0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
71 vues37 pages

Saint Victor de Paris Spiritualite Et Er

Ce document présente un aperçu de l'état actuel de la recherche sur l'abbaye augustinienne de Saint-Victor de Paris. Il souligne trois domaines principaux d'études: 1) la formation et la constitution religieuse et institutionnelle de l'abbaye, 2) la création de la congrégation de Saint-Victor et ses prieurés, et 3) la vita apostolica à Saint-Victor et son influence. L'auteur propose d'explorer davantage la spiritualité et l'érudition des chanoines réguliers aux 12e-13e siècles.

Transféré par

milan crnjak
Copyright
© © All Rights Reserved
Nous prenons très au sérieux les droits relatifs au contenu. Si vous pensez qu’il s’agit de votre contenu, signalez une atteinte au droit d’auteur ici.
Formats disponibles
Téléchargez aux formats PDF, TXT ou lisez en ligne sur Scribd
0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
71 vues37 pages

Saint Victor de Paris Spiritualite Et Er

Ce document présente un aperçu de l'état actuel de la recherche sur l'abbaye augustinienne de Saint-Victor de Paris. Il souligne trois domaines principaux d'études: 1) la formation et la constitution religieuse et institutionnelle de l'abbaye, 2) la création de la congrégation de Saint-Victor et ses prieurés, et 3) la vita apostolica à Saint-Victor et son influence. L'auteur propose d'explorer davantage la spiritualité et l'érudition des chanoines réguliers aux 12e-13e siècles.

Transféré par

milan crnjak
Copyright
© © All Rights Reserved
Nous prenons très au sérieux les droits relatifs au contenu. Si vous pensez qu’il s’agit de votre contenu, signalez une atteinte au droit d’auteur ici.
Formats disponibles
Téléchargez aux formats PDF, TXT ou lisez en ligne sur Scribd
Vous êtes sur la page 1/ 37

COMITATO SCIENTIFICO

Marek Inglot, Pierantonio Piatti, Carlos Azevedo, Ugo Baldini, Agostino


Borromeo, Philippe Chenaux, David D’Avray, Enrico dal Covolo, Maria de
Lurdes Correia Fernandes, Bernard Dompnier, Christine Grafinger, Johannes
Helmrath, Emilia Hrabovec, César Izquierdo Urbina, Benedict Kanakappally,
Elisabeth Kieven, Augustin Laffay, Gaetano Lettieri, Mauro Mantovani,
Emilio Marin, Paul Mattei, Gert Melville, Antal Molnár, Sergio Pagano,
Agostino Paravicini Bagliani, Antón M. Pazos, Claude Prudhomme,
Gianpaolo Romanato, Carlos René Salinas Araneda, Nicoletta Spezzati,
Francis Assisi Thonippara, Giovanni Maria Vian.

La Collana è diretta da
Pierantonio Piatti
PONTIFICIO COMITATO DI SCIENZE STORICHE

SECUNDUM EVANGELIUM CHRISTI


ET VITAM APOSTOLICAM
I Canonici Regolari
dal Medioevo ai nostri giorni

a cura di
Bernard ardura – G ert M elville
© 2023 – Amministrazione del Patrimonio della Sede Apostolica
© 2023 – Dicastero per la Comunicazione – Libreria Editrice Vaticana
00120 Città del Vaticano
Tel. 06. 698.45780
E-mail: [email protected]
www.libreriaeditricevaticana.va

ISBN: 978-88-266-0873-0
INDICE GENERALE

Bernard Ardura, Saluto inaugurale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . V


Gert Melville, I Canonici regolari medievali nel contesto generale
della vita religiosa . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Florian Hartmann, Chrodegang von Metz und der Kontext seiner
regula canonicorum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Jean-Hervé Foulon, Un synode fondamental de la Réforme
Grégorienne,Latran 1059 : idéal sacerdotal et prémisses d’une vie
canoniale régulière ? Autour d’une lecture du canon 4 . . . . . . . . . . . 55
Yannick Veyrenche, La fondation de Saint-Ruf et les premières formes
d’autoconscience du clergé régulier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
Ursula Vones-Liebenstein, La Règle de saint Augustin: de l’absence
à la pluralité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
Ulrich G. Leinsle, Consuetudini, statuti e privilegi: configurazione
interna e rapporto con la Chiesa . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
Jörg Sonntag, Consolidation and Differentiation. A Panorama of the
Hierarchical and Economic Organisation among the Regular Canons 157
Wolf Zöller, Self-Fashioning among Regular Canons. Definitions
of Identity and Distancing from the Ordo monasticus
(11th-12th Centuries) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
Julia Becker, L’imitazione del progetto di vita “ad instar Apostolorum”
e la regula apostolica come idea guida della riforma canonicale
nel XII secolo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197
Jay T. Lees, Anselm of Havelberg, Dramatist . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
Matthias M. Tischler, Saint-Victor de Paris Spiritualité et érudition
des chanoines réguliers, XIIe et XIIIe siècles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233
P. Ambroise Debut, Rites et symboles de la vita communis à travers
les livres des coutumes des chanoines réguliers . . . . . . . . . . . . . . . . . 265
538 Indice generale

Christina Lutter, Diversity of Roles and Functions in the


Community – Men and Women, Clerics and Laypeople . . . . . . . . . . 321
Clemens T. Galban, Innovative Forms and Reforms of Canons
Regular in the Late Middle Ages: Raudnitz and Fregionaia. . . . . . . . 357
Paul van Geest, Thomas a Kempis: Canon regular or Carthusian?
The Congregation of Windesheim’s indebtedness to the Carthusians 365
Isabelle Brian, Les chanoines réguliers et la réforme catholique . . . . . . . 401
Hugues Paulze d’Ivoy, « La vie canoniale aujourd’hui : restauration
de la congrégation de Saint-Victor » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 419
P. Emmanuel Le Fébure du Bus, La fondation des Chanoines réguliers
de la Mère de Dieu de Lagrasse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 433
Soeur Faustine-Marie Bouchard, La vie canoniale féminine:
fondation du monastère d’Azille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 453
Gianna Del Bono, Libri e biblioteche dei Canonici regolari
Lateranensi alla fine del XVI secolo. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 475

Indici
Indice dei nomi di persona e di luogo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 509
Indice generale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 537
Saint-Victor de Paris
Spiritualité et érudition des chanoines réguliers,
XIIe et XIIIe sièclesi

Matthias M. Tischler (Barcelone)ii

1. L’état de la recherche sur Saint-Victor de Paris

Parler de l’abbaye augustinienne de Saint-Victor de Paris apparaît


comme un travail risqué au regard du riche panorama des résultats
de recherches notoires que nous avons déjà à notre disposition grâce à
la Bibliotheca Victorina et le Corpus Victorinum, deux séries d’études et
d’éditions de renommée internationale consacrées à cette importante
institution religieuse et centre d’apprentissage scolastique, et aussi
grâce à plusieurs manuels scientifiques sur cette abbaye parisienne 1.
Mais un examen plus approfondi de ces études spécialisées et de bien
d’autres dans des volumes thématiques et dans des articles de revues
démontre une focalisation traditionnelle sur les trois domaines de re-

i
L’objectif principal de cette contribution est de développer l’esquisse d’une perspective de
recherche prometteuse et de donner un aperçu des résultats d’un projet de livre sur lequel je
travaille depuis mon passage d’Allemagne à Catalogne en 2013 et qui touche à sa fin.
ii
Prof. Dr. Matthias M. Tischler, Institució Catalana de Recerca i Estudis Avançats/Univer-
sitat Autònoma de Barcelona, Edifici B, Campus de la UAB, E – 08193 Bellaterra.
1
Le premier a été publié par Brepols et constitue une synthèse des recherches victorines
jusqu’en 2008, à partir des articles rassemblés du congrès international à l’occasion du 900ème
anniversaire de la fondation de Saint-Victor: «L’école de Saint-Victor. Influence et rayonnement
du Moyen Âge à l’époque moderne. Colloque international du C.N.R.S. pour le neuvième cente-
naire de la fondation (1108-2008), tenu au Collège des Bernardins à Paris les 24-27 septembre
2008», éd. par d. Poirel (Bibliotheca Victorina 22), Turnhout 2010. La deuxième est une synthèse
des recherches plus récentes sur les Victorins depuis lors: «A companion to the abbey of Saint
Victor in Paris», éd. par H. Feiss – J. Mousseau (Brill’s Companions to the Christian Tradition 79),
Leiden – Boston 2018. Un troisième volume offre une perspective plus globale aux écoles du
XIIe siècle en mentionnant en passant l’école de Saint-Victor: «A companion to twelfth-century
schools», éd. par C. Giraud (Brill’s Companions to the Christian Tradition 88), Leiden – Boston
2020. Enfin, il convient de citer le volume plus récent sur l’école de Saint-Victor et son influence
à l’échelle européenne: «‹Omnium expetendorum prima est sapientia›. Studies on Victorine
thought and influence», éd. par d. Poirel et al. (Bibliotheca Victorina 29), Turnhout 2021.
234 Matthias M. Tischler

cherche suivants: 1) la formation et la constitution religieuse et institu-


tionnelle de l’abbaye de Saint-Victor elle-même, de son école et de son
scriptorium 2; 2) la création de la congrégation de Saint-Victor, le rôle de
ses prieurés et la fondation de communautés féminines victorines 3; et
3) la vita apostolica à Saint-Victor et ses multiples influences sur d’autres
styles de vie religieuse et sur l’exégèse et la théologie médiévales 4.

Dans ce dernier domaine, le renouvellement des pratiques de lec-


ture et d’étude de toute la Bible a été identifiée comme l’objectif central
du style de la vie victorine au sein du mouvement général de la renais-
sance de la vie évangélique ou apostolique depuis le XIe siècle 5. Il ne

2
J. CHâtillon, Le mouvement canonial au Moyen Âge. Réforme de l’Église, spiritualité et culture.
Études réunies, éd. par P. siCard (Bibliotheca Victoriana 3), Paris-Turnhout 1992; J. FüHrer, König
Ludwig VI. von Frankreich und die Kanonikerreform (Europäische Hochschulschriften III. 1049),
Frankfurt am Main et al. 2008, p. 137-176; ideM, L’abbaye de Saint-Victor dans la réforme canoniale,
«L’école de Saint-Victor», p. 57-77; F. GasParri, Scriptorium et bureau d’écriture de l’abbaye Saint-
Victor de Paris, «L’abbaye parisienne de Saint-Victor au Moyen Âge. Communications présentées
au XIIIe Colloque d’humanisme médiéval de Paris (1986-1988)», éd. par J. lonGère (Bibliotheca
Victorina 1), Turnhout 1991, p. 119-139.
3
e. Jordan, The success of the Order of Saint Victor. A comparative study of the patronage of canon-
ical foundations in thirteenth century Flanders and Hainaut, «Revue d’histoire ecclésiastique», 96
(2001), p. 5-33; B. GeBert, Sankt Viktor von Paris und die Viktoriner. Institutionelle Strukturen eines
mittelalterlichen Klosterverbandes, «‹Legitur in necrologio victorino›. Studien zum Nekrolog der
Abtei Saint-Victor zu Paris», éd. par a. löFFler – B. GeBert (Corpus Victorinum. Instrumenta
7), Münster en Westphalie 2015, p. 119-171; e. Jordan, The canonesses of St. Victor and religious
commemoration in the thirteenth century, ibidem, p. 221-229; M. seiFert, Die Viktoriner Priorate im
Necrolog von St. Viktor/Paris, «Texte in Kontexten. Studien zur Abtei St. Viktor in Paris und den
Viktorinern», éd. par M. M. tisCHler (Corpus Victorinum. Instrumenta), Münster en Westphalie
(en préparation).
4
C’est le domaine classique de la recherche Victorine avec la plupart des contributions, par
exemple par Rainer Berndt SJ, Dominique Poirel, Frans van Liere, Ralf M. W. Stammberger, Fran-
klin Harkins et bien d’autres. La base de données «Panorama Victorinum» publiée sur la page de
l’Hugo von Sankt Viktor-Institut de Francfort-sur-le-Main offre un accès rapide aux études sur les
Victorins: https://hugo.sankt-georgen.de/prosopographie/index.php. Il convient également de
mentionner un recueil sommaire sur les auteurs victorins les plus importants du XIIe et du XIIIe
siècle (à l’exception d’André de Saint-Victor), qui est: «Victorine restoration. Essays on Hugh of
St Victor, Richard of St Victor, and Thomas Gallus», éd. par r.J. Porwoll – d.a. orsBon (Cursor
Mundi 39), Turnhout 2021.
5
Ce champ de recherche est dominé par plusieurs perspectives: 1) la position de Saint-Victor
dans la renaissance (théologique) augustinienne. Sur ce point, les recherches les plus précieuses
restent les publications de CHâtillon, Le mouvement canonial. 2) Le mouvement général de redé-
couverte de la vie évangélique/apostolique au XIe siècle: comme par exemple M.-d. CHenu, The
evangelical awakening, «Debating the Middle Ages. Issues and readings», éd. par l.K. little – B.H.
Saint-Victor de Paris 235

