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Hitler A-T-Il Sauvé L'europe Du Stalinisme - Laurent Guyénot - 2020 - Égalité & Réconciliation

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Laurent Guyénot

Hitler a-t-il sauvé


l’Europe du stalinisme?
Dossier spécial

egaliteetreconciliation.fr
Laurent Guyénot

Hitler a-t-il sauvé


l’Europe du stalinisme ?
Dossier spécial

Égalité & Réconciliation — 22 juin 2020


egaliteetreconciliation.fr
L e 22 juin 1941, poussé par sa soif insatiable d’« espace vital » (Lebens-
raum) et par son obsession d’écraser une fois pour toutes le « judéo‑bol-
chevisme », Hitler déclencha l’invasion de l’Union Soviétique, avec laquelle
il avait pourtant signé un pacte de non‑agression en 1939. Prise au dépourvu
et mal commandée, l’Armée rouge fut submergée. Mais grâce au sursaut
patriotique et à l’héroïsme de masse du peuple russe, l’URSS mit finalement
les Allemands en déroute, au prix de quelques vingt millions de morts.
C’était le début de la fin pour les nazis.
Telle est, dans les grandes lignes, l’histoire de l’opération Barbarossa
racontée par les vainqueurs.

L’explication donnée par les vaincus était toute différente. Le 11 dé-


cembre 1941, Adolf Hitler justifiait sa décision devant les députés du Reichs-
tag. Dès 1940, dit‑il, il avait compris que l’URSS attendait que l’Allemagne
s’affaiblisse sur le front de l’Ouest pour l’attaquer. Au printemps 1941, ayant
acquis la certitude que l’Armée rouge, massée en position offensive le long
de sa frontière ouest, se préparait à envahir l’Allemagne et ses alliés d’un
jour à l’autre, il n’avait pas eu d’autre choix que de devancer cette invasion
imminente pour vaincre l’ennemi sur son propre sol. S’il ne l’avait pas fait,
l’Allemagne et probablement l’Europe entière seraient tombées sous le joug
stalinien. Voici un extrait de son discours :

Seul un aveugle pouvait ne pas voir qu’un mouvement de forces d’u‑


ne ampleur unique dans l’histoire mondiale s’accomplissait là. Et cela,
non pas pour défendre quelque chose qui aurait été menacé, mais pour
attaquer celui qui ne semblait plus être capable de se défendre. Bien que
l’achèvement foudroyant de la campagne à l’ouest ait enlevé aux gouver‑
nants de Moscou la possibilité de compter sur un épuisement immédiat
du Reich allemand, cela ne changea aucunement leurs intentions, mais
recula seulement le moment de l’attaque. En été 1941 parut se présenter
le moment favorable pour frapper. Un nouvel assaut mongol devait
déferler sur l’Europe.
Tenant la Russie soviétique pour le pire danger, un danger mortel,
non seulement pour l’Allemagne mais aussi pour l’Europe tout entière,
je me suis résolu à donner moi‑même le signal de l’attaque, si possible
quelques jours avant que le conflit n’éclata. Nous avons maintenant
un matériel authentique et vraiment écrasant qui prouve l’intention
qu’avaient les Russes d’attaquer. Nous connaissions parfaitement aussi
la date à laquelle cette attaque devait se produire. Mais toute l’étendue
du danger, c’est peut‑être maintenant seulement que nous en avons
conscience et je ne puis que remercier Dieu de m’avoir donné l’inspi‑
ration au moment qui convenait et la force d’accomplir ce qui devait
être accompli. C’est à cette faveur que non seulement des millions de
soldats allemands doivent leur vie, mais l’Europe entière son existence.
Nous pouvons bien le dire aujourd’hui, si cette vague de 20 000 chars

–1–
de combat, de centaines de divisions, de dizaines de milliers de canons,
accompagnés de plus de 10 000 avions avait déferlé à l’improviste sur
l’Allemagne, l’Europe était perdue a.

En février 1945, dans le bunker où il allait bientôt se donner la mort,


Hitler expliquait à nouveau :

Notre chance de vaincre la Russie, la seule, était de prendre les de‑


vants, car l’idée d’une guerre défensive contre les Russes était insoute‑
nable. Nous ne pouvions offrir à l’Armée rouge l’avantage du terrain, lui
prêter nos autostrades pour la ruée de ses chars, nos voies ferrées pour
acheminer ses troupes et son matériel. Nous pouvions la battre chez elle,
ayant pris nous‑mêmes l’initiative des opérations, dans ses bourbiers,
dans ses marécages – mais pas sur le sol d’un pays civilisé comme le
nôtre. C’eût été lui préparer un tremplin pour qu’elle fondît sur l’Europe.
[…] Ma hantise, au cours des dernières semaines, fut que Staline ne prît
l’initiative avant moi 1.

En disant cela, Hitler ne prétendait pas qu’il n’aurait pas songé à atta-
quer l’URSS sans la menace d’être attaqué par elle. Il avait exprimé sa détesta-
tion du communisme dans Mein Kampf, lui avait déclaré une guerre à mort en
1933, et répéta jusqu’à ses derniers jours : le but de ma vie et la raison d’être
du national‑socialisme [était] l’écrasement du bolchevisme (4 février 1945) 2.
Mais Hitler savait que l’Allemagne risquait gros en menant une guerre sur
deux fronts. Staline lui‑même était persuadé que Hitler ne l’attaquerait pas
avant d’avoir tenté un débarquement en Angleterre, c’est pourquoi il avait
abaissé ses défenses pour mieux préparer son offensive majeure. Mais en
1940, voyant l’avancée de l’armée soviétique, Hitler comprit que celle‑ci
attendait le moment opportun pour le poignarder dans le dos. Il demanda à
son état‑major un plan d’attaque de l’URSS dès juillet 1940, et le 18 décembre
signa la « directive 21 » ordonnant la préparation de l’opération Barbarossa.
Hitler croyait en la Providence et en sa propre capacité de surmonter
les obstacles par ses décisions inspirées et résolues. Et au printemps 41, il
pensait qu’il n’avait le choix qu’entre un désastre assuré en cas d’inaction,
et une victoire possible par une guerre éclair. Il jugeait que laisser à la Rus-
sie l’initiative de l’attaque signifiait la soviétisation de l’Allemagne et, dans
un avenir proche et certain, de l’Europe tout entière. Il tenta donc le tout
pour le tout, faisant en outre le pari risqué que l’Angleterre, et l’Occident en
général, ne s’opposerait pas à sa destruction du communisme, et même la
soutiendrait. Il expliqua en février 1945 :

En attaquant à l’Est, en crevant l’abcès communiste, j’ai eu l’espoir de


susciter une réaction de bon sens chez les Occidentaux. Je leur donnais
l’occasion, sans y participer, de contribuer à une œuvre de salubrité, nous
laissant à nous seuls le soin de désintoxiquer l’Occident. Mais la haine

–2–
qu’éprouvent ces hypocrites pour un homme de bonne foi est plus forte
que leur instinct de conservation 3 .

Devant le tribunal militaire international de Nuremberg, Wilhelm


Keitel, chef des forces armées allemandes, et son second Alfred Jodl, accusés
de « complot et de crime contre la paix », et notamment d’agression prémé-
ditée contre l’URSS, voulurent faire valoir que l’opération Barbarossa était
justifiée par « l’accumulation massive des forces russes » sur la frontière :
L’attaque de l’Union Soviétique, déclara Keitel durant un interrogatoire
préliminaire, fut menée pour préempter une attaque russe sur l’Allemagne.
[…] Nous avons décidé de préempter l’attaque de l’Union Soviétique et de
frapper par surprise pour écraser ses forces armées. […] Notre attaque
fut une conséquence directe de la menace 4. En tant qu’attaque préemptive,
c’était un acte de guerre légal. On leur refusa cette ligne de défense. Les
Soviétiques ne voulaient aucune évocation de leurs propres préparatifs de
guerre, afin de préserver leur statut de victimes de l’agression nazie. Keitel
et Jodl furent pendus, tout comme le ministre des Affaires étrangères Joa-
chim von Ribbentrop qui insistait avoir remis à l’ambassadeur soviétique à
Berlin, le 22 juin à l’aube, une déclaration de guerre en bonne et due forme
incluant comme justification un rapport sur « la concentration des forces
soviétiques contre l’Allemagne ». Les Soviétiques nièrent jusqu’à l’existence
de ce document. À Nuremberg, les Alliés étaient juges et parties. Ils livraient
leur « dernière bataille », consistant à écrire l’histoire en rejetant tous les
torts et les crimes sur l’Allemagne 5.
Cependant, les archives soviétiques ouvertes depuis les années 1990
semblent donner raison à Hitler, Ribbentrop, Keitel et Jodl : l’URSS était
bel et bien sur le point d’attaquer l’Allemagne lorsque celle ‑ci la prit de
court. Cette thèse révisionniste s’est imposée dans le débat grâce à Vladimir
Rezoun, un vétéran du renseignement militaire soviétique qui fit défec-
tion à l’Ouest en 1978 et écrivit plusieurs ouvrages sous le nom de Viktor
Souvorov (ou Victor Suvorov). Son premier livre historique en anglais,
Icebreaker : Who Started the Second World War ?, passa inaperçu lors
de sa sortie en 1988, et sa traduction française, Le Brise‑Glace, n’eut pas
davantage de succès (elle est aujourd’hui presque introuvable). La version
allemande suscita davantage d’intérêt, mais c’est surtout la version russe
qui fit décoller le livre en 1992. En 20 ans, 11 millions d’exemplaires ont
été imprimés en Russie, et le livre a reçu le soutien de nombreux historiens
russes, mais aussi allemands 6. Souvorov a ensuite enrichi sa thèse d’élé-
ments nouveaux dans plusieurs livres publiés uniquement en russe. Puis,
en 2010, il fit paraître en anglais, aux éditions du U.S. Naval Institute, une
nouvelle synthèse sous le titre The Chief Culprit : Stalin’s Grand Design
to Start World War II.
La thèse de Souvorov peut se résumer ainsi : le 22 juin 1941, Staline
était sur le point de lancer une offensive massive sur l’Allemagne et ses
alliés, dans un délai probable de deux semaines (le 6 juillet est la date la

