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Névrose et psychose.

Diagnostic différentiel : la structure


en question, approche psychanalytique
Dominique Delcourt
Dans L'en-je lacanien 2011/1 (n° 16), pages 127 à 141
Éditions Érès
ISSN 1761-2861
ISBN 9782749214290
DOI 10.3917/enje.016.0127
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Névrose et psychose
Diagnostic différentiel :
la structure en question,
approche psychanalytique *

Dominique DELCOURT
C ’est à partir d’une question sur la pratique d’analyste que j’ai
éprouvé la nécessité de m’interroger sur le concept de structure, fonda-
mental dans la clinique psychanalytique tant pour construire un diagnos-
tic différentiel que pour la conduite d’une cure.
De plus, le diagnostic est toujours un sujet de polémiques quant à son
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utilité et quant à l’éthique au regard du risque de stigmatisation. Cepen-
dant, en psychanalyse, le symptôme est dit « autodiagnostiqué » par le
sujet qui vient formuler une demande à un sujet supposé savoir. Il est
« autodiagnostiqué », car ce qui conduit un sujet à formuler une demande,
ce dont il se plaint et qui le fait souffrir n’est que rarement ce qui consti-
tuera le symptôme d’entrée en analyse. En effet, cette plainte première,
cette demande va nécessiter tout un travail qui aboutira à la constitution
du symptôme d’entrée dans l’analyse. Cela pour ne pas confondre ce qui
fait symptôme comme phénomène et ce qui fait symptôme pour le sujet,
soit cette question, cette « opacité subjective » (Colette Soler) qui conduit

Dominique Delcourt est psychanalyste à Toulouse, membre de l’EPFCL.


* Exposé de soutenance de thèse de doctorat de psychopathologie, le 5 septembre
2009, à Aix-en-Provence.
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le sujet à adresser cette question à un sujet supposé savoir. Ce sera alors


l’entrée dans le transfert et par là même en analyse. Lorsque j’avance que
le symptôme est « autodiagnostiqué », j’entends donc par là que c’est le
sujet lui-même qui détermine que « ça ne va pas », et non une quelconque
autorité en fonction de quelque norme ou nosographie. Le sujet s’auto-
diagnostique dans le sens qu’il se saisit d’un signe pour formuler une
demande première. Le premier travail sera alors de transformer ce signe
en symptôme, de construire un symptôme analysable.
Il en va tout autrement en ce qui concerne le DSM, ou Manuel dia-
gnostique et statistique des troubles mentaux (né en 1952, nous en
sommes à la version IV depuis 1996, ou peut-être plus !), lequel se réfère
à une classification de syndromes et se réclame athéorique, ce qui
conduit à supprimer tout simplement le terme de névrose et tout ce qui
peut se référer à des notions d’étiologie affective. Il s’agit là de listes pure-
ment descriptives de « troubles » qui se substituent aux symptômes, les-
quels disparaissent. De plus, il s’agit de recours à la statistique, alors que
la clinique classique des psychiatres, bien que descriptive elle aussi, s’ap-
puyait sur le singulier, avec des interrogatoires un par un.
Jacques Lacan nous a rappelé à de multiples occasions qu’il y a tou-
jours à apprendre de la psychiatrie classique et, pour lui, chaque caté-
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gorie diagnostique impliquait un jugement éthique. J’ai d’ailleurs particu-
lièrement apprécié les Écrits psychiatriques de Gaëtan de Clérambault,
dont la clinique est si précieuse en ce qui concerne les « automatismes
mentaux » et, ce qui paraît presque oublié, les érotomanies (psychoses
passionnelles, avec délires de revendication et délires de jalousie), mais
aussi ses observations « de terrain » qu’il a consignées dans ses Écrits.
En psychanalyse, le symptôme s’éclaire à deux niveaux. Tout d’abord,
il trouve son sens par sa connexion à l’histoire du sujet, à la préhistoire
familiale et même par rapport au discours de sa culture. C’est le point par
où le symptôme renvoie au malaise dans la famille et dans la civilisation.
Ensuite, il trouve sa valeur de jouissance par son lien au fantasme incons-
cient qu’il construit dans la cure. Freud rapprochait le fantasme des théo-
ries sexuelles infantiles et se posait la question du rapport du fantasme au
trauma, en particulier dans son exposé du cas de l’Homme aux loups. Ce
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Névrose et psychose. Diagnostic différentiel… —— 131

fantasme a fonction de réponse au caractère traumatique de l’irruption


de la jouissance sexuelle. Comme expérience de vérification ou de falsi-
fication, la cure concerne donc davantage le savoir inconscient de l’ana-
lysant que le savoir théorique de l’analyste.

