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Slash Autobiographie

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1) Copyright

© Camion Blanc, 2011


www.camionblanc.com
ISBN : 978-2-35779-139-8
Dépôt légal : septembre 2011
Tous droits réservés.
Titre original : Slash, © Slash & Anthony Bozza, Harper Collins 2007,
2008 for the present edition.
Crédits Photos Couverture : © Corbis -
Première de couverture : 29 mai 2010 © Dan Burn-Forti/Corbis Outline
Quatrième de couverture : Gene Ambo, 13 février 2011, Chicago,
Illinois, USA. © Gene Ambo/Retna Ltd./Corbis
Crédits photos pages intérieures : Gene Kirkland - Marc Canter - Ola
Hudson - Karl Larsen - Perla Hudson - J. Nez - Jack Lue
(recklessroad.com)
Direction de Publication et Mise en page :
Dom Franceschi
La traductrice remercie tout particulièrement Karine Sancho de Warner.
2) Tout bien considéré
J’ai ressenti comme un coup de batte de base-ball à la poitrine, mais
asséné de l’intérieur. J’ai vu du coin de l’œil de petits points bleus briller.
C’était une violence brutale, clean, silencieuse. En apparence, rien n’avait
bougé, rien n’avait changé à l’œil nu, mais cette douleur a figé tout mon
univers. J’ai continué à jouer ; j’ai fini le morceau. Le public ne savait pas
que juste avant le solo, mon cœur avait fait un saut périlleux. Mon corps
m’avait transmis sa réponse karmique, en me rappelant, sur scène, toutes les
fois où je lui avais volontairement administré un grand huit chimique.
La secousse s’est rapidement transformée en une douleur sourde, mais
pas désagréable. Je me sentais plus vivant que quelques moments
auparavant, parce que j’étais plus vivant. La machine dans mon cœur
m’avait rappelé combien cette vie est précieuse. Et le timing était parfait :
devant un stade plein, la guitare à la main, j’ai reçu le message cinq sur
cinq. Je l’ai reçu encore un certain nombre de fois, ce soir-là. Et je l’ai
encore reçu quelques fois sur scène, après ça. Je ne savais pas quand ça
allait arriver, mais malgré leur brutalité, je ne regrette pas ces moments de
lucidité forcée.
J’avais trente-cinq ans quand un médecin m’a installé un défibrillateur
dans le cœur. Quinze ans d’abus de boisson et de drogues avaient fait
gonfler cet organe, au point qu’il était près d’exploser. Quand j’ai
finalement été hospitalisé, on m’a dit que j’avais entre six jours et six
semaines à vivre. Aujourd’hui, ça fait six ans, et ce mécanisme m’a sauvé la
vie plus d’une fois. J’ai même pu apprécier un effet secondaire dont le
docteur ne m’avait pas averti : quand mes dépravations faisaient battre mon
cœur dangereusement lentement, mon défibrillateur se déclenchait,
éloignant une nouvelle fois la mort de moi. Il se déclenche aussi pour
ralentir mon cœur, quand il bat assez vite pour provoquer une crise
cardiaque.
C’est une bonne chose que je l’aie fait régler avant la première tournée
de Velvet Revolver. J’étais sobre pendant la plus grande partie de cette
tournée, assez sobre pour que l’excitation de jouer dans un groupe auquel je
croyais, devant des fans qui croyaient en nous, me touche au plus profond.
Cela faisait des années que je n’avais pas été aussi inspiré. Je courais dans
tous les sens sur scène ; je savourais notre énergie collective. Sous
l’excitation, mon cœur galopait assez vite pour déclencher cette machine
secrète au fond de moi tous les soirs, sans nul doute. À l’époque, je n’en
avais plus besoin, mais quelques années plus tôt, j’accueillais ces rappels
avec gratitude. Je les voyais pour ce qu’ils étaient : ces étranges moments
hors du temps renfermaient la sagesse péniblement acquise de toute une vie.
3) « Stoke » de souvenirs
Je suis né le 23 juillet 1965, à Hampstead, en Angleterre, et j’ai grandi à
Stoke-on-Trent, où Lemmy Kilmister, de Motörhead, a vu le jour vingt ans
avant moi. C’était l’année où le rock’n’roll tel que nous le connaissons a
pris une ampleur énorme ; l’année où quelques groupes épars ont changé la
musique pop pour toujours. C’est l’année où les Beatles ont sorti Rubber
Soul et où les Stones ont sorti Rolling Stones No. 2, un best of de leurs
reprises de blues. Une révolution créative sans égal se préparait, et je suis
fier d’en être le produit.
Ma mère est afro-américaine, et mon père est anglais et blanc. Ils se
sont rencontrés à Paris dans les années 60, sont tombés amoureux, et m’ont
eu. Leur manière de mélanger races et continents n’était pas la norme, tout
comme leur créativité sans limites. Je les remercie d’être ce qu’ils sont. Ils
m’ont initié à des univers si riches, si hauts en couleur, si uniques, que dès
ma plus tendre enfance, tout ce que j’ai vécu m’a marqué à jamais. Mes
parents m’ont traité comme leur égal dès que j’ai su marcher. Et ils m’ont
appris, sur le tas, à faire face à tout ce que j’ai pu rencontrer dans le seul
genre de vie que je connaissais.
Quand ils se sont rencontrés, ma mère, Ola, avait dix-sept ans, et mon
père, Anthony (« Tony »), vingt. Il avait la peinture dans le sang, et comme
la plupart des peintres, il avait quitté sa ville natale étouffante pour aller se
trouver à Paris. Ma mère était précoce et exubérante, jeune et belle ; elle
avait quitté Los Angeles pour voir le monde et se faire un réseau de
relations dans la mode. Lorsque leurs chemins se sont croisés, ils sont
tombés amoureux, puis se sont mariés en Angleterre. Et puis je suis arrivé,
et ils ont décidé d’inventer leur vie ensemble.
La carrière de costumière de ma mère a commencé vers 1966, et tout au
long de cette carrière, elle a compté parmi ses clients Flip Wilson, Ringo
Starr et John Lennon. Elle a aussi travaillé pour les Pointer Sisters, Helen
Reddy, Linda Ronstadt et James Taylor. Sylvester aussi faisait partie de ses
clients. Il n’est plus parmi nous, mais c’était un artiste de disco, un Sly
Stone gay. Il avait une voix géniale, et, à mes yeux, c’était quelqu’un de
super gentil ; il m’a offert un rat noir et blanc que j’avais appelé Mickey.
Mickey était un dur. Il n’a jamais sourcillé quand je donnais des rats à
manger à mes serpents. Il a survécu à une chute par la fenêtre de ma
chambre, le jour où mon petit frère l’en a jeté, et ne semblait pas trop
amoché quand il s’est montré à notre porte trois jours plus tard. Mickey a
aussi survécu à une amputation involontaire de sa queue, quand on a
refermé le canapé-lit dessus, ainsi qu’à près d’un an sans boire ni manger.
Nous l’avions oublié par erreur dans un appartement qui nous servait de
débarras, et le jour où nous sommes revenus chercher quelques cartons,
Mickey est venu vers moi comme si de rien n’était, comme si j’étais parti la
veille, l’air de dire : « Hé ! Où étais-tu passé ? »
Mickey est l’un de mes animaux de compagnie les plus marquants. Il y
en a eu beaucoup, entre Curtis, mon lion des montagnes, et les centaines de
serpents que j’ai élevés. En gros, je suis un gardien de zoo autodidacte, et je
m’entends bien mieux avec les animaux qu’avec la plupart des gens que j’ai
connus. Ces animaux et moi, on partage un point de vue que la plupart des
gens oublient : en définitive, la vie est une question de survie. Une fois
qu’on a compris ça, gagner la confiance d’un animal qui, à l’état sauvage,
pourrait vous manger est une expérience passionnante et enrichissante.
PEU APRÈS MA NAISSANCE, MA MÈRE EST RETOURNÉE à L.A. pour développer
son affaire et poser les bases financières de notre famille. Pendant quatre
ans, mon père m’a élevé en Angleterre chez ses parents, Charles et Sybil
Hudson – et ça n’a pas été facile pour lui. J’étais un gosse assez intuitif,
mais je ne pouvais pas imaginer à quel point la tension était forte. Mon père
et son père, Charles, d’après ce que j’ai compris, étaient loin de bien
s’entendre. Tony était le second de trois fils, et dès le début, il a tout eu de
« l’enfant du milieu ». Son petit frère, Ian, et son grand frère, David,
cadraient mieux avec les valeurs familiales. Mon père avait fait des études
d’art ; il était tout le contraire de son père. Tony incarnait les années 60 ; et
il défendait ses idéaux avec autant de force que son père en mettait à les
condamner. Mon grand-père Charles était pompier à Stoke, une ville qui a
traversé les époques sans bouger. La plupart des habitants de Stoke n’en
partent jamais ; beaucoup, comme mes grands-parents, ne se sont jamais
hasardés à franchir les cent soixante et quelques kilomètres qui les séparent
de Londres. La volonté inébranlable de Tony de faire des études d’art et de
gagner sa vie par sa peinture était quelque chose que Charles ne digérait
pas. Leurs idées opposées étaient à l’origine de querelles perpétuelles, et
conduisaient souvent à des échanges violents ; Tony affirme que Charles lui
a régulièrement flanqué des raclées violentes pendant la plus grande partie
de sa jeunesse.
Mon grand-père était un parfait représentant de l’Angleterre des années
50, tout comme son fils l’était des années 60. Charles voulait voir chaque
chose à sa place, alors que Tony voulait les réagencer et les repeindre.
J’imagine que mon grand-père fut profondément choqué lorsque son fils
revint de Paris amoureux d’une Américaine noire et insouciante. Je me
demande ce qu’il a dit quand Tony lui a appris qu’il comptait se marier et
élever son enfant sous leur toit, le temps que ma mère et lui mettent leurs
affaires en ordre. Tout bien considéré, je suis touché devant toute la
diplomatie dont les deux parties en présence ont fait preuve.
MON PÈRE M’A EMMENÉ À LONDRES DÈS QUE J’AI PU supporter le trajet en
train. J’avais peut-être deux ou trois ans, mais j’ai tout de suite compris
combien nous étions loin de Stoke, de ses rangées infinies de maisons en
briques et de ses familles proprettes, parce que mon père fréquentait un
milieu plutôt bohème. On dormait sur des canapés et on ne revenait pas
avant plusieurs jours. Il y avait des lampes Lava, des lumières noires, et
l’excitation électrique des ateliers en plein air des artistes de Portobello
Road. Mon père ne s’est jamais considéré comme un Beat, mais il avait, par
osmose, intégré ce mode de vie. C’était comme s’il avait récupéré les
éléments principaux de ce mode de vie : l’amour de l’aventure, tailler la
route avec, en tout et pour tout, les vêtements qu’on avait sur le dos, se faire
héberger dans des appartements remplis de gens intéressants. Mes parents
m’ont beaucoup appris, mais cette leçon-là, je l’ai comprise très tôt : rien ne
vaut la vie sur la route.
De l’Angleterre, je me rappelle les bonnes choses. J’étais au cœur de
l’attention de mes grands-parents. J’allais à l’école. Je jouais dans des
pièces : The Twelve Days of Christmas [Les Douze Jours avant Noël] ;
j’avais le rôle principal dans The Little Drummer Boy [Le Petit Tambour].
Je dessinais tout le temps. Et une fois par semaine, je regardais The
Avengers [Les Vengeurs] et The Thunderbirds [Les Sentinelles de l’Air]. À
la fin des années 60, la télévision anglaise était très limitée et reflétait le
point de vue post-Seconde Guerre mondiale – à la Churchill – de la
génération de mes grands-parents. À l’époque, il n’y avait que trois chaînes,
et à part les deux heures par semaine consacrées à ces émissions, les trois ne
passaient que des informations. Il n’est pas surprenant que la génération de
mes parents se soit jetée la tête la première dans le bouillonnement culturel
qui se préparait.
Lorsque Tony et moi avons rejoint Ola à L.A., il n’a plus jamais adressé
la parole à ses parents. Ils ont rapidement disparu de ma vie, et, en
grandissant, ils m’ont souvent manqué. Ma mère a encouragé mon père à
rester en contact avec eux, mais sans succès ; il n’en voyait pas l’intérêt. Je
n’ai pas revu ma famille en Angleterre avant que Guns N’Roses ait du
succès. Quand on a joué au stade de Wembley, en 1992, le clan Hudson est
venu en force : en coulisses, avant le concert, j’ai vu un de mes oncles, mon
cousin et mon grand-père, dont c’était le premier voyage de Stoke à
Londres, descendre toutes les bouteilles de notre loge. À cette époque, on
demandait une telle quantité d’alcool que, bue en entier, elle aurait tué
n’importe qui d’autre que nous.
MON PREMIER SOUVENIR DE LOS ANGELES, C’EST « LIght My Fire », des
Doors à fond, sur le tourne-disque de mes parents, tous les jours, toute la
journée. Fin des années 60 - début des années 70, L.A. était LA ville à
habiter, surtout pour de jeunes Britanniques versés dans l’art ou la
musique : il y avait d’énormes possibilités de faire un travail créatif, par
rapport au système encore très terne de l’Angleterre, et le temps était
paradisiaque, comparé à la pluie et au fog londoniens. De plus, quitter
l’Angleterre pour les côtes yankees était le meilleur moyen d’envoyer
promener le système et votre éducation – ce que mon père fut plus que ravi
de faire.
Ma mère a poursuivi son travail de costumière tandis que mon père
mettait son talent artistique naturel au service de la conception graphique.
Ma mère avait des relations dans l’industrie musicale, et son mari s’est donc
rapidement retrouvé à dessiner des pochettes d’albums. Nous vivions sur
Laurel Canyon Boulevard, dans une communauté très « sixties », au
sommet de Lookout Mountain Road. Ce quartier de Los Angeles avait
toujours été un foyer créatif, du fait de l’aspect bohème du paysage. Les
maisons sont ancrées au flanc de la montagne, au milieu d’une végétation
luxuriante. Ce sont des bungalows, avec des maisons d’invités et plein
d’autres structures bizarres qui favorisent une vie en communauté très
naturelle. Quand j’étais jeune, c’était une petite enclave très intime, peuplée
d’artistes et de musiciens : Joni Mitchell vivait à quelques maisons de nous.
Jim Morrison vivait à l’époque derrière le Canyon Store, tout comme le
jeune Glen Frey, qui venait juste de former les Eagles. C’était le genre
d’atmosphère dans laquelle tout le monde connaît tout le monde : ma mère
dessinait les costumes de Joni, tandis que mon père dessinait les pochettes
de ses albums. David Geffen était aussi un ami proche, et je m’en souviens
bien. Des années plus tard, il a signé Guns N’Roses, mais il l’a fait sans
savoir qui j’étais – et je ne le lui ai pas dit. En 1987, il a appelé Ola pour
Noël, et lui a demandé ce que je devenais. « Tu devrais le savoir, a-t-elle
répondu, tu viens de sortir le disque de son groupe. »
APRÈS AVOIR PASSÉ UN AN OU DEUX À LAUREL CANYON, nous avons
déménagé plus au sud, dans un appartement sur Doheny. J’ai changé
d’école, et c’est là que j’ai découvert à quel point la vie des enfants
ordinaires était différente. Je n’ai jamais eu une « chambre d’enfant »
traditionnelle, pleine de jouets et de couleurs primaires. Chez nous, il n’y a
jamais eu de couleurs neutres et communes. L’odeur de l’herbe et de
l’encens flottait en général dans l’air. L’atmosphère était toujours éclatante,
mais les couleurs étaient toujours sombres. Cela me convenait bien, parce
que je n’ai jamais pu me lier avec les enfants de mon âge. Je préférais la
compagnie des adultes, parce que les amis de mes parents font toujours
partie des personnes les plus hautes en couleur que j’aie jamais connues.
J’écoutais la radio vingt-quatre heures sur vingt-quatre, en général KHJ
en grandes ondes. Je m’endormais avec. Je faisais mes devoirs et j’avais de
bonnes notes, même si mon professeur disait que j’avais du mal à me
concentrer longtemps et que je rêvassais tout le temps. À vrai dire, ma
passion, c’était l’art. J’adorais Henri Rousseau, le peintre français post-
impressionniste et, comme lui, je dessinais des jungles remplies de mes
animaux préférés. Mon obsession pour les serpents a commencé très tôt. La
première fois que ma mère m’a emmené à Big Sur, en Californie, pour voir
une amie et camper là-bas, j’avais six ans, et j’ai passé des heures dans les
bois à attraper des serpents. J’ai creusé sous chaque arbre, chaque buisson,
jusqu’à ce que je remplisse un aquarium vide. Et puis je les ai relâchés.
Ce n’est pas le seul frisson que j’ai vécu lors de cette excursion : ma
mère et son amie étaient toutes deux des jeunes femmes sauvages et
insouciantes, qui adoraient conduire à toute allure la Coccinelle de ma mère
sur la route sinueuse de la corniche. Je me revois sur le siège du passager,
raide de peur, à regarder par la fenêtre les rochers et l’océan défiler à toute
vitesse en contrebas, à quelques centimètres seulement de ma portière.
LA COLLECTION DE DISQUES DE MES PARENTS ÉTAIT impeccable. Ils
écoutaient de tout, de Beethoven à Led Zeppelin, et, au cours de mon
adolescence, j’ai continué à découvrir des pépites dans leurs rayonnages. Je
connaissais tous les artistes de l’époque, parce que mes parents
m’emmenaient tout le temps à des concerts, et parce que ma mère
m’emmenait aussi souvent à son travail. Très tôt, j’ai découvert la face
cachée de l’industrie du divertissement : je suis entré dans de nombreux
studios d’enregistrement, de nombreuses salles de répétition, et de
nombreux plateaux de télé ou de cinéma. J’ai assisté à plusieurs sessions
d’enregistrement et de répétitions de Joni Mitchell ; j’ai aussi assisté à
l’enregistrement de l’émission télé de Flip Wilson (un comique qui avait un
grand succès à l’époque, mais qui est tombé dans l’oubli). J’ai vu la
répétition et le concert d’Helen Reddy, une chanteuse pop australienne, et
j’étais là quand Linda Ronstadt a joué au Troubadour. Maman m’emmenait
aussi avec elle quand elle habillait Bill Cosby pour ses spectacles, et elle a
créé quelques pièces uniques pour sa femme ; je me souviens avoir vu les
Pointer Sisters avec elle. Tout cela a eu lieu sur l’ensemble de sa carrière,
mais à l’époque où nous habitions dans cet appartement sur Doheny, ses
affaires étaient vraiment en train de décoller : Carly Simon venait à la
maison, ainsi que la chanteuse de soul Minne Ripperton. J’ai rencontré
Stevie Wonder et Diana Ross. Ma mère m’a dit que j’avais aussi rencontré
John Lennon, mais malheureusement, je ne m’en souviens pas du tout. Par
contre, je me rappelle avoir rencontré Ringo Starr : c’est ma mère qui a
dessiné l’uniforme très « funkadélique » que Ringo porte sur la pochette de
son album de 1974, Goodnight Vienna. Il était très cintré et d’un gris
métallique, avec une étoile blanche au milieu de la poitrine.
Chaque fois que je me retrouvais dans des loges ou sur des plateaux
d’enregistrement avec ma mère, quelque chose de magique s’emparait
bizarrement de moi. Je n’avais pas la moindre idée de ce qui s’y passait,
mais à l’époque j’étais fasciné par les mécanismes à l’œuvre derrière un
spectacle, et je le suis encore. Je trouve très excitante une scène pleine
d’instruments, dans l’attente des musiciens. La vue d’une guitare me met
toujours en transe. Dans les deux cas, c’est un émerveillement muet : les
deux ont la possibilité de transcender le réel, si les musiciens sont bons.
MON FRÈRE ALBION EST NÉ EN DÉCEMBRE 1972. SON arrivée a un peu
modifié la dynamique de la famille ; tout à coup, il y avait une nouvelle
personnalité parmi nous. C’était chouette d’avoir un petit frère, et j’étais
content de m’occuper de lui : j’adorais quand mes parents me demandaient
de veiller sur lui.
Mais peu après, j’ai commencé à remarquer un changement encore plus
important au sein de notre famille. Mes parents n’étaient plus les mêmes
quand ils étaient ensemble, et ils étaient trop souvent éloignés l’un de
l’autre. Les choses ont commencé à se gâter, il me semble, quand nous
avons emménagé dans l’appartement de Doheny Drive et que les affaires de
ma mère ont vraiment décollé. Au fait, nous habitions au 710 North
Doheny ; c’est devenu aujourd’hui un terrain vague, où l’on vend des sapins
de Noël au mois de décembre. Je devrais dire aussi que notre voisin de
l’époque était le Black Elvis original et auto-proclamé, que l’on peut
engager pour des fêtes à Las Vegas – si ça intéresse quelqu’un.
Maintenant que je suis plus vieux, je comprends mieux les problèmes
évidents qui ont miné la relation de mes parents. Mon père n’a jamais
apprécié que ma mère soit si proche de sa mère à elle. Sa fierté était mise à
mal quand sa belle-mère nous aidait financièrement, et il n’a jamais été
favorable à ce qu’elle soit si présente dans notre famille. Le fait de boire n’a
pas aidé : mon père aimait boire – beaucoup. C’était le type même du
mauvais buveur : il n’était jamais violent, parce que mon père est bien trop
intelligent et complexe pour s’exprimer par la violence, mais sous
l’influence de l’alcool, il avait mauvais caractère. Quand il était soûl, il
commençait à faire des remarques désagréables à ceux qui étaient là. Il va
sans dire qu’il s’est grillé professionnellement plusieurs fois, à ce petit jeu.
Je n’avais que huit ans, mais j’aurais dû sentir que quelque chose
n’allait pas du tout. Mes parents se sont toujours traités avec respect, mais
au cours des mois précédant leur séparation, ils s’évitaient complètement.
Ma mère sortait quasiment tous les soirs, et mon père passait ses nuits dans
la cuisine, sombre et seul, à boire du vin rouge en écoutant les pièces pour
piano d’Erik Satie. Quand maman était à la maison, papa et moi faisions de
longues promenades.
Il a toujours aimé se promener, en Angleterre et à Los Angeles. Dans le
L.A. d’avant Charles Manson – avant que le clan Manson ne massacre
Sharon Tate et ses amis – on faisait aussi beaucoup d’auto-stop. Avant ça,
L.A. vivait dans l’innocence ; ces meurtres ont signé la fin des idéaux
utopiques du Flower Power des sixties.
Dans mes souvenirs d’enfance, Tony est toujours en mouvement ; j’ai
passé des après-midi entiers à marcher à ses côtés, les yeux levés vers lui.
C’est lors d’une de ces promenades que nous avons atterri à Fatburger, et
qu’il m’a dit que maman et lui allaient se séparer. J’étais ravagé ; la seule
stabilité que j’avais jamais connue s’écroulait. Je n’ai pas posé de questions,
j’ai continué à contempler mon hamburger. Plus tard dans la soirée, quand
maman m’a fait asseoir pour m’expliquer la situation, elle m’a fait valoir les
aspects positifs de la situation : j’aurais deux maisons. J’y ai réfléchi un
moment, et c’est vrai que c’était sensé, mais ça avait tout l’air d’un
mensonge ; je l’ai laissée parler en opinant du chef, mais j’avais arrêté
d’écouter.
La séparation de mes parents s’est faite à l’amiable, mais de manière un
peu bancale, parce qu’ils n’ont divorcé que plusieurs années après. Ils ont
souvent habité à un saut de puce l’un de l’autre, et avaient le même cercle
d’amis. Quand ils se sont séparés, mon frère n’avait que deux ans, et ils sont
donc tombés d’accord pour qu’il reste avec notre mère, mais ils m’ont laissé
le choix d’aller habiter avec qui je voulais : j’ai donc choisi d’habiter avec
ma mère. Ola nous a élevés du mieux qu’elle a pu, malgré les voyages
incessants auxquels l’obligeait son travail. De ce fait, mon frère et moi
avons oscillé entre la maison de maman et celle de notre grand-mère. La
maison de mes parents avait toujours été vivante, intéressante et hors-
normes – mais elle avait toujours été stable. Mais lorsque le lien entre eux
eut été brisé, bouger tout le temps est devenu la norme pour moi.
Mon père a très mal vécu cette séparation, et je ne l’ai pas vu pendant
longtemps. Ça a été dur pour nous tous ; la situation n’a pris corps pour moi
que le jour où j’ai vu ma mère avec un autre homme. Cet homme, c’était
David Bowie.
EN 1975, MA MÈRE A ENTAMÉ UNE ÉTROITE COLLABOration avec David
Bowie, lors de l’enregistrement de Station to Station ; elle dessinait ses
costumes depuis Young Americans. Du coup, quand il a signé pour le rôle
principal du film The Man Who Fell to Earth [L’Homme qui venait
d’ailleurs], ma mère a été engagée pour faire les costumes du film, qui se
tournait au Nouveau-Mexique. Au passage, Bowie et elle ont entamé une
liaison semi-sérieuse. Rétrospectivement, ce n’était sans doute pas si
important, mais à l’époque, c’était un peu comme de voir un extra-terrestre
arriver chez soi.
Après la séparation de mes parents, ma mère, mon frère et moi nous
sommes installés dans une maison sur Rangely Drive. C’était vraiment une
super maison : les murs du salon étaient bleu ciel, avec des nuages. Il y
avait un piano, et la collection de disques de ma mère occupait un mur
entier. C’était une maison accueillante et intime. Bowie venait souvent,
avec sa femme, Angie et leur fils, Zowie, dans des bagages. Les années 70
étaient vraiment uniques : pour Bowie, il était parfaitement naturel
d’emmener sa femme et son fils chez sa maîtresse pour qu’on passe du
temps tous ensemble. À l’époque, ma mère pratiquait le même genre de
méditation transcendantale que David. Ils psalmodiaient devant l’autel
qu’elle avait dressé dans sa chambre.
Une fois que j’ai mieux connu David, je l’ai accepté, parce que c’est
quelqu’un d’intelligent, de drôle et d’intensément créatif. L’avoir connu en
dehors de la scène a enrichi les expériences que j’ai pu avoir de lui sur
scène. Je suis allé le voir en concert avec ma mère au L.A. Forum en 1975,
et, comme ça a été le cas bien des fois par la suite, dès qu’il est entré sur
scène en costume, j’ai été fasciné. Tout son concert était la quintessence
même du spectacle. Je voyais les éléments familiers d’un homme que
j’avais appris à connaître, mais exagérés à l’extrême. Il avait réduit la rock
star à sa plus simple expression : être une rock star, c’est être au croisement
de qui on est et qui on veut être.
Les photos de Slash à l’école primaire
Les parents de Slash adoraient prendre des photos ; celle-là a dû être
prise par son père.
Tony Hudson et ses fils, 1972. Sur cette photo, Slash est le portrait
craché de son fils London.
Slash était persuadé d’être un dinosaure ; et puis il a eu une phase
Mowgli.
Slash et son frère Albion aux La Brea Tar Pits
Slash et sa mère, Olga
4) Des hooligans à vélo
On ne s’attend jamais à ce que la terre se dérobe sous nos pas ; les
événements qui vont chambouler votre vie se font rarement annoncer. Si
l’instinct et l’intuition peuvent vous alerter un peu, ils sont impuissants à
vous préparer au sentiment de déracinement qui naît lorsque le destin met
votre vie sens dessus-dessous. Au fond de vous, la colère, la confusion, la
tristesse et la frustration se mêlent comme dans une boule de verre. Il faut
des années pour que la poussière des émotions redescende, pendant
lesquelles vous faites de votre mieux pour y voir clair dans la tempête.
La séparation de mes parents avait toutes les apparences d’une rupture à
l’amiable. Il n’y a eu ni bagarres, ni comportements affreux, ni avocats, ni
tribunaux. Mais j’ai quand même mis des années à apprivoiser cette
douleur. J’avais perdu une partie de ce que j’étais et j’ai dû me redéfinir
moi-même. J’ai beaucoup appris, mais ces leçons ne m’ont été d’aucun
secours plus tard, quand la seule autre famille que j’aie jamais connue a
volé en éclats. Cette fois, j’avais vu les signes avant-coureurs, quand Guns
N’Roses a commencé à craquer. Mais même si, cette fois, c’est moi qui suis
parti, le même tourbillon de sentiments m’attendait au tournant, et j’ai eu
tout autant de mal à retrouver mon chemin que la première fois.
Quand mes parents se sont séparés, ce changement brusque m’a
transformé. Au fond de moi, j’étais toujours un bon garçon, mais
extérieurement, je suis devenu un gosse à problèmes. Exprimer mes
émotions a toujours été l’un de mes points faibles, et comme ce que je
ressentais à l’époque était inexprimable, j’ai donc suivi ma pente naturelle –
mon comportement a radicalement changé et je me suis mis à poser de vrais
problèmes de discipline à l’école.
À la maison, mes parents m’avaient promis que vivre dans deux
endroits différents ne changerait absolument rien à mon existence, mais
cette promesse ne s’était pas réalisée. Pendant la première année, je n’ai
quasiment pas vu mon père et, quand je le voyais, les choses étaient
intenses et curieuses. Comme je l’ai dit, ce divorce avait été un rude coup
pour lui, et le voir essayer de s’y faire était dur pour moi ; pendant un
moment, il a été incapable de travailler. Il vivait pauvrement et traînait avec
ses amis artistes. Quand j’allais le voir, je le suivais quand il rendait visite à
ses amis, chez qui il buvait beaucoup de vin rouge et parlait d’art et de
littérature, surtout de Picasso, le peintre préféré de mon père. Papa et moi
partions aussi à l’aventure, à la bibliothèque ou au musée, où nous nous
asseyions pour dessiner ensemble.
Ma mère n’était quasiment plus à la maison ; elle travaillait tout le
temps, et était souvent en déplacement pour gagner de quoi s’occuper de
mon frère et moi. Nous avons passé beaucoup de temps chez ma grand-
mère, Ola Senior, qui venait tout le temps à notre secours quand maman
avait du mal à joindre les deux bouts. Nous avons aussi passé du temps avec
ma tante et mes cousins, qui vivaient à South Central L.A., un quartier plus
chic. Leur maison était animée, remplie de l’énergie de nombreux enfants.
Quand nous allions là-bas, nous nous faisions une idée plus classique de la
famille. Mais au fond, j’avais beaucoup de temps libre, et j’en ai profité.
Quand j’ai eu douze ans, j’ai grandi très vite. J’ai couché avec des filles,
j’ai bu, j’ai fumé des cigarettes, j’ai pris de la drogue, j’ai volé, je me suis
fait virer de l’école et, à quelques occasions, j’ai failli aller en prison, sauf
que j’étais mineur. Je me la racontais, pour rendre ma vie aussi intense et
instable que ce que je ressentais au fond de moi. À cette époque, j’ai
développé un trait de caractère qui n’allait plus me quitter : l’intensité avec
laquelle je fais ce qui m’intéresse. À douze ans, ma passion première n’était
plus le dessin, mais le BMX.
En 1977, les courses de BMX étaient le nouveau sport extrême en
vogue, après le surf et le skate-board à la fin des années 60. Ce sport
comptait déjà quelques vraies stars, comme Stu Thompson et Scott
Breithaupt, quelques magazines spécialisés, comme Bicycle Motocross
Action et American Freestyler, et de nouvelles compétitions
professionnelles et semi-professionnelles ne cessaient d’apparaître. Ma
grand-mère m’a acheté un Webco, et j’ai été conquis. J’ai commencé à
gagner des courses, et quelques magazines m’ont cité comme un cycliste
prometteur, dans la catégorie des 13-14 ans. J’adorais ça ; j’étais prêt à
passer pro dès que j’aurais trouvé un sponsor, mais il manquait quelque
chose à tout ça. Mes sentiments n’étaient pas assez clairs pour exprimer en
quoi le BMX ne me satisfaisait pas entièrement. J’allais le savoir quelques
années plus tard, quand je le découvrirais.
Après l’école, j’allais traîner dans les magasins de vélos et j’ai intégré
l’équipe d’une boutique appelée Spokes and Stuff, où j’ai commencé à me
faire des amis bien plus âgés que moi – dont certains travaillaient chez
Schwinn à Santa Monica. Une dizaine d’entre nous passait la nuit à rouler
dans Hollywood, et tous sauf deux – deux frères – nous venions de familles
perturbées ou brisées. Nous trouvions une consolation dans le fait d’être
ensemble : le temps que nous passions ensemble était la seule relation
régulière sur laquelle nous pouvions compter.
Nous nous retrouvions tous les après-midi à Hollywood, et nous
roulions de Culver City aux La Brea Tar Pits, transformant les rues en pistes
de BMX. On prenait notre élan pour bondir sur toutes les surfaces en pente,
et, à minuit comme aux heures de pointe, on ne respectait absolument pas
les piétons. Nous n’étions qu’un groupe de gosses bagarreurs, sur des vélos
de 60 cm de haut ; mais à dix, en meute, à fond la caisse sur le trottoir, nous
représentions une force non négligeable. On sautait sur les bancs aux arrêts
de bus, même si un pauvre inconnu y était assis, on sautait par-dessus les
bornes à incendie, et on cherchait tout le temps à faire mieux que les autres.
On était des adolescents sans illusions, essayant de gérer des moments
difficiles de nos vies, et on y arrivait en faisant des bonds sur tous les
trottoirs de L.A.
On roulait sur un chemin de terre dans la Vallée, près du centre pour
jeunes de Reseda. C’était à près de vingt kilomètres de Hollywood, une
distance ambitieuse en BMX. On s’accrochait aux pare-chocs sur Laurel
Canyon Boulevard pour aller plus vite. Je ne le recommande pas, mais on
considérait les voitures qui passaient comme des téléskis : on attendait sur
le côté, puis, un par un, on s’accrochait à une voiture pour remonter la
colline. Garder son équilibre sur un vélo, même s’il est bas, tout en
s’accrochant à une voiture qui fait du cinquante ou du soixante à l’heure,
c’est jouissif, mais difficile sur du plat ; dans des lacets en épingles à
cheveux, comme sur Laurel Canyon, c’est encore une autre paire de
manches. Je me demande encore comment aucun d’entre nous ne s’est fait
renverser. Ce qui me surprend encore plus, c’est de me souvenir que j’ai
souvent fait cette route, en montée et en descente, sans freins. Dans mon
esprit, comme j’étais le plus jeune, chaque fois qu’on partait rouler, je
devais prouver quelque chose à mes amis : à voir leurs visages après
certains de mes exploits, j’y arrivais. Ils n’avaient beau être que des
adolescents, mes amis étaient difficiles à impressionner.
Pour vous dire la vérité, on formait un petit gang plutôt abîmé. Il y avait
par exemple Danny McCracken. Il avait seize ans ; fort, massif, taciturne,
c’était déjà le genre de mec avec qui on sait d’instinct qu’il ne faut pas
déconner. Un soir, Danny et moi avons volé un vélo dont la fourche était
tordue, et, alors qu’il sautait avec pour briser complètement la fourche et
nous faire rire, il est passé par dessus le guidon et s’est méchamment ouvert
le poignet. Je l’ai senti venir, et j’ai regardé, comme au ralenti, le sang jaillir
partout.
« Ahhh ! » a crié Danny. Même sous la douleur, Danny avait une voix
bizarrement douce – vu sa taille – un peu comme Mike Tyson.
« Putain de merde ! »
« Putain ! »
« Danny s’est fait mal ! »
Danny vivait juste au coin de la rue, et deux d’entre nous lui avons
maintenu le poignet, tandis que le sang nous jaillissait sur les doigts, le
temps de le ramener chez lui.
Arrivés devant le porche de sa maison, on a sonné. Sa mère est venue
ouvrir, et nous lui avons montré le poignet de Danny. Elle nous a regardés
calmement, presque incrédule : « Qu’est-ce que vous voulez que ça me
foute ? » a-t-elle dit avant de claquer la porte.
On ne savait pas quoi faire ; Danny était devenu tout pâle. On ne savait
même pas où était l’hôpital le plus proche. On lui a fait descendre la rue,
toujours saignant partout, et on a arrêté la première voiture qu’on a vue.
J’ai passé ma tête par la fenêtre : « Hé, mon pote est en train de se vider
de son sang, vous pouvez l’emmener à l’hôpital ? » ai-je crié
hystériquement. « Il va mourir ! » Heureusement, la conductrice était
infirmière.
Elle a mis Danny à l’avant, et on a suivi sa voiture sur nos vélos. À son
arrivée aux urgences, Danny n’a pas eu à patienter ; le sang jaillissait de son
poignet comme dans un film d’horreur, et ils l’ont donc admis
immédiatement, sous les regards furibonds de la foule dans la salle
d’attente. Les docteurs lui ont recousu le poignet, mais ça ne s’est pas arrêté
là : quand il est revenu dans la salle d’attente où on l’attendait, un des
points tout neufs a lâché, et un jet de sang a giclé jusqu’au plafond,
provoquant la panique et le dégoût de tous les témoins. Inutile de dire que
les docteurs l’ont de nouveau reçu ; sa deuxième série de points de suture a
été la bonne.
LES SEULS ÉLÉMENTS STABLES DE NOTRE GANG étaient John et Mike, qu’on
appelait les Cowabunga Brothers. Voilà pourquoi ils étaient stables : ils
venaient de la Vallée, où florissait la vie de banlieue américaine type, leurs
parents étaient toujours ensemble, ils avaient des sœurs, et ils vivaient tous
ensemble dans une charmante maison. Mais ce n’était pas les seuls frères de
notre groupe : il y avait aussi Jeff et Chris Griffin ; Jeff travaillait chez
Schwinn, et Chris était son petit frère. Jeff était le plus mature de notre
bande ; il avait dix-huit ans et un boulot qu’il prenait au sérieux. Ces deux-
là n’étaient pas aussi soudés que les Cowabunga, parce que Chris essayait
désespérément de suivre les traces de son grand frère et échouait
misérablement. Ils avaient une sœur superbe, Tracey, qui s’était teint les
cheveux en noir parce que tout le monde dans sa famille était blond. Tracey
avait lancé la mode gothique avant même qu’elle n’existe.
Et il y avait Jonathan Watts, qui était le plus grave d’entre nous. Il était
tout simplement fou ; il était prêt à tout, sans égards pour les blessures ou la
possible incarcération qui risquaient d’en résulter. Je n’avais que douze ans,
mais même alors je m’y connaissais assez en musique et en gens pour
trouver bizarre que Jonathan et son père soient de grands fans de Jethro
Tull. Je veux dire, ils vénéraient Jethro Tull. Je suis au regret de dire que
Jonathan nous a quittés : il est mort d’une overdose tragique, après plusieurs
années d’alcoolisme, suivies d’un boulot d’animateur chez les Alcooliques
Anonymes. J’avais perdu contact avec lui longtemps avant, mais je l’ai revu
lors d’une réunion des AA à laquelle j’avais été forcé d’aller (on va y venir
dans quelque temps) après avoir été arrêté un soir, à la fin des années 80. Je
n’y croyais pas ; je suis arrivé dans cette réunion, et j’ai écouté tous ces
gens parler, et au bout d’un moment, j’ai réalisé que le mec qui dirigeait
cette réunion, et qui parlait aussi sérieusement de la sobriété que le
lieutenant Bill Kilgore – le personnage de Robert Duval dans Apocalyspe
Now – parlait de surf, n’était autre que Jonathan Watts. Le temps est un
puissant facteur de changement ; on ne sait jamais comment deux âmes-
sœurs finiront – ou comment elles se retrouveront.
À l’époque, ces types et moi avons passé plus d’une soirée à l’école
élémentaire de Laurel, sur leur terrain de jeux, dont nous faisions un usage
très créatif. C’est là que traînaient tous les gosses de Hollywood avec leur
vélo, leur skate, de l’alcool à boire ou de l’herbe à fumer. Le terrain de jeux
était sur deux niveaux, reliés par deux grandes rampes en béton, qui
suppliaient que des skaters ou des bikers leur fassent un sort. Nous en avons
tiré le meilleur parti possible, en détruisant les tables de pique-nique de
l’aire de jeux pour en faire des tremplins entre les deux niveaux. Je ne suis
pas fier de nos destructions régulières du bien public, mais dévaler ces deux
rampes et voler par dessus la barrière sur mon vélo était un tel pied que ça
valait le coup. C’était peut-être de la délinquance, mais ça attirait des gens
créatifs : plein de gosses de Hollywood qui ont fini par faire de grandes
choses traînaient là-bas. Je me souviens de Mike Balzary, mieux connu sous
le nom de Flea, en train de jouer de la trompette, et des graffeurs qui
peignaient tout le temps des fresques. L’endroit n’était peut-être pas très
adéquat, mais tous ceux qui étaient là étaient fiers de l’univers que nous
avions créé. Malheureusement, c’était les élèves et les profs de cette école
qui devaient payer l’addition et nettoyer les dégâts tous les matins.
Le principal a décidé, bien stupidement, de prendre les choses en main,
en nous attendant un soir. Cela ne s’est pas bien passé : on n’a pas arrêté de
le chercher, il s’est énervé, et mes potes et moi lui sommes tombés dessus.
Cela s’est envenimé si vite qu’un passant a appelé la police. Rien ne
disperse plus vite une bande de gosses qu’une sirène de flics, et la plupart
des gens présents ont pu s’échapper. Malheureusement, je n’en faisais pas
partie. Moi et un autre gosse avons été les seuls à nous faire prendre ; on
nous a menottés à la barrière devant l’école, dans la rue, pour que tout le
monde nous voie. On était comme deux chiens enchaînés, sans pouvoir aller
nulle part, et très mécontents de la situation. On a refusé de coopérer : on
faisait les malins, on leur a donné des faux noms, on a tout fait, à part nous
mettre à grogner en les traitant de porcs. Ils n’arrêtaient pas de nous poser
des questions et ont fait de leur mieux pour nous faire peur, mais on a refusé
de leur dire nos noms, et comme à douze ans, on n’a pas de papiers
d’identité, ils ont été obligés de nous laisser partir.
LA PUBERTÉ M’EST TOMBÉE DESSUS VERS TREIZE ANS, à l’époque où j’étais
au collège Bancroft à Hollywood. Tout ce que je pouvais ressentir après
l’explosion de ma famille a été étouffé par une violente poussée
d’hormones. Comme rester assis toute la journée en classe me semblait sans
intérêt, j’ai commencé à sécher. J’ai commencé à fumer de l’herbe
régulièrement et à faire du vélo à outrance. J’avais du mal à me contrôler ;
je voulais simplement faire ce que j’avais envie de faire, sur-le-champ. Un
soir que mes amis et moi nous demandions comment cambrioler la boutique
Spokes and Stuff – la boutique où nous nous retrouvions – pour une raison
dont je ne me souviens plus, j’ai vu un gosse nous regarder par la fenêtre
d’un appartement, de l’autre côté de l’allée.
« Qu’est-ce que tu regardes ? » ai-je hurlé. « Ne me regarde pas ! » Et
puis j’ai jeté une brique par la fenêtre de ce gosse.
Bien entendu, ses parents ont appelé les flics, et l’équipe chargée de
cette intervention nous a pris en chasse, mes amis et moi, tout le reste de la
nuit. On pédalait de toutes nos forces dans les rues de Hollywood et West
Hollywood ; on déboulait à contre-sens dans des rues à sens unique, on
prenait des raccourcis dans des allées et dans des parcs. Ils étaient aussi
tenaces que Jimmy « Popeye » Doyle, le personnage joué par Gene
Hackman dans French Connection ; chaque fois qu’on débouchait dans une
rue, ils étaient là. Finalement, on a filé dans les collines de Hollywood, et
on s’est planqué dans un canyon un peu à l’écart, comme un groupe de
hors-la-loi du Far West. Et exactement comme dans un film de cow-boys,
quand nous avons estimé que nous pouvions sortir de notre cachette et
regagner notre ranch, on s’est fait cueillir à la sortie par les deux flics en
question.
Je suppose que c’est parce que j’étais le plus petit qu’ils ont décidé de
se lancer à ma poursuite, quand mes amis et moi sommes partis dans deux
directions opposées. J’ai pédalé comme un fou, dans tout le quartier,
incapable de les semer, et j’ai fini par me réfugier dans un parking
souterrain. J’ai dévalé plusieurs niveaux, en zigzaguant entre les voitures, je
me suis caché dans un coin sombre et me suis aplati par terre, en espérant
qu’ils n’allaient pas me voir. Ils étaient à pied, et quand ils sont arrivés au
niveau où j’étais, je pense qu’ils en avaient marre. Ils ont
consciencieusement regardé entre les voitures avec une lampe torche ; et
puis, alors qu’ils n’étaient plus qu’à trois cents mètres de moi, ils ont fait
demi-tour. J’ai eu de la chance. Cette guerre entre mes amis et le LAPD a
duré tout l’été, et j’aurais pu employer mon temps de manière plus
constructive, mais pour moi, à ce moment-là, je trouvais ça très drôle.
Déjà à cette époque, j’étais assez doué pour garder mes exploits secrets,
mais quand je commettais un impair, ma mère et ma grand-mère étaient très
indulgentes. Quand j’étais au collège, je passais le moins de temps possible
chez moi. Au cours de l’été 1978, je ne savais pas que ma grand-mère allait
déménager pour un appartement situé dans une nouvelle résidence
gigantesque, qui occupait tout un pâté de maisons entre King Road et Santa
Monica Boulevard ; par contre, je connaissais le bâtiment, pour l’avoir
traversé en vélo quand il était en chantier. Mes amis et moi, on se défonçait
avant de faire la course dans les halls et les escaliers, de se claquer les
portes dans la figure, de sauter sur les garde-corps et de laisser des traces de
frein artistiques sur les murs fraîchement peints. Nous étions en train de
nous livrer à ces activités, quand tout à coup, alors que je m’engageais en
braillant dans un couloir, j’ai failli renverser ma mère et ma grand-mère,
chargées des affaires d’Ola Senior, qu’elles apportaient dans son nouvel
appartement. Je n’oublierai jamais l’expression du visage de ma grand-
mère ; c’était à mi-chemin entre le choc et l’horreur. Je me suis repris, et
j’ai jeté un coup d’œil par-dessus mon épaule, où j’ai vu mes amis prendre
le large. J’avais un pied par terre, l’autre sur la pédale, espérant toujours
pouvoir m’en sortir.
« Saul ? » a dit Ola Senior de sa voix aiguë et trop douce de grand-mère.
« C’est toi ? »
« Oui, grand-mère, ai-je dit. C’est moi. Comment ça va ? Mes copains
et moi, on venait simplement te dire bonjour. »
Ma mère n’a absolument pas cru à ces conneries, mais Ola Senior était
si heureuse de me voir qu’Ola Junior m’a laissé filer. En fait, tout s’est si
bien terminé, que quelques semaines plus tard, je me suis installé dans cet
appartement-là, et c’est là que mes exploits de collégien à Hollywood sont
passés à la vitesse supérieure. Mais on va y arriver bientôt.
JE NE VEUX PAS ANALYSER TROP EN PROFONDEUR CE qui est devenu ma
nouvelle passion – la kleptomanie – et je dirais juste que j’étais un pré-
adolescent en colère. Je volais ce dont je pensais avoir besoin mais ne
pouvais pas m’offrir. Je volais ce qui, selon moi, pouvait me rendre
heureux ; et parfois, je volais simplement pour voler.
J’ai volé beaucoup de livres, parce que j’ai toujours adoré lire ; j’ai volé
une tonne de cassettes, parce que j’ai toujours adoré la musique. Pour les
plus jeunes, qui ne les ont pas connues, les cassettes avaient des
inconvénients : la qualité du son se détériorait, la bande se prenait dans le
magnétophone, et elles fondaient au soleil. Mais elles étaient super faciles à
voler. Elles avaient la taille d’un petit paquet de cigarettes, et un voleur à
l’étalage ambitieux pouvait cacher sur lui tout le répertoire d’un groupe et
partir sans se faire repérer.
Au mieux de ma forme, je volais autant que mes vêtements pouvaient
en contenir, puis je planquais mon butin dans les buissons, et je retournais
voler, parfois dans le même magasin. Une après-midi, j’ai volé quelques
serpents à l’Aquarium Stock Company, une animalerie où j’allais si souvent
qu’ils étaient habitués à moi et n’ont jamais envisagé un instant, je crois,
que je puisse leur voler des choses. Ce n’était pas des abrutis finis ; j’étais
là parce que j’aimais vraiment les animaux qu’ils avaient – mais je n’avais
pas assez de respect pour leur boutique pour ne pas en ramener quelques-
uns chez moi. Pour prendre les serpents, je me les enroulais autour du
poignet, avant de mettre mon blouson, et je m’assurais qu’ils étaient
remontés assez haut sur mon bras. Un jour, je me suis vraiment lâché, et
j’en ai pris un paquet, que j’ai planqué quelque part à l’extérieur, le temps
de retourner dans la boutique voler des livres qui devaient m’expliquer
comment m’occuper de ces serpents rares que je venais de voler.
Une autre fois, j’ai volé un caméléon de Jackson, ce qui n’était pas une
très bonne idée : ce sont des caméléons cornus, qui mesurent près de trente
centimètres et mangent des mouches ; on dirait de petits iguanes, avec des
yeux bizarres, proéminents et de forme pyramidale. J’avais un sacré culot,
quand j’étais môme – je suis tout simplement sorti de la boutique avec,
alors que c’était un élément très cher et exotique de l’animalerie. En
rentrant chez moi avec cette bestiole, je n’ai pas réussi à inventer une
histoire plausible pour expliquer à ma mère sa présence dans ma chambre.
J’ai donc décidé que la seule solution serait de le laisser vivre à l’extérieur,
sur la chaîne couverte de vigne vierge qui nous séparait du voisin, au fond
du jardin, près des poubelles. J’avais volé un livre sur les caméléons de
Jackson, et je savais qu’ils aimaient les mouches ; du coup, pour moi, il n’y
avait pas de meilleur endroit pour que le Vieux Jack trouve des mouches
que cette chaîne derrière nos poubelles – parce qu’il y en avait beaucoup.
Tous les jours, c’était une vraie aventure pour le retrouver, parce qu’il était
très doué pour se fondre dans le décor, comme tous les caméléons. Je
mettais toujours du temps à le retrouver, et j’adorais ce défi. Cela a duré
cinq mois ; au bout d’un moment, il a de mieux en mieux su se cacher dans
la vigne vierge, jusqu’au jour où je ne l’ai plus retrouvé. Pendant deux
mois, je l’ai cherché tous les jours, mais sans succès. Je ne sais pas ce qui a
pu advenir du Vieux Jack, mais vu les innombrables choses qui ont pu lui
arriver, j’espère qu’il s’en est bien sorti.
J’ai beaucoup de chance de ne pas m’être fait prendre plus souvent, lors
de mes exploits de kleptomane, parce qu’ils allaient assez loin. J’en suis
même arrivé à ce point de stupidité : pour un pari, j’ai volé dans un magasin
de sport un canot gonflé. J’ai dû planifier mon coup, mais j’ai réussi, et,
allez comprendre, je ne me suis pas fait prendre.
C’était facile ; je vais vous dévoiler ma « méthode », si je puis dire : le
canot était pendu au mur près de la sortie de secours du magasin, près du
hall qui s’ouvrait sur l’allée de derrière. Une fois que j’ai réussi à ouvrir
cette porte de secours sans éveiller les soupçons, décrocher le canot du mur
était chose facile. Et une fois que le canot a été par terre, dissimulé sous du
matériel de camping ou autre chose, j’ai simplement attendu le bon moment
pour l’emporter dehors jusqu’à mes amis qui m’attendaient au coin de la
rue. Je n’ai même pas gardé ce canot. Dès que j’ai eu prouvé que je pouvais
relever ce défi, je l’ai balancé un pâté de maisons plus loin, dans un jardin.
Je n’en suis pas fier, mais tout bien considéré, le jour où je me suis
retrouvé à quinze bornes de chez moi sans un sou et que mon vélo avait une
roue à plat, j’ai été content de pouvoir voler facilement une chambre à air
chez Toys ‘R’Us. Autrement, j’aurais dû rentrer en stop chez moi, et me
mettre dans je ne sais quelle situation. Mais comme tous ceux qui tentent le
sort trop souvent, je dois reconnaître qu’on a beau se persuader que nos
actions sont nécessaires, alors qu’on sait que ce n’est pas bien, elles
finissent toujours par nous rattraper.
Pour moi, pour ce qui est du vol à l’étalage, j’ai fini par me faire
épingler à Tower Records sur Sunset Boulevard, qui était le magasin de
disques préféré de mes parents. Je me souviens très clairement de ce jour-
là : c’était l’un de ces moments où je savais que ça allait mal finir, mais où
je tentais quand même l’aventure. J’avais quinze ans, il me semble, et je me
rappelle m’être dit, en garant mon vélo dehors, qu’il faudrait que
maintenant, je fasse attention dans ce magasin. Cette prise de conscience ne
m’a pas été d’un grand secours : j’ai avidement fourré des cassettes dans
mon blouson et mon pantalon, et mes vêtements étaient tellement pleins que
je me suis dit que j’allais acheter un album ou deux pour détourner
l’attention des caissiers. Il me semble que je me suis dirigé vers les caisses
avec Dream Police de Cheap Trick et Houses of the Holy de Led Zeppelin,
et après avoir payé, j’étais déjà libre comme l’air dans ma tête.
J’étais dehors, sur mon vélo, prêt à filer, quand une main s’est abattue
lourdement sur mon épaule. J’ai nié en bloc, mais j’étais fait comme un rat :
ils m’ont emmené dans la pièce surplombant le magasin, de laquelle ils
m’avaient vu voler à travers une glace sans tain, et ils m’ont repassé la
bande. Ils ont appelé ma mère ; j’ai rendu toutes les cassettes qui étaient
dans mon pantalon, et ils les ont alignées sur une table pour lui montrer. Je
me suis tiré de bien des choses étant gosse, mais me faire choper pour avoir
piqué des cassettes dans le magasin que mes parents fréquentaient depuis si
longtemps, c’était un crime bien plus grave dans notre famille que dans la
loi. Je n’oublierai jamais le visage d’Ola quand elle est entrée dans ce
bureau au-dessus du magasin et qu’elle m’a vu, assis derrière tout ce que
j’avais volé. Elle n’a pas dit grand-chose, et elle n’avait pas à le faire ; pour
moi, il était évident qu’elle avait fini de croire que je ne pouvais rien faire
de mal.
Finalement, Tower n’a pas porté plainte parce que j’avais rendu toutes
les cassettes. Ils m’ont laissé partir, à la condition que je ne mette plus
jamais les pieds dans leur magasin, mais c’était plutôt parce que l’un des
managers avait dû reconnaître en ma mère une cliente régulière et
appréciée.
Bien entendu, quand six ans plus tard, ce magasin m’a engagé au rayon
vidéo, j’ai passé les six premiers mois à me dire que quelqu’un allait se
rappeler qu’on m’avait pris en flagrant délit de vol, et que j’allais me faire
virer. Je me disais que tout à coup, quelqu’un allait s’apercevoir que j’avais
menti sans vergogne sur ma fiche d’informations, et je supposais ce que je
savais être vrai : tout ce que j’avais volé avant de me faire prendre valait
plus que quelques chèques de fin de mois.
TOUS CES CHANGEMENTS ALLAIENT FINIR PAR SE TASser au cours des huit
années suivantes, mais seulement une fois que je me serais fabriqué tout
seul une famille stable.
Dans le vide que l’explosion de ma famille avait laissé derrière elle, je
m’étais bâti mon propre univers. J’ai eu la chance, malgré mon âge, au
cours de cette période où je testais mes limites, de me faire un ami qui a
toujours été près de moi, même quand nos chemins se sont séparés. C’est
toujours un de mes plus proches confidents, ce qui, au bout de trente ans,
veut dire sacrément beaucoup.
Il s’agit de Marc Canter ; sa famille possède le célèbre Canter’s Deli,
une institution à L.A., sur North Fairfax. La famille Canter venait du New
Jersey et avait ouvert ce restaurant dans les années 40, qui était rapidement
devenu le rendez-vous des gens du show-biz, parce que la nourriture y était
bonne et que c’était ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ce n’est
qu’à quelques centaines de mètres de Sunset Strip : c’est devenu un repaire
pour musiciens dans les années 60 et ça l’est encore aujourd’hui. Dans les
années 80, des groupes comme les Guns sont souvent venus y faire un
souper tardif. Le Kibbitz Room, leur bar et salle de concerts à côté, a
accueilli des soirées musicales formidables, trop nombreuses pour être
toutes citées. Les Canter ont été formidables avec moi ; ils m’ont donné un
boulot, m’ont hébergé, et je ne pourrai jamais assez les remercier.
J’ai rencontré Marc à l’école élémentaire de la Troisième Rue, mais
nous ne sommes devenus amis que lorsque j’ai failli lui voler son petit vélo
en CM2.
Notre amitié a tout de suite été solide. Nous allions à Hancock Park, à
côté du quartier aisé où il vivait. On allait dans les ruines du Pan Pacific
Theater, où se trouve aujourd’hui le centre commercial de Grove. Le Pan
Pacific était un vestige époustouflant : dans les années 40, c’était un cinéma
très glamour, avec un plafond voûté et un écran géant, sur lequel défilaient
les nouvelles et qui a fait la culture cinématographique de toute une
génération. À mon époque, c’était toujours très beau : les arches Art Déco
vertes étaient restées intactes, même si tout le reste était délabré. Juste à
côté, il y avait une bibliothèque municipale et un parc, avec un terrain de
basket et une piscine. Comme l’école élémentaire Laurel, c’était un lieu de
rendez-vous pour les jeunes de douze à dix-huit ans, qui, pour une raison ou
pour une autre, étaient dehors la nuit.
Mes amis et moi étions les plus jeunes ; il y avait des filles qui étaient
tellement hors de notre portée que nous pouvions à peine les approcher – et
pourtant, on essayait. Il y avait des zonards, des jeunes qui avaient arrêté
l’école, dont beaucoup vivaient dans les ruines du cinéma et se
nourrissaient de ce qu’ils volaient au marché fermier qui se tenait à côté,
deux fois par semaine. Marc et moi étions fascinés ; ils nous avaient
acceptés parce que nous avions en général de l’herbe, ce qui est un bon
moyen de se faire des amis. Rencontrer Marc a provoqué un changement en
moi ; c’était mon premier « meilleur ami » – quelqu’un qui me comprenait
alors que j’avais l’impression que personne ne le pouvait. Aucun d’entre
nous n’a eu une vie que l’on peut qualifier de normale, mais je suis fier de
dire qu’aujourd’hui, nous sommes toujours aussi proches qu’à l’époque.
Pour moi, c’est ça, la définition de la famille. Un ami vous connaît toujours
aussi bien, même si ça fait des années que vous ne vous êtes pas vus. Un
vrai ami est toujours là quand vous avez besoin de lui ; il n’est pas là que
pour les vacances et les week-ends.
J’ai été aux premières loges pour découvrir cela, quelques années plus
tard. Quand j’avais à peine de quoi me nourrir, cela m’était égal, tant que
j’avais de quoi faire la pub de Guns N’Roses. Et quand je n’avais pas de
quoi faire imprimer des flyers ou m’acheter des cordes de guitare, Marc
Canter était là pour moi. Il me donnait l’argent pour faire ce qu’il y avait à
faire. Je l’ai remboursé dès que je l’ai pu, une fois que les Guns eurent signé
leur contrat, mais je n’ai jamais oublié que Canter a été là pour moi, à
l’époque où j’étais au plus bas et à la rue.
Slash faisant un saut sur son vélo Cook Bros.
Slash faisant un sort à la piste de VTT au Youth Center de Reseda
5) Comment jouer de la guitare rock
Faire une nouvelle expérience hors contexte, qui sort de vos habitudes,
déforme un peu votre perspective – comme quand on entend sa voix sur un
répondeur. C’est presque comme si on rencontrait un étranger ; ou comme
si on se découvrait un talent qu’on ne se connaissait pas. La première fois
que j’ai joué une mélodie à la guitare, assez bien pour qu’on la reconnaisse,
c’est un peu ce qui s’est passé. Plus j’apprenais à jouer de la guitare, plus
j’avais l’impression d’être un ventriloque : je reconnaissais ma voix
créative qui chantait à travers ces six cordes, mais c’était aussi quelque
chose d’entièrement nouveau. Les notes et les accords sont devenus ma
deuxième langue et, plus d’une fois, cette langue m’a permis d’exprimer ce
que je ressentais quand les mots me faisaient défaut. La guitare, c’est aussi
ma conscience – chaque fois que je me suis fourvoyé, elle m’a ramené dans
le droit chemin ; chaque fois que j’ai oublié pourquoi j’étais là, elle me l’a
rappelé.
Je dois tout à Steven Adler – c’est grâce à lui que tout a commencé.
C’est grâce à lui que je joue de la guitare. On s’est rencontré un soir sur le
terrain de jeux de Laurel Elementary, quand nous avions treize ans. Si je
m’en souviens bien, il faisait du skate, et c’était lamentable. Après une
chute particulièrement rude, je suis allé le voir, sur mon vélo, et on est tout
de suite devenus inséparables.
Steven avait grandi dans la Vallée avec sa mère, son beau-père et ses
deux frères, jusqu’à ce que sa mère ne supporte plus son comportement et
l’envoie vivre chez ses grands-parents à Hollywood. Il est resté là jusqu’à la
fin du collège, vacances d’été incluses, avant d’être renvoyé en bus chez sa
mère pour le lycée. Steven est spécial ; c’est le genre de sale gosse que
seule une grand-mère peut supporter, sans pour autant pouvoir vivre avec
lui.
Steven et moi nous sommes rencontrés durant l’été, avant d’entrer en 4e,
et nous sommes restés ensemble jusqu’au lycée, puisque j’avais quitté
l’appartement de Hancock Park de ma mère pour celui de ma grand-mère à
Hollywood. On était tous les deux des nouveaux au collège Bancroft, ainsi
que dans le quartier. Tout le temps que je l’ai connu, Steven n’a jamais
passé une semaine complète au collège, quel que fût le mois. Je m’en
sortais parce que j’avais d’assez bonnes notes en arts plastiques, musique et
anglais pour obtenir une moyenne suffisante. J’avais des A en arts, en
musique et en anglais, parce que c’étaient les seules matières qui
m’intéressaient. À part ça, je me fichais bien du reste, et je séchais tout le
temps. J’avais volé un carnet d’appel au secrétariat, et, en cas de besoin,
j’imitais la signature de ma mère ; du coup, aux yeux de l’administration,
j’étais bien plus présent qu’en réalité. En fait, la seule raison pour laquelle
j’ai obtenu mon diplôme à la fin du collège, c’est grâce à une grève des
profs lors de ma dernière année. Nos profs habituels avaient été remplacés,
et il n’était que trop facile d’embobiner les remplaçants en leur racontant
des craques. Je ne veux pas m’étendre sur le sujet, mais je me rappelle avoir
plus d’une fois joué le morceau préféré du prof à la guitare, devant toute la
classe. Bon, voilà.
Pour être franc, le collège n’était pas si mal : j’avais tout un cercle
d’amis, dont une petite amie (on va y venir) et je participais activement à
toutes les activités qui rendent l’école plus agréable à ceux qui se défoncent.
Tôt le matin, notre bande se réunissait avant la première heure de cours
pour sniffer un truc appelé « vestiaire » – une variété de nitrite d’amyle, un
vasodilatateur qui abaisse la pression sanguine tout en vous filant une brève
poussée euphorisante. Après quelques bouffées de vestiaire, on fumait
quelques clopes et, à midi, on se retrouvait dans la cour pour fumer
quelques joints. On faisait de notre mieux pour rendre la journée agréable.
Quand je n’allais pas au collège, Steven et moi passions la journée à
traîner dans Hollywood, la tête dans les nuages, à parler musique et à
chercher du fric. On faisait parfois la manche, mais aussi des petits boulots,
comme déplacer les meubles de personnes rencontrées par hasard.
Hollywood a toujours été un lieu bizarre, qui attire des gens étranges, mais
à la fin des années 70, vu les tours curieux qu’avait pris la culture – entre le
laisser-aller de la révolution des sixties et la généralisation de la drogue et
des mœurs sexuelles libérées – on trouvait des gens vraiment étranges.
Je ne me rappelle plus comment on l’avait rencontré, mais il y avait un
type plus âgé que nous qui nous filait du fric sans raison. Tout ce qu’on
avait à faire, c’était discuter avec lui ; je crois qu’il nous a demandé deux ou
trois fois de lui faire ses courses. Je trouvais ça très bizarre, mais ça n’avait
pas de quoi effrayer deux gosses de treize ans. Et en plus, l’argent de poche
compensait tout le reste.
Steve n’avait aucun tabou, et il arrivait donc à se faire régulièrement de
l’argent de plusieurs façons ; l’une d’elles, c’était Clarissa, une de mes
voisines d’une vingtaine d’années, qui vivait plus bas dans la rue. Un jour,
en passant, on l’a vue assise sous son porche, et Steven a eu envie de lui
dire bonjour. Ils ont commencé à discuter, et elle nous a invités à entrer ; on
est resté un moment, et quand j’ai voulu partir, Steven m’a dit qu’il allait
rester encore un peu. En fait, ce soir-là, il a couché avec elle, et en plus il lui
a soutiré de l’argent. Je ne sais pas comment il a fait, mais tout ce que je
sais, c’est qu’il a encore couché avec elle quatre ou cinq fois et qu’à chaque
fois, il est revenu avec du fric. Pour moi, c’était hallucinant ; j’étais très
jaloux.
Mais si Steven se mettait tout le temps dans ce genre de situations, ça se
terminait souvent mal. Là, alors qu’il était en train de sauter Clarissa, son
colocataire homo est entré et les a surpris. Elle a éjecté Steven, qui a atterri
par terre, érection en avant, et les choses en sont restées là.
Steven et moi, on s’en sortait bien ; je volais tous les magazines de
musique et de rock dont nous avions besoin. On n’avait pas envie de
dépenser de l’argent pour quoi que ce soit, sauf pour des boissons Big
Gulps et des cigarettes, et du coup, on était plutôt en forme. On arpentait
Sunset Boulevard, puis Hollywood Boulevard, de Sunset à Doheny, en
matant les affiches des nombreuses boutiques de fumette et en entrant dans
tous les magasins de musique ou de souvenirs qui nous semblaient
intéressants. On se baladait, en s’imprégnant de l’animation qui régnait par
là. On passait des heures dans un endroit du nom de Piece O’Pizza, en
faisant tourner en boucle Van Halen sur le juke-box. C’était devenu un
rituel : Steven m’avait fait écouter leur premier disque quelques mois plus
tôt. Ça a été l’un de ces moments où un nouveau genre de musique m’a
complètement soufflé.
« Il faut que t’écoutes ça, m’avait dit Steven, les yeux écarquillés. C’est
un groupe, Van Halen, c’est génial ! » J’avais quelques doutes, parce que
Steven et moi n’avions pas tout à fait les mêmes goûts musicaux. Il a mis le
disque, et les baffles se sont mis à cracher le solo d’Eddie au début de
« Eruption ». « Nom de Dieu, ai-je dit, qu’est-ce que c’est que ce truc ? »
C’EST ÉGALEMENT CETTE ANNÉE-LÀ QUE J’AI VU MON premier concert de
rock vraiment important. Il s’agissait du California World Music Festival,
au L.A. Memorial Coliseum, le 8 avril 1979. Il y avait 110 000 spectateurs,
et l’affiche était hallucinante : il y avait énormément de groupes, mais la
tête d’affiche était assurée par Ted Nugent, Cheap Trick, Aerosmith et Van
Halen. Sans conteste, Van Halen a écrasé tous les autres groupes qui ont
joué ce jour-là, même Aerosmith. Cela dit, ce n’était pas très dur : les mecs
d’Aerosmith étaient tellement défoncés à l’époque que j’avais du mal à
faire la différence entre leurs morceaux. J’étais fan, mais le seul que j’ai
vraiment reconnu, c’était « Seasons of Wither ».
Steve et moi avons fini par passer à la vitesse supérieure et à aller
traîner devant le Rainbow et le Starwood, au milieu de toute la faune pré-
glam. C’est dans ces clubs que Van Halen s’était fait les dents, et Mötley
Crüe était sur le point de faire de même ; à part quelques groupes de ce
genre, on pouvait aussi voir les débuts de la scène punk rock de L.A. À
l’extérieur des clubs, il y avait toujours une foule énorme, et comme j’avais
accès à diverses drogues, je les vendais, pas seulement pour me faire de
l’argent, mais pour me rapprocher de ce milieu. Une fois au collège, j’ai eu
une meilleure idée : je fabriquais de fausses cartes d’identité, qui m’ont
permis d’intégrer ce milieu.
Il y avait tellement d’animation, la nuit, à West Hollywood et
Hollywood : toute une faune homosexuelle – aux alentours du French
Quarter, un restaurant gay très chic, et de bars gays comme le Rusty Nails et
d’autres, qui se retrouvaient coincés au milieu de la scène rock à dominante
hétéro. Steven et moi trouvions bizarre la juxtaposition des deux. Il y avait
tellement de gens curieux partout, et on aimait s’imprégner de tout cela,
même si c’était étrange et absurde.
En grandissant, Steve et moi nous sommes retrouvés dans pas mal de
situations délicates, mais apparemment sans gravité. Un soir, mon père nous
a emmenés à une fête organisée par certains de ses amis artistes, qui
vivaient dans une impasse de Laurel Canyon. Notre hôte, Alexis, un ami de
mon père, avait préparé un baquet de punch particulièrement mortel, qui a
mis tout le monde H.S. Steven, qui avait grandi dans la Vallée, n’avait
jamais vu des gens si cool : il était face à des adultes de la génération post-
hippie, des artistes reconnus, et entre le punch et les convives, il a
complètement pété les plombs. On tenait tous les deux plutôt bien l’alcool,
pour des gosses de treize ans, mais ce truc était bien trop fort pour nous.
J’étais tellement fait que je n’ai pas vu Steve s’éclipser avec la fille qui
logeait dans la chambre d’amis en dessous. Il a fini par la sauter, ce qui s’est
avéré assez peu cool : elle avait la trentaine et elle était mariée. Du haut de
mes treize ans, je la considérais comme une vieille. Pour moi, Steve venait
de sauter une vieille… et qui plus est, la vieille de quelqu’un d’autre.
Au matin, quand je me suis réveillé, j’étais couché par terre, avec le
goût du punch qui me tapissait la bouche, et l’impression qu’on m’avait
enfoncé des clous dans le crâne. Je suis rentré dormir chez ma grand-mère
pour me remettre ; Steven est resté, préférant traîner dans le lit de la
chambre d’amis. Ça ne faisait pas dix minutes que j’étais rentré, que mon
père m’a appelé en me disant que Steven était en danger. La femme avec
qui il avait passé la nuit était passée aux aveux, et son mari était très
mécontent. Selon mon père, ce type voulait « étrangler » Steven, une
menace qui, selon Tony, était tout à fait réaliste. Comme, visiblement, je ne
le prenais pas au sérieux, Papa m’a dit que ce type avait vraiment juré de
tuer Steven. Finalement il ne s’est rien passé, et Steven s’en est bien tiré,
mais cet incident annonçait la couleur. À treize ans, il avait réduit ses
ambitions à exactement deux choses : baiser des filles et jouer dans un
groupe de rock. Je ne peux qu’admirer sa prescience.
À treize ans, dans sa sagesse musicale que (sans doute à cause de ses
talents précoces avec les femmes) je considérais supérieure à la mienne,
Steven proclamait que seuls trois groupes importaient dans le rock’n’roll :
Kiss, Boston et Queen. Il leur rendait hommage tous les jours, toute la
journée, au lieu d’aller à l’école. Sa grand-mère travaillait dans une
boulangerie, et quittait la maison à cinq heures du matin ; elle ignorait que
Steven n’allait que rarement à l’école. Il passait la journée à écouter du Kiss
à fond, en martelant une petite guitare électrique achetée au Wal-Mart,
branchée à un ampli, à fond lui aussi. J’allais le voir, on glandait ensemble,
et il me criait, pour se faire entendre par-dessus tout ce boucan : « Hé ! On
devrait monter un groupe, tu sais ! »
Steven a un esprit tellement ouvert et insouciant que son enthousiasme
est terriblement contagieux. Je n’ai jamais douté de ses intentions et de sa
motivation ; j’ai tout de suite été convaincu que ça allait marcher. Il s’était
attribué le poste de guitariste, et nous avons décidé que je jouerais de la
basse. Aujourd’hui, après vingt-cinq ans de musique, quand j’écoute un
morceau, je suis capable de distinguer chaque instrument ; j’identifie tout
de suite la tonalité du morceau, et en général, je pense immédiatement à
plusieurs autres manières de le jouer. À treize ans, cela faisait déjà des
années que j’écoutais du rock’n’roll ; j’étais allé à des concerts, et je savais
de quels instruments se composait un groupe de rock, mais je ne savais
absolument pas quel instrument produisait quel son dans le morceau. Je
savais ce que c’était qu’une guitare, mais je n’avais pas la moindre idée des
différences entre une guitare et une basse, et la manière dont Steven en
jouait à l’époque ne risquait pas de m’éclairer.
Quand on se baladait en ville, on passait souvent devant une école de
musique sur Fairfax et Santa Monica, appelée Fairfax Music School
(aujourd’hui, ce sont les locaux d’un chiropraticien), et je me suis dit que
c’était sans doute un bon endroit pour apprendre à jouer de la basse. Et un
jour, je suis entré, suis allé à la réception et j’ai dit : « Je veux jouer de la
basse. » La réceptionniste m’a présenté un des professeurs, un certain
Robert Wolin. Quand Robert est venu me parler, ce n’était pas vraiment ce à
quoi je m’attendais : c’était un Blanc, de taille moyenne, qui portait un jean
et une chemise à carreaux rentrée dedans. Il avait une grosse moustache,
une barbe mal rasée et des cheveux bruns en bataille – qui avaient dû être
coupés une fois, mais il avait dû oublier de recommencer. Il va sans dire
que Robert n’avait pas du tout l’air d’une rock star.
Mais il prit patiemment le temps de m’expliquer que, pour prendre des
cours, j’aurais besoin d’une basse à moi, ce à quoi je n’avais même pas
pensé. J’ai demandé de l’aide à ma grand-mère, et elle m’a donné une
vieille guitare flamenco, avec une seule corde en nylon, qui traînait dans un
de ses placards. Quand je suis retourné voir Robert à l’école, il a jeté un œil
sur ma guitare, et a tout de suite compris qu’il fallait partir des bases, parce
que je ne savais même pas que ce que j’avais dans les mains n’était pas une
basse. Robert a mis « Brown Sugar » des Stones, a pris sa guitare, et a joué,
en même temps que le disque, le riff et la partie de guitare. Et c’est là que
j’ai entendu ce son. Je ne savais pas ce que faisait Robert, mais c’était ça.
J’ai fixé la guitare de Robert avec de grands yeux, et je l’ai pointée du
doigt.
« C’est ça que je veux faire, lui ai-je dit. Ça. »
Robert m’a vraiment encouragé ; il m’a écrit une grille d’accords, m’a
montré sur sa guitare les bonnes positions des doigts, et a accordé la seule
corde que j’avais. Il m’a dit aussi que je devrais rapidement me procurer les
cinq cordes manquantes. C’est ainsi que la guitare est entrée dans ma vie :
subitement et innocemment. Ce n’était pas réfléchi, pas prémédité ; je
n’avais aucun plan pour l’avenir, à part intégrer le groupe idéal de Steven.
Dix ans plus tard, j’en ferais partie, avec tous les bénéfices annexes dont
Steven rêvait : voyager dans le monde entier, donner des concerts à guichets
fermés, et avoir plus de filles que nécessaire à notre disposition… et tout ça
grâce à ce bout de bois fatigué que ma grand-mère avait exhumé de son
placard.
Mon obsession pour la guitare a remplacé celle pour le BMX quasiment
du jour au lendemain. Ça n’avait rien de comparable avec tout ce que
j’avais pu faire auparavant : pour moi, c’était une forme d’expression aussi
satisfaisante et personnelle que l’art et le dessin, mais à un niveau bien
supérieur. Pouvoir reproduire les sonorités qui, depuis toujours, m’avaient
interpellé dans la musique me donnait un sentiment de puissance plus grand
que tout ce que j’avais pu expérimenter. Le changement a été aussi radical
que si quelqu’un avait appuyé sur un interrupteur, et la lumière s’est
également faite immédiatement. Quand je suis rentré chez moi après l’école
de musique, j’ai fait comme Robert : j’ai mis mes morceaux préférés, et j’ai
fait de mon mieux pour jouer en même temps. Avec une seule corde, je
faisais ce que je pouvais ; au bout de quelques heures, j’étais capable de
suivre les changements de tonalité et de reproduire la mélodie de quelques
morceaux, au prix d’un travail acharné. Des morceaux comme « Smoke on
the Water » de Deep Purple, « 25 or 6 to 4 » de Chicago, « Dazed and
Confused » de Led Zeppelin et « Hey Joe » de Jimi Hendrix peuvent se
jouer uniquement sur la corde de mi, ce qui fait que je les ai répétés encore
et encore. Le simple fait de réaliser que je pouvais reproduire les morceaux
qui passaient sur ma chaîne a suffi à rendre éternel l’impact de la guitare sur
ma vie.
J’ai passé tout l’été avant mon entrée en 3e à prendre des cours avec
Robert, sur ma vieille guitare flamenco – pourvue de ses six cordes que,
bien entendu, il m’avait appris à accorder. J’étais toujours impressionné
quand il mettait un disque qu’il ne connaissait pas et l’apprenait
immédiatement en quelques minutes. Je me suis fixé comme objectif de
pouvoir faire la même chose : avec le zèle des débutants, j’ai essayé
d’atteindre immédiatement ce niveau et, comme tout bon professeur, Robert
m’a obligé à commencer par le « B.A. BA. » Il m’a appris les gammes de
base, en majeur, en mineur, et de blues, ainsi que les accords classiques. Il
m’a aussi fait des grilles d’accords pour mes morceaux préférés, comme
« Jumpin’Jack Flash » et « Whole Lotta Love », qui étaient censées être des
récompenses quand j’aurais fait mes exercices de la semaine. En général, je
passais directement à la récompense, et quand j’arrivais à l’école de
musique le lendemain, Robert voyait bien que je n’avais absolument pas
fait mes devoirs. Quelquefois, j’aimais bien jouer comme si je n’avais
toujours qu’une corde. Tous les morceaux qui me plaisaient contenaient un
riff, et il était plus rigolo de le jouer sur une seule corde, le temps que mes
doigts aient appris à le jouer correctement.
Mon équipement de BMX prenait la poussière dans le placard. Mes
potes se demandaient à quoi j’occupais mes soirées. Un jour, j’ai croisé
Danny McCracken, alors que je revenais de l’école de musique, ma guitare
en bandoulière. Il m’a demandé où j’étais passé et si j’avais gagné des
courses récemment. Je lui ai dit que maintenant, j’étais guitariste. Il m’a
toisé, a regardé ma vieille six-cordes, et puis a planté son regard dans le
mien : « Ah ouais ? » Il avait une expression incrédule, comme s’il n’était
pas sûr qu’il faille me prendre au sérieux. On est resté sur nos vélos une
bonne minute, dans un silence pesant, puis on s’est dit au revoir. Je ne l’ai
plus jamais revu.
J’avais beaucoup de respect pour Robert, mon prof de guitare, mais,
naïf et impatient que j’étais, j’avais du mal à voir le lien entre les bases
qu’il m’enseignait et les morceaux des Rolling Stones et de Led Zeppelin
que je voulais jouer. Tout s’est rapidement mis en place le jour où j’ai
découvert ma propre méthode, si je puis dire ; c’était un vieux bouquin, que
j’avais découvert dans le coin des affaires d’un magasin de guitare, intitulé
Comment jouer de la guitare rock. Ce livre contenait tous les tableaux
d’accords, les tablatures et des exemples de solos des grands comme Eric
Clapton, Johnny Winter et Jimi Hendrix. Il y avait même un petit 45-tours
tout ramolli, qui permettait d’entendre comment il fallait jouer ce qui
figurait dans le manuel. J’ai ramené ce truc à la maison, et je l’ai dévoré, et
dès que j’ai été capable de reproduire les sons de ce petit disque, je me suis
rapidement mis à improviser, et là, j’ai halluciné. Quand j’ai réussi à sortir
des suites de notes qui ressemblaient à ce que faisait un guitariste de
rock’n’roll, ça a été comme si j’avais trouvé le Saint Graal. Ce livre a
changé ma vie ; j’ai toujours mon vieil exemplaire quelque part, dans une
caisse, et je n’en ai jamais trouvé d’autre. J’ai souvent cherché, sans succès.
Pour moi, c’est comme si c’était le dernier exemplaire au monde, et que ce
jour-là, il m’attendait, moi, personnellement. Ce livre m’a permis d’acquérir
les compétences que je recherchais, et dès que j’ai su les maîtriser, j’ai
abandonné à jamais l’école de musique.
À présent, dans ma tête, j’étais « guitariste de rock », ce qui fait que j’ai
dû emprunter cent dollars à ma grand-mère pour m’acheter une guitare
électrique. C’était une copie de Les Paul vraiment bon marché, fabriquée
par une boîte appelée Memphis Guitars. C’est sa forme qui m’a plu, parce
que la plupart de mes guitaristes préférés jouaient sur des Les Paul – pour
moi, c’était l’incarnation parfaite de la guitare rock. Cela dit, je ne savais
même pas qui était Les Paul ; je ne connaissais pas du tout son sublime jeu
jazz, et je ne savais pas non plus que c’était un pionnier dans le
développement des instruments électriques, des effets et des techniques
d’enregistrement. Je ne savais pas que cette marque de guitare à corps plein
allait rapidement devenir mon choix d’instrument numéro un. Et j’étais loin
de me douter que j’aurais l’honneur d’être sur scène avec lui, plusieurs fois,
plusieurs années après. Non, ce jour-là, j’en suis resté à un degré assez
basique : dans mon esprit, cette forme représentait concrètement le son que
je voulais produire.
EN DÉCOUVRANT LA GUITARE, ÇA A ÉTÉ COMME SI JE m’étais découvert moi-
même : la guitare me définissait, me donnait un but. C’était un exutoire
créatif qui me permettait de mieux me connaître. Mes tourments
d’adolescent me semblaient soudain secondaires ; jouer de la guitare
m’apportait un point d’ancrage. Je ne tenais pas de journal intime ;
apparemment, je n’arrivais pas à exprimer mes sentiments de manière
constructive, mais la guitare m’apportait une certaine clarté dans mes
émotions. J’adorais dessiner ; c’était une activité qui me vidait la tête, mais
pour moi, ce n’était pas un vecteur qui me permettait de pleinement
m’exprimer. J’avais toujours jalousé les artistes qui réussissaient à
s’exprimer à travers leur art, et ce n’est qu’en me mettant à la guitare que
j’ai vraiment compris le soulagement extraordinaire que cela procure.
Chaque fois que je le pouvais, je m’entraînais des heures durant, et
c’était une vraie libération. Jouer me mettait en transe, et cela m’apaisait
l’âme : les mains occupées et l’esprit concentré, je trouvais la paix. Quand
j’ai fait partie d’un groupe, j’ai découvert que l’épuisement physique
consécutif à un concert était pour moi une vraie libération primale ; quand
je joue sur scène, je me sens plus à ma place et mieux dans ma peau qu’à
n’importe quel autre moment de ma vie. Quand on joue de la musique, on
se nourrit de tout un tas d’émotions subconscientes, et comme je suis le
genre de personne qui trimballe en lui tout son vécu, je n’ai jamais rien
trouvé de mieux pour évacuer mes sentiments.
Quand j’ai trouvé ma voix à travers la guitare, à quinze ans, ça a été,
pour moi, révolutionnaire. Mon évolution a fait un grand bond en avant ; je
ne trouve rien qui ait fait une différence comparable dans ma vie. Le seul
truc qui pourrait en être proche avait eu lieu deux ans plus tôt, quand j’avais
pour la première fois expérimenté les mystères du beau sexe. Après l’avoir
fait, je m’imaginais qu’il n’y avait rien de mieux que le sexe… jusqu’à ce
que je me mette à la guitare. Et peu de temps après, j’ai découvert que ces
deux objectifs ne pouvaient pas coexister pacifiquement dans mon univers
d’adolescent.
Ma première petite amie s’appelait Melissa. C’était une fille mignonne,
potelée, avec des super nichons, d’un an de moins que moi. Elle avait douze
ans et moi treize quand nous avons perdu notre virginité l’un avec l’autre.
Cela n’a rien de choquant au vu des normes actuelles, aujourd’hui que les
jeunes se livrent à des jeux d’adultes extrêmement tôt, mais en 1978, nous
étions en avance pour notre âge : nos camarades en étaient encore à se
rouler des pelles. Inconsciemment, nous savions tous les deux qu’il ne
fallait pas détruire quelque chose d’aussi bon, et nous sommes donc restés
ensemble, plus ou moins, pendant plusieurs années. La première fois que
nous avons fait quoi que ce soit, c’était dans la laverie de son immeuble, au
rez-de-chaussée, à l’arrière du bâtiment. Elle m’a branlé ; c’était une
première pour nous deux. Et puis on est passé au petit deux-pièces qu’elle
partageait avec sa mère, Carolyn. Malheureusement, la première fois qu’on
a couché ensemble, Carolyn est rentrée tôt, et j’ai dû me sauver par la
fenêtre de la chambre de Melissa, le pantalon sur les chevilles.
Heureusement, les buissons en dessous ont amorti ma chute.
Entre nous, les choses sont rapidement devenues très chaudes et très
intenses ; quand sa mère n’était pas là, on baisait dans le lit de Melissa et
quand elle était là, on faisait ça sur le canapé une fois que Carolyn s’était
abrutie de Valium, en espérant qu’elle n’allait pas se réveiller et nous
choper. Bien sûr, il n’était pas toujours évident d’attendre que le Valium de
Carolyn eût fait effet. Melissa et Carolyn ont fini par déménager à l’étage
du dessus, dans un trois-pièces, et peu de temps après, sa mère a fini par se
résigner à ce que nous faisions. Elle a jugé que c’était mieux que nous
fissions cela chez elle qu’ailleurs, et elle nous l’a fait savoir. Pour Melissa et
moi, de notre point de vue d’adolescents en rut, sa mère était la plus cool du
monde.
Carolyn fumait des tonnes d’herbe, et ne s’en cachait pas ; elle nous
roulait des joints impeccables et me laissait dormir chez elles, dans la
chambre de Melissa, pendant plusieurs semaines d’affilée. Comme c’était
l’été, ma mère n’y voyait pas d’inconvénient. La mère de Melissa ne
travaillait pas ; elle avait un mec très sympa, un dealer bien plus âgé qui
vendait de la coke, de l’herbe et de l’acide, toutes sortes de trucs qu’il nous
donnait gratuitement, à la condition que nous les consommions dans la
maison.
Leur immeuble était situé sur Edinburgh et Willoughby, deux pâtés de
maisons à l’ouest de Fairfax, et un demi-pâté de maisons au sud de Santa
Monica Boulevard. L’emplacement était idéal – l’École Elémentaire Laurel
où je traînais avec mes copains était juste en bas de la rue. C’était là que
j’avais rencontré Melissa, en fait. Le terrain de jeux était aussi cosmopolite
que le quartier de Melissa. On y trouvait un mélange culturel intéressant :
de jeunes homos, de vieilles familles juives, des Russes, des Arméniens, des
gens du Moyen-Orient vivaient les uns avec les autres. Ça avait un petit
côté Leave It To Beaver [série télé familiale des années 60, NDT] très
sympa : tout le monde se souriait, se saluait, se disait bonjour, mais il y
avait quand même une tension très palpable.
Une soirée typique pour Melissa et moi consistait à nous défoncer et
écouter de la musique avec sa mère, avant de traverser la rue pour aller voir
Wes et Nate, les deux homos qui vivaient dans la seule maison au milieu
des immeubles des environs. Ils avaient un grand jardin, qui devait faire 4
hectares, et un grand chêne au milieu de leur terrain, avec une balançoire.
On fumait un joint avec eux avant d’aller dans le jardin nous allonger sous
le chêne pour regarder les étoiles.
Au cours de cette période, j’ai aussi découvert énormément de musique
contemporaine. J’ai déjà dit que mes parents écoutaient tout le temps de la
musique ; c’est le meilleur souvenir de mon enfance. Je continue à écouter
ces morceaux, des compositeurs classiques que mon père adorait aux
légendes des sixties et des seventies qu’ils aimaient tous les deux. Cette
période a été la plus créative de l’histoire du rock’n’roll. Je passe mon
temps à chercher, mais je trouve rarement de la musique qui soit meilleure
que celle-là. Quand il me semble avoir trouvé, un examen plus poussé
révèle que c’est une resucée des originaux. Et alors je me dis que j’aime
mieux écouter les Stones ou Aerosmith, ou tout autre groupe qui a servi
d’inspiration, plutôt que de continuer à écouter ça.
Mais à treize ans, la collection de disques de mes parents ne me suffisait
plus. Je cherchais de nouveaux sons, et j’en ai trouvé une infinité chez
Melissa. C’est là que j’ai découvert pour la première fois Supertramp,
Journey, Styx, April Wine, Foghat et Genesis – aucun ne me plaisait
vraiment. Mais la mère de Melissa écoutait beaucoup Pink Floyd, que ma
mère m’avait fait connaître, et comme Carolyn avait de l’excellente herbe,
la musique prenait subitement une tout autre signification. Cet appartement
était un paradis pour un guitariste débutant : je me défonçais gratuitement,
je découvrais de nouveaux morceaux et je pouvais baiser ma copine toute la
nuit, et tout ça avant d’avoir fini le collège.
J’AI PASSÉ LE RESTE DE MON ANNÉE DE 4 ET TOUTE mon année de 3e à errer
E

dans Hollywood avec Steven la journée, jouer de la guitare dans ma


chambre et coucher avec Melissa. J’ai fini par piquer un gros
magnétophone Panasonic que j’emmenais partout, m’imprégnant des
morceaux de Ted Nugent, Cheap Trick, Queen, Cream, et Edgar et Johnny
Winter. Je volais de plus en plus de cassettes chaque jour, en m’imprégnant
d’un groupe à la fois. Je commençais toujours par un album live du groupe,
parce que pour moi, c’est la meilleure façon de savoir si un groupe est digne
d’attention. S’ils sonnaient bien en concert, je volais tous leurs albums. Les
lives me servaient aussi à écouter leurs meilleurs morceaux avant de me
mettre à voler tous leurs disques – j’étais économe. J’adore toujours autant
les albums live ; en tant que fan de rock – et je me sens toujours fan avant
tout – il me semble qu’il n’y a rien de mieux que d’entendre votre groupe
préféré en concert. Je suis toujours persuadé que les meilleures versions des
morceaux de mes groupes préférés figurent sur leurs albums live, qu’il
s’agisse du Live Bootleg d’Aerosmith, du Live at Leeds des Who, du Get
Your Ya-Ya’s Out des Rolling Stones ou du Give The People What They
Want des Kinks. Bien plus tard, j’ai été très fier quand Guns N’Roses a sorti
Live Era ; je trouve que ce disque contient quelques grands moments.
MELISSA ET STEVEN EXCEPTÉS, MES AMIS ÉTAIENT bien plus âgés que moi.
La plupart d’entre eux faisaient partie de ma bande de cyclistes, et j’avais
rencontré les autres en cours de route, parce que j’avais toujours de l’herbe
en ma possession, d’une manière ou d’une autre. Ma mère fumait du shit, et
avait une vision très libérale de l’éducation : elle préférait que je fume du
shit sous sa supervision plutôt que d’en faire l’expérience à l’extérieur.
Avec tout le respect que je lui dois, elle avait les meilleures intentions du
monde, mais elle ne se rendait pas compte que non seulement je fumais à la
maison, sous ses yeux vigilants, mais aussi que je lui piquais un peu de son
herbe (parfois seulement les graines) pour la fumer ou la revendre quand je
sortais. C’était, sans nul doute, le meilleur moyen de me faire accepter, et je
la remercie pour cela.
Les jeunes plus âgés que moi que je rencontrais avaient leur propre
appartement, vendaient des drogues, organisaient des soirées, et se
moquaient éperdument d’avoir des mineurs avec eux. Outre ces avantages
évidents, ces relations m’ont également permis de découvrir les groupes du
moment, à côté desquels j’aurais pu passer. Un groupe de surfeurs et de
skateurs avec lesquels je traînais m’a fait découvrir Devo, Police, 999, et
quelques autres groupes de New Wave grand public. Et dans un autre
groupe que je fréquentais, un grand black d’une vingtaine d’années nommé
Kevin m’a fait écouter le premier album des Cars au cours d’une de ses
soirées.
Kevin était le frère aîné d’un de mes potes de vélo, Keith, qui m’avait
surnommé Solomon Grundy1. J’admirais beaucoup Keith, parce qu’il était
toujours entouré des filles les plus mignonnes du lycée Fairfax. Quand
j’avais treize ou quatorze ans et que j’étais à fond dans le BMX, ce type
faisait partie du même milieu que moi, mais il était tellement cool qu’on
avait toujours l’impression qu’il allait tout laisser tomber pour poursuivre
des objectifs plus élaborés, plus matures. Je ne sais toujours pas bien
pourquoi Keith m’avait surnommé Solomon Grundy.
En tout cas, Keith avait des goûts musicaux discutables. Il aimait la
musique disco, et je ne partageais pas son intérêt pour la chose, même si je
comprends mieux aujourd’hui que ce genre musical lui donnait l’occasion
de soigner sa tenue au maximum – et du coup, je l’admire d’autant plus
aujourd’hui pour cela. En plus, cela fonctionnait à merveille, parce que les
filles qui fréquentaient son cercle d’amis ou ses soirées étaient mignonnes
et aguicheuses, ce qui me plongeait dans des abîmes de perplexité. Tout ça
pour dire que ce soir-là, je ne m’attendais pas du tout à apprécier le
« nouveau groupe très cool » que Kevin voulait me faire écouter dans sa
chambre, autour d’un joint. J’ai changé d’avis dès le milieu du premier
morceau, et avant la fin du deuxième, j’étais devenu un fan ultime d’Elliot
Easton. Elliot était l’âme des Cars, et leur premier album m’a conquis. À
mes yeux, les Cars font partie des quelques groupes marquants qui sont
apparus quand la New Wave a déferlé sur les ondes.
Le même soir, juste avant de quitter la fête, j’ai entendu un truc qui a
sérieusement retenu mon attention. Quelqu’un a mis Rocks d’Aerosmith, et
je n’ai eu le temps d’entendre que deux morceaux, mais ça a suffi. La
musique dégageait quelque chose de vraiment méchant, style chat de
gouttière, que je n’avais encore jamais entendu. Tout comme la guitare était
la voix inconnue que j’avais en moi, cet album était celui que j’avais
attendu toute ma vie. Avant de partir, j’ai fait en sorte d’aller voir la
pochette du disque, pour savoir de qui il s’agissait. Je connaissais le nom
d’Aerosmith ; quatre ans plus tôt, en 1975, ils avaient eu leur premier tube
radio avec « Walk This Way ». Je suis retombé sur Rocks une ou deux
semaines plus tard… mais au pire moment.
En guise de préface à l’histoire qui va suivre, permettez-moi de vous
rappeler qu’une relation amoureuse est quelque chose de compliqué, surtout
quand les deux parties en présence sont jeunes, inexpérimentées et en pleine
poussée hormonale. Melissa et moi tenions vraiment l’un à l’autre, mais
nous rompions très souvent, avant de nous réconcilier, en général parce que
le temps que je consacrais à apprendre la guitare empiétait sur le temps que
j’étais censé lui consacrer à elle. À ce moment précis, nous n’étions plus
ensemble, et j’avais des vues sur une jeune fille que j’appellerais Laurie.
Elle faisait partie de mon cercle d’amis, mais était bien plus âgée que moi,
et il était clair que je n’avais aucune chance. Laurie avait des seins
incroyables, de longs cheveux blonds-bruns, et aimait porter des petits hauts
à bretelles, moulants et décolletés. Ils étaient tellement transparents et
lâches que sa poitrine était plus que visible. Comme moi, Laurie était
célibataire depuis peu : elle avait rompu avec Ricky, son petit ami, un
surfeur-type. J’étais décidé à sortir avec elle ; je me fichais totalement du
fait qu’elle eût quatre ans de plus que moi et qu’elle m’ignorât
superbement. Je savais que je pouvais le faire. Je n’arrêtais pas de lui parler
et de lui manifester mon intérêt, et j’ai fini par avoir un vrai dialogue avec
elle. Elle a baissé sa garde et a appris à me connaître, et ensuite, elle a
semblé oublier que quelques semaines plus tôt, je n’étais qu’un jeune loser
qu’elle ne voyait même pas. Elle a fini par m’inviter à passer la soirée chez
elle, un soir que sa mère n’était pas là.
J’ai garé mon vélo sur sa pelouse et je l’ai suivie dans sa chambre à
l’étage. Sa chambre était très en avance sur ma conception de ce qui était
cool et groovy à l’époque : elle avait mis des foulards sur les lampes, les
murs étaient couverts de posters de rock, et elle avait sa propre chaîne
stéréo et des tonnes de disques. On s’est défoncé, et je voulais la jouer cool,
alors j’ai passé en revue ses disques pour trouver de quoi l’impressionner.
J’ai reconnu la pochette de Rocks, que j’avais vue quelques semaines plus
tôt à la fête chez Kevin, et j’ai mis ce disque, sans réaliser qu’il passait en
boucle dans mon subconscient depuis que j’avais entendu ces deux
premiers morceaux. Quand le début de « Back in The Saddle », avec ses
hurlements caractéristiques, a retenti, je suis resté tétanisé ; j’ai écouté le
disque, encore et encore, à genoux près des baffles, en ignorant
complètement Laurie. Je l’avais même carrément oubliée, ainsi que les
plans compliqués que j’avais pu concevoir pour la soirée. Au bout d’une ou
deux heures, elle m’a tapoté l’épaule.
« Hé », m’a-t-elle dit.
« Hé, ai-je répondu. Qu’est-ce qui se passe ? »
« Je pense que tu ferais mieux de rentrer chez toi, maintenant. »
« Ah, ouais… OK. »
Pour moi, Rocks n’a rien perdu aujourd’hui de sa puissance de
l’époque : les hurlements, les guitares sales, et ces grooves implacables,
c’est la définition même du rock bluesy. Il y avait, dans l’adolescence brute
qu’incarnait Aerosmith, quelque chose qui était à l’époque tout à fait en
phase avec mon développement intérieur ; le son de ce disque reflétait
exactement mes sentiments. Après cette occasion manquée avec Laurie, je
me suis entièrement consacré à apprendre « Back in the Saddle ». J’ai volé
la cassette et un recueil de partitions d’Aerosmith, et je me suis repassé le
morceau jusqu’à ce que je connaisse les riffs. Et ce faisant, j’ai appris une
leçon fondamentale : les partitions ne peuvent pas vous apprendre à jouer
correctement. J’avais plus ou moins appris à lire la musique, et je savais
donc que les notes de la partition n’étaient pas les mêmes que celles qui
étaient jouées sur le disque. Et c’était vrai : après m’être escrimé pendant
des heures, je n’arrivais toujours pas à jouer en même temps que le disque.
J’ai donc jeté le bouquin, et j’ai continué à bosser, jusqu’à pouvoir
reproduire les notes d’oreille ; et c’est comme ça que j’ai toujours appris
tous les autres morceaux que je voulais jouer depuis.
C’est en apprenant tous les riffs de « Back in the Saddle » que j’ai
réalisé à quel point le jeu de Joe et Brad est caractéristique, et aussi que
personne ne peut vraiment reproduire le jeu d’un autre. L’imitation doit
rester un point de départ, pour que le musicien trouve sa propre voix, mais
ça ne doit jamais devenir sa propre voix : personne ne doit copier ses idoles
au point de les singer à la note près. La guitare est un moyen d’expression
trop personnel pour cela ; ça doit rester exactement ce que c’est – un
prolongement unique du musicien.
À LA FIN DE MA DERNIÈRE ANNÉE AU COLLÈGE, JE m’étais fabriqué un petit
monde aussi solide que ma vie domestique était chaotique ; en effet, au
cours de cette période, juste après leur séparation, mon père et ma mère se
sont lancés dans des relations amoureuses très irrégulières. Je passais
quelque temps chez l’un ou chez l’autre, mais aucune des deux situations ne
me satisfaisait. J’ai fini par habiter principalement chez ma grand-mère,
dans son appartement de Hollywood, tandis que mon petit frère vivait avec
ma mère. Bien sûr, je passais la plupart des nuits chez Melissa.
Après sa liaison avec David Bowie, ma mère a commencé à sortir avec
un photographe très talentueux que j’appellerais « Son Mec ». Ils sont restés
ensemble près de trois ans, et ont même fini par s’installer ensemble dans
un appartement sur Cochran, un peu après la Troisième, près de La Brea, où
j’ai vécu avec eux quelque temps. Son Mec avait près de dix ans de moins
qu’Ola ; quand ils se sont rencontrés, il commençait à se faire un nom : je
me rappelle avoir rencontré chez eux Herb Ritts, Moshe Brakha et quelques
autres photographes et mannequins célèbres. Ma mère et Son Mec
entretenaient une relation assez tumultueuse, au cours de laquelle elle a
rétrogradé au rang d’assistante de ce type, mettant ainsi sa carrière de côté.
Son Mec avait toujours une chambre noire dans la salle de bains, et vers
la fin de leur liaison, j’ai découvert que, quand il y passait ses nuits à
« bosser », il en profitait aussi pour fumer de la cocaïne. Les choses se
passaient en général plutôt bien, mais une fois que les « freebases » furent
entrées dans la vie de Son Mec, elles ont mis un coup d’arrêt à sa carrière –
ainsi qu’à sa liaison avec ma mère. Son Mec était torturé ; il était
malheureux, et on aime bien partager ses malheurs, ce qui fait que, même si
je n’étais pas fan de Son Mec (et qu’il le savait), il était décidé à
m’entraîner dans sa chute. On fumait de la coke ensemble, avant d’aller
errer dans le quartier en pénétrant dans les garages des gens. On piquait
généralement des meubles mis au rebut, des vieux jouets, et tout le bric-à-
brac que les gens semblaient avoir jeté. Un jour, nous avons trouvé un
canapé rouge que nous avons rapporté à la maison ; là, on l’a peint en noir à
la bombe, et on l’a installé dans une pièce. Je ne sais pas ce qu’Ola a bien
pu penser le lendemain matin ; je n’en sais vraiment rien, car elle n’en a
jamais parlé. En tout cas, après nos expéditions, Son Mec se remettait à
fumer, toute la matinée et peut-être même toute la journée. Moi, je rentrais
dans ma chambre vers 7h30, faisais semblant de dormir une heure, et puis je
me levais, disais bonjour à ma mère, et partais pour l’école, comme si je
venais de passer une bonne nuit de sommeil.
Ma mère avait insisté pour que je vienne habiter avec elle et Son Mec,
parce qu’elle n’appréciait pas les conditions dans lesquelles mon père me
faisait vivre. Quand mon père eut réussi à surmonter leur séparation, il
s’était débrouillé pour aller s’installer dans un appartement où vivaient son
ami Miles et un groupe de connaissances de mes parents. Apparemment,
tout le monde y buvait beaucoup et mon père y ramenait pas mal de
femmes, ce qui fait que ma mère estimait que ce n’était pas un
environnement correct pour moi. Au cours de cette période, mon père est
sorti assez régulièrement avec une certaine Sonny. La vie n’avait pas été
tendre avec Sonny : elle avait perdu son fils dans un terrible accident, et
même si elle était vraiment adorable, elle était totalement déglinguée. Mon
père et elle passaient beaucoup de temps à boire et à baiser ensemble. Du
coup, pendant un moment, j’ai vécu chez ma mère et ne voyais mon père
que les week-ends, mais chaque fois que je venais, il m’offrait toujours
quelque chose d’intéressant : un nouveau dinosaure, ou quelque chose de
plus technique, comme un avion télécommandé qu’il fallait construire soi-
même.
Plus tard, je l’ai vu plus souvent, quand il s’est installé dans un
appartement sur Sunset et Gardner, dans un immeuble composé d’ateliers,
avec une salle de bains commune. Steve Douglas, un ami artiste à lui, vivait
dans l’appartement d’à côté. Au rez-de-chaussée, il y avait un magasin de
guitares, mais à l’époque, je ne m’y étais pas encore mis. L’atelier d’artiste
de mon père occupait toute la pièce, et il s’était donc construit une
mezzanine au fond, pour y dormir ; c’est là que j’ai vécu avec lui un
moment, quand j’étais en 5e, juste après m’être fait virer du collège John
Burroughs pour avoir volé plusieurs BMX – mais cette histoire ne vaut
vraiment pas le coup d’être racontée. En tout cas, pendant cette courte
période, j’ai fréquenté le collège Le Conte, et comme mon père n’avait pas
le permis, je devais faire à pied les huit kilomètres aller et retour jusqu’à
l’école.
Je ne sais pas bien comment Papa et Steve gagnaient de l’argent. Steve
était aussi artiste, et à ce que je voyais, ils passaient leurs journées à boire et
leurs nuits à peindre pour eux-mêmes ou à parler peinture. Un de mes
meilleurs souvenirs de cette époque, c’est la fois où Steven m’a surpris en
train de fouiller dans sa vieille sacoche de médecin pleine de vieux
magazines pornos.
Comme nous vivions tantôt chez lui, tantôt chez nous, il était
parfaitement normal que j’aille chez lui quand je voulais. Un jour, il est
entré et m’a surpris en train de passer en revue son trésor pornographique.
« Saul, on va faire un truc, m’a-t-il dit. Si tu arrives à me voler ce sac, sous
mon nez, il est à toi. Tu crois que tu vas y arriver ? Je suis rapide, t’as
intérêt à être bon. » Je lui ai souri. J’avais déjà conçu un plan pour le lui
piquer avant qu’il ne me lance ce défi. Je vivais dans le même couloir –
comparé à ce que j’avais déjà volé à l’extérieur, les obstacles n’étaient pas
insurmontables.
Quelques jours plus tard, je suis allé chercher mon père chez Steve, et
comme ils étaient accaparés par leur conversation, ils n’ont même pas vu
que j’étais entré. L’occasion était trop belle ; j’ai attrapé le sac, suis sorti, et
l’ai planqué sur le toit. Malheureusement, ça a été un triomphe de courte
durée : dès que Steve a constaté la disparition de son sac, mon père m’a
ordonné de le lui rendre. C’est dommage ; ces magazines étaient devenus
des classiques.
Au cours de mon enfance, il y eut des périodes au cours desquelles
j’étais persuadé que mes parents n’étaient pas mes parents, parce que je
croyais sincèrement qu’on m’avait kidnappé. Je faisais aussi beaucoup de
fugues. Un jour que j’étais en train de me préparer à fuguer, mon père m’a
aidé à faire mes bagages, dans un petit sac en toile qu’il m’avait acheté en
Angleterre. Il s’est montré si compréhensif, si serviable et si gentil que cela
m’a convaincu de rester. Ce genre de psychologie inversée subtile est un
des traits que j’espère avoir hérité de lui, parce que j’aimerais pouvoir
l’utiliser avec mes enfants.
JE DIRAIS QUE MA PLUS GRANDE AVENTURE A ÉTÉ LE jour où, à six ans, je suis
parti sur mon vélo Big Wheel. À l’époque, nous habitions au sommet de
Lookout Mountain Road, et j’ai descendu cette route jusqu’à Laurel
Canyon, avant de descendre Laurel Canyon jusqu’à Sunset Boulevard qui
se trouve, approximativement, à trois kilomètres. Je n’étais pas perdu,
j’avais un plan : je voulais m’installer dans un magasin de jouets, et y
passer le reste de ma vie. Je crois que j’ai toujours été quelqu’un de décidé.
Bien sûr, j’ai souvent voulu partir de chez moi quand j’étais enfant, mais je
n’ai aucun regret concernant mon éducation. Si elle avait été un tant soit
peu différente, si j’étais né une minute plus tard, ou si je m’étais retrouvé au
mauvais endroit au bon moment ou inversement, la vie que j’ai menée et
appris à aimer n’aurait jamais existé. Et c’est une situation que je ne veux
même pas envisager.
1. Personnage d’une comptine anglaise, qui est devenu un méchant de
comics. (NDT)
Rock’n’roll ! Slash avec Tidus Sloan, juin 1982
6) Toute une éducation
Les couloirs de tous les bâtiments institutionnels se ressemblent tous ;
seule la couleur change. J’ai connu plusieurs centres de désintoxication de
l’intérieur, certains plus huppés que d’autres, mais leurs murs avaient tous
la même sobriété aseptisée. Ils étaient tous à dominante de blanc, et
couverts de slogans optimistes du genre : « C’est un voyage, pas un
terminus » et « Un jour à la fois ». J’ai trouvé ce dernier plutôt ironique, vu
le parcours de Mackenzie Phillips1. Le décor des chambres était une toile
de fond passe-partout, conçue pour faire naître l’espoir chez des gens venus
d’horizons très divers, car, comme le savent tous ceux qui sont passés par
là, une cure de désintoxication offre un échantillon de la société bien plus
complet qu’un jury. Je n’ai jamais appris grand-chose en groupe ; je ne me
suis jamais vraiment fait de nouveaux potes en désintox, et je n’ai pas non
plus profité des nombreuses opportunités que cela offrait de me faire de
nouveaux contacts et me procurer de la drogue. Après avoir passé plusieurs
jours au lit, le corps noué par le manque, incapable de manger, de parler ou
de penser, je n’étais pas d’humeur à faire la conversation. Pour moi, le côté
communautaire de la désintox était quelque chose d’artificiel – comme le
lycée. Et comme au lycée, je ne m’intégrais pas. Aucune de ces deux
institutions ne m’a appris ce qui était prévu, mais elles m’ont toutes deux
enseigné une leçon importante. En remontant leurs couloirs vers la sortie,
j’avais la certitude de partir en sachant exactement qui j’étais.
Je suis entré au lycée Fairfax en 1979. C’était un lycée public américain
moyen – du lino par terre, des casiers alignés, une cour, quelques coins
discrets où les jeunes fumaient des cigarettes et prenaient de la drogue en
cachette depuis des années. Les murs étaient peints en gris clair, d’une
neutralité très institutionnelle. Près du terrain de football américain, il y
avait un bon coin pour se défoncer, et de l’autre côté du campus, il y avait
une école, Walt Whitman, qui assurait la formation continue et où allaient
tous les vrais ratés, parce qu’il le fallait. C’était visiblement le fond du trou,
et du coup, même si ce campus était plus intéressant, même de loin, que le
campus normal, j’essayais de m’en tenir éloigné le plus possible.
Mon meilleur ami, Steven Adler, avait dû retourner faire son lycée dans
la Vallée, ce qui me semblait aussi loin que l’Espagne. Je suis allé le voir
quelquefois, et chaque fois, j’ai été déçu : c’était plat, sec, il faisait plus
chaud que chez moi, et ça ressemblait au décor d’une série télé. Tout le
monde là-bas semblait tenir plus que tout à avoir des pelouses et des vies
identiques. Même à mon jeune âge, je savais que cet endroit avait un
problème ; sous la normalité apparente, je sentais bien que les gens étaient
plus déglingués que ceux de Hollywood. J’avais de la peine pour Steven et,
quand il est parti, je me suis plus que jamais retiré dans le monde que je
m’étais créé avec ma guitare. J’allais au lycée, où je faisais en sorte de me
faire inscrire présent tous les jours, mais en général, j’allais à mes trois
premiers cours et je passais le reste de la journée assis sur les gradins, à
jouer de la guitare.
Il n’y avait qu’une seule matière qui m’intéressait un peu au lycée ; et
par conséquent, c’est aussi la seule dans laquelle j’ai récolté un A. C’était
un cours de théorie musicale, intitulé Harmonie, auquel je m’étais inscrit en
première année, et le professeur s’appelait le Dr Hummel. Dans ce cours, on
ramenait les éléments de la composition à leurs racines, et on en définissait
les bases en langage mathématique. J’ai appris à écrire des mesures, des
accords, des suites d’accords, tout en analysant la logique sous-jacente qui
les unissait. Nous n’avons jamais touché un instrument : notre prof se
servait d’un piano comme d’un outil pour illustrer ses théories, mais c’était
tout ; dans ce cours, on étudiait uniquement la théorie pure. Et alors que
j’étais nul en maths, là j’étais bon, et c’était donc le seul cours que je ne
ratais jamais. Chaque fois que je venais, j’avais l’impression de déjà
connaître les leçons qu’on apprenait. Je ne m’en suis jamais servi
sciemment en jouant de la guitare, mais je ne peux m’empêcher de penser
que connaître le système de transcription, qui m’était entré dans le crâne,
m’a en quelque sorte aidé dans mon jeu. Il y avait des phénomènes, dans
cette classe : entre autres, Sam, le virtuose du piano, un juif aux cheveux
crépus, et Randy, un fan de metal chinois aux cheveux longs. Randy
arborait tout le temps un blouson Aerosmith en satin, et soutenait que Keith
Richards et Pete Townshend étaient nuls, et qu’Eddie Van Halen était Dieu.
Nous sommes devenus amis, et j’ai fini par aimer autant nos discussions
quotidiennes que le cours, où nous étions principalement des musiciens qui
ne parlions de rien d’autre que de musique.
À côté de ça, les autres matières ne se passaient pas si bien. Un jour, un
des profs a décidé de faire un exemple avec moi, parce que je m’étais
endormi sur ma table. À l’époque, je travaillais le soir au cinéma du
quartier, ce qui fait que je devais être fatigué ; mais je pense plutôt que je
devais m’ennuyer à mourir, parce que c’était un cours de sciences sociales.
D’après ce que j’ai compris, le prof avait tout arrêté pour aborder le concept
de stéréotype avec la classe. Il leur a fait remarquer mes cheveux longs et le
fait que je dormais, et, pour donner un exemple du mot stéréotype, il en a
conclu que j’étais un musicien de rock qui n’avait sans doute pas d’autre
ambition dans la vie que de jouer de la musique très fort. Puis il m’a
réveillé et m’a posé quelques questions orientées.
« Bien, je suppose que vous devez être musicien, non ? m’a-t-il
demandé. De quoi jouez-vous ? »
« Je joue de la guitare », ai-je répondu.
« Et vous jouez quel genre de musique ? »
« Du rock n’roll, je pense. »
« Et vous jouez fort ? »
« Ouais, assez fort. »
« Notez bien, jeunes gens, comme ce jeune homme est un parfait
exemple de stéréotype. »
Je suis toujours de mauvaise humeur au réveil, et là, c’était plus que je
ne pouvais supporter. Je me suis levé, je me suis dirigé vers le premier rang,
j’ai retourné son bureau, et je suis parti. Cet incident, plus le fait que je
m’étais fait choper plus tôt avec de l’herbe, a signé la fin de ma carrière au
lycée Fairfax.
J’AI PLUS APPRIS SUR MES CAMARADES LORS DES RÉcréations clandestines
organisées entre tous les élèves de Fairfax et d’autres lycées, de la première
à la dernière année, au bout d’un long chemin de terre au sommet de Fuller
Drive, dans les collines de Hollywood. On appelait ça le Domaine Fuller ;
ça n’existe plus aujourd’hui – ce n’est plus qu’un virage du chemin de
randonnée de Runyon Canyon. C’était devenu un terrain vague pour
adolescents à la fin des années 70 et au début des années 80, mais avant ça,
c’était bien plus intéressant : dans les années 20, c’était là que se dressait la
demeure d’Errol Flynn ; elle couvrait quelques hectares au sommet de cette
grosse colline qui surplombe L.A. Entre cette époque et celle de mon
enfance, elle était tombée en décrépitude, et en 1979, ce n’était plus qu’une
ruine sommaire : un gros bloc de béton et une piscine vide. Quand je l’ai vu
pour la première fois, cet endroit était une épave pittoresque, avec une vue
extraordinaire.
Les murs de béton qui s’effritaient formaient un véritable labyrinthe sur
deux étages, et offraient une retraite idéale aux drogués de tout âge. La nuit,
on n’y voyait absolument rien, éloigné qu’on était des lumières de la ville.
Mais il y avait toujours quelqu’un avec une radio. C’est là que j’ai entendu
pour la première fois, sous acide, du Black Sabbath. J’étais en train de
planer en contemplant le ciel noir au dessus du Domaine Fuller, à relier
entre elles les étoiles, quand quelqu’un à côté de moi a mis à fond « Iron
Man ». Je ne sais pas si je saurais décrire précisément ce que j’ai ressenti ;
le riff pompeux et apocalyptique de cette chanson s’est tout simplement
emparé de tout mon être.
Cet endroit, et tous les gens qui s’y trouvaient, semblaient sortir tout
droit d’un film d’ados des années 70. En fait, on en a une représentation
parfaite dans le film Over the Edge [Violences sur la ville], avec le tout
jeune Matt Dillon : ce film parle d’un groupe de jeunes Texans muselés,
drogués et incontrôlables, qui sont tellement ignorés par leurs parents qu’ils
prennent la ville en otage. Dans le film, et je parie que c’était la même
chose pour tous les gosses qui venaient traîner à Fuller, les parents n’avaient
aucune idée de ce que faisaient réellement leurs enfants. Dans ses passages
les plus agressifs et les plus réalistes, le film reflétait fidèlement la culture
adolescente de l’époque : la plupart des parents ne faisaient pas assez
attention pour s’inquiéter, ou pensaient naïvement qu’ils avaient raison de
faire confiance à leurs enfants et de fermer les yeux.
QUAND J’ÉTAIS AU LYCÉE, LES JEUNES AVAIENT PLUsieurs looks différents.
L’influence du lycra avait commencé à se répandre, grâce à Pat Benatar et
David Lee Roth, et cette mode avait laissé des traces colorées : les filles
portaient des combinaisons fluo moulantes et décolletées, et quelques mecs
suivaient. Je me rappelle avoir vu des Capezios quand j’étais au collège,
mais Dieu merci, ces chaussures étaient passées de mode quand je suis
arrivé au lycée, même si les cheveux longs et bouffants étaient encore la
norme, pour les filles comme les garçons. C’était bien trop courant, et ça
n’était absolument pas cool.
Le film American Gigolo, avec Richard Gere, a eu lui aussi une
influence majeure : il raconte le déclin d’un élégant escort-boy de Beverly
Hills. Ça a été terrible pour les adolescents de Hollywood, parce que toutes
les filles qui l’avaient vu cherchaient à recréer leur propre version de ce
monde. Tout à coup, des filles de treize, quatorze ou quinze ans essayaient
de s’habiller comme si elles en avaient vingt-cinq, et cherchaient à sortir
avec des types bien habillés et bien plus vieux qu’elles. Je n’ai jamais
creusé leur psychologie, mais j’ai vu plus d’une fille que je connaissais se
mettre, dès quinze ans, à porter trop de maquillage, à sniffer de la coke, et à
sortir des mecs de dix-neuf/vingt ans. C’était foutrement pathétique et
vraiment triste. Un grand nombre d’entre elles a très mal fini avant même
d’atteindre l’âge légal pour boire. Après tout, elles étaient parties avec
tellement d’avance, que ça les a rattrapées avant même qu’elles n’aient
franchi le pas.
JE NE RESSEMBLAIS À AUCUN AUTRE DE MES CAMArades d’école, et mes
goûts me maintenaient à l’écart. J’ai toujours eu les cheveux longs, et porté
des T-shirts, des jeans, et des Vans ou des Chuck Taylors, depuis que j’ai eu
mon mot à dire sur le sujet. Quand je suis arrivé au lycée, la seule chose qui
m’intéressait, c’était la musique et jouer de la guitare ; je n’ai jamais suivi
les modes qui influençaient mes semblables, et du coup, je faisais tache. Ça
a toujours été mon paradoxe : je détonnais, mais je n’ai jamais voulu ou
recherché l’attention des autres. Bref, j’étais habitué à ne pas m’intégrer, et
rien d’autre ne me mettait à l’aise : j’avais si souvent changé d’école que
j’étais l’éternel nouveau – et sans doute, dans l’esprit de mes condisciples,
le nouveau bizarre.
Et pour ne rien arranger, je n’étais pas immédiatement identifiable : on
ne pouvait me classer dans aucune catégorie sociale, élevée, moyenne ou
inférieure ; je n’avais l’air ni blanc, ni noir, ni rien. En grandissant, et en
continuant à changer constamment d’adresse, j’ai réalisé et compris
pourquoi, pour remplir mes fiches d’inscription, ma mère réfléchissait
tellement avant de cocher l’une ou l’autre case : si j’étais enregistré comme
Noir dans certains secteurs scolaires, on risquait de m’envoyer dans une
moins bonne école à l’autre bout de la ville, alors que j’aurais pu m’inscrire
dans une meilleure école au coin de la rue si j’étais enregistré comme
Caucasien. Je n’ai jamais trouvé de ghetto basé sur la race au lycée, et je
n’étais conscient de ma race que lorsqu’elle posait problème aux autres. J’ai
souvent pu voir, à l’époque et depuis encore, des gens très « ouverts » ne
pas savoir comment se comporter avec moi, parce qu’ils ne savaient pas
bien si j’étais Noir ou Blanc. En tant que musicien, ça m’a toujours amusé
d’être à la fois Anglais et Noir ; et particulièrement parce que tant de
musiciens américains semblent vouloir être Anglais, alors que tant de
musiciens anglais, surtout dans les années 60, se donnaient tant de mal pour
être Noirs. C’était un autre élément qui me différenciait des autres, mais je
peux compter sur les doigts d’une main les fois où j’ai eu des problèmes
basés sur la race ; et ils ne se sont produits que lorsque je me suis trouvé
immergé dans l’univers très blanc du metal des années 80. Un jour, au
Rainbow, je me suis accroché avec Chris Holmes, de W.A.S.P. Duff a
entendu Chris dire que les nègres ne devraient pas jouer de guitare. Il ne me
l’a pas dit directement, mais j’étais clairement visé. Si je me souviens bien,
Duff me l’a raconté plus tard, et quand j’ai revu Chris, je me suis dirigé vers
lui pour qu’on s’explique, et il est parti en courant. Outre le fait que c’était
insultant pour moi, c’est aussi l’une des choses les plus ridicules et les plus
fausses qu’un musicien, surtout un musicien, puisse dire.
AU LYCÉE, JE ME SUIS FAIT MON PROPRE CERCLE d’amis, des gens qui avaient
tous quelque chose d’unique, et qui se distinguaient du reste des élèves.
Mes meilleurs amis, Matt et Mark, incarnent à mes yeux cette période de
ma vie. Matt Cassel est le fils de Seymour Cassel, un des plus grands
acteurs des cinquante dernières années. Seymour a joué dans près de deux
cents films depuis les années 60, notamment ceux de son ami proche, John
Cassavetes. Il a figuré dans trop de films et de séries pour tous les nommer ;
plus récemment, le réalisateur Wes Anderson s’est fait son champion : il a
fait tourner Seymour dans Rushmore, La Famille Tenenbaum et La Vie
Aquatique. À Hollywood, Seymour est une légende ; il a soutenu le cinéma
indépendant avant que cela ne devienne une institution (il avait pour
philosophie d’accepter un rôle auquel il croyait pour le prix du billet
d’avion). C’était également une figure connue dans le gotha des réalisateurs
fêtards, dont faisaient partie Cassavetes, Ben Gazzara, Roman Polanski et
bien d’autres.
Il m’arrivait de débarquer chez Matt, de m’installer dans sa chambre et
d’y passer des heures à jouer de la guitare, en apprenant les morceaux des
albums qu’il possédait : le Live de Pat Travers, le dernier AC/DC, Back in
Black ; ces albums me procuraient des heures et des heures de riffs à
apprendre. Ils vivaient juste au-dessus de Sunset sur Kings Road, derrière le
Riot Hyatt, à côté d’une maison au toit pentu, qui est toujours là. Il y avait
sans cesse des tournages de films pornos dans cette maison, tandis que
Seymour faisait pousser du cannabis dans son jardin. Cette maison était l’un
des avantages qu’il y avait à aller chez Matt : on allait frayer là-bas avec les
actrices porno. C’était plutôt indécent, mais elles aimaient bien nous
chauffer, nous les petits jeunes, en jouant entre elles, avant de nous laisser
repartir tout frustrés.
Seymour organisait des fêtes géniales, et il avait élevé ses enfants de
manière à pouvoir les laisser y participer en toute confiance. Ma mère
connaissait Seymour, mais elle n’aurait jamais approuvé ce qui se passait
chez lui. Lors des fêtes de Seymour, c’était très libre, et sans limites. Ses
deux enfants, Matt et Dilynn, étaient si futés et indépendants qu’il n’avait
pas à s’en préoccuper : ils avaient déjà compris leur place dans cette vie de
dingues. Betty, la femme de Seymour, ne sortait jamais de sa chambre ;
pour moi, ce qui se passait à l’étage était un mystère sombre et inquiétant.
Ajouté au fait que Seymour menait sa maisonnée d’une main de fer, cela
faisait que Matt ne laissait que peu de ses amis, dont je faisais partie, entrer
dans leur monde.
Un jour, Seymour m’a regardé et m’a donné un surnom qui lui plaisait
davantage que mon vrai nom. Lors d’une fête, alors que je passais de pièce
en pièce chez lui, à la poursuite de mon prochain but, quel qu’il fût, il m’a
tapé sur l’épaule, m’a dévisagé d’un air affable, et m’a dit : « Alors, Slash2,
où tu vas ? Où tu vas, Slash ? Hein ? »
Et visiblement, ce surnom est resté. Mes potes qui étaient aussi chez
Seymour ont commencé à m’appeler Slash à l’école, et très vite, tout le
monde ne m’appelait plus que comme ça. À l’époque, mes amis et moi
trouvions simplement que ce nom était cool, mais ce n’est que des années
plus tard que Seymour me l’a expliqué correctement, quand nous avons
repris contact. J’étais en tournée pour Use Your Illusion, et je me trouvais à
Paris avec ma mère, quand Seymour y était aussi. On a déjeuné ensemble
tous les trois, et il m’a expliqué que ce surnom exprimait le tourbillon que
j’étais, dans tous les sens du terme. Il était fier que je me sois vraiment fait
un nom, et que ce soit lui qui ait été à l’origine de mon pseudonyme. Il
m’avait surnommé Slash parce que je ne tenais pas en place plus de cinq
minutes ; il me voyait comme quelqu’un qui cherchait toujours un nouveau
coup à faire. Il avait raison : j’ai toujours fait des allées et venues au lieu de
rester tranquille. Je suis toujours en mouvement, je dis souvent au revoir en
même temps que bonjour, et Seymour a condensé tout cela en un mot.
J’ai rencontré énormément de monde chez Seymour – dont les Stones.
Après leur concert au L.A. Coliseum, ils sont venus faire une « after-after
party » chez lui. J’avais assisté à ce concert ; ils avaient joué « You Can’t
Always Get What You Want » avec tant d’émotion que je ne l’oublierai
jamais. J’ai réussi à serrer la main de Ronnie Wood ; j’avais quinze ans, et
j’étais loin de me douter que plus tard, ce serait l’un de mes meilleurs amis.
Pour tout vous dire, mon fils aîné, London, a été conçu chez lui.
Mon autre meilleur ami, Mark Mansfield, est entré et sorti plusieurs fois
de ma vie depuis que nous nous sommes rencontrés au lycée. Ken, son père,
était producteur de disques et sa belle-mère était chanteuse – sa vraie mère
vivait à Santa Barbara, où il allait souvent quand il avait des ennuis – et il
avait tout le temps des ennuis. La famille de Mark vivait dans une très jolie
maison au dessus de Sunset, et Mark était un mini-James Dean, avec une
touche de Dennis Hopper. Il était prêt à tout, et faisait tout ce qu’on le
mettait au défi de faire – le tout avec un réel enthousiasme et le sourire aux
lèvres. Lentement mais sûrement, son attitude l’a conduit sur une mauvaise
pente : maison de redressement, désintoxication, ce genre de choses. Mark
était le genre de type à m’appeler un jour à dix heures du matin, pour me
dire que lui et un copain venaient de faire un tonneau avec la voiture de la
mère du copain sur la route de Mulholland. Ils l’avaient volée dans l’allée
pendant que la mère était sortie, et bien entendu, ils étaient passés par-
dessus le talus, dans le canyon. Heureusement pour eux, ils ont fini dans un
arbre et ont pu remonter sur la route. Inutile de dire que quand Mark m’a
redonné de ses nouvelles, il était chez sa mère, à Santa Barbara.
DÈS QUE J’AI SU ENCHAÎNER CORRECTEMENT TROIS accords et improviser un
solo, j’ai voulu monter un groupe. Steven n’était plus là, il était reparti dans
la Vallée, et je me suis donc débrouillé tout seul. J’avais essayé de monter
un groupe à la toute fin du collège, mais ça ne s’était pas très bien passé.
J’ai trouvé un bassiste, et un batteur dont la mère était prof de français au
lycée Fairfax. Ça a été ma première expérience avec un batteur caractériel
qui piquait des crises ; quand il faisait une erreur, ce gosse envoyait balader
tout son kit. Et puis il fallait attendre qu’il ait tout remis en place. Le
bassiste de ce groupe était tout simplement incroyable. Il s’appelait Albert,
et on reprenait des morceaux de Rainbow comme « Stargazer ».
Malheureusement, Albert a eu un accident de vélo sur Mulholland Drive et
est resté dans le coma pendant un bon mois. Il s’est retrouvé obligé de
porter un système de traction : il avait des broches dans le cou et dans les
jambes, et des attelles qui lui écartaient les jambes – la totale. Quand il est
revenu à l’école, on aurait dit un A majuscule, et il n’avait plus la moindre
envie de jouer de la basse.
Mon premier concert professionnel a eu lieu au Al’s Bar : je jouais dans
un groupe composé d’amis de mon père. Mon père était très fier de ma
passion pour la guitare, et chantait toujours mes louanges auprès de ses
amis. Je ne sais pas ce qui était arrivé à leur guitariste, mais il avait dû se
passer quelque chose, et Tony les avait convaincus de me laisser jouer. Je
suis sûr qu’ils se demandaient si j’étais ou non capable de le faire. Mais j’y
suis allé, et je m’en suis bien sorti : ils ne jouaient que du blues classique,
avec une structure de douze mesures, et des reprises de standards inspirés
du blues, comme les Stones, que j’ai toujours aimés. J’ai gagné en échange
quelques bières gratuites, et c’est ça qui, à mes yeux, en faisait un concert
vraiment professionnel.
Il y avait quelques guitaristes dans mon cercle d’amis au lycée. J’ai
rencontré un certain Adam Greenberg, qui jouait de la batterie, et on a
trouvé Ron Schneider, un bassiste, et on a formé un trio qu’on a baptisé
Tidus Sloan [prononcer « Taïdeuss Slonn »]. Je ne sais toujours pas ce que
ce nom signifie… Je suis quasiment persuadé que je l’ai imaginé grâce à un
certain Phillip (dont je vais reparler un peu plus loin). Un soir, Phillip s’est
mis à marmonner des trucs incohérents, et je me rappelle avoir été très
curieux de savoir ce qu’il disait.
« Fok’taïdeuss allé slonn dla maison », dit Phillip. C’est du moins ce
que j’ai entendu.
« Quoi ? » ai-je demandé.
« Fok’taï deuss allé du slonn de la maison », a-t-il dit. D’après moi.
« Hé, Phillip, qu’est-ce que tu racontes ? »
« J’te dis qu’fok’taï deuss n’aller du slonn de la moisson, a-t-il dit. Taï
deuss slonn d’la maison. »
« OK, mec, ai-je dit. C’est cool. »
Je pense qu’il voulait que j’aille dire aux filles de s’en aller du salon de
sa maison, mais je suis parti en me disant que Tidus Sloan, quoi que ce
putain de mot pût signifier, ferait un nom de groupe très cool.
TIDUS SLOAN EST DEMEURÉ UN GROUPE PUREMENT instrumental, parce qu’on
n’a jamais trouvé de chanteur, et qu’il était hors de question que je chante
moi-même. Déjà, je n’ai pas une personnalité à être sur le devant de la
scène ; c’est déjà assez pénible pour moi de m’exposer et de parler aux
gens. Tout ce que je veux vraiment, c’est jouer de la guitare, et qu’on me
fiche la paix. En tout cas, Tidus Sloan jouait des vieux Black Sabbath, des
vieux Rush, des vieux Led Zeppelin et des vieux Deep Purple, sans le chant
– on était rétro avant même que le concept existe.
On répétait dans le garage d’Adam, ce qui mettait sa mère hors d’elle.
Les voisins et elle se plaignaient en permanence, ce qui peut se comprendre,
vu qu’on jouait bien trop fort pour ce quartier résidentiel. Sa mère s’appelait
Shirley, et j’ai fait un dessin en son honneur : une femme, dans
l’encadrement d’une porte, en train de hurler à pleins poumons : « C’est
trop fort, et je ne supporte pas ce boucan ! » Sur le dessin, le sol de la
chambre est jonché de cannettes de bière, et sur le lit, il y a un gamin aux
cheveux longs, en train de jouer de la guitare, qui l’ignore complètement.
Ma caricature de Shirley a inspiré mon premier tatouage, même si le
personnage encré sur mon bras ne lui ressemble pas du tout – dans ma
version, elle est coiffée comme Nikki Sixx et a d’énormes seins, alors que
la vraie Shirley adorait les bigoudis, et était vieille et grosse – mais avec
d’énormes seins également. J’avais seize ans quand je me suis fait faire ce
tatouage sur le bras droit, avec Slash écrit dessous. Adam m’a expliqué plus
tard que c’était ma faute si Shirley piquait des colères : je venais de
m’acheter une talk-box auprès de la belle-mère de Mark Mansfield ; c’est
un amplificateur qui permet au musicien de modifier le son de n’importe
quel instrument branché dessus, d’après les mouvements de sa bouche sur
un tube transparent qui y est attaché. Apparemment, les sons que j’en tirais
rappelaient à Shirley son défunt mari, qui était mort d’un cancer de la gorge
quelques années auparavant. Il ne pouvait plus parler que d’une voix
artificielle, qui sortait d’une boîte, et les sons que j’émettais y ressemblaient
trop pour elle. Il va sans dire que j’ai arrêté d’utiliser ma talk-box chez elle.
Il y avait quelques autres guitaristes et quelques autres groupes dans
mon lycée, comme Tracii Guns et son groupe Pyrhus. Je les ai enviés un
moment quand j’ai commencé à jouer de la guitare, avant d’en avoir une
électrique ; Tracii avait une Les Paul noire (une vraie) et un ampli Peavy, et
je n’oublierai jamais combien il me semblait accompli. Chacun allait voir le
groupe de l’autre lors des soirées, et il y avait assurément une atmosphère
de compétition dans l’air.
Au lycée, j’ai commencé à traîner avec tous les musiciens que je
pouvais. Certains avaient mon âge, d’autres étaient plus vieux, d’anciens
fans de Deep Purple, laissés sur le carreau, qui étaient des déchets
irrécupérables et qui avaient passé la date limite pour continuer à fréquenter
des lycéens. Le meilleur d’entre eux était Phillip Davidson, déjà cité : c’est
lui qui a involontairement baptisé mon premier groupe, mais surtout il avait
une Stratocaster, ce qui était énorme, et ses parents n’étaient apparemment
jamais à la maison. Il vivait sur Hancock Park, dans une maison décrépite
envahie de mauvaises herbes, où on faisait la fête jour et nuit. Une bande
d’adolescents qui faisaient la fête autour d’un fût de bière, sans parents,
juste avec Phillip et ses deux frères drogués.
Je me suis toujours demandé où étaient ses parents ; c’était comme dans
la BD Peanuts : que des gosses, pas de figure parentale. Pour moi, c’était un
mystère – je pensais tout le temps que ses parents pouvaient surgir
n’importe quand, mais ils ne l’ont jamais fait. J’étais visiblement le seul à
m’en préoccuper ; Phillip mentionnait l’existence de ses parents, à qui
appartenait la maison, mais ils n’apparaissaient jamais en chair et en os. Et
il n’y avait nulle part où ils auraient pu se cacher ; la maison était de plain-
pied, avec trois chambres. Si ça se trouve, ils étaient peut-être enterrés dans
le jardin et si c’était le cas, personne ne risquait de les retrouver, vu que le
jardin était jonché de décombres.
Phillip errait de pièce en pièce, son joint, sa cigarette, ou un mélange
des deux à la main, en racontant des histoires vraiment longues, parce qu’il
parlait vraiment lentement. C’était un grand type efflanqué, avec un long
bouc, de longs cheveux auburn, et des taches de rousseur ; et il était
défoncé, mais alors raide défoncé. Je veux dire, parfois, il gloussait, mais en
règle générale, il était plutôt inexpressif. Il avait l’air d’avoir toujours les
yeux fermés – il était défoncé à ce point.
Il paraît que Phillip savait jouer du Hendrix et plein d’autres trucs sur sa
Strat vintage, mais je ne l’ai jamais entendu. Je ne l’ai jamais rien entendu
jouer. Chaque fois que j’y allais, je le revois seulement mettre des disques
de Deep Purple. Il était tellement déchiré qu’il était pénible de rester trop
longtemps avec lui. Je vois toujours les bons côtés des gens ; je me fous
complètement de leurs dysfonctionnements. Mais Phillip ? J’ai attendu en
vain qu’il se passe un truc génial, qu’une petite étincelle en lui allume une
flamme que moi seul verrais. J’ai passé deux années de collège à attendre,
mais il ne s’est jamais rien passé. Non, rien du tout. Mais il avait une
Stratocaster.
TOUT BIEN CONSIDÉRÉ, TIDUS SLOAN NE S’EN SORTAIT pas si mal pour un
groupe de lycéens. Nous nous sommes produits dans l’amphithéâtre de
l’école et lors de nombreuses soirées mouvementées, notamment pour mon
anniversaire. Pour mes seize ans, Mark Mansfield m’a organisé une fête
chez ses parents, dans les Collines de Hollywood, et mon groupe était prêt à
jouer. En cadeau, ma copine, Melissa, m’a offert un gramme de coke, et
c’est ce soir-là que j’ai appris une leçon importante : je n’aime pas
mélanger la cocaïne et la guitare. Je me suis fait quelques lignes juste avant
d’entrer en scène, et je n’ai quasiment pas pu jouer une seule note ; c’était
franchement gênant. Et ça a été la même chose les très rares fois où j’ai
commis la même erreur : rien ne sonnait juste, je n’arrivais pas à me mettre
dans le rythme, et je n’avais même pas envie de jouer. J’avais l’impression
de n’avoir jamais touché une guitare de ma vie, et je me sentais aussi
empoté que la première fois que je suis monté sur des skis.
On a joué deux ou trois chansons avant que je ne jette l’éponge. J’ai vite
appris à garder ce genre de distractions pour après les concerts. Je peux
boire et jouer, mais je connais mes limites ; et pour ce qui est de l’héroïne,
on y reviendra plus tard, parce que c’est une tout autre histoire. Mais j’en ai
appris assez pour ne jamais traîner ce genre d’habitudes en tournée.
Le concert le plus dément de Tidus Sloan a eu lieu lors d’une bat
mitzvah au milieu de nulle part. Une nuit qu’Adam, Ron et moi étions en
train de planer aux La Brea Tar Pits, on a rencontré une fille qui nous a
proposé cinq cents dollars pour jouer à la fête de sa sœur. Quand elle a vu
que nous n’étions pas très intéressés, elle a commencé à citer les noms de
plusieurs célébrités, des « amis de la famille », qui seraient là aussi, dont
Mick Jagger. Nous étions toujours sceptiques, mais au cours des quelques
heures suivantes, elle a transformé cette fête en véritable événement, le plus
gros de L.A. Nous avons donc entassé nos instruments et autant de copains
que possible dans le pick-up de notre pote Matt, et nous sommes partis faire
ce concert. La fête avait lieu dans la maison familiale, qui était à deux
heures de Hollywood – soit une heure et quarante-cinq minutes de plus que
ce que nous croyions ; on a mis si longtemps à arriver qu’on ne savait
même plus où on était. Dès qu’on s’est engagé dans l’allée, j’ai trouvé
difficile à croire que cette maison fût sur le point d’héberger la plus grosse
réunion de stars de l’année à L.A. : c’était une petite maison vieillotte, une
maison d’ancêtres. Les meubles étaient recouverts de housses en plastique
transparentes, il y avait un tapis en peluche bleue par terre et des portraits
de famille et des assiettes de porcelaine aux murs. Vu la taille des pièces,
cette maison était bien trop meublée.
Nous sommes arrivés la veille, et nous avons dormi dans la maison
réservée aux invités. C’était gentil de nous héberger, mais une très mauvaise
idée, et pour vous parler franchement, cette famille juive très comme il faut
a eu l’air profondément choquée en nous voyant arriver. Nous avons installé
notre matériel le soir même sous la véranda, où les tables, ainsi qu’une
petite scène, étaient déjà dressées, en vue de la fête du lendemain. Et puis
nous avons entrepris de nous soûler méthodiquement à l’aide de la
provision d’alcool que nous avions apportée. Nous avons bu entre nous et
avons fait de notre mieux pour rester confinés dans les chambres d’amis,
mais malheureusement, nos provisions se sont vite épuisées et nous avons
dû pénétrer par effraction dans la maison pour nous procurer quelques
bouteilles, les premières sur lesquelles nous sommes tombés. Il s’est avéré
que nous n’aurions pas pu trouver pire : notre vodka et notre whisky se sont
retrouvés mélangés à du Manischewitz [vin casher, NDT] et à des liqueurs
qu’on n’est pas censé boire goulûment à la bouteille, et ça a été le début
d’un très long week-end – pour nous, nos hôtes, et les nombreux invités qui
sont arrivés le lendemain matin.
Durant la nuit, notre groupe et nos copains ont ravagé les chambres
d’amis à un niveau qui dépasse tout ce que les Guns, dans mon souvenir,
ont pu faire dans de semblables circonstances. La baignoire était couverte
de dégueulis ; à un moment donné, j’étais assis avec une fille sur le lavabo
de la salle de bains, quand il s’est décroché du mur – l’eau a jailli, et on a
dû couper l’eau. Tout donnait l’impression que nous avions fait exprès de
vandaliser les lieux, mais la plupart des dégâts n’avaient été que des
dommages collatéraux. Je suis heureux de pouvoir dire que je ne suis pas
responsable du pire : avoir vomi dans le ragoût. Ce plat, une recette
traditionnelle servie à toutes les bar et bat mitzvah de la famille, avait été
laissé à mijoter toute la nuit dans la cuisine de la maison d’invités, pour être
à point le lendemain. Au cours de la nuit, un de nos potes a soulevé le
couvercle, a vomi dans la marmite, et a remis le couvercle sans rien dire –
et sans couper le feu en dessous. Je ne peux pas vous dire ce que ça fait de
se réveiller couché par terre, avec un mal de crâne atroce, des bouts de verre
collés à la figure, dans l’odeur du ragoût au vomi bien chaud…
Malheureusement, les horreurs ont continué pour cette pauvre famille.
Nous avions bu tout notre alcool et tout celui que nous avions volé dans la
maison, et la première chose que nous avons faite le lendemain matin, ça a
été de voler celui du bar situé à l’extérieur, avant de nous mettre à répéter.
Plus tard, quand les invités ont commencé à arriver pour la fête de l’après-
midi, nous jouions très fort, et personne ne savait quoi faire ou quoi dire,
même si quelques suggestions nous ont été faites.
Une petite vieille énergique est venue nous soumettre une critique
constructive :
« Hé, hé, jeune homme, c’est trop fort ! » a-t-elle dit en plissant les
yeux. « Vous ne pourriez pas baisser un peu ? On ne s’entend plus parler,
par ici ! »
Mamie était sophistiquée, avec de grosses lunettes à monture noire, un
tailleur sur mesure, et malgré sa petite taille, elle avait beaucoup d’autorité.
Elle nous a demandé si nous connaissions des chansons « familières » et
nous avons fait de notre mieux pour lui obéir. Nous avons joué toutes les
reprises de Deep Purple et Black Sabbath que nous connaissions. Ils nous
avaient préparé une scène, avec des rangées de sièges devant, mais il a vite
été clair qu’à part quelques gamins de six-huit ans, tous les invités étaient
massés contre le mur, à l’opposé de la scène. En fait, les invités faisaient
comme s’il pleuvait dehors : quand j’ai levé la tête, j’ai vu qu’ils s’étaient
entassés dans le salon, alors qu’il n’y avait aucune raison de ne pas être
dehors, sauf de vouloir éviter de nous entendre.
Nous avions fait fuir tous les convives, alors nous avons essayé de les
attirer en calmant un peu le jeu : nous avons fait une version heavy-metal de
« Message in a Bottle ». Cela a été un échec, et nous avons donc entrepris
de jouer les autres chansons populaires de notre répertoire : nous avons joué
« Start Me Up » en boucle, sans chanteur. Cela n’a servi à rien ; notre
version instrumentale d’une demi-heure de ce morceau n’a attiré personne
sur la piste. En dernier recours, nous avons joué « Feelings » de Morris
Albert, dans la version de Jimi Hendrix. Ça n’a pas marché non plus, alors
ça a été notre chant du cygne et nous avons mis les bouts.
ÇA VA PEUT-ÊTRE EN SURPRENDRE CERTAINS, MAIS avant même de former un
groupe, j’ai très tôt commencé à avoir un travail régulier pour gagner
l’argent qui me permettrait de continuer à jouer de la guitare. Je distribuais
les journaux depuis ma 4e, et mon circuit était assez long : j’allais de
Wiltshire et La Brea à Fairfax et Beverly. Je ne travaillais que le dimanche ;
je devais me lever à six heures du matin, sauf quand j’arrivais à convaincre
ma grand-mère de m’emmener. J’avais deux gros sacs accrochés à mon
guidon, et si je me penchais un peu trop, j’étais sûr de basculer. J’ai fini par
monter en grade, et j’ai trouvé un boulot au cinéma de Fairfax.
