Toponymie Du Val de Saire
Toponymie Du Val de Saire
Lepelley René. La côte des Vikings : toponymie des rivages du Val de Saire (Manche). In: Annales de Normandie, 43ᵉ
année, n°1, 1993. Rivages de Normandie. pp. 17-39;
doi : https://doi.org/10.3406/annor.1993.1959
https://www.persee.fr/doc/annor_0003-4134_1993_num_43_1_1959
normande
Scandinave
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Pour cette étude, nous nous sommes limité aux toponymes d'origine
au moins partiellement Scandinave localisés sur les rivages mêmes, au
large immédiat de ces rivages et sur une bande de terrain n'excédant pas
un kilomètre de profondeur. Nous avions en effet constaté qu'au delà
de cette distance le nombre de ces noms de lieux diminuait de façon très
sensible.
Afin d'apprécier la place que peut occuper cette portion de côte sur
l'ensemble littoral de la Normandie, nous avons d'abord entrepris de
rechercher tous les toponymes d'origine Scandinave dans la bande côtière
ainsi définie depuis l'embouchure de la Bresle, à la limite de la Picardie,
jusqu'à celle du Couesnon, à la limite de la Bretagne, soit sur une
longueur d'environ 600 kilomètres (1). Nous avons alors constaté que, dans
l'ensemble, les côtes normandes présentaient peu de traces Scandinaves,
à l'exception du nord du Cotentin où, au contraire, elles abondent. Plus
exactement, ce « cordon littoral scandinavisant » s'étend sur 75
kilomètres, de la presqu'île de la Hougue (Saint-Vaast-la-Hougue, cant, de Quet-
tehou) au Nez de Jobourg (Jobourg, cant, de Beaumont-Hague). Mais
une partie de cette portion de côte, longue seulement de 37 kilomètres,
se distingue particulièrement à la fois par la densité et par la cohérence
des traces laissées par les navigateurs vikings ; elle borde, comme nous
le disions plus haut, la plus grande partie du Val de Saire, de la Hougue
à la Pointe du Brick, ou plus exactement à l'Anse du Poulet qui lui fait
suite (2).
Avertissement
mie(1)
de l'Université
L'examen dedecette
Caen,
bande
en 1991-1992,
côtière a étéavec
fait dans
la participation
le cadre dudeséminaire
B. Boisgonthier,
de Dialectologie
S. Chapel,
et Topony-
C. Cot-
,
A. 1 .a. anc. scand. flik « pointe », « bout » ; cf. isl. , suéd. flik, dan.
flig(3).
— Flécard (rocher au large de Gatteville) ; nom dérivé sans doute avec
le suffixe péjoratif -ard ; d'où : « le mauvais (rocher) de la pointe ».
— Flicmare, dans Havre de F/icmare (Gatteville) ; nom composé avec
comme base l'anc. scand. marr « mer », ici « bassin » ; d'où : « le bassin
de la pointe » (voir plus bas en C.2.a).
— Le Fligard (massif rocheux dans une anse au nord de Gatteville) ;
nom composé avec comme base l'anc. scand. garthr « enclos » ; d'où :
« l'enclos de la pointe ».
A.l.b. anc. scand. hein « pointe », d'où « objet pointu » ; cf. isl.,
norv. hein, suéd. hein «pierre à aiguiser».
- Les Hennemares (terrain marécageux le long de la côte de
Gatteville), nom composé avec comme base l'anc. scand. marr «mer» et
« marais » ; d'où : « le terrain marécageux de la pointe ».
A. 1 .c. anc. scand. barmr « sein », d'où par image « pointe , « coin »,
«cap»; cf. norv., suéd., dan. barm(4).
- Barfleur, nom composé avec comme base l'anc. scand. flojt
« rivière », « cours d'eau à large embouchure » ; d'où : « le cours d'eau à
large embouchure du cap » (voir plus bas en B.4.b).
(3) Flik est également attesté dans la toponymie des Iles Anglo-Normandes : Baie Fliquet, près du
coin nord-est de Jersey.
(4) Barmr est attesté par ailleurs dans la toponymie du Cotentin : Barfouis, havre proche de la Pointe
de Jardeheu, dans la Hague (arr. de Cherbourg).
