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Michela Jai Quitte Sat

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MICHELA

faiquitté Satan
Ma lutte pour m'enfuir
de l'Enfer du satanisme

Traduit de l'Italien

par Christiane Palmero


Préface

J'ai lu avec intérêt ce livre, un témoignage impressionnant des


réalités occultes qui, malheureusement,ne font que se dévelop
per et causent de graves dommages aux âmes. Parmi les nom
breuses personnes — hommes,femmes,adultes et jeunes — qui
restent prises dans les filets du Malin et qui s'enfoncent dans les
méandres de l'obscurité, il y en a quelques-unes qui, grâce à
Dieu, réussissent à s'enfuir, à quitter Satan, comme l'a fait
Michela. Cette histoire est racontée,jusque dans ses détails les
plus glaçants — qu'on retrouve dans ce type de biographie —,
par sa protagoniste même,sous l'impulsion de son père spiri
tuel, et dans le but de mettre tout le monde en garde — spécia
lement les jeunes—contre les risques encourus lorsque l'on veut
jouer avec le feu... de Satan.
Satan. Beaucoup de gens aujourd'hui,y compris dans l'Église,
tendent à en minimiser la présence et l'influence,à en nier l'exis
tence, et le réduisent à un simple symbole du mal et des mal
heurs de la vie. Les diables,en revanche,comme le magistère de
l'Église l'a rappelé plusieurs fois, sont des êtres spirituels qui,
quand ils réussissent à endormir nos consciences,agissent d'au
tant plus tranquillement. Durant les années pendant lesquelles
j'ai servi l'Église en tant que Préfet de la Congrégation pour la
cause des Saints,il m'est souvent arrivé de constater,dans la bio
graphie des Saints, l'action de Satan à laquelle s'oppose la force
victorieuse du Christ qui triomphe toujours des ruses et des in
trigues du Malin.
Le risque inverse, celui de voir le diable partout, existe aussi:
c'est le fruit de sa ruse même. Le Malin, par définition, n'est-il
pas précisément trompeur et ne sème-t-il pas partout la violence,
la haine et la division ? L'Église invite à la prudence sur ce sujet et,
par exemple, exige des prêtres choisis pour pratiquer des exor-
cismes qu'ils aient une préparation théologique et spirituelle, un
sage discernement des situations et une vie exemplaire. Elle les
invite aussi à collaborer utilement avec d'autres experts des
sciences humaines, telles la psychologie, la médecine, etc... Et
c'est seulement quand on arrive à une raisonnable certitude d'être
en présence d'une véritable influence — voire même d'une pos
session — diabolique, que l'on peut pratiquer l'exorcisme selon
les formes et moyens établis par le droit canon. Il est toutefois
évident que les bénédictions et les prières sont toujours utiles et
extrêmement bénéfiques. Mais si la prière, qui peut être faite par
tout le monde, est une chose, re.xorcisme, qui ne peut être fait
que par le prêtre y expressément habilité, en est une autre.
Il ne faut, de toute façon, pas oublier que la lutte entre le bien
et le mal,entre la haine et l'Amour,entre Satan et les disciples du
Christ — car le Malin ne pouvant pas attaquer Dieu,attaque ses
fils, les hommes —,est une réalité inéluctable que seuls les aveu
gles ne perçoivent pas. Il suffit d'observer comment va le monde ;
il suffit de voir lesjournaux et la télévision pour se rendre compte
du déchaînement de Satan — le prince de ce monde — à travers
toutes les formes existantes de violence,de haine,de guerres,d'in
justices, de méchanceté et tout le sang humain qui coule en tant
de lieux.C'est une dure bataille qui est en train de se livrer,et par
fois le Mal semble triompher. C'est pour cela qu'il faut être vigi
lant et prier ; rien ne doit être pris à la légère quand on sait que
même de petites faiblesses peuvent amener à des déroutes catas
trophiques. D'un autre côté,quand il nous arrive de pécher et de
faire le mal,il ne faut pas nous laisser gagner par la peur et abat
tre. Dans ces cas-là, le découragement est une subtile tentation
satanique:voDà pourquoi nous devons sans cesse persévérer dans
notre confiance en Dieu ;plus que sur nous-mêmes,nous devons
compter sur son infinie miséricorde qui est capable de retourner
toute situation, même la plus compliquée et désespérée. En fait,
son Amour est la seule arme qui nous permette de triompher,
c'est le remède qui guérit les blessures de l'âme et le secret pour
ne pas succomber à la tentation.
L'histoire de Michela est,au fond,un témoignage supplémen
taire de la puissance de l'Amour miséricordieux de Dieu. C'est
ainsi que le récit doit être lu,dans tous ses détails, même les plus
scabreux et rebutants. Si l'abîme du Malin est profond,la misé
ricorde du Seigneur est infinie et son action est toute-puissante.
Le Christ, par sa mort et sa résurrection, l'a déjà vaincu. Il faut
toutefois que le Christ triomphe dans nos vies, en chacun de
nous.La leçon de Michela est simple et marquante.Satan ne peut
être vaincu que par la toute puissance de l'Amour.L'Amour qui,
à l'heure de l'épreuve,se nourrit de la prière confiante,de la per
sévérance à s'en remettre à Dieu,toujours et partout.
Nous sommes tous fragiles et en danger, nous avons tous
besoin d'être aimés et consolés;c'est pour nous tous que Jésus
est mort sur la Croix. À partir de là, on comprend encore mieux
la grandeur de la mission sacerdotale. Je voudrais le souligner en
cette Année Sacerdotale voulue par le pape Benoît XVI pour ré
veiller chez les prêtres et les fidèles la conscience du don et de
l'engagement que comporte le ministère sacerdotal,dans l'Église
et la Société. Parfois, quand il ne peut pas faire autre chose, le
prêtre procure avec amour un soulagement spirituel aux per
sonnes atteintes de grandes souffrances psychiques et morales,et
leur manifeste ainsi sa paternité spirituelle, qui est le reflet de la
paternité divine. Si cet accueil de la part de l'Église vient à man
quer, on court le risque de voir aller chercher ailleurs, chez des
mages et sorciers, des solutions éphémères et illusoires, avec des
conséquences dommageables et dévastatrices sur les intéressés
mêmes,sur les familles et la société.
Je forme, du fond du cœur, le vœu que ce livre soit pour les
prêtres un stimulant qui les pousse à vivre pleinement leur mis
sion, à réaliser l'importance du ministère qu'ils sont appelés à
exercer pour le bien des âmes.Qu'il serve d'avertissement à tous
les chrétiens afin qu'ils ne se laissent pas illusionner par des mi
rages trompeurs de bonheur facile. Que l'expérience de Michela
— qui a trouvé une nouvelle famille en la Communauté "Nuovi
Orrizonti"—soit un encouragement pour les personnes prises
dans les filets du mal, et qu'elles puissent trouver la force de
sortir de l'étau dans lequel elles sont tombées, tout en sachant
qu'elles pourront trouver une famille de frères et sœurs prêts à
les accueillir et à les aider tout au long de leur difficile chemin de
renaissance humaine et spirituelle. Que ce livre aide chacun à
comprendre les dangers d'un phénomène — l'occultisme,le sa
tanisme — trop souvent pris à la légère. Et surtout,que l'histoire
de Michela transmette la certitude que,quoi qu'U se passe,dans
toute situation, même la plus embrouillée et dramatique,ce n'est
jamais le Mal,ce n'est jamais Satan, mais Dieu,qui gagne. Celui
qui est avec Dieu n'a rien à craindre, car Jésus a dit à ses disci
ples: "Dans le monde vous aurez des épreuves, mais gardez cou
rage:moi,j'ai vaincu le monde (In 16,33)

Août 2009

Cardinal José Saraiva Martins,


Préfet émérite de la Congrégation pour les Causes des Saints.
Introduction

Le satanisme se caractérise principalement par une haine


irrationnelle et indescriptible envers l'Évangile, l'Église, ses
ministres et la liturgie. C'est l'inversion de la raison :elle ne
gouverne ni ne canalise plus les instincts, ce sont eux au
contraire qui dominent, piétinent et anéantissent la raison.
On comprend alors pourquoi les sept péchés capitaux sont
considérés par les satanistes comme des vertus à pratiquer
pour arriver à la pleine réalisation de soi. On comprend aussi
pourquoi le satanisme peut aboutir à des meurtres ou des
suicides rituels. C'est une exaltation absolue de soi, une
vision prométhéenne de l'homme qui se traduit par une pré
tention à l'auto-divinisation, à écarter Dieu. "Vous serez
comme des dieux"(cf. Gn 3,5), promettait l'antique tentateur,et
sa promesse demeure inchangée pour ceux qui aujourd'hui
s'inspirent de lui.
Je veux partager ici quelques considérations suggérées par
la lecture du témoignage de Michela. Et je la remercie, elle
qui a vécu ces douloureux événements et a eu le courage d'en
faire le récit.

1/ Le satanisme est une menace permanente pour le Très


Saint Sacrement du Corps et du Sang de Jésus. Les satanistes
sont savamment et efficacement formés à le subtiliser dans
les églises, chapelles, sanctuaires, basiliques, pour ensuite le
profaner dans leurs rites infâmes de la manière la plus im
monde et obscène.Trop de prêtres et de fidèles "dorment"et
ne se rendent pas compte que l'Hostie Sainte est dérobée lors
de la communion, quand elle est donnée aux fidèles, mais
aussi à d'autres moments. Il faut être vigilant, et veiller avec
une grande attention : les clés des tabernacles ne devraient
jamais être facilement accessibles; il vaudrait mieux, au
contraire, que les curés et vicaires ne les laissent ni dans les
églises ni dans les sacristies, mais qu'ils les portent sur eux.
On connaît des gens qui,sachant où elles étaient conservées,
ont profité de l'absence des prêtres et de moments où l'église
était déserte pour ouvrir le tabernacle et emporter un cer
tain nombre d'Hosties pour ensuite les revendre aux sata-
nistes ou,s'ils font partie de la secte,les apporter eux-mêmes
sur le lieu où se tiennent les rites satanistes. Un groupe de sa-
tanistes se procura même la Sainte Eucharistie auprès d'un
enfant de chœur qui, moyennant paiement, subtilisait des
Hosties dans le tabernacle d'un couvent de Capucins sans
que ceux-ci ne s'en soient jamais aperçu. L'an dernier,la dé
nonciation ci-après faite par Monseigneur Malcom Ranjit,
de la Congrégation pour le Culte et la Discipline des
Sacrements, dans la préface du livre Dominus Dei, de
Monseigneur Athanasius Scneider,a fait beaucoup de bruit:
"Il y a aussi des abus de la part de ceux qui emportent les
Espèces Sacrées pour les garder en souvenir ou qui les ven
dent, ou, pire encore, qui les emportent pour les profaner
dans des rites sataniques. De tels faits ont été constatés
même au cours de grandes célébrations, et y compris à
Rome, où l'on a plusieursfois retrouvé des Espèces Sacrées
jetées par terre. De telles situations nous portent à réfléchir
non seulement sur la gravité de la perte defoi, mais encore
sur les outrages et offenses envers le Seigneur qui daigne
venir à notre rencontre pour nous rendre semblables à lui et
afin que la sainteté de Dieu se reflète en nous."
Tous les chrétiens, les personnes engagées dans les pasto
rales, les prêtres, les religieuses, devraient être très vigilants
dans la protection du Corps et du Sang de Notre Seigneur
Jésus-Christ, et tout faire pour en empêcher le vol. Ces hor
ribles profanations nous rappellent vivement,en outre,l'im
portance et la nécessité de la "réparation Eucharistique"tant
sous forme privée que "publique",c'est-à-dire en présence de
la communauté religieuse et paroissiale. Face à de si graves
outrages envers Jésus dans la Sainte Eucharistie, il faudrait
10
que jaillisse spontanément dans notre cœur le désir de répa
ration, de consoler Jésus, de lui rendre cet honneur, cette
gloire et cet amour qu'on lui refuse, en toute lucidité et vo
lontairement,dans ces rites sacrilèges. Quand on connaît les
événements surnaturels de Fatima survenus entre 1916 et
1917,on sait que les petits bergers Jacinthe,François et Lucie,
avant que la Vierge ne leur apparaisse, ont été visités plu
sieurs fois par un Ange qui leur a offert — et,à travers eux,à
chacun de nous — cette fameuse prière d'adoration
Trinitaire et de réparation Eucharistique:
"Très Sainte Trinité, Père Fils et Saint-Esprit,je vous
adore profondémentetje vous offre les trèsprécieux Corps,
Sang,Âme etDivinité de Notre Seigneurjésus-Christ,pré
sents dans tous les tabernacles du monde, en réparation
des outrages, sacrilèges et indifférences par lesquels il est
offensé,etpar les mérites infinis de son Très Sacré-Cœur et
du CœurImmaculé de Marie,je vous demande la conver
sion des pauvres pécheurs."
Il est évident que parmi les outrages et sacrilèges envers le
Corps,le Sang,l'Âme et la Divinité de Notre Seigneur Jésus-
Christ pour lesquels l'Ange nous a enseigné à demander ré
paration, il faut compter non seulement les communions de
ceux qui reçoivent l'Eucharistie en état de péché grave (c'est-
à-dire sans un vrai repentir et sans vouloir recourir rapide
ment au Sacrement de Confession), mais encore ces formes
spécifiques et très graves d'outrage et de sacrilège que sont
les profanations volontaires du Corps et du Sang de Notre
Jésus-Christ.

2/ Les violences monstrueuses,les horreurs et la cruauté ter


rifiante que subissent les enfants et les jeunes adolescents de
la part des sectes sataniques, qui se concluent souvent par le
meurtre effarant et abominable de ces pauvres créatures(délit
qui reste souvent inconnu et impuni),nous conduisent légiti
mement à suspecter que de tels groupes font partie d'un réseau

11
bien organisé et qui jouit de protections au plus haut niveau.
Il est évident que certains adeptes du satanisme eux-mêmes
ont réussi à s'infiltrer jusqu'à des postes influents au sein de la
société. Devant cette très grave menace,les forces saines parmi
les autorités civiles devraient tout mettre en œuvre pour pré
venir et démasquer de telles organisations et leurs délits inhu
mains, et mettre ainsi fin à tant de crimes atroces.

3/ L'auteur de cet ouvrage,qui a vécu les événements dra


matiques y relatés raconte dans les dernières pages qu'elle a
témoigné de son cheminement dans quelques monastères de
clôture, en action de grâce pour les prières que ces âmes
consacrées avaient élevé en sa faveur vers le Ciel.
Par la suite,dans toutes les nuits du Samedi au Dimanche,
précisément au moment où les satanistes se réunissent pour
leurs célébrations atroces,et en réparation des outrages et sa
crilèges qu'ils perpétuent,ces communautés ont instauré une
veillée, désormais traditionnelle. Il serait souhaitable que ces
initiatives méritoires de prière commune — pour réparer de
tels péchés contre le Saint Sacrement — se développent dans
les monastères,couvents,communautés religieuses, paroisses,
sanctuaires et basiliques, et ce tant dans les nuits du Samedi
au Dimanche,que dans les nuits précédant les fêtes et solen
nités de l'Église Catholique (c'est-à-dire au moment où ces
cultes brutaux sont habituellement célébrés). On pourrait
commencer la veillée par la célébration de la Sainte Messe,
suivie de l'adoration Eucharistique ; on pourrait aussi célé
brer la Sainte Messe à trois heures du matin, puisque c'est à
cette heure précise que les célébrations sataniques atteignent
leur apogée. La force réparatrice de la prière s'oppose effica
cement à de tels rites infâmes,elle aide incontestablement les
forces de l'ordre elles-mêmes — occupées à découvrir et à
éradiquer ces organisations criminelles — et agit en leur
faveur, et, elle agit à l'encontre de l'action d'infestation et de
dévastation des esprits du mal invoqués aux cours de ces rites.

12
4/ À la lecture de ce récit, on découvre des faits horribles,
malheureusement tous authentiques, qui dépassent toute
imagination. J'ai observé que certaines descriptions ont pro
voqué, chez de nombreux lecteurs, un profond malaise, des
inquiétudes, de l'anxiété, voire favorisé de fortes tentations
contre la pureté, tellement certains détails sont scabreux.
C'est pourquoi je déconseille aux personnes psychologique
ment fragiles ou particulièrement sensibles la lecture des pas
sages les plus répugnants qui font frémir d'horreur. Je
recommande,en tout cas, à tout le monde,de ne commen
cer la lecture de cet ouvrage qu'après au moins dix minutes
de prière où est invoquée la protection du Sang de Jésus, de
la Vierge Marie et des Saints Anges.

51 Pour conclure, et en faisant abstraction de l'expérience


de Michela rapportée dans ce livre, nous devons dire que le
sataniste, de manière générale, est quelqu'un qui ne s'est
jamais ouvert à l'Amour infini et incommensurable du
Christ pour nous.Celui qui a rencontré le Seigneur n'imagi
nerait pas une seconde adorer et invoquer Satan ni s'assujet
tir volontairement à cet être perfide et rusé qui, tout en
feignant de s'allier à ceux qui le vénèrent, les haït, en réalité,
d'une manière indicible, et n'attend que le moment de pou
voir les torturer sans fin après leur mort.Satan n'a pas d'amis,
seulement des esclaves qui croient ingénument s'en être fait
un ami. Lorsque quelqu'un,trompé par cette conviction er
ronée, conclut un pacte avec lui, accepte sa seigneurie et
adhère à une secte satanique — dans laquelle il est "initié"
par le grand prêtre et consacré au Diable —,il s'assujettit au
Démon,c'est-à-dire qu'il entre dans un état volontaire de
soumission diabolique. Cela peut créer entre la personne et
le Diable un lien de très forte dépendance morale, dans la
mesure où c'est la personne même qui le demande. Mais
celui qui vend son âme et son corps au Diable reçoit-il vrai
ment ce qu'il demande ? Que demande-t-il habituellement ?
La richesse, la chance, le pouvoir, des expériences sexuelles

13
dévoyées, la domination sur les autres, les honneurs, le
succès, une longue vie, des vengeances, des pouvoirs extra
ordinaires, etc... Certains n'ont rien obtenu de ce qu'ils ré
clamaient ; d'autres n'en ont ressenti des bénéfices qu'au
début,ce qui les a illusionné, mais qui n'a pas eu de suite ; il
semble que très peu aient eu un changement radical de vie.
Ils ont commencé à être chanceux en tout,dans tous les pro
jets et activités qu'ils entreprenaient,lesquels semblaient en
tièrement se réaliser. En peu de temps,la notoriété,le succès,
les gains, les postes élevés socialement sont arrivés. Mais
c'était une gloire apparente et fugace! Satan est le père et
l'auteur du mensonge et ne peut tenir ses promesses. À l'im-
proviste, l'empire ainsi construit s'écroule, entraînant dans
l'abîme ceux qui en faisaient partie. Le satanisme est une des
formes d'autodestruction individuelle et sociale les plus dé
vastatrices. Celui qui s'y adonne expérimente peu à peu une
agitation intérieure toujours croissante qui ôte la pabc et ali
mente puissamment le désespoir. Le lien avec Satan aug
mentant, ce dernier finit par perdre ce charme obscur dont
il se parait au commencement,quand il cherchait à flatter sa
victime pour l'attirer à lui: Satan se dévoile de plus en plus
ouvertement, avec les caractéristiques propres à sa vraie
nature. Au début, il se laissait utiliser par la personne, mais
uniquement dans l'attente de devenir son maître quasi-
absolu. Par analogie, il se comporte comme un lion tenu en
laisse qui feindrait la douceur afin de dévorer celui qui s'ap
proche candidement pour le caresser: celui qui entre dans
son rayon d'action est agrippé et mis en pièces. Voilà vers
quoi s'engage le sataniste qui, avançant sur ce chemin tra
gique,se découvre et s'aperçoit être bien différent de ce qu'il
était,comme s'il avait changé de nature. Il se sent ministre et
"missionnaire"du mal,il lui semble qu'il ne peut plus éprou
ver de soulagement qu'en faisant du mal aux autres. Il se sent
poussé à commettre des actes de plus en plus pervers. Satan
lui devient quelque chose de rebutant,de dégoûtant,de vio
lent, d'épouvantable,d'indescriptible, mais il lui est pourtant
impossible de lui désobéir. Le sataniste se sent déjà damné,
14
non pas parce que Dieu ne lui pardonnerait pas s'il revenait
en arrière, mais parce que lui-même n'arrive pas à se repen
tir. Il ressent le désir d'échapper aux conséquences de son
choix, mais sa terreur, à la pensée de ce que les membres de
la secte pourraient lui faire subir s'il les reniait, est plus forte
que la peur de la damnation éternelle. Il craint plus les
hommes et le Diable que Dieu,et il obéit à Satan avec un em
pressement aveugle qui est le fruit de sa terreur. Son but est
uniquement de vivre frénétiquement le temps qu'il lui reste
de vie terrestre ;pour se justifier et lier d'autres personnes à
lui,il ne montre qu'assurance et satisfaction,alors qu'au fond
de lui le désespoir grandit. S'il a fait usage, même temporai
rement ou partiellement, des pouvoirs de Satan, et qu'il
décide de se reconvertir à Dieu avant d'avoir atteint le point
de non-retour', voilà que d'une part le grand prêtre et les
autres satanistes cherchent à se venger non seulement par les
rites sataniques célébrés contre lui, mais encore en lui en
voyant de véritables tueurs à gage,et, d'autre part,que Satan
en personne réclame sont dû et réagit à cette rupture du
pacte conclu avec lui:il le fait soit en maltraitant la personne
au moyen de fortes vexations,soit en lui faisant subir,d'affilé,
toute une série de tourments. En fait, il veut lui dire par là :
"Tu m'as cherché, tu m'as voulu:quand ça t'a arrangé, tu t'es
servi de moi et aujourd'hui tu voudrais te débarrasser de moi ?
Eh bien, moije ne m'en vais pas!"Et ainsi,à chaque fois que
l'ex-sataniste se met à prier, des réactions de rage de Satan se
déchaînent pour l'en empêcher: il cherche à lui étourdir la
tête, à affaiblir sa volonté et à multiplier les rétorsions^
Commence alors un combat très éprouvant dont l'ex-sata-
niste, s'il cherche Dieu sincèrement, dans un esprit d'abné
gation et de pénitence concrète et authentique, pourra sortir
victorieux, quelle que soit la dureté dudit le combat. Dans
cette lutte,les exorcismes de l'Église et l'accompagnement de
prière de personnes pieuses et de grande maturité humaine et
spirituelle,sont d'une aide déterminante. Malheureusement,
tous les ex-satanistes ne sont pas animés d'une volonté ferme
et irrévocable,et c'est pourquoi beaucoup d'entre eux,au plus
15
fort de la bataUle,finissent par jeter l'éponge. Le récit vécu par
le témoin auteur de ce livre est très encourageant pour ceux
qui luttent:ils peuvent comprendre qu'il n'est pas impossi
ble de sortir du satanisme(comme de toute autre forme de
pratique occulte) et de recommencer une vie nouvelle, re
nouvelés par l'Amour du Christ et de la Vierge Marie, notre
Mère. Ce récit ressemble à un arc-en-ciel qui apparaît après
la tempête,à une lumière qui disperse les ténèbres. L'histoire
de Michela est un bon exemple des merveilles que Dieu et la
Vierge Marie peuvent accomplir pour celui qui semble tota
lement englouti dans l'abîme du mal et qui,du plus profond
de son angoisse, ouvre son cœur au Seigneur Jésus et l'in
voque avec confiance. L'histoire de Michela est une grande
victoire de l'Amour miséricordieux de Dieu.

Père Prancesco Bamonte,


Exorciste du Diocèse de Rome.

1)D'après certains exorcistes(parmi lesquels le Père Candide Amantini,mort en


odeur de sainteté à Rome le 22 septembre 1992),les sorciers et satanistes peuvent
attendre un point un point de non-convertibilité, c'est-à-dire d'être devenus tel
lement esclaves de Satan qu'ils n'ont plus la possibilité de revenir en arrière.
2)On a recensé le cas de quelques ex-satanistes à qui le Démon a provoqué des
fractures, une cécité prov isoire ou pennanente, des pertes de mémoire, la sur
dité. "Un exemple:une vieille prêtresse de Satan que le prêtre avant invité à prier
veut entrer dans l'église. Mais, alors qu'elle mettait la main sur la poignée de la
porte, elle en reçut comme un choc en retour:sa main s'est cassée. On dut lui mettre
un plâtre."(René Laurentin, Le Démon, mythe ou réalité ? Editions Segno, 1995,
p.194)

16
1
Mon couteau et son baiser

"Maintenant tu peux avoir le pouvoir!"Des paroles brèves


et sèches mais qui suffisaient à me donner toute l'énergie
dont j'avais besoin pour mener à bien ma terrible mission.La
phrase continuait à résonner dans mes oreilles, à marteler
mon cerveau, à l'unisson du battement de sang dans mes
tempes et du bruit métallique rythmé du train qui m'em
menait à Rome.
"Maintenant tu peux avoir le pouvoir!Maintenant tu peux
avoir le pouvoir!Maintenant tu peux avoir le pouvoir!" Une
drogue plus efficace qu'aucune autre déjà expérimentée(et il
y en avait eu beaucoup...), et qui pénétrait, goutte à goutte,
dans mon corps, dans ma volonté. C'était le lundi matin
6janvier 1997,et j'étais prête à tuer.
Pas même deux semaines s'étaient écoulées depuis que
j'avais écouté cette promesse,susurrée à mon oreille par la
Doctoresse entre les mains de laquelle, depuis plusieurs
années,j'avais totalement remis mon existence, exécutant
tous ses ordres quels qu'ils soient sans la moindre hésitation.
Elle et d'autres confrères se retrouvaient dans une grotte, en
pleine campagne, pour célébrer le rite de la nuit du 24 au
25 décembre, veille de Noël qui, pour la secte à laquelle ils
appartenaient, représentait une des occasions les plus im
portantes et les plus chargées d'intensité de l'année.
Au cours de cette nuit,au moment précis où l'on célébrait
la naissance de Jésus dans les églises catholiques,le Prêtre de
Satan qui était à la tête de notre groupe devait confier à l'un
d'entre nous — admiré de tous et élevé au rang d'"élu" —

17
une mission particulière, généralement risquée et sangui
naire. J'avais compris depuis quelques jours qu'il allait m'in-
comber de recevoir ce que, à l'époque, comme chaque
membre du groupe,je considérais comme un grand privi
lège, un signe de prédilection particulière de la part de celui
que nous avions choisi de servir :le démon.
La semaine précédente la Doctoresse m'avait convoquée à
l'improviste chez elle : "Ce soir, quand tu auras terminé ton
travail, viens me rejoindre. Tu habiteras chez moijusqu'au rite
de Noël."Je ne m'en étais pas fait quand elle m'avait dit au té
léphone de prendre le sac de voyage que je gardais toujours
dans le coffre de ma voiture. Il s'agissait d'une sorte de "né
cessaire d'urgence" qui contenait pyjama,linge de rechange
et autres objets d'hygiène personnelle.
Je ne m'en étais pas servie souvent depuis que j'apparte
nais à la secte, mais, depuis le début, j'avais reçu l'ordre de
l'avoir toujours à portée de main parce que je pouvais être
appelée à n'importe quel moment à me transférer tempo
rairement chez elle. L'expérience déjà vécue trois ou quatre
fois m'avait appris qu'il s'agissait toujours d'un "moment
fort" qui marquait ma promotion à l'intérieur du groupe.
Vivre chez la Doctoresse faisait partie de ce chemin prépa
ratoire ; on peut dire qu'il représentait une full-immersion
initiatique destinée à me permettre d'affronter de façon adé
quate ce qui m'attendait.
Ce fut avec un vrai sentiment de bonheur et d'attente
confiante que j'entrai dans son appartement le soir du 18 dé
cembre 1996.11 m'était défendu de poser des questions et je
ne pouvais donc, pour connaître mon sort, qu'attendre
qu'elle me mît au courant. Mais, en réalité, je ne ressentais
même pas le besoin de savoir quoi que ce soit. L'état de dé
pendance envers elle que la Doctoresse avait réussi à créer en
moi était tel que j'étais sur un nuage simplement parce que
j'allais pouvoir passer, dans une symbiose totale avec elle,
chaque minute des jours suivants.

18
Pour moi, cette semaine fut comme une extraordinaire
lune de miel. À peine arrivée nous avons mangé quelque
chose de très bon,puis nous avons eu un rapport sexuel long
et intense qui me laissa épuisée. Je me sentais totalement re
laxée, enivrée du plaisir que ses caresses et ses baisers avaient
su me donner, mais aussi envoûtée par l'atmosphère magique
qui planait dans ces pièces aux lumières diffuses et aux par
fums capiteux. Et le fait, tout de suite après, de s'endormir
dans ses bras douillets et protecteurs,fut vraiment rassurant.
Au réveil, le programme d'endoctrinement commença. Je
vivais dans un état d'ivresse constant,je ne voyais pas la né
cessité de sortir, je n'avais pas besoin de contact avec le
monde extérieur. Il me suffisait de rester avec elle, de l'écou
ter, de faire tout ce qu'elle me disait. Dès le réveil je me sen
tais au centre de ses attentions. Nous mangions ensemble,
sans jamais de radio ni de télévision, puis nous faisions le
ménage,comme un couple uni par les années et l'amour.
La première thérapie à laquelle elle me soumit — elle était,
de fait, psychothérapeute —,fut pratiquée sous hypnose. Je
n'ai jamais su ce qui s'était passé pendant que j'étais incons
ciente, mais,au réveil,je me sentais très bien. Aujourd'hui je
ne peux m'empêcher de rire quand je vois à la télévision un
h)'pnotiseur qui fait un tas de rituels pour endormir les gens :
moi, il m'a suffi de m'allonger et de fixer un tableau repré
sentant une spirale blanche et noire.
Elle s'asseyait derrière moi et commençait à me parler
d'une voix douce,comme une cantilène,tout en me disant de
fixer le centre de la spirale et de ne jamais le quitter du regard.
Après peu de temps il me semblait que tout tournait autour
de moi, mes yeux se fermaient progressivement — mais pas
comme lorsque je m'endormais quand j'avais sommeil — et
je ressentais une sensation de relâchement, de la plante des
pieds jusqu'à la racine des cheveux.
Il y avait, dans son appartement, un brumisateur qui dif
fusait un parfum particulier d'opiacé — je crois — ou de

19
quelque autre stupéfiant. 11 procurait un bien-être qui facili
tait probablement le travail dans les profondeurs que la
Doctoresse faisait sur moi sous hypnose. Je ne sais pas com
bien de temps dura le traitement, mais, quand je me réveil
lais, il était quasiment l'heure de déjeuner. Je mettais alors à
profit mes qualités de chefet cuisinais quelque chose de léger
et d'épicé qui nous permettait, encore une fois, d'être com
plices au lit et de nous procurer réciproquement du plaisir.
Une douche, puis une nouvelle séance de thérapie psycha
nalytique, en état d'éveil cette fois. Je parlais et elle m'écou-
tait attentivement, intervenant rarement et de façon très
apaisante. Ce que je disais lui servait probablement à orien
ter l'hypnose du lendemain, le but étant de résorber mes
peurs et de programmer mes actes. Mon comportement
d'alors n'était, en réalité, pas différent de celui d'un robot.

Le film de Pasolini

Après dîner,on regardait toujours un film dont je me sou


viens encore aujourd'hui en tremblant à cause de sa renver
sante brutalité. C'était, là aussi, un aspect pathologique de
notre rituel, qui s'était transformé, au fur et à mesure, en
"drogue" et donc en dépendance. Je ne connaissais alors ni le
titre ni le réalisateur du film :j'ai découvert plus tard qu'il
s'agissait de Salo et les cent vingt jours de Sodome que Fier
Paolo Pasolini avait adapté du trop célèbre roman du mar
quis de Sade. Ce fut la dernière oeuvre de ce réalisateur qui
mourut tragiquement sur le bord de mer d'Ostie le 2 novem
bre 1975, trois semaines avant la projection de ce film au
Festival de Paris.

C'est un film qui me traumatisait à chaque fois, et dont,


aujourd'hui encore, comme dans un flash mental,je revois
quelques images. Il faisait partie d'une série de projections
que la Doctoresse me proposait sur des thèmes crus tels ceux

20
sur la seconde guerre mondiale ; documents sur Hitler,films
sur les camps de concentration nazis,documentaires sur les
persécutions contre les juifs. Je me rappelle bien qu'à la fin de
ces films, à chaque fois, une rage terrible montait en moi,
spécialement envers les plus faibles. Ma seule pensée était de
détruire toutes les personnes en difficulté parce que, pour
moi, un être faible n'avait pas droit à l'existence. Les enfants
spécialement :leurs pleurs me faisaient perdre la tête,je per
dais tout contrôle de moi-même.

Je n'ai jamais plus eu la force de revoir Salo, maisje me suis


fait aider par une amie pour comprendre en quoi ce film ser
vait à mon endoctrinement. J'ai découvert que de nom
breuses phrases du scénario représentaient, de toute
évidence, pour la Doctoresse, une sorte de décalogue idéal
dont elle voulait que je sois pénétrée, conformément à une
règle énoncée dès l'origine par les autorités qui exerçaient
une domination absolue sur les prisonniers de la villa des
horreurs:"Les moindres actes religieux,de la part de quelque
sujet que ce soit,seront punis de mort."
On m'a expliqué que Pasolini a résumé ainsi le message du
film : "La dénonciation de l'anarchie du pouvoir". Un thème
qui coïncide parfaitement avec ce que la secte m'instillait :la
conquête du pouvoir à tout prix, dans une délirante apo
théose de cynisme et de mépris envers tous ceux qui n'étaient
pas des nôtres. Il suffit de lire quelques phrases des dialogues:
"Quand chacun de nousfait ce que bon lui semble du corps de
ses victimes, il nefait qu'être Dieu sur terre. Il suffit de substi
tuer au mot Dieu le mot Pouvoir, et tout rentre parfaitement
dans le programme que nous nous sommesfixé"; "Il n'est rien
de plus contagieux que le mal. Excellence, à mon avis, vous vous
trompez:il y a des gens qui n'arrivent pas à mal se comporter,
si ce n'est quand la passion les pousse au mal".
Je me souviens, par-dessus tout, de l'éloge de l'homo
sexualité et de la violence dont j'ai compris, par la suite,
qu'elles représentaient pour la secte la meilleure façon de glo-

21
rifier Satan et d'offenser Dieu : "Le geste soàomite est le plus
absolu en ce qu'il contient de mortifère pour l'espèce humaine,
et le plus ambigu en ce qu'il accepte les normes sociales pour
tnieux les enfreindre. Il y a quelque chose de plus monstrueux
que le geste sodomite, et c'est le geste du bourreau !"C'est vrai,
mais le geste du sodomite a l'avantage de pouvoir être répété
des milliers de fois. "On peut aussi trouver le moyen de répé
ter le geste du bourreau !"
À la fin du film, ma rage intérieure était vraiment incon
trôlable. J'aurais été capable de détruire n'importe quel
ennemi. La Doctoresse me soumettait alors, à nouveau, à
l'hypnose ; quand j'en sortais,je retrouvais ses bras accueil
lants qui m'apportaient calme et sécurité, en même temps
que la certitude que ce que je faisais était juste. Tout de suite
après, nous laissions libre cours à toute l'excitation qui était
montée en nous. Des réactions sexuelles de niveau vraiment
animal se déchaînaient en moi,et ce d'autant plus qu'elle me
répétait de n'avoir aucune inhibition de quelque type que ce
soit. Le péché n'existait pas, il n'était qu'un ensemble de
règles créées par des gens qui voulaient seulement opprimer
la liberté des autres: hommes,femmes,animaux, tout nous
allait bien.

La demande du Prêtre

Le 24 décembre au soir, avant de sortir de la maison,je me


rendis compte que j'étais vraiment arrivée à un tournant. La
Doctoresse me donna la traditionnelle tunique noire à
mettre sur mes habits, mais, au lieu de la cagoule noire que
j'avais portée les autres fois,je reçus une cagoule rouge qui
indiquait mon passage au grade supérieur dont j'avais été
jugée digne. Je tressaillis tant j'exultais:j'avais commencé ma
véritable ascension vers le pouvoir, je sentais que tous mes
désirs pourraient enfin se réaliser.

22
Là où se déroulait le rite satanique se trouvait à une petite
heure de distance en voiture. Nous sommes arrivées les der
nières, vers minuit, et, quand nous sommes entrées dans la
grotte, il y avait déjà le Prêtre (entièrement vêtu de rouge,
comme la Doctoresse), deux autres personnes en cagoule
rouge et tunique noire comme moi, tandis que les quatre
derniers portaient tunique et cagoule noires. C'était comme
s'ils nous attendaient: à notre arrivée ils ont entonné un
chant, une répétition de litanies qui reprenaient différents
noms du démon dont Lucifer, Asmodée,Belzebuth. Il s'agis
sait d'un rythme continu,sans aucune pause,de plus en plus
frénétique, qui atteignait son apogée puis ralentissait, pour
recommencer de plus belle — dans une répétition alternée
d'aigus et de graves — jusqu'à un hurlement final qui dé
clenchait une espèce d'hystérie collective.
Je me souviens qu'il faisait très froid ce soir-là. L'endroit
en question était une grotte naturelle, humide et recouverte
de végétation. Il y avait,à l'intérieur, une table de marbre gris
dont le plateau horizontal était plus ou moins à hauteur de
genou. On aurait dit le couvercle d'un sarcophage ; une
longue bande de tissu rouge en recouvrait la partie centrale
sur toute la longueur.
Sur cet autel était posé un calice à pied court en forme de
flûte: une grosse pierre d'onyx était fichée dedans,toute tra
vaillée avec des incrustations en forme de petits serpents. À
côté, il y avait un plat rond,en métal très léger,recouvert d'un
tissu noir:au-dessus se trouvaient une quinzaine d'hosties et,
posé en travers, un poignard d'une vingtaine de centimètres,
à manche noir,lui aussi finement travaillé avec des dessins de
petits serpents. Tant le calice que le plat étaient en argent, par
opposition à l'or utilisé dans la liturgie catholique.
Sur le côté, il y avait une grande croix, sans le corps de
Jésus, plantée à l'envers dans la terre,la partie haute et courte
en bas. Elle semblait en bronze doré,du genre de celles qu'on
utilise dans les processions, avec les extrémités horizontales

23
qui se terminaient par trois demi-cercles. Dans une cage
posée par terre se trouvait un corbeau noir, vivant. Tout
autour,à même le sol, étaient allumées de nombreuses bou
gies de cire rouge, contrairement aux autres fois où elles
étaient noires.

