EN FINIR AVEC
LA DÉMESURE
Manifeste pour le monde qui vient
Je me révolte, donc nous sommes.
ALBERT CAMUS
L’Homme révolté, 1951
Équinoxe est un jeune parti politique né d’une prise de conscience et
d’une volonté.
Notre prise de conscience est celle de jeunes de 20 à 30 ans, rejoints
par d’autres générations, qui constatent sous leurs yeux les effets désas-
treux engendrés par un modèle de développement hors de contrôle.
Notre volonté est de ne pas baisser les bras, de regarder la réalité en
face, de ne pas transmettre à la génération suivante le produit de nos
hésitations et de nos peurs, de ne pas laisser l’arène politique à ceux qui
s’y invectivent sans agir, de mouiller le maillot quand il est encore temps,
de travailler en partant du réel, de rassembler plutôt que de diviser, de
croire en l’avenir.
L’équinoxe constitue l’instant où le Soleil traverse le plan de l’équateur,
le moment de l’année où le jour est aussi long que la nuit. Nous avons
choisi ce nom car il en dit long sur notre époque : partagée entre l’ombre
et la lumière, entre périls et possibles, entre optimisme et pessimisme,
entre résignation et renouveau.
Ce texte constitue la première pierre du manifeste d’Équinoxe.
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Que se passe-t-il ?
Un emballement
Le climat se réchauffe et se dérègle. Nous faisons face à la multiplica-
tion d’événements climatiques extrêmes, à la montée du niveau des
mers. Des régions entières se retrouvent en proie aux feux de forêts, aux
inondations, à la désertification.
La biodiversité s’effondre. Partout sur la planète, les écosystèmes sont
mis à mal par l’artificialisation des terres, la pollution, la surexploitation
des ressources et le changement climatique. Les scientifiques parlent de
la sixième extinction de masse, la première provoquée par une espèce
vivante : Homo sapiens.
Les relations sociales se dégradent. Nous assistons à l’accroissement
des inégalités et de la précarité. Nous nous agglutinons dans des métro-
poles qui deviennent étouffantes. Paradoxalement, nous nous sentons
de plus en plus isolés. Les inégalités entre les femmes et les hommes
sont toujours criantes. Le chômage de masse reste structurel. Les flux
migratoires augmentent massivement.
L’économie s’emballe. Nous poursuivons une croissance exponen-
tielle des échanges, de la production, de la consommation. Nous épui-
sons les ressources naturelles et mettons en péril les économies vi-
vrières. Nous laissons la publicité envahir l’espace public et nos foyers.
Nous accélérons la déconnexion entre la finance et l’économie réelle et
nous voyons le pouvoir économique se concentrer entre les mains de
quelques oligarques.
La technologie devient menaçante. Les moyens d’information et de
communication numériques y contribuent pour beaucoup. Les algo-
rithmes nous enferment dans des bulles informationnelles. De nom-
breux experts nous alertent sur les risques grandissants liés à l’intelli-
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gence artificielle et aux biotechnologies. Nous jouons aux apprentis sor-
ciers pour repousser nos limites toujours un peu plus loin. C’est un jeu
dangereux, dans lequel nous risquons gros.
Tout ceci n’est pas un accident même si nous aimerions le croire. Tout
au long de notre histoire, nous avons déjà connu, à l’échelle de notre
pays ou à l’échelle du monde, des guerres, des invasions, des crises, des
épidémies meurtrières, des catastrophes naturelles qui ont plongé des
millions de personnes dans le désarroi, la souffrance ou la mort. Ces phé-
nomènes destructeurs ou meurtriers ont été surmontés. L’incroyable ca-
pacité de l’être humain, seul ou en société, à s’adapter à l’imprévu et à
combattre l’hostilité a jusqu’ici triomphé. Pourquoi en serait-il autrement
aujourd’hui ?
Car le passé ne prouve pas le futur. Le tableau qui vient d’être dépeint
ne résulte ni d’une catastrophe naturelle imprévisible ni de la volonté de
nuire d’un adversaire qui veut notre malheur mais de nous-mêmes qui
croyons chercher notre bonheur. Ce que révèle cette cascade de mau-
vaises nouvelles, c’est l’impasse dans laquelle nous mène l’exploitation
sans limite de ressources limitées.
Or nous prenons conscience de l’horizon que cette fuite en avant
laisse entrevoir.
Une planète moins habitable : des zones côtières submergées, des ré-
gions proches de l’équateur rendues invivables par des conditions ex-
trêmes de température et d’humidité toute l’année.
Des phénomènes migratoires massifs, sources de tensions et de con-
flits armés : plus d’un milliard de personnes sont susceptibles d’être dé-
placées.
Une compétition exacerbée pour les ressources vitales : l’eau, les pro-
duits agricoles, les matières premières.
Des chocs technologiques imprévisibles mais particulièrement inquié-
tants : transhumanisme, déploiement d’armes biologiques, dérives de
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l’intelligence artificielle, géo-ingénierie pour contrer le dérèglement cli-
matique…
Une gouvernance démocratique plus que jamais en péril. Nos institu-
tions résisteront-elles aux exigences contradictoires qu’engendrent les
situations extrêmes ?
À tous ces niveaux, ce n’est pas seulement la situation actuelle qui
pose problème mais la dynamique. Chacun des phénomènes physiques,
économiques, sociaux, politiques semble obéir à sa propre loi, hors de
tout contrôle. En tentant, sans relâche, de repousser les limites de sa
connaissance, de sa richesse, de son pouvoir sur le monde vivant, l’hu-
manité aurait, de son plein gré, engendré un mouvement qui désormais
la dépasse. Nous avons cherché à nous libérer de nos limites. Nous
sommes désormais aliénés par notre démesure.