–3–
plus probable). Les préparatifs avaient débuté à la fin de l’année 1940, et
les premières divisions avaient été déployées sur la frontière en février 41.
Le 5 mai, Staline annonça à une assemblée de généraux une offensive
imminente en territoire ennemi. Des instructions secrètes commencèrent
à être diffusées au sommet de la hiérarchie militaire, et les mouvements
de troupes, de chars, d’artillerie, de munitions et de fuel s’intensifièrent.
Quand les forces allemandes frappèrent, le gros des forces russes, terrestres
et aériennes, était concentré le long des frontières ouest de l’ URSS, en face
du Reich allemand et de la Roumanie. Une partie des troupes et du matériel
se trouvait encore dans des trains. La puissance militaire gigantesque que
Staline avait accumulée sur la frontière et qu’il s’apprêtait à faire déferler
sur l’Europe lui aurait permis d’atteindre Berlin sans difficulté majeure puis,
dans le contexte de la guerre, de prendre le contrôle du continent jusqu’à
Paris. Seule la décision de Hitler de devancer son offensive l’a privé de ces
moyens en perçant et désorganisant ses lignes offensives et en détruisant
ou saisissant environ 65 % de tout son armement.
Souvorov s’attache aussi à démontrer que l’invasion prévue par Sta-
line était l’aboutissement d’un plan préparé de très longue date, du vivant
même de Lénine. Selon lui, Staline n’a jamais abandonné l’objectif de sovié-
tiser l’Europe, même lorsque, dans les années 30, il donnait l’illusion de
renoncer au communisme international pour bâtir « le socialisme dans un
seul pays », tout en se dotant discrètement de l’armée la plus puissante du
monde. En signant le pacte Molovov‑Ribbentrop et en laissant l’Allemagne
envahir la Pologne, Staline savait qu’il déclenchait la Seconde Guerre mon-
diale que Lénine avait appelée de ses vœux. Fidèle à la stratégie de Lénine, il
attendait que les pays d’Europe s’épuisent mutuellement dans une nouvelle
guerre, pour rafler la mise au moment opportun. J’ai lu très attentivement
les deux livres de Souvorov en anglais, Icebreaker et The Chief Culprit, en
faisant quelques recoupements avec d’autres sources. La documentation
et l’argumentation de Souvorov sont, à mes yeux, très convaincantes. Il
démontre une grande expertise dans le domaine militaire, et une grande
connaissance de l’Armée rouge. Sur les intentions de Staline, réputé très
secret en général, il produit de nombreuses citations tirées des 13 volumes
de ses écrits. Il a épluché des montagnes d’archives et les mémoires de
centaines de militaires russes. La plupart de ces mémoires publiées avant
les années 90 restent discrètes sur le secret d’État entourant la « Grande
Guerre de libération de l’Europe » planifiée par Staline, mais certains aveux
confirment la thèse de Souvorov. Un exemple parmi d’autres : le général
Semyon Ivanov, grand héros de la guerre, écrit que le commandement
fasciste allemand a réussi, littéralement dans les deux dernières semaines
avant la guerre, à nous prendre de court.
Je me suis aussi informé des critiques portées contre Souvorov. J’ai
par exemple consulté la réfutation écrite par l’historien américain David
Glantz dans son livre Stumbling Colossus : The Red Army on the Eve of
War. Glantz défend la perspective soviétique traditionnelle de la paisible

–4–
URSS victime de l’agression non provoquée de Hitler. Il admet en partie la
concentration de forces soviétiques sur la frontière ouest de l’ URSS, mais
l’explique par des mouvements « transitoires » sans intention hostile 7, ce
que je trouve assez ridicule. J’ai lu l’article de Jonathan Haslam b cité par
Wikipédia, selon qui la théorie de Souvorov serait comique si elle n’était
pas autant prise au sérieux. Haslam reconnaît comme avéré que Staline
a annoncé à ses généraux le 5 mai 1941 une guerre imminente, et il admet
que, dans ces conditions, le fait indubitable qu’il fut surpris par l’attaque
allemande le 22 juin a toujours créé une énigme pour les historiens.
Comment Staline pouvait‑il à la fois s’attendre à [“expect”] la guerre et
être pris par surprise ? » Pour répondre à cette question, Haslam se perd
en conjectures vaseuses, alors que la réponse de Souvorov semble la seule
logique : Staline savait que la guerre avec l’Allemagne était imminente,
mais il ne s’attendait pas à ce que l’Allemagne en prenne l’initiative. C’est
la mauvaise foi d’Haslam qui m’apparaît comme comique, car le document
cité par Souvorov prouve que le 5 mai, Staline annonçait explicitement une
guerre offensive menée en territoire ennemi, et non une guerre défensive : le
moment était venu, selon ses termes, de passer de la défensive à l’offensive 8.
En France, c’est Jean Lopez, spécialiste du front de l’Est, qui s’est
chargé de réfuter Souvorov dans un chapitre de l’ouvrage collectif qu’il a
dirigé, Les Mythes de la Seconde Guerre mondiale. Lopez et son coauteur
admettent que Staline attendait le bon moment pour entrer en guerre :

Toute sa stratégie, depuis la signature du pacte de non‑intervention


du 23 août 1939, consiste à recueillir le maximum de fruits (jolie récolte
que la Biélorussie et l’Ukraine occidentales, la Carélie finlandaise, les
pays Baltes, la Bessarabie et la Bucovine du Nord) du conflit sans y être
directement mêlé. Il n’entrevoit d’y entrer, avec des forces modernisées,
qu’après que les Alliés et le Reich se seront mutuellement épuisés. […]
Selon plusieurs témoignages, Staline estime que l’Armée rouge ne sera
pas prête avant 1942. Aucune attaque soviétique, donc, n’aurait pu être
entreprise avant cette date 9.

Staline aurait donc prévu d’attaquer en 42 et non en 41, selon Lopez.


En d’autres termes, l’attaque de Hitler aurait été « préventive » plutôt que
strictement « préemptive ». Voilà une réfutation bien faiblarde. D’autant
que Souvorov admet lui aussi que Staline avait originellement planifié
l’invasion de l’Europe pour l’été 1942, mais avança son planning d’un an
après la victoire rapide de l’Allemagne sur la France, qui surprit tout le
monde. Toutes ces critiques semblent s’adresser à des gens qui n’ont pas lu
Souvorov, pour les décourager de le lire. Car lorsqu’on prend connaissance
de ces critiques après avoir lu Souvorov, on ne peut qu’être choqué par leur
faiblesse et leur mauvaise foi. Mon sentiment est que Souvorov a peut‑être
commis quelques exagérations, voire peut‑être quelques erreurs mineures
(je n’ai trouvé aucun fait précis contesté), mais que, si le quart seulement

–5–
des preuves qu’il avance est exact, sa thèse est solide comme le roc. C’est
la raison probable pour laquelle l’establishment universitaire mise plus sur
le silence que sur la critique.
Jean Lopez ne cite pas une seule fois Souvorov dans son récent
pavé de presque 1000 pages, Barbarossa 1941. La Guerre absolue (2019).
Il affirme servilement, comme postulat de départ, que l’armée allemande
est l’armée la plus criminelle de toutes les histoires, et que les morts de
l’opération Barbarossa sont bien à charge de l’Allemagne, le pays agres‑
seur. Barbarossa découle uniquement, selon Lopez, de l’anticommunisme
obsessionnel de Hitler, basé sur l’idée qu’il existe un lien entre les Juifs et
la révolution socialiste, ce qui est le mythe le plus dangereux du siècle,
inventé par les faussaires des Protocoles des Sages de Sion 10.
Il y eut en France à la fin des années 90 une éphémère ouverture sur
la thèse de Souvorov, sous l’influence de Stéphane Courtois et des contribu-
teurs au Livre noir du communisme. En décembre 1996, France 3 diffusa un
documentaire en trois parties intitulé Hitler‑Staline : liaisons dangereuses,
dont le troisième épisode produisait, selon son résumé officiel, des éléments
inédits sur la Seconde Guerre mondiale : le plan d’attaque original qui
prouve que Staline voulait s’emparer de l’Allemagne pour installer le
communisme en Europe. Or, tandis que les deux premiers épisodes, qui
détaillent la collaboration entre l’Allemagne et l’Union Soviétique avant juin
1941, sont disponibles sur YouTube c, d, le troisième a disparu entièrement
de la circulation, mais l’équipe multimédia d’ERTV l’a retrouvé pour vous e.
Comment expliquer une telle censure pour un documentaire diffusé
sur une chaîne nationale ? Après tout, qu’est‑ce que cela change, si l’URSS
s’apprêtait à attaquer l’Allemagne avant que celle‑ci ne l’attaque ? Beaucoup
de choses en réalité. Cela ne remet pas seulement en question le dogme
de la responsabilité exclusive de l’Allemagne dans le conflit mondial et ses
millions de morts. Cela bouleverse aussi notre perception de l’enjeu glo-
bal de la Seconde Guerre mondiale. Si cette thèse est prouvée, alors nous
devons considérer que Hitler et le national‑socialisme ont sauvé l’Europe
de la soviétisation complète. Car en attaquant les premiers, les Allemands
ont causé des dégâts irréparables à l’armée russe et porté un coup fatal à sa
capacité d’envahir l’Europe. L’enjeu de Barbarossa dépassait donc le sort de
l’Allemagne. Celle‑ci, expliqua Hitler au Reichstag le 11 décembre 1941, ne
combat pas seulement pour elle‑même, mais pour tout notre continent. Elle
n’était pas seule : Hitler rend hommage à la détermination des Finlandais,
des Slovaques, des Hongrois et des Roumains, et aux volontaires venus
de tous les pays qui ont donné à la lutte des puissances alliées de l’Axe le
caractère d’une véritable croisade européenne.
Bien qu’il ne cite pas Hitler, et n’exprime d’ailleurs aucune sympathie
pour lui, Souvorov lui donne raison : Si Hitler n’avait pas attaqué le pre-
mier, l’Europe était perdue. On comprend mieux alors l’hostilité contre lui.
Ce qui dérange, ce n’est pas tant la question de savoir si Staline s’apprêtait
à envahir l’Allemagne, mais la réévaluation étourdissante du rôle de Hitler

–6–
que cela entraîne. Car il est essentiel que Hitler reste l’incarnation du mal
absolu, et qu’aucune circonstance atténuante ne lui soit reconnue. On n’est
donc pas surpris que l’attaque la plus hystérique contre Souvorov soit venue
d’Israël, sous la forme d’un livre écrit par un professeur de l’Université de
Tel‑Aviv, Gabriel Gorodetsky (Le Grand Jeu de Dupes. Staline et l’invasion
allemande, Belles Lettres, 2000), dont voici un échantillon :

Contrairement au bon sens le plus élémentaire et sans le moindre


fondement, [Souvorov] affirme que Staline aurait, au cours des années
1939‑1941, méthodiquement préparé une guerre révolutionnaire contre
l’Allemagne. […] Passé maître dans l’art de la désinformation au GRU,
Souvorov exploitait le fait que cette période abondait en mythes, rumeurs
et complots dont la plupart étaient forgés de toute pièce ou propagés de
sang‑froid. Ces inventions ont par la suite, non seulement en raison du
manque d’informations fiables, mais aussi parce que la polarisation poli‑
tique de la Guerre froide encourageait cette approche, été adoptées sans
examen critique par les historiens. La popularité de l’ouvrage superficiel
et frauduleux de Souvorov en Russie comme dans bien des milieux des
pays occidentaux prouve, s’il le fallait, que les conspirations, fussent‑elles
vieilles et éventées, ont la vie extrêmement dure. Les mythes véhiculés
par les livres de Souvorov, en simplifiant une situation complexe, font
systématiquement et délibérément obstacle à la vérité.

