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Chapitre 2 Dr. Comparé

Ce document décrit les enjeux de la comparaison des droits à travers les instruments de documentation et de traduction. Il aborde spécifiquement la recherche documentaire, notamment les défis posés par l'internet, ainsi que la problématique de la traduction en droit comparé.

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Chapitre 2 Dr. Comparé

Ce document décrit les enjeux de la comparaison des droits à travers les instruments de documentation et de traduction. Il aborde spécifiquement la recherche documentaire, notamment les défis posés par l'internet, ainsi que la problématique de la traduction en droit comparé.

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Chapitre 2 - Les enjeux

Les enjeux s'articulent autour de deux idées. La comparaison des droits au moyen de
certains instruments comme la documentation et la traduction d'une part et la mise en
mouvement du droit comparé comme instrument du progrès du droit.

Section 1- Les Instruments de la Comparaison des Droits

Le droit comparé requiert, dans la comparaison des droits, l’observation des contraintes
concernant la documentation et la traduction.
Deux instruments de la comparaison des droits sont particulièrement utiles et nous
retiendrons: la recherche des documents (Paragraphe 1) et la traduction de ceux-ci (Paragraphe
2).

Paragraphe 1. La recherche documentaire


Le problème de la recherche documentaire a toujours été crucial et difficile, en droit
comparé. Avant l'apparition de l'internet, la question de la documentation menaçait déjà
d'engloutir le comparatiste (1). Après cette innovation, la difficulté n'a pas disparu et la question
s'est trouvée posée en des termes différents (2).
A- Un problème traditionnel
L'ambition du droit comparé de s'intéresser à tous les droits, la volonté d'en dresser une
typologie complète, le désir de rester informé de tous les développements ont toujours posé de
grands problèmes aux comparatistes: les jurisconsultes de droit comparé ont parfois une soif de
connaissances et un appétit d'informations beaucoup plus grands que leurs capacités de lecture
et d'étude, même quand leur force de travail est surhumaine.
Léontin-Jean Constantinesco1 (1913-1981), un roumain, professeur à la faculté de droit de
Nancy, a écrit un traité complet de droit comparé, donnant un exposé de l'ensemble des
systèmes juridiques. L'établissement d'une typologie complète de toutes les familles de droit,
qui satisfasse ses exigences scientifiques, qui étaient très hautes, occupa la plus grande partie de
sa carrière. Le droit comparé nécessite des connaissances très vastes et des intérêts trè s divers.
A la période récente, l'émergence des nouvelles puissances économiques, que sont le Brésil, la
Chine, l'Inde ou la Russie, a suscité le besoin de s'intéresser au développement de ces droits, à
l'égal des droits romanistes ou de common law. Même si le Brésil et la Russie peuvent se
rattacher, surtout le premier, à la famille romaniste, ces deux droits présentent une originalité
qui nécessite une étude particulière. Le cosmopolitisme, pour ne pas dire l'universalisme, de
cette discipline, lancent des défis redoutables.
Dans les années 1860, Boissonade pouvait proposer «la création d'une Haute commission
permanente de législation comparée, auprès d'un des grands corps de l'Etat, chargée de
recueillir tous les actes législatifs des nations les plus civilisées». Cette idée est à l'origine de la
création, auprès de la chancellerie, de l'office de législation étrangère, en 1876, transformé,
ensuite, en bureau de la législation étrangère. La création de sociétés de législation comparée, à
partir de 1867, celle de revues spécialisées, celle d'instituts de droit comparé, à commencer, en
France, par celui créé par Lambert, au début du XXème siècle, au sein de la faculté de droit de
Lyon, ont marqué des étapes importantes du développement de la documentation en droit
comparé.

.
B- La révolution de l'internet
Le monde vit depuis quelques décennies une révolution des technologies de l'information et
de la communication qui a transformé le mode de vie de l'homme partout dans le monde. Ainsi
l'internet, le Big Data et le Cloud Computing ont métamorphosé notre manière de traiter du
droit étranger et de procéder aux comparaisons des droits. Les institutions génératrices de droit,
en particulier les parlements, les gouvernements, les juridictions supérieures, ont créé des sites
web, qui fournissent non seulement les journaux officiels et des recueils de jurisprudence, mais
encore le compte rendu des débats, les travaux préparatoires, des commentaires et des études de
doctrine. Les sites des ministères de la justice sont particulièrement utiles. De même les
institutions internationales ont créé leurs propres sites. Ces sites sont porteurs d'une parole
officielle, parfois de propos et de commentaires émanant des milieux dits autorisés, c'est-à-dire
de professeurs ou d'insiders du processus d'élaboration du droit.
La prudence, vertu cardinale, s'impose au chercheur. S'orienter dans cette nouvelle jungle,
faite de sites généraux, de sites spécialisés, de moteurs de recherche, n'est pas une tâche aisée.
La «curiosité inquisitrice», dont Geoffrey Samuel est un avocat éloquent, trouve ici une
nouvelle application tout à fait appropriée.
La recherche universitaire exige la quête et la collation des sources primaires d'étude de
l'institution choisie, puis leur analyse et leur interprétation personnelle, au moyen d'une
méthode de travail déterminée.
Une table des sources primaires et une bibliographe des études antérieures sur le même
sujet, séparée l'une de l'autre, sont le gage que cette démarche a été bien suivie. On doit
mentionner explicitement, dans la bibliographie, les documents trouvés sur le web et jugés
pertinents à la recherche.
La reproduction directe et in extenso de cette documentation serait un plagiat, un «vol
littéraire», selon la définition donnée par Le Robert, une imposture intellectuelle et un délit.
Dans une recherche personnelle un peu ambitieuse intellectuellement, l'auteur rappelle, au
début, l'état des connaissances; il expose, ensuite, les fruits de son travail personnel; et il
conclut, enfin, sur les apports de ce travail au progrès des connaissances.
Il faut aussi relever les sites, de plus en plus nombreux, créés par des universités, des
bibliothèques universitaires, des facultés, des centres de recherche, des universitaires et autres
chercheurs agissant de leur propre initiative, individuellement ou en équipe.
De plus en plus, les éditeurs juridiques créent des sites spécialisés, où l'on trouve une
documentation de qualité, synthétisant l'ensemble des sources, formelles ou non, du droit.
Depuis quelques années, les manuels de droit comparé comprennent un chapitre ou une annexe
entièrement consacrés à la recherche documentaire sur le net. Ces sites et ces manuels ne
peuvent constituer que des points de départ de tout travail de recherche personnel, qui requiert
une activité et une implication personnelles à toutes les étapes de la quête de la documentation,
de son exploitation, de l'exposé d'opinions personnelles fondées sur des faits, des
interprétations, des raisonnements. La recherche documentaire sur le net conduit
inévitablement à poser la question de la traduction. Il existe des sites en plusieurs langues,
notamment ceux des institutions internationales, et aussi des sites officiels nationaux, et des
sites privés, universitaires et autres. La prédominance de l'anglais sur le net requiert la maitrise
de la signification technique, exacte et complète, de nombreuses notions et expressions des
droits de common law. Il faut savoir utiliser les concepts du droit anglais avec exactitude.

