cowie à propos des
dictionnaires d'anglais langue étrangère1 (« english dictionaries for foreign learners ») qui
distingue, d'un côté, les « dictionnaires orientés par la recherche » (dictionaries which are
research-driven) et, de l'autre, les « dictionnaires orientés par l'usager » (dictionaries which
have been user-driven determined). Ces deux concepts, particulièrement éclairants pour les
dictionnaire d'anglais langue étrangère, nous paraissent devoir être repris ici pour définir la
nouvelle étape dégagée dans l'évolution des dictionnaire d'apprentissage du français langue
maternelle. En effet, en attendant de nouvelles étapes, l'histoire des dictionnaires
d'apprentissage n'ayant sans doute pas atteint son terme, il semble bien que l'on assiste au
début du XXIe siècle à une judicieuse tentative de synthèse entre les deux orientations
présentées par A. Cowie à propos des dictionnaires d'anglais langue étrangère (research-
drive/user-driven dictionaries), déterminant ce qui nous semble constituer une nouvelle
étape : la lexicographie-dictionnairique pragmatique.
En vérité, avant que n'apparaissent de réels dictionnaires d'apprentissage, très tôt, peu après
la naissance de nos premiers dictionnaires monolingues, s'étaient rapidement répandus sur le
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marché des « Abrégés » destinés à rendre plus facilement accessibles les savoirs
lexicographiques engrangés dans les gros dictionnaires fondateurs, ouvrages volumineux
souvent constitués de plusieurs in-folios. 11 suffit en l'occurrence d'évoquer le tout premier
de nos dictionnaires monolingues français, le Dictionnairefrançois contenant les mots et les
choses publié par Pierre Richelet en 1680, dictionnaire qui se présentait pourtant en simples
in-quarto, pour comprendre les mécanismes de la réduction mis en œuvre à partir de l'édition
originale d'un gros dictionnaire. Ainsi, après quelques rééditions à la fin du XVIIe siècle
(1685, 1688, 1689, 1690, 1695), le Dictionnairefrançois de Richelet fait-il l'objet, au milieu
du siècle suivant, en 1756, d'un Abrégé, c'est-à-dire si l'on s'en tient à la définition dudit
dictionnaire, d'une version raccourcie, resserrée, plus succincte. Faut-il ici faire état de
lexicographie ? La réponse est sans aucun doute négative : ces « abrégés » ne sont en effet
tout d'abord que la « rédaction réduite d'un écrit »2, selon la définition relevée dès les
premières attestations du mot (1305) et qui ne change guère au long des siècles.
Un autre terme relevant de la réduction s'affirme petit à petit. 11 s'agit du « manuel », cette
forme substantivée de l'adjectif se rattachant à la « main » désigne en effet, comme en
témoigne déjà Furetière dans le Dictionnaire universel (1694), « de petits Livres ou des
abregez qu'on peut porter à la main ». Ainsi en est-il du Manuel lexique en deux volumes
que l'Abbé Prévost consacre, en 1750, aux « mots françois dont la signification n'est pas
familière à tout le monde ». Par manuel, il faut tout d'abord comprendre que l'on a affaire à
un ouvrage que l'on peut tenir facilement, dans une main, et ensuite que l'on dispose d'un
ouvrage de caractère pratique, s'affirmant par un contenu offrant l'essentiel. Comme le
soulignera Littré dans le Dictionnaire de la languefrançaise (1873), centré sur les usages du
XVIIe et XVIIIe siècles, le « manuel » définit le « Titre de certains livres ou abrégés qu'on
doit toujours avoir, pour ainsi dire, à la main, et qui présentent l'essentiel des traités longs et
étendus écrits sur la matière ». C'est cette dernière acception didactique qui l'emportera et de
là vient le titre de « dictionnaire manuel » donné à de nombreux dictionnaires au cours du
XIXe siècle.
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KEYNOTE AND PLENARY PAPERS
De Wailly est l'un des premiers à évoquer le « livre classique », avant que d'autres
dictionnaires ne soient qualifiés de « classique ». Retenons que l'adjectif « classique »
qualifie alors et encore aujourd'hui les auteurs « dont on voit les ouvrages au Collège »,
selon la définition même apportée par De Wailly dans le Dictionnaire de Richelet de 1802.
Ainsi, un dictionnaire « classique » est-il par définition destiné aux classes du Collège, c'est-
à-dire aux élèves de plus de onze ans en général. L'un des « dictionnaires classiques » les
plus connus reste le Larousse classique, né en 1910 sous la direction de Claude Augé, qui
pérennisera cet intituléjusqu'en 1987 avec, de fait, les Collèges pour public privilégié.
Cette rapide analyse des intitulés apparus aux XVIIIe et XIXe siècles n'est pas sans éclairer
sur une période au cours de laquelle on n'appréhende pas encore la lexicographie
d'apprentissage comme un genre autonome, il s'agit toujours de proposer des ouvrages
présentés pour leur aspect pratique en tant que réduction d'ouvrages ou de savoirs de plus
grande ampleur.
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lycées impériaux, sous Napoléon Ier, et, à la suite de la loi Guizot de 1833, les Écoles
normales qui forment les premiers instituteurs.
