Saint Antoine de Padoue - Abbe Andre Merlaud
Saint Antoine de Padoue - Abbe Andre Merlaud
Il fait partie de la troupe de mes treize neveux et nièces. Il est blond et frise à
plat. Pas plus intelligent ni plus sot que toi, ni plus sage, ni plus généreux, ni
plus chrétien. Il est comme la grande majorité des enfants de France.
Je suis allé trouver Louis-Marie pour lui demander s’il connaissait saint
Antoine de Padoue.
Je lui expliquai qu’avant d’écrire un livre sur saint Antoine, il m’était utile
de savoir ce qu’un garçon de son âge pouvait connaître et penser de lui.
Louis- Marie, convaincu de son importance, a dès lors fort bien répondu :
« C’est le saint qui fait retrouver les objets perdus. Mémé, quand je perds
quelque chose, me dit toujours : prie saint Antoine… As-tu promis quelque
chose à saint Antoine ?
— Le fais-tu ?
— Pas sérieux !
— Je ne sais pas ! Il me semble trop doux, trop sage. J’aime mieux les
saints qui luttent, qui remuent comme saint Louis, Jeanne d’Arc, François
Xavier…
— Antoine aussi, crois-le bien, a lutté. Il n’est pas venu au monde prêt à
être placé dans une niche. Le pape Léon XIIl l’appelait « le saint de tout le
monde » parce que chacun — et même un garnement de ton espèce — peut
trouver en lui un modèle à imiter. Tiens ! Écoute son histoire. Ici et là, les fils
d’or de la légende l'enjolivent bien un peu, mais sans trop cacher, toutefois,
son vrai visage…
André MERLAUD.
1
Amarrée aux bords du Tage, tournée vers l’Océan, elle ressemblait à une
immense caravelle, blanche et or, toujours prête à cingler vers quelque grande
aventure. L’aventure ? Jusqu’alors Lisbonne l’avait cherchée plutôt sur terre
que sur mer.
Occupé par l’Islam pendant 400 ans, le Portugal, comme toute la péninsule
ibérique, venait juste d’en être libéré. Un prince français, Henri le Jeune de
Bourgogne, fier et généreux comme le Cid, avait remporté sur l’Islam de si
belles victoires que son beau-père, Alphonse VI de Castille, lui avait donné le
Portugal en récompense.
3
Mais c’est son fils, Alphonse Ier, qui avait chassé définitivement les Maures
(1). Ses soldats l’avaient aussitôt proclamé roi, avant même que le pape
Innocent II, selon la coutume du temps, ne l’ait reconnu comme tel.
Les chants dont on le berça furent ceux des troubadours, pleins de prouesses
et d’aventures guerrières. Pour le faire obéir, on ne le menaçait pas de l’ogre
ou de la sorcière, mais du Sarrasin cruel qui emporte les petits enfants pas
sages. Et les premiers jeux auxquels on l’invita furent sans doute des joutes,
des tournois, des chevauchées épiques, des petites guerres d’un coin de rue à
l’autre.
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Ils étaient nobles, puissants et, ce qui vaut tous les titres du monde, ils étaient
profondément chrétiens.
Antoine n’eut qu’à les regarder prier pour apprendre à le faire ; il n’eut qu’à
regarder sa mère donner aux pauvres pour savoir ce qu’est la charité.
L’exemple de ses parents fut son premier évangile, dans lequel il apprit à
connaître et à aimer Jésus.
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Pas d’autre nom, pas d’autre titre. C’est suffisant pour que les âmes se
souviennent, par delà les frontières et les siècles ! Combien de mamans
chrétiennes envieraient de perdre leur nom de famille, comme Dame Maria
Travera… pour être appelées par tous ceux qui passent : la mère d’un saint !
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Ce fils, dit-on, était leur premier-né. A son baptême, ils lui donnèrent un
prénom sonore, chevaleresque, très courant dans l’Aragon, la Castille et le
Portugal : Fernandez.
Lisbonne, jalouse de Padoue qui lui « vola » en quelque sorte saint Antoine,
montre encore fièrement les fonts où il fut baptisé, dans la cathédrale dédiée à
l’Assomption de Notre Dame. Dès l’aube de sa vie, saint Antoine fut ainsi
confié à Marie, qu’il appellera souvent sa Souveraine.
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Sans histoire et sans prodige s’écoule son enfance. On sait seulement « qu’il
aimait visiter les monastères et les églises ». Ce qu’il possédait, il le donnait
gaiement aux pauvres. Une statue de Fernand nous le représente en enfant de
chœur, agenouillé devant la Vierge.
C’est bien ainsi qu’il faut l’imaginer : petit chanteur modèle de la maîtrise de
la cathédrale, servant de messe fervent et régulier que toutes les
manécanteries et tous les petits clercs du monde pourraient prendre comme
patron. Il garde avec soin, sous le regard de Notre Dame, l’innocence de son
baptême. Les chroniqueurs le nomment déjà « un lys en fleur ».
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On n’est pas saint de naissance, on le devient petit à petit après des efforts.
Fernand avait à tempérer ses ardeurs. Quand il entendait chanter l’amour et la
guerre par les troubadours, son cœur vibrait. Quand il voyait, dans l’estuaire
du Tage, partir les navires, son imagination rêvait. Quand il passait sur les
places ensoleillées, pleines de marchands, de jongleurs et de danseuses, en
suçant une orange ou une grenade, il lui arrivait bien de s’attarder…
Une tentation brutale l’assaillit un jour. Sous quel visage, de quelle manière,
Satan le tenta-t-il ? On ne sait. En tout cas, Fernand prit peur. Pour vaincre le
démon, il traça une croix sur la pierre de l’église. Si fortement, assure-t-on,
qu’elle y resta gravée…
En vérité, la croix de Jésus était déjà profondément plantée dans son cœur
comme un signe de victoire. Entre Jésus et Satan, Fernand avait choisi pour
toujours, avec vigueur. Le lys, après l’ouragan, demeurait intact sous la robe
blanche de ses pétales…
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Fernand a maintenant quinze ans. Sa taille est petite, mais il pousse bien. De
longs cheveux noirs encadrent son fin visage ambré. Des prunelles ardentes
l’éclairent… Une intelligence vive, une mémoire extraordinaire lui
permettent de tout retenir. Il est beau, généreux, instruit, de haute naissance.