*
Dans mon travail, j’ai évoqué la non-scientificité de la psychanalyse.
La psychanalyse est, en effet, une science, si l’on entend par science un
désir de savoir et un savoir. Dans cette optique, elle est une science non pas
au sens physico-mathématique, mais dans le sens plus extensif d’une apo-
phantique, telle qu’Aristote l’a élaborée, et, comme les autres sciences, elle
est falsifiable.
Elle n’en est pas une si l’on fait équivaloir science et modèle expé-
rimental. Si Freud et Lacan ont pu évoquer l’esprit scientifique, il me
semble que c’était pour privilégier la clinique en tant que réel (de la jouis-
sance) en jeu dans l’expérience de la cure. En effet, la clinique psycha-
nalytique traite le réel, comme les autres sciences, et, comme elles, elle
tente de domestiquer le réel. Mais c’est une clinique du réel en tant
qu’elle traite les symptômes et la jouissance qui leur est attachée.
Le souci de Freud était que la théorie puisse être remise en question
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pour chaque nouvel analysant ou nouveau cas. Cet idéal scientifique
s’est révélé utopique et Freud regrettait que la psychanalyse ne relevât
pas de la méthode expérimentale ; la raison en est que l’analyste fait par-
tie du dispositif de l’expérience, avec sa théorie et son jugement. La clini-
que analytique comporte le transfert, où l’analyste est l’objet avec lequel
l’analysant opère. Jacques Lacan disait que l’analyste fait partie du
concept d’inconscient, d’en constituer l’adresse. L’analyste n’est donc pas
hors champ, il est partie prenante dans la cure, qui se présente comme
un dispositif de discours régi par une règle et comportant deux parte-
naires (au moins deux, car il faut compter, entre autres, l’analyste
« contrôleur »). La psychanalyse s’apparente à une maïeutique, différente
cependant de celle de Socrate : Freud tente d’accoucher le sujet de sa
vérité la plus intime, celle de son désir et de sa jouissance, et c’est de cette
vérité qu’il attend un bénéfice thérapeutique pour le sujet qui l’a produite.
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Ce n’est que dans un second temps qu’une théorisation est élaborée, qui
tente de dépasser la particularité du cas pour rejoindre l’universel d’un
savoir qui s’égale à la science. Un des enjeux de la cure est de permettre
à l’analyste de vérifier ou d’infirmer sa propre théorie. En effet, l’analy-
sant est mis à la tâche d’élucider son symptôme au moyen de l’associa-
tion libre et avec le concours de l’interprétation psychanalytique.
Dans la méthode expérimentale, l’objet interrogé par l’expérimen-
tateur répond aux questions que celui-ci pose, et dément ou confirme ses
hypothèses (des hypothèses « générales », déclinées en hypothèses
« opérationnelles »). Dans l’analyse, si l’on considère que l’analysant est
l’objet de l’expérience, force est de constater qu’il s’agit d’un objet d’ex-
périence qui ne se contente pas de répondre aux questions qui lui sont
posées, mais qui élabore ses propres hypothèses, qu’il peut, dès lors, lui-
même vérifier ou falsifier, parfois à l’insu de l’analyste.
La science ne se limite pas alors à la méthode expérimentale. Elle
a des fondements logico-mathématiques. Lacan considérait la logique
comme la science du réel, en tant qu’elle permet de conclure à des impos-
sibilités, en dehors de toute expérimentation. Le modèle expérimental qui,
selon un certain Popper, définit la science est par là même second par
rapport au fondement logico-mathématique. Freud, formé au début de sa
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carrière dans les laboratoires, aboutit au regret du caractère non expéri-
mental de la psychanalyse : c’est une expérience, certes, mais l’analyste
ne peut se considérer hors du champ comme l’expérimentateur en phy-
sique classique.
Lacan en tire les conséquences en tentant de penser l’analyse à
l’aide de modèles logiques, dans le sens d’un essai de formalisation avec
des outils logiques, certains classiques ou modernes, d’autres inventés ;
il se fait « géomètre du champ freudien », ainsi qu’il le dit dans le
Séminaire XXIV, L’insu que sait de l’Une-bévue s’aile à mourre, pour inter-
roger les fondements et les ressorts de la psychanalyse. Cela ne fait pour-
tant pas de la psychanalyse un système logique entièrement formalisable.
La mise en forme logique de la cure se heurte dans la pratique à un
obstacle majeur : s’il y a bien une logique reliant, par exemple, tel
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Névrose et psychose. Diagnostic différentiel… —— 133