Parmi les nombreux auteurs de dictionnaires qui relèvent de cette première étape, il faut
signaler principalement Noël François De Wailly (1724-1801) dont l'activité éditoriale fut
très importante, qu'il s'agisse comme on l'a vu de la révision du Dictionnairefrançais de
Richelet, ou du Dictionnaire de l'Académie dont il propose un Abrégé en 1801, avec le titre
significatif de « Nouveau vocabulaire français ou Abrégé du Dictionnaire de l'Académie »
correspondant à un in-octavo. Noël François De Wailly s'était déjà signalé en 1771 avec la
parution d'un in-120 consacré aux Moyens simples et raisonnes de diminuer les
imperfections de notre orthographe dans lequel étaient pris en compte les principes de
Dumarsais, de Voltaire et de Duclos, témoignant ainsi de son intérêt actif pour la langue
française. Même si le dictionnaire Abrégé qu'il propose sur le marché reflète le souci
prudent d'offrir la norme en vigueur, De Wailly y fait œuvre nuancée et de qualité, restant
soucieux de rendre compte de l'évolution de la langue. Au reste, Larousse qui n'ajamais été
complaisant avec les autres auteurs de dictionnaire, déclarera dans la notice qu'il consacre à
De Wailly dans le Grand Dictionnaire universel du XĽC siècle (1873) que cet Abrégé
représentait le « premier livre bien fait dans ce genre ». De facture et de tonalité classique,
selon la formule même de De Wailly donnée dans sa préface, il importe cependant
prioritairement de « renfermer beaucoup de chose dans un cadre très-resserré ». On ne
saurait mieux définir la dictionnairique de réduction.
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KEYNOTE AND Pl.ENARY PAPERS
En 1808, Chapsal avait déjà publié, sous la forme de deux volumes in-octavo, un
Dictionnaire grammatical, et de sa rencontre avec l'Inspecteur général Noël, devait naître,
en 1823, \aNouvellegrammairefi-ancaise, égalementconstituéede deux volume, le premier
volume offrant la grammaire proprement dite et le second les exercices. Cette grammaire, en
réalité davantage le fait de Chapsal que de Noël, bénéficia forcément du poids institutionnel
de l'inspection générale qui la fit adopter dans tous les conseils de l'enseignement. Elle
connut un succès retentissant, plus de trente ans durant, accompagnée de toute une série
d'ouvrages adaptés à chaque niveau.
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EURALEX 2002 PROCEEDINGS
La logique éditoriale et institutionnelle poussait à ce que soit doublé par des dictionnaires ce
code grammatical, qui tranchait par sa clarté et sa cohérence méthodologique avec les
ouvrages concurrents qui ne pouvaient rivaliser. Ainsi, Noël, naguère partisan sincère de la
Révolution et qui, dès 1802, avec Bonaparte bientôt Napoléon Ier, occupait la position
enviable et stratégique d'Inspecteur général de l'Instruction publique, publia par exemple un
Dictionnaire de la Fable (c'est-à-dire de la mythologie) en 1801 et un Dictionnaire
étymologique, en 1831. En s'associant à Chapsal, il fit paraître pendant les trente premières
années du XIXe siècle le Nouveau Dictionnaire de la langue française qui eut un succès
considérable dans les collèges. En réalité, œuvre de compilation, de facture et de contenu
très académiques, dotée d'une nomenclature où n'étaient admis qu'avec « une extrême
réserve les mots nouveaux », ce petit dictionnaire en un volume et à gros tirage symbolise
parfaitement le type de dictionnaire conformiste et convenu alors proposé à des élèves
totalement rivés à un système scolaire peu propice à l'épanouissement créatif.
On constatera au passage que tous ces dictionnaires prennent pour référence le dictionnaire
de l'usage régulièrement édité par l'Académie française, la cinquième édition (1798) ou la
sixième (1835). Présenté dès sa première édition comme un dictionnaire qui « ne sera pas
moins utile, tant à l'esgard des Estrangers qui aiment nostre Langue, qu'à l'esgard des
François mesmes qui sont quelquesfois en peine de la veritable signification des mots », le
Dictionnaire de l'Académie a en réalité toujours été considéré comme un dictionnaire bien
adapté à l'enseignement, n'était-ce son format in-quarto qui ne lui conférait pas un caractère
«portatif» ou «manuel». Aussi est-ce tout naturellement qu'il constitue la source
privilégiée des dictionnaires répandus dans les établissements scolaires.
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acceptions tant dans le sens propre que dans le sens figuré ; 3° tous les mots introduits de nos
jours dans les sciences et les arts ; 4° enfin ceux que l'usage a nouvellement adoptés, et qui
ne se trouvent dans aucun des autres Dictionnaires. » On bénéficie là, dans le cadre d'une
dictionnairique de la réduction et de l'accumulation, d'un stéréotype parfait du dictionnaire
que l'on croit parfaitement adapté aux « jeunes gens » en cours d'apprentissage. Beaucoup
de chemin reste à parcourir.
Rappelons tout d'abord que Pierre Larousse, fils de la Bourgogne, avec une mère aubergiste
et un père forgeron, incarne la génération des instituteurs issus de la loi Guizot de 1833, loi
fondatrice qui instaure les Écoles normales où sont enfin formés les instituteurs. Sa
génération sera profondément marquée par une foi indéfectible en le progrès et un sentiment
républicain très affirmé que concrétisera l'avènement de la Troisième République en 1871.
Tourné vers l'avenir et donc vers la jeunesse, Pierre Larousse impulse un mouvement
lexicographique innovant qui, en se conjuguant à la puissance d'érudition de son
contemporain Littré, tourné vers le passé et notamment vers le XVIIe siècle, transforme en
profondeur la lexicographie française.
Quelle souffle nouveau apporte P. Larousse dans ce petit ouvrage de 714 pages qu'il intitule
Nouveau Dictionnaire de la languefrançaise ?
Une première réflexion est conduite quant à la mention impérative d'exemples forgés avec
une épigraphe qui, ainsi apposée en 1856, restera l'apanage des dictionnaires Larousse
jusqu'en 1968 : « Un dictionnaire sans exemple est un squelette ». Ce calque d'une formule
de Voltaire, énoncée à propos du Dictionnaire de l'Académie auquel ce dernier voulait
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ajouter des citations, est significatif d'un changement d'attitude. À la conception d'une
dictionnairique de la réduction tout entière consacrée au décodage se substitue
progressivement une autre dimension, celle d'une dictionnairique qui laisse une place à
l'encodage. Cette attitude est significative d'un mouvement didactique dont P. Larousse est
un des meilleurs promoteurs à travers ses ouvrages de lexicologie dont le succès est
considérable dans les écoles. Installer une didactique du français qui passe par la
participation active des élèves et donc des activités d'encodage, telle est bien la perspective
que développe P. Larousse. Le dictionnaire est alors considéré comme un outil au service de
cette autonomie, avec donc la nécessité d'offrir des exemples forgés pour mettre en situation
les mots.
