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LES ECHOS DE SAINT-MAURICE

Edition numérique

Grégoire ROUILLER

Du sacerdoce à la lumière du
Nouveau Testament (II)

Dans Echos de Saint-Maurice, 1977, tome 73, p. 157-178

© Abbaye de Saint-Maurice 2013


Du sacerdoce
à la lumière
du Nouveau Testament (II)

Réfléchissant sur le sacerdoce * à la lumière du Nouveau Testament,


nous avons été amené à nous poser quelques questions parmi tant
d'autres possibles. Celles que nous avons retenues ont l'avantage de
se référer à des préoccupations d'aujourd'hui tout en intéressant des
zones essentielles de notre foi de chrétiens.
Notre intention ici n'est pas d'y répondre de manière trop rapide ou
superficielle. Nous voudrions au contraire montrer comment de telles
interrogations ne trouvent leur apaisement, que si l'on accepte de
contempler dans sa cohérence totale et admirable la vision de l'existence
humaine que nous propose la Bible 1. Cette cohérence clairement perçue,
il nous sera loisible, en conclusion, de revenir sur tel ou tel aspect des
questions soulevées.

Première proposition :
Pas de bonheur sans Présence ni Communion avec Dieu

Si la Bible est fascinante, si dans les littératures religieuses elle


demeure unique, si elle apparaît à celui qui la scrute comme inépuisa-
blement comblante, c'est qu'elle est habitée et qu'elle rend, sans se

* Cf. Echos de Saint-Maurice, 7 (1977), 73-81.


1
Chaque proposition de notre étude pourrait faire l'objet d'un article. Néan-
moins il y a parfois intérêt à contempler l'ensemble du paysage chrétien, même
si l'on doit en négliger les détails.

157
lasser, témoignage à la Présence agissante du Dieu Vivant. Si son
message demeure actuel, c'est quelle évoque le Père de toujours aux
prises avec ses enfants de tous les temps. Car, parler de Dieu, dans
la Bible, ce n'est pas prononcer un discours abstrait, c'est évoquer
le dévoilement passionné d'un Dieu-vers-l'homme, d'un Dieu-pour-l'hom-
me. Symétriquement et comme en écho, parler de l'homme, dans
l'Ecriture, c'est clamer qu'il n'existe et n'a de consistance qu'en tant
que partenaire de Dieu, qu'il se définit comme homme-devant-Dieu
ou homme-vers-Dieu.
Bref, aussi paradoxal que cela soit, la Bible veut nous révéler un
Dieu en quête de l'homme, un Dieu qui, étant la source de la vie,
sait que l'homme ne peut vivre et trouver le bonheur sans lui. Elle ne
développe ainsi qu'un unique thème : celui, sans cesse repris, de la
rencontre entre Dieu et l'homme ou plutôt celui d'une communion de
vie entre eux.
Sur ce thème central, les variations seront innombrables. Car cette
communion qui, plénière, se nommera béatitude, n'est pas donnée
dès le départ. La Bible en écrit l'histoire. Elle peut commencer ou
recommencer : ce sont les récits de création ou de vocations. Elle
connaît des éclipses : alors l'Ecriture énumère les infidélités et tant de
péchés. Cette communion de vie compte des heures fastes : celles de
ferveur liturgique. Elle est attendue inlassablement dans la ligne la
plus pure des promesses : ce sera l'annonce de la venue du Royaume
de Dieu, de la plénitude d'une communion si universellement
recherchée 2.
De cette Présence inépuisable de Dieu, les auteurs bibliques nous
parlent de multiples façons. Ils le font à partir de points de vue
différents et selon leurs lumières propres.
A l'écoute d'anciennes traditions, car la réflexion biblique a toujours
obéi aux lois de l'incarnation, on a longtemps présenté cette présence
de Dieu comme attachée à un lieu, à la montagne sainte du Sinaï.
C'est de là, affirment par exemple les livres de l'Exode ou du Deutéro-
nome, que Dieu entre en contact avec son peuple. C'est à partir du

2
C'est de cette indispensable recherche de Dieu que parle S. Paul devant
l'Aréopage, Ac 17, 27.

158
Sinaï, sa demeure, qu'il le libère. C'est là qu'il le convoque, afin de
sceller avec lui l'alliance par excellence, celle que lui, Dieu, ne rompra
jamais. C'était une manière efficace de montrer combien la révélation
et l'action de Dieu sont liées à l'histoire et à la géographie des peuples.

D'autres textes, toujours en conformité avec des croyances populaires


largement répandues dans le Moyen-Orient, ont chanté le lien quasi
physique entre le Dieu d'Israël et la terre de Palestine, son héritage 3.
Puis ce fut la célébration de plus en plus spirituelle de cette Présence
liée au Temple de Jérusalem.

Pourtant, symétriquement ou plutôt complémentairement, les auteurs


de la Bible ne cessent d'affirmer que Dieu n'est pas assujetti à un lieu,
que nul temple ne peut emprisonner le Saint : « Voici que les cieux et
les cieux des cieux ne le peuvent contenir, moins encore cette maison
que j'ai construite ! » 4 Du reste le nom même de Yahvéh, quelle qu'en
soit l'étymologie exacte, le désigne certainement comme la présence
efficace et libératrice, une présence accompagnante, certes, (il sera
avec...) mais rigoureusement libre et de son dévoilement et de son
action.

Cette Présence de Dieu, que l'on ne saurait circonscrire mais seulement


invoquer, demeure le foyer qui polarise la vie et la pensée du peuple
élu. Ce peuple a conscience d'habiter la terre de Yahvéh. Il jouit chaque
jour des dons de Yahvéh. Lors de ses pèlerinages, il se présente devant
la face de Yahvéh. En somme, l'on peut affirmer que la Gloire de
Yahvéh, c'est-à-dire la manifestation irrécusable de son inaccessible
sainteté, est le privilège suprême du peuple de l'alliance. La perdre,
c'est le malheur et l'exil tout proche. La contempler, c'est le bonheur
des justes.

En écrivant cela, nous avons l'impression d'esquisser ce qu'on peut


considérer comme l'invariant et le cœur de la foi juive : Dieu que l'on

3
L'article suivant peut servir d'introduction à l'étude de ce thème : E. Lipinski,
La terre promise, héritage de Dieu, dans Essais sur la Révélation et la Bible,
Paris, 1970, pp. 115-132.
4
Il sera bon de lire toute la prière de Salomon, prononcée au jour de la Dédicace
du Temple, d'où est tirée cette phrase (1 R 8, 27). On y saisit comme des
modalités de la présence de Dieu : il habite les cieux et en même temps Jéru-
salem et le Temple.

