Chapitre 1
La fin de la Seconde
Guerre mondiale
La Seconde Guerre mondiale s’achève en 1945 avec la
victoire de l’Alliance formée autour de la Grande-Bretagne,
des États-Unis et de l’URSS. Les démocraties occidentales
et la puissance communiste ont surpassé leurs divergences
idéologiques pour faire face au nazisme et obtenir la victoire.
Mais, la paix revenue, l’Alliance se fissure du fait de
l’incompréhension qui se développe entre Moscou et
Washington. La conception morale qu’ont les Américains
du monde les empêche d’accepter le concept de zone
d’influence, jugé contraire au droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes. Staline soupçonne les Américains de ne pas
s’accommoder de l’existence d’un pays communiste et
assure la défense de l’URSS par la constitution d’un glacis
protecteur, preuve pour les Occidentaux que Moscou veut
imposer le communisme à l’échelle mondiale.
La victoire des aLLiés
L’Alliance des démocraties occidentales et de l’URSS
triomphe du nazisme. Les vainqueurs de la guerre tentent
d’organiser ensemble la paix.
La fin de la guerre
La Seconde Guerre mondiale est partie d’Europe. Elle
s’achève en Asie en août 1945.
8 Les relations internationales de 1945 à nos jours
En Europe
La bataille héroïque de Stalingrad, gagnée par les Russes en
janvier 1943, représente le tournant de la Seconde Guerre
mondiale. C’est le début du recul allemand. Pendant l’été
1943, les Soviétiques libèrent la Crimée et franchissent le
Prout, et au début de l’été 1944 ils arrivent en Biélorussie.
Rien ne paraît pouvoir arrêter la marche de l’Armée rouge
qui parvient, le 31 août 1944, sur la Vistule, aux portes de
Varsovie. La résistance non communiste qui a déclenché
l’insurrection de Varsovie est écrasée par les Allemands sans
que les Soviétiques n’interviennent. C’est que Moscou
prépare déjà l’après-guerre et donne la prééminence à
ses alliés politiques en Pologne. Une fois la résistance non
communiste écrasée, ils libèrent Varsovie le 17 janvier
1945 et Auschwitz le 27.
Les Occidentaux, pour leur part, ouvrent deux fronts : l’un
en Méditerranée, l’autre en Atlantique. Les troupes alliées
sont présentes en Italie depuis l’hiver 1943-1944. Le 4 juin
1944, elles parviennent à Rome. Le 28 avril, Mussolini est
exécuté par des partisans italiens. Mais l’opération la plus
importante est le débarquement en Normandie (opéra-
tion Overlord) le jour J (6 juin 1944) : 500 000 hommes
débarquent avec 1 500 chars, 300 canons, 2 500 véhicules
tout-terrain et 10 000 autres véhicules. À J+60, 2 millions
d’hommes ont débarqué. Le 8 juin, Bayeux est la première
ville française libérée. Le 15 août, les Alliés débarquent
en Provence. Paris est libéré le 25 août, Strasbourg le
22 novembre.
Le 31 janvier 1945, les Soviétiques franchissent l’Oder
qui, plus tard, constituera l’une des frontières Est-Ouest.
Le 21 avril, l’Armée rouge entre à Berlin. Le 30, Hitler
se suicide.
La fin de la Seconde Guerre mondiale 9
Les Américains entrent le 18 avril en Tchécoslovaquie.
Mais, pour limiter leurs pertes, ils vont laisser les Soviétiques
libérer Prague. Déjà, Moscou paraît plus conscient des
enjeux de l’après-guerre que Washington et s’intéresse aux
prises de gages territoriaux.
Le 25 avril, les troupes soviétiques et américaines se
rejoignent sur l’Elbe. Un protocole de capitulation provi-
soire est signé par les Allemands le 7 mai à Reims. La céré-
monie de la capitulation est ouverte le 8 mai et signée le
9 mai à 0 h 43 (ce qui explique que la victoire est célébrée
le 8 mai dans le monde occidental et le 9 mai à Moscou).
En Asie
Après l’attaque surprise de Pearl Harbor, les Japonais
rencontrent des succès militaires jusqu’en avril 1942.
