ESM073020
ESM073020
Edition numérique
Grégoire ROUILLER
Du sacerdoce à la lumière du
Nouveau Testament (II)
Première proposition :
Pas de bonheur sans Présence ni Communion avec Dieu
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lasser, témoignage à la Présence agissante du Dieu Vivant. Si son
message demeure actuel, c'est quelle évoque le Père de toujours aux
prises avec ses enfants de tous les temps. Car, parler de Dieu, dans
la Bible, ce n'est pas prononcer un discours abstrait, c'est évoquer
le dévoilement passionné d'un Dieu-vers-l'homme, d'un Dieu-pour-l'hom-
me. Symétriquement et comme en écho, parler de l'homme, dans
l'Ecriture, c'est clamer qu'il n'existe et n'a de consistance qu'en tant
que partenaire de Dieu, qu'il se définit comme homme-devant-Dieu
ou homme-vers-Dieu.
Bref, aussi paradoxal que cela soit, la Bible veut nous révéler un
Dieu en quête de l'homme, un Dieu qui, étant la source de la vie,
sait que l'homme ne peut vivre et trouver le bonheur sans lui. Elle ne
développe ainsi qu'un unique thème : celui, sans cesse repris, de la
rencontre entre Dieu et l'homme ou plutôt celui d'une communion de
vie entre eux.
Sur ce thème central, les variations seront innombrables. Car cette
communion qui, plénière, se nommera béatitude, n'est pas donnée
dès le départ. La Bible en écrit l'histoire. Elle peut commencer ou
recommencer : ce sont les récits de création ou de vocations. Elle
connaît des éclipses : alors l'Ecriture énumère les infidélités et tant de
péchés. Cette communion de vie compte des heures fastes : celles de
ferveur liturgique. Elle est attendue inlassablement dans la ligne la
plus pure des promesses : ce sera l'annonce de la venue du Royaume
de Dieu, de la plénitude d'une communion si universellement
recherchée 2.
De cette Présence inépuisable de Dieu, les auteurs bibliques nous
parlent de multiples façons. Ils le font à partir de points de vue
différents et selon leurs lumières propres.
A l'écoute d'anciennes traditions, car la réflexion biblique a toujours
obéi aux lois de l'incarnation, on a longtemps présenté cette présence
de Dieu comme attachée à un lieu, à la montagne sainte du Sinaï.
C'est de là, affirment par exemple les livres de l'Exode ou du Deutéro-
nome, que Dieu entre en contact avec son peuple. C'est à partir du
2
C'est de cette indispensable recherche de Dieu que parle S. Paul devant
l'Aréopage, Ac 17, 27.
158
Sinaï, sa demeure, qu'il le libère. C'est là qu'il le convoque, afin de
sceller avec lui l'alliance par excellence, celle que lui, Dieu, ne rompra
jamais. C'était une manière efficace de montrer combien la révélation
et l'action de Dieu sont liées à l'histoire et à la géographie des peuples.
3
L'article suivant peut servir d'introduction à l'étude de ce thème : E. Lipinski,
La terre promise, héritage de Dieu, dans Essais sur la Révélation et la Bible,
Paris, 1970, pp. 115-132.
4
Il sera bon de lire toute la prière de Salomon, prononcée au jour de la Dédicace
du Temple, d'où est tirée cette phrase (1 R 8, 27). On y saisit comme des
modalités de la présence de Dieu : il habite les cieux et en même temps Jéru-
salem et le Temple.
159
peut invoquer comme le Saint ou le Vivant, le Père ou le Roi, le
Sauveur ou le Rédempteur de son peuple est et demeure le centre et
le but suprêmes.
Ce que l'Ancien Testament a exprimé au moyen de termes géographi-
ques : le repos en Terre sainte ; avec des formules liturgiques : « recher-
cher ou voir la face de Dieu » ; en utilisant des modèles juridiques (cer-
tains schémas d'alliance), le Nouveau Testament va l'approfondir. Ce
vers quoi tendaient tant de désirs et de formulations partielles, il le
nommera « résurrection des morts » et « vie éternelle ». Une vie que
saint Jean identifiera comme un « connaître » Dieu, c'est-à-dire, selon
son langage, comme une communion de tout l'être avec lui (Jn 17, 3).
