28030-Texto Del Artículo-27954-1-10-20060309
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Afers Internacionals, nº 36, pages 157-175
Identité individuelle
L’identité quotidienne: deux exemples
Les services douaniers et les agents de police, mais aussi les employés municipaux,
ou même d’une banque, ont le droit de nous demander un document d’identité: pas-
seport, permis de conduire. Normalement, ce document présente une photo du por-
teur, son nom et autres renseignements (date de naissance, etc.). Ce document nous
identifie comme personne unique, mais aussi comme membre de tel ou tel groupe,
société ou communauté (nationalité, groupe des adultes, etc.). En général, nous pou-
vons conclure à partir de cet exemple que:
-l’identité indique la manière dont on diffère des autres, mais aussi ce que l’on a
en commun; l’identité est comparative;
-certains aspects identitaires nous sont attribués dès la naissance et ne peuvent être
changés (lieu et date de naissance, par exemple);
-certains aspects nous sont donnés dès la naissance et ne sont modifiables que dif-
ficilement (nom, sexe, nationalité);
-certains aspects peuvent être changés délibéremment (lieu de résidence, état civil);
-certains aspect d’identité sont changés en dehors de notre volonté (la ressem-
blance avec la photo du passeport).
Un autre exemple se manifeste peut-être deux ou trois fois dans notre vie: nous
disons de quelqu’un qu’il traverse une crise d’identité. Une personne souffrant une telle
crise serait en difficulté avec soi-même. Une autre forme de ce phénomène pourrait
être le cycle de transitions connues dans chaque tradition à travers le monde (naissan-
ce, enfance, puberté, etc.). Avec la notion de crise d’identité, nous nous trouvons, au
moins en Occident, dans le domaine de la pathologie. Dans notre perspective, la pat-
hologie n’est qu’une forme aiguë de l’identité normale et pourrait nous servir d’appro-
che supplémentaire intéressante. Les concepts et surtout les expériences élaborées par
les spécialistes en thérapies peuvent élargir notre approche. En fait, la manière dont la
bible des diagnostics en Occident, la DSM-III-R (Diagnostic and Statistical Manual of
Mental Disorders III Revised), classe et identifie les aberrations identitaires, nous infor-
me des notions d’identité occidentales. En général, l’identité individuelle en Occident
est pensée comme sentiment subjectif d’unité de personne, connaissant des désordres
(temporaires ou non) qui peuvent être pathologiques ou normaux (et passagers), comme
complexe dont la forme et les aberrations sont culturellement spécifiques.
La problématisation de l’identité
Même et différent
La dite unité de l’identité individuelle, avec laquelle travaille le DSM-III-R, est
problématisée par Paul Ricoeur qui distingue deux aspects du concept d’identité: “même-
té”, basée sur des idées, des rapports et des rapports de rapports, présupposant une con-
tinuité dans le temps, et “ipséité”, ensemble des identifications reconnues par une
personne et qui tolère le changement et l’évolution. Ces deux aspects sont nécessaires
et établissent une relation dialectique entre eux: “Le problème de l’identité personne-
lle constitue à mes yeux le lieu privilégié de la confrontation entre les deux usages
majeurs du concept d’identité que j’ai maintes fois évoqué sans jamais le thématiser
véritablement. Je rappelle les termes de la confrontation: d’un côté, l’identité comme
mêmeté (latin: idem; anglais: sameness; allemand: Gleichheit), de l’autre, l’identité comme
ipséité (latin: ipse; anglais: selfhood; allemand: Selbstheit). L’ipséité, ai-je maintes fois
affirmé, n’est pas la mêmeté. Et c’est parce que cette distinction majeure est mécon-
nue (…) que les solutions apportées au problème de l’identité personnelle ignorant la
dimension narrative échouent” (Ricoeur, 1990:140). Il est clair que ce concept d’iden-
tité ne se réfère pas à homogénéité ou permanence. Au contraire, c’est le champ de ten-
sion entre “rester le même à travers le temps” et “changer au cours du temps” qui
constitue le sens de l’identité d’une personne. Dans ce sens, l’autre fait partie intégrante
de moi. Ceci n’est point exceptionel ou exotique comme analyse. En effet, un repro-
che très fréquent dans les crises de rapports personnels en Occident est justement que
le partenaire est accusé d’avoir changé: “il n’est plus le même que lors de notre première
rencontre” ou “ce n’est plus le même homme/la même femme que j’ai épousé(e) jadis”.
