Séance 2 : Le savant fou et sa créature.
L7 Je suis capable d’établir des relations entre les textes littéraires, les images illustratives NA ECA1 ECA2 A
et les adaptations cinématographiques.
L12 Je suis capable de percevoir un effet esthétique et d’en analyser les causes. NA ECA1 ECA2 A
G8 Je suis capable d’identifier des constituants de la phrase complexe (par analogie avec les NA ECA1 ECA2 A
constituants de la phrase simple).
G10 Je suis capable d’analyser le rôle syntaxique des signes de ponctuation. NA ECA1 ECA2 A
C13 Je suis capable de m’interroger sur l’idée du progrès scientifique, cher au XIXe siècle, NA ECA1 ECA2 A
tantôt exalté et mythifié, tantôt objet de répulsion ou de désillusion.
C14 Je suis capable de poser la question des rapports entre les sciences et la littérature, NA ECA1 ECA2 A
notamment à travers des œuvres mettant en scène la figure du savant, créateur du
bonheur de demain ou figure malfaisante et diabolique.
Extrait 1 : M. Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne (1831), Chapitre 4.
Victor Frankenstein effectue des recherches multiples pour découvrir la source de la
vie.
Pour rechercher les causes de la vie, il est indispensable d’avoir d’abord recours à la
mort. J’appris donc l’anatomie ; mais cela ne suffisait point ; il me fallait en outre observer la
désagrégation et la corruption naturelle du corps humain. Au cours de mon éducation, mon
père avait pris le plus grand soin pour que nulle horreur surnaturelle n’impressionnât mon
esprit. Je ne me rappelle pas avoir tremblé en entendant un conte superstitieux, ni avoir eu
peur de l’apparition d’un fantôme. Les ténèbres n’avaient point d’effet sur mon imagination, et
un cimetière n’était, à mes yeux, que le réceptacle de corps privés de vie qui, après avoir été
le temple de la beauté et de la force, étaient devenus la nourriture des vers. Voici que j’étais
amené à examiner la cause et les étapes de cette corruption, et contraint de passer des
jours et des nuits dans les caveaux et les charniers. Mon attention se fixait sur chacun des
objets les plus insupportables pour la délicatesse des sentiments humains. Je voyais la forme
magnifique de l’homme s’enlaidir et disparaître ; j’observais la corruption de la mort succéder
à la fraîcheur des joues vivantes ; je voyais le ver prendre pour héritage les merveilles de
l’œil et du cerveau. Je m’arrêtais, examinant et analysant tous les détails du passage de la
cause à l’effet, tels que les révèle le changement entre la vie et la mort, entre la mort et la
vie, jusqu’au moment où, du milieu de ces ténèbres, surgit soudain devant moi la lumière… une
lumière si éclatante et si merveilleuse, et pourtant si simple, qu’ébloui par l’immensité de
l’horizon qu’elle illuminait, je m’étonnai que, parmi tant d’hommes de génie, dont les efforts
avaient été consacrés à la même science, il m’eût été réservé à moi seul de découvrir un
secret aussi émouvant.
Souvenez-vous que je ne vous décris point une vision de fou. [...] Après des jours et des
nuits de labeur et de fatigue incroyables, je réussis à découvrir la cause de la génération et
de la vie ; bien plus, je devins capable, moi-même, d’animer la matière inerte. […] Ce que les
plus grands savants, depuis la création du monde, avaient cherché et désiré, se trouvait
désormais entre mes mains.