Quand j’ai vu le temps que je passais à travailler et le temps que je
passais à jouer de la guitare, ça a été une révélation pour moi : je savais
désormais pourquoi je me tuais à la tâche. Je suppose que je subissais là
l’influence conjointe de mes parents : la créativité de mon père et le flair de
ma mère pour le succès. Il se peut que je choisisse la voie la plus difficile
pour atteindre mon but, mais j’ai toujours la détermination suffisante pour y
parvenir. Cette force intérieure m’a aidé à surmonter ces moments au cours
desquels tout conspirait contre moi, et où j’étais seul, sans rien d’autre pour
me sortir de là.
Je me concentrais sur mon travail et je le faisais bien, que mon boulot
me plût ou non, parce que j’étais décidé à me casser le cul jour et nuit pour
avoir l’argent nécessaire à ma passion. J’ai trouvé un boulot chez Business
Card Clocks, une petite fabrique de pendules par correspondance. De
septembre à décembre, tous les ans, je fabriquais des pendules qui
serviraient de cadeaux d’entreprise. Je fixais une carte de visite agrandie sur
un morceau d’aggloméré, mettais une pendule au milieu, un cadre en bois
autour, emballais le tout, et le tour était joué. J’ai fait plusieurs milliers de
ces trucs-là. On était payé à l’heure, et j’étais le seul des employés à y aller
à fond ; j’arrivais à six heures du matin, travaillais toute la journée, une
partie de la nuit, et je dormais même là-bas. Je ne crois pas que ce fût légal,
mais je m’en fichais : je voulais gagner autant d’argent que possible tant
que la saison durait.
C’était un boulot formidable, que j’ai fait plusieurs années de suite,
mais qui a fini par me jouer des tours : mon patron, Larry, me remettait un
chèque personnel, ce qui fait que je n’apparaissais pas dans les comptes de
son entreprise, et qu’il n’a jamais parlé de mon salaire au fisc. Comme je
n’étais pas dans sa comptabilité, je ne voyais aucune raison de payer des
impôts sur mes revenus. Mais dès que j’ai commencé à gagner de l’argent
avec Guns N’Roses, quelques années plus tard, le fisc est venu me voir et
m’a demandé de lui payer cet arriéré d’impôts, plus les intérêts. Je n’arrive
toujours pas à croire que, de tout ce que j’ai pu faire, le gouvernement m’ait
épinglé sur ce boulot dans une fabrique de pendules. J’ai découvert plus
tard ce qui s’était passé : le fisc avait contrôlé Larry et l’avait interrogé au
sujet d’une somme d’argent, sur plusieurs années, dont ils ne s’expliquaient
pas l’usage, et il a fini par être obligé d’avouer qu’il l’avait utilisée pour
payer son employé, à savoir moi. Le fisc m’a retrouvé et a posé des scellés
sur mes revenus, mes comptes et mes capitaux : tout l’argent que je mettais
à la banque était immédiatement confisqué pour rembourser mes arriérés
d’impôts. À cette époque, j’étais resté fauché trop longtemps pour donner
mon argent après l’avoir enfin gagné : plutôt que de payer mes dettes avec
ma part du premier chèque d’avances des Guns, j’ai demandé que cette part
fût convertie en traveller’s chèques, que je gardais toujours sur moi. Mais
on va y venir bientôt.
Je travaillais aussi au Hollywood Music Store, un magasin
d’instruments et de partitions sur Fairfax et Melrose. Même si je voulais
vraiment subvenir à mes besoins tout en faisant ce que je voulais vraiment
faire, il y avait souvent des moments où je me demandais ce que je foutais
là. Par exemple, il y avait ce type, qui venait tous les jours faire son show
au rayon des guitares. Il choisissait une « nouvelle » guitare, comme s’il ne
l’avait jamais vue, la décrochait du mur et jouait pendant des heures. Il
l’accordait, et se mettait à gratter les cordes ; il restait là, et jouait pendant
ce qui me semblait durer des siècles. Je suis sûr que chaque magasin
d’instruments en a un comme ça.
QUAND J’AI COMMENCÉ LE LYCÉE, J’AVAIS ÉNORMÉMENT de formidables
disques de hard-rock à écouter et étudier : Cheap Trick, Van Halen, Ted
Nugent, AC/DC, Aerosmith et Queen étaient au sommet de leur art.
Contrairement à nombre de mes collègues guitaristes, je n’ai jamais voulu
imiter Eddie Van Halen. C’était le guitariste vedette du moment, et tout le
monde essayait de jouer comme lui, mais personne n’avait son feeling – et
personne ne semblait s’en rendre compte. Le son qu’il avait lui était
tellement personnel, que je n’imaginais même pas m’en approcher, essayer
ou même vouloir le faire. J’ai chopé certains des riffs de blues d’Eddie, en
l’écoutant, des riffs que personne n’identifie comme du Van Halen, parce
que je crois qu’il n’est pas assez reconnu pour son grand sens du rythme et
de la mélodie. Du coup, tandis que tout le monde écoutait « Eruption » en
s’entraînant au tapping, moi j’écoutais simplement Van Halen. J’ai toujours
aimé les guitaristes solistes, comme Stevie Ray Vaughan, Jeff Beck, Johnny
Winter, Albert King, et même si j’ai beaucoup appris en observant leur
technique, c’est surtout en m’imprégnant de la passion de leur jeu que j’ai
appris le plus.
Bref, quand je suis arrivé au lycée, les choses avaient commencé à
changer. Vers 1980, le punk anglais était arrivé à L.A. et était devenu
quelque chose de parfaitement ridicule, qui n’avait plus rien à voir avec ce
qu’il était à l’origine. C’était subitement devenu une mode vestimentaire
impossible à ignorer : tout à coup, tous les jeunes plus âgés que moi se sont
mis à porter des T-shirts déchirés, des creepers à grosse semelle et
accrochaient leurs portefeuilles avec des chaînes de trombones ou
d’épingles à nourrice. Je n’ai jamais compris pourquoi on en faisait tout un
plat ; ce n’était qu’un nouvel épiphénomène superficiel de la scène musicale
de West Hollywood, qui évoluait entre le Rainbow, le Whisky, Club
Lingerie et le Starwood.
Je n’ai jamais trouvé que le punk de L.A. vaille le coup, parce que je ne
l’ai jamais trouvé authentique. Les Germs étaient le grand groupe du
moment, et ils faisaient de nombreux émules, dont aucun, selon moi, ne
savait jouer, et qui étaient tous nuls. Les seuls groupes qui, selon moi,
valaient quelque chose étaient X et Fear – et c’était tout. Je respectais l’idée
selon laquelle, d’un point de vue de musicien, le punk consistait avant tout à
ne pas savoir très bien jouer tout en s’en foutant complètement. Mais ce qui
me posait problème, c’était que dans ce milieu musical, tout le monde
utilisait cette esthétique pour de mauvaises raisons – il y a une grande
différence entre ne pas très bien jouer, et faire exprès de mal jouer, dans un
but précis.
Le punk qui arrivait de Londres et de New York a fait grande
impression, et, même si ce mouvement a été déformé à L.A., il a donné
naissance à plusieurs grands clubs, le Café de Grand étant le meilleur
d’entre eux. C’était la meilleure salle pour voir de vrais concerts de punk
hardcore, mais ce n’était pas le seul – au Palladium aussi, il y avait de très
bons concerts hardcore. J’y ai vu les Ramones, et je ne l’oublierai jamais –
c’était aussi intense que de surfer sur de grosses vagues. À quelques
exceptions près, le punk de L.A. était aussi pathétique que les files de
poseurs qui faisaient la queue devant le Starwood tous les week-ends.
A cette époque, j’avais fini par devenir « le plus vieux » de la bande.
J’avais toujours été « le plus jeune », qui traînait avec des gens plus vieux
que lui, faisait comme eux, et voulait toujours participer aux trucs cool
qu’ils faisaient. Maintenant, j’étais à leur place, et pour moi, le mouvement
punk et l’affreux courant de mode qui a suivi avaient tout gâché. Je venais
juste d’avoir l’âge de comprendre et d’apprécier tout ce qui avait précédé, et
pile à ce moment-là, tout a commencé à foutrement dégénérer.
Entre ma naissance et 1980, les choses étaient relativement stables.
C’était plus ou moins basé sur le rock’n’roll, malgré quelques groupes de
rock bien affadi : Foghat, Styx, Journey, REO Speedwagon, et bien
d’autres. À partir de 1979 et 1980, à l’exception de Van Halen, tout a pris
une autre direction, ce qui a fait naître un genre de rébellion bien différent,
et ce que j’aimais a été plus ou moins balayé par la mode.
APRÈS MON EXPULSION DU LYCÉE FAIRFAX, DUE À l’Incident du cours de
sciences sociales, je me suis retrouvé dans les limbes de l’enseignement
secondaire. L’éducation a toujours été primordiale pour ma mère ; elle me
laissait faire ce que je voulais, comme je voulais, tout l’été, à condition que
je revienne vivre avec elle, où qu’elle fût, à la rentrée. Elle avait besoin
d’être certaine que j’irai bien à l’école, et le seul moyen d’en être sûre,
c’était que je vive sous son toit. L’été suivant mon expulsion, je me suis
inscrit aux cours d’été au lycée de Hollywood, pour essayer de valider les
unités qu’il me fallait pour intégrer le lycée Beverly Hills Unified avec le
reste de ma classe, en première année. Mais j’essayais en même temps de
sortir du lycée en travaillant pour passer mon bac. Mais ça ne s’est pas très
bien passé : au cours de la première demi-heure, j’ai fait une pause-
cigarette, et je ne suis jamais revenu.
C’est à la même époque que ma mère a fini par laisser tomber son
copain, « Son Mec » le photographe. Quand « Son Mec » a commencé à
passer en freebases tout ce qu’il y avait dans la maison (il a fini par se
ruiner), ma mère et mon frère ont fait leurs valises et sont partis
brusquement. À ce moment-là, j’étais rarement à la maison, et je n’ai pas
assisté directement à cet effondrement. Mais quand je l’ai su, j’ai été
soulagé.
Ma mère, mon frère et ma grand-mère se sont installés ensemble dans
un appartement sur Wilshire et La Cienega et, suivant les règles de Maman,
je les ai rejoints à la rentrée. Maman voulait que je passe mon bac avant de
suivre la voie que je voulais, mais je n’avais plus beaucoup d’options à lui
proposer. Mes notes, mon assiduité, et mon dossier disciplinaire étaient tout
sauf brillants, et ma mère fit donc de son mieux : elle m’inscrivit dans le
cursus de rattrapage du lycée de Beverly Hills.
Le cursus de rattrapage, c’est là qu’on met les jeunes qui ont des
problèmes d’ « adaptation » : des difficultés à apprendre, des problèmes de
comportement, et ceux qui n’arrivent pas à suivre les cours normaux. Alors
qu’à Fairfax, je pensais que c’était un cursus à éviter à tout prix, là, je
trouvais cela idéal : je pouvais travailler à mon rythme, et je pouvais
aménager mes horaires pour les adapter à mon nouveau statut de travailleur.
J’arrivais à huit heures et partais à midi, parce qu’à l’époque, j’avais deux
métiers : outre le cinéma de Fairfax, la fabrique de pendules battait son
plein à l’automne.
Mes condisciples du cursus de rattrapage du lycée de Beverly Hills
faisaient vraiment une belle brochette. Il y avait deux fans de Harley-
Davidson, de vraies motardes, dont l’une était un monstre, que son mec, un
Hell’s Angel corpulent de quarante-et-quelques années venait chercher tous
les jours. Il arrivait en avance, et restait là à faire vrombir son moteur ;
l’autre fille avait sa propre Harley. Il y avait aussi trois filles, fans du rock
de Sunset Strip ; leurs cheveux laqués qui partaient dans tous les sens, leurs
T-shirts déchirés et leurs talons aiguille en disaient assez long. Elles étaient
toutes trois assez mignonnes dans leur genre… elles savaient se servir du
rouge à lèvres et du fard à paupières, si vous voulez. Je connaissais déjà une
autre fille du cours : elle s’appelait Desiree, et c’était la fille d’un ami de
mon père, Norman Seiff, un célèbre photographe de rock. On jouait
ensemble quand on était petits, et à l’époque, on y allait très fort. J’étais un
peu amoureux d’elle à l’époque, et là, quand je l’ai revue, j’avais encore
plus de raisons de l’être : elle était assise un rang devant moi, et portait des
T-shirts larges sans manches et sans soutien-gorge. C’était devenu une
rockeuse punk épanouie et de toute beauté, qui me semblait aussi mignonne
qu’elle l’était à sept ans.
La classe comportait aussi d’autres racailles ; nous formions un groupe
hétéroclite et folklorique, qui était à peindre : il y avait le surfer défoncé à la
Jeff Spicoli [personnage du film Ça Chauffe au Lycée Ridgemont, 1982], la
mère adolescente mignonne et un peu salope, le gothique rondouillet et
morose, l’Indien mélancolique qui travaillait la nuit dans le 7-Eleven de ses
parents ; et tous, nous étions à l’extrême marge de la société estudiantine.
Rétrospectivement, j’aurais aimé savoir pourquoi les autres avaient échoué
ici, dans ce lycée de Beverly Hills qui était plutôt huppé. Pour favoriser
notre formation « progressive », nous étions parqués ensemble dans une
seule salle, avec des toilettes mixtes qui nous servaient aussi de fumoir.
C’est là que j’ai découvert pourquoi ces trois rockeuses façon Sunset Strip
avaient ce look-là : c’étaient les présidentes non-officielles du fan-club de
Mötley Crüe. Elles en étaient aussi les attachées de presse bénévoles : c’est
elles qui m’ont initié à Mötley Crüe lors de notre première pause-cigarette.
J’avais entendu parler de Nikki Sixx, le bassiste et fondateur de Mötley
Crüe, depuis l’époque de son premier groupe, London, parce que nous les
avions vus jouer au Starwood avec Steven, un soir que nous avions réussi à
entrer. London avait une vraie présence scénique ; ajoutez à cela des effets
pyrotechniques embryonnaires et des costumes à la Kiss, et vous obteniez
un groupe assez crédible pour impressionner n’importe quel adolescent. Je
ne savais pas que Nikki avait rencontré Tommy et qu’ils avaient trouvé
d’autres types avec qui ils étaient devenus Mötley Crüe ; je ne savais pas
non plus qu’ils étaient à l’avant-garde d’un mouvement qui allait déloger le
punk de L.A. du jour au lendemain. Mötley ne ressemblait pas à Quiet Riot,
Y&T, ou tout autre groupe de Sunset Strip de cette époque : ils étaient,
comme eux, au-dessus du lot, mais ne ressemblaient à personne. Ils étaient
tellement dans leur propre truc qu’il était impossible à quiconque, sauf moi,
visiblement, de voir en ces trois filles autre chose que des fans de Mötley
Crüe.
Dans la vie, il y a des moments que seul le temps permet de mettre en
évidence ; au mieux, on se dit, au moment de prendre ce cliché, qu’il va être
spécial, mais la plupart du temps, seule la distance et une mise en
perspective confirment ou non cette première impression. J’ai vécu un
moment comme celui-là juste avant d’abandonner complètement l’école :
c’est le jour où Nikki Sixx et Tommy Lee sont venus traîner aux abords de
mon école. Six ans plus tard, on se ferait des lignes ensemble sur les
plateaux retournés de leur jet privé, mais pour moi, les avoir vus déambuler
près du lycée de Beverly Hills est plus mémorable. Ils portaient des bottes à
talons, des pantalons moulants, ils avaient les cheveux crêpés et étaient
maquillés ; ils fumaient des cigarettes, et parlaient aux filles sur le parking
de mon lycée. C’était un peu surréaliste. J’ai regardé mes nouvelles copines
de classe, ces trois clones de Mötley Crüe, dévorer des yeux Tommy et
Nikki, tandis qu’ils leur distribuaient nonchalamment des posters à afficher
et des flyers à distribuer sur le Strip pour annoncer le prochain concert de
Mötley. J’étais admiratif : non seulement ces filles trouvaient ce groupe si
excitant qu’elles s’habillaient comme eux, mais elles étaient d’accord pour
leur servir d’escadron volant. Nikki leur avait donné des exemplaires de
leur nouveau disque, Too Fast For Love, et leur boulot consistait à convertir
tous leurs amis en fans de Mötley Crüe. J’avais l’impression de voir
Dracula lâcher ses disciples sur Beverly Hills pour sucer le sang des
vierges.
J’étais impressionné et objectivement jaloux : je n’aurais jamais pu être
dans un groupe avec le look ou le son de Mötley Crüe, mais je voulais la
même chose qu’eux. Je voulais jouer de la guitare dans un groupe qui
inspirerait autant de dévotion et d’excitation. Ce week-end-là, je suis allé
voir Mötley au Whisky… musicalement, c’était tout juste correct, mais en
tant que concert, c’était efficace. Ce qui était mémorable, c’était l’aspect
grandiose de la performance : Vince a mis le feu aux cuissardes de Nikki, et
ils ont fait partir une tonne de feux d’artifice. Tommy martelait sa batterie
comme s’il voulait la fendre en deux, et Mick Mars arpentait son coin de
scène, courbé en deux comme un zombie. Mais ce qui m’a le plus marqué,
c’était le public : ils étaient tellement fanatiques qu’ils chantaient les
paroles de chaque morceau, et en faisaient autant que si le groupe jouait au
L.A. Forum. Il était évident, du moins à mes yeux, que bientôt, c’est
exactement ce que ferait Mötley. Et, dans mon esprit, cela ne signifiait
qu’une seule chose : si eux pouvaient le faire, et à leurs conditions,
pourquoi pas moi, putain ?
1. Laura Mackenzie Phillips est une actrice américaine, qui a joué dans
la série One Day at a time [un jour à la fois] et qui a eu des problèmes de
drogue et d’alcoolisme. (NDT)
2. Le mot signifie « estafilade, balafre » et exprime l’idée de quelque
chose de rapide. (NDT)
Slash pendant la balance, lors de la tournée Use Your Illusion
Slash et Ron Schneider : deux tiers de Tidus Sloan
Slash faisant ce qu’il fait de mieux : jouer tout le temps.
7) Le moins susceptible de réussir
Quand on a un peu vécu, on découvre que tout ce qu’on donne autour de
soi nous revient toujours, d’une manière ou d’une autre. Ça peut être
aujourd’hui, demain, ou dans des années, mais ça se produit ; c’est souvent
quand on s’y attend le moins, souvent sous une forme qui n’a rien à voir
avec l’original. Ces coïncidences qui vous changent la vie semblent sur le
moment dues au hasard, mais je ne le pense pas. Du moins, c’est comme ça
que ça s’est passé pour moi, dans ma vie. Et je sais que je ne suis pas le
seul.
Cela faisait un an que je n’avais pas vu Marc Canter, tout simplement
parce que nous étions tous deux occupés à autre chose. Dans l’intervalle, il
s’était métamorphosé : la dernière fois que je l’avais vu, il était fan de
musique et commençait tout juste à jouer un rôle dans l’entreprise familiale,
Canter’s Deli. Il n’avait rien du « fan de rock » – ça, c’était mon domaine,
pour caricaturer. Quand nous nous sommes revus, Marc était devenu
quelqu’un d’autre : c’était un parfait spécimen du fanatique de rock, obsédé,
et vivant sa passion à fond. Je n’aurais jamais parié là-dessus, mais il avait
décidé de vouer sa vie à Aerosmith. Il avait transformé sa chambre en autel,
du sol au plafond : ses posters d’Aerosmith se touchaient et remplaçaient la
tapisserie, il collectionnait tous les magazines dans lesquels ils
apparaissaient, il avait une vraie galerie de photos dédicacées, sous
protection plastique, et il avait réuni assez de pressages étrangers rares et de
cassettes de concert piratées pour ouvrir un magasin de disques.
Par contre, Marc n’avait pas le look de l’emploi ; il ressemblait tout
simplement à un fan de rock qui aimait bien les T-shirts d’Aerosmith, parce
qu’il n’a jamais laissé sa passion se déchaîner au point de rendre hommage,
à travers ses vêtements, à Steven ou Joe. Par contre, sa passion l’a conduit à
faire le pied de grue, à voler, à entrer par effraction et autres petits délits,
pour la bonne cause. Marc avait aussi intégré la communauté de revendeurs
de tickets : il achetait un paquet de tickets pour un concert, puis faisait des
échanges avec les autres revendeurs, jusqu’à ce qu’il obtienne les deux
meilleurs fauteuils d’orchestre. Pour lui, c’était comme un jeu : on aurait dit
un gosse en train d’échanger des cartes de baseball, mais quand le concert
commençait, c’était lui qui repartait avec les cartes les plus rares sur le
marché.
Une fois que Marc avait choisi ses places, sa petite expédition ne faisait
que commencer. Il faisait entrer en douce un bon appareil photo, un appareil
de pro, et tout un assortiment d’objectifs, en démontant le tout et en
dissimulant les différentes parties dans son pantalon, ses manches, partout
où il le pouvait. Il ne s’est jamais fait prendre ; et il a pris d’incroyables
photos live d’Aerosmith. Le seul problème, c’est qu’il s’est mis à
Aerosmith sur le tard : quand il a vraiment commencé à les apprécier, ils se
sont séparés.
Une des pièces maîtresses de la collection Aerosmith de Marc était un
sachet vide de Doritos, et un petit sac en plastique rempli de mégots de
cigarettes, qu’il avait récupérés dans la chambre d’hôtel de Joe Perry au
Sunset Marquis. Apparemment, il avait repéré les lieux, et avait réussi à s’y
faufiler après le départ de Joe et avant que la femme de chambre vienne
faire le ménage. Joe n’avait même pas donné un concert, ou quoi que ce fût,
la veille – à cette époque, il avait même quitté le groupe. Je trouvais ça un
peu bizarre, Aerosmith n’était même plus ensemble, mais Marc vivait pour
eux vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Marc était l’un de mes meilleurs
amis depuis que nous nous étions rencontrés, et je me devais donc de le
soutenir en apportant ma contribution à sa collection : j’ai fait un dessin
d’Aerosmith sur scène, que je lui ai offert pour son anniversaire. Je l’ai fait
au crayon, avant de le colorier au feutre, et ça rendait plutôt bien.
Ce dessin m’a enseigné une leçon dont les sages et les autres ont attesté
depuis toujours : tout ce qu’on donne au monde nous revient toujours, d’une
manière ou d’une autre. Dans ce cas précis, ce dessin m’est revenu,
littéralement, et m’a également apporté ce que j’attendais.
Quand j’ai revu ce dessin, j’étais dans une impasse : j’essayais
désespérément et sans succès de monter un groupe, au sein d’une scène
musicale qui ne me parlait pas du tout. Je voulais profiter des mêmes
avantages que les musiciens moins bons que je voyais, mais si pour cela je
devais changer à ce point, je n’étais pas prêt à le faire – j’ai essayé, mais
j’ai découvert que j’étais incapable de faire trop de concessions. Je ne vais
pas mentir aujourd’hui, maintenant que l’histoire m’a donné raison, et vous
dire qu’au fond de moi, je savais que tout allait bien se terminer. Les choses
ne prenaient pas du tout ce genre de tournure, mais cela ne m’empêchait pas
de faire la seule chose que je pouvais : je faisais ce qui me semblait bien, et,
bizarrement, j’ai eu de la chance. J’ai découvert quatre autres esprits
dysfonctionnels, semblables au mien.
J’étais au travail, au Hollywood Music Store, le jour où un type habillé
comme Johnny Thunders est venu me voir. Il portait un jean noir moulant,
des creepers, avait les cheveux teints en noir, et des chaussettes roses. Il
avait une copie de mon dessin d’Aerosmith à la main, qu’un ami commun
lui avait donnée : apparemment, il avait été photocopié et diffusé à la ronde.
Ce type avait eu la bonne idée de se mettre à ma recherche, surtout quand il
avait appris que j’étais guitariste.
« Hé, mec, c’est toi qui a dessiné ça ? a-t-il demandé d’un ton un peu
impatient. J’aime bien. Putain, c’est cool. »
« Ouais, c’est moi, ai-je répondu. Merci. »
« C’est quoi, ton nom ? »
« Slash. »
« Salut. Moi, c’est Izzy Stradlin. »
Nous n’avons pas parlé longtemps ; Izzy a toujours été le genre de mec
qui a toujours quelque chose à faire ailleurs. Mais nous avons décidé de
nous retrouver plus tard, et quand il est venu chez moi ce soir-là, il m’a
apporté une cassette de son groupe. Le son n’aurait pas pu être pire : c’était
la cassette la moins chère du marché, et ils s’étaient enregistrés avec un
magnétophone posé par terre. On avait l’impression qu’ils jouaient tout au
fond d’un réacteur d’avion. Mais à travers les parasites, tout au fond, j’ai
entendu quelque chose d’étrange, que j’ai interprété comme la voix du
chanteur. C’était dur à distinguer, et ses hurlements étaient si aigus que j’ai
cru que la cassette avait un défaut. Ça sonnait comme les grincements que
fait la bande d’une cassette avant de casser – sauf que c’était juste.
APRÈS MON BREF PASSAGE AU LYCÉE, J’AI HABITÉ AVEC ma mère et ma grand-
mère dans une maison sur Melrose et La Cienega, dans une petite chambre
en sous-sol prise sur le garage. Pour moi, c’était parfait : quand je le
voulais, je pouvais m’éclipser par la fenêtre au ras du sol sans être vu, à
n’importe quelle heure du jour et de la nuit. J’avais mes serpents et mes
chats avec moi ; je pouvais aussi jouer de la guitare quand je voulais, sans
déranger personne. Dès que j’ai arrêté l’école, j’ai accepté de payer un loyer
à ma mère.
Comme je l’ai dit, j’avais plusieurs emplois dans la journée, et en même
temps j’essayais de monter ou d’intégrer un groupe auquel je pourrais
croire, au milieu du bourbier qu’était la scène metal de L.A. À cette époque,
j’ai travaillé un temps au Canter’s Deli, où en gros, Marc m’avait créé un
poste. Je travaillais tout seul à l’étage, dans la salle de banquets, qui n’était
pas du tout faite pour accueillir des banquets – c’était là qu’ils stockaient un
paquet de trucs dont ils n’avaient pas vraiment besoin. Sur le moment, je
n’ai pas compris l’humour de la situation.
Mon travail consistait à comparer les notes des serveurs avec les reçus
de la caisse, pour que Marc puisse rapidement et facilement repérer ceux
qui volaient. C’était vraiment facile : c’était un boulot que même le plus
crétin des crétins aurait pu faire. Et il y avait des avantages en nature : en
gros, je mangeais des sandwiches au pastrami et buvais des Cocas toute la
journée, en triant des documents en deux piles. Mais mon travail avait son
utilité : grâce à moi, Marc a pris sur le fait plus d’un serveur qui volait sa
famille depuis probablement des années.
Après mon départ, Marc a donné mon poste à Ron Schneider, mon
bassiste dans Tidus Sloan. Notre groupe se retrouvait toujours, de temps en
temps, pour jouer, mais nous n’allions nulle part – sans chanteur, nous ne
pourrions jamais nous produire sur le Strip.
Je considérais mon boulot au Hollywood Music Store comme un
marchepied qui me permettrait à terme de jouer de la guitare à plein temps,
de manière professionnelle ; je ne voulais pas faire ça pour la gloire et les
filles, mais pour une raison bien plus simple : rien d’autre au monde ne
m’éclatait autant. Au magasin, j’étais un vendeur qui vendait – et jouait –
des guitares à son étage, mais ce n’était pas mon seul domaine de
compétences. Je vendais aussi un paquet d’autres trucs auxquels je ne
connaissais rien. J’arrivais à faire illusion pour expliquer comment
fonctionnaient des amplis de basse, mais quand il s’agissait de batteries, de
peaux, de baguettes, et de tout l’assortiment de percussions que je vendais,
ma capacité à faire prendre des vessies pour des lanternes m’impressionne
encore.
J’aimais mon boulot au magasin, mais c’était un vrai purgatoire
voyeuriste. Je passais toutes mes heures perdues à regarder par la fenêtre les
Studios Cherokee, de l’autre côté de la rue. Cherokee était un lieu
d’enregistrement réputé au début des années 80 : même si je n’en étais pas
un grand admirateur, chaque fois que je voyais les Doobie Brothers entrer
pour enregistrer, je mentirais en disant que je n’étais pas foutrement jaloux.
Par contre, je suis resté complètement tétanisé, en extase, le jour où, en
regardant par la fenêtre, j’ai vu Ric Ocasek [le chanteur des Cars] se diriger
vers Cherokee.
C’est à cette époque que Steven Adler est revenu de son exil dans la
Vallée, et on a repris là où on s’était arrêté. Nous avions tous deux une fille
dans notre vie, et nous sommes devenus un quatuor inséparable. Yvonne,
ma copine, était en terminale quand nous nous sommes rencontrés ; le jour,
c’était une élève modèle, et la nuit, une fan de rock, et elle gérait
parfaitement cette double identité. Yvonne était une fille incroyable : elle
était très intelligente, très sexy, très extravertie, et très ambitieuse –
aujourd’hui, c’est une avocate influente de L.A. Après son bac, elle s’est
inscrite en psychologie à l’université de L.A. (UCLA), et comme à ce
moment-là, j’avais plus ou moins commencé à vivre avec elle, elle a réussi
à me convaincre de l’accompagner en cours, les jours où je ne travaillais
pas, à quelque chose comme huit heures du matin. Je passais la matinée sur
le campus de l’UCLA, assis dehors, à fumer des cigarettes en regardant
passer les yuppies. Parfois, quand je trouvais le cours ou le prof intéressant,
j’assistais aux cours magistraux.
Je ne me rappelle plus son nom, mais la copine de Steven et Yvonne
sont devenues très bonnes amies, parce que nous sortions tous les quatre
tous les soirs. La plupart du temps, je n’en avais pas la moindre envie, mais
on se retrouvait tout le temps sur le Strip – alors que je n’aimais pas du tout
la musique de cette époque, même si j’essayais de rester positif. Le coup de
grâce* est arrivé lorsque une « innovation » très à la page et très
surestimée, appelée MTV, a commencé à diffuser ses programmes. Je
m’imaginais que ce serait l’équivalent du Don Kirshner’s Rock Concert, la
longue émission live qui passait le samedi soir, entre 1973 et 1981. Cette
émission mettait en avant un artiste par semaine, et diffusait des prestations
incroyables de tous, des Stones aux Eagles, en passant par les Sex Pistols,
Sly and the Family Stone, et même des comédiens comme Steve Martin.
MTV était tout le contraire de cette émission : ils passaient en boucle
« She Blinded Me with Science » de Thomas Dolby, Police et Pat Benatar.
J’attendais littéralement des heures avant de voir un bon morceau ; c’était
généralement du Prince ou du Van Halen. J’éprouvais le même sentiment
quand j’arpentais Sunset la nuit : je voyais beaucoup de choses, j’en
appréciais peu, et je m’ennuyais à mourir.
En revanche, Steven était dans son élément. Il adorait ce qui se passait
sur le Strip, parce que c’était l’occasion pour lui de réaliser ses rêves de
rock-star. Il n’avait jamais manifesté tant d’ambition : il faisait tout pour
pouvoir entrer dans un club, rencontrer des gens, se faire des contacts, et
être dans le coup autant qu’il le pouvait. Steven hantait le parking du
Rainbow les vendredi et samedi soirs, et il prenait des notes sur les groupes
qui y jouaient, tout en faisant tout, mais vraiment tout, pour entrer.
J’avais rarement envie de l’accompagner, parce que je n’arrivais pas à
faire ce qu’il fallait le plus souvent faire : j’étais incapable de m’abaisser
pour franchir une étape supplémentaire. Je ne sais pas pourquoi, mais
j’avais beaucoup de mal à traîner dans les parkings et près des coulisses, en
quête de tout ce qui pourrait se présenter. Résultat, j’étais si rarement là que
les histoires de groupes formidables et de filles bandantes que me racontait
inlassablement Steven le lendemain ont fini par avoir raison de moi. Mais
quand j’ai décidé de l’accompagner (à mon corps défendant), je n’ai jamais
vu aucune de ces créatures mythiques. Tout ce que j’ai vu, c’était une
ribambelle de soirées qui étaient tout sauf épiques.
Une soirée particulièrement marquante a commencé quand Steven et
moi avons emprunté la voiture de ma mère (je crois que j’avais alors dix-
sept ans) pour aller faire la fête au Rainbow.
Nous sommes descendus à Hollywood et avons marché jusqu’au club,
et là nous avons découvert que c’était une soirée spéciale filles.
« Putain, c’est génial ! » s’est écrié Steven.
Cela faisait des années que j’entrais au Rainbow, grâce à ma fausse
carte d’identité et à Steady, le videur du club. Il travaille toujours là et me
reconnaît toujours. Mais je ne sais pourquoi, ce soir-là précisément, Steady
n’était pas d’humeur : il a laissé entrer Steven et m’a envoyé bouler.
« Nan, pas toi, a-t-il dit. Pas ce soir, rentre chez toi. »
« Quoi ? » ai-je demandé. Je n’avais aucun droit de m’indigner, mais je
l’ai fait quand même. « Qu’est-ce que ça veut dire ? Je viens tout le temps,
mec ! »
« Ouais, j’en ai rien à battre, a-t-il répondu. Dégage, tu ne rentres pas ce
soir. »
J’étais dégoûté, putain. Comme je n’avais rien d’autre à faire, j’ai suivi
les conseils de Steady et je suis rentré chez moi. J’ai noyé ma honte dans
l’alcool, et quand j’ai été bien bourré, j’ai eu l’idée complètement folle de
retourner au Rainbow déguisé en fille. Pour moi, c’était une idée tout à fait
sensée, comme c’est souvent le cas quand on est soûl : j’allais donner une
leçon à Steady – j’allais entrer gratuitement, comme c’était une soirée filles,
et puis je baiserais avec Steven. Adler draguait toutes les filles qu’il
pouvait, et j’étais persuadé qu’il me draguerait avant de réaliser qui j’étais.
Ma mère a trouvé mon idée hilarante : elle m’a mis une jupe et des bas
résilles, a relevé mes cheveux sous un béret noir, et m’a maquillé. Je ne
rentrais pas dans ses chaussures, mais la tenue était parfaite – j’avais
vraiment l’air d’une fille… non – j’avais vraiment l’air d’une fille du
Rainbow. Je suis retourné à West Hollywood avec mon costume ; je me suis
garé quelques pâtés de maisons plus loin, sur Doheny, et je suis allé à pied
au club. J’étais à la fois soûl et décidé à accomplir ma mission, ce qui fait
que je n’avais aucun complexe. Je me suis nonchalamment dirigé vers
Steady, et j’ai failli éclater de rire quand il m’a fait signe d’entrer sans
même regarder ma carte d’identité.
J’étais sur un petit nuage ; j’avais gagné – jusqu’au moment où j’ai
réalisé que Steven n’était nulle part. C’était un peu comme si le grand huit
s’arrêtait avant la première grande descente. La situation m’a subitement
sauté au visage, dans toute sa réalité : j’étais habillé en fille, au milieu du
Rainbow. Dès que j’ai refait surface, j’ai fait la seule chose intelligente à
faire – je suis parti. Tout le (long) chemin jusqu’à la voiture de ma mère,
j’avais l’impression que chaque exclamation me visait directement, que
j’étais l’objet de chaque rire ; et je me suis dit que ça devait vraiment être
dur d’être une fille.
LA COPINE DE STEVEN AVAIT RENCONTRÉ TOMMY Lee en ville un soir, et
Tommy l’avait invitée à passer aux Studios Cherokee assister à
l’enregistrement de Theatre of Pain, l’album qui devait succéder à Shout at
the Devil, qui avait révélé Mötley Crüe. La copine de Steven n’a vu aucun
inconvénient à nous inviter aussi, Steven, Yvonne et moi ; je suppose que
dans son esprit, l’invitation de Tommy sous-entendait « plus trois ». Steven
et moi aurions dû nous méfier. Nous sommes allés là-bas tous les quatre,
prêts à assister au spectacle et à passer un bon moment ; à notre arrivée, on
nous a informés, en termes très clairs, que les filles pouvaient entrer – ce
qu’elles ont fait –, mais pas Steven et moi. On nous a suggéré de rentrer
chez nous. Nous étions furieux : nous avons regardé nos copines entrer dans
le studio, et nous avons passé la nuit dans le hall, sur deux fauteuils, à
essayer d’avoir l’air cool tout en nous demandant ce qui pouvait bien se
passer à l’intérieur. C’était vraiment un mauvais plan.
Je ne sais pas pourquoi, mais cette expérience ne m’a pas fait passer
mon envie de travailler au Cherokee. Cela faisait un an que je harcelais le
manager du studio pour me faire embaucher. Je passais le voir tous les
jours, réglé comme une horloge, pendant ma pause déjeuner du Hollywood
Music de l’autre côté de la rue. J’ai continué à le faire, très
professionnellement, mais quelques semaines plus tard, il a fini par céder et
me proposer un boulot. Dans mon esprit, c’était une étape importante ;
j’étais à présent à deux doigts de devenir un musicien professionnel. J’avais
tout faux, mais dans mon idée, une fois que je travaillerais dans le studio, je
pourrais me faire des contacts, parce que je rencontrerais des musiciens et
des producteurs tous les jours. Dans mon esprit, un studio était l’endroit
idéal pour rencontrer d’autres musiciens impliqués et, en y travaillant, je
pourrais au minimum enregistrer gratuitement une fois que j’aurais un
groupe. C’est en m’imaginant toutes ces conneries que j’ai quitté
Hollywood Music, avec l’impression d’avoir gagné au loto.
J’avais été engagé au Cherokee pour servir d’homme à tout faire aux
ingénieurs, ni plus ni moins. Je m’en foutais ; je suis arrivé le premier jour,
prêt à faire les commissions, sortir les poubelles, n’importe quoi, n’importe
quand. Ou du moins c’était ce que je croyais : je me suis littéralement
décomposé quand j’ai appris que mon boulot, cette semaine, consisterait à
aller chercher tout ce dont Mötley Crüe pouvait avoir besoin, jour et nuit. À
peine une semaine plus tôt, ces types avaient refusé de me laisser entrer en
studio et avaient peut-être couché avec ma copine (je l’avais crue quand elle
m’avait dit qu’il ne s’était rien passé, mais quand même…) et maintenant,
j’allais devoir passer les semaines suivantes à leur servir de coursier.
Génial…
Le manager du studio m’a donné cent dollars pour satisfaire la première
commande de Mötley, qui, j’en étais sûr, n’était que la première d’une
longue liste : un magnum de Jack Daniel’s, un magnum de vodka, quelques
paquets de chips, et deux cartouches de cigarettes. Une fois dehors, tout en
marchant au soleil, j’ai regardé l’argent que j’avais dans la main, en pesant
les avantages et les inconvénients de ravaler ma fierté. Il faisait vraiment
beau. En arrivant chez le caviste, je me suis arrêté une minute pour
réfléchir.
J’ai levé les yeux vers le ciel ; j’ai regardé le trottoir, et puis je me suis
remis à marcher – vers chez moi. Et voilà tout le temps que j’ai passé au
Cherokee : quand je vois le nombre d’heures que j’ai passé, par la suite,
dans des studios d’enregistrement, il est presque comique de voir que je n’ai
jamais remis les pieds aux Studios Cherokee. Encore aujourd’hui, je n’en ai
pas la moindre intention – je leur dois cent dollars. Mais l’unique journée
que j’y ai passée m’a appris une leçon inestimable : il fallait que je trace
mon propre chemin dans le monde de la musique. Même si n’importe quel
crétin aurait pu aller chercher ce dont Mötley Crüe, ou n’importe qui
d’autre, avait besoin – c’était un boulot que je refusais de faire, par
principe. Je suis content d’avoir agi comme ça ; tout a été bien plus simple
quand Mötley nous a demandé de faire leur première partie quelques années
plus tard.
J’AVAIS DONC LAISSÉ TOMBER HOLLYWOOD MUSIC, EN croyant que mon
boulot au studio serait le dernier que je ferais avant d’avoir du succès. La
bonne blague. À ce moment-là, mes perspectives étaient plutôt mauvaises :
je n’avais pas mon bac, je n’allais pas à la fac, et apparemment, je venais de
démissionner du seul boulot qui aurait pu m’aider à atteindre mon objectif.
Je suis resté sans emploi et sans but un moment, et ma mère a sauté sur
l’occasion pour me faire retourner à l’école – dans n’importe quelle école.
Dieu merci, elle a toujours voulu que je reçoive une bonne éducation. Cette
fois, elle a fait la seule chose sensée à faire – elle savait que j’adorais la
musique, c’est pourquoi elle m’a inscrit dans une étrange école
professionnelle de musique.
Je suis très déçu de ne pas me souvenir du nom de cet endroit, même si
je me souviens que mes professeurs n’avaient pas l’air très impliqués. Je
suis aujourd’hui quasiment sûr que ma mère avait découvert cet endroit par
un tract déposé à la laverie. Bref, je me suis inscrit, je me suis présenté, et
quelques semaines plus tard, j’étais sur le terrain et mes professeurs me
faisaient tendre des câbles et placer des filtres (qu’on appelle « gélatines »)
sur les projecteurs de diverses salles de concert. Cette école apprenait à ses
étudiants à devenir ingénieurs lumière et son pour des concerts, de manière
très concrète. On devait être six dans ma classe, et très vite, nous nous
sommes retrouvés à assister les techniciens attitrés de salles comme le
Country Club, FM Station et d’autres clubs de L.A. En fait, c’était une vraie
arnaque : l’école devait être financée ou dirigée par la boîte de production
qui organisait ces concerts, et nous, les étudiants, nous nous retrouvions à
bosser gratuitement pour eux, tout en leur payant des droits d’inscription.
Même si c’était un peu louche, j’ai appris à régler le son et la lumière en
concert. Et j’aimais ça, jusqu’au jour où j’ai dû m’occuper de la lumière
pour des clones de Duran Duran qui s’appelaient Bang Bang. En les
regardant jouer, j’ai compris deux choses : 1) on ne pouvait pas faire plus
ridicule qu’eux, et 2) avec ce boulot d’ingé-son et lumière, je n’allais nulle
part.
JE CHERCHAIS DÉSESPÉRÉMENT À FAIRE PARTIE D’UN groupe : j’épluchais
donc les annonces de The Recycler – le journal gratuit de L.A. pour les
musiciens – toutes les semaines, à la recherche d’une proposition qui me
plût. En vain la plupart du temps : dans les annonces, on ne voyait que des
« shredders » qui cherchaient des « shredders ». Mais un jour, j’ai vu une
annonce qui m’a interpellé : un chanteur et un guitariste recherchaient un
guitariste dans la veine d’Aerosmith et Hanoi Rocks. Plus important, il était
dit expressément qu’ils ne voulaient « ni barbe ni moustaches ».
J’ai appelé le numéro, et nous avons convenu de nous retrouver dans la
maison qu’ils louaient dans une rue de Laurel Canyon. Je suis arrivé avec
ma copine du moment, et j’ai immédiatement reconnu Izzy, comme celui
qui était venu me voir au magasin de musique avec mon dessin
d’Aerosmith. J’ai alors compris que l’autre type devait être le chanteur à la
voix aiguë que j’avais entendu sur la cassette. Je me suis dit : « Cool, ça va
peut-être déboucher sur quelque chose. » Leur petite maison avait plutôt
l’air d’un placard : il y avait tout juste la place d’un lit, un espace vide pour
s’asseoir par terre devant le lit, et une télé – qui était la seule source
lumineuse de la pièce.
J’ai discuté un moment avec Izzy, mais Axl n’a pas lâché son téléphone,
même s’il m’a fait un signe de tête quand je suis entré. Sur le moment, j’ai
trouvé ça impoli, mais maintenant que je le connais, je sais que ce n’était
pas le cas. Quand Axl se met à parler, il n’y a plus moyen de l’arrêter. Dans
les Guns, on appelait ça un Déraillement de Twain : quand Axl commence à
raconter une histoire, il est aussi volubile que Mark Twain [auteur
notamment des romans Tom Sawyer et Huckleberry Finn, NDT]. Mais lors
de ce premier contact, il ne s’est pas passé grand-chose : ils ont peut-être
décidé qu’ils n’avaient plus besoin d’un second guitariste, ou alors je
n’avais pas la tête de l’emploi. Je ne sais pas quel était le problème, mais ça
n’a débouché sur rien.
DÈS QUE STEVEN EST REVENU À HOLLYWOOD, IL M’A fièrement annoncé
qu’il avait appris à jouer de la batterie chez sa mère, dans la Vallée, ce qui,
j’en suis sûr, n’était pas étranger au fait qu’il en avait été de nouveau viré.
Steven était prêt à monter notre groupe, même si à l’époque, je jouais
toujours, mais avec peu d’entrain, dans Tidus Sloan, tout en répondant de
temps en temps à une annonce pour un guitariste dans le journal. Je ne le
prenais pas au sérieux ; pour moi, Steven était mon chargé de relations – et
un peu un boulet : il a commencé à venir aux répétitions de Tidus Sloan, et
dès qu’il pouvait, il disait avec insistance qu’il était meilleur batteur
qu’Adam Greenberg. Quand j’ai fini par me retrouver sans groupe, Steve
m’avait tellement gonflé que je n’avais pas la moindre envie de le voir
jouer, et encore moins de jouer avec lui.
La grand-mère de Steven lui avait donné sa vieille Gremlin bleue : une
voiture qui portait parfaitement son nom – un truc massif et carré.
Visiblement, chaque jour, comme il ne pouvait pas s’entraîner chez sa
grand-mère, il chargeait sa batterie dans ce machin et s’en allait au jardin
public de Pico, en face des studios de la Twentieth Century Fox, qui
comprenait une piscine et un terrain de golf. Je connaissais bien l’endroit :
quand j’avais neuf ans, c’était là que je jouais au foot. Bizarrement, Steven
installait sa batterie au bord du chemin, et s’entraînait toute l’après-midi et
toute la soirée. Je suis sûr que les personnes âgées, les joggers, les canards,
et les gens qui promenaient leur chien étaient ravis ; un petit rocker blond
aux cheveux en pétard, en train de jouer du metal sur une énorme batterie à
double grosse caisse aussi fort qu’il peut, se fait forcément des amis, où
qu’il aille.
J’ai fini par accepter d’aller le voir, même si, une fois au volant de ma
voiture, j’ai passé tout le chemin à me demander à quoi j’avais bien pu
penser. Quand je suis arrivé, il faisait nuit noire. J’ai garé ma voiture à côté
de la sienne, et je me suis dirigé vers la piste de jogging, et il était là, à
tambouriner dans la nuit. Sa silhouette se détachait sur les lumières des
phares dans le lointain, tandis que le parc et le terrain de golf déroulaient
leurs vastes étendues derrière. C’était un spectacle vraiment étrange. Je l’ai
contemplé un moment avant même de prêter attention à sa manière de jouer.
Mais quand je m’y suis mis, j’ai complètement oublié le paysage. Assis
dans le noir, à regarder jouer Steven, je n’étais pas convaincu par ses
capacités, mais j’étais satisfait. De toute façon, je n’avais pas vraiment
d’autre option devant moi.
STEVEN ET MOI ÉTIONS DANS UNE SITUATION À LA fois familière et
désagréable – nous cherchions un chanteur, et, cette fois, un bassiste
également. Steven avait désormais un avantage, parce qu’il connaissait tous
les musiciens : il sortait si souvent qu’il avait vu quasiment tous les groupes
à voir dans l’univers rock de l’époque à L.A. Steven était aussi très au fait
des potins : après le succès de Mötley Crüe, il avait entendu dire que Lizzy
Grey, co-fondateur de London avec Nikki Sixx, envisageait de remonter ce
groupe. C’était énorme – Steven et moi avions vu London quand nous
étions plus jeunes, et ils nous avaient fait halluciner. Izzy Stradlin faisait
partie de cette seconde version de London, mais, après son départ, les
choses se sont un peu délitées et il y a eu de la place pour un guitariste et un
batteur. Steven et moi avons passé une audition pour eux, à l’endroit même
où War, le légendaire groupe de funk, répétait et enregistrait sur Sunset, pas
très loin du Denny’s. À cette époque, ce n’était qu’un taudis amélioré ;
aujourd’hui, c’est là qu’on trouve le Guitar Center Hollywood, soit dit en
passant.
Nous avons donc passé quatre jours là-bas, à répéter avec London ; nous
avons appris un grand nombre de leurs morceaux, et, même si c’était un
grand pas en avant pour nous qui partions de nulle part, cela n’a jamais rien
donné. Au moins, c’était une expérience intéressante, parce que j’ai pu voir
de près combien les gens qui se prennent pour des rock-stars peuvent être
imbus d’eux-mêmes. Ces mecs de London étaient gonflés d’orgueil, et se
comportaient comme si Steven et moi et le reste du monde étions de l’autre
côté d’une barrière invisible. Cela me renvoyait à mon enfance et à toutes
les rock-stars que j’avais rencontrées grâce à mes parents. En grandissant
aux côtés des clients et des amis de mes parents, j’avais déjà assisté à tout
ça et j’avais appris ce qu’il fallait et ne fallait pas faire. J’avais vu de vraies
rock-stars piquer des crises, et j’avais vu comment ma mère réagissait.
J’avais appris, en la regardant faire, qu’il fallait traiter ce genre de
tempéraments avec une extrême délicatesse.
À l’époque, je pensais que les types de London étaient des vedettes, et
j’étais intimidé et impressionné. Maintenant, plus vraiment. J’ai revu leur
chanteur de l’époque dans la rue, début 2007, alors que je rejoignais Velvet
Revolver en studio pour enregistrer. Il était là, à se balader sur Sunset
Boulevard dans la même tenue, toujours à la recherche d’un groupe.
Après cette tentative infructueuse, Steven et moi avons décidé de voler
de nos propres ailes. Nous avions besoin d’un chanteur et d’un bassiste,
mais nous avons décidé de faire les choses dans l’ordre et de nous
préoccuper d’abord de trouver un bassiste pour, quand nous nous mettrions
à auditionner des chanteurs, avoir un vrai groupe qui pourrait jouer pour
eux tandis qu’ils chanteraient. Nous avons fait paraître une annonce dans
The Recycler ; elle était dans la rubrique « On recherche », et elle disait en
substance :
Recherche bassiste pour groupe influencé par Aerosmith, Alice Cooper.
Appeler Slash.
Nous avons eu quelques appels, mais le seul type que nous avons eu
envie de rencontrer était un certain Duff. Il venait d’arriver de Seattle et, au
téléphone, il avait l’air cool, et je lui ai donc dit de nous retrouver au
Canter’s Deli à huit heures du soir. Steven et moi nous étions installés dans
un box, dans un coin près de l’entrée ; nous étions accompagnés de nos
copines – ma copine Yvonne avait une grande bouteille de vodka
enveloppée de papier d’emballage cachée dans son sac. C’est d’ailleurs elle
qui m’a initié à la vodka ; avant de la rencontrer, je ne buvais que du
whiskey.
Pendant un long moment, nous n’avons vu personne qui eût l’air, de
près ou de loin, d’un musicien, entrer chez Canter’s, et les filles étaient
vraiment soûles quand Duff a fini par arriver. Il me semble que nous étions
tous les quatre en train de nous demander à quoi il pourrait bien ressembler,
quand ce grand type squelettique aux cheveux courts et hérissés est arrivé,
avec une chaîne et un cadenas à la Sid Vicious autour du cou, des rangers et
un trench en cuir rouge et noir, malgré les 24 degrés qu’il faisait à
l’extérieur. Personne ne s’attendait à cela. J’ai filé un coup de pied à Steven
et fait taire les filles.
« Regardez ça, ai-je dit. C’est forcément lui. »
Duff avait fait partie de plusieurs groupes de punk de Seattle : les Fartz,
un groupe légendaire, mais très méconnu, au sein duquel il jouait de la
guitare ; les Fastbacks, un puissant quatuor pré-grunge de renom (à la
batterie) et quelques autres. Juste avant de descendre à L.A., il s’était mis à
la basse. Avec la musique, Duff était aussi versatile que déterminé : il
n’avait pas quitté Seattle parce que cette ville ne le satisfaisait pas sur le
plan créatif ; il avait quitté Seattle parce qu’il savait que les groupes là-bas
(du moins à l’époque) n’avaient rien à lui offrir, et qu’il était décidé à
réussir. Il savait que Los Angeles était la capitale musicale de la Côte Ouest,
et par conséquent, sans plan de bataille et sans amis qui l’attendaient là-bas,
il avait chargé sa vieille Chevy Nova rouge et était descendu à L.A. se faire
un nom. J’ai tout de suite eu un immense respect pour son implication :
nous avions la même éthique de travail. Cela a immédiatement instauré
entre nous une certaine connivence, qui ne s’est jamais démentie au fil des
années.
« Alors c’est toi, Slash, a dit Duff tout en s’asseyant près de moi dans le
box chez Canter’s. Tu ne ressembles pas du tout à l’idée que j’avais de
toi. »
« Ah ouais ? ai-je dit. Et tu t’attendais à quoi ? »
« Avec un nom comme Slash, je pensais que tu ferais beaucoup plus
peur, mec », a-t-il dit. Steven, les filles, tout le monde s’est mis à rire.
« Non, je ne rigole pas, avec un nom comme ça, je m’attendais à voir une
espèce de punk psychopathe. »
« Ah ouais ? » ai-je fait avec un petit sourire. Nous avons éclaté de rire.
Si ça n’avait pas suffi à briser la glace, ma copine Yvonne s’en est
chargée quelques minutes plus tard. Nous bavardions de choses et autres :
Duff apprenait à nous connaître et vice-versa, quand, de but en blanc,
Yvonne s’est penchée devant moi et a mis la main sur l’épaule de Duff.
« Est-ce que je peux te poser une question personnelle ? » a-t-elle
demandé, plus fort que nécessaire.
« Ouais, bien sûr », a-t-il répondu.
« Est-ce que tu es pédé ? C’est juste pour savoir. »
Pour la première fois depuis quelques heures, un grand silence s’est
abattu sur notre table. Que vous dire ? J’ai toujours eu un faible pour les
femmes un peu grandes gueules.
« Non, a répondu Duff. Je ne suis absolument pas pédé. »
Après cet échange, nous sommes montés tous les cinq, nous nous
sommes entassés dans les toilettes et nous avons fait péter la vodka. Et peu
après, nous avons décidé, là, comme ça, de monter un groupe et de
nouveau, nous avons passé le mois suivant à la recherche d’un chanteur.
Nous avons auditionné Ron Reyes, mieux connu sous le nom de Chavo
Pederast, au cours des quelques mois qu’il a passés à la tête de Black Flag
en 1979. Nous avons vu quelques autres personnalités de ce genre, mais,
comme d’habitude, nous n’avons pas trouvé le bon. Tout bien considéré,
nous avons créé des trucs vraiment cool : nous avons mis au point le riff
principal de ce qui allait devenir « Rocket Queen » et avons eu quelques
autres idées géniales.
Malgré notre créativité trépidante, je commençais à me sentir très
frustré par Steven. Il n’avait pas la même éthique de travail passionnée que
Duff et moi, même s’il faisait deux fois sa part de mondanités. C’était
vraiment énervant de le voir gaspiller son énergie à faire la fête, alors que
nous avions tellement de choses à faire. À ce moment-là, il était évident
que, si nous trouvions le chanteur idéal, nous aurions vraiment un groupe
qui vaudrait le coup. Le problème était que nous n’avions pas de chanteur,
mais que Steven se comportait comme si nous avions déjà été signés par
une grosse maison de disques. Finalement, c’est moi qui ai mis fin au
groupe ; j’ai dit à Duff que ça ne fonctionnait tout simplement pas, et j’ai
coupé les ponts avec Steven, du moins un temps. Duff a trouvé mieux : par
pure coïncidence, il s’était installé, à son arrivée à L.A., sur Orange Avenue,
dans un immeuble qui faisait face à celui d’Izzy. Rapidement, ces deux-là
ont fini par se rencontrer dans la rue, et ça a suffi ; Duff est devenu l’un des
musiciens gravitant dans l’univers L.A. Guns/ Hollywood Rose.
C’ÉTAIENT LES DEUX SEULS GROUPES À REPRENDRE LE flambeau de Mötley
Crüe et à valoir quelque chose – L.A. Guns et Hollywood Rose, deux
groupes à fort roulement, qui s’échangeaient bon nombre de musiciens du
coin de manière quasi-incestueuse. L.A. Guns avait été créé par Tracii
Guns, qui était allé au lycée Fairfax avec moi – son nouveau groupe n’était
qu’une version plus intense et plus hard des riffs de blues vicieux qu’il
jouait alors lors des fêtes d’étudiants.
Hollywood Rose était totalement différent. J’avais retrouvé Steven un
jour qu’il venait de les voir, et quand il m’avait décrit leur chanteur, un type
à la voix aiguë qui faisait trembler mes murs, j’ai réalisé que, pour une fois,
Steven n’exagérait pas. Je n’ai pas fait le rapprochement avec la voix que
j’avais déjà entendue, sans doute parce qu’elle sortait de l’enregistrement le
plus merdique et le plus bas de gamme que j’avais jamais entendu.
Steve et moi sommes allés voir Hollywood Rose chez Gazarri’s, et c’est
la première fois que j’ai vu, honnêtement, le meilleur chanteur du moment à
Hollywood : W. Axl Rose. Comme sur la cassette, ce n’était rien de plus
qu’un groupe de garage amateur qui faisait de son mieux, mais avec une
désinvolture téméraire et une énergie débridée tout à fait extraordinaires.
Du moins pour deux d’entre eux : Izzy et Axl exceptés, le groupe était assez
inexistant, mais ces deux amis de Lafayette, dans l’Indiana, dégageaient
quelque chose de dangereux. Izzy ne cessait de faire des glissades sur les
genoux d’un bout à l’autre de la scène, et Axl hurlait de tout son cœur – leur
prestation était torride. La voix d’Axl m’a tout de suite accroché : elle était
tellement changeante, et derrière ses hurlements terriblement suraigus, il
avait un sens du rythme bluesy vraiment hallucinant.
Comme je l’ai déjà dit, Hollywood Rose (comme L.A.Guns) était un
groupe à fort roulement, dont les musiciens se connaissaient tous et ne
cessaient d’aller et venir. Steve Darrow, le bassiste, distribuait avec Izzy le
L.A. Weekly tous les après-midi, ce qui les avait rapprochés, mais Axl ne
semblait pas apprécier le guitariste, Chris Weber, pour je ne sais quelle
raison. Apparemment, Axl a un jour viré Chris sans en parler à personne, et
Steven a appris je ne sais comment qu’ils allaient auditionner des guitaristes
le lendemain.
À mes yeux, c’est toujours aussi brouillon et illogique aujourd’hui que
ça l’était à l’époque, mais Steven m’a convaincu de venir les voir répéter,
dans un taudis appelé la Forteresse sur Selma et Highland. Ce lieu était la
quintessence du punk miteux à Hollywood, parce que seuls des punks
auraient pu avoir l’idée de le ravager de manière aussi méthodique. Les
rockers ne ravagent rien avant d’avoir réussi et d’avoir pris de l’âge ; seuls
les punks commencent comme ça. Je ne sais pas bien quelle était sa couleur
d’origine, mais la moquette de la Forteresse était devenue d’un marron
jaunâtre pisseux, non seulement sur le sol, mais même sur les murs et le
plafond, où on en avait mis pour étouffer le bruit. Chaque angle de la pièce
était répugnant ; toute la pièce n’était qu’un cube infesté de vermine.
J’ai commencé à répéter avec eux, et les choses se passaient bien –
jusqu’à ce qu’Izzy se barre au cours du deuxième morceau. Aujourd’hui, je
sais que ce genre de dérobade est, chez Izzy, un mécanisme de défense
quand il estime que les choses ne vont pas : il n’en fait pas tout un drame, il
s’éclipse et ne revient pas en arrière. Apparemment, Izzy ne savait pas du
tout ce que je faisais là ce jour-là, et n’appréciait pas du tout, et c’est
compréhensible, qu’Axl eût viré Chris Weber sans lui demander son avis
ou, au moins, l’avoir informé.
Finalement, bien après que nous soyons devenus amis, j’en ai reparlé à
Izzy. Izzy a toujours su conserver un halo de sérénité ; il ne s’est jamais
montré énervé, n’a jamais baissé sa garde là-dessus. Mais quand j’ai abordé
ce sujet, il m’a adressé un regard glacial, qui ne m’a laissé aucun doute sur
sa sincérité.
« Putain, c’est quand même simple, a-t-il dit. C’est juste que je n’aime
pas qu’on me dicte ma conduite, quelles que soient les circonstances. »
Bref, il est parti. J’avais été entraîné malgré moi au milieu de cette
situation, sans avoir la moindre idée de ce qui se tramait. Après le départ
d’Izzy, il y eut un bref malaise… et puis on s’est remis à jouer.
Je ne savais même pas que cette tentative pour me recruter avait fait
naître un nouveau cercle de tension concentrique : Tracii Guns avait
ambitionné la place. Il essayait depuis longtemps de recruter Axl et Izzy
pour son groupe. Je ne crois pas qu’il ait été enchanté d’apprendre qu’ils
m’avaient choisi moi plutôt que lui. Je n’avais pas la moindre idée de tout
cela, et même si je l’avais su, j’aurais choisi de l’ignorer, de toute façon. Je
faisais enfin, enfin, partie d’un groupe avec un super chanteur – déjà, avec
un chanteur.
Axl s’était demandé comment former le groupe parfait, et il s’était dit
qu’Izzy et moi pourrions faire une sacrée paire, mais comme ils n’en
avaient jamais parlé tous les deux avant qu’Axl ne mette son idée à
exécution, j’étais là, mais Izzy était parti. Le Hollywood Rose que je
connaissais comprenait Axl, Steve Darrow, Steve Adler et moi. Nous avons
donné des concerts chez Madame Wong’s East and West et nous répétions
dans un studio appelé Shamrock sur Santa Monica Boulevard, entre
Western et Gower. Ce lieu était proprement hallucinant, et on avait
l’impression qu’il pouvait s’y passer n’importe quoi ; vu qu’il se trouvait
bien après East Hollywood, il aurait réellement pu s’y passer n’importe
quoi, à l’insu des autorités. Les locaux comprenaient trois studios, et les
propriétaires organisaient tous les week-ends des fêtes démentielles, qui
tournaient toujours à l’orgie.
Au cours de cette période, Axl et moi sommes devenus de très bons
amis, parce que, pendant un moment, il a vécu chez moi, avec ma famille.
Ce n’était pas parce que nous étions des âmes sœurs ou ce genre de trucs : à
cette époque, Axl n’avait jamais eu de vrai chez lui ; il se contentait de
squatter où il pouvait. Quand il vivait avec nous, il passait ses journées à
dormir dans ma chambre souterraine, entouré de mes serpents et de mes
chats, pendant que j’étais au boulot. Quand je rentrais, je le réveillais et on
allait répéter.
Mais j’ai appris beaucoup de choses sur Axl pendant cette période. On
parlait de musique et de tout ce qu’on trouvait génial ; on écoutait un
morceau en particulier avant de le disséquer, et il était évident que nous
avions beaucoup de points communs en matière de goûts musicaux. Nous
avions tous les deux le même respect envers les groupes qui m’avaient
influencé.
Axl aimait bien aussi parler de la vie, de la sienne et de la vie dans un
sens plus général. Je n’avais pas grand-chose à dire, mais j’ai toujours su
écouter. Il m’a donc parlé de sa famille et des moments difficiles qu’il avait
vécus dans l’Indiana ; tout cela dépassait largement ma compréhension. Axl
m’impressionnait alors comme il l’a toujours fait : quoi que l’on puisse dire
de lui, Axl est d’une franchise brutale. Sa version des faits est peut-être
particulière, pour ne pas dire autre chose, mais il croit vraiment en ce qu’il
dit, avec plus de fougue que n’importe quoi d’autre.
Vous ne serez pas surpris d’apprendre que la vie avec Axl, dans ma
famille, n’avait rien d’un long fleuve tranquille. Comme je l’ai dit, ma
chambre était sous le garage, et deux volées de marches la séparaient du
salon. La plupart du temps, Axl restait dans son coin quand je n’étais pas là,
mais un jour, après mon départ pour le boulot, il est monté faire un tour et a
fini par s’affaler sur le canapé du salon. Cela n’aurait pas forcément été très
important dans une autre famille, mais chez nous, si. Ma grand-mère, Ola
Senior, était une vraie matriarche, et ce canapé était le trône du fond duquel
elle regardait, tous les après-midi, ses émissions préférées. Quand elle est
arrivée, pile à l’heure de son programme du jour, et qu’elle a trouvé Axl
vautré sur le canapé, Ola Senior l’a poliment secoué. Avec sa petite voix
douce de grand-mère, elle lui a demandé de redescendre dans ma chambre,
où il pourrait dormir tout son soûl. Mais je ne sais pourquoi, les choses ont
dégénéré : d’après ce que j’ai compris, Axl a répondu à ma grand-mère
d’aller se faire foutre, avant de redescendre en tempêtant dans ma chambre
– c’est du moins ce que ma mère m’a raconté.
Quand je suis rentré du travail, ma mère a voulu me parler en privé et,
malgré son côté cool, elle a exigé qu’Axl présente ses excuses à sa mère,
s’il voulait rester un jour de plus sous son toit, et promette de ne plus jamais
se comporter de la sorte. C’était à moi de régler cette histoire, ce qui, sur le
moment, ne m’a paru être une tâche insurmontable.
Ma mère me prêtait souvent sa Datsun 501 verte et ce soir-là, tandis
qu’Axl et moi roulions vers le studio de répétition, je lui ai suggéré, sans la
moindre agressivité, de peut-être aller s’excuser auprès de ma grand-mère
pour lui avoir dit d’aller se faire foutre. Je ne connaissais pas Axl depuis
longtemps, mais j’en savais déjà assez pour comprendre que c’était
quelqu’un de sensible et d’introverti, qui avait de violentes sautes
d’humeur ; c’est pourquoi j’ai soigneusement pesé mes mots et je lui ai
présenté le problème sur un ton très objectif, sans juger personne. Tandis
que je parlais, Axl regardait par la fenêtre, et puis il s’est mis à se balancer
d’avant en arrière sur le siège passager. Nous étions sur Santa Monica
Boulevard, à cinquante à l’heure, quand soudain, il a ouvert la portière et a
sauté, sans un mot. Il a trébuché, a fait un petit saut, et a réussi à atteindre le
trottoir sans tomber. Il a repris l’équilibre, et s’est engagé dans une rue
perpendiculaire sans se retourner.
J’étais sous le choc ; j’ai fait demi-tour, et j’ai passé les rues au peigne
fin pendant une heure, à sa recherche, en vain. Le soir, il n’est pas revenu à
la maison, et quatre jours se sont écoulés sans qu’il vienne répéter. Le
cinquième jour, il est venu au studio, comme si de rien n’était. Il avait
trouvé un autre endroit où dormir, et il n’a jamais reparlé de cela. C’est à
partir de là qu’il a été très clair pour moi qu’Axl avait certains traits de
caractère qui le mettaient complètement à part des tous les gens que j’avais
pu côtoyer.
LE DERNIER CONCERT DE HOLLYWOOD ROSE S’EST DÉroulé au Troubadour, et
il s’est terminé de manière mouvementée. C’était une nuit « sans », dans
tous les sens du terme, avec une série d’événements qui auraient pu mieux
se passer. Nous avons commencé tard, le son était pourri, la foule était
d’humeur bagarreuse et peu concernée, et en dépit de tous nos efforts, nous
n’avons jamais réussi à inverser la tendance. Un agité du premier rang s’est
mis à insulter Axl, qui en a eu marre ; il a jeté un verre à ce type, ou lui a
cassé une bouteille sur la tête – peu importe, mais son geste exprimait très
bien la frustration rentrée éprouvée par le groupe ce soir-là. J’ai regardé
cette altercation prendre des proportions de plus en plus grandes, et cela
perturbait tellement le concert que j’ai su que j’allais quitter le groupe dès la
fin du concert. Quand Axl lui a sauté dessus, c’était comme si l’univers tout
entier me donnait raison.
Je ne peux pas dire que je ne l’avais pas vu venir : je n’étais pas
satisfait, et la situation, dans sa globalité, ne me paraissait pas très stable.
Au cours des quelques mois que nous avions passés ensemble, nous
n’avions donné que quelques concerts, et notre formation n’avait jamais
semblé adéquate. À ce moment-là, elle n’avait pas vraiment pris corps, et
cette histoire avec la bouteille me semblait injustifiée – déjà, cela détournait
l’attention de la musique. Et nous nous retrouvions là, un groupe débutant,
qui avait déjà suffisamment de problèmes internes, occupé à se faire un
nom à la force du poignet, et obligé de gérer ce genre d’incidents. Bien sûr,
cela avait beaucoup d’importance pour Axl, mais tout le monde ne pensait
pas forcément comme lui. C’était ce qu’il ressentait et, franchement, si cela
avait été justifié, pourquoi pas, mais parfois, il faut savoir choisir ses
combats. Interrompre le concert pour s’occuper de cette histoire était un peu
exagéré. Dans l’esprit rock’n’roll, je comprenais parfaitement ce je-m’en-
foutisme extrémiste, mais sur le plan professionnel, cela me posait des
problèmes.
Axl est quelqu’un qui a tendance à dramatiser. Tout ce qu’il dit ou fait a
un sens, une dimension théâtrale dans son esprit, et cela prend souvent des
proportions démesurées. De petites choses sont fortement exagérées, et les
relations avec les gens peuvent devenir d’énormes problèmes. Le truc, c’est
qu’il a sa propre façon de voir les choses. Je suis un type assez coulant, à ce
qu’on dit, et quand Axl pétait les plombs, je ne l’ai jamais suivi. Je disais
plutôt : « Quoi ? » avant de dédramatiser. Il avait des hauts et des bas si
dramatiques, des sautes d’humeur tellement extrêmes que vivre à ses côtés
avait tout d’un grand huit. Ce que je ne savais pas à l’époque, c’est que cela
deviendrait récurrent.
À toutes fins utiles, j’ai dit à tous les membres de Hollywood Rose que
je partirais à la fin du concert. Puis le groupe a explosé, et nos chemins, à
Axl et moi, se sont séparés quelque temps. Il a rejoint Tracii Guns au sein
de L.A.Guns, qui est rapidement devenu un premier état de Guns N’Roses.
J’ai rejoint le groupe Black Sheep, avec Willie Bass, un rite de passage
pour de nombreux musiciens de talent. Willie est un formidable leader ;
c’est un Noir, très grand, qui chante et joue de la basse, et il avait un vrai
talent pour débusquer les guitaristes « shredders » les plus chauds du
moment, un par un. Il avait eu Paul Gilbert, un virtuose, dans le genre de
Yngwie Malmsteen ; Mitch Perry, qui a joué avec Michael Shenker ; et,
pendant quelque temps, moi. Je n’aimais pas tellement jouer vite – je savais
le faire, mais je préférais un jeu plus classique, du rock’n’roll à la Chuck
Berry, plutôt que tout ce cirque heavy metal. J’ai quand même accepté ce
poste, parce qu’après Hollywood Rose, j’ai compris qu’il était essentiel
d’être vu et remarqué : c’était une manière de rencontrer d’autres musiciens
et d’être au courant d’autres opportunités, d’une manière qui me
correspondait mieux que de se tisser un réseau sur le Strip.
J’ai eu la place, et j’ai joué devant près de huit cents personnes au
Country Club, dans la Vallée, et je dois dire que c’était un concert
particulièrement bon. C’était aussi la première fois que je jouais devant une
foule si nombreuse. J’ai aimé me retrouver devant tant de monde, même si
je me rappelle avoir trouvé que j’avais très mal joué. J’ai appris plus tard
qu’Axl était présent, mais à l’époque je n’en ai rien su parce qu’il n’est pas
venu me dire bonjour.
À ce moment-là, Black Sheep ne faisait vraiment pas grand-chose ; à
part cet unique concert, nous n’en avons pas eu d’autres prévus ; on ne
faisait que se retrouver de temps en temps pour répéter. Ma brève
expérience avec eux n’était sans doute pas telle que je l’espérais, mais elle
m’a rendu plus visible ; par conséquent, je me suis dit que, si le fait de jouer
dans un groupe de club apprécié de L.A. me permettait d’attirer l’attention
et mettait un peu ma carrière sur les rails, rejoindre le plus grand groupe de
club de L.A. du moment ne serait peut-être pas une mauvaise idée.
Matt Smith, le guitariste de Poison, m’a appelé quand il a décidé de
quitter le groupe. Sa femme attendait un bébé, et ils avaient décidé de
rentrer en Pennsylvanie fonder leur famille. Matt et moi avions des amis
communs et il m’avait invité à quelques-unes des fêtes de Poison. Matt était
un type bien, avec les pieds sur terre – le moins venimeux du lot. Matt
savait que ce n’était pas du tout mon truc, mais il m’a dit que c’était un bon
boulot, qui payait bien, et je savais déjà que le groupe était vraiment
recherché. J’étais plutôt contre, mais Matt a fini par me convaincre de tenter
ma chance.
Poison répétait dans un grand appartement à Venice, sur Washington et
La Brea, ou un truc comme ça, tapissé de posters… de Poison. Je me suis
présenté à l’audition dans mon uniforme habituel : jean, T-shirt, et, ce jour-
là, une paire de mocassins super cool que j’avais volée au marché fermier –
sans perles, ni rien, simplement en cuir marron tout bête, avec de courtes
franges au niveau de la cheville. J’avais appris quatre ou cinq morceaux à
partir d’une cassette qu’ils m’avaient donnée, et quand on les a joués, je les
ai mis à genoux. Ils m’ont rappelé pour une deuxième audition, et je revois
Bobby Dall, le bassiste, me dévisager tandis que je jouais. L’ambiance était
très différente ; ils faisaient vraiment attention aux détails.
« Bon, alors, comment tu t’habilles ? » m’a-t-il demandé. « Tu ne portes
pas ces chaussures sur scène, quand même ? »
« Pour être très franc, je n’y ai pas vraiment pensé », ai-je répondu. Il a
eu l’air préoccupé et embarrassé.
Je faisais partie des trois derniers candidats à départager, et j’ai aperçu
un autre type qu’ils avaient rappelé, ce jour-là. Il avait les cheveux blond
platine, une veste en cuir blanc pailleté, et un maquillage impeccable,
parachevé par un rouge à lèvres rose glacé. En repartant, je lui ai jeté un
seul coup d’œil, et j’ai su que c’est lui qui serait pris. Et bien sûr, il l’a été –
c’était C.C.Deville. J’avais joué les morceaux de Poison à la perfection,
mais ce n’était que sur ce plan-là que je correspondais parfaitement à ce
qu’ils recherchaient.
EN 1984, AXL M’A AIDÉ À TROUVER UN BOULOT CHEZ Tower Video et, à
cette occasion, nos retrouvailles ont été douces-amères. Quand Hollywood
Rose s’était séparé, nous n’étions pas vraiment fâchés, mais dans
l’intervalle, une autre source de brouille avait surgi entre nous : Axl s’était
mis avec celle qui était alors mon ex, Yvonne.
J’avais rencontré Yvonne par l’intermédiaire de Marc Canter lors d’un
concert de Ratt, quand ils avaient joué avec Yngwie Malmsteen, au
Hollywood Palladium. Elle était même sortie avec le chanteur de Ratt,
Stephen Pearcy. À la fin du concert, nous étions allés nous faire un souper
tardif au Beverly Hills Café, un des endroits préférés de Marc, et c’est là
que nos regards s’étaient croisés. Nous avons commencé à sortir ensemble
juste après. Yvonne était vraiment cool – c’est elle qui m’a fait connaître
Hanoi Rocks et leur chanteur, Mike Monroe, un groupe que j’ai vraiment
adoré. Ils ont influencé Guns N’Roses et sont toujours, du moins à mes
yeux, une institution du rock’n’roll largement sous-estimée.
Bref, Yvonne et moi sommes sortis ensemble un moment, mais au cours
d’une des pauses que nous faisions loin l’un de l’autre, Axl l’avait sautée.
Ça ne m’a pas vraiment plu, mais je ne peux pas dire que cela m’a surpris,
parce qu’il était évident qu’elle l’avait toujours intéressé. Quand elle et moi
nous sommes remis ensemble, elle a bien sûr ressenti le besoin de tout me
raconter, sous le prétexte « d’être franche », alors que sa seule motivation
était sans doute de me faire payer le fait de l’avoir plaquée.
J’ai appelé Axl à son travail à Tower Video pour l’accuser. J’étais
vraiment à cran.
« T’as baisé Yvonne », ai-je dit. « C’est quoi, ce coup bas ? »
Je dois reconnaître ça à Axl – il a été franc et n’a pas cherché à biaiser.
Il m’a dit que oui, bien sûr, il l’avait fait, mais comme à l’époque je ne la
baisais pas, où était le problème ? Je ne voyais pas vraiment les choses
comme cela, et les choses ont alors dégénéré, au point qu’il m’a invité à
venir lui botter le cul. J’étais prêt à y aller pour régler ça, et puis j’ai laissé
tomber. Il va sans dire que l’animosité entre nous a mis quelque temps à
retomber. Et un jour, après avoir appris que je cherchais un boulot, il m’a dit
qu’une place se libérait chez Tower, ce qui était une forme de geste
d’apaisement. Axl a toujours aimé réparer les choses par des gestes
grandioses.
Tower Video était juste en face du Tower Records où j’avais été pris à
voler à l’étalage quelques années auparavant. Axl vivait avec l’un des
managers, et quand j’ai fait partie de l’équipe, je n’ai pas mis longtemps à
me rendre compte que j’avais maintenant intégré une bande de personnages
hauts en couleur et franchement cinglés ; je suppose que nous formions
l’équipe la plus grotesque et la moins impliquée de la chaîne Tower. Il y
avait aussi quelques formidables alcooliques séniles qui travaillaient chez
Tower Classical, juste à côté.
Tous les soirs, vers vingt heures, quand le manager général des disques
et des vidéos était rentré chez lui, ceux d’entre nous en charge des vidéos
allaient faire le plein chez le caviste du trottoir d’en face, diffusaient des
films pornos sur les écrans du magasin, et on ne faisait plus que boire. On
mettait les groupes de nos potes sur la stéréo et, en règle générale, nous
ignorions superbement les clients qui se hasardaient à entrer.
Les caméras de sécurité ne pouvaient rien voir, parce que nous
n’exhibions pas nos bouteilles de vodka près des caisses, et nous sommes
donc passés inaperçus un bon bout de temps – mais j’imagine que, si ces
cassettes venaient à être vues, nous apparaîtrions paresseux et peu aimables.
Nous faisions nos mélanges dans l’office, et nous les trimbalions dans des
gobelets en plastique Solo ; nous enregistrions les divers achats, une vodka-
orange à la main. Je suis sûr que les clients se doutaient de quelque chose
quand ils sentaient notre haleine, mais personne ne s’est jamais plaint, sans
doute parce que le choc les rendait muets. Tout bien considéré, nous
devions effrayer la plupart des gens ; ils se contentaient de ressortir aussi
vite qu’ils pouvaient.
Malheureusement, un des managers les plus coincés nous est tombé
dessus, et là, c’est Axl qui a tout pris : il a été viré pour les conneries dont
nous étions tous responsables. Même à cette époque, j’ai compris pourquoi :
Axl a une présence et un charisme, qui mettent en danger les représentants
de l’autorité ; pour eux, quelqu’un comme Axl ne peut être qu’un
« meneur ».
MES SOUVENIRS SONT CONFUS QUANT AUX DIFFÉrents événements qui ont
conduit à la formation de Guns N’Roses parce que, pour être franc, je
n’étais pas là lors de la plupart d’entre eux. Je ne suis pas là pour vous
raconter l’histoire définitive du groupe ou corriger chaque erreur ; je ne
peux que parler de mon expérience. En tout cas, début 1985, Axl et Tracii
Guns ont commencé à former un groupe ; ils ont recruté Ole Bench et Rob
Gardner, respectivement le bassiste et le batteur de L.A.Guns. Peu après,
Izzy a rejoint leur groupe et c’est là qu’Axl a décidé de modifier leur nom
en Guns N’Roses, pour des raisons évidentes. Tracii avait finalement atteint
son but – comme je l’ai déjà dit, ça faisait un moment qu’il rêvait d’être
dans le même groupe qu’Axl et Izzy. Ils ont fait quelques concerts et
composé quelques morceaux – dans cet ordre-là.
Je travaillais toujours chez Tower, et je n’avais rien d’autre en vue. J’ai
été jaloux, c’est le moins que l’on puisse dire, quand Izzy est venu me
donner un flyer pour un concert de Guns N’Roses à Orange County.
Quelque part en chemin, Duff a remplacé Ole ; ils ont donné quelques
concerts de plus, et composé quelques morceaux de plus. Je pense qu’au
cours de ces concerts d’Orange County, Tracii et Axl ont dû avoir une
grosse querelle. Tracii est parti peu de temps après, et puis un soir, Axl est
venu chez Tower et m’a demandé si cela m’intéresserait de contacter Izzy
pour composer quelques morceaux et mettre le groupe sur les rails. J’ai dû
faire une pause pour bien saisir tous les tenants et aboutissants de cette
proposition.
Axl et Izzy formaient un tout, et tous les autres musiciens qui
intégraient leur groupe devaient s’entendre avec les deux, mais Izzy avait
quitté Hollywood Rose trop vite pour vraiment me connaître. J’aimais bien
Izzy. Après tout, c’était lui que j’avais rencontré en premier, et j’appréciais
son style et admirais son talent. Travailler directement avec Izzy me
permettrait d’avoir une sorte de tampon entre Axl et moi. Axl et moi nous
entendions bien sur plusieurs plans, mais nous avions des personnalités
fondamentalement différentes. Nous étions attirés l’un par l’autre et
travaillions formidablement bien tous les deux, mais nous étions un cas
d’étude en matière de parfaits opposés. Izzy (et plus tard, Duff) serait une
aide précieuse. À l’époque, Izzy suffisait largement à atténuer les tensions.
Quelques jours plus tard, je suis allé chez Izzy ; il travaillait à un
morceau intitulé « Don’t Cry », auquel j’ai immédiatement accroché. J’ai
écrit quelques parties de guitare, et nous avons passé le reste de la soirée à
peaufiner ce morceau. C’était une séance très cool ; en jammant ensemble,
nous avons été très créatifs.
Nous nous sommes trouvé un lieu de répétition à Silverlake : Duff, Izzy,
Axl, Rob Gardner et moi. Tout le monde se connaissait, et dès le premier
soir, nous avons commencé à composer, et les choses ont rapidement pris
forme ; c’était l’un de ces moments magiques dont parlent les musiciens,
quand chaque musicien complète naturellement les autres, et qu’un groupe
devient une entité organique. Je n’avais jamais ressenti cela aussi
intensément de ma vie. C’était exactement le genre de musique que
j’aimais : du rock’n’roll brut, façon Aerosmith des débuts, AC/DC, Humble
Pie et Alice Cooper. Dans le groupe, chacun affichait fièrement ses
influences, et il n’y avait pas trace de cette ambiance typique de L.A., où le
but ultime semble être de décrocher un contrat. On ne se préoccupait pas
d’adopter les poses adéquates ou des refrains crétins qui nous
propulseraient au sommet des charts pop, ce qui, au final, nous garantirait
des nanas canons à volonté. Pour nous, ce genre de rébellion calculée
n’était pas une option ; nous étions une bande de rats d’égout trop enragée,
avec les mêmes goûts musicaux. Nous étions des passionnés, avec un but
commun et une conception bien particulière de l’intégrité. C’était la
différence entre eux et nous.
Slash en shredder dans Black Sheep, en 1985
Slash à la talk-box dans Hollywood Rose. À gauche, le bassiste Steve
Darrow.
Slash dans la course, 1985
Duff, Izzy, Matt et Slash au studio de répétition Mates, en plein bœuf
avant la formation de Velvet Revolver. Peut-être étaient-ils en train de
travailler un morceau intitulé « Snafu ».
8) Apprendre à vivre comme une bête
Nous n’étions pas vraiment le genre de personnes à accepter qu’on nous
dise non. Nous étions plutôt du genre à dire non nous-mêmes. Pris
individuellement, chacun de nous était aguerri, autonome, et habitué à faire
les choses uniquement à sa façon – la mort plutôt que le compromis. Quand
nous sommes devenus une entité, cette qualité a été multipliée par cinq,
parce que nous pouvions nous défendre mutuellement, aussi farouchement
que nous nous défendions nous-mêmes. Les trois définitions traditionnelles
du mot « gang » nous correspondaient parfaitement : nous étions 1) un
groupe étroitement lié pour des raisons sociales telles que des
comportements délinquants ; 2) des gens dont les goûts sont compatibles et
les intérêts communs, regroupés pour travailler ensemble ; et 3) un groupe
de personnes associées à des fins criminelles ou antisociales. Nous avions
aussi le même sens de la loyauté qu’un gang : nous ne faisions confiance
qu’à nos plus vieux amis, et nous trouvions tout ce dont nous avions besoin
chez les autres membres du groupe.
Notre volonté de groupe nous a amenés au succès de la manière que
nous voulions, mais ce n’est pas pour autant que la route a été facile. Nous
n’avions rien à voir avec les autres groupes du moment ; nous n’acceptions
pas facilement la critique – ni celle de nos pairs, ni celle des charlatans qui
essayaient de nous faire signer des contrats de management véreux, ni les
découvreurs de talents qui se battaient pour nous présenter un contrat. Nous
n’avons rien fait pour nous faire accepter, et nous méprisions le succès
facile. Nous avons attendu que notre réputation parle d’elle-même, et que
l’industrie du disque nous remarque. Et quand elle a fini par le faire, nous
les avons fait payer.
Nous répétions tous les jours, sur des morceaux des groupes des uns ou
des autres que nous connaissions et appréciions, comme « Move to the
City » et « Reckless Life », qui avaient été composés par une version ou
une autre de Hollywood Rose. Nous avions un micro pourri, et la plupart du
temps, nous composions donc la musique sans qu’Axl chante avec nous. Il
chantait à mi-voix, écoutait, et nous donnait son avis sur les arrangements
que nous discutions.
En trois soirs, nous avons concocté une liste de morceaux complète, qui
comprenait aussi « Don’t Cry » et « Shadow of Your Love », et nous avons
donc décidé à l’unanimité que nous étions prêts à affronter le public. Nous
aurions pu trouver un concert dans le coin, vu qu’à nous tous, nous avions
tous les contacts nécessaires, mais non : nous avons décidé qu’après trois
répétitions, nous étions prêts à faire une tournée. Et pas simplement un long
week-end de tournée des clubs aux environs de L.A. ; nous avons sauté sur
la proposition de Duff de nous organiser une série de concerts tout le long
de la route entre Sacramento et Seattle, sa ville natale. C’était parfaitement
improbable, mais à nos yeux, c’était tout à fait sensé.
Nous avons décidé de faire nos sacs et de partir quelques jours plus tard,
mais notre zèle a foutu la trouille à notre batteur, Rob Gardner, au point
qu’il a plus ou moins quitté le groupe sur-le-champ. Cela n’a pas surpris
grand monde, parce que si Rob savait jouer, il ne cadrait pas vraiment avec
nous, et ce dès le début ; il n’était pas fait du même bois que nous, il n’était
pas des nôtres : il n’était pas du genre à vendre son âme au rock’n’roll. Son
départ a été courtois – nous ne comprenions pas comment quelqu’un qui
avait participé à ces trois répétitions pouvait ne pas vouloir faire une
tournée le long de la côte, au sein d’un groupe inconnu, qui ne possédait
que son matériel et les vêtements qu’il avait sur le dos, mais nous avons
accepté sa décision. Néanmoins, cela n’allait pas nous arrêter, et j’ai donc
appelé le seul batteur à ma connaissance, qui accepterait de partir le soir-
même si je le lui demandais : Steven Adler.
Le lendemain, à la répétition, nous avons regardé Steven installer sa
double grosse-caisse bleu argenté, avant de s’échauffer avec quelques
roulements. Ses goûts esthétiques étaient discutables, mais ce problème
n’avait rien d’insurmontable. La situation a été rectifiée dans la plus pure
tradition Guns N’Roses : quand Steven s’est éclipsé pour aller pisser, Izzy
et Duff lui ont planqué l’une de ses grosses caisses, un des toms basses, et
quelques-uns des petits toms. Steven est revenu, s’est rassis, et a commencé
à donner le tempo du morceau suivant avant de s’apercevoir qu’il manquait
quelque chose.
« Hé, où est ma deuxième grosse caisse ? » a-t-il demandé, en regardant
autour de lui comme s’il avait fait tomber quelque chose en allant aux
toilettes. « J’en avais deux, en arrivant… Et mes autres fûts ? »
« T’inquiète pas, mec. Tu n’en as pas besoin, allez, donne-nous le
tempo », a répondu Izzy.
Steven n’a jamais récupéré sa grosse caisse, et c’est la meilleure chose
qui ait pu lui arriver. De nous cinq, c’était celui qui collait de la manière la
plus conventionnelle à son époque, ce qui, tout bien considéré, a été un
élément clé de notre son – mais il était hors de question que nous le
laissions nous marteler ça toute la journée. Nous l’avons harcelé pour qu’il
devienne un batteur basique, qui jouait du rock en 4/4, ce qui complétait
idéalement le jeu de Duff à la basse, tout en nous donnant, à Izzy et moi, la
liberté de mélanger un rock’n’roll bluesy avec le côté névrosé du punk
première génération. Sans parler des paroles d’Axl et de la manière dont il
les chantait. Axl avait une voix unique ; elle avait un son et une tessiture
formidables, et même si elle était souvent intense et agressive, elle
conservait une qualité bluesy extraordinaire, pleine d’émotion, à cause de la
formation lyrique d’Axl, qui, quand il était écolier, chantait dans le chœur
de son église.
À la fin de cette session d’essai, Steven a été engagé, et la formation
originelle de Guns N’Roses s’est retrouvée au complet, et remontée à bloc.
Duff avait organisé la tournée ; il ne nous manquait plus qu’un véhicule.
Tous ceux qui connaissent un musicien, qui a ou non du succès, savent bien
cela : en général, ils ont l’habitude d’ « emprunter » à leurs amis. Il ne nous
a fallu qu’un coup de fil et quelques arguments mineurs pour enrôler nos
potes Danny et Joe, dont nous abusions régulièrement de la loyauté et de la
voiture. Pour faire passer la pilule, nous avons baptisé Danny du titre de
« responsable de tournée », et Joe de celui de « roadie », et le lendemain, la
vieille Oldsmobile verte de Danny, un vrai tank, est arrivée dans la Vallée,
pour récupérer la remorque de location que nous avions remplie avec les
amplis, les guitares et la batterie.
Nous nous sommes entassés, tous les sept, dans cette Old du milieu des
années 70, et nous avons entrepris ce voyage, dont à mon avis personne,
sauf Duff, n’avait réalisé qu’il faisait plus de mille cinq cents kilomètres.
C’est juste après Fresno, à trois cents bornes de L.A. et à trois cents de
Sacramento, que la voiture nous a lâchés. Danny n’était pas le genre de type
à cotiser à l’AAA [American Automobile Association, une organisation de
dépannage, NDT], mais par chance nous sommes tombés en panne non loin
d’une station service, où nous avons poussé la voiture ; là, nous avons
appris qu’il faudrait compter quatre jours pour obtenir les pièces nécessaires
à la réparation d’un monstre de cet âge. À ce rythme-là, nous ne pourrions
assurer aucun des concerts.
Notre enthousiasme était trop fort pour être refroidi par des retards ou
autres considérations pratiques, et nous avons donc dit à Danny et Joe de
rester avec la voiture et le matériel jusqu’à ce qu’elle soit réparée, et de
nous retrouver à Portland (à quelque mille deux cents kilomètres de là),
l’une des étapes de la tournée. Puis de là, nous irions tous ensemble à
Seattle (trois cents kilomètres encore au-dessus) pour la dernière date de la
tournée, où nous retrouverions notre matériel. Un court instant, Danny et
Joe ont essayé de nous convaincre de rester avec eux à Fresno jusqu’à ce
que la voiture redémarre, mais ni cette option, ni celle, évidemment, de
faire demi-tour, n’ont été prises au sérieux. Nous n’avions même pas
réfléchi au moyen d’aller d’une ville à une autre, et encore moins au risque
de ne pas trouver d’amplis et de batterie à emprunter à l’arrivée.
Honnêtement, nous nous fichions bien de tout ça ; aucun de nous cinq n’a
hésité – nous avons pris la route, en faisant du stop.
Nous avons donné à Danny et Joe tout l’argent que nous pouvions pour
la voiture – environ vingt dollars – et nous nous sommes engagés sur la
bretelle d’accès à l’autoroute, nos guitares à la main. Les quelques heures
suivantes, au cours desquelles aucune voiture n’a ralenti en nous voyant,
n’ont pas entamé notre assurance. Nous restions plein d’entrain, et nous
avons pu tester l’efficacité des diverses configurations de stop à notre
disposition : cinq mecs, bagages planqués ; deux mecs sur la route, trois
autres planqués dans les buissons ; un mec avec sa guitare à la main ; Axl et
Izzy tout seuls ; Izzy et moi ; Axl et moi ; juste Steven, qui souriait en
agitant les bras ; juste Duff. Mais rien ne semblait fonctionner ; les gens de
Fresno ne voulaient pas de nous, sous quelque combinaison ou forme que
ce fût.
Il s’est passé presque six heures avant de voir arriver le tordu qu’il nous
fallait : un routier qui a accepté de nous prendre tous les cinq, entassés sur
le siège avant et sur la petite banquette derrière. Nous étions vraiment à
l’étroit, surtout avec les guitares et la conduite rapide et intense de ce type.
Il a généreusement partagé ses réserves avec nous, ce qui nous a bien aidés
à supporter ses interminables anecdotes sur sa vie de nomade : nous étions
tous les cinq enclins au sarcasme et au cynisme, ce qui fait qu’au début, ce
type complètement fou nous amusait vraiment. Mais cette nuit-là, le
lendemain et le surlendemain, en regardant par le pare-brise la route se
précipiter sur nous, j’aurais voulu être partout ailleurs, sauf là. Quand nous
nous arrêtions sur des aires de repos pour que ce type puisse dormir un peu
à l’arrière de sa cabine – pause qui était régulièrement irrégulière, allant
d’une demi-heure à la moitié de la journée – nous nous affalions sur des
bancs, composions des chansons devant le lever du soleil, ou nous
baladions, en shootant dans les détritus pour effrayer les écureuils.
Après deux jours de route, notre chauffeur a commencé à dégager une
odeur particulièrement forte, et son incessant bavardage, plutôt affable au
départ, a pris peu à peu une tournure bizarre et sombre. Nous avons tous
rapidement dû déchanter. Il nous a dit qu’il voulait faire un détour, pour
récupérer du speed auprès de « sa vieille », qui, selon moi, devait le
retrouver régulièrement le long de son circuit pour le ravitailler. La situation
n’avait pas l’air de devoir s’arranger. Dès qu’il s’est de nouveau arrêté sur
une aire de repos pour une de ses siestes sans fin, nous en avions trop marre
et nous étions trop fauchés pour en supporter davantage. Nous avons décidé
de diversifier nos options en retournant sur le bitume à la recherche d’un
autre chauffeur, tout en nous disant qu’au pire, le roi de la route nous
retrouverait et nous reprendrait dans son semi-remorque quand il se
réveillerait. Si ça se trouve, il ne s’imaginerait même pas que nous l’avions
planté là.
Nous n’avions pas beaucoup de chances d’être pris, parce qu’à nous
cinq, nous n’avions pas un iota de normalité, entre le trench en cuir rouge et
noir de Duff et nos blousons de cuir, nos cheveux longs, et la crasse due à
ces quelques jours sur la route. Je ne sais pas combien de temps nous avons
attendu, mais nous avons fini par être pris par deux filles dans un pick-up
couvert. Elles nous ont amenés jusqu’à la banlieue de Portland, et une fois
que nous sommes entrés dans la ville, tout a été au mieux – Donner, un pote
de Duff de Seattle, avait envoyé quelqu’un nous chercher, qui nous a
annoncé que Danny et Joe avaient appelé un peu plus tôt : apparemment, la
voiture n’était pas assez fiable pour le trajet, et ils étaient rentrés à L.A. En
même temps, on s’en fichait : on allait de l’avant, même si on avait raté tous
les concerts prévus jusque là. Ce n’était pas grave, tant que nous avions
toujours la possibilité de faire notre dernier concert de la tournée – il devait
avoir lieu à Seattle, et ce qui devait être notre dernière date est devenu le
premier concert de Guns N’Roses.
Notre arrivée à Seattle a été particulièrement triomphale, d’abord parce
que nous y étions arrivés (cette dernière partie du trajet s’est déroulée sans
encombre) et aussi parce que la maison de Donner était ce qui rapprochait
le plus du film Animal House [American College en français] à ma
connaissance. Le jour de notre arrivée, ils ont organisé un barbecue en notre
honneur, qui, du moins à mes yeux, a duré une éternité – la fête battait
toujours son plein quand nous nous sommes éclipsés, comme c’était le cas
quand les cinq étrangers de L.A. avaient franchi le pas de la porte sous les
hourras. Il y avait de l’herbe à volonté, de l’alcool à foison, et des gens qui
dormaient, planaient ou baisaient dans tous les coins. C’était une parfaite
« after » de concert de Guns N’Roses… qui avait commencé avant notre
premier concert.
Nous sommes arrivés chez Donner quelques heures seulement avant
l’heure prévue pour notre entrée en scène. Nous n’avions rien, à part nos
guitares, et nous avions vraiment besoin de trouver du matériel. Comme je
l’ai dit, avant de venir à L.A., Duff avait joué dans des groupes de punk
légendaires de Seattle, et il a pu tirer quelques ficelles : il a appelé Lulu
Gargiulo, des Fastbacks, et elle nous a tirés d’affaire en nous prêtant leur
batterie et leurs amplis. C’est elle, personnellement, qui a permis que le
premier concert de Guns N’Roses se fasse. Et j’aimerais la remercier de
nouveau à présent.
Le club s’appelait Gorilla Gardens, et c’était l’exemple-type du taudis
punk : c’était humide, sale et ça sentait la vieille bière. Il était situé au-
dessus de l’eau, sur un quai de déchargement qui lui donnait un vague
cachet marin, mais pas du tout pittoresque, rien à voir avec un dock en
bois : le club était tout au bout d’une jetée en béton, le genre d’endroit
qu’on voit dans les films de gangsters de la Côte Est, où les gangs font
affaire, et pour ne rien arranger, le soir où nous y avons joué, il pleuvait et il
faisait froid.
Nous sommes montés sur scène et avons fait notre concert, et la foule
n’était ni hostile ni accueillante. Nous avons joué quelque chose comme
sept ou huit morceaux – parmi lesquels « Move to the City », « Reckless
Life », « Heartbreak Hotel », « Shadow of Your Love » et « Anything
Goes » – et ça n’a pas duré très longtemps. Ce soir-là, nous avons proposé
une version brute de ce qu’était le groupe ; le temps que cette énergie
nerveuse se dissipe, du moins pour moi, le concert était terminé. Cela dit,
nous avons eu très peu de déraillements dans les arrangements, et tout bien
considéré, c’était plutôt un bon concert… jusqu’au moment de nous faire
payer. C’est alors devenu une bataille acharnée, qui préfigurait ce qui allait
passer dans les débuts de notre carrière.
Le gérant du club a refusé de nous régler les 150 $ qu’il nous avait
promis. Nous avons affronté cet obstacle comme nous l’avions fait tout au
long du voyage – en groupe. Nous avons démonté notre matériel, l’avons
sorti du club, et avons acculé ce mec dans son bureau. Duff lui a parlé,
pendant que nous les entourions, l’air impressionnant, et lâchant deux ou
trois menaces pour faire bonne mesure. Nous avons bloqué la porte et
l’avons gardé en otage jusqu’à ce qu’il nous file 100$ sur ce qu’il nous
devait. Il nous a sorti une excuse merdique pour les 50$ dont il nous
escroquait. Nous n’avions pas envie d’aller au fond des choses, alors nous
avons pris ces 100$, que nous nous sommes partagés.
IL Y A UNE IMAGE QUI ME RESTE DE CES JOURS À Seattle et qui, pour moi, les
résume bien. C’est une télé à l’envers. Je me revois, à moitié couché sur un
lit, la tête pendant au pied du canapé-lit jusqu’à toucher le sol. Autour de
moi, il y avait des gens que je ne connaissais pas, mais tout aussi défoncés,
et j’étais tellement déchiré que j’avais l’impression d’avoir trouvé la
meilleure position au monde. Le sang me montait au cerveau, tandis que je
restais là, la tête en bas, à regarder L’abominable Dr Phibes, avec Vincent
Price, et je n’avais pas la moindre envie de faire autre chose.
Après une « after » de deux jours chez Donner, nous sommes remontés
dans la voiture de sa copine, que nous appellerons Jane. Soit elle était folle,
soit elle nous aimait assez pour nous ramener jusqu’à L.A. Je ne sais
toujours pas. Nous avons roulé jusqu’à Sacramento, à plus de mille
kilomètres de là, avant de faire notre première pause. Elle était plus que
nécessaire : Jane n’était pas du genre à avoir une voiture avec une
climatisation en état de marche, et vu la chaleur estivale, poursuivre notre
route aurait pu s’avérer fatal.
Nous avons garé la voiture et avons passé l’après-midi à errer près du
Capitole de cet état, à mendier quelques sous pour nous acheter à manger.
Au bout de quelques heures, nous avons rassemblé nos gains et avons foncé
au McDonald’s, et nous avons obtenu à peine de quoi nous nourrir tous les
six. Ensuite, nous nous sommes allongés dans le parc en face du Capitole, à
l’ombre des chênes, pour nous soulager un peu de la chaleur. Elle est
devenue tellement intolérable que nous avons sauté une clôture et nous
sommes réfugiés dans la piscine d’une maison de convalescence. On se
foutait totalement d’être entrés par effraction ; et même si on s’était fait
arrêter, les choses n’auraient pu que s’améliorer – au moins, en prison, il y
aurait à manger et une climatisation plus performante que dans la voiture de
Jane. Quand le soleil s’est couché et que la température a suffisamment
diminué pour nous permettre de remonter dans ce truc, nous sommes
retournés sur la route.
Je ne l’ai compris que plusieurs années après, mais ce voyage nous a
soudés, en tant que groupe, plus que nous ne l’avions cru ; cette expédition
nous a permis de tester notre motivation. Nous avions fait la fête, nous
avions joué, nous avions survécu, nous avions souffert, et nous avions
emmagasiné suffisamment d’histoires à raconter pour le reste de notre vie,
et ce en deux semaines seulement. Ou en une semaine ?… Il me semble que
ça a duré une semaine… Mais qu’est-ce que j’en sais ?
IL EST LOGIQUE QUE LE PREMIER CONCERT DES GUNS ait eu lieu à Seattle,
parce que même si nous habitions à L.A., nous avions autant de points
communs avec les groupes de « L.A. » que le climat de Seattle avec celui
de la Californie du Sud. Notre principale influence était Aerosmith, surtout
en ce qui me concernait, et puis il y avait T-Rex, Hanoi Rocks et les New
York Dolls. Je pense qu’on peut même dire qu’Axl était une autre version
de Michael Monroe.
Nous étions donc de retour à L.A., et notre premier concert ensemble
était derrière nous. Nous étions tous prêts à retourner répéter, et à profiter de
cet élan. Nous nous sommes retrouvés dans ce studio à Silverlake, et après
la répétition, nous nous sommes entassés dans la petite Toyota Celica de
Duff pour rentrer à la maison. À un croisement, alors que nous nous
apprêtions à tourner à gauche, un type nous a emboutis, à près de cent à
l’heure. Steven a eu la cheville cassée, parce qu’il avait allongé les jambes
entre les deux sièges avant, et tout le monde a été plus ou moins amoché,
moi moins que les autres – je m’en suis sorti sans une égratignure. Cela a
été un petit accident assez méchant ; la voiture de Duff était morte, et nous
aurions pu l’être aussi. Cela aurait été une sacrée ironie du sort : le groupe
anéanti au complet, maintenant que nous étions au complet.
NOUS AVONS COMMENCÉ À FRÉQUENTER QUELQUES-unes des figures du
rock’n’roll les plus glauques de L.A. ; elles faisaient partie d’un demi-
monde que le fan du rock plus classique de Sunset Strip méconnaissait.
Parmi ces personnalités, il y avait Nicky Beat, qui a été, une minute, le
batteur de L.A.Guns, mais qui a surtout passé son temps à jouer dans des
groupes de glam moins connus, comme The Joneses. Nicky n’était pas
spécialement glauque, mais il avait beaucoup de copains glauques. Il avait
aussi une salle de répétition dans sa maison de Silverlake, où nous avons
installé notre matériel et où nous venions jammer, et c’est là que le groupe a
vraiment pris forme. Izzy a amené quelque chose intitulé « Think About
You », qu’on aimait bien, et on a retravaillé « Don’t Cry », la première
chanson que j’avais bossée avec Izzy. Izzy avait un autre riff, pour un
morceau intitulé « Out Ta Get Me », qui m’a tout de suite accroché la
première fois que je l’ai entendu – on a bouclé ce morceau en un rien de
temps. Axl s’est souvenu d’un riff que je lui avais joué à l’époque où il
habitait chez ma mère, ce qui nous semblait déjà dater de plusieurs siècles :
c’était l’intro et le riff principal de « Welcome to the Jungle ». Ce morceau
est sans conteste la première vraie chanson que le groupe a composée
ensemble. On était assis, pendant une répétition, à essayer de composer un
nouveau morceau, quand Axl s’est souvenu de ce riff.
« Hé, et ce riff que tu m’as joué, il y a un bout de temps ? » m’a-t-il
demandé.
« Quand tu habitais chez moi ? » ai-je répondu.
« Ouais. Il était bien. Fais-nous écouter ça. »
J’ai commencé à jouer, et immédiatement Steven a trouvé un rythme,
Duff nous a rejoints avec une ligne de basse, et c’était parti. Je n’arrêtais
pas de leur proposer des éléments, à partir desquels nous avons construit la
chanson : le refrain, le solo, tandis qu’Axl écrivait les paroles.
Duff a vraiment été le ciment de ce morceau – c’est lui qui a trouvé le
break, cette ligne de basse grondante complètement folle, et c’est Izzy qui a
fourni la texture. En à peu près trois heures, le morceau était fini. Les
arrangements étaient à peu de chose près ceux qui apparaissent sur l’album.
Il nous manquait une intro, et je l’ai trouvée ce jour-là grâce à l’effet
numérique d’écho sur ma pédale d’effets Boss, un truc bon marché. C’était
vraiment une bonne acquisition, parce que même si elle n’était pas terrible,
c’est cette pédale qui produit cet effet d’écho tendu qui donne le ton du
morceau, et qui donne aussi le coup d’envoi de notre premier album.
Bon nombre de nos premiers morceaux nous sont venus avec la même
facilité ; « Out Ta Get Me » a vu le jour en une après-midi, encore plus
rapidement que « Jungle ». Izzy est arrivé avec le riff et les grandes lignes
du morceau, et dès qu’il s’est mis à jouer, les notes m’ont interpellé et
inspiré. Cette chanson s’est faite tellement vite, qu’il me semble que même
la partie la plus compliquée – les doubles parties de guitare – n’a pas pris
plus de vingt minutes à écrire.
Je n’avais jamais fait partie d’un groupe qui pouvait créer de manière si
fluide de la musique qui m’inspirait tellement. Je ne peux pas parler au nom
des autres, mais vu la vitesse à laquelle notre créativité collective s’est mise
en marche, je suppose qu’ils ressentaient un peu la même chose que moi.
Nous semblions alors partager ce savoir commun et une espèce de langage
secret ; c’était comme si nous savions déjà tous ce que l’autre allait amener
à la répétition, et que nous avions déjà composé l’élément parfait pour faire
avancer le morceau. Quand nous étions tous sur la même longueur d’onde,
c’était aussi simple que ça.
NOUS EMPRUNTIONS DES TRUCS À DES FILLES, ET au départ, nous avions un
look glam un peu trash, mais beaucoup plus destroy. Mais rapidement, nous
avons eu la flemme de nous maquiller et tout, ce qui fait que notre époque
glam n’a pas duré longtemps. En plus, les vêtements posaient aussi
problème, parce que nous changions souvent de copine, et qu’on ne pouvait
jamais savoir ce que la suivante allait porter. Par ailleurs, je crois que ce
look ne m’allait pas vraiment – je n’avais pas le physique de l’emploi : je
n’étais ni maigre, ni blanc, et je n’avais pas les cheveux longs. Laisser
tomber tout cela a fini par jouer en notre faveur : nous étions plus âpres,
plus traditionnels et plus authentiques ; davantage un produit de Hollywood
que de la scène glam de L.A.
Nous étions aussi le groupe de rock’n’roll le plus en marge. Nous
adorions détonner, et nous acceptions tous les concerts qu’on nous
proposait. Nous répétions tous les jours, et les nouveaux morceaux
prenaient rapidement forme ; nous les rodions devant des foules apathiques
dans des salles comme Madame Wong’s West, le Troubadour et le Whisky.
Pour moi, tout ce que nous faisions chaque jour était un pas de plus sur une
route où tout était possible. Dans mon esprit, les choses étaient simples : si
nous nous concentrions uniquement sur le prochain obstacle à franchir, nous
irions du point A au point C en un rien de temps, quelle que fût la distance.
À chaque nouveau concert que nous donnions, nous nous faisions de
nouveaux fans – et en général quelques nouveaux ennemis. Cela ne faisait
rien : comme nous attirions de plus en plus de monde, nous pouvions plus
facilement organiser de nouveaux concerts. Dès le départ, nos fans ont
toujours été très variés : nous avions des punks, nous avions des hardos,
nous avions des drogués, nous avions des psychotiques, un ou deux tarés, et
quelques âmes errantes. Ils n’ont jamais été faciles à identifier ou à
quantifier… en fait, après toutes ces années, j’ai encore du mal à trouver un
terme qui les regrouperait tous – ce qui me convient très bien. Les fans de
Guns, les purs et durs, étaient, je suppose, des âmes sœurs : des déjantés qui
revendiquaient leur statut de parias.
Dès que notre réputation a commencé à grandir sur le plan local, nous
avons pris contact avec Vicky Hamilton, un manager qui avait aidé Mötley
Crüe et Poison à leurs débuts. Vicky était une grosse blonde platine, d’un
mètre soixante-dix, avec une voix geignarde, qui croyait tout bonnement en
nous, et qui nous l’a prouvé en nous faisant de la publicité gratuitement.
J’aimais beaucoup Vicky – elle était très sincère et ne nous voulait que du
bien ; elle m’aidait à faire imprimer des affiches pour nos concerts, faisait
paraître des annonces dans le L.A. Weekly et se chargeait des relations avec
les organisateurs de concerts. J’ai travaillé main dans la main avec elle, à
faire tout ce que je pouvais pour faire avancer notre cause ; grâce à elle, tout
a vraiment commencé à décoller.
Nous avons commencé à jouer au moins une fois par semaine, et
comme nous étions de plus en plus en vue, nous avions d’autant plus besoin
d’avoir de nouveaux vêtements – mes trois T-shirts, mon blouson de cuir
d’occasion, un jean et un pantalon de cuir risquaient de ne pas suffire. J’ai
décidé qu’il était temps de remédier à cela l’après-midi précédant notre
premier concert au Whisky, en tant que tête d’affiche du samedi soir.
Je n’avais pas les moyens de faire grand-chose, alors je suis allé flâner
dans les boutiques de Hollywood, à chercher des bricoles. Dans un magasin
appelé Leathers and Treasures [Cuirs et Trésors], j’ai volé une ceinture à
cabochons noir et argent, exactement comme celle que portait toujours Jim
Morrison. Je pensais la mettre sur mon jean ou mon pantalon de cuir (que
j’avais trouvé dans la benne à ordures de l’immeuble de ma grand-mère), et
j’ai continué mon shopping. Et puis j’ai vu un truc intéressant dans une
boutique appelée Retail Slut [Salope à vendre]. Je n’avais absolument pas
les moyens de me l’offrir, et pour la première fois je ne voyais pas du tout
comment j’allais pouvoir le voler – mais je savais qu’il me le fallait.
C’est difficile de cacher un haut-de-forme noir sous un T-shirt, encore
qu’on m’en a tellement volé au fil des années, qu’il doit y avoir une
technique efficace que je ne connais pas. En tout cas, je ne sais pas si les
vendeurs m’ont vu, et si oui, je ne sais pas s’ils s’en fichaient ou non, quand
j’ai carrément enlevé le haut-de-forme du mannequin avant de me diriger
nonchalamment vers la sortie, sans me retourner. Je ne sais pas pourquoi, ce
chapeau m’interpellait.
En rentrant dans l’appartement que j’habitais à l’époque, j’ai réalisé que
mes nouveaux « achats » rendraient beaucoup mieux en ne faisant qu’un :
j’ai coupé la ceinture pour l’adapter autour du chapeau, et j’ai été ravi du
résultat. J’ai été encore plus ravi en découvrant que, si j’enfonçais mon
nouvel accessoire aussi loin que possible sur ma tête, je pouvais voir sans
être vu. On m’objectera qu’un guitariste est de toute façon caché derrière
son instrument, mais ce chapeau m’apportait un confort supplémentaire et
impénétrable. Et même si je n’ai jamais prétendu à l’originalité, ce chapeau
était à moi – un signe distinctif qui fait aujourd’hui partie intégrante de mon
image.
QUAND LES GUNS ONT COMMENCÉ À DÉCOLLER, JE TRavaillais dans un
kiosque à journaux sur Fairfax et Melrose. Je vivais à plein temps avec
Yvonne, avec qui nous passions notre temps à rompre puis à nous remettre
ensemble, jusqu’au jour où elle en a eu ras-le-bol et où nous avons de
nouveau rompu, ce qui a fait de moi un SDF. Mon ancienne manager au
kiosque, Alison, m’a laissé coucher dans son salon, en échange de la moitié
du loyer. C’était une très jolie rasta, avec un appartement sur Fairfax et
Olympic, qui allait à la fac le soir. Alison était mignonne, mais j’ai toujours
trouvé qu’elle était un peu vieille pour moi, ou moi un peu jeune pour elle ;
dans un cas comme dans l’autre, nous n’avons jamais eu ce genre de
relations. Nous nous entendions très bien, et lorsqu’elle a lâché le kiosque
pour un meilleur boulot, j’ai eu la chance de prendre sa suite.
Alison m’a toujours traité comme un petit chat qu’elle aurait recueilli, et
je ne l’ai jamais détrompée. Quand j’étais son locataire, je ne prenais pas
beaucoup de place. Tous mes biens consistaient en une guitare, une malle
noire remplie de magazines de rock, des cassettes, un réveil, et les
vêtements que je possédais ou que des copains et des copines m’avaient
donnés. Il y avait aussi mon serpent, Clyde, dans sa cage.
Mais mon travail au kiosque a brutalement pris fin au cours de l’été 85,
le jour où une station de radio rock locale, KNEC, a organisé une fête à
Griffith Park, avec des navettes gratuites au départ du Hyatt sur Sunset
Strip. Je suis allé là-bas après le boulot, avec deux flasques de Jack Daniel’s
dans les poches de mon jean, sans penser une seconde que j’étais censé
ouvrir le kiosque à cinq heures du matin le lendemain. Dans mon souvenir,
c’était une nuit d’été pleine de débauche : tout le long du trajet du bus dans
la ville, les gens se faisaient passer des bouteilles et des joints. Il y avait
plein de personnalités et de musiciens locaux à bord et, une fois sur place, il
y avait de la musique et un barbecue. Sur l’herbe, de nombreuses personnes
se livraient à diverses activités.
Cette nuit-là, j’étais tellement déchiré que j’ai ramené une fille chez
Alison, et alors que j’étais en train de la sauter sur le sol du salon, Alison
est rentrée et nous a pris sur le fait. Elle n’a pas eu besoin de parler – je
voyais bien, à son expression, qu’elle était tout sauf ravie. Je suis resté avec
cette fille jusqu’à ce que ce soit l’heure d’aller travailler. Le temps qu’elle
s’habille et qu’elle s’en aille, j’étais déjà en retard et mon patron, Jake, avait
téléphoné. Il m’avait déjà dans le collimateur, parce que je me servais tout
le temps du téléphone du kiosque pour régler les affaires du groupe, à tel
point qu’il avait commencé à m’appeler pendant mes heures de travail pour
me prendre sur le fait, ce qui était difficile. À cette époque, il n’y avait pas
de système de mise en attente, et j’étais tout le temps au téléphone, ce qui
fait que Jake passait des heures à essayer de m’avoir simplement pour
m’engueuler. Il va sans dire que ce jour-là, il était passablement énervé
d’avoir dû ouvrir à ma place.
« Ouais, Jake, je suis désolé », ai-je marmonné, encore très soûl, la
deuxième fois qu’il a appelé. « Je sais que je suis en retard, j’ai été retenu.
Mais j’arrive. »
« Oh, tu arrives ? » a-t-il demandé.
« Ouais, Jake, je suis là dans une minute. »
« Eh bien non, a-t-il dit. C’est pas la peine. Ni aujourd’hui, ni demain.
Plus jamais. »
Je me suis arrêté une minute pour digérer cette information. « Tu sais,
Jake, ça m’a l’air d’être une bonne idée. »
À CETTE ÉPOQUE, DUFF ET IZZY VIVAIENT TOUJOURS en face l’un de l’autre
sur Orange Avenue. Duff avait la même mentalité de musicien laborieux
comme moi – tant que le groupe n’était pas vraiment lancé, il n’était pas à
l’aise s’il ne travaillait pas, même si son travail était d’une moralité
douteuse. Il était télévendeur, ou télévoleur, selon les points de vue : Duff
faisait du télémarketing pour l’une de ces compagnies qui promettent aux
gens un prix quelconque en échange d’une petite contribution pour « les
frais d’envoi ». J’avais fait un peu la même chose avant de travailler à la
fabrique de pendules : je passais la journée à appeler des gens, à qui je
promettais un jacuzzi ou des vacances sous les tropiques s’ils voulaient bien
« confirmer » leur numéro de carte bleue pour régler les « frais
d’inscription ». C’était un sale boulot, vraiment du vol, et je suis parti la
veille d’une descente de police.
Axl et Steven étaient prêts à tout pour ne pas avoir à faire un « vrai »
travail, et ils s’en sortaient donc grâce à la rue ou à ce que leurs copines leur
prêtaient. Mais je me rappelle qu’à l’occasion, Axl et moi avons travaillé
ensemble comme figurants sur des tournages. Nous sommes dans la foule
dans quelques plans du L.A. Sports Arena dans Touch and Go, un film avec
Michael Keaton, dans lequel il incarne un joueur de hockey. Nous nous
fichions bien d’être filmés, tant que nous étions nourris et payés à ne rien
faire : on arrivait le matin, on prenait nos tickets-repas, avant de nous
trouver un coin sous les gradins où on pourrait dormir sans être repérés. On
se réveillait à l’heure du déjeuner, pour aller manger avec le reste de la
foule, et puis on retournait dormir jusqu’à l’heure de fermeture, où on allait
chercher notre chèque de cent dollars.
J’aimais bien être le figurant le moins travailleur du milieu, aussi
souvent que je pouvais : je ne voyais absolument aucun mal à un déjeuner
gratuit et à une après-midi payée à dormir. Je m’attendais à la même chose
quand j’ai été repéré par un directeur de casting pour le film Sid and Nancy.
À notre insu, ce directeur de casting avait repéré, dans divers endroits, tous
les membres de Guns N’Roses, un à un. Le premier jour du casting, on s’est
tous retrouvés, l’air de dire : « Hé… mais qu’est-ce que tu fais là ? »
Ce n’était pas très drôle ; à vrai dire, c’était un peu comme faire partie
d’un jury : il y avait un enclos plein de figurants, mais nous avons été
sélectionnés tous les cinq pour la même scène de concert, au cours de
laquelle les « Sex Pistols » se produisaient dans un petit club. Le tournage
demandait qu’on arrive tôt le matin, trois jours consécutifs, en échange du
ticket-repas habituel et des cent dollars par jour. Cet engagement de trois
jours était trop long pour les autres. Finalement, j’ai été le seul à être assez
pathétique pour venir les trois jours.
Mais merde, je me suis éclaté ; pendant trois jours, ils ont filmé ces
scènes de concert des « Sex Pistols » au Starwood, un club que je
connaissais par cœur. Je venais le matin, pointais à l’arrivée et recevais mon
ticket-repas, avant de disparaître dans les entrailles du Starwood et de me
bourrer la gueule tout seul au Jim Beam. Tandis que les autres figurants
jouaient leur rôle en assistant au concert devant la scène, moi je voyais tout,
caché dans un coin du balcon – et j’étais payé pareil.
QUAND GUNS N’ROSES EST DEVENU UN GROUPE DE club avec lequel il a
fallu compter, quelques ridicules managers de L.A. ont commencé à nous
tourner autour, comme des requins, en affirmant qu’ils allaient faire de nous
des stars. À ce moment-là, nous nous étions séparés à l’amiable et
temporairement de Vicky Hamilton, et nous étions donc ouverts à toute
proposition, mais la plupart de celles qu’on nous faisait étaient
complètement débiles. L’un des exemples qui illustre le mieux jusqu’où ces
types sont prêts à descendre, et ce qui risquait de nous arriver si nous avions
commis cette erreur, c’est celui de Kim Rowley, le personnage tristement
célèbre pour avoir managé les Runaways comme Phil Spector avait managé
les Ronettes ; en gros, c’était une forme légale de servitude volontaire. Kim
a déployé pour nous tous ses talents, mais quand il a commencé à parler du
pourcentage qu’il prendrait sur nos droits d’auteur et de l’engagement
créatif à long terme que nous devrions avoir vis-à-vis de lui, nous avons très
bien compris ce qu’il avait en tête. Ses conneries et son attitude parlaient
d’elles-mêmes, parce que Kim est un mec trop bizarre pour dissimuler.
Mais je l’aimais bien, et j’aimais bien passer du temps à m’amuser avec
lui – tant qu’il gardait ses distances. Le reste du groupe était fait du même
bois : nous étions prêts à profiter de tout ce qu’on voudrait bien nous
proposer, sans rien promettre en retour. Axl restait tant que la conversation
valait le coup, parce qu’Axl adore parler. Steven restait s’il y avait des
filles. Et j’étais prêt à consommer d’innombrables repas gratuits de chez
Denny’s, des cigarettes, des boissons et des drogues en échange de la
conversation que je devais supporter. Quand tout ce qui nous avait tout
d’abord attirés s’épuisait, nous tirions notre révérence un par un.
Kim nous a présenté un certain Dave, qui avait été un temps responsable
de tournée pour Alice Cooper et avait travaillé avec Parliament-Funkadelic,
Dieu sait quand, et ils étaient tous les deux très motivés pour nous signer et
se charger de nous pour le pire et le meilleur. Un soir, Kim m’a emmené
chez Dave pour que je le rencontre, et je revois Dave nous montrer ses
disques d’or. Tout dans son attitude disait : « Hé, gamin, ça pourrait être
toi. » Je suppose que c’est pour me séduire davantage qu’il avait invité deux
filles, assez jeunes pour être ses filles, et qui ont passé la nuit à prendre du
speed dans la salle de bains. À un moment, Dave m’a traîné dans la salle de
bains, et ces filles n’avaient apparemment pas la moindre idée de ce
qu’elles étaient en train de faire. Elles étaient si maladroites que j’avais
envie de leur enlever la seringue pour les piquer moi-même. Dave était à
fond, et, dans la lumière insupportable des néons de cette salle de bains, il
s’est déshabillé et a commencé à batifoler avec ces filles – qui n’avaient pas
plus de dix-neuf ans – avant de m’inviter à me joindre à eux. Je me rappelle
avoir pensé que, parmi tous les aspects glauques de cette scène, le pire était
la lumière. En imaginant ce type en train de manager notre groupe, et Kim
Fowley avec sa collection de disques d’or préhistoriques, j’ai eu du mal à
ne pas me mettre à rire hystériquement devant lui. Ç’aurait été un suicide
professionnel, avant même d’avoir quelque chose à perdre. De toute façon,
nous n’aurions jamais eu la moindre chance si le management avait été
aussi débauché que le groupe.
TANDIS QUE LES GUNS CONTINUAIENT À RÉPÉTER, À composer et à donner
des concerts, bref à travailler pour définir qui nous étions, j’ai commencé à
sortir davantage. Tout à coup, il y avait des groupes que j’avais vraiment
envie de voir, parce que la scène musicale était enfin en train de changer : il
y avait des groupes comme Red Kross, un groupe de glam mais bien
rugueux, et, à l’opposé, des groupes comme Jane’s Addiction, un groupe
génial et qui m’intéressait, mais qui ne jouait pas dans la même cour que
nous. Nous avons donné des concerts avec certains de ces groupes plus
obscurs et plus artistes – je me souviens d’une soirée au Stardust Ballroom
– mais ils ne se sont jamais très bien passés. Les groupes de cette mouvance
ne nous considéraient pas comme branchés, parce qu’ils nous voyaient
comme un combo glam du côté du Troubadour davantage que nous l’étions.
Ce que ces groupes ignoraient, c’était que nous étions probablement plus
sombres et plus sinistres qu’eux. Ils ne réalisaient pas non plus que nous ne
supportions pas ceux de nos pairs qui venaient de l’autre côté de la ville.
En fait, à mesure que notre popularité grandissait, nous avons
commencé à déclarer la guerre aux groupes qui venaient de « notre » côté
de la ville. Nous n’allions jamais les provoquer, mais au bout d’un moment,
tous ceux avec qui nous jouions avaient peur de nous, parce qu’Axl avait la
réputation d’être versatile et de péter les plombs soudainement. Plusieurs
soirs, j’étais avec lui quand nous nous sommes retrouvés dans des bagarres
foutrement sérieuses avec de parfaits inconnus, sans aucune raison valable
dont je me souvienne. Pour Axl, il y avait forcément une bonne raison, mais
pour moi, c’était juste une bagarre avec des types dans la rue – littéralement
– parce que quelqu’un l’avait regardé de travers ou lui avait dit un mot de
trop. Néanmoins, je dois bien reconnaître… qu’on s’est bien marré, nom de
Dieu !
Je dirais que ma vie a perdu tout ce qui lui restait de stable et de
« régulier » le jour où je me suis fait virer de mon travail au kiosque.
Comme je l’ai dit plus tôt, je vivais chez Alison, mon ancienne manager
pour ce boulot, à qui je louais quelques mètres carrés de son salon, mais
quand j’ai été viré, sa charité et mes chèques de fin de mois ont pris fin.
Sans domicile, j’ai pris mon serpent, ma guitare et ma malle noire, et je suis
allé m’installer dans la salle de répète des Guns, dont Axl et moi sommes
rapidement devenus des résidents permanents. Izzy, Steven et Duff avaient
des copines chez qui ils squattaient – Izzy et Duff avaient même leurs
propres appartements. Axl et moi étions les seuls sans nulle part où aller.
Notre « studio » de répétition était plutôt brut de décoffrage ; c’était l’un
des trois box d’un immeuble sur Sunset et Gardner, qui étaient censés
accueillir des cartons ou des voitures, mais pas des gens. La porte était un
volet roulant en aluminium ondulé, comme ceux que l’on trouve sur les
garages bon marché, le sol était en béton ciré, et nous étions les seuls
locataires à avoir choisi d’habiter notre espace de six mètres sur quatre
cinquante. Ce lieu était complété par des toilettes communes à cinquante
mètres, mais la plupart du temps, je préférais pisser dans les buissons, en
face de notre « foyer », de l’autre côté de l’allée. Nous avions baptisé cet
endroit « l’Hôtel et les Villas Sunset et Gardner ».
Notre salle de répète ne pouvait même pas passer pour un lieu de vie,
déjà parce qu’elle n’était même pas censée être une salle de répète – c’était
un simple espace de stockage, tout juste décent.
Finalement, Izzy a décrété qu’Axl et moi aurions au moins un vrai lit, et
c’est ainsi qu’un jour, avec Steven, ils ont trouvé quelques poutres, et nous
ont bricolé une mezzanine à deux places au-dessus de la batterie. Cette
innovation a été aussi unanimement saluée que l’arrivée de la chasse d’eau
dans l’Angleterre du XVIIIe siècle. Une seconde amélioration a permis de
transformer encore notre « appartement » commun en foyer – un barbecue à
charbon de type hibachi que l’un de nous avait soit volé, soit acheté. Je ne
m’en suis jamais servi, parce que même si j’apprécie la bonne cuisine, je
n’ai jamais pris le temps de m’y mettre, mais Steven et Izzy arrivaient à
nous concocter des repas tout à fait corrects sur ce truc.
Nous travaillions beaucoup à composer et répéter tous les jours là-bas,
mais comme Axl et moi vivions là à plein temps, notre salle de répète est
rapidement devenue une destination de fin de soirée clandestine et discrète,
sans aucune règle. Tous les soirs ou presque, on pouvait trouver l’un de
nous en train de baiser dans la mezzanine ou dehors, un autre effondré entre
un ampli et la batterie, et en général, quelques amis qui buvaient et se
droguaient dans l’allée, jusqu’au lever du soleil. Nous avons écrit plusieurs
bonnes chansons dans ce garage, en nous inspirant de ce que nous avions
autour de nous. Parmi elles, « Night Train », « My Michelle » et « Rocket
Queen ».
« Night Train » est née de la combinaison de plusieurs moments. Je me
rappelle avoir tout d’abord travaillé le riff principal du morceau avec Izzy,
assis sur le sol humide de cet endroit, juste avant de partir de chez Alison.
Nous ne savions pas où cette chanson allait nous mener, et nous n’avions
pas d’idée de sujet, mais le groove était tellement juste, nous étions sur la
même longueur d’ondes et nous en avons discuté. Je me souviens que je ne
me sentais pas très bien, et le lendemain, j’avais une mauvaise angine. Je
suis resté couché, malade, sur le canapé d’Alison, pendant deux jours, mais
dans l’intervalle, Izzy avait joué à Duff ce que nous avions composé, et
Duff l’avait travaillé, en y ajoutant un groove et en transformant nos riffs en
un instrumental correct.
Aucun de nous n’avait d’idée de paroles pour ce morceau, mais il nous
inspirait beaucoup, et il flottait dans la conscience du groupe jusqu’au jour
où nous lui avons trouvé le support adéquat, à savoir la célébration de notre
boisson préférée, le Night Train.
Nous déambulions un soir sur Palm Avenue, une rue réputée dans notre
milieu, parce qu’on y trouvait plus d’une fille de mauvaise vie, quelques
droguées de nos connaissance, ainsi que Lizzy Grey, le guitariste de
London. À cette époque, nous passions beaucoup de temps dans ce quartier,
parce que nous y connaissions un peu trop de monde, et du coup, chaque
fois que nous nous retrouvions là-bas, nous savions que quelque chose se
préparait. Cette nuit-là, nous partagions une bouteille de Night Train, un
« vin » à 18 degrés et qui, dans le temps, coûtait moins de deux dollars la
bouteille. C’était le vin le moins cher que l’on pouvait trouver, et nous en
buvions à outrance quand c’était à nous de payer. Ça n’a l’air de rien, mais
vraiment, ça vaut le coup ; si vous n’avez jamais goûté, vous risquez de ne
pas comprendre pourquoi nous nous sommes mis à improviser des paroles
en l’honneur de ce vin, tout en arpentant Palm Avenue.
Je ne me rappelle pas qui a commencé, mais quelqu’un s’est soudain
mis à brailler le refrain : « I’m on the Night Train ! » [Je suis dans le « train
de nuit »]. Nous nous sommes tous joints à lui, et Axl s’est mis à rajouter
des paroles qu’il improvisait : « Bottoms up ! » [cul-sec], « Fill my cup »
[remplis mon verre], « Love that stuff » [j’adore ce truc] et « I’m ready to
crach and burn ! » [je suis prêt à me crasher en flammes]
Le morceau nous est venu dans l’un de ces moments extraordinaires,
tout comme « Paradise City ». « Night Train » était un hymne que nous
avons trouvé en un instant, sans vraiment réaliser à quel point ce morceau
restituait bien ce que nous étions à ce moment précis. Tout comme
« Paradise », il a une certaine innocence ; c’est quasiment une comptine,
une mélodie gentillette fredonnée par des gosses dans un parc… des gosses
sinistres dont le parc est en fait une contre-allée glauque.
Cette chanson nous a vraiment remontés à bloc. Je ne me rappelle pas si
on s’y est mis le soir-même, en rentrant dans notre garage de répète, ou le
lendemain matin, mais en un jour, on l’avait terminée. Axl a écrit les
paroles, nous avons ajusté un peu les différentes parties de la chanson entre
elles, et voilà le travail. Nous l’avons testée lors de notre concert suivant, et
elle fonctionnait. Elle fonctionnait vraiment. Ce morceau a un tel rythme
dans les couplets, que dès le début, il m’a toujours rendu dingue. Même la
première fois qu’on l’a jouée, je me suis mis à sauter dans tous les sens – je
ne pouvais pas m’en empêcher. Bien plus tard, quand on a eu notre énorme
scène, je la traversais en courant, sautais des amplis, et je me lâchais
complètement chaque fois qu’on la jouait. Je ne sais pas pourquoi, mais
aucun autre morceau que nous ayons joué en concert ne m’a fait cet effet-là.
Nous avons composé encore un classique, dans notre garage : « My
Michelle ». C’est là qu’est née la musique, en, je crois, quelques après-midi.
Il me semble qu’Izzy et moi avons trouvé la structure de base, et puis,
comme d’habitude, Duff a apporté exactement ce dont la chanson avait
besoin pour évoluer. En tout cas, ce n’est pas moi qui ai écrit les paroles,
même si je sais exactement de quoi il s’agit. Cette chanson parle de
Michelle Young, une amie de ma première petite amie, Melissa. Je les avais
côtoyées toutes les deux pendant toutes mes années lycée, bien avant que
les Guns ne fussent une idée, et encore moins une réalité.
Le truc, c’est que grâce à des amis à moi comme Mark Mansfield et
Ron Schneider, qui étaient toujours proches de moi et faisaient plus ou
moins partie du milieu musical, à cette époque, beaucoup de mes anciens
amis se sont retrouvés dans l’univers de Guns N’Roses dès qu’il s’est mis
en marche. Grâce à nos amis communs, j’ai renoué les liens avec des gens
que je n’avais pas revus depuis que j’avais quitté l’école, et plusieurs
d’entre eux se sont retrouvés aspirés dans notre monde – pour le meilleur,
mais surtout pour le pire.
Michelle en faisait partie ; même quand nous étions gamins, elle était
déjà dingue. Quand elle a commencé à fréquenter notre cercle d’amis, elle a
fini par se mettre avec Axl, et ils ont eu tous les deux une courte période de
romance. Il a écrit ces paroles sur sa vie, qui transcrivent fidèlement
plusieurs faits véridiques de son enfance. Son père faisait bien partie de
l’industrie du porno, et sa mère prenait des cachets et de la drogue, avant de
se suicider. Mais qu’une de mes anciennes copines d’école, avec qui j’avais
partagé des cigarettes dans les toilettes du lycée, fasse l’objet d’un de nos
morceaux les plus intenses, c’était une autre histoire. Un jour, j’en ai parlé à
Axl, parce que je ne pensais pas que la Michelle que je connaissais serait
contente qu’on rende son histoire publique.
« Hé, Axl, lui ai-je dit en répétition après avoir joué la chanson, tu ne
penses pas que Michelle va se sentir blessée ? »
« Pourquoi ? Tout est vrai, putain » a-t-il dit.
« Ouais, c’est vrai, mais je ne sais pas si c’est très cool que tu racontes
tout ça. Tu ne peux pas modifier un peu les paroles ? »
« Non, a-t-il dit. C’est la vérité. Et même si ça ne lui plaît pas, je le ferai
quand même. »
Je m’attendais au pire ; même s’il n’aurait servi à rien de nous faire un
procès, je m’attendais à ce que Michelle nous poursuivît d’une manière ou
d’une autre. Ou au moins, je m’attendais à ce qu’elle détestât la chanson et
fût vexée de voir sa vie étalée comme ça. J’avais on ne peut plus tort : du
jour où nous avons joué ce morceau en concert à celui où nous l’avons
enregistré pour notre album, Michelle a adoré toute l’attention que cela lui a
valu. À l’époque, c’était la meilleure chose qui lui fût arrivée. Mais comme
tant de nos amis qui ont été attirés dans le cercle sombre de Guns N’Roses,
elle est entrée par une porte et sortie par une autre. La plupart d’entre eux
ont fini en prison ou en désintoxication, ou les deux (voire pire), mais je
suis heureux de pouvoir dire qu’elle fait partie de ceux qui se sont amendés
avant qu’il ne soit trop tard. Un certain nombre de nos amis ont fini par
s’installer à Minneapolis… ceci expliquant peut-être cela.
« Rocket Queen » est parti d’un riff que j’avais trouvé la première fois
que j’ai rencontré Duff. C’est l’un des arrangements les plus compliqués sur
ce qui allait devenir notre album, surtout parce qu’il fallait associer ce riff
au refrain plus mélodique d’Axl. Cette chanson parle de Barbie, une amie
commune, qui, à dix-huit ans déjà, avait une réputation notoire. À l’époque,
c’était une droguée et une reine de la nuit. Elle a fini par devenir
maquerelle, mais à l’époque, Axl était fou d’elle. J’ai appris qu’après toutes
ces années, elle était toujours de ce monde.
C’EST AU COURS DE CETTE PÉRIODE DE COMPOSITION et de répétition à
« l’Hôtel et Villas Sunset et Gardner » que j’ai commencé à remarquer un
changement chez Steven. Il arrivait à la répète d’un pas un peu trop
élastique ; on avait l’impression qu’il était soûl, mais il ne buvait rien. Je
n’arrivais pas à comprendre, parce qu’il jouait correctement, et du coup,
cela m’intriguait. Steven sortait avec une fille qui vivait en colocation sur
Gardner, un peu plus bas que notre salle de répétition. J’ai commencé à aller
là-bas avec lui tous les soirs, après notre répétition, et j’ai découvert qu’il
s’y passait des trucs assez sérieux : dès qu’on avait passé la porte, on avait
l’impression que le temps s’arrêtait ; tout bougeait très, très lentement.
J’ai fait la connaissance de la copine de Steven et de sa colocataire, une
fille tellement ravagée que ça m’a fendu le cœur. Je dois reconnaître que je
la trouvais aussi très mignonne ; j’ai donc commencé à sortir avec elle, et
même si je me doutais qu’elle prenait quelque chose, je ne savais pas ce que
c’était. J’allais là-bas avec Steven après la répétition, et nous écoutions tous
les quatre Goats Head Soup des Stones toute la nuit, pendant que je les
regardais piquer du nez dans tout l’appartement. J’ai fini par avoir une
illumination, en réalisant que l’héroïne était peut-être responsable de l’état
apathique des trois autres. Au départ, aucun d’eux n’en prenait devant moi,
et j’ai donc compris tard plutôt que tôt. Mais même s’ils l’avaient fait, je
n’aurais pas essayé, parce qu’à ce moment-là, l’héroïne ne m’attirait pas
beaucoup. Je n’y connaissais pas grand-chose et ce que j’en voyais ne me
donnait pas du tout envie d’essayer. Pourquoi l’aurais-je fait ?
La colocataire avait une histoire inintéressante, typique de L.A. : elle
avait dix-huit ou dix-neuf ans ; une fille riche qui s’était servi de l’argent de
sa famille et avait fait tout son possible pour le lui jeter à la gueule. Ce
faisant, elle s’était méchamment abîmée, et elle passait son temps à se
plaindre, en disant que sa vie était en vrac et que c’était entièrement la faute
de sa famille. La solution qu’elle avait trouvé était de se morfondre et de
gémir jusqu’à ce qu’elle n’en puisse plus, avant de se défoncer et de trouver
un peu de consolation dans le fait de s’assoupir, ce qui, il va sans dire,
l’empêchait de mener à bien ses efforts limités mais bien réels pour
améliorer sa situation. Le tableau fut complet le jour où, un matin de bonne
heure, sa mère fit irruption dans l’appartement pour la mettre en face de ses
responsabilités, et où, bien entendu, j’ai commis l’erreur de m’interposer
dans cette horrible dispute.
Je n’ai pas dit grand chose, mais sa mère était persuadée que c’était moi
qui étais responsable de l’état de sa fille. À vrai dire, j’étais le seul de
l’assistance à ne pas prendre d’héroïne. Ce jour-là, sa mère est partie en me
haïssant et en abandonnant sa fille, mais elle a fini par gagner : cette fille a
fini par disparaître. Puis la copine de Steven a elle aussi déménagé, et nous
n’avons jamais revu l’une ou l’autre d’entre elles.
Jusqu’à ce que je voie Steven et les filles le faire, et jusqu’à ce que je
m’y mette aussi, tout ce que je savais de l’héroïne sortait des films anti-
drogue que j’avais vus à l’école, et à l’intrigue de French Connection, où
Popeye Doyle fait des efforts démentiels pour empêcher un cartel français
d’en importer une grosse cargaison. À cette époque, je ne savais pas que
tous mes héros prenaient de l’héroïne. Mais je n’allais pas tarder à m’en
rendre compte. Elle est entrée dans ma vie comme le lierre prend possession
d’un mur.
Quelque temps auparavant, en 1984, Izzy et moi étions dans le studio de
répète de Nicky Beat lorsque j’avais pour la première fois « chassé le
dragon » avec lui, en aspirant avec une paille la fumée qui s’élevait du
papier d’aluminium que nous chauffions. Tout ce que j’avais ressenti,
c’était une vague nausée, mais je n’étais pas vraiment défoncé. Je n’ai pas
eu de sensation immédiate, c’est pourquoi cela avait vite perdu tout intérêt à
mes yeux ; avoir mal au cœur n’était pas ma conception de l’éclate. Izzy
était cool ; il pouvait fumer de l’héroïne et s’en trouver parfaitement
satisfait.
Quelques mois plus tard, je me suis piqué pour la première fois, et c’est
tout ce qu’il a fallu ; après ça, je n’ai plus jamais pris d’héroïne autrement
que par injection. Je n’étais en cela pas très différent des autres amateurs de
frisson facile ; je voulais un effet rapide, immédiat. Je n’ai jamais pu me
défoncer autrement qu’avec une aiguille. Si je ne peux pas, je préfère
m’abstenir ; c’est un gâchis de drogue, un gâchis de temps, et la décision
consciente d’être inefficace. J’ai essayé de faire ça selon les règles, selon la
coutume chinoise, cette ancienne méthode civilisée de « chasser le
dragon », mais ça ne fonctionnait pas avec moi. Les Chinois étaient des
gens cool, posés et calmes dans leur rapport à l’héroïne, tout comme ils
l’étaient avec l’opium. La méthode par intraveineuse s’est développée plus
tard, en Occident, quand les gens ont commencé à utiliser la morphine à des
fins récréatives. Les seringues étaient recherchées pour la satisfaction
immédiate qu’elles apportaient, et c’est ça que recherchent les gens dans la
rue. En Amérique, à l’époque des cow-boys et du Far West, les femmes en
prenaient plus souvent que les hommes, toutes par injection, et la plupart
d’entre elles étaient des putes ou des serveuses.
Il peut vraiment suffire d’une nuit pour changer votre vie, et c’est cette
nuit-là qui a changé la mienne. J’y ai beaucoup réfléchi, et je suis sûr que
c’est sans doute à cause de tout le Jim Beam que j’avais bu. Nous étions
dans l’appartement d’une fille, où j’avais atterri avec Izzy. J’étais assis à sa
coiffeuse, dans sa salle de bains ; il y avait peu de lumière, une ambiance de
défonce. Elle m’a fait un garrot, a rempli la seringue, a piqué… et une
grande vague, partie du fond de mon estomac, m’a submergé. J’ai ressenti
une formidable poussée, et c’est tout ce dont je me souviens. J’ai été
renversé, je suis tombé dans les pommes et de ma chaise, et je me suis
réveillé au petit matin, des heures plus tard, vautré par terre. J’ai mis une
seconde à comprendre ce qui m’était arrivé : il y avait une bouteille de Jim
Beam, que j’avais bue, à côté de moi, et pendant un instant, j’ai même
oublié que j’avais pris de l’héroïne.
J’ai regardé dans la pièce d’à côté, et j’ai vu Izzy et la fille couchés dans
le lit, et c’est là que j’ai réalisé que je me sentais… différent. Je ne savais
pas bien à quoi c’était dû, je savais juste que c’était une sensation
inhabituelle. Mais tout allait bien, parce que j’étais de très bonne humeur.
Quand Izzy et la fille se sont réveillés, on a un peu discuté, et je me sentais
si bien, si heureux, et parfaitement en paix avec l’univers. Izzy ressentait
exactement la même chose.
L’appartement de cette fille était sur Wilshire, près du centre de L.A., et
nous sommes partis ce matin-là sans aucun souci au monde. L’avenir
semblait radieux, même si à cette époque, nous n’avions rien en vue. Tandis
que le soleil se levait sur la ville, nous sommes revenus lentement jusqu’à
Melrose, au centre de Hollywood, et c’est là que j’ai eu l’idée lumineuse
d’aller voir une fille que je connaissais. C’était une fille très mignonne, qui
allait au lycée Fairfax et qui avait un faible pour moi. Même si je ne la
connaissais pas très bien, je savais que sa mère travaillait la journée, et nous
sommes donc allés chez elle, où nous avons passé l’après-midi à glander en
écoutant les Beatles. Elle avait un grand lit de fille, avec un dessus-de-lit
tout moelleux, et le soleil pénétrait dans sa chambre d’une certaine façon ;
toute la pièce était aérée, blanche et rose et douce.