Paragraphe 2. Le droit comparé et les langues étrangères


Le droit comparé met directement en contact avec des sources en plusieurs langues. Il y a
donc une problématique spécifique de traduction en droit comparé (A, dont traite la science de
la traduction ou «traductologie» (B), et dont on donnera quelques exemples (C).
A- La problématique de la traduction

Certes, la globalisation multiplie les possibilités d'apprendre plusieurs langues


simultanément. Mais la situation la plus courante, pour les chercheurs, est celle dans laquelle ils
ont une seule langue maternelle, et ils sont allophones dans une ou plusieurs autres langues
qu'ils ont à manier. On parle justement alors de langues étrangères. Dans ce cas, la
problématique de la traduction, qui s'impose au chercheur, le met au contact de la diversité des
traductions possibles, de la variabilité de la traduction. Ce problème est souvent minimisé, ce
qui est fort dangereux pour le caractère scientifique du travail, car les langues présentent des
disparités grammaticales et des différences lexicales, qui sont porteuses de différences de vision
et de traditions culturelles.
Le vocabulaire lui-même peut parfois se monter très trompeur. Montesquieu, dans sa
Préface aux Lettres Persanes, publiées anonymement, se pose, non en écrivain, mais en
traducteur du persan en français, et dit la difficulté de faire comprendre des mœurs différentes:
Je ne fais donc que l'office de traducteur: toute ma peine a été de mettre l'ouvrage à nos mœurs.
J'ai soulagé le lecteur du langage asiatique autant que j'ai pu, et l'ai sauvé d'une infinité
d'expressions sublimes, qui l'auraient ennuyé jusque dans les nues.
Aujourd'hui, trois siècles plus tard, l'éducation et l'instruction demeurent encore marquées
et formatées par les cultures nationales. le Pr. Derek Roebuck soutient à juste titre que :
Scholarship is still national, or, if not, according to the scholarly language. La compréhension
internationale est encore entravée par cet obstacle et par bien d'autres.
Dans le domaine du droit, le problème est posé depuis longtemps et il existe une
intéressante histoire de la recherche de solutions efficaces. Depuis le milieu du XVIIIème
siècle, depuis 1763 exactement (traité de Paris entre l'Angleterre, la France et le Portugal), le
Canada est devenu une colonie anglaise, puis un dominion du Royaume-Uni, enfin un Etat
membre du Commonwealth. Les premiers gouverneurs britanniques, soucieux de ne pas
provoquer la révolte des colons français du Québec, leur ont laissé le bénéfice de leur droit
(coutumes, ordonnances, jurisprudence), tout en laissant s'introduire des institutions de la
common law. Il en est résulté un droit mixte, formé de droit civil et de common law, exprimé
dans deux langues différentes. Il a fallu traduire et transposer: traduire en anglais un «droit
francophone», et en français un «droit anglophone». Les Canadiens ont donc acquis une riche
expérience de la traduction de concepts du droit d'une famille de droit, dans la langue d'une
autre famille de droit.
Gustave Boissonade, , devenu professeur à la faculté de droit de Paris, fut appelé par le
gouvernement japonais pour établir des projets de codes pour l'empire du Japon: code pénal,
code de procédure pénale, code civil … Il réalisa vite qu'il devait former les interprètes qui
avaient été mis à sa disposition par le ministère japonais de la justice. Ces assistants, très jeunes,
insuffisamment formés en droit, avaient pour mission de traduire les projets du Pr. Boissonade.
Boissonade qui n'était qu'un expert étranger. Le gouvernement japonais se réservait le droit de
last cut, comme disent les producteurs de films, sur ses projets. Ceux-ci devraient être étudiés
par les autorités, probablement corrigés. Boissonade comprit le caractère vital, pour le succès
de son travail, d'une parfaite traduction de ses projets, d'une compréhension aussi exacte que
possible de ses concepts, de ses idées, par ses interlocuteurs. Il commença donc par former ses
assistants, en droit et en langue française. Il est probable que cet enseignement lui fournit en
retour maintes leçons sur la mentalité japonaise, sur sa culture, son droit, les catégories, les
règles, les institutions de celui-ci.
La recherche d'équivalents dans les deux langues est une partie essentielle du travail
d'acculturation, de l'opération de transfert dans un droit receveur de notions et de règles d'un
droit donneur.
B- La science de la traduction ou traductologie

