TRaduction Et Textetraduction Et Texte: Vers Un Nouveau Double Paradigme Yves Gambier
TRaduction Et Textetraduction Et Texte: Vers Un Nouveau Double Paradigme Yves Gambier
org/signata/1195
RÉSUMÉS
FRANÇAİSENGLİSH
L’article part d’une interrogation simple : quand un traducteur littéraire, un sous-titreur, un
localisateur de sites Web, un publicitaire adaptant une campagne internationale, un interprète de
conférence parlent de texte, réfèrent-ils au même concept et indirectement perçoivent-ils la
traduction de la même manière ? La diversité des conceptions et pratiques du texte façonne les
modalités de traduction. Inversement, peut-on penser que les différentes pratiques actuelles de
traduction, portant sur des textes variés, puissent aider à reconfigurer la notion de texte ? Dans sa
première partie, l’article se concentre sur les paradigmes en compétition qui existent maintenant
en traductologie. Puis il se penche sur la matérialité des traductions et de ses effets historiques,
cette matérialité n’étant pas sans impact sur la conceptualisation du texte. Ensuite, dans un
troisième temps, il relie les avancées en traductologie avec celles de la linguistique textuelle. Enfin,
avec l’arrivée (ou le retour ?) du texte multimodal, on ne peut s’empêcher d’interroger la validité
du concept dominant de texte, défini notamment, dans les années 1970, par les critères de
textualité. Le travail des traducteurs ne remet-il pas en cause le concept de texte, historiquement
daté ? Les transformations en cours des paradigmes de traductologie ne permettent pas encore
d’apporter une réponse tranchée.
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ENTRÉES D’İNDEX
Mots-clés :
numérique, traduction, genres, multimodalité, paradigme
Keywords:
digital, translation, genres, multimodality, paradigm
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PLAN
TEXTE İNTÉGRAL
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1À la base de cet article, il y a une interrogation simple : quand un traducteur littéraire, un sous-
titreur, un localisateur de sites Web, un publicitaire adaptant une campagne internationale, un
interprète de conférence parlent de texte, réfèrent-ils au même concept et indirectement
perçoivent-ils la traduction de la même manière ? La diversité des conceptions et pratiques du
texte façonne les modalités de traduction. Inversement, peut-on penser que les différentes
pratiques actuelles de traduction, portant sur des textes variés, puissent aider à reconfigurer la
notion de texte ?
2Nous centrerons d’abord notre réflexion sur les tensions qui existent maintenant en traductologie,
sur les paradigmes en compétition dans ce champ de recherche. Puis nous nous pencherons sur la
matérialité des traductions. En effet, une perspective historique permet de saisir que les matériaux
à la source des traductions n’ont pas toujours été tels qu’on les perçoit. L’écriture, détachant les
mots les uns des autres, le texte avec ses paragraphes, sa ponctuation, sa mise en page… n’ont
pas été donnés d’un coup. Ils se sont construits au fur et à mesure que certaines techniques
apparaissaient, jusqu’à aujourd’hui où la culture numérique bouscule les conventions textuelles
acquises, reconnues. Ensuite, dans un troisième temps, nous relierons les avancées en
traductologie avec celles de la linguistique textuelle. Les typologies proposées dans le cadre de
cette dernière ont affiné à la fois nos manières de comprendre un texte et de produire une
traduction. Enfin, avec l’arrivée (ou le retour ?) du texte multimodal, on ne peut s’empêcher
d’interroger la validité du concept dominant de texte (verbal, monomodal). Les critères de
textualité, définis dans les années 1970, peuvent-ils s’appliquer aux documents contemporains à
traduire ? Le travail des traducteurs ne remet-il pas en cause le concept de texte, historiquement
daté ? Les transformations en cours des paradigmes de traductologie n’autorisent pas encore à
apporter une réponse tranchée. Elles soulignent néanmoins les corrélations entre la matérialité des
textes et leur conceptualisation. La traductologie peut mieux cerner sans doute ce sur quoi portent
les efforts des traducteurs.
5Ce paradigme par défaut a, sans aucun doute, des racines historiques, dérivant en partie de la
façon dont les langues étrangères ont été traditionnellement enseignées (exigeant une sorte de
correspondance quasi automatique). Dans cette perspective, les traducteurs sont invisibles ; ce
sont des agents passifs, sans voix, sans empathie, sans subjectivité, sans réflexivité, sans aptitude
à l’interprétation, sans conscience interculturelle et sans qualifications, soumis à une éthique
supposée de la neutralité (Sun 2014).