D'habitude la Doctoresse se mettait à côté du Prêtre, der


rière l'autel,tandis que nous nous tenions en demi-cercle face
à eux. Ce soir-là, en revanche,à côté de moi: elle avait pro
bablement senti que je me sentais un peu mal à l'aise. Elle ap
procha ses lèvres de mes oreilles et commença à me répéter la
fameuse promesse de pouvoir. Des phrases telles que ; "Tu es
le centre de ta vie"; "Le pouvoir est au centre de ta vie";"Toi
aussi, tu peux avoir le pouvoir". Peu à peu cela se transforma
en une cantilène, si bien qu'à la fin je n'écoutais plus ce que
disaient les autres qui continuaient à célébrer la messe noire
avec le Prêtre.

Tout à coup, après avoir atteint leur apogée, les cris se


turent et tout le monde regarda attentivement le Prêtre qui
commença à parler d'une voix ferme. Entretemps je m'étais
calmée et je me sentais extrêmement lucide et consciente. Les
autres avaient compris que ses paroles m'étaient destinées :
"Tu peux être quelqu'un, tu peux avoir le respect du monde
entier, tu peiLX obtenir le pouvoir."C'était comme un baume
qui me pénétrait d'assurance et qui renforçait mon désir.
11 m'expliqua que, dans une ville voisine, un autre de nos
groupes attendait d'avoir sa Prêtresse : "Tu pourrais être celle
qui aura ce poste. D'ici peu tu pourrais t'habiller de rouge
comme moi, tu pourrais être Prêtre comme moi."Puis il conti
nua : "Il y a une fille qui commence à nous poser problème
parce qu'elle accueille les enfants de la rue et certainsjeunes qui
ont décidé de sortir du monde du satanisme. Elle vit à Rome,où
elle afondé une communauté,et elle est très estimée de l'Église."
Tous les adeptes étaient intimidés par le Prêtre,ou plutôt en
avaient peur, parce qu'ils savaient qu'il pouvait décider,à tout
moment,de donner punition ou récompense à chacun d'en-

24
tre nous.En sa présence il fallait respecter un code de conduite
qui n'était pas enseigné mais qui était parfaitement clair:
quand le Prêtre nous adressait la parole,nous ne pouvions pas
lui répondre directement,car nous n'étions pas dignes de nous
mettre à son niveau. Je parlais donc à la Doctoresse et, elle,
s'adressait à lui à voix basse,tournée alors vers lui et me tour
nant le dos. Je compris qu'à cette occasion je ne devais pro
noncer que peu de mots: "Que veux-tu quejefasse ?"
Dans le silence le plus total, il me répondit avec une tran
quillité absolue: "Détruis "Nuovi Orizzonti" et tue Chiara."
J'appris, par la suite, qu'il s'agissait de Chiara Amirauté,alors
âgée de trente ans,laquelle avait créé, un an auparavant, une
association de volontaires qui se proposaient d'aider les
jeunes qui étaient tombés dans l'abîme infernal d'une vie
privée de sens,qui avaient été séduits par la drogue,l'alcool,
le sexe,les idéologies les plus perverses. Elle avait,depuis peu,
ouvert un centre d'accueil à la périphérie de Rome,et elle
avait publié, cette même année 1996, un livre sur la couver
ture duquel se trouvait la photo qui m'avait été montrée en
cette dramatique nuit:celle d'une fille très jolie et souriante,
aux cheveux longs et au regard intense.

Le rite contre Chiara

Le Prêtre me fit sentir que le danger que représentait


Chiara résidait dans sa simplicité même,grâce à laquelle elle
avait le don de pouvoir se mettre en syntonie avec tout un
chacun et de l'aider à sortir de ses difficultés. Je comprenais
que le Prêtre était soucieux d'agir rapidement, de façon à
mettre fin à une expérience qui n'en était qu'à ses débuts et
qui pouvait être réduite à néant par la simple élimination de
celle qui était à sa tête. Mon assentiment explicite ne fut
même pas nécessaire:il semblait acquis aux yeux de tous mes
confrères que j'acceptais la mission qui m'avait été impartie.

25
À ce moment-là, le Prêtre se retourna et ouvrit la petite
porte de la cage,il prit l'oiseau d'une main et, de l'autre,le tua
d'un coup de poignard à la gorge. Beaucoup de sang en jail
lit, qu'il fit tomber à l'intérieur du calice. Il accomplit alors un
rite contre Chiara. Tout d'abord il plongea la pointe du poi
gnard dans le sang qui se trouvait dans le calice, puis il com
mença,d'un mouvement circulaire de la lame,à en lacérer la
photo qu'il avait levée devant lui pour la montrer à tous les
participants. Peu après il leva à nouveau la photo,de façon à
faire voir que le visage de Chiara,lacéré et couvert de coulées
de sang,était méconnaissable.
II nous expliqua que Chiara était vierge parce qu'elle avait
consacré sa vie à Dieu,et il se mit à entonner une litanie en
latin, dans laquelle on comprenait qu'il invoquait Asmodée
pour lui demander de provoquer une maladie des organes
génitaux de Chiara. Pendant qu'il prononçait cette formule,
il continuait à entailler, en cercle, la photographie avec la
pointe du poignard. À la fin, il alla accrocher la photo au
fond de la grotte,derrière nous,et fixa sur le front une grosse
épingle dont la tète avait la forme d'une petite boule noire.
Il retourna à sa place et me tendit le poignard du coté de la
lame. Je le pris et le lui rendis aussitôt après. Je ne regardai
pas la Doctoresse pour lui demander ses instructions comme
je l'avais fait dans d'autres circonstances: je savais que je
devais me conduire ainsi, peut-être parce qu'elle m'avait
transmis les instructions sous hypnose avant d'aller au rite.
Le Prêtre prit à nouveau le poignard par le manche et le posa
sur le plat:je me souviens clairement de la scène parce que,
en touchant la lame,du sang m'avait tâché la main et que je
l'avais frottée sur ma tunique pour la nettoyer.
Tout le monde avait désormais l'esprit embrumé.
L'exaltation repartit de plus belle avec le chant rythmé qui,au
fur et à mesure,se transforma davantage en un hurlement li
bératoire. L'habituelle orgie collective eut alors lieu, le
sperme du Prêtre fut versé dans le calice, et, à la fin,les hos
ties consacrées — qui avaient été volées par un adepte dans
26
une église catholique — y furent plongées, une à une, puis
mangées par chacun de nous. Pour la première fois, je la
reçus juste après le Prêtre et la Doctoresse: cela marquait
aussi ma promotion,symbolisée de façon visible pour tous
les autres par la cagoule rouge que j'avais sur la tête. Enfin,la
photo de Chiara fut jetée dans un brasier qui chauffait sur le
côté, et réduite en cendres.
Cette nuit-là le rite fut particulièrement long,au point que
nous sommes rentrées à la maison de la Doctoresse vers sept
heures du matin, alors que, quand il n'y avait que la messe
noire et l'orgie,le tout durait au maximum quatre heures. Je
lui avais déjà rendu la tunique et la cagoule dans la voiture,
et nous sommes allées dormir tout de suite. Nous sommes
restées au lit tout le reste du dimanche, et le soir, quand je
me suis levée,j'avais un mal de tête hallucinant. Nous avons
mangé quelque chose à dîner et, tout de suite après, nous
avons eu un rapport sexuel ; ensuite le rythme quotidien a
repris,comme les jours précédents.
Les lumières étaient diffuses, les stores des fenêtres sem
blaient baissés,et elle continuait à me soumettre à des théra
pies d'hypnose et de psychanalyse,et à me répéter,sans cesse,
la phrase: "Maintenant tu peux avoir le pouvoir!" Elle ré
sonnait dans cette pièce des milliers de fois par jour, elle
m'était vraiment entrée dans le cerveau et dans le sang
comme une drogue. J'avais quasiment l'impression de le tou
cher de la main, ce pouvoir, et je savais qu'il suffisait d'ac
complir un acte pour le posséder.
La seule nouveauté consista à m'expliquer le plan imaginé
pour contacter Chiara et pour me rendre au siège de la com
munauté à Trigoria, à la périphérie de Rome. La Doctoresse
connaissait tout:la situation précise du lieu,les distances,les
moyens de transport publics pour s'y rendre, les personnes
qui vivaient avec elle. Nous faisions des répétitions sur la ma
nière de me comporter. C'était à devenir folles... si nous ne
l'étions pas déjà.

27
La sœur de mère Teresa
Ce 6 janvier, toutes ces images défilaient devant mes yeux
pendant que le train continuait à m'approcher de plus en
plus de mon objectif. De nombreuses années s'étaient écou
lées depuis la dernière fois où j'avais séjourné à Rome,aussi
avais-je, durant la semaine de préparation,continuellement
répété mentalement tout mon itinéraire : après la gare
Termini,je devais aller en métro dans le centre pour y faire
un tour en attendant l'heure du rendez-vous, puis je devais
prendre à nouveau le métro A,suivi du métro B jusqu'à Eur
Fermi,et, enfin,l'autobus pour Trigoria.
J'avais téléphoné à la communauté quelques jours aupara
vant et, étrangement, c'était elle qui m'avait répondu et
donné un rendez-vous pour le soir de l'Êpiphanie. En fait,
j'ai su par la suite que Chiara était épuisée parce qu'elle avait
vécu une période particulièrement chargée et fatigante, au
point de décider, au moins pour cette journée de fête, de ne
plus prendre d'engagement. Mais, comme Chiara me le ré
vélera personnellement, elle avait perçu que quelque chose
n'allait pas chez moi,que j'étais en grand danger et qu'il était
important,malgré son besoin extrême de repos,de me rece
voir quand même et de me parler.
Je lui avais raconté au téléphone une histoire inventée avec
la Doctoresse et destinée à parer à toutes objections éven
tuelles: "Tu ne me connais pas, mais moi j'ai beaucoup en
tendu parler de toi et de ce que tu fais. J'appartiens à un
mouvement catholique et j'aimerais pouvoir vivre quelques
jours chez vous, parce que je pense me dédier à plein-temps à
une expérience de volontariat et qu'il m'a semblé que 'Nuovi
Orizzonti" pourrait être l'endroitjuste."
Une chose très étrange m'était arrivée dans le train :quand
je me rendis à la place qui m'était réservée,je trouvai sur le
siège une page de "Romasette'",le supplément dominical du
quotidien catholique "Avvenire^", où l'on parlait de Chiara
et de sa communauté. Je lus l'article, qui parlait des souf-

28
frances des jeunes, et j'en reçus la confirmation de ce que je
devais faire. Je pensai: "Qu'est-ce qu'elle en sait, elle, de la
souffrance ? Elle ne sait pas tout ce quej'ai vécu. Elle croit s'en
tirer en ouvrant une communauté!"
Je touchai le couteau avec lequel je devais la tuer et me
sentis rassurée. Je l'avais glissé à l'arrière de mon jean, entre
la ceinture et le pantalon,et j'en sentais la consistance, même
s'il n'était pas particulièrement encombrant du fait que sa
lame était rétractée. Je transportais peu de choses avec moi:
l'habituel sac de voyage suffisait à contenir un rechange et le
minimum indispensable pour un déplacement de quelques
jours. En fait, il n'était pas nécessaire de la tuer immédiate
ment. Je pouvais faire un premier repérage des lieux pour vé
rifier la situation et les allers et venues à Trigoria dans la villa
où la communauté avait son siège, puis revenir quelques
jours après pour exécuter ma mission.
Mon programme romain se déroula à la perfection.
J'arrivai par le train à la gare Termini le 6 janvier en fin de
matinée et pris le métro jusqu à la Piazza di Spagna pour y
faire un tour,comme la Doctoresse me l'avait indiqué. J'étais
très calme. Je me suis promenée,je suis allée manger dans un
restaurant, puis je me suis assise sur les escaliers de la Trinità
dei Monti pour observer les passants, comme une touriste
quelconque.En fin d'après-midi j'ai repris le métro pour aller
à Eur et,de là, poursuivre jusqu'à Trigoria.
Dans le métro un autre événement étrange survint. J'étais
debout,accrochée à la main courante. Exactement en face de
moi se tenait, seule, une sœur de la congrégation de mère
Teresa de Calcutta : elle avait les yeux bleus et on devinait,
des quelques cheveux qui pointaient sous son voile, qu'elle
était blonde. Elle avait un sac de toile à anses de bois, et elle
tenait un Chapelet dans une main.Sur son vêtement,le tra-

1 •"Romcscpt".
2 - "Avenir".

29
ditionnel habit blanc et bleu des Missionnaires de la Charité,
ressortait un empiècement en forme de sept. Elle m'obser
vait, d'un regard qui me gênait énormément.C'était comme
si elle voulait me dire: "}e sais ce que tu vasfaire etje prie pour
toi."Ses yeux ne se sont jamais détachés de moi jusqu'à ce
qu'elle descende du métro, quelques stations avant moi.

Bienvenue à la maison
Peu avant 20 heures je me trouvais dans la zone de Trigoria,
là où la communauté Nuovi Orizzonti avait son siège. Chose
incroyable:je n'ai eu aucun mal à trouver cet endroit,comme
si j'y étais déjà venue. Qui sait si, là encore,je n'ai pas reçu
quelque instruction détaillée sous hypnose... J'ai sonné à l'in
terphone et on m'a ouvert la grille. J'ai parcouru l'allée d'en
trée,j'ai pénétré dans un petit jardin et j'ai frappé à nouveau
au petit portail de la petite villa jumelée où vivait Chiara.
Après quelques secondes un garçon m'a ouvert et, derrière
lui,j'ai vu Chiara qui se levait pour venir à ma rencontre.
Tout s'est passé en une seconde.Elle m'a embrassée,avec un
sourire,et m'a dit: "Bienvenue à la maison!"Je me suis sentie
illuminée, son baiser m'est arrivé droit au cœur, en même
temps que le ressenti de son amour. C'était le baiser d'une
mère,ce baiser que je n'avais jamais eu la joie d'expérimenter
avant cet instant-là. Et ce fut ce baiser, précisément, qui re
tourna complètement toute ma vie. Chiara m'invita immé
diatement, avec douceur, à m'asseoir et à manger. Je me
rappelle qu'il y avait une table de ping-pong autour de laquelle
de nombreux jeunes étaient assis. Je me mis donc à une autre
table,petite,avec deux autres filles,et me retrouvai devant une
assiette de pâtes à la sauce tomate et au parmesan.
Je me sentais mal à l'aise dans cet environnement. J'étais
habituée aux serviettes damassées sur les tables, aux restau
rants de luxe,à trois verres,aux couverts en argent et aux as-

30
siettes changées à chaque mets... Là,en revanche,je devais
manger dans la même assiette et avec seulement une four
chette, à côté de drogués pleins de tatouages,de gosses de la
rue qui, pour moi,étaient tous des délinquants,les pires des
pires, indignes de la moindre considération. Je me disais:
"Mais oit est-ce que je suis tombée... ?" Pourtant, pour ma
couverture de bonne fille qui voulait faire du volontariat,je
devais parler avec ces jeunes,leur raconter un tas d'histoires.
À la fin du repas, Chiara m'emmena dans sa chambre et
nous avons commencé à parler. Je me suis montrée très dé
terminée et lui ai raconté que j'étais à la croisée des chemins
dans ma vie et que j'aurais aimé me consacrer à plein-temps
à une œuvre de solidarité et abandonner mon travail de chef
dans un grand restaurant.
Elle m'écoutait avec une attention extrême et un sourire ac
cueillant. Elle me dit qu'elle avait observé comment,pendant
le repas,j'avais réussi à créer en peu de temps une syntonie
avec les jeunes qui m'entouraient. Elle se montra cependant
très prudente en ce qui concernait le travail:elle me dit,fer
mement,de ne pas le quitter et,plutôt,de commencer à venir
régulièrement quelques jours dans la communauté pour
mieux connaître la réalité de Nuovi Orizzonti: ce n'est
qu'après quelques mois que je pourrais éventuellement envi
sager l'opportunité de demander une mise en disponibilité.
Je ne m'attendais absolument pas à ce genre de réponse,et
le coup que cela me porta me surprit moi-même et me mit
les larmes aux yeux. C'était véritablement incroyable, mais
ce qui devait être seulement un beau plan orchestré pour tuer
Chiara était déjà devenu pour moi une exigence. Ce premier
baiser et cette première rencontre avec Chiara et les jeunes
de la communauté Nuovi Orizzonti avaient suffi à vraiment
faire naître en mon cœur un unique et impérieux désir: "Je
veux tout lâcher et venir vivre ici!"
Ils me donnèrent un lit pour dormir, et je passai le lende
main à parler avec les jeunes de la communauté et à observer

31
avec attention tout ce qui s'y passait. Le 8 janvier je retournai
à la gare Termini pour retrouver mon travail. J'avais réservé le
siège central dans un compartiment de six places, et, chose
incroyable, qui trouvais-je en face de moi,sur le siège contre
la fenêtre ? La même sœur de mère Teresa que j'avais rencon
trée dans le métro de Rome. Impossible de se tromper: le
regard,le visage, le sac, le Chapelet et l'empiècement sur son
habit étaient bien les mêmes. Elle descendit un arrêt avant
moi et, du marchepied, me fixa avec un sourire séraphique.
J'arrivai en ville en fin d'après-midi et allai directement au
restaurant. Je voulais donner un coup de main pour prépa
rer le dîner mais je m'aperçus immédiatement que je peinais
au travail. Le propriétaire me demanda si je me sentais bien
et je répondis que oui, pourtant je ne percevais plus les sa
veurs et les odeurs de cuisine m'indisposaient. Je commençai
à ressentir d'étranges douleurs dans tout le corps. Pensant
que cela venait du stress des derniers jours,je décidai de ren
trer chez moi. Je m'étendis sur le lit et m'aperçus que mes
pieds saignaient mais, comme je n'avais aucune blessure,je
ne comprenais pas d'où venait tout ce sang. Je sentais mon
cœur battre à mille à l'heure et craignais d'être sur le point
d'avoir un infarctus. J'ai eu peur et j'ai pensé ; "Et mainte-
mut, qui est-ce quej'appelle ?"
Durant ces deux jours à Rome la Doctoresse ne m'avait
jamais contactée. Évidemment,le dernier coup de téléphone
que je lui avais passé,le 5 janvier, pour lui dire que le rendez-
vous avec Chiara m'avait été confirmé,l'avait suffisamment
rassurée. Je pensais à elle, et,dans le même temps,je revoyais
les sourires de Chiara et de la Missionnaire de la Charité qui
se mélangeaient dans mon esprit. Je ne réussissais pas à com
prendre comment le souvenir de ces deux personnes m'apai
sait, alors que,au contraire,l'idée de rencontrer la Doctoresse
m'angoissait ; c'était vraiment la première fois que j'avais ce
genre de sensation.
Je décidai de téléphoner à Chiara et c'est elle,en personne.

32
qui me répondit tout de suite. Elle réussit à me calmer.
Ensuite je me barricadai chez moi parce que,entretemps,les
gens de la secte avaient commencé, de manière de plus en
plus insistante,à chercher à me contacter.Par mesure de pré
caution j'avais garé ma voiture loin de chez moi,j'avais fermé
à clef toutes mes serrures et ne répondais ni au téléphone ni
à l'interphone. Ils continuaient néanmoins à appeler,à toute
heure du jour et de la nuit,sûrement parce qu'ils étaient très
préoccupés par les développements de cette affaire.

De retour à Trigoria
Ma condition physique empirait de jour en jour. Je ressen
tais des douleurs de partout, j'avais la sensation que
quelqu'un me rompait les os petit à petit ;je n'arrivais pas à
dormir. Il y avait aussi le problème de la cocaïne :j'en étais
désormais dépendante et l'absence de mes doses quoti
diennes provoquait une crise de manque terrible. J'allai chez
mon médecin traitant et me fis prescrire quinze jours d'arrêt
maladie pour pouvoir prendre un peu le large.
À Chiara,que j'appelais souvent,je continuais à dire que je
voulais quitter mon travail pour faire du bénévolat et lui de
mandais de m'accueillir dans la communauté. Elle, toutefois
— comme elle me l'a raconté par la suite —,s'était rendue
compte que je faisais partie d'une secte et que j'avais été en
voyée pour détruire Nuovi Orizzonti. L'expérience vécue
auprès de tant de jeunes en difficulté l'avait rendue particu
lièrement perceptive. En outre,au cours des mois précédents,
sur 24 jeunes qui avaient été accueillis dans la communauté,
20 avaient été,de diverses façons,en relation avec des groupes
sataniques. Elle retrouvait donc en moi plusieurs caractéris
tiques lui permettant d'induire mon véritable problème,au-
delà de ce que je montrais et racontais.
Ses soupçons l'avaient poussée à consulter à la fois l'évéque

33
qui suivait Niiovi Orizzonti et le Père Raffaele — un prêtre
exorciste —,et à recueillir leurs conseils sur la manière de se
comporter avec moi. Tous deux furent d'accord sur la façon
d'agir qu'elle proposait : être prudente, mais tout faire pour
m'aider à sortir du piège infernal dont j'étais prisonnière.
Chiara,en fait, s'était rendue compte que je vivais une situa
tion de mort de l'âme, de désespoir, et aussi de véritable
danger. Avec moi, elle fit semblant de rien, mais elle avait
décidé d'agir à deux niveaux :protection de la communauté,
pour éviter que je puisse faire du mal à elle et aux autres,
mais,à la fois,amour à mon égard.
Toujours sous le prétexte de vouloir retourner dans la com
munauté pour approfondir mon expérience sur leurs activi
tés,je convins avec Chiara de revenir à Trigoria le 17 janvier,
je lui avais dit que j'avais eu quelques jours de congé,et non
pas que j'avais envoyé un certificat de maladie à mon em
ployeur. Je chargeai, à l'aube, des affaires dans ma voiture et
me mis en route. Ce qui est étrange,c'est que je continuais à
garder dans ma voiture le couteau avec lequel j'aurais dû la
tuer. Il y avait, en moi, comme un conflit entre le désir de
sortir de la secte pour pouvoir vivre moi aussi dans la com
munauté,et,la force diabolique qui,que je le veuille ou non,
me tenait en échec.
J'arrivai l'après-midi à la communauté et, selon la défini
tion de Chiara,"le film L'exorciste a commencé". En fait, de
cette dizaine de jours entre le 17 et le 27 janvier,je me sou
viens de fort peu : presque tout ce que j'en sais m'a été ra
conté par Chiara et les rares autres personnes qui furent
témoins de la girandole de feux d'artifice que les démons dé
clenchèrent en moi.
En pratique,j'étais partagée en deux entre,d'un côté les pré
sences qui dominaient ma volonté, et, de l'autre le désir de
mon cœur de se libérer ;c'était la partie possédée qui voulait
détruire Chiara et Niiovi Orizzonti,et la partie consciente qui
voulait être sauvée de façon définitive.

34
À peine entrée dans la maison,Chiara m'embrassa de nou
veau avec affection, me montrant qu'elle m'accueillait à bras
ouverts. Si son premier baiser réussit à faire fondre mon
cœur,juste après son deuxième baiser (peut-être,justement,
parce que j'avais retrouvé le chemin de mon cœur,pour l'ou
vrir à l'Amour de Dieu et commencer un chemin de conver
sion), il en est arrivé de toutes les couleurs... et encore
davantage. À l'instant même où elle m'embrassa,les démons
auxquels je m'étais consacrée ont littéralement "explosé". Je
me suis complètement transformée: contorsions du corps,
visage déformé, regard chargé de haine. Et, à la place de ma
voix, différentes voix masculines, non humaines, certaines
métalliques, d'autres caverneuses. Les esprits démoniaques
qui étaient en moi ont commencé à l'invectiver: "Maudite,
elle était à twus, elle était complètetnent à nous. Maintenant
tu penses que toi, tu n'as qu'à arriver et qu'en quelquesjours tu
pourras nous l'arracher ? Tu tefais des illusions, parce qu'elle
twus appartiettt et que nous ne la lâcherons pas. Elle n'aura pas
nwyen de s'en sortir, nous la tuerons et twus te tuerotis aussi, et
etisuite twus détruirotis ta cotmtnmauté."
À ce moment-là,une force a commencé à se manifester,qui
me soulevait de terre et me projetait contre les angles des
murs et de la fenêtre. Chiara, qui avait déjà assisté à des ex
périences similaires, ne tentait pas de s'opposer physiquement
à cette force (les jeunes de la communauté, tout forts qu'ils
étaient, ne parvenaient pas à me maîtriser), mais elle priait
avec autant de vigueur. Je reprenais conscience de temps à
autre et ne me souvenais de rien de ce qui était arrivé, mais je
cherchais à lui dire les véritables motifs qui m'avaient amenée
à Nuovi Orizzonti. Profitant d'une accalmie passagère,elle m'a
amenée dans sa chambre pour éviter que les jeunes ne soient
épouvantés à la vue de la rage des esprits qui se manifestait à
travers moi. Là,j'ai alors senti que je pouvais lui ouvrir mon
cœur, et j'ai commencé à lui avouer que j'appartenais à une
secte satanique et que je me rendais compte que je ne pou
vais plus continuer ce genre de vie. Je lui ai raconté certaines

35
des choses que j'avais commises, dont ma consécration à
Satan, et l'ai priée de m'aider à me sortir de cette expérience
infernale dans laquelle je me retrouvais piégée.
Il m'a fallu plusieurs heures pour réussir à lui dire tout cela
parce que,à peine commençais-je à parler de la secte et de ce
que j'y avais fait, que ces lourdes "interférences" se manifes
taient, combattues à leur tour par la prière de Chiara et celle
d'un autre responsable de la communauté qui nous avait re
jointes entretemps. La force qui gouvernait mon corps cher
chait en permanence à attaquer Chiara et à me taper
violemment la tête contre les murs pour me tuer.
Je continuais cependant à percevoir en moi un enchevê
trement d'émotions. J'éprouvais pour Chiara un sentiment
d'amour-haine que je n'arrivais pas à m'expliquer rationnel
lement:je la voyais comme une personne dangereuse pour
la secte, mais aussi comme celle qui pourrait me sauver la vie.
J'avais peur de lui dire toute la vérité parce que je craignais
que la secte me tuât, mais,dans le même temps,je me sentais
aimée de Chiara telle que j'étais,comme si elle savait tout de
moi et ne me jugeait en rien pour tout ce que j'avais commis.

La lettre à Ratzinger
Le lendemain,Chiara appela l'évêque pour lui raconter ce
qui s'était passé et le consulter sur la façon de m'aider et me
protéger. J'avais eu la sensation,entretemps,cette nuit-là,que
des griffes me lacéraient le corps: effectivement, quand je
suis allée me doucher, j'ai vu de profondes marques rouges
sur mon thorax. J'étais épouvantée parce que je ne savais pas
à quoi les attribuer et que je ne pouvais pas imaginer me les
être faites toute seule sans avoir ressenti de douleur ; les grif
fures étaient vraiment profondes! Nul ne m'avait jamais
parlé de ces phénomènes et j'étais terrorisée du crescendo de
situations que j'étais en train de vivre.

36
Je me rappelle que j'attendais anxieusement de parler avec
Chiara, parce que je sentais que mon destin dépendait des
décisions qu'elle avait prises avec l'évêque. J'étais pratique
ment certaine que la secte était en train de me rechercher
pour me tuer. Ma seule possibilité de salut était de me confes
ser et de communier:je pourrais ainsi,à défaut du corps,au
moins sauver mon âme.
Je savais aussi que,si mes ex-confrères se rendaient compte
que j'avais reçu l'eucharistie, ils ne chercheraient plus à me
tuer parce que je serais alors devenue une martyre et je serais
allée directement au Paradis. J'avais compris cela quelque
temps auparavant quand nous fûmes convoqués à l'impro-
viste un soir qui n'était pas un samedi ou un jour précédant
une fête importante. Le Prêtre se contenta de nous dire qu'il
suspectait de trahison l'un des membres,ce qui signifiait un
grand danger pour nous tous. La proposition de le tuer fut
mise aux voix ; nous étions neuf présents, mais seulement
trois avec une cagoule rouge et eux seuls pouvaient voter. La
décision fut unanime:s'en débarrasser parce qu'il était cer
tain qu'il n'avait pas eu accès aux sacrements, sinon cela
aurait été, pour nous, un échec, une âme définitivement
soustraite à Satan.
Deux jours plus tard,j'appris qu'on avait trouvé un cada
vre,avec un oiseau mort à côté,dans une ruelle de la ville. Les
enquêteurs envisagèrent l'hypothèse de la piste satanique,
mais l'affaire fut ensuite classée. À cette occasion aussi, la
Doctoresse ne m'avait pas laissée rentrer chez moi et m'avait
hébergée deux jours chez elle. Elle m'expliquait, durant la
thérapie, qu'il était juste d'avoir agi ainsi, et elle fournissait
des justifications qui m'apparaissaient alors raisonnables.
J'estimais donc logique, pour moi aussi,qu'à la trahison que
j'étais en train de commettre dût correspondre la peine de
mort.

Ce 18 janvier,j'avais à peine fini de manger que je vis Chiara


me saluer avec un beau sourire. Nous sommes allées à la cui-

37
sine et, à l'improviste,je me suis surprise à prendre un cou
teau et à chercher à la frapper.Je n'étais plus,à ce moment-là,
maîtresse de mes gestes, dont je me rappelle d'ailleurs fort
peu:je sais seulement que je n'ai pas réussi à toucher Chiara
parce qu'elle s'est immédiatement mise à prier et que la force
diabolique en moi fut paralysée et ne put que proférer des in
sanités contre elle. Les esprits étaient vraiment furieux et
continuaient de répéter avec rage:"De toutefaçon elle ne nous
échappera pas, nous la tuerons. Nous avons travaillé longtemps
pour l'avoir complètement en notre pouvoir. Nous ne te per
mettrons pas de l'arracher à nous. Tu nous le paieras, nous te
détruirons!" Tout cela m'a été raconté quelque temps après
par ceux qui ont assisté à la scène du film ;moi,je ne me sou
viens de quasiment rien de ce que je faisais et disais quand ces
présences mystérieuses se manifestaient à travers mon corps.
Je me rendais seulement compte que quelque chose d'étrange
et d'inexplicable m'était arrivé, surtout à cause des douleurs
que j'éprouvais dans le corps: parfois c'était comme si on
m'avait frappée jusqu'au sang à coups de bâtons,et, effective
ment,ceux qui ont assisté à ces moments-là avaient l'impres
sion que quelqu'un était bien en train de me torturer.
Tout de suite après je suis partie en courant chercher les
clés de ma voiture pour m'enfuir, comme si les démons
avaient instillé en moi une volonté autodestructrice. On m'a
raconté que j'ai pu être stoppée, que je parlais avec ma voix
normale,mais que je ne cessais de répéter: "Je dois m'en aller,
laissez-moi entrer dans ma voiture,je dois mourir."
En substance je semblais normale, mais en réalité j'étais
hors de moi à ce moment-là,parce que les forces qui me pos
sédaient cherchaient à m'amener au suicide. Je perdais
connaissance continuellement et, quand je revenais à moi,je
me retrouvais allongée par terre avec Chiara qui priait pour
moi et qui me rassurait ; "N'aie pas peur, le Seigneur te sou
tiendra et te donnera la force de remporter cette bataille."
Chiara m'avait emmenée dans sa chambre et ne laissait
entrer aucun des jeunes ;elle voulait éviter qu'ils soient épou-
38
vantés par les scènes vraiment impressionnantes durant les
quelles les esprits auxquels je m'étais consacrée contrôlaient
mon corps et ma voix. À ces moments-là j'avais une telle
force que, même à cinq,les jeunes ne réussissaient pas à me
maîtriser... Seule la force de la prière réussissait à contrecar
rer la force inhumaine qui me possédait, aussi Chiara préfé
rait-elle rester seule avec moi,assistée à certains moments de
deux responsables de la communauté. Dans un de mes rares
instants de lucidité, je demandai à Chiara de pouvoir me
confesser. Un prêtre fut donc appelé, qui nous rejoignit
l'après-midi même. Les trois heures qui séparèrent le
moment où je décidais de me confesser de celui de l'arrivée
du prêtre furent terrifiantes. Chiara m'a toujours dit qu'elle
eut alors vraiment l'impression que ma décision avait pro
voqué toutes les furies de mes "hôtes":la puissance des enfers
s'était déchaînée comme jamais auparavant.Il s'agissait d'un
combat à mort au cours duquel les démons essayaient de me
tuer en me lançant à travers les airs pour que je me cogne de
partout ; ils devaient, en outre, poursuivre leurs tortures de
plus belle parce que je continuais à me contorsionner et à
lancer des hurlements et des plaintes inhumains... Comme
seule la force de la prière pouvait les combattre, Chiara ne
pouvait me laisser ne serait-ce qu'un seul instant.
Ce ne fut pas une confession facile, tant du fait des péchés
très graves que je devais raconter que du fait des hostilités
lancées par les forces démoniaques. Le prêtre me dit que l'un
des actes que j'avais commis,le vol et la profanation d'hosties
consacrées, ne pouvait être absout qu'après autorisation ex
presse de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. 11 prit
papier et crayon et écrivit mon histoire qu'il remit le lende
main au Vatican.
Par retour de courrier,avec une rapidité absolument inha
bituelle, arriva une lettre signée du cardinal Joseph Ratzinger
— aujourd'hui le pape Benoit XVI —,qui me donnait l'au
torisation de recevoir l'eucharistie, dans une cérémonie que
je raconterai en détail plus loin (aussi parce que, de façon
39
mystérieuse, cet événement sera relié à la double apparition
de la sœur de mère Teresa). Dans cette lettre, il m'était pres
crit d'étudier le catéchisme pendant un an et d'être suivie par
un prêtre qui serait garant de mon comportement chrétien.
Et,à ma grande joie,le texte affirmait ensuite: "Aujourd'hui
l'Église est eu fête car un enfant est revenu à la maison."

Une décision fondamentale


Le lendemain,je rencontrai pour la première fois le père
Raffaele, l'exorciste qui continue à ce jour d'être l'un de mes
principaux points de référence. J'entrai dans la chapelle, et
lui me tendit la main pour se présenter et me saluer. À peine
le touchai-je que je tombai à terre, évanouie. On me releva,
je lui tendis à nouveau ma main, et m'évanouis encore une
fois. On m'a ensuite raconté que je m'étais alors transformée
et lui avais lancé un regard haineux. Et le combat commença,
entre lui et les démons qui me possédaient,combat qui devait
durer longtemps,avec des rencontres presque tous les jours.
Pendant ce temps,diverses choses étranges étaient arrivées
dans la communauté(et ce d'autant plus que je n'étais pas la
seule à avoir été en relation avec une secte satanique): des
bruits de chars d'assaut dans le jardin, des lumières venant
de l'extérieur, des coups aux grilles,des ombres de silhouettes
non humaines qui passaient devant les fenêtres,et, quand on
regardait dehors,il n'y avait pourtant rien ; nous avions l'im
pression d'être projetés dans un film d'horreur. Durant cette
période nous avons tous fait un parcours de conversion en
accéléré,du cogneur de la bande de Magliana,en passant par
le revendeur de drogue, et jusqu'au "forçat endurci": tout
costauds et terribles qu'ils étaient, ils étaient tous dans la
petite chapelle, les uns à côté des autres, à prier le Rosaire,
effrayés, mais aussi incroyablement étonnés par la force de
la prière.