Izzy et moi sommes arrivés, nous sommes affalés en écoutant la
musique. J’adorais la chanson « Dear Prudence ». « Revolution » et « Dear
Prudence » me semblaient être la seule chose importante au monde.
« Norwegian Wood », celle-là aussi était bien. Nous sommes restés là la
plus grande partie de la journée, puis nous sommes partis. Sur le chemin du
retour, chaque fois que nous nous arrêtions, je retombais dans ce bienfaisant
état léthargique induit par l’héroïne. J’ai réalisé que cette sensation avait
duré toute la journée.
C’est le meilleur truc que j’aie jamais fait, me suis-je dit. Rien ne vaut
cela.
J’avais dix-neuf ans.
NOTRE SALLE DE RÉPÈTE/NOTRE APPARTEMENT À AXL et à moi était le point
de chute du groupe et de tous les suiveurs qu’il drainait, en fin de soirée.
C’était là que nous allions après avoir donné un concert et que le club avait
fini par nous mettre dehors. Plus notre noyau de fans s’étoffait, plus ce
rituel devenait une mauvaise idée qui risquait de mal se terminer, mais que
nous maintenions quand même. Les Villas étaient dans un coin assez reculé,
là où Hollywood rencontrait le centre-ville, pour que seuls des putes et des
drogués y traînent après la tombée de la nuit – nous n’avions pour voisins
que des entreprises ouvertes de 9h à 17h, ainsi que l’École Elémentaire
Gardner juste derrière nous, qui ouvrait de 8h à 15h. Une cinquantaine de
personnes, voire plus, pouvaient donc facilement faire la fête toute la nuit,
s’injecter de l’héro, fumer de l’herbe et casser des bouteilles contre les murs
sans que la police n’intervienne. Bientôt, l’assistance a été assez nombreuse
pour occuper tout notre local, l’allée et tout le parking à côté du bâtiment :
on pouvait voir des gens avec de l’alcool dans des sacs en papier kraft se
livrer à diverses activités illégales et sordides, à moins de cinquante mètres
de Sunset Boulevard, à n’importe quelle heure de la nuit. À l’aube, nous
étions encore debout, mais quand les gamins commençaient à arriver à
l’école élémentaire le matin, nous mettions généralement une sourdine.
Heureusement, leur monde et le nôtre n’avaient pas de relations, si ce n’est
que leur cour de récréation avait un mur mitoyen avec l’arrière de notre
« studio ».
Un autre groupe occupait le local de stockage et de répète à côté du
nôtre, et nous ne nous souvenions jamais de leur nom… Ah, si, c’était les
Wild. Dizzy Reed jouait du clavier dans ce groupe, et c’est ainsi qu’Axl et
lui se sont rencontrés et sont devenus amis. Les Wild étaient le genre de
groupe de rock typique de l’époque, et je ne suis jamais allé les voir jouer ;
je n’ai jamais non plus fait très attention à la manière dont ils jouaient. Par
contre, je faisais la fête avec eux. La vie dans notre local de répète tournait
autour de ces deux groupes, et consistait à faire la fête toute la nuit, toutes
les nuits, dans un quartier miteux de la ville.
La débauche atteignait des sommets tels, du moins en ce qui nous
concernait, que c’était plus que choquant. Je me revois un soir, dans la
mezzanine, après un concert, avec Izzy et une fille. Nous la baisions à tour
de rôle, mais Izzy n’avait pas mis de préservatif, ce qui fait que quand il
s’est retiré, putain, il a éjaculé sur ma jambe, puisque j’étais juste à côté de
la fille. Ça m’a coupé net dans mon élan. Je me suis assis, l’ai regardé par-
dessus la fille, et j’ai dit : « Heu… Izzy, mec… Il faut vraiment qu’on
trouve plus grand. »
Nous passions tellement les bornes que ça ne pouvait pas durer, et
quand la fête s’est arrêtée, ça s’est fait de manière plus que dramatique.
Après un concert, comme d’habitude, nos amis et tous ceux qui étaient dans
le club sont venus se la donner chez nous jusqu’au petit matin. En général,
la plupart des filles qui venaient faire la fête dans notre allée jusqu’à six ou
sept heures du matin n’étaient pas les plus futées du monde ; mais ce soir-
là, l’une d’elles a complètement pété les plombs. J’ai un souvenir assez flou
de ces événements, mais d’après ce que je me rappelle, elle avait couché
avec Axl dans la mezzanine. Vers la fin de la nuit, peut-être quand les
drogues et l’alcool ont cessé de faire effet, elle a craqué et s’est mise à
paniquer. Axl lui a dit de partir, et a essayé de la mettre dehors. J’ai essayé
de jouer les pacificateurs et de la faire sortir calmement, mais rien n’y a fait.
À peu près une semaine plus tard, Steven était là quand les flics ont fait
irruption et ont fouillé l’endroit de fond en comble. Ils ont cassé quelques
éléments de notre équipement, à la recherche de quelque chose d’illégal, et
ont harcelé tous ceux qui nous connaissaient de près ou de loin ; ils ont
menacé Steven de l’arrêter s’il ne leur disait pas où nous trouver, Axl et
moi, parce qu’ils nous recherchaient et nous soupçonnaient d’avoir violé
cette fille. Steven nous a contactés pour nous prévenir, et nous sommes
donc restés à l’écart de la maison le reste de la journée. J’y suis retourné le
lendemain matin ; il pleuvait, et il faisait froid pour la saison, et en arrivant,
j’ai trouvé Izzy qui se frayait un chemin dans le bordel que les flics avaient
laissé derrière eux. J’étais complètement abasourdi parce que je ne voyais
pas ce que j’avais pu faire – le soir en question, j’avais à peine parlé à cette
fille, tout comme les autres.
J’étais en mauvaise posture, et j’ai donc préféré m’éclipser ; j’ai
récupéré quelques affaires et je suis allé me cacher avec Steven dans
l’appartement de sa nouvelle copine, Monica, qui habitait juste à côté.
Monica était une star du porno suédoise, qui avait pris Steven sous son aile,
et je n’aurais pas pu rêver d’une meilleure planque pour me faire oublier,
parce que tous les trois, nous avons eu de formidables séances de sexe.
Monica était géniale, c’était vraiment une hôtesse parfaite sur ce plan, et en
plus elle avait le téléphone, ce qui me permettait de me tenir constamment
au courant de notre situation légale. De manière générale, les nouvelles
n’étaient pas bonnes – Axl et moi étions poursuivis pour viol. L’avenir
semblait sombre, et le groupe a été brutalement stoppé dans sa progression.
Les parents de la fille connaissaient des gens au LAPD et voulaient
nous charger au maximum. Axl est parti pour Orange County, où il s’est
caché chez une fille pendant quelques semaines, tandis que j’étais chez
Steven et Monica. De peur d’être arrêtés, nous ne donnions plus de concert
et nous faisions profil bas. À vrai dire, Axl avait bien couché avec cette
fille, mais elle était consentante et personne ne l’avait violée. Pour ma part,
je ne l’avais même pas touchée ! Quand nous avons repris nos esprits,
quelques semaines plus tard, nous avons géré cette situation selon les
règles.
Axl est rentré à L.A. et nous sommes tous deux allés nous installer chez
Vicky Hamilton et sa colocataire, Jennifer Perry, et Vicky a engagé un
avocat pour régler notre affaire. Je suis sûr que Vicky a immédiatement
regretté de nous avoir recueillis : Axl et moi avons investi le salon de son
charmant petit deux-pièces, et en une nuit, entre les bouteilles d’alcool
vides et le défilé incessant de personnages qui semblaient nous suivre où
que nous allions, nous l’avons transformé en vrai bazar. Axl dormait sur le
canapé, je dormais par terre, et on aurait dit qu’une bombe avait explosé
dans ce qui était auparavant un salon. La cuisine était un sacré chantier ; en
une semaine, les assiettes sales et les ordures formaient une pile d’un mètre
de haut. Heureusement, j’avais demandé à mon ex, Yvonne, de s’occuper
quelque temps de mon serpent, Clyde. Le procès a eu lieu mais en cours de
route, les charges contre moi avaient été abandonnées. En revanche, Axl a
dû aller s’acheter un costume et se présenter devant le juge, mais après
l’audition des témoins, les charges ont été abandonnées, et ça s’est fini
comme ça.
IL NOUS SEMBLAIT AVOIR PERDU UN AN DE NOS VIES à essayer de nous
extirper de ces problèmes légaux, parce que jusqu’alors, chaque jour nous
avait fait avancer avec une intensité féroce. Après cet incident, nous avons
évacué notre garage de répétition, et nous avons recommencé à jouer et à
composer de nouveaux morceaux. Nos copains Danny et Joe étaient
toujours dans les parages ; l’Oldsmobile verte de Danny nous servait
toujours de véhicule. Danny était un type formidable, avec une coupe à la
James Dean et dégageait une grande confiance en lui, quelque chose de très
cool. Lui et moi sommes également devenus « potes de drogue » : dès que
je me suis mis à l’héroïne, nous sillonnions L.A. dans son monstre vert à la
recherche de smack.
Joe était notre roadie et, à l’époque, mon assistant guitare, même s’il
était assez nul : je me revois un soir, en tête d’affiche au Roxy, et Joe devait
m’apporter un slide pour le solo de « Rocket Queen », mais quand il a fini
par me passer le slide au doigt, le solo était fini. J’étais tellement énervé que
je lui ai flanqué un coup de pied au cul, un vrai, en sortant de scène. Mais
l’incident a vite était oublié, parce que Joe était un type loyal et sincère, que
n’importe qui aurait voulu garder près de soi. Joe nous a toujours soutenus
chaque fois que les choses se gâtaient, et un dévouement comme celui-là ne
s’achète pas.
Nous n’avions absolument rien à voir avec les autres groupes qui se
produisaient dans les clubs du Strip ; globalement, on se fichait
complètement de ce qu’ils pouvaient bien faire. Par contre, parmi ces autres
groupes, nous avions un mépris secret pour Poison, parce que c’était le plus
gros groupe du coin, qui incarnait tout ce que nous détestions dans le milieu
musical de L.A. Au début de notre carrière, nous avons plusieurs fois été
programmés sur les mêmes affiches qu’eux, mais chaque fois, il y a eu un
gros problème. Il me semble qu’une fois, ils ne sont pas venus, et que du
coup nous avons dû assurer deux sets pour les remplacer, et il me semble
qu’une autre fois, l’organisateur a annulé le concert à la dernière minute à la
suite d’une manœuvre douteuse de leur part.
Un de nos plus mémorables concerts de cette époque s’est déroulé lors
d’un festival en plein air, le Street Scene, qui avait lieu sur six ou sept
scènes au cœur de Los Angeles, échelonnées dans tout un quartier. C’était
la première fois que nous nous y produisions, c’était en 1983, et nous
devions faire la première partie de Fear, le seul groupe de punk de L.A. que
je respectais. On est allé là-bas dans l’Oldsmobile de Danny, et on était en
train de décharger notre matériel à l’endroit du parking qui nous avait été
indiqué, quand nous avons vu une marée humaine arriver sur nous à toute
allure. Nous avons continué à décharger tandis que les gens nous
dépassaient en courant, littéralement aussi vite qu’ils le pouvaient – mais
que fuyaient-ils ? Nous n’en avions aucune idée. C’était comme si Godzilla
arrivait, ou qu’un type avait tiré derrière eux. Nous ne savions absolument
pas quel était le problème, jusqu’au moment où, en nous approchant de la
scène, nous nous sommes rendu compte qu’il n’y avait pas de scène ; les
fans de Fear avaient mis tout leur cœur à la ravager et à la détruire avant
même que le groupe ne joue.
Notre manager, Vicky, et moi, avons erré dans ce vaste bordel pour nous
trouver un créneau sur l’affiche de la journée. Nous sommes allés de scène
en scène parler aux organisateurs, à la recherche d’une possibilité, que nous
avons finalement trouvée – jouer après Social Distortion. Ça n’avait pas
l’air d’être la meilleure idée du monde, de passer après un groupe punk
local adoré des fans, mais en fait, ça s’est transformé en l’un des meilleurs
concerts que nous ayons faits.
Le public était gorgé de punk et en voulait encore, juste après avoir vu
Social Distortion. On est monté sur scène, et on a commencé notre set à
fond la caisse, et, en trente secondes, ce concert est devenu un concours de
crachats entre nous et les cinq premiers rangs : putain, leurs fans nous
crachaient dessus et on leur crachait dessus en retour. C’était hilarant, et
absolument répugnant : je me revois aller voir Izzy sur son côté de la scène,
et rester à côté de lui, tandis qu’avec la foule on se crachait dessus
mutuellement, parce que notre groupe était comme ça. Nous avons toujours
été tenaces, et quoi que la foule, n’importe laquelle, pût faire, nous arrivions
toujours à tourner les choses en notre faveur. À la fin de notre set, cette
répugnante guerre des nerfs est devenue sacrément marrante. Nous avons
terminé couverts de morve, et vu qu’il faisait chaud, non seulement j’étais
torse nu, mais en plus la chaleur faisait cuire les crachats et ça commençait
à sentir vraiment mauvais. Peu importait, je restais imperturbable : dans le
feu de l’action, toute cette énergie prenait le dessus.
La seconde fois que nous nous sommes produits au Street Scene a été
tout aussi mémorable, mais pour d’autres raisons. Cette fois, nous devions
faire la première partie de Poison, qui était tête d’affiche sur l’une des plus
grandes scènes. Ce devait être notre plus gros concert à ce jour, et nous
étions plus que prêts à voler la vedette à Poison. Finalement, nous n’avons
même pas eu à le faire : nous sommes montés sur scène, nous avons joué, et
tout le monde est devenu cinglé : les gens se sont mis à escalader les
échafaudages et à faire bouger la scène dans leur excitation. À la fin du
concert, le chef des pompiers a décidé de fermer les lieux. Je me rappelle
avoir vu les mecs de Poison, tout couverts de paillettes, prêts à jouer, mais
incapables de le faire. J’étais assez content de les voir en grande tenue, mais
sans scène sur laquelle jouer.
BON… REVENONS À L’HÉROÏNE. AU COURS DES SEMAInes qui ont suivi ma
première fois en compagnie d’Izzy, quand nous avions passé l’après-midi
dans la chambre rose de cette fille du lycée Fairfax, je me suis découvert un
nouveau centre d’intérêt. Et j’étais bien décidé à profiter au maximum des
débuts idylliques de cette nouvelle relation.
Yvonne était la seule qui, à ce moment-là, se préoccupait vraiment de
ma santé, parce qu’elle appartenait à un tout autre monde. Elle voyait bien
que je me dirigeais tranquillement vers un abîme. Notre relation avait connu
des hauts et des bas, mais un jour elle m’a appelé, et m’a demandé de la
retrouver chez Mel’s, sur Sunset, pour déjeuner. Je voyais bien qu’elle se
doutait de quelque chose ; dès que nous nous sommes assis, elle a
commencé à m’interroger très subtilement, pour savoir ce que je faisais,
quels étaient mes projets, qui je fréquentais, où j’en étais. Le groupe s’en
sortait très bien, mais pour elle, nous étions encore un petit phénomène de
club de L.A. – elle ne voyait pas du tout les choses comme moi. En même
temps, Yvonne me connaissait très bien, et elle savait combien j’étais
ambitieux, et j’étais donc persuadé qu’elle avait confiance en ce que je
mijotais. Ce qu’elle n’arrivait pas à comprendre, c’était pourquoi je n’étais
plus le même – et la réponse était évidente, mais je n’allais pas la lui
donner.
Je me souviens qu’elle m’a déposé au coin de Clark et Sunset, et puis je
suis rentré chez Vicky, où je dormais encore par terre. Je ne me suis pas
retourné, mais j’avais l’impression qu’elle me suivait des yeux ; j’avais
l’impression qu’elle se doutait de quelque chose. Environ une semaine plus
tard, elle m’a appelé chez Vicky, ce qu’elle n’était pas censée faire. Elle
disait que c’était important, elle disait que son grand-père était mort et
qu’elle allait tellement mal qu’elle avait besoin de me voir. Elle me
demandait de passer la voir l’après-midi même. En bon ex-petit ami
compatissant, je n’y ai pas réfléchi à deux fois – elle est venue me chercher
et on est retourné chez elle, en parlant tout le long de la route du récent
disparu.
En arrivant, il devait être six heures du soir, et nous sommes allés dans
sa chambre. J’ai pris ma place habituelle, dans le coin de son lit, pour
regarder la télé et attendre de voir ce qui allait se passer. Tout à coup, on a
sonné à la porte.
« C’est sans doute ma mère », a-t-elle dit, et elle est sortie de la pièce.
Dix minutes se sont écoulées, et puis la porte s’est rouverte. À ce
moment-là sont entrées deux personnes que je n’avais pas vues dans la
même pièce depuis dix ans : mes parents. Cette vision m’a réveillé d’un
coup.
Yvonne est entrée et a commencé à livrer à mes parents son
interprétation de ce qui m’arrivait, une interprétation fortement dramatisée ;
on aurait dit le narrateur de l’un des films anti-drogue que j’avais vus à
l’école, ou au moins le personnage principal d’une série d’après-midi, dont
le meilleur ami a de gros problèmes. Mes parents écoutaient tout en me
regardant attentivement, essayant de comprendre ce qui se passait. J’ai les
deux parents les plus libéraux du monde, et comme ils ne voyaient rien de
grave – il ne me manquait ni un œil, ni un membre, et j’avais l’air de tenir
debout – ils se sont dit que tout allait bien.
« Alors, m’a dit mon père en me regardant dans les yeux, c’est vrai ?
Est-ce que tu prends de l’héroïne, comme Yvonne vient de nous
l’affirmer ? »
Je n’ai pas dit non, mais je n’ai pas non plus vraiment dit oui. J’étais
défoncé, mais je faisais de mon mieux pour le dissimuler, et il n’y avait
donc aucune preuve manifeste de ce dont Yvonne m’accusait – du moins à
mes yeux.
« C’est vraiment chouette de vous voir tous les deux dans la même
pièce, ai-je dit en souriant. Ça faisait longtemps. »
Je suis allé embrasser ma mère, et l’atmosphère de la pièce a
complètement changé. Tout à coup, l’intervention stratégique d’Yvonne
s’était transformée en réunion de famille. Je la sentais bouillir, pendant
toute la demi-heure suivante, tandis que mes parents et moi renouions les
liens. J’ai sauvé les apparences tant qu’ils ont été là, mais dès qu’ils ont été
partis, j’ai demandé à Yvonne de me ramener chez moi. À mi-parcours, j’ai
changé d’avis ; je lui ai demandé de me déposer au Whisky. Je ne lui ai pas
dit un mot du trajet. J’avais beau savoir qu’elle avait agi avec les meilleures
intentions du monde, on ne s’est pas reparlé pendant un bon bout de temps.
C’ÉTAIT UNE PÉRIODE ASSEZ INTENSE, AU COURS de laquelle nous nous
sommes fait un nom, en essayant d’avancer malgré les personnages troubles
qui s’accrochaient à nos basques, tout en devenant le meilleur groupe que
nous pouvions. Nous avons fini par trouver quelqu’un sur qui compter,
Bridget, qui ressemblait beaucoup à Vicky Hamilton, mais avec des poches
un peu plus profondes. Bridget voulait nous signer, mais comme nous
n’avons jamais signé avec personne, elle a dû se contenter de simplement
« travailler avec nous ». Bridget était manager du groupe Jetboy, de San
Francisco, assez populaire dans le circuit des clubs, et nous avons donc loué
un van pour monter là-haut faire leur première partie. Nous sommes restés
quelques jours chez eux, et nous avons eu un aperçu de la manière dont
vivait réellement un groupe fonctionnel, dont les membres vivaient
ensemble dans le même appartement, avec un vrai roadie. Ils donnaient tout
le temps des concerts, et même si nous n’étions pas fans, nous respections
leur professionnalisme.
Le plus cool du groupe était sans conteste leur bassiste, Todd Crew, qui
est devenu l’un de mes meilleurs amis et l’un des amis du groupe pendant
plusieurs années – souvent au grand désespoir de ses collègues. Todd avait
un super style : il faisait plus d’un mètre quatre-vingt, avec de longs
cheveux bruns emmêlés. Il avait toujours l’air étonné, les bras entièrement
tatoués, et la base de ses tenues consistait toujours en un blouson de cuir
sans manches, un jean troué rentré dans ses santiags usées, et une cigarette
au coin de la bouche. Todd détonnait dans son groupe, parce qu’il avait un
look rock’n’roll classique, alors que les autres membres de Jetboy étaient
des poseurs glam typiques. Néanmoins, leur chanteur avait une crête verte,
ce qui les rendait un peu moins transparents que Poison.
Ça a été un voyage génial pour nous ; notre concert au club The Stone
était génial, et le colocataire de Todd collectionnait les reptiles, et j’ai donc
pu me tenir occupé. J’étais vraiment jaloux de sa collection : il avait des
serpents, quelques caméléons exotiques et quelques sauriens. Lors de ce
séjour, nous avons vu ce qu’il était possible d’accomplir sur un plan local,
et nous avons compris que c’était tout à fait à notre portée.
Le trajet du retour a également été mémorable. Nous étions dans notre
van de location, à boire et à jouer de la guitare acoustique, quand j’ai
soudain trouvé la petite intro tintinnabulante de ce qui allait devenir
« Paradise City ». Duff et Izzy ont immédiatement embrayé et ont
commencé à jouer, tandis que je trouvais les suites d’accords. J’ai
commencé à fredonner une mélodie, que j’ai jouée encore et encore. Et puis
Axl est entré en scène :
« Take me down to the Paradise City… » [Ramène-moi dans la ville du
Paradis]
J’ai continué à jouer, en ajoutant quelques paroles improvisées :
« Where the grass is green and the girls are pretty » [Là où l’herbe est verte
et les filles sont jolies] ai-je chanté. J’avais l’impression que ça sonnait
franchement tapette.
« Take me down to the Paradise City », a repris Axl.
« Where the girls are fat and they’ve got big titties » [où les filles sont
grosses avec de gros nichons], ai-je crié.
« Take… me… home ! » [Ramène-moi à la maison] a chanté Axl.
Nous avons décrété que la version « the grass is green » était meilleure
que l’autre, et même si je préférais le vers alternatif que j’avais trouvé, j’ai
été mis en minorité.
J’ai développé la structure de base du morceau tandis que tout le monde
improvisait des paroles à tour de rôle, comme si nous étions dans un bus en
direction d’une colonie de vacances rock’n’roll et, lorsque le panorama de
L.A. a été en vue, je suppose que c’était le cas. Après avoir définitivement
bouclé tout le refrain, c’est là que j’ai trouvé le gros riff heavy qui rythme le
morceau. Et c’est là que « Paradise City » est devenu mon morceau préféré
de Guns N’Roses.
Même si tout cela sonne bizarrement joyeux et gai pour Guns N’Roses,
c’est bien comme ça que ça s’est déroulé ; et c’était un peu ce genre
d’expérience.
NOTRE NOUVEAU MANAGER, BRIDGET, NOUS A AIDÉS à réussir en faisant
passer notre groupe à la vitesse supérieure, du moins au sein du circuit des
clubs de L.A. Le fait d’avoir joué à San Francisco a aidé à faire un peu de
bruit autour de nous, parce que si nous pouvions jouer là-bas, c’était que le
bouche à oreille commençait à s’étendre ; nous avions un noyau dur de
fans. Après ça, nous avons pu organiser des concerts avec beaucoup plus
d’assurance, parce que ce genre de petites choses a de grandes
conséquences. Nous sommes devenus l’un des groupes dont on parlait le
plus à L.A. à cette époque, ce qui a fini par éveiller l’intérêt des maisons de
disques. Le bruit se répandait, à tel point que lorsque Tom Zutaut, de Geffen
Records, nous a vus pour la première fois au Troubadour, il a fait exprès de
partir au bout de deux morceaux, en faisant savoir à tous les découvreurs de
talents qu’il croisait sur sa route que nous étions nuls, parce qu’il avait
l’intention de nous faire immédiatement signer.
Tom était devenu une légende après avoir signé Mötley Crüe – tous les
autres représentants de l’industrie le surveillaient parce que son instinct
permettait en général de trouver de l’or dans la boue de Sunset. Quand nous
avons re-joué au Troubadour, Tom est venu en coulisses et s’est présenté, et
je me souviens que tout le groupe s’est dit que c’était le seul découvreur de
talents que nous rencontrions qui méritait notre respect, parce que son
travail parlait de lui-même. Son enthousiasme également n’était pas feint ;
il nous a dit que nous étions le meilleur groupe qu’il ait vu depuis AC/DC,
et quand il nous parlait de notre musique, nous voyions bien que ces
morceaux lui parlaient de manière plus authentique qu’à quiconque. Nous
sommes passés par des hauts et des bas au fil des années, mais Tom sait
toujours comment faire pour obtenir mon attention ; quand il veut vraiment
me faire venir voir un groupe qu’il envisage de signer, il n’a qu’à me dire :
« Je n’ai jamais vu un groupe jouer un rock aussi hard depuis la première
fois que je vous ai vus, les mecs. » Tom dégageait quelque chose de
vraiment sincère ce soir-là dans notre loge, et même si nous ne lui en avons
rien dit sur le moment, nous n’avions pas l’intention de signer avec
quelqu’un d’autre.
Tom a essayé de tricher un peu, mais ça n’a pas marché ; le bruit a
couru que nous l’intéressions, et, du jour au lendemain, toutes les maisons
de disques de la ville ont essayé de nous contacter. Bridget jouait toujours
auprès de nous un rôle de pseudo-manager, mais comme Vicky Hamilton
avait bien plus de contacts à L.A., tous les découvreurs de talents
l’appelaient pour nous parler. Et ça a suffi à relancer notre relation avec
Vicky.
C’était génial : nous avons profité gratuitement de tous les déjeuners,
dîners, boissons et tout ce que les grosses maisons de disques voulaient bien
nous offrir, aussi longtemps que nous le pouvions, avant de signer. Pendant
la plus grande partie des deux mois suivants, nous avons été courtisés par
Chrysalis, Elektra, Warner Bros, et quelques autres. Nous entrions dans des
restaurants chic, où nous commandions de véritables menus liquides
parfaitement extravagants, avant de nous asseoir et de jouer le jeu. La seule
chose sur laquelle nous arrivions à nous entendre était qu’il nous faudrait
nous revoir pour un autre déjeuner, afin d’approfondir la discussion, avant
d’arriver à un accord.
Et les choses ont continué comme ça, jusqu’au jour où nous avons
décidé d’aller rencontrer David Geffen et Ed Rosenblatt pour signer avec
Geffen Records. Tout le temps de la négociation, je suis resté assis à
regarder David, que je n’avais plus revu depuis que j’avais huit ans, en
repensant à toutes ces fois où j’avais fait des allers-retours dans son bureau
avec mon père quand il allait déposer des tableaux, et en me demandant s’il
savait qui j’étais. Bien sûr, il n’en savait rien, comme ma mère l’a découvert
plus tard. J’ai mis un point d’honneur à faire un tour dans les toilettes de
Geffen dont les murs, comme je m’en souvenais dans mon enfance, étaient
décorés d’un collage hippie, très bien fait, dans le style sixties, de photos
d’anciens magazines de rock. J’ai été très heureux de constater que ça
n’avait pas changé.
Les négociations ont été rapides : nous avons demandé, entre autres, une
somme à six chiffres, ce qui représentait une avance hors-normes pour un
nouvel artiste inconnu, en 1986. Ils ont accepté ; Vicky Hamilton nous
servait de manager, et elle nous a donc mis en contact avec Peter Paterno,
qui est devenu l’avocat du groupe. Peter a rédigé nos contrats, et l’affaire a
été conclue.
Guns N’Roses était donc finalement signé, mais après cela, notre label
nous a demandé de ne plus donner de concerts. Ils voulaient que nous
fassions profil bas, pour entretenir le mystère, et que nous mettions nos
affaires en ordre : ils ont insisté pour que nous ayons un vrai manager, et un
producteur, et pour que nous nous concentrions afin de faire un disque. Ils
voulaient que nous vivions sur notre avance, sans nous laisser distraire par
la routine des concerts hebdomadaires, pendant que nous franchirions les
prochaines étapes nécessaires. Ni eux ni nous ne savions que nous laisser,
livrés à nous-mêmes, avec une somme d’argent était une très mauvaise
idée ; c’était nous accorder un degré de liberté tel que nous n’en avions
jamais eu. De nous tous, j’étais le plus réticent à l’idée de ne plus donner de
concerts. On allait donc simplement rester assis, les bras croisés, avec des
milliers de dollars à claquer ? Ça allait mal finir. Tous les cinq, nous étions
parvenus à faire de chaque jour une épopée, dont le budget dépendait de ce
que nous trouvions au fond de nos poches le matin ; avec l’argent de notre
avance dans les mains et le soutien d’une maison de disques, c’était nous
offrir bien trop de possibilités.
Comme nous avons tous fini par nous en rendre compte, à l’époque et
encore après, la pire chose qui soit jamais arrivée à ce groupe était d’avoir
du temps à tuer et de l’argent à dépenser.
Slash fatigué à la fin d’un long concert, sur les dernières notes de
« Paradise City ».
Un flyer des débuts, conçu par Slash. Le groupe cherchait toujours des
slogans percutants.
Slash, pendant la phase glam des Guns, de courte durée.
9) Appetite for dysfunction
L’incapacité à se poser est un moteur capricieux : ça peut vous conduire
au succès ou entraîner votre chute, et souvent, ce n’est pas vous qui
décidez. Je suis, par nature, incapable de me poser : c’est ce qui m’a valu
mon surnom et c’est ce qui fait que j’ai toujours été à la recherche d’un
nouveau frisson, d’un nouveau concert, et d’un nouvel obstacle à franchir,
du plus loin que je me souvienne. Ce genre de choses ne prend jamais de
vacances.
Avant que les Guns ne signent leur contrat, je vivais dans un garage
taché de vomi, à peu près aussi agréable qu’une prison sud-américaine.
Toute mon énergie était consacrée à survivre au jour le jour, et à bosser pour
faire progresser le groupe, un concert après l’autre. Quand les Guns ont
signé, je n’avais plus à m’inquiéter pour l’argent, la nourriture ou le
logement. Ce petit sentiment de sécurité ne m’était pas familier ; je ne
voyais pas l’intérêt d’acheter tout ce qui caractérise une vie normale, et du
coup, ce qui semblait une bénédiction était en fait pour moi une
malédiction.
Nous avons signé pour à peu près 250 000 $, et notre avance s’élevait à
37 000 $, sur lesquels j’ai touché 7 500 $. Je les ai convertis en travellers
chèques American Express, que je gardais dans la poche revolver de mon
jean, à cause de mes histoires avec le Fisc. Mettre cet argent de côté n’était
pas envisageable, mais je n’ai pas fêté ça en m’achetant une nouvelle
guitare ou ce genre de choses – j’ai quasiment tout dépensé en héroïne.
Nous avons tous appris la même leçon, chacun à sa manière propre, avant
de repartir au front pour faire ce que nous avions décidé de faire. Ce ne
serait pas la première fois que nous devrions combattre nos instincts :
chaque fois que nous avons gagné le droit de nous reposer, notre incapacité
à nous poser, pourtant à l’origine de notre succès, menaçait de tout détruire.
Il était évident pour tous ceux de notre camp que, maintenant que nos
opérations avaient changé d’échelle, Vicky Hamilton n’avait pas les épaules
pour être notre manager. Il était aussi temps d’avoir une équipe digne de ce
nom : Joe n’avait rien d’un technicien, et Danny était un « pote de drogue »
(que j’ai continué à voir à ce titre pendant des années) mais n’était pas un
responsable de tournée. Nous n’étions pas complètement à l’aise à l’idée
d’opérer ces changements, mais il fallait les faire. C’était la fin d’une
époque ; nous n’étions plus des loqueteux sans rien à perdre : maintenant,
nous étions des loqueteux avec le soutien de l’industrie.
Tom Zutaut nous a organisé quelques rendez-vous avec des managers
potentiels, et en premier lieu, Cliff Bernstein et Peter Mensch de Q Prime,
qui manageaient Metallica, Def Leppard, et bien d’autres, à l’époque et
encore aujourd’hui. Je suis allé au bureau de Tom, et ils étaient en retard, et
en les attendant, je me suis donc endormi sur son canapé. Pour l’anecdote,
je ne sais pas si j’étais défoncé ou pas. Mais ce que je sais, c’est que
l’entrevue ne s’est pas bien passée.
« Guns N’Roses n’a pas un son assez musical pour que nous
envisagions de représenter un tel groupe », a dit l’un d’eux, je ne sais plus
lequel.
Je suis resté assis là, assez abasourdi. J’ai peut-être marmonné :
« Hein ? »
En fait, je me suis couché devant cette insulte, parce que j’étais déjà
couché, et on s’en est tenu là. Je n’ai rien dit, mais mon visage a peut-être
exprimé du dédain ou au moins une confusion pleine de scepticisme.
« Tu vois ces solos de guitare que tu fais ? » a dit l’autre, je ne sais plus
lequel.
« Ouais », ai-je marmonné.
« Pour moi, c’est du bruit, alors que si tu écoutes Metallica, ils jouent de
manière vraiment mélodieuse. »
« OK, mec », ai-je dit. Tout ce que tu veux, Jack, ai-je pensé.
Pendant tout ce temps, Tom faisait de son mieux pour gérer une
situation potentiellement explosive, en risquant de petits commentaires
destinés à détendre l’atmosphère et à rester positifs.
« Eh bien, les mecs, la démo ne rend pas justice à leur musique, a-t-il
dit. Il faut vraiment que vous réécoutiez ces chansons correctement
produites. »
Tom savait, tout comme moi, que la démo rendait parfaitement justice à
notre musique – ces mecs, comme tant d’autres, ne captaient pas, tout
simplement. Ils ont décliné, bien sûr, et l’ont ensuite regretté. Tous ceux que
Tom nous a présentés à cette époque et qui ont refusé l’ont regretté – et au
final, ça faisait beaucoup de monde.
À l’époque, Izzy vivait toujours dans son appartement, et Duff vivait
avec sa copine hongroise, Katerina (qu’il a fini par épouser) dans un
appartement sur Hollywood Boulevard, qui, coïncidence, était juste à côté
de celui de Sly Stone. Je pense qu’on peut dire que Duff et lui avaient de
très bonnes relations de voisinage : Sly débarquait souvent chez Duff, sans
prévenir, pour fumer du PCP, du crack ou un mélange des deux, tout seul,
dans les toilettes de Duff, avant de repartir. Ça nous faisait complètement
halluciner. Apparemment, il faisait cela tout le temps, mais la plupart
d’entre nous n’en avons jamais été témoins, parce que nous n’allions pas
souvent chez Duff – sa copine n’aimait pas tellement avoir un groupe de
mecs vautrés dans son salon. Mais je venais retrouver Duff chez lui avant
les répétitions, et c’est comme ça que j’ai été témoin de la chose, une fois.
On a frappé à la porte, Duff a ouvert, et c’était Sly.
« Salut, mec, a-t-il marmonné, parce qu’il ne se souvenait jamais du
nom de Duff. Je peux utiliser tes toilettes ? »
« Ouais, bien sûr », a répondu Duff.
Et voilà. Duff m’a dit que Sly pouvait y passer entre quelques minutes
et plusieurs heures.
Duff a aussi fait la connaissance de West Arkeen, quand il vivait dans
cet immeuble. Le seul domicile régulier que je connaissais à West à cette
époque, c’était sa vieille voiture El-Camino. Je crois qu’à ce moment-là, il
l’avait garée devant l’immeuble de Duff, dont on peut dire qu’il était une
sorte de locataire par extension. C’est Duff qui me l’a présenté, et il est
devenu ami avec le groupe ; au départ, beaucoup plus avec Axl qu’avec moi
ou tout autre mec du groupe. D’autant qu’à cette époque, j’étais un peu
méfiant à l’idée de rencontrer de nouvelles personnes, parce que toute une
cour des miracles commençait à nous tourner autour, et du coup j’étais
toujours sur mes gardes avec les nouveaux venus. Je mets longtemps à faire
confiance aux gens, mais au bout d’un moment, West et moi sommes
devenus amis.
West était guitariste, il venait de San Diego, et c’était aussi un sacré
fêtard qui est devenu un élément important de notre bande, bien plus que les
amis standards du groupe : il a même co-écrit certaines de nos chansons,
comme « It’s So Easy » et « Yesterdays » avec Duff, et « Bad Obsession »
et « The Garden » avec Axl. Duff et West passaient du temps ensemble à
composer, et, de temps en temps, je me joignais à eux, mais West et Axl
sont devenus très proches. En plus de composer avec les Guns, il a co-écrit
des morceaux pour les projets solo de Duff et Izzy, et nous avons tous
collaboré au sien, The Outpatience, à la fin des années 90, juste avant sa
mort par overdose.
West était un sacré soiffard, un type qui aimait s’amuser et vivre à fond,
ce qui fait qu’il s’est vite intégré à notre groupe. C’était le genre de type qui
avait tellement confiance en lui et qui aimait tellement sa vie, que même
quand vous n’étiez pas sympa avec lui, il gardait la même affabilité ; c’est
sans doute pour cela que j’ai fini par baisser ma garde. Pour le meilleur ou
pour le pire, c’est West qui nous a initiés à ce qu’on appelait alors le speed,
et qu’on appelle aujourd’hui le crystal meth. C’était son truc, le speed ; il en
avait toujours beaucoup, il avait beaucoup de contacts qui pouvaient lui en
procurer à San Diego, et tous ceux qui l’entouraient en prenaient.
West a fini par réunir assez d’argent pour louer une jolie maison dans
les collines de Hollywood ; elle faisait trois étages, au sommet d’une
falaise, cachée dans les arbres. Il vivait là avec « Laurie » et « Patricia »,
deux filles accros au speed qui auraient pu être mignonnes si elles n’avaient
pas été si ravagées. Laurie avait apparemment dégoté un travail dans
l’industrie du cinéma et roulait en jeep Suzuki, un beau modèle, mais
Patricia, tout en n’ayant jamais l’air de travailler, semblait toujours avoir de
l’argent. Je n’arriverais jamais à comprendre comment ils faisaient pour
maintenir les apparences d’une vie normale, avec une maison, de l’argent à
la banque, tout ça – tout en s’adonnant au speed à outrance. Mais à
l’époque, je n’y connaissais pas grand-chose en matière de speed.
J’avais coutume d’aller squatter chez eux quand je n’avais nulle part où
aller, et même si nous sommes tous devenus très proches de West, il y a un
truc que je n’ai jamais compris : comment, lui aussi, se débrouillait pour
toujours avoir de l’argent. Surtout quand les choses ont commencé à
s’emballer pour nous, West est en quelque sorte devenu le seul ami que
notre groupe eût au monde. C’était le seul à nous venir en aide quand l’un
de nous avait besoin de quelque chose ; longtemps, ça a été vraiment le seul
en qui nous pouvions avoir confiance.
DÈS QUE NOUS AVONS TOUCHÉ NOTRE AVANCE, NOUS avons tous ensemble
réussi à faire quelque chose de concret, à savoir louer un appartement.
Quasiment toutes les agences que nous sommes allés voir nous ont refusés,
parce qu’on ne pouvait pas dire que nous eussions un bon crédit – ou du
crédit tout court, d’ailleurs. Mais nous avons fini par trouver un endroit à
l’angle sud-ouest de La Cienega et Fountain ; deux chambres, deux salles
de bain, en rez-de-chaussée. Nous avons même eu, quelque temps, la fibre
domestique, et avons loué quelques meubles – deux lits et de quoi équiper
une cuisine. Nous avons complété le décor avec un canapé que nous avons
trouvé dans l’allée derrière le bâtiment, et une télé que la mère de Steven a
offerte à la cause commune. Quand nous nous sommes installés, la mère de
Steven nous a aussi fourni quelques victuailles. C’est la seule fois qu’on en
a eu – pendant peut-être une semaine, quand on ouvrait le frigo, on avait
l’impression que quelqu’un habitait vraiment là.
Steven et Izzy partageaient une des chambres, Axl et moi partagions
l’autre, et cet appartement existe toujours ; je passe devant tout le temps –
c’est le bâtiment avec la grande baie vitrée qui surplombe le croisement.
Quand on l’a loué, Izzy vivait toujours avec sa copine Dezi sur Orange
Avenue, et Duff et Katerina étaient sur Hollywood Boulevard, mais nos
intérêts mutuels exigeaient qu’Izzy passe beaucoup de temps chez nous.
Après une querelle domestique quelconque, il est devenu quelque temps un
locataire permanent.
Pour moi, cet endroit, c’était le luxe ; j’ai même rapatrié mon anaconda,
Clyde, de chez Yvonne. Malheureusement, passer de notre garage à cet
appartement sensiblement plus agréable n’a pas atténué notre vie de
délinquants débauchés ; nous avons fini par nous faire virer au bout de trois
mois – sans récupérer notre caution. Les choses n’avaient pas aussi bien
marché que nous l’espérions, mais être tous au même endroit nous a plus ou
moins permis de faire un pas vers une productivité de groupe mieux
organisée.
Pour moi, tout était génial, jusqu’à ce qu’on se fasse expulser. Nous
venions de gagner de l’argent, et j’essayais d’être aussi économe que
possible dans mes achats d’héroïne, et de faire durer mes provisions le plus
longtemps possible. Malgré mes efforts, notre appartement est devenu une
véritable galerie de seringues : nous nous approvisionnions à l’est de L.A.,
et il semblait que l’on pût en acheter autant qu’on voulait, dans les rues. Un
soir, Mark Mansfield est venu et, à l’insu l’un de l’autre, nous étions tous
deux devenus des junkies, ce qui fait que ça a été formidable de le revoir. Il
travaillait avec un groupe texan appelé Tex and The Horseheads, qui se
défonçaient eux aussi, et on s’est tous retrouvé à la maison. Avant cela, je
me piquais quand je pouvais trouver de l’héroïne, mais je n’avais jamais eu
les moyens de m’en procurer de manière régulière. Mais là, j’avais de quoi
financer tous les jours cette mauvaise habitude, et j’étais tellement fou des
drogues que je ne réfléchissais pas – et à vrai dire, je m’en fichais – à ce
que j’étais en train de faire.
La maison de disques nous avait loué une salle de répétition à Dean
Chamberlain, à Hollywood, où Jane’s Addiction répétait également. Nous y
allions tous les jours vers deux ou trois heures de l’après-midi, et passions
des heures à jouer. La pièce était petite, deux mètres sur six, très longue et
très étroite, et elle était éclairée par des néons qui dispensaient une lumière
d’hôpital désagréablement brillante. On avait un peu l’impression de répéter
dans un supermarché.
De manière ironique, un des premiers morceaux que nous y avons
travaillé était « Mr Brownstone », un morceau conçu dans des circonstances
bien plus sombres. Un soir, j’étais avec Izzy et sa copine Dezi chez eux,
quand cette chanson nous est venue. Ils avaient une petite table autour de
laquelle nous nous asseyions pour faire notre petite cuisine, avant de nous
mettre à jammer. Nous étions assis là, à nous plaindre, comme tous les
junkies, de nos dealers, ainsi que du fait d’être junkies, et c’est de là qu’est
partie la chanson. En gros, elle décrit une de nos journées de l’époque. Izzy
a eu une idée très cool, il a trouvé le riff et nous avons commencé à
improviser les paroles. Dezi considère qu’elle a participé à l’écriture de ce
morceau, et pour information, elle y a effectivement collaboré, avec un nom
par ci, et peut-être une conjonction ou deux. Quand nous avons terminé la
chanson, nous en avons écrit les paroles sur un sac en papier. Nous l’avons
apporté à l’appartement de Fountain, et l’avons jouée à Axl, et il a
retravaillé un peu les paroles avant que le groupe ne travaille ce morceau à
la répétition suivante. Axl a toujours su prendre une mélodie toute simple
d’Izzy et en faire quelque chose de fantastique, et ce n’est qu’un exemple
parmi tant d’autres.
Tom Zutaut avait hâte de nous trouver un producteur et de mettre en
route l’enregistrement de l’album – mais il ne savait pas que ce serait une
longue route. Le premier candidat qu’il nous a envoyé était Tom Werman,
qui était une sacrée pointure. Werman venait de produire Shout at the Devil,
de Mötley Crüe, qui s’était vendu à plusieurs millions en 1985, et avant
cela, il s’était fait un nom en produisant Cheap Trick, Ted Nugent et Molly
Hatchet. Werman a ensuite travaillé avec Poison, Twisted Sisters,
L.A.Guns, Stryper, Krokus et Dokken – en gros, le son du metal des années
80, c’était lui.
Mais il n’a pas réussi à nous prendre en main. Nous n’avons même
jamais réussi à vraiment le rencontrer. Il est venu un jour dans notre local,
où nous étions en train de jouer « Mr Brownstone » à fond. Izzy et moi
venions de nous acheter de nouveaux amplis Mesa-Boogie, et j’avais une
nouvelle guitare : c’était une Les Paul qui avait appartenu à Steve Hunter,
un guitariste de blues des années 70. Je l’avais échangée contre ma BC Rich
au magasin d’Albert et Howie Huberman, Guitars R Us. Cette boutique
était une institution pour tous les musiciens de L.A. qui n’avaient pas les
moyens d’aller à Guitar Center, c’était LE dépôt-vente des musiciens. C’est
là que je me débarrassais de mes merdes et achetais du nouveau matériel.
Ou bien, quand je n’avais plus d’argent, c’était là que je revendais mon
matériel pour avoir de quoi m’acheter de l’héro.
Bref, nous jouions « Mr Brownstone », si fort et si violemment que
Werman est immédiatement ressorti. Il est entré avec son assistant, est resté
debout dans l’encadrement de la porte, et a tourné les talons avant de
disparaître. Nous avons terminé la chanson et je suis sorti voir s’ils étaient
dehors, mais la rue était vide.
« Je pense qu’on y a peut-être été un peu fort », ai-je dit aux autres.
Nous avons fait comme si de rien n’était, mais j’étais agacé, parce que
j’avais eu l’impression que nous sonnions super bien. Mais bon, j’étais
habitué à ce que les gens n’apprécient pas.
La personnalité la plus en vue à avoir envisagé de travailler avec nous a
été Paul Stanley, de Kiss, qui cherchait le bon groupe à chapeauter de
derrière la table de mixage, en guise de projet annexe. Izzy, Duff et moi
nous en fichions complètement ; nous avons dit à Tom Zutaut que nous ne
comprenions pas bien ce que Paul Stanley pouvait nous apporter de plus.
Steven, bien entendu, était dans tous ses états – Kiss, c’était ses héros, et
nous avons donc décidé de faire plaisir à Steven et d’accepter de le
rencontrer. Paul a commencé par venir chez nous pour « parler musique ».
À cette date, l’héroïne faisait partie intégrante de nos vies, et quand Paul est
arrivé, Izzy et moi faisions de notre mieux pour ne pas piquer du nez ; on
arrivait à peine à se tenir suffisamment pour que ça ne soit pas trop
évident… du moins, c’était ce que nous pensions. Izzy et moi nous sommes
postés sur le canapé, et comme nous n’avions pas de sièges dans le salon,
Paul s’est assis par terre à côté de Steven et Axl.
« Commençons par le commencement, a-t-il dit. Je voudrais réécrire
“Welcome to the Jungle”. » Selon Paul, le morceau avait un vrai potentiel,
mais sa structure manquait de puissance. Nous avions besoin d’un refrain
plus marquant, plus chantant, qui fasse plus « hymne » – en d’autres termes,
qui ressemble plus à un morceau de Kiss.
« Ugh », ai-je grommelé dans ma barbe. Pour moi, les choses
s’arrêtaient là. C’était l’exemple type de ces mecs avec des beaux habits,
une femme qu’ils exhibent comme un trophée et une belle voiture, qui
daignaient « s’abaisser » à notre niveau pour nous dire quoi faire. Ça, je
n’ai pas tellement apprécié.
Mais Paul a été tenace. Nous l’avons revu peu de temps après, quand
nous avons donné un mini-concert organisé par Geffen. En gros, Tom
l’avait organisé, parce que nous avions besoin de faire un concert, et ça a
été un événement réservé à l’industrie et seulement sur invitation. Il s’est
déroulé chez Gazzari’s (aujourd’hui le Key Club), une salle dans laquelle
nous n’avions jamais, jamais joué, parce qu’elle représentait l’exact opposé
de ce que nous étions. Elle était tellement glam et tellement gay que dans
certains spots publicitaires radio, le propriétaire, Ed Gazzari, proclamait,
avec son fort accent de la Côte Est : « Dans tous mes groupes, il y a des
mecs sexy ! S’ils ne sont pas sexy, ils ne montent pas sur ma scène ! » Chez
Gazzari’s, on trouvait un glam metal vraiment en toc. Et nous, on n’essayait
absolument pas d’être sexy. Outre ce concert, la seule autre fois que j’y
avais mis les pieds, c’était pour voir Hollywood Rose, il y a longtemps.
Bref, Paul Stanley a assisté au concert, et il a harcelé l’ingénieur du son,
jusqu’à ce qu’il le laisse accéder à la console et se charger du mixage. Nous
ne l’avons appris que plus tard, mais quand je l’ai su, j’ai frémi en y
pensant : Paul Stanley avait mixé Guns N’Roses – chez Gazzari’s.
Franchement, est-ce qu’on peut aller plus loin dans le cliché ? Je me
rappelle qu’on a été payé, parce que je nous revois compter l’argent et le
partager, avant que je dise à Izzy : « Faut que j’aille en choper ! » C’était
tout ce qui m’importait à l’époque – et c’est ce que j’ai fait ; je suis parti
retrouver mon copain dealer.
Paul voulait toujours nous convaincre, et il a insisté pour venir à notre
concert suivant, qui, dans notre esprit, devait lui montrer une bonne fois
pour toutes qui nous étions vraiment et ce que notre producteur devrait
capturer. C’était une semaine plus tard, chez Raji’s, un vrai bouge avec une
salle de peut-être six mètres sur six, qui puait la bière et la pisse, et où le
son donnait l’impression de venir d’une sono antique, bloquée dans le
rouge. La scène faisait trente centimètres de haut, coincée contre le mur
opposé à la porte ; les toilettes étaient encore plus répugnantes que celles du
CBGB. En d’autres termes, c’était l’environnement naturel de Guns
N’Roses. Je pense que, dans l’esprit de Paul, il venait là pour nous prouver
qu’il comprenait d’où nous venions. Il était prêt à venir « traîner » dans
notre « turf » parce qu’après tout, Kiss et lui s’étaient aussi produits dans
des bouges, à l’époque. Il avait de bonnes intentions, mais je ne peux
m’empêcher de penser qu’il a très vite compris que l’endroit d’où nous
venions lui était étranger depuis très, très longtemps. Les Guns étaient le
type de bêtes féroces qui s’épanouissaient dans des trous comme celui-là.
Ce concert a été absolument extraordinaire : c’était aussi crade, glauque,
mauvais et au bord du chaos que les Guns l’étaient dans mon esprit. C’était
du Guns N’Roses pur et dur, parce que je m’étais fait un gros shoot
d’héroïne avant de monter sur scène, ce qui, combiné à l’alcool que j’avais
déjà bu, a tellement déglingué mon estomac que toutes les cinq minutes, je
me tournais pour vomir par-dessus mes amplis. Mon nouvel assistant
guitare, Jason, devait tout le temps faire un bond de côté pour éviter d’être
touché. La chaleur intolérable qu’il faisait là-dedans n’aidait pas. Le concert
était tellement exubérant, il y avait tellement de fans hardcore et chahuteurs
dans la foule qu’Axl a fini par se battre avec un type du premier rang – il lui
avait peut-être donné un coup dans la tête avec le socle du pied de micro.
Tout le concert a été une véritable émeute ; il y avait tellement d’énergie
contenue dans cette toute petite pièce surchauffée. Putain, c’était
extraordinaire ! Il y a une photo de ce concert dans le livret d’Appetite for
Destruction.
Je ne sais pas où il était pendant le concert, mais Paul Stanley s’est
matérialisé à la fin, avec sa copine/femme blonde à gros seins, tous les deux
dans des tenues qui devaient coûter plus cher que le bâtiment où nous
étions. Chez Raji’s, il n’y avait pas de loges ; il y avait un couloir entre le
côté de la scène et la sortie de secours, où tout le groupe est allé s’asseoir
après avoir fini de jouer. Paul et sa copine/femme n’avaient pas du tout l’air
à leur place, mais ils ont quand même essayé de s’asseoir avec nous. Nous
étions en nage, hargneux, et après avoir vomi près de huit fois sur scène,
j’ai fait de mon mieux pour ne pas péter les plombs quand il m’a dit, avec
sa copine à la Ivana Trump : « Hmmm, moui, c’était intéressant. »
Le lendemain, c’était officiel : j’ai dit à Tom de faire savoir à Paul que
nous allions poursuivre notre recherche de producteur, merci beaucoup. Je
suis navré d’avoir à dire que peu après, j’ai raconté cette histoire au
L.A.Weekly, avec une agressivité excessive envers Paul. Je n’y voyais pas
malice ; j’étais tellement enthousiaste par rapport à ce que nous faisions,
que tous ceux qui n’y comprenaient rien ne pouvaient qu’avoir tort. Je ne
me rappelais même pas avoir insulté Paul publiquement, et c’est pour ça
que je n’ai eu aucun scrupule à l’appeler, un mois ou deux après, pour lui
demander un service. Nous avions alors commencé à enregistrer, mais
j’avais mis au clou mes meilleures guitares pour de la drogue, et j’espérais
qu’il pourrait me procurer du matériel correct pour le studio, puisqu’il était
sponsorisé par BC Rich.
« Salut, Paul, c’est Slash, ai-je dit. Ça fait un bail, hein ? Comment ça
va, mec ? »
« Je vais bien », a-t-il dit.
« Hé, écoute, je sais que tu as un contrat avec BC Rich. Tu penses que
tu pourrais m’avoir quelques guitares ? »
« Ouais, bien sûr, ça ne devrait pas poser problème », a-t-il dit, avant un
long silence. « Mais je ne le ferai pas. Je vais te donner un conseil : tu
devrais te méfier, quand tu laves ton linge sale en public. Bonne chance. »
Clic.
Tonalité.
J’y ai mis le temps, mais en 2006, j’ai en l’occasion de présenter mes
excuses à Paul à l’émission Rock Honors sur VH1, lors d’un hommage à
Kiss, où j’étais présent aux côtés de Tommy Lee, Ace Frehley et bien
d’autres. Tout était cool ; de l’eau avait coulé sous les ponts.
Rétrospectivement, je sais très bien pourquoi je me suis comporté ainsi : à
l’époque, j’étais arrogant, et quand on est arrogant, peu importe qui l’on est
en tant qu’individu, le fait de ne pas être fan du groupe de quelqu’un est une
raison tout à fait légitime de se comporter comme un con.
NOUS RÉPÉTIONS TOUS LES JOURS ; NOUS COMPOSIONS de nouveaux
morceaux, et nous faisions la fête toute la nuit. Comme je l’ai déjà dit, je
n’avais aucun mal à me procurer de l’héro, et je ne calculais pas combien
j’en prenais. Dans mon esprit, c’était un usage purement récréatif – ce
n’était pas censé devenir le centre de mon univers.
La première fois que j’ai réalisé que j’avais un problème, c’est la
première fois que je n’en ai pas trouvé. Je n’y pensais pas vraiment –
l’ignorance est une bénédiction. Ce jour-là, le jour où ça m’est tombé
dessus pour la première fois, Izzy et moi avions décidé d’aller à Tijuana
avec Robert John, le photographe et ami qui nous suivait depuis le premier
jour et qui est devenu notre photographe de tournée officiel jusqu’en 1993.
Bref, ça a été un voyage formidable : nous avons bu quelques bouteilles
de tequila, nous nous sommes baladés dans les rues ; nous avons vu des
Américains ivres se faire dépouiller par des putes dans tous les bouges et
dans tous les bordels de la rue. Vers la fin de la journée, j’avais simplement
l’impression d’être fatigué, soûl, et d’avoir pris froid ; je ne soupçonnais
pas ce qui arrivait vraiment à mon organisme. Quand nous sommes rentrés
à L.A., je me souviens, je me suis immédiatement écroulé. Quand je me
suis réveillé, plus tard dans la soirée, je me sentais toujours patraque, et je
me suis dit que quelques whiskeys chez Barney’s Beanery me remettraient
d’aplomb. Je suis allé là-bas vers 22 heures, et après mes deux premiers
verres, je ne me sentais pas mieux du tout ; c’était même pire. Je suis rentré
à l’appartement, et je me suis mis en position d’urgence : sur les genoux, la
tête entre les jambes et les mains sur la tête, tout simplement parce que je ne
me sentais bien dans aucune autre position. Je me souviens très bien de
cette soirée, parce que Marc Canter est venu à l’improviste, un peu tard. Il
était aussi étranger que possible à tout ce milieu de la drogue. Il a ouvert
des yeux ronds devant moi.
« Ça n’a vraiment pas l’air d’aller, a-t-il dit. Tu te sens bien ? »
« Ouais, ouais, ça va, ai-je dit. J’ai la grippe. »
La vérité, c’était que j’étais en manque, après un jour passé sans
héroïne. J’ai eu du mal à me l’avouer. Cette nuit-là, tandis que j’étais étendu
dans mon lit, en nage, j’essayais encore de prétendre que ce n’était que la
pire grippe de ma vie.
J’ai un peu diminué les doses, je suppose, mais j’ai continué plus ou
moins dans cette voie jusqu’au jour où j’ai dû de nouveau admettre que
j’étais devenu accro – grâce au long bras de la loi. Un soir, j’étais en voiture
avec Danny à chercher de la drogue et nous avions réussi à mettre la main
sur quelque chose, mais en très petite quantité ; un simple amuse-bouche.
Nous sommes allés chez mon pote Roy Schneider (mon bassiste dans Tidus
Sloan) où nous nous sommes défoncés, avons traîné un peu en écoutant du
Iron Maiden avec Ron, avant de rentrer chez nous vers 4 heures du matin.
Nous étions sur La Cienega quand nous avons vu derrière nous des
gyrophares rouges et bleus. Le temps de ralentir et de nous mettre sur le
côté, nous étions pile en face de notre appartement, à deux pas de notre
porte.
Ces deux flics cherchaient clairement à remplir leur quota de la nuit ou
du mois, parce que nous n’allions pas vite et nous ne faisions rien de
suspect. Nous n’avions rien sur nous, mais Danny avait oublié la seringue
qui dépassait de la poche de poitrine de sa chemise, ce qui a donné carte
blanche* aux flics pour faire tout ce qu’ils voulaient. Ils ont commencé par
nous braquer leurs lampes torches dans les yeux.
« Avez-vous consommé de la drogue ce soir, monsieur ? » m’a demandé
l’un d’eux.
« Non », ai-je répondu en clignant des yeux sous mes cheveux.
« Vous êtes sûr ? Il me semble que si ; vos pupilles sont toutes petites. »
« Ouais, c’est parce que vous m’aveuglez avec votre lampe torche », ai-
je répondu.
Ils n’ont rien voulu savoir : ils ont immobilisé la voiture de Danny, et
l’ont arrêté pour possession de matériel. Ils m’ont aussi mis les menottes,
mais sans vouloir me dire pourquoi. Et tout ça se passait à deux mètres de
ma porte d’entrée.
Ils nous ont jetés, Danny et moi, à l’arrière de leur voiture de patrouille,
et ont poursuivi leur mission officieuse consistant à coffrer tous les
« vagabonds » aux cheveux longs qu’ils voyaient au cours de leur trajet de
retour au commissariat. À moins d’un kilomètre de là, ils ont arrêté Mike
Levine, le bassiste de Triumph, qui sortait d’un supermarché et retournait à
sa voiture avec un pack de bières sous le bras, sous prétexte qu’il avait
l’intention de boire et de conduire. Ils l’ont mis à l’arrière avec nous et ils
ont continué. Un peu plus loin, sur Santa Monica Boulevard, ils ont arrêté
une fille pour « ivresse sur la voie publique », à trois pâtés de maisons du
commissariat. La fille n’avait pas du tout l’air soûle – elle marchait
simplement dans la rue. Comme il n’y avait plus de place dans la voiture,
un des flics est descendu de la voiture pour aller à pied avec elle jusqu’au
commissariat.
Ils nous ont mis tous les trois ensemble, nous les garçons, dans la même
cellule, et nous avons passé quelques heures en prison. Mike Levine a été
libéré sous caution, et une fois que Danny eut attendu assez longtemps, ils
l’ont aussi laissé partir. Il était inculpé à cause de sa seringue, et on lui a
signifié une date de procès, et tout ça. Il ne restait plus que moi, et comme
je pensais que je n’avais rien fait, je m’imaginais qu’ils allaient me libérer
d’une minute à l’autre. On était alors samedi, vers 8 heures du matin, et
tandis que les heures s’étiraient, j’ai essayé, en vain, d’attirer l’attention du
gardien pour lui demander pourquoi j’étais encore là.
Pour toute réponse, on m’a transféré de la petite cellule de la nuit dans
une cellule plus grande, très haute de plafond, avec un tapis en caoutchouc
par terre, une cuvette de WC commune dans un coin, de nombreux
codétenus et une odeur tenace de pisse. Je ne savais pas du tout ce qui allait
m’arriver. L’effet de la drogue commençait à s’estomper ; dans quelques
heures seulement, je serais en manque. Au bout d’un moment, on nous a
fait monter dans un de ces affreux bus scolaires transformés, peints en noir
et blanc avec des grilles aux fenêtres. On m’a enchaîné les pieds et les
mains, avant de m’attacher au type devant moi. Je ne savais toujours pas ce
que je faisais là, mais j’ai compris qu’on m’emmenait à la prison du comté,
et j’ai immédiatement commencé à enlever mon vernis à ongles noir à
coups de dents. Il était hors de question que j’aille en prison avec du vernis
à ongles.
On a mis des heures à arriver, parce qu’en chemin, le bus s’arrêtait dans
toutes les prisons pour faire monter plus de monde ; et pendant ce temps-là,
je me sentais de plus en plus mal. Dans chaque prison, on nous faisait
descendre et on nous mettait dans une cellule de détention commune en
attendant les nouveaux arrivants. La prison du comté était à une vingtaine
de kilomètres, mais entre tous ces arrêts et toutes ces tracasseries
administratives, nous avons mis la journée à y arriver. Nous avons fait plus
de six prisons, et nous sommes arrivés à celle du comté en fin d’après-midi.
Mais une fois là-bas, les choses ont été tout aussi longues : ils ont enregistré
ce que j’avais sur moi, et m’ont mis dans plusieurs cellules successives avec
les nouveaux arrivants, jusqu’à ce que toute la paperasserie à mon sujet fût
terminée.
C’était la bureaucratie la plus fastidieuse que j’aie vue de ma vie, et le
fait que je fusse sérieusement en manque tout le long n’a pas facilité les
choses. Jusque-là, le manque avait toujours été quelque chose d’abstrait ;
j’en avais entendu parler, mais même après en avoir eu un aperçu à Tijuana,
je considérais cela avec la même forfanterie insouciante qui m’avait fait
devenir accro. Confronté au manque dans toute sa réalité, je m’étais dit que
le meilleur moyen d’y échapper était de toujours savoir où pouvoir se
procurer de la drogue. Ça n’avait jamais posé problème à Hollywood. Mais
bouclé en prison pendant quelques jours, sans moyen de me procurer de
l’héroïne, c’était autre chose : c’était une désintoxication forcée, dans le
pire environnement possible.
J’étais logé dans une de ces grandes pièces à l’ancienne, garnies de
quelques rangées de paillasses, sur lesquelles j’ai subi les affres du manque,
en nage, nauséeux, malade et exténué. Je ne sais pas exactement combien
de temps je suis resté là ; environ trois jours, je suppose ; et puis tout à
coup, ils m’ont laissé sortir, sans explication, et j’ai dû repasser par tout ce
putain de processus d’entrée, à l’envers. Axl avait versé ma caution et avait
demandé à Danny de venir me chercher, mais je n’en savais rien tandis que
je remplissais les formalités de sortie dans ma petite combinaison, faisais la
queue, attendais dans une série de pièces, en transpirant, toussant, reniflant,
tremblotant, et dégageant une très mauvaise odeur : j’avais l’air, et je me
sentais, foutrement mal. Quand ils m’ont rendu mes vêtements et mes
affaires, ils ont fini par me dire pourquoi j’étais là : ils m’avaient coffré
parce que, six ans plus tôt, j’avais traversé en dehors du passage piéton.
Comme je ne m’étais pas présenté à l’audience et n’avais pas payé
l’amende, un mandat d’arrêt avait été déposé contre moi. Après tout ce que
j’avais fait, j’étais coffré pour avoir traversé en dehors du passage piéton.
Bon, au moins, j’avais purgé ma peine et j’avais payé ma dette à la société !
J’ai déambulé une bonne heure à l’extérieur de la prison, à fumer des
cigarettes en me demandant qui avait bien pu verser ma caution, quand tout
à coup, Danny est arrivé ; nous sommes immédiatement allés sur Melrose et
Western pour nous procurer de la drogue. Quand je suis rentré à
l’appartement, Axl dormait, tout comme Steven et Izzy, et Duff n’était pas
là. Je me suis défoncé, j’ai pris une douche, et quand les mecs se sont
réveillés, j’ai réalisé qu’ils ne s’étaient même pas aperçus que j’avais
disparu pendant quelque temps. Je n’attendais pas grand-chose, mais ça
aurait été chouette d’avoir au moins un petit comité d’accueil. Quand j’ai
appris plus tard que c’était Axl qui avait réuni l’argent pour ma caution, j’ai
été touché. C’était plutôt cool de sa part.
MALGRÉ NOTRE MODE DE VIE ET NOTRE SENS DES priorités plutôt atypique,
nous avons finalisé plein de choses dans cet appartement. Nous avons
composé une version acoustique de « You’re Crazy », qui s’est retrouvée
dans une version électrique sur Appetite et sous sa forme originale sur Lies.
Nous l’avons travaillée chez Dean Chamberlain, et nous l’avons musclée en
l’accélérant de vingt pulsations par minute de plus que l’originale. Axl, Izzy
et moi avons eu des périodes créatives vraiment formidables dans cet
appartement. Néanmoins, l’argent de notre avance, à la fois collective et
individuelle, fondait comme neige au soleil, et notre quête d’un manager est
tout à coup devenue très importante. Nous avions perdu notre bail et deux
d’entre nous étaient plus ou moins devenus des junkies ordinaires, qui
devaient bien vivre quelque part.
Tom Zutaut nous a présenté Arnold Stiefel, un manager dont les plus
gros clients à l’époque étaient Rod Stewart (qu’il manage toujours, je crois)
et l’acteur Matthew Broderick, qui allait devenir une grande star grâce à La
Folle journée de Ferris Bueller [Ferris Bueller’s Day Off, 1986]. Cela
n’avait rien pour nous impressionner. Mais après quelques bons entretiens
avec Arnold et ses partenaires, nous sommes arrivés au meilleur
arrangement possible : ils ne voulaient pas signer tout de suite avec nous,
mais ils acceptaient de nous loger dans une maison en attendant que nous
trouvions un producteur et que nous fassions un album, et là seulement ils
verraient s’ils voulaient devenir nos managers. Je ne sais pas ce que Tom
leur avait promis pour obtenir ce résultat, mais c’était l’arrangement à court
terme idéal : ils étaient prêts à nous laisser « évoluer » à leurs frais.
À l’époque, j’étais désolé pour Tom. Nous étions devenus ce groupe
autodestructeur, dans lequel il avait foi, et en échange, nous ne montrions
aucun signe de pouvoir jamais arriver à quelque chose. Pour nous, c’était
drôle qu’aucun des producteurs ou des managers ne nous convienne, mais
Tom était tout à fait conscient d’une chose : lentement mais sûrement, nous
allions passer du stade où nous intéressions tout le monde dans l’industrie
du disque, à celui où nous n’intéresserions absolument personne – je suis
sûr qu’il était en panique : au bout de deux ans, il allait sûrement perdre son
poste si ça ne marchait pas.
En tant que découvreur de talents, le seul point positif que Tom ait retiré
de tout cela, c’était que quand il nous avait dénichés et signés, nous avions
deux ou trois très bonnes chansons, mais qu’au cours de tout ce temps, nous
avions écrit un paquet de nouvelles chansons vraiment très bonnes. Peut-
être qu’au fond de lui, la folie de Tom avait une certaine méthode, peut-être
qu’il savait que nous avions besoin de ce laps de temps, et qu’il a fait de son
mieux pour nous l’obtenir, parce qu’au final, il a tiré le meilleur de nous. Il
n’a jamais dit que telle était son intention, mais je suis sûr que c’était sa
manière de voir le bon côté des choses. Ce groupe lui a pris tellement de
temps, entre le moment où nous avons signé et celui où nous avons fini
l’album et démarré la tournée, qu’il a dû le rendre fou. Il ne pouvait rien
faire pour nous amadouer ou nous demander d’accélérer, parce que toutes
ses tentatives échouaient. L’attitude générale du groupe et toutes nos
activités annexes se mettaient en travers de tous les chemins qu’il essayait
de nous faire prendre.
De guerre lasse, Tom a quand même réussi à nous faire entrer en studio
avec Manny Charlton, le guitariste de Nazareth, aux Studios Sound City sur
Whitsett et Moorpark dans la Vallée. Nous avons travaillé la démo de
« November Rain », dont la version originale durait près de dix-huit
minutes, donc inutile de dire que nous avions vraiment besoin de nous
mettre au travail et de nous concentrer pour l’arranger. Nous avons aussi
travaillé sur « Don’t Cry », et sur quasiment tous les morceaux qui ont fini
sur Appetite, sauf « Sweet Child O’Mine », parce que nous ne l’avions pas
encore écrite. Mais on a vraiment passé une super journée dans ce studio, à
enregistrer en une prise les morceaux, tous dans cette grande pièce.
Malheureusement, Manny n’avait pas l’air d’être le bon. Les démos
sonnaient bien, mais c’était tout : quelques bonnes cassettes démos. Nous
nous connaissions assez bien pour savoir que ça ne suffisait pas.
QUELQUE TEMPS APRÈS, NOUS AVONS EMMÉNAGÉ dans la maison Stiefel,
comme nous l’avons surnommée, une maison toute neuve dans une
résidence fermée appelée Laughlin Park, tout au bout de Griffith Park près
de l’Observatoire, le Théâtre Grec et le Zoo de L.A. C’était au fin fond de
East Hollywood, à vingt minutes en voiture de l’endroit où nous vivions
auparavant. Ça n’avait l’air de rien, mais vu qu’aucun de nous n’avait de
voiture, c’est devenu la période la plus asociale que nous ayons vécue.
Nous étions coincés là-bas, dans une nouvelle maison, une nouvelle
résidence, au milieu des bois. Il y avait deux chambres à l’étage – une pour
Axl et une pour Steven, et Izzy et moi partagions une chambre en bas, du
fait de nos « intérêts partagés ». Nous avons vécu là quatre ou cinq mois,
mais nous n’avions pas beaucoup de meubles ; nous avions des lits, une
table et deux chaises dans toute la maison. Axl s’est débrouillé pour se
trouver un vrai lit, une lampe et une commode je ne sais où : sa chambre
était une oasis bien équipée, qu’il protégeait par un cadenas, mais le reste
des lieux était relativement vide. Au niveau de l’éclairage, c’était tout aussi
maigre : il y avait une lampe dans notre chambre à Izzy et moi, un
plafonnier dans la salle à manger, mais rien dans le salon, les escaliers et les
couloirs. Tout le temps que nous y avons passé, nous avions l’impression
que quelqu’un allait venir emménager incessamment.
Nous avions une cheminée, et comme nous ne nous sommes jamais
souciés d’acheter des lampes, après le coucher du soleil, nous faisions un
feu et nous nous limitions en général au salon ou à la cuisine, qui avait aussi
un plafonnier. Nous n’étions pas du tout dans notre élément : pour la
première fois, nous vivions dans un quartier où on ne trouvait pas de
meubles gratuits dans la rue, dans les poubelles des gens. Le bon côté,
c’était que nous étions dans un quartier résidentiel si reculé que, si nous
n’avions pas envie de jouer sur nos guitares acoustiques, nous pouvions
jammer toute la nuit sur nos guitares électriques. Et, si nous avions eu des
amplis, c’est probablement ce que nous aurions fait.
La culture de la drogue était devenue une réalité dominante dans nos
vies, et a joué un rôle majeur dans tout ce que nous avons fait à cette
époque. Quand elle a commencé à montrer des signes de faiblesse, nous
avons vu le bout du tunnel… que cela nous plaise ou pas. Nous étions tous
conscients que les jours tranquilles et insouciants que nous coulions à West
Hollywood, dans une débauche d’héroïne, touchaient à leur fin : nous
n’avions plus d’argent, on ne trouvait quasiment plus de came dans les rues,
et du fait de notre nouvelle adresse, nous étions à la merci du seul dealer qui
acceptait de se déplacer. Cela ne présageait rien de bon : ce qui avait été très
drôle peu de temps avant nous mettait à présent dans une merde noire.
Malheureusement, nous n’étions pas en état de « laisser tomber et de ne
plus y penser ». Nous étions obligés d’être méthodiques et économes, et
nous luttions pour diminuer notre consommation.
Quand nous pouvions nous défoncer, Izzy et moi écrivions beaucoup,
parce qu’à ce moment-là, l’héroïne était un puissant moteur pour nous. Pour
moi, c’était la plus cool des drogues, parce qu’elle me permettait d’être à
l’aise en toutes circonstances ; elle me faisait oublier mes inhibitions et mes
complexes. Sous héroïne, j’étais cool, j’avais confiance en moi, et notre
collaboration était donc facile. Izzy et moi nous mettions à jammer et à
travailler des idées, en nous renvoyant riffs et accords comme des balles. Et
il en sortait toujours quelque chose, cela nous semblait tellement plein
d’inspiration.
J’AI L’HABITUDE DE M’ASSEOIR AVEC UNE GUITARE, ET de trouver des riffs
compliqués ; c’est simplement des positions de doigts peu orthodoxes sur
des mélodies assez simples. C’est ma façon de commencer à jouer et de
trouver quelque chose de plus intéressant à faire que des gammes.
Aujourd’hui encore, c’est comme ça que je procède ; plutôt que de me
livrer à des « exercices » évidents, je préfère créer des mélodies de mon crû
qui me délient les doigts tout en sonnant agréablement à l’oreille, parce
qu’à quoi bon s’entraîner si ça ne sonne pas bien ?
C’est ce que j’étais en train de faire un soir, quand Izzy est venu
s’asseoir par terre à côté de moi.
« Hé, qu’est-ce que tu viens de faire ? » m’a-t-il demandé.
« Je ne sais pas, ai-je répondu. Des conneries. »
« Continue. »
Il a ajouté des accords, et comme Duff était là, il a trouvé une ligne de
basse et Steven a concocté un rythme à la batterie. En une heure, mon petit
exercice de guitare était devenu quelque chose de totalement différent.
Ce soir-là, Axl n’est pas sorti de sa chambre, mais il a tout autant
participé au processus créatif que nous tous : il était assis là-haut, à écouter
tout ce que nous faisions, ce qui lui a inspiré des paroles qu’il a terminées le
lendemain après-midi. C’est devenu une ode à sa petite amie et future
première épouse, Erin Everly, la fille de Don Everly des Everly Brothers.
Nous avions trouvé un studio de répétition à Burbank, les Studios
Burbank, qui n’était rien de plus qu’un grand entrepôt appartenant à un
vieux couple d’Asiatiques, et c’est là que nous avons vraiment commencé à
travailler à la pré-production d’Appetite, en peaufinant les chansons dont
nous avions déjà enregistré une démo. La séance suivante, nous avons
travaillé notre nouvelle chanson d’un seul mouvement : nous avons ajouté
un pont, un solo de guitare, et c’est ainsi que c’est devenu « Sweet Child
O’Mine ».
Tout cela était bien beau, mais il nous manquait toujours un producteur.
Tom a eu l’idée d’essayer avec Spencer Proffer, qui avait travaillé avec Tina
Turner, Quiet Riot et W.A.S.P., qu’Axl appréciait beaucoup à l’époque, et
nous avons donc accepté. Nous avons emporté notre matériel aux Studios
Pasha, où Spencer officiait alors, et nous avons convenu de travailler
ensemble sur « Sweet Child » en guise de test. Spencer était un mec génial ;
c’est même lui qui a suggéré d’ajouter un break dramatique à la chanson
avant le final. Il avait raison… mais nous ne savions pas quel genre de
break nous allions pouvoir faire. Nous étions tous assis dans la salle de
contrôle, à écouter le morceau en boucle, sans la moindre idée.
« Où est-ce qu’on va, là ? a dit Axl, plus pour lui-même que pour nous.
Où est-ce qu’on va, maintenant ?… Où est-ce qu’on va, là ? [Where do we
go ?] »
« Hé, a dit Spencer en baissant le volume. Et si tu essayais de chanter
ça ? »
Et c’est ainsi qu’est né ce break dramatique.
Nous avons mis au point une démo solide de « Sweet Child » et avons
travaillé d’autres démos avec Spencer sur à peu près la moitié des morceaux
d’Appetite, mais vers la fin, nous n’avions pas vraiment l’impression qu’il
était le producteur adéquat pour nous, et nous avons donc poursuivi notre
quête.
LES CHOSES NE SE PRÉSENTAIENT PAS BIEN – JE SUIS sûr que Tom était à bout
de nerfs, mais juste avant qu’il ne craque, nous avons trouvé un manager.
Techniquement, nous étions censés être managés par Stiefel et compagnie,
qui nous logeaient, mais comme ni Tom ni nous n’avions de relations avec
eux, nous continuions à contacter des managers potentiels. Le seul qui ait
tenu le choc, si je puis dire, a été Alan Niven, un type qui a tout de suite
compris dans quoi il mettait les pieds en travaillant avec nous.
Izzy et moi avons rencontré Alan dans un bar, et j’avais du mal à garder
les yeux ouverts sur mon tabouret, mais ça n’a pas eu l’air de déranger
Alan. Dès le début, il a adoré l’énergie endiablée de notre groupe, et était
tout excité à l’idée de nous aider à franchir l’obstacle qui nous empêchait
d’enregistrer, de partir en tournée et de devenir un groupe vraiment
professionnel. J’étais très blasé, et, comme je l’ai dit, je devenais très
paranoïaque quand quelqu’un essayait de s’introduire dans notre cercle.
Mais je respectais Alan avant même de le rencontrer : c’était lui qui avait
permis que les Sex Pistols signent chez EMI, et je savais donc qu’il était
doué. C’était un Néo-Zélandais, charmant et dissolu, qui a tout de suite
accroché avec Izzy et qui savait que nous étions dignes de ses efforts. Alan
n’a pas essayé de se mêler de l’aspect créatif des choses – il nous l’a laissé
– et il s’est contenté de faire ce qu’il faisait de mieux : le marketing et le
management ; c’étaient ses points forts.
Alan a rencontré tout le monde pendant que nous étions toujours aux
studios Pasha en train de travailler avec Spencer, il a écouté toutes nos
démos et il a décidé que nous devrions garder ces prises, ajouter une piste
avec un public de concert, et les sortir sous forme d’un mini-album live. Il
estimait qu’il était essentiel de sortir quelque chose pendant que notre
réputation était encore forte dans le milieu de la musique ; cela permettrait
de maintenir l’excitation intacte le temps que nous enregistrions notre
album à proprement parler.
Nous avons eu l’idée de sortir ce mini-album sur notre propre label, et
nous avons insisté auprès de Geffen pour qu’ils le financent. Cela devait
avoir l’air d’un mini-album « live » sur un label « indépendant », alors
qu’en vérité, ce ne serait ni l’un ni l’autre. Nous avons baptisé notre label
Uzi Suicide, et le mini-album Live Like a Suicide. Il s’agissait des démos
brutes de quatre morceaux que nous jouions depuis notre première répète
ensemble : « Mam Kin » d’Aerosmith, « Nice Boys » de Rose Tattoo, et
deux morceaux à nous, « Move to the City » et « Reckless Life ». C’est sûr,
elles sont assez brutes, mais si vous voulez mon avis, elles sonnent
sacrément bien quand même.
À présent, nous avions donc un manager et un demi-album de morceaux
« live », et Zutaut était content. Il était sûr que le mini-album allait attirer
des producteurs dignes d’intérêt. En tout cas, il nous a permis de nous faire
remarquer : je me souviens qu’un jour, en quittant la maison de Redondo
Beach d’Alan avec Duff, j’ai entendu « Move to the City » sur KNEC, la
grande station de radio heavy metal de Long Beach. Notre mini-album
reflétait bien notre esthétique, sans parler de notre style de vie et, comme
d’habitude, on avait du mal à trouver des gens qui partageaient notre état
d’esprit. Pour le dire simplement, on a donné quelques coups d’épée dans
l’eau avant de trouver le bon.
NOUS AVONS ÉTÉ D’ACCORD POUR DIRE QUE DONNER quelques concerts nous
permettrait de garder notre visibilité et notre élan. Moi, en tout cas, je savais
que si aucun engagement n’était en vue, il y avait de fortes chances pour
que je considère chaque jour comme des vacances. Nous sommes retournés
à San Francisco faire la première partie de Jetboy au Stone, puis, deux jours
plus tard, celle de Ted Nugent au Santa Monica Civic Center.
À l’époque, nous habitions toujours officiellement la maison Stiefel,
même si, après avoir choisi Alan pour manager, nous avons commencé à
vider les lieux en prévision du jour où nous annoncerions à Stiefel la
mauvaise nouvelle. Axl est retourné chez Erin, je ne sais pas où Steven est
allé, et Duff était là où il avait toujours été, donc Izzy et moi sommes
devenus les seuls résidents permanents, à vivre confortablement dans la
crasse au rez-de-chaussée, dans une seule pièce. Ça faisait très bohème ;
notre pote Danny venait squatter souvent, lui aussi, l’une des chambres
disponibles.
Trouver de la drogue à L.A. était tout à coup devenu plus compliqué, et
Danny et moi passions régulièrement les rues au peigne fin pour nous en
procurer. Un soir, nous avons eu de la chance, et nous avons réussi à en
trouver une quantité tout à fait respectable. Nous étions aux anges ; nous
sommes rentrés à la maison et l’avons planquée dans un briquet à moi, en
forme de pistolet. Nous l’avons caché dans mon tiroir, parce que le
lendemain matin, nous devions partir à San Francisco. Je ne voyais pas
l’intérêt d’emporter ça à San Francisco, parce que là-bas, je n’avais jamais
eu de problème à me procurer de la China White premier choix.
Nous avons mis notre matériel dans le van que nous avions loué ;
Danny, Izzy et moi y sommes allés dans la voiture de Danny, et une fois
arrivés, Izzy et moi avons foncé chez quelqu’un, auprès de qui nous
comptions récupérer de la came. Le dealer n’est pas arrivé avant le concert,
alors nous sommes allés jouer, même si tout s’est déroulé dans un
brouillard, parce que je ne pensais qu’au shoot que je me ferais ensuite. Le
reste du groupe a remballé, avec Danny, et est retourné à L.A., tandis
qu’Izzy et moi avons proposé de ramener la voiture de Danny, parce que
nous voulions trouver de la came. Nous sommes retournés à l’appartement
du type, et nous avons attendu qu’il arrive. Nous avons attendu… attendu…
attendu… rien. À ce moment-là, nous étions devenus nerveux, et quand le
dealer est arrivé, il n’avait que de la merde – sans aucun intérêt. Nous nous
sommes regardés, et nous avons tous deux réalisé que nous étions
foutrement loin de chez nous, et que nous n’avions plus beaucoup de temps
avant de nous transformer en citrouilles.
Le lendemain, la matinée était déjà bien avancée quand nous nous
sommes mis en route, mais nous savions qu’au pire, j’avais un paquet de
came planqué à la maison. Tout allait bien, nous avions une bonne
moyenne… jusqu’à ce que nous tombions en panne d’essence. Nous avons
perdu une bonne heure, le temps d’aller en stop à la station la plus proche et
de revenir. Quand nous avons repris la route, à toute allure pour essayer de
regagner le temps perdu, alors que ça commençait à nous démanger
sérieusement, nous avons crevé. Changer un pneu n’est jamais une partie de
plaisir, mais quand votre horloge interne est en plein compte à rebours avant
la fin, c’est encore autre chose.
Nous avons fini par arriver à la maison cette nuit-là, en pensant que
nous étions tirés d’affaire et que tout allait bien. La came crée une
camaraderie entre les junkies, surtout quand ils sont sur le point de se
piquer ensemble, et en pénétrant dans la maison, Izzy et moi étions les
meilleurs amis du monde, aussi proches que possible, bras dessus bras
dessous, et tout ce que nous avions vécu nous faisait rire. Nous sommes
allés dans ma chambre, j’ai ouvert mon tiroir… et j’ai découvert que toute
ma came avait disparu.
Alors j’ai appelé Danny.
« Salut, ai-je dit. Dis-moi, j’avais pas planqué ma came dans mon
briquet ? »
« Si », a-t-il dit d’une voix innocente.
« Elle a disparu. »
« Pas possible ? »
« Je ne la trouve plus. »
« Putain, ça craint. »
« Ramène ton cul, et viens m’aider ! »
Izzy, Danny et moi avons entrepris de retourner toute la chambre, puis
toute la maison. Je savais que je l’avais mise là, et je savais que Danny était
présent quand je l’avais fait, mais j’étais prêt à lui laisser le bénéfice du
doute.
« Mec, tu sais quoi ? » a dit Danny une fois que nous avions épuisé
toutes les cachettes possibles. Il a secoué la tête : « Je l’ai cachée. Je l’ai
cachée quand j’étais défoncé. Je vais essayer de me rappeler où… laisse-
moi réfléchir. »
Après y avoir réfléchi longuement, Danny a pensé à quelques coins où
nous n’avions pas regardé ; quelques fausses pistes. Et puis il est rentré
chez lui, nous laissant, à Izzy et moi, la mission impossible d’essayer de
contacter Sammy, notre dealer de Persane – notre seul dealer de l’époque.
Les choses ne se présentaient pas bien : nous bipions Sammy toutes les dix
minutes, et il ne nous rappelait jamais.
Le lendemain matin, Dezi, la copine d’Izzy est venue nous voir et a bien
vu que la situation était critique : nous n’avions pas dormi de la nuit, nous
avions roulé depuis San Francisco, nous avions passé toute la journée à
biper des dealers en vain, et nous devions faire la première partie de Ted
Nugent dans quelques heures. Izzy et moi étions en pleine descente, rien ne
se passait, nous n’avions plus personne à appeler et nous étions ravagés.
Nous commencions à flipper pour de bon, on aurait dit des vampires de
Blackula, à nous rouler par terre en allant vomir aux toilettes toutes les cinq
minutes.
Notre concert avec Ted Nugent devait avoir lieu à Santa Monica, à
19h30. Sammy ne nous rappelait toujours pas, et nous avons dû trouver un
moyen de nous mettre quelque chose dans le corps – n’importe quoi – qui
nous permettrait de reprendre suffisamment forme humaine pour assurer le
concert. Nous n’étions pas en état de jouer, et encore moins d’aller en
voiture jusqu’à la salle. En dernier recours, Dezi a appelé sa copine Melissa,
qui habitait à Hollywood, dans l’ancien appartement d’Izzy. Elle avait eu
des nouvelles de Sammy, et devait le retrouver peu de temps après.
Ça a suffi à nous motiver : nous nous sommes débrouillés pour aller là-
bas, et avons attendu que Melissa revienne avec la drogue. On aurait pu
croire que l’un de nos problèmes était réglé, mais en même temps, il était
17 heures, et nous n’étions qu’à une heure du concert. Finalement, elle est
revenue, Izzy et moi avons eu notre came, on l’a prise, et quel
soulagement ! Putain ! Nous étions de nouveau en état de marche. Nous
avions à peine le temps de rejoindre notre groupe, qui nous attendait afin de
pouvoir donner notre premier concert dans un stade, un concert à guichets
fermés devant trois mille personnes.
Nous avons foncé jusque-là. Nous n’avions pas de passes pour les loges
ou pour le parking, et après la nuit que nous avions passée, on aurait dit
deux clochards. Nous avons laissé Dezi garer la voiture, et nous avons sauté
la clôture derrière le stade, en l’absence d’une meilleure idée. Ce faisant, je
me suis pris dans la grille, et le bouton de mon jean a sauté, ce qui fait que
j’ai passé le reste de la soirée à vérifier que ma fermeture éclair n’était pas
en train de descendre, ce qui m’aurait laissé à poil, vu que je n’ai jamais
aimé porter de sous-vêtements.
Izzy et moi sommes parvenus à nous faufiler dans l’aire de chargement,
puis en coulisses, et en entrant dans le couloir qui menait à la scène, j’ai vu
Gene Simmons. Il était à l’autre bout du couloir, et nous a jeté un regard
inquisiteur, ce qu’il fait très bien. Je ne savais pas du tout ce qu’il faisait là,
mais sa présence ajoutait à l’aspect surréaliste de ces dernières vingt-quatre
heures. Izzy et moi sommes allés dans les loges, où nous n’avions plus que
dix minutes avant le début du concert. Les autres étaient peut-être énervés
au départ, mais le soulagement l’a vite emporté. Le désastre avait été
évité… nous avons jeté un œil dans le miroir, et nous sommes montés sur
scène.
Et c’est la première fois que nous avons joué « Sweet Child O’Mine »
en concert. Je ne maîtrisais pas encore très bien son riff caractéristique, pas
au point de pouvoir l’exécuter sans problème, mais je m’en suis sorti et le
groupe dans son ensemble a très bien joué. Tout le concert était bien, et
plusieurs de nos amis étaient là : Yvonne, Marc Canter, et quelques autres
amis « normaux » à moi. Mieux, quand nous sommes sortis de scène, Izzy a
reçu un message de Sammy, qui devait nous retrouver à la maison Stiefel.
Yvonne et ses amis étaient en coulisses, et, à ce moment-là, elle et moi
étions de nouveau ensemble, et son intervention auprès de mes parents
appartenait au passé. Elle ne savait pas vraiment où j’en étais avec la
drogue – et je n’éprouvais pas le besoin de le lui dire.
Elle était tout simplement là, en bonne copine qui soutenait son mec, et
qui était venue l’encourager pour son premier gros concert dans un stade.
Tout bien considéré, elle me laissait faire mon truc. Bien sûr, elle voulait
aller fêter ça, ce qui était un vrai problème. J’avais hâte de m’en aller et de
rentrer chez moi me droguer, mais je ne voulais pas qu’elle le sache, alors
j’ai essayé de lui dire que je l’appellerais et que nous nous retrouverions
une fois que nous aurions ramené nos guitares, mais ça n’a pas marché –
avec ses amis, ils voulaient nous retrouver à la maison.
Izzy, Danny et moi ne voyions pas de meilleure manière de fêter notre
concert qu’avec de l’héro, alors nous avons foncé à Griffith Park pour nous
en procurer. Il était si tôt qu’il ne faisait même pas encore nuit, ce qui nous
a permis, alors que nous roulions sur Fairfax et que nous étions arrêtés à un
feu rouge à Fountain, de repérer la voiture de Sammy, notre dealer, dans la
file d’à côté. Cela n’a fait que renforcer le côté épique et euphorique de la
journée – et a divisé par deux le temps de trajet de Sammy. À ce moment-là,
j’avais encore l’impression de pouvoir rentrer et me défoncer à la maison,
avant l’arrivée d’Yvonne.
Nous avons acheté la came à Sammy, avons foncé jusqu’à la maison, et
nous sommes précipités à l’intérieur en courant comme des dératés. Izzy a
plongé dans notre chambre et a claqué la porte, et je me suis enfermé dans
la salle de bains de Steven, éclairée par une ampoule rouge qu’il avait
installée. J’étais là, à essayer de me faire mon fix, tout en tremblant et en
haletant nerveusement sous cette lumière rouge surnaturelle, quand soudain,
on a frappé à la porte.
« Hé, bébé, a dit Yvonne. Tu es là ? »
« Oh ouais, ouais, ai-je dit. Ouais, je suis là. Mais je suis dans la
douche. Je suis en nage, après le concert. » Et j’ai fait couler l’eau.
« Laisse-moi entrer, bébé, » a-t-elle dit.
« Je suis sous la douche », ai-je répondu. « Je vais sortir. »
J’ai fini ce que j’avais à faire, je me suis aspergé d’eau, et je suis
ressorti. Je suis presque sûr qu’elle avait compris. Yvonne n’a pas voulu
rester chez nous – je ne comprends pas pourquoi – et j’ai donc accepté de
l’accompagner chez elle. Et c’est ce soir-là que je me suis dit que merde,
j’arrêtais. Je m’étais piqué tôt dans la soirée, ce qui fait que vers une heure
du matin, la drogue a arrêté de faire effet, et j’ai passé les quelques jours qui
ont suivi à évacuer ça de mon système dans le lit d’Yvonne. Ce ne serait pas
la dernière fois que j’allais faire ça avant que nous n’arrivions à enregistrer
Appetite, mais à chaque fois que je faisais ça, je ne lui disais pas ce qui se
passait vraiment. Chaque fois, je faisais comme si j’avais la grippe, et
j’essayais de ne pas montrer à quel point j’étais mal. Yvonne était très
occupée : elle allait à l’école, ce qui fait que la plupart du temps, j’étais tout
seul au lit, à vivre un enfer. À vrai dire, elle était ravie que je sois là quand
elle partait, et que je sois là quand elle revenait, même si je n’étais que
l’ombre de moi-même, allongé sur le dos, dans son lit.
Cette fois-là, je me suis désintoxiqué chez Yvonne pendant toute une
semaine, et malgré le désastre potentiel qu’avait frôlé le concert, personne
n’en a rien su, pour le meilleur ou pour le pire. Après ce concert, tous les
membres du groupe étaient sur un petit nuage ; je regrette seulement de ne
pas avoir rencontré Ted Nugent ce soir-là, parce qu’il m’avait énormément
influencé dans ma jeunesse.
Danny a fini par nous avouer, à Izzy et moi, qu’il avait pris toute la
drogue que j’avais cachée, et je ne le lui ai jamais pardonné. Ce qu’il avait
fait, de sang-froid, avait failli nous ruiner, Izzy et moi, dans l’opinion de nos
collègues. Si les choses s’étaient mal passées, cela aurait causé au groupe
des problèmes professionnels inouïs, à un moment crucial pour nous. Mais
voilà le truc, avec l’héroïne – c’est un démon. C’est quelque chose de
tellement tentant et attirant que ça vous transforme en diable malhonnête et
fourbe. Un junkie, ça ressemble un peu à l’idée qu’on se fait des vampires :
il dégage d’abord quelque chose d’attirant, mais sa faim devient peu à peu
quelque chose qu’il faut étancher à tout prix. Puis elle prend le contrôle,
complètement, et vous emporte. Ça commence par un petit peu par ci, un
petit peu par là, et puis on se retrouve à faire ça tout le temps. On croit que
le choix nous appartient, mais ce n’est pas le cas – bientôt, on a besoin de
faire ça tout le temps. Et puis on se retrouve entraîné dans un cercle
vraiment vicieux, avant même de réaliser qu’on fait désormais partie des
statistiques.
DANS LA PLUS PURE MANIÈRE GUNS, JE NE PENSE PAS que nous ayons
officiellement annoncé à Stiefel et compagnie que nous n’allions pas signer
avec eux – nous nous sommes contentés de vider les lieux, laissant derrière
nous une montagne de détritus et de dégâts, dont Tom Zutaut a dû
s’occuper. Alan était notre manager, et c’était comme ça.
La sortie de Live Like a Suicide nous avait procuré une petite avance, et
Izzy et Steven ont donc pu louer un petit appartement au sud de Sunset,
juste à côté du Rock’n’Roll Ralph – le supermarché de West Hollywood où
tous les musiciens du quartier achetaient de la bière et les autres denrées
nécessaires à leur survie. Duff était toujours chez Katerina, et Axl vivait
avec Erin. J’étais le seul membre du groupe à être manifestement sans
domicile, et je squattais chez Yvonne ou d’autres filles, ou dans
l’appartement où je me trouvais au petit matin.
À cette époque, nous avions pas mal de strip-teaseuses dans notre
entourage. Tout ce que je peux dire, c’est : Dieu les bénisse ! Plus d’un
groupe, avant et après nous, a eu ce genre de relations. Les strip-teaseuses
qui traînent ensemble forment virtuellement une espèce de groupe, et nous
avons des points communs. Elles avaient bon cœur, et nous trouvaient
mignons, ou nous considéraient comme des musiciens sombres et
mystérieux, ou comme des chiens errants qu’elles se faisaient un devoir de
recueillir parce qu’elles les trouvaient mignons. Et peut-être qu’avec nous,
elles aussi se sentaient protégées. Le fait qu’en général, elles avaient toutes
une énergie sexuelle sans aucune inhibition ne pouvait qu’aider. Tout bien
considéré, elles étaient parfaites pour un gars comme moi.
L’une d’elles, Christina, avait une colocataire, et je squattais
régulièrement chez l’une ou l’autre. J’ai vécu là un bout de temps, et je
dormais dans la chambre de l’une ou de l’autre, ou avec les deux, selon
l’humeur du moment. Ces filles vivaient dans la même rue qu’Izzy et
Steven, sur La Cienega, dans un immeuble rempli de strip-teaseuses. On
peut dire que je me suis retrouvé pris au piège là-dedans, et que cet endroit
me servait plus ou moins de maison, tandis que le groupe s’engageait dans
une nouvelle période d’attente, qui, comme d’habitude, n’annonçait rien de
bon.
Steven, Izzy et moi nous amusions bien chez Christina : on arrivait
beaucoup plus facilement à se procurer de la drogue maintenant que nous
étions tous de retour à Hollywood, encore qu’il y en eût bien moins que la
dernière fois que nous habitions là. Mais après m’être racheté une conduite,
j’ai fait de mon mieux pour ne plus y toucher. Je me rappelle un soir où
j’étais chez une strip-teaseuse avec Axl et Izzy, et où j’essayais de mon
mieux de m’abstenir. Ce soir-là, je n’avais pas d’argent sur moi : on pouvait
assez facilement se procurer de la came, mais pas assez pour que les gens
acceptent de partager gratuitement. Je me suis dit que j’allais rester là sans
consommer, mais je n’y arrivais pas – j’ai dû quitter les lieux. Peu de temps
après, j’ai replongé – ça ne servait à rien.
Je dormais où je pouvais, et je faisais ce qui me chantait, et j’ai même
fréquenté un temps Dave Mustaine de Megadeth. Nous sommes devenus
amis ; il était accro à l’héro et au crack, et il habitait dans le même quartier
que moi, ce qui fait que nous traînions ensemble à composer des morceaux.
C’était un vrai fou furieux, et un compositeur de génie. Nous nous
retrouvions, fumions du crack et concoctions de grandioses riffs de heavy
metal, foutrement sombres et heavy à mort. Parfois, Dave Ellefson se
joignait à nous ; nous nous entendions bien, nous avons écrit de la bonne
came. Les choses en sont arrivées à un tel point, dans notre zone créative
qui carburait à la drogue, que nous avons même sérieusement envisagé un
moment que je puisse intégrer Megadeth. Après tout, les Guns étaient en
stand-by, et j’étais assez défoncé pour considérer toutes sortes de mauvaises
idées. Dave Mustaine reste l’un des musiciens les plus talentueux avec
lesquels j’aie jammé mais quand même, tout au fond de moi, je savais que
je ne pourrais jamais quitter les Guns.
Un autre endroit que je fréquentais, comme beaucoup d’entre nous, était
la Hell House [Maison de l’Enfer], un lieu qui représentait bien notre esprit
collectif de l’époque. C’était une sorte de test de Rorschach pour tous ceux
qui caressaient l’idée de travailler avec nous ou de faire notre connaissance.
La Hell House était une production West Arkeen ; c’était un lieu – en
théorie, un « foyer » – qu’il louait avec quelques bikers Harley Davidson de
ses amis, qui venaient de la Côte Est.
La maison était de style ranch avec trois chambres alignées d’un bout à
l’autre sur un côté. La chambre du fond était occupée par Red Ed et sa
copine/femme. Leur chambre était zone interdite, parce qu’Ed était le plus
costaud des bikers résidents, et que sa femme était une menace encore plus
impressionnante – on comprenait au premier coup d’œil qu’il valait mieux
ne pas la faire chier – alors qu’ils étaient tous les deux adorables. Personne
n’a jamais dérangé leur chambre ; en fait, je crois même que personne n’y a
jamais mis un pied. La chambre du milieu était celle de deux autres bikers,
Paul et Del James. Ils l’avaient transformée en un petit studio
d’enregistrement, et West avait la chambre de devant, et c’était une telle
porcherie que personne ne voulait y entrer. Tout ce qu’on pouvait faire,
c’était s’allonger sur le lit ; c’était un tel bordel qu’on ne pouvait pas s’y
tenir debout ni s’asseoir.
Il paraît qu’il y avait une cour, derrière la Hell House… J’aurais bien
aimé savoir à quoi elle ressemblait. Toutes les fois où je suis allé là-bas, et
même quand j’y ai habité, je ne suis jamais allé au-delà de la cuisine.
C’était l’un des endroits, avec le salon, où les gens de passage comme moi
nous réunissions, pour laisser les impressionnants bikers et leurs copines
tranquilles dans leurs chambres. Les visiteurs étaient autorisés à aller dans
le salon, la cuisine et une autre pièce… il me semble qu’on l’appelait « le
nid ». Il y avait aussi la réserve, où West s’écroulait souvent. Même si
l’endroit était chaotique, une loi tacite faisait que personne ne dérangeait les
locataires légaux, tandis que toutes les parties communes étaient
transformées en zones de combat à outrance, où tout était susceptible d’être
détruit ou brûlé sans aucun problème.
Je ne sais pas qui avait décidé de louer un bien à ces dingues, mais ils
l’ont transformé en un squat communal plus dégueulasse que tout ce que
j’aie pu voir dans un pays développé. C’était l’avant-dernière maison du
quartier à être encore debout ; elle était entourée d’immeubles, et le terrain
devant était en pente, de telle sorte qu’elle avait l’air perchée sur une
colline. Elle était juste au sud de Sunset, sur Poinsettia, et, quand on arrivait
du bout de la rue, on ne voyait qu’elle, un peu comme la maison dans
Psychose. Il y avait deux ou trois choses que vous ne pouviez apprendre
qu’en y passant une nuit, la plus importante étant que si vous vous allongiez
quelque part, vous aviez une chance sur deux d’attraper des morpions. Je ne
comprends toujours pas bien pourquoi nous ne nous faisions pas embarquer
par les flics tous les soirs. Il y avait toujours des voitures et des vélos sur la
pelouse, et des ordures partout ; il y avait toujours des gens qui allaient et
venaient, et de la musique à fond à n’importe quelle heure de la nuit. La
Hell House était si bruyante qu’à une certaine distance, on aurait dit qu’elle
vibrait.
L’un des locataires habituels de la Hell House était Del James, un
oxymore vivant : c’était un biker, avec des tatouages et tout, mais c’était un
écrivain. À un moment, Del était proche de nous tous, mais au fil du temps,
il est devenu plus proche d’Axl. Axl l’appréciait vraiment, parce qu’ils
étaient proches intellectuellement et que Del écoutait patiemment les
réflexions profondes d’Axl. Ils ont beaucoup écrit tous les deux, et je crois
qu’ils continuent. Del a fini par écrire le script de certains de nos clips, et
c’est également lui qui a écrit la nouvelle dont Axl s’est inspiré pour
« November Rain ».
Au cours de ce temps mort, au cours duquel le groupe cherchait un
producteur, nous avons un peu trop fréquenté la Hell House, mais j’étais le
seul à être assez vagabond pour y avoir également vécu de temps en temps.
J’y ai même donné quelques interviews. Quand je les lisais, je ne
comprenais pas pourquoi les journalistes étaient aussi choqués par les lieux.
Pour moi, ils n’avaient rien de particulièrement déjanté.
MON AUTRE LIEU DE PRÉDILECTION, OUTRE LA HELL House et le repaire de
strip-teaseuses en face de chez Steven et Izzy, était à proximité des
demoiselles du Seventh Veil [le Septième Voile], un club de strip-tease sur
Sunset qui fonctionne toujours très bien. J’aimais bien aller squatter chez
quelques-unes des filles qui y travaillaient et qui partageaient un
appartement sur Hollywood Boulevard où, en général, nous passions la nuit
à nous abrutir d’alcool. L’une des filles de ce milieu s’appelait Cameron.
Nous l’avons tous baisée à un moment ou à un autre, et Steven est même
sorti avec elle quelque temps, et en cours de route, elle nous a refilé à tous
des morpions [crab en anglais]. C’en était ridicule ; nous nous sommes mis
à la surnommer Craberon – et devant elle. Je lui ai laissé le bénéfice du
doute ; je me suis dit que j’avais peut-être attrapé ces morpions à la Hell
House ou dans un des autres endroits douteux où j’aimais bien passer la nuit
à l’époque, mais ce n’était pas le cas. Craberon avait un joli petit
appartement à elle dans West Hollywood, et la seule fois que j’y ai passé la
nuit avec elle, j’ai attrapé des morpions là aussi.
Une autre strip-teaseuse que je me dois de mentionner est Adrianna
Smith, la fille avec laquelle Steven et Axl sont sortis et qu’Axl a
immortalisée à jamais sur notre premier album… mais on va y venir dans
un petit moment. Ma petite vie au Seventh Veil était géniale : j’arrivais vers
23 heures, les filles me donnaient un peu de leurs pourboires, je fonçais
chez le caviste, je faisais le plein de Jim Beam (le Jack Daniel’s du pauvre),
et je leur préparais une fête chez elles pour quand elles rentreraient. Comme
je n’avais pas d’endroit à moi, c’était le meilleur arrangement que j’aurais
pu imaginer : un endroit cool et insouciant, plein de filles, où je pouvais
boire et faire tout ce qui me faisait plaisir, sans que personne n’y trouve rien
à redire.
Dans un coin de ma tête, je savais bien que nous n’avions pas avancé
dans notre quête d’un producteur, et que cette inertie nous détruisait. J’étais
défoncé, je buvais, je me shootais quand je pouvais, avec très peu d’argent –
et le reste du groupe n’était pas en meilleur état que moi. De nouveau, je
recommençais à devoir compter sur des amis, dormir sur des canapés et
vivre dans la rue – mais c’était pire qu’avant. À l’époque, c’était drôle,
parce que le groupe et moi poursuivions un objectif. À présent, nous avions
l’impression que nous étions trop désorganisés et trop ravagés pour être
autre chose que des vagabonds, alors que nous étions « arrivés ». Au fond
de moi, je savais que je devais me reprendre, et que je ne pouvais pas rester
au fond du gouffre plus longtemps.
C’est à cette époque que Sammy, notre dealer, s’est fait arrêter, et ça a
vraiment été un tournant. Ce jour-là, j’étais chez Steven et Izzy, et Dezi, la
copine d’Izzy, était allée retrouver Sammy à notre place, à l’un des points
de rendez-vous réguliers où tous ses clients sortaient du bois pour se fournir
en came. Mais les flics avaient prévu une rafle, et en ne voyant pas revenir
Dezi, nous nous sommes inquiétés. Bien plus tard, elle nous a appelés de la
prison. Ils avaient embarqué tous les clients de Sammy, et étaient sur le
point de la relâcher, mais Sammy ne devait pas revoir le jour avant très, très
longtemps. Cela nous a brutalement ramenés à la réalité ; je me revois avec
Izzy, arpentant désespérément les rues à la recherche d’un peu d’héro.
C’était un vrai bordel. J’ai fini par retourner chez Yvonne, où j’ai décroché
tout seul pour la troisième fois. Je suis resté chez elle quelques jours à me
sentir très mal, prétendant que j’avais de nouveau attrapé la grippe.
Dans le même temps, Tom Zutaut était à bout de nerfs. Un jour, il nous
a convoqués chez Geffen, et nous avons pensé qu’il voulait discuter d’une
nouvelle fournée de producteurs à nous présenter. Quand nous avons tous
été réunis dans son bureau, il s’est contenté de nous fixer, un bon moment.
Je m’endormais, parce que j’étais encore dans un sale état, après avoir
décroché chez Yvonne, et les autres gars étaient aussi mal en point que moi.
« Putain, mais qu’est-ce que je peux faire pour vous ? » nous a-t-il
demandé. « Mais regardez-vous ! Vous pensez vraiment que vous êtes
capables de faire un disque ?! Les mecs, il faut vous reprendre en main !
Vous concentrer ! Vous arrivez à la limite, là ! »
Ses remarques sont restées sans réponses, mais elles ont dû faire effet,
parce que lentement, mais sûrement, sans en faire toute une histoire et sans
même nous l’avouer, nous nous sommes repris en main.
ALAN NIVEN ET TOM ZUTAUT AVAIENT ENVOYÉ TOUS les producteurs de la
ville nous rencontrer, et juste au moment où les choses semblaient
désespérées, ça a fini par coller avec l’un d’eux – Mike Clink. Nous avons
fait une session avec lui, au cours de laquelle nous avons enregistré
« Shadow of Your Love », qui était la meilleure chanson de la soirée la
première fois que j’avais vu Hollywood Rose. Notre version de ce morceau
n’a pas été retenue pour l’album, mais a fini par sortir sur un mini-album au
Japon.
En tout cas, quand nous avons réécouté la bande, tout était là : enfin,
nous nous entendions sonner sur une cassette exactement comme nous le
voulions. C’était nous, mais en mieux ; Clink avait réussi à capturer
l’essence de Guns N’Roses. Enfin, tous les indicateurs étaient au vert. Nous
avions passé sept mois dans les limbes, quasiment sans jouer et en
enregistrant de temps en temps avec des producteurs qui n’étaient pas les
bons. Cela nous semblait une éternité ; et vu la manière dont nous vivions,
ces quelques mois auraient suffi à décimer un groupe moins bon que le
nôtre.
Mike Clink avait ce qu’il fallait ; il savait comment canaliser notre
énergie vers quelque chose de productif. Il savait comment capturer notre
son sans lui faire perdre son mordant, et il avait la personnalité qu’il fallait
pour s’entendre avec nous tous. Le secret de Clink était simple : il ne
bidouillait pas notre son – il travaillait dur pour le capturer à la perfection,
tel qu’il était. C’est hallucinant que personne n’y ait pensé avant lui. Clink
avait travaillé avec Heart et Jefferson Starship, mais ce qui nous a conquis,
c’était qu’il avait travaillé sur Lights Out, de UFO. Cet album était un must
pour nous tous, parce que le jeu de Michael Schenker sur ce disque est
exceptionnel et sonne extraordinairement bien.
J’ai toujours estimé que les producteurs sont des gens qui ont toutes les
réponses aux problèmes des autres, mais jamais aux leurs. Ce sont les
premiers à dire aux autres ce qu’il faut faire, comment il faut jouer,
comment il faut sonner – tout ça. Souvent, ils n’ont pas d’identité propre, ce
qui les rend difficiles à respecter. Mike était différent ; il était aimable, il
n’était jamais envahissant, il était tranquille, calme et observateur. Et il
savait qui il était. Plutôt de que faire des suggestions pleines de morgue, il a
choisi de tout retenir. Dès le début, nous lui avons voué un respect total.
Nous avons réservé les studios S.I.R. et, avec Mike aux manettes, nous
nous sommes sentis libres d’être nous-mêmes, en tant que groupe ; lors de
notre toute première réunion de pré-production, nous avons commencé à
composer ce qui allait devenir « You Could Be Mine ». Lors d’une autre
séance, nous avons commencé à travailler « Perfect Crime », quelque chose
qu’Izzy nous avait apporté. Nous n’étions pas là pour composer de
nouveaux morceaux, mais nous nous sentions si bien qu’ils nous venaient
naturellement.
Nous avons commencé à enregistrer les démos de tous les morceaux
pressentis pour Appetite, et nous les avons travaillés avec Mike quasiment
comme nous l’avions fait avant, avec très peu de changements. La seule
modification sur le plan créatif est d’ailleurs venue d’Alan. Dans
« Welcome to the Jungle », à l’origine, nous répétions la section où Axl
chante « When you’re high, you never want to come down ». Alan a
suggéré de laisser tomber une des deux répétitions. Il avait raison. Cela a
rendu la chanson plus nerveuse. Mais à part ça, tous les morceaux ont été
capturés tels quels, en une ou deux prises. Cela atteste bien combien
l’ambiance était bonne en studio, et combien nous étions de bonne humeur.
Nous n’avions jamais écouté les suggestions – de quiconque. Mais nous
étions prêts à essayer, et nous avons découvert que cela fonctionnait. Alan
manageait déjà Great White à l’époque ; il leur servait aussi de producteur,
et co-écrivait certains morceaux. C’est une très bonne chose qu’aucun de
nous ne l’ait su à l’époque, parce que cette séance aurait pu moins bien se
passer, et « Welcome to the Jungle » devenir un morceau bien différent.
Quand nous avons découvert les liens entre Alan et Great White, ça ne m’a
jamais dérangé personnellement, mais cela a eu un effet boule de neige
négatif sur d’autres membres du groupe.
Je ne peux qu’imaginer combien Tom a dû être extatique quand Guns
N’Roses a eu un vrai manager et un producteur avec lequel nous étions
prêts à travailler. Cela avait pris deux ans, mais il semblait bien qu’enfin, le
groupe de tarés sur lequel il avait convaincu la maison de disques de miser
fût en train de devenir ce qu’il avait promis qu’il deviendrait.
Alan nous a installés au Studio Rumbo, à Canoga Park, où Clink aimait
travailler, pour les prises live de base. Canoga Park était juste à côté de
l’endroit où Steven avait grandi dans la Vallée, mais pour moi, c’était
l’inconnu. Je pense que c’était justement l’objectif – ils s’étaient dit qu’en
restant loin de Hollywood, nous serions obligés de nous concentrer sur
l’enregistrement. Alan nous a loué un appartement dans les Oakwoods, ces
résidences tout équipées que l’on trouve dans le monde entier. Il nous a
aussi loué un van pour nos déplacements. Pour une raison inconnue que je
ne m’explique pas, j’en suis devenu le chauffeur attitré.
Mike a engagé quelques vrais professionnels pour aider ses rats des
villes : Porky, un célèbre assistant guitare, et Jame-O, l’assistant batterie. Ils
avaient fait des centaines de disques, et c’étaient des pros complets, mais
aussi de sacrés fêtards. Ils nous ont apporté une aide inestimable.
Enregistrer un vrai album dans un studio digne de ce nom était une
nouvelle expérience pour nous : nous avions fait des démos dans divers
endroits aux alentours de L.A. Certaines de ces expériences avaient été
épiques : nous avions enregistré les premières versions de « Don’t Cry » et
de « Welcome to the Jungle » au Hollywood Sound, dans le studio où Led
Zeppelin avait enregistré son second album. D’autres séances avaient été
épiques d’une autre manière, comme la fois où nous avons eu une
altercation avec le propriétaire d’un studio merdique de Hollywood, au sujet
du règlement. Il avait pris tellement de coke qu’il nous a menacés avec un
revolver :
« Putain, vous allez me payer », a-t-il dit, les yeux bien trop grands. « Et
tout de suite ! »
« Oh, ouais, t’as raison, avons-nous dit. Oui, on a tort… c’est toi qui as
raison ; d’ailleurs, on allait partir. »
Quelqu’un nous a arraché nos cassettes avant la sortie, et heureusement,
personne n’a été blessé.
Le premier jour d’enregistrement, nous avons commencé par « Out Ta
Get Me », en faisant ce que nous avions toujours fait, mais dans une
configuration totalement nouvelle : nous nous sommes installés dans une
grande pièce, où nous nous sommes mis à jammer. Quand j’ai réécouté les
bandes, j’ai réalisé que j’avais un sérieux problème : ma guitare avait un
son de merde sur la console d’un vrai studio.
Au cours de ma période d’insouciance, j’avais réussi à mettre au clou
quasiment tout mon matériel, même la Les Paul de Steve Hunter. J’avais
convaincu Marshall de m’envoyer des amplis quand nous avions notre salle
de répète à Burbank, mais comme je ne les avais jamais payés, ils étaient
venus les reprendre. En gros, je n’avais rien : à l’époque, j’avais trois
guitares. Deux Jacksons, dont l’une avait été fabriquée spécialement pour
moi : c’était une Firebird noire, avec mon tatouage de Shirley sur la caisse
(elle avait un son de merde). L’autre était un prototype façon Strato, avec un
dessus bombé, qu’on m’avait prêté et que je n’avais jamais rendu. C’était
l’un des deux prototypes jamais fabriqués. La troisième était une BC Rich
Warlock rouge. Et aucune ne sonnait bien, à travers les haut-parleurs du
studio.
J’étais très frustré et nerveux. On était déjà arrivé jusque-là, et j’étais
décidé à ce que ma guitare sonne parfaitement sur le disque. Mais je ne
savais pas comment j’allais pouvoir faire, parce que j’étais plus ou moins
ruiné. J’ai essayé de cacher ce que je ressentais, lors de ces premières
séances, en buvant beaucoup et en sautant dans tous les sens quand je jouais
avec le groupe, tout en sachant que je devais trouver un moyen pour
réenregistrer toutes mes parties de guitare. Les autres n’auraient pas à faire
ça – Izzy, Duff et Steve étaient tellement impeccables dès la première prise
que leurs pistes n’avaient besoin d’aucune amélioration.
L’enregistrement se passait très bien, contrairement à notre vie dans la
Vallée. Chaque soir, quand nous fermions boutique, Tom Zutaut, Axl, Duff
et Mike rentraient chez eux. Théoriquement, Izzy, Steve et moi étions
censés rentrer chez nous dans les Oakwoods. En général, nous étions bien
trop excités, et nous essayions de sortir, ce qui fait que nous sommes vite
devenus des résidents problématiques de Canoga Park. Nous pensions qu’il
devait bien y avoir une vie nocturne quelque part, alors nous cherchions
tout ce qui ressemblait à un club rock, un pub ou un bar. On débarquait dans
ce qui, immanquablement, était une boîte de quartier disco très
conservatrice, si tant est que ce genre d’endroit existe, ou dans un bar où
régnait une country de banlieue. L’arrivée d’une petite troupe de chevelus
dans ce genre d’endroits provoquait immédiatement un esclandre.
À cette époque, Alan avait embauché un certain Lewis, qui se prenait
pour notre garde du corps, pour veiller sur nous. Lewis pesait entre cent
cinquante et deux cents kilos, et roulait en Sedan de la fin des années 70,
dont le siège du conducteur était reculé au maximum pour qu’il ait la place
de mettre son ventre. C’était un gars vraiment adorable, de Houston, et je
l’aimais beaucoup, mais chaque fois qu’il était censé nous surveiller, il était
généralement en train de manger. Lewis avait, mais je ne sais pas comment
il faisait, le talent d’aller à l’entrée de service de n’importe quel restaurant,
et de s’y procurer un gros carton de nourriture. Ils lui donnaient
littéralement une boîte en carton pleine à ras bord de portions individuelles
emballées de tout ce qu’il y avait sur le menu. Et il ne s’agissait pas que
d’un burrito ou d’un taco – Lewis avait des entrées complètes, quatre
portions de chaque. C’était un truc comme je n’en avais jamais vu. Il
rapportait sa cargaison à la voiture et se mettait à manger.
Pendant ce temps-là, à l’intérieur du bar, nous nous retrouvions tous les
trois au cœur ou juste en marge d’une bagarre générale. Nous étions assez
tarés pour faire peur aux gens la plupart du temps, mais quelquefois, c’est
devenu vraiment moche. Heureusement, nous ne nous sommes jamais fait
jeter sur le parking par une horde de « rednecks » bagarreurs – dans ce cas,
nous aurions sans doute interrompu le repas de Lewis.
Les soirées dans la Vallée étaient si monotones qu’un soir, quand nous
sommes rentrés après une bonne journée en studio et quelques heures de
beuverie intense, nous avons fait la seule chose qui nous semblait sensée :
nous avons ravagé notre appartement des Oakwoods, à la Keith Moon.
Nous avons arraché tout ce qui n’était pas fixé au mur, et explosé tout le
reste jusqu’à ce qu’il n’en reste rien. Nous avons retourné les lits, nous
avons détruit les tables de chevet et nous avons arraché le comptoir de la
cuisine du mur. Nous avons explosé les grandes portes vitrées coulissantes,
nous avons cassé les fenêtres et tous les miroirs, les verres et les assiettes de
l’appartement ; nous avons massacré la télé et le meuble télé. Il y avait des
éclats de bois et de verre partout. Le lendemain matin, je me suis réveillé
sur le canapé, qui était lui aussi cassé, avec une gueule de bois terrifiante,
et, à travers mes paupières à moitié ouvertes, j’ai regardé l’étendue des
dégâts.
« Oh-oh », ai-je marmonné… pour moi-même.
Lorsque mes complices et moi avons été assez réveillés, nous nous
sommes mis d’accord pour mentir : nous avons décidé que quelqu’un était
entré par effraction quand nous n’étions pas là. Nous étions rentrés tard
cette nuit-là et nous nous étions effondrés, nous disant que nous nous en
occuperions le lendemain matin. C’est exactement l’histoire que nous avons
servie à Alan le jour même en studio, parce qu’à ce moment-là, il était
devenu une figure maternelle pour le groupe, comme Malcolm McLaren
pour les Sex Pistols.
Nous avions bien l’intention de nous en tenir à notre version trafiquée
des événements, mais Alan a commencé à nous poser des questions, et
notre histoire est devenue de plus en plus confuse et cousue de fil blanc.
Avant qu’il ne nous démasque, nous avons craché le morceau. Ce qui est
drôle, c’est qu’après réflexion, Alan a décidé de revenir aux Oakwoods et
de leur servir la version de l’histoire que nous avions inventée. Ils n’y ont
pas cru non plus – allez savoir pourquoi ! – et ça a été porté sur notre note.
Pendant un temps, nous avons été persona non grata dans tous les
établissements Oakwoods du monde entier. Apparemment, la sanction a été
levée en cours de route, parce que j’ai brièvement vécu dans un autre de
leurs complexes cinq ans plus tard. J’ai encore causé un problème, cette fois
par accident : mon serpent – je ne sais plus lequel j’avais alors avec moi – a
eu envie d’aventure et s’est faufilé dans les toilettes. Il a refait surface chez
un voisin, qui a totalement paniqué. Désolé…
NOUS AVONS BOUCLÉ LES PRISES LIVE DE BASE EN quelques semaines, et tout
sonnait formidablement – sauf ma guitare. Alan m’avait programmé
quelques séances au studio Take 1 pour réenregistrer mes parties, mais je
n’avais pas encore trouvé de guitare digne de ce nom. Je ne savais pas ce
que j’allais faire ; j’ai essayé de la jouer cool et de ne pas montrer mon
stress, mais tandis que le temps passait, je n’avais pas de solution en vue.
Lors de notre tout dernier jour au Rumbo, Alan est entré dans la salle de
contrôle et a posé un étui à guitare sur le petit sofa derrière la console. La
petite alcôve où était le sofa était éclairée par un plafonnier, qui a fait un
halo de lumière parfait autour de la guitare, au moment où Alan a ouvert
l’étui.
« J’ai pris ça à un type de Redondo Beach », a-t-il dit. « Il les fait à la
main. Essaye voir. »
Elle était superbe : c’était une formidable copie de Les Paul 1959, au
dessus moiré, sans plaque de protection, et avec deux micros Seymour
Duncan. Je l’ai prise en main, et ça m’a plu, mais je n’ai pas joué dessus
avant mes premières sessions au studio Take 1.
J’ai des souvenirs très romantiques de ces journées au Take 1 : du début
à la fin, tout le processus a été pour moi quelque chose de magique. C’était
un petit studio sans fioritures – un « home studio » amélioré –, mais c’était
la première fois que j’enregistrais des parties de guitare et ce que nous
avons fait là ne pourra jamais être reproduit.
Dès que j’ai branché ma nouvelle guitare, j’ai trouvé qu’elle sonnait très
bien ; il ne me restait plus qu’à trouver l’ampli idéal. Nous avons essayé
plusieurs têtes d’ampli Marshall – un bon paquet, même, et c’était un travail
fastidieux. Je me revois prendre tous les amplis de location possible, les
mettre dans le studio, brancher les micros dessus, et brancher la guitare. Je
jouais quelques accords, puis mon assistant, Mike Clink et moi bricolions la
tête d’ampli, et je jouais quelques autres accords. Mike faisait quelques
réglages en régie ou venait modifier la position des micros, et puis je
rejouais quelques accords, et nous recommencions le processus. Ça valait
tout à fait le coup. Mike Clink est un type tellement courtois et tranquille
qu’il me laissait faire ce que j’avais à faire, même si ce n’était pas la peine :
je passais mon temps à louer et à rendre des amplis ; nous en avons fait huit
avant que je trouve celui qui sonnait exactement comme je voulais. C’était
une preuve de l’existence divine, parce que ce n’était pas un ampli du
commerce – c’était un Marshall customisé par quelqu’un.
Je m’en suis servi sur tout l’album, et j’avais prévu de me l’approprier
une fois que les séances seraient finies; j’ai dit à la boîte de location qu’on
me l’avait volé au studio. Malheureusement, mon propre assistant est allé le
rendre sans m’en parler. Quand S.I.R. a reçu un ampli que j’avais déclaré
volé, ils n’étaient pas vraiment enclins à me le renvoyer : quand j’ai appelé,
ils m’ont dit qu’ils l’avaient déjà loué à quelqu’un.
Bref, quand j’ai entendu le son de ma guitare avec cet ampli, j’ai tout de
suite su que j’avais trouvé ; c’était un moment vraiment magique. J’ai
branché ma guitare, comme j’avais fait avec les autres, j’ai tranquillement
gratté quelques accords – et c’était ça. C’était la combinaison parfaite Les
Paul/Marshall, où le son profond de la guitare et le « crunch » de l’ampli se
complètent parfaitement. Le son était tout bonnement incroyable.
« Attends, a dit Mike. Ne bouge pas. Ne fais rien. »
Il a fait quelques petits réglages à la tête de l’ampli, et le son était
encore meilleur. Et c’était bon – nous n’avons pas changé les branchements
de ma guitare au cours de toute la session – pas de micros déplacés, de
boutons tournés, rien. Nous avions trouvé le son que je cherchais, et il
n’était pas question de le perdre.
Cette guitare ne m’a pas quitté depuis. Elle avait été fabriquée par feu
Jim Foot, le propriétaire de Music Works à Redondo Beach. Il a fait à peu
près cinquante copies de Les Paul, totalement à la main, dans les moindres
détails. Pendant un temps, je n’ai eu que cette guitare, et depuis, c’est ma
principale guitare de studio. Elle a sonné différemment sur tous les disques
que j’ai faits, mais c’est la même guitare. Cela prouve bien combien
l’enregistrement est une science aléatoire : la taille, la forme de la pièce, la
console utilisée lors de l’enregistrement, ainsi que la qualité de l’air, tout
joue un rôle – l’humidité et la température affectent énormément un
enregistrement. L’endroit où sont placés la guitare et l’ampli, les micros :
tout cela peut avoir une influence fondamentale sur le résultat.
Je n’en savais rien à l’époque, mais je suis content que nous n’ayons pas
bougé la guitare ou l’ampli d’un pouce quand nous avons enregistré
Appetite – c’était parfait. Mais, maintenant, je sais pourquoi je n’ai jamais
pu reproduire le son exact que j’avais sur ce disque depuis. Il ne suffit pas
de disposer le même matériel au même endroit, parce que, croyez-moi,
nombreux sont ceux qui ont essayé. Beaucoup de gens se sont intéressés à
l’équipement et aux spécificités techniques précises de l’ampli que j’ai
utilisé sur Appetite, mais c’est impossible à reproduire. J’ai même joué sur
un ampli Marshall modifié qui est supposé être le même, mais même avec
la guitare originale, ça ne sonnait pas pareil. C’était impossible – parce que
je n’étais pas dans le même studio ni dans les mêmes conditions. Ces
sessions d’enregistrement étaient uniques.
JE FAISAIS À PEU PRÈS UN MORCEAU PAR JOUR : J’ARrIvais, je me faisais un
café au Jack Daniel’s – ou était-ce du Jack Daniel’s au café ? – et je me
mettais au travail. Les parties d’Izzy ne nécessitaient qu’une seule prise – il
était impensable qu’il descende les refaire, et ce n’était pas la peine : son
jeu était tellement précis, la quintessence même d’une bonne guitare
rythmique, qu’y passer trop de temps ou rejouer par-dessus la prise live
aurait été de la folie. En gros, ce que jouait Izzy, c’était le cœur même de la
chanson, peu importe qui l’avait composée ; si on enlevait tout le reste au
morceau, on entendrait la grâce des rythmes simples que grattait Izzy.
En tant qu’entité, le groupe avait une façon simple mais efficace de
jouer ensemble. Steven regardait mon pied gauche pour trouver le tempo, et
il regardait Duff pour toutes les interventions de la batterie et de la basse.
Ces deux-là avaient une réelle cohésion – ils se communiquaient les
changements et les subtilités d’un morceau juste par le regard. Pendant ce
temps, Izzy jouait autour des riffs que je jouais à l’unisson avec Duff : lui et
moi jouions des riffs à une seule note comme Led Zeppelin, tandis qu’Izzy
trouvait des accords simples qui tombaient autour du temps plutôt que sur le
temps. À chaque temps fort, Izzy ajoutait une syncope. Cela nous donnait
un son plutôt complexe pour un groupe de rock’n’roll, mais en fait,
l’exécution en était assez simple.
La première chanson que j’ai travaillée en studio a été « Think About
You » et la toute dernière a été « Paradise City ». Duff venait tous les jours
me tenir compagnie, parce que maintenant que je ne me droguais plus,
j’étais complètement retombé dans l’alcool, et lui et moi étions donc
compagnons de beuverie. J’allais chercher Duff dans l’appartement qu’il
partageait avec Katerina sur Crescent Heights, et nous arrivions au studio
vers midi. Il restait là, à écouter jusqu’à ce que je plie bagage dans la soirée,
et puis nous allions chercher les ennuis à Hollywood, tous les soirs. Et à
l’époque, les ennuis, on les trouvait très facilement au Cathouse.
Le Cathouse était situé dans le bâtiment qui abritait jadis Osco’s, la
boîte de nuit ridicule qui apparaît dans le film Thank God It’s Friday. Je me
souviens qu’Osco’s était un lieu incontournable pour tous les gens
« déjantés » quand j’étais gamin, mais je n’y étais jamais allé. Il me suffisait
de les voir, de l’autre côté de la rue : écharpes et manteaux assortis,
chemises en soie et fines ceintures, souliers brillants et filles voyantes en
robes de soie rouge, bleue ou jaune, qui sautaient dans tous les sens. À notre
époque, les lieux étaient différents, et à présent, ils étaient à nous ; c’est
plus ou moins devenu notre club, même si nous ne l’avons pas tout de suite
réalisé. C’était comme si nous y avions toujours eu une table réservée dans
le carré VIP, mais que personne ne nous l’ait jamais dit.
Nous étions assez timides et réservés quand nous avons commencé à y
aller, jusqu’à ce que nous découvrions que le propriétaire, Riki Rachtman,
voulait vraiment nous voir dans son club. Une fois que nous avions compris
que nous pouvions faire ce que nous voulions dans cet endroit, nous
sommes passés de timides et réservés à cinglés et incontrôlables ; c’était
comme si on nous avait donné carte blanche* pour la folie. J’étais réputé
pour briser une bouteille de bière au-dessus de ma tête sans raison, quand
l’envie m’en prenait, et j’adorais vraiment plonger tête la première dans le
grand escalier qui menait au Cathouse, tant qu’il était plein de gens qui
faisaient la queue pour entrer. Chaque fois que je regarde Jackass, ça me
rend nerveux. Je ne me suis jamais enfilé un hameçon dans la joue, mais
j’avais complètement ce genre d’esprit, à l’époque.
Je me souviens qu’un soir Mike Clink a poliment demandé s’il pouvait
venir passer la soirée avec nous, et il est venu avec une fille : c’était leur
premier rendez-vous, et il a fini par l’épouser. J’ai fait de mon mieux pour
me tenir correctement et leur faire la conversation, mais quand je me suis
éloigné, dans un mouvement très Sid Vicious, je suis rentré dans une grande
fenêtre qui a volé en éclats.
Le Cathouse est devenu notre port d’attache lors des dernières étapes de
l’enregistrement du disque. C’est au Cathouse que j’ai appris à bien
connaître Nikki Sixx, parce qu’il y était souvent. J’y ai aussi croisé Yvonne
deux ou trois fois, à l’occasion. C’était tellement un lieu incontournable
pour nous que même Axl y est venu, ce qui attirait toujours davantage
l’attention sur nous – et même nous, nous étions tout excités, parce qu’il ne
sortait pas souvent avec nous dans les clubs et les bars. Duff, Izzy et moi
étions de vrais rats d’égout, mais Axl était plus sophistiqué et apportait
toujours une dimension différente à nos faits et gestes. Déjà, il ne
s’écroulait pas comme nous.
Quasiment tous les soirs, après avoir quitté le Cathouse, je finissais chez
quelqu’un – en général quelqu’un que je ne connaissais pas. La plupart du
temps, c’étaient des filles, et si j’avais de la chance, elles me laissaient
prendre une douche chez elles au matin, avant que je ne reprenne mon van
de location pour aller chercher Duff chez lui, sur le chemin du studio, où je
travaillais sur un nouveau morceau. C’était comme ça que les choses se
passaient – je n’avais pas un sou à l’époque, mais je me débrouillais. Mon
déjeuner était payé par le studio – c’était toujours du Taco Bell. Duff et moi
étions tellement fauchés qu’avant d’aller boire à l’œil au Cathouse toute la
nuit, nous allions dîner au McDonald’s, où nous utilisions des coupons pour
avoir de quoi manger. À chaque achat, on recevait un ticket à gratter, qui
donnait droit à des frites, un Coca ou un hamburger gratuit. Il y avait aussi
une promotion sur les McRibs, appelée Mac the Knife, et j’en suis donc
devenu adepte. Nous mettions nos fonds en commun pour nous payer un
repas, puis nous repassions la colline pour rentrer à Hollywood.
Un autre de mes passe-temps consistait à passer mes nerfs sur les vans
de location que nous fournissait Alan. Sans rime ni raison, je défonçais les
vitres, cassais les rétroviseurs – tout ce qui était en verre était en danger.
J’en ai même fait passer un à travers une clôture industrielle solide, et j’ai
réussi à détruire à la fois la clôture et l’avant du van. Je m’en servais
comme de béliers. Dès que j’en avais un nouveau, j’en explosais les phares
avant même de me mettre au volant. Un soir, j’ai raccompagné une fille
chez elle, jusqu’à Edinburgh et Santa Monica, persuadé que j’allais me la
faire. Quand j’ai rouvert les yeux, il était huit heures du matin, et j’étais
garé en double file, affalé sur le volant, tous phares allumés et la portière
passager grande ouverte. Apparemment, je m’étais évanoui, et elle m’avait
planté là. C’était hilarant – mais seulement parce qu’il ne m’était rien
arrivé. Je me rappelle m’être réveillé, avoir évalué la situation, avant de
mettre les bouts en quatrième vitesse. Je n’arrive pas à comprendre
comment j’ai pu m’en sortir.
L’un de ces vans a été immortalisé dans une super photo de moi prise
par Robert John. On voit aussi dessus la deuxième guitare que j’ai utilisée
sur Appetite – une Gibson SG de 1960 et quelques, que j’avais réussi à
emprunter à Howie, chez Guitars R Us, et qui avait un super son quand je
l’ai branchée au studio. Elle avait un son vraiment heavy, c’est pourquoi je
l’ai utilisée sur « My Michelle ». Bref, une après-midi, j’ai décidé de la
mettre dans le trou que j’avais fait (de l’intérieur) dans le pare-brise du van
que je conduisais à l’époque, juste pour faire marrer Robert.
Ma consommation de vans nous obligeait à fréquenter plusieurs
compagnies, dans plusieurs endroits ; Hertz, Budget, Avis, on connaissait
toutes les franchises dans un rayon de dix kilomètres. En général, j’allais
chercher un van, je le bousillais en deux ou trois jours, puis j’allais le
rapporter au milieu de la nuit – je me contentais de le laisser sur le parking
avec les clefs sur le contact. Puis j’allais à un autre endroit en prendre un
autre. Finalement, Alan a dû me prendre à partie :
« Je viens de recevoir un appel de Budget », m’a-t-il dit. Il était en
rogne. « Le manager de la boîte a insisté pour que je vienne. J’ai demandé
pourquoi, et il a dit que je devais voir de mes yeux les dégâts que le van
avait subi pour comprendre l’ampleur du problème. Et je dois dire qu’il
avait raison. »
« Ah ouais ? » ai-je dit, presque fier. « C’était si méchant que ça ? »
« Oui, mais ce n’est pas tout », a-t-il dit. « Le manager m’a tenu la
jambe une heure, à me montrer dans les moindres détails les dégâts du van.
Et puis il m’a demandé si j’avais une idée du genre d’affreux psychopathes
dont je m’occupais. Après avoir vu ça, je n’en suis plus si sûr. »
Que vous dire ? Ces vans étaient des sortes de chambre d’hôtel sur
roues – ils en voyaient de toutes les couleurs. À l’époque, je n’avais même
pas de chambre d’hôtel : tout ce que je possédais était entreposé dans une
salle de réserve vide au studio Take 1. Chaque jour, quand je revenais de là
où j’avais fini la veille à Hollywood, j’allais là-bas me changer ; j’étais le
plus heureux des hommes si j’avais réussi à me doucher là où j’avais passé
la nuit. C’était le plus grand placard que j’aie jamais eu – en fait, c’est là
qu’on a pris la photo qui figure à l’arrière de la pochette d’Appetite.
J’adorais cet endroit ; c’était joli, tranquille, et à l’époque, c’était le seul
sanctuaire dont je disposais. Malheureusement, le studio ne voulait pas me
laisser dormir là. Ils disaient que c’était un problème d’assurances, mais
vous savez quoi ? Je ne les ai jamais crus.
Deux choses seulement m’ont semblé difficiles lors de l’enregistrement
de mes overdubs pour Appetite. La première, ça a été le solo final
de « Paradise City », qui ne m’a jamais posé de problème en concert, mais
qui m’en a posé en studio. En concert, je pouvais le faire durer de une à
deux minutes, mais dans la version de l’album, il devait durer exactement
trente secondes. J’ai donc eu du mal à faire passer la même histoire et les
mêmes émotions en trente secondes, et quand la lumière rouge a clignoté,
ça m’a jeté en transe – j’ai eu le trac. Je me souviens avoir essayé plusieurs
fois, et avoir été tellement frustré que j’ai quitté le studio extrêmement déçu
de moi-même ; mais le lendemain, je suis revenu, frais et dispos, et j’ai
enregistré ce solo très facilement.
Mon autre problème a été sur « Sweet Child O’Mine ». Steven regardait
mon pied pour rester en rythme ; et sur ce morceau, c’est moi qui donnais le
tempo, parce que c’était mon riff qui donnait le signal du départ. Il n’y avait
pas de charleston sur le début, et nous n’avions pas enregistré la ligne
rythmique de ce morceau, ce qui fait que quand j’ai dû faire les overdubs,
c’était à l’aveuglette : j’étais assis, et je devais anticiper le début du
morceau, en espérant avoir bien minuté le tout, pour que mon timing soit
bon au moment de commencer. C’était des années avant les enregistrements
en numérique, et je n’avais pas de compteur pour me guider. Cela a pris du
temps, il a fallu plusieurs prises, mais nous avons fini par y arriver. À part
ça, l’album s’est fait si rapidement et si naturellement qu’on sentait qu’il
était destiné à voir le jour. Et visiblement, c’était le cas.
Quand j’en ai terminé à Take 1, j’ai dû trouver un autre endroit pour
stocker mon bazar, et, accessoirement, ma personne, et j’ai donc fini par
aller squatter chez mon pote Todd Crew de Jetboy, qui avait quitté San
Francisco pour venir s’installer à L.A. Il vivait avec sa copine, Girl – c’était
son vrai nom – et leur colocataire, Samantha, qui avait la plus grosse paire
de seins que je n’aie jamais vue sur une fille aussi menue ; cela a suffi à me
donner envie de devenir monogame quelque temps. Tous les quatre, nous
nous éclations, et nous formions un sacré tableau : tous les soirs, nous
allions au Cathouse, à faire la fête et à jouer les perturbateurs, tout le temps
qu’Axl a mis pour finir d’enregistrer les paroles.
QUAND L’ENREGISTREMENT A ÉTÉ TERMINÉ, IL A fallu mixer le disque. Tom
Zutaut m’a emmené à New York – c’était une première pour moi – pour me
présenter quelques candidats au poste, ainsi que quelques pontes de
l’industrie sur la Côte Est. Tom adorait se la raconter : il adorait étaler
devant ses poulains le luxe de la business class, et montrer à ses poulains
qu’il était quelqu’un d’important dans ce milieu – c’était pour lui une
motivation aussi forte que de devoir nous trouver une équipe de mixage.
J’ai rencontré Rick Rubin, qui venait de se faire un nom grâce à Run DMC
et Def Jam, ainsi que ses nouveaux protégés, les Beastie Boys. Rick nous a
emmenés dans son restaurant préféré, White Castle dans le Queens. Rick
était génial ; on a parlé de tous les disques qu’on appréciait, et puis de tout
et de rien, parce qu’il avait déjà décliné l’offre de nous mixer. Beaucoup de
gens ont décliné cette offre, et encore une fois – ils l’ont tous regretté.
Le duo qui s’est finalement occupé de nous était composé de Steve
Thompson et Michael Barbiero, que j’ai rencontrés lors de ce voyage. Nous
avons demandé à Thompson et Barbiero de mixer « Mr Browstone »
pendant notre séjour, et nous l’avons envoyé au reste du groupe. Au même
moment, Alan Niven faisait aussi un mix, parce qu’il voulait tenter sa
chance pour faire notre album. La version d’Alan n’était pas mal du tout –
je me souviens qu’Izzy l’aimait beaucoup, mais celle des deux autres types
était bien plus agressive. Ils avaient choisi un son medium très dense qui
collait parfaitement à notre groupe. Leur version était plus couillue et plus
violente, avec une bonne interaction entre les guitares, alors que celle
d’Alan était plus linéaire, plate, et creuse.
Nous leur avons fixé deux semaines pour mixer le disque, et puis Axl,
Izzy et moi, ainsi qu’Alan Niven et Tom Zutaut, sommes retournés à New
York, où nous avons résidé au Parker Meridien, en centre-ville, le temps du
mixage. Tom avait une chambre pour lui, Izzy en partageait une avec Alan,
et Axl et moi partagions la troisième. À ce moment-là, je m’étais cassé le
poignet et je portais un plâtre ; je m’étais blessé au cours d’un voyage
récent à Seattle avec Duff. Nous faisions la fête chez son pote Donner, où
c’était très chaud, comme toujours, et à un moment donné, j’ai rencontré
une fille, et alors qu’elle me chevauchait, le lecteur de disque a commencé à
déconner. Cela a cassé l’ambiance, et j’ai donné un coup par terre, mais un
peu trop fort, visiblement, pour arrêter le lecteur.
Mais ce plâtre ne m’a pas empêché d’essayer de mettre Alan par terre et
de ravager toute notre chambre d’hôtel lors d’une de nos premières soirées
à New York. Je ne sais même plus comment tout a commencé – je suis sûr
que tout bêtement, j’étais téméraire, et soûl, et que j’avais envie d’embêter
un peu cette espèce de gros ours d’Alan. Quand je me suis réveillé, j’avais
le visage et la poitrine tout râpés à cause du tapis – apparemment, j’avais
perdu.
Notre copine strip-teaseuse, Adrianna Smith, a également fait une
apparition lors de ce séjour ; elle était sur la Côte Est pour rendre visite à
des amis qui habitaient Alphabet City. C’était bon de l’avoir avec nous,
parce qu’Adrianna était quelqu’un qui aimait rire, toujours de bonne
humeur, mais une fois qu’Axl a réussi à la mettre dans son lit, j’ai dû les
écouter baiser toute la nuit dans la chambre que nous partagions. Adrianna
est quelqu’un de très expansif, vocalement parlant, et j’ai fini par préférer
passer la plupart de mes soirées dehors, en général aussi tard que possible.
Lors de l’une d’entre elles, Steve Thompson m’a emmené au China
Club, qui symbolisait parfaitement la vie nocturne new-yorkaise dans les
années 80 – plein de coke, peu de matière et tout beaucoup trop cher. Moi,
j’étais là, avec mon haut-de-forme, mon blouson de cuir et mon pantalon en
cuir rentré dans mes santiags, au milieu d’une foule de new-yorkais, de
ceux qui disent tout le temps : « Yo, ça boume ? » en essayant
d’impressionner les autres avec leurs blazers italiens hors de prix et le
sachet de coke qu’ils ont dans leur poche. Steve, bien sûr, était tout à fait en
phase avec cette faune-là – après tout, il travaillait dans la musique.
