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Elan Linguistique Dans Un Esprit de Concorde - Contexte Marocain 1

Linguistique descriptive

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Discours, Langue & Société (Dislanso)

Issue [Special] : Série de billets N°1/2024


ISSN 2505-5313

Elan linguistique dans un esprit de concorde : contexte


marocain

Wissal SALMI
Doctorante, Université des lettres et sciences humaines de Fès, Maroc
[email protected]

Introduction
La situation linguistique au Maroc a connu plusieurs
fluctuations qui remontent à la présence française au pays. En
effet, depuis 1912, le français s’est imposé dans les institutions
marocaines. Il a par conséquent perturbé par degrés l’immuabilité
dont a joui, de longue date, la langue arabe. C’est pour cette raison
que, après l’indépendance, nombreuses étaient les voix qui
revendiquaient une nouvelle politique linguistique qui restitue à
l’arabe son ampleur.
Or, il ne faut pas nier de l’autre côté que le français a été
également touché par toutes ces oscillations sociolinguistiques. Le
contact direct avec les Maghrébins dans la période coloniale lui a
permis de s’enrichir à travers divers mots arabes ou dialectaux
qu’y ont été imprégnés. Son arabisation a contribué donc à son
enrichissement comme il a contribué, à son tour, à la promotion
de la langue arabe en France. La littérature marocaine
francophone s’avère être l’exemple adéquat pour détailler
davantage notre propos. Elle incarne un double rôle celui, d’une
part, de promouvoir l’arabe et de l’autre d’enrichir la langue
française à travers un nouveau lexique maghrébin qui a pris sa
place dans les dictionnaires et le langage usuel des Français, citons
8

à titre d’exemple le mot « le seum » qui signifie « poison », ou


Page

encore « chouia » signifiant « un petit peu ».


Elan linguistique dans un esprit de concorde : contexte marocain
Wissal SALMI
Discours, Langue & Société
Issue [Spécial] : Série de billets d'articles N°1
Année : 2024

L’objectif de cet article est de montrer comment et dans


quelle mesure le rapport entre le français et l’arabe s’est
transformé d’une « guerre des langues »1 en une mise en valeur et
un enrichissement mutuel. Pour cela, nous allons alterner entre les
méthodes qualitatives et quantitatives. Concernant la première, il
serait question de présenter un aperçu historique des deux langues,
depuis la colonisation jusqu’à nos jours, ainsi que le débat qu’elles
ont occasionné dans la scène marocaine après l’indépendance.
Dans la seconde, nous allons tenter de collecter et d’analyser
quelques exemples tirés de la littérature marocaine francophone
afin de bien déchiffrer la symbiose qui commence à régner entre
les deux langues.
Du français langue étrangère vers le « francarabe »2
Plusieurs sont les langues parlées au Maroc, celles-ci
diffèrent d’une région à une autre comme la langue amazighe et
ses variétés ou encore la langue arabe dialectale et standard. Or,
la colonisation est venue pour minoriser toutes ces langues, elle a
par conséquent orienté le débat linguistique vers le rapport
qu’entretiennent le français et l’arabe standard. La langue
française s’est imposée alors tant au niveau officiel dans les
institutions et les administrations marocaines, qu’au niveau
sociétale. C’est la cause pour laquelle Fouzia Benzakour3
distingue entre deux modèles d’acquisition qui commencent à
9

s’établir dans la période coloniale ; le premier est formel à travers


Page

l’enseignement/apprentissage du français dans les écoles et le


1
Pour citer le propos de Louis-Jean Calvet dans son œuvre intitulée La guerre des langues
et les politiques linguistiques.
2 Un néologisme qui désigne l’alternance codique dans une même langue entre le français

et l’arabe.
3
BENZAKOUR, Fouzia. (2007). Langue française et langues locales en terre
marocaine : rapports de force et de reconstructions identitaires. Hérodote, vol
3.pp.45.56.
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Issue [Spécial] : Série de billets d'articles N°1
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second se veut informel à travers le contact quotidien entre les


colonisateurs et les autochtones.
L’instauration du français comme première langue au
Maroc a impacté la présence de l’arabe au pays. Les deux langues
commencent donc à entretenir un rapport de « glottophagie » que
Louis-Jean Calvet définit :
«Comme la tendance des langues
dominantes à dévorer les langues dominées,
tendance qui débouche inéluctablement sur
la disparition de la variété linguistique
infériorisée »4