symptôme à tel fantasme, cette logique n’apparaît qu’après coup et, de


plus, généralement par fragments.
Chaque cure produit un savoir, qui est non pas le savoir de la théo-
rie, mais un savoir inconscient dont l’axiome est le fantasme, savoir qui
organise la jouissance en masquant l’incurable. Et en ce sens il n’y a
d’analyse que didactique.
J’ai cité Karl Popper, non pour me rallier à sa définition de la
science, mais parce qu’il rappelle que toutes les théories sont des hypo-
thèses et que, par conséquent, « toute science est essentiellement conjec-
turale ». C’est d’ailleurs ce qu’écrivait Lacan dans « La science et la
vérité 1 » : la psychanalyse comme science conjecturale du sujet, de son
économie de jouissance. Il donne à la psychanalyse le statut d’une
science qui ne soit pas fondée sur la forclusion de la vérité comme cause
du sujet. Il y oppose les sciences dites exactes aux sciences conjecturales
et pose la question de l’objet de la science et de l’objet de la psychana-
lyse, lequel est l’objet a, sur lequel nul savoir ne saurait faire de la psy-
chanalyse une science de la division du sujet entre vérité et savoir.
Les sciences ignorent la vérité comme cause du sujet, démarche forclu-
sive de suppression du sujet. Dans Le moment de conclure (Séminaire XXV),
Lacan resitue la psychanalyse de façon plus modeste, comme une tech-
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nique (de l’ordre d’un savoir-faire, et non pas épistémè, même si elle com-
porte une part de savoir) et une pratique (car elle est essentiellement un pro-
cessus de changement), une « pratique du bavardage », et il se réfère au
même Popper et à son critère de non-réfutabilité pour exclure la psychana-
lyse du champ de la science.
Avec Jacques Lacan naît la conception du sujet en tant que déter-
miné par sa structure. La démarche freudienne fut d’examiner à partir du
symptôme l’incidence de l’inconscient. Tout en conservant les trois entités
structurales névrose, psychose et perversion, Lacan a repensé les phéno-
mènes de chaque entité à partir de la structure du sujet, lequel est déter-
miné par la structure du signifiant et du discours. Au terme de sujet il subs-
titue le terme de « parlêtre », qu’il introduit tard dans son enseignement et

1. J. Lacan, « La science et la vérité », dans Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 863.


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qui viendrait d’une vieille définition de la métaphysique grecque de


« vivant qui a le langage », interrogeant l’articulation du vivant et du
logos : c’est, ainsi que je le comprends, ce que permettent d’interroger les
trois catégories lacaniennes du réel, du symbolique et de l’imaginaire.
Bien sûr, cela ne change rien à la structure du sujet, mais permet d’en
questionner les fondements et d’en avoir une conception différente.
Le réel, le symbolique et l’imaginaire ne sont pas des concepts. Ce
sont, en effet, des « catégories », des attributs et, par ailleurs, ces trois
catégories R, S et I peuvent être articulées à ce qu’en disait (écrits acroa-
matiques) Aristote : « Aucun de ces termes en lui-même et par lui-même
n’affirme rien, ni ne nie rien ; c’est seulement par la liaison de ces termes
entre eux que se produit l’affirmation ou la négation » (catégories de
l’interprétation, Organon I et II). Ainsi, réel, symbolique et imaginaire
séparément ne suffisent pas à faire un sujet ; mais c’est de leur nouage,
de leur liaison que résulte le sujet.

