Cours D'histoire Des Faits Économiques - Bac - 1 - 100945-1
Cours D'histoire Des Faits Économiques - Bac - 1 - 100945-1
Introduction
L'histoire des faits économiques est entendue comme l'étude et l'analyse des phénomènes
économiques du passé grâce aux méthodes des sciences historiques (analyse des documents,
récits, archives, sources diverses) mais aussi naturellement des sciences économiques :
analyse économique (au sens des méthodes issues de l'ensemble des théories économiques :
classique, marxiste, néoclassique, keynésienne, institutionnaliste, etc.) et analyse quantitative
(économétrie et modélisation). Les deux disciplines ont bien sûr largement recours à la
statistique et à l'informatique puisqu'il s'agit de traiter les données souvent chiffrées
accumulées par les générations précédentes. Si les phénomènes économiques sont l'ensemble
des activités de production, d'échange et de consommation des biens et services, l'histoire des
faits économiques concerne toutes les périodes à partir desquelles les hommes se sont mis à
produire et à échanger des biens et services.
L'histoire économique se trouve, comme son nom l'indique, au carrefour de deux grands
domaines de la connaissance, l'histoire et l'économie. Comme ils sont tous deux ouverts à
d'autres champs du savoir, aussi bien dans les sciences sociales que dans les sciences exactes,
et qu'ils ont l'un et l'autre fait preuve d'un grand dynamisme, d'une sorte d'impérialisme vis-à-
vis des autres disciplines, leur rencontre sur le terrain de l'histoire économique ne va pas sans
heurts. Celle-ci est ainsi la fille des deux parents depuis longtemps séparés l'histoire et
l'économie.
L'histoire économique a connu une évolution importante dans les dernières décennies: l'école
des Annales a placé les phénomènes économiques et sociaux au premier rang des
préoccupations des historiens, tandis que les économistes ont réinvesti la discipline en
apportant leurs outils d'analyse. Les écoles de pensée ont profondément modifié les approches
et les interprétations sur nombre d'aspects essentiels des faits économiques du passé. C'est le
cas des racines anciennes de la révolution industrielle, de ses mécanismes au 18ème siècle, ou
rôle comparé de la France et de l'Angleterre dans cette grande transformation.
Ce cours vise à présenter les nouvelles analyses et leurs résultats, dans le cadre d'une histoire
générale des faits économiques et sociaux dans le monde. L'accent est mis sur les
transformations institutionnelles et les changements techniques qui apparaissent comme les
deux sources principales du développement économique, et particulièrement du phénomène
d'industrialisation rapide à partir des années 1760.
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Loin de prétendre à l'exhaustivité, le premier chapitre de ce cours présente l'histoire des faits
économiques, telle qu'elle a été appréhendée par les premiers historiens et économiques, ainsi
que les grandes questions qu'elle aborde de façon récurrente (croissance économique,
changement technique, évolution démographique). Le deuxième chapitre traite des époques
préindustrielles depuis la révolution néolithique, en distinguant les économies précapitalistes,
dans l'Antiquité puis au Moyen-âge, et les économies mercantilistes en Europe, de la fin du
15ème au début du 18ème siècle. Le troisième chapitre aborde alors la révolution industrielle
au 18ème siècle, en Angleterre et en France, jusqu'à la fin de la période révolutionnaire, en
1815. Il va sans dire que la révolution des transports observée au 19ème siècle est, elle aussi,
abordée. Enfin, le quatrième chapitre analyse la première et la seconde mondialisation, tout en
abordant au passage la crise de 1929. Les autres faits comme libéralisation commerciale de
1850, la croissance et le nouvel ordre mondial de la période de 1945 à 1970, la période de
1975 à 2005 considérée comme temps de rupture ainsi que d’autres phénomènes économiques
feront l’objet des travaux personnels de l’étude pouvant toutefois être exécutés en groupes.
L'unique ambition de ce cours est d'amener les étudiants à qui il est destiné à connaître les
grands faits économiques et sociaux mondiaux, avant la période précapitaliste ou
préindustrielle jusqu'après la seconde mondialisation. La connaissance de ces phénomènes est
indispensable pour la compréhension des idées et pensées économiques qui ne peuvent en
aucun moment s'en dissocier; les faits influencent la pensée et cette dernière s'inspire des faits.
Dans la quantité des thèmes auxquels s’intéresse l’histoire des faits économiques, la littérature
semble accorde une importance capitale aux questions récurrentes se rapportant à la
croissance économique (I.1), le changement technique (I.2) et l’évolution démographique
(I.3).
I.1. La croissance
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En réalité les causes sont le plus souvent mélangées – ainsi le stock de capital change en
quantité mais aussi en qualité, ce qui relie le progrès technique à l’investissement, donc la
croissance schumpetérienne à la croissance solovienne, ou encore le progrès technique permet
la baisse des coûts du transport et facilite donc également les échanges (croissances
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Après avoir été un système progressiste jusque vers 1300 (hausse de la productivité,
croissance démographique, début d’accumulation), le féodalisme entre en crise avec le
développement des contradictions entre tenanciers et seigneurs. Le démantèlement progressif
des relations féodales dans la phase de transition vers le capitalisme (XVe au XVIIIe siècle)
s’explique par l’extension des échanges à l’échelle internationale (selon la fameuse formule
de Marx, « le commerce mondial et le marché mondial inaugurent au XVIe siècle la
biographie moderne du capitalisme ») et aussi par le développement des villes, lieux de liberté
et par définition carrefours d’échanges, qui favorisent les relations de marché par opposition
aux relations féodales. Le marché du travail se forme peu à peu, et au XVIIe siècle les progrès
agricoles et les enclosures permettent encore son extension, le salariat devenant la forme
principale des relations sociales. Les changements démographiques et techniques ne sont pas
à l’origine des évolutions mais plutôt leur conséquence, ce sont les bouleversements dans les
relations sociales qui déclenchent le processus. Le capitalisme apparaît avec la séparation des
travailleurs de leurs moyens de production, ils n’ont plus à vendre que leur force de travail, et
le producteur individuel, l’artisan dans son atelier, est remplacé par l’usine et la production de
masse qui permettent l’exploitation sur une grande échelle ainsi que l’introduction constante
d’innovations technologiques, facteurs de croissance.
Pour Marx, le capitalisme est un système dynamique, un progrès par rapport à tous les modes
de production antérieurs, son rôle historique est de réaliser l’accumulation du capital qui
permet le développement des forces productives, et par là le passage plus tard à des modes
d’organisation supérieurs, socialisme et communisme.
Pour Schumpeter, le capitalisme, animé par des entrepreneurs innovateurs, se caractérise par
un changement permanent, de nouveaux produits, de nouveaux marchés, des progrès dans les
processus productifs et dans les modes d’organisation, mais aussi la disparition d’anciens
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secteurs, une destruction créatrice. Ces progrès ont un aspect discontinu : il s’agit de ruptures
par rapport aux procédés traditionnels, de modifications qualitatives plus que quantitatives.
Les innovations arrivent par grappes, car une découverte ouvre le champ à d’autres, à des
imitateurs, et entraîne des applications multiples. Cela a été le cas de la fin du XVIIIe siècle
pendant la révolution industrielle et de la fin du XIXe (la deuxième révolution industrielle), et
sans doute – après la mort de Schumpeter (1950) – des mutations techniques actuelles, basées
sur l’information, l’espace et la génétique. Une conséquence de ces vagues successives
d’innovations est le caractère cyclique de la croissance capitaliste. Schumpeter reprend
l’analyse de Simiand et Kondratiev en donnant une explication des cycles : les phases
ascendantes seraient dues à l’arrivée d’une innovation marquante (coton, chemin de fer,
automobile), et les phases descendantes à des périodes de creux technologique, comme celles
situées entre les machines textiles et les chemins de fer (1814-1827), entre les chemins de fer
et l’automobile (1870-1885), entre celle-ci et la généralisation des biens de consommation
durables d’après-guerre, la période de crise 1925-1945.
Pour Karl Polanyi dans La grande transformation (1944), les relations économiques ont été
immergées (embedded) dans les relations sociales jusqu’au xixe siècle. Les facteurs
économiques ne sont dominants qu’à partir de la révolution industrielle et l’apparition de
l’économie capitaliste de marché, ils deviennent alors autonomes, désengagés (disembedded)
des relations sociales. L’évolution majeure qui commence vers le xve siècle et aboutit à la fin
du xviiie se caractérise par la généralisation des relations de marché, la création d’un nouveau
système d’organisation économique, autour d’activités jusque-là en arrière-plan, mais qui
envahissent désormais tous les comportements humains : « Nous avançons l’idée que tout cela
(la révolution industrielle et les transformations qui l’ont accompagnée) était simplement le
résultat d’un unique changement fondamental, la création d’une économie de marché ». Celle-
ci se caractérise par la monétisation progressive des facteurs de production. La terre, le travail,
le capital peu à peu s’échangent, ils ont des prix qui varient sur les marchés selon l’offre et la
demande qui en sont faites.
Les causes plus précises de cette évolution sont à rechercher d’une part dans le mouvement
des enclosures, et d’autre part dans les grandes découvertes des xve-xvie siècles.
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sur des marchés qui fixent leurs prix. Un système économique entièrement nouveau
apparaît, où les richesses sont destinées à la vente, et pas seulement des objets de
prestige permettant l’affirmation d’un statut, un système dans lequel les hommes sont
animés essentiellement par des valeurs matérielles comme la recherche du profit, et
non plus des valeurs liées au pouvoir et au prestige artistique, intellectuel ou spirituel.
Rostow, dans son ouvrage de 1960 sur les Étapes de la croissance économique, met l’accent
sur le décollage (take-off) et ses conditions préalables (développement agricole,
infrastructures), sur la croissance auto-entretenue, sur les effets de liaison obtenus par les
industries motrices et les secteurs de pointe (leading sectors), sur le doublement du taux
d’investissement. Les critiques se sont accumulées et il ne devrait donc pas rester grand-chose
du modèle, cependant il est toujours un passage obligé des ouvrages sur le développement et
l’histoire économique. La plupart des notions forgées par l’auteur sont restées, ont été
approfondies par d’autres, et font partie désormais de la trousse à outil de l’économiste ou de
l’historien. La raison de ce succès durable est que le grand schéma de Rostow représente de la
façon la plus claire le concept du développement linéaire, la Grande-Bretagne ouvrant la voie
et tous les autres pays suivant avec retard. Cette idée garde une grande partie de son pouvoir
explicatif du monde actuel, bien que les faits concordent parfois assez mal avec le modèle
initial. La France par exemple n’a pas connu de décollage marqué et pourtant elle se retrouve
au même niveau que l’Angleterre deux siècles après la révolution industrielle. Les industries
motrices – et s’il en est une au xixe siècle c’est bien celle des chemins de fer au sens propre et
figuré – se révèlent finalement « dispensables » comme Fogel et d’autres l’ont montré. Enfin,
l’argument de Rostow est dans une certaine mesure circulaire, comme le remarque
Gerschenkron, car à la question comment la croissance a commencé, il répond : parce que les
conditions préalables ont été réunies ; et si on demande comment sait-on que ces prérequis
sont réunis, la réponse est : parce que la croissance a commencé !
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rapide sera son industrialisation. C’est le retard même et la tension ainsi provoquée dans la
société, qui jouent un rôle positif :
• en incitant l’État à intervenir ;
• en poussant des groupes dynamiques à se mobiliser pour relever le défi ;
• en favorisant dans les entreprises l’importation des techniques les plus modernes, ce
qui permet de bénéficier du réservoir technologique international, sans avoir à repasser
par les étapes hasardeuses de la création.
Les conditions préalables ne sont plus nécessaires à la croissance, chaque pays peut trouver
des moyens pour contourner l’absence de telle ou telle de ces conditions. Le cas anglais ne
peut donc constituer une voie unique du développement et chaque pays suit un cheminement
différent.
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connues comme les métiers à filer et à tisser, les forges, les machines à vapeur, etc., mais elles
doivent être prises dans un sens large qui inclut :
seigneuries rivales dont l’autorité ne s’étendait au mieux qu’au cadre régional. Ce vide du
pouvoir central a laissé la place à une plus grande liberté que justement les cités se sont
efforcées avec succès de conquérir en développant leurs franchises. La montée des villes à
partir du xie siècle, carrefours et donc lieux privilégiés de l’échange, c’est-à-dire de la
spécialisation et du marché, explique la naissance du capitalisme en Occident. Comme le dit
Braudel, « en Occident, capitalisme et villes, au fond, ce fut la même chose ». Nulle part
ailleurs, que ce soit en Chine, en Inde ou dans le monde musulman, les villes, soumises à un
pouvoir centralisé fort, n’ont pu développer ces libertés économiques, libertés qui ont été
préservées en Europe malgré le retour des États autoritaires, c’est-à-dire les monarchies
absolues du xve au xviiie siècle. Cependant l’organisation de la production manufacturée dans
les villes mêmes, sous forme des organisations de métiers (guildes, jurandes, corporations),
deviendra progressivement un obstacle à l’extension du marché, du fait des multiples
réglementations et de l’absence de concurrence. Les corporations représentaient un progrès à
l’époque de l’économie domaniale fermée, au début du Moyen Âge, mais elles deviennent un
frein par la suite. Si « l’air de la ville rendait libre » au Moyen Âge, c’est l’air de la campagne
qui joue ce rôle pour les entreprises à partir du xvie siècle avec ce qu’on a appelé le putting-
out system, parce que les réglementations urbaines corporatistes et étatiques n’y ont pas cours.
