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Comment La Non-Violence Protège L'état - Peter Gelderloos-Pages-11

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violentes.

Les petit-bourgeois blancs qui donnent des leçons sur la résistance à des enfants réfugiés
dans le camp de Jénine ou aux survivant-e-s des massacres en Colombie frappent par leur
ressemblance avec, disons, les économistes de la Banque Mondiale qui dictent les « bonnes »
pratiques agricoles à des fermiers indiens qui ont hérité de traditions agricoles vieilles de plusieurs
siècles. Et la bienveillance des privilégié-e-s envers les systèmes globaux de violence devrait
soulever de sérieuses questions quant à la sincérité de ces mêmes privilégié-e-s, en l’occurrence des
Blanc-he-s qui embrassent la non-violence. Pour citer à nouveau Darren Parker, « L’apparence, à
tout le moins, d’un esprit non-violent est beaucoup plus facile à atteindre lorsqu’on n’est pas soi-
même la victime directe de l’injustice ; elle pourrait en fait manifester simplement une distance
psychologique. Après tout, il est bien plus facile d’ « aimer ton ennemi » lorsqu’il n’est pas
vraiment ton ennemi »79.
Oui, des gens de couleurs, des pauvres et des habitant-e-s des pays du Sud ont promu la non-
violence (même si habituellement de tels pacifistes proviennent des couches les plus privilégiées de
leurs communautés) ; cependant, ce n’est qu’avec un sens hautement développé de leur propre
supériorité que les activistes blanc-he-s peuvent juger et condamner des personnes opprimées qui ne
le font pas. Il est tout à fait vrai qu’indépendamment de notre situation plus ou moins privilégiée, on
devrait pouvoir se fier à sa propre analyse, mais lorsque celle-ci repose sur une douteuse posture de
haute moralité et sur une interprétation opportunément sélective de ce qui est violent, on peut parier
avoir oublié de s’appliquer à soi-même son sens critique. Lorsqu’on comprend que les privilégié-e-s
tirent leurs avantages matériels de l’exploitation des opprimé-e-s, et que cela signifie qu’on
bénéficie de la violence utilisée pour les tenir sous le joug, on ne peut pas sincèrement les
condamner parce qu’ils se rebellent violemment contre la violence structurelle qui nous privilégie.
(Ceux et celles qui ont un jour condamné la résistance violente de gens qui ont grandi dans des
conditions plus oppressives qu’eux-mêmes devraient réfléchir à cela la prochaine fois qu’ils
mangeront une banane ou boiront une tasse de café.)
J’espère que chacun est conscient de ce que le gouvernement utilise des formes de répression plus
violentes contre les personnes de couleur en résistance que contre les personnes blanches. Lorsque
les chefs Oglala et l’American Indian Movement se soulevèrent dans la réserve de Pine Ridge dans
les années 1970 pour affirmer un peu d’indépendance et s’organiser contre la brutalité endémique
du « gouvernement tribal » imposé, le Pentagone, le FBI, les marshals fédéraux et le Bureau des
Affaires Indiennes mirent en place un véritable programme contre-insurrectionnel, qui se manifesta
par une violence quotidienne et des douzaines de morts. Selon Ward Churchill et Jim Vander Wall,
« Le principe de l’autodéfense à main armée était devenu, pour les dissidents, une nécessité de
survie »80.
Les seuls promoteurs de la non-violence que j’ai jamais entendus rejeter jusqu’à la légitimité de
l’autodéfense étaient blanc-he-s, et bien qu’ils aient sans doute leurs martyrs, eux et leurs familles
n’ont pas été confronté-e-s personnellement à la mise en péril de leur survie du fait de leur
activisme81. J’ai beaucoup de mal à croire que leur aversion envers la violence ait autant à voir avec
des principes qu’avec une situation privilégiée et une certaine ignorance. Au-delà de la simple
autodéfense, le fait que des individus aient dû affronter l’éventualité d’avoir à contre-attaquer pour
survivre ou pour améliorer leurs vies dépend largement de la couleur de leur peau et de leur place
au sein de diverses hiérarchies oppressives au niveau national autant qu'international. Ce sont ces