Quand j’ai jugé que j’avais eu mon comptant de cet endroit, je me suis
éclipsé sans rien dire à personne, un truc que je fais parfois. Ça m’avait déjà
causé des ennuis – par exemple la fois où j’étais allé me promener dans la
campagne canadienne – parce qu’en général, je me perds. Et ce soir-là, c’est
ce qui s’est passé : le club était en centre-ville, à moins de dix pâtés de
maisons de l’hôtel, mais vers 4 heures du matin, j’ai pris le mauvais
tournant, et j’ai entamé une balade qui a duré toute la nuit dans cette ville
inconnue. C’était très surréaliste : j’ai erré dans Broadway jusqu’à Houston
Street, puis je suis allé jusqu’à l’Avenue C, et vers 9 heures du matin, j’ai
réussi, je ne sais comment, à revenir à l’hôtel. New York n’est pas vraiment
une ville qui ne dort jamais : j’ai réussi à trouver des portions de rues où il
faisait nuit noire, et où il n’y avait pas un chat, excepté un clochard
occasionnel. Plus c’était calme, plus je me sentais seul. Des images de films
sur New York me revenaient à l’esprit, tandis que je regardais des
immeubles qui me semblaient à la fois familiers et totalement étrangers.
Quand j’ai fini par m’avouer que je ne savais pas du tout où j’allais, les
choses se sont remises en place et j’ai reconnu quelques repères. Et très
vite, j’ai retrouvé l’hôtel. Comme d’habitude, je n’ai eu droit à aucun
comité d’accueil. En entrant, j’ai trouvé Axl et Adrianna qui dormaient.
Le mixage de ce disque a été une expérience incroyable. C’était la
première fois que j’apprenais à manipuler les sons, et quand j’y repense,
aujourd’hui que le numérique a changé à jamais la manière d’enregistrer, je
me sens privilégié d’avoir fait et mixé ce disque avant que les choses
n’évoluent. À l’époque, il n’y avait pas d’interface automatique : Thompson
et Barbiero activaient les curseurs à la main, et apportaient de petites
modifications à chaque piste, à notre demande, chaque fois que nous
réécoutions le morceau. Ces deux types étaient hallucinants ; ils avaient un
code, une espèce de langage muet entre eux. Steve était le type énergique et
direct, et Michael était le type réservé, analytique, qui pesait tout. Et ils
s’agaçaient mutuellement tout le temps, ce qui réussissait à les rendre
créatifs.
Voilà quelle était leur façon de travailler : Barbiero installait la piste de
base – la batterie, la basse et tous les égaliseurs. Puis Steve entrait en scène
et ils commençaient à se renvoyer la balle : Steve tordait frénétiquement les
guitares et faisait bondir le chant tout le long du mixage – il se chargeait de
toutes les parties rock et dynamiques, tandis que Barbiero posait les
fondations sonores. Comme le mixage se faisait entièrement à la main,
pendant le morceau, il fallait tout faire en une prise. Quand ils s’y mettaient
et que la chanson commençait, leurs quatre mains étaient sur la console, et
ils se mettaient immédiatement à sauter dans tous les sens, à régler les
boutons et les curseurs en temps réel pendant que la musique tournait. À la
moindre erreur, il fallait recommencer à zéro. Et pour couronner le tout,
nous étions tous dans la pièce, sur leur dos.
Un des épisodes les plus drôles a été le jour où Izzy s’est levé tôt, en
pleine forme, et a décidé d’aller là-bas superviser le mixage de « Sweet
Child O’Mine ». Il les a fait chier jusqu’au bout. En général, ils se mettaient
au mixage vers midi et avaient terminé vers 16 heures. Ce jour-là, Izzy nous
a appelés vers 13 heures, et nous a dit de venir tout de suite parce qu’ils
avaient fini et que c’était génial. Quand je suis entré, la première chose que
j’ai vue a été l’expression traumatisée du visage de Mike Barbiero – on
aurait dit un prisonnier après une longue nuit d’interrogatoire. Il nous a
passé le mixage, qui était risible ; on n’entendait que la guitare d’Izzy et le
chant d’Axl, et tout le reste était réduit à quasiment rien. J’entendais à peine
la batterie, la basse était inexistante et on n’entendait ma guitare que dans
l’intro et le solo. Disons simplement qu’Izzy avait une façon partiale de voir
les choses, et que ce mix reflétait bien son point de vue. Bien entendu, nous
avons recommencé.
Quand nous en sommes arrivés à « Rocket Queen », Axl a trouvé qu’il
manquait quelque chose au pont ; un autre élément qui permettrait
d’intensifier la théâtralité de la chose. Il a proposé qu’Adrianna Smith, qui
était avec nous dans le studio ce jour-là, baise avec lui dans la salle
d’enregistrement, pour que nous puissions enregistrer ses cris et les mettre
sur le break. Nous avions bu pas mal de Jack toute la journée, et cela nous a
semblé la chose la plus naturelle du monde. J’étais tout à fait partant ; je ne
savais que trop bien ce dont elle était capable, vocalement parlant – ça
faisait trois nuits qu’elle m’empêchait de dormir. Nous avons donc allumé
quelques bougies pour les mettre dans l’ambiance, et puis Axl et elle sont
allés dans le studio, se sont mis par terre près de la batterie, et nous avons
enregistré la performance de Mlle Smith, dans toute son authenticité,
jusqu’au moindre gémissement. Profitez-en – tout est là, dans le mix final.
Et c’est très significatif ; je ne vois pas quelle autre chanson aurait pu mieux
clore notre album, et je ne vois pas comment nous aurions pu donner à nos
fans un meilleur aperçu de nos vies d’alors.
ALAN NIVEN SE DEMANDAIT TOUJOURS COMMENT utiliser une situation
donnée à notre avantage ; il était excellent pour faire circuler une rumeur et
créer le buzz. Pendant que l’album était masterisé et mis au point pour sa
sortie, il nous a fait répéter et nous a organisé une série de trois concerts à
Londres, au Marquee, ainsi que quelques interviews. Il a fait de son mieux
pour nous faire connaître en avance à l’Angleterre, ce qui était habile de sa
part. Mais avant de pouvoir y aller, il a fallu que je me fasse refaire une
carte verte [permis de séjour aux USA, NDT], parce que j’avais perdu la
mienne, le jour où j’avais laissé mon agenda noir avec tous mes papiers
importants sur le toit du van, et que j’avais démarré, après une répète, avec
Duff. Tout s’était éparpillé sur Santa Monica Boulevard et même si j’en ai
récupéré la plus grande partie, je n’ai jamais retrouvé ma carte verte – il est
possible qu’un immigré clandestin circule dans L.A. sous le nom de Saul
Hudson. Si c’est le cas, j’espère que mon nom lui aura été utile.
J’ai commis l’erreur d’emmener Todd Crew et West Arkeen avec moi
faire la queue au service de l’immigration, quand je suis allé me faire
refaire ma carte : là-bas, c’est toujours « premier arrivé, premier servi », et
après trois jours infructueux, j’avais besoin de compagnie. Nous sommes
arrivés à 4 heures du matin pour être sûr d’être reçus, et nous étions si soûls
que nous titubions comme les Keystone Kops [groupe de policiers
incompétents dans des films muets des années 20, NDT]. Nous avions
apporté à boire pour patienter, bien sûr, et lorsque les bureaux ont ouvert,
nous étions dans un état déplorable. Todd a failli se faire arrêter parce qu’il
a commencé à jouer avec une plante en plastique du hall, tout en me gardant
ma place dans la queue, ce qui mettait les autres gens très mal à l’aise.
Nous sommes allés en Angleterre, où nous avions deux appartements :
Axl, Izzy et Alan étaient dans le premier, et Duff, Steven et moi dans le
second. Notre responsable de tournée s’appelait Colin, et nous sommes
arrivés une semaine avant les concerts pour répéter et donner des
interviews. Nous habitions dans Kensington High Street, qui était trop loin
de Soho et de son rythme vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le quartier
n’avait rien de rock’n’roll ; il était très comme il faut, et nous n’avions rien
d’autre à faire qu’aller boire au pub qui faisait l’angle, ce que bien sûr, nous
nous sommes empressés de faire. Cela m’a rappelé l’époque où nous étions
à Canoga Park : nous avions tout exploré, et nous avions découvert que rien
ne nous correspondait vraiment. Sauf qu’à Londres, personne ne semblait
nous remarquer.
Todd Crew et Del James nous ont retrouvés là-bas, ce qui a
considérablement accéléré le rythme. Todd avait des billets pour Paris que
ses parents lui avaient offerts quand il avait eu son bac. Comme quoi, il ne
faut pas se fier aux apparences : au premier abord, c’était un déchet, mais
Todd avait son bac et était très instruit. Il n’avait jamais profité de ce
voyage, et Del et lui avaient donc utilisé ces billets, et ils s’étaient retrouvés
tous les deux en France, complètement paumés, deux rockers américains
chevelus qui se rejouaient une version de European Vacation. Quelques
jours plus tard, ils avaient pris le ferry, puis le train, et ils avaient atterri
chez nous. Ces deux fouteurs de merde américains essayaient d’aller de
Paris à Londres en ferries, en taxis et en train. Del avait l’habitude de traiter
les gens comme lui et moi de « sombres crétins ». Je ne sais même pas
comment ces deux sombres crétins ont fait pour y arriver.
Une journée-type pour nous à Londres consistait à répéter, puis nous
allions dans les magasins de mode du quartier, parce qu’il n’y avait rien
d’autre à faire. Un jour, mon assistant guitare, Johnny, m’a emmené dans
une très belle boutique de guitares. Il a fait tout un tralala : j’étais Slash, le
guitariste de Guns N’Roses, le futur grand groupe de rock américain de Los
Angeles. Pendant qu’il baratinait le propriétaire, je me suis allongé sur le
sol pour être plus à l’aise, et je me suis endormi. Ils ont dû me porter à
l’extérieur. Apparemment, cet incident a fait forte impression dans la presse
anglaise, qui a commencé à me donner tout un tas de surnoms – « Slash
Crash » et « Slashed » (dans le sens de ravagé ou soûl) en faisaient partie.
Cela m’a établi une réputation « légendaire » là-bas. Je ne vois pas du tout
pourquoi.
Quand nos potes sont arrivés, nous avons fait la fête de manière encore
plus déchaînée. Nous buvions dans tous les pubs que nous croisions,
répétions quelques heures, puis rebuvions dans tous les pubs que nous
croisions jusqu’à l’heure de la fermeture. Nous n’étions pas aussi
exubérants ou destructeurs que nous étions, disons, dans la Vallée, parce
que nous aurions eu du mal à faire quoi que ce fût pour animer un peu
Kensington High Street. Le simple fait de marcher dans la rue et de
regarder les parcs et les jardins impeccables suffisait à nous calmer, à
n’importe quelle heure de la journée. Notre local de répétition était situé
dans le même environnement froid de Londres. Dans un lieu ou un quartier
à ce point aseptisé, on ne se sent pas à l’aise pour détruire des choses : cela
vous encourage à boire de manière responsable et à vous comporter
poliment.
Mais quand nous avons poussé jusqu’à Soho et au-delà, nous avons
trouvé nos semblables. Un soir, Duff et moi étions motivés pour aller voir
un groupe (je ne me rappelle plus du tout lequel) au Town and Country, une
maison de poste reconvertie dans l’est de Londres. Nous étions soûls en
arrivant, et nous étions encore plus soûls en repartant, et nous n’avions
absolument pas pensé que nous serions plus ou moins à la rue à la fin du
concert. Les trains ne circulaient plus, et je suis sûr qu’il devait y avoir un
bus, mais nous n’en savions rien. Nous nous sommes mis à marcher, en
essayant de nous repérer et en guettant en vain un taxi. Et bien entendu, il
s’est mis à pleuvoir.
Cette situation ne m’amusait pas du tout et apparemment, je suis devenu
un tel connard agressif que là, à plusieurs kilomètres de notre destination,
Duff a éprouvé le besoin de me secouer. Nous n’en sommes pas vraiment
venus aux mains, mais certains mots ont été proférés. Je ne sais pas
comment nous sommes rentrés, je ne me rappelle pas m’être écroulé ; après
notre « altercation », je ne me souviens de rien. Nous avons réussi à rentrer
à l’appartement où Del nous attendait. Del adorait prendre des photos quand
l’un de nos amis se retrouvait dans une situation compromettante, et j’ai
donc appris, preuves photographiques à l’appui, que j’avais passé la
matinée suivante à dormir à quatre pattes, mes bottes aux pieds, et la tête
enfouie dans un coin du canapé. Mon haut-de-forme avait été réduit en
bouillie par la pluie, mais je m’y accrochais – il formait un petit tas à côté
de moi. Je n’étais pas content de ça non plus – et ça a duré tout le reste du
séjour. J’avais l’air d’un petit chien battu : « Quoi ? Plus de haut-de-
forme ? »
Au cours de la semaine qui a précédé nos concerts, une de nos
excursions les plus étranges a eu lieu un dimanche : personne n’avait pris la
peine de nous informer que c’était un « jour sans », c’est-à-dire que ni les
cavistes, ni les pubs, ni les épiciers n’avaient le droit de vendre de l’alcool.
Bien sûr, il y a toujours quelqu’un qui enfreint la loi, mais ce jour-là, nous
avons eu bien du mal, parce que dans les rues proprettes de Kensington
High Street, personne n’a eu pitié de nous. Tandis que nous errions à la
recherche d’un pub, nous avons rassemblé une petite troupe de suiveurs.
Parmi eux se trouvait une jeune fille bizarre, fan de rock, et très timide,
mais un peu… ailleurs. Elle ne nous a plus lâchés et a commencé à nous
suivre partout où nous allions. Personne ne lui parlait vraiment ou ne lui
adressait la parole – elle se contentait de nous suivre. Nous ne savions pas
bien si c’était une fugueuse, une groupie, une SDF ou si elle avait des
problèmes, mais à la fin de la soirée, il est devenu évident qu’elle voulait
rester avec nous, parce qu’elle n’avait pas l’air de savoir où aller. Elle avait
l’air inoffensif, alors nous l’avons laissé faire. Entre Del, Todd et nous,
notre appartement était plein de gens qui dormaient par terre, où ils
pouvaient. Moi-même, je m’étais écroulé sur le sol, et je me souviens avoir
vu cette fille à l’autre bout de la pièce avant de perdre conscience. Mais au
cours de la nuit, je me suis réveillé : elle avait baissé ma braguette et était
en train de me sucer la bite. J’ai fait semblant de dormir, mais je dois dire
que je l’ai laissé faire, parce que c’était plutôt bon. Le lendemain matin, elle
avait disparu, et nous ne l’avons jamais revue.
NOUS RÉPÉTIONS AU JOHN HENRY’S, UN CÉLÈBRE studio où tous les gens
d’une certaine notoriété ont fait comme nous. C’est l’équivalent de S.I.R à
L.A., mais avec un côté tout britannique – c’est un peu plus « comme il
faut ». C’était un endroit très chouette, parce que le long des couloirs, il y
avait des caisses de transport marquées Motörhead, Iron Maiden et Thin
Lizzy. Cet endroit dégageait une atmosphère incroyable. Nous avions
décidé de dépenser notre allocation quotidienne, qui s’élevait à quelques
livres par personne, au pub, et nous dévalisions le petit café du studio où
nous nous procurions autant de café, de pains aux raisins et de sandwiches
que possible. Pour quelques pence, nous achetions des paquets de chips à
l’épicerie du coin, et nous nous bourrions de cela avant d’aller boire le reste
de notre argent au pub du coin.
Nos trois concerts devaient se dérouler au Marquee Club, une célèbre
petite boîte où tout le monde, des Who à David Bowie en passant par les
Sex Pistols, avait joué. Le jour des concerts, nous avons fait la balance, puis
Duff et moi avons passé la soirée dehors, à boire dans la rue avec les
indigènes curieux qui étaient venus nous voir. Après une semaine à
Kensington High Street, nous soupirions après un peu de la culture
rock’n’roll à laquelle nous étions accoutumés. Je ne sais pas si c’était durant
l’après-midi ou après notre premier concert, mais en traînant comme ça, j’ai
réussi à me dégoter une petite copine, Sally, qui était à l’époque une
superbe « Page Trois ». La « Page Trois » est une institution du journal
britannique The Sun, qui présente tous les jours des mannequins en maillot
ou en sous-vêtements qui sont, après tout, dignes d’intérêt. J’ai tout de suite
adoré Sally. Elle a rendu le reste de mon séjour en Angleterre bien plus
marrant, parce qu’elle savait aussi où il fallait aller. Nous traînions dans
deux ou trois lieux rock’n’roll solides de Soho. L’un d’eux était l’Intrepid
Fox, où j’ai balancé un petit verre à Phill Magg, le chanteur d’UFO. Je ne
sais plus pourquoi.
J’ai aussi rencontré mon héros, Lemmy Kilmister. Lors de ce séjour,
tout le groupe a rencontré Motörhead, ce qui a mis la touche finale à ce
voyage.
Ces concerts au Marquee étaient bruyants et chaotiques ; les souvenirs
que j’en ai sont de bons souvenirs. Nous avons joué « Whole Lotta Rosie »
d’AC/DC et « Mama Kin » d’Aerosmith et tous nos morceaux originaux.
Un de ces soirs, nous avons aussi joué pour la première fois « Knockin’ On
Heaven’s Door », que nous avions décidé de faire sur un coup de tête, lors
de la balance. J’avais toujours adoré cette chanson, et j’ai adoré la jouer en
concert – c’était bien plus brut que ce que nous avons fini par mettre sur
Use Your Illusion. Ces concerts se sont plutôt bien passés et surtout, ils nous
ont permis, dès le départ, de ne pas être considérés comme faisant partie de
la veine des groupes « Hair metal » de L.A., qui avaient envahi
l’Angleterre. Nous avons été perçus comme différents, ce que nous
n’arrêtions pas de dire, depuis le début. Enfin, nous avions l’impression
qu’on nous rendait justice.
APRÈS CE SÉJOUR, NOUS SOMMES RENTRÉS À L.A. mettre la dernière touche
à notre album. Axl nous avait apporté une copie d’un tableau de Robert
Williams, et nous avons tous été d’accord pour que ce soit la pochette de
l’album – c’est une scène démente qui représente un robot sur le point de
venger une fille qui vient de se faire violer, en dévorant son agresseur. Nous
l’avons trouvé parfait ; nous avons même adopté le titre du tableau comme
titre de l’album : Appetite for Destruction.
Tout se passait bien, l’album est sorti comme prévu avec le tableau de
Williams sur la pochette, et cela ne posait problème à personne. C’est-à-dire
jusqu’à ce que Tipper Gore et son lobby, le PMRC [Parents Music Resource
Center, groupe de pression américain contre la violence et la sexualité
explicite dans la musique, NDT] s’en mêlent. Ils étaient très actifs pour ce
qui était de censurer la musique, à cette époque, mais nous nous en
moquions – nous étions prêts à accueillir toutes les polémiques que Tipper
pourrait lancer.
Nous n’avons pas été déçus : Geffen a reçu tant de plaintes que notre
album a été boycotté avant même d’avoir été acheté par les principales
chaînes nationales. On nous a dit que la plupart des magasins de grande
distribution ne le prendraient pas, et la plupart demandaient que l’album
soit emballé dans du papier kraft, ou que nous changions la pochette.
Devant le risque de ne rien pouvoir vendre alors que nous avions enfin
quelque chose à vendre, dans un moment rare de sens pratique, nous avons
décidé de transiger et avons accepté de refaire la pochette : le tableau de
Williams a été mis à l’intérieur. Un type que nous connaissions à la Hell
House nous a dessinés, avec des têtes de mort, sur une croix : le résultat
était incroyable, et nous avons donc pris ce dessin pour la pochette, tandis
qu’Axl se l’est aussi fait tatouer sur le bras. Ce dessin était si cool qu’il
nous a consolés de toutes les couleuvres que nous avions dû avaler, parce
que nous avions trouvé quelque chose de nouveau qui nous plaisait. Au
passage, un premier pressage avec la pochette originale est aujourd’hui un
objet de collection.
Comme j’ai quelques talents d’illustrateur, j’ai toujours été très
impliqué dans le design du logo et des affiches du groupe. Je me rappelle le
jour où j’ai pris un paquet de Guns & Ammo [Pistolets et Munitions], ou ce
genre de magazines, à l’époque où je tenais le kiosque à journaux, et que je
les ai feuilletés à la recherche du pistolet idéal pour notre logo. J’ai ramené
la photo à la maison ; au départ, je ne voyais pas bien comment tout
associer. Je vivais chez Yvonne et un soir, après qu’elle et sa mère fussent
allées se coucher, j’étais assis à la table de la cuisine et ça m’est venu. J’ai
repris la photo du pistolet et je l’ai dessiné à main levée, et puis j’en ai fait
un deuxième avec des roses dessous. Ce dessin tout simple est resté ; c’est
devenu le logo du groupe.
Bref, quand nous nous sommes mis d’accord sur la nouvelle pochette,
j’ai voulu aller à New York pour superviser le nouveau visuel de l’album et
pour rencontrer l’agence de com’ chargée de nos T-shirts ainsi que notre
nouvel impresario, Bill Elson de ICM. Ce devait être un voyage très chargé.
À l’époque, je « fréquentais » une actrice porno, Lois Ayres, dont
j’appréciais le travail, et même si le caractère choquant de certaines de ses
performances pouvait en rebuter certains, moi, cela m’intriguait. Nous nous
sommes mis ensemble, d’une manière ou d’une autre, à L.A., et j’ai squatté
chez elle quelque temps. Quand j’ai prévu d’aller à New York, il s’est
trouvé qu’elle aussi devait y aller parce qu’elle avait deux ou trois
performances à faire dans des clubs de strip-tease de Times Square. Elle
avait une chambre réservée au Milford Plaza, sur la Huitième Avenue et la
Quarante-Cinquième Rue, et à mon arrivée, je suis donc allé m’installer
dans sa chambre.
Le deuxième jour, j’ai été réveillé à sept heures du matin.
Dring ! Dring !
Dring ! Dring !
J’ai décroché, et immédiatement raccroché.
Dring ! Dring !
Dring ! Dring !
Visiblement, ils insistaient.
« Ouais, quoi ? » ai-je crié.
« Bonjour, monsieur, il y a un certain Todd Crew qui demande à vous
voir, dit la voix. Dois-je le faire monter ? »
« Heu… Ouais… bien sûr » ai-je dit d’une voix hésitante. Je ne voyais
pas du tout ce que Todd pouvait bien vouloir à sept heures du matin, et à
New York, en plus.
Apparemment, il avait accepté une invitation de dernière minute d’un
ami acteur, parce qu’il devait quitter L.A. au plus vite dans son propre
intérêt : il avait rompu avec Girl, ce qui était un énorme problème – cela
faisait des années qu’ils étaient ensemble, et ils formaient quasiment une
entité. Il avait aussi été viré par son propre groupe, qui n’aimait pas qu’il
passe tant de temps avec nous. Il avait rapidement été remplacé par Sam
Yaffa de Hanoi Rocks, après peu, voire pas, de discussions. Et là, non
seulement ils l’avaient mis dehors, mais en plus ils avaient gardé tout son
matériel et refusaient de le lui rendre. Todd n’était donc pas au mieux de sa
forme, et c’est peu dire. Quand il est arrivé à ma porte, il était déjà
complètement bourré, avec un litre de que nous appelions de la « Bave de
Crewpaud » à la main, à savoir de la vodka et du jus d’orange dissimulés
dans une bouteille de 7UP. J’avais des rendez-vous toute la journée aux
quatre coins de la ville, à partir de 10 heures du matin, mais je voyais bien
que Todd avait besoin d’aide. Girl ne répondait pas à ses appels, il n’avait
plus de groupe, et il était hors de question que je le laisse tout seul.
Je n’avais pas le choix : je l’ai traîné à tous mes rendez-vous ce qui
n’était pas une sinécure. Ils avaient tous lieu dans le centre, à quelques pâtés
de maisons les uns des autres, ce qui m’allait très bien ; j’avais prévu d’y
aller à pied – ça faisait une trotte, mais j’avais hâte d’y être. C’était une de
ces journées étouffantes de juillet à New York, et Todd a insisté pour que je
fasse d’abord un détour de dix pâtés de maisons pour l’emmener chez
Western Union retirer de l’argent. Il était tellement mal en point que j’ai
accepté, et aujourd’hui encore, je regrette de l’avoir fait : si j’avais refusé de
l’accompagner chez Western Union, les choses auraient pu tourner
différemment parce qu’il n’aurait pas eu d’argent sur lui.
Nous nous sommes engagés dans la rue et, comme je l’ai dit, Todd était
déjà foutrement ravagé : il commençait à se casser la figure chaque fois que
nous nous arrêtions à un feu. Je le retenais, mais il faisait bien quinze
centimètres de plus que moi, et il était mastoc. J’essayais de l’aider à
traverser, mais il s’écroulait au milieu du carrefour, tandis que la foule des
gens qui allaient travailler, à huit heures du matin, faisait un crochet pour
l’éviter. Nous sommes arrivés chez Western Union comme ça, un pas après
l’autre, il a récupéré son argent, et je suis arrivé à mon premier rendez-vous
chez Geffen avec près de dix minutes de retard.
J’ai laissé Todd dans le hall et je suis sûr que la secrétaire, qui que ce
fût, se souvient encore de lui. Il s’est effondré sur le canapé dès qu’il a senti
l’air climatisé, et je l’ai donc laissé là, ce grand chevelu tatoué qui ronflait
et qui a dû effrayer tous ceux qui attendaient dans le hall ce jour-là. Quand
il a fallu repartir, j’ai eu besoin de deux assistants pour aider Todd à entrer
dans l’ascenseur. Dormir lui avait fait du bien, mais à peine. J’ai quand
même réussi à le piloter dans les rues, et je suis arrivé à l’heure à tous mes
autres rendez-vous : l’un était à Brokum, pour parler des T-shirts, et l’autre
était à ICM. Et tout le long, j’ai traîné derrière moi un bassiste soûl, faisant
comme si c’était une sorte d’éléphant invisible que tout le monde faisait
semblant de ne pas voir. On aurait dit le flic dans Up in Smoke [Faut
trouver le joint, 1978], quand il essaye de faire la circulation sur l’autoroute
avec un hot dog sur la figure.
En début d’après-midi, j’avais fini tous mes rendez-vous. Todd était un
peu plus cohérent, mais il avait vraiment besoin d’une sieste, et j’ai pensé
que ce serait une bonne idée de l’emmener à Central Park – au pire, il
pourrait roupiller sur l’herbe au soleil. J’ai réussi à manœuvrer jusque là-
bas, et, en entrant dans le parc, nous sommes tombés sur trois musiciens
d’un groupe de L.A., que nous connaissions tous les deux. Je ne me rappelle
plus ce qu’ils faisaient à New York, mais ils ont voulu qu’on les
accompagne à Alphabet City acheter de l’héroïne. Todd était tout à fait
partant, mais je ne voulais pas le laisser faire ; je venais de faire mon temps
dans cet enfer, et l’idée ne me tentait pas du tout. En plus, j’avais un disque
en préparation, et il valait mieux ne pas prendre le risque de me faire arrêter
ou pire encore.
J’ai calmé ces fous furieux en proposant d’aller acheter une bouteille de
Jim Beam et de faire une promenade en calèche autour de Central Park, et
c’est ce qu’on a fait. C’était un sacré tableau : moi, Todd et ces trois types
gothiques, tatoués et piercés, en train d’admirer le panorama estival.
Ensuite, nous avons enchaîné avec une pizza et quelques verres dans un
petit bar. Et quand nous avons entamé la deuxième tournée, l’héroïne a
refait surface. J’ai fait ce que j’ai pu pour mettre le holà, mais j’ai été mis
en minorité. Mes problèmes personnels m’importaient moins alors que le
bien-être de Todd : je n’aimais pas ce que je voyais, et j’ai fait ce que j’ai pu
pour l’empêcher de tomber plus bas. Todd avait déjà pris de l’héroïne, mais
il n’avait pas du tout l’habitude ; et même si ça n’avait pas été le cas, il
n’était de toute façon pas en état de prendre de la drogue. Mais, comme je
l’ai dit, j’ai été complètement désavoué : Todd les a convaincus d’aller nous
chercher de la came à notre place, pour éviter que je ne me fasse choper.
Une chose est certaine, il en avait vraiment envie. Nous sommes retournés
en centre-ville, et nous les avons attendus dans un bar de la place St Mark,
dans East Village, tandis qu’ils se procuraient la drogue.
Nous avons fini chez leur pote Chosei Funahara ; c’était le bassiste des
Plasmatics. Je lui ai serré la main, mais je n’ai pas vraiment eu le temps de
lui parler, parce que Todd était tellement impatient de se défoncer que, deux
minutes après être entrés dans son appartement, nous étions dans la salle de
bains. J’étais inquiet, parce qu’on ne sait jamais sur quoi on va tomber
quand on achète de la came dans la rue – il faut toujours être prudent. Je ne
voulais pas vraiment faire ça, mais j’en ai goûté un petit peu, et comme j’ai
constaté qu’elle n’était pas forte du tout, je nous ai préparé un petit shoot à
Todd et moi.
Nous sommes restés là quelque temps, puis nous avons convenu de
retrouver nos amis plus tard dans ma chambre d’hôtel, et Todd et moi
sommes partis. Le soleil commençait à se coucher quand nous sommes
arrivés à Times Square, et, tout en longeant les cinémas, j’ai décidé, devant
un fronton, que j’avais très envie d’aller voir Les Dents de la Mer en 3D.
Todd était d’accord ; de toute façon, tout ce qu’il voulait, c’était boire. Nous
avons acheté un pack de bières que nous avons introduit en douce au
cinéma, ce qui peut surprendre aujourd’hui ; mais en 1987, Times Square à
New York était encore assez graveleux pour qu’un cinéma, même s’il ne
diffusait pas du porno vingt-quatre heures sur vingt-quatre, n’expulse pas
deux types qui apportaient leur propre bière.
Les Dents de la Mer en 3D, ce n’était pas formidable ; tout comme ce
shoot d’héroïne. À la moitié du film, j’ai remarqué que je n’étais pas du tout
défoncé, et que j’avais bu deux ou trois bières alors que Todd avait
descendu tout le reste, l’une après l’autre, presque cul sec. Et puis tout à
coup, il a quitté le cinéma pour aller appeler Girl. Il est resté dehors un bon
bout de temps, et j’espérais que c’était bon signe – peut-être étaient-ils en
train de se réconcilier. Malheureusement, ce n’était pas le cas : à la fin du
film, j’ai trouvé Todd, par terre, prostré au pied du téléphone public,
complètement bouleversé parce que Girl l’avait repoussé, apparemment très
durement.
J’ai piloté Todd jusqu’à l’hôtel en faisant ce que je pouvais pour lui
remonter le moral, et en espérant qu’il allait se calmer. Il était
complètement effondré, mais au bout d’un moment, j’ai réussi à lui dire de
se détendre, à le faire s’allonger et il était à deux doigts de s’endormir. Et
c’est à cet instant précis que les « amis » que nous avions croisés plus tôt
dans la journée ont frappé à la porte. Ils étaient tous prêts à se shooter et à
aller se balader, et Todd s’est subitement réveillé et était impatient d’aller
avec eux. C’était encore une bataille perdue d’avance, et j’ai donc suivi le
mouvement : je me suis injecté quasiment toute ma came, parce que
j’attendais encore que ce truc fasse effet. En même temps, je cornaquais
Todd pour m’assurer qu’il n’en prenait pas trop, parce que ça faisait dix-
huit heures qu’il buvait comme un trou. Je ne sais pas exactement ce qui
s’est passé, mais je suis quasiment sûr qu’il a reçu un shoot de quelqu’un
d’autre, qui était présent ce soir-là, à un moment où je regardais ailleurs. Ce
que je lui avais donné n’était pas assez fort pour provoquer ce qui est arrivé.
Peut-être une heure après l’arrivée des autres, Todd s’est dressé au
milieu de la pièce, un peu penché d’un côté, et s’est subitement écroulé. Il
respirait mal, il était sans réaction, alors je l’ai mis dans la baignoire et je
l’ai inondé d’eau glacée. Je l’ai secoué, giflé, j’ai fait tout ce que je pouvais
pour le réveiller. Et pendant ce temps-là, nos « amis » rassemblaient leurs
affaires et foutaient le camp sans piper mot.
Et moi, j’étais là, à tenir dans mes bras mon meilleur ami, Todd, dans
une baignoire. J’étais en panique ; j’avais déjà fait des overdoses, mais je
n’avais jamais dû gérer l’overdose de quelqu’un d’autre. J’ai fait de mon
mieux pour le maintenir éveillé. Je ne comprenais pas, parce qu’à ma
connaissance, j’avais bien pris le double de ce qu’avait pris Todd, et je
n’étais même pas défoncé. J’ai commencé à me demander ce qu’il avait
d’autre dans le sang et que j’ignorais. Putain, je ne savais pas quoi faire.
Tout à coup, Todd s’est ranimé : il était à moitié conscient, il respirait, et
pendant un court instant, ses yeux ont semblé vraiment me voir et voir la
chambre autour. Sa respiration s’est faite plus régulière et j’ai pu enfin me
détendre. Je l’ai séché et je l’ai mis au lit.
Je me suis assis près de lui, pour surveiller sa respiration, et j’ai appelé
nos amis communs pour leur expliquer la situation, dans un effort pour me
calmer un peu. J’ai aussi appelé la seule personne de New York que je
connaissais assez bien pour me confier à elle – une certaine Shelley, qui
travaillait chez ICM avec Bill Elson. J’étais en train de parler à Shelley, tout
en surveillant Todd, quand tout à coup, sa respiration s’est arrêtée. J’ai
lâché le combiné et je l’ai secoué, giflé, tout en le soutenant. Au désespoir,
je lui ai frappé la poitrine, mais il ne revenait pas à lui. J’ai appelé les
secours, et puis je lui ai jeté de l’eau à la figure, mais rien n’y a fait. Je n’ai
pas pu le sauver – Todd, vingt-et-un ans, est mort dans mes bras. J’ai été
submergé par de multiples émotions, la peur, la panique, l’inquiétude… et
putain, où étaient les médecins ?
Quand ils sont enfin arrivés, c’étaient de vrais connards. Ils avaient mis
près de quarante minutes à venir. Ils sont entrés dans la chambre et ont
regardé Todd comme si c’était un sac-poubelle.
« Oh merde, a dit l’un d’eux, un peu trop fort à mon goût. C’est quoi,
encore, ça ? »
« Je sais, a dit l’autre. C’est idiot, il est mort depuis longtemps. »
« Je ne sais même pas pourquoi on s’est déplacé… Heureusement qu’on
a pris notre temps ! »
Ils ont emmené le corps et m’ont laissé dans cette chambre, avec le
portefeuille de Todd, ses santiags et ses autres possessions. Je commençais
à peine à réaliser ce qui venait de se passer, quand la police est arrivée. Ils
m’ont fait subir un interrogatoire, en sortant le grand jeu « bon flic/mauvais
flic » : ils m’ont demandé si je savais où il s’était procuré la drogue, où était
la seringue. Ils se sont installés dans deux chambres séparées et ont passé
trois heures à me balader de l’une à l’autre. Quand ils ont été satisfaits, ils
sont partis et m’ont dit que je devrais me présenter au poste le lendemain à
huit heures, pour signer des papiers accusant « réception du corps ».
Cette formulation seule a été le coup de grâce ; après leur départ, je suis
descendu dans la rue, je me suis assis sur le trottoir, adossé à l’hôtel, et j’ai
essayé de comprendre ce qui venait de se passer. Quand j’ai vu le soleil se
lever, je n’avais toujours pas la réponse, et il était temps de m’arracher au
trottoir pour aller au poste de l’arrondissement. Je ne m’étais jamais senti
aussi perdu de ma vie.
L’endroit était aussi délabré que dans Barney Miller, et j’ai signé ce que
j’avais à signer – c’était aussi impersonnel que si j’avais rempli un
formulaire après avoir perdu des bagages. Je suis retourné à l’hôtel dans un
état second. Lois n’était pas encore rentrée de la veille. J’étais dans mon lit
lorsque j’ai entendu un coup brutal à la porte. Ce n’était pas la femme de
ménage – c’était plus sérieux. C’était le manager et un agent de sécurité, qui
m’ont appris que non seulement Lois était rentrée, mais qu’elle avait aussi
réglé sa note, et que l’hôtel n’avait pas la moindre intention de m’autoriser
à rester plus longtemps.
Je suis retourné à mon poste sur le trottoir et au bout d’un moment,
comme je ne savais pas qui appeler, j’ai appelé Alan. Il s’est arrangé pour
que j’aille me reposer un peu chez Shelley. Une fois là-bas, je me suis
écroulé d’épuisement. Et une minute plus tard, Alan était là ; il avait pris le
premier vol pour s’assurer que j’allais rentrer entier à L.A. Je suis heureux
qu’il l’ait fait, parce que j’étais engourdi et paralysé.
C’était la pire chose qui me soit arrivée alors – et depuis. Todd était
mon meilleur ami, et il était mort. L’histoire ne s’est pas arrêtée là. Quand
nous sommes allés à son enterrement à San Francisco, j’ai dû endurer d’être
montré du doigt par la famille naturellement éplorée de Todd et les mecs de
son groupe – tout le monde pensait que j’étais responsable de sa mort. Le
beau-frère de Todd était un ami de Del James – il me connaissait, et même
lui pensait que j’étais fautif. Ça s’est très mal passé. La famille de Todd a
même engagé un détective privé pour me suivre quelque temps ; donc, non
seulement je devais faire mon deuil, mais en plus un nuage noir
d’accusations injustifiées planait autour de moi, alors qu’au final, j’avais été
le seul à faire tout mon possible pour maintenir Todd en vie.
Ça a été un sacré signal d’alarme : non seulement je venais d’être
confronté à la réalité du mode de vie féroce que je menais, mais j’avais
aussi appris qu’en vivant si ouvertement de cette manière, je serais toujours
une cible idéale – même pour ceux en qui j’avais confiance – ceux qui me
connaissaient mieux que personne.
Tommy Lee et Slash, deux bons potes, en coulisses d’une cérémonie de
remises de prix, sans doute celle de KROQ
Au Troubadour, vers 1986
Les Guns font trembler le Cathouse !
10) Taillés pour gagner
Je vais vous dire une chose sur les hits musicaux de 1987 : pour moi, ils
incarnent davantage les années 80 que tout ce qui a été fait au cours de cette
décennie. En 1987, « Livin’On A Prayer » de Bon Jovi est resté numéro un
du 14 février au 7 mars – plus de semaines que n’importe quel autre single
cette année-là. En 1987, Whitney Houston est devenue la première artiste
féminine à se classer numéro un avec un premier album. Robert Palmer a
remporté le Grammy du Meilleur Chanteur Rock pour « Addicted to
Love », et les Eurythmics ont raflé le Grammy de la Meilleure Performance
Rock pour un Groupe, pour « Missionary Man ».
Dirty Dancing et Trois Hommes et un Bébé ont été les grands films de
cette année, et tous les morceaux qui passaient à la radio étaient sirupeux et
surproduits : « Who’s That Girl » de Madonna, « Big Time » de Peter
Gabriel, « Back In The High Life Again » de Steve Winwood. L’industrie
musicale a eu plein d’autres mauvaises idées en 1987 : les disques compacts
existaient déjà, mais les pontes aux manettes ont décidé que les « cassettes
singles » étaient l’avenir – et ont lancé ce support avec un morceau de
Bryan Adams, « Heat of the Night », qui est resté dans les mémoires au
moins autant que les cassettes singles.
Quant au hard rock pur et dur, c’est en 1987 qu’Aerosmith a signé son
retour avec Permanent Vacation, mais à part « Rag Doll » et « Dude (Looks
Like a Lady ) », les chansons les plus diffusées sur les ondes étaient toutes
mollassonnes. Il y avait « Here I Go Again » de Whitesnake, « Alone » de
Heart, « Once Bitten » de Great White, et la reprise de « Mony Mony » de
Billy Idol. Et nous, nous étions quelque part entre les deux : ni Guns
N’Roses ni Appetite for Destruction ne rentraient dans les cases du paysage
musical de 1987. Même si nous avions « réussi », c’était toujours la même
chose : nous devions nous faire une place bien à nous.
Appetite for Destruction est sorti le 21 juillet 1987, avec peu de bruit,
voire pas du tout. Pour être gentil, je dirais qu’il a fait un tabac dans le
circuit underground ; il a été suivi par une petite troupe de fidèles, qui se
sont fait passer le mot par le bouche-à-oreille, un peu comme pour Kill’Em
All de Metallica. Parmi nos fans de la première heure, il y avait The Cult,
dont le chanteur Ian Astbury nous avait vus jouer au Marquee à Londres ;
plus tard, il m’a dit qu’il avait tout de suite compris que nous allions
devenir énormes. Il nous a pris comme première partie pendant deux mois,
sur leur tournée nord-américaine pour promouvoir Electric.
Cet album avait été produit par Rick Rubin, et a marqué une grande
coupure par rapport aux racines « gothiques » de The Cult. Qu’ils cherchent
un groupe de hard rock comme le nôtre pour leur première partie avait du
sens, parce qu’Electric sonnait comme s’il avait été produit en 1973. À
l’époque, The Cult avait un énorme succès mondial, mais ils n’étaient pas si
populaires en Amérique, même si Electric allait leur permettre de le
devenir. J’ai découvert ce disque grâce à la fille avec laquelle je couchais à
l’époque. Les nanas étaient très fortes pour découvrir le nouveau truc cool
du jour – elles semblaient toujours être au parfum des disques du moment.
Avant d’entamer la tournée de The Cult, nous avons tourné le clip de
« Welcome to the Jungle », notre premier. Le tournage a duré deux jours. Le
premier jour, nous avons tourné tous les petits plans qui nous montrent
individuellement dans le clip : Axl qui descend du bus, Izzy et Duff dans la
rue, etc. Si vous clignez des yeux une minute, vous risquez de me rater : je
suis le poivrot assis sur un seuil de porte, avec une bouteille de Jack dans un
sac en papier. Nous avons filmé ces scènes sur La Brea, devant une petite
vitrine découverte par notre réalisateur, Nigel Dick. Je savais que le
tournage d’un clip est un processus long et pénible : j’avais été figurant
dans un clip de Michael Schenker, pour une chanson de son album Assault
Attack en 1982.
Au cours de la soirée, alors que j’attendais qu’on m’appelle pour
« Jungle », je me suis sérieusement bourré la gueule. J’ai trouvé
l’alternance perpétuelle de « Dépêche-toi/Attends », caractéristique de
n’importe quel tournage de film ou de clip, tellement pénible, que quand ça
a été le moment de ma scène, je n’ai pas eu à me forcer pour être criant de
vérité. Le clip m’a capturé tel que j’étais à ce moment-là : une minute après
que le réalisateur eut crié « Coupez ! », je me suis disputé avec notre
manager, Alan Niven, à propos de je ne sais quoi – il ne le savait pas non
plus. Je l’ai renvoyé balader, et je suis parti dans la nuit, faire du stop je ne
sais où.
Le lendemain, nous avons tourné au Park Plaza Hotel, où se situait le
Scream Club de Dale Gloria. À L.A., Dale est une figure locale très célèbre
du monde de la nuit, qui possédait et gérait plusieurs clubs – le Scream était
le plus mythique. Ce jour-là, ça a encore été une longue journée de tournage
sur place, mais au moins, nous avons filmé le groupe en train de jouer le
morceau. Nous en avons fait un événement : nous avons joué la chanson à
huis clos, puis nous avons ouvert les portes, fait entrer le public, et nous
l’avons rejouée trois fois de suite. C’était cool. Et c’est comme ça que nous
avons bouclé notre premier clip.
Un ou deux jours plus tard, peut-être une semaine, nous sommes partis
en tournée avec The Cult, pour assurer leur première partie pendant deux
mois, août et septembre, au Canada, sur la Côte Ouest et dans le Sud. Cette
tournée a été géniale ; nous n’avons pas eu à supporter les conneries
habituelles, quand la tête d’affiche sabote de manière prévisible le groupe
de première partie en baissant le son, de manière à avoir plus de présence
quand eux montent sur scène. Je pense que The Cult avait contourné cet
obstacle en nous choisissant, nous : un groupe de L.A. dont personne
n’avait entendu parler. Quelles que fussent les raisons, il y a eu une très
bonne ambiance entre nos deux groupes. Ian et Axl se sont très bien
entendus, et Duff et moi avons passé beaucoup de temps avec le bassiste,
Stephen « Hagus » Harris. Je me demande s’ils savaient bien à quoi ils
s’exposaient en nous prenant. Une chose est sûre : cet engagement a
confirmé ma passion pour les tournées. C’étaient des débuts modestes, mais
qui ont déclenché mon histoire d’amour durable pour la route – au moment
même où j’écris ces lignes, je reste un amateur indécrottable des tournées.
À cette époque, une autre habitude qui a persisté dans ma vie s’est
installée : j’avais laissé tomber l’héroïne au quotidien, et j’étais doucement
passé à l’alcool. Maintenant que nous travaillions, j’avais évidemment
remplacé une mauvaise habitude par une autre, et l’abus de boisson
remplaçait désormais l’héro. J’avais la naïveté de penser que j’étais
tellement balèze que j’avais réussi à décrocher et que je n’avais plus aucun
problème d’accoutumance – en vérité, rien n’avait changé. J’avais
simplement substitué une substance à une autre. J’avais fait passer mon
accoutumance de l’illégalité à la légalité ; parce que l’alcool ne posait de
problème à personne : c’était un aspect attendu du mode de vie rock’n’roll ;
du coup si je buvais comme un trou mais que je ne me piquais pas, les gens
autour de moi n’y voyaient aucun inconvénient. Qu’est-ce qu’ils y
connaissaient ?
À partir de là, hormis quelques incidents isolés, il s’est passé quelques
années avant que j’aie à nouveau de gros problèmes avec l’héroïne. Ce qui
est intéressant, c’est que dans l’intervalle, mon point de vue sur l’héroïne a
changé du tout au tout : bientôt, tout s’est passé comme si je n’y avais
jamais goûté. J’ai réussi, je ne sais comment, à l’effacer de mon esprit, et à
perdre tout intérêt pour ça, même quand les gens autour de moi en prenaient
en ma présence. Je ne comprends toujours pas. Par contre, je me suis mis à
boire à outrance pour compenser, même si je faisais vraiment attention à ne
jamais dépasser mes limites avant un concert.
Il y a très longtemps, quelqu’un m’avait appris que le meilleur remède
contre une gueule de bois, c’était un nouveau verre – soigner le mal par le
mal. C’est devenu ma philosophie, parce que c’était efficace ; le seul
problème, c’était qu’à cette époque, les fêtes s’enchaînaient, ce qui a
conduit à un cercle vicieux. Je me réveillais tous les jours avec la gueule de
bois, donc je débutais chaque journée par un verre, puis je buvais jusqu’à la
fête du soir. En peu de temps, toutes ces fêtes ont commencé à se mélanger :
je buvais toute la nuit jusqu’au lendemain matin, et puis jusqu’au soir, et
puis jusqu’au soir suivant. Je n’ai jamais vraiment passé un jour sans boire,
parce qu’il y avait en général une fête tous les jours ; cela faisait partie de
ma routine quotidienne.
LORS DE LA TOURNÉE AVEC THE CULT, NOUS ÉTIONS logés dans des hôtels
moins prestigieux qu’eux, ce qui ne nous empêchait pas d’aller mettre le
bordel dans les leurs. Souvent, à la fin de la soirée, Duff et moi nous
faisions virer à coups de pied soit par le personnel de l’hôtel, soit par le
groupe lui-même, et nous nous retrouvions devant un défi : arriver à
retrouver notre foutu hôtel. Un soir, j’étais si soûl que je me suis écroulé sur
un canapé, dans le hall de l’hôtel de The Cult, et Duff m’a laissé là. Je me
suis réveillé vers 5 heures du matin, après m’être pissé dessus dans mon
sommeil. Pour ne rien arranger, je n’avais pas la clé de ma chambre, et je ne
savais absolument pas comment s’appelait notre hôtel. Le personnel de
l’hôtel ne s’est absolument pas montré coopératif, sans doute parce que
j’étais plein de pisse et que je puais l’alcool. Je suis sorti dans le froid
canadien : il faisait glacial, et je me suis mis à errer, en espérant pouvoir
retrouver mon chemin. Une fois dehors, le seul hôtel que j’ai vu était très
loin, mais heureusement pour moi, c’était le nôtre. J’ai également eu de la
chance, ce jour-là, de porter mon pantalon en cuir, parce que je n’ai pas eu
aussi froid que j’aurais pu. C’est un des bons côtés des pantalons en cuir :
quand on se fait dessus, ils pardonnent plus que les jeans.
J’étais tellement excité d’être en tournée, n’importe où, avec un vrai
tour bus, même s’il était merdique et peu fiable. En tant que groupe, nous
étions l’équivalent de l’équipe brouillonne de division inférieure qu’on voit
dans les films sportifs ; notre matériel était moins bon et nous n’avions que
nos vêtements, mais nous avions assez de courage pour remporter la coupe
– une version rock’n’roll de La Castagne [Slap Shot]. On a même joué sur
des terrains de hockey au Canada : la tournée avait commencé dans les
provinces de l’Est et se poursuivait sur la Côte Ouest, avant de descendre le
long du Pacifique, sur la côte Nord-Ouest de l’Amérique, puis de piquer au
sud à travers la Californie, puis l’Arizona et le Texas, jusqu’en Louisiane et
au delta du Mississippi. Un sacré périple.
Au Canada, rien ne nous a choqués, mais nous, nous avons choqué tout
le monde. Trop souvent, nous avions l’impression d’être les Blues Brothers,
dans cette scène où ils jouent dans un bar de rednecks, et où on les
bombarde de bouteilles de bière. Nous avions les reins assez solides pour
résister chaque fois que nous nous trouvions, de manière imprévue, dans un
environnement hostile, et c’était une bonne chose… parce que ça nous est
arrivé quelques fois.
Même quand la foule n’était pas à proprement parler hostile, durant
toute notre traversée du Canada, nous nous sommes attirés des regards
bizarres à chacune de nos apparitions. Nous nous considérions comme
normaux, mais je voyais bien que notre comportement ne semblait pas du
tout normal à ces gens-là – ou aux autres, d’ailleurs. Nous étions une bande
de païens qui pensions tout savoir, alors qu’en réalité, nous ne connaissions
rien à rien. Je suppose que The Cult nous voyait comme un instrument
capricieux : nous les intéressions un peu parce que nous avions un timbre
unique ; mais nous étions une machine qui risquait de s’emballer n’importe
quand.
Le chanteur du Cult, Ian Astbury, aimait vraiment notre côté explosif :
ça l’éclatait ; dans son esprit, nous étions féroces, affamés, et nous avions
toutes les autres qualités qui éveillent la jalousie des rockers. Il avait
raison : nous étions tout ça, et bien plus encore – nous étions l’équivalent
d’un pétard M80 dans une cannette de Coca. En revanche, Billy Duffy, le
guitariste du Cult, avait plutôt l’air de se dire : « Ouais, bon… » Soit ça ne
l’intéressait pas, soit il n’adhérait pas. Quoi qu’il en soit, assez souvent, ils
prenaient un moment pour voir ce qu’on faisait.
ON MONTAIT SUR SCÈNE, ET CHAQUE SOIR ON DONnait notre concert, mais je
dois dire sincèrement que sur cette tournée, nos prestations ne m’ont jamais
satisfait. Il nous restait encore à devenir une solide formation de tournée ;
nous n’étions pas encore des pros aguerris, et cela me rongeait. Ça nous
rendait sans doute amusants parce que nous étions encore un peu bruts de
décoffrage : nous arrivions, dénués de toute expérience ; nous n’avions que
nos fringues sur le dos, notre matériel sur la scène, et une poignée de
chansons que nous jouions devant des gens qui n’avaient jamais entendu
parler de nous. Je crois que nous étions les seuls à savoir que nous avions
sorti un disque.
Nous avons joué dans des stades de hockey, des salles de concert, et sur
quelques festivals où nous partagions l’affiche avec quelques groupes. Et
même si j’étais aux anges d’être en tournée, ce qui pour moi était la chose
la plus formidable du monde, je ne pouvais m’empêcher de penser que ça
aurait pu être bien meilleur. Pour moi, nous n’en étions pas là, parce que sur
une grande scène, notre prestation n’était pas à la hauteur. Mais ça, c’est
mon point de vue, et j’ai tendance à être très critique, c’est vraiment un trait
de caractère chez moi. J’étais incapable d’effacer de mon esprit ces concerts
comme, sans doute, les Sex Pistols l’auraient fait.
Cela dit, j’ai eu l’impression de rentrer chez moi quand la tournée de
The Cult est arrivée au Long Beach Arena. Je me revois arriver là, la veille,
et contempler le stade, complètement fasciné. J’y avais vu Ozzy, AC/DC,
Black Sabbath, Judas Priest, Billy Idol, et bien d’autres, depuis si
longtemps, et pour moi, jouer dans cet endroit signifiait qu’on était arrivé.
J’y avais même vu Ratt, contre mon gré : comme je l’ai dit, Yvonne
était sortie avec leur chanteur, Stephen Pearcy, à l’époque où le groupe
s’appelait encore Mickey Ratt. Quand nous étions toujours ensemble, le
groupe était passé là-bas, et elle était encore si fière de lui qu’il avait fallu y
aller, même si c’était un crétin fini. Elle était ravie que Ratt eût gravi les
échelons, depuis l’époque où ils vivaient tous ensemble dans un
appartement bon marché, jusqu’à être tête d’affiche au Long Beach Arena.
Et maintenant, j’y étais aussi, et je ne vais pas vous mentir : quand on nous
a annoncé cette date, j’ai eu un formidable sentiment de réussite. Pour un
grand groupe en tournée, à leur niveau supérieur, jouer devant cinq mille
personnes au Long Beach Arena n’est peut-être pas très important – mais
pour nous, à ce moment-là, c’était énorme.
Ça a été un vrai retour chez nous. Nous sommes entrés dans le stade et
nous avons garé notre bus dans la rue, devant l’hôtel. Nous avons réussi à
faire monter deux filles qui traînaient sur le trottoir, et deux mecs les ont
emmenées à l’arrière du bus. Puis nous sommes allés nous enregistrer à
l’hôtel, et je me revois siroter mon verre en contemplant le stade de l’autre
côté du parking, ce bâtiment qui dominait l’horizon, plus grand que nature.
Le lendemain, nos potes de L.A. sont arrivés, et quand nous sommes
montés sur scène, ils nous ont montré plus d’attention que toutes les foules
canadiennes réunies. C’était génial, nous étions chez nous.
NOUS NOUS SOMMES ASSEZ VITE FAITS À LA ROUTINE de la vie en tournée ;
nous étions taillés pour gagner, et ce dès le départ. Nous étions faits pour
ça ; nous nous sommes adaptés à ce rythme, sans trop forcer. Quand nous
sommes arrivés en Arizona, je crois, c’est là que nous avons vu pour la
première fois ce que c’était que des groupies ; pas des filles qui voulaient
nous baiser parce qu’elles étaient fans de nous – ça, nous en avions déjà eu
pas mal chez nous. Je parle du type de groupies qui s’attaquent à n’importe
quel groupe, n’importe quand, et qui étaient prêtes à se taper n’importe qui,
parce que pour elles, toutes les opportunités se valaient.
Globalement, les groupies avaient généralement entre dix-sept et vingt-
deux ans ; si elles avaient vingt-cinq ans et quelques, ça faisait visiblement
déjà quelque temps qu’elles faisaient ça – peut-être même un peu trop
longtemps – et il y en avait des encore plus âgées, et celles-ci se déplaçaient
souvent en duos bizarres, composés de la mère et la fille. Mais d’une
certaine façon, on comprenait mieux ces groupies de la cambrousse que
celles de L.A. : là où ces filles vivaient, la culture était réduite au minimum,
et elles avaient décidé d’en profiter au maximum, chaque fois que la culture
passait par leur ville. Cela méritait presque le respect.
Chaque fois que nous ne jouions pas, Axl se terrait dans les loges, pour
reposer sa voix et dormir. Parfois, quand nous avions une journée de repos,
il dormait là au lieu de rentrer à l’hôtel. Mais il sortait de temps en temps
avec nous tous, ce qui était toujours cool. À ce moment-là, tout allait
vraiment bien entre nous – pour le dire autrement : nous montions sur scène
à l’heure. Il y avait une grande amitié entre nous ; nous formions une équipe
parfaite pour une tournée… même si je n’avais pas vraiment de points de
comparaison. Mais nous étions tous plutôt contents.
Jusqu’à ce que le compresseur de notre bus merdique nous lâche, ainsi
que la climatisation, quelque part au milieu du Texas. Assis là, à transpirer à
grosses gouttes dans la chaleur, nous nous sommes dit tout à coup qu’il
devait y avoir une manière plus classe de voyager en tournée.
West Arkeen est arrivé au Texas pour quelques jours, ce qui a élevé
d’un cran le degré des festivités, en dépit du climat saharien qui régnait
dans le bus : quand il nous a quittés, quatre ou cinq jours plus tard, West
n’était plus que l’ombre de lui-même. Je crois qu’il avait perdu près de
quatre kilos à force de transpirer. Après cela, nous avons eu trois jours de
repos au Texas, dans cet hôtel luxueux au milieu de nulle part, et au cours
de ces trois jours, nous avons renvoyé notre conducteur de bus et notre
responsable de tournée, que j’appellerais « Cooper ».
Cooper était un personnage : il portait en permanence une casquette de
livreur de journaux, et roulait en Lotus jaune. C’était un Anglais maigre et
sec, très nerveux – je crois que c’était dû à toute la coke qu’il prenait. Le
problème de Cooper, c’était qu’il s’était transformé en rock-star
égocentrique, en oubliant qu’il n’était que responsable de tournée. Nous
avons fini par en avoir assez de voir Cooper attirer dans sa chambre les
filles que nous avions repérées, en leur promettant de la coke, et les y
garder en espérant coucher avec. Il allait même jusqu’à nous mentir, quand
nous appelions sa chambre en lui demandant où elles étaient. Il disait
qu’elles étaient parties, et nous le croyions, jusqu’au jour où nous avons
débarqué dans sa chambre et où nous l’avons pris sur le fait.
Il avait aussi la mauvaise habitude de nous promettre, à Izzy et moi, un
gramme de coke si nous nous levions le matin pour donner des interviews.
Il nous en donnait un tout petit avant-goût, mais une fois que nous étions
revenus de la station de radio, du téléphone ou autre, et que nous lui
demandions le reste, il se débrouillait généralement pour revenir sur sa
parole. C’était absolument stupide – quand on nous promettait de la drogue
mais qu’on ne la recevait pas, on était le genre de personnes à vous botter le
cul.
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est le jour où Alan nous a
confiés à Cooper, mais qu’il a déconné et que nous sommes arrivés très en
retard au concert. C’était une énorme boulette, et ça a été sa fin : Alan l’a
viré, ainsi que le conducteur du bus, sur-le-champ. Et ils sont partis. Aux
dernières nouvelles, Cooper faisait du porte-à-porte pour vendre des
annuaires.
J’ai été très impressionné de voir Alan jeter Cooper sans aucune
explication – c’est là que j’ai compris combien il était sérieux. C’était un
exemple de l’attitude extrêmement protectrice, paternaliste et possessive
qu’il avait adoptée envers nous. C’était réconfortant, parce que nous étions
de tels fouteurs de merde qu’il fallait bien que quelqu’un s’occupe de nous.
C’était génial qu’Alan s’occupe ainsi de dégraisser les effectifs ; mais à
vrai dire, après ces quelques jours de repos, nous devions aller à Houston
pour la prochaine date, et nous n’avions ni responsable de tournée, ni
conducteur de bus. Nous avons dû improviser pour trouver d’autres moyens
de transport. Je ne sais plus ce qu’ont fait les autres, mais Duff et moi
sommes partis en Trans Am avec une fille que j’avais levée. Tout s’est bien
passé, jusqu’à ce que nous nous retrouvions coincés sous un orage
torrentiel, parce que sa voiture n’avait pas d’essuie-glace. La pluie tombait
si fort que j’ai dû sortir à moitié par la fenêtre côté passager et faire rempart
de mon corps à la moitié du pare-brise, pendant que j’essuyais l’autre
moitié avec mon bras, afin qu’elle ait assez de visibilité pour conduire.
Notre concert à Houston a été mortel, et après ça, nous nous sommes
enfoncés dans le Sud. La Louisiane m’a bien plu, surtout La Nouvelle-
Orléans, avec toute cette atmosphère de vaudou, de religion africaine et de
magie noire. Nous sommes allés dans un vrai restaurant du bayou, dans les
marais, où j’ai mangé du serpent à sonnettes et de l’alligator boucané. Pour
moi, c’était génial ; j’avais compris que je ne pouvais pas être mieux que
sur la route, et que cette tournée était tombée à un moment idéal de la
carrière.
Au cours de cette tournée, nous nous sommes aussi constitué une équipe
d’assistants stable, un groupe de personnalités qui sont restées auprès de
nous plusieurs années. Avant la tournée, nous avions répété avec Mike
« McBob » Mayhew comme assistant guitare rythmique et basse ; et
« McBob », avec son sens de l’humour acide, aimait bien nous rappeler
notre position très inférieure dans la chaîne alimentaire, en nous faisant
remarquer en permanence que nous devions nous déplacer à pied. Il avait
des années d’expérience de la vie en tournée, et ses petits commentaires
nous étaient bien utiles pour nous souvenir que notre tour bus paradisiaque
n’existait que dans nos rêves.
McBob est toujours avec Duff et moi aujourd’hui – il fait partie de
l’équipe de Velvet Revolver – et après toutes ces années, l’un des meilleurs
côtés de sa présence est qu’il a toujours d’innombrables histoires de tournée
à nous raconter. La plupart se terminent toujours sur Mike qui va à l’hôpital,
à cause des blessures et des maladies qu’il s’inflige tout seul, ou qui
découlent des fêtes auxquelles il participe. L’une des histoires les plus
fameuses de son répertoire, c’est la fois où il était tellement soûl qu’il est
tombé d’une voiture, a glissé sur la tête sur plusieurs mètres, et s’est réveillé
à l’hôpital avec une plaque de métal dans le crâne. Parfois, cette plaque
déclenche les détecteurs de métaux dans les aéroports. McBob ressemblait à
Robert Shaw – Captain Quint – dans Les Dents de la Mer, assis à la proue
du Orca : une bombe atomique humaine qui nous arrosait de ses
formidables souvenirs de guerre.
Notre équipe était complétée par Bill Smith, mon assistant guitare, qui,
ai-je rapidement réalisé, n’était là que pour la bière. C’était un type
adorable, il adorait faire la fête, et il restait assis en coulisses, sur le côté de
la scène, plus pour regarder le concert que pour lui permettre de se dérouler
dans les meilleures conditions. Je dirais qu’il a dû changer cinq cordes sur
l’ensemble de la tournée ; il était tout à fait capable de les changer, mais il
le faisait à des moments qui n’étaient ni réguliers, ni logiques. Grâce à Bill,
j’ai appris à jouer plus prudemment – j’essayais de ne pas casser de corde,
parce que sinon, je n’avais aucune idée de quand je récupèrerais ma guitare.
Je n’avais que deux guitares sur cette tournée, et je ne vois donc pas bien ce
qui pouvait prendre tant de temps. Inutile de dire que j’ai dû me séparer de
Bill. Tout bien considéré, entre notre équipe et notre manque d’expérience
sur les tournées au niveau professionnel, on s’en est aussi bien sortis que les
Bad News Bears [une équipe de baseball de ratés qui parvient à devenir
championne, dans le film du même nom, NDT].
IL Y A UNE RAISON FONDAMENTALE AUX TOURNÉES, qui nous a complètement
échappé à l’époque : nous ignorions parfaitement qu’une tournée était
censée faire la promotion de notre disque. Pour nous, il s’agissait
simplement de jouer. À mes yeux, c’était du boulot et uniquement du
boulot, parce que sans la tournée, je n’aurais eu nulle part où aller. Nous
étions trop immergés dans cette expérience pour penser à promouvoir notre
« produit » tous les jours, en montant sur scène, mais Alan, lui, essayait de
voir comment mettre en valeur ce truc, sans doute pour pouvoir se vanter de
quelque chose, tout en le faisant réussir.
Alan ne devait pas faire du bon travail, et Geffen non plus, parce que
tous les soirs, quand nous jouions, je me rendais cruellement compte que
personne ne connaissait notre disque. Nous nous sentions aussi inconnus
que le plus inconnu des groupes. Nous avons donc continué à avancer,
continué la tournée sans nous soucier de la manière dont nous étions reçus,
et Alan et Tom Zutaut continuaient à faire valoir Appetite. La seule autre
option aurait été de rentrer chez nous, et nous n’avions plus jamais
l’intention de rentrer si nous pouvions l’éviter.
Pendant un an, d’août 1987 à la fin 1988, nous ne sommes pas rentrés à
L.A. plus de quelques jours ; nous enchaînions les tournées. Alan Niven
nous a programmés en première partie de la tournée européenne
d’Aerosmith, avec Faster Pussycat, qui devait démarrer quelques jours
après la fin de la tournée de The Cult. Aerosmith venait de se remettre au
rock’n’roll, et nous étions ravis d’assurer leur première partie. Mais ce ne
serait pas pour tout de suite – au dernier moment, Aerosmith a annulé, mais
au lieu de nous faire rentrer, Alan nous a envoyés là-bas avec Faster
Pussycat et un formidable groupe japonais, EZO, pour remplir notre contrat.
C’était notre première tournée en tête d’affiche ; elle a débuté en
Allemagne, au Markhalle de Hambourg, le 29 septembre 1987. C’était
génial d’être tête d’affiche, mais nous avons eu quelques problèmes. Faster
Pussycat était l’un de ces groupes de L.A. que nous détestions ; c’était
exactement le genre de personnes que nous cherchions à éviter. La tournée a
été aussi l’occasion d’un choc culturel : Hambourg avait encore l’aspect
d’une ville ravagée par la Seconde Guerre mondiale – cette ville avait un
point de vue assez étriqué. C’était une ville sombre, industrielle, amère, qui
avait l’air de ne pas vouloir nous accueillir si elle pouvait l’éviter. Ce genre
d’environnement nous a toujours incités à montrer notre vrai visage de
manière un peu plus exagérée que d’ordinaire, ce qui n’est pas très bien
passé. Chaque fois que nous entrions dans un restaurant, toutes les têtes se
tournaient et la pièce devenait silencieuse. Et dans ce cas, nous n’étions que
plus décidés à commander à boire, à nous mettre à fumer et à nous
comporter de manière pire que nous ne l’aurions fait spontanément.
C’est sur cette tournée que nous avons fait la connaissance de Doug
Goldstein, le nouveau responsable de tournée qu’Alan avait engagé pour
veiller sur nous. Je me rappelle que nous sommes arrivés tard dans la nuit –
un jour après Faster Pussycat – et que dès le lendemain matin, je suis allé
dans la chambre de Doug récupérer notre argent de poche pour la journée,
avant que nous n’allions faire un tour. Partout en Allemagne, et
particulièrement à Hambourg, il y a des boutiques porno extrêmement
explicites, en général dans des endroits très faciles à trouver, plutôt
centraux, et c’est là que nous sommes allés. J’étais tout excité – je n’avais
jamais rien vu d’aussi obscène de toute ma vie. On aurait dit un gamin dans
une confiserie : je sortais ces magazines des présentoirs – avec des
animaux, des femmes enceintes, les trucs les plus dépravés qu’on puisse
imaginer – pour les montrer aux autres, du genre : « Putain, mais vous avez
vu ça ? »
Nous étions dans le même hôtel que Faster Pussycat ; nous sommes
tombés sur eux dans le hall, et nous les avions salués avant de partir nous
promener ce jour-là. Nous avons été polis, disons, mais pas ce que
j’appellerais amicaux. Mais quand on leur a dit que nous sortions visiter la
ville, Mark Michals, le batteur de Pussycat, a insisté pour nous
accompagner.
Son groupe a eu l’air un peu nerveux : « Non, non, reste avec nous », a
dit l’un d’eux.
« Non, c’est cool, j’y vais », a dit Mark.
« Franchement, tu ferais mieux de rester, on ira plus tard », a dit un
autre.
« Si, c’est cool, je vais aller avec eux », a répondu Mark.
Nous n’avions rien fait pour l’encourager, encore moins l’inviter. Je me
rappelle même que l’un de nous a marmonné : « Non, reste avec eux »,
mais il nous a collé aux basques, à Izzy, Steve, Duff et moi, pendant toute la
journée. Nous avons commencé par nous arrêter à l’Euro McDonald’s.
J’étais devenu un grand fan des McRibs pendant l’enregistrement
d’Appetite, et pour moi c’était le summum de la cuisine*. J’ai été ravi de
constater qu’il y avait des McRibs à la carte à Hambourg, et au premier
regard c’était la même chose, mais à la place de la sauce barbecue, c’était
un truc brun indéfinissable. Ça a été mon seul repas de la journée. La raison
pour laquelle nous étions si maigres à l’époque, c’était que nous ne
mangions pas grand-chose.
En tout cas, nous nous sommes baladés tout l’après-midi, et quand le
soir est venu, nous sommes allés sur la Reeperbahn, une rue composée
uniquement de bordels, interdite aux femmes – comme dans le quartier
rouge d’Amsterdam, on y trouve toutes les filles imaginables. Nous étions
au paradis : nous n’avions jamais rien vu de pareil, et à l’époque, nous
n’avions pas d’amis dans d’autres groupes qui aient plus voyagé que nous,
donc personne d’expérimenté ne nous avait rien dit de ce genre de choses.
Je planais complètement. Je crois que dès le premier quart d’heure, Steven a
explosé tout son fric en putes. Nous étions en train de marcher, quand tout à
coup il a disparu dans un garage en sous-sol, où toutes sortes de prostituées
étaient appuyées à des piliers, sous des néons industriels de couleur.
Il se faisait tard, et ce Mark nous suivait toujours. Nous avons quitté la
Reeperbahn, et sommes allés dans un bar où les Beatles avaient joué à leurs
débuts. De nouveau, quand nous sommes entrés, nous avons eu
l’impression d’être la lie de l’humanité, mais nous nous en fichions ; nous
avons bu du Jack avec un seul glaçon par verre (c’est tout ce qu’ils
mettaient) jusqu’à la fermeture. Nous sommes retournés à pied à l’hôtel, et
ce mec était toujours là – à ce moment-là, nous ne lui adressions même plus
la parole. La journée avait été longue, alors je me suis écroulé dans mon lit,
tandis que Mark faisait de même dans l’autre lit – celui de Duff. Izzy a
toujours été le Grand Instigateur : il a toujours eu l’art de déclencher des
trucs sans se mouiller, et il n’allait pas laisser passer une telle occasion.
« Hé, Duff, a-t-il dit. Ce mec est dans ton lit. »
« Ouais, c’est vrai », a dit Duff.
« Et tu vas le laisser faire, mec ? » a dit Izzy. « Putain de merde ! Il n’a
pas à te faire ça ! »
« C’est sûr ! Putain, non, mec ! » a dit Duff.
« D’ailleurs, c’est qui ce mec, putain ? » a demandé Izzy.
« Ouais, il se prend pour qui, putain ? » a répondu Duff qui commençait
à s’échauffer. « On l’emmerde ! »
Ils ont essayé un peu rudement de le réveiller, mais Mark était
complètement H.S.
« Je sais ce qu’on devrait faire, mec, a dit Izzy. On va l’envelopper avec
du scotch, et on va le mettre dans la cage d’ascenseur. »
« Putain, ouais ! » a dit Duff.
« On va le descendre dans la cage d’ascenseur. Il n’aura qu’à dormir sur
l’ascenseur. »
Ils ont complètement recouvert ce mec de scotch : les bras, les mains,
les chevilles, sa bouche, il était totalement immobilisé. Il était de taille
moyenne, il devait peser soixante-dix kilos, et ils l’ont porté jusqu’à
l’ascenseur, et c’est là qu’il s’est mis à gueuler comme un cochon qu’on
égorge. Ils ont rapidement abandonné leur plan de départ et se sont
contentés de le balancer dans l’ascenseur et de l’envoyer au rez-de-
chaussée. Là, c’est le personnel de l’hôtel qui a dû prendre les choses en
main. Ils l’ont débarrassé de son scotch, et une fois qu’il leur a dit qui il
était, ils sont passés par toute la chaîne hiérarchique avant de pouvoir
contacter son groupe, qui a dû venir le chercher, parce qu’il n’avait ni clef,
ni carte d’identité, ni argent, rien du tout. Je ne lui ai plus adressé la parole
après cette soirée ; sur tout le reste de la tournée, je me suis contenté de
signes de tête. D’ailleurs, maintenant que j’y pense, on n’a plus eu de leurs
nouvelles après.
Le lendemain, nous avons donné notre concert, le premier de notre
tournée en tant que tête d’affiche, et c’est une bonne chose qu’il n’ait pas
créé de précédent. La salle était au-dessus de l’eau ; c’était une pièce très
industrielle, sombre, avec des bancs et de grandes tables sur les côtés. Là-
dedans, tout était peint en noir – c’était le club le plus noir que j’aie jamais
vu, et il puait la bière éventée. Sur les murs, on voyait les signatures et des
graffitis laissés par tous les groupes de heavy metal et de thrash qui
s’étaient produits là, et il y en avait un paquet.
L’auditoire était, sans conteste, composé des gens les plus ternes que
nous ayons vu de nos vies : si je me souviens bien, ils étaient aussi froids et
lamentables que le climat. Je me souviens qu’avant notre entrée en scène et
à la seconde où on en est descendus, le club n’a diffusé que du Metallica, en
boucle. Il était clair que n’importe quel groupe américain, et n’importe quel
groupe tout court, qui ne sonnait pas comme Metallica, n’aurait aucun
succès ici. Et j’avais raison. Nous sommes allés au bout du concert, et à la
fin, la seule chose que j’ai pensée a été : « Putain, je détesterai avoir à
refaire ça demain. »
J’avais d’énormes appréhensions quant au reste de la tournée – d’autant
que nous avions encore pas mal de dates en Allemagne. Nous avions
quelques jours à tuer avant le concert suivant, et pendant tout ce temps, mes
craintes n’ont fait que grandir. Mais quand nous sommes arrivés à
Düsseldorf, une ville plus aérée, avec plus d’arbres et moins d’abris anti-
bombes, le cadre était si différent que j’ai compris combien l’Allemagne
était un pays grand et varié : chaque ville dégage une atmosphère unique.
AU COURS DE NOTRE PÉRIPLE À TRAVERS L’EUROPE, LE groupe a commencé à
vraiment être soudé ; nos relations spontanées devenaient vraiment pro, et
jouer devenait fun. Au cours de cette tournée européenne, nous faisions la
route dans un bus de tourisme que nous avions transformé en squat
collectif, en enlevant la plupart des sièges et en recouvrant le sol de
coussins. Izzy s’était trouvé une copine allemande en chemin, et elle avait
emmené une copine avec laquelle j’ai commencé à fricoter. J’ai toujours
aimé avoir une fille dans chaque port ; et comme j’avais déjà une copine en
Angleterre, Sally, qui m’attendait, j’ai dû mettre un terme assez brutal à ma
romance teutonne quand nous avons traversé la Manche. J’ai dit à mon
Allemande, juste avant d’entrer dans la pièce où Sally m’attendait, qu’elle
devait rentrer immédiatement chez elle.
Quand je repense à l’Europe, à part les concerts, je me revois passer le
plus clair de mes journées à entrer et sortir de diverses cliniques
spécialisées dans les maladies vénériennes. À L.A., je sortais avec une
actrice porno et avec cette adorable petite junkie affolante que je
connaissais. Juste après avoir tourné le clip de « Welcome to the Jungle », je
me souviens qu’en me réveillant, j’ai découvert trois petites marques rouges
bizarres sur le côté gauche de mon ventre. À cette époque, le sida avait
vraiment explosé et était devenu un problème de santé nationale. Une
hystérie bizarre s’était alors emparée des musiciens rock ; tout le monde
s’inquiétait, mais la plupart d’entre nous avions le sentiment d’être
immunisés contre tout cela. Nous nous disions que nous n’avions pas à nous
inquiéter, tant que David Lee Roth ne l’avait pas attrapé.
Mais je venais quand même de lire l’article de une de Time Magazine
sur le sida, et les photos des lésions provoquées par le VIH me semblaient
correspondre exactement aux marques sur mon ventre. Ce n’était sans doute
qu’un psoriasis ou une irritation, mais j’étais persuadé qu’entre mon actrice
porno et ma copine junkie, je l’avais attrapé, parce que je ne m’étais protégé
avec aucune d’entre elles. Je me revois sur Melrose, près de San Vincente,
juste après être parti de chez ma copine junkie, en route vers une clinique
pour me faire faire le test du sida. Pour moi, j’étais cuit ; j’étais persuadé
que cette tournée européenne serait la seule tournée internationale que
j’aurais l’occasion de faire avant de mourir. Heureusement, le test s’est
révélé négatif.
Pour ne rien arranger, en plus de ça, j’ai attrapé des verrues vénériennes,
sans doute à cause de l’actrice porno – ce qui a aggravé ma terreur du sida.
Jusque-là, j’avais été plutôt volage, sans jamais me protéger, mais je n’avais
jamais pensé pouvoir attraper quelque chose de plus grave que des
morpions. Quand ces trucs sont apparus… je me suis dit : « Putain, c’est
quoi ce bordel ? » Je suis allé dans une clinique avant notre départ et ils ont
essayé de m’en débarrasser plusieurs fois, mais rien ne marchait ; les
verrues revenaient tout le temps. Quand la tournée a démarré, elles me
faisaient si mal que je ne pouvais plus dormir sur le ventre. Je passais mon
temps à aller dans les cliniques de tous les pays qu’on traversait, pour
essayer de tenir ces trucs à distance. Je voulais m’en débarrasser une bonne
fois avant de retrouver Sally. Finalement, je les ai fait enlever
définitivement juste avant notre arrivée en Angleterre ; Sally n’en a jamais
rien su.
Si je devais élire mon concert préféré de la tournée, ce serait le Paradiso
à Amsterdam. Cette salle est hallucinante ; c’est un bâtiment sombre et
menaçant, une ancienne église. Le hall est haut de plafond, avec des
arcades, et une acoustique géniale. Tant de légendes ont joué là, des Sex
Pistols aux Stones, que j’étais tout excité d’y être. Je me souviens que ce
soir-là, pendant le concert, Axl s’en est pris aux vieilles rock-stars : je ne
me rappelle pas ses mots exacts, mais en gros, il a dit que les rock-stars des
générations précédentes qui avaient l’impression qu’on les pillait avaient
raison – on les pillait, mais on était meilleurs qu’eux. Je crois qu’il a conclu
son discours en disant à Paul Stanley de venir lui sucer la bite.
Ce concert était si génial qu’Izzy et moi avons décidé de fêter ça en
allant chercher de la drogue. Après tout, nous étions à Amsterdam, où les
drogues douces sont plus ou moins légales et où les drogues dures ne sont
pas compliquées à trouver – du moins, dans notre esprit. Nous avons passé
la moitié de la nuit à chercher des dealers, et nous avons fini par dénicher
un peu d’héro qui était tellement coupée et tellement faible que ça ne valait
même pas la peine d’avoir fait tous ces efforts. Visiblement, on nous avait
repérés comme étant des touristes.
Nous avons pris le ferry entre la Hollande et l’Angleterre, et pour les
membres de l’équipe qui avaient l’habitude des tournées, c’était banal, alors
que pour nous, c’était un truc énorme. On pouvait fumer autant d’herbe
qu’on voulait avant l’arrivée. C’était du grand n’importe quoi, toute notre
équipe et les membres du groupe en train de fumer comme des pompiers,
pour consommer tout ce qu’on avait acheté à Amsterdam. Il y avait un
grand bar, et Axl était tellement défoncé qu’il est allé dormir sur l’un des
canapés de ce bar. Quand il s’est couché, nous étions les seuls présents,
mais bientôt, l’endroit s’est rempli, et tous les autres passagers se sont assis
autour de lui et s’appuyaient même sur lui. Je me revois ouvrir les portes
des cabines, dans lesquelles un membre ou un autre de notre équipe, comme
Bill, mon assistant guitare, fumait son herbe jusqu’à la dernière miette, pour
ne pas avoir à la jeter par-dessus bord à notre arrivée en Angleterre.
La tournée s’est terminée le 8 octobre 1987, à Londres, et ça a été
extraordinaire. Le groupe avait vraiment trouvé sa vitesse de croisière ;
nous avions à présent assez de bouteille pour savoir ce que nous faisions.
Nous étions plus à l’aise dans notre jeu ; nous nous connaissions assez bien
pour ne pas avoir à trop réfléchir à ce que nous allions faire au moment
d’entrer sur scène. Quand on a acquis une telle familiarité, on peut
improviser et broder à partir de là, pour faire de chaque concert un
événement unique. Le concert au Hammersmith Odeon était explosif : les
fans ultimes que je rencontre encore aujourd’hui me disent que c’était le
meilleur que nous ayons jamais fait. Quand un concert prenait vraiment,
comme cela s’est passé ce soir-là, il y avait une super interaction entre Izzy
et moi, parce que nous avions une relation indescriptible avec nos guitares ;
ou alors j’étais en parfaite synchro avec la section rythmique, Duff et
Steven ; ou encore c’était la super harmonie entre l’énergie d’Axl et le
contrepoint émotionnel que je lui apportais. C’était surtout énormément
d’énergie, un tout – on l’envoyait au public, qui nous la renvoyait. Ça
n’aurait pas pu se produire dans un lieu plus idéal : le Hammersmith Odeon
est une salle célèbre où tout le monde, de Motörhead aux Who en passant
par Black Sabbath, les Beatles et Johnny Cash, a joué ; et c’est là que
Bowie a donné son dernier concert sous les traits de Ziggy Stardust en
1973.
NOUS SOMMES RENTRÉS AUX ÉTATS-UNIS : À PEINE arrivés à New York, nous
sommes immédiatement allés enregistrer l’émission Headbanger’s Ball de
MTV. Juste après, nous devions monter dans un bus, rouler toute la nuit, et
retrouver Mötley Crüe pour assurer leur première partie. Nous avions passé
la nuit en avion, nous n’avions pas eu le temps de nous doucher, et nous
n’étions pas d’humeur pour MTV. Dès que nous avons mis un pied dans le
bâtiment, à dix heures du matin, ça a été le gros clash entre les musiciens
encore soûls, en nage, sales, qui n’avaient pas changé de vêtements depuis
des semaines, et le monde policé de MTV. Nous nous sommes présentés à
la réception, où nous attendait un représentant de Geffen, tout sourires et
fausse politesse à deux balles. Nous avons reçu nos petits badges, nous
avons franchi le portillon devant l’ascenseur, et nous nous sommes
retrouvés dans une salle d’attente ; une pièce toute verte, avec seulement
deux canapés et une table. Pas de planning, pas de douceurs, rien du tout.
Moi, j’avais ma bouteille de Jack, bien sûr, donc ça allait.
Nous n’étions visiblement pas contents, et quelqu’un nous a envoyé
Julie Brown, la VJ de Downtown, nous dire bonjour et nous occuper un
peu. J’ai eu le sentiment que ce n’était pas son idée ; elle n’avait clairement
pas envie d’être dans cette pièce. Elle a fait ce qu’il fallait, mais elle était
loin de sa personnalité pétillante habituelle ; elle avait l’air nerveuse et
méfiante. Visiblement, elle avait des a priori terribles sur notre groupe ;
pour quelqu’un qui habitait à New York et qui était censée être « du
centre », elle me donnait la nausée. Si j’avais bu davantage de Jack, je lui
aurais probablement hurlé le fond de ma pensée : « Ferme ta gueule, déjà,
on n’a pas non plus envie d’être là, mais on doit tous tenir la journée. »
Quand on est entré sur le plateau, nous avons rencontré JJ Jackson,
l’animateur, et il était très cool. C’était un grand plateau, et en cours de
route, nous nous étions dit en plaisantant que nous devrions tout casser
devant les caméras. L’idée est restée, et entre nous, nous avons décidé que
c’était exactement ce que nous allions faire. Nous avons fait l’interview,
Axl a parlé et a répondu à toutes les questions de JJ. J’étais assis,
silencieux ; les autres étaient silencieux aussi. Nous avons attendu que
l’émission touche à sa fin, et en dix secondes, nous avons ravagé le plateau.
Je n’y ai pas réfléchi sur le moment ou après, mais quelques semaines plus
tard, j’ai vu l’émission. Nous avions l’air de zombies féroces, tout droit
sortis de 28 Jours plus tard [28 Days Later]. C’était notre premier vrai
passage télé, et c’était autre chose que de simplement avoir un clip sur
MTV ; c’était nous, qui entrions peu à peu dans la conscience de
l’Amérique moyenne.
Nous avons quitté MTV, sommes montés dans le bus, et le lendemain,
nous sommes partis avec Mötley. C’était complètement surréaliste : après
avoir passé une semaine dans un bus de tourisme transformé, à faire une
tournée en tant que tête d’affiche en Europe, nous entamions une tournée
dans le Midwest américain, en première partie de Mötley Crüe ; ils faisaient
la promo de Girls, Girls, Girls, leur popularité était au plus haut et ils en
profitaient, et c’est un groupe qui ne regardait pas à la dépense. J’ai tout de
suite adoré Tommy, dès que je l’ai rencontré – c’est sans doute le type le
plus vrai, le plus authentique, avec un cœur d’or, de tout ce milieu. J’ai
toujours apprécié Nikki, parce que c’était le cerveau, l’esprit marketing et la
source créatrice du groupe. J’aurais toujours un grand respect pour son
acharnement et sa passion à donner corps à sa vision. Mötley était le seul
groupe de L.A. et de la scène glam metal à être 100% authentique. Ils
n’étaient peut-être pas les plus originaux – après tout, Nikki a piqué sans
complexe des trucs entiers à d’autres groupes. Mais qu’il s’agisse de KISS
ou de leurs autres influences, Mötley revendiquait ces influences et ils
étaient si sincères et si impliqués qu’on ne pouvait pas le leur reprocher – et
dans mon esprit, Nikki incarnait tout cela. Sur cette tournée, Duff et moi
étions généralement à proximité de Nikki, parce qu’on savait qu’il avait
toujours un gros paquet de coke avec lui.
Ces types se sont montrés très généreux avec nous ; ils nous ont
accueillis comme des parents fiers de leur progéniture, et comme des
parents très fiers, ils nous ont fait faire le tour de la maison qu’ils avaient
construite à la sueur de leur front. C’était leur troisième grande tournée en
tant que tête d’affiche, et sur scène, ils avaient un spectacle total : des effets
pyrotechniques à foison, une énorme équipe, des mois de concerts à donner
devant des stades à guichets fermés – le rêve rock’n’roll dans toute sa
splendeur. Ils avaient mis au point un système de communication très
pratique à l’aide de talkies-walkies et de chiffres : dans l’équipe de
production du groupe, tout le monde avait un talkie-walkie, avec la clef du
code collée à l’arrière, qui expliquait ce que signifiait chaque chiffre.
Certains codes étaient réservés uniquement aux machinistes et concernaient
le matériel, les lumières, le chargement, etc. Et puis il y avait les codes du
groupe, qui concernaient leurs besoins quotidiens. Par exemple, 1, c’était
pour la coke, qui était notée sous un autre nom ; 2, c’était les filles ; 3,
c’était l’alcool, etc. C’était génial, à n’importe quel moment, selon la
situation, ils n’avaient qu’à allumer leur talkie et dire : « Hé, c’est Tommy,
j’ai besoin d’un numéro 1, un numéro 3, et si tu vois quelques bons
numéros 2 sur le chemin, tu les apportes avec le reste dans ma loge. Ah, et,
euh… fais vite. Merci beaucoup ! »
Nous avons passé beaucoup de temps avec ces types tout au long de la
tournée, mais Nikki a toujours fait très attention à bien nous étaler leur
succès et à nous faire savoir quel était le statut de son groupe. Tommy et lui
étaient les seuls à nous convier à partager leur butin : nous n’avons jamais
vu Vince et, de toute la tournée, je n’ai jamais vu Mick Mars. D’ailleurs,
aujourd’hui encore, je ne l’ai jamais rencontré. Même si on avait
l’impression que Nikki partageait avec nous, il était clair à mes yeux qu’il
faisait ça pour se faire un peu mousser ; d’autant que nous ne pouvions le
voir et bénéficier de ces privilèges que quand Nikki avait décidé de traîner
avec nous. Il prévoyait toujours tout : en tournée, il n’a jamais perdu le
contrôle des événements – mais si cela lui arrivait, il s’arrangeait toujours
pour être dans une situation où on allait s’occuper de lui. Je respectais cela :
Nikki n’aimait pas être en position de faiblesse. Et traîner avec nous ne
poussait absolument pas les gens à garder le contrôle des événements.
Mötley voyageait le plus souvent possible en avion privé, à ce moment-
là, et pour l’un des plus longs trajets entre deux dates, Nikki nous a invités à
les rejoindre dans l’avion. C’était plus que toute autre tête d’affiche aurait
fait, et voyager sur Mötley Air était fort agréable ; le trajet était agrémenté
de boissons, de rails de coke, et d’allée-surf au décollage et à l’atterrissage
– un sport qui consiste à se mettre debout, de profil, dans l’allée entre les
fauteuils, et à suivre le mouvement de l’avion. Si vous avez l’occasion,
essayez ; je le recommande fortement.
À l’époque, on n’aurait pas pu réunir sur une même affiche deux
groupes plus dépravés que Guns et Mötley ; et même si nous étions tout à
fait à la hauteur de notre réputation, cette réalité s’est rapidement
transformée, comme toujours, en business. Ce boulot était ma première
expérience d’une tournée professionnelle de haut niveau, ce qui était
quelque chose que, contrairement à Steven, je n’avais jamais ambitionné,
même si c’est devenu un élément permanent de ma vie. Pour moi, ces
moments passés sur scène, à jouer de la guitare devant un public, c’est tout
ce qui compte. C’est tout ce qui a toujours compté pour moi ; c’est cela qui
permet de supporter tout l’ennui et les drames qui accompagnent la vie d’un
groupe de rock en tournée.
Même si j’avais passé toute ma vie au contact du show-biz, c’est sur la
tournée de Mötley que j’ai fini par réaliser, de la manière la plus directe qui
soit, que dans ce genre de métiers, on trouve à part égale des moments
d’ennui et des moments de magie – il fallait être prêt à s’investir. Même
dans les meilleures situations, la vie sur la route est monotone : on se lève à
telle heure ; on passe le temps jusqu’au concert ; on fait le concert ; et on
fait la fête, généralement sur le chemin du prochain concert, où on
recommence. Aujourd’hui encore, les tournées, chaque fois que j’en fais,
sont pour moi une nouvelle expérience, parce que les salles ne sont jamais
les mêmes.
Cela dit, ça n’a jamais été un cliché pour moi ; j’ai toujours su où étais
ma place. Les tournées, encore aujourd’hui, n’ont rien de cliché pour moi ;
les salles ne sont jamais les mêmes. À l’époque comme aujourd’hui, j’ai
toujours mis un point d’honneur à faire une balance pour m’imprégner de
l’atmosphère de la salle. Je ne pouvais pas toujours le faire quand nous
étions en première partie, mais je pouvais au moins apprendre deux ou trois
trucs sur la ville dans laquelle nous étions. Je me fichais bien de ce qui se
passait dans telle ou telle ville sur le plan culturel, mais je tenais
absolument à apprendre tout ce que je pouvais sur notre public et à quoi il
ressemblait.
Malheureusement, les conclusions auxquelles j’aboutissais sur les gens
qui venaient nous voir finissaient en général dans l’urinoir du premier bar
où j’allais après le concert. J’avais dans mon esprit des instants
d’illumination, que j’oubliais totalement en route pour la ville suivante, et
que je redécouvrais lors de la tournée d’après. J’ai une capacité de mémoire
limitée, et comme j’attendais impatiemment la suite, le passé avait tendance
à s’effacer rapidement. Les tournées sont pour moi un peu comme l’histoire
de Stephen King, « Les Langoliers », dans laquelle un passé vorace dévore
tout sur vos talons, tandis que vous essayez désespérément de garder un peu
d’avance.
Quand vous êtes aussi impatient d’arriver à votre destination, il n’y a
jamais assez d’heures dans une seule journée. Je ne me rappelle pas avoir
dormi ou m’être reposé du tout, au cours de cette période ; il y avait un côté
fébrile à tout cela, et je ne voulais pas en perdre une miette. J’avais
l’impression que si je ralentissais, le temps allait me rattraper et que tout
s’arrêterait.
Je faisais donc tout ce que je pouvais pour mettre de la distance entre
hier et le présent. J’ai toujours été comme ça, et je le suis encore. C’est pour
cela que je n’ai pas vraiment de souvenirs : je ne garde pas mes disques d’or
ou de platine, seulement les guitares qui signifient quelque chose à mes
yeux. Ma femme, Perla, a été tellement choquée de cela qu’elle a
récemment demandé à la maison de disques de me refaire des disques de
platine de tous mes albums. Elle les a accrochés dans l’escalier de notre
maison. Je crois qu’ils ont dû y rester une semaine ; ils me rendaient
tellement dingue que je les ai tous décrochés un soir et que je les ai
entreposés dans un coin. Je n’ai pas besoin de récompenses accrochées au
mur pour me rappeler ce que je suis.
MON SEUL LIEN TANGIBLE AVEC LE PASSÉ, OUTRE mes souvenirs, sont les
agendas détaillés que j’ai tenus la plus grande partie de ma vie – j’ai fini par
renoncer, parce que j’en ai eu trop de volés ou de perdus. Mais j’ai gardé
tous ceux qui ont survécu, et quelques-uns se sont révélés bien utiles quand
d’affreux problèmes légaux ou des trucs comme ce livre ont fait leur
apparition, et que je devais me rappeler de choses précises. C’est comme
cela que je gardais une trace de ma vie, et je notais tous les événements
marquants. Cela dit, malheureusement, cette tournée avec Mötley est un
trou noir parce que, pour la première fois de ma vie, quelqu’un m’a volé
mon agenda, ainsi que les quelques habits que j’avais emportés sur cette
tournée. Ça n’a pas été difficile – j’avais tout fourré dans une taie d’oreiller
qui me servait de sac. Notre garde du corps, Ron Stalnaker, s’occupait
toujours de nos sacs – c’était l’un de ces types qui, sans raison apparente,
ont besoin de porter des trucs et de s’épuiser. Il avait une manière de penser
quasi-robotique : « Je dois prendre ce sac et le porter… » Cela nous
convenait parfaitement, parce que nous n’avons jamais employé les portiers
ou les bagagistes, vu qu’à l’époque, nous n’avions pas de quoi leur offrir
des pourboires.
Ronnie avait donc empilé nos bagages le long du bus, et était retourné
dans l’hôtel où nous étions pour aller chercher d’autres sacs dans le hall. Un
gamin qui attendait là a attrapé les deux premiers sacs qu’il a vus – celui de
Duff et ma taie d’oreiller. Nous faisions rarement des lessives ; nous
n’avions personne pour s’occuper de notre bordel. À l’occasion – je dis bien
à l’occasion – nous allions dans une laverie automatique et nous faisions
une machine. Nous portions ce que nous avions, et nous achetions
simplement de nouveaux T-shirts dès que nous pouvions. En gros, une fois
que mon jean a été usé, j’ai porté mon pantalon en cuir sur la fin de la
tournée. Duff, Izzy et moi fonctionnions à l’arrache, en matière de
vêtements ; nous fourrions tout notre bordel dans un sac ou dans une taie
d’oreiller, le sale et le propre tout ensemble. Ce sac qu’on m’a volé
contenait tout ce dont j’avais besoin ce jour-là : des chaussettes, un nouveau
T-shirt, mon agenda, et le reste de mes vêtements du jour. À ce moment-là,
nous étions devenus assez importants pour que quelqu’un ait éprouvé le
besoin de me voler mes « bagages », comme si c’était un trophée. Je
suppose que c’était cool. Sur le moment, c’était plutôt nul, parce que je
n’avais rien d’autre à me mettre et que j’étais en retard pour une interview à
la radio. J’ai dû la faire en direct, enveloppé dans une serviette, puisque
j’avais dit à Ronnie qu’il pouvait prendre mes « bagages » et les mettre
dans le bus pendant que je prenais une douche – j’avais prévu de m’habiller
en route*. Au moins, la station de radio m’a offert un T-shirt.
MÖTLEY ÉTAIT LE SEUL GROUPE ISSU DE LA SCÈNE DE L.A avec lequel nous
ayons jamais travaillé à un niveau national et professionnel. C’était normal :
c’était le seul groupe que nous respections, le seul avec lequel nous
pouvions partager une certaine camaraderie. J’étais toujours persuadé que
personne ne nous connaissait, mais apparemment je me trompais, puisque
nous formions une belle équipe et que les concerts étaient incroyables.
C’était l’affiche de « bad boys » idéale, et nous nous comportions en
conséquence.
Il y a eu cette soirée où Nikki Sixx et moi nous sommes lancés dans un
concours de beuverie. Selon à qui vous vous adressez, c’est moi qui l’ai
initié, en disant que je pouvais faire rouler Tommy et Nikki sous la table, ou
alors c’est Nikki qui m’a mis au défi de boire plus que lui. Bref, nous avons
fini au bar de l’hôtel où nous nous trouvions, à faire un concours de shots.
Nikki avait une méthode. Il commandait quatre shots, et je descendais
immédiatement les deux miens, tandis qu’il n’en buvait qu’un et laissait
l’autre traîner sur la table ; je finissais par l’avaler, parce qu’il était là, au
milieu, comme s’il était à nous deux. Je voyais très bien son petit manège,
mais je n’en buvais pas moins rapidement, et, je ne sais pas si c’était à
cause de la conversation ou autre, mais j’ai rapidement perdu le compte.
Très vite, plus il y avait de shots, plus je buvais. Dans le feu de l’action, je
buvais les miens, tandis qu’il restait là à dorloter son verre, et il en restait
toujours un sur la table, que je finissais aussi par siffler. Je n’avais jamais bu
comme ça tout seul, et je ne me méprenais pas ; je savais parfaitement ce
qu’il était en train de faire… jusqu’à un certain point.
En théorie, nous étions censés boire le même nombre de verres, mais vu
que je buvais la moitié des tournées de Nikki, je dirais qu’au final, j’avais
bu vingt shots de Jack Daniel’s contre dix pour lui. J’étais si soûl qu’on m’a
raconté que j’avais vomi là, au bar, entre mes jambes, sur le sol, et que
j’avais tenté de le dissimuler. Je ne m’en souviens pas du tout, mais je me
souviens que j’ai fait ce que j’adore faire quand je suis bourré – me bagarrer
avec un type qui est plus grand que moi. Dans ce cas précis, il s’agissait de
Nikki, que j’ai tout à coup mis au sol, avec son tabouret. Nikki est grand, et
à l’époque il était aussi assez costaud, et il a fini par retourner la situation :
il m’a plaqué sur le dos et s’est assis sur moi. Quand j’ai été groggy, ils
m’ont emmené à l’étage et m’ont couché dans le lit de Spidy, l’assistant
batterie de Tommy. Je me suis réveillé le lendemain matin absolument
incapable de tourner la tête ; je souffrais comme je n’avais jamais souffert
de ma vie. J’ai réussi à me traîner jusqu’à ma chambre, et j’ai appelé Doug,
notre responsable de tournée, pour lui dire que j’avais immédiatement
besoin d’un docteur. Apparemment, je m’étais déplacé quatre vertèbres
cervicales.
Je pouvais à peine jouer, parce que le poids de ma guitare en
bandoulière me causait une douleur atroce. J’ai passé les quelques semaines
qui ont suivi debout dans un coin de la scène, le chapeau enfoncé le plus
bas possible. Les vertèbres touchées étaient trop hautes et trop près de la
base du crâne pour être replacées par un chiropracteur. J’ai donc
expérimenté l’acuponcture pour la première fois, qui s’est révélée d’un
grand secours ; je m’en suis fait faire avant chaque concert et plusieurs fois
par semaine pendant quelques mois. Jusqu’à ce que la zone dégonfle, j’ai
marché comme l’Homme de Fer-Blanc rouillé.
Ça n’a pas été la seule expérience douloureuse de la soirée. Visiblement,
après que je me fus écroulé, Tommy et Nikki ont fait une séance photo : ils
ont pris mon visage en photo, avec les couilles de Tommy qui pendaient au-
dessus, et le lendemain, ils en ont fait plusieurs copies, qu’ils ont fait
plastifier et distribuer à tout le monde sur la tournée. Il me semble que cette
photo est même devenue le visuel officiel de leur passe « All Access ».
J’étais un bouffeur de couilles aux yeux du monde entier.
Jamais auparavant ou depuis sur une tournée, les Guns n’avaient eu ce
genre de relations avec un autre groupe. Et nous n’avons jamais retrouvé un
tel niveau de dépravation. Mötley était le seul groupe à la ronde qui eût la
même mentalité autodestructrice que nous, ainsi qu’un furieux sens de la
compétition et de la surenchère. Tout au long de la tournée, nous avons
essayé de surpasser les autres sur tous les plans, et cela ne rendait que
meilleurs les concerts. Le seul moment où j’ai vécu quelque chose
d’approchant, ça a été lorsque Skid Row a fait la première partie de Guns
N’Roses, des années plus tard, et, même si ça me coûte de le reconnaître, je
crois qu’avec Sebastian Bach à bord, nous sommes même allés encore plus
loin.
Mötley nous a vraiment réservé un final de choix : ils ont respecté
l’immémoriale tradition consistant à bousculer le dernier show du groupe
de première partie. Leur équipe a gardé le secret, et nous ne nous y
attendions pas du tout. Quand nous avons attaqué le dernier morceau, dix
kilos de farine ont dégringolé du plafond ; nous avions beau nous croire très
cool, nous avons été ridiculisés en un instant. J’ai mis plusieurs semaines à
enlever cette merde des moindres recoins de ma guitare.
Tout cela a vraiment été une expérience enrichissante. Mötley était au
summum, c’était une machine bien huilée, mais je n’oublierai jamais
l’expression de terreur dans les yeux de Doc McGee chaque fois que je le
croisais. Il avait à gérer un groupe qui vivait dangereusement : sur cette
tournée, toutes les nuits, Tommy était en général tellement cuit qu’il avait
l’air sur le point de mourir. Mon dernier souvenir de toute cette expérience,
ça a été la vision de Doug en train de pousser Tommy sur un chariot à
bagages dans l’aéroport, pour le conduire à leur avion. Tommy était alors
complètement H.S. ; il n’était plus qu’un tas de bras et de jambes
dégingandés qui pendaient par-dessus bord, la tête penchée en avant, au
point que son menton rebondissait sur sa poitrine.
APRÈS AVOIR TERMINÉ LA TOURNÉE DE MÖTLEY, nous avons eu une époque
de vaches maigres – il n’y avait pas beaucoup de propositions adéquates
pour un groupe comme le nôtre. Mais il y en a eu une parfaite – Alice
Cooper. Cela avait tout d’une union paradisiaque. Nous avions fait un
concert avec Alice en 1986 à Santa Barbara qui, avec tout autre artiste de sa
stature, nous aurait immédiatement disqualifiés. Quand nous avions fait ce
concert, nous étions censés faire tous ensemble l’heure de route nécessaire
pour y aller, mais Axl avait insisté pour y aller avec sa copine, Erin, à la
toute dernière minute. Nous y étions tous opposés, y compris Alan, mais
Axl l’avait persuadé qu’il n’y avait pas à s’inquiéter. Nous sommes arrivés
à la salle : Axl n’était nulle part, mais apparemment, il était en route.
L’heure est venue de monter sur scène – pas d’Axl – donc Izzy, Duff, Steve
et moi y sommes allés et nous avons commencé à jouer sans lui. Izzy et
Duff ont chanté « Whole Lotta Rosie » d’AC/DC et quelques autres
reprises. Nous étions en première partie d’Alice Cooper, mais nous
ressemblions plutôt à des poivrots faisant un bœuf dans un bar – sauf que
nous étions dans un stade. Les choses ont si mal tourné qu’à un moment
donné, nous avons demandé au public de chanter, avant de demander s’il y
avait un chanteur dans la salle. Une minute, nous sommes devenus potes
avec le public, mais la situation s’est très vite renversée ; nous avons fini
par les insulter et par leur jeter des trucs. C’était ridicule.
Nous sommes restés sur scène tout le temps qui nous avait été imparti,
avant de battre en retraite, loin de ce désastre parfaitement gênant. Nous
sommes immédiatement retournés à Hollywood, tellement énervés que nous
avons envisagé de virer Axl du groupe le soir même et de chercher un
nouveau chanteur. Izzy et moi sommes allés directement chez West, et
j’étais tellement à cran que je me suis remis à l’héro ; dans la salle de bains,
pendant que la drogue faisait effet, Izzy et moi avons discuté de ce concert
de merde et de ce que nous allions faire. Ce n’était pas la première fois que
nous avions ce genre de conversations ; je dirais que la question de virer
Axl a été soulevée six fois, très sérieusement, dans toute l’existence du
groupe. Izzy et moi étions en train d’échafauder la meilleure stratégie pour
le faire, quand Axl est arrivé. Il est entré dans la salle de bains, s’est assis
sur le bord de la baignoire, et s’est mis à parler.
Ce qui était incroyable avec Axl, c’est qu’il ne voyait pas du tout, dans
ce genre de situations, ce qu’il avait pu faire de mal ; cela n’entrait pas dans
son schéma mental. Il est entré dans cette salle de bains persuadé qu’il
n’avait aucune raison de s’excuser, à mon avis. Mais il a tout de même
longuement parlé, et même si la conversation a dévié de son absence au
concert, il a quand même présenté une sorte de très vague excuse. Et ce
faisant, il nous a aussi expliqué, avec bien plus de fougue qu’il n’en avait
mis à s’excuser, pourquoi il avait agi de la sorte. Le raisonnement sous-
jacent à ses actions était tellement tortueux, que je n’en ai conservé que
l’impression qu’il était complètement inconscient des conséquences de sa
non-présence et de ce que son absence avait mis en lumière, au point de ne
pas en voir la gravité. Il y a certaines règles dont Axl ne tenait tout
bonnement pas compte ; comme il n’a pas le même mode de pensée que les
autres, les normes usuelles lui échappent, tout simplement.
L’informer de ces normes pouvait ou non faire une différence ; on ne
savait jamais. Axl est extrêmement intelligent ; mais en même temps, il vit
dans un monde où la logique qui régit les autres gens ne s’applique pas. Il
ne se rend même pas compte à quel point ses choix peuvent se révéler
problématiques pour les autres. Il ne pense pas à mal ; il est comme ça,
voilà tout. C’est très difficile d’essayer d’expliquer cela. Il est tout à fait
sincère, mais en fin de compte, Axl, sans se soucier du monde qui l’entoure,
insiste pour vivre selon des règles qui ne sont valables que dans l’univers
qu’il a bâti autour de lui. Ce concert d’Alice Cooper en était un parfait
exemple : je me rappelle que j’étais très en colère et qu’Izzy était comme
moi ce soir-là. Mais même si nous étions extrêmement furieux, assis dans
cette salle de bains, à parler de notre détermination à trouver un nouveau
chanteur, quand il est entré, Axl a tout de même réussi à nous faire changer
d’avis. Lentement mais sûrement, nous avons décidé d’oublier tout cela.
Bien sûr, le fait que nous étions sous l’influence de l’héroïne a dû aider…
Nous étions si défoncés qu’au bout d’un moment, tout ce psychodrame
n’avait plus aucune importance.
Bref, tout cela, c’était du passé, et là, on était bel et bien dans le présent.
Apparemment, Alice avait bien apprécié notre performance d’alors ; je crois
qu’il revoyait en nous un peu de sa jeunesse. Alice faisait la promo de Raise
Your Fist And Yell, et ça n’avait pas été une très bonne année pour lui : il
avait failli mourir sur scène, quand sa célèbre guillotine, son accessoire
scénique, avait eu un problème et avait manqué le décapiter. Alice s’était
également racheté une conduite, à l’époque, ce qui fait qu’à part quelques
membres agités de son groupe, nous étions les seules pommes pourries de
cette tournée. Nous l’avons accompagné sur une partie de sa tournée
américaine, avec un nouveau conducteur de bus inoubliable, inénarrable et
bien déjanté. Ce type était un musicien chevelu qui aimait parler de la
musique qu’il composait en permanence, et même s’il était marrant à
fréquenter, il faisait toujours des trucs qui nous compliquaient inutilement
la vie. Son plus gros problème était qu’il voulait sans arrêt sortir avec nous,
et qu’au lieu de garer le bus quelque part et de nous laisser aller où nous
voulions, il nous proposait de nous y emmener en bus, et on se perdait
immanquablement dans les petites rues. Inutile de préciser qu’il n’a pas fait
long feu.
Quand nous sommes arrivés sur la tournée, Alice a été super gentil et
encourageant. Il nous a accueillis à bord sans arrière-pensée ; il n’y avait ni
hiérarchie, ni conneries. Il aimait vraiment notre groupe et notre projet –
quant à nous, nous le respections totalement. Nous avons pris plein de
photos avec lui, on va le dire comme ça. La transition était intéressante :
avec Mötley, nous avions vu ce que c’était qu’une production à grande
échelle, avec une prestation prévisible chaque soir. Avec Alice, c’était la
même chose, mais à un tout autre niveau. Même si nous étions fans depuis
des années, de ses disques, de ses paroles et de son personnage, tourner
avec lui était encore quelque chose de nouveau. Il avait un claviériste, un
énorme guitariste qui faisait de la gonflette, Kip Winger à la basse, un autre
guitariste et un batteur. Il était épaulé par d’autres types, engagés pour
l’occasion, il avait toutes sortes d’accessoires, et c’était très intéressant de
voir la manière dont Alice se servait de tout cela. Il avait un groupe de huit
musiciens, des choristes, des acteurs, des changements de costume… c’était
un vrai show.
Il avait aussi un serpent, et j’étais tout excité de le voir. Mais Alice
n’était pas un collectionneur de serpents ; il n’en avait pas chez lui, celui-ci
n’était qu’un accessoire comme les autres. Il avait un type qui s’en
occupait, un type qui ne s’y connaissait pas beaucoup et a eu du mal à
s’occuper de ce pauvre boa constrictor durant la traversée du Midwest
glacial, et je lui ai donc donné quelques tuyaux. Cela dit, nous avons
déchiré, sur cette tournée.
À cause des décors, nous étions juste sur le devant de la scène, juste
devant le public, et c’était un véritable atout. Ces concerts étaient
dynamiques, avec un light-show minimal et des salles plus petites que lors
de la tournée avec Mötley ; l’un dans l’autre, c’était un changement radical
et rapide par rapport à ce que nous venions de connaître. Il y a une
constante qui a caractérisé cette période pour nous : nous changions tout le
temps de matériel. Ces changements, pour drastiques qu’ils fussent, nous
ont obligés à apprendre très vite en peu de temps. Si nous ne nous adaptions
pas, nous risquions d’échouer ; c’était aussi simple que ça. Pour un groupe
figé dans ses habitudes, ça a été une bonne chose que nous fussions obligés
de faire face à toutes ces situations diverses sans avoir été prévenus.
NOUS ÉTIONS AU CŒUR DU MICHIGAN, DANS UNE ville au milieu de nulle
part ; j’étais en train de boire un verre au bar de l’hôtel, quand notre
responsable de tournée m’a annoncé que le concert de ce soir était annulé
parce qu’il était arrivé quelque chose à Alice. Quelques heures plus tard,
nous avons appris que son père était mort ; et les jours qui ont suivi, nous
sommes restés au bar de l’hôtel à attendre, en nous demandant si la tournée
allait se poursuivre ou pas. Au cours de notre deuxième nuit d’attente,
Steven Adler a complètement disjoncté. Steven pouvait être submergé par
l’émotion subitement, et il l’exprimait alors de manière complètement
rebelle et agressive. Dans cette petite ville, il y avait un café des sports, un
ou deux restaurants, l’hôtel et pas d’autres distractions à plusieurs
kilomètres à la ronde. Ce soir-là, Duff était avec lui ; ils étaient allés boire et
pour je ne sais quelle raison, Steven s’est tellement énervé qu’il a donné un
coup de poing à un lampadaire. Il s’est complètement cassé la main, et a dû
rester sur la touche quelque chose comme six semaines.
Alan nous avait programmé quatre dates en tête d’affiche à L.A. après la
tournée avec Alice, et nous avons compris que Steven aurait toujours la
main dans le plâtre à cette époque-là, alors nous avons fait savoir que nous
avions besoin d’un batteur pour quelques concerts. Quelques jours plus
tard, nous avons essayé Fred Curry, le batteur de Cinderella, et il a
immédiatement été génial. Fred a tout de suite appris tous les morceaux, et
nous avons répété avec lui dans le hall de cet hôtel du Michigan ; Izzy, Duff
et moi avec nos guitares tandis que Fred nous accompagnait sur les drum-
pads.
Quelques jours plus tard, nous avons appris qu’Alice avait annulé la
tournée, et nous sommes donc retournés à L.A. nous préparer pour les
concerts au Perkins Palace. À ce moment-là, nous en voulions tous à Steve ;
nous n’éprouvions aucune sympathie pour lui, qui s’était réveillé, après
cette histoire de lampadaire, avec un plâtre à la main et la certitude qu’il
avait beaucoup trop bu et avait fait un truc idiot. Il avait déconné – il devait
en assumer les conséquences.
Quand nous sommes rentrés à L.A., Steven et moi nous sommes
installés à Franklin Apartments, des locations meublées à court terme sur
Hollywood et Franklin, pour les quelques jours qui précédaient les quatre
concerts du Perkins Palace à Pasadena, et quelque temps après encore.
Quand je me suis installé, j’avais Sally à mes basques. Elle était arrivée au
Drury Hotel, dans le Missouri – que nous surnommions le « Dreary Hotel in
Misery » [l’affreux hôtel de la Misère] – avec une carte verte, et elle était
décidée à passer quelque temps avec moi. Elle est de Sheffield et c’est une
véritable Anglaise : elle n’était donc absolument pas dans son élément, en
tournée avec nous, mais elle a survécu. Elle et moi nous sommes installés
dans l’appartement voisin de celui de Steven.
Nous avions quelques semaines avant ces quatre concerts à Pasadena,
au Perkins Palace, et comme d’habitude, dès que nous avions quelques
jours de liberté à L.A., j’ai plongé tête la première dans des activités
lunaires. Un soir, Lars Ulrich et James Hetfield de Metallica sont venus et
nous avons fait une bringue monstrueuse. Sally était là, et je me souviens
qu’il y avait une fille que James voulait sauter, et je lui ai laissé ma
chambre. Ils y sont restés un bout de temps, et à un moment j’ai dû entrer
chercher un truc ; je suis donc entré discrètement, et je suis tombé sur James
en train de se faire sucer par cette fille. Il lui tenait la tête à deux mains,
était debout sur le lit, et lui cognait la tête contre le mur à grands coups de
reins, en gémissant avec sa voix caverneuse, et en beuglant : « C’est bon !
C’est bon ! Ouais ! C’est bon ! »
Steven, Sally et moi faisions la fête à outrance tous les soirs. Un jour,
nous sommes allés au Cathouse, qui s’était déplacé sur Highland et
Melrose, et ce soir-là nous avons rencontré le tristement célèbre Mark
Mansfield et Nikki Sixx. Nos deux groupes se sont rapprochés : à l’époque,
j’étais dans une phase anti-héroïne, donc ça ne m’intéressait pas, mais Mark
en avait un peu, et lui, Steven et Nikki voulaient se défoncer. Je n’étais
même pas dans la confidence – ils sont partis faire ça chez Steven.
Plus tard, Sally et moi sommes rentrés à la maison ; nous avons bu
encore quelques verres dans notre chambre et je me suis écroulé. Sally est
restée éveillée ; je pense qu’elle se doutait de ce qui se passait chez Steven.
Je ne sais pas comment les événements se sont enchaînés, parce que je n’y
étais pas, mais ces mecs ont fait leurs conneries et à un moment, Nikki a
atterri chez moi. Apparemment, il s’était fait un shoot de trop, parce qu’il a
fait une overdose dans mon appartement.
Sally a essayé de me réveiller quand elle a trouvé Nikki affalé dans un
coin. J’étais si soûl et si fatigué qu’elle a dû me traîner sous la douche pour
me ranimer. Ça n’a pas très bien marché : j’étais récalcitrant, je me suis
débattu et j’ai fracassé la porte en verre de la douche. Pendant ce temps-là,
les infirmiers sortaient Nikki de la chambre. Steven était là aussi,
complètement parti, bien entendu. Dieu merci, Sally était là ; c’est elle qui a
appelé les secours. Sinon, Nikki ne serait plus là.
Quelques heures plus tard, Christine, l’assistante de Doc McGee, est
venue récupérer les affaires de Nikki. Nous avons appris qu’il avait été
transporté à l’hôpital Cedars-Sinai, où il avait été réanimé, et il était sorti
tout seul quelques heures plus tard. Je ne sais pas bien ce qu’il a fait après,
mais selon la légende, il a repris de l’héro et a immortalisé cette soirée dans
la chanson « Kickstart My Heart ». Bref, si ses yeux avaient été des
poignards, Christine m’aurait buté. Elle faisait comme si j’avais été
responsable de l’overdose de Nikki ; comme si ç’avait été ma came, mon
idée, comme si je l’avais obligé à le faire. Christine était en général sympa
avec moi, mais là, elle me foudroyait carrément du regard. Je ne lui ai plus
jamais adressé la parole.
Malgré cela, les concerts au Perkins Palace ont été parmi les meilleurs
que nous ayons jamais faits… et c’était Fred Curry qui jouait. C’était
horrible pour Steve : il était là, dans son poncho à la Clint Eastwood, avec
un casque de joueur de baseball, équipé de deux pailles plongées dans des
canettes de bière, et son bras dans le plâtre. J’étais un peu désolé pour lui. Il
a joué du tambourin ; il était en rogne. Il a été sympa avec Fred, mais à
peine. Je pouvais le comprendre : il devait se contenter de rester assis et de
nous regarder jouer si bien – sans lui – devant une foule amicale et
accueillante comme nous n’en avions jamais vue.
JE N’AVAIS RIEN À VOIR AVEC L’OVERDOSE DE NIKKI, mais comme elle avait
eu lieu dans mon appartement, les pouvoirs en place ont vu là une raison
suffisante pour me punir, en nous renvoyant d’Hollywood, moi, Sally et
Steven, dans un Holiday Inn à Hermosa Beach. C’était la première fois, qui
serait suivie de quelques autres, que le management s’arrangeait pour me
sortir de la ville et m’envoyer dans des localités moins animées, pour mieux
me surveiller. Leurs intentions étaient bonnes, mais l’exécution péchait
toujours. Hermosa Beach était certes à des années-lumière de Los Angeles,
et une chose était sûre – j’étais coincé là, dans ce petit deux-pièces avec sa
petite télé et ses deux sièges, parce que je n’avais pas de voiture. Il n’y avait
pas de cuisine à proprement parler, il n’y avait rien à proprement parler, et
on était trop loin d’une ville qui aurait pu combler ces besoins. Il n’y avait
même pas de service d’étage.
Steven habitait juste à côté de Sally et moi ; et je dois dire que c’est de
là que date la descente aux enfers de Steven. Les rares fois où je le voyais,
il se passait toujours des tas de conneries chez lui : il prenait des tonnes de
came, et il y avait toujours une fille ou une autre pour lui tenir compagnie.
Je parle ici a posteriori, parce qu’à l’époque, il avait l’air heureux. Moi, je
buvais une bouteille de Jack après l’autre, tandis que ma relation, ou ce qui
passait pour tel, avec Sally, prenait une tournure dramatique. À partir du
moment où nous nous sommes installés à Hermosa Beach, nous nous
sommes disputés sans arrêt. Elle est petit à petit devenue de plus en plus
agressive, et j’ai fini par perdre patience et l’ai renvoyée à L.A. Au cours
des quelques années suivantes, je l’ai croisée de temps à autre et une fois,
elle est même apparue au pied de mon lit… mais on va y venir dans un petit
moment.
C’est au cours de cette période que nous avons fait Lies ; nous avons
enregistré les plages acoustiques et j’ai fait mes overdubs de guitare. Cela
m’a occupé une putain de seconde, ce qui était formidable, car chaque jour
de plus passé à Hermosa Beach me rapprochait de l’explosion. Les parties
de guitare sur Lies m’ont pris exactement deux jours ; à mon avis, j’étais
tellement excité d’être de retour à L.A. que je me suis lancé là-dedans trop
vite – je regrette que ça n’ait pas pris plus de temps.
J’avais l’impression que mon exil avait duré une éternité ; dans ce genre
de réalité, vingt-quatre heures semblent durer des années. Là-bas non plus,
je n’étais pas très bien vu : je descendais dans les troquets locaux, et il n’y
avait rien de fun à faire, et l’atmosphère ambiante n’avait rien de très
accueillant. C’était une ville où dominait la culture plage-et-surf, et quand
une ville choisit de définir ainsi son identité culturelle, elle n’a rien de bien
intéressant à offrir – du moins pour l’espèce de rat d’égout que j’étais à
l’époque.
NOUS SOMMES RESTÉS LÀ QUELQUE TEMPS, PUIS NOUS sommes allés à New
York pour quelques dates en tant que tête d’affiche. Zodiac Mindwarp a
assuré la première partie sur certaines, ainsi que EZO. Ces concerts ont été
irréguliers, mais je me souviens très bien de celui au Limelight. Nous ne les
prenions pas du tout au sérieux : notre plan consistait à atterrir là-bas et à
utiliser le matériel d’un autre groupe. J’avais pris des somnifères à L.A.
avant le vol, mais quand nous l’avons raté parce qu’Axl était en retard, j’ai
quand même réussi à rester éveillé.
Nous voyagions toujours ensemble en tournée, et en attendant Axl et le
vol suivant, je n’ai pas cessé de boire du Jack. Le temps qu’on arrive à New
York, c’était déjà l’heure du concert ; mais le mélange d’alcool et de
somnifères avait vraiment fait effet. J’avais peut-être dormi une heure en
avion, et j’étais donc un vrai zombie. Nous sommes montés sur scène sans
nous faire annoncer, et malgré tout cela, ça a plutôt été une bonne soirée. Le
seul problème a été le moment redouté de jouer « Sweet Child O’Mine ».
J’ai mis dix minutes à réussir à enchaîner ces huit notes. J’ai dû démarrer,
m’arrêter, démarrer, m’arrêter, avant d’enfin y arriver. C’était embarrassant,
mais drôle en même temps. Je crois que c’est également ce soir-là que j’ai
plongé de la scène et que la foule, s’ouvrant en deux comme la Mer Rouge,
m’a laissé me fracasser par terre. Je suis resté là un moment à vérifier que je
n’avais rien de cassé. Et puis je suis remonté sur scène et j’ai essayé de
garder une contenance cool.
Le concert que nous avons donné au Ritz lors de ce voyage à New York
a eu un immense succès sur MTV. C’était loin d’être un de nos meilleurs :
Axl avait des problèmes de voix et même si nous n’avons pas mal joué,
nous avions joué bien mieux peu de temps avant. En tout cas, c’était un
concert détendu, un peu faux et très punk rock, et rien que pour ces raisons,
il mérite de retenir l’attention. Les images tournées ce soir-là sont
importantes, parce qu’elles capturent l’essence du groupe. Le public était
génial, et comme beaucoup de moments mémorables, ce concert s’est
terminé avant même que je ne m’en rende compte.
Ensuite, nous avons fait un paquet de gigs sur la Côte Est, et là, ça a été
du très grand Guns. Je me souviens d’un soir en particulier à L’Amour de
Brooklyn, une des salles metal/hard-rock les plus mythiques où l’on puisse
jouer à New York. Izzy s’est soûlé à la bière en coulisses en attendant de
monter sur scène. Mais il est resté cool, à sa façon – Izzy était toujours
marrant, comme ça. Ce soir-là, il a fait comme si de rien n’était, et il a passé
tout le concert assis sur la minuscule corniche entre ses deux amplis
empilés. C’était hilarant à voir.
Ces concerts ont été formidables – tous les fans qui y étaient le savent
aussi bien que moi. Au cours de cette période, où nous étions tête d’affiche,
nous avions une certaine majesté. Quelque chose s’était produit, pendant
ces quelques mois où nous étions passés du statut de première partie à celui
de tête d’affiche ; nous savions à présent comment transformer nos
quarante-cinq minutes en une expérience déchaînée. Nous étions un super
groupe de première partie, et quand on nous demandait de jouer plus
longtemps, nous leur en donnions pour leur argent. Le fait d’être tête
d’affiche apportait une dimension personnelle au concert : ces soirs-là, où
nous étions les maîtres de la salle, nous étions le groupe de tout le monde.
NOUS SOMMES RETOURNÉS À L.A. EN AVION, ET NOUS avons tourné le clip de
« Sweet Child O’Mine », qui nous a occupés le temps qu’Alan nous fasse
repartir en tournée. Ce clip était bien ; encore un long tournage de deux
jours, à rester assis. Mais puisqu’il était prévu qu’on joue live, j’étais
d’accord pour tout. Dans ce clip, on voit toutes nos petites amies de
l’époque, ce qui, rétrospectivement, est assez amusant.
C’est à ce moment-là qu’Alan a demandé à Ronnie, notre garde du
corps, de veiller sur moi. Il était d’une loyauté et d’un dévouement absolus,
et ces traits de caractère me faisaient beaucoup rire. Alan avait les
meilleures intentions du monde, mais j’ai eu davantage de problèmes, à
partir du moment où Ronnie était présent, que j’aurais pu en avoir, parce
que j’ai commencé à essayer de le faire chier : c’était devenu mon nouveau
passe-temps. Il devait m’enfermer dans ma chambre et se cacher dans le
couloir, des fois que j’essaierais de m’échapper – ce que je faisais. Ronnie
était génial ; il jouait le jeu, il ne s’est jamais vraiment énervé, même quand
je mettais toute mon énergie à tenter de me le filouter. Tout bien considéré,
il a été d’une aide inestimable jusqu’à ce que tout se barre en vrille. On va y
venir bientôt.
NOTRE ENGAGEMENT SUIVANT A DONNÉ DES APPRÉhensions à tout le monde,
avant même qu’on eût donné notre accord : il s’agissait de faire la première
partie d’Iron Maiden, à partir de mai 1988, au Canada, sur leur tournée
Seventh Son of a Seventh Son. Cela ne nous emballait pas particulièrement,
car nous n’avions pas l’impression d’être parfaitement à notre place. Je
n’avais rien contre eux, je les avais découverts grâce à Ron Schneider de
Tidus Sloan, qui adorait Maiden, Rush, Armageddon et Sabbath – j’étais
donc très au fait de tout le répertoire de Maiden. J’avais passé plus d’une
après-midi, après avoir laissé tomber le lycée, à regarder Ron jouer de sa
basse Rickenbacker en écoutant les albums de Maiden. Mon préféré de tous
était Killers. Après celui-là, j’ai décroché.
Sur cette tournée et ce concept-album, Iron Maiden avait pris comme
thème une espèce d’holocauste polaire : la scène représentait un immense
glacier d’où émergeait leur mascotte, Eddie, après avoir été sorti de sa
tombe de glace, ou un truc comme ça. Apparemment, ils avaient eu un
grand succès au Royaume-Uni avec cet album, qui est considéré comme
l’un de leurs meilleurs. Pour nous, tout cela était ridicule ; nous avons
détesté leur mise en scène dès le début, et nous avons eu du mal à jouer tous
les soirs avec ce fond de Pôle Nord. Quand nous sommes arrivés le premier
soir, nous n’avons pas pu faire de balance parce que leur équipe n’avait pas
encore terminé de monter le glacier. Sans parler du Yéti.
À cette époque, on ne pouvait pas rester dans les chambres d’hôtel la
journée, donc nous traînions autour de la salle ou dans notre bus en
attendant de monter sur scène. Ces concerts étaient intéressants ; nous
étions si peu à notre place que c’était un vrai défi. Nous faisions de notre
mieux pour bien jouer, et globalement, nous avons été bien accueillis ; on
ne nous détestait pas, on ne nous adorait pas – pour chaque concert où nous
établissions un bon contact avec le public, il y en a eu plein où nous n’y
arrivions pas.
Duff et moi, du moins, avons essayé de nouer des liens avec les mecs de
Maiden. Ce groupe est une institution, en Angleterre, et nous en étions
conscients ; ils étaient là depuis toujours, ils avaient leur équipe, et ils font
ce qu’ils font depuis des années. Nous étions un groupe américain
émergent, un peu brut de décoffrage, qui détonnait par rapport à leur
système très bien rodé. Duff et moi respections cela, et un soir nous
sommes restés avec eux à jouer aux fléchettes et à bâtir une complicité
momentanée, et c’était génial. Ce n’était pas compliqué : ils étaient
formidables aux fléchettes, pas nous, mais cela ne nous posait aucun
problème de nous faire battre par eux.
Un court instant, nous avons eu l’impression d’avoir trouvé un terrain
d’entente entre Maiden et nous. Mais ça n’a pas duré longtemps. Quelques
jours plus tard, Axl est entré dans le réfectoire, rempli de gars de nos deux
équipes, et a fait connaître son point de vue. Le réfectoire est une espèce de
sanctuaire pour les groupes en tournée : c’est une zone neutre, un no-man’s
land ; un peu comme la file d’attente à la cantine en prison ou à l’armée.
C’est le seul endroit en tournée où tout le monde s’entend avec tout le
monde. Bref, nous étions à la moitié de cette tournée, et Axl est entré là et a
pété les plombs : il a retourné une table, et est parti en tempêtant. Il avait
l’air extrêmement frustré et à bouts de nerfs à cause de la tournée.
Il y avait déjà un malaise et une tension entre Maiden et Guns. Cet
incident a vraisemblablement fait passer cette tension dans le jaune – rouge,
c’était la guerre nucléaire. Cette histoire a circulé dans les équipes, et à
partir de là, il n’a plus du tout été question d’établir de bonnes relations
entre les deux groupes. La situation était délicate, mais nous étions
déterminés à tenir et à aller jusqu’au bout.
La tournée Maiden a traversé le Canada et a piqué vers le sud, sur
Seattle et la Californie du Nord. Je ne suis pas sûr, mais il me semble que
c’est lors d’une date à la Bay Area qu’Axl a refusé de quitter l’hôtel pour
faire le concert. Si je me souviens bien, il était encore dans sa chambre
quand nous sommes tous partis pour la salle, et Alan était avec lui. Peu
après, on nous a informés qu’Axl ne se sentait pas bien et ne pouvait pas
chanter. La foule qui attendait Maiden était assez énorme, et Alan a insisté
pour que Duff et moi allions leur dire qu’Axl était malade. Notre entrée sur
scène a provoqué une vague d’excitation et des clameurs, jusqu’à ce qu’ils
entendent ce que nous avions à leur dire. C’était vraiment important –
c’était la merde ; j’aurais préféré que cela se passe autrement. Pour le pire
ou le meilleur, Duff et moi leur avons transmis la nouvelle, qui n’a pas été
bien reçue – et c’était la première fois que nous provoquions une telle
réaction, de toute notre carrière. La foule était tellement déçue qu’il était
clair que cela lui importait – alors que nous n’étions même pas tête
d’affiche. Nous n’attendions pas grand-chose des fans de Maiden. Nous
n’avions pas la moindre idée que nous étions passés de l’autre côté de cette
façon. C’était une bonne surprise.
Il ne nous restait plus que quelques dates à faire en Californie pour finir
la tournée Maiden, et même si aucun de nous n’avait envie de les faire,
nous nous sommes investis. Il y avait deux concerts à Irvine Meadows,
mais la gorge d’Axl était dans un tel état qu’il n’a pas pu chanter – c’était
tout simplement impossible. Je ne sais pas bien comment ça s’est passé,
mais on s’en est rendu compte assez tôt pour qu’Alan ait eu le temps de
s’arranger pour nous permettre de remplir notre contrat. Finalement, c’est
L.A. Guns qui a fait la première partie, à condition que suffisamment de
membres des Guns viennent jammer sur scène avec eux. Duff, Izzy, Steven
et moi y sommes allés à reculons – et c’est peu dire – pour jouer quelques
morceaux. Nous sommes montés sur scène, et notre équipe m’a dit ensuite
que L.A.Guns avaient essayé de saboter notre matériel ; ils avaient baissé
tous les amplis pour qu’on sonne mal. Je pense que Tracii devait s’inquiéter
que je joue mieux que lui. Pour cette raison ou une autre, ils ont essayé de
nous mettre des bâtons dans les roues, mais notre équipe les a vus venir et a
rectifié le tir. En tout cas, ce concert a anéanti toute relation « civile » que je
pouvais encore avoir avec Tracii Guns.
CES CONCERTS ÉTAIENT LES DERNIERS SUR NOTRE planning. Quand nous
sommes rentrés à L.A., j’ai commencé à traîner avec West Arkeen, et la
rumeur a couru, à l’inquiétude générale du groupe, que je m’étais remis à
l’héroïne. À vrai dire, je me suis défoncé une fois, et ça s’est arrêté là. Mais
ils avaient de bonnes intentions : ils se disaient que je risquais de me buter
si nous n’avions rien à faire. Et ils n’avaient pas vraiment tort. J’avais un
penchant pour les bêtises, et ils n’arrivaient jamais à me piéger. Avec ces
faits présents à l’esprit, Alan a décidé que Doug allait m’emmener à Hawaii
me détendre un peu.
Doug et moi sommes partis pour Maui, et il adore le golf, ce qui fait
qu’il a vite été pris par ses occupations, vu que nous résidions dans un hôtel
de luxe qu’il avait choisi pour cela. J’étais censé prendre le soleil et « me
relaxer »… ça a été un cauchemar. Cet endroit était constitué uniquement de
bungalows ; nous avions loué une voiture pour la semaine et nous avions
rempli nos petites huttes de produits de première nécessité. C’était aussi
cher qu’un hôtel, sauf que ça n’avait rien d’un hôtel. Nous étions censés
rester deux semaines, mais au bout de cinq jours, j’étais prêt à partir. J’ai
commencé à appeler Doug pour réclamer des billets d’avion en vue d’une
destination plus intéressante. « Je veux bien aller n’importe où, mec ! » ai-je
hurlé. « C’est de la merde, cet endroit, qu’est-ce que je fous là ? »
« Slash, relax, tout va bien », a-t-il dit. « OK, où veux-tu aller ? »
« N’importe où ! Putain ! Je veux aller à New York ! »
Finalement, au lieu de m’expédier quelque part, il a accepté de faire
venir cette strip-teaseuse super bonne que j’avais rencontrée à Toronto.
Doug a tout réglé et là, j’ai été ravi. J’étais censé me détendre, mais je me
suis quand même bien soûlé durant le séjour. Un soir en particulier, j’ai vidé
une bouteille avec elle, et pour je ne sais quelle raison, j’ai éprouvé le
besoin de casser toutes les lames du store en verre de la porte de notre
bungalow. Je n’ai pas réfléchi ; sur le moment, ça me paraissait tout à fait
naturel. Tout à coup, on a frappé à la porte, alors que nous étions assis sur le
canapé : c’était cet énorme Samoan, qui servait de gardien à la résidence, et
il n’avait pas l’air content du tout.
« C’est vous qui avez cassé tout ce verre ? » a-t-il demandé.
« Ouais, ai-je dit. Et alors ? »
« Vous devez tout ramasser », a-t-il dit d’un ton menaçant. « C’est à
vous de ramasser ce bordel. » Il avait raison ; sur le plan moral, oui, j’aurais
dû ramasser le verre que j’avais brisé. Mais je payais quasiment mille
dollars par nuit pour cet endroit, et à ce prix, il était hors de question que je
ramasse quoi que ce fût.
« Et pourquoi ce serait pas toi qui ramasserait, mec ? » lui ai-je dit.
Le type m’a toisé une seconde, puis m’a chopé par le cou et m’a plaqué
au mur. Je ne sais pas ce qu’il avait en tête ; tout ce que je savais, c’était que
je pouvais à peine respirer, et que mon dos nu sentait très bien toutes les
aspérités du mur en stuc.
Ma copine a disjoncté et a sauté sur le dos de ce mec, complètement
furieuse. Ça n’a pas changé grand-chose : il était agrippé à mon cou comme
un pitbull : il a balancé un bras vers elle, mais n’a pas desserré la prise de
l’autre sur ma gorge. Tout cela était assez bruyant ; au bout de quelques
minutes, nous avons attiré un petit attroupement. Un couple de voisins est
arrivé, et quand le Samoan les a vus, ça lui a fait le même effet que de la
kryptonite : tout à coup, il s’est raidi et est parti en courant. Le lendemain,
j’ai essayé de le retrouver, mais en vain : il avait disparu, et n’est plus
jamais revenu ; il avait abandonné son travail et tout le reste, apparemment.
PEU DE TEMPS APRÈS, NOUS AVONS FAIT UNE MINI-tournée : un truc qu’Alan
nous avait trouvé pour nous maintenir en forme. Nous nous sommes
produits dans une salle de Phoenix avec TSOL, et je me souviens que quand
je suis arrivé, tout le monde dans notre camp était content et soulagé de me
revoir. J’étais tout bronzé, et Doug était très fier ; selon ses dires, il m’avait
emmené à Hawaii et m’avait remis sur le droit chemin. J’ai trouvé ça assez
drôle.
Nous avons fait le premier gig, qui s’est bien passé, mais le lendemain,
Axl n’est pas venu : il a refusé de sortir de sa chambre. Je ne sais pas si
Doug et Alan ont vraiment essayé de l’en faire sortir, et je ne comprends
toujours pas pourquoi il ne voulait pas venir, mais ça m’a mis un sacré coup
au moral. Nous, les membres du groupe, étions hors de nous : nous étions
tête d’affiche et c’était quelque chose d’impardonnable à nos yeux. Il n’y a
pas beaucoup de raisons valables au fait de ne pas monter sur scène – s’il y
a un décès dans la famille, si on meurt, ou si on est malade ou à l’article de
la mort, ça peut se comprendre. À part ça, on monte sur scène, en rampant
s’il le faut. Cela a déclenché une réaction en chaîne – et cela a ouvert les
vannes du dysfonctionnement.
Steven a trouvé quelqu’un capable de nous fournir à Phoenix, et je me
suis défoncé, il s’est défoncé. Je ne sais pas bien ce que faisaient Duff et
Izzy, mais Steven et moi planions complètement. Tout ce que je me rappelle
de cette soirée, c’est que notre hôtel avait l’air gigantesque ; j’avais
l’impression qu’une dizaine de kilomètres séparait ma chambre de celle de
Steven. Cet hôtel était sombre et sinistre : bon nombre de personnes y
avaient pris une chambre seulement pour faire la fête après le concert, et ils
étaient à fond, ce qui fait que l’endroit dégageait une atmosphère sinistre et
droguée.
Au lever du soleil, Doug et Alan ont organisé une réunion de groupe
pour le petit-déjeuner. Duff, Izzy, Steven et moi les avons rejoints dans je ne
sais quel restaurant, et nous nous sommes attablés avec Alan, qui nous a fait
un sermon. Il nous a dit que nous étions à deux doigts de saboter tout ce que
nous avions mis tant d’efforts à accomplir. J’ai dû rassembler toutes mes
forces juste pour garder la tête haute deux secondes, tandis qu’Alan
poursuivait en nous disant que nous ne pouvions plus continuer ainsi. Nous
avons mis un point d’honneur à lui exprimer notre déception quant au
mépris affiché par Axl, qui n’avait même pas pris la peine de venir à cette
réunion. Mais nous savions également que nous ne pouvions pas nous
contenter de trouver un nouveau chanteur. On avait l’impression qu’Alan
était de notre côté, et qu’il allait lui parler. Cela n’a rien changé, bien
évidemment.
Nous sommes rentrés à L.A. et avons annulé le reste de la tournée.
Prochaine échéance : la première partie d’Aerosmith. Le cadre qu’impose le
fait d’être en première partie nous semblait bénéfique pour nous, à ce
moment-là. Leur manager, Tim Collins, avait fait de leur sobriété son
objectif numéro un, et le groupe avait dépensé des millions pour se
désintoxiquer et intégrer un univers sobre. Et ils engageaient un groupe de
première partie qui craquait de partout. Je ne peux qu’imaginer tous les
mensonges qu’Alan a dû leur servir sur notre état de forme pour obtenir ce
contrat.
Tom Zutaut, Alan Niven et Doug Goldstein se sont fait passer un savon
par Tim Collins, parce qu’ils mettaient en danger la sobriété d’Aerosmith,
et nous avons pu alors le rencontrer. Nous sommes arrivés dans sa chambre
d’hôtel à L.A., où nous avons commandé pour plus de mille dollars d’alcool
au service d’étage le temps qu’il aille aux toilettes. Quand cet énorme
chariot, rempli de boissons et de nourriture, est arrivé, Tim n’a rien dit, il
s’est contenté de sourire.
« Désolé, mec », ai-je dit. « On avait faim… et soif. »
C’était notre manière de lui montrer que nous n’étions pas près de
renoncer à notre style de vie, mais nous étions d’accord pour suivre
quelques règles fondamentales. Toutes les boissons alcoolisées devraient
être consommées dans des gobelets sans inscription, toutes les bouteilles
d’alcool devraient être rangées hors de vue, et bien sûr, il ne devrait pas être
fait mention d’héroïne ou de cocaïne. Cela ne posait aucun problème : nous
n’avions jamais eu de mal à mentir quand nous avions de la drogue, parce
qu’aucun de nous n’aimait partager.
La tournée a commencé en juillet, et je n’aurais pas pu faire la première
partie d’un groupe, qui signifiait tant pour moi, avec plus de plaisir. Le
nouvel album d’Aerosmith, Permanent Vacation, était le premier qu’ils
avaient écrit avec des collaborateurs extérieurs au groupe, et il contenait les
premiers tubes du groupe depuis des années ; et même si je trouvais
qu’avoir recours à des compositeurs n’était pas très cool, j’étais ravi de les
voir revenir d’entre les morts.
La première date de cette tournée a été mouvementée : elle démarrait
dans l’Illinois, et alors que notre groupe était arrivé assez tôt pour les voir
faire la balance, Axl manquait à l’appel, et ce jusqu’à une demi-heure avant
le début du concert. Je revois Steven Tyler venir vers moi et me dire :
« Salut… Alors, où est ton chanteur ? » C’est devenu une blague
récurrente ; c’est ainsi qu’il me dit bonjour chaque fois que je le croise. Axl
est arrivé à la toute dernière minute, ce qui a bien sûr créé une tension
insoutenable chez tout le monde, mais nous avons suffisamment bien joué
pour nous rattraper.
Sur cette tournée, nous avons joué au Giants Stadium, et Deep Purple
était aussi sur l’affiche. Ce stade est si grand, et nous avions tellement de
place sur la scène, que nous pouvions vraiment courir dans tous les sens.
Notre set a duré quarante-cinq minutes, et nous avons joué « Paradise
City » deux fois, parce que nous filmions pour le clip. La foule était en
délire. Ce stade peut contenir quatre-vingt mille personnes, et même s’il
n’était pas rempli, nous n’avions jamais joué devant tant de monde. Il y
avait une énergie incroyable. C’était l’un de ces moments où j’ai réalisé
pleinement combien nous devenons populaires dans le monde « réel ». Un
moment de lucidité.
Je me souviens de la balance de ce jour-là ; je me suis avancé au milieu
du stade, cet énorme espace, et j’ai joué de la guitare, simplement quelques
instants, pour m’imprégner de tout cela. Nous avions traversé tant de choses
depuis ce premier gig à Seattle, et il y avait toujours la même alchimie et la
même énergie. C’est clair, dès le début, nous avions eu l’étoffe pour jouer
dans des stades ; nous avions une manière affirmée de faire les choses, qui
n’a nécessité que quelques petits ajustements quand nous sommes passés à
une plus grande échelle.
En sortant de scène, j’étais sur un petit nuage, et je suis donc monté
dans notre tour bus pour fêter ça avec cinq lignes de coke et quelques verres
bien tassés de Jack Daniel’s. À la minute même où je terminais mon dernier
rail, Gene Kirkland, un photographe que je connaissais, a fait irruption pour
me dire qu’il allait photographier Joe Perry pour la couverture de Rip
Magazine, et que Joe avait demandé que je sois là aussi. La coke était en
train de faire effet, et le Jack n’aidait en rien ; j’avais l’impression d’être
Frosty le Bonhomme de Neige.
J’ai dit à Gene que je serais là dans une minute, et j’ai englouti autant de
Jack que possible, et puis j’ai retourné le bus à la recherche de mes lunettes
de soleil. J’ai jeté un coup d’œil dans le miroir, j’ai inspiré profondément
plusieurs fois, et puis je suis sorti, en marchant aussi nonchalamment que
possible. Je me suis dirigé calmement vers Joe, en essayant de ne pas
broncher, et en espérant que mon sourire était moins crispé qu’il ne
semblait. La coke vous rend parano, et ce mélange en particulier était de la
coke Sopranos bien speed du New Jersey, et il était donc difficile d’en
dissimuler l’effet. J’avais déjà rencontré Joe, mais je ne voulais pas le voir
dans cet état induit par la coke. Chaque fois que je vois la photo de nous
deux prise ce jour-là, je ne peux pas m’empêcher de rire, parce que tous
ceux qui me connaissent savent que je ne souris jamais comme ça, ou que je
n’ai jamais une contenance si raide. J’ai réussi à garder les mâchoires
serrées, alors qu’elles n’avaient qu’une envie, c’était partir dans tous les
sens.
Nous avons vraiment réussi à bien nous tenir sur cette tournée, mais
Steven Tyler était persuadé que nous étions constamment défoncés à mort.
Il était extrêmement curieux de ce que nous allions faire et de ce que nous
avions fait la veille. Tous les après-midi, il venait nous voir, et nous disait,
avec son débit rythmé et rapide : « Vous avez fait quoi hier soir ? Z’êtes
défoncés ? Z’avez baisé des filles ? » C’est devenu difficile de satisfaire ses
attentes.
