16 FOOTBALL Dimanche 26 novembre 2017 Le Télégramme
Ultras. « Une exaspération justifiée »
Recueilli par Benoit Siohan
S’estimant « victimes d'une
répression disproportionnée », de
la part des autorités (Etat, Ligue
du football professionnel), 33
clubs de supporters français,
essentiellement issus de la
mouvance « ultra », ont décidé de
mener des actions de
revendication ce week-end.
Sébastien Louis, historien et
spécialiste du supporterisme
ultra en Europe et en Afrique du
Nord, explique les ressorts d’un
mouvement qu’il justifie
largement.
Samedi, lors de la réception de Nantes, les Ultras
Photo Nicolas Créach
du Stade Rennais ont craqué des fumigènes et
déployé des banderoles pour protester contre les
mesures de sécurité déployées à leur encontre. Des
actions similaires ont eu lieu à Lorient, Brest ou
encore Saint-Etienne.
Un livre sur l’histoire des ultras > Que traduit le mouvement des suppor- excès des supporters a-t-il diminué ? interdire les vagues et remettre des obs-
à partir de l’exemple italien ters ? Tout à fait. On a de plus en plus de répression tacles physiques dans les tribunes ?
Il traduit une réelle exaspération, justifiée si et de moins en moins d’incidents violents. On Ce ne sont pas les ultras qui ont créé du dan-
on regarde la manière dont la France et les ins- en a eu dans les années 90 avec certains sup- ger, ce sont les installations qui étaient défec-
titutions, aussi bien sportives que politiques, porters du Paris SG, de Lille et de Lyon, mais tueuses. La pratique des vagues n’est pas dan-
gèrent la question du supporterisme radical aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Les pouvoirs gereuse. Après, on peut choisir le modèle
ou du supporterisme ultra. Depuis 2011-2012 publics s’en prennent à la scénographie des anglais, aseptisé, sans ambiance dans les
a été introduite la restriction de déplacements Green Angels (de Saint-Etienne, NDLR) qui fait stades. Les classes populaires y ont été chas-
des supporters adverses pour les matchs à une référence au film La Haine. Ou alors à ce sées, les billets coûtent une fortune et les
risque. La première année, on en a trois. Puis qu’il s’est passé avec les Merlus Ultras contre stades sont transformés en centres commer-
14 la saison suivante, puis 27, 33 et enfin 218 Brest, qui font une référence claire au groupe ciaux. Le contre-modèle, c’est l’Allemagne. Ils
en 2015-2016. Certaines sont aberrantes. Un de rap NTM. On pourrait se dire qu’il y a des ont le taux de remplissage le plus important
Grenoble - Mulhouse en championnat ama- artistes dans les tribunes, pas que c’est une au monde, des stades qui débordent de pas-
teur, un Martigues - Toulon… incitation à la violence. sion. Même en troisième division il y a des
stades avec des dizaines de milliers de specta-
> Y a-t-il d’autres griefs ? > Les ultras ont-ils le sentiment que cer- teurs. Et depuis quelques années on est reve-
Les supporters en ont assez des sanctions taines autorités veulent se débarrasser nu au système des places debout dans les tri-
variables. Ici, on peut apporter un méga- des groupes de supporters ? bunes de supporters. C’est également le cas
phone, un tambour, une banderole, ailleurs Tout à fait. Le supportes ultras ne sont pas au Celtic Glasgow, où il y a un secteur de
on ne peut pas. Et donc les supporters ultras, malléables à merci. Ils incarnent un contre- places debout. Aujourd’hui, les clubs du cham-
que l’on confond trop souvent avec les hooli- pouvoir. Prenons, au FC Nantes, l’exemple de pionnat anglais veulent faire la même chose,
gans, en ont assez. Contrairement aux hooli- la Brigade Loire, en conflit depuis des années pour faire revenir l’ambiance. En France, le
gans, les supporters ultras ne sont pas là pour avec le président Kita. Celui-ci ne supporte pas club de Sochaux l’envisage également. Les
la violence. Leur but, c’est de soutenir leur la remise en question de son travail par les gens ne vont pas au stade pour voir des
club activement. Visuellement, avec des scéno- ultras et veut tout faire pour s’en débarrasser. matchs, qu’on voit bien mieux à la télévision,
Sébastien Louis vient de sortir une somme graphies qu’en France on appelle tifos. Ils C’est dangereux, car il vaut mieux un groupe mais pour vivre une ambiance. Le stade est un
sur l’histoire des mouvements ultras en chantent pendant tout le match, ils animent pour encadrer les troupes que d’avoir des élé- lieu social et culturel important.