Pour Douglass North, les institutions et leur évolution donnent la clé de la performance des
économies, c’est-à-dire de la croissance. À côté des coûts de production, retenus par l’analyse
économique, les coûts de transaction ont été négligés jusqu’à ce que Ronald Coase observe
dans un article de 1937 que les marchés parfaits de la théorie néoclassique supposent des
coûts de transaction nuls, ce qui est peu conforme à la réalité. Les coûts de transaction
résultent de la gestion et de la coordination du système économique dans son ensemble. Ainsi,
dans une société complexe, la plupart des gens ne sont pas engagés directement dans des
activités de production, mais dans des activités visant à réduire ces coûts, qui représentent
environ la moitié du PIB d’après les estimations de North pour l’économie américaine. Ce
sont tous les coûts qui ne sont pas liés au processus physique de production, on peut les
classer en trois catégories :
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Les institutions sont définies comme les règles, les codes de conduites, les normes de
comportement, mais aussi la manière dont ces conventions sont appliquées (soit par soi-
même, soit par la partie adverse, soit par l’État). Les droits de propriété sont essentiels ici (le
cadre théorique développé par North est connu sous le nom de théorie des property rights) ; et
particulièrement dans le domaine de l’innovation : la propriété des inventeurs sur leur
invention, avec un système de protection du type brevet ou licence. En termes néoclassiques,
le taux de rendement social de l’invention doit s’approcher du taux de rendement privé, c’est-
à-dire que non seulement la société dans son ensemble, mais aussi l’inventeur, en bénéficient.
Ainsi les institutions favorisent le changement et le progrès. On doit distinguer les institutions
des organisations comme les entreprises, les administrations, les groupes de pression, les
associations, etc., qui dans le langage courant sont appelées justement institutions. Les
organisations sont donc les joueurs, et les institutions les règles du jeu. Elles changent avec le
temps, s’adaptent aux nouvelles techniques, aux modifications des prix relatifs, aux idées
différentes, de façon essentiellement continue, progressive, selon des voies tracées par la
structure institutionnelle passée. C’est ce qu’on appelle la dépendance par rapport au sentier
(path dependence), formule imagée qui implique que le présent est dans une large mesure
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conditionné par le passé, et que des tendances lourdes se maintiennent du fait des forces
d’inertie des sociétés et des comportements.
Par exemple, pour North, la bureaucratie centralisée de la couronne castillane, « orientée pour
le seul profit de cette dernière », produit par-delà les siècles le sous-développement des
anciennes colonies espagnoles en Amérique ; alors que la Grande Charte de 1215 en
Angleterre, premier jalon dans l’établissement de droits de propriété sûrs, et tous les progrès
institutionnels jusqu’au triomphe du Parlement en 1689, sont à l’origine du succès
économique non seulement de l’Angleterre mais aussi des anciennes colonies anglaises
d’Amérique, et en premier lieu des États-Unis. Appliqué à l’histoire économique, ce cadre
théorique permet à North d’affirmer que « L’essor du monde occidental est l’histoire
d’innovations institutionnelles réussies qui sont venues à bout de la faim et des famines, des
maladies et de la pauvreté, pour produire le monde développé moderne ». Au départ,
l’expansion démographique des peuples de chasseurs conduit à un lent épuisement des
ressources et donc à l’affirmation progressive des droits de propriété des clans sur leur
territoire. Ce renforcement des property rights a mené à la première révolution économique
(celle du néolithique) par l’incitation accrue à utiliser de nouvelles techniques (le passage à
l’agriculture). Une transformation évidemment majeure qui aura pour conséquence
l’intensification de la division du travail et des échanges, ainsi que l’apparition des premières
formes d’État, chargées d’appliquer les droits de propriété.
À la fin de l’Antiquité, la chute de Rome ouvre une période de chaos en Europe d’où
émergent graduellement des îlots de stabilité. Vers la fin du 10ème siècle les invasions
normande, arabe, magyare cessent, la division du travail et les échanges progressent à
nouveau, et la productivité dans l’agriculture s’élève, ce qui permet la reprise de la croissance
démographique. Le prix de la terre tend alors à monter relativement au travail, provoquant des
réponses techniques comme les rotations culturales et l’utilisation des premières machines (les
moulins). Mais ces progrès sont insuffisants pour enrayer les rendements décroissants et la
population s’effondre finalement avec la grande crise du 14ème siècle (peste, famine, guerres).
Les changements dans les techniques militaires mènent de leur côté au démantèlement du
féodalisme et au renforcement des monarchies. Celles-ci échangent la protection qu’elles
garantissent aux droits de propriété contre le droit de taxer les activités privées. Entre le 15ème
et le 18ème siècle, certains pays mettent en place des institutions favorables au progrès
économique (la Hollande et l’Angleterre), tandis que d’autres ne parviennent pas à le faire
(l’Espagne ou la France). Ces institutions permettent de contenir la montée des coûts de
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On ne peut guère concevoir le progrès technique sans le progrès économique, car le premier
accélère le second. Longtemps délaissée par les historiens et par les économistes, l’histoire
des techniques revient au premier plan, de même que l’analyse du progrès technique.
Pourquoi et comment se produisent les inventions, qu’est-ce qui explique les phases de
créativité technique dans l’histoire, les différences entre des cultures comme celles de l’Inde,
la Chine, l’Islam, l’Occident, dans ce domaine particulier ? La science économique a assez
peu progressé sur ces questions et le processus de l’innovation est encore mal compris.
L’apport de l’histoire économique est inestimable et la compréhension du phénomène passe
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nécessairement par l’étude des inventions elles-mêmes dans les périodes où elles arrivent en
foule, comme à la fin du xviiie siècle en Angleterre. Mais la théorie économique
conventionnelle, néoclassique ou keynésienne, est de peu d’utilité : comment expliquer le
progrès technologique en termes de coûts et de bénéfices, ou bien en termes de demande
effective ? Ce n’est pas un seul, mais cent facteurs, la plupart non économiques, qui entrent en
jeu pour expliquer l’innovation. L’analyse économique enferme l’homme dans un corps de
contraintes données où il est censé agir rationnellement, mais elle ne se pose jamais la
question de savoir ce qui se passerait s’il tentait de modifier ces contraintes elles-mêmes, ou
pourquoi il le ferait. Or c’est justement ce que fait l’inventeur : il change les règles du jeu en
rejetant les routines. Qu’est-ce qui explique cette faculté ? Pourquoi certaines sociétés sont-
elles plus créatives que d’autres à certains moments de leur histoire et produisent-elles alors
davantage d’iconoclastes ou d’excentriques capables de faire avancer tout le corps social ?
Trois conditions doivent être satisfaites pour voir le progrès technique s’épanouir : un milieu
favorable à la science, en lieu et place du règne de la tradition et de la superstition ;
l’existence de stimulants pour récompenser les inventeurs-innovateurs ; une société ouverte et
diverse où les opposants potentiels au changement ne sont pas en position dominante.
L’Europe de la Renaissance fournit l’exemple d’une civilisation où ces conditions sont peu à
peu réunies et se renforcent. L’avance de la Chine en matière technique jusqu’à cette époque,
par rapport à toutes les autres civilisations, peut s’expliquer simplement par le nombre. La
plupart des inventions avant les Temps modernes, en Chine ou ailleurs, viennent de
l’expérience des artisans, des fermiers et de quelques génies isolés, qui découvrent de manière
fortuite des procédés nouveaux par l’observation de la nature et de ses mécanismes. Plus la
population est importante, plus les chances de découvertes heureuses et utiles sont élevées, et
la Chine grâce à son poids démographique réalisera le plus grand nombre de progrès
technologiques et scientifiques (hauts-fourneaux, métiers à filer et à tisser, horloges
hydrauliques, papier, poudre, boussole, gouvernail, imprimerie, aimant, engrais, machines
agricoles, etc.). Le grand historien de l’empire du milieu, J. Needham, affirme ainsi qu’entre
le ier siècle avant J.-C. et le xve, la civilisation chinoise était beaucoup plus efficace que les
civilisations occidentales pour appliquer les connaissances à la satisfaction des besoins
humains fondamentaux ; il soutient également que les institutions, fondées sur le mérite,
étaient plus rationnelles qu’en Occident. Mais avec les Temps modernes et la révolution
scientifique du xviie siècle, les découvertes résultent de plus en plus de l’application d’une
méthode rigoureuse, d’expériences organisées de manière systématique et analytique.
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L’Europe prend dès lors la tête des progrès techniques parce que la Chine continue à reposer
sur le hasard et la multitude des expériences isolées, caractéristiques de l’ère prémoderne. Un
autre domaine qui permet de comprendre le processus du changement technique est celui de la
biologie. Les économistes tendent de plus en plus à dépasser la science économique et son
cadre conceptuel rigide pour faire appel à d’autres sciences et notamment la théorie de
l’évolution, approche connue sous le terme Evolutionary economics. Il y a une analogie entre
la science économique, qui s’intéresse au comportement individuel de maximisation de
l’utilité, et la biologie, qui étudie la cellule dont le but est de s’adapter pour la survie. Toutes
deux analysent le comportement individuel d’adaptation plutôt qu’elles n’étudient les
groupes. À l’image de la cellule ou de l’animal, l’homme agit rarement de façon altruiste. Il
ne le fait en général que si cela correspond à son propre intérêt. Naturellement, et
heureusement, les comportements désintéressés, s’ils ne sont pas la norme, sont assez
répandus, mais ils le sont aussi, ce qu’on sait moins, dans le règne animal. La fonction
d’utilité ne se limite pas à la satisfaction personnelle, mais va au-delà, vers la reproduction de
l’espèce, comme les biologistes l’ont appris aux économistes. Ainsi épargner jusqu’à sa mort
n’est pas rationnel en termes économiques, mais cela le devient cependant en termes
biologiques, puisqu’il s’agit de l’intérêt de l’espèce, même à l’encontre du sien propre. De
même un comportement ouvert et coopératif est plus profitable qu’un comportement méfiant
et égoïste, car il attire de la part des autres une réponse identique. Un autre exemple
d’application, en histoire économique celui-là, se trouve dans le cas des taux d’intérêt à long
terme qui sont influencés par la biologie des êtres humains (la plus ou moins grande
préférence pour le présent dépend de la longévité), et ainsi au xviiie siècle les progrès dans
l’espérance de vie expliquent la baisse des taux d’intérêt, favorable à la croissance.
Les analogies biologiques peuvent être utilisées dans le domaine des techniques. On peut
appliquer la théorie biologique moderne de la survie des mieux adaptés aux milliers
d’inventions qui naissent et meurent, connaissent le succès ou l’échec au cours des âges. Les
mécanismes de la concurrence et de la sélection darwinienne y jouent également. De la même
façon, la distinction faite en biologie entre les micromutations qui modifient graduellement les
caractéristiques d’une espèce, et les macromutations qui aboutissent à la création de nouvelles
espèces, peut s’appliquer aux découvertes. L’amélioration des techniques existantes (micro-
inventions) et la création de techniques radicalement nouvelles (macro-inventions) sont deux
processus parallèles, indispensables et complémentaires. Les microinventions sont sujettes à
des rendements décroissants, et sans les macroinventions à intervalle périodique la hausse de
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la productivité cesserait. On peut trouver des causes économiques aux premières (réaction à
des exigences de prix, de demande, de coûts), mais pas aux secondes qui dépendent du génie
et de la chance de certains individus hors du commun. La macro-invention représente une
rupture, un « nouveau départ conceptuel », sans parenté directe avec les techniques existantes.
Les exemples abondent, comme les moulins, les horloges mécaniques ou les caractères
mobiles de Gutenberg au Moyen Âge ; la machine de Newcomen, la montgolfière, le métier
de Jacquard ou le blanchiment au chlore de Berthollet au xviiie siècle ; l’hélice, le moteur à
quatre temps, le téléphone, la radio, au xixe siècle ; la télévision, l’ordinateur, le transistor, le
laser, Internet, au xxe. Une macro-invention crée un champ d’application très vaste pour
toutes les micro-inventions qui se développent autour et après elle. « La révolution
industrielle est caractérisée au plan technique par un phénomène d’agglomération des macro-
inventions qui ont mené à une accélération des microinventions » (Joel Mokyr).
L’invention, forcément primitive au début, n’est qu’une fraction minime des innovations qui
suivront, que les premiers inventeurs ne peuvent même pas imaginer. Ainsi la machine à
vapeur sert d’abord pendant des décennies à pomper l’eau des mines, puis elle se transforme
en moteur pour de multiples industries et ensuite pour les transports sur rail et sur mer, et
enfin elle devient un moyen de fabriquer de l’électricité. Marconi en inventant la radio pensait
que cette découverte n’aurait que des usages limités, là où on ne pourrait pas installer des fils,
comme dans le cas des navires. Le laser semblait de peu d’utilité au départ avant de
s’introduire un peu partout, des disques à la médecine, en passant par le téléphone et le
découpage des textiles. Le patron d’IBM après la guerre pensait que la firme devrait se retirer
du secteur des ordinateurs car la demande mondiale se limiterait à une quinzaine de
machines… Autrement dit, les innovations consistent à améliorer l’invention et lui trouver de
nouvelles applications, elles sont aussi nécessaires que la macro-invention elle-même et leurs
effets économiques peuvent être encore plus importants. L’explosion des progrès
technologiques depuis la fin du xviiie siècle n’est évidemment pas sans lien avec une autre
explosion, tout aussi impressionnante, celle de la démographie.