La seule fois où nous avons frôlé la catastrophe avec Aerosmith, ça a
été à un concert quelque part dans le Midwest. La route était longue entre
l’hôtel et la salle, Axl était en retard, et la première voiture était pleine, et
j’ai donc décidé de l’attendre. Les autres gars sont bien arrivés, mais nous
nous sommes retrouvés complètement bloqués dans un embouteillage de
voitures qui allaient au concert. Nous étions baisés, nous avancions à deux à
l’heure, et pendant ce temps-là, l’horloge tournait. Axl était cool, mais
j’étais complètement stressé. Nous avons réussi à obtenir une escorte
policière et nous sommes arrivés cinq minutes avant le début. Je me revois
entrer dans la loge, enfiler à toute vitesse un nouveau T-shirt avant de courir
vers la scène. J’ai croisé Joe Perry dans le couloir, et il était là, appuyé sur
une jambe comme il fait souvent, à me regarder avec un petit sourire l’air
de dire : « Ha-ha. Pour cette fois, tu y es arrivé. »
Rétrospectivement, il était clair qu’en dépit des tubes radio
d’Aerosmith, nous sommes bientôt devenus l’attraction principale. Tout
s’est passé très vite, grâce à MTV qui a passé en boucle « Sweet Child
O’Mine » : quelques semaines après la sortie du single, en juin, il est
devenu numéro un et nous sommes devenus le groupe le plus populaire du
pays. Nous recevions des échos de la part du management, mais je ne
réalisais pas très bien, jusqu’à que Rolling Stone arrive sur la tournée : ils
avaient envoyé un journaliste faire leur dossier de une sur Aerosmith, mais
après avoir observé quelques jours la réaction du public et nos
performances, le magazine a préféré faire sa une avec nous. À la fin de la
tournée, nous étions devenus absolument énormes, et nous provoquions une
excitation qui me surprenait beaucoup, tous les soirs.
Cela dit, nous étions toujours un groupe de bohémiens pouilleux peu
expérimentés, et le manager d’Aerosmith, Tim Collins, nous a donc offert à
chacun un cadeau d’adieu dont nous avions désespérément besoin : des
bagages. Ils nous ont donné à chacun une valise Halliburton en aluminium,
et j’ai toujours la mienne. Tim avait compris que nous étions tous du genre
à passer dix années de plus sur la route sans vraie valise – et il n’avait pas
tort. Je me souviens combien j’étais reconnaissant et excité en la recevant ;
j’ai couru dans la loge de Joe et Steven et je les ai remerciés du fond du
cœur. Ils m’ont regardé comme si j’étais fou ; je me dis aujourd’hui que si
ça se trouve, ils ne savaient absolument pas que le management nous avait
offert des cadeaux.
NOUS AVONS TOURNÉ LA MOITIÉ DE NOTRE TROISIÈME clip au cours de cette
tournée avec Aerosmith. Les images live qu’on voit dans « Paradise City »
ont été prises à deux endroits : d’abord au Giants Stadium du New Jersey,
puis au festival des Monsters of Rock à Castle Donington, dans les
Midlands en Angleterre, un mois plus tard, le 20 août 1988. Quand nous
sommes arrivés à Donington, « Sweet Child » et « Welcome to the Jungle »
caracolaient en tête des charts partout dans le monde et notre album était
dans le Top Dix. Lors de ce concert, nous avons reçu une réaction
frénétique comme nous n’en avions jamais vue. Cette année, le festival a
battu des records d’affluence, en dépassant les cent mille spectateurs. On ne
pouvait pas rêver mieux pour filmer des images de concert… sauf que deux
personnes ont été piétinées à mort devant la scène pendant notre set.
La foule était en délire, une mer de gens qui ne cessaient d’arriver. Axl
a interrompu le concert plusieurs fois pour tenter de contrôler la foule, mais
impossible de les calmer. Nous ne savions pas qu’il y avait eu des blessés,
encore moins des morts ; après le concert, nous étions en train de fêter ça
dans un pub à proximité, quand Alan est arrivé, complètement défait, pour
nous annoncer la nouvelle. C’était affreux ; aucun de nous ne savait quoi
faire : quelque chose que nous fêtions une minute auparavant était devenu
une tragédie. Ça a été le début d’une époque étrange, surréaliste et pleine de
contradictions.
MOINS D’UN MOIS APRÈS, LES GUNS ONT JOUÉ « WELcome to the Jungle »
aux MTV Video Music Awards, et ont remporté l’Award du Meilleur
Nouveau Groupe. J’aimerais bien savoir où se trouve ce trophée
aujourd’hui ; il me semble que je l’ai laissé dans un taxi, ce qui, maintenant
que j’y pense, était tout ce qu’il méritait. Et puis, le 24 septembre 1988 –
presque un an et deux mois, jour pour jour, après sa sortie – Appetite for
Destruction s’est retrouvé au sommet du classement de Billboard, où il est
resté trois semaines. Ainsi a débuté notre règne de terreur. À vrai dire, tout
ce que nous avions toujours voulu faire, c’était surpasser les groupes bidon
de hair metal, dont le succès était injustifié, compte tenu de leur médiocrité.
Nous – moi, du moins – n’avions jamais voulu être Madonna ; pour moi, ce
statut de pop-star n’avait rien à voir avec ce que faisait notre groupe. Mais
avant même que j’aie pu m’en rendre compte, nous nous sommes retrouvés
là presque du jour au lendemain.
Après nous avoir soutenus tout au long de l’enregistrement du disque, et
après avoir attendu un an qu’il décolle, Tom Zutaut ne voulait pas perdre
l’élan que nous avions : il nous a convaincus de coupler les morceaux
acoustiques que nous venions d’enregistrer avec l’album Live Like a
Suicide, et de sortir immédiatement le disque. Nous l’avons intitulé GN’R
Lies, et il est sorti le 29 novembre 1988. L’album est entré dans le Top Cinq
une semaine après sa sortie, et tout à coup, ce groupe que Geffen avait failli
laisser tomber, battait des records : nous étions le seul groupe à avoir deux
albums en même temps dans le Top Cinq, de toutes les années 80.
Nous avions déjà percé en Amérique et au Royaume-Uni, alors Alan
nous a organisé une tournée au Japon, en Australie et en Nouvelle-Zélande,
où le disque commençait tout juste à décoller. Au Japon, nous avons eu un
gros choc culturel ; la première fois que je me suis réveillé là-bas et que j’ai
regardé par la fenêtre, tous les jouets japonais et tous les films de Godzilla
dont j’étais fan ont soudain pris une tout autre dimension. Izzy l’a ressenti
encore plus fortement que moi : il s’était vraiment épuisé la semaine avant
notre départ, et pour supporter sans problème les dix heures de vol, il a pris
plusieurs Valium au moment où on a embarqué dans l’avion. Il a dormi tout
le trajet, et il était tellement dans les vapes que nous avons dû le porter pour
passer la douane. Nous avons fait de notre mieux pour le maintenir debout
tout au long du processus, mais on a bien cru qu’il n’allait pas y arriver.
Quand il s’est réveillé dans sa chambre d’hôtel, il ne savait pas du tout
où il se trouvait, et il a donc appelé la réception, sans savoir si nous étions
dans le même hôtel que lui. On lui a passé la chambre de Steven.
« Hé, mec, c’est Izzy », a-t-il dit. « Heu… où suis-je ? »
« Hé, mec ! » a fait Steven. « T’es au Japon ! »
« Non. »
« Si, mec ! On est au Japon ! »
« Arrête tes conneries », a dit Izzy. » Pas possible. »
« Si mec, regarde par la fenêtre, putain ! »
Comme tous les autres groupes de hard rock ou de heavy metal qui
venaient au Japon, nous étions à Roppongi – nous résidions même au
Roppongi Prince Hotel. Entre les boissons coupées à l’eau et la mauvaise
came, j’ai immédiatement saturé, parce que je ne savais pas du tout où aller.
Je suis resté confiné dans ma chambre la plus grande partie de cette tournée,
dans une chambre qui faisait trois mètres sur trois, mais qui était d’une
efficacité impressionnante. Il y avait la barrière de la langue, bien sûr, mais
au-delà de ça, surtout, j’avais du mal avec le côté Beatlemania des fans
japonais. Ils nous attendaient à l’aéroport, ils nous ont suivis à l’hôtel, et en
gros, ils attendaient dans le hall ou l’entrée de l’hôtel des fois que l’un de
nous décide de sortir. J’étais flatté ; mais je trouvais ça très curieux. Les
quelques fois où j’ai daigné sortir, j’ai été escorté au Hard Rock et dans
quelques autres clubs, et je n’ai trouvé aucune raison de réitérer
l’expérience : ce milieu factice, à cheval entre la boîte et le club rock,
peuplé de mannequins américains, ne me parlait pas du tout. Heureusement,
je suis tombé sur une fille de L.A. que je connaissais, et cela a rendu les
choses plus supportables. Sinon, mes souvenirs de cette tournée se résument
pour moi à trois choses : le riz collant, le saké et le Jack Daniel’s.
Nous avons fait cinq dates au total, et nous avons pris le TGV japonais
pour celles qui étaient en dehors de Tokyo. Notre impresario au Japon était
M. Udo, qui s’était taillé une réputation en s’occupant de tous les grands
groupes de hard rock de l’époque ; il s’était occupé des plus tapageurs, de
Van Halen à Mötley Crüe, qui avaient circulé dans son pays sans aucun
problème. Selon la coutume, M. Udo nous a offert à dîner, avec des cadres
de notre label au Japon et d’importants promoteurs – qui, avons-nous
appris, étaient des yakuzas, des membres de la Mafia japonaise. On nous
avait dit de ne pas exhiber nos tatouages, ce soir-là, parce que nos hôtes
yakuzas risquaient de se vexer : au Japon, les tatouages ont une
signification bien plus importante qu’ailleurs, et sont un des éléments
fondamentaux de la culture yakuza. Bien sûr, nous n’avons pas obtempéré :
Axl avait des manches courtes, et moi j’ai enlevé mon blouson et remonté
mes manches sans y penser. Le dîner s’est très bien passé, et à la fin, en
cadeau d’adieu, M. Udo nous a donné à chacun un appareil photo. C’était
une gentille attention, mais qui a fini par poser problème : aucun de nous
n’avait assez d’expérience en la matière pour penser à les déclarer comme
des cadeaux, au moment où nous avons passé la douane, et quand elles les
ont trouvés, les autorités japonaises nous ont retenus. Du moins certains
d’entre nous : j’avais perdu le mien avant même d’arriver à l’aéroport, et je
crois que Steven aussi. Duff a réussi à passer, mais les autres se sont fait
arrêter. Après une heure d’interrogatoire, Izzy a détruit l’objet du litige en
fracassant son appareil aux pieds des gardes. En revanche, Axl n’en a rien
fait, et il a subi une fouille poussée ; il me semble même qu’il a dû se
déshabiller – la totale. En tout cas, nous avons raté notre avion en
l’attendant.
Notre étape suivante était l’Australie ; nous avons fait une brève tournée
qui nous a emmenés à Sydney et Melbourne, et comme notre album venait
juste d’être porté à leur connaissance, nous avons exhumé quelques
reprises, comme « Marseilles » des Angels et « Nice Boys Don’t Play Rock
N’Roll » de Rose Tatoo, l’un des plus grands groupes de rock australiens.
Nous avons mis un point d’honneur à les contacter et à les rencontrer, et je
dois dire que le leader du groupe, Angry Anderson, correspondait tout à fait
à mes attentes. Angry était plus tatoué que quiconque, et il était aussi
authentique et sincère que je l’espérais.
À ce moment-là, nous commencions à montrer des signes de fatigue et
d’usure, dus aux exigences physiques de ces tournées intenses. Elles se
faisaient sentir. Nous avions aussi pris de mauvaises habitudes face à
l’enthousiasme réel du public américain, et l’Australie nous a un peu laissés
tomber alors que nous aurions eu besoin d’être soutenus. Les filles étaient
distantes et indépendantes. Elles ne faisaient pas d’efforts forcenés pour
nous rencontrer, comme les autres le faisaient ailleurs. C’est là que
l’héroïne a recommencé à montrer son affreuse trogne : Izzy et moi avons
rencontré quelqu’un qui en avait, et nous lui en avons pris un peu. Nous
avons vite découvert qu’il y avait une culture de l’héroïne très prégnante en
Australie. Nous nous sommes limités, cependant, à un petit peu de temps en
temps, et cela ne s’est donc pas transformé en hobby à plein temps.
Nous avons réussi à tirer le maximum de tout cela, et nous avons
composé de bonnes choses au cours de notre séjour. « Civil War » était un
instrumental que j’avais écrit juste avant de partir au Japon. Axl a
commencé à y mettre des paroles, et nous l’avons transformé en vraie
chanson lors d’une balance à Melbourne, d’abord le début, puis la partie
plus heavy. Cette chanson a pris forme très vite.
Après nos cinq dates en Australie, nous avons fait un saut en Nouvelle-
Zélande, et c’est là que j’ai réalisé que j’étais complètement exténué. Nous
étions en tournée depuis deux longues années. En même temps, je n’avais
pas envie de rentrer, parce que je n’avais nulle part où aller.
Quand nous sommes rentrés à L.A., je me suis offert un petit plaisir
rare : une guitare. Un collectionneur a contacté le management parce qu’il
voulait me vendre la Les Paul 1959 de Joe Perry – la sunburst orangée avec
laquelle il a été pris en photo d’innombrables fois. Son ex-femme l’avait
revendue quand il était encore accro à la drogue, et qu’ils étaient passés par
une mauvaise période. Et elle était là – le type avait des photos et tous les
papiers. Je connaissais bien cette guitare – Joe l’avait à la main sur le poster
d’Aerosmith qui était sur le mur de ma chambre d’ado. Elle avait une
éraflure caractéristique ; c’était bien elle.
Le type en voulait huit mille dollars, et même si je n’avais jamais
dépensé huit mille dollars auparavant, de toute ma vie, il me la fallait. Ça a
été un moment assez extraordinaire quand j’ai eu cette guitare en main ;
l’instrument précis qui avait joué un rôle essentiel dans le choix de carrière
que j’avais fait était à présent en ma possession (et c’est cette guitare que
j’utilise dans le clip de « November Rain »). J’avais vraiment le sentiment
d’avoir réussi.
Si ça vous intéresse, c’est à ce moment-là que j’ai enfin mis à la retraite
la guitare que j’utilise sur Appetite, ma copie de Les Paul (et la doublure
que j’avais achetée). Je maltraite mes guitares en concert, et à cette date,
celle-ci était sévèrement amochée après toutes ces dates. Elle fait quand
même une petite apparition dans le clip de « Sweet Child O’Mine », ainsi
que dans celui de « Paradise City ». En fait, je m’en suis servi dans la
plupart de nos clips, à quelques exceptions près, l’une d’elle étant, comme
je l’ai dit, « November Rain ».
En tout cas, j’avais besoin de nouvelles guitares pour la tournée, et j’ai
donc demandé deux Les Paul standard à Gibson. Ils appréciaient mon
intérêt, mais comme à l’époque, je n’étais pas très en vue, ils ont refusé de
me les céder pour rien ; ils me les ont fait payer plein pot. Tout allait bien :
j’ai reçu deux Sunburst rouge-orangé, et je les ai immédiatement fait
revernir pour qu’elles aient l’air moins neuves et que leur couleur soit
moins vive. Je voulais qu’elles soient un peu fanées, usées. J’en ai utilisé
une sur tout le reste de la tournée Appetite, sur toute la tournée Use Your
Illusion et sur les deux tournées Snakepit. J’ai gardé l’autre en doublure.
Une chose est certaine, elles ont bien vécu. Quand Velvet Revolver a
démarré, ces guitares étaient tellement amochées que j’ai décidé non pas de
les mettre à la retraite, mais de les utiliser occasionnellement sur scène – ce
sont elles que j’utilise chaque fois que nous jouons « Fall to Pieces ». Pour
combler ce vide, j’en ai demandé deux autres à Gibson, et cette fois,
visiblement, j’étais plus connu et ils me les ont données, sans poser de
questions. Ils sont même allés encore plus loin : ils m’ont fait une Les Paul
modèle Slash, qui est la copie conforme de ces Standards de 1988 que je
leur avais achetées à l’époque. Ce sont celles-ci que j’utilise sur scène
aujourd’hui, et ce sont des copies si parfaites que la première fois que j’ai
ouvert l’étui et que j’ai vu le prototype, numéro 001, j’ai cru que c’était
l’original qu’ils me rendaient. La copie avait les mêmes bosses, éraflures et
brûlures de cigarettes que ma guitare. Elle avait même une fêlure dans le
manche, due à la fois où elle m’avait explosé à la figure et avait été réparée
– on va y venir. Bref, on l’a appelée la Slash signature, et c’est la copie
conforme de la mienne. Je suis très honoré qu’ils aient fait ça pour moi,
surtout qu’ils ont fait la même chose pour Jimmy Page : ils ont fait une
copie de la guitare qu’il a utilisée sur The Song Remains The Same et tous
les plus grands disques de Led Zeppelin.
Perla donne un baiser d’un genre particulier à Slash dans le hall du Hard
Rock Hotel à Vegas. Devant lui, la vitrine consacrée à Guns N’Roses
En première partie d’Aerosmith au Giants Stadium, dans le New Jersey
Slash et Steven Adler
Izzy et Slash
Slash au cours de son exil forcé à Hawaii. Le management l’y avait
envoyé deux semaines pour lui éviter d’avoir des ennuis.
Slash et Axl sur scène, juillet 1988
Slash a eu le plaisir de partager plusieurs fois une scène avec Alice
Cooper, au fil des années.
Steven Tyler, Slash et Joe Perry
Slash prétend qu’il ne vient pas de prendre trois grammes de coke. Joe
Perry sait que Slash vient de prendre trois grammes de coke. Remarquez la
mâchoire crispée et les bras tendus de Slash.
11) Ne pas tenter de reproduire à la maison
Quand la dernière partie de la tournée Appetite a pris fin, je me suis
retrouvé à L.A., sans but et mal à l’aise ; pour la première fois depuis deux
ans, je ne devais pas me rendre à un point prédéterminé, ni aller travailler le
matin. J’étais parti depuis si longtemps que rien ne me satisfaisait et que le
train-train quotidien était pour moi quelque chose de tout à fait étranger. Je
ne voyais pas bien comment je pouvais aller faire mes courses à l’épicerie,
alors que je remplissais des stades au Japon une semaine plus tôt. Cela
faisait si longtemps que j’étais en tournée que j’avais oublié qu’auparavant,
c’était moi qui m’achetais mon alcool et mes cigarettes, mais surtout, je
n’arrivais pas à me passer de ce frisson d’excitation qu’on ressent quand on
joue tous les soirs. J’attendais tous les jours de retrouver la même ivresse
extatique. Il me fallait combler ce vide. Comme le groupe faisait une pause,
je me suis lancé dans une tournée solo qui n’a jamais quitté L.A. J’étais
plus décadent que jamais ; parce que quand les choses s’arrêtent, quand
elles ralentissent et que je ne sais pas quoi faire, je suis la personne la plus
autodestructrice que je connaisse.
Je ne considère pas cela comme un défaut. Je le considère plutôt comme
un effet secondaire normal. Après deux ans de tournée, tout le monde met
longtemps à décompresser. Partout où j’avais vécu, j’avais vécu à deux
cents à l’heure ; je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. Je n’avais jamais
rien fait pour ralentir ou calmer les choses, ce qui fait que je n’étais
certainement pas préparé à ne pas bouger. Notre carrière avait nécessité un
travail de chaque instant, avant de décoller. Là, elle était lancée. Ça avait
pris cinq ans, huit ans… j’avais dix-huit ans, j’en avais vingt-trois. J’avais
réussi ; nous avions réussi. Et à présent, j’étais rentré chez moi ; je me suis
fracassé contre le mur.
Un temps dans ma vie, j’étais tellement obsédé par l’héroïne, l’opium,
et tous les dérivés du pavot, que j’allais tous les jours à la bibliothèque me
documenter sur la culture et la science de cette plante. Je lisais ce que je
trouvais ; des livres scientifiques expliquant les procédés chimiques à
l’origine des drogues, aux livres d’histoire relatant l’évolution des Triades
et des autres bandes chinoises qui régnaient sur le trafic et l’exportation de
ces drogues. Je lisais aussi tout ce que je pouvais trouver sur les rock-stars
de mon panthéon personnel… tous des junkies. Tout bien considéré, je suis
entré dans cette partie du monde de la drogue sans avoir à l’esprit une
image que j’essayais de reproduire ou d’imiter. C’était plus par
contradiction, une contradiction qui, pour moi, avait du sens : tout le monde
en ville prenait de l’héroïne, et pour cette raison, ça ne m’intéressait pas du
tout. Mais quand je m’y suis mis, j’y suis vraiment allé à fond… Mais je
n’ai pas éprouvé le besoin d’ébruiter mon nouveau centre d’intérêt.
Les premiers et derniers livres de rock’n’roll que j’aie lus étaient
remplis d’héroïne et de drogues, et faisaient trop dans le sensationnel. J’ai
lu Hammer of the Gods et No One Here Gets Out Alive, respectivement les
biographies de Led Zeppelin et des Doors. Ils font sans cesse mention des
drogues, et à l’époque, j’étais tellement obsédé que je ne les lisais que pour
ça ; rien d’autre dans le livre ne m’intéressait. Pour moi, les auteurs avaient
écrit ces livres uniquement pour se faire plaisir ; ils me semblaient inexacts
et bourrés de conneries. Et par la suite, je n’ai plus jamais lu de biographie
de rock’n’roll.
Dans ce domaine, je n’ai jamais fait mes « devoirs » ; je n’ai jamais
étudié les vies des autres junkies du rock. Mais en même temps, je n’étais
pas obligé de le faire : plus tard, j’ai su tout ce qu’il y avait à savoir sur
Keith Richards, Eric Clapton et Ray Charles. Je pense que tout vrai junkie a
une complicité innée avec les autres junkies. Je savais, quelque part, que
nous partagions la même passion ; ce genre d’accoutumance vous parle.
Sans savoir pourquoi, ils vous attirent.
L’héroïne était alors une nouveauté pour moi, c’était une aventure,
c’était une cachette secrète tout au fond de mon corps et de mon esprit.
Après avoir subi les affres du manque et m’être désintoxiqué plus d’une
fois, ces inévitables souffrances ne m’ont jamais découragé. Chaque fois
que je redevenais clean, je me rendais sans doute compte à quel point
l’accoutumance était handicapante, mais après avoir passé quelque temps
sans me droguer, je me rappelais à quel point j’adorais me défoncer.
CELA FAISAIT UN BOUT DE TEMPS, ET J’ÉTAIS SUR LE point de redécouvrir tout
cela. C’était en 1989 : nous avions tourné quasiment partout en Amérique,
au Canada, en Europe, au Japon et en Australie. Nous avions vu notre
album végéter pendant un an avant d’entrer dans le Top Dix et d’avoir un
single classé numéro un ; nous avions tourné trois clips qui étaient devenus
des incontournables sur MTV, une chaîne qui nous avait bien aidés, mais
dont nous nous fichions éperdument. Nous avions joué « Patience » aux
American Music Awards, avec Don Henley à la batterie. Nous avions fait
des tournées avec nos amis et nos héros. Enfin, subitement, nous étions le
groupe que nous avions toujours su être… mais en mieux.
Quand nous avons atterri à L.A., à la fin de la tournée Appetite, chacun
de nous, un à un, est parti redécouvrir ce qu’il avait laissé derrière lui : Duff
est rentré auprès de sa copine Mandy (qu’il avait épousée en 1988), Steven
est allé chez sa meuf (celle du moment), Doug est parti pour San Diego,
Alan est retourné à Redondo Beach, Axl est allé chez Erin et bientôt, Izzy et
moi nous sommes retrouvés tout seuls à LAX, avec nos valises Halliburton
toutes neuves et sans point de chute. Chacun d’entre nous était en quelque
sorte enfermé dans sa bulle, à ce moment-là. Nous avions gagné assez
d’argent avec la tournée, l’argent commençait également à rentrer grâce aux
ventes d’Appetite, et l’instinct de survie n’était donc plus une motivation
pour nous. Tout le monde, je suppose, s’arrêtait pour humer le parfum des
roses ; seulement, je ne suis pas sûr que nous ayons su comment faire.
Izzy a passé un coup de fil et nous sommes allés chez un ami de
Seymour Cassel que nous appellerons « Bill ». Nous avions re-goûté au
smack en Australie, et de retour à la maison, nous en avions vraiment envie.
De plus, après nos deux ans de tournée, nous avions inconsciemment
l’impression que nous l’avions bien mérité. Et puis, Bill aimait bien les
drogues et en avait toujours beaucoup, de toutes sortes ; il était aussi très
généreux.
Quand vous commencez à être célèbre, il commence à vous arriver
quelques trucs tout à fait caractéristiques : à Hollywood, si vous êtes au bar,
tout le monde veut vous payer un verre, vous pouvez entrer dans n’importe
quel club ; que cela vous plaise ou non, vous êtes maintenant une figure du
monde de la nuit. Quand cela a commencé à nous arriver, je n’aurais pas pu
imaginer faire quelque chose de moins intéressant de mon temps. La faune
hollywoodienne était toujours aussi merdique, et plus on me reconnaissait,
moins j’aimais ça. La quantité de « potes » qui voulaient « faire la teuf avec
moi » avait quadruplé, et je me suis complètement replié sur moi-même.
Même les rares fois où j’avais envie de sortir, c’était pour découvrir que le
Hollywood que nous connaissions avait disparu : le Cathouse avait fermé,
et rien d’autre ne m’intéressait à L.A.
Tout le monde dans le groupe avait besoin de temps pour
décompresser ; a posteriori, ça me semble tout à fait logique d’être retombé
sous le charme réconfortant de l’héroïne. C’était le seul aspect du succès et
de la célébrité qui ne me paraissait pas futile ; il n’y en avait vraiment pas
d’autres. Je n’avais pas envie d’aller dans des clubs de strip-tease, à la
recherche de filles bandantes, ou de mettre autrement à profit mon nouveau
statut. Tout ce que j’avais envie de faire, c’était aller chez Bill et prendre de
la drogue.
La seule constante que j’avais eue jusqu’ici dans ma vie, c’était de
toujours voyager, et ce paradoxe ne m’échappait pas. J’avais vingt-trois ans,
et je n’avais pas eu de vie ou de domicile stable depuis que j’en avais
treize ; pour moi, être « à la maison » signifiait être chez des copines ou
dans un bus avec le groupe. Je vivais pour jouer de la guitare et être sur la
route, purement et simplement.
Comme je l’ai dit, Bill n’était pas un vrai dealer, il aimait juste se
défoncer tranquillement. Il fumait toujours de l’héroïne et il gardait toujours
son sang-froid dans tout ce qu’il faisait. En revanche, moi, j’étais tout le
contraire : je devenais un vrai démon, obsessionnel et compulsif quand il
s’agissait de l’héroïne, et j’étais avide de m’en procurer, et d’en avoir
toujours davantage. Lors de cette première soirée que nous avons passée
chez Bill, je n’avais pas de matériel pour me l’injecter, alors nous l’avons
tous fumée. Mais j’étais impatient d’en récupérer et de partir en quête d’une
seringue le lendemain. C’est ainsi qu’a débuté ma longue obsession
cauchemardesque pour l’héroïne, qui a duré de 1989 à 1991.
BILL HABITAIT SUR FRANKLIN ET WESTERN, À EAST Hollywood, dans un
coin reculé ; lui, sa femme et leurs amis étaient vraiment cool. Izzy et moi
venions tous les jours, et nous nous intégrions parfaitement. Bill n’autorisait
personne à se piquer chez lui, alors je me contentais de fumer un peu là-bas,
d’en garder pour plus tard, et puis je me piquais à mon gré quand je partais
vaquer à mes occupations ou honorer des engagements.
L’un de ces engagements était une séance photo avec Izzy pour Guitar
World, avec Glen LaFerman. Nous étions tous les deux tellement défoncés ;
nous venions de passer au moins une semaine chez Bill. Je me souviens que
nous sommes arrivés avec nos guitares, et que nous nous sommes écroulés
sur le sol… et c’est à peu près tout. On ne l’a pas fait exprès ; je ne suis pas
certain que nous ayons même réalisé ce que nous faisions. Je me souviens
simplement qu’après, nous sommes retournés chez Bill.
Pour la petite histoire, c’est lors de cette séance photo qu’a été pris le
célèbre cliché de moi qui se trouve au Rainbow, et sur lequel je suis assis
par terre, mon chapeau sur la tête, avec une bouteille de Stoli, ma guitare et
tout le reste devant moi. Si vous regardez bien ces photos d’Izzy et moi et
que vous avez une bonne vue, vous verrez facilement à quel point j’étais
parti. J’étais euphorique du succès intégral de la tournée, et nous
recherchions tous deux le type d’excitation qu’on ne trouvera jamais en
jouant la rock star dans les rues de Hollywood. Moi, je cherchais un coin
sombre.
Bill a fini par se faire arrêter, et a été condamné à trente ans de prison
ferme, pour avoir été pris trois fois avec une telle quantité de drogues
illégales qu’il avait manifestement « l’intention de les vendre ». Au final,
Bill a purgé onze ans de sa peine avant d’être libéré. Mais peu avant son
arrestation, sa maison et sa ligne téléphonique étaient surveillées ; chaque
mouvement était noté. Et bien sûr, deux des personnes qui revenaient
régulièrement étaient Izzy et moi, et Bill m’a dit plus tard que les flics lui
avaient posé beaucoup de questions à notre sujet. Apparemment, ils étaient
prêts à négocier avec Bill s’il leur lâchait une info sur nous, parce que nous
étions alors plus ou moins connus. Mais Bill n’a pas voulu en entendre
parler. Que Dieu le bénisse.
J’AI FINALEMENT DÉCIDÉ QUE, VU LE SUCCÈS DU GROUpe, je devrais me
trouver un logement à moi. L’appartement que j’ai loué sur Larrabee a été le
premier que j’ai habité tout seul, loué à mon nom, et j’en étais fier. C’était
un studio idéal d’une seule pièce, entièrement meublé, qui ressemblait à s’y
méprendre à une chambre d’hôtel – et c’est précisément pour cela que je
l’aimais bien. Malheureusement, comme chaque fois que j’ai vécu quelque
part, je me suis fait expulser assez rapidement.
J’ai tenu quelque temps ; ou plutôt, c’est Ronnie Stalnaker qui l’a fait –
son boulot consistait entre autres à me tenir éloigné des drogues et des
ennuis, et inversement. Il venait régulièrement ranger l’appartement, sans
doute pour vérifier si j’étais sage. Mais je ne l’étais pas ; c’était un défi
tellement comique d’essayer de faire entrer mes potes de drogue dans
l’appartement à l’insu de Ronnie. Un véritable exploit, même, car Ronnie
habitait la porte à côté.
Ça allait mal se finir avec Ronnie – il est devenu un peu obsédé par son
boulot, à tel point qu’on était à la limite du harcèlement – mais à cette
époque, il ne présentait que le visage d’un garde du corps très loyal, malgré
tous mes efforts pour le faire chier. Par exemple, une nuit, sur la tournée,
j’ai décidé de terminer la soirée en jetant ma bouteille de Jack sur la télé de
ma chambre d’hôtel, avant de m’écrouler. La télé a explosé, bien entendu,
et Ronnie est entré. Nous étions à un étage élevé, mais Ronnie a décidé que
nous ne rembourserions pas cette télé. Il est sorti par la fenêtre et a longé la
corniche du bâtiment jusqu’à la chambre d’à côté, où il a pris la télé qu’il a
remplacée par celle que j’avais cassée. Ça, c’est du dévouement.
Une autre fois, nous étions à Dallas, et Duff et moi avions des chambres
qui communiquaient où nous avions invité trop d’amis avec des tas de coke.
Notre petite fête a duré toute la nuit, et s’est prolongée jusqu’à l’après-midi
suivant. Bien sûr, ça a dégénéré, et une grande table basse en verre a été
cassée ; j’ai marché pieds nus sur les débris, et il y avait du sang partout. À
un moment donné, quelqu’un a arraché la porte de communication de ses
gonds, a retourné les lits et a démoli toutes les lampes. Nous étions trop
nombreux à déconner pour que Ronnie gère tout seul la situation, et il a
donc conçu un plan pour nous faire sortir de l’hôtel en douce. Il a réussi à
nous entasser dans un ascenseur de service, et nous a fait sortir sur un quai
de déchargement, d’où nous sommes montés dans le bus. L’hôtel avait
entendu tout le bruit et savait pertinemment ce qui se passait, mais Ronnie a
réussi à éloigner la sécurité pendant une bonne heure. Nous avons cru que
c’était gagné, mais les flics nous ont arrêtés au bout de quelques kilomètres,
dans une boutique où, si ma mémoire est bonne, je venais de voler un
paquet de bonbons.
On nous a alignés le long du bus, et inculpés pour avoir ravagé ces
chambres d’hôtel. Ça a coûté très cher, et je peux dire honnêtement que
c’est la dernière fois que j’ai vraiment détruit une chambre d’hôtel. C’est
vrai, j’ai démoli deux-trois télés et fait quelques autres conneries depuis,
mais c’est la dernière fois que j’ai entrepris de tout casser à ce point, parce
que cette fois, c’est moi qui ai payé la note.
Ronnie faisait preuve d’un grand dévouement, mais néanmoins, mon
appartement avait du mal à rester présentable. Les choses ont commencé à
mal tourner quand mon petit frère Albion, ou « Ash », s’y est installé
quelque temps pendant que j’étais en tournée. Ash est un graffeur de talent,
et quand je suis rentré, j’ai découvert qu’il avait recouvert tous les murs
d’une incroyable fresque, que j’aurais préféré voir ailleurs que chez moi.
J’étais très énervé, mais je lui ai seulement dit qu’il avait commis un acte
« inconsidéré ». Après tout, il n’avait que seize ans. Depuis, Ash a créé
Conart, une des fabriques de T-shirts les plus branchées du coin ; c’est lui
qui en dessine les motifs.
Ronnie a repeint les murs par-dessus la fresque, il a fait le ménage, il a
fait de son mieux pour qu’on nous garde comme locataires. Cet endroit était
assez sommaire : j’avais un micro-ondes, et un frigo rempli des plats
cuisinés et des condiments typiques des célibataires. Il n’y avait pas
beaucoup de meubles, mais ils ont quand même été dégradés assez
rapidement. Après tout, West Arkeen venait tout le temps, et nous fumions
beaucoup de crack tous les deux. Pipe à la main, nous écoutions de la
musique, et grimpions doucement aux murs. C’est au cours de ces journées
tordues que je passais avec West que j’ai découvert à quel point il était
génial et à quel point il était déglingué. Pour parachever le tout, j’avais un
autre pote musicien, Jay, chez qui j’allais souvent me défoncer à l’héro.
Tout bien considéré, malgré mes ressources financières, mes conditions de
vie sont lentement mais sûrement redevenues aussi malsaines qu’à l’époque
où je vivais dans un entrepôt.
J’AI ÉGALEMENT EU UNE INTÉRESSANTE SUCCESSION de copines, à cette
époque ; un petit nombre, qui venait chez moi, une par soir. C’est au cours
de ces quelques mois que mon manager a eu la brillante idée de me
demander de remettre une récompense en duo aux MTV Video Music
Awards. Je ne sais même plus à qui nous l’avons remise, mais j’étais
associé à Traci Lords, la star du porno, et Alan avait pensé qu’il serait
marrant pour moi d’être à ses côtés. Il avait visiblement envisagé l’aspect
sensationnel du truc, ce qui n’était pas une mauvaise idée.
Traci et moi avons donc fait connaissance en coulisses, nous avons
commencé à discuter et nous avons immédiatement commencé à sortir
ensemble. Elle était vraiment belle, et un paradoxe ambulant – comme
j’allais rapidement le constater.
Pour moi, les choses étaient bizarres : j’étais célèbre, j’avais mauvaise
réputation, mais j’étais toujours coincé dans ma conception déguenillée et
païenne de la vie. J’avais peut-être quinze millions de dollars sur mon
compte, mais ce n’est pas pour autant que je voulais changer mon mode de
vie ; je n’avais pas de voiture, j’étais ravi d’avoir un studio qui ressemblait
à une chambre d’hôtel quelconque, et je n’avais besoin de rien d’autre –
c’était ma vision des choses. En même temps, je savais me comporter en
gentleman, ce que Traci Lords attendait précisément d’un homme. Et c’est
ainsi que nous avons entamé une liaison.
Mais Traci ne voulait absolument pas être vue en public avec moi ;
chaque fois que nous allions quelque part où on pouvait nous remarquer,
elle me demandait de me livrer à tout un manège ridicule : je devais entrer
après elle, et la retrouver à l’intérieur, comme si c’était par hasard. J’étais
clairement reconnaissable, et elle insistait toujours pour que nous filions par
une porte dérobée. Personnellement, je ne pense pas que les gens qui nous
ont vus se souciaient de nous le moins du monde ; mais du coup, sortir avec
elle me faisait vraiment chier. Je suis peut-être naïf, mais je ne comprenais
pas ; je ne voyais pas bien de qui elle cherchait à se cacher. D’après ce que
j’ai compris, elle voulait garder profil bas, pour ne pas passer pour une
salope de groupie ou une des actrices porno avec lesquelles sortaient les
types comme moi. Je n’ai jamais été le genre de personnes à porter des
jugements sur ce genre de choses, et je n’ai jamais compris comment on
pouvait le faire ; en fait, la seule raison pour laquelle je la connaissais,
c’était que je l’avais vue dans ce film où elle se penchait en se tenant les
chevilles, et où elle était incroyable. J’avais vraiment aimé ça, et je me
disais que tout le monde devait aimer aussi. Je ne comprenais absolument
rien à son cirque.
À ce moment-là, Traci avait abandonné le porno et se consacrait à sa
carrière de chanteuse tout en essayant de se faire un nom dans le cinéma
traditionnel. C’est pour cela qu’elle ne voulait pas passer pour une actrice
porno qui se faisait une rock star – elle voulait changer tout cela. Elle
m’avait convaincu de jouer sur une de ses chansons, et de venir la retrouver
au studio de Vancouver où elle enregistrait son album. Tout ce que je peux
dire, c’est qu’elle s’était acoquinée avec le « producteur » le moins
talentueux et le plus véreux que j’aie jamais vu, et je le lui ai dit.
Néanmoins, je lui ai donné un coup de main sur quelques morceaux, même
si rien ne pouvait sauver cet album, qui était une vaste blague.
Tout ce que nous faisions ensemble était excessivement cérémonieux et
très comme il faut ; il me semblait toujours qu’elle tentait de vivre selon
une certaine idée d’elle-même, qui était très éloignée de ce qu’elle était en
réalité. Très franchement, mon seul but était de me la faire.
Bien sûr, quand j’ai commencé à sortir avec elle, West m’a apporté un
exemplaire de New Wave Hookers pour qu’on se rince l’œil. C’était très
plaisant, mais un peu ironique, parce qu’au bout d’un mois, nous n’avions
toujours pas couché ensemble. Notre « relation » commençait à devenir
vraiment pénible.
Un jour, Traci m’a appelé pour organiser quelque chose, et ce même
jour, West est arrivé avec un gros tas de crack. On a passé les deux jours
suivants dessus, et quand Traci est arrivée pour notre rendez-vous, West et
moi étions en train de ramper sur la moquette à la recherche de cristaux. Je
savais qu’elle devait arriver, mais je ne pouvais pas m’en empêcher : nous
étions dans un tel état que la seule personne qui aurait pu le tolérer n’aurait
pu être qu’une pute accro au crack. Mon appartement était une putain de
porcherie, à tous niveaux, et la présence de West, cette espèce de pygmée,
ne faisait rien pour aider : il mesurait tout juste un mètre soixante-deux, et
ses cheveux blond filasse étaient franchement gras après deux jours passés à
fumer du crack. West avait toujours un sourire sur le visage, qui devenait de
plus en plus dérangeant à mesure qu’il était de plus en plus défoncé. Cet
après-midi, il était tellement défoncé qu’il a ouvertement reluqué Traci. Il
était tellement fait qu’il n’a rien trouvé de mieux que d’aller vers ma
bibliothèque où il a pris New Wave Hookers, et il a pointé du doigt la
couverture et disant : « C’est toi, pas vrai ? Tu es Traci Lords ! » Il
n’arrêtait pas de lui sourire.
Traci était le genre de fille qui recherche un mec capable de lui procurer
les choses qu’elle désirait : de beaux vêtements, de belles voitures, une
belle vie. Et même si j’aurais pu lui offrir tout ça, je n’étais absolument pas
assez mûr pour comprendre que c’était ça que recherchaient la plupart des
filles – surtout des filles comme elle. À l’époque, je ne voyais pas les
choses comme ça, parce que du fait de mon mode de vie, je prêtais à peine
attention aux choses plus raffinées. Mais là, elle se retrouvait, en plein
après-midi, dans un appartement tout noir, qui sentait le pneu brûlé après
nos quarante-huit heures de « crack party ». Il y avait aussi West, tout petit,
luisant et la bave aux lèvres. Et moi, aussi.
Traci a lentement promené le regard autour d’elle. « Je reviens tout de
suite », a-t-elle dit de sa petite voix boudeuse. « J’ai oublié un truc dans ma
voiture. »
« Ouais, cool », ai-je dit. « Après, on décollera. » J’étais défoncé, et je
n’avais pas vraiment la notion du temps, mais j’ai bientôt compris que vu
depuis combien de temps elle était partie, elle n’allait jamais revenir.
ENSUITE, J’AI HABITÉ DANS UNE MAISON QUE JE LOUAIS avec Izzy dans les
collines de Hollywood, et ça a duré un mois. Elle était à peu près meublée,
du minimum nécessaire – des lits, un micro-ondes, tout ça. Nous nous
sommes bien marrés, là-bas, et j’ai aussi réussi à pas mal composer ; c’est
dans cette maison que j’ai écrit « Coma » et qu’on a tous les deux écrit
« Locomotive » ; il y avait une sacrée créativité dans l’air.
Adam Day créchait là aussi. C’est l’assistant guitare qui me suit depuis
dix-neuf ans. Adam est venu vivre avec nous et, même si nos relations sont
au beau fixe, c’est la dernière fois qu’il a jamais tenté de vivre près de moi.
C’est à peu près à cette époque que nous avons tourné les clips de Lies,
qui caracolait en tête des charts avec Appetite. Nous avons tourné le clip de
« Patience » à deux endroits ; l’un d’eux était le Record Plant, où nous
avions réellement enregistré les chansons ; c’est là que nous sommes filmés
en train de jouer. Le reste des plans – qui mettent en scène les différents
membres du groupe – a été pris à l’Ambassador Hotel, où Bobby Kennedy
a été tué. À cette époque, il était fermé au public, mais ouvert aux tournages
de films et de clips.
J’avais alors deux serpents qu’on m’avait donnés quand j’habitais mon
appartement sur Larrabee : le premier était un boa constrictor à queue rouge
d’un mètre quatre-vingt, Pandora, et c’était un cadeau de Lisa Flynt, la fille
de Larry. L’autre était un python birman femelle de deux mètres soixante-
dix, du nom d’Adrianna. Ils vivaient tous les deux dans le placard de ma
chambre, et apparaissent tous les deux dans le clip. Je venais de les installer
dans la nouvelle maison, et je me souviens que le jour du tournage, j’ai
envoyé Adam les chercher, et il est revenu en panique – et sans les serpents.
« Heu, oui, eh bien, j’ai essayé de les attraper », a-t-il dit nerveusement.
« Mais ils sont sortis de leur cage, en liberté, sur ton lit. » J’ai donc dû
retourner à la maison les chercher moi-même – personne d’autre ne voulait
le faire.
Je me souviens très bien de cette journée ; je commençais tout juste à
devenir un de ces musiciens junkies qui pensent que ce qu’ils font est
tellement commun et accepté qu’ils se piquent presque ouvertement. Je suis
arrivé sur le plateau, je suis tranquillement passé devant tous les mecs qui
s’occupaient des lumières et des caméras, et qui avaient passé la journée à
préparer cette scène, et je me suis enfermé dans la salle de bains. J’étais
dorénavant un guitariste que sa réputation précédait, et je devais assurer : je
suis resté là huit minutes, puis je suis ressorti chargé à bloc et je me suis
couché avec mon boa autour de moi. Je n’ai pas fait grand-chose pendant
qu’ils filmaient ce dont ils avaient besoin. Je ne pense pas avoir adressé un
mot à quiconque. Ça a sûrement dû être surréaliste ; on n’était plus dans les
années 60 ; c’était à la fin des années 80. Dans les années 60, les musiciens
voyageaient avec toute une cour et faisaient ce genre de conneries. Je
n’étais qu’un guitariste solitaire avec mon serpent, je faisais mon truc, je
tournais ma scène.
APRÈS AVOIR ÉTÉ LOCATAIRE UN BON MOMENT, J’AI fait ce que quiconque
avec de l’argent frais devrait faire : j’ai acheté une maison, comme mon
chargé d’affaires me le conseillait. Je n’avais toujours pas la moindre idée
de ce que j’allais faire plus tard, ou de comment gérer mes finances ; je
n’avais aucune aspiration matérielle. À ce moment-là, je n’avais jamais
dépensé grand-chose ; l’argent était toujours un concept assez abstrait à mes
yeux. Je ne me suis jamais préoccupé de mes possessions, même si tout à
coup, tout mon entourage s’est mis à beaucoup y penser.
J’ai trouvé une maison non loin de Laurel Canyon, dans le quartier de
L.A. où je me sens le plus à l’aise : il me rappelle les meilleurs souvenirs de
ma jeunesse. J’ai acheté ma première maison sur Walnut Drive, juste après
Kirkwood, qui est tout près de Laurel Canyon, et elle a aussitôt été baptisée
Walnut House. Pure coïncidence, Walnut Drive était proche de la rue où
Steven avait sauté cette femme de trente ans lors de la fête d’Alexis, bien
des années auparavant.
Walnut House était une petite bicoque tordue, à l’écart, avec deux
chambres, et une déco qui avait grand besoin d’un rafraîchissement, et il
m’a donc semblé normal d’embaucher l’équipe qui s’était chargée des
décors du clip de « Patience » pour donner à ma nouvelle maison la même
ambiance gitane. Ils ont trouvé tous les meubles dans des boutiques
d’occasion et chez des antiquaires, et le temps qu’ils les réunissent tous, j’ai
emménagé chez notre attachée de presse à l’international, Arlette. Nous
l’avions engagée à l’époque où nous avions donné ces trois concerts au
Marquee, en Angleterre. Elle avait développé une attitude maternelle à mon
égard, sans doute parce qu’à l’époque j’avais tellement l’air d’un petit chien
perdu. Elle m’a laissé emmener mon serpent, Clyde, qui avait vécu un
temps chez Del James, ainsi que Pandora et Adrianna. J’ai même emmené
plusieurs autres serpents, que j’ai installés dans le salon de son trois-pièces
sur Cynthia et San Vincente à West Hollywood, où Arlette vit toujours.
C’était incroyablement généreux de sa part de m’autoriser à emmener tous
mes animaux ; malheureusement, elle a aussi dû faire avec mon
accoutumance rampante à l’héroïne : tous les soirs, une personne louche
faisait le tour de la maison pour venir frapper à ma fenêtre… ou plutôt celle
d’Arlette, techniquement. Je savais qu’elle n’était pas franchement fan de
mes reptiles, mais elle était encore moins fan du fait que je reste debout
toute la nuit, à me shooter et à recevoir des visites inopinées aux petites
heures de l’aube.
Il s’est passé un truc marrant avec les serpents, en revanche. Au départ,
Arlette en avait peur, mais elle a fini par devenir, sans que je l’aie forcée,
une vraie passionnée des serpents. Je lui ai même offert un python birman
bébé, qui a fini par mesurer quatre mètres cinquante. Ils sont devenus très
proches : elle l’emmenait nager avec elle, elle prenait son bain avec lui et
elle lui parlait, comme si c’était un chien. Elle était persuadée que ce
serpent était humain et comprenait tout ce qu’elle disait, et je dois dire que
tout, dans le comportement de celui-ci, le laissait croire.
Arlette s’inquiétait beaucoup de ma santé pendant notre période de
cohabitation, et elle a mis le doigt sur une évidence : d’alcoolique
insouciant, je m’étais transformé en monstre diabolique, en junkie, qui
n’avait plus rien en commun avec le type qu’elle connaissait depuis des
années. Je savais qu’elle avait raison ; je savais que je n’avais pas l’air en
forme, et je ne me sentais pas en forme. Je suis resté trois ou quatre mois
chez elle, mais je n’ai pas fait beaucoup d’efforts pour m’arranger.
Au lieu de ça, je me suis investi dans la décoration de ma maison. Elle
devenait peu à peu la fumerie d’opium tsigane dont je rêvais : les moulures
et les boiseries ont été repolies, et toutes les pièces ont été peintes dans des
coloris sombres. La cuisine était d’un vert profond ; ma salle de bains
favorite pour me droguer était toute noire. Une autre pièce était bleu nuit, et
le salon était d’un pourpre soutenu. Une autre pièce était dans les tons sépia,
un peu comme si on se trouvait dans un vieux western. Je me suis aussi
acheté ma première voiture, pour aller avec ma première maison : c’était
une Honda CRX, et comme toutes les voitures que j’ai eues, elle était noire,
dedans comme dehors.
J’étais assez incontrôlable, à cette époque. Je me souviens d’un jour où
je devais voir l’entrepreneur, pour parler de la réfection de ma salle de
bains, et où je me suis dit que nous faire quelques rails serait un bon moyen
de briser la glace.
Nous étions tous les deux dans la salle de bains, et il me montrait tous
les travaux qu’il faudrait faire.
« Ouais, ouais, c’est cool, mec », ai-je dit. J’ai refermé l’abattant des
toilettes et j’ai fait dessus quatre grosses lignes de coke. « T’en veux ? »
Il a eu l’air très mal à l’aise : « Non, non, merci. Je travaille. » a-t-il dit.
« OK, t’as raison, c’est cool », ai-je répondu. « Je vais me faire les
tiennes, alors. »
« Non, c’est pas ça, c’est aussi qu’il est huit heures du matin », a-t-il dit
avec un sourire contrit.
À cet instant précis, j’incarnais tous les clichés cauchemardesques que
ce type avait pu entendre sur les rock stars : et pire encore, puisque je
l’avais embauché pour transformer ma salle de bains supplémentaire, avec
son grand jacuzzi d’angle, en un immense terrarium pour mes serpents, qui
devait prendre un quart de la pièce. Il devait construire des parois en verre
du sol au plafond autour de la baignoire, qui était surélevée, et ajouter des
escaliers en Plexiglas pour que je puisse voir mes serpents où qu’ils fussent.
J’étais impatient de remplir tout ça d’arbres et de toutes les conneries
qu’adorent les serpents. À Walnut House, j’avais près de quatre-vingt-dix
serpents et reptiles : j’avais des lézards, des caïmans, toutes sortes
d’animaux.
Quand les travaux ont été terminés et que j’ai fini par m’installer à
Walnut House, j’ai fêté ça en me défonçant sérieusement. J’avais dans ma
tanière une magnifique table ronde orientale en bois, avec des sculptures
compliquées et un dessus en verre. Au cours des années suivantes, elle allait
être le témoin de toutes sortes de choses, mais cette première soirée, Izzy et
moi sommes restés assis, à la lumière d’une seule ampoule, sur le canapé de
velours rouge sombre. Il va sans dire que je ne me suis pas désintoxiqué
tout de suite.
Peu après mon emménagement, j’ai revu Sally, mon ex-petite amie.
Dans cette maison, mon lit était en mezzanine, au deuxième étage, dans une
pièce où il faisait noir comme dans un four, à l’exception d’une lampe de
chevet. Autour de la tête du lit, j’avais des caisses pleines de magazines, à
l’intérieur desquelles j’avais fait installer des télécommandes pour la télé
qui s’élevait au-dessus d’un meuble au pied du lit. La lampe de chevet était
une antiquité, avec un abat-jour rose saumon qui répandait une lumière très
douce ; je l’adorais. Bref, je me souviens très bien de cette nuit. J’étais allé
me coucher plus tôt que d’habitude, et je me suis réveillé en sursaut avec un
étrange pressentiment. J’ai allumé la lumière pour me repérer, et je l’ai vue.
Sally se dressait au pied du lit ; une simple silhouette sur le plafond et le
mur – au départ, je ne l’ai pas reconnue. C’était vraiment flippant. À cette
époque, j’avais des flingues, mais je ne les avais pas près de moi, et j’en
suis heureux ; dans ce cas, j’aurais pu lui tirer dessus, tellement elle m’avait
fait peur.
Il n’était pas facile d’entrer ; elle avait dû sauter par-dessus une barrière,
descendre une volée de marches assez raide, et elle avait eu de la chance de
trouver ma clef de secours cachée sous le paillasson – que, bien sûr, j’ai
retirée après ça. Elle n’allait pas très bien, alors je l’ai laissée dormir chez
moi, et le lendemain matin, je l’ai conduite hors de Laurel Canyon et l’ai
déposée au coin de Sunset. Ce n’est pas la dernière fois que je l’ai vue, mais
c’est la dernière fois qu’elle est entrée comme ça chez moi. D’après ce que
j’ai entendu, elle est restée à L.A. et a eu des ennuis. La toute dernière fois
que je l’ai vue, c’était à New York, où elle traînait avec Michael Alig et la
célèbre faune du Limelight ; après, j’ai entendu dire qu’elle était rentrée en
Angleterre. Et qu’elle y est bien plus heureuse.
C’est dur, d’être en marge de la société, si on n’est pas musicien ou si
on n’a pas de raison d’être là. Tous les autres ne sont que des pions dans le
vide de ce milieu. La plupart des filles qui sortaient avec nous à cette
époque étaient des jeunes filles innocentes dont la vie a changé à jamais
après avoir rencontré l’un d’entre nous, quelle que fût la durée de cette
rencontre. Nous étions alors un véritable aspirateur : nous aspirions les gens
avant de les recracher ; autour de nous, bon nombre des personnes se sont
retrouvées ainsi sur la touche. Certains sont morts, pas parce qu’on leur a
fait quelque chose, mais c’était un effet secondaire du fait d’être trop proche
de la flamme. Les gens étaient attirés par notre vie bizarre et déglinguée,
mais n’arrivaient pas à s’y adapter, et ils coulaient à pic dans nos remous.
STEVEN ET DUFF SE SONT ACHETÉ DES MAISONS À côté de chez moi, de
l’autre côté de Mulholland Drive, toujours dans Laurel Canyon, mais du
côté de la Vallée. Ils étaient aux deux extrémités de la même rue. Comme je
l’ai dit, Steven se bâtissait sa version du foyer domestique avec une fille
quelconque, et Duff et Mandy, sa future femme, se sont installés tous les
deux. Duff a toujours su rester tranquillement à la maison ; il ne s’est jamais
abandonné au mode de vie instable que j’avais adopté. Je vivais peut-être à
moins de trois kilomètres de ces types, mais je ne les voyais pas souvent ;
s’ils avaient vendu de la drogue, je suis sûr que je les aurais vus plus
souvent.
Tout bien considéré, j’ai estimé que je devais me retaper un peu avant
de pouvoir recommencer à répéter. Duff ne voulait pas composer avec moi
quand j’étais défoncé, et je ne pouvais pas lui en vouloir. Quand il y a eu
une petite pénurie de drogue à L.A. et que c’est devenu un gros
emmerdement, mon subconscient a fait en sorte que mon besoin de jouer
supplante mon envie de drogue. Je me suis enfermé chez moi, et avec l’aide
du Dr Stoli et de ses assistants, j’ai survécu au manque.
Une fois que j’eus décroché de l’héro, j’ai repris contact avec Duff et
nous avons planifié des répétitions. Nous l’avons fait sans avoir reçu
confirmation de la part d’Axl. Les seuls messages que je recevais de lui
passaient très officiellement par le management, via Doug Goldstein, qui
s’entretenait régulièrement avec Axl.
Ce n’était pas très grave que nous ne fussions pas tous là ; Steven, Duff
et moi avons commencé à jammer au Mates, notre endroit préféré. Izzy
n’était pas tout à fait prêt à se joindre à nous : il avait passé un peu trop de
temps chez Bill, et s’était engagé sur un chemin aussi sombre que moi. Il
venait répéter de temps en temps, mais nous ne l’attendions pas. Au moins,
nous tâchions d’être productifs ; je ne sais pas ce que faisait Axl à l’époque,
parce que nous ne nous parlions pas, sans doute parce que quelques-uns
d’entre nous étaient devenus chimiquement ingérables.
L’abus de boisson est redevenu mon passe-temps préféré. Je rentrais
chez moi, après la répétition, complètement fait, en doublant les gens du
mauvais côté dans la côte de Laurel Canyon. Je montais à 140 avec ma
petite Honda CRX ; si j’avais heurté quelque chose, j’aurais pu facilement y
passer. Dieu merci, je n’ai jamais blessé personne, je ne me suis jamais fait
arrêter, et je ne suis pas mort – quelqu’un là-haut veille sur moi, vu combien
de fois j’ai senti le souffle de la mort, mais en ai réchappé.
Une nuit en particulier, j’ai quitté Laurel Canyon pour tourner sur
Kirkwood, la rue qui menait à ma rue, Walnut Drive. Un type était garé au
coin de Walnut et s’apprêtait à tourner à gauche dans Kirkwood. Il
débordait largement sur ma voie ; et dans mon esprit, il était sur mon
chemin. Au lieu de m’arrêter ou de ralentir, j’ai embouti sa voiture –
délibérément.
J’ai essayé de reculer pour m’en aller, mais nos voitures étaient
encastrées ; je l’avais cogné côté conducteur au niveau de la roue arrière, et
l’avant de ma voiture était coincé dans sa voiture. C’est là que je me suis dit
que je n’aurais sans doute pas dû faire ça.
J’étais là, à essayer de reculer pour me casser ; j’ai arraché mon pare-
chocs parce qu’il était sévèrement encastré dans la voiture de ce type. Et
pendant ce temps-là, il est sorti et est venu à ma fenêtre :
« Et alors ? » ai-je dit, et je l’ai dévisagé une bonne minute, en plissant
les yeux.
Le type puait l’alcool ; il était complètement fait, et là, je venais de
semer le doute dans son esprit.
« Putain, mais t’es bourré », a-t-il dit d’une voix légèrement empâtée.
« Non, pas du tout », ai-je dit. « C’est toi qui es bourré, putain. »
J’ai allumé une cigarette, tandis que nous parvenions tous deux à la
conclusion que, vu à quel point nous étions défoncés, ce serait une
mauvaise idée de faire intervenir la police.
« T’as une assurance ? » m’a demandé le type. « Moi, non. »
« Écoute… Je ne peux pas me permettre d’avoir des problèmes avec la
loi », ai-je dit.
« Et si on faisait comme si rien ne s’était passé ? » a-t-il dit.
« Ça me va. »
Nous avons réussi à séparer nos voitures ; le type a filé, et moi, je suis
remonté aussi vite que possible au sommet de ma petite colline. J’ai rangé
la voiture au garage et suis resté assis un moment. Mon cœur cognait, tandis
que je prenais lentement conscience de ce qui aurait pu se passer. J’ai eu un
moment de lucidité bienvenu : cette mésaventure aurait pu avoir des
répercussions qui m’auraient été fatales.
Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre que si nous voulions
redevenir un groupe, Izzy, Duff, Steven et moi devions composer de
nouveaux morceaux et faire en sorte qu’Axl s’y intéresse et revienne dans
la danse. Nous avions quelques chansons en train, mais nous devions garder
le rythme et rester concentrés. Nous y étions presque : les choses
redevenaient excitantes ; notre appétit originel revenait et notre flamme
brûlait haut. Nous voulions que la musique des Guns redevienne notre
priorité numéro un.
Nous avons poursuivi les répétitions, et quand nous avons eu quelques
morceaux au point, nous sommes allés chez Izzy, sur Valley Vista et
Sepulveda dans la Vallée pour composer et voir où il en était. Il ne m’a pas
fallu longtemps pour le comprendre : en allant pisser dans sa salle de bains,
j’ai remarqué une épaisse couche de poussière dans sa douche et sa
baignoire. Il n’avait utilisé ni l’un ni l’autre depuis des semaines – voilà à
quel point Izzy était à l’ouest. Même Axl est venu ce jour-là, et en dépit de
tout cela, nous avons commencé à travailler sur un morceau qui est devenu
« Pretty Tied Up ». Je me rappelle qu’Izzy a pris une cymbale, un manche à
balai et quelques cordes pour en faire un sitar. Il va sans dire qu’Izzy était
sacrément défoncé.
Nous n’avons pas eu à entrer en conflit avec lui ; il s’est fait une belle
frayeur un soir, et ça a suffi à le remettre dans le droit chemin. Quoi que ça
ait pu être, ça a tellement secoué Izzy qu’il ne voulait même pas en parler. Il
a simplement appelé son père, qui est venu le chercher de l’Indiana pour le
ramener là-bas, et c’est ainsi qu’Izzy est redevenu clean. Et il est resté clean
depuis ce jour.
Nous autres, nous avons continué à bosser, et quand nous avons eu
assez de chansons et que nous avons recommencé à communiquer avec
Axl, il nous a fait savoir qu’Izzy et lui voulaient composer le prochain
album dans l’Indiana. Je ne comprenais pas pourquoi ; ils avaient tous deux
quitté l’Indiana dès qu’ils l’avaient pu pour aller à L.A., et ils n’avaient
jamais semblé très désireux d’y retourner. En tout cas, notre situation était
si instable que je n’étais pas prêt à aller en pleine campagne sans garantie
d’y faire quelque chose. Leur idée était de s’éloigner des distractions
offertes par L.A., et je respectais cela ; Axl voulait nous faire aller dans un
endroit où nous pourrions nous isoler pour nous concentrer sur l’écriture.
J’étais d’accord là-dessus, mais je voulais au moins être à proximité d’une
grosse métropole, alors nous avons fini par opter pour Chicago. C’était
assez près de l’Indiana pour qu’Izzy pût nous rejoindre quand il se sentirait
prêt, ou y retourner facilement s’il sentait qu’il y avait un danger pour sa
sobriété.
Doug Goldstein et moi sommes partis pour Chicago, trouver un endroit
où vivre et répéter. Nous avons choisi le Cabaret Metro, le célèbre club de
rock au nord de la ville : c’est une salle de concerts qui abrite le Smart Bar,
un autre club, en sous-sol, et un théâtre au-dessus. C’était parfait ; nous
avons investi le théâtre, et quand nous avions fini pour la journée, le bar le
plus cool de la ville nous attendait à l’étage du dessous. Nous avons loué un
petit immeuble en briques brunes, composé de deux appartements, quelques
kilomètres plus loin sur Clark Street, près du métro aérien, pour y habiter.
Nous nous y sommes tous installés, avec nos assistants Adam Day et
Tom Mayhew ; notre chargé de production ; et notre nouveau garde du
corps, Earl. Duff, Steven et les membres de l’équipe se sont mis en bas, et
Axl, Izzy, Earl et moi logions en haut. Cela me convenait d’autant plus que
j’ai eu l’endroit pour moi tout seul une grande partie du temps – Axl a mis
plus d’un mois à nous rejoindre, et Izzy est resté moins d’une heure. Axl a
besoin d’un délai indéfini pour décider ce qu’il va faire, entre le moment où
il a une idée et celui où il la met à exécution, ce qui apporte toujours un peu
de piment aux événements. En fait, ce que nous faisions n’avait rien à voir
avec notre façon habituelle de travailler, mais c’était un bon début.
Un temps, ça ne m’a pas dérangé que nous ayons délocalisé tout le
groupe pour contenter les deux seuls qui n’étaient pas là, parce qu’à cette
époque, Duff et moi étions des buveurs si enthousiastes et si sociables que
North Clark Street et ses kilomètres de bars alignés étaient devenus notre
nouveau terrain de jeu – et ce, à proximité. Ma consommation d’alors
s’élevait à une demi-bouteille de Stoli par jour – une bouteille de 4 litres –
plus tout ce que je buvais quand je sortais le soir. Le matin, au réveil, je me
remplissais un gobelet Solo avec 85% de vodka, de la glace et un peu de jus
de cranberries. J’appelais ça le p’tit déj’ des champions. Duff évoluait dans
la même sphère que moi, mais il me semble que lui se remplissait un verre,
avec plein de glace, avant d’aller se coucher, et le posait sur sa table de
nuit ; de cette façon, la glace le maintenait à bonne température pendant son
sommeil, et le verre était encore bien frais à son réveil.
Tous les jours, je m’asseyais par terre pour siroter mon petit-déjeuner en
regardant la télé jusqu’à ce que les autres soient prêts à aller répéter. Nous
passions la plus grande partie de l’après-midi à jammer au Metro, parfois
même une partie de la soirée, et puis nous finissions la nuit dans les bars.
En gros, nous traînions, en composant des bouts de riffs par ci et des
morceaux de chanson par là. Quand nous travaillions, nous étions
concentrés, mais nous ne pouvions pas faire aboutir nos idées tant qu’il
nous manquait des musiciens.
J’ai appris qu’il était fondamental que tout le monde soit présent en
permanence – notre producteur, Brendan O’Brien, a insisté là-dessus
pendant l’écriture de Libertad, le dernier album de Velvet Revolver. À ce
moment-là, tout le monde dans les Guns avait le même objectif – même Axl
– mais nous n’étions pas très doués en relationnel et nous n’avions pas la
moindre idée de la manière de gérer ce que nous avions à faire. Le désir
était là, mais nous avions besoin de règles. Si l’un de nous n’était pas là,
nous nous mettions quand même au travail, et c’était là l’une des choses –
parmi tant d’autres – qui nous empêchait de vraiment y arriver. Déjà, Duff
et moi étions résolus à boire tout le temps, et nous trouvions cela normal
parce que cela n’interférait pas avec notre boulot, mais nous y mettions tant
d’acharnement en dehors des répétitions que cela rebutait Izzy. Il n’aimait
pas assister à ce genre de comportement à l’époque, et c’est toujours le cas
aujourd’hui. Nous n’en avions pas conscience alors, et même si ça avait été
le cas, je crois que nous nous en serions moqués – tout ce que nous savions,
c’était qu’il ne venait pas répéter et cela, nous ne l’acceptions pas. Je suis
certain qu’Axl avait, lui aussi, de bonnes raisons pour agir comme il
l’entendait. Mais comme il n’y avait aucune communication entre nous sur
ces problèmes, il en a résulté au final de sérieux malentendus. Comme on
ne parlait tout simplement jamais de ces choses-là, comme nous ne nous
demandions jamais comment modifier nos plans pour prendre en compte les
besoins de chacun, nous continuions à agir comme nous le faisions dans le
passé ; mais comme nous avions tous changé, cela a provoqué de graves
tensions internes entre nous.
Au lieu de trouver une nouvelle manière de régler nos problèmes, nous
les avons laissé prendre de l’ampleur. C’est là qu’un bon manager aurait dû
intervenir pour rectifier la situation, mais nous n’en avions pas. Au cours de
ces événements, Doug et notre management ne nous ont été d’aucun
secours ; ils n’avaient pas l’air de vouloir prendre le temps de trouver une
solution. Alan était toujours aux manettes et Doug nous accompagnait au
quotidien, mais tout ce qu’il faisait, c’était nous donner de l’argent. Dans
leur idée, nous étions censés savoir gérer toute cette merde tout seuls. Et
c’est ce que nous avons fait ; livrés à nous-mêmes, nous faisions des
merveilles sur le plan créatif… mais ça, c’était quand nous vivions tous
ensemble de la même façon, quand nos cinq vies n’en faisaient qu’une.
Maintenant que nous étions devenus un groupe qui devait faire tourner la
boutique, alors que nous avions tous des perspectives différentes, cette
dynamique avait disparu. Ce n’est la faute de personne ; nous avons fait de
notre mieux.
Nous devions avancer sans Axl, dont l’absence était pour nous un
manque de respect manifeste ; et cela a éveillé une telle animosité que,
quand il a fini par se montrer, nous lui en voulions tous énormément. Nous
étions un groupe incontrôlable, avec un semblant d’intégrité, mais nous ne
savions plus comment canaliser tout cela : nous aurions été incapables
d’aller dans la même direction, même si ça avait été une question de vie ou
de mort. Nous n’avons pas non plus fait le moindre effort pour gérer les
choses de manière adulte. Ce n’était pas de la naïveté ni de l’innocence,
maintenant que j’y repense, mais nous avons tous contribué à cela. Aucun
de nous n’a pris un peu de recul pour se demander ou demander aux autres :
« Comment faire ? Comment réunir tout le monde, travailler et se faire
plaisir ? » Nous avions besoin d’avoir les idées claires ; si quelque chose ne
marchait pas, il fallait continuer à essayer. Mais ce n’est pas ce que nous
avons fait. Outre le fait que notre management n’a pas voulu prendre les
choses en main, ce qui a le plus contribué à la dissolution du groupe a été le
manque de communication entre ses membres.
Avouons-le, j’étais une vraie tête de mule ; je n’avais plus envie d’avoir
toujours l’impression de me mettre en quatre. Je nous considérais comme
des égaux, et je faisais consciencieusement des efforts pour faire avancer les
choses, mais je n’avais ni les moyens de comprendre les attentes d’Axl, ni
la patience de m’asseoir avec lui pour en parler. Comme dans toute relation,
quand quelqu’un vous prend à rebrousse-poil, ça devient dur de faire preuve
d’empathie. À ce moment-là, j’étais extrêmement méfiant. Avec tout ça, il
était bien plus simple de profiter tout simplement de l’été à Chicago, parce
que les bars étaient très accueillants.
Durant nos nombreuses plages de temps libre, Duff et moi faisions aussi
de notre mieux pour rester en forme. J’avais emporté un de mes BMX, et je
m’en servais pour aller de l’appartement à la salle de répétition, en sautant
sur tout ce que je voyais, et en roulant sur le trottoir. C’était un bon
exercice. Quelquefois, Duff et moi allions même à la salle de sport, souvent
juste après notre vodka matinale. Nous allions dans un de ces grands
gymnases YMCA avec Earl, notre garde du corps, pour soulever de la
fonte. Nous étions en jean, et nous faisions des séries entre deux pauses
cigarette – c’était très revigorant. Pour nous en remettre, après, nous allions
en général boire quelques cocktails dans un bar sportif. Peu importait notre
stature, le nombre d’albums que nous avions vendus ou les concerts que
nous avions donnés ; à Chicago, nous n’étions personne. Aux yeux des
autres consommateurs des bars, nous n’étions que des pékins de base, et
pour des pékins de base, il n’y a pas d’endroit plus accueillant que les bars
sportifs de North Clark Street.
Tous les soirs, nous allions au Smart Bar, un lieu très cool, mais qui
proposait un rock très différent de ce que l’on trouvait à L.A. Nous étions
en 1990, et cet endroit ne jurait que par la techno et la musique industrielle
comme Ministry et Nine Inch Nails. Nous n’avons pas vraiment accroché
avec les gens de là-bas, parce que nous étions clairement d’une autre
espèce, mais nous nous sommes quand même fait un cercle d’amis. Nous
avions des douzaines de filles à disposition ; nous n’avions que l’embarras
du choix, mais j’ai fini par jeter mon dévolu sur l’une d’entre elles. Elle
s’appelait Megan ; elle avait dix-neuf ans. Megan habitait avec sa mère et
son petit frère dans une proche banlieue, et elle c’était une jeune fille douce
et pétillante, avec un côté très exotique et une forte poitrine.
J’ai commencé à m’installer dans une petite relation tranquille avec elle,
et je me faisais peu à peu à cette routine : jammer une bonne partie de la
journée, et passer la soirée avec elle. Et c’est là qu’Axl est arrivé, ce qui a
immédiatement modifié la donne. Malgré notre ressentiment à son égard,
nous étions tellement soulagés de le voir que personne ne voulait envenimer
les choses en lui demandant de s’expliquer sur son retard. Nous avons
commencé à travailler avec lui, les jours où il daignait venir à la répétition,
mais nous ne pouvions jamais savoir à coup sûr quel jour il viendrait. Si
nous décidions de répéter à quatre ou six heures de l’après-midi, il pouvait
arriver à huit ou neuf heures, voire pas du tout. Quand il venait, Axl jouait
un peu de piano, ou bien il s’asseyait pour écouter les idées que nous avions
eues. L’un dans l’autre, nous avons réussi à composer quelques bons
morceaux : « Estranged », « Bad Apples » et « Garden of Eden ».
Globalement, j’ai trouvé que le temps passé à Chicago avait été un
énorme gâchis, ce qui sera toujours un point de dissension entre Axl et moi.
Il avait l’air de penser que nous allions vraiment quelque part, et que c’est
moi qui ai tout gâché. J’aurais pu penser différemment s’il avait tout le
temps été là, mais au bout de huit semaines – dont six sans lui – j’avais le
sentiment que nous n’avions pas été assez productifs ; j’étais frustré et je
n’avais plus envie d’attendre de voir si on allait vraiment arriver à quelque
chose de consistant. Entre nous, l’atmosphère était trop sombre et ne
générait pas de réelle créativité. Nous devenions aussi si frivoles avec notre
argent que je ne pouvais plus le nier : nous nous étions entièrement
délocalisés dans le Midwest, et il n’en était sorti que quelques chansons
terminées et une poignée d’ébauches, dont la plupart étaient antérieures à
notre arrivée.
J’ai vraiment essayé de tenir jusqu’au bout, après l’arrivée d’Axl, mais
deux incidents ont mis un terme à mon séjour dans la Cité des Vents. Le
premier, c’est le soir où nous sommes rentrés après avoir bu un coup, et que
nous avons trouvé tout un repas italien sur le trottoir devant notre
appartement. J’ai pu avoir une vue globale de la situation, parce que, si je
me souviens bien, j’avais insisté pour monter sur le toit de la voiture chaque
fois que nous changions de bar. Notre restaurant italien préféré était juste au
coin de la rue, et apparemment Axl avait balancé le repas de tout le groupe
sur quelques personnes qui avaient découvert notre adresse et qui
l’interpellaient en bas. (Au passage, ce n’est pas ce qui inspiré le titre de
The Spaghetti Incident ; il vient d’une des plaintes que Steven a déposées
contre le reste du groupe – on va y venir – après son éviction. Je ne sais pas
bien de quoi il était question… un truc comme quoi Axl lui avait jeté des
spaghettis, je crois. Ça devait être récurrent, à cette époque.)
Bref, après avoir balancé notre dîner aux chahuteurs, Axl avait entrepris
de ravager toute la cuisine et de casser tout ce qui était en verre dans
l’appartement. Et, comme nous l’avons appris quelques jours plus tard, Izzy
était arrivé au beau milieu de sa crise, après avoir roulé depuis l’Indiana. Du
bout de la rue, il avait embrassé la scène du regard, avant de faire demi-tour
et de repartir immédiatement, sans même entrer dans l’immeuble.
Je suppose qu’après ce premier incident, nous aurions tous dû
comprendre qu’Axl n’était pas heureux et l’exprimait ainsi, mais nous en
étions arrivés au point où nous le laissions faire son truc en faisant comme
si de rien n’était. Qui sait, peut-être que si nous avions écouté ce qu’il avait
à dire et avions été un peu plus conciliants, il n’aurait pas pété les plombs à
ce point. Mais qui aurait pu deviner ce qui le contrariait ? Il arborait une
attitude très amère, qui semblait avoir pour origine une grosse dépression.
Mais pour être franc, à l’époque, c’était plus Steven qui m’inquiétait,
qu’Axl : il devenait un gros problème ; il prenait des tonnes de coke, et son
jeu était devenu irrégulier. Au départ, je n’ai rien vu ; il cachait sa coke dans
le frigo, dans l’appartement du bas où il habitait.
On passait du temps ensemble et on se faisait quelques rails, mais je ne
comprenais pas comment faisait Steve pour être tout le temps tellement plus
défoncé que moi. Il avait alors une petite lueur pétillante dans le regard et
me disait : « Hé, mec… c’est le beurrier » en désignant le frigo.
« Ouais, OK, Steve. Tout ce que tu veux. » disais-je. Je me dirigeais
vers le frigo, je me versais à boire et je revenais sans avoir rien remarqué de
spécial. Je ne pensais pas qu’il veuille réellement que je regarde dans le
beurrier. Il était tellement ravagé que je ne le prenais pas au sérieux.
« Alors, t’as vu ? » me demandait-il avec un large sourire. Il continuait à
désigner le frigo en répétant : « Le beurrier. »
« Ouais, mec, j’ai vu », répondais-je. « T’as vraiment un super frigo.
Avec un très chouette beurrier, mec. »
« Le beurrier. »
« Bon, Steven… Qu’est-ce que tu veux me dire, exactement ? »
C’est Tom Mayhew qui a fini par éclaircir ce mystère : Steven avait une
bonne réserve de coke entassée dans ce fameux beurrier.
C’est là que je n’ai pas pu faire autrement que de constater que nous
étions en train de nous décomposer. J’avais beau avoir l’impression que moi
et les autres avions la situation en main, j’ai réalisé que Steven devenait
irrécupérable. Dès notre retour de Chicago, Steven et moi nous sommes
beaucoup moins vus ; une fois rentré à L.A., il s’est retrouvé complètement
isolé. Nous étions très proches, en tant que membres du même groupe, mais
au cours de nos deux ans de tournée, une distance s’était créée entre Steve
et moi en tant qu’individus, et elle n’a fait qu’empirer au fil du temps.
Un des rares points de convergence au sein du groupe à cette époque, du
moins à Chicago, était notre intérêt commun pour l’album de Faith No
More, The Real Thing. C’est devenu la bande-son de ce séjour. On
l’entendait en permanence sur l’une ou l’autre des chaînes stéréo de nos
appartements.
Voilà un peu le contexte ; finalement, voilà pourquoi je suis parti. La
goutte d’eau qui a fait déborder le vase, ça a été lorsque nous avons ramené
quelques filles à la maison un soir. Ma copine Megan était sortie et j’étais
chez nous, couché. Au milieu de la nuit, j’ai entendu du raffut ; c’était des
gens qui passaient en file devant ma porte pour aller jusqu’à la chambre
d’Axl. Jusque-là, Axl avait passé le plus clair de son temps enfermé seul
dans sa chambre, pendu au téléphone. Cette nuit-là était visiblement une
occasion unique.
Ma chambre était sur le devant de l’appartement, séparée de celle d’Axl
par le salon et un long couloir en enfilade. Je suis donc allé voir ce qui se
tramait là-bas ; je suis tombé sur notre garde du corps, Earl, Tom Mayhew,
Steve et Axl, avec deux jeunes filles insouciantes du Midwest qu’ils avaient
ramenées.
Nous avons passé un moment tous ensemble, et, à un moment de la
soirée, quelqu’un a suggéré que les filles couchent avec nous tous. Elles
étaient d’accord pour sucer tout le monde, ce qui me semblait tout à fait
raisonnable, mais elles ne voulaient pas baiser. Pour je ne sais quelle raison,
cela a vraiment énervé Axl. Les filles soutenaient leur point de vue avec des
arguments très intelligents, mais Axl était d’un autre avis. Ce débat a duré
quelque temps, de manière assez détendue, quand tout à coup, Axl a
explosé. Il les a jetées dehors avec une fureur vraiment choquante. Il était
bien inutile d’en venir à ces extrémités. Le coup de grâce*, ça a été que le
père d’une de ces filles était un officier éminent de la police de Chicago, du
moins c’est ce qu’on m’a dit. Dans la matinée qui a suivi, j’ai fait mes
valises et j’ai repris l’avion pour L.A. Quelques jours plus tard, Megan était
venue me rejoindre.
LES GUNS ÉTAIENT UN GROUPE QUI RISQUAIT DE VOler en éclats n’importe
quand ; cela ne faisait que rendre la chose plus excitante. Quand nous
avions un objectif commun, ce risque était moins grand. Plus nous passions
de temps séparés, plus la créativité qui existait entre nous perdait de sa
réalité pour devenir une chose du passé, tandis que notre manque de
communication, ainsi que l’inconvénient de ne pas vraiment savoir ce qui
se passait, nous empêchait d’essayer de gérer tous ces changements.
Sur le plan créatif, les choses avaient drastiquement changé entre nous.
Jusqu’à Use Your Illusion I et II, les Guns composaient d’une seule façon :
on partait d’une idée trouvée par l’un d’entre nous, et puis chacun apportait
sa contribution. Axl est tellement prolifique au niveau des paroles et il a un
sens de la mélodie tellement intense, qu’avec le talent de compositeur
d’Izzy, et puis Duff et moi, il était très facile de créer de formidables parties
de guitare, et c’est ainsi que nous écrivions d’extraordinaires chansons en
un rien de temps. Izzy et Axl avaient une formidable alchimie, parce qu’Axl
savait comment transformer une des structures simples d’Izzy en une
chanson parfaite, bien ficelée, avec des paroles et une mélodie très riches.
« Patience » en est un bon exemple : Axl a vraiment fait passer cette
chanson d’Izzy à un niveau supérieur. J’ai un tel sens de la mélodie et des
riffs que je faisais le lien entre tout cela. La plupart du temps, je trouvais le
riff de guitare au cœur du morceau, à partir duquel Duff développait une
ligne de basse géniale, ou bien je trouvais un pont et un refrain qui
inspiraient à Axl d’incroyables paroles.
Quand Izzy et moi présentions un morceau au groupe, il y avait déjà
tout ou partie des paroles, mais quand Axl les chantait à sa façon… c’est là
que le morceau prenait vraiment tournure. Dans le temps, c’était facile ;
mais en 1990, nous avions perdu cette inspiration commune à la source de
la création. Le désir de se retrouver et de composer est une chose : c’est
notre métier. Mais c’est encore autre chose d’être inspirés par notre
collaboration les uns avec les autres. C’est ce que nous avons eu le plus de
mal à accepter. Pour la première fois, nous avons dû y travailler ; une fois
que nous nous y sommes mis, c’est devenu génial et c’est allé vite, mais
pour en arriver là, ça a vraiment été une putain de corvée.
J’AVAIS VRAIMENT PERDU MES ILLUSIONS SUR LE groupe, quand je suis rentré
de Chicago à L.A. Je me suis réinstallé à Walnut House, avec Megan. Je ne
sais pas bien à quoi je pensais, parce que je ne la connaissais pas depuis si
longtemps, mais elle était là. Tous les autres membres du groupe, à
l’exception d’Izzy, étaient encore à Chicago, et ce n’est qu’au bout d’un ou
deux jours qu’ils ont réalisé que j’étais parti. Ils ont commencé à rentrer
petit à petit, mais finalement, Axl est resté là-bas encore deux semaines
après mon départ. Comme il était furieux que j’aie mis fin à notre « retraite
créative » là-bas, il n’est pas resté à composer dans la salle de répétition que
nous avions payée d’avance. D’après ce que j’ai compris, il a passé tout son
temps à dormir et à piquer des crises au cours desquelles il détruisait
l’appartement, tout en m’envoyant plus ou moins régulièrement des
messages incendiaires, via le management – Doug, en général. Doug
m’appelait, comme s’il était le larbin d’Axl, et je ne peux pas dire que je
croyais automatiquement ce qu’il me disait, mais je faisais de mon mieux
pour lui répondre franchement, tout en espérant qu’il dirait la vérité à Axl
sur les raisons de mon départ. Néanmoins, Axl est resté là-bas et a passé
quelque temps à nous envoyer à tous des messages, je crois.
Il y avait entre Axl et moi une sorte de relation amour/haine très
intéressante, qui existait depuis toujours. La plupart du temps, Axl et moi
étions un peu comme des copains de pêche, qui n’ont pas grand-chose à se
dire, sauf quand ils vont pêcher. Et puis il y avait des moments où nous
avions une très bonne entente, quand il venait me parler quand il en avait
gros sur le cœur. Mais pour chacun de ces moments-là, il y avait de longues
périodes au cours desquelles nous étions si clairement de chaque côté d’une
barrière invisible, que nous ne nous parlions pas du tout. Au cours des mois
qui ont précédé notre remise au travail, Axl et Erin ont eu de très sérieux
problèmes de couple, et lui et moi avons eu plusieurs conversations
profondes à ce sujet. Ce qu’ils traversaient était très sérieux : après
Chicago, j’ai même dû, une fois, aller chez Erin pour les aider à désamorcer
une dispute. Chaque couple a son propre fonctionnement, et s’il y a bien
une chose que je ne ferais pas, c’est dire que je comprenais le
fonctionnement du leur. Mais j’étais l’ami de l’un et de l’autre, ce qui faisait
que je pouvais jouer les médiateurs. Malgré toutes les merdes avec les
Guns, nous étions toujours collègues et amis. Si Axl avait besoin de moi,
j’étais toujours là.
QUAND JE SUIS FRUSTRÉ SUR LE PLAN CRÉATIF, JE compense par un
comportement autodestructeur avec les drogues. C’est mon excuse pour
retomber dans ce travers. C’est un phénomène courant chez les junkies.
Donc, peu après mon retour à L.A., vu l’état des choses dans le groupe, j’ai
été trop heureux de sauter sur l’occasion quand elle s’est présentée.
Megan et moi nous étions installés ensemble ; nous étions heureux dans
notre nouveau chez-nous. Elle s’est révélée une vraie fée du logis, et elle
s’est mise très naturellement à tenir la maison en ordre, à cuisiner et à se
transformer en petite femme d’intérieur. Elle allait se coucher tôt, puis le
matin elle allait à la gym, avant de rentrer faire le ménage et le repas. Au
bout de quelques semaines, son amie Karen est arrivée de Chicago et elles
ont passé la semaine à faire du shopping. C’était la première fois que j’avais
une journée tout à moi, et j’ai rencontré quelqu’un que je n’avais pas vu
depuis longtemps : une fille de l’époque d’El Compadre. C’est cet
incroyable restaurant mexicain sur Sunset et Gardner ; à l’époque où les
Guns n’étaient pas encore connus, Duff et moi y passions tout notre temps,
à tenir salon comme si l’endroit nous appartenait : on amenait des filles, qui
nous suçaient ou nous baisaient sous la table, ce genre de conneries.
Cette copine que j’avais retrouvée était coiffeuse – elle m’avait parfois
coupé les cheveux – et m’a dit qu’elle l’était toujours, mais elle vendait
aussi de la came de temps à autre – je n’ai pas eu besoin de plus
d’encouragements. Elle est revenue un peu plus tard avec un sac de
seringues neuves, et avant que je comprenne ce qui m’arrivait, avant le
retour d’Axl et avant que Megan et Karen ne fussent revenues de leur
balade à Melrose et Beverly Hills, j’étais de nouveau accro à l’héro, avec
une ardeur redoublée.
Megan est sortie avec le mauvais mec et je l’ai entraînée dans ma chute.
Elle était très innocente ; elle a peut-être cru tomber amoureuse, mais je ne
crois pas qu’elle ait compris où elle mettait les pieds ou ce qui m’arrivait
quand nous sommes rentrés à L.A. Quand elle m’avait rencontré, j’étais un
poivrot intégral ; et comme je l’ai déjà dit, à l’œil nu, un héroïnomane un
peu futé ne se comporte pas très différemment, tant qu’on ne surveille pas
ce qu’il boit. Megan était tellement innocente qu’elle n’a pas remarqué que
j’avais subitement arrêté de boire plusieurs litres de vodka par jour, mais
que j’avais toujours l’air aussi soûl – voire davantage.
Nous avons poursuivi cette relation très douce, très tordue, qui avait un
petit côté années 50. Elle s’occupait de la maison, puis allait se coucher à
dix ou onze heures du soir, et moi je restais debout toute la nuit, en bas dans
le salon, et j’allais me shooter régulièrement dans la salle de bain noire.
Certaines nuits, j’écrivais des chansons sur le canapé, d’autres, je me
contentais d’observer les serpents. Sans que je m’en rende compte, le matin
était arrivé, et Megan était levée ; nous passions du temps ensemble, et
c’était très agréable, jusqu’à ce que je sois fatigué. Elle ne me posait jamais
de questions, et nous avons vécu ainsi un bout de temps, en étant très
heureux. Nous donnions des surnoms à tout. Pour elle, tout était « mignon »
ou « adorable », et j’étais en général son « chéri ». Rétrospectivement,
Megan s’exprimait tout à fait comme Jennifer Tilly.
Megan était aussi, comme je l’ai déjà dit, une parfaite ménagère. Elle a
bien arrangé la maison, surtout la cuisine, et l’a rendue tout à fait habitable.
Elle adorait avoir des gens à dîner, quand l’occasion se présentait. Je me
souviens avoir un jour invité Mark Mansfield, plus pour me défoncer avec
lui et prendre des nouvelles que pour manger, mais Megan nous a fait un
vrai festin : elle nous a servi une recette de poulet avec plusieurs sortes
d’accompagnements, du pain à l’ail et une belle salade, le tout sur des sets
de table – la totale. Elle était vraiment ravie, et n’a pas semblé remarquer
l’état sinistre dans lequel nous étions, Mark et moi. Nous étions si défoncés
que nous n’avons fait que jouer avec la nourriture. Ça ne faisait rien ; à la
fin de la soirée, Megan m’a dit qu’elle trouvait Mark charmant. Megan
avait aussi une autre particularité : très souvent, plutôt que de baiser, elle
préférait me branler et regarder… Je suppose que nous avions une relation
plutôt bizarre.
LA TENDANCE D’AXL À COMMUNIQUER PAR L’INTERmédiaire du management
a continué après son retour de Chicago, et ce jusqu’à mon départ du groupe.
Mais c’est peut-être ce qui a fini par réveiller un peu Alan et Doug, qui ont
soudain désespérément voulu nous réunir tous ensemble dans la même
pièce. Le succès de GN’R Lies avait fait naître de grandes attentes, et nous
n’avions plus rien sorti depuis. Nous aurions pu faire toute une tournée à
guichets fermés à partir d’un premier album qui datait déjà de trois ans, et
d’un EP qui ne contenait que quatre nouvelles chansons. Je suppose que la
plupart des autres groupes ne peuvent pas en dire autant, mais nous ne
pouvions pas accélérer les choses pour l’album suivant, sans doute parce
que nous n’arrivions pas à nous poser pour le composer.
Quant à moi, j’étais plus sinistre que jamais ; je prenais beaucoup de
speedball, et j’adorais les hallucinations paranoïaques uniques qui en
découlent. Personne ne m’avait appris à faire ça ; je m’étais dit que ce serait
un peu comme un Reese’s Peanut Butter Cup [friandise à base de beurre de
cacahuètes et de chocolat, NDT] version stupéfiants. La coke et l’héroïne
étaient deux ingrédients extraordinaires qui, à mon sens, se marieraient très
bien.
J’ai mis un peu de temps à déterminer quelle quantité de chaque
provoquerait le résultat recherché, et je me suis bien amusé à faire des
essais. J’avais plusieurs techniques, mais en général, je m’injectais d’abord
la coke, puis j’enchaînais avec un shoot d’héroïne. Mélanger les deux était
sympa aussi, mais je les prenais souvent séparément parce que j’adorais le
rituel de la piqûre ; le fait de me shooter m’a toujours excité.
Le speedball était l’équivalent d’un formidable grand huit : la coke
agissait immédiatement et me faisait grimper aux rideaux, puis l’héro
entrait en scène et les choses prenaient une tournure merveilleuse ; et les
deux drogues s’entremêlaient alors l’une à l’autre, faisant effet chacune à
leur tour. Je finissais toujours par prendre toute mon héroïne avant d’avoir
fini la coke, et je me retrouvais en général tellement à bloc que je frôlais la
crise cardiaque. À la fin de la soirée, j’avais souvent l’impression très nette
d’être observé, et j’ai donc commencé à me dire que ce serait une bonne
idée de faire des rondes dans la maison, armé jusqu’aux dents.
J’ai acheté plusieurs armes : un fusil de chasse, un .38 Special, un .44
Magnum et quelques revolvers. Je gardais en général le .38 à l’arrière de
mon pantalon, et quand Megan était allée se coucher et que j’avais pris
assez de coke et d’héroïne, j’arpentais la maison en réfléchissant, tout en
regardant les petits personnages nés de mon imagination apparaître à la
périphérie de mon champ de vision. Du coin de l’œil, je les voyais plonger
et rouler du haut des tringles à rideaux, ou courir le long des plinthes, mais
chaque fois que j’essayais de les regarder en face, ils disparaissaient. C’est
à cette époque que j’ai arrêté de parler à tous les gens que je connaissais, et
que j’ai commencé à beaucoup dessiner. Toute ma vie, mes dessins ont
toujours reflété ce que je vivais à des moments donnés. À cette époque, je
ne dessinais que des dinosaures et des projets de visuels et de logos.
J’aurais dû dessiner ces petits démons que je ne pouvais jamais
vraiment voir ou filmer – et croyez-moi, j’ai essayé. Dès que j’ai commencé
à prendre régulièrement du speedball, ces petits bonshommes se sont
multipliés. C’étaient de petits êtres noueux et transparents que je voyais de
loin, jusqu’à ce qu’ils finissent par grimper sur mon blouson quand j’étais
défoncé. D’une certaine manière, j’avais envie de les connaître ; allongé sur
le sol, à attendre que mon cœur veuille bien ralentir, je regardais ces petits
gars qui me faisaient un petit Cirque du Soleil* partout dans la pièce. J’ai
souvent pensé réveiller Megan pour lui faire voir ça. Je les ai même pris en
photo dans le miroir, quand je les surprenais perchés sur mon épaule ou
dans mes cheveux. J’ai commencé à parler d’eux et à les voir si
distinctement que j’ai même fait peur à mon dealer. Lors des rares
occasions où je sortais de chez moi pour aller chercher ma dose, je me
piquais en général chez lui et je commençais à voir ces petits gars me
ramper sur le bras.
« Hé, t’as vu ça ? » demandais-je en tendant le bras. « Tu le vois, ce p’tit
gars, pas vrai ? Il est juste là. »
Mon dealer se contentait de me regarder d’un œil inexpressif. Ce type
était un dealer, qui était habitué au comportement bizarre des junkies. « Tu
ferais mieux de partir, mec, disait-il. Tu es trop parti, là. Tu devrais
rentrer. » Apparemment, je faisais du tort à ses affaires.
Une nuit, je faisais ma ronde dans la maison avec mon fusil, et j’ai
descendu l’escalier qui menait au salon. Puis je suis remonté dans la
chambre, et dans la mezzanine où dormait Megan. Quand je suis monté, le
coup est parti et a fait un trou dans le plafond en face de la mezzanine.
Megan ne s’est même pas réveillée, ce qui est hallucinant.
J’étais encore réveillé quand les pompiers sont arrivés. J’étais allongé,
encore un peu secoué, quand j’ai entendu les sirènes. Je suis resté couché en
me disant : « Oh putain. »
Ma maison était accrochée au flanc d’une colline abrupte, ce qui fait
que la petite fenêtre carrée de la chambre, au deuxième étage, était juste au
niveau de la rue. J’ai entendu tout un remue-ménage et je me suis dit que
des gens allaient m’attaquer, alors j’ai fourré mon .45 à l’arrière de mon
pantalon, j’ai couru jusqu’à la fenêtre de l’étage, j’ai ouvert le volet et j’ai
vu que les pompiers s’apprêtaient à défoncer ma porte. Je leur ai demandé
quel était le problème et ils m’ont dit que cela faisait une demi-heure que
mon alarme incendie s’était déclenchée.
J’ai sauvé la situation : je leur ai assuré qu’il n’y avait pas d’incendie, et
Megan n’en a rien su. Une autre fois, elle aurait pu avoir vent de mes
activités nocturnes, mais ça n’a pas été le cas : c’était le matin où elle m’a
réveillé sur le canapé du salon. Apparemment, je m’étais endormi en
laissant ma seringue à côté de moi.
« Chéri », a-t-elle dit, « j’ai l’impression que le chat joue avec quelque
chose. »
J’ai regardé, et j’ai vu l’un de mes chats en train de donner des coups de
patte à ma seringue, comme si c’était une souris.
Peu après, Duff a cessé de venir me voir, parce qu’il s’inquiétait pour
moi. Je ne sais pas pourquoi ; les conversations que nous avions, moi
penché à la fenêtre de ma chambre et lui debout dans le cul-de-sac* étaient
très cordiales. J’avais toujours un flingue sur moi et je ne l’ai jamais invité à
entrer, bien sûr, mais tout était pour le mieux, puisqu’il l’avait jamais l’air
de vouloir entrer.
« Hé, mec, ça va ? » demandais-je.
« Ça va », répondait-il. « Alors, quoi de neuf ? »
« Pas grand-chose. »
« Bon, OK », disait Duff en me jaugeant du regard. « À plus tard. »
« Hé, tu veux entrer ? »
« Non. »
« OK, c’est cool. À plus tard. »
MA GRAND-MÈRE AVAIT TOUJOURS EU DES PROBLÈMES cardiaques, jusqu’à sa
mort. Quand elle est décédée, j’ai été complètement anéanti. Je n’aurais
jamais pensé qu’elle pût mourir si jeune ; elle n’avait pas encore soixante-
dix ans. Je l’ai vue à la fin, à l’hôpital ; c’est la seule fois où je me rappelle
avoir craqué pour de bon.
Le soir, après l’avoir vue morte dans son lit d’hôpital, je suis allé au
Rainbow Bar and Grill et j’ai emprunté deux cents dollars à Mario, le
propriétaire des lieux. Même si j’avais de l’argent, je n’avais jamais de
liquide sur moi ; mon chargé d’affaires répugnait à m’en donner, pour des
raisons évidentes. Mario ne savait pas pourquoi j’avais besoin de cet argent,
et c’était la première fois que je lui en demandais. Je suis allé à East L.A.
me fournir en came, puis je suis rentré à Hollywood et je me suis shooté
dans ma voiture, garé dans une petite rue. Pour je ne sais quelle raison, j’ai
appelé Izzy ; il venait de louer un appartement à Santa Monica et je lui ai
demandé si je pouvais venir dormir chez lui. Il a dit oui, et j’ai donc roulé,
dans ma petite Honda CRX, sur la Pacific Coast Highway, complètement
défoncé. Avant d’arriver chez Izzy, j’ai passé quelques heures à foncer
comme un fou dans les petites rues de Santa Monica. Je me revois sur un
chantier, à faire passer ma voiture sur des monticules de terre. Je ne sais pas
comment la voiture a survécu. J’étais hors de moi, au sens propre du
terme… je ne sais pas non plus comment je ne me suis pas fait arrêter.
Quand j’ai fini par arriver chez Izzy, il m’a installé sur le canapé pour le
reste de la nuit. Je me souviens que, pendant qu’il dormait, j’ai regardé le
film Performance [Vanilla en français], qu’il avait loué… Et puis je me suis
écroulé.
À ce moment-là, en 1990, Izzy était en liberté surveillée, après avoir eu
une altercation avec une hôtesse de l’air sur un vol commercial, ce qui est
un délit fédéral ; il gardait donc profil bas. Il avait rendez-vous avec son
contrôleur judicaire tôt le lendemain, et il m’a laissé dormir dans
l’appartement. Quand je me suis réveillé, j’avais l’appartement pour moi
tout seul, et je suis allé me doucher dans la salle de bains, parce que la
veillée mortuaire de ma grand-mère avait lieu dans la matinée.
Après ma douche, j’ai essayé de me piquer ; je planais encore après la
nuit dernière, mais j’étais persuadé que j’en avais vraiment besoin. Je
n’arrivais pas à trouver de veine ; j’ai mis du sang partout dans la salle de
bains, sur les serviettes, les murs, le lavabo – partout. J’ai insisté jusqu’à ce
que je trouve une artère. Puis j’ai dissimulé mes œuvres dans le placard du
salon d’Izzy, et je suis allé à la veillée de ma grand-mère, laissant derrière
moi un foutoir sanguinolent.
En arrivant à la veillée, j’étais une vraie loque à cause de la drogue. J’ai
dit bonjour à ma mère et mon frère, mais apparemment, je ne m’attendais
pas à voir le reste de la famille du côté de ma mère, et je l’ai fait savoir. J’ai
rendu un dernier hommage à ma grand-mère, et puis je suis allé aux
toilettes me piquer – c’en était trop. Voilà à quel point j’étais accro. Quand
je suis ressorti, ma mère a réalisé que je n’étais pas présentable, et elle a
suggéré que je rentre à la maison. Je suis rentré avec mon ancienne petite
amie, Yvonne, qui était venue prendre part à la veillée. J’ai passé la plus
grande partie de l’après-midi chez Yvonne, mais j’étais trop défoncé pour
elle. Je suis rentré chez moi en taxi, où j’ai été accueilli par un message
laissé sur mon répondeur par un Izzy Stradlin extrêmement énervé. Izzy
avait trouvé toutes les seringues et la cuillère que j’avais dissimulées dans
son placard, et n’en était pas particulièrement ravi. Comme il était en liberté
surveillée et que sa maison était susceptible d’être fouillée par son
contrôleur judiciaire à l’improviste, il avait toutes les raisons d’être furieux.
En repensant à tout cela, je réalise à quel point j’étais fou et
autodestructeur, mais je n’en avais pas conscience à l’époque. À présent,
cela me semble choquant, mais à l’époque, ce n’était pas bien grave – à mes
yeux du moins.
Ma grand-mère était la personne la moins égoïste, la plus généreuse que
j’aie connue. Elle vous aurait donné jusqu’à son dernier centime, malgré
vos protestations. Elle m’a aussi toujours beaucoup soutenu dans tout ce
que j’ai entrepris, et notamment dans la musique. Elle avait fait des études
de piano classique quand elle était jeune et elle aimait la musique. J’ai le
sentiment que ça l’avait soulagée que je me mette à la guitare ; c’est elle qui
m’a payé mon premier matériel. Elle se disait sans doute que la musique
était une occupation plus saine et plus distinguée que de terroriser
d’innocents passants sur un BMX. Elle ne savait pas à quel point elle se
trompait. Son fils, mon oncle Jaques, vivait avec elle, et avait à peu près
douze ans de plus que moi. Il était atteint du syndrome de Down. Il était lui
aussi à fond dans la musique, et avait des goûts très éclectiques, parce que
c’était quelqu’un de très enfantin et remuant. Il écoutait les Village People,
ABBA, The Partridge Family, mais c’est lui qui m’a fait découvrir James
Brown et les Runaways.
Ma grand-mère est morte à la suite de complications cardiaques, et a
laissé Jaques aux bons soins de ma mère, mais avant sa mort, elle a été très
fière que je fasse carrière dans la musique. Mon oncle Jaques est décédé en
2004.
IL EST FORT POSSIBLE QUE L’INERTIE AIT FINI PAR tuer les Guns avant même
que nous n’eussions vraiment pris notre essor, s’il n’y avait pas eu les
Rolling Stones. Au pire moment de cette période, quand je prenais autant de
speedball que Belushi, il nous fallait une raison de nous retrouver, encore
plus qu’à l’époque où nous n’avions que notre détermination et pas
d’endroit où aller. Je me souviens encore du jour où j’ai reçu cet appel.
« Hé, Slasher, les Stones ont appelé, ils veulent que vous fassiez leur
première partie. » C’était Alan. « Cela consisterait en quatre concerts au
L.A. Coliseum. »
« Vraiment ? » ai-je dit. » Ça me semble une bonne idée. »
« Ils vont bientôt démarrer leur tournée, et ils répètent à Pittsburgh. »
« Eh bien allons-y ! » ai-je dit.
On nous a réservé des places sur un vol, et je suis donc allé voir les
Stones répéter. J’avais emmené quelques seringues, assez de came pour
tenir quelques jours, et j’étais fin prêt. C’était sans compter sur un
problème, qui dès le début, avait posé problème à notre groupe : sur la route
de Pittsburgh, Alan avait prévu une étape dans l’Ohio pour aller voir Great
White. Great White… à part Poison, aucun autre groupe n’incarnait mieux
tout ce qu’on détestait que Great White, et c’était notre manager, Alan
Niven, qui s’occupait d’eux. Cela jetait régulièrement Axl dans une rage
folle, surtout après qu’Alan eut obligé les Guns à les remplacer lors d’un
concert pour MTV, au Ritz de New York, en 1988 ; ils ne pouvaient pas être
là pour telle ou telle raison. Quand nous avons décollé et qu’Alan a
commencé à utiliser notre popularité pour booster leur carrière, ça a
commencé à nous poser un sérieux problème ; et donc, s’arrêter pour un
concert de Great White alors qu’on était en route pour aller voir les Stones
était vraiment une décision stupide de la part d’Alan.
Je n’avais aucune envie de les voir jouer, et je suis donc resté dans ma
chambre à me shooter, jusqu’à notre vol du lendemain matin. J’étais devenu
assez bon pour dissimuler mes seringues et ma came ; la doublure de mon
blouson faisait toujours l’affaire, et l’intérieur d’un stylo pouvait facilement
accueillir une dose de came. Il y a quelques autres techniques, mais il vaut
mieux qu’elles restent secrètes. Mais lors de ce séjour, j’ai été maladroit et
j’ai réussi à casser ma seringue.
Ce n’était pas un problème. J’ai appelé la réception.
« Heu, bonjour, je suis bien à la réception ? »
« Oui, monsieur, c’est bien ça, que puis-je faire pour vous ? »
« Eh bien, c’est un peu une urgence. Je suis le guitariste de Great White,
je suis diabétique, et mes seringues d’insuline étaient dans un sac qu’on m’a
volé. Je dois être sur scène dans une heure, et il faut que je prenne mon
traitement avant. Y a-t-il une pharmacie, dans le coin, où vous pourriez
envoyer quelqu’un pour moi ? »
« Oui, monsieur, je suis désolé d’apprendre cela. Nous allons nous en
occuper. »
« Merci beaucoup, j’apprécie vraiment. »
Quand les seringues sont arrivées dans ma chambre, j’ai halluciné. Un
junkie peut être très persuasif et manipulateur quand il s’agit de prendre de
la drogue. Bref, je me suis remis dans le bain en un moment, et je me suis
éclaté tout seul dans ma chambre d’hôtel. Durant la nuit, je ne sais pas si
j’avais vraiment perdu une de mes doses d’héroïne, mais en tout cas, j’ai
dévasté toute la chambre en la cherchant. J’ai tout retourné, j’ai regardé
partout ; au final, on avait l’impression qu’un gosse avait construit un fort
très ambitieux avec tous les meubles à sa disposition.
Je me suis tellement éclaté ce soir-là et j’ai mis un tel bordel que nous
ne sommes pas arrivés à temps à Pittsburgh. Je m’étais injecté la plus
grande partie de ma came la veille au soir, mais j’avais tellement besoin
d’un fix que j’ai demandé à Alan de me laisser faire une sieste avant le
concert. Je me suis piqué, je me suis écroulé, et j’ai dormi pendant tout le
concert des Stones. Alan et Doug m’ont appelé à plusieurs reprises, mais je
n’ai pas entendu le téléphone. Ils ont tous les deux vu le concert et m’ont
raconté le lendemain que ça avait été génial.
Alan m’a regardé droit dans les yeux : « Slasher, je vais décliner leur
proposition », a-t-il dit. « Vous ne pouvez absolument pas assurer la
première partie de ces types. Tu n’es absolument pas en état. »
« On peut le faire, je t’assure », ai-je dit. « Programme ces concerts. »
Malgré ses réserves, il l’a fait.
J’étais devenu un vrai démon, même si cela semblait déranger les autres
davantage que moi. La plupart de mes dealers commençaient à m’éviter.
Les quelques-uns qui voulaient bien me vendre de la came étaient cool,
mais ils ne voulaient pas que j’aille chez eux ; ils déposaient leur merde à la
porte de derrière de Walnut House et ne rentraient jamais.
Durant cette période, j’ai vu ma mère et même elle a commencé à
s’inquiéter. Elle a suggéré que j’appelle David Bowie, parce que maman se
disait que je tirerais plus profit de ses conseils que d’une désintoxication
forcée.
David était charmant et calé en matière d’abus de substances. Il m’a
demandé ce que je prenais et quelle était ma situation sur le plan
émotionnel, psychique, et avec le groupe. J’ai papoté quelque temps avec
lui, mais quand j’ai commencé à évoquer mes petits amis translucides,
David m’a coupé la parole. Cette conversation était bien trop intime, surtout
qu’il ne m’avait pas vu depuis que j’avais huit ans, mais il en avait
suffisamment entendu.
« Écoute », a-t-il dit. « Tu files un mauvais coton. Si tu commences à
voir des trucs tous les jours, c’est que ce que tu te fais n’est pas bon du tout.
Quand ça arrive, c’est que tu es très bas sur le plan spirituel. » Il a marqué
une pause. « Tu t’exposes aux côtés les plus sombres de ton subconscient.
Tu te rends vulnérable à toutes sortes d’énergies négatives. »
J’étais tellement parti que je n’étais pas d’accord avec lui : pour moi,
mes hallucinations étaient un divertissement amusant.
« OK, c’est cool », ai-je dit. « Ouais, je suppose que c’est mauvais
signe… C’est noté ! »
UNE FOIS QUE LES CONCERTS DES STONES ONT ÉTÉ annoncés, tout le monde a
mis un point d’honneur à arriver à l’heure aux répétitions, et on avait
l’impression d’avoir retrouvé toute notre énergie. À cette époque, Duff était
le plus responsable de nous tous : il passait prendre Steven tous les matins,
et attendait qu’il eût pris tous les rails dont il avait besoin pour être
d’attaque ; puis il passait me prendre. Je les faisais attendre dehors pendant
que je me faisais ma piquouse pré-répétition.
La veille des concerts des Stones, nous avons fait un tour de chauffe au
Cathouse, et ça a été une tuerie. Nous n’y avions pas joué depuis
longtemps, et nous avions énormément d’énergie à évacuer ; nous avions un
son incroyable et c’était un concert des Guns typique. Mais il n’est pas allé
sans heurts, parce qu’Axl a tellement insulté David Bowie du haut de la
scène que Bowie est parti avant la fin du concert.
David était venu avec ma mère, ils étaient assis à une table devant, et
apparemment, Axl était persuadé qu’avant le concert, en coulisses, David
avait dragué Erin Everly. C’était tellement absurde qu’après, ma mère m’a
demandé quel était le putain de problème avec Axl. C’était une situation
délicate, mais j’ai préféré l’ignorer et essayer de me concentrer sur les
aspects positifs. Ce concert est passé à la postérité dans le clip de « It’s So
Easy », qui n’est jamais passé sur MTV ou ailleurs aux États-Unis parce
que nous avons refusé de supprimer les obscénités contenues dans la
chanson.
Nous avions des chambres retenues à l’Hotel Bonaventure pour les
quatre soirs des concerts des Stones, et c’est là que j’étais le matin du
premier, quand on m’a averti par téléphone qu’Axl n’allait pas faire les
concerts. Sa justification était que Steven et moi étions accros à l’héro.
C’était vrai… mais là n’était pas la question ; nous allions faire la première
partie des Stones. Nous avons réussi à le forcer à faire ce premier concert, et
ça a été une catastrophe.
« Profitez bien de ce concert », a dit Axl en entrant sur scène, parce que
ce sera notre dernier. « Trop de gens parmi nous dansent avec Mr
Brownstone. »
J’étais tellement en colère contre lui, et il était tellement en colère
contre moi parce que j’étais un junkie, que j’ai passé la moitié du concert
tourné vers mes amplis. Rien n’allait, ce soir-là, le groupe avait un son de
merde. C’est dans cet état d’esprit que je suis sorti de scène, suis remonté
dans ma limousine et suis allé me défoncer dans ma chambre.
Le lendemain, Doug m’a dit qu’Axl ne ferait les prochains concerts que
si je m’excusais, sur scène, devant le public, d’être un junkie. C’était dur à
avaler. Rétrospectivement, je comprends pourquoi Axl m’a pointé du doigt
moi, plutôt que Steven. Je suis le plus fort de nous deux, et Axl avait
davantage confiance en moi. Ma présence était importante à ses yeux ; il
avait le sentiment que dans le groupe, j’étais un maillon qu’on ne pouvait
pas laisser faiblir. Mais je trouvais qu’une action publique ne s’imposait
pas. Sous l’emprise de la drogue, on est arrogant, et il était hors de question
que je me fasse accuser de cette façon. À mes yeux, ce n’était pas l’héroïne
qui posait problème dans le groupe, et même si ça avait été le cas, ce n’était
pas le moment de régler cela.
Mais je devais faire quelque chose. Quand l’heure est venue, je suis
monté sur scène, et plutôt que de m’excuser, j’ai débité une tirade sur
l’héroïne, ce qu’elle pouvait faire, le fait que nous étions passés par là
plusieurs fois et que j’en avais terminé avec cette attirante salope. C’était
plus drôle qu’autre chose, parce que je ne voulais pas déprimer le public.
De toute façon, quand je parle, je marmonne, et je suppose que quand j’ai
parlé de « la réalité des drogues » et du reste, ça devait avoir l’air d’une
excuse. Pendant que je parlais, les autres faisaient une longue intro à « Mr
Brownstone », ce qui fait que le public a dû se dire que c’était une
introduction impromptue à ce morceau.
Quoi que ce fût ou ne fût pas, une fois que Doug eut dit à Axl que je
m’étais exécuté (parce qu’il refusait de sortir des loges tant que ce n’était
pas fait), Axl a été satisfait et l’ambiance du groupe a radicalement changé
quand il est monté sur scène et que nous avons attaqué « Mr Brownstone ».
Tout à coup, notre camaraderie est revenue ; maintenant que nos problèmes
personnels étaient réglés, nous pouvions nous recentrer sur la musique.
Ce second concert s’est bien passé, et le troisième était encore meilleur
– nous avions vraiment trouvé le rythme. Le quatrième concert a été
foutrement extraordinaire – nous étions au meilleur de notre forme. Ces
quatre concerts auront au moins été une sacrée expérience. Ils sont très
recherchés parmi les enregistrements pirates, et tous ceux qui y étaient s’en
souviennent très bien : même les soirs où nous n’étions pas au top, les gens
s’éclataient quand même.
D’après ce qu’on m’a dit, les Stones ont assisté à notre prestation les
quatre soirs, parce qu’on leur rappelait ce qu’ils étaient à leur époque. Mais
je n’ai pas passé de temps avec eux. J’étais trop défoncé. Malgré ce que
j’avais dit sur scène, je n’avais qu’une envie, c’était aller me faire mon fix
après avoir joué le dernier accord. En général, je me piquais dans le
parking ; je ne pouvais pas attendre d’être arrivé à l’hôtel. Même si ces
concerts m’inspiraient beaucoup, je commençais à me dire que je me
remettrais au groupe et à l’écriture du nouvel album « quand je serais
clean ». C’est un mantra célèbre chez les junkies.
Pour me procurer la drogue dont j’avais besoin pour ces quatre soirs,
j’ai un jour dû quitter l’hôtel, aller chercher ma dose à Hollywood en
voiture, et revenir au centre-ville pour le show. Vous pouvez avoir atteint
des sommets – jouer au Coliseum – mais en même temps, si vous êtes un
junkie, vous retrouver dans cette réalité sordide, à devoir aller chercher
votre merde dans la rue, à l’arrache. Et une fois que c’est fait, vous
retournez dans votre autre réalité.
Je ne voulais pas que cela se reproduise, alors pour le troisième concert,
j’ai donné à ce dealer, que nous appellerons « Bobby », des pass pour qu’il
m’apporte ma came en coulisses… et assiste au concert. J’étais dans la loge
à l’attendre, et à mesure que l’heure du concert approchait, je commençais à
me sentir mal. L’horloge tournait, et j’étais arrivé au point où j’étais
incapable de jouer ; j’étais bourré d’anxiété, parce que s’il n’arrivait pas à
temps, je ne pourrais pas monter sur scène. Je l’attendais, je n’arrêtais pas
de le biper, et j’essayais de faire bonne figure. Je le bipais. Il ne répondait
pas. Dix minutes exactement avant d’entrer en scène, Bobby est arrivé. Je
me suis enfermé dans les toilettes du mobil-home qui nous servait de loge,
je me suis piqué, et j’ai poussé un soupir de soulagement. Ça n’allait pas.
Axl avait toutes les raisons d’agir comme il l’avait fait – ce genre
d’existence ne pouvait pas durer, au niveau où nous étions arrivés. Quand
on est à ce point pris par l’héroïne, la musique ne compte plus. Je l’avais
oublié. Steven était en aussi mauvaise posture que moi, mais tant que je n’ai
pas été clean, je ne me suis absolument pas douté de ce qu’il traversait.
LA DROGUE S’ÉTAIT MISE ENTRE NOUS ET LÀ OÙ NOUS voulions aller ; et
comme les concerts des Stones avaient permis de rétablir des relations
fonctionnelles et créatrices au sein du groupe, nous avons entrepris de gérer
ce problème de notre mieux. Doug a pensé qu’il pourrait intervenir en
douceur auprès de Steven, en l’emmenant en vacances dans un hôtel de luxe
avec golf dans l’Arizona. Steven était tout excité par ce que le groupe
venait d’accomplir et donc, du moins en théorie, il était prêt à se racheter
une conduite. Il a admis qu’une semaine loin de L.A., à se détendre au bord
de la piscine, dans le désert, était tout à fait ce dont il avait besoin.
Mon cas était un peu plus compliqué : me proposer une cure de
désintoxication n’allait pas être bien reçu, tout comme veiller sur moi. En
fait, à cette époque, on ne pouvait rien me dire ; ils devaient me faire
confiance quand je leur disais que j’allais m’en sortir tout seul. Et j’en avais
bien l’intention ; j’y ai pensé plusieurs nuits d’affilée, quand j’étais raide
défoncé à Walnut House. Un docteur m’a prescrit du Buprinex, un substitut
opiacé. Il m’en a procuré plusieurs flacons et des seringues. Ce traitement
coûtait très cher, mais ce type était un peu un « Dr Feelgood » ; ce n’était
pas le genre à avoir le droit d’exercer.
J’ai tout emporté avec moi le soir où j’ai décidé, sur un coup de tête,
d’aller rejoindre Doug et Steven dans l’Arizona. Sur le moment, cela me
paraissait tout à fait sensé : le soleil de l’Arizona était un endroit génial
pour commencer à me débarrasser de cette mauvaise habitude. J’ai dit à
Megan que j’avais des trucs à faire avec le groupe, et que je serais de retour
dans quatre jours. J’ai réservé mon vol, appelé une limousine, et j’ai appelé
un dealer de ma connaissance qui habitait sur le chemin de l’aéroport.
J’avais tout prévu : j’avais récupéré assez de coke et d’héroïne, et j’ai
emporté tout le Buprinex, afin de passer un bon week-end prolongé dans ce
complexe de golf.
Je n’avais pas prévenu Doug et Steven que j’arrivais, et quand j’ai
atterri, j’étais livré à moi-même. La ville n’était pas très animée, mais je
m’en fichais.
« Hé, il est loin, cet hôtel ? » ai-je demandé au chauffeur de la
limousine.
« Environ trois quarts d’heure, monsieur », a-t-il répondu.
« OK. Dites, pouvez-vous vous arrêter quelque part pour m’acheter des
couverts ? » ai-je demandé. « J’ai apporté de la nourriture que j’ai très envie
de manger. »
Le chauffeur a roulé vingt minutes et s’est arrêté dans un Denny’s. Il est
revenu avec un couteau et une fourchette enveloppés dans une serviette.
Génial, ai-je pensé.
« Heu, dites, est-ce qu’on peut s’arrêter ailleurs ? J’ai besoin de tous les
couverts », ai-je dit.
Quinze autres minutes plus tard, nous nous sommes arrêtés de nouveau,
et cette fois, j’ai eu une cuillère. J’ai vite remonté la paroi entre le chauffeur
et moi, j’ai sorti ma came et je me suis fait ma petite cuisine.
Je me suis piqué et je me suis détendu le reste de la route jusqu’à
l’hôtel. La végétation clairsemée du paysage en Arizona a tout de suite pris
un air bien plus engageant, et les vitres teintées lui donnaient un aspect
encore plus luxuriant.
Quand nous sommes arrivés au complexe hôtelier, le Venetian, j’ai
continué ma petite fête solitaire dans ma chambre. Ce n’était pas le genre
d’endroits auquel j’étais habitué, parce que ça ne ressemblait pas à un
hôtel : c’était un ensemble de bungalows tout autour d’un terrain de golf
impeccable… qui ressemblait beaucoup à l’endroit où Doug m’avait
emmené à Hawaii, maintenant que j’y pense. Ma chambre était géniale : le
lit était entouré de rideaux blancs transparents, il y avait une petite
cheminée en terre, et une douche vitrée dans la salle de bains – comme un
spa bien équipé. C’était si relaxant que je n’ai pas trouvé mieux à faire que
de prendre de la coke et de l’héro toute la nuit pour m’apaiser.
J’ai rapidement oublié que tout ce que j’avais apporté était censé durer
quatre jours – c’était comme si j’avais quelque chose à fêter. En quelques
heures, j’ai été à court d’héroïne. C’est un problème habituel avec les
junkies : quand on est défoncé, on est dans un état de satisfaction agréable,
tout va bien, tout se passe bien, et c’est là qu’on fait des projets ; c’est là
qu’on prévoit les quantités de drogue qu’il faudra. Et puis on commence à
se piquer, et tout change. Au fur et à mesure, on réajuste ses positions ; on
se trouve des raisons pour se piquer encore, là, maintenant, tout de suite. Et
une fois que c’est fait, on se trouve une raison pour finir la dose qu’on a,
parce que, hé, on n’en aura plus besoin, tout à l’heure.
On fait toutes ces conneries débiles et psychotiques parce que, quand on
y réfléchit, la première fois qu’on prend de l’héroïne, la première fois qu’on
se pique et qu’on aime ça, quand notre système est encore pur et intact,
c’est là qu’on vit la meilleure expérience de notre vie avec la came. On
passe tout le reste de sa carrière de junkie à pourchasser cette sensation
qu’on ne retrouvera plus jamais, et on se persuade qu’on y arrivera si on
continue. On essaye plusieurs méthodes pour la retrouver, mais on poursuit
une ombre. On finit par avoir besoin d’être défoncé pour être bien : on en
veut juste assez pour ne pas être mal, juste assez pour se sentir bien. Mais
quand on en a une bonne dose, on essaye toujours de retrouver cette
première défonce – et sans s’en rendre compte, en une nuit, on a liquidé ce
qui était censé durer quatre jours. On vient de foutre en l’air tout notre
programme minutieux.
Il n’y avait aucune raison de mettre un terme à la fête, dans mon esprit,
puisqu’il me restait encore plein de coke. On peut être aussi économe qu’on
veut avec l’héro, on la finira toujours bien avant la coke. Et quand on
commence vraiment à se mettre à la coke, on a des hallucinations tellement
réalistes qu’on ne peut plus se dire qu’on est défoncé et que notre esprit
nous joue des tours. C’est comme être sous acide, mais avec une tournure
différente. C’est flippant et réaliste, ça n’a rien de psychédélique. Dans mon
cas, c’est devenu violent et terrifiant. Dans le passé, j’aimais bien cet aspect
de la drogue, mais cette fois, j’ai basculé de l’autre côté.
Cette nuit-là, je n’ai pas arrêté de m’injecter de la coke, juste pour ne
pas arrêter de me piquer ; j’ai déjà dit combien j’aimais m’enfoncer
l’aiguille sous la peau, dans une veine, et sentir la drogue envahir mon
corps et prendre le contrôle. J’aimais aussi tout le rituel qui précédait : faire
sa petite cuisine, aspirer le tout dans la seringue et se garrotter le bras,
autant que la défonce elle-même. Je pouvais me contenter de reproduire ces
gestes pendant des heures.
Et puis les choses se sont gâtées. J’ai commencé à vouloir frapper les
monstres que je voyais derrière les rideaux transparents qui entouraient le lit
gigantesque. Je bondissais et esquivais, comme si je m’entraînais dans une
salle de sport. J’ai continué à boxer dans le vide comme ça toute la nuit,
jusqu’à ce que le soleil se lève, dissipe les ombres et mette un terme à cette
activité. Quand je suis sorti de cette transe, je me suis dit que je ferais bien
de me mettre en quête de Steven et Doug.
J’ai d’abord décidé de prendre une douche, pour me remettre d’aplomb.
Mais avant, j’ai choisi de me faire un dernier shoot de coke. Je me sentais
formidablement bien en entrant dans cette douche luxueuse, sous le large
pommeau. Et tandis que j’étais là, sous l’eau agréablement chaude, les
hallucinations dues à la coke sont revenues plus fort que jamais : la lumière
du jour entrait à flot par la fenêtre, mais je voyais des ombres allongées
sortir des coins. Elles avançaient en rampant vers moi, sur le sol, puis sur
les parois vitrées de la douche, où elles ont pris l’apparence des monstres
fantômes que j’avais combattus auparavant. Ils étaient juste devant moi,
devant la porte en verre, et je n’allais pas les laisser m’avoir, alors je les ai
frappés aussi fort que possible, et j’ai fracassé le panneau de verre. Je suis
resté là, la main en sang, sous le jet d’eau, paralysé, en pleine paranoïa, à
vérifier si d’autres assaillants n’étaient pas dans la salle de bains. Et c’est là
que mes petits copains sont arrivés.
J’ai toujours eu l’impression qu’ils ressemblaient à la créature dans
Predator, mais en beaucoup plus petits et d’un bleu-gris translucide ; ils
étaient noueux, musclés, avec les mêmes crânes pointus et des dreadlocks
caoutchouteuses. Je les avais toujours accueillis comme un divertissement
amusant, mais cette fois, c’était une hallucination sinistre. Je les voyais se
masser dans l’encadrement de la porte, ils formaient une véritable armée,
avec de petites mitrailleuses et des armes qui ressemblaient à des harpons.
J’étais terrifié ; j’ai couru sur les bouts de verre jonchant le sol et j’ai
fermé la porte vitrée coulissante de la salle de bains. Une flaque de sang
commençait à se former sous mes pieds, mais je ne sentais rien ; je
regardais avec horreur les Prédateurs se faufiler entre la porte et le
chambranle et commencer à la faire coulisser. J’ai pesé de tout mon poids
pour la maintenir fermée, mais en vain ; ils étaient plus forts et je perdais
l’équilibre à cause de tous les bouts de verre.
J’ai choisi de fuir : j’ai défoncé la porte coulissante en verre, en me
faisant de nouvelles blessures et en envoyant des bouts de verre dans toute
la chambre. Quand je suis sorti en courant du bungalow, la lumière vive du
soleil, le vert agressif de la pelouse et les couleurs du ciel m’ont submergé ;
tout me semblait faux et criard. Dans ma chambre, tout m’avait semblé si
réel que je n’étais pas prêt, dans mon état, à passer si brutalement de mes
rideaux tirés à la lumière vibrante du jour.
J’ai couru… à poil et en sang, sur la pelouse, loin de l’armée des
Prédateurs que je voyais derrière moi dès que je tournais la tête. Je ne
pouvais plus supporter cette lumière féroce, et je me suis donc engouffré
dans un autre bungalow, dont la porte était ouverte. Je me suis caché
derrière la porte, puis derrière une chaise, mais les Prédateurs ont
commencé à envahir la pièce. Une femme de chambre était en train de faire
le lit et elle s’est mise à hurler en me voyant. Ses cris ont redoublé quand
j’ai essayé de l’utiliser comme bouclier contre les petits poursuivants qui
me collaient au train.
Je me suis enfui de nouveau, courant de toutes mes forces à travers la
résidence, une armée translucide sur mes talons ; les couleurs et le décor ne
faisaient qu’accentuer ma démence. Je suis arrivé à l’arrière du bâtiment
principal, et je suis rentré par la porte de derrière dans la cuisine ; tous les
cuisiniers qui s’activaient m’ont affolé, et je suis sorti de là, droit dans le
hall d’entrée. C’était plein de clients et de membres de l’équipe, et je me
revois attraper un homme d’affaires bien habillé, qui attendait, sa valise à la
main, pour m’en faire un nouveau bouclier humain. Il avait l’air tellement
solide que je me suis dit qu’il allait tenir les Prédateurs en respect, mais je
me trompais. C’est là qu’ils m’ont rattrapé et qu’ils ont commencé à me
grimper sur les jambes, tout en armant leurs petits flingues. L’homme
d’affaires ne voulait rien entendre ; il s’est débarrassé de moi et je suis allé
me réfugier dans un placard à côté de la cuisine. Tout cela a provoqué un
attroupement, et je suis donc sorti de là en courant, je suis retourné dehors
et j’ai fini par trouver un abri et de l’ombre dans un appentis sur le green ;
là, je me suis caché derrière une tondeuse à gazon, jusqu’à ce qu’enfin, les
hallucinations commencent à se dissiper.
Mais j’avais provoqué un début de panique ; les flics sont arrivés, et
avec l’aide des nombreux témoins, ils m’ont retrouvé dans ma cachette. Je
ne voyais plus les Prédateurs, mais quand j’ai fait ma déclaration aux flics,
je leur ai expliqué en détail comment ils m’avaient pourchassé dans toute la
résidence dans le but de me tuer. J’étais encore tellement défoncé que je
leur ai raconté cette histoire sans aucune arrière-pensée. Autour de moi, tout
me semblait encore très bizarre : même quand Steven a fendu la foule pour
m’apporter un pantalon de jogging. Les flics m’ont ramené dans ma
chambre, où ils ont trouvé un sac de seringues, mais pas de drogue ; et
comme j’avais une ordonnance pour le Buprinex (qui n’est pas considéré
comme une drogue), j’avais le droit d’avoir des seringues et tout était donc
en ordre.
Mais la police de l’Arizona trouvait quand même cela très louche : à un
moment, ils m’ont laissé seul dans la pièce pour aller discuter dehors de ce
qu’ils allaient faire de moi. J’étais toujours convaincu que tout ce que je
leur avais raconté s’était vraiment passé, ce qui n’a pas joué en ma faveur.
Ils me regardaient, l’air de dire : « C’est cela, oui. » Ils ont fini par me
coffrer, quand ils ont trouvé des résidus de coke dans la cuillère par terre.
Mais Doug est intervenu ; il a appelé Danny Zelisko, un impresario au bras
long de Phoenix, qui a réussi à me garder en liberté. Doug et Danny m’ont
fait vider les lieux, avec une chaussure en moins, parce que mon pied était
trop mal en point pour en porter une. Ils m’ont fait grimper dans un jet privé
et j’ai foutu le camp. Sans Danny, j’aurais eu droit à plusieurs années de
prison. Merci encore.
QUAND J’AI ATTERRI À L.A., ON M’A RÉCUPÉRÉ ET ENvoyé discrètement dans
une suite du Sunset Marquis. Mon marathon au speedball sur le terrain de
golf m’avait complètement épuisé, et je me suis immédiatement endormi.
À mon réveil, j’ai trouvé Duff à mon chevet : « Salut, mec… Tu es
réveillé ? »
« Ouais » ai-je dit, en essayant de me rappeler où j’étais.
« Habille-toi, je t’attends à côté », a-t-il dit. « Il faut que je te parle d’un
truc. »
« OK, c’est cool. »
Je suis entré dans le salon, où tous les sièges étaient occupés : mes
managers, ma mère, mes collègues (sauf Izzy et Axl) – excepté mon dealer,
quasiment tous les gens que je connaissais étaient là. C’était une
intervention officielle. J’étais encore en train de rassembler mes esprits,
mais j’ai tout de suite trouvé ridicule la présence de Steven, parce qu’il
avait besoin d’une cure de désintox autant que moi, si ce n’est plus. Je l’ai
regardé, en me disant : Espèce d’hypocrite. La présence de tous les autres
était significative à mes yeux. Je ne sais pas bien de quoi, mais elle l’était.
Quasiment tous ceux qui étaient là avaient quelque chose à dire.
Mon garde du corps, Earl, m’a dit : « Slash, tu étais flamboyant et
vivant, à Chicago. À Chicago, tu avais tellement de force. Je ne supporte
pas de te voir comme ça, si faible. »
Ma mère était sidérée. Elle est restée assise en silence la plus grande
partie du temps.
Alan Niven a été, comme d’habitude, grandiloquent : « Slash, tu dois te
faire désintoxiquer », a-t-il dit. « Tout est arrangé. »
Ils m’ont tous dit qu’ils m’aimaient, et, Dieu les bénisse, je suis certain
qu’ils le pensaient, mais me retrouver sur la sellette de cette manière m’était
tellement pénible que tout cela m’est passé au-dessus de la tête. J’étais
complètement acculé, et les conneries que je leur servais habituellement,
comme quoi j’allais bien, ne marcheraient pas cette fois. J’étais coincé, sans
pouvoir me défendre, j’avais été déclaré coupable sans procès, et je ne
pouvais rien faire contre cela. Comme quiconque dans cette situation, mes
mensonges venaient d’être brutalement mis en lumière.
Je n’ai jamais rien reproché à ma mère à ce sujet, je n’ai jamais pensé
un instant que l’idée avait émané d’elle ; elle avait l’air aussi désorientée
que moi, ce jour-là. Pour moi, tous les autres n’étaient que des enfoirés de
comploteurs. Néanmoins, si je voulais arranger les choses avec le groupe, je
devais aller dans une clinique de Tucson, Sierra Tucson, et c’est ainsi que je
suis entré pour la première fois en désintoxication.
Le truc, avec la désintoxication, c’est qu’il faut vouloir y aller. Quand
on le veut, ça fait des miracles – mais quand on ne veut pas, ça a beau
purifier le corps, ça ne change rien à votre état d’esprit. C’est exactement ce
qui m’est arrivé cette première fois : j’ai été désintoxiqué dans un
environnement très sécurisé et stérile, mais il était hors de question que je
prenne part à quelque activité que ce fût dans la vie saine de la
communauté, ce qui est la deuxième étape de la réhabilitation.
Mais avant même d’aller là-bas, j’ai fait ce que tout vrai junkie fait : j’ai
dit à tous ceux qui étaient présents lors de l’intervention que j’étais
d’accord avec eux, que j’allais suivre leur plan, à condition qu’ils me
laissent passer une dernière nuit chez moi, dans mon lit, avant que je ne
rejoigne le centre le lendemain matin. Ils ont accepté, parce que pour eux,
j’en avais terminé avec mes conneries.
Je suis rentré chez moi, j’ai récupéré ma dose, je me suis piqué, et j’ai
passé du temps avec Megan – qui ne savait absolument rien de tout ce qui
avait pu se passer. Je lui ai dit que j’allais devoir partir quelque temps à
cause du groupe, et au matin, je me suis réveillé frais et dispos, je me suis
refait un petit fix, et j’ai pris place dans la limousine avec Doug pour me
rendre à Tucson. Cet endroit était au beau milieu du désert, dans tous les
sens du terme : pas de supermarchés, pas de lotissements, pas de galeries
marchandes… aucune trace de civilisation à plusieurs kilomètres à la ronde.
C’était une petite oasis de sobriété.
On m’a donné une chambre double, mais je n’ai eu aucun compagnon
de chambrée de tout mon séjour, ce qui était génial. Les trois ou quatre
premiers jours de manque ont été, comme d’habitude, affreux, même si le
mélange de médicaments qu’on me donnait rendait les choses un peu moins
dures. Je ne m’étais jamais soigné comme ça, et j’ai accueilli avec joie le
soulagement que cela m’apportait, même si je n’arrivais pas à manger ou à
dormir plus d’une heure ou deux d’affilée.
Au bout de quelques jours, quand les suées, l’angoisse et autres
désagréments inévitables ont diminué, je me suis senti assez bien dans ma
peau pour sortir du lit et aller me balader un peu. Je ne pouvais pas faire
plus ; je n’étais absolument pas prêt à renouer des contacts humains. Mais
dès que j’ai mis un pied hors de ma chambre, toute l’équipe m’a harcelé
pour que j’assiste aux séances de thérapie de groupe. C’était hors de
question – ce n’était pas parce que je pouvais marcher que j’avais envie de
parler. Je voulais tellement éviter les autres gens que j’ai attendu de tomber
d’inanition avant d’aller chercher à manger, parce que cela impliquait de
rencontrer des inconnus à la cafétéria.
J’ai appris plus tard que j’aurais dû venir une semaine plus tôt ; j’aurais
connu au moins une personne : Steve Clark, le premier guitariste de Def
Leppard. Steve était là à cause de la drogue, mais comme c’est classique
dans ce genre d’endroits, une fois que vous cédez à leurs méthodes, ils vous
trouvent d’innombrables autres « maux ». Dans cette perspective, le sexe et
quasiment tout le reste, si on les regarde sous un certain angle, peuvent être
perçus comme des addictions qui régentent votre vie. Dans le cas de Steve,
j’ai appris qu’il avait été étiqueté « accro au sexe », et qu’on lui avait même
mis un autocollant « Pas de contact féminin » après qu’il eut enfreint les
règles en parlant plus d’une fois à la même fille en privé. Il n’a pas du tout
apprécié, et s’est empressé de quitter les lieux. Steve est mort d’une
overdose deux ans plus tard.
Quand je n’étais pas dans ma chambre à Sierra Tucson, je passais le
plus clair de mon temps assis à une table massive, au centre de laquelle
trônait un énorme cendrier. Je faisais de mon mieux pour éviter les autres
patients. Quand je n’y arrivais pas, nos conversations se déroulaient
généralement de la sorte.
Un inconnu s’asseyait à proximité et allumait une cigarette.
« Salut, t’es là pour quoi ? » demandaient-ils.
« Héroïne. »
En général, à ce mot, au moins un des patients présents et à portée de
voix se mettait à se trémousser et à se gratter.
« Ouais, cool. C’est rien, ça. Laisse-moi te raconter mon histoire à
moi… »
La plupart des gens que j’ai rencontrés là-bas étaient accros à plusieurs
choses et avaient des personnalités si complexes qu’ils remettaient en
question tous mes a priori. C’était un assortiment bizarre d’individus qui
venaient de tous les horizons ; on se serait cru dans Vol au-dessus d’un nid
de coucou, et, comme le personnage joué par Jack Nicholson, j’étais
persuadé que j’étais le moins tordu de la bande. J’agissais sous l’impression
que je savais ce que je faisais quand je le faisais, peu importe de quoi il
s’agissait, alors que ces gens ne semblaient pas avoir la moindre idée de ce
qu’ils faisaient ni de ce qu’ils avaient fait pour se retrouver là.
Au bout de trois ou quatre jours, c’en était trop ; je me suis dit : FAIT
CHIER. J’en avais ras-le-bol de la cure, sous tous ses aspects, entre le
personnel qui m’encourageait à me joindre aux groupes et à voir ce qui
pourrait en sortir, et les relations éphémères que je nouais en allant fumer
une clope, et qui voulaient qu’on se retrouve à l’extérieur pour se droguer
ensemble, quand ils sortiraient quelques semaines plus tard.
Pour faire simple, je n’étais pas prêt à me rendre, en aucune façon.
J’étais au milieu du désert, il faisait une putain de chaleur, et je ne voyais
aucune manière productive d’occuper les vingt-deux jours qui me restaient
à passer ici. J’ai dit à l’infirmière-chef que j’avais besoin de repartir
immédiatement, et elle a fait de son mieux pour m’en empêcher. Le
fondateur des lieux est même venu pour me persuader de rester.
C’était le genre de cow-boy New Age qu’on ne trouve que dans le Sud-
Est des États-Unis : il portait un énorme chapeau, des tonnes de bijoux en
turquoise et des santiags, et parlait abondamment de son propre chemin vers
la sobriété. C’était un homme autoritaire, et il a insisté sur le fait que je
n’avais pas encore commencé le vrai travail sur moi-même. Il n’avait pas
tort, mais je n’en avais rien à foutre – et je n’avais aucune envie de le suivre
sur son chemin de la désintoxication.
« Écoutez, ai-je dit, vraiment énervé. Vous ne pouvez pas me garder ici,
mon vieux. Vous n’avez pas le droit. Alors, donnez-moi un téléphone et
rendez-moi mes affaires, parce que je me barre. Je me barre maintenant. »
« Vous faites une grave erreur », a-t-il dit. « Vous abandonnez. Vous
cédez à la facilité, vous devez y réfléchir. Allez, venez à une réunion avec
moi. »
« Je n’irai nulle part avec vous », ai-je répondu. « C’est hors de
question. Merci beaucoup de votre aide. Mais putain, je me casse. »
J’ai appelé une limousine pour aller à l’aéroport, tandis que le
propriétaire continuait à tenter de me faire rester, jusqu’au moment où je
suis monté en voiture. J’ai baissé la vitre et je l’ai regardé dans les yeux.
« Je ne peux pas vous en empêcher, mais vous commettez une grave
erreur. »
« À un de ces jours. »
Quelques kilomètres plus loin, j’ai vu une boutique de spiritueux.
« Arrêtez la voiture », ai-je dit au chauffeur.
Je me suis acheté un litre de Stoli. J’ai ouvert la bouteille et j’ai jeté le
bouchon par la fenêtre. La colère que j’éprouvais à cause de ce que je
venais de vivre ne faisait que grandir, à mesure que je vidais la bouteille,
sur la route de l’aéroport. Je me sentais offensé que mes proches aient pensé
que m’envoyer dans ce cirque ridicule allait m’apprendre à me contrôler
mieux que je ne le faisais déjà. C’était grossier. Je ne sais pas ce que le
chauffeur de la limousine s’est dit, cette après-midi : il était venu me
chercher au centre de cure, et il m’a vu descendre un demi-litre de vodka en
moins d’une heure.
À l’aéroport, en attendant mon vol, j’ai appelé un dealer d’héroïne
réputé, qui était au lycée avec Mark Mansfield et Matt Cassel. J’ai pris
rendez-vous avec lui juste après l’atterrissage ; je savais que mon premier
shoot d’héroïne après une désintoxication serait de la bombe, et je voulais
donc que la came soit d’excellente qualité. Après l’avoir récupérée, je suis
rentré à la maison, je me suis piqué, et puis j’ai appelé mon manager, Doug
Goldstein.
« Allô ? »
« Salut, Doug, c’est Slash », ai-je dit. « Je suis revenuuuuuuuuuuuuuu. »
Et puis j’ai raccroché.
J’AI REPRIS MA PETITE VIE AVEC MEGAN, ET TOUT ALlait pour le mieux. J’ai
aussi commencé à m’éclater tout seul une fois qu’elle était allée se coucher.
Elle ne se doutait pas du tout que je venais de décrocher ou d’aller en cure.
Le truc, c’était que comme on m’avait imposé cette cure, je refusais de me
soigner… même si je savais qu’il le fallait. Je ne voulais pas me remettre à
l’héroïne – mais je ne voulais pas décrocher à leur façon.
J’ai organisé un voyage à Hawaii pour Megan et moi, et j’ai emmené
assez de came pour tenir quelque temps, après quoi je décrocherais à ma
façon. Elle et moi nous sommes installés dans une villa à Kauai, et dès
notre arrivée, j’ai commencé le processus de désintoxication. J’étais
fiévreux, en nage, agité, et vraiment mal. J’ai dit à Megan que j’avais la
grippe, et elle m’a cru ; elle était contente de pouvoir faire du shopping et
visiter toute seule.
Je ne m’attendais pas à ce que ce fût si dur, parce que je me disais que le
pire était passé à Tucson. Eh bien… pas du tout ; ça n’a pas du tout été une
partie de plaisir. J’avais espéré pouvoir boire pour oublier, mais je n’y
arrivais pas : tout avait mauvais goût, tout était mauvais. Les symptômes
étaient bien plus violents qu’à l’accoutumée : les nausées, les crampes
d’estomac, les fortes suées, l’anxiété et les sensations de démangeaison
étaient horriblement désagréables. Je n’arrivais pas à regarder la télé, à me
détendre, à manger, à dormir. Je suis sûr que Megan faisait exprès de rester
dehors la plupart du temps.
En un mot, j’étais dans un état déplorable. Cela a duré à peu près une
semaine, pendant que Megan et moi nous reposions à Hawaii. Le truc, c’est
qu’alors que j’étais capable de me démener pour obtenir les quantités de
drogue dont j’avais besoin, chaque fois que je décrochais, je ne prenais pas
le temps nécessaire pour me procurer un médicament susceptible
d’accélérer le processus. Cela me semblait toujours super chiant d’aller me
faire faire des ordonnances par un médecin ; il fallait prévoir bien trop de
choses avant le jour précis où je déciderais de commencer. En plus, j’ai
toujours préféré faire les choses à la dure, et j’ai toujours décroché de
manière radicale.
Au bout d’une semaine, j’ai réussi à bouger un petit peu et j’ai fini par
me sentir mieux. J’avais le sentiment d’être bientôt sorti du bois ; et j’ai
commencé à faire des projets avec Megan, pour faire tout ce que font les
touristes à Hawaii. En même temps, j’ai eu l’idée lumineuse d’appeler mon
dealer pour qu’il m’envoie de l’héro par FedEx.
Toute cette histoire était vraiment débile, parce que j’avais déjà à moitié
décroché ; j’aurais réussi, si j’avais tenu encore quelques jours. Mais je m’y
refusais, tout simplement. De toute façon, mon dealer ne pouvait m’en
envoyer qu’une quantité limitée, et ce ne serait qu’une solution à court
terme. Rétrospectivement, je dois bien dire que c’était une décision
particulièrement stupide.
Le dealer en question était le plus réputé des types qui me vendaient de
l’héroïne ; et il m’a persuadé que ma requête serait facilement satisfaite, par
un colis de première classe, avec très peu de chances de me faire prendre.
J’ai accepté, et une seconde plus tard, je me suis souvenu de quelque
chose : Mark, le mec de Faster Pussycat, le mec qu’on avait enroulé de
chatterton, mis dans l’ascenseur et envoyé dans le hall, s’était récemment
fait arrêter parce que quelqu’un lui avait envoyé de la came par la poste.
Putain, mais à quoi est-ce que je pensais ?