*
Dès lors, il me semble que l’introduction du nœud borroméen, avec les
séminaires R.S.I. et Le sinthome, amène du changement à deux niveaux :
– d’abord, cette introduction change la question du diagnostic. Chan-
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gement par rapport déjà au concept de forclusion du Nom-du-Père : le
nœud borroméen nous permet de sortir de l’alternative binaire Nom-du-
Père versus forclusion du Nom-du-Père. Ce binaire a la fâcheuse consé-
quence de ne pas permettre d’envisager les multiples modalités de l’être
d’un sujet, de consentir à la singularité d’un sujet, mais dans des limites dic-
tées par la conceptualisation. Ainsi, la théorie du sinthome nous engage à
ne pas faire l’impasse sur le particulier, impasse qui conduit à l’exclusion de
ce qui ne peut se ranger dans les catégories classiques. Et alors, dans ce
cas, qu’en faire si ce n’est des « borderlines », terme qui ne dit rien de ces
sujets ? Cette singularité du sujet est peut-être ce que Canguilhem dans son
ouvrage Le normal et le pathologique appelait « l’allure », qui est ce que le
sujet humain donne à sa vie au-delà de l’idée de norme. J’ajouterai que
nous pouvons peut-être rapprocher « l’allure » de Canguilhem de ce que
Joyce nomme « rythme individualisateur », dans son premier véritable
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Névrose et psychose. Diagnostic différentiel… —— 135

ouvrage, Portrait de l’artiste, en 1904, et qui constitue sa conception de la


personnalité 2. L’écriture de Joyce témoigne de ce « rythme individualisa-
teur », lui qui mettait tout l’accent sur la sonorité, le rythme et le jeu verbal ;
le sens lui paraissait indifférent ou négligeable, écrit Richard Ellman 3 ;
– ensuite, même si l’on peut contester les apports cliniques des
conceptions borroméennes sur certains points, cela permet cependant à
la psychanalyse un nouvel abord de la clinique dans son ensemble, y
compris celle des psychoses, qui était laissée auparavant à la seule psy-
chiatrie (à condition, de plus, que la psychose soit déclenchée), et surtout
d’avoir une représentation différente de la folie, de « ne pas reculer
devant la folie ». Heureusement, car, et c’est un constat partagé, les sujets
psychotiques demandent de plus en plus à rencontrer les analystes.
La clinique borroméenne est précieuse pour accueillir ces sujets-là,
car, avec l’introduction des conceptions borroméennes, toute une phéno-
ménologie est repensée concernant ce qu’il en est du rapport au corps
(imaginaire), au langage (symbolique) et à la jouissance du vivant (réel),
selon qu’ils sont noués ou pas, ou selon la modalité dudit nouage.
Lacan va définir et élaborer une clinique borroméenne à partir des
séminaires R.S.I., Le sinthome et L’insu que sait… Sur le plan de la doc-
trine, cela repose sur les questions que Lacan se pose sur le réel, sur la
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suppléance à propos de Joyce, mais surtout sur le remaniement de la
fonction du père, sur l’équivalence des trois registres R, S et I et la tripli-
cité du Nom-du-Père (c’est le passage du singulier au pluriel du Nom-du-
Père). Chaque anneau peut supporter le Nom-du-Père. C’est toute la
question de la nomination.
Ces nouvelles élaborations de Lacan sont homogènes avec la défini-
tion qu’il donne de l’inconscient. Elles ouvrent un champ nouveau dans la
pratique, par exemple pour l’interprétation via les rapports de l’incons-
cient et du symptôme : c’est le rapport de circularité entre le symptôme et
l’inconscient, tel que Lacan le conçoit à partir du nœud borroméen. C’est
la question du réel d’un effet de sens, ou à quoi tient « l’effet de sens dans

2. R. Ellmann, Joyce, t. I, Paris, Gallimard (1re édition : 1959), coll. « Tel », 1987, p. 178.
3. R. Ellmann, Joyce, t. II, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1987, p. 360.
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son réel 4 ». Dans la clinique, c’est la question de concevoir que le symp-