20
•Neville
'-^oubcrville *>
■M ÏIOUGUEITE Ç"lUCMARE
HJiCMiD
ROUBA
LE CRACKO
BARFLEUR.
LESHOUGUE
LEFOVRQVET
CRACKO
LESANGUES
LE HOMMET
3- COTE DES VIKINGS
BRET EN BAS
LE DESSIN
LA LOGE
DRANGUET
VITEQVET
Ç^IATIIIOU
^^\y- -<1-Oy
A LA MARE
K \ vnr
~/ \ BREVY
4- CÔTE DES VIKINGS / \LA MARE
L'APPROCHE ^S-^ FOULY
/ /LERVN
22
A. 1 .d. anc. scand. kra « angle », « coin » ; cf. isl. kra, norv. kraa ;
et en toponymie anglaise : Crathorne (Yorkshire North Riding).
— Crabec, dans Havre de Crabe(c), Moulin de Crabe(c) (Gatteville),
nom composé ayant comme base l'anc. scand. bekkr « cours d'eau » ;
d'où : «le cours d'eau du coin» (voir plus bas en B.4.a).
— Le Cracko (partie sud de Barfleur, entre le port et la mer), nom
composé ayant comme base l'anc. scand. kok « bouche », « gueule » ; d'où
ici : « l'embouchure clu coin ».
A.2.a. anc. scand. haugr « hauteur » ; cf. norv. haug. isl. haugur ;
et en toponymie anglaise Stanhowe (Yorkshire North Riding), Carling-
how (Yorkshire West Riding).
- La Hougue, 2 (Saint- Vaast-la-Hougue et Gatteville).
- La Hougue de Butin, plateau rocheux au large de Gatteville.
- La Heugue, 2, forme anglo-scandinave (Cosqueville et
Fermanville).
- Les Hougues (Montfarville).
- Le Houguet (Réville).
- La Houguette, 2 (Gatteville et Neville).
Une « hougue » s'élève généralement à une hauteur de dix à quinze
mètres au-dessus des terres environnantes.
L'article défini qui est toujours présent devant les produits de haugr
montre que ce terme a été intégré de bonne heure dans la langue
française parlée de la région comme nom commun. Sa première forme a été
hogue (latinisé en Hoga dans des textes de 1040 et de 1216). Dans le
courant du XIIIe siècle, il a subi la fermeture du o que l'on constate dans
de nombreux mots français (corone, devenu courone, cort et corbe,
devenus court et courbe...) ; d'où le type hougue (latinisé en Hougua dans
les textes du XIVe siècle). Le nom commun hougue existe encore
aujourd'hui dans le français parlé à Jersey et à Guernesey, avec le sens
de « hauteur », tandis qu'en Normandie continentale, depuis plusieurs
siècles, semble-t-il, il ne subsiste qu'à l'état de toponyme. Cette
limitation de l'usage s'est faite plus tôt dans les régions où le mot était peu
employé. C'est ce qui explique l'existence des toponymes La Hogue, dans
le sud de la Manche et dans le nord de la Seine-Maritime, et La Hoguette,
dans le centre du Calvados, figée sans doute avant le XIVe siècle.
24
B. LE DESSIN DU RIVAGE(carte 3)
B. 1 . 1. 1 ° ) En emploi autonome :
s
(5) Brekka est attesté ailleurs dans la toponymie du Cotentin : Bricquebec, Bricquebost (arr. de
Cherbourg).
Ann. Normandie, 43, 1993, 1 25
L'Emprionnerie
(6) Ce nom de personne relevé par Jan de Vries (Altnordisches Etymologisches Worterbuch) ne semble
pas avoir été d'un usage fréquent. Il n'a pas été signalé par Jean Adigard des Gautries (Les noms de
personnes Scandinaves en Normandie de 91 là 1066). C'est cependant un anthroponyme dont il existe
plusieurs attestations sous différentes formes dans différentes langues germaniques anciennes. Sous la
forme de l'ancien haut-allemand Tado, on le trouve dans le nom d'une localité française du Pas-de-
Calais : Tadinghem (cf. Ernest Nègre : Toponymie générale de la France).
26
B.2.a. anc. scand. sker « récif», « rocher isolé » ; cf. isl. sker, norv.
skjer ; et en toponymie anglaise Scare (Cumberland), Skerton
(Lancashire), Ravenscar (Yorkshire North Riding).
