Une Petite Histoire de La Physique
Une Petite Histoire de La Physique
Conceptiongraphiquecouverture:NathalieFOULLOY
Conceptiongraphiqueintérieuretmiseenpages:CharlinePINTO
ISBN9782340-088979
©EllipsesÉditionMarketingS.A.,2024
8/10ruelaQuintinie75015Paris
PourClémence,Héloïse,Pierre-Louis,
etaussipourAndrea,Baptiste,Eliott,Enzo,HippolyteetJulien.
Avant-propos
Avant-propos
Qu’est-cequelaphysique?
LasciencedelaNature
Unescienceexpérimentale
Del’expérienceauxlois
Physiquethéoriqueetphysiqueappliquée
Physiqueetmathématiques
Lamécanique«classique»
L’Antiquité
DesGrecsàGalilée:duMoyen-Âgeàlarenaissancedessciences
physiques
Desavancéesprodigieuses:XVIeetXVIIesiècles
Newton
HéritagedeNewtonetnouveauxconcepts
Lathermodynamique:desoriginesànosjours
Température,thermométrie
Température,chaleureténergie
Lepremierprincipedelathermodynamique
Moteursthermiquesetdeuxièmeprincipe
Irréversibilitéetentropie
Latempératureabsolue
Lathermodynamiquestatistique
LathermodynamiqueaprèsBoltzmann
L’électromagnétisme
Lesorigines
Premièresthéories
D’Oerstedàlanaissancedel’électromagnétisme
L’inductionélectromagnétique
Lathéorieélectromagnétique−L’œuvredeMaxwelletHertz
L’optique
Lesorigines
LeXVIIesiècle:Kepler,Descartes,Fermat
Ondulatoireoucorpusculaire?
Letriomphedel’optiqueondulatoire:Fresnel
Laphysique«moderne»
Lesatomes
Laradioactivité
Quantaetdiscontinuités
Naissancedelamécaniquequantique
Céléritédelalumièreetrelativitérestreinte
Masse,gravitationetrelativitégénérale
Versl’infinimentpetit:lemodèlestandarddelaphysiquedesparticules
L’antimatière
Perspectives:laphysiqueàtoutesleséchelles
Référencesetconseilsdelecture
Annexe.Plusde120ansdeprixNobeldephysique
Qu’est-cequelaphysique?
LasciencedelaNature
Engrec«phusis»signifie«Nature».
Si l’on se réfère à l’étymologie, la physique se définit donc comme la
sciencedesphénomènesnaturels:lephysicienoulaphysicienneestcelui
ou celle qui étudie, par exemple, le mouvement des astres ou la
propagation des ondes ou encore la matière dans ses moindres détails.
Bien que la vie constitue un phénomène naturel, le domaine du vivant
échappe toutefois à son domaine de compétences. En effet, au fil des
siècles,lessciencesdelavieetlessciencesdelamatièresesontpeuàpeu
distinguées l’une del’autre. Certes, certains domaines actuels,comme la
biophysique, rapprochent les physiciens des biologistes, mais leurs
domainesd’investigationrestentmalgrétoutbiendistincts.
Alorsquereste-t-ilàlaphysique?
Un champ d’étude colossal, passionnant et terriblement ambitieux
commenoustâcheronsdelemontrertoutaulongdecetouvrage.Ilsuffit
d’ailleurs d’énumérer les domaines qu’elle recouvre pour s’en
convaincre : la recherche des origines de l’Univers, l’exploration du
mondemicroscopique,l’analysedumouvementdesplanètes,l’étudedela
lumièreontsuscitél’intérêtdegénérationsdephysiciens.
Depuis Archimède (287 av. J.-C., 212 av. J.-C.) jusqu’à Einstein (1879-
1955),leshommesetlesfemmesquiontbâtinotrephysiquepartageaient
la même curiosité exacerbée : ils souhaitaient comprendre le monde qui
lesentourait.
Les mots du physicien Louis de Broglie (1892-1987) résument
parfaitementcettequête:
Chaquefoisquel’esprithumain,auprixdesplusgrandsefforts,estparvenuà
déchiffrerunepagedulivredelaNature,ils’esttoutdesuiteaperçucombien
plus difficile il serait de déchiffrer la page suivante ; néanmoins, un instinct
profondl’empêchedesedécourageretlepousseàrenouvelerseseffortspour
progresserencoreplusavantdanslaconnaissance.
Il est vrai que la tâche du physicien semble vraiment sans fin. En
physique,lesidéessontloind’êtrefigéespuisqu’ellessontinlassablement
remises en cause et réexaminées. De fait, une théorie est susceptible
d’êtreébranlée chaquefoisqu’elleadesdifficultéspourexpliquerunfait
nouveau. Nous verrons, dans cet ouvrage, comment la mécanique de
Newton a été doublement remise en cause au XXe siècle lorsque sont
apparues la physique quantique et la relativité. Pour autant, nous
constateronsaussique,malgrétout,lorsqu’unepommetombed’unarbre
il est toujours possible d’utiliser les lois de Newton pour décrire son
mouvement ! Ainsi, il arrive que les nouvelles théories ne se substituent
pas totalement aux anciennes mais qu’elles limitent simplement leur
domained’application.
La physique est donc une science vivante, faite de bouleversements
successifs. Rien n’exclut que l’avenir ne réserve aux prochaines
générationsdesrévélationstotalementimprévisiblesdansl’étatactuelde
nosconnaissancesscientifiques.
Dans cette optique, il estlégitime de partager l’espoir duphysicien des
particulesEmilioSegrè(1905-1989)qui,en1959,déclarait:
Je ne croispas que Galilée, Einsteinou Newton aient été lesderniers de leur
espèce.
Unescienceexpérimentale
LavraiephysiqueaétéfondéelejouroùGaliléeaconçul’idéenonseulement
d’interrogerlanatureparl’expérience(…)maisdepréciserlaformegénéraleà
donner aux expériences en leur assignant pour objet immédiat la mesure de
toutcequipeutêtremesurabledanslesphénomènesnaturels.
Parcesmots,lemathématicienetphilosopheAntoineAugustinCournot
(1801-1877) soulignait l’importance de l’expérience en physique et la
distinguaitdelasimpleobservation.Onasouventditque,contrairement
àl’observateurquisecontented’écouterlaNature,celuiquiexpérimente
va plus loin puisqu’il l’interroge. Pour cela, il va tenter de fixer au
préalable les conditions dans lesquelles il souhaite travailler puis il
effectuera ses mesures. Dans le cas où cela n’est pas réalisable, le terme
mêmed’expériencepeutprendreunsenslégèrementdifférent.
Prenons l’exemple de l’astronomie ou de l’astrophysique : dans ce
domaine, expérimenter c’est observer et mesurer, avec les instruments
adéquats, mais, bien évidemment, sans pouvoir agir sur l’astre ou les
astres à étudier. L’observateur doit s’efforcer de trouver les conditions
idéales,cequiestloind’êtretoujoursfacile.Pours’enconvaincre,ilsuffit
de se souvenir que, pendant des siècles, le seul moyen dont l’astronome
disposait pour étudier la couronne solaire était d’observer le Soleil au
cours des éclipses totales. Non seulement cela limitait la durée pendant
laquelle il était possible de collecter des données, mais ces expériences
étaient particulièrement tributaires des conditions atmosphériques.
Certes, la mise en orbite, en 1995, du satellite SOHO (SOlar and
Heliospheric Observatory) a permis, pendant près de trente ans,
d’observer des cycles solaires et de réaliser des éclipses artificielles à
volonté, mais la mise en œuvre d’un tel projet a nécessité la réunion de
moyensfinanciersethumainscolossaux,commec’estlecasaussidansle
domaine de la physique des particules. De manière générale, la
reproductibilité des expériences est particulièrement difficile à assurer
lorsqu’il s’agit d’observer des astres et l’astrophysicien ne choisit pas
toujoursquandetoùvontseproduirelesphénomènesqu’ilespèremettre
enévidence.
D’autresbranchesdelaphysiquesontmoinsconcernéesparcetypede
problèmes : il est possible d’y définir et d’y maîtriser les conditions
expérimentales choisies. Pour autant, toute expérience n’est pas facile à
mettreenœuvreetdenombreuxobstaclessontsusceptiblesdes’éleverau
cours de la réalisation de celle-ci. La mesure étant au centre de la
problématique expérimentale, la question des instruments de mesure et
deleurperformanceseposeinévitablement.Prenonsl’exempledeGalilée
(1564-1642)quirévolutionnal’astronomie.
Cephysicienétaitincontestablementvisionnaireetexceptionneldanssa
clairvoyance et sa démarche, mais, sans sa lunette astronomique, son
génien’aurait passuffi pourqu’il réaliseson œuvre.C’est,en effet,cette
lunette qu’il construisit lui-même (les premiers modèles étant apparus
quelques années plustôt aux Pays-Bas) qui lui permit d’« interroger » la
Nature et de comprendre le mouvement des astres de notre système
solaire.
Sanscetinstrument,iln’auraitpumeneràbiensontravail.
Disposer d’instruments de mesures adéquats est fondamental. Cela est
particulièrement vrai depuis une soixantaine d’années où certaines
expériences,notamment en physiquedes particules, exigentdes moyens
énormes. Les accélérateurs de particules s’étendent ainsi sur plusieurs
dizaines de kilomètres et les infrastructures nécessaires pour les faire
fonctionnersont colossalesetsonttrèsonéreuses.Celaimpliquesouvent
la collaboration de plusieurs nations sur un projet commun. Dans de
nombreux domaines de la physique, l’ère du laboratoire isolé et des
expériencesartisanalesestdoncbeletbienrévolue.
Nous venons de voir quelques-uns des obstacles que le physicien peut
rencontrer dans la démarche expérimentale, mais, parfois, la principale
difficulté d’une expérience ne réside ni dans sa faisabilité ni dans sa
réalisation.Le plusdélicat,avanttouteentrepriseexpérimentale,c’estde
s’affranchirdetoutpréjugé,autrementditd’oublierletypederésultatque
l’on espère obtenir. Sans cette dernière condition, tout le travail effectué
pourrait s’avérer inutile pour que les résultats soient correctement
interprétés. Un exemple classique de l’histoire de la physique illustre
particulièrement cela. Au XIXe siècle, c’est à dire à une époque où l’on
croyaitquelalumièresepropageaitdansunmilieuabsolumentimmobile
baptisé « éther », plusieurs physiciens avaient envisagé de mesurer, à
l’aide d’expériences d’optique, la vitesse de la Terre par rapport à cet
éther. L’expérience d’Albert Abraham Michelson (1852-1931), réalisée en
1881,étaitlaplusprécisedetoutesmaiselle nepermitpasdedécelerun
quelconquemouvementdel’étherparrapportàlaTerre.Cetteexpérience
fut renouvelée en 1887, en équipe, avec Edward Morley (1838-1923) et, à
chaque tentative, la vitesse trouvée était nulle. Plusieurs explications
furent proposées au cours de la décennie suivante mais aucune d’entre
ellesneconvint.Etpourcause:commel’amontréAlbertEinsteindansle
cadrede sathéoriedelarelativitérestreinte,aucunmilieumatérieln’est
absolumentimmobileet,parconséquent,l’éthern’existepas!Ainsi,a-t-il
fallu attendre 1905 pour comprendre l’échec apparent de cette
expérience…Nousvoyonssurcetexemplequelespréjugésetprésupposés
constituentprobablementleplusgranddesobstacles.Ilssontsusceptibles
d’entraver ou de compromettre une découverte : une expérience réussie
nesuffitpas;ilfautaussiêtrecapabledel’interpréter.
Del’expérienceauxlois
L’interprétation d’une expérience est probablement l’étape la plus
difficile du travail d’une physicienne ou d’un physicien. N’oublions pas,
en effet, que ce qui guide les scientifiques, c’est la certitude que notre
monde peut être compris et qu’il est possible de transcrire son
fonctionnement sous forme de lois. En effet, comme le disait Albert
Einstein:
Il est certain que la conviction − apparentée au sentiment religieux − que le
monde est rationnel, ou au moins intelligible, est à la base de tout travail
scientifiqueunpeuélaboré.
Lerôledel’expériencesesituedoncàplusieursniveauxetsesliensavec
lathéoriesontdenatureassezcomplexe.Defaçongénérale,ilconvientde
se rappeler qu’une expérience ne constitue pas une démonstration : elle
ne peut en aucun cas suffire pour justifier une loi. Tout au plus
interviendra-t-elle pour confirmer des résultats prévus dans le cadre
d’unethéorie.Àcetitre,lerôledel’expérience-confirmationn’estpasdu
même ordre selon qu’il s’agit de vérifier une loi admise par tous ou de
valider une théorie nouvelle. Ainsi, lorsqu’un cours de physique débute
paruneexpérience,l’intérêtdecettedernièreestessentiellementd’ordre
pédagogique. Il en va tout autrement lorsqu’il s’agit de corroborer par
l’expérienceunethéoriequiestencorejugéerévolutionnaire.Danscecas,
l’expérience est là pour conforter la validité de la théorie et son succès
pourra permettrede convaincre certainsesprits sceptiques. Audébut du
XXesiècle,larelativitégénérale,dontEinsteinavaitpubliélesloisen1916,
eut ainsi recours à une preuve expérimentale capitale. Nous aurons
l’occasiondanscelivred’évoquerplus endétailcechapitre importantde
l’histoire des sciences. À cette époque, la relativité générale, qui
redéfinissaittotalementlesnotionsclassiquesd’espaceetdetempsetqui
supposait l’existence d’un espace-temps à quatre dimensions, était
relativementmalacceptée:denombreuxscientifiquesavaientdesdoutes
quant à sa pertinence. Une preuve expérimentale était attendue pour
convaincre ses détracteurs. C’est l’Anglais Arthur Stanley Eddington
(1882-1944)quiapulafournirenobservant,le29mai1919,dansleGolfe
deGuinée,aucoursd’uneéclipsetotale,uneétoilesituéederrièreleSoleil.
Si cette étoile était visible bien qu’elle fût cachée par notre astre, c’est
parceque, commel’avait prévuEinstein, lalumière qu’elleémettaitétait
effectivementdéviéeparleSoleil,quiétaituncorpssuffisammentmassif
pour incurver la trajectoire des rayons lumineux. Grâce à cette
expérience, Eddington a vérifié expérimentalement ce qui, jusque-là,
n’était qu’une théorie très peu intuitive et assez mal diffusée. En 1919,
Einsteinétaitdéjàcélèbre,maisonpeutdirequecesuccèsexpérimentala
encore accru sanotoriété. Cet exemple montre commentune expérience
peut légitimer une théorie nouvelle et lui permettre d’être acceptée et
reconnuedugrandpublic.
En 1919, le but d’Eddington était de confirmer une déduction élaborée
dans le cadre d’une théorie. Mais il peut arriver que la place de
l’expérience en physique se situe avant la formulation d’une loi. C’est
alors par tâtonnements, puis par induction, que le physicien progresse
vers la formulation de nouvelles hypothèses, et, comme l’a écrit le
philosopheetchimisteanglaisJosephPriestley(1733-1804):
Des théories même imparfaites suffisent à suggérer des expériences qui
viennentcorrigerleursimperfectionsetdonnentnaissanceàd’autresthéories
plusparfaites.
L’expérience constitue l’un des grands moyens dont les physiciens
disposentpourprogresser.Sonpouvoiresttelqu’elleestmêmecapablede
remettre totalement en cause une théorie. Il suffit, en effet, d’un unique
contre-exemple expérimental, d’un seul fait que l’on est incapable de
justifierpourquetoutl’édificevacilleetquecettedernières’effondre.
Physiquethéoriqueetphysiqueappliquée
Denosjours,lessciencesphysiquesmanientdesnotionsdeplusenplus
abstraites qui sont parfois mal connues du grand public. Leurs
applications, en revanche, sont largement médiatisées puis finissent par
faire partie de la vie quotidienne de chacun. Certes, la frontière entre
physique et technologie est quelque peu poreuse ; pour autant, ces deux
domaines se distinguent grandement : les retombées pratiques ne sont
pas la préoccupation principale du physicien théorique dont le but est
seulementlaconnaissancedumondequil’entoure
Aussi, même si les applications de la physique théorique surprennent
souventparleurportée,ilnefautpasoublierquelesapplicationsnesont
pas, apriori, cequi motiveles physiciennes etles physiciensthéoriques.
Par exemple, les chercheurs ne se sont pas initialement intéressés aux
semi-conducteurs pour fabriquer des diodes et des transistors : ce qu’ils
souhaitaient, au départ,c’était comprendre pourquoi ces corps étaient si
spécifiques quant à leurs propriétés électriques. Les applications des
semi-conducteurs sont arrivées ultérieurement, et ce n’est que dans un
second tempsqu’ils ont permisle développementde l’électronique. C’est
encesensquelaphysiquethéoriqueintéresseaussil’industrie…
Physiqueetmathématiques
Nous évoquerons, enfin, les liens étroits qu’entretient la physique
théorique avec les mathématiques. Ils sont assurément tout aussi forts
que ceux qu’elle a tissés avec la physique dite « appliquée », mais leur
natureestbeaucouppluscomplexe.
Remarquons, tout d’abord, que le fait que les mathématiques
fonctionnent lorsqu’on les applique à la physique ne constitue pas une
évidence:laphysiqueétudielaNature,et,parconséquent,lemonderéel,
alorsquelesmathématiquessontlefruitderecherchesabstraitesbasées
sur l’utilisation d’un formalisme particulier. Le physicien allemand
WernerKarlHeisenberg(1901-1976)écrivaitd’ailleursàcesujet:
L’idéequelesmathématiquespuissentenquelquesortes’adapteràdesobjets
denotreexpériencemesembleremarquableetpassionnante.
Il est, effectivement, légitime de s’étonner que la physique emploie
autant de mathématiques et que ces dernières soient utilisables dans le
cadredecettescienceexpérimentale.
Lesdérivées,lesvecteurs,lesmatricessontl’œuvredesmathématiciens.
Mais qui pourrait envisager aujourd’hui de mener des travaux de
physique sans utiliser ces outils ? Dès lors, faut-il considérer les
mathématiques comme un langage grâce auquel s’exprimeraient les lois
delaphysique?Cette opinionanotamment étédéfendueparGaliléequi
estimait que la Nature, elle-même, était « écrite en langue
mathématique ». D’autres physiciens n’allaient pas aussi loin que lui. Ils
considéraient simplement que l’utilisation des mathématiques était
l’unique moyen que l’homme avait trouvé pour rendre compréhensibles
lesloisdelaphysique.Ainsi,d’aprèslemathématicienetphysicienHenri
Poincaré(1854-1912):
Les mathématiques fournissent au physicien la seule langue dont il peut se
servirpourtraduirelessubtilitésqu’ilsouhaiteexprimer.
Peut-on, pour autant, conclure que les mathématiques ne sont, pour la
physique,qu’unsimplelangage?
Savoir parler une langue et maîtriser parfaitement la rhétorique ne
permettentpasderédigerunroman:ilfaut,enoutre,posséderdesidées
et les mots ne sont là que pour traduire ces dernières. Ainsi, si les
mathématiques étaientuniquement un langage, alorsleur seule pratique
ne suffirait pas pour découvrir de la physique. Or l’histoire des sciences
est là pour prouver le contraire comme l’illustrent la découverte du
positron(antiparticuledel’électron)et celledel’antiproton(antiparticule
du proton) qui furent imaginés mathématiquement avant d’être détectés
expérimentalement. En effet, dès 1929, le Britannique Paul Dirac (1902-
1984) avait envisagé leur existence tandis que l’Américain Robert
Oppenheimer(1904-1967)avaitpréciséleurscaractéristiquesenrésolvant
l’équation établie par Dirac. Or, il a fallu attendre 1932 pour que le
positron soit détecté expérimentalement dans le rayonnement cosmique
et 1955pour quel’antiproton soitidentifié. Lepositron et del’antiproton
ont donc été, dans un premier temps, des entités hypothétiques
«mathématiquementnécessaires»avantquecelles-cinesoient,dansun
secondtemps,détectéesexpérimentalement.
On voit sur cet exemple que les mathématiques peuvent jouer un rôle
bienplusfondateurqueceluid’unsimplelangage.Onnesauraitdoncles
cantonner à ce seul rôle. Le philosophe des sciences Gaston Bachelard
(1884-1962)exprimaitcepointdevuequandilécrivait:
Il faut rompre avecce poncif cher aux philosophes sceptiquesqui ne veulent
voirdanslesmathématiquesqu’unlangage.Aucontraire,lamathématiqueest
unepensée,unepenséesûredesonlangage.
L’analysedulienentrephysiqueetmathématiquesestcomplexe.Elleest
encoreaujourd’huiàl’originedenombreuxtravauxd’épistémologie.Ilest
donc légitimede se demandersi l’on peutréellement parler dephysique
sans utiliser les mathématiques. Cet ouvrage propose une approche
historique pour introduire les grands concepts de la physique : il s’agit
d’aborder, sous ce prisme, des anecdotes et des courants d’idée qui ont
façonné notre culture scientifique. Les lectrices et les lecteurs qui
souhaiteront aller plus loin dans le maniement de certains concepts
physiquespourront,dansunsecondtemps,revisitercesnotionssousun
angle plus mathématisé. Des suggestions de lectures complémentaires
leurserontproposéesenfind’ouvrage.
Lamécanique«classique»
Lesgrandsensemblesarchitecturaux,érigésdèsl’Antiquité,témoignent
de la mise en œuvre précoce de certaines techniques pour déplacer puis
dresser des masses importantes. Or, le terme de mécanique vient
précisémentdugrec«mèkanè»quisignifie«machine».
Lesplansinclinésetlesleviersontététrèsviteutilisésetl’existencedes
pyramides, des temples antiques ou des menhirs prouve que l’homme a
pu rapidement maîtriser l’équilibre des blocs de pierre et assurer leur
miseenmouvement.
L’interprétation de tous les phénomènes mis en jeu lors de telles
opérationsa,quantàelle,nécessitéplusieurssièclesderéflexion…
De façon générale, la mécanique désigne la science des forces et du
mouvement, y compris le mouvement des astres : elle inclut donc
l’astronomie. Nous nous intéresserons, dans ce chapitre, à ce qu’il est
convenu d’appeler la « mécanique classique » et à l’évolution de cette
branchedelaphysiquejusqu’audébutduXXesiècle.
L’Antiquité
L’undespremiersmouvementsauxquelssesontintéressésnosancêtres
estceluidesastresducosmos.L’étudeducielleurpermettaitnotamment
de repérer l’écoulement du temps. Des tablettes sumériennes, datant de
plusde2500ansavantnotreère,nousontapprisquelfutlecheminement
des peuples de Mésopotamie (Sumériens puis Babyloniens) pour
construire un calendrier lunaire : ils intercalaient tous les trois ans un
treizièmemois dansce calendrierafin desuivreles saisons.Ces peuples
étaient particulièrement fascinés par la régularité du mouvement des
astres:ilsavaientrepérétrente-sixconstellations.Certainscorpscélestes
les étonnaient beaucoup car ils semblaient vagabonder dans le ciel, sans
trajectoirefixe.Plustard, lesGrecsont appelécescorps des« planètes»,
ce qui signifiait « astres errants ». Aucune des civilisations antiques ne
pensait que l’on pouvait expliquer le mouvement des étoiles et des
planètesautrementqueparl’interventiondepuissancesdivines.Ainsi,les
événements inattendus, tels les passages de comètes, étaient souvent
attribués à la colère des dieux. La plupart des astronomes babyloniens
étaient donc aussi des astrologues et ils attribuaient à la position des
constellations une influence sur la destinée humaine. Ils attendaient du
cieldesréponsescapitalesetcelaexpliqueprobablementlefaitqu’ilsaient
mené de façon aussi exhaustive leurs observations : les premières
tablettes comportant des séries de chiffres associées à des étoiles datent
ainside1500avantJésus-Christ.
Les Égyptiens, eux-aussi, se sont intéressés à la voûte céleste et, dès le
IIIemillénaireavantnotreère,ilsavaientabandonnélalunecommebase
de temps. Ils avaient ainsi construit une année de douze mois comptant
chacuntrentejours,àlaquelleilsrajoutaientcinq jourssupplémentaires.
Mais commele début de celle-ci dérivaitd’un jour tous lesquatre ans, il
s’agissait finalement d’une « année vague ». Remarquons que, à des
milliers de kilomètres de ces derniers, en Amérique centrale, les Mayas,
eux-aussi, ont créé un calendrier dont le « haab », c’est à dire l’« année
vague»,comptaituncourtmoisdecinqjoursàlafindel’année.Celui-ci
étaitprécédénonpasdedouzemoisdetrentejours,maisdedix-huitmois
devingtjours,cequis’expliqueparlecaractèrevigésimaldeleursystème
de numération. L’astronomie des Indiens mayas avait en outre de
nombreux points communs avec celle des Babyloniens et des Assyriens
bienqu’ellesesoitdéveloppéeplusieurssièclesplustardàdesmilliersde
kilomètresdelaMésopotamie.
Pourautant,detouteslescivilisationsantiques,c’estprobablementcelle
des Grecs qui a produit les plus grands travaux de mécanique. De
nombreuxécritsnous prouventque l’intérêtdeces dernierspour l’étude
desmouvementsengénéraletdumouvementdesastresenparticulierest
apparutrèstôtdansleurhistoire.
Sept siècles avant notre ère est née à Milet, en Asie Mineure, l’école
ioniennesousl’influencedeThalès(625av. J.-C.,547av.J.-C.).Cedernier
considérait la Terre comme un disque circulaire en suspension sur un
fluide qui était la source de toute chose et qui, en s’évaporant, se
transformait en air. Cent-cinquante ans plus tard, un autre membre de
cetteécole,Anaxagore(499av.J.-C.,428av.J.-C),avaitremarquélaforme
circulaire de l’ombre de la Terre observée lors des éclipses de Lune. Ce
sont enfin les disciples de Pythagore (580 av. J.-C., 495 av. J.-C.,) qui, les
premiers, ontenvisagé que laTerre pouvait êtresphérique. Pour autant,
cettehypothèse,quis’estavéréeexacte,n’étaitpaslefruitd’observations:
lespythagoricienspensaientsimplementque,danslaNature,« toutétait
nombre » et que l’harmonie naturelle imposait que les planètes suivent
des trajectoires les plus régulières possibles, c’est à dire des cercles.
L’influence de l’école pythagoricienne était très grande et peu à peu se
répandit la thèse d’une Terre sphérique dans tout le monde grec. Les
pythagoriciens estimaient d’ailleurs que l’Univers était plongé dans le
vide et que ce dernier s’étendait à l’infini. Notre planète cessait dès lors
d’êtreundisqueflottant…
À peu près la même époque que Pythagore, Parménide d’Élée fonda
l’école éléate. Contrairement à Pythagore, Parménide considérait
l’Univers comme fini et il estimait que le mouvement n’était qu’une
illusion.Ilavaitnommé«étants»lesseuleschosesimmuableséternelles
et susceptibles d’être connues dans l’Univers. Comme il affirmait aussi
que«toutcequiexisteatoujoursexisté»etque«cequin’estpas,nepeut
pas devenir quelque chose », Parménide avait conclu que le mouvement
n’existait pas, qu’il n’était qu’une apparence et donc qu’il n’était pas
intelligible.L’undesesélèveslespluscélèbresfutZénond’Élée(490av.J.-
C.,430av.J.-C.),quicombattitvigoureusementlespythagoriciens.Zénon
s’efforça de souligner l’absurdité des thèses pythagoriciennes en
formulant des paradoxes qui ont été rapportés un siècle plus tard par
Aristote(384-322av.J.-C.)danssaPhysique.Lepluscélèbredesparadoxes
deZénonconcerneAchilleetsatortue:
Silatortueadel’avancesurAchille,celui-cinelarattraperajamaisquelleque
soit sa vitesse, car pendant qu’Achille court pour atteindre le point d’où est
partielatortuecelle-ciavancedetellesortequ’Achillenepourrajamaisannuler
cetteavance.
Ce paradoxe illustre un présupposé suivant lequel l’infiniment petit
n’existe pas, présupposé qui sera aussi celui des philosophes atomistes
telsDémocrite(460av.J.-C.,370av.J.-C.).
Or, on sait, aujourd’hui, que la résolution mathématique du problème
d’Achilleetdelatortuedémontrebienqueladuréedelacourserestefinie
même en acceptant son découpage en une infinité d’étapes : la somme
d’uneinfinitédetermespeut,eneffet,constituerunegrandeurfinie.