Le changement est conçu souvent en termes de trahison. Dans notre approche, nous
affirmons de manière plus systématique que chaque notion d’identité scientifiquement
valable implique changement ou dynamique. Les théories psycho et sociodynamiques
devraient nous aider à saisir ces sens (ex. Erikson, Piaget, Campbell). Ce raisonnement
nous éloigne nécessairement d’une conception essentialiste et statique de l’identité.
Pour Ricoeur, la compréhension de soi-même et de l’autre fait partie d’un mode
d’expression, d’un discours narratif, ce qui est toujours une interprétation. Le discours
narratif utilise des matériaux venant de la réalité factuelle, mais aussi de la fiction. Il
conçoit la personne comme un personnage dans une histoire: le personnage est lié aux
expériences de la vie, mais l’histoire peut être réorganisée tout le temps. À la limite,
c’est l’identité de l’intrigue qui est investie dans l’identité du personnage. Comme le
décrit Denis-Constant Martin (1995:7) de manière claire, “one proposes one’s iden-
tity in the form of a narrative in which one can re-arrange, re-interpret the events of
one’s life in order to take care both of permanence and change, in order to satisfy the
wish to make events concordant in spite of the inevitable discordances likely to shake
the basis of identity”. Le discours narratif identitaire fait la liaison. Lier les événements,
produire une histoire, permet d’intégrer ce qui s’annonce contradictoire du point de
vue de l’identité-mêmeté; diversité, variabilité, discontinuité, instabilité, peuvent être
expliquées raisonnablement par les liens entre les événements. Non seulement des don-
nées ou des actes réels, mais aussi la fiction ou la fantaisie font partie de l’histoire. Les
processus d’intégration sont complexes et créatifs: “Que notre passé est constituant
pour la manière dont nous nous voyons aujourd’hui est bien connu et accepté. Des
frustrations du passé peuvent donc influencer négativement nos capacités de nous réa-
liser aujourd’hui. Mais notre passé n’est pas égal à frustrations; il comporte également
des éléments satisfaisants. Dans le passé, nous trouvons une abondance de matériaux
qui donnent du sens. (...) Pour éviter de vivre notre vie comme une série d’événements
disparates, il est important que nous sachions intégrer les événements passés dans notre
présent et les rendre utiles pour le futur. Cette démarche d’intégration est déjà une
expression de créativité et libère l’énergie bloquée” (Verstraete, 1995:9).
Prévisibilité
D’après G.Kelly, l’individu a besoin de prévisibilité. Les gens se font des images
(des modèles de représentation) du monde, sur la base desquelles ils anticipent les évé-
nements, s’engagent dans des prédictions et essayent de contrôler leur vie. Ils se font
une représentation d’eux-mêmes comme partie intégrale du monde. L’ensemble de ces
images est nommé “système de constructions (constructs)” par Kelly. C’est un système
hiérarchisé de représentations mises en rapport entre elles. Certaines constructions sont
plus importantes que d’autres; c’est pourquoi Kelly distingue entre les centrales (core)
et les subordonnées. Sa définition de constructions nous rappelle les notions men-
tionnées plus haut: “a construct is a way in which some things are constructed as being
alike and yet different from others” (Kelly, 1955:105). Sans un tel système, tous les
événements dans la vie paraîtraient un produit du hasard, et le chaos et l’imprévisibi-
lité domineraient. Les constructions illustrent une manière de ranger le monde en caté-
gories et impliquent un processus consistant à mettre des étiquettes. Les constructions
ne sont pas permanentes: elles peuvent être redessinées. De nouvelles étiquettes peu-
vent remplacer les anciennes. L’apport d’éléments nouveaux par le biais de l’expérien-
ce et de la connaissance peut améliorer la prévisibilité et nous contraindre à changer.