Mais, à notre avis, il appartenait à l'Epître aux Hébreux de nous livrer,
sur ce point, la synthèse la plus complète. Evoquant la marche du
peuple vers le repos de la Palestine et surtout l'entrée cultuelle du
Grand-Prêtre en présence de son Dieu, l'auteur de l'épître est heureux
de nous montrer que ce ne sont là que de pâles images. Ce qu'il
importe d'atteindre c'est le trône de la grâce, la Présence du Seigneur,
la Gloire du Père. C'est vers un tel but que tout le dynamisme de
l'épître nous porte 5.
Deuxième proposition :
Le sacrifice, un mouvement vers la communion avec Dieu
5
Tout lecteur de l'épître aux Hébreux doit d'abord être attentif au dynamisme
qui la traverse. Les verbes de mouvement ou les vocables formés à l'aide d'une
préposition exprimant le dynamisme se rencontrent de façon constante.
160
en présence de Dieu. Cette marche d'approche ou d'entrée nous est
présentée sous des formulations variées par l'Ecriture. Donnons quel-
ques exemples. Dans le premier récit de la création (Gn 1), d'allure
sacerdotale, l'homme se trouve inséré dans une vraie procession litur-
gique. On devine que son dynamisme doit prolonger le mouvement
créateur, qu'il rejoindra son créateur en épousant son œuvre, en la
restituant à son Dieu.
161
tes œuvres. Que tes vêtements soient toujours blancs et que l'huile
ne manque pas sur ta tête ! Goûte la vie avec la femme que tu aimes
durant les jours de ta vaine existence, puisque Dieu te donne sous le
soleil tous tes jours vains ; car c'est là ta part dans la vie et dans le
travail que tu fais sous le soleil. » 6
6
Qo 9, 7-9. Ces exemples suffisent à faire comprendre que tous les livres de
l'Ancien Testament situent l'homme en référence à la Présence de Dieu.
7
He 4, 16. Cette assurance est fondée sur la présence du Grand-Prêtre.
8
He 12, 1-2. Jésus apparaît, après l'évocation de tant d'ancêtres (ch. 11),
comme le dernier et le plus grand des témoins. Tous sont entrés par la foi dans
le repos. Courons à leur suite et entrons...
162
Troisième proposition :
Le sacrifice visible : un rite nécessaire et fragile
163
l'assistance du Dieu de l'alliance ? Les richesses matérielles affluent.
Ne va-t-il pas s'en contenter et oublier toute exigence de dépassement
et de marche sacrificielle ? On constate que tout, la santé aussi bien
que les richesses matérielles, les capacités intellectuelles aussi bien
que la force physique, peut être servi et adoré pour lui-même (c'est
le péché) mais aussi prendre place dans la marche de l'homme vers
son accomplissement (c'est le sacrifice). Dans ce dernier cas, l'homme
vit sa vocation de partenaire d'alliance, usant de tout selon la Loi
d'amour de son Dieu.
9
Il ne saurait être question d'étudier ici la notion de sacrifice en Israël. Men-
tionnons, à l'intention de ceux qui voudraient le faire, quelques ouvrages récents :
R. de Vaux, Les sacrifices de l'Ancien Testament, Paris, 1964 ; R. Rendtorff,
Studien zur Geschichte des Opfers im alten Israël, Neukirchen-Vluyn, 1967 ;
A. Cody, A History of O.T. Priesthood, Roma, 1969. On peut également consulter
les « Théologies de l'Ancien Testament ». Celle de W. Zimmerli, par exemple,
contient de bonnes pages sur ce sujet.
10
Dans l'histoire du sacrifice, il existe souvent des tensions et des déplacements
de sens entre les rites accomplis (qui peuvent varier, se « contaminer », se sur-
charger) et la théologie ou vie religieuse que ces rites veulent célébrer.
164
communion de vie avec Dieu 11. Mais cette communion peut être symbolisée
selon des facettes multiples. Parfois ce sera surtout une communion
présente que le fidèle voudra symboliser : le rite clamera alors sa dis-
ponibilité intérieure et l'offrande à Dieu de toute une vie en marche,
dans la joie et la ferveur, vers la Gloire. Tous les actes de la vie
d'un peuple seront alors récapitulés et publiés, dans l'acte sacrificiel,
comme actes d'un peuple croyant, fidèle à l'alliance. C'est bien le cas
du sacrifice d'alliance décrit en Ex 24, 5-8.