Aristote,luiaussi,sepencherasurlaquestiondumouvement.
Mais ce terme même aura chez lui un sens particulier puisqu’il faut y
voir un changement, au sens le plus général, et non un simple
changement de position. Aristote décrit, en effet, le mouvement comme
un passage d’un équilibre perdu vers un équilibre retrouvé et considère
que les matières naturelles possèdent en elles-mêmes un principe de
mouvement. Ainsi, contrairement aux éléates, il est convaincu que le
mouvementestintelligible.
Aristote imagine pour chaque corps un moteur intérieur capable de
provoquer son déplacement lors d’un mouvement « naturel » ou
d’engendrer le mouvement d’un autre corps lors d’un mouvement
effectué « par violence ». Notons qu’il ne distingue pas le mouvement
accéléré du mouvement rectiligne uniforme. Aussi, même s’ils
s’inscrivent dans le domaine de la mécanique, est-il impossible de
considérer ses travaux comme une analyse dynamique du mouvement
descorps.
Aristoteconsidère,enfin,quelescorpscélestesdumondesupra-lunaire
(c’est-à-dire situé au-dessus de la lune) sont animés de mouvements
circulaires et éternels autour de notre Terre, elle-même immobile et
sphériqueaucentreduCosmos.Iljustifielarégularitédecestrajectoires
parlacompositionparticulièredecesastresetparlaprésenced’«éther»
au sein de ces derniers. Il estime aussi que le moteur qui anime les
sphères célestes est d’origine divine et oppose au monde supra-lunaire,
unmondesublunaire,oùnepourraients’accomplirquedesmouvements
finis.
Lorsque, près de deux mille ans plus tard, Newton expliquera la chute
d’une pomme sur le sol et le mouvement des planètes par un seul et
même phénomène (la gravitation), cette opposition entre physique du
monde sublunaire et physique du monde supra-lunaire sera remise en
cause.
Finalement c’est sur le sol d’Égypte, pendant la période hellénistique
(entre323av.J.-Cet31avantJ.-C.),quel’écoleastronomiqued’Alexandrie
a donné naissance aux premiers grands spécialistes de la mécanique.
L’influence de l’école d’Alexandrie a ensuite perduré, y compris au-delà
duIIIesiècleaprèsJ.-C.avecl’écolenéo-platonicienne.
Le célèbre géomètre Euclide (vers 300 av. J.-C.) faisait partie de cette
écolequiconstituaituncentrederecherchescientifiquepluridisciplinaire.
Les avancées qui y avaient été faites dans le domaine de la géométrie
furent à l’origine de travaux remarquables sur l’étude du ciel. Ainsi,
AristarquedeSamos(310av.J.-C.,230av.J.-C.),lepremier,évalua-t-illa
distance Terre-Lune, en mesurant les dimensions du cône d’ombre lors
d’une éclipse de Lune. Il put déduire de ses observations que la Lune se
situaità60rayonsterrestresdenousetquesonrayonétaittroisfoisplus
petit que celui de notre planète. L’ordre de grandeur de ces résultats est
excellent.Enoutre,Aristarquefutlepremier,etceladix-septsièclesavant
Copernic, à affirmer que la Terre n’était pas le centre du monde, mais
qu’elle tournait sur elle-même et autour du Soleil. Quelques décennies
plustard,unautremembredel’Écoleastronomiqued’Alexandrieparvint
à mieux connaître notre planète. Il s’agit d’Ératosthène de Cyrène
(276av.J.-C.,194av.J.-C.).Ce dernierproposad’évaluerlacirconférence
de laTerre enmesurant l’ombrede deuxobjets situésen deuxpoints de
latitudes différentes (respectivement à Alexandrie et à Syène). Il trouva
250 000 stades (ce qui correspond à 44 000 km). Cette valeur est fort
acceptablecomptetenudesmoyensdontildisposait.Ératosthèneétaiten
outre conservateur de la bibliothèque d’Alexandrie et il publia deux
ouvrages d’Archimède (287 av. J.-C., 212 av. J.-C.) qui était son
contemporainetsoncorrespondant.
Suggestion:Gravured’Archimèdelibrededroits(2)
Archimède(287av.J.-C.,212av.J.-C.)
Le savant qui aurait hurlé « Eurêka ! » dans les rues de Syracuse alors
qu’il venait de découvrir dans son bain son célèbre théorème fut avant
tout un géomètre. Ses travaux portent, certes, sur la statique des corps
flottantsetsurlastatiqueengénéral,maislagéométrieétaitsondomaine
de prédilection. L’utilisation des barycentres lui fut particulièrement
précieuse dans le domaine de la statique. Archimède affirmait, en effet,
que tout corps pesant avait un barycentre bien défini, en lequel tout le
poidssetrouvaitconcentré.Enfait,Archimèden’aquasimentpasréalisé
d’expériences : la plupart de ses travaux sont le fruit de ses
démonstrations. Dans sa Statique des corps solides le problème de
l’équilibre des surfaces est résolu à l’aide de déductions géométriques.
Archimèdeyécritque
des grandeurs commensurables sont en équilibre lorsqu’elles sont
réciproquementproportionnellesauxlongueursauxquellescesgrandeurssont
suspendues.
Cet ouvrage contient en germes l’étude des conditions d’équilibre des
leviers et des balances qui seront finalisés plusieurs siècles plus tard.
Enfin, les travaux d’Archimède sur l’étude de la densité des corps
auraient, quant à eux, été commandés par le roi Hiéron. Il s’agissait, en
effet, de trouver une méthode pour déterminer la densité des corps afin
de confondre ceux qui fondaient du cuivre à l’intérieur de pièces
d’orfèvreriecenséesêtrepleinesd’or.EnrédigeantparlasuitesonTraité
descorpsflottants,Archimèdeaposéenprincipeque
lanatured’unfluideesttelleque,sespartiesétantuniformémentdisposéeset
continues, celle qui est moins comprimée est déplacée par celle qui l’est
davantage, et que chacune est comprimée, suivant la verticale, par le fluide
placéau-dessus.
Un principe ne se démontre pas, et Archimède est parti de ce dernier
pour établir, en les démontrant cettefois, toute une série de lois. Il écrit
ainsique
lessolidesmoinspesantsqu’unfluide,quiysontintroduits,sontrenvoyésvers
le haut avecune force égale à celle dupoids dont le volume du fluide, égal à
celuidusolide,excèdelepoidsdecedernier.
Les résultats formulés par Archimède sont désormais des théorèmes
puisque l’on peut les démontrer à l’aide des lois de Newton. Ils sont
encore enseignés de nos jours. Le résultat dont nous venons de donner
l’énoncé original s’exprime de la façon suivante : tout corps à l’équilibre
dans un liquide subit une poussée verticale opposée au poids du liquide
déplacé.
Rienneprouvequ’ArchimèdeaitséjournéàAlexandrie,maissonœuvre
estinscritedanslecourantdepenséedecetteécoleetiln’acessédefaire
partdesestravauxàcertainsdesesmembrestelsÉratosthène.Àlafinde
sa vie, il a d’ailleurs envoyé à ce dernier une lettre sur la Méthode qui
constituesontestamentscientifique.
Aprèslamortd’Ératosthène,l’écoled’Alexandrieacontinuésonactivité
sous diverses formes pendant plusieurs siècles. Les travaux du
mathématicien et astronome Claude Ptolémée (deuxième siècle après J.-
C.)s’inscriventainsidanslacontinuitédece courant,demêmequeceux
de l’astronome, mathématicienne et philosophe Hypatie (370-415) qui
dirigea l’école néoplatonicienne d’Alexandrie. Hypatie a commenté les
travaux de Ptolémée et a apporté sa contribution à plusieurs ouvrages
mathématiques (dont un commentaire sur les Arithmétiques de
Diophante). Elle construisit aussi des astrolabes et des densimètres
destinés à mesurer des masses volumiques en utilisant le principe
d’Archimède.
Suggestion:GravuredeHypatielibrededroits(3)
Hypatie(370-415)
Jusqu’au Moyen-Âge, le système de Ptolémée et la physique d’Aristote
ontfaitautoritéetl’œuvre dePtolémée,quidécrit unsystèmedumonde
danslequel laTerre est fixeau centrede l’Univers,a euune importance
énorme au cours des siècles qui suivirent. Ptolémée a remis en cause la
thèse des pythagoriciens qui affirmait que les planètes suivaient des
trajectoires circulaires uniformes. En effet, de telles trajectoires ne
permettentpasdejustifierquecertainesplanètessemblentplusgrossesà
certaines périodes de l’année. Ptolémée s’efforça d’expliquer le
rapprochement et l’éloignement de ces corps célestes au fil des saisons.
Mais,alorsque,quatresièclesplustôt,AristarquedeSamosavaitcompris
que la Terre tournait autour du Soleil, Ptolémée n’envisagea pas cette
éventualité. Il s’employa au contraire à bâtir, dans une optique
géocentrique, un système de trajectoires concordant avec ce qui était
observé depuis la Terre. Pour parvenir à ce but, il imagina un système
complexe constitué d’épicycles. Le livre dans lequel il exposa sa théorie
s’appelait à l’origine Syntaxe mathématique. Son titre s’est peu à peu
transformépourdeveniraufildessièclesl’Almageste,del’arabeAlmagesti
quisignifie«latrèsgrande».
Lathéorie dePtolémée estdevenuela référenceincontestéeen matière
d’astronomie jusqu’au XIVe siècle. Cela ne fut pas sans conséquences :
ainsi,contrairementàÉratosthènedeCyrène,Ptoléméeavaitsous-évalué
la circonférence de la Terre qu’il estimait à trente mille kilomètres.
Plusieurs siècles plus tard, quand Christophe Colomb envisagea de se
rendreauxIndesenpassantparl’ouest,ilsebasasurlavaleurerronéedu
pourtourterrestrequ’avaitfourniePtolémée.Ilignoraitalorslaprésence
ducontinentaméricain.Ilestpermisdesedemanders’ilauraitchoiside
naviguer dans cette direction s’il avait su que dix mille kilomètres
supplémentairesseraientàparcourir…
DesGrecsàGalilée:duMoyen-Âgeàlarenaissancedessciences
physiques
LesGrecs s’étaientbeaucoup interrogéssur lemonde quiles entourait.
Leurgrandsoucidecompréhensionetlafaçondontilsonttentéd’utiliser
lemieuxpossibleleurraisonpouratteindrelaconnaissancefontd’euxles
pionniersdelaphysique.
Les Romains, qui leur ont succédé, ont produit relativement peu de
travauxdansledomainedelamécanique,del’astronomieetdessciences
defaçonplusgénérale:laplupartdesœuvresscientifiquesgrecquessont
arrivées jusqu’à nous, non par leur intermédiaire, mais par celle des
Arabesdontl’empire,dèsleVIIe siècle,s’étendaitdel’EspagneàlaPerse.
Cesderniers ontparticulièrementétudié lecieldont ilsattendaientdes
réponses concernant leur avenir. Les astronomes-astrologues arabes
affinèrent ainsi l’étude du mouvement des planètes qu’avaient faite les
Grecs et ils produisirent de nouvelles tables permettant de prévoir leurs
positions. Comme ces dernières utilisaient le système géocentrique de
Ptolémée et ses épicycles, elles étaient relativement complexes. Elles
furent néanmoins utilisées en Europe pendant tout le Moyen Age. La
précision des relevés effectués dans les observatoires de Damas, Bagdad
ou Maraga est particulièrement notable. Aussi, bien que les premiers
astronomesarabesaient,eux-aussi,placélaTerreaucentredumondeet
bien qu’ilscrurent prévoirl’avenir en observantle ciel, leurapport a été
importantdansle domainedel’astronomie. Al-Battani,quivécut auxIXe
etXesiècles,estpeut-êtreleplus célèbred’entreeux:il mitaupointdes
techniques de calculs mathématiques particulièrement performantes
pourleurutilisationenastronomie.DèsleXIe siècle,Alhazen(965-1035)a
d’ailleurs critiqué l’Almageste, et a mis en doute le modèle de Ptolémée
commeentémoignentsespropresmots:
Ptoléméefaitl’hypothèsed’unordrequinepeutexisteretlefaitquecetordre
reconstituepoursonimaginationdesmouvementsquisontceuxdesplanètes
ne l’exonère pas de l’erreur qu’il a commise en faisant l’hypothèse de cet
ordre;carles mouvementsréelsdes planètesnepeuvent résulterd’unordre
quin’existepas.
Enfin, il est important de souligner qu’au XVe siècle, c’est à dire à
l’époque de Copernic, les Arabes avaient déjà totalement abandonné le
systèmedePtolémée.Certes,ilsavaientencoreunevisiongéocentriquede
l’Univers, mais leur théorie du mouvement des planètes avait écarté la
thèsedesépicyclesinventéeparlesavantgrec.
En Occident, les astres ont fasciné les hommes de l’époque médiévale.
Pendant cette période, la magie et le mysticisme occupaient une place
prégnante et l’observation et l’analyse du ciel ne revêtaient aucun
caractère rigoureux. De plus, l’étude des mouvements, autres que ceux
desastres,n’intéressaitguèrelesérudits.Ainsi,laphysiquesombra-t-elle
dans une torpeur qui devait durer plusieurs siècles. Il faut dire qu’au
MoyenÂgelagrammaire,larhétoriqueetladialectiqueétaientbeaucoup
plus renommées que les sciences dites expérimentales. Il fallut ainsi
attendre le XIIe siècle, au moment de la reconquête sur les territoires
arabes pour que les textes grecs, et notamment ceux d’Aristote et
Ptolémée, soient redécouverts en Europe. Ils servirent alors de base à
toutelaculturescientifiqueeuropéennejusqu’auXVIesiècle.
Au Moyen Âge, l’étude du mouvement des projectiles a fait l’objet de
recherches approfondies. Pour des raisons qu’il est aisé de percevoir,
nombreux étaient ceux qui souhaitaient comprendre la trajectoire d’un
boulet de canon ! La balistique a ainsi été fortement influencée par la
pensée d’Aristote : la distinction entre mouvement « naturel » et
mouvementeffectué«parviolence»aeubeaucoupd’importancejusqu’au
XIVe siècle. À cette époque, l’école parisienne sous la direction de Jean
Buridan (env. 1300-1358) réintroduisit, en occident, la notion d’impetus
proposée à l’origine par les savants de l’école néo-platonicienne
d’Alexandrie. Il s’agissait d’une puissance capable de mouvoir, qui
précédait immédiatementle mouvement etqui s’épuisait en agissant.Le
concept d’impetus devait en outre permettre d’éliminer la frontière,
jusqu’alors immuable, qu’avait établie Aristote, entre mouvements
«naturels»etmouvements«violents».
DenombreuxécritsdeLéonarddeVinci(1452-1519)nousprouventque
ce dernier s’est particulièrement intéressé à ce problème et notamment
au cas du lancer verticalsuivi d’une chute « spontanée ». C’est d’ailleurs
cetexemplequi permità l’ItalienTartaglia(1499-1557)d’affirmer queles
mouvements naturels et violents étaient compatibles. Mais Tartaglia ne
parvintpas à comprendrecommentse raccordaientla partie ascendante
delatrajectoired’unprojectileetsapartiedescendante.
Enrésumé,l’intérêtdesréflexionseffectuéesenFranceetenItalieentre
le XIVe et le XVIe siècle dans le domaine de la balistique repose
essentiellement sur la remise en cause de l’antagonisme entre
mouvement naturel et mouvement violent : les thèses d’Aristote sur le
mouvementcommençaientdèslorsàêtrecritiquées…
C’est à peu près à la même époque qu’en Flandres fut redécouverte la
statique d’Archimède. On s’efforça alors d’expliquer le fonctionnement
des leviers, des poulieset des balances. Le Flamand Simon Stevin (1548-
1620) publia à Leyde, en 1586, un ouvrage dans lequel il étudiait les
conditions d’équilibre sur un plan incliné. Nous verrons que, plus tard,
Galilée (1564-1642) s’intéressera aussi à ce problème. Mais ce ne sera
qu’au XVIIe siècle que Pierre Varignon (1654-1722) fera la synthèse des
connaissancesdel’époquedansledomainedelastatique.
Ainsi, après une période de plus de dix siècles où l’étude des
mouvements et celle des conditions d’équilibre ont peu intéressé les
hommes, après un millénaire de relative torpeur scientifique, la
mécanique semble se réveiller à l’aube du XVIe siècle. Certes la
Renaissanceest,avanttout,unerenaissanceartistiqueetlittéraire.Certes
lemerveilleuxaunegrandeimportancepourl’hommedecetteépoquequi
cherche avant tout à retrouver dans le microcosme de son être un reflet
dumacrocosmedel’Univers.MaiscontrairementàsonancêtreduMoyen
Âge,l’homme dela Renaissancen’exclura pasde s’intéresserà desidées
nouvelles…
Desavancéesprodigieuses:XVIeetXVIIesiècles
En 1543 Nicolas Copernic (1473-1543) publie les Révolutions des orbes
célestes:ilestalorsceluiqui,dix-septsièclesaprèsAristarquedeSamos,
dévoileàl’OccidentchrétienquelaTerren’estpasaucentredumonde.
Dès 1535, Copernic avait proposé au secrétaire du roi de Pologne de
nouvellestablespermettantle calculdumouvementdes planètes.Celles-
ci étaient à la fois plus simples et plus précises que celles utilisées
jusqu’alors. Mais Copernic, s’il livrait volontiers ses recettes de calculs,
n’était pas prêt à expliquer comment il les avait établies : il jugeait, en
effet,qu’ilfallait:
neconfierlessecretsdelaphilosophiequ’àdesamisfidèlesetàdesproches,
etnepasmettrecessecretsparécrit,nilesrévéleràn’importequi.
Il est un fait que le système du monde proposé par Copernic avait de
quoibouleverserlesphilosophesdesontemps:ôteràlaTerresaposition
centraleétaituneidéerévolutionnaire.
Des Révolutions des orbes célestes furent publiées en seulement mille
exemplaires très peu de temps avant la mort de son auteur. Très
rapidement, les thèses de Copernic se diffusèrent et la communauté
théologique chrétienne – tant catholique que luthérienne – exprima des
réserves sur la teneur des six livres qui constituent cette œuvre. Certes,
certains ne virent dans la thèse héliocentrique qu’une spéculation non
fondée qui avait pour seul mérite de fournir des tables astronomiques
opérationnellesmaisdeplusvivescritiquesfurentrapidementformulées
aprèslamortduchanoine.
Copernicavaitraisonencequiconcernelecaractèrenonprivilégiédela
Terreau sein denotre systèmesolaire, maisle cheminementqu’il mena
pour parvenir à cette conclusion ne repose nullement sur l’observation.
Ce que Copernic reprochait avant tout au système de Ptolémée, c’était
d’envisager des trajectoires qui n’étaient pas circulaires et qui, de plus,
n’étaient pas parcourues à vitesse constante. Or, d’après lui, seuls les
mouvements uniformes circulaires pouvaient exister dans la Nature. Et
c’estpour celaqu’ilimaginadesorbitesquitournaientautourduSoleilà
vitesse constante. Il pensait d’ailleurs que le Soleil était au centre de
l’Univers. Ainsi, lorsque Copernic mourut, il était nécessaire, non
seulement d’apporter des preuves scientifiques au système du Monde
dont il avait eu l’intuition, mais aussi de le débarrasser des conditions
superfluesdontlespréjugésduchanoineétaientàl’origine.
Galiléeallaits’yemployer…
GravuredeGaliléelibrededroits(celledelacouverture)(5)
GalileoGalilei(1542-1642)
Galileo Galilei (1564-1642), plus connu sous le nom de Galilée, est
souvent considéré comme le fondateur de la méthode scientifique en
physique. Au cours de sa vie, il s’est intéressé aux mathématiques, aux
problèmes de statique, au mouvement des astres mais aussi à celui des
corpsenchutelibre.IlétaitconvaincuquelaNatureétaitécriteenlangue
mathématique et il aspirait à construire une science mathématisée du
mouvement.
LestravauxdeGaliléesesonttoutd’abordinscritsdanslacontinuitéde
ceuxdesphysiciensduXVI esièclequiutilisaientl’impetuspourexpliquer
lemouvement.Untournantdans saviescientifiques’est ensuiteproduit
lorsque, en 1609, il a construit une lunette astronomique, instrument
d’optique qui avait été inventé quelques années plus tôt aux Pays Bas.
L’utilisationde cettelunettea immédiatementrévéléàGaliléel’existence
de milliers d’étoiles invisibles à l’œil nu. Elle lui permit ensuite de
découvrir les ressemblances entre la Lune et la Terre et il comprit que
notre satellite n’était pas lumineux mais qu’il diffusait simplement la
lumièreduSoleil.Ilremarquaaussilaprésencedecratèresàlasurfacede
la Lune et c’est dans Le messager céleste, publié dès mars 1610, qu’il fit
partdecespremièresobservations.
Par la suite, Galilée a étudié le Soleil et les taches à la surface de ce
dernier. Personne ne connaissait alors la nocivité pour la rétine des
rayons invisibles ultraviolets. Galilée qui travaillait sans utiliser de filtre
futainsiprivédesavuependantlesdernièresannéesdesavie.Maisses
observations, pour dangereuses qu’elles aient été, l’aidèrent
considérablement à avancer dans ses théories : grâce à l’étude du
mouvement des tâches solaires, il comprit, tout d’abord, que le Soleil
tournait sur lui-même. Ensuite, il réussit à ôter au Soleil le caractère
absolu que lui prêtait Copernic : à une époque où les thèses
héliocentriquesavaientpeuàpeuétédiffusées,certainspensaient,àtort,
queseulleSoleil pouvaitêtreau centred’unmouvement.Cette croyance
s’expliquait par le caractère privilégié que Copernic, qui était chanoine,
attribuaitàcetastre:ilpensaitquecelui-cirayonnait«sousleregardde
Dieu » au centre de notre Monde. Certains fervents défenseurs de
Copernicexcluaientdoncqu’uncorpscélestepuissetournerautourd’une
planèteetc’estendécouvrantlessatellitesdeJupiteraudébutdel’année
1610queGaliléeleurprouvalecontraire.
En1615,Galiléeexposapubliquementlesargumentsconvergentsquilui
permettaient de conclure que la Terre tournait autour du Soleil. La
plupart des ecclésiastiques s’inquiétèrent de cela et lorsque, le 3 mars
1616, le système héliocentrique fut officiellement condamné par décret,
Galiléefutinvitéàaborderd’autressujetsderecherches…Celafitdireau
physicien, dans une lettrequ’il écrivit à la grande-duchesse Christine de
Toscaneque
l’intentionduSaint-Espritestdenousenseignercommentondoitallerauciel,
etnoncommentvaleciel.
LedifférendentreGaliléeetl’Eglisevenaitdedébuteret,parlasuite,il
nefitques’accroître.
Quelquesraresecclésiastiquessoutinrentlephysicien.Lepèrecarmélite
Foscarini (1565-1616) rédigea ainsi une brochure montrant comment la
Biblepouvaitêtreinterprétéedanslecadredelathéoriecopernicienne.Le
papeUrbainVIIIdemanda,quantàlui,ausavant,en1624,derédigerun
essai comparant la théorie de Ptolémée et celle de Copernic. Il était
convenuquecelivrenedevaitfavoriseraucundesdeuxpointsdevue…Le
Dialoguesur lesdeuxgrands systèmesdu Mondefutainsi publiéhuitans
plus tard. Mais dans ce dialogue plein d’ironie, Simplicio, le partisan de
Ptolémée et d’Aristote, déplut fortement au Pape. Non seulement ce
personnageétaitabsolumentridicule,maislepapeavaittouteslesraisons
desereconnaîtredansleportraitqueGaliléeavaitbrossédecedernier…
Lapublicationdecet ouvrageeutun grandretentissementet,dès 1632,
Galilée dont les écrits contrevenaient au décret de 1616,fut arrêté et dut
comparaîtredevantl’Inquisitionlorsd’unprocèsquiamarquél’Histoire.
Face aux menaces, le physicien décida de se rétracter officiellement. En
résidencesurveilléejusqu’àlafindesesjoursilcontinuamalgrétoutson
œuvre et parvint même à diffuser ses travaux à l’étranger pendant les
annéesquiprécédèrentsamort.
Etpourtantelletourne!
Ces mots qu’auraient prononcé Galilée après avoir renié publiquement
lesthèseshéliocentriquessontrestéscélèbres,maisl’œuvredecedernier
estloindeselimiteraudomainedel’astronomie.
Dèssesjeunesannées,Galilées’estintéresséàlachutedescorpsetila
tenté d’utiliser la méthode expérimentale pour venir à bout de ce
problème.Àlamêmeépoque,ilaaussiétudiélatrajectoiredesprojectiles
etilavitecompris,d’unepartqu’untempsdereposn’étaitpasnécessaire
entrelaphaseascendanteetlaphasedescendantedeleurmouvement,et,
d’autrepart,quelacomposantehorizontaledelavitessed’unprojectilese
conservait. Après sonprocès, il a parachevé ses travaux surla chute des
corps,et,en1638,alorsqu’ilétaitenrésidencesurveilléedepuiscinqans,
il parvint à faire publier à Leyde, aux Pays-Bas, ses Discours et
démonstrations mathématiques concernant deux sciences nouvelles (la
première de ces deux sciences est la résistance des matériaux, et la
seconde la chute des corps). Véritable précurseur, Galilée a compris que
touslescorpsenchutelibreontlemêmemouvement.Seulelarésistance
del’airpermeten effetd’expliquerlesdifférences quel’onpeut observer
surlaTerre:siuneplumeetunmarteauétaientlâchésaumêmeinstant
dans le vide sans vitesse initiale, ces deux corps atteindraient le sol au
mêmemoment.
Par la suite, Galilée est aussi le premier à énoncer que la vitesse lors
d’une chute libre est proportionnelle à la durée de la chute et qu’un tel
mouvementestuniformémentaccéléréet,ausièclesuivant,leHollandais
Christiaan Huygens (1629-1695) mesurera la valeur de cette accélération
de chute libre, qui est aussi appeléeaccélération de pesanteur, et qui, de
nosjours,senoteenutilisantlalettre«g».
Galilée,quin’aététotalement réhabilitéparle Vaticanqu’en1992,était
un esprit libre doté d’un esprit critique remarquable. Il fut l’un des
pionniers de la méthode expérimentale en physique. Il attachait
également une importance toute particulière aux mathématiques qui
étaient à ses yeux indispensables dans l’étude de la Nature. Dans Il
Saggiatore(L’Essayeur),dès1623,ilécrivaitàcesujet:
La philosophie est écrite dans ce très vaste livre qui constamment se tient
ouvertdevantnosyeux:jeveuxdirel’Univers.Maisonnepeutlecomprendre
sid’abord onn’apprend àcomprendre lalangue età connaîtreles caractères
dans lesquels il est écrit. Or il est écrit en langue mathématique et ces
caractères sontles triangles, les cercleset autres figures géométriques sans
lesquellesilestabsolumentimpossibled’encomprendreunmot.
Galilée s’est également employé à effectuer des « expériences de
pensée».
Ainsi,danssonDialoguesurlesdeuxsystèmesdumonde,ilaimaginéun
bateau animé d’un mouvement uniforme, dans lequel on lancerait à la
verticale un boulet de canon. Simplicio, le partisan d’Aristote et de
Ptolémée y affirme que le boulet va tomber « à l’arrière du bateau ».
Salviati, le disciple de Galilée, le contredit et comprend que le boulet
tombeaupieddumât.
Les lois de la physique sont les mêmes dans deux référentiels en
translation rectiligne uniforme l’un par rapport à l’autre. Ainsi, que le
bateau soit à l’arrêt au port ou qu’il avance à vitesse constante sur une
trajectoiredroite1,lerésultatobservéseralemême:leboulettomberabel
etbienau pieddumât. Galiléeévoqueaussi dansson Dialogue l’exemple
des papillons qui virevoltent autour du mât du bateau lorsque celui-ci a
atteintsavitessedecroisière.Quelleestlavitessedecespapillons?Nous
réalisons à l’instant même où nous posons cette question qu’elle est
dénuéedesens.Vitesseparrapportàquoi?Parrapportaubateauoupar
rapport au quai ? Le mouvement des papillons sur le bateau est ici
identiqueàceluiqu’ilsauraientlorsquelebateauestamarré.
