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Jean-Pierre Obin

www.jpobin.com

L'ETHIQUE PROFESSIONNELLE DES ENSEIGNANTS


(Bulletin de liaison des écoles de l’Essonne, Février 2012)

La question de l’enseignement de la morale à l’école, ou encore - ce qui revient au


même - de savoir si l’école publique doit se préoccuper d’éduquer ou bien se contenter
d’instruire, est aussi ancienne que l’école publique elle-même. Elle date précisément de
la Révolution française.

En réplique à La Chalotais qui, dans son Essai sur l'éducation nationale écrit : « Je prétends
revendiquer pour la nation une éducation qui ne dépende que de l'Etat », Condorcet répond,
quelques années plus tard, dans son Premier mémoire sur l'Instruction publique :
« L'éducation publique doit se borner à l'instruction [...] parce qu'une éducation publique
deviendrait contraire à l'indépendance des opinions [...]. Or, la liberté de ces opinions ne
serait plus qu'illusoire si la société s'emparait des générations naissantes pour leur dicter ce
qu'elles doivent croire ». Ce débat, entre d’un côté le souci de la cohésion sociale et de l’autre
celui de la liberté individuelle, rebondit au début du XXe siècle entre Jaurès, partisan d’une
éducation nationale, et Clémenceau, favorable à une instruction publique, qui lui
réplique : « Si je devais choisir entre la République et la liberté, je choisirais la liberté. »
Aujourd’hui, il est loin d’être clos entre les défenseurs des deux piliers éducatifs du Socle
commun et leurs détracteurs, qui pensent à l’instar du SNES1 que « l’école n’est pas là pour
enseigner des attitudes normatives aux élèves ». Toutes les sociétés démocratiques cherchent
de nos jours à opérer une synthèse de ces deux préoccupations majeures, en s'efforçant de
trouver les formes les mieux adaptées à leur situation et à leur temps.
En France, la morale a donc été réintroduite à l’école. C’est moins cette décision que je
voudrais commenter ici que la question de savoir ce qui, en conséquence, est attendu des
enseignants. Ou encore : enseigner la morale aux élèves impliquerait-il une éthique
particulière pour les enseignants ? Autre manière de le dire : doivent-ils être exemplaires et
constituer des « modèles » pour leurs élèves ? Pourquoi alors deux termes qui, on va le voir,
ne sont pas forcément équivalents : la morale pour les élèves, l’éthique pour leurs maîtres ?
Commençons donc par clarifier ces notions.

Morale ou éthique ?
Si chacun s’accorde à dire que la morale recouvre le champ des normes et prescriptions
impératives, des obligations, le terme d’éthique recouvre quant à lui trois acceptions possibles
selon les auteurs et les contextes.
L’éthique descriptive est l’étude des différentes conceptions morales et de leurs évolutions.
L’éthique prescriptive ne se distingue pas de la morale proprement dite, elle en est synonyme.
L’éthique appliquée est la recherche pratique de « la vie bonne », de la meilleure façon d’agir
dans un contexte où des choix sont possibles, en référence à un système de valeurs pluriel.
De laquelle s’agit-il lorsqu’on parle d’éthique professionnelle des enseignants ? Un peu des
trois.

1
Syndicat national des enseignements de second degré.
Commençons par l’éthique descriptive
C’est sans doute une banalité de dire que dans l’école française coexistent chez les
enseignants plusieurs systèmes de valeurs, plusieurs conceptions éthiques de leur profession.
Ainsi, dans le 1er degré, jusqu’à une date récente du moins, dominait une éthique centrée sur
les élèves et leurs apprentissages, alors que dans le 2nd degré la majorité des enseignants se
retrouvait dans une éthique plus élitiste, centrée sur « l’excellence » et des savoirs
disciplinaires « de haut niveau » : tradition culturelle des écoles normales d’un côté, de
l’université de l’autre. Cette opposition est peut-être un peu schématique car les conceptions
éthiques des enseignants sont sans doute plus variées et plus subtiles, mais elle explique la
réserve pluriséculaire des enseignants du secondaire à l’engagement éducatif, qu’ils ont sous-
traité dès le début du XIXe siècle à des personnels subalternes, surveillants et surveillants
généraux devenus « conseillers d’éducation » en 1970.