La théorie de Souvorov serait donc conspirationiste ! Voilà qui nous


met en appétit !

Le pari insensé de Hitler.


Dans les pages qui suivent, sauf précision en note, toutes les infor-
mations sont tirées des livres de Souvorov. Selon lui, en juin 1941, les forces
offensives déployées par les Soviétiques sur leur frontière ouest incluaient :

– plus de 15 000 chars d’assaut (sur les quelques 20 000 dont ils dispo‑
saient alors). Comme leur nom l’indique, les chars d’assaut sont des armes
offensives. Les modèles soviétiques, le T‑34 et le colossal KV‑1, étaient non
seulement les mieux blindés et les mieux armés de l’époque, mais ils étaient
capables de parcourir sur route de longues distances à plus de 50 km/h;
– plus de 15 500 avions, essentiellement des bombardiers et avions de
transports de troupes, et non des chasseurs utiles en défense. Staline avait
fait construire pour eux un chapelet de plus de cent aérodromes militaires
le long de la frontière;
– plus de 5 millions de soldats, répartis en plus de 330 divisions. Rien
qu’en mai et juin, 77 divisions avaient été transportées vers la frontière,
dans la plus grande discrétion par des trains de nuit. Parmi elles, une
dizaine de divisions venaient d’être recrutées dans le Goulag. Les dernières
divisions furent logées dans des tentes, et aucun préparatif n’a été fait

–7–
pour les loger sur place durant l’hiver;
– au moins 1 million de parachutistes entraînés, prévus pour être aéro‑
portées derrière les lignes ennemies en plusieurs vagues. Ces unités sont
utiles uniquement dans une guerre d’invasion, pour s’emparer de cibles
ennemies loin derrière les lignes de front pendant une offensive majeure;
– des centaines de milliers de tonnes de munitions et d’armes, placés
près de la frontière pour approvisionner l’armée à mesure de son avancée.
Les obus étaient arrivés à partir d’avril 1941 et étaient stockés à même
le sol et à découvert, ou dans des wagons de train, ce qui indique qu’ils
étaient destinés à un usage imminent; plus de 300 usines de production
de munitions en tous genres que Staline avait fait construire relativement
près de la frontière, afin d’assurer un approvisionnement rapide et illimité
à ses troupes.

Outre les témoignages d’officiers russes capturés par les Allemands,


des documents saisis par les Allemands durant leur avancée confirment
les plans d’invasion soviétiques : ils trouvèrent par exemple des stocks de
livrets destinés à permettre aux troupes soviétiques conquérantes de se faire
facilement comprendre des civils allemands (Wo ist der Bürgermeister ?,
etc.), et surtout des cartes très précises de l’Allemagne, de l’Autriche et
de la Silésie. Contrairement à l’idée reçue, les forces de l’Axe étaient très
inférieures à celles qu’elles affrontèrent immédiatement derrière leurs
frontières. Les Allemands ne disposaient que de 3 350 chars en tout et pour
tout, très inférieurs en tous points aux chars soviétiques 11. Les Allemands
attaquèrent avec 2 500 avions seulement. Les effectifs des forces de l’Axe
étaient d’environ 3 millions de soldats, dont seulement 4 000 parachutistes.
L’armée allemande était pauvrement motorisée, utilisant 625 000 chevaux
pour le transport de son artillerie et autre matériel.
Lorsqu’il lança l’opération Barbarossa, Hitler savait que le rapport
de force lui était très défavorable, mais il avait sous‑estimé dans quelle
mesure. En Pologne en 1939, puis en Finlande en 1940, Staline n’avait pas
dévoilé ses derniers modèles de chars d’assaut. Hitler dira en avril 1942 :
Toute la guerre avec la Finlande en 1940, tout comme l’avancée russe en
Pologne avec des chars obsolètes et des soldats pauvrement vêtus, n’étaient
rien d’autre qu’une grandiose campagne de désinformation. Plus d’une
fois, Hitler a admis, comme le 27 juin : Si j’avais eu la moindre idée de
cet assemblage gigantesque de l’Armée rouge, je n’aurais jamais pris la
décision d’attaquer. Toutefois, il ajoutait parfois qu’il devait donc remercier
le Ciel de n’avoir pas été mieux informé 12.
Paradoxalement, les préparatifs d’invasion de Staline facilitèrent la
tâche des Allemands. La concentration des forces soviétiques sur la fron-
tière permit à la Luftwaffe de détruire au sol environ 12 000 avions, et à la
Wehrmacht de rapidement percer les lignes soviétiques, détruisant ou cap-
turant plus de 4 000 chars. En Biélorussie, les Soviétiques abandonnèrent
25 000 wagons de munitions. Les usines de munitions construites près de

–8–
la frontière tombèrent également entre les mains des Allemands. Quant aux
divisions d’infanterie, rapidement encerclées, elles se rendirent en masse,
de nombreux soldats ayant eu à peine le temps de s’habiller. En deux mois
seulement, les Allemands avaient fait un million et demi de prisonniers
De plus, en juin, Staline avait supprimé tous les dispositifs défensifs
qui auraient pu entraver l’offensive de ses propres divisions. Non seulement
la « ligne Molotov » prévue sur la nouvelle frontière de 1939 n’existait que
sur le papier, mais au printemps 41, l’imprenable « ligne Staline » construite
dans les années 20, qui protégeait l’ancienne frontière sur une profondeur
de 10 à 20 km de la Baltique à la mer Noire, avait été démantelée : ses
champs de mines, ses fossés antichars, ses barrières de béton et barbelés,
ses abris bétonnés, et même le dispositif de dynamitage des ponts et autres
voies d’accès en cas d’attaque ennemie avait été désactivés. Dissoutes égale-
ment, les unités mobiles de partisans créées à partir des années 1920, avec
leurs abris souterrains et leurs caches d’armes et de munitions.
Le seul point sur lequel la thèse révisionniste de Souvorov s’accorde
avec la narration traditionnelle est que l’opération Barbarossa a pris Sta-
line par surprise. Et même les historiens consensuels comme Jean Lopez
admettent que, si Staline fut surpris par l’attaque allemande, ce n’est pas
parce qu’il faisait confiance à Hitler, mais parce que, en dépit des informa-
tions qu’il recevait sur les préparatifs allemands, il pensait que Hitler ne
se risquerait pas à l’attaquer tant qu’une partie importante de ses forces
étaient mobilisées à l’Ouest contre l’Angleterre. Quand arriva le mois de juin
1941, Staline fut convaincu que toute menace imminente était écartée, parce
qu’une attaque des Allemands après cette date impliquait nécessairement
une guerre se prolongeant dans l’hiver, et Staline savait les Allemands non
préparés pour cela. Souvorov raconte par exemple que, pour tenter d’anti-
ciper les plans allemands, les espions soviétiques surveillaient le marché
des peaux de moutons, car il leur était inconcevable que les Allemands se
préparent à envahir la Russie sans équiper leurs soldats de manteaux en
peau de mouton pour l’hiver.
Et en effet, les Allemands n’étaient pas équipés pour l’hiver. Hitler
misait tout sur une victoire rapide, en deux ou trois mois, suivi d’une occu-
pation du territoire russe à l’ouest de l’Oural. Selon certains analystes, cela
aurait été possible si Hitler n’avait pas décidé, le 21 juillet, contre l’avis
de ses généraux, de retarder l’attaque sur Moscou pour diriger ses forces
vers Kiev et Leningrad, qu’il jugeait cruciaux pour l’approvisionnement
en matières premières 13. Mais Souvorov, avec bien d’autres, estime que
la tâche était impossible de toute manière, étant donné l’immensité du
territoire russe.
De plus, un hiver particulièrement précoce et rude vint soudain ra-
lentir la progression des troupes allemandes, immobilisés dès octobre par la
boue et la neige. Alors que les températures chutèrent bientôt jusqu’à ‑30°,
les Allemands ne disposaient d’aucun vêtement d’hiver. Ils n’avaient pas
non plus prévu d’huile de moteur ni de lubrifiant résistant aux tempéra-

–9–
tures hivernales russes. Lorsque, le 5 décembre 41, les armées soviétiques
ont lancé leur contre‑attaque au nord de Moscou, la Luftwaffe était clouée
au sol par des moteurs gelés, et les canons étaient bloqués. Les blessés
mourraient de froid en une demi‑heure s’ils n’étaient pas évacués aussitôt.
Et bientôt, de nouvelles troupes soviétiques apparaissaient des pro-
fondeurs de la Russie. Avec déjà plus de 3,8 millions de soldats russes faits
prisonniers, comment Hitler pouvait‑il imaginer que Staline serait capable
d’en mobiliser au total 34 millions, soit 20 % de la population vivant sous
le régime soviétique ? Il faut ajouter que les énormes pertes soviétiques
dues à l’attaque initiale furent rapidement compensées par une accéléra-
tion de la production de masse d’armes modernes dans les six derniers
mois de 1941. Les ressources militaires de l’État soviétique furent en outre
complétées par les généreuses contributions de la Grande ‑Bretagne et de
l’Amérique. Tout cela a permis la victoire soviétique. En 1945, cependant,
Staline n’aura conquis que la moitié de l’Europe plutôt que sa totalité. En
un sens, il avait perdu la guerre.

Staline et la révolution mondiale.