Galiléemontreiciquetousleslieuxsevalentetque«lemouvementest
comme rien » : à l’inverse d’Aristote, il affirme qu’il n’y a pas d’état de
repos absolu, qu’il n’existe pas d’état de référence. Ainsi, aucune
expérienceréaliséeàl’intérieurdubateaunepermetdedécidersicelui-ci
est à l’arrêt ou bien s’il avance en ligne droite à vitesse constante.
Autrement dit, si un navire ne subit aucune accélération, alors un
passager, enfermé dans la cale, n’a aucun moyen de savoir si le navire
avance ou bien s’il est à quai. Galilée est ainsi le premier, quatre siècles
avant Einstein, à affirmer qu’il est dans la nature même du mouvement
d’êtrerelatif…
Newton
Le fait que l’autre génie de la mécanique classique, celui qui a proposé
une solution au problème de la gravitation, soit né en 1642, c’est à dire
l’annéemêmedelamortdeGalilée,estporteurdenombreuxsymboles.Il
serait toutefois faux de croire que c’est uniquement l’héritage de Galilée
qui a guidé Newton (1642-1727). Cet homme, dont l’œuvre est
incontestablement la clef de voûte de toute la mécanique classique,
affirmaitavecunemodestieremarquable:
Sij’aivuplusloinc’estparcequej’étaissurlesépaulesdegéants.
Ces géants auxquels il fait allusion sont probablement Galilée, mais
aussi Brahé (1546-1601), Kepler (1571-1630), Descartes (1596-1650) ou
Huygens(1629-1696).
GravuredeNewtonlibrededroits(celledelacouverture)(6)
Newton(1642-1727)
HéritagedeNewtonetnouveauxconcepts
L’empreinteduphysicienanglaisaétéprofonde.
Sonœuvread’ailleurspassionnélesphilosophesdusiècledesLumières.
Dès 1727, la Française Emilie du Châtelet (1706-1749) entreprend de
traduire les écrits de Newton et c’est cette passion pour les travaux du
scientifique anglais qui contribuera à la rapprocher du philosophe
Voltaire(1694-1778).Cedernier,deretourd’Angleterre,évoqueraNewton
dans ses Lettres philosophiques (1734) et vulgarisera ses écrits en
rédigeant,pendantsonexilauPays-Bas,desÉlémentsdelaphilosophiede
Newton mis à la portée de tout le monde (titre original : Elemens de la
philosophiedeNeutonmisàlaportéedetoutlemonde) dontunepremière
versionpartielleserapubliéeàAmsterdamen1738.
Si le système de Newton a connu son heure de gloire tout
particulièrementau XVIIIesiècle,c’estaussiparceque,à cetteépoquede
granddynamismeintellectuel,lamécaniquecélesteestenpleinessor.
Newton avait découvert la gravitation. Il avait montré comment la
connaissance des forces qui s’exerçaient sur un corps permettait de
déduiresonmouvement.Ilnerestaitplusqu’àappliquercesrésultatsaux
astres pour prévoir, avec précision, quelle allait être leur trajectoire. De
grands observatoires avaient été bâtis en Europe, notamment à
Greenwich età Paris. Les travaux s’étaientmultipliés. Les recherches de
PierreSimondeLaplace(1749-1827)portèrentainsisur lesanomaliesdu
mouvement de la Lune, ce qui lui fournit un moyen d’estimer la non-
sphéricité,c’estàdirel’aplatissementauxpôles,denotrepropreplanète.
Peude tempsplus tard,le FrançaisUrbain JeanJoseph LeVerrier (1811-
1877) utilisa, lui-aussi, la mécanique de Newton et contribua à faire
comprendreaugrandpublictoutelapuissancedecettediscipline.Àcette
époque, de nombreux astronomes étudiaient les irrégularités du
mouvement de la planète Uranus dont la trajectoire différait légèrement
de celle que permettait de prévoir la théorie de Newton. Certains
scientifiques, tels le Français Arago (1786-1853), pensaient que c’était la
présence d’un corps de masse importante au voisinage d’Uranus qui
expliquait la modification de sa trajectoire. Indépendamment l’un de
l’autre,l’Anglais JohnCouch Adams(1819-1892), en1843 àCambridge, et
leFrançaisLeVerrier,en1846àParis,calculèrentlapositionetlamasse
du corpsen question.Mais, alorsque les calculsdu jeuneAdams, âgé de
vingt-quatreans,n’avaient pasété prisausérieux parles astronomesde
Cambridge, ceux de Le Verrier, de huit ans son aîné, incitèrent Johann
Gottfried Galle, le jour même où il les reçut, à braquer le télescope de
l’observatoire de Berlin dans l’axe indiqué par le Français. À 52 minutes
d’angledeladirectionthéorique,Galledétectaunnouveaucorpscéleste:
ils’agissaitdeNeptune.
LathéoriedeNewtonvenaitdepermettreladécouverted’uneplanète…
pourla premièrefois dansl’histoire dessciences, demanière totalement
inédite, un astreétait découvert par des calculs mathématiques avant de
l’être par une observation. Ainsi, deux siècles après la naissance de
Newton,unedécouvertevenaitconsacrerl’œuvreduphysicienanglaisau
yeuxdugrandpublic!
Par la suite, c’est dans la lignée de Newton qu’ont travaillé tous les
mécaniciens des XVIIIe et XIXe siècles. Depuis leur publication, les lois
énoncées dans les Principia avaient été transcrites sous la forme
différentielle que nous connaissons aujourd’hui, ce qui ouvrait de
nouvellespossibilitéspourlesexploitermathématiquement.
Le philosophe encyclopédiste, mathématicien et physicien d’Alembert
(1717-1783) fut l’un des premiers à se pencher sur les questions
d’hydrodynamique;l’hydrostatiqueayant,quantàelle,étéabondamment
étudiéeausiècleprécédentparDescartes(1596-1650)etparPascal(1623-
1662) dont les expériences avaient permis de clarifier la notion de
pression. Les travaux de d’Alembert sur les fluides furent ensuite
parachevésparlesSuissesEuler(1707-1783)etBernoulli(1700-1782)ainsi
que par l’Italo-Français Lagrange (1736-1813). On insistera ici sur le fait
que les progrèsimportants réalisés dans ledomaine de la mécanique du
solideetdelamécaniquedesfluidesauXVIIIesièclesontàrapprocherdes
avancées effectuées dans le domaine des mathématiques. Ainsi,
d’Alembert, Euler, Lagrange et Bernoulli étaient tous les quatre des
mathématiciens. À une époque où la notion de fonction venait tout juste
d’être inventée en mathématiques, la résolution des équations
différentiellesconstituaitunaxederecherchemajeur.Alorsquel’analyse,
qui est l’une des branches actuelles des mathématiques, commençait à
peine à se développer, Lagrange appliquait déjà ses travaux
mathématiquesaudomainedelamécanique.Ilfondaainsila«mécanique
analytique»danslaquelleleséquationsdifférentiellesoccupentuneplace
privilégiéeet oùtout problèmede mécaniquese réduità larésolution de
ce type d’équations. Le mathématicien Britannique William Rowan
Hamilton (1805-1865) qualifiera ainsi, plus tard, l’ouvrage que Lagrange
publia en 1788 de « poème scientifique du Shakespeare des
mathématiques».
De façon générale, les sujets traités au XVIIIe siècle ont largement fait
appelauxéquationsmathématiques.D’Alembertqui,lepremier,aétudié,
en1747,leproblèmedelacordevibrante,aintroduitl’équationd’ondeetil
a développé lui-même les calculs nécessaires à sa résolution. Ainsi, de
même que l’hydrodynamique est une discipline dans laquelle les
équations aux dérivées partielles sont omniprésentes, la physique
ondulatoireestnée,elleaussi,del’utilisationdel’analysedansledomaine
delamécanique.AuXVIIIesiècle,lamathématisationdelamécaniqueest
doncl’unedesprincipalesvoiesderecherche.Elleseraaussi,demanière
indirecte, à l’origine de certains travaux effectués sur l’énergie. En effet,
c’est l’intégration de certaines équations différentielles qui a fait
apparaître des quantités énergétiques qui se conservent au cours du
temps:ons’estainsirapidementaperçuque,enl’absencedefrottements,
l’énergiemécaniqued’uncorpsestunegrandeurconservative.
Plustard,auXIXe siècle,alorsqu’enAngleterrelarévolutionindustrielle
faitnaîtredenouvellesmachines,leconceptd’énergiedetypemécanique
intéressera les esprits pour ses applications pratiques. Dans ce contexte,
alorsquelamachineàvapeurbouleverseralestechniquesdeproduction,
les physiciens se pencheront sur l’étude des liens entre les phénomènes
thermiquesetles phénomènesdynamiques.La«thermomécanique»qui
deviendrapeuàpeula«thermodynamique»seraalorsprêteànaître.
Leconceptd’énergieyjoueraunrôledéterminant.
1. Précisons ici que, pour cette expérience de pensée, même s’il a eu une intuition géniale sur la relativité du
mouvement,Galiléen’apasmentionnéqu’ilétaitnécessairequelatranslationdubateauparrapportàlaTerre,
enplusd’êtreuniforme,fûtaussirectiligne.
Lathermodynamique:desoriginesànosjours
Température,thermométrie
Alorsque,trèstôt,leshommesetlesfemmesdesciencessesontrévélés
capables de mesurer des distances ou des durées, il leur a longtemps
semblé impossible d’évaluer quantitativement une température. Les
expériences qu’ils étaient susceptible d’effectuer pour étudier les
phénomènes thermiques étaient donc considérablement limitées. La
thermométrie a progressé laborieusement et les avancées dans ce
domaine furent d’autant plus lentes que les esprits ne s’accordaient pas
sur la nature de la grandeur à mesurer. Le fait que le langage courant
qualifie encore de « chaud » un objet dont la température est élevée
témoignedelaconfusionquialongtempsrégnédanslesespritsentreles
notionsdechaleuretdetempérature.
Contrairement au domaine de la mécanique où les Grecs avaient été
capables de clarifier certaines notions, la contribution de ces derniers à
l’étudethéoriquedesphénomènes thermiquesa étérelativementlimitée,
même s’ils ont été capables de réaliser certaines mesures de manière
empirique.Aristote(384av.J.-C.-322av.J.-C.)considéraitquelechaudet
le froid, tout comme le sec et l’humide, constituaient les qualités
caractéristiquesdesélémentsdenotremonde.Ainsi,jusqu’auxtravauxde
Philonde Byzance(vers 250av. J.-C.) etde Hérond’Alexandrie (vers100
av. J.-C.), l’appréciation de la température d’un corps a été purement
subjective.C’estfinalementgrâceauxthermoscopesquecesderniersont
conçus qu’il est enfin devenu possible d’apprécier de façon objective des
différences de température. Le fonctionnement de ces thermoscopes
reposait sur la dilatation d’une quantité donnée d’air qui provoquait le
déplacement d’un certain volume d’eau. Ils peuvent être considérés
comme les ancêtres des thermomètres. Pour autant, ils ne permettaient
pas de mesurer des températures de façon absolue : non seulement ils
n’étaientpasgradués,maisleursconcepteursn’avaientpasd’idéeprécise
surlagrandeursusceptibled’êtremesurée.
Le thermoscope de Héron sombra dans l’oubli jusqu’à ce que, à la
Renaissance,lestextesgrecsdecederniersoientredécouverts.C’estainsi
qu’un médecin istrien, Santorio Santorio (1561-1636) réactualisa cet
appareilafinde suivrel’évolutiondel’étatdefièvredesespatients.Mais
les limites des mesures réalisées avec un tel thermoscope apparurent
bientôt, et notamment leur dépendance avec la pression atmosphérique
dujour.Rappelonsque,àcetteépoque,lestravauxdel’ItalienEvangelista
Torricelli(1608-1647)avaientdéjàpermisdemieuxcomprendrelanotion
de pression. Ainsi, dès le XVIIe siècle, disposait-on de baromètres. On
savaitdoncquelapressionatmosphériquevariaitd’unjouràl’autre.Ilen
était demême pour la pression del’air contenue dans lesthermoscopes,
celui-ciétanten équilibreavec l’airatmosphérique. Enoutre, lestravaux
du physicien anglais Boyle (1627-1691), publiés en 1662, et ceux du
Français Mariotte (1620-1684), publiés en 1671, avaient révélé que, à
température constante, le volume d’une masse donnée de gaz était
inversementproportionnelàsapression.Lethermoscoperéactualisépar
Santorio Santorione fournissaitdonc pas les mêmesrésultats suivantla
valeurdelapressionatmosphériquedujour.
Pour rendre les mesures de température reproductibles, il fallait donc
chercheruneautresolution.
Tant que l’on ne trouva pas de méthode pour construire un
thermomètre à gaz précis, on fabriqua des appareils employant des
fluidesthermométriquesliquides.Ils’agissaitde trouverdes liquidesqui
se dilataient suffisamment pour limiter la taille des instruments
fabriqués.C’estainsiquel’eau,puisl’alcoolen1654etenfinlemercureen
1717 furent utilisés à l’intérieur des thermomètres. Les mesures étaient
enfin reproductibles, mais tous les problèmes n’étaient pas pour autant
réglés. En effet,ces thermomètres ne fonctionnaientplus lorsque l’on se
trouvaitendessousdelatempératuredesolidificationouau-dessusdela
température de vaporisation du liquide utilisé. Au niveau de la mer, un
thermomètre à eau ne permettait pas de mesurer des températures
inférieures à 0 °C ou supérieures à 100 °C. L’eau fut donc assez
rapidement abandonnée en tant que fluide thermométrique. D’autres
questions apparurent aussi lorsque l’on tenta de graduer ces
thermomètres.En 1665,l’Anglais Hooke(1635-1703)envisagea defixer le
zérod’unthermomètreàespritdevinaupointdefusiondelaglaceetde
définir le degré comme le « millièmedu volume initial d’esprit-de-vin ».
Ausièclesuivant,Réaumur(1683-1757)proposaunthermomètrebasésur
le même principe. Daniel Gabriel Fahrenheit (1686-1736) utilisa, quant à
lui,deuxpointsfixesdetempérature.Lepremierétaitceluidefusiondela
glace (32 degrés Fahrenheit). Le second était celui du sang dans le corps
humainauquelilattribuaitlavaleurde96degrésFahrenheit.Cetteéchelle
est encore utilisée dans de nombreux pays anglo-saxons. Ce n’est qu’en
1741 que l’échelle centésimale apparut : le Suédois Anders Celsius (1701-
1744) considéra le point de fusion de la glace et le point d’ébullition de
l’eaucomme pointsfixes etdivisa en100 degrésl’intervalle séparantces
deux points. D’une manière qui peut, aujourd’hui, nous sembler contre-
intuitive,ilrepérapar100°Clafusiondelaglaceetpar0°Cl’ébullitionde
l’eau. C’est l’inverse qui est effectué de nos jours dans les pays qui
n’utilisentpasl’échelleFahrenheit.
Ainsi, au milieu du XVIII e siècle, savait-on enfin mesurer les
températures comprises entre celle de solidification et celle de
vaporisationdu liquidethermométrique.Une difficultén’était cependant
pas réglée : les différents liquides utilisés dans les thermomètres ne se
dilataient pas de la même façon en fonction de la température. Pouvait-
on, dès lors, définir de façon absolue une échelle de température ?
Autrement dit existait-il une température indépendante du fluide
thermométrique utilisé? Nous verrons comment,grâce aux avancées de
la thermodynamique, le Britannique William Thomson (1824-1907),
anoblien1892souslenomdelord KelvinofLargs,parvintàdéfinirune
telleéchellequi,aujourd’hui,estcelledusystèmeinternationald’unités.
Température,chaleureténergie
Même si toutes les questions n’avaient pas été élucidées, l’état des
connaissances en matière de thermométrie a permis aux physiciens du
XVIII e siècle de réaliser des expériences quantitatives pour étudier la
chaleur. C’est dans ce contexte que Joseph Black (1728-1799) entreprit de
mélanger des quantités différentes de liquides à des températures
distinctes. Les liquides qu’il mélangeait étaient isolés thermiquement du
milieuextérieur.Blacknotaitscrupuleusementlatempératured’équilibre
dans chacun des cas qu’il étudiait. Il parvint ainsi à conclure que la
chaleur constituait un terme d’échange qui passait spontanément d’un
corps chaud (dont la température était plus élevée), vers un corps que
nous qualifierions de froid (autrement dit de température plus basse).
Black, le premier, a d’ailleurs montré qu’un corps pouvait recevoir de la
chaleur même si sa température demeurait constante. Ce phénomène
peutêtreobservélorsqu’uncorpspurchanged’état.Ainsi,lafusiondela
glacenécessite-t-elle,pouravoirlieu,unapportd’énergiethermiquepour
casser les liaisons qui existaiententre molécules d’eau au sein du cristal
de glace. Cette énergie est prise dans le milieu extérieur. Il y a donc
transfert thermique,même si, pendant toutel’étape de fusion, lebloc de
glace reste à température constante. Black a nommé « chaleur latente »
l’énergiethermiqueéchangéelorsduchangementd’étatd’uncorpspuret
il a montré que cette transition de phase s’effectue à température
constantelorsquelapressionestfixée.
À ce stade, une précision s’impose : si nous venons de parler de la
chaleur comme d’un « échange d’énergie », c’est pour utiliser un
vocabulaire qui soit correct d’un point de vue physique. Il semble
néanmoinsutiledeprévenirlelecteurdetoutanachronisme:encettefin
deXVIIIesiècle,silesphysiciensontenfindistinguéleconceptdechaleur
deceluidetempérature,cen’estpaspourautantqu’ilsenontcomprisla
nature.Ilfaudra,eneffet,attendreleXIXesièclepourqueJamesPrescott
Joule(1818-1889)montrequelachaleur,toutcommeletravailmécanique,
correspond à un transfert d’énergie. Ainsi, en 1787, dans un ouvrage
commun, Antoine Laurent de Lavoisier (1743-1794), Claude Berthollet
(1748-1822), Louis Bernard Guyton de Morveau (1737-1816) et Antoine
François de Fourcroy (1755-1809) écrivaient encore qu’il fallait
«distinguerlachaleur(…)duprincipematérielquien(était)lacause.»,et
ilsdésignaientcedernierparletermede«calorique».
Pendantquelquesdécennies,desphysiciens,parailleursreconnuspour
laqualitédeleurstravaux,ontainsicrupouvoiraffirmerqu’ilexistaitune
« matière de la chaleur ». Pour les partisans de cette théorie, cette
«matière de lachaleur »était unvéritable fluiderépandudans les corps
quiauraiteulapropriétédepénétrerfacilementdanslescorpschaudset
qui, au contraire, aurait eu du mal à se faufiler à l’intérieur des corps
froids… À cette époque, seuls quelques physiciens minoritaires, tels
Bernoullidontnousavonsdéjàévoqué,auchapitreprécédent,lestravaux
de mécanique des fluides, considéraient la chaleur, non pas comme une
entitématériellemaiscommelerésultatdemouvementsmicroscopiques
au sein de la matière elle-même. Bien que fausse et infondée, c’était
pourtant cette théorie du calorique qui était presque uniformément
reconnue par la communauté scientifique à la fin du XVIIIe siècle. Il
faudraainsiattendrequelepremierprincipedelathermodynamiquesoit
énoncépourquecettethéorieerronéesoitdéfinitivementabandonnée.
Lepremierprincipedelathermodynamique
Lepremierprincipedelathermodynamique,quitraduitlaconservation
del’énergieetl’équivalenceentreletravailetlachaleur,aétéénoncépour
lapremièrefoisen1845.
Le médecin allemand Robert Mayer (1814-1878), le premier, en eut
l’intuition en 1840 à une époque où certains physiciens étaient encore
partisans de la thèse du calorique. Certes, dès la fin du XVIIIe siècle,
l’AméricainBenjaminThompsonavaitcomprisquelefrottementpouvait
engendrerdelachaleuretilavaitmultipliélesexpériencespourébranler
l’hypothèse du calorique. Mais ses travaux, publiés en 1804 sous le titre
Mémoires sur la chaleur n’avaient pas convaincu ses détracteurs de
l’époque.
Quand,en1840,Mayercommencesesréflexions,ils’intéresseaucorps
humain. Convaincu que la « chaleur » de ce dernier provient de la
conversion de l’énergie chimique des aliments, il envisage de relier le
concept de chaleur à celui d’énergie. Ce terme même d’énergie (issu du
grec«ergon»quisignifie«action»)n’avaitétéintroduitquedepuispeu
detempsdanslesécritsdephysique:c’esteneffetThomasYoung(1773-
1829) qui l’avait utilisé pour la première fois en 1807 au cours de ses
recherches en optique. Certes, les travaux de mécanique sur les « forces
vives » au XVIIIe siècle avaient, de manière indirecte, permis de
progresser sur ce concept, mais l’étude des phénomènes énergétiques et
deséchangesthermiquesontlongtempssemblédécorrélés.Ainsi,c’estle
terme de « force » et non le néologisme « énergie » que Mayer utilise
lorsqu’ilexposeleprincipegénéraldeconservationdecelle-ci.
Le premier principe, dans sa formulation actuelle, traduit le fait que
pour tout système fermé (qui n’échange donc pas de matière avec le
milieuextérieur),onpeutdéfinirunefonctionquiresteconstantelorsque
le système est isolé (c’est à dire lorsqu’il n’échange pas d’énergie avec
l’extérieur). Cette fonction appelée « énergie totale » est la somme de
l’énergie cinétique macroscopique du système, de son énergie interne et
de l’énergie potentielle associée aux forces extérieures conservatives qui
s’exercent sur lui. Cela signifie aussi que, lorsque le système échange de
l’énergie avec l’extérieur, ces échanges d’énergie peuvent revêtir deux
formes : soit ils s’effectuent sous forme de travail mécanique (le travail
mécanique constitue un échange d’énergie macroscopique), soit sous
formedechaleur(lachaleurconstitueunéchanged’énergiequis’opèreau
niveaumicroscopique).
Tant que la communauté scientifique n’a pas admis que le travail et la
chaleur étaient de même nature, ces deux grandeurs ne se sont pas
expriméesdanslamêmeunité.Ainsi,alorsquelacaloriealongtempsété
l’unité de chaleur, le kilogrammètre a été celle du travail. La calorie
représentait la quantité de chaleur nécessaire pour élever de 1 °C la
température de 1 gramme d’eau sous une pression atmosphérique
normale,tandisque lekilogrammètrereprésentaitle travailnécessaire à
l’élévationd’unemassed’unkilogrammeàlahauteurd’unmètre.
C’est James Prescott Joule (1818-1889), le premier, qui quantifia le lien
qui unissait ces deux grandeurs. Il a, depuis, laissé son nom à l’unité
d’énergieutiliséedanslesystèmeinternationald’unité:lejoule.
Joule avait comparé le travail fourni par une dynamo et la chaleur
dégagéedanslecircuitoùcelle-cisetrouvait.Iltrouvaquelacalorievalait
environ 0,45 kilogrammètre. On admet aujourd’hui qu’une calorie (unité
encoreutiliséeparlesnutritionnistes)vaut4,186joulesetqu’unjoulevaut
1/9,81 kilogramme-mètre auniveau de lamer. La précisiondes mesures
deJouleétaitdoncparticulièrementsatisfaisantecomptetenudesmoyens
dontildisposait.
Lepremierprincipeestdoncà lafoisleprincipe d’équivalenceentrela
chaleur et le travail, mais aussi, et surtout, un principe qui traduit la
conservation de l’énergie dans l’Univers. Ce principe est fondamental. Il
est eneffet nécessaire depostuler que l’énergietotale se conservesi l’on
veutcalculerles échangesénergétiques susceptiblesdese produire.Mais
ce principe ne saurait suffire pour effectuer ces calculs. Imaginons en
effet que l’on mélange dans un récipient calorifugé 1 kg d’eau à 50 °C et
1 kg d’eau à 20 °C. Le premier principe postule que l’énergie totale des
deuxkilogrammesd’eaudoitresterconstante.Maisriendansceprincipe
n’exclut que l’eau initialementà 50 °C ne reçoive de la chaleur et voit sa
température augmenter jusqu’à 60 °C et que celle initialement à 20 °C
n’enfournisseetvoitlasiennediminuerjusqu’à10°C.Seulel’expérience
prouve le contraire : chacune des deux masses d’eau atteindra la
températured’équilibrede35°C.Lepremierprincipe,quiestunprincipe
deconservation,estdoncinsuffisantpourétablircerésultat.Ilnepermet
pas d’imposer toutes les conditions requises. Un deuxième principe
s’avèredoncnécessairepourprévoircommentévolueunsystèmedonné.
Lesecondprincipedelathermodynamiqueseraunprinciped’évolution…
Moteursthermiquesetdeuxièmeprincipe
Si nous avions voulu suivre rigoureusement la chronologie, nous
aurions exposé le second principe avant de parler du premier.
Historiquement celui-ci a en effet sa source dans les Réflexions sur la
puissance motrice du feu et sur les machines propres à développer cette
puissance, œuvre que publia, en 1824, le jeune physicien français Sadi
Carnot(1796-1832).
Ceprincipeimposeunenouvelleconditionpourqu’unetransformation
soit réalisable et il permet de prévoir dans quel sens va se produire
l’évolution d’un système. Dans sa formulation originelle, ce deuxième
principes’intéressaitaufonctionnementoptimaldesmachinesàvapeur.
Carnot était partisan de l’interprétation calorique de la chaleur. Ses
travaux étaient passés relativement inaperçus et, sans la relecture et la
vulgarisation effectuées dix ans plus tard par Clapeyron (1799-1864), et
sanslamagistraleexploitationquel’AllemandClausius(1822-1888)enfit,
ilsauraientprobablementsombrédansl’oubli…
Danssonouvrage,Carnotaaffirméque
touteslesmachinesdithermesréversiblesontlamêmeefficacitémaximalequi
nedépendquedestempératuresdessources.
De manière générale, une machine thermique fonctionne grâce à un
fluide qui subit des transformations. Et c’est au cours de celles-ci que
s’effectuent les échangesd’énergie. Si le fluide est tour à touren contact
avecdeuxthermostats,lamachinedanslequelleilcirculeestqualifiéede
« ditherme ». Suivant le sens dans lequel s’effectuent les échanges
énergétiques unetelle machine est susceptible de fonctionner en moteur
ou en récepteur. Dans le cas d’un moteur, le fluide prend de l’énergie
thermiqueàlasourcechaudeetilfournitdutravailmécaniqueaumilieu
extérieur et de l’énergie thermique à la source froide. Dans le cas d’un
récepteur, le fluide transfère au contraire de l’énergie thermique de la
source froide vers la source chaude, ce qui implique que le milieu
extérieur lui fournisse de l’énergie sous forme de travail, car comme l’a
écritClausiusen1848:
lachaleurnepassepasspontanémentd’uncorpsfroidàuncorpschaud.
On peut montrer que cet énoncé est totalement équivalent au second
principe tel que Carnot l’avait présenté en 1824. Néanmoins, sous cette
formulation, il eut un retentissement nettement plus important et la
publication de Clausius retint l’attention de la communauté scientifique.
Ainsi,c’estparcequ’ilfuténoncésouscetteformeen1848,doncaprèsles
travaux que Mayer avait publiés en 1840, qu’on baptisa « deuxième
principe»ceprinciped’évolution.
Notons qu’il existe plusieurs façons possibles d’exprimer le second
principe.Ainsi,en1852,WilliamThomsonécrivaitdesoncôtéque
unsystèmeencontactavecuneseulesourcedechaleurnepeutaucoursd’un
cyclequerecevoirdutravailetfournirdelachaleur.
Il affirmait ainsi l’impossibilité de construire un moteur monotherme
qui convertirait en travail mécanique toute l’énergie thermique que lui
fourniraituneuniquesourcedechaleur.
L’énoncé moderne du second principe de la thermodynamique permet
désormaisdedémontrerque lestrois formulationsprécédemmentcitées
(celledeCarnoten1824,celledeClausiusen1848etcelledeThomsonen
1852) sont rigoureusement équivalentes. Aujourd’hui, les énoncés que
nousvenonsdeprésenterrevêtentavanttoutuneimportancehistorique:
ils témoignent de l’horizon industriel dans lequel s’inscrivaient les
recherches théoriques dans le domaine de la thermodynamique au XIXe
siècle. L’énoncé de Carnot a aussi un statut particulier puisque c’est lui
quiaconvaincuThomson(futurLordKelvin)qu’ilétaitpossiblededéfinir
une échelle absolue de température indépendante du fluide
thermométriqueétudié.