Avouons cependant que le plus important reste ici la déclaration d'intention qui vaut
avertissement pour les pédagogues et les autres lexicographes. Le Nouveau Dictionnaire de
la languefrançaise en lui-même n'est pas en effet si riche en exemples que pourrait le laisser
croire la préface : le Dictionnaire de l'Académie auquel d'ailleurs P. Larousse rend
hommage reste encore, dans la seconde moitié du XIXe siècle, le dictionnaire pourvoyeur par
excellence des meilleurs exemples forgés. 11 n'empêche que P. Larousse innovait ¡ci sur le
plan théorique.
Une troisième réflexion porte sur ce que nous appellerons la polyvalence cloisonnée d'un
dictionnaire destiné aux établissements scolaires. Cette idée nous semble pionnière dans la
mesure où, bien que mal appliquée dans les dictionnaires du XXe siècle, voire même
abandonnée dans la seconde moitié du XXe siècle lorsque régnera le structuralisme, elle se
trouve efficacement reprise au moment de la transition entre le XXe et le XXIe siècle,
période de nouveau ouverte à la notion de polyvalence dictionnairique. Comment se
manifeste cette polyvalence dans le Nouveau Dictionnaire de la languefrançaise ? À travers
tout d'abord une formule révélatrice qui va faire florès : « Quatre dictionnaires en un seul ».
Avancée dans la préface, puis sur la page même de titre du dictionnaire, cette formule
signalise en effet la présence dans le même volume de quatre recueils distincts : le
Dictionnaire de la languefrançaise à proprement dit (623 p.), suivi d'un Dictionnaire de la
prononciation (10 p.), puis de Notes scientifiques, étymologiques, historiques et littéraires
(66 p.) et enfin, d'un Dictionnaire de locutions latines (15 p.).
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KEYNOTE AND Pl..ENARY PAPERS
On ne s'appesantira pas sur le détail de cette articulation qui peut se concevoir autrement et
faire l'objet de regroupements différents, qui auront d'ailleurs en partie lieu, puisque les
Notes scientifiques, étymologiques historiques et littéraires rejoindront en effet dans la
décennie 1870-1880 les articles du Dictionnaire de la languefrançaise et détermineront une
seconde partie, « encyclopédique », derrière la définition des mots de la nomenclature. Ce
qu'il faut retenir, c'est que le dictionnaire d'apprentissage, moins qu'un autre, ne peut pas
être pleinement opérationnel s'il ne traite que la langue sans tenir compte de la dimension
encyclopédique.
Aujourd'hui presque introuvable bien que vendu à plusieurs millions d'exemplaires tout au
long de la seconde moitié du XIXe siècle, le Nouveau Dictionnaire de la languefrançaise né
en 1856 contenait en germes nombre d'éléments déterminants pour une réflexion plus
avancée sur le dictionnaire d'apprentissage du français langue maternelle, fut il encore,
comme c'en était le cas, du côté de la dictionnairique de la réduction à partir des
informations contenues dans les grands dictionnaires du moment.
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On notera cependant que Larousse ne partait pas d'un dictionnaire déjà fait, puisque
contrairement à la tradition qui fait dériver dans une collection un petit dictionnaire en
partant du grand, le petit dictionnaire en un volume précédait ici le grand à venir, en 17
volumes (1864-1890), et c'était sans doute là une démarche très propice à un renouvellement
de la réflexion.
Dès 1880, à l'instar des dictionnaires offerts sur le marché, l'Abrégé du Dictionnaire de Litre
bénéficiera d'un Supplément d'Histoire et de Géographie contenant la mythologie, l'histoire
ancienne et'moderne, la biographie des personnages célèbres de tous lespays et de tous les
temps et la géographie comparée, ancienne et moderne, de 107 pages sur trois colonnes,
rédigé par A. Beaujean, « spécialement composé pour la jeunesse des écoles », est-il précisé
dans la préface. 11 s'agissait d'une pratique identique à celle adoptée par la maison d'édition
Larousse qui avait donné une suite au Nouveau Dictionnaire de la languefrançaise avec le
Nouveau Dictionnaire illustré (1878), séparant la partie consacrée à la langue de celle
dévolue aux noms propres par les célèbres pages roses dévolues aux locutions latines. Ainsi,
dans le sillage de l'œuvre des deux grands lexicographes de la fin du XIXe siècle, la
réduction et le cumul d'information portant sur les mots de la langue et sur les noms propres
s'installaient en règle.
Dans l'ambiguïté d'un marché ouvert aux élèves des collèges et des lycées, mais pouvant
aussi s'élargir au grand public souhaitant disposer d'un abrégé, paraissent alors de nombreux
dictionnaires en un volume. Certains correspondent à un travail original, indépendant de la
réduction d'un grand dictionnaire préexistant dans la maison d'édition qui les publie,
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KEYNOTE AND PLENARY PAPERS
ouvrages qui malgré leur pertinence restent de nature compilatrice et inscrits dans la
démarche de réduction d'informations. On citera par exemple le Dictionnaire classique
universel de T. Bernard (1857), le Nouveau Dictionnaire classique illustré d'A. Gazier
(1887) et l'anonyme Dictionnaire encyclopédique illustré (1906) chez Colin, etc.