Bien que les concentrations respectives des armées allemande et
russe sur leur frontière commune aient été symétriques en juin 1941, leur
interprétation par l’histoire officielle est totalement différente : les prépa-
ratifs des Allemands sont interprétés comme la preuve de leur intention
d’attaquer les Russes, mais ces mêmes mouvements chez les Russes sont
interprétés comme la preuve de l’incompétence de leurs généraux. La
vérité, selon Souvorov, est que si les Soviétiques avaient mal préparé leur
défense, c’est que, sur ordre de Staline, ils étaient entièrement focalisés
sur l’attaque, n’attendant que le signal.
Le même double standard est appliqué aux intentions des Allemands
et des Russes sur le long terme. Sur la base de Mein Kampf, on admet que
Hitler a prémédité de longue date l’invasion de l’URSS. Mais qu’en est‑il
de Staline ? Staline était un marxiste‑léniniste. Le programme marxiste
de conquête du monde est clairement évoqué dans le Manifeste du Parti
communiste de 1848, et, selon Mikhaïl Kalinine, président du Præsidium du
Soviet suprême en 1941, les vrais marxistes savent que le concept fondamen‑
tal de la doctrine marxiste consiste à tirer le plus grand bénéfice possible
pour le Parti communiste des énormes conflits au sein de l’humanité 14.
C’est surtout Lénine qui a théorisé le rôle de la guerre mondiale
dans la soviétisation du monde. En 1916, il prône le retrait de la Russie
de « la guerre réactionnaire, esclavagiste et criminelle », mais il s’oppose
également à tout projet de désarmement. Il écrit dans son Programme
militaire pour la révolution prolétarienne : C’est seulement après que
nous aurons renversé, définitivement vaincu et exproprié la bourgeoisie
dans le monde entier, et non pas simplement dans un seul pays, que les
guerres deviendront impossibles.
Le Komintern, fondé à Moscou en 1919, a pour but d’établir une

– 10 –
révolution mondiale permanente pour combattre par tous les moyens dis‑
ponibles, y compris la force armée, dans le but de renverser la bourgeoisie
internationale et créer une République soviétique internationale comme
étape de transition vers l’abolition complète de l’État. En 1921, l’emblème
du Komintern, un globe dominé par le marteau et la faucille, sera intégré
dans l’étendard de l’Union des républiques socialistes soviétiques, dont la
déclaration de fondation indique qu’elle est destinée à s’étendre à la terre
entière.
Le but premier de Lénine est Berlin. Pour cela, Lénine veut faire
sauter la Pologne, pays reconstitué après la Première Guerre mondiale entre
la Russie et l’Allemagne. Durant l’été 1920, la cavalerie soviétique tente
l’invasion de la Pologne aux cris de « À nous Varsovie, à nous Berlin ! ». Le
général Toukhatchevski envoie l’ordre suivant au front de l’Ouest : Combat‑
tants de la révolution des travailleurs ! Le sort de la révolution mondiale
sera décidé à l’Ouest. Le chemin vers l’embrasement du monde passe par le
cadavre de la Pologne blanche. Nous apporterons le bonheur et la paix sur
nos baïonnettes aux travailleurs du monde 15.Mais les Polonais repoussent
les Russes et leur infligent des pertes de territoire (paix de Riga).
Lénine tente simultanément d’exporter la révolution chez les Alle-
mands car, dit‑il, la déception due à leur défaite les conduit à la révolte
et au désordre, grâce auxquels ils espèrent arracher le lien de fer qu’est
pour eux le traité de Versailles. Ils ont soif de revanche, et nous de
révolution. Nous avons provisoirement les mêmes intérêts 16.Mais après
l’échec du soulèvement communiste en Allemagne en octobre 1923, Lénine
comprend qu’une seconde guerre mondiale est nécessaire. Fomenter des
troubles révolutionnaires ne suffira pas à renverser la social ‑démocratie en
Allemagne. Il faut attendre — et aider à créer — les conditions favorables
pour une nouvelle guerre mondiale et, durant cette période d’incubation,
mettre une sourdine au discours internationaliste afin de maintenir de
bonnes relations avec l’Occident. Pour que naisse une nouvelle guerre, il
faut combattre le « pacifisme bourgeois des sociaux‑démocrates ». Souvorov
explique dans Icebreaker :

Selon Marx et Lénine, la révolution est engendrée par la guerre.


La guerre exacerbe les contradictions et ruine l’économie, entraînant
les nations et les États au‑delà d’un précipice fatidique, brisant leurs
conventions, leur mode de vie. Staline, en vrai marxiste‑léniniste, avait
une position de principe en matière de guerre et de paix : si le pacifisme
social‑démocrate éloignait le prolétariat de la révolution — et des guerres
engendrant la révolution — , alors il faut déclarer une guerre à mort aux
sociaux‑démocrates. Le 7 novembre 1927 [dans la Pravda], Staline lance
le cri de guerre : “Pour mettre fin au capitalisme, nous devons d’abord
abattre la social‑démocratie” 17.

Comme Lénine, Staline sait que le ressentiment allemand contre

– 11 –
le traité de Versailles est le terreau de la prochaine guerre. C’est pourquoi
il va aider l’Allemagne à se réarmer en contournant les clauses du traité.
Staline est l’architecte, du vivant de Lénine, du pacte de Rapallo signé
avec l’Allemagne (1922), qui instaure une collaboration militaire secrète.
L’accord cimente également la commune hostilité au jeune État polonais.
Dans les années 20 et 30, derrière la propagande antifasciste de la Pra-
vda, Staline continue de soutenir l’effort de réarmement de l’Allemagne.
Et jusqu’en 1940, celle‑ci reste dépendante de l’URSS pour de nombreuses
matières premières.
Staline voyait le nationalisme hitlérien comme le « brise‑glace » (ice‑
breaker) capable de déclencher une nouvelle guerre européenne sanglante
qui épuiserait toutes les parties, tandis que l’Union Soviétique resterait à
l’écart, attendant le bon moment pour envahir et conquérir le continent
tout entier. Car celui qui gagne la guerre est celui qui y entre le dernier. En
janvier 1925, Staline déclare : Comme antérieurement, notre armée doit
lever l’étendard de la paix. Mais si la guerre éclate, nous ne pourrons rester
les bras croisés, il faudra entrer en lice mais y entrer les derniers. Nous
nous engagerons pour jeter le poids décisif sur la balance, le poids qui
fait pencher la balance 18. Et en 1927 : Vous pouvez juger le moment venu
pour la bataille décisive, une fois que toutes les forces de classe hostiles
à nous auront été suffisamment drainées par une lutte au ‑delà de leur
capacité à faire face.
On le voit, selon Souvorov, l’idée communément admise que Staline a
renoncé à l’objectif de la révolution mondiale pour se contenter du « socia-
lisme dans un seul pays » relève de la propagande destinée à l’Occident. Elle
est démentie par les propres paroles de Staline, et contredite même par la
ligne officielle de la Pravda peu avant la guerre. On admet communément
que le conflit entre Staline et Trotski portait sur ce point et que les purges
staliniennes des années 30 visaient les « internationalistes ». En réalité,
les divergences entre Staline et Trotski étaient plutôt stratégiques. Trotski
lui‑même confirme les ambitions expansionnistes de Staline. En novembre
1938, il écrit : Staline a finalement délié les mains de Hitler, ainsi que
celles de ses ennemis, et poussé toute l’Europe vers la guerre. Et en juin
1939, il prédit : L’URSS va déplacer sa masse entière vers les frontières
de l’Allemagne précisément au moment où le Troisième Reich sera attiré
dans une guerre pour une nouvelle division du monde. Selon Souvorov,
c’est parce que Trotski en savait et en disait trop sur les plans de Staline
que celui‑ci l’a fait assassiner (le 21 août 1940) 19.
En attendant la Seconde Guerre mondiale, la politique intérieure
de Staline consiste d’une part à affermir son contrôle sur la population,
d’autre part à bâtir un immense complexe militaro‑industriel. À y regarder
de près, les trois plans quinquennaux, commencés en 1928, sont orientés
vers ce second but. Aucun ne profita au peuple russe en terme de niveau de
vie. Pour financer son industrie militaire, Staline vida le pays de toutes ses
réserves de métaux précieux et de diamants, et de tous ses trésors (ceux de

– 12 –
l’Église notamment) ; la guerre civile espagnole lui apporta un butin supplé-
mentaire en 1936 (voir « L’or de Moscou »). Le premier plan quinquennal
(1928‑1932) visait à établir une base industrielle axée sur l’industrie lourde,
au prix d’une chute drastique des biens de consommation. L’armement est
prioritaire : en 1928, l’URSS n’avait que 92 chars d’assaut, et plus de 4 000
en 1932. En 1933, le colonel allemand Heinz Guderian, ayant visité une usine
d’assemblage à Kharkov, témoigne qu’elle produisait à elle seule, à côté des
tracteurs qui constituaient sa production officielle, 22 chars d’assaut par
jour. À la fin du second plan (1933‑1937), l’URSS possédait 24 708 avions de
combat. Le troisième plan (1938 ‑1942) vit une augmentation spectaculaire
de la production d’armement et de munition, en vue de la grande guerre
qui devait libérer l’Europe du capitalisme.
Parallèlement à l’instauration d’une économie de guerre, les deux
premiers plans quinquennaux mettaient l’accent sur la collectivisation de
l’agriculture. Mais là encore, l’objectif était étroitement lié à la guerre,
comme le montre Jean Lopez. En effet, en 1927, tandis que des rumeurs
de guerre avec l’Angleterre se répandent,

… le pire cauchemar des chefs bolcheviques tient dans l’apparition d’un


refus populaire de la guerre analogue à celui qui avait mis à bas la dynas‑
tie des Romanov. Le contenu des rapports (les zemsvodki) de l’OGPU sur
l’état d’esprit des campagnes, est sans ambiguïté : la panique de guerre
gagne le monde paysan et révèle son hostilité au régime. L’on stocke en
effet les grains en prévision du conflit, on vend les chevaux et les carrioles
susceptibles d’être réquisitionnés ; la monnaie officielle, le tchervonets,
est refusée, l’approvisionnement des villes s’interrompt […]. Les propos
défaitistes, les appels à l’insoumission et à la désertion, l’espoir de voir
tomber le régime s’expriment sans retenue 20 .

La police incrimine les paysans indépendants, les koulaks. C’est ce


qui motive le « Grand Tournant » de 1928. Les victimes de la collectivisation
forcée, soit par exécution ou déportation, soit par la famine, sont estimées
entre 10 et 16 millions. Pendant ce temps, Staline vendait à l’étranger en
moyenne 5 millions de tonnes de grains chaque année pour financer son
armement.
L’agenda de Staline est parfaitement au point. En 1941 ou 42, si tout
se passe comme il le veut, il aura l’armée la plus puissante du monde, et la
guerre aura saigné à blanc tous les « pays capitalistes », qui ne pourront
résister à sa grande offensive.
Les préparatifs se précisent en 1941. En janvier, Staline nomme
Gueorgui Joukov (Zhukov) chef de l’État‑Major. Le 4 mai, il se fait nom-
mer président du Conseil des commissaires du peuple, c’est ‑à‑dire chef du
gouvernement, à la place de Molotov. Il n’était jusqu’alors que secrétaire
général du Parti communiste, ce qui lui permettait de ne pas prendre la
responsabilité officielle de certaines décisions, mais qui lui a valu quelques

– 13 –
embarras (en 1934, le ministre polonais des affaires étrangères Jozef Beck
avait refusé de le rencontrer au prétexte qu’il était dénué de titre officiel
dans l’appareil d’État). Staline tient à prendre devant l’histoire la pleine
responsabilité de la « libération » des prolétaires d’Europe du capitalisme,
sa grande œuvre. C’est lui qui l’annoncera, la commandera, et en signera
la fin.
Le 5 mai, dans la grande salle du Kremlin, devant le gotha politique
et militaire, Staline annonce : En défendant notre pays, nous devons agir
offensivement, passer de la défense à une doctrine militaire de l’offen‑
sive. Nous devons transformer notre entraînement, notre propagande,
notre agitation, notre presse dans le sens de l’esprit offensif. L’Armée
rouge est une armée moderne et une armée moderne est une armée
offensive. À cette date, Staline fait envoyer une directive spéciale à tous
les postes de commandement. Cette directive, encore partiellement clas-
sifiée, indique : Soyez prêts à lancer, sur un signal du quartier général,
des frappes éclair destinées à mettre l’ennemi en déroute, déplacer les
opérations militaires sur son territoire et saisir des objectifs clés. On lève
de nouvelles armées dans tous les districts. On abat tous les obstacles des
lignes de défense. À partir du 13 juin, un mouvement incessant de trains
de nuit transporte vers la frontière des milliers de chars, des millions de
soldats, et des centaines de milliers de tonnes de munitions. La Pravda
commence à préparer le peuple :

Juste au‑delà des frontières de notre patrie, la conflagration d’une


seconde guerre impérialiste fait rage. Tout le poids de ses malheurs pèse
sur les épaules des masses laborieuses. Partout, les gens ne veulent pas
participer à la guerre. Leur regard est fixé sur la terre du socialisme,
qui récolte les fruits d’un travail pacifique. Ils voient à juste titre les
forces armées de notre patrie – l’Armée rouge et notre marine ‑ comme le
véritable rempart éprouvé pour la paix… Étant donné la situation inter‑
nationale complexe actuelle, vous devez vous préparer à toutes sortes de
surprises… (Pravda, éditorial du 6 mai 1941).