À partir de novembre 1943, les Américains, renforcés
matériellement avec des porte-avions neufs, reprennent
l’offensive.
Dans le Pacifique Nord, les troupes dirigées par l’amiral
Nimitz mettent en œuvre la tactique du « saut-de-
mouton » qui les fait s’approcher du Japon en conquérant
le Pacifique île par île (Gilbert, novembre 1943 ; Marshall,
février 1944 ; Mariannes, mai 1944). Ils remportent une
grande bataille aéronavale (mer des Philippines, juin 1944)
qui sape le moral japonais. L’île américaine de Guam est
alors reconquise.
Dans le Pacifique Sud, le général MacArthur veut recon-
quérir les Philippines qu’il avait perdues en 1942. Il détruit
une grande partie de la flotte japonaise (octobre 1944). Le
4 février 1945, les Alliés débarquent en Chine. À partir de
mars, les troupes de Lord Mountbatten font la conquête
de la Birmanie.
10 Les relations internationales de 1945 à nos jours
En avril 1945, MacArthur prend le commandement
de toutes les forces alliées du Pacifique. Le 1er avril, les
Américains débarquent sur l’île japonaise d’Okinawa. Le 5,
l’URSS dénonce son traité de neutralité avec le Japon.
Le 26 juillet 1945, les États-Unis, la Grande-Bretagne et
la Chine adressent un ultimatum au Japon lui intimant de
capituler sans condition. Il est rejeté. Le 8 août, Moscou
déclare la guerre au Japon.
La flotte japonaise est détruite, son aviation manque de
pilotes. Mais le pays dispose encore de grandes armées
terrestres intactes et s’apprête à livrer une résistance
aussi farouche que désespérée. Les responsables améri-
cains estiment que la poursuite de la guerre pourrait faire
500 000 morts parmi les soldats américains et trois ou
quatre fois plus chez les Japonais.
Les Américains s’étaient lancés, avec le projet Manhattan,
dans la recherche sur l’arme atomique, grâce à l’aide de
scientifiques canadiens et européens, qui, pour une grande
partie d’entre eux, avaient fui le régime de Pétain et les
persécutions nazies.
Le 16 juillet 1945, il fut procédé au premier essai nucléaire
à une cinquantaine de kilomètres de la ville de Socorro, au
Nouveau-Mexique. On pensa d’abord à ne faire qu’une
démonstration de cette bombe au-dessus de la baie de
Tokyo mais la décision de lancer la bombe au-dessus des
villes japonaises fut prise pour trois raisons. D’abord, les
Américains n’étaient pas sûrs que la démonstration réus-
sirait ou serait suffisante pour impressionner les Japonais.
Ensuite, ils estimaient qu’un à deux chocs très brutaux
étaient nécessaires pour permettre aux Japonais de se
rendre sans perdre la face. Enfin, ils craignaient également
que l’Armée rouge ne conquière une part du territoire
La fin de la Seconde Guerre mondiale 11
japonais dont il serait difficile de la déloger par la suite,
comme c’était le cas en Europe.
Le 6 août 1945, le bombardier Enola Gay largue une bombe
baptisée Little Boy au-dessus d’Hiroshima, faisant instanta-
nément 66 000 morts et plusieurs dizaines de milliers dans
les jours suivants. La puissance de l’explosion représente
l’équivalent de 14 000 tonnes de TNT. Les militaires japo-
nais imposent la censure sur les informations du bombar-
dement d’Hiroshima. Le 9 août, une seconde bombe, Fat
Man, explose au-dessus de Nagasaki, faisant 40 000 morts.
L’empereur Hiro Hito se rend sur les ruines de Nagasaki
et, le 14 août, proclame la reddition du Japon.
Les tentatives d’organisation de la paix
Plusieurs conférences vont avoir lieu pour organiser la paix
entre les grands acteurs de la victoire.
Les « Trois Grands » (Roosevelt, Staline et Churchill) se
rencontrent une première fois à Téhéran du 28 novembre
au 1er décembre 1943, pour planifier militairement la fin de
la guerre. Sur le plan politique, ils évoquent la possibilité
du démembrement de l’Allemagne et la création d’une
nouvelle structure appelée à remplacer la SDN. Staline
s’assure du maintien des États baltes en URSS et de la
modification des frontières polonaises à son profit.