Le plus bel avenir s’ouvre à lui.
Fernand ne va-t-il pas tenter lui aussi une aventure semblable à celle qu’il
aime entendre chanter par les troubadours et les ménestrels ? Être, à son tour,
le héros de quelque action d’éclat contre les Sarrasins ?
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Loin des carrières et des ambitions humaines, c’est une vie humble et austère
qu’il choisit. La quête qu’il vise est plus haute, plus malaisée que celle d’un
vase précieux : c’est la quête de la perfection. Elle durera toute sa vie.
Fernand sera aussi le croisé de Dieu, mais sans armes et sans destrier, par une
conquête pacifique… Il l’a répété à ses compagnons, surpris de son choix :
« Dieu le veut ! Dieu le veut ! »
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Chanoine à quinze ans, quelle idée ! Tu penses sans doute à quelque vieux
prêtre de ta connaissance, chauve ou tout blanchi sous sa barrette, somnolant
dans sa stalle.
Alors, il veut s’éloigner, se retirer dans quelque lieu désert, par exemple au
monastère du même ordre, à Coïmbre. Mais ce n’est pas chose facile.
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Le voici, à présent, près des rives du Mondego, parmi les jardins fleuris et les
bocages d’orangers, au monastère Sainte-Croix, il y trouve, comme à
Lisbonne, des maîtres de grand savoir qui donnent à Coïmbre une renommée
de ville savante, bien avant qu’elle ne possède sa célèbre université.
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A Coïmbre, Fernand prie et étudie inlassablement. Il lit les Écrits des Pères,
les Actes des Saints, étudie les sciences physiques et naturelles, apprend à
observer et à connaître la vie des plantes et des animaux.
Plus tard, il tirera de ses vastes connaissances des images et des comparaisons
qui éclaireront les esprits les plus simples comme les plus savants.
Ses maîtres font de lui le plus grand éloge : « il retient tout… excelle en
tout ».
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L’étude que préfère le jeune novice est celle de la Sainte Écriture. « C’est un
livre divin, dira-t-il. Jésus y est partout, présent et vivant. » Il s’en nourrit
comme d’un pain immortel. Bientôt, il le connaît par cœur.
Mais il se méfie déjà d’une science qui ne se tourne pas à aimer. Il veut vivre
selon l’esprit de l’évangile et de sa Règle. Et il est bien obligé de constater
qu’autour de lui les chanoines, si savants, ne sont pas tous des saints.
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Théotonio étant allé en Terre Sainte aurait désiré ardemment y rester tant il
était attaché aux souvenirs de Jésus, il gravissait souvent le Golgotha, une
lourde croix sur l’épaule, pour imiter son Maître, et se recueillait longuement
devant le Saint Sépulcre…
A son retour, il avait vendu tous ses biens pour fonder ce monastère, refusant
jusqu’à sa mort le titre de prieur et édifiant tous les moines par sa grande
vertu.
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Un jour, le jeune frère hôtelier voit venir à lui deux pauvres hères. Vêtus de
bure grossière, ceints d’une corde de chanvre, les pieds nus sur une semelle
de bois, quels sont-ils ?
(1) Lire, dans la même collection, l’album Saint François d’Assise, par l’abbé
Jean Pihan.
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Branle-bas dans l’hôtellerie de Fernand : cinq frères mineurs font halte avant
de poursuivre leur route pour le Maroc ! Ils tentent le grand projet manqué
par François d’Assise lui- même : prêcher Jésus aux Infidèles. S’ils échouent,
ils espèrent gagner la palme du martyre.
Fernand les écoute pieusement ahuri. Ce qu’ils disent réveille en son cœur
des rêves secrets d’enfance. Il les regarde partir avec envie, et attend
impatiemment des nouvelles d’eux.
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Le 10 janvier 1220, Bérard, Pierre, Adjute, Accurse et Othon, les cinq hôtes
de Fernand, ont réalisé leur vœu. Après avoir vainement prêché la foi
chrétienne aux Musulmans, ils ont été arrêtés, menacés, sommés de renier
Jésus. Ils résistent fièrement, bravant l’émir Abu-Jacoub qui, hors de lui, leur
fend la tête de son propre cimeterre.
Le Portugal, contre une toute rançon, racheté leurs précieux restes, les fait
déposer en deux châsses et transporter jusqu’à Sainte- Croix de Coïmbre. Sur
leur passage, les acclamations se déchaînent, les miracles éclatent… Devant
leurs reliques, Fernand tressaille ; il éprouve en son cœur une sorte de
jalousie sacrée et soupire : « Pour Jésus, je voudrais moi aussi m’agenouiller,
tendre le cou au glaive d’un bourreau… Ce jour de bonheur arrivera-t-il
jamais ? » Quand il se relève, sa décision est prise : il sera martyr !
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Fernand sait qu’il ne pourra jamais l’être s’il reste dans son monastère
tranquille. Il doit entrer dans cet ordre jeune, dynamique, que François
entraîne après lui dans sa grande aventure. Il échangera sa robe blanche
contre la bure en forme de croix des frères mineurs. Jésus sera son puissant
Seigneur, la Pauvreté sa Dame, le Martyre sa quête !