Aucun de ces « petits » dictionnaires ne fait en réalité œuvre originale. Seuls le nombre de
mots, la qualité des définitions, la densité des planches et des illustrations, permettent de les
différencier sans pour autant que l'un d'entre eux ne se détache nettement de par des
caractéristiques exceptionnelles. On peut cependant conclure à la fin du XIXe siècle à une
grande victoire de la dictionnairique de la réduction au constat de la très large diffusion de
ces ouvrages auprès d'un public désormais acquis au dictionnaire en un volume, mis à la
disposition des élèves ou des foyers. À côté du « grand » dictionnaire de renom, est
désormais presque systématiquement installé le « petit » dictionnaire qui a su conquérir son
autonomie.
Le Petit Larousse illustré, de par son immense succès et sa présence dans les établissements
scolaires, a en définitive instauré un modèle de dictionnaire d'apprentissage. Fondé sur la
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EURALEX 2002 PROCEEDINGS
C'est tout d'abord la Maison Larousse même qui, en conquérant tous les publics au cours de
la première moitié du XXe siècle, décline cette formule avec des dictionnaires plus petits que
le Petit Larousse illustré. On relève ainsi, en 1910, sous la direction de Claude Augé, le
Larousse classique illustré, destiné plus particulièrement aux collèges et aux lycées, encore
qu'il ait été aussi très vendu auprès du grand public L'adjectif « classique » prend ici sa
dimension didactique, même si l'ouvrage se présente surtout comme une réduction du Petit
Larousse illustré. En 1914, un nouveau dérivé voit lejour : le Larousse élémentaire illustré,
sous la direction de Claude Augé et de son fils Paul. En 1936, paraîtra également le Petit
Dictionnairefrançais dirigé par P. Augé, dictionnaire de dépannage très présent dans les
écoles. Le Larousse classique illustré et le Larousse élémentaire, millésimés, baliseront ainsi
une grande partie du siècle et ne sortiront du marché qu'en 1987, après avoir connu un
succès exceptionnel au moins jusque dans les années 1970. Tous deux méritent une rapide
analyse.
On décrira d'abord le Larousse élémentaire qui s'inscrit en réalité, comme en témoignent les
premières préfaces et comme on l'oublie presque toujours, dans la filiation du Nouveau
Dictionnaire de la languefrançaise. 11 s'agit en effet d'un dictionnaire qui n'est pas annoncé
comme destiné aux classes de l'école élémentaire, même si Vad}ectifelementaire est à cet
égard ambigu. Par « élémentaire », on laisse supposer selon la définition même qui en est
donnée dans les colonnes du Larousse élémentaire, « simple », « peu compliqué »,
renfermant les éléments essentiels, qu'il s'agisse de la langue ou des noms propres. A cette
préface habile, supposée s'adresser à tous publics, correspond bien une diffusion massive
dans les écoles, au point qu'en 1956, au moment d'une refonte en profondeur, dès les
premières lignes de la préface, les éditeurs l'assimilent sans hésiter à un ouvrage
d'apprentissage : « L'actuel Larousse élémentaire vient aujourd'hui relever son aîné, au
terme d'une longue et brillante carrière. Depuis 1914, bien des générations d'écoliers ont eu
quotidiennement entre les mains ce petit volume à couverture rouge, ce qui prouve
suffisamment son efficacité et le soin qu'apportait l'éditeur à le tenir à jour. [...] Le
Larousse élémentaire est aujourd'hui tout spécialement destiné aux élèves de
l'Enseignement du premier degré et du premier cycle de l'Enseignement du second degré »
(6e-3e). Ce discours clair traduit indirectement une évolution sensible du public qui
commence à souhaiter des produits mieux cernés, au moment où les éditeurs proposent une
dictionnairique plus ciblée.
Pour correspondre à cette démarche, dès 1956, d'une part, les éditeurs procèdent à un
enrichissement du vocabulaire des différentes disciplines scolaires, y ajoutant les
néologismes propres aux revues destinées à la jeunesse (portant par exemple sur
l'automobile, l'aviation, le sport, etc.) et, d'autre part, ils allègent la nomenclature en
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KEYNOTE AND PLENARY PAPERS
Le Larousse classique illustré, qui connaît aussi une refonte importante au milieu du siècle,
en 1957, réaffirme de la même manière son identité en la précisant. Les éditeurs insistent en
effet sur le fait qu'il s'adresse « aux élèves de l'enseignement secondaire et aux étudiants
pour lesquels aucun dictionnaire encyclopédique manuel n'avait été particulièrement
conçu ». Dès sa naissance, l'une des particularité du Larousse classique illustré était que s'y
mêlaient mots de la langue et noms propres dans une nomenclature unique. Cette formule
qui correspondait à celle des « grands » dictionnaires Larousse auxquels on préparait sans le
dire les futurs adultes représentés par les élèves, est abandonnée en 1947 pour adopter la
même présentation, en deux parties, que celle du Petit Larousse illustré. Elle est cependant
reprise en 1957, sans doute parce qu'un grand dictionnaire encyclopédique est en gestation.
Dans la refonte de 1957, les articles sont en fait explicitement sélectionnés en fonction du
public de collégiens et de lycéens auquel s'adresse l'ouvrage. Ainsi, les mots d'argot et ceux
de la langue populaire en sont rejetés, « sauf quelques rares exceptions », pour faire surtout
place aux techniques modernes, aux vocabulaires de la philosophie, du droit, de l'économie
politique, de sciences naturelles. Les étymologies y ont aussi leur place, de même que la
mention des synonymes et des contraires, avec une réflexion particulière sur les définition
pour éviter les cercles vicieux. Enfin, à partir de 1957, figureront aussi les acceptions propres
au XVIe, XVIIIe et XIXe permettant de mieux comprendre les textes littéraires.
La troisième consiste à signaler que si l'une des constantes de ces deux ouvrages reste la
mention des noms propres avec le souci d'une mise à jour encyclopédique à la faveur de
chaque nouveau millésime, ce principe est abandonné pour les dictionnaires d'apprentissage
qui prennent le relais : aux mots de la langue sont en effet consacrés un volume entier.
