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Cours Sur Du Mensonge en Politique

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Cours sur du Mensonge en politique

Le texte Du mensonge en politique intervient dans le contexte de la publication des « documents du


Pentagone », le Pentagone abritant, aux Etats-Unis, le ministère de la Défense. Ces documents sont relatifs à la
politique menée par les Etats-Unis pendant la guerre du Vietnam (1955-1975). Le Vietnam avait été divisé en
1954 en deux parties : le Vietnam du Nord, communiste, et dirigé par Hô Chi Minh, et le Vietnam du Sud, soutenu
par les Etats-Unis. Une partie des Sud-Vietnamiens, communistes, se sont insurgés, créant en 1960 le Front
national de libération du Sud Viêt Nam. Opposés au régime de leur pays, ils sont soutenus par le Vietnam du
Nord. A partir de 1962, les Etats-Unis s’engagent militairement pour soutenir le régime en place au Vietnam du
Sud et bombardent le Vietnam du Nord en 1965. La politique états-unienne, à l’origine d’un nombre considérable
de victimes, se solde par un échec, conduisant au retrait de ses troupes en 1973.
En 1971, le New York Times rend publics les documents du Pentagone rédigés par des experts et classés
confidentiels, concernant l’engagement militaire états-uniens au Vietnam. Ces documents, qui ont suscité une vive
réaction de défiance de l’opinion publique vis-à-vis du gouvernement, révèlent en particulier le processus
décisionnel qui a conduit à la politique belliqueuse menée par les Etats-Unis, le gaspillage à l’œuvre pendant toute
cette période, ainsi que l’écart entre les informations fournies par ces documents et la manière dont la situation a
été présentée dans l’espace public à cette époque. A la suite de cette publication par le New York Times, Arendt,
qui, comme nombre de ses concitoyens, s’opposait à cette guerre, fait paraître la même année, en 1971, Du
mensonge en politique. Réflexions sur les documents du Pentagone dans la New York Review. Elle met en lumière
les enseignements que nous pouvons tirer de ces documents, dans la perspective du rapport entre mensonge et
politique. (D’après Faire Croire, GF Flammarion, Paris 2023, p.158 et suivantes)

En 2018 sort le film Pentagon Papers (The Post) de Steven Spielberg, mettant en vedette Tom Hanks et
Meryl Streep dans les rôles respectifs de Benjamin Bradlee et Katharine Graham, considéré comme « un grand
film sur la liberté de la presse », et une icône du journalisme d'investigation.

Explication linéaire du chapitre

I.

« Le secret – ce qu’on appelle diplomatiquement la « discrétion », ou encore arcana imprerii, les


mystères du pouvoir -, la tromperie, la falsification délibérée et le mensonge pur et simple employés
comme moyens légitimes de parvenir à la réalisation d’objectifs politiques font partie de l’histoire
aussi loin qu’on remonte dans le passé. La véracité n’a jamais figuré au nombre des vertus politiques,
et le mensonge a toujours été considéré comme un moyen parfaitement justifié dans les affaires
politiques. » p.13

On retrouve ici le point de départ de « Vérité et politique », selon lequel le mensonge a toujours été
considéré comme faisant partie de la politique, y compris par la tradition philosophique. Le présupposé d’une
telle conception est celui de poser qu’on ne peut diriger ou commander en disant la vérité, car si on le fait
alors on ne peut plus gouverner. En cela, la valeur de la vérité peut être relativisée dans le domaine de la
politique.

Pour Arendt, s’opposant à une telle conception de la vérité en politique, la déformation active des
faits réels est toujours « agressive ». Elle est « agressive », parce qu’elle procède d’une décision et induit un
aveuglement du peuple, lequel en étant privé de la vérité ne peut produire une opinion réfléchie et
documentée. On comprend alors le titre de l’ouvrage Du Mensonge à la violence dans lequel se trouve le
chapitre « Du mensonge en politique ». Arendt condamne le mensonge, parce qu’il génère de la violence en
politique.

