À lire également en
Que sais-je ?
COLLECTION FONDÉE PAR PAUL ANGOULVENT
Gérard Chandezon, Antoine Lancestre, L’Analyse transactionnelle, no 1936.
Marc Louis Bourgeois, Les Schizophrénies, no 3491.
Olivier Houdé, Les 100 mots de la psychologie, no 3800.
Vincent Estellon, Les États limites, no 3878.
Pascal-Henri Keller, La Dépression, no 4021.
ISBN 978-2-13-080821-3
ISSN 0768-0066
Dépôt légal – 1re édition : 2016
2e édition mise à jour : 2018, janvier
© Presses Universitaires de France / Humensis, 2018
170 bis, boulevard du Montparnasse, 75014 Paris
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.
Aux patients qui m’ont confié leur santé
et qui m’ont appris, mieux que quiconque,
ce que je sais sur les troubles bipolaires.
Introduction
Depuis quelques années, les troubles bipolaires font régulièrement la
une de magazines qui leur consacrent des dossiers rassemblant des
témoignages de patients, commentés par des médecins spécialisés dans leur
prise en charge. Très souvent, ils sont assortis du coming out d’une
personnalité (la plupart du temps issue du milieu artistique) qui déclare
publiquement souffrir d’un trouble bipolaire. Ce phénomène de
médiatisation est également relayé par des reportages télévisés et des
émissions de radio, par la publication d’ouvrages écrits par des patients
eux-mêmes ou par un de leurs proches, sans parler des innombrables blogs
et sites Internet qui sont consacrés aux troubles bipolaires…
Ce phénomène qui fait sortir de l’ombre une maladie, connue depuis
fort longtemps, a pour effet positif d’œuvrer à la déstigmatisation des
troubles bipolaires. Cette démarche est soutenue par la communauté
scientifique et les patients, comme dans plusieurs pathologies chroniques
qui ont un retentissement important sur la vie du sujet. La maladie bipolaire
occasionne beaucoup de conséquences délétères sur le plan personnel,
professionnel et naturellement sur la santé en général. Un autre effet positif
résulte de cette médiatisation : elle conduit des personnes non encore
diagnostiquées à s’interroger sur leur état. Par ce questionnement, elles
peuvent être amenées à s’orienter vers des soins, le plus souvent en
consultant un psychiatre.
La médiatisation peut aussi induire des effets de mode et de
banalisation. Comme nous avons tous une humeur qui oscille, nous
connaissons tous « des hauts et des bas ». Élargir le concept de troubles
bipolaires à l’extrême invite d’aucuns à se demander s’il s’agit vraiment
d’une maladie. Sommes-nous tous bipolaires ? La société actuelle ne
génère-t-elle pas des bipolaires ?
Les premières descriptions de ce que nous appelons aujourd’hui les
troubles bipolaires remontent à l’Antiquité. L’appellation « maladie
maniaco-dépressive », lourde de sens, pour ne pas dire stigmatisante, a été
remplacée dans le courant des années 1980 par la dénomination
contemporaine de « troubles bipolaires ». Son origine, ses déterminants
génétiques, biologiques et psychologiques sont mieux connus de nos jours.
Toutefois, peut-on dire qu’il s’agit d’une maladie cérébrale ? Pathologie
cyclique qui évolue par intermittence au gré de possibles facteurs
déclenchants, comment se manifestent les troubles bipolaires dans les états
de crise et au cours du temps ? Les troubles bipolaires sont-ils associés à
d’autres problèmes psychiatriques ?
Si les sels de lithium occupent toujours une place majeure dans le
traitement de la maladie bipolaire, quelles sont les autres stratégies
médicamenteuses et les psychothérapies adaptées aux patients bipolaires ?
Quelle est la place laissée à l’accompagnement des familles ? Les
controversés électrochocs furent le premier traitement utilisé pour lutter
contre la maladie maniaco-dépressive. Ces traitements par stimulation
électrique gardent-ils une place dans l’arsenal thérapeutique aujourd’hui ?
Enfin, notre tour d’horizon sur les troubles bipolaires ne serait pas
complet si la question des liens (souvent soulignés) entre troubles bipolaires
et créativité n’était pas évoquée. Les bipolaires sont-ils plus fréquents parmi
les artistes ? Depuis 2014 aux États-Unis, et depuis 2015 en France, le
30 mars, jour de la naissance de Vincent Van Gogh, a été choisi pour être la
date de la Journée mondiale des troubles bipolaires. La psychologie des
personnes souffrant de troubles bipolaires comporte-t-elle des
particularités ?
À toutes ces questions, ce « Que-sais-je ? » voudrait apporter des
réponses, fondées sur l’état actuel des connaissances et sur une expérience
de plusieurs années dans l’accompagnement et la prise en charge des
personnes souffrant d’un trouble bipolaire.
CHAPITRE PREMIER
Sommes-nous tous bipolaires ?
« Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde. »
Charles BAUDELAIRE
Sur les canaux de la vie, nous voguons en espérant réaliser nos désirs et
accéder au bonheur, mais parfois nous sommes contraints, déçus, blessés,
voire traumatisés par les circonstances ou par autrui. Nous pouvons alors
ressentir des émotions négatives, de la tristesse, du désarroi, voire un
profond désespoir. À d’autres moments, le ciel semble nous sourire
davantage, les événements heureux se succèdent et nous ressentons un état
de bien-être dont nous espérons secrètement qu’il ne s’arrêtera jamais. La
perception de ces vagabondages intérieurs de notre humeur donne du relief
à notre vie.
I. – Humeur normale et humeur pathologique
L’idée que notre humeur varie au cours de la journée, des saisons, au
gré des événements qui émaillent notre existence, parle à chacun d’entre
nous. Faisant l’expérience que nos vécus intérieurs sont teintés plus ou
moins positivement, nous relions aisément notre humeur à nos perceptions
intimes. Néanmoins, donner une définition de l’humeur, la distinguer des
émotions, des affects, des sentiments ou des passions, n’est pas chose
simple. Quant à différencier l’humeur normale de l’humeur pathologique,
voilà bien une question qui ne tombe pas sous le sens !
Les émotions sont des réactions affectives brèves, souvent intenses, que
notre organisme produit en réponse à des événements internes ou externes.
Dans une perspective darwinienne, elles seraient communes à l’ensemble
du règne animal et s’accompagneraient souvent d’une expression
comportementale. Leur sens étymologique (qui vient du latin motio,
« mouvement ») rappelle bien cette dimension réactive et dynamique des
émotions. Elles se déclinent sur un vaste nuancier qui va de la joie, de
l’enthousiasme, à la tristesse et à la nostalgie, pour les émotions habituelles,
à d’autres plus perturbatrices comme la rage, la jalousie, la haine, l’angoisse
ou l’euphorie.
Les sentiments (ou affects, qui sont considérés comme synonymes) sont
spécifiquement humains. Ils renvoient à une attitude affective plus stable et
à une représentation subjective des émotions. Le sentiment implique un
ressenti persistant et conscient. Une gradation existe entre ces notions qui
tentent de mettre des mots sur les ressorts de notre intimité. L’émotion
amoureuse peut se transformer en un sentiment plus durable et profond qui,
porté à son plus haut degré, peut engendrer la passion.
L’humeur ne doit pas être entendue dans son sens commun, à savoir un
état d’esprit passager, lié aux circonstances, mais plutôt comme un état
affectif plus diffus et plus stable dans le temps. Constatant qu’il s’agissait
bien là d’une notion facile à entendre, mais bien difficile à définir, Jean
Delay 1 a proposé, dans Les Dérèglements de l’humeur (1946), dès la
première page, une définition psychologique de l’humeur qui reste une
référence dans la plupart des dictionnaires de langue française. L’humeur
« est cette disposition affective fondamentale riche de toutes les instances
émotionnelles et instinctives, qui donne à chacun de nos états d’âme une
tonalité agréable ou désagréable, oscillant entre les deux pôles extrêmes du
plaisir et de la douleur ».
D’emblée, Jean Delay souligne que l’oscillation de l’humeur est
naturellement bipolaire. Chacun d’entre nous ressent physiologiquement
ces variations à des degrés divers. Dès lors, l’appréciation du caractère
excessif (en intensité et en durée) de certaines oscillations nécessitera une
formation, une expérience, pour distinguer le normal du pathologique.
Depuis quelques années, de nombreux patients souffrant de troubles
bipolaires éprouvent le besoin de porter par écrit leur vécu et leur
expérience de la maladie. Ils insistent souvent sur le caractère totalement
hors du commun des états intérieurs qu’ils ressentent lors des phases de
dépression ou d’excitation qu’ils traversent au cours de l’évolution de leur
trouble bipolaire. Ces témoignages, d’une grande valeur humaine, sont
d’une importance capitale pour comprendre que cette maladie les emmène
bien plus loin que les simples sautes d’humeur, « les hauts et les bas » que
tout un chacun a pu traverser depuis que le monde est monde.
Une sociologue américaine, Emily Martin 2, a récemment soutenu la
thèse selon laquelle la vie actuelle aux États-Unis, dominée par un niveau
d’exigence de plus en plus élevé et par les surstimulations en tout genre,
pouvait provoquer des réactions émotionnelles violentes, au point de créer
une société de sujets bipolaires, connectés en permanence à leurs supports
informatiques, devenus de véritables disques durs externes du cerveau, en
lien avec l’ensemble du globe…
II. – Histoire du concept :
de la mélancolie et la manie aux troubles
bipolaires
1. Depuis l’Antiquité. – Pourtant, dans la culture occidentale, les liens
entre l’humeur et la médecine sont profonds et remontent à l’Antiquité. Au
e
V siècle avant J.-C., la théorie des humeurs est exposée dans le Corpus
hippocratique, qui rassemble une soixantaine de livres, dont quelques-uns
sont attribués à Hippocrate lui-même, les autres à ses disciples de l’École de
Cos, en Grèce. Celle-ci trouve des bases philosophiques chez les
présocratiques : pour Empédocle, l’univers s’organise autour des quatre
éléments (l’eau, la terre, le feu et l’air). Ainsi, Polybe, le gendre
d’Hippocrate, distingue quatre humeurs : « Le corps de l’homme renferme
du sang, du phlegme, de la bile jaune et de la bile noire. Voilà ce qui
constitue la nature du corps ; voilà ce qui est cause de la maladie ou de la
santé 3. »
Les humeurs sont censées varier au gré des saisons, leur excès pouvant
être à l’origine de maladies. Un aphorisme du Corpus (Aphorismes, VI, 23)
précise que, « si la crainte et la tristesse se prolongent trop longtemps, cela
tient de la bile noire » (qui se dit en grec cholé melaina, et qui donnera
notre mot « mélancolie »). Six siècles plus tard, Galien de Pergame,
médecin des empereurs romains, rappelle qu’« Hippocrate paraît avoir
ramené avec raison sous deux chefs tous les symptômes propres à la
mélancolie : la crainte et la tristesse. […] La couleur de la bile noire, en
obscurcissant, comme le font les ténèbres, le siège de l’intelligence,
engendre la crainte 4 ». Dans la culture gréco-romaine, les rapports entre la
bile noire et la mélancolie sont donc sémantiques et causaux.
Comme la mélancolie, le mot « manie » vient du grec. Son sens
médical, très différent de celui du langage courant, qui y voit un rituel
obsessionnel, s’éclaire à la lumière de la racine étymologique. Mania, en
grec, signifie « agitation », « délire », « fureur ». Sous le stylet des
médecins antiques, la manie qualifie donc un état de délire agité, sans
fièvre.
Un autre mot grec, thymos, est destiné à un grand avenir dans le
vocabulaire psychiatrique. Il qualifie l’âme, le cœur 5, considéré comme le
siège des désirs et des sentiments. Il a donné en français le mot « thymie »,
qui est synonyme d’humeur. Le préfixe eu- signifiant « bon »,
l’« euthymie » qualifie donc un état d’humeur stable, distinct des phases
dépressives ou maniaques. En revanche, la « dysthymie » se caractérise par
une humeur triste relativement constante, sans que cet état constitue
toutefois un épisode dépressif constitué et complet. Enfin, la
« cyclothymie » est utilisée pour qualifier, chez un même individu, un
tempérament se distinguant par une humeur alternativement joyeuse puis
triste ou morose.
En l’état actuel des connaissances, les historiens de la psychiatrie
attribuent le plus souvent à Arétée de Cappadoce, médecin hellénophone du
er
I siècle de notre ère, la première description du lien entre manie et
mélancolie. Pour lui, la mélancolie semble être le commencement de la
manie. L’observation de ce médecin d’Alexandrie est reprise par Avicenne
(980-1037) dans son Canon. Avec la médecine hippocratique, la théorie des
humeurs survit au Moyen Âge et à la Renaissance.
2. De la Renaissance à l’époque moderne. – C’est aux Temps
modernes que ces conceptions évoluent. Trois universitaires britanniques y
contribuent. Le premier est un ecclésiastique anglais d’Oxford, Robert
Burton (1577-1640), qui rédige un volumineux ouvrage intitulé The
Anatomy of Melancholy, augmenté de plusieurs éditions successives. À
partir de sa vaste culture littéraire et philosophique de latiniste aguerri, il
collige un nombre considérable de citations sur la mélancolie. Il en décrit
les différentes formes en insistant tout particulièrement sur les mélancolies
amoureuse et religieuse.
Toujours à Oxford, quelques décennies plus tard, le médecin Thomas
Willis (1621-1675), considéré comme le père de l’anatomie cérébrale,
classe la mélancolie et la manie parmi les maladies nerveuses. Enfin à
l’université d’Édimbourg, William Cullen (1710-1790) reprend l’hypothèse
d’Arétée de Cappadoce en faisant le lien entre manie et mélancolie, qu’il
considère comme les conséquences d’anomalies du fonctionnement
cérébral.
Au début du XIXe siècle, l’École de médecine de Paris connaît une
période florissante. Selon la thèse que Michel Foucault a développée dans
Naissance de la clinique (1963), la rationalité de l’esprit des Lumières,
s’infusant dans la démarche médico-scientifique, contribue au
développement des différentes spécialités médicales. L’un des maîtres de
l’École de Paris, Philippe Pinel (1745-1826), publie en 1800 son Traité
médico-philosophique sur l’aliénation mentale ou la manie.
L’aliénation mentale était initialement considérée comme une entité
unique dont la cause résiderait dans un trouble du raisonnement et du
jugement. L’idée que les affects et les émotions puissent être à l’origine
d’une maladie mentale ne semble pas aller de soi et tarde à s’imposer. À
cette époque, le vocable « manie » recouvre des états pathologiques qui
dépassent le cadre actuel des troubles bipolaires. De même, le terme
« mélancolie » dépasse ce champ, excédant même celui de la médecine
puisqu’il imprègne la culture littéraire, poétique et philosophique de
l’Occident depuis plusieurs siècles. L’élève de Pinel, Jean-Étienne
Dominique Esquirol (1772-1840), propose d’abandonner ce terme
polysémique au profit de ce qu’il appelle la « lypémanie », ou littéralement
en grec, « folie triste ». Il observe que celle-ci semble plus fréquente à
l’automne.
Deux autres médecins français posent des jalons décisifs dans
l’évolution des idées sur les liens qui unissent manie et mélancolie. Ils
s’opposent sur la paternité de la description de ce qu’ils considèrent tous
deux comme une unique et même maladie : Jean-Pierre Falret (1794-1870)
l’appelle « la folie circulaire » et Jules Baillarger (1809-1890), « la folie à
double forme ». En 1883, Antoine Ritti (1844-1920), l’un des élèves de
Baillarger, publie le premier traité en français sur la maladie. Il l’intitule
Traité clinique de la folie à double forme, folie circulaire, délire à formes
alternes.
La psychiatrie comme spécialité médicale émerge dans le courant du
e
XIX siècle, de part et d’autre du Rhin. Les échanges scientifiques entre la
France et l’Allemagne sont alors des plus intenses. Ainsi, Emil Kraepelin
(1856-1926), qui naquit à Neustrelitz la même année que Freud, publie
plusieurs éditions de son Compendium de psychiatrie. Dans la sixième
(1899) apparaît l’expression « maladie maniaco-dépressive » (littéralement
« folie », en allemand Irresein). Comme Esquirol, il renonce au terme
« mélancolie » et rend hommage à Falret et Baillarger, lesquels « nous ont
familiarisés », écrit-il, avec cette maladie. Son traité sur la maladie
maniaco-dépressive est aujourd’hui considéré comme la première
description contemporaine de la pathologie, réunissant dans un même
ensemble la maniaco-dépression, puis la dépression récurrente, la
cyclothymie et la dysthymie.
Pendant la première moitié du XXe siècle, c’est l’expression « psychose
maniaco-dépressive » qui s’impose. Plusieurs psychiatres européens, dont
Karl Leonhard (1904-1988) et Karl Kleist (1879-1960), proposent
cependant de renoncer à cette appellation stigmatisante et suggèrent de la
remplacer par « trouble bipolaire » (zweipolig), expression destinée à
qualifier les oscillations maniaques et dépressives qui caractérisent la
maladie. Tous les patients bipolaires, en effet, ne présentent pas de
symptômes psychotiques, et le qualificatif « maniaco-dépressif » renvoyait
à une image ancestrale de la psychiatrie que la conception contemporaine
des soins et des thérapeutiques entend dépasser. Parallèlement, Carlo Perris
(1928-2000) propose d’instaurer une dichotomie entre les troubles
bipolaires et les dépressions récurrentes n’oscillant que sur une seule
polarité, et appelées pour cette raison troubles unipolaires.
3. L’acception contemporaine. – Ces propositions sont validées sur le
plan international, en 1980, par l’Association américaine de psychiatrie
(AAP) lors de la publication de la troisième version de son Manuel
diagnostique et statistique (DSM-III). Dans une perspective néo-
krapelinienne, la version révisée du DSM-III rassemble les troubles
bipolaires et les troubles unipolaires au sein des « troubles de l’humeur ».
En 1992, la dixième version de la Classification internationale des maladies
(CIM-10) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) adopte également
l’appellation de troubles bipolaires. En 2013, dans le DSM-5, l’AAP a
supprimé le cadre des troubles de l’humeur et a séparé les troubles
bipolaires des dépressions récurrentes, en arguant que l’origine de ces deux
maladies était possiblement distincte. La position actuelle de l’AAP prend
parti sur un débat ancien parmi les spécialistes de la maladie maniaco-
dépressive. Le primat revient-il à la cyclicité du trouble, à son caractère
récidivant ou à la polarité (une ou deux) des épisodes pathologiques ?
Ces vingt dernières années ont été marquées par l’émergence du
concept de « spectre bipolaire » sous l’influence de psychiatres
contemporains comme Jules Angst (Suisse) et Hagop Akiskal (États-Unis).
La notion de spectre, comme suite ininterrompue de phénomènes, est
souvent attribuée à Isaac Newton, qui en fit le fondement de la théorie des
couleurs. Appliqué à la médecine, ce concept de spectre permet de rendre
compte du continuum entre le normal et le pathologique.
Dans le champ des troubles bipolaires, le spectre a aussi l’avantage de
pouvoir rassembler les différentes formes, plus ou moins marquées, de la
maladie, dont certaines sont aux confins des variations naturelles de
l’humeur… Aujourd’hui, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer
l’extension d’un spectre bipolaire trop élargi : la difficulté à distinguer les
états d’humeur normale et pathologique risque d’induire des diagnostics par
excès et de conduire à l’instauration de mesures thérapeutiques
inappropriées.
De manière consensuelle, depuis la publication du DSM-III révisé en
1987, on reconnaît aujourd’hui l’existence du trouble bipolaire de type 1 et
de type 2, ce qui est conforme aux descriptions du XIXe siècle et à la
synthèse d’Emil Kraepelin. Le type 1 se caractérise par l’existence d’au
moins un état d’excitation sévère maniaque et de possibles phases
dépressives, alors que le type 2 ne comporte que des états d’excitation
modérée, appelés hypomaniaques, et des épisodes dépressifs. Il y aurait une
relative stabilité entre les deux troubles, avec seulement 15 % de formes de
passage du type 2 vers le type 1, c’est-à-dire l’apparition au cours de
l’évolution d’un trouble bipolaire 2 d’un état maniaque caractéristique et
sévère. En revanche, une personne qui souffre d’un trouble bipolaire de
type 1 peut aussi présenter des phases hypomaniaques s’intercalant entre
des crises maniaques sévères.
Une place particulière est à accorder au trouble cyclothymique, qui
associe l’alternance de phases d’excitations modérées hypomaniaques et
d’états dépressifs mineurs au cours desquels le nombre de symptômes et
leur intensité ne sont pas suffisants pour poser un diagnostic d’épisode
dépressif caractérisé. Forme atténuée des troubles bipolaires, la cyclothymie
est aussi un tempérament.