40
Le 22janvier,j'ai demandé à Chiara de m'accueillir comme
consacrée à Nuovi Orizzonti. Je le désirais vraiment de tout
mon cœur et sentais que cela allait marquer un tournant dé
cisifdans ma vie ;aussi insistais-je continuellement auprès de
Chiara de me donner la permission de faire les vœux de pau
vreté, de chasteté, d'obéissance et de joie(vœux de tous ceux
qui décident de se consacrer à Nuovi Orizzonti). À partir du
moment où la décision de consacrer ma vie au Seigneur a
habité mon cœur,la fureur des esprits quijusqu'alors me maî
trisaient complètement s'est déchaînée dans toute sa "splen
deur". Ils invectivaient Chiara en continuation : "Elle est à
nous, elle est à nous!Nous avons tantfait pour avoir son âme.
Elle afait un pacte de sang avec nous, elle nous appartient, elle
est notre propriété. Nous ne partirons jamais. Maudite, on te
le fera payer. Tu ne réussiras pas à nous l'arracher. Elle est à
nous. Nous ne partironsjamais d'ici. Tu nous le paieras. Nous
la tuerons, nous te tuerons!"Pendant ce temps-là mon corps
continuait à être projeté en l'air par une force mystérieuse. Ce
fiit vraiment un autre épisode terrifiant où il continuait de
m'en arriver des vertes et des pas mûres,et pire encore,tandis
que Chiara, encore une fois, cherchait à combattre les forces
démoniaques par la prière. Ma demande de pouvoir me
consacrer au Seigneur avait été appuyée par le père Rafifaele,
parce que,selon lui, ce pas, si important, pouvait aider à ma
complète libération.
Je persistais également dans ma requête de consécration,le
plus rapidement possible,à Dieu parce que,comme j'en avais
fait de toutes les couleurs,je désirais demander pardon à
Dieu de façon radicale par cette déclaration de volonté de lui
appartenir, et, ainsi, renier concrètement ma précédente
consécration à Satan. En substance,je désirais de tout cœur
passer le reste — éventuel — de ma vie à glorifier le Seigneur
et à le remercier de m'avoir arrachée à l'Enfer:je voulais faire
de chaque instant de ma vie un "merci" à Son immense
Amour et à Son infinie Miséricorde.
Peu après avoir parlé avec Chiara de mon vif désir de me

41
consacrer au Seigneur,je la vis sourire et se diriger vers la
salle de bains. Quand elle revint, je prononçai une phrase
dont j'ignore d'où elle a bien pu me venir : "Chiara, tu es en
train de perdre du sang."En effet, nul ne s'en était aperçu,
mais elle avait subitement eu un violent flux de sang vagi
nal ;rien à voir avec les menstruations qu'elle avait,d'ailleurs,
eues justement la semaine auparavant. "Pourquoi me dis-tu
cela ?"réagit-elle. Je poursuivis: "Je m'étais consacrée à Satan,
tu essaies de m'en sortir et il est très en colère, parce que je lui
appartenais. Maintenant il veut se venger sur ta virginité que
tu as consacrée à Dieu."
Pour Chiara, mes paroles demeuraient énigmatiques. Elle
les comprit seulement le lendemain,après s'être rendue chez
sa gynécologue pour un examen. Elle avait fait, quelques se
maines auparavant, une échographie pelvienne (à cause de
fortes douleurs à l'appareil génital) qui n'avait rien montré
d'anormal. Une nouvelle échographie révéla un état très
préoccupant:un fibrome et divers kystes aux ovaires. La gy
nécologue l'avertit qu'il était urgent de pratiquer un cure
tage, mais que cela entraînerait une lacération de l'hymen.
Une petite lueur se fit jour,à ce moment précis,dans l'esprit
de Chiara qui relia son hémorragie à ce que je lui avais dit:
"Satan veut se venger de ta virginité que tu as consacrée à
Dieu."Elle décida alors de confier à ce médecin — qui était,
elle aussi, une consacrée — ce qui lui était arrivé ces derniers
temps. La doctoresse n'était pas étrangère à ce type de pro
blème parce que sa sœur, comme elle me le confia, avait été
tuée récemment par son mari,qui était un sataniste (il avait été
identifié par la police et était incarcéré).Sa réponse fut que,en
conscience,en tant que médecin,elle se devait d'insister pour
que Chiara se soumît immédiatement au curetage. Mais,
comme elle connaissait aussi la problématique sataniste, elle
comprenait qu'il pouvait y avoir d'autres raisons à la forte hé
morragie de Chiara et lui dit que si elle désirait rencontrer le
père Raffaele — avant de subir l'intervention —,il valait
mieux qu'elle le fit au plus tôt parce que, vu son état de santé
42
très précaire,chaque minute écoulée pouvait être dangereuse
pour elle:elle avait,en fait, perdu beaucoup de sang et était si
faible qu'elle n'avait plus la force de se lever. Et le père Raffaele
ne se trouvait pas à Rome.
Pendant deux jours encore Chiara continua à combattre
les forces qui me possédaient, et à perdre constamment du
sang. On voyait qu'elle n'allait pas bien du tout, même si elle
faisait tout pour ne pas nous inquiéter ; les "bombes" anti
hémorragiques prescrites par la gynécologue ne lui faisaient,
à l'évidence, pas le moindre effet. Finalement le père Raffaele
rentra à Rome,et Chiara courut chez lui:il suffit d'une prière
sur elle, avec le rituel de bénédiction, et l'hémorragie cessa
immédiatement.Le père Raffaele ajouta,avec son sourire sé-
raphique : "}e pense vraiment que, cette fois, Satan est parti
culièrement en colère contre toi!"Une autre échographie,faite
le jour même par Chiara, révéla la disparition de tout pro
blème. La surprise de la doctoresse fut grande, et elle com
menta: "Un tel cas relève de l'incroyable, il résiste à toute
explication possible de la science médicale!"
Le rite de malédiction qui avait été exécuté la veille de Noël
avait, probablement, produit pleinement ses effets au
moment même où j'avais manifesté ma volonté radicale de
choisir Dieu et de me consacrer à Lui, et non plus à Satan.
Chiara me raconta par la suite que,précisément cette nuit-là,
elle avait ressenti de fortes douleurs à l'appareil génital. Du
reste, bien avant ma venue, diverses lettres de menaces de
mort lui étaient parvenues, sur lesquelles apparaissaient
d'étranges hiéroglyphes et des symboles sataniques,en sorte
que, quelques mois auparavant, tant l'évêque que le père
Raffaele lui avaient demandé de choisir parmi les jeunes un
garçon qui lui servirait de garde du corps.
La gravité de ma possession avait fait estimer,tant à Chiara
qu'à l'évêque, qu'il n'était pas prudent de me laisser habiter
à Trigoria, et ce d'autant plus que,selon toutes probabilités,
les membres de ma secte,qui n'avaient plus aucune nouvelle

43
de ma part, ne tarderaient pas à se lancer à ma recherche
pour m'éliminer. Aussi,le 23 janvier,Chiara m'appela dans sa
chambre pour me dire qu'elle allait me cacher en dehors de
Rome,dans un appartement où je serai protégée par le prêtre
qui m'avait confessée et par d'autres personnes de son
groupe. J'en ai eu gros sur le cœur et ça m'a donné le cafard,
mais elle m'a dit d'avoir confiance, même si j'ignorais où j'al
lais. C'était nécessaire, pour mon propre bien.
Je me rappelle que j'étais assise, dos au mur,à coté du ma
telas de Chiara,sans sommier métallique et posé à même le
sol,et qu'elle me regardait avec des yeux brillants. Chiara,je
ne l'ai jamais vue pleurer, mais, cet après-midi-là, il m'a
semblé vraiment voir les yeux d'une mère qui pleure pour sa
fille parce qu'elle ne sait pas si elle la reverra vivante. Le baiser
avec lequel elle me dit au revoir et ses larmes alors que je
m'éloignais,sont gravés dans mon cœur comme le signe in
délébile de l'amour maternel et de la chaleur familiale que je
n'avais,jusqu'alors,jamais eu la chance d'expérimenter.

44
2
Le combat commence^
contre tout et contre tous

Je suis née il y a environ quarante ans, le jour où l'Église


catholique fête sainte Gemma Galgani. Une coïncidence
vraiment singulière,et en quelque sorte providentielle parce
que,comme je l'ai appris après mon retour à la foi. Gemma
a été l'une des saintes qui a le plus combattu le démon,et qui
en est sortie, évidemment, victorieuse.
Ma mère,qui vivait dans une ville du nord de l'Italie, avait
une relation avec un homme marié avec lequel elle me
conçut ainsi que cinq autres frères et sœurs. Lui,de son côté,
avait trois autres enfants nés de son mariage. J'ai vécu avec
ma mère pendant deux ans. Ensuite, peut-être à cause de
problèmes d'argent ou parce qu'elle n'arrivait pas à s'occuper
seule de six enfants, elle m'a mise au collège ainsi que mon
frère cadet.

Quand,en 2004,je suis allée à la recherche de mes origines,


j'ai découvert que mon père naturel était un personnage im
portant qui était empêtré tant au niveau politique qu'au
niveau ecclésial. D'après ma mère,il était très affectueux avec
moi au début. Je n'ai jamais su ce qui s'est passé par la suite.
Je fiis adoptée à l'âge de six ans, et je ne me souviens pas de
grand-chose des quatre années que j'ai vécues au collège.
Dire que je ne m'y sentais qu'un numéro n'est toutefois pas
exagéré, car c'était bien la réalité ; on n'y appelait personne
par son nom. Je dois probablement avoir refoulé beaucoup
de choses qui m'ont fait souffrir dans cet endroit ; en effet,
l'institution fut fermée peu de temps après ma sortie à cause
des violences pratiquées sur les enfants.

45
J'ai, toutefois, une image bien claire à l'esprit. J'avais envi
ron quatre ans et je me trouvais au parloir avec une dame
blonde qui me parlait avec tristesse. Il s'agissait de ma der
nière rencontre avec ma mère qui avait décidé de signer l'au
torisation nécessaire pour que je sois adoptée. Elle me tenait
les mains quand retentit la cloche qui nous appelait au ré
fectoire. Au collège,tout fonctionnait au rythme de ce signal
qui scandait la journée, du lever au coucher.
Je cherchai immédiatement à m'en aller parce que le res
pect de la cloche était un impératif catégorique. Mais son
âme était probablement troublée et elle me retint encore un
peu,serrée contre elle, pour me faire un dernier adieu à tra
vers les larmes. À cause de cela j'ai été en retard,je n'ai pas
réussi à me mettre à temps à la place qui m'était impartie
dans la file ordonnée du plus petit au plus grand, et j'ai fini
au fond.

Alors que j'allais m'asseoir à table, un surveillant s'est ap


proché de moi et m'a dit: "Toi, tu ne inonges pas, viens avec
moi "Il m'a amenée dans une chambre blanche que je n'avais
jamais vue,où il y avait un lit appuyé contre le mur. On aurait
vraiment dit un lit d'hôpital, avec des barres métalliques sur
les côtés ;sur le mur d'en face il y avait un miroir.
Il m'a fait me déshabiller et a commencé à me frapper avec
un petit fouet. Je me rappelle très bien les petits plombs qui
me frappaient et me lacéraient la peau. Après,il m'a ordonné
de m'étendre sur le lit et il a fixé sur mes tempes, mes poi
gnets et mes chevilles, des plaques froides qui étaient reliées
par des fils à une machine. Il l'a allumée et j'ai senti des chocs
électriques qui me faisaient sauter en l'air. Je voyais, reflété
dans le miroir, mon corps qui sursautait de manière absurde
sur ce lit. Je suis restée enfermée là plusieurs jours. A partir
de ce moment-là,je compris qu'il n'y avait plus de quoi rire.
Quelques mois après, alors que je me trouvais dans le
jardin et que je jouais avec une petite chèvre, je n'entendis
pas,étant à l'extérieur, la cloche sonner,et, quand je rentrai.

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le même scénario se reproduisit. Mais, cette fois, le surveil
lant abusa sexuellement de moi et me fit très mal. On me
retint plusieurs jours,seule,dans cette pièce pour me soigner
du fait que,évidemment,j'avais des séquelles. On mettait sur
mes plaies un liquide qui me brûlait beaucoup. L'infirmière
me disait: "Si tu obéis, il ne t'arrivera rien."
À une autre occasion,je ne me souviens même pas de ce
que j'avais fait,je fus violemment frappée à la colonne verté
brale avec le manche d'un balai. Une douleur atroce, qui me
revient périodiquement encore aujourd'hui, s'ensuivit parce
que ça m'avait déplacé une vertèbre. Une autre séquelle héri
tée de cette époque: une fragilité des ligaments, parce qu'on
nous maintenait longtemps, sans bouger, au lit, pour que
nous ne gênions personne avec nos allers et venues dans les
couloirs. C'est dur, quand on se retrouve avec de tels "aide-
mémoire", d'essayer d'oublier les souvenirs amers...
La sensation qui m'est restée,c'est que les abus sur ma per
sonne ont commencé quand ma mère a cessé de venir me
voir, après avoir accepté que je sois adoptée. Dans mon sub
conscient,l'arrivée des problèmes est directement associée au
moment où les mains de ma mère se sont éloignées de moi.
Voilà pourquoi le principal problème psychologique que j'ai
dû affronter au cours de ma vie, et dans lequel je risque tou
jours de retomber, est, précisément, celui de l'abandon.

L'énorme gifle du curé


Quand je fus adoptée,je pensais avoir enfin trouvé une fa
mille et pouvoir vivre tranquille avec mon petit frère. Mais,
dans les années soixante, il n'y avait pas,comme on dirait au
jourd'hui, une "culture de l'adoption "jointe à la connaissance
de ses différents aspects et des difficultés y liées à affronter
ensemble. Je n'avais certainement pas un caractère facile, et
mes parents adoptifs n'étaient pas préparés à leur tâche dif
ficile et n'avaient personne sur qui s'appuyer.

47
Les premières années,Ils ont essayé de nous donner l'édu
cation de base qui nous avait fait défaut au collège,et à com
mencer par les choses les plus élémentaires. Il suffit
d'imaginer qu'à table je mangeais exclusivement des pâtes et
du pain:je n'étais pas habituée à autre chose. Quand, pour
la première fois, ils m'achetèrent une glace,je n'arrêtais pas
de tourner et retourner le cône dans ma main car je n'en
avais jamais vu auparavant. Et même chose pour la soupe,
les légumes,etc...
Probablement aussi que leurs attentes à mon égard étaient
différentes de ce que je pouvais offrir. J'avais un comporte
ment rebelle qui ne facilitait pas nos rapports,et eux avaient
des réactions excessives. Une fois, par exemple, mon frère
cassa un vase. Quand la maman s'en aperçut,elle commença
à hurler en demandant qui avait fait ça. Je vis mon frère en
difficulté et décidai de m'accuser à sa place, mais elle s'en
rendit compte et en fit une affaire d'état. Pendant des jours et
des jours, elle ne cessa de me demander : "Pourqtioi as-tu
menti ?"À la fin, elle m'emmena chez une psychologue qui
me soumit à divers tests d'où il ressortit que j'avais une in
telligence supérieure à la moyenne: ma mère en finit alors
avec son obsession, et nous n'y retournâmes plus.
Je me souviens d'une chose de mon enfance dans ma fa
mille adoptive : du sentiment que mon père avait un com
portement anormal parce qu'il ne me frappait pas quand je
faisais une bêtise. J'étais trop habituée aux punitions du col
lège, et j'ai donc commencé,pour le provoquer, à mettre la
barre plus haut et à le provoquer par des actes de plus en plus
graves. Un jour où j'en avais vraiment fait de belles, il sortit
enfin de ses gonds, j'en reçus pour mon compte et en fus
vraiment contente.

Entretemps, d'autres proches avaient eu l'idée, eux, de me


violenter. Un cousin plus âgé commença à abuser de moi
sous le prétexte de jouer au docteur. Et, après lui, ce fut le
tour d'un autre proche parent qui me viola à plusieurs re
prises. Chose étrange, toutefois: tout cela ne me faisait pas
48
me sentir une victime.Pour moi,dans un certain sens,le sexe
était déjà une chose normale, dont j'avais déjà fait l'expé
rience:aussi cherchais-je à leur faire plaisir, à ne pas les dé
cevoir parce que, en ces occasions-là, je me sentais valoir
quelque chose,je me sentais importante pour quelqu'un.Par
la suite, à onze ans,en sixième,j'ai eu mon premier rapport
sexuel avec un vrai petit ami, un garçon en classe Prima
Superiore' qui avait trois ans de plus que moi.
Je ne souviens pas grand-chose de ma première commu
nion. Je me rappelle uniquement mon petit habit, comme
celui d'une mariée,qui me gênait énormément.Après il y eut
le repas de famille,et, même ce jour-là,j'en ai pris pour mon
compte, parce que j'avais boudé et mal répondu à un oncle
qui m'avait dit une stupidité. Je me souviens bien, en re
vanche, de ma confirmation que je fis à douze ans, et non à
onze, officiellement pour la faire en même temps que mon
frère qui avait un an de moins que moi,mais,en réalité, parce
que la sœur en avait décidé ainsi car elle voulait que je sache
mes prières par cœur,et moi,de parti pris,je m'y refusais.
Quand arriva le jour de la cérémonie,l'évêque vint à la pa
roisse et tous les enfants lui baisèrent la main. Quand vint
mon tour,je le regardai et lui dis ; "Non,je ne te baise pas la
main parce que ça me dégoûte."Le curé m'a envoyé une gifle
terrible, qui m'a retourné la tête de l'autre coté. Je crois que
l'évêque doit, encore aujourd'hui, se souvenir de cette
scène... Voilà pourquoi,pendant longtemps,j'ai eu la convic
tion qu'on devenait prêtre ou sœur quand on était incapable
de faire un autre travail:face à une enfant qui parle ainsi à un
évêque, la seule chose à faire est d'éclater de rire, alors que
moi j'ai reçu un énorme soufflet devant tout le monde!
Pour me défouler — j'étais un vrai garçon manqué — je
m'adonnais au sport,surtout au football. À environ huit ans,
déjà, j'allais au stade et je regardais 90° minutes avec mon

3- NdT:Classe en Italie qui correspond à la I'" année de second cycle du secon


daire, 4'ou 3'en France.

49
grand-père qui était un vrai "supporter".Inconsciemment,je
voulais enfreindre les règles. Et,de toute façon,là où je vivais
à l'époque, il n'y avait que le stade et la rivière:j'ai donc
appris à jouer au football et à nager.

L'alibi de l'adoption
À douze ans survint l'épisode qui est une sorte de ligne de
démarcation dans mon adolescence. Un jour, ma professeur
de mathématiques dit à une de mes cousines qu'elle voulait
parler à ma mère. Ma cousine le rapporta à ma mère et cela
fit toute une histoire ; pendant tout l'après-midi, comme
dans un cauchemar, mes parents ne cessaient de m'interro-
ger : "Qu'est-ce que tu as combiné ?" Je ne savais que répon
dre parce que j'aimais les mathématiques et que j'avais
toujours eu de bonnes notes aux interrogations.
Finalement, le matin suivant, ma mère alla voir cette en
seignante, laquelle lui expliqua qu'il y avait un problème:
j'intervenais trop souvent pendant les devoirs en classe pour
donner les solutions et je ne laissais pas à mes camarades le
temps de résoudre les problèmes et les équations. La réponse
de ma mère fut très simple :"Madame le professeur, ilfaut la
comprendre: c'est une fille adoptive!" L'enseignante dit
qu'elle l'ignorait et la pria alors de l'excuser. Comme elle était
stupide: elle aurait pu résoudre ce problème directement
avec moi,en m'invitant simplement à laisser plus d'espace à
mes camarades. Et comme mes parents étaient stupides,eux
aussi, qui, à mon retour à la maison, me soumirent à un in
terrogatoire épuisant pour découvrir quels problèmes
j'éprouvais du fait de ma condition de fille adoptée.
Ce soir-là,je compris quej'avais désormais,pour l'avenir,une
excuse toute faite pour tout :je fumais des joints, manquais la
classe,en faisais de toutes les couleurs ? À chaque fois l'explica
tion était:"Je suis une enfant adoptée!" Une fois,j'ai empmntc
la voiture de mon père, alors que je n'avais pas le permis de
50
conduire,et nous avons atterri dans un champ de patates: "}e
suis une enfant adoptée!" Quand je compris que c'était leur
faiblesse,j'ai joué toutes mes cartes: "J'ai une excuse inépuisa
ble. On ne pourra plusjamais rien me dire ou mefaire."
En secondaire,j'aurais souhaité suivre les cours de l'école
hôtelière. Mais mon père m'obligea à m'inscrire en compta
bilité parce que,selon lui,je devais travailler,comme lui, dans
ce domaine et dans l'administration. Je n'étais pas particu
lièrement contente d'étudier ces matières et aussi ne me com-
portais-je pas comme l'école l'aurait voulu:j'ai vraiment été
un instrument de sanctification pour mes professeurs ! À
chaque fois qu'ils me disaient quelque chose,je le prenais
comme une provocation personnelle face à laquelle je me
devais de réagir.
Par exemple, un jour, en Seconda Superiore^ je fus inter
rogée en sténographie. J'étais convaincue de m'être bien pré
parée et je m'attendais à une bonne note,au moins un "sept".
La professeur, en revanche, voulait juste me mettre la
moyenne. Je feignis alors de vouloir me suicider:je me jetai
par la fenêtre de la salle de classe, en dessous de laquelle il y
avait toutefois une petite terrasse, ce que l'enseignante ne
savait pas:elle eut un infarctus qui entraîna son hospitalisa
tion. Je fus expulsée pendant un mois et ajournée aux exa
mens dans toutes les matières ; à la fin je fus recalée.
Alors que je redoublais cette classe, l'enseignante d'italien
me demanda le passé simple du verbe lire. Je crus qu'elle se
moquait de moi et fis exprès de lui donner une réponse erro
née. Elle me mit un "deitx". A la sortie,j'étais très en colère.
Un de mes camarades me donna une cigarette : "Fume-toi ça."
Ce n'était pas du tabac mais mon premier joint:du Libammis
rouge, un rêve! Ensuite il y avait la petite bière,et on se fabri
quait ainsi un cocktail parfait.Du reste,sur le mur de ma classe
figurait un graffiti qui ne laissait aucun doute: "Coule-toi la
douce:l'herbe poussera toujours, et nous, nous lafumerons."

4- NdT:Classe de seconde en France.

51
J'avais fait tomber un autre mur,comme pour le sexe. Je me
disais,comme tout le monde,que Je pourrais arrêter la drogue
quand Je voulais. Les Joints me désinhibaient dans mes rela
tions avec les autres et me faisaient oublier les problèmes que
Je vivais à la maison et à l'école. Mon rapport,conflictuel,avec
mes parents adoptifs était désormais gangrené, notamment
parce qu'ils n'acceptaient pas de se remettre en cause et qu'ils
attribuaient chacun de mes comportements déviants uni
quement au traumatisme de l'adoption.
En Terza Superiore^ l'enseignante de français convoqua ma
mère parce qu'elle ne réussissait pas à comprendre pourquoi
mon français écrit était bon alors qu'à l'oral J'avais pénible
ment la moyenne. Elle soupçonnait de copier, alors qu'en
réalité à l'oral Je la "défiais"et ne voulais pas lui donner la sa
tisfaction de lui répondre. Ma mère,très candide,lui fournit
l'habituelle Justification de l'enfant adoptée qui traversait
peut-être une crise.
Après cet entretien, la professeur entra en classe et s'ex
clama, devant tous les élèves : "Mais tu aurais pu me le dire
que tu étais une enfant adoptée..." A l'instant même Je vis
rouge, comme un taureau, l'adrénaline monta en moi de
façon vertigineuse ;Je me suis levée et,du banc au fond de la
classe. Je me suis précipitée sur son cou et l'ai soulevée en
l'air. Si le garçon avec lequel J'étais ne me l'avait pas ôtée des
mains.Je l'aurais probablement étranglée. Le lendemain elle
a retrouvé son auto —Je me souviens encore que c'était une
A112 — sur des briques parce que Je lui avais démonté toutes
les roues. Elle s'est mise en congé de maladie en milieu d'an
née et, l'année d'après, elle a changé de classe.

Une annulation fatale

J'ai vraiment aimé mon petit ami du secondaire. Je conserve

5- NdT : Classe de première en France.

52
de nombreux très beaux souvenirs de nos courses, en deux
roues,à quinze ans. Nous étions deux fous, mais deux beaux
fous. Quand mon père le découvrit, sa solution consista à
m'amener dans le bureau où il travaillait—dont le siège était
situé dans une villa perdue — et à me frapper, à coups de
pieds et de ceinture,jusqu'à ce que je lui garantisse que j'allais
quitter ce garçon,ce que je n'ai, en réalité,jamais fait.
Même quand ma mère trouva, dans mon sac, un test de
grossesse — qui, par ailleurs était négatif —,leur réaction
fut de me frapper et non d'en parler. Le résultat qu'ils obtin
rent ainsi, fut que notre relation s'effilocha de plus en plus.
Pour ma part, je m'étais imposée de ne jamais leur faire
savoir combien leurs coups me faisaient mal. J'avais appris
une chose au collège :que plus on pleurait, moins on valait.
Jamais, pas même morte,je n'aurais donné à mon père et à
ma mère la satisfaction de me voir pleurer.
Je ne me rappelle pas avoir jamais reçu de marques de ten
dresse de la part de mon père: il ne m'a même jamais em
brassée. J'en étais réduite à vivre avec une cuirasse. Les
anniversaires et les fêtes "sur commande" étaient pour moi
un cauchemar,parce que je n'arrivais pas à comprendre com
ment à Noël tout le monde devenait bon,tout d'un coup,et
puis, à la Saint Étienne tout le monde se remettait à se com
porter comme des charognes.C'est pour cela que je détestais
tous ces événements:toutes ces embrassades, ces vœux,ces
"je t'aime",que l'on ne pensait pas du tout, me retournaient
l'estomac. À la fin, tout se résumait à jouer la comédie...
Le ressort se cassa définitivement quand j'eus dix-sept ans.
Quand j'y repense aujourd'hui,ce qui advint à l'occasion de
la visite que ma classe devait faire à Milan pendant la Foire-
Exposition fut tragi-comique. La veille du départ, je de
mandai à mon père l'argent nécessaire pour acheter le billet
de train — je me souviens que c'était à peine plus de dix
mille lires — et, lui, répliqua: "Donne-moi une raison pour
laquelle tu devrais y aller."J'essayais de lui expliquer qu'il
s'agissait d'une initiative de l'école, mais il ne voulait pas en-
53
tendre raison et il conclut en me disant: "On verra sije te
donnerai l'argent."
Je sortis de la maison et me dirigeai vers l'école, mais, ce
jour-là,je n'y entrai pas et allai me promener en ville. Je n'eus
l'occasion de voir aucun de mes camarades et, quand je ren
trai chez mes parents je les trouvais nerveux. Je demandai,à
nouveau,à mon père l'argent du train et, pour toute réponse,
lui et sa femme me battirent si fort que je m'évanouis. J'ai dû,
d'ailleurs,deux ans plus tard,subir une opération maxillo-fa-
ciale entraînant une réduction de mandibule parce que les
médecins avaient constaté une grave lésion dans ma bouche.
Je découvris plus tard ce qui était arrivé : pour des raisons
politiques, le congrès auquel nous devions participer avait
été avancé d'un jour et l'école avait, ainsi, annulé le voyage.
Mon père était donc convaincu que je cherchais à les trom
per et il n'essaya même pas de vérifier ma version des faits. Ils
me frappèrent à coups de pieds à travers tout le quartier et
jusqu'au couvent où se trouvait une sœur très jeune avec la
quelle j'avais établi une belle relation ; ils lui dirent: "Voilà,
c'est le monstre que tu as créé, elle ne dit que des mensonges !",
puis ils me ramenèrent à la maison.
C'était devenu pour moi,encore une fois, un défi. Le len
demain,à l'aube,je me suis enfuie de la maison et je suis allée
le jour même à Milan. De là, j'ai téléphoné à mon amie
sœur: "]e suis devant la Cathédrale. Tu as vu quej'y suis arri
vée !" Elle me dit de reprendre le premier train et de venir au
couvent,qu'elle essayerait de me protéger.
À l'arrivée, je trouvai toute ma famille alignée. Mon père
était vert de rage, mais un oncle prononça une phrase à la
quelle je me raccrochai au vol: "Michela, qu'est-ce qui ne va
pas ? Tu n'es pas partie, par hasard, pour rechercher ta mère
naturelle ?" Cela fut comme un éclair:j'ai dit que oui,et j'ai
inventé une histoire selon laquelle j'étais allée à Milan à la re
cherche d'informations auprès du Tribunal des mineurs.
Ensuite j'ai regardé ma mère adoptive dans les yeux, et j'ai

54
joué la scène comme une grande actrice : "Maisj'ai choisi de
revenir chez toi!"

La fugue,à la majorité
Tous ces événements m'avaient, depuis quelque temps,
amenée à décider que dès que j'aurai dix-huit ans je quitterai
la maison. Et c'est exactement le dixième jour qui suivit l'an
niversaire fatidique que je regardai mes parents dans les yeux
et dis: "Maintenant je suis majeure et vaccinée.")e pris la
valise que j'avais déjà préparée et me dirigeai vers la sortie.
Mon père se mit à côté de la porte et me dit que,si je la fran
chissais, pour lui,j'étais morte. Je lui répondis à brûle-pour
point:"A partir d'aujourd'hui, c'est toi qui es mortpour moi."
Je suis partie et je ne me suis jamais repentie de l'avoir fait,
malgré toutes les tragédies qui me sont arrivées par la suite,
parce que,pour moi,fuir ma famille adoptive était alors le seul
moyen de pouvoir espérer survivre. J'ai dû aussi faire taire,en
moi,un fort sentiment de culpabilité:celui de leur avoir laissé
mon frère qui,à cause de cela, n'a pas voulu me parler pendant
très longtemps, m'accusant de l'avoir abandonné.
Mon point de chute était une communauté de soeurs que
j'avais connues au mois d'octobre précédent lors de leur
visite à ma paroisse, dans le cadre d'une mission populaire,
avec divers garçons et filles de cette congrégation. J'avais eu
un entretien avec le Père responsable de cette communauté
qui m'avait dit qu'il percevait en moi une vocation à la vie
consacrée,et qui m'avait invitée à passer quelques jours chez
eux. Profitant des fêtes de Noël je m'étais rendue dans leur
communauté et cela avait été magnifique :un accueil extra
ordinaire,tous me faisaient féte et me disaient qu'ils seraient
très contents que je devienne, moi aussi, l'une des leurs...
Une fois rentrée à la maison,une des sœurs se mit à m'écrire
régulièrement. Elle me racontait les choses qu'elles faisaient,
me confiait combien la vie en communauté était belle. Je ne

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peux pas dire que cela reflétait l'exacte vérité mais, dans ma
fragilité d'alors, cela fit l'effet de catalyseur et me persuada
de faire un choix pour lequel je n'étais certes pas préparée.
Les premiers temps,cette aventure se passa plutôt bien. Au
début de la nouvelle année scolaire, elles me dirent qu'il fallait
que j'obtienne le diplôme d'institutrice de maternelle,de façon
à pouvoir travailler dans l'une de leurs institutions. J'ai donc
commencé à étudier comme élève dans une école privée, et,
en même temps,je participais à diverses activités de la vie du
sanctuaire,lesquelles allaient du nettoyage à d'autres petits ser
vices. Je n'étais pas un sommet de perfection dans ma façon de
suivre la vie de la communauté.Je continuais à être plutôt re
belle, je ne respectais pas facilement les règles. Les responsa
bles, toutefois, ne me bousculaient pas trop et passaient sur
quelques désobéissances, comme celles de fiamer en cachette
ou de ne pas être assidue à la chapelle pour les prières.
Après un an et demi passé en tant que postulante,j'aurais
dû, en septembre, commencer mon noviciat. Au cours de
l'été précédent, toutefois, j'avais commencé à m'apercevoir
que quelque chose n'allait pas. J'appris par la suite que cer
taines novices avaient porté plainte pour abus sexuels,ce qui
avait conduit à la mise en place, par le Vatican, d'une inspec
tion canonique.
Honnêtement,je n'avais personnellement jamais rien vécu
de tel. Le fait est que le prêtre responsable me suggéra de
quitter la communauté. Je partis ainsi dans la nuit du 7 au
8 septembre.Comme je le saluai, il me bénit et prononça une
phrase vraiment prophétique:"Tu trouveras la mort de l'âme,
et unefemme te redonnera la vie."

Ces lettres sans réponse


Pendant quelques mois,je me transférai en Emilia^ dans
une institution de sœurs où je continuai à étudier pour

56
passer le brevet supérieur. Entre-temps mes parents avaient
appris mon départ de la congrégation et avaient cherché à
renouer le contact avec moi. Nous nous revîmes et j'appris
que mon grand père était hospitalisé depuis un mois.Il avait
été le seul parent d'adoption avec lequel j'avais réussi à avoir
une belle relation. Il ressemblait beaucoup au grand-père du
dessin animé de Heidi: il semblait bourru en apparence,
mais il avait un grand cœur. On l'appelait: "l'homme aux
yeux de glace", parce que le bleu de ses yeux était impres
sionnant tant il était limpide.
Il se disait athée, mais les valeurs que j'ai apprises de lui,
personne d'autre ne me les avait jamais enseignées. Un jour
nous fîmes une promenade et nous arrivâmes à une petite
source qui allait en s'élargissant jusqu'à former un petit lac.
Mon grand-père prit une poignée de terre et la lança dans
l'eau qui devint,évidemment,trouble. J'avais, à l'époque,en
viron douze ans, et je lui demandai pourquoi il avait fait ça.
Il me répondit : "Tu vois, ton âme est comme ça. Il y a une
source où tout est toujours propre, mais il peut arriver quelque
chose, de l'extérieur, qui la salisse. Tu devras toujours préserver
cette source pour qu'elle reste intacte, pour que l'eau soitpropre
en permanence."
Quand j'appris son hospitalisation, nous étions à la fin
Octobre. Je courus le voir à l'hôpital; mon grand-père dit à
toutes les personnes présentes de sortir de la chambre. Je
crois qu'il était conscient que sa vie était désormais arrivée à
son terme. Il me fit asseoir sur le bord du lit, me prit les
mains et me murmura quelques phrases essentielles, mais
dites avec le cœur: "Je sais tout ce qui t'est arrivé. Ne te re
tournes jamais en arrière. Qtielle que soit la décision que tu
prendras, tu auras ma bénédiction. Va jusqu'au bout de tes
choix, commeje l'ai fait. N'attends jamais l'approbation des
autres."Ces paroles me donnèrent une assurance sans borne.
Elles ont retenti à mes oreilles dans de nombreuses circons-

6- NdT:Région du nord de l'Italie.

57
tances dramatiques, et j'y ai trouvé la force pour aller de
l'avant, comme si je le sentais réellement à mes côtés.
En quittant l'hôpital je demandai à mes parents de me pré
venir s'il mourrait. Le 27 novembre, ma mère et mon père
vinrent me trouver et je demandai immédiatement des nou
velles de mon grand-père. Leur réponse me glaça: "Il est mort
le 7 novembre". Pour la énième fois ils se sont pris un "allez
vousfairefoutre". Puis, le 8 décembre,je suis retournée dans
ma famille et j'ai passé,le jour même,plusieurs heures devant
la tombe de mon grand-père.Là,j'ai eu la certitude qu'il serait
toujours présent dans ma vie. Encore aujourd'hui, quand je
me sens en crise,je me mets à regarder le ciel étoilé et je me
dis que mon grand-père se trouve sur l'étoile la plus brillante.
Quand j'étais à la communauté,j'avais travaillé à la cuisine et
je m'étais rendue compte que j'avais une certaine habileté à
cuisiner même si,de toute évidence,je n'étais qu'une dilettante.
Une fois revenue dans ma famille,j'appris que le titulaire de
l'un des restaurants les plus renommés de la région cherchait
de l'aide.Il m'accueillit à bras ouverts et commença à m'ensei-
gner les bases élémentaires de la profession de chef. Au début,
j'étais "hors-d'œuvrier'\ c'est-à-dire que je préparais, dans les
assiettes, les hors-d'œuvres et les gâteaux. Mais, pendant ce
temps-là,je l'obserx'ais cuisiner les entrées et les plats princi
paux. Il reconnut mon talent pour la cuisine et me dit que j'y
ferai carrière. Entretemps, à la maison, il y avait toujours les
mêmes problèmes avec mes parents adoptifs qui m'avaient
imposé d'aller chez un psychiatre,lequel avait déjà commencé
à me prescrire plusieurs psychotropes. À la troisième séance,il
posa sur son bureau une pile des lettres et me dit: "Ta mère me
les a données pour queje puisse mieux comprendre ta personna
lité. Maintenant,je voudrais en parler avec toi."
le regardais mieux le paquet et me rendis compte qu'il s'agis
sait d'une dizaine de lettres que j'avais écrites à des amies et
des amis pendant mon adolescence. Effectivement,je m'étais
toujours posée la question de savoir pourquoi,alors que j'écri
vais à des jeunes que j'avais connus à la mer,je ne recevais
58
jamais de réponse. J'avais devant moi,inopinément,la solution
de l'énigme:j'avais donné à ma mère toutes les enveloppes de
ces lettres pour qu'elle les affranchisse et les envoie et, elle,les
avait lues et conservées!En dessous de ces lettres pointait mon
journal personnel que je n'avais plus réussi à trouver après
mon entrée dans la communauté religieuse.
Il s'agissait là, pour moi, d'une violence terrible. Mon
monde avait été envahi sans que je n'en sache rien. Je me suis
levée comme une furie et lui ai démoli tout son bureau.
Quand je suis partie,je lui ai dit, avant de claquer la porte:
"Voyons si tu as le courage de porter plainte contre moi, parce
queje crois vraiment que ça, ce n'est pas conforme à ton éthique
professionnelle."Je suis rentrée à la maison et là j'ai pris une
chaise et j'ai massacré toutes les plantes et les bibelots que
ma mère collectionnait. Ensuite,je suis allée au travail et j'ai
tout raconté à mon patron.
Quand je suis rentrée à la maison, tard le soir, j'ai trouvé
mes parents en compagnie d'un médecin qui voulait me
convaincre de rentrer dans un hôpital psychiatrique. Dans le
cas contraire, il menaçait de m'interner d'office. Je refusai,
évidemment, et il appela la police. Le hasard voulut que la
patrouille qui arriva soit composée de deux policiers qui,
deux heures auparavant, avaient mangé au restaurant où je
travaillais et que j'avais salués. L'adjudant fut comme un
père:il écouta le médecin,lui dit qu'il s'occuperait de moi,
me suggéra de prendre quelques habits, puis m'accompagna
dans un hôtel du coin.
Dans la voiture, il me conseilla d'aller vivre seule. Le len
demain, j'en parlai avec le propriétaire du restaurant qui
réussit immédiatement à me trouver un appartement à louer.
L'adjudant me dit également que—sij'en ressentais l'utilité
— il avait une amie psychologue qui appartenait aussi au
tiers-ordre salésien : "Si tu veiaje t'y emmène."11 alla jusqu'à
prendre un jour de congé pour m'y accompagner et,effecti
vement,les rencontres avec cette doctoresse — qui durèrent

59
environ un an —,me confirmèrent que mon comportement
n'était pas celui d'une folle.

