Chapitre 2 Dr. Comparé
Chapitre 2 Dr. Comparé
Les enjeux s'articulent autour de deux idées. La comparaison des droits au moyen de
certains instruments comme la documentation et la traduction d'une part et la mise en
mouvement du droit comparé comme instrument du progrès du droit.
Le droit comparé requiert, dans la comparaison des droits, l’observation des contraintes
concernant la documentation et la traduction.
Deux instruments de la comparaison des droits sont particulièrement utiles et nous
retiendrons: la recherche des documents (Paragraphe 1) et la traduction de ceux-ci (Paragraphe
2).
.
B- La révolution de l'internet
Le monde vit depuis quelques décennies une révolution des technologies de l'information et
de la communication qui a transformé le mode de vie de l'homme partout dans le monde. Ainsi
l'internet, le Big Data et le Cloud Computing ont métamorphosé notre manière de traiter du
droit étranger et de procéder aux comparaisons des droits. Les institutions génératrices de droit,
en particulier les parlements, les gouvernements, les juridictions supérieures, ont créé des sites
web, qui fournissent non seulement les journaux officiels et des recueils de jurisprudence, mais
encore le compte rendu des débats, les travaux préparatoires, des commentaires et des études de
doctrine. Les sites des ministères de la justice sont particulièrement utiles. De même les
institutions internationales ont créé leurs propres sites. Ces sites sont porteurs d'une parole
officielle, parfois de propos et de commentaires émanant des milieux dits autorisés, c'est-à-dire
de professeurs ou d'insiders du processus d'élaboration du droit.
La prudence, vertu cardinale, s'impose au chercheur. S'orienter dans cette nouvelle jungle,
faite de sites généraux, de sites spécialisés, de moteurs de recherche, n'est pas une tâche aisée.
La «curiosité inquisitrice», dont Geoffrey Samuel est un avocat éloquent, trouve ici une
nouvelle application tout à fait appropriée.
La recherche universitaire exige la quête et la collation des sources primaires d'étude de
l'institution choisie, puis leur analyse et leur interprétation personnelle, au moyen d'une
méthode de travail déterminée.
Une table des sources primaires et une bibliographe des études antérieures sur le même
sujet, séparée l'une de l'autre, sont le gage que cette démarche a été bien suivie. On doit
mentionner explicitement, dans la bibliographie, les documents trouvés sur le web et jugés
pertinents à la recherche.
La reproduction directe et in extenso de cette documentation serait un plagiat, un «vol
littéraire», selon la définition donnée par Le Robert, une imposture intellectuelle et un délit.
Dans une recherche personnelle un peu ambitieuse intellectuellement, l'auteur rappelle, au
début, l'état des connaissances; il expose, ensuite, les fruits de son travail personnel; et il
conclut, enfin, sur les apports de ce travail au progrès des connaissances.
Il faut aussi relever les sites, de plus en plus nombreux, créés par des universités, des
bibliothèques universitaires, des facultés, des centres de recherche, des universitaires et autres
chercheurs agissant de leur propre initiative, individuellement ou en équipe.
De plus en plus, les éditeurs juridiques créent des sites spécialisés, où l'on trouve une
documentation de qualité, synthétisant l'ensemble des sources, formelles ou non, du droit.
Depuis quelques années, les manuels de droit comparé comprennent un chapitre ou une annexe
entièrement consacrés à la recherche documentaire sur le net. Ces sites et ces manuels ne
peuvent constituer que des points de départ de tout travail de recherche personnel, qui requiert
une activité et une implication personnelles à toutes les étapes de la quête de la documentation,
de son exploitation, de l'exposé d'opinions personnelles fondées sur des faits, des
interprétations, des raisonnements. La recherche documentaire sur le net conduit
inévitablement à poser la question de la traduction. Il existe des sites en plusieurs langues,
notamment ceux des institutions internationales, et aussi des sites officiels nationaux, et des
sites privés, universitaires et autres. La prédominance de l'anglais sur le net requiert la maitrise
de la signification technique, exacte et complète, de nombreuses notions et expressions des
droits de common law. Il faut savoir utiliser les concepts du droit anglais avec exactitude.
