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Cours D'histoire Des Faits Économiques - Bac - 1 - 100945-1

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Histoire des faits économiques et sociaux BAC _1_2023 Chef de Travaux IDI OMARI Patient

Introduction

L'histoire des faits économiques est entendue comme l'étude et l'analyse des phénomènes
économiques du passé grâce aux méthodes des sciences historiques (analyse des documents,
récits, archives, sources diverses) mais aussi naturellement des sciences économiques :
analyse économique (au sens des méthodes issues de l'ensemble des théories économiques :
classique, marxiste, néoclassique, keynésienne, institutionnaliste, etc.) et analyse quantitative
(économétrie et modélisation). Les deux disciplines ont bien sûr largement recours à la
statistique et à l'informatique puisqu'il s'agit de traiter les données souvent chiffrées
accumulées par les générations précédentes. Si les phénomènes économiques sont l'ensemble
des activités de production, d'échange et de consommation des biens et services, l'histoire des
faits économiques concerne toutes les périodes à partir desquelles les hommes se sont mis à
produire et à échanger des biens et services.

L'histoire économique se trouve, comme son nom l'indique, au carrefour de deux grands
domaines de la connaissance, l'histoire et l'économie. Comme ils sont tous deux ouverts à
d'autres champs du savoir, aussi bien dans les sciences sociales que dans les sciences exactes,
et qu'ils ont l'un et l'autre fait preuve d'un grand dynamisme, d'une sorte d'impérialisme vis-à-
vis des autres disciplines, leur rencontre sur le terrain de l'histoire économique ne va pas sans
heurts. Celle-ci est ainsi la fille des deux parents depuis longtemps séparés l'histoire et
l'économie.

L'histoire économique a connu une évolution importante dans les dernières décennies: l'école
des Annales a placé les phénomènes économiques et sociaux au premier rang des
préoccupations des historiens, tandis que les économistes ont réinvesti la discipline en
apportant leurs outils d'analyse. Les écoles de pensée ont profondément modifié les approches
et les interprétations sur nombre d'aspects essentiels des faits économiques du passé. C'est le
cas des racines anciennes de la révolution industrielle, de ses mécanismes au 18ème siècle, ou
rôle comparé de la France et de l'Angleterre dans cette grande transformation.

Ce cours vise à présenter les nouvelles analyses et leurs résultats, dans le cadre d'une histoire
générale des faits économiques et sociaux dans le monde. L'accent est mis sur les
transformations institutionnelles et les changements techniques qui apparaissent comme les
deux sources principales du développement économique, et particulièrement du phénomène
d'industrialisation rapide à partir des années 1760.

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Loin de prétendre à l'exhaustivité, le premier chapitre de ce cours présente l'histoire des faits
économiques, telle qu'elle a été appréhendée par les premiers historiens et économiques, ainsi
que les grandes questions qu'elle aborde de façon récurrente (croissance économique,
changement technique, évolution démographique). Le deuxième chapitre traite des époques
préindustrielles depuis la révolution néolithique, en distinguant les économies précapitalistes,
dans l'Antiquité puis au Moyen-âge, et les économies mercantilistes en Europe, de la fin du
15ème au début du 18ème siècle. Le troisième chapitre aborde alors la révolution industrielle
au 18ème siècle, en Angleterre et en France, jusqu'à la fin de la période révolutionnaire, en
1815. Il va sans dire que la révolution des transports observée au 19ème siècle est, elle aussi,
abordée. Enfin, le quatrième chapitre analyse la première et la seconde mondialisation, tout en
abordant au passage la crise de 1929. Les autres faits comme libéralisation commerciale de
1850, la croissance et le nouvel ordre mondial de la période de 1945 à 1970, la période de
1975 à 2005 considérée comme temps de rupture ainsi que d’autres phénomènes économiques
feront l’objet des travaux personnels de l’étude pouvant toutefois être exécutés en groupes.

L'unique ambition de ce cours est d'amener les étudiants à qui il est destiné à connaître les
grands faits économiques et sociaux mondiaux, avant la période précapitaliste ou
préindustrielle jusqu'après la seconde mondialisation. La connaissance de ces phénomènes est
indispensable pour la compréhension des idées et pensées économiques qui ne peuvent en
aucun moment s'en dissocier; les faits influencent la pensée et cette dernière s'inspire des faits.

Chapitre premier : Les grandes questions de l’histoire des faits


économiques

Dans la quantité des thèmes auxquels s’intéresse l’histoire des faits économiques, la littérature
semble accorde une importance capitale aux questions récurrentes se rapportant à la
croissance économique (I.1), le changement technique (I.2) et l’évolution démographique
(I.3).

I.1. La croissance

La croissance économique – c’est-à-dire la hausse de la production à long terme – a quatre


origines, dont l’analyse peut être attribuée à un auteur différent :

- La croissance smithienne résulte de l’intensification de la division du travail, liée à


des échanges accrus. Tant au plan intérieur qu’international, comme Adam Smith et

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David Ricardo l’ont montré, le développement du commerce, favorisé par divers


facteurs – l’apparition de la monnaie autrefois, la sécurité accrue des transactions
grâce à la stabilité politique, au renforcement du droit et de la paix internationale, au
progrès des transports, etc. – conduit à une meilleure allocation des ressources, un
accroissement de la productivité et donc à la croissance économique.
- La croissance schumpetérienne provient de connaissances accrues, de progrès
techniques, d’inventions et d’innovations qui permettent d’augmenter la productivité,
et cela sans sacrifice de la part de la population en termes de consommation. Le
domaine d’application est vaste, le plus important est bien sûr celui de la production,
mais on peut aussi avoir des innovations juridiques ou institutionnelles qui favorisent
la croissance, comme par exemple l’extension des relations de marché au XVIIIe
siècle. Joseph Schumpeter, économiste autrichien du début du xxe siècle a attaché son
nom à ce type d’explication.
- La croissance solovienne dépend de l’investissement : si la formation de capital
progresse plus vite que la population, la productivité s’accroît, les travailleurs
disposant individuellement d’équipements plus importants. Cela conduit là encore à la
croissance économique, considérée comme la progression de la production par
habitant et donc du revenu par tête. L’expression fait référence au modèle
néoclassique de croissance de Robert Solow (1950). L’élévation du niveau de vie à
venir est obtenue, à la différence des autres cas, au prix de sacrifices présents,
l’investissement supplémentaire étant la contrepartie d’une réduction de la
consommation.
- La croissance boserupienne, du nom d’Ester Boserup qui a soutenu qu’une pression
démographique pouvait conduire à l’adoption de méthodes de production plus
intensives dans l’agriculture, et donc à la hausse de la productivité et des niveaux de
vie. Par ailleurs, la croissance démographique peut permettre des économies d’échelle,
les coûts fixes étant répartis sur une population plus nombreuse. Enfin pour les pays de
petite taille, elle peut simplement être un moyen d’accroître la division du travail
insuffisante jusque-là.

En réalité les causes sont le plus souvent mélangées – ainsi le stock de capital change en
quantité mais aussi en qualité, ce qui relie le progrès technique à l’investissement, donc la
croissance schumpetérienne à la croissance solovienne, ou encore le progrès technique permet
la baisse des coûts du transport et facilite donc également les échanges (croissances

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schumpetérienne et smithienne). À partir de ces notions, on peut maintenant s’interroger sur


les causes institutionnelles de la croissance à long terme. Qu’est-ce qui explique que telle
société mette en place des modes d’organisation, une culture, des mentalités, des règles, des
institutions qui permettent la croissance ? Les plus grands auteurs se sont penchés sur la
question et ont donné des réponses différentes qui sont résumées ci-après.

I.1.1. Karl Marx et le capitalisme

Après avoir été un système progressiste jusque vers 1300 (hausse de la productivité,
croissance démographique, début d’accumulation), le féodalisme entre en crise avec le
développement des contradictions entre tenanciers et seigneurs. Le démantèlement progressif
des relations féodales dans la phase de transition vers le capitalisme (XVe au XVIIIe siècle)
s’explique par l’extension des échanges à l’échelle internationale (selon la fameuse formule
de Marx, « le commerce mondial et le marché mondial inaugurent au XVIe siècle la
biographie moderne du capitalisme ») et aussi par le développement des villes, lieux de liberté
et par définition carrefours d’échanges, qui favorisent les relations de marché par opposition
aux relations féodales. Le marché du travail se forme peu à peu, et au XVIIe siècle les progrès
agricoles et les enclosures permettent encore son extension, le salariat devenant la forme
principale des relations sociales. Les changements démographiques et techniques ne sont pas
à l’origine des évolutions mais plutôt leur conséquence, ce sont les bouleversements dans les
relations sociales qui déclenchent le processus. Le capitalisme apparaît avec la séparation des
travailleurs de leurs moyens de production, ils n’ont plus à vendre que leur force de travail, et
le producteur individuel, l’artisan dans son atelier, est remplacé par l’usine et la production de
masse qui permettent l’exploitation sur une grande échelle ainsi que l’introduction constante
d’innovations technologiques, facteurs de croissance.

Pour Marx, le capitalisme est un système dynamique, un progrès par rapport à tous les modes
de production antérieurs, son rôle historique est de réaliser l’accumulation du capital qui
permet le développement des forces productives, et par là le passage plus tard à des modes
d’organisation supérieurs, socialisme et communisme.

I.1.2. Joseph Schumpeter et les innovations

Pour Schumpeter, le capitalisme, animé par des entrepreneurs innovateurs, se caractérise par
un changement permanent, de nouveaux produits, de nouveaux marchés, des progrès dans les
processus productifs et dans les modes d’organisation, mais aussi la disparition d’anciens

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secteurs, une destruction créatrice. Ces progrès ont un aspect discontinu : il s’agit de ruptures
par rapport aux procédés traditionnels, de modifications qualitatives plus que quantitatives.
Les innovations arrivent par grappes, car une découverte ouvre le champ à d’autres, à des
imitateurs, et entraîne des applications multiples. Cela a été le cas de la fin du XVIIIe siècle
pendant la révolution industrielle et de la fin du XIXe (la deuxième révolution industrielle), et
sans doute – après la mort de Schumpeter (1950) – des mutations techniques actuelles, basées
sur l’information, l’espace et la génétique. Une conséquence de ces vagues successives
d’innovations est le caractère cyclique de la croissance capitaliste. Schumpeter reprend
l’analyse de Simiand et Kondratiev en donnant une explication des cycles : les phases
ascendantes seraient dues à l’arrivée d’une innovation marquante (coton, chemin de fer,
automobile), et les phases descendantes à des périodes de creux technologique, comme celles
situées entre les machines textiles et les chemins de fer (1814-1827), entre les chemins de fer
et l’automobile (1870-1885), entre celle-ci et la généralisation des biens de consommation
durables d’après-guerre, la période de crise 1925-1945.

I.1.3. Karl Polanyi et le marché autorégulateur

Pour Karl Polanyi dans La grande transformation (1944), les relations économiques ont été
immergées (embedded) dans les relations sociales jusqu’au xixe siècle. Les facteurs
économiques ne sont dominants qu’à partir de la révolution industrielle et l’apparition de
l’économie capitaliste de marché, ils deviennent alors autonomes, désengagés (disembedded)
des relations sociales. L’évolution majeure qui commence vers le xve siècle et aboutit à la fin
du xviiie se caractérise par la généralisation des relations de marché, la création d’un nouveau
système d’organisation économique, autour d’activités jusque-là en arrière-plan, mais qui
envahissent désormais tous les comportements humains : « Nous avançons l’idée que tout cela
(la révolution industrielle et les transformations qui l’ont accompagnée) était simplement le
résultat d’un unique changement fondamental, la création d’une économie de marché ». Celle-
ci se caractérise par la monétisation progressive des facteurs de production. La terre, le travail,
le capital peu à peu s’échangent, ils ont des prix qui varient sur les marchés selon l’offre et la
demande qui en sont faites.

Les causes plus précises de cette évolution sont à rechercher d’une part dans le mouvement
des enclosures, et d’autre part dans les grandes découvertes des xve-xvie siècles.

• Les enclosures (clôtures de terres) commencent en Angleterre au xiiie siècle et le


mouvement s’étend jusqu’au xixe. Il s’agit au départ des terres à pâturage destinées à

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l’élevage des moutons et à la production de laine. Les seigneurs éleveurs s’aperçoivent


des possibilités considérables de gain que la vente de laine représente, vers les villes
ou les centres textiles des Flandres. Pour les réaliser il faut gérer et surveiller les
troupeaux, donc enclore. Le résultat est double, les terres deviennent mieux
identifiables comme propriété d’une personne et commencent à être vendues : c’est
l’apparition du facteur de production terre, échangeable sur un marché. On passe ainsi
des relations féodales où la terre confère pouvoir et prestige, et où elle est exploitée en
commun dans le champ ouvert collectif (open field) et rarement vendue, à une
première forme de capitalisme agraire. Une deuxième conséquence des enclosures est
le début d’un exode rural des paysans chassés de leur terre, car la surveillance des
troupeaux exige moins de main-d’œuvre que la culture. Le travail devient aussi un
facteur de production échangeable sur un marché : le marché du travail. Le salariat
remplace peu à peu les relations hiérarchiques du Moyen Âge caractérisées par les
contraintes héréditaires des tenanciers vis-à-vis des seigneurs.
• Les grandes découvertes auront des effets comparables, cette fois-ci dans toute
l’Europe, mais selon des voies différentes. L’afflux d’or et surtout d’argent depuis les
mines d’Amérique provoque la grande inflation du xvie siècle. Une première
conséquence est la hausse des profits, les prix augmentant plus vite que les salaires.
Cette hausse permet des investissements et une accumulation progressive du capital à
l’origine d’un enrichissement du continent, facilitant plus tard la révolution
industrielle. Une autre conséquence de l’inflation est la ruine progressive des titulaires
de revenus fixes, notamment les propriétaires terriens. Ceux-ci forment une nouvelle
catégorie sociale, celle des nobles sans fortune condamnés à vendre leurs terres à ceux
qui, comme les bourgeois enrichis par l’inflation, peuvent les acquérir. Ainsi, de
même qu’avec les enclosures, le résultat est l’apparition et le développement du
marché de la terre, facteur de production. En outre ces aristocrates ruinés se tournent
vers le commerce ou l’industrie, dérogeant ainsi à leurs traditions, et favorisent par-là
l’essor du capitalisme.

Cette longue transformation dans laquelle les fiefs deviennent un facteur de


production, la terre, fournissant un revenu (la rente) ; où les serfs deviennent des
hommes libres de vendre leur travail rémunéré par un salaire ; et où le trésor devient
un capital destiné à rapporter profit ou intérêt, est celle de la naissance du capitalisme
de marché, système où les biens mais aussi les facteurs de production sont échangés

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sur des marchés qui fixent leurs prix. Un système économique entièrement nouveau
apparaît, où les richesses sont destinées à la vente, et pas seulement des objets de
prestige permettant l’affirmation d’un statut, un système dans lequel les hommes sont
animés essentiellement par des valeurs matérielles comme la recherche du profit, et
non plus des valeurs liées au pouvoir et au prestige artistique, intellectuel ou spirituel.

I.1.4. Walt Rostow et les étapes du développement

Rostow, dans son ouvrage de 1960 sur les Étapes de la croissance économique, met l’accent
sur le décollage (take-off) et ses conditions préalables (développement agricole,
infrastructures), sur la croissance auto-entretenue, sur les effets de liaison obtenus par les
industries motrices et les secteurs de pointe (leading sectors), sur le doublement du taux
d’investissement. Les critiques se sont accumulées et il ne devrait donc pas rester grand-chose
du modèle, cependant il est toujours un passage obligé des ouvrages sur le développement et
l’histoire économique. La plupart des notions forgées par l’auteur sont restées, ont été
approfondies par d’autres, et font partie désormais de la trousse à outil de l’économiste ou de
l’historien. La raison de ce succès durable est que le grand schéma de Rostow représente de la
façon la plus claire le concept du développement linéaire, la Grande-Bretagne ouvrant la voie
et tous les autres pays suivant avec retard. Cette idée garde une grande partie de son pouvoir
explicatif du monde actuel, bien que les faits concordent parfois assez mal avec le modèle
initial. La France par exemple n’a pas connu de décollage marqué et pourtant elle se retrouve
au même niveau que l’Angleterre deux siècles après la révolution industrielle. Les industries
motrices – et s’il en est une au xixe siècle c’est bien celle des chemins de fer au sens propre et
figuré – se révèlent finalement « dispensables » comme Fogel et d’autres l’ont montré. Enfin,
l’argument de Rostow est dans une certaine mesure circulaire, comme le remarque
Gerschenkron, car à la question comment la croissance a commencé, il répond : parce que les
conditions préalables ont été réunies ; et si on demande comment sait-on que ces prérequis
sont réunis, la réponse est : parce que la croissance a commencé !

I.1.5. Alexander Gerschenkron et les Latecomers


Gerschenkron est l’auteur d’un modèle explicatif de l’industrialisation dans les pays qui sont
arrivés en retard dans la grande transformation de la fin du xviiie en Europe occidentale, les
latecomers, tels l’Allemagne, la Russie tsariste ou le Japon : plus le pays est en retard, plus

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rapide sera son industrialisation. C’est le retard même et la tension ainsi provoquée dans la
société, qui jouent un rôle positif :
• en incitant l’État à intervenir ;
• en poussant des groupes dynamiques à se mobiliser pour relever le défi ;
• en favorisant dans les entreprises l’importation des techniques les plus modernes, ce
qui permet de bénéficier du réservoir technologique international, sans avoir à repasser
par les étapes hasardeuses de la création.

Les conditions préalables ne sont plus nécessaires à la croissance, chaque pays peut trouver
des moyens pour contourner l’absence de telle ou telle de ces conditions. Le cas anglais ne
peut donc constituer une voie unique du développement et chaque pays suit un cheminement
différent.