s’agissait pas d’une réinvention, mais plutôt de la poursuite d’un vaste


projet entrepris déjà des décennies auparavant dans les anciennes
écoles épiscopales carolingiennes du nord de la France, et ici surtout
celle de Laon, où Anselme, son frère Radulphe, Gilbert, et d’autres col-
laborateurs inconnus (donc tout un groupe de travail) développaient
systématiquement une glose de référence équilibrée sur l’ensemble de
la Bible, fondée sur l’exégèse biblique de Jérôme, Augustin, Grégoire
le Grand, Cassiodore et des auteurs carolingiens comme Alcuin, Raban
Maur ou encore Paschase Radbert 6. Mais à Paris, les Victorins accen-
tuaient désormais ce projet global avec une attention particulière sur le
sens historico-littéraire du texte biblique, en prenant en considération
l’exégèse rabbinique de la Bible et en reposant la question encore ou-
verte du canon biblique (surtout de l’Ancien Testament). Par ailleurs, ce
projet biblique élargi s’inscrivait dans une nouvelle conception de l’ap-
prentissage encyclopédique. Cela a provoqué une réorganisation des
disciplines classiques et l’élargissement des connaissances grâce à l’in-
tégration des arts mécaniques qui avaient été jusqu’ici largement négli-
gées. De manière assez naturelle, les Victorins prêtèrent une attention
particulière à l’exégèse patristique et médiévale de l’Ancien Testament,
afin de mieux comprendre le Nouveau Testament (qui demeurait pour
eux le vrai contenu et la pratique correcte du style de vie apostolique
en tant que chanoines réguliers et prêtres de leur propre temps post-bi-
blique). Afin de garantir le support matériel de ce projet, Saint-Victor
a mis en place une production manuscrite proto-professionnelle de ses
propres produits scolaires dans son entourage parisien le plus proche
et a raffiné le modèle hérité de Laon des manuscrits bibliques glosés,
tout en développant un nouveau modèle plus complexe de mise en

rosenwein, Malden (MA) 1998, p. 310-329. 3) Le mouvement général de la réforme augustinienne


du point de vue plus historique des ordres religieux: n. JasPert, La reforma agustiniana. Un movi-
miento europeo entre ‹piedad popular› y ‹política eclesiástica›, «La reforma gregoriana y su proyección
en la cristiandad occidental. Siglos XI–XII. XXXII Semana de Estudios Medievales, 18 a 22 de julio
de 2003», éd. par J. i. saranyana, Pampelune 2006, p. 375-420.
6
Sur ce projet de la Bible glossée en général: M. M. tisCHler, Dal Bec a San Vittore. L’aspetto delle
Bibbie ‹neomonastiche› e ‹vittorine›, «Forme e modelli della tradizione manoscritta della Bibbia», éd.
par P. CHeruBini (Littera antiqua 13), Cité du Vatican 2005, p. 373-405 et planches 30-32.
236 Matthias M. Tischler

page. Cela a préparé la production professionnelle de livres scolaires


de Paris, ayant pour résultat des éditions bien structurées présentant
des textes de référence avec des paratextes, des appareils de gloses in-
terlinéaires et marginales, des signes de références, etc.

2. Anciennes et nouvelles perspectives: du centre au rapport entre centre et


périphéries

L’étude du patrimoine biblique de Saint-Victor à Paris a permis


d’élargir l’horizon victorin traditionnel susmentionné et a donné un
premier aperçu du grand impact de la scolastique parisienne primitive
bien au-delà du nord de la France. Quelques premières découvertes
victorines parmi les Bibles du XIIe et XIIIe siècle à la cathédrale de
Bamberg en Franconie 7 et une comparaison plus poussée avec les re-
cherches menées dans les collections de manuscrits allemands montrent
l’influence intellectuelle et matérielle de Saint-Victor à l’échelle euro-
péenne 8. L’un des principaux accomplissements de Saint-Victor dans
le vaste domaine des études bibliques médiévales a été la mise au
point du projet susmentionné de gloser toute la Bible, de sorte que les
écoles de l’Église latine disposaient désormais d’une édition compacte
de la Bible complète commentée dans son intégralité. Une collection
de la Bible glosée dans un nombre variable de volumes est devenue
un modèle digne d’être imité. Et en effet, parmi les exemplaires des
manuscrits glosés de la Bible diffusés dans toute l’Europe, on découvre
un nombre croissant de collections plus ou moins complètes de la Bible
glosée, qui sont souvent accompagnées d’autres produits exégétiques
issus de l’école de Saint-Victor, surtout de la période d’Hugues, achetés
et amenés de Paris par des générations de ses disciples immédiats et

7
M. M. tisCHler, Die glossierten Bibeln des Bamberger Doms im 12. und 13. Jahrhundert, «Archa
Verbi», 1 (2004), p. 91-118.
8
Je n’ai pu qu’évoquer brièvement cette perspective dans ma monographie sur le rôle de
la Bible à Saint-Victor: M. M. tisCHler, Die Bibel in Saint-Victor zu Paris. Das Buch der Bücher als
Gradmesser für wissenschaftliche, soziale und ordensgeschichtliche Umbrüche im europäischen Hoch- und
Spätmittelalter (Corpus Victorinum. Instrumenta 6), Münster en Westphalie 2014.
Saint-Victor de Paris 237

postérieurs, éminents ou moins connus, mais parmi eux aussi certains


encore inconnus 9. C’est précisément cette découverte globale qui m’a
amené à élargir la perspective et à regarder non seulement le centre
(Paris), mais aussi les nombreuses périphéries européennes de l’ap-
prentissage scolaire. Les questions fondamentales étaient maintenant
les suivantes: 1) Lequel des nouveaux produits victorins sous forme
de concepts de livres codicologiques, exégétiques et théologiques a eu
un impact massif sur le profil intellectuel des clercs, des chanoines et
des moines réformés? 2) Quand et où ces nouveaux produits sont-ils
été disponibles? 3) Combien de temps la diffusion a-t-elle nécessité? 4)
Existait-il en Europe des régions peu ou pas touchées par ce mouve-
ment général d’éducation savante renouvelée? 10

3. L’exemple de démonstration: Saint-Victor de Paris en Saxe médiévale

La Saxe médiévale, l’une des régions européennes concernées par


l’impact de l’exégèse et de la théologie bibliques victorines, était le
pays d’origine d’Hugues de Saint-Victor et de son oncle, qui était
son homonyme et fut son compagnon de voyage à Paris. Tous deux
étaient originaires de la région d’Halberstadt, à l’est du Harz. Domi-
nique Poirel a étudié avec succès leurs traces saxonnes à Paris il y a

9
Il s’agit de mettre en œuvre les périphéries européennes pour comprendre le véritable
impact de l’école de Saint-Victor comme centre même de cette diffusion intellectuelle et maté-
rielle, comme je l’ai souligné dans mon compte-rendu du volume Brepols paru en 2010: M.M.
tisCHler (c. r.), «L’école de Saint-Victor de Paris. Influence et rayonnement de Moyen Âge à
l’époque moderne. Colloque international du C.N.R.S. pour le neuvième centenaire de la fonda-
tion (1108-2008) tenu au Collège des Bernardins à Paris les 24-27 septembre 2008» (Bibliotheca
Victorina 22), éd. par d. Poirel, Turnhout 2010, «Francia», 38, 1 (2011) [http://www.perspectivia.
net/content/publikationen/francia/francia-recensio/2011-3/MA/poirel_tischler.doc].
10
À propos du phénomène à l’échelle européenne des collections plus ou moins complètes
de Bibles glosées, voir: M. M. tisCHler, Dekonstruktion eines Mythos. Saint-Victor und die ältesten
Sammlungen glossierter Bibelhandschriften im 12. und frühen 13. Jahrhundert, «Bibel und Exegese
in der Abtei Saint-Victor zu Paris. Form und Funktion eines Grundtextes im europäischen
Rahmen», éd. par r. Berndt (Corpus Victorinum. Instrumenta 3), Münster en Westphalia 2009, p.
35-68. J’ai ajouté à ce panorama des premières observations sur la situation en Espagne et surtout
en Catalogne qui nécessitent cependant d’autres travaux complémentaires: M. M. tisCHler, The
biblical tradition of the Iberian Peninsula from the eighth to the twelfth centuries seen from a typological
standpoint, «Lusitania Sacra», 34 (2016), p. 33-59, ici p. 51-56.
238 Matthias M. Tischler

plus d’une quinzaine d’années 11, tandis que quelque temps plus tard
Joachim Ehlers a renversé cette perspective et a décrit le rapport entre
Saint-Victor et les personnes et les institutions de l’ancien Empire al-
lemand et surtout de la Saxe, qui étaient mentionnées dans les né-
crologes de Saint-Victor (ces derniers avaient alors fait l’objet d’une
édition critique) 12. Cette curieuse voie de recherche du centre d’ac-
tivités d’Hugues à son pays d’origine s’explique aisément par l’ab-
sence d’une première histoire de fondation officielle de Saint-Victor
et de son personnel: malgré son importance intellectuelle, Saint-Vic-
tor ne dispose d’aucune histoire ou légende ancienne à propos de sa
création, et Hugues de Saint-Victor lui-même n’a jamais fait l’objet
d’une biographie littéraire qui aurait au moins pu révéler quelques
traits authentiques de son profil intellectuel. La seule source biogra-
phique contemporaine sur Hugues est un compte-rendu dense de ses
dernières heures de vie, l’Epistola de morbo et obitu Hugonis par le cha-
noine Osbert. Ce texte important sur la maladie et la mort d’Hugues,
témoignage tardif de l’ancienne tradition biographique de descrip-
tion du transitus d’un saint homme ou d’une sainte femme, transmet
un message central de l’image de soi du chef de l’école de Saint-Vic-
tor et son style de vie religieuse: Pour Osbert, être un chanoine victo-
rin signifiait vivre avec la Bible jusqu’au tout dernier moment de son
existence terrestre 13.

11
d. Poirel, ‹Hugo Saxo›. Les origines germaniques de la pensée d’Hugues de Saint-Victor,
«Francia», 33, 1 (2006), p. 163-174.
12
J. eHlers, Kontakte des Stifts Sankt-Victor ins römisch-deutsche Reich, «‹Legitur in necrologio
victorino›», p. 99-117. L’édition critique du Necrologium S. Victoris fut réalisée par u. vones-lieBens-
tein – M. seiFert, Necrologium abbatiae Sancti Victoris Parisiensis (Corpus Victorinum. Opera ad
fidem codicum recollecta 1), Münster en Westphalie 2012, p. 77-337.
13
Osbert était membre de la «colonie anglaise» de Saint-Victor à cette époque et avait peut-
être une perspective anglo-saxonne spécifique d’Hugues en tant que «deuxième Bède». Néan-
moins, il semble avoir révélé un trait central de la véritable biographie d’Hugues. À ce propos
voir M. M. tisCHler, Was das Sterben über das Leben verrät. Osberts ‹Epistola de morbo et obitu Hugonis›
als biographisches Zeugnis für die Viktoriner ‹vita religiosa›, «Diligens scrutator sacri eloquii. Beiträge
zur Exegese- und Theologiegeschichte des Mittelalters. Festgabe für Rainer Berndt SJ zum 65.
Geburtstag», éd. par H.-P. neuHeuser et al. (Archa Verbi. Subsidia 14), Münster en Westphalie
2016, p. 271-298.
Saint-Victor de Paris 239

Pourtant, encore une fois, aucun nouveau témoignage de l’impact


intellectuel d’Hugues sur sa patrie saxonne n’avait été identifié. Les
conditions d’investigation de cette question fondamentale il y a une di-
zaine d’années n’étaient en aucun cas les meilleures. L’obstacle principal
était l’absence de travaux préparatoires à cette perspective de recherche,
c’est-à-dire le manque d’examen systématique des manuscrits dans les
collections modernes de la Basse-Saxe, mais surtout de la Saxe-Anhalt
et de la Saxe. Qui avait réalisé des recherches sur les manuscrits de la
Bible glosée et sur les premiers ouvrages scolastiques qui étaient au-
trefois conservés dans les bibliothèques monastiques et cléricales des
diocèses saxons d’Hildesheim, Halberstadt, Magdebourg, Mersebourg,
Naumbourg et Meißen? Existe-t-il même une quantité suffisante de ma-
nuscrits qui permettrait de reconstituer un paysage scolastique disparu?
Pour préparer ce terrain, Ralf M. W. Stammberger et moi-même avons
exploré les collections et écrit nos contributions à un catalogue pour une
exposition de manuscrits médiévaux d’Hildesheim qui avait été organi-
sée par Monika E. Müller à Wolfenbüttel en 2010 14. Trois ans plus tard,
un colloque international organisé par Monika E. Müller et Jens Reiche
à Wolfenbüttel sur le rôle d’Hildesheim dans les processus européens de
transfert culturel, a été pour moi le point de départ d’une recherche sys-
tématique sur le transfert de la scolastique victorine et parisienne dans la
Saxe des XIIe et XIIIe siècles. Aujourd’hui je suis en mesure de présenter
brièvement quelques résultats centraux de cette recherche 15.