79 Darren Parker, e-mail, 10 juillet 2004.


80 Churchill et Vander Wall, Agents of Repression, p.188.
81 L'un des activistes non-violents les plus actifs aux États-Unis a subi de la torture et a été assassiné au cours d'un
travail de solidarité avec l'Amérique Latine. Mais ce n'est pas vraiment la même chose que ce à quoi se confrontent
les activistes de couleur aux États-Unis, puisque ces activistes blanc-he-s ont fait face à la violence dans une
situation qu'ils avaient choisie plutôt que dans une qui leur était imposée à eux, à leurs familles et à leurs
communautés. Après tout, il est beaucoup plus aisé de développer un syndrome du martyr pour une personne que
pour la famille de quelqu'un (ce qui ne veut pas dire que tou-te-s ces activistes avaient ce syndrome du martyr
comme motivation, bien que j'en aie rencontré quelques un-e-s qui prenaient le risque de dire qu'ils avaient subi une
oppression rivalisant avec celle qu'endurent les personnes de couleur).
expériences que la non-violence ignore en traitant la violence comme un problème moral ou comme
quelque chose que l’on choisit.
Au sein du pacifisme, il existe un courant de « relativisme culturel » en vertu duquel les activistes
privilégié-e-s acceptent voire soutiennent une résistance armée dans les pays du Sud, et
éventuellement dans les colonies internes des États d’Europe et d’Amérique du Nord, et ne
défendent la non-violence qu’auprès des gens qui partagent une situation privilégiée similaire à la
leur. Cette position est marquée d’une nouvelle forme de racisme, suggérant que les gens de couleur
vivant dans les États du Sud plus ouvertement oppressifs se chargent de combattre et de mourir,
tandis que les citoyen-ne-s privilégié-e-s des centres de l’empire se contenteraient de formes de
résistance plus appropriées au contexte, comme des rassemblements ou des sit-in de protestation.
À l’opposé, une analyse antiraciste requiert que les Blanc-he-s reconnaissent que la violence contre
laquelle les gens de couleur doivent se défendre trouve son origine dans le « Premier Monde »
blanc. Par conséquent, une résistance appropriée à l’encontre d’un régime qui propage la guerre
contre les peuples colonisés à travers la planète consiste à la (ra)mener dans son propre pays 82 ; ce
qui suppose de faire émerger une culture anti-autoritaire, coopérative et antiraciste parmi les Blanc-
he-s ; d’attaquer les institutions de l’impérialisme ; et d’apporter un soutien aux peuples opprimés
en résistance sans pour autant affaiblir leur souveraineté dans la conduite de leur lutte. Cependant,
les pacifistes non-absolutistes qui acceptent un peu de relativisme culturel sont en règle générale
moins prompt-e-s à soutenir la révolution armée lorsque la bataille se rapproche de chez eux. Voici
le raisonnement : les Palestinien-ne-s, par exemple, peuvent s’engager dans une lutte armée parce
qu’ils vivent sous le joug d’un régime violent, mais il serait « inapproprié » ou « irresponsable » de
la part des habitant-e-s brutalisé-e-s du ghetto urbain voisin de former des unités de guérilla. C’est
la tendance « not in my backyard »83, alimentée par la conscience qu’une révolution là-bas serait
excitante, mais qu’une révolution ici nous priverait, nous activistes privilégié-e-s, de notre confort.
Est également présente la peur latente d’un soulèvement à caractère racial, qui n’est dissipée que
lorsque celui-ci est subordonné à une éthique non-violente. Des Noir-e-s qui font une marche sont
photogéniques. Des Noir-e-s avec des pistolets évoquent les images de crimes violents du journal
télévisé. Des Amérindien-ne-s qui tiennent une conférence de presse, voilà qui est digne de
louanges. Des Amérindien-ne-s prêt-e-s, décidé-e-s et capables de reprendre leur terre, voilà qui est
un peu inquiétant. C’est pourquoi les seul-e-s révolutionnaires de couleur sur le front intérieur avec
lesquels les Blanc-he-s sont familiers et auxquels ils apportent leur soutien sont d’inoffensifs
martyrs – les morts et les prisonniers.
La contradiction qui traverse le pacifisme ostensiblement révolutionnaire réside dans le fait que la
révolution n’est jamais synonyme de sécurité, alors que pour la grande majorité de ses promoteurs
et de ses pratiquant-e-s, le pacifisme a à voir avec le fait de rester en sécurité, de ne pas être blessé-
e, de ne pas être rejeté-e par quiconque, de ne donner à personne une pilule amère à avaler. Faisant
le lien entre le pacifisme et l’auto-préservation des activistes privilégié-e-s, Ward Churchill cite un
organisateur pacifiste qui, pendant la période de la guerre du Vietnam, dénonçait les tactiques du
Black Panther Party et du Weather Underground au motif que ces tactiques étaient « une chose
vraiment dangereuse pour nous tous… elles comportent le risque très réel d’attirer le même genre
de répression violente [comme celle exemplifiée par l’assassinat par la police de Fred Hampton,
dirigeant du Black Panther Party] sur nous tous »84. Ou, pour citer David Gilbert qui purge une
peine de prison à perpétuité réelle pour ses actions en tant que membre du Weather Underground,
mouvement qui en arriva à soutenir la Black Liberation Army, « Les Blancs avaient quelque-chose
à protéger. C’était confortable de se tenir au sommet d’un mouvement moralement prestigieux
82 « Bring the War Home » était d'ailleurs le slogan et le leitmotiv du Weather Underground, à l'époque. (NdCT).