Le double piège de Staline et Churchill.


Revenons en arrière. Par le traité de Versailles de 1919, des terri-
toires autrefois allemands et peuplés d’Allemands ont été donnés à deux
pays nouvellement créés, la Tchécoslovaquie et la Pologne, tandis que la
ville de Dantzig et sa région environnante de Prusse orientale avaient été
isolées de l’Allemagne par le « couloir de Dantzig ». Avec les Accords de
Munich (29 septembre 1938), Hitler a pu reprendre à la Tchécoslovaquie
la région des Sudètes. Tout au long de l’année 1939, il tente de résoudre
pacifiquement le problème du « couloir polonais ». Les négociations
progressent avec le président polonais Jozef Pilsudski, mais sont inter-
rompues à sa mort en 1935. Au sein de la Grande‑Bretagne, les faucons
germanophobes menés par Churchill intriguent avec l’Union Soviétique.

– 14 –
Les bolcheviques, s’inquiète Chamberlain, tirent derrière la scène dis‑
crètement et avec ruse toutes les ficelles pour nous impliquer dans une
guerre avec l’Allemagne 21. Néanmoins, tant que Chamberlain est à la tête
du gouvernement de Londres, Hitler a des raisons d’espérer qu’il peut
récupérer la Prusse orientale sans déclencher une guerre à l’Ouest. Mais le
31 mars 1939, Chamberlain annonce publiquement que son pays garantit
l’indépendance de la Pologne, et Paris lui emboîte le pas.
Sachant que les Britanniques et les Français cherchent également à
inclure l’URSS dans une triple alliance contre lui, pour le dissuader d’atta-
quer la Pologne et la Roumanie, Hitler chargea son ministre des Affaires
étrangères Joachim von Ribbentrop de contrer ce projet en scellant un
pacte avec Staline. Le pacte de non‑agression est signé le 23 août 1939. Il
comporte un protocole secret pour le partage de la Pologne et la réparti-
tion des sphères d’influence en Europe, notamment dans les pays Baltes.
Hitler pensait que le pacte germano ‑ soviétique le protégerait
d’une déclaration de guerre par la Grande‑Bretagne et la France. Il s’est
trompé. Pour Souvorov, ce pacte signale le début de la guerre mondiale.
Hitler l’ignore, mais Staline le sait. Il a piégé Hitler, comme le démontre
le déroulement des événements qui suivent.
Lorsque Hitler envahit la Pologne par l’Ouest le 1 er septembre,
l’Armée rouge ne bouge pas. Le 3 septembre, l’Angleterre et la France
déclarent donc la guerre uniquement à l’Allemagne. C’est une très mauvaise
surprise pour Hitler. Les Allemands pressent les Russes d’attaquer de leur
côté, mais les Russes font la sourde oreille. En réponse à la demande alle-
mande du 3 septembre, le chef du gouvernement et ministre des Affaires
étrangères Molotov répond, le 5 septembre : il nous semble qu’une hâte
excessive pourrait nous causer du tort et faciliter l’unification parmi
nos ennemis. Le 8 septembre, un nouveau communiqué de la Wehrmacht
presse les Soviétiques d’avancer puisque Varsovie est prise et qu’il n’existe
plus de gouvernement polonais. Réponse des Soviétiques : la chute de
Varsovie n’est pas confirmée et la Russie étant liée à la Pologne par un
pacte de non‑agression, elle ne peut marcher. Staline essaie même de per-
suader le gouvernement polonais réfugié à Kuty de lui adresser un appel
à protection. Le 17 septembre, l’ambassadeur polonais à Moscou reçoit le
message suivant :

La guerre germano‑polonaise a démontré la fragilité interne de l’État


polonais. […] Varsovie n’existe plus en tant que capitale de la Pologne. Le
gouvernement polonais s’est effondré et ne donne plus signe de vie. Cela
signifie que l’État polonais et son gouvernement ont cessé d’exister. De
ce fait, les traités entre l’URSS et la Pologne ont perdu leur validité. Ainsi
laissée à elle‑même et demeurée sans direction, la Pologne est devenue
un lieu propice à tous les hasards et à toutes les surprises, ce qui peut
représenter une menace pour l’URSS. À la suite de quoi, le gouvernement
soviétique, demeuré neutre jusqu’ici, ne peut se comporter plus longtemps

– 15 –
ainsi. Il ne peut non plus se montrer indifférent au fait que ses frères de
sang ukrainiens et biélorusses, qui vivent sur le territoire de la Pologne,
soient livrés sans protection à l’arbitraire du destin 22 .

Bien que rédigé sans mentionner les Allemands, le message est clair :
l’URSS n’est pas l’agresseur, mais le défenseur de la Pologne. L’ URSS attend
deux semaines et demi avant de pénétrer en Pologne, le 17 septembre,
donnant au monde l’impression qu’elle intervient en réaction à l’attaque
allemande, pour empêcher l’Allemagne de saisir la totalité du pays et pour
protéger Ukrainiens et Biélorusses d’une occupation allemande. C’est le
sens du communiqué émis par Moscou le 18 septembre. L’URSS reste ainsi
officiellement neutre, et n’encourt aucun blâme de la part de la France et
de l’Angleterre.
Hitler, selon Souvorov, a été dupé par Staline. Celui ‑ci a manœuvré
pour que l’Allemagne provoque l’entrée en guerre de l’Angleterre et de la
France, pendant que la Russie reste officiellement neutre. Ce que Hitler
ignorait, c’est que les négociations entre la Grande ‑Bretagne et l’ URSS
n’ont pas pris fin lorsque l’URSS pactisa avec l’Allemagne. Churchill, qui
a remplacé Chamberlain en mai 1940, continue de courtiser Staline pour
l’inciter à se retourner contre Hitler. Il lui écrit personnellement plusieurs
lettres en 1940 et 1941 f. Le 18 avril 1941, l’appelant « Votre Excellence »,
il l’informe que les renseignements britanniques ont observé des mouve-
ments de troupes de Hitler en Pologne et Roumanie. Souvorov évoque une
rencontre, le 13 juin, entre l’ambassadeur soviétique à Londres Ivan Maïski
et le ministre des Affaires étrangères Anthony Eden, autour de l’éventualité
d’une guerre prochaine entre l’URSS et l’Allemagne. Souvorov ne me semble
pas donner de preuve de cette rencontre, mais elle est plausible, compte
tenu de l’empressement de Churchill d’apporter son soutien à Staline dès
l’attaque Allemande. Lettre de Churchill à Staline le 1er juillet 1941, neuf
jours seulement après le déclenchement de l’opération Barbarossa :

Nous sommes tous très heureux ici que les armées russes opposent
une résistance aussi forte et énergique à l’invasion non provoquée et
impitoyable des Nazis. Il y a une admiration générale pour la bravoure
et la ténacité des soldats et du peuple soviétiques. Nous ferons tout pour
vous aider dans la mesure où le temps, la géographie et nos ressources
croissantes le permettent. […] Nous saluons l’arrivée de la mission militaire
russe afin de discuter les plans futurs.

Le 16 juillet, Churchill promet à Staline deux cent avions Tomahawk,


et, le 30 août, promet encore 200 Hurricanes. Il annonce à Staline que Harry
Hopkins, qu’il désigne comme le plus proche représentant personnel du
Président [Américain] va se rendre à Moscou pour vous aider à préparer
la victoire future et pour les fournitures à long terme à la Russie. Harry
Hopkins avait été placé à la Maison‑Blanche par Bernard Baruch. Le 15 août,

– 16 –
Roosevelt et Churchill envoient une lettre commune à Staline, l’informant
que, sur la base du rapport de Hopkins après son retour de Moscou, ils se
consultent sur la meilleure façon dont nos deux pays peuvent aider votre
pays dans la splendide défense que vous menez contre l’attaque nazie.
S’il n’y avait pas une abondance d’autres preuves, cette correspon-
dance suffirait à prouver que Roosevelt soutenait illégalement l’Union
Soviétique bien avant son entrée officielle dans la guerre à la suite de
l’attaque japonaise sur Pearl Harbour (7 décembre 1941). Churchill écrit à
Staline, le 22 novembre 1941 :

Au tout début de la guerre, j’ai entamé une correspondance personnelle


avec le président Roosevelt qui a conduit à une entente très solide entre
nous et a souvent aidé à faire avancer les choses rapidement. […] Nous
nous attendons à ce que la Russie soviétique, la Grande‑Bretagne et les
États‑Unis se réunissent à la table du conseil de la victoire en tant que
trois principaux partenaires et agences par lesquelles le nazisme aura
été détruit.