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11 serait injuste de ne pas citer quelques autres ouvrages de cette première moitié du XIXe
siècle, même si aucun n'a vraiment pu faire concurrence à Larousse. Signalons simplement,
chez Hachette, une réduction de l'Abrégé du Littré, le Petit Dictionnaire universel, en
somme une réduction au deuxième degré, qui ne brille pas par la qualité. Bien que
« spécialement destiné à jeunesse des écoles », cette réduction de réduction offre une
nomenclature et un appareil définitoire notoirement indigents. A cet ouvrage de dépannage
sur la langue correspond, toujours chez Hachette, édité en 1924, un dictionnaire multi-usage,
une sorte d'encyclopédie universelle qui va connaître un solide succès, le Tout en un. Celui-
ci rassemblait, dans le cadre de ses 1488 pages, sept dictionnaires (français, histoire,
géographie, cuisine, etc.) se succédant, le tout en caractères très serrés.
Ainsi, qu'il s'agisse de Larousse qui occupe presque tout le territoire lexicographique, ou de
ses concurrents, la première moitié du XIXe siècle n'enfreint pas la règle forgée au siècle
précédent : la réduction et le cumul d'informations restent la règle pour les dictionnaires
d'apprentissage. Cependant, au lendemain de la seconde Guerre mondiale, une autre période
allait commencer.
Les commentaires qui en sont donnés dans le texte de présentation montrent à quel point M.
De Toro est attentifà l'aspect scientifique de cette approche : « Dans l'idée de ses créateurs,
il ne s'agissait pas de donner les éléments d'unfrançais basique, analogue au basic english
des Américains, sorte de code permettant de tout exprimer par voie de substitution ou de
périphrases approximatives, mais de jeter les fondements de l'acquisition d'un français
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Si le Dictionnaire Hachettejunior est de bien meilleure qualité que le premier, tous deux
illustrent un nouveau concept né d'une conception wittgensteinienne de la langue selon
laquelle le mot n'a que des emplois, ce qui implique qu'il est préférable de l'appréhender
d'abord dans son contexte, de manière naturelle en quelque sorte. Ainsi, bon nombre
d'articles, sitôt le mot donné en entrée, commence par une phrase-exemple, suivie d'une
glose définitionnelle.
En vérité, c'est en 1972, chez Bordas, qu'un grand linguiste, Marcel Cohen, en collaboration
avec Maurice Davau et Marcel Lallemand, avait déjà expérimenté cette formule dans le
Dictionnaire du français vivant, destiné en principe à des collégiens. La formule était
audacieuse, et les linguistes donnant alors le ton à l'ensemble des sciences humaines, on
n'hésita pas à en faire la doxa lexicographique du moment dans les dictionnaires
d'apprentissage3, d'où cette convergence d'attitude pour les deux principales maisons
d'édition se partageant un marché florissant. On se situe en effet à la fin des célèbres trente
glorieuses, marquées par la richesse économique, et se développent des Bibliothèques
centres documentaires (BCD) dans les écoles primaires, lieu d'accueil par excellence des
dictionnaires considérés comme des outils d'autonomie, un des maîtres mots de la pédagogie
d'alors.
Ajoutons que ces deux ouvrages se démarquent par une importance accrue de l'illustration à
la fois abondante, attractive et soignée. À travers 96 pages illustrées pour le premier et 64
pages en quadrichromie pour le second, une large place est faite à des termes indiqués au
sein de l'image, en surimpression, termes qui ne sont pas pour autant repris dans la
nomenclature. Un effort notable est fait pour offrir à l'élève un ensemble cohérent, avec des
thématiques qui, selon la formule avancée en préface du Nouveau Larousse des débutants, se
présentent comme « un panorama du monde contemporain ». Les linguistes commencent en
vérité à prendre en compte cette dimension sémiotique pour décrire efficacement la langue :
« S'il est vrai que le rapport des mots et des choses peut être expliqué par le seul système
linguistique, il apparaîtra encore bien plus clairement chaque fois que pourront intervenir des
tableaux ou des schémas (par exemple, calendrier, unités, parenté, géométrie), ou des
images. »
74
KEYNOTE AND PLENARY PAPERS
semblerait au contraire iconoclaste d'en ajouter au Petit Robert. Même si les principes
définitoires mis en œuvre dans le Nom/eau Larousse des débutants et le Dictionnaire
Hachettejunior seront remis en cause par la suite, il ne fait aucun doute que l'on se situe là
aussi, à l'instar du Dictionnaire dufrançais contemporain, dans le cas d'une lexicographie
heuristique, la lexicographie d'apprentissage jouant en partie le rôle d'un laboratoire
lexicographique.
En 1988, c'est encore significativement une linguiste de talent, Josette Rey-Debove, figure
scientifique et directoriale chez Robert, qui est attirée par ce genre et prend l'initiative d'un
dictionnaire destiné aux élèves du Premier degré, le Petit Robert des enfants. Dictionnaire de
la languefrançaise, publié en 1988.
Parmi les éléments nouveaux apportés dans ce dictionnaire d'apprentissage que nous
considérons comme un essai lexicographique très réussi mais sans succès dictionnairique, on
retiendra le souci rédactionnel consistant à lier entre eux les exemples par le biais de
personnages récurrents. Ce discours suivi fragmenté entre les articles relève en fait d'un
exercice de séduction qui a tourné court : les élèves n'ont ont tiré aucun parti, et a contrario,
le document perçu comme « sérieux » que représente un dictionnaire en a même pâti dàns sa
représentation. Les enfants ne confondent pas en effet un dictionnaire avec un jouèt, ils
75 -
Eü.RALBX 2002 PROCEEDINGS
l'assimilent au contraire au lieu de croissance par excellence. Cela étant, l'idée de donner
une dimension ludique au dictionnaire, en y injectant une sorte de jeu de piste dans le dédale
alphabétique des articles, sera reprise dans le Fleurusjunior, symbole d'une étape ultérieure
de la lexicographie d'apprentissage.