Un milieu sûr nous permet d’élargir notre expérience et de redessiner nos construc-
tions. Dans des circonstances défavorables, il devient plus difficile de changer et de
redessiner celles-ci. Quand quelqu’un se sent offensé ou attaqué, la réaction typique
est de mobiliser radicalement les ressources connues en vue de sauvegarder l’identité
actuelle. T.A.Northrup (1992:1) élabore les recherches de Kelly. Elle décrit l’identité
de la façon suivante: “Identity is defined as an abiding sense of self and of the rela-
tionship of the self to the world. The system of beliefs which constitutes the self and
the self-in-relation makes life relatively predictable rather than disorganized and ran-
dom. This notion of self does not, however, imply that identity is static. Identity may
be to some extent fluid and changeable in order to deal with changes in circumstances
and new information. A system which is too fluid would not provide enough predic-
tability to be able to function, while a system which is too rigid would not allow for
adaption and growth”. Dans notre perspective interculturelle, il est important d’élar-
gir le modèle pour y inclure les sentiments, les coutumes et les projets de même que
les croyances. La théorie de Kelly s’avère également intéressante pour l’étude des pré-
jugés. Par exemple, la lutte antiraciste se présentait surtout comme lutte contre les pré-
jugés. Mais il est clair qu’il nous est presque impossible de vivre sans préjugés, puisqu’ils
font partie intégrante des constructions. Sans ces dernières, l’expérience de notre monde
se rapprocherait d’une psychose continue.
Identité de groupe(s)
Un groupe est un ensemble d’individus. On pourrait dire que c’est l’ensemble des
rapports interpersonnels. Au niveau du groupe, des mécanismes identitaires se manifes-
tent aussi. Faisons une sélection parmi les nombreuses théories de la dynamique de grou-
pe et de la sociologie. Un auteur fort intéressant à cet égard est Richard Boyd, qui a
développé une théorie sur l’évolution des petits groupes, dans un cadre évolutioniste
(Boyd/Richerson, 1985). Boyd différencie “groupe” et “groupe en soi”. Le premier est un
ensemble assez instable et occasionnel d’au moins deux individus qui se trouvent en inte-
raction l’un avec l’autre. Le deuxième, au contraire, forme une nouvelle entité dans laque-
lle l’ensemble est nettement plus que l’addition des composants. L’émergence de la nouvelle
entité est le résultat d’un processus dans lequel divers problèmes sont affrontés au cours
d’une série de stades. Le modèle de Boyd parle de trois systèmes qui composent dans leurs
processus le petit groupe: le système personnel, le système social et le système culturel.
Le système de personnalité est constitué par les caractéristiques et qualités qui sont
liées aux individus mais influencent le développement du groupe. On peut penser à des
caractéristiques telles que le niveau de développement psychologique, la motivation, les
formes et styles d’apprentissage, l’histoire personnelle, l’attitude devant le travail, les capa-
cités, les besoins, la conscience de soi, etc. Le système social se développe dans toute situa-
tion où des individus se groupent dans un but commun. Le groupe devient un “groupe
en soi” avec ses propres comportements et rapports. Chaque système social se caractérise
par un ensemble unique de normes, espérances, traditions, démarches, système de contrô-
le et de direction. Boyd indique que le système social se manifeste dès la première ren-
contre de groupe. On assiste à une dynamique qui développe en quelques étapes une
identité unique par le biais des interactions dans le groupe. Le système culturel situe cha-
que groupe dans un contexte plus large que les interrelations dans le groupe: “the cultu-
ral system reflects the milieu that surrounds the group and gives it a common referent
system”. Pour l’identité du groupe, le contexte culturel offre des convictions, des valeurs,
des règles et des coutumes qui organiseront par la suite le comportement du groupe. Ainsi,
le système culturel offre un cadre de référence pour le groupe qui contient des croyances
communes ainsi qu’une éthique et une esthétique commune. Les dimensions ou systèmes
distingués par Boyd nous servirons de base pour l’analyse des dynamique d’identité, bien
que nous les dynamisons et les généralisons substantiellement.