C’est la condition qu’il met à son enrôlement : partir bientôt chez les
Sarrasins, pour mériter à son tour la palme du martyre.
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Quel est cet étrange passager, se demande- t-on sur le voilier : un moine aux
pieds nus qui chante, qui prie, qui rêve !
« Ohé, frère ! Vas-tu découvrir une nouvelle terre ? Pourquoi tes yeux
brillent-ils ainsi ? D’où vient ton impatience, ta joie ? — Je vais conquérir les
Infidèles. — Écoute-le, capitaine, c’est un fou. Il veut conquérir les
Sarrasins ; il n’a même pas d’épée ! »
C’est un fou de Dieu, en effet, que le navire emporte. Sa folie, comme celle
de Jésus et de François, est celle de la Croix.
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Antoine, cloué par la maladie, n’ira jamais plus loin sur la terre infidèle. Il
reste six mois entre la vie et la mort, ignoré de tous, n’ayant que ses
souffrances et ses regrets à offrir pour la conversion de l’Islam. Il ne sera
qu’un martyr de désir. Dieu le veut !
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Regarde-le un instant s’agiter sur son grabat. Passe doucement ta main sur
son front brûlant. Écoute-le murmurer comme Jésus : « Que votre volonté
soit faite, Père, et non la mienne ! » Et admire-le, patient et doux, le sourire
aux lèvres malgré sa déception !
Avant d’être le modèle de ceux qui réussissent, Antoine l’est de ceux qui
échouent.
Qu’importent à Antoine les railleries qui l’attendent. Ce qui compte pour lui,
c’est le seul règne de Jésus. A peine convalescent, il se rembarque pour le
Portugal.
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Une tempête assaille le navire, le démâte, le jette désemparé sur une plage de
Sicile. Où aller ? Le pauvre Antoine est dans un piteux état après de terribles
nuits passées en mer. Fort heureusement, quelques frères mineurs qui ont
établi leur ermitage près de Messine, dans des huttes de pêcheurs,
l’accueillent et le soignent.
Mais Antoine, voyant leur dénuement, ne veut rester plus longtemps à leur
charge.
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Quelle belle occasion il a trouvée pour les quitter ? L’assemblée générale des
frères mineurs à Assise !
Sur une plage voisine on répare le navire endommagé. Antoine aussi retrouve
sa mâture et sa voilure — je veux dire sa santé. Il met le cap sur Assise et
arrive à bon port, le 30 mai 1221.
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A Assise, fin mai, l’immense armée des petits frères à robe brune chante sous
les feux de messire le soleil. C’est l’âge d’or de l’ordre franciscain. Ils sont
trois mille, venus de partout, enthousiastes, simples, fraternels, criant à tue-
tête la joie d’aimer Jésus et toutes les créatures.
Frère Élie préside. François lui a remis ses pouvoirs. De temps en temps, le
Petit Pauvre, quand il veut parler, le tire par la manche. Alors, Antoine, perdu
dans la foule, cambre sa petite taille et regarde, bouleversé.
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Cette silhouette menue qui se redresse là- bas, c’est lui, François. Avec quelle
émotion Antoine écoute la voix qui charme les oiseaux et les hommes, qui
chante sœur l’eau et frère le feu, qui parle si bien de Jésus. Quand il prononce
son nom, il passe sa langue sur ses lèvres comme s’il en goûtait la saveur…
C’est bien vrai tout ce qu’on a dit de lui, de ses miracles, de ses prodiges.
Tout s’explique : François est fou de Jésus. Son amour pour lui, tel un feu,
brûle, court, enflamme.
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L’assemblée se sépare, sans qu’on lui ait confié quelque tâche. Il se présente
alors au frère Gratien, le Provincial de Bologne. Il ne lui parle ni de son
savoir, ni de son martyre manqué, mais seulement de son désir de connaître
Jésus comme le connaît François. Il veut se former à la vie franciscaine…
Frère Gratien l’emmène avec lui au couvent de Monte Paolo, près de Forli.
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Parce qu’on est déjà trop nombreux au petit monastère, Antoine doit se
trouver un refuge dans la montagne… une grotte dans les rochers. Les pins
lui servent de clôture, le vent de violon.
Jamais Antoine n’a été si heureux que dans ce refuge. Il prie, lit la Sainte
Écriture, chante les psaumes. Lorsqu’il descend au couvent pour les offices, il
se réserve les tâches les plus humbles, lavant les écuelles, balayant les
cellules. Il sert en silence, comme Jésus.
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Bien malin qui découvrirait une source aussi pure dans les rochers, un tel
filon d’or, un ermite aussi saint !
Ce malin existe. C’est Satan. Il tourmente sans répit le serviteur de Dieu ; ses
assauts sont terribles car la proie est belle. Frère Antoine se défend à coup de
jeûnes et de prières. Il invoque souvent sa Souveraine, Marie… Il paya, dit-
on, chèrement sa victoire, car certains jours il pouvait à peine rejoindre le
couvent. Son compagnon d’ermitage devait le porter.
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C’est si beau, si prenant ce qu’il dit que tous les frères bruns et blancs lèvent
la tête, regardent, envient le petit moine inconnu. Ils n’ont jamais rien
entendu de pareil. En un instant, Antoine dévoile ce qu’il avait tenu si bien
caché : son savoir, sa sainteté.
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Les hérétiques veulent réformer l’Église selon leurs idées. Ils se croient
toujours plus malins que les autres, pape et évêques compris. Le diable gagne
beaucoup à leur vilain jeu !
Saint Dominique avait déjà beaucoup fait pour les convertir. Quelques
croisés, hélas ! voulurent aussi s’en mêler. Mais leurs méthodes n’étaient pas
inspirées de l’évangile. Ils firent du mauvais travail.