14
r. M. w. staMMBerGer, Monastische Theologie und Scholastik in Hildesheim, «Schätze im Himmel
– Bücher auf Erden. Mittelalterliche Handschriften aus Hildesheim», éd. par M. e. Müller (Ausstel-
lungskataloge der Herzog August Bibliothek 93), Wolfenbüttel 2010, p. 111-123; M. M. tisCHler,
Zwischen Zentrum und Peripherie. Die Umgestaltung der Bildungslandschaft im Bistum Hildesheim durch
frühscholastische Bücher aus Nordfrankreich im 12. Jahrhundert, ibidem, p. 237-252.
15
J’avais renoncé à contribuer un chapitre aux actes de cette conférence d’Hildesheim,
publiés sous le titre «Zentrum oder Peripherie? Kulturtransfer in Hildesheim und im Raum
Niedersachsen (12.–15. Jahrhundert)», éd. par M. e. Müller – J. reiCHe (Wolfenbütteler Mittelal-
ter-Studien 32), Wiesbaden 2017. Les résultats de mes recherches étaient devenus trop vastes, au
point que j’ai décidé de les développer dans une propre étude monographique: M. M. tisCHler,
Zwischen Früh- und Hochscholastik. Bildungsgeschichtliche Umbrüche in Ostsachsen während des 12.
und 13. Jahrhunderts (Wolfenbütteler Mittelalter-Studien), Wiesbaden (en préparation pour la
publication). Les résultats présentés en suivant se basent sur cette monographie qui donnera
aussi une vaste bibliographie sur les institutions religieuses et leurs manuscrits identifiés.
240 Matthias M. Tischler

Néanmoins, le travail vers cet objectif était comme une course de


haies. Mon travail bibliographique préparatoire m’a montré que malgré
l’existence de quelques répertoires de monastères saxons et de quelques
cartulaires, l’absence d’une monographie sur l’histoire religieuse et in-
tellectuelle de l’Église médiévale en Saxe – comparable au Handbuch
der bayerischen Kirchengeschichte –, l’information largement manquante
sur les sources d’éducation pendant le Moyen Âge central dans notre
Quellenkunde allemande à la suite de Wilhelm Wattenbach et enfin l’édi-
tion faisant toujours défaut des catalogues de manuscrits médiévaux et
des inventaires de livres des diocèses allemands du nord démontraient
des lacunes de recherche surprenantes dans le paysage par ailleurs ex-
cellent de la recherche allemande du XIXe au début du XXIe siècle.
Au moment de la «Révolution allemande» de l’automne 1989, an-
née qui vit la publication du répertoire du patrimoine des manus-
crits de l’Allemagne médiévale par Sigrid Krämer 16, mes recherches
n’auraient pas été possibles. Les nombreuses activités de recherche à
l’ouest et à l’est de l’ancienne frontière allemande intérieure qui ont été
accomplies depuis lors ont cependant changé la situation de manière
décisive: je mentionne ici, d’une part, les nouveaux inventaires et ca-
talogues de manuscrits préparés à Berlin, à Wolfenbüttel et à d’autres
centres de manuscrits 17 et, d’autre part, plusieurs monographies sur les

16
s. KräMer, Handschriftenerbe des deutschen Mittelalters, vol. 1: Aachen–Kochel (Mittelalterliche
Bibliothekskataloge Deutschlands und der Schweiz. Ergänzungsband 1), Munich 1989; …, vol. 2:
Köln–Zyfflich (Mittelalterliche Bibliothekskataloge Deutschlands und der Schweiz. Ergänzungs-
band 1), Munich 1989. Le troisième volume avec l’index apparut un an après: …, vol. 3: Handsc-
hriften-Register (Mittelalterliche Bibliothekskataloge Deutschlands und der Schweiz. Ergänzungs-
band 1), Munich 1990.
17
M. stäHli et al., Handschriften der Dombibliothek zu Hildesheim, vol. 1: Hs 124a – Hs 698
(Mittelalterliche Handschriften in Niedersachsen 8), Wiesbaden 1991; r. GierMann et al., Hand-
schriften der Dombibliothek zu Hildesheim, vol. 2: Hs. 700-1050; St. God. Nr. 1-51; P 1-6; J 23-95 (Mitte-
lalterliche Handschriften in Niedersachsen 9), Wiesbaden 1993; r. sCHiPKe, Scriptorium und Bibli-
othek des Benediktinerklosters Bosau bei Zeitz. Die Bosauer Handschriften in Schulpforta, Wiesbaden
2000; M. KaPP, Handschriften in Goslar. Stadtarchiv, Städtisches Museum, Marktkirchenbibliothek, Jako-
bigemeinde (Mittelalterliche Handschriften in Niedersachsen. Kurzkatalog 5), Wiesbaden 2001;
u. winter, Die Manuscripta Magdeburgica der Staatsbibliothek zu Berlin Preußischer Kulturbesitz, vol.
1: Ms. Magdeb. 1-75 (Staatsbibliothek zu Berlin Preußischer Kulturbesitz. Kataloge der Hands-
chriftenabteilung. Erste Reihe 4, 1), Wiesbaden 2001; a. CoHen-MusHlin, Scriptoria in medieval
Saxony. St. Pancras in Hamersleben, Wiesbaden 2004; u. winter – K. HeydeCK, Die Manuscripta
Saint-Victor de Paris 241

communautés monastiques centrales de la Basse-Saxe actuelle prépa-


rées à l’Université de Göttingen 18, qui s’est transmuée en un centre de
recherche sur l’éducation et la scolastique des institutions religieuses.
Avec Leipzig en tant que nouveau centre de préservation, de restau-
ration, de numérisation et de catalogage des manuscrits, on caresse
l’espoir que d’autres collections de manuscrits existantes et perdues
reçoivent l’attention des savants qu’elles méritent 19.
Mon travail de base a donc consisté à identifier les institutions reli-
gieuses médiévales et les figures clés à l’ouest et l’est de la région du
Harz et à évaluer les recherches antérieures sur chacune d’entre elles.
Mon intérêt particulier pour l’étude des sources m’a conduit à l’étude
des cartulaires et des nécrologes à la recherche de notes détaillées sur
des dons, des donations ou des transactions de prêt de manuscrits.

Magdeburgica der Staatsbibliothek zu Berlin Preußischer Kulturbesitz, vol. 2: Ms. Magdeb. 76-168
(Staatsbibliothek zu Berlin Preußischer Kulturbesitz. Kataloge der Handschriftenabteilung. Erste
Reihe 4, 2), Wiesbaden 2004; «Geschrieben und gemalt. Gelehrte Bücher aus Frauenhand. Eine
Klosterbibliothek sächsischer Benediktinerinnen des 12. Jahrhunderts», éd. par H. Härtel (Auss-
tellungskataloge der Herzog August Bibliothek 86), Wiesbaden 2006 (sur Lamspringe); u. winter
– K. HeydeCK: Die Manuscripta Magdeburgica der Staatsbibliothek zu Berlin Preußischer Kulturbesitz,
vol. 3: Ms. Magdeb. 170-286 (Staatsbibliothek zu Berlin Preußischer Kulturbesitz. Kataloge der
Handschriftenabteilung. Erste Reihe 4, 3), Wiesbaden 2008; H. Härtel et al.: Katalog der mittelalter-
lichen Helmstedter Handschriften, vol. 1: Cod. Guelf. 1 bis 276 Helmst., Wiesbaden 2012; u. winter,
Die Manuscripta Magdeburgica der Staatsbibliothek zu Berlin Preußischer Kulturbesitz, vol. 4: Die
Codices electorales Magdeburgenses (Staatsbibliothek zu Berlin Preußischer Kulturbesitz. Kataloge
der Handschriftenabteilung. Erste Reihe 4, 4), Wiesbaden 2012; P. CarMassi, Katalog der mittelalter-
lichen und frühneuzeitlichen Handschriften in Halberstadt. Verzeichnis der Bestände der Kulturstiftung
Sachsen-Anhalt, Domschatz zu Halberstadt, und des Historischen Archivs der Stadt Halberstadt, Wies-
baden 2018.
18
J. Kreutz, Die Buchbestände von Wöltingerode. Ein Zisterzienserinnenkloster im Kontext der
spätmittelalterlichen Reformbewegung (Wolfenbütteler Mittelalter-Studien 26), Wiesbaden 2014;
J. sCHevel, Bibliothek und Buchbestände des Augustiner-Chorherrenstifts Georgenberg bei Goslar. Ein
Überblick über die Entwicklung im Mittelalter bis zur Zerstörung 1527 (Wolfenbütteler Mittelal-
ter-Studien 27), Wiesbaden 2015; B.-J. Kruse, Stiftsbibliotheken und Kirchenschätze. Materielle Kultur
in den Augustiner-Chorfrauenstiften Steterburg und Heinigen (Wolfenbütteler Mittelalter-Studien
28), Wiesbaden 2016.
19
Un desideratum absolu est le catalogage professionnel des manuscrits de la bibliothèque
de la cathédrale de Mersebourg. On possède seulement un inventaire manuscrit par o. rade-
MaCHer, Katalog der Kapitelsbibliothek zu Merseburg. Abteilung 1 (Handschriften) mit Einleitung und
Register, Mersebourg 1917. Après cet instrument de recherche, Walther Holtzmann vérifia à
nouveau l’inventaire. Son propre inventaire, qui date d’environ 1940, se trouve aujourd’hui à
Munich, Bibliothek der Monumenta Germaniae Historica, Hs. C 5: http://www.mgh-bibliothek.
de/merseburg/hsc5.htm.
242 Matthias M. Tischler

Dans ce domaine, récemment de nombreuses activités d’édition ont


amélioré de manière remarquable l’etat de la recherche. De nouvelles
études sur les activités de réforme des chanoines réguliers, en particu-
lier du cercle de réforme d’Halberstadt et de la congrégation saxonne
de Georgenberg (près de Goslar) 20 ont révélé l’existence de réseaux de
personnalités clés telles que des évêques réformateurs, des abbés et
des savants qui, dans certains cas, avaient des rapports directs avec
Saint-Victor de Paris. En outre, de nouvelles monographies sur les
principales institutions religieuses de notre région saxonne sont pa-
rues depuis. Ces dernières on éte d’une grande utilité, et ont d’ailleurs
aidé à clarifier les données sur les activités de réforme et les personnes
impliquées dans ces processus.
Afin de pouvoir illustrer l’impact religieux et savant des Victorins
sur la périphérie saxonne, je me permets de présenter les résultats
principaux de mes recherches. Pour aider le lecteur à mieux s’orienter,
j’ai classé mes découvertes et les ai regroupées selon les sujets suivants:
1) réseaux savants et carrières individuelles, 2) collections complètes
de la Bible glosée, 3) d’autres œuvres victorines récurrentes, rares et
manquantes, et 4) transformation progressive des intérêts exégétiques
et théologiques de l’école victorine aux XIIe et XIIIe siècles en rapport
avec les besoins spirituels et institutionnels des anciennes et nouvelles
institutions religieuses, des congrégations et des ordres en Saxe.
1) En général, les institutions religieuses saxonnes participant à la
réception des produits de l’école victorine appartenaient au réseau
de la réforme d’Hamersleben, abbaye augustinienne où Hugues avait
prétendument passé sa jeunesse, et qui était sans nul doute le relais
central du cercle de la réforme d’Halberstadt au début du XIIe siècle.
Avec la congrégation un peu plus tardive de Georgenberg (près de
Goslar) formée par des communautés masculines et féminines de cha-
noines réguliers dans les six diocèses saxons entre le Harz et le haut

20
B. lesser, Das Goslarer Provinzialkapitel der Augustiner-Chorherren in Nord- und Mitteldeutsch-
land vom 12. bis zum 16. Jahrhundert, «Regular- und Säkularkanonikerstifte in Mitteldeutschland»,
éd. par d. M. Mütze (Bausteine aus dem Institut für Sächsische Geschichte und Volkskunde 21),
Dresden 2011, p. 103-140.
Saint-Victor de Paris 243

Elbe, ce réseau religieux et savant s’est réuni chaque année lors d’un
capitulum Goslariense (entre 1145 et 1221) pour favoriser la réforme
de ses membres et créer une plate-forme pour la communication des
nouvelles idées et œuvres étrangères 21. Un exemple remarquable des
rapports directs entre Saint-Victor et Hamersleben est la dédicace
d’Hugues d’au moins deux de ses œuvres au prévôt Thietmar (avant
1112 – 1138) et à la communauté de son ancien couvent, du De virtute
orandi, écrit pour son « domnus et pater Th. » 22, et du soliloque De
arrha animae, l’une des dernières œuvres d’Hugues pour la commu-
nauté d’Hamersleben 23, dont la première transmission semble avoir
fait son chemin depuis Saint-Victor via Hamersleben à Lippoldsberg,
un couvent de femmes bénédictines dans la vallée de la Weser entre
Kassel, Göttingen et Höxter (diocèse de Mayence) 24. Par ailleurs,
la possession précoce de manuscrits de provenances victorines (et
autres), notamment dans le cas des copies proto-professionnelles is-
sues du scriptorium de Saint-Victor et d’autres lieux d’apprentissage
du nord de la France (en particulier de Laon), permet de reconstituer
les parcours des savants à titre individuel et de les relier à Saint-Vic-
tor même. A côté de la possession la plus ancienne de manuscrits
bibliques glosés du nouveau type français, phénomène auquel je re-
viendrai dans le chapitre suivant, je ne mentionne ici que quelques
cas et noms éminents qui peuvent être liés à l’abbaye parisienne.
Porteurs de la réforme canoniale régionale et proches des frères qui
étudiaient dans les écoles du nord de la France, ces possesseurs trans-
mettaient les œuvres dont ils avaient besoin comme prévôts pour la
pastorale, l’édification spirituelle et la célébration de la sainte messe
des sœurs des communautés augustiniennes et bénédictines qui leur
étaient confiées.

