BIBLIOTHÈQUE DES SCIENCES PSYCHIQUES
LA RÉALITÉ
DES
PA R LE
R. P. D. Bernard-Marie MARECHAUX
Bénédictin de la Congrégation O livétaine.
PARIS
ANCIENNE MAISON CHARLES DOUNIOL
P. TÉQÜI, LIBRAIRE-ÉDITEUR
a g , rue de Tou r n o n , ag
igoi
h ttp :// www, liberius.net
© Bibliothèque Saint Libère 2014,
T oute reproduction à but non lucratif est autorisée.
LA AEALITË
DES
APPARITIONS ANGÉLIQUES
PERMIS D’IMPRIMER
Paris, 13 janvier 1901.
H. O d e l i n ,
Vie. gén.
Avec Approbation des Supérieurs réguliers
Les examinateurs délégués :
D. Emmanuel-Marie A n d r é ,
Abbé de N.-1L. de la S ie-Espérance.
D. Placide-Marie L a rc h e r,
Prieur.
Monastère de Mesnil-Saint-Loup, le 25 décembre 1900
À LA MÉMOIRE DE MON PÉRE
M. ÉTIENNE-DÉSIRÉ MARÉCHAUX
Pieusement décédé le 4 Juillet i g o o
PRÉFACE
P arm i les sollicitations q u i m e so n t venues
de m e liv re r à ce n o u v eau tra v a il, je n e p u is
p a s se r sous silence celle v raim e n t tro p flatteuse,
q u i m ’a* été ad ressée p a r M. le p ro fe sse u r de
r
l'E ta t h ongrois A lfred V an M ons.
« P uisse, écriv ait-il dans la Revue d u M onde
In v isib le, l ’aim ab le h isto rie n du D ém oniaque
dans la vie des S a in ts , a p rè s avoir fait assister
ses le c te u rs aux lu tte s victorieuses des p ré d e s
tin és, les in itie r d éso rm ais aux rav issan tes a p p a
ritio n s des célestes in te llig e n c e s.
« L a p lu m e si h a b ile de l'a u te u r, e n so u le
v an t u n coin d u voile q u i cache l ’a u -d e là , n o u s
m o n tre ra it les anges, les a rc h a n g e s, les p rin c i
p a u té s, les v ertu s, les p u issan ces, les d o m in a
— VIII —
tions, les trô n e s, les c h é ru b in s, les sé ra p h in s,
d escen d re su r la te rre , m essag ers de l ’ad o rab le
P ro v id en ce, re v ê tir la p a ru re des lis, m e ttre
en œ uvre les p arfu m s, les sp len d e u rs, tous les
ch arm es de la créatio n , se m o n tre r aux hom m es,
les assister, les consoler, les in stru ire , les con
d u ire vers la p a trie que nous som m es ap p elés
à p a rta g e r é te rn e lle m e n t avec eux, ces esp rits
divinisés : ce serait V A n g éliq u e dans la vie des
Saints.
« A u flam b eau d e l ’h isto ire , nous ad m irerio n s
les ép ip h an ies des b ien h eu re u x esp rits, q u i ont
v ain cu L ucifer dès l ’origine du m al. L e u rs
actions d ’éclat se ra ie n t d éclarées in n o m b ra b les
d e p u is l ’époque où u n c h é ru b in au g laiv e étin
celan t in te rd it aux p re m ie rs co u p ab les l'e n tré e
d u p a ra d is.
« Tous nous avons suivi l ’itin éraire de R a p h a ë l
avec le je u n e et vertueux T obie. Et ces m illions
d 'A ve qui d ep u is b ie n tô t deux m ille an s s’élè
vent; jo u rn e lle m e n t ju s q u ’au trô n e de la Reine
des anges n e sont que les échos p e rp é tu e ls ,
ré p é té s p a r to u tes les g é n é ra tio n s, de ï A v e q u e
lu i ad ressa l ’arch a n g e ou sé ra p h in G abriel au
m om ent de l ’In c a rn a tio n . O ui, m ais à côté de
ces visions an g éliq u es q u i d é c id è re n t des d esti
— IX
n ées du g en re h u m a in ou qui se tro u v e n t dog-
m atisées d an s les divines E critu res, q u e d ’a p p a
ritio n s d ’anges en co re ig n o rées p o u rra it n o u s
ra c o n te r D. B ern ard M aréchaux, ne fùt-ce que
p o u r nous re m e ttre des p én ib les im p ressio n s
causées p a r le D ém oniaque dans la vie des
S a in ts ! »
Je rem ercie c o rd ia le m e n t l ’h o n o rab le p ro
fesseur d ’u n e in v itatio n fo rm u lée avec u n tel
accen t de foi et u n e telle délicatesse de pensées.
Je m ’estim erais h e u re u x d ’av o ir re m p li le p ro
g ram m e si b e a u q u ’il m e tra ce. Le le c te u r
ju g e ra s i j ’a ir é u s s ito u ta u m o in s à m ’en ra p p ro
cher.
ERRATA
Page 1 8 ,5e ligne, mettre après le mot anges, un point et virgule.
Page 2 1 ,25e ligue, lire in corpore au lieu de s ’incorpore.
Page 34, 5e ligne, lire in fa illib le m e n t, au Jieu de in fa U ib le -
m en t.
Page 45, 8e ligne, lire e n tr a n t au lieu de ren tra n t.
Page 49, dernière ligne, supprimer son.
Page 52, 4e ligne, lire le cilice, au lieu de la.
Page 56, en note, lire Tom. VIII, au lieu de VII.
Page 64, 25° ligne, lire lut, au lieu de lut.
Page 97, 8* ligne, lire troisièm e, au lieu de trosième.
LA RÉALITÉ
DES
APPARITIONS ANGÉLIQUES
I. — A vant- P ropos.
Mon étude sur les apparitions dém oniaques
réclam ait comme com plém ent celle que j ’offre en
ce m om ent au public. Aussi bien l’ém inent Direc
teur de la Revue du Monde Invisible, Mgr Méric,
m 'a-t-il vivem ent engagé à la faire, en des term es
d'une bienveillance qui constitue pour m oi le plus
précieux des encouragem ents.
J'avoue bien volontiers qu’il eût été plus norm al
de com m encer par les anges que par les dém ons.
Logiquement la lum ière est antérieure aux ténèbres,
et l'effigie d'une médaille passe avant le revers. La
nature angélique dem anderait à être envisagée
dans sa pureté native, avant de l'être dans la défor-*
m ation qui l’a si tristem ent défigurée.
i
Ce sont les circonstances qui ont amené to u t
d’abord sur le tapis la question des m anifesta
tions démoniaques. Tout bien considéré, et prenant
les choses par le côté pratique, je ne regrette pas
de l’avoir traitée en prem ier lieu. Car elle est plus
frappante, et s’impose davantage à l’attention. Ce
qui touche aux saints anges a un caractère plus
intim e.
Serait-il plus difficile de prouver la réalité des
apparitions angéliques? Cela dépend du point de
vue auquel on se place. La dém onstration est cer
tainem ent plus facile en ce qui concerne la sainte
Écriture, car les apparitions angéliques y surabon
dent; elle est peut-être plus ardue en ce qui
concerne les saints, non pas que les apparitions
célestes des esprits ne soient très fréquentes dans
leur m erveilleuse existence, m ais parce qu’il est
souvent plus malaisé d’en saisir la trace parfois si
légère et si im palpable.
Le diable est une trom be qui renverse tout sur
son passage; l'ange, une brise légère qui se con
tente de relever sur leur tige les plantes alanguies.
Le diable fait irruption auprès des saints comme
le brigand de nuit qui frappe et qui tue, ou comme
le vaurien des rues qui persiffle et qui ricane ; l’ange
descend à leurs côtés, comme le rayon de lum ière
qui filtre d’en haut, ou plutôt comme l’ami qui
cherche Tintim ité et qui parle bas pour n ’être pas
entendu au dehors. Il est aisé de reconnaître la
présence du diable au vacarme qu'il fait, aux coups
qu’il décharge sur les amis de Dieu, aux blessures
qu’il leur inflige; les suaves réconforts, produits
par l'assistance des anges, ne laissent pas de ves
tiges appréciables à l’œil charnel.
Néanmoins j ’estim e que, m êm e sans faire appel à
l’autorité des divines Écritures, il est très possi
ble de prouver la réalité des apparitions angéli
ques, à savoir par les sim ples témoignages recueil
lis dans la vie des saints. Maintes fois en effet, les
anges apparaissent publiquem ent ou quasi publi
quem ent. Én ce cas, ou bien ils se m ontrent sous
une forme éclatante et lum ineuse, décelant tout
d'abord leur nature, ou bien ils revêtent l’apparence
hum aine -soit d’un m essager, soit d’un guide,
soit d’un pauvre; leur disparition subite à un
m om ent donné fait voir qu’on a eu affaire à des
esprits célestes.
Ce genre d’apparitions, dûm ent établi, em porte
avec lui une réalité physique. Parfois les anges ne
se m ontrent pas à tous les yeux; m ais des chants
célestes ou des odeurs paradisiaques trahissent leur
présence qui n 'est aperçue que des saints.
Outre ces signes, j'invoquerai comme probant le
témoignage des grands saints, lorsqu’ils nous
disent : J ’ai vu les anges, un esprit céleste s’est
montré à moi. Ainsi que je l’ai fait observer en ce qui
concerne les faits dém oniaques, il est des témoin
gnages qui s’im posent par eux-mêmes, par l’auto
rité de la bouche qui les prononce.
Ici encore je suivrai Tordre chronologique. Mais
je dois déclarer et je le fais avec em pressem ent, que
j ’ai trouvé les grandes lignes de m on travail tracées
dans les Bollandistes ; c’est une bonne fortune pour
m oi, et une précieuse recom m andation aux yeux
des lecteurs. Au 29 septem bre, à l’occasion de la
fête de saint Michel, les grands hagiographes rela
tent siècle par siècle, ce qu’ils appellent les bien-
faits conférés aux saints p a r le ministère des anges.
C’est une étude m agnifiquem ent docum entée et
d’un puissant intérêt. Je ne relève pas tous les
faits qui s’y trouvent cités, cela allongerait déme
surém ent m on travail ; je donne un certain nom bre
de faits qui s’y trouvent om is. Mais enfin le fond
de m on étude est basé sur l’autorité des Bollan
distes.
Si quelques-uns de m es lecteurs avaient des
doutes sur l'authenticité des docum ents que
j ’emploie, je les prierais de se reporter à la* source
où je les puise. Ils verraient avec quel discernem ent
critique, et parfois avec quelle sévérité les Bollan
distes m ettent de côté les docum ents qui ne sont
pas de prem ière main. Spécialement, leur étude
sur les manifestations angéliques en faveur des
saints est accompagnée de dissertations qui indi
q u e n t le choix lé plus judicieux des faits et des
preuves.
M. l’abbé Ribet, dans sa Mystique divine, a une
très belle dissertation sur les anges comme objet
de visions. 11 fait observer tout d’abord que ce qui
est le mieux accommodé à la nature angélique, ce
sont les visions intellectuelles ou tout au m oins
imaginatives. Les prem ières m êm e sont, rigoureu
sem ent parlant, les seules qui soient proportionnées
et connaturelles à l’im m atérialité de ces purs
esprits; et toutefois elles sont rares, car par le fait
m êm e qu’elles sont en parfait rapport avec la nature
de l’ange, elles conviennent m oins à la nature sen
sible de l’hom m e à qui ces m anifestations s’adres
sent. On en trouve des exemples dans sainte
Thérèse : elle voit la très sainte Vierge escortée par
une m ultitude d’anges, non sous une forme sensi
ble, m ais par un sim ple regard de l’esprit, parce
que, nous dit-elle, la vision était intellectuelle.
Les visions im aginatives des anges, rem arque le
m êm e auteur, sont plus m ultipliées; et la subtilité
avec laquelle ils s’insinuent dans nos facultés sensi
tives m ontre bien quelle est l’im m atérialité de leur
nature. Ainsi fréquem m ent ils apparaissent en
songe, comme ils firent à saint Joseph et à d’autres
saints personnages de l'Ancien Testam ent et du
Nouveau Testament.
Viennent en troisièm e lieu les visions corporelles
des esprits célestes qui font proprem ent l’objet de
cette étude. Elles m ontrent ju sq u ’où va l’extrême
condescendance des anges. Ces pures intelligences
daignent pour ainsi dire s’hum aniser, afin d’entrer
de plain-pied en relations avec nous. Mais il im porte
d’indiquer brièvem ent com m ent se produisent les
m anifestations physiques des anges; car on pour
rait se faire à leur sujet des idées fausses. Les
esprits angéliques puisent dans les éléments m até
riels de quoi apparaître à nos yeux, soit sous une
forme aérienne par une condensation de l’air
ambiant, soit dans un corps analogue aux nôtres
qu'ils constituent en un clin d’œil par une opéra
tion très subtile. Mais rem arquons-le bien, m êm e
s’il s’agit d’un corps solide et pourvu de ses organes,
ils ne l’anim ent pas, ils ne Yinforment pas, comme
fait notre âme vis-à-vis du corps qui lui est conjoint
en unité de nature. En un m ot, il n ’y a pas union
substantielle entre l’ange et son corps d’em prunt,
m ais seulem ent union accidentelle : il se contente
de le soutenir et de le gouverner par le dedans,
sans le com pénétrer jusqu'à l’intim e, sans en être
le principe vital, sans le rendre proprem ent
vivant. Cet aperçu somm aire d’une question très
intéressante suffira pour le m om ent à éclairer mon
sujet.
Ces visions corporelles des anges ont-elles été
nom breuses? Sans aucun doute. Celles que je rap
porterai ne sont qu’une m inim e partie des m ani
festations angéliques que Ton pourrait relever dans
la vie des saints.
II. — L e s A nges s o u s l ’A n c i e n Testam ent.
J ’ai dit plus haut qu’il était très possible de
dém ontrer la réalité physique des apparitions des
anges,m êm e abstraction faite desrécitsbibliqueset
évangéliques, avec la simple vie des saints. Mais
je n ’ai garde de laisser de côté les textes de la sainte
Écriture relatifs à ces apparitions ; ils sont trop net
tem ent décisifs pour ma thèse, p a r la clarté d’évi
dence qui en ressort, et aussi par leur nom bre. Le
docte Suarez dit qu’on ne peut m ettre en doute la
réalité des apparitions angéliques d’après les livres
saints, sans aller contre la foi; car elles sont expri
mées en un langage qui exclut toute am biguïté.
Qu’on me perm ette ici d’em brasser la théorie
des anges en toute son am pleur.
L’existence d’un m onde angélique ne saurait
être dém ontrée à priori par une argum entation
strictem ent concluante. Aucun être créé n ’a ce
caractère de nécessité, d’où l’on puisse inférer la
réalité de son existence. Toutefois il est dans
l’harm onie d ’ensem ble des choses que les anges
existent, à savoir com m e interm édiaires naturels
entre Dieu esprit créateur et infini, et la création
m atérielle de laquelle l’hom m e, composé de corps
et d’âme, est l’unité la plus élevée. En un mot, au-
dessous de Dieu qui est, comme disent les Pères,
incorporel et incirconscrit, au-dessus de l’hom m e
être à la fois spirituel et corporel, il y a place pour
l’être uniquem ent spirituel qui est l’ange. Il n ’est
pas, lui, circonscrit dans un corps, mais ill’est dans
une essence lim itée; et en cela il diffère profon
dém ent de Dieu. Tel est donc le tableau que pré
sente le monde. L’être, dérivant de Dieu source
im m anente et très pure, tom be, par voie de créa
tion, prem ièrem ent dans l’ange en qui il se lim ite
aux bornes d’une essence spirituelle, puis dans
l’homme où il revêt un caractère m ixte, et enfin
dans la création purem ent m atérielle où il se
condense à différents degrés depuis l’être vivant
ju sq u ’à l’être inanim é.
Mais l’ange n ’est pas seulem ent une note harm o
nieuse, un anneau étincelant dans l’ensem ble des
êtres. C’est encore un m inistre de Dieu pour le bon
gouvernem ent de l’univers, un instrum ent des
opérations bienfaisantes de la Providence. Car il
est dans l’ordre, nous dit saint Thomas après
saint Denys, que les êtres inférieurs soient ratta
chés et comme ram enés à l'Être infini par les
créatures interm édiaires.
Saint Grégoire îe Grand dit quelque p art : Le
Très-Haut se revêt d’un vêtement de beauté, parce
qu’il prend autour de lui et associe à son éclat les
chœurs des anges qu’il a créés. Les anges sont le
vêtem ent de Dieu; ils adhèrent à lui et participent
à ses m ouvem ents : l’éclat insoutenable de la
lum ière incrééeles com pénètre et rayonne au tra
vers de leur pure essence ; il se tem père en quelque
sorte en passant par eux, et m êm e se disperse en
différents rayons comme la lum ière dans un
prism e. Les anges, prosternés autour de Dieu dans
une adoration béatifique, suivent les indications
de sa volonté avec la prom ptitude de l’éclair, et
exécutent ses ordres avec l’énergie d’un feu dévo
rant. Là où se porte la volonté divine, ils vont,
incoercibles dans leur élan; et leur influence
active et constante m aintient l’ordre dans la créa
tion inférieure. Rappelez-vous une fresque de la
Sixtine où l’on voit l’Ancien des jours allant à tra
vers l’espace d’un m ouvem ent puissant, et em por
tant autour de lui de beaux jeunes gens, qui ne
form ent avec lui qu’un m êm e groupe sublim e :
ainsi les anges adhèrent à la divine Essence, et en
sont inséparables.
Du m om ent où l'hom m e fut créé, les anges
entrèrent en rapport avec lui. Il était des leurs :
son âme était la sœur, plus tendre et plus frêle, de
ces purs esprits. En quoi consistaient ces rapports?
10 —
On l'ignore. Tout porte à croire que les anges
prenaient souvent des form es sensibles pour se
m anifester au prem ier couple hum ain, à savoir
des formes hum aines, peut-être même parfois des
formes anim ales pleines de noblesse (1). La faci
lité avec laquelle la femme engage la conversation
avec le serpent, le chérubin m is à la porte du
paradis pour le garder, nous sont des indices que
nos prem iers parents étaient coutum iers des appa
ritions angéliques.
Les voilà tom bés : vont-elles cesser? nullem ent.
L’homme déchu, par une grande m iséricorde
divine, est placé sous la m ain des anges. Ils sont
les m édiateurs du Testam ent ancien, destiné à
préparer la venue de Jésus-Christ. Saint Paul nous
dit que la loi m osaïque, dans son économie figura
tive, a été disposée par les anges. (Gai., m , 19.)
Lisez le splendide début de l’Épître aux Hébreux :
il en ressort que les anges sont les m inistres de
l’ancienne alliance, alors que Jésus-C hrist le pro
pre Fils de Dieu est l’initiateur et le consom m ateur
de la loi nouvelle.
Les anges serviront de tuteurs à l’hum anité en
état d’enfance. Arrivée avec Jésus-Christ à l’àge
(1) Ce qui porterait à le croire, c’est que la femme ne
semlDle pas surpiise que le serpent iui parle, c’est que par
fois les anges apparurent aux saints sous la forme de beaux
oiseaux, c'est que les êtres de la création sont pris souvent
comme des symboles.
— 11 —
adulte, elle les aura comme aides et com pagnons. En
aucun temps elle ne sera destituée de leur secours.
Il n ’est pas expressém ent question des anges
dans le récit du Déluge. Mais quand l’Ecriture nous
dit que la Sagesse gouverna le Juste au moyen d'un
bois méprisable (S a p ., x, 4), il est hors de doute
q u ’elle employa à cette préservation le m inistère
des esprits angéliques ; ils tenaient le gouvernail
de l ’arche sur les eaux débordées.
Là oh leur action tutélaire commence à se m ani
fester d’une manière ininterrom pue, c’est à la nais
sance du peuple de Dieu.
L’apparition visible, tangible, de trois person
nages m ystérieux à Abraham, est connue de tous.
L’un prend le nom du Seigneur; était-il purem ent
et sim plem ent un ange se présentant au nom du
Très-Haut? C’est la pensée de la plupart des inter
prètes (1). Quoi qu'il en soit, ses deux compagnons
sont appelés ouvertem ent des anges. Abraham
leur donne à tous les trois l’hospitalité. Les deux
(1) Beaucoup pensent que les anges sont les auteurs et
comme les acteu rs des théophanies qui ont eu lieu dans
l'Ancien Testament. Ce sentiment a pour fondement principal
ce que dit saint Etienne parlant au Sanhédrin, qu'un ange
a p p a ru t à M oïse a u désert de S ina dan s la flam m e du
buisson a rd en t (4 ct.} vu , 30). Or cet ange tenait la place de
Dieu, et figurait la personne de Dieu. D’autres interprètent
différemment ce passage, et disent que le mot ange est mis
pour le Seigneur lui-m êm e en tant qu’il se manifeste. Ce
n ’est pas le lieu de discuter à fond la question.
- 12 —
anges se détachent, et s’en vont trouver Loth qui
les reçoit à son to u r; le peuple de Sodome a vu
les deux nobles et beaux étrangers, et m édite
contre eux des pensées infâm es; mais les anges le
frappent de cécité, et retiren t le juste Loth du
m ilieu de la cité vouée aux vengeances divines.
(Gen., x v iii , xxx.)
Cette protection des anges s’étend sur Agar la
servante; et je ne sais s’il est, dans toute la Bible,
un épisode plus touchant que celui de la pauvre
créature fuyant dans le désert la colère de Sara, et
y trouvant l’ange du Seigneur qui lui parle fam iliè
rem ent, la rassure, et lui annonce la naissance
d'Ismaël avec les destinées de cet enfant. Les anges
ont donc des attentions et des tendresses particu
lières pour les hum bles et les petits, pour les
déshérités, pour les persécutés. Une seconde fois,
alors qu'Agar est chassée des tentes d’Abraham
dont le cœ ur saigne à son sujet, et que projetée
dans la solitude elle va périr de soif aveclsm aël^
une voix angélique la réconforte, et lui fait trouver
un puits aux eaux rafraîchissantes. (Gen., xvi, 7;
xxi, 17.)
L’héritier des prom esses, Isaac, ne doit pas
m oins à la sauvegarde des ànges que le fils de la
servante. L’un d’eux arrête le bras d’Abraham,
alors que, faisant violence à son cœur, par un acte
de sublime obéissance, il s’apprête à im m oler Isaac.
— 13 —
(G e n xxii, i i . ) Un ange sert d'entrem etteur secret
dans les noces de ce patriarche avec Rébecca.
(.Id ., XXIV.)
Jacob est très fam ilier avec ces apparitions m ys
térieuses, dont quelques-unes sont im aginatives,
m ais la plupart d’après le contexte incontestable
m ent réelles. Endorm i sur la pierre de Béthel, il
voit se dresser au-dessus de sa tête une échelle le
long de laquelle des anges m ontent et descendent.
Quand il est chez Laban, un ange l’avertit que le
m om ent est venu de retourner en Chanaan. Sur la
route, il voit des légions d'esprits célestes, et
s’écrie : c'est là le camp de Dieu. Puis il lutte toute
la nuit avec un être à forme hum aine, dans lequel,
d’après le prophète Osée, il faut reconnaître un
ange. (Osée, xn, 34.) Sur le bord de la tom be,
cassé et aveugle, m ais éclairé d’en haut, il invoque
su r la tête de ses petits-fils, les fils de Joseph,
Ephraïm et Manassé, l’ange qui l’a retiré sain et
sauf de tous dangers. (Gen., xxvm, 12; xxxi, 11 ;
xxxii, 1; xlvin, 1G.)
Les anges, qui ont veillé sur les patriarches et
qui les ont guidés dans toutes leurs voies, protè
gent le peuple de Dieu devenu adulte et quittant
l’Égypte. Un ange, sans doute l’ange de Jacob,
m arche avec la nuée à l’avant-garde des Hébreux
ém igrants; au passage de la m er Rouge, il se porte
à l’arrière-garde pour les défendre des poursuites
— 14 —
de Pharaon, {Ex., xiv, 19.) A plusieurs reprises un
ange est annoncé à Moïse comme conducteur du
peuple vers la Terre prom ise : à côté du guide
visible Moïse, il y a un guide invisible, l’ange du
Seigneur, dont la présence se déclare souvent par
des interventions m iraculeuses.
Les Nombres relatent l'étrange m anifestation
d’un ange arrêtant l’épée levée l’ânesse de Balaam
le faux prophète. L ânesse, on le sait, prend une
voix hum aine pour avertir son m aître du danger
q u ’il court. Et celui-ci à son tour, voit l’esprit
céleste qui lui barre le chem in. Ce fait biblique,
qu’on ne saurait détourner du sens littéral, n ’est
pas u n cas d’hallucination. (.N u m xxn, 22, 36.)
L’ange chargé du peuple de Dieu ne cesse pas
son office, quand les Hébreux sont arrivés à la Terre
promise. Il apparaît à Josué dans la campagne de
Jéricho, sous la forme d’un guerrier, le glaive en
m ain : Je suis, lui dit-il, le chef de Varmée du
Seigneur. (Josué, v. xm , 16.) Plus tard, quand la
conquête est définitive, il se m ontre visiblem ent
aux yeux du peuple, et lui adresse de vifs reproches
de son peu d’ohéLsance aux ordres du Seigneur; à
cette prédication d’un nouveau genre, le peuple
éclate en sanglots; et l’endroit où se passe cette
scène si rem arquable s’appelle désorm ais le lieu
des pleurants. (J u d ., n, 5.)
Les m anifestations angéliques continuent au
— 15 —
tem ps des Juges. Un ange se m ontre aux yeux de
Gédéon, lui annonce qu’il exterm inera Madian, et
appuie sa prophétie par la descente du feu du ciel
sur le sacrifice de l’Israélite. Un peu plus tard un
ange annonce à la femme de Manué et à Manué lui-
m êm e la naissance de Sam son; et l'envoyé céleste
rém onte vers Dieu dans les flammes d’un holo
causte. (t/utf., yi, ii-2 2 ; xm, 3-21.)
L ’histoire sainte ne m entionne pas expressém ent
l’action visible des anges dans la vie si dram atique
de David. Mais com m ent nier que le saint roi ait
parlé par expérience, quand il a chanté : « Dieu a
commandé à ses anges de te garder dans toutes tes
voies; ils te porteront dans leurs m ains, de crainte
que ton pied ne heurte contre la pierre. Tu m ar
cheras sur l’aspic et le basilic ; tu fouleras aux pieds
le lion et le dragon. » (P s. xc.) — Sur la fin du
règne de David, en punition d’un péché de vanité
qu’il avait com m is, terrible exemple qu’on ne
saurait trop m éditer, un ange exterm ina par la
peste 70.000 Israélites : apaisé par les supplications
et par les holocaustes du saint roi, il rem et visible
m ent l’épée au fourreau. Les anges sont donc les
m inistres des fléaux de Dieu. (I Parai., xxi.)