Le lendemain matin, j’étais sur les nerfs, comme tous les junkies, en
attendant que la drogue arrive. Je me demandais toujours si je n’allais pas
me faire arrêter en récupérant mon colis. J’ai passé toute la matinée à peser
le pour et le contre, jusqu’à ce que le téléphone sonne.
« Bonjour, monsieur, ici la réception ; il y a un paquet pour vous. »
« Quoi ? » ai-je dit. « Un paquet ? Mais je n’attends aucun paquet. »
« Oui, monsieur, c’est un paquet qui vient du continent. Je crois qu’il
vient de Los Angeles, en Californie. »
J’ai décidé de prendre toutes mes précautions ; j’ai pris l’ascenseur de
service jusqu’au premier. Il débouchait dans un coin reculé, d’où j’ai pu me
faufiler dans le hall d’entrée en scrutant les alentours. Personne dans le coin
n’avait l’air manifestement suspect, mais je n’étais pas sûr que certains des
badauds ne fussent pas des flics.
Par contre, j’étais sûr que ma tenue était tout sauf présentable. Je me
suis glissé jusqu’à la réception, depuis le couloir où débouchait l’ascenseur
de service, et je me suis lancé, toujours sur mes gardes.
« Vous savez, j’ai reçu un coup de fil disant que j’avais reçu un
paquet », ai-je dit à la jeune fille à-l’air-innocent-mais-on-ne-sait-jamais de
la réception. « C’est vraiment drôle, parce que je n’attendais aucun
paquet. » J’ai souri… ou du moins, je crois.
Elle est allée chercher le paquet, qui s’est révélé être une enveloppe
pleine de CD dans lesquels était dissimulée la came. Quand elle l’a posé sur
le comptoir devant moi, je me suis figé ; je l’ai regardé, mais je n’y ai pas
touché.
« Voilà votre paquet, monsieur. »
« Vraiment ? » ai-je dit. « C’est fou, je n’attendais absolument rien. »
J’ai regardé autour de moi dans le hall, en fouillant bien les coins des yeux,
à la recherche de flics ou d’agents fédéraux en train de resserrer leur étau
sur moi. « C’est vraiment bizarre, je suis très surpris. Je ne m’attendais pas
du tout à recevoir un paquet ici. »
« Eh bien monsieur, ce paquet est arrivé pour vous ce matin. » Elle m’a
regardé bizarrement et m’a tendu un stylo. « Pouvez-vous signer ici, je vous
prie ? »
J’ai baissé les yeux vers la feuille de papier posée entre nous sur le
comptoir. J’ai réalisé que si c’était un piège, si un représentant de la loi était
en train d’assister à cette transaction, ce serait la fin pour moi, parce qu’une
fois que j’aurais signé ce papier, ils auraient tout ce qu’il leur faudrait. J’ai
levé les yeux vers la fille, je les ai baissés de nouveau sur la feuille. J’ai de
nouveau regardé autour de moi, trop ouvertement. Je n’ai rien fait, pendant
un moment qui est devenu très long. Et puis je me suis dit, Eh merde ; j’ai
signé, je l’ai remerciée, et je me suis engouffré dans l’ascenseur de service
pour filer jusque dans ma chambre.
Megan était encore sortie, mais quand elle est rentrée, j’étais défoncé,
j’étais heureux, et le reste de notre séjour a été un enchantement. Pensez de
moi ce que vous voudrez, mais ces vacances ont pris un virage à 180
degrés, dans le bon sens, une fois que j’ai eu mes médocs. Megan et moi
avons commencé à faire des trucs ensemble, on a fait du shopping, j’ai loué
une jeep et on a visité quelques sites.
Après Hawaii, Megan et moi nous sommes envolés pour Chicago, afin
de passer Thanksgiving avec sa mère, que je n’avais encore jamais
rencontrée. J’avais terminé mon héro dans l’hôtel à Hawaii, et en arrivant à
Chicago, je commençais à éprouver les symptômes classiques du manque.
Je ne connaissais pas grand-monde à Chicago, mais j’ai rencontré un de
mes potes au Smart Bar lors de notre première soirée là-bas. Ce type était
l’un des ingénieurs qui avaient installé notre salle de répétition, et même s’il
n’avait pas d’héroïne, il avait des tonnes de coke et m’a dépanné avec une
bonne quantité. Quand je suis rentré chez la mère de Megan, j’ai commencé
à me piquer à la coke pour essayer de me remettre d’aplomb.
Megan ne se doutait de rien, mais je voyais bien que sa mère se disait
que quelque chose n’allait pas avec moi ; je ne sais pas si elle savait de quoi
il s’agissait exactement. J’ai eu du mal à camoufler mes faits et gestes
pendant les fêtes, parce que sa mère et elle vivaient très à l’étroit. Leurs
chambres étaient séparées par un placard commun ; quand les portes
coulissantes étaient ouvertes de part et d’autre, on pouvait passer d’une
chambre à l’autre. Le soir, quand je regardais la télé en prenant de la coke
tandis que Megan dormait, je commençais à flipper en me disant que sa
mère devait être en train de m’observer de l’autre côté de cette cloison
bizarre. Cela a duré quelques nuits. Je ne sais pas à quoi je pensais ; je me
piquais à la coke, dans ce petit lit, entre Megan et le mur. C’était ridicule.
Quand le jour de Thanksgiving est arrivé, j’ai pris une douche et je me
suis préparé à rencontrer leurs familles et amis ; et j’ai remarqué, en
descendant l’escalier, que j’avais réussi, je ne sais comment, à évacuer
l’héroïne de mon système – cela défie la logique, mais à mon sens, c’est
que la coke avait, inexplicablement, supprimé mon envie à un niveau
intrinsèque. Mais j’ai quand même été défoncé tout le temps que j’ai passé
là-bas, et ce repas de Thanksgiving est l’un des repas de fête les plus
inconfortables que j’aie vécus, même s’il y a eu quelques bons moments.
Nous avons beaucoup bu, et nous nous sommes bien amusés, puis Megan et
moi avons repris l’avion pour L.A., et à ce moment-là, j’étais (à peu près)
clean – en gros : pas de drogue, très peu d’alcool. Du moins quelque temps.
En un éclair, Noël est arrivé, et Megan a commencé à vouloir organiser
une grande fête : elle était à fond dans les décorations, elle a acheté un
appareil à fondue, et elle a invité tous nos amis dans son pays des
merveilles de Noël. Je n’avais jamais rien vu d’aussi curieux depuis
longtemps, et le fait d’être sobre m’empêchait d’ignorer ce sentiment. La
veille de la fête, elle est revenue avec un tas de merdes inutiles, qu’elle
avait achetées au marché pour décorer la maison, et qui avaient coûté près
de 400 dollars. Ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Je l’ai regardée décorer la maison, en me disant constamment : « Mais
je ne te connais pas, putain. » Nous avons eu notre fête de Noël, nous avons
reçu nos amis ; et juste après leur départ, j’ai décidé de dire à Megan qu’elle
devait partir elle aussi. Ce n’était pas sympa, mais très clair ; ça m’avait
énervé qu’elle aille au marché, mais là n’était pas le vrai problème : j’en
avais terminé avec elle, point final, et je voulais qu’elle vide les lieux aussi
vite que possible. Je ne me suis pas demandé comment elle était arrivée là,
il fallait que ça s’arrête. Il fallait y mettre un terme, immédiatement. Ça a
été horrible : je l’ai regardée dans les yeux et je lui ai dit : « Va-t’en. » Et
elle est partie… sa copine Karen, qui de toute façon, ne me supportait pas,
est venue l’aider à faire ses valises.
Quand j’y repense, une fois que j’ai été sobre, je n’ai plus vu Megan de
la même façon. Elle était douce, elle était charmante… mais elle était là.
Tout à coup, elle m’apparaissait comme un meuble que je ne me rappelais
pas avoir acheté, et j’ai commencé à me demander tous les jours ce que
nous avions en commun. Maintenant que plus rien ne troublait ma vision,
j’avais l’impression que c’était une inconnue. En plus, je n’avais pas le
loisir de perdre mon temps avec les responsabilités et les distractions
qu’entraîne une relation ; ça ne venait pas d’elle, mais de moi. Je redevenais
moi-même ; je me mettais en mode « travail ». Quand je la regardais, je
n’arrêtais pas de me dire : « Qu’est-ce que tu fais là ? Tu dois t’en aller. J’ai
des trucs à faire. Putain, on a un disque à faire. » Je crois que je le lui ai
même dit. Je l’ai traitée très durement, surtout pour quelqu’un comme moi,
parce que ce n’est pas mon genre. Mais je ne pouvais plus en supporter
davantage, et je ne l’ai jamais revue. J’ai toujours voulu faire les choses à
ma façon ; je me suis défoncé à ma façon, j’ai décroché à ma façon, j’ai
entamé et terminé des relations à ma façon. Je suis allé flirter avec les
limites de la vie à ma façon. Et je suis toujours là. Est-ce que je le mérite ou
non ? C’est une autre histoire.
Slash sur le plateau de tournage du clip d’« Estranged »
Slash se détend sur un balcon avec un peu de « bave de crewpaud »
12) Humpty Dumpty
Quand nous avions démarré ce groupe, notre avenir dépendait de notre
union sans concessions ; notre attitude avait créé entre nous une
camaraderie loyale, rare à trouver. Mais le succès est venu déliter ce lien, en
nous donnant tout ce que nous voulions et bien des choses dont nous
n’avions nul besoin – tout en même temps. Nous avions réussi, au sens le
plus conventionnel du terme ; cela signifiait que nous avions de l’argent, et
l’argent était synonyme de liberté. Nous étions libres de partir chacun dans
une autre direction. C’est allé si loin que nous avons presque oublié ce que
c’était que d’être dans la même pièce ; nous avons presque oublié de quelle
manière nous avions acquis cette liberté au départ.
Finalement, nous avons retrouvé tout cela, in extremis… mais cela s’est
fait dans la douleur, et au prix de pertes que nous n’avons pu éviter. Pour
revenir où nous étions au départ, nous devions nous présenter de nouveau
aux gens : il fallait se débarasser du superflu. Nous devions redécouvrir
Guns N’Roses. Cela ne faisait que quelques années, mais nous avions
oublié combien c’était fun d’être nous. Vous seriez surpris de voir comme
on perd rapidement de vue ce qui est important, quand subitement, on
dispose de tout ce qu’on n’aurait jamais pensé avoir.
Quand j’ai de nouveau arrêté l’héro, que Megan est partie et que j’ai
commencé à passer plus de temps avec Duff, à écouter de la musique, boire
et nous faire une ligne de temps en temps, tout s’est mis en place. Ça n’a
pas été compliqué : j’avais opéré la transition à partir de l’héro comme je
l’avais déjà fait, en me mettant à boire, et j’étais prêt à me remettre au
travail. Et ça faisait du bien.
Izzy n’était pas encore rentré de l’Indiana – il n’était pas encore prêt à
affronter les tentations de L.A. – et c’est donc Duff et moi qui avons
commencé à retourner au Mates composer. Nous espérions que notre
exemple ferait boule de neige, si nous pouvions maintenir un emploi du
temps régulier au cours duquel nous écririons. Nous posions les bases de
quelques nouveaux morceaux et nous travaillions un peu sur des morceaux
déjà existants. Comme à Chicago, notre objectif était de réunir Izzy et Axl
dans la même pièce que nous, mais nous savions qu’avant d’en arriver là, il
nous fallait régler le problème de Steven. Notre Steve avait développé une
sale addiction à la drogue, et il était en plein déni. Steve n’avait jamais
abandonné ses rêves rock’n’roll de lycéen, même si là, ils menaçaient de lui
exploser à la figure, et notre travail était donc tout tracé. Duff et moi
partagions notre temps entre répéter au Mates et nous occuper de Steven ; il
vivait dans la même rue que Duff, ce qui était bien pratique, mais il était
très rusé quand il s’agissait de sa consommation. Quand nous étions à
Chicago, tout le monde avait vu qu’il commençait à devenir un peu névrosé
et fragile, mais à notre retour à L.A., à travers mon nuage de défonce, je
n’avais pas compris à quel point il allait mal.
À présent, je vois bien que sa santé mentale et physique était devenue
chancelante. Vu les circonstances, cela pouvait s’expliquer, mais je crois
que nous avions oublié que Steven était quelqu’un sur qui il fallait
constamment veiller. Il ressemblait à un gamin curieux qu’on ne peut pas
laisser seul dans la maison, tandis que nous, nous étions du genre à pouvoir
agir à long terme. Tu pouvais faire ce que tu voulais, mais il fallait
assumer ; tu pouvais faire des erreurs, mais il fallait en subir les
conséquences. C’est comme cela que nous voyions les choses.
Jusqu’à la fin de la tournée Appetite, notre consommation de drogue
avait été, durant toutes ces années, plutôt occasionnelle et drôle ; nous en
faisions un usage récréatif. Rien de tout cela n’avait d’importance,
pensions-nous, mais là, la drogue commençait à réclamer son dû. Quand
j’avais compris à quel point les choses devenaient sinistres, j’avais arrêté.
Steve n’était pas en mesure de voir les choses clairement ou de faire un
effort pour les modifier. Il était dans le déni complet, mais nous avions tous
du mal à le lui reprocher, même Duff, qui prenait encore de la coke. Steven
n’avait pas toute sa tête et n’arrivait pas à dresser de barrière entre ses excès
et sa productivité.
Nous avons fait ce que nous pouvions pour le remettre dans le droit
chemin, mais on ne pouvait rien dire à Steven. Il se mettait à protester et
vous le renvoyait à la figure (aujourd’hui encore, il conteste les raisons pour
lesquelles il a été viré du groupe). Parfois, j’avais l’impression de l’avoir
amené à la raison… et puis il faisait une connerie, du genre ne pas venir à la
répétition. Il était impossible de discuter avec lui – comme c’est le cas, je
suppose, avec tous ceux qui sont dans cet état d’esprit. Et franchement, sur
le plan émotionnel, Steve avait l’âge d’un gosse de CE2, de 6e au
maximum.
Mais essayer d’amener Steve à limiter sa consommation nous mettait
dans une situation pour le moins délicate : c’était vraiment l’hôpital qui se
foutait de la charité : c’était moi, M. « À Peine Clean » mais qui buvais
encore, qui faisais la leçon à Steven. Je ne faisais rien de plus que critiquer
mon reflet, mais de l’autre côté du miroir. Je savais que tout cela était
hypocrite, mais je m’en fichais – la différence entre Steve et moi, outre les
stupéfiants que nous prenions, c’était que j’étais conscient de mes limites.
Malheureusement, ce n’était pas son cas, et Guns N’Roses devait avancer, à
tout prix.
Comme Izzy et moi, Steven avait dérapé et était tombé dans un tas
d’héroïne et de cocaïne, mais contrairement à nous, il n’arrivait pas à se
relever. Quand nous allions chez lui, l’après-midi, pour essayer de le faire
venir à la répétition, ses yeux nous disaient tout ce qu’il y avait à savoir :
ses pupilles formaient de minuscules points noirs, bien trop visibles au
milieu de ses iris tout bleus. Il restait assis, à nous dire avec insistance qu’il
n’avait pas pris d’héro, qu’il avait juste bu et pris un peu de coke, mais nous
savions que c’était faux. Ça n’a pas aidé non plus que Duff et moi
découvrions systématiquement sa réserve de came ; en général, il la cachait
derrière ses toilettes ou derrière son lit. Nous étions les seuls à veiller sur
lui : il avait eu une copine, mais ils s’étaient séparés, et c’était donc tout
seul qu’il se préparait à sombrer. Nous avons essayé plusieurs fois de
l’envoyer en désintoxication, et nous l’avons fait entrer à Exodus plus d’une
fois. Mais chaque fois, nous recevions un appel nous disant qu’il avait fait
le mur ou s’était sauvé par l’entrée de service. Et bien sûr, chaque fois, il
était introuvable les quelques jours suivants. Ça doit être un record : au
total, sur cette période, Steven s’est échappé vingt-deux fois d’un centre de
désintoxication. Duff et moi étions toujours à ses côtés, mais nous savions
que ce n’était qu’une question de temps avant qu’il n’épuise la patience du
reste du groupe à son égard.
Pendant ce temps-là, les relations entre Axl et moi étaient redevenues
cordiales, et nous étions tous deux très excités à la pensée de travailler sur
un nouveau disque – visiblement, la saison de la pêche avait repris. Axl
savait que j’avais réussi à décrocher de l’héroïne et que j’étais bien décidé à
m’en tenir éloigné. Après plusieurs faux départs, Axl, Duff et moi avons
commencé à retrouver notre cohésion, et Izzy n’était pas loin derrière. Nous
étions tous heureux de le revoir quand il venait au Mates. Il n’était pas là
tous les jours : il venait deux jours, puis disparaissait un jour, mais ça ne
posait pas de problème. C’est extrêmement facile de s’entendre avec Izzy.
Il jammait avec Duff, Steven et moi sur quelques nouveaux morceaux,
et à ces instants, la vieille énergie revenait et tout devenait électrique et
excitant.
Nous nous sommes réunis chez moi, et nous avons composé plus de la
moitié des deux Illusion sur des guitares acoustiques, en exactement deux
nuits. Nous avons commencé par passer en revue des trucs qui dataient
d’avant et dont nous n’avions jamais rien fait. Nous avons dépoussiéré
« Back Off Bitch » et « Don’t Cry » ; nous avions « The Garden », un
morceau qu’Axl et Izzy avaient écrit avec West Arkeen. « Estranged » était
une chanson qu’Axl travaillait depuis longtemps au piano – il jouait et
rejouait les mêmes passages encore et encore, à Chicago et après ; il était
clair que le morceau prenait forme dans son esprit. J’avais commencé à
écrire des parties de guitare pour ce morceau quand nous étions à Chicago,
et il est venu tout seul une fois que nous nous y sommes vraiment mis.
« November Rain » était prêt depuis Appetite for Destruction, mais
comme nous avions déjà « Sweet Child O’Mine », la majorité d’entre nous
avait estimé que nous n’avions pas besoin d’une autre ballade. De plus, la
démo originale de ce morceau faisait environ dix-huit minutes, et aucun de
nous n’avait à l’époque envie de se battre avec en studio. C’était un
morceau qu’Axl cherchait à améliorer depuis des années, chaque fois qu’il
y avait un piano à proximité ; il était là depuis toujours, et il avait enfin la
place qu’il méritait. Axl avait été irrité quand Tom Zutaut nous avait
suggéré de le garder pour le disque suivant, parce que ce morceau avait une
grande importance à ses yeux. Il avait lâché l’affaire, mais il a très mal vécu
cette décision pendant des années.
Nous avions la trame de « Civil War » depuis notre première tournée en
Australie ; j’avais écrit les parties instrumentales et Axl avait écrit et revu
les paroles plusieurs fois, mais tout s’est mis en place quand nous l’avons
ressortie. « You Could Be Mine » était un autre morceau qui ne datait pas
d’hier : nous l’avions composé pendant les sessions d’enregistrement
d’Appetite et j’ai toujours eu le sentiment qu’il aurait dû figurer sur ce
disque, parce que des deux Use Your Illusion, c’est le morceau qui me
rappelle le plus cette époque.
Nous roulions notre bosse depuis un certain temps, mais en deux ou
trois nuits à Walnut House, toute la créativité à la base de notre alchimie de
groupe nous est revenue d’un coup : Izzy et moi avons apporté quelques
idées de base, et très rapidement, notre collaboration à tous a permis de les
transformer en chansons complètes. J’avais un morceau intitulé « Bad
Apples », fraîchement pondu à Chicago, ainsi que « Get in the Ring », dont
Duff avait composé la musique. Tout le monde a immédiatement sauté sur
ces morceaux, ainsi que sur le long riff heavy, semblable à un mantra, que
j’avais composé quand je vivais chez Izzy, et qui est devenu « Coma ». Ce
morceau durait huit minutes ; ce n’était qu’un motif répétitif qui devenait de
plus en plus mathématique et précis au fur et à mesure qu’il progressait. Axl
l’adorait, mais au départ, c’était le seul morceau pour lequel il n’arrivait pas
à trouver de paroles. Il était très fier de son talent de parolier, et cela l’a
beaucoup frustré… pendant plusieurs mois, jusqu’à ce qu’une nuit, les mots
lui viennent. Nous avons aussi mis la touche finale à un autre morceau
épique que j’avais commencé avec Izzy, intitulé « Locomotive ». Il y avait
aussi « Dead Horse », un morceau dont Axl avait écrit la partie de guitare et
les paroles des années avant de nous rencontrer. Duff nous a apporté « So
Fine », paroles et musique. En peu de temps, nous avons réalisé que nous
avons plus de morceaux que nécessaire pour un seul album. En quelques
sessions, nous sommes parvenus à donner forme à tout ce matériel,
rapidement et quasiment sans efforts.
Je ne voyais toujours pas pourquoi nous avions mis si longtemps, mais
il était clair que dès que nous avons pris le temps, mis de côté toutes nos
conneries et décidé de nous retrouver sans animosité, nous nous sommes
remis tout naturellement dans une ambiance de groupe.
Ce qui est drôle au sujet des deux Illusion, c’est qu’à part deux ou trois
morceaux, aucun titre ne comporte d’arrangements vraiment théâtraux,
parce que nous leur avons donné forme vraiment vite. Ceux que j’avais
apportés, comme « Locomotive » et « Coma », avaient tous leurs
arrangements dès le départ, quand Axl en avait écrit les paroles. À
l’exception des parties de piano épiques, le reste des morceaux était
vraiment simple et n’a pas nécessité beaucoup de travail. Nous n’avons pas
passé des après-midi entières à nous demander combien de fois ce pont
devait être joué dans tel morceau ou à concocter des accords compliqués
pour un break. Une fois que nous avons été réunis, un excellent état d’esprit
régnait au sein du groupe, qui se retrouvait pour la première fois depuis un
bout de temps. Nous nous entendions vraiment bien, et les choses étaient de
nouveau fun.
Bien sûr, la perfection n’existe pas. Ce qui est marrant c’est que chaque
fois que les choses se passaient bien, Axl leur redonnait toujours un peu
d’intérêt. Un des points sensibles de cette reformation a été qu’une fois tous
de retour sur les rails, Axl a voulu que l’on ajoute des claviers. Il voulait
embaucher Dizzy Reed, le claviériste de The Wild, le groupe de L.A.
quelconque qui répétait à côté de chez nous, quand nous habitions dans
notre entrepôt miteux, sur Sunset et Gardner. Dizzy était un type bien ; mais
je ne voyais pas pourquoi nous avions besoin d’un clavier dans les Guns.
J’étais farouchement contre, et j’avais le sentiment que cela diluait le son de
ce qui était déjà un super groupe de rock’n’roll. Il n’y a rien de mal avec le
piano ou le clavier, mais je suis de la vieille école et je n’ai jamais aimé le
son artificiel des synthés.
En revanche, Axl défendait passionnément l’évolution artistique que
devait suivre le groupe. Nos conversations ne devenaient jamais trop
enflammées, parce que nous faisions des efforts… mais parfois nous en
plaisantions, et il savait qu’aucun de nous ne voulait faire ça. Néanmoins,
même si j’y étais farouchement opposé, lui était pour.
Du coup, pour maintenir une bonne ambiance, j’ai fini par céder, avec
réticence, tout comme les autres. Il ne servait à rien de faire machine
arrière. Dizzy est devenu une pièce rapportée, et nous n’avons cessé de
l’asticoter. C’était un peu le Ronnie Wood de Guns N’Roses.
Ça a vraiment été le seul accroc sur le plan créatif. À mes yeux, la
composition des titres d’Illusion I et II ressemblait à ce qu’avait dû être une
session des Stones à l’époque : réunis dans une maison, dans les collines de
Hollywood, à bosser ensemble sur des idées. C’était bon d’être de nouveau
réunis, Izzy, Axl, Duff et moi, dans la même pièce. Et plus ou moins sobres.
Je veux dire, j’avais toujours un cocktail à portée de main, mais je ne levais
plus le coude à outrance. Mais c’était triste que Steven n’ait pas vraiment
été avec nous tout ce temps.
Comme je le craignais, il était devenu de trop. Lors des répétitions, Duff
et moi avions entrepris la tâche fastidieuse de nous occuper de lui. Si Axl
était conscient de la situation, ce n’était pas lui qui devait surveiller Steven
en permanence comme nous. Quant à Izzy, il ne voulait pas entendre parler
de tout cela. Steven devenait un fardeau de plus en plus lourd au fil des
jours.
C’EST QUAND NOUS AVONS COMMENCÉ À RÉPÉTER les nouveaux morceaux
que le château de cartes de Steven s’est écroulé. Mis à l’épreuve, il s’est
révélé complètement incapable : la plupart du temps, il perdait le rythme au
beau milieu du morceau ou oubliait carrément où il en était. Il était
incapable de se caler sur Duff ou moi comme il avait pu le faire. Ça
devenait critique ; il fallait faire quelque chose. Le groupe avait enfin
retrouvé son élan ; nous avions enfin composé de nouveaux morceaux et
nous devions entrer en studio et arrêter de stagner. Nous ne pouvions pas
nous permettre de lutter simplement pour aller au bout d’un morceau en
répète.
Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas été vraiment patients avec
Steven. Nous avons tout essayé, même si nous aurions probablement dû
aller plus loin… mais je ne sais pas bien ce que nous aurions pu faire. Nous
sommes allés jusqu’à faire intervenir des gens comme Bob Timmons, le pro
de la désintoxication qui avait aidé Mötley Crüe à décrocher, ainsi que
d’autres gens qui avaient l’habitude de gérer les cas extrêmes. Leurs efforts
ont été vains.
On nous a proposé de jouer au Farm Aid dans l’Indiana, le 7 avril 1990.
Ce concert nous a motivés, comme la première partie des Stones l’avait fait
peu de temps auparavant. Ce genre d’échéances rapides donnait vraiment
un coup de fouet au groupe, et tout se remettait en route, parce que lorsque
le groupe travaillait, nous étions pied au plancher.
Nous avons mis au point quelques morceaux, spécialement pour ce
show ; nous avons travaillé une reprise de « Down on the Farm », un
classique des U.K. Subs, et nous avons affiné « Civil War ». J’étais
vraiment excité d’aller là-bas et de rejouer tous ensemble, mais les choses
ont rapidement dérapé. Dès que nous sommes montés sur scène, Steven a
couru jusqu’à l’estrade de la batterie, une grande plate-forme difficile à
manquer, et a sauté. Je suppose qu’il comptait retomber à côté de sa
batterie, mais sa perception des distances et ses réflexes étaient visiblement
diminués, et il a manqué son but de plus d’un mètre. J’ai regardé la scène
comme au ralenti… c’était plus que gênant. Steven est allé tant bien que
mal au bout du concert, et notre prestation a été au mieux moyenne, mais le
public du Farm Aid nous a fait bon accueil. Nous savions tous ce qui
n’allait pas : nous avions perdu le tempo. Les Guns et Steven avaient un
certain groove, un rythme, et quand il n’y était plus, le groupe perdait de
son assurance parce que nous devions y aller à l’aveuglette. Ce n’était
absolument pas la manière de faire du groupe – il reposait sur une bonne
dose d’arrogance.
Steven n’aurait pas pu trouver une meilleure façon de nous avouer qu’il
mentait quand il disait être clean – même une confession en bonne et due
forme n’aurait pas été aussi parlante que son jeu lors de ce concert. Il était
évident que nous avions un vrai problème. Il se droguait, et s’était sans
doute drogué dans sa chambre une minute seulement avant d’aller à la salle
de concert. Après, il était toujours dans le déni, et aussi ouvert et cordial
qu’à l’accoutumée. C’était très bizarre et inconfortable de parler à un type
qui dit le contraire de ce qu’il pense, alors que vous le savez. Tout son
numéro puait l’hypocrisie.
À ce moment-là, il faut dire que s’il avait joué correctement, je ne pense
pas que quiconque se soit soucié de ce qu’il s’infligeait – en tout cas, pas
moi. Si vous êtes capable de gérer la musique et la drogue, tant mieux pour
vous. Ce n’est pas tant que nous nous préoccupions de la santé de Steven,
mais cela nous énervait que son accoutumance handicape ses performances,
et donc nous tous. Comme la basse et la batterie constituent la base de tout
groupe de rock, la situation était très préoccupante.
Le concert du Farm Aid a été le dernier que nous ayons fait avec lui. À
notre retour à L.A., l’état de Steven a empiré – je ne sais pas, peut-être
parce qu’il savait que la fin était proche, ou peut-être parce que l’héroïne est
un démon rusé. Il est encore passé par quelques tentatives pour décrocher,
mais qui ne duraient jamais très longtemps, entre vingt-quatre et quarante-
huit heures. La goutte d’eau a été lorsqu’on nous a demandé un morceau
pour « Nobody’s Child », un album caritatif au bénéfice des orphelins
roumains de la révolution de 1989. Nous avons estimé que ce serait un bon
lancement pour « Civil War ». Nous étions alors complètement coupés de
Steven. Lors de cette session, il était de son côté, et nous du nôtre. À la fin,
quand Mike Clink a voulu mixer le morceau, il s’est rendu compte qu’il
devrait faire un copier-coller des parties de batterie. C’était bien avant les
enregistrements numériques, Mike travaillait sur bande, et il a passé des
heures et des heures dans la salle de montage pour que le morceau tombe
juste, au niveau du tempo.
La fin approchait, et les choses se sont accélérées. La patience d’Axl
vis-à-vis de Steven avait disparu depuis longtemps, et nous avons eu une
réunion inévitable pour discuter de la situation ; soutenu par Alan, Axl a
insisté pour imposer à Steven un ultimatum écrit. C’était un contrat que
Steve a été obligé de signer, et nous pensions qu’au mieux, il allait prendre
peur et se calmer, et au pire, il signerait de ce fait son départ du groupe. Le
document était clair : il disait que si Steven venait aux sessions
d’enregistrement défoncé, il serait mis à l’amende. Au bout de trois fois, il
serait viré, ou quelque chose comme ça. Steven a signé, il a accepté tous les
termes du contrat, mais comme tous ceux qui sont en proie à l’héroïne, il a
ignoré toutes les promesses qu’il avait faites et a continué comme avant. Il a
fait un effort – il a essayé le Buprinex, mais il était trop faible pour
décrocher complètement de l’héro.
À mes yeux, j’avais l’impression qu’Axl n’aimait pas Steven. Steven
avait un enthousiasme délirant pour la batterie, le rock’n’roll et la vie en
général. C’était vraiment quelqu’un d’hyper fun. Mais il était aussi très
franc et très direct dans ses remarques à Axl ou à tout autre membre du
groupe. Souvent, son opinion heurtait frontalement Axl, ce qui n’était pas
dans la manière de faire d’Axl. Steven ne s’autocensurait pas, il disait
exactement ce qu’il pensait et ne prenait pas de gants. Duff et moi y étions
habitués, et nous prenions les remarques de Steven avec philosophie, de
sorte que nous arrivions à calmer le jeu. Mais Axl était plus chatouilleux
que nous, ce que Duff et moi pouvions aussi comprendre. Avec Axl, je ne
voulais pas ralentir le rythme en répétition ou en studio en lui reprochant
son retard ou autre chose. Mais Steven faisait immanquablement un
commentaire, ou une critique, et ça ne marchait jamais. Mais Steven n’était
pas un calculateur ; tout ce qu’il disait était toujours vrai ; c’était là une
conséquence innocente de sa personnalité. Malheureusement, vu
l’hypersensibilité émotionnelle d’Axl, je suis sûr que Steven l’a blessé plus
d’une fois sans même s’en rendre compte. Je vois très bien comment Steven
a pu énerver Axl sans le vouloir ; mais cela dit, je ne crois pas qu’Axl n’ait
jamais vraiment reconnu tout ce que Steven apportait aux Guns sur le plan
musical, et je pense que cet état de fait blessait Steven. Mais qui suis-je
pour dire ça ? Il y avait probablement autre chose, mais je ne peux pas me
prononcer.
Axl avait clairement fait savoir ce qu’il pensait de Steven lors de la pré-
production d’Appetite. Alors que nous étions sur le point de boucler le
disque, nous avions dû parler des droits d’auteur sur les morceaux. Nous en
avons parlé sur la scène du Studio Burbank, et quelqu’un a suggéré que, en
tant que groupe, nous partagions les royalties en cinq parts égales – vingt
pour cent chacun.
Axl a froncé les sourcils : « Il est hors de question que Steven touche
vingt pour cent, comme moi. Non, non, a-t-il dit. Je veux vingt-cinq pour
cent, et Steven aura quinze. C’est le batteur. Il ne participe pas autant que
nous à l’écriture des morceaux. » Et nous sommes donc parvenus au
compromis suivant : Axl a touché vingt-cinq pour cent ; Izzy, Duff et moi
vingt pour cent ; et Steven, quinze. Je crois que Steven en est resté blessé à
jamais.
Je ne sais plus très bien quand ça a commencé exactement, mais Steven
n’a pas mis longtemps à enfreindre les termes de l’engagement de sobriété
que nous lui avions fait passer, et une fois qu’il l’a fait, il a été cuit. J’ai eu
du mal à l’admettre, parce que, comme je l’ai dit, Steven n’a jamais eu la
force nécessaire pour décrocher facilement de ce truc – si tant est qu’il le
fasse un jour. Mais à ce moment-là, tout le monde avait essayé de l’aider –
ses copines, ses amis, les experts du management – et rien ne rencontrait
suffisamment d’écho en lui pour travailler sur ce problème. À cette époque,
le cas de Steven était inextricable, parce que même si j’aurais aimé lui
laisser le temps de se reprendre, si le groupe perdait son élan, cela aurait
signé notre perte. Nous avions des caractères trop changeants et trop
complexes, et maintenant que nous avions réussi à nous entendre, nous
avions une opportunité qui se présentait – mais qui risquait de ne pas durer.
Je ne pouvais pas nier que virer Steven de Guns N’Roses parce qu’il se
droguait était un peu ridicule et excessivement dur. C’était également d’une
hypocrisie rare. Quand on y pense, c’est presque comique : « Il s’est fait
virer de Guns N’Roses à cause des drogues ? Tu déconnes ? Comment est-
ce possible ? »
Tout ce dont je me souviens, c’est que quand j’ai revu Steven, c’était au
tribunal, parce qu’il nous a traînés en justice, ce qui semble aberrant. Il était
en si mauvais état que, quand il est allé aux toilettes au beau milieu de
l’audience, j’ai tout de suite compris ce qu’il allait faire. Il nous demandait
deux millions de dollars, à cause d’une faille dans son engagement de
sobriété. Il aurait dû avoir un avocat auprès de lui quand il l’avait signé, et il
n’en avait pas. Bien sûr, à cause de nos avoués, nous n’en savions rien. J’ai
reçu un choc quand j’ai découvert que Steven avait gagné son procès et que
nous avions dû lui verser deux millions de dollars.
Ça avait été difficile, mais au moins c’était terminé. Il était maintenant
temps de trouver un nouveau batteur.
CETTE TÂCHE FASTIDIEUSE A INCOMBÉ À DUFF, IZZY et moi. Nous nous
sommes installés à proximité du bureau d’Alan Niven, à Redondo Beach,
dans un petit studio de répétitions, et c’est là que j’ai réalisé, après le tout
premier jour d’auditions, que ça allait être foutrement difficile. Dans un
coin de ma tête, je me disais : « Bien sûr, n’importe qui sait jouer de la
batterie. » C’est ça… Nous nous imaginions tous les trois qu’il serait facile
de trouver un remplaçant, puisque nos chansons étaient toutes en 4/4 assez
basique, avec peu de changements de rythme – était-ce si compliqué ?
Après tout, si nous nous en étions sortis avec Fred Curry quand Steven
s’était blessé, nous étions assez optimistes. Mais après quelques jours
affreux au cours desquels nous avons essayé de jouer avec des candidats
absolument inadéquats, nous avons réalisé à quel point nous étions naïfs. La
manière dont joue un batteur implique un sentiment tellement personnel du
rythme et de ses nuances que cela influe sur toute l’atmosphère de la
chanson – et de tout le groupe auquel il donne le tempo.
Nous avons laissé tombé Redondo Beach et sommes retournés au
Mates, où nous avons entrepris une quête plus approfondie. Nous avons
essayé Martin Chambers des Pretenders, qui est un super batteur et un type
formidable, mais nous aurions dû nous douter que ça ne marcherait pas à
l’instant où il est entré avec l’énorme batterie tentaculaire qu’il utilisait dans
les Pretenders. C’était un kit plus, comment dire ? plus fantastique, je ne
trouve pas d’autre mot, qu’un kit de base. Ce truc avait des mâts arrondis
au-dessus, d’où pendaient des cymbales – c’était tout simplement ridicule.
Il l’a installée tandis que Duff s’accordait et se préparait à jouer un peu avec
lui ; Duff était en première ligne. Le batteur et lui devaient fonctionner
ensemble, c’était la première chose – dans le cas contraire, ce n’était même
pas la peine qu’Izzy et moi prenions notre guitare.
J’étais aux toilettes, assis sur le trône, un magazine à la main, quand
Martin et Duff ont commencé à jouer, et en écoutant à travers la porte, je
me suis dit : « Oh putain. » Ce que j’étais en train de faire me passionnait
plus que ce que j’entendais alors, ce qui suffit à démontrer que ce n’est pas
parce qu’on met deux super musiciens dans la même pièce qu’ils vont avoir
un super son tous les deux. Faire de la bonne musique est bien plus
compliqué ; c’est une question d’alchimie et d’harmonie entre les styles des
musiciens. C’est beaucoup plus compliqué que la simple somme des
parties ; c’est plutôt comme créer le monstre de Frankenstein : il faut de
l’ingéniosité… et un éclair.
Quand je suis ressorti des toilettes, Duff jouait toujours, mais il m’a
adressé un regard éloquent, donc inutile de dire que Martin n’a pas fait
l’affaire. Nous étions baisés, parce qu’à ce moment-là, Martin était notre
meilleur atout, au bas d’une courte liste que nous avions déjà presque
entièrement passée en revue. Il faut mettre au crédit de Steven, même si
beaucoup l’ignorent, que le feeling et l’énergie d’Appetite viennent en
grande partie de lui. Il avait un style de jeu inimitable qui ne pouvait pas
vraiment être remplacé, une légèreté presque juvénile qui donnait au groupe
son étincelle.
Soudain, l’élan que nous avions retrouvé depuis quelques mois
retombait au point mort, et même si je n’en montrais rien, je paniquais. Je
me disais : « Ça y est, on est cuit. » J’étais persuadé que Guns N’Roses
allait se séparer parce qu’on n’arrivait pas à trouver de batteur. Et je me
demandais ce que j’allais bien pouvoir faire de moi si cela se produisait.
AU COURS DE CETTE PÉRIODE, DUFF ET MOI ÉTIONS quasiment inséparables.
Il avait rompu avec Mandy, et du coup nous sortions quand le groupe ne
bossait pas – la plupart du temps, au Bordello’s, un club appartenant à Riki
Rachtman, l’ancien fondateur du Cathouse. C’était un endroit formidable,
avec une petite salle au fond où se produisait un groupe de blues, et je
finissais généralement par jouer quelques morceaux avec eux. C’était un
endroit vraiment sympa – on y allait pour boire et jammer. Mais il faut bien
admettre que, même quand on est célèbre et que tout le monde vous adore,
au bout d’un moment, ce genre d’endroit, ou n’importe quel genre
d’endroit, devient un peu pathétique, morne et monotone. Quand on l’a fait
deux fois, peut-être trois, ça devient lassant. Aujourd’hui encore, les clubs
rock de Hollywood ne m’attirent pas ; tout est là, et même si les temps et les
styles ont évolué, c’est toujours la même chose. Si vous venez de donner un
concert et que vous voulez décompresser un peu, c’est génial, mais si vous
voulez simplement vous balader en ville, c’est un cliché de la vie que tous
les gosses s’imaginent pouvoir vivre quand ils seront devenus des rock-
stars. Ce n’est pas le genre de mirages auquel je veux être associé.
Ce que je veux dire, c’est qu’en général, je préférais rester à la maison,
boire toute la journée, jouer de la guitare et composer. Je ne vivais pas en
reclus comme je le faisais sous héro, mais dans mon esprit, j’étais passé en
mode « boulot », et du coup sortir et rencontrer du monde étaient bien les
dernières choses auxquelles je pensais – j’étais décidé à être productif et à
amener le groupe au niveau supérieur. Un soir, Duff m’a convaincu d’aller
dans cet endroit, Peanuts, pour jammer avec ce bon petit groupe de blues, et
c’est là que nous avons fini par discuter avec cette fille, Pilar, qu’il avait
branchée. Pilar était une nana sexy du Moyen-Orient ou d’origine latine – je
ne sais pas. Elle était avec une amie à laquelle j’ai à peine parlé, et qui
s’appelait Renee. Et Renee avait cette attitude « trop belle pour toi » ; elle
gardait la tête haute, avec un regard hautain. Elle était vraiment belle et elle
le savait, et tout cela m’a attiré comme un rayon magnétique, parce que
toute fille qui risquait de rendre ma vie foutrement compliquée, toute fille
inaccessible, devenait dans mon esprit la fille à conquérir. Pour citer la
phrase célèbre de Lemmy Kilmister : « La chasse vaut mieux que la prise. »
Renee n’éprouvait aucun intérêt pour ce que je faisais ou pour la célébrité
qui allait avec ; elle n’avait rien d’une fan de rock, même avec de
l’imagination.
C’était un mannequin qui voulait devenir actrice, et elle était très
indépendante. En quelques semaines, j’avais abandonné Walnut House et je
vivais chez elle à plein temps. Elle avait un super endroit que son père lui
avait acheté, avant de mourir, à Valley Vista – je crois que l’endroit ne
contenait qu’une kitchenette, un lit et un canapé. Voici comment nous
occupions nos journées : le matin, je me levais, et restais couché par terre à
boire de la vodka et à fumer jusqu’à ce qu’elle se lève. Elle allait faire ce
qu’elle avait à faire ce jour-là, moi aussi de mon côté, et telle était notre vie.
Je regardais beaucoup d’émissions culinaires : Le Gourmet Galopant, Les
Grands Chefs d’Orient et d’Occident, et la chaîne Cuisine. Ça a été le début
d’une obsession qui dure toujours pour les émissions culinaires, même si,
aujourd’hui encore, je ne cuisine pas du tout. Le soir, nous nous faisions
livrer à manger.
Voilà comment se passait ma vie à la maison. Et pendant ce temps-là,
nous étions toujours en quête d’un batteur.
MÊME SI NOUS AVIONS ÉPUISÉ TOUTES LES POSSIBILItés rationnelles, j’étais
l’un de ceux qui ne voulaient pas que cette chasse au batteur mette fin au
groupe. Duff, Izzy et moi nous sommes creusés les méninges. Nous avons
passé en revue les meilleurs batteurs que nous avions vus récemment, mais
personne d’adéquat ne nous venait à l’esprit… jusqu’à ce qu’un soir, j’aie
une illumination. Je me suis rappelé avoir vu The Cult quelques mois plus
tôt, à l’Universal Amphitheater, et avoir été sidéré par leur batteur. Il était
foutrement incroyable ; j’étais derrière la console de son, et j’avais été
complètement captivé par son jeu. Je n’avais même pas prêté attention au
reste du groupe, de tout le concert. Son jeu était extrêmement précis, il avait
un son d’une présence incroyable, large, grandiose, asséné avec une autorité
pleine d’intensité. Dès qu’il m’est revenu à l’esprit, je n’arrivais pas à croire
que j’avais dû me taper autant d’auditions merdiques avant de réaliser que
je connaissais le type idéal.
Mike Clink, notre producteur, avait déjà travaillé avec Matt Sorum, le
batteur en question, auparavant, et je l’ai donc appelé immédiatement pour
lui laisser un message. Un peu plus tard, j’étais légèrement soûl, allongé sur
le dos, la tête pendante hors du lit de Renee, à regarder le téléphone posé
par terre en attendant qu’il sonne. Il a fini par le faire. J’ai immédiatement
décroché.
« Allô ? » a dit Mike, avec sa voix douce habituelle.
« Hé, c’est Slash », ai-je dit. « Dis donc, écoute, tu connais ce batteur,
de The Cult ? On a besoin d’un batteur, et j’ai vu ce type, et il est génial, et
je voudrais savoir s’il est disponible. »
« Eh bien, je ne sais pas », a répondu Mike. « On va l’appeler. »
« OK, c’est ça. »
En début de soirée, le téléphone a sonné de nouveau. « Slash », a dit
Mike. « Voilà ce que j’ai appris. Il est possible qu’il soit disponible. Tu as
un stylo ? J’ai son numéro. »
Je n’avais pas beaucoup bougé, ce jour-là ; j’attendais cet appel, j’étais
concentré dessus, parce que je savais que ça allait marcher. J’ai noté le
numéro sur les draps, le mur ou ma main, je ne sais plus bien.
J’ai composé le numéro et Matt a décroché.
« Allô ? »
« Salut, c’est Matt ? Slash à l’appareil », ai-je dit. « Je joue dans Guns
N’Roses et on cherche un batteur. Ça t’intéresse ? »
Deux jours plus tard, Matt est venu répéter, et en deux ou trois
morceaux, Duff, Izzy et moi avons compris que nous avions trouvé notre
homme. Nous avions dégoté un musicien qui avait un feeling inné bien à
lui, à la fois en phase avec nous et avec un style personnel. Il avait la
puissance, la technique, et l’attitude requises pour combler ce vide – et
ajouter au son du groupe, tel qu’il était sur le point d’évoluer.
Il me semble que Duff et moi avons emmené Matt à l’extérieur pour lui
demander s’il voulait se joindre à nous – je ne sais plus où, sans doute au
Rainbow – mais nous sommes sortis ensemble, nous avons bu et pris
quelques rails, ce genre de trucs. Il s’est tout de suite intégré. Il hallucinait ;
c’était le genre de situation dont rêve tout musicien en activité. C’était le
plan idéal pour un vrai musicien de rock’n’roll. Après avoir passé la soirée
avec Duff et moi, il était clair que Matt pensait que Guns N’Roses était le
plus grand groupe de la planète ainsi qu’une bande de fêtards acharnés. Le
salaire était plus que correct, et il n’y avait pas de règles, sauf une : tout ce
que tu as à faire, c’est bien jouer.
Mais Matt a dû apprendre un paquet de trucs très vite. Nous avions les
démos de trente-six morceaux que nous voulions enregistrer sur les albums.
Comme ces cassettes n’étaient pas vraiment suffisantes, Duff, Izzy et moi
avons dû tout lui apprendre en un laps de temps raisonnablement court, et
de ce fait, nous avons tous dû devenir très professionnels très rapidement. Il
y avait pas mal de remords, du moins pour ma part, et sûrement aussi chez
les autres, après le départ forcé de Steven ; mais quand Matt est arrivé, il a
insufflé une nouvelle vie à l’ensemble. Il y avait maintenant une lumière au
bout de ce tunnel qui, pendant longtemps, avait semblé ne jamais devoir
finir.
QUELQUES AUTRES ÉVÉNEMENTS ONT EU LIEU DUrant cette période pendant
laquelle les Guns se démenaient pour revenir à flot – nous avons fait
quelques apparitions remarquables. Parmi elles, la soirée où Duff et moi
avons accepté notre American Music Award (AMA), au nom du groupe,
pour le Meilleur Album de Rock. Je n’avais jamais prêté attention aux
Grammys, aux AMA ou à ce genre de trucs ; je n’avais jamais regardé ces
émissions à la télé et ne m’étais jamais activement intéressé à cela. Mais
Duff et moi y sommes allés quand même – surtout pour les boissons – et
nous n’avions pas réfléchi qu’être sélectionné signifiait qu’on pouvait peut-
être gagner quelque chose, et que si on gagnait, il faudrait monter sur scène
et dire quelques mots – au public, mais aussi aux téléspectateurs, chez eux.
À ce moment-là, je sortais avec Renee et Duff sortait avec Pilar, et les
AMA étaient un événement auquel il nous fallait amener nos copines. Là-
bas, ils ne servaient que du vin, et nous en avons bu au moins huit grands
verres chacun. Le tout était assez ennuyeux et guindé. Nous étions assis à
discuter, quand tout à coup, Guns N’Roses a été appelé parce qu’Appetite
avait gagné le prix du Meilleur Album de Rock. Nous étions sidérés. Le
projecteur s’est braqué sur nos fauteuils, et nous avons titubé jusqu’à la
scène. Quand j’ai réalisé que nous avions gagné, j’ai voulu remercier tout le
monde, alors j’ai remercié Zutaut, Niven, tout le monde chez Geffen, le tout
en lâchant d’innombrables « putain » à cause du vin et de ma nervosité. Je
n’avais aucune idée du protocole à respecter dans ce genre de cérémonies.
Bref, je n’avais cité que quelques noms quand ils ont coupé le micro. J’ai
continué à parler une seconde, avant de réaliser que je n’avais plus de son.
On nous a escortés hors de scène pour prendre quelques photos et tenir une
conférence de presse. J’étais sonné, je m’amusais, et j’ai fait un doigt
d’honneur à tout le monde.
Le lendemain, je n’ai entendu parler que de cette histoire aux AMA. J’ai
été estomaqué par toute cette polémique, parce qu’aujourd’hui encore, cet
incident ne me semble pas très grave. Mais c’est de ma faute si aujourd’hui,
on a instauré un décalage de sept secondes dans les retransmissions en
direct des remises de prix ; et Dick Clark a mis huit ans avant de m’adresser
de nouveau la parole. Je n’ai pas eu le droit de reparaître aux AMA
jusqu’en 2006, quand on m’a demandé de remettre un prix.
Ce n’était pas fait exprès, mais cela a au moins fait passer un message
aux gens : l’esprit des Guns était bel et bien vivant.
DE RETOUR EN STUDIO, NOUS AVIONS TRENTE-SIX morceaux, ce qui était plus
qu’assez pour faire un double album. J’aurais voulu sélectionner les douze
meilleurs parmi ces trente-six, et les ciseler à la perfection, mais j’ai laissé
tomber parce que tant qu’on avançait, j’étais content. Axl voulait qu’on
enregistre les trente-six et qu’on s’oriente vers un double album. Il ne
voulait pas s’asseoir sur ces titres. Je pouvais le comprendre : plusieurs
d’entre eux étaient déjà vieux à cette date – ils avaient été écartés du dernier
album, et certains étaient encore plus vieux. De plus, il y avait un paquet de
nouveaux morceaux qui illustraient bien où nous en étions à ce moment-là.
Je parle peut-être a posteriori, mais le consensus général était de faire table
rase et de sortir tout ce que nous avions. Toutes ces chansons ensemble
représentaient quelque chose d’important : le passé et le présent du groupe.
Cela avait été un incroyable voyage, et la seule manière d’en rendre
compte, c’était cette matière.
Matt était génial ; il était très proche de Duff et moi ; Izzy était là, mais
pas comme d’habitude. Il était dorénavant sobre à cent pour cent, mais il
était aussi devenu très anti-alcool et très anti-drogue. Quand Izzy a
rencontré Matt, ils se sont bien entendus, mais il avait l’impression que la
décision avait déjà été prise : il était d’accord, mais je crois qu’Izzy a eu le
sentiment qu’on lui avait forcé la main – et il détestait ça. Izzy est toujours
resté fragile, entre le moment où il est revenu dans le groupe jusqu’au jour
de son départ, et rétrospectivement, je me dis que ce changement de
personnel ne lui a sans doute pas beaucoup plu. Quand nous répétions, nous
étions tous là, le groupe au complet, mais quelque chose manquait. Izzy
n’était pas heureux… mais il ne disait rien, et Axl avait pris ses distances
avec le fonctionnement au jour le jour du groupe ; tant que nous avions un
batteur et que tout le monde était là et jouait ensemble, il se disait que tout
allait bien et que nous étions prêts à avancer.
Le premier titre que nous avons enregistré avec Matt était « Knocking
on Heaven’s Door », pour la BO du film Jours de Tonnerre (qui s’est aussi
retrouvé sur Illusion II). Je me souviens que j’ai fait le solo de ce morceau
alors que j’allais partir quelque part, et que j’ai utilisé une Gibson Explorer
58. Ça a été une prise incroyable, je suis rentré en vitesse dans le studio
avec ma copine et quelques potes, j’ai chopé ma guitare et j’ai laissé ce solo
chanter : j’ai baissé le son sur les basses, je me suis branché, et j’ai laissé
couler. J’adore ce que rend ce solo – il est plein d’émotion, mais ne m’a
demandé aucun effort.
« Knocking on Heaven’s Door » était aussi le premier morceau que
nous pouvions écouter afin de nous faire une idée du nouveau son du
groupe avec notre nouveau batteur. L’ensemble rendait très bien, mais il y
avait une nette différence, dans l’impression globale, entre les anciens Guns
et les nouveaux Guns. Nous avions perdu un peu de notre pagaille punk
rock, ce côté fait à l’arrache, brut et chaotique. Maintenant, nous avions un
son plus épique, plus solide, plus ample. C’était une bonne ou une mauvaise
chose, selon la personne à qui vous vous adressiez. Moi, j’étais simplement
content d’avancer.
L’étape d’après a été l’entrée en studio, et Matt a appris les trente-six
morceaux à une vitesse phénoménale, tout simplement en les jouant avec
nous, puisqu’il n’y avait pas d’autre support disponible. Nous avons réservé
le A&M à Hollywood et avons enregistré trente-six morceaux en trente-six
jours. Entre les prises, nous allions au Crazy Girls, un club de strip-tease de
l’autre côté de la rue, qui a malheureusement disparu. Le soir, nous allions
faire la fête, puis nous revenions le lendemain dans l’après-midi et nous
recommencions avec un nouveau morceau. Ça a été trente-six jours
formidables, au cours desquels Duff et moi avons découvert que Matt
n’était pas seulement un incroyable batteur, mais aussi notre nouveau
compagnon de débauche. Avant que cette histoire de drogue ne parte en
vrille et avant l’incident avec Steven, nous avions eu quelques périodes très
sombres, mais nous les avions surmontées : désormais, nous étions des
alcooliques tout à fait opérationnels et nous prenions de la coke à
l’occasion. En fait, je me demande si les occasions n’étaient pas plus
fréquentes que ça – Matt et Duff se faisaient énormément de lignes. Je n’en
prenais pas autant, mais peu importait parce que, comme eux, j’avais élevé
mon seuil de tolérance à n’importe quoi, au point que nous étions devenus
un groupe parfaitement productif, grâce aux substances, et très
professionnel.
Je sortais et me baladais beaucoup plus, également, à cette époque. Duff
et moi avons rencontré Iggy Pop lors d’un moment de battement, et il nous
a demandé de jouer sur Brick By Brick. Nous sommes allés le retrouver au
Rainbow, et là nous sommes montés dans sa voiture écouter les démos, et
c’était super cool. Iggy est le héros ultime de Duff, et de mon côté, j’avais
déjà un petit passé commun avec lui à cause de Bowie – ma mère et lui
étaient allés rendre visite à Iggy dans l’aile psychiatrique de l’hôpital
Cedars. Nous sommes allés à Hollywood et avons gravé quelques titres
avec lui : « Home Boy », « Pussy Power » et une chanson co-écrite par Iggy
et moi, « My Baby Wants to Rock N’Roll ». C’était une des sessions les
plus marrantes que j’aie jamais faites. Peu après, nous l’avons aussi rejoint
pour le clip de « Home Boy ».
C’était vraiment un honneur pour nous, et un autre signe que les Guns
revenaient sur le devant de la scène et qu’on nous prenait au sérieux en tant
que musiciens. Les gens voulaient nous voir, purement et simplement. À ce
moment-là, en 1990, Appetite et Lies étaient devenus d’énormes succès
commerciaux. Ce regain d’attention a également braqué les projecteurs sur
moi, le guitariste, ce qui s’est traduit par quelques appels au bureau de notre
manager. J’étais flatté de découvrir que d’autres musiciens commençaient à
me considérer comme un assez bon guitariste.
Une des collaborations que j’ai réalisées à cette époque a été avec
Lenny Kravitz. Je le connaissais déjà : nous avions tous deux fréquenté le
lycée de Beverly Hills au même moment, et même si j’étais en rattrapage
alors qu’il suivait un cursus traditionnel, nous étions, à ma connaissance, les
deux seuls musiciens métis de l’école. Duff et moi étions fans, et notre
album préféré du moment était le premier disque de Lenny, Let Love Rule.
Quand on nous a présentés lors d’une remise de prix quelconque, j’ai été
extatique quand il m’a demandé de jouer sur son prochain album, Mama
Said, qu’il était en train de composer. Peu de temps après, nous nous
sommes retrouvés dans un petit studio sur Robertson à L.A., et j’ai
enregistré le solo de « Field of Joy ». Le même jour, tandis que je
m’échauffais dans le salon, j’ai joué un riff de guitare funky que j’avais
récemment trouvé, mais que je n’arrivais pas à placer dans les morceaux
des Guns sur lesquels je travaillais à l’époque. C’était juste un échauffement
comme un autre, à ce moment-là.
« Hé, mec, qu’est-ce que c’est que ça ? » m’a demandé Lenny.
« Je ne sais pas… Un truc comme ça », ai-je dit. « C’est trop funky pour
les Guns, mais je l’aime bien. C’est cool. »
« Ouais, mec. Ne le perds pas. Apporte-moi ça en salle de répète », a-t-
il dit. « On va bosser dessus. J’aimerais mettre quelques paroles là-dessus. »
Quand le moment est venu de composer et d’enregistrer ce morceau,
Lenny m’a fait venir à New York en avion. Il vivait à Manhattan, mais il
s’était installé dans un studio de l’autre côté du fleuve, à Hoboken, dans le
New Jersey. C’était là qu’il avait enregistré son premier album, et c’était là
qu’il faisait les premières prises pour le prochain. Nous sommes allés là-bas
en train depuis son appartement, et il a joué de la batterie tandis que je
posais les parties de guitare de ce qui deviendrait « Always on the Run ».
C’était vraiment sympa, très brut et dépouillé, et c’est comme ça qu’il faut
que ce soit. Ce morceau n’est pas très compliqué, mais il avait un super
son ; il a enregistré la basse et la voix plus tard. Le studio était un peu le
château de Lenny : tous les instruments étaient à leur place – il pouvait
passer de la guitare, à la basse puis à la batterie en un clin d’œil et
enregistrer ce que lui dictait son inspiration.
J’avais emmené Renee avec moi pour ce voyage, et nous résidions en
ville, dans un hôtel à proximité de chez Lenny ; nous avions passé la soirée
précédente, un samedi, à faire une bringue d’enfer. C’était l’été, il faisait
une chaleur infernale, et quand je suis arrivé chez Lenny dimanche matin,
j’ai découvert qu’à cause d’une loi antédiluvienne appelée « blue law »
dans le code de New York, aucun bar et aucun magasin de spiritueux
n’étaient ouverts.
Ce n’était pas exactement de cette façon que j’envisageais notre
collaboration, et cela risquait de poser problème. Je me revois dans
l’appartement de Lenny, en train d’attendre qu’il ait fini de se préparer.
C’était comme si la plus grande réserve de vêtements vintage du monde
avait explosé dans l’appartement : il y avait des habits partout, sur toutes les
surfaces possibles. Il était dix heures du matin, j’étais en train d’assimiler
tout ce que je voyais, et j’aurais tué pour un verre.
« Hé, mec, tu aurais quelque chose à boire ? » ai-je demandé.
« Non, mec, je ne crois pas », a dit Lenny. « Tu veux fumer un
pétard ? »
« C’est cool. Par contre, je boirais bien un verre », ai-je dit. « On pourra
s’arrêter dans un bar ou dans une boutique sur le chemin ? »
« Je ne sais pas, mec », a-t-il dit. « Je ne pense pas. Tout est fermé, le
dimanche. »
« Ah ouais ? » ai-je dit, de plus en plus nerveux. « Et tes voisins, ils
n’auraient pas un truc à boire ? J’ai besoin d’un verre, mec. »
Lenny a fait de son mieux ; il s’est procuré un dé à coudre de vodka
auprès de son voisin. Je l’ai vidé, mais c’était l’équivalent d’un sparadrap
sur une blessure par balle. Quand nous avons embarqué dans le train PATH
pour Hoboken, pour un trajet d’une vingtaine de minutes, j’ai commencé à
souffrir du manque d’alcool : mes mains tremblaient, j’avais la tête qui
tournait, j’étais irritable et inquiet. Nul mystère là-dedans – j’avais
simplement besoin d’un verre, putain, et tout de suite. Mes réserves de
politesse se tarissaient elles aussi de plus en plus.
« Hé, Lenny, mec, il faut qu’on trouve de la vodka tout de suite », ai-je
dit. « Je ne pourrai pas jouer si je n’ai pas à boire, putain. »
Lenny n’avait pas trop de mal à me comprendre, je suppose : il avait
besoin de son herbe pour créer et composer de la musique – la seule
différence était que son corps ne dysfonctionnait pas s’il en manquait. Sur
le chemin, tous les bars que l’on croisait avaient l’air fermés depuis 1955.
Quand nous sommes arrivés au studio, Lenny a envoyé ses gens à la
recherche d’alcool. Je ne sais pas comment ils ont fait, mais ils sont revenus
vers midi avec de la vodka, et quand ça a été fait, nous nous sommes mis au
travail. Nous avons enregistré « Always on the Run » en moins d’une
heure ; l’énergie brute et spontanée de ce morceau est palpable dans le
produit fini.
L’ENREGISTREMENT DÉFINITIF DES GUITARES ET DES voix pour les deux
Illusion a eu lieu au Record Plant de Los Angeles. Ça a été une super
période pour moi en tant que guitariste – nous avions tellement de
morceaux et tellement de sons et de techniques possibles dans ces nouvelles
chansons. À cette époque, j’étais vraiment au sommet de mon art ; je faisais
facilement sortir tous les sons que je voulais, et tout me venait avec une
extrême facilité durant ces sessions. J’avais aussi des chouettes guitares à
ma disposition, parce que, pour la première fois de ma vie, j’avais les fonds
pour en réunir un véritable arsenal.
À l’époque, j’avais une Gibson Flying V de 1958, une Gibson Explorer
de 1958, quelques Travis Bean, un assortiment de guitares acoustiques –
Martin, Gibson, Taylor, etc. J’avais une super acoustique espagnole
flamenco, deux ou trois Dobros et quelques Les Paul vintage, sans compter
mon inséparable copie de Les Paul avec ses micros Seymour Duncan.
J’avais loué beaucoup de guitares, mais je me suis servi d’une Les Paul sur
la plupart des morceaux. À certains moments, j’avais besoin d’un Travis
Bean, en général quand je faisais beaucoup de slide (« The Garden »), ou un
Dobro (« You Ain’t The First »), comme aussi quand je devais utiliser un
vibrato (« You Could Be Mine »). Ça a été une expérience très gourmande
en guitares pour moi (j’ai même emporté vingt guitares avec moi en
tournée) ; j’étais décidé à toutes les utiliser, bien déterminé à ce que toutes
ces sonorités figurent sur notre nouvel album, sous quelque forme que ce
soit. J’avais trente-six morceaux à jouer – ce qui signifiait que j’allais
passer deux semaines à m’occuper des parties de guitare. J’étais au
septième ciel, complètement absorbé par mes guitares, tout à fait dans mon
élément. C’était génial, la pièce avait un son génial, et j’adorais le personnel
du Record Plant.
Pendant l’enregistrement de Illusion I et II, un événement a fait
beaucoup de bruit, le jour où il y a eu un grand remue-ménage dans l’allée.
On a appris ensuite que les flics avaient découvert un bras et une tête dans
la benne derrière le studio. Tout ce que je sais, c’est que nous n’étions pas
responsables, mais Izzy s’est servi de cet incident dans les paroles de
« Double Talking Jive ». Et j’ai pu faire une super partie flamenco sur ce
morceau, ce qui était vraiment un grand moment. Ce morceau avait aussi un
solo électrique très cool, qui évolue en un groove flamenco à l’acoustique.
Quelques titres comportaient des parties de guitare vraiment intenses,
sur ces albums. « Estranged » était une grande chanson, longue. Je me suis
servi dessus d’une Les Paul Gold Top. J’ai enregistré toutes les mélodies
avec le micro rythmique, que j’avais baissé à fond. « November Rain » était
compliquée aussi, ainsi qu’une autre chanson d’Axl, « Breakdown ». Dans
ces chansons, c’était le piano qui dominait, et il fallait trouver un
accompagnement ; les parties de guitare et de basse devaient être mûrement
réfléchies et exécutées avec précision. Ces chansons étaient toutes très cool,
je dois dire, mais elles m’ont demandé du boulot.
« November Rain » a été enregistrée en une journée, mais nous avons
travaillé de longues heures en amont pour fignoler tous les arrangements.
Le plus drôle, c’est que le solo de guitare qu’on entend sur le disque est
exactement le même que celui que j’avais joué la première fois que j’avais
entendu le morceau, des années auparavant. C’est récurrent chez Guns
N’Roses : quasiment tous les solos du disque sont exactement les mêmes
que ceux que j’ai joués la première fois que je m’y suis mis. C’est
simplement comme cela que je ressentais la chanson chaque fois qu’on en
arrivait là. Et tout au long de l’histoire du groupe, quand nous jouions les
morceaux en concert ou sur disque, mis à part quelques notes ici et là, mes
solos, qui ont toujours mis en avant la mélodie plus que l’esbroufe pure et
simple, ont toujours été composés des mêmes séries de notes que
j’entendais dans la musique dès le début. Au final, il y avait toujours une
certaine familiarité que je retrouvais avec plaisir chaque fois que nous
jouions ces morceaux et en arrivions aux solos.
Bref, « Breakdown » a été très compliqué à enregistrer, parce qu’il
fallait placer parfaitement les parties de batterie et de guitare au studio
A&M, ainsi que les variations tarabiscotées au piano. La chanson est
complexe, et même si le résultat final laisse croire que l’on s’est bien amusé
en l’enregistrant, nous étions très concentrés quand nous nous sommes mis
au travail. La chanson a été difficile pour Matt surtout – il a pété les plombs
deux ou trois fois en essayant de jouer à la perfection ses parties de batterie.
Comme je l’ai dit, nous faisions une chanson par jour – mais certains jours
étaient plus longs que d’autres.
Nous avions des morceaux tarabiscotés, nous avions des morceaux
complexes, et je crois que seuls les groupes comme Metallica faisaient
quelque chose qui ressemblait à notre travail. Ils s’étaient vraiment
concentrés sur les changements de rythme et ce genre de choses sur le Black
Album, et je ne sais pas comment ils procédaient, mais nous, nous
établissions la trame du morceau avant de nous mettre à jammer dessus. Si
nous commettions une erreur ou parvenions à un vrai déraillement, nous
recommencions, et en général, nous y arrivions assez rapidement. À ce
moment-là, tous les membres du groupe avaient une capacité de
concentration limitée, et personne ne voulait passer trop de temps sur la
même chose. Nous pouvions passer plusieurs jours à mettre au point les
arrangements, mais une fois que nous avions décidé d’enregistrer, nous
jouions le morceau en entier une fois, et puis c’était pour de vrai, la lumière
rouge s’allumait. Tout le monde savait qu’il faudrait faire des overdubs de
guitare et enregistrer les voix plus tard, mais pour les pistes de guitare, de
basse et de batterie, toutes ces premières prises devaient être les bonnes.
Personne ne voulait se ridiculiser en nous obligeant à recommencer encore
et encore, en attendant qu’il y arrive. C’est comme ça, quand on a de bons
musiciens, une bonne alchimie… les bonnes personnes, tout simplement,
dans un putain de bon groupe.
Les Guns ont investi le Record Plant. C’était du luxe, à n’en pas douter,
mais nous avions beaucoup de travail à accomplir, et nous étions vraiment,
vraiment heureux d’être Guns N’Roses. J’enregistrais les parties de guitare
dans un studio, et Axl avait plus ou moins transformé le deuxième studio en
appartement, parce qu’il avait décidé qu’il travaillerait davantage s’il
habitait sur place. Il avait apporté ses appareils de musculation, ainsi qu’un
lit et des canapés – c’est devenu une salle de repos améliorée, où lui et son
entourage pouvaient être à l’aise. Il y avait vraiment beaucoup d’allées et
venues au Record Plant, à cette époque.
À mon avis, rien de tout cela ne nous faisait travailler plus vite. Mais
pendant l’enregistrement des deux Illusion, il y avait une ambiance très
bohème, dans l’esprit des sixties, au sein du studio ; l’association de nos
amis – musiciens et autres – et de nos autres connaissances formait une toile
de fond très cool. Toutes les nuits, j’enregistrais des parties de guitare dans
un studio, tandis qu’Axl enregistrait les voix dans un autre, entouré d’un
assortiment de personnalités intéressantes, qui participaient d’une manière
ou d’une autre. Shannon Hoon, de Blind Melon, venait souvent, parce qu’il
connaissait Axl depuis longtemps, à l’époque où il vivait dans l’Indiana ;
c’est lui qui a fait les chœurs sur « Don’t Cry », ce qui ajoute de la
profondeur à ce morceau.
Le plus gros changement au sein du groupe, à part le remplacement de
Steven par Matt, c’était l’omniprésence des claviers et des synthétiseurs.
Axl avait introduit une ligne de synthé hurlante dans « Paradise City » à
l’époque d’Appetite. C’est là que tout a commencé, je suppose, et j’y étais
opposé aussi. Comme je l’ai dit, sur les deux Illusion, Axl voulait qu’il y ait
du piano et des synthés en quantité. Après avoir enregistré les pistes de
base, après avoir enregistré mes parties de guitares, quand ça a été à Axl
d’enregistrer ses voix, il a passé beaucoup de temps à ajouter des pistes de
synthétiseur. On aurait dit un gosse dans un magasin de bonbons, avec tous
les sons de claviers qu’il avait installés dans le studio. Il restait là des
heures, à essayer de trouver le son idéal pour une section de chanson, alors
qu’attention, ce type n’était pas défoncé, il n’était pas malade, même s’il
fumait beaucoup d’herbe – ce qui ne faisait sans doute qu’aggraver son
obsession pour tout cela. Axl était à fond pour une production grandiose, ce
qui n’était pas une très bonne idée, mais tout bien considéré, il y mettait une
telle intégrité qu’il y passait tout le temps nécessaire pour s’assurer que son
cirque sonore avait atteint la perfection. Ce qu’il obtenait à la fin de la
journée était absolument génial. Je ne sais pas si, dans mon esprit, c’était
très représentatif des Guns, mais c’était néanmoins extraordinaire. Quand
nous avons enregistré « Live and Let Die », il n’y avait que des synthés –
les cuivres ne sont pas de vrais cuivres. Ce qu’Axl a réalisé là était vraiment
complexe ; il a passé des heures à calibrer tout ça, à trouver les nuances
adéquates, et je dois lui reconnaître cela. Il a fait la même chose pour
« November Rain », avec toutes ces putains de cordes – tout ça, c’est du
synthé. J’ai entendu des morceaux avec de vraies cordes qui ont l’air moins
authentiques. La seule fois que nous avons fait venir des musiciens
extérieurs sur ces deux disques, ça a été les chanteurs de gospel pour
« Knocking on Heaven’s Door » et l’harmonica sur « Bad Obsession ». Le
seul autre effet qui ne vient pas d’un synthétiseur, c’est le défibrillateur au
début de « Coma ». Ouais, c’est un vrai.
APRÈS AVOIR TERMINÉ MES PARTIES DE GUITARE, J’AI évacué le studio B dont
Axl s’est emparé ; il a transformé tout le Record Plant en un complexe où
ses amis pouvaient s’ébattre, tandis qu’il passait quelques semaines de plus
à mettre au point ses parties vocales et à ajouter les synthétiseurs
susmentionnés. Nous n’en étions pas ravis, parce que chaque jour, cette
situation nous coûtait de l’argent. Cela n’aurait pas été très grave s’il avait
travaillé toute la journée, mais aucun de nous ne voyait les choses
progresser de manière régulière. Finalement, Axl a mis la touche finale à
son travail, mais putain, ces deux albums ont coûté une fortune à enregistrer
– et je ne parle que du coût du studio.
C’est là qu’Axl a commencé à devenir obsédé par les moindres détails
concernant Guns N’Roses, et cela a démarré avec le partage des droits
d’auteur des morceaux de Illusion I et II. Il était loin, le temps où les
membres du groupe recevaient un solide pourcentage de vingt pour cent,
parce que cette fois, il y avait énormément de collaborateurs extérieurs,
surtout sur les morceaux pré-existants aux Guns et qui entraient à présent en
ligne de compte, comme « Back Off Bitch ». Il y avait aussi le cas de Matt,
qui n’était pas un membre à part entière : il n’avait pas été là pendant
l’écriture des morceaux, même s’il jouait sur tous. Finalement, à cause des
contributions de gens comme Paul Huge, West Arkeen et Del James, Axl a
insisté pour que les parts fassent 22,75% ou 32,2% par morceau pour
chaque membre original. On arrivait à ce résultat en calculant qui avait écrit
quoi, ce qui rendait les choses plus simples, car nous n’avions aucune
raison de nous bagarrer, mais en même temps, on retournait cela dans tous
les sens et cela compliquait les choses, en faisant du groupe une véritable
entreprise.
Les morceaux que nous avions travaillés à Chicago posaient également
problème, parce que les mois que nous y avions passés étaient en pointillés,
et qu’en plus, Axl n’avait pas été là la majeure partie du temps, ce qui fait
que pour des morceaux comme « Garden of Eden », « Don’t Damn Me » et
« Get in the Ring », il nous a fait une répartition totalement arbitraire ; Duff
et moi en avions composé les parties instrumentales alors qu’Axl n’était
même pas dans la pièce. Il y avait aussi des chansons où le piano dominait,
mais pour lesquelles j’avais dû composer et arranger des parties de guitare
complexes, alors que je n’étais même pas cité comme compositeur. C’était
la même chose pour « November Rain » et « Estranged », si vous voulez
des détails. Cela me concernait, et ce n’est rien de le dire, mais j’ai choisi
de laisser couler.
QUAND IL A FALLU PASSER AU MIXAGE DU DISQUE, nous avons dû prendre
une décision. Thompson et Barbiero, qui avaient mixé Appetite, ne
travaillaient plus en équipe. Le tempérament du groupe que nous étions
devenus ne leur convenait plus, ou alors leur tempérament ne nous
convenait plus, je ne sais plus bien. Nous avons décidé de prendre Bob
Clearmountain, un type dont le CV parlait de lui-même ; il avait mixé tout
le monde, des Kinks à Bowie, en passant par les Stones et Springsteen.
Nous avions énormément de matière sur laquelle il pouvait commencer à
travailler, pendant qu’Axl continuerait à peaufiner ce qui n’était pas encore
terminé. Clearmountain est arrivé, et n’a pas arrêté de nous parler de Q
Sound 5.1, une technologie qui en était encore à la phase de rodage. Il était
à fond là-dedans, et je me souviens qu’il a réussi à enthousiasmer aussi Axl.
Tout cela était bien beau, mais moi, je ne marchais pas ; pour moi, Q Sound
n’était qu’un feu de paille. Tant pis si Bob disait avec force que c’était le
futur ; pour profiter pleinement de cette technologie, il fallait cinq baffles, et
à l’époque, en 1990, la plupart des gens n’en avaient que deux. Et si vous
écoutiez quelque chose qui avait été mixé en Q Sound avec deux baffles, il
n’en sortait qu’un brouhaha confus. C’était l’un de ces trucs super-tendance
que le temps a réduit à une simple technologie de transition à court terme :
comme le minidisc et le Laserdisc, le Q Sound n’était qu’une version faible
et éphémère de ce qui allait venir.
Cela dit, plutôt que de provoquer une scène et une levée de boucliers au
sein du groupe, ce qui se serait soldé par une discussion entre Axl et moi à
peser les pour et les contre de Q Sound jusqu’à explosion, j’ai ravalé mes
paroles et j’ai croisé les doigts pour que la situation se dénoue. Et c’est ce
qui s’est passé : Clearmountain s’est tiré une balle dans le pied tout seul
presque tout de suite : une après-midi, nous avons découvert un de ses
carnets, sur lequel il avait noté tous les samples de batterie qu’il voulait
ajouter au mixage aux pistes de batterie de Matt. Je ne suis pas un batteur et
je ne saurais pas vous expliquer les détails techniques de la chose, mais les
samples qu’il avait en tête risquaient de modifier radicalement le son de
Matt. Nous avons montré ça à Matt, qui ne se doutait absolument de rien et
à qui ça n’a pas trop plu – et nous n’avons pas eu besoin d’autre raison pour
virer Bob Clearmountain.
Nous avons fini par demander à Bill Price de se charger du mixage.
Nous avions un grand respect pour les hauts faits de Bill, et c’est peu de le
dire : c’est lui qui avait mixé le premier album des Pretenders, le Never
Mind The Bollocks des Sex Pistols, et, du moins à mes yeux, je n’avais pas
besoin d’en savoir plus pour lui faire confiance. Bill travaillait dans un
studio à Larchmont, en Californie, et je me suis chargé moi-même de la
mission consistant à y aller tous les jours, pour le voir travailler, l’aider
quand je le pouvais et m’assurer que les mix qu’il réalisait tous les jours
étaient immédiatement envoyés chez Axl à Malibu.
C’était long et pénible : j’arrivais en début d’après-midi et j’écoutais le
mix qu’avait produit Bill. Quand j’étais satisfait du résultat, nous le
mettions sur bande et l’envoyions à Axl. Nous restions dans le studio ou
commencions à travailler sur la chanson suivante le temps que le coursier y
aille. Quand il arrivait, je dois dire qu’Axl ne perdait pas de temps pour
écouter la bande et nous téléphoner ses remarques, qui étaient généralement
très judicieuses. Nous apportions alors les modifications qui s’imposaient,
refaisions le mixage, et renvoyions une bande à Axl. Et ainsi de suite,
morceau par morceau. Nous avons mis un temps fou à tous les mettre au
point, mais ça valait le coup.
AU COURS DE CETTE ÉTAPE, L’ANIMOSITÉ ENTRE notre manager, Alan Niven
et Axl, a atteint des sommets. Nous avions tous essayé d’y mettre fin, mais
Axl avait des soucis avec Alan, qu’il remâchait depuis des années – depuis
le moment où il avait découvert qu’Alan manageait, produisait et composait
avec Great White également. Il y avait aussi le fait qu’Alan avait un avis sur
beaucoup de choses, et qu’Axl n’était pas toujours d’accord avec lui. Du
coup, Axl avait parfois le sentiment qu’on le forçait à faire des choses qu’il
n’avait pas forcément envie de faire. Axl avait l’impression que l’ego
d’Alan avait pris de l’ampleur, qu’il était passé de Malcolm McLaren à
Peter Grant. Et à vrai dire, l’ego d’Alan était aussi enflé que les nôtres.
Mais je soutenais Alan, jusqu’à ce qu’un incident me fasse basculer
dans le camp opposé. Un soir que Renee et moi étions chez lui avec lui et sa
femme, Camilla, Alan a dit quelque chose de très déplacé à Renee. Je ne
sais plus exactement de quoi il s’agissait, mais c’était tellement glauque que
nous sommes partis immédiatement. Je ne l’ai jamais oublié, mais je ne
veux pas le répéter ici. Même si j’adorais Alan pour toute l’aide qu’il nous
avait apportée, je n’ai pas beaucoup protesté quand Axl a décidé de le
renvoyer. A posteriori, j’ai le sentiment que ce changement a été un
moment déterminant, la pause alors que le groupe était au sommet… et le
début de notre fin.
Et puis j’ai vu Doug arriver. Il s’était fait une place dans la vie d’Axl, et
une fois qu’Axl nous a fait part de son sentiment au sujet d’Alan, je ne crois
pas que ça ait été par coïncidence si Doug s’est trouvé là pour reprendre les
rênes. Il cherchait à s’élever dans la hiérarchie depuis le début. On aurait dit
un prédateur à l’affût. Même si au final, personne n’est plus responsable
que Guns N’Roses de la fin de Guns N’Roses, Doug Goldstein y a
contribué. Sa technique de « diviser pour mieux régner » a été l’un des
instruments de notre fin.
Si vous parcourez l’histoire du déclin des grands groupes de rock, vous
verrez que la plupart du temps, ils ont laissé tomber leur manager d’origine
le long de leur route vers les sommets, et quand ils y sont arrivés, tout s’est
mis à déconner. Je suis un peu énervé que nous ayons suivi cette tradition.
Que nous ayons été ou non autodestructeurs, et en dépit des barrières de
communication entre les membres du groupe, nous avions le désir de faire
de la musique et de progresser à tout prix. Qu’une influence extérieure soit
venue perturber les projets du groupe est extrêmement dommage.
JE CROIS QU’IL N’A FALLU QUE DEUX JOURS POUR QUE Doug Goldstein soit
officiellement élu nouveau manager de Guns N’Roses. À ce moment-là,
nous n’avions pas terminé le mixage du disque, mais dès le début, Doug
voulait se faire un nom dans ce milieu et gagner de l’argent, et nous étions
pour cela l’instrument idéal. Nous avons immédiatement organisé une série
de concerts et, lors de journées de repos stratégiquement placées, nous
allions en studio peaufiner les albums. Pendant un temps, notre programme
de tournée a indéfiniment retardé la sortie des albums.
Mais nous nous sommes bien amusés. Doug nous a fait sortir du studio
pour aller jouer au Rock in Rio en 1991 au Brésil, ce qui a été le premier
concert de Matt et Dizzy avec les Guns. Ça a été incroyable ; nous avons
joué deux soirs de suite devant 180 000 personnes au stade Maracaña.
C’était un festival qui durait depuis plusieurs semaines, lors duquel tout le
monde, de Megadeth à Faith No More, en passant par INXS, Run DMC et
Prince, s’était produit. C’était vraiment un festival à part ; je ne suis pas sûr
d’avoir déjà vu un public de Guns N’Roses plus dément – et c’est quelque
chose. Quand nous avons attaqué le pont de « Paradise City », les gens
slammaient du haut des gradins du stade – et tout indiquait qu’ils allaient se
tuer. Il n’y a pas de mots pour rendre justice à leur degré d’intensité : les
gens étaient attroupés devant notre hôtel, et il y en avait tellement qu’on ne
pouvait plus sortir. Nous ne pouvions même pas aller nous baigner à la
piscine, parce que les gens réussissaient à escalader le mur de 4 mètres
cinquante de haut, nous fonçaient dessus et, en gros, nous agressaient. Ils ne
voulaient pas nous faire de mal, mais ils voulaient un morceau de nous pour
le garder. C’était très bizarre. Nous ne pouvions pas quitter nos chambres, et
nos femmes, nos copines, ou toute autre femme vue en notre compagnie, se
faisaient insulter et étaient menacées de mort par nos fans.
Nous avons fait quelques autres dates. Nous avions trois dates dans des
salles à L.A., San Francisco et New York, avec différents groupes de
première partie, comme Blind Melon, Faith No More et Raging Slab. Nous
avons filmé le concert de New York, qui a servi de base au clip de la BO de
Terminator 2. Dans ce clip, on voit aussi des plans d’Arnold
Schwarzenegger, le Terminator en personne, au Rainbow. Puis nous avons
entamé une tournée des États-Unis avec Skid Row, avec, entre autres, deux
soirs à l’Inglewood Forum de L.A. Je vais vous dire, être devenu un groupe
aussi énorme, c’était une putain de tuerie. Avec Skid Row, c’était tout à fait
mon genre de tournée : débauche en tout genre.
Bien avant d’avoir terminé le mixage et l’étalonnage des albums, Axl
s’est préoccupé de trouver l’image adéquate pour la pochette. Comme
c’était lui qui nous avait trouvé ce tableau génial de Robert Williams pour
Appetite, nous lui faisions confiance pour trouver aussi une œuvre d’art
idéale pour ces deux albums. Et c’est ce qu’il a fait : le visuel de ce mélange
nébuleux de morceaux que nous avions concocté était une œuvre de Mark
Kostabi. Il s’agissait d’une figure de jeune homme, façon école hollandaise,
dans une pose de « penseur », inspirée d’un tableau de la Renaissance. À
l’époque, Axl avait très envie que cette image figure sur les deux albums.
Finalement, nous en avons fait une en rouge et l’autre en bleue, et nous lui
avons dit « OK, c’est cool, mec. » Cela rendait plus digeste tout ce concept
de double album.
C’était l’une des « grandes » décisions qu’en tant que groupe, nous
avons été trop prompts à laisser à notre chanteur. Mais je ne regrette rien : si
c’était de cette manière qu’Axl avait envie de s’affirmer, tant mieux. Ce qui
m’importait davantage, c’était que les deux Illusion sortent séparément,
pour que nos fans n’aient pas à dépenser trente ou quarante dollars pour nos
nouveaux morceaux : ils pouvaient décider qu’il leur fallait l’un ou l’autre
des albums, et l’acheter en conséquence. Nous espérions qu’ils voudraient
les deux. Au final, Use Your Illusion I s’est mieux vendu que Use Your
Illusion II.
Quand les albums ont été mis en vente, les fans faisaient la queue
devant tous les disquaires du pays. Je peux attester que ce soir-là, il y avait
la queue sur toute la longueur du pâté de maisons devant le Tower Records
de Sunset, parce que je suis passé en voiture devant en allant à l’aéroport
avec Renee. J’ai demandé qu’on arrête la limousine, et nous sommes entrés
en catimini par la porte de derrière, jusqu’au petit bureau qui surplombe les
rayons, dans lequel on m’avait arrêté pour vol à l’étalage quand j’étais au
lycée ; j’ai regardé en dessous tous les gosses faire la queue pour les
disques, par la fenêtre par laquelle le manager m’avait vu voler, le jour où je
m’étais fait arrêter. C’était surréaliste.
Les disques se sont classés numéro un et numéro deux des ventes la
première semaine de leur sortie, ce qui était un record. Et ils se sont
maintenus là. Ça a été un triomphe partout, et nous avons dû nous préparer
pour notre tournée. Elle s’annonçait comme plus gigantesque que tout ce
que nous avions fait jusque-là.
Les nouveaux morceaux étaient bien plus compliqués, et les reproduire
sur scène impliquait donc d’ajouter des musiciens. J’ai été élu directeur
musical officieux, chargé de dénicher des choristes et des cuivres. J’avais
du mal avec le concept de trois mecs en smoking en train de souffler dans
des cuivres, alors j’ai choisi des filles bandantes. Bien entendu, il fallait
aussi que les choristes soient mignonnes. J’ai pris tout ça avec humour.
Nous avons aussi recruté Teddy Zig Zag, un grand joueur de blues avec
lequel j’avais joué d’innombrables fois, pour les parties additionnelles de
piano et l’harmonica. En fait, je me suis reposé sur Teddy pour embaucher
toutes les filles, et il a fait un super boulot.
Tandis que nous nous préparions à repartir, j’ai aussi eu fort à faire avec
la scénographie. J’ai aidé à concevoir une scène efficace et jolie, qui allait
nous servir pendant les deux ans et demi suivants. Il y avait des rampes, des
petites scènes au-dessus des amplis pour les filles, un espace pour le clavier,
et un piano qui sortait du sol pour Axl. Nous avions aussi décidé d’utiliser
une grille en guise de sol, pour que l’on puisse être éclairés d’en dessous, ce
qui était très cool.
Nous avons totalement collaboré à l’élaboration de cette scène énorme
que nous avons fini par avoir. Nous avions fait mettre le logo Guns N’Roses
par terre, et ça aussi, c’était cool. Pour nous, c’était foutrement incroyable
de disposer de l’argent et du public qui nous permettaient de concevoir
l’écrin de notre performance ultime. Notre rêve devenait réalité… mais
tandis que nous nous préparions à cette tournée monstre, nous étions loin de
nous douter que nous aurions dû nous méfier de nos rêves.
Iggy Pop et Slash après un concert d’Iggy, avant ou après que Slash ait
participé à l’album Brick by Brick d’Iggy
Un matin grognon dans le bus
Slash au naturel
Slash et Lenny Kravitz ; on aperçoit une des dreads de Lenny à gauche.
Le lycée de Beverly Hills peut être fier : Slash sur scène avec Lenny
Kravitz
13) Choisissez votre illusion
J’ai vécu des hauts et des bas extrêmes, et je les ai vécus pleinement.
Mais quand ces extrêmes sont proches au point de s’entremêler, cela peut
rendre fou. C’est quelque chose de vraiment différent : d’un seul coup, ce
qui était familier devient l’inconnu, et plus rien n’a de stabilité. Quand
j’étais enfant, posté en coulisses, je considérais d’un œil incrédule des
scènes qui me paraissaient vraiment gigantesques. À présent, je me
produisais sur une scène encore plus grande, avec le logo de mon groupe
imprimé sur le sol sur lequel je marchais. Des stades entiers, remplis de fans
impatients de nous voir, nous attendaient où que nous allions, dans le
monde entier. Nous avions sorti deux albums le même jour, et ils s’étaient
classés numéro un et numéro deux. On n’aurait pas pu rêver mieux. Et en
coulisses, derrière tout cela, nous étions en train d’exploser, comme un
atome dans une bombe atomique.
Quand j’y repense aujourd’hui, je vois clairement comment tout a
commencé, mais à l’époque, je ne disposais pas du tout du même recul.
C’était déjà en germe depuis toujours, mais juste après la sortie d’Appetite,
cela a vraiment éclaté au grand jour : Axl est devenu un Dr Jekyll et Mr
Hyde. C’était une chose qu’il se soit terré en studio pendant
l’enregistrement des deux Illusion, en se passant tous ses caprices ; cela ne
plaisait à aucun de nous, mais nous étions prêts à le tolérer. Nous étions loin
de penser que les choses pussent empirer. C’est au moment de ces sessions
que nous avons commencé à laisser se produire des choses avec lesquelles
nous n’étions pas d’accord. C’était pénible, mais quand même fun, mais
c’était une illusion de croire que la situation allait s’améliorer après la sortie
de l’album. C’était très dur pour moi, parce que j’avais été très proche
d’Axl à certains moments, quand nous travaillions ensemble avec un
objectif commun, alors que là, peu de temps après, j’avais l’impression
qu’une barrière s’était dressée entre nous. Une véritable relation
d’amour/haine a alors débuté entre nous.
Axl et moi avions des relations assez houleuses, et ce dès le début
jusqu’à la toute dernière fois que nous nous sommes parlé, pour la simple
raison que nous avons une manière vraiment, vraiment différente
d’envisager et de faire les choses. Je n’ai rien contre lui ; je sais que sa
version des faits est aussi viable que la mienne… mais elle est différente.
J’ai mis longtemps à comprendre un tant soit peu Axl – si tant est que j’y
sois jamais parvenu – alors je ne pouvais pas prévoir ce qui allait le faire
réagir de la sorte. Je voulais savoir ce qui le rendait heureux, ce qui
l’énervait, ce qui l’inspirait sur le plan créatif ; tout cela est essentiel quand
on travaille si étroitement avec quelqu’un qui veut créer quelque chose.
Très tôt, quand nous nous sommes rencontrés, ses agissements me
prenaient parfois par surprise. Nous nous entendions, parce que nous étions
tous deux rebelles et anarchistes, mais je ne voyais pas pourquoi il se
rebellait au point de se compliquer la vie pour rien. Je pouvais comprendre
que l’on se batte pour ses convictions, quitte à aller au conflit. Mais Axl
portait cela à un tel degré d’auto-sabotage que cela m’échappait
complètement. J’ai passé beaucoup de temps à essayer de tirer cela au clair,
simplement pour comprendre un minimum, avant de réaliser qu’un tel
comportement n’avait ni rime ni raison.
J’ai été attiré par Axl, comme tout le monde, parce que c’est un
extraordinaire chanteur, avec une présence scénique extraordinaire, et qu’il
dégage un charisme très puissant. J’admirais aussi le fait qu’il eût
constamment un point de vue auquel il tenait fermement et qu’il exprimait
avec une grande sincérité. C’est un parolier de génie et un artiste tellement
torturé qu’il m’a conquis, parce que j’ai toujours aimé les laissés-pour-
compte – et cela entrait pour beaucoup dans son génie.
J’ai appris à prendre les bons et les mauvais côtés de cette amitié, parce
qu’Axl vivait beaucoup de choses. Nous avions des conversations très
profondes, très personnelles, surtout à l’époque où le groupe démarrait et
que nous vivions ensemble. À certains moments, je l’adorais de tout mon
cœur, quand il était tout simplement si cool, et que nous pouvions avoir des
conversations vraiment intimes et sincères, à son initiative. C’était génial
d’apprendre à connaître quelqu’un comme lui, parce que je peux passer des
années sans dire ce que je ressens, alors qu’Axl n’est absolument pas
comme ça ; il avait besoin de communiquer ses sentiments à quelqu’un.
Nous avions de longs tête-à-tête tranquilles, où nous parlions de ce qui le
tracassait et de ce qu’il avait à l’esprit quand l’agitation retombait. Nous
parlions de choses personnelles, de son passé, de tout ce qui le concernait,
le passionnait, de ses objectifs pour lui-même et pour le groupe, de ce qu’il
voulait faire de sa vie. C’était un formidable éclairage sur quelqu’un que
j’admirais déjà, et à ces moments-là, je l’aimais beaucoup, parce qu’il était
humain et vulnérable et que j’avais l’impression que nous étions vraiment
proches.
Mais le revers de la médaille avec Axl, le côté Hyde de son côté Jekyll,
c’est qu’une fois qu’on avait établi un lien fort avec lui, il faisait quelque
chose qui remettait complètement en cause la situation. Un des points forts
de notre groupe était qu’on avait toujours le soutien des autres, quel que fût
le problème, mais ça a fini par devenir difficile avec Axl. Il ne m’a jamais
rien fait directement ; mais il a fait des choses qui ont mis en danger tout le
groupe et son prestige, aux yeux de nos pairs et de nos fans. C’est quelque
chose que je n’ai jamais compris. Mais ce n’était pas très grave, parce
qu’Axl était toujours là pour nous exposer ses raisons, et il avait toujours
beaucoup à dire, quand il fallait expliquer pourquoi il avait agi de telle ou
telle façon.
Mais plus ce type de comportement se reproduisait, plus je devenais
méfiant à son égard, parce que le type avec qui j’avais des conversations si
intimes n’était pas le type qui prenait des décisions que je considérais
comme inconsidérées. Ce paradoxe est devenu lourd à porter pour moi.
Parfois, les réactions d’Axl à certaines choses se faisaient uniquement au
détriment du groupe – au départ, ce n’était pas bien grave ; en général, cela
valait la peine de transiger dessus pour progresser encore collectivement.
Izzy restait toujours très calme dans ses relations avec Axl, et je restais très
proche d’Izzy dans ces moments-là. Duff aussi avait sa propre manière
d’appréhender Axl, qui était plutôt tranquille.
Steven, en revanche, avait tendance à s’enflammer, parce que pour lui,
le comportement d’Axl n’avait foutrement aucun sens. Comme je l’ai dit,
Steven ne le comprenait pas et n’était pas en mesure de le comprendre, et
donc il s’en prenait directement à Axl. Mais moi, j’avais passé de longues
heures à essayer de comprendre Axl et son passé, parce que, pour que notre
groupe parvienne au succès, il fallait que ce soit nous, unis, contre le monde
entier. Nous devions nous serrer les coudes. Quand Axl faisait des choses
qui nous rabaissaient, cela créait de la distance là où il n’y aurait pas dû en
avoir. À mon avis, cela affaiblissait nos bases.
La situation est restée mouvementée des années, tandis que nous
hésitions entre rester unis et nous compromettre. Au cours de
l’enregistrement du premier album, ces histoires avec Axl n’étaient pas si
dramatiques. Mais quand le groupe a pris de l’ampleur, ses exigences ont
pris de l’ampleur. Et au fil du temps, nous avons pris l’habitude de le
satisfaire. Si ce n’était pas bien grave sur le court terme, nous lui passions
ce qu’il voulait ; nous lui disions ce qu’il avait envie d’entendre. Mais cela
a établi un schéma dans lequel il avait l’habitude d’obtenir tout ce qu’il
voulait.
Ce qui était difficile avec lui à l’époque, c’était que quand personne
n’était d’accord avec lui, la réaction d’Axl n’était pas commode : il
balançait quelque chose, cassait quelque chose, quittait les lieux ou s’en
allait, en rage, disant qu’il quittait le groupe. À ce moment-là, dans le feu de
l’action, on ne pouvait pas parler rationnellement avec Axl : on aurait dit un
gosse en train de piquer une crise. Ça me rendait songeur sur la manière
dont il avait été élevé. Je ne suis pas en mesure de vous donner des détails,
mais d’après ce qu’Axl m’avait raconté, son enfance avait été très dure.
À nos débuts, son comportement était tolérable, parce que nous
avancions tous dans la même direction et que nous pouvions justifier les
compromis qu’il nous fallait faire. Quand, deux ans plus tard, nous sommes
revenus à la fin de la tournée Appetite, et que nous avons dû faire des pieds
et des mains pour nous retrouver et enfin bosser ensemble à Chicago, j’ai
commencé à voir apparaître de plus en plus souvent la facette la moins
sensée de sa personnalité – c’est pour ça que j’ai quitté ces sessions
d’écriture. Axl n’a jamais compris pourquoi j’étais parti de Chicago, parce
qu’il avait l’impression que nous abattions beaucoup de travail, mais à vrai
dire, c’était vraiment compliqué de travailler avec toute l’énergie négative
qu’il dégageait. Je sais que je ne suis pas le seul à penser comme ça :
quasiment tous ceux qui ont travaillé pour nous diraient quelque chose
d’approchant. La raison pour laquelle les gens qui travaillaient pour nous
était la même que celle pour laquelle les membres du groupe restaient : il y
avait des moments géniaux, infiniment extraordinaires, qui compensaient
tous les durs moments négatifs et très sombres. Par moments, Axl devenait
si égocentrique que cela affectait tout le monde. Je ne peux que supposer
que tout le monde apprenait à faire avec. Mais qui suis-je pour dire cela ?
En tout cas, je suis certain de ceci : Axl doit avoir sa propre version des
faits, qui est à coup sûr aussi valide que la mienne.
QUAND LE GROUPE EST ENTRÉ EN STUDIO POUR ENREgistrer les deux Illusion,
tout ce qui se passait en coulisses s’est rapidement beaucoup dégradé : il y
avait tellement de dépenses superflues, et personne n’abordait ce problème,
parce que personne ne voulait en arriver là ; l’ambiance était tendue à ce
point. La vérité, c’est que personne dans le groupe n’était diplômé, et
encore moins en psychologie : aucun de nous ne savait comment
communiquer efficacement avec Axl. Cela pouvait s’avérer facile, si vous
passiez du temps avec lui, tranquillement, dans son espace, quand il était en
forme ; quand ces conditions idéales étaient réunies, on arrivait plus ou
moins à résoudre quelques trucs. En fait, c’était même le seul moyen
d’avoir une conversation avec lui. Toute autre approche n’était pas
constructive ; tout ce qu’on arrivait à faire autrement, c’était aggraver la
situation, et l’énerver encore plus qu’auparavant.
Le problème qui s’est posé, et notamment à moi, ça a été une profonde
amertume de devoir tout simplement gérer cette situation ; j’ai arrêté de
seulement chercher à raisonner Axl. Je me suis retrouvé à travailler très dur
pour un résultat très simple : je devais aller le voir, et lui parler longuement
de choses dont je ne voulais pas parler, juste pour parvenir à aborder un
simple problème de groupe. J’ai commencé à devoir porter sur mes épaules
les décisions du quotidien nécessitant l’avis d’Axl, et au bout d’un moment,
je n’ai plus eu envie de le faire ; je voulais déléguer cette responsabilité à
quelqu’un d’autre. Moi, je voulais simplement faire de la musique.
Doug Goldstein a pris ma place, après avoir passé suffisamment de
temps avec nous sur la route. Il a observé avec attention quelles étaient nos
relations les uns avec les autres, et il s’est proposé de jouer le rôle du type
qui « se chargerait d’Axl ». Doug devait jouer sur plusieurs tableaux pour
arriver à un résultat : il avait avec Axl des conversations nécessaires… mais
pas du tout comme nous autres, dans le groupe, l’aurions fait. Doug était
décidé à réussir pour de mauvaises raisons. Il était là avant tout pour gagner
de l’argent et grimper dans la hiérarchie de l’industrie, en se faisant une
réputation en tant que manager de Guns N’Roses. Il disait à Axl ce qu’il
fallait, et faisait le nécessaire pour garder les Guns soudés, non pas parce
qu’il se préoccupait de nous, mais parce que nous conserver comme clients
était essentiel à sa réputation – mais bien entendu, cela n’engage que moi.
J’ai rapidement vu clair dans le jeu de Doug, je dois dire. Quand il s’est
proposé pour remplacer Alan Niven en mai 1991, alors que nous repartions
tout juste en tournée, je me suis dit qu’il n’avait pas offert de jouer les
intermédiaires pour les bonnes raisons – dans l’intérêt du groupe.
Néanmoins, je me reposais sur son aide quand il fallait se charger d’Axl. Il
arrivait à nous faire surmonter tous les obstacles quand il s’agissait des
exigences d’Axl, mais c’était une situation perdant-perdant, parce qu’il était
évident que Doug ne disait pas à Axl ce qu’il avait besoin d’entendre dans
notre intérêt. Il aurait fallu faire taire Axl, pas le satisfaire. Parce que cela
avait assez duré. Mais Doug n’était pas prêt à faire ça ; il allait se contenter
de dire tout ce qui pouvait marcher à court terme. Encore une fois, ce n’était
là que mon opinion.
En deux ans, les Guns s’étaient transformés en un tourbillon, où toute
communication était impossible, et où on jetait l’argent par les fenêtres. Et
chaque jour, Doug avait beau nous dire qu’il allait mettre un terme à tout
cela, rien ne changeait jamais. Tout ce que nous voulions, c’était continuer à
progresser en tant que groupe, nous amuser et arriver à des résultats. Pour
moi, ça n’a jamais semblé si difficile à faire.
Un changement durable dans l’ambiance du groupe s’est produit la
première fois que l’on a mentionné les contrats et la propriété du nom du
groupe, questions qui ont été soulevées pour la première fois lorsque Steven
a été mis dehors. Axl a insisté en disant que la possession du nom du
groupe devait faire l’objet d’une procédure juridique, et quand notre
« identité » n’a plus été qu’un « produit » comme un autre, nous avons eu le
sentiment qu’on nous avait forcé la main – quelque chose qui ne passait
jamais très bien. Cet arrangement légal a abîmé notre respect mutuel, parce
que cela a entériné le clivage entre Axl et nous. Nous étions prêts à tolérer
beaucoup de choses, parce que nous sommes des gens accommodants, mais
cela a créé une tension implicite, et cette histoire de contrat l’a menée à son
paroxysme. Mais même là, nous n’en avons jamais parlé, parce que nous
avions pris le pli de laisser couler les choses, mais je sais qu’Izzy la
ressentait ; je sais que Duff et moi la ressentions aussi – nous nous
regardions tous du coin de l’œil chaque fois que ce sujet était abordé.
LE FOSSÉ N’AVAIT CESSÉ DE SE CREUSER ENTRE AXL ET moi et entre Axl et le
reste du groupe, et il s’est encore élargi au cours du mixage des deux
Illusion. Comme je l’ai dit, Axl restait chez lui, tandis que j’étais en studio,
et je lui faisais envoyer le mix de chaque morceau dès qu’il était terminé ; et
puis j’attendais ses commentaires. Tout bien considéré, c’était une période
plutôt positive sur le plan de la création collective, mais cet arrangement
n’était pas fait dans un esprit de solidarité ; c’était plutôt une relation à sens
unique. Mais à mes yeux, c’était encore acceptable. Inconsciemment, je
pense que je commençais à voir le groupe sous la forme d’un mec assis sur
un trône, à part et loin au-dessus de la foule qui se massait à ses pieds.
Le premier accrochage que j’ai eu avec Axl s’est produit lorsque j’ai
fait la couverture de Rolling Stone après la sortie des deux Illusion. J’avais
donné au journaliste l’impression tout à fait justifiée que nous étions un
groupe qui avait explosé si vite, que trois ans plus tard, nous essayions
toujours de comprendre ce que nous étions devenus.
Axl s’est procuré l’interview et l’a lue, et d’après ce que j’ai compris,
elle lui a convenu, ou du moins il n’y a rien trouvé à redire au début. Mais
apparemment, après une lecture plus approfondie, il a jugé l’un de mes
propos insultant. Du moins c’est ce que je crois… en fait, je ne sais pas bien
ce qui s’est passé.
Quand j’ai revu Axl, c’était au Long Beach Arena, où toute la scène
pour la tournée Illusion était fin prête, et il refusait de m’adresser la parole.
Si je m’étais trompé au point de croire que c’était seulement un effet de
mon imagination, il a pris soin de me faire comprendre qu’il était énervé.
Peu de temps auparavant, je lui avais offert une camisole de force vraiment
sympa pour son anniversaire, et il l’avait apportée ce jour-là, juste pour
faire valoir son point de vue en la laissant sur mon ampli à son départ.
Nous ne nous sommes pas adressé la parole pendant les quelques jours
qui ont suivi, alors que le groupe répétait. Ce genre de situation délicate, où
tout le monde marche sur des œufs, était devenu le quotidien de Guns
N’Roses. L’ambiance était mauvaise ; j’essayais simplement de faire mon
boulot chaque jour en évitant les conflits. Tout bien considéré, cela me
touchait beaucoup, parce que je suis beaucoup plus sensible que j’en ai l’air.
Je me demandais ce qui avait bien pu rendre Axl furieux à ce point, parce
que je ne comprenais pas ce que j’avais fait ; il ne disait rien, et personne
d’autre ne comprenait. Les choses se sont enfin éclaircies du mieux qu’elles
pouvaient… et il a fallu une longue discussion pour en venir à bout.
VOILÀ DONC DANS QUEL ÉTAT ÉTAIT LE GROUPE, alors que nous nous
préparions à faire la plus longue tournée, avec les plus gros moyens, que
nous ayons faite à ce jour. La tournée était foutrement excitante – c’est ce
qui nous a permis de rester unis, en dépit des accrochages de plus en plus
fréquents. Après avoir mis au point notre show, avec les choristes, les
cuivres, et tout, et après une semaine de répétition avec tous les éléments en
place, nous nous sommes soudain retrouvés en Amérique du Sud, devant
180 000 personnes, au Rock in Rio, le 20 janvier 1991. Nous n’avions
même pas de nouvel album, à ce moment-là ; nous étions là uniquement
grâce à la puissance d’Appetite et de Lies, qui, à cette date, dataient
respectivement de quatre et deux ans.
Nous nous sommes rendus là-bas dans le 727 privé affrété par le MGM
Grand Hotel de Las Vegas, et ça a suffi – il nous l’a fallu pour tout le reste
de la tournée. Il était très décoré : il y avait plein de petits salons privés et
de chambres ; on y dormait très bien. Et c’était le meilleur moyen d’aller de
pays en pays, parce qu’on décollait et on atterrissait quand on voulait, en
évitant les procédures d’entrée normales. Les documents nous étaient
apportés dans l’avion, et je ne crois pas que les douaniers soient montés
nous fouiller une seule fois, au cours des deux ans que nous avons loué
l’avion. Même si j’étais ravi de l’avoir, comme tous les autres membres du
groupe, je n’avais pas l’impression que nous étions assez importants pour
nous permettre ce genre de choses – je suis sûr qu’Axl avait dit à Doug
qu’il nous le fallait à tout prix, ce qui avait dû régler la question.
Ça a été une tournée géniale : Duff et moi avions un nouveau copain de
débauche en la personne de Matt, et peu importait depuis combien de temps
nous n’avions pas dormi, nous étions toujours d’attaque pour le concert.
Nous avions l’impression d’être les rois du monde ; tout nous éclatait, et
nous faisions toujours notre boulot. Malheureusement, Izzy était perturbé :
il faisait de son mieux pour se tenir à l’écart de nos scènes de débauche,
donc dès le départ, cette tournée ne l’a pas autant amusé que nous. Quant à
Axl… eh bien, j’ignore à quoi il pensait ; je ne veux pas prétendre savoir où
il en était à l’époque, aujourd’hui, ou n’importe quand. Mais je sais en tout
cas que nous étions tous ensemble et que nous profitions pleinement de ce
que nous n’aurions pas pu avoir les uns sans les autres : le plaisir partagé de
jouer chaque soir sur scène.
Mais au fur et à mesure que la tournée avançait, nous montions sur
scène de plus en plus tard. C’était un truc d’Axl, et ça n’a pas été l’affaire
que d’une ou deux fois, c’était tous les soirs. Sur un plan personnel, c’est ce
qui me choquait comme étant sa plus grande trahison. Ce n’est pas qu’un
groupe doive se plier aux désirs de son public ou avoir l’impression d’être à
sa merci, mais un groupe doit faire son boulot en jouant pour les gens qui
ont acheté des billets pour venir le voir. Ça a commencé à me poser un
sérieux problème. Quand on me demande pourquoi j’ai quitté Guns
N’Roses, trois raisons me viennent à l’esprit : premièrement, le fait que
nous ne montions quasiment jamais sur scène à l’heure ; deuxièmement, les
annulations de concerts sans raison valable ; et troisièmement, ce tristement
célèbre contrat, d’après lequel le nom du groupe appartiendrait à Axl si
jamais nous nous séparions. Ce contrat a été une vraie claque. On va y venir
bientôt, mais sur le moment, je me suis simplement dit : « Prends ce putain
de nom, et carre-le-toi dans le cul. »
Tous ces éléments réunis ont débouché sur une situation où le groupe et
ce qui gravitait autour avaient été mis sous le contrôle d’Axl. Ça a
commencé par cette histoire de nom, et puis il a voulu que tous les
musiciens signent un contrat qui pouvait prendre fin pour « mauvaise
conduite » – tout cela n’était vraiment pas sain. Tout comme son manque
d’égards envers les gens qui venaient nous voir par milliers, le personnel et
les gens de notre entourage, qui devaient faire des heures supplémentaires
chaque fois que nous montions sur scène en retard. Cela devenait vraiment
humiliant pour moi de continuer ainsi, parce que même si nous avions
toujours été considérés comme un groupe de rock tapageur, nous avions
toujours eu la réputation d’être réglos en affaires. C’était mauvais pour le
groupe et pour notre équipe de ne pas toujours pouvoir être au top, parce
que nous étions handicapés par des situations dont le reste du groupe n’était
pas directement responsable.
On ne peut sans doute pas trouver de meilleure façon de faire grandir la
rancune ou de faire naître la haine au sein d’une formation en tournée ou de
tout autre collectif, qu’en donnant l’exemple du manque de respect. Je ne
me mets pas facilement en colère – il faut vraiment me pousser à bout – et
je suis donc resté aussi souple que possible au cours de la tournée, mais les
choses commençaient à me peser. Il y a eu tant d’occasions formidables
pour le groupe que nous avons laissé passer, parce qu’Axl refusait de les
saisir – en général, il prenait sa décision avec Doug, et parfois le reste du
groupe n’en était informé qu’après. Mais en même temps, le groupe était
extraordinaire, et tous ceux qui ont assisté à l’un de ces concerts magiques
des Guns au cours des deux ans et demi qu’a duré la tournée ont été
transportés. Nous étions un groupe hallucinant, avec un chanteur
hallucinant ; Axl était tout bonnement extraordinaire. Malgré toutes les
tensions en coulisses, l’alchimie entre nous fonctionnait encore sur scène, et
c’était incroyable : nous avons fait des choses extraordinaires tous les soirs
où la magie opérait. Il y avait des nuits où certains moments me donnaient
la chair de poule.
En somme, c’était une suite de hauts et de bas très difficile à supporter.
C’est ma version de l’histoire ; bien sûr, Axl a la sienne. Je suis sûr qu’il
dirait que nous buvions trop et prenions trop de drogue. C’est vrai, bien
entendu ; je ne peux parler qu’en mon nom en disant que oui, c’est vrai,
mais il faut noter que pas une fois, dans toute l’histoire du groupe, un
concert n’a été annulé ou retardé à cause des membres du groupe. En dépit
des habitudes des uns et des autres, nous, les musiciens, étions toujours
présents. Il y a eu quelques alertes un peu chaudes et quelques concerts
peut-être un peu moyens, mais après tout, on parle d’un groupe de
rock’n’roll. Tout au long de la tournée, des plaintes ont émané du camp
d’Axl à propos de ce que nous faisions – « nous », c’était Duff, Matt et moi
– et Izzy se plaignait aussi de notre comportement. Ils peuvent dire ce qu’ils
veulent sur la manière dont nous vivions : nos petites habitudes
n’affectaient en rien la grosse machine du groupe quand il fallait aller
bosser. Bien entendu, ce n’est que mon point de vue ; je suis bien persuadé
qu’Axl et les autres ont le leur, qui doit largement s’écarter de ce que j’ai à
dire.
JE NE VAIS PAS PRÉTENDRE ME SOUVENIR DES DEUX ans et demi qu’a duré la
tournée Use Your Illusion I et II dans leurs moindres détails. Même si c’était
le cas, je ne suis pas sûr que relater chaque concert, chaque moment phare,
chaque souvenir et chaque étape marquante leur rendrait justice : en faire la
liste exhaustive les rendrait encore plus ennuyeux qu’un jour sans pain. Je
vais me contenter de mettre en lumière les concerts, les « incidents », les
conflits et les moments de plaisir intense les plus marquants de cette folle
équipée de deux ans et demi : on a vécu de telles sensations, un tel
tourbillon de bon et de mauvais, que je suis un peu intimidé à l’idée de
tenter de relater cette expérience.
Le début de la tournée a provoqué une excitation intense ; nous nous
retrouvions sous une masse impressionnante de projecteurs, devant des
milliers de personnes qui venaient nous voir. Je n’avais encore jamais
éprouvé si directement ce sentiment. Nous avions déjà joué devant des
foules massives avant, lors de festivals, mais c’était différent : en général,
nous jouions en deuxième ou troisième position avant la tête d’affiche, et il
y avait alors une forte énergie, mais ça n’a rien à voir avec monter sur scène
et jouer entre une heure quarante-cinq et trois heures devant 80 000
personnes, qui étaient là seulement pour nous.
En général, après les concerts, je me promenais sur le site du concert, en
prenant la mesure de ces stades déserts, de notre scène et de notre show, et
j’étais toujours sidéré. J’avais largement le temps de faire cela tous les soirs,
parce qu’il nous fallait en général autant de temps pour partir que pour
arriver – mais c’est une autre histoire. Disons simplement que nous ne
pouvions pas partir tant que ce n’était pas « le bon moment ».
En tout cas, même si j’avais assez vu de spectacles à grande échelle
depuis que j’étais gamin pour ne plus être que rarement impressionné,
j’arpentais néanmoins notre scène en la regardant avec des étoiles dans les
yeux : faire partie de cet univers était un rêve devenu réalité. Nous devons
remercier notre super équipe, tous ces types extraordinaires qui montaient et
démontaient cette scène tous les jours. Je m’asseyais et je les regardais la
démonter ; tous ces mecs syndiqués, en train de charger tous les éléments
dans une flottille de semi-remorques – putain, ça me collait des frissons. À
ce moment-là, nous étions dans une spirale ascendante, et nous étions
arrivés si haut que même les points négatifs étaient noyés dans tout ce que
nous vivions de génial chaque jour. Malheureusement, ce sommet intense
était devenu une routine, et nous a figés dans une posture : cela faisait des
années que nous étions pris dans ce yin-yang d’énervement et de bonheur,
qui nous avait permis de monter si haut… alors pourquoi changer
maintenant ? Tout bien considéré, nous avons tenu assez longtemps ; ce
n’est que bien plus tard que les choses ont inévitablement explosé.
Après les dates à Rio, nous avons commencé par trois concerts
d’échauffement – avec Blind Melon à L.A., Faith No More à San Francisco
et Raging Slab à New York. Les mecs de Raging Slab étaient incroyables :
ils sont arrivés dans un bus Volkswagen, depuis un bled du nord de l’état,
avec tout leur matériel ; et nous, nous étions là, dans nos limousines. Je
trouvais super que nous ayons des groupes comme ça en première partie –
un des avantages, quand on est à ce niveau, c’est qu’on peut faire
absolument tout ce qui nous plaît.
De là, nous sommes passés aux choses sérieuses – la tournée des stades
avec notre scénographie gigantesque. Cette tournée a enchaîné les stades.
Nous avions Dizzy Reed, Teddy « Zig Zag », les cuivres et les choristes.
C’était une formation tellement démente, comparée à ce à quoi nous étions
habitués. Déjà, il n’y avait pas de set-list – nous ne faisions jamais deux fois
de suite le même concert. Nous avions des incontournables, comme
« November Rain », « You Could Be Mine », « Paradise City » et
« Welcome to the Jungle », mais pour le reste, tout était possible.
Les filles – les choristes et la section de cuivres – devaient être sur
scène en permanence, ce qui posait des problèmes auxquels nous n’avions
pas pensé, du genre : Et si elles ont envie de pisser ? J’avais nommé Ted
Zig Zag chef d’orchestre de cette petite formation – après tout, c’est lui qui
les avait recrutées – et c’était marrant de le voir parlementer avec elles. Les
filles trouvaient à redire sur leurs costumes, sur qui devait porter quoi ; nous
n’avions jamais vécu des trucs aussi dingues sur aucune de nos tournées
précédentes. Quand les filles avaient leurs règles, ce qui leur arrivait
apparemment de manière synchronisée, j’ai découvert qu’il valait mieux les
éviter complètement.
Sur la route, Axl était une entité à lui tout seul ; au bout d’un moment,
nous ne le voyions plus que sur scène ou dans l’avion. C’était plus ou moins
la même chose avec Izzy. Entre deux concerts, Duff, Matt et moi voyagions
en compagnie des filles : il y avait Lisa Maxwell, la meneuse de la section
de cuivres, qui jouait du saxophone ténor ; Anne, qui jouait de la trompette,
et cette bisexuelle de New York, dont le nom m’échappe, qui jouait du
saxophone baryton. Et il y avait les deux choristes, ces minettes mignonnes
et racées que l’on trouvait souvent en train de s’engueuler à cause de leurs
perruques. Il y avait Roberta, qui était noire, mince et très jolie, et Tracy,
une mignonne petite métisse, et elles étaient très cool toutes les deux.
LE CONCERT QUI A DONNÉ LE LA À CE QUI ALLAIT finir par détraquer la
tournée a eu lieu à Uniondale, dans l’État de New York, au Nassau
Coliseum, quand nous avons commencé en retard. Ce soir-là, Axl s’est
excusé de son retard auprès des fans, mais quand c’est devenu une habitude
récurrente, il n’a jamais plus pris la peine de le faire.
Le premier gros problème a bien sûr eu lieu à St Louis, et la presse s’en
est largement fait l’écho. Axl s’est accroché avec un type dans les premiers
rangs, qui avait une caméra. Axl l’a signalé aux agents de sécurité de la
salle, et ils n’ont rien fait. Leur attitude et le mépris manifeste du type ont
vraiment mis Axl en rogne, et il a donc sauté dans le public pour lui prendre
sa caméra. Quand il a sauté, c’était génial, nous avons continué à jouer le
riff plein de suspens du début de « Rocket Queen », et j’avais le sentiment
que c’était une vraie tuerie. Quand Axl est remonté sur scène, on a éprouvé
une brève impression de triomphe… et puis il a empoigné son micro, a dit
quelque chose comme : « À cause de cette sécurité merdique, on s’en va »,
a jeté le micro par terre et est sorti de scène.
Le groupe a continué à jouer. Nous étions devenus bons pour remplir les
blancs impromptus – solos de batterie, de guitare, improvisations – et nous
avions tout un assortiment de trucs pour garder le rythme chaque fois
qu’Axl sortait de scène de manière inopinée. Nous avons continué à
jammer, et je suis allé sur le côté de la scène.
« Il est où ? » ai-je demandé à Doug.
Il m’a lancé une expression peinée : « Il ne reviendra pas. »
« Ça veut dire quoi, il ne reviendra pas ? » ai-je crié, sans cesser de
jouer le riff.
« Il n’y a aucun moyen de le faire revenir », a dit Doug. « Je ne peux
rien faire. »
Cela faisait une heure et demie que nous jouions, ce qui était
contractuellement le minimum de ce que nous pouvions faire, mais nous
avions prévu de donner un concert de deux heures, et le public en voulait
encore. Il savait que c’était encore loin d’être terminé. À ce moment-là,
j’aurais tout donné pour qu’Axl remonte sur scène.
« Va lui redemander », ai-je hurlé. « Va voir s’il n’y a vraiment rien à
faire pour qu’il revienne. » Mais j’aurais dû me douter, à voir l’expression
de Doug, que c’était en vain.
Quand ça a été définitif, nous n’avons pas eu le choix : nous avons posé
nos instruments, et c’était comme si nous avions débranché une chaîne
stéréo – le morceau s’est achevé sur un point d’interrogation. Tout le stade
était en attente de quelque chose, mais au lieu de ça, nous sommes sortis de
scène sans un mot. Et cela les a déchaînés. Nous n’avions pas idée à quel
point cela les avait déchaînés.
Nous nous sommes retrouvés dans la loge, Axl n’était pas là, et
l’ambiance était plutôt solennelle, pour ne pas dire autre chose. Et c’est là
que le bazar a commencé. Nous avons entendu un martèlement ; même avec
les portes fermées, on voyait bien que c’était l’émeute. Soudain, Axl est
entré dans la loge, et a dit : « On y retourne. »
Nous avons remonté le couloir en direction de la scène, et on se serait
cru dans le film Yellow Submarine des Beatles, où ils traversent un couloir
où tout est normal, mais où à chaque fois qu’ils ouvrent une porte, un train
leur fonce dessus ou un chat se met à miauler : quand on ouvrait une porte,
on entendait des hurlements, quand on en ouvrait une autre, on voyait des
gens sur des civières, des flics couverts de sang, des brancards à roulettes
partout, un vrai pandémonium. À l’époque, on nous filmait pour un
documentaire, et nous avons beaucoup d’images de ces scènes.
Les habitants de St Louis n’acceptaient pas de nous voir annuler le
concert – et ils ont dévasté le bâtiment ; ils ont fait des choses que je ne
pensais pas être possibles. C’était flippant, en tout cas – nous avons appris à
ne pas pousser le public à bout à ce point. Axl, au moins, a dû faire plus
attention, à dater de ce jour, à ne plus jamais exciter le public à ce degré-là.
Nous étions coincés en coulisses, et nous ne savions pas quoi faire. Tout
à coup, Doug est apparu et nous a dit qu’il devait immédiatement nous faire
évacuer, et qu’il y avait une escorte policière qui attendait sur la plate-forme
de déchargement. Nous nous sommes cachés à l’arrière de ces deux vans
pour que personne ne nous voie, et nous avons foncé vers Chicago. Il nous
était impossible de jouer là-bas, parce que tout notre matériel avait été mis
en pièces à St Louis ; ce concert a été un coup dur, et c’est peu dire, sur le
plan financier – rien que dans le stade, la foule a causé pour 200 000 dollars
de dégâts.
Nous nous sommes posés un peu à Chicago, le temps de faire le bilan de
ce qui s’était passé à St Louis. Ça a été une catastrophe pour les gens, et
pour la ville, et Guns N’Roses a été banni à jamais de St Louis.
Quand j’y suis retourné avec le Snakepit en 1995, la veille du concert, je
suis allé de mon hôtel à une rangée de bars à proximité. Ce n’était pas très
loin, alors je ne m’étais pas fait accompagner d’un garde du corps, parce
que je devais retrouver l’équipe là-bas, mais en marchant sur cette portion
de la rue, je me suis retrouvé face à cinq motards, et comme il n’y avait
personne aux alentours, j’ai commencé à m’inquiéter un peu. C’était une
nuit assez sombre, dans une rue assez sombre, que les lampadaires
n’éclairaient que de place en place. Je me suis rapproché, tandis qu’ils me
regardaient ; et je les regardais. L’un d’eux est descendu de sa moto et s’est
approché de moi, et je ne savais pas bien comment tout cela allait se
terminer.
« Salut, mec », a-t-il dit avec un grand sourire. « C’est moi qu’Axl a
frappé. » Comme si j’étais censé lui taper dans le dos. Tout dans son
attitude proclamait : « Hé, on est tous les deux anti-Axl, pas vrai ? » Il avait
l’air de croire qu’on avait un point commun, mais ce n’est pas comme ça
que je fonctionne ; si quelqu’un vient déblatérer sur Axl, je lui rentre
dedans. Je suis le seul à pouvoir faire ça ; parce que j’en ai le droit,
contrairement à un connard dans la rue qui ne le connaît même pas.
L’ambiance s’est immédiatement tendue, mais le type a commencé à me
raconter son histoire, en s’excusant presque.
Il venait de gagner plein d’argent avec son procès ; je crois que le
tribunal lui avait accordé ses dommages et intérêts seulement deux jours
plus tôt. La situation était tendue : à mes yeux, il était clair que ce type
menait grand train avec l’argent qu’il venait de toucher, et qu’il n’allait pas
le dépenser sagement. Ses « amis » semblaient profiter avec lui de sa bonne
fortune, à coup sûr, car ils étaient tous de sortie, visiblement. C’était le plus
petit du lot, et comme tous les gens petits, il essayait d’épater tout le monde.
Il avait bien gagné le droit de se vanter – ainsi qu’une bonne partie de notre
argent –, mais comme il me l’a dit, lors des quelques minutes que j’ai
passées avec lui, dans les jours qui ont suivi l’incident, il ne pouvait même
plus sortir de chez lui. Il avait reçu des menaces de mort par téléphone, par
courrier, la totale. Ce n’est que lorsque la ville a gagné son procès – après
quoi lui aussi avait gagné le sien – que la tendance s’est inversée en sa
faveur.
Ce type-là ne m’a absolument pas impressionné. Je le lui ai dit, je lui ai
dit aussi que je devais partir, et les choses en sont restées là. Bon, où en
étais-je ?
NOUS AVONS PRIS QUELQUES SEMAINES DE REPOS après l’incident de St
Louis, et nous avons mis la touche finale aux deux Use Your Illusion. Nous
avons fêté ça par quelques dates au L.A. Forum, ce qui a été un des grands
moments de la carrière du groupe. Quand je pensais au Forum, je pensais à
Bowie, Led Zep, Aerosmith et AC/DC ; c’est un endroit mythique. Pour les
gens du coin, y jouer était aussi prestigieux que de jouer au Long Beach
Arena – voire davantage. Je ne sais pas ce que ressentaient les autres, mais
quand la limousine s’est engagée sur la rampe d’accès, je ne pensais qu’au
jour où, avec ma mère, j’avais vu Rod Stewart se produire là ; toutes ces
histoires me revenaient à l’esprit. Ces concerts étaient tous complets, et ils
ont été extraordinaires. Le dernier que nous y avons donné a duré trois
heures et demie – de toute l’histoire du groupe, c’est le plus long que nous
ayons jamais fait. Ce concert a eu lieu le 29 juillet 1991, le jour même où le
mixage des disques a été terminé. Comme l’a annoncé Axl sur scène : « Cet
enfoiré est terminé ! »
Tandis qu’on mettait la dernière main au packaging des disques, juste
avant leur sortie, nous avons donné d’autres concerts, avec Skid Row en
première partie – imaginez un peu le degré de débauche que nous avons
atteint, Matt, Duff, Sebastian Bach et moi. Sebastian était parfaitement
enthousiaste et parfaitement novice ; nous avions déjà tout fait, mais nous
l’avons refait avec Sebastian. Cette partie de la tournée, à travers les États-
Unis jusqu’en Europe, était dépravée, tordue, et a porté l’hédonisme à un
niveau inconnu jusqu’alors. C’était vraiment fun, parce qu’à ce moment-là,
Skid Row était vraiment en train de prendre de l’ampleur, et ils étaient aussi
jeunes et affamés que nous l’avions été avec Mötley.
C’est fort dommage que Sebastian ne nous apprécie plus, Duff, Matt et
moi : nous l’avons auditionné quand nous cherchions un chanteur pour ce
qui allait devenir Velvet Revolver, mais ça n’a pas marché. Le mélange des
deux sonnait comme ce que j’appellerais du Skid Roses. Je dois dire que je
suis surpris d’entendre que Sebastian a récemment dit du mal de nous.
Bref, quand nous sommes allés en Europe avec Skid Row, tout s’est très
bien passé – très pro, comme à notre habitude – jusqu’à ce que nous
arrivions à Mannheim, en Allemagne, le 21 août 1991 ; pour cette date,
nous avions également Nine Inch Nails sur l’affiche. Nous avons
commencé en retard – même pour nous – et, peu après le début du concert,
il s’est passé quelque chose et Axl est parti pour je ne sais quelle raison.
Personne ne le chahutait, à ce que je pouvais voir, personne ne lui avait jeté
de bouteille ou autre chose, mais il n’était pas d’humeur. Dans cette ville, la
scène était à plus d’un kilomètre du bureau du régisseur et des loges, et
nous avions donc un van pour faire la navette entre les deux. Quand Axl a
quitté la scène, il a pris le van pour retourner dans les loges.
Nous sommes sortis de scène, et nous avons attendu dans le coin, pour
savoir si Axl allait revenir ou si le van l’avait ramené à l’hôtel. Dans ses
sentiments et sa manière d’agir avec Axl, Matt était très proche de Steven –
il ne comprenait pas pourquoi Axl ne pouvait pas tout simplement jouer le
jeu.
Je me revois debout, avec Duff, tandis que Matt enrageait. Il était dans
le groupe depuis assez longtemps pour que sa réserve de « nouveau » se soit
légitimement dissipée.
« Je l’emmerde, ce mec, a-t-il dit. Je vais aller lui dire ce que je pense. »
Matt avait le sentiment que Duff, Izzy et moi prenions trop de gants
avec Axl depuis trop longtemps. Comme Steven, il voulait lui en mettre
plein la figure et lui donner une leçon, parce que c’est ce qui aurait sans
doute marché avec la plupart des gens. Je comprenais son sentiment, mais
cela me semblait être une mauvaise réponse à une situation extrêmement
délicate. Tout ce que je voulais, c’était aller au bout du concert.
Nous avons alors découvert que le van d’Axl n’était pas parti vers les
loges ; il était dedans, mais refusait de sortir et de remonter sur scène. Duff
et moi y étions déjà allés, pour essayer de le convaincre de le faire, mais en
vain. Matt est donc allé le chercher dans son van, mais sur le chemin, il est
tombé sur Axl, qui avait refait surface et se dirigeait vers la scène. Matt
était tellement remonté qu’il lui est quand même rentré dedans, au point
qu’ils ont failli en venir aux mains.
« Putain, mais qu’est-ce que tu fous ? » a hurlé Matt. « Retourne sur
scène ! »
J’ai couru m’interposer entre eux, parce qu’on était en mauvaise
posture. Axl peut devenir vraiment barjo quand il décide de se battre, et
Matt fait deux fois mon poids – et il est batteur – donc je n’étais pas très à
l’aise. Axl est retourné dans son van, et il n’avait pas l’air de vouloir en
ressortir. Et pendant ce temps-là, l’horloge tournait.
Les organisateurs ont vu ce qui se passait et ont fermé les grilles autour
du stade pour qu’on ne puisse pas sortir. Ils avaient entendu raconter ce qui
s’était passé à St Louis, et c’était une bonne chose : dans le cas contraire, je
suis sûr que les 38 000 fans se seraient rebellés, nous aurions été tenus pour
responsables et arrêtés, et il aurait pu y avoir des morts. La police locale
était déjà sur place, avec son équipement anti-émeute, parée au cas où la
situation aurait dégénéré. C’était un spectacle effrayant et tendu, et il s’en
est fallu de peu.
Axl est revenu sur scène quand il a compris qu’il n’avait pas le choix, et
le reste du spectacle s’est passé comme prévu. Tout ce que je me rappelle
avoir pensé en sortant de scène après le rappel, c’était : « Putain, on a eu
chaud. » Et même un peu trop chaud, apparemment : le lendemain matin,
Izzy nous a fait parvenir un message, par l’intermédiaire d’Alan, nous
informant qu’il quittait le groupe. Il irait au bout des dernières dates de cette
partie de la tournée, mais ensuite, il arrêterait.
Face à cette propension au désastre, Izzy n’a pas pu en supporter
davantage, et à vrai dire, nous aurions dû tous le suivre. Il y avait tant de
fans avides de voir le groupe jouer, que je ne voyais pas pourquoi nous
aurions dû laisser ces conneries nous perturber, et encore moins mettre des
gens en danger. Je suis obsessionnel-compulsif et très impliqué quand il
s’agit de mon métier, et je ne pouvais pas laisser passer ça.
Izzy a terminé la tournée, et j’ai essayé plusieurs fois de le convaincre
de rester, mais en même temps, je ne pouvais absolument pas le lui
reprocher.
« Hé, mec, je sais que ça a été dur, mais je pense qu’on peut rectifier le
tir », lui ai-je dit une fois. « Les concerts sont vraiment géniaux, mec. Le
public est génial, on joue dans des stades… »
« Je sais », a-t-il répondu. « Mais mec, je ne peux pas… c’est juste que
je ne peux plus faire ça. » Le regard qu’il m’a adressé en cet instant était
très éloquent.
Izzy a envoyé une déclaration à tout le monde, et le lendemain, Alan est
venu le retrouver en avion. Il a pris le parti d’Izzy, et il est venu nous voir
pour nous dire qu’Izzy ne reviendrait pas sur sa décision. Je crois qu’Izzy
n’en a même pas discuté avec Axl.
Quand cette décision a été définitive, quand il a été gravé dans la pierre
que le second des membres fondateurs de Guns N’Roses sortait du groupe,
nous avons terminé notre tournée européenne. Le dernier concert d’Izzy a
eu lieu devant 72 000 personnes au stade de Wembley, à Londres, dont
toutes les places se sont vendues plus vite que pour n’importe quel autre
artiste dans l’histoire. Mais il est plus remarquable de signaler qu’autant
que je me souvienne, après qu’Izzy nous eut annoncé qu’il quittait le
groupe, aucun de nos concerts européens n’a débuté en retard.
APRÈS WEMBLEY, NOUS SOMMES RENTRÉS À L.A. ET avons tourné le clip de
« Don’t Cry », dans lequel Dizzy Reed porte un T-shirt « Where’s Izzy ? »
[Où est Izzy ?]. Puis nous avons fait une pause, et j’ai dû consacrer la
mienne à nous trouver un guitariste remplaçant, afin de pouvoir repartir en
tournée. La tâche était tout aussi ardue que lorsque j’avais dû trouver un
nouveau batteur. Axl était persuadé que nous devions prendre Dave
Navarro, ce qui à mon avis n’était pas une bonne idée du tout. Je pense que
c’était une question de style : la personne qui allait remplacer Izzy devait
jouer à la manière d’Izzy, qui était un guitariste rythmique de talent, dont le
jeu apportait une texture unique et subtile aux morceaux. Dave Navarro est
un extraordinaire guitariste ; il est plus fait pour un poste comme le mien
que pour celui d’Izzy. De toute façon, je ne pense pas que Dave ait voulu
s’engager là-dedans. En plus, à l’époque, il avait un problème d’héroïne, ce
qui, de toute évidence, risquait de créer des difficultés majeures.
Axl a eu quelques longues conversations avec Dave au sujet de son
entrée dans le groupe, et il n’était pas homme à se laisser décourager, ce qui
fait que j’ai fini par céder, et que j’ai tenté d’organiser une répétition avec
Dave. Nous avons pris rendez-vous au Mates, mais il n’est jamais venu. Il
m’a refait le coup trois fois.
Après le troisième rendez-vous raté, j’ai appelé Axl : « Mec, il a des
problèmes, ce type, là, Dave », lui ai-je dit. « Moi, je ne marche pas là-
dedans. »
« OK, OK », a-t-il dit. « Je vais lui parler. »
Axl m’a convaincu que Dave était vraiment motivé, et que la prochaine
fois que je l’appellerais, il viendrait. Je l’ai rappelé, et, comme je m’y
attendais, il n’est pas venu. C’en était trop, j’étais furieux : je n’ai plus
jamais accepté d’envisager la possibilité d’engager Dave Navarro.
Cela faisait un moment que je pensais au seul guitariste que j’avais vu et
qui me rappelait Izzy : il était dans un groupe du nom de Candy, qui avait
fait la première partie de Hollywood Rose au Madame Wong’s West, bien
avant que je sois dans un groupe avec Axl. Il s’appelait Gilby Clarke, et si
ma mémoire était bonne, c’était le seul type à ma connaissance avec un
feeling à la Izzy, ce qui n’était pas évident à trouver.
J’ai contacté Gilby, et il était plus que désireux d’avoir le poste. Il a
appris soixante morceaux en deux semaines ; il est venu passer une
audition, qu’il a remportée haut la main. Deux semaines plus tard, nous
avons répété avec lui et le groupe au complet, nous avons mis au point notre
liste de chansons, et en un clin d’œil, nous étions de retour, prêts à en
découdre.
Ça a été une période étrange. Le départ d’Izzy s’était fait très
discrètement, sans tambour ni trompette, et sans avoir prévenu les médias.
C’était un changement majeur au sein du groupe, mais pour le monde
extérieur, c’était un non-événement. C’est sans doute passé inaperçu, parce
que les deux albums sont sortis juste avant qu’on ne reparte en tournée.
À leur sortie, le 17 septembre 1991, Use Your Illusion II s’est classé
numéro un, et Use Your Illusion I s’est classé numéro deux. Nous avions
établi un record : aucun autre artiste, tous styles confondus, n’avait réussi
un tel exploit depuis les Beatles. Nous recevions toutes ces super nouvelles,
importantes et positives, alors qu’au même moment, nous vivions des
choses dramatiques et très négatives. J’étais alors tellement habitué à ce que
la vie ne soit pas un long fleuve tranquille que ça ne m’a pas vraiment
perturbé, et que je n’ai même pas envisagé une minute que cet état de fait
puisse ne pas être tout à fait normal.
QUAND GILBY NOUS A REJOINTS POUR REPARTIR SUR la route, nous avons
ajouté Soundgarden à l’affiche, et cette nouvelle partie de la tournée a
débuté en décembre 1991 à Worcester dans le Massachusetts. C’était un de
nos groupes préférés, et c’était chouette de les avoir à nos côtés, mais nous
n’avions pas du tout de bonnes relations. Nous n’étions pas dans le même
trip que tous ces groupes grunges, en fait, parce que nous étions devenus
tellement énormes ; nous étions le Led Zeppelin de l’époque, et de leur
point de vue indépendant et plus underground, ils nous considéraient
comme « gros, paresseux, et complaisants ». Nous les emmenions en
tournée, et ils ne nous adressaient pas la parole. C’était très hypocrite de
leur part, parce qu’ils n’avaient pas vraiment envie d’être là, mais, à moins
que je me trompe, ils n’avaient pas refusé notre proposition. En réalité, Duff
et moi nous entendions vraiment bien avec Chris Cornell et Tim Thayil, et
je comprenais leur désir de garder leurs distances par rapport au cirque
ambiant.
Nous avons dû gérer une situation bien plus conflictuelle avec notre
autre groupe de première partie, Faith No More, après que leur chanteur,
Mike Patton, eut commencé à nous insulter sur scène. Nous avons laissé
passer une fois, deux fois, mais après, nous en avons eu assez. Nous
devions avoir une explication avec lui. Axl est venu avec moi, ainsi que leur
guitariste, Jim Martin, parce que Jim avait autant de mal que nous à
supporter Mike.
« Écoute, mec, ai-je dit, si ça ne te plait pas, casse-toi. Ça ne peut pas
durer. Sois tu fais le truc, et tu le fais bien, sois tu laisses tomber et tu
rentres chez toi. »
Ils sont finalement allés au bout de la tournée, et Mike ne s’est plus
jamais manifesté pendant leur set.
Nous avons fait trois dates au Madison Square Garden (les 9, 10 et 13
décembre 1991), stade dans lequel Led Zeppelin avait filmé The Song
Remains the Same. Sur une de ces dates, nous avons rencontré l’un des
héros d’Axl, Billy Joel. Ce n’est pas évident au premier coup d’œil, mais
Axl adore les grands compositeurs : les Eagles, Elton John, Billy Joel – il
connaît son métier. Tout ce que je savais de Billy Joel, c’était qu’en 1978, la
mère de mon meilleur ami passait en boucle son premier album, The
Stranger. Mais ça a été génial de rencontrer Billy ce soir-là, parce que c’est
vraiment un mythe, et aussi parce qu’il était très, très soûl – je ne
m’imaginais pas qu’il fût un tel fêtard, et ça m’a beaucoup plu. Duff et moi
avions sans nul doute des points communs avec lui, et Axl était vraiment
très très heureux. On a emmené Billy dans la loge, où nous avions plein
d’alcool, et il a fouillé dans le bar, en faisant un boucan d’enfer.
« Il est où, le Johnny Walker Black Label ? » disait-il tout fort, pour lui
autant que pour nous. « Il n’y a pas de Johnny Walker Black. » Il va sans
dire que nous avons immédiatement envoyé quelqu’un chercher une
bouteille pour Billy.
EN FÉVRIER 1992 A EU LIEU NOTRE DENIER CONCERT avec Soundgarden, à
Compton Terrace, dans l’Arizona, et nous avons décidé de le rendre
mémorable, grâce à une petite blague. Nous nous sommes procuré quelques
poupées gonflables, et Matt, Duff et moi nous sommes déshabillés et avons
fait irruption sur scène avec les poupées. Maintenant que j’y pense, j’étais
le seul à être complètement nu. En tout cas, Soundgarden faisait la promo
de leur album Badmotorfinger, et ils venaient d’un milieu où il était mal vu
de s’amuser en faisant du rock, et ils étaient donc mortifiés. Ils se sont
retournés, et nous étions en train de niquer des poupées gonflables autour
d’eux ; j’étais soûl et je suis tombé. On m’a enlevé la poupée, alors que
j’étais complètement nu – vous imaginez la scène !
NOUS AVONS FAIT TROIS DATES AU JAPON, AU TOKYO Dome (les 19, 20 et 22
février 1992), et c’était quelque chose ; en fait, moi, j’ai fait cinq concerts
de suite au Tokyo Dome – deux avec Michael Jackson et trois avec Guns
N’Roses. Le contraste entre les deux publics était aussi radical qu’on peut
l’imaginer ; rien de plus surréaliste, à mon avis, que de passer de Michael
Jackson, qui volait autour de la scène et dont les loges étaient pleines de
gamins et de jouets, aux Guns et à tout ce que cet univers impliquait, deux
jours après – le tout au même endroit. Pour couronner le tout, j’ai passé ma
journée de battement entre les deux concerts à Tokyo Disney.
J’étais arrivé en avance pour me produire avec Michael ; j’avais
enregistré avec lui à L.A., entre le moment où nous avions fini les deux
Illusion et leur sortie, quand nous étions rentrés chez nous entre deux
parties de la tournée. À l’époque, je résidais au Hyatt sur Sunset, quand j’ai
reçu un appel de notre bureau.
« Hé, Slasher, Michael Jackson cherche à te joindre », m’a dit Alan. « Il
veut que tu joues sur son disque. »
« Oh, waouh ! » ai-je dit. « OK. »
Puis j’ai reçu un appel de Michael.
« Allô ? » ai-je dit.
« Allô ? Slash ? » a-t-il dit avec sa voix caractéristique, pleine de
nervosité et de timidité.
Et tout est parti de là. J’étais flatté et intimidé, mais tout s’est très bien
passé. Nous avons fait deux morceaux : le premier, le plus cool, s’intitulait
« Give in to Me », et ressemblait un peu à une nouvelle version de sa
chanson « Dirty Diana ». Quand je suis allé l’enregistrer au Record Plant,
Michael était là avec Brooke Shields, avec qui il sortait à l’époque. C’était
bizarre : le studio était aussi peu éclairé et aussi sombre que lorsque les
Guns enregistraient, parce que nous aimions bien cette ambiance.
« Salut », a dit Michael. « Je te présente Brooke. »
« Salut, ravi de te rencontrer. » ai-je dit. Je crois que j’ai voulu lui serrer
la main.
« Je voulais vraiment te remercier de participer à mon album », a-t-il
dit. « Je suis vraiment très impatient de voir ce que tu vas faire. »
Et puis ils sont partis – ils sont allés dîner, ou autre. J’ai enregistré mon
solo, et voilà. Quelques jours plus tard, je suis revenu et j’ai fait
l’introduction de « Black or White ». Ils voulaient quelque chose pour le
début, qui n’a même pas été retenu dans le morceau qui figure sur l’album.
Pour entendre ce que j’ai fait, il faut regarder le clip : c’est ce que joue
Macaulay Culkin à la guitare avant que la chanson ne démarre. C’était
bizarre ; pour être franc, ce n’est pas vraiment ce que j’avais en tête pour ce
solo.
Je pense que Michael Jackson m’aimait bien à cause du côté dessin
animé de mon personnage. Je pense qu’il me considérait comme une
caricature. Mais je suis comme ça. Je ne sais toujours pas s’il le sait.
TANDIS QUE NOS ALBUMS CARACOLAIENT TOUJOURS en tête des charts dans le
monde entier, nous avons fait une tournée au Mexique en avril, et comme
tous nos fans en Amérique Latine, le public mexicain était plein de ferveur.
Et puis nous avons fait le concert en hommage à Freddie Mercury à
Londres, qui était extraordinaire – c’était un autre des héros d’Axl, et même
si notre prestation était courte, nous avons tout donné : nous avons joué
« Paradise City » et « Knockin’on Heaven’s Door ». Plus tard dans la
soirée, je suis remonté sur scène jouer « Tie Your Mother Down » avec
Brian May et Roger Taylor, de Queen, et Axl a aussi chanté d’autres
morceaux. À la fin, nous avons tous entonné « We Are the Champions ».