Elle reconnaît par ailleurs que le mensonge fait partie de l’humanité. Dans « Vérité et politique »,
elle écrit que mentir fait partie de la liberté humaine. Nous pouvons mentir parce que nous pouvons imaginer

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Cours sur du Mensonge en politique de Hannah Arendt
C. Acker
une autre réalité à celle qui est la nôtre. Autrement dit, nous sommes libres de nous écarter de ce qui a et a eu
lieu. La faculté de transformer les vérités de fait trouve sa source dans l’imagination. « La négation
délibérée de la réalité – la capacité de mentir – et la possibilité de modifier les faits – celle d’agir – sont
intimement liées ; elles procèdent l’une et l’autre de la même source : l’imagination. » p.14

L’imagination n’est pas systématiquement condamnable, c’est elle qui permet, par exemple, de
produire des fictions, des rêveries et des œuvres d’art. Mais elle doit poser problème en politique, dès lors
qu’elle cherche à faire croire, sans le dire, en une réalité qui n’existe pas. Il y a alors manipulation, selon
deux éléments : 1) l’imagination permet de déformer la réalité 2) L’imagination permet d’inventer des
techniques pour effacer la déformation.

Autrement dit, la négation de la vérité de fait suppose toujours deux actes en même temps 1) faire oublier un
événement de l’histoire 2) faire oublier l’oubli en effaçant les preuves.

On retrouve alors l’idée développée dans « Vérité et politique », selon laquelle les vérités de fait sont
fragiles, parce qu’elles portent sur l’histoire des humains, laquelle n’est pas « mécanique ». Chaque
événement est toujours unique et singulier, en ce sens il aurait pu se passer autrement. Il est contingent. Mais
(et le mais est fondamental) une fois qu’il a eu lieu, il est nécessairement. Nous avons alors la responsabilité
de le nommer et de le porter à la connaissance de tous tel qu’il s’est passé.

« La falsification délibérée porte sur une réalité contingente, c’est-à-dire sur une matière qui
n’est pas porteuse d’une vérité intrinsèque et intangible, qui pourrait être autre qu’elle n’est.
L’historien sait à quel point est vulnérable la trame des réalités parmi lesquelles nous vivons notre
existence quotidienne ; elle peut sans cesse être déchirée par l’effet de mensonges isolés, mise en pièces
par les propagandes organisées et mensongères de groupes, de nations, de classes, ou rejetée et
déformée, souvent soigneusement dissimulée sous d’épaisses couches de fictions, ou simplement
écartée, aux fins d’être ainsi rejetée dans l’oubli. » p.15

« La trame des réalités […] peut sans cesse être déchirée ». Le verbe déchirer révèle la violence du
mensonge, comme puissance d’anéantissement. La propagande (du latin « propagare » signifiant propager)
se définit comme une action systématique exercée sur l’opinion pour lui faire accepter certaines idées et
comportements. Elle se caractérise par une manipulation des esprits, afin d’éliminer le pluralisme des points
de vue et d’empêcher l’exercice de l’esprit critique. Hannah Arendt insiste sur le fait que la manipulation
n’est pas l’exclusivité des totalitarismes. En démocratie, les faits peuvent aussi être manipulés, comme ce fut
le cas pendant la guerre des États-Unis au Vietnam, sauf qu’en démocratie nous pouvons agir contre une telle
dissimulation en veillant à au respect et à la communication des vérités de fait.