Lorsque je vis entre mes mains une puissance aussi étonnante, j’hésitais longtemps sur la
manière dont je devrais l’employer. Bien que possédant le pouvoir d’animer la matière,
préparer un corps pour recevoir la vie, réaliser l’entrelacement délicat de ses fibres, de ses
muscles et de ses veines, restait toujours une œuvre d’une difficulté et d’une longueur
inconcevables. Je ne savais d’abord si j’essaierais de créer un être semblable à moi ou un
organisme plus simple ; mais mon imagination était par trop exaltée par mon premier succès
pour me laisser mettre en doute la possibilité pour moi de donner la vie à un animal aussi
complexe et aussi merveilleux que l’homme. […] Comme la petitesse de ses diverses parties
constituait un grave obstacle à la rapidité de mon travail, je résolus, contrairement à mon
intention première, de lui donner une stature gigantesque, c’est-à-dire d’environ huit pieds de
hauteur, et d’une largeur proportionnée. Après avoir pris cette décision, et passé plusieurs
mois à rassembler et disposer convenablement mes matériaux, je commençai mon œuvre.
Nul ne peut concevoir les sentiments variés qui me poussaient en avant, tel un ouragan,
dans le premier enthousiasme du succès. La vie et la mort m’apparaissaient comme des limites
idéales que je devrais d’abord franchir pour déverser sur notre monde ténébreux un torrent
de lumière. Une espèce nouvelle bénirait en moi son créateur et sa source […]. Poursuivant ces
réflexions, je me disais que s’il m’était donné d’animer la matière inerte, je pourrais avec le
temps (bien que cela me semblât encore impossible), renouveler la vie lorsque la mort avait
apparemment livré le corps à la corruption.
Ces pensées soutenaient mon courage, tandis que je poursuivais mon entreprise avec une
ardeur sans défaillance. L’étude avait pâli ma joue, l’absence d’exercice avait amaigri mon
corps. […] Et la lune contemplait mes labeurs nocturnes, tandis que, dans la constance et
l’essoufflement de l’impatience, je poursuivais la nature jusque dans ses cachettes. Qui
concevra les horreurs de mon travail secret, tandis que je tâtonnais, profanant l’humidité des
tombes, ou torturais l’animal vivant pour animer l’argile inerte ? Ce souvenir fait aujourd’hui
trembler mes membres et trouble mon regard ; mais alors une impulsion irrésistible et
presque frénétique me poussait en avant ; toute mon âme, toutes mes sensations ne
semblaient plus exister que pour cette seule recherche. Celle-ci n’était plus, à vrai dire,
qu’une extase isolée, qui ne faisait que renouveler l’intensité de mes sentiments dès qu’en
l’absence de ce stimulant étrange je reprenais mes anciennes habitudes. Je ramassais des
ossements dans les charniers, et mes doigts profanes troublaient les mystères de l’édifice
humain. C’était dans une pièce, ou plutôt dans une cellule solitaire, en haut de la maison, et
séparée de tous les autres appartements par une galerie et un escalier, que j’avais établi mon
atelier d’immonde création; mes yeux sortaient de leurs orbites devant les détails de mon
œuvre. La salle de dissection et l’abattoir me fournissaient une grande partie de mes
matériaux ; et mainte fois mon humanité se détourna avec écœurement de mon œuvre, au
moment même où sous l’aiguillon d’une curiosité sans cesse croissante, j’étais sur le point
d’aboutir.
1. Pourquoi peut-on dire que ce texte est un récit de science-fiction et pas un récit
fantastique ?
2. En t’appuyant précisément sur le texte (champs lexicaux, points de vue, narration,
structure des différentes étapes du récit), explique en quoi Frankenstein est un
savant. (Tu peux répondre à l’aide d’une carte heuristique).
3. Que penses-tu de la phrase : « Souvenez-vous que je ne vous décris point une vision de
fou » ? Justifie ta réponse à l’aide du plus grand nombre de précisions possibles.
Extrait 2 : M. Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne (1831), Chapitre 5.
Ce fut par une lugubre nuit de novembre que je contemplai mon œuvre terminée. Dans une
anxiété proche de l’agonie, je rassemblai autour de moi les instruments qui devaient me
permettre de faire passer l’étincelle de la vie dans la créature inerte étendue à mes pieds. Il
était déjà une heure du matin ; une pluie funèbre martelait les vitres et ma bougie était
presque consumée, lorsque à la lueur de cette lumière à demi éteinte, je vis s’ouvrir l’œil
jaune et terne de cet être ; sa respiration pénible commença, et un mouvement convulsif
agita ses membres.