III. – Les tempéraments affectifs
En français, « tempérament » et « caractère » sont volontiers considérés
comme synonymes. Le sens médical remonte à l’Antiquité et trouve son
origine dans l’œuvre de Galien, pour qui les quatre humeurs se manifestent
par quatre tempéraments (sanguin, bilieux, mélancolique et pituiteux),
lesquels prédisposent à certaines maladies. À la Renaissance, cette doctrine
s’enrichit de connotations philosophiques (néoplatoniciennes) et
astrologiques. Le tempérament mélancolique serait sous l’influence de
Saturne, la planète connue la plus éloignée de l’astre solaire, et donc la plus
froide.
Reprise aux XIXe et XXe siècles, cette notion a évolué dans le contexte de
la psychiatrie contemporaine à la faveur de la découverte de la biologie
cérébrale et de la psychologie du développement. S’il n’existe pas de
définition consensuelle, le concept de tempérament affectif se caractérise
par l’existence de traits de caractère stables ayant des traductions
émotionnelles et comportementales perceptibles tout au long de la vie.
Les tempéraments affectifs se situent aux frontières du normal et du
pathologique. Présents chez des sujets qui ne présentent pas de trouble
bipolaire, ils peuvent aussi être considérés comme des facteurs prédisposant
à la maladie ou comme des formes très atténuées de celle-ci. Cinq
tempéraments affectifs sont habituellement décrits : cyclothymique,
hyperthymique, dépressif, anxieux et irritable.
Pour des auteurs comme Hagop S. Akiskal, les tempéraments affectifs
sont intégrés au « spectre bipolaire ». Au côté des troubles bipolaires de
type 1 et 2, les défenseurs de cette conception élargie de la maladie ajoutent
le type 3, défini par la présence d’épisodes dépressifs caractérisés récurrents
et de phases d’excitations modérées (hypomaniaques) induites par les
médicamenteux (antidépresseurs notamment), le type 2 ½ associant un
trouble dépressif récurrent et un tempérament cyclothymique et le type 4
rassemblant un trouble dépressif récurrent et un tempérament
hyperthymique.
Le tempérament cyclothymique est sans doute le plus étudié sur le plan
psychiatrique, car il peut être considéré à la fois comme un tempérament ou
comme un trouble bipolaire atténué, ce qui est l’option retenue par le DSM-
5 (2013). On le décèle plus fréquemment chez les apparentés de patients
souffrant d’un trouble bipolaire (1 ou 2). Parallèlement, il peut être
considéré comme un facteur prédisposant. Les enfants, les adolescents et les
adultes qui souffrent d’un épisode dépressif caractérisé courent plus de
risques de développer ultérieurement une maladie bipolaire s’ils présentent
un tempérament cyclothymique.
De manière plus générale, un tiers des personnes cyclothymiques
développeraient un trouble bipolaire. Les tempéraments affectifs peuvent
être considérés comme des marqueurs de vulnérabilité de la maladie.
Lorsque le trouble bipolaire est déclaré, ils auraient également une
influence sur sa présentation symptomatique et sur son évolution.
IV. – La survenue des troubles bipolaires
1. Leur fréquence. – L’épidémiologie est la science médicale qui
étudie la fréquence des maladies. Deux indicateurs principaux sont utilisés :
la prévalence, soit le pourcentage de sujets atteints par une pathologie, et
l’incidence, soit le pourcentage de nouveaux cas par an. En Europe, en
Amérique du Nord et en Asie, les chiffres portant sur les troubles bipolaires
sont assez stables et concordants.
La prévalence du trouble bipolaire de type 1 est de 0,6 %, et de 0,4 %
pour le trouble bipolaire de type 2. On ajoute généralement la catégorie des
troubles bipolaires non spécifiés, qui englobent les sujets présentant des
symptômes insuffisants pour poser un diagnostic d’épisode maniaque ou
dépressif, mais qui peuvent s’intégrer dans le spectre bipolaire. La
prévalence moyenne est alors de 2,4 %, soit 1,5 million de personnes en
France. Cette prévalence serait plus élevée en Afrique du Nord et au
Moyen-Orient. Cette variation dans les résultats des études peut
probablement s’expliquer par des raisons méthodologiques, comme la
qualité des outils (questionnaires, échelles) utilisés pour réaliser ces
mesures, mais aussi par la difficulté que rencontrent les psychiatres, même
les plus expérimentés, à poser le diagnostic. Le taux d’erreur diagnostique
est estimé à 50 % en moyenne…
2. Leurs caractéristiques. – Les troubles bipolaires se caractérisent par
un taux extrêmement élevé de rechute : environ 90 %, le plus souvent dans
les deux années qui suivent le premier épisode. Les rechutes sont
dépressives dans 70 % des cas. La maladie bipolaire touche également les
hommes et les femmes ; son sex-ratio est donc de 1. Mais les épisodes
maniaques sont plus fréquents chez les hommes, qui souffrent plus souvent
du trouble de type 1, alors que les phases dépressives touchent plus
particulièrement les femmes, qui présentent plutôt des troubles bipolaires de
type 2.
L’évolution de la maladie bipolaire est d’ailleurs plus souvent
compliquée chez les femmes : avec des troubles psychiatriques (anxieux,
addictifs) associés plus fréquents et plus de tentatives de suicide.
L’influence des saisons sur les périodes de rechute est plus marquée chez
les femmes que chez les hommes. Le trouble bipolaire peut aussi se déclarer
dans la période qui suit l’accouchement, appelée le post-partum. Sept pour
cent des patientes présentent leur premier épisode bipolaire au décours de
l’accouchement. Dans 90 % des cas, il s’agirait d’une crise maniaque. Ce
déclenchement de la maladie pendant le post-partum toucherait les femmes
plutôt après leur premier accouchement. Cette forme de trouble bipolaire
aurait une évolution plus favorable.
3. Leur âge de début. – Les études actuelles ont confirmé les
observations centenaires de Kraepelin sur l’âge de début des troubles : au
sortir de l’adolescence et au début de l’âge adulte. Dans 65 % des cas, la
maladie se déclare avant dix-huit ans, et pour 90 % des patients bipolaires
cette pathologie a débuté avant l’âge de cinquante ans.
Plusieurs travaux de recherche se sont intéressés aux formes qui se
déclarent avant l’âge de vingt et un ans, qui sont dénommées « troubles
bipolaires à début précoce ». Dans ces cas-là, on retrouve plus
d’antécédents familiaux, un risque de complications psychiatriques plus
élevé (addictions), une moins bonne réponse à certains traitements et une
présentation des premiers épisodes moins typique qui peut parfois évoquer
à tort un diagnostic de schizophrénie et entraîner la mise en place de
traitements inappropriés. La durée entre l’émergence des premiers
symptômes et le diagnostic de troubles bipolaires est estimée à huit ou neuf
ans dans la plupart des études réalisées en Europe et aux États-Unis sur ce
thème.
Un adage anglais quelque peu carabin, no manic before pubic hair,
sous-entend que la maladie bipolaire ne pourrait se déclarer avant la
puberté, dont l’âge avancerait, selon plusieurs études épidémiologiques
réalisées aux États-Unis et en Europe. La tendance actuelle vise, de manière
presque paradoxale, à favoriser un diagnostic et une prise en charge
précoces, tout en évitant les surdiagnostics de troubles bipolaires.
Dans la majorité des cas, la maladie bipolaire se déclare à la fin de
l’adolescence. Le premier épisode, surtout lorsqu’il est maniaque, peut être
moins typique qu’à l’âge adulte et faire errer le diagnostic, notamment vers
la schizophrénie. À cet âge, la crise maniaque comporte très souvent des
hallucinations et des idées délirantes. À l’inverse, si le premier épisode est
dépressif, l’humeur est plus irritable que véritablement triste, et les
comportements agressifs ne sont pas inhabituels.
Quand le trouble bipolaire commence à l’adolescence, son devenir peut
être émaillé par un risque plus élevé de rechute ; il est plus souvent associé
à d’autres pathologies psychiatriques (troubles anxieux ou addictifs) et,
dans près de 40 % des cas, il pourra évoluer vers une pathologie
schizophrénique.
Avant la puberté, la survenue d’un trouble bipolaire est très rare.
Kraepelin l’avait estimée il y a un siècle à 0,4 % des cas. À partir des
années 1990, de nombreuses études ont été lancées pour explorer la
survenue de la maladie chez l’enfant. Plus encore qu’à l’adolescence, les
symptômes semblent très différents : l’irritabilité, l’agressivité et les
troubles du comportement occupent le devant de la scène. Le diagnostic de
trouble bipolaire pédiatrique a connu une véritable explosion aux États-
Unis, où son incidence a été multipliée en dix ans par quarante.
De nombreuses voix se sont élevées, y compris aux États-Unis, pour
dénoncer ces probables diagnostics par excès. Il est vrai que dans ce pays,
avoir un trouble figurant dans le manuel de l’Association américaine de
psychiatrie ouvre l’accès aux soins et permet de bénéficier de mesures
psycho-éducatives adaptées. Pour qualifier ces dérégulations émotionnelles
de l’enfant, le DSM-5, publié en 2013, a créé une nouvelle catégorie
diagnostique (le « trouble disruptif avec dysrégulation de l’humeur ») afin
de tenter d’enrayer ce phénomène d’inflation diagnostique.
À l’autre extrême de la vie, lorsque la maladie bipolaire se déclare après
l’âge de cinquante ans, le trouble est dit « à début tardif ». Dans ce cas, il
comporte certaines caractéristiques : on retrouve moins d’antécédents dans
la famille et les épisodes semblent durer moins longtemps. Pendant les
crises, l’humeur associe souvent des éléments dépressifs et maniaques : elle
est alors qualifiée de « mixte ». Après cinquante ans, il convient de
rechercher des pathologies neurologiques qui peuvent se révéler par des
épisodes maniaques ou dépressifs plus ou moins typiques. Le vieillissement
de la population laisse probablement présager un grand avenir à l’étude des
troubles bipolaires chez le sujet âgé : une maladie de tout temps et de tout
âge…
Que sais-je sur le thème :
bipolaire ou pas bipolaire ?
Nous avons tous une humeur bipolaire.
Seul 1 % de la population générale souffre d’un trouble bipolaire typique et 2 à 3 % d’une
forme atténuée (spectre bipolaire), soit environ 1,5 million de personnes en France.
Les concepts médicaux de manie et de mélancolie remontent à l’Antiquité, mais la
description moderne de la maladie maniaco-dépressive remonte à la fin du XIXe siècle.
La dénomination de troubles bipolaires s’est imposée internationalement à la fin des
années 1980.
Les troubles débutent dans la majorité des cas au sortir de l’adolescence et au début de
l’âge adulte, même si des formes très précoces et d’autres plus tardives sont décrites.
Les femmes sont autant touchées que les hommes, mais elles présentent plus d’épisodes
dépressifs et une évolution souvent moins favorable.
1. Jean Delay (1907-1987), de l’Académie française, est le psychiatre qui a découvert les
neuroleptiques et contribué à la création de l’Association mondiale de psychiatrie.
2. E. Martin, Voyage en terre bipolaire. Manie et dépression dans la culture américaine, trad.
C. Salgues, Paris, Rue d’Ulm, 2013.
3. Hippocrate/Polybe, De natura hominis [Nature de l’homme], IV, trad. J. Jouanna, Berlin,
Akademie-Verlag, 1975 p. 172.
4. Galien, De locis affectis, III, 10, trad. Ch. Daremberg, 1856.
5. Le plus ancien document médical connu à ce jour, le papyrus égyptien d’Ebers, daté du
e
XVI siècle avant J.-C., comporte, dans son Traité du cœur, une description de quelques
symptômes de la dépression.
CHAPITRE II
Comment se manifestent
les troubles bipolaires ?
« Dans la mélancolie, le cerveau et les esprits animaux sont obscurcis
par la fumée, la manie peut être comparée à un incendie destiné à les
dissiper et à les illuminer. »
Thomas WILLIS
L’alternance cyclique de phases d’humeur pathologique constitue le
cœur de la maladie bipolaire. La crise maniaque marque une rupture nette
avec l’état habituel du sujet et peut être considérée comme un véritable
incendie de forêt, alors qu’une phase d’hypomanie sera plutôt comparable à
un simple feu de cheminée et l’épisode dépressif à un amas de cendres…
I. – L’épisode maniaque, l’hypomanie,
les phases dépressives et l’humeur mixte
1. L’épisode maniaque. – Au sens psychiatrique, la manie renvoie,
étymologiquement, à un « délire agité ». Spécifique du trouble bipolaire de
type 1, elle est le trouble mental le plus anciennement décrit et touche
essentiellement trois sphères : l’humeur, les pensées (cognitions) et le
comportement (moteur et général).
L’embrasement émotionnel est total. Le sujet se montre extrêmement
réceptif à tous les stimuli de son environnement. L’humeur est d’une
versatilité exceptionnelle, et l’emballement moteur, très impressionnant. Le
sujet ne tient pas en place, il gesticule, s’agite de manière continue, jour et
nuit, puisque l’insomnie est le plus souvent totale plusieurs jours de suite.
Dans le DSM-5, l’augmentation pathologique de l’énergie et de l’activité
motrice est aujourd’hui considérée comme le premier critère de manie, au
côté de l’élévation extrême de l’humeur, et ce pendant au moins une
semaine.
Le discours est si abondant qu’il évoque une véritable diarrhée verbale
(appelée « logorrhée »), les propos pouvant devenir délirants et s’accorder,
dans le registre de la mégalomanie, à l’humeur euphorique ou à l’humeur
irritable et verser alors dans la persécution.
Dans les formes les plus graves, le patient peut aussi être victime
d’hallucinations auditives. Dans près de la moitié des cas, ceux qui
souffrent d’un trouble bipolaire de type 1 présentent des symptômes
psychotiques (c’est-à-dire des idées délirantes ou des hallucinations) au
cours des crises maniaques ou dépressives.
Dans la grande majorité des cas, la personne n’a pas du tout conscience
du caractère extrêmement pathologique de son état maniaque, qui conduit le
plus souvent pour protéger le patient à une hospitalisation sans
consentement, au cours de laquelle le corps médical dispensera les soins
nécessaires. L’hospitalisation a d’ailleurs été considérée comme un des
critères diagnostiques.
Les troubles du comportement s’accompagnent assez fréquemment
d’une désinhibition instinctuelle importante et d’une perte des convenances
sociales. Avant le développement des traitements médicamenteux efficaces,
la crise maniaque durait deux à trois mois (parfois huit) et pouvait conduire
au décès par déshydratation ou par accident.
Ce genre d’épisode survient généralement assez rapidement, en
quelques jours, souvent après un événement stressant ou émotionnellement
intense, ou encore dans le cadre d’un bouleversement des rythmes de vie.
La consommation de toxiques (comme le cannabis ou la cocaïne) peut
également provoquer un épisode maniaque. Le risque de récidive est très
élevé et peut atteindre 90 % si des mesures thérapeutiques adaptées ne sont
pas mises en place.
Au cours d’une hospitalisation, les principaux symptômes régressent en
quelques semaines, généralement trois ou quatre. En revanche, il faut
souvent quelques mois de convalescence avant que le sujet ne retrouve un
fonctionnement (intellectuel, relationnel, professionnel) totalement normal.
Dans près de 50 % des cas, la crise maniaque sera suivie d’un épisode
dépressif caractérisé, qui peut être considéré comme un contrecoup des
dérèglements biologiques cérébraux induits par la manie.
Dans certains cas, le plus souvent masculins, le trouble bipolaire ne peut
s’exprimer que par la manie, sans phases dépressives secondaires ou
inaugurales.
Témoignage de Véronique Dufief :
le vécu d’un épisode maniaque
La première bouffée délirante que j’ai subie et qui a été suivie de ma première
hospitalisation a eu lieu alors que j’avais vingt-cinq ans. J’étais alors élève à l’École
normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud. J’ai commencé par n’avoir plus goût à rien.
La littérature qui jusqu’alors m’avait passionnée ne présentait plus aucun attrait pour moi.
J’étais tellement lasse de fonctionner presque exclusivement sur le mode cérébral que j’ai
imaginé un moment me réorienter pour devenir technicien forestier au service des Eaux et
Forêts, avec la rêverie d’un retour idyllique à la nature… Mais quand j’ai réalisé que pour
valider cette formation, il me faudrait à nouveau me plonger dans les livres, j’ai baissé les
bras, terrassée par un découragement sans nom. Dans les années qui ont précédé la
déclaration de la maladie, j’ai travaillé littéralement « comme une folle », douze à quatorze
heures par jour, sept jours sur sept, pendant trois années consécutives, décrochant coup sur
coup trois concours : concours d’entrée à l’ENS, CAPES, agrégation. Le surtravail est le
seul moyen que j’avais trouvé à l’époque pour tenir en respect une angoisse qui vacillait
par moments vers la sidération suicidaire.
J’ai fini par me retrouver face à moi-même, dégoûtée de tout. Je voulais jeter tous mes
livres. J’ai commencé à errer dans Paris, me laissant conduire comme un brimborion par le
mouvement de la ville : feux rouges, sens interdits qui devenaient des signes venus de l’au-
delà pour diriger mon chemin. Je hantais les églises, j’y chantais parfois à pleine voix. Je
suis même allée frapper à la porte d’ATD Quart-Monde, pour proposer de l’aide – ou pour
en recevoir ? Je m’attardais à parler avec des SDF, comme si, vivant eux-mêmes dans la
misère, ils pouvaient me révéler le secret de la mienne.
J’ai pris en route le pèlerinage de Chartres, toujours talonnée par la même détresse. Le
prêtre qui m’a confessée était loin d’être armé pour me porter le moindre secours. Je suis
revenue à la case départ de ma désespérance, plus seule que jamais. Tout se mélangeait
dans ma tête : je me demandais avec anxiété ce que Dieu pouvait bien attendre de moi.
Lors d’une veillée de prière charismatique, j’ai fait à haute voix une prière : « Seigneur,
délivre-moi de mes carcans. » Le surlendemain, j’étais à l’hôpital. En effet, tout a
commencé alors à se déliter. Le soir, je me suis mise à écrire, sans pouvoir plus m’arrêter.
J’ai écrit jusqu’à l’aube, sur tous les supports possibles, cartes, feuilles volantes, Post-It,
que je collais méticuleusement dans un cahier. Impossible d’enrayer ce flux mental qui
charriait à tort et à travers des références le plus souvent religieuses, mêlées à mille et une
scories hétéroclites dont le sens me paraissait pourtant lumineux, évident. Je survolais en
esprit des espaces radieux, comme si, chaussée de bottes de sept lieues, je pouvais
parcourir l’empyrée. J’avais le sentiment enivrant que tous les secrets du monde
m’apparaissaient dans une lumière accessible à moi seule. Tout coulait de source dans une
clarté d’outre-monde. J’aurais pu vaticiner à l’envi.
Le lendemain, la directrice de l’École, qui connaissait bien ce genre de débordements
affectant parfois les normaliens un peu trop brillants pour ne pas être catastrophiquement
fragiles, m’a proposé d’aller voir un ami à elle qui saurait m’aider à comprendre ce qui
m’arrivait. C’est ainsi que j’ai « échoué », car c’était pour moi un vrai naufrage, à l’hôpital
Paul-Brousse de Villejuif, où le remarquable médecin qu’était le docteur Bompard,
aujourd’hui décédé, sut me convaincre que j’avais besoin de me reposer et que le meilleur
lieu pour ce faire était le service psychiatrique où il m’accueillait.
Je suis restée là trois mois, puis j’ai passé quatre mois encore dans une maison de repos.
J’étais en mille morceaux, et il allait falloir pendant des années faire le minutieux travail
archéologique de l’analyse pour reconstituer ce vase précieux mais désintégré : mon cœur
et mon corps dévastés.
2. L’hypomanie. – Le terme « hypomanie » est attribué à un
neuropsychiatre allemand, Emmanuel Mendel (1839-1907). Il qualifie les
manies atténuées ou avortées. Pour reprendre la métaphore du feu et de la
fumée, chère à Thomas Willis, l’hypomanie est un incendie plus circonscrit
dans le temps (au moins quatre jours consécutifs, selon le DSM-5) et en
intensité, même si l’on y retrouve la plupart des symptômes de la crise
maniaque, à l’exception des idées délirantes et des hallucinations. Dans un
tiers des cas, on peut trouver des symptômes dépressifs associés.
Le plus souvent, le sujet en état hypomaniaque se sent très bien, rempli
d’énergie, il foisonne d’idées, son discours est abondant, son humeur
joviale et quelque peu irritable. Le besoin de sommeil est réduit à trois à
quatre heures par nuit. L’entourage perçoit un changement notable dans le
comportement du sujet, qui contraste avec sa personnalité habituelle. Les
patients repèrent moins d’une fois sur deux leurs épisodes hypomaniaques :
ils identifient plus facilement l’augmentation de l’énergie que l’euphorie de
l’humeur.