I.1.6. Les interprétations néo-institutionnalistes


a) Rosenberg et Birdzell : une sphère économique autonome
Dans leur ouvrage classique (Comment l’Occident s’est enrichi), ces deux auteurs expliquent
le développement économique, dans un cadre général néoclassique, en mettant l’accent sur «
la naissance d’une sphère économique autonome » et sur le rôle des innovations d’ordre
technique, mais aussi commercial et institutionnel. La chute de la féodalité à la Renaissance
voit le desserrement des contraintes exercées par les autorités politiques ou religieuses sur les
activités économiques. Les transactions deviennent plus libres et le partage entre les unités
soumises à une réglementation publique (manufactures et corporations) d’une part, et les
entreprises libres de déterminer leur production et de fixer leurs prix, d’autre part, se fait
progressivement à l’avantage des secondes. Les industries rurales, proches des matières
premières et des sources d’énergie, peuvent alors échapper aux réglementations tatillonnes
régnant dans les villes. Une sphère économique autonome apparaît qui se libère à la fois des
autorités et de l’Église. L’autre aspect est celui des innovations facilitées par l’avènement
d’un esprit scientifique au xviie siècle, basé sur la méthode expérimentale. La division de
l’Europe en multiples nations et la foule des artisans et entreprises décentralisés garantit une
sorte d’assurance collective pour la société : sur le nombre, on était sûr de ne pas perdre une
idée intéressante. Les groupes qui auraient pu résister à telle ou telle invention sont en Europe
dans une position moins favorable que dans les empires centralisés (Chine, Empire ottoman,
Inde des Moghol) du fait de cette décentralisation extrême des décisions et des possibilités
d’investissement. Ces innovations ne concernent pas seulement les techniques nouvelles bien

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connues comme les métiers à filer et à tisser, les forges, les machines à vapeur, etc., mais elles
doivent être prises dans un sens large qui inclut :

• La découverte de marchés neufs et de nouvelles formes d’échange fournis par les


armateurs et les marchands-aventuriers que l’Europe lance sur les mers du globe à
partir du xve siècle.
• L’apparition de produits nouveaux et bon marché qui atteignent les masses plus que
les privilégiés, comme par exemple les textiles de coton et les produits du fer au xviiie
siècle.
• Les innovations dans l’organisation, notamment des firmes, caractérisées par un
processus de diversité croissante. On peut citer toutes les formes d’entreprises en
renouvellement permanent (par exemple au xixe siècle les sociétés anonymes, les
coopératives, les divers types de banques).
• Les innovations dans la fiscalité : à la fin du Moyen Âge en Occident, le
remplacement progressif des pratiques de confiscation et de spoliation de l’État par
des impôts réguliers est un puissant facteur du développement économique. Les
richesses n’ont plus besoin d’être dissimulées, la sécurité des biens est mieux garantie.
Les échanges, les investissements et le calcul économique en sont favorisés. Cette
mutation n’a pas été réalisée en Asie et dans les pays d’Islam où les exactions du
pouvoir vis-à-vis des producteurs et des marchands ont duré beaucoup plus longtemps,
ce qui explique que l’accumulation du capital ne s’y soit pas réalisée aussi vite.

b) Robert Heilbroner et les villes

La relation villes-campagnes est cruciale dans l’explication du développement en Occident et


l’extension des relations de marché. À la question pourquoi ces relations ont-elles pu se
développer en Europe, expliquant finalement la révolution industrielle au xviiie siècle, et pas
ailleurs, en Chine ou dans les pays musulmans, ou encore dans les empires d’Afrique, ou
d’Amérique précolombienne, on peut donner avec Heilbroner la réponse suivante. L’Europe
occidentale a été le théâtre d’un événement majeur, d’un véritable cataclysme qu’aucune des
autres grandes civilisations n’a connu : il s’agit de la disparition complète, radicale, d’un
pouvoir centralisé et autoritaire avec la chute de l’Empire romain en 476. Les dix siècles qui
ont suivi, période qui correspond au Moyen Âge, ont été caractérisés par un émiettement du
pouvoir, une absence d’autorité unique sur les peuples européens, et au contraire, jusqu’à
l’apparition des États-nations modernes au xve siècle, l’existence d’une multitude de
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seigneuries rivales dont l’autorité ne s’étendait au mieux qu’au cadre régional. Ce vide du
pouvoir central a laissé la place à une plus grande liberté que justement les cités se sont
efforcées avec succès de conquérir en développant leurs franchises. La montée des villes à
partir du xie siècle, carrefours et donc lieux privilégiés de l’échange, c’est-à-dire de la
spécialisation et du marché, explique la naissance du capitalisme en Occident. Comme le dit
Braudel, « en Occident, capitalisme et villes, au fond, ce fut la même chose ». Nulle part
ailleurs, que ce soit en Chine, en Inde ou dans le monde musulman, les villes, soumises à un
pouvoir centralisé fort, n’ont pu développer ces libertés économiques, libertés qui ont été
préservées en Europe malgré le retour des États autoritaires, c’est-à-dire les monarchies
absolues du xve au xviiie siècle. Cependant l’organisation de la production manufacturée dans
les villes mêmes, sous forme des organisations de métiers (guildes, jurandes, corporations),
deviendra progressivement un obstacle à l’extension du marché, du fait des multiples
réglementations et de l’absence de concurrence. Les corporations représentaient un progrès à
l’époque de l’économie domaniale fermée, au début du Moyen Âge, mais elles deviennent un
frein par la suite. Si « l’air de la ville rendait libre » au Moyen Âge, c’est l’air de la campagne
qui joue ce rôle pour les entreprises à partir du xvie siècle avec ce qu’on a appelé le putting-
out system, parce que les réglementations urbaines corporatistes et étatiques n’y ont pas cours.

c) Douglass North et les coûts de transaction

Pour Douglass North, les institutions et leur évolution donnent la clé de la performance des
économies, c’est-à-dire de la croissance. À côté des coûts de production, retenus par l’analyse
économique, les coûts de transaction ont été négligés jusqu’à ce que Ronald Coase observe
dans un article de 1937 que les marchés parfaits de la théorie néoclassique supposent des
coûts de transaction nuls, ce qui est peu conforme à la réalité. Les coûts de transaction
résultent de la gestion et de la coordination du système économique dans son ensemble. Ainsi,
dans une société complexe, la plupart des gens ne sont pas engagés directement dans des
activités de production, mais dans des activités visant à réduire ces coûts, qui représentent
environ la moitié du PIB d’après les estimations de North pour l’économie américaine. Ce
sont tous les coûts qui ne sont pas liés au processus physique de production, on peut les
classer en trois catégories :

- coûts de recherche de l’information nécessaire à l’échange ;


- coûts de négociation, impliqués par la détermination des conditions et termes de
l’échange ;

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- coûts d’application des contrats (enforcement costs).

Des coûts de transaction élevés constituent un obstacle à la croissance et le rôle des


institutions est justement de les réduire pour favoriser celle-ci. L’histoire économique de
l’Occident et le succès des pays qui ont fait leur révolution industrielle sont « l’histoire de la
mise en place progressive d’institutions adaptées, propres à contenir la montée des coûts de
transactions qui accompagne la division accrue du travail et donc la complexité croissante des
sociétés » (North). En effet, dans une communauté réduite, les liens personnels limitent ces
coûts car les participants à l’échange se connaissent et sont donc obligés d’adopter des normes
d’équité. Les coûts de production y sont par contre élevés car la société n’est pas spécialisée
et dispose de peu de capital technique. Lorsque les marchés s’élargissent, les relations
économiques deviennent impersonnelles et il faut protéger les contractants des fraudes ou
abus et autres pratiques coûteuses ou dissuasives des échanges par tout un arsenal
institutionnel, notamment juridique. La morale ordinaire permet également de limiter les coûts
de transaction car elle réduira la nécessité d’un contrôle, les individus tendant à se comporter
de façon honnête et équitable pour rester en accord avec leurs principes plus que par crainte
des contraintes légales.

Les institutions sont définies comme les règles, les codes de conduites, les normes de
comportement, mais aussi la manière dont ces conventions sont appliquées (soit par soi-
même, soit par la partie adverse, soit par l’État). Les droits de propriété sont essentiels ici (le
cadre théorique développé par North est connu sous le nom de théorie des property rights) ; et
particulièrement dans le domaine de l’innovation : la propriété des inventeurs sur leur
invention, avec un système de protection du type brevet ou licence. En termes néoclassiques,
le taux de rendement social de l’invention doit s’approcher du taux de rendement privé, c’est-
à-dire que non seulement la société dans son ensemble, mais aussi l’inventeur, en bénéficient.
Ainsi les institutions favorisent le changement et le progrès. On doit distinguer les institutions
des organisations comme les entreprises, les administrations, les groupes de pression, les
associations, etc., qui dans le langage courant sont appelées justement institutions. Les
organisations sont donc les joueurs, et les institutions les règles du jeu. Elles changent avec le
temps, s’adaptent aux nouvelles techniques, aux modifications des prix relatifs, aux idées
différentes, de façon essentiellement continue, progressive, selon des voies tracées par la
structure institutionnelle passée. C’est ce qu’on appelle la dépendance par rapport au sentier
(path dependence), formule imagée qui implique que le présent est dans une large mesure

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conditionné par le passé, et que des tendances lourdes se maintiennent du fait des forces
d’inertie des sociétés et des comportements.

Par exemple, pour North, la bureaucratie centralisée de la couronne castillane, « orientée pour
le seul profit de cette dernière », produit par-delà les siècles le sous-développement des
anciennes colonies espagnoles en Amérique ; alors que la Grande Charte de 1215 en
Angleterre, premier jalon dans l’établissement de droits de propriété sûrs, et tous les progrès
institutionnels jusqu’au triomphe du Parlement en 1689, sont à l’origine du succès
économique non seulement de l’Angleterre mais aussi des anciennes colonies anglaises
d’Amérique, et en premier lieu des États-Unis. Appliqué à l’histoire économique, ce cadre
théorique permet à North d’affirmer que « L’essor du monde occidental est l’histoire
d’innovations institutionnelles réussies qui sont venues à bout de la faim et des famines, des
maladies et de la pauvreté, pour produire le monde développé moderne ». Au départ,
l’expansion démographique des peuples de chasseurs conduit à un lent épuisement des
ressources et donc à l’affirmation progressive des droits de propriété des clans sur leur
territoire. Ce renforcement des property rights a mené à la première révolution économique
(celle du néolithique) par l’incitation accrue à utiliser de nouvelles techniques (le passage à
l’agriculture). Une transformation évidemment majeure qui aura pour conséquence
l’intensification de la division du travail et des échanges, ainsi que l’apparition des premières
formes d’État, chargées d’appliquer les droits de propriété.

À la fin de l’Antiquité, la chute de Rome ouvre une période de chaos en Europe d’où
émergent graduellement des îlots de stabilité. Vers la fin du 10ème siècle les invasions
normande, arabe, magyare cessent, la division du travail et les échanges progressent à
nouveau, et la productivité dans l’agriculture s’élève, ce qui permet la reprise de la croissance
démographique. Le prix de la terre tend alors à monter relativement au travail, provoquant des
réponses techniques comme les rotations culturales et l’utilisation des premières machines (les
moulins). Mais ces progrès sont insuffisants pour enrayer les rendements décroissants et la
population s’effondre finalement avec la grande crise du 14ème siècle (peste, famine, guerres).
Les changements dans les techniques militaires mènent de leur côté au démantèlement du
féodalisme et au renforcement des monarchies. Celles-ci échangent la protection qu’elles
garantissent aux droits de propriété contre le droit de taxer les activités privées. Entre le 15ème
et le 18ème siècle, certains pays mettent en place des institutions favorables au progrès
économique (la Hollande et l’Angleterre), tandis que d’autres ne parviennent pas à le faire
(l’Espagne ou la France). Ces institutions permettent de contenir la montée des coûts de

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transaction, d’accroître la productivité de telle façon que la tendance aux rendements


décroissants dans l’agriculture soit contrée, de récompenser les innovateurs, bref de
rassembler les conditions favorables à la révolution industrielle.

Celle-ci consiste en une spécialisation accrue grâce à l’élargissement des marchés, et un


changement dans l’organisation économique pour limiter les coûts de transaction, ce qui a
favorisé à son tour les innovations techniques et la croissance. Mais c’est la deuxième
révolution industrielle à la fin du 19ème siècle, caractérisée par la « croissance du stock des
connaissances » et l’interpénétration totale de la science et de la technologie, qui constitue en
fait le point de rupture majeur, comparable à ce qu’a été la révolution néolithique, et North
peut alors parler d’une seconde révolution économique, amenant « une courbe d’offre
élastique des connaissances nouvelles, une technologie capitalistique et la nécessité de
changements majeurs de l’organisation économique pour réaliser le potentiel de cette
technologie ». Ces changements sont ceux que nous connaissons actuellement, c’est-à-dire
l’hyperspécialisation et la hausse sans précédent des niveaux de vie, et là encore le
développement de tout un secteur tertiaire qui devient dominant et dont le rôle est de
coordonner et de faire fonctionner une société de plus en plus élaborée (« de permettre des
échanges complexes en réalisant une adaptation efficace » [North]). La croissance n’est donc
possible que par le jeu d’équilibre entre les deux types de coûts : les coûts de production qui
baissent avec les changements technologiques, les coûts de transaction qui augmentent avec la
complexification de la société, et les institutions qui s’adaptent pour limiter cette
augmentation. Si cette adaptation n’est pas réussie et si les coûts de production ne baissent pas
suffisamment pour compenser la hausse des coûts de transaction, la croissance peut être
bloquée comme nombre de sociétés l’ont expérimenté à l’Est et au Sud.

I.2. Les techniques

On ne peut guère concevoir le progrès technique sans le progrès économique, car le premier
accélère le second. Longtemps délaissée par les historiens et par les économistes, l’histoire
des techniques revient au premier plan, de même que l’analyse du progrès technique.
Pourquoi et comment se produisent les inventions, qu’est-ce qui explique les phases de
créativité technique dans l’histoire, les différences entre des cultures comme celles de l’Inde,
la Chine, l’Islam, l’Occident, dans ce domaine particulier ? La science économique a assez
peu progressé sur ces questions et le processus de l’innovation est encore mal compris.
L’apport de l’histoire économique est inestimable et la compréhension du phénomène passe

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nécessairement par l’étude des inventions elles-mêmes dans les périodes où elles arrivent en
foule, comme à la fin du xviiie siècle en Angleterre. Mais la théorie économique
conventionnelle, néoclassique ou keynésienne, est de peu d’utilité : comment expliquer le
progrès technologique en termes de coûts et de bénéfices, ou bien en termes de demande
effective ? Ce n’est pas un seul, mais cent facteurs, la plupart non économiques, qui entrent en
jeu pour expliquer l’innovation. L’analyse économique enferme l’homme dans un corps de
contraintes données où il est censé agir rationnellement, mais elle ne se pose jamais la
question de savoir ce qui se passerait s’il tentait de modifier ces contraintes elles-mêmes, ou
pourquoi il le ferait. Or c’est justement ce que fait l’inventeur : il change les règles du jeu en
rejetant les routines. Qu’est-ce qui explique cette faculté ? Pourquoi certaines sociétés sont-
elles plus créatives que d’autres à certains moments de leur histoire et produisent-elles alors
davantage d’iconoclastes ou d’excentriques capables de faire avancer tout le corps social ?
Trois conditions doivent être satisfaites pour voir le progrès technique s’épanouir : un milieu
favorable à la science, en lieu et place du règne de la tradition et de la superstition ;
l’existence de stimulants pour récompenser les inventeurs-innovateurs ; une société ouverte et
diverse où les opposants potentiels au changement ne sont pas en position dominante.

L’Europe de la Renaissance fournit l’exemple d’une civilisation où ces conditions sont peu à
peu réunies et se renforcent. L’avance de la Chine en matière technique jusqu’à cette époque,
par rapport à toutes les autres civilisations, peut s’expliquer simplement par le nombre. La
plupart des inventions avant les Temps modernes, en Chine ou ailleurs, viennent de
l’expérience des artisans, des fermiers et de quelques génies isolés, qui découvrent de manière
fortuite des procédés nouveaux par l’observation de la nature et de ses mécanismes. Plus la
population est importante, plus les chances de découvertes heureuses et utiles sont élevées, et
la Chine grâce à son poids démographique réalisera le plus grand nombre de progrès
technologiques et scientifiques (hauts-fourneaux, métiers à filer et à tisser, horloges
hydrauliques, papier, poudre, boussole, gouvernail, imprimerie, aimant, engrais, machines
agricoles, etc.). Le grand historien de l’empire du milieu, J. Needham, affirme ainsi qu’entre
le ier siècle avant J.-C. et le xve, la civilisation chinoise était beaucoup plus efficace que les
civilisations occidentales pour appliquer les connaissances à la satisfaction des besoins
humains fondamentaux ; il soutient également que les institutions, fondées sur le mérite,
étaient plus rationnelles qu’en Occident. Mais avec les Temps modernes et la révolution
scientifique du xviie siècle, les découvertes résultent de plus en plus de l’application d’une
méthode rigoureuse, d’expériences organisées de manière systématique et analytique.

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L’Europe prend dès lors la tête des progrès techniques parce que la Chine continue à reposer
sur le hasard et la multitude des expériences isolées, caractéristiques de l’ère prémoderne. Un
autre domaine qui permet de comprendre le processus du changement technique est celui de la
biologie. Les économistes tendent de plus en plus à dépasser la science économique et son
cadre conceptuel rigide pour faire appel à d’autres sciences et notamment la théorie de
l’évolution, approche connue sous le terme Evolutionary economics. Il y a une analogie entre
la science économique, qui s’intéresse au comportement individuel de maximisation de
l’utilité, et la biologie, qui étudie la cellule dont le but est de s’adapter pour la survie. Toutes
deux analysent le comportement individuel d’adaptation plutôt qu’elles n’étudient les
groupes. À l’image de la cellule ou de l’animal, l’homme agit rarement de façon altruiste. Il
ne le fait en général que si cela correspond à son propre intérêt. Naturellement, et
heureusement, les comportements désintéressés, s’ils ne sont pas la norme, sont assez
répandus, mais ils le sont aussi, ce qu’on sait moins, dans le règne animal. La fonction
d’utilité ne se limite pas à la satisfaction personnelle, mais va au-delà, vers la reproduction de
l’espèce, comme les biologistes l’ont appris aux économistes. Ainsi épargner jusqu’à sa mort
n’est pas rationnel en termes économiques, mais cela le devient cependant en termes
biologiques, puisqu’il s’agit de l’intérêt de l’espèce, même à l’encontre du sien propre. De
même un comportement ouvert et coopératif est plus profitable qu’un comportement méfiant
et égoïste, car il attire de la part des autres une réponse identique. Un autre exemple
d’application, en histoire économique celui-là, se trouve dans le cas des taux d’intérêt à long
terme qui sont influencés par la biologie des êtres humains (la plus ou moins grande
préférence pour le présent dépend de la longévité), et ainsi au xviiie siècle les progrès dans
l’espérance de vie expliquent la baisse des taux d’intérêt, favorable à la croissance.

Les analogies biologiques peuvent être utilisées dans le domaine des techniques. On peut
appliquer la théorie biologique moderne de la survie des mieux adaptés aux milliers
d’inventions qui naissent et meurent, connaissent le succès ou l’échec au cours des âges. Les
mécanismes de la concurrence et de la sélection darwinienne y jouent également. De la même
façon, la distinction faite en biologie entre les micromutations qui modifient graduellement les
caractéristiques d’une espèce, et les macromutations qui aboutissent à la création de nouvelles
espèces, peut s’appliquer aux découvertes. L’amélioration des techniques existantes (micro-
inventions) et la création de techniques radicalement nouvelles (macro-inventions) sont deux
processus parallèles, indispensables et complémentaires. Les microinventions sont sujettes à
des rendements décroissants, et sans les macroinventions à intervalle périodique la hausse de

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la productivité cesserait. On peut trouver des causes économiques aux premières (réaction à
des exigences de prix, de demande, de coûts), mais pas aux secondes qui dépendent du génie
et de la chance de certains individus hors du commun. La macro-invention représente une
rupture, un « nouveau départ conceptuel », sans parenté directe avec les techniques existantes.
Les exemples abondent, comme les moulins, les horloges mécaniques ou les caractères
mobiles de Gutenberg au Moyen Âge ; la machine de Newcomen, la montgolfière, le métier
de Jacquard ou le blanchiment au chlore de Berthollet au xviiie siècle ; l’hélice, le moteur à
quatre temps, le téléphone, la radio, au xixe siècle ; la télévision, l’ordinateur, le transistor, le
laser, Internet, au xxe. Une macro-invention crée un champ d’application très vaste pour
toutes les micro-inventions qui se développent autour et après elle. « La révolution
industrielle est caractérisée au plan technique par un phénomène d’agglomération des macro-
inventions qui ont mené à une accélération des microinventions » (Joel Mokyr).