I.3. La population
La population mondiale, de 300 millions en l’an mille, 700 millions en 1700, s’élevait à un
milliard au début du xixe siècle, 2,5 milliards en 1950, dépassait 6 milliards en l’an 2000, 7,5
milliards en 2016 et atteindrait 8,5 milliards en 2035. L’accélération peut être simplement
illustrée par le fait qu’entre le néolithique et le xviiie siècle le rythme de croissance a été d’un
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doublement tous les mille ans, alors que dans la deuxième moitié du xxe siècle ce doublement
a eu lieu en quarante ans… Les prévisions des démographes sont de 9,5 milliards en 2050 et
la population de la planète devrait se stabiliser autour de 10 milliards en 2100. Toutes les
régions du monde auront alors achevé leur transition démographique à la suite de l’Europe
aux xixe et xxe siècles, caractérisée par des naissances moins nombreuses qui équilibrent à
peu près les décès, également moins nombreux. La première révolution économique, selon la
terminologie de North, celle du néolithique, permet une expansion inouïe de la population : de
5 millions il y a dix mille ans à 200 millions au début de l’ère chrétienne. Trois grands foyers
de peuplement dominent : la Chine, l’Inde et le bassin méditerranéen, qu’on retrouve jusqu’à
aujourd’hui. Ils représentent les trois quarts de l’humanité au Ier siècle, entre 50 et 60 % au
Moyen Âge alors que le foyer méditerranéen inclut maintenant l’Europe occidentale. Par la
suite, avec l’expansion européenne du xvie siècle et la poussée démographique de la Chine,
ces trois ensembles remontent à 70 % de la population mondiale vers 1800. L’explosion de la
population dans le tiers-monde, au xxe siècle, fait retomber cette part à 50 % en 1980. L’Asie
passe de 54 % à 59 % de la population mondiale du début à la fin du siècle, mais l’Europe
décline de 23 à 10 %, l’Amérique du Nord se maintient à 5 %, tandis que l’Afrique monte de
7 à 12 % et l’Amérique latine de 4 à 9 %. En Europe, la France représente 15 % de la
population du continent en 1800 et 7 % en 1950, tandis que la Russie passe de 19 % à 34 %
(mais à nouveau à 20 % en 1992 après l’éclatement de l’URSS. Une vue à long terme permet
de constater qu’au cours de l’histoire les périodes d’expansion démographique ont également
été des périodes de renouveau. C’est le cas de la Grèce antique jusqu’au ve siècle, de Rome
jusqu’au iie siècle de notre ère, des civilisations du Croissant fertile, de celles de l’Inde et de
l’Extrême-Orient, et naturellement de l’Europe à partir du xie siècle.
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On étudiera dans ce chapitre les sociétés précapitalistes, allant des origines de l'homme à la
Renaissance des 15ème au 16ème siècles, sociétés qui s'étendent sur trois grandes périodes, le
Néolithique, l'Antiquité et le Moyen-âge (section I), puis les sociétés capitalistes mais
préindustrielles, qui vont de la renaissance au 18ème siècle correspondant aux Temps
modernes, pendant le règne du mercantilisme (section II). Les sociétés capitalistes
industrielles, de la fin du 18ème siècle à nos jours, feront l'objet des chapitres suivants du
cours.
Pendant longtemps, l’homme était dominé par la nature, jusqu’à ce qu’il se sédentarise et
invente l’agriculture. Après l’homme paléolithique, nomade, cueilleur et chasseur, l’homme
néolithique se libère des contraintes du milieu naturel pour construire les bases de l’économie
de production. Alors que jusqu’aux derniers temps du Paléolithique, l’homme s’inclinait face
à son milieu naturel, l’avènement des premières communautés paysannes révolutionne le
faible impact que pouvait avoir les hommes jusque-là sur l’environnement.
Le Néolithique (autrement appelé « âge de la pierre polie »), qui succède au Mésolithique, est
une période marquée par de profondes mutations techniques et sociales, liées à l’adoption par
les groupes humains d’un modèle de subsistance fondé sur l’agriculture et l’élevage, et
impliquant le plus souvent une sédentarisation. Il marque une vraie rupture qui se traduit par
la prise de conscience progressive, par les humains, de leur aptitude à transformer la nature et
la matière vivante.
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Pour Dominique Garcia, si nombreuses sont les théories qui tentent d’expliquer l’émergence
du Néolithique, c’est d’abord le « processus qui fait que l’homme soit passé d’un stade de
cueilleur et de chasseur à un stade de producteur, la domestication des plantes, l’invention de
l’agriculture, de la production, une plus large sédentarisation : les hommes habitent le milieu
par des rassemblements d’individus, dans des villages, traduite aussi par le regroupement de
tombes, de lieux de sépultures, une volonté d’occuper pendant longtemps un même territoire,
la modification du milieu naturel ». Le Néolithique débute au Proche-Orient au IXème
millénaire av. J.C. dans le Croissant fertile, et atteint la Grèce vers le VIIème millénaire av.
J.C. Il commence en Chine un peu plus tard, sers 6 000 av. J.C. Le Néolithique prend fin avec
l’apparition, puis la diffusion de la métallurgie du bronze, à partir de 3 000 av. J.C. en
Anatolie.
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changements qui affectent les communautés où ces nouvelles pratiques agricoles étaient
progressivement adoptées et perfectionnées.
Le début de ce processus varie entre peut-être 10 000 ans avant J.C. en Mélanésie et 2500 ans
av. J.C. en Afrique subsaharienne. Cette transition semble partout être associée au passage
d’une vie de chasse et de cueillette nomade à une vie plus sédentarisée et agricole. Elle
correspond en effet aux débuts de la domestication de diverses espèces végétales et animales
dans un but de production de ressources.
La révolution néolithique implique bien plus que la simple adoption d'un ensemble limité de
techniques de production alimentaire. Au fil des millénaires, elle transforme les petits groupes
de chasseurs-cueilleurs mobiles en sociétés sédentaires nombreuses qui modifient
radicalement leur environnement, au moyen des techniques agricoles adaptées (par exemple
l'irrigation) permettant d'obtenir d'importants surplus de production. On assiste à un fort
accroissement de la population et au développement de la division du travail dans les villages,
notamment entre agriculteurs et artisans.
La révolution néolithique est en résumé pour de nombreux auteurs une mutation décisive du
comportement humain, caractérisée par la sédentarisation, l'adoption d'une économie de
production et la mise en place de nouveaux types d'organisation sociale. Ces trois points
peuvent être acquis simultanément ou non. Pour d'autres, elle n'est pas qu'un élément matériel
accompagnant ou suivant une mutation culturelle.
Pour ce qui est des causes de cette révolution, il y a plusieurs théories en concurrence (mais
qui ne s'excluent pas mutuellement) quant aux facteurs qui poussèrent les populations à passer
à l'agriculture. Les plus importantes sont :
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climat n'était pas aussi sec que Childe le croyait, mais où les terres fertiles favorisaient
une grande variété de plantes et d'animaux domesticables. Ce modèle est aussi
abandonné pour les mêmes raisons climatiques.
• La théorie du festin de Brian Hayden suggère que l'agriculture était motivée par
l'exhibition ostentatoire du pouvoir, comme de donner des festins, en vue de dominer.
Cela nécessitait de regrouper de grandes quantités de nourriture, ce qui mena à
l'adoption des techniques agricoles.
• La théorie démographique proposée par Carl Sauer, adaptée ensuite par Lewis
Binford et Kent Flannery, postule une population de plus en plus sédentaire qui
augmenta jusqu'à dépasser les capacités de l'environnement local et qui nécessitait
plus de nourriture qu'elle pouvait en recueillir. Plusieurs facteurs socio-économiques
favorisèrent ce besoin en nourriture. L'anthropologue Mark Nathan Cohen pense
qu'après les extinctions massives de gros mammifères du Paléolithique supérieur, la
population humaine s'était développée jusqu'aux limites des territoires disponibles et
qu'une expansion démographique provoqua une crise alimentaire. L'agriculture fut le
seul moyen de soutenir cette croissance démographique sur les territoires disponibles.
C’est également ce qu’avance l’historien économiste et prix Nobel en 1993 Douglas
North.
• Il est probable que les chasseurs-cueilleurs aient précocement observé que les graines
pouvaient germer ou même des parties coupées s’enraciner (bouturage) pour donner
de nouvelles plantes, bien avant de tenter de favoriser ce processus à grande échelle.
Tel était le cas au 20ème siècle chez les derniers chasseurs amazoniens ou australiens.
• Selon les archéologues, une modification des conditions climatiques à la fin du dernier
âge glaciaire en serait l'origine: sur les plateaux et dans les plaines qui s'étendent de
l'Inde à la Méditerranée, avec au centre le Kurdistan et l'Irak actuels, un climat plus
sec et parfois aride a entraîné la raréfaction des animaux et du gibier, poussant les
femmes - moins occupées par la chasse, car une première répartition des tâches
caractérise les sociétés paléolithiques, les hommes à la chasse, les femmes à la
cueillette - à cultiver des céréales jusque-là sauvages et à élever des animaux.
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Sur le plan technique, Andrew Sheratt a avancé que, succédant à la révolution néolithique, il
y eut une phase de découverte qu’il nomme la révolution des produits secondaires. Il semble
que les animaux aient été d’abord domestiqués seulement pour leur viande. Progressivement,
les néolithiques exploitèrent d’autres productions animales. Cela inclut notamment des peaux
et de cuir, du fumier pour les sols (à partir de tous les animaux domestiques), la laine (fournie
par les moutons, lamas et chèvres angora), le lait (fourni par les chèvres, vaches ; yaks, brebis
et chamelles), la force de traction (des bœufs, onagres, ânes, chevaux et chameaux).
Sherratt avance que cette phase du développement agricole permit aux hommes d’utiliser des
possibilités énergétiques de leurs animaux en de nouvelles manières et favorisa une activité
d’élevage et d’agriculture de subsistance intensive et permanente et permit de commencer
l’exploitation de terres plus vastes pour l’élevage. Cette phase rendit également possible le
pastoralisme dans les zones semi-arides, aux marges des déserts et mena finalement à la
domestication des dromadaires et des chameaux.
Une fois que le commerce et un approvisionnement alimentaire étaient établis, les populations
pouvaient croître et la société finissait par se diviser entre producteurs et artisans ; les
premiers avaient les moyens de développer leur commerce en raison du temps libre dont ils
jouissaient grâce au surplus de nourriture. Les artisans, à leur tour, furent capables de
développer certaines techniques comme les armes en métal. Une telle complexité relative
devait nécessiter une certaine forme d’organisation sociale pour fonctionner efficacement. Il
est donc probable que les populations avec une telle organisation, peut-être fournie par la
religion, étaient mieux préparées et avaient plus de réussite. En outre, les populations plus
denses pouvaient former et entretenir des légions de soldats professionnels. Aussi, durant
cette période, la possession individuelle devint de plus en plus importante pour tout le monde.
Enfin, V. Gordon Childe a avancé que cette complexité sociale croissante, ayant entièrement
ses racines dans la décision de s’installer, aboutit à une deuxième révolution urbaine qui vit
l’édification des premières villes.
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en particulier chez les femmes en âge de procréer. Ces changements d’alimentation auraient
pu favoriser l’apparition de maladies génétiques telles que l’hémochromatose de type 1.
Outre les anémies, l’opinion courante sur l’origine des maladies infectieuses est que nombre
d’entre elles sont apparues au cours du Néolithique, lorsque les animaux ont été domestiqués
pour la première fois et après. Cette hypothèse est en partie étayée par l’augmentation de la
densité de la population et les indicateurs paléopathologiques de mauvaise santé observés sur
les squelettes trouvés.
Partout dans le développement des sociétés sédentaires, les maladies se répandent plus
rapidement qu’aux temps des chasseurs-cueilleurs. Des pratiques sanitaires inadéquates et la
domestication des animaux qui entraînent une proximité entre les hommes et les animaux
peuvent expliquer en partie l’augmentation des morts et des maladies pendant la révolution
néolithique, puisque les maladies se transmettent plus facilement des animaux aux humains.
Parmi les maladies suspectées d’avoir été transmises des animaux aux humains lors de la
révolution néolithique figurent la grippe, la variole et la rougeole, la lèpre, la tuberculose, les
salmonelloses, le ténia, la typhoïde, le charbon et la syphillis.
L'Antiquité est la période des civilisations qui se sont développées autour de la Méditerranée
entre la Préhistoire et le Moyen Âge. Elle commence avec l'invention de l'écriture (3500 ans
avant J.-C.) en Mésopotamie, et se termine avec les invasions barbares ou migrations
eurasiennes de 300 à 600 après J.-C. La fin de l’antiquité est jonchée par des dates ou des faits
symboliques qui ne font pas l’unanimité comme point terminal. Citons parmi eux :
Outre l’écriture, dont l’invention a pour origine une nécessité économique – comme il a été
déjà été fait mention plus haut – l’apparition de l’usage de la monnaie est aussi un évènement
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clé. Une date importante à cet égard est celle où l’on a commencé à frapper des pièces de
monnaie à l’effigie des souverains. Si les pièces de bronze (dynastie SHANG) et coquilles
kauris (ou cauris) ont été utilisées en Chine dès 1100 av. JC et pendant deux millénaires,
l'invention des premières pièces métalliques en Occident remonte aux grecs. On a retrouvé
des pièces frappées à Sardes par le roi ALYATTES, qui régna sur la Lydie entre 610 et 560
avant J.- C. Avant d’être frappée à l’effigie d’un chef suprême l’or et divers métaux précieux
servaient d’instruments d’échange, au moins 5000 ans avant le début de l’ère chrétienne.
Il faut souligner dès à présent que l’appellation de civilisations antiques est quelque peu «
européocentriste » car elle n’inclut ni la civilisation chinoise, ni les civilisations
amérindiennes, ni même la civilisation de la vallée de l’Indus (voir le tableau ci-après, qui
tente un recensement, nécessairement incomplet et arbitraire, des civilisations de la période
antique, en incluant celles qui n’appartiennent pas au pourtour méditerranéen.
Grâce aux deux fleuves, l’irrigation permet d’atteindre des rendements élevés et de pratiquer
des cultures variées : céréales, légumes, fruits et le jardinage va être élevé au rang d’un art
comme en témoignent les célèbres « jardins suspendus de Babylone ». L’agriculture prospère
et les surplus disponibles pour les autres activités s’accumulent.