Comment décrire mes émotions en présence de cette catastrophe, ou dessiner le malheureux
qu’avec un labeur et des soins si infinis je m’étais forcé de former ? Ses membres étaient
proportionnés entre eux, et j’avais choisi ses traits pour leur beauté. Pour leur beauté ! Grand
Dieu ! Sa peau jaune couvrait à peine le tissu des muscles et des artères ; ses cheveux
étaient d’un noir brillant, et abondants ; ses dents d’une blancheur de nacre ; mais ces
merveilles ne produisaient qu’un contraste plus horrible avec les yeux transparents, qui
semblaient presque de la même couleur que les orbites d’un blanc terne qui les encadraient,
que son teint parcheminé et ses lèvres droites et noires.
Les accidents variés de la vie ne sont pas aussi sujets au changement que les sentiments
humains. Depuis près de deux ans, j’avais travaillé sans relâche dans le seul but de
communiquer la vie à un corps inanimé. Je m’étais privé de repos et d’hygiène. Mon désir avait
été d’une ardeur immodérée, et maintenant qu’il se trouvait réalisé, la beauté du rêve
s’évanouissait, une horreur et un dégoût sans bornes m’emplissaient l’âme. Incapable de
supporter la vue de l’être que j’avais créé, je me précipitai hors de la pièce, et restai
longtemps dans le même état d’esprit dans ma chambre, sans pouvoir goûter de sommeil […].
C’est alors qu’à la lumière incertaine et jaunâtre de la lune traversant les persiennes de ma
fenêtre, j’aperçus le malheureux, le misérable monstre que j’avais créé. Il soulevait le rideau
du lit ; et ses yeux, s’il est permis de les appeler ainsi, étaient fixés sur moi. Ses mâchoires
s’ouvraient, et il marmottait des sons inarticulés, en même temps qu’une grimace ridait ses
joues. Peut-être parla-t-il, mais je n’entendis rien ; l’une de ses mains était tendue,
apparemment pour me retenir, mais je m’échappai et me précipitai en bas. Je me réfugiai
dans la cour de la maison que j’habitais, et j’y restai tout le reste de la nuit, faisant les cent
pas dans l’agitation la plus grande, écoutant attentivement, guettant et craignant chaque son,
comme s’il devait m’annoncer l’approche du cadavre démoniaque à qui j’avais donné la vie de
façon si misérable.
4. Fais toutes les remarques sur les phrases suivantes et les liens qu’elles entretiennent
entre elles : phrases simples et/ou complexes (quels types de propositions),
ponctuation, sens… « Ses membres étaient proportionnés entre eux, et j’avais choisi
ses traits pour leur beauté. Pour leur beauté ! Grand Dieu ! »
5. En t’appuyant sur les champs lexicaux, les figures de style, les temps des verbes,
détaille les sentiments qu’éprouve Victor Frankenstein envers la créature.
6. Que pense V. Frankenstein de son entreprise ? Et toi, qu’en penses-tu ?
7. En effectuant quelques recherches, explique alors le titre complet de l’œuvre de Mary
Shelley : Frankenstein ou le Prométhée moderne.
Robert de Niro in Frankenstein, de Kenneth Branagh, Greffe de peau, Hôpital St Louis, Paris ; Professeur
2014. Mimoun. 2017.
8. Sujet de réflexion :
En t’appuyant sur les textes, sur les photographies et sur tes connaissances
personnelles, tu répondras au questionnement suivant en une quinzaine de lignes (les
arguments doivent être logiquement répartis et développés) :
Dans cette œuvre littéraire du XIX° siècle de Mary Shelley, quelle est la part de science et
quelle est la part de fiction ? Et pourquoi penses-tu que la science-fiction puisse intéresser le
lecteur ?