Souvorov souligne l’hypocrisie des Anglais. L’armée de Staline a


commis des crimes de guerre pires que les Allemands en Pologne. Entre sep-
tembre 1939 et juin 1941, elle se livra à plus de 100 000 exécutions som-
maires, et plus de 300 000 déportations. Lorsque, aussitôt après le partage
de la Pologne, le 30 novembre 1939, les troupes de Staline tentent d’envahir
la Finlande, son pays est déclaré agresseur par la Société des Nations, mais
aucune déclaration de guerre ne s’en suivra. En juin 1940, dix mois après
la signature du pacte, Staline envahit l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et
une partie de la Roumanie, soit au total le territoire de 23 millions d’habi-
tants. Mais cela n’est pas considéré comme des actes de guerre, et l’ URSS
ste officiellement un pays « neutre ».
Staline a parfaitement réussi son coup. Dans un discours secret au
Politburo le 19 août 1939, il s’était expliqué sur l’objectif du pacte signé
4 jours plus tard avec l’Allemagne :

Si nous acceptons la proposition de l’Allemagne, que vous connaissez,


de conclure avec elle un pacte de non‑agression, l’Allemagne attaquera la
Pologne, et l’intervention dans cette guerre de la France et de l’Angleterre
deviendra inévitable. Dans ces circonstances, nous aurons beaucoup de
chances de rester à l’écart du conflit et nous pourrons avantageusement
attendre notre tour. […] Donc, notre but est que l’Allemagne puisse mener
la guerre le plus longtemps possible afin que l’Angleterre et la France
soient fatiguées et à tel point épuisées qu’elles ne soient plus en état d’a‑
battre l’Allemagne. […] En même temps, nous devons intensifier le travail
idéologique dans les pays belligérants, afin que nous soyons bien préparés
pour le moment où la guerre prendra fin.

– 17 –
Ce discours a fuité auprès de l’agence de presse française Havas
l’année même. Staline prit la peine de le dénoncer comme un faux dans
la Pravda, ce qui est assez exceptionnel de sa part. L’authenticité de ce
discours est donc discutée. Souvorov affirme que les archives russes ont
confirmé son authenticité. Lopez et Otkhmezuri admettent la découverte
d’un exemplaire du texte dans les archives soviétiques en 1996, mais
néanmoins affirment, avec le ton péremptoire qui les caractérise, qu’il a
été démontré, avec toute la clarté nécessaire, qu’il s’agit bien d’un faux
caractérisé 23. Françoise Thom fait remarquer que, faux ou authentique,
ce discours de Staline reproduit de manière exacte le raisonnement de
celui ‑ci tel que nous le connaissons aujourd’hui par d’autres sources. Par
exemple, le 7 septembre 1939, alors que l’Allemagne vient de se mettre à
dos l’Angleterre et la France et que l’URSS n’est toujours pas intervenue en
Pologne, Staline déclare devant le secrétaire général du Komintern Georgi
Dimitrov, qui en prit note dans son journal :

Nous ne sommes pas contre cette guerre : qu’ils s’étripent mutuellement


et s’affaiblissent l’un l’autre ! Il est bon que par les mains de l’Allemagne
la position des pays capitalistes les plus riches (surtout l’Angleterre) soit
ébranlée. […] Nous pouvons manœuvrer, attiser la guerre entre eux, pour
qu’ils s’entredéchirent mieux. Le pacte de non‑agression aide dans une
certaine mesure l’Allemagne. Maintenant, nous devons pousser l’autre
camp 24.

En plus de garantir le déclenchement de la guerre mondiale, le pacte


Molotov‑Ribbentrop et l’attaque coordonnée de la Pologne présentent des
intérêts supplémentaires pour Staline. Tout d’abord, comme le voulait déjà
Lénine, éliminer l’État tampon polonais donne une frontière commune à
l’URSS et l’Allemagne. Le pacte permet également à Staline d’étendre ses
territoires sans réaction de l’Allemagne, même lorsqu’il envahit la Litua-
nie — invasion non prévue par le pacte secret et qui rapproche encore
l’URSS de l’Allemagne. Enfin, le pacte donne à Staline un ou deux ans de
relative tranquillité pour installer ses troupes sur sa nouvelle frontière
ouest. À partir du moment où l’Angleterre et la France déclarent la guerre
à l’Allemagne, Staline est certain que Hitler sera trop occupé sur le front
de l’Ouest pour penser à l’attaquer.
C’est le 1 er septembre 1939, soit le jour même de l’invasion de la
Pologne par l’Allemagne, qu’est votée par le Soviet suprême une loi de
conscription qui, sous couvert d’instaurer un service militaire pour deux
ans, équivaut à une mobilisation générale. C’est pour Souvorov l’une des
preuves que, contrairement à Hitler, Staline savait que le partage de la
Pologne déclencherait la guerre mondiale. À cette date, l’Armée rouge
comptait 1,5 millions de soldats, ce qui était déjà énorme. Au printemps
1941, elle en comptera 5,7 millions. Une armée aussi gigantesque est impos-
sible à maintenir longtemps en temps de paix. À l’évidence, lorsqu’il décida

– 18 –
en septembre 1939 d’enrôler la plus grande partie de la jeunesse russe
sous les drapeaux pour deux ans, Staline planifiait son entrée en guerre.
Cependant, Staline veut faire durer la guerre deux ou trois ans si
possible avant d’intervenir. Il continue donc d’approvisionner l’Allemagne
en matières premières, et se garde de couper son approvisionnement en
métaux venant de Suède, et en pétrole venant de Roumanie, alors qu’il
a les moyens de le faire. Il contrôle la Lituanie et possède 124 navires de
guerre et 69 sous ‑marins dans la mer Baltique, et, grâce à l’invasion des
provinces roumaines de Bessarabie et de Bucovine du Nord, son armée
est à 180 km des champs pétroliers de Ploiesti, dont dépend l’Allemagne.
Hitler se rend compte qu’il est piégé. Avec l’opération Barbarossa,
il tente de reprendre l’avantage. Mais, selon Souvorov, il était impossible à
l’Allemagne, sans le soutien de l’Angleterre, de vaincre la Russie, pour des
raisons liées à l’immensité de son territoire, à la rudesse de l’hiver, et aux
ressources très limitées de l’Allemagne, comparées à celles de la Russie.

Hitler a commis une erreur irrémédiable, mais ce n’est pas le 21 juil‑


let 1940, lorsqu’il a ordonné des préparatifs de guerre contre l’Union
Soviétique. L’erreur est survenue le 19 août 1939, lorsqu’il a accepté le
pacte Molotov‑Ribbentrop. Ayant accepté la division de la Pologne, Hitler
a dû faire face à une guerre inévitable contre l’Occident, ayant derrière
lui le “neutre” Staline. Précisément à partir de ce moment, Hitler avait
deux fronts. La décision de commencer l’opération Barbarossa à l’est sans
attendre la victoire à l’ouest n’était pas une erreur fatale, mais seulement
une tentative de corriger l’erreur fatale qu’il avait déjà commise. Mais
il était alors trop tard 25.

Quant à Staline, Hitler a fait échouer partiellement son plan, mais


alors qu’il est entré de fait dans la guerre aux côtés de l’Allemagne, il en
sortira du côté des Alliés. Alors que le pacte décidant du partage de la
Pologne par l’Allemagne et la Russie fut signé à Moscou — en présence
de Staline et non de Hitler — l’histoire ne retiendra que l’agression de
l’Allemagne, et considérera l’ URSS comme l’un des pays agressé. Alors
que l’Angleterre et la France étaient entrées en guerre officiellement
pour défendre l’intégrité territoriale de la Pologne, à la fin de la guerre, la
Pologne tout entière sera à Staline.
Staline a bénéficié de la complicité de Churchill et Roosevelt, qui ont
volontairement prolongé la guerre et lui ont laissé le champ libre jusqu’à
Berlin (comme s’en plaignit un peu trop bruyamment le général Georges
Patton, mort dans des conditions suspectes le 21 décembre 1945 26). On peut
même se demander si l’abominable plan Morgenthau signé par Roosevelt
et Churchill en septembre 1944, qui prévoyait de convertir l’Allemagne en
un pays de caractère principalement agricole et pastoral, en démantelant
toutes les usines et les équipements industriels qui n’auraient pas été
détruits par les actions militaires, tandis que des millions d’Allemands

– 19 –
devront être déportés pour du travail forcé en dehors d’Allemagne, n’a
pas eu pour but précisément de créer les conditions pour la soviétisation
complète de l’Allemagne. John Weir écrit dans Germany’s War :

Jusqu’à l’annonce du plan Morgenthau, il y avait une possibilité rai‑


sonnable que l’Allemagne se rende aux forces américaines et britanniques
tout en tenant les Russes à distance à l’Est. Cela aurait pu raccourcir la
guerre de plusieurs mois et aurait pu éviter la prise de contrôle de l’Al‑
lemagne de l’Est par les forces communistes. […] La meilleure façon de
conduire le peuple allemand dans les bras de l’Union Soviétique était que
les États‑Unis et la Grande‑Bretagne se présentent comme des champions
de la mort et de la misère en Allemagne 27.

L’hypothèse d’un motif caché est d’autant plus raisonnable que le


plan Morgenthau a été conçu par Harry Dexter White, plus tard démasqué
comme étant un agent soviétique 28.

L’héroïsme soviétique avec une mitrailleuse dans le dos.


L’idée que la victoire soviétique sur les Allemands est due à la résis-
tance héroïque des Russes est une composante du mythe de la « Grande
Guerre patriotique », chapitre clé du roman national russe, encore au-
jourd’hui. La réalité est que l’occupant allemand, malgré un comportement
beaucoup plus violent qu’en Europe de l’Ouest, fut souvent bien accueilli,
non seulement en Ukraine, en Biélorussie et dans les pays Baltes, mais en
Russie proprement dite. Se basant sur des archives russes et allemandes,
Johannes Due Enstad a enquêté sur la fraternisation russo‑allemande dans
la Russie du nord‑ouest, entre Moscou et Saint‑Pétersbourg (Léningrad),
dont les 2 millions d’habitants sont à 95 % russes orthodoxes et majoritai-
rement paysans. Il conclut, dans Soviet Russians Under Nazi Occupation :
Fragile Loyalties in World War ii (Cambridge University Press, 2018) :
Loin de rester fidèle au pouvoir soviétique, une partie importante de la
population du nord‑ouest de la Russie a activement soutenu ou acquiescé
passivement à la domination allemande. Pour de nombreux Russes,
l’occupation allemande apportait une nette amélioration dans leur vie quo-
tidienne, notamment en raison de la dissolution des fermes collectives et
de la renaissance de l’Église orthodoxe parrainée par l’Allemagne. Jusqu’à
ce que les Allemands commencent à préparer leur retraite fin 1943, les
habitants avaient tendance à soutenir le pouvoir allemand plutôt que le
gouvernement soviétique et le mouvement partisan. En 1943, certaines
divisions allemandes comptaient plus de 20 % d’auxiliaires russes.
Du côté des soldats soviétiques, le combat héroïque doit aussi être
relativisé. Un total de 5 245 000 de soldats soviétiques se sont rendus aux
Allemands pendant la guerre. Dans les premiers mois, beaucoup d’entre
eux se rendirent sans combattre. Malheureusement, l’incapacité logistique
des Allemands à fournir de la nourriture et un logement à leurs millions de