21
lesser, Goslarer Provinzialkapitel.
22
Poirel, ‹Hugo Saxo›, p. 165; eHlers, Kontakte des Stifts Sankt-Victor, p. 106-107 avec n. 44.
23
Poirel, ‹Hugo Saxo›, p. 165; eHlers, Kontakte des Stifts Sankt-Victor, p. 106 avec n. 42-43.
24
J. HotCHin, Women’s reading and monastic reform in twelfth-century Germany. The library of the
nuns of Lippoldsberg, «Manuscripts and monastic culture. Reform and renewal in twelfth-century
Germany», éd. par A. i. BeaCH (Medieval Church Studies 13), Turnhout 2007, p. 139-189, ici p.
164-165.
244 Matthias M. Tischler

Un cas notable est celui de Lippoldsberg, une ancienne communau-


té de femmes chanoines qui a vécu depuis 1110 environ sous la règle
de saint Benoît. Après avoir été soutenue par le chanoine d’Hildesheim
Betto, la communauté était guidée spirituellement par le prévôt Gun-
ther d’Hamersleben depuis 1138 ou 1139. Ce lien avec Hamersleben
explique certainement pourquoi le vaste catalogue de Lippoldsberg
de 1151 montre l’existence d’une immense bibliothèque des œuvres
majeures et mineures d’Hugues de Saint-Victor 25. Je donne ici un aper-
çu des manuscrits concernés et mentionne des témoignages saxons
parallèles des cathédrales d’Hildesheim et de Mersebourg, des com-
munautés de chanoines réguliers de Sainte-Marie à Halberstadt et de
Saint-Maurice à Naumbourg, en plus des monastères bénédictins à
Hildesheim, Northeim, Mersebourg, Pegau et Chemnitz (tous mascu-
lins), à Lippoldsberg et Lampspringe (tous deux féminins), et finale-
ment des deux monastères cisterciens d’Altzelle (masculin) et de Ma-
rienthal (féminin) afin de montrer quelles œuvres d’Hugues ont joui
d’une meilleure diffusion dans les diverses institutions religieuses de
la région au cours du Moyen Âge central:

25
Éd. G. BeCKer, Catalogi bibliothecarum antiqui, Bonn 1885 [réimpr. Hildesheim – New York
1973], p. 203-206 no 88.
Saint-Victor de Paris
Aperçu: Les œuvres d’Hugues de Saint-Victor en Saxe médiévale

Hugues de Hildesheim Mersebourg Hildesheim, Naumbourg, Hildesheim, Northeim, Merse- Pegau, Chemnitz, Lippoldsberg, Lamspringe, Altzelle, Marienthal,
Saint-Victor (Cathédrale) (Cathédrale) Sainte-Marie Saint- Saint- Saint- bourg, Saint- Sainte- Saint-George Saint-Adrien Sainte- Sainte-
(CanReg) Maurice Michel Blaise Saint- Jacques Marie et et Sainte- et Saint- Marie Marie
(CanReg) (OSB) (OSB) Pierre (OSB) Saint- Marie Denis (OCist) (Helmstedt)
(OSB) Benoît (OSB) (OSB) (OCist)
(OSB)
De 8 9 10 19 20 21 41
sacramentis
christianae
fidei
De archa Noe 1 11 18 22 42
Commentaria 2 16 23 43
in hierarchiam
caelestem
Pseudo-
Dionysii
Areopagitae
Didascalicon 14 24 44
de studio
legendi
De 3 25 38
institutione
novitiorum
De virtute 15 26 45
orandi
De laude 12 27 46
caritatis
In Salomonis 4 13 28
Ecclesiasten
homiliae

245
246
Hugues de Hildesheim Mersebourg Hildesheim, Naumbourg, Hildesheim, Northeim, Merse- Pegau, Chemnitz, Lippoldsberg, Lamspringe, Altzelle, Marienthal,
Saint-Victor (Cathédrale) (Cathédrale) Sainte-Marie Saint- Saint- Saint- bourg, Saint- Sainte- Saint-George Saint-Adrien Sainte- Sainte-
(CanReg) Maurice Michel Blaise Saint- Jacques Marie et et Sainte- et Saint- Marie Marie
(CanReg) (OSB) (OSB) Pierre (OSB) Saint- Marie Denis (OCist) (Helmstedt)
(OSB) Benoît (OSB) (OSB) (OCist)
(OSB)
De vanitate 29 39
rerum
mundanarum
De tribus 5 40
diebus
De arrha 30 47
animae
Libellus de 31
formatione
arche
Annotationes 32
elucidatoriae
in quosdam
psalmos David
De beatae 33
Mariae
virginitate
De 34
assumptione
beatae Mariae

Matthias M. Tischler
De septem 17
donis spiritus
sancti
De 48
meditatione
De voluntate 49
Dei
Saint-Victor de Paris
Hugues de Hildesheim Mersebourg Hildesheim, Naumbourg, Hildesheim, Northeim, Merse- Pegau, Chemnitz, Lippoldsberg, Lamspringe, Altzelle, Marienthal,
Saint-Victor (Cathédrale) (Cathédrale) Sainte-Marie Saint- Saint- Saint- bourg, Saint- Sainte- Saint-George Saint-Adrien Sainte- Sainte-
(CanReg) Maurice Michel Blaise Saint- Jacques Marie et et Sainte- et Saint- Marie Marie
(CanReg) (OSB) (OSB) Pierre (OSB) Saint- Marie Denis (OCist) (Helmstedt)
(OSB) Benoît (OSB) (OSB) (OCist)
(OSB)
De cibo 50
Emmanuelis
Adnotationes 51
elucidatoriae
in Threnos
Epistola ad 52
Gualterum de
Mauritania
De sapientia 53
animae Christi
Expositio 54
tabernaculi
Summa 6 35 55
sententiarum
(Pseude-
Hugues)
De sacramento 36
altaris
(Pseude-
Hugues)
De sacramento 7
baptismi
(Pseude-
Hugues)
De operibus 37
sex dierum

247
(Pseude-
Hugues)
248 Matthias M. Tischler

Légende: 1, 3, 4, 5, 6 et 7 = donation du prêtre Brunon d’Hildesheim, milieu du


XIIe siècle: «Commentum magistri hugonis super e˛cclesiasten … Sententie˛ magistri
hugonis de veteri et novo testamento in duo [!] voluminibus … Liber de tribus diebus .
Liber der institutione novitiorum . De archa noe . Bapisterium», éd. K. JaniCKe, Urkun-
denbuch des Hochstifts Hildesheim und seiner Bischöfe, vol. 1: Bis 1221 (Publicationen aus
den K. Preußischen Staatsarchiven 65), Leipzig 1896 [réimpr. Osnabrück 1965], p. 311-
313 no 324, ici p. 312 l. 1 sq. et p. 313 l. 2-5; 2 = Hildesheim, Dombibliothek, Hs. 627, f.
31r–170v, Allemagne et France, donation de Brunon, évêque d’Hildesheim (1153-1161);
8 = Mersebourg, Domstiftsbibliothek, Cod. 137, prêtre Walter de Dolzek (témoigné
entre 1166 et 1174); 9 = Saint-Pétersbourg, Rossijskaja Nacional’naja Biblioteka, F 955
op. 2 no 28 (olim Halberstadt, Domgymnasium, Ms. 19), nord de la France, milieu du
XIIe siècle (livre II); 10-13 = catalogue de la fin du XIIe siècle: «opus domni [«domini»
éd.] Hygonis ex novo testamento divisum in duo volumina . item opus domni [«domi-
ni» éd.] Hygonis de sacramentis et de arche Noe in uno volumine hec duo . item opus
domni [«domini» éd.] Hygonis super ecclesiasten . … item opus domini [«domini» éd.]
Hygonis de fide spe et karitate et diversis utilitatibus», ed. G. BeCKer, Catalogi bibliothe-
carum antiqui, Bonn 1885 [réimpr. Hildesheim – New York 1973], p. 269-272 no 129, ici p.
271 no 92-95 et 98; 14 = Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, Cod. 50. 4. Aug. 4o, f.
25r–54r, prêtre Aescelin, Hildesheim, deuxième moitié du XIIe siècle; 15 = Wolfenbüttel,
Herzog August Bibliothek, Cod. 50. 4. Aug. 4o, f. 89v–97v, nord de la France, debut du
XIIIe siècle; 16-17 = catalogue de ca. 1160/1165: «Hugo de spiritu sancto … Liber Dioni-
sii Aryopagiti», éd. H. HerBst, Mittelalterliche Bücherverzeichnisse des Benediktinerklosters
St. Blasien zu Northeim, «Archiv für Kulturgeschichte», 19 (1929), p. 346-368 (édition: p.
362 sq.), ici p. 363 col. b no 44 et 40; 18 = inventaire de 1563/1577: «Bibliorum termini
cum libello ordinis in iudiciis et Hugone de arca dei», éd. par K. Manitius, Die Bibliothek
des Peterskloster in Merseburg, «Deutsches Archiv für Erforschung des Mittelalters», 20
(1964), p. 190-209 (édition partielle seulement des manuscrit: p. 196-209), ici p. 196 no 9;
19 = Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 391, f. 2r–95v (prologue et livre II), Allemagne,
XIIIe/XIVe siècle; 20 = Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 392, f. 2r–78v (livre II), nord
de la France, première moitié du XIIIe siècle, maître Albert de Zeitz pour Sainte-Marie
de Chemnitz; 21-37 = catalogue de l’anné 1151, éd. BeCKer, Catalogi, p. 203-206 no 88; 27
= Kassel, Universitätsbibliothek – Landesbibliothek und Murhardsche Bibliothek der
Stadt Kassel, 8o Ms. theol. 4, f. 57v–62r; 30 = Kassel, Universitätsbibliothek – Landes-
bibliothek und Murhardsche Bibliothek der Stadt Kassel, 8o Ms. theol. 4, f. 63r–77r;
38 = Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, Helmst. 480, Lamspringe, troisième ou
quatrième quart du XIIe siecle, f. 88r–106r; 39 = ibidem, f. 126r–151v; 40 = ibidem, f.
106r–125v; 41 = catalogue des manuscrits de Schulpforte pour sa fondation d’Altzelle,
ca. 1175: «Hugonem de sacramentis in duobus voluminibus», éd. l. sCHMidt, Beiträge
zur Geschichte der wissenschaftlichen Studien in sächsischen Klöstern 1: Altzelle, «Neues
Archiv für sächsische Geschichte und Altertumskunde», 18 (1897), p. 201-272 (édition:
p. 209), ici p. 209 l. 19; Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 393, f. 1va–66rb (livre I), Alle-
magne, XIIIe siècle; 42 = Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 400, f. 1v–89v (De archa Noe
Saint-Victor de Paris 249

morali I–IV) et f. 89v–115v (De archa Noe mystica), Paris, Saint-Victor (?) et Allemagne
(doyen Herman), troisième quart du XIIe siècle; 43 = Leipzig, Universitätsbibliothek,
Ms 187, f. 73rb–177ra, Altzelle, XIIIe siècle; 44 = Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 395,
f. 1va–34vb (Didascalicon de studio legendi I–V et VI 1-13) et f. 96rb–97vb (Didascalicon de
studio legendi VI 14, VI 15 et III 8 [exc.]), France et Allemagne, debut du XIIIe siècle;
catalogue de l’anné 1514: «Vocabularius rerum. Dydaschalicon Hugonis», éd. sCHMidt,
Beiträge, p. 229-267, ici p. 261 no S 27; 45 = ibidem, f. 39vb–44vb; 46 = ibidem, f. 36vb–39vb;
47 = ibidem, f. 44vb–53vb; 48 = ibidem, f. 34vb–36vb; 49 = ibidem, f. 53vb–58rb; 50 = ibidem,
f. 58rb–60ra; 51 = ibidem, f. 60ra–90rb; 52 = ibidem, f. 91rb–91va; 53 = ibidem, f. 91va–96rb;
54 = Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 397, f. 107ra–130rb, Altzelle, XIIIe siècle; 55 =
Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, 61. 2. Aug. 8o, f. 1r–74v, Helmstedt, Marien-
thal, ca. 1240.