Les dynamiques sont souvent influencées, voire guidées, par des paradoxes. Un
groupe de paradoxes se situe dans le domaine de l’appartenance. Un individu appar-
tient à un groupe et éprouve des tensions entre son identité individuelle et l’identité
de groupe: l’individu codétermine le groupe, le renforce et soutient activement la soli-
darité interne par son adhésion; en même temps, l’individu est limité dans l’expression
de son identité individuelle par son appartenance au groupe. Cette tension entre appar-
tenance et liberté individuelle joue un rôle dans de nombreux conflits. Les types de
rapports entre individus et groupe varient dans le degré d’engagement, allant de l’obser-
vation passive à la direction active du groupe. Finalement, chaque groupe définit des
frontières: tel individu, tel engagement, tel but est prioritaire/permis/défendu. Dans
cet aspect également, des tensions entre groupe et individu se manifesteront.
Identité communautaire
Une communauté est plus vaste et en même temps différente des deux autres nive-
aux: elle les transcende dans le temps et dans l’espace, et ni les individus ni les groupes peu-
vent entrer en rapport direct avec une communauté. Néanmoins, le niveau communautaire
est très manifeste. Prenons quelques exemples. Connaissant le passé, un habitant de Poitiers
peut être fier de sa ville et s’en sentir citoyen; il se peut que le combat de Poitiers contre
les musulmans soit totalement integré dans sa conscience communautaire mais, en même
temps, l’habitant contemporain de Poitiers n’est pas chrétien de la même façon que jadis
et se sent certainement plus français. Les islamiques se nomment musulmans, et frères, et
appartiennent dans certaines régions à une umma, mais certains se nomment tunésiens ou
pakistanais, d’autres pan-islamistes. L’identité communautaire est dynamique également
en ce sens que parfois c’est l’appartenance à une communauté spécifique qui l’emporte,
d’autres fois celle à une communauté différente. Par exemple, S.Aranowitz (1992) parle
de déplacement (displacement) continu où classe, sexe, race, nationalité et civilisation entrent
en compétition comme identité dominante dans diverses situations. En outre, chaque com-
munauté connaît une dynamique intrinsèque qui peut se retrouver dans son histoire. Pour
ce qui concerne les formes multiples de l’identité communautaire, rappellons les cercles
concentriques d’Allport. Au lieu de définir l’identité communautaire de manière stricte,
nous présentons un seul type en guise d’exemple: l’identité ethnique.
Hutchinson et Smith (1996) indiquent six éléments qui déterminent une ethnie.
La communauté ethnique comprend selon eux: un nom commun en vue de l’identi-
fication de l’essence de la communauté; un mythe expliquant la descendance commu-
ne avec une origine commune dans le temps et dans l’espace; des souvenirs historiques
communs et un passé commun avec des héros, des événements et leur commémora-
tion; un ou plusieurs éléments d’une culture commune qui restent à identifier, mais
qui comprennent normalement une religion, des coutumes, une langue, etc.; un lien
avec le pays d’origine avec lequel on continue d’entretenir des contacts au moins sym-
boliques (le pays des ancêtres); un sentiment de solidarité entre les membres d’une com-
munauté. Analysons ses éléments un peu plus en profondeur et avançons quelques
remarques critiques. Le nom commun d’une communauté (français, européens, cito-
yens de Poitiers, chrétiens, etc.) est important mais peut changer au cours du temps,
ou même disparaître de la vie contemporaine. C’est une étiquette que la communau-
té s’approprie ou qu’elle reçoit des autres. Comme telle, cette étiquette est soumise aux
changements: la Yougoslavie du temps de Tito et de nos jours illustre ces changements.
L’essence, qui serait impliquée dans le nom d’après Hutchinson et Smith, n’est qu’une
catégorie temporaire qui aide la communauté à se définir et à indiquer ses frontières.
Les mythes et la mémoire historiques font partie d’un vaste discours narratif où faits
et fiction se mélangent pour donner une cohérence au tout. Les mythes et les narra-
tions forment une histoire qui, d’une part, aide à relier les différentiations internes dans
la communauté et, de l’autre part, dissimule les tensions entre mêmeté et changement.
