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La Torah - Haddad, Philippe (1956 - ) - Auteur - 2014 - Paris - Eyrolles - 2212559720 - Anna's Archive

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EVROLLES PRATIQUE

Religion

Philippe Haddad

LA TORAH
Une synthèse d'introduction et de référence
pour éclairer LE CONTEXTE, LES ÉPISODES,
LES VALEURS et L'ACTUALITÉ DU TEXTE

“ … EYROLLES
Digitized by the Internet Archive
in 2022 with funding from
Kahle/Austin Foundation

https://archive.org/details/latorah0000hadd
LA TORAH
NN
Philippe Haddad

LA TORAH

Cinquième tirage 2016

EYROLLES
Éditions Eyrolles
61, bd Saint-Germain
75240 Paris Cedex 05
www.editions-eyrolles.com

Cet ouvrage a fait l’objet d’un reconditionnement à l’occasion de son quatrième tirage
(nouvelle couverture et nouvelle maquette intérieure).
Le texte reste inchangé par rapport à la précédente édition.

Mise en pages : Compo Meca Publishing - 64900 Mouguerre

Le code de la propriété intellectuelle du 1“ juillet 1992 interdit en


effet expressément la photocopie à usage collectif sans autorisation
des ayants droit. Or, cette pratique s’est généralisée, notamment dans
les établissements d'enseignement, provoquant une baisse brutale des
PHOTOCPILLAGE | achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de
TUE LE LIVRE
créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est au-
jourd’hui menacée.
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement
ou partiellement le présent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans autorisation
de l'éditeur ou du Centre Français d'Exploitation du Droit de Copie, 20, rue des
Grands-Augustins, 75006 Paris.

© Groupe Eyrolles 2010, pour le texte de la présente édition


© Groupe Eyrolles 2014, pour la nouvelle présentation
ISBN :978-2-212-55972-9
À mon père toujours vivant dans mon cœur

À ma « Douleur »
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SOMMAIRE

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Chapitre 1 Quelques repères historiques et pratiques ........... 15


DRE COS CUBelDS étre 2 et a ons 15
Un peuple élu qui se remémore son histoire... .................. 18
Daho no ER CR EE NES AS RE En 19
PODOGIS Le MIO PARTS A en Det Poe 4 Ar eue Te 26
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LOCARON DIDIER de OT EN ARRET 00 34
TMacitionecrié ettragition orale... #2 uit ce 34
DES AUTeUrS Cds Tea lets, à ner Ame ie Oh 55 pe 35
Formation el'canomsanion de la Torah...
,,.... ST
VE TENTE RON RS OR EN ER et 40

Chapitre 2 La Torah oule livre du Pentateuque .................... 43


ROÉENAS CUS RE Mes cd a tv 43
Latreanion d'Adam eh Evene ee nt mt eue 44
BDD URL OUR LES DOI ER 50
Les patriarches, en réponse à l'appel............................ 54
LC CPC MAO VEN PES RE Ce 0 TO RO 55
APTARAM EU COUT SO POUT TONNES DA ve NC Rent 60
TNT CHELLESEEE 63
Jacob clla peur de IT bonne conscience nf... ER ES 67
Estere dUne IDÉATIO ES A ne te nee Terme: 70
Joseph, chureet ascension du juste ........................... A1
ICI TE DOI DORE ER einen Drame nue DE de 74
Pa la naissance de 14 DETTE. eee me me mn me mp one AA
Bébhrenussice nel Me TS TS nes errant 82
Le Décalogue, quand Dieu Parle AUX DOMINES en. eco 82
Le Lévitique, appel à la SALLE D I ee 86
Lacité biblique d'onetpus teen RER TE 20 92
Écoute, Israéla profession de foi d'Israël. ..........,...... 95
LémmonorDesmnen TAC RERO
ECC CET EEE 95

Chapitre 3 Néviim oule livre des Prophètes ..................... 101


LéSrécits NSTOrIQUÉS REA ee Re NNER 101
Josué, les promesses PÉDIIIÉRS S R SRER EEE REE 102
SAMOA DDISAIS ARR NE Ce 107
SATAUCL, JUBEN CL UNE ee M I ie 111
An livre des Rois, srandetriel déceler RERO ne HIS
RS D Rdtie di 119
les OofaciésS D'OobDhÉtiUes us ee RE MR 124
GE Honor Near ootondonsoododéouc re 124
Jérémie; lomentations el espérances A RERO Eee 128
Éxéchiel, la passionde Diet ee PLEMET 155
OS MATLIQUEIESPOAE LEE TT Re Ce 157
Jonas, un prophète D'LON DETTE INA AE A CET RTE CREER 0e E51
Malachie, CLONE UM PATES ve NN IEEE NE R ER Pre 145

Chapitre 4 Kétouvim oulelivre des Écrits........................ 151


ÉÉSIMESDOÉOUES RE OS ill
LES PAM ER RTS 152
Jobs Ten TAN se2e em CPE. 157
Le Cantique des cantiques, chanter l'amour .................. 161
RAD) UTECONUErSI0n DOUTER NERENRE
PRORRN PERTE CS 164
LÉ SIMS SSA DISTANT
ARE ne 169
Le livre des Proverbes, un père parle à son SE OR, Le 169
L’Ecclésiaste, de la vanité à la crainte de Dieu ................ 75
Esdras, le renouveau d'Israël. ............................. A7

Chapitre 5 Lectures de la Torah ...........................,....... 181


ARCS ECOUTER Ce MR AR NET PT RES 181
Une double lecture, littérale et PHANACHIQUE NES TERE 182
Le déroulement d'une assemblée aujourd'hui. ................. 184
AIÉcouUte delle siete ee 186
LH permanente delUe. er CREER NES RER 186
Les communautés juives dans le monde. ..................... 188

8 La Torah
PRAIRIE DEAN EN NON SLR Bis 191
Torah et société : implications pratiques ....................... 192

CONCLUSIONS er rene dencre rene ira laser veuassensees 195

Fate CR 199

BIDOU EAN SN ares meaar sance necessite 203


NE. Eee Rare
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INTRODUCTION
La lecture de ce livre pourrait ressembler à la visite d’un grand
pays. Le touriste ne pourra pas tout voir d’un coup ; mais en faisant
confiance à son guide, il aura au bout de son périple un aperçu
général des monuments importants, de l'atmosphère sociale, de
l'historique des lieux, il pourra même côtoyer quelques habitants.
Ce pays se nomme Torah, le livre fondateur de la foi d'Israël, et
nous serons votre guide.
Ce long récit narratif entrecoupé de règles législatives, d’oracles
prophétiques, d'interventions divines, de poèmes et de maximes
morales ou religieuses, couvre une période très large de la période
antique proche-orientale ; les héros y sont nombreux, la période
couverte très longue, les narrations parfois contradictoires, le climat
souvent passionné, l’ensemble s'exprimant en hébreu ancien, plus
rarement en araméen.
Le guide que nous voudrions être a dû faire un choix au regard de
la somme impressionnante des chapitres. C’est notre œil subjectif
d’auteur, guidé par les questions d’amis ou de fidèles étudiants,
qui a eu raison de nos décisions. Tout ne sera donc pas dit, mais
nous espérons que les extraits donneront l'esprit du tout, et que les
morceaux choisis satisferont la curiosité du lecteur tout en ouvrant
son appétit.
Pour la méthodologie, nous avons suivi la voie la plus simple :
chaque thème est inauguré par la citation de quelques versets
suivis d’un commentaire analytique augmenté d’approches tradi-
tionnelles juives qui s’ajoutera à la couleur biblique. Certains textes
ont été inspirés de nos écrits antérieurs parus dans d’autres livres
ou des journaux. Nous le signalerons en bas de page.

Introduction | 11
Mais avant de passer au détail de ces écritures, il nous faut présen-
ter le livre dans son ensemble. Dans ce but, le premier chapitre
éclairera l’histoire de la Torah, et la manière dont ces textes sont
vécus depuis toujours par ceux qui en ont été les dépositaires.

Comment se retrouver dans la Torah ?

Vous trouverez, au fil du texte, de nombreuses références à la Torah, comprise


au sens large, autrement dit la Bible. Voici la marche à suivre pour décrypter ces
données et retrouver les textes auxquels nous faisons référence.
Dans toute référence biblique, le nom ou l’abréviation correspond au nom de
l’un des 24 livres de la Bible, le premier chiffre correspond au chapitre et le
second, après la virgule, correspond au numéro du verset.
Exemples : Ex 25,18 = livre de l’Exode, chapitre 25, verset 18
Is 40, 1 = livre d’Isaïe, chapitre 40, verset 1
Pour vous faciliter la tâche, nous vous proposons ci-contre un tableau des
correspondances entre livres et abréviations. Le premier nom est hébraïque, le
second sa traduction française.

Pentateuque Genèse / Béréchit . ln


|Exode/Chémot
“itinue RE ni RE
|Ex
ne — |

Nombres /Bamidbar Nb
Deutéronome / Dévarim |Deut
Néviim Richonim ou a PRENONS TN
Premiers Prophètes | Juges / Choftim En | ; We | |

Pere livre de Sarauel /Chinousl | 1 cn |

Deuxième livre de Samuel /idem |2Sam


Premier ire des 5 Matin saxtrauct fi 1 Rois |

|Deus livre des Rois /idem “# | |2 Rois |

12 La Torah
| :Yichayahou AE
Nain one où |Isaie
|Derniers Prophètes
|Jérémie /Yirmiyah

|Éréchiel Yé’ ‘hezkel

|Douze petits prophètes /Té ASsar


fosse/Ochéa Fe a

|Joël/Yoël Jo

|
Amos ÀAmos Am

|Obadia /Obadia Ob

| Jonas /Yona
| Jon

|Michée /Mi has | | Mic


REnchons = F.
es PR no a ee

|Sophonie /Tséphania > hapné |Soph

|Aggée /‘Hagaï |Ag


|Zacharie
| %Za'haria | |Zach
| Malachie fl Male’hi |Mal |
4

|Kétouvim |Psaumes 7 Téhélim


Pnn 7Miche a
Ps
|=
ob
| ; or ne Fe

|
Cantique descantiquesïChirHachirim PS Cant

|Ruth/ Rout Ru
rene / Eha En Lam
||Ecclésiaste /Kohélet | Eccl
|
her, FN IL Est
|Daniel J Daniel | Dan
|Esdres /Ezra Esd L-

|Néhémie /Né’hémia ||Neh


L
|Premier ivredes Chroniques /De Hayamim h Chr
=
ilDeuxième livre des Chroniques àidem 2 Chr

Introduction 15
CHAPITRE 1

QUELQUES REPÈRES
HISTORIQUES
ET PRATIQUES

Au programme

+ L'histoire du peuple hébreu


+ Le peuple de la Torah
* Qu'est-ce que la Torah ?
+ Tradition écrite et tradition orale

Le terme Torah désigne, au sens strict, le Pentateuque et, au sens


large, l’ensemble de la Bible. Avant de définir la structure de la
Torah et le détail des livres qui la composent, il semble primordial
de revenir sur le contexte qui l’a vue naître, autrement dit l’histoire
de son écriture. Cette histoire est étroitement associée à celle du
peuple hébreu.

L'histoire du peuple hébreu


Rappelons tout d’abord que, dans la Bible, on parle des Hébreux,
et non des Juifs. Le terme « juif » apparaît plus tard, après la
destruction du Temple de Salomon en 586 av. J.-C., quand les
habitants du royaume de Juda, les Judéens, se retrouveront exilés
à Babylone”.

1. Notons qu’en français, le « d » de Judéen est devenu « f » pour donner Juif ;mais en
espagnol, par exemple, il a été conservé (judeo).
Temple de Salomon / Temple de Jérusalem

Si le roi David fit de Jérusalem la capitale de son royaume, c'est son fils Salomon
(Chlomo) qui construira le premier Temple avec l’aide du Phénicien Hiram. Ce
Temple, qui rassemblait les tribus israélites lors des grandes solennités, fut
détruit par Nabuchodonosor en -586 (voir p. 23).

Selon la Bible, les Hébreux descendent du patriarche Abraham


et de son épouse Sarah qui vivaient en Mésopotamie (Irak actuel)
autour de 1750 av. J.-C. Le terme hébraïque iuri (Hébreu) signi-
fie « passeur », car Abraham passa, traversa l’'Euphrate, avec sa
femme, son neveu Lot et ses bergers, pour se rendre au pays de
Canaan (Israël), répondant ainsi à un appel divin (Gn 12, 1-3).
Certains archéologues rapprochent le terme ivri de celui d’hapi-
rou où habirou, terme désignant des nomades d’ethnies vivant au
Proche-Orient à l’âge du bronze.
Durant toute leur vie, Abraham puis son fils Isaac et son petit-fils
Jacob se considérèrent comme des étrangers installés sur la terre
promise (Gn 23, 4 ; 37, 1), car pour l'heure, les peuplades cana-
néennes l’occupaient (Gn 12, 6). Personnages bénis par le Ciel, ils
n'eurent pas à souffrir de leur situation d'immigrés ; au contraire,
ils étaient respectés, voire craints, par les autochtones (Gn 23, 6 ;
DL 2700286355);

Terre promise

La Torah utilise souvent l'expression « terre jurée » par Dieu à Abraham, Isaac
et Jacob (voir Dt 1, 8). Ce pays est entendu comme l’espace de réalisation de la
loi divine par le peuple d'Israël. Remarquons que l’histoire juive, au sens large,
s'est autant déroulée sur la terre d'Israël qu'en dehors, dans une alternance
d'exils et de retours, et ce, depuis les jours antiques jusqu’à notre période
contemporaine.

Abraham se distinguait de ses contemporains en proclamant l’exis-


tence d’un seul Dieu (monothéisme), créateur de l’univers et père
de l'humanité tout entière. Cette conception, qui s'opposait au
polythéisme, impliquait une éthique de vie fondée sur la fraternité,

16 |La Torah
la responsabilité envers autrui (Gn 18) et le refus de tout sacrifice
humain (Gn 22). Ce lien avec Dieu était marqué dans l'intimité du
corps par l'alliance de la circoncision (hérif mila).
Abraham eut plusieurs enfants, dont Isaac, fils unique de Sarah.
Celui-ci engendra, avec son épouse Rébecca, deux jumeaux, Esaü
et Jacob (Gn 25), mais seul le second reçut la bénédiction qui
le confirmait dans son rôle de passeur du monothéisme éthique
(Gn 27 et 28).
Jacob épousa quatre femmes, dont Rachel et Léa, qui lui donnèrent
douze fils et une fille. Les douze garçons fonderont les douze tribus
d'Israël qui se multiplieront en Égypte (Ex 1, 7). C’est dans ce pays,
en effet, que le peuple hébreu en tant que tel naîtra, puisque Jacob
et sa maisonnée s'y installèrent conséquemment à une famine qui
toucha le pays de Canaan. Accueillis par Joseph, fils de Jacob — qui,
à la suite d’une série de circonstances, se retrouva vice-pharaon
d'Égypte —, le clan hébreu trouva pour quelque temps un havre de
paix dans une région nommée Gochen (Gn 47, 1).
Lorsqu'un nouveau pharaon se leva, la situation des descendants de
Joseph changea du tout au tout puisqu'ils furent réduits en escla-
vage ; le souverain allant, pour qu’ils ne prolifèrent plus, jusqu'à
ordonner de noyer dans le Nil tous les nouveau-nés mâles (Ex 1).
Le grand tournant de la vie des Hébreux sera marqué par la sortie
d'Égypte et la fin de leur servitude. Selon la Torah, cet événement
fut rendu possible grâce aux dix interventions divines miraculeuses
(les dix plaies), comme la transformation du Nil en sang, l’inva-
sion des grenouilles, et surtout la mort des premiers-nés égyptiens.
Cette libération mit fin à quatre cents ans d’esclavage (Ex 12, 40).
À cette action divine, un personnage-clé a toujours été associé, il
s’agit de Moïse (Moché), enfant hébreu adopté par une princesse
d'Égypte, qui renouera avec ses racines familiales et deviendra le
chef politique et religieux de cette nation embryonnaire (Ex 3, 16).
On situe généralement cet exode vers 1300 av. J.-C.

Chapitre 1. Quelques repères historiques et pratiques 17


Un peuple élu qui se remémore son histoire...
Si aucune preuve archéologique ne vient confirmer le récit
biblique, le peuple juif l’a toujours considéré comme constitutif
de sa mémoire et de son identité. En effet, cette sortie d'Égypte
véhicule cette grande idée proclamée par la Torah, et qui fera son
chemin : les peuples et les hommes sont nés pour être libres, et non
pour être asservis à une autorité humaine.
C'est pourquoi la véracité des détails historiques reste moins
importante pour le croyant que les leçons de foi exprimées par
ces textes. Ainsi, par exemple, le premier chapitre de la Genèse
n’est pas venu apprendre que le monde a été créé en six Jours, soit
6 x 24 heures (ce qui n'apparaît pas, d’ailleurs, dans une lecture
minutieuse à partir de l’hébreu), mais que le Dieu créateur est radi-
calement séparé de Sa création.
Cette conception religieuse implique l’idée de l’élection du peuple
d'Israël, parfois dénommé « peuple élu » ou « peuple choisi »
(Dt 7, 6). Il ne s’agit en rien d’une élection de droit ou d’un favo-
ritisme divin, mais bien d’un sacerdoce qui consiste à se soumettre
à une législation révélée très stricte, les commandements (m1#sv0f).
D'ailleurs, chaque fois que la notion d’élection apparaît, elle est
suivie du rappel du devoir d’observance de la Loi.
Ainsi, Dieu, en distinguant le peuple d'Israël qu'Il a délivré
cé Égypte, en fait Son témoin au milieu des hommes (Is 43, 10), de
la même façon que la figure du prêtre dans toute religion témoigne
d’une transcendance. La vocation d'Israël sera ainsi définie au mont
Sinaï, avant la révélation du Décalogue (ou encore les dix paroles,
comme il est dit en hébreu) : « Vous serez pour Moi une royauté
de prêtres » (Ex 19, 6). Dans l'idéal, l’ensemble du peuple hébreu
constitue une sorte d’« église » qui, en introduisant dans sa vie
quotidienne, chacun selon ses prérogatives, les préceptes religieux
du Sinaï actualise la conscience de Dieu dans l’esprit des hommes,
sans imposer cette conscience par la force. On peut parler d’une
pédagogie par l'exemple.

18 La Torah
Tel est le seul prosélytisme reconnu et accepté par le judaïsme :
proclamer l'existence d’un Dieu unique et la fraternité humaine
qui en découle, selon le schéma abrahamique. Quant à la pratique
religieuse, chaque peuple est libre de suivre ses voies spirituelles en
fonction de ses pères fondateurs, pourvu que la morale universelle
soit respectée.

Israël

Israël, qui signifie « prince de Dieu », est le second nom du patriarche Jacob qu'il
reçut lors d’un combat mystérieux, la veille de sa rencontre avec son frère Esaü
(Gn 32, 29 ; 30, 10). Par la suite, en descendant en Égypte, les enfants de Jacob
seront nommés béné Israël « fils d'Israël » (Ex 1, 1), expression qui finira par être
abrégée en Israël pour désigner la nation israélite. Du fait que, dans la Bible, un
pays prend le nom du peuple qui l’habite, la terre originellement appelée Canaan
deviendra la terre d'Israël, c'est-à-dire la terre des enfants d'Israël.
La première mention archéologique du nom « Israël » se trouve sur la stèle
du pharaon Méneptah où Mérephtah datant du x siècle av. J.-C. Les versions
bibliques et historiques se recoupent à partir du vin siècle av. J.-C. les historiens
confirmant l'existence des deux royaumes de Juda et d'Israël.
Dans notre ouvrage, le terme Israël sans autre précision désignera le peuple, et
non la terre.

Une histoire mouvementée


Leslivres dela Torah suiventles grandes étapes de l’histoire du peuple
hébreu, bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’un livre d’his-
toire, au sens universitaire. Néanmoins, pour faciliter la compréhen-
sion générale des récits quisuivent,nous proposons ci-après quelques
repères historiques, ainsi que deux cartes géographiques.

Chapitre 1. Quelques repères historiques et pratiques 19


Au temps des patr iarches

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20 La Torah
Les royaumes de Juda et d'Israël

Galilée
Mont Carmel

ROYAUME
détruit
en -722

Samarie ©

ichem

invasions
assyriennes

Chapitre 1. Quelques repères historiques et pratiques | 21


La période hébraïque

Période patriarcale
Bien que l'archéologie n'ait fourni aucun document fiable sur les
premiers faits bibliques, nous nous fierons à des conjectures tradi-
tionnellement admises.
Vers 1700 av. J.-C., traversant l’'Euphrate, Abraham se rend en
Canaan, porteur d’un message monothéiste. C'est le premier
Hébreu. Son enseignement passera essentiellement par le fils
qu'il aura de Sarah, Isaac, qui le transmettra à Jacob. Le dernier
patriarche engendrera une fille et douze fils, à l’origine des douze
tribus d'Israël.

Patriarche

Le terme de patriarche désigne étymologiquement le père. La Torah se réfère aux


trois pères fondateurs d'Israël, qui sont (du grand-père au petit-fils) Abraham,
Isaac et Jacob. Les épouses, nommées matriarches, sont Sarah, Rebecca, Rachel
et Léa (les deux dernières étant les épouses de Jacob).

Naissance du peuple d'Israël

Après une famine, le clan familial des Hébreux s’installe en Égypte


et se multiplie.
Quatre cents ans plus tard, Moïse (Moché) est envoyé par Dieu
pour libérer la nation hébraïque.
Après dix plaies, le souverain égyptien cède. Les enfants d'Israël
se dirigent vers le mont Sinaï. Là, ils reçoivent les dix comman-
dements (Décalogue). Ils restent quarante années dans le désert
avant que la nouvelle génération n'entre en terre promise.
À partirde -1200 av. J.-C., la nouvelle génération des Hébreux,
sous la conduite de Josué, conquit Canaan et s’y installa (c’est la
période des Juges : Déborah, Samson.….). Samuel, le dernier Juge,
unifie les tribus et oïint les deux premiers rois d'Israël : Saül et
David.

22 |La Torah
La royauté

En -1070 av. J.-C., David consolide les frontières de la Judée,


prend Jérusalem et en fait sa capitale. Salomon, son fils , Y construit
le premier Temple. À sa mort, un schisme déchire la Judée en deux
royaumes : au nord, le royaume d'Israël ou d’ Éphraïm (dix tribus),
au sud, le royaume de Juda, ralliant les tribus de Lévi (pour la
prêtrise), Juda et Benjamin.
En -722, le royaume d'Israël est renversé et les dix tribus dispa-
raissent par assimilation. Quant au royaume judéen, il sera détruit en
-586, par Nabuchodonosor, et sa population déportée en Babylonie.
Pour ne pas perdre leur foi, les Judéens construisent les synagogues.

Synagogue

Avant la déportation à Babylone, le seul lieu de dévotion était le Temple de


Jérusalem (voir page 16). Les synagogues sont donc une invention de l'exil,
pour permettre un culte de proximité, en même temps que la prière devenait
complémentaire des sacrifices. Aujourd’hui, la synagogue est le lieu de culte de
la communauté juive. C'est là que se trouve le rouleau de la Torah, enfermé dans
l'armoire sainte et sorti pour l'office public. En hébreu, synagogue se dit beth
haknesset, « maison de rassemblement ».

De lhébraïsme au judaïsme

Le retour d'exil
En -538, Cyrus autorise le retour et la construction du second
Temple. Une partie de la population revient sur la terre ancestrale.
En -458, le scribe Esdras (Ezra) fonde la Grande Assemblée
(Knesset Haguédola), composée de 120 sages, afin de structu-
rer la religion juive sur trois piliers : la prière, l'étude et la soli-
darité sociale. Cette institution cessera de fonctionner à l'époque
de l’occupation grecque de la Judée. Le judaïsme doit à Esdras la
lecture publique du rouleau de la Torah, qui à cette époque est
traduite oralement en araméen (les Judéens ne parlaient plus l’hé-
breu) et commentée, ce qui enrichira la tradition orale.

Chapitre 1. Quelques repères historiques et pratiques 23


Hébreu, araméen, etc.

Isaïe parle de l’hébreu comme « la langue de Canaan » (Is 19, 18). L'hébreu
biblique s'apparente aux langues sémitiques de l'Antiquité (le phénicien, le
moabite ou l’'édomite). L'étude des différents livres bibliques et rabbiniques
montre que cette langue a évolué au cours des siècles, depuis l’hébreu des
prophètes jusqu'à l'hébreu des rabbins, ce dernier étant teinté d’aramaïsmes.
En effet, après la destruction du Temple de Salomon (-586), les Judéens se
sont retrouvés en Babylonie et ont parlé la langue du pays d’exil. Selon les
spécialistes, le babylonien (qui s'exprime dans différents dialectes : araméen,
chaldéen, syriaque, assyrien) découlerait du phénicien, ce qui fait qu'entre
l’hébreu et ces dialectes, il existe de nombreux liens phonétiques. Ajoutons
qu'Esdras emprunta de manière définitive les lettres de l'alphabet araméen
pour constituer l'alphabet hébreu, dite écriture carrée, toujours utilisé pour la
rédaction du rouleau de la Torah.

L'époque grecque
En -332, Alexandre envahit la Judée. De nombreux Juifs sont
séduits par l’hellénisation.
En -167, le Syro-Grec Antiochus IV impose la religion d'Athènes
par la force, en profanant le Temple. Une famille de prêtres, les
Asmonéens, lance une révolte qui aboutit à une victoire. En -140,
Jérusalem est libérée : un nouvel État juif voit le jour. Mais en -63,
ce petit État sera conquis par Pompée, ce qui marquera la fin de
l'indépendance.

L'époque romaine
À cette époque, la société juive présente notamment trois visages :
* Les saducéens : c’est la classe sacerdotale et l'aristocratie qui
collaborent avec l’occupant. Ils croient dans la Torah écrite,
mais refusent la tradition orale. Ils nient l’immortalité de l’âme
et la résurrection des morts.
*_ Les pharisiens : il s’agit des rabbins, issus du peuple. (En Judée, ils
sont appelés Rabbi, « mon maître », en Babylonie Rav, « Maître ».)
Ils adhèrent au principe d’une double transmission, écrite et orale :
ils croient en l’immortalité de l’âme et en la résurrection.

24 |La Torah
* Les esséniens : cette communauté ascétique vit à l'écart de
la cité, dans l’attente du libérateur. Les manuscrits de la mer
Morte (Qumran) nous ont éclairés sur leur vie.

Manuscrits de la mer Morte

Les manuscrits dits de la mer Morte furent retrouvés entre 1947 et 1965, sur le
site de Qumran, près de la mer Morte. Il s'agit soit de rouleaux bibliques, soit
de règles de vie religieuse rédigées sur des papyrus qui appartenaient à une
communauté juive de l’époque du second Temple (on pense aux esséniens).
Parmi ces rouleaux, se trouve la plus vieille version du livre d’Isaïe découverte
à ce jour. De nombreux fragments de ces rouleaux sont exposés au musée du
Livre à Jérusalem.

En 70, Jérusalem et son temple sont détruits par Titus. Grâce à


l'intervention du rabbin Yohanan ben Zakaï, Vespasien accorde
une ville d'étude pour les sages : Yavné. Yohanan y fonde le Sanhé-
drin (conseil de 71 sages) vers 80. C’est à Yavné que la Bible
hébraïque (Tanakh) est définitivement canonisée en Pentateuque,
Prophètes, Hagiographes ou Écrits, soit 24 livres.
La révolte échouée des zélotes (132-135) met fin aux espoirs
d'indépendance nationale. Les Romains nomment la Judée Pales-
tine (de Philistie). Seule la mouvance pharisienne survivra à ces
catastrophes.
Durant ces décennies, le débat interne au judaïsme quant à la
personnalité de Jésus (Yéoshoua) aboutit à une rupture entre deux
religions ;judaïsme et christianisme suivront alors chacun leur voie
et leur foi.

Rabbin

De la racine rav (beaucoup), le rabbin (rabbi en hébreu) est le maître qui a


reçu l'enseignement de la Torah et qui le transmet à ses disciples. Aujourd'hui,
le rabbin est le responsable spirituel d'une communauté juive, chargé de
l'enseignement et de la direction du culte à la synagogue.

Chapitre 1. Quelques repères historiques et pratiques 25


Le peuple de la Torah
Nous en resterons là pour l’histoire du peuple juif, car les périodes
décrites correspondent peu ou prou à la période durant laquelle
furent reçus, proclamés et rédigés de manière définitive (canonisés)
les textes de la Torah. Mais quelle place religieuse occupaient ces
textes dans cette période antique ? N'ayant d’autre source archéo-
logique ou manuscrite que la Torah, nous la prendrons pour guide
pour répondre à cette question.
Selon la Bible, la Torah (au sens de Pentateuque) fut transmise par
Dieu au peuple d'Israël par l’intermédiaire de Moïse. Une partie
fut rédigée lorsque Moïse descendit du mont Sinaï (Ex 24, 3) et
le reste à la fin des quarante années que dura la traversée du désert
pour arriver en terre promise (Dt 31, 24-26). Ce rouleau fut placé
dans l’arche d’alliance près du décalogue de pierre que Moïse avait
taillé (Ex 34, 4). Ce rouleau est nommé sefer habérith, « livre de l’al-
liance », car il constitue le lien entre Dieu et Israël (Ex 24, 7). Chez
le prophète Malachie (Mal, 3, 22) ou dans Néhémie (Neh 8, 1), il
est nommé 7orat Moché, la « Torah — Enseignement — de Moïse ».
Quand les prophètes réprimanderont le peuple pour ses écarts
idolâtres et ses fautes morales, ce sera toujours en référence à cette
alliance du Sinaï et à la Torah qui lui est associée (II Rois 17, 13 ;
Free SEz 2007)

Prophète

Le prophète est un porte-parole de Dieu et un défenseur acharné de l'éthique


monothéiste. Son souci est de pouvoir se faire entendre par ses contemporains
dans un temps où la « transmission de l'info » reste grandement limitée. À
défaut de disposer d’un organe de presse, le prophète use d’oracles, souvent
passionnés, ou de signes et d’attitudes symboliques.

Il semble cependant que le rouleau de Torah n'ait pas été inté-


gré dans un rituel particulier avant la réforme du roi Josias (640 -
609). À cette époque, le peuple d'Israël vivait dans le polythéisme,
comme les peuples voisins, et la Torah semblait oubliée. Le prêtre

26 La Torah
Hilkyahou, ayant découvert dans le Temple un rouleau de la Loë?,
le transmit au roi. Josias fit de ce livre la base de sa réforme reli-
gieuse, notamment en éradiquant le culte des idoles. Cette réforme
fut inaugurée par une lecture publique du rouleau retrouvé, en
présence d’une foule nombreuse réunie sur le parvis du Temple
(IT Rois 23, 2). Cependant, les effets de cette réforme ne perdu-
reront pas. À la mort du roi, les cultes idolâtres reprendront leur
place. Les prophètes lutteront encore pour l'idéal monothéiste
contre le polythéisme, maïs sans succès.

idoles et idolâtres

Dans la Bible, les idoles sont des éléments du monde divinisés par les hommes.
Ces éléments peuvent être extérieurs à l’homme, notamment les astres et les
planètes ; mais ils peuvent aussi être des forces internes comme la sexualité ou la
force. Les idolâtres sont ceux qui vouent un culte à ces éléments. Les prophètes
d'Israël menèrent un combat incessant contre cette trahison du monothéisme.

Finalement, le royaume de Judée sera détruit par Nabuchodonosor


(-586), et la population exilée à Babylone. Quand le Perse Cyrus
triomphera de la puissante Babylone, il accordera à la communauté
juive de retourner à Sion (second nom de Jérusalem) pour recons-
truire le Temple. Une série de groupes monteront alors à Jérusa-
lem. L'un d’eux fut dirigé par le scribe Esdras (Ezra) qui deviendra
le grand organisateur du culte israélite vers -457.

Jérusalem (Sion)

La ville de Jérusalem, en hébreu Yérouchalaïm, à été choisie par le roi David


comme capitale de son royaume. C'est à Jérusalem que son fils Salomon élèvera
le Temple. À l’occasion de certaines fêtes (Pâque ou Pessah, Pentecôte où
Chavouot et la fête des Cabanes ou Soucot), les Juifs montaient à Jérusalem
(voir aussi « Alyoth », page 190).
Jérusalem reste le lieu de l'orientation des synagogues dans le monde entier.

2. Certains chercheurs pensent qu’il s’agit du Pentateuque complet, d’autres qu'il s'agit
uniquement du Deutéronome (le livre de Moïse).

Chapitre 1. Quelques repères historiques et pratiques 27


Dans le chapitre 8 du livre de son contemporain Néhémie, Esdras
est présenté comme l’homme qui lit la Torah au peuple et qui
renoue avec l'alliance ancestrale (voir page 177). Parmi les décrets
d'Esdras, citons justement l’institutionnalisation de la lecture
publique de la Torah, le samedi (repos hebdomadaire), les jours
de fêtes, ainsi que le lundi et le jeudi (jours de marché et donc de
rassemblement populaire). Les Juifs ne parlant plus l’hébreu mais
l’araméen, un traducteur disait dans la langue vernaculaire ce que
le texte exprimait dans la langue des prophètes.
Pour offrir à cette lecture publique une certaine solennité, de
nombreuses synagogues virent le jour dans tout le pays, comme l’at-
testent les fouilles archéologiques modernes. Petit à petit, à côté de la
pratique sacrificielle qui avait cours uniquement au sein du Temple de
Jérusalem, la synagogue devint le lieu de la liturgie, de la lecture et de
‘étude de la Torah. Les sages qui succédèrent à Esdras fixèrent de lire
toute la Torah en une année juive, depuis le début de la Genèse jusqu’à
la fin du Deutéronome. Cette pratique est toujours en vigueur”.
Concrètement, la Torah est divisée en 54 péricopes (paracha
ou sidra), chaque section étant lue, ou plus exactement chantée
selon une cantilation spécifique, chaque samedi. Lors des fêtes,
l’officiant lit un passage lié à l'événement festif, par exemple : la
sortie d'Égypte (Ex 12) ou le cantique de la mer (Ex 15) à Pessah
(Pâque), le Décalogue (Ex 19 et 20) à Chavouot (Pentecôte), ou le
culte de l’expiation des fautes (Lv 16) à Kippour (jour du Pardon).

Kippour

Kippour, dit « jour du grand Pardon » ou, plus précisément, «jour des expiations »,
est la plus grande solennité du calendrier juif. Cette fête est célébrée le 10 du
mois hébraïque de tichri (septembre-octobre) et se traduit notamment par
un jeûne complet de 25 heures qui débute au coucher du soleil et s’achève le
lendemain à la nuit tombée. Toute cette journée est consacrée par cinq prières
afin d'obtenir le pardon divin pour les fautes commises durant l’année écoulée.

3. Il existait une autre tradition, celle de lire toute la Torah en trois ans, mais elle ne fut pas
retenue par les communautés.

28 | La Torah
Selon la tradition, la date de Kippour correspond au jour où Moïse descendit la
seconde fois du mont Sinaï avec les Tables de la Loi et le pardon divin pour la
faute du veau d'or (Ex 32).

À cette lecture publique, il faut ajouter l’étude de la Torah qui


constitue, avec la prière, le pilier de la religion d'Israël. Car la parole
de Dieu n'est pas seulement chantée, elle est également méditée,
réfléchie, examinée, travaillée, voire décortiquée. Nous avons parlé
plus haut du rôle des traducteurs de l’hébreu en araméen. Ces
personnages érudits ne se contentaient pas de traduire, ils commen-
taient et développaient une idée soit sur le plan du rite, soit sur
le plan de la foi. Ils insufflèrent ainsi cet esprit d’analyse si cher
au judaïsme. Pour souligner l'importance accordée à l'étude de la
Torah, il suffit de se référer à cette sentence rabbinique : « L'étude
de la Torah vaut l’accomplissement de tous les commandements »
(Michna Péa 1, 1). L'un de mes maîtres aimait à répéter : « La plus
grande hérésie juive est l’ignorance. »
Ainsi, par cette institutionnalisation de la prière et de l'étude, cette
parole divine, incarnée dans un texte, est-elle devenue le cœur de la
foi juive. Si la Torah constituait le centre géographique des tribus
d'Israël lorsqu'elles se déplaçaient dans le désert, par la prière et
l'étude elle retrouvait cette position centrale même en l'absence
du Temple. C’est ainsi que les rabbins entendirent les propos du
prophète Jérémie (31, 32) qui annonçait qu’un jour la Torah ne
serait plus écrite sur des tables de pierre mais sur des tables de
chair, c’est-à-dire dans le cœur de chaque enfant d'Israël priant et
méditant la Torah de Moïse.

Qu'est-ce que la Torah ?


Torah vient d’un verbe qui signifie « enseigner », le mot £orah peut
donc être traduit par « enseignement" ».

4. Cet enseignement se fit progressivement. On pourrait dire que chacun des livres qui
composent la Torah est une étape de la doctrine.

Chapitre 1. Quelques repères historiques et pratiques | 29


La trilogie biblique
La Synagogue, et à sa suite l'Église, divise la Bible (ou la Torah,
entendue au sens large) en trois parties :
+ Torah, littéralement « enseignement » ou « doctrine » ;
+ Néviim, littéralement « prophètes » ;
+ Kétouvim, « écrits » ou « hagiographes ».
Ces trois parties bibliques sont généralement citées par l’acrostiche
de leur nom qui donne le sigle Tanakh. Certains exégètes ont justi-
fié cette trilogie de la manière suivante : la Torah correspond au
niveau prophétique de Moïse (d’où le nom de « 7orah de Moïse »),
les Néviim correspondent au niveau inférieur de la prophétie (par
rapport à celui de Moïse), les Kétouvim correspondent à un niveau
encore plus inférieur d'inspiration divine, celui de roua’h hakodech,
l'esprit de sainteté (qui a donné le Saint-Esprit).

Moïse

La Torah témoigne que Moïse a été le plus grand prophète d'Israël (Dt 34, 10),
car il est le seul dont on dit qu’il a parlé avec Dieu « face à face, comme un
homme parle à son ami » (EX 33, 11), et c’est par son intermédiaire que la Torah a
été donnée à Israël. Les autres prophètes se réfèrent à Moïse sans inaugurer une
nouvelle Torah (voir, par exemple, Malachie 3, 22).

Les vingt-quatre livres


Au sein de ces trois grands livres, nous découvrons des subdivisions.
1. La Torah se partage en cinq livres (‘hamicha ‘houmché Torah),
d'où son nom de Pentateuque. Dans la tradition d'Israël, chaque
livre est désigné du premier mot signifiant de son verset inau-
gural, ce qui donne : Béréchit (« au commencement »), Chémot
(« noms »), Vayikra (« il appela »), Bamidbar (« dans le désert »),
Dévarim (« paroles »).
La Septante, traduction grecque de la Torah, a opté pour des termes
génériques qui sont passés dans la langue française : Genèse, Exode,
Lévitique, Nombres et Deutéronome. En fait, ces dénominations

30 La Torah
se retrouvent dans le Talmud et le Midrach qui parlent parfois du
« livre de la Création du monde » pour la Genèse, de la « Doctrine
des prêtres » pour le Lévitique (la tribu de Lévi était consacrée
au Temple), du « livre des Dénombrements » pour les Nombres
et de la « répétition de la Doctrine » pour le Deutéronome. On
peut donc supposer qu’il existait parallèlement aux noms des livres
des expressions génériques pour les désigner, qui furent utilisées
d’abord par les Juifs hellénisés puis par les maîtres de la tradition
orale d'Israël après la destruction du second Temple.

Septante

La Septante est la traduction grecque de la Bible. Selon la légende, 72 rabbins


l’auraient traduite pour le roi Ptolémée Il, à Alexandrie (vers -270). En fait, cette
traduction était devenuê nécessaire car les Juifs hellénisés d'Alexandrie, qui
constituaient une communauté très importante, ne comprenaient plus l'hébreu.

Le Talmud, littéralement « ce qui est étudié », désigne l’ensemble des discussions


rabbiniques autour des lois juives afin de définir les conduites rituelles pour
toute la communauté juive. Le Talmud, qui fut rédigé entre le 1° et le v° siècle en
Palestine et en Babylonie (c’est pourquoi il existe deux Talmud), se divise en six
grands ordres qui traitent :
1) des lois agricoles ; 4) des lois civiles ;

2) des fêtes ; 5) des lois du Temple ;


3) des lois famitiales ; 6) des lois de purifications.

Midrach

Le Midrach, littéralement « recherche », est une méthode d'investigation dans le


texte biblique pour en déduire des enseignements soit sur le plan du rite, soit sur
le plan de la foi. Le Midrach est fondé sur un total de 32 règles herméneutiques
qui permettent d'analyser les versets bibliques pour en tirer des leçons. Comme
le Talmud, le Midrach fut rédigé après la destruction du Temple, jusqu'au début
du Moyen Âge pour les textes les plus tardifs.

Chapitre 1. Quelques repères historiques et pratiques 31


2. Les Néviim se divisent clairement en deux parties de quatre
livres. La première partie est désignée par MNéviim Richonim
(premiers prophètes) qui englobe Josué, Juges, Samuel (livres I
et IT) et Rois (I et IL), et Méviim A’haronim (derniers prophètes),
soit Isaïe, Jérémie, Ézéchiel, et les douze (petits) prophètes
(l'adjectif « petits » correspondant au faible nombre de chapitres
légués, et non à un degré moindre d'inspiration) qui sont dans
l'ordre d'écriture : Osée, Joël, Amos, Obadia, Jonas, Michée,
Nahum, Habacuc, Sophonie, Aggée, Zacharie et Malachie. La
différence entre la première partie des Néviim et la seconde se
découvre aisément à leur lecture, puisque la première se veut
historique, depuis la conquête de Canaan (nom ancien de la
terre d'Israël) jusqu’à la destruction du Temple de Salomon, en
passant par la période royale, tandis que la seconde rassemble les
oracles prophétiques adressés majoritairement au peuple d’Is-
raël, mais parfois aussi aux nations de l'Orient antique (ainsi,
Obadia s'adresse uniquement aux Iduméens ou Jonas aux Nini-
vites). Dans le Talmud, le livre des Prophètes est nommé Divré
Kabbalah où Kabbalah (« paroles reçues » ou « réception », dans
le sens d'inspiration divine).
3. Les Kétouvim se composent de douze livres, les uns historiques,
les autres poétiques ou sapientiaux. L'ordre définitivement
adopté est le suivant (bien qu'il en existât d’autres comme le
montre le texte du Talmud cité plus bas) : Psaumes, Proverbes,
Job, Cantique des cantiques, Ruth, Lamentations, Ecclésiaste,
Esther, Daniel, Esdras, Néhémie et Chroniques (I et Il).
Les trois premiers livres se distinguent par leur phraséologie plus
concise que celle des autres livres bibliques, d’où leur nom tech-
nique de « livres métriques ». Cinq livres des Hagiographes sont
particulièrement appelés rouleaux (méguila au singulier, méguilot au
pluriel), il s’agit des rouleaux d’Esther, du Cantique des cantiques,
de Ruth, des Lamentations et de l’Ecclésiaste. Pourquoi rouleaux ?
Car dans les temps anciens, ils étaient lus dans des parchemins,
déroulés par chaque fidèle à l’occasion de différentes solennités
de l’année liturgique : le Cantique des cantiques à Pâque, Ruth à

32 La Torah
la Pentecôte, Lamentations au jeûne du 9 av, l'Ecclésiaste à la fête
des Cabanes et Esther à Pourim. Depuis l'invention de limpri-
merie, seul le rouleau d’Esther est lu tel quel dans les synagogues.

9 av

Le 9 du mois hébraïque av (juillet-août) correspond à la date de la destruction du


premier Temple par les Babyloniens en -586 et à celle du second Temple par les
Romains en 70. À cette date, la communauté juive observe jusqu'à aujourd’hui
un jeûne de 25 heures pour commémorer ces deux sombres événements.

Fête des cabanes (Soucot)

Cette fête qui suit de cinq jours le jeûne de Kippour est la troisième fête de
pèlerinage avec Pessah (Pâque) et Chavouot (Pentecôte). Durant ces trois fêtes,
les tribus montaient au Temple de Jérusalem pour rendre un culte à Dieu. La
fête de Soucot rappelle la traversée du désert par les Hébreux durant quarante
ans sous la protection divine. En souvenir, la communauté construit une cabane
recouverte de branchages et y prend ses repas pendant la semaine que dure
cette solennité joyeuse.

Pourim (fête des sorts)

Cette fête rappelle l’histoire d’Esther, une jeune fille d'Israël en exil dans l’Empire
perse qui devint reine et put ainsi déjouer le complot d’extermination de la
communauté juive, fomenté par le ministre du roi. Cette fête tombe au mois
de mars et donne l’occasion aux enfants de se déguiser en rois, en reines, et
de participer à une sorte de carnaval joyeux. Le rouleau d’Esther a été rendu
célèbre par la pièce de Racine qui porte ce nom. Durant cette fête d'institution
rabbinique, le rouleau d’Esther est lu le soir et le lendemain matin.

En considérant, selon le Talmud, que les livres d’'Esdras et de


Néhémie n’en forment qu’un, nous obtenons donc cinq livres pour
la Torah, huit livres pour les Néviim et onze livres pour les Kétou-
vim, ce qui donne un total de vingt-quatre livres pour la Bible
hébraïque : les vingt-quatre livres du canon biblique.

Chapitre 1. Quelques repères historiques et pratiques 33


Le canon biblique
Ces vingt-quatre livres forment le canon biblique ou livres cano-
niques — que l’Église désigne par Ancien Testament, par opposi-
tion aux livres apocryphes (extérieurs), ces derniers désignant ceux
que la Synagogue n'a pas retenus.

Canon / apocryphe

En grec, canon signifie « règle, norme », et le terme s'applique aux livres que
les rabbins ont considérés comme sacrés et authentiques, sacrés par l'origine et
authentiques par le texte. Par l'origine, nous voulons dire qu'ils sont reconnus, à
divers degrés, comme inspirés par Dieu ; par le texte, nous signifions qu'ils sont
tous écrits dans la langue des Hébreux, soit l'hébreu soit l’araméen. Si les deux
conditions ne sont pas remplies, nous aurons un apocryphe.

Certains livres ont fait l’objet de débats, notamment deux livres


attribués à Salomon, le Cantique des cantiques et l’Ecclésiaste ;
le premier à cause de son caractère érotique et l’absence du nom
de Dieu, le second du fait de son atmosphère pessimiste (« vanité
des vanités, tout est vanité »). Ils furent finalement intégrés dans la
Bible grâce à des sages qui surent en donner une lecture cohérente
avec l'esprit monothéiste. Ainsi, par exemple, Rabbi Aquiba, mort
en martyr vers 135 ap. J-C., présenta le Cantique des cantiques
comme une allégorie amoureuse entre Dieu et le croyant mystique.
Le Siracide ou Sagesse de Ben Sirat fut lui aussi objet de débats,
mais finalement exclu ; il n’en reste pas moins cité à plusieurs
reprises dans le Talmud pour ses enseignements moraux.

Tradition écrite et tradition orale


La Torah n’est pas un texte comme les autres. À l'instar des livres
des autres religions monothéistes (et bien qu’elle les précède dans
l'Histoire), on ne parle pas à son sujet d'écriture, mais de rédaction.
Comme nous allons le voir, cette rédaction s'est faite par étapes.
Autour du canon strictement défini se sont développées des tradi-
tions orales, dont certaines vont former le Talmud ou le Midrach.