Même si la frontière entre la normalité (et plus encore avec le
tempérament hyperthymique) et l’hypomanie est bien moins nette que dans
la crise maniaque, la phase d’hypomanie n’en demeure pas moins un état
pathologique qui définit le trouble bipolaire de type 2, quand elle est
associée à des épisodes dépressifs caractérisés. Si la maladie bipolaire
respecte la parité entre les sexes, les femmes, plus sujettes à la dépression
que les hommes, souffrent plus souvent d’un trouble de type 2, qui est tout
aussi grave, tant le risque suicidaire est élevé, et dont sont importantes les
conséquences des phases d’hypomanie sur la vie affective ou
professionnelle ; les taux de divorces et de pertes d’emploi sont plus élevés
que dans la population générale.
3. Les phases dépressives. – Dans les troubles bipolaires, les phases
dépressives peuvent prendre plusieurs formes, même si les classifications
actuelles (DSM ou CIM) ne décrivent qu’un unique ensemble de critères
pour l’épisode dépressif caractérisé. Comme dans la manie, les symptômes
vont affecter l’humeur, les pensées et le comportement.
La tristesse, le sentiment de vide, la perte de tout ressort intérieur
donnent au sujet une impression d’inertie totale. Le pessimisme règne en
maître sur l’intelligence. Les idées noires et les ruminations anxieuses sont
fréquentes et peuvent faire le lit d’un projet suicidaire. Parfois, le sujet peut
entrer dans un véritable délire mélancolique : il acquiert la conviction
d’avoir ruiné toute sa famille, d’être coupable de forfaits abjects, voire, ce
qui est plus rare aujourd’hui dans le contexte actuel de déchristianisation,
d’être voué à un châtiment divin.
Déjà controversé d’un point de vue médical au XIXe siècle en raison de
sa grande résonance littéraire et philosophique, le terme « mélancolie » n’a
pourtant pas totalement disparu de la clinique psychiatrique. Il qualifie une
forme particulière de dépression, où prédominent certains symptômes : un
désespoir immense et une souffrance psychique extrême (ou « douleur
morale ») envahissent le sujet ; sa vie émotionnelle s’éteint totalement
(c’est l’« anesthésie affective ») ; il se réveille très tôt, vers 4 heures du
matin, avec des pensées très négatives, voire suicidaires.
Pour le DSM-5, la présence de ces symptômes constitue un épisode
dépressif avec caractéristiques mélancoliques. Certains auteurs comme
Frederick Goodwin et Kay Jamison, fidèles en cela à Emil Kraepelin,
estiment que les dépressions mélancoliques à répétition s’intègrent
pleinement à la maladie bipolaire, même en l’absence de crises maniaques
ou d’hypomanies.
Sur le plan du comportement moteur, deux formes cliniques peuvent
être distinguées. La première, classique, où prédomine, à l’inverse de la
crise maniaque, un ralentissement moteur extrême qui peut aller jusqu’à une
quasi-paralysie, appelée « catatonie » ou « stupeur ». La seconde est la
dépression agitée ou anxieuse, où le sujet présente une instabilité motrice,
comme s’il ne tenait pas en place en raison d’un sentiment douloureux
difficilement descriptible.
Plus d’une fois sur deux, c’est par une phase dépressive que la maladie
bipolaire se déclare. Dans ce cas, le diagnostic de trouble bipolaire de
type 1 se pose aisément si une crise maniaque survient ultérieurement. Une
fois sur deux, la crise maniaque est suivie d’une phase dépressive, où
prédominent le ralentissement important de l’activité motrice et le
sentiment d’anesthésie affective. Si le traitement est adapté, cette phase peut
évoluer favorablement, mais des études ont montré qu’en dix ans un patient
sur deux souffrant d’un trouble bipolaire de type 1 conserve de manière
continue des symptômes dépressifs, souvent difficiles à éradiquer. On parle
alors de syndrome « subdépressif chronique ».
S’il s’agit d’un trouble de type 2, le retard au diagnostic sera souvent
plus important (jusqu’à parfois dix ans) ; la mauvaise, voire l’absence de
perception du caractère pathologique des hypomanies par le sujet lui-même,
est sans doute un des éléments explicatifs. L’entourage peut apporter alors
une aide précieuse au médecin pour évoquer le diagnostic. Si le malade ne
fait pas l’objet d’une prise en charge thérapeutique adaptée, son état de
santé peut s’aggraver. Le risque de tentative de suicide serait plus élevé
chez les patients souffrant d’un trouble bipolaire de type 2.
Devant toute phase dépressive, il convient de rechercher des indices de
bipolarité, appelés aussi facteurs prédictifs, qui peuvent éveiller l’attention
et orienter la réflexion diagnostique du psychiatre :
un début précoce, c’est-à-dire avant vingt-cinq ans ;
des antécédents familiaux de dépression et surtout de troubles bipolaires ;
l’existence d’un tempérament affectif sous-jacent ;
la survenue de la dépression dans le contexte du post-partum (c’est-à-dire
dans les six mois qui suivent l’accouchement) ;
l’évolution des symptômes dépressifs au cours de la journée, allant du mal-
être matinal à une amélioration le soir venu ;
un appétit accru et beaucoup de temps passé au lit (sans véritable sommeil
profond et réparateur) ;
une réponse inhabituelle aux médicaments antidépresseurs, soit
anormalement rapide ou, à l’inverse, partielle voire inexistante.
Témoignage de Véronique Dufief :
le vécu d’une phase dépressive
Après la naissance de ma fille cadette, j’ai fait un baby-blues dramatique. La tristesse est
venue insensiblement, mais a fini peu à peu par m’enserrer dans ses tenailles et me
tétaniser. Je refusais catégoriquement d’aller voir le psychiatre qui m’avait suivie jusque-là
et dont le prêchi-prêcha m’était devenu insupportable. En désespoir de cause, j’ai consulté
le spécialiste le plus proche de chez moi, qui, ne me connaissant pas, a reconduit mon
ordonnance, sans mesurer la détresse abyssale qui était en train de me submerger.
Tout était devenu atrocement lourd. Le poids du jour m’écrasait. Impossible d’aller faire
les courses de la semaine : un exploit de titan devenu totalement hors de ma portée. À la
fin, n’en pouvant plus, j’ai avalé tous les médicaments que j’avais à portée de main, bien
sûre que je ne mettais pas ma vie en danger, mais que cette alarme violente me vaudrait les
soins dont j’avais besoin et que je ne savais plus comment obtenir. Les pompiers venus à
mon secours me diront de demander de l’aide, plus simplement, la prochaine fois.
Pourquoi tout est donc si impossible quand on est terrassé par l’angoisse au point de ne
plus être capable d’imaginer autre chose que des plans catastrophes et des scénarios de fin
du monde ?
C’est ainsi que j’ai atterri à Sainte-Anne. Une encre noire remontée d’on ne sait quel drain
avait envahi peu à peu et imbibé la moindre de mes pensées : impossible d’envisager la
plus petite chose qui ne soit défigurée, disséquée, épinglée avec la cruauté d’un
pessimisme sans remède en face duquel le brave Schopenhauer fait figure d’enfant de
chœur. L’humour peut perdurer dans ce marasme, mais il est toujours sombre, acide,
mordant, incisif.
Vers 8 ou 9 heures, un infirmier vient me réprimander si je tarde à m’extirper de cette
somnolence matinale que j’essaie d’entretenir par mille et un artifices, pour reculer chaque
jour, le plus tard possible, le moment où il me faut affronter la journée : l’atroce devoir de
vivre et de traverser l’épaisseur nauséeuse de l’angoisse qui ne relâche son étau qu’en fin
d’après-midi, quand la perspective de sombrer à nouveau dans l’oubli du sommeil vient
donner aux patients du service le seul répit de leur enfer quotidien.
C’est chaque jour le même jour, interminable. « Le soir, je me dis : à quand le matin ? Et le
matin, je me dis : à quand le soir ? » Ce psaume décrit une souffrance immémoriale, le mal
de vivre qui meurtrit les plus fragiles et les fait étouffer dans cet enfer psychique où l’on ne
peut s’empêcher d’ajouter foi au sentiment fatal que ça n’aura donc jamais de fin. « Ça » :
la nausée immonde d’être condamnée à vivre. De savoir qu’on n’aura jamais la force d’en
finir avec le supplice, qu’il faut l’endurer, et que rien n’en desserre l’étau.
Rien ? Si. L’antidépresseur qu’on me prescrit alors fait son effet, selon l’usage, très
rapidement : au bout de quinze jours. Quel répit ! Et que je suis heureuse de vivre
maintenant, plutôt qu’au XIXe siècle, et de pouvoir bénéficier des tout récents progrès de la
médecine, qui font vraiment merveille. Néanmoins, quoique ce changement me soulage, je
suis déboussolée de voir une substance chimique produire une telle révolution, non
seulement sur le cours de mes pensées qui ont déserté les steppes de la tristesse pour
revenir sur des rives plus riantes, mais sur l’objet, le contenu même de mes pensées… Exit
le pessimisme à tout crin ! Exit le négativisme ravageur qui écrase tout sans pitié sous son
inexorable meule ! Pourtant, quel est donc cet hôte mystérieux qui peut pénétrer jusque
dans le lieu le plus secret de ma conscience, jusque dans la perception que j’ai de moi-
même ? Il y a de quoi se révolter d’une si insidieuse violation de domicile, même pratiquée
avec les meilleures intentions du monde. Pendant longtemps, je resterai fâchée avec un
Dieu qui permet que mon « âme » – ce que je perçois comme étant mon être le plus
intime – soit sujette à des remaniements chimiques produits par un agent totalement
extérieur.
4. L’humeur mixte. – Les épisodes de la maladie bipolaire
occasionnent un dérèglement biologique des structures cérébrales
(temporales internes et préfrontales) impliquées dans la production et la
régulation des émotions. L’instabilité de l’humeur et la plupart des
symptômes pendant les crises en sont la traduction. Pendant un épisode
maniaque ou hypomaniaque, des symptômes dépressifs peuvent se
manifester et, à l’inverse, des signes d’excitation motrice ou psychique
peuvent être associés aux phases de dépression.
Les médecins du XIXe siècle avaient déjà décrit ces formes cliniques
particulières. Emil Kraepelin considère qu’il s’agit d’états mixtes
(Mischzustände), qui regroupent les dépressions anxieuses, agitées et les
manies avec inhibition motrice ou avec humeur triste (dysphorique). Ces
états peuvent être considérés comme des phases de transition (d’un épisode
pathologique à l’autre mais aussi au moment où l’humeur se stabilise de
nouveau) ou encore comme des crises autonomes. Leur diagnostic, même
pour des psychiatres aguerris, est loin d’être évident.
Les classifications internationales actuelles, le DSM-5 en particulier, ont
préféré considérer que leur autonomisation manquait de validité scientifique
et proposent de distinguer les épisodes dépressifs avec caractéristiques
mixtes de l’humeur si trois symptômes maniaques sont présents et les crises
maniaques avec caractéristiques mixtes si trois symptômes dépressifs sont
dénombrés. Certains ont émis l’hypothèse que l’existence d’un
tempérament affectif de polarité inverse à l’épisode pouvait favoriser
l’apparition de cette mixité de l’humeur : un tempérament dépressif sous-
jacent à un épisode maniaque ou au contraire un tempérament
hyperthymique associé à une phase dépressive.
Dans le cadre des crises de la maladie bipolaire, les caractéristiques
seraient mixtes près d’une fois sur deux. La dépression mixte touche plus
souvent les femmes. Son évolution est moins favorable, la durée
d’hospitalisation étant plus longue, les symptômes psychotiques plus
fréquents et le risque suicidaire et de rechute plus élevé. Il existe deux
formes principales de dépression mixte : l’une où prédominent l’irritabilité
et l’accélération des pensées et du discours, et l’autre l’instabilité
comportementale, voire l’agitation motrice. Pour différencier la dépression
mixte d’autres diagnostics psychiatriques (comme le trouble borderline par
exemple), il est important de constater une rupture dans le comportement et
les réactions habituels du sujet.
Lors des crises maniaques, la labilité émotionnelle est très fréquente. Il
est courant qu’un patient en pleine phase maniaque nourrisse des idées
tristes, pleure, et même qu’il tienne des propos suicidaires. La manie dite
alors « dysphorique » serait plus fréquente à l’adolescence qu’à l’âge
adulte, ce qui peut contribuer à l’errance diagnostique. Près d’une fois sur
deux, des symptômes dépressifs peuvent aussi être présents lors d’une
phase hypomaniaque. L’hypomanie mixte serait plus fréquente chez les
femmes.
La présence de symptômes mixtes lors des crises de la maladie bipolaire
rend le diagnostic plus délicat et la prise en charge thérapeutique plus
complexe. Le dérèglement de l’humeur qui s’exprime lors de ces phases
pathologiques par une instabilité émotionnelle et comportementale est-il
perceptible entre les épisodes ?
II. – Le fonctionnement entre les crises
Le concept d’euthymie, dont l’étymologie signifie « bonne humeur »,
peut être considéré comme un mythe psychologique si l’on entend par là
une parfaite stabilité de l’humeur, laquelle, par définition, oscille
constamment. Ce terme a longtemps été utilisé pour qualifier le retour à
l’équilibre après la rémission d’un épisode de la maladie bipolaire. Mais la
question de l’état clinique des patients entre les crises a été négligée
pendant de nombreuses années. Assez récemment, des travaux ont cherché
à évaluer si, oui ou non, les symptômes disparaissaient durant ces périodes
que l’on qualifie d’« intercritiques ».
Dans presque la moitié des cas, des symptômes (dits « résiduels »)
persistent à distance des crises, de manière infraliminaire ; sans parler pour
autant de rechute, leur nombre et leur intensité étant insuffisants. Ces
symptômes résiduels, dépressifs ou maniaques, se retrouvent plus volontiers
après une crise maniaque au cours de laquelle le patient a eu des
hallucinations et des idées délirantes, lorsque la durée de l’épisode a
dépassé un mois, ou encore quand la personne bipolaire souffre aussi
d’autres pathologies psychiatriques (comme les addictions ou les troubles
anxieux).
Souvent associés à un retard de la mise en place d’un traitement
stabilisateur adéquat, les symptômes résiduels constituent un mauvais
indicateur pronostique. Le risque de rechutes augmente en moyenne de
25 % et la durée de l’intervalle entre deux crises est divisée par cinq…
Enfin, ces symptômes résiduels ont un retentissement négatif sur la qualité
de vie des patients, la régularité des prises médicamenteuses et la
réinsertion socioprofessionnelle.
Dans environ 15 % des cas, la maladie bipolaire peut se révéler très
active. S’il existe plus de quatre épisodes pathologiques par an, le trouble
bipolaire est dit « à cycles rapides ». Cette forme de la maladie touche plus
souvent les femmes (dans deux tiers des cas). Décrite avant l’avènement
des médicaments, elle peut toutefois être aggravée par la prescription des
antidépresseurs ou par la consommation de substances toxiques
psychoactives. Elle est également fréquente en cas de pathologies
neurologiques, thyroïdiennes, ou encore de syndrome d’apnées du sommeil
associé.
L’imagerie cérébrale a mis en évidence la persistance, en période
intercritique et même en l’absence de tout symptôme, de l’hyperréactivité
émotionnelle chez les patients, mais aussi chez leurs apparentés de premier
degré (parents ou enfants) indemnes. À distance des épisodes et malgré les
prises en charge thérapeutiques adaptées, les dérèglements intracérébraux
demeurent comme la trace émotionnelle indélébile de la maladie dans la vie
neuronale des personnes atteintes d’un trouble bipolaire.
La mémoire, l’attention, la concentration et d’autres fonctions
cognitives, comme la vitesse avec laquelle une information est traitée, sont
affectées lors de ces épisodes. Elles restent altérées dans près de 50 % des
cas pendant la période intercritique. Ces troubles cognitifs seraient plus
fréquents chez les patients qui souffrent d’un trouble bipolaire de type 1. Ils
surviennent plus volontiers après un épisode avec symptômes psychotiques.
Ces troubles cognitifs altèrent la qualité de vie, la régularité des prises du
traitement et la réinsertion sociale et professionnelle.
Présents dès la première crise de la maladie bipolaire, ces déficits
cognitifs pourraient également précéder le début du trouble. Ce caractère
prodromique en fait des signes de choix à traquer chez les sujets à très haut
risque de développer la maladie, en raison de leurs antécédents familiaux.
III. – Les limitations de la liberté individuelle
et les mises en danger d’autrui
Lors des épisodes maniaques ou dépressifs, la maladie bipolaire peut
altérer considérablement le comportement et le discernement. Souvent, le
patient n’a pas conscience du caractère hautement pathologique de la crise
ou bien il ne perçoit pas la nécessité des soins.
1. Les hospitalisations sans consentement. – En France, la loi du
5 juillet 2011 régit les modalités d’hospitalisation en psychiatrie, en
l’absence du plein accord de la personne à soigner. À la demande du
Conseil constitutionnel, ce dispositif juridique est venu réformer la loi Évin
du 27 juin 1990 (qui elle-même avait succédé à celle de 1838), pour
s’harmonier avec les législations européennes et la loi Kouchner du 4 mars
2002 sur les droits du patient.
Les hospitalisations sans consentement sont plus fréquentes au début de
la maladie et lors des épisodes très sévères (délirants notamment). Cette
nouvelle loi de 2011 garantit l’information du patient sur ses droits et
recours et exige le contrôle de l’ensemble de l’hospitalisation par le juge
des libertés et de la détention.
Souvent difficilement vécues par les patients et leurs proches, ces
mesures de soins sous contrainte sont nécessaires quand l’état psychique du
sujet rend impossible d’obtenir son plein accord et que les soins relèvent de
l’urgence. Le plus souvent, cette hospitalisation intervient à la demande
d’un tiers (conjoint, enfants, parents ou proches) et est validée au vu des
certificats médicaux successifs réalisés par les psychiatres. Dans les cas où
la recherche d’un tiers s’est révélée infructueuse, le médecin peut recourir à
une hospitalisation pour péril imminent.
Si l’état du patient s’accompagne de troubles du comportement pouvant
porter atteinte à l’ordre public ou à la sécurité des personnes,
l’hospitalisation peut être demandée par un représentant de l’État (le maire
ou le préfet). La loi de 2011 ouvre aussi la possibilité d’organiser des soins
ambulatoires sans le consentement du patient. Il s’agit le plus souvent d’un
programme d’accompagnement thérapeutique personnalisé, qui inclut des
visites à domicile, la participation à des activités thérapeutiques à temps
partiel ou des hospitalisations de jour.
2. Les mesures de protection juridique. – Il arrive, essentiellement
lors des crises maniaques ou des phases d’hypomanie, que la personne
commette des actes qui lui portent préjudice, par exemple en réalisant des
dépenses inconsidérées. Le patient peut être facilement abusé par autrui et
se laisser entraîner dans des acquisitions saugrenues, qui peuvent le placer
dans de graves difficultés financières et administratives.
En France, la protection des biens et des personnes est régie par la loi
du 5 mars 2007, qui a réformé le droit des majeurs protégés. Quand un
médecin constate qu’en raison de son état de santé pathologique un patient
s’est mis dans une situation pouvant mettre à mal sa sécurité matérielle, il
peut saisir le procureur de la République qui, sur la foi d’un certificat
circonstancié, peut prononcer une sauvegarde de justice valable un an, et
renouvelable une fois. Cela permet au sujet d’annuler des actes, des
décisions, des signatures qu’il aurait pu commettre ou engager au cours de
la crise.
Si l’évolution de la maladie bipolaire le requiert, des mesures de
protection plus structurées peuvent être prononcées par le juge au terme
d’une procédure instaurée à la demande d’un proche de la personne à
protéger, et après une expertise psychiatrique réalisée par un médecin agréé
auprès des tribunaux. Une curatelle ou une tutelle peuvent être prononcées
pour une durée maximale de cinq ans, reconductible indéfiniment si l’état
de santé du sujet l’exige.
La loi de 2007 offre également la possibilité au patient de désigner une
personne qui serait son représentant légal en cas d’aggravation de sa
maladie occasionnant une perte d’autonomie. Ce mandat de protection
future peut être ratifié devant notaire, ou acté par la signature d’un sous-
seing privé.
3. Les comportements dangereux pour autrui. – De nombreuses
études ont été consacrées à l’étude des comportements violents chez les
patients qui souffrent de schizophrénie. Les travaux concernant les troubles
bipolaires sont beaucoup plus rares. Quelques-uns ont été réalisés en
population générale, parmi des patients hospitalisés ou en suivi ambulatoire,
et chez des personnes détenues en milieu pénitentiaire.
Alors qu’en population générale la fréquence des délits et des actes
criminels est estimée entre 1 et 2 %, en cas de troubles bipolaires celle-ci
augmenterait jusqu’à 10, voire 15 % selon les études. Toutefois, le risque
est significatif essentiellement quand d’autres troubles sont associés à la
maladie bipolaire, tels que les addictions, qui augmentent les conduites à
risque, l’impulsivité, les comportements agressifs et les accidents.