Irréversibilitéetentropie
Visionnaire, doué d’un esprit de synthèse et d’une clairvoyance
remarquables,Clausiusfutlevéritablefondateurdelathermodynamique.
C’est dansune publicationde 1850 que,pour la premièrefois, il aétudié
les deux principes conjointement, en partant de l’étude du moteur de
Carnot.Clausiusa ensuitegénéraliséce résultataux systèmesen contact
nonplusavecdeuxsourcesdechaleur,maisavecuneinfinitédesources
et, en 1854, il a montré que le deuxième principe était un principe
d’évolution alors que le premier principe était un principe de
conservation(del’énergie).
Le deuxième principe permet, en effet, de statuer sur le caractère
possibleouimpossibled’unetransformation.Rappelonsicil’exempledes
deux masses égales d’eau respectivement à 20 °C et 50 °C qui, une fois
mélangées,s’équilibrerontà35°C.Ons’accorderasurlefaitque,unefois
atteintelatempératurede35°C,iln’yaaucunechancequelemélangese
scinde en deux masses égales, l’une se refroidissant jusqu’à 20 °C et
l’autreseréchauffantjusqu’à50°C.C’estledeuxièmeprincipequipermet
d’exclurecetteéventualité.Ainsi, sil’onfilmait l’opérationde mélangeet
si l’on inversait le sens de projection du film, l’image visionnée ne
pourrait correspondre à une réalité. De manière générale, toute
transformation qui est liée au sens d’écoulement du temps et pour
laquelle il est impossible d’inverser la flèche du temps est qualifiée
d’«irréversible».Toutetransformationréelleest,defait,irréversible,les
transformations réversibles ne constituant que des modèles idéaux
imaginéspourconstruirecertainsraisonnements.
C’est pour parfaire la formulation mathématique de ce principe
d’évolution, que Clausius invente en 1854 une fonction S qu’il baptise
« entropie » et dont l’étymologie signifie « se retourner, transformer,
changer ». Ainsi, alors qu’étymologiquement le terme d’énergie vient de
celui d’action, le terme d’entropie est, quant à lui, lié au concept
d’évolution.En1865Clausiusrésumecelaenécrivant:
Si l’on cherchepour S un nom caractéristique,on pourrait lui donner celuide
«contenudetransformationducorps».
etilajoute:
c’est à dessein que j’ai formé le mot entropie de manière qu’il se rapproche
autant que possible du mot énergie car ces deux quantités ont une telle
analogie dans leur signification physique qu’une certaine analogie de
dénominationm’aparuutile.
Laformulationdudeuxièmeprincipeestaujourd’huilasuivante:Pour
tout système fermé (qui n’échange pas de matière avec l’extérieur), il
existe une fonction proportionnelle à la quantité de matière dont la
variation est égale à la somme d’un terme d’échange et d’un terme de
production. La production d’entropie est nulle si la transformation est
réversible,strictementpositivesinon.
Ainsi,alors quelepremier principetraduitla conservationdel’énergie
d’unsystèmeisolé,ledeuxièmeprincipeaffirmequesonentropienepeut
qu’augmenter : l’entropie ne cesse de croître que lorsque l’équilibre est
atteint.Ledeuxièmeprincipeestindissociabledeladirectiondelaflèche
du temps. C’est d’ailleurs parce qu’il est si intimement lié au concept de
temps et à celui d’irréversibilité, qu’il a alimenté et étayé par la suite de
nombreusesréflexionsd’ordrephilosophique.
Latempératureabsolue
C’est en partant du rendement maximum du moteur de Carnot,
indépendant de la nature du fluide utilisé (et uniquement tributaire des
températures des deux sources), que Thomson (futur lord Kelvin) a
construitl’échellethermométriqueabsolue,plusconnueaujourd’huisous
lenom d’échellekelvin. L’utilisationdecette échellepermettait d’ailleurs
de préciser la loi de Boyle-Mariotte relative aux gaz parfaits. Depuis un
siècle,onsavaiteneffetqueleproduitdelapressionetduvolumed’une
quantité donnée de gaz parfait était constant pour une température
donnée. En exprimant la température T en kelvins, on s’aperçut que le
produitdelapressionetduvolumeétaitproportionnelàcelle-ci.
L’échelle kelvin est aujourd’hui celle du systèmeinternational d’unités.
En 1954, la valeur 273,16 kelvin a été associée à la température du point
tripledel’eau(pointoùlestroisphasesdel’eau, solide,liquideetvapeur
coexistent à l’équilibre). En outre, un kelvin (1 K) vaut un degré Celsius
(1 °C). Le premier des deux points fixes de l’échelle Celsius correspond,
quantàlui,aupointdefusiondelaglacesouslapressionatmosphérique
normale (c’est à dire 273,15 kelvin). Ainsi, l’échelle kelvin est-elle
translatéede273,15°Cparrapportàl’échelleCelsius:unetempératurede
100 °C correspond à 373,15 K ; une température de 0 °C correspond à
273,15K.Ànoterquelaréférenceaupointtripledel’eau,adoptéeen1954
pour définir le kelvin, a été abandonnée en 2019 par le bureau
international des poids et mesures. Le système international d’unités
(souvent désigné par le sigle S.I.) est, en effet, un système évolutif qui
reflète les meilleures pratiques du moment en matière de mesure. Au
20mai2019,lorsdelaparutiondelaneuvièmeéditiondesabrochure,le
S.I. comptait cinquante-neuf états membres et quarante-deux états
associés.Lorsdecettedernièreédition,lekelvinaétédéfiniparrapportà
la valeur numérique fixée de la constante de Boltzmann kB, constante
fondamentale, qui, nous le verrons dans le prochain paragraphe, est
apparue en thermodynamique à la fin du XIXe siècle. La brochure de la
neuvièmeéditiondusystèmeinternationald’unitépréciseainsique:
laconstantedeBoltzmann,kB ,estuneconstantedeproportionnalitéentreles
grandeurs«température»(avecpourunitélekelvin)et«énergie»(avecpour
unité le joule), dont la valeur numérique est obtenue à partir de spécificités
historiquesconcernantl’échelledetempérature.
Lathermodynamiquestatistique
La thermodynamique du XIXe siècle s’était construite sur les
applications industrielles et sur l’analyse de systèmes étudiés à l’échelle
macroscopique ; mais, après la révolution industrielle, les physiciens se
sontdemandéscommentonpourraitexpliquerauniveaumicroscopique,
c’est à dire à l’échelle des molécules des gaz, les résultats observés au
niveau macroscopique. Sachant que, sous la pression atmosphérique, un
litre de gaz contient quelques dizaines de millions de milliards de
milliards de molécules, il ne s’agissait bien évidemment pas d’étudier
chaque molécule individuellement. Le but a donc été de tenter d’établir
desloisditesstatistiques.
Deuxobstaclesétaientàsurmonter.
D’unepart,auXIXesiècle,l’analysestatistiquen’enétaitqu’àsesdébuts
et, d’autre part, les scientifiques d’alors ne s’accordaient pas tous sur
l’existencedesatomes etdesmolécules. Certes,le chimisteDalton (1766-
1844) avait montré que la théorie atomique permettait de retrouver de
nombreux résultats expérimentaux. Certes, à la suite des travaux des
FrançaisCharles(1746-1823)etGay-Lussac(1778-1850),l’ItalienAvogadro
(1776-1856) avait réussi, en 1811, à montrer que, dans les mêmes
conditions de pression et de température, deux volumes égaux de gaz
contenaient lemême nombre demolécules. Pour autant,certains étaient
encore sceptiques sur l’existence de ces particules qui constituaient la
matière et qui avaient été baptisées « atomes ». C’est donc dans un
contexte de doute que se sont inscrits les premiers travaux sur l’étude
cinétiquedesgaz.
Les premiers modèles utilisés pour rendre compte du mouvement des
molécules étaient extrêmement sommaires. C’est le Britannique James
Clerk Maxwell (1831-1879) qui, le premier, a posé en 1860 les bases de
l’analyse statistique appliquée à la physique. Les travaux de Maxwell
s’inscrivaient dans la continuité de ceux de Clausius qui, en 1859, avait
introduit la notion de libre parcours moyen (longueur moyenne que
parcourtunemoléculeàvitesseconstanteentredeuxcollisions).
Suggestion:gravuredeMaxwelllibrededroits(10)
Maxwell(1831-1879)
LathermodynamiqueaprèsBoltzmann
À la fin du XIXe siècle, c’est au domaine de la chimie et des équilibres
chimiques que s’étend la thermodynamique. Le pionnier de la
thermochimiea probablementétél’Américain WillardGibbs(1839-1903).
Dès 1876, ce dernier publia un article contenant les grandes lois des
équilibres chimiques qui devaient être redécouvertes ensuite par le
Néerlandaisvan’tHoff(1852-1911)etleFrançaisHenryleChatelier(1850-
1936). Certains travaux de Gibbs portèrent aussi sur la mécanique
statistique : ils posaient ainsi les bases de l’étude des situations de non-
équilibre qui allaient être menées au siècle suivant par d’autres
physiciens.
L’autre grand nom de la thermochimie est celui du Français Pierre
Duhem(1861-1916)quifutaussiunbrillantépistémologueethistoriendes
sciences. Duhemfut celui qui introduisitla notion de potentielchimique
grâce àlaquelle il est possible decaractériser et de prévoirles équilibres
chimiques ; mais Duhem, qui rêvait de réunir la physique et la chimie
dansunethermodynamiquegénéralisée,faisaitpartie dugroupede ceux
quirefusaientlathéorieatomique…
Après 1920, c’est sur les situations de non-équilibre que les
thermodynamiciens se sont penchés. Les premières études sur les
phénomènes irréversibles furent menées à l’université de Yale par le
Norvégien Lars Onsager (1903-1968). Onsager s’intéressa aux
phénomènes de transport et il parvint à relierles courants caractérisant
les états de non-équilibre aux forces généralisées. S’appuyant sur des
considérationsexpérimentales,puissebasantsuruneanalysestatistique,
ilfitapparaîtredessymétriestraduisantlaréciprocitédecesrelations.Il
parvint tout d’abord à unifier, dans une seule et même théorie, la
conduction de la chaleur qu’avait étudiée expérimentalement Joseph
Fourier (1768-1830), la diffusion des particules que l’on analysait depuis
1855 grâce à la loi empirique de Fick (1829-1901), et la conduction
électrique sur laquelle avait travaillé Georg Ohm (1789-1854). Onsager
étudia aussi les interactions entre ces différents phénomènes de
transports et ses travaux lui permirent notamment de comprendre les
effetsthermoélectriquesquitraduisentlaconversionréciproqued’énergie
électriqueen énergiethermique. Sesrecherches luivalurent l’attribution
duprixNobeldechimieen1968.
Dans la deuxième moitié du XXe siècle, ce sont les situations très
éloignées de l’équilibre, et pour lesquelles il est impossible d’établir des
équations linéaires, qui ont été l’objet de nombreuses recherches. La
thermodynamique non linéaire a réservé des surprises. On s’est aperçu
notamment que, dans certaines situations, un milieu matériel pouvait
passerd’unétatmoinsordonnéàunétatplusordonné.Decefait,iln’est
pas étonnant que le deuxième principe de la thermodynamique ait
passionné de nombreux philosophes. Dans L’évolution créatrice Bergson
(1859-1941), avait déjà interprété le second principe de la
thermodynamiquecomme
la plus métaphysique des lois de la physique, en ce qu’elle nous montre du
doigt, sans symboles interposés, sans artifices de mesure, la direction où
marchelemonde.
Plusieursphilosophesetphysicienssesontaussidemandésdansquelle
mesure l’apparition de structures particulièrement ordonnées (acides
aminés, molécules d’ADN, organismes vivants, organismes vivants
intelligents) qui traduit le fait que l’ordre peut apparaître dans certaines
parties de l’Univers, s’accompagnait d’une augmentation, plus grande
encore, du désordre dans d’autres parties de celui-ci. Le Belge Ilya
Prigogine (1917-2003) s’est employé à prouver que l’apparition, à un
niveaulocal,dedavantaged’ordrenecontredisaitpaslesecondprincipe.
Ilsoulignapourcelal’importancedesfluctuationsquisontsusceptiblesde
s’amplifier jusqu’à perturber l’état macroscopique et engendrer une
« bifurcation» versun autreétat macroscopique encoreplus organisé.Il
obtintleprixNobeldechimieen1977.Lathermodynamiquenonlinéaire
pourrait donc s’appliquer à la biologie : la notion de vivant, qui
correspondàundegréd’organisationexceptionneldelamatière,pourrait
résulter du rôle constructif de certains processus irréversibles lorsque
l’onsetrouveloindel’équilibre.Ilestclairquelefaitdes’interrogersurla
naturedel’auto-organisationqueprésupposelaviesoulèvedesquestions
philosophiquesliées auxnotionsd’ordre maisaussi decontingenceet de
finalité.Cesquestionsdépassentlargementlecadredecetouvrage.
L’électromagnétisme
Lesorigines
Certainsécritsgrecstraduisentl’intérêtetl’étonnementdespeuplesde
l’Antiquité face aux phénomènes électrostatiques et magnétiques. Ainsi,
sept siècles avant notre ère, Thalès de Milet (640-562) évoquait-il le fait
quel’ambre jaune, unefois frottée,attirait descorps légers.Cet exemple
revêtuneimportanceparticulièrepuisquec’estcematériau,dontlenom
grecest«électron»,quiaservideracineétymologiqueàtouteunescience
quinesedéveloppavraimentqu’auXVIIIesiècle.
Dans le domaine de la magnétostatique, aussi, Thalès avait
scrupuleusement noté ses remarques. Il avait, en effet, observé que la
magnétite avait la faculté d’attirer le fer. Mais il ne sut pas expliquer
pourquoi.
Par la suite, les phénomènes dus aux effets électrostatiques ou
magnétostatiques ont particulièrement fasciné les hommes. Leur
imaginationàcesujetaététrèsgrande:laboussole,apparueauIIIe siècle
après J.-C. chez les Asiatiques, a, pendant un millénaire, été utilisée
uniquement pour tenter de prévoir l’avenir et ce n’est donc qu’au XIIIe
sièclequel’on acommencé àutilisercetinstrument pourla navigation…
AuXVIesiècleencore,onprêtaitauxforcesmagnétiquestoutessortesde
vertus. Kepler les croyait responsables du mouvement des planètes qu’il
avait pourtant si bien étudié et décrit. Dans son ouvrage De Magnete le
médecin et physicien anglais Gilbert (1544-1603), qui, pour expliquer les
différences d’inclinaison des aiguilles aimantées en divers points du
globe,avaitcomprisquelaTerreétaitungigantesqueaimant,croyaittout
de même que c’était cette « vertu magnétique » qui permettait à notre
planètedetournersurelle-même.
Ainsi, à la fin du XVIe siècle, l’étude de ces phénomènes était encore à
éclaircir.
Premièresthéories
C’est au XVIIe siècle que, pour la première fois, a été produite de
l’électricité statique. En 1660, l’Allemand Otto von Guericke (1602-1686),
grand expérimentateur qui s’étaitaussi distingué par ses recherches sur
le vide, a l’idée de monter une boule de soufre en rotation sur un axe
horizontaletdelafrotter.C’estluiqui,lepremier,metainsienévidence
les effets répulsifs que peut engendrer l’électricité. Il a aussi l’idée de
comparer les étincelles produites par sa machine avec les éclairs qui
naissent dans le ciel lors des orages. En 1750, enfin, Benjamin Franklin
(1706-1790), à l’aide de paratonnerres et de cerfs-volants, parvient à
recueillir cette électricité et démontre ainsi la nature électrique de la
foudre.
AudébutduXVIIIesiècle,certainsphysiciensontimaginél’existencede
deuxsortesd’électricité:l’électricité«vitrée»produitelorsquel’onfrotte
unbâtondeverreetl’électricité«résineuse»apparaissantsurlesbâtons
de résine. On sait aujourd’hui que ces deux types de matériau ne se
chargentpasdelamêmefaçonlorsqu’ilssontfrottés,mais,àl’époque,les
recherches qui furent menées privilégièrent le concept de « fluide
électrique » à celui de charge élémentaire. En effet, en ce milieu de
XVIII e siècle, le cheminement intellectuel des scientifiques était encore
loin de manipuler la notion d’atome électriquement neutre ou celle
d’électron… Il faudra d’ailleurs attendre 1897 pour connaître les
caractéristiquesdecetteparticuledontJosephJohnThomson(1856-1940)
mesurera le rapport de la masse sur la charge grâce à un tube de
cathodique, ce qui lui vaudra l’attribution du prix Nobel de physique en
1906.
Ainsi, pendant plusieurs décennies, deux théories, toutes deux basées
surlanotionde«fluideélectrique»sesontaffrontées.
Lespartisansdelapremièrepensaient,àl’instardeBenjaminFranklin,
que l’électricité était formée de particules qui constituaient un fluide
capabledesepropagerdanslesmétauxetd’être«pompée»àl’extérieur.
Ils croyaient que la matière était constituée de particules qui s’attiraient
mutuellement et que le « fluide électrique » ne comportait que des
particules répulsives. Ainsi, l’excès ou le défaut de fluide électrique à
l’intérieurd’uncorpsdonnéleurpermettaitd’interpréteretd’expliquerla
chargeélectriqueglobaledecedernier.Cettethéoriedufluideuniquefut
défendue notamment par le Britannique Henry Cavendish (1731-1810)
devenu historiquement célèbre pour ses travaux de chimie, discipline
dontilfutl’undespèresfondateurs.
Lasecondethéorie,baséeelle-aussisurlanotionde«fluideélectrique»,
présupposait, quant à elle, l’existence, dans la matière, de deux fluides
présents en quantités identiques dans les corps neutres. D’après ses
partisans, c’était ledéplacement de l’un de ces deux fluides,attiré par la
présence d’un corps électrisé, qui expliquait les phénomènes
d’électrisation par influence que Stephen Gray (1666-1736) avait mis en
évidenceausiècleprécédent.Entrelesdeuxthéoriesquis’affrontaient,ce
fut cette dernière qui eut le plus de succès a sein de la communauté
scientifique. C’est d’ailleurs celle qu’utilisa le Français Charles Augustin
Coulomb (1736-1806) dans ses écrits, même s’il montra aussi que la
théorie du fluide unique et celle des deux fluides étaient
mathématiquementéquivalentes.
Au XVIIIe siècle, les recherches en électricité n’évoquaient pas encore
l’existencedeschargesélémentaires.Pourautant,CoulombetCavendish,
sont parvenus à préciser de nombreuses notions dans le domaine de
l’électrostatique et leur habileté expérimentale leur a permis de réaliser
desavancéesspectaculairesdanslacompréhensiondecequereprésentait
vraiment la charge électrique. Rappelons que, à cette époque, les
domainesdelaphysiquen’étaientpascloisonnésetleschercheursétaient
souvent des polymathes ou, tout au moins, des scientifiques
pluridisciplinaires.
Coulomb, qui était aussi ingénieur et dont l’histoire a essentiellement
retenu les travaux d’électrostatique, s’était lui-aussi distingué par ses
recherches de mécanique notamment sur les frottements et sur les
pendules de torsion. L’esprit de Coulomb était empreint des résultats
établis au siècle précédent par Isaac Newton. Rappelons que ce dernier
avait montré que l’interaction de gravitation résultait de l’action à
distance de deux corps de masses non nulles et que l’intensité de cette
force était inversement proportionnelle au carré de la distance qui les
séparait.En1780,laprédominancedelapenséenewtonienneauseindela
communauté scientifique était immense. Cela poussa Coulomb à
envisager l’hypothèse d’une interaction formellement analogue entre
deux charges électriques. Coulomb était un expérimentateur brillant :
pourmesurerlaforces’exerçantentredeuxcorpsdechargesdonnées,ila
utilisélabalancedetorsionqu’ilavaitlui-mêmeconçue:ila,eneffet,eu
l’idéedefixerl’unedesdeuxchargesetdecompenser,àl’aided’uncouple
de torsion, la force que la seconde charge exerçait sur la première.
Coulomb ne disposait pas de charges ponctuelles : il réalisait ses
expériences avec des épingles à grosse tête plantées dans de la cire.
Malgré la relative imprécision de ses mesures, il parvint, malgré tout, à
établir que l’intensité de la force s’exerçant entre les deux charges était
proportionnelleauproduitdeceschargesetinversementproportionnelle
au carré de la distance les séparant. Il montra aussi que la direction qui
portaitcetteforceétaitcelledeladroitereliantentreelleslesdeuxcharges
étudiées.Coulombintroduisitainsiunenouvelleinteractionformellement
analogue à l’interaction de gravitation. Mais, alors que l’interaction
gravitationnelle est toujours attractive, l’interaction coulombienne n’est
attractive qu’entre deux charges de signes opposées et elle est répulsive
entredeuxchargesdemêmessignes.
Àuneépoqueoùlesthéoriesdufluideoudesfluidesélectriquesétaient
d’actualité, l’expression de la force électrostatique permit, pour la
première fois, de comprendre ce que représentait la charge électrique.
C’est en ce sens que l’on peut considérer, comme l’a fait plus tard le
mathématicien et physicien allemand Carl Friedrich Gauss (1777-1855),
que c’est Coulomb qui, le premier, a vraiment su définir ce concept.
Notonsd’ailleursquel’unitédechargeélectriqueestaujourd’huiencorele
coulombdansleSystèmeInternationald’unités.
Cavendish,quantàlui,avaitétéreconnudesonvivantpoursestravaux
enchimie.Une grandepartde cesderniers avaitété traduiteen français
par Marie-Anne Pierrette Paulze (1758-1836) qui était l’épouse et
collaboratrice du chimiste français Antoine Lavoisier (1743-1794).
Contrairement à ses écrits de chimie, son œuvre, dans le domaine de
l’électricité,n’avaitpasétépubliéedanssonintégralité:lamajeurepartie
de celle-ci serait restée inconnue si James Clark Maxwell (1831-1871) ne
l’avaitrévéléeàlacommunautéscientifiqueausièclequisuivit.
Cavendish fut tout d’abord celui qui étudia la répartition du « fluide
électrique»,autrementdit deschargesélectriques,dans lesconducteurs.
Ils’aperçutnotammentquecelles-ciétaientlocaliséesàleursurface.Son
contemporainCoulomb avait,lui aussi,établice résultatmaisCavendish
était allé plus loin dans cette étude. C’est, en effet, à ce dernier que l’on
doit l’analyse théorique des condensateurs et la notion de potentiel
électrostatique. La bouteille de Leyde, inventée aux alentours de 1745,
avait déjà suscité l’intérêt de physiciens de la génération précédente
comme Benjamin Franklin. Ancêtre du condensateur, cette bouteille de
verre permettait de stocker une certaine charge électrique. À moitié
remplied’eau,elleétaitobturéeparunbouchondeliègepercéd’unefine
tigemétalliqueimmergéedansl’eauàl’unedesesextrémités.Latigeétait
mise en contact avec un générateur électrostatique. Les charges
emmagasinées pouvaient, par la suite, être restituées, ce qui permettait
d’obteniruncourantélectriquependantunbrefinstant.
Les dispositifs de stockage de charge électrique furent, par la suite,
améliorés. De manière générale, un condensateur est formé de
conducteurs métalliques voisins (on parle d’armatures) séparés par un
isolant appelé diélectrique. Si l’un des deux conducteurs entoure
totalement ou presque totalement l’autre, le condensateur est qualifié de
«fermé»etleschargesdesarmaturessontopposéesl’uneàl’autre.C’est
Cavendish,lepremier,quis’aperçutquelachargeemmagasinéesurl’une
desarmatures d’untelcondensateur étaitproportionnelleà ladifférence
depotentiel−ilemployaitalorsletermede«degréd’électrification»−qui
existaitentrelesdeuxarmatures.Laconstantedeproportionnalitéétaitla
capacitéducondensateur.Cettegrandeurphysiques’exprimeaujourd’hui
enfarad,unitédontlenomaétécrééàpartirdeceluiduphysicienanglais
Michael Faraday (1791-1867), qui lui-aussi, marquera l’histoire de
l’électromagnétisme.
Cavendish fut également celui qui, cinquante ans avant Georg Ohm
(1789-1854),s’estintéresséàlarésistancedecertainscorpsetilfutsurle
pointd’établirlaloideproportionnalité«U=RI»quiporteaujourd’huile
nomdusavantallemand.
Les travaux de Cavendish et de Coulomb ont indubitablement marqué
leur siècle. Il est néanmoins probable que ces deux hommes seraient
encore allés plus loin s’ils avaient disposé de générateurs plus
performants. Rappelons en effet qu’à cette époque c’est uniquement en
reliant les armatures d’un condensateur, lui-même chargé par un
générateur électrostatique, que l’on pouvait obtenir un courant
électrique…
D’Oerstedàlanaissancedel’électromagnétisme
Dès leXVI e siècle,certains navigateursavaient remarquéque la foudre
perturbaitl’orientationdeleursboussoles.Ilsévoquaientaussidescasoù
celle-ci parvenait àaimanter certains ustensiles en fer.Des scientifiques
s’étaient alors interrogés sur un éventuel lien entre les phénomènes
électriquesetlesphénomènesmagnétiques,mais,tantquel’onacruqu’il
existait un ou plusieurs fluides purement électriques, il semblait
inconcevable d’envisager sérieusement une telle hypothèse. Aussi, cette
questioncessaassezrapidementdepassionnerlesespritset,audébutdu
XIXesiècle,ellen’étaitmêmeplusévoquéedanslesmanuelsdephysique.
En outre, lesmoyens expérimentaux dont ondisposait pour produire de
l’électricité étaient rudimentaires. Certes les machines électrostatiques
avaient été améliorées, mais tant que l’on n’a pas su produire des
courants électriques à volonté sur des durées importantes, il a été
quasimentimpossibled’étudierréellementlesliensentrel’électricitéetle
magnétisme.
L’année1800marquaencesensuntournantdécisif.
Depuis1798,AlessandroVolta(1745-1827)réfléchissaitàl’expériencede
Luigi Galvani (1737-1798) qui avait observé que les membres d’une
grenouilledontdeuxpartiesducorpsétaientreliéesparunarcmétallique
secontractaient.Ilsavaitaussiqu’enplaçantlalangueentredeuxmétaux
différentsreliésparunfilmétallique,onéprouvaituneétrangesensation
depicotement.Voltapensaitalorsquel’onpouvaitobtenirdel’électricité
grâce à des paires de disques formées par l’association de deux métaux
différents.Ilespérait,deplus,qu’ilseraitpossibledecumulerleseffetsde
plusieursdisquesenempilantcesderniers.Ilessayaàplusieursreprises.
En vain. Volta eut finalement l’idée d’interposer dans cette « pile » de
disques des bouts de tissus humidifiés avec de l’eau salée. La pile Volta
venait de naître. À partir de cette date on se mit à parler d’électricité
circulante,paroppositionàl’électricitéstatiquequiétaitlaseulequel’on
savaitproduirejusqu’alors.
Véritablerévolutiondansl’étudedescourantsélectriques,lapilepermit
d’étudier leurs liens avec les effets caloriques mais aussi leur action sur
les métaux et les solutions aqueuses. Les premiers travaux sur
l’électrolyse portèrent sur la décomposition électrochimique de l’eau en
oxygène et en hydrogène. On les doit à l’Anglais Humphry Davy (1778-
1829) quifut aussi celuiqui produisit, en1810, le premier arcélectrique,
véritablepetitéclairréalisédansunlaboratoire.
Il était désormais clair que l’électricité était liée aux phénomènes
calorifiques, lumineux et chimiques. On se demanda alors à nouveau
quelsétaientlesliensqu’elleétaitsusceptibled’avoiraveclemagnétisme.
Ainsi, quand Hans Christian Oersted (Ørsted) (1777-1851) a réalisé
l’expériencedécisiveportantsurcepoint,lesespritsétaientenfinprêtsà
examinersérieusementcettehypothèse.Encesens,nombreuxsontceux
qui ont écrit que les travaux du physicien danois sont arrivés au bon
moment.
L’expériencehistoriquequ’Oerstedréalisaet quia marquéla naissance
de l’électromagnétisme date de 1820. Elle est encore présente dans les
manuelsdephysiqueactuels.