11
A. Heschel dit excellemment : « La valeur du sacrifice ne se détermine pas
tant par ce que l'on abandonne que par le but en fonction duquel on abandonne.
Le mot hébreu (gorban) servant à désigner l'action de sacrifier, signifie littérale-
ment : venir près, approcher. Notre devoir n'est pas de renoncer à la vie, mais de
la rapprocher de Dieu. » Dieu en quête de l'homme, Paris, 1968, p. 420.
12
P. Beauchamp (L'un et l'autre Testament, Paris, 1976) a une formule heureuse
pour exprimer cela : « Les sacrifices courants des victimes animales peuvent
agir non seulement comme symboles d'une disponibilité intérieure, mais, plus
vigoureusement, comme figures d'avenir », p. 247.
13
R. Rendtorff, o. c, le montre abondamment.
165
service de la foi, il apparut à tel point comme la célébration d'une vie
d'alliance qu'on n'a pas craint de laisser cohabiter plusieurs sortes
de sacrifices, qu'on les a laissés se « contaminer » les uns les autres
et parfois même se confondre 14. Au fond l'on était convaincu que ce qui
est commun à tous les sacrifices l'emporte sur ce qui les distingue.
L'important était de symboliser avec efficacité la marche existentielle
vers la Présence de Dieu. Dans tous les cas la raison d'être des
célébrations liturgiques était la proclamation festive de cette PAIX
avec Dieu, bien suprême de l'alliance. C'est pourquoi aussi les frontières
sont si ténues entre culte, sacrifices et prière (psalmique, par exemple) :
la même communion avec Dieu y est célébrée, sollicitée, restaurée
dans la ferveur et la foi.
14
Ainsi le sacrifice solennel du Kippur célèbre à la fois l'alliance présente
(sacrifice d'alliance) et sa restauration (sacrifice d'expiation). Cette heureuse
confusion des sacrifices qui les unifie selon leur visée profonde et commune
atteint son sommet dans l'épître aux Hébreux.
166
la veuve défendue, l'usage des richesses une fête pour tous les membres
du peuple élu, d'une part ; une liturgie authentique, d'autre part, dans
laquelle toute la vie de cette communauté doit être célébrée, « sacri-
fiée ». C'est contre un divorce radical entre ces deux composantes de
la justice qu'Amos s'élève avec toute sa verdeur. Une liturgie chatoyante
lui paraît insupportable, il la dénonce comme un monstrueux mensonge
porteur de toutes les malédictions, dès lors que la vie s'écarte de
Dieu, bafoue sa volonté expresse, la Torah de son alliance et alourdit
le malheur des faibles 15.
Quatrième proposition :
Le vrai prêtre offre le sacrifice existentiel
15
On a parfois déformé doublement le message d'Amos : ramenant sa notion de
« justice » à une justice sociale distributive et le présentant comme un adversaire
de tout culte ou sacrifice.
167
décisif, tout membre du peuple de Dieu doit en être le prêtre. Par contre,
pour le sacrifice visible et rituel, l'Ancien Testament a connu différentes
situations. Parfois, surtout dans les temps anciens, un croyant, (en par-
ticulier un père de famille, un chef de clan, un juge ou un roi) peut
accomplir la fonction de « sacrificateur ». Parfois, au contraire, surtout
avec la réglementation de plus en plus rigoureuse de la liturgie
du Temple, le prêtre lévitique est seul habilité à offrir des sacrifices.
La spécialisation est encore plus poussée dans tel cas précis : le
sacrifice d'expiation, au jour du Kippur, est réservé au seul Grand-
Prêtre. Plus le péché s'alourdit, plus la séparation se creuse entre la
vie quotidienne (malheureusement saisie comme profane) et les célé-
brations cultuelles (monopolisant le champ du sacré), plus la place
d'un sacerdoce spécialisé est marquée et son autorité reconnue.
Pourtant il faut constater que, déjà dans l'Ancien Testament, quand il
n'usurpe pas abusivement une place qui ne lui revient pas, le prêtre
lévitique est totalement au service du sacrifice existentiel du peuple
élu 16.
En effet, si le prêtre est l'homme du sanctuaire, c'est qu'il est complice
de la Présence que le sacrifice existentiel veut rejoindre. Reconnu à
la fois par Dieu (s'il n'était pas agréé par Dieu, il ne serait pas prêtre)
et par le peuple, il peut servir ce dernier en délivrant des oracles
à ceux qui le consultent (Dt 33, 8-10). C'est peut-être là sa mission la
plus ancienne : révéler la volonté de Dieu dans un cas précis. Rendre
possible le sacrifice existentiel d'un membre du peuple de Dieu en proie
à la nuit et au doute.
