Revue Sciences, Langage et Communication Volume 1, N°1 (2017)
De la situation linguistique
au Maroc
Par :
Pr. El Mostafa ABOUHASSANI
ESTM, Université Moulay Ismail
Résumé :
Qu’en est-il de la situation linguistique au Maroc considération faite de l’aspect multilingue
qui y domine ? La réponse à cette question semble être évidente, mais il n’en demeure pas
moins qu’il faut rester vigilant face à ce type d’interrogations de peur de tomber dans des
affirmations à base d’observations frappées de myopie.
Le constat est que le Maroc se présente comme un pays multilingue et multiculturel à la fois.
Cela est dû à la cohabitation de plusieurs langues ; des langues locales et/ou nationales et des
langues étrangères. Ces langues constituent ce qui pourrait être appelé le territoire linguistique
marocain. Il s’agit d’une situation linguistique définit comme relevant du di-/pluri-glossique.
Certes, le souci théorique dans les champs de la sociolinguistique au Maroc l’emporte
généralement sur l’objet d’étude ; sachant bien que l’objet construit ne fait pas l’objet réel.
L’effort est là ; l’intérêt scientifique aussi, mais l’entrave demeure quelque part d’ordre
spéculatif voire idéologique…
Mots clés :
Situation linguistique - Maroc - multilinguisme - arabe marocain - darija - fuṣḥā - tamazight -
français – espagnol - sociolinguistique - diglossie - di-/pluri-glossie - intérêt scientifique –
entraves idéologiques …
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Le Maroc compte plusieurs langues : l’arabe marocain dit dialectal la « darija » avec ses
différents parlers, et l’amazighe avec les variétés : le tarifit, le tamazight et le tachelhit sans
pour autant oublier les langues étrangères coloniales en place : le français et l’espagnol ;
sachant que l’espagnol à proprement parler est présent, en minorité, dans les zones frontalières
du Nord et dans le Sud du Maroc.
Il y a ensuite les langues de l’enseignement qui sont, dès les premières années du primaire de
manière générale, l’arabe standard sous ses deux formes classique et moderne et récemment
l’amazigh transcrit en tifinagh. Mais cela peut être aussi le français ou même, depuis quelques
années, l’anglais qui s’est imposé dans plusieurs secteurs de la vie professionnelle, notamment
ceux de la formation, de la technologie, de l’économie et des affaires.
Qu’en est-il alors de la situation linguistique au Maroc considération faite de l’aspect
multilingue qui y domine ? La réponse à cette question semble être évidente, mais il n’en
demeure pas moins qu’il faut rester vigilant face à ce type d’interrogations de peur de tomber
dans des affirmations à base d’observations frappées de myopie.
Le constat est que le Maroc se présente comme un pays multilingue et multiculturel à la fois.
Cela est dû à la cohabitation de plusieurs langues ; des langues locales et/ou nationales et des
langues étrangères. Ces langues constituent ce qui pourrait être appelé le territoire linguistique
marocain. Il s’agit d’une situation linguistique définit comme relevant du di-/pluri-glossique
avec en présence la fuṣḥā renvoyant à l’arabe classique ou ce qui est appelé, auourd’hui ,
l’arabe standard.
La fuṣḥā est la langue arabe dans son origine première par référence à langue du coran, et
l’arabe standard comme la forme évoluée et (synchrodynamique) de la fuṣḥā dans ses
réalisations actuelles. Fondamentalement, la fuṣḥā et l’arabe standard continuent de référer au
même système linguistique. De toutes les manières, et la fuṣḥā et l’arabe standard ont de
commun d’appartenir en force au registre de l’écrit, quoiqu’elles soient pratiquées à l’oral dans
des situations de communication transactionnelles formelles, c’es-à-dire institutionnelles.