Face à cet emballement, les principes qui nous guidaient jusqu’ici pour
habiter le monde ne suffisent pas. L'intuition profonde d’Équinoxe est
simple : la démesure nous a fait perdre nos repères ; il faut retrouver une
boussole. Et pour commencer, tentons de comprendre comment nous
en sommes arrivés là.
La démesure
Sur les grandes causes des désordres du monde, il faut avancer avec
humilité. Des générations de philosophes, des académies entières de
scientifiques nous précèdent par leur expérience et leur compétence.
Mais en même temps, pour ne pas renoncer à agir, il nous faut prendre
le risque de poser les postulats qui fondent nos convictions.
Nous faisons l’hypothèse que la démesure, qui porte atteinte à notre
environnement, fragilise la paix sociale et mine notre confiance dans
l’avenir, ne procède pas d’une seule cause mais de quatre qui se conju-
guent.
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La première saute aux yeux de tous ceux qui étudient et combattent
les causes et les effets du réchauffement climatique depuis des décen-
nies : c’est la croissance exponentielle de la consommation d’énergie, prin-
cipalement des énergies fossiles. Certains y voient la mère de toutes les
causes. En multipliant par cent, mille ou davantage la puissance physique
dont l'humain disposait jusqu’alors pour ses travaux quotidiens, sa pro-
duction, ses capacités de transport mais aussi ses moyens d’information,
sa capacité de recherche, la puissance de ses armes, la révolution de
l’énergie abondante a produit deux effets. Elle a, quantitativement, en-
gendré une croissance sans précédent de la production de biens et de
services et, par voie de conséquence, de la consommation, de l’exploita-
tion des ressources naturelles et de la production de déchets. En paral-
lèle, elle a contribué à déconnecter la capacité individuelle de travail de
l'être humain du rendement productif. Pour reprendre une image d’Épi-
nal, là où chacun pouvait mesurer, au nombre d’ouvriers et de bénévoles
nécessaires à la moisson, combien la production d’un quintal de blé né-
cessitait d’efforts, l’apparition de la moissonneuse-batteuse alimentée
par une énergie abondante a altéré notre perception du réel. Ainsi donc,
puisque la mesure de ce que nous produisons et consommons ne réside
plus dans le temps et la peine que nous y consacrons, tout paraît pos-
sible. À quoi bon fixer des limites à l’exploitation des ressources, et ce
d’autant plus si le progrès technique promet d’y trouver des substituts le
jour présumé lointain où elles viendraient à s’épuiser ?
Le progrès technique, précisément, dans l’ordre de ce qui contribue à
la démesure, ne doit pas être éludé, même s’il s’agit d’une problématique
ambivalente. Personne ne contestera la légitimité de l’être humain à
mieux comprendre la matière, le vivant, le fonctionnement de son envi-
ronnement physique et social. Au contraire, quel que soit le profit qui en
a été tiré, quel que soit même le détournement de l'intention de ses au-
teurs, le travail de Marie Curie, les découvertes de Pasteur ou les hypo-
thèses d’Einstein méritent le nom de progrès. Ils sont une manifestation
du génie de l’être humain et ouvrent des portes à des applications con-
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crètes soulageant la difficulté de la condition humaine. Ce n’est pas l’es-
prit scientifique qui engendre la démesure mais les fantasmes qui l’ac-
compagnent. Or ces fantasmes sont particulièrement vivaces. Depuis
deux siècles, ils nourrissent notre imaginaire collectif. Du monde de Jules
Verne à celui d’Elon Musk, nous n’avons cessé de croire que le progrès
technique abolirait la pesanteur du monde réel. Nos fantasmes viennent
masquer notre vulnérabilité : l’apparition des antibiotiques ou de la thé-
rapie génique éveille en nous de tels espoirs que tous les rêves nous
semblent permis et toutes les limites abolies.
C’est donc en chacun de nous, et pas seulement chez quelques milliar-
daires, que réside une partie du problème. Notre nature humaine est ainsi
faite que nous sommes le terreau dans lequel s’enracine la démesure.
Nous entrons là dans un domaine labouré depuis des millénaires. Les
mythes fondateurs de toutes les sagesses décrivent l'humain comme
présumé coupable de se vouloir l’égal des dieux et finalement victime de
sa propre démesure. C’est l’histoire d’Adam et Ève, jaloux de l’accès de
Dieu à l’arbre de la connaissance, qui mangent son fruit et tombent dans
l’engrenage de la culpabilité. Les Grecs anciens, conscients de cette pul-
sion de démesure, parlent de l’hubris, qu’illustre le mythe d’Icare, grisé à
l’idée de voler vers le soleil au point que la cire de ses ailes fond et qu’il
tombe dans la mer pour s’y noyer. Cependant, là encore, il faut être pru-
dent. En reconnaissant d’abord la double nature de cette aspiration fon-
damentale de l’être humain à devenir plus grand que lui-même. C’est de
cette forme de démesure que jaillissent à la fois le génie artistique et
l’esprit de résistance. Il y a dans l’être humain un désir d’infini qui mérite
d’être à la fois célébré et protégé contre toute violence. Cette soif inex-
tinguible de plus, de mieux, de davantage n’est donc pas une tare origi-
nelle, dont une « écologie punitive » devrait se charger de nous guérir.
Elle est une part de nous-même, qui peut produire le meilleur comme le
pire. Mieux vaut l’identifier, reconnaître son ambivalence et lui donner
sa juste place plutôt que de la nier.