34 La Torah
Des auteurs et des rédacteurs
En ce qui concerne la rédaction du canon biblique, le Talmud offre
un document unique et capital dans le traité Baba Batra — Dernière
Porte 14 b :

Nos rabbins ont enseigné : L'ordre des Prophètes est le suivant :


Josué, Juges, Samuel, Rois, Jérémie, Éxéchiel, Isaïe et les Douze
(prophètes)... L'ordre des Écrits est le suivant : Ruth, Psaumes, Job,
Proverbes, Ecclésiaste, Cantique des cantiques et Lamentations (de
Jérémie), Daniel, le rouleau d'Esther, Esdras et les Chroniques. Qui
les a écrits ? Moïse a écrit son livre et Job.…., Josué a écrit son livre et
les huit derniers versets de la Torah (qui parlent de la mort de Moïse).
Samuel a écrit son livre, les Juges et Ruth (dont le récit se situe à
l'époque des Juges). David a écrit les Psaumes avec les dix Anciens, à
savoir : Adam, Malkisédek (Gn 14, 18), Abraham, Moïse, Heymann,
Yedouthoun, Assaf et les fils de Coré°. Jérémie a écrit son livre, le
livre des Rois et les Lamentations. Le roi Éxéchias et son assemblée
(de sages) ont écrit Isaïe, Proverbes, le Cantique des cantiques et
l'Ecclésiaste. Les hommes de la Grande Assemblée ont écrit Ézéchiel,
les Douxe (petits prophètes), Daniel, le rouleau d'Esther. Esdras a écrit
son livre (qui englobe Néhémie) et les Chroniques.
À la division en trois grands livres, Torah, Néviim, Kétouvim, et
à la subdivision en vingt-quatre livres, s'ajoute ici une nouvelle
donnée : la distinction entre l’auteur d’un livre et son compositeur
ou son rédacteur.

Baba Batra

Baba Batra (Porte médiane) est l’un des traités du Talmud, qui se trouve dans
l'ordre des lois sociales. Mais, le Talmud présentant des discussions à bâtons
rompus, on y parle aussi de la canonisation des textes bibliques.

5. Les derniers noms désignent des lévites compositeurs de psaumes religieux.

Chapitre 1. Quelques repères historiques et pratiques | 35


Le Talmud n'attribue pas, par exemple, le livre d’Isaïe ou le
Cantique des cantiques au roi Ézéchias (716-687 av. J.-C.), ni le
livre d'Ézéchiel à la Grande Assemblée (constituée au retour de
l'exil de Babylone vers le v° siècle av.J.-C.) ; ce serait là une mystifi-
cation littéraire et religieuse. En revanche, il pose que ces instances
ont mis par écrit une tradition essentiellement orale, puisque le
prophétisme a été avant tout un discours, le plus souvent lié aux
conjectures du moment.
Ainsi, dans la logique talmudique, et en restant cohérant avec la foi
juive, nous pouvons proposer ce tableau récapitulatif :

Livres | Auteurs | Rédacteurs |


Pentateuque (hormis | Dieu |Moïse
les 8 derniers versets) |
|

8 derniers versets du Josué | Josué


Pentateuque et Josué |

Juges Samuel

Samuel Samuel | Samuel

Rois Jérémie

Isaïe (ou Esaïe) Isaïe | Ézéchias et son assemblée

Jérémie : Jérémie | Jérémie

Ézéchiel Ézéchiel |La Grande Assemblée

12 Prophètes Osée, Joël, Amos, Obadia, |La Grande Assemblée


Jonas, Michée, Nahum, |
Habacuc, Sophonie, Aggée,
Zacharie et Malachie

Psaumes : David et 10 auteurs | David

Proverbes Salomon |Ézéchias et son assemblée |

Job |Moïse |

Cantique des |Salomon | Ezéchias et son assemblée


cantiques |

Ruth | |Samuel |

36 | La Torah
LE. Livres Auteurs Rédacteurs |
|Lamentations |Jérémie PRES
|Ecclésiaste Salomon Ézéchias et son assemblée
Esther La Grande Assemblée
: Daniel |Daniel : La Grande Assemblée

|Esdras sdras |Esdras


|Néhémie |Néhémie |Esdras
|Chroniques |Esdras |Esdras

L'objet de notre livre n’est pas d’analyser chacun des vingt-


quatre livres pour en discuter l’historicité, la date d’écriture et
l'authenticité des auteurs, ce qui relèverait d’un travail minutieux
de spécialistes. Cependant, ce tableau permet, grâce au distin-
guo posé entre auteurs et rédacteurs, de laisser une marge de
manœuvre au croyant pour rejoindre le scientifique, sans que
la foi du premier soit bouleversée par les preuves argumentées
du second. Même animé par la certitude que Dieu parle aux
hommes, le fidèle de la Synagogue peut admettre que cette parole
divine a été transmise puis rédigée soit peu avant la destruction
du premier Temple (-586), soit plus certainement au moment
de la construction du second Temple, et au plus tard à l’époque
helléniste pour les textes plus tardifs (ir siècle av. J.-C.). Ce qui
importe finalement, c’est que l’ensemble de cette littérature riche
et variée ait trouvé sa forme aboutie et sa cohérence à travers la
canonisation.

Formation et canonisation de la Torah

La formation et la clôture de canon biblique continue de faire


l’objet de débats pointus entre les spécialistes. Néanmoins, il est
possible de poser un certain nombre de certitudes.

Chapitre 1. Quelques repères historiques et pratiques 57


Le catalogue des livres consacrés s’est formé petit à petit et par
des ajouts successifs, depuis la Torah de Moïse jusqu'au dernier
livre, au point que si nous connaissions historiquement ce dernier
livre, la date de son écriture déterminerait, au moins approximati-
vement, celle de la clôture de l’ensemble de l’œuvre biblique.
L'ensemble de la Bible a été très tôt divisé en trois grands livres
selon le degré d'inspiration qui leur a été attribué, du plus inspiré
au moins inspiré. (Il est peut-être ici intéressant de remarquer que,
du point de vue de la foi chrétienne, la Torah constitue un prélude
qui se déroule jusqu'aux Évangiles, alors que pour la foi juive, la
Torah reste centrale, les deux autres livres ne constituant que des
satellites périphériques.)
Nous trouvons des traces de la composition de cette #1b/otheca
sacra dans la Bible elle-même. Moïse, au début de sa vocation de
dirigeant, met le Décalogue dans l’arche sainte, puis à la fin de sa
vie, il y introduit l’ensemble de la Torah. Josué fera de même au
terme de sa mission (Josué 24, 26). Samuel, après l’onction du
roi Saül, écrit la charte de la royauté et la dépose devant l’Éternel
(I Samuel 10, 25). Aïnsi procédera-t-on plus tard pour les listes
généalogiques, comme cela ressort des livres d'Esdras et Néhémie.
Dans le livre des Maccabées (2, 13), non canonisé par la Syna-
gogue, nous apprenons qu'il existait une bibliothèque sacrée où
figuraient, entre autres, les livres des Rois, des Prophètes et de
David. Si tous ces ouvrages ne nous sont pas parvenus, la possi-
bilité que ceux qui se sont conservés proviennent de ces mêmes
archives n’est pas à exclure.
Toutefois, à l’époque de l’exil de Babylone, tous ces rouleaux, d’une
inspiration plus ou moins élevée, se trouvent réunis en désordre,
hormis le Pentateuque, qui restera toujours le Livre des livres.
Esdras le scribe et ses successeurs se donneront alors pour tâche
la critique religieuse de ces écrits et leur ordonnancement. C’est
ainsi que l’on rassembla scrupuleusement tous les saints écrits qui
avaient survécu aux assauts du temps ; on les évalua, on les criti-
qua, on compara les différentes versions et l’on finit par restituer le

38 La Torah
texte originel aussi exactement que possible. Le travail de classifi-
cation put alors commencer : la Torah d’abord, puis les livres s’en
approchant soit sur le plan historique, soit sur le plan religieux (les
Néviim), enfin les livres qui pouvaient renforcer la foi du fidèle, et
que la tradition ou/et la critique considéraient d'inspiration infé-
rieure (Kétouvim).
On ignore aujourd’hui de manière précise à quelle époque remonte
les dénominations Néviim et Kétouvim, cette dernière partie
présentant davantage un mélange littéraire qu’une cohérence
logique ou historique. Certains avancent la période du 11° siècle de
l’ère chrétienne, après la destruction du Temple, quand la Bible fut
définitivement canonisée par les Sages de Yavné.

Sages de Yavné

Après la destruction du second Temple de Jérusalem par les Romains (70 ap.
J.-C.), les rabbins rescapés des massacres trouvèrent refuge avec l'accord de
Rome dans une ville nommée Yavné (Jamna), située au centre de la Judée. C'est
à Yavné que les rabbins mirent par écrit une bonne partie de la tradition orale. La
ville moderne de Yavné est jumelée avec la ville du Raincy (en Seine-Saint-Denis).

Quoi qu'il en soit, le rôle assigné à Esdras et à sa Grande Assem-


blée de 120 membres a été décisif pour la sauvegarde des livres
saints et donc pour la survie du judaïsme. Sans son activité, le
judaïsme n'aurait sans doute jamais vu le jour et les livres des
Hébreux auraient perdu de leur prestige.
À l’époque hellénistique, les derniers membres de cette solennelle
Académie posèrent les pierres ultimes de l'édifice biblique. Les
sages postérieurs de Yavné purent s'investir alors dans une autre
tâche, celle de confirmer l'entrée de tel ou tel livre dans la demeure.
Pour conclure, il nous semble que les fidèles de la Synagogue et
de l'Église, et dans une certaine mesure de la Mosquée, se doivent
d'exprimer une pensée reconnaissante pour ces hommes du Livre
dont les efforts et les préoccupations allaient orienter, de manière
non négligeable, une partie de l’histoire future de l'humanité.

Chapitre 1. Quelques repères historiques et pratiques 39


Le Talmud
En complément de la tradition écrite transmise par la Bible
hébraïque, une tradition orale a toujours existé pour expliciter
les passages difficiles, proposer une jurisprudence ou une morale
religieuse, ou encore pour exposer la façon dont les rites s’accom-
plissaient de manière concrète (comment pratiquer la circoncision,
comment réaliser des franges rituelles aux coins des vêtements,
etc.). Cette tradition s’est étoffée au cours des siècles.
Entre 200 et 220, Rabbi Yéhouda (Juda), président du Sanhédrin,
décide de compiler l’ensemble de cette tradition orale : la Michna
(« enseignement répété »). Cette Michna se présente en six grands
tomes — on parle de six ordres — traitant de tous les aspects de la
vie juive : les lois sociales, les fêtes, la famille, le travail, le culte et
la purification. Cette Michna appelle son commentaire, ce sera la
Guémara (« complément »).
Entre 220 et 500, huit générations s’investissent dans cette œuvre
colossale. La Michna et la Guémara forment ce que l’on nomme le
Talmud (« ce qui est étudié »). Le Talmud rapporte les discussions
et les commentaires des sages sur la Bible, ainsi que des paraboles,
des anecdotes, des leçons de vie.
Il existe deux Talmud : le Talmud de Jérusalem et le Talmud de
Babylone. Celui dit « de Jérusalem » a, dans les faits, été écrit en
Galilée, puisque Jérusalem avait été détruite et la nouvelle ville
interdite aux Juifs par les Romains. Il est moins complet que le
Talmud de Babylone, en raison précisément des conditions écono-
miques difficiles dans lesquelles il a été rédigé.
On distingue dans le Talmud deux parties, reliées par une métho-
dologie commune.
* La Halaha : de la racine « marcher », ce terme désigne la
démarche religieuse, le rite. Cette Hala’ha, qui se présente de
façon fragmentée dans l’ensemble du Talmud, a été rassemblée
et synthétisée d’abord par Maïmonide (voir page 56), auteur

40 La Torah
du Michné Torah, puis par Rabbi Joseph Caro (1488-1575,
Espagne-Israël), dans son code des rites juifs appelé Choul'han
Arou’h (La Table dressée).
* La Aggada : de la racine « réciter », le vocable englobe les aspects
non narratifs du Talmud : les récits, les anecdotes, les paraboles,
les traditions populaires, les maximes éthiques, les conseils de
vie, etc.
La méthodologie d'interprétation se nomme Midrach. De la racine
« scruter », le Midrach veut relier le texte écrit (les vingt-quatre
livres du Tanakh) avec les commentaires de la tradition orale soit
de la Hala’ha, soit de la Aggada. En d’autres termes, un rabbin
n'émet jamais une idée de son propre chef, mais toujours à partir
d’une déduction d’un verset donné. Par la méthodologie midra-
chique, chaque verset peut s'ouvrir à une lecture plurielle, d’où le
nombre d’interprétations.
Parallèlement, des maîtres codifient et vocalisent les textes (inven-
tion des voyelles) : la lecture biblique est officialisée (Massoreth).

Les Migraot Guédolot ou Grandes Lectures

L'ensemble du Talmud de Babylone (le plus étudié) offre près de 6 000 pages
in-folio. La première impression d’un Talmud babylonien complet fut réalisée par
un hébraïsant chrétien, Daniel Bomberg, à Venise, entre 1519 et 1523. Déjà entre
1517 et 1519, il avait réalisé, avec l’aide du rabbin Jacob ben Haïm, l'édition de
l'intégralité de la Bible hébraïque en utilisant les caractères d'imprimerie qu’il
avait lui-même fabriqués. Cette version, avec ses commentaires rabbiniques, se
nomme Migraot Guédolot, « Grandes Lectures ».

Chapitre 1. Quelques repères historiques et pratiques 41


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LA TORAH OU LE LIVRE
DU PENTATEUQUE

Au programme

+ L'œuvre du Créateur
* Les patriarches, en réponse à l'appel
* L'histoire d'une libération
+ L'apprentissage d'une loi de vie
+ Écoute, Israël, la profession de foi d'Israël

Nous entrons maintenant dans le vif du sujet en suivant l’ordre des


cinq livres du Pentateuque, rédigés par Moïse. Pour présenter ces
livres, nous avons choisi quatorze textes qui marquent chacun une
étape déterminante dans la progression du peuple hébreu vers la
terre promise et, plus encore, dans l’accueil de la révélation divine,
qui est à la fois don et loi de vie.

ÉCEUvVre du Créateur
La Torah s'ouvre sur le récit des commencements : création du
monde, création des hommes... et ce que les hommes font du
monde qui leur est confié. Ces premiers textes décrivent comment
Dieu se révèle à l’homme en même temps que l’homme découvre
ses propres faiblesses.
La création d'Adam et Eve
Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, à notre ressemblance, et
qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le
bétail ; enfin sur toute la terre, ef sur tous les êtres qui s'y meuvent. »
Dieu créa l’homme à son image ; c'est à l'image de Dieu qu'il le créa,
mâle et femelle 11 les créa. Dieu les bénit en leur disant : « Croissez
et multipliez ! Remplissez la terre et conquérez-la ! Commandez
aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, à tous les animaux qui se
meuvent sur la terre ! » Dieu dit : « Or, je vous accorde tout herbage
portant graine, sur toute la face de la terre, et tout arbre portant des
fruits qui deviendront arbres par le développement du germe. Ils
serviront à votre nourriture. »
Genèse |, 26 à 296

À l'image de Dieu
La création de l’homme et de la femme est mentionnée dans
deux passages de la Torah, aux chapitres 1 et 2 de la Genèse. Pour
les spécialistes, ces deux chapitres, différents dans leur écriture,
renvoient à deux sources que le compilateur final a réunies. Du
point de vue de la foi juive, l’important demeure la cohérence des
textes, cohérence immédiate ou cohérence à bâtir par l’analyse car,
une fois le canon établi, la Bible est perçue dans sa totalité.
Au chapitre 1, au terme de son œuvre de création, Dieu crée Adam.
L'Homme n'est pas le produit du hasard et de la nécessité. Une
conscience transcendante préside à son apparition, comme elle a
présidé le monde. Le cosmos — les cieux et la terre — procède d’un
Être qui donne l’être à autre que Lui-même. La création traduit
un acte éthique.
Cet homme porte l’image et la ressemblance de Dieu. La Bible
n'explique pas les termes. Pour la lecture juive qui refuse toute repré-
sentation du divin, il s’agit d’un anthropomorphisme, d’un langage

6. Nous nous référons à la traduction de la Bible par le Rabbinat français, voir la biblio-
graphie, page 203.

44 | La Torah
humain appliqué à Dieu. Toute la Bible utilise un tel langage : la
main de Dieu, le souffle de Dieu, la colère de Dieu, la miséricorde
de Dieu... mais le Transcendant est, selon la formule liturgique,
«au-dessus de toute bénédiction, de tout chant, de toute louange ».
À la question de savoir comment justifier que la Bible use d'images
concrètes, le Talmud (TB Béra’hof 31 b) répond : « La Torah parle
le langage des fils de l’homme. » Pour s'adresser aux hommes, Dieu
humanise Son langage ; à l’homme, dans l’étude, de désincarner,
autant que faire se peut, ce vocabulaire charnel. Pour notre sujet,
Dieu ne crée pas Adam selon Son dessin, mais selon Son dessein.
Au sommet de cette création, Adam devient donc porteur d’un
projet qui le distingue radicalement des autres créatures. Car rien
dans le domaine minéral, végétal ou animal ne porte cette diffé-
renciation. Quelle est la nature de ce projet ? Le texte le révélera
par la suite, et il faut s’armer de patience pour lire la Torah.

Bénédictions et injonctions divines


Qui est cet homme originel ? Un mâle et une femelle. L'humain
est homme et femme, ou il n’est pas. D'où cette formule rabbi-
nique (TB Yébamot 62 b) : « Quiconque vit sans femme vit sans
bonheur, sans bénédiction, sans joie. »
Certes, la référence au genre « mâle et femelle » peut sembler
réductrice, mais elle se comprend par la bénédiction qui précède :
« Fructifiez et multipliez », en d’autres termes : « Préservez
l'espèce ! » Ici l’injonction rejoint la bénédiction de la procréation.
En plus de cette préservation, l'humain est invité à conquérir le
monde et ses créatures. Ce serait là le signe manifeste de l’image
divine et le premier dessein confié à l'humanité.
Certains ont vu dans ce passage une domination aveugle de la nature
qui serait la cause des maux que nous lui aurions infligés. L'igno-
rance de l’hébreu justifie cette lecture erronée, car cette conquête
renvoie à la gestion, non à la destruction. Dominer les poissons
ou les animaux terrestres n'implique sûrement pas, dans l’intention
divine, de polluer les océans ou de rendre les vaches folles.

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 45


Pour procréer et gérer son environnement, l'humain va devoir se
nourrir ; son régime diététique se trouve clairement mentionné
en fin de chapitre : le végétarisme. Les fruits et les produits du
sol constitueront son unique source alimentaire, à l’instar des
animaux. Ce régime partagé prouve d’ailleurs que la conquête du
monde animal ne peut s'entendre dans le sens d’une suppression
de la vie.

La Seconde création

Alors que le premier chapitre présente une création simultanée de


l’homme et de la femme, le chapitre 2 souligne un décalage chrono-
logique. Pour l’exégète espagnol Abraham ibn Ezra, le chapitre 2
explicite le chapitre 1. « Comment Dieu créa-t-Il l'humain, mâle
et femelle ? En créant Adam, puis Êve. » Dans une lecture psycha-
nalytique, Éliane Amado Levy-Valensi entend le premier texte
dans un idéal d'égalité, alors que le second décrit la réalité histo-
rique de l'écart de pouvoir entre les êtres’. L'histoire, au sens moral,
consisterait alors à cheminer vers cet idéal, où la guerre des sexes
cesserait devant la pacification des relations hommes - femmes.

Abraham ibn Ezra (1089-1160)

Abraham ibn Ezra est né en Espagne musulmane dans la ville de Tudèle (Tudela)
en 1089. Personnage semble-t-il assez fougueux, il a été poète, grammairien,
exégète, philosophe, traducteur, mathématicien, astronome et médecin. S'il
passe les cinquante premières années de sa vie entre l’Espagne et l’Afrique du
Nord, à partir de 1140, il décide de voyager à la rencontre des communautés
juives du nord de l'Espagne, notamment en Italie, en France et en Angleterre où
l’on pense qu’il s'éteint vers 1164 à Londres.
Lors de son voyage dans le nord de la France, il échange ses points de vue
exégétiques avec les tossaphistes Rabbénou Tam et Rachbam, avec qui il se
trouve des affinités méthodologiques. Abraham ibn Ezra se voulait avant tout
un littéraliste, refusant de faire sortir le verset de son sens obvie (évident),
contrairement à d’autres commentateurs qui se référaient souvent au Midrach
qui surajoute du texte aux versets de la Torah.

7. Voir bibliographie, page 203.

46 La Torah
Son commentaire reste célèbre pour son style concis et ses grandes compétences
linguistiques. Certains le considèrent même comme l’un des premiers critiques
au sens moderne du terme. Son commentaire sur la Bible a été imprimé pour la
première fois à Naples en 1488.

Adam est façonné de la poussière de la terre, d'Adamah, d'où son


nom Adam. Pour faire entendre cette homophonie en français,
André Chouraqui parle du g/ébeux sortant de la glèbe, nous pouvons
aussi nous référer aux sonorités de /’homme et de l’humus. Dans
l'esprit biblique, la terre forme un corps de femme, un corps de
mère, qui justifie que les noms de lieux soient toujours au féminin.
Dans les narines de cet être d’argile, Dieu insuffle le souffle de vie,
et Adam devient un souffle vivant. Certains lisent les versets dans
leur littéralité. Comme dans la légende du Golem, Dieu offre la
vie à une statue qui se dresse de la glaise. D’autres voient le récit
de la Création, du jardin d'Éden, de la tentation du serpent sur
un plan symbolique : l’homme, quel qu’il soit, est une combinai-
son complexe de matière et d’esprit, de corporéité et de spiritua-
lité, partagé, voire tiraillé, entre le monde d’en bas et le monde
d’en haut, entre des désirs primaires et des valeurs éthiques et
spirituelles.

Golem

Mentionné dans le psaume 139 (verset 17), le Golem est un être informe. Selon la
légende, le rabbin de Prague, Rabbi Loewe (xvi® siècle), fabriqua un être d'argile
puis, par des incantations kabbalistiques, insuffla à cette statue le souffle de vie.
Le Golem devint le gardien du ghetto de Prague, jusqu'à ce que le rabbin lui retire
définitivement la vie. Le nom Golem a été repris dans les récits fantastiques, ce
qui a donné Gollum.

Remarquons que le terreau originel d'Adam ne se situe pas dans


le jardin d’Éden. Adam vient d’ailleurs, et ce jardin sera sa terre
promise, sous contrat avec Dieu, contrat de travail et de bonne
conduite.

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 47


Gérer sa faim
Si, au chapitre 1, Adam est invité à conquérir la planète, ici, il
devient plus modestement jardinier de Dieu. Le travail n'apparaît
pas après la faute, mais avant. Travailler et garder le verger, voici
le cahier de charges qui confirme la noblesse du labeur humain.
Après la faute, l’homme devra manger son pain à la sueur de son
front (littéralement « de ses narines ») car le sol produira « des
ronces et des épines » obligeant l’agriculteur à un effort supplé-
mentaire de tri entre les bons épis et les mauvaises herbes (Gn 3,
1éet 19)
Autre clause du contrat : Adam peut manger de tous les fruits du
jardin, excepté le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du
mal. Curieuse espèce ! Les rabbins y voient un paradigme. Chaque
fois qu’un interdit est posé sur une réalité du monde — baignade
interdite, pêche interdite, etc. —, l'alternative s'offre au sujet libre
d’accepter ou de refuser l’injonction. Le bien signifiera accepter
la loi divine, le mal la refuser. Or, seul Adam, doté de son image
divine, est en mesure d’assumer cet ordre.
Ne serait-il pas plus simple de vivre sans loi ? Vivre uniquement
selon son instinct, son désir ? Si l’homme vivait seul sur une île
déserte, la réponse pourrait être affirmative, mais les hommes
vivent ensemble, en couple, au sein d’une famille, d’une commu-
nauté, d’une cité, d’une nation. La question du partage surgit alors.
Si seule la loi de l'instinct devait régner, ce serait toujours au détri-
ment du plus faible. Le monde de la jungle existe pour les animaux,
le Créateur veut un autre monde pour l'humanité. C’est pourquoi,
pour la Torah, la rencontre avec Dieu induit une rencontre avec la
loi de Dieu.
Bien comprise, cette loi ne frustre pas, mais gère le désir. Elle pose
les limites de chacun dans son rapport à Dieu, à l’environnement
et à autrui. Elle rappelle que personne ne peut tout consommer,
sous prétexte d’une faim illimitée. La loi originelle s'inscrit dans
une éthique du vivre ensemble.

48 La Torah
Créer la femme
La question du vivre ensemble devient nécessité existen-
tielle quand Dieu déclare : « Il n'est pas bon que l’homme soit
seul. » Quelques versets plus loin, Adam fait le même constat
au milieu des bêtes qu'il vient de nommer, suggérant qu'il est
prêt à être anesthésié. La femme apparaît au réveil de l'opé-
ration, « aide en vis-à-vis », littéralement « aide à portée
de parole ». Loin d’être un objet de convoitise, une image
érotique, Êve porte idéalement la vocation du dialogue. C’est
pourquoi la tradition juive refuse de voir une « côte » à l’origine de
la femme, et préfère traduire, selon l’exégète Rachi, que Dieu prit
un « côté ». Comme dans Le Banquet de Platon, Adam aurait été
créé androgyne, autant mâle que femelle, Dieu ayant transformé le
dos à dos en face-à-face.

Rachi (1040-1105)
Rachi, acrostiche de Rabbi Salomon fils d’Isaac (Chlomo ben Yitzhak), est né à
Troyes, en France du Nord, en 1040 et est mort à Worms (Allemagne) en 1105.
Après avoir étudié dans les instituts talmudiques (yéchiva) de Worms et Mayence
auprès de grands maîtres de l’époque, il revient dans sa ville natale en 1070 pour
ouvrir sa propre école, en même temps qu'il vit de la viticulture.
Sa notoriété, due à la fois à son érudition, sa pédagogie et ses qualités humaines,
attire de nombreux disciples. En plus de son travail d'enseignement, Rachi
commence à écrire ses commentaires sur la Bible, le Talmud et le Midrach,
c’est-à-dire sur la totalité de la tradition écrite et de la tradition orale d'Israël.
Il sera surnommé pour cela « le commentateur de la foi » (parchan data). Sa
connaissance de la langue hébraïque et de la grammaire, des sciences de son
époque et de nombreuses activités artisanales apparaît dans ses nombreuses
gloses qui s'adressent aussi bien aux élèves débutants qu'aux érudits les plus
férus. Parfois, il traduit un terme hébraïque en vieux français champenois. On a
ainsi recueilli des milliers de mots qui sont une manne bénie pour les chercheurs
de la langue française.
Rachi eut trois filles, dont deux furent mariées à des savants de la Torah. Ses
petits-fils les plus célèbres, Rabbénou Tam et Rabbi Samuel ben Méir (Rachbam),
sont à l’origine de l’école d'interprétation du Talmud du nord de la France,
nommée école des Tossaphistes, « les Ajouteurs ».

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 49


Aujourd’hui, le commentaire de Rachi est incontournable aussi bien pour
la compréhension de la Bible que pour celle du Talmud. Parfois, il cite un
commentaire personnel original, parfois il cite une source rabbinique antérieure,
toujours de bon aloi. Le premier Talmud édité avec les gloses de Rachi date de
1484 dans l’édition italienne de Soncino.
Rachi eut également une influence sur l’exégèse de quelques penseurs chrétiens,
notamment Nicolas de Lyre, un franciscain du xi° siècle.

La fin de notre chapitre souligne la valeur du couple. Le fils aban-


donnera son père et sa femme : comprenons qu'il devra savoir
s'éloigner du cocon familial (sans doute avec l’aide de ses parents)
pour assumer une relation d’amour avec une femme qui enfantera
l'enfant de leur amour.
L'homme et la femme sont nés. Adam porte le nom de son origine
glaiseuse, et Êve (Hawa), « mère de vie », l'avenir du couple.
Leur lien s’exprimera par la parole et la volonté de transmettre
à leur progéniture la parole divine. Mais l’histoire ne fait que
commencer...

Babel, une tour et des hommes

Toute la terre avait une même langue et des paroles semblables. Or, en
émigrant de l'Orient, les hommes avaient trouvé une vallée dans le
pays de Sinar, et s'y étaient arrêtés. Ils se dirent l'un à l'autre : « Çà,
préparons des briques et cuisons-les au feu. » Et la brique leur tint lieu
de pierre, et le bitume de mortier. Ils dirent : « Allons, bâtissons-nous
une ville, et une tour dont le sommet atteigne le ciel ;faisons-nous un
établissement durable, pour ne pas nous disperser sur toute la face de la
terre. » Le Seigneur descendit sur la terre, pour voir la ville et la tour
que bâtissaient les fils de l’homme ; et 1l dit : « Voici un peuple uni,
tous ayant une même langue. C'est ainsi qu'ils ontpu commencer leur
entreprise et dès lors tout ce qu'ils ont projeté leur réussirait également.
Or çà, paraïssons ! Ef, ici même, confondons leur langage, de sorte que
l’un n'entende pas le langage de l'autre. » Le Seigneur les dispersa donc
de ce lieu sur toute la face de la terre, les hommes ayant renoncé à bâtir

50 La Torah
la ville. C'est pourquoi on la nomma Babel [mélange], parce que là le
Seigneur confondit le langage de tous les hommes et de là l'Éternel les
dispersa sur toute la face de la terre.
Genèse 11, 1-8

Une même langue


Une nouvelle humanité a vu le jour, issue des trois fils de Noé :
Sem, Cham et Japhet. Les hommes se sont rassemblés pour former
un seul peuple. Rester ensemble contre les agressions de la nature :
l'union ne fait-elle pas la force ?

Noé

Noé (Noah) est le premier juste ès qualités mentionné dans la Torah. Considérant
ses vertus, Dieu l'épargne avec sa famille du Déluge qui noie ses contemporains.
Noé est considéré comme un nouvel Adam dont descend toute l'humanité.

Ces hommes « parlent la même langue », celle du commence-


ment, l’hébreu, selon le texte. Ils tiennent « les mêmes propos ».
Redondance du verset que l’exégèse interprète de cette manière :
une langue unique pour communiquer, et des dialectes particuliers
selon les sources sémites, chamiques et japhétiques. (De même, en
France, nous parlons le français, pourtant les patois locaux restent
vivants dans quelques régions.)
Cette humanité dialogue, converse, échange. La Torah présente
l'homme en vivant parlant. La parole sert à nommer et à
communiquer.
Cette humanité trouve une vallée à Sinar ou Chinar. Chinar en
hébreu peut s'entendre « lieu de la noyade ». La population s'ins-
talle dans le lieu de l’échec passé. Après les catastrophes, les resca-
pés tentent souvent de reconstruire un monde viable pour leurs
enfants, comme après la Seconde Guerre mondiale, quand on se
disait : « Plus jamais ça!»

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 5


Un homme à son prochain
Une fois installés, ces descendants de Noé projettent de construire
une ville, afin de ne pas se disperser sur la surface de la terre. Pour
ce faire, il leur faut des briques et du mortier. Sinar devient un
véritable chantier de construction.
Le bibliste attentif remarque que le verset 2 use de l'expression
«un homme à son prochain », expression qui disparaît au verset 3.
On avancera que l’auteur ne voulait pas alourdir le texte ? Peut-
être, mais ce genre de considération littéraire est rarement pris en
compte par la tradition. Le commentateur, qui veut donner du sens
aux redondances ou aux absences, décèle ici une faille relationnelle,
liée à la nature même de cette expression.
En effet, l'énoncé « un homme à son prochain » traduit un
grand lien entre deux personnes, au point qu'elle est utilisée pour
parler du lien prophétique entre Dieu et Moïse : « et l'Éternel
parlait à Moïse, face à face, comme un homme à son prochain »
(Ex 33, 11). Ce « face-à-face » ou ce « visage-à-visage » indique
toujours une attention particulière et réciproque à autrui. Il signi-
fie que la multitude, le collectif n’a pas réussi à annihiler le bon
rapport entre les individus. La disparition de la formule suggère
une brisure du lien social, amical, fraternel, un relâchement du
rapport de sujet à sujet.

La descente de Dieu

Les hommes ont achevé de construire leur ville. Ils envisagent


à présent d'élever une tour, sans doute une ziggourat, suffisam-
ment haute pour toucher le ciel (un gratte-ciel, déjà) ; et d’ajou-
ter « faisons-nous un nom », une renommée. Depuis l'Antiquité,
les civilisations construisent des édifices qui leur survivront. Elles
impriment dans la pierre la trace de leur passage ici-bas pour se
donner l'illusion de l’immortalité.

52 La Torah
Un rabbin voit dans cette proclamation une faute précise :
Rabbi Nathan enseigne : leur intention était idolâtre. En effet, 1l est
écrit ici « faisons-nous un nom », et il est écrit là-bas (Ex 23, 13) « le
nom d'autres divinités tu n'invoqueras point ». De même que, là-bas,
le nom concerne l'idolâtrie, ici aussi le nom concerne l’idolätrie.
Yalkout Chimoni sur la péricope Noé

Péricope

Il s'agit de la section hebdomadaire lue le jour du chabbat à la synagogue. Cet


extrait est formé généralement de 4 ou 5 chapitres du Pentateuque.
Sur le déroulement du chabbat, voir aussi page 120 et page 185.

Nous avons là une lecture midrachique typique (voir page 31) : un


même mot apparaissant dans deux textes différents relie les deux
textes entre eux (Freud reprendra (inconsciemment ?) ce même
principe pour l'interprétation des rêves). La tour servira à monter
vers le ciel pour combattre Dieu, et prendre Sa place, c’est-à-dire
pour empêcher qu'une loi transcendante définisse le bien et le
mal. Rêve d’immortalité, substitution de Dieu, ne sont-ce pas les
fantasmes du pouvoir absolu ?
Dieu descend alors au milieu des hommes, moins pour constater le
travail que pour juger les intentions. Si le crime de Caïn engendra
la société de la violence, quel modèle de société allait naître de ce
projet mégalomane ?

La première autocratie
La clef de lecture de ce récit se trouve dans le geste divin de séparer
les hommes selon leur dialecte particulier. Traditionnellement, cet
éclatement babélien s'entend en une punition céleste. Dieu sépare
ceux qui s'unissent pour Le combattre. Diviser pour mieux régner,
le proverbe est bien connu ! Certes, il a pu y avoir dans cette vallée
désertique un projet arrogant, voire une contestation du pouvoir

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 53


divin, mais surtout il y eut une déshumanisation du sujet humain.
Au fil du temps, le rapport d’« un homme à son prochain » s’est
étiolé, au profit d’un face-à-face anonyme avec la muraille de
briques brunes.
Le Midrach accentue cette lecture :

Quand un homme tombait, on allait chercher une autre personne ;


quand une pierre tombait, on se lamentait en se disant : quand
aurons-nous
fini le travail ?
Yalkout Chimoni sur la péricope Noé

Finalement, ces hommes avaient refusé de se disperser pour ne


former qu'un peuple unique, avec une langue unique, un roi unique,
une culture unique. Toutes les dictatures se caractérisent par ces
critères. Rien n’est plus stérile aux yeux de la Torah que ce refus
des divergences, que cette négation du débat d'idées, car le projet
divin se fonde sur la différence. Le mouvement de la Création va
de l’indifférencié à la différence, de l’impersonnel à la personne.
Au bout de son constat, l'Éternel ne punit pas, mais comme à l’ori-
gine, il remet la distinction en mouvement, pour que le rapport
d'un homme à son prochain, d’un peuple à un autre peuple soit
riche de la différence de chacun.

Les patriarches, en réponse à l'appel


Les premiers chapitres de la Bible ne s’appesantissent pas sur les
personnages présentés. Les siècles passent, les générations aussi.
Avec Abraham, nous entrons dans un autre moment de la Torah.
En répondant à l’appel personnel de Dieu, Abraham et, à sa suite,
son fils Isaac et son petit-fils Jacob posent les fondements de
l'alliance entre leur descendance et Dieu.

54 La Torah
Abraham, en avant, marche !5

L'Éternel avait dit à Abram : « Éloigne-toi de ton pays, de ton lieu


natal et de ta maison paternelle, et va au pays que Je F'indiqueraï. Je
fe ferai devenir une grande nation ; Je te bénirai, J agrandirai ton
nom, et fu seras une bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront, et qui
t'outragera Je le maudirai ; et Par toi seront bénies toutes les familles de
la terre. »
Genèse 12, 1-3

L'homme aux dix épreuves


Ainsi commence le chapitre 12 de la Genèse, ainsi débute la vie
d’Abram, que Dieu nommera plus tard Abraham (Père d’une
multitude). L'homme est alors âgé de 75 ans.
Si la Torah offre onze chapitres pour nous présenter les grands récits
del’humanité (depuis Adam jusqu’àlatour de Babel), elle en consacre
treize à la seule vie du patriarche. Ce fait souligne incontestablement
l'importance que la Torah veut accorder à ce personnage embléma-
tique. Si aucune trace archéologique ne prouve son existence, il
suffit au croyant monothéiste de voir dans ce héros un modèle de
foi, d’abnégation, d’amour de Dieu et du prochain.
Abraham restera vivant dans la mémoire prophétique, notamment
à travers la voix d’Isaïe.

Écoutez-moi, 6 vous qui poursuivez la Justice, vous qui recherchez


l'Éternel !Jetez les yeux sur le rocher d'où vous fütes taillés, sur le
puits de carrière d'où vous fütes extraits. Considérez Abraham, votre
père, Sara, qui vous a enfantés ; lui seul Je l'ai appelé, Je l'ai béni et
multiplié.
Isaïe 52, 1-2

8. Texte dédié à feu notre maître le grand rabbin Meyer Jaïs.

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque | 55


Cette exhortation à méditer la vie du grand homme, dont la voca-
tion et la destinée forment le prologue de l’histoire israélite (avant
d’être continuée par l'Église et la Mosquée), a été entendue par
la Synagogue et par le Talmud. Pour la Synagogue, il suffit de
mentionner que la prière juive par excellence, dite amida (récitée
debout et à voix basse), s'ouvre justement sur cette bénédiction :
« Béni sois-Tu Éternel bouclier d'Abraham. » Quant au Talmud, il
nous offre cette pensée :

Abraham, notre père, a été éprouvé à dix reprises, et 1l a surmonté


toutes les épreuves. Cela pour f'enseigner la grandeur de son amour
pour Dieu.
Traité Avot 5,1

Maïmonide présente ainsi ces dix épreuves :


. le départ d'Abraham ;
. la famine en Canaan ;
. l'enlèvement de Saraï par le pharaon ;
. le combat mené contre les rois pour délivrer son neveu ;
. l'union avec Agar ;
. l'alliance de la circoncision ;
. l'enlèvement de Sarah par Abimélekh ;
. le renvoi d’Agar sa concubine ;
©. le renvoi d’Ismaël son fils ;
Ur
EN
ST,
00.
KO
ND

(== . la ligature d'Tsaac.

Maïmonide (1135-1204)
Rabbi Moché (Moïse) fils de Maïmon (dit Rambam ou Maïmonide) est l’un des
plus grands savants de la Torah de tous les temps. Il est né à Cordoue (Cordoba),
en Espagne, en 1135, et est mort à Fostat, en Égypte, en 1204. Il étudie d’abord
la Torah auprès de son père, Rabbi Maïmon, le juge rabbinique de Cordoue. Mais,
en 1148, suite à l'invasion de l’Espagne par les fanatiques Almohades, venus
d’Afrique du Nord, la famille Maïmon s’exile à Fez, au Maroc, en 1160. Durant ces
années difficiles, le jeune homme ne cesse d’écrire, en arabe, des commentaires
sur le Talmud et les sciences. C’est à Fez qu’il étudie la médecine, qui lui servira
plus tard pour son métier.

56 La Torah
En 1165, la famille part pour la Palestine, mais devant les difficultés économiques
(époque des Croisades) elle se dirige vers l'Égypte, où son père meurt. C’est dans
la ville de Fostat (le vieux Caire) que Maïmonide se fait vraiment connaître comme
juge rabbinique, savant de la Loi, philosophe et médecin à la cour de Saladin.
Parmi son œuvre encyclopédique, citons le Michné Torah qui est la première
forme synthétique du Talmud présenté par thèmes, dans un hébreu limpide, et
le Guide des égarés (en arabe) où il tente de concilier foi et raison, se référant
autant aux maîtres d’Israël qu’aux grands philosophes musulmans et grecs dont
Aristote. Si le Michné Torah fut plutôt bien accueilli par les autorités rabbiniques,
son Guide fut très controversé du fait de son rationalisme extrême et de ses
références peu orthodoxes.
Maïmonide a écrit aussi des manuels sur les poisons, l’asthme, la diététique, la
psychosomatique et Les Huit Chapitres que l’on peut considérer comme l’un des
premiers ouvrages de psychologie. L'œuvre de Maïmonide fut souvent publiée,
et il existe en français autant de bonnes traductions que de bonnes analyses
générales.

Ainsi, à dix reprises, Abraham a dû se dépasser pour accepter


une réalité qui, 4 priori, ne lui convenait pas, mais sans jamais se
rebeller contre son Créateur. Abraham sera l’homme de la foi, de
la émouna, de la confiance en Dieu qu’il exprimera dans tous les
aspects de son existence.

Abraham, le déraciné
Pour notre propos, nous nous bornerons à commenter la première
épreuve qui s’exprime dans les trois versets cités. Que demande
l'Éternel à Abram ? La rupture avec son passé : son pays, sa ville
natale, la maison paternelle. Les exégètes toujours attentifs aux
détails scripturaires s’étonnent de cette logique d'écriture : en quit-
tant son pays ne quitte-t-on pas du même coup sa ville et, bien sûr,
sa maison ? En fait, il s’agit moins d’un déplacement géographique
que psychologique. Le vieillard doit abandonner un univers fami-
lier pour suivre un Dieu qui l'appelle vers un ailleurs.
On ne comprend pas immédiatement le sens de cette requête. S'il
fallait soustraire le personnage à son environnement idolâtre, la
terre de Canaan, où il doit se rendre, ne présente-t-elle pas autant

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 57


de temples aux divinités locales, notamment le Baal ? De plus,
l'Éternel promet un avenir radieux : un grand peuple, une source de
bénédiction pour les nations. La condition de l’exilé ne serait-elle
pas davantage une vie précaire ? Maurice Barrès dans Les Déracinés
dépeint ces personnages condamnés à dépérir, à languir, à s'étio-
ler comme si leurs qualités intrinsèques ne pouvaient se déployer
qu’alimentées de la sève nourricière du terreau ancestral. En fait,
non seulement ce « va pour toi », qui peut s'entendre aussi « va vers
toi », ne va pas affaiblir le personnage, mais au contraire, ce change-
ment de décor, ce recommencement favorisera son épanouissement.
La Torah donne ici une grande leçon de vie : par les efforts
d'adaptation requis par le changement, les facultés intellec-
tuelles, émotionnelles, psychologiques sont mises en branle, elles
stimulent l'invention et accentuent l'originalité ; hors de ce cadre
nouveau, ces facultés seraient sans doute restées virtuelles. En fait,
l’obstacle engendre le dépassement de soi. Telle une digue, elle
hausse le niveau de l'esprit. Si l’élection d'Abraham semble dans
un premier temps dépendre de l'arbitraire divin, les dix épreuves
réussies révèlent, rétroactivement, le bon choix du Ciel.

Un témoin de Dieu

Pour Rachi (voir page 49), la bénédiction « J'agrandirai ton nom »


se réfère à la renommée d'Abraham. Par sa vie, le patriarche va
témoigner de la présence de Dieu, mais non pas en s’excluant du
monde, en bannissant la réalité mondaine, en optant pour une vie
ascétique. L'idéal biblique ne peut s'identifier à de telles conduites.
À la limite, le fait que des hommes et des femmes décident de vivre
en retrait, selon un appel intérieur, peut être louable en soi, mais
ce modèle ne pourra servir de référence à la majorité d’une société
humaine.
Aussi Abraham va-t-il nous apparaître peu différent de ses contem-
porains. Îl aime la vie, il gère des biens et des troupeaux, il aspire
à être père, 1l va jusqu’à prendre les armes pour délivrer son neveu
Lot, premier prisonnier de guerre selon la Torah. Rien d’humain

58 La Torah
ne lui reste étranger. Il ne se distingue des autres hommes que
d'une manière : pas un seul de ses gestes, pas une seule de ses
paroles qui n’actualise la présence de Dieu dans la cité. Tel est le
sens de la foi (émouna) pour la Torah : il ne s’agit pas de fuir la terre
pour accéder au ciel, maïs bien de faire descendre le ciel sur la terre.

Le monothéisme éthique
On a souvent présenté Abraham comme l'inventeur du mono-
théisme, rompant définitivement avec les formes polythéistes
antérieures. Une lecture minutieuse des textes trouvera l’affirma-
tion fragile. En effet, Adam, Abel et Noé ne croyaient-ils pas déjà
en une seule divinité ? La découverte abrahamique se situe ailleurs,
dans l'affirmation que ce Dieu unique est inséparable de la morale.
Parcourons la Bible, relisons les exigences réitérées de ce Dieu
d'Israël qui reste le Dieu de l’humanité pour entendre Ses inces-
sants appels à la justice, à la fraternité, à l'amour du prochain.
À aucun moment Il ne laisse l’homme s’abandonner à ses propres
faiblesses. Les rois, les juges, les prêtres, les individus et les nations
sont invectivés à chaque trahison de la morale, chaque fois que le
pouvoir des uns sert à écraser les autres. Cette découverte, nous la
devons à Abraham, et c’est au nom de cette découverte que Dieu
le distinguera, selon l'affirmation du verset :

Si Je l'ai distingué [dit l'Éternel], c'esé afin qu'il prescrive à ses


enfants et à sa maison après lui d'observer la voie de l'Eternel, en
pratiquant le droit et la justice.
Genèse 18, 19

La leçon mérite d’être réfléchie : pour le patriarche, la démarche


religieuse de l’homme vers Dieu restera toujours incomplète si elle
ne s'accompagne pas simultanément d’une démarche éthique obli-
geant l’homme à être « gardien de son frère ». Telle est sans doute
la nature de la marche d'Abraham qui ne peut s'ouvrir alors que sur
une bénédiction pour « toutes les familles de la terre ».

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 59


Abraham : une course pour trois invités”

L'Éternel se révéla à lui (Abraham) dans les plaines de Mamré,


tandis qu'il était assis à ‘entrée de sa tente, pendant la chaleur du
jour. Comme il levait les yeux et regardait, 11 Vif fro1s personnages
debout près de lui. En les voyant, 1l courut à eux du seuil de la tente
et se prosterna contre terre. Et 1l dit : « Seigneur, sij'ai trouvé grâce
à tes yeux, ne passe pas ainsi devant ton serviteur. Qu'on aille quérir
un peu d'eau ; lavez vos pieds et reposez-vous sous cet arbre. Je vais
apporter une tranche de pain, vous réparerez vos forces, puis vous
poursuivrez votre chemin, puisque aussi bien vous avez passé près
de votre serviteur. » Ils répondirent : « Fais ainsi que tu as dit. »
Abraham rentra en hâte dans sa tente, vers Sara, et dit : « Vite,
prends trois mesures de farine de pur froment, pétris-la et fais-en des
gâteaux. » Puis, Abraham courut au troupeau, choisit un veau tendre
et gras et le donna au serviteur, qui se hâta de l'accommoder. Il prit de
la crème et du lait, puis le veau qu'on avait préparé et le leur servit : 1l
se tenait devant eux, sous l'arbre, tandis qu'ils mangeaient.
Genèse 18, 1-10

Apres la circoncision
Voici un épisode célèbre de la vie d'Abraham : l'accueil des trois
émissaires divins qui lui annonceront la naissance d’Isaac. Ce texte
révèle l'hospitalité du patriarche à l'égard des étrangers. Cette atti-
tude bienveillante découle de sa croyance monothéiste. À l'origine,
Dieu a créé un seul homme et une seule femme. Toute l'humanité
descend de ce couple originel. Tous les humains sont frères : le
membre de famille et l’immigré, le prochain et le lointain.
Avant d’analyser dans le détail la gestuelle abrahamique, les
rabbins resituent ces versets dans leur contexte. Que s'est-il passé
avant ? Au chapitre 17, l'Éternel s’est révélé à Abram, lui a changé
son nom en Abraham (Père d’une multitude), de même qu’Il a
changé le nom de Saraï (Mes princesses) en Sarah (Princesse).