L’invention, forcément primitive au début, n’est qu’une fraction minime des innovations qui
suivront, que les premiers inventeurs ne peuvent même pas imaginer. Ainsi la machine à
vapeur sert d’abord pendant des décennies à pomper l’eau des mines, puis elle se transforme
en moteur pour de multiples industries et ensuite pour les transports sur rail et sur mer, et
enfin elle devient un moyen de fabriquer de l’électricité. Marconi en inventant la radio pensait
que cette découverte n’aurait que des usages limités, là où on ne pourrait pas installer des fils,
comme dans le cas des navires. Le laser semblait de peu d’utilité au départ avant de
s’introduire un peu partout, des disques à la médecine, en passant par le téléphone et le
découpage des textiles. Le patron d’IBM après la guerre pensait que la firme devrait se retirer
du secteur des ordinateurs car la demande mondiale se limiterait à une quinzaine de
machines… Autrement dit, les innovations consistent à améliorer l’invention et lui trouver de
nouvelles applications, elles sont aussi nécessaires que la macro-invention elle-même et leurs
effets économiques peuvent être encore plus importants. L’explosion des progrès
technologiques depuis la fin du xviiie siècle n’est évidemment pas sans lien avec une autre
explosion, tout aussi impressionnante, celle de la démographie.

I.3. La population

La population mondiale, de 300 millions en l’an mille, 700 millions en 1700, s’élevait à un
milliard au début du xixe siècle, 2,5 milliards en 1950, dépassait 6 milliards en l’an 2000, 7,5
milliards en 2016 et atteindrait 8,5 milliards en 2035. L’accélération peut être simplement
illustrée par le fait qu’entre le néolithique et le xviiie siècle le rythme de croissance a été d’un

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doublement tous les mille ans, alors que dans la deuxième moitié du xxe siècle ce doublement
a eu lieu en quarante ans… Les prévisions des démographes sont de 9,5 milliards en 2050 et
la population de la planète devrait se stabiliser autour de 10 milliards en 2100. Toutes les
régions du monde auront alors achevé leur transition démographique à la suite de l’Europe
aux xixe et xxe siècles, caractérisée par des naissances moins nombreuses qui équilibrent à
peu près les décès, également moins nombreux. La première révolution économique, selon la
terminologie de North, celle du néolithique, permet une expansion inouïe de la population : de
5 millions il y a dix mille ans à 200 millions au début de l’ère chrétienne. Trois grands foyers
de peuplement dominent : la Chine, l’Inde et le bassin méditerranéen, qu’on retrouve jusqu’à
aujourd’hui. Ils représentent les trois quarts de l’humanité au Ier siècle, entre 50 et 60 % au
Moyen Âge alors que le foyer méditerranéen inclut maintenant l’Europe occidentale. Par la
suite, avec l’expansion européenne du xvie siècle et la poussée démographique de la Chine,
ces trois ensembles remontent à 70 % de la population mondiale vers 1800. L’explosion de la
population dans le tiers-monde, au xxe siècle, fait retomber cette part à 50 % en 1980. L’Asie
passe de 54 % à 59 % de la population mondiale du début à la fin du siècle, mais l’Europe
décline de 23 à 10 %, l’Amérique du Nord se maintient à 5 %, tandis que l’Afrique monte de
7 à 12 % et l’Amérique latine de 4 à 9 %. En Europe, la France représente 15 % de la
population du continent en 1800 et 7 % en 1950, tandis que la Russie passe de 19 % à 34 %
(mais à nouveau à 20 % en 1992 après l’éclatement de l’URSS. Une vue à long terme permet
de constater qu’au cours de l’histoire les périodes d’expansion démographique ont également
été des périodes de renouveau. C’est le cas de la Grèce antique jusqu’au ve siècle, de Rome
jusqu’au iie siècle de notre ère, des civilisations du Croissant fertile, de celles de l’Inde et de
l’Extrême-Orient, et naturellement de l’Europe à partir du xie siècle.

Cameron distingue trois courbes logistiques (croissance rapide, puis décélération et


plafonnement) de la population en Europe après l’an mille :

• xie au xiiie siècle : défrichements, croisades et cathédrales, suivis de la crise du xive


où la population est réduite d’un tiers ou plus après la grande peste de 1348 ;
• xve et xvie siècles : explorations, marchés, sciences, suivis par le recul démographique
et les famines du xviie ;
• xixe siècle : industrie, impérialisme, domination mondiale, suivis de l’effacement
relatif du xxe siècle.

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Les phases de croissance démographique sont accompagnées d’une croissance économique,


de progrès techniques, d’un essor culturel et d’une expansion territoriale. Les phases de recul
s’expliquent par l’entrée dans des rendements décroissants, le piège malthusien caractérisé par
une population en hausse qui vient buter sur l’épuisement des ressources, quand les
techniques sont inchangées. C’est seulement depuis la révolution industrielle et l’explosion du
progrès technique que l’humanité peut éviter ce piège : des procédés de plus en plus efficaces
compensent la limitation des ressources et les rendements décroissants. La révolution
industrielle mérite donc bien son nom car « pour la première fois dans l’histoire une
expansion démographique ne débouche plus sur une crise majeure suivie d’une longue
période de stagnation » (Tilly).

L’idée d’une antinomie entre la croissance démographique et la croissance économique est


relativement récente, elle date des xixe et xxe siècles, avec Malthus d’abord, et l’explosion
démographique dans le tiers-monde ensuite qui renouvelle les craintes malthusiennes.
Cependant aujourd’hui plus encore que par le passé, la croissance de la population peut aller
de pair avec une augmentation de la production en moyenne plus rapide. L’élévation du
revenu par tête finit par provoquer une baisse de la natalité, selon le modèle de la transition
démographique qu’on peut maintenant observer partout.

Après ce panorama des principaux thèmes de l’histoire économique, un retour à la


chronologie permettra de faire le point sur les différentes époques à travers les travaux
récents, et notamment ceux de la nouvelle histoire économique. On présentera l’évolution des
économies de l’Occident, du bassin méditerranéen et du Moyen-Orient avant la révolution
industrielle, en étudiant d’une part l’économie antique et médiévale, et d’autre part celle des
Temps modernes : l’économie mercantiliste, du xve siècle jusqu’au début du xviiie. Les
révolutions industrielles des xviiie-xixe siècles seront ensuite analysées avec leurs
conséquences planétaires et notamment la mondialisation contemporaine.

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Chapitre deuxième : L'évolution économique avant la révolution


industrielle

On étudiera dans ce chapitre les sociétés précapitalistes, allant des origines de l'homme à la
Renaissance des 15ème au 16ème siècles, sociétés qui s'étendent sur trois grandes périodes, le
Néolithique, l'Antiquité et le Moyen-âge (section I), puis les sociétés capitalistes mais
préindustrielles, qui vont de la renaissance au 18ème siècle correspondant aux Temps
modernes, pendant le règne du mercantilisme (section II). Les sociétés capitalistes
industrielles, de la fin du 18ème siècle à nos jours, feront l'objet des chapitres suivants du
cours.

Les grandes civilisations de l'Antiquité sont apparues à la suite de la révolution néolithique, il


y a quelque 10 000 ans, qui a vu la naissance et l'extension de l'agriculture jusque vers 3500
avant notre ère. Avant d'étudier les aspects économiques des civilisations de l'Antiquité (3500
avant le Christ à 476 après) puis ceux du Moyen-âge (476 à 1453), il convient donc de revenir
sur les cinq millénaires (8000 à 3500 avant J.C.) qui ont vu se dérouler cette première
révolution économique.

II.1. Les économies précapitalistes et préindustrielles

II.1.1. La fin de la préhistoire : la révolution néolithique

a) Qu’est-ce que la révolution néolithique

Pendant longtemps, l’homme était dominé par la nature, jusqu’à ce qu’il se sédentarise et
invente l’agriculture. Après l’homme paléolithique, nomade, cueilleur et chasseur, l’homme
néolithique se libère des contraintes du milieu naturel pour construire les bases de l’économie
de production. Alors que jusqu’aux derniers temps du Paléolithique, l’homme s’inclinait face
à son milieu naturel, l’avènement des premières communautés paysannes révolutionne le
faible impact que pouvait avoir les hommes jusque-là sur l’environnement.

Le Néolithique (autrement appelé « âge de la pierre polie »), qui succède au Mésolithique, est
une période marquée par de profondes mutations techniques et sociales, liées à l’adoption par
les groupes humains d’un modèle de subsistance fondé sur l’agriculture et l’élevage, et
impliquant le plus souvent une sédentarisation. Il marque une vraie rupture qui se traduit par
la prise de conscience progressive, par les humains, de leur aptitude à transformer la nature et
la matière vivante.

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Pour Dominique Garcia, si nombreuses sont les théories qui tentent d’expliquer l’émergence
du Néolithique, c’est d’abord le « processus qui fait que l’homme soit passé d’un stade de
cueilleur et de chasseur à un stade de producteur, la domestication des plantes, l’invention de
l’agriculture, de la production, une plus large sédentarisation : les hommes habitent le milieu
par des rassemblements d’individus, dans des villages, traduite aussi par le regroupement de
tombes, de lieux de sépultures, une volonté d’occuper pendant longtemps un même territoire,
la modification du milieu naturel ». Le Néolithique débute au Proche-Orient au IXème
millénaire av. J.C. dans le Croissant fertile, et atteint la Grèce vers le VIIème millénaire av.
J.C. Il commence en Chine un peu plus tard, sers 6 000 av. J.C. Le Néolithique prend fin avec
l’apparition, puis la diffusion de la métallurgie du bronze, à partir de 3 000 av. J.C. en
Anatolie.

La révolution néolithique fut la première révolution agricole, caractérisée par la transition de


tribus de chasseurs-cueilleurs vers des communautés d'agriculteurs. Les données
archéologiques indiquent plusieurs formes de domestication de plantes et d'animaux surgirent
indépendamment dans au moins sept ou huit régions séparées à travers le monde, et à des
époques différentes. La première émergence eut lieu au Proche-Orient, où les hommes
passèrent graduellement de la cueillette de céréales sauvages, au Natoufien, à la production de
plantes et d'animaux domestiqués, en passant par des stades intermédiaires successifs durant
près de 4000 ans. Si l'adoption de l'agriculture dans ces foyers d'origine correspond à un lent
changement des comportements des populations locales, dans d'autres régions, comme en
Europe, elle est plus rapide et correspond à l'arrivée des populations déjà néolithisées.

Philippe Lefranc précise que la sédentarisation intervient avant l’agriculture et la


domestication de la nature, vers -11 000, dans une culture archéologique surnommée « Le
Natoufien », attestée au Levant entre 14 500 et 11 500. C’est à partir du moment où les
hommes sont sédentarisés qu’ils commencent à manipuler et sélectionner les espèces
végétales et animales, sans que cela soit encore de l’agriculture. Cela met un bon millier
d’années avant de se mettre en place, conclut-il.

Marqué par la perspective marxiste du matérialisme historique, l’archéologue australien Vere


Gordon Childe popularisa dans les années 1920 l’expression révolution analytique, pour
décrire les premières révolutions agricoles de l’histoire du Moyen-âge. La période est décrite
comme une révolution pour souligner son importance et l’immense portée et le degré des

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changements qui affectent les communautés où ces nouvelles pratiques agricoles étaient
progressivement adoptées et perfectionnées.

Le début de ce processus varie entre peut-être 10 000 ans avant J.C. en Mélanésie et 2500 ans
av. J.C. en Afrique subsaharienne. Cette transition semble partout être associée au passage
d’une vie de chasse et de cueillette nomade à une vie plus sédentarisée et agricole. Elle
correspond en effet aux débuts de la domestication de diverses espèces végétales et animales
dans un but de production de ressources.

La révolution néolithique implique bien plus que la simple adoption d'un ensemble limité de
techniques de production alimentaire. Au fil des millénaires, elle transforme les petits groupes
de chasseurs-cueilleurs mobiles en sociétés sédentaires nombreuses qui modifient
radicalement leur environnement, au moyen des techniques agricoles adaptées (par exemple
l'irrigation) permettant d'obtenir d'importants surplus de production. On assiste à un fort
accroissement de la population et au développement de la division du travail dans les villages,
notamment entre agriculteurs et artisans.

La révolution néolithique est en résumé pour de nombreux auteurs une mutation décisive du
comportement humain, caractérisée par la sédentarisation, l'adoption d'une économie de
production et la mise en place de nouveaux types d'organisation sociale. Ces trois points
peuvent être acquis simultanément ou non. Pour d'autres, elle n'est pas qu'un élément matériel
accompagnant ou suivant une mutation culturelle.

b) Explications ou causes de la révolution néolithique

Pour ce qui est des causes de cette révolution, il y a plusieurs théories en concurrence (mais
qui ne s'excluent pas mutuellement) quant aux facteurs qui poussèrent les populations à passer
à l'agriculture. Les plus importantes sont :

• La théorie de l'oasis, proposée à l'origine par Raphaël Pumpelly en 1908, vulgarisée


par Vere Gordon Childe en 1928, qui soutient que tandis que le climat se faisait plus
sec, les communautés se regroupèrent vers les oasis où elles étaient forcées de
cohabiter avec les animaux, lesquels furent alors domestiqués en même temps qu'était
adopté l'usage de graines et de semis. ce modèle environnemental n'est guère soutenu
aujourd'hui parce les données sur le climat de l'époque ne la confirment pas.
• L'hypothèse des flancs vallonnés, proposée par Robert Braidwood en 1948, suggère
que l'agriculture débuta sur les flancs vallonnés des monts Taurus et Zagros, où le

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climat n'était pas aussi sec que Childe le croyait, mais où les terres fertiles favorisaient
une grande variété de plantes et d'animaux domesticables. Ce modèle est aussi
abandonné pour les mêmes raisons climatiques.
• La théorie du festin de Brian Hayden suggère que l'agriculture était motivée par
l'exhibition ostentatoire du pouvoir, comme de donner des festins, en vue de dominer.
Cela nécessitait de regrouper de grandes quantités de nourriture, ce qui mena à
l'adoption des techniques agricoles.
• La théorie démographique proposée par Carl Sauer, adaptée ensuite par Lewis
Binford et Kent Flannery, postule une population de plus en plus sédentaire qui
augmenta jusqu'à dépasser les capacités de l'environnement local et qui nécessitait
plus de nourriture qu'elle pouvait en recueillir. Plusieurs facteurs socio-économiques
favorisèrent ce besoin en nourriture. L'anthropologue Mark Nathan Cohen pense
qu'après les extinctions massives de gros mammifères du Paléolithique supérieur, la
population humaine s'était développée jusqu'aux limites des territoires disponibles et
qu'une expansion démographique provoqua une crise alimentaire. L'agriculture fut le
seul moyen de soutenir cette croissance démographique sur les territoires disponibles.
C’est également ce qu’avance l’historien économiste et prix Nobel en 1993 Douglas
North.
• Il est probable que les chasseurs-cueilleurs aient précocement observé que les graines
pouvaient germer ou même des parties coupées s’enraciner (bouturage) pour donner
de nouvelles plantes, bien avant de tenter de favoriser ce processus à grande échelle.
Tel était le cas au 20ème siècle chez les derniers chasseurs amazoniens ou australiens.
• Selon les archéologues, une modification des conditions climatiques à la fin du dernier
âge glaciaire en serait l'origine: sur les plateaux et dans les plaines qui s'étendent de
l'Inde à la Méditerranée, avec au centre le Kurdistan et l'Irak actuels, un climat plus
sec et parfois aride a entraîné la raréfaction des animaux et du gibier, poussant les
femmes - moins occupées par la chasse, car une première répartition des tâches
caractérise les sociétés paléolithiques, les hommes à la chasse, les femmes à la
cueillette - à cultiver des céréales jusque-là sauvages et à élever des animaux.

c) Les conséquences de la révolution néolithique

La révolution néolithique se serait accompagnée d’une augmentation des conflits et d’une


mortalité très élevée des hommes. Alors que la population était en pleine expansion, le rapport

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entre hommes et femmes serait passé de un à dix-sept. Les conséquences s’observent


essentiellement dans le domaine technique et celui de la santé.

Sur le plan technique, Andrew Sheratt a avancé que, succédant à la révolution néolithique, il
y eut une phase de découverte qu’il nomme la révolution des produits secondaires. Il semble
que les animaux aient été d’abord domestiqués seulement pour leur viande. Progressivement,
les néolithiques exploitèrent d’autres productions animales. Cela inclut notamment des peaux
et de cuir, du fumier pour les sols (à partir de tous les animaux domestiques), la laine (fournie
par les moutons, lamas et chèvres angora), le lait (fourni par les chèvres, vaches ; yaks, brebis
et chamelles), la force de traction (des bœufs, onagres, ânes, chevaux et chameaux).

Sherratt avance que cette phase du développement agricole permit aux hommes d’utiliser des
possibilités énergétiques de leurs animaux en de nouvelles manières et favorisa une activité
d’élevage et d’agriculture de subsistance intensive et permanente et permit de commencer
l’exploitation de terres plus vastes pour l’élevage. Cette phase rendit également possible le
pastoralisme dans les zones semi-arides, aux marges des déserts et mena finalement à la
domestication des dromadaires et des chameaux.

Une fois que le commerce et un approvisionnement alimentaire étaient établis, les populations
pouvaient croître et la société finissait par se diviser entre producteurs et artisans ; les
premiers avaient les moyens de développer leur commerce en raison du temps libre dont ils
jouissaient grâce au surplus de nourriture. Les artisans, à leur tour, furent capables de
développer certaines techniques comme les armes en métal. Une telle complexité relative
devait nécessiter une certaine forme d’organisation sociale pour fonctionner efficacement. Il
est donc probable que les populations avec une telle organisation, peut-être fournie par la
religion, étaient mieux préparées et avaient plus de réussite. En outre, les populations plus
denses pouvaient former et entretenir des légions de soldats professionnels. Aussi, durant
cette période, la possession individuelle devint de plus en plus importante pour tout le monde.

Enfin, V. Gordon Childe a avancé que cette complexité sociale croissante, ayant entièrement
ses racines dans la décision de s’installer, aboutit à une deuxième révolution urbaine qui vit
l’édification des premières villes.

Dans le domaine de la sante, la période néolithique en Europe a marqué la transition d’un


régime de chasseurs-cueilleurs riche en viande rouge à un régime de céréales à teneur réduite
en fer. Ce changement de régime alimentaire a probablement entraîné de l’anémie ferriprive,

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en particulier chez les femmes en âge de procréer. Ces changements d’alimentation auraient
pu favoriser l’apparition de maladies génétiques telles que l’hémochromatose de type 1.

Outre les anémies, l’opinion courante sur l’origine des maladies infectieuses est que nombre
d’entre elles sont apparues au cours du Néolithique, lorsque les animaux ont été domestiqués
pour la première fois et après. Cette hypothèse est en partie étayée par l’augmentation de la
densité de la population et les indicateurs paléopathologiques de mauvaise santé observés sur
les squelettes trouvés.

Partout dans le développement des sociétés sédentaires, les maladies se répandent plus
rapidement qu’aux temps des chasseurs-cueilleurs. Des pratiques sanitaires inadéquates et la
domestication des animaux qui entraînent une proximité entre les hommes et les animaux
peuvent expliquer en partie l’augmentation des morts et des maladies pendant la révolution
néolithique, puisque les maladies se transmettent plus facilement des animaux aux humains.
Parmi les maladies suspectées d’avoir été transmises des animaux aux humains lors de la
révolution néolithique figurent la grippe, la variole et la rougeole, la lèpre, la tuberculose, les
salmonelloses, le ténia, la typhoïde, le charbon et la syphillis.

II.1.2. L’économie antique

L'Antiquité est la période des civilisations qui se sont développées autour de la Méditerranée
entre la Préhistoire et le Moyen Âge. Elle commence avec l'invention de l'écriture (3500 ans
avant J.-C.) en Mésopotamie, et se termine avec les invasions barbares ou migrations
eurasiennes de 300 à 600 après J.-C. La fin de l’antiquité est jonchée par des dates ou des faits
symboliques qui ne font pas l’unanimité comme point terminal. Citons parmi eux :

• La mort du dernier empereur romain d’occident, ROMULUS AUGUSTULE


d’occident en 476.
• L’avènement du christianisme comme religion d’Etat dans l’empire romain en 380.
• Le sac de Rome en 410 par ALARIC (370-410), roi des Wisigoths. Cette dernière date
est souvent retenue car elle manifeste une coupure entre l’impensable (ravage du
centre symbolique de l’empire romain) et l’historique. En fait, la ville avait déjà été
prise par les celtes au 4ème siècle avant J.-C., mais le fait n’avait pas alors la même
importance.