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La difficulté vient cependant de ce que notre histoire politique ne nous
aide pas à cantonner l’hubris à sa juste place. Il s’agit du quatrième fac-
teur de la démesure, celui auquel nous sommes très directement con-
frontés. Au moment où, face à une crise qui menace l’humanité dans son
ensemble et rend urgente une mobilisation politique nouvelle, nous
cherchons à éveiller les consciences, susciter l’enthousiasme et inviter à
l’engagement, le désenchantement politique nous plombe. Notre cons-
cience politique, ce système immunitaire des peuples contre la fatalité et
l’asservissement, si nécessaire pour affronter les grands tournants de
l’histoire, est atteinte par les effets collatéraux d’excès en tous genres. Le
sentiment général est que la politique nous ment. Le cycle de l’histoire
semble avoir enfanté une duperie. Le XVIIIe siècle a été celui de l’ensemen-
cement : les Lumières dessinaient les contours de la démocratie. Le XIXe
a été celui des utopies : dans le soubresaut des révolutions, partout en
Europe la conscience sociale ou nationale s’affirmait. Le XXe a été le siècle
de la démesure : les idéologies triomphantes ont généré l’horreur puis le
désenchantement. Nous en sommes là. Héritiers des plus grandes espé-
rances, mais apparemment condamnés à ne plus croire en rien. L’état
actuel du milieu politique reflète cette contradiction. Aujourd’hui, là où a
résonné la parole de Victor Hugo, Charles de Gaulle ou Simone Veil, le
discours des femmes et des hommes politiques sonnent creux. Ils pro-
mettent trop et réalisent trop peu. Ils ont les yeux rivés sur Twitter pen-
sant pouvoir satisfaire, du tac au tac, les aspirations contradictoires qui
s’y expriment. Ils se croient tout puissants mais ne sont pas grand-chose.
Et ce grand écart permanent mine non seulement la confiance des élec-
teurs au moment du vote mais aussi, dans une certaine mesure, notre
capacité à croire en nous, collectivement, alors que nous n’en avons ja-
mais eu autant besoin.
Que faire ?
Nous avons besoin d’agir vite et, pour cela, nous avons besoin d’une
énergie collective. Ces deux nécessités prennent à revers des réflexes
d’autodéfense assez solidement ancrés.
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Le premier réflexe est la tentation de ne rien faire. Mais le célèbre
aphorisme suivant lequel « il n’est pas de problème dont une absence de
solution ne finisse par venir à bout », n’est pour nous d’aucun secours.
Nous ne sommes pas face à un obstacle qu’il suffirait de contourner.
Nous sommes pris dans un engrenage. Quand bien même ferions-nous
l’autruche, la tête dans le sable, nous sentirions assez vite réchauffer nos
plumes. L'attentisme – « ce qui est annoncé n’est pas certain » – et la
joyeuse irresponsabilité de l’écologie de salon doivent être appelés par
leur nom : une tendance très humaine à la procrastination, c’est-à-dire
un renoncement au courage. Même le pur cynisme – « ça attendra la pro-
chaine génération » – est illusoire. Nous sommes déjà rentrés dans les
dérèglements annoncés. Il n’y a pas d’alternative à l’action.
Le second réflexe est la tentation de s’en sortir, soi et ses proches, et
de sauver les meubles dans la tourmente. Mais, paradoxalement, la
bonne nouvelle de la crise écologique c’est que personne ne s’en sortira
seul. Face au réchauffement, il n’y a pas de climatiseur géant pour les
privilégiés, pas de planète B pour les pays riches. On aura beau édifier
des murs contre les réfugiés du climat, dénoncer d’autres pollueurs que
soi, tenter de gagner la guerre de l’eau et des matières premières, ces
réflexes du monde d’avant n’arrêteront ni le réchauffement de la pla-
nète, ni les maladies dues à la pollution, ni l’effondrement de la biodiver-
sité. Nous ne pourrons pas nous trouver un bouc émissaire. Il va falloir
nous résoudre à nous entendre.
Construire un langage commun
Pour s’entendre, il faut un langage commun. Partager la même per-
ception des effets grandissants de la crise écologique, ressentir, plus ou
moins confusément, les mêmes angoisses, ne suffit pas. S’il nous
manque la clef d’un langage pour nous simplifier la compréhension de la
crise, pour nous rejoindre là où nous sommes, pour nous mettre en
mouvement, pour nous relier les uns aux autres dans l’adversité, nous
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n’avancerons pas. Or la parole qui nous est adressée, venant de diffé-
rents horizons, quand elle n’est pas contre-productive est, pour l’instant,
incapable de susciter un élan qui nous rassemble.
On pourrait penser que la parole des scientifiques et des lanceurs
d’alerte suffise à créer cet élan. Leur point commun est d’être convaincus
de l’importance de la question écologique, de chercher à susciter une
prise de conscience et un passage à l’action. Cette posture devrait con-
tribuer à leur crédit. Chacun d’entre eux éclaire le débat public de ma-
nière spécifique. Le monde scientifique donne des clés pour la compré-
hension de phénomènes techniquement complexes et développe un es-
prit critique qui permet, en principe, de n’aborder la question écologique
ni comme une mode ni comme une religion. Les lanceurs d’alerte, quant
à eux, jouent un rôle décisif pour dénoncer les effets pervers de certaines
décisions prises dans le sens des intérêts économiques ou politiques do-
minants sous couvert de discours consensuels et lénifiants. Sans eux,
qu’en serait-il par exemple de la protection des pollinisateurs contre les
pesticides ? Qu’en serait-il a fortiori de celle des humains victimes à
grande échelle de produits dangereux (chlordécone, Mediator…) ? Mais
il ne suffit pas d’avoir raison pour convaincre. Le chaos écologique an-
noncé – surtout s’il est pour demain et non pour aujourd’hui – finit lui-
même par se fondre dans le flot continu de nouvelles alarmantes dont
nous sommes saturés. La parole des scientifiques et des lanceurs
d’alerte est le plus souvent juste et utile. Elle est sincère mais elle peine
à nous atteindre. Elle est nécessaire mais pas suffisante. Elle met en
exergue des problèmes complexes, mais n'a pas vocation à trouver les
solutions à notre place. La parole qui met en mouvement est celle qui
nous parle dans un langage simple de ce que nous connaissons au-
jourd’hui.