159
peut invoquer comme le Saint ou le Vivant, le Père ou le Roi, le
Sauveur ou le Rédempteur de son peuple est et demeure le centre et
le but suprêmes.
Ce que l'Ancien Testament a exprimé au moyen de termes géographi-
ques : le repos en Terre sainte ; avec des formules liturgiques : « recher-
cher ou voir la face de Dieu » ; en utilisant des modèles juridiques (cer-
tains schémas d'alliance), le Nouveau Testament va l'approfondir. Ce
vers quoi tendaient tant de désirs et de formulations partielles, il le
nommera « résurrection des morts » et « vie éternelle ». Une vie que
saint Jean identifiera comme un « connaître » Dieu, c'est-à-dire, selon
son langage, comme une communion de tout l'être avec lui (Jn 17, 3).
Mais, à notre avis, il appartenait à l'Epître aux Hébreux de nous livrer,
sur ce point, la synthèse la plus complète. Evoquant la marche du
peuple vers le repos de la Palestine et surtout l'entrée cultuelle du
Grand-Prêtre en présence de son Dieu, l'auteur de l'épître est heureux
de nous montrer que ce ne sont là que de pâles images. Ce qu'il
importe d'atteindre c'est le trône de la grâce, la Présence du Seigneur,
la Gloire du Père. C'est vers un tel but que tout le dynamisme de
l'épître nous porte 5.

Notre première proposition pourrait donc se résumer de la manière


suivante : Selon toute l'Ecriture, il ne saurait y avoir d'existence
humaine digne de ce nom sans relation et rencontre avec le Dieu de
toute Sainteté. Le bonheur en plénitude coïncidera avec une communion
sans limite avec Dieu.

Deuxième proposition :
Le sacrifice, un mouvement vers la communion avec Dieu

Si le bonheur de l'homme consiste dans une communion de vie avec


le Dieu de l'alliance, il est clair qu'une existence réussie ne sera rien
d'autre qu'une marche vers cette union, une entrée progressive

5
Tout lecteur de l'épître aux Hébreux doit d'abord être attentif au dynamisme
qui la traverse. Les verbes de mouvement ou les vocables formés à l'aide d'une
préposition exprimant le dynamisme se rencontrent de façon constante.

160
en présence de Dieu. Cette marche d'approche ou d'entrée nous est
présentée sous des formulations variées par l'Ecriture. Donnons quel-
ques exemples. Dans le premier récit de la création (Gn 1), d'allure
sacerdotale, l'homme se trouve inséré dans une vraie procession litur-
gique. On devine que son dynamisme doit prolonger le mouvement
créateur, qu'il rejoindra son créateur en épousant son œuvre, en la
restituant à son Dieu.

En Gn 2, la rencontre avec Dieu devait prendre une autre forme : celle


d'un accueil émerveillé devant la profusion des dons, celle d'un conten-
tement obéissant du couple aux propositions de bonheur inscrites dans
leur chair et leur environnement.

Avec le Deutéronome, la situation a changé. L'exigence de communion


avec Dieu demeure. Entré dans la terre des promesses, le peuple est
convoqué à la rencontre avec son Dieu, mais sur le mode de la recon-
naissance permanente et de l'humilité. A travers les biens qu'il n'a
pas créés lui-même, il doit rejoindre la Source vivante qui les lui
concède : vivre heureux en sa présence sur la terre des bénédictions.

Cette communion progressive avec Dieu, Isaïe la réclamera dans une


prédication adaptée aux besoins de son temps. A un peuple tenté,
au milieu des difficultés politiques et militaires, de s'appuyer sur les
grandeurs de chair, il révélera l'importance de la foi. Dieu est le « Saint »,
dira-t-il à son peuple, c'est-à-dire le Tout Autre. Mais il a voulu être le
« Saint d'Israël », c'est-à-dire l'inaccessible qui se rend accessible,
le séparé qui se communique. Dès lors communier avec lui prendra
l'allure d'un pari de la foi, de la démarche existentielle d'un peuple
qui s'appuie sur la seule Présence solide.

Donnons un exemple encore, celui du Qohéleth. L'on sait avec quelle


ironie presque joyeuse il sape les prétentions de quiconque voudrait
édifier la réussite de sa vie sur des bases simplement terrestres.
« Vanité des vanités... » ne cesse-t-il de clamer. Or le même Qohéleth
parle bien différemment quand il nous propose de communier à la
volonté et aux dons de Dieu. Rencontrer Dieu prend alors une allure
de sagesse simple, de volupté de bon aloi. Ecoutons-le : « Va, mange
avec joie ton pain et bois de bon cœur ton vin, car déjà Dieu a agréé

161
tes œuvres. Que tes vêtements soient toujours blancs et que l'huile
ne manque pas sur ta tête ! Goûte la vie avec la femme que tu aimes
durant les jours de ta vaine existence, puisque Dieu te donne sous le
soleil tous tes jours vains ; car c'est là ta part dans la vie et dans le
travail que tu fais sous le soleil. » 6

Les évangiles ne tiennent pas un autre langage. L'attente du Royaume,


de la résurrection des morts, du retour en gloire de Jésus Sauveur y
est partout présente. Ici encore c'est peut-être l'épître aux Hébreux
qui a formulé de la manière la plus heureuse ce dynamisme qui doit
embrasser tous les éléments de notre existence terrestre et nous porter
vers la parfaite rencontre avec le Dieu vivant. « Avançons-nous donc
avec assurance vers le trône de la grâce afin d'obtenir miséricorde et
de trouver grâce, pour une aide opportune. » 7 Ou encore : « ... nous
devons rejeter tout fardeau et le péché qui nous assiège, et courir avec
constance l'épreuve qui nous est proposée, fixant nos yeux sur le
chef de notre foi, qui la mène à la perfection, Jésus, qui au lieu de la
joie qui lui était proposée, endura la croix, dont il méprisa l'infamie, et
qui est assis désormais à la droite du trône de Dieu. » 8

Il est facile de constater que ce mouvement existentiel vers la Gloire


de Dieu prend l'allure d'une vaste liturgie. C'est pourquoi, à la suite
de saint Augustin, nous nommerons ce mouvement « sacrifice ». Depuis
l'instant de notre conception, tout ce qui nous rapproche de cette
Présence (et sachons-le bien tout nous en rapproche hormis le péché !)
prend place dans le déploiement de notre sacrifice.