Outre l’écriture, dont l’invention a pour origine une nécessité économique – comme il a été
déjà été fait mention plus haut – l’apparition de l’usage de la monnaie est aussi un évènement

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Histoire des faits économiques et sociaux BAC _1_2023 Chef de Travaux IDI OMARI Patient

clé. Une date importante à cet égard est celle où l’on a commencé à frapper des pièces de
monnaie à l’effigie des souverains. Si les pièces de bronze (dynastie SHANG) et coquilles
kauris (ou cauris) ont été utilisées en Chine dès 1100 av. JC et pendant deux millénaires,
l'invention des premières pièces métalliques en Occident remonte aux grecs. On a retrouvé
des pièces frappées à Sardes par le roi ALYATTES, qui régna sur la Lydie entre 610 et 560
avant J.- C. Avant d’être frappée à l’effigie d’un chef suprême l’or et divers métaux précieux
servaient d’instruments d’échange, au moins 5000 ans avant le début de l’ère chrétienne.

Toutefois, à Babylone et en Egypte, l’or et l’argent servaient de moyens de paiement, mais


leur circulation se faisait sous forme de lingots non standardisés (sans poids, sans forme
spécifique). Il fallait constamment peser (et soupeser) lors d’une transaction. Ce n’est que
vers 800 que les lingots prennent un poids et une forme déterminés, ce qui allait petit à petit
aboutir aux pièces métalliques, d’abord sans effigie.

Il faut souligner dès à présent que l’appellation de civilisations antiques est quelque peu «
européocentriste » car elle n’inclut ni la civilisation chinoise, ni les civilisations
amérindiennes, ni même la civilisation de la vallée de l’Indus (voir le tableau ci-après, qui
tente un recensement, nécessairement incomplet et arbitraire, des civilisations de la période
antique, en incluant celles qui n’appartiennent pas au pourtour méditerranéen.

A. La Mésopotamie, héritière de la révolution néolithique

Ainsi que nous l’avons vu en introduction à ce chapitre, la révolution néolithique se


développe d’abord dans la portion du croissant fertile comprise entre le Tigre et l’Euphrate.
Le mot Mésopotamie vient du mot grec « méso » qui signifie « milieu, entre » et du mot
grec « potamós » qui signifie « fleuve ». C’est donc bien le pays «entre deux fleuves », cette
région du Moyen-Orient située entre le Tigre et l'Euphrate. Elle correspond en grande partie à
l'Irak actuel.

Grâce aux deux fleuves, l’irrigation permet d’atteindre des rendements élevés et de pratiquer
des cultures variées : céréales, légumes, fruits et le jardinage va être élevé au rang d’un art
comme en témoignent les célèbres « jardins suspendus de Babylone ». L’agriculture prospère
et les surplus disponibles pour les autres activités s’accumulent.

On ne saurait trop insister sur l’importance de l’écriture comme élément moteur de l’histoire
en général, mais aussi de l’histoire des faits et des idées économiques. C’est pourquoi il faut
rappeler que c’est en Mésopotamie qu’est né le premier système d'écriture au Monde vers

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3400-3300 avant. J.-C : il s’agit de l’écriture cunéiforme (cunéiforme du latin « cuneus » veut
dire « en forme en coins », à cause de la forme du stylet utilisé). Les mésopotamiens
écrivaient avec un stylet en roseau sur des tablettes d'argile.

C’est ainsi que l’on a pu déchiffrer cette écriture et reconstituer une très grande partie de la
vie économique de l’époque mésopotamienne. En particulier, le fameux code
d’HAMMOURABI, gravé sur des tablettes d’argile, est l’ancêtre de tous les textes de lois et
de jurisprudence. Il reconnaît et protège les droits de propriété et les contrats.

Le commerce était une activité importante pour les Mésopotamiens. Région pauvre en
matières premières, l’importation de ces matières nécessitait des échanges. Ces échanges
commerciaux se faisaient dans un cadre de grande liberté économique, sans réglementation
étatique féroce.

Pour pourvoir importer leurs indisponibilités, les Mésopotamiens exportaient surtout des
biens manufacturés comme des produits textiles.

B. Phéniciens, Carthaginois et grecs entretiennent l’esprit libéral sur le pourtour


méditerranéen

La Méditerranée est le berceau de la civilisation. Ce hasard historique, elle le doit à la


géographie. C’est une mer favorable à la navigation et aux échanges commerciaux. La Grèce,
initialement petite civilisation « continentale », ne va devenir la « Grande Grèce » qu’avec la
colonisation progressive de la méditerranée occidentale, de l’Asie Mineure et de la mer Noire.
Cette colonisation ponctuée d’épisodes militaires célèbres se pérennise grâce aux relations
commerciales. Au-delà de ces facteurs géographiques, elle se nourrit d’un excédent
démographique que l’étroitesse des territoires pousse à rechercher des horizons plus
favorables.

La Méditerranée, mer quasi-fermée, est propice à l’exploration, la terre ferme n’est jamais très
éloignée. La découverte et la colonisation de son pourtour se fait par petits sauts successifs,
contrairement au « grand saut » que représentera beaucoup plus tard la découverte des
Amériques.

3 foyers d’expansion vont se développer et concourir à faire de la méditerranée une zone


d’échanges commerciaux maritimes très dense : Autour de la Phénicie (méditerranée

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orientale), autour de Carthage (méditerranée occidentale) et enfin, entre le 8ème et le 1er


siècle avant J.-C., avec l’expansion de la Grèce.

1) Les phéniciens

En méditerranée orientale, puis bientôt dans toute la méditerranée, c’est sous l’impulsion des
Phéniciens que les échanges commerciaux fleurissent. Les Phéniciens furent de prodigieux
navigateurs et d’habiles commerçants. Ils fondèrent dès - 3000 avant J.-C. de nombreux
comptoirs sur les pourtours de la Méditerranée orientale, notamment Carthage en – 814.

Ils inaugurent une économie basée avant tout sur les échanges commerciaux maritimes. Ils
construisent des ports (premiers enrochements artificiels, création de digues). Ils vont dominer
les échanges méditerranéens pendant près de 1000 ans. Les marchandises assyriennes et
égyptiennes constituent, au début, l'objet principal du commerce phénicien.

En effet, la Phénicie possède sur son sol les cèdres et les cyprès, et dans son sol le cuivre et le
fer, pour construire de solides bateaux. De plus, la côte phénicienne abrite de nombreux ports
naturels : « Aussi ne faut-il pas s'étonner que, de bonne heure, des navires phéniciens
lourdement chargés de produits égyptiens et assyriens aient commencé à sillonner les routes
navigables du monde antique ».

L’existence d’un système élaboré et respecté de droits de la propriété et des contrats est le
fondement de cette civilisation commerciale maritime. De Malte à Monaco, en passant par les
côtes de la Syrie et du Liban, les échanges fleurissent à travers le réseau dense de comptoirs et
de ports fondé par les Phéniciens.

Originaires de la Syrie et du Liban actuels, les phéniciens excellent aussi dans la métallurgie,
l’orfèvrerie et d’autres industries artisanales telles que l’ébénisterie et la verrerie.

L’écriture cunéiforme a été inventée en Mésopotamie, mais l’écriture alphabétique vient des
phéniciens. C’est à Ugarit, ancien port de Syrie, que l’on a retrouvé le premier alphabet,
datant de 1350 avant Jésus-Christ. Il s’agit d’un alphabet composé de 31 signes, très
fonctionnel et par là même propice à l’échange d’informations commerciales. Mais c’est
l’alphabet linéaire de 22 lettres, datant approximativement de la même époque, qui sera
finalement adopté par les Phéniciens. L’historien Fernand BRAUDEL écrit à ce sujet ; « Il
s'agissait de trouver une écriture facile pour marchands pressés, et capable de transcrire des
langues diverses. Rien d'étonnant si cet effort s'est fait en même temps dans deux villes

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marchandes exceptionnelles: Ougarit a inventé un alphabet de 31 lettres, utilisant des


caractères cunéiformes; Byblos un alphabet linéaire de 22 lettres, qui sera finalement celui des
Phéniciens. », (Fernand BRAUDEL, La Méditerranée, Tome I, Flammarion, 1985).

2) Les carthaginois

En méditerranée occidentale, sur les côtes de l’actuelle Tunisie, ce sont les carthaginois qui
ont développé le commerce. Au IVe siècle av. J.-C., cette ville côtière fondée par les
phéniciens en -814, doit toujours verser un tribut à Tyr, comme tous les autres comptoirs.
Mais le déclin de Tyr face à la progression des Grecs et l’éloignement de Carthage par
rapport à Tyr va faciliter l’indépendance à partir de la seconde moitié du VIIe siècle av. J.-C.

En fait, bien avant leur indépendance complète à l’égard de Tyr, les carthaginois contrôlaient
la totalité du commerce et de la navigation en Méditerranée occidentale. Ils avaient
également pris pied en Ibérie, en Corse, en Sardaigne et en Sicile. Ainsi, à la veille de la
Première Guerre punique4, Carthage représente un territoire d'environ 73 000 km² et une
population de près de 4 millions d'habitants.

C’est HERODOTE (482-425 av. J.-C.) qui a le mieux décrit leur technique d’échange dite « à
la muette » : « Les Carthaginois disent qu’au-delà des colonnes d’Hercule, il y a un pays
habité où ils vont faire le commerce. Quand ils y sont arrivés, ils tirent leurs marchandises de
leurs vaisseaux et ils les rangent le long du rivage. Ils remontent ensuite sur leurs bâtiments où
ils font beaucoup de fumée. Les naturels du pays, apercevant cette fumée, viennent sur le bord
de la mer, et s’éloignent après avoir mis de l’or pour le prix des marchandises. Les
Carthaginois sortent alors de leurs vaisseaux et examinent la quantité d’or qu’on a apportée, et
si elle leur paraît répondre au prix de leurs marchandises, l’emportent et s’en vont. Mais s’il
n’y en a pas pour leur valeur, ils s’en retournent sur leurs vaisseaux où ils attendent
tranquillement de nouvelles offres. Les autres reviennent ensuite et ajoutent quelque chose
jusqu’à ce que les Carthaginois soient contents. Ils ne se font jamais tort les uns aux autres.
Les Carthaginois ne touchent point à l’or, à moins qu’il n’y en ait pour la valeur de leurs
marchandises et ceux du pays n’emportent point les marchandises avant que les Carthaginois
n’aient enlevé l’or ».

3) Les Grecs

Plus tard, le développement économique de la Grèce aura pour conséquence le déclin


commercial de la Phénicie : « Jadis dans les rades grecques, les Phéniciens débarquaient leurs

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marchandises qu'ils échangeaient contre les produits indigènes, le plus souvent, semble-t-il,
des têtes de bétail. Désormais, les marins grecs vont porter eux-mêmes en Egypte, en Syrie,
en Asie Mineure, chez les peuples de l'Europe comme les Etrusques, encore grossiers comme
les Scythes, les Gaulois, les Ligures, les Ibères, les objets manufacturés et les œuvres d'art,
tissus, armes, bijoux, vases peints dont la renommée est grande et dont sont friands tous les
barbares. » écrit l’historien Jacques TOUTAIN (L'Economie antique, Paris, 1927, pp. 24-25).

Il est impossible d’entrer ici dans le détail chronologique de l’histoire passionnante de la


Grèce antique. Pour cadrer grossièrement la période de domination économique de la Grèce
antique, on peut se référer au schéma chronologique schéma ci-après suffira. L’expansion
territoriale de la Grèce correspond aux périodes encadrées en vert. On voit ainsi qu’elle
commence à l’époque dite « archaïque », pour se terminer avec la conquête romaine (les
romains conquirent la Grèce, mais la culture grecque allait conquérir la vie romaine).

Une des particularités de la Grèce antique est qu’elle était divisée en de multiples entités
autonomes, ce qui va façonner le modèle de la Cité grecque, mais aussi pousser au
développement des échanges économiques et commerciaux.

C’est donc de 810 à 750 avant J.-C. que commence l’expansion territoriale de la Grèce et
qu’ils établissent des colonies, d’abord dans les îles de la mer Égée et vers la côte anatolienne,
puis vers Chypre et la côte Thrace, la mer de Marmara et la côte sud de la mer Noire pour
atteindre même le Nord-est de l'Ukraine actuelle. Vers l'Ouest, ce sont les côtes Albanaises,
de Sicile et le Sud de l'Italie qui sont d’abord colonisées, puis Marseille et la Corse, ainsi que
Nord-est de l'Espagne. Des colonies sont également fondées en Égypte et Libye. Syracuse,
Naples, Marseille et Istanbul sont toutes d’anciennes colonies grecques auxquelles souvent
elles doivent leurs noms : Syracusa, Neapolis, Massilia et Byzance.

Au VIe siècle, le monde grec, habité par des hommes de langue et culture grec que, est
beaucoup plus vaste que la péninsule grecque ou que l'État grec actuel. Mais il est à souligner
que l'ensemble de ces colonies ne sont pas politiquement reliées entre elles, ni nécessairement
par leur cité-mère. Les colonies en garde cependant des propriétés religieuses, et un lien
préférentiel entre cité-mère et colonie-fille. Des deux côtés, les Grecs s'organisent en cités
autonomes, et la cité (polis) devient l'unité fondamentale du monde grec.

La période d’expansion territoriale est caractérisée par un accroissement du commerce


maritime et de la production artisanale, source d’amélioration des conditions de vie.

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Le 4ème siècle avant J.-C. est la période où la Grèce atteint un sommet dans son niveau de
développement économique, ou elle est considérée comme l'économie d'échange et de
production la plus avancée du monde.

La réputation de la marine grecque et la fortune de ses armateurs datent de cette époque.


Athènes sera le centre financier et commercial de la civilisation méditerranéenne grecque.
L’essor de la vie économique est soutenu par des institutions très libérales. Le commerce
intérieur est libre, les activités ne sont pas réglementées. Le droit de propriété est reconnu et
protégé. Il existe même des sociétés par actions, par exemple pour l’exploitation des mines.

Cette liberté s’accompagne cependant d’un certain interventionnisme en matière de commerce


extérieur, notamment en ce qui concerne le commerce des grains dont la cité d’Athènes
dépendait et qu’elle croyait ainsi pouvoir protéger contre les fluctuations de prix trop
importantes.

Le système économique de la Grèce repose tout d’abord sur l’abondance du travail des
esclaves qui ont joué un rôle de plus en plus important dans la vie économique à mesure que
leur nombre augmentait (ils ont pu représenter jusqu'à 75 % de la population totale
d’Athènes). Il repose ensuite sur les étrangers « les métèques », qui contrôlent le commerce
et enrichissent ainsi le pays. Le surplus généré par ces deux catégories permet aux grecs libres
de s’adonner à temps complet aux activités culturelles et philosophiques.

C. L’Egypte où les débuts de la planification centrale

Les Carthaginois, Phéniciens et grecs sont les ancêtres du libéralisme économique. Certes, le
libéralisme des grecs se teinte déjà d’un certain interventionnisme étatique. C’est sans doute
la nécessité du commerce maritime qui soutient cette inspiration libérale, comme ce sera le
cas, longtemps après, pour les puissances maritimes comme l’Angleterre et le Japon.

A l’inverse, les Egyptiens sont généralement considérés comme les précurseurs de la


planification centrale : « Les pyramides symbolisent à elles seules toute la société de l’Egypte
ancienne, une société hiérarchisée et centralisée au sommet ».

La position géographique de l’Egypte, désert traversé par un Nil sujet à d’importantes crues,
semble conduire à une vision centralisée de l’économie. Quel entrepreneur individuel, à
supposer même que la notion d’entrepreneur eût pu exister à ces époques reculées, pouvait
financer les travaux d’infrastructure nécessaires à la domestication, même partielle, de ce

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fleuve immense (6671 kilomètres) ? Il fallait des esclaves et une autorité centrale absolue
pour les gouverner dans les tâches économiques que furent la construction des digues
nécessaire pour atténuer le courant et conserver le limon fertile. Une coordination très stricte
était obligatoire puisque la présence du désert imposait de gérer l’eau avec parcimonie. Il
fallait créer des réservoirs aux endroits stratégiques afin de pouvoir irriguer pendant la
période sèche. Creuser les canaux et les entretenir était un travail « pharaonique » à une
époque où les seules forces brutes disponibles étaient celles de l’homme et de l’animal
domestique, secondés il est vrai par une ingéniosité sans limites. Le travail était donc
autoritairement organisé afin de concourir à l’œuvre commune.

On a beaucoup écrit sur l’inutilité économique des pyramides, mais si on se place dans la
perspective d’une nécessité de mobiliser les forces autour d’un objectif commun très élevé
comme la domestication d’un fleuve, on comprend que leurs constructions aient pu servir
d’exemple que nulle tâche n’est impossible si le travail commun est collectivement organisé.

L’Etat possède tout, y compris le travail des particuliers quand il le juge nécessaire. L’Etat
réglemente tout : il faut des autorisations pour utiliser l’eau et le commerce est un monopole
d’Etat. De ce fait, la place de la monnaie, véhicule et outil d’expansion des échanges dans une
économie libérale, tient une place limitée dans cette économie planifiée où c’est l’Etat qui
dirige la production. Si l’on se rapporte à la typologie de Robert HEILBRONNER des trois
formes de gouvernance - autorité, tradition et marché - on placera sans hésiter l’Egypte
ancienne du côté de la gouvernance par l’autorité. Mais aussi par la tradition : dans cette
société chaque génération est le reflet très exact de la précédente. Le fils exerce le métier du
père. Le fils du scribe est un scribe, et il est impensable d’envisager un autre métier que celui
du père.

En contrastant de façon volontairement schématique l’Egypte ancienne avec la Mésopotamie,


mais plus encore avec les empires maritimes carthaginois, phéniciens et grecs, on voit
clairement que l’avenir de la planification est l’autarcie, l’absence d’échange et d’expansion,
alors que l’avenir du marché est l’échange économique et, sinon encore le développement au
sens moderne, du moins l’expansion à travers les échanges. L’Egypte ancienne, malgré son
rayonnement multi millénaire (Toutankhamon), est restée « collée » au Nil, tandis que les
empires commerciaux et maritimes se sont développés tout autour de la méditerranée et
jusqu’à l’Asie.

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Mais cet « égypto-centrisme » explique peut-être aussi la longévité de la civilisation


égyptienne, qui commence vers 3000 av. J.-C. et se perpétue encore à l’époque gréco-
romaine, comme en témoigne les aventures de la reine CLEOPATRE avec Jules CESAR
(100-44 av. J.C.) et MARC-ANTOINE (83-30 av J.-C.).

D. L’empire romain, une économie basée sur les conquêtes

La prospérité économique de l’Empire romain, tant qu’elle dure, tient à un mélange entre la
liberté économique et un interventionnisme étatique soutenu par une puissance militaire
suffisante pour imposer des lois et diriger la construction d’infrastructures modernes grâce à
l’afflux constant d’esclaves. De la Gaule à la Bretagne, en passant par L’Espagne, l’Afrique
du Nord, et la Dacie (Roumanie d’aujourd’hui), un empire de 100 millions d’habitants vit
sous la « Pax Romana » à laquelle on a souvent comparé, avec excès sans doute, l’actuelle «
Pax Americana ».

