100% ont trouvé ce document utile (1 vote)
162 vues172 pages

Saint Antoine de Padoue - Abbe Andre Merlaud

Belles vies belles histoires

Transféré par

Marie
Copyright
© © All Rights Reserved
Nous prenons très au sérieux les droits relatifs au contenu. Si vous pensez qu’il s’agit de votre contenu, signalez une atteinte au droit d’auteur ici.
Formats disponibles
Téléchargez aux formats PDF, TXT ou lisez en ligne sur Scribd
100% ont trouvé ce document utile (1 vote)
162 vues172 pages

Saint Antoine de Padoue - Abbe Andre Merlaud

Belles vies belles histoires

Transféré par

Marie
Copyright
© © All Rights Reserved
Nous prenons très au sérieux les droits relatifs au contenu. Si vous pensez qu’il s’agit de votre contenu, signalez une atteinte au droit d’auteur ici.
Formats disponibles
Téléchargez aux formats PDF, TXT ou lisez en ligne sur Scribd
Vous êtes sur la page 1/ 172

L’interview de Louis-Marie

Louis-Marie a ton âge, petit frère… Douze ans !

Il fait partie de la troupe de mes treize neveux et nièces. Il est blond et frise à
plat. Pas plus intelligent ni plus sot que toi, ni plus sage, ni plus généreux, ni
plus chrétien. Il est comme la grande majorité des enfants de France.

Je suis allé trouver Louis-Marie pour lui demander s’il connaissait saint
Antoine de Padoue.

Il fut très surpris… Il s’est même exclamé, pas très poliment :

« Qu’est-ce qui te prend, tonton ? »

Je lui expliquai qu’avant d’écrire un livre sur saint Antoine, il m’était utile
de savoir ce qu’un garçon de son âge pouvait connaître et penser de lui.
Louis- Marie, convaincu de son importance, a dès lors fort bien répondu :

« C’est le saint qui fait retrouver les objets perdus. Mémé, quand je perds
quelque chose, me dit toujours : prie saint Antoine… As-tu promis quelque
chose à saint Antoine ?

— Le fais-tu ?

— Pas toujours ; Papa trouve que ce n’est pas sérieux !

— Pas sérieux !

— Oui… ou, si tu veux, que ça fait marchandage, commerce, superstition.


Forcément, lui, il ne prie jamais !

— Allons, Louis-Marie, sais-tu autre chose sur saint Antoine ?


— Oui, j’ai vu sa statue à l’église. C’est un moine. Il a un visage rose, les
cheveux taillés en couronne. Le petit Jésus se dresse debout sur son bréviaire
et voudrait lui caresser la joue.

— Un saint pareil t’intéresse-t-il ? Aimerais-tu lui ressembler ?

— Je ne sais pas ! Il me semble trop doux, trop sage. J’aime mieux les
saints qui luttent, qui remuent comme saint Louis, Jeanne d’Arc, François
Xavier…

— Antoine aussi, crois-le bien, a lutté. Il n’est pas venu au monde prêt à
être placé dans une niche. Le pape Léon XIIl l’appelait « le saint de tout le
monde » parce que chacun — et même un garnement de ton espèce — peut
trouver en lui un modèle à imiter. Tiens ! Écoute son histoire. Ici et là, les fils
d’or de la légende l'enjolivent bien un peu, mais sans trop cacher, toutefois,
son vrai visage…

André MERLAUD.
1

Contrairement à ce que tu pourrais croire, saint Antoine n’est pas né à


Padoue, mais à Lisbonne, capitale du Portugal, en 1195.

Lisbonne était fière de ses origines. Ulysse, le héros fameux de la Grèce,


l’avait, dit-on, fondée alors qu’il pensait être arrivé aux limites de la terre. Au
moyen âge, avant la découverte de l’Amérique, on croyait encore qu’il n’y
avait plus rien au-delà de Lisbonne, hormis la mer, le ciel, l’abîme. Lisbonne
était fière de sa beauté. On la flattait à peine en la nommant la « Perle de
l’Occident ».
2

Amarrée aux bords du Tage, tournée vers l’Océan, elle ressemblait à une
immense caravelle, blanche et or, toujours prête à cingler vers quelque grande
aventure. L’aventure ? Jusqu’alors Lisbonne l’avait cherchée plutôt sur terre
que sur mer.

Occupé par l’Islam pendant 400 ans, le Portugal, comme toute la péninsule
ibérique, venait juste d’en être libéré. Un prince français, Henri le Jeune de
Bourgogne, fier et généreux comme le Cid, avait remporté sur l’Islam de si
belles victoires que son beau-père, Alphonse VI de Castille, lui avait donné le
Portugal en récompense.
3

Mais c’est son fils, Alphonse Ier, qui avait chassé définitivement les Maures
(1). Ses soldats l’avaient aussitôt proclamé roi, avant même que le pape
Innocent II, selon la coutume du temps, ne l’ait reconnu comme tel.

Cependant, du Maroc tout proche, l’Islam était toujours menaçant, malgré sa


défaite ; on se tenait sur ses gardes. Et quand les Croisades s’organisèrent
pour libérer la Terre Sainte, les chevaliers portugais ne furent pas les derniers
à s’enrôler pour combattre les Infidèles.

(1) Les mots Maures, Infidèles, Sarrasins, Musulmans, désignent


indifféremment les fils de l’Islam.
4

Aussi, pourrait-on suspendre au-dessus du berceau de saint Antoine des épées


et des boucliers, des cottes de mailles et des heaumes, toute la panoplie du
croisé.

Les chants dont on le berça furent ceux des troubadours, pleins de prouesses
et d’aventures guerrières. Pour le faire obéir, on ne le menaçait pas de l’ogre
ou de la sorcière, mais du Sarrasin cruel qui emporte les petits enfants pas
sages. Et les premiers jeux auxquels on l’invita furent sans doute des joutes,
des tournois, des chevauchées épiques, des petites guerres d’un coin de rue à
l’autre.
5

Une légende fait d’Antoine le descendant du grand croisé Godefroy de


Bouillon. En fait, ses parents se nommaient Martin de Bouillon et Maria
Travera.

Ils étaient nobles, puissants et, ce qui vaut tous les titres du monde, ils étaient
profondément chrétiens.

Antoine n’eut qu’à les regarder prier pour apprendre à le faire ; il n’eut qu’à
regarder sa mère donner aux pauvres pour savoir ce qu’est la charité.
L’exemple de ses parents fut son premier évangile, dans lequel il apprit à
connaître et à aimer Jésus.
6

Dans le monastère de Saint-Vincent, à Lisbonne, une dalle funéraire porte


cette simple inscription : Ici repose la mère de saint Antoine.

Pas d’autre nom, pas d’autre titre. C’est suffisant pour que les âmes se
souviennent, par delà les frontières et les siècles ! Combien de mamans
chrétiennes envieraient de perdre leur nom de famille, comme Dame Maria
Travera… pour être appelées par tous ceux qui passent : la mère d’un saint !
7

Ce fils, dit-on, était leur premier-né. A son baptême, ils lui donnèrent un
prénom sonore, chevaleresque, très courant dans l’Aragon, la Castille et le
Portugal : Fernandez.

Lisbonne, jalouse de Padoue qui lui « vola » en quelque sorte saint Antoine,
montre encore fièrement les fonts où il fut baptisé, dans la cathédrale dédiée à
l’Assomption de Notre Dame. Dès l’aube de sa vie, saint Antoine fut ainsi
confié à Marie, qu’il appellera souvent sa Souveraine.
8

De vieux chroniqueurs ajoutent que « la Vierge lui servit aussi


d’institutrice ». La maison paternelle était située, en effet, tout à côté de la
cathédrale. Dans ses dépendances, l’évêque avait ouvert une école. Le clergé
y instruisait enfants et adolescents.

C’est là que Fernand — appelons-le ainsi — apprit la grammaire, le calcul, la


musique religieuse, l’art de bien parler, et surtout la science de Dieu. Il
comprenait et retenait si facilement qu’un de ses biographes a pu dire « qu’il
rangeait tout dans la « petite armoire de son cœur ».
9

Sans histoire et sans prodige s’écoule son enfance. On sait seulement « qu’il
aimait visiter les monastères et les églises ». Ce qu’il possédait, il le donnait
gaiement aux pauvres. Une statue de Fernand nous le représente en enfant de
chœur, agenouillé devant la Vierge.

C’est bien ainsi qu’il faut l’imaginer : petit chanteur modèle de la maîtrise de
la cathédrale, servant de messe fervent et régulier que toutes les
manécanteries et tous les petits clercs du monde pourraient prendre comme
patron. Il garde avec soin, sous le regard de Notre Dame, l’innocence de son
baptême. Les chroniqueurs le nomment déjà « un lys en fleur ».
10

On ne saurait dire quels étaient ses défauts.

Pourtant il devait bien en avoir quelques-uns.

On n’est pas saint de naissance, on le devient petit à petit après des efforts.
Fernand avait à tempérer ses ardeurs. Quand il entendait chanter l’amour et la
guerre par les troubadours, son cœur vibrait. Quand il voyait, dans l’estuaire
du Tage, partir les navires, son imagination rêvait. Quand il passait sur les
places ensoleillées, pleines de marchands, de jongleurs et de danseuses, en
suçant une orange ou une grenade, il lui arrivait bien de s’attarder…

Tout proche de ces transports… le « malin » rôdait !


11

Une tentation brutale l’assaillit un jour. Sous quel visage, de quelle manière,
Satan le tenta-t-il ? On ne sait. En tout cas, Fernand prit peur. Pour vaincre le
démon, il traça une croix sur la pierre de l’église. Si fortement, assure-t-on,
qu’elle y resta gravée…

En vérité, la croix de Jésus était déjà profondément plantée dans son cœur
comme un signe de victoire. Entre Jésus et Satan, Fernand avait choisi pour
toujours, avec vigueur. Le lys, après l’ouragan, demeurait intact sous la robe
blanche de ses pétales…
12

Fernand a maintenant quinze ans. Sa taille est petite, mais il pousse bien. De
longs cheveux noirs encadrent son fin visage ambré. Des prunelles ardentes
l’éclairent… Une intelligence vive, une mémoire extraordinaire lui
permettent de tout retenir. Il est beau, généreux, instruit, de haute naissance.
Le plus bel avenir s’ouvre à lui.

Quelle carrière va-t-il choisir ? Sera-t-il jongleur, marchand ou marin ? Poète


ou troubadour ? Page de quelque puissant seigneur ou secrétaire d’un homme
de loi célèbre ? Artiste, peintre, sculpteur ? …
13

Souvent on lui a raconté la belle légende du Saint-Graal, ce vase dans lequel,


au calvaire, un disciple de Jésus aurait recueilli son sang. Des chevaliers
fameux s’étaient lancés à sa recherche ; on appela leur entreprise hasardeuse :
la quête du Saint-Graal.

Fernand ne va-t-il pas tenter lui aussi une aventure semblable à celle qu’il
aime entendre chanter par les troubadours et les ménestrels ? Être, à son tour,
le héros de quelque action d’éclat contre les Sarrasins ?
14

Encore adolescent, Fernand entre à l’abbaye Saint-Vincent de Flora, tout près


de Lisbonne, chez les chanoines réguliers de Saint- Augustin.

Loin des carrières et des ambitions humaines, c’est une vie humble et austère
qu’il choisit. La quête qu’il vise est plus haute, plus malaisée que celle d’un
vase précieux : c’est la quête de la perfection. Elle durera toute sa vie.
Fernand sera aussi le croisé de Dieu, mais sans armes et sans destrier, par une
conquête pacifique… Il l’a répété à ses compagnons, surpris de son choix :
« Dieu le veut ! Dieu le veut ! »
15

Chanoine à quinze ans, quelle idée ! Tu penses sans doute à quelque vieux
prêtre de ta connaissance, chauve ou tout blanchi sous sa barrette, somnolant
dans sa stalle.