Voici donc notre deuxième proposition : L'existence de l'homme est


dynamique. Réussie, elle apparaît comme le mouvement liturgique qui
la porte jusqu'à la communion avec Dieu, elle est SACRIFICE. Elle
est sacrifice d'alliance.

6
Qo 9, 7-9. Ces exemples suffisent à faire comprendre que tous les livres de
l'Ancien Testament situent l'homme en référence à la Présence de Dieu.
7
He 4, 16. Cette assurance est fondée sur la présence du Grand-Prêtre.
8
He 12, 1-2. Jésus apparaît, après l'évocation de tant d'ancêtres (ch. 11),
comme le dernier et le plus grand des témoins. Tous sont entrés par la foi dans
le repos. Courons à leur suite et entrons...

162
Troisième proposition :
Le sacrifice visible : un rite nécessaire et fragile

Selon Gn 2, on devine que le sacrifice du peuple de l'Alliance fondamen-


tale devait être parfaitement simple. Il n'avait nullement besoin de rites
liturgiques, au sens strict. Chaque manifestation de vie, chaque con-
sentement créateur le réalisaient. La diversité des vocations en publiait
la richesse universelle. Il devait y avoir une harmonie totale entre les
réalisations visibles (toutes les merveilles produites par la nature et
l'activité des hommes) et leur aboutissement supérieur et invisible
(la communion transformante avec Dieu).

En fait, la Bible nous parle d'une situation différente, d'une histoire


de l'homme où le péché a sa place.

Pour que puisse exister cette harmonie entre le plan de l'immédiat


et du visible, où la plupart des actes tendent vers un but rapproché
(pensons, par exemple, à l'acte de manger ou de boire, aux gestes de
l'amour ou de la technique, etc.) et le plan de l'invisible communion avec
Dieu vers laquelle tend le sacrifice existentiel, le consentement et la
participation de l'homme libre étaient de rigueur. La Bible nous montre
justement que la désobéissance et la convoitise ont mutilé une telle
harmonie.

Le refrain de Gn 1 « selon son espèce » traçait le cadre et les limites


de la seigneurie de l'homme. Il pouvait comme co-créateur prolonger,
il devait « inventer » (au double sens du terme), activement accueillir.
Il désobéit par convoitise. Car la convoitise est bien toujours l'attitude
complexe de celui qui ne reconnaît plus la valeur du don qui lui est
fait, qui jette un regard de suspicion sur le donateur ; elle qualifie la
démarche de celui qui réclame son autonomie et se fait le dieu de la
chose ou de l'être convoité. Ainsi chaque geste ou réalisation peuvent
se recroqueviller sur eux-mêmes, se refuser au grand courant de vie
et de signification. Le peuple jouit, par exemple, des fruits de la Terre
sainte. Cette jouissance est ambiguë : l'accueille-t-il avec reconnais-
sance comme don de Dieu ou bien se l'attribue-t-il comme la récom-
pense de son habileté ? Il obtient des victoires militaires. Va-t-il les
attribuer à la puissance exclusive de ses chars ou bien reconnaîtra-t-il

163
l'assistance du Dieu de l'alliance ? Les richesses matérielles affluent.
Ne va-t-il pas s'en contenter et oublier toute exigence de dépassement
et de marche sacrificielle ? On constate que tout, la santé aussi bien
que les richesses matérielles, les capacités intellectuelles aussi bien
que la force physique, peut être servi et adoré pour lui-même (c'est
le péché) mais aussi prendre place dans la marche de l'homme vers
son accomplissement (c'est le sacrifice). Dans ce dernier cas, l'homme
vit sa vocation de partenaire d'alliance, usant de tout selon la Loi
d'amour de son Dieu.

Le rite est nécessaire

C'est ainsi que l'activité humaine n'est pas transparente. Devant le


déroulement d'un acte, on ne peut pas affirmer qu'il appartient à coup
sûr au sacrifice existentiel de celui qui le pose. D'où la nécessité,
depuis l'aube du peuple élu, d'une liturgie et en particulier de sacri-
fices, afin de proclamer tout haut l'esprit dans lequel le peuple croyant
veut vivre chaque acte de son existence 9. Sans entrer dans l'histoire
complexe des rites liturgiques en Israël, nous retiendrons, pour notre
propos, les points suivants :

a) Liturgie et sacrifices sont des réalités complexes. Ce sont à la fois


plus et moins que des exposés de doctrine, à cause de leur structure
symbolique, mais surtout parce qu'ils sont enracinés dans le geste
rituel 10.

b) Nous avons parlé de visée symbolique. Elle est forte et constante


dans le cas du sacrifice. Ce dernier veut être l'épiphanie d'une

9
Il ne saurait être question d'étudier ici la notion de sacrifice en Israël. Men-
tionnons, à l'intention de ceux qui voudraient le faire, quelques ouvrages récents :
R. de Vaux, Les sacrifices de l'Ancien Testament, Paris, 1964 ; R. Rendtorff,
Studien zur Geschichte des Opfers im alten Israël, Neukirchen-Vluyn, 1967 ;
A. Cody, A History of O.T. Priesthood, Roma, 1969. On peut également consulter
les « Théologies de l'Ancien Testament ». Celle de W. Zimmerli, par exemple,
contient de bonnes pages sur ce sujet.
10
Dans l'histoire du sacrifice, il existe souvent des tensions et des déplacements
de sens entre les rites accomplis (qui peuvent varier, se « contaminer », se sur-
charger) et la théologie ou vie religieuse que ces rites veulent célébrer.

164
communion de vie avec Dieu 11. Mais cette communion peut être symbolisée
selon des facettes multiples. Parfois ce sera surtout une communion
présente que le fidèle voudra symboliser : le rite clamera alors sa dis-
ponibilité intérieure et l'offrande à Dieu de toute une vie en marche,
dans la joie et la ferveur, vers la Gloire. Tous les actes de la vie
d'un peuple seront alors récapitulés et publiés, dans l'acte sacrificiel,
comme actes d'un peuple croyant, fidèle à l'alliance. C'est bien le cas
du sacrifice d'alliance décrit en Ex 24, 5-8.

Dans d'autres cas, la communion sera surtout attendue. Le rite clamera


alors le désir du futur. L'acte sacrificiel anticipera symboliquement la
plénitude de communion vers laquelle tend le peuple croyant 12. L'holo-
causte, sacrifice dans lequel la victime fait totalement retour à Dieu,
sera alors particulièrement approprié.