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Partout, ils voyaient le mal : dans le corps, dans le mariage, dans l’Église. On
aurait dit qu’ils avaient de la boue sur les yeux. Ils croyaient qu’il y avait au
ciel le dieu du bien et le dieu du mal. Pour eux, le monde était enfoui dans le
péché. Seuls quelques « purs » pouvaient y échapper. Mais au prix de quelles
difficultés ! Les autres préféraient pécher à leur aise, car il y avait une sorte
de truc pour se sauver. Et l’on s’arrangeait pour y avoir recours au dernier
moment.
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Aucun des chefs cathares n’ose le contredire. Ce qu’il dit est trop vrai, trop
clair. Tous les doutes, les entêtements, les rancunes ont fondu, comme neige
au soleil.
Soudain, voici qu’un cathare s’avance ! C’est Bonvillo, « un dur entre les
durs ». Il a combattu farouchement l’Église depuis trente ans. Tout le monde
se regarde, anxieux. Que va-t-il dire ? Que va-t-il faire ? Il tombe à genoux ;
il implore pour lui et ses frères égarés le pardon de Dieu !
50
Comme mus par une force du ciel, d’autres cathares se détachent afin de se
joindre à Bonvillo. Ils s’agenouillent, demandent pardon. Tandis que d’autres
se détournent avec mépris, plus obstinés que jamais dans leurs erreurs.
« Frère Antoine, lui crie-t-on un jour… une lettre de notre Père François. »
Antoine l’ouvre, tout tremblant. Que lui veut donc son maître d’Assise ? …
Quoi ? Enseigner la science de Dieu à Bologne, aux novices franciscains !
Mais, il ne saura pas, il n’en est pas capable ! … La lettre est toute simple,
toute joyeuse, comme si François l’avait écrite avec un rayon de soleil. Il
l’appelle même « mon évêque », pour lui exprimer sa confiance, et il lui
recommande de bien apprendre à tous ses élèves à aimer Dieu.
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Pendant deux ans, selon le vœu exprimé par François, Antoine va semer
l’amour dans l’âme de ses jeunes frères… D’autres viendront moissonner,
tandis qu’il partira vers d’autres semailles.
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Antoine a fait un beau et long travail sur les psaumes : il a écrit des pages et
des pages de commentaires. Mais un beau jour, son cahier disparaît ! On
cherche dans tous les coins et recoins… rien ! Ennuyé, frère Antoine se met
en prière. Le lendemain, l’un des frères, tout penaud, vient rapporter le
cahier, déclarant « Je l’ai volé.
Jamais les cathares n’ont rencontré pareil croisé. Son arme redoutable est la
parole de Dieu, son armure la sainteté. Nulle faille dans cette âme, nul défaut
dans cette cuirasse…
Dieu confirme sa parole par des prodiges et des miracles qu’il faut
maintenant raconter.
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Antoine croise souvent dans les rues du Puy un notaire impie et débauché. Il
ne se contente pas de le saluer, mais s’agenouille devant lui. Le notaire croit
qu’Antoine se moque de lui et fait celui qui n’a rien vu.
Comme le manège continue une fois, dix fois, l’homme, fou de rage, porte un
jour la main à son épée : « Je ne sais pas ce qui me retient de te la passer au
travers du corps. »
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Antoine est toujours hanté par l’idée du martyre. Comme à Coïmbre, il est
presque jaloux de tous ceux qui conquièrent cette palme glorieuse.
Il prédit une fois à une jeune femme du Puy que l’enfant qu’elle porte sera un
jour frère mineur et martyr du Christ.
Il fut l’un et l’autre en effet. Parti pour les missions lointaines, pris par les
Maures et enfermé avec plusieurs compagnons dans le château fort d’Azot, il
y subira avec eux le martyre.
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Un jeune homme, fâché contre sa mère, lui donne un coup de pied, et, fou de
rage, s’enfuit de la maison. Tiens ! une église ouverte, une foule attentive. Il
s’y mêle, écoute. Le prédicateur — c’est Antoine — parle de la douceur de
Jésus, de son obéissance à Nazareth et jusqu’à la mort ! La colère du jeune
homme s’apaise, le remords peu à peu s’installe en son cœur. Et soudain,
quand Antoine s’écrie : « Si ton pied te porte au mal, coupe-le », le garçon
fond en larmes.
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… Désespoir du jeune homme qui veut à tout prix obtenir aussi la grâce de
Dieu. Que faire ? Se rappelant alors la parole du prédicateur, il saisit une
hache qui pendait au mur et se tranche le pied, instrument de sa faute. Il sera
boiteux, mais pardonné. La mère crie d’épouvante, lui de douleur.
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Venant à passer par là, Antoine entend leurs cris. Il se précipite… Tu devines
la suite. A sa prière, le pied fut remis en place.
Antoine gronda le jeune homme pour son geste irréfléchi. Mais plus encore la
mère :
Au jour dit, les magasins sont fermés, les rues désertes, tout le monde est au
champ de foire. Des carrioles pleines de fermiers et de vachers sont même
arrivées des villages voisins.
Silence dans l’immense auditoire. Les souffles sont coupés, les cous tendus,
tous les regards braqués sur l’animal.
Oh ! la bête n’hésite pas. Sans même lorgner la provende, elle s’avance vers
l’hostie, s’arrête à distance respectueuse, s’agenouille devant l’ostensoir,
comme si elle avait été dressée à cela, et s'immobilise dans une sorte
d’adoration, ses grands yeux noirs fixés sur l’hostie.
72
Antoine s’y rend. Il sait hélas ! que François n’y sera pas. Le Poverello, qui
pleurait à chaudes larmes quand il méditait la Passion de Jésus, en porte
maintenant les marques sanglantes à ses pieds, à ses mains, et à son côté !