En français, le groupe [sk] à l'initiale provoque la formation d'un e
prothétique ; d'où : *esquer. Après la chute du s devant consonne au XIIe
siècle et celle du r final dans les siècles suivants, on obtient la forme [eke],
généralement graphiée sur les cartes équet. Lorsque le produit de sker
se trouve en finale d'un toponyme composé, la prothèse peut ne pas se
produire ; d'où alors la finale -quet.
— Les Equets, dans Plateau des Equets, haut-fond au large de
Gouberville.
— Vitéquet (rocher situé dans le prolongement de la Pointe de Saire,
Réville), nom composé avec l'adjectif de l'anc. scand. hvitr « blanc » ;
d'où : «le récif blanc» (à cause de l'écume).
— Sans doute Le Fourquet (rocher situé en face de l'entrée du port
de Barfleur), nom composé avec l'anc. scand. for « devant » ; d'où : « le
récif devant (Barfleur) ».
B.2.c. anc. scand. bakki «hauteur», d'où ici «rocher» ; cf. isl.
bakki, norv., suéd. bakke.
- Rouba (rocher au nord de Barfleur s 'élevant à cinq mètres au-
dessus du niveau moyen de la mer), composé avec l'anc. scand. ro
« coin » ; d'où : « le rocher du coin » (voir plus haut en A. 1 .e).
— Roubari (voir plus haut en A. 1.2).
Ann. Normandie, 43, 1993,1 27
B.2.d. anc. scand. bodhi*« rocher à fleur d'eau » ; cf. isl. bothi,
norv. bode.
— Quillebœuf (rocher au large de la côte est de Gatteville), nom
composé avec l'anc. scand. kill « passage » ; d'où : « le rocher du passage »,
ou « le rocher auprès duquel il faut passer » (7).
B.2.f. anc scand. steinn « pierre » ; cf. isl. steinn, norv. stein, sued. ,
dan. sten.
— Croquetun (ancienne graphie Crosquestain) (rocher en forme de
croissant situé près de la côte de Cosque ville), nom composé avec l'anc.
scand. krokr « courbe » ; d'où : « le rocher en courbe ».
B.3.a. anc. scand. polir « anse arrondie », « bassin » ; cf. norv. poil ;
et en toponymie anglaise peut-être le nom de ville fréquent en Grande-
Bretagne Poulton (Cheshire, Gloucestershire, Kent, Lancashire).
— Le Poulet dans l'Anse du Poulet (Maupertus).
— Les Poulets (massif rocheux limitant une anse sur le rivage de
Cosque ville).
(7) C'est en passant sur ce rocher, et non à côté comme elle aurait dû le faire, que la Blanche Nef,
navire qui transportait de Barfleur vers l'Angleterre les enfants d'Henri Ier Beauclerc, duc de
Normandie et roi d'Angleterre, fut perdu corps et biens en novembre 1120.
28
B.3.c. anc. scand, lykkja « courbure » ; d'où ici « pointe qui suit
(ou précède) une courbure du rivage» ; cf. norv., isl. lykkja.
— La Loge (à la Pointe de Néville).
— La Pointe de la Loge, 2 (Réville et Cosqueville).
B.4.a. anc. scand. bekkr « ruisseau » ; cf. isl. bekkur, norv. bekk,
sued, back, dan. boek ; et en toponymie anglaise Holbeck
(Nottinghamshire), Caldebck (Cumberland), Sandbeck (Korkshire West Riding).
— Crabec (Gatteville), nom composé avec l'anc. scand. kra « coin » ;
d'où : «le cours d'eau du coin» (voir plus haut en A.l.d.).
B.4.b. anc. scand. fljot « rivière » ; cf. le verbe anc. scand. fljota
« couler », isl. , norv. fljota, suéd. flyta, dan. flyde ; en toponymie anglaise,
le mot apparaît seulement dans des noms de rivières.