Il arrivera aussi, à cause du péché, que la communion soit blessée


ou rompue. Le rite sacrificiel, approuvé par Dieu et réalisé avec foi,
symbolisera efficacement la restauration de cette communion. Le sang,
parce qu'il est la vie, sera utilisé avec bonheur dans ce cas-là. Dans
l'Ancien Testament le sacrifice d'expiation, surtout celui du Kippur,
particulièrement solennel, en fournit un exemple.

c) La religion d'Israël connaît plusieurs sacrifices. Leur origine est


certainement diverse, se situant du côté des coutumes nomades pour
les rites de sang alors que l'holocauste semble bien être emprunté
aux anciennes populations de Canaan. Les formes liturgiques de ces
sacrifices ne furent pas fixées une fois pour toutes. Même la signification
de chaque sacrifice a évolué 13. Pourtant le sacrifice fut tellement au

11
A. Heschel dit excellemment : « La valeur du sacrifice ne se détermine pas
tant par ce que l'on abandonne que par le but en fonction duquel on abandonne.
Le mot hébreu (gorban) servant à désigner l'action de sacrifier, signifie littérale-
ment : venir près, approcher. Notre devoir n'est pas de renoncer à la vie, mais de
la rapprocher de Dieu. » Dieu en quête de l'homme, Paris, 1968, p. 420.
12
P. Beauchamp (L'un et l'autre Testament, Paris, 1976) a une formule heureuse
pour exprimer cela : « Les sacrifices courants des victimes animales peuvent
agir non seulement comme symboles d'une disponibilité intérieure, mais, plus
vigoureusement, comme figures d'avenir », p. 247.
13
R. Rendtorff, o. c, le montre abondamment.

165
service de la foi, il apparut à tel point comme la célébration d'une vie
d'alliance qu'on n'a pas craint de laisser cohabiter plusieurs sortes
de sacrifices, qu'on les a laissés se « contaminer » les uns les autres
et parfois même se confondre 14. Au fond l'on était convaincu que ce qui
est commun à tous les sacrifices l'emporte sur ce qui les distingue.
L'important était de symboliser avec efficacité la marche existentielle
vers la Présence de Dieu. Dans tous les cas la raison d'être des
célébrations liturgiques était la proclamation festive de cette PAIX
avec Dieu, bien suprême de l'alliance. C'est pourquoi aussi les frontières
sont si ténues entre culte, sacrifices et prière (psalmique, par exemple) :
la même communion avec Dieu y est célébrée, sollicitée, restaurée
dans la ferveur et la foi.

d) Le rite liturgique est appelé par sa nature même à surmonter l'ambi-


guïté que peut comporter le déroulement de la vie courante. Il y a
toujours des relations étroites entre les réalités de la vie quotidienne
(nous ne disons pas profane), la foi et les actes de culte. En temps
de fidélité, tous les actes de la vie sont récapitulés, offerts, fécondés,
dévoilés avec leur signification profonde dans chaque célébration litur-
gique surtout sacrificielle. Symétriquement, l'acte liturgique trouve sa
sève et son enracinement dans le mouvement de foi et la volonté de
communion avec Dieu qui doivent traverser toutes les réalités de la vie.

Le rite est fragile

En temps de fidélité, avons-nous dit. Mais que de dislocations, de divor-


ces et de durcissements peuvent mutiler les célébrations liturgiques.
Les prophètes, en interprètes authentiques de la Thorah d'alliance,
dénonceront violemment de tels abus.

Prenons le cas d'Amos, à titre d'illustration. Il a compris avec lucidité


que la justice, c'est-à-dire dans le cas de l'homme sa réponse existen-
tielle totale au Dieu de l'alliance, comportait deux versants inséparables :
la réalisation d'une communauté fraternelle où le pauvre est respecté,

14
Ainsi le sacrifice solennel du Kippur célèbre à la fois l'alliance présente
(sacrifice d'alliance) et sa restauration (sacrifice d'expiation). Cette heureuse
confusion des sacrifices qui les unifie selon leur visée profonde et commune
atteint son sommet dans l'épître aux Hébreux.

166
la veuve défendue, l'usage des richesses une fête pour tous les membres
du peuple élu, d'une part ; une liturgie authentique, d'autre part, dans
laquelle toute la vie de cette communauté doit être célébrée, « sacri-
fiée ». C'est contre un divorce radical entre ces deux composantes de
la justice qu'Amos s'élève avec toute sa verdeur. Une liturgie chatoyante
lui paraît insupportable, il la dénonce comme un monstrueux mensonge
porteur de toutes les malédictions, dès lors que la vie s'écarte de
Dieu, bafoue sa volonté expresse, la Torah de son alliance et alourdit
le malheur des faibles 15.

Notre troisième proposition complète la deuxième : Parce que le peuple


de Dieu est incarné et que par conséquent son existence se déploie
en même temps dans le visible et l'invisible, dans l'immédiat mais en
marche vers la Présence future ; parce que le peuple de Dieu est
pécheur et souvent victime de sa convoitise : une liturgie cultuelle et
en particulier un sacrifice visible à portée symbolique sont devenus
nécessaires. A condition d'éviter tout divorce entre vie et célébrations.
Une « nation sainte » est celle qui vit existentiellement son sacrifice
et qui le célèbre rituellement en vérité.

Quatrième proposition :
Le vrai prêtre offre le sacrifice existentiel

Avec les trois propositions précédentes, nous tenons l'essentiel. Le


but de toute existence humaine est la communion avec Dieu. Cette
communion se situe au terme d'un mouvement progressif qui est
appelé à unifier tous les actes d'une vie, c'est-à-dire au terme du
sacrifice existentiel. Le culte célèbre, symbolise, hâte ce mouvement
vers le Repos et la Présence.
Mais du sacrifice qui sera le prêtre ? Déjà l'Ancien Testament nous
permet de répondre de façon nuancée. Du sacrifice existentiel, seul

15
On a parfois déformé doublement le message d'Amos : ramenant sa notion de
« justice » à une justice sociale distributive et le présentant comme un adversaire
de tout culte ou sacrifice.