On ne saurait trop insister sur l’importance de l’écriture comme élément moteur de l’histoire
en général, mais aussi de l’histoire des faits et des idées économiques. C’est pourquoi il faut
rappeler que c’est en Mésopotamie qu’est né le premier système d'écriture au Monde vers
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3400-3300 avant. J.-C : il s’agit de l’écriture cunéiforme (cunéiforme du latin « cuneus » veut
dire « en forme en coins », à cause de la forme du stylet utilisé). Les mésopotamiens
écrivaient avec un stylet en roseau sur des tablettes d'argile.
C’est ainsi que l’on a pu déchiffrer cette écriture et reconstituer une très grande partie de la
vie économique de l’époque mésopotamienne. En particulier, le fameux code
d’HAMMOURABI, gravé sur des tablettes d’argile, est l’ancêtre de tous les textes de lois et
de jurisprudence. Il reconnaît et protège les droits de propriété et les contrats.
Le commerce était une activité importante pour les Mésopotamiens. Région pauvre en
matières premières, l’importation de ces matières nécessitait des échanges. Ces échanges
commerciaux se faisaient dans un cadre de grande liberté économique, sans réglementation
étatique féroce.
Pour pourvoir importer leurs indisponibilités, les Mésopotamiens exportaient surtout des
biens manufacturés comme des produits textiles.
La Méditerranée, mer quasi-fermée, est propice à l’exploration, la terre ferme n’est jamais très
éloignée. La découverte et la colonisation de son pourtour se fait par petits sauts successifs,
contrairement au « grand saut » que représentera beaucoup plus tard la découverte des
Amériques.
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1) Les phéniciens
En méditerranée orientale, puis bientôt dans toute la méditerranée, c’est sous l’impulsion des
Phéniciens que les échanges commerciaux fleurissent. Les Phéniciens furent de prodigieux
navigateurs et d’habiles commerçants. Ils fondèrent dès - 3000 avant J.-C. de nombreux
comptoirs sur les pourtours de la Méditerranée orientale, notamment Carthage en – 814.
Ils inaugurent une économie basée avant tout sur les échanges commerciaux maritimes. Ils
construisent des ports (premiers enrochements artificiels, création de digues). Ils vont dominer
les échanges méditerranéens pendant près de 1000 ans. Les marchandises assyriennes et
égyptiennes constituent, au début, l'objet principal du commerce phénicien.
En effet, la Phénicie possède sur son sol les cèdres et les cyprès, et dans son sol le cuivre et le
fer, pour construire de solides bateaux. De plus, la côte phénicienne abrite de nombreux ports
naturels : « Aussi ne faut-il pas s'étonner que, de bonne heure, des navires phéniciens
lourdement chargés de produits égyptiens et assyriens aient commencé à sillonner les routes
navigables du monde antique ».
L’existence d’un système élaboré et respecté de droits de la propriété et des contrats est le
fondement de cette civilisation commerciale maritime. De Malte à Monaco, en passant par les
côtes de la Syrie et du Liban, les échanges fleurissent à travers le réseau dense de comptoirs et
de ports fondé par les Phéniciens.
Originaires de la Syrie et du Liban actuels, les phéniciens excellent aussi dans la métallurgie,
l’orfèvrerie et d’autres industries artisanales telles que l’ébénisterie et la verrerie.
L’écriture cunéiforme a été inventée en Mésopotamie, mais l’écriture alphabétique vient des
phéniciens. C’est à Ugarit, ancien port de Syrie, que l’on a retrouvé le premier alphabet,
datant de 1350 avant Jésus-Christ. Il s’agit d’un alphabet composé de 31 signes, très
fonctionnel et par là même propice à l’échange d’informations commerciales. Mais c’est
l’alphabet linéaire de 22 lettres, datant approximativement de la même époque, qui sera
finalement adopté par les Phéniciens. L’historien Fernand BRAUDEL écrit à ce sujet ; « Il
s'agissait de trouver une écriture facile pour marchands pressés, et capable de transcrire des
langues diverses. Rien d'étonnant si cet effort s'est fait en même temps dans deux villes
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2) Les carthaginois
En méditerranée occidentale, sur les côtes de l’actuelle Tunisie, ce sont les carthaginois qui
ont développé le commerce. Au IVe siècle av. J.-C., cette ville côtière fondée par les
phéniciens en -814, doit toujours verser un tribut à Tyr, comme tous les autres comptoirs.
Mais le déclin de Tyr face à la progression des Grecs et l’éloignement de Carthage par
rapport à Tyr va faciliter l’indépendance à partir de la seconde moitié du VIIe siècle av. J.-C.
En fait, bien avant leur indépendance complète à l’égard de Tyr, les carthaginois contrôlaient
la totalité du commerce et de la navigation en Méditerranée occidentale. Ils avaient
également pris pied en Ibérie, en Corse, en Sardaigne et en Sicile. Ainsi, à la veille de la
Première Guerre punique4, Carthage représente un territoire d'environ 73 000 km² et une
population de près de 4 millions d'habitants.
C’est HERODOTE (482-425 av. J.-C.) qui a le mieux décrit leur technique d’échange dite « à
la muette » : « Les Carthaginois disent qu’au-delà des colonnes d’Hercule, il y a un pays
habité où ils vont faire le commerce. Quand ils y sont arrivés, ils tirent leurs marchandises de
leurs vaisseaux et ils les rangent le long du rivage. Ils remontent ensuite sur leurs bâtiments où
ils font beaucoup de fumée. Les naturels du pays, apercevant cette fumée, viennent sur le bord
de la mer, et s’éloignent après avoir mis de l’or pour le prix des marchandises. Les
Carthaginois sortent alors de leurs vaisseaux et examinent la quantité d’or qu’on a apportée, et
si elle leur paraît répondre au prix de leurs marchandises, l’emportent et s’en vont. Mais s’il
n’y en a pas pour leur valeur, ils s’en retournent sur leurs vaisseaux où ils attendent
tranquillement de nouvelles offres. Les autres reviennent ensuite et ajoutent quelque chose
jusqu’à ce que les Carthaginois soient contents. Ils ne se font jamais tort les uns aux autres.
Les Carthaginois ne touchent point à l’or, à moins qu’il n’y en ait pour la valeur de leurs
marchandises et ceux du pays n’emportent point les marchandises avant que les Carthaginois
n’aient enlevé l’or ».
3) Les Grecs
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marchandises qu'ils échangeaient contre les produits indigènes, le plus souvent, semble-t-il,
des têtes de bétail. Désormais, les marins grecs vont porter eux-mêmes en Egypte, en Syrie,
en Asie Mineure, chez les peuples de l'Europe comme les Etrusques, encore grossiers comme
les Scythes, les Gaulois, les Ligures, les Ibères, les objets manufacturés et les œuvres d'art,
tissus, armes, bijoux, vases peints dont la renommée est grande et dont sont friands tous les
barbares. » écrit l’historien Jacques TOUTAIN (L'Economie antique, Paris, 1927, pp. 24-25).
Une des particularités de la Grèce antique est qu’elle était divisée en de multiples entités
autonomes, ce qui va façonner le modèle de la Cité grecque, mais aussi pousser au
développement des échanges économiques et commerciaux.
C’est donc de 810 à 750 avant J.-C. que commence l’expansion territoriale de la Grèce et
qu’ils établissent des colonies, d’abord dans les îles de la mer Égée et vers la côte anatolienne,
puis vers Chypre et la côte Thrace, la mer de Marmara et la côte sud de la mer Noire pour
atteindre même le Nord-est de l'Ukraine actuelle. Vers l'Ouest, ce sont les côtes Albanaises,
de Sicile et le Sud de l'Italie qui sont d’abord colonisées, puis Marseille et la Corse, ainsi que
Nord-est de l'Espagne. Des colonies sont également fondées en Égypte et Libye. Syracuse,
Naples, Marseille et Istanbul sont toutes d’anciennes colonies grecques auxquelles souvent
elles doivent leurs noms : Syracusa, Neapolis, Massilia et Byzance.
Au VIe siècle, le monde grec, habité par des hommes de langue et culture grec que, est
beaucoup plus vaste que la péninsule grecque ou que l'État grec actuel. Mais il est à souligner
que l'ensemble de ces colonies ne sont pas politiquement reliées entre elles, ni nécessairement
par leur cité-mère. Les colonies en garde cependant des propriétés religieuses, et un lien
préférentiel entre cité-mère et colonie-fille. Des deux côtés, les Grecs s'organisent en cités
autonomes, et la cité (polis) devient l'unité fondamentale du monde grec.
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Le 4ème siècle avant J.-C. est la période où la Grèce atteint un sommet dans son niveau de
développement économique, ou elle est considérée comme l'économie d'échange et de
production la plus avancée du monde.
Le système économique de la Grèce repose tout d’abord sur l’abondance du travail des
esclaves qui ont joué un rôle de plus en plus important dans la vie économique à mesure que
leur nombre augmentait (ils ont pu représenter jusqu'à 75 % de la population totale
d’Athènes). Il repose ensuite sur les étrangers « les métèques », qui contrôlent le commerce
et enrichissent ainsi le pays. Le surplus généré par ces deux catégories permet aux grecs libres
de s’adonner à temps complet aux activités culturelles et philosophiques.
Les Carthaginois, Phéniciens et grecs sont les ancêtres du libéralisme économique. Certes, le
libéralisme des grecs se teinte déjà d’un certain interventionnisme étatique. C’est sans doute
la nécessité du commerce maritime qui soutient cette inspiration libérale, comme ce sera le
cas, longtemps après, pour les puissances maritimes comme l’Angleterre et le Japon.
La position géographique de l’Egypte, désert traversé par un Nil sujet à d’importantes crues,
semble conduire à une vision centralisée de l’économie. Quel entrepreneur individuel, à
supposer même que la notion d’entrepreneur eût pu exister à ces époques reculées, pouvait
financer les travaux d’infrastructure nécessaires à la domestication, même partielle, de ce
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fleuve immense (6671 kilomètres) ? Il fallait des esclaves et une autorité centrale absolue
pour les gouverner dans les tâches économiques que furent la construction des digues
nécessaire pour atténuer le courant et conserver le limon fertile. Une coordination très stricte
était obligatoire puisque la présence du désert imposait de gérer l’eau avec parcimonie. Il
fallait créer des réservoirs aux endroits stratégiques afin de pouvoir irriguer pendant la
période sèche. Creuser les canaux et les entretenir était un travail « pharaonique » à une
époque où les seules forces brutes disponibles étaient celles de l’homme et de l’animal
domestique, secondés il est vrai par une ingéniosité sans limites. Le travail était donc
autoritairement organisé afin de concourir à l’œuvre commune.
On a beaucoup écrit sur l’inutilité économique des pyramides, mais si on se place dans la
perspective d’une nécessité de mobiliser les forces autour d’un objectif commun très élevé
comme la domestication d’un fleuve, on comprend que leurs constructions aient pu servir
d’exemple que nulle tâche n’est impossible si le travail commun est collectivement organisé.
L’Etat possède tout, y compris le travail des particuliers quand il le juge nécessaire. L’Etat
réglemente tout : il faut des autorisations pour utiliser l’eau et le commerce est un monopole
d’Etat. De ce fait, la place de la monnaie, véhicule et outil d’expansion des échanges dans une
économie libérale, tient une place limitée dans cette économie planifiée où c’est l’Etat qui
dirige la production. Si l’on se rapporte à la typologie de Robert HEILBRONNER des trois
formes de gouvernance - autorité, tradition et marché - on placera sans hésiter l’Egypte
ancienne du côté de la gouvernance par l’autorité. Mais aussi par la tradition : dans cette
société chaque génération est le reflet très exact de la précédente. Le fils exerce le métier du
père. Le fils du scribe est un scribe, et il est impensable d’envisager un autre métier que celui
du père.
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La prospérité économique de l’Empire romain, tant qu’elle dure, tient à un mélange entre la
liberté économique et un interventionnisme étatique soutenu par une puissance militaire
suffisante pour imposer des lois et diriger la construction d’infrastructures modernes grâce à
l’afflux constant d’esclaves. De la Gaule à la Bretagne, en passant par L’Espagne, l’Afrique
du Nord, et la Dacie (Roumanie d’aujourd’hui), un empire de 100 millions d’habitants vit
sous la « Pax Romana » à laquelle on a souvent comparé, avec excès sans doute, l’actuelle «
Pax Americana ».
1) La liberté économique
L’empire romain à son apogée formait un vaste espace. Cet espace était doté d’une «
monnaie unique» et connaissait peu d’entraves au commerce à l’intérieur de la zone, d’où son
dynamisme. Les armées romaines font régner l’ordre en méditerranée et la piraterie est
limitée. Les ports sont bien aménagés et les romains font construire des routes. Le commerce
est centré sur Rome et fonctionne suivant un mécanisme de pompe. Les conquêtes drainent
l’or, l’argent, les pierres précieuses et les recettes fiscales vers la capitale de l’empire. Ces
moyens de paiement repartent ensuite vers les zones pacifiées de l’empire en échange de
produits provenant de ces provinces. Ainsi la balance des paiements de Rome ressemble-t-elle
de façon prémonitoire à celle des Etats-Unis d’aujourd’hui, c’est-à-dire en permanence
massivement déficitaire. Avec une différence majeure cependant : ce qui sort de Rome, ce
n’est pas de la monnaie scripturale, mais de l’or et des pierres précieuses.
Les conquêtes ramènent aussi à Rome des esclaves qui fournissent une main-d’œuvre
abondante pour faire fonctionner l’activité, qu’il s’agisse de l’artisanat, du commerce ou des
autres services. De façon générale, toute l’activité économique est réalisée par des esclaves et
des étrangers. Le port d’Ostie (qui dessert Rome) est agrandi pour permettre l’afflux des
marchandises (minerais, ivoire, épices, riz, coton, soie, etc.) qui proviennent de toutes les
parties de l’empire grâce à une flotte qui a dépassé 100 navires à l’époque d’Auguste.