L'aventure en tant que chef


Un jour, mon patron eut un infarctus et dut être hospita
lisé d'urgence. Les médecins lui ordonnèrent le repos absolu
pendant un mois, mais nous avions beaucoup de réserva
tions pour des déjeuners et des dîners, et fermer le restau
rant eût été dramatique. Son frère me demanda alors
d'essayer de le remplacer.Personne,dans la salle, ne s'aperçut
que le patron n'était pas là, parce que je réussis à cuisiner par
faitement ses spécialités. Quand il rentra,il me félicita de tout
cœur, me mit à plein-temps en cuisine, et m'enseigna, pen
dant encore une année,tout ce qu'il pouvait.
À l'époque je travaillais comme une folle, de seize à dix huit
heures par jour, mais je gagnais deux millions de lires par
mois,ce qui n'était pas peu il y a vingt ans. Un restaurateur
qui avait déjeuné chez nous apprécia mes capacités et m'of
frit de faire une saison sur la côte tyrrhénienne, avec un sa
laire majoré de cinq cent mille lires, plus le gîte et le couvert.
Je demandai conseil à mon "maître" qui, contre son propre
intérêt, me poussa à accepter: "Les bases, maintenatit, tu les
as. Ce que tu dois apprendre ce sont les styles, et tu ne pourras
lefaire qu'en allant voir ailleurs."En réalité, il m'avait ensei
gné beaucoup plus. Il m'avait fait comprendre que cuisiner
signifiait exprimer ses propres émotions. Il me disait :
"Quand tu cuisines, tu ne dois pas suivre passivement la re
cette. Tu dois rester en contact avec tes émotions du moment,et
sur cette base, rendre ta réalisation originale. Par exemple, tu
sais que la base, pour le poisson, c'est: huile, ail, persil, vin
blanc, citron. Mais,à partir de là, tu dois ajouter ce que tu res
sens par rapport à ce poisson précis que tu es en train de tra
vailler:poivre,piment,safran, ou autre chose. Le goût, c'est toi
qui dois le créer. Tu ne dois rien e.xpliquer. Le client ne doit pas
parler avec toi, mais avecson plat."Par la suite,je me suis bien
60
amusée quand il m'est arrivé d'avoir à mes côtés des appren
tis cuisiniers qui venaient du Japon pour apprendre la cuisine
italienne. Ils étaient là, avec papier et crayon pour écrire en
détail tout ce que je faisais, mais ils devenaient fous parce
que,d'un jour à l'autre,je ne réalisais jamais un plat exacte
ment de la même façon !
À partir de ce moment-là j'ai commencé à avoir la bou
geotte. Je suis allée dans diverses régions de l'Italie, puis à
Formentera,à Jbiza,et même en Hollande. Je restais à chaque
fois quelques mois,cinq au maximum,de façon à apprendre
diverses techniques et à pouvoir y ajouter ma touche per
sonnelle. En cuisine, on n'étudie pas la théorie, tout s'ap
prend en travaillant. J'ai même amélioré ma technique pour
goûter les plats qui est, aussi un art: avant tout, un verre
d'eau gazeuse pour se nettoyer la bouche, puis prendre une
cuillère de soupe ou une bouchée d'un mets, laisser refroi
dir, la mettre en bouche,bien la faire tourner dedans de par
tout,le tout pour pouvoir percevoir l'acide,l'amer,le sucré et
le salé. On peut juger, de cette façon, si une base qui sert à
préparer un nombre déterminé de plats,est bien faite ou pas.
Quand je suis devenue responsable de cuisine, j'ai fait jeter
des casseroles entières de soupe quand je m'apercevais qu'on
n'avait pas utilisé le bon ail:l'ail napolitain et l'ail espagnol
sont aussi différents que le jour l'est de la nuit.
Pendant ce temps, en plus du joint que j'avais toujours à
portée de main,j'ai commencé à snifFer de la cocaïne.La per
sonne qui m'initia à cette expérience fut un personnage en
vue de la noblesse italienne pour lequel j'avais préparé un
buffet de "dîner VIP": une fête privée avec des industriels,
des politiciens et des artistes, où l'on s'échange des informa
tions, où l'on fait des affaires, et où l'on noue de nouvelles
relations amoureuses. J'en ai préparé plusieurs,et une "ligne"
de coke faisait toujours partie du menu. Mon autre drogue
était le sexe,consommé sous la forme "jetable". Pour moi,les
sentiments n'existaient pas:sur ce plan-là j'étais devenue un
glaçon.Chaque fois que je changeais de restaurant et de ville,

61
j'abandonnais à son destin l'amant du moment et me jetais
dans les bras d'un nouveau. Beaucoup ont perdu la tête pour
moi, mais moi j'agissais comme une Veuve noire :je n'avais
pas pitié de leurs larmes. Je disparaissais et me rendais in
trouvable. En outre, quand quelqu'un me plaisait je n'avais
aucun problème pour coucher tout de suite avec lui. Ainsi,il
m'est arrivé parfois d'avoir deux ou trois amants en même
temps,et cela ne me perturbait pas du tout.
Ma règle de conduite était:chaque histoire doit avoir un
début et une fin. Je m'étais imposée de ne me fier à personne,
de ne pas m'attacher,d'être certaine que l'amitié n'existe pas.
En résumé,j'avais appris à vivre par moi-même pour me
protéger de toute blessure supplémentaire,après les innom
brables que j'avais déjà subies. Je ne prenais pas la moindre
précaution et je dois dire aujourd'hui que, grâce à Dieu,je
ne suis jamais tombée enceinte parce que,si cela était arrivé,
j'aurais certainement avorté tant je me fichais de tout.
C'est avec Luis, un Bolivien au caractère joyeux, que j'ai
vécu ma plus longue histoire, qui a duré un an. Il est reparti
un jour dans son pays pour retrouver ses parents. Après
quelques semaines,je l'ai appelé au téléphone pour savoir
comment il allait, et une de ses sœurs m'a appris en pleurant
qu'il était mort dans un accident de la route. Cela fut pour
moi encore la confirmation de ce que je ne devais jamais
m'attacher à qui que ce soit.

Un défi lancé à Dieu

Je m'occupais fort peu de questions religieuses. Il m'était


arrivé parfois de rencontrer une personne qui faisait partie
d'un groupe religieux et qui m'avait invitée à l'une de leurs
réunions. Mais j'avais trouvé ennuyeuses toutes ces réflexions
qu'ils faisaient sur Jésus-Christ et sur la façon dont on devait
se comporter pour vivre selon l'Évangile. Je leur disais:"Vous
parlez une langue queje ne connais pas. La mienne est la langue
du travail et de l'argent. Se rencontrer pour lire et discuter de
62
choses spirituelles est une perte de temps, et moije n'ai pas de
temps à gâcher."Ce n'était vraiment pas fait pour moi,même
si, de temps en temps,je sentais dans mon cœur un ques
tionnement sur le sens de l'existence. Mais, ensuite, avec le
sexe,la drogue et l'alcool, les questions disparaissaient.
En 1991,j'avais été engagée comme chef de cuisine d'un
grand restaurant en Ligurie. J'étais devenue amie avec le li
vreur de viande et commençai à le fréquenter. J'étais convain
cue qu'il ne serait qu'un numéro de plus de ma collection
d'hommes,une expérience saisonnière de plus. J'avais,certes,
vu le chapelet qui était pendu au rétroviseur intérieur de sa
voiture, mais je n'y avais pas fait attention plus que cela.
Après être sortis ensemble deux ou trois soirs, nous n'avions
toujours pas fini au lit. Je lui dis alors à brûle-pourpoint ;
"Luca, mais qu'est-ce que tu attends, queje te saute dessus ?"Et
là, il m'expliqua qu'il avait eu une vie difficile, mais que,
depuis un an, il s'était converti, et que, pour cette raison,
nous n'aurions pas de rapport sexuel avant le mariage.
Avec le temps,je découvris que j'étais vraiment en train de
tomber amoureuse de lui. J'apprenais à le regarder dans les
yeux, à lui caresser les mains, à ressentir ses émotions. Avec
lui, tout devenait don réciproque: parler de notre travail,
partager les choses qui étaient arrivées pendant la journée,
rêver du futur ensemble. Pour la première fois, quand je
changeai de ville,je continuai à rester fiancée avec lui, même
si nous n'arrivions plus à nous voir très souvent.
Un soir pourtant,je le vis plus sérieux que d'habitude. Il
me dit vouloir me mettre au courant d'une chose très grave:
deux ans auparavant il avait eu un accident de la route et on
lui avait transfusé du sang contaminé. Les dernières analyses
avaient confirmé qu'il était séropositif. La nouvelle me per
turba vraiment beaucoup. C'était l'époque où l'on ne savait
pas grand-chose là-dessus. Je ne me sentis pas de continuer
notre relation,aussi parce que je suspectais que son ex-toxi-
codépendance — qui remontait à quelques années en arrière
— était également à l'origine de la contamination. Je restai
63
cependant avec lui et, quand il fut hospitalisé j'allai souvent
le voir. Un jour, il me dit qu'il avait un grand désir: celui de
m'épouser. Moi,je voyais son état empirer constamment.Par
son poids,surtout(à la fin,il en vint à peser seulement trente
et un kilos),on voyait,semaine après semaine,que son temps
de vie allait toujours en s'amenuisant: il était désormais
rentré en phase de sida déclaré. Après plusieurs hésitations,
je décidai de répondre à son désir, bien que nous ne puis
sions jamais vivre ensemble notre mariage.
Dans le même temps,je ressentais en moi une immense
rage et me disputais avec ses amis catholiques qui me par
laient de la tendresse du Créateur,de son plan de salut pour
nous, de son Fils Jésus qui était mort sur la croix... "Où est-
il votre Dieu ?" Je faisais de la provocation : "Votre Dieu ne
m'a pasfait grandir dans une vraiefamille, votre Dieu m'en
lève Luca. Où devrais-je reconnaître sa bonté, de quelle pater
nité vous me parlez ?"Plus ils cherchaient à me convaincre de
l'Amour de Dieu, plus je m'énervais et blasphémais.
Nous avions fixé à la mi-septembre la date à laquelle le
prêtre devait venir à l'hôpital célébrer notre mariage. Quatre
jours avant ce rendez-vous,je suis allée passer un concours
pour entrer dans une grande entreprise de restauration où
je ne devais travailler que six heures par jour, six jours par
semaine, de façon à avoir plus de temps pour rester à ses
côtés et prendre soin de lui. Le soir même,quand je retour
nai à son chevet,je découvris qu'il était mort.
Les funérailles furent célébrées par sa communauté comme
s'il s'agissait d'une fête, avec des chants joyeux que je n'arri
vais pas à supporter. Mon cœur était complètement envahi
par la haine. Au terme de la cérémonie je suis allée marcher
le long de la plage de cette ville maritime, accablée par le
poids de mon immense douleur. J'ai levé les yeux au ciel et
j'ai lancé mon cri de défi: "Dieu, si tu existes, moi je te dé
truis, mais, si tu n'existes pas, je passerai ma vie à dire au
monde que tu n'existes pas." À cet instant-là, ma véritable
guerre a commencé.
64
3
La consécration
dans la secte satanique

Un mois après la mort de Luca,j'ai pris mon service dans


une grande entreprise de restauration où je devais m'occuper
de la coordination d'une cantine, dans une petite ville du
centre de l'Italie. Professionnellement parlant il s'agissait
d'un défi très prenant, notamment parce que je n'avais pas
fait d'études particulières, mon expérience étant purement
pratique,acquise sur le tas. Mon travail était très varié :je dé
cidais des menus, gérais les horaires du personnel, m'occu
pais des rapports avec l'extérieur. Je ressentais toutefois le
besoin d'acquérir une formation théorique de façon à pou
voir aller de l'avant dans ma carrière.

Dans le chef-lieu de province qui se trouvait à quelques ki


lomètres de là,j'avais découvert une école hôtelière qui offrait
une spécialisation en cuisine internationale. J'étais ravie de
pouvoir approfondir des matières qui accroîtraient certaine
ment mes compétences, et ainsi, après avoir réussi un
examen qui attestait de mon aptitude, je pus m'inscrire di
rectement en dernière année. Après quelques semaines à
peine de cours, un cuisinier-professeur se rendit compte de
mes capacités et m'offrit d'être son assistante. Je devins ainsi
amie avec divers enseignants de l'école, et,en particulier,avec
l'une d'entre eux qui était de peu mon aînée.
Je me confiai à elle et lui racontai que je traversais une pé
riode un peu pénible. Elle me confirma qu'effectivement elle
m'avait vue un peu tendue et me dit que,si je voulais,elle me
ferait connaître une technique de relaxation qu'elle pratiquait

65
elle-même. Il s'agissait du reiki, une thérapie d'origine orien
tale qui promettait de réduire le stress et d'augmenter le niveau
de bien-être physique et mental. Nombre d'Italiens ont com
mencé à le pratiquer en Inde, dans un ashmm du "gourou"
Osho Rajneesh, et l'ont ensuite importé chez nous. Plusieurs
personnes,en Occident, y ont intégré d'autres techniques de
bien-être et des pratiques de la doctrine du New-Age.
Un soir, j'acceptai et nous allâmes ensemble dans un ap
partement où des reproductions d'anges et des dessins orien-
talisants étaient pendus aux murs. Il y avait une atmosphère
de tranquillité, une musique diffuse,et un léger parfum d'en
cens qui flottait à travers les pièces. Dans un petit salon,je
vis une fille étendue par terre et un jeune qui lui posait, avec
douceur, les mains sur différentes parties du corps.
Mon accompagnatrice commença à m'expliquer que le
reiki avait à faire avec les forces positives et négatives qui e.xis-
tent dans le monde. Ainsi, pendant la séance on s'imposait
réciproquement les mains,les uns aux autres,et on éloignait
de soi les énergies négatives pour y substituer les énergies po
sitives. Je me soumis à ce traitement et, à la fin de la soirée,
on me demanda un "don" de 50 000 lires.

Une semaine après, elle m'invita à nouveau et nous y re


tournâmes, mais la soirée se déroula différemment. Nous
étions huit et nous commençâmes à pratiquer l'imposition
des mains deux par deux. Ensuite,sur un rythme de musique
New-Age, on nous dit de nous déshabiller et de continuer à
danser pour favoriser la sortie de toute négativité du corps.
Nous nous sentions tous dans un état de transe, et il sembla
tout naturel de conclure par une plaisante orgie. Encore cin
quante mille lires de déboursées, mais, cette fois, on me
donna une pierre bleuâtre en m'expliquant que je devais tou
jours la conserver avec moi parce qu'elle avait le pouvoir de
catalyser l'énergie positive.
La semaine suivante,je reçus la même proposition, mais
j'opposai un peu de résistance parce que je ne m'étais pas

66
sentie à mon aise durant cette expérience. J'y allai néan
moins. J'étais, toutefois,agitée pendant que ma collègue im
posait ses mains sur moi. Je ressentais, aussi, une étrange
sensation de froid. "Tu sais, avec le reiki on va toucher les bles
sures du passé", me dit-elle, et peut-être que ton corps réagit
ainsi, précisément parce que tu as, en toi, des problèmes plus
profonds. J'ai une amie de toute confiance qui est psychologue.
Cela pourrait valoir la peine que tu parles avec elle."Et elle me
donna son numéro de téléphone.

Dans le tourbillon de la psychothérapie


Le lundi suivant,je téléphonai et une voix très douce me ré
pondit,qui m'apporta une paix indicible. Je lui demandai un
rendez-vous qu'elle me fixa pour le mercredi suivant à trois
heures de l'après-midi. J'entrai dans un immeuble très
luxueux,dans une des rues principales de la ville. Il n'y avait
aucun nom sur l'interphone, seulement le numéro de l'ap
partement qu'elle m'avait indiqué. J'ai pris l'ascenseur c'est
elle qui m'a ouvert la porte : une femme mystérieuse et té
nébreuse qui m'accueillit avec une grande amabilité. Dans
son bureau,éclairé d'une façon très soft, il n'y avait que deux
fauteuils et un divan sur lequel on pouvait s'asseoir.
Le premier mois nous nous sommes rencontrées tous les
mercredis, nous étions face à face, assises sur les fauteuils.
Cela durait exactement cinquante minutes, et, à la fin du
temps imparti,elle me disait: "C'estfini",et elle me donnait
rendez-vous pour la fois suivante. C'est quasiment toujours
moi qui parlais:je lui racontais ce que j'avais fait pendant la
semaine, quelles difficultés j'avais rencontrées,je faisais des
allusions à mon passé. Elle, très rarement, me demandait
d'approfondir un point ou de mieux lui expliquer un pas
sage de mon récit. Le ton de sa voix ne changeait jamais. Il
était toujours serein et ferme:cela me rassurait beaucoup.

67
À la fin du quatrième rendez-vous, elle me dit que j'avais
tendance à fuir et que je ne me montrais pas disposée à des
cendre en profondeur ; "Pour comprendre le sens de tant de
blessures, même iticonscientes, que twus ne nous rappelons plus,
il est important d'arriver à la pleine connaissance du passé.
Penses-y, mais peut-être que le moment est venu que tu prennes
vraiment soin de toi-même. Je crois opportun defaire une thé
rapie plus ciblée et continue. Si tu le désires aussi, ilfaudra que
tu changes d'emploi, defaçon à avoir du temps pour les séances,
ici, et pour les exercices que tu devrasfaire par toi-même."
Avec ce petit discours tout simple, elle me fit comprendre
que si je ne m'impliquais pas à fond dans la thérapie,j'étais
fichue, parce que j'avais une montagne de problèmes. Je lui
parlai de mes difficultés à accepter une psychanalyse,à cause
des dégâts causés par le précédent psychiatre. Et puis,je lui
dis franchement que,sans mon travail,je ne pourrai jamais
la payer(ici aussi,à chaque fois,c'était 50 000 lires qui s'en al
laient). Elle me rassura, m'expliquant qu'elle avait beaucoup
de relations et qu'elle me trouverait un autre emploi,encore
plus satisfaisant que celui que j'avais.
J'y pensai pendant une semaine et décidai, finalement,
d'accepter sa proposition parce que j'étais bien avec elle et
que je sentais que je recevais l'apaisement dont j'avais besoin.
Je l'en informai en début de séance, et elle me surprit quand
elle me dit s'être déjà préoccupée de me trouver un emploi de
c/ie/dans un restaurant de haut niveau où je n'aurais aucun
problème d'horaire.À partir de cette cinquième rencontre,la
Doctoresse changea de méthode: elle me dit de m'allonger
sur le divan, tandis qu'elle s'asseyait derrière moi. J'étais un
peu mal à l'aise de lui parler sans la voir de face, mais elle
m'invita à continuer ; "Dis-moi ce que tu te sens de me racon
ter, et si rien ne te vient, ça ira quand même."
À la fin de l'après-midi,j'allai chez le patron du restaurant
et me rendis compte qu'il m'offrait un excellent salaire et une
disponibilité maximale dans mes horaires. Je pris le service

68
dans les jours qui suivirent,après avoir mis fin à mon contrat
avec l'autre restaurant. Il y avait trois chefs en cuisine, plus
quelques assistants, et je fus chargée de gérer les hors-d'œu-
vres. Le restaurant était fermé le dimanche et le lundi(et pas
par hasard,commeje le découvrirai par la suite),et, bien que
travaillant beaucoup dans le courant de la journée,je réus
sissais à me débrouiller pour respecter mes rendez-vous avec
la Doctoresse. En fait, je pouvais faire ce que je voulais: le
patron engueulait tout le monde,alors que moi,j'étais trai
tée avec des gants de velours.
Avec la Doctoresse, j'ai commencé, dès la fois suivante, à
avoir des séances tous les lundis et les vendredis. Je me sen
tais plus calme. Je commençais toujours à parler du travail
et de ce que j'éprouvais en général. Elle me stimulait ensuite,
par exemple en m'interrompant à l'improviste: "Qu'est-ce
qui te passe par la tête en cet instant précis ?"
Après quelques séances, elle a commencé à mettre l'accent
sur les questions sexuelles. Elle m'a demandé si j'avais déjà eu
des rapports:je lui ai raconté toutes mes histoires et ce qui
m'était arrivé avec Luca. Elle était particulièrement intéressée
par la question du plaisir sexuel: "Comment l'as-tu ressenti ?
Le plaisir est une chose si belle!"Elle s'appesantissait beau
coup, aussi,sur les relations homosexuelles vers lesquelles je
lui disais que je ne me sentais pas portée. Et elle, de réagir :
"Mais qu'est-ce que tu en sais ?A l'intérieur de nous, il y a une
partie masculine et une partie féminine. D'accord, nous,
femmes, nous devons mettre en valeur notre partieféminine,
mais il est très important de ne pas tronquer la mascidine."

On commence l'hypnose
Après un mois,la Doctoresse m'affirma que je montrais de
la difficulté à m'ouvrir quand nous abordions le thème de la
sexualité. Elle me parlait, par exemple, de l'acceptation de

69
notre corps,et me posait des questions spécifiques et intimes:
"Mais est-ce que tu te touches ? Tu te regardes nue dans la
glace ?"Je lui expliquais: "Écoute,je n'aipas besoin de me tou
cher ni de me regarder dans la glace."Alors elle insistait: "Non,
au contraire, c'est important que tu connaisses bien ton corps,
que tu sentes les émotions de tes organes génitato:."
Elle me donnait même des exercices à faire chez moi,et, la
fois suivante, me demandait si je les avais faits ou pas.
Pendant un temps je lui dis que je n'y arrivais pas, alors elle
me dit de les faire devant elle. C'est ainsi que je me déshabil
lais et suivais ce qu'elle me disait, me caressant et me regar
dant dans le miroir, avec elle à mes côtés.
Quand j'y repense aujourd'hui,tout ce que je suis en train
de raconter me semble absurde mais, à l'époque,je ressen
tais seulement le besoin, toujours plus grand, de sa compa
gnie, de sa présence, de ses conseils. Elle avait vraiment une
façon de faire qui me donnait confiance. Ce qu'elle me faisait
passer, c'était: "Si tu veux guérir de la souffrance que tu res
sens, voilà le chemin."Et moi,je ne faisais qu'agir en consé
quence, exécutant tout ce qu'elle m'indiquait, aussi absurde
ou aberrant que ce fut. Elle se montrait,par ailleurs constam
ment disponible. Moi,j'avais interdiction de lui téléphoner,
mais, elle, m'appelait suffisamment souvent pour que je me
sente accueillie et acceptée.
Si,aux quatre premières séances,elle s'était levée et m'avait
saluée une fois écoulé le temps imparti, l'horaire fut plus
souple par la suite. Et même si j'arrivais au travail avec une
heure de retard, le patron ne me demandait même pas d'où
je venais. Elle l'avait probablement prévenu pendant mon
trajet de son cabinet au restaurant. Peu à peu, nous avons
même commencé à sortir ensemble. Qu'en savais-je alors
que, pour un psychanalyste, il était déontologiquement in
correct d'entretenir des attaches en dehors des séances ?

Du point de vue physique, la Doctoresse n'avait pas un


beau visage. Ce qui me frappait,c'était son intelligence et son

70
calme.l'aimais quand elle réussissait à comprendre ce que je
pensais sans que je le lui dise. J'aimais la dimension de mys
tère qu'elle avait créée autour d'elle. Elle savait tout de moi et
j'aurais voulu aussi tout savoir d'elle. Mais il y avait cette règle
qui voulait que je ne lui pose jamais de question sur sa vie
privée. De plus,je ne devais parler à personne d'elle ou de la
thérapie que nous étions en train de suivre. Tout cela, peu à
peu, me fit m'éloigner de toute autre amitié. Même de la per
sonne qui m'avait donné le téléphone de la Doctoresse :je ne
l'ai plus vue ni entendue et, aujourd'hui encore,je n'arrive
pas à me rappeler son nom,comme si j'avais tout effacé.
À l'automne 1994, nous en étions arrivées à trois séances
par semaine:les lundis, mercredis et vendredis. Entretemps
j'avais également commencé à me soumettre à l'hypnose,au
motif que cela pouvait être la solution aux difficultés que
j'avais à aller au fond de mon inconscient. Au début, j'ai
trouvé cette hypnose fastidieuse parce que je voulais toujours
garder le contrôle de la situation,alors que là,au contraire,je
me réveillais à un certain moment et m'entendais deman
der: "Comment vas-tu ?" C'est ainsi que je me rendais
compte que le temps imparti était écoulé. Et,quand je lui de
mandais: "Comment ça s'est passé ?", elle répondait seule
ment: "Très bien ", et c'était tout.
La deuxième fois, en fait,j'ai protesté et lui ai dit que cela
ne me plaisait pas. Et elle, de répartir: "Tu ne dois pas t'en
faire, c'est seulement un instrument. Tu vois,je prends en note
ce que tu dis. Cela me sert pour réfléchir dessus quand tu n'es
pas là. Je suis en train de travailler avec ton inconscient, alors
ne t'inquiète pas, aie conflance."
Parfois je m'apercevais que, sous hypnose, elle arrivait à
faire ressurgir des souvenirs dont je n'avais plus conscience.
Il arrivait, par exemple,alors que j'étais en état d'éveil,qu'elle
me posât une question à laquelle je ne savais pas répondre.
Elle commençait alors à travailler sous hypnose. En pratique,
nous sommes arrivées au point que quasiment les trois

71
quarts des séances se déroulaient sous hypnose,les dernières
minutes seulement étant réservées à l'entretien.

La destruction de la petite fille


Dès les premières rencontres,elle s'était rendue compte que
j'avais un trou noir sur les six-sept premières années de ma
vie. Je suis convaincue qu'elle avait dû creuser beaucoup pour
faire ressortir les émotions et la problématique de cette pé
riode. J'ignore,toutefois,combien de ses découvertes elle m'a
communiquées. À un certain moment elle commença à
m'instUler de la haine envers ce qu'elle appelait "la petiteftlle
qui est en toi."Elle soulignait: "C'est cette partie que tout le
monde a piétinée — la petiteftlle — qui t'a empêchée de gran
dir correctement. Alors il est juste que tu sois en colère contre
cette petitefille qui est en toi. Tu dois la haïr, la détruire."
Elle me faisait, par exemple,jouer une espèce de psycho
drame dans lequel j'interprétais le surveillant du collège,et elle
me disait: "Il y a une petitefille qui est en retard et n'a pas res
pecté la règle. Que vas-tu faire ?" La première fois, je propo
sais: "Je lui dis qu'elle ne doit plus le refaire." Mais, elle
m'ordonnait:"Non,ça ne va pas du tout. Tu dois l'insidter. Tu
dois lui dire qu'elle a été méchante et qu'elle mérite une puni
tion:tu dois l'enfermer à clé dans une chambre."Elle soutenait
que mon attitude psychologique était toujours erronée: "Ton
erreur c'est de la justifier alors que tu dois être en colère contre
cette petitefille qui arrivait en retard et qui tefaisaitsubir, à toi,
les punitions dont elle était la seule coupable."
Aujourd'hui ce discours me semble fou, mais,à l'époque,il
était devenu,à la fin,normal,et je disais donc de tout à cette
petite fille, en hurlant. La Doctoresse m'avait véritablement
enseigné les techniques pour se mettre en colère,et elle conti
nuait à me répéter qu'il était juste que la petite fille soit punie
si elle commettait une erreur, et qu'elle soit battue et violée.

72
Tout de suite après, elle me faisait jouer le rôle de la petite
fille et me disait: "Que devrait-elle dire, maintenant, cette
petitefille ?"Et moi: "J'aifait unefaute, il estjuste que tu me
pimisses. Je ne leferai plus, sinon tu auras toutes les raisons de
me punir encore!"Une inversion totale de ce que la norma
lité voudrait...

Quand je quittai la secte, d'ailleurs, le pénible travail que


je dus faire avec ma nouvelle psychothérapeute fut d'accep
ter la petite fille en moi, celle que j'avais, au contraire, dé
molie... comme j'avais démoli toute ma partie féminine:elle
n'était pas une bonne chose puisque c'était elle qui avait
excité les hommes qui m'avaient violée depuis mon enfance.
Pire encore:c'était ma faute si le surveillant du collège, ou
bien mon cousin et mon oncle éprouvaient du désir sexuel
pour moi.
Au fil de la thérapie, ma relation avec la Doctoresse se trans
forma en un jeu de plus en plus pervers, probablement favo
risé en cela par les instructions qu'elle me donnait sous
hypnose et destinées à surmonter tout blocage de ma part.
Elle m'a,en particulier, "éduquée"à supporter la douleur et à
la transformer en plaisir. Les rapports sexuels, par exemple,
étaient de type sadomasochiste, et elle m'ordonnait de me
contrôler à tout prbc et de ne jamais hurler. Il y avait une tech
nique qui consistait à concentrer toute son attention sur une
image agréable: une plage, la mer, un bateau. Elle commen
çait alors à me faire mal. Si je me plaignais, elle disait: "Tu
veux me décevoir ? Tu ne veux pas me décevoir, non ? Tu
m'aimes!"Et ses remarques me donnaient la force de résister.
D'autres exercices de résistance à la souffrance étaient liés
à une technique de respiration que la Doctoresse m'avait en
traînée à pratiquer. Elle me soumettait ensuite à de vérita
bles tortures,comme de me faire tomber de la cire bouillante,
goutte à goutte,sur le corps,de me brûler avec des objets mé
talliques rougis au feu,de m'enfiler des aiguilles sous la peau
ou sous les ongles,de me gifler et de me pincer. Elle m'expli-

73
quait: "Il est important que tu aies le contrôle de toute ta per
sonne, et tu dois donc supporter toutes les douleurs."À la fin,
j'en étais arrivée à éprouver un étrange plaisir quand j'attei
gnais l'apogée de la douleur. L'expliquer n'est pas facile, mais
c'est ainsi.
La cocaïne, mon inséparable compagne désormais, était
toujours là pour me soutenir. La Doctoresse m'avait, en
outre, donné des flacons sans étiquette renfermant un li
quide:je devais en boire dix gouttes avec un peu d'eau toutes
les trois-quatre heures. Elle les appelait les "fleurs de Bach",
mais j'ignore s'il s'agissait des mêmes que celles que l'on
trouve dans les herboristeries et les pharmacies.Il y avait pro
bablement quelque chose de particulier dedans. Un jour où
je n'en avais plus, elle m'a envoyée prendre le flacon à la
maison,or,si l'on avait pu acheter ces gouttes en pharmacie,
elle m'y aurait envoyée en acheter.
Quand je prenais ces gouttes,je ressentais immédiatement
une sensation de bien-être. Je me suis aperçue toutefois, au
goût, que le liquide n'était pas toujours le même; durant
mon parcours, il a changé au moins cinq fois. Ces gouttes
avaient un goût particulier, que je n'ai jamais plus retrouvé
dans les divers médicaments qu'il m'est arrivé de prendre par
la suite, du Lexotan au Minias.

Le rendez-vous du samedi soir

Un jeudi du mois de juin 1995,elle me téléphona pour me


dire que, si cela me faisait plaisir,je pouvais passer la fin de
semaine avec elle: "]e suis libre ces jours-ci, mais je me sens
fatiguée etje n'ai pas envie de sortir."
Cela ne me semblait pas vrai. J'ai demandé au propriétaire
du restaurant deux jours de congé et il n'a fait aucune diffi
culté. Le vendredi,la Doctoresse me mit sous hypnose tant le
matin que l'après-midi, après quoi nous eûmes un rapport
74
sexuel. Même chose le samedi. Vers onze heures du soir,elle
me dit: "J'ai un rendez-vous, tu veux venir avec moi .?"et,évi
demment,j'acceptai. Sans rien m'expliquer,elle ajouta: "La
seule condition, c'est que tu ne vois pas où nous allons. Ilfaut
donc queje te bande les yeux."Cela ne me posa aucun pro
blème:dans l'auto,je me laissai mettre un bandeau et je ne
vis absolument rien pendant le trajet.
Quand la voiture s'arrêta, elle m'ordonna de garder les yeux
bandés et me mit une cagoule sur la tête. Elle m'aida à des
cendre de voiture en me tenant par la main,et nous entrâmes
dans une sorte de grotte, peut-être une crypte,où elle me fit
ôter le bandeau des yeux. Les murs étaient bruts et des
gouttes d'eau suintaient du plafond. Chose étrange:j'avais
l'impression d'être déjà venue dans ce lieu. Elle portait une
tunique et une cagoule rouge et saluait une autre personne
habillée de la même façon. Les autres personnes présentes
portaient des tuniques et cagoules noires.
J'ai tout de suite compris,sans qu'il soit besoin de question
ou d'explication,qu'il s'agissait d'une secte satanique. Je suis
convaincue aujourd'hui que toutes les informations néces
saires m'avaient déjà été inculquées sous hypnose. En effet,
même par la suite, quand j'arrivais seule en voiture aux
rendez-vous,je n'avais jamais de difficulté à trouver des lieux
perdus,dépourvus de toute signalisation routière. Et quand
on pense que, très souvent,je ne me souviens pas d'être re
tournée deux fois au même endroit. Je recevais probable
ment les instructions nécessaires au cours de la quatrième
séance hebdomadaire, qui avait été ajoutée entretemps, le
samedi:ça fonctionnait mieux que le GPS!
Des bougies rouges et noires étaient éparpillées à terre,
tandis qu'un diffuseur de parfums propageait dans l'air une
sorte d'encens qui procurait une sensation d'ivresse. C'était
peut-être un opiacé. J'ai lu récemment qu'ils utilisaient de la
stramoine et de la belladone lesquels contiennent des alca
loïdes qui provoquent l'excitation. En plus j'avais pris de la

75
cocaïne et de ralcool,et je pense que les autres avalent fait de
même,à part peut-être le Prêtre et la Doctoresse qui me sem
blaient en état de contrôler la situation. La personne qui pré
sidait la messe noire était généralement un homme. Il se
tenait de l'autre côté de l'autel, et nous formions un demi-
cercle,face à lui. Tout commençait par une espèce de chant,
où chacun de nous entonnait ce qui ressemblait à une litanie,
avec des blasphèmes et des malédictions contre Dieu, la
Vierge,les Saints,le Pape. C'était un crescendo qui explosait
puis redescendait,jusqu'au moment où le Prêtre donnait le
coup d'envoi de la messe noire. Il commençait,alors, à pro
noncer quelques phrases en latin, auxquelles nous répon
dions en lisant sur un petit livre qui nous avait été donné à
l'entrée et que nous devions restituer à la sortie (je n'ai jamais
rien appris par cœur ou emporté de là-bas ;j'entrai les mains
vides et le portefeuille plein, et j'en sortais les mains vides et
le portefeuille vide !).

Le rite de la messe noire


La célébration semblait plus ou moins calquée sur la Messe
catholique, mais le diable, et non pas Dieu, était l'objet de
toutes les invocations. La bénédiction était faite "au nom de
notre grand dieu Satan";le gloria s'adressait au dieu "seigneur
des enfers";le credo était "en l'unique dieu Satan'; à la place
de la consécration, il y avait la "dé-sacration"(à ce moment-
là on égorgeait toujours un oiseau noir dont on versait le sang
dans le calice); le notre père qui était sanctifié, était celui de
l'enfer ; à l'envoi final, on rendait grâce au "dieu Satan
Les phrases du rite étaient dites en latin. Les rares mots
prononcés en italien me semblaient des exclamations spon
tanées du type:"Tu nous as maudits, mais nous, nous te mau
dissons, toi. Tu penses nous avoir détruits, mais tu ne nous as
pas détruits. Nos légions sont plus puissantes que tes anges."Au
moment de la profanation de la communion, le Prêtre

76
imposa sur la tête de chacun — moi exceptée — une croix
qu'il tenait par la partie la plus courte, et prononça une for
mule. Alors chacun prit une hostie dans le plat, la trempa
dans le calice et l'avala. A la fin,le Prêtre but tout ce qui res
tait dans le calice et brûla dans un brasier tout ce qu'il fallait
faire disparaître, du corps de l'oiseau à une série de petites
images sacrées qui avaient été profanées à un certain moment
de la cérémonie.

Un commentaire : quand j'ai lu le Da Vinci code, j'ai été


troublée par la description d'un rituel que l'héroïne Sophie
Neveu voit se dérouler un samedi soir dans le souterrain du
château de son grand-père Jacques Saunière. J'en ai extrait un
passage: "La pièce était ime sorte de grotte, une salle aux murs
non polis quisemblait creusée dans le granit de la colline. Le seul
éclairage provenait des torches enfoncées dans des anneauxfichés
aux parois. À leur lueur, une trentaine de personnesformaient
un cercle au centre de la pièce... Les hommes portaient de
longues tuniques noires et un masque de la même couleur...
Tous ceicc quifaisaientpartie du cercle se balançaient d'avant en
arrière et chantaient d'un ton empreint de révérence, tourtiés
vers quelque chose situé sur le sol devant eicc... Le chant deve
nait plus rapide. Et plusfort. Tous les participants avaientfait
un pas en avant ets'étaient agenouillés... Soudain étaitsurvenu
un rugissement, l'assemblée entière lui était apparue exploser
au moment de Torgasttie."
La cérémonie entière avait dû durer deux heures, pas plus.
À la fin,la Doctoresse me fit à nouveau recouvrir les yeux et
me ramena chez elle. Fidèle à la règle qui m'avait été donnée,
je ne lui ai rien demandé.J'ai dormi avec elle,et,le dimanche,
nous sommes restées à la maison. Le lundi nous avons repris
la thérapie habituelle et nous avons passé toute la semaine
comme d'habitude,alternant le travail et nos rencontres. Les
samedis suivants, elle m'a proposé, à nouveau, de l'accom
pagner, et j'ai tout de suite accepté. Le rite était le même à
chaque fois et se concluait toujours par la mise au feu de tout
ce qui avait été utilisé pendant la messe noire.

77
À la mi-août, pendant une séance, la Doctoresse me de
manda ce que je pensais de ces cérémonies. Je lui répondis
que j'étais vraiment fascinée par tout ce que j'avais vu,alors
elle poursuivit:"Cela te plairait de faire partie de la secte en
tant que membre ? Le Prêtre est très satisfait de toi et est d'ac
cord pour t'accueillir. Si oui, c'est moi qui serai responsable
de toi et qui t'accompagnerai à tout moment." Je n'attendais
que ça! Je le ressentais comme une reconnaissance de ma
valeur, comme un prix extraordinaire : j'avais vraiment été
reconnue digne de faire partie d'un monde si secret et fermé.