Comme son nom l'indique, la traductologie est une science: la science de la traduction. On
peut se référer à cet effet à quatre figures de proue de la traductologie: Luther, d'Ablancourt,
Humboldt et Schleiermacher.
- Martin Luther (1483-1546) Luther tira de son expérience de traducteur une Epitre sur l'art
de traduire, dans laquelle il mentionne notamment le choix qu'il a fait dans la traduction des
Psaumes de David. Il écrit qu'il a parfois préféré à une traduction littéraire, une traduction libre,
une traduction littérale, une traduction textuelle. Et même, qu'il était allé au-delà du mot-à-mot,
qu'il n'avait pas hésité à déformer au besoin la langue allemande, afin de rendre parfaitement
l'idée et l'image exprimées dans la langue hébraïque. Luther, emprisonné, pour sa protection, au
château de la Wartburg, par le prince électeur de Saxe, écrit: Déroger à l'allemand plutôt que de
m'écarter du mot: emprisonner la prison. Déroger à la langue allemande de son temps, courante
et correcte, à la fois écrite (celle d'une infime partie de la population, la grande majorité étant
illettrée) et orale, quand elle ne rendait pas parfaitement le sens de la langue de départ, pour
créer une nouvelle langue allemande, compréhensible par tous les gens de son temps. Etre
infidèle à la langue d'arrivée, pour rester fidèle à la pensée de la langue de départ. Repousser les
murs de la prison du langage, sans vergogne et sans respect du bon usage littéraire de son temps.
A l'opposé se situe la démarche de d'Ablancourt, défenseur du goût français classique, un siècle
plus tard.
- D'Ablancourt En France, la victoire du goût classique, aux XVIème et XVIIème siècles, a
entrainé l'adoption d'un style de traduction littéraire particulier, qui valorisait le bon goût,
l'élégance, l'harmonie, la décence, au détriment de la fidélité. Cette conception était partagée
par les hommes qui formèrent le noyau de l'Académie française, fondée par Richelieu en 1634:
Valentin Conrart, Louis Giry, Olivier Patru. Perrot d'Ablancourt n'a aucune pudeur à affirmer
qu'il préfère modifier les textes qu'il traduit, les moderniser, les adapter aux règles du goût
classique. Certes ces traductions présentaient des qualités esthétiques indéniables. Mais elles
trahissaient les auteurs et leurs œuvres. Jamais l'adage «traduction Ŕ trahison» n'a été plus
justifié. Encore différente sont les démarches d'Humboldt et de Schleiermacher, un siècle plus
tard.
- Humboldt et Schleiermacher
Wilhelm von Humboldt (1767-1835), écrivait: Chaque langue exprime le concept avec une
différence, avec telle ou telle connotation, un degré plus haut ou plus bas sur l'échelle des
sentiments. Il considérait le langage comme «l'organe qui forme la pensée».
Schleiermacher a publia, en 1813, un Discours sur les différentes manières de traduire, où
l'on lit: "N'avons-nous pas souvent besoin de traduire le discours d'une autre personne, tout à
fait semblable à nous, mais dont la sensibilité et le tempérament sont différents? Lorsque nous
sentons que les mêmes mots, dans notre bouche, auraient un sens tout à fait autre ou, du moins,
un contenu tantôt plus faible, tantôt plus vigoureux que dans la sienne, et que, si nous voulions
exprimer exactement la même chose que lui, nous nous servirions, à notre manière, de mots et
de tournures tout à fait différents, il semble, quand nous voulons définir plus précisément cette
impression et en faisons un objet de pensée, que nous traduisons". Schleiermacher disait qu'il y
a deux manières de traduire:" soit d'amener le lecteur vers l'auteur, soit d'amener l'auteur vers le
lecteur". Il proposait que l'on préfère une approche éthique, qui respecte l'auteur, à une
approche ethnocentrique, qui privilégie le lecteur. Il voulait également que l'on traduise en
allemand toutes les richesses de la culture étrangère. A l'appropriation des richesses culturelles
étrangères, par son programme de traduction de toutes les grandes œuvres étrangères, dans un
but de redressement national, il ajoutait la contribution que la traduction pouvait apporter à
l'enrichissement de la langue allemande elle-même. Il proposait donc que les traducteurs
adoptent la méthode de la traduction altérisante, qui transformerait la langue allemande, qui
l'enrichirait, par la création de mots rendant l'expression étrangère, mieux que ne le ferait le
vocabulaire à disposition. A la traduction littéraire et à la traduction littérale, il faudrait préférer
la traduction altérisante et constructrice, qui enrichirait la langue allemande.

C- L'exemple de l'estoppel en Common law

On insiste souvent, en matière de droit comparé, sur les difficultés liées à la traduction des
concepts de droit étranger. On prendra deux exemples, l'un tiré de la common law anglaise,
l'autre du droit constitutionnel américain contemporain. L'estoppel est un concept propre à la
common law anglaise.
Le premier exemple concerne le terme Estoppel.
Un dictionnaire de droit anglais définit ainsi l'estoppel: The principle which precludes a
party from alleging or proving in legal proceedings that a fact is otherwise than it appeared to
be from the circumstances. L'auteur distingue trois types d'estoppel: estoppel of records
(résultant d'une décision de justice), estoppel by deed (résultant d'un acte entre particuliers) et
estoppel in pais (en paix, en vieux français, quand une partie a déclaré une chose, ou s'est
comportée d'une manière, qui autorisait l'autre à se fonder sur ces dires ou ces faits, et à agir en
en tenant compte). Il s'agit donc d'un principe de cohérence, qui interdit à une partie de se dédire
ou de se contredire au détriment d'un tiers. Les dictionnaires juridiques anglais français
traduisent estoppel par «non recevabilité» ou par «fin de non recevoir». Un dictionnaire
juridique officiel de common law, publié par les autorités canadiennes pour les besoins du
Québec, province francophone régie par un droit mixte, de common law et de tradition
romaniste (française), traduit estoppel par «préclusion». Ce nom n'existait, ni en français, ni en
anglais . En français, on connait «forclusion», créé d'après «exclusion», qui exprime la sanction
du défaut d'accomplissement d'une formalité (interjeter appel dans le délai). «Préclusion» a été
créé, pour les besoins du dictionnaire canadien québécois, en considérant la définition donnée
de l'estoppel dans les dictionnaires de droit en langue anglaise, tel l'Oxford Companion to Law.
Nous avons vu que ce dictionnaire définit l'estoppel comme «the principle which precludes …».
«Preclusion» est le substantif forgé sur le verbe to preclude, «empêcher», «prévenir».
L'étymologie nous apprend que to preclude vient du latin praeclusio ou «fermeture devant».
L'étymologie nous apprend enfin qu'estoppel vient … du vieux français estopaille ou
«bouchon», «fermeture», du latin stoppa (même sens), emprunté au grec …
Pour traduire un mot du vieux français (estopaille), dérivé d'un mot latin et, au-delà, grec,
qui avait intégré la common law anglaise sous la forme d'estoppel, les Canadiens ont formé le
substantif «préclusion» à partir du verbe anglais to preclude, lui-même emprunté au latin
praeclusio. Grace à des Canadiens, francophones et anglophones, la famille française du mot
«exclusion» s'est enrichie récemment d'un nouveau mot.
Le second exemple se rapporte à la notion de "Affirmative action" traduite par l'expression
«discrimination positive».
L'affirmative action est une notion du droit constitutionnel américain, inspirée de l'idée
qu'il faut parfois traiter les gens différemment afin de les traiter également. L'affirmative action
est devenue un principe constitutionnel américain, destiné à assurer dans les faits, par des
quotas, une égalité entre des diverses communautés raciales. En France, on traduit
généralement affirmative action par «discrimination positive». Cette traduction est vivement
critiquée aux Etats-Unis. On y voit une trahison, en fait la négation, de l'objectif que s'est fixé la
loi, à savoir la suppression de la discrimination. La traduction française implique que la
discrimination est un moyen de lutte contre la discrimination même. Elle traduit l'aversion de la
culture politique, sociale, française, pour les quotas, et pour la prise en compte de critères
raciaux, ethniques, géographiques. Outre la science de la traduction, science littéraire, le droit
comparé peut trouver une aide dans l'étude de disciplines plus voisines, telle l'histoire.
Section II. Le droit comparé et le progrès de la science du droit