Le prophète Élie est sous la garde des anges.
C’est un ange qui lui présente le pain m iraculeux
dont la vertu le soutient durant u n voyage de qua
rante jours. C’est un ange qui lui enjoint d’annon-
— 16 —
cer à Ochosias et à Achaz leur m ort im m inente.
(III Reg., xix, 5; IV Reg., i, 15.)
L’œil d’Élisée suit les m ouvem ents des arm ées
angéliques venant au secours de la ville, où
l'entourent les cavaliers et les chars du roi de
Syrie; il obtient du Seigneur que son serviteur
contemple avec lui ce m erveilleux spectacle, cava
liers célestes, chariots de feu. (IV R?g.f vi, 17.)
L’ange exterm inateur vient au secours d’Ézéchias
que tient assiégé Sennachérib; en une nuit, il
jonche le sol de 185.000 ennem is. (Id. xix, 35.)
Durant la captivité, les saints anges suivent les
pieux israélites dans leur exil. On connaît l'histoire
de Tobie : l’archange Raphaël sous forme hum aine,
entre en scène, et accomplit toute une série de
touchants prodiges en faveur de cette famille*
bénie de Dieu : c’est l'action invisible des esprits
célestes rendue visible et palpable; c’est le poème
dram atique des anges gardiens.
Judith luttant pour la liberté de sa patrie, tém oi
gne qu’un ange l’a ram enée non seulem ent saine
et sauve, m ais pure de toute souillure. (Jud,t
M i l , 20.)
Les anges apparaissent à tout m om ent dans les
récits et dans les prophéties de Daniel. Ils descen
dent avec les enfants dans la fournaise et écartent
d'eux les flammes dévorantes; ils descendent avec
le prophète dans la fosse aux lions, et ferm ent la
— 17 —
gueule de ces fauves indom ptés ; ils transportent
auprès de lui le prophète Habacuc, qui lui présente
de quoi m anger (Dan. m , Æ9; vi, 22; xiv, 32).
Daniel, l’homme de désirs, au cœur hum ble et pur,
a la vision d'un ange en tout son éclat; il en est
ébloui, il s’évanouit; l'ange le rassure et l’introduit
dans les conseils des esprits célestes et de Dieu
lui-même. (Id., x.)
Nous ne parlons pas des autres prophètes,
notam m ent Isaïe, Ézéchiel, Zacharie, qui m ention
nent souvent des apparitions angéliques, parce
qu’il est probable que ces visions pour la plupart
furent intellectuelles ou imaginatives.
Les livres des Machabées m entionnent fréquem
m ent l’intervention des saints anges. L’impie
Héliodore, voulant forcer et piller le tem ple, est
renversé et piétiné par un cavalier m ystérieux,
tandis que deux jeunes hom m es apparaissant tout
à coup, le fustigent sans pitié. (II Mach. ni, 25-26.)
Judas Machabée demande au Seigneur qu’il daigne
envoyer un bon ange pour le salut d’Israël : con
fiante prière que Dieu exauce même visiblem ent.
On voit m archer devant lui un cavalier vêtu
de blanc, et brandissant des arm es d’or. Précé
dem m ent déjà, au plus fort d’un combat, les enne
m is avaient vu descendre du ciel cinq cavaliers
éblouissants : deux d'entre eux se tenaient conti
nuellem ent aux côtés du héros, écartaient loin
— 18 —
de lui les traits m eurtriers et lançaient des fou
dres qui sem aient partout la m ort et l'épouvante.
( I I Mach., xi, 6; x, 29-30.)
Je n ’ai voulu om ettre aucun des traits de cette
revue d'histoire biblique sur l’assistance des anges
elle est intéressante, elle est réconfortante. Si les
esprits célestes se sont ainsi prodigués pour la
défense du peuple juif, que ne feront-ils pas pour
le salut du peuple chrétien?
III. — L es Anges sous le N ouveau T estam ent.
Parmi les apparitions que j ’ai déjà énum érées,
la plupart eurent une réalité extérieure et physi
que. Il est inutile d’insister là-dessus; à m oins de
nier la véracité des saintes Écritures, on doit con
venir que m aintes fois les anges ont apparu corpo-
rellem ent aux hom m es avant Jésus-Christ.
Saint Thomas nous dit que « toutes les appari
tions relatées sous l’Ancien Testam ent furent
ordonnées à cette apparition, par laquelle le Fils
de Dieu se m ontra dans la chair. En prenant ainsi
des corps dans les tem ps antiques, déclare le saint
docteur, les anges donnèrent à entendre, par d’ex
pressives figures, que le Verbe de Dieu devait pren
dre un jour un corps hum ain. » (Sum. theol. I Pars.
— 19 —
q. ii art. 2 ad prim.) J'ai expliqué plus haut
com m ent les corps que revêtent les anges ne sont
que des corps d’em prunt, et ne leur appartiennent
pas substantiellem ent comme s'ils faisaient partie
de leur nature; au contraire, le corps qu’a pris
Jésus-Christ est son vrai corps, il fait partie inté
grante de la nature hum aine qu’il s’est appropriée
en unité de personne. C’est là une différence essen
tielle qu’il ne faut pas perdre de vue : elle n ’em
pêche que ces visions passagères de m essagers
célestes, revêtant extérieurem ent une forme
hum aine, n ’aient annoncé et figuré d’une m anière
très expressive la grande et définitive m anifesta
tion du Fils de Dieu se faisant hom m e et vraim ent
hom m e comme nous.
Mais ici une question se pose d'elle-m êm e : le
Fils de Dieu s’étant fait hom m e, les apparitions
angéliques vont-elles cesser comme n ’ayant plus
de raison d’être? Aucunement.
Notre-Seigneur n ’est pas venu détruire l'ordre
naturel, en restaurant l’ordre de la grâce. Sa grande
m édiation rédem ptrice n ’a pas annulé la m édia
tion naturelle des esprits célestes. Ils restent tou
jours les interm édiaires entre l'hom m e et Dieu
Esprit infini. Leur m ission s’entrelace harm onieu
sem ent dans l’œuvre de la rédem ption. « Ils sont,
nous dit saint Paul, des intendants spirituels,
chargés d’un m inistère auprès de ceux qui gagnent
— 20
l’héritage du salut. » (Héb, i, 14.) Cette coopération
active au salut des âmes est abondam m ent m arquée
dans les pages soit du saint Évangile, soit des Actes
des apôtres.
Et d’abord l’Évangile s’ouvre par un prologue
to u t angélique. C’est un ange qui est chargé de
préparer d’une m anière im m édiate le m ystère de
l’Incarnation.
Ce môme ange, à savoir saint Gabriel, avait
été envoyé sous l’ancienne loi, à Daniel, Vhomme de
désirs. Dans une vaste vision, il lui avait révélé
les destinées du royaum e de Dieu sur la terre ; il
lui avait m ontré la venue prochaine du Saint des
saints, qui devait m ettre un term e au péché, abolir
l’iniquité et accomplir toute prophétie; il lui avait
m êm e donné la date précise de l'apparition du
Messie, elle aurait lieu dans soixante-dix semaines
d’années.
Les temps approchent, le cycle m ystérieux des
semaines de Daniel est près d’être révolu. Après
un long intervalle de tem ps durant lequel toute
com m unication semble suspendue entre le ciel et
la terre, saint Gabriel s’ébranle de nouveau; il
vole au tem ple de Jérusalem , à l’heure où le prêtre
fait fumer l’encens devant le Très-Haut. Le prêtre
alors de service au tem ple était un hom m e ju ste et
craignant Dieu nom m é Zacharie. Il aperçoit l’ar
change debout, à droite de l’autel des parfum s. 11
— 21 —
est épouvanté; m ais Gabriel le rassure, et lui
apprend la joyeuse nouvelle qu’il sera m algré son
grand âge le père d’un enfant de bénédiction destiné
à devenir le précurseur du Messie. Zacharie hésite
à croire à la parole du m essager céleste, il est frappé
de m utism e en punition de son incrédulité.
Six mois après, l'archange Gabriel prend de
nouveau son essor. Cette fois, il se rend en Gali
lée, pays peü favorisé par les apparitions
célestes; il entre sous l’hum ble toit d’un artisan,
nom m é Joseph; il va trouver une fille de la race
royale de David, qui vit dans la pauvreté, et qui
est dem eurée vierge sous le voile d’un chaste
m ariage; il se présente à elle, avec un respect
infini, comme am bassadeur de la très sainte
Trinité. Le salut du m onde est rem is par Gabriel
entre les m ains de la Vierge : si elle donne son
consentem ent, le ciel va s'ouvrir, et le Sauveur
descendra. Marie se trouble dans son hum ilité,
l’archange la rassure ; elle hésite dans son am our de
la virginité à accepter l’offre d’une m aternité divine,
l’archange dissipe ses appréhensions. Le céleste
am bassadeur a obtenu gain de cause ; il em porte
le consentem ent de Marie. Celle-ci, par un acte de
foi héroïque, attire et s’incorpore en elle le Fils
de Dieu.
Rem arquons, d’après les saints Pères, qu’en cette
entrevue qui décida du grand œuvre de l’incarna
— 22 —
tion, l’archange Gabriel ne se contenta pas de pro
poser à la sainte Vierge le sublime office d’une
m aternité divine; il fortifia intérieurem ent son
âme, afin qu’elle pût produire plus facilement un
acte de foi et d’am our en rapport avec l’offre qui
lui était faite, et supporter l’insondable m ystère
qui allait s’opérer en elle. « Notre fragile nature,
dit saint Pierre Chrysologue, est réconfortée en
Marie par l’exhortation de l'ange pour soutenir la
gloire de la divinité. De crainte que le sable fin du
corps hum ain ne pût supporter un si haut édifice,
et que la tige légère de la virginale créature ne
rom pit sous le fruit du Verbe incarné, la voix de
l’ange retentit et chassa toute appréhension, ne
craignez pas, Marie! — Gabriel, enseigne saint
Bernard, est appelé la Force de Dieu : soit parce
q u ’il annonça la descente de la Vertu d'en haut en la
personne du Sauveur; soit parce qu'il eut m ission
de réconforter la Vierge, naturellem ent tim ide,
simple et pudique, en sorte que la nouveauté du
m ystère ne l’effrayât pas. Et c’est ce qu'il fit. »
Cette action rassérénante et réconfortante, exercée
par l’archange dans le cercle des puissances sensi
tives de l’âme virginale de Marie^ est très digne
d’attention; elle fait ressortir un côté très délicat
et très m ystérieux de l’assistance angélique, dont
les créatures hum aines les plus élevées en grâce
ne peuvent se passer.
— sa
li serait tém éraire de nier la réalité extérieure de
la double apparition de l’archange Gabriel à Zacha-
rie et à la sainte Vierge; il se m ontre au prem ier,
debout à côté de l’autel de l’encens ; la sainte Vierge
se trouble en le voyant, comme si elle voyait un
hom m e. Jam ais, croyons-nous, dans toute la tra
dition catholique, il ne s’cst élevé une voix pour
prétendre que l’entrevue de saint Gabriel avec la
sainte Vierge ait été sim plem ent imaginative. La
dignité même du m ystère de l’Incarnation, qui
est en jeu, semble exiger une apparition physique
de l’archange.
La main des anges étant intervenue dans la
m anière dont s’est noué ce grand m ystère, axe
central de toute la religion révélée, il s’ensuit
logiquem ent qu’ils ont dû intervenir m inistériel-
lem ent dans tous les développem ents successifs
de l’œuvre rédem ptrice. Car l’évolution tout entière
d’une chose répond à ses débuts. Et c’est en efïet
ce qui ressort du saint Évangile. Tous les grands
événem ents qui s’y déroulent sont accompagnés
de phénom ènes angéliques form ant comme le ciel'
du tableau.
Alors que saint Joseph est angoissé et torturé
par la constatation de la grossesse de sa chaste
épouse, un ange du Seigneur, peut-être l’archange
Gabriel, lui apparaît en songe; il lui apprend le m ys
tère que la Vertu du Très-Haut a opéré dans le sein
— 24 —
de Marie, et l'investit lui-m êm e d’une paternité
vis-à-vis du fruit béni qu’elle porte. La tristesse
du saint patriarche se change en une profonde
adm iration, en une vive allégresse. Il est clair ici
que la vision est sim plem ent imaginative, elle n ’en
est pas moins certaine et efficace.
Qui n 'est ravi du spectacle que présente la nuit
de Noël? Le Fils de Dieu naît dans une étable, et
son hum ble naissance m et en m ouvem ent le m onde
angélique. Un ange annonce la bonne nouvelle aux
bergers qui m ontent la garde de nuit sur leurs
troupeaux; une subite lum ière les environne et
chasse les ténèbres ; et le ciel semble se fondre
avec la terre autour de la crèche du nouveau-né,
tant il y a de cohortes angéliques applaudissant
par leurs cantiques à la grande m erveille d’un Dieu
petit enfant. (Zuc, \\9 9-15J
La sainte Famille nous apparaît entourée d’anges
qui la servent et qui la protègent. Il en est d'elle
comme du peuple de Dieu. A côté du guide visible,
autrefois Moïse, m aintenant Joseph, se place le
guide invisible, l'ange du Seigneur : et le guide
invisible dirige le guide visible. Un ange apparaît
en songe à Joseph et lui dit de fuir en Egypte : il
lui apparaît de nouveau, et l’avertit, comme ancien
nem ent Jacob, de retourner dans la terre d’Israël.
(Matt. il, 13-29.)
Notre-Seigneur devenu adulte, ne repousse pas
— So
le m inistère des anges. Par son incarnation, il
était descendu au-dessous de la nature angélique
(P$. vin ; Hêb. h , 7-9) : il s’était mis, en se faisant
hom m e et vraim ent hom m e, en situation, non seu
lem ent d’accepter les bons offices des anges, m ais
m êm e d’en avoir besoin. Et de fait il y eut recours
en deux notables circonstances.
La prem ière fut celle de son jeûne et de sa ten
tation dans le désert. Notre-Seigneur est d’abord
aux prises avec le diable : il déjoue ses artifices, il
en triom phe, il le chasse; le diable se retire. Alors,
nous dit l’Évangile, les anges s’approchèrent de
lui et le servirent. (Mat. iv, 11 ; Marc, i, 13.)En quoi
consista ce service des anges? Ils réconfortèrent
la sainte hum anité du Sauveur épuisée par le jeûne,
éprouvée par les insultes de l’esprit mauvais ; il est
probable qu’ils lui présentèrent des alim ents.
La seconde circonstance fut la douloureuse ago
nie du Sauveur. La sainte hum anité de Jésus
était en proie à la tristesse, à l’épouvante, à un in
surm ontable dégoût ; elle subissait une dépression
de forces telle qu’elle pensait m ourir; elle était à
ce point oppressée par une inexprim able angoisse
qu’elle suait du sang. En cet état, un ange lui appa
ru t du ciel, la réconfortant. (Luc, xxu, 43.) Cette
intervention est infinim ent rem arquable. La nature
angélique vient au secours de la nature hum aine,
abattue et agonisante; un ange fortifie Jésus.
2
— 26 —
Jésus souffrait comme hom m e, il était sensible
m ent délaissé par son P ère; son hum anité aux
abois se rattachait au secours des esprits angéli
ques. Il ne voulut pas les provoquer à intervenir
pour le tirer des m ains de ses ennem is, comme il
le dit à saint Pierre au m om ent d’être garrotté
(Mat. xxvi, 53); mais il accepte le réconfort qui
lui vient d’un ange, pour nous m ontrer qu’aucun
hom m e m ortel, pour saint qu’il soit, ne peut se
passer du secours des esprits angéliques.
Étant venus en aide au chef, il ne doit pas nous
sem bler surprenant qu ’ils soient appelés à veiller
sur les m em bres. Les anges s’em pressent autour
de l’Église naissante. Ils sont chargés de lui annon
cer, en la personne des saintes fem m es et des
apôtres, la glorieuse résurrection du Sauveur. Au
m om ent où celui-ci franchit le seuil de son tom
beau, parm i la secousse d’un grand trem blem ent
de terre, un ange descend du ciel, et rejette par
côté l’énorme pierre qui ferm ait l’entrée du sépul
cre; puis, tandis que les gardiens terrassés par
l’épouvante se relèvent et s’enfuient, il les remplace
dans leur office en s’asseyant sur la pierre. Son
visage est éclatant comme la foudre, et ses vête
m ents sont blancs comme la neige; il rassure
bénignem ent les saintes fem m es effrayées à son
aspect, et leur donne la prem ière nouvelle de
la résurrection. Lorsque celles-cL après avoir*
— 27 —
transm is rapidem ent la nouvelle aux apôtres,
reviennent au m onum ent, elles y trouvent
deux anges, m ais à l’intérieur du sépulcre; ils
ont plié les linges form ant le lînceur du Sauveur,
et roulé à part le suaire* qui couvrait sa tôte
sacrée ; saint Pierre rem arque ce détail vrai
m ent suggestif, quand il arrive sur les lieux en
,
compagnie de saint Jean. {Mai, x x v t i i 2-8; Zwc,
xxiv, 3-5; Joan. xx, 5-6.) Je m ’étends avec com plai
sance sur cette scène évangélique, parce que per
sonne n ’osera révoquer en doute l’extériorité de
ces apparitions d’anges racontées avec une telle
précision.
Le jour d’e l’Ascension, alors que les apôtres ont
encore les yeux fixés dans une posture adm irative
vers le point du ciel où Jésus a disparu, deux
hom m es en vêtem ents blancs, dit le texte sacré,
paraissent tout à coup auprès d'eux, et les encou
ragent par des paroles consolantes. {Act, i, 10.) En
ces deux hom m es, la tradition chrétienne a tou
jo u rs reconnu deux anges.
Quand l’Église sort du cénacle, les anges tra
vaillent pour ainsi dire de m oitié avec les apôtres :
ceux-ci sont-ils em prisonnés, ils brisent leurs fers,
ils leur fendent la liberté. {Act, v, 9.) Ils leur
m énagent des entrevues avec les gentils. Un de ces
esprits célestes avertit le diacre saint Philippe de
se rendre sur la route de Gaza où il trouvera
28 —
l’eunuque de la reine d’Éthiopie (vin, 26). Un
autre enjoint au saint et adm irable centurion Cor
nélius d’aller trouver saint Pierre à Joppé (x, 3).
Mais tout à coup l’Église est menacée d’être déca
pitée en la personne de son chef tombé aux m ains
d’Hérode : un ange délivre m iraculeusem ent saint
Pierre, faisant tom ber ses chaînes, ouvrant devant
lui la grande porte de fer qui ferme la ville, et il
le rend à l’Église en prière et en pleurs : telle est
la soudaineté de la délivrance que l’apôtre croit
rêver, et n ’a le sentim ent de la réalité de ce qui
lu i arrive que lorsqu’il se trouve dans l'assem blée
des fidèles éperdus de joie (xn, 7-12). Cependant
la vengeance divine, dont un ange est le m inistre,
s'abat sur le persécuteur : Hérode m eurt en d’hor
ribles convulsions, consumé par les vers. (xii,23.)
Saint Paul n’est pas m oins efficacement protégé
par les anges; ils le suivent en toutes ses courses
apostoliques; dans la tem pête racontée par les
Actes, un esprit céleste apparaît à l’apôtre et lui
donne l’assurance qu’aucun m ai n’arrivera ni à
lui ni aux passagers qui sont avec lui sur le navire
en détresse. (Acf. xxvn, 23.)
Tel est le rôle des anges dans la fondation et
les prem iers développem ents de l'Église, Us l’en
to u ren t d'une sauvegarde tutélaire; ils am ènent
ces changem ents a vue, qui en un m om ent la sous
traient à la fureur de ses ennem is. Us m énagent
— 29 —
les rencontres des apôtres avec ces enfants de Dieu,
comme parle saint Jean, qui étaient dispersés par
le monde, et qu ’il s’agissait de grouper en une
église. ils veillent sur les jours des hom m es apos
toliques, et les conduisent heureusem ent ju sq u ’au
term e providentiel de leur carrière.
Dieu a voulu que ces m erveilles d’assistance et
de préservation fussent racontées par une plum e
inspirée, afin que nous ne pussions pas douter de
la protection des saints anges. Cette protection n ’a
pas cessé; elle s’est continuée ju sq u ’à nos jours,
elle se perpétuera ju sq u ’à la fin du m onde. Les
apparitions que nous avons relatées d’après la
sainte Écriture sont des types qui se reprodui
sent très fréquem m ent dans la vie des saints,
com m e je vais le m ontrer dans les articles suivants.
IV. — L e s a n g e s e t la c o n v e r s io n d e s t a ie n s
La m ission des anges, ai-je dit plus haut, est
d’ordre naturel, m ais ils l’exercent dans un but
surnaturel; chargés d’u n idolâtre, ils cherchent par
tous les moyens possibles à l’orienter vers la vraie
foi, à l’am ener au baptême. Les Actes des apôtres
nous m ontrent à plusieurs reprises les esprits
2 .
— 30 —
célestes se rendant les interm édiaires visibles
entre les hom m es apostoliques et les païens.
Cette m édiation, cette intervention discrète, se
continue toujours, quoique invisiblem ent. Un très
ancien docum ent, d’une saveur très particulière,
nous la fait voir sous une form e extérieure et p a l
pable. Il s’agit de la conversion célèbre du philo
sophe saint Justin au deuxième siècle : lui-m êm e
nous la raconte comme il suit dans son Dialogue
avec Tryphon.
Il s’était adonné à la philosophie, et fréquentait
les écoles grecques, espérant y trouver la sagesse.
« Étant, dit-il, dans ces sentim ents, j ’éprouvai le
besoin de me retirer dans la solitude et d’éviter le
commerce des hom m es; et je partis pour une
campagne assez proche de la mer. J ’en étais peu
éloigné et je m e réjouissais par avance d’être
en tête à tête avec moi-mêm e, quand je me vis
suivi d’assez près par un vieillard d’aspect véné
rable, les traits rem plis tout ensemble de gravité
et de bienveillance. Je m ’arrêtai, et me tournant
de son côté, je fixai délibérém ent su r lui m on
regard. Il me dit : Me connaissez-vous? — Non,
répondis-je. — Pourquoi alors m e regardez-vous
ainsi? — Je suis étonné, dis-je, que vous m ’ayez
suivi en ce lieu désert, où je m ’attendais à être
s e u l.— Je me trouve, reprit-il, en sollicitude sur
plusieurs des m iens qui sont partis à l’étranger, et
— 31 —
dont j ’épie l’arrivée. Mais vous-m êm e, que venez-
vous faire ici? — Moi, dis-je, je me délecte en des
promenades solitaires, où il me semble que n ’ayant
pas d’objet pour me distraire, je m ’entretiens plus
librem ent avec m oi-m êm e. Ces lieux sont très
propices à qui veut philosopher. — Philosopher ï
s’exclame l’inconnu. Seriez-vous donc de ceux qui
aim ent les belles phrases plus que la vérité, qui
s’étudient m oins à bien faire qu’à bien dire?...
Qu’appelez-vous philosophie?... La philosophie
procure-t-elle le bonheur?... En quoi consiste le
bonheur qu’elle prom et?... Quel être est-ce Dieu?...
Est-il une science qui fasse connaître à fond les
choses divines et hum aines? » Étourdi par ces
questions, Justin essaya d’y trouver une solution
dans les théories de Platon et de Pythagore. A cha
cune de ses assertions, le vieillard opposait une
réfutation brève qui en faisait ressortir la vanité.
Il m enait la discussion avec une suavité pénétrante
et une force inéluctable. Enfin il persuada à Justin
de se m ettre à l’étude des saintes Lettres, et conclut
ainsi : « Avant tout, m ettez-vous à prier, à dem an
der que s’ouvrent pour vous les portes de la
lum ièré; car c’est Dieu, c’est son Christ, qui donne
l’intelligence de ces m ystérieuses questions sur la
sagesse et le bonheur. Ayant ainsi parlé, ajoute le
saint, et m ’ayant dit bien d’autres choses que ce
n ’est pas le m om ent de rapporter, le vieillard m e
— 32 —
quitta, et je ne l’ai jam ais revu depuis. Mais aussi
tôt un feu s’alluma dans m on cœur, et je m e sen
tis épris d’am our pour les prophètes et les apôtres
du Christ. Ayant pris connaissance de leurs écrits,
j ’y découvris la seule philosophie qui soit vraim ent
sûre et profitable. Et désorm ais je ne fus plus
philosophe que d'après eux et avec eux. »
Tel est cet entretien justem ent fameux, qui
décida de la conversion de l’apologiste et m artyr
saint Justin. Son interlocuteur est tout m ystérieux;
le grave Tillemont lui-m êm e déclare que ce ne pou
vait être qu’un ange; les Bollandistes sont très
catégoriquem ent du m êm e avis. Le vieillard est en
sollicitude sur plusieurs des siens qui sont partis
à l'étranger et dont il épie le retour : phrase sym bo
lique, facilement explicable d’après le m inistère
des anges, lesquels veillent sur les âmes égarées
dont saint Justin était l’une, et procurent leur
rapatriem ent dans la vérité.
Saint Grégoire Thaumaturge, qui fut disciple
d’Origène au troisièm e siècle, rapporte égalem ent
sa conversion à l'assistance d’un ange. « Un saint
ange de Dieu, dit-il, m ’eut en partage dès m on
enfance pour me guider et faire l’éducation de mon
âme. 11 a été mon pasteur depuis m a jeunesse,
comme le dit de son ange le serviteur et ami de
Dieu Jacob. Sachons-le en effet, outre que la provi
dence générale de Dieu s’étend sur nous tous,
— 33
nous vivons chacun sous la tutelle d’un ange,
enfants et petits-enfants que nous somm es. Notre
vue est si courte, qu’à peine distinguons-nous ce
qui est à nos pieds, et nous sommes im puissants
à discerner ce qui nous convient : lui au contraire,
cet ange gardien et nourricier, voit clairem ent ce
qui nous est utile et salutaire. Aujourd’hui comme
autrefois, ce saint ange m ’instruit, me sustente et
me conduit par la m ain. Entre autres choses, je
lui dois d’être entré en rapport avec Origène, ce
qui est l’événem ent capital de m a vie, et d’avoir
joui des enseignem ents de ce grand hom m e. » Et
saint Grégoire explique com m ent, étant parti en
Palestine alors qu'il était encore païen, l’ange gar
dien dirigea en telle sorte les péripéties de son
voyage, qu'il l’am ena à Gésarée près d’Origène. Il
se proposait d'aller à Béryte ; et il se trouva par
un concours de circonstances très singulières, qu’il
franchit Béryte sans s’y arrêter, et arriva tout droit
à Gésarée. Là sa rencontre avec Origène eut lieu
en dehors de toute prévision. Le saint, il est vrai,
ne m entionne pas d’apparition proprem ent dite,
m ais il déclare que l’assistance angélique se m ani
festa par ces traits sensibles.