François ne verra donc plus Antoine, ce frère béni qui le continue si bien et
qui glorifie son ordre !
74
Les frères ont invité Antoine à prêcher. Il a pris pour thème, peut-être en
songeant à François, le crucifix. Il parle des souffrances de Jésus, de la
royauté universelle qu’il s’est acquise au prix de son sang, de l’attrait qu’il
exerce du’ haut de sa croix, même sur les pécheurs…
Bientôt, le 3 octobre, c’est vers Jésus que le Petit Pauvre s’envolera, pour
devenir un des princes de son paradis.
76
Antoine, qui sait lire au fond des âmes, lui parle avec beaucoup de délicatesse
de ses doutes, et l’encourage à persévérer. Puis, soufflant sur lui, comme
Jésus sur ses apôtres, il lui dit : •>« Reçois le Saint-Esprit. » Aussitôt la paix
se fait dans le cœur du jeune homme : il restera.
80
Pour empêcher Antoine et ses frères de prier, le démon fait passer sous leurs
yeux, certain soir, une sorte de mirage. Ils croient voir, sous la clarté de la
lune, une bande de maraudeurs en train de saccager la moisson d’un des
bienfaiteurs du couvent.
Ce seigneur est d’un naturel curieux. Il voudrait voir comment prie un saint,
car il tient son hôte pour tel. Alors, doucement, il entrebâille la porte de sa
chambre et… que voit-il ?
84
Antoine est debout au milieu d’une lumière éclatante qui a envahi toute la
pièce. Assis sur l’évangile qu’il tient à la main, un enfant radieux lui sourit et
lui tend les bras. Antoine le contemple, ravi, comme en extase.
Telle est la scène que le Père Bonaventure de Saint-Amable relate dans les
Annales du Limousin. Même si l’anecdote est fausse, il n’est pas mauvais
que le souvenir en demeure gravé dans la pierre en toutes nos églises.
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Une brave femme leur offre l’hospitalité. Dans sa hâte de les servir, elle
oublie de refermer le robinet de sa barrique, et toute sa réserve de vin se
répand dans la cave. Voyant la désolation de son hôtesse, Antoine se met en
prière. Puis il la renvoie au cellier. A sa grande stupéfaction, elle y retrouve
son tonneau plein d’un vin délicieux.
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Brive reçoit Antoine avec enthousiasme : son nom y est déjà très connu.
Une nuit où il est violemment tenté par le démon, il appelle la Sainte Vierge à
son secours.
Et Antoine, délivré de ses tentations, rend alors grâces à celle que l’on
invoque depuis sous le nom de Notre Dame de Bon Secours.
88
Un jour, les vivres font défaut et Antoine doit aller quêter en ville la
nourriture de ses frères.
Une dame lui offre des légumes de son jardin. Mais la servante refuse de
sortir, car il pleut à torrents. Encouragée par le saint, elle s’y décide
finalement, et revient son panier lourdement chargé, les vêtements secs, sans
qu’une seule goutte d’eau l’ait atteinte.
89
Brive n’a pas oublié le souvenir de saint Antoine. Les grottes où il pria sont
devenues célèbres.
Malgré sa tâche si lourde de Provincial, c’est d’abord aux brebis égarées qu’il
pense : les hérétiques. Il retourne à Rimini, la ville de ses premières
prédications et de ses premiers succès.
Depuis son départ, les cathares se sont ressaisis. Ils se propagent avec
rapidité, hautains, violents, parfois enragés contre l’Église.
Un matin, frère Antoine descend vers le rivage. Les pêcheurs sont là parmi
les barques et les filets. Mais ce n’est pas à eux qu’il veut s’adresser. A quoi
bon ! Ils se boucheraient les oreilles.
Les pieds nus dans l’eau, il commence ainsi un étrange sermon : « Poissons
du fleuve et de la mer, créatures du Seigneur, écoutez ! Venez entendre la
Parole de Dieu, puisque les hérétiques la méprisent… »
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Cette fois, les pêcheurs cathares laissent tomber leurs filets. Ils écarquillent
les yeux, les frottent comme s’ils venaient de rêver. Jamais Il n’y eut tant de
poissons à Rimini !
94
« Bénissez Dieu qui vous a créés, leur dit Antoine. Bénissez-le parce qu’il
vous a donné l’eau pour vous mouvoir en liberté. Bénissez-le parce qu’il vous
nourrit sans travailler. »
Nul n’a vu semblable prodige depuis que François d’Assise a prêché aux
oiseaux dans la vallée de Spolète.
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Ils sont les rois de la Création, comme l’était le premier homme. Les
éléments, les bêtes, les maladies leur obéissent. Tout chante avec eux la
gloire du Créateur !
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Qu’advint-il des pêcheurs qui en furent les témoins. Parions qu’ils se prirent à
ce merveilleux filet. Les poissons, cette fois, avaient servi d’appât pour la
plus belle des pêches.
Mais la fureur s’empare des chefs hérétiques. Ils font aussitôt courir le bruit
que les pêcheurs ont rêvé. Et, pour limiter plus sûrement le désastre, ils
décident d'empoisonner Antoine !
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Stupeur chez les chefs cathares. Ils pensent à une trahison. L’hôte cependant
se reprend vite et avoue avec sang-froid :
« C’est exact, cet aliment contient du poison ; nous avons voulu vous mettre à
l’épreuve, »
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Et il poursuivit sournoisement :
« Il est écrit dans l’évangile : « mes disciples pourront prendre des poisons
mortels sans ressentir le moindre mal ». Si cette nourriture ne vous nuit pas,
nous jurons d’embrasser la foi catholique…
— Et si je la refuse ?