83 En français, « pas dans mon jardin ». L’expression anglaise ou son acronyme NIMBY sont couramment utilisés en
français pour parler de luttes environnementales qui voient des citoyens s’opposer à une installation polluante en
particulier. L’utilisation du terme NIMBY, en général connoté plus ou moins négativement, sous-entend que les
opposants ne s’opposent qu’à ce que cette installation soit construite près de chez eux, et pas à sa construction en
tant que telle ou aux logiques socio-économiques sous-jacentes. (NDT)
84 Churchill, Pacifism as Pathology, p.60-61.
visant le changement tandis que ceux qui subissaient le plus de pertes dans la lutte étaient les
Noirs »85.
Le désir pacifiste de sécurité demeure intact aujourd’hui. En 2003, un activiste non-violent rassurait
un journal de Seattle quant au caractère des manifestations prévues. « Je ne dis pas que nous ne
soutiendrions pas la désobéissance civile », déclarait Woldt. « Elle a été une partie intégrante du
mouvement pacifiste dans lequel des croyants se sont engagés ; par contre, nous n'avons rien à voir
avec des choses comme l’atteinte à la propriété privée ou quoi que ce soit qui génère des
conséquences négatives pour nous »86.
Sur une liste de discussion concernant une campagne environnementale radicale en 2004, un
activiste étudiant en droit, après avoir invité à une discussion ouverte sur les tactiques, appela à ne
plus mentionner de tactiques non-pacifistes et demanda une stricte adhésion à la non-violence,
arguant que les groupes non-pacifistes « finissent annihilés »87. Une autre activiste (et,
accessoirement, une des autres étudiants en droit participant à la liste de discussion) abonda dans ce
sens, ajoutant « Je pense qu’avoir une discussion sur des tactiques violentes sur cette liste revient à
jouer avec le feu, et met tout le monde en danger ». Elle évoquait également son souci que « deux
d’entre nous allons comparaître devant le « tribunal » du comité d’éthique du barreau dans un
futur proche »88.
Bien sûr, les promoteurs de l'adoption de méthodes de luttes non-exclusivement pacifiques doivent
comprendre que la prudence est un besoin impératif lorsque nous discutons de tactiques, en
particulier par e-mail, et que nous nous confrontons au défi de susciter le soutien à des actions qui
sont plus susceptibles de nous valoir harcèlement ou emprisonnement, même si tout ce que nous
faisons se limite à les discuter. Cependant, dans cet exemple, les deux étudiant-e-s en droit ne
disaient pas que le groupe devrait discuter uniquement de tactiques légales ou de tactiques
hypothétiques ; ils disaient que le groupe ne devrait discuter que de tactiques non-violentes. Dans la
mesure où la discussion avait été annoncée comme une occasion pour le groupe d’élaborer un fond
commun idéologique, il était manipulatoire d’utiliser la menace de la répression gouvernementale
comme moyen d’empêcher le groupe de seulement considérer quoi que ce soit d’autre qu’une
philosophie explicitement non-violente.
Parce qu’il est fortement dans l’intérêt des Blanc-he-s d’éviter des soulèvements révolutionnaires
dans leur voisinage, il existe une longue histoire de trahison par des pacifistes blanc-he-s qui ont
condamné ou abandonné les groupes révolutionnaires à la violence d’État. Plutôt que de prendre des
risques afin de protéger les membres des mouvements de libération noir, chicano et amérindien (une
protection que leur situation de privilège aurait conférée de façon adéquate, parce qu’il aurait été
politiquement très coûteux pour le gouvernement d’assassiner des Blanc-he-s aisé-e-s au beau
milieu de toute la contestation générée par les pertes massives au Vietnam), les pacifistes
consciencieux ont fermé les yeux sur la brutalisation, l’emprisonnement et l’assassinat de Black
Panthers, d’activistes de l’American Indian Movement et d’autres. Bien pire, ils ont encouragé la
répression étatique et ont affirmé que les révolutionnaires la méritaient par leur engagement dans la
résistance armée. (Aujourd’hui, ils affirment que la défaite ultime des mouvements de libération,
que les pacifistes ont facilitée, prouve l’inefficacité des tactiques de ces mouvements.) Le pacifiste
respecté qu’est David Dellinger admet que « l’un des facteurs qui amènent des révolutionnaires
sérieux et des habitants découragés des ghettos urbains à conclure que la non-violence ne peut pas
constituer une méthode adaptée à leurs besoins réside précisément dans la tendance des pacifistes
85 David Gilbert, No Surrender: Writings from an Anti-Imperialist Political Prisoner (Montreal : Abraham Guillen
Press, 2004), p.22-23.
86 Alice Woldt, citée dans Chris McGann, « Peace Movement Could Find Itself Fighting Over Tactics », Seattle Post-
Intelligencer, 21 février 2003, http://seatrlepi.nwsource.com/local/109590_peacemovement21.shtml.
87 E-mail à l'auteur, octobre 2004. Ce même activiste a aussi réécrit l'histoire de la libération noire de façon paternaliste
en déclarant que les Black Panthers n'ont pas appelé à la violence. Dans le même e-mail, il cite L'Art de la Guerre de
Sun Tzu pour renforcer ses arguments et améliorer sa sophistication tactique. On peut se demander si Sun Tzu aurait
été d'accord avec l'utilisation de ses théories en tant qu'argument pour prouver l'efficacité du pacifisme.
88 E-mail à l'auteur, octobre 2004.

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