Italie. Dans « Ultras - les autres protagonistes la tribune. Les ultras disputent un match dans ments indépendants qui se radicalisent d’au-
du football » (440 pages, 42 euros, éditions le match, ils font la plus belle scénographie, la tant plus. Plus largement, il y a une transfor- > Faut-il accepter un minimum d’incivi-
Mare et Martin), l’auteur remonte à la phrase la plus impertinente. Parfois, il y a des mation qui est à l’œuvre dans le football lités au nom de l’ambiance ?
naissance des mouvements ultras dans les dérives violentes mais qui représentent à depuis l’arrêt Bosman avec des gens qui inves- Soit le stade est en dehors de la société et
années 1960 et en analyse tous les codes. peine 1 à 2 % de l’activité des ultras. tissent dans le football pour faire de l’écono- c’est un lieu où il n’y a aucune insulte, soit le
mie, de la politique ou de la géopolitique et lieu reflète notre société. Il ne faut pas être
> La question des fumigènes est égale- pas pour l’amour du football. Face à ces gens- hypocrite. Si on a chaque semaine 22.000 per-
Qui sont les ultras ? ment au cœur du mécontentement… là les ultras incarnent un contre-pouvoir. sonnes qui se rassemblent dans un stade,
Oui. Les sanctions sont disproportionnées. La c’est la moyenne en Ligue 1, on peut être sûr
« Ce sont essentiellement des jeunes entre pyrotechnie est souvent encensée par les > Envahissements de terrains, bande- qu’il y a aura des incivilités. En discothèque,
18 et 30 ans, ce qui correspond médias ou la Ligue du football professionnel. roles de plus ou moins bon goût et pro- regardez le nombre de morts, de bagarres etc.
à l’adolescence pour la génération Y. Ils sont On voit souvent, pour illustrer le supporte- fusion de pyrotechnie tendent à mon- Les stades ne sont pas dangereux : par rap-
souvent bien insérés dans risme festif, des scènes où des supporters trer que les stades ne sont pas sécurisés. port au nombre de matchs et au nombre de
la société. On a de tout, des classes allument des fumigènes. En même temps Signe d’incompétence, d’impuissance spectateurs, la violence y est très basse.
populaires aux classes plus c’est condamné parce que c’est dangereux, ce ou de collusion entre groupes et clubs ?
aisées, de l’ouvrier au doctorant. On a un qui est vrai. Notamment parce que les stadiers Je ne suis pas d’accord, les stades n’ont jamais > Les supporters sont-ils indispensables
profil politique aussi très varié, tentent d’intervenir, ce qui crée des mouve- été aussi sécurisés. On n’a jamais eu aussi peu au football ?
contrairement aux clichés, qui cataloguent ments de foule. Les supporters réclament une d’incidents. On vit dans une époque anxio- Selon moi oui, car ils sont les gardiens de la
les ultras comme des facistes, et parfois on a table ronde sur la pyrotechnie afin d’explorer gène. Les stades sont sûrs, mais ils sont de tradition. Ils freinent un marketing effréné.
plus de gens de gauche. On a relativement des pistes, qui peuvent aller de l’autorisation leur époque. Il y a une libération de la parole On a vu en Grande Bretagne un club changer
peu de femmes. Par contre, celles qui sont à l’utilisation d’un fumigène qui ne brûle pas, dans l’espace public qui n’épargne pas les de couleurs sur décision du propriétaire thaï-
dans les groupes sont extrêmement récemment inventé. Ils demandent à être res- stades. Simplement, il y a une surmédiatisa- landais. Un autre a été débaptisé et déplacé
respectées. Ils sont assez inclusifs, que ce ponsabilisés. Si on a un dialogue avec les sup- tion de ce qui s’y passe. Chaque incident est de 150 km d’une ville à l’autre. Le football pro-
soit avec les femmes, les handicapés ou les porters ultras, ils encadrent la foule, et si on monté en épingle. Et non, il n’y a pas de com- fessionnel n’est pas un sport mais une indus-
homosexuels… Ils tiennent des propos et les responsabilise - toutes les études le plaisance entre supporters et stewarts, mais il trie du loisir. Soit on l’accepte totalement soit
brandissent des banderoles homophobes montrent -, ça permet de diminuer les ten- est impossible de contrôler efficacement dans on veut un autre football. Un football popu-
alors que ce n’est pas un sujet pour eux. sions et les incidents violents. un stade X milliers de spectateurs. laire, ce qui est encore le cas en France. Je
Mais ça fait partie de leur vocabulaire pense que ces clubs de supporters défendent
comme celui du supporter de base. » > Le seuil de tolérance vis-à-vis des > Suite à l’incident d’Amiens, faut-il des valeurs plus qu’honorables.