Ce phénomène peut avoir comme conséquence le


déclenchement d’une « guerre linguistique» dans laquelle chacune
des deux langues tend à triompher. Le débat a été donc divisé entre
ceux qui défendent la langue arabe en faisant référence à sa sacralité,
et ceux qui préfèrent maintenir la langue française comme étant un
facteur de modernisation. Mais le français « dominant » a réussi, au
fur et à mesure, à fléchir le statut sacré de la langue arabe, qui est
devenue par la suite « dominée ».
Face aux revendications qui se sont accrus de la part des
tenants de l’arabe, une politique d’arabisation a été instaurée après
l’indépendance. Laquelle n’a pas réussi à faire table rase du
français. Elle est parvenue, en revanche, à affecter son statut
comme « langue acrolecte », c’est d’ores et déjà une « langue
10

mésolecte » qui s’acclimate avec le cadre socioculturel et


Page

4
SALAUN, Marie. (2010). Un colonialisme glottophage ? Histoire de
l’éducation.pp.53.78.
L’écrivaine donne le sens littéral du terme, « glottophagie » serait donc littéralement
« mangeur de langue ».
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linguistique du pays5. Sa « reterritorialisation », comme le dit Paul


Bandia, va lui attribuer un renouveau au niveau stylistique et
lexical avec une contenance maghrébine :
« Cette vernacularisation se manifeste par
des marques linguistiques distinctives qui
servent à déterritorialiser le français pour
ensuite le reterritorialiser dans son nouveau
contexte postcolonial »6

Dans le même ordre d’idées, Fouzia Benzakour conçoit


cette situation d’un point de vue d’enrichissement. En d’autres
mots, les mutations que le français a connues lui a permis de
s’enrichir à travers des termes qui se sont imprégnés, empruntés
aux langues dialectales marocaines. Au lieu de promouvoir une
politique d’arabisation qui aurait tendance à répondre aux
aspirations des revendicateurs, l’arabisation établie a, au contraire,
contribué à une adaptation consistante du français dans la terre
marocaine. Cependant, il ne peut guère, selon la critique, s’adapter
aux codes sociaux du pays sans « s’enrichir » et « enrichir ». Il
s’agit en effet de s’enrichir en accueillant dans ses dictionnaires et
même dans le langage oral des Français des mots qui se réfèrent à
des concepts inexistants dans la culture française, ce qui contribue
à la promotion de la langue arabe en France et dans les pays
francophones. Cet enrichissement bilatéral a pour effet de créer
une relation interculturelle.
11
Page

5
BENZAKOUR, Fouzia. (2001). Français de référence en usage au Maroc : une
adéquation illusoire : l’exemple d’une adéquation lexicale.pp.75.87.
6
BANDIA, Paul. (2001). Le concept Bermanien de l’« Etranger » dans le prisme de la
traduction postcoloniale. TTR : Traduction, terminologie, rédaction, 14 (2), pp.123.139.
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Aujourd’hui, les langues au Maroc se sont métissées. Cela


revient aux années qui précèdent l’an 20037 où on remarque qu’un
mélange linguistique qui commence à atteindre le parler marocain
(le français et l’arabe). Ce mélange a été concurrencé, par la suite,
par les langues vernaculaires. On assiste dès lors à un
plurilinguisme intéressant qui contribue à l’enrichissement du
paysage linguistique marocain. La Darija, langue arabe dialectale
prend place également dans ces mutations, et se sert du français
pour se promouvoir. Avec l’éclosion des nouvelles technologies,
la langue dialectale certes orale, devient écrite grâce aux lettres
latines. On la voit très souvent dans les commentaires Facebook,
Youtube ou dans les sms, métissée souvent, voire même toujours
au français. C’est une langue hybride qu’on nomme le
« francarabe »:
« Le francarabe est né d'un désir des
locuteurs à se forger une langue pratique et
simple. La variété dialectale de l'arabe est
une variété simple mais dénuée de termes
techniques, alors que la langue française et
la variété standard de l'arabe sont connues
par leur complexité et par des difficultés à
manier les règles de leur grammaire. C'est
donc par souci de simplification que le
francarbe a été mis en circulation. Il fallait
contourner la complexité du français et se
libérer du carcan des langues nationales
12