En octobre 1944, Churchill rencontre Staline à Moscou.
Son objectif est de conserver, après la fin du conflit, le
contrôle de la Méditerranée orientale et surtout du canal
de Suez. Il propose donc à Staline un partage en zones
d’influence de la région. Il ne met pas au courant les
Américains qu’il sait réticents au concept de zone d’in-
fluence, en contradiction avec les idéaux wilsoniens du
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
12 Les relations internationales de 1945 à nos jours
Le partage proposé par Churchill est le suivant :
URSS AUtReS
RoUmAnie 90 % 10 %
GRèce 10 % 90 %
BUlGARie 75 % 25 %
YoUGoSlAvie 50 % 50 %
HonGRie 50 % 50 %
Staline refuse, pour ne pas braquer les Américains. Il croit
encore à la possibilité de coopérer avec les Occidentaux
après la guerre, et estime avoir besoin de leur aide écono-
mique pour reconstruire l’URSS.
Les conférences de Yalta et de Potsdam
La conférence de Yalta se tient dans cette station balnéaire
de Crimée du 4 au 11 février 1945. Elle a symbolisé surtout
en France – à tort – la division du monde en deux blocs,
même si le monde n’a pas été divisé à Yalta, contrairement
à la légende. Mais il est vrai que le sort des Nations euro-
péennes y a été traité sans qu’elles soient représentées.
Les Alliés estiment nécessaire de se rencontrer directe-
ment pour régler les problèmes en suspens. Staline, méfiant
à l’excès, ne veut pas quitter le territoire soviétique ; il
contraint Roosevelt, affaibli par la maladie, à faire un long
et pénible déplacement. Il s’agit de régler le sort des Balkans,
zone troublée et difficile à contrôler, de la Pologne (avec ces
deux gouvernements) et de la future organisation mondiale.
La conférence sera considérée comme un succès car les
Alliés parviennent à trouver un accord sur tous les sujets.
Un premier gouvernement polonais s’était exilé à Londres
après 1939 et avait rompu ses relations diplomatiques avec
La fin de la Seconde Guerre mondiale 13
Moscou après la révélation du massacre de Katyn. L’URSS
avait créé aussitôt un second gouvernement polonais à
Lublin pour contrôler le territoire. Ce second gouverne-
ment n’est pas reconnu par les Occidentaux. À Yalta, il est
décidé d’élargir le gouvernement prosoviétique de Lublin à
des représentants du gouvernement de Londres. Il est prévu
d’organiser des élections sur la base du suffrage universel
et du scrutin secret. Les Occidentaux pensent que cela
constitue une garantie suffisante pour l’avenir. Mais ces
élections ne seront jamais organisées par l’occupant, et la
question des frontières polonaises reste en suspens.
Pour remplacer la SDN, les bases de la future ONU sont
définies et la France se voit attribuer un siège de membre
permanent au Conseil de sécurité. Elle est également
invitée à participer avec les « Trois Grands » à l’occu-
pation de l’Allemagne. Ce sont les Britanniques qui ont
insisté pour cette réhabilitation de la France. Ils pressen-
taient la nécessité d’une puissance continentale qui puisse
faire contrepoids à l’URSS. « La stabilité en Europe était
inaccessible sans une France forte et influente », disait
Churchill.
Faute de temps, les Balkans sont laissés de côté, les
Américains n’ont jamais montré d’intérêt stratégique pour
cette zone.
Une « charte sur l’Europe libérée » est adoptée. Elle
promet l’aide des trois puissances signataires des accords
de Yalta pour assurer la paix intérieure des pays, installer des
gouvernements provisoires et démocratiques, et préparer
des élections libres. Elle vaut pour les pays balkaniques
comme pour les pays libérés du nazisme.
Enfin, le sort de l’Allemagne est évoqué mais non réglé,
Roosevelt a pour projet de la désindustrialiser. Il se rend
14 Les relations internationales de 1945 à nos jours
compte du caractère irréaliste, voire dangereux de ce projet.
Staline veut réduire de 80 % le potentiel industriel alle-
mand et réclame 20 milliards de dollars de dommages de
guerre, dont la moitié pour l’URSS ; il suggère de démem-
brer l’Allemagne en cinq entités.