Comme on peut facilement le déduire des données fournies,


quelques-unes des œuvres d’Hugues ont eu un certain impact, comme
c’est le cas de sa somme théologique De sacramentis christianae fidei,
mais aussi de ses œuvres plus petites consacrées à l’éducation et à la
formation ascético-mystique de la progéniture religieuse, que ce soit
masculine ou féminine. Ce qui nous surprend également c’est la dif-
fusion de plusieurs œuvres d’Hugues dans d’autres communautés
religieuses vivant sous la règle de saint Benoît, telles que l’abbaye cis-
tercienne d’Altzelle et le couvent de femmes de Lamspringe. Ce der-
nier cas peut s’expliquer aisément par le fait que le prévôt Gerhard
(1178-1205/avant 1210) était un frère d’Hermann d’Hamersleben (ca.
1182 – ca. 1202) et de ce fait il était étroitement lié au centre de diffusion
présumé des œuvres d’Hugues en Saxe médiévale 26.
Néanmoins, le simple fait d’entretenir des rapports directs avec
les chanoines victorins ne suffisait pas en soi pour assurer la présence
des œuvres de l’école de Saint-Victor. Dans notre aperçu manque par

26
H. wolter-von deM KneseBeCK, Lamspringe, ein unbekanntes Scriptorium des Hamersle-
ben-Halberstädter Reformkreises zur Zeit Heinrichs des Löwen, «Heinrich der Löwe und seine Zeit.
Herrschaft und Repräsentation der Welfen 1125-1235», vol. 2: «Essays», éd. par J. luCKHardt –
F. nieHoFF, Munich 1995, p. 468-477, ici p. 476; CoHen-MusHlin, Scriptoria, p. 155; «Geschrieben
und gemalt», p. 25 sq. et 28; H. Härtel, Lamspringe. Ein mittelalterliches Skriptorium in einem
Benediktinerinnenkloster, «Kloster und Bildung im Mittelalter», éd. par n. KruPPa – J. wilKe (Ver-
öffentlichungen des Max-Planck-Instituts für Geschichte 218. Studien zur Germania Sacra 28),
Göttingen 2006, p. 115-153, ici p. 130 sq.
250 Matthias M. Tischler

exemple le couvent des chanoinesses de Steterburg près de l’actuel


Wolfenbüttel: là-bas, l’ancien sous-prieur Egbert de Saint-Victor a tra-
vaillé comme prévôt entre 1154/1155 et 1161 et a été élogieusement
décrit comme un «homme de la plus illustre connaissance» 27. Pourtant,
le plus ancien inventaire des livres de cette communauté, dont une
nouvelle copie a éte exécutée en 1316, ne confirme pas son rôle présu-
mé de transmetteur d’exégèse et théologie victorines ou du moins de
manuscrits bibliques glosés de Paris 28. Il en va de même pour la com-
munauté des chanoines augustins de Backenrode (Marienrode) près
d’Hildesheim dont Egbert était prieur 29, de sorte qu’il faut peut-être
supposer que ce dernier était à l’époque un administrateur de ses com-
munautés religieuses plutôt qu’un véritable médiateur de nouvelles
impulsions religieuses et culturelles entre Paris et la Saxe.
2) Saint-Victor était un modèle non seulement pour ses activités sa-
vantes, mais aussi en ce qui concerne sa bibliothèque et son scripto-
rium. La collection médiévale de ses manuscrits bibliques était proba-
blement la plus grande de l’Europe latine de son époque et était célèbre
pour son exhaustivité 30. Un trait caractéristique remarquable de la bi-
bliothèque de Saint-Victor était la possession de plusieurs ensembles
complets de la Bible glosée. Cette richesse était connue parmi les élèves
de Saint-Victor et les a motivés à tenter de la reproduire dans leurs éta-
blissements d’origine. En conséquence, ce phénomène est également
visible à l’échelle européenne dans les plus excellents des centres d’ap-

27
«Cui domnus Ekbertus Sancti Victoris apud Parisium prior subrogatur, vir praeclarae
scientiae, forma et vitae honestate commendabilis», Annales Stederburgenses, éd. G. H. Pertz, MGH
Scriptores, vol. 16, Hanovre 1859, p. 199-231, ici p. 206 l. 46 sq.
28
Éd. BeCKer, Catalogi, p. 253 sq. no 124. Une nouvelle édition et analyse en furent publiées par
K. sCHnaBel dans B.-J. Kruse – K. sCHnaBel, Bücher in Bewegung. Dynamisierung und Inventarisie-
rung der Buchbestände im Augustiner-Chorfrauenstift Steterburg, «Die Bibliothek des Mittelalters als
dynamischer Prozess», éd. par M. eMBaCH et al. (Trierer Beiträge zu den historischen Kulturwis-
senschaften 3), Wiesbaden 2012, p. 147-175 et planche en couleurs 57 fig. 1 sq., ici p. 149-162.
29
À propos des manuscrits de cette communauté, voir H. rütHinG, Die mittelalterliche Bibli-
othek des Zisterzienserinnenklosters Wöltingerode, «Zisterziensische Spiritualität. Theologische
Grundlagen, funktionale Voraussetzungen und bildhafte Ausprägungen im Mittelalter», éd. par
C. KasPer – K. sCHreiner (Studien und Mitteilungen zur Geschichte des Benediktinerordens und
seiner Zweige. Ergänzungsband 34), St. Ottilien 1994, p. 189-216, ici p. 189.
30
tisCHler, Bibel in Saint-Victor zu Paris.
Saint-Victor de Paris 251

prentissage saxons.
En 2010 j’ai découvert pour la première fois la présence de plu-
sieurs de ces collections à la cathédrale d’Hildesheim au XIIe et au
début du XIIIe siècle 31: la plus ancienne était une collection de 28
volumes, qui était presque complète et constituait un exemple très
précoce de ce phénomène 32. Elle avait été donnée par Brunon, qui de-
vint plus tard évêque d’Hildesheim (1153-1161). Les quelques livres
manquants sont typiques de son époque et leur absence peut s’ex-
pliquer par le projet de glose encore inachevé et par quelques autres
circonstances. De cet ensemble sont conservés ou identifiés à l’heure
actuelle seulement trois manuscrits: l’Apocalypse avec la glosse
laonnaise (dont l’auteur est peut-être Gilbert Porreta) 33, l’Évangile
selon saint Marc 34 et les Épîtres de saint Paul encore avec la glosse
d’Anselme de Laon 35 – les deux premiers sont originaires de Laon,
ce qui montre le mélange typique de produits plus anciens de Laon
et de produits plus récents de Saint-Victor. Une deuxième collection
du XIIe siècle de volumes français glosés de l’Ancien et du Nouveau
Testament a été offerte par l’évêque Bernon (1190-1194), ancien éru-
dit de l’école de la cathédrale d’Hildesheim (1172/1181), dont aucun

31
tisCHler, Zwischen Zentrum und Peripherie.
32
Les Bibles glossées sont mentionnées dans un legs du prêtre Brunon d’Hildesheim fait
à l’occasion d’un voyage à Jérusalem: «¶ Genesis ¶ Exodus . ¶ Leuiticus . ¶ Liber numeri . ¶
deuteronomius . ¶ Iosue . ¶ Liber iudicum et rudt . ¶ Iob . ¶ Liber regum in duo [!] divisus . ¶
Paralipomenon . ¶ Esdra . et iudit . et hester in uno volumine . ¶ Parabole˛ . et e˛cclesiastes . et
cantica canticorum . in uno volumine . ¶ Liber sapientie˛ . ¶ Liber e˛cclesiasticus . ¶ Psalterium .
¶ Ysaias . ¶ Ieremias . ¶ Ezechiel . ¶ Daniel et tobias in uno volumine . ¶ Lamentationes ieremie˛
. ¶ Epistole˛ pauli . ¶ Canonice˛ epistole˛ . ¶ Apocalipsis . ¶ Matheus . ¶ Iohannes . ¶ Lucas . ¶
Marcus . Omnia he˛c glosata sunt .», éd. K. JaniCKe, Urkundenbuch des Hochstifts Hildesheim und
seiner Bischöfe, vol. 1: Bis 1221 (Publicationen aus den K. Preußischen Staatsarchiven 65), Leipzig
1896 [réimpr. Osnabrück 1965], p. 311-313 no 324, ici p. 312 l. 19-26. À propos de ce legs, voir
C. HeitzMann, ‹Pro remedio animae meae›. Mittelalterliche Bücherstiftungen am Beispiel Brunos von
Hildesheim, «Schätze im Himmel – Bücher auf Erden», p. 155-160.
33
Hildesheim, Dombibliothek, Hs. 650, Laon, deuxième quart du XIIe siècle.
34
Berlin, Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz, Ms. Theol. lat. 2o 191, Saint-Victor de
Paris, milieu du XIIe siècle.
35
Berlin, Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz, Ms. Theol. lat. 2o 192, Laon, deuxième
quart du XIIe siècle.
252 Matthias M. Tischler

volume n’a encore été identifié 36. Les prêtres Gottfried (1180/1185)
et Hugues (1200/1218) ont fait deux autres donations de collections
importantes mais incomplètes de Bibles glosées, dont aucun volume
n’a été identifié non plus 37.
La bibliothèque de la cathédrale voisine d’Halberstadt possédait égale-
ment une collection qui s’étoffait régulièrement grâce aux dons, mais nous
en pouvons identifier seulement quatre manuscrits à l’heure actuelle 38.
En revanche, la situation de la collégiale voisine de Liebfrauen, si-
tuée en face de la cathédrale d’Halberstadt, est plus privilégiée: ici, on

36
Le Chronicon Hildesheimense nous donne l’information suivante: «Contulit eciam ecclesie
veteris ac novi testamenti libros glosatos et magno scolastice diligencie studio elaboratos», éd. G.
H. Pertz, MGH Scriptores, vol. 7, Hanovre 1846, p. 850-873, ici p. 858 l. 26 sq.
37
Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, Cod. 83. 30 Aug. 2o, f. 48r: «Godefridus sacerdos
… dedit libros hos . Genesim . exodum . leviticum . numeri . deutronomium . Josue . Judicum .
Rut . parabolas . ecclesiasten . Cantica . librum sapientie . ecclesiasticum . Job . Jsayam . Geremiam
. danielem . XII prophetas minores . matheum . Johannem . Lucam . Marcum . Apocalipsim . actus
apostolorum . Canonicas epistolas . unum de quatuor . libros regum . …”; ibidem, f. 74v: «Hugo
sacerdos frater noster … Dedit etiam eclesie bibliothecam unam et sententias petri longobardi et
libros Josue . Judicum . Ruth . Esdre . Tobie . Judith . Hester . Machabeorum . et alios libros diver-
sarum facultatum ad opus armarii …».
38
Parmi les livres scholaires et les œuvres théologiques, donnés per le chanoine et diacre
Markward († 11 avril 1147), se trouvaient un Jérémie avec la glose (peut-être de Gilbert Universel)
et un Cantique des Cantiques probablement aussi glosé: «Glosas super Jeremiam. Cantica», éd. G.
sCHMidt, Die Handschriften der Gymnasial-Bibliothek II. Königliches Dom-Gymnasium in Halbers-
tadt. Oster-Programm 1881, Halberstadt 1881, p. 7 sq., ici p. 8 l. 9. L’inventaire du chapître de la
cathédrale de l’anné 1465 mentionne: «liber duodecim prophetarum minorum item liber septem
epistolarum canonicarum … item corpus beati Johannis evangeliste … item textus Job cum glosa
item beati Marcii [!] cum glosa … liber apocalipsis beati Joannis cum glosa interlineali … Item
canonica Iacobi epistolae Pauli cum glosa interlineali item parabole Salomonis cum ecclesias-
ticis item glose super Job … item textus evangeliorum Mathei», éd. a. diestelKaMP, Geschichte
der Halberstädter Dombibliothek im Mittelalter, «Sachsen und Anhalt. Jahrbuch der Historischen
Kommission für die Provinz Sachsen und für Anhalt», 3 (1927), p. 177-225 (édition: p. 191-195), ici
p. 191 l. 17 sq., 20, 26 sq., 32 sq., 36, 39 et 41. De ces manuscrits sont identifiés jusqu’à présent seule-
ment les Petits prophètes glosés: Saint-Pétersbourg, Rossijskaja Nacional’naja Biblioteka, F. 955,
op. 2 no 25 (olim Halberstadt, Domgymnasium, Ms. 41), nord de la France, milieu du XIIe siècle, le
Job glosé: Halberstadt, Stiftung Dome und Schlösser in Sachsen Anhalt, Domschatz Halberstadt,
Inv.-Nr. 476 (olim Halberstadt, Domgymnasium, Ms. 40), nord de la France, troisième quart du
XIIe siècle, l’Évangile selon saint Jean glosé: Saint-Pétersbourg, Rossijskaja Nacional’naja Biblio-
teka, F. 955, op. 2 no 13 (olim Halberstadt, Domgymnasium, Ms. 50), nord de la France, milieu du
XIIe siècle, les Épîtres de saint-Paul et les Proverbes glosés: Saint-Pétersbourg, Rossijskaja Nacio-
nal’naja Biblioteka, F. 955, op. 2 no 45 (olim Halberstadt, Domgymnasium, Ms. 52), Allemagne, XVe
siècle, et un des deux manuscrits des Épîtres catholiques glosées: Saint-Pétersbourg, Rossijskaja
Nacional’naja Biblioteka, F. 955 op. 2 Nr. 14 (olim Halberstadt, Domgymnasium, Ms. 51), nord de
la France, milieu du XIIe siècle.
Saint-Victor de Paris 253

connaît deux donations de collections importantes, mais incomplètes. La


première était celle du chanoine et magister d’Hildesheim Harderadus
(1151/1179), qui possédait encore une fois des produits de Laon et de
Paris: Josué 39, Juges 40, l’Évangile selon saint Marc (Saint-Victor) 41 et peut-
être aussi l’Évangile selon saint Matthieu 42. En revanche, en raison du
manque d’études précises, il n’a pas été possible jusqu’à présent de dé-
terminer si les manuscrits de Halberstadt contenant Job 43, le Cantique des
Cantiques (Saint-Victor) 44 et les Actes des Apôtres 45 faisaient également
partie de cette collection de livres bibliques glosés. Une autre collection,
donnée plus tard par le chanoine d’Halberstadt, le magister et scholasticus
Egbert (1183/1212), comprenait 23 volumes de la Bible glosée 46.
De même, la collection de manuscrits de la cathédrale de Merse-
bourg a aussi reçu une importante collection de 13 manuscrits bi-