Antoine est pris au piège. Il répond pourtant avec calme : « Je mangerai donc,
non pour tenter Dieu, mais pour sauver vos âmes. »
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Alors, il fait sur le plat un grand signe de croix. Puis il s’assied et mange de
bon appétit, jusqu’à la dernière bouchée. Les hérétiques se sont dressés ; ils le
regardent avec stupeur, guettant les premiers signes d’empoisonnement :
pâleurs, frissons, vomissements. Peine perdue, Antoine ne souffre d’aucune
gêne ; il paraît au contraire tout réconforté, comme après un bon repas.
Dès 1229, il choisit pour résidence la vieille cité de Padoue. D’abord parce
que les étudiants y folâtrent comme en tous les pays, et qu’Antoine les
affectionne. Ensuite parce que Sainte-Marie de Padoue est le plus grand
couvent franciscain de la région ; le monastère de l’Arcelle renferme
également de nombreuses Clarisses. L’une d’elles, fille d’un riche Padouan,
Hélène Enselmini, sera pour Antoine une sœur spirituelle d’une sainteté égale
à la sienne.
101
L’un des chefs gibelins les plus cruels était le seigneur de Trévise, Ezzelino,
le Néron du moyen âge.
103
Antoine l’apprend. Malgré les conseils de ses amis, il affronte sans hésiter le
tyran, en son repaire de Vérone, lui reproche sa cruauté, ses crimes. Et, tout
en implorant la grâce de ses victimes, l’exhorte à la paix. Ezzelino frémit de
colère Cent fois, il saisit son épée pour en finir avec ce moine insolent ; cent
fois aussi il la rengaine, frappé par tant d’audace.
104
Padoue est en prière, elle tremble pour son héros. Quelle sera l’issue de-cette
joute inégale ? Du guerrier bardé de fer, ou du petit frère aux mains nues, qui
l’emportera ?
Ezzelino n’a rien accordé, mais il a laissé partir l’importun… Toute la ville se
porte à sa rencontre avec des cris de joie.
Que dit-il ? Tout l’amour divin et fraternel qui déborde de son âme.
Dans cette ville pleine de Guelfes, il ose proclamer : « Cet homme est un
Gibelin, dites-vous. Peut-être, mais il est d’abord votre concitoyen, un
chrétien, votre frère ! »
Devant cette société âpre au gain, qui jette en prison pour la vie les débiteurs
insolvables, où trafiquants et usuriers dévorent le bien des pauvres, des
orphelins et des veuves, Antoine condamne les hommes d’argent.
108
« Leurs dents, dit-il, sont comme celles des lions. Leur haleine empeste, car
ils ne mangent que la boue de l’argent et le fumier du gain. Il y a parmi vous
des Judas, qui vendraient leur âme et celle des autres pour trente deniers. Le
diable est un malin chasseur : il les abattra à grands coups de sa hache
éternelle. A moins qu’ils ne restituent et ne fassent pénitence. »
La foule, jusqu’alors immobile et muette, laisse éclater son émotion. Les uns
sanglotent, les autres rient. Des pécheurs se frappent la poitrine, des ennemis
se réconcilient, des voleurs restituent, des impurs jurent de sortir de la fange.
Les confessionnaux sont pris d’assaut.
Douze brigands ont quitté leurs bois pour venir écouter Antoine. Déguisés, ils
se cachent dans la foule, pas très loin peut-être d’hommes qu’ils ont
détroussés sur les chemins.
Sur eux aussi la parole d’Antoine tombe comme la foudre. Ils avouent leurs
pillages, décident de changer de vie. Pour pénitence, ils iront douze fois à
Rome en pèlerinage au tombeau des saints apôtres.
Tel est le récit que confia un vieux pèlerin au frère qui l’a rapporté.
111
« Pour convertir les usuriers, rien ne vaut un pauvre frère. Pour convertir les
impurs, rien ne vaut un homme pur. Pour convertir les haineux, rien no. vaut
un pacifique. Pour convertir les orgueilleux, rien ne vaut l’humilité d’un
homme Illustre. »
112
A cette époque, des savants un peu fous, les alchimistes, cherchaient au fond
de leurs antres le secret de la pierre philosophale, capable selon les vieux
grimoires de changer le plomb en or.
Antoine a trouvé un secret plus précieux : celui de changer les âmes ; voilà la
plus belle alchimie !
113
Il a imité Jésus.
Comme lui, il a été pauvre, parcourant terres et provinces sans un sou dans
son escarcelle : « L’argent, disait-il, est une épine vénéneuse ; rien n’est plus
redoutable. »
Satan était fort mécontent des conversions faites par Antoine en ce carême.
Une nuit, prenant des apparences humaines, il se jette furieusement sur lui
pour l’étrangler. Serré entre les griffes du Malin, Antoine étouffe, suffoque,
va succomber… Non ! car il a invoqué comme toujours sa Souveraine. Elle
l’aide aussitôt, dénoue l’étreinte infernale, chasse l’ange des ténèbres et
sourit !
Mais le travail n’avance pas, l’écrivain est à bout de forces. Il s’est trop
surmené. L’hydropisie le gonfle et le paralyse. Le printemps semble lui faire
signe : repose-toi, trouve un nid, chante avec les oiseaux !
Il lui tend les bras, dans le soleil de mai, et s’écrie : « Heureuse cité, quelle
gloire un jour sera la tienne ! »
Alors, Tiso, un peu déçu, montre à son ami les jardins, les vergers, les bois.
Se tournant vers le comte, surpris, il lui demande de vouloir bien lui faire
bâtir une cellule de planches et de branches sur le noyer. Il en serait ravi.