Comme son nom l'indique, la traductologie est une science: la science de la traduction. On
peut se référer à cet effet à quatre figures de proue de la traductologie: Luther, d'Ablancourt,
Humboldt et Schleiermacher.
- Martin Luther (1483-1546) Luther tira de son expérience de traducteur une Epitre sur l'art
de traduire, dans laquelle il mentionne notamment le choix qu'il a fait dans la traduction des
Psaumes de David. Il écrit qu'il a parfois préféré à une traduction littéraire, une traduction libre,
une traduction littérale, une traduction textuelle. Et même, qu'il était allé au-delà du mot-à-mot,
qu'il n'avait pas hésité à déformer au besoin la langue allemande, afin de rendre parfaitement
l'idée et l'image exprimées dans la langue hébraïque. Luther, emprisonné, pour sa protection, au
château de la Wartburg, par le prince électeur de Saxe, écrit: Déroger à l'allemand plutôt que de
m'écarter du mot: emprisonner la prison. Déroger à la langue allemande de son temps, courante
et correcte, à la fois écrite (celle d'une infime partie de la population, la grande majorité étant
illettrée) et orale, quand elle ne rendait pas parfaitement le sens de la langue de départ, pour
créer une nouvelle langue allemande, compréhensible par tous les gens de son temps. Etre
infidèle à la langue d'arrivée, pour rester fidèle à la pensée de la langue de départ. Repousser les
murs de la prison du langage, sans vergogne et sans respect du bon usage littéraire de son temps.
A l'opposé se situe la démarche de d'Ablancourt, défenseur du goût français classique, un siècle
plus tard.
- D'Ablancourt En France, la victoire du goût classique, aux XVIème et XVIIème siècles, a
entrainé l'adoption d'un style de traduction littéraire particulier, qui valorisait le bon goût,
l'élégance, l'harmonie, la décence, au détriment de la fidélité. Cette conception était partagée
par les hommes qui formèrent le noyau de l'Académie française, fondée par Richelieu en 1634:
Valentin Conrart, Louis Giry, Olivier Patru. Perrot d'Ablancourt n'a aucune pudeur à affirmer
qu'il préfère modifier les textes qu'il traduit, les moderniser, les adapter aux règles du goût
classique. Certes ces traductions présentaient des qualités esthétiques indéniables. Mais elles
trahissaient les auteurs et leurs œuvres. Jamais l'adage «traduction Ŕ trahison» n'a été plus
justifié. Encore différente sont les démarches d'Humboldt et de Schleiermacher, un siècle plus
tard.
- Humboldt et Schleiermacher
Wilhelm von Humboldt (1767-1835), écrivait: Chaque langue exprime le concept avec une
différence, avec telle ou telle connotation, un degré plus haut ou plus bas sur l'échelle des
sentiments. Il considérait le langage comme «l'organe qui forme la pensée».