Cet étymon a donné, en toponymie normande, la finale de nom
composé -fleu, laquelle est devenue -/leur par attraction du nom commun
français fleur (lat. florem). Si l'on en juge par l'examen des sites
correspondant aux six toponymes en -fleur qui existent en Normandie (la Ger-
fleur et Barfleur dans la Manche, Honfleur dans le Calvados, Fiquefleur
dans l'Eure, Harfleur et Vittefleur en Seine-Maritime), le sens exact de
fleu semble être celui de « cours d'eau se jetant dans la mer par une
(relativement) large embouchure ». Les toponymes en -fleu(r) ont donc été
d'abord des hydronymes. Ensuite ils ont été le plus souvent utilisés pour
désigner une localité située soit près de l'embouchure (ex. Barfleur,
Honfleur), soit sur le cours de la rivière (ex. Vittefleur).
— Barfleur, nom composé avec l'anc. scand. barmr « cap » ; d'où :
« le cours d'eau à large embouchure du cap » (voir plus haut en A. 1 .c).
B.5. Un amer
B.5. anc. scand. merki « point de repère », « amer » ; cf. isl. merki,
norv., dan. merke, suéd. mârke.
Cet étymon a donné deux produits en dialecte normand : merque et
mer(c) « point de repère ». Ils sont passés en français, le premier avec
changement de voyelle, d'où : marque ; le second, par fausse coupe et
agglutination de la voyelle de l'article défini, a donné le substantif amer (la
mer(c) devenu l'amer).
— La Merque (rocher qui marque l'entrée de la passe de la « mare »
de Landemer, à la limite de Ré ville et de Montfarville).
Ann. Normandie, 43, 1993, 1 29
C. L'APPROCHE DE LA TERRE
Cl. L'accostage
C. 1 .a. anc. scand. vik « entrée », « accès » ; cf. isl. , norv. , suéd. vik
« baie », dan. vig « crique » ; et en toponymie anglaise Blowick et Lowick
(Lancashire), Wigtoft (Lincolnshire).
Le sens attribué à l'ancien Scandinave vik est généralement celui de
« baie », « anse » (AEW et FEW), sens qui est effectivement celui que
présentent les langues Scandinaves modernes. Mais si l'on considère la
signification des produits de cet étymon en Normandie, on est amené à
penser que le mot introduit dans cette région par les Vikings au Xe siècle
ne désignait pas une baie ou une crique, mais une entrée, un moyen
d'accès, en particulier un moyen d'accès à la terre pour des navigateurs.
En effet, on trouve le produit de vik d'une part dans un certain nombre
de microtoponymes côtiers terminés par -vie ou -vi, mais aussi dans
le nom commun dérivé, avec le suffixe français à valeur diminutive -et,
viquet, lequel a été ultérieurement francisé en guichet, par élimination
de ses caractères dialectaux (v et k). L'examen des différents sites du
Cotentin dans le nom desquels apparaît la finale -vic/-vi amène à
proposer la définition suivante pour le mot vie, qui a été un nom commun
en ancien normand comme le montre le toponyme Le Vicq : un « vie » est,
sur une côte rocheuse, un passage dégagé permettant à plusieurs bateaux
de faible tirant d'eau d'atteindre facilement la terre, laquelle est peu
élevée (d'un à deux mètres au-dessus du niveau de la mer). Le sol en est
sableux et solide. A marée basse, la mer ne se retire pas loin du rivage.
Les côtés de la plage qui se présente ainsi sont protégés par des
massifs rocheux. Ils résistent donc mieux aux attaques de la mer qui, au
contraire, ronge le rivage dégagé, et ce d'autant plus qu'on s'éloigne des
côtés. Aussi ce rivage a-t-il tendance à s'incurver. C'est ce qui fait que,
le plus souvent, un « vie » est devenu une anse. Mais une anse n'est pas
un « vie » si elle ne correspond pas à la définition qui vient d'être donnée.
C'est pourquoi on peut penser que le sens de « baie » donné au mot vik
dans les langues Scandinaves n'est qu'un sens dérivé.