1) La liberté économique

L’empire romain à son apogée formait un vaste espace. Cet espace était doté d’une «
monnaie unique» et connaissait peu d’entraves au commerce à l’intérieur de la zone, d’où son
dynamisme. Les armées romaines font régner l’ordre en méditerranée et la piraterie est
limitée. Les ports sont bien aménagés et les romains font construire des routes. Le commerce
est centré sur Rome et fonctionne suivant un mécanisme de pompe. Les conquêtes drainent
l’or, l’argent, les pierres précieuses et les recettes fiscales vers la capitale de l’empire. Ces
moyens de paiement repartent ensuite vers les zones pacifiées de l’empire en échange de
produits provenant de ces provinces. Ainsi la balance des paiements de Rome ressemble-t-elle
de façon prémonitoire à celle des Etats-Unis d’aujourd’hui, c’est-à-dire en permanence
massivement déficitaire. Avec une différence majeure cependant : ce qui sort de Rome, ce
n’est pas de la monnaie scripturale, mais de l’or et des pierres précieuses.

Les conquêtes ramènent aussi à Rome des esclaves qui fournissent une main-d’œuvre
abondante pour faire fonctionner l’activité, qu’il s’agisse de l’artisanat, du commerce ou des
autres services. De façon générale, toute l’activité économique est réalisée par des esclaves et
des étrangers. Le port d’Ostie (qui dessert Rome) est agrandi pour permettre l’afflux des
marchandises (minerais, ivoire, épices, riz, coton, soie, etc.) qui proviennent de toutes les
parties de l’empire grâce à une flotte qui a dépassé 100 navires à l’époque d’Auguste.

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Ce mécanisme universel qu’est la proportionnalité de la croissance matérielle à celle de la


circulation monétaire gouverne déjà les cycles de contraction et d’expansion de l’activité,
cycles que les historiens de l’économie antique ont abondamment étudiés. Ainsi, lorsque l’or
des conquêtes vient à manquer, c’est le blé qui se fait rare à Rome, justifiant l’intervention de
l’Etat.

2) L’interventionnisme étatique

Quand le blé manque faute de moyens de paiements, il faut réglementer la distribution du pain
et des produits alimentaires. Habitué à ne manquer de rien, le peuple romain pousse le Sénat à
adopter des règles administratives de répartition des ressources. Progressivement, la
distribution des denrées ne sera plus réglée par le marché, mais réglementée par l’Etat. Ce
sont par exemple les lois frumentaires. Ainsi le prix du blé sera-t-il fixé de plus en plus en
dessous de son coût d’importation, puis l’on assistera à des distributions gratuites. On dispose
là d’un bon exemple des résultats aberrants auxquels conduit une économie réglementée
lorsque l’abondance règne non par le labeur mais par les conquêtes militaires. Le commerce
va en effet progressivement se paralyser.

La prospérité romaine ne peut se poursuivre qu’au rythme des conquêtes et encore avec des
difficultés croissantes pour maintenir l’hégémonie sur un empire en constante expansion. Dès
lors que les conquêtes se ralentissent, l’or manque et les denrées importées se font rares. De
plus, cette prospérité liée aux conquêtes n’encourage guère l’industrie : pourquoi produire,
alors que tous les besoins semblent pouvoir être satisfaits par l’importation grâce à l’or des
conquêtes et aux impôts prélevés sur les peuples soumis ? Le morcellement de l’empire
entraînera progressivement son déclin et c’est la période féodale et le Moyen-âge qui lui
succèderont. E – Les inventions du néolithique à la fin des civilisations antiques Le
néolithique et les civilisations antiques ont légué à la postérité des inventions majeures : la
roue, l’écriture, les codes de lois protégeant la propriété privée et les contrats, la monnaie, la
voile, de nombreux outils agricoles, le travail des métaux, le levier, des dispositifs
mécaniques, l’horloge de CTESIBIUS, ainsi que l’astrolabe (appareil permettant de faire le
point astronomique en mer), etc. Pourtant toutes ces civilisations ont reculé. La civilisation
égyptienne a décliné du fait de son repliement sur elle-même. Le fait notable, rapporté par
Hérodote, que dès l'an 600 av. J.C., le Pharaon d'Égypte NEKAO II, aurait réussi à faire le
tour de l'Afrique, nous apparaît comme une exception. Les civilisations mésopotamienne,

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carthaginoise, phénicienne, grecque et romaine ont connu une expansion importante, mais
toutes, à un moment donné, ont reculé.

Plusieurs historiens, dont Douglass NORTH, ont montré que la raison de ce déclin réside
dans l’insuffisante valorisation et la faible diffusion des inventions et, par conséquent, dans
l’absence de croissance économique cumulative. Il est important de préciser que l’absence du
progrès technique ne signifie pas l’absence d’invention, mais plus précisément l’absence de la
mise en œuvre systématique et à grande échelle de ces inventions dans le système
économique. Ainsi, par exemple, les armées romaines n’ont guère bénéficié de progrès dans
leur armement et leurs moyens militaires. Elles n’ont donc pas pu compenser la diminution de
leur poids relatif à mesure que les frontières de l’empire s’élargissaient. Selon Douglass
NORTH, c’est la reconnaissance du droit de propriété intellectuelle qui, après plusieurs
siècles de maturation, a permis la croissance économique moderne. Ce n’est qu’à partir du
moment où les individus ont été rémunérés pour leurs innovations que l’innovation a pu se
développer à grande échelle : « Qu’est-ce qui détermine le développement des nouvelles
technologies et des connaissances scientifiques fondamentales ? Bien que son rendement
social ait toujours été élevé, le développement du progrès technique fut lent tant qu’il n’exista
pas un mécanisme permettant d’attribuer son rendement privé aux inventeurs [….] Les
inventions existent depuis toujours, mais leur rythme lent et intermittent s’explique par le
caractère sporadique de l’incitation à la recherche [ …] Jusqu’aux temps modernes, l’absence
de protection systématique des inventions est la cause essentielle de la lenteur du progrès
technique ».

II.1.3. Le Moyen-âge

À la suite du morcellement du monde romain par les invasions barbares, le monde occidental
connaît un repli : c’est le Moyen-âge. Le Moyen Âge désigne donc la période (de l’histoire
occidentale) située entre l’Antiquité et la Renaissance, soit entre 476 (chute de l'Empire
romain d'Occident) et 1453 (chute de l'Empire byzantin) après Jésus-Christ, du Ve au XVe
siècle. Il s’étend donc sur une période de mille ans. Ces deux dates sont symboliques. Et,
s’agissant de la fin du Moyen-âge et du début de la Renaissance et, plus largement parlant,
des « temps modernes » [Renaissance et révolution industrielle)], on peut proposer d’autres
dates symboliques (voir le début de la section suivante sur la Renaissance). Durant cette
période, la civilisation musulmane a connu un essor important avant de décliner à son tour.
Le repli caractéristique du moyen-âge à la suite de l’effondrement de l’empire romain, c’est

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d’abord un repli sur l’économie domaniale. Des petits domaines qui, ensuite, se regrouperont
progressivement en territoires plus vastes, tandis que se formeront des villes et qu’une relative
prospérité s’imposera, ce dont témoigne la reprise du commerce et des foires dans l’occident
chrétien.

A. L’économie domaniale : du déclin de l’empire romain au Xème siècle

Sur les ruines des anciennes « villas romaines », s'établit alors une véritable économie
constituée de domaines (d’où l’appellation « économie domaniale »), Ce sont les paysans qui
mettent en valeur la propriété foncière, sous la domination des seigneurs, ou de l'église sur de
petites portions de terres. Ils en tirent tant bien que mal leurs propres moyens d'existence car
les "serfs", comme on les appelle alors, doivent verser aux propriétaires de fortes redevances
en argent (cens12), en nature (champart13) ou en travail (corvées14). De plus, à partir du
7ème siècle, la dîme (du latin « dixième ») vient s’ajouter. Il s’agit d’un impôt (supprimé en
1789 et remplacé depuis par la « quête ») censé permettre l’entretien du clergé. Il est prélevé
suivant des modalités assez complexes et qui varient selon les régions15.

Les paysans ou « serfs », font partie intégrante du domaine. Lorsque celui-ci était partagé au
moment de la mort d’un seigneur, ils passaient d'un maître à l'autre en même temps que les
animaux de la ferme. Mais le servage n’est pas de l’esclavage, car dès la fin de l'Empire
romain, l'esclavage a reculé sous l'influence de l'Église. Mais, du fait des différences de
niveau de développement, la condition matérielle des serfs est généralement pire que celles
des esclaves de Rome. Les serfs ont des obligations, mais aussi des droits et ils peuvent
théoriquement quitter le domaine à tout moment.

Le savoir oral des paysans transmet de génération en génération, depuis l’antiquité, que
certaines cultures, comme les céréales, appauvrissent les sols et que d’autres cultures, comme
les fèves et les petits poids, l’enrichissent. Aussi, afin de limiter l'épuisement des sols, on
pratique la rotation biennale des cultures : un champ de céréales est laissé en jachère une
année sur deux, et sert alors de pâturage. Ce n’est qu’à la période suivante -- féodalité -- que
l’assolement devient triennal. Un champ est alors cultivé en céréales la première année, en
légumes la deuxième année, et est laissé en jachère l'année suivante.

Durant cette première partie du moyen-âge, le commerce en occident a beaucoup reculé après
le déclin de l’empire romain. Les voies abandonnées par les légions romaines sont sillonnées
par des bandes de barbares qui envahissent régulièrement l’Europe et rançonnent les

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voyageurs et les rares marchands. Ces marchands font en général le commerce des esclaves,
des biens de luxe, ou de denrées alimentaires comme le sel, l'huile, le vin, ainsi que des
matériaux tels que le fer, le bois et enfin les tissus, les fourrures, les vêtements, les bijoux et
les objets d’art qui sont destinés aux seigneurs locaux et à leurs entourages.

B. L’économie Féodale : du Xème siècle à la Renaissance

Dès le Xème siècle, les invasions barbares cessent et c’est l’action pacificatrice de l’Eglise qui
va permettre un essor économique. Parallèlement, les domaines se regroupent en seigneurie et
en féodalité, reliées entre elle par la foi chrétienne. Cette période, parfois qualifiée de période
d’expansion médiévale (de l’an Mil à la Renaissance) est aussi caractérisée par un essor des
activités commerciales, tant locales qu’internationales. Les hommes d’affaires qui sont au
centre de cette activité commerciale vont largement concourir à faire évoluer l’Europe
occidentale « de l’intérieur » (par opposition au choc « extérieur » qu’a constitué la
découverte de l’Amérique).

1) l’amélioration de la productivité agricole

Le système de l’assolement triennal, à l’évidence plus productif (les champs sont laissés en
jachère une année sur trois au lieu d’une année sur deux) permet un accroissement de la
production agricole et génère des excédents que les paysans peuvent vendre sur les marchés.
Par ailleurs, le risque d’intempérie et de mauvaise récolte est mieux géré du fait de la
diversification des cultures. La précarité paysanne devient moins grande et bénéficie à son
émancipation (le serf n’étant pas un esclave, c’est seulement son indépendance économique
qui conditionne sa liberté).

L’augmentation de la surface des terres cultivées, ainsi que la généralisation de l’assolement


triennal et le remplacement progressif de l’antique araire par la charrue, engendrent un
accroissement progressif mais sensible de la production agricole jusqu’au XIIIème siècle. 16

Les besoins élémentaires en nourriture sont satisfaits, il y a suffisamment de nourriture pour


que l’élevage des animaux se développe, ce qui accroît la consommation de viande et de
produits laitiers par les hommes. Leur niveau de santé s’améliore et la démographie reprend.
Par ailleurs, grâce à l’élevage, l’industrie du cuir et de la laine se développent. La division du
travail s’approfondit, les cultures et les industries aussi, ce qui favorise l’essor des échanges
marchands.

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L’amélioration de la productivité agricole permet aux serfs les mieux lotis de quitter la
campagne pour les villes. De façon globale, et par un raisonnement physiocrate17, on assiste à
une augmentation du surplus, ce qui bénéfice aux autres activités.

Une partie croissante des européens abandonnent l’agriculture et se consacrent aux activités
artisanales, au commerce, aux arts, ou à la religion.

Insistons à nouveau sur ce point : le servage est un rapport social plus souple que l’esclavage.
Une fois l’impôt seigneurial payé, les paysans conservent pour eux l’excédent de leur
production. Ils peuvent ainsi : améliorer leur alimentation, accroître le nombre de leurs
enfants, échanger sur les petits marchés villageois de proximité.

2) Les progrès de l’artisanat et de la petite industrie

Parallèlement aux progrès agricoles, on note aussi des progrès artisanaux et même industriels
comme en témoigne l’apparition des moulins à eau et à vent. Les moulins à vent étaient
connus depuis l’époque romaine mais jusque-là peu utilisés. Ils sont perfectionnés grâce à la
mise au point de systèmes d’engrenages perfectionnés. Ce sont les premières usines
polyvalentes. La domestication de l’énergie éolienne permet, entre autre : de moudre les
grains, de piler les olives, de préparer la bière, d’aiguiser des instruments, d’actionner
d’énormes soufflets afin d’élever la température de chauffe des forges, de manier de lourds
marteaux travaillant le métal.

Cette nouvelle source d’énergie, jointe à la division du travail permise par les surplus
agricoles provoque un essor de la métallurgie, tant civile que militaire : socs de charrues, fers
à cheval, serrures et clés, clous, chaînes, armatures de construction, mais aussi épées,
poignards, casques, cottes de mailles, armures, pièces d’arbalètes.

3) Le développement des villes

L’accroissement du surplus profite à la classe paysanne autant qu’aux seigneurs. Le


dynamisme des marchés villageois en témoigne. Les gros bourgs et les villes tirent également
leurs profits de cette amélioration du niveau de vie des campagnes européennes.

Les villes constituent le débouché naturel pour l’excédent de production agricole. Les
artisans s’y concentrent et se regroupent par métiers dans des quartiers. Ce sont les premières
corporations. Des produits de toutes sortes sont fabriqués et échangés contre les surplus
agricoles.

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Les villes attirent aussi les classes riches de la société : haut clergé et grands seigneurs
viennent y résider. C’est aussi l’époque de l’édification des cathédrales et de la construction
de vastes remparts destinés à assurer la sécurité des villes. Cela attire une main-d’œuvre
itinérante nombreuse et qualifiée : les artisans compagnons. Les villes accueillent aussi les
représentants de l’administration royale.

4) L’essor des échanges locaux et internationaux

Les populations fortunées achètent des produits provenant de contrées lointaines. Les grands
courants d’échanges se mettent en place. La consommation de produits orientaux se
développe, de même que celle de produits de l’Europe du Nord ou de l’Est. Le commerce des
marchandises prend son essor : produits alimentaires, textiles s’échangent à travers l’Europe.
Les points de rencontres sont les foires, comme la célèbre foire du Lendit18 qui fut créé par
Dagobert Ier (605-639) dès la période domaniale, et qui ouvrait pour quinze jours tous les 11
juin (Saint-Barnabé) jusqu'à la Saint-Jean. Du IXe au XVIe siècle, cette foire fut l’une des
plus importantes de France et la plus importante de l'Île-de-France, attirant jusqu’à un millier
de marchands venant de toute l'Europe, d’Allemagne et de Byzance !

C’est à cette époque que se constituent des dynasties familiales qui ouvrent des comptoirs ou
des succursales situés dans les régions les plus actives, et passent entre elles des accords qui
facilitent les transactions.

5) Les premières spécialisations internationales

Des réseaux d’échange se constituent en Italie du Nord et en Flandres avec leurs propres
spécialisations.

L’Italie du Nord est spécialisée dans la fabrication de certaines gammes de textiles, ainsi que
dans l’importation du coton et des soieries d’Orient. Les villes italiennes importent aussi des
produits en provenance d’Orient qu’elles ré acheminent ensuite vers l’Europe du Nord.

Les villes flamandes sont spécialisées dans l’industrie lainière. Elles s’approvisionnent en
Angleterre, pays spécialisé dans l’élevage du mouton. La Flandre est à cette époque le cœur
industriel de l’Europe du Nord-Ouest.

6) La ligue hanséatique

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Les villes se regroupent dans des « hanses », qui sont des associations de marchands au
départ, mais s’organisent par la suite en entités politiques. A leurs apogées, les villes de la
ligue hanséatique s’étendent de Londres à Novgorod (voir Carte), couvrant ainsi le commerce
de la mer du Nord et de la Baltique. Les villes qui appartiennent à ces « hanses » constituent
les unes pour les autres des débouchés. Leurs marchands entretiennent un réseau de
correspondants qui se renseignent entre eux sur les différents droits de péage et sur les
meilleurs moyens d’optimiser les trajets, ainsi que sur la nature, la qualité et le prix des
marchandises disponibles.

Un axe se constitue entre l’Italie du Nord et la Flandre, avec pour points de passage Lyon,
Auxerre, les foires de Champagne, d’Île de France et de Paris. Il se prolonge vers
l’Angleterre, la mer du Nord et la Baltique. L’apogée des villes de la ligue hanséatique se
situe aux 14ème et 15ème siècles, donc à la fin du moyen-âge.

7) L’insuffisance chronique de numéraire, source d’innovation financière

À cette époque, de nombreuses monnaies d’or et d’argent circulent, frappées à l’effigie de


grands seigneurs ou d’autorités ecclésiastiques, ce qui s’explique par l’absence d’autorité
centrale. Ces monnaies sont naturellement en concurrence entre elles, suivant le célèbre adage
du commerçant et financier anglais Thomas GRESHAM (1519-1579) selon lequel « La
mauvaise monnaie chasse la bonne ». La contrepartie de cette spontanéité monétaire, c’est
que les mouvements de l’activité sont gouvernés par l’abondance ou la rareté du numéraire.

Or précisément, l’or et l’argent disponibles se raréfient relativement à l’augmentation de la


quantité des marchandises. L’absence de moyens de paiement suffisants ralentit les changes.
Une innovation financière va y pallier provisoirement : la lettre de change qui apparaît en
Italie. La lettre de change permet à un acheteur de régler son vendeur à l’aide d’une
reconnaissance de dette. Cette lettre peut être convertie par son détenteur en monnaie locale
s’il en a besoin. Il peut également « endosser » cette lettre (c’est-à-dire apposer une signature
sur le dos de la lettre) au bénéfice d’une tierce personne dont il est par exemple le débiteur. La
lettre de change est une véritable innovation car elle permet d’éviter le transport de pièces. À
ce titre, elle facilite et sécurise les échanges. Elle est aussi un outil de gestion du risque de
change, et un moyen de contourner l’interdiction du prêt à intérêt par l’église.

8) Le développement de la fonction bancaire

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Les grands marchands des ligues hanséatiques sont les seuls à pouvoir prêter de l’argent. Ils
tiennent à leur merci les grands seigneurs et l’église (qui par ailleurs condamne le prêt à
intérêt) par les prêts qu’ils consentent. La fonction bancaire est ainsi un sous-produit de
l’activité marchande et est assurée par les mêmes agents économiques.

9) Les croisades et la peste noire

Le monde médiéval et féodal est traversé par deux épisodes majeurs. D’une part, les
croisades, qui s’étalent sur plus de deux siècles et témoignent de l’empreinte fondamentale de
la sphère du sacré dans l’occident du moyen âge, posant ainsi les limites d’un développement
basé sur l’économique. D’autre part, la peste noire qui décime le tiers de la population
européenne en 20 ans et témoigne de la précarité des existences humaines à une époque où
l’espérance de vie était proche de 25 ans, soit plus de trois fois inférieure à l’espérance de vie
actuelle.

a) Les croisades

Les croisades sont des expéditions militaires menées par les chrétiens d’Occident pour tenter
de soustraire, à la demande de la papauté, les lieux saints (tombeau du Christ, Jérusalem) à
l’occupation musulmane. Il y a eu huit croisades successives, la première en 1095 et la
dernière en 1270.