« Les moines et les oiseaux sont frères. Ils sont, les uns comme les autres, les
amis de la lumière, et prennent leur essor vers le ciel. »
120
Les Clarisses accueillent avec émotion leur frère. Tout en s’empressant à son
chevet, elles supplient Dieu de ne pas le reprendre si tôt.
Soudain, ses yeux se fixent. Une lumière céleste les inonde. Un frère se
penche : « Que vois-tu ? »
Il s’assoupit, le visage heureux. Une dernière fois, il ouvre ses yeux, qui ne
furent jamais si beaux, sourit à ses frères, et meurt.
124
Précaution inutile ! Des bandes d’enfants s’agitent dans les rues, criant : « Le
Père est mort ! » Sur le pas des portes, les gens murmurent et pleurent.
125
Le glas sonne sur la ville consternée. Des groupes de fidèles s’ébranlent vers
l’hospice de l’Arcelle où Antoine repose. Une dernière fois, on veut le voir.
Des malades s’approchent : ils sont guéris. Tous respirent à ses côtés un
parfum de lis. La rumeur publique proclame : « C’était un saint ! »
Hélas ! Pendant cinq jours, on va se disputer son corps : les Clarisses, les
frères mineurs, les citoyens de Padoue. La sainteté est aussi un trésor. Et le
plus précieux.
126
Les plus enragés sont les habitants de la Tête de Pont, le faubourg de Padoue
où se trouve l’hospice. Ils disent :
Ils se défendront par les armes, s’il le faut… Et voici que sans tarder, les
habitants de la Tête de Pont montent à l’assaut du couvent, tandis que les
frères barricadent la porte. Les notables de la cité craignent que le sang ne
soit répandu et la ville saccagée ! Ils se réunissent pour délibérer et donnent
finalement gain de cause aux frères mineurs.
127
Tous les saints « passent leur ciel à faire du bien sur la terre », selon le mot de
sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. La mort n’arrête pas leur charité. Car la
charité, c’est la vie du ciel.
Son tombeau se met à fleurir d’un si grand nombre de miracles, que l’évêque
demande au pape Grégoire IX de le déclarer saint à la face du monde.
Aussitôt, l’enquête de canonisation est ouverte.
130
L’Église est très prudente, tu le sais, quand il s’agit de canoniser les gens.
Elle envoie des enquêteurs sur les lieux, des médecins pour juger des
guérisons obtenues ; elle entend des avocats pour et des avocats contre. Bref !
des préparatifs longs et compliqués.
Voici le récit de quelques-uns de ces miracles, tels qu’on les relève dans les
anciens documents.
132
Le frère Cambius souffre d’une hernie énorme. Les médecins lui ont ordonné,
pour la réduire, de porter un bandage de fer. L’appareil monstrueux le met au
supplice, sans résultat : « les entrailles débordent et tombent de son
ventre… »
Pour s’excuser, Il montre le mal affreux qui se cache sous sa bure. Les
moines reculent horrifiés, puis se ravisent : « Mais voyons, il y a ici un
médecin plus fameux qu’à Bologne. Va donc le consulter. »
Mais ce geste lui a suffi. Le voilà qui se relève, s’appuie au reliquaire, et crie
sa guérison. L’orifice béant n’est plus qu’une cicatrice, « dure, dit Cambius,
dure comme j’ai le front ».
Le frère Bernardin de Parme est atteint d’un mal mystérieux : « le souffle lui
manque ». Il ne peut ni parler, ni même souffler une chandelle au bout de son
nez.
Les plus grands savants de la Lombardie l’ont pourtant soigné avec énergie.
Quels traitements, Seigneur ! Neuf fois, ils lui ont brûlé la gorge, et la
dixième fois, la tête tout entière. A ce régime, tu penses, le mal va empirant.
Un jeune frère convers est, lui, sourd et muet de naissance ; sourd à ne pas
entendre le bourdon d’une cathédrale ; muet sans espoir de guérison.
Recueilli par des religieuses, il a reçu à deux reprises la visite d’un frère
mineur tout doux et souriant, qui lui a désigné ses oreilles, sa bouche, en lui
faisant signe d’approcher. L’infirme, croyant qu’il voulait le guérir, s’est
avancé tout confiant. Mais chaque fois, le moine a disparu.
138
Le pauvre frère s’est mis à sa recherche, sur les places et par les rues de la
ville. Une véritable chasse à l’homme… ou au fantôme. Vainement !
Dame Béatrice de Forti souffre, depuis dix ans, d’une tumeur affreuse de la
nuque. Les médecins désespèrent de lui apporter le plus petit soulagement.
Alors, elle fait ce qu’on fait encore de nos jours : elle se confie à tous les
saints. Elle promet même à saint Antoine une riche récompense : un cordon
d’argent autour de son tombeau.
Entre nous, dans la gloire du ciel, saint Antoine se moque bien des
« récompenses » qu’on peut lui promettre. Mais pas de la confiance qu’on lui
porte, ni de celle qu’à travers lui on porte à Dieu.
141
Dame Béatrice se rend donc à Padoue prier Antoine, Et voici qu’en chemin
elle fait un rêve. Le saint lui apparaît et, tel un chirurgien, opère la tumeur et
l’en guérit sans qu’elle le sente.
Elle ne sait pas nager. Pourtant, ayant invoqué saint Antoine, elle se maintient
miraculeusement à la surface, les vêtements secs, jusqu’à ce que les
sauveteurs arrivent.
A Tomasino, un enfant de dix mois est tombé la tête la première dans une
cuve pleine d’eau. Affolée, sa mère le retrouve dans cette posture, raide,
glacé. Quelle peine ! Elle prie saint Antoine sans discontinuer jusqu’à une
heure avancée de la nuit… Minuit ! le petit garçon respire, remue, éternue.
Sauvé !
143
Dernier prodige !