Faut-il ajouter à ces citations, le trait si curieux,
que saint Paulin raconte dans une de ses épîtres,
du sauvetage d’un pauvre vieux m atelot opéré par
les anges? Voici un abrégé de son récit qui est très
— 34 —
long et très détaillé. Un navire était en détresse,
Féquipage avait m is les em barcations à la m er ;
seul un vieux m atelot était resté dans la coque du
vaisseau qui faisait eau de toutes parts et qui
allait infailiblem ent som brer. Soudain de m ysté
rieux personnages apparaissent sur le pont du
navire abandonné : un m ât ébranlé qui gênait la
m anœuvre est coupé et jeté à la mer', les voies
d’eau sont bouchées, les voiles tendues; le vais
seau reprend son équilibre, et vient aborder aux
rives de la Campanie. Le vieillard, qui était païen,
se convertit; il se fixa près du tom beau de saint
Félix à Noie, et saint Paulin recueillit de sa bouche
la m erveilleuse histoire de sa délivrance. « C’était,
nous dit-il, un hom m e très simple, d’une grande
candeur et incapable de m entir. » Il se nom m ait
Yalgio, on le baptisa sous le nom de Victor. Les
Bollandistes rapportent ce trait, et ne croient pas
qu’il soit perm is de révoquer en doute son àuthen-
cité appuyée sur le témoignage de saint Paulin*
Je pourrais citer d’autres faits analogues. Cette
voix d’enfant que saint Augustin entend sortir
comme d’une m aison voisine, et qui répète en
chantant ce refrain prends et lis, prends et lis,
n ’était-elle pas une voix angélique? « Je cherchai
à me rappeler, dit le saint, si les enfants chantaient
quelquefois ce refrain dans leurs jeux, et rien de
semblable ne se présenta à m on souvenir. » Saint
— 35 —
Augustin p rit un volume des épitres de saint Paul
qui était sous sa m ain : il lut, un trait de lum ière
pénétra son cœur, et il se convertit.
On dira peut-être que la voix angélique entendue
par saint Augustin était celle d’un enfant; que le
vieillard, engageant un colloque avec saint Justin,
était un être hum ain; que l’assertion du vieux
m atelot, m êm e rapportée par saint Paulin, ne
constitue pas une preuve suffisante; que le beau
fragment de saint Grégoire Thaumaturge n ’em porte
pas une apparition physique des anges. Les Bollan-
distes, qui relatent ces textes, y voient des tém oi
gnages form els d’interventions angéliques; on
peut, sans encourir le reproche de crédulité, s’en
rem ettre à leur sens critique. Mais n’insistons pas ;
les Actes des m artyrs vont nous fournir, en très
grande abondance, des faits d’apparitions d’anges
extérieures, sensibles, publiques même, dont l'au
thenticité défie toute objection sérieuse.
V. — L es anges et les m artyrs
L’hum anité est un champ clos, où entrent eu
lutte, comme il est dit dans l ’Apocalypse, les puis
sances célestes et les puissances infernales. Celte
lutte est à l’état aigu dans la personne des m artyrs.
— 3G —
Les démons s’acharnent sur eux, avec une violence
inouïe, par l'iniquité de leurs juges, et la férocité
de leurs bourreaux. Il est juste et dans l’ordre que
d’un autre côté ils soient secourus sensiblem ent
par les bons anges. Le Saint-Esprit il est vrai, les
anim e et les fortifie; m ais cette assistance intim e,
essentielle, ne rend pas superflue l’assistance
m inistérielle des anges qui la prolonge en quelque
sorte et la complète. Aussi les voyons-nous souvent
intervenir, m êm e visiblem ent, pour encourager les
saints m artyrs, guérir leurs plaies, couronner leur
constance, et parfois protéger leurs restes inanim és
contre de lâches insultes (1).
Durant la persécution d’Adrien, les deux frères
Faustin et Jovite sont arrêtés comme chrétiens à
Brescia, livrés aux bètes qui les respectent, jetés
dans les flammes qui les laissent intacts, et enfin
condamnés à m ourir de faim dans leur prison.
« Mais, au m ilieu de la nuit, des anges du Seigneur
descendent auprès d’eux, et réconfortent les bien
heureux m artyrs, » en sorte q u ’ils ne sentent pas
le tourm ent de la faim, et qu’ils sont en état de
fournir toute une carrière de nouveaux interroga
toires et de nouveaux supplices. (A c t S S . Feb.
îo m . II, p. 812.)
(I) La, nourrice de saint Mélorus, enfant martyr en Angle
terre, trouve des anges qui font la garde auprès de ses
dépouilles, et des flambeaux allumés tout alentour. [Act*
SS*.f Jan., tom. 1, p. 136.)
— 37 —
Saint Julien, m artyr à Sora sous Àntonin le Pieux,
après une cruelle flagellation, est jeté dans u n
cachot ténébreux, où on le laisse pendant une
semaine sans nourriture. « Mais Dieu, disent les
actes, n ’abandonna pas son client, il fut réconforté
par la visite et les entretiens des anges, et sustenté
par des alim ents célestes. » (Act. SS. Jan. Tom. III,
p. 382.)
Un ange vient guérir les plaies de saint Constant,
évêque, qui souffre à Pérouse sous Marc-Aurèle.
Ses actes sont rapportés par le cardinal Baronius.
{Ad. SS. Jan. Tom. III, p. 545.)
Vers la m êm e époque, les saints m artyrs Tryphon
et Respicius sont assistés et couronnés visiblem ent
par un ange, tandis qu'on leur applique au flanc
les lampes ardentes.
Sous la persécution de Déce, saint Thyrse souffre
en Bithynie un long et cruel m artyre. Il n'était pas
baptisé, et il souhaitait de l’être, quoiqu’il eût
déjà commencé à recevoir le baptêm e de sang. Au
m ilieu de la nuit, des anges descendent dans sa
prison, font tom ber ses chaînes, lui ouvrent les
portes et le conduisent à l’évêque Philéas. Celui-
ci le voit arriver tout environné de lum ière ; étonné
d’abord, il s’em presse de lui conférer le sacrem ent
de la régénération. Après quoi les saints anges
escortant toujours le saint m artyr, le reconduisent
dans son cachot. Les Bollandistes déclarent que
3
— 38 —
les actes, desquels ce récit est tiré, sont dignes de
foi et parfaitem ent solides, encore qu’ils contien
nent bien des choses m erveilleuses. (Act. SS . Jan.
Tom. III, p. 442.)
La persécution de Dioclétien nous offre une
ample m oisson de faits analogues; il est im possi
ble de les relever tous. Les saints m artyrs Clément et
Agathangèle, étant m is en prison, y sont visités
par les anges qui les anim ent à confesser coura
geusem ent leur foi dans les supplices. (Act. S S .
Jan. Tom. III, p. 78.) Le Romain saint Boniface s’en
va en Orient cueillir la palme du m artyre; un ange
vient visiblem ent à son secours, tandis que les
bourreaux le plongent dans une chaudière de poix
fondue; après qu’il a consomm é sa passion, un
ange apparait à la m atrone Aglaë, et l’avertit de
recevoir ses précieux restes comme ceux d’un
confesseur du Christ. (Act. S S . Maii. Tom. III, p.
284-285.) Pendant que le célèbre m artyr saint
Sébastien exhorte les jeunes chrétiens Marc et
Marcellien à dem eurer ferm es dans la foi, une
splendide lum ière lui forme comme un vêtem ent;
sept esprits célestes et le Sauveur lui-m êm e se
m ontrent à ses côtés; saisie à ce spectacle, sainte
Zoë qui était m uette, recouvre la parole et se fait
chrétienne. (A c t. S S . Jan. Tom. II, p. 624.) Tandis
que le diacre illustre saint Vincent, le corps couvert
de plaies vives, est étendu dans un som bre cachot
— 39 —
sur un lit de pierres aiguës et de tessons de pots
cassés, les anges descendent auprès de lui, et
guérissent ses blessures; le saint se prom ène
librem ent en louant Dieu; les gardes, qui voient la
lum ière jaillir par les fentes du cachot, contem plent
leur prisonnier entouré d’esprits célestes et se
convertissent. (A ct. SS . Jan. Tom. III, p. 9.) Les
actes de saint Sébastien et de saint Vincent sont de
ceux qu’on ne peut rejeter, sans avoir contre soi
toute l’antiquité. Ceux des saints Julien, Basilide,
Celse et autres m artyrs ne sont guère m oins rem ar
quables par les particularités où ils entrent. Ils nous
apprennent qu’au fort m êm e de la persécution de
Dioclétien et de Maxîmien, les descendants de
l’em pereur Carinus, qui étaient chrétiens, avaient
obtenu de pratiquer librem ent leur foi ; un prêtre
vivait avec eux, et leur célébrait les saints m ystè
res. Or, il arriva que saint Julien m arlyr, ayant
converti les soldats ses gardiens, voulut leur
procurer le saint baptêm e. Il fut inspiré de
s'adresser au prêtre qui était l ’aum ônier de la
famille de Carinus. Celui-ci, escorté de se£t jeunes
gens appartenant à cette famille, se rend à la pri
son; un ange m arche devant lui, touche les portes
et les lui ouvre. Le baptêm e est conféré aux soldats;
tnais le prêtre et les jeunes gens sont arrêtés, et
eux aussi rem portent la couronne du m artyre.
{Act, SS, Jan. Tom. I, p. 582.) Les rédacteurs des
— 40 —
actes de ces glorieux confesseurs du Christ décla
rent qu’ils ont été les tém oins oculaires des événe
m ents qu’ils racontent; l’épisode des descendants
de Carinus leur donne un cachet très particulier
d’authenticité.
Parfois les saints anges ne se contentent pas
d’encourager lesm artyrs etdecicatriserleu rsp laies;
ils rom pent leurs chaînes etle u r rendent la liberté.
C’est ainsi qu’ils délivrent de leur prison saint Valen-
tin, évêque de Terracine et saint Damien son diacre ;
un ange leur déclare de la part de Dieu que leur
heure n’est pas venue, qu’il leur faut prêcher
encore la bonne nouvelle à d’autres régions ; et bri
sant leurs fers, rétablissant leurs m em bres rom pus
par les tortures, laissant derrière eux leurs gardiens
comme foudroyés, il les m et en sûreté hors des
portes de la ville. (Act. S S . Mart. Tom. II, p. 424-
426.) Saint Félix de Noie est égalem ent délivré du
cachot où il attendait la m ort, par un visiteur angé
lique : celui-ci fait tom ber ses liens, et l’emmène,
au travers des gardiens qui ne s’aperçoivent pas de
son évasion; il le conduit en un lieu désert, où
saint Maxime son évêque est sur le point de rendre
le dernier soupir. (Act. S S . Feb. Tom. II, p. 20-21.)
Ces deux faits se rapportent à la persécution* de
Dioclétien. Le dernier, tiré de Grégoire de Tours,
est inséré au bréviaire.
La persécution de Licinius nous offre plusieurs
41 —
traits analogues. Le m artyr saint Théodore est
cloué à un gibet dans u n affreux cachot : à la pre
m ière veille de nuit, un ange le visite, le décloue,
guérit ses blessures, l’encourage, le salue et dispa
raît; le lendem ain, alors qu'on se préparait à l’ense
velir, onle trouve chantantleslouanges de Dieu. (A et.
S S . Feb. Tom. II, p. 30.) Môme supplice est infligé
à saint Théogène : le Seigneur lui-m êm e vient le
visiter et le consoler; puis des anges rem plissent
son cachot, et se m ettent à chanter des psaum es, en
sorte que leurs voix sont entendues au dehors; le
tribun de garde accourt et pénètre auprès du m ar
tyr, mais il le trouve seul sur son gibet qui continue
la psalmodie. Cependant il est m iraculeusem ent
guéri de ses plaies. Licinius le condamne à être
précipité au fond de la m er; sur le vaisseau, les
anges l'entourent, et leur éclat est tel que les m ate
lots en sont éblouis. (.Act. S S . Jan. Tom. I, p. 135.)
N’oublions pas de m entionner, pendant la m êm e
persécution, les quarante m artyrs deSébaste : tandis
qu’ils sont gisants sur l’étang glacé, des anges
descendent visiblem ent du ciel et leur apportent
des couronnes. On sait que les Pères grecs ont
célébré à l’envi ces illustres victim es qui m arquè
rent la fin des grandes persécutions.
Les âges suivants ne sont pas déshérités de ces
apparitions angéliques alentour des m artyrs; car
les m artyrs n ’ont jam ais m anqué dans l’Église.
— 42 —
Sous Julien l’Apostat, tandis que le com te Julien
fait appliquer les lampes ardentes à saint Théodoret,
des anges étincelants paraissent autour de lui, et
les bourreaux tom bent la face contre terre. (Act,
S S . Sept. Tom. VIII, p. 89 et seq.) Durant la persé
cution des Vandales, saint Castrensis, évêque et
plusieurs chrétiens sont jetés dans une prison
affreuse: Un ange éblouissant de lum ière descend
pendant la nuit auprès des confesseurs du Christ,
et leur tient ce langage : « Le Seigneur Jésus m ’a
envoyé pour que je réconforte vos âmes et vos corps,
vous allez être précipités en pleine m er, m ais vous ne
serez point privés pour cela d’une sépulture hono
rable. » L’ange disparait, m ais le cachot reste
éclairé ju sq u ’au m atin d ’une vive lum ière, et les
m artyrs passent le reste de la n u it à chanter des
psaum es et des hym nes. (Act, S S . Feb. Tom. II, p.
527.) Passons en Orient, Chosroës prom ène sa
fureur dans les églises de la contrée : une de ses
principales victim es est le m oine saint Anastase
que l’Eglise associe à saint Vincent dans une m êm e
fête. Ce saint m artyr, qui était condamné au travail
des carrières, au lieu de se reposer pendant la nuit, la
passait tout entière à prier et à psalmodier. Un de
ses compagnons de captivité s ’étonne d ’une telle
constance. « Tout à coup il voit entrer des person
nages en vêtem ents blancs qui entourent le saint
m artyr et se m ettent à chanter, la prison est tout
— 43 —
éclairée par leur présence. (Act. S S. Jan. Tom. III,
p. 42.) Un fait analogue est rapporté des m artyrs
de Cordoue au neuvièm e siècle ; ils sont visités et
consolés par les anges dans leur cachot. (Act, S S .
Julii. Tom. IV, p. 458.)
La plupart de ces récits sont fournis par les pre
m iers volumes des Bollandistes; les volumes sui
vants, feuilletés avec soin, enrichiraient considéra
blem ent cette revue bien somm aire. Il est acquis
surabondam m ent que les anges ont m aintes fois
consolé et encouragé les m artyrs par une assistance
visible; quant à leur assistance invisible, elle ne
leur a jam ais fait défaut. Ces apparitions furent
bien souvent publiques et déterm inèrent des con
versions nom breuses. J ’ai averti que, assez souvent,
les m anifestations extérieures des anges ne sont pas
accompagnées d’un éclat qui annonce tout d’abord
ce qu’ils sont. Cette observation se vérifiera dans la
suite de m on travail. Mais quant à l’époque des
m artyrs, les apparitions angéliques sont presque
toutes éclatantes, lum ineuses. Il fallait qu’il en fût
ainsi. Ces apparitions étaient destinées à faire la
contrepartie des tortures et des avanies qui étaient
infligées aux bienheureux m arty rs; en ces anges
splendides, ils contem plaient la gloire qui leur était
réservée; et les spectateurs de pareilles visions
étaient contraints de reconnaître que si Dieu laissait
souffrir et m ourir ses serviteurs, il agissait ainsi
— 44 —
par un m ystérieux conseil de sa Providence, et non
par im puissance à les secourir et à les délivrer.
VI. — L es a n g e s g a r d ie n s d e s v ie r g e s .
Les anges sont les soutiens des m artyrs ; les anges
sont les gardiens des vierges. Il y a une très spéciale
affinité entre la sainte virginité et la nature angéli
que : les vierges sont des anges dans une chair
m ortelle, et la virginité est d'autant plus adm irable
qu'elle constitue en un corps fragile un état céleste.
Aussi voyons-nous souvent, dans les pages hagio
graphiques, les anges descendre fam ilièrem ent
auprès des vierges,com m e les abeilles se posent
su r les fleurs. — Au temps des persécutions, des
juges infâmes, on le sait, s’attaquaient à l’honneur
des vierges; m ais alors les anges se tenaient à leur
côté pour les défendre soit invisiblem ent, soit visi
blement. Ils assistaient invisiblem ent sainte Lucie,
et la rendaient telle qu’une colonne im m obile, une
fo rteresseim prenable(l);ilsassistaientvisiblem ent
sainte Agnès, dont les très anciens actes, qu’ils
soient ou non de saint Àmbroise, exhalent un par
fum si exquis et si pénétrant.
Une intrigue hum aine se môle au drame tout
(1) C o lu m n a es im m o M lis , L u cin , s p o n sa c b r is ti. — B rev.
romain.
— 45 —
divin du m artyre de sainte Agnès. Le fils du préfet
de Rome s'éprend pour elle d’une passion violente ;
elle est condamnée par le préfet lui-m êm e à être
exposée dans un lupanar. Elle déclare qu elle est
sans crainte; car elle a avec elle pour gardien de
son corps un ange du Seigneur. On la conduit au
lieu infâme, ses cheveux croissant to u t d’un coup
lui font un m anteau soyeux; en rentrant dans le
repaire de Satan, elle y trouve l’ange du Seigneur
qui attend son arrivée. Des m ains angéliques lui
ont préparé, à la m esure de son corps, un vêtem ent
d’une éclatante blancheur; elle s’en revêt. Le lupa-,
nar, éclairé d’une lum ière céleste, habité par la
vierge et l'ange, est devenu un sanctuaire. Des
libertins veulent y pénétrer, ils en sortent éblouis.
Le iils du préfet, plus audacieux, ose braver l ’éclat
fulgurant de la lum ière, et s’élancer sur la vierge;
il tombe m ort à ses pieds. Le préfet accourt éperdu ;
sainte Agnès consent à prier pour son fils ; et l’ange
du Seigneur ressuscite le jeune hom m e. (Act. S S n
Jan. Tom. II, p. 716.)
L’Église a adopté ce récit merveilleux, estim ant
qu'il répond à l'idéal de la vierge chrétienne; elle
en a tiré l’office de sainte Agnès qu’elle chante à
tous les coins du monde. Le révoquer en doute,
c’est détruire la physionom ie de l’héroïque enfant,
telle qu’elle ressort de la liturgie, telle q u ’elle nous
est transm ise par la vénérable antiquité.
3.
— 46 —
L’ofFice de sainte Agnès a pour pendant celui de
sainte Cécile non m oins rem pli de m anifestations
angéliques. Sainte Cécile a voué sa virginité au Sei
gneur, et toutefois elle a dû épouser Valérien. La
nuit qui suit leurs noces, elle lui fait cette confi
dence : « J ’ai pour ami un ange du Seigneur, qui
gardem on corps avec un soinjalouxjrespectem a vir
ginité, autrem ent tu exciteras sa colère; si tu con
sens à m ’aim er d’un am our chaste et im m aculé, tu
jouiras de sa vue et tu l’auras comme protecteur. »
Frappé de l’air inspiré de Cécile, Valérienlui répond:
« Si tu veux que j ’ajoute foi à tes paroles, m ontre-
moi cet ange; si je le reconnais vraim ent pour
un ange, je suivrai ton conseil ; mais si tu aim es
un homme autre que moi, je vous percerai tous
deux de m on glaive. — Fais-toi chrétien, reprend
Cécile, et tu verras m on ange. » Valérien se fait
baptiser, et de retour auprès de sa virginale épouse,
il voit à ses cotés Fange du Seigneur tout radieux et
tenant entre ses m ains deux couronnes m êlées de
lis et de roses; il les dépose sur les fronts de
Cécile et de Yalérien, en leur disant : « Gardez ces
couronnes en conservant votre cœur sans tache, et
votre corps sans souillure, je vous les ai apportées
du paradis.» Sur ces entrefaites, le frère de Valérien,
Tiburce, encore païen, entre dans l’appartem ent; il
sent une délicieuse odeur de lis et de roses ; il soup
çonne un m ystère qu’il veut éclaircir. « Fais-toi
— 47 —
chrétien, lui dit Valérien, et l’ange du Seigneur
t ’expliquera d’où viennent les tleurs dont le parfum
t'a saisi. » Tiburce se fait instruire, reçoit le bap
têm e, e tà s o n to u r , presque journellem ent, il jo u it
d’apparitions angéliques. Quelque tem ps après, les
deux frères sont arrêtés et conduits au m artyre;
saint Maxime leur compagnon voit les anges recueil
lir leurs âm es et les em porter au ciel. (Act. S S .
Ap. Tom. II, p. 204-208.) Ainsi que je l’ai dit de
sainte Agnès, les actes de sainte Cécile font partie du
patrim oine de la piété chrétienne ; un catholique ne
se perm ettra jam ais d’y toucher. Leur antiquité
incontestable les rend dignes de toute créance ; et
puis ils ont un caractère intrinsèque de vérité qui
subjugue. On n ’invente pas des choses aussi suave
m ent belles, aussi divinem ent pures.
Ces interventions des anges en faveur des saintes
Agnès et Cécile sont typiques; elles ne sont pas les
seules que l’on puisse m entionner. Dans le récit
du m artyre de sainte Martine, les anges manifes
ten t à plusieurs reprises leur secourable présence.
Lorsque les satellites du préteur viennent arrêter
sainte Fusca de Ravenne, ils la trouvent en prière
avec son ange tout radieux à ses côtés, et ne
peuvent supporter le regard m enaçant de l’esprit
céleste. Tandis que l ’on procède à l ’em baum em ent
du corps de sainte Agathe, un jeune hom m e
habillé richem ent se présente, entouré d’une
— 48 —
troupe d’enfants qui dépassaient la centaine, tous
très beaux de visage et vêtus de blanc; il rem et
une inscription en m arbre pour être déposée près
du corps de la sainte; il attend que l’on ferme le
tom beau, puis se retire avec son cortège, sans que
personne ait jam ais pu dire ni qui il était, ni d’où
il venait, ni quels étaient tous ces enfants. On
dem eure convaincu que c’était un ange, chef d’une
troupe angélique, qui venait assister aux obsèques
de la sainte. (Act. S S . Feb. Tom. I, p. 623-624.)
Le beau phénom ène d’un ange couronnant deux
époux qui ont fait vœu de virginité se retrouve
dans la vie de saint Amateur. Ses parents le desti
n ent au mariage. Le soir de ses noces, il persuade
à Marthe son épouse de vivre dans la virginité.
Une odeur céleste rem plit la cham bre nuptiale;
un ange vient couronner les deux époux. « Ama
teur l’aperçoit qui tient dans ses m ains une double
guirlande ; s'adressant à lui et à son épouse, il leur
recom mande de garder fidèlement la prom esse
qu'ils ont faite à Dieu de dem eurer vierges. »
Deux servantes m éritent d’être tém oins de cette
apparition; dès le lendem ain, elles se vouent au
service de Dieu. Saint Amateur ne fut pas m artyr,
il vécut au cinquièm e siècle et fut l’un des plus
grands évêques de la célèbre église d’Auxerre. (Act.
S S . Maii. Tom. I, p. 54.)
— 49 —
VII. — L es anges com pagnons des a n a ch o rètes.
Les apparitions des anges ne sont pas m oins fré
quentes dans l’existence des anachorètes que dans
celle des vierges. Ces hom m es tout divins s’en
vont au désert chercher, suivant l’expression de
Bossuet, une profondeur toujours plus profonde
afin de s’y ensevelir tout vivants; ainsi séparés du
com merce des hom m es, ils jouissent de la société
des anges. Leur champ de vision s’est agrandi et
s ’est épuré : les réalités invisibles y ont pris place
sensiblem ent : d’un côté les anges, de l’autre les
démons rem plissent leurs journées et leurs veilles.
Dans les paragraphes précédents, j ’ai dû glaner
çà et là, dans les Bollandistes, les faits si intéres
sants que j ’ai rapportés; ici je trouve tous les élé
m ents de m on travail réunis au cours de la belle
étude que les savants hagiographes consacrent aux
saints anges, à l’occasion de la fête de saint Michel,
et dont j ’ai fait m ention plus haut. {Act. S S. Sept.
Tom. VIII, p. 89 et seq.) Cette revue est pleine d’un
charm e que m es lecteurs, je l’espère, sentiront
vivement.
Commençons par le patriarche des m oines
d'Orient, le grand saint Antoine. Après son célèbre
colloque avec saint Paul, son prem ier erm ite, il le
- oO —
voit qui m onte au ciel blanc comme neige parm i
les cohortes des anges et les chœ urs des patriarches
et des prophètes. Une autre fois, étant assis sur
une montagne, il lève les yeux et aperçoit une âme
qui s’élève de terre, tandis que les anges accourent
à sa rencontre ; il prie pour connaître quelle est
cette âm e; une voix se fait entendre, c'est Vdme du
moine Ammon qui demeurait en Aitrie. Lui-même
est l’objet des attentions des anges, et souvent par
leur m inistère, il est ravi en extase. Voici com m ent
saint Atlianase son biographe nous dépeint sa
sainte m ort. « Ayant fait ses dernières recom m an
dations à ses disciples et les ayant em brassés, il
étendit un peu les pieds et regarda joyeusem ent la
m ort : il était visible à l’hilarité de son visage que
les saints anges étaient venus chercher son âm e;
il les considéra comme on regarde des am is très
chers et rendit l’esprit. »
Saint Paul le simple son disciple n ’a pas les yeux
m oins illum inés : voici une de ses visions. « Un
jour, tandis que les m oines entraient à l’église, le
saint vieillard les voyait défiler le visage rayon
nant et l’âme pleine d’allégresse, et leurs anges
non m oins joyeux leur tenaient compagnie.
Seul l ’un d’eux avait la physionom ie som bre et
le corps enténébré, deux démons lui avaient mis
un frein aux narines et le tiraient de leur côté, son
ange m archait au loin derrière lui tout triste. Après
— 51 —
quelque tem ps, la sortie de l’église eut lieu, le bon
vieillard regardait les frères au visage pour se
rendre compte s’ils s’en allaient tels q u ils étaient
entrés; et il vit celui qui lui était apparu tout noir
sortir de l’église le front clair et le corps éclatant
de blancheur, tandis que les démons étaient rejetés
en arrière, et que son ange l’accompagnait avec des
tressaillem ents de joie. » Que s’était-il passé? à
l’église, l’esprit de com ponction s’était em paré de
lui, il avait pleuré ses péchés et était rentré en
grâce avec Dieu,
Mêmes intuitions pénétrantes chez saint Macairo,
autre disciple de saint Antoine. « 11 voyait l'ange
du Seigneur assister le célébrant à l’autel et joindre
sa main à celle du prêtre dans la distribution du
corps de Jésus-C hrist... Comme il était prêtre lui-
même, il attestait qu’il n'avait jam ais eu à donner
l’oblation sainte à un certain m oine nom m é Marc,
mais qu’un ange la lui apportait directem ent de
l’autel; d’ailleurs de cet ange il ne voyait que les
doigts tenant l’hostie. » L’historien Sozomène
raconte le m êm e trait qui tém oigne de la haute
sainteté de Marc.