16
Selon A. Cody, o. c, s'appuyant sur le syriaque, le terme hébreu que l'on
traduit par « prêtre » signifierait, étymologiquement, l'homme qui fait prospérer,
c'est-à-dire qui bénit. Nous nous servons également pour ce paragraphe du
fascicule de : Albert Vanhoye, Testi del Nuovo Testamento sul sacerdozio, Roma,
1976.
168
même de Dieu. Toute bénédiction étant une modulation de la parole
créatrice elle-même.
Il pourra enfin servir par l'offrande de sacrifices, étant entendu que
chacun tend à la communion avec Dieu, c'est-à-dire à la perfection
du sacrifice existentiel.
En résumé je crois que le P. Vanhoye a raison de montrer, après le
P. de Vaux, que dès l'Ancien Testament, le prêtre est médiateur de
communion, serviteur d'une rencontre 17, qu'il arrache l'homme à l'athéis-
me mais aussi à son individualisme religieux.
Cinquième proposition :
Jésus-Christ est notre Médiateur et Grand-Prêtre
17
Cf. A. Vanhoye, o. c, pp. 22 et ss.
169
b) Ces fils, par le péché, se sont enfermés dans une impasse. Ils
sont prisonniers de l'angoisse et de la mort. Ils gisent stagnants, en
situation d'anti-sacrifice. Les expressions de l'auteur sont très fortes.
Il fallait « réduire à l'impuissance, celui qui a la puissance de la mort,
c'est-à-dire le diable, et affranchir tous ceux qui, leur vie entière, étaient
tenus prisonniers par la crainte de la mort » (He 2, 14-15).
c) Obéissant à la volonté du Père, le Fils de Dieu vient dans ce cachot.
Accrédité par Dieu (2, 17 et 3, 2), il se fait solidaire de tout et de tous
à l'exception de la malice du péché (2, 14-17 ; 4, 15...). Puis, unique
médiateur, il accomplit, au nom de tous, le sacrifice par excellence.
Débordant de miséricorde (2, 17), il opère l'entrée sacrificielle auprès
du Père, la grande percée libératrice (9, 11 et ss.).
d) Dans ce sacrifice de notre Grand-Prêtre, l'auteur a contemplé la
concentration des plus hautes merveilles de Dieu, l'unification la plus
prodigieuse de ce qui, jusque-là, était souvent séparé. Dans la liturgie
de l'Ancien Testament, il y avait une distance considérable entre le
peuple et le prêtre ; le prêtre et la victime ; la victime, le prêtre et
Dieu. Or, avec la venue de Jésus, l'auteur nous montre que la solidarité
entre le peuple et son Prêtre est indéchirable, tissée qu'elle est par
un amour total dans la chair et le sang aussi bien que dans la
communion aux mêmes épreuves. Entre le Prêtre et la victime, l'auteur
contemple l'identité parfaite : Jésus entre avec son propre sang. Entre
ce Prêtre (peuple et victime) et Dieu, la complicité est à son comble :
il s'agit du Fils aimé et obéissant. Enfin dans un tel sacrifice la vie et
le rite ne font qu'un. Le sacrifice existentiel et le sacrifice rituel ne se
distinguent plus. Ce que tant de prophètes avaient souhaité et exigé
trouve en Jésus la perfection : il n'existe pas la moindre discordance
entre le déploiement visible du sacrifice et sa visée spirituelle intérieure ;
partout se lit l'obéissance et la foi en la promesse du Père (5, 7).
170
Sixième proposition :
Comme Jésus, un peuple sacerdotal s'avance vers le Père
171
faire, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus, rendant par lui
grâces au Dieu Père » (Col 3,17).
Mais ici encore il appartenait à l'Epître aux Hébreux de souligner tout
le dynamisme de cette imitation du Christ et de nous en proposer
la large perspective sacrificielle et sacerdotale. De même que le
sacrifice du Grand-Prêtre a consisté dans son entrée existentielle et
liturgique auprès de Dieu, ainsi le sacrifice du chrétien ne sera rien
d'autre, à l'imitation de celui du Christ, que la marche de toute une
vie, réalisée dans la foi, la joyeuse assurance et la patience, vers le
trône de la grâce. L'auteur devine, s'adressant à des frères éprouvés,
que l'unique chance de l'homme est d'adhérer au Christ en marchant
sur la voie qu'il a ouverte, que l'unique malheur serait de renier le
Christ et de sombrer dans la stagnation.