Esclave du diable

Le rite d'initiation et de consécration devait avoir lieu dans


la nuit du 14 au 15 août, veille de l'Assomption de Marie. Je
commençai alors à comprendre la signification des dates:en
plus des samedis (veilles des dimanches),les satanistes célé
braient aussi "à l'envers" les grandes fêtes de la liturgie ca
tholique, avec la profanation de la Messe et de l'hostie
consacrée. Pour me préparer à ce rendez-vous,la Doctoresse
me dit qu'il fallait que je vienne habiter chez elle pendant
toute la semaine qui précédait l'Assomption.
Pendant tous ces jours-là, nous ne sortîmes jamais de la
maison. 11 y avait une séance quotidienne dans laquelle une
attention particulière était portée aux techniques de résis
tance à la douleur. Elle me recommandait de ne pas me plain
dre, parce que j'étais capable de supporter: "Sois tranquille.
Après, tu éprouveras un plaisir irrésistible." A l'aide d'une
espèce de training autogène, elle m'aidait, en outre, à gérer
mes sensations et mes émotions de façon à éviter tout dé
bordement. Les rapports sexuels que nous avions ensemble
étaient uniquement de type anal. La masturbation vaginale
qu'elle me poussait à pratiquer avait, elle, pour objectif de
m'apprendre à contrôler mon orgasme,en faisant durer mon

78
attente à chaque fois un peu plus,de façon à ce que,pendant
le rite,le Prêtre puisse jouir le premier.
Même l'alimentation était particulière:tisanes aux herbes
et beaucoup de viande saignante. Entre autres,ce régime qui
avait fait monter à un niveau excessif mon taux de ferritine
dans le sang, me causa de nombreux problèmes de santé.
Chaque soir, elle me faisait endosser une très belle tunique
blanche, toute brodée, que je devais porter pour le rite.
Ensuite je devais m'étendre par terre, à ses pieds, pour réci
ter l'acte de soumission au démon.

Le 14 août au soir, nous sortîmes ensemble de la maison


pour nous rendre sur le lieu de la cérémonie où nous arri
vâmes vers minuit. Pour la première fois je n'avais pas de
bandeau sur les yeux,etje pus voir qu'il s'agissait d'une ferme
avec une cave au sous-sol où l'on descendait par des escaliers
de pierre. Elle me fît me déshabiller complètement dans la
voiture, et me donna seulement la tunique blanche et la ca
goule noire à enfiler. Le Prêtre,tout habillé de rouge,se tenait,
pour la première et unique fois,devant les escaliers d'accès et
m'attendait. Il m'embrassa sur la joue,tout en conservant sa
cagoule,et me fît signe de le suivre.
Il y avait déjà d'autres personnes dans la cave, toutes avec
une tunique noire et une cagoule rouge, placées en demi-
cercle devant l'autel constitué d'une dalle de marbre plus
grande qu'à l'accoutumée, longue de deux mètres et large
d'environ quatre-vingts centimètres. Le Prêtre alla s'installer
de l'autre coté, tandis que la Doctoresse se mit à mon côté.
Aux angles de l'autel étaient placés quatre chandeliers à un
bras, portant chacun une bougie rouge allumée. Sur un côté
il y avait une petite table avec le calice, le plat avec les hosties
et le couteau,et la cage avec le corbeau noir.
Au tout début,le Prêtre se livra à un interrogatoire rituel:
"As-tu bien évalué cette personne ?As-tu suivi le parcours ? Est
elle à même d'entrer dans la secte ? Peut-elle être consacrée à
Satan Toutes questions auxquelles la Doctoresse répondait

79
toujours "oui", du tac au tac. Après ce préliminaire, elle me
dit d oter ma tunique et de m'étendre, nue, sur l'autel. Je
continuais,toutefois, à garder la cagoule noire sur ma tête.
Le cérémonial commença alors. Le corbeau fut attaché sur
la croix renversée du haut en bas, et le Prêtre le tua et le
dépeça à hauteur du cœur, tandis que la Doctoresse en re
cueillait le sang dans le calice. Je lui arrachai le cœur de la
poitrine et je le tendis au Prêtre qui me l'enfila dans le vagin.
Ensuite il le retira et l'incisa avec le couteau, pour enfin le
brûler dans le brasier allumé au pied de la crobc.Il me toucha
la tête et la bouche avec la pointe de la lame,tout en récitant
une formule par laquelle il consacrait mon intelligence et ma
volonté à Lucifer.

Alors le Prêtre me grava, avec le couteau, sur l'avant-bras


gauche, un symbole satanique (quelques mois après je dé
couvrirai une cicatrice identique sur le bras d'une employée
de mon restaurant). Tout de suite après il se fit une entaille
sur le bout du pouce,et quelques gouttes de son sang se mê
lèrent au mien. Le Prêtre prononça alors une formule en
latin, tandis que la Doctoresse tenait le calice sous mon bras
pour en recueillir le sang qui coulait goutte à goutte. Pour
cautériser ma blessure et arrêter le saignement,il fit rougir la
lame du couteau à la flamme d'un candélabre et me l'appuya
sur l'incision. Je réussis, pendant toute l'opération,à contrô
ler la douleur sans aucune plainte.
Ensuite il m'incisa l'intérieur du vagin avec le couteau et
prononça une autre formule consacrant ma sexualité à
Asmodée. Quand il passa le couteau rougi à la flamme sur la
blessure pour la cautériser,je ne réussis pas à me contrôler et
je gémis. La Doctoresse intervint immédiatement: "Ne mets
pas le Prêtre en colère. Tu es capable de supporter."

80
Une hostie dans le vagin
La Doctoresse continuait à me murmurer à l'oreille des
phrases qui me calmaient: "Respire. Sois tranquille. Contrôle.
Il ne t'arrive rien. Tu verras que ça te plaira."Entretemps,elle
et une autre femme présente me stimulaient érotiquement.
Le Prêtre s'allongea sur moi et fut le premier à avoir un rap
port sexuel: au moment de l'orgasme, il éjacula dans le
calice. La Doctoresse me répétait alors des mots qui avaient
à voir avec "douleur" et "plaisir", décrivant comme un hon
neur ce qui était en train de se passer: "Maintenant, toi et lui
êtes vraiment une seule et même chose."

Vint le tour de deux femmes qui firent couler, goutte à


goutte, de la cire bouillante sur différentes parties de mon
corps. Après, on me fît me mettre à quatre pattes et on me
masturba analement,avec une bougie et avec les mains. À ce
moment-là,j'ai éprouvé une grande rage envers la Doctoresse,
parce j'avais très mal.Pendant ce temps-là,tous les autres hur
laient de façon inimaginable ; nous avions vraiment perdu la
tète. Ensuite,à la file, tous eurent un rapport anal avec moi,et,
à chaque tentative de rébellion ou réaction de douleur,j'étais
punie par des pénétrations supplémentaires.
Une fois tous les instincts sexuels assouvis, le Prêtre prit le
plat avec les hosties, en plongea une dans le calice puis me
l'enfila dans le vagin et enfin la mangea.Tous les autres répé
tèrent ensuite les mêmes gestes. Le mélange de sang et de
sperme resté dans le calice, c'est moi qui l'ai bu:ce fut la seule
fois, parce que normalement c'est au Prêtre de le consommer.
Enfin,ils ont tiré le serpent hors du réceptacle de verre où il
était gardé et l'ont posé sur mon ventre. Il a rampé un peu sur
mon corps mais ne m'a pas mordue, et tout le monde en a
déduit que Satan avait agréé la cérémonie.
On m'a donné une tunique noire, comme la cagoule que
j'avais sur la tête, et je l'ai endossée. Le Prêtre m'a alors dit:
"Maintenant tu es des nôtres."Ensuite il a commencé la messe

81
noire, sans toutefois la consommation des hosties qui avait
déjà eu lieu. Le rite se termina par la récitation d'une prière
en dix formules, une sorte de "décalogue"k l'envers. On nous
a donné quelque chose à boire,en utilisant comme verre un
crâne qui était posé sur une petite table, mais je ne sais pas de
quoi il s'agissait.
Avant de partir, le Prêtre m'a imposé, à moi aussi, sur la
tête, la croix renversée : c'était le signe de reconnaissance
marquant mon entrée dans la secte.
Le rite a dû se terminer vers cinq heures du matin parce
que je me rappelle que,durant le trajet de retour à la maison
de la Doctoresse,le ciel a commencé à s'éclairer. Je suis restée
avec elle tout le dimanche et le lundi. J'étais si troublée que,
le premier jour, je n'ai pas prononcé un mot. Quand j'ai
trouvé le courage de lui demander ce qui s'était passé, elle
m'a répondu sèchement: "Il est cottvemi que tu ne dois pas
poser de questions."
Ensuite,elle a détourné mon attention sur la dimension du
plaisir: "Cela ne t'a pas plu ? Tu as vu l'importance que tu
avais pour nous tous ? Toi seule étais au centre de l'attention !"
Pour éviter tout risque, elle me tenait sous étroite surveil
lance : même quand j'allais aux toilettes, je devais laisser la
porte ouverte. J'éprouvais de fortes douleurs,surtout dans le
vagin, qu'elle essayait de calmer par l'hypnose, outre par les
traditionnelles gouttes et la cocaïne.
Le lundi matin, au réveil, elle a commencé à me caresser
doucement et m'a dit: "Tu te sens toute bizarre parce que tu
penses que le rapport que tu as eu avec le Prêtre a représenté
une trahison à mon égard."Je lui ai répondu que j'avais, ef
fectivement, cette sensation,.\lors elle a répliqué: "Écoute,
au contraire,je suisfière de toi. Tu as fait exactement ce qui
étaitjuste. Depuis que tu as été initiée par le Prêtre, notre rela
tion est devenue encore plus stable et s'est consolidée. En réalité,
tu m'as fait un cadeau et moi, de mon côté, je t'ai offerte en
cadeau à Satan."

82
Le rapport avec le bouc
Ses paroles avaient toujours le don de me rassurer et me
confirmaient que j'étais vraiment importante pour elle, que
j'étais devenue une personne qu'elle avait le devoir de garder
et de protéger. En conclusion,je pensais ; "Ca va bien, si elle
est contente de ce que j'ai fait, cela veut dire que c'est bel et
bon."Son seul reproche fut: "Tu dois augmenter ta résistance
à la douleur, tu dois apprendre à transformer la douleur — au
moment même où tu la sens dans ton corps — en plaisir de
l'autre, parce que, à travers ta douleur, tu provoques la jouis
sance. Et tu en recevras en retour." L'après-midi, elle m'ac
compagna chez un gynécologue qui était certainement un
membre de la secte, lequel me soigna avec une pommade.
Ensuite elle me ramena en bas de chez moi,et la vie de tous
les jours reprit son cours.
Avant de me quitter elle m'avait remis un Tam-Tam. Les
jeunes ne le connaissent peut-être pas, mais beaucoup se rap
pelleront ce petit colifichet noir en forme de télécommande,
avec une petite fenêtre sur laquelle apparaissait le numéro de
téléphone de la personne qui cherchait à les joindre. La
Doctoresse m'expliqua qu'étant désormais membre de la
secte,je recevrai ainsi les convocations aux rites: le soir de
chaque samedi et d'autres fêtes, un numéro apparaîtrait,que
je devrai appeler dans les cinq minutes qui suivront ; si je
n'avais pas le temps de le faire, un autre numéro me serait
envoyé peu après. On me communiquerait alors le lieu du
rendez-vous et l'heure de début de la cérémonie.
La voix que j'entendais était indifféremment masculine ou
féminine, et je devais me limiter à écouter ce qu'elle disait,
sans poser de questions: dans la plupart des cas j'avais la
nette impression qu'il s'agissait d'un message enregistré. J'ai
pensé,après-coup,qu'ils avaient la possibilité technique de se
brancher sur les installations téléphoniques privées ou bien
sur le réseau des cabines publiques situées dans les rues, de
façon à ne jamais pouvoir être interceptés.

83
Plusieurs samedis,le rite se déroula selon un schéma à peu
près identique:le crescendo des litanies chorales,la célébra
tion de la messe noire,la profanation des hosties consacrées,
et l'orgie en conclusion.
La veille du 8 septembre,fête de la nativité de Marie,la cé
rémonie se déroula comme à l'accoutumée jusqu'au moment
où le Prêtre dit à une des femmes présentes de s'étendre nue
sur le marbre de l'autel. Le Prêtre eut tout de suite un rapport
avec elle, puis on la mit en "position gynécologique."La
Doctoresse était assise à côté d'elle, lui caressait les seins et
lui conseillait des exercices de contrôle des muscles pubiens.
Elle lui répétait constamment ces mots: "Confiance, volonté,
pouvoir,gloire..."
Le Prêtre prit alors un bouc noir, il l'approcha de la femme
qui eut un mouvement de recul. Le Prêtre se tourna vers la
Doctoresse qui la foudroya du regard, tout en lui donnant à
nouveau le "feu vert". Alors commença le rapport avec l'ani
mal (choisi exprès pour ce rite) qui se répéta plusieurs fois.
Deux adeptes lui maintenaient les pattes, tandis que le Prêtre
lui tenait fermement la tête. À la fin,le bouc fut attaché et posé
sur l'autel, tandis que la femme s'était agenouillée et retournée
pour avoir un rapport anal avec un membre de la secte.
Quand elle se releva, le Prêtre lui tendit un couteau, l'invi
tant à tuer le bouc qui avait entre-temps été offert en sacri
fice à Satan. Elle l'égorgea et lui dépeça le poitrail d'où elle
préleva le cœur qu'elle montra à tous. Elle transperça le cœur
avec le couteau et en fit couler le sang, goutte à goutte, dans
le calice. Les hosties consacrées que nous consommâmes ce
soir-là furent trempées dans ce sang auquel le Prêtre avait
ajouté son sperme.
Au terme de cette messe noire,on me donna ma première
mission :subtiliser des hosties consacrées pour les prochains
rites. J'étais désormais un membre du groupe et je devais
commencer à agir en vrai soldat de l'ombre.

84
4
Dans Vabîme de enfer

Ma vie se déroulait désormais selon un rythme bien fixé. Je


me levais le matin assez tôt et, à sept heures, j'étais déjà au
marché en train de choisir les meilleurs produits pour le
menu du jour. J'allais ensuite au restaurant travailler avec les
autres chefs à la préparation des bases pour les plats du jour.
En milieu de matinée la Doctoresse me téléphonait pour
savoir comment je me sentais et pour échanger deux mots
avec moi sur mes affaires personnelles. Je rentrais chez moi
après le service du déjeuner:une douche,une lessive et le re
passage, un peu de ménage. Vers 18 heures je retournais au
restaurant et j'y restais jusqu'à 23 heures. Et le jour suivant ça
recommençait, sauf, bien sûr, les dimanches et lundis pen
dant lesquels je devais me remettre du rite du samedi soir. La
cocaïne m'aidait à rester éveillée, jusqu'à une quarantaine
d'heures d'affilée si nécessaire.

J'allais désormais chez la Doctoresse régulièrement quatre


fois par semaine :lundi, mercredi,vendredi et samedi. J'avais
l'obligation de l'informer de tout ce que je faisais. Si, en par
ticulier, il m'arrivait de nouer une nouvelle amitié,je devais
lui faire un rapport précis; elle m'ordonnait presque tou
jours d'y mettre un terme. Mais cela ne me pesait pas:j'avais
une totale confiance en elle et il m'était naturel de tout lui
dire. De toute façon,s'il m'était arrivé de lui cacher quelque
chose,je suis certaine qu'elle l'aurait quand même découvert
pendant l'hypnose.
Ma dépendance envers elle était telle qu'à un certain point
elle me proposa d'ouvrir un compte joint avec moi,avec pou-

85
voir de signature individuelle,et que cela ne me posa aucun
problème (j'ai découvert, par la suite, que c'est une méthode
toujours utilisée par les sectes pour mettre leurs membres en
état de dépendance financière). À l'époque, mon salaire était
de huit millions de lires par mois,plus quelques millions que
je recevais pour l'organisation occasionnelle de fêtes privées.
À partir de ce moment-là,je ne me préoccupai plus des ques
tions économiques et des achats. C'est elle qui s'occupait de
tout ce dont j'avais besoin : des habits à la cocaïne, des ho
noraires pour les séances à la cotisation pour les rites (qui
tournait, à chaque fois, autour de cinquante mille lires).
J'étais cependant créditée de la valeur des hosties consa
crées que j'apportais aux messes noires. Il y avait une vérita
ble "cotation"qui pouvait aller,à l'époque,de mille lires,si je
l'avais volée dans une paroisse quelconque,jusqu'à deux cent
mille lires si, en revanche, elle provenait de la cathédrale ou
d'un sanctuaire important.Au début,c'est la Doctoresse qui
me suggérait à quelle église aller, parce qu'ils avaient, évi
demment,étudié le déroulement des Messes et en avaient vé
rifié toutes les opportunités par des repérages minutieux. Il
fallait savoir, par exemple,qui était le célébrant à chaque ho
raire déterminé: certains prêtres faisaient davantage atten
tion à respecter les normes du Vatican recommandant de
contrôler que chaque personne qui communie avale bien im
médiatement l'hostie, d'autres étaient moins rigoureux ou
bien n'avaient pas une bonne vue.
La Doctoresse m'avait confié un truc à mettre dans la
bouche quand je rejoignais la file de la communion.Il y avait
une ouverture pour laisser sortir la langue et puis,quand on
la rentrait à l'intérieur, un mécanisme se déclenchait qui en
veloppait l'hostie d'un film plastique, la protégeant ainsi de
la salive. En réalité,j'ai rarement utilisé cet instrument,parce
que j'ai rarement trouvé de prêtres pointilleux. La plupart du
temps ils me mettaient l'hostie dans la main comme s'il
s'agissait d'une pièce de juke-box, et en-avant pour le pro
chain de la file, sans se soucier de ce que j'en faisais.

86
Pour les sectes sataniques,la possibilité de recevoir la com
munion dans la main a vraiment représenté un tournant ca
pital. D'après ce que j'ai appris par la suite,l'approbation de
cette disposition a été très controversée à l'intérieur de
l'Église. Paul VI, conformément à l'avis de la majorité des
évêques consultés en 1969, s'était prononcé en faveur de la
communion sur la langue. Il n'avait concédé la liberté de
donner la communion dans la main qu'aux Conférences épi-
scopales des nations où cet usage s'était déjà développé, à
savoir, en substance, la Hollande et la Belgique. En Italie,
cette question fut soulevée plusieurs fois, mais elle avait ren
contré une forte opposition, conduite par l'archevêque
Giuseppe Siri.
Le scénario,tel qu'il m'a été décrit par un expert,fut que du
15 au 19 mai 1989 — peu de jours après la mort du cardinal
Siri survenue le 2 mai 1989 —,se tint l'habituelle assemblée
générale annuelle des évêques italiens. Là, à une seule voix
d'écart, et profitant de l'absence de nombreux évêques, fut
approuvée une délibération par laquelle était donnée la pos
sibilité, dans les églises italiennes aussi, de donner l'eucha
ristie dans la main. L'innovation fut introduite dans les
églises à partir du 3 décembre 1989, et, à partir de ce
moment-là,le vol des hosties fut un jeu d'enfant. 11 m'arrive
souvent aujourd'hui de penser que si les catholiques
croyaient à la présence réelle de Jésus-Christ dans l'hostie
consacrée comme les satanistes y croient, le monde serait
beaucoup plus évangélisé.

À l'assaut du pouvoir
À partir du moment où j'avais été consacrée à Satan, je
m'étais effectivement rendue compte que plusieurs choses
avaient changé dans ma vie. Je faisais l'expérience d'événe
ments qui ne pouvaient pas,à l'évidence,être ramenés à autre

87
chose qu'à rintervention d'une force qui m'était extérieure
et que la religion catholique qualifie de "préternaturelle".
Par-dessus tout,je me rendis compte que je connaissais des
langues étrangères que je n'avais jamais étudiées. Les clients,
par exemple me parlaient en anglais et en français,et je pou
vais converser avec eux sans problème. Je n'avais même pas
de difficulté avec les divers accents,j'utilisais parfois des ex
pressions et des accents d'argot que les Italiens étaient diffi
cilement à même de comprendre,au point que beaucoup me
complimentaient sur la compétence dont je faisais preuve.
Aujourd'hui j'arrive, au maximum, à dire quelques mots
d'anglais et aucun de français!
J'arrivais, par ailleurs, à faire des prévisions qui s'avéraient
exactes: par exemple,j'allais travailler et je percevais que la
soupe allait être brûlée. Un soir, tout de suite après avoir
salué un client qui s'en allait,je me tournai vers mon patron
et lui dis: "Celui-là, à peine sorti d'ici, il va avoir un accident
de voiture", et,effectivement c'est ce qui arriva. Ou bien j'étais
à même de connaître la profession des gens que je rencon
trais,sans jamais les avoir vus auparavant. Et ne parlons pas
des prêtres... je devinais à distance s'ils transportaient ou
non une hostie consacrée. De façon plus générale,j'avais sou
vent connaissance de choses que je ne me rappelais pas avoir
jamais lues ou entendues où que ce fût.
Toutes ces expériences me donnaient une sensation de
pouvoir que, peu à peu,j'étais en train d'acquérir, peu à peu,
et qui devait toujours aller croissant. A y repenser au
jourd'hui,je me rends compte que,d'une certaine façon,on
devient sataniste — et ensuite on avance dans des atrocités
toujours plus délirantes — parce que l'on a tout et que cela
ne nous suffit plus. C'est comme une drogue : on ressent le
besoin irrésistible de nouvelles émotions, de dominer les
autres, d'éprouver un plaisir suprême.
Même au niveau de base où je me trouvais,je pouvais déjà
me déclarer extrêmement satisfaite de ce que je vérifiais

88
chaque jour. Et,dans le même temps,je percevais qu'il suffi
sait de me fier à la Doctoresse et de suivre ses traces pour
pouvoir devenir comme elle. Je m'étais rendue compte que le
Prêtre avait déjà,en réalité, un pouvoir incontestable:il était
le seul à connaître l'identité des autres adeptes qui partici
paient aux rites. Au moment de mon admission j'avais donné
ma photo d'identité,ce qui signifiait que mon visage lui était
connu,alors que moi je ne savais pas qui il était.
Dans les innombrables messes noires auxquelles j'ai assisté,
je suis sûre que le Prêtre n'était pas toujours la même per
sonne:la corpulence,la voix,les attitudes étaient différentes.
Mais je n'ai jamais connu leur identité. Je pense,toutefois,que
les chefs se connaissaient entre eux parce que,si j'avais besoin
d'un médecin ou d'un avocat,on m'adressait à des personnes
bien précises.
En pratique,à part au moment des cérémonies,les adeptes
n'avaient entre eux aucun contact conscient. Je n'ai jamais
su qui étaient les autres personnes, quel âge et surtout quel
visage elles avaient. Même si nous nous étions rencontrés
dans la rue, ou ailleurs, nous ne nous serions jamais recon
nus. Même les véhicules avec lesquels nous arrivions au lieu-
dit changeaient.
J'y allais, moi-même, parfois avec ma voiture et d'autres
fois avec celle de la Doctoresse. 11 pouvait arriver,également,
qu'elle me donnât rendez-vous à mi-chemin et que nous ga
rions l'une des deux voitures,pour ensuite la récupérer sur le
chemin du retour à la maison.Ou bien elle m'attendait sur le
lieu où le rite allait se dérouler,et nous y entrions ensemble.
Dans tous les cas la cérémonie ne commençait qu'une fois
tout le monde arrivé,sauf pour la célébration de ma consé
cration :ce fut la seule exception.
Dans les cérémonies, il y avait parfois plus de femmes que
d'hommes, et parfois le contraire. Certaines fois la
Doctoresse et moi-même étions les seules femmes présentes.
Maisj'ai eu l'impression que c'était un fait relativement isolé.

89
À chaque fois tout le monde portait, même pendant les
orgies, une cagoule suffisamment lourde pour ne pas se dé
faire, ample, et avec des trous qui n'autorisaient qu'une
vision latérale limitée :je faisais bien attention à ne pas la
faire tomber.Sous la tunique nous avions des habits simples
que l'on pouvait enlever rapidement.
À partir du moment où je suis devenue membre de la secte,
tous mes vêtements me furent fournis par la Doctoresse,qui
décidait de tout: par exemple, elle me dit de ne pas me
couper les cheveux et, pour moi,il était normal d'obéir à ses
ordres.

Nous devions,probablement,porter un accessoire qui per


mettait au Prêtre de s'assurer qu'il n'y avait pas d'étrangers
infiltrés:je suppose qu'il s'agissait des chaussures, parce que
la Doctoresse me disait à chaque fois quelle paire mettre.
Quand je la rencontrais pour notre séance du samedi, elle
me disait toujours comme je devais m'habiller, de la tête aux
pieds.

Un serpent sur le corps


Avant mon initiation je n'avais jamais assisté à des orgies,
mais,après,toutes les messes noires s'achevaient ainsi. J'avais
souvent la nette impression que,d'une fois à l'autre, il n'y avait
pas les mêmes personnes, parce que lors des rapports sexuels
je voyais les corps nus et, à la longue,je pouvais me rendre
compte si j'avais déjà rencontré quelqu'un ou pas. Je ne peux
pas émettre la même hypothèse en ce qui concerne le Prêtre
parce que,à de très rares exceptions près,seule la Doctoresse
pouvait avoir des rapports sexuels avec lui. En outre, dans ce
genre d'ambiance, la lumière n'est pas assez forte pour per
mettre de bien voir ce qui se passe autour de soi.
Pendant les rites, il arrivait assez souvent d'avoir des rap
ports sexuels, tant actifs que passifs, avec des animaux
90
comme des boucs ou des chiens,qui,à la fin,étaient toujours
éventrés. Parfois il y en avait plusieurs,femelles ou mâles —
plus généralement —,tous de couleur noire.
Pour éviter qu'ils ne mordissent, ils portaient une muse
lière et étaient tenus en laisse, ou bien ils avaient les pattes
attachées.
Il y avait toujours, sur les lieux de la messe noire, un ser
pent d'une bonne taille enfermé dans un récipient de verre
ou bien dans un coffret en bois. Avant de commencer le rite,
pour éviter tout risque,le Prêtre lui incisait sa petite poche à
venin, sous la langue ; je voyais parfois sortir de sa bouche
comme une petite boule ou un petit sac, d'autres fois un li
quide en sortait vraiment,lequel était conservé dans un petit
flacon transparent. En fait, il arrivait qu'une femme nue soit
mise sur l'autel et qu'on posât sur son corps le serpent,libre
d'y bouger à son gré.
On me l'a fait à moi aussi, à l'occasion, et je dois dire qu'il
m'a fallu faire un grand effort pour rester maîtresse de moi-
même quand je le sentais ramper sur moi. J'avais peur,même
si j'étais sous cocaïne. Je m'aidais de la technique de respira
tion, tout en espérant que rien ne m'arrivât. Si le serpent ne
mordait pas la femme,cela signifiait que Satan l'avait agréée
et que le Prêtre pouvait avoir un rapport sexuel avec elle,
signe de l'honneur accordé par le démon. Si, en revanche, il
y avait morsure,le Prêtre perdait la tête,commençait à hurler
et à s'acharner sur le corps de l'intéressée. Une fois la femme
s'est évanouie alors qu'il la frappait aux bras et aux jambes ;
quelques adeptes l'ont emmenée et je n'ai jamais su quelle
fin elle avait faite.

Je me rappelle qu'une fois une adepte de la secte n'avait pas


réussi à remplir la mission confiée consistant à apporter des
hosties consacrées pour la messe noire. Elle dut le confesser
au début du rite du samedi soir, au moment où elle était
censée remettre les espèces. Le Prêtre qui officiait entra dans
toutes les fureurs. Je ne l'avais jamais vu se mettre en rage à

91
ce point-là. Il lui ordonna de se déshabiller et de s'étendre
sur le marbre qui faisait office d'autel ;il n'était pas lisse mais
plutôt criblé de trous: il provenait peut-être d'une vieille
tombe ou d'une église désaffectée. Le Prêtre prit alors le ser
pent et l'inséra, la tête la première, dans le vagin de cette
femme.

Bien qu'elle fiât bourrée de cocaïne, elle poussa un hurle


ment énorme quand le serpent, évidemment,la mordit. Les
autres adeptes étaient comme possédés:ils hurlaient et s'agi
taient autour d'elle, ce qui avait probablement rendu l'ani
mal plus agressif. Le dommage qu'elle subit fut, bien sûr,très
grave car la morsure avait provoqué une terrible hémorra
gie. La Doctoresse me rassura par la suite, me disant que je ne
devais pas me faire de souci car une gynécologue de la secte
prendrait soin de cette femme et de son hémorragie.
Pourtant,j'éprouve encore aujourd'hui une douleur indes
criptible à chaque fois que le souvenir de cette scène terrible
me revient en mémoire.

La cérémonie des vierges


Le rite du serpent, tout particulièrement, était toujours
pratiqué durant les cérémonies où la virginité d'une fille était
offerte à Satan. C'est un des rites les plus sanglants auxquels
j'aie assisté. 11 avait lieu dans la nuit du 31 décembre au
1er janvier,en signe de sacrilège contre la Mère de Dieu à la
quelle la liturgie catholique dédie le premier jour de l'année.
C'était une nuit vraiment aberrante, au cours de laquelle
toutes les transgressions étaient permises. Ce rendez-vous
était réservé uniquement aux personnes les plus sûres, et ce
fut pour moi un grand honneur que la Doctoresse ait décidé
de m'y faire participer.
J'ai assisté à d'autres offrandes de virginité :la veille du jour
de la Nativité de Marie (qui se célèbre le 8 septembre), lors

92
d'une autre fête mariale dont je ne me souviens plus de la
date,et la nuit de Noël.Ces coïncidences me font penser qu'il
s'agissait réellement d'un affront à la virginité perpétuelle de
la Sainte Vierge. Il fallait avoir la certitude que la fille sacri
fiée fût bien vierge. On utilisait donc toujours des personnes
jeunes, mais je ne sais pas comment elles étaient recrutées,
ni si elles étaient italiennes ou étrangères. Quelquefois il m'a
semblé qu'il s'agissait de toutes petites filles. Je ne saurais dire
dans quelle mesure elles étaient droguées. Dans certains cas
elles ne devaient pas l'être beaucoup parce qu'elles hurlaient
et ne contrôlaient pas la douleur,au point qu'il arrivait qu'on
les bâillonnât.

Ce 31 décembre,un des adeptes,à cagoule rouge et tunique


noire, entra dans la grotte dans laquelle nous nous tenions
en demi-cercle et déposa sur la plaque de marbre une jeune
fille qui devait avoir dans les vingt ans. Son visage était dé
couvert, en fait, mais,de toute façon, cela n'allait poser pro
blème. Elle était très belle et partiellement abrutie par la
drogue, raison pour laquelle on l'avait portée jusque-là. Elle
était revêtue d'une tunique blanche qui lui fut ôtée au début
de la cérémonie.

Cette nuit-là, le rite fut très long et débuta par une longue
litanie de blasphèmes envers la Vierge Marie. À commencer
par le Prêtre,nous avons tous eu un rapport oral avec la jeune
fille droguée. Ensuite on la retourna, parce qu'elle était vrai
ment comme un poids mort:la Doctoresse lui fit couler de
la cire tout le long du corps, puis lui enfila une bougie noire
dans l'anus.

On la déplaça ensuite et on l'étendit, dos sur le marbre,les


pieds appuyés par terre, le bassin et la partie inférieure de
meurant en l'air. Pendant que quelqu'un lui stimulait l'anus
par un mouvement de va-et-vient de bougie,le Prêtre la pé
nétra violemment, lui déchirant l'hymen. Le sang qui en
sortit fut recueilli soigneusement par une autre femme,avec
notamment une petite seringue sans aiguille. La Doctoresse

93
prit alors le serpent et lui enfila la tête dans le vagin. Bien
qu'ayant l'esprit obscurci, la fille hurlait et tentait de se dé
battre, mais les cordes qui la liaient étaient plus fortes qu'elle
et deux adeptes lui tenaient bras et jambes.
Quand le serpent la mordit, de l'intérieur jaillit un flot de
sang qui alla s'intensifiant. Le Prêtre prit alors le couteau et
commença à lui entailler le corps. Cette scène fut si terrible
que je l'ai rayée de ma mémoire pendant une longue période.
J'appris,en outre,que lors d'une autre messe noire, le sacri
fice avait été fait de façon encore plus bestiale: le Prêtre en
était arrivé au point de planter la lame du couteau dans la
poitrine de la vierge offerte à Satan et d'autres personnes
avaient utilisé divers instruments pour lui dépecer le thorax
et pouvoir lui arracher le cœur — qui fut mis dans le calice
—,et l'utérus.
Durant ces rites déments,nous étions tous comme devenus
fous, les hurlements bestiaux s'entrechoquaient. On vivait
une sorte de délire, une hystérie collective : les cris des
Indiens, dans les westerns, quand ils se lancent à l'assaut
d'une caravane, n'en sont qu'un pâle exemple. Le fait que le
serpent morde l'intérieur du vagin était signe,pour nous,que
Satan — dont le serpent symbolisait la présence — n'agréait
pas le sacrifice. Nous étions donc très en colère.
Le calice était rempli du sang sorti du vagin et du sperme
du Prêtre. C'était une des rares occasions où l'hostie n'y était
pas trempée: elle était avalée en buvant ce liquide directe
ment au calice que nous nous passions de l'un à l'autre. A la
fin tout était scrupuleusement brûlé. Je n'ai aucune idée de ce
qu'il est advenu de cette pauvre fille. Je sais seulement qu'à un
moment donné elle fut portée hors de la grotte par deux
adeptes à cagoule rouge. La règle nous interdisant de poser
des questions continuait à s'appliquer, et j'étais totalement
soumise à la Doctoresse.

94
Les visions de démons

Pendant les rites,j'ai ressenti à plusieurs reprises d'étranges


phénomènes,probablement amplifiés par les hallucinogènes
dont j'étais gavée:j'ai entendu, en particulier, des voix de
démons, et j'ai vu des personnages monstrueux dont les
images me passaient devant les yeux si rapidement que je
n'arrivais pas à les appréhender parfaitement. La présence
réelle de Satan durant nos messes noires était,en tout état de
cause, une chose dont nous étions totalement certains.
Aujourd'hui,même des catholiques érudits semblent mettre
en doute tout cela,ainsi que l'existence de l'Enfer. Je me limi
terai à citer une phrase de don Gabriele Amorth : "L'Écriture
twus parle toujours des anges et des démons comme d'êtres spi
rituels, oui, mais personnels, dotés d'intelligence, de volonté, de
liberté, d'audace. Ils s'égarent complètement ces théologiens mo
dernes qui identifient Satan à l'idée abstraite du mal:c'est une
authentique hérésie, c'est-à-dire qu'elle esten opposition ouverte
avec la Bible, la patristique et le magistère de l'Église."
L'endoctrinement que me faisait subir la Doctoresse, pro
bablement renforcé pendant les thérapies sous hypnose,
m'avait convaincue que j'étais devenue un "petit soldat" de
Satan.Ainsi c'était moi qui étais le dieu de ma vie et personne
ne pouvait me dire quoi faire ou ne pas faire. Il s'agissait
d'une anarchie absolue ou, mieux encore, d'un délire de
toute-puissance.
L'Enfer même n'était plus pour moi un endroit terrible,
mais une très belle chose,du style "Jardin d'éden ". Pour com
prendre cela, il faut prendre en considération l'opposition
entre Dieu et Satan. Quand il pense à sa propre mort,un sa-
taniste ne craint pas d'être damné,il croit qu'il ira tenir com
pagnie à Satan dont il sera à la fois le serviteur et le complice.
Dans un certain sens, il se transformera,lui aussi,en démon
et tourmentera les véritables damnés, c'est-à-dire ceux qui
ont fait le mal mais sans s'être soumis au diable.

95
Quelqu'un m'a expliqué,récemment,que beaucoup de sa-
tanistes ne croient pas à l'au-delà. En tout état de cause, ce
que j'ai vu c'est que dans les rites on met en œuvre exacte
ment le contraire de la théologie et de la praxis catholiques.
Si, pour le chrétien,la mort et la résurrection de Jésus ont si
gnifié le salut, pour le sataniste elles ont signifié la défaite.
L'eucharistie, qui est pour le catholique le sacrement le plus
important, représente pour le sataniste une réalité à profa
ner. Et ainsi de suite. Dans les faits,l'enseignement que je re
cevais était que tout ce qui faisait partie de l'Église était à
détruire.

Un passage de l'Évangile dit: "Lesfils de ce monde sont plus


habiles entre eux que lesfds de la lumière"(Le 16,8). J'ai, moi-
même,pu l'expérimenter car je me suis rendue compte qu'un
subtil travail culturel,en opposition avec les vérités du chris
tianisme, est peu à peu instillé dans l'esprit des gens, indui
sant ainsi en erreur nombre d'entre eux. Un message
sous-jacent qui prône, comme critère de nos actions, la li
berté de faire tout ce que l'on veut.
J'ai déjà évoqué l'exemple de la communion dans la main.
Prenons-en un autre, celui du baptême,à propos duquel on
voit aujourd'hui se répandre la conviction que l'on ne doit
pas l'administrer aux nouveaux nés:ce sera à eux,quand ils
seront éduqués,de décider de se faire baptiser ou pas.
En réalité, pour les satanistes, c'est une aubaine que de
trouver quelqu'un qui n'est pas baptisé, parce que les démons
réussissent à entrer en lui sans aucune opposition. De plus,
j'avais appris, à l'époque, que des gynécologues et obstétri
ciens travaillant à l'hôpital faisaient partie de la secte et qu'ils
y pratiquaient la consécration à Satan de tous les nouveaux
nés à l'instant même où ils venaient au jour.Personne ne s'en
apercevait dans la salle d'accouchement, parce que les for
mules étaient prononcées mentalement et qu'aucun geste ou
rite particulier n'était nécessaire.
Tous les exorcistes expérimentés peuvent témoigner avoir

96
rencontré de tels cas. l'ai, moi-même, vu le cas d'un enfant
qui, à quatre ans, parlait très bien diverses langues, ne dor
mait jamais et avait une force surhumaine. Avec ses parents,
je l'ai accompagné chez un neuropsychiatre pour enfants qui
le reçut plusieurs fois et lui fit des examens,sans trouver quoi
que ce soit. Un soir, j'appelai le père Raffaele qui lui fit un
exorcisme par téléphone:au début,ce fut un déchaînement
digne de la fin du monde,après quoi l'enfant se calma. J'en
vins à découvrir qu'il n'avait pas été baptisé et qu'il avait été,
très probablement,consacré à un démon à l'hôpital.
Quand on soupçonne des influences diaboliques, il faut
faire très attention à ne pas tomber dans les griffes des
mages:ou bien ce sont des charlatans, ou bien ils sont,eux
aussi, impliqués dans les milieux satanistes. On entend dire
parfois: "II n'y a aucun risque. Il s'agit de magie blanche. Il
sujftt de regarder dans son bureau:il y a une belle image de la
Vierge Maris et de Jésus miséricordieux."En réalité, la magie
blanche n'existe pas:elle est toujours un produit du démon,
lequel n'est pas nommé "l'ange de lumière" pour rien. La
seule personne qui ait le pouvoir d'agir au nom de Dieu,c'est
l'exorciste mandaté par l'évéque, auquel il faut recourir
quand cela est nécessaire.
Les cartomanciens aussi sont à éviter soigneusement,parce
que personne est à même de prévoir le futur:avec le secours
des forces obscures on peut,au maximum,sortir une intui
tion quelconque qui peut impressionner les plus naïfs. Et il
est important,avec ces soi-disant voyants,de ne pas tomber
dans le piège du "il ne m'a jamais demandé d'argent, un don
lui sujftt": Pour eux, c'est le meilleur moyen de gagner da
vantage parce que les clients se montrent extrêmement gé
néreux dans ces cas-là.