Les chanoines de Saint-Augustin n’avaient pas tous cet âge et cette


tranquillité. Ils s’occupaient d’apostolat comme les prêtres de ta paroisse ; ils
enseignaient la jeunesse. On les disait même très savants, non seulement dans
les choses de Dieu, mais dans toutes les sciences de leur temps d’astronomie,
la physique, l’histoire, etc. A leur contact, Fernand devait apprendre
beaucoup.
16

La vie de Fernand se partage entre la prière et l’étude. Est-il heureux ? Pas


tout à fait, car Lisbonne est trop proche. Ses anciens camarades viennent
souvent lui rendre visite. Ils l’entretiennent, fatalement, de ce monde qu’il a
voulu quitter pour se consacrer à Dieu.

Alors, il veut s’éloigner, se retirer dans quelque lieu désert, par exemple au
monastère du même ordre, à Coïmbre. Mais ce n’est pas chose facile.
17

Le prieur de Lisbonne, Dom Gonzalve, qui l’avait accueilli avec joie,


l’apprécie beaucoup et désire le retenir auprès de lui. Mais quand Fernand a
décidé quelque chose ! … Il supplie, prie, pleure, fait tant et si bien qu’il
obtient l’autorisation de partir.

Le voici, à présent, près des rives du Mondego, parmi les jardins fleuris et les
bocages d’orangers, au monastère Sainte-Croix, il y trouve, comme à
Lisbonne, des maîtres de grand savoir qui donnent à Coïmbre une renommée
de ville savante, bien avant qu’elle ne possède sa célèbre université.
18

A Coïmbre, Fernand prie et étudie inlassablement. Il lit les Écrits des Pères,
les Actes des Saints, étudie les sciences physiques et naturelles, apprend à
observer et à connaître la vie des plantes et des animaux.

Plus tard, il tirera de ses vastes connaissances des images et des comparaisons
qui éclaireront les esprits les plus simples comme les plus savants.

Ses maîtres font de lui le plus grand éloge : « il retient tout… excelle en
tout ».
19

L’étude que préfère le jeune novice est celle de la Sainte Écriture. « C’est un
livre divin, dira-t-il. Jésus y est partout, présent et vivant. » Il s’en nourrit
comme d’un pain immortel. Bientôt, il le connaît par cœur.

Mais il se méfie déjà d’une science qui ne se tourne pas à aimer. Il veut vivre
selon l’esprit de l’évangile et de sa Règle. Et il est bien obligé de constater
qu’autour de lui les chanoines, si savants, ne sont pas tous des saints.
20

Pourtant, le fondateur de l’abbaye était le saint Théotonio. Fernand admire sa


vie héroïque.

Théotonio étant allé en Terre Sainte aurait désiré ardemment y rester tant il
était attaché aux souvenirs de Jésus, il gravissait souvent le Golgotha, une
lourde croix sur l’épaule, pour imiter son Maître, et se recueillait longuement
devant le Saint Sépulcre…

A son retour, il avait vendu tous ses biens pour fonder ce monastère, refusant
jusqu’à sa mort le titre de prieur et édifiant tous les moines par sa grande
vertu.
21

Est-ce pour imiter l’humilité du saint fondateur que Fernand demande


l’emploi de portier ?

Sans délaisser l’étude et la prière, il peut de la sorte se dévouer aux passants


et aux voyageurs. L’évangile, qu’il médite inlassablement, lui fait voir en eux
les envoyés et les représentants de Jésus. Il les accueille et les soigne comme
il aurait fait de Jésus lui-même. Aussi, entre ses mains, les richesses du
monastère reviennent enfin à la disposition des pauvres, qui connaissent à
cent lieues à la ronde le chemin de l’hôtellerie.
22

Un jour, le jeune frère hôtelier voit venir à lui deux pauvres hères. Vêtus de
bure grossière, ceints d’une corde de chanvre, les pieds nus sur une semelle
de bois, quels sont-ils ?

Deux religieux comme lui, appartenant au nouvel ordre franciscain. Ils se


nomment humblement : Zacharie et Gautier, « frères mineurs » ou petits
frères. Et ils viennent tous deux mendier leur nourriture à leurs voisins, les
riches chanoines de Sainte-Croix.

Fernand, bouleversé de tant de pauvreté et d’humilité, les interroge à n’en


plus finir !
23

« La sœur du roi Alphonse II, la princesse Sancia, nous a accueillis en


Portugal et nous a trouvé un monastère. — Un monastère, reprend Fernand
étonné ; où donc ? — A Coïmbre, tout près, dans ces boqueteaux d’oliviers :
le monastère Saint-Antoine d’Olivares. — Mais dans quelle demeure ? —
Notre demeure, c’est une cabane de planches et de terre battue. Notre Père,
François d’Assise, nous a appris la joie de ne rien posséder et de tout attendre
de Dieu. — Parlez-moi de lui. »

Gautier et Zacharie ne se font pas prier.


24

Merveilleuse histoire, en vérité, que celle de François, le fils du riche drapier


Bernardone, beau garçon au sang vif et à l’humeur joyeuse, que toute la
jeunesse d’Assise acclamait pour son chef ! Pour l’amour de Jésus, il a vidé
un jour son escarcelle. Il s’est dépouillé de ses beaux vêtements et a épousé la
plus belle des dames, la Pauvreté. Il s’est fait maçon pour construire des
sanctuaires, troubadour pour chanter la douceur de Jésus, prédicateur des
oiseaux, des loups et de tous ses frères humains (1).

(1) Lire, dans la même collection, l’album Saint François d’Assise, par l’abbé
Jean Pihan.
25

La parole et l’exemple des frères mineurs de Saint-Antoine d’Olivares


émeuvent profondément le jeune chanoine. Auprès d’eux, il rougit des
richesses et des facilités de son monastère ; son trop bel habit lui pèse comme
une chape de plomb…

Pourquoi ne deviendrait-il pas, à son tour, disciple du petit pauvre d’Assise ?


Pourquoi ne se dépouillerait-il pas comme lui pour devenir léger, libre,
joyeux comme un oiseau dans le clair matin, s’occupant seulement de chanter
et d’aimer Dieu : la quête de Dieu ! Il veut poursuivre sa quête de Dieu… Un
grand événement va l’y aider…
26

Branle-bas dans l’hôtellerie de Fernand : cinq frères mineurs font halte avant
de poursuivre leur route pour le Maroc ! Ils tentent le grand projet manqué
par François d’Assise lui- même : prêcher Jésus aux Infidèles. S’ils échouent,
ils espèrent gagner la palme du martyre.

Fernand les écoute pieusement ahuri. Ce qu’ils disent réveille en son cœur
des rêves secrets d’enfance. Il les regarde partir avec envie, et attend
impatiemment des nouvelles d’eux.
27

Elles arrivent bientôt, joyeuses, vibrantes comme une sonnerie de


trompettes !

Le 10 janvier 1220, Bérard, Pierre, Adjute, Accurse et Othon, les cinq hôtes
de Fernand, ont réalisé leur vœu. Après avoir vainement prêché la foi
chrétienne aux Musulmans, ils ont été arrêtés, menacés, sommés de renier
Jésus. Ils résistent fièrement, bravant l’émir Abu-Jacoub qui, hors de lui, leur
fend la tête de son propre cimeterre.

L’Église compte cinq martyrs de plus.


28

Le Portugal, contre une toute rançon, racheté leurs précieux restes, les fait
déposer en deux châsses et transporter jusqu’à Sainte- Croix de Coïmbre. Sur
leur passage, les acclamations se déchaînent, les miracles éclatent… Devant
leurs reliques, Fernand tressaille ; il éprouve en son cœur une sorte de
jalousie sacrée et soupire : « Pour Jésus, je voudrais moi aussi m’agenouiller,
tendre le cou au glaive d’un bourreau… Ce jour de bonheur arrivera-t-il
jamais ? » Quand il se relève, sa décision est prise : il sera martyr !
29

Fernand sait qu’il ne pourra jamais l’être s’il reste dans son monastère
tranquille. Il doit entrer dans cet ordre jeune, dynamique, que François
entraîne après lui dans sa grande aventure. Il échangera sa robe blanche
contre la bure en forme de croix des frères mineurs. Jésus sera son puissant
Seigneur, la Pauvreté sa Dame, le Martyre sa quête !

C’est la condition qu’il met à son enrôlement : partir bientôt chez les
Sarrasins, pour mériter à son tour la palme du martyre.
30

Les franciscains d’Olivares acceptent avec empressement le marché.


Cependant, le prieur de Coïmbre essaie de retenir son sujet. Il voudrait faire
de lui son digne remplaçant. Mais le rêve de Fernand est si prenant, l’appel
de Dieu si fort qu’il le laisse finalement partir. Seul, un chanoine, le voyant
s’éloigner, lui lance pour se moquer : « Va ! va, tu seras bientôt un saint. »
Fernand se retourne et lui répond : « Quand tu entendras dire que je suis un
saint, tu loueras Dieu ! »

On est en 1220, Fernand est resté près de dix ans à Coïmbre.


31

Fernand a rejoint le couvent de branchages de Saint-Antoine. Comme il est


bien caché derrière les oliviers, sous sa robe couleur de feuilles mortes ! Il a
perdu jusqu’à son nom. Maintenant et pour l’éternité, il se nomme Antoine,
frère Antoine. Pendant quelques mois, il va mener joyeusement la vie pauvre
et fraternelle d’Olivares, non sans rappeler à son supérieur la promesse qu’il
lui a faite de l’envoyer chez les Infidèles.

A l’automne 1220, enfin, il s’embarque sur un vaisseau pour le Maroc.


32

Quel est cet étrange passager, se demande- t-on sur le voilier : un moine aux
pieds nus qui chante, qui prie, qui rêve !

« Ohé, frère ! Vas-tu découvrir une nouvelle terre ? Pourquoi tes yeux
brillent-ils ainsi ? D’où vient ton impatience, ta joie ? — Je vais conquérir les
Infidèles. — Écoute-le, capitaine, c’est un fou. Il veut conquérir les
Sarrasins ; il n’a même pas d’épée ! »

C’est un fou de Dieu, en effet, que le navire emporte. Sa folie, comme celle
de Jésus et de François, est celle de la Croix.
33

Terre ! Antoine débarque sur la côte africaine. Un frère l’accompagne. Mais,


qu’a- t-il ? Un vertige, un malaise… Antoine titube : c’est la fièvre. Il brûle, il
tombe. Son compagnon perd la tête.

« Nous ne pouvons continuer. Couche-toi ! »

Antoine, cloué par la maladie, n’ira jamais plus loin sur la terre infidèle. Il
reste six mois entre la vie et la mort, ignoré de tous, n’ayant que ses
souffrances et ses regrets à offrir pour la conversion de l’Islam. Il ne sera
qu’un martyr de désir. Dieu le veut !
34

Regarde-le un instant s’agiter sur son grabat. Passe doucement ta main sur
son front brûlant. Écoute-le murmurer comme Jésus : « Que votre volonté
soit faite, Père, et non la mienne ! » Et admire-le, patient et doux, le sourire
aux lèvres malgré sa déception !

Avant d’être le modèle de ceux qui réussissent, Antoine l’est de ceux qui
échouent.

Saint Antoine, obtiens-nous la grâce d’avoir toujours le sourire et de n’avoir


jamais peur de faire le sacrifice de nos rêves personnels.
35

La santé d’Antoine ne peut supporter le climat de l’Afrique. Dieu ne veut pas


de lui comme missionnaire de l’Islam ! Alors, que veut- il ? Qu’il revienne au
Portugal ? Mais ses camarades de Lisbonne et certain chanoine de Coïmbre
vont se moquer de lui : « Ah ! l’intrépide chevalier n’a même pas dégainé son
arme. Le héraut de l’évangile n’a même pas ouvert la bouche. Le martyr du
Christ a été malade de la fièvre ! »

Qu’importent à Antoine les railleries qui l’attendent. Ce qui compte pour lui,
c’est le seul règne de Jésus. A peine convalescent, il se rembarque pour le
Portugal.
36

Mais Dieu conduit à sa manière ceux qui s’abandonnent à lui.