167
décisif, tout membre du peuple de Dieu doit en être le prêtre. Par contre,
pour le sacrifice visible et rituel, l'Ancien Testament a connu différentes
situations. Parfois, surtout dans les temps anciens, un croyant, (en par-
ticulier un père de famille, un chef de clan, un juge ou un roi) peut
accomplir la fonction de « sacrificateur ». Parfois, au contraire, surtout
avec la réglementation de plus en plus rigoureuse de la liturgie
du Temple, le prêtre lévitique est seul habilité à offrir des sacrifices.
La spécialisation est encore plus poussée dans tel cas précis : le
sacrifice d'expiation, au jour du Kippur, est réservé au seul Grand-
Prêtre. Plus le péché s'alourdit, plus la séparation se creuse entre la
vie quotidienne (malheureusement saisie comme profane) et les célé-
brations cultuelles (monopolisant le champ du sacré), plus la place
d'un sacerdoce spécialisé est marquée et son autorité reconnue.
Pourtant il faut constater que, déjà dans l'Ancien Testament, quand il
n'usurpe pas abusivement une place qui ne lui revient pas, le prêtre
lévitique est totalement au service du sacrifice existentiel du peuple
élu 16.
En effet, si le prêtre est l'homme du sanctuaire, c'est qu'il est complice
de la Présence que le sacrifice existentiel veut rejoindre. Reconnu à
la fois par Dieu (s'il n'était pas agréé par Dieu, il ne serait pas prêtre)
et par le peuple, il peut servir ce dernier en délivrant des oracles
à ceux qui le consultent (Dt 33, 8-10). C'est peut-être là sa mission la
plus ancienne : révéler la volonté de Dieu dans un cas précis. Rendre
possible le sacrifice existentiel d'un membre du peuple de Dieu en proie
à la nuit et au doute.

Il peut servir en dispensant un enseignement, ce qui n'est qu'une


extension de la mission précédente. Non seulement il délivre une
« torah », une loi (comme dans le cas de l'oracle), mais il commente la
« Torah », afin que chacun puisse l'accomplir et vivre selon l'alliance.
Le prêtre peut également servir par la bénédiction. Il communiquera
ainsi au sacrifice existentiel du croyant le dynamisme et la fécondité

16
Selon A. Cody, o. c, s'appuyant sur le syriaque, le terme hébreu que l'on
traduit par « prêtre » signifierait, étymologiquement, l'homme qui fait prospérer,
c'est-à-dire qui bénit. Nous nous servons également pour ce paragraphe du
fascicule de : Albert Vanhoye, Testi del Nuovo Testamento sul sacerdozio, Roma,
1976.

168
même de Dieu. Toute bénédiction étant une modulation de la parole
créatrice elle-même.
Il pourra enfin servir par l'offrande de sacrifices, étant entendu que
chacun tend à la communion avec Dieu, c'est-à-dire à la perfection
du sacrifice existentiel.
En résumé je crois que le P. Vanhoye a raison de montrer, après le
P. de Vaux, que dès l'Ancien Testament, le prêtre est médiateur de
communion, serviteur d'une rencontre 17, qu'il arrache l'homme à l'athéis-
me mais aussi à son individualisme religieux.

D'où notre quatrième proposition : Dans l'Ancien Testament déjà, le


sacerdoce est la vocation de tout le peuple, puisque tout le peuple
doit marcher sacrificiellement vers Dieu.. Il est aidé, dans l'exercice de
son sacerdoce, par des serviteurs (les prêtres) indispensables mais
subordonnés.

Cinquième proposition :
Jésus-Christ est notre Médiateur et Grand-Prêtre

Une méditation attentive de la vie et de l'œuvre de Jésus de Nazareth ;


la juste reconnaissance des valeurs contenues dans la liturgie et le
sacerdoce de l'Ancien Testament ; la dénonciation des durcissements
et un approfondissement théologique prodigieux : tout cela a permis
à l'Epître aux Hébreux de nous livrer une synthèse incomparable sur
le sacerdoce. Traçons-en les points capitaux qui éclairent notre propos.

a) La toile de fond y est universelle et le dessein du Père aussi :


conduire une multitude de fils à la Gloire (He 2, 10). C'est bien le but
unique que notre première proposition a voulu mettre en lumière, le
point d'aboutissement de tout sacrifice existentiel. Tout dans l'épître
est polarisé vers ce foyer de Présence.

17
Cf. A. Vanhoye, o. c, pp. 22 et ss.

169
b) Ces fils, par le péché, se sont enfermés dans une impasse. Ils
sont prisonniers de l'angoisse et de la mort. Ils gisent stagnants, en
situation d'anti-sacrifice. Les expressions de l'auteur sont très fortes.
Il fallait « réduire à l'impuissance, celui qui a la puissance de la mort,
c'est-à-dire le diable, et affranchir tous ceux qui, leur vie entière, étaient
tenus prisonniers par la crainte de la mort » (He 2, 14-15).
c) Obéissant à la volonté du Père, le Fils de Dieu vient dans ce cachot.
Accrédité par Dieu (2, 17 et 3, 2), il se fait solidaire de tout et de tous
à l'exception de la malice du péché (2, 14-17 ; 4, 15...). Puis, unique
médiateur, il accomplit, au nom de tous, le sacrifice par excellence.
Débordant de miséricorde (2, 17), il opère l'entrée sacrificielle auprès
du Père, la grande percée libératrice (9, 11 et ss.).
d) Dans ce sacrifice de notre Grand-Prêtre, l'auteur a contemplé la
concentration des plus hautes merveilles de Dieu, l'unification la plus
prodigieuse de ce qui, jusque-là, était souvent séparé. Dans la liturgie
de l'Ancien Testament, il y avait une distance considérable entre le
peuple et le prêtre ; le prêtre et la victime ; la victime, le prêtre et
Dieu. Or, avec la venue de Jésus, l'auteur nous montre que la solidarité
entre le peuple et son Prêtre est indéchirable, tissée qu'elle est par
un amour total dans la chair et le sang aussi bien que dans la
communion aux mêmes épreuves. Entre le Prêtre et la victime, l'auteur
contemple l'identité parfaite : Jésus entre avec son propre sang. Entre
ce Prêtre (peuple et victime) et Dieu, la complicité est à son comble :
il s'agit du Fils aimé et obéissant. Enfin dans un tel sacrifice la vie et
le rite ne font qu'un. Le sacrifice existentiel et le sacrifice rituel ne se
distinguent plus. Ce que tant de prophètes avaient souhaité et exigé
trouve en Jésus la perfection : il n'existe pas la moindre discordance
entre le déploiement visible du sacrifice et sa visée spirituelle intérieure ;
partout se lit l'obéissance et la foi en la promesse du Père (5, 7).

Ce que l'Ancien Testament avait pressenti de grand dans les promesses


se réalise en Jésus. Ce qui jusque-là était imparfait ou partiel est porté
à sa plénitude. Le long désir d'Israël d'atteindre les sources de la vie
et la Gloire de Dieu est exaucé.

Comme cinquième proposition nous pouvons affirmer : Par son entrée


sacrificielle, Jésus est devenu notre Grand-Prêtre et notre Médiateur
parfait. Vivant il intercède pour nous.