tôme, soit l’usage des mots, opère dans le réel, alors que le symbolique
et le réel ne sont pas directement liés l’un à l’autre mais supposent un troi-
sième, l’imaginaire, pour réaliser le nouage.
Dans la psychose se retrouvent ces questions : comment un sujet va
trouver, inventer ce qui lui permettra de nommer ce qui pourra suppléer
le Nom-du-Père, et la façon dont ce sujet va se construire, se bricoler une
solution à la place du signifiant défaillant, solution qui permettra un
nouage sinthomatique.
Un certain nombre d’éléments symptomatiques d’importance se
retrouvent dans toutes les entités cliniques, de façons différentes cepen-
dant. Le problème précisément est de parvenir à repérer ces distinctions
dans leur expression et, avant tout, la question est de savoir comment défi-
nir un symptôme.
Freud définissait le symptôme par sa structure métaphorique, qui
relève en tant que telle du déchiffrage. Les deux approches, freudienne
et lacanienne, se fondent sur les deux grandes lois du langage, méta-
phore et métonymie, constituantes du symptôme dans sa formation et ses
implications. Mais Lacan précise que c’est plus particulièrement les effets
de sens introduits dans la substitution signifiante qui organisent le symp-
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tôme, sur un versant métonymique. Le symptôme, inscrit sur le corps, se
« motérialise », car c’est de l’effet du langage sur le corps qu’il surgit.
Lacan a fait du symptôme, qui témoigne de l’existence de l’inconscient, le
mode de jouissance du sujet, avec le rapport étroit entre les « premiers
jouirs » véhiculés par la « lalangue », laquelle échappe au signifiant.
Discerner la structure d’un sujet à partir des éléments de son dis-
cours est un enjeu majeur : pour Lacan, c’est ce savoir clinique qui doit
orienter l’acte analytique, vers la modération d’une jouissance débridée
ou vers l’analyse du refoulé. Par exemple, l’abord d’une anorexie sera
différent dans un cas de mélancolie ou dans un cas d’hystérie.

4. J. Lacan, R.S.I., séminaire inédit, 11 février 1975.


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Névrose et psychose. Diagnostic différentiel… —— 137

La difficulté d’appréciation est réelle en l’absence de phénomènes


élémentaires (automatismes mentaux, hallucinations, troubles de la per-
ception, états oniroïdes ou éléments verbaux délirants), ce qui n’exclut
nullement une structure psychotique.
Le concept lacanien de structure ainsi que le récent concept de
« psychose ordinaire » (cf. Jean-Claude Maleval dans son séminaire
Éléments pour une appréhension clinique de la psychose ordinaire) répon-
dent à la fréquence actuelle de psychoses non déclenchées fonctionnant
à bas bruit. Avec le développement des études sur ce sujet, la notion de
phénomène élémentaire s’est élargie et la présence de celui-ci n’implique
plus nécessairement le déclenchement de la psychose. La psychose cli-
nique n’est plus, dès lors, qu’une possibilité qui s’actualise à l’occasion de
« mauvaises rencontres ».
L’identification de la structure psychotique hors déclenchement n’est
donc plus réductible au discernement de faits morbides initiaux. L’articu-
lation de l’être d’un sujet dans un nouage qui lui est spécifique, les modes
de suppléance qui lui sont propres donnent consistance au concept
de structure.
Cependant, les demandes émanant de sujets dont la psychose est
déclenchée, chez lesquels la symptomatologie est d’ores et déjà mani-
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feste, se font aussi plus fréquentes ; se pose alors non plus le problème du
diagnostic mais celui de la prudence dans la conduite du travail. Ces
sujets-là viennent adresser une demande d’écoute au psychanalyste,
l’écoute de la psychiatrie s’étant faite de plus en plus réduite, si ce n’est
inexistante.
Il arrive fréquemment que des sujets en demande d’analyse soient
établis dans une structure psychotique qui présente une symptomatologie
d’apparence névrotique, avec des phobies, des obsessions ou même des
conversions, et un discours « capitonné ». La conception de Jacques
Lacan avance que la névrose, comme aussi bien la psychose, n’est pas
seulement repérable par des symptômes mais que toute la personnalité
d’un sujet porte la marque de sa structure (cf. le séminaire Les formations
de l’inconscient, dans la séance intitulée « Une sortie par le symptôme »).
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138 —— L’en-je lacanien n° 16