Une tempête assaille le navire, le démâte, le jette désemparé sur une plage de
Sicile. Où aller ? Le pauvre Antoine est dans un piteux état après de terribles
nuits passées en mer. Fort heureusement, quelques frères mineurs qui ont
établi leur ermitage près de Messine, dans des huttes de pêcheurs,
l’accueillent et le soignent.

Mais Antoine, voyant leur dénuement, ne veut rester plus longtemps à leur
charge.
37

Quelle belle occasion il a trouvée pour les quitter ? L’assemblée générale des
frères mineurs à Assise !

Enfin, il va voir son maître, le Petit Pauvre. Et peut-être — quelle ambition !


— pourra-t-il lui demander conseil. Sa joie éclate.

Sur une plage voisine on répare le navire endommagé. Antoine aussi retrouve
sa mâture et sa voilure — je veux dire sa santé. Il met le cap sur Assise et
arrive à bon port, le 30 mai 1221.
38

A Assise, fin mai, l’immense armée des petits frères à robe brune chante sous
les feux de messire le soleil. C’est l’âge d’or de l’ordre franciscain. Ils sont
trois mille, venus de partout, enthousiastes, simples, fraternels, criant à tue-
tête la joie d’aimer Jésus et toutes les créatures.

Frère Élie préside. François lui a remis ses pouvoirs. De temps en temps, le
Petit Pauvre, quand il veut parler, le tire par la manche. Alors, Antoine, perdu
dans la foule, cambre sa petite taille et regarde, bouleversé.
39

Cette silhouette menue qui se redresse là- bas, c’est lui, François. Avec quelle
émotion Antoine écoute la voix qui charme les oiseaux et les hommes, qui
chante sœur l’eau et frère le feu, qui parle si bien de Jésus. Quand il prononce
son nom, il passe sa langue sur ses lèvres comme s’il en goûtait la saveur…
C’est bien vrai tout ce qu’on a dit de lui, de ses miracles, de ses prodiges.
Tout s’explique : François est fou de Jésus. Son amour pour lui, tel un feu,
brûle, court, enflamme.
40

Antoine a dû se trouver trop indigne d’approcher François ; il ne lui a pas


confié son âme. Pas davantage, François n’a remarqué cet humble frère dans
le fourmillement des bures.

L’assemblée se sépare, sans qu’on lui ait confié quelque tâche. Il se présente
alors au frère Gratien, le Provincial de Bologne. Il ne lui parle ni de son
savoir, ni de son martyre manqué, mais seulement de son désir de connaître
Jésus comme le connaît François. Il veut se former à la vie franciscaine…
Frère Gratien l’emmène avec lui au couvent de Monte Paolo, près de Forli.
41

Parce qu’on est déjà trop nombreux au petit monastère, Antoine doit se
trouver un refuge dans la montagne… une grotte dans les rochers. Les pins
lui servent de clôture, le vent de violon.

Jamais Antoine n’a été si heureux que dans ce refuge. Il prie, lit la Sainte
Écriture, chante les psaumes. Lorsqu’il descend au couvent pour les offices, il
se réserve les tâches les plus humbles, lavant les écuelles, balayant les
cellules. Il sert en silence, comme Jésus.
42

Bien malin qui découvrirait une source aussi pure dans les rochers, un tel
filon d’or, un ermite aussi saint !

Ce malin existe. C’est Satan. Il tourmente sans répit le serviteur de Dieu ; ses
assauts sont terribles car la proie est belle. Frère Antoine se défend à coup de
jeûnes et de prières. Il invoque souvent sa Souveraine, Marie… Il paya, dit-
on, chèrement sa victoire, car certains jours il pouvait à peine rejoindre le
couvent. Son compagnon d’ermitage devait le porter.
43

Au monastère de Monte Paolo, en la veille de Pâques 1222, c’est grande fête


pour les âmes. Plusieurs frères mineurs, auxquels se sont joints quelques
dominicains, vont recevoir l’ordination sacerdotale. Antoine est du nombre.
Tu devines son émoi. Être prêtre du Seigneur !

Avant la cérémonie, frère Gratien demande à l’un ou à l’autre des futurs


ordinands d’exhorter ses frères par quelques paroles pieuses. Chacun hésite,
s’efface, dominicains comme franciscains. Alors, d’autorité, frère Gratien
désigne Antoine.
44

C’est un ordre… Antoine obéit avec empressement et simplicité. Il parle, il


laisse déborder de son cœur son amour pour Jésus, dont il voudrait se
rapprocher le plus possible…

C’est si beau, si prenant ce qu’il dit que tous les frères bruns et blancs lèvent
la tête, regardent, envient le petit moine inconnu. Ils n’ont jamais rien
entendu de pareil. En un instant, Antoine dévoile ce qu’il avait tenu si bien
caché : son savoir, sa sainteté.
45

L’histoire ne nous dit pas comment se déroula l’ordination d’Antoine ; quels


furent ses sentiments. Mais au soir de ce beau jour, frère Gratien envoie à
François ce message : « Une étoile s’est levée au ciel franciscain ! » Et, avec
une plume qui court d’enthousiasme, de tracer le portrait d’Antoine, dans
lequel le Pauvre d’Assise reconnaîtra avec joie le disciple idéal qu’il a si
souvent rêvé et si rarement trouvé.

Sans attendre la réponse de François, frère Gratien confie à Antoine la


délicate mission d’aller prêcher l’évangile aux hérétiques.
46

Les hérétiques veulent réformer l’Église selon leurs idées. Ils se croient
toujours plus malins que les autres, pape et évêques compris. Le diable gagne
beaucoup à leur vilain jeu !

En ce temps-là, les plus connus s’appelaient les cathares. On les nommait


encore, en France, les albigeois, car ils étaient nombreux dans la région
d’Albi.

Saint Dominique avait déjà beaucoup fait pour les convertir. Quelques
croisés, hélas ! voulurent aussi s’en mêler. Mais leurs méthodes n’étaient pas
inspirées de l’évangile. Ils firent du mauvais travail.
47

Les cathares avaient de drôles d’idées.

Partout, ils voyaient le mal : dans le corps, dans le mariage, dans l’Église. On
aurait dit qu’ils avaient de la boue sur les yeux. Ils croyaient qu’il y avait au
ciel le dieu du bien et le dieu du mal. Pour eux, le monde était enfoui dans le
péché. Seuls quelques « purs » pouvaient y échapper. Mais au prix de quelles
difficultés ! Les autres préféraient pécher à leur aise, car il y avait une sorte
de truc pour se sauver. Et l’on s’arrangeait pour y avoir recours au dernier
moment.
48

Il était bien difficile d’aborder ces hérétiques.

Antoine va vers eux d’un cœur compatissant, fraternel. Il se présente comme


l’envoyé de Jésus qui est mort pour tous les hommes. Son message a des
exigences, bien sûr, mais aussi des douceurs, puisque c’est un message de
paix et d’amour.

Sur la place publique de Rimini, il célèbre la messe. Longuement, il parle de


Jésus crucifié : « Regardez-le, s’écrie-t-il ; ses bras sont grand ouverts ! -Ce
n’est pas pour punir, c’est pour pardonner ; ce n’est pas pour séparer, c’est
pour unir et réconcilier. » ‘
49

Aucun des chefs cathares n’ose le contredire. Ce qu’il dit est trop vrai, trop
clair. Tous les doutes, les entêtements, les rancunes ont fondu, comme neige
au soleil.

Soudain, voici qu’un cathare s’avance ! C’est Bonvillo, « un dur entre les
durs ». Il a combattu farouchement l’Église depuis trente ans. Tout le monde
se regarde, anxieux. Que va-t-il dire ? Que va-t-il faire ? Il tombe à genoux ;
il implore pour lui et ses frères égarés le pardon de Dieu !
50

Comme mus par une force du ciel, d’autres cathares se détachent afin de se
joindre à Bonvillo. Ils s’agenouillent, demandent pardon. Tandis que d’autres
se détournent avec mépris, plus obstinés que jamais dans leurs erreurs.

Antoine a gagné là son premier tournoi. Des victoires encore plus


surprenantes vont suivre, toujours aussi pacifiques, en ce printemps de 1222,
qui lui vaudront le surnom de « Marteau des hérétiques ». En fait, il ne
brandissait pas le marteau pour frapper, mais la Croix pour pardonner.
51

« Frère Antoine, lui crie-t-on un jour… une lettre de notre Père François. »

Antoine l’ouvre, tout tremblant. Que lui veut donc son maître d’Assise ? …
Quoi ? Enseigner la science de Dieu à Bologne, aux novices franciscains !
Mais, il ne saura pas, il n’en est pas capable ! … La lettre est toute simple,
toute joyeuse, comme si François l’avait écrite avec un rayon de soleil. Il
l’appelle même « mon évêque », pour lui exprimer sa confiance, et il lui
recommande de bien apprendre à tous ses élèves à aimer Dieu.
52

La spécialité d’Antoine, c’est la Sainte Écriture. Il peut la réciter par cœur.


Incroyable ! Mais le prodige est qu’il y voit partout Jésus dessiné, représenté,
vivant. C’est passionnant de l’entendre expliquer comment il faut
comprendre, goûter, vivre la belle histoire de l’amour de Dieu pour son
Peuple.

… Le prophète Isaïe annonce-t-il la cité du soleil ? Antoine interroge ses


élèves : « La connaissez-vous cette cité chaude et claire ? C’est le cœur de
Jésus. Il faut y habiter. » Telle est sa manière d’enseigner. Tous ses élèves
sont dans l’admiration.
53

Une gravure représente Antoine enseignant la Sainte Écriture à ses frères. Il a


une main posée sur la Bible, l’autre est ouverte comme pour semer. Les
auditeurs restent bouche bée. On dirait des enfants captivés par une belle
histoire. On devine qu’ils vont bientôt fermer les yeux, éblouis de tant de
merveilles, prier, remercier, chanter !

Pendant deux ans, selon le vœu exprimé par François, Antoine va semer
l’amour dans l’âme de ses jeunes frères… D’autres viendront moissonner,
tandis qu’il partira vers d’autres semailles.
54

C’est à l’école de Bologne que se situe le fait suivant.

Antoine a fait un beau et long travail sur les psaumes : il a écrit des pages et
des pages de commentaires. Mais un beau jour, son cahier disparaît ! On
cherche dans tous les coins et recoins… rien ! Ennuyé, frère Antoine se met
en prière. Le lendemain, l’un des frères, tout penaud, vient rapporter le
cahier, déclarant « Je l’ai volé.

— Pourquoi ? » demande Antoine.


55

L’aveu est pénible. Le novice fond en larmes : « Je voulais quitter l’ordre et


faire croire que c’était moi l’auteur du livre. D’un seul coup, j’aurais connu la
gloire. » Mais à l’heure précise où Antoine s’était mis en prière, le frère avait
eu honte de son geste et s’était repenti. Alors le volé embrasse le voleur,
l’invitant à remercier Dieu avec lui.

Et c’est probablement pour cette raison qu’on a fait d’Antoine le saint


détective des objets perdus.
56

Après l’Italie, la France… C’est auprès des albigeois, qu’on envoie


Antoine… Seul, par les chemins pleins d’embuscades, il s’en va rétablir le
règne de Jésus, opposer la Croix à l’épée vengeresse de Simon de Monfort !