Le droit comparé présente, enfin, un intérêt dogmatique, c'est-à-dire scientifique. En


premier lieu, le droit comparé peut contribuer au progrès de la science du droit (Paragraphe 1).
En second lieu, le droit comparé peut faire progresser le droit comme science (Paragraphe 2)..

Paragraphe 1. Le droit comparé et la science du droit


Le droit comparé entretient des relations particulières avec plusieurs autres sciences du
droit (A). Par ailleurs, il développe " l'idée d'unification du droit" (B).

A- Les relations du droit comparé avec d'autres branches du droit


Le droit comparé entretient des relations amicales avec l'histoire du droit (1), avec la
philosophie(2), avec la théorie générale du droit (3) et avec l'anthropologie du droit (4).

(1) Le droit comparé et l'histoire du droit

L'histoire du droit et le droit comparé sont liés par bien des affinités.
Les deux disciplines ont un esprit commun de liberté.
Ces deux disciplines partagent également le fait d'avoir des domaines universels: le droit
de tous les temps, pour l'histoire du droit; les droits de toute la planète, pour le droit comparé.
Ces deux disciplines recourent également à des méthodes qui sont, en partie, communes,
notamment le relativisme et la contextualisation, pour éviter l'anachronisme qui guette
l'historien du droit, et pour prévenir l'ethnocentrisme qui menace le comparatiste.
Enfin, l'histoire du droit et le droit comparé embrassent une même fonction didactique,
par le détour de la culture juridique: elles permettent de mieux comprendre le droit et
d'approfondir sa connaissance.
L'histoire du droit fournit un fond d'observations, de réflexions, d'opinions,
plurimillénaires. Le doyen Carbonnier disait ainsi du Corpus Iuris Civilis de Justinien (Digeste,
Code, Novelles, Institutes) qu'il était «un océan d'idées». Il ajoutait: Les institutions du droit
positif ont leur origine directe ou indirecte dans le passé. Le droit trouve dans l'Histoire son
milieu propre, car il est durée, mémoire, enracinement de l'avenir dans le passé. Un exemple
frappant de l'intérêt de l'histoire du droit est fourni par la common law d'Angleterre. Les
décisions de jurisprudence doivent respecter les décisions antérieures des plus hautes
juridictions selon le principe du stare decisis («s'en tenir aux décisions rendues»). Il faut être en
mesure de reconstituer la chaine des précédents, et celle-ci n'est compréhensible que par
l'histoire du droit.
Au XIXème siècle, la naissance du droit comparé moderne a été l'œuvre de jurisconsultes
qui étaient en même temps des historiens du droit et des comparatistes. En France, Edouard de
Laboulaye, Robert Dareste, Gustave Boissonade, les fondateurs de la société de législation
comparée, en 1869, étaient autant historiens que comparatistes. En Angleterre, Henry S. Maine
(1822-1888), précurseur de l'anthropologie juridique, a brossé une vaste fresque de l'évolution
du droit, de la Préhistoire à l'Epoque contemporaine (Ancient Law), dans l'esprit de Darwin,
avec les idées d'évolution et de progrès continu de l'humanité vers la civilisation. Au XXème
siècle, les deux disciplines du droit comparé et de l'histoire du droit se sont distinguées.
Le droit comparé s'est libéré de l'influence de l'histoire comparative du droit. Il a délimité
son domaine d'étude propre.
De son côté, l'histoire du droit, avec prudence, a adopté une attitude plus modeste: si elle
continue à opérer des rapprochements, à pratiquer le comparatisme, c'est entre des périodes
homogènes: la notion de droit, le formalisme ou la conception de la famille, dans l'Antiquité
(droit romain et droit germanique); le féodalisme européen et japonais, au Moyen âge …