9. Ce texte est dédié à feu mon maître le grand rabbin Emmanuel Chouchana.

60 | La Torah
Ce changement de nom découle du changement morphologique
d'Abraham qui va se circoncire, c’est-à-dire procéder à l’ablation
de son prépuce.
Pour la Torah, la circoncision représente une alliance (#érif), un
partenariat entre Dieu et le patriarche, et plus tard avec sa descen-
dance. Porter cette alliance dans sa chair signifie assumer le mono-
théisme sur l'organe géniteur et s'engager à témoigner de Dieu
dans son existence.
Freud à vu dans cette cérémonie une castration ritualisée. Les
rabbins interprètent autrement cette opération accomplie sur le
bébé de huit jours. Il s’agit de souligner à l’aube de la vie qu'aucun
homme ne peut réclamer la totalité du monde, que personne ne peut
assouvir tous ses désirs. L'’humain est irrémédiablement condamné
au manque, et Dieu demande de placer cette leçon dans le lieu
intime de l’anatomie. En même temps, cette circoncision souligne
que la sexualité, espace de toutes les pulsions, devient sacralisée par
l'amour des époux et la transmission du message monothéiste aux
enfants. En méditant la leçon, l’homme comprendra que l’autre
sera toujours son complémentaire, la part qu’il ne possédera jamais,
que cet autre soit la femme, l'enfant, l’ami ou l'étranger.
Or, ici, Abraham rencontre trois étrangers. Pour souligner son
esprit d'ouverture, sa vigilance à l’altérité, le Midrach situe cette
rencontre au troisième jour de la circoncision, le jour délicat de la
cicatrisation. Loin d’être replié sur sa douleur, au fond de son lit, le
vieillard est assis au seuil de sa tente, malgré la chaleur ardente. Il
attend d'offrir son hospitalité à ceux qui sont en manque de pain,
d’eau et d'ombre.

Le zèle de l'amour

Nous sommes touchés par le zèle de notre héros. Le vocabulaire


le prouve : « il court » (il est âgé de 99 ans), « il entre en hâte », il
demande à sa femme, Sarah, de faire « vite » ; lui-même « se préci-
pite vers le troupeau » pour chercher une belle bête, qu’il demande
à son serviteur d’accommoder « rapidement ».

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 61


Abraham se met à la place de ces hommes. Il ne connaît pas encore
leur identité, il les prend pour des bédouins du désert. Il fait chaud,
ils ont donc soif, sans doute faim. La fatigue pèse sur leurs épaules,
sur leurs jambes. L’enthousiasme du patriarche traduit son amour
de l’étranger, ce qu’ensuite la Torah légiférera en commandement
pour le peuple d'Israël (Lv 19, 34).
Dans la Torah, l’amour ne se présente jamais en un sentiment
général, mais toujours de manière très concrète, très immédiate.
Plus tard, le Talmud développera toute une casuistique pointue
pour tous les actes religieux et les conduites morales, que certains
critiquèrent en y voyant une méticulosité trop précieuse. Et pour-
tant, la vie n'est-elle pas faite avant tout de détails ? Comment
s'habiller aujourd’hui ? Quel plat préparer pour ce soir ? Que dire
ici, que faire là ?
Abraham, en voyant ces hommes, voit leur condition ici et mainte-
nant, et il court et fait courir sa maisonnée avec lui. La Torah nous
décrit l’effervescence de l’amour.

Dire peu, faire beaucoup


Un autre détail frappe l’exégète : la différence entre les mots
prononcés par Abraham et leur réalisation. Que propose-t-il,
somme toute, à ces étrangers après s'être humblement prosterné
visage à terre ? Un peu d’eau et une tranche de pain. Le minimum
vital pour un petit mangeur. Certains commentateurs pensent que
le patriarche craignait que ces passants refusent son invitation pour
ne pas le fatiguer. D’autres voient dans ce comportement la source
de cet enseignement talmudique : « Chamaï dit : [...] Parle peu et
fais beaucoup, et accueille tout homme avec un beau visage. » L'un
de mes maîtres disait que le beau visage se dégage du sourire que
l’on offre à autrui. Maïmonide commente ainsi ce passage :

Les justes parlent peu et font beaucoup, ainsi que nous l'apprenons
d'Abraham qui a proposé un peu de pain, mais qui a apporté de la
crème, du lait, un jeune veau et un gâteau de trois grandes mesures de
freur de farine. Par contre, les méchants parlent beaucoup et ne font

62 |La Torah
même pas un petit peu, ainsi que nous l'apprenons d Efron qui promit à
Abraham de lui donner la caverne et le champ de Hébron pour enterrer
Sarah, maïs qui à la fin ne laissa pas passer un seul dinar.
Genèse 23

Abraham est l’archétype du juste, mais d’une nature particulière :


le juste de la morale ouverte.

De Noë à Abraham

Abraham n’est pas le premier juste de la Torah, Noé le précède par


ses vertus, comme en témoigne le verset : « Noé était un homme
juste, intègre ; Noé marchait avec Dieu » (Gn 6, 9). Il existe cepen-
dant une différence majeure entre Noé et Abraham car, pour ce
dernier, il est écrit qu’il marchait « devant » Dieu (17, 1), et non
« avec ». La tradition dégage deux types d'homme juste : Noé
et Abraham. Le premier cultive ses vertus pour lui-même, afin
d'accomplir la volonté divine, mais à aucun moment ne se soucie
de son prochain. Le Midrach remarque qu’il ne versa aucune larme
quand le Déluge noya l'humanité. Pour Noé, on peut parler d’une
morale fermée (« après moi le déluge ! »).
Abraham marche devant Dieu, c’est-à-dire qu’il prend des initia-
tives dans le domaine éthique : il plaide la cause de Sodome, il
accueille des étrangers, il fraternise avec les Cananéens, et il finit
par comprendre que Dieu ne désire pas les sacrifices humains
(Gn 22). Pour Abraham, on peut parler de morale ouverte.
On comprend alors qu'il fut reconnu par tout Israël comme son
père fondateur et modèle de vertus à imiter. On comprend aussi
que Dieu soit nommé « Dieu d'Abraham ».

Isaac, la force tranquille


Et Isaac dit à son père : « Mon père. » I] répondit : « Me voici mon fils. »
I dit : « Voici lefeu et le bois, maïs où est l'agneau pour l’holocauste ? »
Abraham dit : « Dieu se pourvoira lui-même du mouton pour
l’holocauste, mon fils. » Ils s’en allèrent tous deux ensemble.

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 63


Quand ilsfurent arrivés au lieu que Dieu lui avait dit, Abraham y
bâtit l'autel ; il disposa le bois, ha Isaac, son fils, et le mit sur l'autel,
par-dessus le bois. Puis Abraham étendit la main ef prit le couteau
pour immoler son fils. Mais l’Ange du Seigneur l'appela du ciel et dit :
«Abraham ! Abraham ! >» Il dit : « Me voici. » L'Ange dit : « Ne porte
pas la main sur le garçon et ne lui fais rien, car maintenant je sais que
tu crains Dieu et que tu ne m'as pas refusé ton fils, ton unique. »
Genèse 22, 7-12

Le fils du miracle
Le deuxième patriarche se nomme Isaac, fils d'Abraham et de
Sarah. Si, du point de vue de la Torah, toute naissance exprime
un miracle, celle d’Isaac porte la trace d’un miracle plus marqué,
puisque Sarah fut stérile jusqu’à l’âge de 90 ans, tandis qu'Abra-
ham avait atteint l’âge de cent ans au moment de cette naissance.
Lorsque le vieux couple apprit par les voies du ciel qu’ils allaient
Être parents, ils seomirentiasrire (Gn,17 17: 15,012) #-0bten
qu'ils nommèrent leur fils Yitzhak (Isaac), ce qui veut dire « il
rira ». La foi n'enlève pas une part d'humour devant l’inouï des
situations !
Le jour du sevrage du fils tant espéré, une dispute éclata entre
Sarah et Agar, sa servante. Ce n’était pas la première fois, mais ce
coup-ci Sarah, en maîtresse intraitable, demanda à son époux de
renvoyer la femme et son fils Ismaël, pourtant semence d’Abra-
ham. Le patriarche se soumit à la volonté de son épouse. Dieu le
rassura en promettant à Ismaël une descendance nombreuse, mais
Isaac grandit sans frère (Gn 21, 8-14).
Entre une mère au caractère fort et un père hautement charis-
matique, [saac développa un tempérament réservé et solitaire,
méditant l’héritage spirituel de son père, ce que son travail de
berger lui permettait de faire. Ce qui singularise ce premier enfant
du miracle est incontestablement sa force de caractère, marquée
par l'acceptation des situations sans jamais s'y opposer de front.

64 La Torah
Isaac considérait que tous les événements cachaient en réalité la
volonté divine ; pourquoi dès lors résister, se débattre ou se mettre
en colère ? On pourrait, à son propos, appliquer la formule du
Talmud (TB Taanit 20 b) : « L'homme sera toujours souple comme
le roseau, jamais dur comme le cèdre. » Isaac traversera son exis-
tence sans se briser contre les épreuves.

L'épreuve de | ligature
Toute cette existence se jouera au seuil de sa vie lors de l'épreuve
dite de la ligature (akédat Yitzhak), quand l'Éternel demanda à
Abraham de sacrifier son fils (Gn 22). La Torah restant imprécise
sur l’âge du fils, certains exégètes voient en Isaac un adolescent,
d’autres, un jeune adulte. Dans tous les cas, il était parfaitement
conscient de ce qui se passait. Et lorsque le vieux patriarche lui
annonça qu'il serait immolé à la place d’un agneau, Isaac accepta
courageusement d’être ligoté, étendu sur l'autel, et tendit son cou
au couteau dévoreur.
Certes, la fin du chapitre révélera que Dieu ne désirait nul sacrifice
humain (qui se pratiquait dans les cultes cananéens). Il voulait en
revanche tester la foi d'Abraham. Par amour du Ciel, ce dernier
allait-il sacrifier son fils, porteur de son avenir, de ses promesses,
de son héritage ? Allait-il tout remettre en cause par une foi désin-
téressée ? Abraham exprima cette foi-là. Isaac n’en fut pas moins
grand en étant prêt à rendre sa vie au Père divin.
Quand un homme a vécu une telle expérience, de deux choses
l’une : ou bien il en reste traumatisé à jamais, ou bien sa philoso-
phie existentielle s’exprimera par un certain détachement aux êtres
et aux choses. Isaac ne fut pas « un prince de Dieu », titre rayon-
nant dont fut couronné son père par les Héthéens (Gn 23,6) ;ilne
semble pas non plus avoir tissé quelques relations amicales avec des
gens de la région, alors qu'Abraham fut entouré d’Aner, Echkol et
Mamré (Gn 14, 13). Pratiqua-t-il un prosélytisme actif à l'instar
de ses parents (selon la lecture traditionnelle de Gant he
texte reste muet. En revanche, il est présenté comme un homme

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 65


portant le deuil de sa mère et se consolant en épousant Rébecca
(Gn 24, 67). Rébecca fut d’ailleurs le seul amour de sa vie, avec qui
il riait tendrement (Gn 26, 8).
Contrairement à Abraham, son père, et Jacob, son fils, qui eurent
épouses et concubines, Isaac restera l’homme d’une seule femme,
l’homme d’un seul nom (alors qu’Avram devint Abraham, et Jacob,
Israël) et d’un seul lieu, la terre de Canaan (alors qu'Abraham et
Jacob connurent d’autres contrées).
Unité et solitude, voilà les traits forts du personnage ; et comme
si cet esseulement ne suffisait pas, à la fin de ses jours, la cécité
l’atteindra, l’enfermant davantage dans son monde méditatif. Pour
autant, il ne donne pas l’image d’un ascète pur et dur, la Torah
soulignant qu’il aimait les bons plats (Gn 27, 7 et 14). Profondé-
ment croyant et profondément gourmet !
À la fin de ses jours, quand il se rendit compte, terrifié, qu'il avait
béni Jacob à la place d’Esaü (selon la ruse de Rébecca), il se ressai-
sit immédiatement, pensant que Dieu en avait ainsi décidé. Il ne
réprimanda ni son fils ni son épouse de cette supercherie (Gn 27).
Plus tard, Rabbi Aquiba, célèbre maître du Talmud, s’inspira de cet
illustre patriarche en usant souvent de cette formule : « Tout ce que
fait le Ciel, il le fait pour le bien. »

L'affaire des puits


Pour souligner le caractère non violent du personnage d’Isaac,
évoquons ici l'affaire des puits de Philistie. Une nouvelle séche-
resse sévit en Canaan. Isaac, suivant les traces de son père, se
met en marche vers l'Égypte fertile, mais Dieu l’en empêche,
l’obligeant alors à demeurer dans la bande côtière de Philistie
(aujourd’hui Gaza). Malgré la famine, « Isaac sema dans ce pays
et recueillit cette année le centuple » (Gn 26, 12). La bénédiction
divine accompagne notre héros qui devient économiquement
solide.

66 La Torah
En bon pasteur, il entretient des troupeaux d’ovins et de bovins
ainsi qu'un grand nombre de serviteurs. Cette réussite matérielle
engendre la jalousie des autochtones, qui bouchent les puits creusés
par Abraham. Comble de malheur, le roi Abimélekh lui demande
de quitter les lieux. Isaac ne s'oppose pas.
Prenant son bâton de pèlerin, il se déplace avec sa maisonnée vers
l’est, plus désertique. À chaque fois qu'il creuse d’anciens puits,
l’eau monte à la surface ; et à chaque fois les Philistins l'obligeront,
avançant leur droit de propriété sur la source. Enfin, à Rehovot
(Largesses), aucune contestation ne sera exprimée (Gn 26, 12 à 23).
Au bout de quelques années, Abimélekh, venu en grande pompe
dans le campement d’Isaac, reconnaîtra en ce dernier le béni de
l'Éternel. Quelques mots de mise au point et un bon repas partagé
permettront aux deux hommes de se séparer dans le chalom, la paix,
qui porte en hébreu une connotation puissante de plénitude. Signe
de cette bénédiction ? On annoncera alors à Isaac que de l’eau
venait d’être trouvée dans le désert.

Jacob et la peur de la bonne conscience

Les messagers revinrent près de Jacob, en disant : « Nous sommes allés


vers Esaü, ton frère ; lui-même vient à ta rencontre, ef 1l a quatre cents
hommes avec lui. » Jacob fut fort effrayé et plein d'anxiété. I] distribua
son monde, le menu, le gros bétail et les chameaux en deux bandes,
se disant : « Si Esaü attaque l’une des bandes et la met en pièces, la
bande restante deviendra une ressource. » Puis Jacob dit : « Ô Dieu de
mon père Abraham, Dieu d'Isaac mon père ! Éternel, toi qui m'as dif :
‘retourne à ton pays et à ton lieu natal, je te comblerat” ;je suis peu
digne de toutes les faveurs et de toute la fidélité que tu as témoignées
à ton servifeur, MO1 qui, avec MON bâton, avais passé ce Jourdain et
qui à présent possède deux légions. Sauve-moi, de grâce, de la main de
mon frère, de la main d'Esaü ; car je crains qu'il ne m'aftaque et ne me
frappe, joignant la mère aux enfants !»
Genèse 32, 7-12

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 67


Jacob chez Laban
Jacob revient au pays de Canaan après vingt ans d’absence, vingt
ans passés à Haran (Syrie) chez son oncle Laban. Rien n'a été
simple là-bas. Éperdument amoureux de la belle Rachel, Jacob a
travaillé sept ans pour obtenir sa main. Laban a vite jugé le person-
nage : solide garçon, excellent berger et honnête au labeur. Il sait,
le filou, que Jacob sera prêt à tout pour épouser sa cadette Rachel.
C'est l’occasion rêvée pour le garder longtemps, quitte à l’exploiter.
Le soir venu, le beau-père prend sa fille aînée Léa, la recouvre d’un
épais voile de mariée, de bijoux somptueux et officialise l’union en
présence de toute la bourgade. La nuit, les costumes et le vin aidant,
Jacob n’a rien vu ; et Rachel n’a rien dit. Le fils d’Isaac consomme
sa relation. « Et voici au matin, c'était Léa » (Gn 29, 25).
Jacob a beau hurler à la tromperie, Laban répond sereinement :
« Ici, il n’est pas coutumier de marier la cadette avant l’aînée.
Travaille encore sept ans et tu auras Rachel. » Jacob obtempère, en
pensant sans doute que le Ciel lui fait payer sa tromperie passée.
Pour ajouter à la souffrance, Rachel la bien-aimée est stérile et
Léa largement féconde. Dieu s’est donc immiscé dans le jeu. Mais
Laban n’en restera pas là, et il changera par dix fois le salaire de
son gendre (Gn 31, 7). Enfin, « Dieu se souvint de Rachel », elle
enfanta Joseph, le onzième fils de la famille.
Jacob décide de s'enfuir avec femmes, concubines, enfants, servi-
teurs, et le troupeau durement gagné. Laban en colère le rattrape
à la frontière. Dernière altercation virile. Finalement tout est dit,
et les deux hommes se séparent. En revenant sur la terre de ses
parents, Jacob repasse ces vingt années d'épreuves. Et s’il payait sa
faute d'autrefois ?

Jacob trompe son père

Vingt ans plus tôt, Jacob a effrontément trompé son père aveugle
en se faisant passer pour Esaü, son jumeau, mais aussi son aîné
(Gn 27). Cette duperie, il ne l’a pas décidée tout seul (mais il l’a bien
acceptée) : Rébecca, sa mère, en a eu l’idée — un beau subterfuge,

68 |La Torah
digne de Laban, mais Rébecca n'est-elle pas sa sœur ? Certes les
intentions de Rébecca sont plus nobles : Dieu lui a annoncé lors de
sa grossesse que le dernier-né des jumeaux portera la vocation abra-
hamique (Gn 25, 23). Alors, en entendant son mari, Isaac, appeler
Esaü pour le bénir (d'autant que ce dernier venait de contracter un
double mariage avec des Cananéennes idolâtres), son sang de mère
« Juive » n’a fait qu'un tour ! Rébecca a donc décidé de déguiser
Jacob en Esaü, pendant que celui-ci chassait quelque bon gibier.
La ruse a marché, pour le bonheur de Rébecca et de Jacob. Même
Isaac, au fait, après coup, de la duperie, a confirmé la bénédiction
sans la moindre allusion à l’imposture (Gn 28, 1-4). Vingt ans
après, Jacob entend encore les pleurs d’Esaü et ses terribles mots :
« Je tuerai mon frère ! »
Et voici Jacob, près du territoire de Séir, le territoire de son frère,
avec cette ultime question qui n’a cessé de le tarauder : est-ce que
son élection prénatale justifiait une telle inconduite vis-à-vis de son
père et de son frère ? Jacob avait trompé Isaac et Esaü, et Laban
avait trompé Jacob. Mais était-ce la fin de ses malheurs ?

Jacob à peur
Jacob envoie à Esaü des émissaires porteurs de paroles de paix et
de présents nombreux. De retour, les messagers annoncent que
le frère arrive accompagné de quatre cents hommes. Jacob a peur
et en est terriblement angoissé. Est-il si faible que cela ? N’est-il
pas lui-même un homme vaillant et physiquement capable de se
battre ? Déjà, lorsqu'il rencontra Rachel pour la première fois, il
déplaça à lui seul la grosse margelle qui couvrait le puits, et que
seuls plusieurs bergers pouvaient rouler (Gn 29, 10). Jacob est fort,
comme en témoigne son long monologue devant Laban, qui décrit
le dur travail du berger continuellement au service de son troupeau
et subissant les climats les plus rudes (Gn 31, 36-42). N’a-t-il pas
lutté la veille de cette rencontre, près du fleuve Yabok, contre un
mystérieux adversaire toute une nuit ? Une nuit complète d'empoi-
gnades et de coups, dont il sortira blessé à la hanche, blessé mais
vainqueur. C’est là qu’il recevra pour la première fois son nom :

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 69


Israël, « le lutteur ou le prince de Dieu » (Gn 32, 25-32). Et puis si
sa force ne suffisait pas, Jacob est entouré de serviteurs dévoués et
surtout de ses fils, dont Simon et Lévi qui triompheront de toute
une ville (Gn 34, 25-27). Alors, de quoi Jacob a-t-il peur ?
Il a peur de lui-même, de son passé qui remonte à la surface et qui
l’accuse. Pour la tradition, cette crainte traduit la bonne peur, la
peur de l’homme juste qui prend conscience du mal commis et qui
veut réparer. Si au début de sa vie Jacob fut le « talonneux » ou le
« tortueux », après sa lutte nocturne (peut-être contre lui-même),
il se transforma en Israël (voir page 19).
Celui qui dupa à deux reprises son père aveugle et son frère
s’inclinera humblement sept fois devant ce dernier. Celui-ci ne s’y
trompa pas. Il était sans doute venu pour tuer, mais il se jeta dans
les bras de son frère pour l’embrasser (Gn 33, 4). Le fratricide fut
évité, la fraternité triompha.

L'histoire d'une libération


La Torah n’est pas un livre d'Histoire, au sens universitaire du
terme, même si elle utilise l'expression narrative pour transmettre
son message. Toutes ses informations doivent s'entendre sur le plan
de la foi. Sa visée demeure essentiellement religieuse. À partir
de ce postulat de lecture, le conflit science et croyance n’a jamais
dérangé la conscience juive. Nous l'avons vu pour la Création (voir
page 18), de même, la vie des personnages bibliques, leurs épreuves,
leurs échecs et leurs réussites, indépendamment de leur historicité,
servent avant tout à éduquer le lécteur dans son rapport à Dieu et
au prochain. À travers le vécu de ces personnages, l'analyse de leur
comportement, de leur psychologie, le croyant dégage une éthique
de vie pour lui-même. La vie de Joseph (Vossef), l’un des héros des
derniers chapitres de la Genèse, est à ce titre exemplaire.

70 La Torah
Joseph, chute et ascension du juste
I] arriva, après ces faits, que la femme de son maître jeta les Yeux sur
Joseph. Elle lui dit : « Couche avec moi. » Il s’y refusa, en disant à
la femme de son maître : « Vois, mon maître ne me demande compte
de rien dans sa maison ; et toutes ses afjatres 1l les a remises en mes
mains. Il n'est pas plus grand que moi dans cette maison et il ne m'a
rien défendu, sinon toi, Parce que tu es son épouse. Ef comment puis-je
commettre un si grand méfait et offenser le Seigneur ? » Quoiqu'elle
en parlât chaque jour à Joseph, 1l ne cédait point à ses vœux en venant
à ses côtés pour avoir commerce avec elle. Maïs il arriva, à une de ces
occasions, comme 1l était venu dans la maison pour faire sa besogne
et qu'aucun des gens de la maison ne s'y trouvait, qu'elle le saisit par
son vêtement, en disant : « Viens dans mes bras ! » II abandonna son
vêtement dans sa main, s'enfuit et s'élança dehors.
Genèse 39, 7-12

Le fils de la femme aimée


Joseph est le fils aîné de Rachel, la femme préférée de Jacob, qu'il
fut contraint d’épouser seulement après avoir été marié à sa sœur
Léa, suite à la tromperie de son beau-père Laban (Gn 29, 18-25).
Pour souligner cet amour profond entre Jacob et Rachel, le texte
toraïque, d’habitude si pudique, n'hésite pas à mentionner l’em-
brassade de leur première rencontre, qui ressemble à un coup de
foudre (Gn 29, 11).
La vie conjugale du patriarche ne fut pas de tout repos car, Rachel
étant stérile (comme Sarah et Rébecca avant elle), il fut amené à
prendre pour concubines et « mères porteuses » les servantes de
ses épouses, Bilha et Zilpa (Gn 30). Rachel n'en restera pas moins
la préférée. Et on peut comprendre la terrible douleur ressen-
tie par Jacob lorsque sa bien-aimée meurt en mettant au monde
son second et dernier enfant :Benjamin. À la fin de sa vie, Jacob,
évoquant le souvenir de la défunte, déclare : « Rachel est morte
pour moi sur le chemin de Bethléem. » Ni la présence de Léa ni

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque |ail


celle de Bilha et Zilpa ne purent le consoler de cette disparition.
De cette déclaration, les rabbins tirent cet adage : « La femme
ne meurt que pour son mari. » Cet attachement à Rachel, trop
tôt disparue, justifiera que Jacob reporte son affection sur Joseph,
entre ses douze fils. Une affection par trop excessive cependant.

Un fils trop aimé


Joseph est le fils préféré de Jacob non seulement parce que, enfant
de la défunte Rachel, il devait en refléter la gracieuse beauté, mais
aussi en tant que « fils de sa vieillesse » (Gn 37, 3). Cet amour
du patriarche pour son fils engendre une préférence dangereuse
pour l'équilibre familial. Les rabbins, toujours critiques vis-à-vis
du texte, même sil parle des pères fondateurs, n'hésitent pas à
remettre en cause cet aveuglement qui faillit coûter la vie au fils de
Rachel, et qui eut pour conséquence d’amener toute la famille dans
l'exil égyptien. Les versets soulignent cette attitude outrancière :
Joseph reçoit une magnifique tunique bariolée avec laquelle il se
pavane devant ses frères. De plus, il révèle au père leurs mauvaises
paroles, leurs petits secrets, sans que ce dernier le réprimande.
Joseph un petit rapporteur !
La situation devient terriblement tendue quand le fils de Jacob
relate à la cantonade ces deux rêves : les gerbes de ses frères se
prosternent devant la sienne, puis le soleil, la lune et onze étoiles
s'inchinent devant sa grandeur. Réaction « naturelle » des frères
devant ces faits : « Ils le haïrent et ne purent lui parler en paix. »
Certes, ses rêves révèlent indubitablement sa vocation : partager
le pain entre les hommes, sans oublier le Ciel. On retrouve ici les
éléments du songe de l'échelle de Jacob (Gn 28, 12). Cette échelle
relie le bas et le haut, suggérant de ne pas séparer le monde maté-
riel du monde spirituel. Chez Joseph, ce projet hébraïque prend
une forme économique.
Que Joseph soit élu pour une grande destinée, soit ! Cela ne le
dispense pas d’un peu d’humilité, vertu qu'il ne semble pas prati-
quer pour l'heure. Et même si Jacob le tance quelque peu au sujet

72 |La Torah
de son dernier songe, c’est en toute confiance qu'il envoie l’ado-
lescent de 17 ans rejoindre ses frères pour garder les troupeaux.
Un agneau au milieu des loups ! L'ombre de Caïn assassinant Abel
plane, mais Ruben et surtout Juda refuseront de verser le sang
innocent : Joseph sera vendu comme esclave.
Lorsque la tunique de Joseph, déchiquetée et ensanglantée, est
présentée à Jacob, celui-ci fond en larmes : « Un fauve l’a dévoré ! »
Curieux retournement de l’histoire, souligne le Midrach : Jacob
avait trompé son père avec un habit, il est trompé par ses enfants
avec un vêtement.

Joseph, lhonnête homme


Abandonné à son triste sort dans la maison de son maître Puti-
phar, loin de sa famille, Joseph se métamorphose lentement en
un nouveau personnage, bien plus noble de cœur et d'esprit. La
nuit tombée et sa besogne terminée, Joseph repasse toute sa jeune
existence : l'excès d’affection de son père, l'excès de haine de ses
frères, ses propres excès de vanité. Une histoire trop passionnée,
trop passionnelle.
Là, au milieu de son malheur et de sa solitude, au lieu de culti-
ver l'esprit de vengeance et de rancune, il décide de devenir aussi
exemplaire que possible, afin de sanctifier le nom du Dieu de ses
pères. S’il est Son élu, il s’en montrera digne !
Joseph assume avec honnêteté son labeur, faisant fructifier les biens
de son maître. Plus tard, quand sa maîtresse veut abuser de lui, il
refuse, proclamant clairement l'éthique monothéiste qui interdit
l’adultère. La femme l’accuse de viol, Joseph se retrouve en prison,
mais il n’a pas failli.
Malgré l’injustice subie, Joseph ne puise dans son enfermement
carcéral aucune agressivité vis-à-vis de la société ou de l'épouse
fielleuse, pas plus qu’il ne désespère du triomphe final de la vérité.
Il devient même un prisonnier modèle, aidant le gardien dans ses
tâches de geôlier. À sa sortie de prison, Joseph incarne l’homme

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 73


juste. Les épreuves ont transformé l’adolescent insouciant en un
homme mature, sans haine, prêt à accomplir sa destinée : sauver
l'Egypte de la catastrophe économique.
Une attitude souligne ce revirement de personnalité : jamais il ne
divulgua qu'il fut vendu par ses frères, ni au pharaon ni à son père.
Au moment où il se révèle à ses frères, il exige l'éloignement de
sa garde rapprochée : « Faites sortir tout homme de devant moi »,
lance-t-il d’un ton ferme (Gn 45, 1). Sur ce verset, Rachi nous
offre une explication psychologique : « Il ne pouvait supporter
que les Égyptiens se trouvent présents au moment où ses frères
allaient être pris de honte », tandis que l’exégète espagnol Nahma-
nide (1089-1164) donne une interprétation plus politique : « Il ne
voulait pas montrer aux Égyptiens les failles de la famille qui allait
s'installer dans le territoire de Gochen. »
Ce survol de la vie de Joseph souligne jusqu'où un homme peut
exceller dans la vertu quand il prend la sincère décision de devenir
un digne serviteur de Dieu. Joseph mérita, pour toutes les généra-
tions, d’être surnommé Yossef Hatsadik, « Joseph le Juste ».

Moïse, le bon berger

Or, Moïse faisait paître les brebis de Jéthro son beau-père, prêtre de
Madian. I] avait conduit le bétail au fond du désert et était parvenu
à la montagne divine, au mont Horeb. Un ange du Seigneur lui
apparut dans un jet de flamme au milieu d'un buisson. Il remarqua
que le buisson était en feu et cependant ne se consumait point. Moïse
se dit : « Je veux m'approcher, je veux examiner ce grand Phénomène :
pourquoi le buisson ne se consume pas. » L'Éternel vit qu'il s'approchait
pour regarder ; alors Dieu l'appela du sein du buisson, disant :
« Moïse ! Moïse ! » Er il répondit : « Me voici. »
Exode 3, 1-4

74 La Torah
Courage de femmes
Par ces mots commence le célèbre épisode du buisson ardent qui
fera de Moïse l’envoyé de Dieu auprès du pharaon et d'Israël.
Dans la vie des grands guides spirituels, nul trait ne reste indif-
férent à la postérité toujours à la recherche des signes avant-
coureurs de l’ascension qui mènera le héros au sommet de la
renommée. Certes, si les documents archéologiques ne peuvent
prouver la vie des Hébreux en Égypte, Moïse restera dans la
tradition }juive au centre d’une foule de récits greffés sur la trame
narrative de la Torah. Incontestablement, la figure de ce person-
nage en est l’une des plus riches. Il ne pouvait en être autrement
pour celui que le verset qualifie de « plus grand prophète levé en
Israël » (Dt 34, 10).
Tout commence quand les Hébreux considérés trop nombreux sont
asservis par le pharaon, souverain despotique. Malgré les pénibles
travaux des champs et la construction des villes, le peuple continue
de croître. Le roi opte pour une solution radicale, à défaut d’être
finale : tous les nouveau-nés mâles seront noyés dans le Nil, seules
les filles seront épargnées.
Jokéved, de la tribu de Lévi, vient de donner naissance à un enfant
prématuré qu’elle cache trois mois. Mais les inspections des gardes
se font de plus en plus pressantes, elle dépose alors son fils dans un
panier d’osier qu’elle confie aux eaux du fleuve, à la grâce de Dieu !
Myriam, l’aînée des enfants de Jokéved, suit la fragile embarcation
qu'une main invisible conduit vers le palais pharaonique. La prin-
cesse qui se baigne insouciante découvre le panier — berceau ou
tombeau ? — et son cœur s'emplit de pitié pour cet enfant larmoyant.
Le pharaon ne sait pas qu'il cache, dans sa propre maison, une fille
à l’âme pure qui élèvera en secret celui qui retournera l'Égypte.
Celle-ci nomme son fils adoptif Moïse, Moché, « sauveur des
eaux », un nom qui préfigure une grande mission. En réponse,
cette princesse anonyme sera nommée par les rabbins Biria, « fille
de Dieu ». Fille adoptive ?

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 75


Ainsi, Jokéved, Myriam et Bitia deviendront les remparts de
l'amour, quand les hommes auront basculé dans la barbarie
aveugle. Mais, selon le poète, la femme n'est-elle pas l'avenir de
l’homme ?

Vers ses frères


« Moïse grandit et alla vers ses frères » (Ex 2, 11) ? Quels frères ?
Ceux de sang, les Hébreux ? Ceux d’adoption, les Égyptiens ?
Aller vers l’autre, n'est-ce pas une marche en fraternité ? Mais
Moïse découvre des frères ennemis. « Et voici un homme égyptien
frappant un homme hébreu. » Peut-on être homme, digne de ce
nom, et frapper son prochain ? Et la victime ne finit-elle pas par
être déshumanisée à force de haine et de coups de bâton ? Relisons
Si c'est un homme de Primo Levi.
« Et Moïse regarda ici et là, et il ne vit point d'homme. » Littérale-
ment, il observe l’absence de tout témoin afin de mieux agir ; mais
sur le plan symbolique, peut-être ne voit-il plus d'humanité dans
ce camp de la mort. Et voici notre enfant de l’amour plongeant
dans le jeu obscur de la violence. Il lutte, il frappe l'Égyptien, il le
tue et l’enfouit sous le sable. La violence entraîne la violence, et
bien au-delà de ce que Moïse pourrait penser. Car le lendemain
deux Hébreux se battent. Ainsi donc, entre les hommes, bourreaux
ou victimes, l'esprit de domination voudrait avoir le dernier mot ?
La loi du plus fort, encore et toujours !
Moïse préfère abandonner l'Égypte ; 1l s'enfuit au pays de Madian.
Il y découvre le même scénario. Des bergers jouent des coudes
pour passer devant les filles de Jéthro, le prêtre de la région, et
profiter les premiers du puits. Moïse fera encore justice. Initié au
combat dans les gymnases égyptiens, il met sa force au service du
droit. Il recevra en récompense Tsipora, fille aînée de Jéthro, qui
enfantera deux fils. Son chemin de fraternité aura mené Moïse à
cette humble famille du désert qui pratique l'hospitalité abraha-
mique. L'amour existerait-il quelque part ?

76 La Torah
Le berger de Jéthro
Les années passent. L'ancien prince d'Égypte est devenu pasteur
de petit bétail. Ici, plus de violence, car le bon berger veille sur le
troupeau, au fond du désert. À son habitude, le Midrach brode sur
le texte :

Moïse faisait d'abord sortir les bêtes chétives qui allaient brouter
l'herbe tendre. Puis il menait les bêtes âgées qui consommaient l'herbe
drue qui leur convenait. Enfin venait le tour des Plus vigoureuses qui
broutaient les racines les plus tenaces. Le Saint, béni soit-Il, déclara
alors : « Celui qui sait faire paître le petit troupeau, avec sagesse, en
pourvoyant à chacun la pâture qui lui convient, sera le berger de Mon
peuple. »

Sagesse de berger qui est déjà sagesse politique. Ici, elle consiste
à distribuer à chacuñ selon son manque, en évitant la domination
des plus forts sur les plus faibles. Le bon politique serait le bon
gestionnaire de la grâce divine. Non seulement Moïse prend garde
à ce que les membres de son troupeau n’entrent pas en conflit,
mais il a également souci qu'ils ne fassent de tort à personne.
Ainsi avançait-il « au fond du désert » dans un lieu où les animaux
ne risquaient pas de brouter dans un espace privé. De pasteur
de moutons et d’agneaux, Moïse deviendra pasteur d'hommes
comme, plus tard, David.
Et le Midrach de conclure (Exode Rabba 2) : « Le Saint, béni soit-
Il, ne confère de grandeur à l’homme qu'après l’avoir éprouvé dans
les petites choses de la vie. » L'homme peut grandir en s’occupant
de choses infimes, comme il peut déchoir en voulant profiter des
grandes choses.

Pessah, la naissance de la liberté

Ce sera un agneau sans défaut, mâle, âgé d'un an ; vous prendrez


agneau ou chevreau. Vous le garderez jusqu'au quatorzième jour de ce
mois ; et toute l'assemblée d'Israël le sacrifiera au soir. Cette nuit-là,

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 77


on en mangera la chair, rôtie au feu. On la mangera avec des pains
azymes et des herbes amères. Vous ne le mangerez point à demi cuit
et bouilli dans l'eau ; maïs rôti au feu, avec la tête, les jambes et
l'intérieur. Vous n'en laisserez rien jusqu'au matin. Ce qui reste au
matin, vous le brûlerez au feu. Vous le mangerez ainsi : ceinture aux
reins, sandales aux pieds, et bâton à la main. Vous le mangerez à la
hâte. C'est la Pâque de l'Éternel.
Exode 12, 5-11

Sortir d'Égypte
Chaque année au mois d’avril, le mois du printemps, toute la
famille juive se retrouve à la maison pour célébrer un événement
fondateur : la sortie d'Égypte à l’époque de Moïse. Car cette sortie
marque la naissance du peuple d'Israël.
Avant cette date historique, Israël ne formait qu’un clan autour
du patriarche Jacob, au nombre symbolique de soixante-dix âmes
(Gn 46, 27), correspondant au nombre des nations issues de
Babel ; comme si l’identité israélite se trouvait en harmonie avec
l’universel humain.
Descendues en Égypte pour fuir une famine et rejoindre Joseph,
devenu haut fonctionnaire du pharaon, les soixante-dix âmes se
multiplieront. Elles deviendront si nombreuses que le souverain,
craignant la formation d’une cinquième colonne dans son territoire,
décidera de les asservir (Ex 1, 10) jusqu’à noyer les nouveau-nés
mâles dans le Nil. Dans le « creuset de fer » de l'Égypte, le clan
hébreu deviendra une nation d’affranchis.
Curieux giron que cette matrice faite de glaise, de paille, de coups
de fouet et de larmes. Israël devait-il en passer par là ? La servi-
tude, la haine, la violence restent-elles des lois sociologiques incon-
tournables ? Certes, pour la Torah, l’histoire peut toujours s’écrire
autrement ; mais puisqu'elle fut écrite ainsi, Israël devait en garder

78 La Torah
la mémoire. Ainsi, pour justifier l'amour de l'étranger, c’est-à-dire
le rejet de toute xénophobie, le verset exigera clairement :

Si un étran ger vient séjourner avec vous dans votre pays, ne le


molestez pas. I] sera pour vous comme l’un de vos compatriofes,
4 étranger qui séjourne avec vous, et tu l'aimeras comme toi-même ; car
vous avez été étrangers dans le pays d Égypte ;je suis l'Éternel votre
Dieu.
Lévitique 19, 34-35

Et Rachi de justifier ainsi la dernière formule : « Votre Dieu : à toi


et à lui. »

La conscience hébraïque courait un autre risque après son instal-


lation sur la terre promise : le désir de vengeance ou tout au moins
de rancune envers le peuple dominateur (comme cela existe encore
aujourd’hui entre certains peuples). De nouveau, la Torah inter-
vient pour poser un interdit majeur à cette conduite d’hostilité :
N'aie pas en abomination lefils d ’Édom [les descendants du frère de
Jacob] car c'est ton frère. N'aie pas en abomination l'Egyptien, car tu
as séjourné dans son pays.
Deutéronome 23, 8

Et Rachi d’annoter : « Quoi qu’il arrive, et bien qu’ils aient jeté


vos enfants dans le Nil, la terre d'Égypte a été pour vous une terre
d'asile pour un temps. » On remarquera jusqu'où devrait aller la
reconnaissance selon le rabbin de Troyes.
Dans la Torah, la sortie d'Égypte signifie plus que le souvenir
d’une libération et d’une naissance, elle implique aussi de se libérer
de ce qui rendrait l’homme le « pharaon » de son prochain. D'après
l’enseignement des kabbalistes, sortir d’ Égypte signifie se libérer
de son Égypte intérieure.

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 7/2)


Le rite pascal
Avant leur libération, l'Éternel, par l'intermédiaire de Moïse et
d'Aaron, donne aux enfants d'Israël le rite pascal. Cette injonc-
tion pour la collectivité se situe juste avant la dernière et dixième
plaie : la mort des premiers-nés d'Égypte. Durant cette terrible
nuit, l'ange de la mort n’épargnera que les maisons sur lesquelles
aura été badigeonné un peu du sang d’un agneau sacrifié. La mort
« sautera » littéralement au-dessus de ces habitations, d’où le nom
de Pessah (Pâque), « passer au-dessus ».
Ce rite concerne la nourriture. Chaque fois qu’un nouveau commen-
cement apparaît dans l'Histoire, la Torah pose une loi concernant
l’acte de manger : Adam reçoit un ordre concernant l'arbre de la
connaissance du bien et du mal ; après le Déluge (Gn 9, 3), Dieu
autorise Noé et sa descendance à consommer « la viande comme
l'herbe des champs » (fin du végétarisme). Ici encore, avant de
sortir d'Égypte, Israël reçoit un rite alimentaire.
Chaque famille devra consommer trois aliments : une part d'agneau
pascal, du pain azyme (mafsa) et des herbes amères. Ces mets, si on
peut les nommer ainsi, sont rudimentaires : une viande grillée, de
la farine et de l’eau cuite en hâte dans un four, des herbes choisies
pour leur amertume. À travers ces trois éléments, il s’agit incontes-
tablement de consommer trois symboles.
* L'agneau grillé rappelle que l'Éternel n'exige aucun sacrifice
humain, en référence à l’épisode de la ligature d’Isaac (Gn 22).
Par cet acte, les Israélites prenaient le contre-pied du pharaon qui,
en noyant les nouveau-nés dans le Nil, offrait un sacrifice collectif
à l’une de ses divinités. De plus, en grillant la viande, on évitait
d'utiliser les ustensiles de la servitude, casseroles ou marmites.
* Le pain azyme se distingue du pain traditionnel par l'absence
de levain. Or, le levain s'obtient par fermentation d’une pâte
qui repose un ou deux jours. En inaugurant un pain nouveau,
les Hébreux se refusaient à introduire un ferment qui aurait été
réalisé durant leur servitude. La mafsa ne portait aucune trace
du passé, aucune mémoire servile.

80 La Torah
Enfin, les herbes amères devaient laisser un arrière-goût âÂcre en
souvenir de la souffrance des esclaves.
À travers ces trois rituels, les enfants d'Israël devaient à la fois
rompre avec la société esclavagiste tout en gardant le souvenir de
la barbarie. Servitude et libération constituaient les deux socles du
rituel de Pâque qu'il fallait transmettre aux enfants.

Quand l'enfant questionne


Transmettre aux enfants, répondre à leurs questions : s’il existe une
fête où le rite et le pédagogique se conjuguent, c’est bien la fête de
Pessah.

Lorsque VOS enfants vous demanderont : « Que signifie Pour vous ce


culte ? » Vous répondrez : « C'est le sacrifice de Pâque en l'honneur de
l'Eternel, qui a passé par-dessus les maisons des enfants d'Israël en
É gypte, lorsqu'il frappa l Égypte et qu'il sauva nos maisons. »
Exode 12, 25-27

La relation parents-enfants surgit dans la continuité de la première


loi donnée à Israël. Quand l'enfant interrogera, les parents devront
répondre. Cette préoccupation de la transmission renvoie déjà à
Abraham qui refusa que son fils Isaac épousât une Cananéenne
de peur qu’elle n'introduisît l’idolâtrie dans la demeure et dans
les mœurs (Gn 24). Du point de vue de la Torah, l'amour d’un
homme et d’une femme ne peut se concevoir indépendamment
de l'éducation des futurs enfants. Pour illustration, la Torah cite la
souffrance qu'occasionna à ses parents Ésaü par son mariage avec
deux filles de la tribu locale de Heth (Gn 26, 34-35). Un couple
parental reste porteur d’un projet moral. D'ailleurs, en hébreu, le
mot #assora signifie à la fois « transmission » et « éthique ».
En lisant le texte toraïque, on découvre deux autres questions liées
à Pessah (Ex 13, 14 ; Dt6, 20). À chaque question correspond une
réponse spécifique, signalant qu'il s’agit de répondre juste, c'est-à-
dire dans l’exacte mesure du questionnement de l'enfant, et chaque
enfant est unique.

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 81


On peut penser que les trois aliments mentionnés ci-dessus véhi-
culaient cette visée didactique non seulement pour les Hébreux
qui allaient quitter la terre de leur aliénation, mais surtout pour les
générations futures qui ne connaîtraient cette libération que par
l’oralité d’une mémoire.
Au fond, il n'est pas faux de dire que, dans l'esprit de la Torah,
il n'existe que deux générations, celle dite des pères (qui inclut
les mères) et celle des fils (qui inclut les filles). Être interrogé par
ses enfants, c’est accepter voire susciter leurs interrogations, avec
humilité ; cela induit bien sûr de la part des parents d’être reconnus
en autorité de référence. Tel est l'enjeu de la fête de Pessah : réunir
deux générations pour donner un sens à la liberté.

L'apprentissage d'une loi de vie


Une fois libéré du joug égyptien (avec la dimension symbolique
qu’il comporte), le peuple hébreu est conduit au désert. Ce passage,
au sens fort du terme, est le moment choisi par Dieu pour donner
à son peuple ce qu'on appelle les dix commandements. Rappelons
qu'en hébreu on ne parle pas des commandements mais des dix
« paroles ». Bien plus qu’une contrainte, les commandements se
révèlent en effet un chemin de vie.

Le Décalogue, quand Dieu parle aux hommes


1. « Je suis ’Éternel, ton Dieu, qui fai fait sortir du pays d Égypte,
d'une maison d'esclavage. »
2. « Tu n'auras point d'autre dieu que moi. Tu ne te feras point d'idole,
ni une image quelconque de ce qui est en haut dans le ciel, ou en bas sur
la terre, ou dans les eaux au-dessous de la terre. Tu ne te Prosterneras
point devant elles, tu ne les adoreras point ; car mot, l’Éternel, ton
Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui poursuis le crime des pères sur les
enfants jusqu'aux troisième et quatrième générations, Pour ceux qui
mofjensent ; et qui étends ma bienveillance à la millième, pour ceux
qui maiment et gardent mes commandements. »

82 |La Torah
3. «Tun invoqueras point le nom de l'Éternel ton Dieu à l'appui du
mensonge ;car Î’Éternel ne laisse pas impunt celui qui invoque son
nom pour le mensonge. »
4. « Souviens-toi du jour du Sabbat pour le sanctifier. Durant six jours
tu travailleras et t ‘occuperas de toutes tes affaires, mais le septième jour
est la trêve de l'Éternel ton Dieu :tu n yferas aucun travail, toi, ton
fils n1 ta fille, ton esclave mâle ou femelle, ton bétail, ni l’étranger qui
est dans tes murs. Car en six jours l'Éternel a fait le ciel, la terre, la
mer ef ouf ce qu ls renferment et il s'est reposé le septième Jour;c'est
pourquoi lÉternel a béni le jour du Sabbat et l’a sancti ifié. »
5. « Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent sur la
terre que l'Eternel ton Dieu F'accordera. »
6. « Ne commets point d'homicide. »
7. « Ne commets point d'adultère. »
8. « Ne commets point de larcin. »
9. « Ne rends point contre ton prochain un faux fémoignage. »
10. « Ne convoite pas la maison de ton prochain ; ne convoite pas la
femme de ton prochain, son esclave n1 sa servante, son bœuf n1 son âne,
ni rien de ce qui est à ton prochain. »
Exode 20, 2-13

La fête des Semaines


Le cinquantième jour de la sortie d'Égypte, les Hébreux, au pied du
Sinaï, entendent les dix paroles prononcées par Dieu : le Libérateur
devient le Législateur. Cet événement grandiose — auquel parti-
cipa l’ensemble de la nation israélite, hommes, femmes, enfants et
même des anciens esclaves non hébreux — sera commémoré par la
fête de Chavouot (Pentecôte), qui signifie « Semaines » en raison
des sept semaines qui la séparent de la fête de Pessah (Pâque).
Après sa libération physique, Israël reçoit la base de son code reli-
gieux et civil, en vue d'entrer en terre promise.