Ce langage simple, imagé, de proximité, le discours politique l’em-
prunte volontiers. Il partage avec le langage publicitaire cette propension
à viser l’affect. Il rebondit sur une image, un fait divers ou une émotion.
Twitter est pour lui un canal privilégié parce qu’il permet, émoticônes à
l’appui, de manifester en quelques signes, son admiration, son amour,
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son indignation ou son dégoût. Les démonstrations rigoureuses passent
moins bien ? Le discours politique s’en affranchit. Il préfère les raccour-
cis. Pour atteindre les électeurs mieux vaut toucher les cœurs que les
esprits. Mieux vaut parler aux gens de ce qu’ils connaissent et leur dire
ce qu’ils aiment entendre. Devant ceux qui veulent la justice, on dénonce
les injustices avec vigueur et on a raison. Pour ceux qui veulent l’effort,
on exalte le travail et on a raison. Devant ceux qui dénoncent la fraude,
on crie haro sur les fraudeurs et on a encore raison. Le piège de ce dis-
cours c’est d’avoir toujours raison et, finalement de ne convaincre per-
sonne qui ne soit déjà convaincu. La gauche parle à la gauche, la droite
parle à la droite, chacun, enfermé dans ses frontières, se parle à soi-
même. Mais la parole qui convainc n’est pas celle qui cherche à renforcer
ses propres certitudes. Car à cette aune, on démontre tout. Pour sortir
de cette impasse, mieux vaut appeler son auditoire à une compréhen-
sion plus profonde des problèmes, à un niveau où ce qui unit l’emporte
sur ce qui divise. À partir de ce moment, on peut commencer à agir non
pas seulement les uns contre les autres mais ensemble contre les dérè-
glements qui nous menacent tous. Or la parole politique se hisse rare-
ment à ce niveau pour une raison simple : elle ne cherche pas à l’at-
teindre. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles elle est si déce-
vante. Et, face à la crise écologique, si peu capable de répondre à nos
besoins vitaux.
Il est urgent de surmonter cette incapacité. « Crois tes yeux, pas tes
oreilles » : et si, au lieu d’écouter l’élite politique se justifier dans un lan-
gage insuffisant, il nous fallait plutôt regarder vivre ceux qui agissent, cons-
cients de l’urgence écologique ou tout simplement héritiers d’un mode
de vie plus sobre ? Et si nous portions davantage attention à ce que ces
personnes disent et à la langue qu’elles parlent ? Et si, faisant sienne l’in-
tuition de Camus selon laquelle un langage authentique procède du trip-
tyque « se taire, écouter, laisser déborder », le monde politique laissait
la parole des citoyens précéder la sienne ? N’y a-t-il pas là une question
démocratique majeure à laquelle l’écologie politique est invitée à ré-
pondre avec le plus d’honnêteté possible ? Car de deux choses l’une. Soit
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les solutions à la crise écologique préexistent à toute consultation démo-
cratique et la démocratie n’est qu’un faire-valoir. Le peuple, en principe
souverain, étant sommé de se conformer à ce qu’une poignée d’experts
et de partis politiques, aussi bien intentionnés soient-ils, connaissent
avant lui et mieux que lui. Soit il existe dans la diversité de la population
une sagesse – certes souvent contrariée par bien des contraintes et bien
des intérêts – qui doit être prise en compte et même servir de fondement
au tournant que nous devons prendre. Si tel est le cas – ce que nous
croyons – alors il ne faut pas ignorer la diversité du langage de ceux pour
lesquels l’écologie n’est pas d’abord un argument ou un sujet d’étude
mais une pratique ancrée dans la vie quotidienne.
De cette diversité, nous voulons retenir trois choses. La première est
qu’elle est le fruit d’une certaine effervescence. L’effervescence de la jeu-
nesse, qui des activistes lycéens aux diplômés de grandes écoles, remet
en cause radicalement le modèle économique dont elle hérite et choisit
de nouveaux engagements. L'effervescence des mouvements féministes
qui luttent contre les violences faites aux femmes et militent pour une
plus grande égalité. L’effervescence des initiatives citoyennes et de tous
les anonymes que nous sommes. Chacun à sa mesure, opère sa mue,
consomme mieux et moins, change ses habitudes de transport, recycle
davantage, prend soin de la nature et du vivant… L’effervescence des
écovillages qui expérimentent, à petite échelle, des modes de vie écolo-
giques. L’effervescence enfin des activistes et militants associatifs : des
plus visibles d’entre eux – par exemple Greenpeace ou Les Soulèvements
de la Terre – dont les méthodes défraient parfois la chronique, au grand
nombre d’associations qui œuvrent dans l’ombre depuis des dizaines
d’années, pour la défense de l’environnement, la promotion d’une con-
sommation plus responsable ou d’un meilleur équilibre entre pays du
Nord et du Sud. Toute cette effervescence témoigne d’une chose : la so-
ciété civile n'a pas attendu la parole politique pour se mettre en mouve-
ment. En réalité, elle la précède souvent.
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La deuxième leçon que nous voudrions retenir de la diversité de ceux
qui agissent, c’est une invitation à apprendre les uns des autres. Une arro-
gance gigantesque émane parfois de ceux qui, au nom d’une culture éco-
logique forgée le plus souvent dans des milieux urbains avec un niveau
d’études élevé, se permettent de donner des leçons à la terre entière. Si
nous n’arrivons pas à prendre conscience des limites du langage des sa-
chants, nous n’avancerons pas. Si ceux-là ne reconnaissent pas la part
de vérité qui leur échappe et que l’on trouve chez le jardinier, chez le
chasseur, chez bon nombre de ceux qui ont occupé les ronds-points pen-
dant deux ans, ils passeront à côté de quelque chose d’essentiel, qui est
peut-être plus important que toutes leurs certitudes. Et cela témoignera
qu’ils n’ont peut-être rien compris à l’urgence de trouver un langage com-
mun. Plus encore, si nous n’apprenons pas de tous les demandeurs
d’asile, venus du Sahel ou d’ailleurs, ce qu’ils savent, cent fois mieux que
nous, de la sobriété, de la chaleur des journées et de la rareté de l’eau,
cela prouvera notre étroitesse d’esprit. Nous aurons beau tambouriner
de toutes nos forces sur la valeur de notre expertise climatique, nous
aurons beau proclamer la supériorité de nos valeurs démocratiques ou
féministes, il en résultera un immense gâchis. De ceux dont nous avons
à recevoir une part de vérité, nous n’aurons, en définitive, rien appris.