A ce niveau, il est à rappeler que la dariža est essentiellement utilisée dans les situations de
communication quotidiennes, informelles. Bref, celle-ci est utilisée dans les communications
actionnelles, en famille ou entre individus dans leurs relations quotidiennes au travail ou
ailleurs. Mais, il est à remarquer que la dariža, commence à gagner du terrain par rapport à la
fuṣḥā ; elle commence à être utilisée dans des situations formelles, allant du tribunal, des mas
médias, passant par la mosquée lors des Khotba, jusqu’à dans les écoles voire dans les
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universités. A titre d’exemple, la darija est utilisée de manière souveraine dans des émissions
de télévision et de radio. Elle est utilisée de manière exclusive dans des interviews et dans des
instances officielles. Et, comme le précise bien Chatar-Moumni: « La dariža est aujourd’hui
largement utilisée dans la presse écrite, à la télévision et à la radio, dans des programmes et des
textes traitant de sujets aussi bien formels qu’informels, dans des débats politiques, des
interviews avec des officiels, au parlement, etc »1. La dariža et/ou l’arabe marocain est
certainement en expansion dans les champs officiels mais seulement au niveau de l’oralité.
C’est là une réalité effective, mais « cette expansion de la dariža ne fait cependant l’objet
d’aucune reconnaissance institutionnelle et, pour l’instant, d’aucun projet officiel de
standardisation-codification malgré les fortes revendications d’intellectuels, de politiques, mais
aussi d’une partie de la société civile »2. Chatar-Moumni, parlant de cette expansion de l’arabe
marocain et de la quasi-absence de reconnaissance institutionnelle de cette dernière, est à
prendre avec des gans et des pincettes. Elle parle de reconnaissance de l’arabe marocain en
termes de standardisation-codification. Cependant, que standardiser et que codifier et par
rapport à quoi s’agissant de l’arabe marocain ? Faut-il standardiser et codifier la culture
marocaine qui est une multiculture issue d’un filtre linguistique multilingue, à savoir l’arabe, le
tamazight, l’hébreu et le français voire même l’anglais (exemple de l’anglais : le mot bsuisness
a donné lieu au verbe beznes ou encore le substantif : tbeznis..) ?! A ce titre, il y a une réalité
sur laquelle il faut attirer l’attention : la culture marocaine est de l’ordre de l’oralité qu’il
s’agisse de sa composante arabe ou amazighe.
Il est vrai qu’au Maroc, il y a deux langues officielles du pays : « L’arabe (standard) demeure
la langue officielle de l’État. (…) De même, l’amazighe constitue une langue officielle de
l’État, en tant que patrimoine commun à tous les marocains (…). Dans ce contexte multilingue,
les langues et variétés de langues cohabitent de manière pacifique pour certains, conflictuelle
pour d’autres. Mais, d’une manière générale, ces langues sont « hiérarchisées » (Boukous, 1995
: 41). Il faut souligner, ici, la thèse du Professeur Boukous disant que l’amazighe constitue une
langue officielle de l’État, en tant que patrimoine commun à tous les marocains. Cette thèse à
laquelle j’adhère fortement et dans laquelle je m’inscris.
1
Nizha CHATAR-MOUMNI : Vers une Standardisation de L’arabe Marocain ?, in, Echo des études romanes XI/1,
2015,MoDyCo, UMR 7114, Université Paris Descartes. p75.
2 Nizha CHATAR-MOUMNI : Ibid : p. 75.
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Toute approche de la situation linguistique au Maroc peut être vue et interprétée
idéologiquement. C’est d’ailleurs pourquoi il faudrait faire preuve de tact et d’esprit
scientifique, sans plus. Notre approche reste liée à un travail d’observation et d’analyse tant que
la langue le permet sans pour autant la forcer pour une raison péri-scientifique. Cette
précaution est nécessaire.
Comme le précise Chatar-Moumni: « Dans ce contexte multilingue, les langues et variétés de
langues cohabitent de manière pacifique pour certains, conflictuelle pour d’autres. Mais, d’une
manière générale, ces langues sont « hiérarchisées » (Boukous, 1995 : 41), utilisées et
représentées de manières différentes selon les locuteurs et selon les situations de
communication ou ils se trouvent.». Il faut ajouter tout aussi, que « depuis que la nouvelle
constitution marocaine de 2011 reconnaît l’amazighe, langue maternelle de plus de 40% des
Marocains, comme une des deux langues officielles du pays : « L’arabe demeure la langue
officielle de l’État... De même, l’amazighe constitue une langue officielle de l’État, en tant que
patrimoine commun à tous les Marocains », il y a revendications de part et d’autres, pour une
reconnaissance institutionnelle de standardisation-codification de la dariža et/ou arabe
marocain.