« J ’ai connu, dit Palladius en parlant de saint
Jean l’anachorète, un solitaire qui pendant dix ans
ne goûta aucune nourriture terrestre; tous les trois
jours, un ange lui m ettait dans la bouche un alim ent
céleste qui lui tenait lieu de nourriture et de brcu-
vage. » Un autre moine jouissait de la m êm e
faveur. Mais il lui arriva de com m ettre une faute
grave, alors « s’enferm ant dans une caverne, cou
ché sur la cilice et la cendre, il ne se releva pas, il
ne cessa pas de pleurer, ju s q u à ce que la voix d’un
ange se fût fait entendre en songe, et cette voix
disait : Le Seigneur a accepté ta pénitence... les
frères que tu as avertis vont t'apporter des eulogies,
et tu t'en nourriras en rendant grâces à Dieu. » (En
d’autres term es, tu es pardonné, mais ne compte
plus sur une nourriture angélique.)
Le même Palladius assure que saint Apollon son
contem porain recevait égalem ent sa nourriture
d’un ange. Il rapporte de lui les traits suivants : Un
des solitaires vivant sous sa direction est mis en
prison du tem ps de Julien l’Apostat; il va le conso
ler, et on le retient lui-m êm e prisonnier ainsi que
ses compagnons. Soudain pendant la nuit, un ange
apparaît dans le cachot tout rayonnant de lum ière :
les geôliers effrayés ouvrent les portes aux détenus
et les conjurent de sortir. Le tribun de garde, dont
la m aison a été renversée par un trem blem ent de
terre, dont les serviteurs ont été terrassés par des
m ains invisibles, saisi lui-m êm e d’épouvante, ren
voie d e là ville les pieux solitaires; chantant des
hymnes, ils retournent librem ent dans leur désert.
— Une autre fois, c’était Pâques, saint Apollon
vivait avec cinq frères dans une caverne affreuse;
— 53 —
ils n'avaient pour réfection pascale que quelques
pains desséchés et quelques légum es flétris. Le saint
exhorta lts frères à dem ander sim plem ent à Dieu
une nourriture qui convînt un peu m ieux à la fête.
Et voici que la n u it des inconnus déposèrent à
l'entrée de la caverne des provisions de toute
espèce : fruits les plus variés, raisins et oranges
fraîchem ent cueillis, productions exotiques,
rayons de m iel, un grand vase plein de lait tout
écumant, gâteaux et pains sortant du four. Les
frères ne doutèrent pas que ces provisions ne leur
vinssent de la m ain des anges ; ils en m angèrent
avec actions de grâces et en eurent pour jusqu'à la
Pentecôte. (Act. S S . Jan. Tom. I, p. 238-240.)
Saint Pacôme est l’initiateur de la vie cénobiti-
que ; il fonda le monastère, de Tabenne, comme le
raconte son historien, sur l'invitation d'un ange.
« S’étant avancé fort loin dans la solitude, il arriva
au désert nom m é Tabenne. Là s’étant m is en
prière, et dans un élan d’am our de Dieu, la pro
longeant plus qu’à l’ordinaire, lui qui auparavant
n ’avait jam ais eu de visions, entendit une voix
céleste qui lui disait : Arrête-toi ici et construis un
monastère, beaucoup viendront à toi, et tu les con
duiras à Dieu suivant la règle que je te montrerai.
Et aussitôt lui apparut un ange porteur d’une
table sur laquelle était écrite une règle ou forme
de vie, que les religieux de Tabenne n 'o n t cessé
54 —
d’observer. » Sozomène ajoute que bien souvent
dans la suite le saint hom m e eut des colloques avec
les anges. Saint Théodore son cher disciple, en
fut également favorisé.
Les Bollandistes continuent cette énum ération.
Les anges procurent à m anger aux religieux de
saint Alexandre, fondateur de l'Ordre desAcémètes.
Tandis qu’un brave hom m e tire son pain du four,
un personnage m ystérieux se présente inopiné
m ent à lui, et lui dit : Porte ces pains aux serviteurs
de Dieu qui n'ont rien pour se nourrir. — Saint
Sisoës est fréquem m ent visité par les anges; ils
veulent l’em m ener au ciel, m ais il leur demande le
tem ps de faire pénitence. — Saint Siméon Stylite
avait un ange familier dont le visage brillait comme
le soleil; il parut publiquem ent à ses funérailles.
— Saint Euthyme voyait souvent des anges l’assis
ter au saint Sacrifice ; son âme, à la vue de saint
Gérasime son disciple, fut em portée au ciel par une
troupe angélique. — Saint Siméon Stylite le jeune
reçoit des esprits célestes le don des m iracles et la
puissance sur les dém ons; son ange fam ilier
l’avertit du m om ent de sa m ort.
C’est ainsi que les déserts de la Thébaïde et les
laures de l’Orient recevaient la visite des esprits
angéliques. Je vais m ontrer que les saints vivant
dans l’agitation du m onde, n ’étaient pas privés de
leur secours et de leurs consolantes approches, et
55 —
qu'ils ne se déclarèrent pas m oins les protecteurs,
m êm e visibles, des m onastères d’Occident.
VIII. — L es a n g e s t u t é l a ir e s d e s é g l is e s
Les anges sont les aides vigilants et infatigables,
et pour ainsi dire les chevaliers servants de l’Église,
épouse de Jésus-Christ. S'ils tiennent compagnie
avec tant de fam iliarité aux anachorètes dispersés
dans les déserts, c'est qu'ils voient en eux des
sentinelles avancées d elà grande armée chrétienne.
Ils ne délaissent pas pour eux le gros de l’arm ée,
les églises groupées autour de leurs évêques,
l'Église universelle rangée autour du pape. « J ’ai
vu, dit un vieux répons im ité de l’Apocalypse, la
porte de la cité placée à l'O rient, les nom s des
apôtres inscrits sur elle avec le nom de l’Agneau,
et au-dessus des m urs une garde d’anges. » (Brev.
m onast. Dom. III, p. Pasch. in I noct.) Les anges
sont pour l’Église une garde et aussi un cortège.
Ils lui attirent des âm es, ils lui procurent de saints
pontifes, ils offrent à Dieu les prières de ses enfants,
ils la défendent et au besoin la vengent de ses enne
m is. Nous allons les voir exercer ces différents
m inistères, dont le type est dans les pages de l’Écri
ture sainte.
— 56 —
Paulin rapporte le trait suivant dans la vie de
saint Ambroise. « Il y avait à Milan un arien, dis-
p uteur acrimonieux, sectaire inconvertissable à la
foi catholique. Étant entré dans l’église où prê
chait saint Ambroise, il vit, c'est lui-même qui en
rendit témoignage, un ange debout à côté du saint
évêque, et lui soufflant à l’oreille les instructions
qu’il adressait au peuple. Cette vision le convertit,
et il se m it à défendre la foi qu’il s’acharnait précé
dem m ent à attaquer (i). »
Au rapport de saint Nil, saint Jean Chrysostome
était fréquem m ent favorisé de la vue des anges que
Dieu avait constitués les gardiens de son église. Il
les contem plait notam m ent durant l'acte du saint
Sacrifice, et ne pouvait taire à ses intim es l’adm i
ration que lui causait ce spectacle. « Il disait
qu’aussitôt que le prêtre avait mis la m ain à l'obla-
tion sainte, de nom breux esprits ou puissances
angéliques descendaient du ciel, ornés de vête
m ents éblouissants, et pieds nus, les yeux atten
tifs, le visage incliné, rangés autour de l’autel,
assistaient ju sq u 'à la fin du vénérable sacrifice en
grand respect et sans faire aucun m ouvem ent; au
m om ent de la com m union, ils escortaient dans la
nef les évêques, prêtres et diacres qui distribuaient
(1) Ce fa it, a in s i q u e le s s u i v a n t s , e s t tir é d e la b e lle é tu d e
d e s B o lla n d is te s , q u e j ’ai p lu s ie u r s fois m e n tio n n é e . et. SS.,
S e p . T o m . VU, p . 96.)
— 57 —
les saintes espèces, les soutenant et leur donnant
des forces. »
Un phénom ène angélique très rem arquable arriva
pendant l’épiscopat du même saint; le voici tel
qu’il est raconté par l’historien Socrate. Gainas,
roi des Goths ariens, assiégeait Constantinople où
com m andait l'em pereur Àrcadius. La ville était
dégarnie de ses troupes que l’on avait dû envoyer
en Orient. Gainas crut qu’il en viendrait à bout par
un coup de m ain tenté la nuit. Quelle ne fut pas sa
surprise, quand se glissant au pied des rem parts, il
les vit couronnés de guerriers d’une stature gigan
tesque! Il se retira efïrayé. Il voulut revenir à la
charge les nuits suivantes, et se retrouva en face
des mêmes m ystérieux adversaires. Il dut aban
donner son projet. On ne douta pas que ces défen
seurs, inconnus des habitants, n ’aient été des anges.
Ce fait, dans son étrangeté, parait acquis à l’his
toire ; car Sozomène en fait égalem ent m ention.
Si les anges em portent au ciel les âmes des pieux
solitaires, ils rem plissent avec allégresse le m êm e
office vis-à-vis des saints évêques. A la m o rt de
saint Martin éclatent de tous côtés des sym phonies
angéliques ; elles viennent ju sq u ’aux oreilles de son
ami saint Séverin de Cologne. Saint Benoît voit
l’âme de saint Germain de Capoue m onter au ciel
dans un cortège d’anges. Ces bienheureux esprits
convoquent aux obsèques de saint Mélaine, évêque
— 58 —
de Rennes ses collègues des églises voisines, à savoir
saint Aubin d’Angers, saint Victor du Mans, saint
Lo de Coutances, et un saint Mars ou Marc dont le
siège est inconnu. (AcL SS. Jan. Tom. I, p. 332.)
Heureux temps, où les évêques étaient tous des
saints, tous fam iliers avec les anges!
Ceux-ci prenaient leur défense, quand ils étaient
injustem ent attaqués, tém oin le fait suivant arrivé
à saint Sabin, évêque de Canuse en Italie. 11 est
calomnié par ses ennem is. Le pape Félix IV le
m ande à Rome; il y arrive en toute hâte. Mais le
pontife prévenu contre lui le reçoit assez froide
m ent, et lui interdit de m ettre le pied hors du
palais où son procès devait s’ouvrir dès le lende
m ain m atin. On donne à l’évêque une m odeste
cham bre pour y passer la nuit. Vers m inuit, il se
lève et se m et à chanter des psaum es; et voici que
des chœ urs angéliques lui répondent. Les dom es
tiques du palais et le pape lui-m êm e sont éveillés
par cette harm onie céleste. Félix IV accourt à la
cham bre de l’évêque Sabin, il le voit entouré d’une
vive lum ière, il se jette à ses pieds, et lui demande
pardon des préventions qu’il avait trop facilem ent
accueillies contre lui. [AcL S S . Feb. Tom. II,
p. 515.)
Les anges ne furent pas étrangers à l'élection de
saint Grégoire le Grand comme souverain pontife.
On connaît la touchante histoire du pauvre naufragé
— 59 —
qui par trois fois dem ande l’aumône à Grégoire,
alors abbé du m onastère du m ont Cœlius; la troi
sième fois le saint lui donne une écuelle d'argent
qu’il tient de sa mère. Devenu pape, Grégoire a
l’habitude d’entretenir douze pauvres; un jo u r
qu’il entre dans la salle où on leur sert à m anger,
il rem arque un treizièm e convive, et ce convive
reste invisible à to u t autre œil que le sien. Il
pressent un m ystère, il le retient et l’interroge.
« Je suis, lui dit le m ystérieux personnage, un
ange du Seigneur : j ’étais le naufragé à qui tu as
donné une écuelle d’argent : cette action t’a valu
d’être choisi dans les décrets de Dieu pour de
venir le chef de son Église; et tu es confié à
ma garde durant ta vie m ortelle. » Et le pauvre
disparaît. Le fait est rapporté par Jean Diacre, au
teu r du neuvièm e siècle; avec leur insigne réserve,
les Bollandistes n ’osent le donner comme absolu
m ent certain, parce que, disent-ils, l’auteur n ’est
pas contem porain; ils ne veulent pas néanm oins
l’om ettre, car outre qu’il est très célèbre, on m on
tre encore aujourd'hui la salle où le m essager cé
leste fut reçu à la table des pauvres. — La tradition
rom aine m entionne encore au tem ps de saint Gré
goire, l’apparition d’un ange sur le môle d’A drien;
l’esprit céleste, qui tient une épée flamboyante, la
rem et au fourreau pour indiquer la cessation d’une
grande peste qu’obtiennent les processions sup^
— 60 —
pliantes organisées par le saint pape. C’est en
m ém oire de cette apparition m erveilleuse que le
môle d’Adrien s’appela château Saint-Ange, et que
la statue colossale d’un ange fut érigée au-dessus.
Les historiens de saint Grégoire sont m uets sur
cet événem ent, que pour ce m otif la critique hésite
à accepter. N’insistons pas. Il est bon toutefois de
noter ce que saint Grégoire lui-m êm e raconte dans
ses Dialogues : durant la peste en question, on
vit physiquem ent, corporali visn, des flèches qui
du haut du ciel étaient décochées contre la ville de
Rome. Entre ces flèches, indice palpable du fléau,
et l'ange qui rem et l ’épée au fourreau, n ’y. a-t-il
pas un rapport?
Je pourrais continuer, d’après les Bollandistes,
la liste des saints évêques favorisés d’apparitions
angéliques. Saint Cuthbert voit l’âme de saint Aïdan,
son prédécesseur au siège de Lindisfarne, em portée
au ciel par les anges; lui-m êm e est guéri, étant
jeune pâtre, par un rem ède dont ils lui enseignent
la com position; plus tard, hôtelier dans un m onas
tère, il y reçoit un de ces bienheureux esprits sous
la forme d’un passant. — Saint Arige, évêque de
Gap, chante m atines avec un chœ ur angélique, au
m ilieu duquel Probus son clerc familier le surprend.
— Saint Udalric, évêque d’Augsbourg, est étendu
sur son lit de m ort, incapable de se m ouvoir; to u t
à coup il se lève, c’était la fête de saint Jean-
— 6i —
Baptiste, demande ses habits sacerdotaux, et au
grand étonnem ent de son entourage, célèbre deux
fois la sainte m esse; il atteste que deux anges l'ont
soutenu pendant ces fonctions sacrées. — Saint
Léon IX, au m om ent de gagner Rome après
son élection au souverain pontificat, est troublé,
angoissé; tandis qu ’il épanche son âme devant
Dieu, il entend une voix céleste qui lui chante avec
une douceur infinie : Je médite des pensées de paix
et non d9affliction, vous m 9invoquerez et j e vous
exaucerai, et de tous lieux je ramènerai vos captifs.
Grandement consolé, le saint pape part pour Rome,
où il engage pour la liberté de l’Église la grande
lutte dont saint Grégoire VII fut le cham pion vic
torieux.
IX. — L es a p p a r it io n s d e s a in t M ic h e l .
J'ai réservé de traiter, dans un article spécial,
des m anifestations de saint Michel archange, qui,
d’après saint Jérôm e, fut l’ange gardien de la race
d’Abraham, et qui est m aintenant l’ange gardien de
l’Église (I). On le nom m e l’archange : de bons
auteurs estim ent qu’ayant été le chef des anges fidè-
(1) C ette d is s e r ta tio n e s t tir é e d e s B o lla n d is te s. {Act, SS,
S e p t. T o m . V III, p . 38-87.)
4
- 62
les, il est le prince de toute l’armée céleste, et la
liturgie consacre cette appellation. L’Écriture l’ap
pelle l’un des premiers princes ; m ais cette locution,
dans le génie de la langue hébraïque, équivaut à cette
autre le premier d'entre les princes. Saint Michel
serait donc, absolum ent, le prem ier, le plus élevé
de tous les anges.
Son culte rem onte à la plus haute antiquité : les
Grecs disent qu’ils le tiennent directem ent des apô
tres. Il y eut, d’après eux, une apparition de saint
Michel à Chones, en Asie Mineure, qui est l'an
cienne Colosses. Un serviteur de Dieu, nom m é
Archippus, y habitait auprès d’un oratoire dédié à
l’archange, et baptisait de nom breux païens ; les
idolâtres furieux résolurent de ruiner l’oratoire, en
détournant sur lui les eaux d’un petit fleuve; mais
saint Michel vint au secours de son serviteur, il
frappa d’une verge un rocher qui s’ouvrit et englou
tit les flots envahisseurs, et l’oratoire devint plus
célèbre que jam ais.
Ce sanctuaire de Chones n'était pas le seul érigé
en Olûent en l’honneur de celui que les Grecs appel
lent Yarchi-stmiàge des arm ées divines. Constantin
le Grand bàtitune église à saint Michel près de Cons-
tantinople sur la rive européenne; une autre s’éle
vait sur la rive asiatique, puis une troisièm e au
Bosphore; puis on com pta, dans la ville im périale
et aux alentours, ju sq u ’à quinze ou tout au m oins
— 63 —
quatorze sanctuaires dédiés au glorieux archange.
En Occident, le foyer du culte rendu à saint
Michel est le fameux sanctuaire du m ont Gargan,
situé au bord de la mer, dans l’Apulie, aujourd’hui
la Capitanate. Son origine rem onte à une apparition
de l’archange, qui eut lieu, d’après la supputation
très m inutieuse des Bollandistes, de l’an 520 à l’an
530 de l’ère chrétienne. Elle est honorée publique
m ent dans toute l’Église par une fête qui se célèbre
le huit mai. Elle est racontée comme il suit dans
la légende du bréviaire. « Des bergers, à la recher
che d’un taureau égaré, le trouvèrent arrêté à l’en
trée d'une caverne sur le m ont Gargan. L’un d’eux lui
tira une flèche, qui, repoussée par une m ain invi
sible, s’en vint retom ber sur l’archer. A ce prodige,
les bergers furent saisis d’une grande crainte, et ils
n ’osèrent approcher de la caverne. Les habitants
de Siponte, ville placée au pied de la m ontagne,
consultèrent leur évêque au sujet de cet événement.
Cet évêque, (qui était un saint Laurent) déclara
qu’il fallait dem ander à Dieu, par un triduum de
jeûnes et de prières, de m anifester plus clairem ent
ses volontés. Au bout de trois jours, l’archange
saint Michel apparaissant à l’évêque, l’avertit que
le lieu m arqué par l’événem ent était placé sous sa
garde, et qu’il voulait qu’un culte y fût rendu à
Dieu avec m ém oire de lui-m ém e et des anges.
L’évêque, entouré des habitants, prit le chem in de
— G4 —
la caverne. Il la trouva conformée à la ressem blance
d’un temple, il n ’hésita pas à y célébrer Toffice
divin, et de nom breux m iracles la rendirent illus
tre dans tout l’univers. Peu après, le pape Boniface,
le trois des ides d’octobre, dédia à Rome, dans le
grand cirque, une église à saint Michel; et c’est en ce
jo u r que l’Église fait la fête de tous les saints
anges. » Il serait trop long de feuilleter les annales
du m ont Gargan : nous y trouverions relatées,
parm i d’innom brables m iracles, plusieurs appari
tions de saint Michel et des saints anges; l’em pe
reu r saint Henri m érita notam m ent d’en avoir une
qui est racontée tout au long dans sa vie. (.Act. SS.
Jul. Tom. III, p. 725.)
J ’arrive à la célèbre apparition de saint Michel,
qui a donné naissance à notre sanctuaire fameux
des côtes norm andes, élevé au som m et de l’îlot
rocheux du m ont Tumba, autrem ent dit le m ont
Saint-Michel en péril de m er. Elle eut lieu au com
m encem ent du huitièm e siècle ; elle offre de la
ressem blance avec celle du m ontGargan. L’archange
apparaît en songe par trois fois à saint Aubert, évê
que d’Avrancbes, et l’avertit de lui bâtir un sanc
tuaire sur le m ont Tumba, qui dresse au m ilieu des
flots ses falaises escarpées. Il lut déclare de plus
qu’il trouvera les fondem ents de l’église indiqués
et comme dessinés par les piétinem ents d’un jeune
taureau, qui s'est trouvé chassé et relégué sur l’ilot
— 65 —
désert. Saint Aubert se rendit à la som m ation de
l’archange, et au lieu m arqué, il lui éleva une église
qui devint le but d’un pèlerinage fameux au m oyen
âge. Un m onastère y fut juxtaposé. L’église brûla
au dixième siècle, et fut rebâtie avec plus de
magnificence encore. A cette occasion, on raconte
que la nuit de la fête de saint Michel une colonne
de feu parut pénétrer dans l’église reconstruite :
c’était l’archange qui sous un tel symbole prenait
authentiquem ent possession de son nouveau sanc
tuaire. Trois fois encore il fut brûlé; il ressuscita
de ses cendres, une quatrièm e lois, sous la forme
qu’on lui voit aujourd’h u i; et chacun sait com bien
est étrange et puissante la végétation gothique
d’arceaux, de baies et de clochetons, qui étrein t et
surm onte, en l’honneur de saint Michel, le vieux
m ont Tumba en péril de m er.
Je conviens volontiers que les apparitions de
l’archange à saint Laurent de Siponte, comme
celles dont saint Aubert fut l’objet, peuvent avoir
été imaginatives, et non proprem ent physiques. Il
me semble qu’il n ’y a pas lieu à épiloguer sur cette
question, quand on considère l’im m ense m ouve
m ent de piété envers saint Michel qui s’en est suivi.
Évidem m ent il y a eu m anifestation du glorieux
archange ; soit au m ont Gargan, soit au m ontTum ba,
il a pris contact, et d’une façon perm anente, avec
nos églises occidentales.
4 *
— 66 —
À la suite de ces deux événem ents capitaux, les
savants hagiographes relatent les principales
apparitions de saint Michel aux saints de divers
âges. Ils citent en prem ière ligne saint Martin dont
le prince de la milice céleste reçut l'âme sortant de
son corps; ils racontent à cette occasion les nom
breuses visites que font les anges pendant sa vie-au
grand thaum aturge, le rassuran t dans ses troubles
de conscience, l'enhardissant à paraître devant
l'em pereur Valentinien, l'instruisant de ce qui se
passe au loin, se m ontrant à lui casqués et arm és
en guerriers pour lui prêter main-forte dans la des
truction d’un tem ple païen, le soignant alors qu'il
s'est blessé et brisé les m em bres dans une chute;
bref les anges le traitent comme u n frère, en atten
dant que saint Michel lui ouvre le paradis. Il l’ou
vre également, d’après Grégoire de Tours, à l’âme
de la bienheureuse Disciola, nièce de saint Sauve
d’Albi, dont il réconforte l'agonie avec sa bénédic
tion. Il vient visiter saint W ilfrid, archevêque
d’York gravement malade à Meaux en France, et qui
n ’attend plus que la m ort, et lui annonce de la part de
Dieu, qu'il lui est encore accordé quinze années de
vie; il lui recom mande de bâtir une église à la
sainte Vierge qui lui a im pétré cette prolongation
inespérée d'existence. Le glorieux archange prête
main-forte à saint Jean de Réomai qui exorcise une
possédée, enchaîne le démon qui la tourm ente, et
— 67 —
le force à quitter la place. Sous l'aspect d'un jeune
guerrier qui brandit un glaive, il délivre le bienheu
reux Bernard Toîoméi des infestations des dém ons,
qui la nuit viennent ruiner les m urs en construc
tion de son m onastère. Il se m ontre au bienheureux
Ferdinand de Portugal avec la croix d’une m ain et
de l’autre une balance, et le console dans la dure
prison où il gém it en pays infidèle.
Arrêtons-nous en cette énum ération. Mais com-
m entoublier l'intervention de saintM ichelen faveur
de notre France, quand il suscite Jeanne d’Arc pour
voler à la délivrance de ses provinces envahies par
l’Anglais? Jeanne d’Arc, jeune pastourelle entend
des voix; elle est visitée, comme il convient à une
vierge, par sainte Marguerite et sainte Catherine ;
m ais aussi, future guerrière, elle est anim ée d’un
souffle héroïque par saint Michel, le prince des
célestes m ilices, et par les anges, ces soldats de
Dieu. Écoutons comment en son langage naïf, lim
pide et robuste, elle raconte leurs approches. « Je
l’ai vu, lui saint Michel et les anges, aussi clairem ent
que je vous vois vous m es juges, et je crois d’une
foi aussi ferme ce qu’il a dit et fait que je crois à la
passion et à la m ort de Jésus-Chrisfc Notre-Seigneur.
Il me disait avant tout que je devais être une bonne
enfant. lim e racontait la grande pitié qui était au
royaum e de France, et com m ent je devais me
hâter d’aller secourir m on roi... »
— 68 —
N’est-il pas ravissant ce colloque de l’archange
avec la pastourelle? Dira-t-on que Jeanne d’Arc
est une visionnaire? Ce n ’est pas une vision creuse
que celle qui transform e une fille des cham ps en
héroïne capable de com m ander les arm ées! La
Pucelle va ju sq u ’au bout de sa m ission avec une
im perturbable confiance; elle délivre Orléans, elle
fait sacrer le roi à Reims ; ce que lui a dit saint
Michel s'accom plit à la lettre. L’épée invisible de
l'archange a flamboyé autour de Jeanne. Bientôt,
de son îlot des côtes norm andes, où il a pris pied sur
notre sol et conclu une alliance avec notre patrie,
saint Michel verra les rivages m êm es de la France
purgés de leurs envahisseurs.
X . — L es anges pro tecteu rs d es m o n a stèr es.
Il nous faut revenir en arrière. J ’ai m ontré plus
haut com m ent les anges étaient les com pagnons et
souvent les nourriciers des anachorètes au fond
des déserts. Je ne puis om ettre les traits de leur
assistance et de leur protection vis-à-vis des saints
m oines. Car cette protection, toujours invisible et
effective, s’est déclarée souvent d’une m anière
palpable sur les m onastères, nés de la règle et de
l’esprit de saint Benoit, qui ont germé au m oyen
— 69 —
âge sur tous les points de l’Europe comme autant
de foyers de prière, de science sacrée, et de civili
sation chrétienne (1).