C’est là que repose celui qui fut l’enfant pieux de Lisbonne, l’étudiant
studieux et charitable de Saint-Vincent de Flora et de Sainte-Croix, l’assoiffé
de martyre d’Olivares et du Maroc, l’ermite de Monte Paolo et de
Camposampiero, l’illustre professeur de Bologne, le prédicateur renommé de
Toulouse, de l’Auvergne, du Berry, du Limousin, de Rimini et de la
Romagne… le faiseur de miracles, le voyant, le lis de pureté, le chevalier de
la paix.
147
Plusieurs sanctuaires lui sont dédiés A Brive, les grottes qui lui servirent
d’ermitage sont un lieu de pèlerinage très fréquenté.
Car, il faut bien le dire, la dévotion qu’on a portée à saint Antoine a connu
bien des excès et des bizarreries.
150
Ainsi, le roi Pierre Il de Portugal « enrôla » saint Antoine dans son armée, en
lui donnant la consigne de faire des miracles. Comme si on pouvait mener les
saints par le bout du nez ! Eh bien ! sais-tu ce qui est arrivé ? Le saint
s’acquitta si bien de sa tâche que la paix fut tout de suite rétablie. Saint
Antoine fut alors « nommé » capitaine. En 1693, Jean IV le promut
lieutenant-colonel. Il avait bien mérité ses galons !
Et un peu partout, c’est une piété aux formes multiples qui se déploie, allant
du cierge que l’on fait brûler devant la statue du saint (à Padoue, ces cierges
sont énormes et atteignent parfois la grosseur d’un tronc d’arbre) jusqu’à
l’offrande que l’on verse pour l’œuvre du Pain de saint Antoine.
152
Une serrure à secret s’est cassée. On prie saint Antoine. La serrure se répare
d’elle- même et fonctionne.
Louise a trouvé du même coup un autre secret. Le voici : Vous qui cherchez
un objet perdu, donnez une obole aux pauvres, en chargeant saint Antoine de
vous aider à le retrouver. Vous mêlez ainsi la prière et la charité, l’intérêt
personnel et la générosité. Vous n’êtes plus seuls à profiter de l’intercession
du saint. Les pauvres sont de la partie.
153
Donner vingt francs aux pauvres pour retrouver ses lunettes ou son stylo,
c’est sans doute mieux que de demander sans jamais rien donner.
Il est juste aussi de croire que Jésus et ses saints — nos protecteurs au ciel —
s’intéressent à toutes les petites choses de notre existence : désagréments,
oublis, pertes d’objets.
Mais hélas ! pour certains, ces demandes et ces oboles sont toute leur
dévotion, et parfois même toute leur religion. C’est bien dommage !
154
Les saints sont nos modèles autant que nos intercesseurs. C’est bien de les
prier. C’est mieux de les imiter.
Imiter les vertus de saint Antoine, y songeras- tu après avoir fermé ce livre ?
Très peu le font parmi ceux qui le prient.
Il a trouvé la joie. Il a trouvé la paix. Que n’a-t-il pas trouvé Antoine, tout au
long de sa quête ? Il faut chercher avec lui et comme lui ces biens précieux.
156
Et tu trouveras, car Jésus l’a promis : « Qui cherche, trouve… Celui qui
demande, obtient… On ouvre à celui qui frappe… »
Prends ton bâton, toi aussi, pèlerin de Jésus, compagnon d’Antoine, et pars.
Tu n’auras vraisemblablement pas à prendre la mer, ni à échouer en Sicile, ni
à braver les Musulmans pour trouver ce que tu cherches.
Mais à mettre les beaux désirs de ton âme en tes yeux : c’est leur lumière ; et
à les ouvrir bien grands le long de ton chemin d’écolier ou d’écolière.
157
Tout !
Pour Antoine, il était beaucoup plus qu’un frère ou un grand ami ; beaucoup
plus que la lumière sans laquelle on est aveugle, ou la nourriture sans laquelle
on meurt. Il était son Tout.
158
Plus clairement, Jésus est-il vraiment ton ami ? L’inséparable ami dont tu ne
peux te passer ? Celui sur lequel tu comptes, auquel tu confies tout, même tes
péchés. Êtes-vous unis tous deux, au point d’être toujours ensemble ?
159
C’est la loi de l’évangile. Tous les saints, après Jésus, l’ont observée. Ce que
l'on trouve n’est pas à nous, ce que l'on possède ne nous appartient pas. C’est
à Dieu et aux amis de Dieu, les pauvres.
Les pauvres n’ont pas toujours l’aspect misérable ; on peut être pauvre et être
bien habillé, bien logé. Les pauvres sont ceux qui n’ont pas ce*que tu as. Tu
vois qu’il y en a beaucoup. Ils n’ont pas de meccano ou de tourne-disques. Ils
n’ont pas d’argent pour aller au cinéma.
160
Alors ? Ne jouis pas en égoïste de ce que tu as ; que cela serve aussi aux
autres !
161
Si tu avais découvert l’entrée d’une galerie merveilleuse sous les ruines d’un
vieux château, tu y entraînerais tes camarades pour qu’ils puissent à leur tour
admirer les trésors enfouis depuis des siècles par des seigneurs inconnus.
Partager, voilà le paradis. Être égoïste, garder pour soi, voilà l’enfer.
162
Donnez-lui, comme disent encore les marins bretons avant de partir en mer,
un cœur de lion, pour lutter contre les assauts du mal. les tempêtes du péché
et les ennemis de Jésus.
Car ce n’est ni aux savants, ni aux sages, ni aux brasseurs d’affaires que Dieu
a promis le bonheur.
Mats à ceux qui savent rester purs comme le cristal, bons comme le pain,
simples comme des enfants.
Table des matières
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Canonisation 129-130