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2) L’interventionnisme étatique
Quand le blé manque faute de moyens de paiements, il faut réglementer la distribution du pain
et des produits alimentaires. Habitué à ne manquer de rien, le peuple romain pousse le Sénat à
adopter des règles administratives de répartition des ressources. Progressivement, la
distribution des denrées ne sera plus réglée par le marché, mais réglementée par l’Etat. Ce
sont par exemple les lois frumentaires. Ainsi le prix du blé sera-t-il fixé de plus en plus en
dessous de son coût d’importation, puis l’on assistera à des distributions gratuites. On dispose
là d’un bon exemple des résultats aberrants auxquels conduit une économie réglementée
lorsque l’abondance règne non par le labeur mais par les conquêtes militaires. Le commerce
va en effet progressivement se paralyser.
La prospérité romaine ne peut se poursuivre qu’au rythme des conquêtes et encore avec des
difficultés croissantes pour maintenir l’hégémonie sur un empire en constante expansion. Dès
lors que les conquêtes se ralentissent, l’or manque et les denrées importées se font rares. De
plus, cette prospérité liée aux conquêtes n’encourage guère l’industrie : pourquoi produire,
alors que tous les besoins semblent pouvoir être satisfaits par l’importation grâce à l’or des
conquêtes et aux impôts prélevés sur les peuples soumis ? Le morcellement de l’empire
entraînera progressivement son déclin et c’est la période féodale et le Moyen-âge qui lui
succèderont. E – Les inventions du néolithique à la fin des civilisations antiques Le
néolithique et les civilisations antiques ont légué à la postérité des inventions majeures : la
roue, l’écriture, les codes de lois protégeant la propriété privée et les contrats, la monnaie, la
voile, de nombreux outils agricoles, le travail des métaux, le levier, des dispositifs
mécaniques, l’horloge de CTESIBIUS, ainsi que l’astrolabe (appareil permettant de faire le
point astronomique en mer), etc. Pourtant toutes ces civilisations ont reculé. La civilisation
égyptienne a décliné du fait de son repliement sur elle-même. Le fait notable, rapporté par
Hérodote, que dès l'an 600 av. J.C., le Pharaon d'Égypte NEKAO II, aurait réussi à faire le
tour de l'Afrique, nous apparaît comme une exception. Les civilisations mésopotamienne,
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carthaginoise, phénicienne, grecque et romaine ont connu une expansion importante, mais
toutes, à un moment donné, ont reculé.
Plusieurs historiens, dont Douglass NORTH, ont montré que la raison de ce déclin réside
dans l’insuffisante valorisation et la faible diffusion des inventions et, par conséquent, dans
l’absence de croissance économique cumulative. Il est important de préciser que l’absence du
progrès technique ne signifie pas l’absence d’invention, mais plus précisément l’absence de la
mise en œuvre systématique et à grande échelle de ces inventions dans le système
économique. Ainsi, par exemple, les armées romaines n’ont guère bénéficié de progrès dans
leur armement et leurs moyens militaires. Elles n’ont donc pas pu compenser la diminution de
leur poids relatif à mesure que les frontières de l’empire s’élargissaient. Selon Douglass
NORTH, c’est la reconnaissance du droit de propriété intellectuelle qui, après plusieurs
siècles de maturation, a permis la croissance économique moderne. Ce n’est qu’à partir du
moment où les individus ont été rémunérés pour leurs innovations que l’innovation a pu se
développer à grande échelle : « Qu’est-ce qui détermine le développement des nouvelles
technologies et des connaissances scientifiques fondamentales ? Bien que son rendement
social ait toujours été élevé, le développement du progrès technique fut lent tant qu’il n’exista
pas un mécanisme permettant d’attribuer son rendement privé aux inventeurs [….] Les
inventions existent depuis toujours, mais leur rythme lent et intermittent s’explique par le
caractère sporadique de l’incitation à la recherche [ …] Jusqu’aux temps modernes, l’absence
de protection systématique des inventions est la cause essentielle de la lenteur du progrès
technique ».
II.1.3. Le Moyen-âge
À la suite du morcellement du monde romain par les invasions barbares, le monde occidental
connaît un repli : c’est le Moyen-âge. Le Moyen Âge désigne donc la période (de l’histoire
occidentale) située entre l’Antiquité et la Renaissance, soit entre 476 (chute de l'Empire
romain d'Occident) et 1453 (chute de l'Empire byzantin) après Jésus-Christ, du Ve au XVe
siècle. Il s’étend donc sur une période de mille ans. Ces deux dates sont symboliques. Et,
s’agissant de la fin du Moyen-âge et du début de la Renaissance et, plus largement parlant,
des « temps modernes » [Renaissance et révolution industrielle)], on peut proposer d’autres
dates symboliques (voir le début de la section suivante sur la Renaissance). Durant cette
période, la civilisation musulmane a connu un essor important avant de décliner à son tour.
Le repli caractéristique du moyen-âge à la suite de l’effondrement de l’empire romain, c’est
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Histoire des faits économiques et sociaux BAC _1_2023 Chef de Travaux IDI OMARI Patient
d’abord un repli sur l’économie domaniale. Des petits domaines qui, ensuite, se regrouperont
progressivement en territoires plus vastes, tandis que se formeront des villes et qu’une relative
prospérité s’imposera, ce dont témoigne la reprise du commerce et des foires dans l’occident
chrétien.
Sur les ruines des anciennes « villas romaines », s'établit alors une véritable économie
constituée de domaines (d’où l’appellation « économie domaniale »), Ce sont les paysans qui
mettent en valeur la propriété foncière, sous la domination des seigneurs, ou de l'église sur de
petites portions de terres. Ils en tirent tant bien que mal leurs propres moyens d'existence car
les "serfs", comme on les appelle alors, doivent verser aux propriétaires de fortes redevances
en argent (cens12), en nature (champart13) ou en travail (corvées14). De plus, à partir du
7ème siècle, la dîme (du latin « dixième ») vient s’ajouter. Il s’agit d’un impôt (supprimé en
1789 et remplacé depuis par la « quête ») censé permettre l’entretien du clergé. Il est prélevé
suivant des modalités assez complexes et qui varient selon les régions15.
Les paysans ou « serfs », font partie intégrante du domaine. Lorsque celui-ci était partagé au
moment de la mort d’un seigneur, ils passaient d'un maître à l'autre en même temps que les
animaux de la ferme. Mais le servage n’est pas de l’esclavage, car dès la fin de l'Empire
romain, l'esclavage a reculé sous l'influence de l'Église. Mais, du fait des différences de
niveau de développement, la condition matérielle des serfs est généralement pire que celles
des esclaves de Rome. Les serfs ont des obligations, mais aussi des droits et ils peuvent
théoriquement quitter le domaine à tout moment.
Le savoir oral des paysans transmet de génération en génération, depuis l’antiquité, que
certaines cultures, comme les céréales, appauvrissent les sols et que d’autres cultures, comme
les fèves et les petits poids, l’enrichissent. Aussi, afin de limiter l'épuisement des sols, on
pratique la rotation biennale des cultures : un champ de céréales est laissé en jachère une
année sur deux, et sert alors de pâturage. Ce n’est qu’à la période suivante -- féodalité -- que
l’assolement devient triennal. Un champ est alors cultivé en céréales la première année, en
légumes la deuxième année, et est laissé en jachère l'année suivante.
Durant cette première partie du moyen-âge, le commerce en occident a beaucoup reculé après
le déclin de l’empire romain. Les voies abandonnées par les légions romaines sont sillonnées
par des bandes de barbares qui envahissent régulièrement l’Europe et rançonnent les
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voyageurs et les rares marchands. Ces marchands font en général le commerce des esclaves,
des biens de luxe, ou de denrées alimentaires comme le sel, l'huile, le vin, ainsi que des
matériaux tels que le fer, le bois et enfin les tissus, les fourrures, les vêtements, les bijoux et
les objets d’art qui sont destinés aux seigneurs locaux et à leurs entourages.
Dès le Xème siècle, les invasions barbares cessent et c’est l’action pacificatrice de l’Eglise qui
va permettre un essor économique. Parallèlement, les domaines se regroupent en seigneurie et
en féodalité, reliées entre elle par la foi chrétienne. Cette période, parfois qualifiée de période
d’expansion médiévale (de l’an Mil à la Renaissance) est aussi caractérisée par un essor des
activités commerciales, tant locales qu’internationales. Les hommes d’affaires qui sont au
centre de cette activité commerciale vont largement concourir à faire évoluer l’Europe
occidentale « de l’intérieur » (par opposition au choc « extérieur » qu’a constitué la
découverte de l’Amérique).
Le système de l’assolement triennal, à l’évidence plus productif (les champs sont laissés en
jachère une année sur trois au lieu d’une année sur deux) permet un accroissement de la
production agricole et génère des excédents que les paysans peuvent vendre sur les marchés.
Par ailleurs, le risque d’intempérie et de mauvaise récolte est mieux géré du fait de la
diversification des cultures. La précarité paysanne devient moins grande et bénéficie à son
émancipation (le serf n’étant pas un esclave, c’est seulement son indépendance économique
qui conditionne sa liberté).
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Histoire des faits économiques et sociaux BAC _1_2023 Chef de Travaux IDI OMARI Patient
L’amélioration de la productivité agricole permet aux serfs les mieux lotis de quitter la
campagne pour les villes. De façon globale, et par un raisonnement physiocrate17, on assiste à
une augmentation du surplus, ce qui bénéfice aux autres activités.
Une partie croissante des européens abandonnent l’agriculture et se consacrent aux activités
artisanales, au commerce, aux arts, ou à la religion.
Insistons à nouveau sur ce point : le servage est un rapport social plus souple que l’esclavage.
Une fois l’impôt seigneurial payé, les paysans conservent pour eux l’excédent de leur
production. Ils peuvent ainsi : améliorer leur alimentation, accroître le nombre de leurs
enfants, échanger sur les petits marchés villageois de proximité.
Parallèlement aux progrès agricoles, on note aussi des progrès artisanaux et même industriels
comme en témoigne l’apparition des moulins à eau et à vent. Les moulins à vent étaient
connus depuis l’époque romaine mais jusque-là peu utilisés. Ils sont perfectionnés grâce à la
mise au point de systèmes d’engrenages perfectionnés. Ce sont les premières usines
polyvalentes. La domestication de l’énergie éolienne permet, entre autre : de moudre les
grains, de piler les olives, de préparer la bière, d’aiguiser des instruments, d’actionner
d’énormes soufflets afin d’élever la température de chauffe des forges, de manier de lourds
marteaux travaillant le métal.
Cette nouvelle source d’énergie, jointe à la division du travail permise par les surplus
agricoles provoque un essor de la métallurgie, tant civile que militaire : socs de charrues, fers
à cheval, serrures et clés, clous, chaînes, armatures de construction, mais aussi épées,
poignards, casques, cottes de mailles, armures, pièces d’arbalètes.
Les villes constituent le débouché naturel pour l’excédent de production agricole. Les
artisans s’y concentrent et se regroupent par métiers dans des quartiers. Ce sont les premières
corporations. Des produits de toutes sortes sont fabriqués et échangés contre les surplus
agricoles.
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Les villes attirent aussi les classes riches de la société : haut clergé et grands seigneurs
viennent y résider. C’est aussi l’époque de l’édification des cathédrales et de la construction
de vastes remparts destinés à assurer la sécurité des villes. Cela attire une main-d’œuvre
itinérante nombreuse et qualifiée : les artisans compagnons. Les villes accueillent aussi les
représentants de l’administration royale.
Les populations fortunées achètent des produits provenant de contrées lointaines. Les grands
courants d’échanges se mettent en place. La consommation de produits orientaux se
développe, de même que celle de produits de l’Europe du Nord ou de l’Est. Le commerce des
marchandises prend son essor : produits alimentaires, textiles s’échangent à travers l’Europe.
Les points de rencontres sont les foires, comme la célèbre foire du Lendit18 qui fut créé par
Dagobert Ier (605-639) dès la période domaniale, et qui ouvrait pour quinze jours tous les 11
juin (Saint-Barnabé) jusqu'à la Saint-Jean. Du IXe au XVIe siècle, cette foire fut l’une des
plus importantes de France et la plus importante de l'Île-de-France, attirant jusqu’à un millier
de marchands venant de toute l'Europe, d’Allemagne et de Byzance !
C’est à cette époque que se constituent des dynasties familiales qui ouvrent des comptoirs ou
des succursales situés dans les régions les plus actives, et passent entre elles des accords qui
facilitent les transactions.
Des réseaux d’échange se constituent en Italie du Nord et en Flandres avec leurs propres
spécialisations.
L’Italie du Nord est spécialisée dans la fabrication de certaines gammes de textiles, ainsi que
dans l’importation du coton et des soieries d’Orient. Les villes italiennes importent aussi des
produits en provenance d’Orient qu’elles ré acheminent ensuite vers l’Europe du Nord.
Les villes flamandes sont spécialisées dans l’industrie lainière. Elles s’approvisionnent en
Angleterre, pays spécialisé dans l’élevage du mouton. La Flandre est à cette époque le cœur
industriel de l’Europe du Nord-Ouest.
6) La ligue hanséatique
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Les villes se regroupent dans des « hanses », qui sont des associations de marchands au
départ, mais s’organisent par la suite en entités politiques. A leurs apogées, les villes de la
ligue hanséatique s’étendent de Londres à Novgorod (voir Carte), couvrant ainsi le commerce
de la mer du Nord et de la Baltique. Les villes qui appartiennent à ces « hanses » constituent
les unes pour les autres des débouchés. Leurs marchands entretiennent un réseau de
correspondants qui se renseignent entre eux sur les différents droits de péage et sur les
meilleurs moyens d’optimiser les trajets, ainsi que sur la nature, la qualité et le prix des
marchandises disponibles.