Eux-mêmes, en retour, auront surtout perçu notre arrogance voire notre
mépris. Pour trouver un langage commun, il faut savoir renoncer à une
part de soi-même.
Et il ne faut pas désespérer. C’est le troisième enseignement. Car der-
rière l’effervescence des expressions, au-delà de la diversité des cultures,
à la source d’où jaillit une infinité de discours, de modes de vie et de rap-
ports à la nature, une réalité fondamentale transparaît d’où peut naître
un langage commun. Face à la démesure, au gigantisme, à l’hubris, notre
planète, la nature, nos sociétés et nous-mêmes avons besoin de mesure.
C’est la sagesse de tous les jardiniers de la Terre qui nous en fait la leçon.
C’est la clameur des réfugiés chassés de leur environnement familier.
C’est la respiration attendue par tant d’habitants des métropoles as-
phyxiés par la pollution, le stress et la publicité. C’est enfin le signe que
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nous envoie la planète anémiée par nos excès en tous genres. Si nous
voulons retrouver un langage commun et un chemin d’espoir pour l’hu-
manité nous avons besoin de la mesure comme boussole.
La mesure comme boussole
Renoncer à la démesure n’est pas une option idéologique. Cela ne ré-
sulte même pas d’un choix moral. Au-delà de ce que nous pensons né-
cessaire, avant même de savoir ce qui est bien ou mal, nous devons tenir
compte de la réalité. Ce dont nous cherchons le plus souvent à nous af-
franchir, ce à quoi nous souhaiterions échapper, si possible à l’aide de
représentations politiques ou de valeurs éthiques qui nous projettent
dans un monde idéal, c’est notre vulnérabilité. La vulnérabilité du monde
vivant face à la surexploitation, à la pollution, au réchauffement, et la
vulnérabilité de nos sociétés déchirées et anesthésiées face aux change-
ments nécessaires, voilà de criantes réalités. Elles nous renvoient d’ail-
leurs à notre propre vulnérabilité, aussi bien physique que psycholo-
gique, face à la maladie, à la solitude, à la peur de l’autre, à la peur de
manquer. Nous vivons dans un monde vulnérable et nous sommes nous-
mêmes vulnérables : voilà la réalité que la crise écologique met en lu-
mière. Que nous le voulions ou non.
La question qui se pose à nous, collectivement et individuellement, est
de savoir ce que nous faisons de cette réalité incontournable et telle-
ment contraire à notre élan vital. Par nature, nous sommes tentés de
l’éviter. De nombreuses lignes de fuite sont possibles, comme nous
l’avons vu. En tentant de la vaincre grâce aux progrès de la science et ses
nombreuses retombées pour la médecine, l’éducation, la production
d’énergie, l’alimentation… Ou, plus basiquement, en se réfugiant dans un
monde virtuel, dans lequel la vulnérabilité n’a pas sa place. L’intelligence
artificielle pour tous viendrait alors au secours des désordres du climat,
de toutes nos défaillances et de toutes nos frustrations. Dans un cas
comme dans l’autre, il s’agit d’une fuite en avant néfaste. C’est répondre
à la démesure par la démesure. Chacun peut en rêver mais est-il seule-
ment sérieux d’y croire ?
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Le discours politique dominant est mal à l’aise avec la vulnérabilité.
Son registre est plutôt celui des certitudes et des solutions, de l’énergie
et de la croissance. Dans ce discours, reconnaître la fragilité de nos
modes de vie et des écosystèmes passe mal. Admettre qu’il s’agit d’une
réalité constitutive de notre environnement et de notre vie sociale est
encore plus difficile. À droite comme à gauche, l’idée qu’il suffit de com-
penser les atteintes à l’environnement ou les injustices sociales dont
notre modèle économique est la cause reste majoritaire. La facture des
dégâts écologiques et humains serait une charge à répartir le plus équi-
tablement possible entre les privilégiés et les exclus, entre les pays riches
et les pays pauvres, entre le Nord et le Sud. Encore s’agit-il là d’un dis-
cours dont on sait la part velléitaire et le manque d’application concrète.
À l’appui de cette vision, des images comme celle des « premiers de cor-
dée » ou celle du « ruissellement » voudraient nous faire croire que
l’énergie des mieux lotis pourrait compenser la détresse des plus vulné-
rables. La biologie, la sociologie ou l’histoire permettraient ainsi à cer-
tains individus mieux armés ou à certains pays mieux organisés de pren-
dre une part plus importante à la correction des inégalités ou à la dimi-
nution des dommages environnementaux, dont ils sont, au passage, da-
vantage responsables en raison de leurs modes de vie et de consomma-
tion. Ce serait donc à la fois efficacité et justice.
La conviction d’Équinoxe est que cette vision des choses, aussi répan-
due soit-elle, ne fait que colmater les brèches. Elle ne renonce pas à la
démesure. Elle fait porter à ceux qui tirent le mieux profit du système la
charge financière et morale de sa fin programmée. Il y a là une contra-
diction qui est aussi la limite du principe « pollueur-payeur ». La mesure
de police peut être vertueuse, elle aide à limiter les excès. Mais pour don-
ner l’élan nécessaire à un véritable changement de paradigme, elle ne
suffit pas. Pour construire un langage commun, il faut certes la justice.