C’était un concert exceptionnel, mais le moment le plus mémorable de la
soirée a été quand j’ai baissé mon pantalon devant Liz Taylor : j’étais dans
les loges en train de me changer, quand elle a ouvert la porte, avec tout son
petit monde autour d’elle, et m’a surpris en T-shirt, sans pantalon. Elle n’a
pas paru gênée le moins du monde ; elle était absolument diabolique – et je
sentais bien au creux des reins qu’elle se rinçait l’œil.
EN MAI 1992, NOUS AVONS ANNONCÉ QUE NOUS FErions une tournée
commune avec Metallica, qui commencerait le 7 juillet – c’était l’affiche de
rock’n’roll la plus énorme de l’époque. C’était tout simplement génial : ils
venaient de sortir le Black Album, et nous étions au sommet avec Use Your
Illusion I et II. Puis nous sommes partis pour notre tournée des stades en
Europe, qui a démarré à Dublin, en Irlande, en mai 1992.
Sur le plan personnel, ma copine Renee et moi nous étions séparés
pendant que nous tournions en Amérique, parce qu’elle avait appris
combien j’étais infidèle au cours de cette tournée. La tromper était quelque
chose que j’avais promis de ne jamais faire. C’était une faiblesse de ma
part, née de mon besoin de m’éclater autant que possible entre deux
concerts : ça, et l’abus de boissons, c’était mon remède personnel pour
supporter cette zone de turbulences émotionnelles, ces hauts et ces bas
psycho-émotionnels constants. L’alcool et les filles – voilà ce qui me
permettait de tenir. Pendant la plus grande partie de notre carrière
professionnelle, je n’avais pas vraiment profité de l’énorme quantité de
femmes qui s’offrait à moi, et à présent que j’étais perturbé par tout ce qui
se passait, j’en profitais pleinement.
Malheureusement, comme c’est souvent le cas, tout a éclaté au grand
jour. Nous étions à Chicago, quand j’ai reçu sur mon répondeur un message
du demi-frère de Renee, qui était un très bon ami à moi. J’étais avec une
fille, à ce moment-là, une actrice – une vraie – que j’avais vue dans un film.
Nous étions dans ma chambre d’hôtel quand je l’ai rappelé.
« Salut, mec, c’est Slash », ai-je dit. « Qu’est-ce qui se passe ? »
« Mec », m’a-t-il dit, mortellement sérieux. « Je ne sais pas ce que tu
fabriques en tournée, et ce sont tes affaires. Mais je pense que tu devrais
appeler Renée, parce qu’elle s’inquiète de quelque chose. Elle ne veut pas
me dire de quoi il s’agit, mais elle a l’air très énervée. »
J’ai appelé Renee, et elle m’a envoyé promener avec un langage des
plus fleuris. Et puis, en termes dénués de toute ambiguïté, elle m’a menacé,
en m’informant qu’elle avait un oncle à Chicago – sans se douter que j’étais
à Chicago – qui avait des relations et qui se ferait un plaisir de « s’occuper
de moi » si elle le lui demandait.
Vlan. Elle a raccroché.
J’ai raccroché le téléphone. Je l’ai contemplé une seconde. Et puis je me
suis tourné vers la fille qui était dans mon lit.
« Hé », ai-je dit. « Tu ferais mieux de partir. »
« Heu, OK », a-t-elle fait d’un air ennuyé. Elle s’est assise et a
commencé à chercher ses vêtements.
Et puis j’y ai réfléchi une minute : « Bon… peut-être pas tout de suite »,
ai-je dit, et je suis retourné dans le lit. Il va sans dire que Renee et moi
sommes restés séparés un moment après ça.
LA TOURNÉE EUROPÉENNE ÉTAIT EXTRAORDINAIRE, et pleine de moments
mémorables. Nous avons donné ce concert à Paris, pour lequel Axl s’est dit
que nous devrions faire venir jouer des gens avec nous, et filmer le concert
pour le diffuser en pay-per-view dans le monde entier par satellite. Axl a
demandé à Aerosmith, Lenny Kravitz et Jeff Beck de venir, et il l’a fait
pour moi, même si c’était apparemment totalement gratuit, parce que c’était
mes artistes préférés – comme vous l’avez maintenant compris, Aerosmith
était mon groupe préféré, Beck mon guitariste préféré et j’avais joué sur
l’album de Lenny.
J’ai eu le sentiment qu’il faisait un effort pour me faire plaisir, parce
qu’il faisait rarement ce genre de gestes grandioses dans le but de rendre
heureux – il aurait été aveugle s’il n’avait pas vu combien j’étais énervé,
tandis que la tournée se poursuivait. Il s’était déchargé de toutes les
responsabilités du groupe sur moi personnellement, entre le recrutement de
Matt et Gilby et celui des musiciens additionnels. Je crois que dans son
esprit, ce concert en pay-per-view était un geste d’apaisement à mon égard,
parce que chaque fois qu’il se décidait à faire la paix, Axl ne passait jamais
par les mots.
J’aurais préféré qu’il le fasse, parce que ce concert nous a coûté très
cher, et même si des millions de personnes l’ont vu, il ne me semblait pas
absolument indispensable. Mais encore une fois, j’ai accepté de le faire. À
dire vrai, j’étais très excité de le faire, même si tout cela était excessif.
Chaque fois que je monte sur scène avec Aerosmith, c’est parce que
nous sommes dans la même ville au même moment – en général, ils
m’invitent, mais je m’estime chanceux quand ils m’envoient une voiture
pour me conduire jusqu’à la salle de concert. Pour ce concert-là, tous les
invités ont eu droit au tapis rouge : voyage en première classe, hôtel de luxe
à Paris – la totale. Tout le monde est arrivé la veille du concert, et nous
avons organisé des répétitions pour « Always on the Run » avec Lenny et
« Train Kept a-Rolling » avec Aerosmith, tandis que Jeff Beck devait jouer
« Locomotive » avec nous.
Tout le monde est venu à la balance… sauf Axl. Je revois Steven Tyler
venir vers moi et me demander – encore – : « Où est ton chanteur, mec ? »
Comme je l’ai dit, c’est sa façon de me dire bonjour depuis notre première
tournée ensemble. Mais cette fois, c’était trop vrai pour être drôle. Steven
n’a pas été le seul à me poser cette question, ce jour-là – en fait, tout le
monde l’avait sur le bout des lèvres. Ce n’était pas facile de rester là, à
encaisser ; je ne voulais pas dire du mal d’Axl, mais c’était compliqué de ne
pas avoir l’air stressé, alors que Steven Tyler était devant moi, et que ce
qu’il disait était vrai.
Je me revois faire la balance le jour du concert, en train de jouer
« Locomotive » avec Joe Perry et Jeff Beck, et de discuter tout en jouant de
la guitare. Jeff était là, à jouer tout en discutant avec nous… c’était
vraiment cool, il enchaînait des riffs incroyables tranquillement,
nonchalamment.
« Tu t’es entraîné, non ? » lui a demandé Joe Perry. J’ai trouvé cette
remarque bizarre. Il s’agissait de Jeff Beck, putain !
Mais Jeff s’est explosé les oreilles lors de la balance… ou pour être plus
précis, Matt a explosé les oreilles de Jeff : Jeff était à côté de l’estrade de la
batterie quand Matt a frappé sur une cymbale et lui a frappé la tête avec.
C’était la tuile – on était à la veille du concert, et Jeff ne pouvait pas jouer ;
il n’entendait plus rien, et ne pouvait absolument pas jouer, donc il est
rentré chez lui. Ce n’était pas cool du tout, il a subi de sérieuses lésions.
Des années après, Matt m’a dit qu’il avait vu Jeff donner une interview à ce
sujet et qu’il avait résumé les événements ainsi : « Il a frappé la cymbale, ça
a fait crash, et voilà. Plus rien. »
Il nous a manqué, mais le concert s’est vraiment bien passé : Lenny est
venu et a fait son truc, ainsi que Joe et Steven. Malheureusement, leur
intervention devait avoir lieu à la fin d’un concert de deux heures, qui a
démarré avec une heure de retard, ce qui fait qu’ils ont passé toute la soirée
à attendre en coulisses. J’hallucine encore qu’Axl ne soit pas venu à la
balance, et pire, qu’il nous ait fait commencer avec une heure de retard. Je
peux compter sur les doigts d’une seule main le nombre de fois où Axl a
assisté à la balance ; il faisait toujours attention à sa voix, ce que je peux
comprendre. Mais je ne pense pas que ce soit pour ça qu’il n’est pas venu à
cette balance en particulier. Cela dit, je ne sais absolument pas pour quelle
raison il n’a pas fait cette balance… ni les autres de cette tournée, d’ailleurs.
QUAND NOUS SOMMES ARRIVÉS EN ANGLETERRE POUR quelques dates, je me
suis senti seul et j’ai appelé Renee, que j’ai fait venir. J’avais pris cette
décision un soir que toutes mes activités sordides, lunaires et dépravées
m’avaient rattrapé et m’avaient laissé un sentiment de vide et de solitude
extrême. C’est quelque chose que les musiciens expérimentent
régulièrement quand ils sont sur la route depuis trop longtemps : leur cœur
s’attendrit, et dans un moment de faiblesse, alors qu’ils savent que c’est une
erreur, ils cèdent et finissent en général par s’engager auprès de la mauvaise
personne.
Bref, le lendemain ou le surlendemain, elle est arrivée. Je l’attendais au
bar de l’hôtel, et quand elle est entrée, j’étais complètement distrait et en
admiration devant Jonathan Winters, qui était là aussi – c’est l’un de mes
acteurs comiques préférés, et nous avons fini par boire quelques verres avec
sa femme et lui, et c’était très sympa.
Renee et moi avons passé des moments très agréables. Elle m’a
accompagné dans notre traversée de l’Angleterre, et nous avons discuté de
l’hypothèse de nous remettre ensemble. Mais elle était venue dans le même
état d’esprit que la première fois que je l’avais rencontrée – elle ne voulait
pas me faciliter la tâche. Il était hors de question qu’elle reste longtemps sur
cette tournée.
Ensuite, nous sommes retournés en Europe, et en Allemagne, certains
d’entre nous ont enregistré avec Michael Jackson le clip de la chanson sur
laquelle j’avais joué dans son album Dangerous, « Give in to Me ». Le
single est sorti en Europe, mais pas aux États-Unis. Gilby, Ted Adriatus,
alias Teddy Zig Zag et moi avons tourné dans le clip aux côtés de Michael :
c’était un concert dans un club de Munich, avec de vrais fans. Nous avions
Muzz Skillings, de Living Colour, à la basse, et le concept était « Michael
chante dans un groupe de heavy metal ». Malheureusement, ce clip n’a été
diffusé que sur MTV Europe.
AU COURS DE CETTE TOURNÉE, L’ATTITUDE GÉNÉRALE était « dépensons sans
compter », ce qui était nouveau pour nous. Quand nous avions des jours de
repos, on nous louait des yachts. En Angleterre, on nous a organisé un
rallye de kart de cinq heures à l’ouest de Londres. En Australie, prendre un
bateau pour aller voir la Grande Barrière de Corail était quelque chose que
visiblement, le groupe devait absolument faire. Toutes ces dépenses étaient
insensées. Doug donnait son accord à ces idées, toutes plus folles les unes
que les autres, pour occuper notre temps libre à nos frais. Axl excepté, le
groupe se serait bien passé de tout cela – nous étions plus que capables de
nous amuser tout seuls à n’importe quel endroit du globe, pour un budget
ridicule.
Il est certain que notre erreur a été de ne jamais nous préoccuper du
montant des dépenses engagées par Doug. Dans un coin de ma tête, je
savais bien que louer un yacht ou privatiser un restaurant n’était pas gratuit,
mais en même temps, je ne voulais rien dire, parce que parfois, ces activités
permettaient de maintenir le statu quo. Je sais que tel était le but de Doug :
il faisait tout ce qu’il pouvait pour que tout le monde soit content, mais en
même temps, chaque fois qu’il organisait l’un de ces événements
grandioses, je lui en tenais rigueur, au fond de moi. Là-dessus, j’avais
beaucoup de mal avec l’influence de Doug, mais je ne pouvais pas m’en
prendre trop directement à lui. À ce stade, Doug était tellement collé à Axl
qu’il voyait ce qu’Axl voyait, avec la même limpidité.
J’ai toujours trouvé suspect que Doug soit notre manager alors qu’il
était tout le temps sur la route. Il avait tout le temps des millions d’excuses
pour être là, mais seules quelques-unes étaient valables, et je pense qu’en
vérité – mais ce n’est que mon opinion – il restait là pour garder son
influence sur Axl et donc son boulot. En se rapprochant d’Axl, à l’époque
où il était notre responsable de tournée, Doug avait consolidé sa nouvelle
fonction de manager, du moins c’était l’impression que j’avais. Je voulais
tellement que tout continue à fonctionner que je ne m’inquiétais pas trop de
ces extravagances, mais je trouvais ridicule que quelqu’un qui était censé
piloter notre carrière fût assez arrogant non seulement pour permettre ces
gâchis d’argent, mais aussi pour lui-même en profiter sur la tournée, comme
s’il l’avait mérité en montant sur scène tous les soirs.
À LA FIN DE LA TOURNÉE EUROPÉENNE, NOUS SOMMES rentrés aux États-Unis
et Axl s’est fait arrêter dès que nous avons atterri à l’aéroport JFK à New
York, le 12 juillet 1992. Il était considéré comme un fugitif, à cause des
mandats d’arrêt qui avaient été lancés contre lui après son arrestation par la
police de St Louis, suite à l’émeute de 1991. Deux jours plus tard, devant le
tribunal de St Louis, il a plaidé non coupable de quatre charges de délit
d’agression et d’une charge de dommages matériels. Une date a été fixée au
mois d’octobre. Nous avons été autorisés à démarrer notre tournée avec
Metallica trois jours plus tard, comme prévu.
Tandis qu’Axl réglait ses problèmes, j’ai bénéficié de cinq jours de
liberté à L.A., et dès que je suis arrivé, je suis allé dîner au restaurant avec
Renee. À la fin du repas, nous avions épuisé toutes les banalités d’usage, et
nous avons commencé à évoquer la possibilité de nous revoir
régulièrement.
« Non, a-t-elle dit. Je ne veux pas recommencer. »
« Ah bon ? » ai-je demandé, complètement absorbé par cette
conversation. « Et pourquoi pas ? »
« Je ne serai avec toi que si on se marie. »
« Ah ouais ? » ai-je dit. « Vraiment ? »
Elle m’avait adressé l’ultimatum ultime, parce que le mariage était loin
d’être une de mes préoccupations. J’étais en manque d’affection, et je ne
sais pas si elle l’a perçu, mais sous la pression, j’ai cédé. Je lui ai dit que
j’allais y réfléchir, et puis je suis revenu vers elle avec une bague et nous
avons fixé une date.
LA TOURNÉE AVEC METALLICA A COMMENCÉ À Washington D.C., en juillet
1992. Nous avons eu une réunion avant le début, parce que le camp de
Metallica était préoccupé : nous avions d’énormes problèmes à arriver sur
scène à l’heure, du fait des hauts et des bas que nous traversions. Metallica
n’était pas groupe à tolérer ces conneries, et ils ont sagement décidé de
jouer en premier, pour éviter d’être foutus dans la merde par nos bêtises.
J’ai énormément de respect pour James – je pense que c’est l’un des
chanteurs-compositeurs-guitaristes les plus prolifiques de l’histoire. J’avais
suivi le groupe depuis Master of Puppets, qui était sorti peu de temps avant
Appetite. Quand nous avons décidé de faire une tournée ensemble, une
partie de moi était très excitée, et l’autre inquiète, parce que je me
demandais comment ça allait se passer et si Axl allait pouvoir s’adapter.
Metallica en tournée était un groupe sans fioritures, qui travaillait dur ; ils
faisaient de longues tournées, ne commençaient jamais en retard – ils ne
rigolaient pas. Ils avaient une éthique de travail assez macho et étaient
dévoués à leurs fans, ce que je trouvais tout aussi respectable. Ils
représentaient tout ce que j’admirais sur le plan professionnel, et je ne
voulais pas voir tout cela capoter ; je ne voulais pas les décevoir.
Dès le début de la tournée, Axl a entrepris d’impressionner Metallica et
tous les autres – à sa façon. Il a eu l’idée d’organiser des fêtes en coulisses
tous les soirs – des soirées à thème qui permettraient à nos invités de se
détendre, comme le faisaient les Stones sur leurs tournées. Axl avait engagé
son demi-frère, Stuart et sa sœur Amy dans l’équipe de management, et ils
ont été chargés d’organiser ces fêtes, d’après les idées d’Axl. Ils n’avaient
évidemment pas l’expérience nécessaire pour cela. Je les ai vus en action, et
ça n’avait rien de cool, tout en étant une nouvelle extravagance superflue.
Je n’ai jamais assisté à aucune de ces fêtes sur toute la durée de la tournée.
De toute façon, l’idée en elle-même était trop complaisante, trop
égocentrique, et trop tape-à-l’œil pour moi, pour que j’y assiste sans arrière-
pensée.
En fait, je me trompe, j’ai assisté à l’une d’entre elles, une fois, parce
que je cherchais quelqu’un. Si je me souviens bien, c’était une soirée
« thermes romains », avec un grand jacuzzi au milieu de la pièce. Je sais
qu’ils ont fait une soirée casino, une fiesta mexicaine, et plusieurs autres
thèmes. À chacune de ces fêtes, le frère et la sœur d’Axl s’activaient tous
les jours pour la mener à bien. Les mecs de Metallica se sont
immédiatement tenus à l’écart de tout ce cirque bizarre. Tout se passait
comme si personne ne voulait seulement en parler. Toute cette histoire de
soirées à thème et le comportement d’Axl me faisaient penser au premier
Creepshow, à l’épisode dans lequel il y a une chose sous un escalier, dans
une boîte, qui dévore les gens, mais dont personne ne veut parler.
C’était toujours fun, mais Axl et notre incapacité à monter sur scène à
l’heure tous les soirs étaient un gros point noir, un peu comme un éléphant
au milieu de la pièce. Personne n’abordait ce sujet, mais il était évident que
tout le monde y pensait. Lars Ulrich ne m’en a jamais parlé, mais il en a
parlé à Matt, et c’était humiliant et gênant de voir à quel point ces fêtes
étaient nulles et à quel point Metallica était déçu que nous ne puissions
même pas être sur scène à l’heure. Je pense que si Axl montait si tard sur
scène, et n’a jamais compris pourquoi tous les gens impliqués – les fans
comme le groupe – considéraient cela comme choquant, égoïste et
méprisant, c’était qu’il ne voyait pas ça pour ce que c’était. C’est pour cela
qu’il avait l’impression que les autres ne le comprenaient pas. Je pense que
dans son esprit, il trouvait cela cool de faire attendre les gens, comme si
cela faisait grimper le degré d’anticipation plutôt que de créer de la
frustration. Je crois que tout cela contribuait à développer la grande idée
qu’il se faisait des Guns. Et du coup, il n’arrivait tout simplement pas à
comprendre pourquoi ce qu’il faisait n’avait aucun sens pour nous ou pour
le reste du monde. Et bon sang, je ne pouvais rien faire contre cela.
Metallica gagnait exactement la même somme que nous tous les soirs,
mais tandis qu’ils en empochaient la totalité, nous en lâchions 80%, à la fois
pour payer aux syndicats les heures supplémentaires que nous leur faisions
faire en commençant en retard, et pour organiser ces soirées à thème
débiles. La situation était vraiment mauvaise.
C’EST FORT DOMMAGE QUE NOTRE SÉRIE DE DYSFONCtionnements ait atteint
son apogée lors de la tournée avec Metallica. Quand tout se passait bien,
cette double affiche était l’événement de l’année. Quand ce n’était pas le
cas, c’était un cauchemar. Pour nous, globalement, nous avions une superbe
alchimie sur scène malgré les tiraillements au sein du groupe, mais à
certains moments, la coupe débordait. Rester assis des heures à attendre de
pouvoir monter sur scène… cela gâchait vraiment la musique. Imaginez un
athlète qui s’échauffe, puis qui se refroidit, et qui tout à coup doit se mettre
à courir : on mettait plus de temps à rentrer dans le rythme, mais on y
arrivait toujours.
Mais une fois sortis de scène, nos relations étaient atroces, et au fil de la
tournée, c’est devenu de plus en plus difficile à ignorer. La tension était
tellement palpable que Duff et moi nous sommes mis à absorber des
quantités colossales d’alcool, simplement pour supporter la journée. Nous
n’avions aucun mal à siffler un demi-gallon de vodka pendant les deux
heures que nous passions en coulisses à attendre de commencer. Le manque
de respect et de confiance induit par le comportement d’Axl était en train de
ronger le cœur du groupe. Axl faisait penser à un quarterback qui refuserait
de lancer le ballon, alors que nous avions commencé à perdre tous nos
matches.
Fin juillet, au Giants Stadium, Axl a à peine pu finir le concert à cause
de l’état de sa voix. Son médecin lui a conseillé de se reposer une semaine,
et nous avons donc annulé les trois dates suivantes. La tournée a repris au
Canada, et c’est là qu’a eu lieu l’événement tristement célèbre, qui a donné
le coup de grâce* à tout ce qui n’allait pas dans notre groupe.
L’incident s’est produit à Montréal, le 8 août 1992. Metallica est monté
sur scène, et au milieu du concert, James Hetfield a pris feu lorsqu’un effet
pyrotechnique a mal fonctionné. Il a été grièvement blessé au bras et à
l’épaule, et le groupe a été obligé de mettre immédiatement fin à son set.
Quand c’est arrivé, nous étions encore à l’hôtel, et on nous a demandé de
monter sur scène plus tôt – ce n’était pas un problème ; nous avons bien
entendu accepté. Le groupe s’est immédiatement rendu au stade et nous
nous sommes demandé ce que nous allions jouer pour pallier l’absence de
Metallica et assurer notre propre concert. Nous avions plein de temps pour
examiner nos différentes possibilités, mais rien de tout cela ne s’est produit
parce qu’Axl n’est pas venu.
Non seulement nous n’avons pas commencé assez tôt pour compenser
l’absence de Metallica, mais en plus nous avons commencé avec trois
heures de retard sur notre planning. À la fin, il s’était écoulé quelque chose
comme quatre heures, entre le moment où Metallica avait dû interrompre
son concert et celui où nous étions montés sur scène. Et là, Axl y a mis fin
plus tôt que prévu, au bout d’une heure et demie au lieu des deux heures
initiales. Je suis sûr qu’il avait de bonnes raisons pour cela, mais à ma
connaissance, il n’en a informé ni moi, ni le public.
Je ne peux pas dire que j’ai été surpris quand la foule a commencé à
s’agiter. En vieux pros aguerris, nous sommes restés assis dans les loges,
qui n’étaient en fait que les vestiaires, sous le terrain de hockey. Nous
entendions les piétinements au-dessus, et nous savions qu’il n’était pas
possible de remonter sur scène. La foule a tout cassé à l’extérieur du stade,
des loges aux stands. À un moment, nous avons pris l’ascenseur pour aller à
l’étage, et nous avons vu dans le hall d’entrée des gamins qui balançaient
des pierres dans les vitrines ; quand l’une d’elles a volé en éclats, ils se sont
dépêchés de prendre tout ce qu’ils pouvaient.
En repartant, nous avons pu voir des voitures retournées dans le
parking, et des gamins en train de démolir les grands lampadaires,
d’allumer des feux de joie et de casser tout ce qu’ils pouvaient – la totale.
C’était un vrai fiasco.
Axl avait une excuse pour avoir arrêté le concert plus tôt ; il avait une
vraie raison, et il l’a rendue publique. Il avait annulé notre concert à Boston
et deux autres à cause de sa gorge, et il a dit que ses cordes vocales étaient
endommagées et que c’était pour cela qu’il ne pouvait pas chanter. Pour
nous, c’était du pipeau, parce qu’à Montréal, il ne nous avait pas dit qu’il
souffrait ou autre avant le concert. Ça a été une période très tendue – une
grosse épine dans le pied pour moi et pour tout notre camp. Pour moi en
particulier, c’était même un énorme problème, parce que j’avais perdu la
face devant tous les membres de Metallica. Nous avions manqué à la
promesse que nous avions faite, à eux, aux fans et à nous-mêmes, de donner
les meilleurs concerts possible, quoi qu’il advienne. Et quand il avait
vraiment fallu assurer, nous avions été en dessous de tout. Je me sentais
vraiment idiot. Je n’ai pas pu regarder en face James, Lars ou tout autre
membre de leur groupe pendant tout le reste de la tournée.
Nous avons repoussé les dates restantes d’un bon mois jusqu’à ce que
James soit assez remis pour reprendre. Apparemment, ce laps de temps a
également suffi pour que les cordes vocales d’Axl se remettent aussi. Quand
nous avons redémarré à Phoenix, le 25 août, James a demandé à un de leurs
assistants guitare de jouer pendant qu’il chantait ; il était sur le devant de la
scène, avec un gros plâtre sur le bras. Voilà à quel point ils étaient cool.
C’était frustrant pour moi, parce que nous nous vantions d’être un groupe
de rock’n’roll hardcore de première, mais nous avions un talon d’Achille
qui nous rendait vulnérables. Nous étions devenus gigantesques et
mythiques, et toutes ces conneries minables étaient très pénibles.
NOUS AVONS DONC REPRIS LA TOURNÉE AVEC MEtallica et avons fait les
dates que nous avions été obligés d’annuler. En septembre, nous avons eu
un petit problème avec Faith No More, qui faisait la première partie, et ils
ont préféré partir plus tôt que prévu. Ils se sont séparés peu de temps après.
Nous les avons remplacés par Body Count, avec Ice-T, qui avaient une
réputation aussi sulfureuse qu’on peut l’imaginer après la sortie de leur
single « Cop Killer ». Nous avons aussi fait venir nos grands amis de
Motörhead. Je suis monté sur scène jouer « Back in my Car » avec eux au
Rose Bowl.
Le 24 septembre 1992, quand nous sommes arrivés dans la Baie pour
jouer à l’Oakland Stadium, j’ai eu des petits ennuis. Nous résidions dans un
hôtel de San Francisco, et dans l’après-midi, avant d’aller faire la balance,
je me suis violemment disputé avec Renee au sujet de notre contrat
prénuptial. On en est arrivés à hurler plus fort l’un que l’autre et à se
disputer de manière si féroce que j’étais hors de moi. Je suis arrivé au
concert dans un tel état d’énervement que j’étais déterminé à faire ce que je
fais quand je veux vraiment marquer le coup : prendre de l’héro. Je n’en
avais pas pris depuis longtemps, parce que même si le groupe me rendait
malheureux, je ne voulais pas nuire à mon professionnalisme. Mais là,
j’avais une bonne excuse, à mes yeux du moins.
Je suis allé au concert, et j’ai rencontré une vieille amie, une star du
porno que j’appellerais « Lucky », et que je connaissais depuis quelques
années. C’était une amie d’une ex-copine à moi, Savannah, une star du X,
avec qui j’étais sorti quelques mois quand j’étais de repos à L.A. et que
nous faisions un break avec Renee. Savannah était passionnée. Je ne savais
pas qu’elle était junkie. Ce qui aurait dû me mettre la puce à l’oreille, c’était
qu’elle ne voulait baiser qu’après s’être piquée ; mais à l’époque, je
l’ignorais. Un soir, nous avions eu une grosse dispute, quand elle avait tout
à coup voulu me faire une pipe au milieu d’un bar de New York.
La première fois que j’avais rencontré Lucky, c’était quand elle était
venue nous voir au Mondrian. Savannah et elle s’étaient déshabillées, et
quand nous avions commandé du champagne, elles avaient invité le garçon
d’étage à les regarder s’embrasser, et très vite, les yeux du type lui étaient
sortis de la tête.
Bref, je suis tombé sur Lucky au concert, et nous avons commencé à
discuter. J’ai donné des pass à Lucky, ainsi que sept cents dollars en liquide
pour me procurer autant d’héroïne qu’elle pourrait. Nous avons fait le
concert – très bon concert – et puis je suis tout de suite rentré à l’hôtel où
j’ai attendu. Pendant ce temps-là, je n’ai pas cessé de boire, j’ai peut-être
aussi pris de la coke, et quand elle est arrivée à cinq heures du matin, j’étais
prêt à m’écrouler.
Lucky et son copain sont entrés, avec plein de crack et d’héro, et moi je
suis là, assis par terre, et je les regarde étaler toutes ces drogues sur la table
basse. Ils ont du matos, des aiguilles, des seringues, des ustensiles, de la
quincaillerie – bref, quel que soit le nom qu’on veut leur donner, ils ont des
seringues toutes neuves. On y va, tous les trois, et on s’y met méchamment.
C’était censé être un truc illicite et fun – du moins un moment, pour moi –,
mais ça a rapidement pris de l’ampleur. On se fait tous un shoot, mais
comme la came n’est pas forte, je m’en fais quelques autres. Ils font tourner
une pipe de crack.
Les heures passent, et on est déjà bien chargés. Au petit matin, Matt
m’appelle et m’invite à passer me faire un rail dans sa chambre.
« OK… ouais… j’arrive. »
Je me lève, les jambes flageolantes, titubant après ma dernière dose de
crack, et je jette un œil sur Lucky et son copain ; ils s’éclatent
complètement – ils n’ont jamais eu tant de drogue à leur disposition,
gratuitement. Je traverse le tapis pour atteindre la porte, en traînant les
pieds ; je me rends compte que j’ai la tête qui tourne et que je ne peux pas
parler. J’ouvre la porte ; je n’ai pas les idées claires du tout. Dans le couloir,
je vois une femme de chambre en train de pousser son chariot, et je lui
demande de m’indiquer l’ascenseur. C’est ce que j’essaye de lui demander.
Dans mon souvenir, la scène se déroule au ralenti ; dans mon souvenir, ma
voix semble venir de très très loin.
Je me suis écroulé comme un pantin dans le couloir… j’ai perdu
conscience, et mon cœur s’est arrêté de battre pendant huit minutes, à ce
qu’on m’a dit. Je ne sais pas qui a appelé les secours. Mon garde du corps,
Ronnie était là, ainsi qu’Earl, le garde du corps d’Axl, et ils se sont occupés
de moi et ont appelé les secours. Je me suis réveillé quand le défibrillateur
m’a envoyé un électrochoc dans la poitrine et a fait repartir mon cœur. C’est
comme si on vous mettait une grande claque pour vous réveiller. Je me
rappelle avoir vu des lumières aveuglantes et un cercle de visages penchés
sur moi : Ronnie, Earl et les médecins. Je n’avais pas la moindre idée de ce
qui s’était passé : ça n’a pas été un réveil facile.
On m’a mis dans une ambulance et emmené à l’hôpital où on m’a
examiné. On m’a demandé de rester une nuit en observation, mais je n’étais
pas d’accord. Au bout de deux heures, j’ai signé mon bon de sortie, et je
suis rentré à l’hôtel, Ronnie sur les talons. Je n’éprouvais aucun remords
après cette overdose – mais j’étais très énervé contre moi-même d’avoir
péri. Tout le temps que j’avais passé à l’hôpital avait empiété sur mon
temps libre. J’avais espéré que tout se passerait sans problème, et je m’en
voulais de ne pas avoir su rester mesuré et de m’être écroulé au milieu du
truc, contrairement à ce que j’avais prévu.
De retour à l’hôtel, l’ambiance était assez sombre. Apparemment, mon
saut de l’ange impromptu n’avait pas plu à tout le monde. Tout le monde se
disait que j’étais fichu, et affichait un air sérieux de circonstance, ce que je
ne comprendrais jamais. À ce moment-là, j’étais plutôt dans l’esprit de
dire : « Salut, tout le monde, je m’en suis sorti ! Allez, on y va ! » Quand je
suis revenu, ma priorité numéro un était de retrouver Lucky et son copain.
D’après ce que j’ai appris, Earl les avait fait déguerpir. Je comprenais très
bien, parce qu’Earl était un type terrifiant : c’était un grand Noir de plus
d’un mètre quatre-vingt, avec une carrure de footballeur américain et un
visage bizarrement doux. C’était d’ailleurs ce qui le rendait encore plus
angoissant, parce qu’on ne savait jamais quand il était vraiment énervé.
Je suis sûr qu’après leur avoir parlé de prison et de ma mort, il a réussi à
faire décamper rapidement Lucky et son copain. Ils n’y étaient pour rien, si
je n’avais pas supporté la came. Je ne sais pas exactement, mais je suppose
qu’Earl avait jeté la came en même temps qu’il les jetait dehors. Du moins
c’est ce que je me suis dit, parce qu’ils ne m’avaient rien laissé… et c’est ce
qui m’a le plus énervé.
J’ai passé quelques heures dans ma chambre à me reposer, avec les deux
gardes du corps postés dans le couloir devant ma porte, pour être sûrs que je
n’irais nulle part. Finalement, Doug Goldstein est entré et s’est lancé dans
une des tirades les plus pathétiques de l’histoire de l’humanité, pleine de
sollicitude bidon. Il m’a tenu un long discours, en criant à pleins poumons,
sur ce que je venais de faire, et les gens qui m’aimaient, et ci, et ça, etc.
C’était très agressif, très dramatique, et très artificiel. Pour preuve de son
« sérieux », il a jeté une bouteille de Jack Daniel’s à travers la télévision.
Après son départ, j’ai récupéré la bouteille qui ne s’était pas cassée, et je me
suis servi un verre bien tassé pour me remettre de son allocution.
Peu après, Doug a convoqué une réunion de groupe dans la chambre
d’Axl. Nous nous sommes retrouvés, et à ce moment-là, je piquais encore
un peu du nez. Tout le monde a exprimé ses inquiétudes au sujet de ma
santé, mais c’est surtout la remarque d’Axl que j’ai retenue. C’est d’ailleurs
ce qui m’a tiré de mon état brumeux.
« Tu nous as fait peur », a-t-il dit lentement en me regardant droit dans
les yeux. « On a cru que tu étais mort… je me suis dit qu’il faudrait trouver
un nouveau guitariste. »
Le lendemain matin, nous avons embarqué à bord d’hélicoptères et nous
sommes allés à Oakland pour le concert, et tout le temps, Ronnie et Earl me
tournaient autour comme des aigles qui guettent une souris. Ensuite, nous
avons joué au L.A. Coliseum, puis à San Diego, où ça a été une tuerie :
Motörhead, Body Count, Metallica et nous. Ensuite, on a joué au Rose
Bowl de Pasadena, et c’était tout simplement énorme, puis nous avons
achevé la tournée à Seattle. Et au bout de quelques jours, tout le monde a
compris que ce que j’avais fait n’allait pas se reproduire.
Même si cette tournée avait été géniale, j’ai été soulagé quand elle a pris
fin. J’étais reconnaissant de ne plus avoir à croiser tous les jours les types
de Metallica, vu que je ne savais jamais exactement ce qu’Axl allait faire
d’un concert à l’autre. Ce dernier jour, j’ai ressenti ce que j’avais ressenti
tout au long de la tournée : j’étais euphorique de ce que nous venions de
faire, mais j’étais énervé que cette tournée n’ait pas été aussi prodigieuse et
extraordinaire qu’elle aurait pu.
À LA FIN DE CETTE ANNÉE DE TOURNÉE, NOTRE PLUS grosse erreur nous a
sauté aux yeux : nous avions à peine gagné d’argent. Entre les sommes dues
aux syndicats à cause des retards systématiques d’Axl et les soirées à thème
qui nous laissaient sur la paille tous les soirs, il ne nous restait plus grand-
chose par rapport à tout le travail que nous avions accompli. Doug a fini par
avoir une conversation sérieuse avec Axl, au sujet de ce que le groupe avait
dépensé pendant la tournée avec Metallica, et du fait que notre marge de
profit avait été entamée par nos excès. Je crois qu’Axl avait quelques idées
pour réduire les coûts, qui n’auraient pas changé grand-chose, mais Doug a
fini par lui faire entendre raison : s’il voulait garder son beau domaine de
nouveau multimillionnaire à Malibu, il fallait gagner plus d’argent.
Doug nous a donc organisé une nouvelle série de concerts, en Amérique
du Sud, en Europe, au Japon et en Australie, d’octobre 1992 à janvier 1993.
Même si c’était difficile, Doug n’a reçu aucune objection de notre part –
nous voulions jouer. De toute façon, qu’aurais-je pu faire d’autre ? Et en
même temps, je me disais que les choses allaient peut-être changer. Je me
suis aussi longtemps demandé si ces dates supplémentaires avaient été
organisées seulement pour remettre à flot les finances du groupe, ou pour
permettre à Doug de toucher une commission substantielle.
Avant de repartir, j’ai épousé Renee, en octobre 1992. Nous avons
vraiment fait les choses en grand – un mariage en très grande pompe dans
lequel je n’avais pas vraiment eu mon mot à dire. Mes seuls souvenirs
concernant l’organisation, c’est Renee en train de me montrer
d’innombrables catalogues remplis de cadeaux à choisir. Tout cela me
passait très au-dessus de la tête, et mon manque d’intérêt la rendait très
malheureuse. Le mariage a eu lieu aux Four Seasons, à Marina Del Rey ;
Duff était mon témoin, il y avait deux cents personnes, dont mon groupe et
notre équipe, et un groupe pour faire l’animation. Après notre mariage,
nous sommes allés en Afrique, en Tanzanie, où nous avons passé nos deux
semaines de lune de miel à faire un safari. Pour le fanatique des animaux
sauvages que je suis, l’Afrique avait toujours été une destination privilégiée
pour les vacances : je pouvais voir en vrai tout ce que j’avais vu dans des
livres ou à la télé toute ma vie. Tout le temps que nous avons passé là-bas,
j’ai eu une obsession pour les léopards ; je me levais à cinq heures tous les
matins pour partir en safari, et je ne revenais qu’à six heures du soir. C’était
l’endroit idéal pour oublier tout ce que j’avais sur le cœur. C’est difficile
d’accorder de l’importance à tout cela quand on est au milieu du cratère du
Ngorongoro, loin de toute civilisation.
Avant le mariage, Renee et moi avions fêté notre enterrement de vie de
garçon et de jeune fille simultanément au Troubadour, parce que Renee ne
voulait pas que j’aille faire la fête avec les mecs sans surveillance. Et c’est
lors de cette petite fête que j’ai retrouvé une vieille amie, Perla.
Perla et moi avions fait connaissance à Las Vegas, quand nous avions
joué au Thomas & Mack Center pendant la première partie de la tournée
Illusion. À l’époque, je couchais beaucoup à droite à gauche ; c’était quand
Renee et moi sortions encore ensemble de manière informelle. Perla ne
connaissait rien à Guns N’Roses et elle s’en fichait – elle était venue de
L.A. parce qu’elle m’avait vu en photo et voulait me rencontrer. Ron
Jeremy nous a présentés l’un à l’autre avant le concert, et ensuite nous nous
sommes retrouvés à l’hôtel et avons passé la nuit ensemble. Disons
simplement qu’elle m’a fait une très forte impression, qui s’est transformée
en un sérieux béguin.
Nous avons échangé nos numéros de téléphone, et nous sommes restés
en contact quand nous avons poursuivi la tournée. Elle a fini par être ma
locataire ; elle m’a loué Walnut House un an, et ça été la meilleure locataire
que j’aie jamais eue. C’est très révélateur de la force de caractère de Perla
qu’elle ait pu vivre là sans péter les plombs, parce que cette maison avait un
effet destructeur sur tous ceux qui y habitaient – moi y compris, je suppose.
Mes premières locataires étaient deux bisexuelles que j’avais
rencontrées pendant un de nos quatre concerts au L.A. Forum. Elles étaient
au premier rang et avaient passé tout le concert à se rouler des pelles de
manière provocante. Après, je les avais fait venir dans ma loge pour voir ça
de plus près, et nous étions restés en contact ; je les appelais, je les faisais
venir, je les regardais faire et nous passions tous un bon moment. Je leur ai
loué la maison puisque je partais en tournée, ce qui me semblait une bonne
idée, mais elles ont pété un câble – elles se sont défoncées à la
méthamphétamine et l’une d’elles a tué le chat de l’autre avant de se jeter
sur elle. La « victime » a déménagé, et l’autre a installé un dealer de meth
dans la maison. J’ai dû aller régler le problème moi-même, et quand j’ai
revu cette fille, je l’ai à peine reconnue. Mon deuxième locataire s’appelait
Jim, et s’occupait des serpents dans un zoo. Je l’avais embauché pour
s’occuper de mes serpents, et j’avais fini par le prendre comme locataire.
Apparemment, il est lui aussi tombé dans une forme de déchéance et a lui
aussi complètement pété les plombs au cours de son séjour chez moi. Perla
est la seule à ne pas avoir été perturbée par cet endroit – et aussi la seule qui
payait son loyer à temps et qui aimait vraiment vivre là.
Bref, quand je me suis remis avec Renee, que nous nous sommes
fiancés et tout, j’ai fait tout mon possible pour rester à distance de Perla,
parce que je savais qu’il y avait quelque chose de sérieux entre nous,
impossible à nier. Mais après ma dispute avec Renee au sujet du contrat
prénuptial et mon overdose à San Francisco, je n’en ai plus rien eu à foutre
et je me suis débrouillé pour retrouver Perla au concert de San Diego, deux
concerts avant la fin de la tournée et quelques semaines seulement avant
mon mariage. Nous avons passé la nuit ensemble, et quand je l’ai revue,
c’est quand elle s’est invitée à mon enterrement de vie de garçon. Elle était
dangereuse ; nous étions tellement attirés l’un par l’autre que nous ne
pouvions pas l’ignorer. En même temps, elle était bien trop ambitieuse et
énergique pour que je me lance dans une relation avec elle ; elle avait dix-
sept ans et moi vingt-cinq ; elle était trop dingue pour que je veuille annuler
mon mariage pour me mettre avec elle. Mais c’était de la dynamite, cette
fille, et le lien entre nous était si fort que j’ai passé encore une nuit avec
elle… la veille de mon mariage, d’ailleurs.
FIN NOVEMBRE, NOUS SOMMES PARTIS JOUER EN AMÉrique du Sud, et nous
nous sommes retrouvés au beau milieu d’une agitation politique subite lors
de notre concert à Caracas, au Venezuela. La corruption généralisée, la
drogue en abondance et le public le plus dévoué et le plus zélé du monde
sont une constante dans ce continent, et je ne peux donc pas dire que cela
m’ait surpris. Nous devions donner le plus grand concert de l’histoire du
pays, et comme il n’y avait pas d’endroit assez grand pour contenir les
45 000 spectateurs, l’organisateur en a créé un de toutes pièces sur un
immense parking. Le concert a été extraordinaire, et tout s’est bien passé…
jusqu’au lendemain, quand il y a eu un coup d’état juste après notre départ
pour la Colombie. Nous avons réussi à partir, contrairement à quelques
membres de notre équipe et plus de la moitié de notre matériel – ils sont
restés coincés dans l’aéroport en plein chaos.
Nous étions censés jouer ensuite deux dates à Bogotá en Colombie,
mais sans cette grosse malle de matériel, ça risquait d’être compliqué.
L’organisateur a décidé de réunir ces deux concerts en un seul, qui aurait
lieu le lendemain, ce qui nous a permis d’avoir un jour de battement pour
nous détendre à l’hôtel. Cet hôtel était assez gros, et faisait partie d’un
ensemble avec une grande salle de cinéma en dessous ; et je me souviens,
alors que j’étais sur l’escalator, d’avoir vu émerger un flipper Jurassic Park
au fur et à mesure que je grimpais. Je venais de voir le film, et il fallait que
je joue à ce truc ; il associait deux de mes centres d’intérêt préférés, les
dinosaures et le flipper. Une fois dans ma chambre, je me suis arrangé pour
qu’on me l’apporte et j’ai passé toute la journée à bien m’amuser.
Au cours de notre séjour, les autorités ont appris que nous avions de la
drogue, et, d’une manière typique là encore de l’Amérique Latine, elles ont
obtenu un « mandat » pour fouiller nos chambres, dans l’espoir de trouver
quelque chose qui nous obligerait à les soudoyer, je suppose. Le jour du
concert, les flics nous sont tombés dessus. Je n’avais rien ; ils sont entrés,
l’arme au poing, et m’ont trouvé, sortant de la douche, en train de jouer au
flipper, drapé dans ma serviette.
« Oh, hey ! » ai-je dit. « Salut ! »
Ils m’ont montré leur mandat et ont commencé à fouiller ma chambre.
J’étais assez détendu tandis qu’ils retournaient tout.
« Señor, est-ce que je peux continuer à jouer, pendant ce temps-là ? » ai-
je demandé.
Ce soir-là – le 29 novembre 1992 – le concert a été magique ; c’était
l’un de ces moments auxquels on n’arrive pas à croire, même s’ils se
déroulent sous nos yeux et qu’on en fait partie. La veille, il y avait eu un
orage torrentiel toute la journée, pendant que notre équipe montait la scène ;
sous le poids de l’eau, le toit de la scène (qui n’était pas à nous) a craqué et
a fait tomber un cintre de projecteurs. Heureusement, personne n’a été
blessé. Toute la scène a dû être repensée. Et puis le jour du concert, un
orage brutal a abîmé une partie de notre équipement. Malgré la pluie, les
gens se sont massés dans le stade et faisaient la queue dehors, où des
bagarres ont éclaté, quelques voitures ont été brûlées et la police a dû
utiliser des gaz lacrymogènes pour calmer les esprits.
Quand nous sommes montés sur scène vers vingt-trois heures, les gens
sont devenus dingues. Nous jouions vraiment bien, et la pluie s’était arrêtée
pendant la première heure de notre set, jusqu’à ce que nous jouions
« November Rain ». Dès que nous avons attaqué cette chanson, au même
instant, il s’est mis à pleuvoir à verse. C’était une de ces énormes averses
tropicales, où il suffit d’une goutte d’eau pour remplir une tasse à café. En
tombant, cela provoquait une brume sombre qui se mêlait à la vapeur
dégagée par le public. Je voyais à peine à travers les nuées qui se formaient
dans le stade ; les gens formaient une mer d’ombres. C’était très théâtral et
très beau ; on avait l’impression que le groupe et eux ne faisaient qu’un. Le
public était aussi ému que nous – ils étaient à fond, de vrais passionnés. Il
pleuvait si fort qu’à la fin de la chanson, nous avons dû faire une pause en
attendant que la pluie s’arrête, et après, nous sommes revenus et avons
donné tout ce que nous avions.
Tous les obstacles possibles s’étaient accumulés entre notre concert au
Venezuela et ceux de Colombie, et vu le peu d’alchimie du groupe peu de
temps avant, on aurait pu croire que tant de contraintes nous auraient fait
craquer. Mais il y avait une chose avec les Guns : nous étions
autodestructeurs quand tout était facile, mais quand tout semblait se liguer
contre nous, tout le monde, Axl compris, faisait tout pour que ça marche.
Les moments très difficiles que nous avions vécus m’avaient peut-être
laissé un sentiment de désespoir intense, mais quand nous menions
vaillamment à bien ces grands spectacles de rock’n’roll malgré l’adversité,
j’avais l’impression que nous étions invincibles ; j’avais l’impression que
nous étions le groupe le plus puissant du monde. Des moments comme
ceux-ci renouvelaient notre confiance collective et nous remontaient le
moral comme rien d’autre. Plutôt que d’être frustrés par ce qui nous arrivait
en Amérique du Sud, nous laissions le public de tous ces concerts nous
nourrir de leur passion et nous pousser à donner le meilleur de nous-mêmes.
Notre jeu était de haut niveau ; il était aussi passionné que nos fans – et
nous étions autant en transe qu’eux. Nous avions atteint ce point que
connaissent les musiciens, quand on est tellement immergé dans ce que l’on
fait que l’on ne sait même plus qui on est – on fait tellement corps avec le
spectacle qu’on ne réfléchit même plus. Ce sont des moments magiques, et
toute cette tournée a été comme ça, tous les soirs. Le groupe était à son
meilleur niveau ; n’importe qui aurait donné son bras gauche pour en faire
partie… si cela avait été constant. Mais ce n’était jamais aussi simple :
quand nous ne nous transcendions pas, nous nous spécialisions dans les
catastrophes auto-infligées.
EN JANVIER 1993, NOUS AVONS ENTAMÉ UNE TOURnée au Japon, en Australie
et en Nouvelle-Zélande, avec quatre-vingts personnes, entre l’équipe et
notre entourage. Au Japon, nous avons rencontré Ronnie Wood, ce qui était
génial. Cela faisait des années que lui et moi étions amis, alors il nous a
rejoints sur scène au Tokyo Dome pour « Knockin’on Heaven’s Door », et
Duff, Matt et moi avons passé un moment avec lui après le concert. C’était
vraiment une bonne soirée. Le reste de la tournée était plus ou moins sur le
même modèle – super concerts, quelques drames – avec beaucoup
d’activités coûteuses, comme du kart, du yacht et des dîners. Les soirées à
thème avaient peut-être disparu, mais pas le gaspillage.
Nous sommes retournés aux États-Unis début février et avons eu un
mois de repos avant d’attaquer la prochaine étape de la tournée, une tournée
américaine que nous avons baptisée Skin and Bones [la peau et les os]. Ce
volet de la tournée avait pour but de nous faire gagner de l’argent, et notre
show avait donc été réduit à l’essentiel : nous avons gardé Dizzy Reed,
mais Teddy et les cuivres ont disparu, ainsi que les choristes. Lors de cette
tournée, nous avions mis au point une partie acoustique au milieu du set, au
cours de laquelle nous jouions les tubes de Lies ainsi que quelques reprises
comme « Dead Flowers ». Je n’aurais pas pu être plus heureux : enfin, nous
redevenions un groupe de rock’n’roll pur et dur, réduit à l’essentiel.
Dans mon esprit, cette partie de la tournée était l’occasion pour nous de
montrer au public les morceaux de Use Your Illusion tels que j’avais
toujours voulu les entendre. Après avoir terminé d’enregistrer mes parties
de guitare pour ces disques, j’avais quitté le studio avec une version simple
et brute de ces morceaux, avant qu’on y ajoute des synthés, des cuivres, des
chœurs, etc. Je n’avais jamais oublié à quel point ils sonnaient bien sous cet
aspect dépouillé, simple, puissant. Je regrette de ne pas en avoir gardé une
copie ; ou qu’ils ne soient pas quelque part sur Internet. Croyez-moi, ils
sonnaient tellement bien ; ça n’avait absolument rien à voir avec les
versions qui sont sorties. Je ne veux pas revenir sur ce qui aurait pu se
passer, mais en gros, c’étaient deux entreprises totalement différentes. En
tout cas, nous avions désormais l’occasion de jouer ces chansons à une plus
petite échelle et plus simplement, avec un groupe ramené à sa taille
normale… J’étais aux anges.
La tournée a démarré à Austin, au Texas, fin février, et le premier
concert s’est bien passé, mais nous avons rapidement eu des ennuis. Au
cours des premières semaines, nous avons dû annuler quatre concerts à
cause d’une météo peu clémente. À Sacramento, début avril, quelqu’un
dans le public a jeté une bouteille de Jack sur Duff, et l’a touché à la tête ; il
est tombé et a perdu connaissance. C’était tellement ridicule, et tellement
dangereux. Chaque fois que les gens jettent des trucs sur scène pour nous
faire réagir – sans doute parce que les groupes de rock semblent tellement
grandioses – c’est débile. Je ne sais pas bien ce qu’ils cherchent, quand ils
jettent quelque chose qui peut vraiment faire mal. À ce moment-là, nous
jouions depuis une heure et demie, mais le concert s’est arrêté là, parce que
Duff a été sérieusement blessé.
Je me suis porté volontaire pour aller annoncer au public qu’ils avaient
déconné. Ils m’ont acclamé quand je suis monté sur scène, mais n’ont pas
été ravis d’apprendre ce que j’avais à leur annoncer.
« Cette bouteille de merde a sonné Duff, et il est en route pour
l’hôpital », ai-je dit. « Il est hors de question qu’on remonte sur scène. Le
concert est terminé. Merci de quitter les lieux dans le calme et de ne pas
faire de conneries. Ne faites pas de conneries dans ce bâtiment. »
Nous avons annulé un concert à Atlanta pour permettre à Duff de se
remettre et parce qu’Axl s’y était fait arrêter pendant la tournée Appetite
après avoir donné un coup de pied dans la tête d’un agent de sécurité, qu’il
aurait soi-disant vu molester des gens dans le public. Doug ne faisait
confiance ni à Axl ni aux agents de sécurité, et il avait sans doute raison de
se méfier des deux.
Et puis fin avril, alors que nous étions de retour à L.A., Gilby s’est cassé
le poignet dans un accident de moto. Nous ne savions pas si c’était grave ou
pas, jusqu’à ce qu’il arrive à une réunion de groupe avec un plâtre
impressionnant.
« Ouah », ai-je dit. « Ça a l’air sérieux. »
« Dans combien de temps ce sera guéri ? » a demandé Axl.
Gilby a eu l’air vraiment déprimé : « Deux ou trois semaines. »
« Oh, putain ! »
« Je sais, mec », a dit Gilby. « Putain, ça craint. »
Nous avions une tournée européenne de prévue, qui devait commencer
par deux dates en Russie – les premières de nos vies – deux semaines plus
tard.
« Eh merde », a dit Axl. « On appelle Izzy. »
J’ai été surpris et heureux qu’Izzy accepte… même si j’ai été très
troublé d’apprendre qu’Izzy ne voulait pas entendre parler de répétitions –
même si de toute façon, nous n’avions pas tant de temps que cela devant
nous. Il s’est avéré que la situation politique en Russie, en mai 1993, était
trop instable pour nous permettre de nous produire à Moscou, et nous
sommes donc allés à Tel Aviv, en Israël, pour répéter avec Izzy, avant de
donner le coup d’envoi de la tournée au Hayarkon Park Arena. Nous avions
réservé un studio de répétition à Tel Aviv, et ça a été génial : c’était aussi un
studio d’enregistrement, et je crois que les ingénieurs ne croyaient pas que
le groupe qui avait réservé fût vraiment nous, jusqu’à ce que nous
franchissions la porte. Nous nous sommes retrouvés dans cet endroit un peu
vieillot, mais accueillant – d’une manière exotique – et tenu par ces vieux
vraiment cool. C’était une salle de répétition de base, avec du matériel
d’enregistrement de qualité moyenne, qui n’avait jamais reçu personne
comme nous, et nous les avons fait halluciner, et rien que pour ça, ça en
valait la peine. Izzy est arrivé… avec des dreadlocks… et n’avait pas répété
une seule chanson. On a donc fait de notre mieux.
Deux jours plus tard, nous avons joué devant 50 000 personnes pour la
première fois en Israël, et c’était le plus gros concert de l’histoire de ce
pays. Malheureusement, c’était un concert très moyen, parce qu’Izzy
n’arrivait pas à suivre et n’avait pas répété assez consciencieusement. Les
critiques ont été très dures avec nous, disant que nous avions saisi cette
occasion pour faire un tour de chauffe, ce qui était faux : nous voulions que
ce concert soit génial, mais avec un guitariste rythmique qui ne connaissait
pas encore très bien les morceaux, nous ne pouvions pas faire grand-chose.
Nous avons fait le concert, et nous avons passé deux ou trois jours là-bas ;
nous avons vu tous les sites touristiques.
Izzy, Duff et moi avons vu l’endroit où Jésus est né, et nous sommes
allés manger dans le square autour du Mur des Lamentations, et tandis que
nous étions assis en terrasse dans ce café à côté du zoo, j’ai vu un bus
rempli d’écoliers qui faisaient une sortie. À chaque extrémité du bus, il y
avait des parents, des profs ou autres accompagnateurs, tous armés de
fusils. Ils ont mis les enfants en rang pour aller visiter le zoo, et un adulte
armé s’est mis en tête de file, un autre à la fin, et un au milieu, tous avec
leur fusil en bandoulière. Je n’avais jamais rien vu de pareil de ma vie.
J’avais un ami israélien qui était revenu au pays pour ses deux ans de
service militaire obligatoire, et ça m’a fait penser à lui : à son retour, il avait
totalement changé. Quand il était parti, c’était un nerd, et quand il était
revenu, c’était un nerd qui avait l’expérience du combat.
IZZY EST DEMEURÉ UN TEMPS AVEC NOUS, EN GRÈCE et en Turquie – des
endroits où nous n’avions jamais joué auparavant. Je n’en pensais pas
grand-chose à l’époque, mais Izzy faisait ce qu’il fait de mieux : il jaugeait
la situation, faisait le point, observait tout, faisait sa partie sans s’impliquer.
Il voulait voir ce qui avait et ce qui n’avait pas changé. Il notait combien
chacun buvait, et quel était l’état d’esprit d’Axl. Il prenait la température
avant de se décider. À l’époque, j’étais toujours persuadé qu’il avait quitté
le groupe à cause de l’émeute à St Louis et de celle qui avait failli se
produire en Allemagne. Je ne me rendais même pas compte que ces deux
incidents étaient le cadet de ses soucis.
Pendant toute la tournée Illusion, les deux ans et quelques qu’elle a
duré, nous étions suivis par deux caméras, qui filmaient en permanence.
Ces mecs étaient de vrais amis, et nous les avons donc vraiment laissés
entrer, et ils ont pu tout filmer au plus près. Ils ont capturé le genre
d’histoire que personne, à part les membres du groupe, ne pourrait voir un
jour. Ils nous accompagnaient lors de cette partie de la tournée, avec Del
James qui jouait de facto le narrateur de temps à autre, à mener des
interviews et à guider les caméramans. Un soir, Del et les caméras nous ont
surpris, Izzy et moi, en train de jammer avec nos guitares acoustiques,
d’une manière détendue, comme on le faisait quand il n’y avait personne
autour. Nous avions tout naturellement retrouvé nos habitudes, et nous nous
sentions bien, et c’était tellement génial que j’adorerais voir les images de
ce moment. Nous avons deux ans de rushes, en fait, qui resteront à jamais
enfermés dans un coffre à moins qu’Axl et nous ne parvenions à apaiser nos
différends. Ces images sont le Graal de Guns N’Roses : voir le film de deux
heures qui résulterait de la compilation des meilleurs moments serait le
meilleur moyen et le moyen ultime de comprendre exactement qui nous
étions et qui nous sommes.
Izzy est resté parmi nous jusqu’en mai, où il a terminé avec deux
concerts au National Bowl de Milton Keynes, en Angleterre. Gilby nous a
rejoints en avion et a passé du temps avec nous tous, et ils se sont très bien
entendus tous les deux. Il a pris le relais sans drame, Dieu merci.
De là, nous avons continué en Europe du Nord ; nous avons fait un
concert de rattrapage en Norvège, notre deuxième tentative de jouer là-bas
pour la première fois. La première fois, nous avions dû annuler parce
qu’Axl avait été « retenu » à Paris. La Norvège était un grand moment pour
Matt, car sa famille est norvégienne ; il était très motivé pour retrouver ses
racines nordiques.
Une soirée mémorable s’est déroulée à Cologne, en Allemagne ; le
genre de soirée dont je ne me souviens peut-être pas très bien, mais où on se
souvient de moi. Nous avions un jour de battement, et Gilby et moi en
avons profité pour faire du tourisme. Plus tard, nous avons retrouvé le
groupe et quelques amis dans un restaurant italien, où nous occupions une
grande banquette d’angle. Nous avions des tonnes de nourriture, plein de
vin, et à la fin du repas, Gilby et moi avons décidé de nous octroyer
quelques verres de grappa. Les premiers sont bien passés, et tout allait bien.
Mais on en a bu un de trop, et là, les choses se sont gâtées : j’ai vomi
partout. J’ai vomi façon L’Exorciste ; comme j’étais dans le coin de la
banquette, il y en a eu partout sur la table et, ce qui est impardonnable, sur
tous les gens autour de moi. Il y en a eu sur les assiettes, partout, ça
dégoulinait par terre. Je ne sais pas quel était le problème des propriétaires
du restaurant, mais ils ont trouvé cela charmant. Ils étaient tellement
honorés de nous recevoir, que me voir en train de vomir mon repas sur la
table n’était pas grave du tout. J’ai immortalisé la soirée en signant leur
livre d’or : « De tous les restaurants de la terre, celui-ci en fait vraiment
partie ! » Au passage, cette phrase est bien de Mike « McBob » Mayhew.
La tournée a traversé l’Europe avant de retourner en Amérique du Sud.
Nous avons donné notre dernier concert en Argentine, le 17 juillet 1993. Si
je me souviens bien, nous avons joué jusqu’à près de deux heures du matin,
et avons investi le bar de l’hôtel jusqu’à six heures. Et à notre retour à L.A.,
nous avions l’honneur d’avoir accompli la tournée la plus longue de
l’histoire du rock. Nous avions joué 192 concerts en deux ans et demi, dans
vingt-sept pays. Plus de sept millions de personnes étaient venues nous voir.
Je n’aime pas garder des traces de ce que j’ai fait, mais si c’était le cas,
voilà ce que je soulignerais en priorité.
QUAND JE SUIS RENTRÉ À L.A., J’ÉTAIS ÉPUISÉ, ET JE suis immédiatement
allé chez la belle-mère de Renee, pour une sorte de réunion de famille. Sa
belle-mère s’appelait Dee, mais tout le monde l’appelait Ma, parce que
c’était une vieille dame d’environ soixante-dix ans, très douce. Sa maison
était accueillante, avec des photos de famille partout ; c’était agréable, dans
tous les sens du terme. Et au milieu de cette gentille petite réunion, un
sachet de coke est tombé de ma poche.
Avant d’attaquer la partie sud-américaine de la tournée, Matt, Duff et
moi avions passé beaucoup de temps en ville à prendre de la coke. Avant
notre départ, nous avions pris tout ce que nous pouvions, et je me rappelle
avoir pensé que nous en avions acheté trop. J’avais mis ce sachet
supplémentaire dans mon blouson, et je l’avais complètement oublié. En
fait, tard dans la soirée, je l’avais même cherché en vain – j’avais fouillé
dans mon blouson et mon pantalon, et, persuadé de l’avoir laissé tomber
quelque part, j’étais tout simplement allé me coucher avec Renee.
Dès que je l’ai vu par terre, Renee a suivi mon regard, et j’ai
immédiatement posé mon pied dessus avant que Ma ou quiconque ne le
remarque. Et puis j’ai fait semblant de refaire mon lacet et je l’ai ramassé.
Quand nous sommes rentrés et avons commencé à faire l’amour, j’ai réalisé
que ce truc avait été dans mon blouson pendant toute la tournée sud-
américaine – j’avais fait entrer de la coke en Amérique Latine, et je l’en
avais fait sortir, ce qui était ridicule, parce que c’est bien le dernier endroit
où on a besoin d’apporter sa coke.
Ce n’était pas la première fois que j’échappais à une catastrophe
internationale : la première fois que nous avions été en Amérique du Sud,
j’avais failli être rapatrié en Angleterre : je n’avais pas mon passeport
américain ou anglais, et mon permis de travail avait expiré. Tout le groupe a
passé la douane, tandis que j’étais retenu par les autorités à l’aéroport de
L.A. La seule personne qui était restée à mes côtés était mon garde du
corps, Ronnie. Les choses s’annonçaient mal : j’étais dans un local, entouré
de gardes armés, et je portais un short, un blouson de cuir, un T-shirt et un
chapeau haut de forme. Un des douaniers était d’origine asiatique, et il me
faisait la vie dure, tandis que son acolyte, plus jeune, savait qui j’étais, ce
qui ne faisait apparemment qu’aggraver le mépris de son chef à mon égard.
Finalement, nous avons dû payer une dispense de cent dollars pour me faire
sortir, alors que je n’avais pas d’argent sur moi. Ronnie non plus – et il a
fait la manche dans l’aéroport, aux terminaux d’arrivée, pour réunir la
somme.
ENTRE TOUS CES HAUTS ET CES BAS, NOUS AVONS donné des concerts
extraordinaires qui, rétrospectivement, rivalisent avec tous les groupes que
j’admirais quand j’étais môme. Nous avions une alchimie bien rodée et une
dynamique qui n’avait pas de prix. Nous avions écrit une page de l’histoire,
mais maintenant que c’était fini, j’étais vanné, et, même si j’avais du mal à
l’admettre, j’étais heureux de rentrer à la maison, pour la première fois de
ma vie. C’étaient les polémiques et les efforts qui avaient entouré la tournée
qui m’avaient vraiment le plus marqué : ce tourbillon d’émotions
chaotiques, avec toute l’instabilité que cela entraînait, m’avait usé. Quand je
suis rentré, j’ai dû me ré-acclimater, et c’est peu dire.
J’avais vendu Walnut House, et Renee et moi avions acheté une maison
sur Mulholland Drive, où nous avons essayé de nous poser un moment, ce
qui, comme toujours, a été très compliqué pour moi. J’y ai installé tout un
zoo de reptiles : des millions de serpents et toutes sortes de trucs. J’ai
construit un petit studio au-dessus du garage, et quand ma soif inextinguible
de travail a recommencé à se manifester, j’ai commencé à y travailler sur
des démos de morceaux que j’avais composés sur la route.
J’ai commencé à passer du temps avec Matt, nous avons enregistré des
démos juste pour le fun, et puis Mike Inez d’Alice in Chains et Gilby nous
ont rejoints et ont joué avec nous. Nous avons tous les trois pris le rythme
de jammer et d’enregistrer tous les soirs. Nous ne savions pas ce qui allait
en sortir. À un moment, j’ai passé ces bandes à Axl, qui m’a exprimé tout
son désintérêt.
Cela m’allait très bien. J’écrivais simplement pour le fun, pour faire de
la musique qui représenterait où j’en étais à un moment donné. Je n’avais
pas l’idée de faire un album des Guns, ni de faire déboucher cela sur
quelque chose. Je m’amusais, tout simplement, sans pression d’aucune
sorte.
Nous avons enregistré quelque douze morceaux. J’ai terminé de mixer
le dernier la nuit du tremblement de terre de Northridge, en 1994. J’avais
fini vers quatre heures du matin, et je redescendais dans notre chambre.
Renee dormait, la télé était allumée, j’ai posé le DAT des douze démos de
ce qui allait devenir Slash’s Snakepit sur la table de nuit, et je me suis
couché. Au moment où j’ai éteint la lumière, la terre a tremblé. La télé était
dans un meuble qui pouvait monter et se baisser au pied du lit. À cet instant
précis, il était en haut, la télé était allumée, et alors qu’elle était au-dessus
du lit entre Renee et moi, elle a explosé, provoquant un court-circuit dans
toute la maison. Pendant cinq minutes après ça, c’était comme si Godzilla
secouait la maison. J’ai mis quelques instants à comprendre ce qui se
passait.
Nous hébergions alors le cousin de Renee ; c’était la première fois qu’il
venait à L.A., et pendant que nous déjeunions sur Melrose un peu plus tôt
dans la journée, il m’avait demandé à quoi ressemblait un tremblement de
terre. Malgré la confusion, j’ai pensé à lui. Il dormait à l’autre bout du
couloir, dans le bureau, à côté d’une pièce pleine de serpents venimeux. J’ai
fait lever Renee et je lui ai dit d’aller dans l’encadrement de la porte de
notre chambre. Elle était tellement groggy qu’à trois reprises, en ouvrant la
porte, elle l’a prise dans la tête, avant de penser à se décaler. Après l’avoir
mise à l’abri, j’ai traversé le couloir et suis allé frapper à la porte. Dans
cette pièce, il y avait une gigantesque armoire, et le cousin de Renee
dormait par terre, au pied de l’armoire. J’ai paniqué, j’ai appelé, mais pas de
réponse. Je me disais qu’il devait être coincé sous l’armoire, mais il a fini
par répondre. Comme sa cousine, Greg s’est pris plusieurs fois la porte dans
la tête avant d’arriver à sortir.
La maison a continué à trembler, tandis que nous étions blottis tous les
trois dans l’encadrement de la porte de notre chambre. Renee était entre
nous, torse nu, et elle était plutôt bien fichue. Malgré tout ce qui se passait,
je trouvais cela assez drôle. Nous avons ressenti toutes les secousses ; à
chacune d’elles, on avait l’impression que quelque chose attaquait la
maison. Le bruit était assourdissant : du verre cassé, des meubles projetés
partout, nos huit chats qui hurlaient et le lionceau des montagnes que nous
avions mis dans la salle de bains qui braillait comme un fou.
Nous sommes restés là pendant ce qui nous a semblé quelques heures,
jusqu’à ce que la dernière réplique cesse. Les dégâts étaient incroyables.
Des télés étaient tombées sur les flippers, notre frigo avait traversé la
cuisine, et les grandes baies vitrées de devant étaient en mille morceaux.
J’étais plus inquiet de savoir ce qu’il était advenu de mes trois cobras,
mes monstres de Gila et mes autres reptiles venimeux et potentiellement
dangereux. J’ai attendu qu’il y ait assez de lumière dans la maison pour
ouvrir la porte de la pièce où ils étaient, parce que chercher des serpents
venimeux dans le noir n’est pas une bonne idée. Heureusement, aucune des
cuves n’avait été cassée, et tous les serpents allaient bien.
La maison était complètement dévastée, et nous ne pouvions pas nous
occuper de tous ces dégâts, alors nous sommes allés au Four Seasons de
Marina Del Rey, et avons décidé de repartir à Chicago avec Greg. Nous
avions emmené notre lion des montagnes, Curtis ; nous l’avons fait entrer
en douce dans le Four Seasons, dans sa cage, et l’avons enfermé dans la
salle de bains. Comme la plupart de mes bêtes, c’était un orphelin que
j’avais adopté et que j’élevais chez moi.
Nous nous sommes un peu lavés, avant d’aller au restaurant ; nous
attendions l’ascenseur, quand je me suis retourné et j’ai vu Curtis, qui avait
ouvert la porte de la salle de bains et celle de la chambre, et qui nous suivait
pour aller manger. J’ai compris qu’il fallait tout de suite régler ce problème,
et j’ai donc appelé un ami, un soigneur, qui est venu le chercher pour
l’emmener dans un endroit du canyon où un de mes amis avait installé une
résidence pour animaux exotiques.
Le lendemain, nous sommes partis pour Chicago, où nous sommes allés
chez Bernie, l’oncle de Renee, qui s’est révélé être un type vraiment cool…
pas du tout quelqu’un susceptible de me tuer si je trompais sa nièce.
Quand nous sommes enfin retournés à L.A., Renee et moi avons
immédiatement décidé de vendre cette maison. Il fallait la raser et la
reconstruire, et nous avons donc loué un truc, et en attendant, je me suis
concentré sur le disque. Avec Mike Clink comme producteur et Matt et
Mike Inez comme musiciens, j’ai enregistré correctement les démos que
nous avions faites. Nous nous sommes trouvé un chanteur – Eric Dover de
Jellyfish – qui faisait parfaitement l’affaire. Lui et moi avons écrit les
paroles des douze morceaux, et il me semble qu’on peut facilement dire
lesquelles il a écrites et lesquelles j’ai écrites : toutes les miennes
s’adressent à une seule personne… même si personne ne l’a remarqué à
l’époque. Je me suis servi de ce disque pour évacuer pas mal de choses qui
me pesaient et que j’avais besoin d’exprimer.
Matt et moi nous sommes disputés un peu parce que j’avais choisi Eric
sans avoir expressément reçu son accord. Cela l’avait vraiment énervé, et ce
conflit a duré quelque temps. Mais Dover a fini d’enregistrer les parties de
chant, j’ai tout apporté à Geffen, et ils nous ont soutenus. Tout était prêt et
nous étions prêts à emmener le Snakepit en tournée, sauf que Matt et Mike
ne pouvaient pas y aller.
Cela n’allait pas m’arrêter, et j’ai donc embauché Brian Tishy et James
Lamenzo, qui font partie du groupe de Zakk Wylde, et j’ai complété la
formation avec Gilby Clarke. Nous avons programmé une tournée aux
États-Unis, en Europe, au Japon, et en Australie. Nous avons tourné deux
clips et avons sorti le single « Beggars and Hangers-On ». Et nous nous
sommes bien amusés : il n’y avait pas de psychodrames ; nous prévoyions
simplement des concerts, nous arrivions, nous montions sur scène et nous
jouions. Nous nous produisions dans des clubs et des petites salles et c’était
génial ; cela m’a aidé à redécouvrir pourquoi j’adore ce que je fais. Ce
projet était la quête spirituelle essentielle dont j’avais besoin, parce que
j’avais l’impression d’avoir oublié qui j’étais au cours des deux dernières
années. Ça a été une vraie piqûre de rappel que de redécouvrir ce que
j’avais toujours su : être dans un groupe n’a pas à être si éprouvant sur les
plans émotionnel et spirituel… ça peut n’être qu’une question de jeu.
PENDANT QUE J’ENREGISTRAIS LES DÉMOS DU SNAKEpit, montais ce groupe et
partais en tournée, quelques événements se produisaient simultanément
dans le monde des Guns. Nous avons concocté The Spaghetti Incident,
notre album de reprises punk, et lui avons donné forme pour sa sortie. Nous
avions beaucoup travaillé sur ces morceaux, ici et là, au cours des deux
dernières années. Nous avions enregistré « Buick Makane », « Ain’t it
Fun » et la plupart des autres au Record Plant, mais quelques-unes, comme
« Since I Don’t Have You » avaient été enregistrées sur nos journées de
battement pendant la tournée, sans doute la tournée Skin and Bones, parce
que Dizzy Reed joue du piano dessus.
Le disque est sorti en novembre 1993, et le premier single, même si ce
n’était pas la meilleure idée du monde, a été « Since I Don’t Have You »,
même si c’était une version formidable de cette chanson. Nous en avons
aussi tourné le clip. À cette époque, je faisais très souvent la fête avec Gary
Oldman, et le jour du tournage, je l’ai emmené avec moi sur le plateau.
Après « November Rain » et « Estranged » ; j’en avais ras-le-bol des clips
hautement conceptuels du groupe, et celui-là s’annonçait comme un autre
du même genre – tous ayant été imaginés par Axl. J’ai failli quitter le
plateau quand on m’a dit que je devais me tenir dans une piscine et prendre
la pose en jouant de la guitare, le tout pendant une quinzaine de prises.
C’est Gary qui a dû intervenir.
« Non, non », a-t-il dit. « Tout va bien se passer. Attends un peu. »
Il s’est engouffré dans la salle de maquillage et d’habillage, où il est
resté un certain moment, avant d’en ressortir dans un costume victorien
authentique, déguisé en Marquis de Sade. Il avait aussi quelques
accessoires, et il a décidé qu’il allait me conduire en bateau de l’autre côté
du Styx, pendant que je jouais mon solo sous une pluie battante. Le temps
qu’on se mette à tourner, il avait perdu son costume et a fini sous les traits
d’un démon au visage tout blanc, vêtu d’un short noir moulant… Il a
presque fait du trop bon boulot. Après cette après-midi, je suis quasiment
sûr que quand j’ai de nouveau eu de ses nouvelles, Gary était en
désintoxication.
DUFF, AXL, MATT, GILBY ET MOI NOUS RÉUNISSIONS de temps en temps
pour essayer de composer de nouveaux morceaux, mais cela ne nous
inspirait pas du tout. À ce moment-là, le groupe dont j’avais toujours
apprécié l’aide vis-à-vis d’Axl avait disparu – Izzy avait été le dernier à
avoir su l’atteindre sur le plan créatif. Entre Duff et moi… nous n’avions
tout simplement pas les moyens adéquats de communiquer avec lui de
manière efficace.
Au bout de quelques mois au cours desquels chacun faisait son truc de
son côté et où nous n’arrivions à rien quand nous nous réunissions, Axl a
viré Gilby sans consulter personne. Son explication était que Gilby avait
toujours été un employé, et qu’il ne pouvait pas composer avec lui. Axl a
alors insisté pour embaucher Paul Huge, un type de l’Indiana qu’il
connaissait et qui, pour je ne sais quelle raison, se fait aussi appeler Paul
Tobias. Ils avaient un passé commun : ils avaient tous deux co-écrit « Back
Off Bitch », entre autres. J’étais ouvert à cette idée… jusqu’à ce que Paul
arrive : il n’avait absolument aucune personnalité, ni de style ou de son de
guitare auquel je puisse m’identifier. C’était sans aucun doute le type le
moins intéressant et le plus insipide, même avec une guitare à la main, que
j’aie jamais rencontré. J’ai fait de mon mieux pour bosser avec lui, mais on
n’arrivait à rien. C’était encore plus délicat que ça en a l’air, parce que nous
devions essayer de collaborer maladroitement lors des répétitions, sous les
yeux de tous les autres.
J’ai essayé de faire un effort, mais je n’étais pas le seul à me dire qu’on
nous imposait un type qui n’avait aucun don et qui ne méritait pas ce poste,
qu’il ne pourrait de toute façon pas tenir. Mais c’était en vain, nous ne
pouvions pas en faire démordre Axl. J’ai fait ce que je pouvais : j’ai essayé
plusieurs fois de parler en tête-à-tête avec Huge, en me disant que j’étais
peut-être passé à côté d’une étincelle bien cachée au fond de sa
personnalité, mais qu’Axl avait su voir… Non, il n’y avait rien à faire ; ce
type était irrécupérable. On avait l’impression de parler à un mur, un mur
avec une attitude détestable. Il était très arrogant et dégageait l’impression
qu’Axl l’adorait, qu’il faisait partie du groupe, et que tout le monde allait
devoir s’y faire. En un mot, son attitude signifiait : « Je suis génial, va te
faire foutre ! » Et ma réponse était : « Ah ouais ? Je m’en fous ! »
Duff et moi le détestions, Matt le détestait, et Axl s’accrochait
désespérément, tout en étant déterminé à aller au bout. Je ne savais pas
pourquoi, mais je voulais qu’il sache le fond exact de ma pensée, alors un
jour, je l’ai pris à l’écart.
« Axl, mec, écoute », ai-je dit, « j’ai essayé de bosser avec Huge et j’ai
essayé de voir ce qu’il pourrait apporter au groupe, mais je ne vois pas. On
n’a pas d’alchimie en tant que musiciens, et il n’a pas d’alchimie avec les
autres. Je ne vois pas comment ça va pouvoir marcher avec ce type… Je ne
peux même pas aller boire une bière avec lui. »
Axl a eu l’air ennuyé : « Et pourquoi tu devrais aller boire une bière
avec lui ? » a-t-il demandé.
« Tu sais bien ce que je veux dire. »
« Non », a-t-il répondu, « pas du tout. » Avec un tel point de vue,
impossible de discuter avec lui.
Nous avons répété avec Huge et j’ai essayé de composer de nouveaux
morceaux avec lui dans mon studio personnel, mais les choses sont
devenues de plus en plus tendues de jour en jour. Renee détestait que nous
soyons là, parce que l’atmosphère négative envahissait toute la maison. Et
elle n’était même pas dans le studio à essayer de travailler : c’était tellement
inconfortable et gênant là-dedans que même Duff et moi nous sommes
engueulés, ce qui n’était encore jamais arrivé en studio. Et ça a été la goutte
d’eau en trop : le lendemain matin, j’ai dit à Doug de faire savoir à tout le
monde qu’il faudrait répéter ailleurs, parce qu’il était hors de question
qu’on continue à se réunir dans mon studio.
Axl était déçu et un peu énervé. Quand je l’ai revu après ça, il m’a tout
de suite posé la question : « Pourquoi on ne peut pas écrire chez toi ? » a-t-il
demandé. « Quel est le problème ? »
« Je n’en peux plus, mec », ai-je répondu. « Il y a une énergie tellement
négative, et c’est ma maison. Tout ce qu’on fait en ce moment dégage
quelque chose de négatif. »
Après ça, Axl et moi ne nous sommes plus adressé la parole pendant
longtemps. Ensuite, je me suis concentré sur le Snakepit, et ça ne m’a pas
surpris, quand je lui ai envoyé des démos, que la musique que j’avais
composée ne l’intéresse pas du tout.
SI VOUS VOUS DEMANDEZ LE SON QUE PEUT PRODUIre un groupe en train de
se séparer, écoutez la reprise de « Sympathy for the Devil » de Guns
N’Roses, qui a été enregistrée pour la BO du film Entretien avec un
Vampire à l’automne 1994. S’il y a bien un morceau des Guns que
j’aimerais ne plus jamais entendre, c’est celui-là.
C’est Tom Zutaut qui avait tout arrangé, et l’idée était géniale : c’est une
chanson extraordinaire, un classique, le film devait faire un malheur, cela
devait théoriquement nous donner l’occasion de retravailler tous ensemble
dans la même pièce, et cela donnerait au public un « produit » pour les faire
patienter. Nous n’avions pas fait de tournée pour The Spaghetti Incident et
nous n’avions pas de projet d’écriture pour un nouvel album, donc Tom
faisait preuve de sens pratique – nous ne sortirions peut-être rien d’autre
avant longtemps. Je suis surpris qu’Axl ait accepté de faire ça, parce qu’il
avait alors complètement arrêté de parler à Tom Zutaut. En gros, Axl avait
éliminé et remplacé tous ceux qui avaient contribué à bâtir le groupe à
l’époque. Il avait toujours une bonne raison : dans le cas de Tom, je crois
qu’Axl a dit qu’il l’avait un jour surpris à draguer Erin. Mais vous n’êtes
pas obligés de me croire.
Bref, j’étais tout à fait favorable à cette reprise, parce que je connaissais
bien les livres d’Anne Rice ; je les trouvais géniaux, et c’est pour cela que
j’imaginais difficilement Brad Pitt et Tom Cruise dans ces rôles. Mais Axl
et moi sommes allés séparément à des projections du film, et nous n’étions
pas du tout du même avis sur ce que nous avions vu. J’avais détesté ; pour
moi, c’était de la merde.
J’ai appelé Tom tout de suite après : « Hé, Tom, c’est Slash. »
« Alors, qu’est-ce que tu en penses ? »
« Je pense que c’est nul. J’ai détesté » ai-je dit.
« Ah. »
« Ouais. C’est nul à ce point. Dis aux producteurs d’utiliser la version
des Stones, parce qu’on ne va pas le faire. »
Axl, en revanche, avait adoré le film ; il le trouvait génial et voulait
faire cette reprise. Je n’aurais pas pu être plus déçu, énervé, frustré et
désorienté. Le seul bon côté que je voyais au fait de lui céder était que cela
nous permettrait de faire ce que nous n’avions pas été capables d’accomplir
en sept mois : cela nous permettrait de tous nous réunir dans un studio.
Nous avons réservé le Rumbo ; nous avons enregistré les différentes
pistes avec Mike Clink en quelques jours. Duff, Matt et moi venions
ensemble tous les jours, et en gros nous nous forcions à faire quelque chose
que seul Axl désirait, alors qu’il n’est pas venu une seule fois aux sessions.
Des premières prises aux derniers overdubs, nous n’avons pas vu Axl, ni eu
de ses nouvelles. Déjà que nous enregistrions contre notre gré, le mépris
qu’il affichait pour le temps et l’énergie qu’on y consacrait a fini par nous
inspirer un instrumental très peu inspiré. Et il va sans dire que notre
amertume et notre ressentiment ont atteint un niveau record. Et le comble,
c’est que quand nous avons terminé notre version parfaitement moyenne de
« Sympathy for the Devil », il lui a fallu plus d’une semaine pour venir en
studio enregistrer le chant.
Quand il a enfin daigné écouter la bande, il a fait quelques critiques
constructives. Via beaucoup de messages transmis par des intermédiaires, il
m’a été dit que je devais réenregistrer mon solo de guitare pour qu’il
ressemble davantage, note pour note, à l’original de Keith Richards. Et ça,
ça m’a vraiment énervé, surtout parce que ce message est passé par trois
personnes avant de me parvenir, comme si nous jouions au téléphone arabe.
Évidemment, ma première réaction a été de dire non. Je tenais bon sur
ce que j’avais fait, parce qu’à quoi bon imiter Keith si c’était censé être
notre version de la chanson ? Sa réponse, qui est passée par plusieurs
personnes, a été : « Si tu ne le changes pas, je ne chanterai pas. » J’ai ravalé
ma fierté – encore une fois – et suis allé enregistrer une intro plus « à la
Keith », même si c’était la dernière chose que j’avais envie de faire : sur ce
morceau, le jeu de Keith est tellement hallucinant que je n’espérais même
pas m’en approcher, mais il le fallait. Et ce faisant, je me suis senti encore
plus énervé et encore plus ignoré qu’avant.
Environ une semaine plus tard, j’ai appris qu’Axl avait fini par prendre
le temps d’aller enregistrer sa partie de chant, et je suis donc allé le voir en
personne. J’ai attendu trois heures. Quand il a fini par arriver, il est entré
dans le salon et a entrepris de me parler, caché derrière un magazine, sans
me regarder en face, pendant près d’un quart d’heure… je n’ai pas pu le
supporter, et je suis donc parti.
Quand j’ai reçu le DAT du morceau avec le chant d’Axl, j’ai remarqué
que sur le solo, il y avait une autre piste de guitare que la mienne. Axl
m’avait fait doubler par Paul Huge. En d’autres termes, ce type avait
reproduit ce que j’avais joué sur une autre piste, et ils avaient superposé les
deux. C’était vraiment du mauvais plagiat.
C’en était trop – qu’un autre guitariste enregistre par-dessus ma partie
sans que j’en aie été informé dépassait les bornes du manque de respect, et
je ne voulais pas en voir davantage. Je me suis lavé les mains de cette
chanson, je me suis lavé les mains des Guns pour quelque temps, et je me
suis concentré sur mes propres chansons et mon propre projet, le premier
album de Slash’s Snakepit, It’s Five O’Clock Somewhere.
QUAND LE SNAKEPIT A ÉTÉ SUR LES RAILS, J’AI ÉTÉ parfaitement heureux.
Pour la première fois depuis des années, faire une tournée était facile, mes
collègues étaient fun et ne faisaient pas de psychodrames, et chaque concert
consistait à faire du rock’n’roll – et pas à prouver quelque chose ou à étaler
un spectacle grandiose. Tout marchait bien : le disque se vendait, la tournée
se passait bien ; j’étais sur la route, sans date butoir à l’horizon. Nous étions
en bon chemin de programmer une nouvelle partie de la tournée quand
Geffen m’a annoncé qu’ils avaient vendu un million d’exemplaires de It’s
Five O’Clock Somewhere, et avec bénéfices, et qu’ils ne voyaient donc pas
de raison de poursuivre la tournée. Je devais rentrer à L.A. parce qu’Axl
était prêt à commencer à travailler sur le prochain album de Guns N’Roses.
Ils avaient pensé à tout : si je refusais, ils m’ont bien fait comprendre qu’ils
cesseraient de soutenir financièrement la tournée du Snakepit.
Je suis rentré à L.A. en me demandant ce qui m’attendait, et j’avais de
bonnes raisons pour cela ; ce qui m’attendait, c’était le début de la fin – la
conclusion d’une déplaisante affaire en cours. En somme, ça faisait
longtemps que la fin avait commencé ; si je revenais, c’était pour
l’enterrement. C’est drôle, quand les fans me demandent, quasiment tous les
jours, si les Guns, dans leur formation originelle, vont se reformer un jour,
j’ai du mal à les prendre au sérieux. Cette question me semble tellement
aberrante ; s’ils connaissaient la véritable histoire, ils connaîtraient déjà la
réponse. Mais je leur réponds toujours la même chose : « Regardez ce que
chacun fait aujourd’hui. Duff, Matt et moi appartenons à un groupe qui a un
gros succès. Izzy fait son truc et en est ravi ; Steven aussi. Et Axl est en
tournée avec les « nouveaux Guns ». Personne n’appelle les autres pour
savoir si on pourra un jour reformer le groupe. »
Voilà où nous en sommes tous. Si vous voulez bien prendre tout ça en
considération, la réponse à cette question sur notre reformation est assez
claire, si vous voulez mon avis. On est d’accord ?
Slash et Ronnie Wood
Gilby Clarke, Duff et Slash lors de la tournée Use Your Illusion
Duff et Slash.
Slash réutilise ce que le BMX lui a appris dans son jeu de guitare, lors
de la tournée Illusion.
Duff et Slash apprécient le jet du MGM Grand
Slash le plaisantin, tout nu, avec une poupée gonflable lors du concert
de Soundgarden
14) Breakdown
Parfois, la vérité est juste devant vous, mais semble tellement absurde
que vous n’arrivez pas à la reconnaître ; c’est comme se regarder dans un
miroir déformant – on a du mal à croire que la silhouette tordue qui vous
rend votre regard est vous. Les Guns étaient devenus un monstre de ce
genre ; nous étions une version tellement bizarre de ce que nous étions
autrefois que je nous reconnaissais à peine. Mais contrairement à ce qui se
passe avec un miroir déformant, je ne pouvais pas m’en détacher ; quand je
me détournais du miroir, mon reflet était toujours là.
On m’avait ordonné de revenir de tournée ; on m’avait dit d’arrêter de
faire quelque chose qui me plaisait énormément. J’étais très réticent. Je
voulais poursuivre la tournée au-delà du Japon ; je voulais l’emmener en
Australie, je voulais terminer ce que j’avais commencé. Cela peut sembler
aberrant, parce que le Snakepit était considéré comme un projet « entre-
deux », ainsi que comme un groupe pour le fun, mais j’avais des ambitions
pour ce groupe. Quand je suis décidé à accomplir quelque chose, je me mets
des œillères, et je fonce tête baissée jusqu’à ce que j’atteigne mon but. Et là,
je n’avais pas tout à fait atteint l’objectif que je m’étais fixé.
J’avais été dans le même état d’esprit résolu et déterminé lorsque j’avais
présenté ce disque à Geffen. Je n’avais pas pris en compte, ni réalisé, ce que
le label traversait en 1994, quand je suis arrivé pour la réunion. Toute
l’industrie du disque était au bord d’un grand bouleversement ; au cours des
quelques années à venir, toutes les majors allaient fusionner, être vendues
ou dissoutes. À l’époque, je l’ignorais, et je m’en fichais. J’ai fait écouter le
Snakepit à Zutaut, ils ont accepté de le sortir, et c’est tout ce que je voulais
entendre. Je ne percevais pas la confusion au sein du groupe, ou plus
largement au sein de toute l’industrie, et je n’ai pas remarqué l’anxiété
générale évidente au sujet du prochain album des Guns. Je ne me doutais
pas du tout que David Geffen était sur le point de vendre la compagnie, et
que la perspective d’un nouvel album des Guns aurait pu changer la donne,
mais même si je l’avais su, je n’aurais pas pu faire grand-chose pour le lui
fournir « à temps ».
Rétrospectivement, je comprends que, même s’ils se disaient que je
mettais l’avenir des Guns en danger avec le Snakepit, ils aient décidé qu’il
était plus important de me passer ce caprice, et qu’ils se soient donc mis en
quatre pour que j’y parvienne. Pendant tout ce temps, ils se sont rongé les
sangs, mais si Zutaut ou n’importe qui était venu me faire part de leurs
inquiétudes, je leur aurais dit la vérité : je n’avais pas l’intention de quitter
Guns N’Roses. J’avais beau être très énervé, j’avais toujours envisagé de
revenir, après quelque temps, quand ce serait le bon moment.
Geffen a donc sorti et soutenu It’s Five O’Clock Somewhere. Ils en ont
fait la publicité, et nous ont soutenus financièrement pour la tournée…
avant d’arrêter. Comme je l’ai dit, quand Axl a informé le label (à ce que
j’ai compris) qu’il était prêt à commencer l’écriture du nouvel album des
Guns, on m’a brutalement ramené en arrière et ordonné de rentrer à la
maison, parce que de leur point de vue, j’avais vendu un million
d’exemplaires du disque, ils avaient fait un bénéfice, et n’avaient donc plus
besoin que j’en fasse la promo. Ce qui était marrant, c’est que même après
toutes ces années, je n’avais jamais envisagé une tournée comme un outil de
promotion – pour moi, c’était toujours une simple excuse pour pouvoir
jouer.
J’ai atterri à L.A. et je me suis installé dans la nouvelle maison que
Renee et moi avions louée au-dessus de Sunset Plaza, à West Hollywood.
J’y avais installé tous mes serpents, et nous étions là depuis plusieurs mois,
toujours en location. J’avais beau être marié, je n’avais pas encore la
mentalité de propriétaire d’un homme marié. Je savais que j’étais « censé »
posséder une maison, mais je n’arrivais vraiment pas à intégrer ce concept.
Je louais une maison pour un prix décent au-dessus de Sunset, où j’avais
tout ce qu’il me fallait. C’était mon coin à moi : j’avais mes serpents,
j’avais Renee, j’avais mes flippers – c’était une super garçonnière… où je
vivais avec ma femme.
Je suis donc revenu en ville, rempli d’appréhension face à ce que j’allais
devoir faire, parce que je savais au fond de moi qu’il y aurait fort à faire, et
que rien ne serait simple. Doug nous avait installés dans un studio appelé le
Complex, que nous avons ensuite surnommé le Compound [l’enclos, NDT].
Quand j’y suis allé, Axl y avait déjà établi ses quartiers. Il y avait une
grande salle de répétitions, et une quantité démente de matériel – une pièce
littéralement remplie de synthés – ainsi qu’un arsenal d’enregistreurs Pro
Tools qu’Axl avait loués. Axl et moi ne nous étions pas parlés de vive voix
depuis mon retour, ni par téléphone, ni face à face : c’était Doug qui me
transmettait les ordres de travail. Je suis arrivé à l’heure dite, et j’ai trouvé
là mon assistant guitare, Adam Day ; l’assistant de Duff, McBob ; Duff,
Dizzy Reed, Matt et Paul Huge. Axl n’était nulle part. Je suis arrivé ce
premier soir vers huit heures.
Ma première pensée a été que ce qui était censé être notre groupe me
faisait beaucoup trop penser à l’ambiance de l’enregistrement de
Dangerous, de Michael Jackson. Quand j’avais fait ces sessions pour lui,
j’avais été sidéré de voir tout l’argent qui était foutu en l’air : il y avait des
équipements de location partout, et j’avais appris qu’il avait fait installer
plusieurs studios identiques dans tout le pays, qui étaient réservés et pour
lesquels il payait, des fois qu’il veuille y enregistrer quelque chose, à
n’importe quel moment.
Je suis un type simple, et tout cela ne m’attirait pas du tout. J’estimais
que ce cadre d’enregistrement était un vrai gâchis, et j’ai trouvé
l’environnement de Michael complètement fou. Quand je suis arrivé pour
faire mes prises, le personnel était aussi accueillant et aussi mécanique que
des portiers dans un hôtel cinq étoiles.
« Alors, sur quoi aimerais-tu jouer ? » m’a demandé, je m’en souviens,
l’un de ces types.
« De quoi tu parles ? »
« Nous avons une large sélection de guitares, là », m’a dit le type.
« Laquelle aimerais-tu utiliser ? »
« J’ai apporté la mienne », ai-je répondu. « J’aimerais utiliser celle-là. »
Toute cette expérience était un scénario musical décousu et sans chaleur.
Le dernier endroit où je m’attendais à retrouver cette ambiance était bien
mon propre groupe, lors de ces sessions
d’écriture/répétition/enregistrement. Je peux supporter un million de trucs,
mais ce que je déteste par-dessus tout, c’est le manque d’intégrité. Quand je
sens qu’on se fout de moi, je deviens méfiant. Et ce que je voyais là
m’inquiétait.
Il y avait des dizaines de serveurs et de matériel Pro Tools alignés. Ce
qui indiquait clairement qu’Axl et moi avions des idées très différentes sur
la manière de faire cet album. J’étais d’accord pour utiliser Pro Tools, pour
essayer des trucs nouveaux – mais tout le monde devait être à l’unisson et
dans la même pièce pour explorer de nouvelles idées. Le groupe a jammé
un petit peu et il en est sorti quelques trucs. Apparemment, Axl aimait bien
une ou deux des idées que j’avais trouvées, et il les a enregistrées sur Pro
Tools pour les mettre de côté et travailler plus tard dessus.
Nous arrivions à différentes heures tous les soirs, mais en général, à huit
heures, tout le monde était là. Et puis on attendait Axl, qui, quand il venait,
arrivait bien plus tard. C’était devenu la règle; l’ambiance était sombre et
misérable, et nous n’allions nulle part. J’y suis allé régulièrement quelque
temps ; mais au bout de quelques jours, j’ai préféré aller passer mes soirées
dans le bar de strip-tease du coin, avec ordre et à mes assistants de venir me
chercher, si Axl se décidait à arriver.
DIX ANS APRÈS LA FORMATION DU GROUPE, TOUT CE qui pour moi était Guns
N’Roses avait changé. Nous avions perdu Steven, nous avions perdu Izzy,
et si nous avions gagné Matt, nous avions gagné et perdu Gilby. Duff était
le seul membre de la formation originale à ne pas avoir changé ; c’était mon
ami, le seul sur lequel je pouvais compter. Mais il était sobre, à présent ; en
mai 1994, il avait failli mourir quand son pancréas avait explosé. Des
années d’abus de boisson se faisaient lourdement sentir, et si Duff ne
s’arrêtait pas de boire, il allait mourir. Nous étions toujours proches, et les
choses n’avaient pas vraiment changé, mais nous ne levions plus le coude
ensemble. Il essayait vraiment dur de conserver la cohésion de l’ensemble,
de garder Matt dans le rythme parce qu’après tout, Matt ne savait pas bien
comment fonctionnaient les Guns entre la composition et l’enregistrement
des morceaux. À ce moment-là, Duff était le seul point d’ancrage, tandis
que moi, je commençais à partir en vrille.
Pour moi, boire était encore une activité fun et récréative, à laquelle je
me livrais tous les jours, même si j’avais commencé à boire davantage pour
me soigner que simplement pour le fun. De toute façon, les Guns ne
sortaient pas vraiment, en dehors du studio, et quand j’ai réintégré le
groupe, j’ai été plus ou moins livré à moi-même. Ma consommation était
excessive, mais je fonctionnais toujours comme quelqu’un de normal –
quelqu’un de normal dont le taux d’alcool pur était à peine dilué dans le
sang. J’avais travaillé dur et longtemps pour en arriver là. Et j’y étais
obligé, parce que boire était la seule chose qui me satisfaisait et apaisait
tous les problèmes auxquels j’aurais autrement dû me confronter, dans le
groupe et dans ma vie, si j’étais retombé un instant dans la normalité.
L’objectif était d’essayer de redémarrer la machine. Dans cette
ambiance, la moins créative de toute l’histoire du groupe, nous avons quand
même réussi à pondre quelques trucs. Mes souvenirs sont, au mieux, flous,
parce que j’ai fait ce que je pouvais pour oublier tout ça. Je me souviens
que j’allais en studio, et que je répétais, en dehors de tout cadre. J’éprouvais
trop d’animosité, et cela me bloquait sur le plan créatif. Une des rares fois
où j’ai vraiment discuté avec Axl de la tournure que prenaient les choses, il
était très clair que nous n’étions plus du tout sur la même longueur d’onde.
J’essayais de nouveau de lui faire comprendre que travailler avec Huge était
une vraie corvée et, à mes yeux, une impasse sur le plan créatif.
« Tu n’es pas obligé d’être ami avec quelqu’un pour faire un disque »,
m’a dit Axl.
« Peut-être pas », ai-je dit, « mais il faut quand même un certain respect
mutuel, tu sais. »
Nos propos auraient tout aussi bien pu s’appliquer à nous deux. Les
ondes négatives étaient tellement présentes que je n’arrivais pas à me
concentrer et à écrire. J’étais tellement rongé par l’amertume qu’il m’était
quasiment impossible de rester suffisamment calme et tranquille pour
apprécier de jouer. Je m’appliquais donc à être soûl en permanence, et
j’essayais d’aller au bout de ce que nous faisions.
Axl a demandé à Zakk Wylde de venir répéter avec nous et Paul Huge.
Il se disait sans doute que l’idée me plairait, parce que Zakk était un ami à
moi et que je le respectais en tant que guitariste, mais pour moi, ça n’avait
rien d’une solution. J’ai émis l’hypothèse de reprendre Gilby, mais cette
idée a été purement et simplement rejetée. Des messages allaient et venaient
sans cesse, via Doug Goldstein, nous faisant part des envies, des besoins et
des idées d’Axl par rapport à ce que nous devions faire. La seule manière
que j’avais de « parler » régulièrement à Axl à l’époque, c’était par
l’intermédiaire de Doug. Axl transmettait un message à Doug, et Doug en
adoucissait un peu la formulation avant de me le transmettre. Puis je lui
donnais ma réponse, et il la transmettait à Axl après en avoir un peu adouci
la formulation, et ainsi de suite. Parfois, j’appelais Axl, mais la plupart du
temps, il ne décrochait pas ou ne répondait jamais à mes messages. Et
quand il venait aux répétitions, il ne chantait jamais. Mes souvenirs de cette
époque sont très vagues, parce que nous ne jammions pas beaucoup. Mais
je dois dire que tout le matériel était bien arrangé. En somme, ces sessions
ont coûté bien trop cher, alors que nous nous contentions de rester assis,
sans rien faire, déprimés.
Même si j’étais très énervé d’avoir été rappelé à la maison pour rien,
mon côté responsable a pris le dessus, et j’ai décidé que j’allais faire
déboucher cette situation sur quelque chose, même si j’avais le moral dans
les chaussettes. Je ne savais pas à quoi m’attendre avec Zakk Wylde, mais
j’avais de l’espoir. C’est un mec génial ; je me rappelle l’avoir rencontré au
Sunset Marquis il y a des années, le jour où Ozzy l’avait pris comme
guitariste. Nous avions fêté ça dans sa chambre jusqu’à ce qu’il s’écroule
dans la baignoire et que je m’en aille. Zakk a la même personnalité que
Steven, multipliée par dix : il ne mâche pas ses mots, et la confrontation ne
l’effraye pas. Je ne le voyais pas durer plus d’une semaine face à Axl. Mais
cela mis à part, quand nous jammions ensemble au Complex, j’avais
l’impression que ça n’avait aucun sens. Ce n’était plus l’équipe de deux
guitaristes qui était au cœur des Guns. Nous étions deux guitaristes lead qui
jouaient la même chanson aux deux extrémités de la scène, et c’était trop.
J’avais l’habitude de travailler et de jouer avec un guitariste rythmique plus
discret. Si Zakk et moi devions vraiment en arriver là, ce serait quelque
chose de complètement différent… un truc à la Judas Priest, par exemple.
Même lui sentait que cette idée était mauvaise.
« C’était cool », lui ai-je dit après avoir un peu jammé. « C’était
différent. »
« Écoute, mec », a-t-il dit. « C’était bien. On pourrait y arriver, putain,
c’est bon. Mais Axl et toi, vous devez reprendre ce putain de groupe en
main, mec. Reprenez-vous, et putain, allez-y, quoi. »
À CE MOMENT-LÀ, TOUTES LES DÉCISIONS CONCERnant le groupe étaient
prises par Axl et Doug Goldstein. Duff, moi et les autres membres du
groupe apprenions ce qu’ils avaient décidé par téléphone ou par fax – Guns
N’Roses était officiellement devenu une dictature. La réalité de ce qui se
passait était accablante ; des sables mouvants. Je ne voyais aucun moyen de
m’en sortir. Nous étions censés faire quelque chose de simple : trouver un
nouveau guitariste et faire un nouvel album. Mais tout était dirigé par Axl,
et même si je sais qu’il voulait mon avis, toute cette tension m’étouffait, et
je n’arrivais plus à penser correctement. Je crois qu’au final, c’était un bras
de fer entre nous deux : lui voulait tout contrôler, et moi je voulais garder
une dynamique de groupe. La plupart du temps, le public focalisait sur Axl
et moi comme le noyau de Guns N’Roses et je crois qu’Axl était d’accord
avec ça, mais le succès dont avaient bénéficié les Guns jusque-là était le
résultat du travail de cinq mecs ensemble, parmi lesquels à mes yeux nul
n’était plus important qu’un autre. Mais cette conception était devenue de
l’histoire ancienne, et il ne semblait pas possible d’inverser la tendance.
Même si je l’avais vu venir depuis longtemps, quand j’ai été face à la
réalité, j’ai quand même refusé de croire que c’était vrai. Ce qui nous avait
réunis au départ, c’était que nous n’aimions pas recevoir d’ordres ; rien que
pour ça, nous avions toujours eu le soutien des autres. Axl avait toujours
fait partie de cette équipe – du moins en esprit, quand il n’était pas là en
personne. Au fond de nos cœurs, même quand il se comportait bizarrement,
nous savions tous qu’il faisait partie du collectif. Et là, tout à coup, ce
n’était plus le cas. Même si nous l’avions ignoré jusque-là, il a clairement
fait comprendre que nous étions « son » groupe et qu’il avait l’intention de
nous tourmenter et nous torturer s’il le jugeait bon, et de nous garder à sa
disposition. Il avait l’air de croire que nous en serions ravis.
Pour le moment, nous étions tous là, et pendant tout le temps libre à
notre disposition, nous lui cassions du sucre sur le dos. C’était extrêmement
négatif. Au bout d’un moment, j’osais à peine y aller, parce que l’animosité
devenait étouffante. Nous passions toutes les nuits dans le studio, parfois à
composer ou à jammer… mais la plupart du temps, nous restions assis,
frustrés, à attendre de voir si Axl allait arriver – ce qu’il faisait, mais quand
la plupart d’entre nous étions déjà repartis nous coucher – et nous étions
censés composer le prochain album des Guns. Et pour couronner le tout,
une nouvelle histoire de contrat est venue encore perturber une situation
déjà très tendue.
Cette fois, c’est Duff et moi qui étions visés – les deux derniers
membres originels de Guns N’Roses. Et c’était tourné de manière très
stratégique : le contrat stipulait qu’Axl détiendrait les droits sur le nom du
groupe, et pourrait monter un nouveau groupe qu’il aurait le droit d’appeler
Guns N’Roses. Bien entendu, Duff et moi pourrions en faire partie… mais
seulement à ses conditions, ce qui nous donnait l’impression de n’être
considérés que comme des employés. Axl avait engagé un avocat pour
régler ça, et Duff et moi avons fait la même chose, et nous avons tous trois
commencé à négocier, lors de ces réunions où les avocats sont à la fête
parce qu’ils se contentent de prendre l’argent de leurs clients sans arriver à
rien. Doug Goldstein était aussi présent pour « faciliter » les choses.
Cette situation m’a vraiment poussé à bout ; ma patience, mon
implication, ma détermination – tout cela a fini par voler en éclats. Tout
cela a donné lieu à tant de spéculations : Qu’est-ce qui a vraiment provoqué
la fin de Guns N’Roses ? Des divergences artistiques ? L’ego de Slash ?
L’attitude d’Axl ? Tout reposait sur le fait qu’Axl voulait tout contrôler, au
point que nous avons été pris à la gorge.
Je ne savais pas bien quoi faire quand j’ai reçu une lettre d’Axl, le 31
août 1995, disant qu’il quittait le groupe et qu’il gardait le nom, comme le
stipulait le contrat. Après, nous avons essayé de recoller les morceaux. Il
nous a harcelés avec cette histoire de contrat et nous a tellement mis de
pression que Duff et moi avons fini par céder. Nous avons signé un
document que nous avons accepté de mettre sous séquestre un certain
temps, en attendant de voir si nous pouvions régler ce problème. Mais si le
contrat n’était pas suivi d’effets au bout d’un certain temps, il serait nul et
non avenu, ce qui fait que j’ai signé et laissé pisser. Tout ce que je voulais,
c’était avancer, si toutefois nous avions encore un avenir ensemble.
Il va sans dire que je n’avais plus aucune confiance envers Axl. Toute
cette histoire de contrat était pour moi l’antithèse de tout ce qu’était Guns
N’Roses. On m’avait forcé à avoir le second rôle, tandis qu’Axl était
désormais officiellement à la manœuvre, si je laissais le contrat sous
séquestre prendre officiellement effet. Un jour, il m’a appelé pour me
donner rendez-vous dans son restaurant italien préféré, à Brentwood. J’y
suis allé, il n’était pas là, et je l’ai donc attendu au bar. Quand il est arrivé,
nous sommes allés nous asseoir au fond, dans un box sombre, comme si
nous appartenions à la Mafia. Si je me souviens bien, ce rendez-vous était
surtout une tentative de me forcer à accepter l’arrangement proposé par ses
avocats et lui, mais d’une manière bien moins autoritaire. Axl faisait
comme si lui et moi étions les deux facteurs les plus importants de toute
cette affaire. Il a tenté de me convaincre que tout cela était bon, que c’était
quelque chose que nous faisions ensemble, mais dans la main.
À ce moment-là, il essayait de m’entraîner dans son monde, de me
montrer sa version des choses à sa façon, et c’était très gentil, mais je ne
marchais pas. Je suis resté assis à l’écouter, sans vraiment lui répondre. Il y
avait trop de tensions et trop de non-dits. Il m’est devenu de plus en plus
évident que rien de ce que je pourrais dire ne le ferait changer d’avis. Et il
savait déjà ce que j’en pensais. Lui et moi avons continué ainsi jusqu’à ce
que tout explose plus tard.
Ça ne devenait plus drôle du tout. Ça devenait déprimant. Je trouvais
presque hallucinant que le groupe ait pris un tel virage ; nous, le groupe,
avions octroyé à Axl, au fil des années, la liberté de transformer ce que
nous avions en une entité morbide qui n’existait que dans sa tête.
Nous avons eu quelques autres rendez-vous semblables dans le bureau
de Doug Goldstein. Et puis, bien sûr, il y a eu des réunions interminables
avec les avocats, qui revenaient encore et encore sur tel ou tel point. C’était
épuisant. Je ne comprenais même plus ce que je foutais là. Peu importait
l’album qui pourrait éventuellement résulter de tout cela, ça ne valait plus le
coup.
À L’ÉPOQUE, LES STONES ÉTAIENT EN VILLE ; ILS RÉSIdaient au Sunset
Marquis et enregistraient chez Don Was ce qui allait devenir Bridges to
Babylon. Je suis allé assister à quelques sessions, et en les regardant
travailler, en les regardant faire leur truc, je me suis senti encore plus
déprimé par ma situation. Ils avaient une alchimie qui englobait toutes leurs
personnalités bien distinctes, sans jamais se manquer de respect. Keith
s’amenait et taquinait Ronnie sans arrêt, mais Ronnie est un type tellement
gentil et agréable que ce n’était pas grave. Et c’était mieux comme ça, parce
que Keith est quelqu’un de tellement sinistre et narcissique qu’il doit s’en
prendre à quelqu’un. Il ne peut pas s’en prendre à Mick ou Charlie… et ce
n’est pas faute d’essayer. Ils sont si imperturbables que ça ne marche pas
sur eux, et c’est donc Ronnie qui prend tout. Comme le dit Ronnie : « Keith
peut être assez tyrannique. » Mais même s’il est parfois assez dur, cela reste
dans les limites d’un respect mutuel.
Un soir en particulier, après leur journée de travail, je suis allé dans la
chambre de Ronnie, et nous avons discuté quelque temps. Il m’a demandé
si je connaissais Keith. Je lui ai dit que non, que je ne l’avais jamais
rencontré seul à seul, et il m’a donc emmené dans sa chambre, a fait les
présentations, puis m’a laissé. Il faisait sombre, et un vieil album de blues
passait sur la chaîne. La seule lampe allumée éclairait faiblement le visage
de Keith, assis sur le canapé, et lui donnait un éclat sinistre. Je me suis assis
dans un fauteuil devant la table basse, tandis qu’il me toisait. Il a parlé
quelques minutes, avant de sortir tout à coup un couteau papillon et de
l’agiter un peu pour me montrer qui était le patron. Il l’a ensuite plaqué sur
la table entre nous.
« Heu… OK. » ai-je dit.
Plus tard dans la soirée, nous sommes allés dîner chez Chasen’s. Keith
et moi étions au bar, à parler de came et de prison, et je voyais bien qu’il
commençait à me trouver sympathique. J’avais passé toute la journée au
studio à répéter, et quand la conversation s’est orientée sur mon groupe, j’ai
tout déballé.
Keith a écouté avec attention, puis il m’a regardé droit dans les yeux :
« Écoute, a-t-il dit. Il y a une seule chose à ne jamais faire – n’abandonne
jamais. »
Je comprenais sa démarche ; si vous n’abandonnez jamais, peu importe
ce que disent les autres, vous étiez là. Si vous êtes toujours celui qui vient
aux répétitions et reste jusqu’à la fin, même quand les temps sont difficiles
et que tout le monde ne s’entend pas, la seule chose que vos collègues ne
pourront jamais vous reprocher sera d’avoir quitté la partie. C’est vrai :
quand on arrive le premier aux répétitions ou à l’enregistrement et qu’on est
le dernier à partir, on est intouchable. Un parfait exemple de cela est la
chanson « Happy », une grande chanson des Stones sur leur album Exile on
Main St. D’après la légende, Keith a écrit cette chanson tout seul, en
attendant que le reste du groupe arrive. Quand ils sont arrivés, il leur a
présenté sa chanson comme pour leur dire : « Qu’est-ce qui vous a pris si
longtemps ? » Je voulais plus que tout être moi aussi ce type qui savait
surmonter tous les obstacles et créer de la musique. Quand vous êtes
toujours là, vous avez toutes les cartes en main.
Keith m’a inspiré ; je me suis dit que je devais essayer encore. Le
lendemain, j’ai essayé de réviser mon point de vue, et je suis arrivé au
Complex, prêt à tout faire pour que ça marche. Et c’est là que j’ai encore
reçu une grande claque : Axl n’est jamais venu répéter, et la négociation de
nos « contrats d’embauche » par nos avocats commençait à prendre un tour
carrément insultant. Que Keith soit béni, il a essayé, mais je ne pouvais plus
rien faire – il fallait que je m’en aille.
Nos « répétitions » commençaient toujours très tard ; et le temps qu’Axl
arrive, il était encore plus tard. Quand il arrivait, il était généralement entre
une et deux heures du matin ; on jouait une heure ou plus, avant d’en avoir
assez et de rentrer chez nous, tandis qu’il restait dans le studio. Je ne l’ai
pas entendu chanter une seule fois, tout le temps que nous sommes restés au
Complex ; je ne suis pas sûr de l’avoir entendu chanter une seule fois
depuis notre dernier concert en 1993, et là, on était en 1996. Je ne savais
donc même pas sur quoi nous étions censés travailler. Nous étions supposés
jammer encore et encore jusqu’à ce qu’il dise : « Ça me plaît » ou « J’aime
bien ». Personne ne s’amusait, et donc personne n’était inspiré. En général,
je rentrais chez moi vers trois heures du matin. Et c’est pendant une de ces
nuits que je me suis décidé à partir.
Je suis allé me coucher, et je me suis endormi. Deux heures plus tard,
vers cinq heures du matin, je me suis réveillé avec des sueurs froides, dans
une humeur très sombre, et j’avais de vraies envies de suicide. Je voulais
mettre un terme à tout ça ; j’étais tellement malheureux que j’aurais voulu
que tout cela disparaisse. Je n’avais jamais ressenti cela auparavant, je
n’avais jamais envisagé de me supprimer – je n’en étais pas passé très loin
quelquefois, mais jamais volontairement. Pendant une demi-heure, j’ai
contemplé ma chambre ; je n’en avais rien à faire ; je voulais me tuer
rapidement ; je ne pouvais plus continuer. Si j’avais eu de la came à
disposition, je me serais tout injecté d’un coup, et j’en aurais terminé
comme ça.
Ensuite, pendant une heure, j’ai contemplé le plafond en réfléchissant à
ma vie, de bout en bout. Je me demandais si elle valait ou non la peine
d’être vécue, j’examinais comment j’avais fait pour en arriver là et
j’essayais de voir ce que je pouvais faire pour m’en sortir. Vers six heures
du matin, j’étais épuisé et je me suis rendormi. Deux heures plus tard, je me
suis réveillé, et je n’avais qu’une seule idée, très claire, dans la tête : Ça
suffit. À part ça, mon esprit gardait le silence.
Jusque-là, une partie de moi voulait continuer ; l’autre partie voyait bien
que c’était sans issue. Dans la lumière de l’aube, j’ai repassé en revue tous
les tenants et aboutissants, et ils arrivaient tous à la même conclusion. Le
groupe n’était plus ce qu’il avait été, et je ne voulais plus en faire partie.
Quand j’ai admis cela, je n’ai plus pensé à rien.
Je me suis levé, j’ai appelé notre management, BFD, et j’ai dit à Doug
que je ne reviendrais plus.
« Ça suffit, ai-je dit à Doug. Je n’en peux plus. J’arrête. »
J’ai raccroché avant qu’il ait pu dire un mot.
RÉTROSPECTIVEMENT, J’AVAIS AGI DE MANIÈRE ASSEZ naïve : je n’avais pas
assuré mes arrières sur un plan légal, parce que je ne pensais pas avoir à le
faire. Dans mon esprit, à quoi servait un nom sans musiciens ? Je ne pensais
pas avoir donné quoi que ce fût à Axl, parce que dans mon esprit, que
pourrait-il faire avec notre nom, mais rien derrière ?
Je n’ai pas fait intervenir mes avocats là-dedans aussi efficacement que
j’aurais dû ; j’étais tellement loin de tout ça et tellement fatigué que je ne
voulais pas en entendre parler. Je ne voulais pas faire de communiqué de
presse, je ne voulais pas faire de bruit ou déclencher une tempête. Je voulais
m’en aller discrètement. Je ne voulais pas que ça devienne une de ces
situations où deux types se lancent des piques par presse interposée. Je ne
voyais pas non plus pourquoi quelque chose d’aussi simple devait se
transformer en grande bataille juridique. Je m’imaginais que je récupèrerais
ma part, et que je partirais.
À court terme, personne, dans l’entreprise qu’étaient devenus les Guns,
n’a vraiment cru que j’allais vraiment partir. Axl a contacté les gens les plus
proches de moi, pour leur dire que je devrais revenir sur ma décision. Il a
appelé mon père, mon garde du corps, ma femme, Renee, et leur a dit à tous
que je faisais la plus grosse erreur de ma vie. Il a dit que je perdais un
paquet de fric à cause de cette décision. Mais rien de tout cela ne
m’importait. J’en avais fini. La coupe était pleine, et il était hors de question
de revenir en arrière.
Pour vous parler franchement, personne dans le camp d’Axl n’a cru que
j’étais vraiment parti au cours des deux ans qui ont suivi. J’ai été assez
décontenancé devant cette attitude de déni profond : je n’ai jamais fait
comme si j’avais l’intention de revenir, mais ça ne faisait rien. Ils
n’arrivaient tout simplement pas à croire que je préférais ne pas faire partie
de Guns N’Roses plutôt que d’avoir à affronter le fait d’être dans Guns
N’Roses.
J’AVAIS FAIT TOUT CE QUE JE POUVAIS, DEPUIS LE JOUR où nous avions créé le
groupe, pour faire de Guns N’Roses le meilleur groupe du monde. J’avais
mis tout mon cœur et toute mon âme dans tout ce que nous avions fait, et je
ne regrette absolument rien. Nous avons fait des choses dont certains
groupes se contentent de rêver ; en quelques années seulement, nous avions
dépassé des objectifs que des groupes comme les Stones avaient mis des
décennies à atteindre. Je n’aime pas me vanter, mais si vous vous
documentez un peu, vous verrez que ce que nous avons accompli dans le
laps de temps qui nous a été imparti est inégalé dans l’histoire du
rock’n’roll.
Après avoir passé la plus grande partie de ma vie à travailler pour
amener ce groupe au sommet, dire adieu à cette institution que j’avais
contribué à construire me faisait aussi bizarre que si j’avais débarqué sur
une autre planète. Mais quand ça a été fait, j’ai eu l’impression qu’on
m’avait retiré un grand poids et que j’étais plus léger. J’avais l’impression
d’avoir décompressé, après une plongée sous-marine. Le jour où j’ai pris
ma décision, je me suis levé tôt pour appeler les autorités compétentes et
leur annoncer la nouvelle, et puis je me suis rendormi. Je ne me rappelle
rien d’autre de cette journée, si ce n’est qu’à mon réveil, j’étais reposé.
J’avais l’impression d’avoir passé une semaine à dormir. Plus tard dans la
soirée, j’ai appelé Duff, Matt et Adam Day pour les en informer. Duff a
accepté ma décision sans commentaire, et Matt n’a pas non plus été surpris.
J’étais content, mais j’avais un sentiment doux-amer ; je n’avais jamais
vraiment abandonné auparavant.
J’ai profité un temps d’une période d’accalmie. J’ai commencé à sortir
et jammer dès que j’en avais l’occasion. Mes avocats m’ont demandé si je
voulais réclamer des dommages et intérêts et essayer d’en tirer un
maximum, mais j’ai dit non, en toute bonne foi. Je ne peux pas me lancer
là-dedans ; et même s’ils essayaient de faire respecter mes droits et que
j’aurais probablement dû les écouter, la vérité, c’est que je préférais me
voiler la face sur la direction changeante et peu fiable qu’avait prise ma
relation avec l’institution des Guns. Je ne voyais pas les choses comme ça,
mais quand on quitte une entreprise, il faut protéger ses intérêts. À ce
moment-là, je faisais encore stupidement confiance aux Guns et à ce qu’ils
représentaient à mes yeux, et je ne me suis pas appesanti là-dessus. Et
aujourd’hui encore, il reste des problèmes à régler qui me font de la peine.
Au final, j’assume ma décision et j’assume la manière dont je l’ai
appliquée. Même mon père m’avait dit un peu plus tôt, quand j’étais sous
pression : « Ne coule pas avec le navire ». Je considère que quitter GN’R
est l’une des meilleures décisions que j’aie jamais prises. Il n’y a aucun
doute sur le fait que, si j’étais resté dans le groupe dans ces circonstances, je
serais sans doute mort aujourd’hui, à cause de toutes ces scènes inutiles. Je
serais certainement retombé dans la drogue, ou elle me serait retombée
dessus. Si j’avais su ce que je sais aujourd’hui, si j’avais été plus aguerri,
plus enclin à me défendre, et plus méfiant à l’égard des personnes
impliquées – et je ne parle même pas tant d’Axl que des gens qu’il a
engagés pour régler cette histoire – les choses auraient pu se passer
différemment. Il a engagé des gens qui ne pensaient qu’à se faire de l’argent
sur son dos. S’il en avait été autrement, si nous avions pu en parler en tête à
tête, on aurait pu avoir plus envie de préserver nos intérêts communs en tant
que groupe. Mais je ne crois pas aux « si ».
C’était écrit, tout simplement. Le chemin qu’Axl a choisi de prendre
m’a forcé à partir. Et après mon départ, Duff a suivi – il est parti de sa
propre initiative moins d’un an après. Peu après, Matt a été viré.
Apparemment, il avait pris ma défense un jour qu’on me calomniait lors
d’une répétition, et ça a été sa fin.
En 1998, Axl était le seul des cinq membres d’origine à être toujours
dans le « groupe » qu’il avait légalement le droit d’appeler Guns N’Roses.
À ce moment-là, Izzy avait sorti quelques albums solo et faisait une tournée
mondiale, et Gilby avait fait de même. Duff avait formé un nouveau groupe
et avait sorti deux albums, comme moi : ma seconde version du Snakepit se
portait comme un charme. Quant à Matt, il avait rejoint The Cult, enregistré
un disque, et était en tournée. Steven était diminué par la drogue, mais Axl
n’avait pas cette excuse. Je trouvais d’une ironie féroce que, de nous tous,
le type qui nous avait forcés et obligés à nous soumettre pour conserver le
nom du groupe était le seul, à ce stade, à ne pas en avoir fait grand-chose.
EN 1996, JUSTE APRÈS MON DÉPART DE GN’R, J’AI FAIT tout ce que je
pouvais pour conserver mon intérêt pour la musique. C’était le meilleur
moyen de me guérir de mes illusions au sujet de ce qu’était devenu mon
groupe. J’ai parcouru le monde entier avec des musiciens aussi doués et
variés que possible, et j’ai appris autant que possible de chacun d’eux. J’ai
passé deux semaines au Japon avec Nile Rodgers et la formation originelle
de Chic – et ça a été une sacrée école musicale.
J’ai le plus grand respect du monde pour Nile ; nous avons travaillé
ensemble sur la BO du Flic de Beverly Hills III, et quand il m’a appelé pour
me demander d’accompagner Chic en tournée, je n’allais évidemment pas
décliner son invitation. Il avait réuni tous les musiciens d’origine : Omar
Akeem, Bernie Worrell, Bernard Edwards, et au moins une des choristes
d’origine. Pendant la tournée, ils avaient emmené Stevie Winwood, Simon
Le Bon, Sister Sledge et moi, et nous faisions de brèves apparitions lors des
concerts.
Lors d’une répétition au S.I.R. à New York, pendant qu’on jammait, j’ai
fait une « bombe » avec ma Les Paul (c’est de là que vient la fêlure dont j’ai
parlé), qui consiste à pousser en avant la tête de la guitare, tout en courbant
le manche, à l’endroit où il est fixé à la caisse, vers l’intérieur, au lieu
d’utiliser le vibrato. Le manche a cassé, et il m’a sauté à la figure. J’ai eu
l’impression de me prendre un coup de batte de baseball : quand il s’est
cassé, ça a fait le même bruit qu’un pétard M-80, et ça m’a fait un grand
trou dans la lèvre supérieure. Ce jour-là, quelqu’un filmait la session, et
j’aimerais bien revoir la scène. Le trou dans ma lèvre faisait la taille d’une
pièce de 5 cents.
Au seul bruit, tout le monde s’est arrêté et s’est tourné vers moi. Et
j’étais là, avec une moitié de guitare dans une main, l’autre moitié dans
l’autre main, et du sang qui me coulait sur le menton, le cou et la poitrine.
J’étais sonné ; ils me montraient tous du doigt, mais je ne voyais pas ce
qu’ils voulaient me dire. Comme j’étais à New York, j’avais le choix entre
attendre trois heures aux urgences avant de voir un médecin – ou pas. J’ai
préféré rentrer au Paramount Hotel, où je suis resté au Whiskey Bar avec
une poche de glace sur la figure et une bouteille de Jack devant moi, avant
de reprendre l’avion avec tout le monde le lendemain.
Pendant ce temps-là, Adam avait apporté ma guitare chez un réparateur
pour voir si elle était récupérable, et quand je l’ai croisé en allant
embarquer, il m’a dit que son copain avait réussi à recoller les morceaux.
« J’ai fait de mon mieux », a-t-il dit. Il avait l’air très fatigué. « Elle a un
petit côté Frankenstein, mais on dirait que ça va marcher. »
J’aimerais prendre un moment pour dire à Adam Day, mon assistant
guitare depuis dix-neuf ans, à quel point je l’aime. J’ai déjà voulu le lui dire
plusieurs fois avant ça, et plusieurs fois depuis, mais je voudrais lui rendre
un hommage mérité pour ce qu’il a fait dans ces circonstances. Ce truc était
cassé, irrémédiablement, du moins c’était mon avis, mais il avait passé
toute la nuit à la réparer et je dois dire, et c’est tout à son honneur, que
depuis, cette guitare n’a jamais mieux sonné.
CETTE TOURNÉE AU JAPON A ÉTÉ FORMIDABLE ; CHAque concert était un
événement en soi. Le groupe réunissait des musiciens extraordinaires, et
c’était une expérience à la fois enrichissante et très sympa. J’ai eu une
passade avec l’une des choristes, qui était vraiment bandante. Le dernier
soir de la tournée, j’étais avec elle et quelques autres filles au balcon d’un
club, en train de fêter ça. Bernard Edwards était avec nous, mais il était
fatigué et est rentré plus tôt que nous ; les agents de sécurité l’ont
accompagné jusqu’à sa chambre.
Le lendemain matin, on a découvert son corps sur son canapé : il était
mort des suites d’une grave pneumonie. Quand on m’a appelé, j’ai vécu
l’un des moments les plus surréalistes de ma vie. « Mais j’étais avec lui il y
a juste quelques heures ! » ai-je dit. J’admirais vraiment Bernard en tant que
musicien et en tant que personne. C’était le type le plus cool, le plus doux et
le plus gentil du monde. Il s’était montré très amical avec moi, et m’avait
pris sous son aile pendant la tournée, ce qui était incroyable, puisque j’étais
un inconnu dans un monde inconnu, que je jammais avec tous ces pros
chevronnés, et que Bernard ne savait pas grand-chose de moi ou de ma
musique. Tout au long de la tournée, il n’avait pas semblé avoir de
problèmes de santé ou autres : il est mort tranquillement, dans son sommeil.
Ça a été un grand choc pour Nile, parce que Bernard était son co-
compositeur et son ami le plus proche, et qu’ils venaient de se réconcilier
après une longue dispute. Ils venaient juste de reformer le groupe ; ils
avaient plein de projets pour enregistrer un disque et écrire une nouvelle
page de leur histoire. Nile était sous le choc. Comme tout le monde,
d’ailleurs : nous nous sommes quittés au Japon, et quand nous nous sommes
revus, c’était aux funérailles de Bernard, dans le Connecticut.
JE CONTINUAIS À TROUVER L’INSPIRATION EN ME FORçant à faire des projets
qui sortaient de mon ordinaire, comme faire la musique du film Sang-Froid
[Curdled], produit par Quentin Tarantino. Quand Miramax m’a demandé de
le faire, j’ai tout de suite accepté parce que je suis un grand fan de Quentin.
C’est un film génial ; il parle d’une équipe de nettoyage qui, une fois que
les médecins légistes ont fini de récolter des preuves, vient nettoyer les
scènes de crime. Un jour, ils doivent nettoyer après un tueur en série qui
cible des femmes riches, et un des membres de l’équipe – une jeune fille
charmante – s’entiche de ce tueur et commence à garder trace de ses
meurtres. Le film devient beaucoup plus sombre à partir de là.
J’ai rencontré Quentin, il m’a tout raconté sur le film, et je me suis mis à
composer de la musique inspirée par le personnage principal du film,
Gabriella, et l’actrice qui l’incarnait, Angela Jones. Angela a l’air latine,
alors que c’est une Blanche de Pittsburgh, et j’avais eu un coup de cœur
pour elle dès que je l’avais vue dans Pulp Fiction : elle joue le chauffeur de
taxi qui emmène Bruce Willis à son hôtel après son combat. J’ai passé des
heures à concevoir la musique, un instrumental, tout à l’acoustique,
éclectique, et avec des influences flamenco. J’ai enregistré les
instrumentaux avec Jed Leiber, un grand ingénieur de L.A. que je
connaissais.
Je suis allé ensuite à New York, où Nile Rodgers a produit la version
électrique de quelques titres. Puis nous sommes tous les deux allés en
Espagne pour que Martha Sanchez, une grande star espagnole, pose sa voix
dessus. C’est un peu la Madonna espagnole, et j’ai tout de suite compris que
Nile avait dépensé tout son argent pour l’inclure dans son projet afin de
pouvoir passer du temps avec elle. Cela m’allait très bien ; je me suis bien
amusé à Madrid. Martha nous a emmenés dans tous ces bars qui
ressemblent à des clandés, situés dans des grottes et dans d’anciennes caves
à vin, sous la ville. Dans chacun d’eux, on trouvait les meilleurs guitaristes
de flamenco – j’ai beaucoup appris en jammant avec eux.
J’ai assisté à la fête de fin de tournage à Malibu, et je suis rapidement
devenu ami avec Quentin, Angela et quelques autres. Elle et moi avons
commencé à nous voir de retour à L.A. ; cela a duré plusieurs mois. En
gros, on baisait dans sa voiture. On se retrouvait au restaurant, et on baisait
dans sa voiture. On se parlait au téléphone, on se retrouvait quelque part, et
on baisait dans sa voiture.
JE CONTINUAIS À JAMMER CHAQUE FOIS QUE L’OCCAsion se présentait, tout en
me demandant ce que j’allais bien pouvoir faire maintenant. De toute façon,
j’étais très occupé, parce que pendant que je faisais les quatre cents coups,
mon mariage était en train de sombrer. Ce n’était pas une surprise : même
quand j’étais à L.A., je vivais à peine à la maison. Et maintenant que j’avais
fini de me prendre la tête avec Guns N’Roses, je me prenais la tête avec ce
que j’allais bien pouvoir faire à présent.
Quand je voyageais, je n’emmenais jamais Renee avec moi, et je n’ai
jamais été fidèle en tournée. Nous sommes quand même allés en Irlande
ensemble quelque temps voir Ronnie Wood et sa famille. J’appréciais
certains aspects de ma vie avec Renee. Elle voulait être actrice, ce que je
respectais, mais en même temps, elle n’arrivait pas à percer et sa carrière ne
se déroulait pas comme elle le désirait. Je pense qu’elle était frustrée, parce
que je m’étais déjà fait un nom. J’avais un pied solidement ancré sur le
seuil. Mais pour Renee, de toute façon, ça ne comptait pas, du moins
apparemment, parce que je ne venais pas du genre de groupe qui jouait le
genre de musique qu’elle aimait. Quand j’y pense, je crois qu’elle ne se
rendait pas compte de l’ampleur de ce que nous faisions. Elle devait se dire
que c’était assez puéril.
Tandis que notre relation battait de l’aile, Renee a commencé à traîner
avec des acteurs qui étaient tout en bas de l’échelle à Hollywood, de vraies
fripouilles, et à faire un peu trop la fête. En même temps, moi, je faisais
mon truc de mon côté, et j’avais complètement oublié mes devoirs de mari.
Après avoir reçu de la compagnie d’assurance l’argent pour la maison
qui avait été détruite par le tremblement de terre, nous en avons cherché une
autre, que nous avons trouvée à Beverly Hills, sur Roxbury Drive. C’était
une grande bâtisse des années 20, dans le style espagnol, qui a maintenant
été saisie. Elle avait aussi un sous-sol, ce qui est rare à L.A. Cette maison
dégageait vraiment quelque chose ; elle était abîmée, et au sous-sol, il y
avait une grosse boule à facettes accrochée au plafond. J’en suis tombé
amoureux. Au troisième étage, près de la chambre à coucher, il y avait une
autre pièce, toute blanche, qui avait dû servir de chambre noire : on y
trouvait de longs tiroirs minces, pour ranger des photos, sur lesquels on
trouvait des étiquettes en noir et blanc qui portaient des prénoms de filles,
comme Candy, Monica et Michelle.
Nous l’avons immédiatement achetée. J’étais tout excité à l’idée qu’elle
avait dû voir passer plus d’une séance photo illicite, et je ne pouvais
qu’imaginer le genre de fêtes qui s’étaient déroulées dans le sous-sol. Tout
ce qui m’importait, c’était qu’il y ait un sous-sol – l’endroit idéal pour un
studio d’enregistrement. Je me suis immédiatement lancé là-dedans et
c’était la première fois que je n’ai pas regardé à la dépense pour m’offrir un
truc que je voulais – c’était la première fois que je m’amusais vraiment avec
mon argent. J’ai laissé Renee faire ce qu’elle voulait dans la maison, et nous
avons vraiment jeté l’argent par les fenêtres. La maison de Roxbury aurait
dû être géniale – avec son studio d’enregistrement, plein de pièces, des
tireuses de Jäger et de Guiness, des flippers et des jeux d’arcade, un billard,
etc. Elle était située dans un quartier sympa de Beverly Hills, mais tout cela
ne me parlait pas vraiment, et je n’étais pas vraiment heureux. Le Snakepit
II commençait à prendre tournure, mais je continuais quand même à boire
des quantités mortelles d’alcool, et à fricoter avec l’héroïne, l’Ecstasy et la
cocaïne. Je me sentais un peu vide et perdu. Renee adorait la maison, mais
j’y dormais rarement ; au lieu de cela, je passais un temps très malsain à
coucher à droite à gauche.
Je passais le plus clair de mon temps au Sunset Marquis, à fuir tout le
reste. Je me sentais vide, après Guns N’Roses ; je suis entré dans une phase
où je me contentais de gaspiller mon temps et mon argent au billard de
l’hôtel, à draguer les filles, à boire au bar toute la journée et à prendre mes
distances avec tout ce que je considérais comme une gêne dans ma vie.
John Lennon avait eu son « week-end perdu », moi j’ai eu mon année
perdue.
Mon garde du corps, Ronnie, s’occupait de la maison. Pendant ce
temps-là, je continuais ma tournée d’infidélité à L.A. et rapidement, je suis
devenu imprudent. J’ai assisté à quelques événements très en vue lors
desquels j’aurais mieux fait de bien me tenir, et quelques personnes en ont
eu vent – dont Renee. Mais globalement, ça a été une période fun, sans
aucun cadre, même si mon désir de jouer de la guitare restait intact ; je
devais juste canaliser mon énergie là-dedans.
UN SOIR, J’ÉTAIS AU BAR DU SUNSET MARQUIS, QUAND Perla est entrée avec
quelques copines, et elles n’annonçaient rien de bon. Je dois dire qu’elle en
mettait plein la vue. Elle était éblouissante. Nous avons discuté et ri un
moment, et j’ai compris tout de suite que j’étais cuit. Elle m’a donné son
adresse et le lendemain, je suis allé la voir où elle habitait, près du
Hollywood Bowl. Elle avait mis de la vodka au frais pour moi, et tout a été
dit : je crois que j’ai passé une semaine sans sortir de chez elle, et lorsqu’un
matin, je me suis levé pour aller nourrir ses chats, nous sommes devenus
inséparables. Perla avait de nombreux amis qui ne s’intéressaient pas
vraiment au rock’n’roll, mais qui me semblaient néanmoins originaux et
tendance. Avec elle, j’avais l’impression d’être en vacances – de nouvelles
têtes, de nouveaux endroits. J’avais l’impression de m’être enfin assez
éloigné de ma vie pour pouvoir me détendre. J’avais enfin trouvé une fille
qui aimait autant faire la fête que moi, si ce n’est plus. Mais elle était futée,
elle gardait le contrôle en toutes circonstances, et j’avais beaucoup de
respect pour elle. Elle était belle, intelligente, et classe, mais c’était aussi
une battante – et cubaine jusqu’au bout des ongles. Il va sans dire que
j’étais amoureux.
Lors de notre dixième jour ensemble, ou quelque chose comme ça, Perla
et moi étions au lit quand elle m’a regardé d’un air grave : « Tu es marié, tu
sais », m’a-t-elle dit.
« Ah ouais », ai-je dit en plaisantant. « Tu as raison. J’avais oublié. »
À vrai dire, j’avais vraiment oublié. Je n’avais pas du tout l’impression
d’être marié, et depuis que je m’étais mis avec Perla, mon mariage me
semblait appartenir à une autre vie. C’était presque comme quand j’avais
quitté Guns N’Roses : j’avais fait une croix dessus avant de partir
officiellement.
Quand j’ai revu Renee, elle m’a fait une scène en me demandant ce que
j’avais fait et elle a eu un choc quand je lui ai dit que je n’avais pas envie
d’arranger les choses – je voulais simplement divorcer. Un soir, quand je
suis rentré à la maison, elle était au lit avec un autre homme, et je leur ai dit
de rester couchés ; je suis reparti. Malgré ses objections, j’avais insisté pour
qu’elle signe un contrat prénuptial – peut-être que mon overdose avait joué
un rôle dans cette histoire. Tout a été réglé assez rapidement, et quand ça a
été fait, nous ne sommes jamais revus. Rétrospectivement, je trouve assez
intéressant d’avoir soudain mis fin aux deux relations les plus longues et les
plus intimes que j’aie eues jusqu’alors, à quelques mois d’intervalle.
APRÈS MON DIVORCE, PERLA ET MOI AVONS ENTAMÉ une relation dingue, très
excitante et agitée. Agitée, parce que contrairement aux autres filles que
j’avais connues, elle était très passionnée quand il s’agissait des obligations
afférentes à une relation, et prenait les choses très au sérieux – elle ne
déconnait pas. Il y avait donc des frictions entre mes idéaux et les siens, ce
qui ajoutait du piment à notre relation. Ça n’a fait que la renforcer. De plus,
tout cela était compensé par une vie sexuelle très intense, ce qui fait que je
n’allais pas vraiment voir ailleurs.
Quand Perla et moi avons commencé à nous voir régulièrement, elle
m’a présenté sa maman, qui est une personne haute en couleur, originaire de
Cuba. Elle est arrivée aux États-Unis à l’ancienne, sur un bateau, après
l’accession au pouvoir de Castro. Je l’ai immédiatement appréciée : c’est
une femme adorable, mais dure, qui, comme sa fille, est une battante très
observatrice. Elle m’a tout de suite apprécié, surtout parce que sa fille
m’aimait – c’est le genre de personnes dont il faut gagner la confiance. J’ai
rencontré le père de Perla deux ans plus tard, à Miami. Il avait un peu plus
de soixante-dix ans, et c’était un type grand et émacié, qui ne parlait pas
bien anglais. Nous nous sommes tout de suite entendus. C’était une sorte de
cowboy cubain rugueux, avec un passé chaotique. Le jour où je l’ai
rencontré, Perla et moi l’avons emmené à Disney World. Avant d’aller au
parc, vers 8 heures du matin, il a sorti deux Heineken fraîches du frigo.
Nous sommes restés assis dans un silence confortable à regarder la télé tous
les deux, puisque nous ne parlions pas la même langue, jusqu’à ce que ce
soit l’heure d’aller au parc. À partir de là, nous avons éprouvé une
camaraderie et une compréhension tacite l’un envers l’autre.
Malheureusement, il est mort à peu près un an plus tard d’un problème
cardiaque. J’aurais aimé passer plus de temps avec lui.
Elle m’a aussi présenté plein de gens avec qui je suis devenu très ami,
parmi lesquels Charlie Sheen et Robert Evans, plus une foule d’autres gens
qui sont peut-être moins connus, mais tout aussi cool. Nous passions toutes
nos soirées dehors, à rencontrer du monde, et je jammais dans des clubs au
moins trois ou quatre soirs par semaine. Je commençais enfin à sentir que
mon inspiration musicale revenait.
J’ai décidé de monter un nouveau groupe ; je voulais faire un truc dans
la lignée du Snakepit, mais différent. Teddy Zig Zag a commencé à
m’emmener jammer, le mardi soir, au Baked Potato à Hollywood. Avec de
nombreux joueurs de blues, nous jouions de nombreux classiques, dont
certains que je n’avais jamais joués, et j’ai adoré cette expérience. Puis j’ai
reçu un appel d’un impresario qui voulait que je donne un concert, tous
frais payés, à Budapest, en tête d’affiche d’un festival de jazz là-bas. J’ai
tout de suite accepté ; c’était le coup de pied au cul dont j’avais besoin pour
repartir et former un groupe. J’ai réuni Johnny Griparic, Alvino Bennett et
Bobby Schneck à la guitare rythmique. Nous avons mis au point une série
de reprises qui allaient de B.B. King à Steppenwolf, en passant par Otis
Redding et quelques autres standards du R&B et du blues. Puis nous
sommes allés nous produire à Budapest, et c’était génial. Après cela, les
demandes ont afflué pour que l’on fasse plus de concerts, et en clin d’œil,
nous étions devenus un groupe de tournée, qui jouait partout où on voulait
de lui, autant pour l’argent que pour les bières. Nous sommes devenus le
groupe-qui-joue-pour-une-bière le plus extrême que je n’aie jamais vu, et
nous nous sommes bien amusés à faire ça. Nous voyagions avec toute une
bande, et en général, nous prenions d’assaut les lieux où nous arrivions. Je
m’éclatais vraiment à jouer dans des clubs avec une bonne équipe de mecs,
qui n’étaient là que pour faire de la musique.
Quand la tournée s’est terminée, j’ai demandé à Johnny Griparic s’il
voulait monter une nouvelle version du Snakepit avec moi. Nous avons fait
savoir que nous cherchions un nouveau chanteur. À un moment donné, j’ai
reçu une réponse d’un type qui m’a dit qu’il chantait dans Jellyfish. Comme
j’avais travaillé avec Eric Dover sur le disque précédent, j’ai décidé de le
rencontrer. Quelle étrange aventure ça a été !
Ce type m’a rejoint chez Perla, et dès que je l’ai vu, j’ai eu des doutes. Il
n’avait pas la tête de l’emploi ; il n’avait rien de rock’n’roll – il avait plus
l’air d’un ouvrier du bâtiment. Je l’ai fait entrer, nous nous sommes assis
dans le salon et j’ai sorti ma guitare. Perla était dans la chambre à l’étage,
quand ce type a commencé à me parler d’une chanson qu’il avait écrite pour
une fille. Je lui ai demandé de la chanter pendant que je jouais, et j’ai
découvert que ce mec ne chantait pas particulièrement bien, et c’est là que
je me suis demandé s’il était vraiment dans un groupe qui faisait des
morceaux à cinq voix, en parfaite harmonie. Les paroles aussi étaient assez
nulles. J’ai donc essayé de rester poli, et je l’ai raccompagné.
Après le départ du type, Perla m’a dit que tout ce qu’il avait raconté
était faux – et qu’elle connaissait la fille pour laquelle il avait écrit la
chanson. J’étais sceptique ; je me suis dit qu’elle tirait des conclusions un
peu hâtives ou qu’elle était parano. Je ne voulais pas particulièrement
travailler avec lui, mais je l’ai fait revenir pour voir si Perla avait raison.
Elle a pris le mec entre quatre-z-yeux, et tout ce qu’elle m’avait dit s’est
avéré exact. C’est là que j’ai compris que Perla était bien plus maligne que
je ne le pensais. Et même si je n’aime pas l’admettre, elle m’a sauvé, cette
fois et de nombreuses autres, d’un désastre potentiel. Bref, ce type était un
imposteur et m’avait menti, et j’ai donc fait ce qui me semblait approprié :
Ronnie et moi sommes allés voir ce type sur sa péniche, et nous lui avons
foutu la trouille de sa vie. Ronnie a menacé d’ouvrir une brèche dans le
bateau avec le crâne de ce type, et lui a dit de ne plus jamais m’appeler ou
me contacter.