Beaucoup dépend de celui qui invente et transmet le discours narratif (homme politi-
que, écrivain, etc.). La production d’un discours narratif implique une sélection des
événements qui renforcera l’expérience globale et commune de la communauté. Souvent
cela revient à minimiser ce qui peut diviser et à mettre en relief un amalgame d’élé-
ments qui lient. Il est clair qu’une dynamique individuelle (de héros ou de personna-
lités taille, par exemple) joue dans la constitution et réalisation de discours narratifs
communautaires. Il est certain que, dans des situations conflictives, le rôle des leaders
peut être important dans la structuration et le contenu des discours narratifs. Un terri-
toire, peut-être un pays d’origine, aura la qualité de lieu où les événements les plus
importants se sont réalisés. Dans le discours narratif, c’est le lieu où la communauté
peut se soutenir et se reproduire. Souvent il sera identifié au lieu où ces choses se sont
toujours ou de préférence produites, même si on n’y habite plus. C’est une terre pro-
mise en ce sens que c’est là que certaines formes de vie sociale, de coutumes et de vie
propre sont possibles. Le discours narratif peut entretenir un discours d’exclusivité en
ce sens qu’un groupe (ou peuple) sera maître et les différences ne doivent ni peuvent
être tolérées. Des frontières sont identifiées, engendrant le conflit et la violence dans
beaucoup de cas. Enfin, le territoire est le lieu où le pouvoir est exercé d’une manière
déterminée. Hutchinson et Smith indiquent une place pour le culturel. C’est ainsi que,
par le biais de formes de solidarité, les dynamiques de groupe sont introduites.
la théorie de systèmes dynamiques (avec le chaos dans les cas limites). Les processus
d’identité sont, dans notre perspective, des façons de résoudre certains problèmes. Ceux-
ci sont sans doute universels, de tous et de tous les temps, mais les façons de les résou-
dre et les solutions en elles-même diffèrent selon l’individu, le groupe ou la communauté.
Penser à la solution de conflits entre diverses parties exclusivement à partir d’une pers-
pective unique (d’une seule manière de résoudre le problème), c’est risquer de travai-
ller de forme erronée et inefficace, puisqu’on ne voit plus le problème en soi, mais
seulement cette unique voie de solution. C’est une conviction fondamentale dans notre
perspective. Dans la discussion présente sur les notions d’identité, nous nous heurtons
à deux positions fausses, qui restent néanmoins dominantes.
Essentialisme
Des identités nationales, religieuses, ethniques et autres sont souvent définies de
manière essentialiste. On parle d’une identité flamande intrinsèque, ou de l’arabité, ou
encore des valeurs essentielles de l’identité chrétienne-occidentale, etc. Dans toutes ces
catégorisations, on suppose une identité par essence, ou un noyau incontournable et
inaliénable tel un code génétique pour une personne ou une espèce. Dans le discours
dominant, on trouve des références à une entité à caractéristiques définies, distincte
d’autres entités semblables. En fait, c’est un discours qui rappelle fortement le discours
racial: race X serait distincte de race Y en raison des codes génétiques de chacune. Or,
nous savons maintenant qu’une telle approche de race est scientifiquement insoutena-
ble, voire fausse, comme l’ont prouvé biologistes et généticiens (Cavali-Sforza, 1996).
Dans le discours sur l’identité, ce raisonnement essentialiste persiste toujours. Or, là
aussi, l’essentialisme est faux: l’identité statique s’avère fictive dès qu’on essaie de défi-
nir les caractéristiques dans leur contexte réel, géographique, psychologique, histori-
que et autre. En effet, les identités changent toujours, glissent, s’élargissent et s’adaptent
selon les contextes. La réalité de l’identité est aussi, et même manifestement, ce pro-
cessus continu. Ceci ne débouche pas sur l’irréalité de l’identité temporelle et vécue
mais sur le fait que celle-ci n’est qu’une tranche temporelle d’un processus continu
d’identité. Il serait certes déplorable, compte tenu d’un thème aussi important politi-
quement que l’identité, de se limiter à un raisonnement partiel faisant perdre de vue
la globalité. Anderson (1983) a montré de manière convaincante comment la notion
et les pratiques nationalistes d’identité ont été conçues chez les colons espagnols
d’Amérique Latine (XVIè siècle) pour se répandre sous diverses formes, plutôt essen-
tialistes, dans les jeunes États-nation européens (XVIIIè et XIXè siècle). Anderson mon-
tre quels processus d’imagination opèraient dans ce cycle de transformations.