Saint Benoît, à n ’en pas douter, était familier
avec les visions angéliques, comme on Ta vu par
celle dont il fut favorisé à la m ort de saint Ger
m ain de Capoue. Marc son disciple, dans le poème
qu’il a consacré à sa m ém oire, rapporte qu’en
allant de Subiaco vers le m ont Cassin, il était
escorté, tandis que trois corbeaux voletaient
devant lui. par deux guides m ystérieux que l’on
tient avoir été des anges. Dans une grande famine
qui dévasta la Campanie, des m ains inconnues, au
m om ent où les vivres com m ençaient à m anquer
au m onastère, déposèrent au seuil deux cents
m esures d’excellent from ent.
Saint Grégoire, qui rapporte ce dernier fait dans
ses Dialogues, y relate plusieurs touchants épisodes
d’interventions angéliques. Au décès de saint
Ëtienne, abbé de ftîéti, plusieurs virent de leurs
yeux entrer dans sa cellule une troupe d’anges;
et ceux-là m êm e qui ne les virent pas se sentirent
saisis d’une religieuse terreur. Même phénom ène
se produit à deux reprises, à la précieuse m o rt de
sainte Romula : la seconde fois les anges form ent
deux chœurs, comme si des hom m es et des femmes
(1) T o u s c e s f a its s o n t ti r é s s a u f in d ic a tio n s p é c ia le , d e
l'é tu d e p r é c ité e d e s B o lla n d is te s.
— 70 —
alternaient les louanges de Dieu. Vers la m êm e
époque, saint Hilaire, abbé de Galéati, jouit de la
familiarité d’un ange qui lui indique l'em placem ent
où il doit construire un m onastère, le protège
contre les fureurs du roi Théodoric, et finalement
l'invite aux joies célestes.
Les rudes m oines bretons conversent égalem ent
avec les esprits angéliques. Saint Gongall est en
voyage, il arrive à la porte d’un certain Bégan, et
il voit les anges aller et venir sur le toit de sa
dem eure. Il soupçonne un m ystère, et se fait p ré
senter les enfants de la m aison; parm i eux se
trouve un élu de Dieu, il s'appelle Cronan, on
l'emploie à la garde des troupeaux. Saint Congall
l’emmène au m onastère de Benchor. S’étant formé
à cette sainte école, Cronan devenu grand, fonde
lui-même un m onastère ; le prince du pays où il s’est
établi veut le chasser à m ain arm ée; m ais en
approchant de la retraite de l’homme de Dieu, il
voit des anges planant au-dessus des arbres qui la
couvrent; il s’arrête interdit, et loin de m olester
Cronan, il lui assigne une ample dotation dans ses
domaines. {Act. S S . Jan. Tom. I, p. 47-48.)
Au huitièm e siècle, m eurt en Toscane saint Val-
frid, abbé de Monteverde. Les anges font entendre,
pendant tout le tem ps de ses obsèques, une harm o
nieuse psalm odie; elle frappe l'oreille des bergers
qui paissent les troupeaux dans la cam pagne; elle
— 71 —
se répercute à trente m illes du monastère. — Saint
Meinrad, fondateur d’Einsiedeln, est un jo u r assailli
par une telle m ultitude de dém ons, qu’ils obscur
cissent la lum ière, et font autour de lui une nuit
ténébreuse; il prie et voit une clarté poindre du
côté de l’Orient, c’est un ange qui s’approche de lui e t
le délivre. Une autre fois un moine d’Auge qui
rend visite au saint erm ite voit un enfant de sept ans
d’une m erveilleuse beauté pénétrer dans sa cellule;
cet enfant se m et à prier avec Meinrad, l’entretient
de diverses choses, puis disparait.
Venons-en à nos grands abbés du m oyen âge.
Saint Mafeul de Cluny tombe aux m ains des Sarra
sins; la nuit, ces barbares entendent des voix
mélodieuses reprendre la psalmodie, dont leur
captif donne l’intonation; touchés de ce prodige,
plusieurs se convertissent. Une autre fois, durant
un voyage du saint abbé, son cheval est arrêté par
la m ain d’un ange, au m om ent où il va donner de
la tête, étant assoupi, contre un arbre penché au
travers de la route. La vie de saint Hugues, l’un de
ses successeurs, contient cette anecdote charm ante.
Un jour, il dit à des m oines qui étaient avec lui,
en leur désignant un enfant : « Pourquoi m ’avez-
vous amené cet enfant? — Mais il n ’y a pas d’enfant
ici, répondirent-ils. — Comment, reprit le saint
abbé, vous ne voyez pas ce bel en fan t?— Nous ne
Voyons aucun enfant. » Le saint alors com prit
— 72 —
qu’il y avait là quelque m ystère et se tut. Cet enfant,
observe son biographe, était sans doute son ange
gardien qui lui apparaissait visiblement. (Act. SS.
Tom. III, p. 650.)
L’Italie m onastique nous présente les m êm es
gracieux et touchants phénom ènes. Saint Jean de
Pulsano, voj^ageant avec quelques m oines, voit l’un
d’eux disparaître dans un gouffre; il se m et en
prière ; aussitôt un ange se m ontre, et, fendant l’air
com m e un oiseau, plonge dans l’abîme béant, d’où
il retire le moine sain et sauf. « Remercie, lui dit-
il, l’abbé Jean qui t ’a valu ta délivrance. » Saint
Jean Gualbert voit son ange gardien sous la forme
d'un jeune hom m e : croyant avoir affaire à un m or
tel, il s’informe auprès de ses religieux si on a offert
à m anger à ce frère étranger. A l'étonnem ent des
m oines présents qui n ’ont rien vu, il reconnaît
qu’il a reçu la visite d’un esprit céleste. Curieuse
est l’anecdote suivante tirée de la vie de saint Guil
laum e de Mont-Vierge. Jean de Nusco, l’historien
de sa vie, s’était rendu à son erm itage. Au m ilieu
de la nuit, il voit descendre du ciel vers l’hum ble
réduit où le saint vaquait à la prière, deux grands
oiseaux de la taille des hérons, blancs et splendides,
jetan t une telle lum ière que la m ontagne en fut
éclairée; ils pénètrent dans la cellule de l’hom m e
de Dieu, et dem eurent longtem ps auprès de lui.
Le lendem ain, Jean interrogea le saint sur cette
— 73 —
étrange visite. Guillaume se contenta de lui répon
dre : « Ya en paix, m on fils, ce que tu as m érité de
voir par la grâce de Dieu, tu ne le verras plus
désorm ais. »
J ’arrive à notre saint Bernard. Le Grand Exovde
de Cîteanæ nous apprend com bien il était coutu-
m ierdes visions angéliques. Elles frappaient notam
m ent ses yeux quand il était au chœ ur entouré de
ses m oines, infatigable chorège des louanges divi
nes. Pendant m atines, il voyait des anges assistant
chacun de ses religieux, et recueillant sur un
registre, sténographes m ystérieux, chaque note de
leur psalmodie : seulem ent les uns traçaient des
lettres d’or, les autres des lettres d’argent, ceux-ci
écrivaient à l’encre, ceux-là trem paient leur plum e
dans de l’eau incolore,, quelques-uns m êm e res
taient sans écrire, selon l'état respectif de ferveur
ou de tiédeur des choristes. — Une autre fois, au
m om ent où l’on entonnait le Te D emi à m atines,
le saint abbé vit les anges en m ouvem ent dans le
chœur comme un essaim de m ystiques abeilles,
allant d’une rangée à l’autre des stalles, et excitant
les m oines à chanter avec dévotion et allégresse
l’hym ne séraphique. — Heureux tem ps, heureux
m onastère, où, selon l’expression de saint Bernard
lui-m êm e, le ciel était plus proche, l'atm osphère
plus transparente, Dieu plus familier! (Exord. Cist.
Dist. II. 3, 4.)
5
— 74 —
Saint Bernard est, on le sait, le grand prédica
teu r de la seconde croisade. Elle ne réussit pas
comme on l’avait espéré, la faute en fut à l’incon-
duite de certains croisés; le Saint abbé fut pénétré
de chagrin de cet insuccès. Dieu le consola de
diverses m anières; il lui fit savoir que beaucoup
d ’àmes avaient été sauvées au cours de l ’expédition.
Elle fut m arquée d’un fait prodigieux, raconté
comme il suit par Guillaume de Tyr et reproduit
comme très digne de foi par Baronius. Le voici
textuellem ent :
« C’était en l’an 1146. L’armée des croisés était
engagée sans guide en des lieux périlleux, quand
soudain un guerrier étranger m ontant un blanc
coursier, portant u n rouge étendard, casqué et
cuirassé, les bras nus ju sq u ’au coude, prit la tète
de la colonne en m arche. Il la guida par des che
m ins de traverse, la conduisit à des sources igno
rées, lui procura des cam pem ents commodes et
bien distribués. Et il arriva ainsi q u e n trois jours
l’arm ée parvint à Gadara, alors que cinq jo u rs ne
suffisaient pas auparavant pour ne fournir qu’une
partie du chem in... Personne, ajoute Guillaume,
ne connaissait ce guide. Dès qu’on arrivait au carm
pem ent, il s’éclipsait, et le lendem ain m atin il
reparaissait à la tète des troupes. Il est inouï qu’une
pareille expédition, par des chem ins sem blables,
en pays ennem i, ait pu s’achever sans pertes et
— 75 —
désastres. » Baronius n ’hésite pas à prononcer que
le guide providentiel et si m ystérieux ne pouvait
être qu’un ange.
Ainsi les anges ne veillaient pas seulem ent sur
les m onastères, m ais sur les arm ées chrétiennes.
Ils entouraient aussi de leur sollicitude quasi
m aternelle les hum bles et les petits, tém oin leur
intervention en ce même xn° siècle auprès de saint
Isidore le laboureur. Ce saint hom m e était aux
gages d’un m aître, auquel on rapporta m alicieuse
m ent qu’ilnégligeaitlesoindeses champs. Le m aître
voulut s’assurer par ses yeux si le fait était exact;
il se rendit à l’im proviste, là où Isidore était
occupé au labour. Et il vit, à sa grande surprise,
l’attelage du saint encadré de deux autres attelages
de bœufs tout blancs conduits par des inconnus;
et tous trois poussaient l'ouvrage avec une grande
vigueur. Soudain les deux attelages adjoints dispa
rurent, et il ne resta plus que le saint tout seul
conduisant ses bœufs. Le m aître dem eura stu p é
fait, il com prit qu’il y avait là un fait d’ordre surna
turel, et plus que jam ais donna toute sa confiance
à son saint intendant. D'après une très vieille
peinture, la femme d'Isidore, sainte elle-même,
eût été tém oin du prodige. Saint Isidore est le
patron de la ville de Madrid; les Bollandistes décla
ren t que ses actes ont tous les caractères d’une
parfaite authenticité. La scène si chTarmante du
— 76 —
saint laboureur, poussant la charrue entre deux
anges qui labourent avec lui, a tenté le pinceau des
peintres qui l'ont justem ent popularisée.
XI. — L e s a n g e s e t l e s s a in t s d u xm e s iè c l e .
Je reprends ici strictem ent avec les Bollandistes
l'ordre chronologique, duquel je me suis écarté
pour classer sous diverses dénom inations, qui ont
certainem ent leur intérêt, les phénom ènes angé
liques recueillis dans les siècles antérieurs. Comme
précédem m ent, les savants hagiographes seront la
principale source et la caution des faits que je m ets
en avant.
Tout au com m encem ent du xm° siècle, vivait en
Belgique sainte Marie d’Oignies. Elle eut pour histo
rien le cardinal Jacques de Vitry, qui la connut inti
m em ent, et qui dit d’elle : « Il ne se passa presque
pas de jour et de n u it qu’elle n 'ait été visitée par
les anges et les saints qui faisaient son habituelle
conversation. » Ils la charm aient par une douce
m usique durant ses repas qu’elle prenait au pain et
à l’eau, ou durant ses insom nies. Elle jouissait habi
tuellem ent de la vue de son ange gardien, qui exi
geait qu’elle p rit un peu de repos et qui l’éveillait à
l’heure de la prière; elle lui obéissait en to u t
— 77 —
comme à son abbé. Sa contem poraine, la bienheu
reuse Yvette, recluse à Hui, dont Hugues de Flo-
reffe écrivit la m erveilleuse vie, fut également en
grande familiarité avec les anges. De même la
vierge cistercienne Ida de Louvain; elle est com-
m uniée par une m ain angélique. Semblable faveur
est accordée à sainte Lutgarde, qui est une autre
parure de Tordre de Cîteaux.
L’ordre des frères-prêclieurs est appelé à bon
droit Tordre angélique, en raison de la blanche
livrée que lui donna la sainte Vierge. La vie de
saint Dominique, son glorieux fondateur, renferm e
plusieurs traits ravissants, dénotant un com m erce
habituel avec les esprits célestes. Un prem ier trait
se réfère au séjour du saint à Rome. « Il était allé
visiter les sœ urs de Saint-Sixte; il se faisait tard,
il se m it en devoir de rentrer à son couvent de
Sainte-Sabine sur TAventin. On voulut le retenir,
m ais il dit : Le Seigneur veut que je m ’en aille, il
nous enverra son ange. Prenant avec lui frère Tan-
crède et frère Odon, il sortit. A la porte, ils trou
vèrent un très beau jeune hom m e, en tenue de
route, un bâton à la m ain, qui se m it à m archer
devant eux. Le saint fit passer ses compagnons
entre leur guide et lui-m èm e, en sorte qu’il m ar
chait le dernier. Ils arrivèrent au couvent dont les
portes étaient closes. Le jeune hom m e se dirigea
vers l’un des battants de la porte principale qui
— 78 —
s’ouvxûtde lui-m êm e; il entra, introduisit les deux
frères et le saint, ressortit et la porte se trouva
close comme précédem m ent. Frère Tancrède inter
rogea le saint : Quel est ce jeune homme qui nous
a accompagnés ? Le saint répondit : Mon fils> c’est
un ange que Dieu a envoyé ù notre garde. »
Un second trait nous m ontre le saint dans ses
courses apostoliques, et séjournant chez l’évêque
de Faenza (1). « Lorsqu'il se levait avec son com
pagnon pour chanter m atines, on constata ù
plusieurs reprises que deux jeunes hom m es d’une
grande beauté s'approchaient de leur cham bre avec
des flambeaux allum és, et les conduisaient tous
deux hors du palais épiscopal dont les portes
dem euraient closes, puis revenaient au bout de
quelque tem ps. Le fait fut rapporté à l'évêque, qui
voulut s’en rendre compte par ses propres yeux.
Ayant vu les deux jeunes porteurs de flambeaux
qui accom pagnaient le saint dehors, il alla le
m atin trouver son hôte, et avec un grand respect
lui demanda quels étaient ces jeunes gens qui
l’escortaient la nuit. Le saint parut ne pas com
prendre. Enfin, pressé par l’évêque, il lui déclara
que c'étaient des anges, et que le lieu où ils le con
duisaient chaque m atin était une certaine église
(1) Ce fa it n 'e s t p a s r e la té p a r u n a u t e u r a b s o lu m e n t c o n
te m p o r a in , c o m m e l’e s t le p r é c é d e n t; to u te fo is il e s t si
p r é c is e t s i in té r e s s a n t, q u e j e n 'a i p a s c r u d e v o ir l 'o m e t t r e .
— 79 —
de Saint-André située dans les vignes, où il avait
su par révélation que devait s’élever un couvent de
son ordre. Profondém ent touché, l’évêque se hâta
de lui concéder cette église pour faire ériger à côté
d’elle un couvent. »
Nul doute que saint Dominique n’ait eu durant
sa vie bien d’autres rapports avec les anges, qui
sont restés inconnus. Un ange lui annonce sa
précieuse m ort en lui disant : Viens, mon bien-
aimé, viens aux joies éternelles.
L’un de ses prem iers successeurs comme m aître
général des frères-prôcheurs, saint Raymond de
Pennafort, était, dit son historien, si fam ilier avec
les anges, à cause de sa grande pureté et sainteté,
que l’un de ces bienheureux esprits venait souvent
l’éveiller quand était arrivée l’heure de la prière.
Personne n ’ignore la grâce insigne conférée à
saint Thomas d’Aquin par le m inistère des anges.
Il venait de repousser une m alheureuse qui avait
tendu des em bûches à sa chasteté ; il avait prié Dieu
avec larmes de le préserver à tout jam ais du vice
im pur; il s’était endorm i. Durant son som m eil, il
vit deux anges qui lui serraient les reins d’une
ceinture, en l’assurant que sa prière était exaucée.
Or, la douleur qu’il ressentit à ce m om ent fut si
vive qu’il poussa de grands cris. Il confia plus tard
à frère Raynald son compagnon la faveur qu’il avait
reçue; et près de m ourir, il déclara à son confes
— 80 —
seur la m erveilleuse im m unité dont Dieu l’avait
gratifié. En elle-même, la vision paraît avoir été
imaginative ; mais l’action exercée par les anges fut
incontestablem ent physique, puisque le saint
tém oigna par de hauts cris la douleur qu’il res
sentait.
Le séraphique saint François fut un grand ami
des anges. D’après les chroniques franciscaines, u n
m ystérieux étranger déclara à sa mère qu’elle ne le
m ettrait au m onde que dans une étable; puis,
quand il fut né, un m endiant non moins énigm a
tique le prit des bras de sa nourrice et annonça ses
hautes destinées. Donnant sous réserve ces deux
traits légendaires, je m ’arrête à deux faits capitaux
qui dom inent la vie du patriarche d ’Assise : la con
cession de l’indulgence de la Portioncule et
l ’im pression des stigm ates, dans lesquels intervient
le m inistère des anges. {Act. S S . Oct. Tom. II,
p. 557-558.)
A six cents pas d’Assise se trouvait une petite
église appelée Notre-Dame des Anges; on disait y
avoir souvent entendu des concerts angéliques.
Elle était presque ruinée, au m om ent oh François
com m ençait sa vie nouvelle d’absolue pauvreté; il
la répara de ses propres m ains. Elle lui devint très
chère ; les bénédictins du Mont-Subasio, auxquels
elle appartenait, l’abandonnèrent au sublim e Pove-
rello, avec le domaine exigu, porlioncula, qui
— 81 —
Tenlourait. Une nuit, saint François reçut un aver
tissem ent céleste de s’y rendre; il y trouva Notre-
Seigneur et Notre-Dame entourés d une m ultitude
d'anges qui couvraient les cham ps d’alentour. C’est
alors que le Sauveur du m onde invita son serviteur
à lui dem ander quelque grâce : et le saint im plora
de sa divine bonté l’indulgence dite de la Portion-
cule qui fut ratifiée par les souverains pontifes.
L’apparition m iraculeuse, qui y donna naissance,
a été consignée dans des relations très graves, et
a pris place dans les offices de l’Église. Les Bollan-
disles la considèrent comme incontestable, dans la
longue et savante dissertation qu’ils lui consacrent.
(.Loco citato, p. 879-919.)
Il faut en dire autant de l’im pression des stig
m ates sur le m ont Alverne. Le fait lui-môme est
placé sous la haute et solennelle garantie de
l’Église, puisqu’elle a institué une fête pour en
célébrer la m ém oire. La m anière dont il s’est
accompli n ’est pas m oins déterm inée avec préci
sion. Ainsi que l’a raconté saint Bonaventure
reproduisant des relations antérieures, le saint
priant en haut de la m ontagne, vit descendre du
ciel et s’arrêter à quelque distance de lui dans les
airs un séraphin qui sem blait cloué à une croix; il
avait six ailes de flamme, dont deux se dressaient
au-dessus de sa tête, deux palpitaient à ses côtés,
et deux couvraient ses pieds. Tandis que l ’homme
5.
— 82
séraphique contem ple cette vision, le cœ ur navré
de douleur et d’am our, il reçoit les sacrés stig
m ates à ses pieds, à ses m ains et à son côté. Le
séraphin crucifié les lui a gravés en traits brûlants ;
et il redescend lui-m êm e de la m ontagne comme
un crucifix vivant. {Loco citato, p. 048-652.)
Les faits angéliques abondent dans la postérité
spirituelle de ce grand saint; il est im possible
môme de les m entionner rapidem ent. — Saint
Bonaventure, encore jeune, reçoit la com m union
de la m ain des anges. — La vie de sainte Margue
rite de Cortone, écrite par son confesseur, offre
une suite presque ininterrom pue d’apparitions
angéliques; qu’il suffise d’en citer une. La nu it
précédant la fête de sainte Claire, un ange ayant
six ailes, apparut à l’héroïque pénitente et lui donna
sa bénédiction; celle-ci produisit dans son âme un
tel incendie d’am our, qu'un rire d ’allégresse écla
tait malgré elle sur ses lèvres, et ce phénom ène se
reproduisit plusieurs fois dans la nuit. Plus tard
m êm e, la sainte ne pouvait songer à cette vision
sans en ressentir tes merveilleux effets p ar une
hilarité qu elle ne pouvait contenir. — La bienheu
reuse Humiliane de Cerchis, Florentine, veuve du
tiers ordre, était éclairée la nu it par un ange, et ilia
nourrit une fois d’un pain tout blanc et odori
férant.
Je term ine cette revue du xni® siècle par un trait
— 83 —
tiré de la vie de saint Philippe Béniti, propagateur
de l'ordre des Servîtes. En l’un de ses voyages,
étant avec quatre compagnons dans les âpres forêts
des Alpes, il perd sa route, il erre pendant trois
jo u rs et à la fin il succombe d’épuisem ent et de
fatigue. Il se m et en prière; soudain des voix
hum aines se font entendre. Deux hom m es se pré
sentent costum és en bergers, m ais faisant paraître
sur leur visage et dans leurs paroles une am énité
qui contraste avec la rudesse d’un berger de la
montagne. Ils font entrer saint Philippe et ses
compagnons sous un toit rustique, et ils leur ser
vent des m ets sim ples m ais bien préparés, des
pains éclatants de blancheur et d’un goût exquis et
une boisson rafraîchissante. Les religieux se res
taurent en rendant grâces à Dieu. Les deux bergers
les rem ettent ensuite dans leur chemin. Quand le
saint veut les rem ercier, il se trouve qu'ils ont
disparu. Il dem eura persuadé qu’il avait eu affaire
à des anges du Seigneur.
XII. — L es anges e t l e s s a in t s d u x iv e s iè c l e
Au seuil du quatorzièm e siècle, nous trouvons le
candide et vraim ent angélique saint Nicolas de
Tolentino; des Erm ites de Saint-Augustin. Ses
— 8-4 —
parents soupirent après une postérité qui a été ju s
qu’alors refusée à leurs vœux : un ange les avertit
de faire un pèlerinage au tombeau de saint Nicolas ;
ils y vont, et obtiennent de Dieu l’enfant de béné
diction qui reproduit les vertus et la puissance
thaum aturgique de son patron le grand évêque de
Myre. Les démons s’acharnent contre lui, les anges
le consolent. Six m ois avant son précieux décès,
chaque nuit, avant l’heure de m atines, il entend
des oreilles de son corps, corporalibas auribus, un
concert angélique d’une harm onie exquise : et il en
est si délecté qu’il s’écrie : Je désire la dissolution
de mon corps pour être avec Jésus-Christ.
Aprèslui se présente le grand saint breton, le sou
tien et l’avocat des pauvres, saint Yves de Tréguier.
Voici ce que dépose un tém oin dans son procès de
canonisation. « Gomme j ’étais à table avec le sei
gneur Yves en sa m aison de la Ville-Martin, un
pauvre guenilleuxet repoussant se présenta; m aître
Yves le fit asseoir en face de lui et manger dans son
assiette même. S’étant restauré, le pauvre se leva,
et nous dit en breton : Adieu, le Seigneur soit avec
vous! A ce m om ent, il apparut aux yeux de m aître
Yves tout transfiguré et tout éclatant de blancheur.
Maître Yves me ü t rem arquer ce changem ent, tel
que la maison en devint resplendissante ; il ne vou
lu t plus ce jour-là se m ettre à table; il se prit, en ma
présence, à pleurer à chaudes larm es, en disant : Je
— 85 —
ne puis en douter, un messager du ciel nous a rendu
visite. » li ne parait pas que le tém oin ait constaté
de ses y e u x la transform ation du pauvre; m ais il
vit, et pendant un tem ps assez long, le pauvre lui-
m êm e.
Aux portes de Florence, à Varlungo, se trouve
un m onastère de religieuses Vallom brosiennes,
dans lequel on vénère le corps de sainte Humilité
leu r fondatrice. Elle était m ariée; du consentem ent
de son mari, elle entra dans un m onastère auprès
de Faenza. Là elle édifia les sœ urs; m ais l'E sprit
de Dieu la sollicitait à em brasser une vie plus soli
taire et plus rigide. Elle ne savait com m ent sortir
de la clôture où elle était étroitem ent gardée, quand
une nuit elle entendit une voix qui lui disait :
Humilité, lève-toi et suis-moi. Elle se leva : une
m ain invisible la conduisait, lui fit franchir un m ur
très élevé, ouvrit devant elle la porte extérieure du
couvent, la soutint m archant sur les eaux d 'u n
petit fleuve. Elle était libre, grâce à l'assistance
physique d'un ange. Plusieurs fois durant la vie,
elle éprouva cette mêm e assistance, par des secours
inespérés qu’aucune m ain hum aine n ’eût pu lui
procurer d’une m anière aussi prom pte.
Gracieux et touchant est le trait raconté du bien
heureux Pilingotti, tertiaire franciscain. « Au
m om ent où son âme très pure allait quitter son
corps, un très bel oiseau inconnu, éclatant de blan
— 86 —
cheur, se m it à voleter autour de son visage. Une
des personnes qui étaient là s'efforça de le chasser,
m ais inutilem ent, et on dem eura convaincu que,
sous la forme de cet oiseau, l’ange gardien du bien
heureux m ourant attendait son àme pourlaconduire
au ciel. »
Le bienheureux Raymond de Capoue, le célèbre
confesseur de sainte Catherine de Sienne, m aître
général des frêres-prêcheurs, atteste, dans la vie
qu'il écrivit de sainte Agnès de Mont-Politien d’après
les relations les plus authentiques, que cette sainte
reçut la com m union de la m ain d’un ange durant
dix dim anches de suite.
Tous ceux qui sont tant soit peu versés dans la
vie des saints connaissent sainte Christine de
Stumbel, dite Vadmirable. Autant de fois elle est
harcelée, battue, m ise à mal par les démons, autant
de fois elle est secourue, consolée, guérie par les
anges. Elle jo u it souvent de leur vue, et entend
leurs exhortations suaves et efficaces; parfois elle
est soulagée physiquem ent par eux, m ais sans les
voir.
Les Bollandistes se contentent de m entionner
dans leur étude la bienheureuse Oringa, vierge en
Toscane. Ils n ’ont rien à objecter contre sa vie, qu’a
écrite le grand historiographe des saints toscans
Silvano Razzi, sinon qu’elle n ’estpas contemporaine.
Elle contient plusieurs traits de protection angéli
— 87 —
que; sous cette réserve, il est perm is de les citer.