Pour ce qui de la désignation de la situation linguistique au Maroc, nous préférons adopter le
concept utilisé par Chatar-Moumni, à savoir di-/pluri-glossie. Pourquoi ? Tout simplement
parce que le concept de diglossie tout court peut constituer un lieu de réductionnisme. Le
concept de diglossie dans son évolution en sociolinguistique a subi une évolution qui lui
confère d’être appliqué à différentes situations linguistiques. Il est parfois considéré comme
synonyme de bilinguisme ; ce qui n’est pas le cas. Certes, « il n’est pas facile de faire la
distinction nette entre « bilinguisme » et « diglossie » étant donné que ces termes sont très
proches par leurs significations et qu’ils peuvent être confondus dans certains contextes »1.
Dans le Trésor de la langue française : « fait de pratiquer couramment deux langues ; état ou
situation qui en résulte » ou par métonymie « ensemble des dispositions officielles qui assurent
ou tendent à assurer à chacune des langues parlées dans le pays un statut officiel »2. La
1
Monika Langerová: Diglossie au Maghreb – Histoire et situation actuelle, Magisterská diplomová práce, Brno
2012, p 7.
2
Trésor de la langue française informatisé. Accessible sur le site :
<http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=200588100;>. Consulté le 16 janvier, 2012.
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diglossie met en jeu seulement deux langues, d’où le préfixe « bi », ce qui ne rend pas compte
du multilinguisme.
Concernant le bilinguisme, il faut préciser que ce concept a connu des mouvances liées à des
difficultés définitoires.
Pour Edward Sapir cité par Andrée Tabouret-Keller « L’exemple retenu par Sapir est, dans les
Etats germanophones (Allemagne, Suisse allemande et Autriche), celui de la coexistence de
dialectes avec le Hochdeutsch, forme normalisée de communication officielle, officiellement
enseignée dans les écoles, toute puissante sur le plan culturel en littérature, en chaire, sur la
scène et dans toute autre activité culturelle (1931). 1 Cette définition d’ordre linguistique va être
appréhendée d’un point de vue sociolinguistique par Charles A. Ferguson, qui va utiliser des
qualificatifs pour spécifier ce qu’est le bilinguisme, à savoir l’ajout des qualificatifs haut (high)
à la langue en tant que version normalisée et bas (low) à la version dialectale. la version
normalisée de la langue est considérée comme variété haute, et la version dialectale est
considérée comme variété basse. Ce problème a été évoqué tout aussi par Marie-Aimée
Germanos et Catherine Miller citant G. Mejdell (2006) 2: « Les premiers travaux de
sociolinguistique se sont longtemps concentrés sur les rapports entretenus entre l’arabe
standard (qui, rappelons-le, n’est pas une variété maternelle de la langue) et l’arabe dialectal,
suite en particulier au débat suscité par le modèle diglossique présenté par Ferguson (1959a) et
à sa réinterprétation en termes de pluriglossie, continuum ou style mixte. L’étude de la
variation ou de l’alternance standard/dialecte en domaine arabophone a donc suscité de
nombreuses études »3. Là aussi, il y a surgissance de nouvelles qualifications autour de ce qui
est appelé pluriglossie, à savoir les notions de continuum et de style mixte. Le problème
théorique et terminologique, encore une fois, prend le pas sur l’objet étude.
Enfin, pour Joshua Fishman, le bilinguisme est un « fait individuel qui relève de la
psycholinguistique» , et la diglossie est un « fait social qui rentre dans le domaine de la
1
Andrée Tabouret-Keller, « à propos de la notion de diglossie. La malencontreuse opposition entre « haute » et «
basse » : ses sources et ses effets », Langage et société 2006/4 (n° 118), p.3.