Au vu des précédents malheureux de la Première Guerre
mondiale, Churchill ne veut pas conduire les Allemands
à la famine et fait reporter le problème des dommages de
guerre à une prochaine conférence.
Churchill et Roosevelt repartent de Yalta convaincus de la
sincérité de Staline. Churchill déclarera aux Communes
le 27 février 1945 : « Je rapporte de Crimée l’impression
que le maréchal Staline désire vivre dans une amitié et
une égalité honorables avec les démocraties occidentales.
Je crois aussi qu’il n’a qu’une parole. » Il va vite déchanter,
comme tous les Occidentaux : plus que le partage du
monde, Yalta représente l’illusion de sa cogestion par les
grandes puissances.
La conférence de Potsdam a lieu du 17 juillet au 2 août
1945, elle constitue le prolongement de la conférence de
Yalta mais deux des trois acteurs ne sont pas les mêmes :
Roosevelt, qui meurt le 11 avril 1945, se fait remplacer
par le vice-président Harry Truman, et Churchill, présent
à l’ouverture de la conférence, est remplacé par Clement
Attlee, leader travailliste élu Premier ministre le 25 juillet.
Truman écrira dans ses Mémoires qu’il n’était pas préparé
à affronter la tâche. Des décisions capitales sur l’Allemagne,
l’URSS, le Japon et l’arme nucléaire doivent être prises.
Staline, disposant à la fois d’une légitimité historique et
d’une vision à long terme, profite de cet avantage pour
obtenir le rattachement à l’URSS de Königsberg – qui
deviendra Kaliningrad –, le châtiment des criminels de
La fin de la Seconde Guerre mondiale 15
guerre et la démilitarisation de l’Allemagne. Il a, par contre,
dès le 8 mai 1945, abandonné le projet de démembre-
ment de l’Allemagne. Peut-être espère-t-il la récupérer en
entier ? Roosevelt lui avait indiqué à Yalta que les troupes
américaines ne resteraient pas plus de deux ans en Europe.
La Pologne passe de 380 000 km2 à 310 000 km2 et voit ses
frontières glisser vers l’ouest. L’URSS récupère une partie
de son territoire et en compensation Varsovie obtient une
partie du territoire allemand (Silésie).
L’Allemagne sera donc traitée comme une entité unique,
placée sous la souveraineté provisoire des Trois Grands
auxquels la France est associée. Un conseil de contrôle
composé des quatre commandants en chef est établi ; et
2 millions d’Allemands sont expulsés de Silésie.
La création de l’ONU
Il s’agit de remplacer la SDN et de prolonger l’alliance
des vainqueurs de la guerre. Les fondations de l’ONU
avaient été bâties le 11 janvier 1942 par la déclaration
des Nations unies, signée par les États-Unis, l’URSS et la
Grande-Bretagne. Le sujet fut de nouveau abordé avec des
représentants chinois en octobre 1943 à Moscou. Deux
autres étapes préparatoires eurent lieu à Dumbarton Oaks
(septembre-octobre 1944) et à Yalta, où fut décidée la
convocation d’une conférence des Nations unies à San
Francisco.
Roosevelt voulait faire reposer l’organisation de la paix
sur le club des « quatre gendarmes » (États-Unis, URSS,
Grande-Bretagne et Chine) mais, à Yalta, Churchill avait
obtenu que la France soit la cinquième puissance invitée.
La conférence de San Francisco, qui aboutit à la création
de l’Organisation des Nations unies, a lieu du 25 avril au
16 Les relations internationales de 1945 à nos jours
25 juin 1945 et réunit 51 États. Les pays vaincus ne sont
pas invités à participer à la nouvelle organisation. Mais
toute nation démocratique et pacifique peut adhérer à la
charte des Nations unies.
ONU : but, composition et textes
Le siège de l’Organisation est fixé à New York, l’objectif est de maintenir les directoires
du temps de la guerre. Au sein du Conseil de sécurité chargé du maintien de la paix, les
membres permanents ont un pouvoir de veto ; les six autres membres, nombre qui sera
élargi à dix, sont élus pour deux ans. Le système suppose la bonne entente des membres
permanents.