La connaissance de l'histoire générale des sociétés dont on veut étudier le droit est fort
utile, et généralement indispensable. De même l'histoire de leur droit. L'histoire, qui donne au
droit son milieu naturel (Carbonnier), est le plus souvent nécessaire à la compréhension en
profondeur de l'état actuel du droit positif.
Comme l'écrit Jean-Louis Thireau: "Le droit n'est pas une discipline isolée, fermée sur
elle-même. Il est porteur de valeurs, de traditions particulières au milieu où il s'est développé, il
est le produit non d'une raison abstraite, ou de décisions arbitraires, mais d'une très longue
histoire, et on ne saurait le comprendre en profondeur sans l'envisager de ce point de vue ... Le
droit ne peut être connu, ni surtout compris, en faisant abstraction de son passé, de ses racines,
des traditions qui, à l'échelle d'un continent, d'une civilisation, d'une nation, lui ont conféré ses
caractères propres".
On est appelé à se familiariser avec les sources formelles du droit: la loi, la coutume, la
jurisprudence. Mais l'on se trouve rapidement confronté à des notions de fond essentielles .
Toutes ces notions ont une histoire … Car il n'existe pas de rupture entre le passé et le présent:
la vie passée des institutions a façonné leurs caractères actuels. C'est à ce but que répondent les
enseignements historiques … pour peu qu'ils visent à éclairer les origines du droit moderne,
qu'ils prennent pour objet non le droit du passé mais le passé du droit. Ce qui ne signifie pas que
l'on doive les cantonner aux périodes les plus récentes, sous peine de privilégier le superficiel au
détriment du plus profond.
Le droit, si l'on ose cette métaphore géologique, s'est formé par couches successives, et
les plus anciennes, les plus profondément enfouies sont à bien des égards les plus importantes
car elles soutiennent tout le reste, elles sont à l'origine de toute l'évolution postérieure.
L'histoire du droit, cette discipline qui emprunte à l'histoire et au droit, qui se donne pour
objet l'étude du passé du droit et non celle du droit du passé, a une communauté d'esprit avec le
droit comparé. On a souvent relevé que le droit comparé observe le droit dans l'espace, alors
que l'histoire du droit l'étudie dans le temps. Les deux dimensions, spatiale et temporelle, sont
complémentaires. Aujourd'hui, un courant de la doctrine s'appuie sur cette idée et s'exprime
notamment dans la revue Comparative legal History, organe de la European Society for
comparative legal History, issue de l'initiative d'historiens du droit et de comparatistes
européens, ouverte aux scientifiques des cinq continents, appartenant à toutes les traditions
juridiques.
Il ne faut pas perdre de vue le grand débat qui a agité la doctrine allemande au XIX siècle
et qui a opposé l’école historique tel que formulé par Savigny dans son ouvrage "Histoire du
droit romain", et la méthode historique développée par Rudolph von IHERING dans son livre "
Esprit du droit romain" et qui constitue l'une des clefs de la compréhension de l'évolution du
droit comparé mais surtout, pour l'ouvrage d'Ihering, l'un des fondements de la méthode
comparatiste.

A l'histoire on rattache généralement la géographie qui est également une science dont
des connaissances générales sont fort utiles à des études de droit comparé. Les familles de droit
sont si diverses, leurs membres sont si nombreux, si dispersés à la surface du globe, qu'il est
nécessaire de pouvoir localiser la majeure partie des quelques 200 Etats de la planète. Si l'on
convient que la quasi-totalité de ces Etats possède un droit national, même s'il a subi des
influences, que nombre d'Etats connaissent un pluralisme juridique, le nombre des droits en
vigueur dépasse en réalité le chiffre des 200, et il est, plus probablement qu'un nombre à trois
chiffres, un nombre à quatre chiffres. La jurisdiversité est fort grande. Ce serait faire injure à la
créativité du genre humain, et des juristes en particulier, que de limiter son intérêt et ses études,
à quelques grands systèmes de droit. Pour voyager intellectuellement dans cette multiplicité de
droits, il est plus confortable de pouvoir localiser sur une mappemonde par la mémoire, et
visualiser par l'imagination, les pays où s'appliquent les droits que l'on étudie. Le droit comparé
n'est d'ailleurs pas la seule discipline juridique à profiter de connaissances de géographie: dans
la sphère interne, le droit immobilier, et dans la sphère internationale, diverses matières, telles
le droit international public, le droit international privé, le droit fiscal international, matière qui
invite au dépaysement dans les paradis fiscaux.
L'anthropologie est également une discipline dont la connaissance de notions générales
est particulièrement utile à l'étude des droits coutumiers traditionnels d'Afrique, d'Amérique,
d'Asie et d'Océanie. La connaissance est souvent au carrefour de plusieurs champs
disciplinaires.

(2) Le droit comparé et la philosophie

La philosophie du droit se libère également avec naturel de l'influence du droit national,


pour tourner ses regards vers le droit étranger: elle pratique spontanément le comparatisme. La
philosophie du droit constate la diversité des conceptions relatives à la nature du droit, à sa
fonction, à ses caractères. Parfois le droit est synonyme de liberté, parfois de contrainte. Parfois
le droit évoque la justice, parfois l'injustice. Parfois le droit occupe une place centrale dans la
vie sociale et joue un rôle important (Etats-Unis et Grande-Bretagne), parfois il est
médiocrement valorisé (France), parfois il est considéré avec désintérêt, avec dédain, si ce n'est
avec mépris (Japon). Parfois il joue une fonction autoritaire d'organisation de la vie sociale,
parfois cette fonction est laissée aux mœurs: parfois une fonction régulatrice (France), parfois
une fonction simplement pacificatrice et judiciaire (Grande-Bretagne). Parfois le droit est
absorbé par la religion (droit romain archaïque, droit hébraïque, droit canonique, droit hindou,
droit musulman), parfois il est influencé par la religion (ancien droit français, droit
contemporain des pays musulmans), parfois il est laïque (droits occidentaux contemporains).

3 - Le droit comparé et la théorie générale du droit

L’apport du droit comparé à la théorie du droit et, réciproquement, l’apport de la théorie


du droit au droit comparé a suscité un débat passionné au sein de la doctrine.