Poursuivons par l’éthique prescriptive


Y a-t-il ou faudrait-il une morale professionnelle pour les enseignants ? La question est
importante mais nécessite avant d’être traitée un détour pour évoquer l’autre système
d’obligations professionnelles auquel, comme tous les fonctionnaires, les enseignants sont
soumis : le droit. A l’école, non seulement tout le droit s’applique, mais de plus il existe des
obligations professionnelles propres aux personnels. Les règles de cette déontologie juridique,
comme il convient de l’appeler, ne sont pas rassemblées dans un code comme pour les
professions libérales, mais relèvent de textes disparates allant de la Constitution (respect de la
laïcité) aux arrêtés ministériels définissant les programmes d’enseignement, en passant par la
loi Le Pors de 1983 (accomplissement du service, information du public, discrétion
professionnelle, obéissance aux instructions). Par définition l’Etat n’impose pas à ses
fonctionnaires d’autres obligations que juridiques. En vertu de quoi, s’il existe des obligations
professionnelles non juridiques, des déontologies morales, elles ne pourraient être que celles
que des enseignants auraient librement décidé de se donner. En pratique, j’en discerne au
moins trois.
- La première découle d’une certaine lecture de l’article L111-1 du code de
l’éducation : « Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission
première à l’Ecole de faire partager aux élèves les valeurs de la République(…) Dans
l’exercice de leur fonction, les personnels mettent en œuvre ces valeurs. » Cette lecture
consiste à voir dans cette dernière phrase l’idée d’une conduite moralement irréprochable,
exemplaire des enseignants dans l’exercice de leur métier. Une morale au service du droit.
- La seconde morale consiste, à l’opposé de la précédente, à s’affranchir des règles du droit,
notamment de la règle d’obéissance aux instructions, au nom d’une morale se voulant
supérieure au droit lui-même. C’est le cas de ces instituteurs qui refusent d’enseigner des
programmes officiels qui ne conviennent pas à leurs conceptions éducatives ou pédagogiques.
Ces « désobéissants » comme ils se nomment, se réfèrent au grand mouvement de la
désobéissance civile, qui de Gandhi à Martin Luther King s’est opposé, souvent efficacement,
à nombre d’oppressions. On doit cependant s’interroger sur les arguments susceptibles de
fonder la supériorité d’une conception morale des programmes scolaires sur leur définition
juridique dans un état démocratique. Une morale au-dessus du droit.
- La troisième morale s’appuie sur l’article premier de la Déclaration universelle des droits de
l’Homme de 1948 : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en
droits… ». En distinguant ainsi la dignité humaine des droits humains, la Déclaration introduit
une dimension morale à côté, voire au-dessus du droit (symboliquement, les rédacteurs ont
fait précéder la dignité). Cette morale consiste donc, à côté d’un droit scolaire inégalitaire par
essence (les droits et obligations d’un élève ne sont pas ceux d’un enseignant), à introduire
comme règle de l’école le respect de l’égale dignité de tous, adultes et élèves, bons et mauvais
élèves, filles et garçons, Blancs et Noirs, etc. ; et donc à s’interdire et à condamner les
conduites et les principes jugés indignes : violences, incivilités, racisme, sexisme,
humiliations ; et ceci qu’ils soient ou non juridiquement répréhensibles. Ainsi les propos
racistes constituent une infraction pénale, mais pas le racisme en lui-même. Une morale à côté
du droit.

Abordons enfin l’éthique appliquée


Elle consiste, on l’a vu, en la recherche par chaque enseignant de ce qu’il juge être la
meilleure - ou la moins mauvaise - façon d’agir, en fonction des circonstances et en référence
à un système de valeurs. Contrairement à beaucoup d’autres métiers aux normes plus
contraignantes et mieux contrôlées, l’institution scolaire accorde aux enseignants ce qu’il est
convenu d’appeler une « liberté pédagogique », en fait une autonomie juridiquement définie
par l’article L912-1 du code de l’éducation, qui dispose que : « Les enseignants sont
responsables des activités scolaires des élèves », et modérée par l’article L311-3 du même
code, qui introduit le respect des programmes et des capacités des élèves : « Les programmes
constituent le cadre national au sein duquel les enseignants organisent leurs enseignements
en prenant en compte les rythmes d’apprentissage de leurs élèves. » Mais comme le remarque
le sociologue Philippe Perrenoud : « L’autorité énonce des programmes et multiplie les
directives mais ne se donne guère les moyens d’en contrôler la mise en œuvre dans les
classes. » Pourtant constate-t-il, « très peu d’enseignants s’autorisent des écarts majeurs aux
programmes et aux règles », comme s’ils « se sentaient comptables du bien public au-delà et
au besoin en dépit des injonctions ministérielles ». Autrement dit, les enseignants disposent
d’une liberté pédagogique de fait bien plus vaste que celle que le droit de l’éducation leur
reconnait ; mais il semble globalement qu’ils n’en abusent pas !
Qu’est donc cette liberté pédagogique, sinon la possibilité pour une très grande variété
d’éthiques professionnelles (ce que chacun estime bien de faire avec ses élèves) de se
déployer assez librement d’une école à l’autre, voire au sein de la même école d’une classe à
l’autre, et dans l’enseignement secondaire d’un professeur à l’autre dans la même classe. Bien
sûr, il existe des injonctions institutionnelles au « travail en équipe », mais là aussi il ne s’agit
que de recommandations d’ordre éthique et non pas juridique : a-t-on jamais entendu parler
d’un enseignant sanctionné parce qu’il préférait travailler seul ?

Pour conclure
Revenons à notre problématique de départ, les conditions éthiques de l’enseignement de la
morale à l’école. D’une part il y a le droit : les enseignants doivent enseigner les programmes,
notamment celui-là. D’autre part il existe des morales professionnelles, adoptées et promues
librement par certains enseignants : les premiers s’imposent d’être exemplaires ; les seconds
décident de désobéir publiquement (ce qui n’est pas moins exemplaire, mais quel exemple !) ;
les troisièmes font de la morale pratique dans leurs classes, en appliquant aux élèves peu
respectueux de la dignité des autres la fameuse « règle d’or » morale : « Est-ce que tu aurais
aimé qu’il te fasse ce que tu viens de lui faire ? Non ? Alors ne fais pas à autrui ce que tu
n’aimerais pas qu’il te soit fait ! » Enfin, le vaste domaine de la « liberté pédagogique »
permet, surtout dans un domaine comme l’enseignement de la morale, le déploiement d’une
infinie variété de conceptions en matière éducative et pédagogique.
La question est de savoir, au-delà même de l’institution, si les parents, et plus largement les
citoyens accepteront toujours cette situation. Ou bien si apparaîtra demain une demande de
davantage d’autorité, de plus d’engagement de l’Etat. Car on ne peut pas faire porter aux
enseignants la responsabilité de cette grande liberté : ce serait en effet à l’Etat - si la Nation le
souhaitait - de définir éventuellement un cadre éducatif et pédagogique juridiquement plus
exigeant, et de se donner les moyens de le faire appliquer.

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