170
Sixième proposition :
Comme Jésus, un peuple sacerdotal s'avance vers le Père

Jésus a accompli le sacrifice parfait. Il a réalisé le rêve le plus profond


du Père en faveur de ses enfants ; il a fait aboutir la quête la plus
véhémente des vrais enfants du Père : il a scellé la communion de vie
entre Dieu et son peuple.

Ce sacrifice consommé dans le sang de Jésus a ouvert une voie vivante


(He 10, 19) vers le Père. Etant le sacrifice d'un Grand-Prêtre agréé de
Dieu, il est celui de l'expiation définitive. Parce qu'il était celui du
chef, solidaire d'une multitude de frères, ce sacrifice a montré le
chemin. Il constitue par lui-même un enseignement décisif. Et surtout
efficace, puisque c'est par ce sacrifice que nous recevons la grâce
et la force d'accomplir le nôtre, en imitation du sien.

L'imitation de Jésus-Christ : voilà ce que le Nouveau Testament ne


cesse de proposer aux croyants. Il le fait, ce qui est très instructif,
selon des synthèses théologiques bien différentes. Saint Marc, par
exemple, après nous avoir montré qu'en Jésus se lit l'intervention de
Dieu et l'irruption d'un monde nouveau, esquisse d'un seul mot la
morale du chrétien : « suivre ». Pour lui, imiter Jésus, consiste à marcher
derrière lui, à parcourir après lui la voie du serviteur souffrant (Mc 1, 20 ;
2, 14 ; 8, 34 ; 10, 21 ; 10, 52...).

Saint Matthieu ne dit rien d'autre quand il suggère à chacun de


« devenir disciple » (Mt 11, 28-30). Mais comme selon sa théologie Jésus
est le Rabbi suprême qui nous révèle la volonté d'amour du Père,
un tel appel enracine mieux l'imitation du Christ dans la théologie de
l'alliance. Devenir disciple, c'est épouser comme Jésus la Torah con-
crète du Père. Nous pourrions continuer : le « croire » de Saint Jean
ne nous fait-il pas adhérer à celui qui est la « voie, la vérité et la vie »
(Jn 14, 6) et ne nous invite-t-il pas à l'imiter ? Ou encore : l'animation
de l'Esprit, qui est la grande préoccupation de saint Luc, a-t-elle un
autre but que de faire fructifier en nous la Parole du Christ qui est
semence de vie ? Ainsi, c'est en accord avec tous les évangélistes que
saint Paul affirme que « vivre », pour lui « c'est le Christ » (Ph 1, 21) et
qu'il demande à tous les chrétiens : « quoi que vous puissiez dire ou

171
faire, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus, rendant par lui
grâces au Dieu Père » (Col 3,17).
Mais ici encore il appartenait à l'Epître aux Hébreux de souligner tout
le dynamisme de cette imitation du Christ et de nous en proposer
la large perspective sacrificielle et sacerdotale. De même que le
sacrifice du Grand-Prêtre a consisté dans son entrée existentielle et
liturgique auprès de Dieu, ainsi le sacrifice du chrétien ne sera rien
d'autre, à l'imitation de celui du Christ, que la marche de toute une
vie, réalisée dans la foi, la joyeuse assurance et la patience, vers le
trône de la grâce. L'auteur devine, s'adressant à des frères éprouvés,
que l'unique chance de l'homme est d'adhérer au Christ en marchant
sur la voie qu'il a ouverte, que l'unique malheur serait de renier le
Christ et de sombrer dans la stagnation.

Un peuple de prêtres

Cette entrée vers la communion qui unifie l'existence du chrétien est


tout entière liturgique, elle est tout entière sacrificielle. Pourtant l'Epitre
aux Hébreux ne nous dit pas explicitement que tous les chrétiens qui
doivent l'accomplir sont prêtres. Elle suppose néanmoins clairement
qu'une existence chrétienne ainsi conçue n'est rien d'autre que l'exer-
cice d'un sacerdoce. C'est ce qu'affirmeront explicitement deux écrits
du Nouveau Testament : la Première épître de Pierre et l'Apocalypse.

Le texte de la Première épître de Pierre est important : « C'est en vous


approchant de lui, pierre vivante, rejetée par les hommes mais choisie
et précieuse devant Dieu, que vous aussi, comme des pierres vivantes,
vous êtes édifiés en maison spirituelle, en vue de constituer un corps
sacerdotal saint, pour offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu
par Jésus-Christ. (...) Mais vous, vous êtes une race élue, un corps
sacerdotal royal, une nation sainte, un peuple qu'il s'est acquis pour
annoncer les merveilles de Celui qui vous a appelés des ténèbres à sa
merveilleuse lumière. » 18

18
La Bible de Jérusalem préfère traduire, ce que nous rendons par « corps
sacerdotal saint (et royal) », par « sacerdoce saint » et « sacerdoce royal ». La
TOB traduit respectivement par « une sainte communauté sacerdotale » et par
« la communauté sacerdotale du roi ».

172
Sans songer à analyser un tel passage, retenons-en les éléments
suivants 19 :
a) La place déterminante qui est accordée au Christ est bien en accord
avec les évangiles et la théologie de l'Epître aux Hébreux. Il est la
pierre vivante, « choisie et précieuse devant Dieu ». L'accepter avec
sa passion et sa résurrection, c'est devenir soi-même « pierres
vivantes », c'est se laisser bâtir en « maison spirituelle ». Hors du Christ
pas de « corps sacerdotal saint ».
b) Avec Cerfaux et Eliott 20, il faut insister sur le sens concret et com-
munautaire du terme qu'on traduit souvent par « sacerdoce » et que
nous avons rendu par « corps sacerdotal ». Il ne s'agit pas d'une qualité
(le mot serait en -synè comme en He 7, 11.12.24), ni d'une fonction
(mot en -eia comme en He 7, 5), ni même d'une action, mais du résultat
d'une action ou, comme le note le P. Vanhoye « d'un ensemble de
choses concrètes ou de personne en relation avec l'action » 21. Dieu
édifie ceux qui s'approchent de la pierre vivante en « corps sacerdotal »,
en communauté de prêtres.
c) Notre passage se réfère certainement à Ex 19, 6. Ce qui était
annoncé pour les temps de fidélité à l'alliance, est considéré comme
réalisé par et dans le Christ. C'est aussi l'affirmation que désormais le
« peuple élu » se confond avec la communauté de ceux qui ont adhéré
à Jésus-Christ. Ils sont le « peuple qui produira des fruits » dont parle
saint Matthieu en continuité avec la parabole des vignerons homicides
(Mt 21, 43). Ils sont les héritiers des promesses.
d) Selon ce texte, c'est l'Eglise tout entière qui est présentée comme
une « communauté sacerdotale ». Sans doute, chaque chrétien est prêtre,