Schleiermacher a publia, en 1813, un Discours sur les différentes manières de traduire, où
l'on lit: "N'avons-nous pas souvent besoin de traduire le discours d'une autre personne, tout à
fait semblable à nous, mais dont la sensibilité et le tempérament sont différents? Lorsque nous
sentons que les mêmes mots, dans notre bouche, auraient un sens tout à fait autre ou, du moins,
un contenu tantôt plus faible, tantôt plus vigoureux que dans la sienne, et que, si nous voulions
exprimer exactement la même chose que lui, nous nous servirions, à notre manière, de mots et
de tournures tout à fait différents, il semble, quand nous voulons définir plus précisément cette
impression et en faisons un objet de pensée, que nous traduisons". Schleiermacher disait qu'il y
a deux manières de traduire:" soit d'amener le lecteur vers l'auteur, soit d'amener l'auteur vers le
lecteur". Il proposait que l'on préfère une approche éthique, qui respecte l'auteur, à une
approche ethnocentrique, qui privilégie le lecteur. Il voulait également que l'on traduise en
allemand toutes les richesses de la culture étrangère. A l'appropriation des richesses culturelles
étrangères, par son programme de traduction de toutes les grandes œuvres étrangères, dans un
but de redressement national, il ajoutait la contribution que la traduction pouvait apporter à
l'enrichissement de la langue allemande elle-même. Il proposait donc que les traducteurs
adoptent la méthode de la traduction altérisante, qui transformerait la langue allemande, qui
l'enrichirait, par la création de mots rendant l'expression étrangère, mieux que ne le ferait le
vocabulaire à disposition. A la traduction littéraire et à la traduction littérale, il faudrait préférer
la traduction altérisante et constructrice, qui enrichirait la langue allemande.
On insiste souvent, en matière de droit comparé, sur les difficultés liées à la traduction des
concepts de droit étranger. On prendra deux exemples, l'un tiré de la common law anglaise,
l'autre du droit constitutionnel américain contemporain. L'estoppel est un concept propre à la
common law anglaise.
Le premier exemple concerne le terme Estoppel.
Un dictionnaire de droit anglais définit ainsi l'estoppel: The principle which precludes a
party from alleging or proving in legal proceedings that a fact is otherwise than it appeared to
be from the circumstances. L'auteur distingue trois types d'estoppel: estoppel of records
(résultant d'une décision de justice), estoppel by deed (résultant d'un acte entre particuliers) et
estoppel in pais (en paix, en vieux français, quand une partie a déclaré une chose, ou s'est
comportée d'une manière, qui autorisait l'autre à se fonder sur ces dires ou ces faits, et à agir en
en tenant compte). Il s'agit donc d'un principe de cohérence, qui interdit à une partie de se dédire
ou de se contredire au détriment d'un tiers. Les dictionnaires juridiques anglais français
traduisent estoppel par «non recevabilité» ou par «fin de non recevoir». Un dictionnaire
juridique officiel de common law, publié par les autorités canadiennes pour les besoins du
Québec, province francophone régie par un droit mixte, de common law et de tradition
romaniste (française), traduit estoppel par «préclusion». Ce nom n'existait, ni en français, ni en
anglais . En français, on connait «forclusion», créé d'après «exclusion», qui exprime la sanction
du défaut d'accomplissement d'une formalité (interjeter appel dans le délai). «Préclusion» a été
créé, pour les besoins du dictionnaire canadien québécois, en considérant la définition donnée
de l'estoppel dans les dictionnaires de droit en langue anglaise, tel l'Oxford Companion to Law.
Nous avons vu que ce dictionnaire définit l'estoppel comme «the principle which precludes …».
«Preclusion» est le substantif forgé sur le verbe to preclude, «empêcher», «prévenir».
L'étymologie nous apprend que to preclude vient du latin praeclusio ou «fermeture devant».
L'étymologie nous apprend enfin qu'estoppel vient … du vieux français estopaille ou
«bouchon», «fermeture», du latin stoppa (même sens), emprunté au grec …
Pour traduire un mot du vieux français (estopaille), dérivé d'un mot latin et, au-delà, grec,
qui avait intégré la common law anglaise sous la forme d'estoppel, les Canadiens ont formé le
substantif «préclusion» à partir du verbe anglais to preclude, lui-même emprunté au latin
praeclusio. Grace à des Canadiens, francophones et anglophones, la famille française du mot
«exclusion» s'est enrichie récemment d'un nouveau mot.
Le second exemple se rapporte à la notion de "Affirmative action" traduite par l'expression
«discrimination positive».