William Twining s’appuyant sur l’article de Richard Tur « The Dialectic of General
Jurisprudence and Comparative Law » publié il y a déjà quarante ans, soutient que : « ils sont
essentiels à la connaissance juridique, les différentes faces d’une même médaille. La théorie
générale du droit sans le droit comparé est vide et formelle : le droit comparé sans la théorie
générale du droit est aveugle et inintelligent. La théorie générale du droit avec le droit comparé
est réelle et actuelle : le droit comparé avec la théorie générale du droit est sélectif et clairvoyant
».
Par exemple, l’environnement est ignoré par la Constitution française du 4 octobre
1958. Néanmoins, ce n’est pas parce que le texte constitutionnel ne dit rien de l’environnement
qu’il faut croire qu’il n’y ait rien à dire. La prise de conscience sans cesse grandissante des
dégâts considérables occasionnés par l’activité humaine au milieu naturel explique, toutefois,
que l’on puisse s’interroger sur l’introduction constitutionnelle d’un droit à l’environnement,
déjà reconnu par certaines Constitutions, dont l’acceptabilité repose, d’une part, sur une théorie
générale des droits fondamentaux qui défend une conception ouverte des droits et, d’autre part,
sur l’élimination des ambiguïtés concernant la nature juridique de ce droit.
Il faut relever à ce propos que le droit à l’environnement fait l’objet d'une captation
constitutionnelle en Tunisie. Cette reconnaissance constitutionnelle se vérifie aussi bien dans le
dernier paragraphe du préambule de la constitution où il est question de la nécessité de
contribuer à la préservation d'un climat sain et à la sauvegarde de l’environnement, que dans le
corpus de la constitution. Ainsi, l’article 45 de la constitution du 31 janvier 2014 dispose que
l’Etat garanti le droit à un environnement sain et équilibré et la contribution à la salubrité du
climat. L’Etat se doit de fournir les moyens nécessaires pour mettre fin à la pollution
environnementale.

Le droit comparé nous enseigne que la garantie constitutionnelle dépend à la fois de la


structure du droit consacré par la Constitution (Tunisie, Espagne et Portugal) ou par le juge
constitutionnel (Allemagne et Italie) et de la position qu’occupe celui-ci dans le paysage
institutionnel. L’analyse comparative permet ainsi d’offrir une approche conceptuelle
contextualisée.
Le droit comparé contemporain (une sorte de commensalisme entre comparatistes
traditionnels et post-modernistes) pourrait viser à saisir la complexité du réel juridique (ne pas
s’en tenir à la seule structure du droit et donc intégrer sa dimension dynamique, -la vie du droit)
et à permettre la lecture d’objets juridiques de manière contradictoire (source de
questionnements aussi bien pour le droit national que pour ses relations avec les autres droits).
Cette proposition ne fait certainement pas justice à la richesse du débat actuel dont on n’a rendu
compte que partiellement, mais elle a peut-être le mérite de chercher une voie entre le réalisme
(et donc des ambitions modestes qui ne doivent toutefois pas céder à l’utilitarisme) et
l’exigence de rigueur d’une démarche scientifique. Comment pense-t-on le droit ? Qu’est-ce
qui le détermine exactement ? Qu’est-ce qui est essentiel au droit et qu’est-ce qui ne l’est pas ?
Mais l’indétermination d’un concept n’est pas nécessairement résorbée par une approche
comparative. Par exemple, le droit comparé nous aide-t-il réellement à comprendre le principe
de précaution ? « […] Le droit comparé n’est et ne peut être qu’une tentative, parmi d’autres,
pour identifier le droit, qui est le résultat recherché ». Il ne peut pas donner toutes les réponses.
Les juristes ne doivent pas tout attendre du droit comparé, mais ils doivent le prendre au
sérieux.

La théorie générale du droit se libère également avec naturel de l'influence du droit national,
pour tourner ses regards vers le droit étranger: elle aussi pratique spontanément le
comparatisme. La théorie générale du droit constate que le droit a un caractère relatif, et non un
caractère nécessaire. Si elle observe l'universalisme du phénomène juridique, elle découvre,
dans les innombrables droits, la diversité des classifications, des concepts, des sources, des
institutions. Les grandes classifications (summa divisio et autres distinctions) en droit public et
droit privé, en droit civil et droit commercial, en droit impératif et droit supplétif, en droits réels
et droits personnels, en droits mobiliers et droits immobiliers, sont propres aux droits
romanistes. Les grands concepts (constitution, personnes, biens, obligations, actions …), les
sources du droit (loi, jurisprudence, coutume, doctrine), les grandes institutions du droit public
(l'Etat, la Couronne) et du droit privé (la propriété, la famille) sont relatifs à chaque système. La
conception des droits de l'homme n'est pas la même en Occident, en Chine, dans les pays
musulmans … Et elle évolue: certains auteurs parlent aujourd'hui des droits de l'homme et de
l'animal! Ceci nous amène naturellement à envisager les relations cordiales que le droit
comparé entretient avec l'anthropologie juridique.

(4) Le droit comparé et l'anthropologie juridique

L'anthropologie du droit, comme le droit comparé, a connu une renaissance à l'Epoque