2
Mejdell G. (2006), Mixed Styles in Spoken Arabic in Egypt: Somewhere between Order and Chaos, Leiden, Brill.
3
Marie-Aimée Germanos, Catherine Miller, « Introduction. Sociolinguistique urbaine en domaine arabophone :
quels enjeux ? », Langage et société 2011/4 (n° 138), p.6.
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sociolinguistique»1. Départager le bilinguisme de la diglossie est devenu un casse tète, qu’il
faut dépasser. C’est pourquoi d’ailleurs, il serait louable de retenir la définition donné par
Ahmed Boukous parlant du cas du Maroc: « Au Maroc, on peut dire qu’il existe trois types
majeurs de diglossies, la diglossie arabe standard – arabe dialectal, la diglossie arabe dialectal –
amazighe, la diglossie arabe standard-français ».2 C’est dans ce sens qu’il faut accepter la
combinaison fournit par Chatar-Moumni, à savoir la di-/pluri-glossie. Ce concept rend bien
compte de la situation linguistique au Maroc.
Chatar-Moumni résume la situation linguistique au Maroc comme suit : « Le Maroc est un pays
multilingue et multiculturel. Plusieurs langues, nationales et étrangères, cohabitent en effet sur
le territoire linguistique marocain, situation traditionnellement caractérisée, suivant les travaux
de Ferguson (1959), comme une situation di-/pluri-glossique avec des langues hautes, la fuṣḥā
(arabe classique et standard), appartenant essentiellement au registre de l’écrit, et le français ; et
des langues basses, appartenant essentiellement au registre de l’oral, l’amazighe (berbère) et la
dariža (l’arabe marocain). ».3 Mais, qu’en est-il de la dariža (l’arabe marocain) parmi les
langues en place ? Autrement dit, quelle est sa place parmi les langues nationales ?
Nizha Chatar-Moumni atteste que « la dariža ne fait cependant l’objet d’aucune reconnaissance
institutionnelle et, pour l’instant, d’aucun projet officiel de standardisation-codification malgré
les fortes revendications d’intellectuels, de politiques, mais aussi d’une partie de la société
civile. Ces revendications sont encore plus fortes depuis que la nouvelle constitution marocaine
de 2011 reconnaît l’amazighe, langue maternelle de plus de 40% des Marocains, comme une
des deux langues officielles du pays : « L’arabe (standard) demeure la langue officielle de
l’État. […]. De même, l’amazighe constitue une langue officielle de l’État, en tant que
patrimoine commun à tous les Marocains sans exception» 4 »5. De ceci, il est à rappeler que les
questions sur la place et l’endroit de la dariža dans le panorama linguistique au Maroc, ne
suscitait de questionnements à propos de l’équation de la valeur de sa véritable situation
1
Kremnitz, Georg : Du « bilinguisme » au « conflit linguistique ». Cheminement de termes et de concepts. In :
Langages, 15e année, n° 61, 1981, p. 64.
2
BOUKOUS, A. (1995). Société, langues et cultures au Maroc. Enjeux symboliques. Rabat : Faculté des lettres et
sciences humaines. p. 55.
3
Nizha CHATAR-MOUMNI : Vers une Standardisation de L’arabe Marocain ?, in, Echo des études romanes XI/1,
2015,MoDyCo, UMR 7114, Université Paris Descartes. p75.
4
Extrait de l’article 5 de la Constitution de 2011. http://www.maroc.ma/fr/content/constitution-0
5
Nizha CHATAR-MOUMNI : Vers une Standardisation de L’arabe Marocain ?, in, Echo des études romanes XI/1,
2015,MoDyCo, UMR 7114, Université Paris Descartes. p75.