Je crois utile, ici, de citer un passage du Catéchisme de


l'Église Catholique qui éclaire la question : "Toutes lesfortnes de
divination sont à rejeter... La consultation des horoscopes, l'as
trologie, la chiromancie, l'interprétation des présages et dessorts.

97
les phénomènes de voyance, le recours aux médiums recèlent une
volonté de puissance sur le temps,sur l'histoire etfinalementsur
les hommes,en même temps qu'un désir de se concilier lesforces
créées. Elles sont en contradiction avec l'honneur et le respect,
mêlés de crainte aimante, que nous devons à Dieu seul."

À la recherche d'une nouvelle adepte


Après quelques mois de participation à la secte, le Prêtre
s'adressa directement à moi au cours d'un rite du samedi:
"Lucifer sera content si tu réussis à amener un nouvel adepte
parmi nous. C'est ta nouvelle tâche"; il me demanda si j'ac
ceptais et, toujours par l'intermédiaire de la Doctoresse,je
lui répondis "oui", mais j'ajoutai, aussi, que je n'avais idée
qui recruter. Il me tranquillisa : "Ne te soucie pas de cela. On
te le dira."Et,en effet,après la séance d'hypnose du lundi sui
vant, la Doctoresse m'expliqua qu'elle avait choisi la per
sonne adéquate à travers le peu de gens que je continuais à
fréquenter (toujours,évidemment,avec sa permission).
Il s'agissait d'une fille de quatre ans mon aînée que j'avais
connue au temps de l'école de cuisine internationale. Elle
était très belle et dotée de remarquables qualités intellec
tuelles ; elle provenait d'une famille aisée et sa relation avec
son fiancé s'était terminée récemment. Nous nous étions re
trouvées de temps en temps, avec d'autres enseignants et
élèves, pour manger une pizza,et nous étions assez liées. J'en
avais parlé quelque temps auparavant avec la Doctoresse qui
m'avait demandé de la lui faire connaître.
J'avaîs trouvé comme excuse que la psychologue qui me
suivait estimait utile de pouvoir confronter certaines de ses
idées avec l'une de mes amies. Elle accepta et je l'emmenai,
donc, avec moi, un après-midi, au cabinet. Nous parlâmes
un peu, puis la Doctoresse me demanda de sortir de la pièce
et l'entretien continua entre elles encore vingt minutes.

98
J'ignore ce qu'elles se sont dit. À la fin,je demandai à mon
amie comment cela s'était passé, et elle me répondit qu'elle
l'avait trouvée vraiment à la hauteur et agréable.
Évidemment,la Doctoresse aussi l'avait trouvée à son goût
puisqu'elle me dit de commencer avec elle un véritable tra
vail de séduction, au moyen de techniques qu'elle m'avait
probablement inculquées sous hypnose. À chacune de nos
rencontres je mettais en valeur ses qualités, je la faisais se
sentir importante,je lui disais que j'aurais aimé faire son tra
vail... En réalité, cela n'est pas du tout dans mon caractère,
je ne suis pas du genre expansif. Mais,avec elle,cela me venait
facilement ; mieux ;je trouvais passionnante l'idée de lui faire
toutes sortes de compliments,de la séduire.
Un soir,je lui ai téléphoné pour lui proposer de sortir en
semble. Nous sommes allées au restaurant et nous avons
parlé de tout et de rien. Au retour, pendant le trajet en voi
ture,je tentai une première approche: "Maispersonne ne t'a
jamais dit que tu es vraimentjolie ?"J'ai vu dans ses yeux que
ma phrase l'avait troublée et intriguée en même temps. Je
poursuivis alors: "Je suis seule à la maison. Cela te dit de
monter prendre un verre ?"
Elle n'a pas eu de mal à me dire "oui". Et on n'a pas eu
besoin de beaucoup de mots pour finir au lit et avoir un rap
port sexuel. Elle est ensuite retournée chez ses parents, chez
qui elle vivait.
Le lendemain,j'écrivis quelques phrases sous la dictée de la
Doctoresse: "Je regrette ce qui s'est passé. Pour moi aussi c'est
la premièrefois. Je me suis sentie importante pour toi."Et je
concluais: "Je t'attendrai à la sortie. Si tu désires que nous
nous revoyions, monte dans ma voiture. Sinon, va vers l'auto
bus. Je respecterai ta décision etje ne viendrai plus te chercher."
Je lui fis remettre ce billet à l'école et, à l'heure de la sortie,
j'étais là, garée juste devant. Elle monta dans mon véhicule,
et,à partir de ce jour-là,nous nous vîmes chaque après-midi
pour avoir des rapports sexuels et écouter ses confidences ;

99
moi, évidemment,je gardais un silence total sur mon acti
vité dans l'ombre.

Sa mère avait deviné qu'il y avait quelque chose d'étrange


entre nous,et elle avait essayé à plusieurs reprises d'entraver
notre relation. Mais je lui avais tourné la tète,et elle ne vou
lait pas entendre raison. Durant l'été 1996,alors qu'elle était
en vacances avec ses parents sur la côte tyrrhénienne,je la re
joignis, sans avoir été invitée. La mission dont on m'avait
chargée consistait,en fait, à être en contact le plus étroit pos
sible avec elle. Sa mère me dit de m'en aller, mais elle menaça
alors de partir avec moi. Il me fut ainsi possible de rester
mais, quelques jours après, c'est moi qui la poussai à partir
dans les Fouilles, dans un village touristique où un ami tra
vaillait comme chef. Ce furent deux semaines de passion,
pendant lesquelles, grâce à mon portable,j'étais toujours en
contact avec la Doctoresse.
Je dois dire que,au point où j'en étais,je m'étais prise au jeu
et que j'avais aussi perdu la tête pour elle. C'est peut-être le
fait que son fiancé,avec qui elle était restée dix ans,l'ait quit
tée, qui l'avait blessée au point de lui ôter toutes inhibitions.
En tout cas,nos rapports étaient très intenses ;et ce d'autant
plus que je lui avais enseigné des techniques sexuelles dans
lesquelles douleur et plaisir se confondaient et nous ren
daient totalement complices. La Doctoresse m'avait,en outre,
donné un flacon de gouttes que je devais lui administrer en
cachette,lesquelles avaient probablement un effet stimulant.
Son entrée dans la secte était prévue tout de suite après le
meurtre de Chiara. Ce fameuxjour du 17janvier,tôt le matin,
alors que je filais vers Trigoria,je suis allée en bas de sa maison
et je lui ai présenté mes vœux pour son anniversaire qui tom
bait le même jour. Je lui dis aussi que nous nous retrouverions
le soir pour le fêter. Je ne l'ai plus revue depuis. Un peu moins
d'un mois après,je lui ai téléphoné pour la rassurer et elle a
éclaté: "Tu as ruiné ma vie !"Puis elle a raccroché.

100
Une "année liturgique" inversée
Après ma conversion, j'ai été frappée par la connaissance
qu'ont les satanistes de toutes les fêtes de l'Église et par le fait
qu'ils aient réussi à élaborer des rites en opposition directe et
évidente avec la liturgie catholique. Un premier exemple:la
messe noire, évidemment,célébrée à chaque rendez-vous et
se concluant toujours par la profanation de l'hostie consa
crée. Par opposition à la sacralité de l'autel ecclésiastique,
nous "consacrions" le lieu de la cérémonie en dessinant,
devant l'autel, un "pentacle":une étoile à cinq branches en
tourée d'un cercle. Le symbole était complété en répandant
à terre une poudre de couleur noire ou rouge.
Les rites se déroulaient chaque samedi, pour désacraliser
le jour du dimanche,mais aussi la veille de nombreuses fêtes
catholiques. Il pouvait ainsi arriver que nous nous voyions
jusqu'à trois nuits d'affilée. En 1995, par exemple, Noël
tomba un lundi,et ainsi nous célébrâmes les nuits de samedi,
dimanche et même lundi, veille de la Saint Etienne. Le
rendez-vous était fixé à minuit,début de la cérémonie, mais
le cœur de la cérémonie se situait toujours vers les trois
heures du matin, par opposition à l'heure de la mort du
Christ à trois heures de l'après-midi. 11 pouvait y avoir sacri
fice d'une fille ou rapport sexuel du Prêtre avec l'initiée du
jour:quand j'ai été consacrée,le moment clou,à trois heures,
fut l'insertion de l'hostie dans mon vagin.
J'ai été frappée par la récente lecture du Journal de sainte
Faustine Kowalska, l'apôtre de la Divine Miséricorde:j'ai
encore mieux compris la signification de cette heure bénie à
laquelle le Christ expira sur la croix. La religieuse écrivait,
rapportant les paroles mêmes que Jésus, en personne, lui
avait adressées : "à trois heures de l'après-midi, implore ma
miséricorde,spécialementpour les pécheurs, etsois aussi un bref
moment immergée dans ma passion, particulièrement dans
mon abandon au moment de la mort. C'est une heure de
grande miséricorde pour le monde entier. En cette heure-là je ne
refuserai pas une âme qui me priera en invoquant ma passion."
101
Jésus avait aussi inspiré une prière à sœur Faustine:
"Quand tu réciteras cette prière, le cœur repentant et avecfoi
pour un pécheur,je lui concéderai la grâce de la conversion."
Je pense utile de proposer ici le texte que cette religieuse ré
pétait plusieurs fois par jour:"Ô Sang et Eau quijaillirent du
Cœur de Jésus comme source de miséricorde pour nous, j'ai
confiance en vous."
De nombreuses fêtes de saints constituaient,dans notre anti
liturgie, des moments très forts,comme,par exemple,la veille
des fêtes de saint Pierre,de saint Paul et des autres apôtres. Un
acharnement particulier caractérisait les veilles de fêtes de ceux
qui avaient été les plus actifs dans leur lutte contre le démon.
Gemma Galgani se trouvait en première position et on lui ad
joignait aussi la Congrégation Passioniste. Même chose pour
François d'Assises et la Famille Franciscaine,et, pour Benoît de
Nursie et la Famille Bénédictine.

Ce dernier saint était particulièrement haï à cause de la mé


daille-croix qui porte son nom et sur laquelle sont inscrites
des formules exorcistes:N.D.S.M.D.{Non draco sit mihi dux
— Que le démon ne soit pas mon maître); V.R.S.N.M.V.
{Vade rétro satana ; nunquam suade mihi varia — Arrière,
Satan ; ne me persuade pas de tes vanités); S.M.Q.L.I.V.B.
[Sunt mala quae libas;ipse venena bibas— Ce que tu offres
est mauvais ; hois toi-même ton venin). Selon la tradition
transmise par les textes bénédictins, la médaille-croix : "ex
pulse des corps humains tout maléfice, lien et œuvre diabo
lique; en quelque lieu qu'elle soit placée, elle empêche toute
personne malfaisante d'approcher; elle met en sécurité les
hommes qui subissent des vexations, par astuce et malice, du
démon;c'est une arme très puissante contre toute tentation,
principalement pour conserver la pureté du cœur et de l'esprit."
Ces saints étaient combattus parce que Satan les avait pris
en aversion. On mettait aussi, avec eux,les dévots. Par exem
ple, le padre Pio qui, au milieu des années quatre-vingt-dix
n'avait pas encore été béatifié (il le sera en 1999,et proclamé
saint en 2002).On disait de tout contre lui:on peut affirmer
102
que les satanistes l'avaient canonisé avant les catholiques,ou,
en tout cas, qu'ils étaient d'avance convaincus de sa sainteté,
bien avant que l'Église ne la proclame officiellement. Il exis
tait, en outre, un rituel précis contre ses "fils spirituels"et ses
dévots réunis en Groupes de prière:ils étaient véritablement
l'objet de malédictions, et l'expression de ces malédictions
pouvait durer une petite heure, à l'intérieur même de la
messe noire.

Les "litanies" de malédictions

La période la plus intense était cependant la Semaine


Sainte. C'était vraiment toute une "odyssée", parce que les
rites se succédaient, nuit après nuit, selon des modalités di
verses, et que nous en sortions en morceaux. Cinq jours d'af
filée, du mercredi au dimanche, pendant lesquels je vivais
dans un climat de folie humaine,continuellement sous l'em
prise de la drogue — la cocaïne et les gouttes de la Doctoresse
— que je prenais aussi pendant les cérémonies. Au cours de
cette semaine-là,je n'avais aucun rapport avec l'extérieur,je
ne travaillais pas. Le rite se poursuivait jusqu'à sept-huit
heures du matin,puis je rentrais chez la Doctoresse et restais
avec elle, dans cette atmosphère diabolique,jusqu'au soir,
quand nous retournions à la crypte.
C'était une période entièrement consacrée aux rapports
sexuels avec les animaux. Dans ces cérémonies,comme dans
celles des saints, il y avait une particularité: alors que d'ha
bitude on ne recueillait et ne mettait dans le calice que le sang
de l'animal sacrifié (oiseau, chien, bouc...), là on arrachait
le cœur de la poitrine de l'animal et on le mettait dans le
calice, pour ensuite le brûler en fin de cérémonie. On attei
gnait l'apogée dans les nuits du Samedi Saint et du Dimanche
de Pâques: pour nous, à ces moments précis, le Christ était
mort et Satan était vainqueur.
Je me souviens bien de deux autres épisodes.

103
La nuit du 14 au 15 août 1996, j'assistai à l'initiation d'une
fille qui, à voir son corps, devait être très jeune. Le rite fut
plus ou moins le même que le mien, et j'eus le sentiment
qu'elle aussi avait été introduite dans la secte par la
Doctoresse car cette dernière avait, avec elle, le même com
portement qu'elle avait eu avec moi.
Et puis, entre fin octobre et début novembre, à savoir les
nuits précédant Halloween (31 octobre) et le Jour des Morts
(2 novembre),se tenait l'unique rendez-vous dans un cime
tière où nous profanions des tombes et y volions des osse
ments en suivant un rituel spécifique à la fin duquel ils
étaient détruits.

Il m'était arrivé parfois de participer à un rite dans une bâ


tisse qui ressemblait à une petite église. J'en ai reçu récem
ment l'explication, en lisant cette dénonciation du père
Francesco Bamonte,expert en la matière: "à l'occasion de la
vente de diverses chapelles qui n'étaient plus utilisées pour le
culte, il est arrivé que certaines soient acquises précisément par
des individus qui, cachant leur appartenance à des groupes sa-
tanistes, les ont ensuite utilisées(et les utilisent toujours!)pour
leurs rites infâmes."
Quant à l'étendue du problème, le Département de la
Sécurité Publique lui-même est intervenu en 1998, dans un
Rapport sur les sectes religieuses et les nouveaux mouvements
magiques en Italie, où il est signalé : "Vu la tendance naturelle
des mouvements satanistes à opérer clandestinement, l'évalua
tion en terme de chiffres est beaucoup plus incertaine, et ce d'au
tant plus que les informations à ce sujetsontsouvent recueillies
indirectement et, comme telles, impossibles à vérifier... Il est
toutefois indéniable que, un peu partout, il y a eu et il continue
à y avoir, dans des zones de campagne (à l'air libre, dans des
grottes, dans des chapelles désaffectées) ou en périphérie urbaine
(édifices en ruine, bâtiments désormais inutilisés, locaux aban
donnés), des indices qui témoignent du déroulement, toujours
de nuit, de célébrations à fond satanique."

104
Dans chaque crypte ou grotte où se déroulaient les messes
noires, il y avait toujours beaucoup de "petits saints":outre
les saints déjà cités, je voyais de nombreuses images de la
Vierge, avec ses différents titres (c'est là que j'ai vu, pour la
première fois, la Reine de la Paix vénérée à Medjugorje !). Il
y avait aussi des photos d'hommes et femmes d'Église :Jean-
Paul II y était toujours, j'ai vu parfois mère Teresa de
Calcutta, et encore d'autres — parmi lesquels, des étrangers
— que je ne connaissais pas.
Au centre de cette attention particulière se trouvaient
divers exorcistes dont le Prêtre de Satan a la liste et les pho
tographies:l'alors archevêque Emmanuel Milingo,l'évêque
Andréa Gemma, le défunt père Candido Amantini, don
Gabriele Amorth,le père Matteo La Grua. Il y en avait d'au
tres encore dont je ne me rappelle plus le nom. C'était
comme une litanie de saints à l'envers. On proclamait leurs
noms et on leur lançait des malédictions: "Que tu ne puisses
plus exercer!; Que tu sois frappé d'une maladie mortelle..."
En résumé, "on leur en envoyait",comme on dit à Rome!Le
Prêtre prenait successivement la photo de chacun d'eux, la
montrait au demi-cercle d'adeptes et la brûlait dans le brasier
en la fixant avec attention.
Les fuyards, ceux qui avaient abandonné la secte, étaient
traités de la même façon. Leurs noms étaient maudits et je
peux aujourd'hui témoigner que cela était suivi d'un certain
effet. La constance et la persévérance des adeptes à persécu
ter les "ex" sont inépuisables. Il y a, dans l'année, deux ou
trois moments un peu plus intenses où je passe des nuits très
"animées". J'ai, par exemple la sensation que tous les petits
os de mon corps se brisent, un à un,comme si quelqu'un me
les cassait. Ou bien il y a un meuble qui se déplace d'un côté
ou de l'autre. Je me dis alors que j'aime bien changer, de
temps à autre,la disposition de mon mobilier et que le Père
Éternel permet que cela se fasse ainsi afin de m'éviter de le
faire par moi-même au risque d'attraper mal au dos...

105
Les victimes des "tragédies du samedi soir" n'étaient pas
non plus épargnées. À un certain moment de la messe noire,
un confrère passait au Prêtre une liste de noms de personnes
qui,dans toute l'Italie, étaient mortes d'accidents de la route
le samedi précédent. 11 les lisait, et chaque nom était suivi
d'un grondement de notre part. Cela semblera absurde,mais
nous ressentions un mouvement d'orgueil car nous considé
rions ces jeunes — qui, pour la plupart étaient morts à cause
de la drogue — comme damnés, parce qu'il nous semblait
difficile que leur âme fut allée au Paradis.Pour les satanistes,
en fait, tous ceux qui décident volontairement de se détruire
avec de la drogue ou qui instrumentalisent leur corps à tra
vers des rapports sexuels, sont des disciples implicites du
démon.La nuit de chaque samedi nous les consacrions tous,
de façon indirecte,et nous offrions,en particulier,à Satan les
jeunes qui mourraient durant ces heures-là.
En résumé,c'était comme un rituel en deux temps. Dans la
première partie, on clamait les noms de ceux qui étaient
morts le samedi précédent. On entendait des noms prove
nant de diverses régions,en moyenne trois-quatre et jusqu'à
dix, et il n'est jamais arrivé qu'aucun nom ne soit cité. Dans
la seconde partie, en revanche, on consacrait toutes les per
sonnes qui allaient mourir cette nuit-là à la sortie des disco
thèques, sous l'emprise de la drogue et de l'alcool. Il ne
s'agissait pas d'une malédiction générale, mais d'une vérita
ble séquence spécifique.En y repensant aujourd'hui,je trouve
renversant que — comme les catholiques confient à Dieu les
âmes des défunts — nous, nous confiions ces âmes à Satan.

Une musique de défonce


Pendant les orgies on utilisait aussi des instruments:cra
vaches, phallus en caoutchouc et autre attirail sadomaso
chiste. J'ignore qui les apportait, mais ils étaient là, à la
disposition de qui voulait les prendre et les utiliser. Le délire.

106
qui allait croissant pendant la cérémonie, atteignait de tels
degrés d'excitation qu'il pouvait arriver n'importe quoi.
Nous perdions tout contrôle de la situation, l'adrénaline
montait au maximum et l'objectif de chacun était de donner
et d'éprouver un plaisir total. C'est un peu comme au stade,
quand le supporter s'échauffe au fur et à mesure que la partie
avance,jusqu'à atteindre le paroxysme de l'exaltation si son
équipe marque un but.
Chacun pouvait faire ce qu'il voulait. Je dois dire qu'en réa
lité personne n'avait envie de s'y soustraire parce que cela fai
sait partie du jeu. Si on te battait,ça allait bien ;si on t'urinait
dessus, ça allait bien aussi... Cela devenait vraiment une
grande pagaille :il n'y avait plus ni ordre ni règle. Dans tous
les cas il n'arriva jamais que quelqu'un se fît vraiment mal.
On pouvait garder des marques de griffures ou de coups de
cravache, mais personne ne restait étendu à terre.
Parfois le Prêtre prononçait une phrase fatidique en se
tournant vers l'un de nous: "Tu es l'élu."C'était un cadeau,
pour des raisons qu'aucun de nous connaissait. L'élu deve
nait alors le centre de l'attention et chacun lui faisait quelque
chose:qui le fouettait,qui pratiquait sur lui un rapport oral,
qui le stimulait analement,et ainsi de suite. Vu de l'extérieur,
cela pourrait sembler un traitement "lourd":pour l'intéressé,
au contraire, cela représentait une reconnaissance impor
tante de sa valeur à l'intérieur de la secte.
11 m'avait aussi été dit, depuis le début, que nous ne pou
vions prendre aucune initiative, de quelque type que ce soit,
avec le Prêtre. Personne ne pouvait avoir de rapports sexuels
avec lui à part la Doctoresse qui était,elle aussi,une Prêtresse.
Les seules dérogations concernaient les rites d'initiation et
les fois où l'une des femmes avait ses menstruations:le sang
était alors recueilli et mis dans le calice, avec le sang d'un
animal et le sperme du Prêtre,et utilisé dans la messe noire.
Pendant les orgies,les rapports de tous types, actifs et pas
sifs, hétérosexuels et homosexuels,avec des animaux et sado-

107
masochistes, étaient normaux. L'unique objectif était d'at
teindre le plaisir maximum.En pratique, c'était comme une
drogue, un crescendo continuel,comme faire tomber un mur
après l'autre. Le slogan qui me guidait était:"Aujourd'huij'ai
essayé ça etj'ai éprouvé du plaisir. La prochainefoisj'essayerai
autre chose etj'en éprouverai encore plus."Le résultat final était
une totale destruction,tant psychique que physique.
L'excitation était aussi favorisée par la musique martelante
qui, à la fin de la messe, sortait d'une stéréo à piles. C'était
une musique hallucinante, qui augmentait rythmiquement
en volume et en intensité. Des hurlements étaient mêlés à la
musique:je pense qu'elle avait été enregistrée exprès pour
les rites parce qu'il ne m'est jamais arrivé de l'entendre ail
leurs. J'ai noté quelques ressemblances avec la musique de
Marilyn Manson :sa production est "construite" pour faire
scandale et se faire de la publicité, mais, si je l'écoute au
jourd'hui,j'en ressens néanmoins une grande gène et je me
sens reportée dans l'atmosphère de ces nuits de samedi.
Je ne sais pas quel effet ce genre de musique qu'on me dit
très utilisée dans les discothèques peut avoir sur les jeunes
qui les fréquentent. Il est certain qu'elle ne fait pas de bien.En
nous, ces rythmes forcenés provoquaient une exaltation si
forte que si l'on nous avait donné un couteau et dit: "main
tenant tuez-vous", je pense que nous l'aurions fait. Nous
avions tellement perdu la tête que nous aurions pu faire
n'importe quoi.

Crise du sommeil et de l'appétit


Pour pouvoir rester dans ces ambiances inconfortables
(pendant les périodes froides il y avait toutefois des poêles
— électriques dans les caves,à gaz dans les autres cas — pour
réchauffer l'atmosphère), nous faisions usage de drogue et
d'alcool. La cocaïne était notre fidèle compagne,tandis que

108
les boissons hyper-alcoolisées nous servaient à en atténuer la
charge stimulante. Dans la dernière heure de la cérémonie,
on nous distribuait des substances qui nous permettaient de
récupérer un peu de lucidité, tant au point de vue physique
que mental,de façon à pouvoir rentrer indemnes à la maison.
Le dimanche matin,j'entrais dans mon immeuble avec un
chapeau sur la tête et des lunettes sombres et, normalement,
je ne rencontrais personne. Ensuite je prenais une douche et
me jetais sur le lit, totalement épuisée.
Si je me regarde telle que j'étais alors,je ne peux me défi
nir autrement que comme un "cadavre ambulant".
Physiquement et mentalement, nonobstant toutes les
drogues et les gouttes que je prenais,j'étais vraiment au plus
bas. J'ignore combien de temps j'aurais pu durer si j'étais
restée dans la secte. Je serais très probablement morte d'un
infarctus ou bien j'en serais arrivée au suicide, parce qu'il
était impossible de continuer de mener un tel rythme de vie.
Mon organisme ne réussissait plus à récupérer:tant le som
meil que l'alimentation s'en étaient profondément ressentis.
Dans la secte,le rapport à la nourriture était le pire qui soit.
Avant les rites,j'avais une faim incroyable,et,après,l'appétit
me passait et je ne mangeais quasiment rien. C'était aussi un
problème au travail parce que j'arrivais juste à goûter les
mets, mais pas à manger. Le samedi à midi, il me venait une
faim absurde et j'étais alors capable de vider le réfrigérateur.
C'était peut-être un ordre qui m'avait été donné le matin
sous hypnose. À partir du dimanche je ne touchais quasi
ment plus aucun aliment,je n'en ressentais pas le besoin.
J'ai même été hospitalisée d'urgence pour anorexie. J'étais
très maigre et si faible qu'un jour je m'étais évanouie dans la
rue. L'ambulance était venue et m'avait amenée à l'hôpital
où mes analyses de sang révélèrent des taux totalement hors
normes.On me fit diverses perfusions. La Doctoresse arriva
ensuite (j'ignore comment elle l'avait su parce qu'il est évi
dent que je n'avais pas été, moi,en état de l'appeler); elle me

109
fît signer une décharge de sortie et m'amena chez elle. Là,elle
me fît des piqûres, mais je n'ai retrouvé une alimentation ré
gulière qu'après mon entrée à Niwvi Orizzonti.
Le sommeil,aussi,a commencé à disparaître peu à peu,dès
les premiers mois de ma participation à la secte. Je ne dor
mais que deux heures par nuit, et parfois pas du tout. La co
caïne et les gouttes que me donnait la Doctoresse en étaient
certainement l'une des causes. Mais je suis sûre que l'inter
vention satanique jouait aussi. Encore aujourd'hui,aux mo
ments les plus forts de l'année liturgique, le sommeil est la
première chose qui disparaît chez moi,et ce trouble est vrai
ment d'origine satanique. La preuve en est que, ayant fait
vœu d'obéissance,si la responsable de la communauté m'or
donne de dormir "au nom de la sainte obéissance",je tombe
effectivement comme une masse. Et je ne suis pas du tout du
genre influençable dans ce domaine.
Dans la même lignée, j'ai une autre anecdote qui date du
temps de mes premières années à Nuovi Orizzonti. Pendant
une longue période je n'arrivais vraiment pas bien à dormir.
Je suis alors allée voir une psychothérapeute et lui ai de
mandé un psycholeptique ; elle m'a dit que je ne devais pas
prendre de médicament dont je risquais de devenir dépen
dante par la suite. Elle m'a toutefois envoyée, pour un
deuxième avis,chez une psychiatre vraiment compétente,elle
aussi consacrée (à Dieu), laquelle m'a écoutée deux heures
puis m'a dit: "Écoute:mais toi, qui as-tu épousé ? Un grand
blond aux yeux bleus avec une chemise blanche, ou bien
quelqu'un qui est mortsur la croix avec une couronne d'épines,
qu'on a insulté et sur qui on a craché ?"Et elle a conclu : "Ne
prends pas de médicament. Prie et tu verras."

Les rituels sur les enfants


J'ai volontairement gardé pour la fin les souvenirs qui font
le plus mal. Je ne peux pourtant pas éviter de les raconter ici

110
parce que je suis convaincue de la nécessité de mettre tout le
monde au courant de ce que sont et font vraiment les sectes
sataniques.
Le pire avait lieu la veille des fêtes consacrées aux anges et
aux enfants:aux trois archanges Michel, Gabriel et Raphaël
(29 septembre), aux anges gardiens (2 octobre), à Noël
(25 décembre), aux saints innocents (28 décembre), à
l'Epiphanie(6 janvier),à la présentation de l'Enfant Jésus au
Temple(2 février, appelée aussi la Chandeleur). Ces trois der
nières occasions, en particulier, mettaient au premier plan
les rituels sur les enfants qui ont été, pour moi,dans l'absolu,
les plus dramatiques.
Parfois, durant la messe noire, un enfant était enfermé
vivant dans un sarcophage. Mais je ne sais pas si après ils l'y
laissaient ou l'en retiraient: lors de ces rites, la Doctoresse
me faisait sortir avant la fin, vu que je n'avais pas encore at
teint le niveau requis à l'intérieur de la secte. À une autre oc
casion,on a fait boire à une enfant une potion,empoisonnée
je pense, parce que, tout de suite après, elle a commencé à
avoir des douleurs atroces au ventre : elle se contorsionnait
comme une folle,jusqu'à tomber inanimée à terre.
La nuit du 5 janvier était réservée au baptême diabolique,
avec consécration des nouveaux-nés à Satan. Une mère porta
à l'autel un enfant qui devait avoir deux-trois jours et le remit
au Prêtre qui lui aspergea de sang tout le corps avec le poi
gnard et prononça quelques formules. La femme fut récom
pensée par un rapport sexuel avec le Prêtre et avec un autre
adepte de son choix.Au moment de l'élévation du calice, il lui
fut en outre permis de le lever en même temps que le Prêtre,
ce qui était vraiment un grand honneur.
Une autre fois, j'ai vu la consécration du fœtus qu'une
femme enceinte a faite, offrant l'enfant à Satan alors qu'elle
le portait encore dans son ventre. J'ai revu cette femme les
semaines suivantes. Mais il pouvait arriver,ensuite,que l'en
fant naisse — ou soit accouché par césarienne — et ait une

111
vie brève:tout dépendait de la glorification du démon.Ces
nouveaux-nés,enfants de femmes qui ne faisaient pas partie
de la secte, provenaient d'accouchements clandestins effec
tués par des médecins complaisants et n'étaient pas enregis
trés à l'état-civil.
Moi,je n'ai jamais pris de précautions pour ne pas tomber
enceinte, bien que dans les rites on eût des rapports de toutes
sortes. Je n'utilisais même pas de préservatifs pour me pro
téger du risque de transmission de maladies sexuelles.
Toutefois, quand l'une d'entre nous était enceinte, elle était
considérée comme une élue de Satan et, dans notre folie,son
enfant représentait une offrande pour lui.
Dans la nuit du 27 décembre,en signe d'affront envers les
enfants tués par Hérode et qui sont vénérés par l'Église
comme des martyrs innocents, on offrait un sacrifice d'en
fant à Satan. Quelques semaines auparavant,durant une nuit
de samedi,j'avais entendu le Prêtre se mettre en colère contre
un confrère qui n'avait pas encore trouvé l'enfant à offrir
pour cette date ; par la suite, cette tragique recherche avait
abouti.
Il s'agissait d'un petit garçon de six ou sept ans,vêtu d'une
tunique blanche, sans cagoule. Il s'accrochait aux bras du
Prêtre, comme s'il avait confiance en lui ; il avait probable
ment été drogué. Je n'avais encore jamais, auparavant, en
tendu les formules prononcées alors: on invoquait
seulement Asmodée,alors que dans les autres occasions j'en
tendais nommer aussi Lucifer et Belzebuth. La Doctoresse
me murmurait ; "Regarde comme il a de la chance... il peut
faire don de son innocence à Satan..."
Tandis qu'un autre adepte tenait fermement l'enfant, le
Prêtre l'étendit sur l'autel et commença à lui faire couler
dessus, goutte à goutte, de la cire bouillante. D'autres
confrères lui passèrent aussi de petits charbons ardents sur le
corps. Le petit hurlait et la rage montait en nous,de plus en
plus, contre lui. Le Prêtre le sodomisa ensuite, et tous les

112
hommes de la secte firent de même. À la vue des abus dé
mentiels auxquels était soumis ce pauvre enfant,j'éprouvai
un blocage qui me rendit incapable de faire quoi que ce soit
contre lui. Certaines violences subies dans mon enfance
m'étaient probablement revenues à l'esprit. La Doctoresse
décida alors qu'une "thérapie" plus intense était nécessaire
pour que je puisse faire carrière dans la secte. Il fallait inten
sifier les séances pour faire tomber mon blocage envers les
enfants. Une messe noire incluant l'offrande d'un autre
enfant était déjà programmée (juste après la réalisation de
ma "mission"concernant Chiara), et je devais pouvoir y dé
montrer que j'avais surmonté mon blocage. Je sus par la
Doctoresse que je devais me former de façon adéquate parce,
dans certains rites, l'offrande d'un enfant à Satan devait
s'achever en coupant les testicules de l'enfant et en déposant
son cœur dans le calice.

Le cauchemar qui me poursuivra toute ma vie, ce sont ces


yeux perdus et terrorisés, même si certaines scènes auxquelles
j'ai assisté durant ces rites(où,entre autres,j'étais bourrée de
drogue et d'alcool) ont dû être tellement traumatisantes que
je ne réussis même plus à m'en souvenir ;quand un flash re
vient à ma mémoire,j'éprouve une douleur si lancinante que
j'ai vraiment l'impression de devenir folle. Encore récem
ment,quand on m'a mis dans les bras des petits enfants,j'ai
été prise d'une angoisse qui m'a contrainte à les redonner à
leur maman et à m'enfuir en pleurant. Quand,dans les pre
miers temps de ma conversion,je me confiais à Chiara,je lui
répétais que—même si la miséricorde infinie de Dieu m'avait
pardonnée — je ne réussirai jamais, moi, à me pardonner
d'avoir assisté à des rites aussi horribles.
D'après ce que j'ai compris, certains des enfants sacrifiés
par la secte avaient été pris dans la rue, choisis parmi ceux
qui demandent l'aumône aux feux de signalisation et dont,
en substance, personne ne s'occupe. Même s'ils disparaissent,
il est peu probable que leur famille gitane le déclare aux
forces de l'ordre. D'autres enfants arrivaient,quant à eux,du

113
circuit de la pédophilie qui,et pas que rarement,sert de cou
verture aux activités sataniques.
Au cours du rite du 27 au 27 décembre,je ne réussis pas à
commettre une quelconque violence sur cet enfant, malgré les
sollicitations de la Doctoresse qui me répétait: "Détruis-le et
même l'enfance terrible que tu as vécue disparaîtra en toi."De
retour à la maison,durant les jours où je me préparais pour le
meurtre de Chiara, elle me disait qu'avant de devenir
Prêtresse, j'aurai une autre occasion de violer un enfant :
quand la secte,au cours de la cérémonie du 1-2 février,entre
autres, consacrerait les bougies destinées à être utilisées pen
dant l'année.
Jusqu'alors la pensée : "Mais qu'est-ce queje suis en train de
faire?", ne m'était pas venue à l'esprit. Tout se déroulait
devant moi comme si c'était normal. D'ailleurs, chaque fois
que je participais à un nouveau rite, il me semblait l'avoir
déjà vécu auparavant. En revanche, à partir de ce moment-
là, dans un petit coin de ma tête, un doute commença à s'in
filtrer sur ce que j'étais en train de faire. Au blocage émotif
qui m'avait tenaillée durant le rite sur l'enfant,s'était ajoutée,
en outre, la peur qu'un jour ou l'autre je finisse, moi aussi,
comme l'une de ces filles qui avaient été sacrifiées. En même
temps, pourtant,je ressentais une volonté de puissance que
la promotion au rang de Prêtresse me permettrait d'attein
dre... Un sentiment de valse-hésitation dans lequel je conti
nuerai à me débattre même après m'être réfugiée à la
communauté à Trigoria, pendant que le père Raffaele com
battrait, pour me soutenir, en faisant des exorcismes.