6La conviction populaire qu’un texte à traduire n’est rien d’autre qu’une suite linéaire de mots ou
de propositions explique en grande partie pourquoi la traduction a longtemps été considérée
comme inférieure, subordonnée à l’original. Cela témoigne des perceptions plutôt archaïques de la
« traduction » et des « traducteurs » par un grand nombre qui continuent de propager des lieux
communs, percevant la langue comme statique plutôt que dynamique, envisageant la
communication comme un conduit unidirectionnel, une simple séquence d’informations plutôt
qu’une suite co-construite d’interactions. Les traducteurs ont eux-mêmes contribué à cette
négation de la traduction. Souvent incorporant, internalisant ces aspects de « subalterne » dans
leur travail, ils ont été pris entre l’idéalisme sacrificiel et un matérialisme calculateur de leur
activité, embrassant le labeur et la servilité de leur « vocation » toujours précaire, comme si cette
pratique exigeait une certaine prédisposition envers l’auto-effacement docile (Kalinowski 2002 ;
Simeoni 1998 ; Buzelin 2014). Les métaphores de la traduction et les images du traducteur dans
l’imaginaire collectif sont régulièrement reproduites dans des œuvres de fiction, des romans, des
films et même dans les médias (Gambier 2012). Elles frisent stéréotypes et clichés, le traducteur
étant vu assez souvent comme un ermite dur au travail, un marginal, un imposteur plus qu’un
médiateur.
8Les changements en cours en traduction dans le monde numérique ne sont pas confinés à la
traduction professionnelle et aux activités de localisation. De nouveaux types d’utilisateurs ont en
fait émergé. L’un des exemples les plus frappants est l’emploi de la traduction automatique (TA)
par quiconque, n’importe où. Des programmes librement accessibles sur le Web permettent de
charger des contenus et d’obtenir l’essentiel d’un document, sans négliger pour autant la qualité.
L’intervention humaine peut être limitée, sinon même inexistante. Si les utilisateurs sont bi- ou
multilingues, ils peuvent fournir un feedback aux résultats proposés et essayer d’améliorer les
performances de la TA dans leur langue respective.
9On peut ajouter à ces utilisateurs ceux qui n’ont pas de formation professionnelle en traduction
mais ont des compétences en langues autres que leur langue maternelle. Ils peuvent s’associer par
exemple pour des projets auxquels ils peuvent participer grâce à leurs connaissances linguistiques
et culturelles. D’où ainsi les traductions par fans choisissant un film, une série télévisée, un manga,
un jeu vidéo à sous-titrer ou doubler.
10Un troisième type d’utilisateurs devenant traducteurs relèvent des traductions participatives ou
collaboratives (crowdsourcing) : ils traduisent et/ou localisent des logiciels, des sites Web, des
articles, des rapports, des conférences, des textes littéraires et des interviews. Pour cet effort
collectif, non rétribué, volontaire et anonyme (le plus souvent), les participants, s’appuyant sur
leurs compétences linguistiques, traduisent et révisent ce qui leur convient et quand cela leur
convient, jusqu’au moment où le projet est achevé. Ils peuvent recourir aux outils comme
Traduwiki, Wikitranslate et Google Translate. Les médias sociaux ou réseaux socio-numériques
(Facebook, Twitter, LinkedIn, etc.) ont su saisir cet avantage pour rendre toujours plus accessible
leur site. Certes le crowdsourcing (ou traduction offerte à un groupe de volontaires) a suscité des
polémiques (Sont-ils des traducteurs ? Sont-ils, et comment, compensés pour leur travail ? Quelle
est leur éthique ? Et surtout, peut-on toujours parler de traduction ?). De fait, souvent marginalisés
et caricaturés, ces amateurs repoussent les limites de certaines professions, redéfinissant leurs
paramètres et leur mission.
11Enfin, on ne peut pas ne pas citer les travaux collaboratifs réalisés par des équipes de
traducteurs professionnels (soit par leur expérience, soit par leur formation). Ils partagent des
ressources, peuvent travailler sur un même document tout étant situés en divers lieux, distribuent
entre eux leurs activités de traduction, de recherche et de gestion terminologiques, de révision, de
relecture. Les tâches ou projets peuvent être soumis aux enchères, les qualifications et exigences
postées sur un portail électronique (Proz et Translator’s Café en sont deux exemples).
12Les traductions effectuées par réseau de volontaires peuvent aussi être réalisées par des
professionnels, par exemple via des réseaux comme Babel, Translators without Borders, the
Rosetta Foundation, etc. (Gambier 2007). Ces traducteurs activistes le font pour une cause sociale,
politique ou humanitaire, et répondent aux besoins exprimés dans la plupart de cas par des
organisations non-gouvernementales et autres associations.