Un jo u r qu’elle se dirigeait vers l’hôpital d’Alt opasso
à la tombée de la nuit, u n dém on déguisé en cava
lier qui m ontait un cheval indom pté lui barra le
chem in; m ais deux anges lui apparaissant, dissi
pèrent Thorrible fantôme. Elle se rend enpèlerinage
au Mont-Gargan avec quelques pieuses com pagnes ;
des hom m es pervers se préparent à ravir aux voya
geuses leurs habits et leur honneur, et les guettent
la nuit au passage d ’une foret; l’archange saint
Michel lui-môme, costum é en diacre, se m ontre à
Oringa et l’avertit du danger. Bien plus il se fait le
guide des pèlerines, les conduit à une fontaine, et
leur offre des m ets exquis pour leur réfection. {Act.
S S . Jan. Tom. I, p. 651.)
Avecles savants hagiographes, je transcrisle récit
suivant, extrait de la vie du bienheureux francis
cain Jean de Ferm o. Il eut pendant trois m ois, pour
précepteur et m aître, un ange du Seigneur, qui lui
com m uniqua l’intelligence des saintes Écritures.
Mais là ne se bornèrent pas ses rapports avec les
anges, dont voici un épisode. Un jo u r qu’il venait
de célébrer sur l’Alvernia la fête de saint Michel,
au m om ent où tout enivré de pieuses m éditations
il sortait de l’église, un joueur de guitare parut
auprès de lui et tira de son instrum ent une si dou
ce mélodie, que le bienheureux sans une assistance
divine, en eût perdu l'usage de ses sens. Poussant
— 88 —
un grand cri, bondissant d’allégresse dans le Sei
gneur, il se m it à courir vers sa cellule en rem on
tant la montagne ; qu’il courût, qu’il m archât ou
s’arrêtât, le joueur de guitare ne quittait pas son
côté. Quand frère Jean arriva à sa cellule, il se
prosterna éperdu d’am our devant son crucifix;
alors le m usicien se m it à accélérer son rythm e
avec une prestesse de main prodigieuse, comme
font les exécutants qui term inent un m orceau, et
il disparut. Le bienheureux passa toute la nuit sui
vante en prière, en rendant grâces à Dieu et à ses
anges de la consolation qu ’il avait reçue.
La fin du quatorzièm e siècle est embellie par la
glorieuse sainte Catherine dè Sienne. Il lui arrivait
souvent de voir, pendant l’acte du saint Sacrifice,
des anges qui tenaient un voile d’or et des cierges
allumés. Quand elle m ourut, un ange, sous la form e
d’un bel enfant de huit à dix ans, apparut à une
pieuse dame, et lui m ontra l’âme de la séraphique
vierge qui, couronnée d’un triple diadème, était
présentée à Notre-Seigneur et à sa sainte Mère.
(Act. SS. Apr. Tom. III, p. 944-935.)
XIII. — L es a n g e s e t l e s s a in t s d u x v ° s i è c l e .
Le quinzième siècle si troublé, si agité, nous offre
une abondance extraordinaire de m anifestations
— 89 —
angéliques. Pour sainteLidwine, pour sainte Colette,
pour la bienheureuse Véronique de Binaseo, pour
sainte Françoise Romaine surtout, ces m anifesta
tions ne sont pas interm ittentes, m ais continuelles;
elles form ent vraim ent la tram e de leur m erveil
leuse existence. Est-il perm is de risq u er cette con
jecture? En un temps où les vrais prêtres, les prê
tres instruits des voies de Dieu, sont rares, les
anges sem blent se m ultiplier pour les suppléer
auprès des âmes appelées à des hauteurs extraordi
naires de sainteté.
Les saints d’ailleurs ne furent pas étrangers à
ces faveurs angéliques. La tradition de Tordre des
Minimes est que saint Michel lui-m êm e com m uni
qua à saint François de Paule la règle, et lui rem it
Técusson de son ordre. Dans son procès de cano
nisation, il est raconté qu’un certain personnage,
étant irrité contre lui, vint le trouver dans sa cel
lule pour lui faire des reproches; mais, en m ontant
les degrés, qui y conduisaient, son oreille fut frappée
et ravie de chants et de mélodies très suaves; toute
sa colère tom ba, et il sollicita hum blem ent l'am itié
du saint. — Le grand prédicateur saint Vincent
Ferrier élait assisté par les anges, tandis qu’il lan
çait aux foules ses paroles de flamme; il fut donné
à beaucoup de personnes, atteste son historien,
de les voir descendre du ciel et planer au-dessus de
lui sous l’hum ble apparence hupaaine. — Denis le
— 90 —
Chartreux voyait les religieux de son ordre escortés
par les anges à leur retour du chœur. — Les esp rits
angéliques firent entendre de m erveilleux concerts
à la m ort de saint Laurent Justinien, patriarche de
Venise.
Mais je reviens aux diverses saintes que j ’ai citées
plus haut, et qui nous offrent une si riche m oisson
de faits angéliques.
Sainte Lidwine, par les m ystérieuses et inces
santes douleurs qu’elle endura toute sa vie, fut une
victime clouée à la croix pour les péchés de son
siècle. La nature a besoin d’être soutenue en un
si âpre et si long m artyre. Le secours vint à Lidwine,
au moins pour la partie sensible de l’âme, des esprits
célestes. Elle vivaitfam ilièrem entavecsonange gar
dien; il répandait parfois une clarté à éclipser mille
soleils ; d’autres fois cette clarté était m oins éblouis
sante, m ais il portait toujours une croix sur le front
pour ne pas être confondu avec un démon se transfî-
gurantenange de lum ière (1). La sainte ne le perdait
de vue, que s’il lui arrivait de recevoir la visite de
personnes peu chastes et honnêtes, ou si elle-même
com m ettait de ces fautes que seul l’œil de Dieu ou
des anges peut surprendre; m ais alors elle se con
fessait à son ange et reprenait sa familiarité avec
lui. Il la faisait sortir d’elle-mème et voyager en
(1) Elle obtint un jour qu’une île ses confidentes pût jouir
de la vue de son ange.
— 91 —
divers lieux et notam m ent en Terre-Sainte. Durant
ce tem ps, son corps restait inanim é et comme m ort
dans son lit; et toutefois il souffrait de ces rapts
m ystérieux, il était tout brisé de fatigue, et même
il arriva qu’il fut contusionné et blessé comme s’il
eût fait réellem ent tous ces voyages. L’ange disait à
Lidwine qu’elle était ravie en corps comme en
âme. Cestrès curieux phénom ènes, dûm entattestés,
se recom m andent à l’attention des écrivains
m ystiques et physiologistes.
La bienheureuse Véronique de Binasco, vierge
milanaise de l’ordre de Saint-Augustin, jouit, sinon
toujours, du m oins presque journellem ent de la
vue d’un ange. Il lui apparaît pour la retenir de se
cacher dans un désert, en l’assurant que ce n ’est
pas la volonté de Dieu; depuis lors, elle est en rap
port assidu avec lui. Il lui apprend à dire son office
suivant le rit rom ain, car elle était de Milan où l’on
suit le rit am brosien; il lui m arque les feuillets
avec des cordelettes en guise de signets, et m aintes
fois récite l’office avec elle. Il lan o u rrit durant sesjeû-
nes, en lui donnant un petit pain tout blanc qui sous
son mince volume la sustente m erveilleusem ent;
comme elle priait pour la guérison d’une amie
malade, l’esprit céleste lui apporte un double pain ;
elle en donne un à son amie qui en mange et y trouve
la santé. Une fois l’ange infligea à la bienheureuse
une réprim ande pour un m ouvem ent de curiosité
— 92 —
auquel elle s’était laissée aller pendant la m esse;
elle en fut si terrifiée qu’elle pensa m ourir, et que
durant trois jours elle ne fit que pleurer. Elle
décrit ainsi cet ange : « 11 était si brillant de
lum ière qu’il me servait de flambeau durant la
nuit, et que je ne pouvais le fixer et m e rassasier
de ses traits àloisir, ilavait au front une petite corne,
une étole pendait à son cou, à ses épaules étaient
attachées des ailes comme les peintres ont cou
tume d’en donner aux esprits angéliques. » Un
jo u r, il apporta la com m union à la servante du
Seigneur.
L’illustre sainte Colette n ’eut peut-être pas des
relations aussi continuelles avec un ange spéciale
m ent désigné. Il n ’est pas douteux que les esprits
célestes lui soient venus très souvent en aide. Non
seulem ent ils la protégeaient elle-même, m ais elle
les voyait qui couvraient de leur présence tuté-
laire les personnes qui lui étaient chères, et ils
présentaient à Dieu les prières qu’elle lui adressait
pour ces personnes amies. Durant ses m aladies, les
anges relayaient les sœ urs dans les services que
réclam ait son état, ils la servaient avec respect
comme étantl’épouse de leur Roi. Au m om ent de sa
m ort, dans tous les couvents de son ordre où floris-
sait l’exacte pauvreté, des concerts angéliques aver
tirent les sœurs du départ pour le ciel de leur sainte
Mère, et l’on entendit une voix annonçant formel
— 93 —
lem ent qu’elle était m ontée vers le céleste Époux.
Une personne de haute vertu vit une nuée d’anges
em porter son âme au paradis.
Mentionnons en passant sainte Catherine de
Bologne qui, assistant à la m esse, entend les anges
qui chantent le Sanctus, et qui aurait trépassé de
joie si le chant eût été prolongé tant soit peu; et
la bienheureuse Marie de Maillé, recevant parm i ses
pauvres un inconnu m ystérieux qui ne pouvait être
qu’un ange. Les Bollandistes relatent ces deux
traits.
Avec eux, je réserve pour la fin sainte Françoise
Romaine. Sa caractéristique est la présence conti
nuelle d’un ange à ses côtés. Elle est représentée
ainsi dans sa grande statue m onum entale qui figure
à Saint-Pierre de Rome. Bans l’oraison de sa fête,
l ’Église rem ercie Dieu de ce que, parm i d’autres
dons de la grâce, il l’a gratifiée d’un com m erce
fam ilier avec un ange, et demande, par ses m érites et
so n in tercessio n ,q u esesen fan tsen tren tu n jo u rd an s
la société des anges. Il est im possible de trouver
une plus formelle déclaration, que l’Église a cru et
croit à l’intervention visible d'un ange dans la vie
de sainte Françoise Romaine. Et pourtant cet ange
est resté invisible à tous autres yeux qu’aux siens.
Mais sainte Françoise a déclaré d ’une m anière si
affirmative à son confesseur qu’un ange était sans
cesse à ses côtés, elle a détaillé d’une m anière si
— 94 —
précise les services qu’il lui rendait, que l’Église
jugeant la sainte saine d'esprit et grandem ent éclai
rée de Dieu, s’est rendue à son témoignage et a
refusé de croire à une hallucination dont elle aurait
été obsédée. Une hallucination n ’éelaire pas, ne con
sole pas, ne fortifie pas ; or, l’ange familier com m u
niquait à sainte Françoise de pénétrantes lum ières,
l’inondait de consolations divines, lui infusait de
surnaturelles énergies.
Mais entrons dans le détail de l’assistance des
anges vis-à-vis de cette sainte. Car, outre son ange
gardien, elle en eut trois successivem ent qui rem
plirent vis-à-vis d'elle différents offices. Ils corres
pondent à ces trois phases de la vie spirituelle
q u ’on nom m e, dans le langage m ystique, la phase
purgative, la phase illum inative et la phase unitive.
Ce ne sont pas des dénom inations arbitraires; elles
m arquent trois états d’âme nettem ent caractérisés.
Pour parvenir à l’union divine, l’âme a besoin pre
m ièrem ent d’être purifiée, secondem ent d’être éclai
rée ; elle ne s’élève au troisièm e degré qu’autant
qu’elle a franchi heureusem ent les deux pre
m iers.
Sainte Françoise eut donc tout d’abord un ange
correcteur. Il resta invisible, m ais il m arquait sa
présence par des coups et soufflets qu’il infligeait
à Françoise, soit qu'elle fût seule, soit m êm e q u elle
se trouvât en société. Et s’il corrigeait ainsi l’inno
— 95 —
cente brebis de Dieu, c’était pour des fautes bien
légères : parce qu’elle n ’osait pas révéler à son
confesseur les secrètes faveurs dont Dieu la com
blait, ou parce qu’elle craignait de s’opposer à une
conversation tenue en sa présence où la vanité avait
trop de part. Qu’on n ’aille pas d’ailleurs s’im agi
ner une pluie de soufflets tom bant sur Françoise ; ces
corrections furent relativem ent rares, m ais l’ange,
q u ’on me pardonne cette expression, n ’y allait pas
de main m orte.
Après*Fange correcteur, vint l’ange illum inateur.
Celui-là était continuellem ent visible. Françoise le
reçut de Dieu en des circonstances bien touchan
tes : elle avait perdu un innocent enfant nom m é
Évangéliste; une nuit, ce bienheureux enfant lui
apparut, et lui présenta un ange lequel devait
désorm ais se tenir à ses côtés. C’était un ange du
second chœ ur céleste, à savoir un archange; il
représentait par sa taille un enfant de neuf ans, l’àge
d’Ëvangéliste dont il tenait la place près de sa
m ère ; il portait la tunicelle des sous-diacres; il était
si rayonnant qu’à peine laissait-il voir ses traits,
toutefois Françoise était adm ise à les contem pler
quand elle parlait de lui à son père spirituel ou
bien quand elle était aux prises avec les démons.
Le saint archange la soutenait alors en lui décou
vrant son visage, et si l'assaut devenait plus furieux,
il secouait sa blonde chevelure, et les étincelles
— 96 —
qui en jaillissaient chassaient les esprits infernaux.
Si la sainte avait commis quelque im perceptible
faute, il éveillait sa conscience en disparaissant
quelques instants; il ne la frappa jam ais, com m ent
l’eût-il frappée puisqu’il lui tenait lieu de son
enfant? Françoise parfois indiquait à ses intim es
am ies la présence de son compagnon céleste, en
faisant m ine de lui poser sa m ain sur la tète.
A. cet ange succéda l’ange de la période unitive.
Il p rit place aux côtés de Françoise, alors qu'après
la m ort de son m ari elle entra, pour y consom m er
sa vie sainte, au m onastère fondé par elle de la
Tour des Miroirs, Il était du quatrièm e chœ ur, le
prem ier de Ja seconde hiérarchie céleste, qu’on
nom m e le chœur des Puissances ; il jetait un rayon
nem ent plus intense que le prem ier, et son vête
m ent était la dalm atique des diacres; il chassait
les démons, non plus en secouant sa chevelure,
m ais par la seule fixité de son regard’. Ce nouveau
com pagnon céleste tenait dans sa m ain gauche
trois petits rameaux d’or, pareils à ceux du pal
m ier; et de la m ain droite il tirait des feuilles de
ces ram eaux une sorte de soie qu’il enroulait
autour de son cou et dont il faisait des pelotes; et
jam ais il n ’interrom pait cette occupation. Trois
ans après sa venue, le 15 août 1439, sept m ois
environ avant la m ort de la sainte, il com m ença
u n autre genre de travail. « Comme l’artiste qui
— 97 —
prélude, dit un récent historien de la sainte, tend
ses cordes sur la cithare, ran g e dont la splendeur
était éblouissante parut tendre et fixer sur un
m étier les fils d’or tirés des trois palm es. Puis
d’une voix infinim ent douce et suave, il dit à la
sainte : « Voici que je vais tisser trois sortes de
toiles : l’une de cent filets dans sa tram e, l’autre de
soixante, la trosièm e de trente. » Par laquelle para
bole, l ’ange faisait allusion aux fruits, et diverses
perfections des trois états de la sainte : virginité,
mariage, viduité. Q uautau nom bre de filets, 490,
il correspondait exactem ent au nom bre de jo u rs
que la bienheureuse devait encore passer sur la
terre. C’était en quelque sorte la vie de Françoise
que l'ange tissait sous ses yeux, et chaque jo u r la
navette d’or courait plus légère entre les fils
dorés (1). »
Quand la sainte fut sur le point de m ourir, il se
tenait au chevet de son lit, et m ettait une rapidité
extraordinaire à achever sa dernière toile. Elle
m orte, tout était fini; et il em porta son âme au
paradis, pour la présenter à Dieu avec les m érites
de sa vie sainte qu’il avait si persévéram m ent
recueillis et ourdis.
Sainte Françoise eut encore la vision d’autres
anges; ainsi ce fut l’archange Raphaël qui l’accom-
(1) Sainte Françoise Romaine, par M111* la comtesse de
tiambuteau, p. 277.
6
— 98 —
pagna et la réconforta dans sa terrible descente aux
abîmes infernaux. On peut donc dire qu’aucune
existence ne fut plus traversée que la sienne par
l’entrelacem ent des deux m ondes angélique et
diabolique. Ce qui se produisit visiblem ent autour
d’elle se reproduit, quoique dans une proportion
plus restreinte et d’une m anière invisible, dans
l’existence de tout chrétien.
XIV. — L es a n g e s e t l e s sa in t s du x v ic s iè c l e .
Le seizième siècle est dominé par la captivante
physionom ie de sainte Thérèse; l’Église entière est
m ystiquem ent éclairée par la lampe que porte
l’illustre vierge, allant au-devant de l ’Époux
céleste. Par l’élévation de son âme, elle dom ine les
phénom ènes m ystiques dont elle est le sujet, d’une
vue perçante elle les pénètre, elle les juge, elle les
classe; et quiconque veut parcourir ce domaine
réservé doit se m ettre à son école.
A-t-elle vu les ahges comme elle a vu physique
m ent les démons? L’extrait suivant de sa vie répon
dra. (Act. S S . Oct. Tom. VII, p. 171.)
« Le Seigneur a voulu que plusieurs fois j ’aie vu
un ange se tenir auprès de moi à m on côté gauche
sous une forme corporelle. Cela m ’est arrivé très
— 99 —
peu souvent, bien que par ailleurs les anges m aintes
fois m ’apparaissent, m ais je ne les vois pas à la
m anière de la vision dont je parle. Le Seigneur a
voulu que cet ange se présentât à moi sous l’aspect
suivant : il n ’était pas grand, m ais petit et d’une
très rare beauté, son visage était si enflammé et
brûlant qu'il paraissait être de ces anges, les
prem iers et les plus élevés de tous, qui sont
tout em brasés de flamme ; ce sont ceux-là sans
doute qu’on appelle les Séraphins (1); ils ne me
disent pas leurs nom s, m ais je vois dans le
ciel entre tel et tel ange, entre ceux-ci et
ceux-là, une si grande différence que je ne puis
l’exprim er en paroles. Or je voyais que cet ange
tenait à la m ain un dard en or de forme allongée,
ayant à son extrém ité une petite flamme, et de ce
dard il perçait m on cœur ju sq u ’à ses fibres intim es,
et paraissait quand il le retirait em porter au bout
quelques parcelles de chair : ce qu’ayant fait,
il m e laissa toute palpitante et brûlante d’un
im m ense am our de Dieu. La douleur était si vive,
qu’elle me forçait à m ’exhaler en gém issem ents et
en exclamations ; m ais la suavité qui accompagnait
cette douleur était si excessive, que je n ’eusse pas
voulu en être soulagée, ne souhaitant alors en
m on âme d’autre volupté et délectation que Dieu
(1) La traduction latine les S éraph in s. L'original porte :
les Chérubins.
— 100 —
lui-m êm e. La souffrance dont je parle est spiri
tuelle, non corporelle, quoique le corps n ’y soit
pas étranger, m ais au contraire la sent on ne peut
plus vivement. »
Tel est le célèbre récit de la transverbération du
cœ ur de sainte Thérèse par un Séraphin, qu’a
reproduit à Sainte-Marie de la Victoire le ciseau de
Bernini. La sainte dit qu’elle a vu l’ange sous une
form e corporelle, à son côté gauche : il semble
qu’il s’agisse bien d’une vision physique. Elle con
clut en déclarant que la douleur qu’elle ressentit
fut spirituelle, non corporelle, quoique le corps y
ait eu sa part et m êm e d’une m anière très aiguë.
Ces dernières paroles sem bleraient jeter un doute
sur la réalité de la transverbération et par suite de
l’apparition; m ais ce doute a été résolu par l'in s
pection du cœ ur de la séraphique vierge faite après
sa m ort. On le trouva réellem ent percé et déchiré
au som m et par une plaie tracée horizontalem ent,
très large et très profonde, dont les lèvres portent
des traces très perceptibles m aintenant encore de
brûlure. Le cœ ur étant conservé à Avila dans un
reliquaire de cristal, des m illiers de pèlerins ont
constaté et constatent encore la m ystérieuse
déchirure (1). L’Église en autorisant une fête dite
(1) Voir un opuscule très cuiieux, Les Merveilles du
cœ u r de sain te Thérèse, traduit de l’italien par l’abbé
Marie-Joseph, prêtre, tertiaire du Caimel. — H. Oudin, 1882.
— iOi —
de la transverbéraiion du cœur de sainte Thérèse,
en a im plicitem ent ratifié la réalité.
La transverbération étant reconnue comme
réelle, l'apparition doit l'être aussi, et môme d’une
réalité extérieure et physique. Les Bollandistes
objectent à cette conclusion un passage du Châ
teau de l'âme(sixième dem eure, ch. ix), où la sainte
traite des visions im aginaires et corporelles, et se
récuse d’en avoir eu de cette dernière sorte. Mais
il faut rem arquer qu’en cet endroit, bien qu’elle
semble généraliser, elle parle déterm iném ent de
l’hum anité sacrée de Notre-Seigneur. Malgré le
passage allégué, et l’autorité de l’hagiographe qui
le com m ente, je persiste à penser que le Séraphin
est apparu physiquem ent, puisqu'il a percé physi
quem ent le cœur de sainte Thérèse, et que d’ail
leurs elle dit l'avoir vu à son côté gauche sous une
form e corporelle.
Au com m encem ent du siècle où fleurit sainte
Thérèse, vécurent plusieurs saintes religieuses
qui eurent de touchants rapports avec les anges.
Les Bollandistes citent les bienheureuses Osanna
de Mantoue et Colombe de Rièti, tertiaires domi
nicaines. La prem ière, à l’âge de six ans, voit un
ange qui l’exhorte à garder son cœur pour Dieu et
pour le ciel. Plus tard un ange l'aide à porter la
charge d’eau écrasante pour ses faibles épaules,
que, par esprit de m ortification, elle va puiser au
6.
102 —
fleuve. La seconde est annoncée à sa naissance
par des chants angéliques; un m atin, c’était la
fête de saint Jean-Baptiste, elledésiraitcom m unier,
u n ange la fait entrer dans l’église et l’en fait sor
tir les portes closes.
La vie de Jean de Dieu, si rem arquable par les
infestations diaboliques dont elle est sillonnée,
l ’est peut-être encore plus par les secours angé
liques dont elle est fortifiée. Citons quelques-uns
de ces traits d’une saveur vraim ent exquise. Un
m atin, le saint dut aller puiser de l’eau fort loin
pour le service de son hôpital : quelle n’est pas
sa surprise au retour de trouver les cham bres
balayées, les lits faits, les ustensiles de ménage net
toyés! Il questionna les malades qui tous, tout d'une
voix, lui répondirent que c’était lui-m êm e, et per
sonne autre, qui avait à son habitude fait le ménage
m atinal. Alors le saint, com prenant le m ystère,
dit à ses chers malades : « Le bon Dieu, m es
frères, aime bien les pauvres, puisqu'il envoie ses
anges pour les servir (1). » Il reconnut par là qu’un
ange avait pris ses traits et fait son ouvrage : ce
qui prouve que parfois les esprits angéliques sont
les auteurs des bilocations que l’on rencontre dans
(1) D'autres fois la bilocation ne parait pas comporter
cette explication. Jean de Dieu ne sait pas qu’il est en deux
places. Or il arriye le plus ordinairement que le saint a
conscience de sa bilocation, donc il y est personnellement pour
quelque chose, dans quelle mesure?
— 103 —
la vie des saints. L’historien de saint Jean de
Dieu estim e que l’ange dont il est ici question,
n'était autre que l’ange des guérisons m ystérieuses,
l’archange Raphaël.
En une autre circonstance, Jean de Dieu avait
chargé sur ses épaules un pauvre qui n ’avait pas
la force de se traîner ju sq u ’à l’hôpital; il portait
de plus un sac plein d’aum ônes; il m archa p en
dant quelque tem ps avec entrain, m ais, à un
m om ent donné, rom pu de fatigue, il tom ba en
pleine rue sous son double fardeau. A ce m êm e
m om ent, un habitant de la ville, s’approchant de
la fenêtre (c’était pendant une nuit froide et plu
vieuse), entendit le bon saint qui s’accablait lui-
m êm e de reproches. Puis tout à coup, ô prodige î
il aperçut un hom m e d'une grande beauté, qui
s’offrit à rem ettre le pauvre sur les épaules de
Jean de Dieu, et qui prenant la main de celui-ci
comme pour lui servir de guide, lui dit : « Frère
Jean, Dieu m ’a envoyé près de toi pour te venir en
aide. C'est moi qui suis chargé de noter soigneuse
m ent sur un registre tout ce que tu fais pour l’amour
de Dieu en faveur des pauvres. — Si je fais quelque
chose de bien, rep rit hum blem ent le saint, c’est
Dieu qui me donne de le faire. Mais vous, mon frère,
qui donc êtes-vous? — Je suis, reprit l’inconnu,
l’archange Raphaël que le Seigneur a spécialem ent
député à ta garde et à celle de tes compagnons. »
— 104 —
Quelques jo u rs après, le saint faisait une distri
bution de secours aux indigents; le pain vint à
m anquer. Aussitôt parut, à la vue de beaucoup de
ceux qui étaient présents, l’archange Raphaël,
vêtu d’un costum e semblable à celui de Jean de
Dieu, et porteur d’une corbeille pleine de pains.
Le saint le reconnut pour être celui qui l’avait
relevé de sa chute nocturne; l’archange lui dit
am icalem ent : « Frère Jean, nous som m es du
même ordre, reçois ces pains que Dieu t'envoie
p o u r tes pauvres. » Et il disparut, laissant le bon
saint tout consolé. L’historien de sa vie conclut :
c’est ainsi q u u n sayon grossier couvre parfois les
hom m es qui sont les égaux des anges.
D’autres fois Jean de Dieu se trouva éclairé la
nuit par une lum ière m iraculeuse; deux flambeaux,
que le vent soufflant en tem pête ne put éteindre,
m archèrent devant lui à la descente d’une m onta
gne, où les ténèbres l’avaient surpris ram assant du
bois pour les pauvres. A sa précieuse m ort, l’ar
change Raphaël se tenait près de son lit, avec saint
Jean l’Évangéliste et la sainte Vierge elle-même. Sans
doute aussi que d’autres anges ou saints étaient là.
Car les dom estiques entendirent un bruit de pas
nom breux, dans son hum ble cellule, comme de gens
qui en sortaient. Ils y pénétrèrent, le saint était
m ort, mais une odeur paradisiaque rem plissait le
réduit de l’am i,de l’ange des malades et des pauvres.