L'affirmative action est une notion du droit constitutionnel américain, inspirée de l'idée
qu'il faut parfois traiter les gens différemment afin de les traiter également. L'affirmative action
est devenue un principe constitutionnel américain, destiné à assurer dans les faits, par des
quotas, une égalité entre des diverses communautés raciales. En France, on traduit
généralement affirmative action par «discrimination positive». Cette traduction est vivement
critiquée aux Etats-Unis. On y voit une trahison, en fait la négation, de l'objectif que s'est fixé la
loi, à savoir la suppression de la discrimination. La traduction française implique que la
discrimination est un moyen de lutte contre la discrimination même. Elle traduit l'aversion de la
culture politique, sociale, française, pour les quotas, et pour la prise en compte de critères
raciaux, ethniques, géographiques. Outre la science de la traduction, science littéraire, le droit
comparé peut trouver une aide dans l'étude de disciplines plus voisines, telle l'histoire.
Section II. Le droit comparé et le progrès de la science du droit
L'histoire du droit et le droit comparé sont liés par bien des affinités.
Les deux disciplines ont un esprit commun de liberté.
Ces deux disciplines partagent également le fait d'avoir des domaines universels: le droit
de tous les temps, pour l'histoire du droit; les droits de toute la planète, pour le droit comparé.
Ces deux disciplines recourent également à des méthodes qui sont, en partie, communes,
notamment le relativisme et la contextualisation, pour éviter l'anachronisme qui guette
l'historien du droit, et pour prévenir l'ethnocentrisme qui menace le comparatiste.
Enfin, l'histoire du droit et le droit comparé embrassent une même fonction didactique,
par le détour de la culture juridique: elles permettent de mieux comprendre le droit et
d'approfondir sa connaissance.
L'histoire du droit fournit un fond d'observations, de réflexions, d'opinions,
plurimillénaires. Le doyen Carbonnier disait ainsi du Corpus Iuris Civilis de Justinien (Digeste,
Code, Novelles, Institutes) qu'il était «un océan d'idées». Il ajoutait: Les institutions du droit
positif ont leur origine directe ou indirecte dans le passé. Le droit trouve dans l'Histoire son
milieu propre, car il est durée, mémoire, enracinement de l'avenir dans le passé. Un exemple
frappant de l'intérêt de l'histoire du droit est fourni par la common law d'Angleterre. Les
décisions de jurisprudence doivent respecter les décisions antérieures des plus hautes
juridictions selon le principe du stare decisis («s'en tenir aux décisions rendues»). Il faut être en
mesure de reconstituer la chaine des précédents, et celle-ci n'est compréhensible que par
l'histoire du droit.
Au XIXème siècle, la naissance du droit comparé moderne a été l'œuvre de jurisconsultes
qui étaient en même temps des historiens du droit et des comparatistes. En France, Edouard de
Laboulaye, Robert Dareste, Gustave Boissonade, les fondateurs de la société de législation
comparée, en 1869, étaient autant historiens que comparatistes. En Angleterre, Henry S. Maine
(1822-1888), précurseur de l'anthropologie juridique, a brossé une vaste fresque de l'évolution
du droit, de la Préhistoire à l'Epoque contemporaine (Ancient Law), dans l'esprit de Darwin,
avec les idées d'évolution et de progrès continu de l'humanité vers la civilisation. Au XXème
siècle, les deux disciplines du droit comparé et de l'histoire du droit se sont distinguées.
Le droit comparé s'est libéré de l'influence de l'histoire comparative du droit. Il a délimité
son domaine d'étude propre.
De son côté, l'histoire du droit, avec prudence, a adopté une attitude plus modeste: si elle
continue à opérer des rapprochements, à pratiquer le comparatisme, c'est entre des périodes
homogènes: la notion de droit, le formalisme ou la conception de la famille, dans l'Antiquité
(droit romain et droit germanique); le féodalisme européen et japonais, au Moyen âge …
La connaissance de l'histoire générale des sociétés dont on veut étudier le droit est fort
utile, et généralement indispensable. De même l'histoire de leur droit. L'histoire, qui donne au
droit son milieu naturel (Carbonnier), est le plus souvent nécessaire à la compréhension en
profondeur de l'état actuel du droit positif.