J’ai déjà mentionné comment l’attitude de Ronnie avait peu à peu
tourné au harcèlement ; eh bien c’est là que tout a commencé. Au fil du
temps, Ronnie a commencé à me suivre comme mon ombre, et il était
étrangement possessif à mon égard. Il a fait un super boulot pour m’aider à
déménager dans ma nouvelle maison, et il a toujours été loyal, mais quand
nous nous sommes mis ensemble avec Perla, j’avais l’impression qu’il
écoutait nos conversations. La goutte d’eau ultime, ça a été quand j’ai vu
qu’il avait fait un tonneau avec ma voiture, qui était en miettes, sans me
l’avoir dit. J’ai compris que, bizarrement, il vivait par procuration ce que je
vivais, et, dans un sens, voulait être moi. C’est devenu invivable, et
heureusement, il est parti sans faire d’histoires. J’ai découvert, depuis, que
tout ce que je lui avais donné – les disques d’or, les récompenses, tout ça –
avait été vendu sur eBay. Classe.
Bref, j’ai poursuivi ma quête d’un chanteur. Quand Johnny m’a fait
écouter une cassette de Rod Jackson, j’ai su que c’était lui. J’avais fait des
démos de trois ou quatre titres pour les auditions des chanteurs potentiels, et
Rod a fait un truc formidable sur le morceau intitulé « All Things
Considered ». Il avait une voix incroyable. C’était du rock’n’roll, mais on
aurait plus dit du R&B sous acide, passé en accéléré. J’ai donc dit : « Il faut
le rencontrer. » Rod était un parfait tordu : c’était un grand métis, qui portait
tout le temps des lunettes de soleil, et il avait des dreadlocks. Il venait de
Virginie, et il avait une attitude et un accent typiques du Sud. Et quand il
chante, il peut chanter à tue-tête de la soul comme Otis Redding, ou aller
encore plus haut, comme Sly Stone, mais il peut aussi prendre une voix plus
douce, plus bluesy, comme Teddy Pendergrass ou Marvin Gaye. Il avait une
voix différente de tous ceux avec qui j’avais travaillé jusque-là, mais je
n’avais rien à perdre, et j’y suis allé à fond.
Nous avons composé un paquet de trucs mortels au Mates – Johnny G.,
Matt Laug, Ryan Roxie – tous ensemble, et puis j’ai fait venir le groupe
chez moi à Beverly Hills, où nous avons répété et enregistré dans mon
studio flambant neuf. Nous avons travaillé comme des fous, nous avons
joué comme des fous, et en un rien de temps, nous avions assez de chansons
pour faire un album.
AU COURS DE CETTE PÉRIODE, J’ÉTAIS RESTÉ TRÈS PROche de Tom Maher,
qui, au sein de BFD Management, avait été celui qui m’avait le plus
soutenu. Quand j’avais quitté les Guns, il m’avait fait croire qu’il avait
cessé de travailler là-bas et qu’il allait me manager, mais je ne suis plus si
sûr que ce fût vraiment le cas. C’était peut-être une taupe, qui rendait
compte à Doug de tous mes faits et gestes. Mais à ce moment-là, il occupait
près de moi la fonction de manager.
À l’époque, en 1998, l’industrie du disque vivait un bouleversement
majeur. Il y a eu le « Vendredi Noir », le jour où des centaines de cadres
dans la musique ont été renvoyés ; on les voyait remonter Sunset Strip,
leurs cartons à la main. La plupart des labels ont été renforcés, parmi
lesquels Geffen, qui a fusionné avec Interscope. Ça a été le début de la fin
de l’industrie du disque telle que je la connaissais.
Quand Geffen a été restructuré, j’ai dû rencontrer une poignée de
personnes avec qui je n’avais jamais travaillé. Je bossais sur un groupe qui
n’avait rien à voir avec le son grunge, ou appelez ça comme vous voulez,
qui avait émergé au milieu des années 90 : ça a été un phénomène très cool,
mais éphémère. Et il avait été remplacé par des merdes rap-rock toutes
molles et les boys bands… et Interscope était plus ou moins à fond dans le
gangsta rap. Rien de tout cela ne m’intéressait, et je n’étais absolument pas
au courant des changements qui se produisaient dans l’industrie.
Une nouvelle race de cadres avaient pris le pouvoir : ils étaient bien plus
insipides, bien plus dans le moule et politiquement corrects que les gens
avec qui j’avais travaillé jusque-là. Mon fameux charme alcoolisé risquait
de ne pas me mener très loin. La seule figure qui m’était encore familière au
sein du label était Lori Earle, qui travaillait avec moi à la publicité depuis
que les Guns avaient été signés.
Le type qui avait été désigné pour travailler avec moi s’appelait Jordan
Schur, et je me revois rentrer de mon premier rendez-vous avec lui, en me
disant que je ne lui faisais absolument pas confiance. Il m’avait promis
monts et merveilles, alors que je ne le connaissais que depuis vingt minutes.
Toutes les conneries qu’il disait n’étaient que de la poudre aux yeux : « On
va vendre des millions de disques, on va s’acheter de nouvelles voitures »,
toutes ces conneries. J’ai tout de suite su que ce type était du vent. Mais
c’était le chouchou de Jimmy Iovine, le patron d’Interscope, alors je devais
m’y faire. Je lui ai joué cinq démos de mon nouvel album du Snakepit, et il
m’a dit qu’il adorait et était impatient de les sortir. Puis j’ai rencontré
Jimmy Iovine, et il a proposé que ce soit Jack Douglas qui produise
l’album, ce qui me semblait une très bonne idée, car Jack avait produit
Rocks d’Aerosmith et avait travaillé avec John Lennon et d’autres grands
artistes des années 70. Jimmy a aussi exprimé ses doutes au sujet de mon
chanteur, parce que sa voix était trop mélancolique, mais j’ai soutenu Rod
et je lui ai dit : « Rod a une voix formidable. Vous ne vous attendiez pas à
ça, c’est tout. »
À ce moment-là, Izzy avait été lâché par le label, tout comme Duff ;
j’avais donc des doutes, mais Jordan avait l’air sincèrement excité. Jordan
m’a fixé un autre rendez-vous, puis l’a ajourné, avant de soudain faire
volte-face en disant que la musique du Snakepit n’était pas celle que le label
produisait. Je n’en ai pas été choqué ; je me suis dit : « Voilà, j’aime mieux
ça » – j’avais bien vu, la première fois que je l’avais rencontré, que ce type
n’était pas franc. C’est là que j’ai décidé de quitter le label, et comme
j’avais déjà investi beaucoup d’argent pour enregistrer moi-même ce
disque, j’ai proposé de le racheter. Dans mon esprit, j’avais la maison,
j’avais le studio, j’allais l’enregistrer là-bas et le vendre ailleurs. J’étais très
têtu à propos de tout ceci.
En même temps, Tom Maher n’avait rien fait pour m’aider, et j’ai donc
décidé de me trouver un nouveau manager ; Jack Douglas m’a présenté
Sam Frankel, qui m’a à son tour présenté Jerry Heller. L’idée était que
Heller serait mon manager, tandis que Frankel m’aiderait à gérer les
problèmes du quotidien. Je voyais aussi d’autres personnes, mais une fois
que je me décide à aller au bout de quelque chose, je fais ce qu’il faut, avec
les gens qu’il faut, pour y arriver – tout de suite. Jerry était le type idéal,
mais très douteux, et je ne sais toujours pas bien comment s’est fait cet
arrangement. Mais vu que j’étais un alcoolique complet et que mon
jugement était loin d’être clair, je m’en fichais – je voulais juste faire
avancer les choses. Nous nous sommes serré la main avec Sam et Jerry, et
Jack Douglas a commencé à produire mon disque.
J’avais l’impression d’être de retour au début des Guns, à essayer de
faire décoller un groupe en travaillant avec des gens médiocres : Jack était
génial, mais ça faisait longtemps qu’il n’avait pas travaillé, et si Jerry Heller
s’était fait un nom dans le hip hop, il n’avait rien fait de notable dans le
monde du rock ; Sam était un avocat juif très sympa de la Côte Est, qui
allait souvent voir sa maman, et qui semblait ne rien connaître à l’industrie
de la musique. Le cirque recommençait, au milieu d’une industrie musicale
qui m’était parfaitement étrangère.
Au sein du groupe, ce n’était pas mieux : le chanteur, Rod Jackson, s’est
révélé peu motivé et drogué, Johnny Griparic était et est toujours un grand
bassiste, mais il n’avait pas l’expérience nécessaire pour une tournée à
grande échelle, et Ryan Roxie, que j’avais rencontré dans le groupe d’Alice
Cooper et que j’avais pris comme second guitariste, cherchait seulement à
obtenir le plus d’argent possible en droits d’auteur. Le batteur, Matt Laug,
était le plus expérimenté et le plus stable du lot, et, bien sûr, il y avait moi,
qui jouais au patron, alors que c’est un rôle dans lequel je ne me sens pas
bien. J’avais partagé les droits d’auteur et l’avance à parts égales avec tout
le monde, et cela donnait davantage l’impression d’un travail d’équipe que
ça ne l’était en réalité, et au final, c’était un vrai bordel. Tout ce que je
voulais, c’était terminer le disque pour repartir en tournée. J’ai signé avec
Koch Records parce que c’est eux qui m’ont fait l’offre la plus solide, mais
ça a été une grave erreur, vu qu’ils ont lâché l’affaire peu après la sortie du
disque, ce qui n’a pas aidé à rétablir la situation.
Jerry Heller s’est révélé un manager vraiment agressif ; il essayait de
me placer partout où il en avait l’occasion. J’ai depuis entendu des histoires
à ce sujet de la part d’autres personnes du milieu. Tout ce que Jerry a fait, ça
a été de nous procurer la première partie d’AC/DC pour la tournée Stiff
Upper Lip. Et c’est comme ça qu’il a eu toute ma confiance en tant que
manager.
En même temps, Jerry a essayé de me faire signer un contrat qui lui
octroyait 20% de tout ce que je gagnerais avec le Snakepit, plus 20% de
tout ce que me rapporteraient les Guns… à vie. Perla ne lui faisait pas
confiance, et m’a conseillé de ne pas signer ça ; quand j’ai montré le contrat
à mon nouvel avocat, David Codikow, il m’a dit que c’était du suicide. Il est
allé voir Jerry, et l’a carrément traité de trou du cul, et Jerry l’a viré, ce qui
était surréaliste, parce qu’il n’avait pas le pouvoir de le faire – mon
manager n’a pas à virer mon avocat –, mais comme David ne voulait pas lui
faire ce plaisir, il a démissionné. Rétrospectivement, c’est assez comique,
mais sur le moment, c’était un cauchemar – je faisais de mon mieux pour
résister.
Je n’avais plus d’avocat, et un soir, on a frappé à la porte alors que
j’étais avec Perla à la maison. C’était la police, avec un mandat d’arrêt
contre elle, parce qu’elle avait enfreint sa liberté surveillée. Ils lui ont passé
les menottes et emmenée. Perla avait récemment été arrêtée pour conduite
en état d’ivresse et ne devait plus reconduire, mais elle l’avait fait. Pendant
les cinquante-six jours qu’elle a passés en prison, Jerry m’a fait signer ce
contrat, alors que je n’étais pas dans mon état normal. Je buvais des
quantités délirantes de vodka du matin au soir, et je ne peux pas croire que
j’avais la tête assez claire pour prendre des décisions professionnelles
rationnelles.
Déjà à l’époque de la tournée avec Mötley Crüe, j’avais pour la
première fois remarqué que je tremblais le matin, conséquence du delirium
tremens. Je me suis mis à boire à outrance tôt le matin, non seulement pour
soigner ma gueule de bois, mais aussi pour atténuer mon delirium. C’était
un changement subtil, mais qui a continué et empiré. Quand Perla était en
prison, je m’endormais avec un cocktail sur ma table de nuit, que je
terminais au matin juste pour pouvoir sortir du lit et aller dans la cuisine
m’en faire une autre pour commencer la journée. Plusieurs fois, la police ne
m’a pas laissé entrer dans la prison pour la voir, parce que j’avais bu. J’étais
vraiment en vrac : en plus de mon gallon de vodka à la maison, je buvais
des shots de whiskey et de la bière pour les faire passer toute la nuit, quand
je sortais dans les clubs. Mon avenir était plutôt sombre, sur le plan de ma
santé, mais personne n’aurait pu me le dire à l’époque.
APRÈS LA TOURNÉE D’AC/DC, NOUS AVONS FAIT UNE tournée des clubs en
tête d’affiche. Cela me coûtait de l’argent, personnellement, mais je m’en
fichais. Au bout de deux mois, Koch Records nous a lâchés : ils nous ont
coupé les fonds pour la tournée et n’ont pas fait la promo du disque. Quand
on devait faire des séances de dédicaces, le disque n’était pas dans les bacs.
Je devais passer un coup de fil pour qu’on en envoie un carton ce jour-là –
on se serait cru dans Spinal Tap.
Au fil de la tournée, je me souviens que je me sentais de plus en plus
mal. À Pittsburgh, je me rappelle m’être dit que je devrais aller à l’hôpital
avant la balance. Et puis je me suis réveillé deux semaines plus tard, dans
un lit d’hôpital ; Perla était à mon chevet et avait l’air très inquiète. J’avais
fait une myopathie du cœur. Des années d’abus de boisson avaient fait
enfler mon cœur à la limite de la rupture, au point qu’il n’était plus assez
fort pour que mon sang circule correctement. Je n’arrivais pas à intégrer que
j’étais très mal en point, mais c’était le cas. Les médecins m’ont donné
entre six jours et six ans à vivre, mais pas plus. Quand j’ai été assez rétabli
pour rentrer à L.A., on m’a ordonné de garder le lit et on m’a interdit de
boire ou de faire toute activité physique fatigante.
Les médecins m’ont installé un défibrillateur pour empêcher mon cœur
de s’arrêter et le faire battre régulièrement. Au bout d’un moment, j’ai
commencé une thérapie, en commençant par une activité physique
minimale et en progressant doucement. Miracle, mon cœur a commencé à
se remettre, et les médecins n’arrivaient pas à croire que mon état
s’améliorait. J’ai enfin pu me remettre à jouer, et j’ai décidé de terminer la
tournée des clubs. J’avais passé quatre mois hors du circuit, et j’étais
parfaitement sobre. Quand j’ai revu le groupe, avec la tête claire, j’ai
constaté à quel point il ne fonctionnait pas.
Entre mon chanteur junkie, qui était toujours au bord de la crise de
manque, et le bassiste, ils semblaient avoir uniquement envie de mener le
style de vie pour lequel j’étais réputé. Mais dans mon nouvel état d’esprit,
plus clair, je voyais bien que tout cela manquait de professionnalisme et
partait dans tous les sens. Un ou deux de mes musiciens étaient encore
moins motivés que les potes qui jouaient dans des groupes avec moi au
lycée : pour eux, tout cela n’était qu’un jeu, et ils se laissaient porter. Sur la
fin de la tournée, j’ai passé tout le temps que je n’étais pas sur scène dans
mon lit. Quand nous sommes rentrés à L.A. après le dernier concert, je suis
resté là jusqu’à ce que tout le monde soit parti, et c’est la dernière fois que
je leur ai adressé la parole avant un bout de temps. Je suis de nouveau ami
avec Johnny et Matt, à présent que le temps a passé.
LA SOBRIÉTÉ M’AVAIT AUSSI CONFIRMÉ DANS MON IMpression que Jerry
Heller me pompait toute mon énergie et devait dégager… mais j’avais signé
ce contrat, et j’étais coincé. J’ai enfin trouvé une échappatoire, le jour où
Jerry a commis une erreur, que Perla et moi avons découverte après une
enquête minutieuse. Au début de notre collaboration, Jerry m’avait fait
enregistrer une partie de guitare pour la chanson « Human » de Rod
Stewart, sur l’album du même nom. C’est lui qui avait organisé la session
d’enregistrement, et c’est là qu’il a fait un accroc à notre contrat – un
manager ne peut pas organiser ce genre de choses et prendre une
commission, ce qu’il avait fait. Au final, il a lui-même fait en sorte de me
permettre légalement de me débarrasser de lui. J’avais eu de la chance.
Cette période en particulier, de 1999 à 2001, est sans conteste la plus
noire de toute ma vie sur Terre. Mon éthylisme récréatif s’était transformé
en alcoolisme sévère. Je m’étais laissé jeter en pâture aux lions… trop de
gens avaient abusé de moi, alors que tout ce que je voulais faire, c’était
jouer sans m’occuper de rien. Le retour à la réalité a été rude.
Je me dis que j’ai payé le prix après les Guns. Ça a été dur, mais je
suppose que je devais en passer par là pour pouvoir retrouver un objectif et
constater à quel point je suis tenace et résistant. Et pour redécouvrir à quel
point j’en avais encore envie.
PERLA ET MOI AVIONS ALORS DÉMÉNAGÉ ANS UNE nouvelle maison sur
Nichols Canyon, et nous étions déterminés à nous reposer et à tourner une
page. Nous nous sommes installés dans une petite vie pseudo-domestique
sympa, du mieux que nous pouvions, tandis que je continuais à jammer dès
que j’en avais l’occasion, en attendant que l’inspiration me fasse retrouver
un groupe. En 2001, j’ai accepté de jouer au Madison Square Garden pour
le quarantième anniversaire de Michael Jackson, et Perla et moi sommes
allés là-bas. C’était mon premier concert depuis mon opération, et j’étais
très impatient ; ça a été un événement mémorable… c’est le moins que l’on
puisse dire.
J’ai fait deux jours de répétitions, pour les concerts du 8 et 10
septembre. Cela promettait d’être exceptionnel ; Michael avait fait venir
tout le monde, de Jamie Foxx à Liza Minelli, en passant par Marlon
Brando, les Jackson Five et Gloria Estefan, entre autres. C’était un concert
formidable, et tout le monde, dans l’entourage de Michael, s’est bien éclaté,
tandis que je faisais de mon mieux pour rester à distance de l’alcool. Après
tout, j’avais à présent un pacemaker, ce qui rendait la situation un peu
différente.
Quand les médecins m’avaient mis ce défibrillateur, c’était pour me
conserver un rythme cardiaque normal. Cela ne pose pas de problème à la
plupart des gens, mais j’avais oublié de dire à ces spécialistes que quand je
monte sur scène, mon cœur se met à battre à cent à l’heure. Quand je suis
entré sur scène avec Michael, j’ai tout à coup reçu une décharge dans la
poitrine, et des éclairs bleus me sont passés devant les yeux. Cela s’est
reproduit à peu près quatre fois par chanson, et je ne comprenais pas ce qui
se passait – je pensais qu’il y avait un court-circuit dans le câble de ma
guitare, ou qu’un photographe m’avait envoyé son flash dans les yeux. Et
chaque fois que ça se produisait, je devais faire comme si rien ne s’était
passé. J’ai vu la scène plus tard à la télé, et ça ne se voyait pas du tout, donc
je pense que je m’en suis bien sorti. Mais tout cela était extrêmement
déconcertant, jusqu’à ce que je comprenne ce qui se passait.
Le 11 septembre au matin, nous avons été réveillés à 8h15 par David
Williams, le guitariste de Michael.
« Slash, allume la télé », m’a-t-il dit.
« Elle est déjà allumée » ai-je dit.
« Tu regardes les informations ? » m’a-t-il demandé bizarrement.
« Non, je suis sur E ! Channel [chaîne d’informations sur les peoples,
NDT] » ai-je répondu.
« Mets les informations ! » J’ai appris qu’un avion avait percuté les
Twin Towers, et quelques instants plus tard, un second les a percutées aussi,
sous mes yeux. Les fenêtres de ma chambre étaient ouvertes, et je voyais
tout ce qui se passait de loin. C’est sans doute l’un des événements les plus
troublants de ma vie. Comme on peut s’en douter, tout l’hôtel était dans la
confusion la plus totale. Les gens couraient dans les couloirs comme si
c’était la fin du monde. Et Perla dormait toujours. J’ai dû la réveiller et lui
expliquer ce qui se passait. Je crois qu’elle a mis plusieurs minutes avant de
réaliser. Michael et ses proches avaient déjà quitté les lieux et étaient à
l’abri dans un avion qui avait quitté le pays, je crois. Mais nous, nous étions
coincés dans une ville sens dessus dessous.
Je me disais que l’endroit le plus sûr était celui où nous nous trouvions,
mais Perla n’était pas de cet avis. Elle voulait s’en aller. Elle était persuadée
que l’air était toxique, mais nous n’avions aucun moyen de partir. Et, je ne
sais pourquoi, plusieurs des danseurs et des choristes de Michael s’étaient
réunis dans notre chambre, parce que tout le monde était coincé à
Manhattan sans pouvoir en sortir. Perla voulait à tout prix rentrer à la
maison, et elle était dans un état pas possible pour essayer de trouver un
moyen de nous faire traverser le pays.
Nous avons fini par dégoter une limousine qui nous a fait traverser le
seul pont encore ouvert à ce moment-là, le Pont George Washington. Nous
avons traversé le New Jersey jusqu’aux Poconos, une région touristique de
Pennsylvanie. Perla nous a trouvé une chambre au Pocono Palace, un hôtel
« romantique » qu’elle connaissait – je n’ai pas demandé comment. Quand
nous sommes arrivés, l’endroit ressemblait à ce que je n’avais jusque-là vu
que dans des magazines. La baignoire était une coupe de champagne, il y
avait des draps de satin et des couvertures en velours sur le lit rotatif, un
tapis rouge tape-à-l’œil et des miroirs au plafond. À notre arrivée, nous
étions morts de fatigue.
Nous avons retiré à l’accueil nos coupons pour le dîner – c’était ce
genre d’hôtel – et nous nous sommes dirigés vers le grand buffet à la
suédoise. Comme tous les autres couples, nous avions un numéro et des
sièges attitrés autour d’une grande table ronde pleine de couples. Nous
étions assis à côté d’un vieux couple du New Jersey qui avait renouvelé ses
vœux, de deux nerds qui venaient de se marier et de quelques autres couples
qui auraient dû se méfier. Cet endroit n’avait rien de beau ni de romantique.
Tous ceux à qui nous avons parlé avaient visiblement peur de nous, mais ce
qui nous faisait le plus peur, c’était qu’aucun d’entre eux ne semblait au
courant de la tragédie qui s’était produite à une centaine de kilomètres de là.
Il y avait un groupe de merde et un comique pour animer le repas, il y
avait un minigolf, des promenades à cheval, des promenades en calèche, et
tous les clichés romantiques imaginables. Tous ces tordus se faisaient mener
par le bout du nez par le mot « amour ». Quand nous avons discuté de
l’attentat avec ceux qui étaient au courant, ça n’avait pas l’air de les
préoccuper. Ils se vautraient dans l’amour et étaient tellement à fond que le
11 Septembre ne méritait même pas qu’on en parle. Nous sommes restés
coincés là, des étrangers en terre étrangère, pendant trois jours. Et puis nous
sommes rentrés à L.A. en faisant des sauts de puce.
J’AI RETOUCHÉ À L’HÉROÏNE, AU COURS DE CETTE PÉriode. Cela faisait alors
si longtemps que je m’en tenais à l’écart sans m’y intéresser, que je croyais
vraiment à mes conneries quand je disais que je n’y retoucherais plus
jamais. Même quand j’ai commencé à aller dans des endroits où on pouvait
en trouver, ou à me débrouiller pour rencontrer des gens qui en avaient
peut-être, je continuais à me leurrer. Je m’assurais, et j’assurais à Perla, que
j’en avais fini avec ça, mais j’aurais dû me douter – ou tout au moins
m’avouer – de ce qui se passait.
Un soir, je m’en suis procuré, je suis allé au Hyatt sur Sunset, et je me
suis tellement défoncé que j’ai piqué du nez et me suis endormi, tout mon
poids reposant sur une jambe. Quand je me suis réveillé, je ne sentais plus
ma jambe. Je ne pouvais pas la plier, je ne pouvais pas m’appuyer dessus, et
ça n’a pas eu l’air de s’arranger quand j’ai voulu l’étirer. C’est courant chez
les junkies ; parfois, ça coupe la circulation au point que la gangrène s’en
mêle.
J’ai dû appeler les secours et on m’a emmené au Cedars-Sinai, qui était
bondé. Ils m’ont mis dans une salle d’attente le temps de me trouver une
chambre. Tandis que je fumais des cigarettes, ce qui ne leur plaisait pas
vraiment, ils ont contacté Perla qui est arrivée, et je lui ai raconté ce qui
s’était passé. Toute cette histoire lui a fait peur, et elle m’a menacé de me
quitter si je poursuivais dans cette voie. Je suis resté là une semaine, et ça a
été l’occasion de me reposer au calme… et de regarder la Chaîne Histoire.
Quand je l’ai vue arriver, cela n’a fait que me confirmer que c’était la
femme de ma vie. Je l’ai demandée en mariage, et heureusement, elle a dit
oui. Nous nous sommes mariés lors d’une très belle petite cérémonie à
Maui, où nous avons passé une semaine, à profiter l’un de l’autre. L’avenir
s’annonçait vraiment plus souriant.
Avant notre lune de miel, j’avais tout le temps ma guitare à la main, et
j’organisais tout le temps des sessions, même si autour de moi, tout était
encore chaotique. Mon répertoire dans une main et mon portable dans
l’autre, j’essayais de rester occupé sur le plan musical. Il me manquait un
but, mais j’étais motivé, et parfois, mes efforts se révélaient payants. Par
exemple, j’ai pu travailler avec le mythique Ray Charles. À notre retour de
lune de miel, je suis allé dès le lendemain à South Central L.A. pour
enregistrer « God Bless America Again » avec lui. J’ai utilisé ma Telecaster
54, et c’est l’une des sessions les plus extraordinaires auxquelles j’aie
participé, un grand honneur, et une expérience qui m’a rempli d’humilité. Je
ne savais même pas si Ray savait qui j’étais, mais nous étions là, à jouer
tous les deux.
Ray s’occupait d’une œuvre de charité pour les enfants défavorisés qui
s’intéressaient à la musique – il leur permettait d’enregistrer dans son studio
et d’utiliser son matériel, et parfois il jouait même avec eux. Ils travaillaient
sur des chansons, des techniques et des arrangements, sous sa supervision.
J’y suis allé quelquefois pour jouer quelques morceaux avec les gamins.
Les aider ainsi me procurait un sentiment incroyable.
J’ai aussi participé à quelques morceaux de la BO du film Ray ; j’ai joué
avec des gens qui étaient très éloignés de mon univers, des musiciens de
blues jazz dans des big-bands à l’ancienne. J’ai joué de la guitare sur
« Sorry is the Hardest Word » sur son album Ray and Friends, mais après sa
mort, le producteur exécutif a fait jouer un ami à lui et a enlevé ma partie,
alors que Ray estimait que j’avais un son plus bluesy.
Ma période d’errance sur le plan musical était sur le point de prendre
fin. Je m’étais égaré et j’avais beaucoup appris. J’étais prêt à me recentrer et
à prendre un nouveau départ. Le moment était venu. J’ai contacté Pete
Angelus, qui avait managé les Black Crowes et qui voulait me manager. Il
m’a présenté Steve Gorman, le batteur des Crowes, et Alan Niven m’a
présenté un bassiste. Nous avons commencé à composer, et il en est sorti la
musique de ce qui allait devenir « Fall to Pieces ». Il ne nous manquait plus
qu’un chanteur – encore une fois. Mais à ce moment-là, mon cher ami
Randy Castillo est mort ; je suis allé à ses funérailles, et sa mort a été à
l’origine d’une renaissance telle que je n’aurais jamais pu l’imaginer.
Charlie Sheen et Slash dans un jet privé, sans doute en route pour
Vegas. Le pendentif de Slash lui servait en général à cacher de la coke.
Slash et son grand ami Robert Evans, le producteur de cinéma de
légende
Slash, Perla et Johnnie Walker
Slash et Axl en train de discuter en coulisses lors de la tournée Illusion.
Remarquez le demi-gallon de vodka stocké dans le ventre de Slash.
Slash et Perla à l’époque de leur rencontre, en vacances à Palm Springs
Slash et Ray Charles enregistrent dans le mythique studio de Ray à L.A.
15) Je reprends mon envol
On ne peut pas attendre que le destin nous apporte ce que l’on pense
mériter, il faut aller le chercher, même si on estime avoir payé ses dettes.
Vous avez peut-être accompli ce que vous vouliez, mais êtes-vous bien sûr
d’en avoir tiré les leçons ?
En 2001, je suis allé en Irlande retrouver Ronnie Wood, pour participer
à sa tournée consécutive à la sortie de son album solo. Il l’avait appelée la
tournée Not for Beginners [pas pour débutants]. Perla est venue avec moi, et
nous avons passé du bon temps avec Ronnie et sa femme, Jo. Nous
répétions dans le bar de Ronnie : à côté de sa maison, il possède un autre
bâtiment, qui abrite un vrai pub, avec une table de billard et une tireuse de
Guinness. Nous avons joué des super morceaux : des trucs de Woodie, des
Stones, des Faces, une chanson de Guns N’Roses et une du Snakepit. Nous
avons répété soixante morceaux, et le groupe destiné à les jouer était
formidable : il y avait Jessie, le fils de Ronnie, deux amis de Jessie à la
basse et à la batterie, et deux autres types ; sans compter la fille de Ronnie,
Leah, aux chœurs. C’était vraiment cool, parce que notre tournée nous a
emmenés dans tous ces petits clubs partout en Grande-Bretagne. Les Corrs
sont venus chanter, et nous avons joué « Ooh La La », le classique des
Faces, tous les soirs. On s’est bien amusé, la Guinness coulait à flots. Et
comme Perla et moi allions l’apprendre plus tard, c’est là que notre fils
London a été conçu.
Après cette tournée, nous sommes rentrés, et nous sommes allés à Las
Vegas pour le Nouvel An. Avant notre départ pour la Grande-Bretagne,
nous y avions passé un week-end pour l’inauguration de ce nouveau
complexe hôtelier, The Green Valley Ranch, et pendant notre séjour, nous
avions remarqué, dans le magazine Vegas qui se trouvait dans notre
chambre, un encart publicitaire pour un concert de Guns N’Roses, au Hard
Rock Hotel & Casino, à l’occasion de la nouvelle année. Nous avions
décidé qu’il fallait aller voir ça.
J’ai appelé un impresario que je connaissais, et il m’a dit qu’il nous
ferait entrer sans problème. Nous sommes arrivés au Hard Rock quelques
heures avant le concert, pour nous installer dans notre chambre, et en
traversant le hall, nous ne sommes pas passés inaperçus, parce qu’il y avait
des fans des Guns partout. Cela faisait dix minutes que nous étions dans
notre chambre, quand on a frappé à la porte. J’ai ouvert et suis tombé sur un
agent de sécurité de l’hôtel.
« Oh, bonjour », ai-je dit. « Il y a un problème ? »
« Monsieur, nous sommes venus vous dire que vous ne serez pas
autorisé à assister au concert de Guns N’Roses ce soir. »
« Ah ouais ? Et pourquoi ça ? »
« Nous avons des ordres stricts du management de Guns N’Roses pour
ne pas vous autoriser à entrer, quelles que soient les circonstances. Je suis
désolé. »
« Allez, mec, c’est ridicule », ai-je dit. « Faites-moi entrer. Je ne suis pas
là pour créer des ennuis, je veux juste assister au concert. Je suis sûr que
vous pouvez comprendre pourquoi. »
« Je suis désolé, monsieur, nous ne pouvons rien faire. »
J’ai contacté mon ami impresario, et il n’a rien pu faire non plus. Il m’a
dit que le bruit avait couru que l’on m’avait vu avec ma guitare et mon
chapeau, comme si je m’apprêtais à monter sur scène. C’était absurde – je
n’avais même pas emporté de guitare ! Ce n’était pas la peine d’insister ; le
personnel avait des ordres pour me tenir à l’écart à tout prix. Nous avons
estimé que ça n’en valait pas la peine ; je ne suis pas du genre à faire un
scandale.
Perla et moi avons quitté l’hôtel et sommes allés nous installer au Green
Valley Ranch ; nous sommes allés à l’inauguration du Whiskey Blue, au
sein du complexe, et nous nous sommes éclatés lors de la grande fête du
réveillon qu’ils avaient organisée. Ce soir-là, je suis tombé sur un type que
j’avais déjà rencontré mais que je ne connaissais pas très bien, même si lui
me connaissait. Il m’a emmené dans les toilettes, et m’a fait une ligne de ce
qui m’a semblé être de la coke, pour que je la sniffe.
J’adore jouer les délinquants et faire des trucs que je ne suis pas censé
faire, et entre autres, prendre toutes les drogues que l’on me propose sans
vraiment demander ce que c’est ou d’où elles viennent. J’ai sniffé ce truc, et
cinq minutes plus tard, une euphorie très familière s’est emparée de moi. Je
reconnaissais très bien cette sensation ; ce n’était pas de la coke, c’était un
opiacé… c’était une sorte d’héroïne. Une très bonne sorte d’héroïne, même,
parce que tout à coup, tout l’univers m’a semblé merveilleux.
Je lui en ai demandé encore, et il m’a donné une poignée de cachets.
« Qu’est-ce que c’est ? » ai-je demandé. « C’est ça que je viens de
prendre ? »
« C’est de l’OxyContin », a-t-il dit. « En gros, c’est de l’héroïne de
synthèse. Tu les écrases et tu les sniffes. J’ai un bon contact. »
Évidemment : il venait de vaincre son cancer, et avait une ordonnance
illimitée.
« Whaouh », ai-je dit, cherchant à peine à masquer mon enthousiasme.
« Je vais garder ça en tête. »
Perla et moi avions passé les premières années de notre mariage et de
notre relation de manière assez folle. C’était la fille la plus incroyable, la
plus cool : peu importait le nombre de fêtes auxquelles nous assistions, la
quantité de trucs qu’elle avait pris ou que j’avais pris ou ce qui se passait
autour de nous, Perla gardait toujours la tête froide. Elle gardait les pieds
sur terre dans les circonstances les plus délirantes, et c’était toujours elle qui
s’occupait de ceux qui avaient besoin d’aide. Au cours de cette période,
nous buvions beaucoup, nous prenions beaucoup d’Ecstasy et de coke, mais
la seule chose qu’elle ne tolérait pas, c’était la came. Elle m’avait menacé
de me quitter après mon histoire au Hyatt, et il était hors de question qu’elle
tolère cette merde de première – ce qui ne faisait que rendre la situation
plus intéressante.
Je me suis dit que je lui en parlerais, tout en écrasant un autre
OxyContin avant de le sniffer et de me retrouver dans un état de béatitude.
J’ai ramené ça avec moi à L.A., et pendant un temps, j’ai sniffé ces trucs en
secret. J’ai commencé à appeler mon nouvel ami pour en avoir d’autres… il
faisait des allers-retours de L.A. à Vegas pour me fournir. Rapidement, je
me suis retrouvé avec un nouveau boulet au pied.
NOUS ÉTIONS MAINTENANT EN 2002, ET AEROSMITH se produisait au L.A.
Forum avec Cheap Trick en première partie. J’étais prêt à y aller et mon
pote de Vegas était en ville, avec un gros stock d’OxyContin : nous étions
armés jusqu’aux dents et parés à passer une excellente soirée. Perla et moi
nous étions violemment disputés à propos d’un rien, peu de temps avant
mon départ. Déjà, elle ne voulait pas me laisser partir – elle voulait mettre
un terme à la dispute avant que j’y aille.
J’étais défoncé et têtu ; je ne voulais rien entendre, je voulais aller au
concert, que nous ayons réglé notre problème ou pas. Mon pote attendait
dans la voiture, et j’essayais de sortir de chez moi. Je me suis dirigé vers la
porte, tandis que Perla était au bas de l’escalier ; elle continuait à me parler
malgré mon absence de réaction.
« Slash ! » a-t-elle hurlé. Je me suis retourné. « Je suis enceinte. »
J’avais beau planer très haut, cela m’a instantanément fait redescendre.
Je l’ai fixée un long moment. Le temps semblait s’être arrêté.
« OK », ai-je dit. « On en parlera à mon retour. »
Je me suis défoncé comme jamais ce soir-là, de manière si délibérée et
si peu discrète que les types d’Aerosmith, de Cheap Trick, et tous les autres
que j’ai rencontrés s’en sont rendu compte. Vu les circonstances, j’ai fait la
seule chose qui me semblait sensée : je suis resté toute la soirée avec David
Lee Roth. Mais au fond de moi, je n’arrivais pas à me sortir de la tête ce
que m’avait dit Perla.
Quand je suis rentré à la maison, nous avons eu une longue conversation
sur tout cela. Nous n’étions mariés que depuis quatre mois, mais nous
étions ensemble depuis cinq ans. Jusque-là, rien ne s’était passé et nous ne
nous étions jamais protégés. Nous n’avons pas mis longtemps à décider de
garder le bébé. Nous avons présumé que ma consommation de Guinness en
Irlande avait dû jouer sur ma subite fertilité. La grande blague était de dire
que nous appellerions le bébé Guinness, mais nous avons fini par renoncer,
puisque le chien de Ronnie Wood s’appelait déjà comme ça.
Plus que tout autre motif que je pouvais avoir, la grossesse de Perla m’a
remis les idées en place : j’ai décroché de l’Oxy, toujours sans dire à Perla
que je m’y étais mis. Je m’en suis débarrassé comme je l’avais toujours fait
– d’un seul coup, sans que personne ne s’en rende compte. Je suis resté
debout tout le temps que ça a pris, et j’ai dit à Perla que j’avais la grippe.
Mais ça n’a servi à rien : j’avais oublié une réserve que j’avais cachée dans
la chambre d’amis, et quand elle l’a trouvée, elle a tout de suite compris ce
que j’avais fait.
Nous étions allés de location en location, et nous avons finalement
décidé qu’il fallait acheter une maison. Cela faisait un moment que j’avais
mis en vente la maison où j’avais enregistré le Snakepit, et elle avait fini par
se vendre ; c’était donc un nouveau départ. Je me rappelle avoir commencé
à chercher une maison alors que j’étais en train de décrocher, et que je
transpirais abondamment tandis que nous visitions. Je crois qu’à ce
moment-là, je prétendais toujours que j’avais la grippe.
Nous avons visité une maison qui semblait sortir tout droit de « Hansel
et Gretel » : c’était un cottage médiéval que le propriétaire avait
ridiculement décoré. Celui-ci s’est révélé être Spenser Proffer, le type qui
avait produit Live ! Like a Suicide. Nous nous sommes dit bonjour et au
revoir en vitesse, des retrouvailles en passant. J’ai été surpris d’apprendre
récemment qu’il n’avait rien de bon à dire de nous. Il a déclaré qu’au cours
de ces sessions, j’avais pissé par terre, qu’Axl se shootait dans le studio,
avait vomi sur la console de mixage et avait incité Spenser à se shooter
aussi. Vous pouvez lire ces mensonges et bien d’autres dans le vaste
catalogue des biographies non-autorisées de Guns N’Roses, que l’on trouve
en librairies et en ligne. Rien de tout cela n’est vrai ; il doit nous en vouloir
parce que nous ne l’avons pas choisi pour produire tout le disque.
J’ai donc décroché, et Perla m’a servi de modèle : de la seconde où elle
a appris qu’elle était enceinte au moment où elle a accouché, elle n’a plus
touché à un seul verre et a immédiatement arrêté de fumer. Elle s’est
complètement transformée, de manière radicale ; l’instinct maternel lui est
tombé dessus d’un coup, ça a été incroyable.
Perla a connu des complications lors de sa grossesse ; London se
présentait par le siège, ce qui signifie qu’il était dans une position très
désagréable et très douloureuse pour elle pendant la plus grande partie des
neuf mois. Elle a dû garder le lit la plupart du temps.
Au cours de ces mois, j’ai commencé à chercher à monter un nouveau
groupe. Pete Angelus, qui avait managé Van Halen, David Lee Roth et les
Black Crowes, était intéressé pour me manager, et il m’a donc fait
rencontrer Steve Gorman, qui était à présent l’ancien batteur des Black
Crowes, et donc disponible, puisque le groupe s’était séparé. Mon vieil ami
Alan Niven m’avait donné le numéro d’un bassiste que, selon lui, je devais
aller écouter, et nous l’avons donc fait venir ; je ne me souviens plus de son
nom, mais nous avons tous les trois commencé à répéter, ou plutôt à
jammer, sans but défini. J’étais complètement clean et sérieux, je ne buvais
même pas. C’était la première fois, depuis la fin du Snakepit, que je me
remettais vraiment dans le bain : j’étais dans un bien meilleur état d’esprit
qu’auparavant, j’avais commencé à envisager un nouveau groupe et j’avais
commencé à écrire des morceaux. C’est à cette période que j’ai trouvé la
musique de ce qui allait devenir « Fall to Pieces ». Nous avons jammé
pendant un très court laps de temps, mais j’ai eu des tas d’idées, dont la plus
aboutie était cette chanson. C’étaient là les premiers signes de ma volonté
d’assumer, pour la première fois de ma vie, un rôle responsable et adulte,
parce que s’il y a bien une chose que je suis, c’est « l’éternel adolescent ».
C’EST À CETTE ÉPOQUE QUE J’AI APPRIS LA MORT DE Randy Castillo. Je le
connaissais depuis des années ; nous nous étions rencontrés dans le circuit
des tournées metal des années 80. C’était l’un des batteurs de session et de
tournée les plus demandés ; il avait joué avec Ozzy, Lita Ford et tous ceux
que l’on peut imaginer. Mais Randy était aussi éloigné du musicien metal
de base de L.A. que possible : c’était l’une des personnes les plus
authentiques, les plus sensées et les plus sympas que j’aie rencontrées
durant toute cette période. Quand on passait du temps avec lui, on se
marrait toujours, et il ne trichait pas : il abusait vraiment de l’alcool et de la
coke, mais ça a toujours été un batteur fantastique avec un cœur d’or. Je ne
sais plus très bien comment nous nous étions rencontrés, mais nous avions
des amis communs et dans mon esprit, j’avais le sentiment d’avoir toujours
connu Randy. Ce qui le différenciait de tout le monde à L.A., c’était qu’il
était toujours content, et ne portait jamais de jugement sur les autres.
Contrairement à la plupart des gens de cette époque, ça ne l’intéressait pas
de dire du mal des gens, ou de passer la soirée à critiquer la tenue ou les
faits et gestes des autres. Ce genre de conversation est constant, à L.A ;
Randy s’en fichait – sans doute parce qu’à l’origine, il venait du Nouveau-
Mexique.
J’avais joué au Nouveau-Mexique avec le Snakepit, et j’avais alors
entendu dire que Randy avait un cancer et que c’était très grave. Le jour du
concert, il était venu nous voir, et avait passé du temps avec nous dans le
bus. À l’époque, il subissait une chimiothérapie, et n’avait pas du tout l’air
bien. Il était très maigre et faible, mais j’étais très heureux qu’il ait pu venir.
Quelque temps plus tard, j’avais entendu dire que son cancer avait
disparu et qu’il allait beaucoup mieux. Et peu de temps après, je l’avais vu,
et ce n’était plus le même homme – il avait l’air en très grande forme.
Quand on m’a appelé, peut-être cinq mois plus tard, pour me dire que
Randy était mort, j’ai eu un choc. Je ne savais même pas qu’il avait fait une
rechute.
Les funérailles ont eu lieu au Forest Lawn Cemetary, et tous les gens
que connaissait Randy étaient là, tous ses potes musiciens de tous les
groupes dont il avait fait partie, parmi lesquels Ozzy, la famille élargie de
Randy, et tous ses amis qui l’aimaient – c’était une grande réunion. À la
réception, je suis tombé sur Matt Sorum, qui m’a dit que lui et quelques
autres voulaient organiser une collecte pour la famille de Randy et organiser
un concert de charité pour récolter de l’argent et célébrer son souvenir. Matt
m’a demandé si je voulais y participer, et j’ai trouvé que c’était une idée
formidable ; toute bonne raison de jouer de la guitare sur scène me
convient. De plus, je voulais faire cela pour Randy.
Matt et moi avons décidé de faire un set ensemble, et nous nous
sommes mis d’accord pour appeler Duff, qui était retourné à Seattle, et lui
demander si cela l’intéressait. Il avait formé un groupe, les Neurotic
Outsiders, avec Steve Jones des Sex Pistols, ils avaient sorti un disque et
entrepris une tournée. Puis ils s’étaient séparés ; Duff avait monté un
nouveau groupe, Loaded, avec quelques potes de Seattle. Je l’avais croisé à
quelques reprises au cours de l’année précédente : il était venu pour mon
anniversaire, et nous avions une fois jammé en studio avec Izzy ; nous
étions donc toujours en bons termes et en contact.
Nous avions besoin d’un chanteur (comme d’habitude) et d’un guitariste
rythmique. J’avais des vues sur Josh Todd et Keith Nelson de Buckcherry.
J’avais entendu dire que leur groupe avait splitté, et c’était donc une option
possible. J’aimais bien la voix de Josh sur certains de leurs morceaux que
j’avais entendus, et cela me semblait une bonne occasion de l’essayer.
Nous voulions faire de ce concert quelque chose d’unique, et Matt a
donc appelé B-Real et Sen Dog, de Cypress Hill, pour leur demander s’ils
voudraient venir faire une ou deux chansons avec nous. Ils étaient pour, et
nous avons organisé une répète tous ensemble, et cette après-midi a
vraiment marqué un tournant. Quand nous sommes entrés au Mates,
l’excitation était palpable : être dans la même pièce que Matt et Duff m’a
immédiatement rappelé l’alchimie qui existait entre nous sur scène, tous les
soirs, dans Guns N’Roses. Nous avons commencé à jouer ensemble tandis
que les autres se contentaient de regarder, et dès le premier accord, il y a eu
une assurance et une complicité musicale qui parlaient d’elles-mêmes. Et
qui disaient : « Voilà comment on fait, les mecs. »
Nous avons joué « Paradise City », « It’s So Easy », « Mama Kin »,
« Jailbreak » de Thin Lizzy, « Rock N’Roll Superstar » et « Bodies » des
Sex Pistols. B-Real et Sen Dog ont chanté en rap les couplets de « Paradise
City ». C’était foutrement génial. Pour la première fois depuis le Snakepit
première version, je me sentais musicalement comblé. J’étais entouré de
musiciens qui savaient vraiment tenir un groove méchant et produire une
musique encore plus méchante. Le noyau dur que nous formions, Matt,
Duff et moi, était indéniable. Quand nous avons commencé à jammer, les
gens qui répétaient ou travaillaient au Mates ce jour-là sont venus nous voir
et nous écouter. Nous avons rapidement eu un petit public, que nous avons
complètement scotché.
L’hommage à Randy a eu lieu au Key Club, le 29 avril 2002. C’était la
première fois qu’autant de membres des Guns se retrouvaient pour jouer
ensemble depuis des années. Nous sommes passés en dernier, et nous avons
tout déchiré. Steven Tyler est monté sur scène chanter « Mama Kin » avec
nous. C’était vraiment une soirée capitale. J’étais aux anges.
Le lendemain, j’étais à la maison avec Perla quand Duff a appelé.
« Salut, mec », a-t-il dit. « C’était génial, hier soir. Mais vraiment
génial. »
« Ouais, c’est vrai », ai-je dit. « J’y ai pensé toute la matinée. »
Ce à quoi j’avais vraiment pensé, c’était que j’avais perdu mon temps.
J’avais traîné avec d’autres musiciens ; des mecs talentueux, pour sûr, mais
dont aucun n’était idéal pour moi. J’étais parti à la recherche de quelque
chose, alors que ce que je cherchais était juste sous mon nez, depuis le
début.
« Duff, il faut qu’on fasse quelque chose de ça », ai-je dit. « Ce serait
stupide de ne pas le faire. Et on emmerde toutes les connotations évidentes
de Guns N’Roses. »
« Très bien… OK », a-t-il dit. « Allons-y. »
Duff et moi ne nous l’étions jamais dit, mais nous avions tous deux
consciemment évité de travailler ensemble. Nous ne voulions pas être
catalogués, nous ne voulions pas qu’on nous colle une étiquette : nous ne
voulions pas nous résigner à la case dans laquelle les gens ne manqueraient
pas de nous ranger – un projet annexe d’ex-Gunners. À ce moment-là,
suffisamment de temps s’était écoulé et même si ça n’avait pas été le cas,
nous avions vu que nous dégagions assez d’énergie en jouant ensemble
pour savoir que nous pourrions parfaitement répondre à toutes les attentes
débiles nous concernant.
Matt était lui aussi partant, et comme Josh et Keith étaient désireux de
participer, nous avons commencé à nous réunir quelques jours par semaine
dans leur local de répétition, à North Hollywood. Je n’étais pas aussi sûr
d’eux, car je ne les connaissais pas, mais j’étais prêt à leur laisser une
chance.
Keith et Josh nous ont proposé quelques bonnes chansons sur lesquelles
nous avons travaillé, et Duff et moi avons immédiatement commencé à
bricoler des trucs, comme nous l’avions toujours fait. La seule chose qui ne
me plaisait pas dans ce local, c’était que je n’entendais pas du tout Josh
chanter. Cela a commencé à m’inquiéter au bout de quelques semaines, car
alors que nous nous investissions de plus en plus, je n’avais toujours aucune
idée de la manière dont sonnait le groupe. J’ai commencé à enregistrer les
prises sur des bandes, et bon sang, ce que j’ai été surpris ! Quand je les ai
réécoutées, j’ai eu un choc : la voix de Josh était trop linéaire et trop
rocailleuse ; elle détournait l’attention de la musique, sans compter qu’elle
sonnait aussi légèrement faux.
Je suis confus d’avouer que j’ai envisagé de quitter le groupe plus tôt
que prévu à cause de cela. Je présumais que Duff et Matt avaient eux aussi
écouté les mêmes bandes que moi ; et c’est de ma faute si j’ai supposé que,
puisque personne ne trouvait rien à redire à ce que nous faisions, c’est
qu’ils n’y voyaient aucun problème.
« Je ne peux plus faire ça », ai-je dit un jour à Duff et Matt après la
répète. « J’arrête. »
« Hé, mais qu’est-ce que tu racontes ? » a demandé Duff.
« Qu’est-ce qui ne va pas ? » a demandé Matt.
« Vous avez écouté les sessions que l’on a faites ? »
« Non » ont-ils répondu tous les deux.
« Eh bien vous devriez. »
Ils les ont écoutées le soir même, et le lendemain, nous étions tous sur la
même longueur d’onde.
La voix de Josh est parfaite pour Buckcherry, mais elle n’était pas assez
musicale pour ce que nous avions en tête. Je suis heureux de pouvoir dire
que Buckcherry s’est reformé et que leur gros tube, « Crazy Bitch » était
l’un des morceaux sur lesquels nous avions travaillé pendant cette période.
Nous avons informé Josh que nous ne voulions pas poursuivre avec lui,
et tout s’est passé à l’amiable, mais nous n’avons pas vraiment su comment
réagir quand Keith nous a dit qu’il comptait bien continuer à travailler avec
nous. Ils écrivaient ensemble, ils étaient amis, et ils étaient collègues ; nous
les avions toujours considérés comme un tout, et nous nous étions toujours
dit que Keith partirait en même temps que Josh.
« Eh merde », a-t-il dit. « J’aime bien ce qu’on fait là. Je reste. »
Il n’y avait qu’un problème : en général, Keith jouait ce que je jouais,
en même temps que moi. Il n’y avait pas d’interaction entre nous, et il
n’avait aucun sens de la complémentarité nécessaire entre nos deux parties
de guitare. Du coup, avec Keith, on avait le son de deux Les Paul qui
jouaient exactement la même chose. Il est resté encore deux semaines, au
cours desquelles nous avons cru qu’il comprendrait tout seul… mais ça n’a
pas été le cas, et nous avons dû nous séparer de lui. Encore une fois, j’ai été
heureux d’apprendre qu’ils avaient reformé Buckcherry.
MATT, DUFF ET MOI AVONS COMMENCÉ À RÉPÉTER ET à composer comme des
fous. J’ouvrais grand mes yeux et mes oreilles, à la recherche d’un
guitariste et d’un chanteur. Un soir, j’étais allé avec Josh Todd voir jouer
Duff avec Loaded, en première partie de Metal Shop, un groupe qui joue
toutes les semaines une série de reprises glam metal, au Viper Room. Je suis
entré par la porte de derrière, et j’ai eu l’impression d’être retourné en 1984.
J’ai vu des gens que je n’avais pas revus depuis, et ils n’avaient absolument
pas changé. J’ai vu des gars et des filles de divers clubs – le Troubadour, le
Whiskey, le Rainbow – qui ressemblaient à ce qu’ils étaient vingt ans plus
tôt. Il y avait quelques mecs de Faster Pussycat, de L.A. Guns, et toutes les
filles que je connaissais à l’époque, comme si nous avions tous remonté le
temps ; tout le monde avait les mêmes fringues, portait le même
maquillage, et visiblement, faisait les mêmes trucs. Et bien sûr, Gene
Simmons était là, à se faire prendre en photo comme d’habitude avec une
foule de filles. Pour couronner le tout, Ron Jeremy était là aussi, avec
quelques actrices porno.
Duff m’avait parlé de ce concert plus tôt dans la journée.
« Hé, mec », m’a-t-il dit. « Le type qui joue de la guitare dans mon
groupe m’affirme que c’est un de tes meilleurs potes de lycée. »
« Ah ouais ? » Je ne voyais pas du tout qui cela pouvait bien être.
« Ouais, vraiment », a-t-il dit. « Il s’appelle Dave Kushner. Il jure ses
grands dieux que vous étiez potes, alors je voulais juste te dire qu’il jouait
dans mon groupe. »
C’était vrai, Dave et moi étions potes en première et en terminale ; il
venait aux concerts que je donnais avec Tidus Sloan, avant même d’avoir
lui-même empoigné une guitare. Dave est un mec super cool, et je n’en
avais toujours pensé que du bien au cours de toutes ces années. La dernière
fois que je l’avais vu, il travaillait chez Tower Video à l’époque où Guns
N’Roses commençait à décoller, et il buvait alors beaucoup. Il travaillait en
sous-sol, entre les boutiques de musique et de vidéos, à emballer et
décharger les produits, et apparemment il buvait beaucoup là-bas. Mais il
s’était repris, et quand je l’ai revu, cela faisait quinze ans qu’il était sobre.
J’étais assez curieux de le revoir.
Ce soir-là, l’ambiance années 80 omniprésente au concert de Metal
Shop m’a vite lassé, mais j’ai pu dire bonjour à Dave avant de partir. C’était
vraiment sympa de le revoir. Après le départ de Keith, Duff a proposé que
Dave vienne jammer avec nous, et j’étais tout à fait pour. Ça a
immédiatement collé entre nous ; Dave a apporté une dimension très cool à
ce que nous faisions. Nous n’avons pas eu à en parler ; c’était bon, c’était
l’accord parfait. Il a apporté une nouvelle dimension au son du groupe tel
qu’il était, avec un style de guitare intéressant qui complétait le mien, et
vice-versa. Notre formation comptait à présent Duff, Matt, Dave et moi, et
la musique venait de façon très naturelle. Nous n’avions plus que cet éternel
problème : pas de chanteur. Un problème récurrent, chez moi, n’est-ce pas ?
Pour un groupe de musiciens professionnels et chevronnés, on aurait pu
penser que nous saurions où chercher un chanteur. Mais non. Nous nous
regardions, sans savoir quel pouvait être la manière adéquate, pour un
groupe comme le nôtre, d’en trouver un.
« Et si on mettait une annonce dans The Recycler ? » ai-je dit un jour à
la répétition.
« Mec, je ne suis pas sûr », a dit Duff. « Je suppose que c’est ce qu’il
faudrait faire. On ne connaît pas de chanteurs. »
« Ça me rappelle la première fois qu’on s’est retrouvés ensemble », ai-je
dit. « Quand Steven et moi t’avons rencontré et qu’on a formé un groupe.
On avait écrit des super morceaux, mais il était tout simplement impossible
de trouver un chanteur. »
« C’est vrai. Retour à la case départ », a dit Duff. « C’est triste, mec. Et
puis merde. On n’a qu’à mettre une annonce dans le journal. »
Avant, nous nous sommes dit que ce serait une bonne idée de faire la
liste de tous les bons chanteurs de rock actuels, sans nous préoccuper de
savoir s’ils étaient ou non dans un groupe. Notre liste était assez courte :
parmi d’autres, il y avait Sebastian Bach, Ian Astbury et Steve Jones. Il y
avait un autre nom qui semblait recevoir les suffrages de tous les membres
du groupe : Scott Weiland…mais pour autant que nous le sachions, il faisait
toujours partie de Stone Temple Pilots.
Après avoir dressé notre liste et compris que tous ceux qui en faisaient
partie étaient engagés ailleurs, nous avons passé une annonce dans The
Recycler ainsi que dans Music Connection. Nous sommes même allés
jusqu’à placer une annonce dans le Hollywood Reporter. Mais ce que nous
avons fait de mieux a été de mettre un encart publicitaire sur MTV.com.
Nous n’aurions jamais fait ça dans les temps, et j’étais peut-être naïf quant à
l’impact que cela aurait. Mais j’ai vite compris : ce petit encart nous a valu
un tir nourri de démos sur CD et cassettes. Ces démos nous arrivaient tous
les jours, tandis que notre embryon de groupe devenait de notoriété
publique.
On a commencé à parler de notre « projet » à la radio, dans des blogs
sur internet ; tout à coup, nous nous attirions énormément d’attention,
simplement en essayant de nous trouver un chanteur, de manière
relativement discrète. Nous avons commencé à recevoir deux cents
candidatures par semaine, du monde entier, qui affluaient dans ma boîte
postale. C’était moi qui allais récupérer ces gros paquets de merde, et
depuis, les types de la poste, qui ont vu grandir le groupe depuis cette
phase, me font toujours un clin d’œil.
UN JOUR, J’AI REÇU UN APPEL INATTENDU.
« Allô ? »
« Salut, comment ça va ? C’est Izzy. »
« Hé, mec, ça va », ai-je dit. « Je partais en répétition, là. Je bosse avec
Duff, Matt, et un type appelé Dave. On est en train de mettre au point un
truc vraiment bon. »
« Hé, c’est chouette. Je vais passer. »
C’était du Izzy tout craché ; il est tellement insaisissable, qu’il va surgir
comme ça, de nulle part, rester un certain temps, avant de disparaître de
nouveau deux ou trois mois. Il est venu en studio avec sa guitare et son
ampli, et nous a apporté quelques démos. Nous avons jammé deux semaines
avec lui, et c’était génial : nous avons composé une douzaine de chansons
qui auraient pu être, de loin, le meilleur album de Guns N’Roses. Nous
avons parlé du bon vieux temps, nous avons partagé nos histoires du front ;
nous avons beaucoup ri et nous nous sommes bien amusés.
En même temps, nous poursuivions notre quête d’un chanteur, ce qui
n’intéressait pas Izzy le moins du monde. Chaque fois que nous abordions
le sujet, il ne voulait rien avoir à faire dans la conversation ; il voulait
garder ses distances autant que possible. Il ne voulait pas faire partie du
groupe, et se demandait si c’était ce que nous avions en tête ; il voulait juste
passer du temps avec nous. Chercher un chanteur était trop pour lui. Il était,
de manière générale, assez anti-chanteur. Je ne vois vraiment pas pourquoi.
Cette histoire de chanteur m’avait posé problème dans tous les groupes
dont j’avais fait partie, et je n’arrivais pas à croire qu’après tout ce temps,
cette malédiction continuait à me poursuivre.
« J’ai une idée », m’a dit un jour Izzy à la répétition. « Tu sais ce qu’on
devrait faire ? C’est Duff et moi qui allons chanter, et on fera une tournée
des clubs dans un van. »
Il a dit ça à la Izzy, ce qui signifie qu’il était difficile de savoir s’il était
sérieux ou pas.
J’étais néanmoins farouchement décidé à trouver un chanteur solide,
parce que ce projet me tenait vraiment à cœur. Cela me rendait malade de
ne pas pouvoir arriver à donner de concerts. Je ne voulais pas lâcher cette
situation avant qu’elle n’ait porté ses fruits. Mais je dois avouer que j’ai
envisagé cette solution… une minute.
Nous avons appelé John Kalodner, le mythique découvreur de talents,
pour lui demander son avis sur les chanteurs. John est venu nous voir
répéter, et a estimé que nous étions la meilleure chose au monde après le
pain de mie en tranches… mais il nous a dit qu’il ne connaissait aucun bon
chanteur de disponible.
Izzy a suggéré que nous enregistrions quelques-unes des chansons sur
lesquelles nous avions travaillé au Rumbo, ce que nous avons fait. À ce
moment-là, je me demandais ce qu’Izzy avait en tête ; dans mon esprit, ce
que nous faisions ensemble n’était pas sérieux, nous nous amusions, sans
vraiment avoir d’objectif. Mais en même temps, j’étais très décidé à aller au
bout, ainsi que Duff et Matt, et je ne comprenais pas bien pourquoi Izzy
voulait passer à l’étape suivante en nous proposant d’entrer en studio.
En tout cas, les morceaux que nous avons faits ensemble étaient
géniaux, et je n’allais certainement pas mettre un terme à cela. Nous avons
aussi tous les trois écouté les démos qui affluaient. L’une d’elles nous a
intrigués : c’était un type nommé Kelly, de Floride. Nous l’avons fait venir
pour essayer de chanter sur un titre ou deux, et dès qu’il est entré dans le
studio, Izzy a filé. Il n’y a pas eu de malaise ou quoi que ce fût, il devait
partir et nous a dit au revoir.
ÇA N’A PAS MARCHÉ AVEC CE KELLY, MAIS C’ÉTAIT un pas dans la bonne
direction. Néanmoins, il s’est passé plusieurs mois sans que l’on se
rapproche de la solution idéale. J’espérais trouver un diamant brut, un talent
encore inconnu. J’en ai parlé à Gilby, qui à l’époque était tous les jours au
Mates parce qu’il produisait un groupe appelé The Bronx. Il nous a pris
pour des fous.
« Vous n’allez jamais trouver de chanteur », nous a-t-il dit avec un petit
sourire. « À votre niveau, c’est impossible. Vous ne pouvez pas vous
contenter de dénicher de nouveaux talents ; c’est trop loin de votre niveau.
Il n’y a pas beaucoup de chanteurs alentour qui vaillent la peine d’être
envisagés – et on les connaît tous ! »
Il en aurait fallu davantage pour me décourager ; j’ai persévéré. Nous
recevions sans cesse des cassettes, et il y avait forcément là-dedans
quelqu’un qui valait le coup – du moins, c’était ce que je pensais. Nous
répétions cinq jours par semaine : nous passions trois heures à composer, et
les deux dernières étaient consacrées à l’écoute des montagnes de cassettes
qui arrivaient. Nous les écoutions toutes. C’était exténuant. Bien plus,
c’était décourageant. Je suis très étonné que nous ayons résisté en tant que
groupe : nous avons passé dix mois à faire ça. Je ne sais pas si je saurais
expliquer à quel point c’était monotone. Mais c’est pour cela que nous
écoutions ces cassettes après avoir répété. En général, elles étaient si
mauvaises qu’on avait besoin d’aller dormir juste après, pour pouvoir
recommencer le lendemain.
La plupart étaient tellement nulles que l’on se disait qu’ils se fichaient
de nous… mais on ne pouvait jamais en être certains. Trop d’entre elles
semblaient émaner d’un gars du Wyoming qui vivait dans un garage et qui
nous envoyait sa meilleure imitation des Guns. Il y avait aussi trop de
cassettes de chanteurs qui admiraient les Guns à un degré malsain. J’aurais
voulu leur demander s’ils avaient vraiment écouté ce qu’ils nous avaient
envoyé, ou au moins s’ils l’avaient joué à quelqu’un d’autre et ce que cette
personne en avait pensé.
Il y avait des exemples incessants de types qui faisaient des reprises
vraiment mauvaises de « Welcome to the Jungle » ; trop de gens qui se
prenaient pour des poètes et qui s’exprimaient, dans des paroles théâtrales,
sur des sujets variés. Nous avons eu des chanteurs de folk, des chanteurs de
thrash, des gens qui nous ont envoyé des enregistrements si minables que je
suis certain qu’ils avaient dû les réaliser grâce au micro intégré à leur
magnéto.
Un jour que je roulais dans North Hollywood, je réfléchissais à quel
point tout cela était étrange. En même temps, je me disais que cela méritait
d’être filmé, parce que je savais que nous allions quelque part. Je me suis
dit que je devrais en parler à Eric Luftglass, un producteur de VH1, mais
avant que ce projet ait pu mûrir, il m’a appelé.
« Hé, Slash, c’est Eric Luftglass. J’ai appris que toi, Duff et Matt étiez
en train de monter un groupe et que vous cherchiez un chanteur » a-t-il dit.
« Ouais, tu connais quelqu’un ? » ai-je dit.
« Très drôle ! Non, mais je voulais savoir si ça t’intéresserait que l’on
filme votre quête pour un documentaire spécial sur VH1. Ce serait une
bonne manière de lancer le groupe. Hé, vous avez un nom ? »
« Non, on n’en est pas encore là. On bloque toujours sur le chanteur.
Mais attends, je te jure que j’étais en train de me dire que je devrais
t’appeler pour te parler de tout ça. »
Eric nous a envoyé deux cameramen au Mates, et nous ne savions pas
bien comment tout cela allait marcher. Nous avons décidé de nous
prononcer seulement après les avoir rencontrés. Ils s’appelaient tous les
deux Alex, et ils avaient récemment filmé l’émission Behind the Music
consacrée à Aerosmith, qui m’avait bien plu. Nous avons passé un peu de
temps avec eux, et c’était cool ; ils ont commencé à nous filmer, quelques
séquences tranquilles de l’envers du décor. Nous avions reçu quelques
démos intéressantes, plutôt bonnes ; la plupart étaient le fait de chanteurs
talentueux qui, s’ils n’avaient pas le style que nous recherchions, étaient
tout de même bons. J’estime qu’il y avait à peu près une démo sur deux
cents qui nous intriguait assez pour qu’on fasse venir le chanteur en studio.
L’un de ces types s’appelait Steve et venait d’Angleterre, et il était plutôt
bon. Il était dans un groupe du nom de Little Hell, mais je me trompe peut-
être. Son groupe jouait quasiment du punk, et les paroles étaient pleines de
caractère et de sarcasme. Nous lui avons demandé de venir, et il figure dans
l’émission de VH1, mais son entrée dans le groupe n’a pas été envisagée.
À ce moment-là, huit mois s’étaient écoulés depuis que nous avions
entrepris de faire ça, et nous commencions à nous lasser. Les choses ne se
sont pas arrangées quand un ponte de VH1, après avoir vu les rushes de
l’émission, est venu nous voir en studio pour nous dire de « pimenter un
peu tout ça ». L’image que nous donnions de nous-mêmes en coulisses
n’était visiblement pas assez vendeuse, et à partir de là, nous avons dû nous
battre avec les producteurs. Au final, les séquences qu’ils ont filmées avec
quelques-uns des chanteurs ont été travaillées pour leur donner beaucoup
plus de piment qu’en réalité. Malheureusement, les moments que nous
avons passés avec Sebastian Bach sont devenus le sujet principal de
l’émission.
Parmi les chanteurs professionnels que nous connaissions, Ian Astbury
est venu (hors caméra) voir ce que nous faisions ; Sebastian Bach était aussi
candidat, mais il n’a jamais été considéré comme un chanteur éventuel.
Nous avons un temps répété avec Sebastian, et nous lui avons même
demandé de venir en studio poser sa voix sur quelques morceaux. À
l’époque, il chantait dans la comédie musicale Jesus Christ Superstar, et
c’était génial de voir cette nouvelle facette de Sebastian sur le plan
professionnel. Cependant, ça n’a pas marché ; cela sonnait plus comme la
somme de nos deux parties, pas comme quelque chose de neuf – c’était du
Skid Roses.
Et au milieu de tout cela, le nom de Scott Weiland n’arrêtait pas de
resurgir. Tout le monde dans le groupe le connaissait d’une manière ou
d’une autre, sauf moi. Dave avait fait partie du groupe Electric Love Hog,
qui avait fait la première partie de STP, et Matt était allé en désintoxication
avec Scott. Susan, la femme de Duff, était amie avec la femme de Scott,
Mary. Moi, je trouvais simplement que c’était un super chanteur, et je
l’avais toujours eu en tête pour ce groupe. C’était le seul chanteur à ma
connaissance à avoir le genre de voix qui se prêterait bien à ce que nous
voulions faire : elle avait un côté John Lennon, avec une pointe de Jim
Morrison et une touche de ce qui ressemblait à David Bowie. C’était le
meilleur chanteur à avoir émergé depuis longtemps, à mon avis.
Comme tous les autres le connaissaient, j’ai demandé à Duff de
l’appeler. Il l’a fait, et a demandé à Scott s’il aimerait écouter quelques-unes
de nos démos. Scott était partant, et nous avons donc mis au point quatre
morceaux, les avons enregistrés, et je les lui ai apportés en personne chez
lui. À l’époque, ironie du sort, j’habitais sur Blackburn, à quelques pas
seulement de l’endroit où j’avais un temps vécu avec mon père quand
j’étais petit. Ce soir-là, il donnait un concert avec STP, et j’ai donc laissé le
CD sur le seuil de sa porte ; nous avons impatiemment attendu son appel.
Il nous a appelés une semaine plus tard, et même s’il était enthousiaste
quant à la musique et à ce que nous faisions, il nous a dit franchement que
STP était encore ensemble. Ils avaient des problèmes, mais Scott a été très
direct et nous a dit qu’il comptait s’accrocher et voir où cela allait le mener.
« Écoute », ai-je dit, « je ne veux pas créer de division entre toi et ton
groupe. »
Nous nous sommes quittés là-dessus. Et Duff, Matt, Dave et moi
sommes retournés à notre pile de cassettes…
NOUS AVONS SOLLICITÉ L’AIDE DE MON VIEIL AVOCAT, Dave Codikow, dans
notre quête. Nous avons bien fait, parce qu’alors que les choses
continuaient de n’aller nulle part, Dave nous a fait savoir, quelques mois
plus tard, que Stone Temple Pilots se séparait. J’ai été très heureux de
l’apprendre – pour des raisons très égoïstes. Je me fichais bien de la
politesse ; j’ai demandé à Duff d’appeler Scott sur-le-champ, pour lui
demander si cela lui dirait de venir nous voir.
Nous venions de composer la musique de « Set Me Free », et nous
avons donné la démo à Scott, lui avons demandé de l’écouter et, si ça lui
plaisait, de venir nous voir répéter – aucune pression. Il a gardé la cassette
une semaine, au cours de laquelle il l’a emportée dans son studio et a posé
sa voix dessus. À ce moment-là, nous lui collions au train, alors que Scott
essayait de déterminer un peu ce qu’il allait faire. Il ne savait pas bien si ce
que nous étions en train de créer était le bon choix pour lui, mais quand
nous avons entendu sa partie de chant sur ce morceau, nous avons su que
c’était exactement ce que nous recherchions : ce qu’il avait fait était bien
loin de tout ce que j’avais pu imaginer pour ce morceau. Il l’avait emmené à
un niveau supérieur ; il sonnait différemment et mieux que tout ce que nous
avions fait jusque-là. Je n’ai jamais demandé à Scott ce qu’il avait ressenti
après avoir enregistré ces paroles… tout ce que je sais, c’est que nous, nous
étions sacrément excités. Et j’avais le sentiment qu’il l’était, lui aussi.
Scott est venu en personne nous remettre le morceau, ce jour-là ; il est
entré au Mates, coiffé de l’un de ces chapeaux de pêcheur enfoncé sur les
yeux, et vêtu d’un de ces sweats de surfeur, avec une capuche et deux
poches sur le devant. La porte de notre salle de répétition était à près de six
cents mètres de la scène sur laquelle nous étions, mais même à cette
distance, même avec le look passe-partout qu’il avait adopté, il avait une
présence incroyable qui m’a tout de suite frappé. Quand il est monté sur
scène nous saluer, j’ai eu l’impression de le connaître depuis très
longtemps. Nous avons discuté, nous avons écouté sa démo, et nous avons
eu l’impression de nous retrouver plutôt que de partir de zéro.
LE CHANT DE SCOTT A ACHEVÉ DE NOUS CONVAINcre. Nous étions impliqués
à cent pour cent ; c’est ce qui a permis de rassembler tous les éléments sur
lesquels nous travaillions. Le seul problème était qu’il n’était pas sûr de
vouloir rejoindre notre groupe. Il envisageait d’enregistrer un nouvel album
solo, et il avait aussi des problèmes personnels qu’il essayait de résoudre.
David Codikow, qui était parti travailler chez Immortal avec Dana
DuFine, avec qui il formait une équipe de management, s’est vivement
intéressé à notre cas et nous a organisé un mini-concert pour le milieu du
disque, au Mates. Nous n’avons joué qu’une chanson : « Set Me Free ».
Notre public était composé de producteurs musicaux, de directeurs
musicaux, et de coordinateurs musicaux auprès des grands studios
cinématographiques. Tom Zutaut était présent lui aussi – on se serait cru au
bon vieux temps.
C’était la première fois que le groupe jouait ensemble devant un public.
Et ça a été intéressant, parce que Scott n’est arrivé que quelques minutes
avant de monter sur scène. Nous le cherchions partout, et il est arrivé à la
dernière minute. Nous n’étions pas encore assez intimes pour savoir ce qu’il
avait fait lors des dernières vingt-quatre heures, et nous étions donc un peu
tendus.
Mais ce n’était pas grave, parce qu’à son arrivée, nous nous sommes
lancés dans le morceau, et dès la première note, c’était très bien. C’était le
genre de situations dans lesquelles on est tendu avant de jouer, mais une
fois qu’on se retrouve devant tous ces cadres de l’industrie et qu’on a joué
la première note, on sait parfaitement qui on est, et on se branle du reste. Il
n’y a rien de plus bête que ce genre de mini-concerts, mais nous étions
tellement à fond dans le morceau qu’on s’en fichait. Nous avons
simplement fait notre truc, voilà tout.
Nous avions l’impression d’être vraiment un groupe. Nous avions
l’impression que c’était eux contre nous, encore une fois. Ce jour-là, nous
leur avons fait bonne impression, mais à notre manière. Ce n’était qu’un
début, mais je savais que nous étions lancés et que nous n’allions plus nous
arrêter. La route nous était grande ouverte.
NOUS AVONS BEAUCOUP PARLÉ DU FAIT QUE SCOTT devait décrocher, parce
que c’était un vrai problème. Nous lui avons fait savoir qu’en gros, nous
étions tous passés par là, et que nous serions derrière lui s’il avait besoin de
notre aide, dans le cas où il voudrait vraiment devenir clean. Nous ne lui
avons mis aucune pression, nous lui avons montré que nous comprenions,
que nous connaissions le problème (de première main) et je crois qu’au
final, c’est ce qui l’a mis plus à l’aise. Quand nous avons eu l’impression
que Scott était avec nous, nous avons commencé à passer à la vitesse
supérieure.
JE CROIS QUE LA CHOSE LA PLUS FORMIDABLE AU SUjet de ce groupe, c’est
que nous ne nous sommes jamais comportés comme un nouveau groupe ;
dès le début, tout s’est passé comme si nous avions été ensemble depuis des
années. Je suppose que d’une certaine façon, c’était le cas. Nous avons alors
trouvé le vecteur idéal pour le galop d’essai d’un groupe formé depuis un
certain temps : David et Dana ont contacté quelques studios de cinéma pour
leur demander quels films sur le point de sortir auraient besoin d’un
morceau original. On nous en a soumis quelques-uns, et nous avons opté
pour Hulk et Braquage à l’Italienne [The Italian Job], que nous proposait
Kathy Nelson, d’Universal, avant tout parce qu’ils nous paraissaient parfaits
et que nous aimions bien Kathy.
Nous sommes entrés en studio avec Nick Raskulinecz, et avons fait une
reprise du « Money » des Pink Floyd pour Braquage à l’Italienne. Scott a
fait un super travail, et la chanson a très rapidement pris forme. Nous
l’avons répétée en une après-midi au Mates, avant d’aller aux Studios
Chalis à Hollywood pour l’enregistrer. Puis, pour Hulk, nous sommes allés
à Oceanway faire un vrai enregistrement de « Set Me Free ». Nous savions
que ce morceau servirait à faire connaître notre son, et nous avions vu une
première version du film, que nous avions bien aimée. En plus, nous étions
excités de savoir qu’il avait été réalisé par Ang Lee. C’est également Nick
qui a produit ce titre, mais ça n’a pas été sans peine : nous avons eu du mal
à le mixer, parce que nous n’arrivions pas à obtenir un résultat correct. Nous
avons fini par faire une série de mixes, et avons enfin réussi à terminer ce
morceau le matin de la date limite.
Ça n’a pas été le seul aspect compliqué de cette session : alors que
j’étais en chemin pour les Studios Oceanway afin d’enregistrer ce morceau,
j’ai reçu un coup de fil (de Duff) m’annonçant que Robert et Dean DeLeo,
de Stone Temple Pilots, étaient en train de produire Alien Ant Farm dans le
studio d’à côté. J’étais très inquiet de la réaction éventuelle de Scott. Je suis
arrivé avant lui pour être sûr que tout irait bien, et je suis tombé sur Robert
à la fontaine à eau Sparkletts dans le hall. Il était penché sur moi alors que
je remplissais mon gobelet Solo d’eau, et je ne savais pas du tout qui c’était.
« Heu… Slash ? » dit-il.
« Heu, ouais. Salut. »
« Salut, je suis Robert DeLeo. Ravi de te rencontrer… J’ai beaucoup de
respect pour toi. »
Il avait l’air sympa, mais j’étais toujours inquiet au sujet de Scott. Il est
entré par une entrée de service, afin que leurs routes ne se croisent pas
pendant toute la durée de la session.
Ces BO nous ont servi de test ; nous nous lancions dans le monde d’une
manière contrôlée et réduite. Nous étions un groupe de rock’n’roll solide,
mais nous n’avions pas encore franchi le dernier obstacle : Dave travaillait
encore la journée comme ouvrier en bâtiment, et Scott avait vécu le long et
difficile déclin de son groupe, ce qui fait qu’il était encore anxieux et
fragile. Duff, Matt et moi étions investis à cent pour cent ; nous avions alors
tout laissé tomber pour nous concentrer sur ce groupe. Nous avons donc
persévéré pour avancer.
Choisir un nom pour le groupe était un sujet récurrent lors des
répétitions, et nous n’avions pas vraiment progressé sur ce plan-là. Un soir,
Perla et moi sommes allés au cinéma, et je ne me souviens plus bien de ce
que nous avions vu, mais quand les lumières se sont éteintes et que le
générique a commencé, j’ai été frappé par le nom « Revolution Studios ».
Perla m’en a aussi touché un mot. Il y avait quelque chose là-dedans…
J’aimais bien le début du mot. Et c’est ainsi que j’ai pensé à Revolver. Ce
nom me paraissait approprié, à cause de sa polysémie : il évoquait bien sûr
un pistolet, mais également l’idée d’une porte-tambour [revolving door en
anglais, NDT], ce qui, vu le nombre de membres d’autres groupes dont ce
groupe était composé, me semblait tout à fait adéquat. Et bien entendu, il
s’agit aussi du titre d’un des meilleurs albums des Beatles.
Le lendemain, j’ai retrouvé le groupe aux Studios Universal, où nous
devions assister à une projection de Hulk pour décider si nous voulions
prêter notre chanson à la BO. En chemin entre le bureau de Kathy Nelson et
la salle de projection, j’ai proposé mon idée de Revolver comme une
possibilité de nom.
« C’est cool, j’aime bien », a dit Duff.
« Moi aussi » a dit Matt.
Scott a gardé le silence une minute. « Et Black Velvet Revolver ? » a-t-il
dit. « J’aime bien l’idée de quelque chose d’intime, comme le velours
[velvet] juxtaposé à quelque chose de mortel comme un pistolet. »
J’y ai réfléchi une minute. J’étais tout à fait d’accord avec l’idée, mais
ce nom me paraissait un peu long.
« Hé », ai-je dit. « Et si on gardait juste Velvet Revolver ? »
« C’est cool » a dit Scott.
Tous les autres ont acquiescé.
Nous étions tous sur la même longueur d’onde, et cela m’a inspiré ; je
me suis assis et je me suis tout de suite mis à esquisser des logos. J’ai
trouvé le VR dont nous nous servons encore, et tout le monde a semblé
l’apprécier également.
Nous étions en bonne voie : nous avons organisé une petite conférence
de presse et un mini-concert au El Rey Theater. C’était censé être réservé
aux gens de l’industrie, mais le grand public était lui aussi autorisé à entrer :
nous voulions annoncer que nous étions officiellement un groupe, avec un
chanteur et un nom, et que nous allions bientôt enregistrer un album. Nous
venions de composer « Slither », et nous l’avons donc jouée ; nous avons
joué aussi « Set Me Free », « It’s So Easy », « Negative Creep » de Nirvana
et « Pretty Vacant » des Sex Pistols. Nous n’avons pas eu beaucoup de mal
à choisir les chansons ; à l’époque, c’étaient les seules que nous
connaissions.
Ce n’était pas important ; il y avait une telle énergie que cela vous
sautait à la figure. L’alchimie du groupe en concert était d’une puissance qui
semblait innée. Ça a été un moment fondateur pour nous : nous étions enfin
un groupe. Nous avions travaillé ensemble de toutes les manières, sauf la
plus essentielle – en concert. Ce concert à El Rey a été le moment de vérité.
Après, dans les loges, notre alchimie sur scène nous avait tellement inspirés
que l’on s’est posé la question – devions-nous enregistrer un album, ou
simplement partir en tournée – sur-le-champ ?
NOUS AVONS PRÉFÉRÉ ENREGISTRER UN ALBUM PARCE que c’était la chose la
plus sensée à faire. En plus, à cette époque, nous étions en pleine ébullition
créatrice et les nouveaux morceaux nous venaient très rapidement. Avant
que Scott ne nous ait rejoints, cela faisait dix mois que nous écrivions ; dire
que nous l’avons submergé de chansons potentielles pour qu’il en écrive les
paroles est donc un euphémisme. Nous lui avons donné plus de morceaux
que l’on peut décemment demander à quelqu’un d’en écouter.
Mais il y est arrivé : il en a choisi quelques-uns et les a transformés en
des choses auxquelles nous ne nous attendions pas du tout, mais que nous
avons tout de même adorées. Scott a un petit studio et un local de
répétitions à Toluca Lake, du nom de Lavish, où il travaille avec son
ingénieur, Doug Grean. Ils se sont emparés de ces démos et ont refait les
arrangements pour que ça colle avec les parties de chant que Scott avait
faites. De cette matière abondante sont sorties « Big Machine » et « Dirty
Little Thing », tandis que nous continuions à créer de nouveaux morceaux,
comme « You Got No Right », « Slither » et « Sucker Train Blues », sur
laquelle nous avons tous collaboré, ainsi qu’un morceau intitulé « Do It For
The Kids », entre autres. Tout prenait forme gentiment.
Les choses semblaient se dérouler pour le mieux, jusqu’à ce que Scott
se fasse arrêter sur le parking de Lavish un soir : il a été surpris avec une
fille, et ils avaient des drogues dans sa voiture. Il était déjà en liberté
surveillée, et ça a été le coup de grâce. Ça a été un vrai tournant pour lui :
quand il est sorti de prison, il n’est pas rentré chez lui, il est retourné dans
son studio. Il a retrouvé un instrumental que nous lui avions donné quelque
temps avant. Et il a écrit les paroles de cette chanson, qui est devenue « Fall
to Pieces ». Scott s’est vraiment épanché dans cette chanson : c’est une
peinture de là où il en était et dans quoi il se débattait à ce moment-là, plus
honnête que tout ce qu’on peut imaginer voir un jour. Ce morceau dépeint
vraiment ce qu’il vivait et donc ce que nous vivions.
NOUS N’ÉTIONS PAS DÉCIDÉS SUR QUI DEVAIT PRODUIre notre disque, et nous
avons donc essayé quelques personnes ; nous avons proposé plusieurs
noms : Rick Rubin, Brendan O’Brien et quelques autres. Je ne sais plus bien
qui a suggéré Bob Ezrin, mais nous sommes entrés en studio et avons
enregistré « Slither » avec lui aux Studios Henson. Il venait de faire le
dernier album de Jane’s Addiction, mais à part ça, son travail précédent
avec tous les grands, d’Alice Cooper à Pink Floyd, était assez éloquent. Ça
ne s’est pas passé aussi bien que je l’espérais ; l’apport créatif de Bob sur ce
morceau était trop produit. Il faisait trop de choses à la fois, se servait de
trop de pistes ; le résultat final était trop dense et trop complexe, pour ce
que nous considérions comme une chanson basique d’un groupe de
rock’n’roll assez basique lui aussi.
Nous avons alors décidé d’enregistrer un morceau avec Josh Abraham,
que nous connaissions tous. Il était assez nouveau dans le milieu ; son plus
grand titre de gloire était d’avoir produit l’album de Staind, qui avait un
gros succès. Au moins, j’en avais entendu parler, et à l’époque, il travaillait
sur le nouvel album de Courtney Love. Nous avons fait un test avec lui, sur
un nouveau morceau, « Headspace », aux Studios NRG à North Hollywood.
Le titre sonnait bien, la batterie, les guitares et la voix sonnaient bien. Cela
nous a suffi pour décider de lui confier le reste de l’album.
À ce moment-là, tout le monde parlait de Velvet Revolver, et nous
faisions l’objet de beaucoup d’intérêt de la part des grosses maisons de
disques, même s’il n’en restait pas tant que cela à l’époque. Il y avait
Chrysalis, Elektra, RCA et Warner, et elles étaient toutes intéressées. Nous
avons finalement signé avec RCA.
Mais d’abord, nous avons passé une semaine à faire la navette à New
York, et à nous faire offrir des déjeuners, vin compris. Nous n’avons pas eu
de mal à nous décider, une fois que Clive Davis a pris l’avion avec son
découvreur de talents, Ashley Newton, pour venir nous voir répéter à
Toluca Lake. C’était une grande preuve d’intégrité et de solidarité, vu les
locaux. Ils se sont retrouvés dans une pièce qui devait faire trois mètres de
long, séparés de nous par une table de billard, et tous nos amplis braqués
sur eux. Ils ont enduré cinq chansons dans ces conditions. Ils voulaient aller
au-delà du buzz qui entourait désormais le groupe et nous voir jouer dans
notre milieu naturel.
« C’était génial, vraiment génial », a dit Clive à la fin. « Merci. »
Ils ont adoré « Slither » et « Fall to Pieces », et très peu de temps après,
nous avons pris notre décision. Nous avons signé avec RCA.
Après avoir fait la pré-production avec Josh à Lavish, nous sommes
allés à NRG enregistrer les pistes de base. Coïncidence, Dean et Robert de
STP travaillaient dans le studio d’à côté sur des nouveaux trucs, encore une
fois, juste à côté de nous. Cette fois, on ne pouvait pas les éviter ; ils étaient
littéralement dans la pièce voisine, et nous partagions la même salle de
repos. Ce n’était qu’une question de temps avant que Scott ne les croise,
quels que fussent nos efforts, mais tout s’est bien passé. Ils avaient
surmonté cela ; Dean s’est assis avec Scott et je ne sais pas de quoi ils ont
discuté, mais ensuite, ils ne se sont pas gardé rancune. Scott lui a même
joué nos démos, nous avons passé du temps tous ensemble, et tout allait
bien. C’était la première fois que je rencontrais Dean, et je les ai vus tous
les deux souvent depuis, et tout a été pour le mieux – ce sont tous les deux
des types vraiment bien.
QUAND IL A FALLU ENREGISTRER MES PARTIES DE GUItare pour cet album, j’ai
voulu aller dans un studio plus petit pour faire économiser de l’argent au
groupe, et Josh a donc suggéré d’aller dans ce studio au coin sud des
boulevards Highland et Sunset ; c’est là que Jimi Hendrix a enregistré Axis :
Bold As Love. Je suis entré, et c’était vraiment un drôle d’endroit : une
mauvaise moquette épaisse, une peinture qui s’écaillait, des cafards… ce
genre de choses. Je suis entré dans le studio avec Josh et il y avait une très
chouette table de mixage, mais j’ai levé les yeux et j’ai vu qu’il n’y avait
que deux petits amplis Yamaha AS-10 en guise de baffles, ce qui est génial
pour réécouter les morceaux ; mais moi, quand j’enregistre mes parties en
studio, je mets mes amplis dans la pièce principale, où sont les micros, et je
joue en régie, où se trouvent le producteur et la table de mixage. Je fais
comme ça surtout parce que je ne supporte pas les casques. Cette
configuration-là ne convenait absolument pas à mes desseins. Jusque-là, je
m’étais fait une règle d’enregistrer les pistes de base en live, en grattant
simplement mes cordes, avant de les refaire en régie, à un méga-niveau de
son, pour que ça sonne comme un vrai concert quand je les enregistrais
pour de bon. Les baffles sont mes points de repère quand j’enregistre, et il
faut donc qu’ils soient gros et puissants. Les deux que j’avais devant moi
n’allaient pas le faire.
« Alors c’est comme ça que tu enregistres les guitares ? » ai-je demandé
à Josh.
« Eh bien… oui, en général ces baffles suffisent. »
« Je n’ai jamais joué comme ça, et je peux te dire tout de suite qu’ils ne
vont pas être assez puissants. »
À cet instant, j’ai repensé à ce que ma femme, Perla, m’avait dit et
redit : j’aime faire les choses à la dure. Je voyais bien que là, j’envoyais
Josh et toute l’installation de son studio au tapis. Je voulais corriger cette
tendance que j’avais, alors au lieu de faire tout un cirque et d’insister pour
changer de studio, voire de producteur, j’ai choisi de m’adapter.
« Écoute, fais venir de plus gros baffles, et ça devrait marcher. » ai-je
dit. Josh a eu l’air sincèrement soulagé.
Je ne peux pas dire que ça ait été une expérience plaisante. Les
ingénieurs du studio n’arrêtaient pas de nous louer de nouveaux baffles,
mais aucun ne faisait vraiment l’affaire. Non, c’est faux – ils ont dégoté
exactement ceux qu’il fallait, le tout dernier jour. Au final, j’étais content de
mon travail sur notre premier album, mais quand j’y repense aujourd’hui, ça
a été une session très inconfortable et très confinée pour moi. En somme,
mon jeu est assez réservé sur ce disque, et c’est pour cela qu’il n’y a pas
autant de solos qu’il aurait pu y en avoir. Je me sentais trop à l’étroit pour
improviser comme je le fais en général.
Je crois que Dave s’en est mieux sorti que moi dans cette configuration
de studio numérique, quand il est venu enregistrer ses parties. Il a fait du
très bon boulot ; il a ajouté toutes ces textures sonores qui rendent les
guitares vraiment complètes.
À ce moment-là, la cour avait ordonné à Scott de demeurer dans un
foyer de réinsertion, consécutivement à son arrestation. Il venait enregistrer
ses parties de chant et y retournait aussitôt. Il n’avait le droit de travailler
que trois heures par jour.
DUFF ET MOI SOMMES ALLÉS À NEW YORK POUR ASsister aux séances de
mixage avec George Marino aux manettes, et c’est ainsi que Contraband a
été terminé. Ce soir-là, j’ai bu mon premier verre en plus d’un an. J’étais
resté assez discret sur mes sentiments au sujet de GN’R et d’Axl, jusqu’à ce
que Duff et moi fassions une tournée promo pour la sortie du premier CD
de Velvet Revolver. À ce moment-là, je n’avais pas encore rendu public ce
qui s’était passé entre Axl et moi, et je n’avais pas prévu de le faire. Mais
les médias voulaient connaître mon point de vue sur le sujet et je n’ai pas pu
m’en empêcher. Je n’avais rien de très plaisant à dire. C’était comme s’ils
avaient touché un nerf sensible : tout à coup, tout ce qui sortait de ma
bouche était amer et vindicatif – tout le contraire de la réaction que je
voulais avoir. Quand GN’R et moi nous étions séparés, j’avais sincèrement
voulu garder profil bas et ne jamais me plaindre à la presse, notamment
parce que bien d’autres artistes l’avaient fait avant moi et que j’avais trouvé
cela de très mauvais goût. Mais voilà, j’étais acculé par la presse, qui
cherchait avidement à créer la polémique et titillait ce nerf à vif. Je ne
pouvais plus contrôler mes réponses. Tout ce que je disais sur Axl était
négatif ; c’était presque viscéral. Évidemment, tout cela a énervé Axl, et
c’est ce qui l’a poussé à se déchaîner contre moi dans son communiqué de
2005, sans parler des complications juridiques occasionnées au procès avec
GN’R.
Pendant que l’on mettait la touche finale au packaging du CD, Duff et
moi sommes partis en Europe et au Japon pour promouvoir le disque auprès
de la presse, pendant quelques semaines. Le groupe est parti en tournée
avant même la sortie du disque. Notre premier concert a eu lieu au Kansas,
et de là, nous sommes passés dans à peu près chaque ville de chaque état.
Nous avons réussi à créer un effet d’attente tel que, lorsque l’album est sorti
en juin 2004, il était numéro un dès la deuxième semaine. Nous étions à
Vegas pour un concert, quand Clive nous a appelés pour nous dire que nous
avions atteint le sommet des charts, et je dois dire qu’après tout ce que
j’avais vu et fait, recevoir un appel du mythique Clive Davis pour de telles
nouvelles m’a donné la chair de poule : dans mon univers, c’était ça, être
arrivé. Ça a été le début d’une tournée qui a semblé ne plus s’arrêter et
prendre de l’élan à mesure qu’elle se prolongeait. Au final, nous sommes
restés dix-neuf mois sur la route, à jouer partout, dans les clubs, les festivals
et les stades.
Le groupe s’est produit devant des milliers de personnes dans le monde
entier, et notre disque s’est vendu à trois millions d’exemplaires partout
dans le monde. Nous avons travaillé dur, lors de cette tournée ; nous jouions
souvent cinq soirs par semaine, dans une ville différente tous les soirs. Nous
voyagions en bus, et donc dans la promiscuité. Nous avons joué au Live 8,
au Festival de Donington, nous avons tourné trois clips à partir de ce
disque. Il a eu un beau succès ; tout à coup, nous étions redevenus un
groupe important.
Notre dernier concert a eu lieu à Orlando, puis tout le monde est rentré
et a repris sa vie. Et là, nous avons replongé dans tout un tas de conneries.
Des rumeurs circulaient, selon lesquelles nous allions nous séparer, selon
lesquelles nous avions tous recommencé à nous droguer et flirtions avec
l’autodestruction, et bien d’autres, qui seraient trop longues à énumérer.
POUR MA PART, COMME D’HABITUDE, J’AI EU BEAUcoup de difficultés à me
réhabituer à être à la maison. Pendant l’écriture de Contraband, avant que
nous n’entrions en studio pour l’enregistrer, mon fils London était né, en
août 2002. J’avais accompagné Perla faire son échographie, et à cette
époque, j’essayais encore de me faire à l’idée que j’avais un enfant en route
– cela allait vraisemblablement être une nouvelle expérience pour moi. Cela
dit, une fois que j’ai su que j’allais en avoir un, je me suis dit que j’aimerais
bien une petite fille, en me disant qu’elle ressemblerait à sa mère et qu’elles
seraient inséparables, ce qui ne faisait que me conforter dans mon déni de
mes nouvelles responsabilités, auxquelles je ne pouvais pas échapper.
Telle était mon idyllique petite conception de la paternité, jusqu’à ce
que je réalise quelque chose que j’avais ignoré jusque-là : j’ai assez de mal
avec les femmes adultes, alors avec les petites ! Une fille serait sans doute
ma perte. J’ai poussé un soupir de soulagement quand Perla a donné
naissance à un beau petit garçon de 4,500 kg, en pleine santé. Nous l’avons
appelé London, non seulement parce qu’il avait été conçu en Grande-
Bretagne, mais aussi parce qu’un de mes copains de classe, quand j’étais
petit, s’appelait comme ça, et que je n’avais jamais oublié à quel point je
trouvais ce nom cool.
Je n’avais évidemment aucune expérience dans l’éducation des enfants,
mais j’ai eu de l’entraînement. Quand elle était tombée enceinte, Perla avait
été submergée par l’instinct maternel, et un jour elle a rapporté de
l’animalerie un chiot de Poméranie. La responsabilité de ce chien m’a
immédiatement incombé, surtout quand Perla s’est vue obligée de rester
couchée quelques mois. J’ai été forcé de dresser ce chien, et c’est ainsi que
je me suis préparé à devenir père. C’est la seule expérience éducative que je
n’aie jamais eue, parce qu’une chose est sûre – les chats et les serpents ne
comptent pas. Tout bien considéré, j’ai dû bien me débrouiller, parce que
notre chien était très bien dressé lorsque London est né.
Avoir un enfant m’a forcé à être présent ; cela m’a aussi incité à
respecter ma sobriété. Quand je n’étais pas avec Velvet Revolver, j’étais à la
maison avec ma femme, à élever notre fils. J’étais le papa, je montais les
meubles de la nursery, j’allais acheter des jouets, je montais les mobiles
électriques. Et puis Perla est retombée enceinte. Nous avons appris que
c’était un deuxième garçon, et j’ai de nouveau poussé un soupir de
soulagement. Notre nouveau bébé se présentait lui aussi par le siège, mais
cette fois les complications ne sont apparues que plus tard au cours de la
grossesse. Perla a encore vécu des moments difficiles.
J’étais en tournée quand mon deuxième fils est né. J’avais réussi à
rentrer régulièrement à la maison pour aller voir Perla à l’hôpital, mais la
veille de la naissance, j’avais un concert. J’ai dû aller de l’hôpital à Atlantic
City par un vol de nuit, puis reprendre un vol de nuit afin d’arriver à temps
pour sa naissance, le lendemain. J’ai raté mon vol de retour à L.A., et j’ai eu
de la chance d’en trouver un autre. Il a fallu retarder la césarienne de Perla
jusqu’à mon arrivée. J’ai filé droit à l’hôpital et je suis arrivé juste avant sa
naissance. J’ai passé la nuit et le lendemain matin avec Perla et mon
nouveau petit garçon de 4 kg, parfaitement constitué, et puis j’ai repris
l’avion pour aller retrouver le groupe au concert suivant. Voilà dans quelles
conditions mes deux fils sont venus au monde.
Nous ne savions pas quel nom donner à notre second fils, et puis nous
nous sommes rappelés du nom que notre ami, le magnat du cinéma Robert
Evans, nous avait conseillé de donner à notre aîné. Comme d’habitude, il
avait des idées très tranchées, à l’encontre desquelles je ne pouvais pas
aller.
« Donnez-lui le nom le plus cool que puisse avoir un homme », nous
avait-il dit de sa voix de baryton caractéristique. « Appelez-le Cash. »
« Robert, c’est trop tard », avais-je dit. « Nous l’avons déjà appelé
London. »
« Très bien. Mais si vous en avez l’occasion une deuxième fois », avait-
il dit, « faites le bon choix. »
Après une très courte période de délibération, nous avons estimé qu’il
avait raison. Et c’est pour cela que notre deuxième fils s’appelle Cash.
APRÈS DEUX ANS PASSÉS À TOURNER NON-STOP, AU comble de la frénésie, je
me suis de nouveau retrouvé catapulté dans le monde réel, et même si
c’était une situation que je connaissais bien, je ne la supportais pas mieux
pour autant – c’était même devenu de plus en plus dur de m’adapter. Quand
tout ce qui vous importe, c’est de faire votre boulot et d’aller de concert en
concert, quand le prochain show est le seul but que vous ayez, sur un laps
de temps étendu, quand le service d’étage et la chambre d’hôtel sont votre
seule récompense, votre mode de vie est vraiment rudimentaire.
De retour à la maison, peu importe qui on est, les choses n’ont plus rien
à voir. Quand vous êtes chez vous, vous devez vous bouger le cul et faire
les choses vous-même ; quand vous êtes chez vous, vous redevenez aussi
normal que d’habitude, parce que vous ne pouvez vous reposer que sur vos
capacités. Dans le passé, je me reposais sur l’alcool et la drogue pour
faciliter la transition et la rendre un peu plus supportable à court terme.
Mais quand on a des enfants, si vous voulez être un parent un tant soit peu
responsable, cette option passe par la fenêtre : quand vous revenez de
tournée et que vous êtes un parent, une fois rentré à la maison, il faut gérer.
On passe d’une situation où on s’occupe de vous à une situation où vous
devez vous occuper des autres.
Ça n’a été facile ni pour Perla ni pour moi, quand je suis rentré. J’avais
commencé à boire du vin – beaucoup de vin – lors de la tournée, et elle
m’avait vu retomber de nouveau dans mes mauvaises habitudes. Pour je ne
sais quelle raison, quand elle est venue me voir sur la tournée, c’est
précisément le jour où j’ai décidé de m’asseoir au bar et de vider quelques
verres, sous prétexte de l’attendre. Tout ce que j’ai fait a été de me bourrer
la gueule, au point que j’étais complètement H.S. quand elle est enfin
arrivée. Je lui ai dit bonjour et puis je me suis écroulé. Nous avions donc
pas mal de problèmes à régler.
Quand Velvet Revolver a été signé, a terminé l’album et a entrepris de
partir en tournée, nous avons subi un changement au sein du management,
avec lequel je n’étais pas du tout d’accord. Cela a fini par me pousser à me
trouver mon propre manager, distinct de celui du groupe. En théorie, cette
solution me paraissait parfaitement logique, mais en réalité, ça n’a fait que
m’éloigner du reste du groupe, et causer pas mal d’animosité entre nous, et
entre les différents managements quand il y avait des affaires à régler. Cette
situation a encore ajouté au stress que deux années de tournée n’avaient
déjà fait qu’amplifier. Cette tension n’a jamais affecté notre alchimie sur
scène ou sur le plan créatif, mais au quotidien, sur le plan des relations
personnelles, les choses devenaient sensibles, et à la fin de la tournée, nous
étions sur le point de nous sauter à la gorge les uns les autres. J’ai campé
sur mes positions, mais je comprends maintenant que cela a fait de moi le
chieur du groupe aux yeux des autres. Je comprends pourquoi je les ai
rendus fous.
C’est à cette époque qu’Axl a choisi de publier un communiqué de
presse qui n’a fait que jeter de l’huile sur le feu. On en a beaucoup parlé, et
je ne veux donc pas essayer de raconter tout cela à mon tour, mais en gros,
Axl a fait une déclaration selon laquelle je serais venu chez lui, tout à fait
clair, un matin de bonne heure, pour lui demander de bien vouloir régler les
différends qui nous opposaient depuis des années. Il disait aussi que lui et
moi avions parlé quelque temps, et que je n’avais que des commentaires
désobligeants à faire sur Scott Weiland et les autres membres de mon
groupe.
La vérité, c’est que je n’ai pas adressé un mot à Axl en personne depuis
que j’ai quitté le groupe en 1996. C’est la triste vérité. Je suis bien allé chez
lui un soir, mais j’étais soûl – pas Perla, qui conduisait. Je suis allé jusqu’à
sa porte, où j’ai laissé un petit mot qui disait en substance : « Il faut qu’on
règle ça. Appelle-moi. Slash. » Mais je ne l’ai pas donné à Axl, je l’ai
donné à son assistante.
En tout cas, Axl a publié son communiqué, et cela a fait grand bruit
dans la presse, parce que c’était la première fois qu’Axl rendait publique
son opinion à mon sujet et au sujet du procès. Comme je l’ai dit, on a
beaucoup parlé de cet incident dans la presse et sur Internet, et tous ceux
que ça intéresse peuvent aller lire tout ce qu’il y a à savoir là-dessus, s’ils
en ont envie.
En tout état de cause, cet incident et les conséquences négatives qu’il a
entraînées au sein de Velvet Revolver m’ont beaucoup perturbé ; j’ai encore
du mal à en parler, et encore moins à tout rapporter dans le détail ici. J’ai
cru que j’allais voir tout ce que j’avais eu tant de mal à construire s’écrouler
sous mes yeux.
Chaque chose en son temps ; le procès a été un cauchemar qui a duré
trop longtemps. Pour éviter de futurs litiges, la manière la plus simple
d’expliquer la situation consiste à dire que depuis 2001, nous étions aux
prises avec un procès pour les droits et les profits générés par les licences et
le merchandising. C’était un procès typique des groupes qui se séparent,
dans lequel une des parties se plaint d’avoir été sous-payée par l’autre. La
route du rock’n’roll est pavée de ce genre de conneries.
Mais ce qui m’a fait le plus mal, c’est que j’ai dû me défendre devant
mon groupe. Je suis allé les voir, et j’ai dit avec insistance que ces
allégations étaient mensongères, mais la manière dont Axl avait rapporté les
faits semblait si réaliste que tout le monde avait l’air de croire que c’était
vrai.
Les autres se sont vraiment demandé s’ils devaient me croire. En même
temps, j’étais tout à fait sincère quand je leur racontais mon histoire, c’était
la vérité. Au début, j’ai pensé que je devais lui répondre publiquement, et
j’ai dit à mon groupe que j’allais le faire, mais plus tard j’ai estimé que cela
ne ferait que compliquer les choses et les prolonger.
Je ne savais pas vraiment quoi faire ; je voulais quand même entrer en
procédure – ma crédibilité était en jeu. Nous avons eu une réunion de
groupe quelques jours plus tard, et Scott n’est pas venu ; pour moi, il était
clair que comme je n’avais pas bougé, je l’avais laissé tomber.
Et puis Scott a publié sa propre réponse. Il a attaqué Axl sur tous les
plans. Et ma première réaction n’a pas été « T’as raison » mais « T’as pas le
droit de cracher sur Axl ! » Moi, je peux cracher sur Axl, je peux cracher
sur Axl toute la journée si ça me dit – seulement parce que j’ai dû composer
avec lui pendant des années. Mais ni Scott, ni personne n’a le droit d’en
faire autant.
En conséquence, les tensions au sein du groupe n’ont fait que
s’aggraver, et j’ai déménagé mes affaires du studio de Matt, où nous nous
étions installés pour composer et répéter.
La rumeur voulait que j’aie quitté Velvet Revolver pour rejoindre Guns
N’Roses. Je ne sais pas qui l’avait lancée, mais elle était assez solide pour
provoquer une épuisante bataille en interne. Les médias se sont régalés de
cette histoire : Slash avait planté là ses anciens collègues des Guns, pour
rejoindre Axl dans sa version de Guns N’Roses, quelle qu’elle pût être. À
ce moment-là, je crois qu’on pensait toujours que Chinese Democracy allait
sortir dans l’année.
On avait l’impression que j’avais vraiment fait ça, sauf que ce n’était
pas le cas. Dans n’importe quel magazine de musique de l’époque, à la
radio ou dans les blogs sur Internet, on ne pouvait pas y échapper. C’était
gravé dans le marbre : j’avais quitté Velvet Revolver, je revenais dans les
Guns. En réalité, rien de tout cela ne s’est produit : au cours de ces quelques
mois, j’étais tout simplement chez moi, à enregistrer des idées de morceaux
sur mon seize-pistes digital.
Ça a été une période d’attente : il nous a fallu à tous pas mal de temps
pour surmonter toutes ces conneries. Et quand tout s’est enfin terminé, nous
nous sommes remis au travail. Un jour, je suis tout bonnement allé chez
Matt, comme si rien ne s’était passé.
« Écoute, mec », ai-je dit. « Tout cela était ridicule, et tout ceci est
ridicule. Est-ce que je peux t’expliquer ce qui s’est vraiment passé ? »
« Ouais, mec. »
J’ai raconté mon histoire, encore une fois, et comment tout s’était
déroulé. À première vue, le temps avait suffi à démontrer que je ne m’étais
pas rapproché d’Axl et que je n’étais pas près de rejoindre Guns N’Roses –
parce que rien ne s’était passé ! Ce simple fait a suffi à convaincre les autres
que ma version des événements était vraie. Je n’ai jamais eu l’impression de
devoir m’expliquer devant eux, mais je l’ai fait, et ça m’a toujours énervé.
Mais j’ai surmonté cela, et eux aussi. Après mon tête-à-tête avec Matt, j’en
ai eu un autre avec Kirschner, puis avec Duff et Scott. Au final, ça a été
beaucoup de bruit pour rien, avec beaucoup de non-dits. Je n’avais pas de
temps à perdre avec ça. Mais nous nous en sommes sortis. Et aujourd’hui,
nous ne nous en portons que mieux.
LE GROUPE A FINI PAR SE RETROUVER ET A COMMENCÉ à répéter chez Matt,
dans le studio d’enregistrement installé dans son garage. Tout le monde
s’entendait bien de nouveau, et nous avons commencé à travailler sur de
nouveaux morceaux pour notre prochain album. C’est alors que je me suis
fait une rupture de la coiffe des rotateurs de l’épaule, en faisait du sport en
salle, et que je suis allé voir le médecin. Il m’a prescrit quelques séances de
kinésithérapie, et m’a donné un flacon de Vicodin. Je savais très bien ce que
c’était et l’effet que cela pouvait avoir sur moi, mais comme c’était prescrit
par le médecin, cela me paraissait approprié, voire nécessaire. J’ai pris le
Vicodin en respectant les doses, un cachet toutes les quatre heures. Puis
c’est rapidement devenu deux toutes les quatre heures, puis un par heure,
puis un tous les quarts d’heure – c’est comme ça que je fonctionne.
Non seulement mon groupe était en danger, mais Perla et moi étions,
nous aussi, plus en conflit que jamais. J’avais pris une mauvaise direction
avec le Vicodin, et Perla était en train de s’engager elle aussi sur une voie
dangereuse : après la naissance de notre second fils, Perla avait voulu
perdre tous les kilos qu’elle avait pris lors de ses grossesses, et ce faisant,
est devenue accro aux pilules amaigrissantes. Ces pilules ne sont qu’une
forme de speed amélioré, et elle en prenait depuis si longtemps sans y
prendre garde que cela avait complètement modifié sa personnalité. Elle
avait toujours été quelqu’un de super-attentif, de super-assuré, qui avait
toujours un peu d’avance sur moi. Quand on ajoutait le speed à cette
équation, cela ne faisait qu’accentuer ces traits de caractère, et elle est
devenue tellement intense que j’avais du mal à la supporter.
Nos rapports devenaient de plus en plus agités, et je suis donc allé à Las
Vegas pour participer aux Rock Honors de VH1 en 2006 où, avec mon pote
Tommy Lee, nous avons repris plusieurs chansons de Kiss. Là-bas, j’ai
retrouvé mon copain à l’Oxy, et j’ai obtenu plus de cachets qu’il ne m’en
fallait. Mon copain s’était débarrassé de son cancer, mais dans l’intervalle,
il avait eu un accident de voiture qui l’avait mené à l’article de la mort, et
on lui avait de nouveau prescrit ces cachets pour un temps indéterminé.
Quand quelqu’un est en possession de ce genre d’ordonnance, on ne pose
pas de questions.
À ce moment-là, j’étais assez familier de cette drogue pour me
demander ce qui se passerait si j’écrasais les cachets, liquéfiais la poudre et
la faisais fondre pour me l’injecter. J’ai été très content de constater que
cela marchait. Je me suis éclaté à Vegas ; c’était l’endroit idéal pour me
rendre compte de la direction que je prenais. J’y suis resté quelques jours de
plus que nécessaire. Je me suis défoncé. Mais je ne faisais que m’amuser ;
je n’étais pas accro. (Quand on « s’amuse », on n’a qu’une relation
intermittente avec l’héro.)
Je suis rentré à la maison, et comme ma relation avec Perla se dégradait
de plus en plus, je me suis soigné tout seul ; j’avais tout un stock de Vicodin
et d’OxyContin. Perla et moi avons brutalement rompu ; nous sommes
restés séparés une journée : je suis allé dans un hôtel proche de l’aéroport.
J’ai rempli notre Hummer avec mes fringues et mon chat, et dans mon
esprit, je n’allais pas revenir. Je n’étais pas un saint, loin de là, mais je
n’arrivais plus à la supporter dans cet état. Je lui ai dit qu’elle devait faire
une cure de désintoxication.
Elle a accepté : « Si j’y vais, occupe-toi des enfants », tels ont été les
derniers mots qu’elle m’a adressés.
PENDANT QUE PERLA ÉTAIT EN CURE, LES CHOSES SE sont gâtées – notre
nounou s’occupait des enfants, tandis que je me lâchais joyeusement avec
l’Oxy. J’avais trouvé un contact à L.A., et j’ai acheté de quoi tenir trois
mois. Et même si je n’en prenais pas tous les jours, j’en prenais toutes les
nuits. Je le cachais au groupe comme je le cachais à ma famille. Mais cela a
fini par prendre de l’ampleur : je me piquais juste avant la répétition. Je
participais à l’ambiance créative du groupe avec l’esprit clair, mais je
finissais toujours par me retrouver… dans le brouillard. C’est devenu
tellement n’importe quoi que je me piquais dans les toilettes de Matt, et tout
le monde voyait bien que j’étais défoncé. Mais personne n’a rien dit, du
moins pendant un temps, ce qui est très révélateur de notre tolérance
collective. Je n’essayais même pas de cacher mon addiction à ce groupe de
mecs qui étaient tous passés par là et à ce chanteur qui avait les mêmes
problèmes que moi. Je suis devenu pénible avec ça, au point que Matt a
même retrouvé du sang sur les murs. Si le fait que je piquais du nez lors des
répétitions ne les avait pas mis sur la voie, cela l’a forcément fait.
Nous avons continué à persévérer, sans vraiment avancer, en composant
et en faisant du sur-place. J’ai accompagné Matt à un concert de Camp
Freddy à Vegas, pas seulement pour voir le show, mais surtout pour
reprendre contact avec mon fournisseur d’Oxy et refaire le plein. Je pensais
savoir ce que je faisais, mais je ne crois pas avoir compris à quel point
j’étais devenu un paria. Je me revois entrer en coulisses à ce concert : tout
le monde s’est tu quand je suis entré dans la pièce. Et ça avait tendance à se
reproduire partout où j’allais.
Mon manager était alors, et est toujours, Carl Stubner, et il m’a appelé
pendant que j’étais à Vegas. Nous avons parlé de choses et d’autres, et
même si je ne m’en suis pas rendu compte sur le moment, il m’écoutait
avec attention, pour essayer d’estimer où j’en étais. Je ne sais plus de quoi
je lui parlais, mais il m’a soudain interrompu.
« Hé », a-t-il dit. « Sois franc avec moi. Est-ce que ça va ? »
« Ouais, ouais, mec », ai-je menti. « Ça va très bien. Pourquoi ? »
« Écoute… je ne suis pas là pour te dire comment mener ta vie, et je ne
suis pas flic. Je veux juste m’assurer que ça va. Parce que si ça ne va pas, je
suis là. Mais il faut que tu sois franc avec moi. »
« Je vais bien, vraiment… Ouais, très bien. »
J’ai fait le concert, j’ai retrouvé mon pote de came, je suis rentré à L.A.
et je savais bien que j’étais trop défoncé pour voir Perla, qui était revenue à
la maison parfaitement clean et sobre, et encore moins voir nos enfants. J’ai
fait la seule chose qui me paraissait sensée : j’ai réservé une chambre dans
un hôtel de West Hollywood, et j’ai programmé le jour de mon admission
en désintoxication. D’ici là, mon idée était de prendre toute la drogue que
j’avais achetée, là, dans ma chambre, ou ailleurs. Perla et les autres
s’inquiétaient pour moi. Mais elle a été patiente et tolérante, et c’est pour
cela que nous nous aimons autant.
Je n’allais pas bien. Mais j’étais presque prêt à le reconnaître. Je savais
qu’il fallait mettre un terme à cette vie de débauche. J’avais prévu de
m’éloigner un peu de ma femme et de mon groupe, après m’être autorisé
ces quatre mois planifiés, pour laisser tout cela retomber un peu ; je savais
que j’avais besoin de réconfort et de calme. Et j’en ai eu. Cette fois, la
désintoxication a très bien marché, parce que cette fois, j’ai déposé les
armes. J’ai commencé par décrocher des drogues, puis je me suis éclairci
les idées et j’ai travaillé pour comprendre pourquoi j’aimais tant me
retrouver, encore et encore, dans la même situation. Le 3 juillet 2006, tôt le
matin, je suis entré en désintoxication. J’y suis resté trente jours pleins, j’ai
complètement abaissé mes défenses… J’ai plus appris sur moi que je le
croyais possible. Et pour information, je suis toujours sobre depuis.
QUAND JE SUIS REVENU SUR LES RAILS, TOUT LE GROUpe est revenu sur les
rails et nous nous sommes mis à enregistrer et à composer notre second
disque, Libertad. C’était une expérience différente ; nous étions des gens
différents, qui explorions de nouvelles idées, soudés par notre camaraderie.
Il y avait une liberté dans tout cela qui était très reposante ; c’était comme si
nous avions vraiment mûri, ou peut-être que nous nous sentions tout
simplement mieux dans le groupe tel qu’il était.
Nous avions commencé à travailler avec Rick Rubin avant même que je
devienne sobre ; en fait, je crois que cela s’était fait avant et après mon
orgie d’Oxy. Cela nous excitait beaucoup pour des raisons évidentes – le
travail de Rick est mythique. Mais ça n’a pas fonctionné : Rick a sa
méthode ; il a une équipe qui se charge de la production et de l’ingénierie,
et lui passe tous les quelques jours pour voir comment ça se passe. En
général, il travaille comme ça avec plusieurs groupes en même temps.
Mais cela n’a pas vraiment fonctionné avec nous. Rick écoutait un peu
de ce que nous avions fait, et nous disait de prendre telle partie de telle
chanson, et de l’associer avec autre chose qu’il avait entendu et apprécié.
Nous sommes aussi devenus un peu jaloux, parce qu’il s’éparpillait, et
faisait quatre albums à la fois. Nous avions toujours l’impression d’être
délaissés au profit d’une autre concubine, et quand il était là, nous n’avions
pas grand-chose à nous dire – il s’asseyait et nous regardait faire. Dans ces
conditions, on se disait qu’il faudrait un an ou plus pour arriver au bout.
Nous avons arrêté de travailler avec Rick, et avons déménagé dans le
studio de Scott, Lavish. Scott a proposé que nous essayions de bosser avec
Brendan O’Brien, qui avait fait la plupart des disques de STP. Je ne
connaissais que cette facette de lui. Je l’ai bien apprécié quand nous avons
discuté au téléphone, nous lui avons donc demandé de venir, et là, tout s’est
mis en place très naturellement. Brendan aimait travailler rapidement et
intensément, et il insistait pour que tous les membres du groupe soient
présents à toutes les sessions. Je crois que c’est le meilleur conseil que je
puisse donner à un groupe.
Si l’un de nous n’était pas là, Brendan refusait de travailler avant qu’il
soit arrivé, ce qui nous a donné le tempo et nous a motivés pour être là.
Mais il ne nous a pas apporté que de la discipline, il nous a aussi apporté
une musicalité qui vient du fait qu’il joue de la guitare, de la basse et de la
batterie. N’importe quand, il pouvait venir jouer avec nous, et cela a
vraiment aidé à accélérer les choses. Avec quelqu’un d’aussi avisé, nous
avons progressé très vite.
NOS SESSIONS ÉTAIENT TRÈS PRODUCTIVES ; TOUT LE monde était là, tout le
monde collaborait et chacun appréciait ce que les autres faisaient. Je ne
pensais pas cela possible, mais l’alchimie créée par cette participation
commune a surpassé même celle des premières sessions des Guns. Tout le
monde était tellement inspiré, et tout ce que nous faisions, même tous nos
essais, était très musical. Nous jouions bien, Scott chantait bien, et ce qui
apparaît au final sur l’album est, la plupart du temps, la première ou
deuxième prise de chaque morceau. Cet album est le résultat de
l’association d’un très bon groupe de rock’n’roll qui aime ce qu’il fait, et
d’un producteur qui les comprend vraiment et sait parfaitement ce qu’il fait.
PERLA ET MOI SOMMES COMPLÈTEMENT CLEAN À PRÉsent, et nous sommes
vraiment heureux. En juillet 2007, je fêterai ma première année de sobriété,
et j’ai plus fait au cours de cette année qu’au cours des deux années
précédentes. Votre karma ne vous distribue qu’un nombre limité de cartes
« Vous êtes libéré de prison » ; on finit toujours par être à court. Jusque-là,
j’ai eu énormément de chance, et à présent, je ne veux plus prendre de
risques. Un junkie n’a que deux possibilités, et j’ai une longue liste d’amis
de chaque côté de la barrière : soit on devient clean, soit on devient raide, et
chaque jour je me félicite d’avoir trouvé la force de prendre la bonne
décision.
Ron Jeremy et Slash à l’élection de Miss Nudité, un concours de beauté
quelque peu pornographique.
Velvet Revolver et quelques-uns de leurs plus grands fans sur la jetée de
Santa Monica en juillet 2004, pendant le tournage du clip de « Fall to
Pieces »
Slash et Scott à fond à l’Avalon Ballroom de Hollywood, en mai 2007
La famille Hudson : Slash, London, Perla et Cash lors d’une virée à
Disney en 2006, où ils ont sans doute fait un peu tache.
Slash et ses fils
Slash avec Velvet Revolver à Santa Barbara, en septembre 2007
16) Pour mémoire
On m’a demandé plus d’une fois pourquoi j’avais entrepris de faire ce
livre, et voilà pourquoi : quelques personnes qui me connaissent bien m’ont
souvent dit que je devrais le faire – et j’ai fini par tomber d’accord avec
eux. J’étais très réticent à l’idée de partager ma vie, surtout sur un support
ouvert au public, avant tout parce que j’estimais qu’on écrit ses mémoires
quand on n’a plus de carrière à proprement parler. Ce n’est pas mon cas, et
même si ça l’était, cela ne m’intéresserait pas beaucoup. Il n’est pas très
naturel de considérer sa vie d’un œil objectif, mais quand je l’ai fait, j’ai
constaté que mon histoire formait jusqu’ici un tout assez divertissant. J’ai
aussi réalisé que si je ne couchais pas tout par écrit maintenant, il y avait de
fortes chances pour que j’oublie tout. Et finalement, j’ai réalisé que ce livre
aurait aussi un autre objectif : il mettrait un point final à une période de ma
vie et donnerait le coup d’envoi à une nouvelle période.
J’aimerais aussi clarifier autre chose, parce que c’est une autre question
qui me tracasse tous les jours, en général parce qu’elle m’est posée par des
gens qui ne me connaissent pas du tout. J’aimerais déclarer, très simplement
encore une fois, pourquoi j’ai décidé de ne plus continuer avec Guns
N’Roses, pour que plus personne n’éprouve le besoin de me reposer la
question s’ils me croisent dans la rue. Voilà pourquoi : 1) Le mépris
constant pour toutes les parties en présence, qu’exprimait le fait d’arriver en
retard sans raison valable soir après soir, 2) la manipulation juridique
qu’Axl nous a imposée, du jour où il a demandé à ce que le nom lui
appartienne, jusqu’au jour où il nous a dégradés, par contrat, au rang
d’employés, et 3) la perte d’Izzy et Steven, qui ont tellement fait pour le son
et la personnalité du groupe… sans eux, le groupe n’a plus jamais retrouvé
son alchimie originelle.
Mon départ n’a rien à voir avec des divergences artistiques,
contrairement à ce que beaucoup de gens affirment. Ce n’est pas aussi
simple que de dire : « Axl voulait des synthés et Slash était old-school ». Ça
n’avait rien à voir avec le fait qu’Axl voulait passer au numérique et Slash
rester à l’analogique. Penser que ce genre de groupe et le genre d’alchimie
musicale que nous avions ont été dissous pour une raison aussi triviale n’a
aucun sens. C’est vrai, je suis old-school, et j’aime faire les choses
simplement – mais je n’ai jamais été obtus. J’ai même été plus que souple,
et prêt à essayer toutes sortes de techniques d’enregistrement ou à explorer
n’importe quel nouveau son, tant que ça se passait sur un terrain de jeu
commun, avec d’autres musiciens qui travaillaient ensemble à un objectif
commun. Je serais resté aux côtés d’Axl pour faire un disque industriel, ou
toute autre chose qu’il aurait voulu tenter, si l’atmosphère créative entre
nous avait été positive. Ma capacité d’adaptation est la seule chose qui
m’ait gardé au sein du groupe aussi longtemps – c’est comme ça que
fonctionne une équipe. Malheureusement, quelque part en chemin, nous
avons cessé de former une équipe.
Quant à ce qui s’est passé ensuite, j’ai appris, a posteriori, que les gens
embauchés par Axl pour « défendre ses intérêts » tout au long de la
dissolution du groupe auraient pu être un peu plus malins. Peut-être que
l’intelligence n’a rien à voir là-dedans : s’ils s’étaient assez souciés de lui et
de Guns N’Roses en tant que groupe, et s’ils lui avaient conseillé de
prendre une autre voie que celle qu’il a choisie, cette histoire aurait pu se
terminer différemment. Tout le monde aurait pu prédire que la route qu’Axl
avait choisi de suivre ne mènerait pas à une issue heureuse. Mais encore
une fois, c’est peut-être ce qu’il désirait.
MON MEILLEUR AMI, MARC CANTER, EST EN TRAIN de faire un livre qui est
le complément visuel de celui que vous êtes en train de lire. À l’époque où
je vivais chez ma mère, avant que j’aille au lycée, ce type avait tout le
temps son Instamatic à la main et prenait des photos. Marc est venu à autant
de mes concerts qu’il l’a pu, à l’époque où j’étais au lycée, à Hollywood, et
quand j’ai fait partie des Guns. Son appareil photo omniprésent faisait
partie de Marc. Je n’en pensais pas grand-chose, et je n’aurais jamais pensé
que ces photos referaient surface un jour. Je n’aurais jamais imaginé que
son passe-temps permettrait d’établir une chronologie étendue et intime de
tout ce qu’a fait Guns N’Roses avant 1988. Tout cela a traîné chez Marc
pendant des années – jusqu’à aujourd’hui. C’est à présent devenu un livre
de photos intitulé Reckless Road. Je n’aurais jamais cru que mon copain
d’enfance puisse prendre de tels clichés.
AVANT DE CONCLURE, J’AI QUELQUE CHOSE D’IMPORtant à dire au sujet de
mes parents. En revenant sur mon enfance, j’ai davantage mis l’accent sur
le négatif que sur le positif, parce que ce sont les aspects négatifs de
l’évolution de ma famille qui ont davantage pesé sur mes décisions quand
j’étais enfant, que les aspects positifs. Ce sont ces aspects négatifs qui
expliquent la voie que j’ai choisie dans ma jeunesse. Mais ce qui manque à
mon récit, c’est comment mes parents ont aussi eu sur moi une influence
positive qui m’a appris à être la personne que je suis.
Mes parents m’ont énormément influencé et encouragé dans mon
enfance, pendant les années durant lesquelles je m’efforçais de découvrir ce
que j’allais devenir. Je n’aurais pas pu espérer de meilleurs guides, parce
que ce sont véritablement deux des personnes les plus créatives que je
connaisse – et aujourd’hui, j’en connais plus d’une. Ils ont tous les deux un
talent extraordinaire, et même s’ils ne sont pas restés ensemble, ils ont su
dépasser leurs différences pour élever leurs enfants d’une manière unique et
avisée. Ils nous ont élevés, mon frère et moi, d’une façon peu
conventionnelle, mais pleine d’amour et de discipline, qui n’est jamais
devenue excessivement autoritaire.
JE VIS TELLEMENT AU JOUR LE JOUR QUE JE N’AI JAmais réfléchi à l’avenir
plus loin que le lendemain. Je ne me suis jamais reconnu dans ces gens qui
planifient leurs vies sur cinq ans. Ils ont beau se dire qu’ils contrôlent ainsi
leur réalité, je me permets de ne pas être d’accord : peut-on vraiment
« planifier » ce qui va se passer au-delà de vingt-quatre heures ? Ce n’est
pas que je me fiche de ce qui va se passer dans cinq ans, c’est juste que les
prochaines vingt-quatre heures sont la première étape pour y arriver.
J’ai découvert que me contenter d’être, jour après jour, et d’attendre de
voir ce qui va se présenter pour avancer à partir de là est la seule manière de
mûrir. C’est de cette manière que j’ai abordé Velvet Revolver, avec le plus
grand respect : nous sommes allés si loin en si peu de temps. Chaque fois
que nous sommes sur scène, c’est une sensation à la fois si familière et si
excitante que j’ai l’impression que c’est notre premier concert, alors que
c’est le millième. Je suis comblé par ce que nous faisons, je suis fier du
disque qu’est Libertad, et j’ai l’impression que nous venons juste de trouver
comment exprimer tout le vrai potentiel de ce groupe.
Au moment où j’écris, notre deuxième album n’a que quelques
semaines, mais je suis impatient de voir où nous emmènera le prochain.
Nous avons de la chance ; nous venons de découvrir quelque chose qui
commence juste à évoluer, et d’une manière plus que positive. Ce livre
touche à sa fin, mais Velvet Revolver est sur le point de démarrer sa
première tournée des stades et des grandes salles en tant que tête d’affiche.
Nous en étions arrivés là à la fin de nos deux ans de promotion de
Contraband, mais là, c’est différent : nous reprenons là où nous avons fini,
et de là, nous ne pouvons qu’aller encore plus loin.
Je suis plus heureux que jamais sur le plan musical. Ce groupe joue un
rock and roll créatif, sérieux, complexe. On ne peut pas vraiment parler
d’ironie, mais pour moi, c’est évidemment drôle d’avoir trouvé mon avenir
en me repenchant sur mon passé. Après avoir cherché autour de moi et
avoir nié l’évidence au point de vouloir éviter tout ce qui pouvait
ressembler à du déjà-vu, j’ai fini par retrouver les mecs avec lesquels
j’avais passé la plus grande partie de ma carrière et de ma vie. Et quand ça a
été fait, le passé n’a plus eu autant d’importance. Et le présent a été plus
formidable que jamais.
Quant à l’avenir, à part jouer dans Velvet Revolver, j’ai envie de faire
un disque avec tous les musiciens que j’ai côtoyés et admirés au fil des
années. J’en ai fait la liste, qui est longue. À cet instant présent, tout ce que
je sais, c’est que je l’intitulerais sûrement « Slash and Friends ». J’ai en ce
moment sous les yeux cette liste des collaborateurs que je souhaiterais avoir
à mes côtés, et non, je ne vais pas vous dire qui en fait partie.
JE SUIS HEUREUX DE POUVOIR DIRE AVEC CERTITUDE qu’aujourd’hui, à l’été
2007, Steven Adler va mieux. Je l’ai aidé à décrocher du crack, de l’héro et
du Jägermeister, une triple addiction qui ravageait sa vie depuis vingt-cinq
ans. Si on prend en compte la période avant son éviction de GN’R, il n’a
jamais été clean depuis aussi longtemps. Il s’est à présent entouré de gens
bien, et je suis heureux de vous informer qu’il a vraiment l’air heureux.
Ron Schneider, mon bassiste dans Tidus Sloan, travaille avec Steven et
lui fournit un soutien technique et moral. C’est drôle comme tout se rejoint,
même quand vous avez l’impression que le cercle s’est exponentiellement
agrandi. En même temps, quand j’ai appris où en était Ron, je n’ai pas pu
m’empêcher de me dire que quasiment tous ceux qui avaient frayé avec
Guns N’Roses avaient fini, à un moment ou à un autre, par devenir des
junkies.
REVOIR SA VIE DE CETTE FAÇON A QUELQUE CHOSE d’étrange ; à certains
moments, j’avais l’impression de ne pas avoir été là – j’ai lu certaines de
ces histoires comme pour la première fois. Mais surtout, cela permet de
prendre du recul ; ce n’est pas un exercice facile, mais sur le long terme,
c’est vraiment une bonne idée.
C’est une bonne chose de véritablement comprendre comment et
pourquoi je suis resté le même, tout en étant différent, de ce que j’ai
toujours été. C’est comme si ma personnalité était la même, mais que
j’avais gagné en sagesse. S’il y a bien une chose qui m’a fait limiter mes
conneries, c’est d’être devenu père. Je n’ai vraiment réalisé que j’allais être
le papa de quelqu’un que le jour où je me suis retrouvé en train de regarder
la notice de montage d’un berceau. Nous venions de repeindre la chambre
d’amis, et je devais monter ce truc. Impossible de reculer. Et même si j’ai
vraiment paniqué à ce moment-là, ensuite, je ne voulais plus reculer. J’ai
même accueilli cet événement à bras ouverts, pas à reculons : je me suis
laissé emporter par tous ces trucs de bébé, et c’est génial, parce que j’adore
ça.
En somme, tout s’est fait très naturellement. Quand j’ai terminé de
monter ce berceau, j’ai su que c’était pour de vrai ; j’ai su que nous allions
nous engager là-dedans. Quand Perla, London et moi avons été
photographiés pour la couverture d’un magazine sur les bébés dont je ne me
souviens plus du nom, j’étais à fond là-dedans. Cette photo n’a pas fait la
couverture de Creem ou de Rolling Stone, mais j’étais tout excité – nous
venions de faire notre entrée dans le monde des bébés. Et j’en étais tout
aussi fier.
Être parent comporte des moments où vous vous retrouvez à faire ce
que vous faites, mais avec ce nouveau petit être qui vient d’entrer dans
votre vie et qui est… là, tout simplement. Les enfants s’intègrent si
naturellement et si instinctivement dans votre quotidien qu’ils sont là avant
même que vous vous en soyez rendu compte… et qu’on ne se rappelle plus
de ce qu’était la vie sans eux.
Mes fils ont trois et cinq ans, et je commence à me surprendre, au moins
une ou deux fois par jour, à réaliser à quelle vitesse ils grandissent et
changent. C’est tout le temps un retour à la réalité. Et comment pourrait-il
en être autrement ? Quand votre fils de quatre ans se tient devant vous d’un
air de défi et conteste ce que vous dites comme si vous étiez sur un pied
d’égalité, comment ne pas se demander : « Mais qu’est-ce qui se passe,
là ? Je suis en train de négocier avec un môme de quatre ans ? » Je ne
voudrais changer cela pour rien au monde : Perla et moi avons fait deux
beaux enfants, et nos personnalités ressortent si fortement en eux que ça
nous amuse. Ils sont vraiment la somme de leurs parents… En fait, ils sont
tout le portrait de leurs parents : ils sont tous les deux rebelles, mais
adorables.
17) Interview
Vu que quatre ans se sont écoulés entre la parution du livre en anglais et
sa traduction, nous avons jugé opportun d’ajouter une postface sous la
forme d’une interview, et Slash a bien voulu répondre à nos questions, lors
d’un entretien téléphonique qui s’est déroulé le 7 juin 2011.
Vous avez eu une grosse actualité ces dernières années, il semble que
vous ayez encore eu la bougeotte ?
J’ai toujours la bougeotte, je suis un peu un « workaholic ».
Votre album solo [R&FN’R, sorti en avril 2010] semblait prévu de
longue date, mais a aussi un côté un peu improvisé, avec tous ces
artistes réunis [de Ian Astbury à Iggy Pop, en passant par Myles
Kennedy, Fergie des Black Eyed Peas, Chris Cornell, et bien d’autres].
Cet album solo n’était pas vraiment planifié, c’est arrivé assez
subitement. En 2008, on a fini la tournée de Velvet Revolver, j’ai fait des
trucs avec Velvet Revolver et pour la BO d’un film [This Is Not a Movie,
NDT] et puis j’ai décidé de faire cet album solo, et de travailler avec tous
ces chanteurs différents, un par morceau. C’est donc arrivé soudainement,
même si j’avais dans un coin de mon esprit l’idée de le faire. Je voulais
travailler avec des chanteurs. L’idée, c’était de réunir des artistes, qui
seraient invités sur mon disque à moi, alors que d’habitude, c’est moi qui
fais des apparitions sur les disques des autres. Mais je ne savais pas quand
je pourrais le réaliser, je n’avais rien prévu, et tout à coup, j’ai compris que
Velvet Revolver allait connaître des bouleversements : nous nous sommes
séparés de Scott Weiland et tout, alors je me suis dit : je vais aller faire mon
truc dans mon coin et c’est là que j’ai décidé de mener à bien cette idée
d’avoir des invités sur mon disque.
Qu’en est-il de Velvet Revolver ? Le groupe est-il en stand-by ou
terminé ?
En gros, il est pour l’instant juste en stand-by, on cherche un chanteur –
encore ! Il y a beaucoup de rumeurs qui circulent, mais en fait on attend et
on cherche le bon chanteur.
Au sujet de votre album, avez-vous des regrets, y a-t-il des gens que
vous auriez voulu inviter mais qui n’étaient pas disponibles ?
Non, non. Il y a des chanteurs que je trouve cool, et de temps en temps,
je me dis : « Tiens, ça c’est un super chanteur » mais pour mon disque, j’ai
choisi les chanteurs en fonction de la musique. Ne figurent donc dessus que
les chanteurs dont j’avais besoin pour ce disque en particulier. Si je devais
réitérer l’expérience et refaire un disque comme celui-là, il y a certains
autres chanteurs avec qui je serais intéressé de travailler, si j’avais les
chansons adéquates.
Tout semble très spontané avec vous. Vous suivez votre instinct ?
Oui, je crois que tout ce que je fais est fait à l’instinct. Je n’ai jamais
aimé suivre les règles ou les chemins établis, et donc oui, je fonctionne
beaucoup à l’instinct.
Vous serez en France le 12 juillet avec votre groupe, au Zénith de
Paris, comment ça se passe avec Myles Kennedy [qui chantait sur deux
titres de l’album de Slash et qui l’a suivi en tournée] et ce nouveau
groupe [composé de Bobby Schneck à la guitare, Todd Kerns à la basse,
et Brent Fitz à la batterie] ?
Ça se passe excellemment bien ! Nous avons travaillé ensemble avec
Myles pour mon album solo, et puis cela fait plus d’un an que nous sommes
en tournée, et c’est fantastique que les choses se passent si bien. Je travaille
actuellement avec Myles sur un album solo – ou plutôt un autre disque, pas
nécessairement un album solo – qui se présente extraordinairement bien,
donc tout se passe bien avec Myles.
Peut-on s’attendre à des surprises, à des invités au concert du
12 juillet ?
Alice Cooper est venu chanter dans je ne sais plus quelle ville, mais ce
genre de choses se passe de manière assez spontanée ; les invités nous
rejoignent sur scène, s’ils sont dans la même ville que nous au même
moment. Pour ce concert, je ne compte pas vraiment sur des apparitions
d’invités, il n’y aura que nous, mais ça va être vraiment cool : on va jouer
plein de morceaux qu’on n’avait pas joués l’an dernier, et que le public
parisien va à mon avis bien apprécier. Et puis le groupe est vraiment
hallucinant : je suis très impatient d’y être.
Allez-vous jouer de nouveaux morceaux ?
Je ne sais pas, on verra. On a déjà plein de morceaux vraiment bons, que
j’ai très envie de montrer – et qui sortiront peut-être l’an prochain – mais on
n’aura pas le temps de beaucoup répéter avant le concert, quelques jours
seulement. Si on réussit à mettre au point un morceau en entier et qu’on
arrive à le jouer assez bien pour pouvoir le présenter au public, on verra. On
le jouera peut-être, mais je ne sais pas.
L’an dernier, en 2010, vous étiez déjà en France, au Hellfest, avec
Kiss et Alice Cooper entre autres.
Oui, c’était un bon concert, le Hellfest est un festival génial. Nous avons
fait beaucoup de festivals, cet été-là, mais celui-là ressort du lot, parce que
c’est vraiment un festival de metal. Par contre, on a juste fait l’aller-retour
très rapidement, et on n’a pas eu l’occasion de vraiment côtoyer les autres
groupes.
Comment assumez-vous votre nouveau statut d’icône du jeu vidéo ?
Votre participation au jeu Guitar Hero [en 2007] a dû vous valoir de
nombreux nouveaux jeunes fans.
Oh oui ! D’ailleurs, c’est drôle : au moment où j’écrivais mon
autobiographie, c’est là que Guitar Hero est sorti. Je ne me doutais pas de
ce qui allait se passer, je n’attendais rien de tout cela. Je m’étais bien amusé
à bosser sur ce jeu avec Activision et puis le jeu est sorti et quelques mois
plus tard, c’est devenu le jeu vidéo le plus populaire du moment. Du jour au
lendemain, j’ai eu de nouveaux fans entre 6 et 10 ans, et la plupart d’entre
eux ne savaient même pas que j’étais une vraie personne : ils pensaient que
j’étais juste un personnage de dessin animé. C’est une évolution
démographique intéressante de mes fans. C’était vraiment une bonne
expérience, c’est très excitant pour moi d’amener les jeunes enfants à
s’intéresser au rock’n’roll, parce que je n’ai pas l’impression que l’industrie
elle-même fasse beaucoup en ce sens. Il faut donc les y amener par tous les
moyens.
Vos enfants jouent-ils à Guitar Hero ?
Un peu. Mon fils aîné joue de temps en temps mais en ce moment, il
s’intéresse surtout au skateboard.
Pas au BMX, pas encore ?
Non, non. Il a un vélo, mais il est à fond dans le skate.
En 2007, vous avez également été intronisé sur le RockWalk. Vos
impressions, après ce nouvel honneur ?
C’était très cool, parce que j’ai pu appliquer l’empreinte de mes mains à
côté de celles de Jimi Hendrix et Jimmy Page, j’étais très honoré. J’ai été
intronisé le même soir que Ronnie James Dio, et là aussi c’était très cool,
parce que c’était la première fois, vraiment, que Ronnie Dio et moi étions
mis à l’honneur ainsi. C’était donc une occasion assez mémorable.
Le 26 août 2010 a été proclamé le “Slash Day” à Los Angeles.
Oui, c’était dans le cadre du Sunset Strip Music Festival, à Hollywood,
qui met à l’honneur des musiciens de West Hollywood. Ça change tous les
ans, c’est un artiste différent tous les ans ; il faut juste que ce soit quelqu’un
qui représente West Hollywood. L’an prochain, ce sera Mötley Crüe.
L’année avant moi, c’était Ozzy.
Sur un plan plus personnel, vous avez connu des hauts et des bas
avec l’alcool et la drogue, où en êtes-vous aujourd’hui ?
Je vais bien, je suis toujours sobre. Mais ça ne m’a pas vraiment posé de
problème d’arrêter. Ça a vraiment été bénéfique pour moi de descendre de
ce… manège, de ce grand huit. Je devais vraiment me concentrer sur mes
objectifs, sur la musique et m’occuper de mes affaires, de ma famille, tout
ça. Quand vous êtes dans un groupe comme GN’R ou tout autre grand
groupe, c’est facile d’être défoncé tout le temps, parce qu’on vit dans une
espèce de bulle : il y a des gens pour s’occuper de vous, et vous n’avez qu’à
faire une apparition de temps en temps. C’est complètement différent. Mais
quand j’ai quitté les Guns et que j’ai commencé à faire des trucs tout seul,
j’avais vraiment du mal à entrer dans une pièce pleine de gens et à me
présenter, pour faire un nouveau disque ou autre chose, en étant
complètement défoncé. Cela ne me menait nulle part, je n’arrivais à rien.
Quand j’ai compris cela, j’ai pris une décision définitive, et ça fait
maintenant 6 ans que je suis sobre ; j’ai réalisé davantage de choses au
cours de ces 6 ans qu’au cours des 10 années précédentes. C’est donc
positif. Par contre, arrêter de fumer n’a pas été si facile. Ça fait 2 ans que
j’ai arrêté de fumer, et ça me rend dingue. Ils ne vendent plus de substituts
au tabac, aux États-Unis, et c’est pour cela que j’ai arrêté de fumer. Je
mâche des chewing-gums à la nicotine, et en Europe on trouve des chiques,
donc je n’ai pas vraiment arrêté la nicotine, j’ai juste arrêté de fumer. On ne
peut plus fumer nulle part. C’est très chiant en tournée, aux États-Unis et
ailleurs, avec tous mes groupes : quand j’allumais une clope sur scène,
j’avais une amende. C’est arrivé en Irlande, et à deux ou trois autres
reprises. Le truc, c’est que ça fait trop longtemps que je fume. Mais ma
mère est morte d’un cancer du poumon il y a deux ans – avant-hier était
d’ailleurs le jour anniversaire de sa mort [le 5 juin, NDT] – et tout le temps
qu’elle était à l’hôpital, je fumais, ce qui est vraiment idiot. Il faut vraiment
être aveugle pour ne pas comprendre que c’est mauvais pour la santé,
surtout maintenant qu’ils ont collé ces photos sur les paquets de cigarettes.
Un mot de conclusion pour vos lecteurs français ?
On entame actuellement la deuxième moitié de 2011, et il va se passer
beaucoup de choses : en 2012, le nouvel album va sortir, ainsi que mon film
d’horreur [Slash a fondé une maison de production, Slasher, qui se
spécialisera dans les films d’horreur ; Nothing to Fear est le premier à être
annoncé, NDT ] – je ne sais pas encore si je jouerais dedans ou pas. J’ai
aussi deux autres films sur lesquels je travaille, je vais peut-être jouer
dessus sauf si la guitare ne s’avère pas nécessaire et qu’un orchestre
s’impose davantage. On a tout ça en cours, et puis j’ai deux ou trois autres
projets à venir : c’est cool. Le nouvel album va être vraiment extraordinaire,
et il sera suivi d’une grosse tournée mondiale l’an prochain. 2012 s’annonce
très excitante.
Bref, tout va bien pour vous ?
Très, je suis très heureux de ma vie.
Table des matières
1) Copyright
2) Tout bien considéré
3) « Stoke » de souvenirs
4) Des hooligans à vélo
5) Comment jouer de la guitare rock
6) Toute une éducation
7) Le moins susceptible de réussir
8) Apprendre à vivre comme une bête
9) Appetite for dysfunction
10) Taillés pour gagner
11) Ne pas tenter de reproduire à la maison
12) Humpty Dumpty
13) Choisissez votre illusion
14) Breakdown
15) Je reprends mon envol
16) Pour mémoire
17) Interview

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