De loin plus pertinent et prégnant est l'ajout d'exemples cités aux exemples forgés, dans le
sillage des pratiques adoptées dans le Petit Robert. On introduit là une double notion très
enrichissante pour l'élève en cours de formation culturelle. D'une part, l'idée qu'un
dictionnaire peut s'appuyer sur un corpus écrit déterminé est ainsi discrètement inoculée,
d'autre part, on offre une nouvelle dimension au mot avec un écrin littéraire ajouté au
contexte normalisant d'un exemple forgé, insérant donc aussi l'unité lexicale dans un univers
culturel. Hélas, cette belle idée a été gâchée par le caractère puéril du corpus choisi, par
exemple Babar, beaucoup trop infantilisant. 11 n'empêche que l'idée reste très novatrice.
La dimension encyclopédique passe alors par des dossiers illustrés très complets, de huit
pages, offerts sur une série de thèmes privilégiés tels que Le temps et les climats, Qu 'est-ce
que le droit ? Illustrés de manière remarquable, ces thèmes sont hélas présentés de manière
très précise, beaucoup trop pour des enfants, et si les citations de Babar leur donnaient le
sentiment d'être infantilisés, le texte surabondant recouvrant ces illustrations thématiques,
sur « Qu'est ce que le droit ? » par exemple, s'adresse davantage à des jeunes gens du lycée
qu'à des élèves du Premier degré. Au-delà d'un prix peu concurrentiel, on tient
probablement, dans cette disparité des niveaux d'approche, l'une des raisons du peu de
succès du Petit Robert des enfants. 11 demeure cependant un ouvrage très novateur, et bien
supérieur en cela au Robertjunior qui paraîtra en 1993, sans originalité particulière et avec
même un retard sensible quant à la qualité des illustrations.
À partir des années 1990 commence une autre période au cours de laquelle il semble que la
lexicographie heuristique représentée par les ouvrages qui viennent d'être présentés fasse
place à une lexicographie distincte, tirant harmonieusement le bénéfice des différentes
avancées, en les assimilant dans des produits dictionnairiques de moindre combativité
lexicographique mais de plus grande portée dictionnairique.
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KEYNOTEANI) PLENARY PAPERS
On a signalé dans Dictionnaires et nouvelles technologies (Pruvost, 2000) combien était, par
exemple, significatif que l'illustration sonore soit présentée par les auteurs comme
s'inscrivant dans la perspective d'un dictionnaire de langue. L'illustration sonore, déclarent-
ils en effet, a vocation, « à l'opposé d'une utilisation encyclopédique », « de fournir un
aspect inédit pour la compréhension du sens des mots ». Le cri des animaux, les notions de
solfège, les bruits de la nature, « ronfler », « renifler », définissent ainsi autant d'éléments
considérés comme indispensables à la bonne définition et à la représentation du sens du mot
concerné. Qu'importe en fait l'argumentation avancée par les concepteurs du cédérom, un
fait saillant l'emporte : il est enfin perçu qu'un dictionnaire de langue a besoin d'un
prolongement encyclopédique et qu'un dictionnaire encyclopédique inclut toujours
partiellement un dictionnaire de langue.
dictionnaire papier étant lui-même issu d'un traitement informatique qui n'exclutjamais la
possibilité d'en offrir une exploitation informatisée.
Le second outil est installé dans les marges confortables de la page divisée en deux colonnes
d'article et il correspond à une information sur l'histoire du mot. Là également, on se situe
dans l'ère post-structuraliste qui, le plus souvent rivée à l'application stricte d'une
description en synchronie, repoussait toute mention de l'histoire de la langue. On ne peut que
saluer un tel retour qui donne sa motivation aux mots et permet, pour beaucoup, de mieux les
mémoriser en situation d'apprentissage, sans oublier le caractère culturel qui s'attache à la
78
KEYNOTE AND Pl.ENARY PAPERS
Dans cette même perspective souple et pionnière, apparaît un nouveau type de planche, des
planches thématiques que nous assimilerons à des planches-textes, dans la mesure où un
texte central sert de développement synthétique, pendant qu'en rayonnement sur les quatre
marges agrandies sont offertes des figures éclairant et complétant le texte. Ainsi « les
oiseaux » font l'objet d'un texte de 28 lignes au cœur de la page et 14 figures l'entourent, du
« grand tétras » au « sterne » en passant par la « parade amoureuse », la « construction d'un
nid » et la « vexile interne ou postérieure » d'une plume. Le procédé systématisé pour plus
de quarante thèmes, partagés entre la faune et la flore, les sciences et techniques, le corps
humain, l'histoire et la civilisation, est novateur dans la mesure où, comme les auteurs l'ont
avancé dans l'avant-propos, il s'agit d'apprendre à « passer du mot à la chose ». La pure
description en langue, éloignée de tous référents perceptibles autrement que par la langue à
cédé le pas à un pragmatisme lexicographique qui tout en garantissant la maîtrise de la
langue ouvre à l'univers des connaissances.
C'est sans doute dans cette frontière enfin réouverte que réside tout l'intérêt de cette
nouvelle lexicographie d'apprentissage. Dans la mesure où une partie du bénéfice de la
période structuraliste dans la description fine de la langue est ici réinvesti (par exemple : le
dégroupement homonymique dans l'article « classe » ; le choix d'offrir des exemples forgés
en synchronie, « le déménagement est fini, heureusement car je suis moulue ! Syn. fourbu,
harassé » ; etc.), cette ouverture souple à l'encyclopédie dans le même ouvrage et dans les
mêmes pages, en réinvestissant le rapport entre les mots et les choses, symbolise une
nouvelle étape que nous croyons relever d'une très heureuse synthèse empreinte de
pragmatisme.