très conservatrices qui étouffent toute


Page

expressivité, et ce pour répondre à un double

7
ZIAMARI, Karima et RUITER, Jan Jaap. (2015). Les langues au Maroc : réalités,
changements et évolutions linguistiques. Le Maroc au présent : d’une époque à l’autre,
une société en mutation. Casablanca : centre Jacques-Berque.pp.441.462.
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besoin: satisfaire les exigences d'une société


en mutation socioculturelle (appropriation
fonctionnelle), et satisfaire les besoins
langagiers de ses utilisateurs. »8
Nous enregistrons, dans la conjoncture actuelle,
l’émergence de l’anglais dans la scène linguistique. Il vient
s’ajouter à ces langues qui se sont déjà installées au pays. Le
français, toujours présent, suit la cadence accélérée des mutations
linguistiques nationales et s’interpénètre avec toute nouveauté
pour assurer une existence permanente même à degré marginal.
Après avoir délimité le parcours linguistique national
depuis la colonisation jusqu’à la période moderne, nous allons
tâcher, dans le volet suivant, à analyser le statut du français dans
son état postcolonial en nous appuyant sur les études des
spécialistes.
Le français à double destination
Comme on a déjà mentionné plus haut, l’arabisation n’a pas
réussi à ôter la langue française du paysage linguistique marocain.
Elle a, à contrario, favoriser sa présence en lui poussant à se mettre
au diapason avec les autres langues qui singularisent la culture
maghrébine. Le français est devenu après l’indépendance
ubiquiste ; partout où on part, il est présent dans les panneaux
publicitaires, dans les grandes surfaces, dans la tété, la radio et les
médias… Il s’est imposé donc malgré l’évolution linguistique que
connait le Maroc contemporain. C’est pourquoi on le combine
souvent avec d’autres langues qui font leur entrée au pays comme
13

l’anglais, l’espagnol… ou aussi avec les langues dialectales qui


Page

marquent leur retour.

8
MAAYOUF, Mohamed. (2010). Quelques données sur langues et discours identitaires
dans le Maroc contemporain. Langues et littératures. (20). pp.125.143.
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Dans cette phase, nous allons étudier l’impact des


fluctuations politiques et sociétales marocaines sur le français
dans et hors le pays. Il s’agit d’une analyse contrastive qui vise le
récepteur français et national, car ils ont une perception différente
du français postcolonial.
Contrairement à ce qu’affirment ses détracteurs, la langue
française a joué un rôle primordial dans la valorisation des langues
dialectales écrasées par la diglossie. On assiste, loin de là, à une
régénération d’un français à double réception. Il s’agit d’un
français amalgamé de bon nombre d’aspects culturels maghrébins,
ce qui le rend d’une part « étranger » au lecteur français et
« indigène » de l’autre pour le lecteur maghrébin.
Afin d’expliciter ces concepts, faisons appel à Antoine
Berman qui distingue dans son œuvre L’épreuve de l’Etranger
entre un « français de France » et un « français étranger ». Il
avance que « le texte français étranger parait « autre » que le texte
français de France »9. Cette «étrangeté » ressentie émane de la
multitude des emprunts10 incorporés dans la langue française.
Celle-ci devient, selon Rainier Grutman, une langue
« hétérolingue », par laquelle il désigne :
« La présence dans un texte d’idiomes
étrangers sous quelques formes que ce soit,
aussi bien que de variétés (sociales,
14

régionales ou chronologiques) de la langue


principale »11
Page

9
BERMAN, Antoine. (1984). L’épreuve de l’étranger. Gallimard.p.18.
10
Christiane Loubier définit l’emprunt linguistique, dans son œuvre intitulée De l’usage
de l’emprunt linguistique, en étant : « une unité ou trait linguistique d’une langue qui est
empruntée intégralement ou partiellement à une autre langue ».
11
DENTI, Chiara. (2017). L’hétérolinguisme ou penser autrement la traduction. Meta
62(3). Pp.521.537.
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L’« hétérolinguisme » cité semble constituer une source