13Depuis les années 1980, les théories et concepts de traductologie ont tenté de mieux
circonscrire les conditions et contraintes du travail, allant toujours plus vers une conception
contextualisée et orientée socio-culturellement des processus de traduction. Ce ne sont pas les
langues qu’on traduit mais des textes situés socialement et culturellement. De ce « tournant
culturel », on peut distinguer plusieurs courants qui ont contribué à la critique du paradigme de
l’équivalence — entre autres, les Descriptive Translation Studies/DTS (Toury 2012), la théorie
du Skopos (Reiss & Vermeer 2013) et l’approche proprement culturelle (Venuti 2008). La traduction
est désormais perçue comme un processus de re-contextualisation, comme une action
intentionnelle. Le processus entier de prise de décisions n’est plus lié exclusivement aux textes
mais dépend aussi de considérations qui engagent clients et autres récepteurs. Le sens n’est plus
vu comme un simple invariant dans le texte source : il est ancré dans une culture et doit être
interprété. La traduction n’est plus une course d’obstacles lexicaux mais le résultat de connexions
entre texte, contexte et une myriade d’agents.
ces traductions collaboratives remettent en cause une certaine idéologie qui assure qu’une traduction est
toujours un acte individuel, centré sur un texte écrit, et qui considère le traducteur comme un substitut de
l’auteur.
Elles rappellent certains modes de travail du passé, comme la traduction en tandem telle qu’elle a été
pratiquée à partir du xiie siècle (l’un par exemple passant de l’arabe vers le roman parlé, l’autre de cette langue
parlée vers le latin). Ce genre de traduction en équipe retrouve une vigueur aujourd’hui, par exemple avec la
traduction de la Bible en français (2001) faite par des exégètes et des écrivains, ou encore la nouvelle
traduction d’Ulysses de Joyce (2004) par un groupe de huit traducteurs, ou encore tout projet de localisation où
les agents sont en contact en face à face ou via l’espace virtuel (Pym 2004a, pp. 171-172).
16La tension entre une approche individualiste et une approche collaborative n’est pas nouvelle
mais on peut noter que la première a été dominante de la Renaissance à la fin du XXe siècle, avec
une apogée à la période romantique quand l’auteur fut assez idéalisé comme figure singulière alors
que les traducteurs coopéraient avec leurs éditeurs, leurs institutions nationales ou leur pairs. La
seconde approche semble s’étendre via l’emploi des logiciels de mémoire de traduction, la
traduction en nuages (cloud translation), les traductions par des fans ou des communautés sur le
Web.
17Pourquoi avons-nous besoin d’une histoire des médias ou supports de production, de distribution
et de transmission des traductions ? Les pratiques de lecture, de rédaction ont de fait changé selon
les formes matérielles (corps humain, tablette, rouleau, codex, livre, écran) disponibles pour
stocker et extraire données et informations. Les supports de ces formes (voix, argile, cire, papyrus,
parchemin, papier, ordinateur) rendent différentes nos manières de lire, d’écrire… et de traduire.
On sait comment Luther a su combiner imprimerie et traduction et comment Google utilise la
puissance de mémorisation et de calcul des ordinateurs pour la traduction automatique.
18L’histoire culturelle retrace assez aisément l’influence des supports techniques par exemple dans
l’évolution de la peinture mais notre attention n’a encore guère été retenue sur cette influence en
traduction (Cronin 2003 ; Littau 2011). Les historiens du livre ont ouvert la voie en soulignant les
changements dans les cultures orales, scripturales, de l’imprimé et des écrans. Aujourd’hui, on peut
observer que, comme dans le passé, plusieurs cultures techniques coexistent : papier et écran
luttent l’un contre l’autre, avec des positions dominantes provisoires dans telle ou telle sphère
d’activité (par exemple dans le journalisme, les administrations), juste comme les approches
individualiste et collaborative se chevauchent à des degrés variables selon les domaines de
traduction.
19On peut ici référer à la médiologie comme autre source d’inspiration (Debray 1991, 1994, 2004)
qui défie l’idée répandue que la technique ne relèverait pas de la culture. En examinant les
méthodes utilisées pour mémoriser, transmettre et disséminer les connaissances culturelles, la
médiologie s’attache à comprendre comment les médias ou supports techniques ne servent pas
exclusivement à emmagasiner ces connaissances mais aussi façonnent nos modes de penser, nos
croyances, notre organisation sociale.