Il s’arrête à Montpellier, ville restée fidèle à l’Église, et s’initie à la langue


romane dans laquelle chantaient les troubadours. Il la parle bientôt avec tant
d’habileté, qu’on l’Invite à prêcher dans la cathédrale.
57

Il est prêt maintenant à affronter les hérétiques. Comme à Rimini, il va vers


eux en ami. C’est la règle d’or de François : « Soyez l’ennemi du péché,
l’ami du pécheur. » Ainsi faisait Jésus.

« Ah ! Monfort ! On ne combat pas l’erreur avec le fer, le sang, le feu. La


violence attire la violence. On ne conduit pas au Prince de la Paix avec des
gestes de haine. On fait aimer Dieu en aimant comme il aime. »
58

Jamais les cathares n’ont rencontré pareil croisé. Son arme redoutable est la
parole de Dieu, son armure la sainteté. Nulle faille dans cette âme, nul défaut
dans cette cuirasse…

De quelque côté que se trouvent le vice ou l’erreur, Antoine les dénonce


hardiment : « Il y a des prêtres, dit-il, qui font les maquignons dans les foires,
les chicaneurs devant les tribunaux. Ils sont comme des ânes en laisse,
retenus par les liens des richesses, des plaisirs et des honneurs ! »
59

Les vieux historiens d’Antoine, pour rendre compte du succès de sa


prédication contre l’hérésie, se contentent d’écrire : « Quand frère Antoine
quitte la région, il n’y a pour ainsi dire plus de cathares. »

De Toulouse, à l’automne 1225, Antoine gagne le couvent du Puy-en-Velay ;


il y est nommé « gardien », c’est-à-dire supérieur.

Du Puy, la cité de Marie, il rayonne de-ci, de-là, dans l’Auvergne, le Berry, le


Limousin.

Dieu confirme sa parole par des prodiges et des miracles qu’il faut
maintenant raconter.
60

Antoine croise souvent dans les rues du Puy un notaire impie et débauché. Il
ne se contente pas de le saluer, mais s’agenouille devant lui. Le notaire croit
qu’Antoine se moque de lui et fait celui qui n’a rien vu.

Comme le manège continue une fois, dix fois, l’homme, fou de rage, porte un
jour la main à son épée : « Je ne sais pas ce qui me retient de te la passer au
travers du corps. »
61

Antoine répond doucement : « Je ne me moque point, mon frère. Je salue en


toi l’élu de Dieu. Tu me devanceras dans son royaume, en mourant martyr.
J’avais vivement désiré cette grâce ; toi, tu l’obtiendras. Souviens-toi de moi
à cette heure-là. »

Le notaire part d’un grand éclat de rire ; lui, le mécréant, un martyr !

Bientôt cependant, il se convertira, s’embarquera pour la Terre Sainte,


tombera aux mains des Sarrasins, et, comme l’avait prédit Antoine, versera
son sang pour le nom de Jésus.
62

Antoine est toujours hanté par l’idée du martyre. Comme à Coïmbre, il est
presque jaloux de tous ceux qui conquièrent cette palme glorieuse.

Il prédit une fois à une jeune femme du Puy que l’enfant qu’elle porte sera un
jour frère mineur et martyr du Christ.

Il fut l’un et l’autre en effet. Parti pour les missions lointaines, pris par les
Maures et enfermé avec plusieurs compagnons dans le château fort d’Azot, il
y subira avec eux le martyre.
63

C’est probablement au Puy qu’il faut placer la « légende du pied fendu ». La


voici :

Un jeune homme, fâché contre sa mère, lui donne un coup de pied, et, fou de
rage, s’enfuit de la maison. Tiens ! une église ouverte, une foule attentive. Il
s’y mêle, écoute. Le prédicateur — c’est Antoine — parle de la douceur de
Jésus, de son obéissance à Nazareth et jusqu’à la mort ! La colère du jeune
homme s’apaise, le remords peu à peu s’installe en son cœur. Et soudain,
quand Antoine s’écrie : « Si ton pied te porte au mal, coupe-le », le garçon
fond en larmes.
64

N’y tenant plus, il court chez lui et demande pardon à sa mère.

« Je veux bien te pardonner, dit-elle, mais Dieu ne le peut. »

… Désespoir du jeune homme qui veut à tout prix obtenir aussi la grâce de
Dieu. Que faire ? Se rappelant alors la parole du prédicateur, il saisit une
hache qui pendait au mur et se tranche le pied, instrument de sa faute. Il sera
boiteux, mais pardonné. La mère crie d’épouvante, lui de douleur.
65

Venant à passer par là, Antoine entend leurs cris. Il se précipite… Tu devines
la suite. A sa prière, le pied fut remis en place.

Antoine gronda le jeune homme pour son geste irréfléchi. Mais plus encore la
mère :

« Comment avez-vous pu dire que Dieu ne pouvait pardonner. Il pardonne


mieux qu’une mère devant le repentir de ses enfants. Sa miséricorde est sans
limite. »
66

Une grande assemblée — un synode — se tient à Bourges, le 30 novembre


1225. Le cardinal de Saint Ange, légat du pape, la préside, devant six
archevêques, cent évêques, tous les abbés et prieurs de France et de Navarre,
ainsi que les seigneurs du Languedoc et de l’Aquitaine.

A quel orateur va-t-on faire appel ? Au gardien du Puy-en-Velay, à l’humble


ermite qui, trois ans auparavant, faisait la vaisselle à Monte Paolo, et qui la
fait encore parfois en son monastère.

Antoine est au faîte de la gloire !


67

Les honneurs ne l’impressionnent pas, l’auditoire non plus. Il parle à ces


grands de la terre avec la. même simplicité, la même conviction qu’aux
hérétiques ou aux villageois. Ils ont besoin comme tout le monde d’entendre
l’évangile, sans flatteries ni ménagements.

Du doigt, il désigne l’archevêque de Bourges, Simon de Sully, pour le


sommer de la part de Jésus de reconnaître ses torts et de changer de conduite.
Ce qu’il fera. Puis, se tournant vers les croisés, qui combattent les albigeois
par l’épée, il les supplie de se modérer : « Dieu est patient. Imitons-le. »
68

Le Seigneur devait plusieurs fois approuver par des miracles la patience et la


miséricorde d’Antoine pour les hérétiques.

Prêchant un jour sur le Présence réelle, un juif, Zacharie le Guillard,


l’interrompt s’écriant : « Je n’y crois pas ; je voudrais voir ! »

Antoine regarde en face l’entêté et lui dit : « Si ta mule se prosterne devant


l’Eucharistie, croiras-tu ? — Pour sûr ! » répond le Guillard.

Et, avec malice, le voilà qui propose au prédicateur le marché suivant :


69

« Pendant deux jours, je ne donnerai rien à manger à ma mule. Le troisième,


je l’amènerai ici sur le champ de foire. On mettra d’un côté de l’avoine
fraîche, et de l’autre tu lui présenteras l’hostie. Si elle refuse son avoine et
s’agenouille devant l’hostie, je croirai.

— Marché conclu, répond Antoine. Toutefois, que l'on sache ceci : si la


mule ne s’agenouille pas, ce sera à cause de mes péchés. »

Ce surprenant défi fait le tour de la ville et des remparts.


70

Au jour dit, les magasins sont fermés, les rues désertes, tout le monde est au
champ de foire. Des carrioles pleines de fermiers et de vachers sont même
arrivées des villages voisins.

Silence ! Zacharie apparaît, tirant sa mule. La pauvre bête a jeûné. Un valet


prépare l’avoine ; et la procession, venue de l’église, s’avance. Antoine
marche derrière, portant le Saint-Sacrement. Son visage rayonne d’une telle
ferveur que personne n’a envie de rire, pas même le Gaillard.
71

Il place sa mule très exactement entre l’avoine et l’hostie, et la lâche.

Silence dans l’immense auditoire. Les souffles sont coupés, les cous tendus,
tous les regards braqués sur l’animal.

Oh ! la bête n’hésite pas. Sans même lorgner la provende, elle s’avance vers
l’hostie, s’arrête à distance respectueuse, s’agenouille devant l’ostensoir,
comme si elle avait été dressée à cela, et s'immobilise dans une sorte
d’adoration, ses grands yeux noirs fixés sur l’hostie.
72

Zacharie le Guillard n’a pas hésité non plus.

Il tombe à genoux auprès de sa mule et se frappe à grands coups la poitrine,


tandis qu’une clameur formidable retentit, que des cris s’élèvent de tout le
foirail : Noël ! Alléluia ! Des prêtres entonnent le Magnificat, auquel toute la
foule répond avec une ferveur inouïe !

Une église, Saint-Pierre-le-Guillard, à Bourges, semble bien attester que le


fait s’est passé là. Un bloc de pierre et un tableau du XIVe siècle y conservent
l’image d’une mule agenouillée.
73

1226, en Arles, les frères mineurs de France se rassemblent pour leur


chapitre.

Antoine s’y rend. Il sait hélas ! que François n’y sera pas. Le Poverello, qui
pleurait à chaudes larmes quand il méditait la Passion de Jésus, en porte
maintenant les marques sanglantes à ses pieds, à ses mains, et à son côté !

François ne verra donc plus Antoine, ce frère béni qui le continue si bien et
qui glorifie son ordre !
74

Les frères ont invité Antoine à prêcher. Il a pris pour thème, peut-être en
songeant à François, le crucifix. Il parle des souffrances de Jésus, de la
royauté universelle qu’il s’est acquise au prix de son sang, de l’attrait qu’il
exerce du’ haut de sa croix, même sur les pécheurs…

Soudain, il s’interrompt. Ses yeux fixent, la porte. Personne n’a frappé,


personne n’est entré. Qu’est-ce que cela veut dire ? L’auditoire soupçonne un
mystère : quel mystère ? Un autre religieux, le frère Monald, témoin de ce fait
étrange, le racontera autour de lui.
75

François d’Assise vient d’apparaître à Antoine, au fond de la salle. Il semble


planer sur ses moines, comme un grand oiseau blessé. Les cinq plaies de
Jésus saignent à ses membres et à son cœur. Lentement, il trace sur Antoine
et sur ses auditeurs une bénédiction, puis disparaît.

Antoine et François se sont retrouvés, enfin ! Selon une manière qui


n’appartient qu’aux anges.

Bientôt, le 3 octobre, c’est vers Jésus que le Petit Pauvre s’envolera, pour
devenir un des princes de son paradis.
76

Au chapitre d’Arles, Antoine a été promu gardien de Limoges. Il s’y rend le 3


avril 1226.

Son embonpoint le fait prendre pour un moine gourmand et paresseux.

On ne croirait jamais, en le voyant, à sa sainteté, à son pouvoir miraculeux.


Qui plus est, il s’entend fort bien aux affaires. Il pourvoit au logement de ses
frères, règle avec soin les détails de leur vie matérielle, et s’installe au milieu
d’eux dans un couvent situé près du cimetière Saint-Paul et de la paroisse
Saint- Christophe.
77

Pourtant quand il prêche, à Limoges comme à Toulouse, les foules accourent.


Sa sainteté est telle que Dieu, à plusieurs reprises, lui permettra de se trouver
à deux endroits à la fois.

Ainsi, le Jeudi-Saint, prêchant en l’église Saint-Pierre-du-Queyrois, il entend


sonner matines. Il arrête son sermon, demande à ses auditeurs de se recueillir,
et rabat son capuchon sur son visage. Il paraît au moment même au chœur de
son couvent, chante une leçon à son pupitre, sous les yeux effarés de ses
frères, et revient par le même chemin miraculeux reprendre le sermon,
interrompu.
78

L’été suivant, nouveau prodige. Antoine prêche dans l’ancien amphithéâtre


romain de Limoges — l’actuel jardin d’Orsay.