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 83


Tout l'avenir d'Israël se joue là, au moment où un peuple d'esclaves
se transforme en un « royaume de prêtres » au cœur de l’histoire
humaine. Cette solennité relativement discrète quant au rituel
— aucun objet de culte ne lui est associé — est vécue à la synagogue
par la lecture des dix commandements présentés en exergue.
Que disent en substance ces commandements ? La reconnaissance
d'un Dieu qui proclame la liberté des hommes et des peuples,
l'interdiction de rendre un culte aux éléments de la nature (idolâ-
trie), le respect d’un jour de repos après six jours de travail, la piété
filiale, le respect de la vie, des liens familiaux, du bien d’autrui,
l'interdiction du faux témoignage et de la convoitise.
Tous ces principes d’ordre religieux, moral ou social, dont certains
sont tombés dans le domaine public à défaut d’être inscrits dans
les mœurs et les cœurs, représentent autant de victoires de la loi
du Sinaï devenue charte universelle de la société moderne. Le style
lapidaire, la concision de certaines formules révèlent leur portée
illimitée. Nous nous trouvons dans le domaine de l’impératif caté-
gorique absolu.

De dix à dix

Les commentateurs mettent en évidence le parallélisme entre les


dix paroles de la Création et les dix paroles de la Révélation. En
effet, si l’on compte le nombre de « Et Dieu dit » du chapitre
inaugural de la Torah (« Et Dieu dit : que la lumière soit !.…
Et Dieu dit : qu'il y ait une étendue », etc.), nous trouvons dix
formules. Ce parallélisme n’est pas fortuit pour l’exégèse qui lui
donne sens.
Dans la Genèse, Dieu est créateur de la nature. Il fonde les cieux et
la terre avec ses lois physiques, chimiques, électroniques ; Il génère
la vie et l'instinct de conservation. En créant l’homme, Dieu ajoute
les lois psychologiques, les désirs, les passions. De l’infiniment
petit à l’infiniment grand, de l’inerte au vivant parlant, le Créateur
construit Son monde qui dorénavant suivra son cours.

84 La Torah
Dans cet univers naturel, l’homme oublie très vite le Transcendant
pour ne percevoir qu'une réalité immanente qu'il prend d’abord
en modèle et qu'il va finir par idolâtrer : idolâtrer la puissance du
soleil, idolâtrer ia douceur de la lune, idolâtrer la force conqué-
rante, idolâtrer le désir sexuel. Ainsi naît le panthéon païen, avec
ses dieux, ses déesses et ses forces occultes.
L'archétype de la société idolâtre dans la Torah s'appelle l'Égypte
(Mitsrayim). Pharaon, « fils du Soleil », se proclame créateur du
Nil (Ez 29, 3), tout en reproduisant le schéma naturel du plus fort
dominant le plus faible, l'Égypte écrasant Israël.
Or, au mont Sinaï, Dieu offre un autre code, non plus naturel,
mais surnaturel ; non plus fondé sur l’immanence du réel, mais sur
la transcendance divine ; un code qui ne s'adresse plus à l'instinct,
mais à l'intelligence et au cœur. S’il fallait créer les forces pulsion-
nelles pour que la vie se propage, il devenait tout aussi nécessaire
de donner une loi pour gérer l'instinct.
Par la révélation du Décalogue, Israël, et à travers son expérience
l'humanité tout entière, pouvait sortir du paganisme et de ses idéo-
logies, pour accéder à la conscience du bien et à la responsabilité du
plus fort sur le plus faible.

AU fondement de la Loi
Si capitale qu’ait été l’action du Décalogue sur Israël et sur l’huma-
nité, il serait faux d’en considérer l'expression comme la forme la
plus aboutie de la loi divine. En fait, dans l’ensemble des devoirs
vis-à-vis de Dieu et à l'égard du prochain, il n’occupe pas une place
prééminente. Loin de constituer le sommet de la Révélation, les
dix paroles sont à considérer comme les fondations d’une maison
sur lesquelles s’appuie tout l'édifice du judaïsme.
En effet, les prescriptions mentionnées ici ne constituent que des
règles religieuses et morales élémentaires, tant l'idéal biblique reste
élevé. Il suffit de s’en référer à la formulation de la majorité des
commandements qui s'exprime sur le mode négatif : ne pas faire.

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 85


Nous pouvons justifier ainsi cette énonciation : on ne peut exiger
de tout un peuple, sur le plan religieux ou moral, que le minimum.
Ne pas faire le mal est déjà bien !
L'héroïsme de la vertu ne se révèle que chez l'individu qui sort du
cadre normatif du groupe. Aussi, les grands idéaux bibliques se
trouveront mentionnés plus tard dans la Torah : « Tu aimeras ton
prochain. et l'étranger comme toi-même », « tu ne te vengeras
pas, tu ne garderas pas rancune » (Lv 19) ; tout comme « tu aimeras
l'Éternel ton Dieu » (Dt 6), ou encore « tu ouvriras ta main pour
l'indigent » (Dt 15).
Il n’en reste pas moins vrai qu’au cours de la lecture publique de
ces dix paroles, il est d’usage dans beaucoup de communautés de
se lever, lorsque l’officiant les lit sur une cantilation solennelle
(voir page 179). Il est difficile d'oublier les événements fondateurs !

Le Lévitique, appel à la sainteté

L'Éternel appela Moïse, et lui parla, de la tente de rendez-vous, en ces


termes : « Parle aux enfants d'Israël et dis-leur : Soyez saints ! Car je
suis saint, moi, l'Éternel, votre Dieu. Révérez, chacun, votre mère et
votre père, ef observez mes chabafs :je suis 1’Éternel votre Dieu [.…].
Ne commets point d'extorsion sur ton prochain, point de rapine ; que le
salaire du journalier ne reste point par-devers toi jusqu'au lendemain.
N'insulte pas un sourd, et ne place pas d'obstacle sur le chemin d'un
aveugle : redoute ton Dieu !Je suis /’Éternel. Ne Prévariquez point
dans l'exercice de la justice ; ne montre ni ménagement au faible, ni
Javeur au puissant :juge ton semblable avec impartialité. Ne va point
colportant le mal parmi les fiens, ne sois pas indifférent au danger de
ton prochain :je suis l'Eternel. Ne hais point ton frère en ton cœur :
reprends ton prochain, et fu n'assumeras pas de péché à cause de lui. Ne
fe venge n1 ne garde rancune aux enfants de ton peuple, mais aime ton
prochain comme toi-même :je suis l'Éternel. »
Lévitique 1, 1-18

86 La Torah
La consécration des lévites
Le troisième livre de la Torah s'ouvre sur l’appel de Dieu à Moïse.
Cet appel donne le ton à tout le Lévitique qui peut s'entendre plus
largement comme l’interpellation divine à toute la communauté
d'Israël pour assumer sa vocation de « royauté de prêtres et de
nation vouée à la sainteté » (Ex 19, 6).
Nous pouvons ainsi résumer les grands thèmes qui constituent le
contenu de ce livre : les règles du culte sacrificiel (le culte litur-
gique naîtra dans l’exil babylonien), la consécration de la tribu de
Lévi au Sanctuaire, les lois de pureté et d’impureté, les temps et les
lieux consacrés, la valeur des personnes humaines. Sur le plan des
rites, le Lévitique offre 247 des 613 commandements répartis sur
l’ensemble du Pentateuque, soit plus d’un tiers.

Culte sacrificiel et culte liturgique

Dans le Temple de Jérusalem, le culte rendu à Dieu consistait à offrir des


sacrifices, comme l’agneau à Pessah (Pâque). La tradition juive explique ces
sacrifices d'animaux comme un refus du sacrifice humain, en référence au récit
de la ligature d’Isaac (Gn 22).
En accompagnement du culte sacrificiel, les lévites, qui étaient les chantres
et les musiciens du Temple, récitaient des psaumes de circonstance. À la
destruction du second Temple (70 ap. J.-C.), les rabbins élaborèrent des
prières plus complètes pour remplacer les sacrifices. Depuis ce temps, la
communauté juive ne pratique plus de sacrifices. On parle donc de culte
liturgique.

Le Lévitique tranche parmi les cinq livres du Pentateuque par son


style et son contenu. Ici, le narratif se fait rare, et quand un récit
surgit, il illustre un thème du livre. L'aspect technique et rébarbatif
du Lévitique pour le moderne se justifie par le fait qu'il est d’abord
le code de vie de la tribu consacrée au Temple, celle de Lévi, restée
fidèle à Dieu lors de la faute du veau d’or. Cette fidélité modifiera
conséquemment le projet divin originel.

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 87


En effet, si primitivement tous les premiers-nés des familles israé-
lites devaient être consacrés au culte, en réponse à la protection que
l'Éternel leur accorda lors de la dernière plaie d'Égypte (la mort
des premiers-nés égyptiens), après le veau d’or, seuls les lévites
mériteront les honneurs du Temple (Nb 3, 12).
Au sein de la tribu lévitique un clivage supplémentaire s'opère entre
Aaron (cohen) et ses descendants d’un côté et le reste de la tribu.
Dans les faits, les descendants d’Aaron se chargent des sacrifices,
de la bénédiction pontificale, de la purification et de l’éducation du
peuple ; les lévites musiciens chanteront l'Éternel durant le service
quotidien et celui des fêtes, et géreront les aspects matériels du
culte. Les uns et les autres seront cependant tenus de respecter des
règles précises, car lorsqu'une distinction apparaît dans la Torah,
elle s'accompagne toujours de devoirs supplémentaires.

Apprendre à séparer
Le livre du Lévitique tourne autour du principe qui consiste à bien
séparer les réalités : séparer l’espace du Temple de l’espace profane,
le pur de l’impur, le prêtre de l’israélite, d’où une législation extré-
mement rigide et détaillée.
Cette idée de la séparation renvoie à la Création, quand Dieu
sépare le jour de la nuit, les eaux d’en haut des eaux d’en bas ou
l’homme de l'animal. Tout se passe comme si la tribu de Lévi
recevait pour fonction de maintenir des clivages à l'échelle de la
société hébraïque. Car la Torah se méfie sans cesse des mélanges,
des confusions, des panachages. Les identités incertaines l’af-
folent : qui est qui et qui fait quoi demeurent des questions essen-
tielles dans un monde créé censé posséder une signification ; d’où
l’importance quasi obsessionnelle de définir les cadres d’action, le
permis et l’interdit, le bien et le mal, etc.
Cette conception aura pour conséquence de radicalement distin-
guer la religion d'Israël des autres religions de l’époque. Alors
qu'en Egypte, par exemple, le roi est aussi le grand prêtre, ici le
roi ne joue aucun rôle, il n'a pas plus d'importance qu'un pauvre
apportant son oblation de farine.

88 La Torah
La séparation ne s'opère pas qu'avec le pouvoir politique (ce qui
est en soi novateur) mais aussi avec le monde des ancêtres. Les
morts sont aux morts, ils ne peuvent plus interférer dans la vie des
vivants. En écartant le culte des ancêtres, la loi lévitique rompt
avec la démonologie, la magie, la sorcellerie, si pratiquées en
terre de Canaan. Le Dieu de la Torah se proclame autant Dieu
vivant que Dieu des vivants. Le monde des morts n'intéresse pas
le prophétisme et « ce qui est caché appartient à l'Éternel notre
Dieu » (Dt 202 28).

Or, comment l’Hébreu, être de chair et de sang, peut-il se relier


à ce Dieu vivant et éternel ? En appliquant la révélation qui est
«Torah de vie ». Respecter les règles rituelles, c’est choisir la vie, les
rejeter, c'est choisir la mort ; ainsi s'entend le distinguo important
entre le pur et l’impur.

Le pur et l'impur
Le français, pour désigner ces deux notions religieuses, utilise le mot
« pur » et son négatif « impur » (non-pur). En hébreu, l’impureté
se distingue de la pureté dans le vocabulaire, puisqu'il existe deux
termes : fouma pour « impureté » (littéralement « fermeture ») et
tahara pour « pureté » (littéralement « brillance »). L'impureté n’est
pas l'absence de pureté, mais le contact avec la mort, qui empêche
l’homme d'évoluer, qui l’enferme dans une réalité statique, voire
dans une désespérance. Le Talmud désigne le cadavre par « grand-
père de l’impureté ».
Dans la doctrine biblique, l’impureté ne se confond pas avec la
souillure, la saleté ou une quelconque notion biologique ou esthé-
tique, il s’agit bien d’une notion religieuse, objective et légale.
L'Hébreu doit se débarrasser de la fouma qu'il a contactée pour
pénétrer dans l’enceinte du Temple, notamment durant les fêtes de
pèlerinage, pour se relier au Dieu de vie.

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 89


Si l'individu a touché un cadavre, s'il est frappé d’une forme de
lèpre nommé #araaf° qui trouble sa relation sociale, si des pertes
séminales pour l’homme ou des saignements pour la femme
surviennent de manière accidentelle, en d’autres termes si le clivage
entre la vie et la mort devient flou, il pourra être déclaré impur et
faire appel aux règles de purification appliquées par le cohen. Car le
cohen a entre autres pour devoir de se tenir, autant que faire se peut,
à distance de la mort, devenant la référence de vie au sein de la cité.
Ce travail de purification ressemble à un travail de deuil. Sept jours
sont nécessaires, accompagnés d’immersions et d’aspersions d’eau,
l’eau symbolisant la vie.
Deux exemples soulignent encore l'esprit de la loi du Lévitique.
Tout d’abord la mort soudaine des fils d’Aaron, foudroyés le jour
de l'inauguration du sanctuaire, car ils avaient apporté « un feu
étranger qui ne leur avait pas été demandé » (Lv 10, 1-2). La leçon
vaut pour tous, même si ce feu étranger peut exprimer un enthou-
siasme sincère envers l'Éternel. Comme l'enseigne le Midrach,
toute action religieuse doit se situer dans un cadre défini qui
sépare le bien du mal, le permis de l’interdit. Les fils aînés d’Aaron
payèrent de leur vie d’avoir brisé les barrières du code culturel.
L'autre exemple concerne des règles, toujours appliquées, de l’ali-
mentation biblique (kacher, voir page 91). Le Lévitique donne les
signes morphologiques des animaux permis à la consommation :
les ruminants à sabots fendus pour les mammifères terrestres, les
écailles et les nageoires pour les poissons, quant aux oiseaux, la
Torah cite vingt-quatre espèces interdites. Aucune justification
n'est présentée, hormis cette formule qui traduit l'esprit du livre :
« car je suis l’Éternel, qui vous ai tirés du pays d'Égypte pour être
votre Dieu ; et vous serez saints, car je suis saint. afin qu'on
distingue l’impur du pur, l'animal qui peut être mangé de celui
qu'on ne peut manger » (Lv 11, 45-47).

10. Malencontreusement traduit par « lèpre ».

90 La Torah
Kacher

Le terme kacher signifie littéralement « ce qui est valable ». Au sens large, il


désigne toute réalité conforme à la loi juive ; au sens strict, il désigne un aliment
qui répond aux exigences de cette loi. Aux États-Unis, l'expression « it's not
kocher » vaut notre « ce n'est pas très catholique ».

Le projet de sainteté
Après les lois sacrificielles et les règles de purification, l’autre
élément clef du Lévitique, son cœur, concerne la sainteté d'Israël.
Il ne s’agit nullement ici d’une sainteté intrinsèque ou naturelle,
mais bien un projet pour toute une collectivité humaine, à réaliser
par chaque individu au profit du groupe. Ce projet s’énonce par le
verset inaugural du chapitre 19 :

L'Eternel parla à Moïse en ces termes : Parle à toute la communauté


des enfants d'Israël et tu leur diras, soyez saints, car saint Je suis,
l'Éternel, votre Dieu.
Lévitique 19, 1

Si la pureté consiste à se tenir à bonne distance des sources légales


de la mort, la sainteté introduit la notion de séparation dans l’ordre
naturel. Mais comment l’homme naturel peut-il se situer au-dessus
de sa condition première ? Comment peut-il échapper aux appels
de ses instincts, créés pourtant par Dieu ? En répondant à un autre
appel divin, en soumettant l'instinct à la loi divine. Certes, il ne
s’agit pas d’annihiler ce qui fait son humanité, mais bien plutôt
de canaliser les forces naturelles pour les mettre au service de la
volonté transcendante.
À la suite du verset cité, le lecteur découvre un certain nombre
d'impératifs qui nappartiennent pas tous au registre religieux
stricto sensu : craindre sa mère et son père, ne pas pratiquer lidolà-
trie, laisser un coin du champ pour le pauvre, payer son ouvrier en
son temps. L’exégèse rabbinique a mis en évidence qu'à chaque
loi divine énoncée ici correspond une conduite naturelle qui s'y

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque -91


oppose. Le point culminant de ce programme de vie se trouve dans
la formule que reprendra Jésus : « Tu aimeras ton prochain comme
toi-même, Je suis l'Eternel. »
Tel est l'esprit de ce livre de la tribu de Lévi qui concerne tous
les membres d'Israël et, par-delà Israël, tout homme qui voudrait
réaliser pleinement les potentialités qui sommeillent en lui, pour
être totalement à l’image de son Dieu créateur.

La cité biblique, droit et justice


Tu institueras des juges et des magistrats dans toutes les villes que
l'Éternel ton Dieu te donne. [...] Justice, justice tu poursuivras, afin
que fu vies.
Deutéronome 16, 18-20

La cité de Dieu

Pour la Torah, la cité de Dieu représente la cité où les vertus


garanties par le Créateur seront respectées. Le psalmiste chante
ces vertus :
I] a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu'ils contiennent ; 1l est
éternellement fidèle à sa parole. Ilfait valoir le droit des opprimés,
donne le pain à ceux qui ont faim ; l’Éternel met en liberté les
prisonniers. L'Éternel rend la vue aux aveugles (aussi bien au sens
physique qu'intellectuel), 1 ’Éternel redresse ceux qui sont courbés.
L'Éternel aime les justes ; l’Éternel veille sur les étrangers, soutient
l'orphelin et la veuve, tandis qu'Il bouleverse la vie des pervers.
Psaumes 146, 6-9

Non seulement Dieu crée un monde où s’exercent des lois


anonymes, mais Il se révèle en introduisant de la justice entre les
hommes, afin qu’ils ne répètent pas entre eux le jeu des forces
aveugles. Bien entendu, le lecteur d’un tel texte comprendra qu'il
devra imiter Dieu (imifatio Dei) dans sa relation au prochain.

92 La Torah
Le postulat du discours prophétique peut ainsi s’'énoncer : oui, il
existe de l'injustice dans la création, du fait des décalages de béné-
dictions (les forts et les faibles ;les riches et les pauvres ; les intelli-
gents et les niais, etc.), mais quiconque possède un pouvoir devient
responsable de celui qui n’en possède pas ou moins. Cette justice
fondatrice de la cité de Dieu favorisera incontestablement dans le
rapport interpersonnel l'amour du prochain, grand principe de la
Torah.

Donner aux pauvres

Concrètement, refuser de donner au miséreux équivaut à non-


assistance à personne en danger :
S'il y a chez toi un pauvre parmi tes frères, dans l’une de tes villes, dans
le pays que 1’Éternel, ton Dieu, te donne, tu n'endurciras pas ton cœur et
tu ne fermeras pas ta main à ton frère pauvre ; tu lui ouvriras fa main ;
et sul lefaut, fu lui prêteras sur gage de quoi combler son manque.
Deutéronome 15, 7-8

Dans la cité biblique, le propriétaire terrien doit au temps de la


récolte laisser un coin de champ pour le pauvre. De même, les épis
tombés des mains du moissonneur deviennent propriété du néces-
siteux qui suit l’ouvrier (Lv 19, 9-10, voir page 165).
L'indigent se trouve-t-il dans un vignoble où au milieu d’un
champ de céréales ? Il peut consommer le raisin sur le pied, jusqu’à
satiété, à condition de ne pas emporter de fruits, et il peut arra-
cher quelques épis de blé, tant qu'il utilise pas la serpe (DE23;
25-26). Rappelons que durant l’année sabbatique, tous les sept ans,
la terre d'Israël ne devait pas être travaillée ; et le produit naturel
de la terre (céréales, fruits) revenait de droit aux indigents du pays
(voir page 165).
Cette solidarité commence par la famille : « Si ton frère devient
pauvre et doit vendre une portion de sa propriété, son rédempteur,
son parent proche, viendra reprendre ce que son frère a vendu »
(Lv 25, 25). Si aucun proche ne peut venir en aide au malheureux, la

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 93


Torah propose en ultime recours la loijubilaire : tous les cinquante
ans, les premiers propriétaires ou leurs descendants reprendront de
droit les terres vendues (Lv 25, 13).
Deux autres lois soulignent la considération dont témoigne la Torah
à l'égard des démunis. Si le prêteur demande un gage, il lui était
interdit de pénétrer dans la maison du débiteur pour reprendre
son bien : « Tu te tiendras dehors, et ton débiteur t’apportera le
gage hors de chez lui » (Dt 24, 11). Certains gages dont dépend le
confort vital, par exemple une couverture de lit, devaient être resti-
tués le soir venu ; de même les objets indispensables à la vie écono-
mique demeuraient insaisissables, telle la meule : « On ne saisira
pas la meule inférieure ou la meule courante, car ce serait prendre
la vie de la personne en gage » (Dt 24, 6). Imaginons le drame d’un
représentant de commerce dont on aurait saisi le véhicule.

L'esprit des lois


La Bible accepte donc les principes du jeu économique : la réussite
des uns, les déboires des autres. Elle reconnaît aussi les impré-
vus de l'existence : la maladie, les années de sécheresse, les krachs
boursiers, etc. Si à aucun moment elle ne considère la richesse
comme un scandale (puisque celle-ci est une bénédiction divine),
elle oblige les riches à faire disparaître la pauvreté, autant que faire
se peut, car la pauvreté reste scandaleuse.
Ainsi, l’ensemble de cette législation vise à protéger le pauvre
contre une dégradation sociale sans retour. Mais, simultanément,
elle permet d’éduquer les possesseurs de biens à plus d'humanité
et de générosité.
Certes, pour chaque loi biblique une jurisprudence détaillée sera
développée par le Talmud, mais l’esprit du texte reste clair : la
justice sociale ne dépend pas uniquement des pouvoirs publics, il
y va de la responsabilité de chaque citoyen qui pourra dans ce cas
légitimement déclarer : « L'Etat, c’est moi ! »

94 La Torah
Ecoute, Israël, la profession de foi d'Israël
Étcoute, Israël : l'Éternel est notre Dieu, l'Éternel est un ! Tu aimeras
l'Éternel, ton Dieu, de tout fon cœur, de toute ton âme et de tout ton
pouvoir. Ces devoirs que je f'impose aujourd'hui seront gravés dans
ton cœur. Tu les inculqueras à tes enfants et tu l'en entrefiendras, soit
dans ta maison, soit en voyage, en te couchant et en te levant. Tu les
attacheras, comme symbole, sur ton bras, et les porteras en fronteau entre
tes yeux. Tu les inscriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes.
Deutéronome 6, 4-9

Le monothéisme d'Israël

Moïse est âgé de 120 ans. Il sait sa mort imminente. Le livre du


Deutéronome (Dévarim) constitue son dernier discours, son testa-
ment légué aux générations d'Israël — celle qui va franchir le Jour-
dain pour la terre promise, et celles qui viendront après (Dt 29, 14).
En trente-trois chapitres, il dira l'essentiel de la vocation hébraïque
dans la continuité des patriarches : assumer l’alliance du Sinaï,
vivre la Torah à la lettre et en esprit, refuser toute forme d’idolâtrie,
construire une société modèle fondée sur la justice sociale et sur
l'amour du prochain, et proclamer l’unité absolue de l'Éternel.
Dans notre passage, le prophète exhorte son peuple. Les enfants
d'Israël, c’est-à-dire les descendants du patriarche Jacob devenu
Israël, sont désignés du nom générique « Israël », nom qui traver-
sera l’histoire pour désigner une nation puis une terre. En six mots,
Moïse pose la profession de foi israélite. Nous rendrons ainsi la
traduction pour la calquer sur l’hébreu : « Ecoute, Israël, YHWH
notre Dieu, YHWH un. » Trois couples de mots.

YHWH ou Tétragramme

YHWH reproduit en caractères latins le Tétragramme, les quatre lettres du nom


divin révélé à Moïse au buisson (Ex 3, 14 et 15). Si Dieu (Élohim) désigne l'être
divin, la déité, YHWH exprime son nom. Cette forme grammaticale contractée

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque | 95


YHWH peut s'entendre : « Il est, Il était, Il sera », d'où l’une des traductions
classiques : l'Éternel (on trouve également « Seigneur » ; ou bien « Yahvé » pour
garder la résonance toraïque.)
Le fidèle juif par respect ne prononce jamais ce nom tel qu'il est écrit, mais utilise
à la place le nom Ado-naï (mon Seigneur) ou Hachem (le Nom).

Qu’enseigne Moïse au peuple réuni et à la mémoire juive ? Tout


d’abord il demande à Israël d'écouter. En hébreu, le verbe chéma
possède une double signification : entendre avec les oreilles et
entendre avec le cœur (comprendre), ces deux acceptions se
retrouvent aussi en français.
Pour l’écoute auditive, la Synagogue a institué la proclamation à
haute voix de la formule mosaïque, matin et soir (« Fais entendre
à tes oreilles ce qui sort de ta bouche »). Pour la compréhension
intellectuelle, elle invite à la méditation du verset. Après la voix, le
silence d’intériorisation du message monothéiste, chacun selon la
capacité de compréhension.
Le couple suivant « YHWH (est) notre Dieu » pourrait suggérer
l’exclusivisme de la relation Dieu-Israël. Pour les historiens de la
religion, le monothéisme d'Israël serait d’abord une monolâtrie,
la reconnaissance d’un seul dieu local ou national. Si la thèse est
soutenable pour quelques passages bibliques, la plupart des cher-
cheurs reconnaissent que le livre du Deutéronome tranche par
son monothéisme universel. Comment donc interpréter le « notre
Dieu » ? En fait, il ne s’agit pas d’appropriation ; Moïse pose que
« notre Dieu » est l'Éternel, et non le soleil ou la lune. Et si des
doutes pouvaient subsister, les deux derniers mots les dissiperont :
« YHWH (est) un. » Autrement dit, l'Éternel notre Dieu — et non
le soleil ou la lune — est l’unique Dieu, un en Lui-même, Créateur
des cieux et de la terre, et père de l’humanité tout entière.
Voici la lecture traditionnelle proposée par Rachi, le rabbin de Troyes :

YHWH (est) notre Dieu, YHWH (est) un : pour l'instant, l'Éternel


n'est que notre Dieu, mais dans les temps messianiques, l'unité
divine sera reconnue par toutes les nations, selon la prophétie de

d6 Noah
Sophonie (3, 9) : « Alors (dit l'Éternel) Je transformerai toutes les
lan ques des nations en une lan gue épurée afin que tous invoquent le
nom de l'Eternel. »

La vision messianique d'Israël n’envisage pas la conversion de


l'humanité au judaïsme, mais à un monothéisme éthique ; quand
? Dnp ® .. s rail 2 &

Dieu ne sera plus otage des guerres, mais référence transcendante


de la paix.

Amour et amour

Le verset suivant débute par un appel à l'amour de Dieu. Ce n’est


pas Dieu qui demande de L’aimer, mais Moïse. L'amour exigé par
l'Eternel ne concerne que les rapports humains : « tu aimeras ton
prochain comme toi-même » ou « l'étranger comme toi-même »
au chapitre 19 du Lévitique. Dieu appelle à aimer l’homme, et
l’homme appelle à aimer Dieu.
Selon l’exégète espagnol Abraham ibn Ezra (voir page 46), cet
amour s’exprimera par toutes les facultés humaines : le cœur qui
dans la Bible désigne le siège de l'intelligence et l’âme qui renvoie
à l'instinct. Et l’homme, animal social et être pensant, est invité à
vivre cet amour « de tous ses moyens », littéralement « de tout son
beaucoup », signifiant que l'amour de Dieu ne connaît nulle limite
tant qu'il se conjugue avec l’amour du prochain.
Les rabbins remarquent que cet amour n'induit aucune consé-
quence, alors qu’un peu plus loin, au chapitre 11, il est écrit : « Si
vous aimez l'Éternel votre Dieu de tout votre cœur et de toute
votre âme. Je vous donnerai la pluie en son temps... méfiez-vous
que votre cœur ne soit pas séduit. et que vous serviez d’autres
dieux... car alors Je fermerai les cieux. »
Ici l'amour de Dieu s'entend donnant-donnant. De là, les maîtres
distinguent l’amour intéressé qui consiste à servir Dieu pour en
tirer un bénéfice, qu'il soit matériel, psychologique ou spirituel,
de l’amour désintéressé qui se justifie par l’amour de Dieu pour
Lui-même.

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 97


On soulignera que l'amour intéressé s'adresse à toute la collectivité
d'Israël, « si vous aimez », alors que, dans notre premier passage, le
verbe est au singulier, « tu aimeras ». La Bible reconnaît l'amour inté-
ressé de Dieu, car on ne peut tout de go exiger d’un groupe humain
d'accéder à des hauts niveaux de spiritualité. Ce travail ne peut être
accompli que dans une démarche personnelle, lente et minutieuse, à
l'instar d’un alpiniste gravissant le flanc d’une montagne.
Le Talmud (TB Pessahim 50 b) use de cette formule optimiste :

L'homme s'investira dans l'étude de la Torah et la pratique des


commandements, même de manière intéressée (par exemple, pour être
appelé Rabbi ou pour que ses enfants vivent), car de manière intéressée
ilpourra en arriver à aimer Dieu de manière désintéressée.

Les rabbins ont toujours cru au pouvoir éducatif de l'étude et de la


pratique religieuse.

Un amour en acte

Comment vivre cet amour de Dieu ? La Torah ferait sien le dicton


populaire : « Il n’y a pas d'amour, mais des preuves d'amour. »
L'amour se traduit par des actes. Si cela se vérifie dans une relation
familiale ou amicale, cela reste vrai dans la relation au Ciel. Les
versets suivants parlent en effet d’actions concrètes, il nous suffira
pour conclure de les énoncer brièvement.
+ _« Ces paroles seront sur ton cœur » : invitation à l'étude et à la
méditation de la Torah, pilier de la vie juive.
+ «Tu l’enseigneras à tes enfants » : valeur de la transmission.
* «Tu en parleras assis dans ta maison, en allant sur le chemin, en
te couchant, en te levant » : tout lieu et tout temps sont propices
à la méditation de la parole divine.
* « Tu les attacheras sur ton bras, en signe entre tes yeux » : la
tradition orale y voit une allusion aux #éflines.
* «Tu les écriras sur les montants de ta maison » : toujours selon
la tradition orale, il s’agit ici de la mézouza.
On remarquera la progression d'écriture depuis la pensée (la médi-
tation) jusqu’à l’action, en passant par la parole de l’enseignement.

98 La Torah
Téfilines ou phylactères

Les téfilines ou phylactères se présentent comme des boîtiers prolongés par des
lanières (le tout étant en cuir noir) qui contiennent des parchemins de la Torah.
Les boîtiers sont placés sur le bras et la tête à l'office du matin, pour assujettir sa
pensée et son action au service de Dieu unique.

Reconnaissance de l’unité divine, recherche de l’amour désinté-


ressé de Dieu à travers la pratique de sa parole révélée, tels sont les
piliers de la foi d'Israël.

Mézouza

Comme les téfilines, la mézouza est un boîtier contenant un parchemin de la


Torah. Elle est placée sur les portes des maisons juives et rappelle l’unité de Dieu
en entrant et en sortant.

Chapitre 2. La Torah ou le livre du Pentateuque 99


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CHAPITRE 3

NÉVIIM OU LELIVRE
DES PROPHÈTES
Au programme

* Les récits historiques


+ Les oracles prophétiques

Avec le livre de Josué, successeur de Moïse, nous entrons dans


le deuxième volume de la Bible, le livre des Prophètes (Méviim).
Si la Torah (Pentateuque) décrit la naissance d'Israël, la sortie
d'Égypte jusqu’à l’arrivée des Hébreux au bord du Jourdain, le
livre des Néviim présente les Israélites sur la terre promise. Après
les promesses des commencements vient l’accomplissement. Mais
celui-ci ne va pas de soi... l'apprentissage de la loi de vie se pour-
suit. Cet apprentissage passe par les épreuves et les victoires, mais
aussi par un enseignement « direct ». Les prophètes, messagers de
Dieu, y jouent un rôle déterminant.

Les récits historiques


La première partie du livre des Prophètes se veut historique. Les
premiers livres dessinent à grands traits les étapes de la conquête
de Canaan, l'établissement des Hébreux en terre promise jusqu’à
la destruction du Temple de Salomon, en passant par la période
royale, marquée notamment par le règne de David.
Canaan

Ce nom est d’abord celui d’un peuple, le peuple de Canaan, descendant de Cham,
fils de Noé, qui vit la nudité de son père (Gn 9, 22). Par la suite, on parle du pays
de Canaan pour désigner la terre habitée majoritairement par ce peuple. C'est
là que vint s'établir Abraham, c’est de là que partirent pour l'Égypte Jacob et
ses fils, c'est vers cette terre que Moïse, relayé par Josué, conduisit les Hébreux.

Josué, les promesses réalisées


Après la mort de Moïse, serviteur de 1’Éternel, Dieu parla ainsi à
Josué, fils de Noun, qui avait servi Moïse : « Mon serviteur Moïse
est mort. Maintenant, dispose-toi à traverser le Jourdain avec tout
ce peuple, pour entrer dans le pays que je donne aux enfants d'Israël.
Toute région que foulera la plante de votre pied, je vous la donne,
ainsi que je l'ai déclaré à Moïse. Depuis le désert jusqu'au Liban que
voilà ef jusqu'au grand fleuve, lefleuve de l'Euphrate, tout le pays des
Héthéens jusquà la grande mer, au couchant, tel sera votre territoire.
Nul ne pourra te résister, tant que tu vivras ; comme j'ai été avec
Moïse, je serai avec toi, je ne te laissera faiblir n1 ne f'abandonnerai.
Sois ferme et vaillant ! Car c'est toi qui vas mettre ce peuple en
possession du pays que j'ai juré à ses ancêtres de lui donner. Maïs sois
ferme et bien résolu, en l'appliquant à agir conformément à toute la
doctrine que f'a tracée mon serviteur Moïse : ne l'en écarte à droite
n1 à gauche, pour que tu réussisses dans toutes tes voies. Ce livre de
la Doctrine ne doit pas quitter ta bouche, tu le méditeras jour et nuit
afin d'en observer avec soin tout le contenu ; car alors seulement tu
Prospéreras dans tes voies, alors seulement tu seras heureux. Oui, je
te le recommande : sois fort et résolu, sans peur et sans faiblesse ! Car
l'Éternel, ton Dieu, sera avec toi dans toutes tes voies. »
Josué 1, 1-9

102 La Torah
Le serviteur de Moïse
Le livre de Josué se découpe aisément en trois parties : les
chapitres 1 à 12 présentent la conquête de Canaan ;les chapitres 13
à 22 traitent du partage des terres entre les tribus ; quant aux deux
derniers chapitres (23 et 24) on pourrait les qualifier de testament
de Josué, écrit à la manière du testament de Moïse, le Deutéro-
nome, qu'il énonça devant son peuple avant de mourir.
Josué (Yéochoua, « Dieu sauve ») succède donc à Moïse. Il est, avec
Caleb, le seul rescapé de la génération sortie d'Égypte. Hormis ces
deux explorateurs, fidèles à Dieu, qui ne médirent pas contre la
terre de Canaan, tous leurs contemporains dorment du sommeil
éternel sous le sable chaud du désert (voir l'épisode des explora-
teurs, Nb 13 et 14). Pourquoi Josué plus que Caleb méritait-il cette
succession ? Car il fut le fidèle serviteur de Moïse (Nb 11, 28 ;
Josué 1, 1) ; il mena le dur combat contre les Amalécites (Ex 17) et
attendit patiemment sur le flanc du Sinaï son maître qui descen-
dait avec les Tables de l'alliance (Ex 32, 17).
Afin de souligner le lien maître-disciple qui unissait Moïse etJosué,
l’auteur de notre livre a tenu à qualifier Josué de la même formule
honorifique usitée pour Moïse, à savoir « serviteur de l'Éternel ».
En effet, pour la mort de Moïse, nous lisons : « Et Moïse, serui-
teur de l'Éternel, mourut là dans la terre de Moab, selon l’ordre
de l'Éternel » (Dt 34, 5). Et pour Josué : « Et Josué fils de Noun,
serviteur de l'Éternel, mourut à cent dix ans » (dix ans de moins que
Moïse !). Dans toute la Bible, seuls ces deux personnages recevront
cette distinction.
Dans un langage allégorique, le Talmud (TB Baba Batra 75 à)
propose cette sentence : « Le visage de Moïse ressemblait au soleil,
le visage de Josué à celui de la lune », ce que nous comprenons
ainsi : la lune ne possède pas de lumière intrinsèque, mais elle
transmet à la terre les rayons de l’astre du jour. Josué ne reçut pas de
révélation divine, mais il transmit fidèlement aux enfants d'Israël
les enseignements que Moïse lui avait confiés. Contrairement à
Moïse, confronté à de nombreuses contestations et rébellions, la

Chapitre 3. Néviim ou le livre des Prophètes |103


vie de Josué se déroula sans ambages. Il fut un chef écouté et craint
au cœur d’une génération qui avait su apprécier l'héritage de la
terre promise.

La réalisation des promesses


Le livre de Josué doit être intégré dans la cohérence biblique et
lu tout particulièrement en résonance avec le livre de la Genèse.
Dans ce livre des commencements, en effet, l'Éternel se révèle
successivement aux patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, pour leur
exprimer une seule et même double promesse : la naissance d’un
peuple et l’octroi de la terre de Canaan. Le livre de Josué narre
l’accomplissement de cette promesse.
Après que les soixante-dix nations, nées à Babel, se sont installées
sur leur territoire selon leur langue, la 71° nation émerge lente-
ment. Ce peuple, distingué par le Ciel, aura la lourde tâche de
témoigner du Dieu un, au milieu des peuples, en construisant la
cité de la Torah. Or, le lieu élu pour la réalisation de ce projet n’est
autre que la terre de Canaan, terre promise, terre jurée. Comment
comprendre ce particularisme national ? La parole de Dieu ne
peut-elle se situer au-delà des frontières humaines ?
Nous l'avons dit, le peuple d'Israël est appelé « royaume de prêtres »
(Ex 19, 6). Comme tel, il se doit d’assumer la loi révélée. Or, cette
loi a pour finalité de substituer à la loi de la jungle (le plus fort
domine le plus faible) la loi de la responsabilité morale (le plus
fort aide le plus faible), et ce, dans tous les domaines de l’existence.
Seule une nation confrontée aux problèmes inhérents à toute
société pourrait jouer ce rôle de témoin aux yeux d’autres nations.
Certes tout groupement humain, depuis les temps anciens jusqu’à
aujourd’hui, produit des êtres d’exception sur les plans éthique et
spirituel. Mais, dans la logique de la Torah, le défi concerne toute
une collectivité, et le lieu de réalisation de cette charte morale
et religieuse sera la terre de Canaan. D'ailleurs, le territoire ne
sera octroyé qu'après la révélation de la constitution légale : les
commandements de la Torah.

104 La Torah
En d’autres termes, la distinction d'Israël par Dieu ne se justifie
que dans la mesure où et afin que la vie nationale de ce peuple
reste exemplaire, pour que nul ne puisse se revendiquer au-dessus
de la justice et du droit. Henri Bergson, dans Les Deux Sources de
la morale et de la religion, avait saisi cette dimension en écrivant :
« Rappelons-nous le ton et l’accent des prophètes d'Israël. C’est
leur voix que nous entendons quand une injustice a été commise
et admise. Du fond des siècles, ils élèvent leur protestation. Si tel
d’entre eux, comme Isaïe, a pu penser à une justice universelle, c’est
parce qu'Israël, distingué par Dieu des autres peuples, lié à Lui par
un contrat, s'élevait si haut au-dessus du reste de l’humanité, que
tôt ou tard, il serait pris en modèle. »

Canaan et sa culture
Pour bien comprendre le livre de Josué, interrogeons l’historien et
l’archéologue sur ce qu'est le pays de Canaan peu avant et durant
la conquête de Josué. Il semble acquis que Canaan appartenait à
l'Empire égyptien de la xvin* dynastie (de 1600 à 1350 av. J.-C.).
Ici et là vivaient des chefs locaux évoquant des cheiks du désert.
L'armée pharaonique protégeait la population et les caravanes,
l'administration prélevait les impôts. Cette autorité s’affaiblira à
l’époque d’Akhenaton (1370-1350), plus préoccupé par sa réforme
religieuse monothéiste que par ses devoirs publics.
Au x1r' siècle, le bon ordre des cités méditerranéennes fut terrible-
ment secoué par l’arrivée des peuples de la mer. Les Philistins, si
souvent cités en ennemis d'Israël, représentent l’archétype de ces
peuples marins. Méneptah (le roi de l’Exode ?) puis Ramsès III
réussirent à leur tenir tête, les cantonnant sur la bande côtière de
Gaza.
La Torah cite souvent sept peuples cananéens, mais ils étaient
plus nombreux. Encore une fois, la symbolique des chiffres l’a
emporté sur la réalité historique. Quoi qu'il en soit, aux yeux
des explorateurs hébreux, les Cananéens apparaissent tels des
géants (on a retrouvé des hauts dolmens sur le Golan et en

Chapitre 3. Néviim ou le livre des Prophètes 105


Transjordanie), habiles au maniement des armes et d’une grande
force physique. On peut comprendre la frayeur qui s’empara du
peuple (Nb 13).
Autour d’Hébron, la cité des patriarches, vivent les Héthéens
(Hittites), seconde puissance de la région, d’origine indo-euro-
péenne (voir la découverte d’Hattousa, près d’Ankara). Les
peuples de Moab, Amon et Édom avaient élu domicile de l’autre
côté du Jourdain (Transjordanie). Selon la Genèse, ils descendaient
tous trois de la famille abrahamique : Moab et Amon de l’union
incestueuse de Lot, neveu d'Abraham, avec ses deux filles (Gn 19,
37 et 38) ; et Édom d’Ésaü, le frère jumeau de Jacob (Gn 36, 1).
Il est fait également mention des Amoréens venus de Syrie et
installés à Sichem, où séjourna Jacob. Le livre évoque d’autres
peuplades, dont nous ne savons pratiquement rien. En résumé,
Canaan présente une mosaïque d’ethnies, révélant un haut degré
de civilisation : fortifications militaires, maisons à étages, approvi-
sionnement en eau, travail du fer, économie développée, artisanat,
agriculture.
En comparaison du niveau de civilisation atteint par ces peuples, la
religion cananéenne qui tourne autour du culte de Baal (que nous
connaissons grâce aux découvertes de la bibliothèque d’Ougarit)
semble primitive : ici, on chante les merveilles de la nature, la viri-
lité des hommes, la fécondité des femmes, tout en pratiquant des
cultes orgiaques, la prostitution sacrée et même le sacrifice d’en-
fants. C’est sans doute à ce niveau religieux que doit se lire, fina-
lement, le livre de Josué. Si l’historien et l’archéologue remettent
en cause la conquête", il faut entendre dans ce livre inaugural des
Prophètes le grand combat mené par le monothéisme contre les
idéologies païennes. Par là, Josué réalisait la promesse faite aux
patriarches.

11. Voir Israël Finkelstein, La Bible dévoilée, Bayard, Paris, 2002.

106 La Torah
Samson, la puissance fragile
Samson leur dit : « Je veux vous Proposer une énigme. S1 vous pouvez la
résoudre et me l'expliquer dans les sept jours du festin, je vous donnerai
trente chemises et trente habillements de rechan ge ; MAIS Si VOUS ne
pouvez me l'expliquer, c'est vous qui me donnerez trente chemises et
trente habillements. » Ils lui répondirent : « Propose-nous ton énigme,
pour que nous l'entendions. » Ef1l leur dit : « Du mangeur est sorti
le mangé, et du fort est sorti le doux. » Maïs ils ne purent deviner
l'énigme, trois jours durant. Le septième jour, ils dirent à la femme
de Samson : « Persuade à ton mari de te communiquer la solution et
nous la rapporte, ou nous te brülerons avec ta famille. Est-ce pour
nous dépoutller que vous nous avez invités, vraiment ? » La femme de
Samson l'obséda de ses pleurs, disant : « Tu n'as que de la haine pour
mot, point d'amour ! Tu as proposé une énigme à mes compatriotes, et tu
ne men as pas dit le mot J » « Vois ! répondit-1l, je ne l'ai pas dit à mon
père n1 à ma mère, et à toi je le révélerais ? » Elle l'obséda ainsi de ses
pleurs pendant les sept jours qu'on célébra lefestin, si bien que le septième
Jour, vaincu par ses instances, 1l lui révéla le mot, qu'elle apprit à son
tour à ses compatriotes. Le septième jour, avant que le soleil für couché, les
gens de la ville dirent à Samson : « Qu'y a-t-1l de plus doux que le miel,
et de plus fort que le lion ?» À quoi 1l répondit : « S1 vous n'aviez pas
labouré avec ma génisse, vous n'auriez pas deviné mon énigme. » Et saisi
de l'esprit divin, 1l descendit à Ascalon, y tua trente hommes, s'empara de
leurs dépouilles et donna aux devineurs les vêtements promis ;puis, plein
de fureur, se retira chez son père.
Juges 14, 12-19

Un juge hors du commun


Les Israélites sont installés en Canaan. Josué, successeur de Moïse,
a partagé le pays entre les tribus. Dans ces temps reculés, le pouvoir
religieux est confié aux descendants de Lévi. Quant au pouvoir
politique centralisé, il faudra attendre les rois Saül et David pour le
voir se concrétiser. « En ces jours, point de roi en Israël, et chacun

Chapitre 3. Néviim ou le livre des Prophètes |107


agissait à sa guise » (Juges 17, 6). Pour l’heure, les tribus vivent
autour de leurs chefs, personnages charismatiques et vaillants
guerriers : les Juges. Citons Déborah rendant la justice sous son
palmier et Gédéon qui refuse le titre royal. Mais le plus célèbre
d’entre tous, à l’égal d'Héraclès (Hercule), et que Cecil B. DeMille
immortalisa sur la pellicule, se nomme Samson (de Chimchon qui
signifie « petit soleil »). Comme son pendant grec, Samson possède
une force prodigieuse ; l’un et l’autre tueront un lion, ils connaf-
tront de folles idylles et l'esclavage, enfin ils deviendront les cham-
pions de leur cause nationale. Ici s'arrête la comparaison, car si
le premier est reconnu demi-dieu de l’Olympe, le héros biblique
est le simple fils humain de Manoah et de sa femme. Toutefois, il
sera consacré à l'Éternel en devenant nazaréen (abstème) dès le
sein maternel. À la différence du cas envisagé dans les Nombres,
Samson se trouve élu avant même sa naissance selon la recomman-
dation de l'ange à sa mère : « Ne bois ni vin n1 liqueur et ne mange
rien d’impur. Car tu vas concevoir et enfanter un fils ; le rasoir ne
touchera pas sa tête » (Juges 13, 4-5). Et ses cheveux vont dissimu-
ler une puissance exceptionnelle.