D'autre part, le nom commun viquet, encore employé aujourd'hui dans
le français régional des départements de la Manche et du Calvados,
désigne une petite porte, en particulier celle qui, sur la face antérieure d'un
grand tonneau, permet à un enfant de se glisser pour nettoyer l'intérieur
de ce tonneau (8). Dans les parlers locaux du Cotentin, un « vitchet » peut
être également le petit volet coulissant d'un confessionnal, une petite porte
découpée dans une porte cochère ou tout autre petite ouverture
permettant de pénétrer dans un endroit assez difficilement accessible. On
peut en déduire que, si un « viquet » est une petite porte, un « vie » est
ou était une porte, c'est-à-dire un moyen d'accéder quelque part. Et si
l'on considère que la notion de « porte » rejoint étymologiquement celle
de « port » on admettra qu'à l'origine un « vie » était bien un moyen d'entrer
quelque part et, plus précisément pour des navigateurs, un moyen
d'accéder à la terre.
— Brévy dans Anse de Brévy (Réville), nom composé avec l'adjectif
de l'anc. scand. breidhr « large » ; d'où « le large vie » ou « là large entrée ».
Effectivement Brévy est le plus large, le plus dégagé des «vies» du
Nord-Cotentin. La passe entre les rochers a environ 150 mètres de
largeur et 300 mètres de longueur ; et la plage s'étend sur plus de 500 mètres.
— Houlvi dans Havre de Houlvi (Gatteville), nom composé avec
l'adjectif de l'anc. scand. hoir « profond » ; d'où : « le vie profond » ou
«l'entrée profonde».
— Sylvie (petit « vie » à 300 mètres au sud de la Pointe de Gatteville,
qui n'est plus indiqué sur la carte IGN au 25 OOO*""), nom composé avec
l'anc. scand. silfr « argent » ; d'où : « le vie d'argent », c'est-à-dire « le vie
blanc » ou « l'entrée blanche » (d'écume).
La graphie relevée atteste l'attraction du prénom Sylvie.
— Les Etanvis (massif rocheux situé à la Pointe de Gatteville), nom
composé avec l'anc. scand. steinn « pierre » ; d'où : « le vie aux pierres ».
Le « vie » auquel les rochers doivent leur nom est très étroit et d'accès
délicat. On peut penser que les Vikings l'ont cependant repéré et utilisé,
à cause des dangers que présente la navigation dans ces parages du Raz
de Barfleur.
— Le Vicq (massif rocheux situé au large de Cosqueville). En fait,
si les cartes modernes donnent ce nom à un rocher, il ne fait pas de doute
qu'il a d'abord désigné le passage de bonne qualité, entre ce rocher et
celui de Croquetun (voir plus haut), qui permet d'accéder à la terre sur
un site appelé d'ailleurs parfois la Plage du Vicq.
— Cap Lévi (ou Lévy), dit aujourd'hui Port du Cap Lévi, dans la baie
qui s'étend de la Pointe du Fort de Fermanville à la Pointe du Brûlé . Nom
composé des deux substantifs de l'anc. scand. kapella « chapelle » et vïk ;
d'où : « le vie de la chapelle ».
La première attestation de ce toponyme apparaît dans les Gesta régis
Henrici Secundi du moine anglais Benoît de Peterborough (9), qui furent
composés dans le dernier quart du XIIe siècle. Pour le mois d'août 1 177,
l'historiographe du roi d'Angleterre, duc de Normandie, arrière-petit-fils
de Guillaume le Conquérant, écrit ceci :
under
(9) the
Dans
name
Theof
chronicle
BenedictotofthePeterborough,
Reigns of Henry
edited,
II andfrom
Richard
the Cotton.
ll.A.D.Uss.,
1169-1192,
by William
known
Stubbs,
commonly
MA,
London, 1867.
Ann. Normandie, 43, 1993, 1 31
(10) La forme Capelevi qu'on lit dans le Journal de Gilles de Gouberville, gentilhomme du Val de
Saire qui écrivait au milieu du XVIe siècle, ne doit pas faire illusion. Comme cet auteur graphie
également le même toponyme Capplevy, on doit l'analyser cap(e)-le-vi et non capèle-vi. Et c'est sans doute
de la même façon qu'il convient d'analyser la forme écrite capploit qui apparaît dans Le grant routier
et pilotage et enseignement pour ancrer tant es porz/havres qu'en autres lieux de la mer, de Pierre
Garde, dit Ferrande, paru à Rouen en 1483, et réédité jusqu'en 1632. Si l'on admet que le digramme
-oi- est une variante graphique de -ui- (cf. les graphies médiévales noit pour nuit et pois pour puis),
si l'on sait que la lettre u peut représenter la voyelle u, mais aussi la consonne v, et que le t final n'était
plus prononcé, capploit peut être analysé cap-l'vi, avec l'élision, fréquente dans la région, du e de l'article
le.