principale qui a mené vers une arabisation du français. Lequel a
perdu son statut de référence pour devenir « étranger ». Il a opéré,
dans le contexte marocain, ce que Chantal Zabus signifie par
« l’indigénisation de la langue »12. C’est un français postcolonial
qui a été assimilé à l’esprit « marocain ».
La production romanesque de la littérature francophone
marocaine illustre ce propos. Depuis les années cinquante,
plusieurs auteurs se sont mis à publier des œuvres de langue
française où ils tracent leur vécu et où ils effectuent une
rétrospection vers leur enfance caractérisée par les traditions
Maroco-musulmanes. Nous allons tenir à la présenter comme
étant un échantillon à valeur probante compte tenu de son écriture
hybride, qui se positionne à la croisée des langues parlées au
Maroc.
La littérature marocaine d’écriture française
La présence du français au Maroc a apporté un
enrichissement tant au niveau linguistique qu’au niveau littéraire.
Une nouvelle littérature d’origine maghrébine de langue française
a vu le jour pendant la colonisation, et a continué à évoluer après
l’indépendance jusqu’au moment présent. Elle incarne la
promotion de la langue arabe et les langues dialectales hors le
Maroc d’un côté, et de l’autre le maintien du français dans la scène
littéraire dans le pays. Il s’agit comme la définit Jean Déjeux d’une
15

littérature : « produite par des auteurs écrivant le français ou en


français, mais non en tant que Français »13. Idem pour Berman qui
Page

part du même constat en évoquant les productions francophones :


12
Le palimpseste africain : Indigénisation de la langue dans le roman ouest-africain
europhone, travail publié en anglais par Chantal Zabus traduit par la suite vers le français.
13
CYR, Gilles. (1973). La littérature marocaine d’expression française.
Volume15.n°5(89).p.131.
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« Nous regrouperons ces productions sous


la catégorie du « français étranger ». Elles
ont été écrites en français par des
« étrangers », et portent la marque de cette
étrangeté dans leur langue et leur
thématique »14
En lisant les romans marocains d’expression française, on
ne peut s’empêcher de remarquer la mise en rapport de la langue
d’écriture et l’identité de l’auteur. Ces dernières s’entremêlent et
s’interfèrent pour créer un texte à valeur interculturelle. Dans un
article publié dans la revue Souffles15, Abdellatif Laabi énumère
les phases nécessaires qui déterminent l’écriture francophone
marocaine. Il s’agit certes selon lui d’écrire à partir d’un
« instrument linguistique qui véhicule la réalité française et
occidentale », mais qui se caractérise par « un fond culturel,
esthétique et idéologique national, populaire ou arabe », cela en
neutralisant sur le plan terminologique les modèles culturels de la
langue étrangère et en y imprégnant, en contrepartie, une autre
terminologie propre à l’écrivain marocain. C’est, en d’autres
termes, une créolisation du français ayant pour but son arabisation
ou encore sa marocanisation.
De même, Abdelkébir Khatibi prône une théorie de la
différence qui se fonde sur la mise en exergue de la plurivalence
de la culture maghrébine que cela soit en linguistique ou en
littérature. Il perçoit alors le bilinguisme dans le texte littéraire
marocain non dans une optique de déchirement ou d’aliénation,
16

mais en tant qu’ouverture à l’altérité qui marque l’identité


Page

14
BERMAN, Antoine. Op.cit.
15 LAABI, Abdellatif. (1970). Littérature maghrébine actuelle et francophonie.
Souffles.n°18.pp.35.38.
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nationale. Dans Amour bilingue16, il introduit pour la première


fois le néologisme de la « bi-langue » qu’il définit comme un
milieu entre la langue maternelle et la langue étrangère. Marc
Gontard, de son côté, affirme que la bi-langue « n’est pas le
mélange entropique des deux idiomes mais une langue intervallaire où
l’arabe habite le français d’une manière palimpseste »17.
C’est une troisième langue modelée selon les spécificités
esthétiques de chaque auteur. Sachant que ce dernier ne peut se
détacher complètement de ses origines, le lecteur peut aisément
s’aviser que l’auteur se serve d’un lexique national pour narrer son
histoire. L’imaginaire qu’il propose dans ses écrits nécessite le
recours à des mots empruntés aux langues dialectales. Ces
emprunts peuvent être lexicaux, sémantiques ou phonétiques,
chacun à son rôle précis. Par rapport à la réception française, les
premiers peuvent être la source d’une initiation aux langues
dialectales ainsi qu’à la culture marocaine puisqu’ils rassemblent
les diverses facette de la société au niveau culinaire (tajine,
couscous…), religieux (fquih, cheikh, coran…) ou aussi au niveau
vestimentaire (babouche, djellaba, caftan…).
Plusieurs sont les exemples témoignant de cette
hétérogénéité linguistique. Pour corroborer ce propos, et soutenir
l’hypothèse postulant l’esprit de concorde qui touche les langues
au Maroc d’après l’indépendance, nous avons cherché à relever
de divers romans marocains d’écriture française, ce qui marque
« l’étrangeté » ou « l’indigénisation » du français, cela en
17