Comme l'écrit Jean-Louis Thireau: "Le droit n'est pas une discipline isolée, fermée sur
elle-même. Il est porteur de valeurs, de traditions particulières au milieu où il s'est développé, il
est le produit non d'une raison abstraite, ou de décisions arbitraires, mais d'une très longue
histoire, et on ne saurait le comprendre en profondeur sans l'envisager de ce point de vue ... Le
droit ne peut être connu, ni surtout compris, en faisant abstraction de son passé, de ses racines,
des traditions qui, à l'échelle d'un continent, d'une civilisation, d'une nation, lui ont conféré ses
caractères propres".
On est appelé à se familiariser avec les sources formelles du droit: la loi, la coutume, la
jurisprudence. Mais l'on se trouve rapidement confronté à des notions de fond essentielles .
Toutes ces notions ont une histoire … Car il n'existe pas de rupture entre le passé et le présent:
la vie passée des institutions a façonné leurs caractères actuels. C'est à ce but que répondent les
enseignements historiques … pour peu qu'ils visent à éclairer les origines du droit moderne,
qu'ils prennent pour objet non le droit du passé mais le passé du droit. Ce qui ne signifie pas que
l'on doive les cantonner aux périodes les plus récentes, sous peine de privilégier le superficiel au
détriment du plus profond.
Le droit, si l'on ose cette métaphore géologique, s'est formé par couches successives, et
les plus anciennes, les plus profondément enfouies sont à bien des égards les plus importantes
car elles soutiennent tout le reste, elles sont à l'origine de toute l'évolution postérieure.
L'histoire du droit, cette discipline qui emprunte à l'histoire et au droit, qui se donne pour
objet l'étude du passé du droit et non celle du droit du passé, a une communauté d'esprit avec le
droit comparé. On a souvent relevé que le droit comparé observe le droit dans l'espace, alors
que l'histoire du droit l'étudie dans le temps. Les deux dimensions, spatiale et temporelle, sont
complémentaires. Aujourd'hui, un courant de la doctrine s'appuie sur cette idée et s'exprime
notamment dans la revue Comparative legal History, organe de la European Society for
comparative legal History, issue de l'initiative d'historiens du droit et de comparatistes
européens, ouverte aux scientifiques des cinq continents, appartenant à toutes les traditions
juridiques.
Il ne faut pas perdre de vue le grand débat qui a agité la doctrine allemande au XIX siècle
et qui a opposé l’école historique tel que formulé par Savigny dans son ouvrage "Histoire du
droit romain", et la méthode historique développée par Rudolph von IHERING dans son livre "
Esprit du droit romain" et qui constitue l'une des clefs de la compréhension de l'évolution du
droit comparé mais surtout, pour l'ouvrage d'Ihering, l'un des fondements de la méthode
comparatiste.
A l'histoire on rattache généralement la géographie qui est également une science dont
des connaissances générales sont fort utiles à des études de droit comparé. Les familles de droit
sont si diverses, leurs membres sont si nombreux, si dispersés à la surface du globe, qu'il est
nécessaire de pouvoir localiser la majeure partie des quelques 200 Etats de la planète. Si l'on
convient que la quasi-totalité de ces Etats possède un droit national, même s'il a subi des
influences, que nombre d'Etats connaissent un pluralisme juridique, le nombre des droits en
vigueur dépasse en réalité le chiffre des 200, et il est, plus probablement qu'un nombre à trois
chiffres, un nombre à quatre chiffres. La jurisdiversité est fort grande. Ce serait faire injure à la
créativité du genre humain, et des juristes en particulier, que de limiter son intérêt et ses études,
à quelques grands systèmes de droit. Pour voyager intellectuellement dans cette multiplicité de
droits, il est plus confortable de pouvoir localiser sur une mappemonde par la mémoire, et
visualiser par l'imagination, les pays où s'appliquent les droits que l'on étudie. Le droit comparé
n'est d'ailleurs pas la seule discipline juridique à profiter de connaissances de géographie: dans
la sphère interne, le droit immobilier, et dans la sphère internationale, diverses matières, telles
le droit international public, le droit international privé, le droit fiscal international, matière qui
invite au dépaysement dans les paradis fiscaux.