– 20 –
prisonniers de guerre souvent totalement épuisés, en particulier dans les
dures conditions de l’hiver russe de 1941‑42, explique qu’un tiers d’entre eux
ont péri de faim, de froid et de maladie (épidémie de typhus en particulier).
Parmi les prisonniers soviétiques, un million se portèrent volontaires
pour servir du côté allemand, et furent intégrés dans l’Armée de libération
russe (ou armée Vlassov, du nom de l’ancien général de l’Armée rouge qui
la dirigea). On devine leur sort lorsque, une fois capturés par les Alliés, ils
furent livrés aux Soviétiques.
Pour mettre fin à l’hémorragie de soldats et d’officiers se rendant aux
Allemands, Staline eut recours à la propagande. Le commissaire Mekhlis,
chef de propagande dans l’Armée rouge, émet le 14 juillet 1941 un règle-
ment qui commence par un appel au patriotisme soviétique : Vous avez
prêté serment d’être fidèle à votre peuple, à la patrie et au gouvernement
soviétiques, jusqu’à votre dernier souffle. Gardez votre serment pendant
la lutte contre les fascistes. Ceci est suivi d’un argument dissuasif :Un
combattant de l’Armée rouge ne se rend pas. Les barbares fascistes tortu‑
rent, tourmentent et tuent leurs prisonniers de la manière la plus bestiale.
Mieux vaut la mort que la captivité fasciste ! » Selon l’historien allemand
Joachim Hoffmann, des photographies des Polonais et Ukrainiens abat-
tus par milliers par le NKVD dans les prisons de Lviv (Lemberg) ont été
produites comme « preuves » présumées d’atrocités commises contre des
prisonniers de guerre par des soldats allemands. Les troupes allemandes
ont pu constater l’impact de cette propagande : les prisonniers s’attenda-
ient à être tués 29.
Plus efficaces furent les mesures coercitives pour forcer les soldats à
mourir plutôt que se rendre. Le 3 juillet 1941, lors de sa première allocution
radio après le déclenchement de l’attaque, le camarade Staline annonça :
Il ne doit pas y avoir de place dans nos rangs pour les grognards et les
lâches, les semeurs de panique et les déserteurs. […] Tous ceux qui nuisent
à la défense nationale en semant la panique et par lâcheté doivent être
remis aux cours martiales sans distinction. […] Nous devons nous battre
jusqu’à la dernière goutte de sang pour nos villes et villages. Ce discours
fut suivi de directives ordonnant une lutte sans merci et les mesures les
plus brutales contre tous les défaitistes, chez les officiers comme chez les
simples soldats. Interdiction formelle de reculer ou de se rendre à l’ennemi.
En juillet 1941, Staline créa des « Départements spéciaux » du NKVD dans
l’Armée rouge. Ils étaient responsables de mener une lutte sans merci contre
l’espionnage et la trahison dans les unités, la liquidation des déserteurs
dans les sections immédiatement adjacentes au front, ainsi que de mener
une lutte sans merci contre la subversion des lâches traîtres et déserteurs.
Chaque unité de combat avait son « commissaire militaire » placé au‑dessus
de l’officier. Son devoir était de garantir une obéissance inconditionnelle
et de superviser les cours martiales. De nombreux officiers furent fusillés
simplement pour avoir reculé devant l’ennemi ou l’avoir laissé s’emparer
d’armements.

– 21 –
Sous la direction de ces Départements spéciaux, des « unités de
blocage » ou « anti‑retraite », avec une force de 200 hommes chacune,
étaient postées immédiatement derrière chaque division, et ouvraient le
feu sur tout soldat refusant de monter à l’assaut ou reculant durant l’assaut.
Selon un bilan établi à partir d’archives par une conférence germano‑russe
à Dresde le 6 juillet 1997, les cours martiales soviétiques ont tenu un mil‑
lion de procès contre leurs propres soldats entre 1941 et 1945, exécutant
pas moins de 157 000 condamnations à mort 30. Tout soldat fait prisonnier
par les Allemands était considéré comme traître. Ceux qui revenaient de
captivité étaient fusillés. L’Armée rouge alla jusqu’à bombarder des camps
allemands de prisonniers russes (dont la mort sera ensuite imputée aux
Allemands). Les opérations Keelh, qui en 1947, sur la demande insistante
de Staline, visaient à rapatrier en URSS les prisonniers de guerre sovié-
tiques libérés par les Alliés, durent être organisés à l’insu des prisonniers
eux‑mêmes, et ont scellé le sort de millions d’entre eux, exécutés ou déportés
au Goulag. Pour décourager les soldats de l’Armée rouge de se rendre ou
de déserter, les Soviétiques utilisaient également les représailles contre
les membres de leur famille. Les registres des interrogatoires allemands
révèlent l’inquiétude des soldats soviétiques capturés que les membres de
leur famille seraient déportés en Sibérie ou fusillés. Les officiers, en par-
ticulier, vivent dans la peur constante que leurs proches soient abattus
par le GPU s’ils sont capturés 31.
Toutes ces méthodes expliquent le comportement suicidaire des
troupes soviétiques, incompréhensible pour les Allemands. Le chef
d’État‑major Franz Halder écrivit le 16 juillet 1941 :

Les Russes poussent leurs hommes en avant dans des contre‑attaques


sans le moindre soutien d’artillerie, jusqu’à douze vagues l’une après
l’autre ; ce sont souvent de nouvelles recrues, au coude‑à‑coude, leurs
fusils sur le dos, qui chargent nos mitrailleuses, poussées par la terreur
des commissaires et de leurs supérieurs. Le poids du nombre a toujours
été le point fort de la Russie, et maintenant le commandement russe nous
oblige à les tuer, car ils ne veulent pas reculer 32.

Deux conclusions s’imposent. Premièrement, le succès final de


l’Armée rouge contre la Wehrmacht doit moins à un « héroïsme de masse »
qu’à une terreur de masse imposée à toute l’armée sur ordre de Staline.
Deuxièmement, le fait que les pertes soviétiques furent environ cinq fois
supérieures aux pertes allemandes est une conséquence directe de cette
politique de Staline, pour qui le nombre de morts était totalement indif-
férent. Les Soviétiques firent valoir au tribunal de Nuremberg 7 millions
de morts. Ce chiffre fut par la suite augmenté jusqu’à 20 millions, chiffre
officiel durant l’ère Brejnev. On parla même de 54 millions.
L’URSS n’a jamais signé les Conventions de la Haye et les Conven-
tions de Genève, et ne reconnaissait pas le statut de prisonnier de guerre.

– 22 –
Leurs prisonniers allemands en subirent les conséquences pratiques. Et là
encore, les ordres venaient de Staline lui‑même. Dans un discours national
le 6 novembre 1941, il proclama :

Désormais, ce sera notre tâche, la tâche des peuples de l’Union So‑


viétique, la tâche de tous les combattants, commandants et responsables
politiques de notre armée et de notre marine, d’exterminer jusqu’au dernier
homme tous les Allemands ayant envahi le territoire de notre patrie en
tant qu’occupants. Pas de pitié pour les occupants allemands ! Mort aux
occupants allemands ! 33

Les troupes soviétiques furent endoctrinées dans ce sens par la pro-


pagande d’Ilya Ehrenburg. Le 30 novembre, celui‑ci écrivait : Chacun de
nous doit respecter fidèlement l’ordre du camarade Staline d’exterminer
tous les occupants allemands jusqu’au dernier homme. Tuer dix, vingt,
cent méchants fascistes est la responsabilité de chaque combattant, officier
et travailleur politique soviétique 34 . Les brochures d’Ehrenburg, lues et
distribuées massivement aux soldats, les exhortaient à massacrer le plus
d’Allemands possible, n’épargnant ni les prisonniers, ni les civils :

Les Allemands ne sont pas des êtres humains. […] Il n’est rien de plus
réconfortant pour nous autres que de voir des monceaux de cadavres
allemands. […] Quand vous avez tué un Allemand, tuez le suivant, le
troisième. […] Tue l’Allemand ! C’est ce que te demande ta vieille mère.
L’enfant t’implore : tue l’Allemand ! Tue l’Allemand ! C’est ce que réclame
ta terre natale. N’en laissez pas un seul s’échapper. Aucun fasciste n’est
innocent, fût‑il vivant ou encore à naître 35.

Lorsque les Soviétiques eurent repoussé les Allemands et pénétré


en Allemagne, les civils allemands subirent les effets de cet appel à la
vengeance. Les horreurs commises par les troupes soviétiques ont été
rapportées dès la fin des années 40 par plusieurs auteurs, comme Ralph
Franklin Keeling dans Gruesome Harvest (1947, traduction française :
Cruelles moissons : La guerre d’après‑guerre des Alliés contre le peuple
allemand), Freda Utley dans The High Cost of Vengeance (1949), ou Victor
Gollancz dans In Darkest Germany (1949). Le chiffre cité (Wikipédia) de
près de 2 millions de femmes allemandes violées par les Soviétiques en
1945 (la plupart de nombreuses fois, et souvent assassinées ensuite) donne
une idée de l’orgie de vengeance commise par les soldats soviétiques avec
l’encouragement de leur hiérarchie.

Conclusion.
Dans cet article, j’ai voulu résumer et défendre la thèse de Victor
Souvorov, que j’ai trouvée à la fois convaincante et importante, et victime
d’un discrédit suspect en Occident. Bien entendu, je n’ai pas l’expertise

– 23 –
nécessaire pour évaluer chacun de ses arguments. Je remarque néanmoins
que Souvorov n’est pas le seul à considérer que le pacte germano‑soviétique
signale le début de la guerre mondiale. En 2009, le Parlement européen a
désigné comme coresponsables de la guerre nazisme et communisme et a
fait de la date anniversaire du pacte germano‑soviétique (23 août 1939),
la « journée européenne du souvenir » — ce qui, évidemment, ne plaît pas
à tout le monde g.
En signant ce pacte, Hitler a commis une erreur irréparable. Ne
l’avait‑il pas prédit lui‑même en 1925 : Le fait même de conclure une alliance
avec la Russie indique donc déjà l’imminence de la guerre. Et le résultat
en serait la fin de l’Allemagne (Mein Kampf, 2e partie, chapitre 14).
Pour Souvorov, Staline est le principal coupable (the main culprit)
de la Seconde Guerre mondiale, car il a tout fait pour la déclencher. Il en
est aussi le principal bénéficiaire : l’URSS est le seul pays qui a étendu ses
frontières par la Seconde Guerre mondiale (en contradiction avec la Charte
de l’Atlantique de 1941). Ceux qui prétendent que Staline ne visait que « le
socialisme dans un seul pays » auront du mal à l’expliquer.
Selon l’analyse de Victor Sourovov, Staline a peut ‑ être sauvé
l’Europe du péril hitlérien, mais Hitler a sauvé l’Europe du péril stalinien.
Lequel péril était le plus à redouter, cela dépend des critères. On peut par
exemple comparer les bilans nazi et soviétique en Pologne en 1939 ‑40, ou
les conditions de l’occupation allemande en France et celles de l’occupation
soviétique en Allemagne après la guerre. Mais quoi qu’il en soit, Hitler
était un nationaliste ; il n’a jamais proclamé vouloir conquérir le monde,
contrairement à Marx, Lénine et Staline.