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qu’après la reconnaissance officielle de l’amazighe en 2011. Effectivement, la question,
conjuguées à des revendications de part et d’autres, concernant la place et la codification-
standardisation de l’arabe marocain, a commencé à se poser avec acuité à partir du moment où
la langue amazighe a bénéficié d’une vraie initiative allant dans le sens de sa standardisation et
sa codification. Cette mission qui a été confiée à l’Institut Royal de la Culture Amazighe
(l’IRCAM), créé par un Dahir Charif (Décret Royal). Dans ce même sens, des sociolinguistes
s’interrogent de plus en plus sur le problème de codification-standardisation de la dariža en
évoquant le rôle de l’écrit et de la presse plus spécifiquement dans un éventuel « processus de
valorisation et de modernisation de l’arabe marocain tel que souhaité par un certain nombre
d’intellectuels et militants marocains »1. La revendication est poussée jusqu’à l’interrogation
sur les enjeux d’un enseignement en dariža et donc les possibilités d’adopter tel ou tel
graphisme pour ce faire : la graphie latine ou la graphie arabe. L’une des solutions proposées
est de « « codifier l’arabe marocain en veillant à établir des passerelles avec l’arabe classique »
pour constituer, à terme, « une convergence entre arabe écrit et arabe parlé» »2. Les prévisions
allant dans le sens de cette même perspective vont jusqu’à mettre au bout de leurs soucis pour
la codification-standardisation de la dariža, l’intérêt de l’apprenant : il « ne s’agit pas d’aller
vers la dariža pure et dure, mais vers une langue arabe simplifiée ouverte sur le dialectal, et ce,
dans l’intérêt de l’apprenant »3. Bref, comme disent les comptables, les prévisions ne font pas
les bilans4 ! Entre la dariža pure et une langue arabe simplifiée ouverte sur le dialectal, il y a
écart et oubli de ce qu’est une langue ; de ce qu’est une culture. D’ailleurs, la langue est
transcendantale. La langue n’est pas un outil ! Elle n’est par un lieu d’instrumentalisation. C’est
à donner raison à Fouad Laroui quand il parle de drame linguistique marocain, car il y a de
quoi !? Il est à parler surtout de drame du discours de la linguistique au Maroc. Les langues en
place au Maroc, quant à elles, évoluent en toute souveraineté dans leurs interagissements au
sein d’une culture marocaine. Mais, cela n’exclut pas une appréhension à la base d’un souci de
codification-standardisation et de la langue arabe marocain et de la langue amazighe dans leurs
1
Catherine Miller. Observations concernant la présence de l'arabe marocain dans la presse marocaine
arabophone des ann_ees 2009-2010, p.3.
2
http://www.zakoura-education.org.
3
« Faut-il introduire la darija dans la langue officielle du Maroc ? », La Vie Eco, 21 juin
2010.(http://www.lavieeco.com/news/societe/faut-il-introduire-la--dans-la-langue-officielle-du maroc--
16939.html).
4
En arabe marocain, on dit : lli ka-ihseb b-uhdu ka-ichet-lou.
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évolutions respectives en rapport avec l’arabe standard et les langues étrangères en place (le
français et l’anglais). Il est vrai qu’il y a de quoi parfois se poser la question d’une asymétrie où
les recherches dans le champ de la sociolinguistique marocain restent limitatives et limitées au
cercle des spécialistes de la linguistique en général, quoiqu’il reste toujours à faire dans ce
sens. En plus de cela, la « « domination » des paradigmes a parfois induit les chercheurs à
appliquer de façon mécanique les modèles élaborés au centre sans tenir compte des spécificités
des sociétés concernées, comme si la recherche de l’universel serait forcément plus moderne et
sortirait la linguistique arabe des travers de l’orientalisme, en particulier lorsqu’il s’agit de « la
dialectologie arabe », discipline sur laquelle continue de peser le soupçon du colonialisme »1.
Certes, le souci théorique dans les champs de la sociolinguistique au Maroc l’emporte
généralement sur l’objet d’étude ; sachant bien que l’objet construit ne fait pas l’objet réel.