Abstème ou nazaréen

En hébreu nazir, ce terme désigne un homme ou une femme qui s'impose par
vœu trois interdits : boire du vin, se couper les cheveux, toucher un cadavre
(Nb 6). Un nazir célèbre est Samson, connu pour sa chevelure qui lui donnait
une force surhumaine.

Les origines danites


La tribu de Dan ploie sous la domination des Philistins qui
exploitent, maltraitent, voire exécutent les Hébreux récalcitrants.
En offrant une force surhumaine à Samson, l'Éternel offre la
possibilité à Israël de se libérer du joug de l’oppresseur.
Pour comprendre quelque peu le personnage, revenons à ses
origines danites au temps du patriarche Jacob. Celui-ci désire
épouser Rachel, mais son beau-père Laban, voulant exploiter

108 La Torah
économiquement son gendre, lui donne par ruse sa fille aînée Léa.
À cette duperie s ‘ajoute la stérilité de Rachel. La fécondité de sa
grande sœur entraîne la souffrance de la bien-aimée qui, à l'instar
de l’aïeule Sarah, présente sa servante Bila en « mère porteuse ».
Un enfant naît de cette union, Rachel s’exclame alors : « Dieu m'a
jugée et a entendu ma voix. C’est pourquoi elle le nomma Dan (Il
juge) » (Gn 30, 6).
Dan devient l'aîné de Rachel au second degré. Il naît par ruse pour
tromper ce Dieu qui a fermé la matrice de la matriarche. Plus tard,
quand Moïse bénira les tribus, il donnera pour totem à la tribu de
Dan l’image d’un jeune lion (Dt 33, 22), s'inspirant de la béné-
diction de Jacob à Juda. Mais, alors que le lion de Juda s’incarne
à travers l’éclatant roi David, ancêtre du Messie, la tribu de Dan
brille par sa discrétion, fermant la marche des Israélites durant
les quarante ans du désert, en « rassembleur de toutes les tribus »
(Nb 10, 25). Le Midrach entend cette fonction de rassemblement
ainsi : « Dan sortait hors des nuées de Gloire afin de rattraper les
Hébreux perdus. » Les nuées délimitent le cadre de la collectivité
d'Israël vouée à témoigner de l'Éternel au cœur des nations. Les
Hébreux perdus n'arrivent pas à assumer cette vocation spirituelle.
Comme diront les kabbalistes, Dan descend dans les « écorces »,
dans les lieux sombres où la lumière divine ne peut luire, pour
ramener les brebis égarées.
Samson sera forgé de ce fer-là. Il ne deviendra jamais un roi-soleil,
sa route empruntera des sentiers tortueux aux femmes séduisantes,
mais il sauvera son peuple à sa manière.

Les femmes philistines


Samson cherche à épouser des Philistines idolâtres au grand dam
de ses parents. Curieuse attitude qui s'oppose à celle des patriarches
qui interdisent l’union avec les Cananéennes. Samson insiste : « J'ai
vu une femme à Timna, parmi les filles des Philistins, et je désire
que vous me la procuriez pour épouse. »

Chapitre 3. Néviim ou le livre des Prophètes 109


« Les yeux voient et le cœur désire », répètent les rabbins. Les
yeux de Samson traduisent son ambiguïté : espère-t-il satisfaire
son désir ou s'agit-il d’une ruse de guerre ? Nous répondrons par
l’affirmative aux deux questions. Samson semble fasciné par la
femme qui ne se trouve plus dans la tente mais qui promène sa
beauté devant les hommes. Si notre héros restera toujours invaincu
face aux hommes — il terrassera des centaines de soldats avec une
simple mâchoire d’âne —, il ne saura résister aux pleurs de ses
amours. Ben Zoma enseigne :

Quel est l'homme fort ? Celui qui dompte sa passion. Ainsi qu'il est
dit : « Qui domine sa colère vaut plus que le conquérant d'une ville. »
Traité Avot, 4,1

L'épreuve ultime de Samson consiste à se battre contre lui-même,


et ce combat-là reste le plus difficile à mener pour tout homme, car
il se fait toujours à force égale.

Traité Avot

Le Traité Avot (« pères ») est un livre de la Michna (voir page 29) qui traite
essentiellement de la valeur de l'étude de la Torah et des vertus que devrait
cultiver tout disciple de sage.

Une énigme prophétique


Lors de son premier mariage, Samson propose une énigme aux
convives : « Du mangeur est sorti le mangé, et du fort le doux. » Le
lecteur connaît déjà la solution : repassant à l’endroit où il avait tué
le lion, notre héros découvre un essaim d’abeilles dans la dépouille.
L'énigme nous semble plus profonde qu'il n’y paraît, elle révéle-
rait une dimension prophétique. L’historien britannique Edward
Gibbon (1737-1794) présentait l'Histoire comme une suite de
guerres et de conflits ; le fort dominant toujours le faible. Notre
récit n'échappe pas à la règle : les Philistins dominent les Danites,
Samson écrase les Philistins, les femmes triomphent de Samson.

110 |La Torah


La loi de Moïse proclame pourtant que l’homme reste libre de
choisir entre la vie et la mort, et la paix pourrait vaincre la guerre.
Samson, en tant que juge d'Israël, le sait, il en fait ici une allusion :
le mangeur (le lion) peut donner une douce nourriture (le miel), à
condition que la force soit l'instrument d’un sacerdoce envers les
plus faibles.
Le message ne passera pas, puisque la violence l’'emportera. La ruse
de Dalila aura raison des sept belles tresses du juge d'Israël. Les
yeux du héros ne verront plus la lumière, il tournera seul la meule à
laquelle l'ont attaché ses ennemis. Quand les Philistins pousseront
l’humiliation en exposant leur prisonnier dans le temple du dieu
Dagon, Samson exprimera son ultime prière : « Rends-moi fort
cette fois seulement, Ô mon Dieu, pour que je fasse payer d’un
seul coup mes deux yeux ! » et d’ajouter : « Que je meure avec les
Philistins. » Samson. sera exaucé, il ébranlera l'édifice et toute la
foule « de sorte qu'il fit périr plus de monde à sa mort qu'il n’en
avait tué de son vivant ».
La morale de cette histoire se situe peut-être dans ce désastre
suprême : dans tout combat il n’y a que des perdants !

Samuel, juger et unifier


Or en ce temps-là, Hé, dont les yeux commençaient à s'obscurcir
et qui y voyait à peine, dormait. Samuel aussi dormait, et la lampe
sacrée brülait encore dans le temple de l'Eternel, où était l'arche
divine, lorsque l'Éternel appela Samuel, qui répondit : « Me voici ! »
Ef il accourut près d'Hélie en disant : « Tu m'as appelé, me VOICI. »
Héli répondit : « Je n'ai point appelé, va te recoucher. » Ce que fit
Samuel. L'Éternel appela de nouveau : « Samuel. » Celui-ci se leva,
alla trouver Héli en disant : « Tu m'as appelé, me voici », et Héli
répondit : « Je n'ai point appelé, mon enfant;recouche-tot. » Samuel
ne connaissait pas encore lEternel, la parole divine ne s'étant pas
encore révélée à lui. Une troisième fois, Dieu appela : « Samuel ! » I] se
leva et s'en fut auprès d'Héli en disant : « Tu m'as appelé, me VOICI. »
Alors Héli comprit que c'était Dieu qui appelait lejeune homme,

Chapitre 3. Néviim ou le livre des Prophètes 111


et il dit à Samuel : « Va te recoucher, et si l'on f'appelle, tu diras :
“Parle Seigneur, ton serviteur écoute.” » Samuel le quifta et regagna
sa couche. Le Seigneur vint, s'arrêta là et appela comme il avait fait
chaque fois : « Samuel !... Samuel !... » Et Samuel dit : « Parle, ton
serviteur écoute. »
| Samuel 3, 3-10

Une période difficile


Vers l’année -1100, la situation des tribus d'Israël dans le pays de
Canaan semble particulièrement difficile. Sur le plan intérieur
tout d’abord, une guerre civile d’une terrible violence a failli coûter
l'existence de la tribu de Benjamin suite à l’affaire de la concubine
de Guibéa (Juges 19-21). Mais surtout, un peuple venu de la mer
et installé sur la bande côtière depuis le siècle précédent, les Philis-
tins (que Samson avait su contenir), menace d’occuper la totalité
du pays. Le danger est d’autant plus grand que les Philistins savent
travailler le fer pour forger des armes, ce que les Hébreux ignorent,
pour l’heure, encore. Pour ajouter à la fragilité israélite, le livre des
Juges se termine par ce verset : « En ce temps-là, il n’y avait point
de roi en Israël et chacun faisait ce que bon lui semblait. » En
d’autres termes, l'absence d’une autorité politique centrale tradui-
sait un manque cruel face à cette menace philistine. Samuel va
alors apparaître comme un personnage providentiel pour le peuple.
Mais providentiel, il l’est d’abord pour sa mère Hanna, malheu-
reuse femme stérile.

Le fils du miracle

Le chapitre inaugural des deux livres de Samuel nous présente


Elkanna de la tribu d'Ephraïm marié à deux femmes, Hanna et
Pénina, selon les mœurs courantes de l’époque. Or Hanna est
stérile. On peut supposer qu'Elkanna avait épousé la seconde pour
avoir des enfants, ce qui fut le cas.

112 La Torah
Ce récit évoque un schéma familial déjà connu, celui du patriarche
Jacob marié à Rachel, la femme aimée et stérile, et à Léa, non
aimée mais porteuse de la progéniture.
Ne pouvant plus supporter sa souffrance, et après un dialogue plein
de tendresse avec Elkanna, Hanna se rend au sanctuaire de la ville
de Silo pour épancher son cœur devant l'Éternel. Elle demande
un fils qu'elle consacrera au Seigneur, en le rendant nazir (voir
abstème, page 108). Sa manière de prier étonne Héli, le grand
prêtre:

Hanna parlait en elle-même ; on voyait seulement ses lèvres remuer,


mais on n'entendait point sa voix. Héli pensa qu'elle était ivre.
1]Samuel 1, 12

Expliquant au vieillard l’objet de sa requête, elle reçoit sa béné-


diction et mettra au monde un fils, Samuel (Shmouel). Par la suite,
la tradition rabbinique prendra l'attitude de Hanna en modèle de
prière, à savoir debout et à voix basse.
Élevé après son sevrage par le vieux Héli, ce fils du miracle recevra
très tôt l’appel prophétique qui le consacrera juge d'Israël. Parti-
cipant à la vie cultuelle de Silo, sa renommée dépassera la petite
bourgade pour s'étendre à l’ensemble du pays.

Er tout Israël, depuis Dan jusqu'à Beersheba, reconnut l'autorité de


Samuel, comme prophète du Seigneur.
1 Samuel 3, 20

Avec Samuel l’histoire d'Israël avance d’un cran, car nous arrivons
alors à l’instauration d’un pouvoir politique centralisé. L’anarchie
antérieure fait place à un État plus structuré. Cette unification
permettra aussi un développement de la vie spirituelle en fidé-
lité aux principes de la Torah. Incontestablement, Samuel, qui,
contrairement aux autres Juges, ne fut pas un guerrier, brilla par
son charisme, son sens de l’organisation et la force de sa foi qui le
situe parmi les plus grands. Un verset des Psaumes (Ps 99, 6) ne s'y
trompe pas : « Moïse et Aaron étaient parmi ses prêtres, et Samuel
parmi ceux qui invoquaient Son nom, ils appelaient l'Éternel et
Lui leur répondait. » Et un rabbin de commenter :« Samuel dans
sa génération valait Moïse et Aaron dans leur génération. »

Une personnalité influente


Les deux livres de Samuel ne se limitent pas à présenter la vie de
Samuel. En fait, sa mort est mentionnée au début du chapitre 25
qui en contient 30, et il reste encore 24 chapitres au deuxième
livre, mais sa présence et son influence perdureront par-delà sa
disparition.
Samuel, en accédant à la demande du peuple de désigner un roi, va
finalement unir sa vie à celle de la royauté naissante, en la personne
des deux premiers rois, Saül et surtout David, les deux autres héros
des livres de Samuel.
L'influence et la sagesse politique de Samuel, nous la rencon-
trons lors d’une des crises les plus graves de l’histoire d'Israël :
la défaite militaire des Israélites et l'enlèvement de l’arche sainte
par les Philistins (| Samuel 4 et 5). Samuel, par la force de son
verbe, galvanisera les forces vives du peuple pour la récupération
de l'arche perdue, permettant par la victoire qui suivra un retour à
l'indépendance nationale, un nouvel enthousiasme pour le culte à
l'Éternel, et l'unification définitive de toutes les tribus.
Sur le plan humain, le texte insiste tout particulièrement sur
l'amitié profonde qui unissait Samuel et Saül (1 Samuel 9 et 10).
De vingt ans son aîné, Samuel vit-il dans ce jeune et beau berger
aux larges épaules l’image d’un fils modeste et attentif qu'il aurait
aimé chérir ; alors que ses propres enfants se détournaient de
l'Éternel en profitant économiquement du statut de leur père ?
C'est probable. Aussi, la désobéissance de Saül et son rejet par
Dieu furent-ils indubitablement vécus par le vieillard comme
une profonde déchirure (I Samuel 15 et 16). N’était la contrainte
divine, Samuel n'aurait sans doute pas accepté d’oindre le nouveau
roi, en la personne du jeune David. Durant les dernières années

114 La Torah
de sa vie, Samuel fut le témoin passif du conflit qui opposa Saül
et David, un Saül souffrant d’un délire de persécution devant la
gloire du jeune David, vainqueur du géant Goliath. Samuel restera
dans la mémoire d'Israël l’honnête homme qui n’abusa jamais de
son pouvoir prophétique ou de sa notoriété nationale. S'adressant
au peuple réuni pour réclamer un roi, il déclarera : « Je vous ai
gouvernés depuis ma jeunesse jusqu’à aujourd’hui. Eh bien, accu-
sez-moi à la face de l'Éternel s’il est quelqu'un dont j'ai pris le
bœuf ou l’âne, quelqu'un que j'ai lésé ou pressuré, quelqu'un qui
m'ait acheté par un présent pour fermer les yeux sur sa faute. Je
suis prêt à le rendre. » Ils répondirent : « Tu ne nous as point lésés,
point pressurés, tu n'as rien accepté de personne. »
Samuel incarne les valeurs de l’homme juste, le #4dik, que chan-
tera le psalmiste (Ps 15), qui mettra toujours en garde les diri-
geants contre l'abus de pouvoir. Malheureusement le livre des
Rois qui suivra décrira un autre temps : celui de la décadence de la
monarchie.

Au livre des Rois, grandeur et décadence


Le roi dit alors : « L'une dit : Cet enfant qui vit est le mien ef c'est
le tien qui est mort ; l'autre dit : Non c'est le ñien qui est mort, celui
qui vit est le mien. » Puis le roi dit : « Allez me chercher un glaive. »
On apporta le glaive devant le roi. Le roi dit : « Fendez en deux
l'enfant vivant et donnez-en la moitié àl'une et la moitiéà l'aufre. »
La femme dont lefils était vivant s'adressa au roi, car ses entrailles
s'étaient émues pour son fils, et elle dif : « De grâce, mon seigneur !
donnez-lui le petit qui est vivant, ne le faites pas mourir ! » Mais
celle-là disait : « I] ne sera ni à moi n1 à toi :fendez ! » Le rot prit
la parole et dit : « Donnez le petit qui est vivant à la première, ne le
faites pas mourir : c'est elle qui est sa mère ! »
(Rois S:2%:27

Chapitre 3. Néviim ou le livre des Prophètes 115


Une vue d'ensemble
Le livre des Rois (divisé en deux, comme le livre de Samuel)
présente l’histoire d'Israël depuis la fin du règne de David jusqu’à
la période de l'exil à Babylone, quand le roi Joaquim fut gracié par
Evil Mérodac, roi de Babylone, soit une période de quatre siècles.
L'auteur de ce livre ne vise pas la transmission d’une objectivité
«universitaire » en reliant les causes et les effets, il n’écrit pas plus
pour glorifier les souverains comme dans d’autres cultures, le seul
souci de l’historiographe biblique est d'offrir une lecture religieuse
des événements, de montrer comment Dieu agit dans l’histoire
humaine, comment I] la juge. À travers son écriture, il espère faire
œuvre pédagogique pour transmettre aux générations futures des
leçons de vie, des leçons de foi.
Dans cette vision religieuse, l'histoire des rois d'Israël semble se
présenter en point d'orgue de l'Histoire inaugurée par les six jours
du Commencement. Dieu crée l’homme et le distingue des autres
espèces vivantes. Par la suite, Il suscite les soixante-dix nations qui
expriment soixante-dix langages et cultures. Constatant l’idolàä-
trie de l'humanité, Il distingue Abraham afin qu'il devienne Son
héraut par qui « seront bénies toutes les familles de la terre ». Plus
tard, Il libère les descendants des patriarches du pays d'Égypte,
leur donne la Torah — un code de prêtrise pour témoigner du Dieu
un —, puis I] les dirige vers la terre promise, lieu de réalisation de ce
projet spirituel et moral. Avec l'élection de David, comme roi d’Is-
raël, et de Jérusalem capitale de la présence divine (II, Samuel 7),
tout semble en place pour qu'Israël assume son rôle de « royauté de
prêtres et nation vouée à la sainteté » (Ex 19, 6). Et pourtant après
la grandeur viendra le temps de la décadence. L'idolâtrie, linjus-
tice, les complots de palais iront en s’'amplifiant jusqu’au schisme,
à la mort de Salomon, puis la destruction du royaume du Nord
(-722), et de celui du Sud avec son Temple incendié (-586). L’exil
d'Israël inaugurera alors une nouvelle histoire.

116 La Torah
La question de la royauté
Les exégètes, autant que les historiens, s'interrogent sur la néces-
sité d’une royauté en Israël : était-ce un type de pouvoir incontour-
27e > Æ . , . . .

nable ou un pis-aller selon la doctrine toraïque ?


En présentant le Lévitique, nous avons montré comment le culte
du Temple évitait la contamination du pouvoir monarchique, en
n'évoquant pas une seule fois la fonction royale. Certes le Deuté-
ronome mentionne la possibilité d’un roi, mais en n’y consacrant
que six versets (Dt 17, 14-20) que nous pouvons ainsi résumer :
pas trop de richesse, pas trop de chevaux, pas trop d’épouses ; en
revanche, une méditation quotidienne de la Torah. Car la grande
peur du Deutéronome demeure que la monarchie engendre une
société totalitaire à l’instar de l'Egypte pharaonique.
Dans le livre des Juges, lorsque le peuple demande à Gédéon, vain-
queur des Madianites, d’être leur souverain, celui-ci répond (Juges
8, 23) : « Ni moi ni mes fils ne vous gouvernerons ; Dieu seul doit
régner sur vous. » Pour Gédéon, si le peuple vit selon les préceptes
de la Torah, à quoi bon la monarchie ?
En fait, la question de la royauté se pose à l’époque de Samuel,
quand les Israélites réclament au vieux sage un roi, « car nous
voulons être comme les autres peuples ». Samuel est déçu de la
requête, Dieu confirme aussi cette déception : « Ce n'est pas toi
qu’ils rejettent mais Moi. » Le juge obtempère, tout en mettant en
garde la nation contre les abus de pouvoir d’un roi (I Samuel 8),
ce qui se confirmera par la suite. Au fond, Samuel aurait préféré
le modèle politique des Juges : une autogestion tribale chapeautée
par un conseil supérieur, la fonction religieuse restant aux mains
des lévites. Sans doute le défaut majeur de ce système se révélait
dans son manque de continuité, alors qu’une monarchie hérédi-
taire pouvait consolider les acquis du passé, et s'engager vis-à-vis
de tout le peuple aussi bien en temps de crise qu’en temps de paix.
Le roi pouvait aussi influencer l’ensemble de la nation vers le culte
de l'Éternel, pour peu qu'il y adhérât lui-même. Mais le risque
souligné par Samuel était double : un abus de pouvoir sur le plan
économique, voire une tyrannie sociale, et un rejet du culte mono-
théiste au profit des cultes païens ou tout au moins un syncrétisme
qui ne buterait pas les peuples environnants. Car en ces temps
antiques, politique et religion restent intimement liées.
Finalement Saül est oint premier roi d'Israël ; mais la royauté
atteint son apogée avec David : il gagne ses combats, vit une foi
totale en Dieu, il Lui compose des psaumes, il gère la nation selon
la Torah, si bien qu'il incarnera l’image du Messie futur. Et pour-
tant David ne fut pas exempt de fautes : il cohabita avec Bethsa-
bée et envoya son mari Uri au front afin qu’il se fasse tuer dans la
bataille (II Samuel, 11 et 12). Le grand David transgressa deux
commandements du Décalogue (« tu ne convoiteras pas » et « tu
n’assassineras pas ») au nom de son pouvoir ; ce qui prouvait que
les mises en garde de Samuel étaient fondées.

Le règne de Salomon
On aura reconnu en exergue le célèbre jugement de Salomon.
Cet épisode fait suite à la vision que reçoit le jeune prince. Quand
l'Éternel lui demande ce qu'il désire pour régner, il répond :
« Donne donc à ton serviteur un cœur intelligent, capable de juger
ton peuple, capable de distinguer le bien du mal. » Dieu, en appré-
ciant la requête, lui offre en plus la richesse et la gloire, tout en lui
rappelant de toujours se conformer aux préceptes toraïques.
On aurait pu penser que le fils de David inaugurerait le jour de
gloire d'Israël, dans un royaume paciñé avec tous ses ennemis. La
renommée de sa sagesse touche, en effet, les terres les plus loin-
taines (visite de la reine de Saba), il préside à la construction du
Temple de Jérusalem avec le Phénicien Hiram, il s'intéresse aux
arts, aux sciences. Ne sont-ce pas là les signes du royaume de Dieu
sur terre ?
Malheureusement Salomon tombera dans l'excès et la démesure (ce
que le Deutéronome redoutait). Sa politique de mariages avec des
princesses étrangères, pour maintenir la paix des peuples, introduit
les cultes idolâtres dans le pays ; à cela s'ajoute une centralisation

118 La Torah
monarchique autour de Jérusalem qui déplaît aux tribus du Nord.
Sa volonté de puissance lui fait oublier Dieu et la vocation d'Israël.
Ce sera le début de la fin.
À sa mort, le schisme est inévitable entre le royaume du Nord et le
royaume du Sud. L'unité tribale tant recherchée par le patriarche
Jacob n’est plus qu’un rêve pour un avenir meilleur.
Dans la tradition rabbinique, Salomon incarne le roi-philosophe,
comme son père incarnaït le roi-poète. Pour souligner sa chute, les
sages usent de cette image :

Au début Salomon régna sur le monde entier, puis 1] régna sur tout
Israël, ensuite sur Jérusalem, à la fin il ne régna plus que sur son bâton.
Midrach Ya/kout Chimoni sur Rois |, 176

Elie, zélé, trop zélé

Élie se leva, man gea et but, puis, réconforté par ce repas, 1] marcha
quarante jours et quarante nuits jusqu'au Horeb, la montagne de Dieu.
Là, 1l entra dans une caverne, où 1lpassa la nuit. EF voici que la voix
divine s'adressa à lui, disant : « Que fais-tu là, Élie ? » Il répondit :
« J'ai fait éclater mon zèle pour toi, Seigneur, Dieu des armées [du
cosmos}, parce que les enfants d'Israël ont répudié ton alliance, renversé
tes autels, fait périr tes prophètes par le glaive, mot seul, je suis resté, et
ils cherchent aussi à m'enlever la vie. » La voix reprit : « Sors, et fiens-
toi sur la montagne pour attendre le Seigneur ! » Ef de fait, le Seigneur
se manifesta. Devant lui un vent intense et violent, entrouvrant les
monts et brisant les rochers, mais dans ce vent n'était point le Seigneur.
Après le vent, une forte secousse ; le Seigneur n'y était pas encore. Après
la secousse, un feu ; le Seigneur n'était point dans lefeu. Puis, après le
feu, la voix d ’un doux silence.
| Rois 19, 8-12

Chapitre 3. Néviim ou le livre des Prophètes 119


Le despotisme de Jézabel
Parmi tous les prophètes, Élie (Eliahou) occupe une place singu-
lière dans la Bible et dans la tradition juive, au point d’être devenu
un héros de légende. Personnage thaumaturge au charisme vigou-
reux, défiant les souverains de son temps, il est chanté le samedi
soir, à la fin du chabbat (samedi) dans les familles juives, comme
l’'annonciateur du Messie, il est évoqué au jour de la circoncision
d’un garçon.

Chabbat

Littéralement « cessation », le chabbat correspond au samedi, qui est un jour


chômé pour la communauté juive. Ce jour rappelle que Dieu a créé le monde en
six « jours » et qu'il a cessé Son intervention le septième jour (Genèse 2, 1-3). Ce
jour est plus particulièrement consacré à la prière et à l'étude de la Torah.

Élie a exercé sa mission prophétique dans le royaume du Nord


sous le règne d’Achab (876-853 av. J.-C.). Pour des raisons de
pacification territoriale, Achab avait épousé la fille du roi et prêtre
de Tyr, Jézabel, qui introduisit dans le pays un despotisme religieux
inconnu dans la civilisation hébraïque. Elle ira jusqu'à soudoyer
des faux témoins pour accuser et condamner à mort un certain
Nabot afin de récupérer sa vigne et l’offrir en cadeau à son mari
(I Rois 21). Leur fille Attali, immortalisée par Racine, restera tout
aussi célèbre pour sa cruauté.
De nombreux passages du livre des Rois (1 Rois 17-19) soulignent
le climat tyrannique que la classe dirigeante exerçait alors sur les
prolétaires et les petites gens. À cette tyrannie, condamnable selon
les termes de l’alliance sinaïtique, s’ajoutait un essor sans précé-
dent des cultes aux divinités locales : les Baal (Baal Péor [Belphé-
gor], Baal Zévouv [Belzébuth] et autres). Ces cultes s’exprimaient
par des prières adressées aux astres et aux forces de la nature, par
la prostitution sacrée et des sacrifices d’enfants, toutes conduites
diamétralement opposées à l'éthique monothéiste. L'influence des
prêtres de Baal s’exerçait sur la population israélite qui se détourna

120 La Torah
de la loi mosaïque. Les prophètes du Dieu unique dénoncèrent
ces dérives, reprochant à la reine d’être la cause de ce dévoiement.
Percevant le danger que représentaient ces porte-parole de l'Éternel,
Jézabel décida leur massacre.

L'épreuve du Carmel
Rescapé de cette tuerie, Élie va alors affronter courageusement
Achab et Jézabel. Son courage, Élie le puise dans sa conscience de
la présence de Dieu dans l'Histoire, le seul Roi et le seul Juge de
l'univers. Et ce Roi absolu ne supporte ni la corruption ni l'injustice.
En fait, la royauté des hommes n’a de sens que si les dirigeants poli-
tiques incarnent et introduisent le droit et la justice dans la société ;
sinon, aux yeux de Dieu, ils ne sont que des usurpateurs, signant
par là leur condamnation. Certes le règne d’Achab fut, de l'avis
des historiens, relativement prospère, malgré la menace assyrienne,
mais sa lignée s’éteindra avec la destruction de Samarie en -722.
Afin de montrer la puissance divine sur les forces de la nature, Élie
demande au ciel de n’envoyer ni pluie ni rosée durant trois ans.
Dieu l’exauce. Mais le cœur de la reine demeure aussi fermé que
la voûte céleste. Élie ne s’avoue pas vaincu et décide de défier les
prêtres de Baal au mont Carmel, qui surplombe la ville de Jaffa. Le
défi s’exprime à travers une ordalie. Les prêtres de Baal d’abord,
Élie ensuite, vont présenter une offrande d'animaux sur un autel,
mais sans les consumer. Cette combustion sera accomplie par un
feu du ciel que chaque acteur sollicitera de sa divinité.
C'est un Élie déterminé et en colère qui se présente face à une
foule nombreuse, réunie dans l'attente des événements. « Jusqu'à
quand clopinerez-vous sur deux pieds ? Si l'Éternel est Dieu, allez
à sa suite, et si c’est Baal allez à sa suite ; mais le peuple ne répondit
nul mot. » Incertitude du peuple qui vit dans une double croyance
dont il ne perçoit pas l’incompatibilité.
Les prêtres de Baal commencent leur liturgie, implorant ce feu de
la victoire ;mais rien ne se passe. Les heures s’écoulent et Élie se
fait ironique: « Criez plus fort, peut-être dort-il ou est-il parti en

Chapitre 3. Néviim ou le livre des Prophètes rl


voyage ! » Les prêtres se lacèrent le corps jusqu’au sang ; en vain !
Le tour d’Élie arrive, il invoque le Dieu d'Abraham, d'Isaac et
d'Israël, les trois patriarches, dans une fervente prière, et là, devant
la multitude stupéfaite, un feu descend des hauteurs pour consu-
mer la dépouille animale. Chacun s'écrit: « L'Éternel est Dieu!
L'Éternel est Dieu !» Animé par son zèle religieux, Élie exige l’éli-
mination des prêtres idolâtres et de leurs escortes, en réponse au
massacre perpétré par Jézabel quelques années plus tôt. Élie pense
avoir gagné le cœur du peuple, il est persuadé que le culte du Dieu
retrouvera sa place dans le pays. Il se trompe. Le peuple ne chan-
gera pas, et Jézabel décidera d’en finir avec ce prophète de malheur.

La réponse de Dieu
Élie constate tristement l'échec de sa mission. Il refuse de demeu-
rer au milieu d’une nation ingrate et se retire dans le désert du
Horeb pour y réclamer la mort. Il marche sur les traces de son
prédécesseur, le grand Moïse, qui reçut sa première prophétie dans
ce désert, au milieu d’un buisson ardent. Élie pénètre dans l’une
des cavernes, située à flanc de colline. Sans doute tous les événe-
ments passés se bousculent-ils dans sa tête. Son enthousiasme, ses
miracles, ses oracles, ses colères n’ont finalement eu aucun effet.
Mérite-t-il d’être un prophète de Dieu ? Où se situent ses failles,
ses erreurs ? Ces questions taraudent l'esprit de l’homme usé par
ses combats. Attend-il une réponse du Ciel ?
Comme au mont Carmel, Dieu offre de nouveau une réponse à
son prophète. Cette réponse est présentée dans notre exergue. « Le
Seigneur n'était pas dans la tempête... Le Seigneur n'était pas
dans le séisme... Le Seigneur n'était pas dans le feu ! » La tradi-
tion interprète cette théophanie comme on décrypte une parabole.
La tempête, le séisme, le feu traduisent des forces naturelles, des
puissances destructrices. L'ensemble de ces puissances ne symbo-
lise-t-1l pas Élie lui- même, habité d’une passion dévorante pour
Dieu, une passion sans compromission ?

122 La Torah
« Après le feu, la voix d’un doux silence ! » À travers cette manifes-
tation, Dieu pose une limite à l’usage de la violence. Finalement, la
violence n’entraîne que la violence, et le nom de l'Éternel n'est pas
plus reconnu par les hommes.
À nos yeux, ce texte constitue un moment clef de l’histoire biblique.
Autant les récits antérieurs sont imprégnés de l’appel à la guerre
contre les idolâtres, d’imprécations terribles contre les Cananéens,
autant les prophéties postérieures porteront le signe de la paix de
Dieu. Le prophète Zacharie (4, 6) le proclamera plus tard : « Ni par
la force, ni par la puissance, mais par Mon souffle, déclare l'Éternel
des armées [désignation du cosmos dans la Bible]. »
La voix du doux silence inaugure une nouvelle pédagogie religieuse,
imprégnée de patience, de pardon, de compassion et d'amour du
prochain. Mais Élie peut-il entendre ce nouveau discours, lui qui
possède un tempérament de feu ?

Le retour d’Élie
La tradition rabbinique enseigne que lorsque Élie accusa le peuple
d'Israël d’avoir abandonné l'alliance du Sinaï, Dieu lui rappela
que l'alliance de la chair, la circoncision, était toujours pratiquée.
Dans sa chair, le peuple d'Israël ne fut jamais infidèle à la mémoire
d'Abraham. Conséquence de cette accusation, Dieu imposa à
Élie d’être présent à toutes les circoncisions futures des familles
juives. Telle est l’origine textuelle de la chaise du prophète Élie sur
laquelle s’assoit le parrain de l'enfantà circoncire.
Élie quitta ce monde d’une manière grandiose : il fut enlevé, corps
et âme, dans un char de feu. Il ne pouvait en être autrement pour
un personnage qui vivait dans une proximité presque physique avec
Dieu. Héros légendaire, avons-nous dit, Elie va devenir le compa-
gnon de quelques sages et autres mystiques, à qui il offre des appa-
ritions instructives.

Chapitre 3. Néviim ou le livre des Prophètes 125


Malachie, le dernier des prophètes canonisés, lui fera l’honneur du
sceau de son discours :

« Voici Je vous envoie le prophète Élie avant lejour de ’Éternel, grand


et redoutable. Il ramènera le cœur des pères vers les fils et le cœur des fils
vers leurs pères. »
Malachie, 3, 24

D'où la conclusion des maîtres du Talmud :

Les Sages enseignent : le prophète Élie ne viendra pas pour rendre


impur ou pur, pour condamner les uns et innocenter les autres, mais
pour réaliser la paix dans le monde, ainsi qu'il est dit : Voici, Je vous
envoie Élie, le prophète... Il ramènera le cœur des pères sur les fils, et le
cœur des fils vers leurs pères.
Traité Edouyot8, 7

Sans doute le plus bel hommage offert à ce zélé, trop zélé, de


Dieu.

Les oracles prophétiques


La première partie du livre des Prophètes dessine comme en une
immense fresque les grandes étapes de l'installation du peuple élu
en terre promise. La seconde partie n’est plus narrative. On y voit
les prophètes s'adresser directement au peuple d'Israël, mais aussi
à d’autres nations voisines. Ces textes, tour à tour fougueux ou
plaintifs, nous font entrer dans l'intimité de la relation qui unit les
hommes au Dieu unique.

Isaïe, la révolution sociale

Est-ce là un jeûne qui peut m'être agréable, un jour où l’homme se


mortifie lui-même ? Courber la tête comme un roseau, se coucher
sur le cilice et la cendre, est-ce là ce que tu appelles un jeûne, un jour

124 La Torah
bienvenu de l'Éternel ? Mais voici leJeûne que J'aime : de rompre les
chaînes de l'injustice, de dénouer les liens de tous les Jougs, de renvoyer
libres ceux qu'on opprime, de briser enfin toute servitude ; Puis encore,
de partager ton pain avec l'affamé, de recueillir dans ta maison les
malheureux sans asile. Quand tu vois un homme nu, de le couvrir, de
ne jamais te dérober à ceux qui sont comme ta propre chair ! C'est alors
que ta lumière poindra comme l'aube, que ta guérison sera prompte
à éclore ; ta vertu marchera devant toi, et derrière toi la majesté de
l'Éternel 'fermera la marche.
Isaïe 58, 1-9

Des noms évocateurs

Isaïe, Yichayahou, premier des grands prophètes, nous lègue


1 291 versets d’une grande densité, allant d’une critique acerbe de
la société judéenne jusqu'aux visions messianiques d’une humanité
pacifiée (le loup dormant avec l'agneau). Que l'historien découvre
deux voire trois Isaïe ne change rien à la cohérence de ce discours.
Parmi tous les prophètes, Isaïe est le plus introduit dans la liturgie
synagogale du samedi et des fêtes, du fait de la grande actualité
de son message. Yichayahou, dont le nom signifie « Dieu sauve »,
débute sa vocation dans le royaume du Sud, celui de Juda, vers -746,
à la mort du roi Ozias, et la poursuivra du temps des rois Jotham,
Achaz et Ézéchias. Au huitième chapitre, nous apprenons qu'il est
marié à une prophétesse, dont nous ne connaîtrons jamais le nom.
Cette épouse mettra au monde deux fils, aux noms surprenants :
« vite au butin, hâtivement au pillage » et « un reste reviendra ».
On peut imaginer la réaction des gens quand la mère devait appe-
ler ses rejetons au jardin public ! Bien entendu, en connaissant la
suite de l’histoire, on saisit toute la symbolique prophétique de ces
noms. Le premier renvoie à la destruction de Samarie, en -722,
quand les troupes assyriennes de Salmanasar fondront sur les dix
tribus du Nord, massacrant, pillant puis déportant les survivants.

Chapitre 3. Néviim ou le livre des Prophètes 125


Le second nom se réfère à la promesse du retour des exilés de Judée
vers la terre ancestrale, après la destruction de Jérusalem, capitale
du royaume du Sud, en -586. Catastrophe et espérance !

Critique du luxe et de l'injustice


Isaïe, issu de la bourgeoisie judéenne, s’en prend très souvent aux
gens de sa classe sociale. Il accuse en particulier les habitants de
Jérusalem qu’il compare aux habitants de Sodome pour leur inhos-
pitalité. Il condamne sans appel l'injustice, la prévarication, le
luxe excessif des femmes mondaines, tout en dénonçant les cultes
païens totalement introduits dans la société, telles la magie, la
nécromancie et la divination. Il ne reconnaît plus le peuple d'Israël
qui devrait incarner humblement sa vocation de peuple de Dieu,
en tant que lumière spirituelle au sein des nations (Is 49, 6).
Mais Dieu étant le Dieu de l'humanité tout entière, Isaïe s’en
prend aussi aux peuples du Proche-Orient antique. La Syrie, Tyr
et surtout Babylone, les instruments du Ciel pour punir Israël de
son inconduite, seront à leur tour châtiés pour leur excès de cruauté
à l'égard des Israélites du Nord et des Judéens du Sud.
Si le livre d’Isaïe s’ouvre sur des propos cinglants (« J’ai fait gran-
dir des enfants et eux Mont trahi... Le bœuf connaît son ache-
teur, l’âne l’auge de son maître, mais Mon peuple ne Me connaît
pas. »), les derniers chapitres changent de ton, en décrivant l’ère
du Messie. Le Messie attendu sera un descendant de David, il
apportera la paix de Dieu au cœur des nations, « et les hommes
n’apprendront plus la guerre ».

Le Messie

Le Messie, en hébreu machiah, a reçu l'huile d'onction sur la tête afin d'être
distingué des autres hommes pour exercer un pouvoir. Dans la société hébraïque,
il existe deux « oints » : le prêtre (pouvoir religieux) et le roi (pouvoir politique),
c'est de ce dernier que parle Isaïe. Le judaïsme croit dans un Messie qui viendra à
la fin des temps pour rassembler les tribus d'Israël et inaugurer un monde pacifié
et monothéiste.

126 La Torah
Le vrai jeûne de l'Éternel
Le passage que nous avons choisi occupe une place singulière dans
la liturgie israélite, puisqu'il est lu le jour de Kippour, à l’office du
matin (Paprès-midi a l'honneur du livre de Jonas). Kippour signi-
fie « expiation » ; en ce jour, la communauté juive jeûne durant
vingt-cinq heures de la veille au coucher du soleil au lendemain
à la sortie des étoiles. La date hébraïque de cette fête correspond
au 10 du mois de Æichri. Selon la tradition, c’est à cette date que
Dieu pardonna la faute du veau d’or (Ex 33-34). Depuis, Kippour
a été établi en jour du repentir (#chouva), de retour vers Dieu, et
surnommé communément « jour du grand pardon ».
Situons le contexte de notre passage : Isaïe se trouve dans le
Temple de Jérusalem. Durant cette solennité, le grand prêtre
(cohen gadol) effectue le culte sacrificiel et pénètre exceptionnel-
lement dans le lieu interdit à tout homme : le Saint des saints.
Il y prie pour le bonheur matériel et spirituel du peuple d'Israël.
La foule nombreuse assiste à ce cérémoniel conforme au livre du
Lévitique (Lv 16). Le prophète entend les supplications adressées
à l'Éternel : « Pourquoi jeûnons-nous, sans que Tu t’en aperçoives ?
Mortifions-nous notre personne, sans que Tu le remarques ? » Le
peuple attend la protection divine contre la menace babylonienne,
mais les nouvelles n’augurent rien de bon. Isaïe reçoit l'inspiration
divine et, à l’instar de tous les prophètes, il ne peut plus taire sa
voix. Alors, sans craindre la riposte du public, Isaïe exprime l’un
des textes les plus puissants de la Bible.
Il commence par dénoncer un culte mécanique, sans âme et sans
cœur. Pire, le jour du jeûne, certains lèvent le poing, insultent leurs
voisins. Mais, surtout, la situation sociale reste inchangée : les riches
continuent de s'enrichir en écrasant les pauvres. Si, pour la Bible,
la richesse ne fait pas scandale, car elle est bénédiction divine, la
pauvreté, elle, reste toujours scandaleuse. Les hommes auraient-ils
oublié tous les appels à l'équité formulés dans la Torah : « ton frère
vivra avec toi » (Lv 25, 36), « tu ouvriras ta main » (Dt 15,8 et 11),
et tant d’autres ? Dans les cités judéennes, des hommes ont faim,
ont froid, sont spoliés de leurs biens vitaux. Ici, dans le sanctuaire,

Chapitre 3. Néviim ou le livre des Prophètes 127


des hommes jeûnent, se mortifient durant vingt-cinq heures. Mais
que signifie véritablement jeûner ? Quel sens donner à cette morti-
fication, à cette privation de nourriture et d’eau ? Une ascèse pour
se faire absoudre ? Une privation pour gagner son paradis, et être
inscrit dans « le livre de la vie » ? Isaïe va balayer cette théorie d’un
grand revers de main. Le rituel de Kippour vise une autre finalité :
il ne s’agit pas de se faire bien voir par Dieu, mais de bien voir son
prochain nécessiteux.
Le jeûne de Kippour permet, durant une journée complète, de vivre
la condition de l’indigent, d’avoir faim comme lui, soif comme lui.
Renversement copernicien ! Le véritable jeûne de l'Éternel consiste
à nourrir l’affamé, à habiller le nu, à offrir un toit à l’errant de la
ville. Pour Isaïe, la relation verticale avec le Ciel ne peut se couper
d’une relation horizontale avec la terre et ses problèmes concrets.
Comment l’homme pourrait-il obtenir son salut tout seul, en
oubliant son frère dans le besoin ? Tel est le texte qui résonne de
génération en génération dans toutes les synagogues du monde aux
oreilles des fidèles, durant ce saint jour.
Certes, il ne s’agit pas pour Isaïe de réformer le judaïsme en suppri-
mant le jeûne ou d’autres rites. Non, et pour le judaïsme, le rituel
restera toujours central, mais à condition de lui donner son sens
plein et entier, à savoir une prise de conscience de la responsabilité
de l’homme vis-à-vis de l’homme. C’est à l’aune de cette exigence
éthique que la religion pourra parler à tout sujet humain, croyant
ou non croyant, puisque la fraternité sera toujours sauve.

Jérémie, lamentations et espérance

Ainst parle l’Éternel des armées (du cosmos), le Dieu d'Israël, à toute
la diaspora que J'ai dispersée de Jérusalem à Babylone : Bâtissez des
maisons et habitez-les ; plantez des jardins et mangez-en lesfruits ;
prenez des femmes et engendrez des fils et des filles ; prenez des femmes
pour vos fils et donnez vos filles à des hommes ; qu’elles enfantent des fils
et des filles ; multiphiez-vous là-bas et ne diminuez pas ! Et recherchez
la prospérité du pays où Je vous ai déportés et priez lÉternel en sa

128 |La Torah


Javeur car de sa prospérité dépend votre prospérité. Car ainsi } parle
l'Éternel des armées, le Dieu d'Israël :Ne vous laissez Pas duper par
V0s prophètes qui sont au milieu de vous, ni Par vos devins ;ef n'écoutez
pas les songes qu'ils songent. Car c'est mensongèrement qu'ils vous
Prophétisent en mon nom ;Je ne les ai pas envoyés — oracle du Seigneur.

Car ainsi parle ! Éternel : Dès que soixante-dix ans seront accomplis
pour Babylone, Je vous visiterai et Je réaliserai pour vous ma bonne
parole, en vous faisant revenir dans ce lieu. Car moi Je sais les projets
que Je projette pour vous — projets de prospérité et non de malheur,
pour vous donner un avenir et une espérance. Alors, quand vous
M'invoquerez et que vous viendrez Me prier, Je vous écouterai ;
quand vous Me chercherez, vous Me trouverez, car vous Me
rechercherez de tout votre cœur ;Je me laisserai trouver par vous —
oracle du Seigneur — Je changerai votre sort et Je vous rassemblerai de
toutes les nations et de tous les lieux où Je vous aurai chassés — oracle du
Seigneur. Je vous ferai revenir dans le lieu d'où Je vous ai déportés.
Jérémie 29, 4-14

Les trois grands prophètes d'Israël


Nous avons déjà mentionné la place singulière occupée dans la
Bible par les trois grands prophètes: Isaïe, Jérémie et Ézéchiel,
chacun offrant un livre du canon, alors que les discours des douze
« petits » prophètes, d'Osée à Malachie, ne constituent qu'un livre.
Si les qualificatifs « grands » et « petits » ne désignent pas le
degré prophétique des personnages mais le nombre plus ou moins
important de chapitres légués à la postérité, il semble clair que
cette répartition en 3 et 12 n'est pas accidentelle. En fait les maîtres
de la Synagogue ont voulu reproduire le schéma de la Genèse qui
parle des trois patriarches et des douze fils de Jacobà l’origine des
douze tribus d'Israël (lÉglise reprendra cette thématique avec la
Trinité et les douze apôtres). Se dessine là une structure fondatrice
qui évoque un socle sur lequel se construit un édifice religieux pour
une communauté de croyants.

Chapitre 3. Néviim ou le livre des Prophètes 129


Le Talmud (TB Baba Batra 14 b) propose une lecture globale du
contenu des ces trois prophètes : Jérémie est tout entier destruction
(car il traite de la destruction de Jérusalem) ; Ézéchiel est, au début,
destruction et, à la fin, consolation (il commence par la destruction
de Jérusalem et s'achève par la vision du Temple futur) ; Isaïe est
tout entier consolation : Il décrit le monde messianique.
L'agencement va de la réprimande de Jérémie à la réprimande
de début d'Ézéchiel, et de la consolation de la fin d'Ézéchiel à la
consolation d’Isaïe. Cette manière de s'exprimer vient enseigner
que la réprimande et la consolation sont enchevêtrées l’une dans
l’autre. Il n’y a de consolation que sur la base d’une réprimande qui
possède la puissance d’éveiller les hommes au repentir, à l’'amélio-
ration de leur conduite. La consolation n’existe que conditionnel-
lement. Pour les rabbins, le mérite de la consolation n’est pas offert
gratuitement, il s’agit de le conquérir.