En second lieu, la critique anthropologique des décennies passées nous a montré
comment les identités ethniques et culturelles se forment et se transforment par le biais
de l’attribution d’étiquettes et de l’affirmation par le discours narratif propre. L’étude la
plus impressionante vient du critique littéraire E.Said (1972) qui a montré comment la
littérature européenne a défini “l’essence orientale” des autres. Ainsi, le préjugé orienta-
liste attribue des caractéristiques de primitivité aux peuples non-européens de l’Orient et
du Sud. Or, leur essence n’est qu’un produit de l’imagination européenne. D’une autre
façon, la critique de Fabian (1984) nous a montré comment une dimension historique
est niée aux autres cultures, avec la justification de théories anthropologiques. Ces criti-
ques nous montrent, entre autres, qu’une approche essentialiste offre une image partielle
et faussée du phénomène d’identité. C’est en ce sens que nous tenons à penser le phé-
nomène en termes de dynamiques d’identité. Le vécu de la propre identité (statique) doit
être compris dans le complexe de dynamiques qui forme un tout vis-à-vis de cette partie.
L’attitude coloniale
Les analyses critiques des décennies passées nous ont montré aussi qu’une appro-
che unidirectionelle, nommée attitude coloniale (Pinxten, 1994), peut être qualifiée de
scientifiquement intenable. L’analyste en sciences sociales de jadis pensait qu’un indivi-
du, un groupe ou une communauté pouvaient être étudié adéquatement si le savant, du
début à la fin, exerçait et contrôlait lui-même l’observation, le recueil de données et
l’interprétation. Les versions positivistes ou phénoménologiques ne diffèrent pas sur ce
point: le chercheur possède et utilise les critères finals, et le sujet de recherche est un sujet
passif qui n’exerce de contrôle systématique ni sur les diverses décisions, ni sur les résul-
tats de recherche. C’est ce que nous appelons l’attitude coloniale. La nouvelle perspec-
tive sur la recherche en sciences sociales part d’une analyse épistémologique: la construction
de connaissances ou de représentations de sujets est un processus d’interactions entre
chercheur et sujets. Par conséquent, l’objet d’étude est l’interaction. Une analyse adé-
quate doit viser à établir une interaction optimale entre chercheur et sujet, ce qui impli-
que repenser en profondeur la méthodologie des sciences sociales. Les questions principales
deviennent alors: qu’est-ce une interaction adéquate, comment peut-on intégrer le contrô-
le du sujet de manière systématique dans le travail de recherche, comment peut-on négo-
cier les questions de la recherche, etc.? Il est clair qu’une telle réorganisation de la recherche
nous mène nécessairement à une perspective comparative.
étire des formes sans les couper. Plus concrètement, on dessine une ligne fermée sur un
élastique (par exemple, un cercle). Puis on comprime, on plie ou on manipule l’élastique
de toutes les manières possibles (sans le déchirer): les caractéristiques générales de la figu-
re pouvant être décrites sont étudiées dans la topologie. Quand on étudie les lois des mou-
vements ou dynamiques que permettent ces limites, nous abordons la théorie des systèmes
dynamiques. C’est dans cette théorie qu’il nous faut trouver des modèles pour saisir les
dynamiques d’identité dans leur complexité et variété, en nous centrant sur les particu-
larités des ensembles néanmoins généraux. Pour le moment, nous utilisons ces modèles
mathématiques de manière métaphorique, en les illustrant dans ce travail par quelques
cas restreints. Il est clair que des études empiriques approfondies nous apporteront le cor-
pus nécessaire pour utiliser les modèles de manière systèmatique. Si les valeurs des paramè-
tres changent, les dynamiques d’identité évolueront vers des structures formelles spécifiques,
qui peuvent être calculées dans la théorie du chaos. En guise d’exemple, nous pensons
qu’un processus équilibré, que nous reconnaissons comme tolérant, peut ainsi être décrit
par le modèle de chaos connu comme “attractor” de Lorenz, souvent surnommé “papi-
llon” ou chiasme (Stewart, 1989:138). La représentation graphique se présente ainsi:
rejoint notre but: elle nous permet de décrire l’identité comme processus de dynami-
ques dans son aspect historique ou en tant que tel. Plus concrètement, l’identité dans