contemporaine, au XIXème siècle. Ce siècle a été marqué par le scientisme, la croyance dans la
capacité de la science à résoudre les problèmes philosophiques, moraux, sociaux.
L'anthropologie du droit peut se définir comme une science (logos) de l'homme
(anthropos), considéré dans sa plus grande généralité (l'homme des sociétés traditionnelles
comme celui des sociétés modernes), dans le champ du droit, lui-même conçu dans sa plus
grande extension (les normes, mais aussi les pratiques et les représentations, c'est-à-dire les
comportements et les idées organisées en systèmes des acteurs). Cette expansion aux sociétés
modernes a détaché l'anthropologie juridique de l'ethnologie juridique, qui se limitait aux
sociétés traditionnelles. L'anthropologie juridique se fixe pour objectif de découvrir les
mécanismes généraux, les lois universelles, du fonctionnement des sociétés humaines, du jeu
des systèmes juridiques. L'anthropologie juridique moderne est née au milieu du XIXème
siècle, comme le droit comparé moderne, des efforts de savants britanniques, tel Henry Maine,
ou germaniques, tel Joseph Kohler. - Henry Sumner Maine (1822-1888) L'anglais Henry
Sumner Maine a été le père de l'anthropologie juridique moderne. Il a été Regius Professor of
Civil Law (professeur royal de droit civil, c'est-à-dire du droit romain) à l'université d'Oxford,
puis attaché au cabinet du vice roi des Indes et vice chancelier de l'université de Calcutta, et
enfin professeur aux universités d'Oxford puis de Cambridge. Il a contribué à la codification du
droit indien. Dans son œuvre la plus importante, Ancient Law (1861), il a cherché à «appliquer
la méthode des recherches dites historiques aux lois et institutions privées de l'humanité». Il y
étudie plusieurs institutions (propriété, successions, régimes matrimoniaux) dans l'histoire des
droits européens et dans l'histoire du droit indien. Il rapprochait les coutumes des «peuplades
primitives», dites aujourd'hui «peuples premiers», appliquant le comparatisme à l'ethnologie
juridique et à l'histoire du droit. Il a étudié en particulier les tribus d'Afrique et les clans
scandinaves. Maine en tire des conclusions générales sur l'évolution du droit. Cette vaste
fresque de l'évolution du droit, de la Préhistoire à l'Epoque contemporaine, est influencée par la
doctrine de Darwin de l'évolution des sociétés, l'évolutionnisme: l'idée d'évolution et de progrès
continu de l'humanité vers la civilisation. Maine pensait qu'il avait existé un peuple indo-
européen originel, et que les diverses sociétés issues de ce peuple n'avaient pas toutes parcouru
les diverses étapes de l'évolution. Certaines, comme l'Inde, étaient demeurées immobiles à un
certain stade. D'autres, comme les sociétés européennes, avaient parcouru toutes les étapes et
atteint le stade le plus avancé de la civilisation. Maine pensait avoir découvert une grande loi de
l'évolution juridique: le passage du statut au contrat. - Joseph Kohler (1849-1919) L'Allemagne
de la fin du XIXème siècle, sous l'influence du droit colonial (l'Allemagne se constituait alors
rapidement un empire colonial), s'est intéressée à l'ethnologie juridique. Joseph Kohler et
d'autres savants allemands ont poussé loin, dans un esprit systématique, l'évolutionnisme
progressiste. Selon eux, toutes les sociétés seraient passées de la famille élargie à la famille
nucléaire, de la propriété collective à la propriété individuelle, de la vengeance privée à la
justice publique. Cette dernière théorie, le passage de la vengeance privée à la justice publique a
été illustrée notamment par le savant autrichien, Moriz Wlassak, qui voyait dans l'arbitrage le
chainon intermédiaire d'une évolution linéaire: justice privée et talion, arbitrage volontaire,
arbitrage obligatoire, justice exclusive de l'Etat. Cette théorie, fruit du contractualisme social et
du scientisme des XVIIIème et XIXème siècles, a été critiquée au XXème siècle. Elle a toujours
beaucoup plu aux juristes par sa simplicité progressiste. L'évolutionnisme progressiste est bien
vivant, une manifestation nette d'ethnocentrisme européen. Les Pays-Bas, qui disposaient
également d'un important empire colonial (Indonésie et Caraïbes), se sont également intéressés
à l'anthropologie juridique. Van Vollenhoven fut l'un des promoteurs de l'idée de pluralisme
juridique. L'anthropologie juridique, en associant à l'étude des sociétés traditionnelles du Sud
celle des sociétés occidentales, avait pris une conscience aigüe de la diversité des droits. Elle
rencontrait même nombre de sociétés, dans lesquelles le mot même de droit n'avait pas de
traduction directe, de correspondant univoque. L'anthropologie juridique constatait la grande
diversité, l'étonnante variabilité, des institutions: la filiation, matrilinéaire pour certains
peuples, patrilinéaire, pour d'autres; la propriété, collective pour certains, individuelle pour
d'autres; le règlement des différends, par la conciliation pour certains, par un juge pourvu de
l'imperium pour d'autres … La théorie du pluralisme juridique dénonce le monisme du droit, la
vision unitaire du droit, la théorie que l'Etat jouirait d'un monopole sur le droit, qu'il serait la
source unique du droit. Le pluralisme juridique affirme qu'il existe des sociétés sans Etat, qui
ont un droit, et que le droit a une réalité sociale qui dépasse l'Etat. En Occident, il n'est pas
niable que, depuis le XVIème siècle, l'Etat a pris progressivement le contrôle des fonctions
juridiques: législatives, administratives, répressives. Toutefois, certains groupes (groupement
économiques, institutions religieuses, minorités, territoires) produisent des règlements, un
droit, des coutumes … L'Etat en contrôle le contenu, la valeur, la sanction.
Mais en dehors de l'Occident, on peut dire que le «droit vivant» (Ehrlich) puise sa source
dans la société elle-même, plus que dans la loi, la coutume, le jugement ou la doctrine.
Le droit comparé fait son miel de ces découvertes de l'anthropologie juridique. Il accepte
facilement la thèse du pluralisme juridique. Le droit est divers, variable, dans son contenu, dans
ses sources, dans ses caractères, dans ses fonctions mêmes: organisation, réciprocité
d'obligations, contrainte, pacification.
Le droit comparé se sert avec profit de la vision du droit qu'adopte l'anthropologie du droit:
un système de normes, de pratiques et d'idées cohérentes, une conception culturelle du droit: le
droit expression de la culture d'une société. Le droit comparé entretient donc des relations
fécondes avec d'autres sciences du droit, l'anthropologie juridique, la philosophie et la théorie
générale du droit, l'histoire du droit.
Mais l'idée d'unification du droit n'a cessé de bercer les comparatistes.

(B) Le droit comparé et " l'idée d'unification du droit".