Mais il faut aussi la responsabilité partagée. L’effort doit être réparti équi-
tablement mais il doit être aussi l’effort de chacun, à sa mesure, et décidé
par tous. Enfin et surtout, la logique des « premiers de cordée » ne tire
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pas les enseignements de la révélation la plus importante de la crise éco-
logique : la mise en lumière de notre vulnérabilité.
L’enjeu est pourtant là. Il s’agit moins de sauver un modèle qui prend
l’eau que de reconnaître dans la crise les signes annonciateurs du monde
qui vient. C’est d’ailleurs le propre de toute crise de nous libérer des
dogmes anciens qui n’aident plus à comprendre ni à affronter la réalité.
Ce sont dans les crises, à l’épreuve des faits, dans la douleur souvent,
que se dessinent des vérités nouvelles. Or la surexploitation des res-
sources naturelles, l’effondrement de la biodiversité, la pollution à
grande échelle et toutes les conséquences humaines et sociales qui s’en-
suivent nous enseignent. Ils nous parlent des limites à l’accumulation, à
la compétition et à l’individualisme effréné. Ces principes, sur lesquels le
capitalisme industriel puis financier a prospéré, étaient censés nous pro-
téger contre la pauvreté et l’adversité. Poussés à bout, ils ont mis à nu
notre vulnérabilité et l’ont accrue. Ils ont paralysé bon nombre de nos
défenses naturelles individuelles et collectives. La chance que nous
avons aujourd’hui est de mieux percevoir, par contraste, la nécessité de
nos interdépendances, la valeur de nos coopérations et l’importance du
vivant. Pour retrouver un élan collectif, nous avons besoin d’une espé-
rance. Elle trouve là sa source.
Cette espérance n’est pas une chimère. C’est l’expérience du réel qui
la fait naître. Elle ne peut donc pas suivre son cours dans l’univers des
rêves. Nous connaissons l’importance des objectifs chiffrés. Mais nous
savons aussi que la transition écologique s’annonce comme une naviga-
tion sur une mer incertaine et remuante. Pour donner consistance à
notre élan collectif, on ne pourra donc pas se contenter de mettre le pro-
blème en équation. Comme en navigation, nous aurons surtout besoin
d’une boussole et de repères.
Le sens de la mesure sera notre boussole. La boussole n’est qu’un instru-
ment pour le chemin. Elle dit le cap. Elle ne prédit pas la destination. Le
sens de la mesure n’est pas un idéal mais une corde de rappel pour ne
pas nous éloigner de la réalité sur trois points essentiels. D’abord, la prise
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en compte de nos limites : de l’expérience de nos conquêtes, de nos
idéologies, de notre domination de la nature, nous savons désormais
jusqu’où elles peuvent conduire si nous n’y fixons pas de limites. La me-
sure est une sagesse nourrie de la connaissance de soi. C’est aussi, au
sens musical, la base élémentaire du rythme. Là où notre fuite en avant
consumériste nous fait perdre le sens de la respiration individuelle et
collective, le sens de la mesure est une invitation à prendre en compte
nos rythmes de régénération personnels et sociaux et celui de la nature,
pour qu’elle nous offre à nouveau avec prodigalité ses richesses renou-
velables. Enfin, la musique nous rappelle que la mesure est aussi la con-
dition de l’harmonie, c’est-à-dire de l’écoute, du respect et de l’altérité.
Autant de conditions pour ne pas sortir du réel.
Partir du réel nous aide à poser des repères pour construire le monde
qui vient. Dans le creuset d’Équinoxe, à la croisée des convictions, des
enthousiasmes et de la confrontation avec le réel, se dégagent trois va-
leurs fondamentales, inspirées du sens de la mesure et qui servent de
repères.
La convivialité. Nous croyons que notre capacité à faire face aux défis
de notre temps dépendra, au bout du compte, à tous les niveaux, de
notre sentiment d’appartenance à une seule et même communauté hu-
maine. Nous croyons qu’une société dans laquelle chacun est respecté,
reconnu et valorisé sans discrimination quels que soient ses origines,
son handicap ou son parcours de vie, engendre la confiance en soi, la
solidarité et une énergie collective permettant d’affronter les plus grands
défis. Nous pensons même que l’attention portée aux plus faibles est un
indice de la grandeur d’une civilisation. La convivialité ne résulte pas seu-
lement d’un élan de fraternité. Elle est aussi, à tous les niveaux, un com-
bat pour la justice.
La sobriété. Dans la course à la croissance, la sobriété nous aide à faire
le tri. Nous rejetons l’idolâtrie de l’argent et du consumérisme, exploitée
avec cynisme par certains acteurs majeurs de l’économie productive et
légitimée par un système politique déboussolé, recherchant dans la
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croissance du PIB une preuve indépassable du progrès. La sobriété aide
à porter du bon fruit. Elle n’agrège pas à l’aveugle la valeur comptable de
ce qui nourrit et de ce qui pollue. Elle invite à reconnaître la valeur intrin-
sèque de l’effort, du travail, de la relation. La loi de croissance d’un mo-
dèle économique sobre se mesure dans le réel et non dans le virtuel. Elle
n’est pas dictée par l’urgence. Elle respecte les rythmes et valorise le
temps.
L’engagement. Nous partons du constat qu’en toute personne, quelle
que soit sa condition sociale ou son origine, et aussi dans toutes les com-
munautés de base qui composent la société, une intelligence et une
énergie poussent à prendre soin de ses proches et de son environne-
ment direct. C’est relativement simple et concret. Mais c’est en même
temps un principe politique puissant : c’est le fondement de la responsa-
bilité. Nous croyons que cette intelligence et cette énergie méritent con-
fiance. L’engagement n’attend pas tout d’en haut. Il associe l’autonomie
et la solidarité. En ce sens, il participe à la dignité de l’être humain. Il re-
présente un contre-feu à la démesure.