Un axe se constitue entre l’Italie du Nord et la Flandre, avec pour points de passage Lyon,
Auxerre, les foires de Champagne, d’Île de France et de Paris. Il se prolonge vers
l’Angleterre, la mer du Nord et la Baltique. L’apogée des villes de la ligue hanséatique se
situe aux 14ème et 15ème siècles, donc à la fin du moyen-âge.
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Histoire des faits économiques et sociaux BAC _1_2023 Chef de Travaux IDI OMARI Patient
Les grands marchands des ligues hanséatiques sont les seuls à pouvoir prêter de l’argent. Ils
tiennent à leur merci les grands seigneurs et l’église (qui par ailleurs condamne le prêt à
intérêt) par les prêts qu’ils consentent. La fonction bancaire est ainsi un sous-produit de
l’activité marchande et est assurée par les mêmes agents économiques.
Le monde médiéval et féodal est traversé par deux épisodes majeurs. D’une part, les
croisades, qui s’étalent sur plus de deux siècles et témoignent de l’empreinte fondamentale de
la sphère du sacré dans l’occident du moyen âge, posant ainsi les limites d’un développement
basé sur l’économique. D’autre part, la peste noire qui décime le tiers de la population
européenne en 20 ans et témoigne de la précarité des existences humaines à une époque où
l’espérance de vie était proche de 25 ans, soit plus de trois fois inférieure à l’espérance de vie
actuelle.
a) Les croisades
Les croisades sont des expéditions militaires menées par les chrétiens d’Occident pour tenter
de soustraire, à la demande de la papauté, les lieux saints (tombeau du Christ, Jérusalem) à
l’occupation musulmane. Il y a eu huit croisades successives, la première en 1095 et la
dernière en 1270.
b) La peste noire
La peste noire est apparue en 1334 en Chine (1320 selon certaines sources), dans la province
du Hubei et se répand rapidement. Elle va s’étendre à tout l’Occident en moins de 15 ans,
transmise par les marchands, les pèlerins et les voyageurs. Cette peste, qui se manifestait par
l’apparition de bubons autour du cou et sous l’aisselle, a décimé massivement les populations
d’Europe. Un malade sur quatre seulement survivait. Les causes de son apparition sont aussi
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mystérieuses que celle de sa disparition. De nombreuses hypothèses ont été émises, mais
aucune ne suscite l’adhésion générale. La plus fréquemment évoquée est l’état sanitaire et
alimentaire des populations. Une population où le niveau d’hygiène est élevé et les carences
alimentaires faible auraient moins de chances de voir la peste apparaître et se développer.
Plusieurs auteurs contemporains, dont Alfred SAUVY ont dès la seconde moitié du 20ème
siècle, bien avant l’apparition du HIV et de la grippe aviaire, mis en garde contre la
réapparition de phénomènes épidémiques de grande ampleur dans le monde contemporain et
souligné son impuissance probable ou son efficacité tardive.
Le Moyen Âge fut traversé par de nombreuses épidémies. On cite la « Peste de Justinien »
qui dès le VIème siècle ravagea l'Empire romain d'Orient et contribua largement au déficit
démographique du Haut Moyen Âge en Europe. La peste noire a provoqué la mort d'au
moins un tiers de la population européenne, soit autour de 25 millions de victimes, et
probablement le même nombre en Asie. La peste noire, qui affecte l’Europe entre 1347 et
1350 a des conséquences durables. Elle tue environ le tiers de la population européenne de
cette époque (soit 25 millions de morts). Elle refait ensuite régulièrement surface dans les
différents pays touchés par la première vague (par exemple entre 1353 et 1355 en France ou
entre 1360 et 1369 en Angleterre).
C. Le monde musulman
L’économie des pays de l’Islam est façonnée par la géographie, plus précisément par la rareté
de l’eau. Cela explique le développement des techniques d’irrigation et la structure
particulière du monde agricole. C’est le calife qui possède les terres et qui les exploitent,
directement le plus souvent, ou en concédant l’exploitation à des métayers qui lui versent en
retour une partie de la récolte. Les cultures sont variées : blé, riz, canne à sucre, des dattes, des
olives, du raisin, des bananes, des oranges, des légumes et des plantes aromatiques. L’élevage,
souvent extensif, occupe une place importante. Le commerce est florissant et se fait à dos de
chameau, en caravanes. L’or du Soudan est ainsi transporté dans tout l’empire Ottoman
jusqu’à Bagdad. L’artisanat connaît une période faste : production d’armes (Damas, Tolède),
métallurgie (à partir de techniques importées d’Inde), industrie textile (mousselines et
soieries), travail du cuir (Cordoue, Maroc). Bagdad est un carrefour prodigieux d’échanges où
les caravanes revenant d’Asie croisent celles provenant d’Egypte ou du Sénégal. C’est un
empire commercial immense qui se décline en myriades d’activités locales reliées entre elles
par le commerce. L’unité du monde musulman se fait par la religion. Le commerce,
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Histoire des faits économiques et sociaux BAC _1_2023 Chef de Travaux IDI OMARI Patient
contrairement à ce qui se passe en occident au même moment, n’est pas méprisé. Le chèque,
mot d’origine arabe, alors inconnu en occident, est inventé et fréquemment utilisé dans les
transactions, conjointement à la découverte et à l’utilisation du papier. Le taux d’intérêt est
cependant condamné, tout comme dans le monde chrétien à la même époque. L’or en
provenance d’Afrique circule en abondance dans tout le monde musulman et jusqu’à la Chine.
Les arabes contrôlent aussi, à cette époque, la totalité du commerce des esclaves sur les trois
continents. La richesse économique aura pour conséquence le développement de la vie
artistique, culturelle, littéraire (Les mille et une nuits), philosophique (la bibliothèque de
Cordoue compte 400 000 volumes), religieuse et technique (de nombreuses inventions arabes
et chinoises seront transmises à l’occident par le biais des réseaux de caravanes, comme la
poudre et le papier).
Les grands centres économiques du monde musulman sont Cordoue, Grenade, Tunis,
Marrakech, Damas, Alep, Alexandrie, Le Caire, Bagdad et Bassora. Les régions d’Asie ont
joué un rôle important dans l'économie du monde musulman. Qui ne se souvient des légendes
rapportées par les caravanes au sujet de « la route de la soie » ou « route du jade », qui reliait
le Proche-Orient à la Chine depuis l'Antiquité. C’est elle que les caravanes de chameaux
suivaient et qui est à l’origine des premières colonies de marchands musulmans en Asie
centrale et en Chine. Elle faisait halte à Bagdad, qu’elles approvisionnement en produits de
luxe orientaux : « Après les invasions mongoles et la chute de Bagdad en 1258, l'activité
économique du monde musulman se déplaça vers le sud avec trois points d'ancrage : l'Égypte,
l'Inde et l'archipel insulindien. L'Inde et le détroit de Malacca, carrefours obligés de tous les
échanges maritimes transcontinentaux, ne furent pas loin alors d'être les centres de gravité de
l'économie du monde musulman » écrit Marc GABORIAUX.
L’invasion mongole de 1258, puis la peste noire au quatorzième siècle donnent le coup d’arrêt
à l’essor économique du monde musulman, qui après diverses amorces de renouveau,
déclinera à mesure que l’Atlantique ravira à la Méditerranée la place centrale dans les
échanges mondiaux.
II.2.1. La Renaissance
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Histoire des faits économiques et sociaux BAC _1_2023 Chef de Travaux IDI OMARI Patient
• Les grandes découvertes géographiques qui, si elles commencent avec Marco POLO (1254-
1324) et ses voyages en Chine, prennent un essor considérable avec Christophe COLOMB
(1451-1506), qui « découvre » l’Amérique en 1492, Vasco de GAMA (1469-1524), qui
contourne l’Afrique et double le cap de Bonne-Espérance en 1498 et Fernand de
MAGELLAN (1480-1521) qui meurt aux Philippes en 1521, pendant son voyage autour du
monde dont son équipage reviendra cependant. • les débuts de l’imprimerie avec Johannes
GUTENBERG (1400-1468) vers 1450 • les débuts de la Réforme (protestantisme) initiés par
Martin LUTHER (1483-1546) et Jean CALVIN (1509-1564). Cette période très riche sur le
plan des faits et des idées économiques en annonce cependant un autre encore plus riche : la
révolution industrielle.
Marco POLO (1254-1324) voyage en Chine dès le 13ème siècle, mais les grandes
découvertes géographiques prennent un essor considérable avec Christophe COLOMB (1451-
1506), qui « découvre » l’Amérique en 1492, puis Vasco de GAMA (1469-1524), qui
contourne l’Afrique et double le cap de Bonne-Espérance en 1498 et enfin Fernand de
MAGELLAN (1480-1521) qui meurt aux Philippes en 1521, pendant son voyage autour du
monde dont son équipage reviendra cependant. A noter que la découverte des pôles sera
beaucoup plus tardive. Ce n’est qu’en 1911 que Roald Engelbregt Gravning AMUNDSEN
(1872-1928), explorateur polaire norvégien atteint le pôle Sud. Quant au pôle Nord, la
question est discutée. L’Américain Frederick COOK prétend l’avoir atteint le 21 avril 1908,
mais cette affirmation est controversée, tout comme la prétention d’un autre américain, Robert
PEARY qui affirme quant à lui avoir atteint le pôle Nord le 6 avril 1909. Leurs relevés
respectifs semblent indiquer que l’un et l’autre l’on manqué de quelques kilomètres. Ce qui
est certain, en revanche, c’est que James Clark ROSS a atteint le pôle nord magnétique dès
1831. Pour clore cette liste d’hommes ayant associé leur nom à d’immenses découvertes
géographiques, ajoutons celui de Neil Alden ARMSTRONG (1930-), astronaute américain,
qui fut le premier homme à avoir marché sur la Lune le 21 juillet 1969.
Le mot "mercantiliste" vient de l'italien "mercante" qui signifie "marchand". Cette doctrine
économique prône le développement économique par l'enrichissement des Etats-nations au
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Histoire des faits économiques et sociaux BAC _1_2023 Chef de Travaux IDI OMARI Patient
moyen de l’or d’abord, puis du commerce, mais aussi de l'industrialisation. Elle marque la fin
de la prééminence des doctrines de l'Église dans l'organisation sociale.
Il n’y a pas un seul mercantilisme, mais bien plutôt des mercantilismes. Par ce mot pluriel on
désigne en fait les diverses doctrines, mais aussi les pratiques des Etats et des agents
économiques qui se sont préoccupées des moyens d'augmenter la richesse (la richesse de
l'Etat exclusivement pour certaines d’entre elles, mais la richesse de l’Etat et des particuliers
pour d’autres). Cet ensemble de doctrines et de pratiques s’étend de la fin du Moyen-âge au
milieu du 18ème siècle. Donc, si l’on se réfère au tableau du chapitre 1 sur le cadrage
temporel de la période couverte par ce cours, on constatera que le mercantilisme, en tant que
pratique, s’est poursuivi au-delà du moyen-âge et pendant la renaissance. On peut même dire
sans exagérer, que certaines formes de mercantilisme, comme le protectionnisme en matière
de politique commerciale, sont encore très pratiquées de nos jours. Toutefois, les idées
économiques durant cette période ont évolué et, si l’on regarde le tableau ci-après du cadrage
de la période mercantiliste, on voit clairement que sur la fin de la période, les hommes qui ont
côtoyé les mercantilistes, sont en fait soit des physiocrates (François QUESNAY), soit des
précurseurs du libéralisme économique anglais tel qu’il s’épanouira avec ADAM SMITH à
partir de 1776 (DAVID HUME est sans doute l’exemple le plus représentatif d’un précurseur
des libéraux).
Nous étudieront ici le mercantilisme comme une étape vers la compréhension de l’origine de
la « Richesse des Nations » qui sera finalement réellement appréhendé par Adam SMITH
(1723-1790), Le mercantilisme, puis la physiocratie (étudiée au chapitre 4) ne sont que des
étapes vers la naissance de l’économie politique classique. C’est la raison pour laquelle nous
étudierons dans ce chapitre des auteurs comme David HUME (1711-1776) qui est sans aucun
doute davantage un libéral qu’un mercantiliste (voir le schéma de cadrage de la période
mercantiliste ci-après).
Il existe donc plusieurs écoles mercantilistes qui se différencient principalement sur la façon
de procéder pour accumuler la richesse. Nous allons donc étudier successivement :
• Le mercantilisme espagnol, que l'on appelle ainsi parce qu'il est né en Espagne. On l'appelle
aussi parfois le "Bullionisme" de l'anglais « bullion » (lingot). Ce mercantilisme est né de la
préoccupation spécifique de l'Espagne qui était de conserver dans le pays l'or qui venait de ses
conquêtes. On retrouve aussi ce souci au Portugal, en Italie ou d’autres pays européens tels
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Histoire des faits économiques et sociaux BAC _1_2023 Chef de Travaux IDI OMARI Patient
• Le mercantilisme français, qui est représenté par des hommes tels que Jean BODIN (1530-
1596), Antoine de MONTCHRESTIEN (1575-1621) ou Jean Baptiste COLBERT (1619-
1683). Il s'agit toujours d'enrichir l'Etat, mais par le développement industriel. L'Etat doit
donner l'exemple en créant de grandes activités comme par exemple des manufactures (c'est le
nom que l'on donnait aux usines).