Pour cela, les humains ne doivent pas se détourner de la sphère politique, c’est-à-dire du monde
partagé. Nous devons en permanence soutenir les vérités de fait en réactualisant et rappelant leurs preuves :
témoignages, archives, chronologie, bâtiments etc. « Il en résulte qu’aucune déclaration portant sur des
faits ne peut être entièrement à l’abri du doute – aussi invulnérable à toute forme d’attaques que, par
exemple, cette affirmation : deux et deux font quatre. » p.15

Si le menteur sait avec raison que les faits auraient pu se dérouler autrement, il sait également que
mentir suppose de répondre aux attentes de ceux qu’il cherche à tromper. « Le menteur possède le grand
avantage de savoir d’avance ce que le public souhaite entendre ou s’attend à entendre. » p.16 En cela, il
fabrique non seulement une « image » à la place du réel mais il crée l’image à partir de ceux à qui il s’agit de
l’imposer comme une réalité.

Les expériences totalitaires mettent au jour la puissance du mensonge : « Ainsi, ils prouveront que,
dans un système d’économie socialiste, il n’existe pas de chômage en refusant de reconnaître son
existence ; dès lors, un chômeur n’est plus qu’une entité non existante. » p.16. Les faits sont invisibilisés
par le discours politique qui domine.

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Cours sur du Mensonge en politique de Hannah Arendt
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Ce qui compte, c’est la propagation du discours dans toutes les consciences. Et c’est ce qui se passe
quand Arendt écrit à propos du discours officiel tenu sur la guerre du Vietnam : « Plein de confiance dans
« leur situation, leur formation et leur réussite », ils ont peut-être menti par patriotisme erroné. Mais
l’important est qu’ils ont ainsi menti, moins au bénéfice de leur pays – et certainement pas pour en
préserver l’existence, qui ne fut jamais menacée – qu’au bénéfice de son « image » p.21

Le mensonge tend à remplacer le réel par une image. Le menteur refuse la contrainte de la vérité.

II.

« L’essentiel, ici, est que la politique du mensonge ne se proposait nullement d’abuser l’ennemi
(c’est l’une des raisons pour lesquelles ces documents ne contiennent aucun secret militaire relevant de
la loi réprimant l’espionnage) mais était principalement, sinon exclusivement, destinée à la
consommation interne, à des fins de propagande et tout particulièrement aux fins de tromper le
Congrès. » p.25 Le Congrès constitue la branche législative du pouvoir américain, c’est-à-dire celle qui
discute et vote les lois. Autrement dit, la vérité était cachée à ceux qui ont en charge l’élaboration des lois.

La raison pour Arendt est de « persuader le monde » de la toute puissance du gouvernement


américain. Elle écrit, en effet : « ce qu’indiquent bien les documents du Pentagone, c’est la hantise de la
défaite et de ses conséquences, non sur le bien-être de la nation mais « sur la réputation des Etats-Unis
et de leur président. » Il s’agit de « sauvegarder l’image de la toute puissance ». Ce discours est commun
aux deux présidents Johnson et Nixon qui se sont succédé lors de la guerre du Vietnam.

« L’objectif était désormais la formation même de cette image, comme cela ressort à l’évidence
du langage utilisé par les spécialistes de la solution des problèmes, avec ses termes de « scénarios » et
de « publics », empruntés au vocabulaire du théâtre. » p.30 Le mot « théâtre » (qu’Arendt reprend p.33)
est fondamental, car il renvoie à la prévalence des apparences sur la réalité. Ce qui importe, c’est de
construire par le discours et par le faire croire ce qui est capable de recouvrir la vérité de fait, à savoir, ici,
que les Etats-Unis s’enlisent dramatiquement dans une guerre sans fin.

Ce que montre alors Arendt c’est que le gouvernement ne manipule pas seulement les esprits mais il
croit lui-même que seule la manipulation peut « permettre de dominer réellement le monde. » p.31 Il y a
alors une inversion des valeurs : cela n’est pas la vérité qui doit et peut constituer le monde politique mais le
mensonge. En cela, le trompeur produit une croyance qu’il tient très probablement pour vrai, à savoir que la
vérité est antipolitique par nature. Or c’est précisément cette croyance-illusion qu’Arendt entend mettre en
question dans les deux chapitres au programme.