39
Hildesheim, Dommuseum, L 1998-14, maintenant Halberstadt, Domschatz (olim Halber-
stadt, Domgymnasium, Ms. 47, II), nord de la France, deuxième quart du XIIe siècle.
40
Saint-Pétersbourg, Rossijskaja Nacional’naja Biblioteka, F. 955, op. 2 no 17 (olim Halber-
stadt, Domgymnasium, Ms. 39, II), nord de la France, milieu du XIIe siècle.
41
Halberstadt, Stiftung Dome und Schlösser in Sachsen Anhalt, Domschatz Halberstadt,
Inv.-Nr. 470 (olim Domgymnasium, Ms. 48), Paris, Saint-Victor, deuxième quart du XIIe siècle.
42
Halberstadt, Domgymnasium, Ms. 47, I, Allemagne, milieu du XIIe siècle, aujourd’hui en
possession privée aux États-Unis.
43
Saint-Pétersbourg, Rossijskaja Nacional’naja Biblioteka, F. 955, op. 2 no 17 (olim Halber-
stadt, Domgymnasium, Ms. 39, I), Allemagne, XIIe siècle.
44
Halberstadt, Historisches Archiv der Stadt Halberstadt, M 37, I (olim Halberstadt,
Domgymnasium, Ms. 37, I), Paris, Saint-Victor, milieu du XIIe siècle.
45
Eriwan, Mashtots Matenadaran, Lat. no. 42 (olim Halberstadt, Domgymnasium, Ms. 38), f.
66v–128r, Paris, milieu du XIIe siècle.
46
Halberstadt, Historisches Archiv der Stadt Halberstadt, M 124 (olim Halberstadt, Domgym-
nasium, Ms. 124), f. 1r en bas: «Hij sunt libri quos bone memorie magister ecbertus ecclesie contulit
sancte mariae . Spalterium glosatum . ysayam . Iheremiam . Ezechielem . Danielem . XII prophetas
in uno volumine . Marchum . Matheum . Johannem . Lucam . Genesim . Leviticum jn uno volumine .
Thobiam . Judhit . Hester . Ruth . Iob . Historie . Sentencie . Cantica . Parabole . in uno volumine .
Apostolus . Decreta . Decretales . Liber regum . Apocalipsis . Canonice epistole . et summa una
[«yva» éd.] De omnibus his libris .XXIII. volumina», éd. sCHMidt, Handschriften, p. 5 (texte corrigé
à l’aide d’original). Sur la base de l’expérience acquise entre-temps en matière de transmissions
individuelles de manuscrits bibliques glosés plus étendus et de combinaisons de livres bibliques
plus étroites (tisCHler, Bibel in Saint-Victor zu Paris, p. 101 et passim), je propose de compter les livres
des prophètes Isaïe, Jérémie, Ézéchiel et Daniel ainsi que les Petits prophètes comme des volumes
individuels, les livres essentiellement féminins Tobie, Judith, Esther et Ruth comme un volume
individuel et les livres de sagesse Cantique des Cantiques et Proverbes (ibidem, p. 108 n. 55) comme
un volume individuel, ce qui donnerait exactement les 23 volumes mentionnés.
254 Matthias M. Tischler

bliques glosés, qui étaient en majorité des produits parisiens datant


du deuxième quart au milieu du XIIe siècle. Le don a été fait par le
chanoine et magister Wibert (1169/1174 et 1182), qui était l’ancien scho-
lasticus de la cathédrale et entretenait des contacts avec Hamersleben.
Cette collection contenait, en ce qui concerne l’Ancien Testament, les
livres Genèse et Exode du Pentateuch 47, puis les livres historiques des
Juges 48 et I Samuel à II Rois 49, le Psautier (avec les Cantiques) 50 et les
Proverbes 51, et des Grands prophètes Isaïe et Ézéchiel 52. Pour ce qui
est du Nouveau Testament, elle comprenait les Évangiles selon saint
Matthieu et saint Marc, mais peut-être aussi l’Évangile selon saint Jean,
une copie plus ancienne de Laon sans enluminures 53, les Épîtres de
saint Paul avec l’ancienne glose d’Anselme de Laon également sans
enluminures 54 et les Épitres catholiques 55. En l’absence d’inscriptions
de donation, il n’est pas possible de dire si un autre manuscrit biblique
glosé de la même époque, contenant le Cantique des Cantiques, les
Proverbes et la Sagesse 56, ainsi qu’un deuxième Évangile selon saint
Jean 57, ont également pu faire partie de la collection de Bibles de Wi-
bert. Néanmoins, sur la base des données paléographiques, nous pou-
vons conclure que Wibert avait étudié très probablement à Saint-Victor
et était donc un confrère contemporain des chanoines d’Hildesheim
Brunon et Harderadus.
Ainsi, de grandes collections de manuscrits bibliques glosés étaient
en possession non seulement des bibliothèques des cathédrales
saxonnes, mais aussi de riches communautés de chanoines telles que

47
Mersebourg, Domstiftsbibliothek, Cod. 13a, Paris, Saint-Victor, milieu du XIIe siècle.
48
Mersebourg, Domstiftsbibliothek, Cod. 85, Paris, Saint-Victor, milieu du XIIe siècle.
49
Mersebourg, Domstiftsbibliothek, Cod. 4, II, Paris, Saint-Victor, milieu du XIIe siècle.
50
Mersebourg, Domstiftsbibliothek, Cod. 4, I, Paris, Saint-Victor, milieu du XIIe siècle.
51
Mersebourg, Domstiftsbibliothek, Cod. 84, II, Paris, Saint-Victor, milieu du XIIe siècle.
52
Mersebourg, Domstiftsbibliothek, Cod. 5, Paris, Saint-Victor, milieu du XIIe siècle.
53
Mersebourg, Domstiftsbibliothek, Cod. 6, Paris, Saint-Victor, milieu du XIIe siècle (Matt-
hieu et Marc) et Laon, deuxième quart du XIIe siècle (Jean).
54
Mersebourg, Domstiftsbibliothek, Cod. 7, I, Paris, Saint-Victor, milieu du XIIe siècle.
55
Mersebourg, Domstiftsbibliothek, Cod. 84, I, Paris, Saint-Victor, milieu du XIIe siècle.
56
Mersebourg, Domstiftsbibliothek, Cod. 97, nord de la France ou Paris, Saint-Victor, milieu
du XIIe siècle.
57
(†) Mersebourg, Domstiftsbibliothek, Cod. 87, ?, prétendument saec. XII/XIII.
Saint-Victor de Paris 255

Neuwerk près de Halle an der Saale. Le noyau le plus ancien de cette


grande collection de Bibles glosées du nord de la France et de Paris
peut être daté entre le milieu et le troisième quart du XIIe siècle et
est comparable aux collections d’Hildesheim et de Mersebourg, ain-
si qu’à la collection de Bibles glosées de la Collégiale de Saint-Mau-
rice de Naumbourg, qui est presque complète en ce qui concerne le
Nouveau Testament (il manque seulement les Actes des Apôtres) 58.
En fait, la collection de Neuwerk contenait l’Heptateuque complet 59,
le Livre de Job, deux Psautiers et peut-être le Cantique des Cantiques 60
en ce qui concerne l’Ancien Testament, mais aussi un Nouveau Tes-
tament presque complet (à l’exception, encore une fois, des Actes des
Apôtres) 61. La collection de Neuwerk a bien sûr été complétée par des

58
«Matheus et Iohannes glosati in uno volumine . … Iohannes glosatus . Lucas glosatus .
Matheus glosatus . Marcus glossatus . psalterium glosatum . genesis glosata . duodecim minores
prophete glosati et eccerpta [!] quedam Paterii et Isidori de eo quod deus summum bonum sit . …
Paulus glosatus . item Paulus glosatus . … cantica canticorum et canonice epistole et apocalipsis .
hec omnia [sur la ligne: «glosata»] in uno volumine . item canonice epistole glosate et apocalipsis
. … item cantica canticorum et lamentationes Ieremie in uno volumine glosata», éd. BeCKer, Cata-
logi, p. 269-272 no 129, ici p. 270 nos 32, 34-40, 69 sq., 78 sq. et 81.
59
Genèse: Gotha, Universitäts- und Landesbibliothek, Memb. I 26; Exode: Gotha, Univer-
sitäts- und Landesbibliothek, Memb. I 27; Lévitique: Gotha, Universitäts- und Landesbibliothek,
Memb. I 28; Nombres: Gotha, Universitäts- und Landesbibliothek, Memb. I 29; Deutéronome:
Gotha, Universitäts- und Landesbibliothek, Memb. I 30; Josué: Gotha, Universitäts- und Landes-
bibliothek, Memb. II 5; Juges: Gotha, Universitäts- und Landesbibliothek, Memb. II 6, tous Paris,
Saint-Victor (?), entre le milieu et le troisième quart du XIIe siècle.
60
Job: Gotha, Universitäts- und Landesbibliothek, Memb. II 7, plutôt nord de la France,
milieu du XIIe siècle; Psautier: Gotha, Universitäts- und Landesbibliothek, Memb. II 8, Paris,
Saint-Victor (?), entre le milieu et le troisième quart du XIIe siècle; Psautier avec les Cantiques:
Gotha, Universitäts- und Landesbibliothek, Memb. I 32, plutôt nord de la France, milieu du XIIe
siècle. Le Cantique des Cantiques est mentionné dans l’inventaire des livres du XIIe siècle donnés
par le prêtre Rectus, Gotha, Universitäts- und Landesbibliothek, Memb. I 23, f. 152r: «Hi libri dati
sunt beate˛ Marie˛ . In memoriam sancte˛ recordationis Recti presbiteri . Apostolus iste … Glose˛ in
canticum canticorum …».
61
Évangile selon saint Matthieu: Gotha, Universitäts- und Landesbibliothek, Memb. I 42,
plutôt nord de la France, milieu du XIIe siècle; Évangile selon saint Matthieu: Gotha, Universitäts-
und Landesbibliothek, Memb. II 15, Paris ou Saint-Victor, milieu du XIIe siècle; Évangile selon
saint Marc: Gotha, Universitäts- und Landesbibliothek, Memb. II 16, nord de la France, milieu
du XIIe siècle; Évangile selon saint Jean: Gotha, Universitäts- und Landesbibliothek, Memb. II
17, nord de la France, second quart du XIIIe siècle; Épîtres de saint Paul (avec la glose de Gilbert
Porreta): olim Gotha, Universitäts- und Landesbibliothek, Memb. I 46, maintenant Cambridge
(MA), Harvard University, Houghton Library, MS Typ 277, nord de la France (Chartres?), ca.
1140-1145; Épîtres de saint Paul (début Romains et partiellement Colossiens et I Thessaloniciens):
256 Matthias M. Tischler

produits étrangers et autochtones depuis lors et jusqu’au XIIIe siècle. Il


s’agit d’un phénomène assez habituel qui aide à montrer que la fabri-
cation d’un ensemble biblique plus ou moins complet nécessitait sou-
vent des décennies.
3) Une vue d’ensemble permet de rendre compte du fait que la Saxe
médiévale a participé aux courants européens de circulation d’œuvres
récurrentes et rares issues de l’école de Saint-Victor et de ses auteurs
parisiens apparentés. Ma recherche dans les collections institution-
nelles plus grandes et dans les collections plus petites de clercs à titre
individuel a révélé, que, outre des manuscrits bibliques glosés, ces
ensembles comprenaients aussi des ouvrages largement diffusés (que
l’on pourrait considérer com des «classiques»), mais également des
ouvrages rares dans des manuels exégétiques et théologiques qui per-
mettent de montrer des tendances générales de lecture et des intérêts
individuels.
Comme je l’ai déjà dit, l’ouvrage le plus important était la somme
théologique d’Hugues, le De sacramentis christianae fidei, qui est trans-
mise dans des copies saxonnes anciennes et plus récentes encore peu
étudiées 62. Cet ouvrage était évidemment un classique quasi omnipré-
sent (que ce soit sous la forme de copies professionnelles ou privées).
Contrairement à la transmission prolifique des œuvres d’Hugues, au-
cun témoignage des œuvres d’André de Saint-Victor n’a été décou-
vert jusqu’à présent en Saxe. En revanche, il a existé dans la région
une réception, bien que modeste, de certaines œuvres de Richard de
Saint-Victor, même si elle s’est limitée grosso modo à la période entre
la fin du XIIe et le plein XIIIe siècle. Je peux mentionner ici la présence,

Gotha, Universitäts- und Landesbibliothek, Memb. I 23, Allemagne, troisième quart du XIIe siècle,
prêtre Rectus; Épîtres de saint Paul (I Corinthiens à Hébreux, avec la glose de Pierre Lombard):
Gotha, Universitäts- und Landesbibliothek, Memb. I 49, nord de la France ou Paris, 1222, prêtre
Konrad; Épîtres catholiques: Gotha, Universitäts- und Landesbibliothek, Memb. II 18, Paris
ou Saint-Victor, milieu du XIIe siècle; Apocalypse: Gotha, Universitäts- und Landesbibliothek,
Memb. I 52, Neuwerk, troisième quart du XIIe siècle; Apocalypse (avec De duodecim lapidibus):
Gotha, Universitäts- und Landesbibliothek, Memb. II 19, nord de la France ou Paris, premier à
deuxième quart du XIIIe siècle; Apocalypse (avec De duodecim lapidibus): Gotha, Universitäts-
und Landesbibliothek, Memb. I 51, nord de la France ou Paris, deuxième quart du XIIIe siècle.
62
Voir l’aperçu donné ci-dessus 229-233.
Saint-Victor de Paris 257