En tentant de comprendre le phénomène des croisades, certains historiens spécialistes du


Moyen Âge ont mis l’accent sur l’importance de la croissance démographique et commerciale
en Europe, entre le XIIe et le XIVe siècle. Les croisades s’expliqueraient par la recherche
d’une zone d’expansion territoriale, pour une partie de cette population, et d’un débouché aux
ambitions de seigneurs avides d’exploits, de richesses et d’aventures. Elles ont également
offert de riches opportunités commerciales aux marchands des cités méditerranéennes
d’Occident, en particulier Gênes, Pise et Venise.

b) La peste noire

La peste noire est apparue en 1334 en Chine (1320 selon certaines sources), dans la province
du Hubei et se répand rapidement. Elle va s’étendre à tout l’Occident en moins de 15 ans,
transmise par les marchands, les pèlerins et les voyageurs. Cette peste, qui se manifestait par
l’apparition de bubons autour du cou et sous l’aisselle, a décimé massivement les populations
d’Europe. Un malade sur quatre seulement survivait. Les causes de son apparition sont aussi

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mystérieuses que celle de sa disparition. De nombreuses hypothèses ont été émises, mais
aucune ne suscite l’adhésion générale. La plus fréquemment évoquée est l’état sanitaire et
alimentaire des populations. Une population où le niveau d’hygiène est élevé et les carences
alimentaires faible auraient moins de chances de voir la peste apparaître et se développer.
Plusieurs auteurs contemporains, dont Alfred SAUVY ont dès la seconde moitié du 20ème
siècle, bien avant l’apparition du HIV et de la grippe aviaire, mis en garde contre la
réapparition de phénomènes épidémiques de grande ampleur dans le monde contemporain et
souligné son impuissance probable ou son efficacité tardive.

Le Moyen Âge fut traversé par de nombreuses épidémies. On cite la « Peste de Justinien »
qui dès le VIème siècle ravagea l'Empire romain d'Orient et contribua largement au déficit
démographique du Haut Moyen Âge en Europe. La peste noire a provoqué la mort d'au
moins un tiers de la population européenne, soit autour de 25 millions de victimes, et
probablement le même nombre en Asie. La peste noire, qui affecte l’Europe entre 1347 et
1350 a des conséquences durables. Elle tue environ le tiers de la population européenne de
cette époque (soit 25 millions de morts). Elle refait ensuite régulièrement surface dans les
différents pays touchés par la première vague (par exemple entre 1353 et 1355 en France ou
entre 1360 et 1369 en Angleterre).

C. Le monde musulman

L’économie des pays de l’Islam est façonnée par la géographie, plus précisément par la rareté
de l’eau. Cela explique le développement des techniques d’irrigation et la structure
particulière du monde agricole. C’est le calife qui possède les terres et qui les exploitent,
directement le plus souvent, ou en concédant l’exploitation à des métayers qui lui versent en
retour une partie de la récolte. Les cultures sont variées : blé, riz, canne à sucre, des dattes, des
olives, du raisin, des bananes, des oranges, des légumes et des plantes aromatiques. L’élevage,
souvent extensif, occupe une place importante. Le commerce est florissant et se fait à dos de
chameau, en caravanes. L’or du Soudan est ainsi transporté dans tout l’empire Ottoman
jusqu’à Bagdad. L’artisanat connaît une période faste : production d’armes (Damas, Tolède),
métallurgie (à partir de techniques importées d’Inde), industrie textile (mousselines et
soieries), travail du cuir (Cordoue, Maroc). Bagdad est un carrefour prodigieux d’échanges où
les caravanes revenant d’Asie croisent celles provenant d’Egypte ou du Sénégal. C’est un
empire commercial immense qui se décline en myriades d’activités locales reliées entre elles
par le commerce. L’unité du monde musulman se fait par la religion. Le commerce,

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contrairement à ce qui se passe en occident au même moment, n’est pas méprisé. Le chèque,
mot d’origine arabe, alors inconnu en occident, est inventé et fréquemment utilisé dans les
transactions, conjointement à la découverte et à l’utilisation du papier. Le taux d’intérêt est
cependant condamné, tout comme dans le monde chrétien à la même époque. L’or en
provenance d’Afrique circule en abondance dans tout le monde musulman et jusqu’à la Chine.
Les arabes contrôlent aussi, à cette époque, la totalité du commerce des esclaves sur les trois
continents. La richesse économique aura pour conséquence le développement de la vie
artistique, culturelle, littéraire (Les mille et une nuits), philosophique (la bibliothèque de
Cordoue compte 400 000 volumes), religieuse et technique (de nombreuses inventions arabes
et chinoises seront transmises à l’occident par le biais des réseaux de caravanes, comme la
poudre et le papier).

Les grands centres économiques du monde musulman sont Cordoue, Grenade, Tunis,
Marrakech, Damas, Alep, Alexandrie, Le Caire, Bagdad et Bassora. Les régions d’Asie ont
joué un rôle important dans l'économie du monde musulman. Qui ne se souvient des légendes
rapportées par les caravanes au sujet de « la route de la soie » ou « route du jade », qui reliait
le Proche-Orient à la Chine depuis l'Antiquité. C’est elle que les caravanes de chameaux
suivaient et qui est à l’origine des premières colonies de marchands musulmans en Asie
centrale et en Chine. Elle faisait halte à Bagdad, qu’elles approvisionnement en produits de
luxe orientaux : « Après les invasions mongoles et la chute de Bagdad en 1258, l'activité
économique du monde musulman se déplaça vers le sud avec trois points d'ancrage : l'Égypte,
l'Inde et l'archipel insulindien. L'Inde et le détroit de Malacca, carrefours obligés de tous les
échanges maritimes transcontinentaux, ne furent pas loin alors d'être les centres de gravité de
l'économie du monde musulman » écrit Marc GABORIAUX.

L’invasion mongole de 1258, puis la peste noire au quatorzième siècle donnent le coup d’arrêt
à l’essor économique du monde musulman, qui après diverses amorces de renouveau,
déclinera à mesure que l’Atlantique ravira à la Méditerranée la place centrale dans les
échanges mondiaux.

II.2. Les économies capitalistes préindustrielles

II.2.1. La Renaissance

La Renaissance succède au Moyen-âge, et correspond schématiquement à deux étapes


importantes de la pensée économique, le mercantilisme et la physiocratie.

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Chronologiquement, la renaissance s’étend donc pour nous de la fin du Moyen-âge à la


révolution industrielle. Pour dater le début de cette période on peut choisir de nombreux faits
symboliques.

• Les grandes découvertes géographiques qui, si elles commencent avec Marco POLO (1254-
1324) et ses voyages en Chine, prennent un essor considérable avec Christophe COLOMB
(1451-1506), qui « découvre » l’Amérique en 1492, Vasco de GAMA (1469-1524), qui
contourne l’Afrique et double le cap de Bonne-Espérance en 1498 et Fernand de
MAGELLAN (1480-1521) qui meurt aux Philippes en 1521, pendant son voyage autour du
monde dont son équipage reviendra cependant. • les débuts de l’imprimerie avec Johannes
GUTENBERG (1400-1468) vers 1450 • les débuts de la Réforme (protestantisme) initiés par
Martin LUTHER (1483-1546) et Jean CALVIN (1509-1564). Cette période très riche sur le
plan des faits et des idées économiques en annonce cependant un autre encore plus riche : la
révolution industrielle.

Marco POLO (1254-1324) voyage en Chine dès le 13ème siècle, mais les grandes
découvertes géographiques prennent un essor considérable avec Christophe COLOMB (1451-
1506), qui « découvre » l’Amérique en 1492, puis Vasco de GAMA (1469-1524), qui
contourne l’Afrique et double le cap de Bonne-Espérance en 1498 et enfin Fernand de
MAGELLAN (1480-1521) qui meurt aux Philippes en 1521, pendant son voyage autour du
monde dont son équipage reviendra cependant. A noter que la découverte des pôles sera
beaucoup plus tardive. Ce n’est qu’en 1911 que Roald Engelbregt Gravning AMUNDSEN
(1872-1928), explorateur polaire norvégien atteint le pôle Sud. Quant au pôle Nord, la
question est discutée. L’Américain Frederick COOK prétend l’avoir atteint le 21 avril 1908,
mais cette affirmation est controversée, tout comme la prétention d’un autre américain, Robert
PEARY qui affirme quant à lui avoir atteint le pôle Nord le 6 avril 1909. Leurs relevés
respectifs semblent indiquer que l’un et l’autre l’on manqué de quelques kilomètres. Ce qui
est certain, en revanche, c’est que James Clark ROSS a atteint le pôle nord magnétique dès
1831. Pour clore cette liste d’hommes ayant associé leur nom à d’immenses découvertes
géographiques, ajoutons celui de Neil Alden ARMSTRONG (1930-), astronaute américain,
qui fut le premier homme à avoir marché sur la Lune le 21 juillet 1969.

II.2.2. La période mercantiliste

Le mot "mercantiliste" vient de l'italien "mercante" qui signifie "marchand". Cette doctrine
économique prône le développement économique par l'enrichissement des Etats-nations au

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moyen de l’or d’abord, puis du commerce, mais aussi de l'industrialisation. Elle marque la fin
de la prééminence des doctrines de l'Église dans l'organisation sociale.

Il n’y a pas un seul mercantilisme, mais bien plutôt des mercantilismes. Par ce mot pluriel on
désigne en fait les diverses doctrines, mais aussi les pratiques des Etats et des agents
économiques qui se sont préoccupées des moyens d'augmenter la richesse (la richesse de
l'Etat exclusivement pour certaines d’entre elles, mais la richesse de l’Etat et des particuliers
pour d’autres). Cet ensemble de doctrines et de pratiques s’étend de la fin du Moyen-âge au
milieu du 18ème siècle. Donc, si l’on se réfère au tableau du chapitre 1 sur le cadrage
temporel de la période couverte par ce cours, on constatera que le mercantilisme, en tant que
pratique, s’est poursuivi au-delà du moyen-âge et pendant la renaissance. On peut même dire
sans exagérer, que certaines formes de mercantilisme, comme le protectionnisme en matière
de politique commerciale, sont encore très pratiquées de nos jours. Toutefois, les idées
économiques durant cette période ont évolué et, si l’on regarde le tableau ci-après du cadrage
de la période mercantiliste, on voit clairement que sur la fin de la période, les hommes qui ont
côtoyé les mercantilistes, sont en fait soit des physiocrates (François QUESNAY), soit des
précurseurs du libéralisme économique anglais tel qu’il s’épanouira avec ADAM SMITH à
partir de 1776 (DAVID HUME est sans doute l’exemple le plus représentatif d’un précurseur
des libéraux).

Nous étudieront ici le mercantilisme comme une étape vers la compréhension de l’origine de
la « Richesse des Nations » qui sera finalement réellement appréhendé par Adam SMITH
(1723-1790), Le mercantilisme, puis la physiocratie (étudiée au chapitre 4) ne sont que des
étapes vers la naissance de l’économie politique classique. C’est la raison pour laquelle nous
étudierons dans ce chapitre des auteurs comme David HUME (1711-1776) qui est sans aucun
doute davantage un libéral qu’un mercantiliste (voir le schéma de cadrage de la période
mercantiliste ci-après).

Il existe donc plusieurs écoles mercantilistes qui se différencient principalement sur la façon
de procéder pour accumuler la richesse. Nous allons donc étudier successivement :

• Le mercantilisme espagnol, que l'on appelle ainsi parce qu'il est né en Espagne. On l'appelle
aussi parfois le "Bullionisme" de l'anglais « bullion » (lingot). Ce mercantilisme est né de la
préoccupation spécifique de l'Espagne qui était de conserver dans le pays l'or qui venait de ses
conquêtes. On retrouve aussi ce souci au Portugal, en Italie ou d’autres pays européens tels

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l’Angleterre. L'augmentation de la richesse, selon cette « école », se fait donc par


accumulation d'or et d'argent.

• Le mercantilisme français, qui est représenté par des hommes tels que Jean BODIN (1530-
1596), Antoine de MONTCHRESTIEN (1575-1621) ou Jean Baptiste COLBERT (1619-
1683). Il s'agit toujours d'enrichir l'Etat, mais par le développement industriel. L'Etat doit
donner l'exemple en créant de grandes activités comme par exemple des manufactures (c'est le
nom que l'on donnait aux usines).

• Le mercantilisme fiduciaire qui a été expérimenté en France par l'Ecossais John LAW
(1671-1729) est basé sur l'idée que le développement économique (donc l'enrichissement de
l'Etat) ne peut se faire que s'il existe un système bancaire moderne, basé sur la circulation de
billets émis par une banque centrale, ces billets étant eux-mêmes gagés sur l'or détenu par la
banque. Cette conception entraîne la prise en compte d'un élément essentiel dans les
conditions du développement : c'est la confiance que les agents économiques ont dans le
système bancaire. L'expérience menée par LAW, sur laquelle nous reviendrons en détail, s'est
soldée par un échec, ce qui a retardé de près d'un siècle la création d'un système bancaire
moderne en France.

• Le mercantilisme commercialiste, qui est représenté par des hommes tels que Josiah CHILD
(1630-1699) et Thomas MUN (1571-1641).

Chapitre troisième : La révolution industrielle et la révolution des


transports

La Révolution industrielle constitue une rupture majeure dans l’histoire de l’humanité,


comparable à la « révolution néolithique ». Elle apparaît comme le point de départ de ce que
Kuznets appelle la croissance économique moderne à savoir un processus cumulatif
d’accroissement simultané de la population, de la production et du revenu par tête. Cette
croissance subite a été nourrie par une série de changements simultanés : l’idée qu’il existerait
un facteur déterminant (ultime) doit être abandonnée. L’économie anglaise avait atteint un
niveau de développement suffisant permettant à l’offre de répondre par la mécanisation à une
sollicitation de la demande (alors forte dans le textile).

À partir du deuxième quart du xixe siècle l’intérêt pour les transports grandit, les pouvoirs
publics et le monde financier soutiennent la mise en place de nombreuses infrastructures. À

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l’amélioration des traditionnels réseaux fluviaux et routiers, s’ajoute le développement de


l’usage de la vapeur sur terre avec le chemin de fer et en mer. L’expression « révolution des
transports » désigne ces progrès réalisés au milieu du xixe siècle en matière de réduction des
coûts de transport grâce à l’extension de l’usage de la vapeur. Ces avancées ouvrent alors la
voie à une intensification des échanges internationaux.

III.1. La Révolution industrielle

III.1.1. Les manifestations de la Révolution industrielle

Ce phénomène se déroule en Angleterre entre 1760 et 1830 pour reprendre la datation


traditionnelle de l’historien Ashton (1959). Il se manifeste par l’apparition d’innovations dans
les secteurs du textile (machines à tisser), du « machinisme » (perfectionnement de la machine
à vapeur), de la sidérurgie et la métallurgie (diffusion des hauts fourneaux au coke…) et un
peu plus tard dans d’autres domaines comme le transport ou la chimie. Le caractère
révolutionnaire de ces transformations est certes atténué par le fait que les innovations sont
tributaires d’améliorations antérieures, c’est par exemple le cas de la machine à vapeur, dès la
fin du xviie siècle Savery crée une machine à pomper l’eau des mines, en 1712 Newcomen
améliore la machine… Mais une vraie rupture se déroule bel et bien à partir de la décennie
1760-1770 qui tient à l’ampleur et au nombre des innovations, à l’intensité de leur diffusion,
aux inflexions observables dans la croissance des gains de productivité et de la production
industrielle.

L’histoire économique quantitative fait ressortir une nette rupture en Angleterre en matière de
croissance de la production industrielle dans les années 1760-1770. Même si les premières
décennies du xviiie connaissaient déjà un rythme de croissance assez soutenu (de l’ordre de
1 % l’an) fondé notamment sur la protoindustrialisation, c’est un véritable décollage (take off
pour reprendre la terminologie de Rostow Les Étapes de la croissance économique (1963))
qui se fait jour à la fin du xviiie siècle. Plus largement la Révolution industrielle anglaise
s’accompagne de transformations radicales dans les domaines démographique, culturel,
géopolitique ou encore dans l’organisation du travail. Ces bouleversements participent de
l’extraordinaire complexité de ce processus. L’analyse des interactions entre facteurs de
demande et facteurs d’offre fournit une grille de lecture de cet épisode.

III.1.2. Les facteurs de progression de la demande : le rôle du commerce extérieur et de


la consommation

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Au milieu du xviiie siècle la demande adressée en Angleterre au secteur textile et à un degré


moindre à la métallurgie est si forte qu’elle entraîne une pénurie de main-d’œuvre. Plusieurs
facteurs peuvent concourir à expliquer cette forte demande. Le commerce international
constitue un vecteur potentiel de pression de la demande (demande externe en l’occurrence)
en même temps qu’il permet une accumulation préalable de capital. Depuis la fin du xviie
siècle la Grande-Bretagne a imposé sa domination maritime et dispose au milieu du xviiie
siècle d’importants débouchés coloniaux (en Amérique du Nord, Asie…). Il semble, par
exemple, que fin xviie les exportations de laines représentent 30 % de la production anglaise
et que cette proportion atteigne 50 % au milieu du xviiie siècle. Sans exclure totalement ce
facteur, la localisation des principaux foyers de la « Révolution industrielle » ne corrobore pas
cette hypothèse : les villes portuaires ne sont pas les premières concernées. Un fait est
solidement établi grâce aux travaux de Wrigley et Schofield (1981) : la population anglaise,
après avoir pratiquement stagné depuis le milieu du xviie siècle, progresse à un rythme
soutenu à partir de 1740 (entre 1740 et 1760, elle croit à un taux annuel moyen voisin de
0,5 %). La population de la Grande-Bretagne passe de 7,4 millions d’habitants en 1750 à
10,7 millions en 1800 et 20,6 millions en 1850. La poussée démographique pourrait être à
l’origine de la hausse de la demande textile. Mais l’influence dynamisante de la croissance
démographique est contestée : dans une perspective malthusienne, toutes choses égales par
ailleurs, elle vient buter sur une insuffisance des subsistances et provoque une hausse des prix
et une baisse des salaires réels qui la ramène à son niveau initial (à travers les conséquences
de la malnutrition). Le développement des villes (surtout Londres) et du commerce
s’accompagne d’une transformation du mode de vie et des habitudes de consommation.
L’anthropologie historique a montré qu’au xviiie siècle un désir de consommation s’est
développé notamment dans la classe moyenne/inférieure. Pour acquérir des objets (tissus à la
mode (indiennes), rubans, bijoux…) il a fallu, à productivité constante du capital, travailler
plus pour accroître son revenu et assouvir ce désir.

III.1.3. L’antériorité d’une Révolution agricole ?