Un prêtre hors du Temple


Le premier verset du livre de Jérémie nous apprend que celui-ci
était prêtre, cohen (voir page 90), descendant d’Aaron, le grand
frère de Moïse. Sa vie aurait pu rester circonscrite à l’espace du
Temple de Jérusalem (sacrifices, bénédictions pontificales, ensei-
gnement de la Torah), mais il n’en fut rien. Car, en plus de cette
distinction héréditaire, Jérémie apprend sa consécration divine
en tant que prophète des nations depuis le sein maternel. Sa vie
se partagea donc entre ses fonctions de pontife et son implica-
tion dans la vie politique. Il assista au déclin du royaume du Sud,
le royaume de Juda, en même temps que la puissante Babylone
supplantait l'Assyrie. Il assista à l’arrivée des troupes de Nabucho-
donosor à Jérusalem qui pillèrent dans un premier temps les objets
du Temple, jusqu’à la destruction de la capitale davidique et lin-
cendie du Sanctuaire. Son livre des Lamentations dépeint en cinq
chapitres déchirants ce qu’a représenté cette grande catastrophe
nationale. Ce discours poignant a donné en français jérémiades.

130 La Torah
Pourtant, jusqu’au bout, Jérémie restera confiant en l'avenir, espé-
rant que la classe dirigeante, le roi, les juges, ses frères prêtres se
ressaisiraient en abandonnant la corruption et l'orgueil du pouvoir.
Son combat pour une plus grande justice sociale rencontra une
difficulté supplémentaire en la présence d’un prophète qui annon-
çait le bonheur, alors que lui, Jérémie, alertait la nation du danger
imminent représenté par Babylone. Ce prophète se nommait
Hanania, fils d'Azur.

Les actes symboliques

Pour mieux situer ce conflit entre les deux hommes, il nous faut
parler ici de la communication prophétique. Le prophète, en tant
que porte-parole du Ciel, doit pouvoir se faire entendre par ses
contemporains dans un temps où « la transmission de l'info » reste
grandement limitée. À défaut de disposer d’un organe de presse, le
prophète use de signes et d’attitudes symboliques. On se souvient
que Moïse et Aaron se présentèrent devant le pharaon et sa cour,
en jetant à terre un bâton qui devint serpent, dévorant les deux
reptiles du roi d'Égypte (Ex 7, 10). Par-delà le miracle, l’'Hébreu
voulait mettre en garde le pharaon, dont l'emblème totémique
était le serpent, et lui signifier que sa couronne pouvait vaciller
devant le pouvoir de l'Éternel.
Dans ce même esprit, Jérémie se voit contraint par Dieu de tremper
sa ceinture neuve dans un fleuve jusqu’à pourrissement. Présentant
ensuite cette ceinture détériorée aux yeux de la foule, le prophète
exprimera son oracle contre Samarie et Juda, les deux royaumes
qui furent si proches de Dieu comme la ceinture sur les reins, mais
qui finirent par se corrompre.
Lorsque dans l'enceinte du Temple Jérémie rencontre Hanania en
présence des prêtres et d’un peuple nombreux, notre héros porte
sur ses épaules un joug, nouveau symbole de la domination babylo-
nienne. Hanania prophétise que dans deux ans la puissante Baby-
lone tombera et que les objets du Temple seront rendus. En signe
d'assurance, Hanania brise au sol le joug de Jérémie. Ce dernier,

Chapitre 3. Néviim ou le livre des Prophètes |131


n'ayant reçu aucun oracle dans ce sens, s’en remet à cette dernière
parole, tout en exprimant quelques réserves au regard de la situa-
tion politique. À peine sorti du Temple, Jérémie reçoit la parole
divine qui dénonce les propos fielleux de Hanania et sa mort dans
l’année, pour confirmer le contre-oracle de Jérémie. Ceci se réali-
sera (Jr 28).
Cet épisode met en évidence les tensions qui devaient exister
entre les prophètes de cour qui caressait le pouvoir dans le sens du
poil, dénommés « prophètes de mensonge », et les prophètes de
l'Éternel qui prenaient le risque de dénoncer ouvertement les abus
des dirigeants. On comprend alors que Jérémie, perçu comme un
trublion, connut les geôles royales et un risque de lynchage. On
pourrait appliquer à cette situation ce couplet du chanteur Guy
Béart : « Ma chanson a dit la vérité,je vais être exécuté. »

L'espérance de Jérémie
Finalement, Jérémie ne fut pas écouté. Lui qui proclama aux diri-
geant du peuple : « Servez le roi de Babel et vivez ! » ne trouva que
des oreilles sourdes. Jérusalem et son Temple furent détruits, et la
population rescapée exilée en Babylonie.
Nonobstant la formule talmudique qui n'entend du discours de
Jérémie qu'une longue réprimande, Jérémie annoncera l’après-
catastrophe : au bout de soixante-dix ans, l'Éternel se souviendrait
de son peuple et le ramènerait sur sa terre ancestrale. Jérémie, lui
qui dénonça toutes les failles morales de la société judéenne, qui
osa comparer le Temple à « un repaire de brigands » et Israël à une
épouse infidèle, voire à une prostituée, trouva les mots justes pour
redonner courage aux déportés. Que leur disait-il en substance ? De
construire des villes, de planter des vergers, de fonder des foyers, de
marier les enfants. En d’autres termes, la vie ne doit pas s'arrêter sur
le passé, aussi tragique fût-il. Jérémie demanda même de prier pour
la paix de Babylone, car « par sa paix, vous aurez la paix ». Cette
requête est d’ailleurs à l’origine de la prière récitée aujourd’hui dans
les synagogues françaises, nommée « prière pour la République ».

132 La Torah
La promesse du retour se réalisera avec la victoire de la nouvelle
puissance perse, Cyrus accordant aux Judéens de son royaume
l'autorisation de construire le second Temple. L’exil ne sonna donc
pas le glas d'Israël ; et telle la graine dans son terreau, une nouvelle
germination se préparait.

Ezéchiel, la passion de Dieu

C'est le pécheur qui mourra, maïs lefils ne portera pas la faute du père
et le père ne portera pas la faute du fils, la justice du juste est imputable
au juste et la méchanceté du méchant au méchant. Mais si le méchant
revient de toutes les fautes qu'il a commises, qu'il observe Mes lois et
pratique le droit et la vertu, il vivra et ne mourra pas. Aucune faute
qu'il a commise ne lui sera imputée ; grâce à la justice qu'il a pratiquée
1] vivra. Est-ce que Je souhaite la mort du méchant ? dit le Seigneur
Dieu. Je préfère qu'il revienne de sa conduite et qu'il vive !
Ézéchiel 18, 20-23

Entre le Temple et l'exil


Si Jérémie reste dans la mémoire biblique le prophète de la destruc-
tion du Temple, son contemporain Ézéchiel (Yéhezkel, « Dieu rend
fort ») sera celui de l’exil, puisque l'essentiel de son activité se
déroulera en Babylonie.
Ézéchiel, prêtre comme Jérémie, naît et grandit en terre de Judée
alors que le roi Ézéchias tente sa grande réforme religieuse pour
chasser l’idolâtrie et les cultes syncrétiques qui combinent la foi
hébraïque et la religion cananéenne. Tué lors de la bataille de
Megiddo (-609), sa réforme avorte. Ses successeurs acceptent
pour un temps la tutelle de Babylone, vainqueur de l'Egypte à
Karkemish.
Après quelques années d’accalmie, la tentative de révolte du roi
Joaquim se retourne en reddition de Jérusalem (-597), suivie de la
déportation du roi et d’une partie des Judéens à Babylone. Sédécias,

Chapitre 3. Néviim ou le livre des Prophètes |133


son successeur, risquera la même démarche, ce qui entraînera cette
fois la destruction de Jérusalem, de son Temple et une nouvelle
déportation en -586.
Ézéchiel fut-il de la première ou de la seconde vague de l'exil, les
avis divergent, mais du lieu où il se trouvait, il proposa, comme
Jérémie, la soumission à Babylone, jusqu’à ce que l’orage passe. Sa
voix se perdra dans le désert.
Il reste que l'essentiel de son sacerdoce se déroule en Babylonie
dans la ville de Tel-Aviv (en babylonien « mont de la Tempête »,
mais en hébreu « mont du Printemps », nom repris par les fonda-
teurs de l’État moderne d'Israël). Là, il reçoit ses plus grandes
visions : la vision fantastique du char divin (Merkava) des premiers
chapitres ; le siège et la chute de Jérusalem (Ez 8-11) ; la vallée des
ossements desséchés et reconstitués (Ez 37) ; la reconstruction du
troisième Temple (Ez 40-48).
De manière générale, son livre présente un parallélisme frap-
pant avec le plan tripartite d’Isaïe. Dans les chapitres 1 à 24, il
exprime ses accusations contre les royaumes de Juda et d'Israël
(Is 1-12) ; dans les chapitres 25 à 32, les charges contre les nations
(Is 13-27) ; des chapitres 33 à 48, il annonce la gloire future
d'Israël (Is 28-66).
Il faut cependant reconnaître qu’Isaïe exprime une vision
messianique hautement universelle contre un Ézéchiel, « judéo-
centrique », qui garde une nostalgie permanente de Sion (Jéru-
salem). Cet attachement indéfectible à son peuple et à sa terre a
alimenté la plume de ceux qui ont vu en lui un zélé de Dieu, voire
un fanatique.

Un prophète passionné
Quel prophète biblique n’est pas plus ou moins passionné, voire
fanatique ? Ce serait faire fi du caractère oriental de ces hommes
(ou femmes). Oui, Ézéchiel, comme Élie ou Moïse, nourrit un
amour ardent et illimité pour son Dieu, et conséquemment pour
Son peuple, Sa terre et Son sanctuaire. Au nom de cet amour

134 |La Torah


indéfectible qui n'appelle nul compromis, le prophète se voit
contraint de condamner le peuple infidèle qui devra connaître la
destruction, l’exil, avant son retour glorieux ; tel est, par exemple, le
sens de la vision des ossements desséchés et ressuscités. La justice
divine sonne le châtiment, soit, mais la miséricorde de Dieu offrira
les consolations futures.
Cette passion pour Dieu, Ézéchiel en fait l'expérience dans son
âme, dans son corps ; incontestablement, il somatise. Sa première
prophétie entraîne un véritable mutisme de plusieurs jours. Il lui
faut alors consommer un livre tendu par Dieu (Ez 3), comme s’il
devait être totalement sevré de la parole divine, avant de pouvoir à
nouveau communiquer et agir. Même la mort de sa femme, « délice
de ses yeux » (24, 15 à 24), n'entraîne nulle larme ou lamentation.
Son deuil, il le porte dans un soupir silencieux, tout en le transfor-
mant en une prédication de malheur pour les Judéens.
D'ailleurs, chez Ézéchiel, la vie, la mort, la parole, le corps, tout
devient vecteur du discours. Ainsi, pour annoncer le siège de
Jérusalem, il se couche devant une brique, 190 jours sur le côté
gauche pour les crimes du royaume du Nord et 40 jours sur le côté
droit pour les fautes du royaume du Sud. Durant cette période, il
devra consommer des galettes d’excréments, allusion à la dernière
nourriture des assiégés (Ez 4). On le constate une fois de plus,
le prophète vit avec Dieu, il vit Dieu dans son existence même,
intime ; il ne se possède plus, il est possédé par l'Éternel.
Est-ce cette même passion qui donne à Ézéchiel le sentiment de
léviter depuis les fleuves de Babylone, au-dessus des déserts arides
jusqu’à la cité jérusalémite ?
Passionné de Dieu, Ézéchiel est tout aussi passionné de mots et
d'images dans le but de se faire aussi clair que possible pour son
auditoire ;il faut lire notamment son chapitre 16 où il use du voca-
bulaire le plus cru de la prostitution et de la perversion sexuelle
pour souligner les infidélités du peuple (chapitre qui donna beau-
coup d’embarras aux traducteurs 1. Cette passion amoureuse,
comme toute passion, a connu son déclencheur. Pour Ézéchiel, ce

Chapitre 3. Néviim ou le livre des Prophètes 135


fut sans nul doute sa première vision, celle du char divin s’éloignant
de Jérusalem dans le tumulte fracassant d’anges. Dès lors, la force
militaire de la puissante Babylone ne peut expliquer la destruction
de Jérusalem, si l'éloignement de l'Éternel n’avait précédé l’arri-
vée de Nabuchodonosor. La douleur de ce départ, ce déchirement
cosmique d’un Dieu qui abandonne Sa demeure à cause des fautes
d'Israël n'auront d’égal pour notre héros que la force de la consola-
tion, quand le char divin regagnera son ultime sanctuaire dans une
Jérusalem reconstruite. Passion pour passion, c’est la passion de la
consolation qui clôt le livre.

Responsabilité ndividuelle
Plus que tout autre prophète, Ézéchiel met l'accent sur la respon-
sabilité individuelle face à la loi divine : « Le fils ne portera pas la
faute du père et le père ne portera pas la faute du fils. »
À son époque, une autre doctrine, populaire celle-là, circule dans
les chaumières. On répétait : « Les pères ont mangé des raisins
verts et les dents des enfants ont été agacés », ce qui signifiait que
les enfants payaient pour la faute des parents. Le peuple pouvait se
sentir moins coupable en faisant remonter la faute aux générations
antérieures. Ézéchiel refuse catégoriquement cette conception de la
transmission des péchés. Pour lui, chaque nouveau-né possède un
casier judiciaire vierge devant le Ciel. Ce seront ses actions futures,
bonnes ou mauvaises, qui détermineront de la sanction ou de la
récompense qu'un homme mérite.
À cette doctrine, Ézéchiel ajoute un principe dont la source
remonte au Sinaï, quand l'Éternel pardonna la faute du veau
d’or (Ex 32, 14) : le principe de repentir (féchouva). Non seule-
ment l’homme possède un libre arbitre pour choisir entre le bien
et le mal, mais rien n’est jamais définitif dans une vie humaine.
Le contrevenant à la loi peut faire amende honorable et décider à
partir de ce moment de bien se conduire. Dès lors, le mal commis
se trouve annulé, « les compteurs sont remis à zéro », et l’homme
vivra devant Dieu. Par cette doctrine, il espérait autant souligner

136 La Torah
la responsabilité de ses contemporains que les éveiller à un sincère
retour vers Dieu. C’est d’ailleurs par cet appelà la vie:« Est-ce que
Je souhaite la mort du méchant ? dit le Seigneur Dieu. Je préfère
qu'il revienne de sa conduite et qu il vive » que s'achève la grande
solennité de Kippour, faisant d'Ézéchiel un prophète de l’espé-
rance pour toutes les générations.

Osée, le mari qui espérait l'être


Je lui ferai expier ces jours où elle encensait les dieux Baal, où, parée
de ses joyaux et de ses atours, elle courait après ses amants ef mot,
elle moubliait ! dit l'Éternel. C'est pourquoi Je veux la regagner, en
la conduisant dans la solitude, et là Je parlerai à son cœur. Là Je lui
rendrai ses vignobles, et la Vallée du Malheur deviendra comme la
Porte de l'Espérance. Elle y entonnera des chants comme aux Jours
de sa jeunesse, comme au temps où elle sortit du pays d É gypte. À
cette époque, dit l’Éternel, tu M appelleras:« Mon Époux »» ;; U
ne M'appelleras plus:« Mon Baal ». Je proscrirai de sa bouche ces
dénominations de Baal ; leur nom sera voué à l'oubli. À cette époque,
Je ferai un pacte en leur faveur avec les animaux des champs, avec
les oiseaux du ciel et les reptiles de la terre ; arcs, épées, tout attrrail
guerrier, Je les briserai dans le pays, et Je ferai en sorte que chacun
y dormira en paix. Alors, Je te fiancerai à Moi pour l'éternité ; tu
seras Ma fiancée par la droiture et la justice, par la tendresse et la
bienveillance ; Ma fiancée en toute loyauté, et alors tu connaîtras
l'Éternel.
Osée 2, 15-22

Étonnante existence humaine que celle du prophète Osée qui vivra


tout simplement. la condition divine. Mais, pour l'instant, décou-
vrons l’époque de celui qui inaugure le cycle des douze « petits »
prophètes. Prophète du royaume d'Israël au nord, Osée (Ochéa,
« Dieu sauve ») exerça sa mission durant le règne de Jéroboam II
(780-740 av. J.-C.). Aux yeux de notre homme, l’époque paraît
maussade et grise quand il constate les infidélités répétées des

Chapitre 3. Néviim ou le livre des Prophètes |137


Israélites au pacte du Sinaï. Le monothéisme mosaïque apparaît
bien suranné tant l'attraction du dieu Baal l'emporte de loin. Baal,
divinité cananéenne de la pluie et de l’amour, que l’on sert par la
prostitution sacrée auprès de prêtresses qui invitent les hommes,
derrière quelques bosquets, à offrir leur semence vitale afin que le
ciel envoie son ondée bénéfique. Et, comme souvent dans l’his-
toire, le culte des forces instinctuelles s'accompagne d’injustices
sociales, le riche s’enrichissant encore, et les pauvres s’appauvris-
sant toujours.
Le Dieu d'Israël se retrouve seul, oublié des descendants des
Hébreux qui avaient pourtant proclamé en recevant le Décalogue :
« Nous accomplirons et nous écouterons » (Ex 24, 7). Mais point
d’accomplissement et point d'écoute. Osée traîne sa douleur au
milieu de son peuple, ressentant en son âme une saumâtre amer-
tume : l’amertume même de Dieu.
Comment réveiller la foi d'Israël qui, pour la Bible, n’est pas un
don divin, mais une expression de la bonne volonté humaine ?
Comment réaliser cette requête oséenne : « Reviens, 6 Israël, jusqu’à
l'Éternel ton Dieu, car tu as trébuché par ton iniquité » (14, 2) ?
Dieu va proposer une solution : marier son prophète.

Créateur, Père et Époux


Nous avons parlé au sujet de Jérémie du signe prophétique comme
vecteur de communication et moyen de transmettre une leçon
aux contemporains : le bâton d’Aaron devenant serpent devant le
pharaon, la ceinture de Jérémie pourrissant dans les eaux du fleuve,
Ézéchiel restant coucher plusieurs jours devant une brique pour
symboliser le siège de Jérusalem. Avec Osée, le signe s’incarne
dans la vie la plus intime, puisque Dieu lui demande d’épouser
une prostituée, Gomer, fille de Divlaïm, qui lui donnera trois « fils
de prostitution ». L'Éternel imposera Lui-même les patronymes
hautement évocateurs : Vizréël, « Dieu plantera », du nom d’une
vallée de Samarie ; Lo Rouhama, « Non-Aimée » ; et Lo Ami,
« Non-Mon-Peuple ».

138 |La Torah


Pour pénétrer la dimension symbolique de ce surprenant mariage,
comprenons le rapport que le Dieu biblique établit avec son monde
en général et avec Israël en particulier. Au commencement de tout,
Dieu se présente en Créateur. La tradition rabbinique lui trou-
vera un synonyme : Roi de l'univers, car le Créateur, tel un roi,
édicte les lois des cieux et de la terre. Dans le livre de l’Exode, une
nouvelle dimension se fait jour, la dimension paternelle. En effet,
quand Moïse se présente devant le pharaon, il déclare au nom de
l'Éternel : « Mon fils, mon premier-né, Israël. » Qui dit premier-
né, dit d’autres enfants. Ces enfants sont les soixante-dix nations
nées à Babel ; et Israël, consacré par l’aînesse, devra assumer la
morale exigeante de la Révélation en tant que « nation de prêtres »
(Ex 19, 6).
Créateur, Roi, Père, les attributs divins auraient pu en rester là.
C’est oublier l'intimité qui relie Dieu et Israël, une relation mari-
tale. Si cette relation transparaît chez d’autres prophètes, avec
Osée, elle occupe la centralité de son discours, puisqu'elle traduit
son existence même. Dieu, le mari, et Israël, l'épouse. Entre eux,
la même formule qualifiant la relation originelle entre l’homme et
la femme : « aide en vis-à-vis ». Un couple marié au Sinaï, pour
le meilleur et (le plus souvent) pour le pire, sans possibilité de
répudiation.

Miroir du peuple
Osée marche dans les rue de Samarie avec Gomer, connue pour
son passé aventureux, précédés de leurs trois jeunes garçons aux
noms outranciers, que l’on rappelle quand ils s’éloignent trop. Ce
mariage bien réel exhale pourtant une aura d’allégorie. Les gens
parlent, les conciliabules vont bon train : que fait le prophète, le
saint de l'Éternel, avec cette femme aux amants multiples ? Et pour-
quoi avoir choisi de tels noms pour leurs enfants, quand l’histoire
juive en offre de plus beaux et de plus célèbres ? Aujourd’hui, un
tel couple alimenterait la presse people ! La réponse se trouve dans
le scandale même de ce mariage : Osée vit la condition de Dieu ; le
couple est le miroir d'Israël.

Chapitre 3. Néviim ou le livre des Prophètes 159


Voilà donc à quoi se trouve réduit le puissant Dieu d'Israël ? À
la condition d’un mari trompé, bafoué, humilié par une nation,
épouse infidèle, qui va satisfaire ses désirs auprès de ses amants, de
ses idoles, de ses Baal ?
Dans la Bible, prostitution et idolâtrie se ressemblent. Dans le livre
des Nombres (15, 39), un verset traduit mot à mot le prouve : « Et
vous ne vous détournerez pas après vos yeux et après votre cœur
par lesquels vous vous prostituez. » La même pulsion habite l’ido-
lâtre et le libidineux que l’histoire des sectes mettra d’ailleurs en
évidence.
Humilié le prophète, bafoué Dieu, et au peuple de comprendre la
déchéance de sa trahison. Les noms des fils annoncent alors un
bien sombre avenir.
La vallée de Vizréël (Jezréel) évoque le crime abject de la reine
Jézabel, la femme d’Achab, qui mit à mort l’innocent Nabot pour
lui voler sa vigne (I Rois 23), ainsi que l’inconduite du roi Jéhu qui
maintint le culte de Baal dans le royaume d'Israël (IT Rois 9-10).
« Non-Aimée » et « Non-Mon-Peuple » expriment quant à eux
l’'écœurement de ce Dieu exclusif qui souffre que Son amour ne
soit pas réciproque. Il est vrai que le Dieu biblique est divinement
passionné.
Mais ici encore, après la réprimande cinglante, le prophète laisse
entrevoir des jours meilleurs. Jouant sur le mot Baal, la divinité
cananéenne, et sa signification hébraïque de « possesseur », Osée
dépeint de nouvelles fiançailles entre Dieu et Israël : « En ce
temps, tu m'appelleras Mon époux (Jch), mais tu ne M’appelleras
plus mon possesseur (Baal). » L'époque messianique ? Les jours de
l'amour en vérité.

140 La Torah
Jonas, un prophète à convertir?
La parole de 1’Éternel fut adressée à Jonas, fils d'Amitaï, en ces termes :
« Lève-to1 ! Va à Ninive, la grande ville, et prophétise contre elle ;
car leur iniquité est arrivée jusqu'à moi. » Mais Jonas se leva pour
fuir à Tharsis, hors de la présence de !’Éternel ; il se rendit à Jafja,
où 1] trouva un vaisseau en partance pour Tharsis. IT paya le passage
et sy embarqua pour aller avec eux à Tharsis, loin de la Présence
de l'Éternel. Or, l'Eternel suscita un vent violent sur la mer et une
grande tempête s’y éleva ; le vaisseau pensa se briser. Les matelots
Prirent peur, et chacun d’invoquer son Dieu. Ils jetèrent à la mer les
objets qui se trouvaient sur le vaisseau afin de l'alléger. Pour Jonas,
1l était descendu au fond du navire, s’y était couché et profondément
endormi.

Un récit surprenant
Dans la série des douze « petits » prophètes, le livre de Jonas
occupe une place singulière. Les quatre chapitres de ce « suspense
biblique » nous présentent un prophète qui fuit sa mission, qui
refuse d'écouter Dieu, qui n'hésite pas à se cacher au fond d’un
bateau et qui, au terme de sa tâche, se permet de réprimander son
Créateur, jugé trop clément à ses yeux. Ni Moïse ni Job n'étaient
allés aussi loin dans la contestation.
Sans doute l’élément le plus pittoresque se trouve-t-il mentionné
au chapitre 2, quand Jonas va passer trois jours dans le ventre d’un
poisson, que la tradition populaire affirme être une baleine. Le
texte surprend si bien que les maîtres les plus orthodoxes y verront
une allégorie sur le rapport entre Israël et les nations, et sur la
valeur du repentir. C’est en raison de ce dernier thème que la Syna-
gogue a introduit la lecture de ce récit durant le grand jour solennel
de l’année juive : le jour de Kippour (voir page 28). C’est en effet
au cours de l'office de l’après-midi de ce jour de jeûne, quand les

12. Paru dans Tribune juive de septembre 2000, le texte est ici remanié.

Chapitre 3. Néviim ou le livre des Prophètes | 141


lieux de culte débordent de fidèles, que la voix d’un chantre fera
entendre selon la cantilation idoine les aventures de notre person-
nage grincheux et revêche.

La fuite de Jonas
Dieu s'adresse à Jonas et lui demande de partir à Ninive, capitale
de l’Assyrie, du fait de la méchanceté des habitants qui a atteint
son comble. Invariance biblique : l'Éternel ne peut rester indif-
férent à la haine, à la violence, à l'injustice, à l’exploitation des
pauvres et des faibles. Tout se passe comme si le mal s’accumulait
au fil des infractions jusqu’à former un amoncellement de malices,
finissant par rejoindre le trône divin.
On se souvient de la violence des contemporains de Noé qui
périront dans le Déluge (Gn 6, 13), ou des fautes répétées des
Sodomites qui entraîneront un autre déluge, de feu et de soufre
(Gn 19, 24). Même la conquête de Canaan est justifiée par les
abominations des Cananéens (Lv 18, 26 à 29). Dieu est patient,
mais Sa patience connaît des limites, quand les sociétés atteignent
à Ses yeux des points de non-retour.
Dieu se choisit donc un prophète pour mettre en garde les Ninivites,
les invitant à revenir de leurs mauvaises conduites, à faire féchouva,
c'est-à-dire à réaliser un authentique retour moral. Somme toute,
c'est bien là la fonction prophétique ! S'il peut décrire des visions
d'avenir, dépeindre les temps eschatologiques, le rôle du prophète
consiste d’abord à dire avant de prédire, à voir avant de prévoir.
Loin de se réduire à un devin ou un oracle, le prophète agit en tant
que contre-pouvoir dans la cité afin d'y proclamer les principes
moraux de l'Eternel, ici et maintenant.
Jonas ne l'entend pas de cette oreille. Et sans aucune justification,
l’appelé s'enfuit. Il descend vers le port de Jaffa et s’embarque pour
Tharsis, un ancien port de Cilicie (en Turquie actuelle). Pense-
t-il que le Dieu du ciel et de la terre n’est pas aussi Celui de la
mer ? La tempête qui se déchaîne va vite lui servir de leçon. Mais
alors qu'une panique générale s'empare de l'équipage, Jonas ne

142 La Torah
trouve rien de mieux à faire que de descendre en fond de cale pour
dormir. Sommeiller, quand les matelots tentent de regagner le
rivage ; rêver, quand les marins se battent physiquement contre les
flots déchaînés ; s’oublier, quand des bateliers, autant par esprit de
survie que par solidarité, œuvrent ensemble pour sauver leur exis-
tence. Epuisés, les matelots se tournent alors vers le Ciel, chacun
invoquant son dieu.
Une coutume ancienne conseille un tirage au sort pour connaître
le coupable. Le sort désigne Jonas (on croit entendre la comptine
« Il était un petit navire »). Découvert dans sa sombre cachette, il
est sommé par le capitaine de décliner son identité. Et là, Jonas
révèle à la cantonade ses origines : « Je suis hébreu, et je crains
l'Éternel qui a fait les cieux et la terre, et certes, je suis la cause
de ce malheur car je me suis enfui de devant Lui. » Le groupe
est retourné par cette déclaration, mais leur surprise atteint son
comble quand Jonas déclare : « Jetez-moi à la mer pour que la mer
se calme. » Non sans hésiter, les marins obtempèrent, et les eaux
retrouvent leur calme d’huile. Les compagnons de fortune offrent
alors des sacrifices au Créateur de l’univers. Une conversion au
monothéisme ? En tout cas, après la déclaration de Jonas, le texte
ne les appelle plus « marins » mais « hommes ».

De la mer à Ninive
Pendant ce temps, Jonas se retrouve avalé par un poisson (le texte
ne dit jamais aleine), dans le ventre duquel il passe trois jours. Du
fond des mers, le prophète exprime un psaume émouvant où il
reconnaît la toute-puissance divine. Subjugué (ou submergé) par
cette puissance, accepte-t-il enfin d’assumer sa mission ?
Vomi sur la terre sèche, l'Éternel lui parle une seconde fois, et là Jonas
se met en marche vers la capitale assyrienne. Autant son discours
est prolixe dans les entrailles de l'animal, autant ici son oracle se
réduit, en tout et pour tout, à cinq mots qu'il répète peut-être en
boucle : Od arbaïm yom véninvé néhépa'het, « Encore quarante jours,
Ninive retournée ». Jonas fait mouche : le roi de Ninive quitte son

Chapitre 3. Néviim ou le livre des Prophètes 143


trône, s'habille d’un cilice, décrète un jeûne pour les hommes et les
animaux. Ce troisième chapitre s’achève par ces mots : « Et Dieu
constata leurs comportements qu'ils revenaient de leurs mauvaises
conduites, et Dieu se ravisa du mal qu’Il avait décidé de faire et Il ne
le fit pas. » Le Talmud remarque : « Il n’est pas dit que Dieu vit leur
jeûne, mais Il vit qu'ils revenaient de leurs mauvaises conduites. »
La mortification reste un moyen, jamais une fin en soi.
Le dernier chapitre nous surprend encore. Jonas s’emporte contre
Dieu, trop magnanime à son goût. Dieu ne répond pas, mais Il va
d’une certaine manière se justifier. Jonas, accablé par un soleil de
plomb, défaille au point de demander la mort. En guise de réponse,
l'Éternel fait pousser un ricin qui couvre de son ombre bienfaisante
Jonas, qui s’endormira du sommeil du juste. Pendant la nuit, Dieu
suscite un vermisseau qui ronge l'arbre. Au matin, Jonas constate
le désastre, le cœur déchiré.
Le livre se termine par cette parole divine : « Tu as souci de ce ricin
qui ne t'a rien coûté, que tu n'as pas fait pousser, qu'une nuit a vu
naître, qu'une nuit a vu périr. Et moi Je n’épargnerai pas Ninive,
cette grande ville, qui renferme plus de douze myriades d'hommes,
incapables de distinguer leur droite de leur gauche, et un bétail
considérable ! »

L'ombre de Noé

Quelles pistes nous ouvre ce récit ? Tout d’abord, il veut mettre


en garde contre l’intransigeance religieuse incarnée par Jonas.
En hébreu, son nom complet est évocateur : Yona ben Amitaï,
« Colombe fils de mes Vérités ». Jonas se prend peut-être pour la
colombe blanche, symbole de pureté et d’innocence ; et qui plus
est, attaché aux vérités d'Israël qui font que les autres peuples,
surtout s'ils sont des ennemis jurés, n'existent pas. Or Dieu oblige
Jonas à partir au milieu des pécheurs afin qu’ils se repentent.
Mais Jonas, Yona, « Colombe », nous fait penser à une autre
colombe : celle que Noé envoie depuis son arche pour savoir si les
eaux du déluge ont diminué. Pourquoi ce déluge ? Car « l'Éternel

144 La Torah
se ravisa d’avoir fait l’homme » du fait de la méchanceté de son
cœur (Gn 6, 6). Noé entend le verdict et construit son arche, « sans
verser une larme », dit un midrach. Mais Dieu veut-il la mort du
pécheur ? Par ailleurs, le prophète Ézéchiel (18, 23) n'a-t-il pas
proclamé au nom du Ciel : « Je ne désire pas la mort du pécheur
mais qu'il revienne vers Moi et qu’il vive. »
Ici Dieu essaye une nouvelle stratégie de salut : choisir un émissaire
pour faire revenir les pécheurs, et le verset de confirmer : « Dieu
se ravisa du mal qu'il avait voulu faire, et Il ne le fit pas. » Dieu se
ravise dans l’autre sens comme si le récit de Jonas se présentait
en contre-récit du déluge. On remarquera d’ailleurs que dans ce
texte, personne ne périt, ni homme ni animal, alors que le déluge
recouvre l'humanité et les bêtes.
Jonas aurait dû être un nouveau Noé plus compréhensible qu'il ne
sera, et à défaut de se retrouver dans une arche au-dessus des eaux,
il se retrouvera dans le ventre d’un poisson au milieu des mers.
Ce Jonas restera longtemps enfermé dans son intransigeance,
symbolisée par ses descentes depuis Jaffa jusque dans son
sommeil, comme s’il se disait : « Après moi le déluge. » Il attendra
la destruction de Ninive qui ne viendra pas, puisque l'Éternel a
pardonné. C’est alors qu’il recevra lui aussi sa leçon à travers le
ricin bienfaisant rongé en une nuit. Jonas sera un prophète malgré
lui, humanisant des marins idolâtres, ramenant sur le droit chemin
des Ninivites fauteurs. Au bout du compte, il lui fallait réaliser sa
propre conversion, acceptant que le Dieu de justice soit aussi Je
Dieu d'amour.

Malachie, encore une parole

Pour vous qui révérez Mon nom, se lèvera le soleil d'équité, portant le
salut dans ses TayONs ; el VOUS paraïtrez, et vous vous ébattrez comme
de jeunes taureaux sortant de l'étable. Et vous foulerez les méchants
qui se réduiront en poussière sous la plante de vos pieds au jour que je
prépare, dit l'Éternel des armées. Souvenez-vous de la Loi de Moïse,

Chapitre 3. Néviim ou le livre des Prophètes | 145


Mon serviteur, à qui J'ai signifié, sur le Horeb, des statuts et des
ordonnances pour tout Israël. Or, Je vous enverrai Elie, le prophète,
avant qu'arrive le jour de l’Éternel, jour grand et redoutable ! Lui
ramènera le cœur des pères à leurs enfants, et le cœur des enfants à leurs
pères, de peur que Je n'intervienne et ne frappe ce pays d'anathème.
Malachie 3, 20-24

Le dernier prophète
Malachie (Mala’hi, « Mon émissaire ») sera le dernier prophète
canonisé de la Bible. Après lui, le phénomène prophétique s'éteint.
Certes, le Talmud rapporte des révélations divines faites à certains
maîtres, de même que la Kabbale, la mystique d'Israël, témoigne
de visions accordées à quelques êtres d'élite. Mais pour les rabbins,
il s’agit de comprendre que le phénomène prophétique, en tant
qu'événement universel de communication entre le ciel et la terre,
connaît son terme ; ce qui ne signifie pas que des annonces indivi-
duelles n'aient pas pu avoir lieu ici et là. Ils proposent d’ailleurs ce
découpage de l'Histoire :

On a appris dans la maison d'étude du prophète Élie que le monde


durera 6 000 ans : 2 000 ans de tohu-bohu ; 2 000 ans de Torah ;
2 000 ans de jours messianiques.
TB Sanhédtrin, 97a

Les « 2 000 ans de tohu-bohu » coïncident avec l’histoire, depuis


Adam jusqu’à Babel, quand l’humanité vivait sans la révélation
divine. Les « 2 000 ans de Torah » correspondent au temps de la
prophétie, d'Abraham à Malachie, avec en point d'orgue la théo-
phanie du Sinaï. Enfin, les deux derniers millénaires, éclairés par
les prophéties antérieures, offrent la possibilité de voir l'avènement
messianique.
Ainsi, la période de la révélation prophétique dans son ampleur
touche à sa fin, et Malachie va en constituer la conclusion.

146 La Torah
Nous ne savons rien de la vie de ce prophète hormis que son minis-
tère se déroula après la construction du second Temple de Jérusalem,
vers le v° siècle avant l’ère chrétienne. Certains rabbins du Talmud
ont vu en Malachie l’autre nom d’Esdras, le grand organisateur du
culte au retour de l'exil. Selon l’exégète espagnol Abraham ibn Ezra
(voir page 46), rien ne prouve cette allégation.
Nous retiendrons des trois chapitres que nous lègue Malachie
quelques leçons qui rendent l'esprit de ce prophète.

Le culte des nations


Au début, Malachie tance les prêtres du nouveau Temple à peine
sorti de ses cendres. Les descendants d’Aaron, frère aîné de Moïse,
héritiers de la haute fonction sacerdotale, ne paraissent pas très
consciencieux dans l’accomplissement des rites. La négligence et
le laisser-aller semblent d’ailleurs partagés avec le peuple qui offre
des bêtes malades, boiteuses, aveugles, contrairement aux prescrip-
tions pointues du Lévitique. Pire, chacun proclame : « Il n’y a pas
de mal ! » Devant cet irrespect généralisé de Dieu, le prophète
va présenter un argument choc : « Du lever au coucher du soleil,
Mon nom est grandi parmi les nations, et en tout lieu on présente
à Mon nom un encens fumant. »
Mais le peuple d'Israël n'est-il pas présenté comme le seul mono-
théiste dans cet univers antique polythéiste ? La guerre des
prophètes ne fut-elle pas menée contre les faux dieux ? Que veut
donc dire Malachie ?
L'aide d’exégètes traditionnels nous sera utile. Rachi tout d’abord
glose :

« Même l'idolâtre sait qu'il existe un Dieu au-dessus de ses divinités,


aussi lorsqu'il présente son offrande à son dieu, son intention n'est pas
éloignée du Dieu un.»

Idée originale : l’idolâtre souffre d’amnésie. Il sait, inconsciemment,


sans trop se l'avouer, qu’existe le Dieu des dieux. Cette concep-
tion trouve sa source dans la littérature rabbinique qui conçoit des

Chapitre 3. Néviim ou le livre des Prophètes 147


premiers hommes monothéistes ; puis, à partir d’Enoch (Gn 4, 26),
l'humanité commence à diviniser les forces de la nature jusqu’à en
oublier le Créateur de ces forces.
Pour Malachie, cette simple intention occultée, associée à la ferveur
qui se dégage des temples païens, est un argumentaire suffisant
contre la paresse d'Israël.
Abraham ibn Ezra, déjà cité, présente deux interprétations diffé-
rentes mais singulières :

L'Eternel déclare : si Je demandais aux nations paiennes de Moffrir


des sacrifices honorables accompagnés d'encens, Je suis certain qu'elles le
feraient avec abnégation écoutant Ma voix pour grandir Mon nom.

Il est clair pour Abraham ibn Ezra que les idolâtres restent des
idolâtres ; 1l suffirait cependant que l'Éternel se révélât à eux pour
que ces derniers concurrencent haut la main la froide religiosité des
Judéens. Raisonnement par l’absurde qui pourrait fonctionner, avant
d’ajouter cette explication entendue de la bouche d’un sage espagnol :
L'Eternel envisage que tous les rites 1dolâtres opposés pourtant à Sa
propre révélation sont à considérer comme si les nations, du lever au
coucher du soleil, ne servaient que Dieu.

On n'aura jamais été aussi loin : un prophète monothéiste louant


un culte païen ! Selon cette dernière lecture, ce ne serait pas le rite
en lui-même que l'Éternel jugerait, mais la sincère dévotion des
polythéistes qui se seraient finalement fourvoyés dans de mauvais
chemins tels des enfants perdus.
Résumons ces lectures ! En reconnaissant dans les rites païens une
ferveur authentique, Malachie donne une légitimité aux autres
religions. La piété des nations est authentique et respectable. À la
limite, quelle que soit la foi considérée, tant qu’elle n’entraîne pas
la mort de l’homme, elle sera agréée par Dieu.
Quelle belle leçon du dernier prophète biblique qui préfigure déjà
le dialogue interreligieux !

148 La Torah
De Moïse à Élie
Le conflit des générations est évoqué par Malachie en conclusion
de son discours. Rien ne garantit qu’un enfant suive les traces de ses
géniteurs. Déjà, la Bible présente Abraham en personnage extra-
verti, contre l'introversion de son fils Isaac. L'interprétation psycha-
nalytique de la ligature d’Isaac (Gn 20) s'entend d’ailleurs comme
le dépassement d’une rivalité latente entre le père et le fils.
Malgré ce conflit toujours possible entre les parents et les enfants,
entre les rationalistes et les mystiques, entre les Anciens et les
Modernes, « la Torah de Moïse » ne doit pas être oubliée. Elle
constitue « l’héritage de la maison de Jacob » (Dt 33, 4), le bien le
plus précieux d'Israël.
Pour les sages (Midrach, Dévarim Rabba), cette désignation
« Torah de Moïse », et non « Torah de l'Éternel », honore le grand
prophète : « La Torah est nommée de celui qui a investi toute son
âme pour la recevoir.» La leçon mérite d’être méditée par chaque
génération. Bien entendu, ce souvenir de la Torah de Moïse ne
signifie pas rester prisonnier du passé des pères. Chaque généra-
tion, avec son questionnement, pourrait faire bouger le discours,
l'adapter à sa modernité, tout en restant fidèle à l'esprit qui lui
donna vie.
Malachie reste pourtant conscient que le conflit entre les
hommes ne sera pas résorbé avant la fin des temps ; notre monde
restera celui des tensions entre pères et fils, des conflits de géné-
rations. Ici c’est l’image d’un autre prophète, celle d'Élie, qui
est évoquée. Celui qui usa de trop de violence au nom de Dieu
(voir page 119) reviendra pour la paix des cœurs, réconciliant les
lignées humaines.
De Moïse, le grand prophète de la révélation, à la parousie d'Élie,
annonciateur d’un monde nouveau, Malachie boucle la boucle de
la cohérence biblique. Tout est dit, suffisamment dit en tout cas.
Et déjà un autre temps voit le jour, non plus celui de la prophétie,
mais celui de la sagesse, fille de la raison, dans l'attente des jours
heureux de l'humanité.

Chapitre 3. Néviim ou le livre des Prophètes 149


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CHAPITRE 4

KÉTOUVIMOU
LE LIVRE DES ÉCRITS
Au programme

+ Les livres poétiques


+ Les livres sapientiaux

Tandis que la Torah de Moïse reprend en grandes parties les « mots »


mêmes de Dieu, tandis que le livre des Prophètes se compose des
hauts faits d'Israël et des oracles prophétiques, le livre des Écrits
donne une plus grande part aux mots des hommes, certes inspi-
rés par Dieu. Si le degré d'inspiration divine reconnue aux Écrits
est moindre que celui des deux livres précédents, poésie et sagesse
confèrent à ces textes en prise avec la réalité quotidienne une place
toute particulière dans la lecture personnelle et collective des croyants.
Notons que dans ce chapitre, dans un souci d'organisation, nous
n'avons pas respecté l’ordre chronologique des livres (voir page 36).
» / ? . . .

Les livres poétiques


Si Dieu se fait plus discret dans les textes qui suivent, Il n’en est pas
absent pour autant. Simplement, Il laisse aux hommes la parole et
les gestes. Plus qu'ailleurs, les rythmes et les images sont convo-
qués par les auteurs pour mieux communiquer leurs émotions,
leurs sentiments intimes et leurs désirs, à l'évocation du nom du
Dieu présent en toute chose et, surtout, en tout être. Ce n'est plus
Dieu qui s'affirme, ce sont les hommes qui en parlent et dressent
de Lui comme un portrait en creux.
Les Psaumes

L'Éternel est mon berger, je ne manquerai de rien. Dans de verts


pâturages, 1l me fait camper, 1] me conduit au bord d'eaux paisibles. Il
restaure mon âme, me dirige dans les sentiers de la Justice, en faveur
de son nom. Dussé-je suivre la sombre vallée, je ne craindrais aucun
mal, car tu es avec moi. Ta houlette et ton bâton sont ma consolation.
Tu dresses la table devant moi, à la face de mes ennemis ; {u parfurmes
d'huile ma tête, ma coupe est pleine à déborder. Oui, le bonheur et la
grâce maccompagneront ma vie durant, et jhabiterai de longs jours
dans la maison du Seigneur.
Psaume 23

De Moïse à David
Le livre des Psaumes est associé à la figure du roi David. Bien que
l'on y trouvât d’autres noms d’auteurs (Moïse, Salomon, Assaf.…),
le grand roi d'Israël y a laissé une empreinte indélébile. Face au
guerrier qu'il fut durant une bonne partie de son existence, l’image
du souverain composant sur sa lyre des louanges à l'Éternel l’a
emporté dans la ferveur populaire.
Le livre des Psaumes, ou 7éhélim, est traditionnellement divisé
en cinq livres, comme la Torah. La Bible ne contient donc pas
un, mais deux Pentateuques. Comment expliquer ce choix de la
Synagogue ? Il vise à souligner la complémentarité de la voca-
tion de Moïse et de celle de David. Si le premier fait descendre
la parole de Dieu au milieu des hommes, David fait monter la
prière de l’homme jusqu’au trône de Dieu. Aucune parole divine
n'est mentionnée dans le livre. Si Moïse inaugure la dimension du
maître, David initie la conduite du chantre, si bien que l’étude et la
prière constitueront deux piliers fondateurs de la foi d'Israël.
Ce double mouvement du ciel vers la terre et de la terre vers le
ciel se révèle à la lecture du premier et du dernier verset de chaque
rouleau. La Torah débute en citant le nom de Dieu, « Elohim »,

152 La Torah
qui crée les cieux et la terre, et se termine par « Israël », peuple
témoin des hauts faits de l'Éternel en Égypte. Quant aux Psaumes,
il commence par « heureux l’homme » et culmine par un alléluia, un
« louez Dieu », chanté au rythme des instruments de musique du
Temple.
Ces 150 psaumes ont ceci de particulier qu'ils expriment les
états d’âme du psalmiste, auquel tout lecteur peut s'identifier :
la joie, l'euphorie, la sérénité, le doute, la colère, l’impatience,
la gratitude, la confiance, la contemplation, l’'étonnement, la
curiosité, la méditation, la haine, l’espoir, l'amour. Ces senti-
ments jaillissent de situations aussi nombreuses que variées : le
psalmiste pourra se trouver au milieu des pèlerins montant à
Jérusalem ou face à un groupe de moqueurs ; devant une nature
chatoyante ou dans l’esseulement d’une chambre à coucher. Pour
dire sa foi, l’auteur restera ici purement descriptif, alors que là
le mode liturgique l’emportera ; parfois des souvenirs personnels
ou ceux de la nation l’enivreront, alors que d’autres moments lui
feront entrevoir un avenir proche ou eschatologique. Toutes ces
modalités, toutes ces couleurs font du 7éhélim un livre à vivre
autant qu'un livre à lire.

Un berger personnel
Le psaume 23 est lu à la synagogue le vendredi soir, à l'office
de l'accueil du chabbat. Il décrit dans un langage allégorique le
rapport entre l’homme et son Dieu : l'Éternel est mon berger. Ce
lien d’appropriation sous-entend que l’homme se compare à une
brebis ou un agneau. Appartient-il à un troupeau ? Est-il l’unique
bête, comme dans la parabole du prophète Nathan (II Samuel
12) ? Quelle que soit la réponse, il ressent la proximité de son
maître. L'auteur joue même sur le mot roi, « mon berger », qui se
rapproche de réï, « mon ami ».
Le pasteur idéal ne peut se réduire à un gestionnaire d'une totalité
grégaire, au seul souci de rentabilité, mais il est le pasteur attentif
de chacune des vies à sa charge.

Chapitre 4. Kétouvim ou le livre des Écrits 155


Quand Dieu parle au Sinaï, Il n’adresse pas le Décalogue à tout
Israël, mais à chaque membre du peuple. Au lieu du vouvoiement,
l'Éternel tutoie chacun : « Je suis l'Éternel, fon Dieu » ; et cette rela-
tion personnelle se déclinera jusqu’au dernier mot : « on prochain ».
Chaque témoin de cette grandiose théophanie — homme, femme,
jeune, adulte ou vieillard — reçoit de la sorte une communication
à la mesure de sa capacité d’écoute. Dieu est le berger de chacun.