— iOo —
La vie de saint Philippe de Néri n ’offre guère
m oins de doux et touchants phénom ènes angéli
ques; m ais je me vois contraint d'en abréger le
récit. — Une nuit qu’il portait une discrète aum ône
à un pauvre honteux, il tomba, sans doute par un
coup du diable, dans une fosse profonde; m ais à
l’instant m êm e il se sentit saisi aux cheveux et
ram ené sur le bord par une m ain invisible. Lui-
m êm e aim ait à rapporter ce fait à la gloire de Dieu
et des bons anges. Un jour, un pauvre lui demanda
l ’aumône, le saint lui vide sa bourse dans la m ain :
Je voulais voir ce que tu ferais, lui dit l’inconnu,
et il s’évanouit à ses yeux. — En une circonstance,
le saint, qui était malade, demande un peu d’eau
de citron à son infirm ier, celui-ci cherche vaine
m ent du sucre pour en tem pérer l’acidité; un
jeune homme se présente et lui en rem et un pain
tout blanc; la potion est préparée; le saint la boit
et peu après il est guéri. — Philippe, hom m e
angélique, entend souvent chanter les anges ; il les
voit qui assistent saint Camille de Lellis et son
compagnon au chevet des malades, et leur suggè
ren t les exhortations à faire aux m ourants pour les
disposer au dernier passage,
Cueillons encore quelques traits en ce seizième
siècle si riche en faits de sainteté. Sainte Marie
Madeleine de Pazzi contem ple les anges qui em m è
nent une âme au ciel ; elle les voit qui défendent les
— 106 —
religieuses attaquées par les démons. — Les angé
liques saints de la Compagnie de Jésus, Louis de
Gonzague et Stanislas Kostka, sont en rapport avec
les esprits célestes. Le prem ier étant à Madrid, est
appelé à la Compagnie de Jésus par une voix
m ystérieuse. Tandis qu’il se trouvait au noviciat, une
disette d’argent s’y fitsen tir;u n in c o n n u se p ré sen ta ,
rem it au directeur la somm e requise aux besoins
de la com m unauté et s’évanouit. On tint pour cer
tain que c’était un ange; quand une m aison a des
novices comme saint Louis, le fait n ’a rien qui
puisse surprendre. Quant à saint Stanislas, il est
constant qu’à deux reprises il reçut la com m union
de la m ain des anges : la prem ière fois à Vienne,
en Autriche, quand tom bé malade dans la m aison
d’un hérétique et se croyant près de m ourir, il se
voyait refuser l’accès d’un p rêtre; la seconde fois,
quand il gagnait Rome à pied pour entrer dans la
Compagnie de Jésus. Les leçons de son office
m entionnent expressém ent cette double merveille,
et l’oraison dite secrète de sa messe y fait claire
m ent allusion.
XV. — L es a n g e s e t l e s sa in t s d u x v ii0 s iè c l e .
Au com m encem ent du dix-septièm e siècle s’épa
nouit à Lima la vierge péruvienne sainte Rose, du
— 107 —
tiers ordre de Sain t-Domini que, que l’Église appelle
la prem ière fleur de sainteté de l’Amérique m éri
dionale. Ses rapports avec les anges furent
mis en telle lum ière par son procès de canonisa
tion, que Clément X s’exprime ainsi à son sujet
dans la Bulle par laquelle il la fait m onter sur les
autels.
« Dieu envoya son ange, qui m archait devant
Rose, qui la gardait visiblem ent, pour l’introduire
au lieu qu’il lui avait préparé. Elle avait avec lui
une familiarité si confiante, que non seulem ent
c’était pour elle un ami très cher, mais encore un
m essager et un interm édiaire, chaque fois que
l’Époux céleste tardait à se m ontrer. Une nuit
qu’elle se sentait défaillir, elle l’envoya chez la
dame Maria d’Uzatégui, avec la com m ission de lui
dire qu’elle avait besoin de tel rem ède; la pieuse
dame, avertie par fange, se hâta de le lui envoyer
par un serviteur; la m ère de Rose fut tém oin du
prodige, dont sa fille lui donna l’explication par
obéissance-. Une autre fois l’ange fam ilier la
ram ena, de la cellule de son jardin à la dem eure
m aternelle, saine et sauve, en ouvrant les portes
devant elle. D’autres anges encore reçurent l’ordre
de Dieu de veiller sur cette vierge : grâce à ses
prières, ils protégèrent un certain religieux dans
un voyage plein de dangers, puis ils parurent
l'abandonner parce que lui-m êm e n ’était plus en
— 108 —
de bonnes dispositions; comme à son retour il se
plaignait à Rose de cet abandon, elle lui en dit le
m otif et entra en des détails si intim es qu'évidem
m ent, à une telle distance, elle n ’avait pu en être
inform ée que par un ange ou par le Seigneur lui-
m êm e. »
Il faut que les faits allégués aient été bien patents
et bien prouvés pour prendre ainsi place dans une
Bulle de canonisation. Je regrette de ne pouvoir les
donner tout au long sous leur forme naïve. Il n ’est
pas dit que Rose voit son ange, quand elle le prie
d’aller trouver Maria d'Uzatégui; mais il est néces
saire d’adm ettre qu'il s'est fait voir ou tout du
m oins entendre à cette pieuse amie, peut-être cou-
tum iùre de semblables messages. Quand l ’esprit
céleste vient la chercher dans la cellule du jardin,
elle le voit se glisser pareil à une ombre blanche et
agile, qui la précède, puis arrivée à la m aison de
Rose, s ’évanouit à ses yeux.
La vie de saint François Solano, l'apôtre du
Pérou, contient un trait touchant de l’assistance
des anges. Son m inistère l’avait appelé au chevet
d’une pieuse femme qui allait m ourir : tout à coup
il vit son visage prendre une expression rayon
nante, il lui demanda ce qui venait de lui arriver.
Elle répondit qu’elle venait de jouir de l’aspect
consolant de son ange gardien, qu’il lui avait
annoncé de la p art de Dieu que ses péchés lui
— 109 —
étaient pardonnés, que sous peu elle m ourrait et
serait transportée par lui au séjour de la béatitude,
A peine avait-elle fini de parler, quelle rendit sua
vem ent le dernier soupir.
L'extatique saint Joseph de Copertino vivait dans
la société des anges. Ils se m ontraient souvent à
ses regards ; ilattesta un jo u r qu’il les voyait m onter
et descendre au-dessus de la sainte m aison de
Lorette, et à cette vue il fut enlevé par un de ces
rapts extatiques dont il était coutum ier. Au
m om ent où il entrait à Assise, une insigne servante
de Dieu le vit escorté de deux anges; elle sut par
révélation que saint Joseph avait reçu pour gar
dien un ange d’un chœ ur supérieur. Quoi
qu’il en soit, le saint avait pour cet ange une telle
vénération, et sentait si vivem ent sa présence,
qu’il n ’entrait jam ais dans sa cellule sans rav o ir
hum blem ent prié d’en franchir le seuil le prem ier.
Ici s’arrête la revue si intéressante tracée par les
Bollandistes. J ’ai été heureux de la suivre, sans
m ’y attacher servilem ent, l'abrégeant sur plusieurs,
points, la com plétant sur d’autres, et me reportant
aux sources pour saisir les faits signalés dans leur
cadre respectif. J ’espère pouvoir continuer et pour
suivre jusqu’à nos jours cette étude sur les bien
faits et assistances angéliques. Ainsi le dix-septième
siècle me fournira encore les faits suivants.
Je cueille l’anecdote charm ante que voici dans la
1
— no —
vie de saint Pierre Fourier. Il réunit quelques b o n n e s
fille s pour fonder la Congrégation de Notre-Dame.
Elles avaient toutes grande bonne volonté; mais
leur initiation à la vie religieuse offrait certaines
difficultés pratiques auxquelles se heurtait la fer
veur de leurs désirs. Ainsi elles avaient peine à
arriver à une récitation correcte du bréviaire; les
rubriques n ’entraient pas aisém ent dans leurs têtes.
« Or, un jo u r que la dame du Fresnel leur en don
nait une leçon dans son jardin, un to u t je u n e
hom m e d’une beauté radieuse, d’environ quatorze
ans, survint comme par hasard; il s’approcha, se
joignit à elles, se m it à leur expliquer le bréviaire,
àleréciter avec elles. A m esure que l’enfant parlait,
les difficultés s’évanouissaient ; etdepuis ce jo u r elles
coururent dans ce chem in auparavant si pénible*
Dieu, ajoute l’auteur, envoyait bien son ange à la
jeune Agar et à son petit Ismaël pour leur procurer
dans le désert, une eau rafraîchissante (I).» Pour
quoi n ’aurait-il pas envoyé un ange à ses hum bles
servantes, pour leur rem ettre en m ain la clé des
prières liturgiques?
Les petits Bollandis tes racontent, comme il suit,
les rapports très touchants qu’eut avec les esprits
angéliques la vénérable Benoîte de Laus, cette ber
gère si aimée dq la Reine du ciel et si outrageuse-
(1) Vie du B. P ie r re Fourier, par l'abbé Chapia. Tom. 1,
p. 141.
— 111 —
m ent persécutée par les démons. » Quelquefois
tandis qu'elle allait la nuit, m algré les ténèbres, le
froid et la pluie, s’agenouiller sur le seuil de
l’église du village, un ange lui en ouvrait la porte.
Un jour d’autom ne 1664, ses m aîtres l’avaient
envoyée couper du foin près de l’église de Val-
serre; elle entra dans le lieu saint avec l'intention
de n ’y faire qu’une courte prière, mais bientôt son
âme quitta la terre et s’éleva vers les régions
célestes. L orsqu’elle revint de son extase, le soleil
avait disparu derrière les m ontagnes, et la n u it
arrivait rapidem ent : elle sort avec inquiétude de
l'église, et trouve, avec une joyeuse surprise, que,
pendant qu’elle faisait l’office des anges, un esprit
céleste avait fait le sien, qu’il avait coupé et lié u n
gros paquet d’herbes dans la corde qu’elle avait
laissée à la porte de l’église (i). »
Les démons, je l’ai dit ailleurs, non seulem ent
battaient l’hum ble vierge, mais ils la prenaient et
s’en allaient la jeter rudem ent dans un coin des m on
tagnes ou sur un lieu élevé. Or, quand le dém on
l’avait déposée sur quelque roche inaccessible, son
ange venait l’en retirer; il lui frayait le passage à
travers les rocs, les glaces, les broussailles char
gées de neige; il la ram enait des lieux inconnus
où elle se trouvait perdue, et l’aidait à franchir le
(i) Petits BoIJandistes. Tom. 11, p. 226-227.
— 112 —
to rren t im pétueux qui ui barrait ïe passage; il
devenait lum ineux pour éclairer son chem in. Plus
de vingt fois, lorsqu’elle fut laissée par le dém on
sur le toit de la chapelle de Notre-Dame de l’Éra
ble, un ange lui prêta secours pour en descendre.
Souvent, pour réconforter l’hum ble vierge dans
les luttes épouvantables qu'elle eut à soutenir contre
les esprits infernaux, les anges l’entouraient sous la
forme de petits oiseaux, form aient une couronne
autour de sa tète et chantaient suavem ent. Un jour,
elle fut communiée p a ru n ange, tandis qu’un autre
ange assistait à la cérém onie. »
La vie de la vénérable Agnès de Langeac n ’est
pas m oins riche en apparitions d’esprits célestes.
Elle est continuellem ent en rapport sensible avec
son ange gardien. Il faudrait un chapitre pour
retracer toutes les visions d’anges qui furent pré
sentées à ses regards durant ses m éditations et
oraisons : elle reçut plusieurs fois la com m u
nion de leur main. Dans la très célèbre apparition
par laquelle elle se transporta près de M. Olier au
séminaire Saint-Sulpice, et qui est un phénom ène
de bilocation dûm ent constaté, elle était accom
pagnée d’un ange. M. Olier a laissé lui-même le
récit de cette apparition, qui s'offrit par deux fois
à ses yeux. « Je crus sur l’heure, dit-il, que c’était
la sainte Vierge à cause de la sainte gravité et de
la douce m ajesté avec lesquelles elle m 'apparut, et
— 113 -
à cause de l’auge qui lui rendait les m êm es services
qu’un serviteur rend à une dame. » Le saint prêtre
référa de cette vision à saint Vincent de Paul son
directeur qui réserva son jugem ent. Elle fut
examinée avec grand soin dans les procédures de
béatification de m ère Agnès; et le sous-prom oteur
de la foi, qui était alors Prosper Lam bertini, plus
tard Benoit XIV, conclut, après avoir répondu à
toutes les difficultés, que la vérité de l’apparition
est indubitable (i).
XVI. — L es a n g e s e t l e s sa in t s d u x v i i i0 s i è c l e .
L’un des plus grands saints du x v iii 0 siècle, saint
Paul de la Croix, fut très dévot aux saints anges;
il en reçoit sensiblem ent de nom breuses assis
tances. Tandis qu'il prêche, on entend une voix
céleste qui lui suggère ce qu'il doit dire. Un jo u r
qu'il chem inait épuisé de fatigue, côte à côte avec
son frère qui fut longtem ps son unique compagnon,
à bout de forces, il se recom m anda aux saints anges,
et en un clin d’œil il se trouva transporté au term ed e
son voyage. Alors il pensa à son frère qui était
resté sur le chem in, et celui-ci, par un second
prodige, fut aussitôt réuni à lui.
(I) Voir M. l’abbé Ribet dans sa Mystique divine :
Visions des anges.
— 114 —
Le célèbre disciple de saint Alphonse deLiguori,
le bienheureux Gérard Majella, connut les divines
familiarités que prennent avec les anges les âmes
d ’une limpide innocence. « Étant déjà rédem pto-
riste, il se rend avec quelques jeunes étudiants de
son ordre, en pèlerinage au sanctuaire du m ont
Gargan. Le voyage est une succession de prodiges.
Gérard, qui était le conducteur de la pieuse cara
vane, vide sa bourse entre les m ains des pauvres.
On arrive au sanctuaire : il y m onte et tom be en
extase. Il était près de midi, les jeunes gens avaient
faim, et Gérard toujours en extase n ’y prenait pas
garde. Tout à coup se m ontre un beau jeune hom
me resplendissant d’une lum ière céleste, lequel
s’approche du bienheureux, dépose dans ses m ains
quelques pièces de m onnaie roulées dans un
papier, et puis disparaît comme un éclair. Les
compagnons de Gérard s'étaient prosternés la face
contre terre à la vue du m essager céleste et ne
pensaient plus à dîner. » Cette anecdote est tirée
du procès de béatification du bienheureux Gé
rard (1).
Le royaume de Naples au xviu0 siècle fut p uis
sam m ent édifié par la haute sainteté d’une hum ble
tertiaire franciscaine, sainte Marie Françoise des
Cinq-Plaies. Elle naquit le 25 m ars 1715, et m ou-
(1) Ànalecta Juris Pont. 1V° série, p. 1053.
llo —
ru t le 6 octobre 1791. Elle eut pour directeur le
bienheureux François-Xavier-Marie Bianchi, de la
Congrégation, des clercs réguliers de Saint-Paul dits
Barnabites. Elle l’avait en très haute vénération,
et disait de lui en se jouant : « Nous avons un saint
Néri, nous aurons un saint Bianchi : après le saint
noir, le saint blanc. »
Les rapports entre ces deux âmes furent tout
surnaturels : avant d’en détailler quelques surpre
nantes particularités, je donne sur sainte Marie
Françoise l’extrait suivant des petits Bollandistes.
« Marie Françoise avait une tendre dévotion pour
les saints anges. Aussi fut-elle, durant tout le cours
de sa vie, favorisée de l’assistance visible de son
ange gardien : c’est lui qui l’instruisit de la doctrine
chrétienne, lui qui la protégea dans tous les périls
spirituels et tem porels. Parce qu’elle était habituel
lem ent malade, il plut au Seigneur de la confier
d’une m anière spéciale à l'archange Raphaël. En
1789, il lui apparut avec un éclat de beauté extra
ordinaire; cette vue causa une telle surprise à
Marie Françoise qu’elle n ’avait plus de souffle pour
parler; la voyant dans ce saisissem ent, l’archange
lui annonça qu’il était envoyé vers elle pour guérir
sa plaie du côté ; en effet le lendem ain elle se trouva
guérie (c’était une plaie m ystérieuse, ou profond
stigmate). Il l’assista de m êm e dans une autre
circonstance, où une veine de la poitrine s’était
— 116 —
dilatée; ce qui l'em pêchait de faire le m oindre
m ouvem ent. Un jour, le Bienheureux Bianchi se
trouvait avec elle, lorsqu’il sentit un parfum tout
céleste; il lui en dem anda la raison, et elle lui
apprit que l’archange Raphaël était au m ilieu
d’eux (1). »
Voici m aintenant ce que le bienheureux Bianchi
déposa sous la foi du serm ent au procès de cano
nisation de cette sainte âm e; la gravité d’un pareil
tém oignage n ’échappera à personne. « L’am our du
Saint-Sacrem ent était en elle si héroïque et si
ardent, son désir de com m unier si extraordinaire,
que Dieu daigna plusieurs fois la consoler par le
m inistère des anges pendant mes m esses et avec les
sacrifices que je consom m ais, ju sq u ’à la faire par
ticiper au précieux Sang qui était dans le calice;
l’archange Raphaël, avant m a com m union, em por
tait le calice de l’autel, et le faisait boire à la
servante de Dieu dans sa m aison (où la retenait la
m aladie). Quelquefois elle en buvait très peu, à
peine trois gouttes. Une fois qu’elle en but près de
la m oitié, je reconnus par moi-même Yabsence
très m anifeste et très visible d une partie du pré
cieux Sang, et j ’en fus extrêm em ent surpris. Lors
que je la questionnai sur ce point, elle me répon
dit : Mon Père, si ce n ’eût été l’archange Raphaël
(1) Petits Bollandistes. Tom. 12, p. 112.
— 117
qui m 'avertit que le sacrifice devait s’achever, je
l’aurais tout bu. D’autres fois la chose se passait
autrem ent. Elle recevait par m inistère angélique
la petite portion d’hostie consacrée que je m ettais
dans le calice selon le rite de notre m ère la sainte
Église. Je ne m 'en aperçus que très rarem ent, ne
sentant pas sur m a langue et dans le palais cette
portion d’hostie ; j'interrogeais alors la servante de
Dieu qui m ’assurait que le Seigneur avait daigné la
lui donner (1). » Tout cela est bien adm irable ; les
choses divines ne sont pas astreintes aux régle
m entations d’ici-bas. Rien n ’est un obstacle pour
Dieu, quand il veut s’unir à une de ses créatures
désireuse de le posséder. N'oublions pas que c’est
un saint, âme extraordinairem ent éclairée, qui
parle d ’une sainte et qui raconte ce dont il a été
tém oin et partie.
Le bienheureux Bianchi eut lui-même à constater
par une expérience personnelle le prom pt secours
des anges, tém oin le fait suivant consigné dans
son procès de béatification. Il se produisit au cours
d ’une visite qu’il entreprit en 1779 avec le général
de son ordre. « Les deux voyageurs perdirent leur
route parm i les ténèbres d'une tem pête nocturne,
et leur voiture roula dans un large fossé. Ils ne
savaient com m ent en sortir, couraient risque d e là
(1) Analecta juris Pont. IIe série, p. 2612,
7*
— 118 —
vie, quand soudain parut à leurs yeux, sortant de
la forêt voisine, un hom m e la torche à la m ain; il
les retira de la fondrière où s’était abîmée leur
voiture, et ne les quitta plus qu’après les avoir
reconduits en lieu sû r; après quoi il disparut.
L’enquête juridique raconte les circonstances de
cet événement, qu’il est bien perm is de croire pro
videntiel et m iraculeux, et en ce cas d'attribuer
soit à un ange, soit à une âme du purgatoire, parais
sant sous forme hum aine (1). » Le bienheureux
Bianchi né le 2 décembre 1743, est m ort le 31 jan
vier 1815; c’est presque un contem porain.
XVII. — L es anges et les se r v it e u r s et servantes
de D ie u au x ix e s iè c l e .
Au m om ent où le x i x e siècle finit dans u n besoin
intense de surnaturel qui se m anifeste de m ille
m anières, il est un peu prém aturé de recueillir les
phénom ènes d’interventions angéliques dont il
aurait été favorisé. Ju sq u ’ici, à la suite des Bollan
distes, je n ’ai guère m is en avant que des saints :
les docum ents authentiques de leur vie, les procès
de leur béatification ou canonisation présentent
une garantie précieuse qui va me m anquer. Néan
(1) Eodem loco, p. 2599.
— 110 —
m oins, j ’espère offrir à m es lecteurs un assez grand
nom bre de faits suffisamment prouvés, pour que
le siècle finissant n ’apparaisse pas déshérité de la
touchante assistance des anges rendue visible et
tangible. D'ailleurs la plupart des personnages
dont je parle ont été déclarés vénérables, et leu r
cause s’instruit à Rome.
L’adm irable Romaine, Anna-Maria Taïgi, eu t de
fréquents rapports avec les anges. Un de ses pieux
historiens, le P. Gabriel Bouffier, nous dit trop
brièvem ent : « Son ange gardien se m ontrait quel
quefois à elle d’une m anière sensible, et il l’aidait
dans les soins du ménage et dans les soucis de sa
famille (4). »
Le saint Curé d’Ars aeu certainem ent des visions,
où les anges eurent leur part; son hum ilité a to u t
caché, horm is les deux traits suivants. Une nuit,
il vit à son grand saisissem ent, debout à ses côtés,
un personnage m ystérieux qui lui parlait douce
m ent... Une autre nuit, « je ne dormais pas, dit-il,
j ’étais assis sur m on lit, pleurant m es pauvres
péchés; j'entendis une voix bien douce qui m ur
m urait à m on oreille, In te Domine speravi, non
confundav in æternum. Cela m ’a u n peu encouragé,
m ais comme le trouble durait encore, la m êm e
voix reprit plus distinctem ent, In te Domine speravi,
(1) L a Vén. servan te de D ieu , A n n a -M a r ia Taïgi, par
le P. Gabriel Bouffier, S. J., liv. II, p. 113.
— 120 —
» Un chrétien com pren
n o n c o n f u n d a r in æ t e r n u m .
dra tout ce qu’il y a de beauté en ce saint hom m e
pleurant ses p a u v r e s p é c h é s , tout ce qu’il y a d’ex
quise douceur dans la voix qui le console (1).
De 1800 à 1850 vécut à Saint-Omer une sœ ur
stigm atisée, Bertine Bouquillion. Elle était en rela
tion fréquente avec les saints anges. Elle voyait
souvent son ange gardien sous les traits d’un char
m ant enfant de huit à neuf ans. L’archange Raphaël
se m ontra à elle plusieurs fois; il lui dit de com
m uniquer certaines choses tout intim es aux sœ urs
de la maison et de les inviter à se corriger de plu
sieurs défauts. Elle est adm ise à contem pler le
glorieux saint Michel qui, entouré de douze anges,
délivre les âm es du purgatoire. Un jour, elle est
com m uniée de la m ain d’un ange (2).
On peut recueillir de nom breux phénom ènes
extra-naturels de la vie de la servante de Dieu
Marie-Agnès-ClaireSteiner, réform atrice des Claris-
ses, née le 29 août 1813, m orte le 24 août 1862, dont
l’existence admirable a été retracée par le R. P. de
Reuss, de l’ordre de Saint-François.
Non seulem ent les démons la harcelaient person
nellem ent, m ais ils s’en prenaient aux saintes filles
qui vivaient avec elle; ils leur apparaissaient sous
(1) Vie du Curé U'Ars, par l'abbé Monnin.
(2) Voiæ prophétiques, par M. l'abbé Curicque, Tom. I,
liv, iv, ch. m , passim.
— 121 —
des formes bestiales avec des hurlem ents affreux,
ils faisaient m ine de vouloir les étouffer la nuit.
Quant à la vénérable m ère, ils la battaient; m ais
elle les chassait honteusem ent, et môme les battait
avec une petite baguette bénite sunnontée de la
statue de saint Michel. Elle avait beaucoup de dé
votion à ce glorieux archange; elle m érita de le
voir, en 1847, au-dessus de Saint-Pierre et du Va
tican, qui défendait l’Église m enacée; elle priait
parfois la sainte Vierge qu’elle daignât envoyer à
son aide le capitaine des arm ées angéliques. Les
anges lui rendaient sensiblem ent bien des services.
Tandis qu’elle comm ença la réforme à Pérouse,
chaque nuit une sonnette qu'agitait une m ain in
visible éveillait les soeurs pour les m atines. Dans les
années qui précédèrent sa bienheureuse m ort, les
anges la visitèrent par troupes à plusieurs reprises ;
et les sœurs qui étaient avec elle entrevirent quel
que chose de ces m ystérieuses approches à une
splendeur form ant comme un baldaquin au-dessus
de leur m ère, en m êm e tem ps qu’elles entendaient
u n bruit de pas et des voix m élodieuses et que la
cham bre se rem plissait d’une odeur paradisiaque.
Une sœur a déposé, comme il suit, de la m o rt de
la sainte réform atrice : « Voyant ses derniers m o
m ents approcher, je me transportai au Calvaire
pour contem pler Jésus m ou ran t; et, tandis que
j ’arrêtais m on regard sur la m ère agonisante, je
la vis ferm er doucem ent les yeux et la bouche, et
je connus qu’elle expirait. Au même m om ent, je
vis le Sauveur entouré de gloire et d’un nom
breux cortège d’anges s’avancer de l'extrém ité du
lit, et aller à la rencontre de l’àme de la m ère qui,
sous la forme d’une petite et blanche nuée, fut
affectueusement em brassée par Jésus et pressée
sur son sein (1). »
On le voit, au point de vue de la beauté des
m orts saintes, em paradisées d’apparitions célestes,
notre siècle n ’a pas trop à envier les siècles anté
rieurs. Voici m aintenant un trait de fam iliarité
charm ante avec les anges, qui nous les rappellera
servant d’interm édiaires entre sainte Rose de Lima
et son amie la pieuse dame d’Uzatégui. Nous tro u
vons ce trait dans la relation de la vie de la véné
rable mère Chappuis, m orte en odeur de sainteté
au m onastère de la Visitation de Troyes l’an 1875,
relation écrité par les religieuses de ce m onas
tère.
« A l’arrivée de notre m ère à Troyes, sœ ur Thé
rèse Bourgeat était supérieure dans cette ville
d’une m aison des Filles de Saint-Vincent de P a u l.
elle fut attirée vers notre m ère ; leurs âm es se
com prirent, se lièrent d ’une étroite am itié, et,
(1) La se rvante de Dieu, MaHe-Agnès-Claîre Steîner,
tertiaire franciscaine cloîtrée, puis réformatrice des Clarisses,
par le R. P. de Reuss, passim, p. 235.