Un orage violent éclate, de grosses gouttes commencent à tomber. La foule


s’apprête à partir. « Non ! s’écrie-t-il, ne bougez pas, ce n’est rien. » Le ciel
déverse des trombes d’eau. La pluie n’atteint personne. Et Antoine continue
son sermon sous cette voûte mystérieuse que ne traverse aucune goutte, que
n’ébranle aucun tonnerre !
79

Puis il regagne son couvent comme si rien d’extraordinaire ne s’était produit.


Il a d’autres soucis en tête : un jeune novice qu’il aime bien, Pierre, veut
quitter l’ordre, se croyant indigne d’y demeurer.

Antoine, qui sait lire au fond des âmes, lui parle avec beaucoup de délicatesse
de ses doutes, et l’encourage à persévérer. Puis, soufflant sur lui, comme
Jésus sur ses apôtres, il lui dit : •>« Reçois le Saint-Esprit. » Aussitôt la paix
se fait dans le cœur du jeune homme : il restera.
80

Un autre jour, faisant halte à l’abbaye Saint- Martin, i ! voit un jeune


bénédictin assailli de violentes tentations et sur le point d’y succomber.

« Veux-tu changer de tunique avec moi ? » lui demande Antoine,


simplement.

Étonné, le religieux consent.

Quel merveilleux talisman il a revêtu là ! Ses tentations se dissipent, on


respire près de lui un parfum de lis ; jamais plus il ne sera tenté !
81

Satan, tu le devines, ne laisse pas souvent en repos un pareil adversaire. Mais


Antoine, qui le connaît bien, prévoit et déjoue ses ruses.

Un jour, à Saint-Junien, dans le diocèse de Limoges, il va prêcher sur la


place. Une estrade est installée. Avant d’y accéder, il annonce : « Je sais que
le démon veut nous jouer un vilain tour, mais ce sera sans dommage pour
personne. Ne craignez rien. » Il monte sur l’estrade, elle s’écroule… C’était
là le mauvais tour ! Ni Antoine, ni personne n’est blessé. Le diable en est
pour ses frais. Et l’auditoire continue d’écouter le sermon comme si rien ne
s’était passé.
82

Pour empêcher Antoine et ses frères de prier, le démon fait passer sous leurs
yeux, certain soir, une sorte de mirage. Ils croient voir, sous la clarté de la
lune, une bande de maraudeurs en train de saccager la moisson d’un des
bienfaiteurs du couvent.

Certains frères voudraient prévenir le paysan. Antoine les arrête : « Gardez-


vous en bien. Vous êtes le jouet d’une illusion. Reprenons notre prière. » Ce
qu’ils font, à peine convaincus. Le lendemain matin, ils sont obligés de se
rendre à l’évidence. Antoine a dit vrai : le champ est intact.
83

Et voici le miracle le plus populaire d’Antoine :

A Châteauneuf-la-Forêt, entre Limoges et Eymoutiers, le seigneur du lieu a


accueilli chez lui frère Antoine qui mendiait quelque secours pour son
couvent.

Ce seigneur est d’un naturel curieux. Il voudrait voir comment prie un saint,
car il tient son hôte pour tel. Alors, doucement, il entrebâille la porte de sa
chambre et… que voit-il ?
84

Antoine est debout au milieu d’une lumière éclatante qui a envahi toute la
pièce. Assis sur l’évangile qu’il tient à la main, un enfant radieux lui sourit et
lui tend les bras. Antoine le contemple, ravi, comme en extase.

Telle est la scène que le Père Bonaventure de Saint-Amable relate dans les
Annales du Limousin. Même si l’anecdote est fausse, il n’est pas mauvais
que le souvenir en demeure gravé dans la pierre en toutes nos églises.
85

Antoine se rend ensuite à Brive. En route, il s’arrête avec son compagnon


dans un village, pour se restaurer.

Une brave femme leur offre l’hospitalité. Dans sa hâte de les servir, elle
oublie de refermer le robinet de sa barrique, et toute sa réserve de vin se
répand dans la cave. Voyant la désolation de son hôtesse, Antoine se met en
prière. Puis il la renvoie au cellier. A sa grande stupéfaction, elle y retrouve
son tonneau plein d’un vin délicieux.
86

Brive reçoit Antoine avec enthousiasme : son nom y est déjà très connu.

Un petit couvent, fondé sur les terres du vicomte de Turenne, l’accueille. Et


le saint reprend ses prédications.

Mais, avide de solitude, il découvre à quelque distance de la ville, sur une


colline sauvage, des grottes naturelles, cachées par les broussailles. Il en fait
le lieu de sa retraite. Et chaque soir désormais, il quitte son couvent et vient
s’y retirer pour prier.
87

Une nuit où il est violemment tenté par le démon, il appelle la Sainte Vierge à
son secours.

La grotte alors s’illumine, et Marie lui apparaît, entourée d’anges et portant


l’Enfant-Jésus. Couronnée comme une reine, sceptre en main, elle met Satan
en fuite.

Et Antoine, délivré de ses tentations, rend alors grâces à celle que l’on
invoque depuis sous le nom de Notre Dame de Bon Secours.
88

La vie au petit couvent de Brive est très pauvre.

Un jour, les vivres font défaut et Antoine doit aller quêter en ville la
nourriture de ses frères.

Une dame lui offre des légumes de son jardin. Mais la servante refuse de
sortir, car il pleut à torrents. Encouragée par le saint, elle s’y décide
finalement, et revient son panier lourdement chargé, les vêtements secs, sans
qu’une seule goutte d’eau l’ait atteinte.
89

Brive n’a pas oublié le souvenir de saint Antoine. Les grottes où il pria sont
devenues célèbres.

Jadis sur la route de Roc-Amadour, maintenant sur celle de Lourdes, elles


voient chaque année affluer un nombre toujours croissant de pèlerins, venus
des diverses régions de France, et même de l’étranger.

De grandes solennités marquent la fête du saint, celle de Notre Dame de Bon


Secours, ou commémorent le « miracle des légumes ».
90

Lorsqu’au printemps 1227, la nouvelle de la mort de saint François


parviendra à Antoine, ce dernier reprendra la route de l’Italie.

Le chapitre général d’Assise, le 30 mai 1227, le nomme Provincial dé


Bologne. Il a alors trente-deux ans.

Malgré une terrible maladie, l’hydropisie, qui lui donne un embonpoint


gênant, il est en pleine vigueur intellectuelle. Partout son prestige attire les
foules. Il a conquis le pape lui-même, qui l’a appelé, après l’avoir entendu
prêcher : « l’Arche vivante en la Sainte Écriture ».
91

Malgré sa tâche si lourde de Provincial, c’est d’abord aux brebis égarées qu’il
pense : les hérétiques. Il retourne à Rimini, la ville de ses premières
prédications et de ses premiers succès.

Depuis son départ, les cathares se sont ressaisis. Ils se propagent avec
rapidité, hautains, violents, parfois enragés contre l’Église.

Antoine essaie de leur parler ; ils le fuient comme la peste. « Interdit de


l’écouter », telle est la consigne de leurs chefs.

Le saint se confie à Jésus : que faire ?


92

Les saints ont parfois de ces idées !

Un matin, frère Antoine descend vers le rivage. Les pêcheurs sont là parmi
les barques et les filets. Mais ce n’est pas à eux qu’il veut s’adresser. A quoi
bon ! Ils se boucheraient les oreilles.

Les pieds nus dans l’eau, il commence ainsi un étrange sermon : « Poissons
du fleuve et de la mer, créatures du Seigneur, écoutez ! Venez entendre la
Parole de Dieu, puisque les hérétiques la méprisent… »
93

L’eau s’agite, quelques poissons risquent la tête au-dessus. Une procession


très sage s’organise. Ils arrivent de très loin ; des espiègles s’installent sur les
vagues, comme des gamins sur les toits. Tous sont maintenant en place : le
menu fretin par devant, les grosses pièces par derrière.

Cette fois, les pêcheurs cathares laissent tomber leurs filets. Ils écarquillent
les yeux, les frottent comme s’ils venaient de rêver. Jamais Il n’y eut tant de
poissons à Rimini !
94

« Bénissez Dieu qui vous a créés, leur dit Antoine. Bénissez-le parce qu’il
vous a donné l’eau pour vous mouvoir en liberté. Bénissez-le parce qu’il vous
nourrit sans travailler. »

Un frisson d’argent semble parcourir l’immense auditoire. Le peuple marin


tout entier frémit joyeusement et bat des nageoires, il exprime comme il peut
sa gratitude au Seigneur.

Nul n’a vu semblable prodige depuis que François d’Assise a prêché aux
oiseaux dans la vallée de Spolète.
95

Ainsi, Antoine comme François, a retrouvé l’innocence première de


l’homme, la clef du paradis perdu. On croirait entendre Adam parler aux
animaux dans le jardin d’Eden.

Et de même il s’entretenait avec Dieu quand soufflait la brise du soir, ainsi


Antoine et François parlent au Seigneur, familièrement.

Ils sont les rois de la Création, comme l’était le premier homme. Les
éléments, les bêtes, les maladies leur obéissent. Tout chante avec eux la
gloire du Créateur !
96

Ce sermon aux poissons est l’événement le plus garanti de la vie de saint


Antoine, le souvenir le plus certifié par les documents.

Qu’advint-il des pêcheurs qui en furent les témoins. Parions qu’ils se prirent à
ce merveilleux filet. Les poissons, cette fois, avaient servi d’appât pour la
plus belle des pêches.

Mais la fureur s’empare des chefs hérétiques. Ils font aussitôt courir le bruit
que les pêcheurs ont rêvé. Et, pour limiter plus sûrement le désastre, ils
décident d'empoisonner Antoine !
97

« Venez manger avec nous, lui disent-ils, et nous vous écouterons. »

Antoine se rend à leur invitation. Mais il repousse le premier plat :


« Comment ! vous semblez. faire un geste d’amitié, et vous voulez
m’empoisonner. »

Stupeur chez les chefs cathares. Ils pensent à une trahison. L’hôte cependant
se reprend vite et avoue avec sang-froid :

« C’est exact, cet aliment contient du poison ; nous avons voulu vous mettre à
l’épreuve, »
98

Et il poursuivit sournoisement :

« Il est écrit dans l’évangile : « mes disciples pourront prendre des poisons
mortels sans ressentir le moindre mal ». Si cette nourriture ne vous nuit pas,
nous jurons d’embrasser la foi catholique…

— Et si je la refuse ?

— Vous montrerez que vous êtes un imposteur, et l’évangile une fable ! »

Antoine est pris au piège. Il répond pourtant avec calme : « Je mangerai donc,
non pour tenter Dieu, mais pour sauver vos âmes. »
99

Alors, il fait sur le plat un grand signe de croix. Puis il s’assied et mange de
bon appétit, jusqu’à la dernière bouchée. Les hérétiques se sont dressés ; ils le
regardent avec stupeur, guettant les premiers signes d’empoisonnement :
pâleurs, frissons, vomissements. Peine perdue, Antoine ne souffre d’aucune
gêne ; il paraît au contraire tout réconforté, comme après un bon repas.

Il triomphe, encore une fois. Et sa victoire est celle de Jésus !


100

Après Rimini, le Provincial vient à Bologne la ville aux belles arcades où il


avait enseigné avec tant de succès quelques années plus tôt. Mais il ne s’y
attarde pas.

Dès 1229, il choisit pour résidence la vieille cité de Padoue. D’abord parce
que les étudiants y folâtrent comme en tous les pays, et qu’Antoine les
affectionne. Ensuite parce que Sainte-Marie de Padoue est le plus grand
couvent franciscain de la région ; le monastère de l’Arcelle renferme
également de nombreuses Clarisses. L’une d’elles, fille d’un riche Padouan,
Hélène Enselmini, sera pour Antoine une sœur spirituelle d’une sainteté égale
à la sienne.
101

Enfin, dernier motif, le Tiers-Ordre franciscain est très important à Padoue.