Par-delà le manque
Conscient de recevoir l'amour de Dieu, le psalmiste chante son
berger qui le guide à travers les vicissitudes de l’existence, et l’auto-
rise à dire « je ne manquerai de rien ». La condition humaine par
nature porte le manque à combler. Sans air, sans nourriture, sans
amour, le bébé ne peut survivre, il ne peut se développer dans son
corps et dans son esprit. Lorsqu'il sera plus grand, les choses ne
changeront pas, sauf que les sollicitations, et donc les manques à
combler, se multiplieront.
Le verset peut s’interpréter au moins sur deux niveaux (il en existe
une infinité selon la tradition). Tout d’abord, Dieu pourvoit aux
carences. Le Créateur est l’Être qui donne ; la créature, l’être qui
reçoit. Le psalmiste exprime une conviction profonde : Dieu ne peut
abandonner Ses créatures, et les besoins essentiels seront toujours
assurés, soit directement par la nature généreuse, soit par la loi
de la fraternité sociale quand l'Éternel demande d'ouvrir sa main
afin d'offrir à autrui ce qui lui fait défaut (par exemple, Dt 15,8).
Dans cette vision, le monde ne se présente pas uniquement comme
un espace d’affrontement de forces aveugles et destructrices, mais
aussi comme lieu de bénédiction.
Dans une seconde lecture, le vérset éclaire une dimension plus
psychologique : la conscience de Dieu en tant que « mon berger »
suffit à procurer le bonheur de la créature. Certes, celle-ci restera
toujours dépendante de sa dose d'oxygène, de son pain quotidien,
des appels de sa vie biologique, physiologique, instinctive — l’homme
n'est pas un ange et n’est pas non plus invité à le devenir —, mais

154 La Torah
toujours dans la joie d’une proximité avec « mon berger ». Nous
touchons ici à l’un des thèmes majeurs du livre des Psaumes : le
bonheur du croyant. Alors que nous, Modernes, revendiquons
souvent un bonheur légitime, l’'Hébreu reçoit ce bonheur consé-
quemment à une conduite conforme à la Torah.

Bienheureux l'homme qui ne marche pas selon le conseil des


méchants... mais qui désire la Torah de 1 ’Éternel et qui médite Sa
Torab jour et nuit.
Psaumes 1, 1-2

La foi dans l'épreuve


À partir du verset 2, le psalmiste décrit sa condition de brebis de
Dieu. « Il me conduit dans les verts pâturages », voici pour calmer
la faim ; « Il me fait reposer près des sources calmes », voilà pour
étancher la soif ; la vie s’écoulant dans une atmosphère sereine,
reposante, édénique. « Il restaure mon âme » : le poète est en
chalom — autant en paix avec toutes les parties de son être qu'en
plénitude, loin des tentations illusoires de la ville.
Pour autant, la Bible ne se situe pas du côté de la vie tranquille.
Elle décrit pour chaque personnage ses épreuves, ses faiblesses, ses
ratés. Ici le côté obscur se nomme « la vallée ténébreuse ». Les
rabbins, jouant sur le mot Æa/mavet, « ténèbres, obscurité », le
décomposent en #e/ mavet, « vallée de l'ombre de la mort ». Là où
la lumière s’absente, la mort se présente. Cette vallée obscure sur
laquelle plane une pénombre mortifère peut se référer aux épreuves
de la vie : pertes, dépressions, découragements, échecs familiaux,
professionnels, personnels, mais aussi haïnes, violences, conflits.
Pour le psalmiste, ces nuages d'épreuves n'assombriront pas le ciel
de sa foi, car « Tu es avec moi ». Foi du charbonnier ou état de
conscience qui rend relative toute épreuve endurée ? Quelle que
soit la nature de cette vallée ténébreuse, le psalmiste ne désespère
pas, car il se sait conduit par l'Éternel. « Ton bâton et ta houlette
me guident. » Le bâton permet de chasser les animaux sauvages, la

Chapitre 4. Kétouvim ou le livre des Écrits |155


houlette guide le troupeau qui risque de s’égarer. L'agression peut
provenir de l’extérieur de l’homme, comme elle peut jaillir de son
for intérieur. Dieu sera alors le rempart contre ces deux dangers.

L'hôte de Dieu
À partir du verset 5, l’allégorie change de ton. « Tu dresses la table
devant moi. » Le psalmiste n’est plus comparé à une brebis mais
à un convive (humain), attablé en présence du Seigneur. Il reçoit
d’ailleurs l’accueil que l’on accordait à tout voyageur dans la cité
hébraïque : un repas, une coupe de vin et même un peu d'huile
parfumée que l’on versait sur les pieds et les cheveux de l'hôte.
Protégé par Dieu, il se sent fort face à ses adversaires. Qui sont
donc ces ennemis qui reviennent sans arrêt dans le livre des
Psaumes ? Les méchants, les iniques, les médisants, les blasphé-
mateurs.… ; le psautier connaît plus d’une centaine de noms pour
qualifier ces adversaires. Certes, David connut de nombreux rivaux
qui voulurent attenter à sa vie ; citons le roi Saül, jaloux de la
victoire de ce jeune berger qui terrassa Goliath, ou encore Absa-
lon, le propre fils du souverain qui déclara la guerre à son père pour
s'emparer du trône. Mais il semble qu'il faille aller plus loin dans
l'analyse en s’immergeant au cœur du discours biblique pour se
rendre compte d’un conflit plus profond qui exclut toute nuance,
tout compromis et toute compromission.
Dans cette vision, l’histoire se divise en deux camps : celui du bien
et celui du mal. Les tenants de ce duel sans merci sont le juste
(/sadik) et l’impie (racha). Le premier assume la parole divine qui
délimite les frontières du bien, le second se rebelle, définissant
par là le cadre du mal. Le premier se veut collaborateur de Dieu,
le second veut vivre sa vie à la mesure de son désir. Le premier
aiguise son être à l’aune d’une éthique exigeante, le second ne
recherche que sa propre satisfaction, en niant toute valeur pérenne
à la morale. L'un et l’autre ne peuvent coexister. Tels sont les
protagonistes qui s'affrontent dans ce livre de louanges, avec cette
conviction de l’auteur : le méchant finira dans le néant, dans les

156 La Torah
ténèbres qu'il aura lui-même tissées, alors que le juste se retrouvera
à la table de Dieu pour le festin final qui marquera le triomphe
du bien.
Pour arriver à ce repas ultime, l’auteur doit réussir son existence, ce
qui signifie parvenir à une mutation, à une sorte de métamorphose
anti-kafkaïenne : de brebis, le héros doit devenir homme, de nature
humaine il doit assumer son image divine qui le fera grandir aux
yeux de Dieu autant qu’à ses propres yeux.
Ce psaume est récité à l’entrée du chabbat, jour de repos et de vie
spirituelle intense après six jours de labeur. Dans le monde écono-
mique, l’homme aura toujours besoin de l’aide du Ciel pour trouver
sa pitance et sa subsistance. Au jour du chabbat, la question écono-
mique de l'avoir s'estompe devant une question plus essentielle :
savoir être. Pour le psalmiste, cela signifie accéder au niveau supérieur
de son humanité, dans un face-à-face authentique à la table de Dieu.

Job, le juste souffrant


L'Éternel répondit à Job du sein de la tempête et dit : « Quel est celui
qui dénigre les desseins de Dieu par des discours dépourvus de sens ?
Ceins donc tes reins comme un homme : Je vais F'interroger et tu
m'instruiras. Où étais-tu lorsque Je fondais la terre ? Dis-le, s1 tu en
as quelques connaïssances. Qui a fixé ses dimensions, si tu le sais, ou
qui a tendu sur elle le cordeau ? Sur quoi sont assis ses piliers, ou qui
a lancé sa pierre angulaire, tandis que les étoiles du matin chantaient
en chœur, et que tous les fils de Dieu poussaient des cris de joie ? Qui
a fermé la mer avec des portes, quand elle sortit jaillissante du sein
maternel, quand Je lui donnai la nuée pour vêtement et une brume
épaisse pour langes ; quand Je brisai son élan par mes barrières et lui
posai des verrous et des portes, et que Je lui dis : Jusqu'ici tu viendras
et non au-delà : ici s'arrêtera l’orgueil de tes flots” ?»
Job 38, 1-10

Chapitre 4. Kétouvim ou le livre des Écrits |157


Un poème universel
Job, le héros du livre qui porte son nom, est un célèbre inconnu”
Ni le livre ni son auteur ne peuvent être situés dans l’espace ou
dans le temps. Certains maîtres du Talmud attribuent son écriture
à Moïse (Traité Baba Batra 14b) ; d’autres sages déclarent : « Job
n’a jamais existé ni n'a jamais été créé, il s’agit d’une pure allégo-
rie » (1dem 15àa).
Dans cette allégorie, le héros mystérieux n’est ni judéen ni israélite,
mais iduméen (d'Arabie). En revanche, le premier verset souligne
ses vertus : « Il était intègre et droit, craignant Dieu et évitant le
mal. » Ce juste est livré au bon vouloir du Satan qui, sans être le
diable ou Lucifer, que la Bible ne connaît pas, devra selon l’ordre
de l'Éternel épargner la vie du juste!*. Job perdra successivement
ses biens, ses enfants, sa santé, au point de se jeter sur un tas de
cendre, grattant ses plaies purulentes avec un tesson. Cette souf-
france permet d'évoquer la question la plus brûlante sans doute de
la foi monothéiste : celle du mal, et son corollaire : la justice divine.

Les personnages du livre de Job


En plus de Dieu et du Satan, le livre présente des héros humains.
Ainsi, la femme de Job voudrait que son mari maudisse le Ciel.
Job lui répond : « L'Éternel a donné, l'Éternel a repris. Que le
nom de l'Éternel soit béni. » À cette femme acariâtre qui fina-
lement n'accepte du Ciel que ses bénédictions (le bonheur ou la
révolte) s'ajoutent les trois amis de Job, Eliphaz, Bildad et Tsophar,
auxquels se joindra plus tard Élihou. Les trois compagnons vont,
chacun dans son langage, soutenir la thèse classique de la foi popu-
laire que l’on peut ainsi résumer : Dieu est juste, Job souffre, donc
Job n'est pas juste, et il paie pour une faute. Pour eux, le rapport à
Dieu se construit sur le mode financier du crédit et du débit. Or,

13. Nous nous inspirons pour cet article de notre travail de traduction du livre de Yéshaya-
hou Leibowitz, Les Fêtes juives, Éd. du Cerf, Paris, 2008.
14. Dans la Bible, Satan, dont le nom signifie « incitateur », est un ange de Dieu qui
éprouve les ones dans leur foi. Dans l'idéal, le rôle du Satan est d’être vaincu par le
croyant.

158 La Torah
nous, lecteurs, savons dès le verset inaugural que cette thèse ne
tient pas puisque Job est déclaré juste par Dieu, ce qu’Il confirmera
de nouveau à la fin du livre.
Avant la manifestation divine, Élihou intervient. Il admet que la
souffrance de Job ne trouve pas sa cause dans une faille quelconque
du personnage. Pour autant, il n'accepte pas le ton accusateur de
Job à l'encontre de Dieu car, ce faisant, il oublie l'amour divin à
la source de toute existence. Dieu pourrait-Il exclure l’homme de
cet amour infini ? Pour Élihou, l'amour de l’homme pour Dieu
ouvrirait un autre regard sur la souffrance et répondrait à l’amour
de Dieu pour l’homme.
Job ne répliquera pas à cet argument mystique. L'amour de Dieu
emplit le monde, soit ! Mais à l'échelle humaine une souffrance
reste objectivement une souffrance !

Job revendique -
Le livre surprend par les revendications intempestives de Job,
mais surtout par son côté irrévérencieux envers le Ciel. L’audace
de Job deviendra légendaire. Notre héros commence par maudire
le jour de sa naissance. Puis, par une série de débats jusqu’à la fin
du chapitre 27, la discussion devient plus profonde. Il cesse de
crier contre l'injustice de son âpre destin, car il apparaît progres-
sivement à Job que l'essentiel de son tourment ne réside pas dans
sa souffrance, mais dans son incapacité à en comprendre le sens. Le
ton change. À la limite, Job serait prêt à accepter l'injustice comme
un élément du fonctionnement de l'univers, à condition d’en saisir
la raison, car l’incompréhension est insupportable.
Job pense qu'il peut saisir cette raison puisque Dieu a doté l’homme
de l'intelligence. Cette intelligence s'exprime dans la domination
de l’homme sur la nature : la technique, l'extraction de maté-
riaux, les barrages fluviaux, la fertilisation des déserts, la construc-
tion des maisons, etc. Pourtant cette intelligence de maîtrise ne
résout pas la question essentielle du sens de l'existence. À partir
du chapitre 28 et jusqu’au chapitre 31, Job porte encore de graves

Chapitre 4. Kétouvim ou le livre des Écrits | 159


accusations contre Dieu, non plus au sujet de sa propre souffrance,
mais au sujet de la dissimulation par le Créateur du sens profond
de la vie. Voilà pour Job la plus grande injustice divine. Et l’homme
en colère entend bien recevoir une réponse.

L'intervention de Dieu
Finalement, Dieu consent à se révéler, mais nulle réponse ne sera
audible. Pire, aux questions de l’homme, Dieu répond par d’autres
questions mentionnées dans notre citation : « Où étais-tu lorsque
Je fondais la terre ? » En guise de réponse, Dieu ne fait que décrire
le monde tel qu'il fonctionne, depuis le ciel jusqu’à la terre, depuis
les astres jusqu'aux différentes formes de vie, sans jamais en donner
le moindre sens. En présentant son univers, Dieu semble dire à
Job : « Voici Mon monde, à toi de décider si tu acceptes de Me
servir et de M’aimer dans ce monde-là. »
Dès lors, Job établit un nouveau rapport à Dieu, passant d’un
rapport utilitariste à un service de Dieu désintéressé.
L'épreuve de Job peut s'exprimer ainsi : si l’homme était privé des
sources de bonheur que chaque humain, en tant qu'être humain,
attend de la vie (la santé, la famille, la richesse, l'honneur, etc.),
servirait-1il Dieu avec amour ? Accepterait-il avec humilité de se
situer en face-à-face avec Dieu ou bien tournerait-il le dos au Ciel ?
La tradition juive parle de deux dimensions de la religion : le culte
intéressé et le culte désintéressé. Dans le premier cas, l’homme
attend du Ciel ses bénédictions, des plus matérielles aux plus spiri-
tuelles. Dans le second cas, l’homme n’espère rien de Dieu ; quelles
que soient les circonstances, « même s’il devait apprendre que les
portes du paradis devaient lui être fermées » (selon la formule de
Baal Chem Tov (1698-1760), fondateur du mouvement hassi-
dique), il aime Dieu d’un amour infini. À la fin du livre, Job le
juste est devenu encore plus juste, car le tissu de son existence est
fait de cette nouvelle étoffe de la foi.

160 La Torah
Le Cantique des cantiques, chanter l'amour
Que tu es belle, que tu es attrayante, mon amour, dans l'enivrement
de tes caresses ! Cette taille qui te distingue est semblable à un palmier,
et tes seins à des grappes. Je me suis dit : « Je monterai au palmier, je
saisirai ses rameaux, que Les seins soient Pour moi comme des grappes
de vigne, et l'arôme de tes narines comme celui des pommes ; et ton
Palais comme un vin exquis.

— Qui coule doucement de mon bien-aimé et rend loquaces même les


lèvres assoupies ?Je suis à mon bien-aimé et mon bien-aimé est à moi. »
Cantique 7, 7-11

La chair et le canon

Le Cantique des cantiques apparaît de prime abord non seulement


comme une œuvre profane mais, qui plus est, charnelle et volup-
tueuse. Comment alors expliquer son introduction dans le canon
biblique ? En admettant même, ce qui est très probable, que les
maîtres du Talmud l’aient considérée comme une allégorie, le risque
de n’y voir qu'un poème érotique en est-il écarté pour autant ? Quelle
que soit la pureté des intentions de l’auteur, l'élévation religieuse de
sa pensée, quelle que soit la beauté du sens ésotérique dissimulée
dans le contenant, celui-ci reste saisissant par la hardiesse de ses
images. Une allégorie dont l'intention profonde ne se révèle pas une
seule fois dans tout le rouleau risque de rester incomprise, tout au
moins pour le commun des fidèles. Or ce Cantique des cantiques
est lu au moins une fois l'an, lors de la fête de Pessah (Pâque), et
dans les communautés sépharades (orientales) chaque vendredi soir
pour l’accueil du chabbat. Si son efficacité s’efface devant ses incon-
vénients, comment le but pédagogique serait-il atteint ?
Incontestablement ce genre de considération n'échappa pas aux
maîtres de Yavné qui devaient trancher en définitive en faveur de
la validation de tel ou tel livre. Ainsi lisons-nous dans l’ouvrage
antique de Rabbi Nathan (I, 1) :

Chapitre 4. Kétouvim ou le livre des Écrits | 161


À l'ori gine, On considérait les Proverbes, le Cantique des canfiques et
l'Ecclésiaste comme des apocryphes, car ils exprimaient des paraboles
et n'avaient point leur place dans les Hagiographes et on décida de les
cacher. Vinrent les hommes de la Grande Assemblée qui les interprétèrent.
Avot de Rabbi Nathan 1,1

Un autre passage (Michna Yadaïm 3, 5) reprend cette thématique


en affirmant que le Cantique des cantiques n’est pas un livre saint,
sur quoi Rabbi Aquiba s’exclame :

À Dieu ne plaise !Jamais aucun homme en Israël n'a contesté la


sainteté du Cantique des cantiques, car l'univers entier n'a rien qui
égale lejour où le Cantique des cantiques a été donné à Israël. Ef si
tous les autres Hagiographes sont saints, le Cantique des cantiques est
le saint des saints.

Cette déclaration d’un des plus grands maîtres de la Michna, par


ailleurs grand mystique, a fini par faire pencher la balance du côté de
la canonisation. Mais que répondre à nos questions introductives ?

Un chant d'amour mystique


La place qu'occupe le Cantique des cantiques dans la tradition
juive (nous pourrions ajouter chrétienne) demeure spécifique.
Curieusement, ce rouleau, qui ne traite absolument pas du rapport
de l’homme à Dieu et qui ne mentionne pas une seule fois le nom
divin, a été enveloppé d’une aura de sainteté toute particulière.
Selon le sens obvie, il s’agit indubitablement d’un chant d'amour
entre un homme et une femme qui se cherchent pour vivre leur
passion. Certes, le lien entre l’homme et la femme constitue l’un
des éléments fondamentaux de l’existence humaine que la Bible ne
renie pas, selon le verset (Gn 2, 24) : « C’est pourquoi un homme
abandonne son père et sa mère pour se joindre à sa femme et
former une seule chair. » Mais comment justifier, par exemple, la
déclaration de Rabbi Aquiba qui voit dans cette œuvre une sain-
teté sublime ?

162 La Torah
Le fait que ce soit justement Rabbi Aquiba (mort en martyr, après
l'insurrection manquée contre Rome vers 135) qui ait défendu ce
livre n’est pas anodin. Le Talmud rapporte son histoire, un vrai
roman d'amour. Simple berger, ignorant, Aquiba tomba amoureux
de Rachel, la fille de son employeur. Devant le refus du père de
donner sa main à un illettré, le couple se maria secrètement et
vécut un amour intense jusqu'au Jour où Rachel demanda à Aquiba
de s'investir dans l'étude de la Torah. Il écouta la voix de sa bien-
aimée et devint le plus grand maître de sa génération. Plus qu’un
autre, Rabbi Aquiba avait compris le parallélisme pouvant exister
entre une passion humaine et une passion spirituelle.
C’est sans doute là que se situe le sens mystique du Cantique des
cantiques : si l’homme veut saisir ce que signifie l’amour de Dieu,
alors l’amour intense entre un homme et une femme restera son
modèle.

La vérité de l'amour
Les vingt-quatre livres du canon biblique ne sont pas saints
intrinsèquement, mais parce que les Sages de Yavné, après débat,
en ont décidé ainsi. Comme l’enseignait un éminent penseur du
judaïsme, le professeur Yéshayahou Leibowitz (1903-1994) :
« La religion d'Israël n’a pas été créée par les Saintes Écritures,
mais ce sont les Saintes Écritures qui sont l’une des institutions
de la religion d'Israël. » C’est là une idée révolutionnaire qui
inverse notre lecture traditionnelle. Mais historiquement c'est
ainsi que les choses se sont passées, et Rabbi Aquiba à eu gain de
cause contre ceux qui refusaient la canonisation du Cantique des
cantiques.
Dans la lignée de Rabbi Aquiba, Maïmonide inscrit le Cantique
des cantiques dans le concept de « Saint des saints », mais non pour
souligner le lien entre Dieu et le peuple juif. Pour notre auteur,
il s’agit plus généralement d’un discours symbolique décrivant les
capacités et les potentialités spirituelles de chaque homme, par
le fait qu'il est homme, de connaître Dieu et de Le servir. Ainsi,

Chapitre 4. Kétouvim ou le livre des Écrits | 163


Maïmonide ne s’empêche pas d'utiliser uniquement les versets
puissants et sensuels du Cantique des cantiques, comme modèle
permettant à l’homme de connaître la vérité divine. Alors, l’âme
s'élève dans le même rapport du sentiment qui se concrétise dans
l'amour naturel et sensuel.
À propos de cet amour, Maïmonide écrit dans l’une des dernières
lois qui clôturent son Livre de la Connaissance :

Qu'est-ce que l'amour de Dieu ? C'est lefait d'aimer | 'Éternel d'un


amour grand, fort, extrême ; au point que l'âme soit attachée à cet
amour divin, et qu'il en soit hanté en permanence, tel celui qui est
malade d'amour, au point que son esprit ne puisse se détacher de cette
femme. Il y pense toujours soit en se couchant, soif en se levant, soit au
moment où 1] mange et boit. Plus que cela, l'amour de Dieu dans le
cœur de ses amants qui en font leur préoccupation constante, traduit le
commandement du verset : « de tout ton cœur, de toute fon âme de tout
ton pouvoir ». Salomon, dans un langage allégorique, l'a affirmé : « car
Je suis malade d'amour. »
Lois sur le repentir 10, 3

Aüïnsi, pour Maïmonide, cette expérience ultime d'amour de Dieu


n'est nullement réservée au peuple juif ; maïs tout être humain, en
tant que tel, peut vivre intensément ce rapport au divin. L'élection
d'Israël ne peut se comprendre hors de l'élection de l’homme.

Ruth, une conversion pour la vie

Alors Naomi dit : « Vois, ta belle-sœur est retournée à sa famille et son


dieu, retourne toi aussi et suis ta belle-sœur. » Mais Ruth répliqua :
«N'insiste pas auprès de moi pour que je te quitte et que je m'éloigne
de tot ; car partout où fu iras j'irai ; où tu demeureras je demeurerai ;
ton peuple sera mon peuple, ton Dieu sera mon Dieu ; là où tu mourras
je mourraï et je serai enterrée. Que l'Éternel m'en fasse tant et plus,

164 | La Torah
s1 Jamais je ne me sépare de toi autrement que par la mort. » Naomi,
voyant qu'elle
» 2 . ACIER : :
était fermement décidée à 1accompagner, cessa d'insister
auprès d'elle.

Ruth 1,15-18

Un chemin d'épreuves
Suite à une famine qui sévit en Canaan à l’époque des Juges, Elimé-
lekh, riche propriétaire de Bethléem, fuit le pays avec sa femme
Naomi et ses deux fils pour s'installer à l’est, sur les terres fertiles
de Moab. Elimélekh meurt. Ses fils, qui ont épousé des Moabites,
Orpa et Ruth, disparaissent à leur tour, plongeant la mère et les
deux brus dans la désolation et l’indigence la plus totale. La famine
passée, Naomi décide de retourner à Bethléem, en prenant congé
des deux belles-sœurs. Alors qu'Orpa accepte de partir, Ruth
s'accroche à sa belle-mère, proclamant sa déclaration sincère, qui
deviendra par la suite la formule de conversion au judaïsme.
Arrivée à Bethléem, Naomi est méconnaissable dans ses haïllons.
À la question : « Est-ce Naomi (Ma grâce) ? », elle répond : « Appe-
lez-moi Mara (Amertume), car le Tout-Puissant (Chadaï) m'a
rendue amère, »
L'été est de retour, la moisson abondante, mais les malheureuses
n'ont rien à manger. Naomi envoie Ruth récolter les épis tombés
que les moissonneurs doivent abandonner, selon la loi du Lévi-
tique (19, 9). Par hasard, Ruth se dirige vers les champs de Boaz,
un parent d'Elimélekh. Apprenant la fidélité de Ruth envers sa
belle-mère, Boaz l'invite à glaner dans son champ, lui accordant sa
protection. Ruth rapporte les faits à sa belle-mère qui s’en réjouit.
Car Boaz est un double « libérateur » potentiel pour les deux
femmes.
En effet, si un homme est contraint de vendre sa terre, son plus
proche parent s’efforcera de la racheter, pour maintenir l'héritage
tribal (Lv 25, 25). De même, Boaz peut mettre fin au veuvage de
Ruth, selon la règle du Lévirat (Dt 25, 5 à 10) qui stipule que si

Chapitre 4. Kétouvim ou le livre des Écrits | 165


un mari meurt sans laisser d'enfant, la veuve épousera son frère
ou, à défaut, le plus proche parent, afin de perpétuer le nom du
défunt.
Naomi, qui joue l’entremetteuse discrète, propose à Ruth d’aller le
soir venu se coucher aux pieds de ce parent. Au milieu de la nuit,
Boaz découvre Ruth qui lui demande d’être son époux. L'homme
répond qu’il existe un libérateur prioritaire par sa proximité paren-
tale avec Elimélekh, mais que s’il refuse de racheter les biens et de
la prendre pour épouse, lui, Boaz, le fera. Lors d’une cérémonie en
grande pompe, le premier libérateur dénie sa double responsabi-
lité, Ruth épousera alors Boaz.

Un schéma de délivrance
Quelles leçons la tradition juive tire-t-elle de ce délicieux récit ?
Sur le plan structurel le premier chapitre contient 12 fois le verbe
« revenir », le deuxième, 12 fois le terme « récolte », tandis que les
troisième et quatrième utilisent 23 fois le mot « délivrance ». Si les
chiffres ne sont jamais contraignants, la massivité du vocabulaire
renvoie ici à une trame mentale d'espoir, trame essentiellement
hébraïque.
« Revenir » au sens biblique, faire féchouva, signifie reconstruire
une identité humaine, en conformité avec les principes de la révé-
lation divine, « récolter » les éléments disparates d’une fraternité
perdue, afin d'amener la « délivrance ». Ce retour implique toujours
une démarche de mémoire et nécessite souvent des retrouvailles
avec les lieux de l’insuccès. Elimélekh en quittant Canaan a fui
ses responsabilités de chef de clan, ce qui pour l’auteur du récit ne
peut entraîner que sa mort, celle de ses fils et donc « l’amertume »
de Naomi. |
Ce mouvement de retour, géographique tout d’abord, est amorcé
par la veuve, qui accepte d’être l’indigente de la ville après avoir
été la grande dame du lieu. Elle refuse cependant de partager son
triste sort avec ses brus, en dévoilant le fond de son cœur : « Aurai-
je encore des fils dans mes entrailles ? Existe-t-il pour moi une

166 La Torah
espérance ? » La matrice (ré bem) est le lieu d'espérance, car espace
de la miséricorde divine (rzhamim). Naomi pense sa matrice vide
de toute vie, que la miséricorde divine n’aura plus d’effet sur elle ;
son monde restera une immense béance.
Plutôt que d'abandonner sa belle-mère, Ruth s’arme de courage
en quittant ses propres valeurs nationales, locales et familiales.
Ruth devient un Abraham au féminin. Mais n'est-elle pas reliée à
l'illustre patriarche par Moab, l'enfant incestueux né de la relation
de la fille aînée de Lot, neveu d'Abraham (Gn 19, 37) ? Lot fuyait
l’inhospitalité de Sodome, sa lointaine descendance renouera avec
la générosité abrahamique.
Un acteur manque au récit : Dieu. Dieu n'intervient pas dans la
Bible quand la femme agit dans le sens du Ciel. L’étrangère de
Moab portera l'espérance pour deux, intimement persuadée que
rien nest jamais scellé dans l'Histoire.
Elle ne sera pas seule dans son acte héroïque, Boaz, qui possède
littéralement la « force en lui », assumera la rencontre. Ce courage
s’exprimera en acceptant l’étrangère en tant que matrice d’engen-
drement. Boaz, à l'instar de Joseph ou Moïse, prend la femme
d’ailleurs et l’intègre dans la communauté d'Israël.
Pour Naomi, « Amertume », cette nouvelle situation possède le
choc d’une révélation divine. Elle se ressaisit et déclare : « Béni
soit-il l'Éternel (YHWEH), qui n'a cessé d’être généreux pour les
vivants et pour les morts. » Elle ne perçoit plus Dieu comme la
source de lois aveugles (Chadaï), mais se réfère au Dieu transcen-
dant qui invite les hommes à dépasser leur propre vision étroite des
réalités. Naomi se réveille à la foi authentique. Elle intègre la leçon
d'Abraham ou de Job, qui malgré les épreuves, les déchirements
et les douleurs surent garder une confiance inébranlable dans un
avenir meilleur.

Chapitre 4. Kétouvim ou le livre des Écrits |167


ANTERAME ILES

L’alter ego de Ruth se nomme Boaz (Booz), descendant de Juda et Tamar


(Gn 38). Après la vente de Joseph, Juda s'éloigne de sa famille. Il épouse une
Cananéenne, attitude contraire à la volonté de l’aïeul Abraham qui craignait que
sa démarche monothéiste soit polluée par l'introduction d’un culte idolâtre.
Cette femme enfante trois fils : Er, Onan et Chéla. Juda trouve une épouse pour
l’aîné, une autre Cananéenne répondant au joli nom de Tamar (palmier). Le verset
révèle en la masquant l’inconduite d’Er. « Er étant mauvais aux yeux de l’Éternel,
l'Éternel le fit mourir. »
Quelle est donc cette faute qui oblige le Tétragramme, le Dieu miséricordieux, à
supprimer cette vie ? « Er répandait sa semence hors du corps de sa femme, afin
qu’elle ne tombe pas enceinte et ne perde pas sa beauté », glose Rachi. Selon
cette tradition, Er refuse d'assumer une relation paternelle, il refuse la continuité
de sa propre histoire, en détruisant sa semence. Le plaisir, sinon rien !
Fidèle à l’ancienne pratique du lévirat, Juda donne Tamar à son deuxième fils
afin qu’il perpétue le nom du défunt. Onan refuse ce devoir de mémoire et de
fraternité et détruit lui aussi sa semence. Il disparaîtra à son tour.
Juda, qui ne sait rien de l’inconduite de ses fils, pense que la responsabilité de
ces morts obscures incombe à Tamar. Et si elle portait malheur ? Tamar devient le
« bouc émissaire » des peurs de Juda.

Plutôt que de lui donner Chéla, Juda demande à sa bru d’attendre dans son
veuvage. Les années passent, et Tamar ressemble à une Pénélope attristée.
Finalement cette Cananéenne décide de donner une leçon à Juda, non seulement
pour prouver son innocence, mais surtout pour affirmer que les forces occultes
ne gèrent pas la vie des hommes. Pour ce faire, elle use d’un curieux stratagème :
elle se déguise en prostituée. Elle sait qu’elle peut légalement s’unir à son beau-
père, car il est un libérateur potentiel, même si Chéla reste prioritaire.
Tamar se voile en femme publique et se place sur le chemin de Juda. Ce dernier
succombe à son instinct. Tamar tombe enceinte. Non seulement elle n’est pas
responsable de la mort de ses époux, mais elle est bien porteuse de vie.
Juda comprendra à la fin la leçon : « Elle est plus juste que moi », lance-t-il avec
courage à la cantonade, dévoilant sa faiblesse.
Tamar donnera naissance à deux jumeaux : Pérets et Zérah. Pérets, « celui qui
bouscule », passera devant Zérah, « celui qui brille » tel le soleil à son lever.
Deux noms, deux stratégies d'engagement dans l'Histoire : aller au rythme du
temps qui passe (les fruits seront toujours mûrs en leur temps) ou bousculer les
événements pour amorcer la paix plus rapidement.

168 La Torah
L'impatience est souvent cause de faute dans la Bible, pourtant
le coup de pouce de quelques femmes audacieuses, étrangères de
surcroît, ne fut pas inutile pour forcer la conscience humaine à se
construire. Ruth fera partie de ces femmes discrètes, qui cachent
dans leur discrétion même toute la puissance de la foi hébraïque.
Elle s’unira à Boaz, prince de Juda. Son petit-fils se nommera
David, l’ancêtre du Messie.

Les livres sapientiaux


Les Écrits poétiques nous ont fait pénétrer dans l'intimité de la
relation entre l’homme et Dieu ; mais cette relation se traduit
aussi de manière concrète dans la vie en société. À l’école des
livres précédents, Torah et Néviim, les hommes s'interrogent sur
la manière de vivre juste, pour plaire à Dieu et trouver le bonheur.
Cette recherche de sagesse est le sujet des livres sapientiaux.

Le livre des Proverbes, un père parle à sonfils

Ecoute, mon fils, la remontrance de ton père et ne te détourne pas de


l’enseignement de ta mère car c'est un diadème de grâce pour ta tête, un
collier pour ton cou.
Mon fils, si des pécheurs veulent te séduire, ne va pas consentir.
S'ils disent : « Viens avec nous, soyons aux aguets pour verser le sang,
mettons-nous à l'affût sans raison contre l'innocent, engloutissons-les
tout vifs comme le shéol, tout entiers comme ceux qui descendent à la
fosse ; nous trouverons foute sorte de biens précieux, nous remplirons
nos maisons de butin ; tu jetteras le sort parmi nous, nous aurons fous
bourse commune », mon fils, ne fais pas route avec eux, tiens fon pied
loin de leur sentier.
Proverbes 1, 8-15

Chapitre 4. Kétouvim ou le livre des Écrits |169


Un livre de paraboles
Nous avons vu à propos de Pessah la place accordée par la Torah
à l'éducation des enfants. Transmettre, éduquer, enseigner, parler
sont des mots-clefs du registre biblique. Pour autant, aucun livre
jusque-là ne traitait intrinsèquement de cette instruction. Le livre
des Proverbes vient combler le vide selon l’un des versets inau-
guraux cités en exergue. Un père parle à son fils. S'il ne s’agit pas
d’un livre de pédagogie, au moins la relation entre les générations
est-elle prise au sérieux.
Le mot machal, traduit généralement par « proverbe », pourrait
aussi être traduit par « parabole », dans la mesure où, comme nous
le verrons, le texte peut se lire à deux niveaux, une leçon pouvant
en cacher une autre.
Le texte annonce comme auteur le roi Salomon, celui du Cantique
des cantiques et de l’Ecclésiaste. Les critiques situent l’ouvrage
dans sa forme définitive entre le V° et le 11° siècle av. J.-C., soit
à l’époque hellénistique. Le rouleau présente 31 chapitres, dont
quelques-uns sont attribués à deux autres personnages : Agour et
Lémouel. L'idée centrale de l’œuvre consiste en un persistant plai-
doyer visant à montrer la supériorité de la Sagesse (Hokhma) sur la
folie, non pas la démence clinique, mais celle qui consiste à s’éloi-
gner de Dieu et de Sa Torah.
Nous retrouvons un thème récurrent de la Bible qui ne connaît pas
les nuances : d’un côté, les bons, les justes, les sages, les humbles
qui suivent le chemin de l'Éternel, de l’autre, les transgresseurs,
les moqueurs, les médisants, les fripouilles qui n’en font qu’à leur
guise, pire, qui s’en prennent aux justes. Le père usera alors de
nombreuses images pour frapper l'imagination de son fils et lui
faire choisir, bien entendu, le camp de Dieu.

Une sagesse de l'expérience

L'auteur, qui a abandonné le ton pessimiste de l’Ecclésiaste, se


présente en pédagogue s'adressant à son fils, qui dans la Bible peut
aussi être son disciple (IT Rois 2, 3). Ce père (ou ce maître) connaît

170 La Torah
la vie. Il sait de quoi il parle. Il a expérimenté des situations reli-
gieuses, sociales, politiques, des relations humaines, il a rencon-
tré des femmes. Il a été tenté, éprouvé, séduit. A-t-il trébuché ?
Peut-être, il le suggère dans un proverbe en antithèse : « Car le
juste tombe sept fois, mais il se redresse, alors que le méchant est
culbuté pour son malheur » (24, 16). Le roi David n’en est-il pas
un exemple avec Bethsabée ? Mais « le juste se redresse », et en ceci
il est juste.
À l'instar du laborantin qui, étudiant la matière, en déduit des lois,
le père par ses expériences au milieu des hommes en a tiré une
sagesse, une science du bien-vivre devant Dieu. Cette science, il la
nomme hokhma. Le terme est utilisé 30 fois dans le livre, et celui
de hakham (sage) 27 fois, tandis que son synonyme #adik (juste)
est mentionné 34 fois.
Traduire Hokhma par Sagesse ne rend pas la polysémie du vocable
hébraïque. Avant d’être une pensée sur le bien-vivre devant Dieu,
la Hokhma est interrogation, questionnement, curiosité, remise en
cause. Cette curiosité insatiable qui caractérisera plus tard l'étude
juive.
Le père transmet la Hokhma qui induit une vigilance, une critique
pré-philosophique des réalités mondaines. La Æokhma devient un
bouclier, une mise à distance pour mieux juger, pour mieux jauger.
Avant de devenir contenu de sagesse, elle est un outil d’investi-
gation. Selon le Midrach, ce fut par cette Æokhma qu'Abraham
découvrit le Créateur unique.
Pour autant, la Hokhma ne se rebelle pas contre la Révélation. Elle
ne se permet nulle émancipation par rapport au Sinaï. Raison-
nable, mais fidèle. En ce sens, le discours salomonien révèle son
humilité, face à la démarche philosophique qui pose sa solitude
souveraine. Salomon use de la Hokhma, comme son père David
utilisait sa lyre pour chanter l'Éternel.
L'auteur situe cette Hokhma à l’origine du monde, aux côtés de
deux autres piliers (I, 2) : « Connaître la Hokhma et l’'Ethique
(moussar), apprendre le Discernement (Bina). » Hokhma, outil

Chapitre 4. Kétouvim oule livre des Écrits |171


d'investigation intellectuelle ; Ethique, science de la vertu ;
Discernement, capacité d'isoler le bien du mal... L'art de la
prudence préside la Création.
Fort de ce rapport au monde maîtrisé, le fils pourra découvrir que
la Hokhma exprime une connaissance de la nature, de la volonté
divine et de soi-même. Intransigeante dans sa méthode, elle vise
d’abord à ne pas se faire piéger par les illusions du réel dont l’ar-
chétype est la prostituée.

La courtisane et la femme vertueuse

La vie est un don divin, et la Sagesse son solide garde du corps.


« Elle est un arbre de vie pour ceux qui s’y accrochent et ceux qui
la soutiennent connaîtront le bonheur » (3, 18).
Le livre des Proverbes n’aborde pas la question douloureuse du
juste souffrant, Job en à parlé. Ici l’auteur est plus simpliste dans
sa présentation (il se veut pédagogue déterminé, non philosophe
doutant). Conclusion : le juste connaît toujours le bonheur, le
méchant sera toujours perdant. Ses succès ? Des illusions d'optique,
des trompe-l’œil.
L'exemple viendra de la prostituée, fardée, parfumée, « elle se
met en embuscade tel un brigand.. elle finit par piquer comme
le serpent » (23, 28). La femme adultère ne vaut pas mieux qui
délaisse mari et enfants pour jouir avec ses amants. En passant,
Salomon écorche la femme acariâtre et querelleuse avec qui
la vie n’en est pas une. Au bout de son long couloir de tableaux
de femmes, l’auteur décrit dans un poème somptueux la femme
vertueuse : épouse fidèle, mère vaillante, conseillère avisée, gestion-
naire efficace, dame généreuse, guide de la maison et lumière dans
la cité. Le roi Salomon, légendaire par le nombre de ses épouses
et concubines, décrit pour son fils la femme idéale. Mais parle-t-il
seulement de la femme ?
Prostitution et vertu nous renvoient à une autre thématique, celle
de l'idolâtrie et de la fidélité à Dieu (voir Osée). En mettant en
garde le jeune homme contre les leurres de l'existence, en lui

172 La Torah
enseignant la valeur de la Hokhma, le précepteur veut en somme le
guider vers la voie de Dieu. En dédiant sa conclusion à la femme
vertueuse, il montre que le choix du Ciel ne va pas sans la bonne
compagne de vie.

L'Ecclésiaste, de la vanité à la crainte de Dieu


Vanité des vanités, a dit Kohélet, vanité des vanités ; tout est vanité !
Quel profit tire l'homme de tout le mal qu'il se donne sous le soleil ?
Une génération s'en va, une autre génération lui succède, et la terre
subsiste perpétuellement. Le soleil se lève, le soleil se couche : il se hâte
vers son point de départ, où 1l se lèvera encore, Pour s'avancer vers
le sud et décrire sa courbe vers le nord ; le vent progresse en évoluant
toujours et repasse par les mêmes circuits. Tous les fleuves vont à la
mer, et la mer n'en est pas remplie ; vers l'endroit qui est assigné aux
fleuves, 1ls dirigent invariablement leur cours. Toutes choses sont
toujours en mouvement ; personne n'est capable d'en rendre compte.
L'œil n'en a jamais assez de voir, n1 l'oreille ne se lasse d'entendre. Ce
qui a été c'est ce qui sera ; ce qui s'est faif, c'est ce qui se fera : 1] n'y a
rien de nouveau sous le soleil !
Ecclésiaste 1, 2 à 10

Le rouleau de la fête des Cabanres


Durant la fête des Cabanes (ou Soucof, voir page 33), la coutume
s'est instaurée dans les communautés juives de lire et de méditer le
rouleau de l’Ecclésiaste (Kohéler), attribué au roi Salomon (Kohélet
signifie « Rassembleur », et a été rendu par « Ecclésiaste », d'ecclésia
- église, lieu du rassemblement).
À première vue, cette célébration et cette lecture paraissent anta-
gonistes. Si Soucot se célèbre dans une Joie débordante — la fête
de clôture se nomme Simhat Torah (la joie de la Torah) —, l’Ecclé-
siaste propose une réflexion sur la vanité de l'existence, comme le
montrent nos versets en exergue. Certains maîtres ont expliqué le

Chapitre 4. Kétouvimou le livre des Écrits |173


choix de cette lecture comme la volonté, justement, de mettre en
garde le fidèle contre un enthousiasme débordant qui lui ferait
oublier sa condition précaire.
Depuis toujours le livre de l’Ecclésiaste a été perçu comme
un ouvrage pessimiste, sans la moindre espérance, qui tran-
chait avec l'esprit des autres livres bibliques. Car, même chez
les prophètes les plus virulents de Moïse à Malachie, il y eut
toujours quelques paroles de consolation qui offraient une respi-
ration à la conscience pour s'améliorer. Cet esprit mélancolique
n’échappa pas aux sages du Talmud qui débattirent au sujet de la
canonisation du rouleau.

Les sages voulurent éliminer le livre de l'Ecclésiaste du canon, car ses


propos se contredisaient. Pourquoi l'ont-1ls malgré tout conservé ? Car
le début est parole de Torah ef la fin est parole de Torah. Le début est
parole de Torah ainsi qu'il est dit : « Quel bénéfice tire l'homme de son
labeur sous le soleil » ; la fin est parole de Torab, car 1l est dif : « Grains
Dieu et accomplis Ses commandements, car c'est cela tout l'homme. »
En quoi les propos se contredisent-1ls ? Car 1l est dit 1c1 : « J'ai loué la
joie » et ailleurs il est écrit : « Et la joie qu'apporte-t-elle ? ».…
TB Chabat 30 b

Un livre qui ébranle toutes les valeurs auxquelles l’homme sat-


tache ne risque-t-il pas de remettre en cause la foi elle-même ?
Un pessimisme trop grand ne représente-t-il pas un danger en ce
qu'il entraîne une négation de la vie ? Or, le choix de la vie et donc
d’une certaine joie de vivre s'impose par la Torah elle-même (Dt
28, 47 et 30, 19).

Le questionnement de l'Ecclésiaste
Le fait que les sages aient inscrit l’ouvrage parmi les vingt-quatre
livres bibliques démontre le caractère éminemment religieux de
ce rouleau, caractère qu'il s’agit alors de mettre en exergue. Kohé-
let, identifié au roi Salomon qui enseignait la sagesse au peuple,

174 La Torah
s'interroge sur le sens de l'existence humaine : « Quel bénéfice tire
l’homme de tout son labeur sous le soleil ? » (I, 3), question qui
revient une dizaine de fois selon des formulations différentes.
L'auteur n’est pas un théoricien ; il va vivre concrètement les expé-
riences dont il parle. S'il incarne vraiment le pouvoir royal, alors
il possède les moyens matériels de satisfaire ses demandes. Or, les
demandes touchent concrètement tous les domaines humains
la richesse, le pouvoir, les satisfactions pulsionnelles, la sagesse, la
science ; le corps et l'esprit.
Pour chaque expérience vécue intensément, l’auteur arrivera à la
conclusion d’une vanité. Tout au plus, pour donner une certaine
saveur à l’existence passagère, conseille-t-il comme un pis-aller :
« Il n’y a de bonheur pour l’homme qu’à manger et à boire, et à
trouver, pour son âme, du bien dans son labeur », ou bien : « Jouis
de la vie avec la femme que tu aimes tous les jours de la vie éphé-
mère que l’on t’accorde. » Épicurisme modéré pour une vie limitée.

Vanité de toute chose


Le mot introductif qui revient en refrain monotone est « vanité »,
hével en hébreu. Hével signifie « buée », « vapeur » et nous renvoie
au second fils d'Adam et Eve, Abel, qui sera assassiné par Caïn lors
d’une querelle absurde. Cette absurdité existentielle, au sens camu-
sien du terme, enveloppe l'ouvrage que nous parcourons, chapitre
après chapitre, sans y découvrir la moindre réponse positive aux
questions récurrentes de l’Ecclésiaste : « qu'est-ce qui est bon pour
l’homme ? » et « qu'est-ce que l’homme ? ».
Quand l’auteur semble trouver une solution, elle s’effrite telle une
motte de terre entre les mains pour ne laisser qu'un arrière-goût
d’éphémère. Ainsi peut s'entendre la formulation rabbinique : « les
propos se contredisent », comme si l'existence elle-même n'offrait que
des contradictions permanentes entre des plaisirs ou des bonheurs
que l’homme voudrait conserver indéfiniment et des lendemains
qui déchantent à cause de l'ombre de la mort. L'Ecclésiaste mène-
t-il alors son lecteur vers une voie sans issue, une impasse ?