Hitler a attaqué l’Union Soviétique, détruit son armé et anéanti une


grande partie de son industrie. Au final, l’Union Soviétique n’a pas pu con‑
quérir l’Europe. Staline a perdu la guerre pour l’Europe et la domination
du monde. Le monde libre a survécu, et comme il ne pouvait pas coexister
avec l’Union Soviétique, l’effondrement de celle‑ci est devenu inévitable 36.

En dernière analyse, c’est grâce à l’opération Barbarossa que les


troupes soviétiques n’ont pas réussi à lever le drapeau rouge sur Paris,
Amsterdam, Copenhague, Rome, Stockholm et possiblement Londres.
Pour cela, écrit Andrei Navrozov dans une recension positive de The Chief
Culprit h, une partie de notre gratitude doit aller à Hitler. Souvorov répon-
drait néanmoins que Hitler n’est pas sans responsabilité dans le danger
dont il a sauvé l’Europe : en signant le pacte de non ‑agression, il s’est fait
l’instrument de Staline pour déclencher la guerre mondiale dont celui‑ci
avait besoin pour conquérir l’Europe.
Souvorov insiste peu sur la complicité des Britanniques, et de Chur-
chill en particulier, avec Staline. Hitler a toujours déclaré vouloir s’entendre
avec la Grande‑Bretagne contre la Russie soviétique. Peu avant de signer le
pacte, il confiait à Carl Burckhardt, représentant de la SDN à Dantzig : Tout

– 24 –
ce que j’entreprends est dirigé contre la Russie ; si l’Occident est trop bête
ou trop aveugle pour le comprendre, je serai obligé de m’entendre avec les
Russes, de frapper l’Occident puis, après sa défaite, de me tourner, toutes
forces réunies, vers l’Union Soviétique 37.Mais Hitler sous‑estimait la perfi-
die britannique — certains dans son entourage le lui reprochaient. En février
1945, il dira aussi : J’avais sous‑estimé la puissance de la domination juive
sur les Anglais de Churchill 38.Cette dimension cachée de Churchill, Martin
Gilbert l’a documentée dans Churchill and the Jews : A Lifelong Friendship
(2007), où il évoque en particulier sa proximité avec Chaïm Weizmann,
l’infatigable lobbyiste sioniste qui deviendra le premier président d’Israël.
Leur pensées, déclara Churchill en 1942, étaient identiques à 99 % 39.
En 1941, Hitler avait fait le pari que l’Angleterre accepterait au moins
une trêve pour permettre à l’Allemagne de vaincre l’Union Soviétique. Il
avait des raisons de le croire : depuis 1917, Churchill n’avait cessé de pré-
senter le bolchevisme comme le pire fléau de l’humanité. Le bolchevisme
n’est pas une politique, c’est une maladie, avait‑il déclaré à la Chambre
des communes le 29 mai 1919, ajoutant : Ce n’est pas une croyance, c’est
une pestilence. Il prescrivait le gaz comme le bon médicament pour les
bolcheviques. Le 6 novembre de la même année, il comparait le wagon
plombé qui avait transporté Lénine en Russie en 1917 à une fiole conte‑
nant un bouillon de culture de typhoïde ou de choléra. Et il déclarait : De
toutes les tyrannies de l’histoire, la tyrannie bolchevique est la pire, la
plus destructrice, et la plus dégradante. C’est une fumisterie de prétendre
qu’elle n’est pas pire que le militarisme germanique. Mais vingt ans plus
tard, le 3 septembre 1939, Churchill déclarait devant la même Chambre
des communes : Nous nous battons pour sauver le monde de la pestilence
de la tyrannie nazie et la défense de tout ce que l’homme a de plus sacré.
Et alors qu’il avait, en 1919, recommandé comme programme à Lloyd
George de libérer l’Allemagne ; combattre le bolchevisme ; faire en sorte
que l’Allemagne combatte le bolchevisme, en 1939, il dénonça le refus de
Chamberlain d’initier un rapprochement avec l’Union Soviétique 40.
Comme l’explique David Irving, l’Angleterre est la grande perdante
de la guerre. Churchill a sacrifié l’empire britannique à son ambition per-
sonnelle, celle de gagner une grande guerre. Sa guerre a été menée à crédit
avec l’argent américain, et à la fin de la guerre, il ne restait plus rien de
l’Empire britannique, tandis que les États‑Unis prenaient le contrôle de
l’Europe occidentale 41. Quant à l’Allemagne, elle a survécu et s’est relevée.
Souvorov écrit : L’Union Soviétique a remporté la Seconde Guerre mon‑
diale, mais elle a maintenant disparu du globe. […] L’Allemagne a perdu
la guerre, mais elle est devenue la plus grande puissance européenne 42.
Il lui reste encore à se libérer de la culpabilité éternelle qu’on lui impose
depuis 70 ans.

– 25 –
Notes.

1
Le Testament Politique de Hitler. Notes recueillies par Martin Bormann, Kontre
Kulture, p. 44-45.
2
Ivi, p. 15.
3
Ivi, p. 12
4
Interrogatoire du 17 juin 1945, cité par Viktor Suvorov dans Icebreaker : Who
Started World War II, PLUK Publishing, 2012, édition kindle.
5
David Irving, Nuremberg : The Last Battle, Focal Point, 1996.
6
On cite Heinz Magenheimer, Werner Maser, Ernst Topitsch, et Walter Post. Ne
lisant pas l’allemand, je n’ai pas consulté leurs ouvrages.
7
David Glantz, Stumbling Colossus : The Red Army on the Eve of War, University
Press of Kansas, 1998. Une critique de ce livre se trouve ici : https://networks.h-net.
org/node/10000/reviews/10228/holtrop-glantz-stumbling-colossus-red-army-eve-
world-war.
8
Viktor Suvorov, The Chief Culprit, Naval Institute Press, 2013, p. 205. Aussi Jo-
achim Hoffmann, Stalin’s War of Extermination, 1941-1945, Theses & Dissertation
Press, 2001, p. 39.
9
Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri, « Hitler a devancé une attaque de Staline », dans
Les Mythes de la Seconde Guerre mondiale, dir. Jean Lopez et Olivier Wieviorka,
Perrin, 2015, consultable sur books.google.fr.
10
Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri, Barbarossa 1941. La Guerre absolue, Passé
Composé, 2019, p. 9 et 36.
11
Boris Kavalerchik, The Tanks of Operation Barbarossa : Soviet versus German
Armour on the Eastern Front, Pen & Sword Military, 2018.
12
David Irving, Hitler’s War, Focal Point, 2002, p. 412-421.
13
C’est la thèse de Russell Stolfi, Hitler’s Panzer East : World War II Reinterpreted,
University of Oklahoma Press, 1991.
14
Cité dans Joachim Hoffmann, Stalin’s War of Extermination, 1941-1945, Theses
& Dissertation Press, 2001, p. 49.
15
Suvorov, The Chief Culprit, op. cit., p. 8.
16
Cité dans Lopez et Otkhmezuri, Barbarossa, op. cit., p. 23.
17
Viktor Suvorov, Icebreaker : Who Started World War II, PLUK Publishing, 2012,
kindle ed.
18
Cité dans Lopez et Otkhmezuri, Barbarossa, op. cit., p. 62.
19
Suvorov, The Chief Culprit, op. cit., p. 178-183.
20
Lopez et Otkhmezuri, Barbarossa, op. cit., p. 55.
21
Cité dans Lopez et Otkhmezuri, Barbarossa, op. cit., p. 90.
22
Cité dans Lopez et Otkhmezuri, Barbarossa, op. cit., p. 108.
23
Lopez et Otkhmezuri, « Hitler a devancé une attaque de Staline », dans Les Mythes
de la Seconde Guerre mondiale, op. cit.
24
Cité dans Françoise Thom, Beria, le Janus du Kremlin, Cerf, 2013. Dans son livre
passionnant sur Beria, Françoise Thom fait l’hypothèse que le texte a été élaboré et
fuité par Lavrenti Beria pour mettre en garde l’Occident.
25
Suvorov, The Chief Culprit, op. cit., p. 236.
26
L’enquête la plus complète sur cette affaire est celle de Robert K. Wilcox, Target
Patton : The Plot to Assassinate General George S. Patton, Regnery Press, 2010.
27
John Weir, Germany’s War : The Origins, Aftermath and Atrocities of World
War II, American Free Press, 2014, en ligne sur www.unz.com/book/john_wear__
germanys-war/
28
Comme le rappelle Ron Unz dans https://lesakerfrancophone.fr/les-horreurs-
cachees-de-lapres-seconde-guerre-mondiale
29
Hoffmann, Stalin’s War of Extermination, op. cit., p. 111.
30
Ivi, p. 104.
31
Ivi, p. 120.
32
Irving, Hitler’s War, op. cit., p. 411.
33
Hoffmann, Stalin’s War of Extermination, op. cit., p. 264.
34
Ivi, p. 265.
35
Thomas Goodrich, Hellstorm: The Death of Nazi Germany, 1944-1947, Create-
Space, 2014, p. 94. Voir le documentaire du même titre.
36
Suvorov, The Chief Culprit, op. cit., p. 159.
37
Irving, Hitler’s War, op. cit., p. 194.
38
Le Testament Politique de Hitler, op. cit., p. 12.
39
Martin Gilbert, Churchill and the Jews: A Lifelong Friendship, Henri Holt &
Company, 2007, édition kindle.
40
Antoine Capet, « The Creeds of the Devil »: Churchill between the Two Totalita‑
rianisms, 1917-1945 (1/3), sur www.winstonchurchill.org
41
David Irving, Churchill’s War, vol. 2: Triumph in Adversity, Focal Point, 2000.
42
Suvorov, The Chief Culprit, op. cit., p. 159.

Liens.
a
http://marikavel.org/documents/hitler/ah-11-12-41-accueil.htm
b
https://www.jstor.org/stable/10.1086/245594?seq=1.
c
https://www.youtube.com/watch?v=tbY4n3CGwbo
d
https://www.youtube.com/watch?v=i51bff01AFA
e
https://www.dailymotion.com/video/x7u20te
f
https://www.marxists.org/reference/archive/stalin/works/corresponden-
ce/01/41.htm
g
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/10/19/le-parlement-europe-
en-a-t-il-reecrit-l-histoire-de-la-seconde-guerre-mondiale_6016173_4355770.html
h
https://www.unz.com/wp-content/uploads/2018/06/Chronicles-2010apr-
Navrozov.pdf

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