Selon Bairoch dans Révolution industrielle et sous-développement (1963) rien n’aurait été
possible sans bouleversements dans le secteur agricole. La croissance démographique est,
selon lui, logiquement tributaire de mutations préalables en matière de subsistances et des
progrès réalisés dans l’agriculture. Les travaux de Bairoch insistent sur le rôle des interactions
entre Révolution agricole et Révolution industrielle. L’auteur part d’abord du constat qu’une
explication de la Révolution industrielle ne peut pas faire l’impasse sur l’agriculture (ce

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Histoire des faits économiques et sociaux BAC _1_2023 Chef de Travaux IDI OMARI Patient

secteur représentant 8/10e de l’activité humaine à l’époque). Sans gains de productivité


importants dans l’agriculture, il n’aurait pas été possible de nourrir une population croissante
et plus urbaine. Bairoch soutient l’existence d’une Révolution agricole en Angleterre fin
xviie siècle. Les progrès initiaux de l’agriculture anglaise localisés au sud-est du pays seraient
liés à un transfert de techniques nouvelles des Pays-Bas dû à un mouvement important
d’émigrés protestants chassés des Flandres par la domination espagnole. À la même époque,
le mouvement des enclosures constitue un autre facteur de modernisation de l’agriculture
outre-manche. L’argument d’un solde céréalier anglais positif dans le deuxième quart du
xviiie siècle et la mise en évidence d’une hausse de la production et de la consommation de
fer à usage agricole appuient cette thèse. Sur la même période une détérioration des termes de
l’échange des produits agricoles vis-à-vis des produits industriels est aussi décelable et paraît
témoigner de l’intensité des gains de productivité dans le secteur agricole. Ces gains
permettent à l’agriculture anglaise de libérer de la main-d’œuvre et offre des débouchés à
l’industrie. La pression de la demande appelle le progrès technique. Les innovations
industrielles répondent à cette sollicitation parce qu’un « seuil critique » a été franchi en
matière de recherche fondamentale.

III.1.4. La réponse de l’offre

On constate l’apparition dans la deuxième moitié du xviiie siècle de multiples inventions et


innovations techniques dans un nombre relativement réduit de secteurs industriels
principalement le textile (qui occupe alors 60 à 70 % du total des actifs des industries
manufacturières), le « machinisme », la métallurgie ainsi que les transports et la chimie.

Dans le textile certaines inventions sont traditionnellement mises en exergue.

• La navette volante de Kay, innovation des années 1730, est diffusée dans le tissage du
coton vers 1760 où elle améliore la productivité d’environ 30 %.
• La machine à filer Spinning Jenny (1765-66) de Hargreaves, avec rouet multiplié, est
particulièrement adaptée aux petites unités de production (intermédiaire entre travail
manuel et machinisme).
• La Waterframe (1767) de Arkwright qui utilise l’énergie hydraulique et exige de
lourdes installations est destinée à de plus grosses structures.
• La Mule Jenny (1777) de Crompton est une sorte de croisement des deux précédentes
inventions, elle est complètement mécanisée.

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• Au cours des années 1780, les métiers à tisser mécaniques de Cartwright remplacent
les navettes volantes de Kay et permettent une nouvelle progression de la production
de tissu.
• En 1783, Bell met au point la technique de l’impression mécanique des tissus.

Dans le secteur du « machinisme » l’écossais James Watt perfectionne la machine à vapeur, il


dépose en 1769 le brevet d’une machine à vapeur avec condenseur séparé.

Le secteur de la métallurgie connaît lui aussi des bouleversements techniques à la même


époque comme la substitution du coke au charbon de bois pour alimenter les hauts fourneaux
et produire la fonte. L’abondance de la fonte crée des goulets d’étranglement pour l’affinage
(sa transformation en fer), le procédé du puddlage inventé par Cort en 1783 répond à ce défi.
La même année Cort remplace le marteau hydraulique par le laminoir pour accélérer la forge
du fer. L’extraction du charbon des mines s’effectue par rails d’abord en bois, puis
métalliques à partir de 1765 en Angleterre.

Dans les transports le Français Cugnot utilise en 1770 l’action directe du piston sur la
manivelle pour actionner une roue motrice mettant ainsi au point un premier véhicule terrestre
à vapeur. En 1783 Jouffroy d’Abbans fait naviguer un premier bateau à vapeur. Plus tard,
Trevithick effectue les premiers essais de locomotives à vapeur.

Dans le secteur de la chimie le chlore est découvert en 1774 par Scheele et utilisé très vite
dans le blanchiment industriel des tissus.

III.2. La Révolution des transports

III.2.1. L’amélioration des infrastructures de transport terrestre

a) Une préoccupation ancienne

L’intérêt pour les transports par voies d’eau et de terre est apparu très tôt comme en
témoignent en France, pour la seule période moderne :

• le percement du canal du Midi en 1681 ;


• la création de la direction des ponts et chaussées en 1715 ;
• ou encore la création d’une école nationale des ponts et chaussées en 1747.

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En Angleterre, le percement de canaux et l’aménagement des voies d’eau connaissent un


tournant important suite à la décision en 1759 du Duc de Bridgewater de faire relier ses mines
de charbon à la ville de Manchester.

b) Le développement des réseaux routiers

Les efforts d’aménagements sont poursuivis au xixe siècle. L’amélioration des voies routières
est facilitée par l’apparition d’innovations comme le procédé du macadam vers 1820 et du
cylindrage à partir de 1834. Le nouveau système de revêtement est constitué de pierres
concassées et de sable agglomérés avec des rouleaux compresseurs : il permet d’augmenter la
vitesse des diligences. Le réseau routier continue de se densifier : en Angleterre il atteint
environ 50 000 km au milieu du xixe siècle. En France, une loi de 1836 prévoit que chaque
village doit être relié par un chemin vicinal à la circulation générale. Le réseau des grandes
routes françaises atteint 35 000 km à la même époque. La longueur du réseau « allemand »
passe de 25 000 km en 1835 à 115 000 km en 1873. L’Italie du nord poursuit l’aménagement
des voies transalpines vers la France notamment.

c) Les canaux

Le réseau anglais de canaux, développé à partir des années 1760, est achevé vers 1830 :
beaucoup de grands centres industriels sont reliés à la mer par des voies d’eau afin
d’acheminer matières premières et marchandises. Le programme français est élaboré, quant à
lui, vers 1820, il tente d’opérer des liaisons entre les grands fleuves. Ainsi le Rhône et le Rhin
sont reliés (1822-1834), la Marne et le Rhin (1838-1853), le canal latéral de la Garonne est
ouvert, plus tard le canal des Houillères est construit en Lorraine entre 1862 et 1866.

La même politique est conduite dans d’autres pays comme en Allemagne, où des travaux de
régularisation des cours d’eau sont réalisés à partir de 1820 : dans le deuxième tiers du
xixe siècle le réseau allemand des canaux et des voies canalisées atteint 4 500 km. Aux États-
Unis le percement du canal Érié, long de 584 km, qui lie l’Hudson au lac Erié (1817-1825),
marque lui aussi un jalon important vers le développement d’un vaste réseau de voies d’eau
pour le transport des produits.

d) Le chemin de fer

Le xixe siècle est aussi marqué par l’apparition du chemin de fer qui révolutionne les
conditions de transport. Les premiers essais de locomotives à vapeur se déroulent au tout

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début du xixe siècle. En 1830 une première ligne commerciale régulière est ouverte qui relie
les villes de Manchester et Liverpool. En Angleterre, le rythme de la construction ferroviaire
s’accélère dans les années 1840 : la taille du réseau atteint 10 500 kilomètres en 1850. Un peu
plus tard des réseaux denses se constituent ailleurs en Europe. La longueur du réseau des
chemins de fer passe en Europe de 175 kilomètres en 1830 à 9 200 km en 1845, 104 900 km
en 1870 et 362 700 km en 1913. Le réseau nord-américain se développe lui aussi rapidement,
il passe de 37 km en 1830 à 89 200 km en 1870 puis 456 200 km en 1913.

III.2.2. Les évolutions du transport maritime

a) L’émergence progressive de la vapeur

Au plan international, les conditions du transport maritime se modifient de façon substantielle


du fait de l’apparition d’importantes innovations (au milieu du xixe siècle). Dans la
construction navale, le fer (puis l’acier) se substitue progressivement au bois permettant
d’accroître les capacités des navires. En matière de propulsion, la vapeur est installée sur les
bateaux, elle évince lentement la voile qui bénéficie elle aussi d’avancées techniques. En 1850
la marine marchande britannique a un ratio des vapeurs aux voiliers qui est encore de 1 à 20.
Il faut attendre 1883 pour que le tonnage des vapeurs britanniques soit supérieur à celui des
voiliers. En France un dernier pétrolier à voiles (le Quevilly) sort encore des chantiers en
1897.

b) Une réalisation emblématique : le canal de Suez

À partir du xviiie siècle l’idée de créer une route maritime vers l’Orient se fait jour. Divers
projets sont avancés… Pendant la campagne d’Égypte, Napoléon Bonaparte ordonne à un
groupe d’ingénieurs et d’officiers d’étudier le principe d’une voie maritime entre la mer
Rouge et la mer Méditerranée, un certain J.-M. Lepère projette alors un tracé d’Alexandrie à
Suez. Plus tard, l’ingénieur Linant de Bellefonds montre la possibilité d’un tracé à travers
l’isthme de Suez (bande désertique et plate).

Les Saint-Simoniens créent une société d’études pour le percement de cette voie maritime…
Le projet se heurte dans un premier temps à l’hostilité des Égyptiens jusqu’à l’installation de
Saïd Pacha comme vice-roi d’Égypte en 1854. Les disciples du conte de Saint-Simon
envoient alors un émissaire Ferdinand de Lesseps qui avait été diplomate en Égypte dans les
années 1830, se liant alors d’amitié avec Saïd. Lesseps reprend le tracé de Linan, obtient
l’accord de Saïd pour le percement, puis l’exclusivité des travaux et une concession pour 99

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ans au profit de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez (1856). Ferdinand de


Lesseps parcourt l’Europe pour lever des fonds privés et obtenir des soutiens.

Les travaux commencent en avril 1859. La Grande-Bretagne manœuvre pour ruiner


l’entreprise craignant de perdre le contrôle de la route des Indes (vital notamment d’un point
de vue alimentaire), les Anglais ont mis en place et contrôlent l’Overland Road qui relie
Alexandrie et Suez par caravanes. Ils réussissent à bloquer les travaux pendant trois ans
(1863-66). La médiation de Napoléon III permet une reprise… Le canal est inauguré par
l’Impératrice Eugénie le 27 novembre 1869. Le canal relie Port Saïd au golfe de Suez. D’une
longueur de 162 kilomètres, large de 190 mètres, profond d’environ 20 mètres, permettant le
passage de navires à fort tonnage (jusqu’à 400 000 tonnes à vide) le canal révolutionne le
transport maritime international. Il évite aux bateaux de passer par Le Cap (Cap de Bonne
Espérance). Il réduit la distance de 41 % entre Londres et Bombay. Il engendre de nouveaux
flux commerciaux qui n’étaient pas rentables auparavant en particulier de produits pondéreux.

III.2.3. La baisse du coût des transports : éléments quantitatifs

Selon Paul Bairoch, grâce à l’ensemble des innovations le coût du transport terrestre diminue
entre 1850 et 1913 dans un rapport de 10 à 1. Mais le rôle du chemin de fer apparaît
totalement décisif dans ces progrès, François Crouzet (2000) rappelle qu’en 1865 en
Angleterre le coût moyen du transport de minéraux (par tonne et par mille) représentait pour
le chemin de fer l’équivalent de 16 % de celui par canaux et l’équivalent de seulement 2 % du
coût du transport par route. Au cours des siècles précédant la Révolution industrielle la
moyenne des coûts de transport terrestre est estimée par Bairoch (1997) à 4 ou 5 kg de
céréales par tonne-kilomètre. En 1910, il les estime à 0,1 kg par tonne-kilomètre. La baisse est
donc de 50 à 1 par rapport au temps des sociétés préindustrielles et apparaît bel et bien
révolutionnaire à l’échelle de l’histoire longue.

En matière de transport maritime, O’Rourke et Williamson (1999) estiment que le coût du


transport transatlantique à diminuer de 70 % entre 1840 et 1910. Au total, la baisse du poids
relatif des coûts de transports trouve une expression synthétique dans l’écart entre la valeur
mondiale des importations CAF (c’est-à-dire incluant les coûts de transport et d’assurance) et
la valeur mondiale des importations FOB. Le travail de Bairoch fait ressortir le caractère
régulier de la baisse des coûts de transport sur le grand xixe siècle avec néanmoins une
accélération du rythme vers 1850.

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Chapitre quatrième : De la première mondialisation à la seconde


mondialisation

La Première Guerre mondiale marque la rupture d’un processus d’intensification des échanges
internationaux entamé un siècle auparavant, la fin de ce qu’il est convenu d’appeler la
première mondialisation de l’histoire contemporaine. Cet épisode est riche d’enseignements
sur les ressorts et les implications du processus de mondialisation.

L’actuelle mondialisation – entamée depuis les années 1970 – constitue une caractéristique
saillante du capitalisme. Sur le plan commercial et sur le plan financier, elle atteint
aujourd’hui une intensité record.

V.1. La première mondialisation (1850-1914)

V.1.1. L’EXPANSION DES ÉCHANGES COMMERCIAUX

Le commerce mondial, après son effondrement pendant les guerres de la Révolution française
et de l’Empire, a connu au xixe siècle une formidable expansion : son volume est environ
multiplié par 20 entre 1815 et 1913 (+ 3 % par an, un rythme de croissance qui ne sera
dépassé qu’après 1945). Cet essor a pour origine directe la Révolution industrielle, qui
confère un quasi-monopole pour les exportations manufacturières à quelques pays
(l’Angleterre d’abord puis quelques autres pays d’Europe continentale dont la France et
l’Allemagne). Une véritable division mondiale du travail s’instaure : les produits industriels
des pays avancés sont échangés contre les denrées alimentaires et les matières premières des
« pays neufs » et des économies coloniales. Ces produits primaires représentent vers 1913
plus de la moitié de la valeur du commerce mondial. L’expansion du trafic commercial est
soutenue par des innovations (en manière de conservation des denrées par exemple avec
l’installation de systèmes réfrigérants sur les bateaux dans les années 1870) et surtout une
baisse de long terme des coûts de transport, qui s’accélère au milieu du xixe siècle avec la
révolution des transports.

Le chemin de fer connaît un développement très rapide : en Europe la longueur du réseau


passe de 175 km en 1830 à 104 900 km en 1870 et 362 700 km en 1913. Le rail unifie le
marché national, tout en assurant la desserte des grands ports. Le coût du transport maritime
diminue, quant à lui, régulièrement du fait notamment de l’émergence de la navigation à

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vapeur au milieu du xixe siècle et du percement des isthmes de Suez (1869) et Panama
(1914).

V.1.2. L’intensification de la mobilité internationale des capitaux

Après le dépôt du brevet du télégraphe en 1844 par S. Morse, la première ligne télégraphique
transmanche est posée dès 1851 et le premier câble transatlantique en 1865. En 1913, la
longueur des réseaux télégraphiques représente onze fois le tour de la terre, et le téléphone est
déjà en plein essor : un pas décisif vers la transmission instantanée de l’information a été
franchi, il ouvre notamment la voie à une intensification de la mobilité internationale des
capitaux. En fin de période (1880-1913) les indicateurs de l’intégration financière
internationale convergent pour faire apparaître un très haut degré d’intégration des marchés de
capitaux.

Le stock d’investissement direct à l’étranger est élevé, culminant selon Bairoch en 1913 à 20-
22 % pour l’Europe occidentale, l’Angleterre « banquier du monde » finance des projets de
développement dans la plupart des zones (Amérique du Nord, Asie…). Les calculs de
Flandreau et Rivière (1999) montrent qu’à l’époque le lien entre épargne nationale et
investissement national est relativement distendu ce qui donne à penser que les
investissements nationaux étaient largement financés par l’épargne étrangère. Enfin, selon
Obstfeld et Taylor (2004), en valeur absolue les soldes courants des pays les plus avancés sont
historiquement élevés fin xixe, la forte mobilité des capitaux semblant autorisée un
relâchement de la contrainte de soutenabilité des déficits courants des économies nationales à
l’exemple de l’Argentine dont les soldes représentent en moyenne 18,7 % du PIB sur la
période 1870-1889 et encore 6,2 % entre 1890 et 1913.

Le degré d’intégration financière internationale atteint avant 1913 ne sera vraisemblablement


dépassé qu’au milieu des années 1990. La finance de l’époque est qualifiée de finance de
développement au sens où les mouvements internationaux de capitaux financent largement
des projets d’infrastructures (chemins de fer, aménagements urbains…) et la mise en place
d’unités de production (extraction minière…). Par opposition la finance actuelle est souvent
qualifiée de finance de diversification au sens où la mobilité internationale des capitaux vise à
réduire les risques à travers la diversification des portefeuilles des opérateurs.

V.1.3. L’interdépendance des économies et la transmission internationale des crises

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L’internationalisation des crises – depuis les crises anglo-américaines de 1825 et 1836 jusqu’à
la crise Baring d’origine argentine en 1890 et la Roosevelt Panic de 1907 – est révélatrice
d’une interdépendance croissante entre les économies nationales. Ainsi la crise de 1857
débute à New York lorsque l’on apprend le détournement par un employé de la plus grande
partie du capital de la Ohio Life and Trust Company of New York. Cette banque avait
emprunté à d’autres banques de la place qui elles-mêmes étaient débitrices en Angleterre. Par
ricochet, des banques tombent en faillite à Philadelphie, Liverpool, Glasgow puis en
Scandinavie et, de là, à Hambourg. De même, les répercussions mondiales de la guerre civile
américaine (1861-1865) témoignent de cette interdépendance. La hausse soudaine du prix du
coton brut affecte aussitôt les industries textiles européennes, mais elle a aussi pour effet de
déclencher un boom cotonnier mondial : la culture du coton s’étend en Australie
(Queensland), en Inde (autour de Bombay, région de Maharashtra) et surtout dans toute la
Basse Égypte où la culture du coton occupe environ 40 % de la surface cultivée.

L’économie égyptienne connaît quelques années fiévreuses, avec une flambée des prix, des
salaires, de la valeur des terrains, des taux d’intérêt, de la valeur des terrains. Mais les cours
du coton chutent dès la fin de la guerre, et la retombée est brutale : panique financière en
Australie, hécatombe parmi les banques de Calcutta et Bombay, tandis que l’Égypte
surendettée doit renoncer à la tentative de modernisation globale dont le boom cotonnier avait
été le catalyseur. L’épisode a néanmoins des conséquences irréversibles comme le recul des
cultures vivrières en Égypte.

V.1.4. La mise en œuvre de politiques d’ouverture

Les vicissitudes de la politique commerciale ont eu un impact réel mais relativement limité
sur l’ouverture des économies au xixe siècle.

Le choix du libre-échange par l’Angleterre (démantèlement des corn laws en 1846,


suppression des actes de navigations en 1849…), puis par les principaux pays d’Europe (dans
un cadre négocié après la signature du traité commercial entre l’Angleterre et la France en
1860) accélère l’intensification des échanges. Mais le processus d’ouverture dans ses diverses
dimensions – depuis les achats de matériel ferroviaire jusqu’au flux des touristes américains –
était déjà bien engagé depuis 1850 au moins. Quant au durcissement du protectionnisme en
Allemagne (dès 1879), puis en France (avec notamment la loi Méline de 1892, complétée par
la « loi du cadenas » de 1897) et dans la plupart des pays d’Europe sauf le Royaume-Uni, loin
de s’identifier à un effondrement de l’économie internationale comme plus tard après 1929, il

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n’exerce qu’un freinage temporaire sur la croissance du commerce mondial et n’entrave pas la
dynamique d’ouverture. Le protectionnisme favorise en Allemagne, aux États-Unis et au
Japon l’émergence d’économies nationales puissantes et leur industrialisation rapide, qui leur
permet de participer largement au nouvel élan des échanges mondiaux au seuil du xxe siècle.
Ces exemples nationaux tendent à prouver la pertinence d’une stratégie de contrôle de
l’ouverture pour des pays initialement en retard de développement (Becuwe et Blancheton,
2013). Loin de s’effacer devant l’intensification des échanges, les États-nations structurent
puissamment la première mondialisation.

V.2. La crise de 1929

La crise de 1929 demeure une rupture majeure de l’histoire économique du xxe siècle. Le
krach financier qui intervient à partir du 24 octobre 1929 révèle certains déséquilibres de
l’économie américaine et déclenche une très violente crise économique. En raison de
l’intensité des interdépendances internationales, l’ensemble des économies capitalistes est
plongé dans la dépression. Cette crise est aussi celle de la mondialisation car la recherche de
solution nationale est associée à un repli autarcique dans les années 1930.