Le Conseil de sécurité peut prendre des résolutions qui imposent des obligations aux
États, à condition que la décision soit adoptée à la majorité des deux tiers et qu’aucun
membre permanent n’y oppose son veto. La démocratie et le respect de l’égalité souve-
raine des États s’exerceront au sein de l’assemblée générale où tous les États ont une
voix.
Un secrétaire général – agent d’exécution du Conseil de sécurité – est institué. Il est élu
par l’assemblée générale sur proposition du Conseil de sécurité. Un Comité d’état-major
est prévu, composé des représentants des Cinq Grands mais qui ne verra jamais le jour,
faute d’accord entre ces derniers.
La charte contient 111 articles. Elle interdit le recours à la force dans les relations inter-
nationales et entend promouvoir le respect de l’égalité souveraine des États, les droits de
l’homme, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le progrès économique et social.
La mise en pLace d’un système bipoLaire
Dès 1945 l’effondrement européen est manifeste, tandis
qu’on constate la montée en puissance de l’URSS et le
triomphe américain. C’est désormais entre ces deux puis-
sances que va se jouer le sort du monde.
L’héritage politique de la Seconde Guerre mondiale
Non seulement l’Europe n’est plus le centre du monde,
mais elle est de surcroît amputée d’une partie d’elle-même.
La fin de la Seconde Guerre mondiale 17
Enjeu stratégique que se disputent les États-Unis et l’URSS,
son sort dépend des puissances qui occupent son territoire.
En 1946, l’Allemagne est exsangue : son PIB représente
le tiers de ce qu’il était en 1938 ; son territoire est amputé
à l’est au profit de la Pologne ; ses villes sont des champs
de ruines, elle a perdu tous ses ponts et la moitié de son
parc ferroviaire est dévastée. Le problème même de son
existence future se pose. Occupée, elle n’a plus de gouver-
nement. On a parlé de la démembrer et de démanteler
son industrie. Elle a perdu 6 millions d’hommes et n’a
plus d’armée.
L’Italie est moins atteinte que l’Allemagne, mais tout aussi
déconsidérée politiquement. On lui fait moins payer le
prix de la défaite parce qu’elle s’est ralliée aux vainqueurs
avant la fin de la guerre. En 1945, son PIB est retombé
à son niveau de 1911 et a diminué de 40 % par rapport
à 1938 en valeur réelle. Les salaires italiens représentent
27 % de ce qu’ils étaient en 1913. Sans l’aide américaine,
de nombreux Italiens seraient morts de faim.
La France fait partie des vainqueurs. Mais son économie
est chancelante (le PIB est inférieur de moitié à celui de
1938, année pourtant peu brillante) et sa situation politique
– comme celle de l’Italie – très trouble.
Quant au Royaume-Uni, seul pays à avoir lutté contre
Hitler du début à la fin de la guerre, il est tout de même
très affaibli. Son empire colonial est vacillant et la livre
sterling n’est plus la monnaie de référence. Il n’a plus de
réserves d’or ou de dollars.
En fait, sur le Vieux Continent, vainqueurs et vaincus sont
réunis dans le même marasme économique. L’Europe
n’est plus le pôle autour duquel s’organisent les relations
internationales et le commerce mondial. Elle connaît des
18 Les relations internationales de 1945 à nos jours
problèmes de production, d’acheminement des marchan-
dises et de main-d’œuvre (pertes dues à la guerre et trans-
ferts de population). Elle manque de moyens de paiement
pour importer, ses monnaies sont dévaluées. Chômage et
sous-alimentation la guettent.
Le triomphe américain
Les États-Unis s’affirment comme une superpuissance tant
dans le domaine économique que militaire.
La guerre a épargné le territoire américain et sa population
civile. Les pertes américaines ont été relativement limitées
(300 000 hommes soit quatre-vingt fois moins que les
Soviétiques). Non seulement le potentiel industriel n’a
pas été détruit, mais il a été stimulé par l’effort de guerre.
Les États-Unis sont les seuls à être plus riches à la fin
de la guerre qu’au début. Le revenu national a doublé.