« C’est cet éloignement des réalités qui frappera sans cesse l’esprit du lecteur des documents
du Pentagone qui aura la patience d’en achever la lecture. Dans l’essai ci-dessus mentionné [The
Pentagon papers], Richard J. Barnet déclare à ce propos : « Le modèle que la bureaucratie avait conçu
faisait totalement abstraction des réalités ; les faits, obstinés et résistants, que tant de spécialistes de
l’analyse des renseignements, payés fort cher, devaient rassembler, étaient délibérément laissés de
côté. » p.34

III.

Arendt relève la « disparité totale entre les faits, tels qu’ils étaient établis par les services de
renseignements et parfois par les responsables des décisions eux-mêmes (comme ce fut le cas
notamment pour McNamara), et souvent connus du public informé, et les prémices, les théories et les
hypothèses qui servent finalement de base aux décisions. »

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Cours sur du Mensonge en politique de Hannah Arendt
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En 1971, la publication par le Washington Post et le New York Times des Pentagon Papers, à la suite
d’une fuite orchestrée par Daniel Ellsberg, montre que, dès 1966, le président Johnson et son secrétaire à la
Défense McNamara savaient que la guerre du Viêt Nam ne pouvait pas être gagnée (wikipédia) mais le
discours dominant, public affirmait l’inverse.

Arendt donne comme exemple de cette disparité l’écart entre le discours officiel de Nixon et la
réalité des faits. « L’idée qu’il était nécessaire de « contenir » la Chine a été réfutée, en cette année 1971,
par le président Nixon […] deux années auparavant il [McNamara] avait reconnu que l’objectif des
Etats-Unis au Vietnam « n’était pas ‘d’aider un ami’, mais de contenir la Chine. » p.41

C’est précisément le scandale d’une telle disparité entre les discours officiels et les faits qui ont
conduit un grand nombre des citoyens américains à s’opposer à la guerre du Vietnam. « Ceux qui
s’opposent à la guerre ont dénoncé toutes ces théories parce qu’elles étaient contredites par l’évidence
des faits » p.42

Mais si Arendt reconnaît que de nombreux citoyens américains ont cherché à connaître la vérité, elle
affirme, en revanche, que les acteurs principaux du maintien de la guerre au Vietnam refusaient les vérités de
fait au nom de leur propre idéologie. Elle écrit, en effet : « On peut juger par là d’un des dangers les plus
graves que comporte l’usage exagéré du secret lors de la classification des documents : non seulement
on refuse ainsi au peuple et à ses représentants élus toute possibilité de savoir ce qu’il leur faudrait
connaître pour pouvoir se former une opinion et pour prendre une opinion (on retrouve ici en tout point
les propos de « Vérité et politique », selon lesquels les opinions politiques doivent être éclairées par la
connaissance de l’histoire) mais les responsables, qui ont toute latitude d’accéder aux sources,
demeurent eux-mêmes tranquillement plongés dans leur ignorance. » p.46-47 Autrement dit, les
décideurs politiques écartent les vérités de fait.

« Dans le cas du Vietnam, nous nous trouvons en présence non seulement de la confusion et du
mensonge, mais aussi d’une ignorance réellement effarante et de bonne foi de tout l’arrière-plan
historique du problème » p.48 Pour Arendt, les falsificateurs pensent sincèrement que la vérité n’a pas
d’importance dans la conduite de la guerre.