*
Le cas paradigmatique de l’Homme aux loups m’a permis de poser
la question du diagnostic, d’une part parce qu’il est le seul cas à avoir
été suivi depuis l’histoire de son enfance jusqu’à sa mort, d’autre part
parce qu’il reste un paradigme du questionnement sur le diagnostic.
Pour ce faire, j’ai travaillé à partir de l’écrit de Freud, « Extrait de
l’histoire d’une névrose infantile » ; avec le recueil de textes réunis par
Muriel Gardiner sous le titre L’Homme aux loups par ses analystes et par
lui-même, et en particulier sur le supplément à l’écrit de Freud que fit Ruth
Mac Brunswick ; avec aussi les entretiens de Karin Obholzer avec Serguéi
Pankejeff. J’ai consulté également divers ouvrages, dont celui de Patrick
Mahony, Les hurlements de l’Homme aux loups, ainsi que des articles
d’auteurs parus dans des revues d’orientations différentes, qui m’ont ainsi
permis d’aborder la diversité des conceptions et des diagnostics posés et,
par conséquent, la question du diagnostic en soi, laquelle met à l’épreuve
la symptomatologie et les différents statuts du symptôme dans l’enseigne-
ment de Lacan. J’ai soutenu l’hypothèse d’un diagnostic de psychose pour
l’Homme aux loups et me suis posé deux séries de questions, la première
sur le plan clinique et la seconde sur le plan épistémique.
Ma première question clinique a porté sur le premier des diagnostics
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posés sur le cas de l’Homme aux loups, celui d’Emil Kraepelin : s’était-il
totalement trompé dans son diagnostic de psychose maniaco-dépressive,
ainsi qu’il l’avoue par la suite à Serguéi Pankejeff 5 ?

5. On se souvient que Kraepelin avait diagnostiqué une psychose maniaco-dépressive


chez Serguéi Pankejeff, de même que chez son père, puis était revenu sur ses déclara-
tions. Cependant, excepté Freud qui écrit n’avoir jamais noté de changement d’humeur
chez son patient pendant qu’il était en analyse avec lui, tous les auteurs, de même que
Serguéi Pankejeff lui-même, ont observé ses fréquents états dépressifs, voire de mélanco-
lie, alternant avec des périodes d’euphorie.
Dans sa thèse, Lacan expose la fréquence avec laquelle les auteurs psychiatres français
et allemands décrivent des « troubles de l’humeur » dans la psychose paranoïaque et les
rapports étroits des variations de l’humeur, maniaques et mélancoliques, avec des idées
délirantes : Esquirol confondait le délire de persécution et les lypémanies, que Lasègue
isola dans la nosographie. Variations de l’humeur et idées délirantes apparaissent donc
au plus grand nombre des auteurs comme étant intriquées.
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Névrose et psychose. Diagnostic différentiel… —— 139

Ma seconde question clinique a été celle de la valeur et de l’interpré-


tation des symptômes névrotiques de l’enfance, tels qu’ils apparaissent
dans l’observation et l’interprétation de Freud, puis des symptômes de l’âge
adulte dans l’observation et l’interprétation que fit Ruth Mac Brunswick.
En premier lieu, l’interrogation porte sur l’hallucination du doigt
coupé dans l’enfance : permet-elle de trancher (si je puis dire !) quant à
une structure ? Est-ce une hallucination névrotique ou psychotique ? Sur
quels critères peut-on se fonder pour les différencier ?
En second lieu, que signifient les conversions hystériques, en relation
avec l’identification à la mère ? Cette identification a-t-elle la même valeur
dans l’enfance et à l’âge adulte ? Quelles sont la place et la fonction des
symptômes hypocondriaques de l’Homme aux loups ? Où ont-ils pu trou-
ver leur origine ?
En troisième lieu, mon interrogation porte sur la disparition ou la
possible rémanence des symptômes de l’enfance, sur la phobie des loups
et sur les doutes de la névrose obsessionnelle de l’enfance. Peut-on retrou-
ver tous ces symptômes à l’âge adulte ? Et sous quelle forme ?
Ces questions m’ont permis de soutenir la pertinence de l’hypothèse
structurale de Jacques Lacan et de la permanence de la structure.
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Sur le plan épistémique, j’ai interrogé la théorie de Freud de l’Œdipe
et celle de Lacan du Nom-du-Père et de la forclusion du Nom-du-Père, de
la métaphore paternelle et de la signification phallique qui l’accom-
pagne. Qu’en est-il de la métaphore paternelle et de la signification phal-
lique dans le cas de l’Homme aux loups ? Un autre discours est-il pos-
sible, et, dans ce cas, comment s’articule-t-il pour Serguéi Pankejeff ?
Le virage lacanien des années 1970 du Nom-du-Père vers le sin-
thome constitue une alternative à la référence au Nom-du-Père et à
l’Œdipe freudien. Une clinique du sinthome est-elle alors pertinente ?
Geneviève Morel, dans son ouvrage Ambiguïtés sexuelles, écrit à propos
d’une patiente psychotique : « L’invention de celle-ci manifestait une ten-
dance à l’abolition de son nom propre au profit d’un nom délirant trop
plein de sens. Dans la psychose, cette transformation du nom propre, glis-
sant vers le nom commun, est assez fréquente dans les moments de
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140 —— L’en-je lacanien n° 16

décomposition du symbolique. » Il me semble que l’on peut faire un paral-


lèle avec le nom de Wolfman qui se substitue au nom propre de Serguéi
Pankejeff et par là même l’abolit.