114
5
Le lent chemin de la résurrection

Avec les deux baisers de Chiara, le premier le 6 et le


deuxième le 17 janvier 1997, tout finit et tout commença
pour moi.Ces gestes n'avaient pas seulement représenté une
salutation entre deux personnes qui s'étaient rencontrées,
mais s'étaient transformés en un signe de paix entre le Père
et le fils retrouvé:j'étais vraiment le "fxh prodigue" qui re
vient à la maison après avoir fait l'expérience de la destruc
tion. À cet instant-là, je découvris Dieu et je retrouvai
l'Amour:une femme avait vraiment redonné vie à mon âme
morte, comme cela m'avait été prophétisé quelques années
auparavant.
Pendant ce temps,toutefois,l'alarme avait dû sonner à l'in
térieur de la secte quand ils eurent la confirmation que je
m étais enfuie et cachée.Au début ils ont dû s'interroger sur
la façon de me tuer. Après ils ont dû prendre des précautions
pour éviter que ce que je savais puisse leur faire du tort. Je
me suis rendue compte par la suite que,très probablement,
je ne représentais pour eux qu'un pion, à savoir que, après
avoir éliminé Chiara,je serais arrêtée par la Police et je fini
rais en prison.
Après-coup,je crois vraiment que j'aurais mal fini,que j'aie
rempli ma mission meurtrière ou que je sois revenue à la secte
sans avoir commis le meurtre,parce qu'ils étaient trop malins
et qu'ils ne pouvaient pas risquer de garder en vie un témoin
comme moi. Leur raisonnement avait dû être le suivant:
mieux vaut tuer Chiara tout de suite puisque,de toute façon,
nous ne pourrons jamais avoir son âme (car l'objectif de la

115
secte est d'amener le plus de personnes possible à la damna
tion), parce que son activité d'accueil des jeunes déviants
ferait perdre à Satan beaucoup plus d'âmes.Et pour atteindre
ce but, me sacrifier ne posait aucun problème.
Quelques semaines après mon arrivée à Trigoria, le père
Raffaele me dit que la Doctoresse ne pouvait plus faire de
mal à qui que ce soit, et j'ai donc pensé que les membres de
la secte l'avaient éliminée — sachant qu'elle en constituait le
seul lien que je connaissais — ou bien qu'elle avait fini en
prison. Mais le père Raffaele a eu la délicatesse de ne plus rien
me faire savoir sur ce milieu.Il m'a seulement donné d'être
tranquille, de ne plus avoir peur d'eux.
J'ai en mémoire le flash d'un voyage que je fis,je ne me rap
pelle plus quel jour,avec le père Raffaele et certains de ses col
laborateurs. Il me semblait être dans un film d'espionnage
tandis que je me dirigeais,dans une voiture blindée,vers l'ha
bitation où j'avais vécu du temps de la secte. Arrivés en bas
de la maison, un membre de notre groupe était descendu
pour faire le tour du pâté de maisons,tandis qu'un autre était
monté à mon étage pour vérifier s'il ne remarquait rien
d'anormal. Nous entrâmes ensuite tous ensemble chez moi
et,en moins de quatre heures,ils prélevèrent tout ce qui était
important:vêtements,computer, papiers et agendas.
Il y avait aussi,en plusieurs endroits de la maison,de nom
breux objets relatifs à la secte: médailles et bracelets avec des
symboles sataniques,boucles d'oreilles particulières — que je
mettais pendant les rites — avec des pendants en forme
d'étoiles à cinq pointes. Une des choses les plus curieuses
qu'ils trouvèrent fut un coussin rembourré avec des feuilles
et des herbes particulières, que la Doctoresse m'avait dit
d'utiliser quand je ne réussissais pas à dormir.
De retour à Rome,tout fut brûlé dans la cour d'un établis
sement religieux. De nouveaux habits et objets personnels
me furent donnés, après avoir été bénis par l'exorciste. Le
père Raffaele m'a raconté, en particulier, que la tunique
116
blanche de ma consécration à Satan — le seul habit rituel
que je gardais chez moi,car la tunique et la cagoule de céré
monie m'étaient données à chaque fois par la Doctoresse qui
les reprenait ensuite —,prit feu dès qu'il l'aspergea d'eau
bénite et fut réduite en cendres en un instant !

Dans mon appartement, ils trouvèrent également un ap


pareillage informatique de pointe. Une des personnes qui
m'avait accompagnée était un spécialiste de la Police et il me
dit que même eux n'avaient pas d'instruments aussi sophis
tiqués. En y repensant,je me suis rendue compte que cela fai
sait probablement partie d'un plan de la secte, pour le cas où
j'aurais été encore en état de travailler pour eux : m'impli-
quer dans le monde de la pédophilie via internet.
Précisément à la même époque,la Belgique était au centre de
l'attention, avec les tristes histoires de ces petites filles enle
vées et tuées, et je me rappelle qu'ils avaient fait allusion
devant moi à des contacts queje devrais avoir avec ce pays et
la Hollande.
Une chose m'a bouleversée quelques années après:la vue
d'un Polaroid que le père Raffaele avait trouvé dans l'un de
mes agendas ; c'était le portrait d'un enfant de quatre-cinq
ans assis sur un petit Robot-Ovni,à côté duquel on voyait les
jambes d'une femme, peut-être sa maman. Le vague souve
nir que j'en conserve est qu'il s'agissait d'un garçon qu'un
membre de la secte avait désigné comme cible d'un enlève
ment:et c'était probablement moi qui, précisément, aurais
été chargée de l'enlever et de le faire disparaître.

Ma renonciation à Satan

J'ai un énorme trou noir dans ma tête concernant les pre


mières semaines qui ont suivi ma fugue.Ce que j'ai vécu,je l'ai
reconstruit peu à peu pendant toutes ces années,à travers les
récits du père Raffaele et des rares personnes qui, à l'époque,

117
assuraient ma sécurité en se relayant jour et nuit à mes côtés,
dans l'appartement secret où j'étais hébergée. Ils m'emme
naient tous les jours chez le père Raffaele pour les exorcismes,
lesquels ont constitué de vrais drames car j'avais véritable
ment atteint le niveau maximum de l'action diabolique.
À la lecture du livre de don Gabriele Amorth, Un exorciste
raconté',) ai mieux compris que l'action du démon peut être
de deux sortes: celle "ordinaire" qui s'adresse à tous les
hommes pour les tenter au mal,et celle "exfraordmmVe"à la
quelle Dieu ne consent que dans des cas déterminés. Don
Amorth subdivise cette dernière en six catégories différentes.
Les souffrances physiques externes provoquées par Satan,sont
des phénomènes auxquels de nombreux saints ont été
confrontés au cours de leur vie et qui ne nécessitent pas le
recours à l'exorcisme. Les infestations diaboliques ont pour
objet des choses et animaux de toutes sortes, mais pas les per
sonnes. Vobsession diabolique concerne les "attaques brutales,
parfois continuelles, les pensées obsessionnelles,parfois pouvant
allerjusqu'à absurde, dont la victime n'est pas en mesure de se
débarrasser."La vexation diabolique consiste en des "troubles
et maladies, de très graves à peu graves, mais qui n'atteignent
pas pour autant la possession, qui ne font pas perdre la
conscience,faire des actes ou prononcer des paroles dont l'on
n'est pas responsable."
Viennent ensuite les deux pires situations qui soient. La pos
session diabolique, qui "est la forme de tourment la plus grave
et qui a lieu quand le démon prend possession d'un corps (et
non pas d'une âme)et lefait agir et parler comme il veut, sans
que ta victime puisse résister et donc sans qu'elle en soit mora
lement responsable."Enfin, la sujétion ou dépendance diabo
lique, qui se vérifie "quand, volontairement, on se met au
service du démon:les deuxformes les plus utilisées sont le pacte
de sang avec le diable et la consécration à Satan ".

1- NdT:Aux Editions François-Xavier de Guibert.

118
J'étais dans ce dernier cas,le plus terrible et difficile à com
battre. Le père Raffaele était, de toute évidence,habitué à af
fronter des situations dans lesquelles le démon manifestait
sa présence de toutes les façons, et n'avait aucunement l'in
tention de débarrasser les lieux. Mon cas,cependant,se révéla
dès le début l'un des plus extrêmes qu'il ait jamais rencontré.
Ce que je sais, c'est que dès qu'il commençait à prier sur moi,
je m'écroulais et j'en faisais voir de toutes les couleurs. Je ma
nifestais une force surhumaine, au point, une fois, de faire
voler dans les airs quatre jeunes qui cherchaient à m'immo-
biliser. Ses collaborateurs m'ont dit que j'étais vraiment im
possible à maîtriser et que pendant les premières séances ils
furent obligés de m'attacher à un petit lit.
Je me rappelle l'humiliation que j'éprouvais quand je rou
vrais les yeux et que je me retrouvais attachée, tandis que le
père Raffaele récitait des formules en latin et que d'autres
personnes priaient sans interruption dans la petite chapelle
d'à côté. Parfois, la douleur était telle que je me mettais à
pleurer, mais il me tranquillisait et la communauté me sou
tenait et me donnait la force d'affronter ces moments si durs
pour moi.
Ils me disaient que les exorcismes avaient duré de quatre à
huit heures, mais je n'avais aucune conscience du temps qui
passait. Parmi le peu de chose dont je me souviens, il y a les
moments où le père Raffaele prononçait le nom de Lucifer,
parce qu'alors de terribles maux de tête me prenaient,
comme si l'on m'enfonçait des poignards dans le cerveau,et,
quand il nommait Asmodée,parce que cela me déclenchait
d'atroces douleurs aux organes génitaux,comme si une main
m'arrachait les entrailles. Dans mes moments de lucidité, le
père Raffaele me faisait répéter des prières par lesquelles je
cassais toutes les consécrations diaboliques. C'est là que j'ai
appris par cœur le Credo et les renonciations baptismales("Je
renonce à Satan et à toutes ses œuvres, à toutes ses séductions"),
tant il me les a fait répéter.

119
Il me faisait lire, aussi, la célèbre prière à saint Michel ar
change: "Saint Michel archange, défends-noiis dans le combat,
sois notre secours contre la perfidie et les embûches du démon.
Que Dieu exerce sur lui son empire, nous te le demandons en
suppliant, et toi, prince de la milice céleste, refoule en Enfer,par
la vertu divine,Satan et les autres esprits malins qui errent dans
le monde pour la perte des âmes. Amen."C'est le pape Léon
XIII qui l'a écrite après avoir eu, le 13 octobre 1884, une
vision terrifiante au cours de laquelle il entendit la vont de
Satan menacer l'Église de destruction et il vit que l'archange
Michel s'opposait avec force à l'arrogance démoniaque. Le
pontife ordonna de dire ce texte à la fin de chaque Messe. La
disposition fut abolie par l'Instruction Inter œcumenici,sous
Paul VI, mais Jean-Paul II, dans le Regina cœli du 24 avril
1994,invita à la réciter chaque jour.
Cette prière anticipe de nombreuses affirmations de l'Église
de notre temps sur les forces infernales. Je me limite à
quelques citations: l'histoire universelle "est une dure lutte
contre les puissances des ténèbres, lutte qui a commencé dès l'ori
gine du monde et qui durera,comme le dit le Seigneur,jusqu'au
dernier jour" (constitution "Gaudium et spes du Concile
Vatican II); "Il reste certain que la réalité démoniaque, attestée
concrètement parce que nous appelons le mystère du mal, de
meure encore aujourd'hui une énigme qui entoure la vie chré
tienne. Nous ne savons pas davantage que les apôtres pourquoi
le Seigneur le permet, ni comment il lefait concourir à ses des
seins, mais il pourrait arriver que — dans notre civilisation en
vahie par un horizontalismc séculaire — les explosions
inattendues de ce mystère offrent un sens moins réfractaire à la
compréhension. Elles obligent l'homme à regarder plus loin, plus
haut, au-delà de l'immédiate évidence;elles nous permettent, à
travers la menace et la prépondérance du mal qui entravent
notre chemin, de discerner l'existence d'un au-delà à déchiffrer,
et de nous tourner vers le Christ pour écouter la bonne nouvelle
du salut offert en grûce"(Document Foi chrétienne et démonologie de la
Congrégation pour la Doctrine de la Foi).

120
Le récit du pèreRaffaele
Il y a quelque temps j'ai enfin trouvé la force de demander
au père Raffaele une description plus précise de ce qui s'était
passé pendant les exorcismes,et il m'a remis la retranscrip
tion des notes qu il avait prises à la fin de nos rencontres.
C est un journal qui,dans sa concision, met en lumière divers
aspects inconnus des pratiques ésotériques. C'est pour cette
raison que j'ai décidé de le citer in extenso ci-après.
"Quandje lui ai donné la main, Micliela est tombée par
terre comme une masse. Ses amis l'ont relevée, mais à peine
l'ai-je touchée qu'elle s'est à nouveau écroidée. C'était une
tentative du démon de m'échapper. Quand il comprit, tou
tefois, quej'avais reconnu sa présence, le combat commença.
Les yeux de Michela se sont transformés et elle m'a lancé un
regard chargé de haine. Elle n'était plus elle-même:elle a
commencé à dire de tout, des jurons, des blasphèmes. Ses
yeux se sont révulsés et elle m'en a montré le blanc. Je me
suis aperçu qu'elle cotitinuait pourtant à voir ce qui se pas
sait autour d'elle.
Peu après, elle a commencé à parler avec une voix mascu
line qui variait selon ce qu'elle disait:d'abord caverneuse,
puis suave,puis irritée... Ses bras tournoyaient defaçon non
naturelle et elle ne réussissait pas à les contrôler. Elle mani
festait des capacités surhumaines:elle marchaitsur les murs
comme si elle avait des ventouses aiapieds, elle renversait sa
tête complètement en arrière commesi elle avait un pivot à la
place du cou, elle devinait des choses qu'elle ne pouvait pas
savoir concernant la vie de certaines personnes présentes.
Dès queje lui aifait un signe de croix sur lefront, elle s'est,
d un coup, recroquevillée sous une chaise. J'ignore comment
elle a pu lefaire si vite:c'est une chose qui ne m'était encore
arrivée avecpersonne d'autre. C'étaitpeut-être lié au mépris
qu'elle avait du crucifix, qu'elle avaitfoulé aux pieds et pro
fané. Quand je la bénissais, elle subissait comme des coups
defouet, des gifles, des coups. Des marques de griffures ap-
121
paraissaientsur ses mains, et des traces de coups de sabotsur
sonfront, qui disparaissaient peu après. Jetais impressionné
par la haine qu'elle manifestait envers Dieu, Jésus-Christ,
l'eucharistie, les consacrés. Tout ce qu'elle avaitfait dans la
secte remontait à la surface.
La voix démoniaque disait:"Celle-là est à moi pour tou
jours, tu ne réussiras pas à me l'arracher, elle m'a consacré
son intelligence et sa volonté."De temps à autre le diable
assurait qu 'il allait partir, maisje n'accordais pas d'impor
tance à ses paroles parce qu'elles ne sont qu'une tentative de
sa part de reprendre son souffle. Un exorcisme est vraiment
comme une lutte:ilfaut épuiser l'adversaire avec des heures
de combat,etpuis lui donner le coup de grâce[mal. La seide
fois que je l'ai pris au sérieux, ce fut lors de la première
grande libération. Il avait dit qu'il partirait à 4 heures du
matin et nous avons poursuivi les prières et l'exorcisme toute
la nuit. A l'aube, Michela a poussé un grand soupir et s'est
réveilléefraîche comme une rose, tandis que nous étions tous
trèsfatigués.
Il y a eu ensuite diverses rechutes, mais je la tenais sous
contrôle etje ne permettais pas au malin de s'installer à nou
veau. Lui, essayait et me défiait, aussi:"Tu vois queju ne
vaux rien et que je peux la reprendre quand je veux ?" Mais
je ne lâchaispas, d'autant que lesgens de la secte continuaient
à faire contre elle des rites de malédiction. Parfois, dans les
nuits du samedi au dimanche,je m'apercevais qu'elle sautait
en l'air comme si elle avait été transpercée par une grande ai
guille:et, effectivement, on en voyait ensuite la marquesur sa
peau. Unefois, à Timproviste, elle s'est cassé un doigt et il a
fallu l'opérer pour le remettre à sa place. D'autresfois elle re
trouvaitsurson corps des coupures et des blessures inexplica
bles. Parfois elle vomissait une salive très épaisse et blanche,
comme de la mousse à raser.
Le démon qui parlait en elle exprimait une terrible haine
envers la Sainte Vierge, qu 'il ne nommaitjamais;il disait:
"cettefemme",puis une suite de gros mots de toutes sortes.
122
Il percevait aussi la présence du padre Pio de Pietrelcina
qu'il appelait "le vieux barbu", et il avait très peur de saint
Michel archange:il sentait vraiment comme s'il se devait
de le combattre, et il l'apostrophait d'un "ce déplumé."
À un certain moment,Michela m'a révélé que le dieu-ser
pent était adoré dans la secte, etj'ai alors commencé à dire:
"Exorcizo te, serpens antiquae." Le démon devenaitfoufu
rieux et elle, ensuite, commençait vraiment à ramper
comme un serpent; Elle ne supportait même pas l'imposi
tion de l'étole, laquelle, pour le diable, représente le pouvoir
sacerdotal qui luttait contre le pouvoir dont il aurait investi
Michela lors de sa promotion au rang de Prêtresse de
Satan."

Ma véritable "première communion"


Si je repense à mes tout premiers jours à Nuovi Orizzonti,
il me revient un flash d'une Messe dans la paroisse de
Trigoria,en compagnie de Chiara. Nous étions vraiment au
fond de l'église et je conserve, bien imprimée dans ma mé
moire, une petite fille d'environ quatre ans qui me regardait.
Tout à coup je me suis évanouie et me suis écroulée à terre:
je me demande toujours quelle impression cela a bien pu
faire sur cette petite!On m'a ramenée à la maison,avec l'aide
d'autres jeunes de la communauté, puis j'ai été transférée
dans un appartement secret.
Au cours du trajet que je parcourais chaque jour pour me
rendre chez l'exorciste, nous passions devant un édifice qui
attira mon attention. J'appris, par l'un des jeunes qui m'ac
compagnaient, que c'était l'ancien monastère de saint
Grégoire au Celio®, confié depuis peu aux sœurs de mère
Teresa de Calcutta. Je racontai à cet ami l'histoire de la

8- NdT: Du nom de la colline de Rome.

123
Missionnaire de la Charité que j'avais vue dans le métro et
dans le train quelques semaines auparavant, et nous déci
dâmes d'aller y faire un saut.
La supérieure nous reçut et j'expliquai ce qui m'était arrivé,
tout en décrivant physiquement la sœur en question. Elle me
répondit que ma description ressemblait beaucoup à une
sœur qui se trouvait effectivement dans la communauté. Elle
la fit appeler et quand je la vis, je la reconnus immédiate
ment. Je lui racontai aussi l'histoire dont elle avait été la pro
tagoniste, mais elle répliqua : "Je n'aijamais pris le métro ces
dernières semaines, et encore moins le train. D'antre part, mère
Teresa nous a ordonné de toujours nous déplacer par deux,donc
il n'est vraiment pas possible que tu m'aies vue toute setde à
l'extérieur."Je lui répondis alors que je me souvenais que son
habit avait une déchirure. Nous contrôlâmes et, effective
ment, il y avait bien le raccommodage en forme de sept que
j'avais décrit à mon ami. Nous nous regardâmes tous, avec
l'air de dire : "Quelque chose est arrivé, mais l'explication nous
ne l'avons pas."Tout se termina par un sourire et une prière
dans la petite chapelle.
La première grande libération, rapportée par le père
Raffaele dans son témoignage, advint dans la nuit du 26 au
27 janvier. Entretemps la Congrégation pour la Doctrine de
la Foi avait fait parvenir l'autorisation de recevoir la com
munion. Comme j'étais toujours en danger de mort, vu les
signes donnés que la secte me recherchait pour me tuer,
l'évêque et Chiara me consentirent, en plus, l'autorisation
spéciale de faire une consécration au Cœur Immaculé de
Marie et de prononcer mes vœux dans Nuovi Orizzonti.
Il s'agissait là d'une exception vraiment considérable parce
que les règles de la communauté prévoient une préparation
d'au moins une année ; mais ils avaient pensé,d'un autre côté,
que mon choix de me consacrer au Seigneur pouvait grande
ment contribuer à ce que les prières d'exorcisme m'amenas
sent au plus vite à une libération définitive du pouvoir que

124
j'avais moi-même donné à Satan en me consacrant à lui. Je
n'avais cessé de répéter à Chiara:je t'en prie, Chiara,donne-
moi la possibilité de consacrer ma vie au Seigneur par la prière
de consécration que vous faites dans la communauté Niwvi
Orizzonti;je sais que je n'en suis pas digne du tout, mais c'est
le seul moyen que j'ai de remercier le Seigneur de m'avoir ar
rachée à l'Enfer. En outre, si les membres de la secte devaient
me trouver et me tuer (j'étais sûre qu'ils y parviendraient)je
voudrais tellement mourir en ayant consacré ma vie à Dieu!
Quand on a réfléchi à l'endroit où célébrer cette cérémonie,
j'ai spontanément suggéré le monastère saint Grégoire au
Celio, pour que je puisse partager avec les sœurs de mère
Teresa cet événement si particulier. À 9 heures du soir nous
nous rendîmes dans la petite chapelle,et le Messe fut célébrée.
Comme lecture, nous choisîmes le passage de l'Évangile de
Jésus à Getsemani:au moment où j'ai reçu l'hostie,je me suis
sentie avec lui dans sa solitude d'alors, j'ai perçu tout le mal
que j'avais fait et toute la douleur qui lui était retombée dessus.
Ensuite j'ai compris qu'il avait aussi payé pour moi sur la
croix,et j'ai répété avec lui: "Père si tu le veux, éloigne de moi
ce calice!Toutefois que ce ne soit pas ma volonté qui sefasse,
mais ta volonté."{Le 22,42) Mon calice à moi était vraiment
rempli de douleur et d'angoisse, parce que j'avais commencé
à comprendre combien les sacrilèges que j'avais commis
étaient graves. Dans le même temps,je sentais que l'Amour
de Dieu pour moi était si fort, ainsi que l'amour que me
communiquaient les personnes qui m'entouraient, que
j'éprouvais une immense pabc qui me pénétrait jusqu'au fond
du cœur.

Je prononçai donc mes premières promesses, de chasteté,


pauvreté et obéissance, conformément à la prière de consé
cration dans la Communauté Nuovi Orizzonti. En descen
dant les marches de l'église,je me rappelle que Chiara me dit
en me tenant le bras:"En ce qui concerne la pauvreté, tu n'au
ras pas de problèmes parce que de toute façon tu ne possèdes

125
rien ;pour ce qui est de la chasteté, ce sera très dur pour toi;et
quant à l'obéissance, rebelle comme tu es, il va falloir un vrai
miracle!"

Cette consécration fut véritablement pour moi une grande


grâce et une aide fondamentale. Il me suffisait de regarder
Chiara dans les yeux pour penser: "Eh Bien, si ce pas peut
m'amener à une plénitude de joie comme la sienne, alors je
signe tout de suite!"Tant de fois, auparavant,je m'étais dit
— alors même que je possédais beaucoup d'argent et que je
pouvais acheter tout ce que je voulais —,que j'aurais tout
laissé tomber pour ressentir une minute de véritable joie.
Non pas de satisfaction,qui est quelque chose qui passe, mais
de cette joie intérieure que personne ne peut t'enlever.
Aujourd'hui, pour moi,la plénitude de la joie est personni
fiée par le sourire de Chiara et par son premier baiser qui
m'avait rendu tangible l'Amour de Dieu.
Avec moi,Chiara faisait attention,avant tout,à ne jamais se
mettre en avant, et à toujours me renvoyer à Jésus. Elle me
disait: "Aujourd'hui je suis ici, mais demain,je ne sais pas.
Nuovi Orizzonti est une belle œuvre, mais peut-être qu'un jour
elle s'effondrera. La seule chose qui ne s'écroulera jamais, sou
viens-t'en, c'est Dieu. Ou tu t'enracines vraimenten Celui qui est
l'Amour, la réponse à tout ce que ton cœur cherche, ou bien tu
courras toujours le risque de ne te retrouver qu'avec de lafumée
entre les mains et un vide dans l'âme que rien ne pourra com
bler."Et c'était vrai, parce quej'avais tout essayé, mais,à la fin,
je me retrouvais toujours seule,déprimée et en état d'échec.

La tentation du suicide
Malgré toutes les prières et tous les exorcismes du père
Raffaele,j'étais parfois vraiment désespérée et je disais que si
la secte m'avait tuée je n'aurais pas tant souffert. Le fait de
me rappeler les choses que j'avais trafiquées dans la secte me

126
causait une douleur si grande que je ne pensais pas humai
nement possible de lui résister. Je ne cache pas que, plus
d'une fois, j'ai pensé au suicide vu le découragement et la
peur qui me rongeaient.
Chiara cherchait à m'expliquer le sens de la souffrance en
tant que chemin de résurrection. Mais,en ces moments-là,la
résurrection, moi,je ne la voyais pas, et je devais seulement
avoir confiance.Toutefois je continuais à aller de l'avant,avec
l'aide de Dieu et de tous ces amis. Je sais aujourd'hui que si
je suis vivante et que je peux raconter mon histoire, c'est
grâce aux trois piliers porteurs de ces années-là qui sont la
volonté, l'obéissance et l'humilité.
Je sais que j'aurai à lutter toute ma vie contre l'orgueil parce
que c'est là que se trouve la racine de mon péché. Dès que je
mets en doute le fait que Jésus m'ait pardonnée et sauvée,je
suis prise de panique et je me dis que je n'y arriverai jamais.
Quand je rentre dans ce processus,il y a vraiment danger car
je commence à délirer et je perds le contrôle de mes senti
ments. Même vis-à-vis de Chiara, j'ai dû travailler pour
construire un rapport sain où je ne cède pas à l'idée qu'elle
m'abandonne dès qu'elle ne me téléphone pas pendant deux
jours ou bien quand elle n'est pas de mon avis à propos d'un
projet à réaliser. Désormais,je sais que chaque fois que je
commence à juger Chiara,à dire qu'elle ne m'a pas comprise,
je tombe dans les pièges du "diviseur"et lui ouvre une porte.
C'est une tentation qui fait sans aucun doute partie des
vexations sataniques et auxquelles je suis soumise de temps
à autre. J'aime cette définition de Marija Pavlovic, une des
voyantes de Medjugorje: "Rappelle-toi que le démon est un
petit idiot et qu'il est aussi limité dans plusieurs domaines:il
peut agir sur toi parce qu'il connaît tes pointsfaibles, et c'est
donc toujours là qu'il va tefrapper."Il sait que me désunir de
Chiara m'amènerait à la mort de l'âme, et alors il essaie de
m'attaquer. C'est pourquoi, connaissant mes limites, je sais
également quelle aide je dois demander.

127
Une fois,il faisait nuit noire,j'ai commencé à ressentir une
attaque de cet "ange de lumière"qui voulait me convaincre de
certaines erreurs commises par Chiara envers moi. Alors, à
3 heures 42, de mon portable, je lui ai envoyé le texto sui
vant ; "Tous mes os sont en train de se casser, un à un. Je veux
te dire queje t'aime beaucoup et queje ne veux obéir qu'à toi."
Au moment même où j'ai appuyé sur la touche d'envoi,toute
tentation a disparu.
Dans les premiers temps j'éprouvais une grande difficulté
parce que je n'étais plus capable de raisonner avec ma tête et
j'avais en permanence besoin que l'on me dise quoi faire.
Quand Chiara m'a dit pour la première fois : "Tu as un cer
veau capable de comprendre et de vouloir. C'est à toi de pren
dre les décisions et de te rendre compte de ce qui estjuste et de
ce qui est erroné",je l'ai vécu comme une trahison de sa part.
J'étais habituée au rapport de symbiose vécu avec la
Doctoresse et j'aurais voulu le perpétuer à Nitovi Orizzonti.
Mais, avec l'aide de Chiara et des autres responsables de la
communauté,j'ai finalement réussi à surmonter le problème
et j'ai appris à assumer personnellement la responsabilité de
mes décisions,tout en apprenant aussi l'art du discernement
et en cherchant toujours, pour les décisions les plus délicates,
à en débattre avec mes responsables.
Respecter le vœu de chasteté, aussi, a été toute une mon
tagne. Après tout ce que j'avais vécu dans la secte — mais
aussi auparavant — dire que j'étais sexodépendante est un
euphémisme. J'étais sûre de ne jamais y arriver. Et pourtant,
c'est grâce au respect de cette promesse de chasteté que j'ai
conquis mon salut parce que mon corps a pu ainsi se purifier
et guérir d'une dépendance encore pire que celle à la cocaïne.
Peu à peu,en découvrant la signification du véritable amour,
j'arrivais à me rendre compte que cette sexualité effrénée
m'avait conduite à la solitude et au désespoir, alors que la
chasteté m'avait conduite à la joie et à la paix avec moi-
même,tant au niveau spirituel qu'au niveau psychologique.

128
La rencontre avec sœur Gabriella
Les prières d'exorcisme ont duré deux ans: au début,
constamment, tous les jours, après quoi elles sont allées en
s'espaçant. Ma volonté, cependant, me jouait à chaque fois
des tours:dès que l'on me disait qu'il était l'heure d'aller chez
le père Raffaele, je devais faire un effort de volonté pour
bouger. Cela n'avait rien d'une promenade d'agrément:no
nobstant le fait qu'en apparence je perdais connaissance et
que je ne me souvenais de rien au réveil, les sensations que
j'en conservais étaient des plus désagréables et,en tout cas,je
revenais toujours physiquement détruite à la maison,comme
si j'avais escaladé des montagnes et soulevé des poids
énormes.

Bien sûr,j'avais envie de sortir de ce monde satanique, mais


les difficultés continuaient à se succéder. Ainsi, d'une part il
y avait toute ma conscience rationnelle et spirituelle qui ac
ceptait librement, et, de l'autre, la partie matérielle qui ne
tenait pas à être mise de coté et qui cherchait à résister en me
montrant que le chemin emprunté à Niiovi Orizzonti était
trop ardu.
En attendant,le 10 mai 1997,après trois mois d'isolement
dans l'appartement protégé,j'ai enfin pu venir vivre dans la
Communauté Nuovi Orizzonti. C'est alors que commença le
véritable programme thérapeutique de désintoxication de la
drogue et de l'alcool et de connaissance de soi pour guérir
les blessures profondes de mon cœur. Chiara, dans le même
temps,insistait pour que je me fasse également suivre par un
expert appartenant au monde psychiatrique (une psycho
thérapeute consacrée [à Dieu] qui avait sa confiance), maisje
ne le voulais absolument pas parce que j'avais été trop échau-
dée par mes expériences précédentes.
Durant l'été,je me suis retrouvée dans un village du Lazio
avec les jeunes de la communauté qui mettaient en scène un
spectacle musical. Un de mes amis était en train de parler
avec une sœur et je m'approchai pour échanger deux mots.

129
Je sentis une forte empathie envers elle et l'invitai à venir me
voir à Piglio. La semaine suivante elle vint et nous fîmes une
longue promenade au cours de laquelle je lui fis plusieurs
confidences ;aussi parce qu'elle m'avait dit être psychologue,
l'en parlais avec Chiara, qui la connaissait déjà et l'estimait
beaucoup (c'était précisément la personne qu'elle m'avait
suggérée de voir quelque temps auparavant), et nous nous
sommes mises d'accord pour que je fasse mon parcours thé
rapeutique avec elle, en harmonie avec celui proposé par la
Communauté.

Quelques jours après je me suis sentie très perturbuée


parce que, alors que je priais dans la chapelle de la commu
nauté, j'eus un flash des rites pratiqués sur les enfants,
l'éprouvai une douleur si intense qu'il me semblait que j'al
lais devenir folle. Si Chiara n'avait pas été là, à mes côtés,
pour m'aider,je pense que je me serais enfuie et que j'aurais
fait quelque grosse bêtise:je me sentais désespérée au point
de me suicider. Le traumatisme de devoir affronter ces terri
bles souvenirs, qui étaient restés enfouis dans mon incons
cient mais qui remontaient de temps en temps à la surface, a
vraiment été terrible, je me décidai ainsi à aller voir la sœur
Gabriella, qui m'est toujours restée très proche et qui m'a
soutenue avec beaucoup d'amour. Elle me fit venir au cou
vent de sa congrégation religieuse, mais nous ne commen
çâmes pas tout de suite à parler:d'abord,elle me fit manger,
ce qui me permit de retrouver un peu de calme.
Après le dîner,elle me demanda si j'avais besoin de quelque
chose. Je lui répondis : "J'ai besoin d'aide, maisje ne sais pas
si tu peux m'aider, parce que tu ne sais pas grand-chose de
moi."

Je lui parlais de mes expériences passées avec le monde de


la psychiatrie, et de toutes les blessures causées par tous ces
médecins que je considérais comme des incapables. Elle me
laissa me défouler et chercha, par-dessus, tout à créer avec
moi un rapport d'amitié,tout en me donnant l'assurance que

130
l'on irait à mon propre rythme. Le soir, elle me laissa même
sa chambre pour dormir tandis qu'elle s'installait sur le divan
du bureau. Le jour d'après je rentrai à la communauté et,
deux fois par semaine,j'allais chez elle, à Rome,pour conti
nuer notre parcours.

Dans la communauté contemplative


À la fin de l'été, de nouveaux signes de péril nous étaient
parvenus. J'ignore de quoi il s'agît, mais le père Rafïaele —
qui, de par son engagement dans la lutte contre les sectes a
toujours été en contact étroit avec les forces de l'ordre — in
forma Chiara d'un possible danger me concernant. À
l'époque ils ne m'en parlèrent pas:ils se limitèrent à me pro
poser de passer quelques semaines dans une communauté
de vie contemplative, pour vivre une expérience plus intense
de prière.
J'y entrai le 1"octobre,jour de la fête de sainte Thérèse de
Lisieux, et je ne revis Chiara que trois mois plus tard :j'étais
en colère contre elle parce que j'avais eu le sentiment d'avoir
été abandonnée. En réalité, tant le père Raffaele qu'un autre
prêtre autorisé par l'évêque étaient venus prier sur moi,mais
aucun d'eux ne m'avaient révélé les vraies raisons de ma "sé
grégation ". On m'avait même enlevé le téléphone portable,
pour éviter d'éventuelles interceptions,et je n'avais plus, non
plus,de voiture. Très peu de gens, même parmi les amis de la
communauté savaient où je me trouvais.
Seule Chiara m'expliqua ce qui se passait et me dit qu'il me
fallait rester encore sur place un mois supplémentaire:à la
fin j'y suis restée un an exactement ! Elle me fit réfléchir sur
des faits survenus au cours de certaines nuits et sur leur coïn
cidence avec les horaires des rites de la secte, et je dus moi-
même admettre l'existence d'un nouveau déchaînement
contre ma personne. Il y avait des moments où il me sem-

131
blait vraiment que l'on était en train de m'enfoncer un cou
teau dans la poitrine.
La mère supérieure de la Communauté de prière où j'avais
été accueillie fut comme une maman pour moi. Grâce à elle,
j'ai pu résister un an hors de Nuovi Orizzonti qui était dés
ormais devenue ma vraie famille. Je dois dire que ce fut une
période difficile,tant matériellement que spirituellement.On
me demandait des actes concrets d'humilité. S'il ne s'était agi
que d'actes exclusivement humains,un caractère orgueilleux
comme le mien ne les aurait jamais acceptés. En effet,chaque
fois que je faisais un acte d'humUité je ressentais,à l'intérieur
de moi,une rébellion. Mais je constatais ensuite la différence
d'avec ce qui m'était arrivé à la secte :là-bas j'avais été obli
gée d'obéir de façon aveugle et absolue, ici j'étais toujours
libre de décider de faire ou de ne pas faire un geste.Personne
ne me contraignait par la force, ou m'aurait condamnée ou
punie en cas de refus de ma part. Je sentais que l'on m'aimait
quelque choix que je fasse et,aujourd'hui,je remercie vrai
ment le Ciel de cette chance que j'ai eue sans l'avoir méritée.
Je n'ai pas pu faire autrement que de reconnaître les gestes
totalement gratuits qui ont été accomplis pour moi, durant
ces mois-là, par des personnes qui n'y avaient aucun intérêt
personnel, ni profit éventuel. Au contraire! En me proté
geant et en m'aidant, elles mettaient en péril leur propre sé
curité et couraient des risques qu'elles auraient pu facilement
éviter. Quand j'ai compris qu'elles agissaient ainsi unique
ment parce qu'elles étaient amoureuses de Jésus-Christ, je
n'ai pu que suivre leurs pas et avoir confiance.
Certes,le chemin a été très long. Prendre conscience de ses
propres misères et faiblesses, vivre les trahisons et les aban
dons, n'est pas du tout facile, même avec le soutien de la foi.
11 m'arrivait souvent de devoir faire mes comptes avec l'ac
tion du démon,lequel cherchait à me persuader qu'un jour
ou l'autre, Chiara,le père Raffaele et sœur Gabriella se lasse
raient de tous les problèmes que je leur causais et qu'ils
m'abandonneraient à mon sort.

132
Penser de la sorte n'avait aucun sens après tout ce qu'ils
avaient fait pour moi, mais à cause de cela même,c'était une
tentation diabolique. Et pourtant cette tentation faisait que
je me sentais poussée à les provoquer, à faire quelque chose
qui les mît en colère, parce que je voulais voir jusqu'à quel
point ils étaient capables de m'aimer gratuitement.
Je m'étais rendue compte aussi qu'à l'intérieur de la com
munauté de prière qui m'avait accueillie des mouvements
d'envie et de jalousie avaient commencé à apparaître du fait
que la mère supérieure me manifestait beaucoup d'attention
et que certaines religieuses se ressentaient probablement d'en
recevoir moins qu'auparavant. L'action de Satan,le diviseur,
celui qui cherche toujours à créer la confusion,était vraiment
à l'œuvre. Mais cette sainte femme n'a jamais perdu patience,
elle a continué à prier et à accepter la charge d'une situation
en plein milieu de laquelle elle s'était trouvée et qu'elle n'avait
ni recherchée ni désirée.
Par conséquent,la seule conclusion que je pouvais raison
nablement en tirer était: "Ils ont vraimentdonné leur vie pour
moi,comme Jésus il y a deux mille ans."Et c'est pourquoi,peu
à peu,j'ai compris que quelque chose d'extraordinaire était
vraiment arrivé. Je continue toujours à me répéter que mon
histoire est le récit d'un miracle agissant, parce que seule la
main de Dieu a pu me sauver. Sa puissance a réalisé un mi
racle intégral dans mon corps et dans mon âme.