Oersted avait placé une aiguille aimantée parallèlement à un fil
conducteur.Ilfitcirculeruncourantélectriquedanslefiletilobservaune
déviation de l’aiguille aimantée. Rappelons que les termes de « courant
électrique»etd’«intensité»n’existaientpasencoreàl’époqueoùilréalisa
cetteexpériencepuisqueAndré-MarieAmpère(1775-1836)nelesavaitpas
encoreinventés!Oerstedavaitaussiconstatéquelorsquel’oninversaitle
sensdebranchementdufilsurlapile,autrementditlorsquel’oninversait
le sens du courant, la déviation de l’aiguille s’effectuait dans l’autre
direction.Enfin,ilavaitnotéquecettedéviationétaitd’autantplusgrande
que la « puissance de l’appareil galvanique » ( tel était le terme qu’il
employaitpourdésignerl’intensitéducourant)étaitimportante.
Lorsque Oerstedpublia ses résultats, certains deses contemporains ne
leprirentpasausérieux,recherchantl’erreurquipermettraitd’expliquer
lephénomèneobservé.Deuxphysiciensfrançaisportèrentnéanmoinsun
intérêttoutparticulieràsestravaux:Ampère,dontnousavonsdéjàcitéle
nom,etArago(1786-1863)dontlespublicationsaucoursdesannées1820
et 1821 allaient être particulièrement nombreuses. Arago, déjà célèbre
pouravoirprolongélamesureduméridienDunkerque-Barceloneetpour
ses travaux d’optique sur la polarisation, fut le premier à
s’enthousiasmer.C’estluiqui sutéveillerl’intérêtd’Ampère,alorsconnu
pour ses travaux de mathématiques et de chimie. Les deux savants se
mirent au travail. Dèsle dix-huit septembre 1820, Ampère s’aperçutque
l’effet sur l’aiguille aimanté ne se limitait pas à la rotation de cette
dernière: le fill’attirait aussivers lui.Le vingt-cinq septembre, nouvelle
publication : ayant eu l’idée de réaliser un enroulement serré de fil
électrique de forme cylindrique, Ampère avait noté que la bobine ainsi
réaliséesecomportaitcommeunaimantavecunpôlenordetunpôlesud.
GravuredeAmpèrelibrededroits(celledelacouverture)(6)
Ampère(1775-1836)
Le mois suivant, dans une communication transmise le neuf octobre à
l’Académiedessciences,Ampères’intéresseaucasdedeuxfilsélectriques
parallèles, montrant que ces derniers se repoussent s’ils sont parcourus
par des courants de même sens et s’attirent dans le cas contraire. Cette
expérience revêt une importanceparticulière : quand, en 1948, le comité
internationaldespoidsetmesuresavouludéfinirrigoureusementl’unité
dusystèmeinternationalpourlecourantélectrique,l’ampèrefutprésenté
comme
l’intensitéd’uncourantconstantqui,s’ilestmaintenudansdeuxconducteurs
linéaires et parallèles, de longueurs infinies, de sections négligeables et
distantsd’unmètredanslevide,produitentrecesdeuxconducteursuneforce
linéaireégaleà2×10-7 newtonparmètre.
À noter que cette définition n’est plus d’actualité dans la mesure où,
depuis la parution, le vingt mai 2019, de la neuvième édition de sa
brochure,lesystèmeinternationald’unitéadéfini l’ampèreenprenantla
valeurnumérique fixéede lachargeélémentaire, e,égaleà 1,602176 634
×10−19coulomb,(unitéégaleàl’ampèreseconde).
Même si la définition de l’ampère a récemment été modifiée,
l’expérienceque nousvenons d’évoqueramarqué l’histoiredessciences.
C’est d’ailleurs à la suite de celle-ci qu’Ampère a créé deux néologismes
pour que le vocabulaire permette de distinguer l’électrostatique où les
charges étudiées restent confinées au même endroit, de
l’électrodynamique où ces mêmes charges se déplacent et créent des
courants électriques. Et, peu de temps plus tard, le seize octobre 1820,
dansunecommunicationréaliséeavecArago,Ampèreamontréqu’ilétait
aussipossibledefabriquerunaimantartificielenplaçantunobjetdefer
douxàl’intérieurd’unehéliceparcourueparuncourant.
L’étudedelaforcemagnétique,crééeparlefilélectriquedel’expérience
d’Oersted,mobilisalesespritspendantlesannéesquisuivirentetébranla
de nombreuses certitudes. Newton avait fourni l’expression de
l’interaction de gravitation et Coulomb celle de la force s’exerçant entre
deux charges ponctuelles. Nombreux étaient ceux qui s’attendaient à ce
que la force créée par le courant électrique présente les mêmes
similitudesquecesdernières.Maiscelanefutpaslecas:laforcequ’une
petite portion du fil exerce sur un pôle de l’aiguille aimantée n’est pas
dirigéesuivantlalignequirelielaportiondefiletl’aiguille.
Aucontraire:elleluiestperpendiculaire.Àuneépoqueoùlamécanique
céleste triomphait, alors que Coulomb avait mis en évidence une
interactionformellementanalogue àl’interaction gravitationnelle,il était
difficiled’envisageruneinteractiondontlanaturefûtàcepointdifférente
decellequeNewtonavaitdécouverte.
Ilfallutalorstrouverl’expressiondecetteforce.
Unevéritablecourses’engageasurcettequestionentreAmpèreetJean-
BaptisteBiot (1774-1862).C’est finalementBiot qui,en collaborationavec
FélixSavart(1791-1841),futlepremieràcalculerlaforcequ’exerce,surun
aimant, un fil infiniment long parcouru par un courant. Cette force est
perpendiculaire à la direction du fil et à la droite normale au fil passant
parlepôlemagnétiquesurlequelelles’exerce.
Enquelquesmoisonétaitainsiparvenu,nonseulement,àétablirlelien
entre phénomènes électriques et magnétiques, mais aussi, à définir les
concepts de courant électrique, à construire des appareils de mesure (le
premiergalvanomètredatede1821etonledoitàAmpère),àaimanterle
feretàcalculerlesforcesmagnétiques.
Toutétaitallétrèsvite.Pourautant,lanaissancedel’électromagnétisme
n’enétaitqu’àsesdébuts.
L’inductionélectromagnétique
Desphénomèness’expliquantparl’inductionélectromagnétiqueavaient
été observés par Ampère en 1822 et Arago en 1824 mais ces derniers
n’étaient pas parvenus à expliquer leurs expériences. Les travaux de
Faraday(1791-1867)allaientêtredécisifssurcepoint.
Faraday avait constaté que lorsque l’on approchait brusquement un
aimant d’un solénoïde (c’est à dire d’un enroulement de fil conducteur),
alors un courant électrique s’établissait dans le circuit du solénoïde. Si,
par la suite, on éloignait cet aimant, il apparaissait un courant de sens
contraire. De plus, Faraday avait remarqué que le courant disparaissait
dès quele mouvement del’aimant cessait. Il avaitaussi noté quele sens
du courant induit par le mouvement de l’aimant dépendait du pôle que
l’onapprochait.
Mais les observations de Faraday ne s’étaient pas arrêtées là : il s’était
aussi aperçu que l’apparition d’un courant induit n’impliquait pas
forcémentlemouvementd’uncircuitparrapportàunautre.Lanaissance
d’uncourant induitpouvait, eneffet, êtreobservée soitlorsque lecircuit
était en mouvement par rapport à un champ magnétique constant, soit
lorsqu’il était immobile dans un champ magnétique variable. Ainsi,
l’apparition d’un courant induit était la conséquence d’une variation du
fluxduchampmagnétique.2
Lesingénieursdel’époqueontmispeudetempsavantdepercevoirles
retombées techniques fantastiques de ces phénomènes d’induction que
l’onvenaitdedécouvrir:lespremiersmoteursélectriquesetlespremiers
alternateursétaientdésormaisprêtsànaîtreetonallaitpouvoirconvertir
l’énergie mécanique d’un mouvement en énergie électrique et
réciproquement. Le principe de ces machines repose en effet sur le
mouvement relatif d’une source de champ magnétique par rapport à un
circuit.
C’est plus précisément aux alentours de 1865 que les génératrices de
courantcontinuprirentdel’importance.Lapremièredynamo,conçuepar
le Belge Zénobe Gramme (1826-1901), comprenait, d’une part, un circuit
« inducteur », qui était constitué d’un aimant ou d’un électroaimant, et,
d’autre part, un « induit », formé d’un fil métallique enroulé sur un
anneaudeferdouxquipouvaittournerdansl’entreferdel’aimant.
Les premiers alternateurs, autrement dit les premiers appareils
produisant du courant alternatif, apparurent simultanément aux Etats-
UnisetenEuropeàlafinduXIXesiècle.Leurprincipedefonctionnement
reposeaussisurlephénomèned’inductionélectromagnétique:lorsquela
directionduchamppar rapportà l’induitvarie périodiquementau cours
dutemps−c’estlecas,parexemple,sil’aimanttourneàvitesseconstante
−alorsleflux,luiaussi,variepériodiquementetlecourantproduitestun
courantalternatif.Lepremierbrevetfutdéposéen1888parNikolaTesla
(1856-1943)etc’estàpartirdecettedatequelesalternateursprirenttoute
leurampleurà l’échelleindustrielle.Lesalternateurspossédaientpourla
plupartuninduitfixe,appeléstator,etuninducteurmobile,appelérotor.
L’inducteur était souvent entraîné par une machine à vapeur. Ainsi,
l’énergie thermique était-elle convertie par la machine à vapeur en
énergie mécanique et cette énergie mécanique était à son tour convertie
parl’alternateurenénergieélectrique…
Notons que les phénomènes précédemment décrits sont réversibles et
qu’ilestpossibledeproduireunmouvementàpartird’énergieélectrique.
Ce phénomène fut découvert de manière fortuite, en 1873, lors de
l’exposition internationale d’électricité qui se tenait à Vienne. Un
ingénieur s’aperçut, en envoyant inopinément un courant dans la
machine de Gramme, que l’induit de celle-ci se mettait à tourner : cette
machine pouvait donc aussi fonctionner en mode récepteur et convertir
l’énergie électrique en énergie mécanique. L’électricité pouvait donc être
utilisée pour générer un mouvement : on pourrait donc fabriquer des
moteursélectriques.
Lathéorieélectromagnétique−L’œuvredeMaxwelletHertz
C’est dans la deuxième moitié du XIXe siècle que l’Écossais Maxwell
(1821-1879), dont nous avons déjà cité le nom en évoquant la
thermodynamique statistique, a introduit les concepts de champ
électriqueetdechampmagnétiquequinoussontaujourd’huifamiliers.
En1831,Faradayavaitdéjàapprochécettenotionlorsqu’ilavaiteul’idée
desaupoudrerde limailledefer levoisinaged’un aimant.Dans unetelle
expérience, chaque grain de limaille s’aimante par influence et s’oriente
comme le ferait une minuscule aiguille aimantée. La disposition des
grains de limailles, leur espacement ou leur concentration, mais aussi
l’orientation qu’ils ont tendance à adopter, fournissent une cartographie
de l’influence magnétique régnant en chaque point. Dans ses travaux,
Faradayavaitnommécestracés«courbesmagnétiques»puis«lignesde
forces » et c’est finalement Maxwell qui les appellera « lignes de champ
magnétique».
La prouesse de Maxwell fut d’établir quatre équations qui, non
seulementrésumaienttouteslesconnaissancesdontondisposaitalorsen
électromagnétisme, mais qui allaient aussi permettre d’établir des
résultatsnouveaux.
Depuis les travaux de Faraday on savait qu’une variation du flux du
champ magnétique induisait l’apparition d’un courant dans un circuit
fermé. La première équation de Maxwell, appelée souvent équation de
Maxwell-Faraday, traduit mathématiquement ce phénomène. Cette
premièreéquationdeMaxwellestindépendantedumilieudanslequelon
étudie le champ électromagnétique. Il en va de même pour la deuxième
équation qui traduit une propriété du flux du champ magnétique. Ainsi,
lesdeuxpremièreséquationsde Maxwellportentsur lastructure propre
du champ électromagnétique. Les deux dernières équations traduisent,
quant à elles, le lien existant entre le champ électromagnétique et les
différenteschargesfixesoumobilesquisetrouventdanslemilieuétudié.
Latroisièmeéquation,ditedeMaxwell-Gauss,exprimeauniveaulocalun
résultat proposé par Carl Friedrich Gauss (1777-1855) qui a montré qu’il
existait un lien entre le flux du déplacement électrique à travers une
surfaceferméeetlachargecontenuedansl’espacedélimitéparcelle-ci.La
quatrième équation, appelée encore équation de Maxwell-Ampère, relie
les variations spatiales du champ magnétique, les variationstemporelles
du déplacement électrique et les courants électriques présents dans le
milieu.
Les équations de Maxwell n’ont pas seulement synthétisé les
connaissances dont on disposait alors. Leur résolution mathématique a
aussi révéléque le champ électriqueet le champ magnétique obéissaient
tousdeuxàuneéquationanalogueàl’équationdepropagationd’uneonde.
Rappelons en effet que, en 1747, d’Alembert avait, pour la première fois,
établicetyped’équationenétudiantlapropagationd’unébranlementsur
unecorde.Ils’agissaitalorsd’ondesmécaniques.
D’autres ondes avaient aussi été étudiées en physique. Les ondes
sonores, sujet de base de l’acoustique, avaient notamment intéressé
Galilée qui avait appréhendé le concept de fréquence. Une théorie
mathématisée des ondes sonores avait ensuite été développée par
Newton, mais elle n’avait été parachevée qu’au XVIIIe siècle par Euler
(1707-1783), Lagrange (1735-1813) et d’Alembert (1717-1783). Ces ondes
avaientunsupportmatériel:c’esteneffetunesurpressionsepropageant
dansl’air(oudanstoutautremilieu)quiconstitueunson.Lesonnepeut
donc progresser dans le vide : c’est donc pour cela que le vide
interplanétaireestununiverssilencieux.
À la fin du XIXe siècle, on venait de découvrir les ondes
électromagnétiques, mais le milieu matériel dans lequel ces dernières se
propageaient n’était pas clairement identifié : il semblait quelque peu
mystérieuxetavaitétébaptisé«éther».
Dans lechapitre relatif àla physique moderne,nous verrons comment
lesphysiciensduXXesiècleontpumontrerquecethypothétique«éther»
n’avait aucune existence réelle et que, contrairement aux autres types
d’ondes,lesondesélectromagnétiquessepropagentdanslevide.
C’estlarésolutionmathématiquedel’équationdepropagationdesondes
électromagnétiquesquiapermisàMaxwelldedéterminerleurvitessede
propagation.Lephysicienbritanniquea,eneffet,établiquelacéléritédes
ondesélectromagnétiquesétaitrigoureusementégaleàcelledelalumière.
Desonvivant,Maxwelln’ajamaispuvérifierexpérimentalementcequ’il
avait découvert mathématiquement. En effet, on ne fut capable de
produire et de capter des ondes électromagnétiques de grande longueur
d’onde qu’en 1887, grâce aux travaux de l’Allemand Hertz (1857-1894).
Maxwellavaitnéanmoinseulegénied’extrapolersonrésultat.Ilavait,en
effet, affirmé que la lumière et les ondes électromagnétiques, par leur
nature,partageaientbienplusqu’unemêmevitessedepropagation.Ainsi,
commel’aécritLouisdeBroglie(1892-1987),ilavaiteu
l’idéemagnifiquequelalumièreestuneperturbationélectromagnétiqueetque
toute la théorie de la lumière doit être contenue dans les équations de
l’électromagnétisme.
GrâceauxtravauxdeMaxwell,l’optiquedevenait,dèslors,unebranche
del’électromagnétisme…
2.Ladéfinitionrigoureusedufluxd’unvecteurimposel’utilisationdenotationsmathématiquesquin’ontpasleur
placedanscetexposé.L’écoulementd’unfluidedansuntubepermettoutefoisd’illustrerphysiquementceque
représentecettegrandeur:lefluxduvecteur«vitessed’écoulement»àtraversunesectiondonnéereprésente
ledébitvolumiquedel’écoulementàtraverscelle-ci.Plusgénéralement,pourtoutchampdevecteurutiliséen
physique et pour toute surface, il est possible de calculer le flux du champ à travers cette surface et cette
grandeuraladimensiond’unesurfacemultipliéeparlechampdevecteurconsidéré.
L’optique
Scienceliéeàlalumière,l’optiques’intéresseàlafaçondontlalumière
se propage et véhicule diverses informations. Il s’agit non seulement de
décrire la propagation des rayons lumineux, la formation des images,
maisaussidecomprendrelanaturemêmedelalumièreetdescouleurs.
Lesorigines
Les premières théories d’optique assimilaient la lumière à un « feu ».
Pour autant, tous les physiciens de l’Antiquité ne s’accordaient pas sur
l’origine de ce feu. Les philosophes atomistes dont Leucippe de Milet
(Vesiècleav.J.-C.),puisEpicure(342av.J.-C,270av.J.-C.)ou,plustard,le
LatinLucrèce(98av.J.-C.,55av.J.-C),pensaientquelalumièreétaitdans
lanaturemêmedesobjets.Cettethéorie,ditedu«feuexterne»,supposait
que les particules constituant la lumière possédaient les mêmes
caractéristiquesquelesobjets.D’autressavantsattribuaient,quantàeux,
un rôle actif à l’œil et considéraient que ce dernier émettait un « feu
visuel » grâce auquel la vision était possible. C’est ce mode de
raisonnementqu’utilisanotammentEuclide(vers 325av. J.-C.− vers265
av.J.-C.)danssonOptiqueetsaCatoptrique.
LesArabes,aussi,ont,parlasuite,portéungrandintérêtàl’optique.
Ils avaient traduit les textes grecs d’Aristote, Euclide et Ptolémée. Ils
avaientaussienleurpossessionlesécritsdeHérond’Alexandrie(I ersiècle
aprèsJ.-C.)quiavaitétudiélaréflexiondelalumièresurlesmiroirs.
Alhazen (965-1039), de son vrai nom Ibn al-Haytham, fut le premier à
distinguer les concepts de vision et d’éclairement et à affirmer qu’il
existait une lumièreindépendante des moyens de vision : siun objet est
visible c’est parce qu’un rayon lumineux issu de celui-ci se dirige vers
l’œildel’observateuretnonl’inverse.Ainsi,lesrayonsnepartentpasdes
yeux−commelecroyaientlessavantsdel’Antiquité−mais,aucontraire,
c’estverslarétinequ’ilsconvergent.
GravuredeAlhazenlibrededroits(celledelacouverture)(4)
Ibnal-Haytham(Alhazen)(965-1039)
Cette découverte d’Alhazen illustre l’esprit critique de ce savant arabe
commeentémoignentaussisesmots:
Une personne qui étudie les livres scientifiquesen vue de connaître la vérité,
devraitsetransformerenuncritiquehostiledetoutcequ’ilétudie…Ildevraitle
critiquer à tous les points de vue et sous tous ses aspects. Et, engagé ainsi
dans l’esprit critique, il devrait aussi se méfier de lui-même et ne pas se
permettred’êtrelaxisteetindulgentenversl’objetdesacritique.
L’œuvre d’Alhazena été immense: il a précisé leslois de réflexiondes
miroirsnon plansen montrantquele rayonréfléchiet lerayon incident
setrouvaientdanslemêmeplanquelanormaleaumiroiret,parlasuite,
ses travaux ont inspiré ceux de Kamāl al-Dīn al-Fārisī (1267-1320) qui,
troissièclesaprèslui,réussiraàanalyserlephénomènedesarcs-en-ciel.
Tandis que ces travaux théoriques majeurs étaient menés au sein du
monde arabe, de nouveaux instruments optiques voyaient le jour en
Occident.
ÀlafinduXIIIesiècle,sontfabriquéesàFlorencelespremièreslunettes
de vue correctrices et, au XVI e siècle, les premiers instruments
grossissants sont conçus. Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer les
lunettes astronomiques, inventées aux Pays-Bas, dont un modèle fut
construit par Galilée en 1610. Elles permirent des avancées majeures en
astronomie.Lesmicroscopes,quantàeux,sontapparusentre1591et1608
etilsallaientouvrirlavoieàdesdécouvertesnotablesdansledomainede
labiologie.
LeXVIIesiècle:Kepler,Descartes,Fermat
De nombreux historiens des sciences voient en Johannes Kepler (1571-
1630), dontnous avonseu l’occasion d’évoquerles travaux d’astronomie,
l’undes pèresde l’optiquegéométrique. Keplerformula, eneffet, uneloi
delaréfractionvalablepourlespetitsangles:àlatraverséedelafrontière
séparantdeuxmilieux transparents,lerapport del’angle d’incidencesur
l’angle deréfraction estconstant. Cette étuderevêt unintérêt particulier
lorsquel’undesdeuxmilieuxestl’airetl’autreleverre.Eneffet,lorsque
la surface du verre revêt une forme sphérique, on parle de dioptre
sphérique air-verre et l’associationde deux dioptres sphériques, ou d’un
dioptre sphérique avec un dioptre plan, forme ce que l’on appelle une
lentille,c’est-à-direaussiunverredelunettescorrectrices.Keplerparvint
ainsi à expliquer la propagation de la lumière à travers les lentilles
convergentes (les verresconvergents permettent de corriger la presbytie
ou l’hypermétropie) et à travers les lentilles divergentes (les verres
divergents permettent de corriger la myopie). Mais sa contribution ne
s’arrêtapaslà.Ilcompritaussiquelephénomènedelavisionrésultaitde
laformationd’uneimagesurlarétineetquecelle-ciseformaitàl’envers
sur cette membrane réceptrice. Ainsi, trois siècles après la construction
de la première paire de lunettes correctrices, était-on devenu, grâce aux
travauxdeKepler,capabledecomprendrecommentcelles-ciagissaient.
AprèsKepler,plusieursautressavantssesontintéressésàlaréfraction.
Ils cherchaient à déterminer une loi dont le domaine de validité ne se
limiteraitpasauxpetitsangles.L’AnglaisThomasHarriot(1560-1621),en
1598, le NéerlandaisWillebrord Snell (1580-1626), en 1625, et le Français
RenéDescartes(1596-1650),en1637,comprirentquec’étaitlerapportdes
sinus des angles d’incidence et de réfraction qui était constant pour un
dioptre donné. Cette loi est aujourd’hui connue sous le nom de loi de
Snell-Descartes.EllefutpubliéeparDescartesdanssa Dioptriqueen1637.
Dans cet ouvrage, Descartes reformulait aussi des résultats relatifs à la
réflexion de la lumière qui avaient déjà été partiellement formulés par
Hérond’Alexandrie etparAlhazen. Cesrésultatsconstituent aujourd’hui
la«premièreloideDescartes»relativeàlaréflexion,tandisquelaloide
Snell-Descartesestaussiappelée«secondeloideDescartes»relativeàla
réfraction.
Nous devons préciser que la démonstration que Descartes a utilisée
pour prouver la loi de la réfraction était fortement critiquable. En effet,
Descartespensaitquelalumièresepropageaitinstantanément:ilcroyait
quesavitessedepropagationétaitinfinie.
Parmi les détracteurs de Descartes, le Toulousain Pierre de Fermat
(1607-1665) était convaincu du contraire. Ce dernier s’est employé à
redémontrerleslois deSnell-Descartesen tenantcompte nonseulement
ducaractère finide lavitessede lalumièremais aussidesa dépendance
aveclemilieumatériel(lalumièresepropaged’autantpluslentementque
l’indiceoptiquedumilieuestgrand;ellesepropagepluslentementdans
leverrequedansl’eauetpluslentementdansl’eauquedansl’air).
Fermat a ainsi énoncé, en 1662, un principe qui porte aujourd’hui son
nom.
Lanatureagittoujoursparlesvoieslespluscourtes
Ainsi,d’aprèsFermat,lalumièresuitforcémentletrajetquicorrespond
autempsdeparcoursminimal3.
LeprincipedeFermatpermetdedémontrerrigoureusementlesloisde
la réfraction que Snell et Descartes avaient établies de façon empirique.
Fermats’enféliciteraetécrira:
J’ai trouvé que ce principe donnait justement et précisément la même
proportiondesréfractionsquecellequeMonsieurDescartesaétablie.
Onsaitaujourd’huiquelalumièrenesepropagepasinstantanémentet
queFermatavaitraisoncontreDescartes.Mais,cen’estqu’en1676,c’est-
à-direplusdevingt-cinqansaprèslamortdeDescartesetplusdedixans
aprèscelledeFermat,quecelafutprouvéexpérimentalement.
C’est l’astronome danois Ole Rœmer (1644-1711) qui, le premier, a
apporté la preuve expérimentale du caractère fini de la célérité de la
lumière. Pour évaluer cette grandeur, que l’on désigne désormais par la
lettre«c»,Rœmers’estintéresséauxéclipsesdessatellitesdeJupiter.Ila
mesurél’intervalledetempsquiséparaitcesdernièresetilaconstatéque
lesduréesdiminuaientd’uneéclipseàl’autresilaTerreserapprochaitde
Jupiter,etque,aucontraire,ellesaugmentaientsilaTerres’enéloignait.
Rœmerparvintàdéduiredesesmesuresunepremièreapproximationde
lavitessedelalumière 4.
Ondulatoireoucorpusculaire?
AuXVII esiècle,lesexpériencesdedécompositiondelalumièreblanche
pardesprismesétaientconnuesmaisn’étaientpasinterprétées.
Lesphysicienssesontalorsinterrogéssurlanaturedelalumière.
Au début du XVIIe siècle, Descartes considérait la lumière comme une
pression qui se propageait instantanément. À cette époque, la physique
ondulatoire n’en était qu’à ses prémices. D’Alembert (1717-1783) n’était
pasencorenéetlestravauxsurl’équationd’onde,qu’ilallaitétablirgrâce
à l’étudede lacorde vibrante,ne seraientdiffusés qu‘unsiècle plustard.
Mais l’étudedes ondesacoustiques avaitmobilisé les plusgrands esprits
del’époque.Aussi,en1700,lesconceptsdefréquenceetdepériodeétaient
parfaitementmaîtrisés,et,àcetteépoque,bienquelathéorieondulatoire
de la lumière laissât de nombreux physiciens sceptiques, le concept
d’ondesonoreavait,quantàlui,étérelativementbienaccepté.
En 1690, le Hollandais Hans Christiaan Huygens (1629-1696) a réuni
pour la première fois dans un seul et même ouvrage l’étude des
phénomènes sonores et des phénomènes lumineux. La théorie
ondulatoire lui permettait en effet d’expliquer le phénomène de
diffraction lumineuse qui avait été découvert de façon fortuite en 1665.
Pour justifier la propagation des ondes lumineuses, Huygens avait, en
effet,imaginéunprincipeselonlequelchaquepointatteintparlalumière
àun instantdonnépouvait êtreconsidérécomme unesourcesecondaire
depetitesondessphériques.
Le problème de la couleur, intimement lié à celui de la nature de la
lumière,aluiaussipassionnélesesprits.
Newton, avait constaté la possibilité de séparer la lumière blanche en
composantes colorées, et il avait cru pouvoir conclure que les couleurs
préexistaientdéjàdanslalumièreblanche.Ilenvisageadoncl’existencede
grains de lumière dont la taille aurait expliqué les couleurs. Ainsi, pour
justifier qu’un prisme déviât davantage les radiations violettes que les
radiationsrougesavait-ilimaginéquelesgrainsvioletsétaientpluspetits,
donc plus mobiles, que les rouges. À cette époque, les problèmes
d’aberration chromatiques des lentilles n’étaient pas résolus : ces
dernières ne possédaient pas la même distance focale pour toutes les
radiations colorées. La théorie de Newton excluait totalement qu’il fût
possible d’éliminer ce défaut et de réaliser des lentilles achromatiques :
c’est cette conviction erronée qui a poussé Newton à concevoir un
nouveau type de télescope dépourvu de lentilles. C’est ainsi qu’il a
construit, en 1672, un télescope à miroirs paraboliques, appelé depuis
télescopedeNewton.
Les travaux de Newton en optique doivent être analysés au vu de ceux
qu’ilavait menésen mécaniqueoùla notiondeforce àdistanceavait été
particulièrementefficace.
Newtonétait convaincuque lescorpuscules,c’est-à-dire les« grainsde
lumière»dontilenvisageaitl’existence,subissaientdesactionsàdistance
qui étaient répulsives lors des phénomènes de réflexion. Il croyait aussi
que ces corpuscules se déplaçaientd’autant plus rapidement quel’indice
optique était élevé. Ainsi, d’après lui, la lumière devait progresser plus
vitedansleverrequedansl’air,cequi,onlesaitaujourd’hui,esterroné.