détectant les éléments hétérolingues explicités supra. Le choix du


corpus a été effectué de manière aléatoire, ne respectant aucune
Page

16
Œuvre publiée en 1983.
17
GONTARD, Marc. (2007). Francophonie et globalisation : la question de l’interlecte.
International journal of Francophone studies. Vol 10.N°1.2. pp.253.269.
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condition précise. Nous avons, cependant, opté pour des ouvrages


qui s’inscrivent dans les différentes périodes de la littérature
marocaine francophone (Période coloniale, postcoloniale,
moderne et actuelle).
Commençons en premier lieu par La boite à merveilles18
d’Ahmed Sefrioui étant le précurseur de cette littérature au Maroc
où on peut trouver une panoplie d’emprunts comme : « Dar
chouaffa » (p.3), « Autour de moi rodaient les jnouns » (p.4), « la
couleur des caftans » (p.6). Même cas pour Abdelhak Serhane
concernant son roman Messaouda19, citons : « des crêpes pour le
s’hor » (p.22), « Tous les tolbas, tous les chouafas, tous les
fqihs » (p.21), « les femmes avaient assez de pudeur pour me
dénoncer à la taillaba » (p.42). L’ensemble de ces éléments
émane des phénomènes culturels propres au Maroc que la langue
française ne peut guère exprimer. Ils sont majoritairement
présentés soit en italique ou entre deux guillemets. L’auteur choisi
donc de marquer un clivage entre ces éléments culturels et la
langue principale du roman. Remarque qu’on ne trouve pas chez
les auteurs francophones modernes, comme chez El Mostafa
Bouignane dans son roman L’année de Bacchus20. Aucune
différenciation ne marque les mots dialectaux imprégnés, il s’agit,
en effet de la « bi-langue » évoquée plus haut : « hassania-mou-
Qtout » (p.19) ou aussi « aux alentours de minuit, après avoir
trôné auprès de la mariée sur la tabriza » (P.40). Abdellah Taia
dans son roman Le rouge du tarbouche21 part plus loin. Son titre
18

marque déjà cette réconciliation avec sa langue maternelle


Page

« tarbouche ». Outre les emprunts linguistiques qui débordent


18
Roman autobiographique publié en 1945.
19
Roman publié en 1986.
20
Roman publié en 2021.
21
Roman publié en 2014.
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dans son roman, il utilise également dès les premières lignes des
emprunts phonétiques22 pour marquer l’oralité et montrer au
lecteur étranger comment un tel ou tel mot peut se prononcer : « Je
suis d’une ville connue dans l’histoire par ses corsaires. Salé !
Sala, en arabe classique. Sla en arabe dialectal marocain » (p.9).
Le dernier exemple que nous proposons incarne un
particularisme que nous essayerons de déchiffrer. C’est celui de
Tahar Ben Jelloun qui dans beaucoup de cas adopte, comme
l’avance Laabi en parlant de cette situation :
« Une opération inverse qui consiste à
adapter la réalité Maghrébine au public
étranger. Le cynisme de ces écrivains peut
aller jusqu’à mettre des notes en bas de page
pour faciliter la tâche à ce public :
Hammam : bain maure ; derbe : ruelle ;
Medina : ville arabe… »23

Quoiqu’en utilisant des emprunts linguistiques


intéressants, l’auteur de La nuit sacrée, part souvent à les
expliquer en notes infra-paginales, comme dans cet exemple tiré
de La punition24 dans lequel l’auteur explique le mot « fouissi » :
« Fouissi : terme pejoratif employé à la place de « fassi » qui
désigne les personnes originaires de Fès. » (p.59). Nous pouvons
conclure que Tahar Ben Jelloun fait partie des écrivains qui visent
19

le lecteur français en vue de faire promouvoir la culture marocaine


Page

et sa diversité linguistique aussi.