Antoine exercera sur les tertiaires de cette ville une grande influence. L’un
d’eux, le comte Tiso de Camposampiero, deviendra son ami intime.

Aimé de tous, Antoine est bientôt nommé citoyen d’honneur de Padoue. Il


peut ainsi joindre désormais à son nom celui de la cité.

Et les siècles futurs ne l’appelleront plus qu’Antoine de Padoue.


102

En ces temps où régnaient Frédéric Barberousse, Richard Cœur de Lion et


Philippe Auguste, où la chevalerie écrivait ses plus belles pages, où
renaissaient le commerce et les arts, les bourgs italiens n’étaient pas toujours
paisibles. Pour le plus grand malheur des humbles, ils continuaient à ferrailler
dans de féroces guerres fratricides. Deux partis surtout s’opposaient : les
Guelfes et les Gibelins.

L’un des chefs gibelins les plus cruels était le seigneur de Trévise, Ezzelino,
le Néron du moyen âge.
103

Tristement célèbre de Padoue à Vérone pour ses assassinats et ses


brigandages, Ezzelino vient d’enlever en plein jour le comte de Saint
Boniface et le petit-fils de Tiso, un adolescent.

Antoine l’apprend. Malgré les conseils de ses amis, il affronte sans hésiter le
tyran, en son repaire de Vérone, lui reproche sa cruauté, ses crimes. Et, tout
en implorant la grâce de ses victimes, l’exhorte à la paix. Ezzelino frémit de
colère Cent fois, il saisit son épée pour en finir avec ce moine insolent ; cent
fois aussi il la rengaine, frappé par tant d’audace.
104

Padoue est en prière, elle tremble pour son héros. Quelle sera l’issue de-cette
joute inégale ? Du guerrier bardé de fer, ou du petit frère aux mains nues, qui
l’emportera ?

Ezzelino n’a rien accordé, mais il a laissé partir l’importun… Toute la ville se
porte à sa rencontre avec des cris de joie.

Antoine ne partage pas cette allégresse. Il a été blessé profondément dans


cette rencontre, en plein cœur, et peut-être ne guérira-t-il jamais ! Il a vu la
haine de trop près, et il pleure.
105

Après cet échec, Antoine demande à être relevé de ses fonctions de


Provincial. Il voudrait rédiger ses sermons et ses leçons, comme le cardinal
Conti, protecteur de l’ordre, le lui a demandé. On accepte sa démission, le 25
mai 1230.

Il garde Padoue pour résidence et, dans le calme du couvent Sainte-Marie, se


met à écrire…

L’évêque Conrad viendra, quelques mois plus tard, l’arracher à ses


manuscrits. Il le suppliera de venir prêcher le carême à Padoue : c’est le vœu
des Padouans et le sien.
106

Quel carême ! Écoute, garçon, la description qu’en font les vieilles


chroniques. On se lève souvent à minuit et on se hâte vers la place publique
où prêche Antoine. Chevaliers et Grandes Dames entourent la chaire
improvisée. La foule s’amasse comme elle peut, le plus près possible, pour ne
perdre aucune parole, aucun geste de l’orateur. Trente mille personnes peut-
être, jeunes et vieilles, sont là. Puis, l’évêque arrive avec son clergé. Derrière,
enseveli dans son capuchon, vient frère Antoine. Il monte en chaire, découvre
enfin son visage, fait le signe de la croix ; il parle.
107

Que dit-il ? Tout l’amour divin et fraternel qui déborde de son âme.

Dans cette ville pleine de Guelfes, il ose proclamer : « Cet homme est un
Gibelin, dites-vous. Peut-être, mais il est d’abord votre concitoyen, un
chrétien, votre frère ! »

Devant cette société âpre au gain, qui jette en prison pour la vie les débiteurs
insolvables, où trafiquants et usuriers dévorent le bien des pauvres, des
orphelins et des veuves, Antoine condamne les hommes d’argent.
108

« Leurs dents, dit-il, sont comme celles des lions. Leur haleine empeste, car
ils ne mangent que la boue de l’argent et le fumier du gain. Il y a parmi vous
des Judas, qui vendraient leur âme et celle des autres pour trente deniers. Le
diable est un malin chasseur : il les abattra à grands coups de sa hache
éternelle. A moins qu’ils ne restituent et ne fassent pénitence. »

Et il s’arrête souvent, pour invoquer Notre Dame et demander qu’on la prie.


109

La foule, jusqu’alors immobile et muette, laisse éclater son émotion. Les uns
sanglotent, les autres rient. Des pécheurs se frappent la poitrine, des ennemis
se réconcilient, des voleurs restituent, des impurs jurent de sortir de la fange.
Les confessionnaux sont pris d’assaut.

Et c’était ainsi à chaque fois ! On se précipitait même sur l’orateur pour le


toucher, baiser son crucifix, taillader sa robe pour s’en faire une relique. Il
fallut bientôt constituer autour de lui un service d’ordre pour le protéger
contre ces excès.
110

Douze brigands ont quitté leurs bois pour venir écouter Antoine. Déguisés, ils
se cachent dans la foule, pas très loin peut-être d’hommes qu’ils ont
détroussés sur les chemins.

Sur eux aussi la parole d’Antoine tombe comme la foudre. Ils avouent leurs
pillages, décident de changer de vie. Pour pénitence, ils iront douze fois à
Rome en pèlerinage au tombeau des saints apôtres.

Tel est le récit que confia un vieux pèlerin au frère qui l’a rapporté.
111

De jour en jour, en ce miraculeux carême, la vieille cité se transformait ; une


grande paix régnait parmi les hommes. Une loi fut promulguée, interdisant
l’internement perpétuel pour dettes. Et l’évêque de Padoue s’écria, dans sa
joie :

« Pour convertir les usuriers, rien ne vaut un pauvre frère. Pour convertir les
impurs, rien ne vaut un homme pur. Pour convertir les haineux, rien no. vaut
un pacifique. Pour convertir les orgueilleux, rien ne vaut l’humilité d’un
homme Illustre. »
112

A cette époque, des savants un peu fous, les alchimistes, cherchaient au fond
de leurs antres le secret de la pierre philosophale, capable selon les vieux
grimoires de changer le plomb en or.

Pour conquérir ce pouvoir, ils poursuivaient leurs recherches sans relâche, de


jour et de nuit, sous leur chapeau pointu, dans la fumée de leurs alambics et
selon des rites magiques.

Antoine a trouvé un secret plus précieux : celui de changer les âmes ; voilà la
plus belle alchimie !
113

Comment a-t-il fait ?

Il a imité Jésus.

Comme lui, il a été pauvre, parcourant terres et provinces sans un sou dans
son escarcelle : « L’argent, disait-il, est une épine vénéneuse ; rien n’est plus
redoutable. »

A l’exemple de Jésus, il se contentait d’une tanière pour s’abriter et d’un


rocher pour reposer sa tête !
114

Il était humble,. lavait les pieds de ses compagnons et les embrassait.

Il abandonnait volontiers ses privilèges de supérieur, et sur le chemin


s’effaçait derrière son compagnon pour le servir.

Avec cela d’une patience et d’une douceur inimaginables ! Il embrassait son


voleur, saluait ses adversaires, était l’ami des pécheurs. En vérité, il aimait
comme Jésus nous a demandé d’aimer. C’était là son grand secret.
115

Satan était fort mécontent des conversions faites par Antoine en ce carême.

Une nuit, prenant des apparences humaines, il se jette furieusement sur lui
pour l’étrangler. Serré entre les griffes du Malin, Antoine étouffe, suffoque,
va succomber… Non ! car il a invoqué comme toujours sa Souveraine. Elle
l’aide aussitôt, dénoue l’étreinte infernale, chasse l’ange des ténèbres et
sourit !

Antoine a confié lui-même à l’un de ses frères cette miraculeuse délivrance.


On la connaît trop peu.
116

Antoine s’est remis à écrire en son couvent de Sainte-Marie.

Mais le travail n’avance pas, l’écrivain est à bout de forces. Il s’est trop
surmené. L’hydropisie le gonfle et le paralyse. Le printemps semble lui faire
signe : repose-toi, trouve un nid, chante avec les oiseaux !

Son supérieur général l’autorisant à quitter Padoue, il part avec deux


compagnons. On est en 1231 ; Antoine a trente-six ans. Il y a seulement neuf
ans qu’il a quitté son ermitage des Apennins. C’est dans un ermitage
semblable qu’il veut se retirer.
117

Est-ce un pressentiment ? Au détour du chemin, en un lieu d’où l’on


découvre le panorama de Padoue, Antoine se retourne pour regarder avec
tendresse sa bonne ville. C’est la fille chérie de son cœur. Il y a goûté tant de
joies spirituelles !

Il lui tend les bras, dans le soleil de mai, et s’écrie : « Heureuse cité, quelle
gloire un jour sera la tienne ! »

Qu’a-t-il voulu dire, qu’a-t-il vu dans l’avenir ? Ses compagnons


l’interrogent ; il ne répond pas.
118

On arrive à Camposampiero, but du voyage.

Le comte Tiso y accueille Antoine et le remercie d’avoir accepté son


invitation :

« Coucheras-tu au château ? — Non ! — Au couvent, alors ? — Non plus !


Allons visiter les lieux. »

Alors, Tiso, un peu déçu, montre à son ami les jardins, les vergers, les bois.

Antoine tombe en arrêt devant un énorme noyer à six branches, de belle


hauteur. Et il s’écrie :

Se tournant vers le comte, surpris, il lui demande de vouloir bien lui faire
bâtir une cellule de planches et de branches sur le noyer. Il en serait ravi.

Tiso accepte et tient même à la construire de ses. propres mains. L’oiseau


brun est dans son nid. Il y chante son bréviaire, y célèbre la messe. Il n’en
descend que pour prendre quelques repas avec ses frères.
119

« Les moines et les oiseaux sont frères. Ils sont, les uns comme les autres, les
amis de la lumière, et prennent leur essor vers le ciel. »
120

Cependant, les paysans de Camposampiero n’ont pas tardé à apprendre le


nom de cet ermite original qui gîte dans un arbre !

Le soir, ils se rassemblent autour du noyer et l’appellent. Ah ! ne peut-on pas


le laisser en paix. Que lui veut-on ?

« Antoine, Antoine ! Parle-nous. Parle-nous de Dieu. »

Comment résister plus longtemps à ces appels. Il sort de sa cage en souriant,


et dit les merveilles qui le ravissent. C’est beau comme un chant d’amour
dans le matin clair.
121

Le lendemain, au moment où Antoine atteint le dernier barreau de l’échelle


de bois, il tombe évanoui au pied du noyer. Ses frères l’entourent, essaient de
le ranimer. On ne peut le soigner dans cette baraque en planches ; il n’a pas
davantage accepté l’hospitalité du comte…

On fait donc atteler un chariot pour transporter Antoine au monastère de


Padoue. Mauvaise idée : le malade ne pourra pas résister à un pareil voyage.
Heureusement, un frère mineur, qu’on croise en route, indique l’hospice
voisin de l’Arcelle. En route !
122

Les Clarisses accueillent avec émotion leur frère. Tout en s’empressant à son
chevet, elles supplient Dieu de ne pas le reprendre si tôt.

Antoine, revenu à lui, reste calme. A haute voix, il invoque sa Souveraine et


reçoit le Saint Viatique.

Soudain, ses yeux se fixent. Une lumière céleste les inonde. Un frère se
penche : « Que vois-tu ? »

Simplement, le malade répond : « Mon Seigneur. »


123

Au prêtre qui s’approche avec les Saintes Huiles, Antoine murmure :


« Vraiment, je sens en moi une telle onction que je ne crois pas en avoir
besoin. Mais c’est chose bonne que ce sacrement. Il me plaît beaucoup.
Donnez- le moi. »

Docilement, il étend ses bras en forme de croix, et répond aux prières.