11 importe enfin de souligner que le retour des noms propres est particulièrement original et
novateur parce qu'il ne s'agit pas comme c'en était le cas dans le Larousse classique et le
Larousse élémentaire d'une réduction de l'information, mais d'un traitement adapté pour
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EURALEX 2002 PROCEEDINGS
l'enfant auquel s'adresse l'article, et ceci autant dans le choix de la nomenclature que dans le
traitement définitoire. Sans s'appesantir, citons du côté de la nomenclature des articles tels
que Alice au pays des merveilles, Astérix, Batman, Cendrillon, Geronimo, Hergé, Tintin, qui
voisinent avec Hitchcock, Guernica, Borgia, Brahms, Boulez, Académie française. Et pour
illustrer le rapport sans cesse établi avec la langue et l'habileté définitoire, nous donnerons
ici l'article Cendrillon : « Conte populaire dont Perrault*5 et les frères Grimm* ont écrit des
versions. Ce conte montre comment Cendrillon, celle que l'on ditjuste bonne à ramasser les
cendres (d'où son nom), devient une princesse. De nombreuses adaptations
cinématographiques en ont été réalisées. »
Annoncer comme le font les éditeurs que « cet ouvrage est à la fois un dictionnaire de
langue, une encyclopédie de culture générale, un outil d'apprentissage et un livre qui se
consulte pour le plaisir » n'est pas sans rompre également de manière plus marquante que
cela n'a été fait à la fin du XXe siècle avec le mouvement structuraliste qui n'admettait guère
le mélange de compétences et donnait la priorité absolue à la langue. Dans le cadre d'une
nomenclature mixte, avec ici 20000 mots de la langue et 1000 noms propres, - une
proportion qui semble être dans la norme contemporaine du début du XXIe siècle pour ce
type d'ouvrage -, on repère d'emblée la mise en reliefdes différentes informations à travers
un jeu de couleurs explicite (le mot vedette et ses dérivés en rouge, grêle et grélon par
exemple ; les remarques en vert, synonymes, contraires, prononciation, etc.) et une
signalétique simple (puces et flèches). Le même souci de repérage se manifeste dans les
noms propres, qui font systématiquement l'objet d'encadrés avec une couleur définie selon
qu'il s'agit des sciences et techniques, de la musique, de la littérature, des pays, de l'histoire,
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KEYNOTE AND PLENARY PAPERS
Cette variété d'information, servie par une mise en page de qualité, confère à cet ouvrage
volumineux (1120 pages ; 18 cm x 22 ) la dimension d'un outil attractifet de large spectre.
Les notices encyclopédiques, toujours illustrées, s'affichent dans des encadrés qui les
distinguent nettement de la nomenclature en langue, ce qui permet de conserver
l'homogénéité de chacune des dimensions, linguistique ou encyclopédique.
Deux remarques s'imposent. La première concerne les définitions apportées aux mots de la
langue qui sont fondées sur un discours parfaitement accessible tout en étant précis, sans
pour autant être insipide. À la conception distributionnaliste de Jean Dubois, propice au
dégroupement homonymique, fait place ici une conception proche de celle défendue par
Jacqueline Picoche, considérant que les grands polysèmes sont en fait réunis par un
« signifié de puissance » qui justifie qu'ils ne fassent pas l'objet de plusieurs articles mais
d'un seul avec des sens distincts. Une telle conception suppose que l'on mette en premier le
sens le plus central, celui dont découle par subduction les autres sens. C'est à cette
orientation que se rattache le Fleurusjunior qui, si l'on observe l'article cœur commençant
par les concepts essentiels, correspond bien à une approche polysémique en partant du sens
« plénier », selon la formule guillaumienne reprise par J. Picoche. On sent bien cependant
que tout cela a été fait instinctivement et qu'il suffisait de peu de chose pour percevoir
parfaitement les filiations. « L'une des quatre couleurs d'unjeu de cartes » n'offrant pas, par
exemple, la filiation avec la forme et la couleur du cœur.
Manifestement, l'ouvrage a d'abord vocation pratique, fondée sur le décodage plus que sur
l'encodage. On regrettera çà et là des définitions parfois lapidaires ou améliorables,
notamment dans la dimension didactique peu exploitée de la motivation des mots à faire
percevoir. N'est en effet presquejamais établi le lien entre le mot et son origine. À cet égard,
le parti pris de ne pas donner d'étymologie n'est peut-être pas ce qui, du structuralisme, était
à retenir, pour un ouvrage qui est annoncé comme « encyclopédique ». Le philosophe, le
philanthrope et le mégalomane pâtissent en l'occurrence de l'absence de la moindre mention
des bases grecques et latines tout au long de l'ouvrage.
Une deuxième remarque concerne les notices encyclopédiques, très riches et qui résument
l'essentiel à retenir. Qu'il s'agisse de Lewis Carroll, de Jacques Cartier, ou de Cergy-
Pontoise, on retrouve là l'expérience encyclopédique des éditions Fleurus : avec simplicité
sont donnés sans minimalisme les connaissances essentielles à acquérir. En insérant
systématiquement les noms propres dans les encadrés, les deux nomenclatures, mots de la
langue et noms propres, restent distinctement perceptibles.
Ce que l'on retient en fait de ce premier essai qui nous semble s'inscrire dans une dynamique
naissante en train de se confirmer, c'est la mouture générale, qui associe avec équilibre la
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EüRALEX 2002 PROCEEDINGS
On remarquera cependant que dans les deux dictionnaires qui viennent d'être évoqués, si le
second n'a pas tenu compte de la dimension lexiculturelle de la langue, bien que plus
encyclopédique que le premier, par le biais des « remarques » et des exemples la porte reste
grande ouverte à ce type d'information. 11 va sans dire qu'en prenant l'exemple de
l'accordéon, une définition exemplifiée et non illustrée se résumant à « instrument de
musique muni de touches et comportant un soufflet. Un accordéoniste est un musicien qui
joue del'accordéon » reste minimaliste et n'apporte pour ainsi dire rien à l'enfant, si ce n'est
sans doute des interrogations quant aux « touches », et au « soufflet », de même que
l'exemple qui intègre le dérivé accordéoniste est presque inutile tant le mot est transparent
morphologiquement. 11 en va de même pour le muguet, « Petite fleur des bois aux clochettes
blanches et parfumées », définition qui sans être fausse, reste en définitive bien éloignée de
notre expérience française du muguet assimilé à une vente ponctuelle pour « le 1er mai », fête
du travail. Est donc bienvenu l'exemple donné dans le super Major Larousse « Au 1" mai,
on s'offre du muguet ». Que le Fleurusjunior intègre la donnée lexicuturelle, et au-delà de la
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KEYNOTE AND PlENARY PAPERS
notable avancée accomplie par le mariage pragmatique réussi entre langue et encyclopédie,
et un nouveau progrès sera accompli.