Le gouvernement américain refuse de considérer le Vietnam autrement que comme « une petite
nation arriérée » ne s’intéressant pas aux nations « civilisées », idée que partagent malheureusement
nombre de ceux qui sont opposés à cette guerre, [… et qui] est en contradiction flagrante avec la
culture très ancienne et très évoluée qui est celle des peuples de cette région. »

« L’échec désastreux de la politique américaine d’intervention armée ne résulte pas en fait


d’un enlisement (« la politique qui consiste à faire sans cesse « un pas de plus » - chacun de ces pas
promettant toujours une victoire déjà promise par le précédent qui devait être le dernier, et que,
contrairement aux prévisions, il n’avait pas permis d’atteindre », comme la définissait Arthur
Schlesinger Jr., que cite Daniel Ellsberg en dénonçant à juste titre le caractère « mythique » de cette
conception), mais bien du refus délibéré et obstiné, depuis plus de vingt-cinq ans, de toutes les réalités,
historiques, politiques et géographiques. » Les gouvernements sont persuadés que les vérités historiques
n’ont pas de rôle à jouer dans les décisions politiques.

IV.

« Bénéficiant d’une supériorité en puissance de feu équivalent à 1000 contre 1 », les Etats-Unis,
en six années de guerre ouverte, n’en ont pas moins été incapables de triompher d’une petite nation ;
incapables de résoudre leurs problèmes intérieurs et d’arrêter la dégradation accélérée de leurs
grandes villes, ils ont à un tel point gaspillé leurs ressources que l’inflation et la dévaluation de la

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Cours sur du Mensonge en politique de Hannah Arendt
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monnaie menacent leur commerce extérieur et le niveau de vie de leurs habitants ; les Etats-Unis
risquent de perdre bien plus que leurs prétentions à la domination mondiale. » p.50 C’est précisément
cette vérité qui est mise hors du monde politique pour Arendt.

« Dans le perpétuel conflit entre les déclarations publiques, toujours débordantes d’optimisme, et les
rapports véridiques des services de renseignements, dépeignant une situation sombre et angoissante, les
déclarations publiques devaient l’emporter du seul fait qu’elles étaient publiques. » p.51 On aboutit ici à une
survalorisation des techniques de communication sur l’exigence de dire la vérité. Ce qui importe davantage
c’est l’effet de réel qu’est capable de produire un discours, indépendamment de sa valeur de vérité ou de
fausseté.

Dans ce texte, Hannah Arendt insiste sur la puissance de l’autosuggestion qu’elle résume grâce à
« une anecdote datant de l’époque médiévale : un guetteur, chargé de surveiller et de signaler
l’approche de l’ennemi aux habitants d’une cité, sonna faussement l’alarme, et fut le dernier à courir
lui-même aux créneaux afin de défendre la ville contre l’ennemi imaginaire. On peut en conclure que
plus un trompeur est convaincant et réussit à convaincre, plus il a de chances de croire lui-même à ses
propres mensonges. » p.51 Cette histoire met en scène la crédulité du menteur à son propre mensonge. Il
croit en ce qu’il fabrique. En cela, il est lui-même l’objet de son mensonge, et non pas seulement le sujet.

Enfin, Arendt fait une différence entre ce qui se passe aux Etats-Unis et ce qui se passe dans les Etats
totalitaires en terme de dissimulation de la vérité. Dans les démocraties, la presse peut encore faire son
travail, à savoir de dire la vérité. « Dans les documents du Pentagone, nous sommes en présence
d’hommes qui ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour l’emporter dans l’esprit des gens, c’est-à-dire pour
manipuler l’opinion ; mais du fait qu’ils opéraient dans un pays libre, où l’on peut avoir accès à toutes
les sources d’informations, ils n’ont jamais pu y parvenir réellement. » Les journaux ont pris le risque de
publier les documents secrets afin de nourrir et d’éclairer les opinions politiques du peuple américain.