Dans ce cas, on retrouve aussi des antécédents de violences ou de
traumatismes dans l’enfance ou l’adolescence. Le chômage et l’isolement
affectif ont également un poids considérable sur la dangerosité potentielle.
Pour beaucoup d’auteurs, le trouble bipolaire en soi n’augmenterait que très
peu, voire pas du tout, la dangerosité des personnes qui en sont atteintes, et
serait limité à 2, voire 3 %, soit une fréquence très proche de celle de la
population générale.
Lors des crises maniaques, le sujet est agité, son attention est très
flottante, il est souvent désinhibé sur le plan instinctuel. Ces troubles du
comportement peuvent être à l’origine d’attitudes hétéro-agressives ou
provocatrices, limitées le plus souvent à la sphère verbale. Si le sujet est
alcoolisé ou drogué, le risque augmente de le voir causer un accident sur la
voie publique.
Les patientes en état maniaque sont malheureusement parfois victimes
d’abus, voire d’agressions sexuelles ; les hommes, quant à eux, peuvent
adopter des conduites exhibitionnistes ou des comportements qui
s’apparentent aux attentats à la pudeur. Mais les crises maniaques font des
patients le plus souvent les victimes ou les auteurs involontaires d’actes
délictueux, et les expertises psychiatriques atténuent, voire annulent leur
responsabilité pénale si le diagnostic est connu ou correctement posé.
IV. – Le risque suicidaire
Hantise de tout psychiatre, la plus grande mise en danger induite par la
maladie bipolaire concerne le patient lui-même…
La France est le pays d’Europe où le taux de mort par suicide est le plus
élevé et celui où la prescription de lithium est la plus faible. Or les sels de
lithium sont le seul traitement à avoir fait la preuve de leur efficacité dans la
prévention du risque suicidaire.
Les personnes qui souffrent d’un trouble bipolaire sont particulièrement
exposées à la mort par suicide : 20 fois plus que la population générale ;
40 % d’entre elles feront au cours de leur vie au moins une tentative de
suicide et 10 % décéderont d’un suicide… 90 % des patients bipolaires font
leur tentative de suicide pendant les phases dépressives, contre seulement
10 % lors des crises maniaques.
La détermination (appelée aussi « intentionnalité ») suicidaire est
souvent très forte chez les patients bipolaires : au cours de la maladie,
seules quatre tentatives suffisent pour aboutir au geste fatal, contre vingt-
cinq dans la population générale. Quelles sont les raisons qui conduisent à
un tel geste de désespoir ?
Sur ce point, les études ne concordent pas, mais il semble que les
personnes souffrant d’un trouble bipolaire de type 2 soient plus exposées au
risque de mort par suicide que les sujets présentant un trouble de type 1. Le
différentiel vertigineux entre le vécu émotionnel des hypomanies et des
dépressions joue-t-il un rôle particulier ? La douleur psychique extrême
(appelée aussi « morale ») constitue sans doute le moteur d’un geste
autodestructeur où le patient pense trouver la seule issue à sa souffrance
intérieure, indescriptible et intolérable.
Dans certains cas, heureusement fort rares, mais qui défraient la
chronique des faits divers, il arrive qu’un patient souffrant d’un épisode
dépressif (le plus souvent délirant) emporte ses proches dans son geste
suicidaire, pensant par là les préserver de la souffrance aiguë à laquelle il
les croit aussi condamnés. On parle alors de suicide « altruiste ».
Au cours de la maladie bipolaire, trois situations sont à haut risque
suicidaire : le début, les phases dépressives sévères et les états de transition.
Quand l’humeur mixte s’accompagne d’un retour de l’énergie motrice, elle
peut favoriser les passages à l’acte.
Les antécédents familiaux de suicide, la gravité des tentatives
antérieures, la précocité de la maladie bipolaire, la présence de cycles
rapides (plus de quatre par an), l’existence de troubles anxieux ou addictifs
associés, de traumatismes affectifs pendant l’enfance ou de facteurs de
stress important récent sont autant d’éléments qui augmentent le risque
suicidaire.
Dans la biographie familiale ou personnelle, une mort par suicide est
l’un des indices qui peuvent orienter le psychiatre et l’inciter à explorer
l’hypothèse d’une maladie bipolaire non diagnostiquée.
V. – Aux frontières des troubles bipolaires
Les maladies qui affectent le cerveau peuvent toucher une région
précise (sous la forme d’une tumeur ou d’un accident vasculaire) ou altérer
le fonctionnement de réseaux plus diffus de neurones impliqués dans
certaines fonctions. Les premières maladies se situent plutôt dans le champ
de la neurologie, les secondes, dans celui de la psychiatrie.
L’architecture cérébrale étant complexe, les pathologies qui se
caractérisent par des dysfonctionnements de réseaux neuronaux peuvent
comporter des lignes de démarcation assez poreuses, ce qui peut rendre les
frontières entre deux maladies assez floues. La maladie bipolaire, qui atteint
les réseaux impliqués dans la régulation des émotions, ne fait pas exception
à la règle. Si les troubles mentaux doivent être distingués, force est de
constater qu’ils sont le plus souvent associés les uns aux autres.
Il est nécessaire de parvenir à un diagnostic précis, car la prise en
charge thérapeutique requiert des choix stratégiques spécifiques. Mais une
telle démarche n’est pas toujours aisée : les symptômes peuvent être
identiques et se chevaucher avec ceux d’une autre maladie. De plus, avec le
temps, une pathologie peut se convertir en une autre. Trois troubles méritent
d’être distingués de la maladie bipolaire.
1. Le trouble borderline. – Comme la maladie bipolaire, le trouble
borderline trouve très probablement son origine dans une dérégulation des
émotions. Toutefois, contrairement à celui-là, il ne s’exprime pas par phases
cycliques de plusieurs jours ou de plusieurs semaines, mais plutôt par une
tendance générale à l’impulsivité. Les idées noires et les velléités
suicidaires ou autoagressives sont fugaces ; et il existe des ruptures brutales
dans le vécu intérieur et le comportement, associées à une mauvaise estime
de soi.
Maladie bipolaire et trouble borderline présentent toutefois de
nombreuses similitudes : ils s’accompagnent souvent d’autres pathologies
psychiatriques (addictions, troubles anxieux), leur mortalité suicidaire est
d’environ 10 %. Dès lors, même pour des psychiatres spécialisés dans la
prise en charge des troubles de l’humeur cette distinction diagnostique peut
être très subtile, et ce, d’autant plus que les deux troubles sont associés dans
près de 50 % des cas ! La frontière entre trouble bipolaire de type 2, trouble
borderline et tempérament cyclothymique est souvent à reconsidérer au
cours de l’évolution de la maladie.
Pour diagnostiquer un trouble borderline, on pourrait énumérer les
caractéristiques suivantes :
il apparaît moins précocement que les troubles bipolaires ;
des facteurs déclenchants sont impliqués en plus grand nombre
(traumatismes affectifs, vécus d’abandon…) ;
le sujet révèle une tendance de fond à l’impulsivité ;
dans 75 % des cas, le diagnostic porte sur des femmes ;
les gestes autoagressifs sont fréquents (scarifications, automutilations…) ;
la labilité de l’humeur, l’instabilité des relations interpersonnelles et des
affects et une mauvaise image de soi doivent entrer en ligne de compte ;
le trouble a tendance à faiblir après cinquante ans.
En revanche, on peut suspecter un trouble bipolaire si :
il se déclare précocement (avant vingt et un ans) ;
dès la fin de l’enfance apparaissent des troubles cognitifs et des variations
d’humeur plus objectivables ;
des phases bien délimitées et caractéristiques d’euphorie alternent avec des
phases de dépression ;
des médicaments antidépresseurs induisent des phases d’excitation ;
la labilité des émotions et l’instabilité de l’humeur évoluent par phases, de
manière cyclique ;
le trouble se manifeste tout au long de la vie.
La question fondamentale que pose la distinction entre ces deux entités
est celle de leur possible origine commune malgré des manifestations et une
évolution différentes. Seuls des travaux de recherche à venir permettront
peut-être d’élucider cette énigme.
2. Les schizophrénies et le trouble schizo-affectif. Il n’en est pas de
même pour les maladies schizophréniques, dont le cœur réside dans la
désorganisation de la vie psychique, se traduisant par des troubles cognitifs
qui peuvent secondairement se compliquer de phases pathologiques
bruyantes où idées délirantes et hallucinations (le plus souvent auditives)
occupent le devant de la scène.
Sur le plan cérébral, des anomalies de connexions entre les deux
hémisphères, un élargissement plus important des ventricules et une
diminution du volume cérébral global sont venus légitimer la séparation
entre les troubles bipolaires et les schizophrénies.
Dès la fin du XIXe siècle, Emil Kraepelin avait opéré cette dichotomie
entre les deux troubles, qu’il dénommait respectivement « maladie
maniaco-dépressive » et « démence précoce ». Mais vingt ans plus tard, en
1919, il admit lui-même que la frontière entre ces deux maladies est bien
difficile à tracer puisque certains symptômes se chevauchent.
Dès la première moitié du XXe siècle, des auteurs allemands, français et
américains décrivent une « psychose mixte », ou « schizophrénie
dysthymique », aujourd’hui dénommée « trouble schizo-affectif », qui
correspond à une entité clinique intermédiaire entre les deux maladies et qui
rassemble des symptômes schizophréniques et bipolaires.
Aujourd’hui, on estime que les patients qui souffrent de schizophrénie
présenteront dans 50 % des cas des épisodes dépressifs et des symptômes
de la série maniaque au cours de leurs phases délirantes. Un sur deux
commettra des tentatives de suicide et 15 % d’entre eux mourront des suites
d’un geste autodestructeur. À l’inverse, au cours des crises de la maladie
bipolaire, 50 % des patients présentent des idées délirantes et des
hallucinations qui, dans la nomenclature internationale, sont qualifiées de
« symptômes psychotiques ».
Le dernier élément troublant, non le moindre, est l’instabilité du
diagnostic au cours du temps : dans 25 % des cas environ, l’évolution de la
maladie fera rectifier le diagnostic dans le sens de la schizophrénie ou du
trouble bipolaire. Ce constat est bilatéral.
Les études génétiques ont montré qu’il existe un grand nombre de gènes
de vulnérabilité communs aux deux maladies, et qu’un petit nombre
seulement est spécifique à la schizophrénie et aux troubles bipolaires. Les
anomalies du développement cérébral, si elles sont plus prononcées chez les
patients qui développeront une schizophrénie ultérieurement, se retrouvent
aussi en cas de maladie bipolaire.
De même, les études familiales ont montré que le risque de développer
un trouble bipolaire est multiplié par quatre dans la fratrie d’un patient
schizophrène par rapport à la population générale. Le risque de souffrir
d’une schizophrénie chez les frères et sœurs d’une personne bipolaire est
également plus élevé. Il existe donc une vulnérabilité génétique partagée
entre les deux troubles.
L’évolution longtemps considérée comme moins favorable dans les
schizophrénies est aujourd’hui jugée tout aussi sérieuse dans les troubles
bipolaires. Même en cas de réponse favorable aux traitements, la maladie
bipolaire peut se réactiver à la faveur d’un arrêt des médicaments, d’un
facteur de stress ou d’un autre événement indésirable comme une privation
de sommeil, une prise de toxiques ou un changement radical des rythmes de
vie.
Si le cœur de ces deux maladies diffère, de même leur traitement de
référence est distinct : le lithium pour la maladie bipolaire et les
neuroleptiques (appelés aussi « antipsychotiques ») pour les schizophrénies.
3. Le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité
(TDA/H). – Syndrome qui touche l’enfant au cours de son développement,
le TDA/H porte dans sa dénomination sa cause première : le déficit de
l’attention, auquel peuvent s’ajouter des troubles du comportement
associant hyperactivité motrice et impulsivité. Le TDA/H a souvent des
conséquences délétères sur les relations intrafamiliales et sur la vie scolaire.
Il toucherait près de 15 % des adolescents qui souffrent d’un trouble
bipolaire ; avec l’âge, cette proportion diminue. À l’âge adulte, ce taux
tombe à 10 %.
En Europe, on considère que la crise maniaque reste très rare chez
l’enfant. Cette conception n’est pas partagée aux États-Unis, notamment par
les équipes de recherche qui suivent les descendants de patients bipolaires.
Ils décrivent « des manies pédiatriques » qui se caractérisent par une
instabilité de l’humeur chronique, une impulsivité et des troubles du
comportement. La similitude avec le TDA/H est alors assez saisissante, ces
mêmes équipes décelant des taux d’association entre les deux troubles qui
oscillent entre 70 et 90 %…
Ces auteurs reconnaissent que tous ces cas de « manies pédiatriques »
n’évoluent pas inéluctablement vers un trouble bipolaire à l’âge adulte. Le
taux de conversion d’un TDA/H infantile en trouble bipolaire de l’adulte est
estimé à 20 %. C’est pour ces raisons que la communauté scientifique
européenne émet des réserves et ne valide pas de telles conceptions.
L’Association américaine de psychiatrie en convient elle-même puisqu’elle
a ajouté une nouvelle catégorie diagnostique dans le DSM-5 (le trouble
disruptif avec dysrégulation de l’humeur) afin de moduler ce phénomène
d’emballement diagnostique, assorti de prescriptions médicamenteuses
parfois inadaptées.
Maladie bipolaire et TDA/H constituent deux troubles distincts et
d’origine différente. Toutefois, comme pour les schizophrénies, ils
présentent très probablement des facteurs génétiques de vulnérabilité
communs. Les ascendants ou les descendants de premier degré d’enfants
ayant présenté un TDA/H ont un risque deux fois supérieur, par rapport à la
population générale, de développer un trouble bipolaire.
VI. – Les troubles psychiatriques associés
La maladie bipolaire est souvent associée à d’autres pathologies
mentales qui compliquent son évolution et sa prise en charge thérapeutique.
On estime que 90 % des patients bipolaires présentent au cours de leur
existence un autre trouble psychiatrique.
1. Les prises de toxiques et les addictions. – Il arrive fréquemment
que les personnes souffrant de troubles bipolaires consomment des
substances addictives qui provoquent des effets psychiques intenses. Avec
le temps, ces prises de toxiques peuvent provoquer d’authentiques
dépendances. Les addictions, couplées à la maladie bipolaire, enferment les
patients dans un véritable cercle vicieux.
On estime à 40 % la proportion des patients bipolaires souffrant
parallèlement d’une dépendance à un toxique. Aux États-Unis, l’alcool, le
cannabis, les amphétamines et la cocaïne comptent parmi les toxiques les
plus consommés. Le tabac est consommé deux à trois fois plus par les
patients bipolaires que par la population générale. Ce tabagisme significatif
est peut-être l’un des facteurs qui expliquent que leur espérance de vie soit
réduite de plus de dix ans.
Dès la fin du XIXe siècle, Emil Kraepelin avait observé que l’alcoolisme
frappait plus d’un tiers des patients maniaco-dépressifs. La proportion
actuelle demeure comparable, et on estime que l’addiction à l’alcool est
trois à quatre fois supérieure chez les personnes qui souffrent d’un trouble
bipolaire que dans la population générale. Au cours des crises maniaques,
25 % des patients augmentent leur consommation alcoolique et 15 % le font
au cours des phases dépressives.
Or, plus on banalise le cannabis, plus sa consommation augmente, en
particulier chez les adolescents et les jeunes adultes. Recherché pour ses
effets relaxants et anxiolytiques, il aggrave la maladie bipolaire en
favorisant les crises maniaques et l’hypomanie. Près d’un patient bipolaire
sur cinq en consommerait régulièrement. Néanmoins, les conséquences
délétères qu’il produit sur le trouble bipolaire seraient réversibles en cas de
sevrage définitif.
La recherche de sensations fortes et la nostalgie du vécu intérieur des
hypomanies, et même des crises maniaques, conduisent bon nombre de
patients (environ 30 %) à consommer plus ou moins régulièrement de la
cocaïne. À l’inverse, 15 % des personnes qui en prennent souffriraient d’un
trouble bipolaire.
La très forte association entre les addictions et les troubles bipolaires
soulève plusieurs questions. S’agit-il d’une automédication qui vise à
soulager un malaise intérieur ? ou bien d’une tentative de retrouver un état
émotionnel d’euphorie ou d’exaltation, un paradis perdu ?
Malheureusement, la prise de ces substances augmente la fréquence des
crises maniaques et dépressives ainsi que le nombre des hospitalisations. En
outre, la plupart de ces produits toxiques diminuent l’efficacité des
traitements médicamenteux.
2. Les troubles anxieux. – Les troubles anxieux, considérés comme des
pathologies autonomes, rassemblent essentiellement le trouble panique (qui
se caractérise par la récurrence de crises d’anxiété suraiguë), les phobies et
l’état de stress post-traumatique (qui se traduit par la survenue de
symptômes anxieux sévères au moins six mois après un traumatisme
psychique violent).
On peut y adjoindre le trouble obsessionnel compulsif, qui se manifeste
essentiellement par la récurrence d’idées obsédantes associées ou non à des
comportements ritualisés extrêmement répétitifs et invalidants.
Plusieurs études ont montré que 25 à 40 % des patients bipolaires
présentaient au cours de leur existence au moins l’un de ces troubles
anxieux. Dans ce cas, l’évolution de la maladie bipolaire est plus
défavorable, la qualité de vie des patients est altérée, le temps de
récupération entre les crises est plus long et le risque suicidaire, plus
important.
Enfin, même quand le trouble bipolaire est relativement bien stabilisé,
les crises peu intenses et espacées, les symptômes anxieux sont fréquents,
sans qu’il soit possible de diagnostiquer clairement un trouble précis. Cette
anxiété latente entrave beaucoup la vie personnelle et professionnelle. Elle
obscurcit le vécu émotionnel des patients bipolaires.
3. Les troubles des conduites alimentaires. – L’anorexie mentale, la
boulimie qui, par définition, s’accompagne de conduites compensatoires
(comme les vomissements, visant à éviter toute prise de poids) et les crises
d’hyperphagie diurnes ou nocturnes sont trois pathologies plus fréquentes
chez les patients bipolaires qu’en population générale. Le risque est
multiplié par un facteur allant de deux à dix selon les études et selon le
trouble des conduites alimentaires concerné.
Ces troubles, associés à la maladie bipolaire, aggravent son évolution et
augmentent le risque suicidaire. Au cours des épisodes maniaques et des
phases dépressives, les crises d’hyperphagie sont plus fréquentes.
VII. – Les maladies somatiques associées
e
Selon un adage médical du XIX siècle, on ne peut, en ce qui concerne
les maladies mentales, considérer le cerveau indépendamment du reste du
corps. Les troubles bipolaires n’échappent pas à la règle.
1. La surmortalité et les pathologies cardiovasculaires. –
Indépendamment du risque suicidaire, l’espérance de vie des patients
bipolaires est réduite d’une dizaine d’années. Ce terrible constat a suscité
depuis vingt ans de nombreux travaux de recherches cliniques.
En prenant du poids, les patients qui souffrent de troubles bipolaires
s’exposent à plusieurs complications métaboliques et cardiovasculaires. Or,
les deux tiers des patients bipolaires, estime-t-on, souffrent d’un surpoids
(défini par un indice de masse corporelle 1, ou IMC, compris entre 25 et 30)
ou d’une obésité (définie par un IMC supérieur à 30).
Le surpoids et l’obésité peuvent se compliquer par de perturbations
biologiques : augmentation des taux de lipides (cholestérol, triglycérides) et
de sucre dans le sang. L’association fréquente des addictions à l’alcool et au
tabac aggrave le risque de pathologies cardiovasculaires, de diabète et de
syndrome d’apnées du sommeil. Ainsi 10 à 25 % des patients bipolaires
souffriraient d’un diabète et leur risque de développer une maladie
cardiovasculaire (hypertension artérielle, coronaropathies) serait quatre à
cinq fois plus élevé qu’en population générale et leur surmortalité de 35 %
supérieure.
La survenue de ces complications cardiovasculaires et métaboliques est
associée à une aggravation de la maladie bipolaire elle-même : les rechutes
sont plus fréquentes, les durées d’hospitalisation s’allongent et la qualité de
vie s’en trouve significativement altérée.
Même si ces anomalies ont été décrites avant l’ère thérapeutique, les
répercussions de certains médicaments ne peuvent être écartées. Le
dépistage et la prise en charge de ces pathologies physiques font partie
intégrante du traitement global des personnes bipolaires. Une attention
particulière est portée aujourd’hui à l’hygiène de vie des patients
(alimentation équilibrée et lutte contre la sédentarité).