• Le mercantilisme fiduciaire qui a été expérimenté en France par l'Ecossais John LAW
(1671-1729) est basé sur l'idée que le développement économique (donc l'enrichissement de
l'Etat) ne peut se faire que s'il existe un système bancaire moderne, basé sur la circulation de
billets émis par une banque centrale, ces billets étant eux-mêmes gagés sur l'or détenu par la
banque. Cette conception entraîne la prise en compte d'un élément essentiel dans les
conditions du développement : c'est la confiance que les agents économiques ont dans le
système bancaire. L'expérience menée par LAW, sur laquelle nous reviendrons en détail, s'est
soldée par un échec, ce qui a retardé de près d'un siècle la création d'un système bancaire
moderne en France.
• Le mercantilisme commercialiste, qui est représenté par des hommes tels que Josiah CHILD
(1630-1699) et Thomas MUN (1571-1641).
À partir du deuxième quart du xixe siècle l’intérêt pour les transports grandit, les pouvoirs
publics et le monde financier soutiennent la mise en place de nombreuses infrastructures. À
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Histoire des faits économiques et sociaux BAC _1_2023 Chef de Travaux IDI OMARI Patient
L’histoire économique quantitative fait ressortir une nette rupture en Angleterre en matière de
croissance de la production industrielle dans les années 1760-1770. Même si les premières
décennies du xviiie connaissaient déjà un rythme de croissance assez soutenu (de l’ordre de
1 % l’an) fondé notamment sur la protoindustrialisation, c’est un véritable décollage (take off
pour reprendre la terminologie de Rostow Les Étapes de la croissance économique (1963))
qui se fait jour à la fin du xviiie siècle. Plus largement la Révolution industrielle anglaise
s’accompagne de transformations radicales dans les domaines démographique, culturel,
géopolitique ou encore dans l’organisation du travail. Ces bouleversements participent de
l’extraordinaire complexité de ce processus. L’analyse des interactions entre facteurs de
demande et facteurs d’offre fournit une grille de lecture de cet épisode.
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Histoire des faits économiques et sociaux BAC _1_2023 Chef de Travaux IDI OMARI Patient
Selon Bairoch dans Révolution industrielle et sous-développement (1963) rien n’aurait été
possible sans bouleversements dans le secteur agricole. La croissance démographique est,
selon lui, logiquement tributaire de mutations préalables en matière de subsistances et des
progrès réalisés dans l’agriculture. Les travaux de Bairoch insistent sur le rôle des interactions
entre Révolution agricole et Révolution industrielle. L’auteur part d’abord du constat qu’une
explication de la Révolution industrielle ne peut pas faire l’impasse sur l’agriculture (ce
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Histoire des faits économiques et sociaux BAC _1_2023 Chef de Travaux IDI OMARI Patient
• La navette volante de Kay, innovation des années 1730, est diffusée dans le tissage du
coton vers 1760 où elle améliore la productivité d’environ 30 %.
• La machine à filer Spinning Jenny (1765-66) de Hargreaves, avec rouet multiplié, est
particulièrement adaptée aux petites unités de production (intermédiaire entre travail
manuel et machinisme).
• La Waterframe (1767) de Arkwright qui utilise l’énergie hydraulique et exige de
lourdes installations est destinée à de plus grosses structures.
• La Mule Jenny (1777) de Crompton est une sorte de croisement des deux précédentes
inventions, elle est complètement mécanisée.
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Histoire des faits économiques et sociaux BAC _1_2023 Chef de Travaux IDI OMARI Patient
• Au cours des années 1780, les métiers à tisser mécaniques de Cartwright remplacent
les navettes volantes de Kay et permettent une nouvelle progression de la production
de tissu.
• En 1783, Bell met au point la technique de l’impression mécanique des tissus.
Dans les transports le Français Cugnot utilise en 1770 l’action directe du piston sur la
manivelle pour actionner une roue motrice mettant ainsi au point un premier véhicule terrestre
à vapeur. En 1783 Jouffroy d’Abbans fait naviguer un premier bateau à vapeur. Plus tard,
Trevithick effectue les premiers essais de locomotives à vapeur.
Dans le secteur de la chimie le chlore est découvert en 1774 par Scheele et utilisé très vite
dans le blanchiment industriel des tissus.
L’intérêt pour les transports par voies d’eau et de terre est apparu très tôt comme en
témoignent en France, pour la seule période moderne :
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Histoire des faits économiques et sociaux BAC _1_2023 Chef de Travaux IDI OMARI Patient
Les efforts d’aménagements sont poursuivis au xixe siècle. L’amélioration des voies routières
est facilitée par l’apparition d’innovations comme le procédé du macadam vers 1820 et du
cylindrage à partir de 1834. Le nouveau système de revêtement est constitué de pierres
concassées et de sable agglomérés avec des rouleaux compresseurs : il permet d’augmenter la
vitesse des diligences. Le réseau routier continue de se densifier : en Angleterre il atteint
environ 50 000 km au milieu du xixe siècle. En France, une loi de 1836 prévoit que chaque
village doit être relié par un chemin vicinal à la circulation générale. Le réseau des grandes
routes françaises atteint 35 000 km à la même époque. La longueur du réseau « allemand »
passe de 25 000 km en 1835 à 115 000 km en 1873. L’Italie du nord poursuit l’aménagement
des voies transalpines vers la France notamment.
c) Les canaux
Le réseau anglais de canaux, développé à partir des années 1760, est achevé vers 1830 :
beaucoup de grands centres industriels sont reliés à la mer par des voies d’eau afin
d’acheminer matières premières et marchandises. Le programme français est élaboré, quant à
lui, vers 1820, il tente d’opérer des liaisons entre les grands fleuves. Ainsi le Rhône et le Rhin
sont reliés (1822-1834), la Marne et le Rhin (1838-1853), le canal latéral de la Garonne est
ouvert, plus tard le canal des Houillères est construit en Lorraine entre 1862 et 1866.
La même politique est conduite dans d’autres pays comme en Allemagne, où des travaux de
régularisation des cours d’eau sont réalisés à partir de 1820 : dans le deuxième tiers du
xixe siècle le réseau allemand des canaux et des voies canalisées atteint 4 500 km. Aux États-
Unis le percement du canal Érié, long de 584 km, qui lie l’Hudson au lac Erié (1817-1825),
marque lui aussi un jalon important vers le développement d’un vaste réseau de voies d’eau
pour le transport des produits.
d) Le chemin de fer
Le xixe siècle est aussi marqué par l’apparition du chemin de fer qui révolutionne les
conditions de transport. Les premiers essais de locomotives à vapeur se déroulent au tout
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début du xixe siècle. En 1830 une première ligne commerciale régulière est ouverte qui relie
les villes de Manchester et Liverpool. En Angleterre, le rythme de la construction ferroviaire
s’accélère dans les années 1840 : la taille du réseau atteint 10 500 kilomètres en 1850. Un peu
plus tard des réseaux denses se constituent ailleurs en Europe. La longueur du réseau des
chemins de fer passe en Europe de 175 kilomètres en 1830 à 9 200 km en 1845, 104 900 km
en 1870 et 362 700 km en 1913. Le réseau nord-américain se développe lui aussi rapidement,
il passe de 37 km en 1830 à 89 200 km en 1870 puis 456 200 km en 1913.
À partir du xviiie siècle l’idée de créer une route maritime vers l’Orient se fait jour. Divers
projets sont avancés… Pendant la campagne d’Égypte, Napoléon Bonaparte ordonne à un
groupe d’ingénieurs et d’officiers d’étudier le principe d’une voie maritime entre la mer
Rouge et la mer Méditerranée, un certain J.-M. Lepère projette alors un tracé d’Alexandrie à
Suez. Plus tard, l’ingénieur Linant de Bellefonds montre la possibilité d’un tracé à travers
l’isthme de Suez (bande désertique et plate).
Les Saint-Simoniens créent une société d’études pour le percement de cette voie maritime…
Le projet se heurte dans un premier temps à l’hostilité des Égyptiens jusqu’à l’installation de
Saïd Pacha comme vice-roi d’Égypte en 1854. Les disciples du conte de Saint-Simon
envoient alors un émissaire Ferdinand de Lesseps qui avait été diplomate en Égypte dans les
années 1830, se liant alors d’amitié avec Saïd. Lesseps reprend le tracé de Linan, obtient
l’accord de Saïd pour le percement, puis l’exclusivité des travaux et une concession pour 99
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Selon Paul Bairoch, grâce à l’ensemble des innovations le coût du transport terrestre diminue
entre 1850 et 1913 dans un rapport de 10 à 1. Mais le rôle du chemin de fer apparaît
totalement décisif dans ces progrès, François Crouzet (2000) rappelle qu’en 1865 en
Angleterre le coût moyen du transport de minéraux (par tonne et par mille) représentait pour
le chemin de fer l’équivalent de 16 % de celui par canaux et l’équivalent de seulement 2 % du
coût du transport par route. Au cours des siècles précédant la Révolution industrielle la
moyenne des coûts de transport terrestre est estimée par Bairoch (1997) à 4 ou 5 kg de
céréales par tonne-kilomètre. En 1910, il les estime à 0,1 kg par tonne-kilomètre. La baisse est
donc de 50 à 1 par rapport au temps des sociétés préindustrielles et apparaît bel et bien
révolutionnaire à l’échelle de l’histoire longue.
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La Première Guerre mondiale marque la rupture d’un processus d’intensification des échanges
internationaux entamé un siècle auparavant, la fin de ce qu’il est convenu d’appeler la
première mondialisation de l’histoire contemporaine. Cet épisode est riche d’enseignements
sur les ressorts et les implications du processus de mondialisation.
L’actuelle mondialisation – entamée depuis les années 1970 – constitue une caractéristique
saillante du capitalisme. Sur le plan commercial et sur le plan financier, elle atteint
aujourd’hui une intensité record.
Le commerce mondial, après son effondrement pendant les guerres de la Révolution française
et de l’Empire, a connu au xixe siècle une formidable expansion : son volume est environ
multiplié par 20 entre 1815 et 1913 (+ 3 % par an, un rythme de croissance qui ne sera
dépassé qu’après 1945). Cet essor a pour origine directe la Révolution industrielle, qui
confère un quasi-monopole pour les exportations manufacturières à quelques pays
(l’Angleterre d’abord puis quelques autres pays d’Europe continentale dont la France et
l’Allemagne). Une véritable division mondiale du travail s’instaure : les produits industriels
des pays avancés sont échangés contre les denrées alimentaires et les matières premières des
« pays neufs » et des économies coloniales. Ces produits primaires représentent vers 1913
plus de la moitié de la valeur du commerce mondial. L’expansion du trafic commercial est
soutenue par des innovations (en manière de conservation des denrées par exemple avec
l’installation de systèmes réfrigérants sur les bateaux dans les années 1870) et surtout une
baisse de long terme des coûts de transport, qui s’accélère au milieu du xixe siècle avec la
révolution des transports.
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vapeur au milieu du xixe siècle et du percement des isthmes de Suez (1869) et Panama
(1914).
Après le dépôt du brevet du télégraphe en 1844 par S. Morse, la première ligne télégraphique
transmanche est posée dès 1851 et le premier câble transatlantique en 1865. En 1913, la
longueur des réseaux télégraphiques représente onze fois le tour de la terre, et le téléphone est
déjà en plein essor : un pas décisif vers la transmission instantanée de l’information a été
franchi, il ouvre notamment la voie à une intensification de la mobilité internationale des
capitaux. En fin de période (1880-1913) les indicateurs de l’intégration financière
internationale convergent pour faire apparaître un très haut degré d’intégration des marchés de
capitaux.
Le stock d’investissement direct à l’étranger est élevé, culminant selon Bairoch en 1913 à 20-
22 % pour l’Europe occidentale, l’Angleterre « banquier du monde » finance des projets de
développement dans la plupart des zones (Amérique du Nord, Asie…). Les calculs de
Flandreau et Rivière (1999) montrent qu’à l’époque le lien entre épargne nationale et
investissement national est relativement distendu ce qui donne à penser que les
investissements nationaux étaient largement financés par l’épargne étrangère. Enfin, selon
Obstfeld et Taylor (2004), en valeur absolue les soldes courants des pays les plus avancés sont
historiquement élevés fin xixe, la forte mobilité des capitaux semblant autorisée un
relâchement de la contrainte de soutenabilité des déficits courants des économies nationales à
l’exemple de l’Argentine dont les soldes représentent en moyenne 18,7 % du PIB sur la
période 1870-1889 et encore 6,2 % entre 1890 et 1913.
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L’internationalisation des crises – depuis les crises anglo-américaines de 1825 et 1836 jusqu’à
la crise Baring d’origine argentine en 1890 et la Roosevelt Panic de 1907 – est révélatrice
d’une interdépendance croissante entre les économies nationales. Ainsi la crise de 1857
débute à New York lorsque l’on apprend le détournement par un employé de la plus grande
partie du capital de la Ohio Life and Trust Company of New York. Cette banque avait
emprunté à d’autres banques de la place qui elles-mêmes étaient débitrices en Angleterre. Par
ricochet, des banques tombent en faillite à Philadelphie, Liverpool, Glasgow puis en
Scandinavie et, de là, à Hambourg. De même, les répercussions mondiales de la guerre civile
américaine (1861-1865) témoignent de cette interdépendance. La hausse soudaine du prix du
coton brut affecte aussitôt les industries textiles européennes, mais elle a aussi pour effet de
déclencher un boom cotonnier mondial : la culture du coton s’étend en Australie
(Queensland), en Inde (autour de Bombay, région de Maharashtra) et surtout dans toute la
Basse Égypte où la culture du coton occupe environ 40 % de la surface cultivée.
L’économie égyptienne connaît quelques années fiévreuses, avec une flambée des prix, des
salaires, de la valeur des terrains, des taux d’intérêt, de la valeur des terrains. Mais les cours
du coton chutent dès la fin de la guerre, et la retombée est brutale : panique financière en
Australie, hécatombe parmi les banques de Calcutta et Bombay, tandis que l’Égypte
surendettée doit renoncer à la tentative de modernisation globale dont le boom cotonnier avait
été le catalyseur. L’épisode a néanmoins des conséquences irréversibles comme le recul des
cultures vivrières en Égypte.