La construction et le développement continu de la théorie comparative présupposent un
haut degré d'uniformité conceptuelle et terminologique. Il s'agit d'opérer des comparaisons, des
distinctions et des intégrations préparant les bases effectives de " l'idée d'unification du droit".
Cette œuvre ne peut se réaliser que grâce à l’action conjointe de la jurisprudence et de la
doctrine.
Le mot jurisprudence n'a pas eu en anglais le sens de théorie empirique, mais plutôt celui
de philosophie du droit. Il a conservé cependant le sens romain de connaissance générale du
droit ou de pensée à propos du droit.
En revanche, dans le système juridique appelé romaniste, il a acquis le sens nouveau de
droit décisionnel, que GENY avait critiqué comme n'étant "pas très technique" et par la suite
appelé jurisprudence positive comme différent de la vraie jurisprudence. Plusieurs définitions
et perceptions de la jurisprudence peuvent être proposées:
* Un juriste italien, ASCARELLI utilisait jurisprudenzia en l'expliquant dans son sens
d'origine.
*M.ANCEL préférait utiliser « droit judiciaire » pour traiter du droit des précédents
judiciaires.
*H.LEVY-BRUHL parlait de la jurisprudence théorique ou" juristique".
*P.ESMEIN parle de "jurisprudence dans le sens français du mot".
*IHERING considère que "La Jurisprudenz "comparée est la méthode future de la
théorie du droit.
*R.Saleilles : « Nécessité d’analyser la jurisprudence et de se familiariser avec les
constructions juridiques à l’œuvre dans le pays considéré ».
*E. Lambert relève pour sa part que la connaissance matérielle des solutions admises
par les tribunaux ne suffit pas, il faut connaître l’esprit et la raison d’être des solutions.
La doctrine, aussi bien dans le legal law que dans le commun law contient des éléments
suffisants pour construire une théorie opérationnelle adéquate sur le rôle des décisions
antérieurs dans le processus judiciaire. L’absence d’une telle théorie est due au manque
d’instruments de conceptualisation théorique empirique qui peuvent être obtenus uniquement
par un travail comparatif critique.
Il est loisible ,(souhaitable) voire même nécessaire de tendre vers le développement du
droit en assurant la coexistence difficile entre le droit vivant ( droit des praticiens ou artisans du
droit éloignés de toute théorie) et le droit savant (droit des philosophes du droit portés sur la
"théorisation" et tenant peu compte de la pratique). Pour que le droit devienne une discipline
scientifique il doit adopter une méthode scientifique et se doter d'une théorie du droit dans le
sens empirique.
Une telle théorie du droit peut être obtenue grâce à la méthode comparative.

Paragraphe 2. Le droit comparé et le droit comme science


Si l'on peut parler du droit comme d'une science, c'est comme une science humaine et
sociale, non pas comme une science exacte, qui dégagerait des lois universelles, comme les
mathématiques, la physique ou la chimie. En effet, le droit produit très difficilement des lois
d'évolution des institutions juridiques.
En droit public, on connait l'idée de cycle des régimes politiques (monarchie, oligarchie,
démocratie) qui se corrompraient et se remplaceraient successivement. En droit judiciaire, celle
du passage de la vengeance à l'arbitrage volontaire (puis obligatoire), puis de l'arbitrage à la
justice publique.
En droit privé, celle d'une évolution ininterrompue vers le consensualisme, en droit des
obligations et des contrats. Ces théories ne constituent pas des lois universelles de l'évolution
juridique; elles sont contredites par de trop nombreuses exceptions.
Le destin du droit est plus modeste et plus aléatoire.
Le droit n'est une science que si l'on définit la science comme un ensemble de
connaissances cohérentes organisées en système. Avec cette réserve de modestie, le droit
comparé présente un intérêt scientifique. Il est considéré par certains comme le prototype, le
modèle du droit comme science, par plusieurs de ses caractères, notamment son caractère
englobant et universel, et son caractère critique.
Le premier titulaire d'une chaire de droit comparé à l'université, en France, fut Elzéar
Ortolan. Il fut nommé, en 1846, par le gouvernement du roi Louis-Philippe, au grand scandale
des professeurs de la faculté de droit de Paris. Les professeurs de droit dénonçaient la création
de chaires, qui réduisait leurs émoluments, et la désignation de professeurs par le
gouvernement, qui violait le principe du recrutement par le concours. Ils s'opposaient, dans le
cas, à ce que la matière de Procédure civile et criminelle et législation criminelle, qui mêlait
pourtant la procédure civile, la procédure pénale et le droit pénal soit divisée. Malgré ces
protestations, Ortolan enseigna la Législation pénale comparée. Dans l'introduction aux notes
de son cours, qu'il publia l'année suivante, il écrivait: La science du droit est cosmopolite,
comme toutes les sciences … elle n'est pas isolée des autres connaissances humaines; assise sur
cette base, l'étude de l'homme dans la société, il faut la voir environnée du cortège systématique
des sciences qui lui sont auxiliaires. Ortolan se distinguait nettement de ses collègues, qui
enseignaient le droit civil en se bornant à faire l'exégèse du code Napoléon.
Konrad Zweigert et Hein Kötz écrivent, dans leur Introduction to Comparative Law ,
l'ouvrage classique, le manuel de référence, du droit comparé, qu'il n'y a pas une science
chimique belge, ni une science physique allemande. Il n'y a de science qu'universelle. Il n'y a
pas de science juridique nationale. La science est, par nature, internationale, transnationale,
universelle. Il en est de même du droit. Le droit comparé englobe l'étude des droits étrangers,
des droits de l'ensemble de l'univers. Par son domaine d'étude, il est le plus proche d'une science
du droit universelle. Il est aussi le modèle du droit comme science par ses objectifs immédiats
(le progrès, le perfectionnement, législatif) et lointains (l'harmonisation du droit, l'unification
du droit, la compréhension entre les peuples, la paix universelle). Le droit comparé présente un
caractère englobant et universel à plusieurs titres: son domaine d'études englobe le droit
entendu de la manière la plus large, les droits de tous les pays, dans toutes leurs branches. Le
droit comparé présente un caractère critique. Il exerce une fonction critique, car il remet en
cause la pertinence de tous les droits, en constatant leur diversité de fonctions, de contenus, de
méthodes. C'est un vecteur de scepticisme critique. On a même écrit que c'était une discipline
subversive.

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