Ils détiennent les deux tiers des réserves mondiales d’or
et le dollar a supplanté la livre sterling comme monnaie
internationale.
Leur flotte marchande représente les deux tiers de la flotte
mondiale, ils produisent les deux tiers du pétrole et la
moitié du charbon de la planète. Leur PIB représente 40 %
du PIB mondial. Leur avance technologique est considé-
rable et, surtout, ils ont le monopole de l’arme atomique.
Leurs soldats ont été accueillis comme des libérateurs en
Europe. Présents militairement en Europe et en Asie, ils
vont utiliser leurs forces pour prendre la tête du monde
libre et en finir avec l’isolationnisme.
Depuis l’indépendance, les dirigeants américains, George
Washington en tête, avaient évité au maximum de déve-
lopper des liens politiques avec les pays européens pour ne
La fin de la Seconde Guerre mondiale 19
pas être entraînés dans leurs querelles et leurs guerres. Des
relations commerciales leur suffisaient. La doctrine Monroe
(1823), avant d’être interprétée comme une volonté de
domination sur l’Amérique du Sud, était avant tout une
volonté de couper le cordon ombilical avec l’Europe.
Après la Première Guerre mondiale, ils ont refusé de parti-
ciper à la SDN pour ne pas être impliqués dans les affaires
politiques européennes. Mais en 1941, ils sont plongés
malgré eux dans la Seconde Guerre mondiale avec l’at-
taque surprise de Pearl Harbor. La guerre gagnée, il s’agit
de ne pas perdre la paix face à l’URSS dont l’ultra présence
en Europe devient une menace stratégique et politique. Les
États-Unis prennent donc le leadership des démocraties
occidentales. Les États européens ne le contestent pas, ils
le réclament.
La montée en puissance de l’URSS
De tous les pays vainqueurs, c’est l’Union soviétique qui
a payé le plus lourd tribut à la défaite d’Hitler : des pertes
humaines estimées entre 20 et 25 millions d’hommes,
autant de sans-abri, une grande partie du territoire dévastée,
des pertes économiques énormes. L’URSS a supporté à
elle seule la moitié des destructions dues à la Seconde
Guerre mondiale.
Mais la « grande guerre patriotique » (nom donné à la
guerre par Staline qui a davantage fait jouer la fibre patrio-
tique que l’idéologie communiste) a consolidé le pouvoir
de Staline tant sur le plan intérieur qu’international.
Moscou n’est plus à la lisière de la puissance internatio-
nale mais au centre, son prestige n’a jamais été aussi fort.
La guerre a permis à l’URSS d’étendre son empire. Non
seulement elle conserve tous les territoires conquis à l’abri
20 Les relations internationales de 1945 à nos jours
du pacte germano-soviétique entre 1939 et 1941 (Carélie
finlandaise, pays Baltes, Russie blanche polonaise, Bessarabie
et Bucovine Roumanie), mais elle récupère la Ruthénie
subcarpatique tchécoslovaque, Königsberg (Kaliningrad),
les territoires perdus contre le Japon en 1905 et l’archipel
des Kouriles. Ayant développé un appareil militaire impres-
sionnant, elle se garde bien de le démobiliser une fois les
combats finis. En tant qu’armée de libération, elle occupe
une grande partie de l’Europe centrale et orientale. Elle
exerce également une poussée au Proche-Orient et en
Asie, où de nombreuses guérillas communistes luttent pour
parvenir au pouvoir.
L’amorce de la décolonisation
Les puissances européennes coloniales sont affaiblies par
la guerre, ce qui va permettre la remise en question des
liens coloniaux. D’abord de la part des peuples colonisés,
qui ont réalisé que la puissance militaire des métropoles
était moins grande qu’ils le pensaient et qui reprennent
à leur propre compte la notion de « droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes ». Ensuite de la part des États-Unis
et de l’URSS, anticolonialistes par conviction politique
et par intérêt : ils ont tout à gagner de la dissolution du
lien colonial.
Les partis communistes se font les champions de l’anti-
colonialisme tant à la tribune de l’ONU qu’auprès des
différentes opinions politiques nationales des pays colo-
niaux. La lutte des peuples du tiers-monde contre les
colonisateurs est assimilée à celle des prolétaires contre
les capitalistes. L’URSS offre un modèle de développe-
ment aux nouveaux pays indépendants. Et les États-Unis,
eux-mêmes créés par la décolonisation, sont philosophi-
quement favorables à la décolonisation.