Notonsquelephysicienanglaiseut,delui-même,unregardrelativement
critiquesur la théoriecorpusculairequ’il proposa enoptique. Ilavait, en
effet,étudiélespropriétésdesanneauxirisésquiseformaientformésàla
traverséed’unefinelamed’airentreunelentilleconvexeetuneplaquede
verre et il avait remarqué la périodicité de ces anneaux irisés (appelés
depuisanneauxdeNewton).Cetteobservationluiavaitfaitenvisagerune
théorie mixte dans laquelle les grains de lumière créent un phénomène
ondulatoire.Ainsi,Newtongarda-t-ilunregardtrèsprudentsurlathéorie
delalumièrequ’ilavaitlui-mêmeformulée.
L’optiquecorpusculairedeNewtoneutuncertainnombredepartisans,
dontnotamment EtienneLouis Malus(1775-1812) puisJean-Baptiste Biot
(1774-1862).Pourautant,ellefut controverséedèsle XIXesiècle.Eneffet,
les travaux d’optique sur la diffraction, sur les interférences et sur la
polarisation qui furent menés par la suite ont corroboré l’hypothèse
ondulatoiredelalumière.
ThomasYoung(1773-1829),auXIX esiècle,futlepremieràréhabiliterles
théoriesd’HuygensetàcritiquerNewton.
Ce physicien anglais, qui était aussi médecin, s’était tout
particulièrement intéressé à la physiologie de la vision. C’est lui qui sut
expliquer le phénomène d’accommodation visuelle et la perception des
couleurs par l’existence de trois types de récepteurs sur la rétine. Il fut
aussi celui qui réalisa le premier système interférentiel entre deux
faisceauxissusdedeuxsources.
Pour réaliser ces interférences, il faut que les faisceaux provenant des
deuxsourcessoientcohérents.Celaestvérifiés’ilssontissusdelamême
source lumineuse et si celle-ci est monochromatique et de petite taille.
Youngeutl’idéed’éclairer,àl’aided’unetellesourcelumineuse,unécran
opaque percé de deux trous, eux-mêmes quasi-ponctuels. Ce dispositif,
appelédepuisdispositifdestrousd’Young,permitàcedernierd’observer
sur l’écran non pas deux taches lumineuses mais des franges brillantes
alternantavecdesfrangessombressurtoutelazoneoùlesdeuxfaisceaux
serencontraient.Cetteexpériencerevêtunegrandeimportance:auXIXe
siècle,seulelathéorieondulatoirepermetd’expliquerquedeuxfaisceaux
delumièrepuissents’annulerensesuperposant.Lesfrangessombresde
la figure d’interférence correspondent en effet au lieu où les deux ondes
qui se superposent sont en opposition de phase (l’amplitude de la
premièreétantopposéeàcelledelaseconde).
Letriomphedel’optiqueondulatoire:Fresnel
Plus de cent ans après les travaux d’Huygens, ceux d’Young avaient
permisd’imposerlemodèleondulatoire.Maisc’estauFrançaisAugustin
Fresnel(1788-1827)quel’ondoitvraimentladiffusiondecettethéorie.
GravuredeFresnellibrededroits(celledelacouverture)(8)
Fresnel(1788-1827)
Entre1815et1819,Fresnelareprislathéoriedesondelettessecondaires
qu’avait déjà proposée Huygens et parvint à ramener le phénomène de
diffraction à un problème d’interférences entre ces ondes. Dès cette
époque, il considérait la lumière comme une vibration sinusoïdale. Il
affirmaitaussiquel’amplitudeetlaphasedel’ondelettesecondaireémise
par l’obstacle diffractant étaient la même que celle de l’onde lumineuse
initiale.Lorsque,en1818,ilprésentadevantLaplace,Biot,Poisson,Arago
et Gay-Lussac à l’Académie dessciences ses travaux sur la diffraction, il
avaitdevantluiunjurydonttroisdescinqmembresétaientréticentsface
à la théorie ondulatoire. Il parvint néanmoins à les impressionner et
remporter le prix. L’opinion de Fresnel au sujet des ondes lumineuses a
évoluéau coursdesa carrière.Jusqu’en1821 ila cruque lalumière était
unevibrationlongitudinalec’estàdirequ’elleconstituaitunébranlement
dirigé dans le sens de propagation de l’onde. Cette conception s’explique
parlesanalogiesquiontsouventétéfaitesentrelapropagationlumineuse
etla propagationsonore. Mais,dès 1816,il s’étaitheurté àl’impossibilité
d’expliquer par cette théorie la non interférence de deux faisceaux
pourtantissusd’unemêmesource.Lesrayonsconcernésétaientceuxqui
émergeaientd’uncristaldespath.Untelcristalestbiréfringent:lorsqu’il
est éclairé par un rayon incident, il émerge non seulement un premier
rayon (appelé rayon ordinaire) dont la trajectoire est celle du rayon
émergent prévu par l’optique géométrique, mais aussi un second rayon
(appelérayonextraordinaire) quiest parallèleau premier.Le faitque les
rayons ordinaire et extraordinaire, issus du spath, ne fournissent pas
d’interférences a conduit Fresnel à abandonner la théorie des vibrations
longitudinales et à conclure que le vecteur véhiculant l’onde lumineuse
(onnesavaitpasencorequ’ils’agissaitduchampélectromagnétique)était
transverseparrapportàladirectiondepropagation.Eneffet,c’estparce
que la polarisation du champ, c’est à dire sa direction dans le plan
transverse, n’est pas la même pour ces deux rayons que ces derniers ne
peuventpasinterférer.
Fresnel estimait que le caractère transversal des ondes lumineuses
impliquait que l’éther, ce milieu hypothétique dans lequel ces ondes
étaientcenséessepropager,possédâtlespropriétésdel’étatsolide.Mais,
danscetteoptique,ilétaitdifficiled’imaginerquecemilieun’entravâtpas
le mouvement des corps… On s’interrogeait d’ailleurs beaucoup sur son
mouvement : suivait-il la Terre dans sa rotation ou était-il absolument
immobile? Depuis1728 etles observationsdel’astronome anglaisJames
Bradley(1693-1762),onsavaitquelapositiond’uneétoilepouvaitdifférer
suivant l’époque de l’année où elle était observée. Or ce déplacement
apparent,connu sousle nomd’« aberrationstellaire »,n’existeraitpas si
laTerre, dansson mouvement,entraînait avecelle l’hypothétiquemilieu
danslequelsepropagentlesondeslumineuses…Àlafindesavie,Fresnel
avait d’ailleurs exclu cette éventualité. Tout au plus évoquait-il un
entraînementpartielettrèslimitédel’étherparlaTerre.
On sait désormais, suite aux travaux de Maxwell en 1865, et depuis la
confirmation expérimentalequ’en apporta Hertz en 1887,que la lumière
que nous qualifionsde « visible » est uneonde électromagnétique et l’on
connaîtleséquationsquipermettentdeprévoirlecomportementdecette
onde dans différents milieux. Le domaine de sensibilité de l’œil humain
est limitéaux longueurs d’ondescomprises entre 400nanomètres et 750
nanomètresmaislesinfrarouges,découvertsen1800etquinenoussont
pas visibles, ont le même comportement que les ondes visibles ; leur
longueurd’ondeestsimplementplusgrande:elleestcompriseentre750
nm et 1 mm. C’est le compositeur de musique et astronome germano-
britanique William Herschel (1738-1822), celui-là même qui avait
découvert,en1781,laplanèteUranus,qui,lepremieraprouvél’existence
des rayonnements infrarouges. À l’époque, on les appelait « rayons
calorifiques » et c’est en utilisant des thermomètres qu’Herschell les a
détectésendécomposant,àl’aided’unprisme,delalumièreblanche.Un
an plus tard, en 1801, le médecin et physicien prusse Johann Wilhelm
Ritter(1776-1810),prouvaitque,endeçàdeslongueursd’ondesde400nm,
se trouvent aussi des rayonnements invisibles : il s’agit des ultraviolets.
LesondesélectromagnétiquesproduitesparHertzen1887avaient,quant
àelles,unelongueurd’ondede60cm:ils’agissaitdemicro-ondes…
Encette findeXIX esiècle, lalumièrevisible apparaîtcommeune onde
électromagnétiqueau mêmetitreque lesultraviolets,les infrarouges,les
micro-ondesoulesondesradio.
Il faudra attendre 1895 pour découvrir les rayons X et 1898 pour
découvrirlesrayons g,cesondesélectromagnétiquesdelongueurd’onde
inférieureaunanomètre.Ceseraaussiàcetteépoqueoùl’oncroyaittout
savoirsurlalumièrequedenouvellesquestionsontébranlétrenteansde
certitudes…
3.Ondécouvriraplustardqu’ils’agitd’untempsdetrajet«extrémal»
4.Illasous-estimad’environ30%
Laphysique«moderne»
À la fin du XIX e siècle, les grands domaines de la physique semblaient
tous maîtrisés : le XVII e siècle avait vu se construire la mécanique, qui
avait triomphé au XVIIIe ; quant au XIX e siècle, il avait été celui de la
thermodynamique,del’optiqueondulatoireetdel’électromagnétisme.La
physique se sentait alors très puissante. En 1895, il était admis que la
lumièreétaitune ondeélectromagnétique,qu’il étaittoujours possiblede
calculer la trajectoire d’une particule à condition de connaître les forces
s’appliquant sur celle-ci, et que le temps était absolu. C’est entre 1890
et 1920 que ces certitudes furent remises en cause et que la physique
connutdeuxrévolutions…
Au début du XXe siècle, la théorie ondulatoire de la lumière issue des
travauxdesphysiciensdusiècleprécédentavaitl’avaldelacommunauté
scientifique: commeles ondesradios, commeles ultra-violetset comme
les infra-rouges, lalumière visiblepouvait êtredécrite par lathéorie des
ondes électromagnétiques, ce qui permet de comprendre et analyser les
phénomènesd’interférence,dediffractionetdepolarisation.
Pourtant,deuxfaitsexpérimentaux,inexplicablesdanslecadredecette
théorie,vontfairevacillerlebelédificequecelle-ciconstituait:ils’agitde
l’analyse du spectre de rayonnement du corps noir et de l’effet
photoélectrique.
Aumêmemoment,alorsquel’analysedecesdeuxphénomènesallaient
donner naissance à la physique quantique et à la physique relativiste,
l’aventureatomiquedébutait…
Aussi, peut-on dater de 1895, l’entrée de la physique dans l’époque
«moderne».
Lesatomes
Lathéorieselonlaquellelamatièreestforméed’atomesestapparuedès
le XIXe siècleet ellea été initialementportée par leschimistes. Leterme
d’atome,issudugrecátomos(«insécable,noncoupé»),avaitétéintroduit
dèsl’Antiquitéparlesphilosophesatomistes:ils’agissait,auxyeuxdeces
derniers, du plus petit élément qu’il était possible de trouver dans la
matière.
Ladécouvertedelanotiond’élémentchimiquefaitpartiedel’histoirede
la chimie et non de celle de la physique. Il nous serait, pour autant,
impossibledenepasl’évoquer,mêmebrièvement,danscetouvrage.C’est
leBritanniqueJohnDalton(1766-1844)qui aécritles premièrespagesde
ce chapitre de la chimie en développant une théorie selon laquelle la
matière est composée d’atomes de masses différentes qui se combinent
suivantdesproportionssimples.Rappelonsd’ailleursque,bienquecelle-
ci donnât des résultats très satisfaisants, leschimistes du XIXe n’avaient
pastousimmédiatementadhéréàcettethéorieetquecertainsd’entreeux
sontrestéslongtempssceptiquessurl’existencemêmedesatomes.
À la suite des travaux de Dalton, les arguments étayant la thèse
atomique n’ont cessé de se multiplier. Et si dans la célèbre maxime
attribuée à Lavoisier (« rien ne se perd rien ne se crée tout se
transforme»),c’estd’élémentchimiquequ’ilestquestion,c’estavanttout
parce que, à cette époque, on confondait les concepts d’éléments
chimiquesetd’atomes…
À la fin du XIXe siècle, les travaux du Russe Mendeleïev (1834-1907)
avaient,eux-aussi,contribuéàrallierleschimistesàlathéorieatomique.
En 1869, Mendeleïev avait, en effet, proposé une classification des
élémentschimiquesquiétaitl’ancêtredutableaupériodiquedeséléments
que l’on trouve désormais dans les salles de cours des lycées et des
universités. Les éléments chimiques qui se trouvaient sur une même
colonnedutableaupossédaienttouslesmêmespropriétéschimiques,etle
génie du chimiste russe avait été de laisser dans son tableau des cases
vides destinées à accueillir les éléments qui, dans le futur, allaient être
découverts.
Ainsi,encettefindeXIXesiècle,unefoisl’existencedel’atomeprouvée
par les chimistes, il incombait aux physiciennes et aux physiciens de
statuer sur la nature de ce dernier. L’atome était-il une particule
élémentaire? Oubien, aucontraire, existait-ildesparticules pluspetites
ensonsein?
Àcetteépoque,l’électron,leneutronetleprotonrestaientàdécouvrir…
L’étude des décharges électriques dans les gaz raréfiés allait permettre
de commencer à avancer sur ce sujet. Celle-ci avait débuté dans la
première moitié du XIXe siècle, à la suite des travaux de Julius Plücker
(1801-1868)etelleallaitdésormaismobiliserdenombreuxscientifiques.
À la fin du XIXe siècle, le chimiste et physicien britannique William
Crookes (1832-1919) avait réussi à perfectionnerles tubes à décharges ce
qui permit, en 1895, au Français Jean Perrin (1870-1942) d’identifier les
rayonsémisdanscestubes5commeunensembledecorpusculeschargés
négativement.
Ceschargesnégativesavaientdéjàétéidentifiéesparleschimistes.
Eneffet,depuislestravauxdeFaradaysurl’électrolyse,leschimistesdu
XIXe siècle avaient étudié les propriétés de la charge des espèces qui se
trouvaient en solution aqueuse et ils avaient constaté que celle-ci était
toujoursmultipled’une chargeélémentaire(que l’ondésigne aujourd’hui
par la lettre « e »). Les corpuscules présents dans les rayons étudiés par
JeanPerrinportaient,quantàeux,lacharge-e.GeorgeStoney(1826-1911)
proposadenommer«électrons»cesparticules.Finalement,c’esten1897
queJosephThomson(1856-1940)parvientàmesurerlagrandeur-e/m,où
m désigne la masse des électrons, en étudiant leur trajectoire dans un
champ magnétique. Joseph Thomson recevra d’ailleurs le prix Nobel de
physiqueen1906«poursesrecherchesthéoriquesetexpérimentalessur
laconductivitéélectriquedanslesgaz».
Ainsi,en1897,lesphysiciensontenfinidentifiéleschargesnégativesde
l’atomeet ilssavent aussique lamatière estglobalement neutre,c’est-à-
dire non chargée. Une nouvelle question se pose alors à eux : si l’atome
contientdesélectronsnégatifs,sous quelleformese trouventles charges
positives?
Joseph Thomson est convaincu que les charges positives sont diffuses,
c’est-à-dire réparties uniformément dans le volume de l’atome, mais un
étudiant néo-zélandais, le jeune Ernest Rutherford (1871-1937), venu
étudieràCambridgesoussadirection,vamontrerqu’iln’enestrien.Pour
cela, Rutherford étudie le comportement d’un faisceau de particules
d’héliumioniséquel’on bombardesur unemincefeuille d’or.Il constate
quelesparticulessontdéviées.Celanepeuts’expliquerquesilescharges
positives de l’atome sont confinées dans un très petit volume dont les
dimensionstransversalessontprèsdedixmillefoispluspetitesquecelles
de l’atome.Rutherford vientde découvrir lenoyau atomique danslequel
sont regroupées les charges positives… Il vient aussi de prouver que
l’atome − tout comme la matière − est essentiellement composé de vide
(onparledestructure«lacunaire»).
Quelques années plus tard, ce même Rutherford s’intéressera aux
transformationsquepeuvent subircertainsnoyaux atomiqueset, avecle
jeune Anglais Frederick Soddy (1877-1956), il comprendra que les
transformations radioactives correspondent à des transmutations
nucléaires (c’est-à-dire à des transformations du noyau de certains
atomes).
Laradioactivité
Les phénomènes liés à la radioactivité ont passionné le public.
Aujourd’huiencore,cechapitredel’histoiredelaphysique,dontlafamille
Curie occupe de grandes pages, fait partie des plus vulgarisés. En 1895
déjà, les travaux sur l’électron que nous venons d’évoquer, avaient été
quelque peu éclipsés par la découverte stupéfiante et très médiatisée de
l’AllemandWilhelmConradRöntgen(1845-1923).Cedernieravaiteneffet
annoncé, le 8 novembre 1895, une « nouvelle sorte de rayons » auxquels
lesobjetsétaientplusoumoinstransparents.
Deuxansaprèsladécouvertedecesrayons,quel’onappelaitrayonsX,
les hasards de la météorologie ont permis au Français Henri Becquerel
(1852-1908) d’observer un nouveau fait troublant. On connaissait déjà
alors la fluorescence des sels d’uranium exposés à la lumière. Mais
Becquerel s’aperçut aussi que, même dans l’obscurité, ces derniers
émettaient des rayons qui impressionnaient encore les plaques
photographiquessurlesquellesonlesposait.
Parmi les physiciensqui se sont intéressés ausujet, Marie Sklodowska
(1867-1934),qui, en 1895,avait épousé PierreCurie (1859-1906), disposait
d’un instrument de précision : l’électromètre piézo-électrique mis au
point par son mari. C’est elle qui inventa le terme de radioactivité. En
1898, Marie Curie mit ainsi en évidence la radioactivité du thorium. Les
époux Curie isolèrent ensuite un élément encore plus radioactif que
l’uranium qu’ils baptisèrent polonium en hommage au pays dont Marie
était originaire.Enfin, lamême année,ils mirent enévidence leradium,
élémentmillefoisplusradioactifquel’uranium.
La personnalité remarquable des époux Curie, exemple type de
chercheursdésintéressésetguidésparleurpassioncommune,afaitd’eux
un véritable mythe. Ces pionniers de l’aventure atomique reçurent avec
BecquerelleprixNobeldephysiqueen1903.Aprèslamortaccidentellede
Pierre en 1906, Marie continuera sa carrière de chercheuse. Elle
parviendra à déterminer la masse molaire du radium et recevra le prix
Nobeldechimieen1911.
GravuredeMarieCurielibrededroits(celledelacouverture)(12)
MarieSklodowska,ép.Curie(1867-1934)
Les travaux sur la radioactivité, qui ont permis de mieux connaître la
naturedunoyauatomique,ontconduitàladécouverteduneutronen1932
par Chadwick (1891-1974). Ce dernier avait été l’élève de Rutherford qui,
rappelons-le, avait découvert l’existence, dans l’atome, d’un noyau de
petitetaillecontenantlesprotons.
Rutherford, aussi, avait envisagé, dès 1920, l’existence de particules
neutres de masse deux mille fois plus grande que celle de l’électron :
l’hypothèse de l’existence du neutron avait donc été formulée à
Cambridge.C’estprobablementparcequ’ilétaitculturellementpréparéà
cetteéventualitéqueChadwickasuinterprétercorrectementlesrésultats
expérimentauxpubliésen1930enAllemagneparWalterBothe(1891-1957)
et, en France, en 1931, par Irène Joliot-Curie (1897-1956) et son époux
FrédéricJoliot(1900-1958).
Chadwick,lepremier,compritquelamasseetlespropriétésdecertains
noyaux s’expliquaient par la présence en leur sein de cette particule
neutrequiétaitprèsdedeuxmillefoispluslourdequel’électron.
C’est le nombre de protons présents dans le noyau atomique qui
caractérisel’élémentchimique.
Deuxatomespossédantlemêmenombredeprotonsmaisunnombrede
neutrons différents représentent le même élément chimique mais ils
n’ont pas forcément les mêmes propriétés physiques. On les appelle des
« isotopes ». Comme leur nom l’indique, deux isotopes se trouvent à la
«mêmeplace»(engrec«iso»signifie«égal»et«topos»«lieu»)dansla
classification périodique de Mendeleïev. Ils se comportent de la même
façon dans les réactions chimiques, mais ils n’ont pas les mêmes
propriétésnucléaires:pourunmêmeélémentchimique,certainsatomes
peuvent être radioactifs et d’autres non. Par exemple, le carbone 12 (6
protonset6neutrons),quiestlecarboneleplusabondantsurTerre,n’est
pas radioactif alors que le carbone 14 (6 protons et 8 neutrons) est
radioactif.
Il existe plusieurs types de radioactivité et, jusqu’en 1930, seule la
radioactivité naturelle avait été identifiée. L’Uranium 238 (92 protons et
146 neutrons) se transforme ainsi spontanément en Thorium 234 (90
protonset144neutrons),quiestpluslégerquelui,etcettetransmutation
s’accompagne de l’émission d’une particule alpha (noyau d’hélium). Le
cobalt60(dontlenoyaucontient27protonset33neutrons)setransmute,
quant à lui, spontanément en nickel 60 (qui contient 28 protons et 32
neutrons):àl’intérieurdesonnoyau,unneutronsetransformedoncen
proton et il y a émission d’une charge négative (un électron) et d’une
particuleélémentaireappeléeantineutrinoélectronique.
La radioactivité artificielle est, quant à elle, découverte par Irène et
FédéricJoliotCurie.
Irène Curie, fille aînée de Pierre et de Marie Curie, a été initiée à la
physiquepar troislauréats duprixNobel :Paul Langevin,JeanPerrin et
sa propre mère. Dès 1918, alors qu’elle n’a que 21 ans, elle devient
l’assistantede samèreàl’InstitutduRadiumet c’estlàqu’ellerencontre
son mari, Frédéric Joliot qui prendra plus tard le nom de Joliot-Curie.
Ensemble, les deux époux synthétisent du phosphore 30 en bombardant
del’aluminium27avecunnoyaud’hélium.Lephosphore30n’existepasà
l’étatnaturelsurTerre:c’estunradioélémentartificielquisedésintègre
ensuite en silicium 30 en émettant un positron (antiparticule de
l’électron). Cette découverte vaudra à Irène et Frédéric Joliot-Curie,
l’attribution,dèsl’annéesuivante,duprixNobeldechimie.
Depuis la découverte des Joliot-Curie, il est devenu possible de
synthétiserdenouveauxisotopes,doncdenouveauxatomesetdoncaussi
denouveauxélémentschimiquesartificiels.Lepremierélémentchimique
artificielà avoirété produitaété baptisétechnétiumet ladécouverte,en
1937,del’isotopetechnétium97(43protonset54neutrons)aétéattribuée
àEmilioSegré (1905-1989)quisera lauréatduprix Nobelde physiqueen
1959.
Depuis cette époque, de nombreux éléments artificiels, tous radioactifs
et qui se désintègrent rapidement, ont été produits. La classification
périodique des éléments, historiquement proposée par Mendeleïev, ne
cesse de voir sa taille augmenter et, comme ce fut le cas pour le
technétium,chaquenouvelélémentsynthétisésevoitattribuerunnomet
un symbole. Ce nom est souvent lié soit à l’origine géographique du
laboratoire où il a été synthétisé soit au nom d’un physicien ou d’une
physicienne. Ainsi, le 8 juin 2016, l’IUPAC (International Union of Pure
and Applied Chemistry) a validé le nom des quatre derniers éléments
découvertsàcejour:ils’agitdunihonium,pourl’élément113,découvert
au Japon, du moscovium pour l’élément 115, en lien avec la ville de
Moscou,dutennessinepourl’élément117,enréférenceàl’étataméricain
du Tennessee, et, pour l’élément 118, de l’oganesson en l’honneur du
physicien nucléaire Iouri Oganessian (1933-) qui a travaillé sur les
élémentslourds
À l’heurede l’impression de cetteédition, les éléments119 et 120 n’ont
toujourspasétéproduitsetdécouverts.
https://iupac.org/what-we-do/periodic-table-of-elements/(19)
Laclassificationpériodiquedesélémentsen2023
Quantaetdiscontinuités
En 1900, la plupart des physiciens admettent que la matière est
discontinue : c’est un assemblage d’atomes, eux-mêmes constitués
d’électronsgravitantdanslevideautourd’unnoyau.Ilss’accordentaussi
surlefaitquelalumièreestcontinuepuisqu’ils’agitd’uneonde.
Dès lors, comment expliquer les interactions lumière-matière qui
s’observentcouramment?
L’un des deux faits expérimentaux sur lequel ils se questionnent
particulièrement concerne l’effet photoélectrique. Depuis 1888, on sait
que,enéclairantuneplaquedezincparunelampeàvapeurdemercure,il
est possible de lui arracher des particules chargées. En 1899, Philipp
Lenard (1862-1947) a identifié celles-ci comme étant des électrons. Cette
émission,dite photoélectrique,ne s’observeque lorsquela fréquencedes
rayonnements utilisés est suffisamment grande : ce sont les ultraviolets
delalampe aumercure quipermettent d’arracherlesélectrons aumétal
et il existe une fréquence seuil en dessous de laquelle, quelle que soit la
puissance du rayonnement utilisé, il est impossible d’observer l’effet
photoélectrique. La physique classique et les théories de Maxwell ne
permettentpasd’expliquercepoint.
Ledeuxièmeproblème auxquelssont confrontésles physiciensde cette
époque concerne le spectre de la lumière émis par des corps chauds.
L’expérience montre que la couleur d’un métal chauffé, autrement dit le
rayonnement thermique qu’il émet, dépend de la température à laquelle
onle porte.Tantque lecorpsémet dansl’infrarouge,nous nepercevons
pas de variation de sa couleur, puis, au fur et à mesure que sa
température augmente, nous le voyons rougir, puis devenir orange.
Lorsqu’il blanchit finalement, c’est parce que toutes les radiations du
spectrevisiblesesuperposent.
En1895,l’étudedurayonnementthermiqueporteessentiellementsurle
corps noir, modèle de corps qui absorbe toute l’énergie rayonnante qu’il
reçoit.Cetteannée-là,WilhelmWien(1864-1928)montrequ’uneenceinte
isolée, maintenue à température constante et fermée à l’exception d’une
petite ouverture, constitue une bonne approximation de corps noir. Le
problème est désormais de relier, pour une température donnée, la
densité d’énergie rayonnante dans l’enceinte à la température et à la
fréquence. Les formules auxquelles la théorie classique permet d’aboutir
conviennent uniquement pour les grandes longueurs d’ondes : elles
donnentparcontredesrésultatsaberrantspourl’ultravioletetendeçà.
« Catastrophe ultraviolette », tel est le nom que le physicien Paul
Ehrenfest(1880-1933) donnera àce problèmesur lequel butela physique
classique.
Le physicien allemand MaxPlanck (1858-1947) s’attelle immédiatement
à sa résolution : il utilise la statistique de Boltzmann et, pour que la
formule à laquelle il aboutit soit en excellent accord avec l’expérience, il
introduit une constante h dont la dimension est celle du produit d’une
énergie par un temps. Planck a alors le génie d’interpréter ce qui, au
départ,ne paraîtconstituerqu’un simpleartifice decalcul.Dans unélan
relevant d’une formidable intuition, il comprend que les échanges
d’énergie entre la matière et l’onde électromagnétique s’effectuent par
paquetsd’énergie(ouquantad’énergie).Chacundecesquantatransporte
une quantité d’énergie égale au produit de h par la fréquence du
rayonnement. Ce concept est révolutionnaire puisque, jusqu’alors, on
pensait que les échanges d’énergie pouvaient à priori prendre n’importe
quellevaleur.
Naturanonfacitsaltus
« La nature ne fait pas de saut », comme l’écrivait Leibniz, et comme
l’ont cru les scientifiques jusqu’en 1900, année où Planck remet cela en
causeenfaisantapparaîtrecettequantificationdanslaquellelaconstante
fondamentale h, qui porte désormais le nom de « constante de Planck »,
joueunrôlemajeur.
Notons d’ailleurs que cette constante a une grande importance en
physique:ainsi,depuismai2019,le kilogrammeestdéfiniparle bureau
international des poids et mesures, non plus par un prototype étalon
matériel, comme cela a été le cas pendant plus d’un siècle, mais par
rapport àla valeur numérique fixéede la constante dePlanck, h, égale à
6,62607015×10 −34 J⋅s(unitéégaleaukgm2s−1).LaconstantedePlanckest
donc aujourd’hui l’une des constantes fondamentales de la physique, et
ellesertdebaseausystèmeinternationald’unités.