Au terme de ce rapide parcours qui nous a fait passer d'un dictionnaire d'apprentissage à un
autre, en ayant insisté tout au long du voyage sur les évolutions patentes propres à chaque
période, il n'est pas désagréable de conclure sur l'impression d'une certaine harmonie
trouvée aujourd'hui entre, d'une part, une dictionnairique qui n'est plus assimilable à de la
simple réduction et, d'autre part, une lexicographie, qui reste par définition heuristique, mais
sans intégrisme méthodologique.
La recherche se poursuit, elle est notamment stimulée par l'informatisation des données, la
parution des premiers cédéroms propice à la navigation textuelle, riche en documents
multimédia, autant d'ouvertures qui ont des résonances dans les dictionnaires papier. C'est
ainsi qu'ont sans doute été favorisées une présentation plus moderniste, moins convenue, des
documents dans leur diversité, et probablement cette nouvelle et récente harmonie trouvée
entre ce qui relève des informations linguistiques et des informations encyclopédiques, avec
les utiles correspondances entres les unes et les autres.
En France, une étude manque aujourd'hui du type de celle, excellente, conduite par A. P.
Cowie sur les dictionnaires de l'anglais langue étrangère, elle permettrait sans doute de
percevoir encore mieux les liens tissés entre les différentes méthodologies propres aux
dictionnaires d'apprentissage langue étrangère ou langue maternelle. On a très envie par
exemple de faire nôtre en effet ce constat établie par A. P. Cowie à la fin de son ouvrage
(Cowie, 1999) : « After the sometimes exaggerated claims and predictions ofthe 1980s, a
sense of equilibrium now also characterizes the view which lexicographers take of the
benefits and limitations ofcorpus data ». C'est bien en effet à une forme d'équilibrage que
l'on assiste actuellement dans la lexicographie d'apprentissage du français langue
maternelle. De même qu'à la remarque concernant le fait que, « in the best dictionary work
ofthe 1990s, the analysis ofcollocations, for instance, is guided by recent advances in the
field of phraseologica research », nous avons envie de faire écho en imaginant ce qu'une
phraséologie de type lexiculturel pourrait apporter à nos très bons dictionnaires
d'apprentissage d'aujourd'hui.
Jean Pruvost,
Université de Cergy-Pontoise,
Laboratoire CNRS Métadif.
83
.El'RALEX 2002 PROCEEDINGS
Notes
1
Nous utilisons ici une formule équivalente à ce que nous désignons en France par « Dictionnaire du
français langue étrangère », en résonance avec les cursus universitaires intitulés FLE, « français
langue étrangère ». Ajoutons qu'il manque pour l'heure en France une étude telle que celle, précise et
pertinente, offerte par A. P. Cowie avec English Dictionaries for Foreign Learners, A History
(Oxford University Press, 1999)
2
Rubrique « Etymologie », p. 194, tome premier du Trésor de la languefrançaisè, Klincksieck,
1971.
3
À l'exception de Mes 10 000 mots et du Tour du mot, deux dictionnaires d'apprentissage parus
respectivement chez Bordas en 1976 et 1985, qui maintiennent une présentation traditionnelle avec
l'exemple suivant la définition.
4
Ces exemples consternants sont pris dans le Nouveau Larousse des débutants dont nous avons
signalé la bien moindre qualité, dans sa première édition, par rapport au Dictionnaire Hachette
junior.
5
L'astérisque signifie que le nom propre évoqué est défini dans la nomenclature.
Bibliographie
Cowie, A. P. 1999. English Dictionaries for foreign learners. A history. Clarendon Press, Oxford.
Galisson, R. 1998. Dictionnaire des noms de marque courants. Essai de lexiculture ordinaire.
nvlaLF/CNRS, Didier Érudition.
Galisson, R. 1999.« La pragmatique lexiculturelle pour accéder autrement, à une autre culture, par
un autre lexique », Ela, Revue de didactologie des langues-cultures, Vocabulaires et
dictionnaires en français langue maternelle et français langue étrangère, 116 : 477-496
Pruvost, J. 2002. « Du lexicographe Pierre Larousse (XIXe s.) à la Maison Larousse (XXe-XXle
s.) », International Journal ofLexicography 15.1 : 38-54.
Pruvost, J. 2001. « Les dictionnaires d'apprentissage monolingues de la langue française (1856-
1999), Problèmes et méthodes », Les dictionnaires de langue française, Dictionnaires
d'apprentissage, Dictionnaires spécialisés de la langue, Dictionnaires de spécialité. Paris,
Collection Lexica, Champion, 67-95
Pruvost, J. 1999. « Les dictionnaires d'apprentissage du français langue maternelle : deux siècles de
maturation et quelques paramètres distinctifs », Éla, Revue de Didactologie des langues-culture,
Vocabulaires et dictionnaires en français langue maternelle et en français langue étrangère, 116 :
435-440
Pruvost. J. 2002. Les dictionnaires de langue française, Que sais-je? 3622. Paris, Presses
universitaires de France.
Quemada, B. 1987. « Notes sur la lexicographie et dictionnairique », Cahiers de lexicologie n0 51.
Paris, Didier érudition.
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