La fin de la Seconde Guerre mondiale 21
En Asie du Sud-Est, le Japon, qui avait envahi les colonies
françaises et néerlandaises, s’était présenté comme un libé-
rateur, l’invocation de la solidarité des peuples asiatiques
permettant de masquer son propre colonialisme.
La fin de l’Alliance
L’Alliance des vainqueurs ne survivra pas longtemps. La
division du monde va vite se mettre en marche.
Les avancées soviétiques
« Qui occupe un territoire impose également son propre
système social. Chacun impose son propre système aussi
loin que son armée avance, cela ne peut être autrement. »
Ainsi Staline déclarait à Tito en 1945 sa volonté d’étendre
l’influence et le contrôle de Moscou. Au traditionnel
impérialisme russe se greffent le messianisme commu-
niste et le désir de se doter d’un glacis territorial pour
éviter une nouvelle invasion. Tout cela conduit à la mise
sous tutelle de l’Europe centrale et orientale. Partout où
l’Armée rouge est présente (Bulgarie, Hongrie, Roumanie,
Tchécoslovaquie) les communistes prennent une place de
choix dans les gouvernements de coalition. Sous prétexte
de dénazification, l’URSS met en place ses partisans.
En Pologne, les ministres non communistes qui ont été
greffés sur le gouvernement de Lublin sont marginalisés.
En Yougoslavie et en Albanie – libérées par les résistances
nationales (les partisans) –, sans l’aide de l’URSS, les
communistes prennent les leviers du pouvoir. En Grèce,
Moscou aide la guérilla du général procommuniste Markos
en lutte contre le régime d’Athènes soutenu par Londres.
En France et en Italie, Moscou compte sur la puissance
des partis communistes nationaux auréolés du prestige de
la résistance.
22 Les relations internationales de 1945 à nos jours
Staline ne se limite pas à la seule Europe. En Iran, il tente
de créer une république autonome, l’Azerbaïdjan, pour
contrôler les pétroles du nord de l’Iran et affaiblir un pays
sous influence britannique. L’URSS réclame également le
contrôle des détroits turcs des Dardanelles, séparant la mer
Noire et la Méditerranée.
En Asie, Staline n’a pas eu beaucoup d’influence sur Mao
qui n’a pas suivi le modèle soviétique ni le conseil de
Staline de se réconcilier avec Tchang Kaï-chek.
Partout où elle peut, Moscou avance ses pions. Le but du
communisme n’est-il pas d’être établi sur l’ensemble de la
planète ? En Indochine, en Malaisie, en Birmanie et aux
Philippines, les guérillas communistes gagnent du terrain.
Le rideau de fer
Dans un télégramme envoyé à Roosevelt en mai 1945,
Churchill dénonce « le rideau de fer » qui s’est abattu selon
lui sur l’Europe orientale. Il emploie publiquement l’ex-
pression dans un discours prononcé à Fulton (Missouri),
là où Truman a été étudiant, le 9 mars 1946. N’étant plus
au pouvoir, il est plus libre dans son expression :
« De Stettin, sur les bords de la Baltique, à Trieste sur
l’Adriatique, un rideau de fer est descendu à travers le
continent européen. Derrière cette ligne, toutes les capi-
tales des anciens États d’Europe centrale et orientale :
Varsovie, Berlin, Prague,Vienne, Budapest et Sofia, toutes
ces cités célèbres et leurs habitants tout autour sont désor-
mais inclus dans la sphère d’influence soviétique, et tous
sont de plus en plus soumis, sous une forme ou sous une
autre, non seulement à l’influence soviétique, mais au
contrôle de Moscou. »
La fin de la Seconde Guerre mondiale 23
Sur le terrain, l’URSS va s’employer à lui donner raison.