— 123 —
d’après le témoignage de la sœ ur Thérèse, elles
étaient en rapports continuels par l’interm édiaire
de leurs bons anges. Celui de notre vénérée m ère
é tait soigneux de lui envoyer sœ ur Thérèse quand
elle en avait besoin, et il s’acquittait si fidèlement
de la com m ission que bientôt on la voyait arriver
au parloir où elle était attendue ; et notre mère
lui disait en souriant le m otif de son appel. » Le
plus souvent cet appel était transm is par l’ange
sous forme d’une sorte d’im pulsion intérieure sur
le sens de laquelle sœ ur Thérèse ne pouvait pas se
trom per, et à laquelle elle n ’avait garde de résister.
Parfois cette im pulsion, cette douce obsession de
venait quasi sensible, tém oin le fait suivant d’une
naïveté caractéristique. « Un jo u r que sœur Thérèse
faisait les confitures des pauvres malades, la sœ ur
qui l’aidait dans cette besogne l’entendait dire :
« Tout à l’heure, ohï je vous en prie, laissez-moi
donc finir, encore un petit m om ent. — Mais m a
m ère, dit la sœ ur présente, à qui parlez-vous donc
ainsi? — Au bon ange de la m ère Marie de Sales
(Chappuis) qui ne me laisse pas de repos que je
ne sois allée à la Visitation. » Et elle s’y rendit
prom ptem ent. « Àb ! vous voilà donc enfin, » dit
notre mère en la voyant venir. Quand sœ ur Thérèse
eut connaissance de l’affaire assez im portante dont
il s’agissait, « c’est donc pour cela, dit-elle, que
votre bon ange me pressait si fort. » Nous tenons,
— 124 —
ajoutent les religieuses, ces détails de sœ ur Clé
m entine, compagne de sœ ur Thérèse (i). »
Je réserve pour la fin de cette revue contem po
raine un fait qui est placé sous la haute garantie de
l ’Église. Le 23 juillet 1894, N. S.-P. le Pape Léon XIII
daignait, à la requête du supérieur général des
Lazaristes, instituer une fête en l’honneur de la
médaille m iraculeuse. En m êm e tem ps, la Sacrée
Congrégation des Rites approuvait un office avec
des leçons qui relatent les circonstances dans les
quelles la médaille fut proposée à la vénération des
fidèles. « La sainte Vierge, y est-il dit, daigna ap
paraître à une pieuse personne nom m ée Catherine
Labouré, de la com m unauté des Filles de la Charité ;
elle lui donna l’ordre de pourvoir à ce qu’une m é
daille fut frappée en l’honneur de l’im m aculée
Conception. » Ainsi l’apparition est authentiquée
par Rome et devient l’objet d’un office public. Or,
com m ent eut lieu cette apparition? Ce fut un ange
qui conduisit la jeune sœ ur aux pieds de la très
sainte Vierge. Écoutons ce récit d’une ravissante
simplicité, dicté par la sœ ur elle-même sur les
injonctions de ses supériêurs.
Le 18 juillet 1830, veille de la fête de saint Vin-
(1) Relation, p. 72. — Les religieuses elles-mêmes priaient
le bon ange de la vénérable mère, et celle-ci se rendait à
l’indication de son ange. En 1844, elle attesta qu'elle avait
vu passer sur Paris l’ange exterminateur; et peu après arri
vèrent les troubles de 1848.
— 125 —
cent de Paul, elle s’était couchée comme à l’ordi
naire. « Vers onze heures et demie, elle s’entend
appeler par son nom de sœur Labouré, accentué
trois fois de suite; pendant ce tem ps, s’éveillant
to u t à fait, elle en tr’ouvre son rideau du côté d’où
part la voix; qu’aperçoit-elle? Un jeune enfant,
d’une beauté ravissante; il peut avoir de quatre à
cinq ans, il est habillé de blanc, et de sa chevelure
blonde, aussi bien que de toute sa personne,
s ’échappent des rayons lum ineux qui éclairent to u t
ce qui l’entoure : — Venez, dit-il d’une voix
m élodieuse, venez à la chapelle, la sainte Vierge
vous attend. — Mais, pensait en elle-même sœ ur
Catherine (qui couchait dans un grand dortoir), on
va m ’entendre, je serai découverte... — Ne craignez
pas, reprit l’enfant, répondant à sa pensée, il est
onze heures et demie, tout le monde dort, je vous
accompagne. »
« A ces m ots, ne pouvant résister à l’invitation
de l’aimable guide qui lui est envoyé, sœ ur Cathe
rine s’habille à la hâte et suit l’enfant, qui m archait
toujours à sa gauche, portant des rayons de clarté
partout où il passait; et partout aussi les lum ières
étaient allum ées, au grand étonnem ent de la sœ ur.
Sa surprise redoubla en voyant la porte s’ouvrir
dès que l’enfant l'eu t touchée du bout du doigt, et
en trouvant l’intérieur de la chapelle tout illum iné,
« ce qui disait-elle, lui rappelait la m esse de
— 126 —
m inuit ». L’enfant la conduisit ju sq u ’à la balustrade
de la com m union; elle s 'y agenouilla, pendant que
son guide céleste enfrait dans le sanctuaire, où il
se tin t debout sur la gauche.
« Les m om ents d’attente semblaient longs à sœ ur
Catherine; enfin, vers m inuit, l'enfant la prévient
en disant : « Voici la sainte Vierge, la voici! » —
Au même instant, elle entend distinctem ent du côté
droit de la chapelle un bruit léger, semblable au
frôlem ent d’une robe de soie. Bientôt une dame,
d’une grande beauté, vient s’asseoir dans le sanc
tuaire, à la place occupée ordinairem ent par le
directeur de la com m unauté, au côté gauche. Le
siège, l’attitude, le costum e, c’est-à-dire une robe
blanche un peu jaune avec un voile bleu, rappe
laient la représentation de sainte Anne que l’on voit
dans un tableau placé au-dessus. Cependant ce
n ’était pas le même visage, et sœ ur Catherine était
là, luttant intérieurem ent contre le doute. — Sou
dain le petit enfant, prenant la voix d’un hom m e,
parla très fortem ent et fit entendre des paroles
sévères, lui dem andant si la Reine du ciel n ’était
pas m aîtresse d’apparaitre à une pauvre m ortelle
sous telle forme qu’il lui plaisait. — A ces m ots,
toute hésitation cesse, et, ne suivant plus que le m ou
vem ent de son cœur, la sœur se précipite aux pieds
de la sainte Vierge, posant fam ilièrem ent les m ains
su r ses genoux, comme elle eût fait avec sa m ère. »
— 127 —
Suivit un long et fam ilier colloque entre la Reine
du ciel et l’hum ble sœur. « Je ne saurais dire,
expliqua-t-elle, com bien de tem ps je suis restée
auprès de la sainte Vierge; ce que je sais, c’est
q u ’après m ’avoir parlé- longtem ps, elle s’en est
allée disparaissant comme une ombre qui s’éva
nouit... M’étant relevée, je retrouvai l’enfant à la
place où il était avant l’apparition; il me dit : elle
est partie; et se m ettant de nouveau à m a gauche,
il me reconduisit de la m êm e m anière qu’il m ’avait
amenée, répandant une clarté céleste... Je crois
que cet enfant était m on ange gardien, parce que
je l ’avais beaucoup prié pour qu’il m ’obtînt la
faveur de voir la sainte Vierge... Revenue à mon
lit, j ’entendis sonner deux heures, et je ne me suis
pas rendorm ie (1). »
L'aimable m inistère des anges, chargés de nous
conduire à Dieu, est tout entier renferm é dans
cette touchante et très douce apparition. Ces esprits
bienheureux revêtent volontiers une forme enfan
tine, qui caractérise m ieux l’innocence immaculée
de leur être et la sim plicité toute divine de leu r
nature ; ils nous rappellent ainsi que, selon la
parole du Sauveur, il faut revenir à la ressem blance
des enfants, pour entrer dans le royaum e des
cieux.
(1) L a Médaille m ir a cu leu se, par M. Aladel, édition,
p. 67-72,
— 128 —
La revue de VAngélique dans la vie des saints est
term inée ; il m e reste à discuter les faits apportés à
l’appui de ma thèse, et à tirer quelques conclusions.
XVIII. — D is c u s s io n d e s f a it s e t c o n c l u s io n s .
Mes lecteurs ont pu rem arquer que j ’ai choisi
les faits angéliques avec une certaine latitude, afin
de leur fournir une vue plus com préhensive de
l’action des anges vis-à-vis de nous. Il im porte
m aintenant, en discutant ces faits, de les classer
autant que possible, et de m o n trer que plusieurs
em portent incontestablem ent avec eux une réalité
extérieure et physique.
Parmi ces derniers, m ettant de coté le vieillard
qui engagea un colloque avec saint Justin, je cite
rai la très grande partie des m anifestations angé
liques en faveur des m artyrs. Les esprits célestes
paraissent aux yeux de leurs compagnons de cap
tivité, de leurs gardiens, ou même de leurs bour
reaux. Le fils du préfet de Rome est foudroyé par
la vue de l’ange qui protège sainte Agnès; Valérien
m érite de voir celui qui garde sainte Cécile; les
m ystérieux assistants à la m ise au tom beau de
sainte Agathe sont aperçus par tous ceux qui ren
dent les derniers devoirs à sa dépouille virginale.
— 129
Plusieurs apparitions aux anachorètes, évêques
et moines peuvent être classées parmi les visions
im aginatives; telles sont par exemple les appari
tions d’âmes conduites au ciel par des anges; telles
aussi les belles m anifestations d’esprits célestes
présentées aux regards de saint Jean Chrysostome
ou de saint Bernard, soit pendant l’acte du saint
sacrifice, soit pendant le chant des m atines, et
m entionnées sur un thèm e analogue dans la vie de
plusieurs autres saints. 11 est très possible q u e n
ces occurrences les anges se soient contentés d’im
prim er dans l’im agination des serviteurs de Dieu
de pures et vives images révélatrices de leur p ré
sence ou de leur action, sans revêtir une appa
rence physique. Sainte Thérèse, qui eut m aintes
fois des révélations de ce genre, ne paraît pas leur
accorder une réalité tom bant sous les sens du
corps. Et néanm oins il convient de leur recon
naître une réalité objective. Les saints ont vu réel
lem ent, mais par leurs facultés internes, des anges
qui conduisaient réellem ent des âmes au ciel, qui
réellem ent entouraient le saint autel, et réellem ent
excitaient les m oines à chanter les louanges divi
nes. Vision imaginative ne veut pas dire hallucina
tion, c'est-à-dire vision d’un.objet qui n ’existe pas,
m ais perception par un acte interne du cerveau
d’un objet réel faisant directem ent une im pression
su r lui. En fait, bien loin qu’il y ait opposition
— 130 —
entre la vision imaginative et la vision corporelle,
il y a grande affinité entre l’une et l’autre : des deux
côtés il y a form ation d’une image par un agent
extérieur et spirituel : seulem ent au prem ier cas
elle est présentée sim plem ent au cerveau du
voyant, dans le second elle l’est à ses sens corpo
rels. Les choses étant telles, il ne me répugne pas
d’adm ettre que plusieurs m anifestations angéli
ques, racontées au cours de m on étude, ont été des
visions imaginatives.
Par contre plusieurs autres se refusent à cette
classification, et dem andent à être rangées parm i
les visions incontestablem ent corporelles : tel est,
pour en citer quelques-unes, l’ange délivrant saint
Apollon, tels sont les inconnus lui apportant des
vivres, tels sont les guerriers m ystérieux garnis
sant les rem parts de Constantinople, tel est le guide
providentiel assurant la m arche des croisés ; telles
sont les apparitions dont furent gratifiés saint
Dominique, saint François d’Assise, saint Philippe
Béniti; telles sont les visites des esprits célestes
sous la forme d’un pauvre ou d’un pèlerin, si fré
quentes dans la vie des saints.
J ’en viens au touchant phénom ène de l’assis
tance continuelle d’un ange visible, faveur accor
dée à sainte Lidwine, à la bienheureuse Véronique
de Binasco, à sainte Françoise Romaine? Faut-il le
classer parm i les visions im aginatives, ou parm i
— 131 —
les visions corporelles? Je ne puis croire que la
seule im agination de ces saintes ait été frappée et
ravie par cette vision charm ante. Mais, dira-t-on,
ces anges n ’étaient visibles qu’aux saintes elles-
m êm es, et non à leur entourage. Cela ne prouverait
aucunem ent qu’ils n'aient pas frappé leurs sens
extérieurs par une forme physiquem ent sensible :
car un esprit peut très bien, tout en se rendant
extérieurem ent visible à quelqu’un, rester invisible
à tous autres qu’à lui. Sainte Françoise nous repré
sente son ange jetant la n u it une telle lum ière,
qu’elle peut lire son office aux rayons qui s’en
dégagent; sa présence est donc bien physique.
Parlant de lui, elle fait mine de lui poser sa m ain
sur la tête, m ais, déclare-t-elle, sans rien sentir au
toucher : le corps de son ange était donc form é de
linéam ents aériens sans consistance m atérielle. Il
lui rend mille services qui le supposent bien réel
lem ent présent et agissant à ses côtés : cueillons
un de ces traits, le plus caractéristique et le plus
délicieux de tous.
Un jour que sainte Françoise portait son petit-
fils Girolamo, to u t à coup Satan lui apparaît;
l'enfant, tout comme elle, voit l'horrible spectre, et
se débat entre les bras de son aïeule. Celle-ci le
m arque du signe de la croix, m ais sans réussir à
calmer sa frayeur. Alors l’ange fam ilier s’incline
devant la sainte, en lui tendant ses deux bras»
— 132 —
Françoise lui l'emel l’enfant, et, chosem erveilleuse,
on voit le petit être suspendu en l’air sans soutien
apparent, puis doucem ent porté et dépôsé dans son
berceau. Il n ’a plus peur, il sourit à l’archange qui
le caresse comme une m ère, et semble l’envelop
per dans les rayons ém anant de sa belle cheve
lure d’or (1).
Sainte Lidwine obtint un jo u r qu’une de ses
am ies vit son ange familier. — « Tenez-vous, lui
dit-elle, dans une posture respectueuse, il va vous
apparaître. » — Et il se m ontra à cette femme, le
visage tout rayonnant, les vêtem ents blancs comme
neige. — « Ange m on frère, dit alors Lidwine, je
vous prie de perm ettre à m a sœ ur de contem pler
u n instant la beauté de vos yeux. » — Et l’ange
fixa la pieuse amie d’une m anière si douce et si gra
cieuse, qu’elle en fut hors d’elle-même, et quepen-
dant plusieurs jours elle ne fit que pleurer sans
pouvoir prendre aucune nourriture. (Act. SS. Ap.,
t. II, p. 317.)
Ces anecdotes touchantes dém ontrent à m on
sens la réalité extérieure de ces apparitions. —
Disons en term inant que cette faveur d’un ange
fam ilier continuellem ent visible fut accordée ù plu
sieurs saintes et saints : notam m ent au bienheu
reux Dalmace Monier, de l’ordre de Saint-Domi-
(1) Comtesse de Rambuteau, sainte Françoise Romaine,
p. 159.
— 133 —
nique, et, plus près de nous, à la vénérable Anne
de Xainctonge, fondatrice des Ursuïines en Bour
gogne au xvn° siècle.
J ’ai déjà discuté l ’apparition du séraphin à sainte
Thérèse : elle eut un effet physique, la transver
bération de son cœ ur; m ais il semble qu’elle l'ait
eu par une sorte de répercussion, car, dit la sainte,
la douleur fut principalem ent spirituelle. Il est
aussi à rem arquer que le corps m êm e de la sainte
ne fut pas transpercé à l’endroit du cœ ur; le cœ ur
seul se trouva directem ent atteint. Il y a là quel
que chose de m ystérieux, dém ontrant que les phé
nom ènes divins relèvent de lois particulières. Un
autre fait, rapporté également en mon étude, peut ser
vir à com prendre celui-ci. Saint Thomas es t endormi ;
il voit en songe, par suite im aginativem ent,
deux anges lui ceindre la taille d’une ceinture ; m ais
en même tem ps il sent autour des reins une étreinte
si forte qu’elle lui cause une douleur aiguë, et il
s’éveille en poussant de grands cris. La vision en
elle-même est im aginative; seulem ent elle est
accompagnée d’une action physique et très accen
tuée des anges sur le jeune hom m e endorm i. De
m êm e si, comme quelques-uns le pensent, la
AÙsion de sainte Thérèse fut im aginative, il y eut
une action concom itante du séraphin qui atteignit
du même coup son âme spirituelle et son cœ ur de
chair, qui fut par conséquent to u t à la fois psychi-
8
— 134 —
que et physique. Il n ’est pas possible à m on sens
d’adm ettre que la seule im agination de la sainte
ait pu produire la m erveilleuse et très authentique
transverbération de son cœur. Un tel phénom ène
relève de Dieu et d’une opération surnaturelle.
Aussi bien la sainte ne put-elle vivre désorm ais, le
cœur transpercé, sans un miracle.
La suite de m on étude, comme il est aisé de s’en
rendre compte, relate un bon nom bre d’apparitions
angéliques très authentiquem ent réelles. Qu'on
veuille bien se rappeler les paragraphes consacrés
à saint Jean de Dieu, à saint Philippe de Néri; ces
approches des esprits célestes se produisent sous
une forme accessible à tous les yeux, et en pré
sence de témoins. De m êm e quand saint Stanislas
à deux reprises est com m unié de la main des anges,
l’imagination ne peut expliquer ce phénom ène. Il
paraît également bien im possible qu’elle ait été le
siège des surprenantes merveilles qui surabondent
dans la vie de Benoîte de Laus, d’Agnès de Langeac,
et a fortiori de sainte Marie Françoise des Cinq-
Plaies. L’ange conduisant la sœur Catherine
Labouré aux pieds de la sainte Vierge, et lui ser
vant de flambeau durant la nuit, rappelle exacte
m ent l'ange de sainte Françoise Romaine, et se
présente lui aussi avec les caractères d'une appari
tion dont la réalité physique est indéniable.
J'aurais pu extraire de la vie des saints bien
— 135 —
d’autres faits. Qui n ’a adm iré au Louvre le fameux
tableau de Murillo, appelé vulgairem ent la Cuisine
des Anges? Un frère cuisinier, saint Diégo, est ravi
en extase : le voici à gauche du tableau, soulevé
de terre, les m ains jointes, les jam bes repliées
comme quelqu'un que l’influx divin a surpris à
genoux; une lum ière intérieure transpire de sa
face amaigrie et plaquée de bistre, elle enveloppe
sa tête et son corps comme d'une auréole. Les
Anges le suppléent dans son office : il y en a de
grands à larges ailes, qui vont à l’eau, m ettent le
couvert, font chauffer la m arm ite sur le fourneau
qui rougeoie; puis de petits, joufflus et espiègles,
avec des ailes ébauchées comme des ailes de
pigeon, qui se jouent avec des tom ates et des con
combres. Sur ces entrefaites enlre dans la cuisine
par une porte de gauche le prieur du couvent suivi
de deux gentilshom m es, et un bon frère y pénètre
par une porte du fond. Tous sont ébahis en voyant
cette chose étrange ; le cuisinier ravi au ciel, et
les anges du ciel faisant sa cuisine. — Le pinceau
divinem ent réaliste de Murillo s’est joué dans cette
scène, il en ainventélesdétailsetag rém en téro rd o n -
nance. Il n'a pas inventé le fait lui-m êm e, qui est
tiré de la légende de saint Diégo, comme le labour
des anges est pris authentiquem ent de la vie de
saint Isidore.
Mais j ’en ai dit assez sur l’assistance des anges.
— 136 —
Elle ressort clairem ent de ces pages qui réjouiront,
je l’espère, les âmes chrétiennes. J’ose le dire, il
n ’est pas u n vrai chrétien, vivant de la foi, qui un
jo u r ou l’autre, n ’ait senti en soi-même et autour
de soi l’influence bienfaisante des anges : par je ne
sais quel éclair soudain qui en un instant dissipé
les ténèbres de l’esprit, par une allégresse inté
rieure qui chasse la tristesse et rassérène le cœur,
par une rencontre providentielle, par la solution
inespérée d ’une affaire épineuse, par l’écartem ent
d’un danger im prévu. En ces m om ents, on a la
sensation d’être subitem ent entouré d’effluves de
chaude lum ière, d ’être porté et mis à couvert par
des m ains invisibles. Ce sont les bons anges de
Dieu qui rem plissent leur office vis-à-vis des créa
tures faibles et ignorantes que nous sommes. Ils y
apportent la condescendance d’êtres supérieurs, la
charité d’amis lidèles, le dévoûm ent et l’em presse
m ent de serviteurs de Dieu qui honorent en nous
la filiation divine.
Quoi d’étonnant, si parfois, eux les discrets am is,
ils parlent plus clairem ent à notre im agination par
des songes et visions ; et m êm e s ’ils prennent une
apparence sensible pour se m ontrer ànos yeux! C’est
Dieu qui perm et quand bon lui plait, pour des
m otifs relevant de sa sagesse et de sa bonté, ces
phénom ènes exceptionnels. La sainte Écriture en
m entionne un bon nom bre qui ne laissent aucun
— 137
doute sur leur réalité; la vie des saints ne fait
qu’ajouter des anneaux à la chaîne scellée dans les
livres inspirés.
Cette doctrine des saints anges est une excellente
réfutation des erreurs du spiritism e. Il y a, éga
rées dans le spiritism e, des âmes de bonne foi,
que le m atérialism e repousse autant que le surna
turel les attire. Qu’elles viennent à nou s; elles
trouveront au foyer de l’Église, Jésus-Christ,
suprêm e Médiateur, et les anges m édiateurs subor
donnés à lui. Là tout est noble, pur,- élevé et éle
vant, digne de Dieu qui se com m unique à l’hom m e,
digne de l’âme hum aine qui est faite pour Dieu.
Que les partisans trom pés du spiritism e veuil
lent bien peser attentivem ent les considérations
que voici. Les phénom ènes divins et angéliques
doivent être irréprochables : ils supposent une
intervention de l’infinie sagesse et de l’infinie
bonté : toute incohérence, toute note licencieuse
et bouffonne, décèle une origine suspecte. Ils doi
vent s’im poser d’autorité : s’ils tém oignent d’une
condescendance, ils n ’im pliquent pas une
déchéance : une familiarité insinuante et ram
pante ne leur convient nullem ent. Ils inspirent
to u t d’abord une terreu r sainte, qui bientôt se
résout en joie, en confiance, en sécurité, alors que
les phénom ènes opposés débutent par une joie
malsaine, sorte d’enivrem ent factice, que suit de
8.
— 138 —
près u n m alaise insurm ontable et un profond
dégoût.
Enfin les phénom ènes divins et angéliques sont
à l’état d’exception. Dieu ne dérange pas à tout pro
pos l’ordre m ondial, qui com porte des interm é
diaires purem ent spirituels entre les êtres hum ains
et lui-m êm e Esprit infini. L'influence de ces agents
spirituels s’exerce, comme se répand la lum ière,
comme vibrent les fluides, sans bruit ni secousse»
en sorte qu’aux esprits distraits elle peut passer
inaperçue. En réalité, elle nous enveloppe de tous
côtés comme une atm osphère vivifiante, qui nous
transm et le rayonnem ent de l’éternelle lum ière. Si
parfois il plait à Dieu que se soulève un coin du
voile cachant les réalités invisibles, par une inter
vention plus directe d’un esprit angélique, par sa
présence m anifestée à l’im agination et aux sens,
c’est pour nous réveiller de notre inattention, pour
nous forcer à considérer le m ystère qui nous
entoure, et dans lequel nous som m es plongés
comme à notre insu. D’après saint Augustin, Dieu
ne se propose pas un autre but que celui-là en opé
rant des m iracles, en envoyant aux hom m es des
apparitions et des visions.
Grâce à cette disposition providentielle, l’exis
tence du m onde invisible est affirmée, m ais en
m êm e tem ps la ligne de dém arcation entre lui et
le monde visible est m aintenue. Au contraire, dans
— 139 —
la doctrine des spirites, les notions sont confon
dues et les frontières effacées; les phénom ènes
qu’ils provoquent à l’état endém ique constituent une
intrusion anorm ale et violente des esprits dans les
régions corporelles; ils sont excessifs, troublants,
sans dignité; et le charm e exquis du m ystère s’éva
nouit chez eux dans la banalité monotone et déses
pérante de com m unications sans but et sans p o rtée.
En résum é, ici comme ailleurs, la doctrine catho
lique tient le juste m ilieu, qui est celui de la vérité,
entre deux erreurs extrêm es : l ’erreur de ceux qui
nient l’existence du m onde invisible, ou qui révo
quent en doute la possibilité d’entrer en relation
avec lui; et l’erreur de ceux qui confondent entre
eux les deux mondes spirituel et corporel, et se
croient exempts d'illusions en sollicitant des com
m unications journalières avec les esprits. La vérité,
c'est que les deux m ondes existent, mais profondé
m ent distincts l’un de l’autre; que, dans l'état ordi
naire des choses, le m onde invisible exerce une
influence constante, m ais toute spirituelle, sur le
m onde visible; que par exception les esprits com
posant le monde supérieur peuvent se m anifester,
et se m anifestent quelquefois à l’im agination et
aux sens des créatures hum aines; que Dieu per
m et, quand il lui plaît, ces m anifestations pour la
justification de la foi de son Eglise et pour la con
solation de ses serviteurs.
TABLE DES MATIÈRES
P réfa ce .....................................................................................
«
Y
ï. — Avant-propos . . . . . . . . . . . . 1
H. — Les Anges sous l’Ancien Testament . . . . 7
HF. — Les Anges sous le Nouveau Tes t ament . . . 18
FV. — Les Anges et la conversion des païens . . . 29
V. — Les Anges et les M artyrs...........................................35
VI. — Les Anges gardiens des V ie r g e s ........................... 44
VIL — Les Anges compagnons des Anachorètes . . 49
VïlL — Les Anges tutélaires clés é g l i s e s ........................... 55
IX. — Les apparitions de saint Michel.................................01
X. — Les Anges protecteurs des monastères . . . 6S
XI. — Les Anges et les saints du xine siècle . . . 76
X1L — Les Anges et les saints du xiv* siècle . . . 83
XIIt. — Les Anges et les saints du x v e siècle . . . 88
XIV. — Les Anges et les saints du xvi« siècle . . . 98
XV. — Les Anges et les saints d u x v n 6 siècle . . . 106
XVI. — Les Anges et les saints duxvm® siècle . . . 113
XVII. — Les Anges et les serviteurs et servantes de
Dieu au xixe siècle................................................... 118
XVIII. — Discussion des faits et conclusions . . . . 128
PARIS. — IMP. TBQÜÏ, 9 2 , RUE DE VAUGIKARD