*
Sur le plan épistémique aussi, j’ai défendu l’hypothèse d’un chan-
gement de paradigme lors de l’introduction du nœud borroméen, dont
les schémas répondent à une réalité clinique. Plusieurs exemples nous
sont donnés : le sinthome, avec Joyce, « qui démontrait qu’on pouvait se
passer du Nom-du-Père sans être fou, bien que de structure psychotique,
à la condition de construire un sinthome qui tienne », écrit Geneviève
Morel dans l’ouvrage cité plus haut. Ce sinthome est l’invention d’une
autre manière de capitonner la jouissance. Lacan a désigné du nom de
sinthome la localisation de la jouissance lorsqu’elle réussit à nouer réel,
symbolique et imaginaire. Par exemple encore, la maladie de la menta-
lité, la psychose lacanienne, dont les phénomènes cliniques sont abordés
avec les trois registres R, S et I et avec la définition de l’inconscient réel.
Il y a, en effet, deux positions :
– celle de l’absence de rupture et de changement de paradigme.
Lacan a montré dans son enseignement les passages entre la période
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structuraliste et la période borroméenne (cf. Colette Soler, La querelle des
diagnostics). Par exemple, les phrases interrompues de Schreber sont
l’illustration de la rupture entre R, S et I, ce qui donne à penser le nouage
borroméen comme la condition de la chaîne signifiante. Pour cette posi-
tion, Lacan aurait traduit ses analyses cliniques dans différentes formula-
tions. Il n’y aurait pas de saut dans un nouveau paradigme mais des
déplacements et un nouveau schématisme ;
– celle en faveur d’un changement de paradigme. Je me suis
appuyée sur l’ouvrage de Jean Allouch Freud, et puis Lacan et sur la défi-
nition de T. Kuhn : en particulier, le nouveau paradigme change la signi-
fication des concepts établis. Il y a un ou des déplacements des ques-
tions ; il s’agit non pas d’un processus cumulatif ou d’une extension, mais
bien plutôt d’une reconstruction sur de nouveaux fondements et il y a là
une définition nouvelle du domaine de recherche.
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Par ailleurs, il me semble que l’on peut trouver un changement de


paradigme entre l’inconscient-hypothèse de Freud et l’inconscient-réel de
Lacan, entre l’inconscient freudien et l’inconscient lacanien. L’inconscient
réel, l’inconscient comme ex-sistence s’oppose à l’inconscient freudien sur
plusieurs points : il s’oppose à l’inconscient comme hypothèse et à l’in-
conscient comme imaginaire. Le concept d’inconscient réel affirme d’une
part qu’il existe et n’est plus une hypothèse ; d’autre part qu’il ex-siste à
l’imaginaire ; de plus, qu’il est noué et articulé à ce qu’un sujet a de plus
réel, son symptôme. La conception lacanienne de l’inconscient est dépen-
dante de sa conception du symptôme (cf. le séminaire L’inconscient laca-
nien). Chez Freud, c’est un inconscient phénomène, alors que pour Lacan
le fondement de l’inconscient se trouve dans le langage ; de l’inconscient
concept du Séminaire XI, Lacan est passé à l’inconscient réel dans le
Séminaire XXIII, Le sinthome. Cette conception de l’inconscient à partir
des trois « dits-mentions » des dits du sujet parlant dans le nœud borro-
méen, cette conception topologique, écriture du réel, s’oppose à la
conception topique de Freud. Cet objet topologique constitue la structure
du discours de l’inconscient.

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Cette recherche a été pour moi une ouverture, à la fois l’éveil et l’af-
firmation d’un désir de travail dans la cause analytique. Plus qu’une fin
en soi, elle marque bien plutôt un engagement.

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