19
De l'abondante bibliographie retenons : L. Cerfaux, Regale Sacerdotium,
Recueil Cerfaux II, Gembloux, 1954, pp. 283-315 ; J.H. Elliott, The Elect and the
Holy. An Exegetical Examination of I Peter 2, 4 -10 and the Phrase « Basileion
Hierateuma », Leiden, 1966 ; J. Coppens, Le sacerdoce royal des fidèles : un
commentaire de I Petr., 2, 4 -10, dans Mél. Mgr A.M. Charue, Gembloux, 1969,
pp. 61-75; E. Des Places, La première épître de Saint Pierre, Romae, 1971.
Contient de bonnes notes philologiques.
20
Le terme « hierateuma » = « corps sacerdotal » ne se trouve d'abord dans la
traduction de la LXX. Le P. Vanhoye suppose que c'est une création des traduc-
teurs alexandrins (o. c, p. 135). Cf. Cerfaux, o. c, pp. 288-291, et Elliott, o. c,
pp. 64-70.
21
A. Vanhoye, o. c, p. 135.

173
mais en tant qu'il adhère à Jésus, « pierre vivante » et s'insère dans
la communauté ecclésiale. Il n'est nullement question ici de distinction
entre « sacerdoce baptismal » et « sacerdoce ministériel » mais de la
constitution par Dieu d'un « corps sacerdotal ». C'est ce corps sacer-
dotal qui est appelé à offrir des sacrifices spirituels, ce qui correspond
parfaitement à la théologie de l'Epître aux Hébreux.
Les textes célèbres de l'Apocalypse ne disent pas autre chose. En voici
les deux passages principaux : « Il nous aime et nous a lavés de nos
péchés par son sang, il a fait de nous un royaume, des prêtres pour
son Dieu et Père. » 22 Et encore : « Tu es digne de prendre le livre et
d'en ouvrir les sceaux, car tu fus égorgé et tu rachetas pour Dieu, par
ton sang, des hommes de toute race, langue, peuple et nation ; tu as
fait d'eux, pour notre Dieu, un royaume et des prêtres, et ils régneront
sur la terre. » 23

Ici encore nous ne notons que les points capitaux 24 :


a) La forme littéraire souligne déjà la primauté du Christ, puisqu'il
s'agit de doxologies en son honneur. Les deux textes glorifient en effet
l'Agneau immolé pour son œuvre admirable. Tout est fondé dans son
sang (1, 5 ; 5, 9).
b) L'aspect à la fois personnel et communautaire est bien exprimé par
le pluriel « prêtres » uni au singulier « royaume ». Il s'agit bien du peuple
de l'alliance en référence à Ex 19 dont l'auteur transcrit littéralement
l'expression.

Nous pouvons maintenant formuler notre sixième proposition : Adhérant


par la foi à l'œuvre sacrificielle accomplie par Jésus, Grand-Prêtre,
le peuple de la nouvelle alliance, rassemblé en communauté sacerdotale,
s'avance liturgiquement et sacrificiellement vers le Père de toute sainteté.

22
La Bible de Jérusalem traduit : « une Royauté de Prêtres ». Il vaut mieux
conserver la juxtaposition des deux termes.
23
Ap 1, 6 et 5, 10. Nous ne tenons pas compte de Ap 20, 6 qui n'apporte pas
d'éléments nouveaux.
24
Les études sur l'Apocalypse et en particulier sur ces textes sont fort nombreu-
ses. Signalons simplement outre le fascicule cité du P. Vanhoye : A. Feuillet, Les
chrétiens prêtres et rois d'après l'Apocalypse, Rev. Thom. 75 (1975), 40-66 ;
Ugo Vanni, Un esempio di dialogo liturgico in Ap 1, 4-8, Bib 57 (1976), 453-467.

174
Septième proposition :
Les ministres ordonnés sont au service de l'unique médiation

Nous avons souligné quelle primauté revenait, en tout, au Christ Jésus.


Mais, comme l'a bien vu le P. Vanhoye 25, le Christ a fait son entrée
sacrificielle auprès du Père comme précurseur d'une multitude de
frères, et en tant que tel chaque chrétien, membre de la communauté
sacerdotale de l'Eglise, doit l'imiter, mais aussi comme médiateur
unique et inimitable, sans lequel nul corps sacerdotal n'est constitué 26,
nul sacrifice existentiel agréé.
Aujourd'hui comme hier, si la communauté des croyants peut, s'avançant
vers le Père, offrir son sacrifice existentiel, c'est à la médiation du
Christ qu'elle le doit. Aussi le Christ a voulu que cette médiation
indispensable continue d'être visible tout au long de la vie du peuple
de Dieu : c'est toute la raison d'être du ministère ordonné. Ministère
jugé par Jésus comme nécessaire, sinon ce sont les lois de l'incarnation
qui seraient violées et le caractère tangible et objectif de la commu-
nauté qui disparaîtrait, mais clairement subordonné : seule compte en
définitive l'entrée auprès du Père de la communauté ecclésiale. De
même que l'Incarnation du Fils de Dieu n'était pas un but en soi mais
tendait de tout son poids vers l'Heure de Jésus et la consommation
de son œuvre de réconciliation, ainsi les ministères ordonnés qui
« épiphanisent » la médiation de Jésus ne constituent nullement le
terme d'une ascension mais rendent possible l'heure de la communauté
et la consommation de son sacrifice existentiel.

Résumons ainsi notre proposition : Sans ministère ordonné, « sacrement


de la médiation du Christ » 27, la communauté ecclésiale n'aurait pas de
cohésion objective. La médiation du Christ ne rendrait pas possible,
de manière certaine, le sacrifice de chaque chrétien et l'exercice de
sa vocation sacerdotale.

25
A. Vanhoye, Sacerdoce commun et sacerdoce ministériel, NRT 97 (1975), 193-
207, surtout 201 et ss.
26
On notera la valeur quasi technique du verbe « faire », constituer en Ap 1, 6.
Il s'agit d'une prérogative divine qui implique transformation de la personne, la
rendant capable d'accéder auprès de Dieu.
27
L'expression est du P. Vanhoye, dans l'article cité, NRT, p. 200.