V.2.1. LES ÉTATS-UNIS ÉPICENTRE DE LA CRISE

a) Le climat euphorique des années 1920

La croissance économique américaine reste forte au cours des années 1920 portée par le
dynamisme des gains de productivité dans l’industrie et le développement d’un modèle de
consommation de masse. Le secteur automobile progresse ainsi fortement : la production de
véhicules passe de 569 000 en 1914 à 5 621 000 en 1929. Le taux d’équipement atteint alors
le niveau élevé de 1 véhicule pour 4,6 habitants. Des effets d’entraînement sont à l’œuvre
dans les secteurs de la sidérurgie, de la chimie, des travaux publics… Le bâtiment connaît lui
aussi un fort développement en raison d’une urbanisation croissante, la construction de
logement se stabilise à un niveau élevé entre 1926 et 1929. De nouvelles pratiques de
consommation de masse se développent : les ménages s’équipent en biens de consommation
durable (postes de radio et autres articles ménagers…).

Si, entre 1921 et 1929, la production industrielle connaît une hausse de 50 %, l’indice des
actions progresse sur la même période de près de 300 %. Le mouvement haussier de
19281929 a un caractère largement spéculatif, il est notamment alimenté par d’importants
crédits faits aux brokers… En décembre 1928 et mars 1929, les cours des actions chutent

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révélant des tensions. Loin d’alarmer les opérateurs ces chutes accréditent la thèse d’une
accélération indéfinie de l’activité économique qui rendrait obsolète la notion même de cycle.
Les opérateurs semblent emportés par un climat euphorique et une confiance démesurée.

b) Le krach boursier à Wall Street

Le jeudi 24 octobre 1929, souvent qualifié de « jeudi noir », les cours des actifs financiers
s’effondrent de près de 30 % à la Bourse de New York. Après une relative accalmie le
lendemain, le mouvement se poursuit le lundi 28 avec une baisse de 12,9 % de l’indice de
référence. Une véritable panique s’empare du marché jusqu’en janvier 1930. Des spéculateurs
et des épargnants ruinés se suicident… Après une nette remontée des cours au premier
semestre de 1930, le mouvement baissier reprend jusqu’en 1932 : l’indice du cours des
actions qui culminait à 238 en 1929 n’atteint plus que 36 en 1932, soit un niveau nettement
inférieur à 1921 (indice 58). Le titre General Motors qui cotait 1 075 dollars en 1929 s’établit
à 40 dollars en 1992. Les conséquences de cet effondrement sur l’activité économique sont
difficiles à évaluer. L’effet psychologique est naturellement désastreux : la confiance est
brisée les décisions d’investissement et de consommation en pâtissent. Certaines entreprises
connaissent des difficultés de trésorerie et sont acculées à la faillite. La baisse des cours des
actifs freine mécaniquement la demande à travers des effets de richesse. Les banques qui
subissent des pertes financières et sont exposées à des menaces de retraits des déposants
restreignent leurs crédits pour tenter de reconstituer leur liquidité.

c) L’effondrement de l’économie américaine

Les performances macroéconomiques des États-Unis au début des années 1930 sont
spectaculairement médiocres. L’économie américaine est frappée par une déflation de grande
ampleur. Selon Maddison (1981), l’indice du PIB passe de 163 en 1929 à 147,4 en 1930,
136,1 en 1931 et 115 en 1932. Comme le montre le graphique le niveau du PIB de 1929 n’est
retrouvé qu’en 1939. La production industrielle connaît un repli plus important encore :
l’indice passe de 105 en octobre 1929 à 52 en juillet 1932. Le taux de chômage – faible depuis
le milieu des années 1920 – connaît une envolée jusqu’à dépasser nettement les 20 % en 1932
et 1933. La baisse de l’activité s’accompagne d’une baisse des prix : l’indice des prix à la
consommation passe de 165 en 1929 à 124 en 1933. Le mouvement de déflation est d’autant
plus ample que les opérateurs étaient fortement endettés.

V.2.2. La grande dépression du capitalisme mondial

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En raison notamment de l’intensité des relations financières et commerciales internationales et


du poids de l’économie américaine (à l’époque la production industrielle américaine
représente près de 45 % de la production industrielle mondiale et ses importations 12,5 % du
total des importations mondiales), la crise économique s’étend à l’ensemble des économies
capitalistes.

a) Le rôle des mouvements internationaux de capitaux

À la fin des années 1920, les États-Unis sont le premier préteur mondial de capitaux. À la
suite de la hausse des taux d’intérêt aux États-Unis et du boom boursier de 1928-1929 le
montant des émissions de valeurs étrangères aux États-Unis recule de 1 336 milliards de
dollars en 1927, à 1 250 milliards de dollars en 1928 et 790 en 1929. Après le retournement
d’octobre 1929, les banques américaines rapatrient massivement leurs capitaux déposés à
l’étranger afin de pallier leurs difficultés internes. Les pays débiteurs (Allemagne, Australie,
Argentine, Pologne…) qui dépendent des capitaux américains pour le financement de leur
déficit courant subissent des contrecoups. Ce désengagement accentue notamment les tensions
financières en Allemagne (principal débiteur des États-Unis) où la situation des banques
commerciales se détériore. Le 14 mai 1931, la plus grande banque autrichienne, la Kredit
Anstalt de Vienne est en situation de cessation de paiements. Cette crise bancaire contribue à
accentuer les difficultés du système bancaire allemand : une panique bancaire contraint l’état
à intervenir durant l’été 1931.

b) Le durcissement des politiques commerciales

L’effondrement de l’activité économique fait surgir aux États-Unis la tentation d’un repli sur
le marché national. Un débat s’engage sur la pertinence d’un durcissement de la politique
commerciale. Les responsables politiques voient dans la hausse des tarifs douaniers un moyen
d’augmenter les prix intérieurs et de réorienter la demande vers les produits nationaux. Une
pétition signée par 1 028 économistes (dont I. Fisher) met en garde contre les dangers de la
solution protectionniste et notamment le risque de représailles commerciales généralisées. En
juin 1930, le tarif Smoot Hawley est instauré par les États-Unis et marque un tournant vers un
durcissement sans précédent du protectionniste au niveau mondial. Aux États-Unis les droits
de douanes sont accrus sur 25 000 produits et le tarif moyen sur les importations protégées
passe de 39 % à 53 %. À la faveur des mesures de rétorsion, l’arsenal protectionniste
s’enrichit.

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Aux traditionnels droits de douane portés à des niveaux record, s’ajoutent des dépréciations
monétaires cette fois volontaires (la livre sterling dès 1931…), des taxes, des quotas,
l’instauration de normes sanitaires et autres roueries administratives. Les économies se
replient sur elles-mêmes : pour les États-Unis le rapport exportations sur PIB à prix courants
passe de 5 % en 1929 à 3,7 % en 1938 et pour l’Europe Occidentale il passe de 14,5 % à
seulement 7,1 %. Ce recul du commerce international constitue un facteur supplémentaire de
freinage de l’activité économique.

c) Les multiples explications de la crise et de son ampleur

Les analyses de la crise de 1929 sont nombreuses, certaines paraissent avoir été invalidées par
les faits postérieurs comme la thèse d’une stagnation séculaire du capitalisme mais beaucoup
conservent une portée explicative. L’approche marxiste analyse cet épisode comme une crise
de surproduction générale imputable à une insuffisance de la demande. L’accentuation des
inégalités de répartition serait à l’origine d’une sous-consommation. La stagnation des salaires
réels et la diminution de la part des travailleurs dans le revenu national sont mises en avant
pour étayer cette thèse. Si les travaux de Kuznets accréditent l’idée d’une hausse des
inégalités dans les années 1920, l’absence d’une baisse de la propension moyenne à
consommer fait défaut pour établir un lien entre inégalité et sous-consommation. Le
surinvestissement qui caractérise la toute fin des années 1920 (période du boom spéculatif aux
États-Unis) serait d’après I. Fisher à l’origine de la crise. L’investissement aurait dépassé les
capacités d’épargne. Il aurait été alimenté par un excès de crédits et un surendettement des
opérateurs. Le surendettement est, par la suite, analysé comme un facteur aggravant de la
déflation. Milton Friedman et Anna Schwartz (1963) mettent en cause la responsabilité d’une
politique monétaire trop restrictive des autorités du Federal Reserve System. Le resserrement
monétaire de l’été 1929 aurait d’abord alimenté la spéculation (relèvement du taux
d’escompte à 6 % en août 1929) en provoquant un rapatriement des capitaux vers les États-
Unis.

Après la crise, et jusqu’en 1933, la Fed n’aurait pas suffisamment approvisionné le système
en liquidité (via des achats de titres sur l’open market et le soutien direct aux banques en
difficulté). Cette attitude trop passive aurait aggravé la contagion des faillites bancaires (près
de 9 000 entre 1930 et 1933). Selon Kindleberger l’ampleur de la crise résulte d’une absence
de leadership mondial : la Grande-Bretagne n’a plus les moyens de stabiliser les relations
financières internationales et les États-Unis ne jouent pas le rôle de prêteur en dernier ressort

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au niveau international. Au contraire, les mouvements de capitaux américains et la réaction


protectionniste du gouvernement américain ont amplifié les déséquilibres. Dans le
prolongement de cette vision centrée sur les relations internationales les contributions plus
récentes de P. Temin et B. Eichengreen incriminent, elles aussi, l’absence d’un système
monétaire international stable durant l’entre-deux-guerres.

V.3. La seconde mondialisation

V.3.1. Une ouverture commerciale sans précédent

Après 1945, une dynamique de réouverture commerciale des économies capitalistes


s’enclenche. Les flux internationaux de marchandises et de services connaissent une véritable
envolée : entre les années 1950 et le début du xxie siècle, la valeur du commerce mondial a
connu une croissance deux fois supérieure à celle de la valeur du PIB mondial. Cette nouvelle
expansion du commerce international se singularise par sa durée et sa régularité. La continuité
du processus implique qu’on ne peut assigner sans arbitraire une date précise au début de la
« seconde mondialisation ». Mais il est clair que la reprise du commerce international a
devancé celle des investissements directs (notamment américains) dans les années 1960 et la
libération des flux de capitaux au seuil des années 1980 seulement. Le commerce mondial de
biens et de services représente en 2012 31 % du PIB mondial contre 18 % à la fin des années
1980.

La phase actuelle de mondialisation commerciale dépasse en intensité tous les précédents


historiques. Sous l’impulsion des États-Unis, les nouvelles institutions internationales
promeuvent le libre-échange et le multilatéralisme. Sous l’égide du GATT, crée en 1947, huit
rounds de négociations internationales permettent le recul des pratiques les plus nocives
(dumping, quotas) et un abaissement très important des droits de douanes : de l’ordre de
40 %, en moyenne, en 1947, ils se situent à 5 % en 1994. À partir de 1995, l’OMC prend le
relais pour accentuer ce désarmement douanier. Les plans d’ajustement du FMI imposent,
quant à eux, un volet libéralisation des échanges et la multiplication des accords commerciaux
régionaux accélère, de fait, le développement du libre-échange. L’amélioration des
infrastructures de transports (réseaux routiers, gigantisme du transport maritime,
développement du transport aérien) concourt aussi à l’intensification des échanges. Les coûts
moyens de transport représentaient 7,6 % de la valeur des importations mondiales en 1953,
contre seulement 3 % au cours des années 2000. De manière toute aussi frappante, depuis la
fin des années 1940, le coût du transport aérien a baissé de 85 %.

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V.3.2. Les évolutions structurelles du commerce mondial

Cet essor global des échanges s’accompagne bien entendu de mutations structurelles. Ce sont
d’abord les échanges de produits manufacturés entre pays avancés (européens notamment) qui
forment la composante la plus dynamique du commerce mondial. La contribution des services
est restée faible et constante : ceux-ci ne représentent depuis les années 1950 qu’entre 20 et
25 % des exportations mondiales. La tertiarisation des économies semble ainsi, par un simple
effet de structure, borner l’ouverture commerciale des économies. Les firmes multinationales
(FMN) sont devenues des acteurs clefs de la mondialisation, le commerce intrafirme c’est-à-
dire entre filiales d’une même entreprise représente aujourd’hui un tiers des échanges
extérieurs des pays développés. On compte environ 65 000 FMN dans le monde, qui
disposent d’un total de 850 000 filiales. Des réseaux transnationaux se constituent, échappant
de plus en plus au contrôle des États. La question de l’attractivité des sites nationaux se pose
avec beaucoup plus d’acuité. La mise en place d’une division internationale des processus de
production sous l’égide des FMN illustre la faiblesse des coûts de transport et accélère
l’érosion des avantages comparatifs. Pour de nombreux biens industriels, elle entraîne
l’inversion des soldes commerciaux, au profit des économies émergentes notamment
asiatiques (Chine, Inde…).

V.3.3. La globalisation financière

La réouverture financière des économies est beaucoup plus tardive que leur réouverture
commerciale. Au sein du système de changes fixes de Bretton Woods, les entraves aux
mouvements de capitaux sont maintenues. Les autorités redoutent les effets déstabilisant des
mouvements et capitaux et souhaitent pouvoir combiner stabilité des cours de change et
autonomie des politiques monétaires. Le coup d’envoi de la réouverture financière des
économies est donné en 1979 : à la suite du Sommet des cinq pays les plus industrialisés de
Tokyo, la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher lève les contrôles des opérations de change.
La vague de libéralisation s’étend dans les années 1980, parfois sous la pression d’institutions
financières internationales comme le Fond Monétaire Internationale. Les mouvements de
capitaux s’intensifient. L’évolution du simple montant quotidien des opérations de change
(comptant, terme, swaps) frappe les esprits.

Ces mouvements de capitaux constituent un facteur d’accélération de la croissance mondiale


mais aussi un puissant facteur d’instabilité.

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V.3.4. Une contrainte externe forte pour les Etats

L’intensification de la mondialisation entraîne une réduction des marges de manœuvre de


politique économique pour les États. Au niveau des politiques structurelles, les États doivent
rendre attractive leur économie, attirer les capitaux étrangers, favoriser l’implantation de
firmes multinationales. Pour cela, il convient parfois de baisser le coût du facteur travail
(salaires plus cotisations sociales), de réduire la fiscalité (impôts sur les bénéfices) et
d’introduire plus de concurrence et de flexibilité sur les marchés. De ce fait, au Nord certains
acquis sociaux peuvent être remis en cause (détérioration des conditions de travail, protection
sociale moins forte…). Au niveau des politiques conjoncturelles, l’ouverture commerciale des
économies rend moins efficace la politique budgétaire. Les relances traditionnelles échouent
car elles profitent de plus en plus aux importations qui dans le cas de la France représentent
aujourd’hui plus de 25 % du PIB et dans celui de la Belgique environ 80 % du PIB.

Les avancées de l’intégration financière ont aussi des conséquences dans les domaines de la
politique monétaire et du change. Si l’on se réfère à la notion de triangle des incompatibilités
(développée par Mundell), dès lors que la mobilité des capitaux est extrêmement forte et
s’impose comme une donnée, les autorités ont un choix restreint. Soit elles conservent des
marges de manœuvre de politique monétaire et acceptent de subir l’instabilité des cours de
change (la zone euro apparaît aujourd’hui dans ce cas). Soit elles assurent la stabilité du
change mais alors elles doivent se priver de la possibilité d’utiliser le taux d’intérêt pour
stabiliser les prix ou soutenir l’investissement et la consommation (c’est le cas de beaucoup
de pays émergents d’Asie par exemple, c’était largement le cas de la France à l’époque du
système monétaire européen 1979-1998).

V.3.5. La régionalisation de l’économie mondiale

La montée de la contrainte externe pose la question de l’échelle pertinente de la régulation.


Elle est à l’origine d’une intensification de l’intégration économique régionale (c’est-à-dire
une union d’économies nationales) à partir de la fin du début des années 1990. De nombreux
accords régionaux sont alors signés. Le MERCOSUR est installé en 1991 (marché commun
d’Amérique du Sud), il regroupe l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay. En 1992,
l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du SudEst), qui rassemble dix pays, devient une
zone de libre-échange. L’ALENA (Association nord-américaine de libre-échange) est créée la
même année. L’Union européenne reste l’exemple le plus achevé d’intégration régionale. Le
processus d’intégration a été entamé dès les années 1950 avec notamment la signature du

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traité de Rome en 1957. La Communauté économique européenne s’est élargie à de nouveaux


membres dans les années 1970-1980 et les échanges se sont intensifiés au sein de la zone.
Pour assurer la stabilité du change et favoriser ainsi les échanges de marchandises un Système
monétaire européen a été mis en place en 1979. Mais la spéculation sur le change a paru
menacer le projet européen à l’occasion en particulier des violentes crises de change de 1992-
1993. La nécessité de créer une monnaie unique s’impose alors. L’euro est entré en vigueur le
1er janvier 1999. Une Union économique et monétaire comme l’UE permet en théorie de
retrouver des marges de manœuvre en matière de politique conjoncturelle, au sein d’une zone
– relativement fermée – la politique budgétaire est censée être plus efficace. Mais pour
l’instant le budget européen reste embryonnaire (à peine plus de 1 % du PIB de la zone),
tributaire d’une avancée de l’intégration politique. Si pour certains la régionalisation permet
de se protéger contre certaines conséquences de la mondialisation, pour d’autres elle en
constitue le tremplin.

V.3.6. Des institutions internationales contestées

Les institutions en charge de réguler les relations financières internationales, le FMI et la


Banque mondiale notamment, n’ont pas été capables de régler les problèmes monétaires et
financiers apparus à partir des années 1980 : endettement des pays pauvres, accentuation de
l’instabilité financière, crises de change. À l’origine en 1944, le FMI était chargé d’assurer la
continuité des paiements internationaux en assistant par des crédits et des conseils des pays en
difficulté pour équilibrer leur balance des paiements. La Banque mondiale était plus en charge
de financer l’aide au développement des pays du tiers-monde. Si la mise en œuvre des
politiques d’ajustement structurel depuis les années 1980 a entraîné une certaine
complémentarité entre les deux institutions elle leur a également attiré de nombreuses
critiques. Le Consensus de Washington cristallise les controverses. Ce terme apparaît en 1989
forgé par l’économiste Williamson, il désigne les politiques libérales imposées aux pays en
développement par les deux institutions (privatisation, rigueur monétaire, discipline
budgétaire…).

L’économiste Joseph Stiglitz a dénoncé le fait que ces « thérapies de choc » accentuaient la
pauvreté et l’instabilité au Sud, il a contribué à leur abandon progressif au début du
xxie siècle. Aujourd’hui de nombreux défis restent à relever pour ces institutions :
l’annulation de la dette des PVD, l’accumulation de déficits courants par les ÉtatsUnis, la
volatilité des cours de change, la constitution d’un véritable prêteur en dernier ressort au

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niveau international et la question de leur légitimité même car le Sud souligne qu’elle qu’elles
servent les intérêts du Nord. Dans le domaine commercial le GATT est parvenu à promouvoir
les idées de multilatéralisme et de libre-échange. L’OMC a tenté de poursuivre la politique de
libéralisation des échanges dans le cadre du cycle de négociation de Doha : les enjeux
principaux concernaient les échanges agricoles et de services. Par beaucoup d’aspects, pour
l’Europe, la période actuelle ressemble à la longue stagnation des années 1870-1880
(ralentissement de la croissance, concurrence des émergents, instabilité…). Comme durant la
première mondialisation des débats s’esquissent à propos d’un durcissement des politiques
commerciales.

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