Trouver le courage d’agir
L’essentiel est dit. Mais rien de ce qui est dit n’adviendra si nous ne
faisons pas preuve de courage. Du courage, il n’est pas nécessaire de
parler longtemps. Chacun sait qu’en la matière ce qui compte ce ne sont
pas les discours mais les actes. Bien des voix s’élèvent ces temps-ci pour
célébrer le Conseil national de la résistance et son programme qui a per-
mis de refonder le modèle social français à la Libération. Mais ce travail
doit moins à la valeur de ce qui a été pensé qu’à la détermination des
auteurs. Ceux-là qui avaient consenti à donner leur vie pour leur pays
avaient la force morale nécessaire pour bousculer les égoïsmes qui s’op-
posent toujours aux efforts sans lesquels il n’y a pas de grandes ré-
formes. Pour mettre en œuvre le changement de cap que nous croyons
aujourd’hui nécessaire, pouvons-nous en dire autant ?
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Dans son discours aux accents prophétiques prononcé devant les étu-
diants américains de Harvard en 1978, Alexandre Soljenitsyne ne mâ-
chait pas ses mots : « Le déclin du courage est peut-être ce qui frappe le
plus un regard étranger dans l’Occident d’aujourd’hui ». Cette harangue
demeure d’actualité. Avec d’excellents arguments nous sommes prêts à
défendre vaille que vaille notre niveau de vie et nos avantages sociaux.
Mais à quoi sommes-nous prêts à renoncer pour sortir de la spirale pu-
blicité, consommation, production à bas coûts, pollution, surexploita-
tion ? Quels sacrifices acceptons-nous de faire maintenant pour empê-
cher demain le réchauffement climatique, l’effondrement de la biodiver-
sité ou l’explosion désordonnée des flux migratoires ? Sur le plan du cou-
rage sommes-nous d’ailleurs crédibles en regard de tous ceux qui traver-
sent la Méditerranée sur des barcasses au péril de leur vie ?
Nous avons devant nous quelques tournants difficiles à prendre con-
cernant la mutation de notre modèle agro-alimentaire, la sobriété de nos
modes de consommation, la décarbonation de l’économie, du logement
et des transports, la réallocation des moyens publics au profit de l’édu-
cation et de la santé, l’accueil des migrants. Vu de loin, ce sont des pers-
pectives séduisantes. Mais au pied du mur, devant les renoncements et
les efforts de solidarité nécessaires, serons-nous capables de passer à
l’acte ?
S’engager
Comme tout ce qui compte dans la vie, le courage ne se décrète pas.
Il s’apprend. Si possible pas à pas, avec mesure. Une promesse tenue, la
fidélité à une cause, du temps donné gratuitement, une parole libre pour
suivre sa conscience, le respect des principes plutôt que des puissants…
L’école du courage, c’est l’apprentissage de l’engagement.
Chacun en a fait l’expérience, un apprentissage est souvent pénible et
lent. Or devant l’ampleur des défis et l’apparition accélérée de symp-
tômes inquiétants, de nombreuses voix s’élèvent pour s’engager vite et
fort. Suffisamment vite et suffisamment fort, en tout cas, pour bousculer
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le poids des habitudes et l’inertie des gouvernements. De là sont nées
plusieurs formes d’engagement radical visant à éveiller les consciences
et témoigner qu’un autre monde est possible. Ces initiatives ont une va-
leur prophétique. Les manifestations qui s’opposent à la poursuite à
grande échelle de la prospection pétrolière et les éco-lieux qui expéri-
mentent des modes de vie radicalement plus sobres, plus autonomes et
plus solidaires, ont ceci en commun qu’ils mettent en lumière le gouffre
qui sépare, le plus souvent, les bonnes intentions et leur mise en œuvre.
Nos sociétés ont besoin de ces éclaireurs. Voir un ami ou un proche s’en-
gager et même renoncer radicalement à une forme de confort intellec-
tuel ou matériel pose les questions qui comptent plus concrètement
qu’un rapport bien écrit.
La seule vraie limite à la radicalité est celle de la violence – le plus sou-
vent qualifiée de « légitime » par ceux qui en sont les auteurs. Or, la légi-
timité de la violence ne peut être laissée à l’appréciation des seuls au-
teurs. Dans toute action violente se niche une part d’hubris. L’idée que
la fin peut justifier tous les moyens nourrit cette hubris. On répliquera
que la violence de nos modes de vie contre la nature est largement su-
périeure à celle des objecteurs de conscience et qu’on ne peut pas faire
une omelette sans casser des œufs. C’est vrai. La question de fond est
de savoir ce que l’on respecte chez celui que l’on combat. Le sens de la
mesure nous pousse à croire que nous gagnons à faire avec l’autre – fut-
il un adversaire – une partie du chemin.
C’est précisément ce à quoi nous invite la démocratie. « Le pire sys-
tème de gouvernement à l’exception de tous les autres » suivant la cé-
lèbre formule de Churchill. De la démocratie, il faut que nous assumions
les frustrations qu’elle génère. Sa qualité essentielle est de nous ap-
prendre à apprendre des autres. Cependant, gardons-nous de croire que
la vertu réside dans la Constitution, une devise ou un ensemble de prin-
cipes républicains inscrits dans la loi. C’est dans le cœur de chaque ci-
toyen que Montesquieu la pensait nécessaire. La démocratie n’est ni un
supermarché, ni internet, ni même la télévision où l’on peut circuler en
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zappant à la recherche des meilleurs services. Une démocratie de ci-
toyens passifs est une fiction. Sans engagement, elle craque de toutes
parts. Mais la tentation du désengagement est présente chez les gouver-
nants aussi bien que chez les citoyens consommateurs. Les premiers at-
tendent de l’arène médiatique qu’elle organise les débats et de l’arsenal
juridique qu’il impose les décisions. Les seconds se contentent trop sou-
vent de ce simulacre. Or tout le monde y perd. L’autorité publique est
affaiblie par le manque de consentement et d’intelligence collective qui
résulte d’une absence de vrais débats et de participation citoyenne. De
l’autre côté, faute d’être suffisamment engagés dans les choix politiques
et dans leur mise en œuvre concrète, les électeurs se privent d’une ex-
pertise et d’un pouvoir d’agir. Ils peinent à apprendre les uns des autres.