175
Conclusions

Même esquissées de façon très générale, les propositions précédentes


nous permettent de répondre à bien des interrogations actuelles.
Commençons par les questions que nous avions soulevées dans notre
précédent article.

a) Nous avons déjà répondu abondamment à nos deuxième et troisième


questions. Oui, l'Epître aux Hébreux nous parle encore. Elle a opéré
les purifications et apporté les précisions nécessaires. Grâce à cela,
elle peut dessiner magistralement la trajectoire sacrificielle du peuple
de Dieu. Elle peut et elle doit renouveler notre présentation de la vie
chrétienne en Jésus-Christ.
Avec les textes de la Première épître de Pierre et de l'Apocalypse, nous
nous situons dans une même perspective : c'est toute la marche du
peuple de l'alliance qui est sacerdotale, c'est toute son existence qui
est sacrifice.

b) Notre première question était plus complexe.


Il est vrai que la pratique cultuelle, que les rites, et le vocabulaire qui
les porte peuvent se durcir et même se corrompre. Ils peuvent oublier
leur vocation symbolique et sacramentelle et fonctionner comme à vide.
C'est alors le divorce entre la vie et la pratique religieuse, entre le
culte dominical et le travail de la semaine... Nos frères protestants
ont été particulièrement sensibles à ces durcissements (je pense à la
notion de « sacrifice », par exemple). Ils ont souvent réagi par le vide,
excluant de leur vocabulaire ce qui avait une coloration « sacrée »,
ressentie comme dangereuse. Chez plusieurs d'entre eux, le vocabulaire
de la foi fut privilégié au détriment de celui de la liturgie, des sacre-
ments, de la sainteté, du sacerdoce. Quand la traduction œcuménique
du Nouveau Testament choisit la formule « fais-toi reconnaître comme
Dieu » au lieu de « que ton nom soit sanctifié » on constate les effets
nocifs, à notre avis, d'une telle influence désacralisante. Indépendam-
ment du fait qu'il ne s'agit plus de traduction mais de paraphrase, nous
pensons que ce n'est pas dans cette direction qu'il faut marcher pour
résoudre le problème.

176
L'Epître aux Hébreux nous aide au contraire à surmonter le faux dilemme
entre sacré et profane, entre foi et culte. Chaque acte et chaque geste
de notre existence y sont reconnus avec leur signification et leur
valeur propre (ce qu'on considère parfois comme la sphère du profane)
tout en étant assumés et insérés dans le mouvement liturgique et
sacrificiel qui nous porte vers Dieu (sphère du sacré). Nous sommes
invités à vivre chaque acte de culte et en premier lieu l'Eucharistie,
non comme une célébration coupée de la vie, mais avec sa densité
réelle et sa capacité de récapitulation à l'égard de tous les éléments
de l'existence quotidienne, conscients que par la médiation du Christ
tout est consacré à Dieu et transfiguré. Comme nous l'avons déjà
indiqué, le sacrifice visible devient ainsi le point le plus avancé et le
moins ambigu de notre progression vitale vers la Présence. Et un
vocabulaire liturgique, ouvert à l'invisible et à l'ultérieur, est celui qui
exprime le mieux les profondeurs de notre existence en Jésus-Christ,
donnant à entendre combien le cultuel ruisselle de vie et à quel point
la vie la plus banale peut être animée de sève liturgique. Sacrifice
existentiel et célébrations cultuelles, en particulier sacramentelles, ne
s'excluent nullement : elles relèvent du même mouvement vers Dieu.

c) Mais alors, c'est notre quatrième question, faut-il encore utiliser


des mots comme « sacerdoce » ou « prêtres », pour désigner les minis-
tères ou les ministres ordonnés ? Pour le dire en bref, nous pensons
que le problème n'est pas tant celui du vocabulaire que celui d'une
compréhension théologique de la vie chrétienne 28.
Si parler de « sacerdoce » à propos des évêques et des prêtres conduisait
à refuser la dignité sacerdotale aux autres membres du peuple de Dieu, il
faudrait éviter de le faire. Mais à la personne qui est au service du sacer-
doce de tous ses frères, à celui qui pour eux rend visible et efficace la
médiation du Christ Grand-Prêtre, il n'est guère convenable de dénier
une mission sacerdotale, si l'on comprend bien que cette « coloration »
lui vient du « corps de prêtres » auquel il est ordonné et surtout du
Christ dont il prolonge l'efficace rédemption. En résumé plus on sera

28
L'examen du seul vocabulaire réserverait d'ailleurs des surprises. On y cons-
taterait, par exemple, qu'étymologiquement le mot «prêtre » ne nous oriente pas
vers le domaine de la sainteté (puisqu'il signifie « ancien »), alors que son évolu-
tion sémantique en a fait l'équivalent du « sacerdos » latin.

177
conscient de la grandeur du sacrifice existentiel qui doit assurer à
chaque chrétien la sanctification et la rencontre avec le Dieu Saint,
plus on reconnaîtra l'indispensable et unique médiation du Christ, plus
aussi les serviteurs de telles merveilles seront entraînés dans l'orbite
sacerdotale.
Une telle compréhension du « sacerdoce » ministériel permet d'éviter
les déviations sentimentales d'une mauvaise spiritualité sacerdotale.
On se souvient, par exemple, quelles divagations de mauvais goût ont
été écrites à propos des « mains consacrées » du prêtre, laissant
supposer que celles du laïc ne l'étaient pas... Ou encore les justifications
apportées au port de la soutane, comme s'il fallait isoler le prêtre et
le tenir séparé de baptisés... impurs. Alors qu'on le comprend mieux
maintenant, c'est du péché que le baptême veut nous séparer, c'est à
Dieu et à tous nos frères qu'il veut nous unir. Le dernier mot étant
encore ici à la communion.

d) Ajoutons une dernière réflexion concernant la récente déclaration


de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (Inter insigniores) du
28 janvier 1977. Tout devient plus clair et acceptable si l'on est con-
vaincu que seules comptent en définitive la marche vers Dieu et l'union
transformante avec lui qui assurera la plénitude de notre bonheur. Et
que sur ce plan-là il n'y a et il ne saurait y avoir d'homme ou de
femme, de Juif ou de Grec. Alors qu'il en va autrement dès qu'il
s'agit de « sacramentaliser » la médiation de Jésus-Christ, Fils de Dieu.
Attribuer le service de cette « épiphanie » à celui qui est créé à l'image
de l'Epoux, ce n'est pas léser la femme qui symbolise et rend si bien
présente l'Epouse.

Notre dernier mot sera d'admiration devant la dignité du chrétien,


considérant de quelle liturgie il est le prêtre et quel sacrifice assure
l'unité de sa vie en Jésus-Christ, notre Grand-Prêtre et unique Médiateur.

Grégoire Rouiller

178

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