(11) Carte « Normannia » de Guillaume de l'Isle (vers 1716).
(12) Carte de la « Province de Normandie » (1791).
(13) « Carte de l'Evêché de Coutances » (fin du XVIIIe s.).
(14) « Carte du Département de la Manche » (vers 1791).
(15) II faut ajouter à cette liste la graphie Capelvy qu'on lit sur une carte du Diocèse de Coutances
datant de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Cette forme doit être analysée cap-Z'vi, avec épenthèse
d'un e entre le p et le / afin de rendre prononçable le groupe triconsonantique -plv-.
(16) Portulan de Jean Guérard : « Description hydrographique des costes, ports, havres et rades
du royaume de France » (1627).
32
C.2. Le mouillage
MAN CHE
34
C.3.a. anc. scand. run « courant entre deux mers » ; cf. norv. run.
— Le Run (de Saint- Vaast à l'Ile Tahitou) : à marée haute courant,
à marée basse chaussée, formés par la mer lorsqu'elle monte de chaque
côté de l'île.
— Le Run (au nord de la côte nord de Fermanville).
(17) Reidh est attesté ailleurs dans la toponymie du Cotentin et des Iles Anglo-Normandes : Goury,
port d'Auderville (Hague, arr. de Cherbourg), Gorey, port de St-Martin à Jersey et havre au sud de
Serk, et sans doute Carteret, port de la côte ouest du Cotentin (arr. de Cherbourg).
Ann. Normandie, 43, 1993, 1 35
C.3.b. anc. scand. ras « courant d'eau » ; cf. isl. ras, norv. raas ;
et en toponymie anglaise : Mill Race (ancien toponyme), Gipsey Race
(Yorkshire East Riding).
Après avoir été adopté par le dialecte normand, le produit de cet éty-
mon est passé en français pour désigner soit un détroit parcouru par un
courant de marée rapide, soit ce courant lui-même.
— Le Raz de Barfleur (au large de la Pointe de Gatte ville).
D.l.a.I. anc. scand. topt « village » ; cf. isl. tott, norv., dan. toft ;
et en toponymie anglaise : Toft (nombreux exemples), Topcliffe
(Yorkshire West Riding), Bratoft (Lincolnshire), Silbertoft (Northamptonshire).
- Le Tot, 2 (Saint- Vaast et Réville).
- Le Tot de Bas et Le Tot de Haut (Fermanville).
- Maltot (Réville).
- Quartot (Réville).
D. 1 .a.II. anc. scand. boeli « habitation » ; cf. isl. boeli, norv. , dan.
boler, sued, bole ; et en toponymie anglaise : Newball (Lincolshire).
- Le Haut Bel (Montfarville).
D. 1 .b.II. anc. scand. skali « baraque » ; cf. isl. skali, norv. skaale ;
et en toponymie anglaise : Skales (Yorkshire North Riding), Skaleby
(Cumberland), Elliscales (Lancashire).
— Ecale, rocher proche de la côte de Cosqueville et qui doit son nom
à une construction légère qui s'élevait sans doute autrefois sur le rivage.
CONCLUSION
René LEPELLEY
Université de Caen
(18) Ces toponymes ayant été relevés sur un espace d'environ deux kilomètres de profondeur (un
kilomètre en mer et un sur terre), voici, à titre de comparaison, le nombre approximatif de noms de
lieux d'origine Scandinave qui apparaissent à l'intérieur des terres, par bandes de deux kilomères
parallèles à la bande côtière qui vient d'être étudiée : d'un à trois kilomètres, une douzaine de toponymes ;
de trois à cinq, une dizaine ; de cinq à sept, une demi-douzaine ; de sept à neuf et de neuf à onze (limite
des cantons de Quettehou et de Saint-Pierre-Eglise), deux ou trois.
38
Farman D.2.
polir B.3.a.
flikA.l.a.
fljot B.4.b.
for B.2.a. ras C.3.b.
full C.I. b. reidh C.2.b.
ro A. I.e.
gardhr A.I. a. run C.3.a.
BIBLIOGRAPHIE