133
6
Je cherchais amour,
etfai rencontréJésus

À la fin de cette année passée dans la communauté de


prière,je revins enfin à Nuovi Orizzonti à roccasion d'une
fête de départ à la retraite à laquelle l'évêque assista égale
ment. Je discutai avec lui et Chiara et il fiit décidé que je
prenne en location une petite maison située à deux pas du
siège de Nuovi Orizzonti et que je recommence à travailler
comme cuisinière dans une trattoria locale. Mais cela ne
marcha pas, parce que je travaillais trop et gagnais peu. Je
quittai ce travail en mars 2000 et demandai à pouvoir reve
nir à plein-temps dans la communauté. J'en parlai à Chiara
et, après six mois environ,elle m'affecta à notre centre d'ac
cueil d'urgence "Arcobaleno dell'amore"^, qui se trouve à
proximité de la basilique San Giovanni à Rome. Ce fut une
très belle expérience parce qu'une vraie collaboration s'ins
taura entre moi et la responsable de l'époque. Cette structure
accueillait desjeunes de la rue désireux de suivre une cure de
désintoxication. Chaque jeudi soir, après la prière commu
nautaire, mais aussi d'autres jours, des jeunes de Nuovi
Orizzonti se rendent dans les lieux les plus mal famés de
Rome, de la gare Termini au Laurentino 38, à
Torbellamonaca,et certains des jeunes rencontrés dans la rue
décident de venir au centre "Arcobaleno" pour commencer
un programme en communauté.Nombreux sont,en fait,les
jeunes qui ont décidé de suivre les traces de Chiara — les pre
miers temps de son aventure, dans les bas-fonds de la ville

9- Arc-en-cicl de l'amour.

135
— et qui continuent périodiquement à se rendre, de nuit,
dans les zones les plus chaudes de différentes villes.
Le reste de la semaine,nous allions rejoindre des jeunes en
difficulté que nous avions connus lors de rencontres parois
siales ou bien qui nous avaient été envoyés par des prêtres. À
la fin, il y avait toujours une file d'attente devant l'entrée.
Notre capacité d'accueil était officiellement de six à huit per
sonnes au maximum, mais nous n'en avions jamais moins
de dix. Parfois nous mettions des matelas même dans le ré
fectoire tant il en venait, désespérés,frapper à notre porte.
Nous prenions de tout:toxicodépendants,filles enceintes,
alcooliques,enfants prostituées,loubards. Des personnes de
tous genres, en somme,qui avaient connu l'Enfer et qui se
retrouvaient avoir la mort dans l'âme. Des gens qui n'avaient
plus d'espoir,en piètre condition physique, mais qui conser
vaient encore une lueur de lucidité les poussant à se laisser
aider. C'est alors que le premier miracle se produisait: les
jeunes commençaient à comprendre que l'on pouvait vivre
d'une autre façon,ils laissaient leur passé derrière eux,se sen
taient accueillis et s'en remettaient aux responsables du
centre et à la force de la prière. Et, à chaque fois, nous fai
sions l'expérience de l'incroyable force d'Amour que Jésus est
venu nous enseigner:quelque chose qui changeait vraiment
leur vie. Beaucoup des consacrés et de responsables actuels de
Nuovi Orizzonti viennent de là.
Au début de l'année 2003 fut ouvert à Marino, dans les
Castelli Romani,le centre d'accueil pour femmes,et je fus en
voyée dans cette nouvelle communauté.La "Casa Gioia ac
cueillait des filles mères, des jeunes qui avaient avorté, des
adolescentes dont les enfants avaient été adoptés. C'était un
monde que je connaissais bien pour l'avoir vécu, un monde
que j'avais beaucoup de mal à accepter parce que mon passé
défilait devant mes yeux au fil des histoires que j'entendais ra
conter chaque jour.

10- Maison de la Joie.

136
D'énormes souffrances nous étaient confiées. Bien qu'ha
bituée aux événements extrêmement durs, le témoignage
d'une fille qui parle de son avortement — ce qu'elle a vécu
quand elle a pris sa décision, le moment où elle est allée à
l'hôpital, l'intervention et tout ce qui s'ensuit — déchire le
cœur si on s'implique vraiment dans ce qui est dit.
Mais ce qui m'a personnellement le plus touchée,ce fut le
récit d'une fille qui avait accouché en prison et qui avait, un
peu trop à la légère,signé une autorisation d'adoption de son
enfant. Elle disait en pleurant:"Tu sais, aujourd'hui il aurait
huit ans, maisje ne l'ai plus revu. Qui sait à quoi il ressemble,
qui sait comment il se sent dans sa famille adoptive. Comme
j'aurais aimé l'accompagner à son premier jour d'école..."
Toutes ces phrases étaient autant de coups dans mon cœur et
rouvraient des blessures que j'espérais être définitivement ci
catrisées.
J'ai commencé à entrer en crise parce que je n'avais jamais
résolu le problème de ma relation avec ma mère naturelle.
Une question me hantait depuis toutes ces années ; "Dieu
m'a voidu, mais à travers qui J'étais encore partagée entre
le sentiment d'affection que l'on a toujours envers celle qui
nous a mis au monde,et cette haine qui vient de l'idée selon
laquelle si ma maman ne m'avait pas abandonnée à l'orphe
linat, il est quasiment certain que je n'aurais pas vécu tous
les drames qui me sont arrivés.
Un soir,je suis allée à la chapelle et je me suis mise à prier
avec beaucoup d'intensité. À un certain moment, une prise
de conscience importante s'est faite en mon cœur:si j'exis
tais aujourd'hui,c'était parce qu'un jour,il y a très longtemps,
ma mère avait accepté ce don d'amour et avait dit "oui"à ma
vie, malgré les difficultés qui se présentaient devant elle. J'en
ai donc conclu que je n'avais aucun droit de juger ce qu'elle
avait fait.
C'est une réflexion qui a bouleversé tous les schémas que je
m étais mis en tête, parce que jusque-là je considérais ma

137
mère comme une moins que rien qui m'avait laissée,livrée à
moi-même, dans un monde malfaisant. Désormais je pen
sais, au contraire, que ma mère m'avait fait le plus beau don
qui soit: la vie. Son acceptation avait permis au projet de
Dieu sur moi de se réaliser,lequel est devenu par la suite une
fenêtre ouverte sur l'espérance: aujourd'hui, de fait, ma vie
sert à sauver d'autres vies.

Le second refus de ma mère


Tout cela m'a poussée à me mettre à la recherche de ma
mère,pour lui dire "merci". J'ai demandé à Chiara son avis et
elle fût d'abord un peu dubitative. Je laissai tomber mais lui
en reparlai quelques mois après,et cette fois elle m'encouragea.
Sœur Gabriella, aussi, était d'accord et j'ai donc entamé les
procédures légales. En fait ma situation m'autorisait à présen
ter au Tribunal une requête pour contacter ma mère naturelle.
La providence me permit de trouver une avocate qui savait
bien comment procéder. Il a fallu un peu de temps mais,à la
fin,je fus informée que ma mère avait donné son consente
ment à ce qu'on me communique son adresse et son numéro
de téléphone.Le soir même—je me rappelle que je me trou
vais avec d'autres membres de la communauté dans un res
taurant chinois — je téléphonai à ma mère et établis notre
premier contact.
Nous nous sommes parlées au téléphone pendant quelques
semaines,jusqu'à ce que nous fixions une date pour nous
rencontrer, à savoir le jour anniversaire d'une autre de mes
sœurs qui vivait avec elle. Je partis en voiture pour cette ville
du nord en juin 2004. J'étais pleine d'espérances mais je ne
voulais pas m'illusionner. Je savais que cela n'allait pas être un
moment facile, aussi avais-je demandé à être accompagnée.
Mes jambes tremblaient, mon cœur battait fort,je m'effor
çais de garder à tout prix les pieds sur terre. J'arrivai, quasi
ment en volant, dans la ville où ma mère habitait.

138
Quand je pus la regarder pour la première fois dans les yeux
et l'embrasser, je la sentis aussi froide qu'un glaçon et dé
pourvue de toute expression de sentiment. La chose ne me
perturba pas qu'un peu,parce que je ne savais que penser de
son comportement: soit elle avait une pathologie, soit elle
était vraiment sans cœur... Nous sommes restées ensemble
une ou deux heures, le temps du repas. Au fur et à mesure
qu'on parlait j'apprenais la réalité que j'ai déjà décrite au
deuxième chapitre,faite de frères et sœurs inconnus,d'un père
important et dénué de scrupules, d'une gêne de fond qui
l'avait menée à se débarrasser de moi parce que j'étais un poids
dans sa vie. Je lui ai, en tout état de cause,exprimé ma grati
tude pour le "oui"qu'elle avait prononcé quand j'étais encore
dans son sein, mais elle n'a pas réagi de manière positive.
À la fin du repas,la douche froide. Tout en me fixant avec
une parfaite tranquillité,elle prononça exactement ces mots:
"Toiy pour moi, tu n'asjamais existé à l'époque, et tu n'existes
pas aujourd hui. Sors de ma vie."Si l'on m'avait coupée en
deux,j aurais moins souffert. Et là,je me suis effondrée et j'ai
dû faire face à une autre vérité absolue: quand la maison
n'est pas construite sur le roc,elle s'effondre. Je dois admet
tre que je n'avais pas mis Dieu, mais mes propres besoins, à
la première place dans ma vie. Or,quand Dieu n'est pas à la
première place et que survient un peu de vent — et il s'agis
sait là d'un véritable ouragan —,tout s'écroule.
Je n'ai jamais réussi à comprendre pour quel motif ma
mère avait, tout d abord,accepté de me voir, puis m'avait si
gnifié que j'étais rayée de sa vie: il aurait suffi de me faire
savoir qu'elle ne souhaitait pas me rencontrer et je me serais
arrêtée là. Les amis qui m'avaient accompagnée ont aussi re
tourné cette énigme dans tous les sens, mais elle demeure en
tière. Je ne peux pas dire qu'elle était folle, mais elle avait
probablement un fond de démence.En tout cas j'avais atteint
mon objectif de départ:remercier ma mère d'avoir accepté
de me donner la vie et lui montrer que j'allais bien. À la fin,
je me suis rendue compte que je n'avais qu'une seule famille:

139
Nuovi Orizzontl II était inutile d'aller rechercher ce qui
m'avait manqué dans le passé et de vouloir le récupérer dans
le présent.
Mais,en attendant,durant le trajet de retour à Rome,je me
sentais en morceaux. Je pleurais et ne me consolais pas de ce
qui était arrivé. Quand je rencontrai Chiara,j'éclatai et lui
demandai: "Mais qu'est-ce que j'ai fait de mn/ à Jésus ?
Pourquoi toutes ces souffrances dans ma vie ? Maintenant, en
plus,je travaille pour le Seigneur... Pourquoi ne m'aide-t-il
pas ?"Chiara se contenta alors de me raconter une anecdote
vécue par sainte Thérèse d'Avila, à qui il en est arrivé de
toutes les couleurs. Un jour elle s'adressa à Jésus, à qui elle
parlait en tête-à-tête, et lui dit:"Écoute,pourquoi me traites-
tu ainsi ?"\\ lui répondit: "Tu sais, Thérèse,je me comporte
ainsi avec mes amis", et elle, de répliquer: "Maintenantje
comprends que tu en aies si peu !" Chiara, en plus de cette
anecdote (qu'elle utilisa pour essayer de dédramatiser la si
tuation), me dit que, de toute façon, il ne fallait pas com
mettre l'erreur d'attribuer à Jésus la responsabilité de nos
souffrances qui découlent plutôt,dans la plupart des cas,des
mauvais choix des hommes.Elle ajouta,avec conviction,que
la grande majorité des souffrances que nous vivons est le fruit
du péché,du "non"que l'homme,dans l'exercice de sa liberté,
oppose à l'Amour de Dieu (ce n'était certes pas Jésus qui avait
voulu que ma mère me rejette... c'était l'exercice de sa liberté
à elle qui l'avait menée à faire un geste qui m'avait blessée si
profondément... et qui sait combien de souffrances, elle-
même,avait dû vivre pour en arriver à se comporter ainsi
avec moi). Le Seigneur, toutefois, nous a aimés jusqu'à faire
Sien chacun de nos cris pour nous donner Sa réponse,cha
cune de nos angoisses pour nous donner Sa paix, chacun de
nos abandons pour nous faire savoir que Lui ne nous aban
donnera jamais,chacune de nos blessures pour la transfigu
rer et nous révéler que "par ses plaies noussommes tous guéris
(ts53,5). Chiara me rappela que le Seigneur m'avait aimée au
point de mourir pour moi,pour me faire don de la plénitude
140
de joie de Sa résurrection,et elle me dit ensuite ce passage de
la Bible qu'elle affectionne tout particulièrement: "Tout
concourt au bien de ceux qui aimentDieu !"Elle m'assura que
même les souffrances les plus terribles, une fois remises entre
les mains d'un Père qui nous aime d'un Amour infini, peu
vent concourir au bien(même si,sur le moment,nous ne le
voyons pas).
Nous sommes retournés à Piglio le jour de la solennité du
Corpus Domini: Daniel Ange et des jeunes de son école
d'évangélisation étaient venus nous rendre visite. Une grande
fête battait son plein, et je m'y sentais totalement déplacée.
Tout à coup, Chiara me demanda si je me sentais de témoi
gner de mon expérience. Bien qu'hésitante,j'acceptai de me
prêter au jeu. Je racontai ce que j'avais vécu et ce fut un
moment très fort pour moi et pour toutes les personnes pré
sentes:j'avais ressenti la joie et la force venant de l'Esprit
Saint.

À cette occasion, j'ai expérimenté, concrètement et de


façon incroyable, comment chaque douleur, même la plus
profonde, peut se transformer en amour. Le désespoir qui
me brisait le cœur en deux était immense, mais à partir du
moment où j'ai accepté de me donner — en aimant l'autre
auquel il m'était demandé de raconter mon expérience—je
commençai à retrouver un peu de paix intérieure et de joie.

À Medjugorje
Le lendemain,Chiara me dit : "Écoute, Michela, tu as besoin
d'un peu de repos. Pourquoi ne pas aller à Medjugorje ?Je pense
que cela tefera du bien. Je suis convaincue que c'est un lieu de
grâce et de prière. On y ressent la présence toute spéciale de la
Madone,et qui, mieux que notre Maman du Ciel,pourrait t'ai
der à surmonter cette grande douleur ? Je suis certaine qu'Elle
ne manquera pas de te donner Son doux baume, le seul en
mesure d'adoucir cette profonde blessure dans ton cœur."

141
Ma première réponse ne fut pas des meilleures: "à
Medjugorje ? Tu plaisantes ?!Avec cette marée de gens bizarres
qui y vont...je ne le sens pas du tout. Sije dois aller en Croatie,
je vais m'étaler de tout mon long sur une plage de la côte adria-
tique avec un bon verre à la main."Je savais pourtant que
Chiara me connaissait bien et que si elle me faisait cette pro
position c'était qu'elle avait de bonnes raisons. Ainsi, même
si à ce moment-là je n'en avais pas très envie, je décidai de
lui faire confiance et de partir.
Pour ceux qui ne le sauraient pas, Medjugorje est l'endroit
de Bosnie Herzégovine, près de la ville de Mostar,et plus ou
moins à mi-chemin entre Spalato et Dubrovnik où, depuis
plus de vingt-sbc ans, l'on signale des apparitions quoti
diennes de la Reine de la Paix. Il s'agit là,certainement,de la
plus extraordinaire manifestation mariale de toute l'histoire
du christianisme, tant par sa durée que par la quantité de
messages que la Vierge a donnée.
Tout commença l'après-midi du 24 juin 1981, lorsque
quelques enfants dirent avoir xni,alors qu'ils se promenaient
sur la colline de Podbrdo, une dame qui tenait un nouveau-
né dans ses bras et qui, de la main,leur faisait signe de s'ap
procher. Le lendemain ce furent six enfants — Jakov (dix
ans), Mirjana (quinze ans),et Ivanka,Vicka,Ivan (seize ans,
tous les trois) — qui eurent, au même endroit, cette vision,
laquelle se répète, encore aujourd'hui, quotidiennement
pour ces trois derniers enfants, à 17 heures 45 et où qu'ils se
trouvent.

La "photographie"que les voyants ont décrite est celle d'une


jeune femme d'environ vingt ans,d'un mètre soixante-cinq,
pesant une soixantaine de kilos, les yeux bleus, vêtue d'une
longue tunique gris-bleu ciel lui recouvrant les pieds qui sont
posés sur un nuage gris. Elle est coiffée d'un voile blanc,en
touré de douze étoiles, qui lui retombe dans le dos.
La dame déclara être la "Bienheureuse Vierge Marie", et se
présenta par la suite sous le titre de "Reine de la Paix". Le

142
26 juin, plus particulièrement, elle apparut en larmes et
répéta plusieurs fois le mot "paix". Beaucoup de gens ont
trouvé extraordinaire la coïncidence entre ces faits et ce qui
advint dix ans plus tard, le 26 juin 1991,quand la Croatie et
la Slovénie proclamèrent leur indépendance et suscitèrent
immédiatement la violente réaction de la Serbie:ce tragique
conflit des Balkans dura quatre ans et se transforma en une
véritable guerre ethnique, entraînant d'innombrables vic
times et réfugiés.
À Medjugorje,la Vierge a instauré un usage qui est devenu,
depuis, une caractéristique spécifique à ces manifestations:
les messages qui, à travers la voyante Marija Pavlovic, sont
offerts au monde entier. Au début,du 1er mars 1984 au 8jan
vier 1987, ils étaient donnés une fois par semaine, tous les
jeudis ;depuis le 25janvier 1987 ils ne sont donnés que le 25
de chaque mois. Soit un total de 400 textes à ce jour,auxquels
s'ajoutent 650 autres messages communiqués individuelle
ment à chaque voyant et selon une fréquence variable.
La position officielle de l'Église est attentiste et demeurera
telle tant qu'il y aura des apparitions. La "Déclaration de
Zara", approuvée le 10 avril 1991 par les évéques de la
Congrégation Épiscopale Yougoslave,et qui vaut encore au
jourd'hui, énonce: "Sur la base des recherches menées
jusqu'ici, il n'est pas possible d'affirmer qu 'il s'agisse d'appari
tions et de phénomènes surnaturels."Une expression de pru
dence qui est ni une approbation ni une condamnation et
qui laisse à chaque fidèle sa liberté d'opinion.
Le plus éclatant particularisme des apparitions de la Reine
de la Paix est certainement ce qu'on appelle les secrets, à
savoir,en substance:le 25 décembre 1982 —jour de l'ultime
apparition quotidienne de la Vierge — la voyante Mirjana
reçut la révélation du dixième et dernier secret et, dans le
même temps,de la date à laquelle chacun des secrets se véri
fierait dans les faits. À ce jour,deux autres voyants,Ivanka et
Jakov, ont eux aussi reçu les dix secrets, alors que les trois
derniers autres voyants n'en connaissent que neuf.
143
Les voyants ont toujours observé une totale réserve au sujet
de ces informations,à l'exception des certaines clarifications
expressément autorisées par la Vierge.Tout ce que l'on en sait
avec certitude aujourd'hui, c'est que le troisième secret
consiste en un signe qui apparaîtra sur la colline du Podbrdo,
en guise de confirmation de la présence de la Vierge durant
toutes ces années.Il s'agira de quelque chose de très beau,de
bien visible,qui ne peut pas être fait de main d'homme et qui
sera indestructible. Les derniers secrets seraient,en revanche,
une série d'événements dramatiques qui auraient pour
unique objet de ramener à nouveau le cœur de l'homme vers
Dieu,de façon à préparer, comme l'a dit la Reine de la Paix
dans son message du 25 octobre 2000, "l'avènement d'un
autre temps, d'un nouveau printemps".
Contrairement à d'autres apparitions du passé, comme
celle de Fatima, les secrets de Medjugorje seront révélés à
l'avance. Mirjana a expliqué clairement ce qui arrivera un
jour encore indéterminé et dont — conformément aux dis
positions de la Vierge — elle sera la protagoniste: "J'ai dû
choisir un prêtre à qui dire les dix secrets etj'ai choisi lefran
ciscain Petar Ljubicic. Je dois lui dire ce qui arrivera, et où, dix
jours avant que cela n'arrive. Nous devronsfaire septjours de
jeûne et prière, et, troisjours avant, il devra le révéler au monde
entier."

La Vierge parle de Satan


Autre caractéristique extraordinaire des messages de la
Reine de la Paix:l'accent mis sur la présence et l'action sata-
niques. Le père Livio Fangaza, directeur de Radio Maria, a
même publié un livre entier sur le sujet,intitulé "Satana nei
messagi di Medjugorje (Sugarco). Dans l'introduction de
son livre, le père Livio écrit : "La Vierge révèle la présence de

11- NdT:Satan dans les messages de Medjugorje.

144
Satan dans le monde à un moment où, même dans les milieia
chrétiens, on tend à la minimiser, voire même à la nier. Elle en
signale surtout les multiples activités qu 'il mène partout datts le
monde en cherchant à se camoufler pour ne pas être découvert."
L'auteur poursuit:"Satan,affirme la Reine de la Paix,s'op
pose de toutes sesforces aux plans de Dieu et cherche à les dé
truire par tous les moyens. Il agit contre les célibataires pour
leur ôter la paix du cœur et les attirer sur les voies du mal,
contre lesfamilles qu'il attaque defaçon spécifique, contre les
jeunes qu'il cherche à séduire en tirant profit de leur temps libre.
Les messages les plus dramatiques concernent toutefois la haine
qui prévaut dans le monde et la guerre qui en est la consé
quence. C'est là que Satan montre plus que jamais sa face
infâme et sejoue des hommes. L'exhortation de la Reine de la
Paix est toutefois pleine d'espérance:avec la prière et le jeûne
on peut arrêter même les guerres les plus violentes, et avec
l'arme du Saint Rosaire, le chrétien peut affronter Satan avec la
certitude de le vaincre."

Je dois dire que je me retrouve parfaitement dans cette ana


lyse, ayant été moi-même complice de cette œuvre démo
niaque. Et c'est peut-être précisément pour cela que,par des
voies mystérieuses que je n'ai pas voulues,j'ai atterri là en
cette fin juin 2004. Je fus hébergée dans l'appartement d'un
couple de Croates que j'avais connus l'année précédente au
cours d'exercices spirituels que Chiara avait dispensés à
Medjugorje même,sur le thème "Prier et aimer". Deux per
sonnes exceptionnelles que j'aime comme un père et une
mère,et qui me considèrent comme leur fille.
Je continuais pourtant à éprouver comme un refus de
Medjugorje, alors même que s'y trouvaient plusieurs jeunes
que je connaissais et qui s'employaient alors à construire un
centre d'accueil spirituel de Nuovi Orizzonti. Il y avait, entre
autres, un prêtre de la communauté que Chiara avait chargé
de prendre soin de moi parce que je ne voulais pas manger,
j'étais apathique et ne m'intéressais à rien. Mon amie croate

145
cherchait par tous les moyens à me soutenir,à me faire parler.
Mais j'étais vraiment en crise. Chiara me disait: "Écoute, c'est
une étape de croissance et de grande purification de ton cœur.
Ne doutejamais de l'Amour de Dieu:Jésus a vécu avant toi la
trahison et l'abandon,justement par amour pour toi."
Le onzième jour,nous étions désormais début juillet,ils me
convainquirent d'aller à la Messe à la chapelle. J'acceptai mais
restai à l'extérieur de l'église, en un point très ensoleillé: "Au
moinsje bronze un peu", pensais-je.
Alors que je me tenais là, passa la voyante Marija avec la
quelle je n'étais pas particulièrement liée d'amitié. Nous nous
connaissions de vue et avions l'habitude de nous saluer
quand nous nous rencontrions. J'étais allée chez elle deux
fois,au moment des apparitions, mais rien de plus. Marija a
une grande mémoire visuelle et le souvenir de certaines per
sonnes y reste peut-être gravé.Elle se souvenait de mon nom
et m'adressa la parole : "Michela, quefais-tu ici ?" Je lui ré
pondis avec naturel: "Ce quejefais, Marija ? Ce que tu fais,
toi:j'assiste à la Messe."Elle continua: "Je ne t'ai pas vue ces
derniers jours. Mais depuis combien de temps es-tu ici ?" Et
moi: "Depuis quelquesjours!" L'air innocent,elle me lança:
"Demain je suis à l'"Oasi délia pace pour l'apparition, parce
que les prêtres commencent leur retraite et qu'il y a beaucoup de
monde. Cela meferait plaisir que tu viennes toi aussi. Dis aux
sœurs, à l'entrée, que je t'ai invitée." Je me souviens m'étre
levée,l'avoir regardée et lui avoir dit: "Marija, cettefois, c'est
à la Vierge de venir à mot, parce que moi,je ne bouge pas."La
voyante m'a regardée, un peu surprise, et a laissé tomber,
comme pour elle-même: "Je pense pourtant que tu en aurais
besoitî."Puis elle s'en est allée, me laissant assister à la Messe.
J'avais tant de chagrin dans le cœur que j'avais certaine
ment été un peu désagréable, d'ailleurs mon ami prêtre,
plutôt surpris de ma réponse, m'avait apostrophée dure-

12- NdT: Oasis de la Paix.

146
ment ; "Mais tu crois que c'est unefaçon de répondre ?"Et moi
de répliquer: "Écoute, si tu veux t'en aller, va-t'en. Mais
qu'est-ce que tu veux de moi ?"Le lendemain il ne cessa d'in
sister pour que j'aille à l'apparition,et moi d'opposer : "Mais
où vas-tu ? Laisse tomber... De toute façon tu ne la vois pas,
toi, la Madone."Il se mit en route et, vers 17 h 30, mon amie
croate réussit à me convaincre d'y aller aussi.
À cette heure-là il n'était même plus possible d'atteindre la
petite allée menant à l'Onsi etje me mis donc à l'ombre d'un
arbre,aux alentours de l'amphithéâtre.Alors que je me tenais
là, Marija passa et me dit en me voyant: "Toi, viens à l'inté
rieur avec moi."Et moi de lui répondre ; "Marija, laisse-tnoi
tranquille:de toute façon que je sois dedans ou dehors, la
Vierge je ne la vois pas. Alorsje reste là, au moinsje suis au
frais." Je fus frappée qu'elle ne sourcille pas le moins du
monde.Elle me prit avec fermeté par le petit col de mon tee-
shirt et me traîna avec elle à l'intérieur de la chapelle. J'eus
tellement honte que je serais rentrée sous terre!

La Vierge en avait après moi


Marija commença à diriger la prière du Rosaire et,à la fin,
comme d'habitude, s'adressa aux personnes présentes:
"Maintenant que ceux qui le peuvent se mettent à genoux,
parce que c'est le moment de l'apparition. Je confierai à la
Vierge toutes vos intentions de prière et toutes les personnes que
vous portez en vous."J'étais restée debout, mais elle me prit
par un bras et me tira pour que je m'agenouille à côté d'elle.
Elle était à ma gauche,face à l'autel. Elle commença à prier en
croate puis se figea en extase devant l'apparition, le regard
tourné vers le haut.

Aussi étrange que cela puisse paraître, mes pensées n'étaient


pas centrées sur la manifestation de la Vierge, mais plutôt sur
la honte que j'éprouvais du fait que tout le monde avait vu
qu'elle m'avait tirée à bout de bras ;dans le même temps, ma

147
curiosité me faisait regarder sa bouche qui bougeait de temps
à autre,sans toutefois qu'aucun son correspondant n'en sorte.
"Mais on lui parle en italien ou en croate à la Vierge ?"fut la
question que je me posai, preuve que je pensais à tout autre
chose qu'à ce qui était important et qui se passait sous mes
yeux.

À un moment donné, pourtant, quelque chose se passa,


parce que je commençai à ressentir une étrange chaleur dans
le corps, qui m'allait de la pointe des cheveux jusqu'aux or
teils. C'était une chaleur merveilleuse :j'avais vraiment l'im
pression que quelqu'un me tenait dans ses bras et me cajolait.
J'avais aussi l'impression qu'un manteau m'enveloppait, me
donnant une sensation intérieure de protection. Si, au
Paradis,l'on est ne serait-ce qu'un dixième aussi bien que je
l'étais à ce moment-là,je signe tout de suite, parce que c'était
fantastique. Je n'avais même plus conscience de toutes les
souffrances que je portais. Peu après j'ai éprouvé encore une
autre sensation que je définirais comme une "transplanta
tion cardiaque". J'ai senti comme une main qui m'arrachait
mon cœur meurtri et qui le remplaçait par un cœur nou
veau:à partir de cet instant-là une paix incroyable est entrée
en moi et a envahi tout mon être.

Certes,on pourra m'objecter: "D'accord, c'était un moment


particulier où tu étais prête à tout et ainsi tu t'es laissée condi
tionner, ce que tu as ressenti est invérifiable."Je me limiterai à
répondre ; avec tout ce que j'avais vécu jusqu'alors,imaginez
commentje pouvais être disposée à me faire avoir encore une
fois par des phénomènes incompréhensibles. En réalité, à ce
moment-là,je ne m'attendais à rien du tout. J'étais vraiment
la dernière personne à demander quelque grâce que ce soit au
milieu de tant de pèlerins malheureux qui y avaient bien plus
droit que moi.
Entretemps l'apparition était terminée. Marija se leva et ex
pliqua ce qui s'était passé: "Quand la Gospa'-^ est venue,je lui
ai confié toutes vos intentions de prière. La Gospa a prié sur

148
chacun de vous et vous a bénis."Alors le regard de Marija ren
contra le mien et elle me dit devant tout le monde: "La
Gospa a fait siennes toutes les souffrances que tu portes dans
ton cœur, mais à partir d'aujourd'hui c'est elle seule qui sera ta
mère!" J'ai regardé Marija et j'ai pensé: "Mais qu'est-ce
qu'elle dit ? Elle est devenuefolle...", et, immédiatement, ma
réactionfut de m'emporter contre mon ami prêtre:"Qu'est-ce
que tu as dit à Marija ?"Il a commencé à pleurer et m'a assuré
qu'il ne lui avait rien dit.
À ce moment-là je ne croyais pas à ce que j'avais entendu.
Je me suis levée d'un seul coup et suis partie, parce que je ne
comprenais pas et que je pensais: "Eh oui, il ne manquaitplus
que la Vierge me prenne en charge. Mais quije suis, moi ?"Il y
a une blague qui circule à Medjugorje:quand on voit des pè
lerins courir, c'est qu'ils suivent un des voyants, et ce soir-là,
c'était une voyante, Marija,qui essayait de me rattraper. Elle
m'a prise par le bras et invitée chez elle prendre le thé et
dîner. C'était comme si on était de la même famille. Il est vrai
que je m'étais comportée comme saint Thomas tout au long
du chemin,et je lui ai dit : "Marija, mais toi, dans la chapelle,
tu en avais après moi ?"Et elle m'a répondu,avec un immense
sourire : "Moi non, mais la Vierge, oui."
J'ai clairement reçu, à cet instant-là, la réponse que la
Vierge était, réellement,aussi ma mère,et que si j'étais encore
vivante aujourd'hui c'était parce qu'elle m'avait placée sous
son manteau et protégée dans d'innombrables situations
dramatiques. J'ai compris que chaque fois que je tiens un
Rosaire entre mes mains, c'est la Vierge qui me tient par la
main. Ce soir-là je me suis rendue compte que jusqu'alors
j'avais travaillé pour Dieu, et que maintenant Marie me de
mandait de travailler avec Dieu ;et aussi une autre chose très
belle :que si je voulais devenir sainte,je devais prendre Marie
comme modèle de sainteté, vivre son sUence,son humilité,
son obéissance,sa pureté.

13-NdA:La Vierge.

149
Le résumé d'Édith Stein
Depuis ce jour-là, mon chemin a vraiment changé de façon
radicale, parce que j'ai découvert que j'ai une mère excep
tionnelle, qui est à mes côtés vingt-quatre heures sur vingt-
quatre. Même ma façon de penser et de prendre des décisions
s'est modifiée, parce qu'aujourd'hui je pense: "Moi,jeferais
comme cela. Mais si Marie était à ma place, commentferait-
elle ?" La Vierge est entrée, avec délicatesse, dans ma vie, et
m'a fait comprendre un nouveau mystère qui a été un tour
nant dans mon quotidien : il s'agit du silence de Marie au
pied de la croix.
Auparavant, quand je rencontrais la croix, quand je souf
frais,je m'enfuyais à toutes jambes,ou du moinsje cherchais
à noyer cette douleur dans la drogue, le sexe, le travail. À
peine me suis-je rendue compte que la Vierge, la première,
avait vécu la douleur extrême, celle d'une mère qui voit son
fils tué et qui, ensuite, le tient mort dans ses bras, que j'ai
compris que ce qui lui a permis de devenir la mère de l'hu
manité entière, c'est la transformation de cette douleur en
amour total et infini pour ces hommes mêmes qui lui avaient
enlevé son fils.
J'ai aussi découvert comment il était possible de vivre le
vœu de joie,qui est la caractéristique fondamentale de Nuovi
Orizzonti. De fait, il est aisé de vivre dans la joie quand tout
va bien, mais ça l'est beaucoup moins dans les situations dif
ficiles, quand on expérimente l'abandon et l'angoisse. Mais
Jésus a vécu,avant moi,la trahison de Judas et de Pierre, il a
vraiment senti l'éloignement du Père(avec ce cri terrible sur
la croix: "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu aban
donné ?"), il a vécu l'insulte et les moqueries.
L'attitude juste que Chiara m'a enseignée à l'école de la
Vierge,est celle de Jésus qui,au moment le plus terrible,s'en
remet totalement à Dieu : "Entre tes mains je remets mon
esprit."Chaque jour,je suis appelée à faire ce geste d'aban
don, et ma façon de penser change alors immédiatement.

150
parce que je me sens poussée à aimer chaque frère qui est à
côté de moi.

Une autre attitude juste:le pardon. Je l'ai vraiment expé


rimenté un Samedi Saint il y a quelques années alors que je
ruminais tous les souvenirs dramatiques que j'avais dans la
tête et qui continuaient à me faire beaucoup souffrir. À un
moment donné,j'ai pensé: "Malgré ce qui est arrivé, ceia qui
m'ontfait souffrir, ceux qui ont abusé de moi,j'accorde mon
pardon pour tout et à tous, etje prie pour eia."Depuis lors,
une nouvelle paix intérieure m'a envahie.
Avoir connaissance des fruits de ma prière ne m'intéresse
pas, mais je sais qu'elle a un effet concret. Je l'ai expérimenté
moi-même parce que, quand s'acheva ce que j'appelle, en
plaisantant,le "cirque des exorcismes le père Raffaele me ra
conta que l'on avait prié pour moi dans de nombreux mo
nastères de clôture. Je me suis alors dit que je devais, d'une
façon ou d'une autre,rendre la pareille et j'ai commencé par
aller, en personne, remercier ces moniales. Ce fut une belle
expérience que de voir ces petites sœurs heureuses de pou
voir regarder en face quelqu'un qui affirmait: "Votre prière
m'a réellement permis de passer de la mort à la vie."Et je sais
qu'après mon témoignage on a commencé,dans divers mo
nastères, à faire chaque samedi soir une veillée de réparation
pour les outrages et les sacrilèges pratiqués par les sectes.
En guise de résumé de toute ma vie, j'aime citer cette
phrase d'Édith Stein,grande philosophe allemande,née dans
une famille juive, qui s'est convertie au catholicisme et
mourut à Auschwitz en 1942 après être devenue carmélite.
En 1998, Jean-Paul 11 la proclama sainte et, en 1999, il l'ins
titua co-patronne de l'Europe. Quand elle choisit de se faire
baptiser,sa mère lui en demanda la raison et sa réponse fut:
"Je cherchais l'amour etj'ai rencontré Jésus."
Moi aussi,j'ai toujours cherché l'amour, même si pendant
une grande partie de ma vie je l'ai cherché où et comme il ne
fallait pas. Je voulais la paix et le bonheur, mais, dans le sexe

151
et la drogue,je n'ai rencontré que la destruction et la mort.
La raison en est que la haine a engendré la haine: l'acte de
non-amour qui est à l'origine de ma vie n'a cessé de se répé
ter dans un enchaînement apparemment sans fin.
Quand cette chaîne s'est-elle brisée ? L'été où j'ai rencontré
l'Amour véritable, celui de Jésus-Christ, personnifié par
l'amour de Chiara et des autres petits frères de Nuovi
Orizzonti. Suivre Jésus n'est pas chose facile : c'est une véri
table ascension vers les hauteurs (alors que suivre les enfers,
c'est une vraie descente en autoroute !). Je me souviens tou
jours en souriant de la phrase que m'a dite mon évêque au
moment où je renouvelais mes promesses dans la commu
nauté: "Mais, es-tu vraiment sûre de vouloir te marier avec
quelqu'un qui est au Ciel et que tu ne voisjamais ?"
Dans chaque ascension qui se respecte, il y a un chef de
cordée qui aide quand on est fatigué et qu'on pense ne plus
pouvoir y arriver. Le monde propose un amour "jetable",face
auquel l'amour chrétien est apparemment pure folie. Mais
cette folie est la seule en mesure de m'apporter la paix,la sé
rénité, la plénitude et la joie.

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Nuovi Orizzonti
Siège social:Via Prenestina 95
03010 PIGLIO (Fr)-ITALIE
Tel./Fax:(00-39)0775 502353
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Table des matières

Préface ^
Présentation ^

1 - Mon couteau et son baiser. 17


Le film de Pasolini 20
La demande du prêtre 22
Le rite contre Chiara 25
La sœur de mère Teresa 28
"Bienvenue à la maison"
DeretouràTrigoria 33
La lettre de Ratzinger. 36
Une décision fondamentale 40

2- Le combat commence,contre tout et contre tous 45


L'énorme gifle du curé 47
L'alibi de l'adoption 30
Une annulation fatale 32
La fiigue,à la majorité 35
Ces lettres sans réponse 36
L'aventure en tant que chef.
Un défi lancé à Dieu ^2

3- La consécration dans la secte satanique 65


Dans le tourbillon de la psychothérapie 67
On commence l'hypnose 69
La destruction de la petite fille 72
Le rendez-vous du samedi soir. 74
Le rite de la messe noire 76
Esclave du diable 78
Une hostie dans le vagin 81
Le rapport avec le bouc ^3
154

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