Entre1900et1905,lesidéesdePlancksesontrapidementrépanduesau
sein de la communauté scientifique. Pour autant, le second problème
encore en suspens, celui relatif à l’effet photoélectrique, n’était toujours
pasrésolu.
C’estunjeuneexpertdevingt-sixans,travaillantàl’officedesbrevetsde
Berne, qui va y parvenir. Ayant abandonné ses études secondaires
allemandes qu’il jugeait inadaptées, il avait émigré en Suisse et intégré
l’Ecole Polytechnique de Zurich. Cet homme, figure désormais
emblématiquedelasciencemoderne,atoujoursétéconscientdecequela
physiqueduXXesiècledevaitàPlanck.
C’est dans un article publié en mars 1905 que le jeune Albert Einstein
(1879-1955) interprète l’effet photoélectrique. Il postule l’existence, dans
unrayonnementdefréquencedonnée,degrainsdelumière 6transportant
chacununeénergiedonnée.Commepourlesquantamisenévidencepar
Planck, l’énergie de ces grains de lumière est égale au produit de la
fréquence par la constante h : plus le rayonnement a une fréquence
élevée,plusl’énergietransportéeparlephotonestgrande.Lesultraviolets
ont des fréquences plus grandes que les rayonnements visibles, et les
photons ultraviolets, qui sont plus énergétiques pourront, contrairement
aux photons visibles, engendrer l’effet photoélectrique. La théorie
corpusculairepermetdoncd’interpréterrigoureusementceteffet.
La question est alors la suivante : comment la lumière peut-elle être
simultanémentuneondeetunensembledeparticulesquisedéplacent?
Silalumièreestuneonde,sondomained’étudeestceluidelaphysique
ondulatoire et, par conséquent, celui de l’électromagnétisme. Si c’est un
ensemble de photons en mouvement, son analyse relève plutôt de la
mécanique. Ces deux théories semblent s’exclure mutuellement et être
incompatibles.
Ledébatsurcesujetdiviseetpassionneimmédiatementlacommunauté
scientifique.
Àcetteépoque-là,lalumièreétaituneondeleslundis,mercredisetvendredis,
et un ensemble de particules les mardis, jeudis et samedis. Il restait le
dimanchepourréfléchiràlaquestion!
Cetteanalyse,nondénuéed’humour,estcelleduphysicienetprixNobel
RichardFeynman(1918-1988).
Effectivement, la théorie ondulatoire et la théorie corpusculaire
semblaient coexister et se contredire. Pourtant, dès 1905, Einstein, lui-
même,pensaitqu’iln’yavaitpaslieudedresserunefrontièreimmuable
entrecesdeuxdomaines.Quelquesannéesplustard,leFrançaisLouisde
Broglie(1892-1987)s’emploieraàprouverqu’ilexisteunlienplusgénéral
entreondesetcorpuscules:convaincuqueladualitéonde-corpusculene
selimitepasàlalumière,ilpropose,dès1923,degénéralisercelle-ciàla
matière dans son ensemble. À tout corpuscule de masse donnée et de
vitessedonnée,deBroglieproposed’associerune«ondedematière»dont
la longueur d’onde est d’autant plus petite que la vitesse et la masse du
corpusculesontgrandes.
La constante de Planck h, une fois de plus, intervient dans le calcul de
cettelongueurd’onde.
Elle permet de calculer précisément la longueur d’onde de l’onde de
matière.Parexemple, lalongueur d’ondede l’ondede matièreassociéeà
unélectronaccélérésousunetensionde1000Voltsvaut4 ×10 −11mètres.
Concrètement,celasignifiequesi untel faisceaurencontredes obstacles
de cet ordre de grandeur (par exemple des plans réticulaires dans un
cristal), alors le faisceau d’électrons peut subir une diffraction ou des
interférencescommeleferaituneonde.LorsquedeBroglieproposecette
hypothèsedanssontravaildethèse,ilnes’agitqued’untravailthéorique.
Mais il a l’intuition que sa confirmation expérimentale ne se fera pas
attendre. Effectivement, dès 1927, les Américains Clinton J Davisson
(1881-1958) et Lester H. Germer (1896-1971) d’une part, et le Britannique
George Thomson (1882-1975), fils de Joseph Thomson, d’autre part,
parviennent à faire interférer des faisceaux d’électrons comme
interfèreraientdesfaisceauxdelumière.Ainsi,silesélectronsinterfèrent,
c’est parce qu’ils ont bel et bien un comportement ondulatoire. Cette
expérience vient donc à point pour légitimer les travaux de Louis de
Broglie, et ce dernier reçoit le prix Nobel deux ans plus tard pour « la
découverte de la nature ondulatoire de l’électron ». Clinton Davisson
partagera,quantàlui,en1937,cettedistinctionavecGeorgeThomsonqui
recevraunNobelvingtetunanaprèssonproprepèreJoseph.Ànoterque
Davisson et Thomson seront primés « pour leur découverte de la
diffraction des électrons par les cristaux » alors que Germer, bien
qu’ayantfaitl’objetdevingt-deuxnominationspourleNobel,n’obtiendra
jamaiscetterécompense…
Naissancedelamécaniquequantique
Louis de Brogliecomprend très vite que sa théoriene constitue qu’une
étape.Eneffet,lecomportementondulatoiredelamatière,toutcommela
quantificationdel’énergie,quifigureaussidanslemodèleatomiquequ’a
proposéNielsBohr,devraientapparaîtrecommedesconséquencesd’une
théorieplusglobale…Orcen’estpaslecaspourl’instant.
C’est pour répondre aux nombreuses questions que nous venons
d’évoquerquelaphysiquequantiqueavulejourentre1924et1925grâce
aux travaux menés à l’école de Copenhague par Niels Bohr (1885-1962),
Werner Karl Heisenberg (1901-1976) et Pascual Jordan (1902-1980), au
Royaume Uni par Paul Dirac (1902-1984) et en Allemagne par Max Born
(1882-1970), Erwin Schrödinger (1887-1961) et Wolfgang Pauli (1900-
1958)7.
Suggestion:GravuredeNielsBohr(13)
NielsBohr(1885-1962)
Cettethéoriedépassel’apparenteoppositionentrelesconceptsd’ondeet
de particule. Elle montre que si les dimensions du problème étudié sont
dumêmeordrequelalongueurd’ondedelaparticule,alorsonn’aplusle
droitd’utiliserleconceptdetrajectoire.
Le fait que la notion de trajectoire n’ait aucun sens en physique
quantique peut surprendre. Et pourtant, il est impossible de savoir
exactementoùsetrouveunélectronàl’intérieurd’unatome:toutauplus
peut-ondirequ’ilestdansunecertainerégion.C’estuneconséquencede
l’unedes deuxrelations d’incertitudequ’Heisenbergtranscrivit en1927 :
onneconnaîtrajamaisavecuneprécisionabsoluelavitesseetlaposition
d’une particule. La constante de Planck h, toujours elle, joue un rôle
majeur dans ces relations : ce que l’on gagne en précision sur la
connaissancedelaposition,onleperdsurlaconnaissancedesvitesseset
réciproquement. Notons que, fort heureusement pour nous, l’ordre de
grandeurdehesttrèsfaible(6,62607015×10−34Js).Ceciexpliquequeles
effets quantiques ne se manifestent pas à notre échelle. Quelle que soit
notrevitesse,ilesttoujourspossible desavoiroùnous noustrouvons.Si
l’on voulait connaître la position d’un individu de 50 kg marchant à
3 km/heure à un milliardième de nanomètre près, l’incertitude sur la
vitesse de ce dernier ne serait que de quelques milliardièmes de
nanomètres par seconde, ce qui est indétectable. Si la valeur de h était
touteautre,nousserionsnous-mêmesoumisauxrelationsd’incertitudes
deHeisenberg,etserionssusceptiblesdenousretrouver«délocalisés»en
plusieurs endroits au même moment… Il en va tout autrement pour un
électronquisetrouveàl’intérieurd’unatome.Lemodèleschématiquequi
consisteà représenterl’atome commeunsystème planétairedans lequel
les électrons suivraient des orbites bien définies autour du noyau ne
fonctionnepas.Eneffet,larelationd’incertitudedeHeisenberglimitede
manière intrinsèque la connaissance que nous avons de la position de
l’électrondansl’atome.
Commelanotiondetrajectoiren’estpasutilisableauniveauquantique,
il a fallu introduire de nouveaux outils mathématiques pour étudier les
particules. La notion de probabilité de présence joue un grand rôle en
mécanique quantique où les corps étudiés s’identifient désormais à la
fonction d’ondequi leur est associée. Ainsi, demême que pour établir la
trajectoire d’un corps en physique classique il fallait résoudre les
équations issues de la deuxième loi de Newton, de même, pour calculer
l’ondedeprobabilitéassociéeàlaparticule,ilfautrésoudreuneéquation.
Celle-ci fut proposée par Schrödinger en 1926 et porte aujourd’hui son
nom. La résolution de l’équation de Schrödinger permet, entre autres
choses, de retrouver la quantification de l’énergie de l’électron à
l’intérieurdel’atome…
Lesrecherches surla mécaniquequantique sesont ensuitepoursuivies
sousl’impulsiondeNielsBohrdanslecadredel’écoledeCopenhague.
L’état quantique est décrit comme une description de l’histoire du
système qui permet de calculer les probabilités de mesure. Selon
l’interprétation de Copenhague, c’est le fait d’effectuer une mesure qui
permet à un état d’exister. En 1935, Schrödinger évoque l’intrication
quantique et affirme que deux systèmes quantiques différents ayant
interagineserontplusindépendantsetquelesrésultatsdesmesuresdes
deuxsystèmessontcorrélés.Lamêmeannée,dansunarticleanglophone
de quatre pages intitulé « la description de la réalité par la mécanique
quantique peut-elle être considérée comme complète ? », est formulé le
paradoxe dit « EPR » du nom de ses trois auteurs Albert Einstein, Boris
Podolsky (1896-1966) et Nathan Rosen (1909-1995) initiant une
controversequidureraprèsdevingtansentreEinsteinetBohr.Einstein
et ses collaborateurs considèrent en effet que la théorie quantique est
incomplèteetqu’ilexiste desvariablescachées. Nousverrons,à lafin de
cetouvrage,comment,en1961,lephysicienAméricainJohnStewart Bell
(1928-1990)aanalyséleparadoxeEPRetcommentcertainesexpériences,
dontcellesduFrançaisAlainAspect(1947-),prixNobeldephysique2022,
ontpermisdestatuersurcettequestion.
Céléritédelalumièreetrelativitérestreinte
Début du XXe siècle :au prix d’une révolution scientifique, la première
zone d’ombre qui planait sur la physique − l’interprétation de l’effet
photoélectrique−vientdes’éclaircir.
Exactement à cette même époque, alors même que la mécanique
quantique est en train de bousculer plusieurs siècles de certitudes et
commence à fasciner les philosophes des sciences, naît dans l’esprit
d’Einsteinuneautrethéorie,toutaussirévolutionnairequelaprécédente.
Ils’agitdelathéoriedelarelativité.
En1900,lathéorieondulatoiredelalumières’insèreparfaitementdans
lecadredelathéorieélectromagnétiquedeMaxwelltandisquelesloisde
Newton permettent d’expliquer le mouvement des corps matériels. Or,
ces deux théories semblent très difficiles à relier. Le problème est
essentiellementdûàl’hypothétiquemilieumatérielquel’onavaitnommé
« éther », milieu supposé véhiculer les ondesélectromagnétiques et dont
onsaitsipeudechoses…
En 1881, Albert Abraham Michelson (1852-1931) a effectué une
expérienced’optiquequi,unevingtained’annéeplustard,vapermettreà
Einsteinderévolutionnerlaphysiqueclassique.LebutdeMichelsonétait
d’évaluerlavitessedel’étherparrapportàlaTerre.ÀlafinduXIX esiècle,
la plupart des scientifiques pensaient, en effet, que cet hypothétique
milieuétaitabsolumentimmobiledansl’Universetqueledéplacementde
la Terre dans celui-ci créait un « vent d’éther ». D’après la théorie
newtoniennedecompositiondesvitesses,lavitessedelalumièremesurée
parrapportl’étherdevraitêtreégaleàlasommedelavitessemesuréepar
rapportàlaTerreetdelavitessedelaTerreparrapportàl’éther.Ainsi,la
valeur de la vitesse de la lumière mesurée par rapport à la Terre devait
différerlégèrementsuivantladirection:ons’attendaitàcequelavaleur
mesurée soit plus faible si la lumière se propageait dans le sens du
mouvement de la Terre et plus grande en sens inverse. On s’attendait
aussià ceque l’écartentre lesvitessesmesuréessoit relativementfaible.
Eneffet,laTerreparcourtchaqueseconde30kilomètressursatrajectoire
elliptique autour du soleil alors que la lumière parcourt près de 300 000
kilomètreschaqueseconde.
Seules des mesures extrêmement précises pouvaient permettre
d’effectuer la comparaison escomptée. Les méthodes
interférométriques − basées sur les interférences d’ondes lumineuses −
devaientpermettred’yparvenir.
En 1881,Michelson futle premier àréaliser cette mesureque l’histoire
dessciencesappellesouventexpériencedeMichelsonetMorley,associant
au nomde Michelson celui duphysicien Edward Morley(1838-1923) qui,
en 1887,effectua la deuxièmetentative. Cette expérience, quifut réitérée
ungrandnombredefois,nepermitjamaisd’observerl’effetescompté:il
était impossible, en mesurant la vitesse de la lumière, de détecter un
quelconqueécartsuivantladirectiond’observationparrapportàlaTerre.
Autrement dit, la vitesse de la lumière semblait indépendante du
mouvementde celui quila mesurait.Tout sepassait comme sila vitesse
delaTerreparrapportàl’étherétaitnulle.Ainsi,nonseulementle«vent
d’éther » n’était pas détectable mais la vitesse de la lumière semblait
indépendanteduréférentieldanslequelelleétaitmesurée.
Ce dernier point est particulièrement troublant. Pour illustrer le
problème posé, nous raisonnerons sur un autre type d’ondes. Prenons
donc l’exemple d’une vague qui se propage à la surface de l’eau.
Imaginonsqu’unobservateurA,postésurunedigue,mesurelavitessede
propagation de la vague et qu’un observateur B, qui se déplace sur sa
planche à voile dans le même sens que l’onde effectue la même mesure.
Onconçoit aisémentquela vitesseque mesureraAsera plusgrande que
celle relevée par B. Supposons maintenant que l’on puisse faire une
expérience similaire en s’intéressantnon plus à une onde se propageant
dansl’eaumaisàuneondelumineuse.Ons’attend, apriori,àtrouverun
résultat analogue. Or, l’expérience de Michelson prouve qu’il n’en est
rien : la vitesse de propagation de la lumière semble indépendante du
mouvementdeceluiquilamesure!Toutsepassedonccommesil’éther
était totalement entraîné par la Terre. Or rappelons que diverses
observations effectuées par le passé (notamment la détection des
aberrationsstellaires)avaientpermisd’exclureunetelleéventualité.
Ce résultat que ne pouvaient expliquer ni les théories de Newton ni
celles de Maxwell gêna de nombreux scientifiques… Leur première
réactionfutderemettreencausel’expériencemême.Certainsphysiciens
se sont employés à déterminer quel effet parasite pouvait expliquer
l’échec apparent de l’expérience de Michelson. Le Néerlandais Hendrik
Antoon Lorentz (1853-1928), qui reçut le Nobel en 1902 pour ses
recherches sur l’influence du magnétisme sur les phénomènes radiatifs,
et le mathématicien et physicien français Henri Poincaré (1854-1912)
effectuèrent des apports majeurs et décisifs en remettant en cause la
notion de temps absolu. Poincaré était le correspondant de Lorentz et il
proposa une transformation (baptisée transformation de Lorentz)
permettant de rendre les équations de Maxwell invariables par
changementderéférentiel.
Suggestion:Photod’Einstein(15)
AlbertEinstein(1879-1955)
Lorsque l’on utilise aujourd’hui le terme de « relativité » c’est aux
théories d’Einstein que l’on fait usuellement référence. Pourtant, au
XVIe siècle, c’est Galilée qui a montré que les lois de la mécanique
s’expriment de la même façon dans deux référentiels si l’un est en
translationrectiligneuniformeparrapportàl’autre8.Onparledeprincipe
derelativitégaliléennepourillustrercerésultat.
Ce qui gêne Einstein, à l’aube du XXe siècle, c’est que la lumière ne
semblepasobéirauprincipederelativité:lemilieudanslequelcelle-cise
propage paraît être absolu et il semble impossible de trouver un
référentielquisoitentranslationrectiligneuniformeparrapportàl’éther
etdanslequellalumièresepropageraitdefaçonanalogue…
De même que l’année 1666 avait été, selon sa propre expression,
l’« annus mirabilis » de Newton, Einstein, lui-aussi, connaît son année
merveilleuse. C’est, en effet, en 1905, l’année même où il a découvert le
photon, que le jeune Einstein révolutionne la mécanique. Cet éther si
mystérieux et si absurdement immobile, Einstein a le génie de
comprendre qu’il n’existe pas et que la lumière se propage dans le vide.
Ainsi,lesondesélectromagnétiquessontlesseulesquin’ontpasbesoinde
supportmatérielpoursepropager.
Enoutre,Einsteinestconvaincuqueleprincipederelativiténeselimite
pas à la matière et que la lumière doit forcément lui obéir. Il commence
parpostulerquelacéléritédelalumièredanslevideestindépendantedu
référentiel et, à partir de ce point, il réécrit, en 1905, les lois de la
mécaniqueclassique.
Notons que certains historiens des sciences se sont interrogés sur
l’influencequ’auraientpuavoirlestravauxdePoincaré(etnotammentla
communication faite par ce dernier le 5 juin 1905 devant l’Académie des
Sciences)surceuxd’Einstein.IlestdifficiledesavoirsiEinsteinavaiteu
connaissancede cette communication.Pour autant,il est clairque, aussi
immenses qu’aient été les avancées de Poincaré, ce dernier,
contrairement à Einstein, n’avait pas renoncé, dans sa théorie, à
l’existence de l’éther. Par ailleurs, c’est Einstein qui a montré que deux
événementssimultanés dansun référentielne l’étaientpas danstous les
autres.
Pourillustrercedernierpoint,aidons-nousd’unexempledanslequelles
intervenantspossèderaientdesmoyensdemesuresparfaitementprécis:
imaginonsdoncqueAetBsefassentfacesurunerouteetprennentune
photoauflash.Imaginonsqu’untroisièmepersonnage,C,soitimmobileà
égale distance de A et B. C reçoit les deux éclairs lumineux en même
temps. C conclut donc que « A et B ont pris la photo simultanément ».
Supposons maintenant que, sur une moto, un quatrième personnage, D,
se dirige vers B et passe devant C à l’instant précis où celui-ci reçoit les
deuxflashs.QuandAaenvoyésonsignallumineux,Dn’avaitpasencore
atteint l’emplacement de C : il était donc plus près de A que de B. Donc,
par rapport à D, le signal lumineux qu’envoie A parcourt une distance
plus petite que le signal envoyé par B. D recevra les deux signaux
lumineux au même moment (quand il passera devant C), mais sa
conclusionsera différentedecelledeC. Rappelonseneffetquela vitesse
delalumièredansle référentielliéà lamotoest lamêmequedans celui
lié à la route. Les deux signaux lumineux se propagent donc à la même
vitesseparrapportàD.Or,commeceluiémisparAaparcouruuneplus
petite distance, et comme il arrive en même temps que celui de B, D va
conclure que « B a appuyé sur le flash avant A ». Il apparaît ici que ce
qu’affirmeCcontreditcequ’énonceD.Pourtanttouslesdeuxontraison:
lanotiondesimultanéitédépenddupointdevuedel’observateur
Lasimultanéitéestrelativeetcelaremettotalementencauseleconcept
d’espaceabsolusurlequelreposelamécaniquedeNewton.Laduréed’un
phénomène− quel’onpeutdéfinircommel’intervalledetempsséparant
deuxinstantsprécis−n’aplusuncaractèreabsolupuisquelasimultanéité
entre un instant et le déclenchement d’un chronomètre dépend du
référentiel dans lequel le chronomètre se trouve. La notion de durée
dépenddoncdumouvementetladuréed’unphénomènevaaugmentersi
celui qui la mesure est en mouvement par rapport au référentiel où le
débutetlafinduphénomènesontlocalisésaumêmepoint.
Notonsque,comptetenudelavaleurdufacteurdedilatationdesdurées,
cephénomènen’estperceptiblequepourdesvitessestrèsprochesdecelle
de la lumière. À 100 000 km⋅s-1 , les durées ne varient que de 6 %. Aussi,
serait-il illusoire, en pratique, d’observer ce phénomène pour un
déplacement à moto… l’exemple précédent avait, bien évidemment,
seulementunevocationillustrative…
Unautre phénomènesouligné parEinstein concerneleslongueurs qui,
elles-aussi, dépendent du mouvement de celui qui les mesure. La valeur
maximalequepeutprendrelalongueurd’unobjetdonnéestcellequiest
mesurée dans le référentiel où celui-ci est immobile. Le mouvement
provoqueunecontractiondeslongueurs.
Notons enfin que le bureau international des poids et mesures définit,
depuis 1983,le mètre parrapport à lacélérité de lalumière qui estl’une
desconstantesfondamentalesdenotremonde.
Le mètre,symbole m, est l’unitéde longueur duSI. Il est définien prenant la
valeur numérique fixée de la vitesse de la lumière dans le vide, c, égale à
299792458lorsqu’elleestexpriméeenm⋅s−1
Masse,gravitationetrelativitégénérale
L’année 1905 avait été particulièrement féconde pour Einstein :
découverte du photon en mars, théorie de la relativité en juin… et ce
n’étaitpas fini! Laformule laplus célèbredela physiquemoderne aété
énoncée,elle-aussi,cetteannée-là.
E=Mc²
Cetteéquation qu’aretenue la postérité,présentéepar Einstein comme
uneconséquencedelathéorierelativiste,futpubliéeaucoursdumoisde
septembre.Elletraduitl’équivalenceentrelamasseetl’énergie:lorsqu’un
corpsémetunequantitéEd’énergie,samassediminuedeE/c².
L’existence d’une énergie « nucléaire » (libérée à partir de la fission de
noyauxlourdsoudelafusiondenoyauxlégers)estunedesconséquences
directesdecetteégalité.
Letravaild’Einsteinavaitétééblouissant.Pourtant,dès1907,cedernier
s’est trouvé insatisfait par la théorie de la relativité qu’il avait proposée.
Cequilecontrariait,c’étaitlecaractèreparticulierquisemblaitimpartià
lagravitation.Rappelonsque,depuisGalilée,onsavaitquetouslescorps
tombent dans le vide avec la même accélération. La deuxième loi de
Newtonpermettaitderetrouvercerésultatàconditiond’admettrequela
masseintervenantdanscetteloi(lamasseinertielle)étaitrigoureusement
lamême quecelle quipermetde définirla forcedegravitation (lamasse
gravitationnelle). Pourtant ceci est loin de constituer une évidence. Ces
deux grandeurs ne sauraient en effet revêtir la même signification
physique.Lamassegravitationnelle,oumassepesante,Mestdirectement
liéeau poidsdu corps,alors quela massemfigurant dansla secondeloi
deNewtonreflète,quantàelle,l’inertieducorps,c’estàdiresacapacitéà
résisteràlaforcequiluiestappliquée(pouruneforcedonnée,plusmest
grand,plusl’accélérationserafaibleetmoinslavitesseseramodifiée).
À partir de 1907, Einstein a du mal à se satisfaire du caractère si
exceptionneldelagravitation,quifaitintervenirdanssonexpressionune
grandeur liée à l’inertie et donc au mouvement. Cela le gêne à tel point
qu’il finit par envisager que l’inertieet la gravitation reflètent un seul et
mêmephénomène.
Nous allons nous aider d’un exemple – qui aurait été quelque peu
anachroniqueen1907−pourmontrerquelepointdevuequel’onutilise
peutêtredécisif…
Imaginonsqu’unastronautes’exerceàbordd’un avion.Supposonsque
l’onarrêtelapropulsiondel’avion.Cedernierquiestsoumisuniquement
au champ de pesanteur se met à décrire une trajectoire parabolique au
coursdelaquellesonaccélérationestégaleàg,accélérationdepesanteur
terrestre.
L’astronautesemetàflotterdanslacabine.Toutsepassedonccomme
sil’accélérationdel’avioncompensaitlagravitéetcommesil’astronaute
était dans une fusée se déplaçant à vitesse constante dans l’espace
interplanétaire.Ainsi,est-il impossibleque l’astronauteà borddel’avion
différencie les forces d’accélération (forces d’inerties) des forces de
gravitation. Il y a donc équivalence entre les forces inertielles et
gravitationnelles. Et c’est de ce principe d’équivalence qu’Einstein va
partirpourélaborerlathéoriedelarelativitégénéralisée.
Les travaux dans lesquels s’engagea Einstein dès 1907 nécessitaient
l’utilisation de concepts mathématiques d’avant-garde pour l’époque.
Pour la partie mathématique de son œuvre, il dut se faire aider par son
ami, le mathématicien suisse Marcel Grossmann (1878-1936), spécialiste
des géométries non euclidiennes. Non sans humour, Einstein a parlé de
cette époque en évoquant les « difficultés mathématiques » auxquelles il
futconfronté.
Dans cette nouvelle théorie, publiée en 1916, Einstein n’a pas hésité à
bouleversertotalementlaconceptionquenousavonsdelagravitationen
raisonnant sur un « espace-temps » à quatre dimensions. Dans cette
optique, la gravitation est présentée, non plus comme une force, mais
comme la modification de la géométrie de ce quadri-espace. Les objets
agissentsurcetespaceet,réciproquement,ilssubissentlesdéformations
de ce dernier. Si l’astronaute dans l’avion en chute libre ne perçoit pas
l’attractiondelaTerrec’estparcequel’espacedanslequelilsetrouvelui
masque cet effet (dans le quadri-espace envisagé, l’avion et l’astronaute
suivent la même trajectoire). Einstein affirme ainsi que tout corps se
déplaceensuivantle«cheminquiestlepluscourt»dansl’espace-temps
quil’entoure.Ainsi,deuxcorpsdemassesdifférentessituésdanslamême
région del’espace, vontsuivre lemême trajetet, s’ils sonten chutelibre
au voisinage d’un corps plus lourd qu’eux, ils auront le même
mouvement. Le phénomène de déformation de l’espace par les corps de
masse importante a aussi une autre conséquence : le trajet suivi par la
lumièredanscetespacedéforméseraluiaussidévié.
On imagine à quel point, en 1916, la relativité générale pouvait
surprendre. D’autant que seules les mathématiques étaient capables de
donnerune descriptionrigoureuse decetespace déformablemodifiépar
lesobjetsquis’ytrouvaient.Or,lesmathématiquesutiliséesdanslecadre
de cette théorie étaient tellement complexes que bien peu de personnes
dans le monde étaient à même de les comprendre. Cette théorie était
tellement peu intuitive et bouleversait tant les certitudes les plus
profondes que de nombreux physiciens n’étaient pas convaincus.
Commentimaginerunespace-tempsquin’existepassanslesobjetsquise
trouventensonsein?Dèslors,commentdéfinirletemps?
La théorie suscita néanmoins l’admiration de certains scientifiques
commeen témoignentcesmots del’astronome royalbritanniqueArthur
Eddington(1882-1944):
Que la théorie se révèle juste ou non, en fin de compte, peu importe, elle se
présente en tout cas comme un des plus beaux exemples de l’efficacité du
raisonnementmathématiqueengénéral.