Les vicissitudes de la politique commerciale ont eu un impact réel mais relativement limité
sur l’ouverture des économies au xixe siècle.
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n’exerce qu’un freinage temporaire sur la croissance du commerce mondial et n’entrave pas la
dynamique d’ouverture. Le protectionnisme favorise en Allemagne, aux États-Unis et au
Japon l’émergence d’économies nationales puissantes et leur industrialisation rapide, qui leur
permet de participer largement au nouvel élan des échanges mondiaux au seuil du xxe siècle.
Ces exemples nationaux tendent à prouver la pertinence d’une stratégie de contrôle de
l’ouverture pour des pays initialement en retard de développement (Becuwe et Blancheton,
2013). Loin de s’effacer devant l’intensification des échanges, les États-nations structurent
puissamment la première mondialisation.
La crise de 1929 demeure une rupture majeure de l’histoire économique du xxe siècle. Le
krach financier qui intervient à partir du 24 octobre 1929 révèle certains déséquilibres de
l’économie américaine et déclenche une très violente crise économique. En raison de
l’intensité des interdépendances internationales, l’ensemble des économies capitalistes est
plongé dans la dépression. Cette crise est aussi celle de la mondialisation car la recherche de
solution nationale est associée à un repli autarcique dans les années 1930.
La croissance économique américaine reste forte au cours des années 1920 portée par le
dynamisme des gains de productivité dans l’industrie et le développement d’un modèle de
consommation de masse. Le secteur automobile progresse ainsi fortement : la production de
véhicules passe de 569 000 en 1914 à 5 621 000 en 1929. Le taux d’équipement atteint alors
le niveau élevé de 1 véhicule pour 4,6 habitants. Des effets d’entraînement sont à l’œuvre
dans les secteurs de la sidérurgie, de la chimie, des travaux publics… Le bâtiment connaît lui
aussi un fort développement en raison d’une urbanisation croissante, la construction de
logement se stabilise à un niveau élevé entre 1926 et 1929. De nouvelles pratiques de
consommation de masse se développent : les ménages s’équipent en biens de consommation
durable (postes de radio et autres articles ménagers…).
Si, entre 1921 et 1929, la production industrielle connaît une hausse de 50 %, l’indice des
actions progresse sur la même période de près de 300 %. Le mouvement haussier de
19281929 a un caractère largement spéculatif, il est notamment alimenté par d’importants
crédits faits aux brokers… En décembre 1928 et mars 1929, les cours des actions chutent
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révélant des tensions. Loin d’alarmer les opérateurs ces chutes accréditent la thèse d’une
accélération indéfinie de l’activité économique qui rendrait obsolète la notion même de cycle.
Les opérateurs semblent emportés par un climat euphorique et une confiance démesurée.
Le jeudi 24 octobre 1929, souvent qualifié de « jeudi noir », les cours des actifs financiers
s’effondrent de près de 30 % à la Bourse de New York. Après une relative accalmie le
lendemain, le mouvement se poursuit le lundi 28 avec une baisse de 12,9 % de l’indice de
référence. Une véritable panique s’empare du marché jusqu’en janvier 1930. Des spéculateurs
et des épargnants ruinés se suicident… Après une nette remontée des cours au premier
semestre de 1930, le mouvement baissier reprend jusqu’en 1932 : l’indice du cours des
actions qui culminait à 238 en 1929 n’atteint plus que 36 en 1932, soit un niveau nettement
inférieur à 1921 (indice 58). Le titre General Motors qui cotait 1 075 dollars en 1929 s’établit
à 40 dollars en 1992. Les conséquences de cet effondrement sur l’activité économique sont
difficiles à évaluer. L’effet psychologique est naturellement désastreux : la confiance est
brisée les décisions d’investissement et de consommation en pâtissent. Certaines entreprises
connaissent des difficultés de trésorerie et sont acculées à la faillite. La baisse des cours des
actifs freine mécaniquement la demande à travers des effets de richesse. Les banques qui
subissent des pertes financières et sont exposées à des menaces de retraits des déposants
restreignent leurs crédits pour tenter de reconstituer leur liquidité.
Les performances macroéconomiques des États-Unis au début des années 1930 sont
spectaculairement médiocres. L’économie américaine est frappée par une déflation de grande
ampleur. Selon Maddison (1981), l’indice du PIB passe de 163 en 1929 à 147,4 en 1930,
136,1 en 1931 et 115 en 1932. Comme le montre le graphique le niveau du PIB de 1929 n’est
retrouvé qu’en 1939. La production industrielle connaît un repli plus important encore :
l’indice passe de 105 en octobre 1929 à 52 en juillet 1932. Le taux de chômage – faible depuis
le milieu des années 1920 – connaît une envolée jusqu’à dépasser nettement les 20 % en 1932
et 1933. La baisse de l’activité s’accompagne d’une baisse des prix : l’indice des prix à la
consommation passe de 165 en 1929 à 124 en 1933. Le mouvement de déflation est d’autant
plus ample que les opérateurs étaient fortement endettés.
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À la fin des années 1920, les États-Unis sont le premier préteur mondial de capitaux. À la
suite de la hausse des taux d’intérêt aux États-Unis et du boom boursier de 1928-1929 le
montant des émissions de valeurs étrangères aux États-Unis recule de 1 336 milliards de
dollars en 1927, à 1 250 milliards de dollars en 1928 et 790 en 1929. Après le retournement
d’octobre 1929, les banques américaines rapatrient massivement leurs capitaux déposés à
l’étranger afin de pallier leurs difficultés internes. Les pays débiteurs (Allemagne, Australie,
Argentine, Pologne…) qui dépendent des capitaux américains pour le financement de leur
déficit courant subissent des contrecoups. Ce désengagement accentue notamment les tensions
financières en Allemagne (principal débiteur des États-Unis) où la situation des banques
commerciales se détériore. Le 14 mai 1931, la plus grande banque autrichienne, la Kredit
Anstalt de Vienne est en situation de cessation de paiements. Cette crise bancaire contribue à
accentuer les difficultés du système bancaire allemand : une panique bancaire contraint l’état
à intervenir durant l’été 1931.
L’effondrement de l’activité économique fait surgir aux États-Unis la tentation d’un repli sur
le marché national. Un débat s’engage sur la pertinence d’un durcissement de la politique
commerciale. Les responsables politiques voient dans la hausse des tarifs douaniers un moyen
d’augmenter les prix intérieurs et de réorienter la demande vers les produits nationaux. Une
pétition signée par 1 028 économistes (dont I. Fisher) met en garde contre les dangers de la
solution protectionniste et notamment le risque de représailles commerciales généralisées. En
juin 1930, le tarif Smoot Hawley est instauré par les États-Unis et marque un tournant vers un
durcissement sans précédent du protectionniste au niveau mondial. Aux États-Unis les droits
de douanes sont accrus sur 25 000 produits et le tarif moyen sur les importations protégées
passe de 39 % à 53 %. À la faveur des mesures de rétorsion, l’arsenal protectionniste
s’enrichit.
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Aux traditionnels droits de douane portés à des niveaux record, s’ajoutent des dépréciations
monétaires cette fois volontaires (la livre sterling dès 1931…), des taxes, des quotas,
l’instauration de normes sanitaires et autres roueries administratives. Les économies se
replient sur elles-mêmes : pour les États-Unis le rapport exportations sur PIB à prix courants
passe de 5 % en 1929 à 3,7 % en 1938 et pour l’Europe Occidentale il passe de 14,5 % à
seulement 7,1 %. Ce recul du commerce international constitue un facteur supplémentaire de
freinage de l’activité économique.
Les analyses de la crise de 1929 sont nombreuses, certaines paraissent avoir été invalidées par
les faits postérieurs comme la thèse d’une stagnation séculaire du capitalisme mais beaucoup
conservent une portée explicative. L’approche marxiste analyse cet épisode comme une crise
de surproduction générale imputable à une insuffisance de la demande. L’accentuation des
inégalités de répartition serait à l’origine d’une sous-consommation. La stagnation des salaires
réels et la diminution de la part des travailleurs dans le revenu national sont mises en avant
pour étayer cette thèse. Si les travaux de Kuznets accréditent l’idée d’une hausse des
inégalités dans les années 1920, l’absence d’une baisse de la propension moyenne à
consommer fait défaut pour établir un lien entre inégalité et sous-consommation. Le
surinvestissement qui caractérise la toute fin des années 1920 (période du boom spéculatif aux
États-Unis) serait d’après I. Fisher à l’origine de la crise. L’investissement aurait dépassé les
capacités d’épargne. Il aurait été alimenté par un excès de crédits et un surendettement des
opérateurs. Le surendettement est, par la suite, analysé comme un facteur aggravant de la
déflation. Milton Friedman et Anna Schwartz (1963) mettent en cause la responsabilité d’une
politique monétaire trop restrictive des autorités du Federal Reserve System. Le resserrement
monétaire de l’été 1929 aurait d’abord alimenté la spéculation (relèvement du taux
d’escompte à 6 % en août 1929) en provoquant un rapatriement des capitaux vers les États-
Unis.
Après la crise, et jusqu’en 1933, la Fed n’aurait pas suffisamment approvisionné le système
en liquidité (via des achats de titres sur l’open market et le soutien direct aux banques en
difficulté). Cette attitude trop passive aurait aggravé la contagion des faillites bancaires (près
de 9 000 entre 1930 et 1933). Selon Kindleberger l’ampleur de la crise résulte d’une absence
de leadership mondial : la Grande-Bretagne n’a plus les moyens de stabiliser les relations
financières internationales et les États-Unis ne jouent pas le rôle de prêteur en dernier ressort
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Cet essor global des échanges s’accompagne bien entendu de mutations structurelles. Ce sont
d’abord les échanges de produits manufacturés entre pays avancés (européens notamment) qui
forment la composante la plus dynamique du commerce mondial. La contribution des services
est restée faible et constante : ceux-ci ne représentent depuis les années 1950 qu’entre 20 et
25 % des exportations mondiales. La tertiarisation des économies semble ainsi, par un simple
effet de structure, borner l’ouverture commerciale des économies. Les firmes multinationales
(FMN) sont devenues des acteurs clefs de la mondialisation, le commerce intrafirme c’est-à-
dire entre filiales d’une même entreprise représente aujourd’hui un tiers des échanges
extérieurs des pays développés. On compte environ 65 000 FMN dans le monde, qui
disposent d’un total de 850 000 filiales. Des réseaux transnationaux se constituent, échappant
de plus en plus au contrôle des États. La question de l’attractivité des sites nationaux se pose
avec beaucoup plus d’acuité. La mise en place d’une division internationale des processus de
production sous l’égide des FMN illustre la faiblesse des coûts de transport et accélère
l’érosion des avantages comparatifs. Pour de nombreux biens industriels, elle entraîne
l’inversion des soldes commerciaux, au profit des économies émergentes notamment
asiatiques (Chine, Inde…).
La réouverture financière des économies est beaucoup plus tardive que leur réouverture
commerciale. Au sein du système de changes fixes de Bretton Woods, les entraves aux
mouvements de capitaux sont maintenues. Les autorités redoutent les effets déstabilisant des
mouvements et capitaux et souhaitent pouvoir combiner stabilité des cours de change et
autonomie des politiques monétaires. Le coup d’envoi de la réouverture financière des
économies est donné en 1979 : à la suite du Sommet des cinq pays les plus industrialisés de
Tokyo, la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher lève les contrôles des opérations de change.
La vague de libéralisation s’étend dans les années 1980, parfois sous la pression d’institutions
financières internationales comme le Fond Monétaire Internationale. Les mouvements de
capitaux s’intensifient. L’évolution du simple montant quotidien des opérations de change
(comptant, terme, swaps) frappe les esprits.
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Les avancées de l’intégration financière ont aussi des conséquences dans les domaines de la
politique monétaire et du change. Si l’on se réfère à la notion de triangle des incompatibilités
(développée par Mundell), dès lors que la mobilité des capitaux est extrêmement forte et
s’impose comme une donnée, les autorités ont un choix restreint. Soit elles conservent des
marges de manœuvre de politique monétaire et acceptent de subir l’instabilité des cours de
change (la zone euro apparaît aujourd’hui dans ce cas). Soit elles assurent la stabilité du
change mais alors elles doivent se priver de la possibilité d’utiliser le taux d’intérêt pour
stabiliser les prix ou soutenir l’investissement et la consommation (c’est le cas de beaucoup
de pays émergents d’Asie par exemple, c’était largement le cas de la France à l’époque du
système monétaire européen 1979-1998).
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L’économiste Joseph Stiglitz a dénoncé le fait que ces « thérapies de choc » accentuaient la
pauvreté et l’instabilité au Sud, il a contribué à leur abandon progressif au début du
xxie siècle. Aujourd’hui de nombreux défis restent à relever pour ces institutions :
l’annulation de la dette des PVD, l’accumulation de déficits courants par les ÉtatsUnis, la
volatilité des cours de change, la constitution d’un véritable prêteur en dernier ressort au
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niveau international et la question de leur légitimité même car le Sud souligne qu’elle qu’elles
servent les intérêts du Nord. Dans le domaine commercial le GATT est parvenu à promouvoir
les idées de multilatéralisme et de libre-échange. L’OMC a tenté de poursuivre la politique de
libéralisation des échanges dans le cadre du cycle de négociation de Doha : les enjeux
principaux concernaient les échanges agricoles et de services. Par beaucoup d’aspects, pour
l’Europe, la période actuelle ressemble à la longue stagnation des années 1870-1880
(ralentissement de la croissance, concurrence des émergents, instabilité…). Comme durant la
première mondialisation des débats s’esquissent à propos d’un durcissement des politiques
commerciales.
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