Un peuple de prêtres
18
La Bible de Jérusalem préfère traduire, ce que nous rendons par « corps
sacerdotal saint (et royal) », par « sacerdoce saint » et « sacerdoce royal ». La
TOB traduit respectivement par « une sainte communauté sacerdotale » et par
« la communauté sacerdotale du roi ».
172
Sans songer à analyser un tel passage, retenons-en les éléments
suivants 19 :
a) La place déterminante qui est accordée au Christ est bien en accord
avec les évangiles et la théologie de l'Epître aux Hébreux. Il est la
pierre vivante, « choisie et précieuse devant Dieu ». L'accepter avec
sa passion et sa résurrection, c'est devenir soi-même « pierres
vivantes », c'est se laisser bâtir en « maison spirituelle ». Hors du Christ
pas de « corps sacerdotal saint ».
b) Avec Cerfaux et Eliott 20, il faut insister sur le sens concret et com-
munautaire du terme qu'on traduit souvent par « sacerdoce » et que
nous avons rendu par « corps sacerdotal ». Il ne s'agit pas d'une qualité
(le mot serait en -synè comme en He 7, 11.12.24), ni d'une fonction
(mot en -eia comme en He 7, 5), ni même d'une action, mais du résultat
d'une action ou, comme le note le P. Vanhoye « d'un ensemble de
choses concrètes ou de personne en relation avec l'action » 21. Dieu
édifie ceux qui s'approchent de la pierre vivante en « corps sacerdotal »,
en communauté de prêtres.
c) Notre passage se réfère certainement à Ex 19, 6. Ce qui était
annoncé pour les temps de fidélité à l'alliance, est considéré comme
réalisé par et dans le Christ. C'est aussi l'affirmation que désormais le
« peuple élu » se confond avec la communauté de ceux qui ont adhéré
à Jésus-Christ. Ils sont le « peuple qui produira des fruits » dont parle
saint Matthieu en continuité avec la parabole des vignerons homicides
(Mt 21, 43). Ils sont les héritiers des promesses.
d) Selon ce texte, c'est l'Eglise tout entière qui est présentée comme
une « communauté sacerdotale ». Sans doute, chaque chrétien est prêtre,
19
De l'abondante bibliographie retenons : L. Cerfaux, Regale Sacerdotium,
Recueil Cerfaux II, Gembloux, 1954, pp. 283-315 ; J.H. Elliott, The Elect and the
Holy. An Exegetical Examination of I Peter 2, 4 -10 and the Phrase « Basileion
Hierateuma », Leiden, 1966 ; J. Coppens, Le sacerdoce royal des fidèles : un
commentaire de I Petr., 2, 4 -10, dans Mél. Mgr A.M. Charue, Gembloux, 1969,
pp. 61-75; E. Des Places, La première épître de Saint Pierre, Romae, 1971.
Contient de bonnes notes philologiques.
20
Le terme « hierateuma » = « corps sacerdotal » ne se trouve d'abord dans la
traduction de la LXX. Le P. Vanhoye suppose que c'est une création des traduc-
teurs alexandrins (o. c, p. 135). Cf. Cerfaux, o. c, pp. 288-291, et Elliott, o. c,
pp. 64-70.
21
A. Vanhoye, o. c, p. 135.
173
mais en tant qu'il adhère à Jésus, « pierre vivante » et s'insère dans
la communauté ecclésiale. Il n'est nullement question ici de distinction
entre « sacerdoce baptismal » et « sacerdoce ministériel » mais de la
constitution par Dieu d'un « corps sacerdotal ». C'est ce corps sacer-
dotal qui est appelé à offrir des sacrifices spirituels, ce qui correspond
parfaitement à la théologie de l'Epître aux Hébreux.