Il s’assoupit, le visage heureux. Une dernière fois, il ouvre ses yeux, qui ne
furent jamais si beaux, sourit à ses frères, et meurt.
124

Frère Antoine de Padoue est mort, comme Jésus, un vendredi, le 13 juin


1231.

La nouvelle de sa mort parcourt, tel un bruit de catastrophe, tous les


monastères de la Romagne. Le peuple de Padoue l’ignore. On essaie de la lui
cacher le plus longtemps possible, car des manifestations sont à craindre.

Précaution inutile ! Des bandes d’enfants s’agitent dans les rues, criant : « Le
Père est mort ! » Sur le pas des portes, les gens murmurent et pleurent.
125

Le glas sonne sur la ville consternée. Des groupes de fidèles s’ébranlent vers
l’hospice de l’Arcelle où Antoine repose. Une dernière fois, on veut le voir.
Des malades s’approchent : ils sont guéris. Tous respirent à ses côtés un
parfum de lis. La rumeur publique proclame : « C’était un saint ! »

Hélas ! Pendant cinq jours, on va se disputer son corps : les Clarisses, les
frères mineurs, les citoyens de Padoue. La sainteté est aussi un trésor. Et le
plus précieux.
126

Les plus enragés sont les habitants de la Tête de Pont, le faubourg de Padoue
où se trouve l’hospice. Ils disent :

« Il est mort chez nous, il est à nous. »

Ils se défendront par les armes, s’il le faut… Et voici que sans tarder, les
habitants de la Tête de Pont montent à l’assaut du couvent, tandis que les
frères barricadent la porte. Les notables de la cité craignent que le sang ne
soit répandu et la ville saccagée ! Ils se réunissent pour délibérer et donnent
finalement gain de cause aux frères mineurs.
127

Cependant, un fait merveilleux va éclater dans le courant de la nuit.

Les Padouans tentent à trois reprises de. forcer la porte du couvent. Au


moment où, sous les coups répétés des assaillants, elle finit par céder, les
agresseurs, brusquement frappés de paralysie et de cécité, ne peuvent pénétrer
dans les lieux.

Il faudra l’intervention personnelle de l’évêque, venant confirmer la décision


des édiles, pour que le calme soit enfin rétabli.
128

Jamais Padoue n’a vu de funérailles semblables.

Au chant des hymnes et des cantiques, le cortège traverse la ville. Les


notables portent le corps d’Antoine. Derrière s’avancent l’évêque, le maire et
tout le peuple. Chaque Padouan, lit-on dans les chroniques, tient un cierge à
la main. Plusieurs sont si énormes, qu’on doit les briser avant d’entrer sous le
porche de l’église Sainte-Marie.

Et c’est là qu’Antoine repose, comme un trésor sans prix. Une flamme


vivante, une source toujours jaillissante de bienfaits.
129

Tous les saints « passent leur ciel à faire du bien sur la terre », selon le mot de
sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. La mort n’arrête pas leur charité. Car la
charité, c’est la vie du ciel.

On n’en finirait pas de raconter toutes les grâces qu’Antoine a obtenues,


après sa mort…

Son tombeau se met à fleurir d’un si grand nombre de miracles, que l’évêque
demande au pape Grégoire IX de le déclarer saint à la face du monde.
Aussitôt, l’enquête de canonisation est ouverte.
130

L’Église est très prudente, tu le sais, quand il s’agit de canoniser les gens.

Elle envoie des enquêteurs sur les lieux, des médecins pour juger des
guérisons obtenues ; elle entend des avocats pour et des avocats contre. Bref !
des préparatifs longs et compliqués.

Pour Antoine, on peut parler d’un véritable record. Un an seulement après sa


mort, c’était fait. Le pape, à Spolète, devant une foule innombrable déclarait
le frère Antoine de Padoue inscrit au catalogue des saints.
131

Vers le tombeau de l’église Sainte-Marie de Padoue affluent maintenant des


pèlerins de toute la terre. Au début, on notait les miracles. Mais ils furent si
nombreux qu’on dût y renoncer. On vivait tous les jours dans une grâce
prodigieuse.

Parmi les cinquante-trois approuvés par le Souverain Pontife, on compte :


dix-neuf estropiés, cinq paralytiques, cinq bossus, deux épileptiques, deux
fiévreux, tous guéris… et deux morts ressuscités.

Voici le récit de quelques-uns de ces miracles, tels qu’on les relève dans les
anciens documents.
132

Le frère Cambius souffre d’une hernie énorme. Les médecins lui ont ordonné,
pour la réduire, de porter un bandage de fer. L’appareil monstrueux le met au
supplice, sans résultat : « les entrailles débordent et tombent de son
ventre… »

Il se rend à Bologne pour consulter un médecin de grand renom ; et, passant


par Padoue, y fait halte.

Au couvent Sainte-Marie, où il loge, on trouve ce moine bien paresseux. On


s’étonne. Pensez donc, il ne prend même pas la peine de faire son lit !
133

Pour s’excuser, Il montre le mal affreux qui se cache sous sa bure. Les
moines reculent horrifiés, puis se ravisent : « Mais voyons, il y a ici un
médecin plus fameux qu’à Bologne. Va donc le consulter. »

Et aussitôt, de parler des guérisons extraordinaires obtenues par saint


Antoine.

Ce jour-là justement, il y a grande fête en l’honneur du saint. La foule est


dense, et Cambius craint fort de ne pouvoir approcher du tombeau.
134

Qu’importe, il y dépensera ses dernières forces. Arrivé près du tombeau, il


tombe épuisé.

Mais ce geste lui a suffi. Le voilà qui se relève, s’appuie au reliquaire, et crie
sa guérison. L’orifice béant n’est plus qu’une cicatrice, « dure, dit Cambius,
dure comme j’ai le front ».

Au sortir de l’église, il ne contient plus sa joie. Il saute, il danse. Il est prêt à


rendre tous les services qu’on lui demandera. Vive saint Antoine de Padoue !
135

Le frère Bernardin de Parme est atteint d’un mal mystérieux : « le souffle lui
manque ». Il ne peut ni parler, ni même souffler une chandelle au bout de son
nez.

Les plus grands savants de la Lombardie l’ont pourtant soigné avec énergie.
Quels traitements, Seigneur ! Neuf fois, ils lui ont brûlé la gorge, et la
dixième fois, la tête tout entière. A ce régime, tu penses, le mal va empirant.

Et l’on ‘s’attend à voir le pauvre frère rendre le dernier soupir.


136

Eh bien ! non ! l’heure d’Antoine va sonner.

Frère Bernardin, à défaut de parole, écrit qu’il veut aller à Padoue, au


tombeau du saint. On l’y transporte.

Une confiance éperdue le ranime, à la vue de la ville.

Il n’est pas arrivé à l’église Sainte-Marie qu’il se met à tousser, à cracher, à


vomir. C’était le début de la guérison. Devant le reliquaire, il retrouve la voix
et la santé. A tel point qu’il se met à entonner, comme un ténor d’opéra, le
Magnificat.
137

Un jeune frère convers est, lui, sourd et muet de naissance ; sourd à ne pas
entendre le bourdon d’une cathédrale ; muet sans espoir de guérison.

Sa langue, sèche et ridée, est devenue si courte qu’elle reste au fond de sa


gorge.

Recueilli par des religieuses, il a reçu à deux reprises la visite d’un frère
mineur tout doux et souriant, qui lui a désigné ses oreilles, sa bouche, en lui
faisant signe d’approcher. L’infirme, croyant qu’il voulait le guérir, s’est
avancé tout confiant. Mais chaque fois, le moine a disparu.
138

Le pauvre frère s’est mis à sa recherche, sur les places et par les rues de la
ville. Une véritable chasse à l’homme… ou au fantôme. Vainement !

Il a fallu une troisième vision — car il s’agissait bien de visions — pour le


découvrir. Où ? Dans la basilique. Non en chair et en os, mais en effigie ! Il
s’agissait de la statue de saint Antoine. Plein d’espoir, le bon frère regagne
son couvent et se met en prière. Toute la nuit, il attend avec confiance le
miracle.
139

A l’aube, sa langue s’humecte, se déride, s’allonge : une langue comme les


autres. Pour la première fois, il entend les bruits du matin, le son de la cloche.
Mieux encore, il parle, sans avoir appris. Dieu inspire ses paroles.

Les religieuses, inquiètes de son absence, le retrouvent, parlant, entendant, le


sourire aux lèvres ! Elles crient au miracle. On accourt… et en chœur on
chante : « Gloire à Dieu ».
140

Dame Béatrice de Forti souffre, depuis dix ans, d’une tumeur affreuse de la
nuque. Les médecins désespèrent de lui apporter le plus petit soulagement.

Alors, elle fait ce qu’on fait encore de nos jours : elle se confie à tous les
saints. Elle promet même à saint Antoine une riche récompense : un cordon
d’argent autour de son tombeau.

Entre nous, dans la gloire du ciel, saint Antoine se moque bien des
« récompenses » qu’on peut lui promettre. Mais pas de la confiance qu’on lui
porte, ni de celle qu’à travers lui on porte à Dieu.
141

Dame Béatrice se rend donc à Padoue prier Antoine, Et voici qu’en chemin
elle fait un rêve. Le saint lui apparaît et, tel un chirurgien, opère la tumeur et
l’en guérit sans qu’elle le sente.

Ce rêve ranime la confiance de la malade.

A quelque temps de là, la tumeur s’ouvrait d’elle-même. Le songe s’était


réalisé. A Dame Béatrice de tenir sa promesse. Elle n’y manqua pas. Le
tombeau du saint eut son cordon d’argent.
142

Une jeune femme un jour tombe à l’eau.

Elle ne sait pas nager. Pourtant, ayant invoqué saint Antoine, elle se maintient
miraculeusement à la surface, les vêtements secs, jusqu’à ce que les
sauveteurs arrivent.

A Tomasino, un enfant de dix mois est tombé la tête la première dans une
cuve pleine d’eau. Affolée, sa mère le retrouve dans cette posture, raide,
glacé. Quelle peine ! Elle prie saint Antoine sans discontinuer jusqu’à une
heure avancée de la nuit… Minuit ! le petit garçon respire, remue, éternue.
Sauvé !
143

On peut sourire de certains prodiges ;

des incroyants peuvent s’en moquer. Écoute cependant ce qu’il advint à un


hérétique endurci.

« Que saint Antoine empêche ce verre de se casser, dit-il, et je croirai alors


qu’il est un saint. » Et de lancer aussitôt son verre de toutes ses forces contre
le mur.

Le verre rebondit, roule à terre. On le ramasse. *

Intact. Pas la moindre fêlure. Interdit, l’hérétique se rend à l’évidence et se


convertit.
144

Dernier prodige !

Le 7 avril 1263, saint Bonaventure, alors supérieur général de l’ordre


franciscain, fait ouvrir le tombeau de saint Antoine. Qu’est-ce qu’on
retrouve ? Sa langue merveilleusement conservée, après trente ans, intacte,
prête à vibrer aux paroles humaines.

On l’a enchâssée dans l’or et les pierres précieuses. Encore aujourd’hui, on


peut voir cette langue merveilleuse qui a si bien parlé de Jésus.
145

Un cantique fameux a chanté la gloire de saint Antoine à travers le monde :

« Cherches-tu les miracles d’Antoine ? La mort, l’hérésie, le démon et la


lèpre s’enfuient, les malades se lèvent guéris. Les flots s’apaisent, les chaînes
tombent. Jeunes et vieux demandent et retrouvent leurs membres ou leurs
objets perdus. Les dangers disparaissent, la misère cesse.

Que les gens de Padoue le publient, Et tous ceux qui en bénéficient. »


146

Padoue a voulu renfermer son trésor sous un autel somptueux, de marbre et


d’or.