L’effort est là ; l’intérêt scientifique aussi, mais l’entrave est d’ordre idéologique. L’intérêt
scientifique a trait à être considéré comme chose certaine par la communauté nationale et
internationale des éminents chercheurs qui s’y intéressent et s’y déploient. D’ailleurs, il suffit
de penser au Professeurs Dominique Caubet, Ahmed Boukous et d’autres grands noms de la
linguistique et sociolinguistique contemporaines ainsi qu’aux travaux des Professeurs Kaddour
Cadi, Miloud Taifi, Ali Sabia, Ahmed Akouaou, Laila Messaoudi et autres…, pour croire en un
champ de recherche fructueux et honnête à visée productive. Cependant, le politique doit être à
l’écoute du linguiste et du sociolinguiste ; et ces derniers doivent être à l’oui de la langue et à la
culture de cette langue. Et, comme l’ère actuelle est marquée en force par les changements
culturels et organisationnels des sociétés et causalement ceux des communautés, il faut que
toute appréhension de la langue soit à l’écoute de ces changements dans leurs interactions avec
les langues en présence. Il ne faut plus tabler sur des données statiques ou sur le corpus ou
encore sur la magie de l’échantillonnage.
Une lecture de Marie-Aimée Germanos et Catherine Miller nous éclaire de certain souci, sinon
certaine vision d’une sociolinguistique qui prend conscience des mutations culturelles des
communautés linguistique et des faits de langue. Pour elles, l’ « un des pièges consiste ici à
appréhender les affiliations communautaires comme des formes exclusivement traditionnelles
d’organisation sociale et à oublier qu’elles sont en recomposition et mutation perpétuelles,
1
Marie-Aimée Germanos, Catherine Miller, « Introduction. Sociolinguistique urbaine en domaine arabophone :
quels enjeux ? », Langage et société 2011/4 (n° 138), p.2.
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donnant ainsi lieu au recyclage ou à la transformation de nombreux stéréotypes. »1. Or, qu’il
s’agisse de dialectologues ou variationnistes ou encore tenants de l’universalisme/culturalisme,
il ne faut pas dans le cas d’un projet de codification-standardisation d’une langue, comme pour
le cas de l’arabe marocain, parsemer le chemin du chercheur qu’il soit linguiste ou
sociolinguiste, d’embûches de l’ordre d’aller voir ce qui se passe en psychologie ou en
sociologie… Il ne faut certainement pas déplacer l’objet d’étude de sa téléonomie naturelle en
tablant sur des notions comme la perception, les représentations sociales, les stéréotypes…etc.
Le physico-culturel peut être de mise, mais sauf si et seulement si, il ne déborde l’ordre de
l’épilinguistique dans un travail de manipulation des opérations énonciatives qui permettraient
de classer les particules linguistiques dans la pratique langagière et dans l’activité de langage.
A ce titre, au lieu d’être noyé dans un emboitement d’approches pouvant être le lieu de
déviation par rapport l’objet d’étude, à savoir la langue à étudier, ne faudrait-il pas tirer leçon
des maîtres comme Ph. Marçais qui a su rester accolé à son objet d’étude dans Esquisse
grammaticale de l'arabe Maghrébin (1977) : « Le matériel linguistique des parlers maghrébins
est, dans cette Esquisse, décrit suivant le plan traditionnel des études grammaticales: la
phonétique d'abord, puis la morphologie , comprenant successivement l'étude du verbe, celle du
nom, celle des noms de nombre , celle des pronoms; puis l'étude d'un ensemble composite qui
figure sous le titre de particules; enfin l'étude des moyens d'expression de l'affirmation, de la
négation et de l'interrogation. On n'a pas tenté d'en faire la syntaxe »2. Cette démarche
transparente peut faire réfléchir toute tentative d’innovation qui pourrait se perdre par mode ou
par glissement de sens. La modernité scientifique ne réside pas dans sa propre perdition. Les
fondamentaux d’une discipline scientifique et intrinsèquement sa démarche doivent constituer
ce clou de Machiavel qui ramènerait à l’ordre tout esprit égaré ; sachant bien que toute
tentative et/ou approche d’un objet d’étude reste louable sauf quand elle relève d’un
pragmatisme erroné ou idéologique !
1
Op.cit, p.6.
2
Ph. MARÇAIS : Esquisse grammaticale de l'arabe Maghrébin, Librairie d’Amérique et d'Orient, Parie 1977. p.
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