Nombreuxétaientceuxquiavaientbesoinqu’unepreuvevîntconforter
la confiance qu’ils portaient aux travaux d’Einstein. Nous avons déjà
évoqué, dans le premier chapitre de ce livre, l’expérience décisive qui
permit d’apportercette preuve.C’est, en effet,Eddington qui, avecl’aide
du gouvernement britannique, organisa une expédition sur l’île de
PrincipeaulargedugolfedeGuinéepourobserverl’éclipsetotaledeSoleil
qui devait avoir lieu le 29 mai 1919. Le but était de vérifier l’une des
conséquencesde larelativité générale:la déviationdesrayons lumineux
auvoisinagedescorpsdetrèsgrandemasse.Ilestimportantderappeler
dans quel contexte historique cette expédition fut entreprise. En 1919, la
Première Guerre Mondiale était dans toutes les mémoires. Et ce
qu’Eddington proposait ce n’était rien moins que donner raison à un
savant allemand contre une figure emblématique du Royaume-Uni, le
génialIsaacNewton…
SiEinsteinavaitraison,Eddingtondevaitpouvoirobserveruneétoilese
situantderrièreleSoleil.Lesrayonsémisparcettedernière,devaient,en
effet,êtredéviésauvoisinagedenotreétoile.Cettepreuveexpérimentale
recueillielorsdel’éclipsedemai1919,futcommuniquéeàlaRoyalSociety
etàla RoyalAstronomical Societyle6 novembre1919. Dèslors, Einstein
acquisunenotoriétéetune gloireinégaléesquilui permirentdeprendre
positionsurdenombreuxsujets.CouronnéparleprixNobelde1921,qui
officiellementneluiétaitattribuéquepourlapartiedesonœuvrerelative
aux quanta lumineux, Einstein verra au cours de sa vie ses théories
vérifiées.Scientifiquemaisaussiphilosophe,ils’estsouventinterrogésur
lesnouveauxmoyensquelasciencefournissaitauxhommes.
Aprèslamortd’Einstein,lesrecherchessurlarelativitégénéralesesont
poursuivies,avecnotammentlarecherched’ondesgravitationnelles,dont
Einstein avait prédit l’existence dès 1916. Sa théorie prévoyait, en effet,
quelesoscillationsdelacourburedel’espace-temps−quisepropagentà
lavitessedelalumière−pouvaientêtreproduitesparlaréuniondedeux
objets extrêmement massifs, par exemple des trous noirs. Il a fallu
attendreprèsd’unsièclepouravoirlapreuveexpérimentaledel’existence
decesondes:le14septembre2015,auxEtats-Unis,RainerWeiss(1932-),
BarryC.Barish(1936-)etKipThorne(1940-)ontannoncéavoirdétectéau
LIGO (Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory) des ondes
gravitationnelles produites par la réunion de deux trous noirs, situés à
1,3 milliard d’années-lumière de nous. Ces trois physiciens ont été
récompensés par le prix Nobel de physique en 2017 et leurs travaux
s’inscriventdirectementdanslacontinuitédeceuxd’Einstein:rappelons,
eneffet,quel’existencemêmedetrousnoirs−cescorpstellementmassifs
que nila matière nile rayonnement nepeuvent s’en échapper− ne peut
s’expliquer que dans le cadre de la théorie de la relativité générale. En
2020, le prixNobel de physique a d’ailleursété attribué à Roger Penrose
(1931-) pour avoir montré que « la formation d’un trou noir est une
prédiction solide de la théorie de la relativité générale ». Cette année-là,
l’autre moitié du Nobel avait aussi distingué pour « la découverte d’un
objet compact supermassif dans le centre de notre galaxie » l’Allemand
Reinhard Genzel (1952-) et l’Américaine Andrea Ghez (1965-), faisant de
celle-ci la quatrième femme récompensée par cette distinction dans le
domainedelaphysique.
Versl’infinimentpetit:lemodèlestandarddelaphysiquedesparticules
Que connaissait-on en 1900 ? La microscopie optique, basée sur
l’éclairagedesobjetsavecdelalumièrevisible,permettaitdediscernerles
corpsjusqu’àquelquescentainesdenanomètresetdoncdevisualiserdes
bactéries. Les virus, dont Louis Pasteur (1822-1895) avait découvert
l’existence, étaient, en revanche, trop petits pour pouvoir être observés
avecunmicroscopeoptique…
Ce n’est qu’au XX e siècle que l’on a vraiment pu se rapprocher de
l’infiniment petit, « voir » les atomes, sonder le noyau et découvrir le
monde au milliardième de nanomètre. En effet, avec un microscope
optique, qui utilise la lumière visible pour éclairer l’objet étudié, la
résolution ne peut guère dépasser 100 nanomètres (1 nanomètre
correspond à 1 milliardième de mètre). Pour des détails plus fins, il faut
utiliser des rayonsultraviolets ou des rayons X(dont la longueur d’onde
est inférieure). Pour scruter la matière à des dimensions encore plus
faibles, on n’éclaire plus l’objet avec des ondes électromagnétiques.
Depuis les travaux de Louis de Broglie on connaît en effet la nature
ondulatoire des électrons. Or si ces derniers sont accélérés sous plus de
10 000 volts, leur longueur d’onde est plus faible que celle des rayons X.
Ainsi, la microscopie électronique développée à partir de 1931 grâce aux
travaux d’Ernst Ruska (1906-1988), utilise-t-elle, non pas de la lumière,
maisunfaisceaud’électronsaccéléréspouréclairerl’objet.Grâceàcetype
de microscope, dont la technique a été constamment améliorée, on a pu
observer des détails cent fois plus petits que ceux visibles avec les
microscopesoptiques.Depuis1982etlestravauxdeGerdBinnig(1947-)et
Heinrich Rohrer (1933-2013), grâce aux techniques en champ proche
(microscopes à effet de champ), on parvient même à visualiser des
structuresdequelquesdixièmesdenmetdoncà«voir»desatomes.Cette
avancéemajeuread’ailleurs valul’attributiondu prixNobelde physique
en1986àRuska,BinnigetRohrer.
Pour performante qu’elle soit, la microscopie reste toutefois incapable
desonderlamatièreauniveaudunoyauatomiqueetendeçà.L’utilisation
d’énergies encore plus grandes s’avère alors nécessaire. Les rayons
cosmiques (provenant de l’espace et heurtant notre atmosphère)
possèdent ces énergies. Ils ont d’ailleurs permis de découvrir certaines
particules.Maiscesrayonssontmalheureusementtroprarespourqueles
expériencesauxquellesilsdonnentlieu soientbienreproductibles.Aussi,
pourprocéderdefaçonplussystématiquea-t-ilfallupouvoiratteindreen
laboratoireetdefaçoncontrôléelesénergiesnécessaires.
En 1929, l’Américain Ernest Orlando Lawrence a eu l’idée d’accélérer
des particules chargées à l’aide d’un champ électrique et d’incurver leur
faisceauàl’aided’unchampmagnétique:ilvenaitd’imaginerlecyclotron
qu’il fabriqua avec succès quelques années plus tard. L’énergie des
particulesaccélérées dansles premiers cyclotronsatteignait 13000 eV(1
électron-voltcorrespondàl’énergieacquiseparunélectronsoumisàune
tensionde1volt).Quelquesannéesplustard,onobtenait10millionsd’eV.
Maispourpouvoirsonderlenoyauatomique,ilfallaitdisposerd’énergies
encoredixfoisplusgrandes…
Depuis la Deuxième Guerre Mondiale et la deuxième génération
d’accélérateurs de particules (les synchrotrons), la taille et les
performancesdecesderniersn’ontcesséd’augmenter.Celaaimpliquéla
création de laboratoires internationaux et le développement de
partenariatsentreétats.Ainsi,entre1983à1989,aétéconstruitàGenève
un gigantesque collisionneur baptisé LEP (Large Electron-Positron
Collidar) dans le cadre du CERN 9. Abrité par un tunnel dont la
circonférence mesure près de 27 km, le LEP a permis d’atteindre
plusieurs centaines de milliards d’électronvolts et a été en fonction de
1989à2000.Danscemêmetunnel,aétéconstruit,parlasuite,unnouvel
accélérateur de particules, le LHC (Large Hadron Collidar) qui est en
fonctiondepuis2008.DansleLHC,cesontdesprotonsquisontaccélérés
poureffectuerdescollisions.On peutdésormaisy atteindredesénergies
de7TeV(1téraélectronvoltvautmillemilliardsd’électronvolts)
Grâce à ces accélérateurs, les physiciennes et physiciens ont ainsi pu,
dès lesannées cinquante, mettreen évidence, au coursdes collisions, de
nouvellesparticules.Laplupartd’entreellesavaientuneduréedevietrès
brève, ne dépassant parfois pas le milliardième de seconde. Ainsi, se
désintégraient-elles presque instantanément. En leur conférant une
vitessetrèsimportante,ilaétépossible,grâceauphénomènededilatation
des durées que nous avons évoqué dans le paragraphe sur la relativité
restreinte,deles observerdans leréférentielterrestrependant plusieurs
secondes.Celaapermisdemieuxlesétudier.
Dèslesannées1960,lenombredeparticulesrépertoriéesetdécouvertes
grâce aux accélérateurs de particules est apparu comme colossal. Cette
abondance a alors beaucoup gêné les physiciens et ces derniers se sont
employés à simplifier le panorama du monde microscopique : ils ont
cherchéàenfaireapparaîtrel’unité,etàproposerunmodèlestandard.
Le but a été d’identifier les particules élémentaires, c’est-à-dire les
constituantsfondamentauxdelamatière.Detellesparticulespeuventêtre
comparées à des briques à partir desquelles il est possible de construire
tout l’Univers. Les particules élémentaires sont donc des objets pour
lesquels onne connaîtpas de structureinterne et qu’ilest impossible de
décrirecommeunassemblagedeparticulespluspetites.
Aujourd’hui, les leptons -du grec « leptos », maigre, faible − sont des
particules considérées comme élémentaires. Les leptons peuvent
s’observer individuellement et se déplacer librement. Ils ne sont pas
soumis à l’interaction forte qui est l’une des quatre interactions existant
dansnotremonde.
L’électron, découvert en 1895, est un lepton de même que le neutrino
électroniquedontl’existenceavaitétépréditeparPaulien1934etquifut
observéexpérimentalementen1953danslesdésintégrationsradioactives
artificielles. Plus lourd que l’électron, le muon possède un neutrino
muonique qui fut découvert en 1962. Encore plus lourd, le tauon appelé
aussileptonlourd,demasse3500foissupérieureàcelledel’électronfut
découvert en 1977 et est associé au neutrino tauonique. Il y a donc trois
générationsdeleptons,etsixleptonsautotal.
Notons que, au niveau des particules élémentaires, c’est souvent en
termesd’énergieque l’onquantifie lamasse desparticules. Eneffet, siE
= mc² alors cela signifie aussi que m = E/c² et l’énergie des particules
élémentairess’exprimeainsienkev/c²(pourlespluslégèresd’entreelles,
commel’électrondontlamassevaut9,109410 -31kgc’estàdire515keV/c²)
ouenGeV/c²pourlespluslourdesd’entreelles(commelequarktopque
nousallonsévoquerci-après).
Les particules qui ne sont pas des leptons sont des hadrons. La racine
grecque « hadros », signifiant « fort », rappelle que ces derniers sont
sensibles à l’interaction forte. Le nombre de hadrons créés dans les
accélérateurs au cours des années soixante est impressionnant. En 1964
George S. Zweig (1937-) s’aperçoit, queses calculs décrivent ces derniers
commel’associationdedeuxoutroisélémentsqu’ilbaptise«as»,comme
lescartesàjouer,car,àl’époque,ilsupposaitqu’ilenexistaitquatretypes
différents. Indépendamment et à la même époque, Murray Gell-Mann
(1929-2019), déjà connu pour ses travaux de mécanique quantique,
propose une théorie semblable qui retiendra particulièrement l’attention
dupublicetquiluivaudral’attributionduprixNobeldephysiqueen1969
pour « ses contributions et ses découvertes concernant la classification
desparticulesélémentairesetleursinteractions».Gell-Mannaffirmeque
les particules qui ne sont pas des leptons sont composées d’entités qu’il
baptise « quarks ». Le terme de quark est un néologisme créé par
l’écrivainJamesJoycedanssonlivreFinnegansWake.Commelesleptons,
les quarks se divisent en trois catégories : le quark « haut » et le quark
«bas»entrentdanslaconstitutiondesneutronsetdesprotons.Ainsi,un
neutronest-ill’associationd’unquark«haut»etdedeuxquarks«bas»,
alors qu’unproton estl’association d’unquark «bas » etde deuxquarks
«haut».
Plus lourds que ces deux premiers quarks, le quark « étrange » et le
quark « charme » ont été détectés dans les rayons cosmiques et les
accélérateurs de particules, de même que le quark« beauté » et le quark
« top » qui constituent la troisième génération de quarks et qui sont
encorepluslourds.Lequark«top»estledernieràavoirétédécouvert,en
1995,auTevatron,accélérateurdeparticulessituéauFermilabàChicago
qui permettait d’atteindre2 TeV.Ce quarka ensuite étéobservé en2010
auLHCàGenèveetlesmesuresréaliséesauCERNontpermisd’affinerla
mesure de sa masse qui est aujourd’hui estimée à 173,34 GeV/c² (± 0,76
GeV/c²).
Chacun de ces quarks est ainsi caractérisé par sa charge et une valeur
donnéedecertainsnombresquantiques(spin,isospin,étrangeté,nombre
baryonique). En outre, chacun d’entre eux existe sous trois formes
distinctes.Dansun langageimagé onabaptisé «couleur »cettedernière
caractéristique des quarks. Ainsi existe-t-il des quarks rouges, verts ou
bleus.
Si les quarks et les leptons sont les briques à partir desquelles il est
possibledeconstruirenotremonde,alorsonpeutprésenterlesbosonsde
jauge comme le ciment qui va servir à les lier. Ces particules
fondamentales assurent, en effet, la transmission des forces et toute
interactionpeutêtredécritecommeunéchangedebosons.
Il existe quatre interactions dans notre monde : l’interaction
gravitationnelle, l’interaction électromagnétique, l’interaction forte et
l’interactionfaible.
Le premier boson de jauge connu fut le photon et, depuis les travaux
d’Einstein, on sait que ce grain de lumière sans masse est associé à
l’interactionélectromagnétique.
L’interactionforte,quant àelle,est portéepar lesgluonsqui collentles
quarksentre euxà l’intérieurdes hadrons.Contrairement àl’interaction
électromagnétique,dontlaportéeestinfinie,ellen’agitpasànotreéchelle
ouàl’échelledesmolécules:sondomained’actionselimiteauniveaudu
noyau atomique et ne concerne que les quarks qu’elle distingue des
leptons sur lesquels elle n’agit pas. On connaît actuellement huit gluons,
observés pour la première fois en 1979 au sein du laboratoire DESY en
Allemagne.
L’interaction faible, enfin, peut être attractive ou répulsive. Elle est
notamment responsable de la radioactivité. Sa portée est encore plus
faible que celle de l’interaction forte et les bosons échangés sont ici les
bosonsW+,W- etZ. Ces particulesmassives ontété détectéesen 1983au
CERNparlechercheurCarloRubbia(1934-)etl’ingénieurSimonvander
Meer (1925-2011), qui obtinrent le prix Nobel de physique dès l’année
suivantepourcettedécouverte.
Lathéoriedumodèlestandardsupposeaussil’existenced’unchampde
Higgs,quipermetauxhadronsd’acquérirleurmasse.Cechampimplique
l’existenced’unboson(baptisébosondeHiggs),déceléauCERNle4juillet
2012 dans les expériences ATLAS et CMR. En 2013, l’année suivant la
détection du boson de Higgs au LHC10, Peter Higgs (1929-) et François
Englert(1932-)ontconjointementreçulePrixNobeldephysique,pour
ladécouvertethéoriquedumécanismecontribuantànotrecompréhensionde
l’originedelamassedesparticulessubatomiquesetrécemmentconfirméepar
la découverte, par les expériences ATLAS et CMS du grand collisionneur de
hadrons(LHC)duCERN,delaparticulefondamentalepréditeparcettethéorie
Ainsi, en observant que les paires de bosons W ou Z peuvent produire
par désintégration un boson de Higgs, ATLAS et CMS ont permis de
prouverquecesbosonsacquièrentleurmasseparleursinteractionsavec
le champ de Higgs, comme le prédit le modèle standard. Cela constitue
une confirmation a posteriori qui est d’une très grande importance. Par
ailleurs, depuis la découverte du boson de Higgs, des expériences plus
finesontpermisd’obteniruneplusgrandeprécisionsurlaconnaissance
de sa masse, que, depuis 2018, on estime à 124,97 GeV/c² avec une
précisionde0,24GeV/c².
L’antimatière
Lemodèlestandardquenousvenonsbrièvementd’exposerprévoitaussi
l’existenced’uneantiparticulepourchaqueparticule…
C’est en 1920 que le concept d’antimatière a été proposé pour la
premièrefoisenphysique:l’existenced’antiparticulesa,toutd’abord,été
prévue mathématiquement par le physicien anglais Paul Dirac (1902-
1984)quicherchaitàcomprendrepourquoidansnotremondelescharges
négativesetpositivessemblaientjouerdesrôlesdifférents.
Pourquoi les premières étaient-elles portées par des particules légères
(les électrons), quipouvaient passerd’un atomeà un autre,alors queles
autresétaient portées pardes particuleslourdes (lesprotons) quiétaient
liéesaunoyau?
Pourrépondreà cesquestions,Dirac eutl’idée d’unmonde symétrique
du nôtre, dans lequel les charges positives seraient portées par des
particules légères et les charges négatives par des particules lourdes. En
1929, ses calculs l’amènent à présenter comme nécessaire l’existence
d’une particule de même masse que l’électron mais de charge opposée
(l’antiélectron, aussi nommé positon ou positron), et d’une antiparticule
duproton(l’antiproton).
Le positron fut observé pour la première fois dans le rayonnement
cosmiqueen1932parCarlDavidAndersonet,enlaboratoire,en1934par
FrédéricJoliotetIrèneJoliot-Curie.
L’antiproton,quantàlui,nefutmisenévidencequebeaucoupplustard.
Lesénergiesnécessairespourleproduiren’ontétédisponiblesqu’en1955,
annéeoùOwenChamberlain(1920-2006),EmilioSegrè(1905-1989),Clyde
Wiegand(1915-1996)etThomasYpsilantis(1928-2000)ontpulemettreen
évidenceàBerkeleydansleBévatron.
Enfin,unpassupplémentairefutfranchi,enjanvier1996,quandontété
produits et détectés au CERN, à Genève, des atomes d’antihydrogène
constituésd’unantiprotonetd’unpositon.
Quand la matière et l’antimatière se rencontrent, elles s’autodétruisent
en effet en libérant de l’énergie. Ainsi est-il difficile d’envisager que l’on
produisedegrandesquantitésd’antimatière.Rappelonseneffetquesiun
grammedematièrerencontraitungrammed’antimatière,nonseulement
lamatières’annihileraitmaisilsedégageraituneénergiecorrespondantà
plusieursexplosionsdebombesatomiques…
5.Ils’agitderayonscathodiques
6.Letermedephotonn’apparaîtraqueplustard.
7.CederniertravaillaaussiavecBohràCopenhague.
8.LecaractèrerectilignedumouvementuniformeaétépréciséaprèsGalilée.
9.CERN:acronymehistoriquedu«CentreEuropéenpourlaRechercheNucléaire»,devenudepuisl’«Organisation
européennepourlarecherchenucléaire»
10.LargeHadronCollidar:accélérateurdehadronsduCERN
Perspectives:laphysiqueàtoutesleséchelles
Laphysiquedeshautesénergiesapermis,depuisledébutduXXesiècle,
de découvrir la structure de l’infiniment petit, ou tout au moins, les
échellesinférieuresaumilliardièmedemilliardièmedemètre.
Dans le LHC, le grand collisionneur de hadrons, au CERN, les protons
accélérésontuneénergiedeplusieursmilliersdemilliardsd’électronvolts
et,grâceàcela,onapudétecterdenouvellesparticules,dontlebosonde
Higgs,clefdevoûtedumodèlestandarddelaphysiquedesparticules.
Cette physique des hautes énergies, qui permet de mieux connaître la
naturedelamatière,estégalementsusceptibledenousrenseignersurle
passé.Eneffet,commel’adécouvert,en1929,EdwinHubble(1889-1953),
les galaxies s’éloignent les unes des autres et la vitesse à laquelle elles
s’éloignent de la Terre est d’autant plus élevée qu’elles en sont plus
distantes11.Celacorrespondàuneexpansiondel’espace-tempsrelativiste
cequepermetdejustifierlathéorieduBig-Bang.NotreUniversestdonc
enexpansion,et,sil’onremonteletemps,ilestdeplusenplusdense,de
plusenpluspetit,deplusenpluschaudetdeplusenplusénergétique.La
physiquedeshautesénergiespeutdoncnousrenseignersursespremiers
instants.
Un dixième de milliardième de seconde après le Big-Bang, la
température correspondait à une énergie de 100 milliards d’électron-
volts, qui est une énergie que l’on atteint dans les accélérateurs de
particules depuis la fin du XXe siècle. Une seconde plus tard, celle-ci ne
valaitplusqu’unmilliond’électron-volts.Unelimitedanscetteremontée
versle passéconcerne lapériodeoù l’âgedel’Univers étaitdel’ordre du
temps de Planck (10-44 secondes après le Big-Bang). Avant cette période,
lesloisdelaphysique,tellesqu’ellessonttranscritesaujourd’hui,trouvent
en effet leur limitation. Plusieurs théories sont proposées et sont
débattues de nos jours pour décrire cela. Parmi celles-ci, la théorie des
cordes et la théorie de la gravitation quantique à boucles sont l’objet de
multiples recherches. La théorie de la « grande unification » suppose,
quant à elle, que, aux tout premiers instants de l’Univers, les quatre
interactions qui existent dans notre monde12 n’étaient pas différenciées.
Elle a été partiellement vérifiée en 1967 pour l’interaction
électromagnétique et l’interaction faible grâce aux travaux de Steven
Weinberg(1933-2021),SheldonLeeGlashow(1932-)etAbdusSalam(1926-
1996)quiontétérécompensésparleprixNobeldephysique,en1979,pour
leurs contributions à la théorie unifiée des interactions faibles et
électromagnétiques.Ellenel’apasencoreétépourlagravitation…
La physique est une science en constante évolution et son histoire est
loind’êtreconclue…
Laphysiqueclassiqueestnéeàl’époquedeGaliléepuisdeNewton,mais
elle s’est appuyée sur les travaux réalisées bien avant eux, en occident
mais aussi dans le monde grec et dans le monde arabe. La physique
moderne a vu le jour à l’aube du XXe siècle. Elle s’est appuyée sur la
physique classique qu’elle a remis en cause en restreignant son champ
d’application. Elle a donné lieu à deux révolutions intellectuelles
majeures : la physique quantique et la relativité. Ces deux domaines se
sontinitialementdéveloppésindépendammentl’undel’autre.Lesétudier
conjointement et travailler dans un cadre quantique et relativiste est
désormais l’un des grands défis à relever pour les physiciens des
générationsàvenir.
Lesapplicationsdesthéoriesrelativistesfontdésormaispartiedenotre
quotidien: parexemple, pourqu‘un GPSfonctionne correctementil faut
tenir compte, pour mesurer le temps, des effets relativistes. Les
applications de la physique quantique, elles aussi, sont nombreuses.
Depuis1964,lesLASERsontdevenudesobjetsfamiliersetlestravauxsur
leurfonctionnementadonnélieuàl’attributiondeonzeprixNobel,dont
le dernier, qui date de 2018, a récompensé le Français Gerard Mourou
(1944-)etlaCanadienneDonnaStrickland(1959-).
Lagravitationauneplacetrèsparticulièredanslecadredelathéoriede
larelativitégénérale.Ladétectiond’ondesgravitationnellesen2016etles
derniers travauxsur lestrous noirs ontcontribué à fournirde nouvelles
preuves expérimentales de cette théorie bâtie par Einstein il y a plus de
centans.
Danslecadredumodèlestandarddesparticulesélémentaires,enfin,un
pasdécisifaétéfranchi,en2012,lorsquefutdétectélebosondeHiggs,qui
prouve l’existence du champ de Higgs. Pour autant, on n’a toujours pas
identifié l’hypothétique graviton qui serait le boson de jauge de
l’interaction gravitationnelleet qui devra aussiêtre décrit dans uncadre
compatibleaveclathéoriedelarelativitégénérale.
Laphysiquequantiquemaniedesnotionsdeprobabilitéetla définition
de ce qu’est un état quantique a suscité de grands débats au cours de
l’histoire.
Le hasard existe-t-il en physique quantique comme le pensaient les
physiciens de l’école de Copenhague, ou bien y-a-t-il des « variables
cachées»commelesuggéraientlesauteursdel’article«EPR»en1935?
En1961,JohnStewartBell(1928-1990)aproposédesinégalités13queles
mesures effectuées sur des états quantiques intriqués doivent respecter
dans l’hypothèse où il existe effectivement des variables cachées. Cela
signifie concrètement que, si les inégalités de Bell sont mises en défaut,
c’est-à-diresiellesnesontpasvérifiéespourdesétatsintriqués,alorscela
confirmeraitl’absencedevariablescachéesetdonneraitraisonàl’équipe
de Copenhague et à Niels Bohr. L’expérience du Français Alain Aspect
(1947-), réalisée entre 1980 et 1982 a été fondamentale sur ce point et a
permisdeprouverqu’iln’avaitpasdevariablescachées.En2022,leprix
Nobeldephysiquearécompensécedernierainsiquel’AméricainJohnF.
Clauser (1942-) et l’Autrichien Anton Zeilinger (1945-) « pour les
expériences avec des photons intriqués, établissant les violations des
inégalités de Bell et ouvrant une voie pionnière vers l’informatique
quantique ». L’intrication quantique et ses perspectives appliquées en
informatique quantique font ainsi, elles-aussi, partie des domaines de
rechercheactuel.
Plus généralement, la physique s’intéresse aujourd’hui à l’infiniment
petit, l’infiniment ancien, l’infiniment lointain, les très basses
températures, les très hautes énergies et les très courtes durées. Le prix
Nobel 2023 a ainsi récompensé les recherches menées sur la physique
ultra-rapide par le Français Pierre Agostini (1941-), le Hongrois Ferenc
Krausz (1962-) et la Franco-Suédoise Anne L’Huillier (1958-), qui est
devenue,ainsi,la cinquièmefemme àrecevoir leprix Nobelde physique
pouravoir,avecsescollègues,créé«desimpulsionsextrêmementcourtes
delumièrequipeuventêtreutiliséespourmesurerlesprocessusrapides
aucoursdesquelslesélectronssedéplacentouchangentd’énergie».
Les situations extrêmes constituent ainsi les domaines d’investigation
privilégiés des physiciennes et des physiciens d’aujourd’hui et le champ
desrecherchesquis’offrentàeuxsembletoujoursimmense.
Leurcuriositélespousseàtoujourss’investirdavantagepourprogresser
encore plus loin dans la connaissance de notre monde physique et
permettreàl’aventurescientifiquedecontinuer.
Ilyapresquecentans,MarieCurierésumaitcelaparcesmots:14
Jesuisdeceuxquipensentquelascienceaunegrandebeauté.Jenecroispas
quedansnotremondel’espritd’aventurerisquededisparaître.Sijevoisautour
demoiquelquechosedevital,c’estprécisémentcetespritd’aventurequime
paraîtindéracinableets’apparenteàlacuriosité.
11.CerésultatestconnusouslenomdeloideHubble
12.Ils’agitdelagravitation,del’interactionélectromagnétique,del’interactionforteetdel’interactionfaible
13.InégalitésdeBell
14.Madrid1933,Introductionaucolloquesurl’«Avenirdelaculture»
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JamesWatsonCronin États-Unis
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NicolaasBloembergen États-Unis
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GerdBinnig RFA(Allemagne)
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ErnstRuska RFA(Allemagne)
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KarlAlexMüller Switzerland
LeonMaxLederman États-Unis
1988 MelvinSchwartz États-Unis
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HansGeorgDehmelt États-Unis
1989 WolfgangPaul RFA(Allemagne)
NormanFosterRamsey États-Unis
JeromeIsaacFriedman États-Unis
1990 États-Unis
1990
HenryWayKendall
RichardE.Taylor Canada
1991 Pierre-GillesdeGennes France
RogerPenrose Grande-Bretagne
KlausHasselmann Allemagne
2021 ManabeSyukuro Japon/États-Unis
GiorgioParisi Italie
AlainAspect France
2022 JohnF.Clauser États-Unis
AntonZeilinger Autriche
AnneL’Huillier France/Suède
2023 FerencKrausz Autriche/Hongrie
PierreAgostini France