Chapitre 4. Kétouvim ou le livre des Écrits |175


Fin, parole de Torah
Les sages avaient perçu ce côté illusoire et éthéré de la réalité en
déclarant : « Le début du livre est parole de Torah. » L’allitération
de cette portée musicale aux tonalités de requiem se trouve bien en
ouverture de discours et « il n’y a aucun bénéfice pour l’homme de
son labeur sous le soleil » ; maïs la fin est aussi « parole de Torah ».
Reprenons donc cette conclusion :

Fin de discours, tout a été entendu : crains Dieu et accomplis Ses


commandements, car c'est cela tout l’homme.
Ecclésiaste 12,13

Que signifie cette expression « tout l’homme » (ko/ haadam) ? À


défaut de répondre à la question de ce qui pourrait constituer le
bonheur pour l’homme, le verset donne une définition de l’homme
dans sa totalité, en tant qu'être humain, une réponse religieuse bien
entendu : l’homme est une créature divine, distingué dès l’origine
par l’image divine qui est en lui, sa mission consiste à craindre Dieu
et à accomplir Ses commandements.
En hébreu, le verbe craindre (yaro) non suivi de la préposition èfh
ne signifie pas « avoir peur », mais « vénérer » ;il s’agit d’une crainte
révérencielle devant la grandeur divine. Cette vénération se traduit
toujours en actes dans la cohérence biblique, et la foi, loin de se
limiter à une conscience de Dieu, s'exprime à travers une conduite
idoine : l’accomplissement des commandements.
Tant que l’homme recherche son bonheur individuel, les doutes
pourront toujours l’assaillir à travers les contradictions de l’exis-
tence et les vanités du monde :

Car le sort des fils de l’homme et le sort de la bête sont un même sort ;
comme meurt celui-ci, ainsi meurt celui-là.
Ecclésiaste 3, 19

176 La Torah
Ce n’est qu’au bout d’une réflexion menée dans la vie elle-même
que l’Ecclésiaste découvre une vérité ultime au-delà des catégories
du bonheur personnel. Le livre dans sa conclusion reste cohérent
avec l'esprit général de la Bible : le bonheur n’est jamais une fin en
soi, mais la conséquence du service de Dieu. La réponse touche à
la foi la plus authentique. Le psalmiste déjà enseignait cette idée
dans son verset inaugural :
Heureux l’homme qui ne suit pas le chemin des méchants... mais dont
le désir s'exprime dans la Torah de l'Éternel et qui médite Sa Torah
Jour et nuit.
Psaumes 1, 1-2

Esdras, le renouveau d'Israël

Tout le peuple se réunif ensemble, comme un seul homme, sur la place


qui s'étend devant la Porte de l'eau. On demanda à Esdras, le scribe,
d'apporter le livre de la Torah de Moïse, que ’Éternel avait prescrite
à Israël. Esdras le prêtre apporta la Torah devant l'assemblée, hommes
et femmes et quiconque était capable de comprendre, le premier jour du
septième mois. Il en fit la lecture devant la place qui précède la Porte
de l'eau [l'une des portes du Temple], depuis l'aurore jusqu'au milieu
de la journée, en présence des hommes, des femmes et de tous ceux qui
pouvaient comprendre. Le peuple était attentif pour entendre le livre
de la Torah. Esdras se tenait sur une estrade en bois, qu'on avait élevée
pour la circonstance.
Néhémie 8, 1-8

Le retour à Jérusalem

En -539, le roi des Perses et des Mèdes, Cyrus, conquiert Baby-


lone. Pour montrer sa magnanimité, il autorise l’année suivante
les Judéens à retourner à Jérusalem. Une bonne partie des fils
d’exilés, bien installés à présent, resteront à Babylone et formeront

Chapitre 4. Kétouvim ou le livre des Écrits |177


une diaspora puissante, l’autre partie prendra son bâton de pèlerin
pour retourner vers la terre ancestrale. La prophétie de Jérémie se
réalisait.
Pourtant le désenchantement sera à la hauteur des espérances : des
villes dévastées, une terre aride, une nature sauvage et, qui plus est,
une population hostile aux nouveaux venus qui occupent les lieux.
Au nord, notamment, les Samaritains, mélange d’anciens habi-
tants du royaume d'Éphraïm et de colons établis par l’ancienne
Babylonie, expriment verbalement voire physiquement leur désap-
probation (Jésus se servira de ce vieux conflit dans sa parabole
du bon Samaritain). Peut-on dans ces conditions entreprendre la
reconstruction du Temple ? Deux prophètes feront alors entendre
leur voix, Aggée et Zacharie.
Aggée (vers -520) tance les riches qui se sont bâti de belles maisons
au lieu de s'occuper de la demeure de l'Éternel, et demande à
l’ensemble du peuple de se mettre à la tâche. Son contemporain
Zacharie constate la dure réalité : Zorobabel, descendant de David
et haut-commissaire nommé par la puissance tutélaire, possède un
pouvoir limité. Josué, le grand prêtre, reflète pâlement l’antique
splendeur pontificale. Pourtant, Aggée annonce que les ténèbres se
dissiperont prochainement et que Jérusalem sera exaltée. En -515,
le nouveau Temple s’élèvera sur les ruines de l’ancien.

Néhémie et Esdras
Deux hauts dignitaires de la cour perse vont venir en renfort de
l’œuvre de restauration : Néhémie et Esdras. Néhémie, l’archi-
tecte, malgré l'opposition samaritaine, bâtira de hautes murailles
autour de Jérusalem pour assurer sa sécurité.
Si Néhémie s'occupe du corps de la nation, Esdras, le scribe, s’oc-
cupera de son âme. Ayant reçu l'autorisation du roi Artaxerxés
(465-424 av.J.-C.) de conduire un second groupe d’exilés à Jérusa-
lem, Esdras s'engage dans une grande réforme religieuse. Sans son
action, la Torah aurait été oubliée en Israël. Le Talmud le compare
à Moïse (TB Sanhédrin 21b), les historiens le considèrent comme
l'inventeur du « judaïsme ».

178 La Torah
Parmi ses décrets novateurs (le Talmud en recense dix ; voir TB
Baba Kama 82 a) compte l'institution de la lecture publique du
rouleau de la Torah dans les synagogues. N'oublions pas qu'avant
la déportation à Babylone, le seul lieu de dévotion était le Temple.
Les synagogues, inventions de l’exil, permirent alors un culte de
proximité en même temps que la prière devenait complémentaire
des sacrifices.
Notre extrait relate la première lecture officielle de la Torah par
Esdras, en présence de Néhémie. Elle fut inaugurée le premier du
septième mois de l’année hébraïque (1“tichri), ce jour de nouvelle
lune qui deviendra par la suite le Nouvel An juif, Roch Hachana.

La lecture de la Torah

On remarque les éléments de cette lecture publique qui carac-


tériseront le rite synagogal : l'armoire où se trouve entreposé le
rouleau de la Torah qu'Esdras amène sur la place ; l’estrade sur
laquelle il se tient ; le peuple composé des hommes et des femmes
et de ceux qui sont en mesure de comprendre, c’est-à-dire les
jeunes enfants. Nous avons là une communauté et une ébauche
de lieu de culte.
La présence des lévites à la droite et à la gauche de l’officiant
répond à une nécessité du moment : traduire et commenter la
Torah de l’araméen en hébreu. En effet, en exil les Judéens ont
oublié la langue des ancêtres et ne communiquent plus qu'en
dialecte babylonien.
Avant la lecture, Esdras bénit l'Éternel, et l’assemblée répond
« amen, amen », qui peut s'entendre par « nous avons confiance,
nous avons confiance » en Dieu et en Sa Torah.
Le verset 8 précise que notre scribe lisait d’une « manière distincte »
— méforach en hébreu — qui peut signifier en respectant chaque
section (paracha), puisque le texte toraïque se présente sous la
forme d’une succession de paragraphes plus ou moins longs. La fin
de cette lecture traduite s’achève par une homélie instruite par les
fils de Lévi qui développent le sens religieux dudit passage. Encore

Chapitre 4. Kétouvim ou le livre des Écrits |179


aujourd’hui, la lecture achevée, le rabbin explique le texte afin d'en
tirer un enseignement à l'adresse de ses fidèles.
Depuis Esdras, cette lecture publique de la Torah s’accomplit le
samedi (chabbaf), matin et après-midi, le lundi et le jeudi, de même
que lors des grandes solennités ou les jours de jeûne.
À travers ses décrets, notre scribe visait l'instruction religieuse
de ses coreligionnaires qui avaient oublié l’hébreu ancestral et ne
pouvaient donc plus accéder à ses textes fondateurs. Cette lecture
constituait l’axe majeur de sa grande réforme.
Esdras avait conclu que l'ignorance du peuple à l’époque des
prophètes avait occasionné la chute morale du royaume de Juda et
l'exil final. Il restait intimement persuadé que grâce à une éduca-
tion solide à la piété, passant par la connaissance de la Torah, le
peuple juif ne faillirait plus.
Il est vrai que par la suite, sans prophète et sans miracle du Ciel, le
peuple juif sut se montrer fidèle à son Dieu et Sa Torah comme en
témoigne sa longue histoire. Là où les prophètes avaient échoué,
Esdras, et les rabbins après lui, avait réussi. L'histoire d'Israël
pouvait se poursuivre.

180 La Torah
GHAPITRES

LECTURES
DE LA TORAH

Au programme

+ Au cœur du culte
+ À l'écoute de la Tradition
+ Torah et société : implications pratiques

Au terme de cette lecture commentée des principaux récits


bibliques, on peut s'interroger sur la suite de la Torah, ou plus exac-
tement sur ses prolongements. Plus de vingt siècles après la forma-
tion du canon biblique, la tradition juive est toujours vigoureuse.
C’est de la lecture de la Torah que la communauté juive, dispersée,
s'est nourrie et c’est ainsi qu'elle a entretenu une foi vivante.

Au cœur du culte
Que signifie lire la Torah pour un croyant d’aujourd’hui ? Qu'est-
ce que cela implique pour lui ? Nous avons déjà partiellement
répondu à cette question à travers les chapitres précédents. Nous
voulons maintenant tenter d’y répondre plus largement, en présen-
tant d’abord la manière dont ces textes sont lus, individuellement
et, surtout, en communauté.
Une double lecture, littérale et midrachique
Pour le croyant d'Israël, tout ce que Dieu offre à l’homme invite à un
travail de bonification. Cette idée découle des premiers chapitres de
la Genèse : Dieu crée le monde et demande à l’homme de le gérer
(Gn 2, 26 et 27) ; Dieu place l’homme dans le jardin d'Éden et lui
demande de le travailler et de le protéger (Gn 2, 15). Tout se passe
comme si Dieu commençait le travail et demandait à l’homme de
l’achever. Même la sanction contre Adam, « tu mangeras le pain à
la sueur de ton front » (Gn 3, 19), n’est pas entendue comme une
punition, mais comme une responsabilisation consistant à trans-
former la nature brute (le blé) en pain.
Ce qui est vrai pour la transformation de la nature reste vrai pour
l'investissement de l’homme dans l'étude de la Torah, entendue
comme la parole de Dieu. L'importance de cette méditation de
la parole divine fut enseignée par Moïse à son disciple Josué qui
répéta l’enseignement au peuple d'Israël (Josué 1, 8) : « Tu la médi-
teras jour et nuit. » De même le livre des Psaumes est-il inauguré
par ces versets : « Heureux l’homme qui ne suit pas le chemin de
méchants. mais dont le désir s'exprime dans la Torah de l'Éternel
et qui la médite [littéralement « roucoule »] jour et nuit. »
Il s’agit de comprendre que cette méditation ne se limite pas à une
simple lecture répétitive, aussi fervente soit-elle, mais bien à une
réflexion, une analyse du texte afin d’en tirer des enseignements
pour la vie quotidienne, des rites ou des conduites pieuses. Pour
la foi juive, cette démarche s'inscrit dans la logique de l'alliance
(éérif) entre Dieu et l’homme. Puisque Dieu à fait grâce à Sa créa-
ture humaine de qualités intellectuelles et morales, ces qualités
doivent être mises au service de Dieu à travers l'étude. Dès lors,
la Torah devient l’espace de rencontre entre l’homme, être relatif,
et Dieu, l’Être absolu. Si, durant la prière, l’homme se place face
à Dieu pour proclamer qu’Il est source de vie, durant l'étude de la
Torah, l’homme étudie ce que Dieu attend de lui à travers les récits
et les lois de la Bible.

182 La Torah
Il existe deux modes d'interprétation : le mode littéral et le mode
midrachique. Le mode littéral ou sens obvie consiste à comprendre
exactement le verset en tenant compte de l’hébreu, de sa gram-
maire, du contexte, etc. ; le second sens prend appui sur le sens
littéral pour aller au-delà afin de découvrir des leçons de foi. On
pourrait parler ici d’une double recherche, selon la lettre et selon
l'esprit, sans que l’une puisse se revendiquer supérieure à l’autre.
La joie suprême d’un étudiant de la Torah s'exprime dans ce que
le judaïsme nomme le ‘hidouch, le renouvellement de sens. Le
‘hidouch est une interprétation nouvelle qui n’a jamais été trans-
mise par la tradition mais qu’une analyse pointue met en exergue.
Pour les rabbins du Talmud, cette joie représente le summum des
béatitudes, qui sera la récompense même des disciples de sages
dans l’autre monde.
L'autre dimension qui transparaît de l’étude de la Torah est la
dimension dialogale avec le texte. En fait l'étudiant ne se trouve
jamais seul devant son livre ou son parchemin. Il est toujours face
à Dieu. Il ressemble à Moïse au sommet du mont Sinaï, rece-
vant la parole divine et interrogeant le Législateur céleste pour
comprendre le sens et les modalités de la loi révélée. Précisons que
cette dimension dialogale est amplifiée par le fait que l’étude de
la Torah s’accomplit idéalement avec un compagnon d'étude, le
‘haver, l'ami. C’est pourquoi, dans la maison d’étude (yéchiva), les
élèves sont assis par deux, face à face, discutant du texte étudié avec
vigueur, dans un balancement du corps caractéristique. Certains
ont comparé la yéchiva à une ruche, tant le bourdonnement des
étudiants est incessant, le miel distillé étant ici les analyses des
versets.
Si la yéchiva reste le lieu par excellence de l'étude, il n'est pas exclu-
sif. Le foyer est aussi le pendant non négligeable de la transmission.
Du fait que la méditation de la Torah doit se faire jour et nuit, les
familles pieuses se réunissent souvent le soir après le repas pour
étudier quelques versets, ce qui a pour effet d’aiguiser en particulier
l'esprit des enfants. Si cette étude ne peut se faire quotidiennement,

Chapitre 5. Lectures de la Torah 183


alors elle s’accomplira pour le chabbat et les fêtes. Un adage rabbi-
nique enseigne à ce sujet : « Les jours de fêtes n’ont été donnés
à Israël que pour qu'il s’instruise de la parole de la Torah. » Si
l’homme doit travailler durant six jours, selon l’ordre biblique
(Ex 20, 8), alors le samedi et les autres solennités, jours obligatoi-
rement chômés, deviennent des temps de rendez-vous d'étude au
niveau familial et communautaire.
Concluons sur ce dernier point, en rappelant que la synagogue ne
se limite pas à être un lieu de prière, elle demeure aussi l’espace
de la transmission du savoir. Parmi les prérogatives du rabbin
moderne se trouve celle d’enseigner la Torah aux enfants dans le
Talmud Torah (équivalent du catéchisme) et de créer des cercles
d'étude pour les adultes.

Le déroulement d'une assemblée aujourd'hui


Pour comprendre le respect accordé à la Torah, décrivons une
lecture hebdomadaire du chabbat. Cette lecture se situe au milieu
de l'office, entre la prière nommée cha’harit et celle nommée mous-
saf. Lorsque l’heure de la lecture arrive (vers 10 heures - 10 h 30),
toute l'assemblée se lève et l’officiant s'approche de l'armoire sainte
(aron hakodech), qui évoque le Saint des saints, le cœur du Temple de
Jérusalem. Après s'être incliné devant les rouleaux, l’officiant récite
une prière de louange à l'Éternel pour avoir révélé Sa Torah à Israël.
Puis un fidèle est invité à porter le rouleau qu’il amènera jusqu’à
l’estrade où se déroulera la lecture. Durant cette procession, le public
embrasse avec vénération le rouleau et chante des versets bibliques.
Sur l’estrade, un fidèle est chargé de retirer la tunique du rouleau
(qui évoque celle des prêtres du Temple). Avant (ou après) la
lecture, une personne relativement forte soulève la Torah et, en
tournant sur elle-même, présente le parchemin qui sera lu à la
communauté, placée autour pour la circonstance.

15. En général, une synagogue possède plusieurs rouleaux, achetés par la communauté ou
offerts par des fidèles.

184 La Torah
Le jour du chabbat, sept fidèles sont appelés à monter sur l’es-
trade. Dans l’époque antique, chacune des sept personnes lisait un
passage de la péricope, aujourd’hui c’est le ministre-officiant qui
fait toutes les lectures. Pour être précis, il ne s’agit pas de lecture
mais de cantilation, les versets sont en effet chantés selon un air
traditionnel qui varie entre les communautés orientales (séfarades)
et occidentales (ashkénazes). Il existe même une cantilation spéci-
fique pour la lecture des dix commandements.
Pour bien se concentrer sur les versets, l’officiant suit le texte avec
un stylet qui représente une main fermée, index tendu, qui se
prolonge par une tige de bois ou d’argent.
La loi juive exige que durant la lecture, le silence le plus total soit
maintenu, afin qu'aucun mot n'échappe à l'auditoire. Pour mieux
suivre, les fidèles possèdent leur texte de Torah imprimé sur un
livre ; il existe également des éditions bilingues pour ceux qui ne
maîtrisent pas suffisamment l’hébreu.
Après le temps de la lecture vient celui de la réflexion, puisque le
rabbin offre une pensée du jour, une sorte d’homélie construite
sur une phrase ou une idée de la paracha. Ce moment est impor-
tant, il constitue pour beaucoup de fidèles qui n’étudient pas
pendant la semaine la possibilité d’entendre un commentaire de
la Torah.
Nous avons dit qu'Esdras avait fixé la lecture publique de la Torah
le samedi, ainsi que le lundi et le jeudi, qui étaient jours de marché.
Les rabbins ont trouvé dans le texte toraïque un appui scriptu-
raire à cette lecture trihebdomadaire. Il est écrit en effet (Ex 15,
22 et 24) :

Les enfants d'Israël marchèrent trois jours dans le désert et ne


trouvèrent point d'eau. [...] Alors le peuple se plaignit à Moïse en
disant : que botrons-nous…
Exode 15, 22 et 24

Chapitre 5. Lectures de la Torah 185


Ici le texte est lu sur un plan symbolique : l’eau représente la Torah,
et Israël ne peut rester trois jours sans Torah. Il se trouve qu'entre
samedi et lundi, lundi et jeudi, jeudi et samedi, il n’y a pas trois
jours sans Torah.
Nous avons là une lecture typique du Midrach qui souligne l’im-
portance de la Torah dans la vie juive.

À l'écoute de la Tradition
La bibliothèque juive impressionne par le nombre d'ouvrages de
commentaires sur la Torah. Ce travail rédactionnel a visé un double
but : extraire les idées religieuses et les rites à partir du texte, et
montrer la cohésion de l’œuvre, en soulignant comment les versets
se répondent l’un l’autre dans une parfaite harmonie. Certains
livres ont fait l’objet de discussions ardues entre les sages antiques
quant à leur canonisation (le Cantique des cantiques à cause de ses
images érotiques ou l’Ecclésiaste à cause de son pessimisme), mais
ils furent finalement intégrés du fait que des maîtres démontrèrent
qu'ils demeuraient intelligibles à l’intérieur du corpus biblique.
De cette unité textuelle, posée en postulat d'étude, découle un autre
principe : l’idée de permanence. En d’autres termes, le texte peut
être interrogé en tout lieu, dans toute culture, en toute époque, il
sécrétera toujours de la pensée. Ce qui est dit n'est jamais défi-
nitivement dit, mais il restera toujours du dire qui débordera du
commentaire antérieur. Le philosophe Emmanuel Levinas parlait
d’un « au-delà du verset!f. »

La permanence du Livré
La Torah comme mémoire du peuple juif ; la Torah comme réfé-
rence identitaire ; la Torah comme lien entre Dieu et l’homme ; la
Torah comme point central de l'office du chabbat et des fêtes ; la

16. Voir E. Levinas, page 204.

186 La Torah
Torah comme source de méditations religieuses ; la Torah comme
livre permanent... toutes ces propositions sont vraies, et le Juif
peut les intégrer toutes ou en choisir quelques-unes. De toute
façon, au bout de notre voyage, nous aurons compris le poids de
chacune d'elles.
La Torah est aussi une parole qui s'arrête dans un temps précis,
celui de la fin du phénomène prophétique. Avec la destruction du
premier Temple disparaissent les derniers hérauts de Dieu, comme
si la destruction du Temple empêchait une audition claire de la
parole céleste.
Que reste-t-il après le prophétisme ?
Il est remarquable de souligner qu’au moment où les derniers
prophètes s’éteignent, autour du v* siècle av. J.-C., la philosophie
apparaît à Athènes avec Platon et la sagesse méditative naît avec
le Bouddha. Pour la tradition juive, le prophétisme se scinde alors
dans ses deux dimensions : sa part rationnelle touchera l'Occident
et sa part mystique l'Orient. Dans cette même logique, le peuple
hébreu devient le peuple juif, qui hérite de textes inspirés par Dieu,
et le prophète est remplacé par le sage. Si le prophète s’exprimait le
plus souvent dans l'urgence d’une situation à corriger, le sage pren-
dra le temps d’écouter les paroles prophétiques, de les méditer et
de les transmettre avec patience. Le Talmud raconte qu'un maître
expliqua cent et une fois la leçon à une élève qui avait du mal à
assimiler les raisonnements.
La fin du prophétisme n’a pas sonné le glas d'Israël, comme les
épreuves les plus tragiques n’ont pas eu raison de sa survie. Le Juif
de la foi reste persuadé que Dieu a parlé à tout un peuple, il y a près
de 3 000 ans, dans le désert du Sinaï, et que cette parole de feu est
consignée dans un Livre qui est plus qu'un livre.
« Pourquoi la Torah a-t-elle été donnée dans le désert, un lieu non
habité ? demande un rabbin. Afin que personne ne puisse dire :
cette parole est de ma patrie et non de la tienne. La Torah est posée
devant tout homme qui veut venir la prendre, qu'il vienne l’étudier
et elle deviendra sa couronne. »

Chapitre 5. Lectures de la Torah 187


Les communautés juives dans le monde
La fin du temps prophétique marque pour la communauté juive un
nouveau temps de « désert », propice à la méditation des paroles
reçues. Au cours des siècles, cette méditation s'enrichit des événe-
ments vécus par les communautés juives dispersées à travers le
monde, la diaspora.

Les tribulations durant l'ère chrétienne


La condition juive de l’exil demeure longtemps tragique. Le conflit
avec l’Église et une certaine domination de la Mosquée puisent
à des sources théologiques : Dieu aurait abandonné Israël pour
n'avoir pas cru en Jésus ou en Mahomet (croisades, conversions
forcées, massacres, expulsions, ghetto, mellah).
La communauté autour de la Synagogue joue alors le rôle de cocon
de protection. Dans les périodes d’accalmie, le Juif reste toléré.
Certains s’investissent, néanmoins, dans la vie économique, scien-
tifique, politique, quand l’opportunité se présente. La créativité
religieuse perdure aussi (exégèse, poésie, liturgie, philosophie,
mystique, littérature).
Après l'expulsion d'Espagne (1492), une communauté renaît en
Galilée (à Safed), réunissant mystiques et talmudistes. Le rabbin
Joseph Caro (voir page 41) compose La Table dressée, qui devient le
livre de référence pour le culte familiai et communautaire.

La Table dressée

Ce livre a été écrit par le rabbin Joseph Caro qui avait fui l'Espagne après
l'expulsion des Juifs en 1492. La Table dressée (Choul’han Arou‘h) présente de
manière abordable pour un large public tous les aspects de la vie religieuse. Ce
livre reste une référence incontournable de la religion d'Israël.

Au xvur siècle, l'Europe connaît son temps des Lumières. La


Révolution française inaugure l'émancipation des Juifs d'Europe.

188 | La Torah
La modernité juive
Cette Emancipation ouvre plusieurs voies identitaires. Le temps
où la religion modèle le Juif se métamorphose en temps où le Juif
modèle la religion.

Le judaïsme consistorial
Créé en 1808 par Napoléon, le Consistoire gère le culte (syna-
gogue, règles alimentaires, cimetière, éducation..). Il prône la
pratique religieuse dans la sphère privée et l'intégration citoyenne,
selon le principe talmudique : « La loi du pays est la loi. » L'israé-
litisme correspond à cet état d’esprit.

Israélitisme

En histoire, ce terme désigne l'attitude bienveillante des Juifs émancipés par


la Révolution française à l'égard de la France. L'israélitisme se traduisit par un
esprit national exacerbé et par la volonté de vivre la religion juive en harmonie
avec les principes de la République. Cet esprit s'est maintenu pour la grande
majorité des Juifs de France.

Le Consistoire fonctionne en système pyramidal. À sa tête se


trouvent un Grand Rabbin de France et un président de commis-
sion (longtemps, les Rothschild assumeront ce rôle). Dans chaque
grande ville : un Grand Rabbin et un président ; dans chaque
communauté locale : un rabbin et un président.

Le judaïsme hibéral
Le mouvement juif des Lumières se développe en Allemagne, mais
percera surtout aux États-Unis, à partir du xx‘ siècle. Au début,
le culte est réformé : suppression de l’hébreu des offices remplacé
par la langue vernaculaire, déplacement du chabbat au dimanche,
patriotisme et fin de l’aspiration du retour à Sion. Le judaïsme
réformé pose l’évolution de lareligion et la critique biblique. Après
la Shoah et la création de l'Etat d'Israël, on observe un retour au
chabbat le samedi, l'introduction de l’hébreu dans les offices, la
formation de femmes-rabbins.

Chapitre 5. Lectures de la Torah 189


Le judaïsme orthodoxe
Le judaïsme « orthodoxe » (pensée droite) réagit au judaïsme
libéral, fixant des garde-fous contre la perte des traditions. Pour
l’orthodoxie, la Torah n’est pas évolutive, mais fixée depuis la révé-
lation du Sinaï. Certes, la loi peut s’adapter aux progrès techniques
(par exemple, la minuterie du chabbat qui rythme, selon une
programmation préalable, l'allumage ou l'extinction des lumières),
mais dans le respect absolu de l’antériorité du Talmud. Ce judaïsme
lutte contre toute forme d’assimilation.

Le judaïsme Massorti (ou conservatif)


Cette mouvance, née en 1887, présente une troisième voie. Refu-
sant de faire table rase de la Tradition, elle reconnaît la législation
talmudique, à condition de l’inscrire dans sa dimension historique
(par exemple, le statut de la femme lié aux conditions sociolo-
giques). Sa particularité visible est la suppression de la séparation
hommes/femmes à la synagogue.

Le sionisme religieux

Incontestablement, la liturgie juive exprime une nostalgie du


retour à Sion (Jérusalem). Par exemple, il est dit dans le psaume
137 : « Si je t’oublie, Jérusalem, que ma main droite m’oublie. »
Chaque siècle d’ailleurs connut des 4/yoth, soit en conséquence de
l'antisémitisme, soit par décision personnelle. Bien que le retour en
Palestine fût majoritairement un fait politique de Juifs assimilés,
une partie du monde religieux diagnostique la création de l'État
d'Israël comme l'expression de la volonté divine.

Alyoth

Pluriel d'a/yah (montée), le terme a/yoth désigne les montées individuelles ou


collectives de personnes juives vers la terre d'Israël, considérée comme terre
des ancêtres. || en est question à plusieurs reprises dans les Psaumes. Ainsi, on
peut lire au psaume 122 : « J'ai été dans la joie quand on m'a dit : “Allons à la

190 La Torah
Maison du Seigneur !” Nos pieds s'arrêtent à tes Portes, Jérusalem, Jérusalem
bâtie comme une ville où tout se tient ensemble. C'est là que montent les tribus,
les tribus de Yah ; c'est un ordre pour Israël de célébrer le nom du Seigneur. »

Le judaïsme laïc
Cette tendance est née avec les utopies révolutionnaires. Pour faire
valoir leurs droits dans des pays à forte tendance antisémite, les
Juifs créent un mouvement ouvrier indépendant, le Bund, en 1897.
L'émanation la plus réussie de ce judaïsme laïc fut l'engagement
dans le sionisme, à travers la création du kibboutz. En France, une
association portant le nom de « judaïsme humaniste et laïc » voit le
jour en 1991, autour d’intellectuels comme Albert Memmi. Cette
association est née en réaction au discours parfois intransigeant
de l’orthodoxie (conversions, mariages mixtes, actions politiques,
etc).

Kibboutz

Ce sont des villages collectivistes qui se sont développés en Israël depuis le


début du xx° siècle. Les familles qui y vivent partagent l'idéal socialiste du
partage des biens et des outils de production. Généralement, elles mangent
ensemble dans de grands réfectoires et proposent une éducation très attachée
à la nature. Aujourd’hui, le kibboutz fonctionne comme une grande entreprise
agricole.

La liberté d'interprétation
Quiconque goûte à l’étude juive sera surpris par le nombre d'in-
terprétations, souvent contradictoires, qui jaillissent d'un même
verset. Une blague juive annonce que lorsque deux rabbins se
rencontrent, il y a toujours trois opinions |
Le Talmud rapporte les nombreuses divergences qui opposèrent les
écoles d’'Hillel et de Chamaï, deux maîtres qui vivaient quelques
décennies avant Jésus. Chacun argumentait afin que la loi soit

Chapitre 5. Lectures de la Torah 191


appliquée selon son interprétation, mais on ne pouvait trancher.
Une voix céleste se manifesta dans la maison d’étude et proclama :
« Celles-ci et celles-là sont les paroles du Dieu vivant. »
Idée centrale du judaïsme : chaque école véhicule un aspect de la
vérité absolue qui reste du côté de Dieu. Les hommes ne perçoivent
que des parcelles de cette vérité à travers leurs visions personnelles
de la réalité. Quiconque affirme que le verre est à moitié plein dit
aussi vrai que celui qui le dit à moitié vide. Tant que l'intention
de l'étude est motivée par l'amour du Dieu un et de Sa Torah, et
tant que l'interprétation reste cohérente dans son raisonnement
interne, alors cette interprétation est valable, elle est kacher.
C’est pourquoi un docteur de la Loi ne dira jamais à un autre : «Tu
as tort », mais il lui dira : « Je te propose une autre parole (davar
a’her). » L'altérité s'entend et s'étend jusque-là : le respect de l’autre
implique le respect de la lecture de l’autre, cet autre qui révélera la
part du texte qui échappera toujours au premier, et inversement.

Torah et société : implications pratiques


Le philosophe Moïse Mendelssohn (1729-1786) définissait la
Torah comme une « législation révélée ». À ses yeux, la révélation
divine ne portait pas sur des dogmes et des croyances, qui dans le
judaïsme sont laissées à l'appréciation de chacun, mais sur des actes
de piété, les mifsuor. À travers l’observance de ces mifsvot posi-
tives (ce qu'il faut faire) ou négatives (ce qu’il ne faut pas faire), le
croyant prend conscience de son rapport à la transcendance divine.
Dans cette optique la loi juive embrasse tous les aspects de l’exis-
tence : la vénération et l’amour de Dieu, la célébration du chabbat
et des fêtes, pour le domaine religieux ; les relations humaines,
la vie commerciale, la famille, pour le domaine civil. De ce fait,
respecter le repos chabatique devient aussi important que de venir
en aide à une personne défavorisée, de même que l’honnêteté dans
son travail vaut autant que la ferveur liturgique.

192 La Torah
Concrètement, ces règles obligent l’homme juif à vivre selon une
certaine discipline qui aura des implications sur ses relations avec
son environnement humain. Ne pas travailler le samedi, manger
kacher (selon les règles alimentaires tirées de la Bible), prier trois
fois par jour induit une organisation de vie qui tranchera avec le
mode de vie de personnes non juives!?.
Le croyant juif au sein de la société française a toujours su adapter
ses exigences religieuses au vivre-ensemble. Prenons l'exemple de
l’une de nos amies, pharmacienne, qui ne travaille pas le samedi,
mais assure les permanences du dimanche et qui prend son mois
de congé en septembre afin de respecter la totalité des fêtes
d'automne.
Quant au manger kacher, il ne signifie pas s’isoler pour prendre
son repas, mais suivre son régime alimentaire comme d’autres
aujourd’hui suivent le leur. Ainsi, il nous arrive d’être invité lors de
colloques dans des abbayes ou des hôtels et c’est toujours avec un
grand scrupule que nos hôtes respectent nos impératifs religieux.
Ici encore la lettre et l'esprit doivent totalement s’harmoniser et
si, comme l’enseignait un grand maître du Talmud, le fondement
de la Torah est le verset « tu aimeras ton prochain comme toi-
même » (Lv 19, 18), alors cela implique bien que la vie religieuse
doit permettre une bonne entente fraternelle entre les hommes.

17. On parle souvent du non-Juif comme du goy. Étymologiquement, le mot goy désigne
un peuple quel qu'il soit, Israël inclus (Gn 12, 2). Par évolution de langage, ce terme à
fini par désigner le non-Juif, l’homme des nations, sans que ce terme porte la moindre
coloration péjorative.

Chapitre 5. Lectures de la Torah | 193


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CONCLUSION
Ici se termine notre visite. Nous espérons qu’elle vous aura procuré
autant de joie que nous en avons eu à être votre guide. Nous avons
présenté quelques brefs extraits de ce pays nommé Torah ou, dans
son sens large, la Bible, le livre le plus vendu au monde. Mais, avant
de nous quitter, nous aimerions conclure par ces quelques mots.
On peut dans un premier temps considérer la Torah comme un
ensemble de textes rédigés à différentes époques de l'Antiquité.
Grâce aux outils d'investigation modernes (histoire, sémiologie,
philologie, archéologie, ethnologie, etc.), on peut établir des ponts
avec d’autres cultures religieuses, avec d’autres légendes, et s’arrêter
à. Mais on peut aussi, sans nier le premier fait, y investir un peu
plus d'intelligence afin d’en découvrir la cohérence interne, l’origi-
nalité, telle que les compilateurs ont pu l'entendre à l’époque de la
canonisation finale.
Dès lors, nous entendons d’abord une immense histoire qui
commence aux origines du monde et qui nous amène au V° siècle
avant l’ère chrétienne. Son objet n’est pas universitaire, mais reli-
gieux ; et il serait autant dommageable pour la foi que pour la
science de vouloir à tout prix les concilier.
Ceci posé, chaque période de cette grande saga, entrecoupée de
poèmes et de maximes sapientales, connaît ses héros, sans que le
texte s'attache à l’un d’entre eux en particulier. Le caractère de l’un
diffère du caractère de l’autre ; pour l’un, la foi en Dieu s'exprime
d’une certaine manière, et d’une manière différente pour le suivant.
Le texte ne donne pas sa préférence, il ne conclut pas. L'histoire
avance au rythme des « engendrements », au lecteur d'entendre,
d'analyser, d'appréhender, de critiquer s’il le veut.
Car à la différence d’autres livres fondateurs, les personnages
bibliques ne sont pas irréprochables, et même les plus grandes
figures révèlent leurs failles. Rares sont ici les héros qui peuvent se
targuer d’un parcours sans faute. Le croyant affirme que ce livre est
inspiré par Dieu et pourtant les chroniques restent profondément
humaines.
Certes Dieu est présent, par Ses manifestations, Ses miracles, Ses
paroles, Ses appels, Ses colères, Ses nostalgies, Ses amours, par
Ses silences aussi, mais Il semble finalement prisonnier du bon
vouloir de Ses créatures humaines, de leur sagesse ou de leur folie.
L'Éternel réclame le droit, la justice, l'amour du prochain, mais Il
n'impose pas ces vertus en transformant miraculeusement le cœur
de l’homme. Dieu et homme, même destin ! Et si ce dernier ne
pratique pas ce droit, cette justice et cet amour, alors ces valeurs
demeureront éthérées, en attente d’incarnation.
Curieux livre que cette Torah qui évoque toujours les égarements
d'Israël, ses manquements, ses chutes plutôt que ses élévations, et
qui s'écrit presque toujours contre celui à qui la Parole s'adresse en
premier chef. Les compilateurs n’ont rien caché, rien gommé, rien
passé sous silence, ni le veau d’or, ni la concupiscence de David,
ni la fuite de Jonas. On ne censure pas la nature humaine. On la
montre à nu et on invite à l'améliorer de l’intérieur, d'autant que
l'idéal mosaïque est si exigeant.
Car au cœur du Livre apparaît en filigrane permanent la loi de
Moïse dont s'inspirèrent tous les prophètes. Cette lutte des
prophètes au nom de la liberté, de l'égalité, de la responsabilité, de
la fraternité préparait la voie des grandes révolutions qui allaient
changer la face du monde au cours des siècles. Ces inspirés étaient
trop en avance pour leur temps, d’où le décalage entre leurs aspira-
tions et une réalité humaine, trop humaine.
Mais à l'instar du songe de Jacob, une échelle se dresse entre le ciel
et la terre. L'homme n’est jamais condamné par un fafum aveugle
à stagner, il peut toujours avancer, à l’image d'Abraham. L'espé-
rance jaillit, même dans les moments tragiques. Grande leçon de
la Bible !
Par-delà Israël, la Torah parle à l’homme dans ce qu'il a d’éternel,
les passions, l'amour du bien ou le désir du mal, voilà pourquoi elle

196 La Torah
peut s'adresser au moderne, pourquoi elle inspira les peintres, les
écrivains, les musiciens, les artistes de toutes les époques. L'homme
évolue moins vite que ses découvertes technologiques.
Il existe d’autres livres emplis de sagesse, de récits pertinents, de
réflexions profondes dans d’autres fois, d’autres cultures ; et notre
humanité marquée par la rencontre et les échanges les met à notre
disposition. La Torah appartient à cette bibliothèque.
Le philosophe Jankélévitch usait de cette formule : « Le judaïsme
ne vise pas à judaïser le monde, mais à l’humaniser. » Dans son
langage propre, la Torah dit quelque chose à l’homme pour qu'il
soit toujours plus humain. C'est là l'invitation de cette œuvre
toujours actuelle.

Conclusion 19/7
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INDEX

La liste ci-dessous recense noms, lieux, livres, fêtes et concepts


mentionnés dans l'ouvrage. Les noms des « héros » sont en gras,
les noms des commentateurs de la Torah sont en petites capitales,
les noms des livres sont en italique.
Lorsqu'un terme a fait l’objet d’une définition particulièrement
développée, le numéro de page correspondant est en gras.

A Canon 34, 37,161, 163,174, 195


Cantique des cantiques 32,34, 35,36,
Aaron 80, 88,90, 114,130, 131, 138,147
TOME 164170
Abel 59,73,175
Cham 51,102
Abraham 16,22,55,56,57,58, 59,60,
Chroniques 32,35
GES 67 76181006 125449
Circoncision 61, 123
D'OAAMISE
Culte 23,25,27,87, 127,160, 179, 188
Abstème 108
Cyrus 23,27,133,177
Adam 44, 45,47, 48, 50, 59, 80, 182
Agar 56,64
Aggée 32,36,178 D
Alexandre 24 Dan 108, 109,113
Alyoth 190 Daniel 32,35,37
Amos 32,36 David 16, 22,27,36,77,107,114,118,
Apocryphe 34,162 152 174
AqQu8A 34,66, 162,163 Décalogue 18, 22, 26,28, 38,85,118,
Araméen 11,23, 29, 34,179 15e, 1841
Deutéronome 28, 30, 31, 79, 92,93,95,
GÉMAPTIRLS

Babel 50, 51,55, 78, 104, 139


Babylone 15, 23,27, 36, 40, 126, 128,
E
SOMME SMS MTS Ecclésiaste 52,54 554162 1707
BEN ZoMA 110 PASSAIT OMTALES
Boaz 165, 166, 167,168, 169 Élie 119,120,121,122,123,134,146,
149

C Esaü 17,19,66,67,68,69
Esdras (livre) 32,33, 35,37, 38
Canaan 16, 19,22, 24,32, 57,66, 68,
Esdras (prophète) 23,24, 27,28,35,37,
89, 102, 104, 105, 106, 107, 112, 142,
28 50 14777 7e 79 180
165,166
Estherlivre) 33,35,37 aie (IMe) 5265/56/55 M25M26/122);
Êve 46, 49,50 130,134
Exode 30, 74,77,78,81, 83, 139 Isaïe (prophète) 36,55, 105, 125, 126,
Ézéchiel(livre) 32,35, 36, 129, 130, 133, 1271524
137 Israélitisme 189
Ézéchiel (prophète) 36,133, 134, 135, Israël (pays) 16, 19
136,138,145 Israël (peuple) 17, 18, 19, 22, 26, 29,31,
Ezra (Abraham ibn) 46, 97, 147, 148 CNET NBONS IRAN SEA ONPOE)
J6NOOMOAMOS MOOMT2 MAO MMS?
F 125 M7 M2 MECMEOMUATMSE
178, 180, 186,187
Fêtes
9 av 33
Chabbat 120, 153,157, 180, 184, J
185, 186, 189, 192 Jacob 16,17,19,22,66,67,68, 69, 72,
Chavouot 27,33,83 SAME AMOMAOMISES
Kippour 28, 33, 127,128, 137,141 Jérémie (livre) 32,35, 36, 129
Pessah 27,28, 33,80, 81,83,161 Jérémie (prophète) 29,36, 130,131,
Pourim 33 IS2MESMESS
Soucot27 25 175 Jérusalem 16,23,24,25,27,33, 40,
ITÉMAIOMO ME OMEEMES M7
G 190, 191
Jésus 25,92, 178, 188, 191
Genèse 18, 28, 30, 44,51,55, 59, 60,
Jéthro 74,76,77
CAO ANS MOMIE?
Jézabel 120, 121,140
Gochen 17,74
Job livre) 32,35,36,157,158,159
Golem 47
Job (personnage) 141, 158, 159, 160,
Grande Assemblée 23,35,36,39, 162
(72
Joël(livre) 32,36
H
Jokéved 75,76
Habacuc (livre) 32 Jonas (livre) 32, 127,141
Habacuc (prophète) 36 Jonas (prophète) 32,36, 141,142, 143,
Hanna 112,113 144,145
Hébreu (langue) 11, 23,24, 28, 45, 51, Joseph 17,68, 70,71,72,73,78,168
O7 nl 2, OO CSS MOS, 126 152% Josué (livre) 32,35, 36, 102, 104, 105,
12 IE MNO 106
Hébreux (peuple) 15,17,22,75,78, 82, Josué (personnage) 22,36, 38, 102,
83,89,101 103 106107 M17SMI82
Héli 111,113 Juda (frère de Joseph) 23,73,168
Judalbays MS MO PMP SOMME
180
(OS 26/2756; 5709 8285 M0) Juges (livres) 32,35, 36, 107, 108, 112,
1822440728 ill
Isaac 16, 17, 22,60,63,64, 65,66, 69 Juges (personnages) 113
Juif 15

La Torah
K Nahum (prophète) 36
Kacher 91 Naomi 164,165,166,167
Kibboutz 191 Néhémie (livre) 32, 33,35, 37,177
Néhémie (prophète) 28, 37,178
L Noé 51, 52,53, 54,59, 63,80, 102, 142,
144,145
Laban 68, 69, 108 Nombres 30, 31, 140
Lamentations (livre) 32,33, 35, 37,130
Léa 17,22,68,71,109,113
O
Lévi (frère de Joseph) 23,31, 70, 179
Obadia (livre) 32
Lévite 87,88,117,179
Obadia (prophète) 32,36
Lévitique (livre) 30, 31, 86, 87,90, 91,
Osée (livre) 32,36, 137
SMTP ES
Lot 58, 106,167
Osée (prophète) 129,137,138, 139,
140

M P
Madian 74,76
Patriarches 22,95, 104, 109, 129
MaAÏiMONIDE 40, 56, 62, 163
Péricope 28, 53, 185
Malachie (livre) 32,124, 146
Philistins 67, 105, 108, 109, 110, 111,
Malachie (prophète) 36, 124, 129, 146,
111280414121
147,148, 149 :
Phylactères 99
Manuscrits de la mer Morte 25
Prophète 26
Massoreth 41
Proverbes 32, 35,36, 162, 169, 172
Mésopotamie 16
PSaumes 2265 60 2787192411;
Messie 109, 118, 120, 126, 146
ISAMSENSENUSC 1676 77 82 100)
Mézouza 98,99
Michée (livre) 32
Michée (prophète) 36 R
Midracn ar 4146 572%05 75 7790), Rabbin 24,25,31,41
1lOOMMOMAEAMTASMITAIPTSES A186 Rachel 68, 69, 71,72, 108, 109, 113
Mitsvot 18, 192 RacHI 49, 58, 74, 79,96, 147, 168
Moïse 17,22,26,27,29,30, 35, 36, 38, Rébecca 1/,66,68,69,71
ASP SO TAN TS IG TI 18 80/86) Rois (livres) 32,35, 36, 38, 115, 119, 120
CTROUMOS AO CAOTMIOIMIO2MOSALOT Ruth (livre) 32,35, 36,165
160€ M NM 22 MESSE, Ruth (personnage) 164, 165, 167, 168,
SOMMES 720 ISA IS? 169
LES NOT ITA NAT EMA
185, 192, 196 S
Myriam 75,76 Sages de Yavné 39
Salomon 23, 27,34, 36,118, 119,164,
N OMAN ANSE
Nabuchodonosor 16,23,27,130,136 Samson 22, 107, 108, 109, 110,111,
NAHMANIDE 74 142
Nahum livre) 32

index 201
Samuel(livres) 32, 35, 36,112, 113,114, Aggada 41
[Ke] Baba Batra 35, 103, 130, 158
Samuel (personnage) 22, 35, 36, 38, Guémara 40
APM PAIE SL Hala'ha 40
Sarah 16,17,22,56,60,61,63,64,71, Michna 29, 40, 162
109 Migraot Guédolot 41
Saül 22,38, 107,114,118,156 Traité Avot 41, 56,110
Septante 30,31 Tamar 168
Simalnts, 222629783782 8595 "10% Téfilines (voir Phylactères) 99
12SMSEÉMSSMSOMACALE ALT Temple de Salomon 15,16, 24
l'UE 71190 Terre promise 16, 26, 43,47,79, 83,95,
Sinar (voir Babel) 50, 51 l'OMC MMENME2A
Sion (voir Jérusalem) 27,134, 189 Tétragramme 95,168
Sophonie (livre) 32
Sophonie (prophète) 36,97 Y
Synagogue 23, 28, 30
Navné 25,59
T YAHWH 95,96,167

Table dressée (la) 41,188 Z


Talmud 31, 32,33, 34,35, 40, 45, 49,56,
Zacharie 32,36, 123, 178
62,65,89,94,98, 124, 144, 146, 174,
ITEMOT AS OMETAISE

202 La Torah
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D Ur 2
Du même auteur

Les Rendez-vous de Dieu, Daleth, Paris, 1998.


Kasherouth ou La diète éthique, Daleth, Paris, 1999.
Épreuves d'espérance, Actes Sud, Arles, 2000.
Pour expliquer lejudaïsme à mes amis, Yn Press, Paris, 2001.
Durban, Safed, Paris, 2001.
L'Aigle de Dieu (roman), Éd. Jean-Cyrille Godefroy, Paris, 2002.
L'Islam et le judaïsme en dialogue, avec Ghaleb Bencheikh, Éd. de
l’Atelier, Paris 2002.
Israël, j'aifait un rêve, Éd. de l’Atelier, 2003.
Le Méiri, rabbin catalan de la tolérance, Mare Nostrum, Perpignan,
2006.
Anthologie du judaïsme : 3 000 ans de culture juive, sous la direction de
Francine Cicurel, Nathan, Paris, 2007.
Juifs, chrétiens, musulmans, ne nous faites pas dire n'importe quoi |, avec
Ghaleb Bencheikh et Jacques Arnould, Bayard, Paris, 2008.
Les Fêtes juives : réflexions sur les solennités du judaïsme, avec Gérard
Haddad, Éd. du Cerf, Paris, 2008.
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et à la compréhension de nos références culturelles communes.

559729

:655972
éditeur
Code 782212
:ISBN
55972-9
978-2-212-
9

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