Dès lors, ce sont les trompeurs qui ont été les plus victimes de leur propre tromperie : « Les
trompeurs ont commencé par s’illusionner eux-mêmes. Du fait sans doute de la position élevée qu’ils
occupaient et de leur imperturbable confiance en eux-mêmes, ils étaient tellement convaincus de
pouvoir remporter un succès total, non pas sur le champ de bataille, mais dans le domaine des
relations publiques, et si fermement assurés de la valeur de leurs postulats psychologiques quant aux
possibilités illimitées de manipuler l’opinion, qu’ils ont anticipé, et sur la conviction généralisée, et sur
la victoire dans cette bataille dont l’opinion publique était l’enjeu. Comme de toute façon ils avaient
choisi de vivre à l’écart des réalités, il ne leur paraissait pas plus difficile de ne pas prêter attention au
fait que leur public refusait de se laisser convaincre que de négliger les autres faits. » p.53 La négation
des vérités de fait est produite également l’orgueil et l’auto-assurance des hommes de pouvoir.

Pour Arendt, l’autosuggestion représente alors le plus grand danger, car le dupeur « qui se dupe lui-
même perd tout contact, non seulement avec son public, mais avec le monde réel »

Mais Arendt maintient là aussi, comme à la fin de « Vérité et politique », que le « réel » ne manquera
pas de rattraper le dupeur p.54.

Le travail de vérité sera cependant difficile car leur propre autosuggestion ont poussé les décideurs
politiques à organiser la guerre comme « un ordinateur plutôt que par des hommes « responsables des
décisions » Les spécialistes de la solution des problèmes n’appréciaient pas, ils calculaient. » p.55 Le
mensonge généralisé abolit la possibilité d’un jugement réfléchi et éprouvé. Si on ne confronte pas ses
opinions à la vérité, ni aux opinions d’autres que soi, alors on arrête de penser.

Les gouvernements américains ont refusé d’accepter ce que toute nation doit reconnaître, à savoir
des limites de droit pour faire place aux autres nations. « Si des moyens aussi importants et coûteux en
vies humaines et en ressources matérielles ont pu être consacrés à des fins dépourvues de tout sens

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Cours sur du Mensonge en politique de Hannah Arendt
C. Acker
politique, il ne faut pas en chercher la raison seulement dans la surabondance regrettable des
ressources de ce pays, mais aussi dans son incapacité à comprendre que le pouvoir, même celui d’une
très grande puissance, comporte toujours des limites. A l’arrière-plan de ce cliché, constamment repris,
de la « plus grande puissance mondiale », se profilait le mythe périlleux de l’omnipotence. » p.56 Les
Etats-Unis ont voulu faire croire à leur pouvoir illimité.

En cela, les milieux dirigeants « n’avaient nul besoin de faits ou d’informations : ils avaient une
« théorie », et toutes les données qui ne concordaient pas avec elle étaient rejetées ou délibérément
ignorées. » p.58

V.

L’affaire des documents du Pentagone met ainsi en avant les phénomènes de « la duperie, de
l’autosuggestion, de la fabrication d’images, du jeu des idéologies et de la négation des réalités » dans
le champ du politique. p.64

Et elle met en même temps en avant le rôle irremplaçable de la vérité, à savoir de la nécessité en
démocratie de la communiquer sans cesse, comme l’a montré « le plus respectable des journaux du pays
[qui] osa prendre la décision de donner la plus large diffusion à des documents qui avaient été classés
« ultra-secrets ». p.64

Elle conclut alors en affirmant : « Que, depuis des années, le public ait pu avoir connaissance de
ce que le gouvernement s’efforçait vainement de lui dissimuler témoigne de l’intégrité et des pouvoirs
de la presse avec plus de force encore que la façon dont toute l’affaire a pu être révélée par le New York
Times. La preuve est faite désormais de la justesse d’une opinion souvent défendue : une presse libre
et non corrompue a une mission d’une importance considérable à remplir, qui lui permet à juste titre
de revendiquer le nom de quatrième pouvoir. Un autre problème est de savoir si le premier
amendement pourra suffire à garantir cette liberté politique particulièrement essentielle : le droit à
une information véridique et non manipulée, sans quoi la liberté d’opinion n’est plus qu’une cruelle
mystification. » p.65-66

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C. Acker

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