2. Les maladies thyroïdiennes. – Depuis le début du XXe siècle, on a
repéré qu’un dysfonctionnement de la glande thyroïde était parfois associé à
la maladie maniaco-dépressive. Lorsqu’elle est au repos, en état
d’hypothyroïdie, le sujet va présenter des symptômes assez proches de ceux
de la dépression ; à l’inverse, si celle-ci fonctionne à l’excès et sécrète trop
d’hormones thyroïdiennes, il est dans un grand état d’excitation, il dort
moins et perd du poids.
Chez les patients bipolaires, le risque de développer une hypothyroïdie
est multiplié par quatre ou cinq, chez les hommes comme chez les femmes,
lesquelles sont, de manière générale, plus sujettes à cette affection
endocrinienne. Les sels de lithium, qui restent le traitement de référence de
la maladie bipolaire au long cours, peuvent aggraver ce risque
d’hypothyroïdie. En ce qui concerne l’hyperthyroïdie, l’association avec la
maladie bipolaire (ou ses traitements) est moins nette, mais elle n’est pas
exceptionnelle.
3. Les pathologies neurologiques. – Saint Augustin considérait le
cerveau comme « le ciel de notre corps 2 ». On pourrait prolonger cette
métaphore en affirmant que les maladies neurologiques et psychiatriques
gravitent dans la constellation neuronale où des collusions sont possibles.
Des mécanismes pathologiques communs peuvent conduire à
l’association entre deux maladies cérébrales. Ainsi, près d’une personne sur
deux qui souffre d’un trouble bipolaire de type 2 présenterait régulièrement
des migraines qui se caractérisent par des douleurs pulsatiles violentes
ressenties dans une moitié du crâne, accompagnées parfois de
manifestations visuelles, appelées « aura migraineuse ».
Dans d’autres cas, des pathologies neurologiques qui touchent les
régions cérébrales impliquées dans la production et la régulation des
émotions vont provoquer la survenue de symptômes ou de troubles
bipolaires constitués. Ainsi, les symptômes bipolaires sont assez fréquents
lors des épilepsies temporales et frontales ou au cours des scléroses en
plaques qui affectent ces régions. Des cas de troubles bipolaires consécutifs
à des accidents vasculaires, des tumeurs ou des accidents vasculaires
cérébraux sont également décrits.
Que sais-je sur la manifestation des troubles
bipolaires ?
Les troubles bipolaires se caractérisent par la survenue cyclique de phases d’humeur
pathologique, maniaques ou dépressives, qui marquent une rupture avec le fonctionnement
habituel du sujet.
La crise maniaque est un état d’agitation psychique et moteur très intense qui conduit le
plus souvent à une hospitalisation.
L’hypomanie correspond à une crise maniaque atténuée, et néanmoins pathologique.
Les dépressions dans la maladie bipolaire peuvent être dominées par un ralentissement
moteur sévère ou caractérisées par une instabilité émotionnelle et comportementale.
Les symptômes maniaques et dépressifs peuvent s’associer au cours des crises de la
maladie : on parle alors de caractéristiques mixtes.
Entre les crises, des symptômes résiduels persistent une fois sur deux et altèrent la qualité
de vie des patients.
La mauvaise conscience du caractère pathologique, au début de la maladie et lors de
certaines crises, peut conduire à ce que le patient soit hospitalisé et soigné sans son
consentement.
Au cours de l’évolution du trouble bipolaire, si l’autonomie du sujet est altérée, des
mesures de protection (sauvegarde de justice, curatelle, tutelle) peuvent être prononcées
par le juge des majeurs protégés.
Le trouble bipolaire ne rend pas la personne bipolaire dangereuse pour autrui, sauf si la
maladie se complique d’addictions à des substances toxiques.
Les personnes bipolaires souffrent une fois sur deux d’addictions à des substances (alcool,
tabac, cannabis, cocaïne).
Dix pour cent des personnes bipolaires meurent par suicide.
Leur espérance de vie est réduite d’une dizaine d’années par rapport à la population
générale.
Les troubles borderline, schizo-affectif et le déficit de l’attention avec ou sans
hyperactivité se situent aux confins de la maladie bipolaire.
Les troubles anxieux et les troubles des conduites alimentaires peuvent être associés à la
maladie bipolaire.
Des maladies somatiques (cardiovasculaires, endocriniennes ou neurologiques) peuvent
aggraver l’évolution des troubles bipolaires.
1. L’IMC est calculé en divisant le poids (en kilogramme) par la taille (en mètre) au carré.
2. Saint Augustin, La Genèse au sens littéral, VII, XIII, 20, trad. P. Monat, Paris, Institut
d’Études augustiniennes, 2004.
CHAPITRE III
Les troubles bipolaires :
une maladie cérébrale ?
« Maître cerveau sur un homme perché
Tenait dans ses plis son mystère. »
Paul VALÉRY
Penser que notre vie émotionnelle, la perception que nous avons de
nous-même, de notre environnement, notre manière de réagir, de parler, de
réfléchir puissent être sous la dépendance de notre corps, fût-ce de notre
cerveau, voilà qui est loin d’être une évidence… Les troubles bipolaires
peuvent modifier, voire altérer, ces dimensions constitutives de notre être le
plus intime. La question de leur origine, de leur(s) cause(s), semble
dépasser le simple champ de la médecine, pour atteindre celui de la
psychologie et même de la philosophie, tant notre liberté et notre perception
sont concernées au premier chef. Dès lors, la question : « les troubles
bipolaires sont-ils une maladie cérébrale ? » pourra apparaître pour certains
comme une provocation !
Pourtant, parmi toutes les pathologies psychiatriques, la maladie
bipolaire a depuis longtemps été considérée comme « le plus médical » des
troubles psychiques. Les facteurs biologiques et surtout génétiques avaient
déjà été suspectés par les Anciens, qui observaient souvent des troubles
similaires chez les apparentés des sujets atteints. On en trouve le
témoignage dès le milieu du XVIIIe siècle, sous la plume de Charles-Antoine
Lorry 1. Plus récemment, les premières comparaisons, réalisées avant la
Seconde Guerre mondiale, entre les « vrais » jumeaux, issus d’un même
ovocyte (appelés homozygotes) et les « faux » jumeaux, provenant de deux
ovocytes (dénommés hétérozygotes), avaient montré que la maladie
touchait plus les premiers. Les homozygotes qui partagent le même
patrimoine génétique présentent tous les deux la maladie dans 40 à 70 %
des cas, alors que les hétérozygotes, ne partageant que 50 % de leurs gènes,
ne souffrent tous les deux du trouble que dans 5 à 15 % des cas.
Ce taux dit « de concordance » plus élevé chez les vrais jumeaux fait
naturellement penser que des facteurs génétiques sont impliqués dans
l’émergence de la maladie. A contrario, ces chiffres démontrent aussi que
les gènes à eux seuls ne peuvent expliquer la survenue du trouble bipolaire,
qui n’est donc pas une maladie strictement génétique, mais une pathologie
qui possède plusieurs déterminants, dont des facteurs génétiques. Des
études plus récentes sont venues corroborer ces publications historiques.
Celles-ci montrent que si un parent souffre d’un trouble bipolaire, ses
enfants présenteront la maladie dans 15 % des cas. Ce taux passe à 50 % si
les deux parents sont atteints.
I. – Les facteurs génétiques
1. La génétique et le fonctionnement cérébral. Au cours des dernières
décennies, la conception de patrimoine génétique a considérablement
évolué. À côté de la génétique dite mendélienne 2, où le génome était perçu
comme un programme informatique qui s’exprime automatiquement au
cours de l’existence, a émergé la conception d’une génétique non
mendélienne. Qualifiée aussi de complexe, cette hérédité implique plusieurs
gènes, le patrimoine génétique étant compris davantage comme une
bibliothèque où l’on prendra tel ou tel livre que l’on commencera à lire à
telle ou telle page. Cet ensemble d’informations génétiques va ou non
s’exprimer, totalement ou partiellement, au gré des différents événements
de la vie biologique et personnelle du sujet.
Cette évolution a conduit au développement de l’épigénétique, qui
étudie les modifications de l’activité des gènes et de leur expression dans la
synthèse des protéines. Cette science s’intéresse à la façon dont les gènes
vont être utilisés par les cellules ou ne pas l’être. C’est aujourd’hui une voie
de recherche très exploitée dans les pathologies cérébrales.
Ces travaux de génétique sont à situer dans le contexte plus général des
études sur le cerveau qui ont permis de mieux appréhender le
développement, le fonctionnement et les pathologies de cet organe, resté
longtemps le plus énigmatique du corps humain. Le cerveau, fort de ses
quelque 100 milliards de neurones interconnectés, fonctionne en réseaux
aussi nombreux que complexes. Ceux-ci articulent le cortex et les structures
dites « sous-corticales », la substance grise et la substance blanche. La
frontière entre deux neurones est délimitée par un espace virtuel et
fonctionnel : la synapse. Des molécules appelées neuromédiateurs sont
libérées dans la fente synaptique lors du passage de l’influx nerveux. Cela
entraîne une cascade d’événements qui vont avoir des répercussions
importantes sur la vie cérébrale. Plusieurs neuromédiateurs jouent un rôle
central dans la maladie bipolaire et dans les mécanismes d’action de ses
traitements médicamenteux : la sérotonine, la noradrénaline, la dopamine,
mais aussi le glutamate et le GABA (pour acide gamma-aminobutyrique).
2. Les études génétiques sur les troubles bipolaires. Les études
génétiques s’intéressent particulièrement aux gènes impliqués dans la
neurotransmission et dans le développement des régions cérébrales
impliquées dans la production et la régulation des émotions. Les premières
du genre ont tenté d’identifier des gènes de vulnérabilité (dit « candidats »)
parmi les patients. Aux prises avec la grande diversité d’expression des
troubles bipolaires, des études se sont centrées sur les formes à début
précoce (c’est-à-dire avant vingt et un ans), et ont montré que certains gènes
étaient significativement retrouvés par rapport à la population générale :
c’est le cas d’un gène (le SLC6A4) impliqué dans la transmission de la
sérotonine dans la fente synaptique.
D’autres types d’études se sont ensuite développés. Des recherches ont
été menées au sein de familles, en étudiant plus spécifiquement les régions
génomiques les plus partagées par les sujets atteints. Il s’agit des analyses
de liaison. Plusieurs des résultats obtenus par ce genre d’études n’ont pas
été répliqués ou n’ont pas atteint le seuil de significativité statistique,
notamment en raison de la grande variabilité d’expression des troubles
bipolaires.
Enfin, grâce au décryptage complet du génome humain et au
développement de techniques moléculaires sophistiquées, des milliers de
variations génétiques (appelées polymorphismes et variantes alléliques) ont
pu être étudiées en comparant les sujets souffrant d’un trouble bipolaire à
des populations de témoins. Les résultats de ces études d’association sur
l’ensemble du génome ont permis d’identifier notamment trois gènes
(CACNA1C, ODZ4 et NCAN) de manière assez robuste. Être porteur de
ces gènes, qui sont impliqués notamment dans la mise en place des
neurones et l’architecture des réseaux cérébraux, augmente le risque de
développer un trouble bipolaire de 10 à 20 %.
Ces études sur l’ensemble du génome ont montré que plusieurs de ces
gènes de vulnérabilité étaient communs à la schizophrénie et à la maladie
bipolaire. Ce constat conforte l’idée que la frontière entre les deux
pathologies est assez poreuse : il existe des symptômes communs aux deux
troubles et une forme intermédiaire entre les deux maladies, appelée le
trouble « schizo-affectif ».
Des études d’association sur l’ensemble du génome se sont intéressées
aux gènes impliqués dans la régulation du rythme veille/sommeil qui est
très perturbé lors des crises maniaques et dépressives. Les rythmes
circadiens sont régulés par plusieurs mécanismes : les habitudes sociales, la
luminosité, les saisons, et biologiquement par l’action de l’horloge interne.
Celle-ci est logée dans une petite structure cérébrale, située non loin de
l’hypothalamus. Ce noyau (dit supra-chiasmatique) envoie des informations
à la glande pinéale qui, à partir de la sérotonine, sécrète la mélatonine, la
neurohormone du sommeil. Selon plusieurs études, les polymorphismes des
gènes circadiens pourraient être associés aux troubles bipolaires, en
particulier ceux des gènes CLOCK, TIMELESS, ARNTL1, REV-EB alpha
et PER3.
Dans la maladie bipolaire, les études génétiques ont sans doute soulevé
davantage de questions nouvelles qu’elles n’ont apporté de réponses toutes
faites. Elles invitent à considérer le développement du cerveau dans son
ensemble et son fonctionnement général. Comme organe de la vie de
relation, celui-ci intègre l’ensemble de ce que nous vivons, ressentons,
percevons tout au long de l’existence. Son organisation et ses
dysfonctionnements sont à resituer dans ce contexte. Les interactions entre
le patrimoine génétique et l’environnement du sujet, au sens le plus large du
terme, jouent un rôle déterminant dans l’expression des troubles bipolaires.
Les études actuellement en cours de développement tiennent compte de
ces paramètres et associent différents axes de recherche (génétique,
biologique, imagerie, évaluation de la vie émotionnelle et histoire du sujet)
au sein de mêmes protocoles.
II. – Les possibles anomalies du développement
cérébral
Le cerveau est l’organe du corps humain qui devient adulte le plus
tardivement, vers l’âge de trente ans. Il commence son développement dès
la vie intra-utérine à partir d’une couche embryonnaire, l’ectoderme, qui est
à l’origine des systèmes nerveux et cutané. Le tube neural se constitue après
des processus de prolifération, de migration et de différenciation des
cellules neuronales. Au cours du troisième trimestre de la grossesse, le
cerveau va peu à peu modeler ses sillons qui lui confèrent sa forme
caractéristique. Ce sont les processus dits de « gyrification » et de
« sulcation ».
La substance grise, qui constitue le cortex, c’est-à-dire l’écorce du
cerveau, poursuit sa maturation entre l’âge de cinq et vingt ans. Elle
rassemble les corps cellulaires et les arbres dendritiques des neurones. La
substance blanche, située à la face interne du cerveau, est constituée
essentiellement des axones, recouverts le plus souvent d’une gaine de
myéline. Elle assure le câblage neuronal et la connexion entre les structures
corticales et sous-corticales.
Les processus de maturation de la substance blanche se poursuivent
jusqu’à l’âge de trente ans : ils consistent en un achèvement de la
myélinisation des axones et un tri sélectif au sein de l’ensemble des
synapses (appelé élagage synaptique). Il peut exister entre les structures
cérébrales un réseau de connexions physiques (la connectivité anatomique)
ou une connectivité fonctionnelle qui active simultanément, lors de tâches
ou de stimulations, des aires cérébrales sans lien anatomique direct.
L’hypothèse neuro-développementale est un modèle explicatif qui a été
élaboré pour comprendre l’apparition de plusieurs maladies cérébrales,
comme les syndromes autistiques et surtout les schizophrénies. Sous
l’influence de certains gènes, l’organisation des réseaux neuronaux va
prédisposer le cerveau à développer telle ou telle maladie. Les interactions
entre des facteurs déclenchants liés à l’environnement et ce terrain fragilisé
entraîneront la possible apparition de la pathologie. Cette hypothèse est
également appliquée à la maladie bipolaire.
Des variants de plusieurs gènes impliqués dans le développement et
l’organisation cérébrale ont été retrouvés de manière significative chez les
patients souffrant de schizophrénie ou de trouble bipolaire. De nombreux
travaux ont porté sur les gènes BDR1, BDNF, TGFB, DISC1, NCAM1 ou
encore PIK3C3. Tous ces gènes sont impliqués dans la migration,
l’organisation et l’architecture neuronales à des stades assez précoces du
développement.
Des études épigénétiques se sont également penchées sur les
modifications d’expression génétique au cours des premières années de la
vie. Des phénomènes biochimiques complexes (de méthylation du génome)
différents ont été observés chez des jumeaux selon qu’ils étaient atteints ou
non par la maladie bipolaire. Au-delà de ces éléments biologiques, des
signes cliniques plaident aussi en faveur d’anomalies du développement
cérébral chez les personnes souffrant d’un trouble bipolaire.
Comme la peau et les téguments sont issus de la même couche
embryonnaire que le cerveau (l’ectoderme), des anomalies des lignes de la
main sont liées à certaines pathologies cérébrales. Ainsi, chez les patients
bipolaires, des dermatoglyphes (sillons de la main) sont effacés ou
interrompus ; des troubles morphologiques mineurs peuvent également se
faire jour (au niveau du palais, des sillons de la langue ou encore des écarts
entre le premier et le deuxième doigt de la main et des orteils).
Comme dans les schizophrénies, mais de manière moins prononcée, un
trouble bipolaire peut se traduire par des signes neurologiques discrets : un
déficit de l’intégration sensorielle audiovisuelle et de la reconnaissance des
objets par la palpation, ainsi que des difficultés dans la coordination motrice
et au niveau de l’équilibre.
La mémoire, l’attention et la concentration sont les trois principales
fonctions cognitives. Elles sont aujourd’hui très étudiées en neurologie et en
psychiatrie, au point d’être devenues une véritable spécialisation : la
neuropsychologie. L’atteinte précoce des fonctions cognitives est l’un des
reflets de l’existence d’anomalies cérébrales. Des chercheurs se sont
notamment intéressés à l’évaluation cognitive d’enfants de moins de dix ans
risquant de développer ultérieurement un trouble bipolaire en raison de
leurs antécédents familiaux.
Plus de 20 % des sujets qui, à l’âge adulte, ont développé un trouble
bipolaire présentaient dès l’enfance des anomalies cognitives précoces. Ils
constituent un profil intermédiaire, en termes de proportion, entre les
patients schizophrènes et la population générale. Certaines anomalies
cognitives précoces (comme les atteintes de la mémoire de travail) seraient
prédictives d’une évolution vers une maladie bipolaire.
Depuis une vingtaine d’années, l’essor de l’imagerie cérébrale, en
apportant des éléments de compréhension supplémentaires, a éclairé d’un
jour nouveau les anomalies précoces du développement cérébral. Des
anomalies dans l’organisation des sillons cérébraux (index de gyrification)
ont ainsi pu être mises en évidence chez des patients bipolaires comparés à
des sujets témoins.
Le cerveau des sujets qui, au cours de leur vie, souffriront d’un trouble
bipolaire possède sans doute, pour des raisons génétiques complexes, une
architecture particulière qui le rend vulnérable. Cette organisation cérébrale
a-t-elle une traduction en dehors de phases pathologiques, voire avant
même le début de la maladie ?
III. – Les études d’imagerie cérébrale
1. L’essor des techniques d’imagerie. – La naissance de l’imagerie
cérébrale s’est faite en plusieurs étapes. Les progrès de la physique avaient
permis la découverte des atomes, des rayonnements X et de la radioactivité
naturelle. Puis le mariage de la physique et des mathématiques donna
naissance à la physique quantique, qui permit de mieux rendre compte des
phénomènes de l’infiniment petit. Ce fut le début de l’imagerie médicale,
avec la radiologie puis le développement de la médecine nucléaire. Un autre
mariage, plus récent encore, entre la physique et l’informatique, a associé
des capteurs de particules plus sensibles à la puissance de calculs des
ordinateurs. Ces progrès ont permis de révéler le détail des organes, en
particulier du cerveau à l’intérieur de la boîte crânienne.
Au début des années 1990, l’imagerie par résonance magnétique
nucléaire (IRM) entraîne un essor considérable de l’imagerie cérébrale
anatomique (jusque-là cantonnée à la tomodensitométrie, communément
dénommée « scanner »). Désormais, on obtient avec une meilleure
résolution une photographie de la substance grise, de la substance blanche
et de l’ensemble des structures cérébrales. Une nouvelle étape est franchie
avec la naissance de l’IRM fonctionnelle. Cette fois, la technique nous offre
des images du cerveau en fonctionnement, grâce à une première étude qui
montre comment le débit sanguin augmente dans les aires cérébrales
occipitales lorsque le sujet est soumis à des stimulations visuelles.
2. Les études d’imagerie cérébrale sur les troubles bipolaires. – Des
études de deux grands types peuvent désormais être menées dans le champ
des troubles bipolaires : les études d’imagerie anatomique et celles, en plein
essor, d’imagerie fonctionnelle.
Les études d’imagerie anatomique par IRM permettent d’étudier les
structures et les volumes des aires cérébrales. Contrairement à ce qui se
passe dans la schizophrénie, le volume cérébral global, au cours de la
maladie bipolaire, ne diminue pas. Le cerveau renferme un système
ventriculaire qui participe de la sécrétion du liquide céphalorachidien qui
baigne le système nerveux central (rassemblant le cerveau et la moelle
épinière). Il existe quatre ventricules : les ventricules latéraux (gauche et
droit), le troisième et le quatrième ventricules. Comme dans la
schizophrénie, plusieurs études ont montré l’élargissement de ces
ventricules dans les troubles bipolaires.