à l’abbaye bénédictine de Saint-Jacques de Pegau, d’une copie de son


Tractatus super psalmum ‹Afferte domino› (Psaume 28, 1) faite dans le
nord de la France à la fin du XIIe ou au début du XIIIe siècle: il s’agit,
selon toute vraisembance, d’un manuscrit importé par un religieux al-
lemand qui s’est déplacé à Paris pour faire ses études en théologie 63.
Mais l’ouvrage de Richard le plus diffusé en Saxe était sans doute son
Benjamin minor, dont on trouve encore quatre témoins conservés ou
au moins attestés. Le premier est un exemplaire de la communauté de
chanoinesses de Sainte-Marie à Helmstedt. Il s’agit d’une copie alle-
mande du début du XIIIe siècle 64. Des trois exemplaires restants, tous
issus de l’abbaye cistercienne d’Altzelle, seulement un a été identifié
actuellement: c’est une copie du début du XIIIe siècle 65. En revanche,
l’origine et la datation des deux copies restantes nous sont inconnues,
car ces dernières ne sont mentionnées que dans le catalogue d’Altzelle
de l’anné 1514 66. En plus, on peut encore ajouter pour Altzelle une
copie du Soliloquium de Richard (qui se trouvait dans l’un des exem-
plaires non identifiés du Benjamin minor) 67 et une copie du De taberna-
culo (l’appendice à son Benjamin maior) dans un manuscrit autochtone
copié pendant le deuxième quart du XIIIe siècle 68.
D’autres travaux récurrents appartiennent en particulier aux gloses
élargies sur les Psaumes et sur les Épitres de saint Paul réalisées d’abord

63
Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 422, f. 11v–17v.
64
Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, 9. 2. Aug. 4o, f. 3v–57v.
65
Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 349, f. 113ra–135vb.
66
Sous les cotes B 19 et G 25: «Richardus de contemplacione et Soliloquium eiusdem …
Gregorius super Ezechielem. Idem de cura pastorali. Augustinus ad Laurencium liber enchiri-
dion. Richardus de sancto Victore de contemplacione. Speculum vite humane Roderici cardi-
nalis. Johannes Gerson de spirituali vita et eiusdem de pollucionibus, et de spiritu sancto sermo.
Egidius de Rhoma de laudibus divine sapiencie. Ambrosius de resurrectione mortuorum. Alanus
Cisterciensis de maximis sacre theologie. Boecius de ebdomadibus. Questio de arte camsoria.
Hugo super Marcum», éd. l. sCHMidt, Beiträge zur Geschichte der wissenschaftlichen Studien in
sächsischen Klöstern 1: Altzelle, «Neues Archiv für sächsische Geschichte und Altertumskunde»,
18 (1897), p. 201-272 (édition: p. 229-267), ici p. 231 no B 19 et p. 240 no G 25. En ce qui concerne la
transmission du contexte, le deuxième exemplaire était probablement un manuscrit de la fin du
Moyen Âge.
67
Comme n. 66.
68
Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 278, f. 166r–170v.
258 Matthias M. Tischler

par Gilbert Porreta («media glossatura») 69 et enfin par Pierre Lom-


bard («magna glossatura») 70. Celles-ci et les Sententiae du Lombard, sa

69
Glose sur les Psaumes: Hildesheim, Dombibliothek, Hs. 652, copie par des mains alle-
mandes à Paris, ca. 1130-1140, pour le prêtre Brunon d’Hildesheim; Leipzig, Universitätsbibli-
othek, Ms 54 et Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 55, nord de la France, milieu du XIIe siècle,
mentionnés aussi dans le catalogue des manuscrits de Schulpforte pour sa fondation d’Altzelle,
ca. 1175 (Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 54, f. 170r): «Giselbertum super psalterium», éd.
sCHMidt, Beiträge, p. 209 l. 21; inventaire de Saint-Pierre de Mersebourg de l’anné 1563/1577:
«Wiperti [!] commentaria … item in psalterium», éd. K. Manitius, Die Bibliothek des Peterskloster
in Merseburg, «Deutsches Archiv für Erforschung des Mittelalters», 20 (1964), p. 190-209 (édition
partielle seulement des manuscrits: p. 196-209), ici p. 199 no 54. Glose sur les Épitres de saint
Paul: olim Gotha, Universitäts- und Landesbibliothek, Memb. I 46, maintenant Cambridge (MA),
Harvard University, Houghton Library, MS Typ 277, nord de la France (Chartres?), ca. 1140-1145,
pour Halle an der Saale, Neuwerk; Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 427, nord de la France
ou Paris, milieu du XIIe siècle, pour Halle an der Saale, Petersberg; Mersebourg, Domstiftsbibli-
othek, Cod. 7, II, Paris, Saint-Victor, milieu du XIIe siècle, pour le chanoine et magister Wibert de
Mersebourg; Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 428, f. 2r–111v (Romains à II Corinthiens), Paris
(?), XIIe/XIIIe siècle; inventaire de Saint-Pierre de Mersebourg de l’anné 1563/1577: «Wiperti [!]
commentaria in D. Pauli epistolas», éd. Manitius, Bibliothek, p. 199 no 54.
70
Glose sur les Psaumes: Gotha, Universitäts- und Landesbibliothek, Memb. I 33, nord
de la France et Allemagne, dernier quart du XIIe siècle, pour Halle an der Saale, Saint-Mau-
rice; Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 58, f. 11ra–121va (Psaumes 89 [90]–150), Altzelle (?),
XIIe/XIIIe siècle; Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 49 (Psaumes 1-79), Altzelle (?), début
du XIIIe siècle, prêtre Servatius; Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, 42. 14. Aug. 2o, f.
1ra–219ra, nord de la France, XIIIe siècle, pour Sainte-Marie d’Helmstedt; Berlin, Staatsbibli-
othek Preußischer Kulturbesitz, Ms. Theol. lat. 2o 200, Paris, deuxième moitié du XIIIe siècle,
pour la cathédrale de Magdebourg; Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 51, Paris, XIIIe/XIVe
siècle, pour Altzelle; l’inventaire de Sainte-Marie et Saint-Benoît de Chemnitz de l’anné 1541:
«18 Petrus Lombardus super Psalterium», éd. J. sarnowsKy, Die Bibliothek des Klosters Chem-
nitz am Vorabend der Reformation. Ein Bücherverzeichnis von 1541, «Studien und Mitteilungen
zur Geschichte des Benediktinerordens und seiner Zweige», 108 (1997), p. 321-373 (édition:
p. 335-361), ici p. 337 no 62 (manuscrit ou plutôt imprimé). Glose sur les Épitres de saint Paul:
Gotha, Universitäts- und Landesbibliothek, Memb. I 47, nord de la France et Allemagne, dernier
quart du XIIe siècle, pour Halle an der Saale, Saint-Maurice; Hildesheim, Dombibliothek, Hs.
657, Paris, XIIe/XIIIe siècle, écolâtre et doyen Hylarius de la cathédrale d’Hildesheim; Leipzig,
Universitätsbibliothek, Ms 92 (Romains à II Corinthiens) et Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms
93 (Galates à Hébreux), Bosau, ca. 1200 ou premier quart du XIIIe siècle, doyen Hermann de
Meißen pour Altzelle; Gotha, Universitäts- und Landesbibliothek, Memb. I 49 (I Corinthiens
à Hébreux), prêtre Conrad pour Halle an der Saale, Neuwerk, 1222; Berlin, Staatsbibliothek
Preußischer Kulturbesitz, Ms. Theol. lat. 2o 198, Paris, premier quart du XIIIe siècle, peut-être
archevêque Albrecht II de Magdebourg (1205-1232) pour la cathédrale; Dessau-Roßlau, Anhal-
tische Landesbücherei Dessau, Wissenschaftliche Bibliothek und Sondersammlungen, Georg.
Hs. 13. 2o, Paris, premier quart du XIIIe siècle, Simon Rode, XVe siècle, pour la cathédrale de
Magdebourg; Goslar, Stadtarchiv, MTh59a, MTh59b et MRTh23 (deux feuilles et un bifolium
avec Romains 11, 28-36, I Corinthiens 3, 16 – 4, 3 et I Corinthiens 8, 1-7 et 10, 13-22), Paris, XIIIe
siècle, pour Georgenberg ou Neuwerk; Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 430, Allemagne, fin
du XIIIe siècle et XIVe siècle, chanoine et évêque Dietrich III de Bockdorf, pour Altzelle, 1465.
Saint-Victor de Paris 259

propre somme théologique, soit sous la forme de l’édition complète


de tous les quatre livres, soit seulement les trois premiers livres, soit
le dernier livre seul avec la doctrine des sacrements et l’eschatologie,
sont tous des ouvrages type que l’on trouve dans de nombreuses col-
lections de livres privées et institutionnelles de la Saxe médiévale 71.
Pierre Lombard appartenait déjà à la deuxième génération des auteurs
parisiens à qui il faut aussi affilier Pierre le Mangeur, qui fut chanoine à
Saint-Victor dans les dernières années de sa vie, dont l’Historia scholas-
tica (une édition des livres historiques de la Bible remaniés) était éga-
lement disponible dans plusieurs communautés saxonnes, que ce soit
sous la forme d’une édition intégrale ou bien sélective 72. L’influence

71
Livres I–IV: Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 409, nord de la France, troisième quart du
XIIe siècle, pour Saint-Jacques de Pegau; Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 408, nord de la France,
troisième à dernier quart du XIIe siècle, pour Altzelle; Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, Cod.
83. 30 Aug. 2o, f. 74v: «Hugo sacerdos frater noster… Dedit etiam eclesie… sententias petri longo-
bardi …», prêtre Hugues (1200/1218) pour la cathédrale d’Hildesheim; Leipzig, Universitätsbibli-
othek, Ms 403, Altzelle (?), debut du XIIIe siècle; Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 407, nord de la
France, XIIIe siècle, Sainte-Marie de Chemnitz ou Saint-Thomas de Leipzig; Leipzig, Universitäts-
bibliothek, Ms 410, f. 1ra–179rb, nord de la France, XIVe siècle, pour Saint-Jacques de Pegau. Livres
I–III: Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 412, nord de la France, XIIIe siècle (ajourd’hui manque la
plupart du livre I). Livre IV: Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 415, f. 1ra–113vb, nord de la France,
dernier quart du XIIe siècle, doyen Hermann de Meißen pour Altzelle; Hildesheim, Dombibliothek,
Hs. 628a, f. 22r–77r, nord de la France, XIIe/XIIIe siècle, Hermann pour Saint-Godehard d’Hildes-
heim; Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 414, f. 1va–66va, nord de la France, première moitié du
XIIIe siècle, maître Albert de Zeitz pour Sainte-Marie de Chemnitz; Leipzig, Universitätsbibliothek,
Ms 416, f. 1ra–163r, nord de la France, fin du XIIIe siècle, pour Saint-Jacques de Pegau; inventaire
de Saint-Thomas de Leipzig de ca. 1400: «Item quartus liber sententiarum in pergameno», éd. K.F.
von Posern-Klett, Urkundenbuch der Stadt Leipzig, vol. 2 (Codex Diplomaticus Saxoniae Regiae II, 9),
Leipzig 1870, p. 162 sq. no 187, ici p. 162 l. 12 sq. C’est probablement le manuscrit mentionné dans
l’inventaire de l’anné 1541: «Textus quarti sententiarum», éd. d. deBes, Das Sequestrationsverzeichnis
der Bibliothek des Thomasklosters zu Leipzig, «Festschrift zum 60. Geburtstag von Prof. Dr. phil. Hans
Lülfing am 24. November 1966», éd. par o. Feyl et al. (Zentralblatt für Bibliothekswesen. Beiheft 83),
Leipzig 1966, p. 83-95 (édition: p. 84-94), ici p. 88 (étagère à livres «E ii»).
72
Édition integrale: Mersebourg, Domstiftsbibliothek, Cod. 10, France, XIIe/XIIIe siècle;
Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 793, Saint-Jacques de Pegau, première moitié du XIIIe siècle;
Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, Helmst. 144, Georgenberg (près de Goslar), XIVe siècle;
catalogue d’Altzelle de l’anné 1514: «Scholastica historia», éd. sCHMidt, Beiträge, p. 230 no A 5;
l’inventaire de Sainte-Marie et Saint-Benoît de Chemnitz de l’anné 1541: «22 Prima et secunda
pars Scholastice historie, pergamenea … 24 Scholastica historia Petri Comestoris», éd. sarnowsKy,
Bibliothek, p. 343 no 184 et p. 342 no 162 (cette dernière entrée un manuscrit?); l’inventaire de
Saint-Thomas de Leipzig de l’anné 1541: «Scolastica historia», éd. deBes, Sequestrationsverzeichnis,
p. 87 (étagère à livres «C iiii») et p. 91 (étagère à livres «Primus latus C viii»). Éditions sélectives:
Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 431, f. 77ra–92vb (extrait du début de l’œuvre), copie par des
260 Matthias M. Tischler