Dans les pays où l’Armée rouge est présente par droit de
conquête (Bulgarie, Hongrie, Roumanie et une partie
de l’Allemagne et de l’Autriche) ou dans les pays alliés
(Tchécoslovaquie, Pologne), les systèmes politiques sont à
rebâtir, et l’URSS contrôle l’appareil d’État et les moyens
d’information. Les opposants sont petit à petit réduits au
silence. Le leader hongrois Rákosi compare la politique
soviétique à la « politique du salami » : on n’avale pas d’un
coup l’adversaire, on le découpe tranche par tranche pour
faciliter la digestion.
Churchill conclut à la nécessité d’une « association frater-
nelle des peuples anglo-saxons » afin de donner un coup
d’arrêt à l’expansion soviétique. Les Russes ne souhaitent
pas la guerre mais « les fruits de la guerre, et l’expan-
sion sans limite de leur pouvoir et de leur doctrine ». Là
aussi, Churchill n’a pas tort. Avec l’Occident, Staline ne
veut pas la confrontation à tout prix. Il sait, au contraire,
qu’il en a besoin pour faire redécoller l’économie sovié-
tique. Il retire donc ses troupes d’Iran, de Yougoslavie et
de Tchécoslovaquie, et renonce aux détroits turcs. Mais
cette démobilisation est lente, et toute relative, parce que
l’URSS aligne vingt-cinq divisions à l’ouest de Brest-
Litovsk alors que les Américains n’en ont plus que deux
dans toute l’Europe. Des diplomates américains estiment
que la démobilisation s’est faite trop rapidement et à trop
grande échelle, ce qui prive les États-Unis de tout moyen
de pression sur l’Union soviétique.
Churchill a-t-il lancé la guerre froide à Fulton (comme
l’accusent les Soviétiques) ? Toujours est-il que l’expression
« rideau de fer » entre dans le langage commun et sert à
nommer la nouvelle frontière qui divise l’Europe. Le rideau
de fer devient rapidement infranchissable.
24 Les relations internationales de 1945 à nos jours
Le blocage de l’ONU
L’ONU se révèle incapable d’assurer la paix et la sécu-
rité internationales du fait de la division des membres
permanents.
Le 19 janvier 1946, Londres et Washington soutiennent la
plainte de l’Iran protestant contre la présence de troupes
soviétiques en Azerbaïdjan. Moscou réplique deux jours
plus tard en dénonçant au Conseil la présence de troupes
britanniques en Grèce. En février, l’URSS utilise pour
la première fois son veto contre une résolution – jugée
insuffisamment critique – entérinant le retrait des troupes
françaises et britanniques de Syrie et du Liban.
Le veto à prendre pour des occasions exceptionnelles
devient d’usage courant, le système mis en place à San
Francisco est donc bloqué.
Le 14 janvier, l’ONU crée la Commission à l’énergie
atomique où les États-Unis présentent le plan Baruch
Lilienthal, qui propose l’internationalisation complète
du cycle de l’atome et le désarmement nucléaire. Les
Soviétiques repoussent le projet.
Les premiers désaccords sur l’Allemagne
En juin 1945, l’Allemagne a perdu un quart des territoires
qu’elle détenait à l’issue de la Première Guerre mondiale.
Les unités françaises, britanniques et américaines sont
entrées dans Berlin conquise par la seule Armée rouge. Il
n’y a plus d’autorité centrale en Allemagne. Les comman-
dants en chef des armées d’occupation assument donc les
pouvoirs complets.
L’Allemagne est divisée en quatre zones d’occupation et
chaque puissance exerce le pouvoir dans sa zone. Berlin,
La fin de la Seconde Guerre mondiale 25
enclave dans la zone d’occupation soviétique, est égale-
ment divisé en quatre secteurs. Un conseil de contrôle
commun est compétent pour l’ensemble du pays. Les Alliés
ont pour objectif d’établir une démocratie et d’éviter tout
risque de résurgence du nazisme. Si l’objectif est commun,
les voies pour y parvenir divergent entre Soviétiques et
Occidentaux. Les divisions empêchent la tutelle commune
de fonctionner. Chaque zone est gérée de plus en plus de
façon autonome.
La division de l’Allemagne, comme celle de l’Europe et
du monde, est en marche. L’incompréhension réciproque
(Staline pense que l’Occident veut sa perte, les Anglo-
Saxons croient qu’il veut dominer le monde) va déboucher
sur la guerre froide.