Le volume global de substance blanche est diminué chez les patients
bipolaires et une étude réalisée au cours du premier épisode de la maladie a
repéré des anomalies du signal (appelées « hypersignaux ») de l’IRM dans
les régions périventriculaires. Ces hypersignaux sont aussi identifiables
chez les apparentés sains (parents de premier degré). Des anomalies du
volume de la substance grise existent également dans des régions qui sont
centrales dans la production et la régulation des émotions.
Les aires temporales, préfrontales (au-dessus de nos orbites) et frontales
sont le siège des réseaux qui produisent et régulent notre vie émotionnelle.
Le système limbique 3 rassemble plusieurs entités cérébrales : l’hippocampe
(qui joue un rôle central dans la mémoire à long terme), l’amygdale
(impliquée dans la production de la peur et de l’agressivité), le cortex
cingulaire, le fornix et l’hypothalamus. Selon certaines études d’imagerie
anatomique, le volume de la substance grise amygdalienne augmenterait
chez les patients bipolaires adultes et diminuerait au niveau du cortex
cingulaire.
Les études d’imagerie fonctionnelle permettent d’observer les réseaux
impliqués dans la régulation des émotions. Pour cela, on suscite des
réactions chez des sujets en leur présentant des photographies de visages
exprimant la peur, la joie ou au contraire une neutralité émotionnelle. Mis
en œuvre depuis une quinzaine d’années par plusieurs équipes à travers le
monde, ces travaux ont permis de montrer, chez les patients bipolaires et le
plus souvent chez les apparentés de premier degré (parents ou enfants) non
atteints par la maladie, une hyperactivation du réseau impliqué dans la
régulation automatique (production) des émotions et une mise au repos de
réseau censé assurer la régulation volontaire (rétrocontrôle) de celles-ci.
Le réseau responsable de la régulation automatique des émotions relie
l’amygdale, le cortex cingulaire antérieur et une partie du cortex préfrontal
(la ventro-latérale). Le circuit impliqué dans la régulation volontaire
rassemble quant à lui le cortex cingulaire postérieur et deux autres parties
du cortex préfrontal (la dorso-latérale et la dorso-médiane).
Une technique d’imagerie récente et très sophistiquée, dite du « tenseur
de diffusion », permet d’étudier la trajectoire des molécules d’eau le long
des gaines neuronales. Le calcul d’un index (appelé fraction d’anisotropie)
de diffusion de l’eau donne un reflet de l’intégrité des faisceaux de
substance blanche (particulièrement de la myéline qui entoure les neurones
et assure la bonne conduction électrique). Dans certaines pathologies
(œdème cérébral, sclérose en plaques), la gaine de myéline est altérée et le
facteur d’anisotropie est alors diminué. Des études d’imagerie réalisées
avec le tenseur de diffusion chez des patients bipolaires ont mis en évidence
une diminution de ce facteur dans les régions cibles pour la régulation
émotionnelle, à savoir dans les aires préfrontales et limbiques (hippocampe,
gyrus cingulaire).
D’autres études précieuses pour la compréhension de la maladie ont
utilisé cette même technique d’imagerie par le tenseur de diffusion pour se
pencher sur un faisceau de substance blanche, en forme de crochet (le
faisceau unciné), reliant ces régions capitales (amygdale, cortex cingulaire
et préfrontal). Elles ont retrouvé un faisceau unciné anormalement
augmenté de volume chez les patients bipolaires. On ne retrouve pas cette
anomalie dans les autres pathologies psychiatriques. Elle pourrait être un
marqueur biologique du trouble bipolaire, voire être rapprochée de son
cœur symptomatique : la réactivité émotionnelle excessive.
IV. – L’hyperréactivité émotionnelle :
le cœur de la maladie
Les émotions sont généralement définies comme des réactions
affectives transitoires (souvent brèves) à des stimulations positives ou
négatives qui émanent de notre environnement. L’abaissement du seuil de
réactivité émotionnelle avait été identifié par l’un des plus grands
psychiatres français du XXe siècle, Henri Ey, comme le fondement des
troubles bipolaires (désignés à cette époque sous l’expression « psychose
maniaco-dépressive »). Selon lui, les crises de la maladie sont la
conséquence de cet abaissement pathologique du seuil émotionnel qui
constitue un élément essentiel du tempérament et du caractère.
Aujourd’hui, grâce aux études d’imagerie cérébrale, les réseaux
neuronaux impliqués dans la régulation des émotions primaires (joie,
tristesse, colère, peur, surprise, dégoût et mépris) ont pu être identifiés. Les
hypothèses sur les liens entre la réactivité émotionnelle et les états
d’humeur (plus stables dans le temps) ont pu être explorées chez les
patients bipolaires.
L’intuition d’Henri Ey a été confortée par des travaux qui ont été
réalisés chez des patients en période intercritique, quand l’humeur est jugée
stable (ou euthymique). Dans ce cas, les patients bipolaires restent plus
sensibles aux événements positifs que la population générale. De plus, des
tests d’induction émotionnelle (utilisant des images à valence positive,
négative ou neutre) montrent que les patients accordent une valeur plus
agréable aux images neutres que les sujets témoins. En période de
rémission, la réactivité émotionnelle constitue sans doute un marqueur de la
maladie. Mais de quelles manières s’exprime-t-elle lors des crises ?
Pendant les états maniaques où l’humeur est euphorique ou irritable, la
réactivité émotionnelle est extrême, quelle que soit la valence émotionnelle,
positive ou négative, des stimuli. Lors des phases dépressives, deux sous-
types de patients peuvent être distingués : ceux qui présentent une
anesthésie intérieure et un grand ralentissement se traduisant par une
hyporéactivité émotionnelle, et ceux qui, au contraire, souffrent d’une
dépression agitée se caractérisant par une grande instabilité
comportementale et psychique, ce qui se traduit par une hyperréactivité
émotionnelle. La colère, l’irritabilité, la panique et l’anxiété sont alors
accrues.
Perceptible pendant les périodes de rémission et bruyant durant les
épisodes de la maladie, l’abaissement du seuil de réactivité émotionnelle se
situe au cœur des troubles bipolaires, et semble constituer ce que l’on
nomme en médecine le primum movens 4 (ou l’origine) de la maladie.
Plusieurs questions restent toutefois en suspens. La réactivité émotionnelle
ne serait-elle pas un résidu symptomatique des crises ? une séquelle des
traitements médicamenteux ? Cet abaissement du seuil de réactivité est-il
spécifique des troubles bipolaires ? Est-il présent chez les autres membres
de la famille non atteints ou encore avant le déclenchement de la maladie ?
Des études tendent à montrer que l’hyperréactivité émotionnelle peut se
retrouver chez les apparentés sains. Doit-elle pour cela être rapprochée
directement de la vulnérabilité génétique ? D’autres travaux soutiennent
l’hypothèse que l’existence de traumatismes affectifs dans l’enfance
accentue la réactivité émotionnelle chez les patients bipolaires. La rencontre
entre le patrimoine génétique et les événements de la vie, dénommée aussi
l’« interaction gènes/environnement », constitue le modèle consensuel de
compréhension de la survenue de la maladie chez des sujets prédisposés.
V. – Les antécédents traumatiques, les événements
de vie et les facteurs déclenchants
La vie du cerveau ne saurait autoriser de dissociation entre son
soubassement neuronal et biologique et sa réalité perceptive et intégrative.
Ce postulat est une clé de compréhension du développement psychique et
de l’organisation cérébrale. Il permet d’appréhender bon nombre de
pathologies neurologiques et psychiatriques, dont les troubles bipolaires.
Ainsi, ces patients rapportent assez souvent des antécédents de
traumatismes affectifs pendant l’enfance, une période très importante pour
le développement psychique mais aussi pour la maturation du système
nerveux central.
1. Les abus et les traumatismes. – Une association significative a été
établie entre les abus émotionnels subis pendant l’enfance et la survenue à
l’âge adulte d’un trouble bipolaire. Parmi les abus émotionnels, on compte
les agressions verbales, les humiliations ou les comportements avilissants
ou menaçants envers l’enfant. En outre, les traumatismes affectifs précoces
aggravent l’évolution ultérieure de la maladie bipolaire : les troubles
surviennent plus précocement, les symptômes sévères sont plus nombreux
(les idées délirantes ou les hallucinations, par exemple), des prises de
toxiques y sont associées, le risque suicidaire est plus élevé et l’instabilité
émotionnelle est plus forte.
En complément de ces observations, des signes avant-coureurs, appelés
« prodromes », précèdent, parfois de plusieurs années, le début de la
maladie. Aujourd’hui, ils sont particulièrement recherchés chez les enfants
qui, en raison de leurs antécédents familiaux, présentent un risque élevé de
développer plus tard un trouble bipolaire. Chez eux, en effet, on relève
parfois des symptômes comportementaux (hyperactivité, impulsivité),
cognitifs (déficit de l’attention, de la concentration), des troubles du
sommeil ou encore des abus de substances toxiques. Autant de situations
qui peuvent perturber la vie psychique de l’enfant mais aussi les relations
intrafamiliales et induire des occasions de tensions relationnelles
possiblement traumatiques au sein de la cellule familiale.
Si le poids des facteurs génétiques est important et contribue à rendre
certaines personnes plus vulnérables face à la maladie bipolaire, l’histoire
affective de chacun, particulièrement pendant l’enfance et l’adolescence,
semble jouer un rôle déterminant dans la fragilisation des réseaux
émotionnels.
2. Le stress et les événements de vie. – On estime que les facteurs
environnementaux sont impliqués à hauteur de 20 à 40 % dans l’expression
des troubles bipolaires. Une fois la maladie déclarée, l’exposition à des
facteurs de stress et la survenue d’événements de vie traumatisants vont
aussi avoir des répercussions significatives sur la fréquence, l’intensité des
rechutes et la qualité des retours à l’équilibre (ou rémission). Ainsi,
l’exposition à un facteur de stress augmenterait par cinq le risque de
présenter une rechute (maniaque ou dépressive), et la survenue d’un
événement traumatisant (divorce, perte d’un emploi, deuil) multiplierait par
trois le temps nécessaire au rétablissement après un épisode dépressif ou
maniaque.
La perturbation des routines (heures du lever et du coucher, celles des
repas) et des rythmes sociaux favoriseraient plus particulièrement les
rechutes maniaques. Ces observations corroborent les hypothèses sur les
anomalies des rythmes circadiens et de la chronobiologie des patients
bipolaires. Les événements de vie qui bouleversent les rythmes sociaux, les
synchronisateurs (appelés Zeitgebers, littéralement « donneurs de temps »),
vont provoquer des perturbations biologiques (diminution de la sécrétion de
la mélatonine par la glande pinéale, augmentation de la libération de
certaines hormones comme le cortisol). Ces anomalies biologiques ont des
effets sur l’organisme et sur l’humeur. Elles pourront être à l’origine de
rechutes.
La réactivité des patients bipolaires a également été étudiée en situation
de stress. Il semble exister une grande variabilité interindividuelle.
Contrairement à une hypothèse de départ (celle de la sensibilisation), la
réactivité au stress ne semble pas diminuée à mesure que la maladie évolue.
Elle pourrait n’avoir aucun lien avec la fréquence des rechutes. En
revanche, la structure de la personnalité et les traits de caractère jouent
probablement un rôle dans l’évolution de la réactivité au stress.
La place des traumatismes affectifs face à la vulnérabilité génétique,
tout comme les conséquences des facteurs de stress et des événements de
vie dans le déclenchement des rechutes, illustrent assez clairement le
modèle d’interaction gènes/environnement. La question de l’origine reste
toutefois ouverte : face aux événements, la grande réactivité émotionnelle
d’origine cérébrale des patients bipolaires est-elle la conséquence des
traumatismes affectifs antérieurs ou l’expression de leur propre sensibilité ?
VI. – En guise de réponse
Même si l’origine cérébrale de la maladie bipolaire est aujourd’hui
assez bien étayée sur le plan scientifique et ne relève plus de la seule
intuition empirique, la pleine compréhension des mécanismes impliqués
dans les troubles bipolaires exige encore de nombreux travaux de recherche.
Sans doute lèveront-ils peu à peu le voile dont s’est couvert, il y a bien
longtemps, maître cerveau sur son homme perché…
Ce tour d’horizon ne serait pas complet sans l’évocation d’une voie de
recherche en cours de développement. La découverte d’anomalies dans les
processus de réactions inflammatoires et dans le système immunitaire de
patients bipolaires a conduit à explorer une nouvelle voie de recherche :
celle des hypothèses immuno-inflammatoires.
Les globules blancs (dont les lymphocytes, les monocytes et les
macrophages) jouent un rôle très important dans la réaction immunitaire de
l’organisme face à un agent pathogène ou lors de certaines phases de
maladies chroniques. Les macrophages sécrètent des substances, appelées
cytokines, qui vont entraîner une cascade d’événements dans les cellules.
Certaines favorisent la réaction inflammatoire ; d’autres l’atténuent. Des
équipes de chercheurs se sont notamment penchées sur une cytokine,
l’interleukine-6, dont le taux augmente lors des épisodes maniaques. En cas
d’affection, le foie et les tissus adipeux synthétisent la protéine C-réactive
(CRP) qui joue un rôle dans le processus inflammatoire. Les phases de la
maladie bipolaire s’accompagnent d’une légère augmentation de la CRP,
surtout au cours des crises maniaques.
La maladie bipolaire est souvent associée à d’autres pathologies :
cardiovasculaires, thyroïdiennes, métaboliques ou neurologiques. Ces
anomalies inflammatoires et immunitaires sont-elles la preuve que plusieurs
systèmes du corps humain sont la cible du processus pathologique ? Ou
traduisent-elles des réactions de défense de l’organisme face à la maladie
maniaco-dépressive ? La recherche en immuno-psychiatrie, qui vise à
identifier des marqueurs biologiques précoces du trouble bipolaire,
éclaircira peut-être à l’avenir ces points encore obscurs.
Que sais-je sur l’origine des troubles
bipolaires ?
Les troubles bipolaires ne sont pas une maladie génétique.
Plusieurs facteurs (dont certains sont génétiques) sont impliqués dans son développement.
Les anomalies de fonctionnement des réseaux cérébraux impliqués dans la régulation des
émotions sont aujourd’hui assez bien identifiées par les études d’imagerie cérébrale.
L’hyperréactivité émotionnelle est une manifestation du tempérament des patients
bipolaires ; elle s’exprime lors des crises pathologiques.
L’expression de la maladie résulte d’une interaction entre les facteurs de stress, les
traumatismes affectifs et une vulnérabilité cérébrale préexistante.
1. Charles-Antoine Lorry, éminent médecin parisien appelé pour soigner Louis XV, publia en
1765 un ouvrage majeur : De la mélancolie et des maladies mélancoliques (De melancholia et
morbis melancholicis).
2. Ce qualificatif renvoie à Johann Gregor Mendel (1822-1884), botaniste qui a établi les
premières lois de transmission des gènes d’une génération à l’autre. Il est considéré comme le
père de la génétique moderne.
3. Baptisé ainsi par Thomas Willis pour qualifier ces structures cérébrales situées « en bordure »
(sens étymologique des limbes) du tronc cérébral ; cette appellation fut reprise en France par
Paul Broca au XIXe siècle.
4. Utilisée métaphoriquement dans le langage médical pour qualifier le processus à l’origine
d’une pathologie, cette locution latine renvoie à la « cause première », ou « premier moteur »,
qui, dans La Métaphysique d’Aristote, définit le principe incréé à l’origine de toute chose.
CHAPITRE IV
Comment soigne-t-on les troubles
bipolaires ?
« Thérapeutiques biologiques et thérapeutiques psychologiques, loin
de s’opposer, se complètent. »
Jean DELAY 1
Si la maladie est bipolaire, son traitement ne l’est pas moins puisqu’il
s’appuie aujourd’hui sur deux pôles indissociables : le traitement biologique
et la prise en charge et l’accompagnement psychologiques. Actuellement,
une autre caractéristique fondamentale est la personnalisation des stratégies
thérapeutiques, adaptées à chaque patient, à ses caractéristiques
personnelles et à celles de son trouble.
I. – Les thérapeutiques biologiques
1. Le lithium. – Découvert il y a bientôt deux siècles (1817) par Johann
August Arfwedson et Jöns Jacob Berzelius, le lithium est un métal alcalin
qui a été pour la première fois utilisé en médecine au milieu du XIXe siècle.
À partir des années 1950, il est expérimenté dans le traitement de la maladie
maniaco-dépressive en Australie et en Europe, avant d’être introduit un peu
plus tard aux États-Unis. À ce jour, il reste le traitement de référence pour
les troubles bipolaires : il est actif sur la crise maniaque, sur la dépression
bipolaire, et surtout il prévient les rechutes à long terme. De plus, il est le
seul médicament à avoir prouvé son efficacité sur la réduction du risque
suicidaire.
Ce cation ralentit les processus programmés de mort cellulaire, ses
propriétés extraordinaires agissant sur la vitalité neuronale et la
neurotransmission. Sa meilleure indication reste le trouble bipolaire de
type 1, quand les crises maniaques prédominent et qu’il existe des
antécédents familiaux de bonne réponse au lithium.
Le lithium doit être administré dans un cadre très surveillé : tous les
trois à six mois, les patients se soumettent à une prise de sang destinée,
notamment, à mesurer le taux de lithium plasmatique (appelé lithiémie) et
les fonctions thyroïdienne et rénale. De fait, ce traitement possède des effets
indésirables à court terme (digestifs), à moyen terme (éruptions cutanées) et
à long terme (thyroïdiens et rénaux). En cas de surdosage, des signes
d’intoxication neurologique peuvent apparaître. Sa prescription nécessite un
suivi régulier par un médecin psychiatre.
2. Les traitements curatifs des crises. – La crise maniaque se traite
dans la très grande majorité des cas en hospitalisation (en raison des
fréquents troubles du comportement qui y sont associés). Le traitement
médicamenteux vise à rétablir le sommeil et à apaiser l’agitation motrice et
psychique. Il adjoint des sédatifs (neuroleptiques ou antipsychotiques,
benzodiazépines) aux stabilisateurs de l’humeur (comme le lithium ou
certains antiépileptiques aux propriétés positives sur l’humeur). Il faut en
général deux à trois semaines pour que les symptômes les plus importants
disparaissent.
L’hypomanie peut être prise en charge en consultations ambulatoires,
surtout quand le patient et son entourage connaissent bien la maladie. Il
convient de s’assurer que celui-ci prend régulièrement ses médicaments
habituels et de faire en sorte que son sommeil soit très vite rétabli, le plus
souvent au moyen de neuroleptiques (ou antipsychotiques, comme la
Rispéridone®) et de benzodiazépines, qui évitent le risque de voir la crise
se transformer en épisode maniaque complet.
Le traitement médicamenteux des dépressions bipolaires est plus
délicat. En règle générale, les antidépresseurs risquent de favoriser les
phases d’excitation. Ils doivent être prescrits avec une très grande réserve et
uniquement sous la surveillance d’un psychiatre qui connaît bien la maladie
bipolaire. Il est préférable de recourir à des médicaments qui possèdent des
propriétés antidépressives et qui ne sont pas pour autant des
antidépresseurs, comme certains antipsychotiques à petites doses
(Quétiapine®, Olanzapine®, Aripiprazole®) ou le lithium à doses
modérées.
Les anciens électrochocs, dont la technique a considérablement évolué
durant les vingt dernières années, gardent un réel intérêt. Appelé désormais
électroconvulsivothérapie (ECT), ce traitement est réalisé sous anesthésie
générale brève avec un stimulateur produisant un courant électrique bref
pulsé, qui vise à provoquer une crise convulsive, mais uniquement dans le
cerveau, et ce, pendant une vingtaine de secondes. À raison de deux à trois
stimulations par semaine, le traitement par ECT dure en général un mois.
La dépression bipolaire, qui résiste au traitement médicamenteux habituel,
constitue une indication de choix pour l’ECT, dont l’image, ternie par
l’histoire, ne doit pas éclipser son extraordinaire efficacité dans le
traitement des crises dépressives de la maladie bipolaire.
3. Le traitement préventif des rechutes. – La maladie bipolaire se
caractérise par une forte tendance à la récurrence. L’enjeu du traitement
préventif est crucial. Seule une minorité de patients bénéficient d’un unique
médicament sur le long cours. Dans ce cas, il s’agit le plus souvent du
lithium. Quand il n’est plus toléré, essentiellement lorsque avec le temps il
finit par causer une insuffisance rénale (malgré la surveillance et des doses
revues à la baisse), ou lorsque la maladie n’est que partiellement contrôlée
par le lithium, le médecin peut envisager de prescrire d’autres molécules
stabilisatrices de l’humeur.
Si la maladie se caractérise par une prédominance de crises maniaques,
et si le sujet n’est pas une femme en âge de procréer, un antiépileptique
comme le Valproate de sodium® ou l’un de ses dérivés (Valpromide®,
Divalproex®) peut être proposé. Ce médicament présente également un
intérêt si le trouble bipolaire se caractérise par des cycles rapides (plus de
quatre crises par an) ou qu’une pathologie neurologique ou une addiction
alcoolique est associée à la maladie bipolaire.