de la théologie parisienne tardive s’est poursuivie avec des auteurs de


la deuxième et de la troisième génération tels que Pierre le Chanteur
avec son Unum de quatuor, une glose sur l’harmonie des Évangiles 73,
et son Verbum abbreviatum, un guide moral pratique pour le clergé 74,
et des auteurs qui ont fondé leurs propres œuvres sur les travaux pré-
liminaires de Pierre Lombard, par exemple Pierre de Poitiers avec sa
Summa quaestionum, basée sur les Sententiae du Lombard 75, ou Étienne
Langton avec ses gloses sur la «magna glossatura» que Pierre Lombard
avait écrit sur les Épîtres de saint Paul 76.
4) Au-delà de ce que je viens de dire, le panorama des études
exégétiques et théologiques en Saxe montre un glissement lent mais
substantiel vers l’exégèse pastorale et l’intensification de la liturgie à
partir de la fin du XIIe siècle: c’était une bonne réponse aux besoins
particuliers d’une société en transformation sociale, économique et
religieuse. Ce changement dans les intérêts théologiques est obser-

mains allemandes à Paris, entre le troisième et quatrième quart du XIIe siècle, pour Saint-Jacques
de Pegau; Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 207, f. 1r–30v (Historia evangelica ch. 1-138), copie
par des mains allemandes à Paris, XIIe/XIIIe siècle, pour Saint-Jacques de Pegau; Leipzig, Univer-
sitätsbibliothek, Ms 447, f. 162v–177v (extrait du début de l’œuvre), Sainte-Marie et Saint-Benoît
de Chemnitz, début du XIIIe siècle.
73
Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, Cod. 83. 30 Aug. 2o, f. 48r: «Godefridus sacerdos
… dedit libros hos . … unum de quatuor …», exemplaire du prêtre Gottfried (témoigné 1180/1185)
donné à la cathédrale d’Hildesheim; Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 193 (harmonie des Évan-
giles glosée) et Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 160 (commentaire), tous deux copiés à Paris au
XIIIe siècle et donnés par le chanoine Ludwig de Naumbourg à Altzelle.
74
Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 433, France, deuxième quart du XIIIe siècle, pour
Altzelle. Le catalogue de Saint-Jacques de Pegau du XIVe siècle mentione un manuscrit titré
«Frater cantoris [!]», éd. H. leyser, Zwei alte Kataloge des Klosters Pegau, «Bericht vom Jahre 1839 an
die Mitglieder der Deutschen Gesellschaft zur Erforschung vaterländischer Sprache und Alter-
thümer in Leipzig», Leipzig 1839, p. 34-41 (édition: p. 40 sq.), ici p. 41 l. 14 sq. C’est peut-être
l’exemplaire de Saint-Thomas de Leipzig, aujourd’hui Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 432, f.
9r–127v, Saint-Jacques de Pegau, première moitié du XIIIe siècle. Il est mentioné dans l’inventaire
de Saint-Thomas de Leipzig de l’anné 1541: «Summa cantoris Parisiensis et plura sequentia», éd.
deBes, Sequestrationsverzeichnis, p. 92 (étagère à livres «Primus latus F viii»).
75
Hildesheim, Dombibliothek, Hs. 656, f. 74ra–184rb, Paris, XIIe/XIIIe siècle, écolâtre et doyen
Hylarius de la cathédrale d’Hildesheim; Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, 42. 14. Aug. 2o,
feuille de papier dans la couverture arrière avec une brève liste de manuscrits du XVe siècle de
Sainte-Marie d’Helmstedt: «Liber questionarium super 4 libros sentenciarum …».
76
Hildesheim, Dombibliothek, Hs. 658, f. 2ra–138vb, Paris, XIIe/XIIIe siècle, écolâtre et doyen
Hylarius de la cathédrale d’Hildesheim.
Saint-Victor de Paris 261

vable avant tout dans les communautés féminines (que ce soit an-
ciennes et nouvelles), où la littérature spirituelle et dévotionnelle
adaptée aux besoins particuliers des religieuses était nécessaire pour
leurs activités de lecture et de prière, et en particulier pour la célébra-
tion de la sainte Eucharistie.
Cette nouvelle culture du livre peut être étudiée en détail par exemple
dans les couvents de chanoinesses à Heiningen et à Dorstadt dans le dio-
cèse d’Hildesheim. Un text qui a joué un rôle clé ici, aussi bien que dans
quelques autres communautés saxonnes, est le De missarum mysteriis, le
traité le plus influent de Lothaire de Segni (le futur pape Innocent III),
qui était fondé sur le concept d’Hugues de Saint-Victor des sept sacre-
ments tout en lui conférant une perspective romanisée sur la messe cé-
lébrée dans l’Église latine et en jetant ainsi le pont entre le mouvement
scolastique parisien primitif d’Hugues et la nouvelle théologie plus pra-
tique de la fin du XIIe et du début du XIIIe siècle 77.
Une autre tendance générale depuis la dernière partie du XIIe
siècle était la configuration de grandes collections de sermons ayant
pour but de répondre aux nouveaux besoins spirituels et religieux
des communautés à titre individuel au sein d’une société où les acti-
vités de prédication s’intensifiaient sensiblement. La plupart des nou-
velles collections en Saxe sont de provenance française et montrent
une richesse unique qui nécessiterait une étude plus approfondie
au-delà de ce que je peux présenter ici: les collections de Lothaire de
Segni 78 et d’Eude de Cheriton à Saint-Jacques de Pegau 79, d’une part,

77
Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, Helmst. 719, France, première moitié du XIIIe
siècle, pour Saint-Pierre d’Heiningen; Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms. 821, f. 47v–104v (version
remaniée), Saint-Jacques de Pegau, première moitié du XIIIe siècle; Wolfenbüttel, Herzog August
Bibliothek, Helmst. 871 (version remaniée: De missa et rationali clericorum), France, première moitié
du XIIIe siècle, pour Sainte-Marie de Dorstadt; Halberstadt, Historisches Archiv der Stadt Halber-
stadt, M 37, II (olim Halberstadt, Domgymnasium, Ms. 37, II) (texte incomplet à la fin), Sainte-Marie
d’Halberstadt, première moitié du XIIIe siècle; inventaire de Saint-Pierre de Mersebourg de l’année
1563/1577: «Innocentii tertii de sacramento missae tractatus», éd. Manitius, Bibliothek, p. 197 no 26.
78
Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 706, f. 74v–80v (Sermones), nord de la France, deuxième
quart du XIIIe siècle.
79
Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 706, f. 1r–74v (Sermones de tempore), nord de la France,
deuxième quart du XIIIe siècle.
262 Matthias M. Tischler

et une collection de Sermones (entre autres de Pierre de Mangeur) 80 et


les Sermones de tempore et sanctis d’Étienne Langton à Sainte-Marie de
Chemnitz 81, d’autre part, tous deux des monastères bénédictins; en
plus les Sermones in Psalmos de Philippe le Chancelier dans un exem-
plaire d’usage quotidien à Georgenberg, qui était une communau-
té de chanoines réguliers près de Goslar 82. Cette dernière collection
était également disponible, sous la forme d’une copie luxueuse da-
tant de la même époque, tout d’abord attestée à l’église collégiale de
Saint-Nicolas et ensuite à la cathédrale de Magdebourg 83. Avec l’im-
plantation des frères dominicains au siège de l’archevêché de Magde-
bourg, on arrive enfin au point culminant des activités de prédication
du XIIIe siècle, ce qui explique facilement la présence des collections
de sermons de Geoffroi Babion 84, de Pierre le Mangeur 85, de Garnier
de Saint-Victor 86, de Jean Halgrin 87 et encore de Pierre de Reims OP 88
dans le couvent des frères prêcheurs.
Enfin, je souhaiterais mentionner un centre exceptionnel pour les
activités de prédication en Saxe – l’abbaye cistercienne d’Altzelle dans
le diocèse de Meißen. Cette institution non seulement possédait une
collection precieuse de manuscrits de sermons (entre d’autres, de

80
Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 436, f. 1r–14v, 42v–58v et 59r–68r, nord de la France,
première moitié du XIIIe siècle, maître Albert de Zeitz.
81
Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 443, f. 1ra–189rb, copie par des mains allemandes et
françaises à Paris, première moitié du XIIIe siècle.
82
Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, Helmst. 423, f. 1ra–89vb et 91ra, nord de la France,
deuxième moitié du XIIIe siècle.
83
Berlin, Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz, Ms. Theol. lat. 2o 48, f. 2ra–158vb, nord de
la France, deuxième moitié du XIIIe siècle, doyen Ludolf de Saint-Nicolas de Magdebourg (attesté
en 1262 et en 1266).
84
Berlin, Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz, Magdeb. 180, f. 323r–330v, Magdebourg,
deuxième quart du XIIIe siècle.
85
(†) Berlin, Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz, Magdeb. 229, f. 1ra–94vb (Sermones de
sanctis et de festivitatibus, de communi sanctorum, de statu mundi in fine … ), nord de la France, XIIIe
siècle.
86
Berlin, Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz, Magdeb. 150, f. 24r–73v (Sermones, etc.),
ici f. 24r–28v, nord de la France, deuxième quart du XIIIe siècle.
87
Berlin, Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz, Magdeb. 151 (Sermones de tempore), nord
de la France, XIIIe siècle.
88
Berlin, Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz, Magdeb. 180, f. 2ra–192vb (Sermones de
sanctis), Magdebourg OP, dernier quart du XIIIe siècle.
Saint-Victor de Paris 263

Pierre Lombard 89, de Pierre le Mangeur 90, d’Alain de Lille 91 ou encore


de Jean Halgrin, ce dernier en deux volumes) 92, mais a également pro-
mu – après Hugues de Saint-Victor – le premier auteur scolastique de
Saxe, l’abbé Ludeger (ca. 1210-1234), qui s’est distingué comme auteur
d’une remarquable œuvre de prédication 93.

4. Une perspective plus large pour l’avenir: Comparer les périphéries


géographiques de l’Europe

En résumé, la spiritualité et l’éducation victorines ont eu un impact


considérable sur l’apprentissage exégétique et théologique de la Saxe
médiévale et ont ouvert la porte au transfert large et durable de la sco-
lastique du nord de la France à la périphérie nord-orientale de l’Em-
pire allemand des XIIe et XIIIe siècles. Au-delà de l’institutionnalisation
classique des communautés religieuses à travers des normes juridiques
et religieuses, la mise en place et l’utilisation de nouveaux corpora de
textes communs de l’école exégétique et théologique de Saint-Victor
à Paris ont largement contribué à la configuration de l’identité reli-

89
Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 708, f. 1r–88r (Sermones de tempore), Altzelle, XIIe/XIIIe
siècle.
90
Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 708, f. 88r–131r (Sermones de tempore, de sanctis, de
communi sanctorum), Altzelle, XIIe/XIIIe siècle.
91
Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 444, f. 65v–80v (six sermons pour Noël, le dimanche
des Rameaux, le mercredi des Cendres, n’importe quelle fête, le dimanche de Carême et l’Annon-
ciation du Seigneur), Altzelle, XIIIe siècle tardif.
92
Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 724, f. 1r–210r (Sermones de sanctis et partiellement
Sermones de tempore) et f. 215r–222r (Sermones de communi sanctorum), nord de la France, premier
quart du XIIIe siècle; Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 741, f. 1r–244v (Sermones de tempore),
nord de la France, premier quart du XIIIe siècle.
93
F.-J. worstBroCK, Ludeger von Altzelle, «Verfasserlexikon», vol. V: Kochberger, Johannes
– ‹Marien-ABC›, Berlin – New York 1985, col. 948 sq. Il s’agit en particulier des Sermones de
tempore et de sanctis: Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 452, Altzelle, deuxième quart du XIIIe
siècle; des Sermones festivales de tempore et de sanctis: Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 453, f.
1ra–206rb, Altzelle, deuxième quart du XIIIe siècle; des Sermones, parmi eux qualques-uns sur le
temps paschal: Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 454, f. 1va–214vb, Altzelle, deuxième quart
du XIIIe siècle; le Sermo in natali sancti Augustini episcopi: Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 166,
f. 159ra–165ra, Altzelle, deuxième quart du XIIIe siècle; et probablement le Sermo in transitu beati
Bernhardi abbatis: Leipzig, Universitätsbibliothek, Ms 278, f. 2ra–5vb, Altzelle, deuxième quart du
XIIIe siècle.
264 Matthias M. Tischler

gieuse des différentes communautés saxonnes de clercs, chanoines et


moines. Le défi des recherches futures sera de transférer et d’adapter la
perspective que j’ai esquissée ici à d’autres périphéries géographiques
de l’Europe médiévale. Quelques premiers travaux préparatifs dans
les collections de manuscrits ibériques ont déjà mis au jour des carac-
téristiques comparables dans d’autres régions historiques comme la
Catalogne, la Castille ou le Portugal: Comme dans le cas de la Saxe,
les élèves de ces régions ibériques se sont déplacés vers les nouvelles
écoles françaises et surtout à Saint-Victor de Paris afin de participer au
mouvement général des nouveaux apprentissages scholastiques. Sur
le chemin de retour vers leurs institutions d’origine, ils emportèrent
dans leurs bagages parisiens à la fois des connaissances scolastiques et
des manuscrits. C’est à travers ces contacts personnels individuels et
les réseaux religieux des centres de la réforme augustinienne comme
Saint-Ruf d’Avignon que la nouvelle éducation scolastique est égale-
ment devenue influente dans les périphéries ibériques.

Vous aimerez peut-être aussi