ce modèle est comprise comme une configuration de l’identité (par exemple, la confi-
guration arabe ou la configuration européenne en l’an 2000). Chaque configuration
comprend trois dynamiques d’identité qui se situent à trois niveaux: l’individu, les grou-
pes et les communautés. Une dynamique d’identité est constamment constituée dans
le temps par des valeurs dans trois dimensions: la personnalité, la socialité et la cultu-
ralité. La personnalité est l’ensemble des traits qui renvoient à une personne unique:
son intelligence, son tempérament, sa hauteur, etc. La socialité s’applique à tous les
traits spécifiques aux ensembles de rapports dans lesquels les individus se situent, qui
les forment et vice versa: code de famille, dépendances du groupe d’âge, etc. La cultu-
ralité est l’ensemble des processus qui produisent du sens pour un individu, un grou-
pe ou une communauté, c’est-à-dire, tout ce qui peut être appris et les formes d’apprendre
à apprendre (par exemple, oral/écrit). Ces trois dimensions présentent à chaque nive-
au (individu, groupe, communauté) divers traits qui diffèrent -dans chacun de ces nive-
aux- selon la situation, le temps ou l’espace dans le monde. Il est clair que les dynamiques
d’identité peuvent changer au cours du temps dans un même espace (par exemple, l’être
européen de la fin de ce siècle était inconcevable sur le même territoire au début de
celui-ci). Elles peuvent changer d’espace (par exemple, réfugiés qui apprennent d’autres
langues, coutumes, etc.). Elles peuvent changer différemment sur les trois niveaux (par
exemple, un pacifiste donnera priorité à son pays en temps de guerre; Rushdie essaie
d’élargir la liberté personnelle en matière de religion, bien que l’Islam (communauté)
ne permette pas le choix individuel dans ces questions).
de des conflits à un stade primaire, afin d’en prévenir l’explosion violente. Ils utilisent
un système d’indicateurs tels tensions structurelles, inégalité sociale, composition de la
population, changements économiques, sécurité alimentaire, conditions écologiques,
légitimité du régime, répression des droits de l’homme, dépenses militaires, etc. Eux
aussi se tournent vers les théories dynamiques.
davantage de contingence dillue celles-ci et le sens d’identité. Il est clair que les cas limi-
tes (exclusion totale et dissipation générale) sont intenables puisqu’ils rendent l’inte-
raction avec d’autres impossible.
-Organisation: plus un groupe ou une communauté est intégré, plus ils se mani-
festeront en collectivité uniforme et bien organisée. Des dirigeants ou des responsables
de l’organisation peuvent jouer un rôle exemplaire dans ces processus. Ils renvoient
aussi aux discours narratifs d’affirmation et aux étiquettes données par d’autres.
Il est important de comprendre que tous les processus mentionnés se manifestent
dans des contextes qui codéterminent à leur tour le développement du processus. Par
exemple, et entre autres aspects contextuels, le glissement vers une identité chrétienne
de la nouvelle droite américaine se produit dans un contexte d’affaiblissement du pou-
voir économique des États-Unis, tandis que le “réveil de l’Islam” ne peut se compren-
dre comme dynamique complexe que dans le contexte postcolonial de nouveaux
États-nations dans les régions concernées.
immigrés, ils peuvent revendiquer davantage d’égalité quant aux droits politiques et éco-
nomiques. L’autre perspective est celle de la séparation, avec exclusion plus systémati-
que des autres (dans des ghettos, exclusion du pouvoir politique, refus du droit au travail,
etc.). D’autre part, les changements voulus peuvent se situer à divers niveaux, superfi-
ciels ou restructurations profondes. Les configurations de l’identité des parties pèsent et
influencent donc le type de rapports établis, soit dans le sens du conflit soit dans celui
d’une possibilité de coexistence paisible. De nouveau, les leaders, utilisant les discours
narratifs dominants, peuvent jouer un rôle important dans ces processus.
pendant des décennies). Finalement, l’escalade est renforcée par des constructions de
plus en plus rigides et impénétrables, qui éliminent toute forme d’interrelation ou de
négociation. L’autre est devenu ennemi, au lieu de partenaire possible. Finalement,
l’affrontement devient inévitable.
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