Les conditions de prescription du Valproate® et de ses dérivés sont
aujourd’hui restreintes en France. En effet, les mères sous Valproate®
pendant leur grossesse risquaient de mettre au monde des enfants
malformés ou aux facultés intellectuelles altérées.
En revanche, si le trouble bipolaire se caractérise par une prédominance
de phases dépressives, un autre antiépileptique peut se révéler efficace (la
Lamotrigine®). Sa tolérance est excellente, en dehors de manifestations
allergiques cutanées devenues très rares depuis son instauration progressive.
Son pouvoir sur la prévention des rechutes dépressives est avéré, et il serait
même supérieur à celui du lithium, avec lequel il peut d’ailleurs être associé
au long cours.
Aujourd’hui, la tendance est à l’association de deux ou trois
stabilisateurs de l’humeur sur le long terme afin de prescrire des doses de
lithium les plus faibles possibles et d’adapter la formule thérapeutique au
profil évolutif du trouble bipolaire, en choisissant tel ou tel stabilisateur.
Des approches thérapeutiques biologiques complémentaires ne doivent
pas être négligées pour optimiser certaines prises en charge, même si leur
efficacité peine à être démontrée dans les études scientifiques. Ainsi, dans
25 % des cas, la survenue de la dépression bipolaire est influencée par les
saisons et la baisse de la luminosité pendant la période automno-hivernale.
Dans ce cas, la luminothérapie peut compléter le traitement
médicamenteux. Des stratégies de stimulation magnétique, à ce jour, en
France, uniquement pratiquées dans les services hospitalo-universitaires,
comme la stimulation magnétique transcrânienne répétitive (rTMS) peuvent
également être proposées aux patients, si les traitements plus
conventionnels ne produisent que des résultats partiels.
Un suivi régulier tout au long de l’année permet aussi d’ajouter
ponctuellement un traitement visant à améliorer le sommeil ou à diminuer
l’anxiété. Ces symptômes peuvent survenir à la faveur d’événements de la
vie professionnelle ou personnelle qui viennent réactiver subrepticement la
maladie, pourtant bien contrôlée en apparence depuis plusieurs mois. La
prévention des rechutes passe aussi obligatoirement par un cheminement
d’acceptation psychologique qui prend plusieurs mois, voire, parfois,
quelques années.
II. – Les prises en charge psychologiques
1. La psychoéducation. – Dans plusieurs maladies chroniques, la
démarche d’éducation thérapeutique s’est développée en médecine depuis
quelques années. Elle vise à mieux connaître la pathologie dont on souffre,
les principes des traitements et les habitudes de vie à adopter pour la
contrôler.
La maladie bipolaire se déclare souvent à la fin de l’adolescence ou au
début de l’âge adulte. À cet âge, comment accepter une maladie cérébrale
qui va nécessiter un traitement pendant de nombreuses années ? La
démarche d’éducation thérapeutique appliquée à la psychiatrie est
dénommée « psychoéducation ». Dans le champ des troubles bipolaires, elle
a été développée initialement en Espagne (à Barcelone) et s’est répandue
assez rapidement en Europe et en Amérique, tant elle a montré son
efficacité dans la prévention des rechutes, la diminution des hospitalisations
et l’amélioration du pronostic des troubles bipolaires.
Elle se pratique le plus souvent en groupe. En général, elle est animée
par deux soignants (psychiatres, psychologues ou infirmiers), et récemment
des pairs aidants (personnes qui souffrent de la maladie mais dont
l’évolution est bien stabilisée) formés à l’éducation thérapeutique sont
venus rejoindre les rangs des animateurs de ces séances. Les groupes sont
composés de patients bipolaires, parfois accompagnés de leurs proches
(conjoints, parents ou enfants). Selon les programmes, les thèmes
principaux sont évoqués en quinze ou vingt séances hebdomadaires :
connaissance des symptômes des crises maniaques, hypomaniaques et
dépressives, signes avant-coureurs des rechutes, facteurs de risque,
principes des traitements médicamenteux, conscience de la maladie et
hygiène de vie, et intérêt des thérapies individuelles.
En effet, vivre avec un trouble bipolaire oblige souvent le sujet à
ménager ses rythmes de vie (respecter un sommeil régulier, éviter les
privations de sommeil et les nuits blanches en particulier). Beaucoup de
toxiques sont proscrits, comme le cannabis qui aggrave le risque de crises
maniaques et altère le pronostic évolutif, mais aussi la cocaïne. L’alcool
aggrave les troubles du comportement au cours des crises, il rend l’humeur
insidieusement plus dépressive et atténue l’efficacité des traitements
médicamenteux.
La pratique régulière du sport et une alimentation équilibrée sont à
privilégier. La psychoéducation peut être proposée après le premier épisode
de la maladie. Et il est souvent utile de proposer des séances de
consolidation du premier programme à distance.
2. Les thérapies cognitives et comportementales et la remédiation
cognitive. – Développées depuis une trentaine d’années, les thérapies
cognitives et comportementales (TCC) s’attachent à objectiver les liens qui
unissent les pensées (cognitions) et les émotions. Une analyse des
comportements et des situations sensibles est également réalisée. Quand les
patients bipolaires rejoignent les groupes de TCC, ils travaillent sur les
schémas de pensée (comme le perfectionnisme et l’excès d’exigence envers
soi) qui peuvent conditionner certaines manières d’être ou les conduire à
ruminer des émotions négatives. Les TCC présentent une réelle valeur
ajoutée dans la prévention des rechutes dépressives et dans la prise en
charge des troubles anxieux associés à la maladie.
Même si les troubles de la mémoire et de la concentration au décours
des crises maniaques et dépressives avaient déjà été identifiés par Emil
Kraepelin, ils ont longtemps été négligés dans la prise en charge des
troubles bipolaires. Actuellement, des programmes inspirés de techniques
mises en place en rééducation neurologique sont proposés aux patients
bipolaires. Les troubles de la mémoire et de la concentration apparaissent
dès les premiers épisodes. Ces techniques dites de « remédiation cognitive »
permettent de les corriger efficacement en une dizaine de séances
individuelles ou de groupe.
3. Les thérapies centrées sur les rythmes sociaux et l’intérêt de la
pleine conscience (mindfulness). – Les thérapies interpersonnelles centrées
sur les rythmes sociaux constituent un prolongement de la démarche de
psychoéducation focalisée sur l’hygiène de vie et le respect du rythme
veille/sommeil. Elles peuvent se pratiquer en individuel ou en groupe et
durent en général six mois. Le patient est invité à colliger quotidiennement
dans un agenda son état d’humeur, ses horaires de lever, de coucher et ses
interactions avec autrui. Ces thérapies sont particulièrement indiquées chez
les sujets qui acceptent difficilement les contraintes liées au respect de leurs
rythmes biologiques, souvent fragilisés dans les troubles bipolaires.
Inspirée de la méditation bouddhique, la pleine conscience (ou
mindfulness) connaît aujourd’hui un essor notable dans le champ de la
médecine et des neurosciences. En psychiatrie, des programmes ont été mis
en place à l’attention des patients souffrant de dépression et de troubles
anxieux. Les patients bipolaires qui participent à ces groupes tirent un grand
bénéfice à la pratiquer. Elle permet de ralentir le flux des associations
mentales et des ruminations émotionnelles (positives ou négatives),
auxquelles les patients bipolaires sont plus sujets que les autres. Des
premiers travaux ont montré que la pratique de la pleine conscience
améliorait la gestion et le vécu émotionnel, réduisait le risque suicidaire et
diminuait les troubles anxieux.
4. L’accompagnement des proches et la place de la psychanalyse. –
Au début de la maladie ou lors des rechutes ultérieures, il est très important
que le patient soit accompagné de son entourage. Comment comprendre les
symptômes ? Quels comportements appropriés adopter ? Autant de
questions que se posent légitimement les proches. Il est souhaitable de
pouvoir organiser périodiquement – avec l’accord de la personne
concernée – des entretiens avec sa famille.
L’entourage perçoit souvent très vite les symptômes avant-coureurs des
rechutes (surtout ceux de la série maniaque). Il peut se révéler d’un secours
très précieux pour orienter rapidement le patient vers les soins adéquats.
Mais les proches sont aussi rudement mis à l’épreuve. Si le psychiatre
perçoit une souffrance et une demande d’aide, un accompagnement
personnalisé peut être proposé au conjoint ou au parent concerné. Dans ce
cas, cette personne peut être orientée vers un autre thérapeute qui soit un
bon connaisseur de la maladie bipolaire.
L’entourage et les patients se demandent souvent si une psychothérapie,
voire une psychanalyse, présente un quelconque intérêt. À distance des
crises, quand la maladie bipolaire est bien contrôlée par les traitements
biologiques, si l’histoire du sujet laisse entrevoir qu’un travail psychique
peut contribuer à un meilleur équilibre intérieur et existentiel, il peut
entamer une démarche analytique auprès d’un thérapeute qui respectera la
prise en charge médicale, par ailleurs nécessaire pour le patient sur le long
terme.
Que sais-je sur les soins des troubles
bipolaires ?
Personnaliser le traitement consiste à prendre en compte, dans le choix des traitements et
des thérapies, l’âge, le sexe, le nombre d’épisodes (maniaques, hypomaniaques,
dépressifs), et la tolérance des médicaments déjà prescrits.
Le traitement médicamenteux est indispensable pour contrôler la maladie bipolaire. Il est
nécessaire sur le très long terme.
Le lithium reste le médicament de référence, même s’il est le plus souvent prescrit en
association avec d’autres molécules.
Le traitement des crises doit être distingué de celui de la prévention des rechutes.
Les prises en charge psychologiques jouent un rôle majeur dans l’amélioration du
pronostic de la maladie et dans la qualité de vie des patients.
Traitements biologiques et thérapies psychologiques doivent être associés pour lutter
efficacement contre la maladie bipolaire.
Il est souhaitable que, sur le long terme, le suivi soit assuré par un médecin spécialiste.
1. J. Delay, Les Dérèglements de l’humeur, Paris, Puf, 1946.
CHAPITRE V
Existe-t-il des liens entre créativité
et troubles bipolaires ?
« Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé,
Le prince d’Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Étoile est morte, – et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie. »
Gérard de NERVAL
« Le lien légendaire entre la folie et l’art s’est trop souvent changé en
un raccourci romantique. »
Gérard GAROUSTE,
L’Intranquille Autoportrait d’un fils,
d’un peintre, d’un fou
Toutes les personnes qui souffrent d’un trouble bipolaire ne présentent
pas des talents créatifs exceptionnels, comme tendrait à le faire croire le
mythe aujourd’hui répandu de l’« artiste maudit » dont on doit l’invention à
Verlaine 1. À l’inverse, tous les artistes ne sont pas maniaco-dépressifs.
Pourquoi alors, depuis 2014, avoir choisi le 30 mars, date anniversaire de la
naissance de Vincent Van Gogh, pour commémorer la journée mondiale des
troubles bipolaires ? Les personnes maniaco-dépressives présenteraient-
elles une propension à la créativité plus importante que leurs congénères ?
I. – Une idée vieille comme le monde confirmée
par des études récentes ?
Le célèbre Problème XXX, attribué classiquement à Aristote mais dont
l’auteur est plus probablement Théophraste (qui a écrit également Sur la
mélancolie), développe le thème du génie et de la mélancolie : « Pourquoi
les hommes qui se sont illustrés dans la philosophie, la politique, la poésie
ou les arts sont-ils manifestement des gens chez lesquels prédomine la bile
noire ? Ce fut le cas d’Empédocle, de Platon, de Socrate et de beaucoup de
personnages célèbres. Et c’est encore celui de la plupart de ceux qui
s’adonnent à la poésie. Car beaucoup de poètes souffrent de maladies qui
viennent de ce tempérament. » Plus loin, l’auteur établit la liste des
pathologies qui résultent de la bile noire : « hypochondrie, dépression,
suicide, folie, accès d’euphorie 2 ». Cicéron, dans les Tusculanes, fait
référence à deux reprises au Problème XXX. Dans le De la divination, il en
généralise le propos : « Aristote dit que tous les hommes de génie sont
mélancoliques 3. »
Cette idée selon laquelle il existerait un lien entre le génie et la folie va
avoir la vie longue, au point de devenir un « raccourci romantique », selon
la formule de Gérard Garouste, traversant toute l’histoire de l’art en
Occident. La première réserve face à ce dogme de la « mélancolie
créatrice » est que la conception moderne de la maladie maniaco-dépressive
ne remonte qu’au XIXe siècle, même si des êtres humains ont souffert de
cette pathologie très probablement depuis la nuit des temps. Appliquer un
diagnostic contemporain de manière rétrospective relève de l’anachronisme
scientifique.
La seconde réserve est que le nombre d’artistes ou de génies qui ont
laissé leur nom dans l’histoire ne représente qu’une poignée d’hommes et
de femmes au regard des millions de personnes bipolaires. Ainsi, n’en
déplaise au pseudo-Aristote et à Cicéron, la question du génie artistique n’a
sans doute qu’un très lointain rapport avec la maladie maniaco-
dépressive…
Depuis une cinquantaine d’années, plusieurs études se sont intéressées à
la fréquence des troubles bipolaires parmi les écrivains et les artistes.
Inévitablement, ces travaux sont menés sur de petits échantillons, mais ils
semblent confirmer que cette maladie est plus fréquente chez les artistes
que dans la population générale, surtout chez les poètes.
D’autres études, réalisées cette fois à plus grande échelle, se sont
penchées sur la question de la créativité et des professions créatives – même
si la question de la définition de ces deux notions reste problématique. Les
troubles bipolaires seraient plus fréquents chez les personnes exerçant une
profession créative. De plus, les apparentés non atteints par la maladie
exerceraient plus fréquemment des professions de type artistique. Ces
résultats ont suscité des études qui ont porté sur l’ensemble du génome.
Récemment, des scientifiques ont ainsi conclu en un risque génétique
partagé entre la créativité, les troubles bipolaires et les schizophrénies.
II. – Quelques artistes bipolaires célèbres
1. Le cas emblématique de Vincent Van Gogh. Les liens entre la santé
de Van Gogh (1853-1890) et sa production artistique exceptionnelle ont été
étudiés sous différents angles. Sur le plan médical, plusieurs hypothèses ont
été avancées : le peintre aurait d’abord développé une dépendance à
l’absinthe, consommée par beaucoup de ses contemporains dans le milieu
artistique ; cette substance favorise la survenue de convulsions. La
deuxième hypothèse, conséquence de la première, accréditerait la survenue
d’une épilepsie partielle complexe. Elle se caractérise par des crises
convulsives ne concernant qu’une partie du cortex, accompagnées de
troubles de la conscience.
Les crises délirantes et suicidaires du peintre, qui ont prédominé à la fin
de sa courte existence, évoquent une troisième hypothèse : celle d’un
trouble bipolaire venu compliquer cette probable épilepsie induite par la
consommation excessive d’absinthe. En faveur de ces hypothèses, il existe
de nombreux antécédents d’épilepsies (même si l’on ne disposait pas à cette
époque d’électroencéphalogramme enregistrant l’activité électrique du
cerveau, lequel, aujourd’hui, permet souvent de confirmer le diagnostic) et
troubles de l’humeur dans la famille de Vincent Van Gogh.
2. Les listes de célébrités bipolaires et les critères de Kay Jamison. –
Au côté du maître du postimpressionnisme, il existe une pléiade d’artistes
supposés avoir souffert d’une maladie bipolaire. Kay Jamison a proposé une
liste de critères pour asseoir cette hypothèse : l’existence d’antécédents
familiaux de dépression, de maladie maniaco-dépressive ou de suicide, la
notion d’hospitalisations, l’existence de témoignages écrits
(autobiographiques ou rédigés par des proches ou, mieux, par des
médecins), la notion de traitements reçus (lithium, électrochocs…), de
tentatives de suicide ou encore de suicide abouti. Les cas de Robert
Schumann, Virginia Woolf et Ernest Hemingway répondent à ces critères.
L’hypothèse d’un trouble bipolaire de type 1 est souvent moins difficile
à avancer en raison du caractère souvent plus documenté des crises
maniaques. Le trouble bipolaire de type 2 est plus problématique : évoquer
une hypomanie de manière rétrospective est le plus souvent très délicat.
Avancer un tel diagnostic pour les personnalités antérieures au XIXe siècle
nous semble très acrobatique, pour ne pas dire fantaisiste, tant sur le plan
documentaire que scientifique.
3. L’exemple de Nerval (1808-1855). – Gérard de Nerval, célèbre
écrivain français de la première moitié du XIXe siècle, a retenu l’attention
d’un amoureux de la psychiatrie et la littérature, Jean Delay 4, qui avance
l’hypothèse très probable d’une maladie maniaco-dépressive chez le poète.
En 1841, Nerval a trente-trois ans. De février à novembre, il est
hospitalisé pour une première crise maniaque délirante à la clinique de
Picpus, à Paris, puis dans celle des docteurs Blanche (père et fils). Après sa
sortie, il traverse une phase dépressive qu’il qualifie lui-même de
« descente aux enfers ».
Orphelin de mère à l’âge de deux ans, Gérard Labrunie, dit « de
Nerval » est élevé par son grand-oncle maternel jusqu’à l’âge de sept ans.
Son père, le docteur Étienne Labrunie, chirurgien, demande alors sa retraite
de la Grande Armée et veille désormais sur l’éducation du jeune Gérard,
qu’il destine tout naturellement à la médecine. Obéissant, son fils s’inscrit à
la faculté, mais bien vite son amour pour la poésie et la littérature prend le
pas sur les injonctions paternelles. Dès lors, Gérard se consacre à l’écriture.
En 1840, il tombe amoureux d’une jeune actrice, Jenny Colon, qui
l’éconduit. Ce traumatisme affectif a-t-il joué un rôle dans la survenue de sa
première crise maniaque ? Gérard présente de graves troubles du
comportement qui le conduisent au poste de police avant que son ami
Théophile Gautier ne vienne le secourir pour le conduire en clinique.
Pendant ses deux hospitalisations de 1841, Gérard est très agité, il écrit des
lettres au ministère de l’Intérieur, certaines sont conservées et relatent les
idées délirantes de grandeur qui l’habitent pendant cette crise : il signe
« G. Nap. dell torre brunya », pour « Gérard Napoléon de La Tour
Brunie »… Dans une lettre du 25 décembre 1842, il évoque la dépression
profonde qui l’a frappé à partir de novembre 1841, après la crise maniaque :
« L’hiver dernier a été pour moi déplorable, l’abattement m’ôtait les forces,
l’ennui du peu que je faisais me gagnait de plus en plus et le sentiment de
ne pouvoir exciter que de la pitié à la suite de ma terrible maladie m’ôtait
même le plaisir de la société. »
Pendant sept ans, de 1842 à 1849, Gérard de Nerval connaît une période
d’accalmie, sans crise. Il poursuit sa vie d’homme de lettres, et effectue de
nombreux voyages. Mais fin octobre 1842, il découvre le haschisch au club
des Haschischins, fondé par le médecin Moreau de Tours, sur l’île Saint-
Louis, à Paris. La drogue modifie ses états de conscience, à type de « rêve
éveillé », appelés oniriques, qu’il rapproche de ceux de sa crise maniaque
de l’année précédente. À partir de 1849, les récidives maniaques et
dépressives de sa « terrible maladie » deviennent de plus en plus fréquentes,
notamment sous l’effet de l’alcool. Elles nécessitent de nombreuses
hospitalisations à la clinique du docteur Blanche, pour des durées plus ou
moins longues.
Au cours d’une hospitalisation, le poète entreprend l’écriture d’Aurélia,
ou le Rêve et la Vie. En décembre 1853, dans une lettre à son père, il expose
le but qu’il s’est proposé d’atteindre dans Aurélia : « J’entreprends d’écrire
et de constater toutes les impressions que m’a laissé[es] ma maladie. Ce ne
sera pas une étude inutile pour l’observation et la science. » La première
partie de cette œuvre poétique en prose retranscrit de manière romanesque
la crise de 1841, et Aurélia peut être identifiée à l’actrice Jenny Colon
(morte en 1842). Dans l’imaginaire de Gérard, elle est aussi une figure
féminine et maternelle. La seconde partie, publiée à titre posthume, évoque
les vécus délirants et oniriques des dernières années de sa vie.
Alors que l’année 1854 est émaillée de nombreuses rechutes maniaques
et dépressives, le poète poursuit l’écriture d’Aurélia, mais ses proches sont
frappés par ses idées fixes et fantasmagoriques. Son ami Edmond Texier
écrit : « Presque toutes les fois que je voyais Gérard, il me parlait d’une
maison de cette vieille et abominable rue de la Lanterne où, dans une
grande cage accrochée au mur, croassait un corbeau. Ah ! ce corbeau ! Il ne
lui sortait plus de la pensée. » Malgré l’instabilité de son état, en
octobre 1854, le comité de la Société des gens de lettres, puis la tante de
Gérard elle-même, Mme Labrunie, somment le docteur Blanche de le laisser
quitter la clinique. Cette sortie contrainte se révèle malheureusement
prématurée.