C’est là que repose celui qui fut l’enfant pieux de Lisbonne, l’étudiant
studieux et charitable de Saint-Vincent de Flora et de Sainte-Croix, l’assoiffé
de martyre d’Olivares et du Maroc, l’ermite de Monte Paolo et de
Camposampiero, l’illustre professeur de Bologne, le prédicateur renommé de
Toulouse, de l’Auvergne, du Berry, du Limousin, de Rimini et de la
Romagne… le faiseur de miracles, le voyant, le lis de pureté, le chevalier de
la paix.
147

La France a toujours témoigné à saint Antoine une dévotion particulière. Elle


se rappelle qu’il a été chez elle un grand prédicateur de l’évangile, le héraut
de la paix en des temps troublés.

Chaque couvent de franciscains, chaque monastère de Clarisses, chaque


maison de religieuses du Tiers-Ordre possède sa statue ou son image, et
célèbre sa mémoire.

Chaque paroisse le vénère, lui confiant notamment le soin de l’assistance aux


pauvres.
148

Plusieurs sanctuaires lui sont dédiés A Brive, les grottes qui lui servirent
d’ermitage sont un lieu de pèlerinage très fréquenté.

A Cuges, dans les Bouches-du-Rhône, un petit sanctuaire renferme, depuis le


XIVe siècle, une partie du crâne de saint Antoine. Les maraîchères et
poissonnières de Marseille y montent nombreuses, les jours de pèlerinage.

A Paris, depuis 1952, au couvent Saint-François, une chapelle spéciale,


enrichie d’une précieuse relique, lui est consacrée.
149

La vie et la légende de saint Antoine ont inspiré beaucoup d’artistes. On lit


au-dessous de nombreuses toiles les noms célèbres de Véronèse, le Titien,
Giotto, le Greco, Van Dyck… Les scènes que ces artistes ont représentées ne
sont pas toutes exactes. Mais comment démêler ce qui est légendaire et ce qui
est certain. Souvent, je pense que les saints doivent être malheureux quand on
leur prête des prodiges qu’ils n’ont pas faits ou des attitudes étrangères à leur
façon d’être.

Car, il faut bien le dire, la dévotion qu’on a portée à saint Antoine a connu
bien des excès et des bizarreries.
150

Ainsi, le roi Pierre Il de Portugal « enrôla » saint Antoine dans son armée, en
lui donnant la consigne de faire des miracles. Comme si on pouvait mener les
saints par le bout du nez ! Eh bien ! sais-tu ce qui est arrivé ? Le saint
s’acquitta si bien de sa tâche que la paix fut tout de suite rétablie. Saint
Antoine fut alors « nommé » capitaine. En 1693, Jean IV le promut
lieutenant-colonel. Il avait bien mérité ses galons !

Mieux encore. Au Brésil, on le nomme lieutenant-général de l’armée. Et le


supérieur des franciscains touche son traitement.
151

Toujours au Brésil, sur les lettres et les paquets recommandés, on mettait :


confié à saint Antoine. C’était moins cher et aussi sûr, paraît-il, que de les
confier à la poste. En tout cas, c’était plus rapide.

Et un peu partout, c’est une piété aux formes multiples qui se déploie, allant
du cierge que l’on fait brûler devant la statue du saint (à Padoue, ces cierges
sont énormes et atteignent parfois la grosseur d’un tronc d’arbre) jusqu’à
l’offrande que l’on verse pour l’œuvre du Pain de saint Antoine.
152

Connais-tu l’histoire de la jeune ouvrière toulousaine, Louise Bouffier ?

Une serrure à secret s’est cassée. On prie saint Antoine. La serrure se répare
d’elle- même et fonctionne.

Louise a trouvé du même coup un autre secret. Le voici : Vous qui cherchez
un objet perdu, donnez une obole aux pauvres, en chargeant saint Antoine de
vous aider à le retrouver. Vous mêlez ainsi la prière et la charité, l’intérêt
personnel et la générosité. Vous n’êtes plus seuls à profiter de l’intercession
du saint. Les pauvres sont de la partie.
153

Donner vingt francs aux pauvres pour retrouver ses lunettes ou son stylo,
c’est sans doute mieux que de demander sans jamais rien donner.

Il est juste aussi de croire que Jésus et ses saints — nos protecteurs au ciel —
s’intéressent à toutes les petites choses de notre existence : désagréments,
oublis, pertes d’objets.

Mais hélas ! pour certains, ces demandes et ces oboles sont toute leur
dévotion, et parfois même toute leur religion. C’est bien dommage !
154

Les saints sont nos modèles autant que nos intercesseurs. C’est bien de les
prier. C’est mieux de les imiter.

Imiter les vertus de saint Antoine, y songeras- tu après avoir fermé ce livre ?
Très peu le font parmi ceux qui le prient.

Le prieras-tu ? Est-ce vraiment prier que de demander seulement la


récupération d’un objet égaré ? Saint Antoine, durant sa vie, a trouvé
beaucoup mieux que des clefs ou des objets perdus.
155

Il a trouvé Jésus, et la clef qui ouvre son royaume plein de merveilles.

Il a ouvert et médité le grand livre de l’Évangile et de la Bible.

Il a trouvé le trésor de l’Eucharistie et des sacrements de l’Église.

Il a trouvé la joie. Il a trouvé la paix. Que n’a-t-il pas trouvé Antoine, tout au
long de sa quête ? Il faut chercher avec lui et comme lui ces biens précieux.
156

Et tu trouveras, car Jésus l’a promis : « Qui cherche, trouve… Celui qui
demande, obtient… On ouvre à celui qui frappe… »

Prends ton bâton, toi aussi, pèlerin de Jésus, compagnon d’Antoine, et pars.
Tu n’auras vraisemblablement pas à prendre la mer, ni à échouer en Sicile, ni
à braver les Musulmans pour trouver ce que tu cherches.

Mais à mettre les beaux désirs de ton âme en tes yeux : c’est leur lumière ; et
à les ouvrir bien grands le long de ton chemin d’écolier ou d’écolière.
157

La plupart des gens cherchent de petites choses, demandent de petits riens. Il


faut vouloir beaucoup.

Tout !

Tout, c’est Jésus. Il est le commencement et la fin. Il est tout l’alphabet, de A


à Z. Toute l’histoire, toute la science, toute notre religion, tout notre amour.

Pour Antoine, il était beaucoup plus qu’un frère ou un grand ami ; beaucoup
plus que la lumière sans laquelle on est aveugle, ou la nourriture sans laquelle
on meurt. Il était son Tout.
158

Et toi, as-tu cherché, as-tu trouvé les beaux secrets d’Antoine ?

Rappelle-toi la légende du Saint-Graal et la quête ardente des chevaliers. As-


tu trouvé ton Saint-Graal : le vase précieux, non plus vide, mais tout
débordant de l’amitié de Jésus. As-tu bu à cette coupe enchantée ?

Plus clairement, Jésus est-il vraiment ton ami ? L’inséparable ami dont tu ne
peux te passer ? Celui sur lequel tu comptes, auquel tu confies tout, même tes
péchés. Êtes-vous unis tous deux, au point d’être toujours ensemble ?
159

Et quand tu auras trouvé, comme Antoine, tu donneras.

C’est la loi de l’évangile. Tous les saints, après Jésus, l’ont observée. Ce que
l'on trouve n’est pas à nous, ce que l'on possède ne nous appartient pas. C’est
à Dieu et aux amis de Dieu, les pauvres.

Les pauvres n’ont pas toujours l’aspect misérable ; on peut être pauvre et être
bien habillé, bien logé. Les pauvres sont ceux qui n’ont pas ce*que tu as. Tu
vois qu’il y en a beaucoup. Ils n’ont pas de meccano ou de tourne-disques. Ils
n’ont pas d’argent pour aller au cinéma.
160

Antoine un jour a donné sa tunique à un novice bénédictin ; il a donné sa part


et sa place bien des fois ! Il a donné sa science, prodigué ses bienfaits,
communiqué tous ses dons. Il a fait servir au maximum pour le bien des
autres ou, si tu préfères, pour le royaume de Jésus, ce qu’il avait, ce qu’il
savait, ce qu’il pouvait…

Le même amour doit être en nos cœurs.

Alors ? Ne jouis pas en égoïste de ce que tu as ; que cela serve aussi aux
autres !
161

Si tu avais découvert l’entrée d’une galerie merveilleuse sous les ruines d’un
vieux château, tu y entraînerais tes camarades pour qu’ils puissent à leur tour
admirer les trésors enfouis depuis des siècles par des seigneurs inconnus.

Quand on a trouvé le chemin du paradis, on le dit aux autres, on les entraîne


avec soi, on y marche ensemble ; on se sauve avec eux.

Partager, voilà le paradis. Être égoïste, garder pour soi, voilà l’enfer.
162

Une dernière image… la Vierge Marie.

La vie d’Antoine a commencé et fini par elle.

Sa glorieuse Souveraine, comme il l’appelait, l’a protégé tout au long de son


existence. Elle fut sa mère, son institutrice, sa protectrice. Elle fut sa lumière,
sa douceur, sa joie. Elle l’a conduit, à sa manière, sur les pas de Jésus. Elle lui
a donné, peu à peu, au long des ans, l’esprit de Jésus.

Puisses-tu, toi aussi, la prier comme ta Souveraine, l’aimer comme ta Mère !


O ma Souveraine, ô ma Al ère, regardez votre enfant.

Donnez-lui, comme disent encore les marins bretons avant de partir en mer,
un cœur de lion, pour lutter contre les assauts du mal. les tempêtes du péché
et les ennemis de Jésus.

Donnez-lui aussi un cœur de colombe, pour aimer simplement toutes les


créatures qui sont le reflet de la beauté de Dieu.

Comme Antoine, votre digne serviteur, aidez-moi à faire toujours la volonté


de Dieu, même quand c est difficile.

Que je grandisse sous votre regard en gardant mon âme d’enfant.

Car ce n’est ni aux savants, ni aux sages, ni aux brasseurs d’affaires que Dieu
a promis le bonheur.

Mats à ceux qui savent rester purs comme le cristal, bons comme le pain,
simples comme des enfants.
Table des matières

Naissance d’Antoine. Son pays natal, ses parents 1-7

La Sainte Vierge veille sur ses premières années 8-11

A la croisée des chemins 12-13

Chanoine à quinze ans ! 14-16

Études au monastère Sainte-Croix de Coïmbre 17-21

Découverte de l’idéal franciscain 22-29

Disciple du Poverello 30-31

Mission manquée en terre infidèle 32-36

L’Assemblée générale des frères mineurs à Assise 37-40

Au monastère de Monte Paolo 41-42

Antoine, prêtre du Seigneur 43-45

Envoyé de Jésus auprès des hérétiques 46-50

Professeur à Bologne. Le manuscrit volé 51-55

Prédication aux albigeois 56-59

« Gardien » au Puy-en-Velay 60-62

La « légende du pied fendu » 63-65


Le synode de Bourges 66-67

Le miracle de la mule 68-72

Le chapitre d’Arles : apparition de saint François 73-75

« Gardien » à Limoges. Aux prises avec le démon 76-82

Le miracle de Châteauneuf-la-Forêt 83-84

Séjour à Brive 85-89

Antoine, Provincial de Bologne 90-91

Le sermon aux poissons 92-96

Tentative d’empoisonnement 97-99

Installation à Padoue 100-101

Antoine et Ezzelino le tyran 102-104

Le carême prêché aux Padouans 105-111

Un secret plus précieux que la pierre philosophale 112-115

Départ de Padoue 116-117

L’ermitage de Camposampiero 118-120

Mort et funérailles d’Antoine 121-128

Canonisation 129-130

Miracles en série 131-145

Vraie et fausse dévotion à saint Antoine 146-153

Ce qu’il faut trouver 154-158


… et partager 159-161

Pour finir ! 162

Vous aimerez peut-être aussi