Les lignes de fuite sont alors les solutions simplistes, les dérives popu-
listes et les régimes qui s’en accommodent. L’inverse de la démocratie.
Il n’y a pas de remède miracle. Il n’existe pas de solution toute faite.
L’engagement suppose la liberté pour chacun de choisir son chemin. À
sa mesure. Chacun d’entre nous a sa part de responsabilité à prendre et
sa part d’espérance à apporter. Les formes militantes, associatives, de
voisinage ou de simple participation citoyenne sont innombrables. L’en-
gagement ne dépend pas des structures. C’est un état d’esprit. Avec Équi-
noxe, nous avons fondé un parti politique parce que nous pensons qu’il
peut fédérer des enthousiasmes et des volontés. Nous voulons agir pour
inviter à l’action. Ce que ce texte dit de notre état d’esprit nous engage.
On ne peut redonner espoir en restant spectateurs. La politique ne ré-
sout rien et tourne en rond dans un cercle fermé ? Nous avons décidé de
pousser les portes de la citadelle et d’ouvrir un chemin. Ce que l’on es-
père pour demain dépend en grande partie de la capacité de chacun à
faire aujourd'hui un simple pas en avant.
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S’engager avec Équinoxe
Nous vous invitons dès maintenant à passer avec nous des mots aux
actes.
En choisissant les actions qui vous engagent personnellement.
Changer le monde, c’est un vaste programme. Faire un pas pour changer
ses propres habitudes et son rapport aux autres, c'est déjà pas mal. Il n’y
a pas de proposition politique crédible si elle n’est pas vécue par ceux
qui la portent. Chez Équinoxe, nous ne prétendons pas être des modèles.
Mais nous voulons aller de l’avant. Faire un pas, cela n’engage que vous
mais c’est un engagement au service de chacun.
En vous informant et en vous formant avec sérieux. Nous voulons
refuser les postures politiciennes et les effets de mode. S’engager avec
Équinoxe c’est se confronter au réel, s’informer aux meilleures sources,
être exigeant sur la solidité de nos propositions. Équinoxe a mis en place
un réseau très riche d’échanges d’information et de débat entre ses
membres. Tous les ans, nos universités d’automne et de printemps vous
permettront de rencontrer des personnalités expertes et engagées. Au
contact d’acteurs des territoires, le parcours de formation est une com-
posante essentielle de la vie des groupes locaux
En recherchant le dialogue dans la convivialité, sans tabou et
sans a priori. Dépasser les oppositions et les peurs qui empêchent
d’avancer est au cœur de l’ADN d’Équinoxe. Nous voulons aider à l’émer-
gence de consensus pour agir sans tarder sur les principaux leviers de la
transition écologique. Pour cela, nous vous invitons, dans nos temps de
rencontre, de formation et de militantisme, à ne jamais craindre le dia-
logue, y compris avec ceux dont vous ne partagez pas les opinions. Ap-
prendre à connaître l’expérience des autres, vous confronter aux objec-
tions, dans le respect de vos contradicteurs vaut mieux que fustiger et
camper sur ses certitudes. Les « dialogues d'Équinoxe sont des temps de
confrontation d’idées et d’expérience entre acteurs politiques et de la so-
ciété civile et militants d’Équinoxe.
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En prenant part à l’émergence d’une force politique nouvelle.
Pour peser dans le débat politique et sur les choix qui engagent l’avenir,
nous avons besoin d’une force collective. Le parti politique que nous
créons ensemble accueille toutes sortes de disponibilités. Votre engage-
ment peut se faire à votre mesure. Prendre part à un groupe local, par-
ticiper au travail programmatique du parti, établir des liens avec des per-
sonnes engagées et des experts, vous présenter aux élections, notam-
ment à la liste qu’Équinoxe présente pour les Européennes de juin 2024.
Équinoxe a aussi besoin de compagnons de route qui, sans nécessaire-
ment partager tous ses choix, regardent avec bienveillance et intérêt
l’émergence de cette force politique nouvelle. C’est le deuxième cercle :
celui des « amis d’Équinoxe ». Apporter un soutien financier, participer à
la confrontation d’idées, mettre en relation sont alors des modalités pos-
sibles.
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Équinoxe est un jeune parti politique né d’une prise de conscience et
d’une volonté.
Notre prise de conscience est celle de jeunes de 20 à 30 ans, rejoints
par d’autres générations, qui constatent sous leurs yeux les effets désas-
treux engendrés par un modèle de développement hors de contrôle.
Notre volonté est de ne pas baisser les bras, de regarder la réalité en
face, de ne pas transmettre à la génération suivante le produit de nos
hésitations et de nos peurs, de ne pas laisser l’arène politique à ceux qui
s’y invectivent sans agir, de mouiller le maillot quand il est encore temps,
de travailler en partant du réel, de rassembler plutôt que de diviser, de
croire en l’avenir.
L’équinoxe constitue l’instant où le Soleil traverse le plan de l’équateur,
le moment de l’année où le jour est aussi long que la nuit. Nous avons
choisi ce nom car il en dit long sur notre époque : partagée entre l’ombre
et la lumière, entre périls et possibles, entre optimisme et pessimisme,
entre résignation et renouveau.
Ce texte constitue la première pierre du manifeste d’Équinoxe.
Novembre 2023
© Parti Équinoxe, 2023
www.parti-equinoxe.fr