Le 26 janvier 1855, Gérard est retrouvé pendu, rue de la Vieille-
Lanterne, avec dans la poche le feuillet qu’il avait couvert de sa fine
écriture : c’était la dernière page d’Aurélia… Quelques semaines après son
suicide, ses amis ont édité, dans la Revue de Paris, la seconde partie de ce
récit. Une dernière phrase en italique, attribuée à Théophile Gautier,
précise : « Ici s’est brisée la plume du poète, la plume d’or du sentiment et
de la fantaisie. »
Comme le précise Jean Delay, « un artiste vu par un médecin, c’est
toujours un peu Don Quichotte vu par Sancho Pança 5 », on est frappé par la
volonté du poète de retranscrire dans son œuvre ces moments tragiques de
la maladie maniaco-dépressive dont il semble avoir effectivement souffert
et qui l’ont emporté dans la mort. À cette époque, les contours de cette
pathologie ne sont pas encore parfaitement établis et les moyens
thérapeutiques, limités à l’internement, à la mise au vert et au soutien
moral, autant de secours qui n’ont pas sauvé Gérard de Nerval du désespoir.
4. Maladie bipolaire et création artistique dans la vie de Gérard
Garouste 6. – Artiste contemporain, Gérard Garouste a révélé publiquement
sa maladie bipolaire. Il propose une interprétation de celle-ci dans sa vie et
son œuvre picturale.
La maladie de Gérard Garouste s’est déclarée après la naissance de son
premier fils. Il avait vingt-cinq ans. Ce refuge dans un délire mystique a
suscité une grande incompréhension de la part de son entourage. En raison
de ses troubles du comportement pendant cette crise, il a été conduit par la
police à l’hôpital psychiatrique. Il a été hospitalisé pendant un mois, et a
reçu un traitement neuroleptique. Gérard Garouste dit avoir vécu cela
« comme une véritable camisole chimique », mais qui a permis de « casser
le délire ». Il a présenté plusieurs effets secondaires. Ensuite s’est installée
une longue période d’alternance de phases d’excitation et de dépression qui
a duré une dizaine d’années. Pendant les dépressions, il dit avoir passé des
journées entières à dormir.
Le soutien de sa famille et de son entourage a été crucial ; de plus, grâce
à la commande de décors de théâtre par trois amis, Gérard Garouste dit
avoir retrouvé confiance en son propre travail. Dans la famille paternelle de
l’artiste, une cousine germaine faisait des crises délirantes également ; elle
avait un visage défiguré par l’angoisse et a fini ses jours dans un hôpital
psychiatrique. Un de ses cousins germains, toujours du côté paternel,
souffrait aussi régulièrement de dépression.
Gérard Garouste insiste sur la possibilité de se sortir des crises de la
maladie (sauf « quand elles sont trop rapprochées ») et sur le rôle très
important du soutien de son entourage, de l’aide des médecins, des
médicaments et de la psychothérapie. Pour lui, la vie à la campagne, loin
des stimulations excessives et du stress ambiant de la ville, semble avoir
joué également un rôle très positif dans le retour à l’équilibre. Enfin,
l’artiste précise avoir fait une thérapie avec trois psychanalystes successifs
pendant vingt ans et être toujours suivi par un psychiatre.
Pendant les crises délirantes ou les phases de dépression, dans les deux
cas, la production artistique est quasiment inexistante : « Je ne produis
rien. » Durant les dépressions, l’artiste dit ne rien faire du tout et pendant
les crises délirantes maniaques, avoir eu des idées fantastiques, mais vécues
de manière trop forte, un peu comme « lors d’un shoot de cocaïne », où l’on
pense être porteur d’un charisme extraordinaire. Selon Gérard Garouste, ce
qu’il a pu peindre pendant la crise maniaque n’est pas transmissible d’un
point de vue artistique : « C’est inintéressant, bête, mégalomane… » Une
année, la Bibliothèque nationale de France lui avait passé la commande
d’un tableau. Quelques semaines plus tard, il est entré dans une crise
maniaque, et a peint une toile monumentale. Pour l’artiste, ce tableau
manque de discernement, c’est une mauvaise toile. Acceptée par les
commanditaires, elle est toujours exposée, malgré les multiples tentatives
de Gérard Garouste après coup pour la faire détruire…
L’artiste décrit, à la sortie des crises délirantes, une sensation de lavage
de cerveau qui laisse une expérience singulière. On serait plus conscient de
ses propres faiblesses. Selon lui, c’est l’expérience qui peut enrichir avec le
recul, et non la crise elle-même. C’est dans l’après-coup des phases de la
maladie, entre les crises, que le processus de création peut reprendre.
Gérard Garouste dit avoir pu parfois se sentir nourri par certains vécus
délirants a posteriori. Enrichis par des sujets, des légendes, des contes de
fées ou par des thématiques mythologiques, ces vécus intérieurs ont pu être
réutilisés dans certaines œuvres. L’artiste pense que l’expérience de la
maladie lui a sans doute donné une grande liberté par rapport à sa peinture.
À la question de sa sensibilité personnelle, Gérard Garouste répond
qu’il n’a pas de référence par rapport à autrui, mais qu’il se sent émotif,
hypersensible, ce qui selon lui ne présente pas forcément un intérêt sur le
plan de la création artistique. Cependant l’artiste précise que cette
« faiblesse » est peut-être une force si se développe, à partir de cette
traversée de la maladie (« quand on a la chance de s’en sortir »), une
éthique sociale voire politique. Gérard Garouste conclut sur une
comparaison avec la sortie d’un drame, d’une guerre : avec de la distance,
on relativise beaucoup de choses et petit à petit « on se sent plus fort ».
Garouste a traversé sa maladie bipolaire. Aujourd’hui grâce aux
différentes prises en charge thérapeutiques, il se sent stabilisé. Comme
Gérard de Nerval, à distance, il intègre à son art certains vécus et des
impressions laissées par les épisodes de la maladie. Le talent descriptif du
poète et la beauté des œuvres du peintre sont au service de la description de
phénomènes pathologiques ; ils évoquent avec éclat les méandres des
dérèglements intracérébraux de l’humeur, sans lever complètement le voile
de mystère qui les enrobe. Les deux exemples de Gérard de Nerval et de
Gérard Garouste illustrent à merveille le fait que la maladie bipolaire est
davantage une clé de lecture de l’œuvre des artistes qui en souffrent ou en
ont souffert, qu’un moyen de comprendre la maladie elle-même.
III. – La bipolarité prédispose-t-elle
à la créativité ?
La vie émotionnelle des patients bipolaires (et souvent de leurs proches
apparentés) est plus intense que celle de la population générale. Leurs
réactions aux stimulations affectives sont plus fortes, ce qui les expose
parfois à un risque de rechute. Sur le plan psychologique, d’autres
caractéristiques ont été soulignées chez certains patients bipolaires. Ceux-ci
présentent parfois des aptitudes créatives qu’ils déploient dans leur
profession ou dans leurs loisirs.
Ce sous-groupe de patients bipolaires percevrait de manière plus
saillante des liens entre des idées, des concepts apparemment assez
disparates pour le commun des mortels. Dans ces mécanismes, des
processus de levée d’inhibition cognitive seraient à l’œuvre. Cette
flexibilité mentale, doublée souvent d’une capacité de mémoire supérieure à
la moyenne, leur offrirait des potentialités créatrices plus développées,
mises à profit parfois sur le plan professionnel, comme plusieurs études
réalisées dans ce domaine l’ont montré.
Que sais-je sur le lien entre créativité et troubles
bipolaires ?
Le fait que certains artistes de génie aient souffert de troubles bipolaires ne donne pas
d’éléments de compréhension sur la maladie elle-même.
Il semble que les personnes qui souffrent d’un trouble bipolaire travaillent plus
fréquemment dans des domaines où la créativité est sollicitée.
Les personnes qui souffrent d’un trouble bipolaire présenteraient une plus grande capacité
associative sur le plan cognitif, ce qui les prédisposerait à une plus grande créativité.
1. Verlaine, Les Poètes maudits, 1884.
2. Aristote, Problème XXX, 953a10-955a40, in L’Homme de génie et la Mélancolie, trad.
J. Pigeaud, Paris, Payot & Rivages, « Petite Bibliothèque Rivages », 2006.
3. Cicéron, De la divination, trad. J. Kany-Turpin, Paris, Flammarion, « GF », 2004.
4. J. Delay, « L’Aurélia de Nerval (Autour d’Aurélia) », Les Nouvelles littéraires, 29 mai 1958,
p. 1-6.
5. J. Delay, « Souvenirs sur André Gide », conférence du 21 septembre 1951, Paris,
Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Fonds Jean Delay.
6. Texte rédigé à partir d’un entretien accordé à l’auteur par l’artiste en juillet 2015.
À l’attention des proches
par Danielle STEEL
« Sans l’espoir, le cœur se briserait. »
Proverbe écossais
Il est difficile de trouver les mots justes à adresser aux parents d’un
enfant bipolaire, quel que soit son âge. Certes, ce sont des êtres
exceptionnels, à tout âge. Doués, charmants, talentueux, brillants, drôles,
adorables, affectueux, et en même temps impossibles, difficiles, ingérables.
La vie de parents de ces êtres extraordinaires bascule entre l’espoir et le
désespoir constamment ; nous devenons presque bipolaires avec eux. Nous
faisons tout pour les comprendre, pour les aider, pour les soutenir et, à
certains moments, nous sommes catastrophés ou désespérés. Et en plus, tout
en suivant leurs hauts et leurs bas instantanés, nous avons souvent d’autres
enfants à qui nous devons porter attention, un époux, un travail et une vie
quotidienne à mener. Il faut presque être magicien pour porter tout cela…
Je me rends compte avec un recul de dix-sept ans que je n’ai jamais été
la mère d’une personne bipolaire adulte, mais d’un enfant et d’un
adolescent. Un adolescent « normal » est déjà difficile à vivre, à
comprendre, et parfois à tolérer : un enfant bipolaire d’autant plus. Il faut
énormément de force pour le vivre, de volonté, de courage, de patience, et
on recommence à zéro tous les jours – et eux aussi.
Je me suis aperçue que mon fils Nicholas était différent dès l’âge de
dix-huit mois, dans le bon et le mauvais sens (difficile mais aussi charmant
et irrésistible). Il a commencé à marcher et à parler en même temps à huit
mois. À un an, il faisait des phrases bien construites dans deux langues. À
l’âge de quatre ans, j’étais sûre qu’il y avait un grave problème. À sept ans,
les médecins le niaient, ils ne diagnostiquaient pas les enfants à cet âge-là.
Et de longues années inquiétantes, angoissantes même, ont suivi jusqu’à ce
qu’il atteigne l’âge de seize ans, où les médecins ont avoué enfin qu’il était
en effet bipolaire. Ils lui ont donné les médicaments nécessaires (du lithium
et d’autres). À partir de ce jour-là, il s’est épanoui, presque immédiatement
de façon miraculeuse.
Comment le vivre, en tant que parent, et comment les aider ? Nous
avons inventé tous les systèmes imaginables, certains ont très bien marché,
d’autres pas du tout… Il faut TOUT essayer de toutes ses forces et avec toute
sa créativité. Il y a des moments où l’on n’en peut plus… et le lendemain on
recommence, et il y a un petit changement, un espoir, une lumière à
l’horizon.
Nous n’avons pas gagné la guerre contre sa maladie, ni sauvé sa vie,
mais nous avons mené la bataille de toute notre force, avec toute notre
créativité, et notre amour pour lui, et il a fait de même à nos côtés. Malgré
sa souffrance, il a mené une belle vie : des études, des amis, une carrière
dans la musique, la réussite. Il a vécu une vie entière en dix-neuf courtes
années. Et la plupart du temps, il était heureux. Mon plus grand réconfort
finalement était de savoir que nous avions TOUT fait. Comme je
l’accompagnais sur ce chemin difficile, j’étais énormément proche de lui, il
le reconnaissait. Il était tout simplement extraordinaire.
Les médecins nous ont dit que si l’on pouvait le garder en vie jusqu’à
trente ans, nous aurions toutes les chances qu’il survive bien au-delà. Nous
ne sommes pas arrivés à cette destination tant espérée.
Je vous rappelle que tous les patients atteints d’un cancer n’en meurent
pas, et que tous les passagers de voiture ne décèdent pas dans un accident
de la route. Certains meurent, d’autres survivent. Il est tout à fait possible
de mener une belle vie et de vivre tout en étant bipolaire, grâce à des soins
appropriés, des médecins compétents, des traitements efficaces, des
thérapies, avec du soutien et de l’amour. Nous ne savons jamais dans la vie
qui va survivre et qui ne survivra pas – parfois à cause d’une idiotie, d’un
accident qui ne devrait jamais arriver. Toute vie comporte des risques. Mais
parce que mon fils n’a pas survécu à sa maladie, cela ne veut pas dire que
votre enfant ne survivra pas, loin de là…
Il faut être courageux pour suivre ce chemin inattendu, mais quelque
part c’est un chemin miraculeux. Je chéris chaque instant que j’ai passé
avec mon fils, chaque mois, chaque année. Il était une véritable bénédiction
dans nos vies. Il m’a appris plus sur l’amour que je n’en aurais appris et
vécu autrement.
Longtemps après le départ de mon fils, j’ai découvert une citation qui
me semble être presque un message de Nick. C’est tout à fait ce qu’il
m’aurait dit, il était très sensible à mon égard. Il m’encourageait et
s’inquiétait parfois pour moi, malgré son âge. D’ailleurs, il m’a beaucoup
touché et amusé quand, à onze ans, il a écrit : « J’ai un lien très fort avec ma
mère que je n’ai avec personne d’autre. Je ne sais pas pourquoi, mais on est
comme ça. » Cette phrase, il l’a écrite dans son journal intime. Je l’ai
encadrée et accrochée au mur de mon bureau. Cela me fait toujours sourire
quand je la vois. Et voici cette citation, attribuée à A.A. Milne et prêtée à
Winnie l’Ourson, qui me rappelle tellement Nick et qui vous servira peut-
être aussi : « Si jamais il y avait un lendemain où nous ne soyons plus
ensemble, il y a quelque chose dont tu dois te souvenir : tu es plus
courageuse que tu ne le crois, plus forte qu’il ne te le semble et plus
intelligente que tu ne le penses. Mais la chose la plus importante, c’est que,
même si nous sommes séparés, je serai toujours avec toi. »
Soyez courageux, vous en êtes capables. Ne perdez jamais espoir. Vous
découvrirez la force dont vous avez besoin. Que Dieu vous bénisse, et que
votre chemin soit doux, avec de beaux moments, et une belle victoire.
Conclusion
« Ce qui m’a conduit à la psychiatrie, […] c’est l’intuition profonde,
inébranlable, qu’il y a là un immense achoppement pour l’espoir. »
Jean DELAY 1
Ce « Que sais-je ? » sur les troubles bipolaires s’achève sur l’histoire de
Nick, un jeune homme créatif qui a présenté très tôt des signes avant-
coureurs d’une maladie diagnostiquée à la fin de l’adolescence.
Aujourd’hui, notre connaissance des troubles bipolaires, qui touchent en
France plus d’un million et demi de personnes, s’est approfondie. Les
dysfonctionnements des régions cérébrales impliquées dans la production
des émotions font le lit de l’hyperréactivité émotionnelle, à l’origine de la
maladie. Les traumatismes affectifs, les prises de toxiques et les
changements de rythmes de vie peuvent révéler cette fragilité et déclencher
les crises.
Si le lithium reste le traitement de référence, de nombreuses stratégies
médicamenteuses permettent aujourd’hui de traiter efficacement les crises
maniaques, hypomaniaques et, plus difficilement, les phases dépressives.
La prévention des rechutes passe par l’élaboration d’une prise en charge
personnalisée, qui associe aux médicaments des thérapies psychologiques
aujourd’hui très diversifiées.
Tous ces progrès de la science, de la médecine et de la psychologie
n’ont pas atténué la sévérité de la maladie bipolaire. Mais plus que jamais,
l’espoir de pouvoir vivre avec une humeur équilibrée, d’accomplir ses
projets personnels, professionnels et existentiels, est aujourd’hui permis.
Les témoignages de Véronique Dufief et de Gérard Garouste sont à cet
égard fort éloquents.
Tous les deux insistent sur le soutien indéfectible de leurs proches.
Comme l’a courageusement exprimé Danielle Steel dans cet essai, le
combat d’une personne qui souffre d’un trouble bipolaire est partagé par
son entourage immédiat. En tant que médecin, je suis souvent impressionné
par la force de mes patients dans leur lutte contre la maladie et par le
témoignage de leurs proches, qui requièrent aussi écoute et soutien.
Soigner et accompagner des personnes qui souffrent d’un trouble
bipolaire est une leçon de vie que je reçois chaque jour de ces êtres qui,
comme me l’a dit l’un de mes patients, « ont le cœur près des yeux ».
Partager l’espoir d’améliorer leur vie et contribuer à poursuivre ce
fantastique chemin du progrès des connaissances inauguré depuis quelques
décennies, telle est aussi l’ambition de ce livre.
1. J. Delay, Journal intime, 11 juillet 1937, Paris, Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Fonds
Jean Delay.
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LES ADRESSES UTILES POUR LES PATIENTS ET LES PROCHES
Argos 2001, 119, rue des Pyrénées, 75020 Paris ; www.argos2001.fr.
Clubhouse France, 43, rue du Télégraphe, 75020, Paris ;
www.clubhousefrance.org.
France Dépression, 4 bis rue Vigée-Lebrun, 75020, Paris ; www.france-
depression.org.
Icebergs, 47, rue Delandine, 69002 Lyon ; www.icebergs.fr.
UNAFAM, 12, villa Compoint, 75017 Paris ; www.unafam.org.
POUR SOUTENIR LA RECHERCHE
Fondation P. Deniker, service hospitalo-universitaire, centre hospitalier
Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75020, Paris ;
www.fondationpierredeniker.org.
Fondation FondaMental, centre hospitalier A.-Chevenier, 40, rue de Mesly,
94000 Créteil ; www.fondation-fondamental.org.
POUR S’INFORMER SUR INTERNET
Bipotes : www.bipotes.leforum.eu
Les troubles bipolaires.com : www.troubles-bipolaires.com
Voir aussi : www.psycom.org
REMERCIEMENTS
Je suis très reconnaissant à Véronique Dufief d’avoir livré le
témoignage de son vécu des crises maniaque et dépressive qu’elle a
traversées et de m’avoir conseillé dans la rédaction de ce livre. Je remercie
vivement Gérard Garouste d’avoir accepté de confier, lors d’un entretien
retranscrit dans cet essai, le regard qu’il porte sur cette maladie dans sa vie
et dans son œuvre. Je remercie très chaleureusement Danielle Steel d’avoir
offert un message d’espoir à tous les proches de patients bipolaires. Enfin,
je tiens à remercier de tout cœur Jacqueline Parant, instigatrice et relectrice
de cet ouvrage.
TABLE DES MATIÈRES
Introduction
CHAPITRE PREMIER - Sommes-nous tous bipolaires ?
I. – Humeur normale et humeur pathologique
II. – Histoire du concept : de la mélancolie et la manie aux troubles bipolaires
III. – Les tempéraments affectifs
IV. – La survenue des troubles bipolaires
CHAPITRE II - Comment se manifestent les troubles bipolaires ?
I. – L’épisode maniaque, l’hypomanie, les phases dépressives et l’humeur mixte
II. – Le fonctionnement entre les crises
III. – Les limitations de la liberté individuelle et les mises en danger d’autrui
IV. – Le risque suicidaire
V. – Aux frontières des troubles bipolaires
VI. – Les troubles psychiatriques associés
VII. – Les maladies somatiques associées
CHAPITRE III - Les troubles bipolaires : une maladie cérébrale ?
I. – Les facteurs génétiques
II. – Les possibles anomalies du développement cérébral
III. – Les études d’imagerie cérébrale
IV. – L’hyperréactivité émotionnelle : le cœur de la maladie
V. – Les antécédents traumatiques, les événements de vie et les facteurs déclenchants
VI. – En guise de réponse
CHAPITRE IV - Comment soigne-t-on les troubles bipolaires ?
I. – Les thérapeutiques biologiques
II. – Les prises en charge psychologiques
CHAPITRE V - Existe-t-il des liens entre créativité et troubles bipolaires ?
I. – Une idée vieille comme le monde confirmée par des études récentes ?
II. – Quelques artistes bipolaires célèbres
III. – La bipolarité prédispose-t-elle à la créativité ?
À l’attention des proches
Conclusion
Bibliographie
Remerciements
www.quesaisje.com