Les textes célèbres de l'Apocalypse ne disent pas autre chose. En voici
les deux passages principaux : « Il nous aime et nous a lavés de nos
péchés par son sang, il a fait de nous un royaume, des prêtres pour
son Dieu et Père. » 22 Et encore : « Tu es digne de prendre le livre et
d'en ouvrir les sceaux, car tu fus égorgé et tu rachetas pour Dieu, par
ton sang, des hommes de toute race, langue, peuple et nation ; tu as
fait d'eux, pour notre Dieu, un royaume et des prêtres, et ils régneront
sur la terre. » 23
22
La Bible de Jérusalem traduit : « une Royauté de Prêtres ». Il vaut mieux
conserver la juxtaposition des deux termes.
23
Ap 1, 6 et 5, 10. Nous ne tenons pas compte de Ap 20, 6 qui n'apporte pas
d'éléments nouveaux.
24
Les études sur l'Apocalypse et en particulier sur ces textes sont fort nombreu-
ses. Signalons simplement outre le fascicule cité du P. Vanhoye : A. Feuillet, Les
chrétiens prêtres et rois d'après l'Apocalypse, Rev. Thom. 75 (1975), 40-66 ;
Ugo Vanni, Un esempio di dialogo liturgico in Ap 1, 4-8, Bib 57 (1976), 453-467.
174
Septième proposition :
Les ministres ordonnés sont au service de l'unique médiation
25
A. Vanhoye, Sacerdoce commun et sacerdoce ministériel, NRT 97 (1975), 193-
207, surtout 201 et ss.
26
On notera la valeur quasi technique du verbe « faire », constituer en Ap 1, 6.
Il s'agit d'une prérogative divine qui implique transformation de la personne, la
rendant capable d'accéder auprès de Dieu.
27
L'expression est du P. Vanhoye, dans l'article cité, NRT, p. 200.
175
Conclusions
176
L'Epître aux Hébreux nous aide au contraire à surmonter le faux dilemme
entre sacré et profane, entre foi et culte. Chaque acte et chaque geste
de notre existence y sont reconnus avec leur signification et leur
valeur propre (ce qu'on considère parfois comme la sphère du profane)
tout en étant assumés et insérés dans le mouvement liturgique et
sacrificiel qui nous porte vers Dieu (sphère du sacré). Nous sommes
invités à vivre chaque acte de culte et en premier lieu l'Eucharistie,
non comme une célébration coupée de la vie, mais avec sa densité
réelle et sa capacité de récapitulation à l'égard de tous les éléments
de l'existence quotidienne, conscients que par la médiation du Christ
tout est consacré à Dieu et transfiguré. Comme nous l'avons déjà
indiqué, le sacrifice visible devient ainsi le point le plus avancé et le
moins ambigu de notre progression vitale vers la Présence. Et un
vocabulaire liturgique, ouvert à l'invisible et à l'ultérieur, est celui qui
exprime le mieux les profondeurs de notre existence en Jésus-Christ,
donnant à entendre combien le cultuel ruisselle de vie et à quel point
la vie la plus banale peut être animée de sève liturgique. Sacrifice
existentiel et célébrations cultuelles, en particulier sacramentelles, ne
s'excluent nullement : elles relèvent du même mouvement vers Dieu.
28
L'examen du seul vocabulaire réserverait d'ailleurs des surprises. On y cons-
taterait, par exemple, qu'étymologiquement le mot «prêtre » ne nous oriente pas
vers le domaine de la sainteté (puisqu'il signifie « ancien »), alors que son évolu-
tion sémantique en a fait l'équivalent du « sacerdos » latin.
177
conscient de la grandeur du sacrifice existentiel qui doit assurer à
chaque chrétien la sanctification et la rencontre avec le Dieu Saint,
plus on reconnaîtra l'indispensable et unique médiation du Christ, plus
aussi les serviteurs de telles merveilles seront entraînés dans l'orbite
sacerdotale.
Une telle compréhension du « sacerdoce » ministériel permet d'éviter
les déviations sentimentales d'une mauvaise spiritualité sacerdotale.
On se souvient, par exemple, quelles divagations de mauvais goût ont
été écrites à propos des « mains consacrées » du prêtre, laissant
supposer que celles du laïc ne l'étaient pas... Ou encore les justifications
apportées au port de la soutane, comme s'il fallait isoler le prêtre et
le tenir séparé de baptisés... impurs. Alors qu'on le comprend mieux
maintenant, c'est du péché que le baptême veut nous séparer, c'est à
Dieu et à tous nos frères qu'il veut nous unir. Le dernier mot étant
encore ici à la communion.
Grégoire Rouiller
178