22
Ces emprunts phonétiques sont employés également par Tahar Ben Jelloun, mais dans
l’état inverse dans son roman La punition. Il suit cette démarche pour montrer comment
les Marocains articulent les mots français : « « Rassema » (Rassemblement) à quatre
heures ; « Rivail » (Réveil) à trois heures. » (p.33).
23
LAABI, Abdelatif. Op.cit.
24
Roman publié en 2018.
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Les différents exemples, que nous avons présentés,


exposent la symbiose que les auteurs ont imposée entre l’arabe et
le français. Toute période de l’Histoire de cette littérature traduit
la réconciliation graduelle entre les deux langues. Une grande
dissemblance peut être, à titre d’exemple, décelée entre l’écriture
de Sefrioui comme pionnier et d’El Bouignane étant un auteur
moderne s’inscrivant dans la continuité. Le premier a tendance à
imprégner, avec timidité, des mots arabes relatifs à la culture
marocaine tandis que le second s’insinue avec audace dans
l’héritage national, ne se souciant guère de la réception. Cela peut
être expliqué par le débat linguistique qui a marqué chaque
époque. Celle de Séfrioui a été, comme nous l’avons déjà
mentionné, marquée par le refus total du français. Les auteurs de
cette époque étaient, pour les opposants du français, des
« traitres » qui s’adressaient au colonisateur. Celle d’El
Bouignane, en revanche, souligne l’acceptation du français
comme une langue dénotant l’Histoire du Maroc, et qu’on ne peut
gommer, mais qui participe, à son tour, à l’enrichissement du
paysage linguistique marocain. C’est dans cette optique
qu’Hassan Manya affirme dans son œuvre Origines du dialecte
marocain, que sur 1420 mots de l’arabe dialectal marocain, 200
mots sont d’origine française. Citons quelques exemples qu’il
propose : « Guermel : Caramiliser ; Fassma : pansement ; Ferssada :
Fassade ; Zoufri : célibataire, adjectif dont la racine est tirée du mot
ouvrier ». Comme nous le remarquons, ces mots ont connu un
changement phonétique afin de s’adapter à la langue dialectale et
à l’articulation marocaine. Ces statistiques ne peuvent, enfin,
qu’affirmer ce flux d’échange partagé entre les langues en
20

question.
Page
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Conclusion
A l’aune de ce qui précède, nous pouvons conclure que la
littérature marocaine d’écriture française, et en particulier le genre
romanesque incarne la présence du français comme langue
étrangère au Maroc, mais surtout son adaptation aux divers
changements politiques, linguistiques ou littéraires qu’a connus le
pays. Les écrivains nationaux de langue française représentent le
miroir qui reflète l’itinéraire de cette langue depuis la colonisation
jusqu’à pouvoir s’enraciner de nos jours. Chacun l’exploite selon
son optique et ses modalités esthétiques. Citons Ben Jelloun dans
une interview avec L’express :
« C’est du français qui voyage et qui se
laisse séduire par d’autres rivages, d’autres
rêves et d’autres exigences. C’est un
imaginaire qui joue, chante, se trompe et
rectifie les apparences. Notre imaginaire
donne l’hospitalité à une langue qu’il traite
avec générosité et plaisir et humour »25

Somme toute, le français a réussi à se maintenir à travers


son adaptation aux diverses caractéristiques culturelles et
linguistiques marocaines. Ce qui a contribué à un transfert
linguistique et à un enrichissement mutuel entre les deux langues.
Raison pour laquelle plusieurs mots arabes sont empruntés, à leur
tour, à la langue française. Cette dernière continue, jusqu’à lors, à
s’acclimater aux nouveautés linguistiques que connaît le pays.
Toujours métissée aux langues dialectales nationales, elle reprend
21

la même démarche avec, cette fois, une nouvelle langue qui fait
Page

son entrée au Maroc, à savoir la langue anglaise.

25
Eloge de la langue française dans L’express par Le Clézio J.M.G, interview publiée le
07/10/1993.
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Bibliographie
BANDIA, Paul. (2001). Le concept Bermanien de l’« Etranger » dans le prisme
de la traduction postcoloniale. TTR : Traduction, terminologie, rédaction, 14 (2),
pp.123.139.

BENJELLOUN, Tahar interviewé par Le Clézio J.M.G. Eloge de la


langue française dans L’express par, interview publiée le 07/10/1993

BENJELLOUN, Tahar. (2018). La punition. Edition Folio.

BENZAKOUR, Fouzia. (2001). Français de référence en usage au Maroc : une


adéquation illusoire : l’exemple d’une adéquation lexicale.pp.75.87.

BENZAKOUR, Fouzia. (2007). Langue française et langues locales en terre


marocaine : rapports de force et de reconstructions identitaires. Hérodote, vol
3.pp.45.56.

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