L'anthropologie est également une discipline dont la connaissance de notions générales
est particulièrement utile à l'étude des droits coutumiers traditionnels d'Afrique, d'Amérique,
d'Asie et d'Océanie. La connaissance est souvent au carrefour de plusieurs champs
disciplinaires.
William Twining s’appuyant sur l’article de Richard Tur « The Dialectic of General
Jurisprudence and Comparative Law » publié il y a déjà quarante ans, soutient que : « ils sont
essentiels à la connaissance juridique, les différentes faces d’une même médaille. La théorie
générale du droit sans le droit comparé est vide et formelle : le droit comparé sans la théorie
générale du droit est aveugle et inintelligent. La théorie générale du droit avec le droit comparé
est réelle et actuelle : le droit comparé avec la théorie générale du droit est sélectif et clairvoyant
».
Par exemple, l’environnement est ignoré par la Constitution française du 4 octobre
1958. Néanmoins, ce n’est pas parce que le texte constitutionnel ne dit rien de l’environnement
qu’il faut croire qu’il n’y ait rien à dire. La prise de conscience sans cesse grandissante des
dégâts considérables occasionnés par l’activité humaine au milieu naturel explique, toutefois,
que l’on puisse s’interroger sur l’introduction constitutionnelle d’un droit à l’environnement,
déjà reconnu par certaines Constitutions, dont l’acceptabilité repose, d’une part, sur une théorie
générale des droits fondamentaux qui défend une conception ouverte des droits et, d’autre part,
sur l’élimination des ambiguïtés concernant la nature juridique de ce droit.
Il faut relever à ce propos que le droit à l’environnement fait l’objet d'une captation
constitutionnelle en Tunisie. Cette reconnaissance constitutionnelle se vérifie aussi bien dans le
dernier paragraphe du préambule de la constitution où il est question de la nécessité de
contribuer à la préservation d'un climat sain et à la sauvegarde de l’environnement, que dans le
corpus de la constitution. Ainsi, l’article 45 de la constitution du 31 janvier 2014 dispose que
l’Etat garanti le droit à un environnement sain et équilibré et la contribution à la salubrité du
climat. L’Etat se doit de fournir les moyens nécessaires pour mettre fin à la pollution
environnementale.
La théorie générale du droit se libère également avec naturel de l'influence du droit national,
pour tourner ses regards vers le droit étranger: elle aussi pratique spontanément le
comparatisme. La théorie générale du droit constate que le droit a un caractère relatif, et non un
caractère nécessaire. Si elle observe l'universalisme du phénomène juridique, elle découvre,
dans les innombrables droits, la diversité des classifications, des concepts, des sources, des
institutions. Les grandes classifications (summa divisio et autres distinctions) en droit public et
droit privé, en droit civil et droit commercial, en droit impératif et droit supplétif, en droits réels
et droits personnels, en droits mobiliers et droits immobiliers, sont propres aux droits
romanistes. Les grands concepts (constitution, personnes, biens, obligations, actions …), les
sources du droit (loi, jurisprudence, coutume, doctrine), les grandes institutions du droit public
(l'Etat, la Couronne) et du droit privé (la propriété, la famille) sont relatifs à chaque système. La
conception des droits de l'homme n'est pas la même en Occident, en Chine, dans les pays
musulmans … Et elle évolue: certains auteurs parlent aujourd'hui des droits de l'homme et de
l'animal! Ceci nous amène naturellement à envisager les relations cordiales que le droit
comparé entretient avec l'anthropologie juridique.