21Qu’en est-il dans la culture européenne médiévale qui s’est développée en grande partie grâce
au codex manuscrit, quand les traductions étaient produites sous le patronage de l’Église, d’un roi
ou d’un prince ? Le codex, advenu pendant la période Byzantine (surtout aux Vİİİ-İXe siècles,
suscitant la querelle des iconoclastes), fabriqué par plusieurs scribes et enlumineurs, était destiné à
un seul lecteur, son futur propriétaire dans la plupart des cas. On est donc alors loin de la
production de livres visant un marché littéraire anonyme mais on se rapproche du iPad avec
l’omniprésence de l’image pour rendre non plus la divinité mais bien des réalités. Chaque codex est
un objet façonné unique : son élaboration localisée nécessitait des relations personnelles et un
travail collaboratif ou mutualisation de compétences.
22Quand un codex original se perd ou n’est plus disponible qu’en copies (reproductions manuelles
non sans erreurs), le traducteur doit recourir à diverses sources, plus ou moins géographiquement
éloignées — fragments sauvés en différents lieux, autres traductions plus ou moins parcellaires en
diverses langues ou dialectes, citations faites dans d’autres travaux, etc. Cet original fragmenté et
déformé, sinon manipulé, ne pouvait pas servir de référent vis-à-vis duquel la traduction pouvait
être comparée ou évaluée (Ellis 2000).
23Les codex ont à la fois des formes dérivées de la tradition orale (promouvant l’adaptation ou
traduction libre) et introduisent des traits textuels de la culture de l’imprimé en devenir
(promouvant une stratégie de traduction plus littérale) (Tymoczko 2010, p. 219 et p. 228 ; Hermans
1992, 1997). L’approche littéraliste était justifiée dans un contexte scriptural monastique où la
fidélité à la parole de Dieu exigeait un mot-à-mot. Entre les variations dues à la manière dont les
codex étaient produits et transmis et l’insistance de rester aussi proche que possible du texte
sacré, nous pouvons percevoir combien la situation de traduction au Moyen âge était complexe.
D’où déjà la multiplication des étiquettes, comme compilatio, ordinatio, imitatio, pour désigner la
traduction. La culture manuscrite a permis différentes formes de rédaction : composer, gloser,
traduire, copier, avec les possibilités d’omettre, d’ajouter, de commenter, donnant ainsi au
récepteur une position centrale pour interpréter le texte en question. En outre, les parchemins
devenaient plus courants que les rouleaux : les lecteurs purent ainsi peu à peu avoir un accès plus
facile à n’importe quelle partie du texte — la pagination, la table des matières transformant
graduellement le codex, rendant possible de rassembler plusieurs textes dans un même volume.
Par ailleurs, puisqu’on pouvait tenir le codex d’une seule main, le lecteur a pu aussi commencer à
prendre des notes de l’autre main (Cavallo 1999, p. 88). Les habitudes monastiques de lire à haute
voix cèdent la place aux habitudes scholastiques (lisant silencieusement et annotant).
25Parallèlement à cette évolution, émergent une bourgeoisie lettrée et dans certaines sociétés une
langue nationale. La traduction sert dans cette perspective un nouveau lectorat (Jouhaud & Viala
2002) et une certaine idéologie. Berman (2012) a retracé la double origine de l’institutionnalisation
de la traduction en France, entre le XİVe siècle (avec Oresme, précepteur du roi Charles V et
créateur du français savant, dans le cadre du transfert des savoirs à partir du latin) et le XVİe siècle
(avec Amyot, libre adaptateur définissant aussi un certain modèle de prose). Entre la Renaissance
et la moitié du XXe siècle, dès lors que le texte source est identifiable et reproductible tel quel, se
mettent en place un concept de traduction et un modèle qui insiste sur la confrontation entre le
texte de départ (référent d’autorité) et le texte d’arrivée, supportant le principe de l’équivalence, la
secondarité de la traduction et l’illusion de l’égalité des langues (Pym 2004a, pp. 173-174, 2004b).
Pendant ces siècles, la circulation des textes va s’accélérer. Le commerce et le business du livre
vont favoriser la venue de la littérature séculière, ainsi d’ailleurs que celle des périodiques et des
journaux. L’expansion de la production de livres est relancée avec l’invention de la littérature
populaire dite encore littérature de gare (vers 1860) puis avec le lancement des livres de poche
(vers 1950). Aux XVİİİ-XİXe siècles, les traductions connaissent un boom alors que n’existe pas
encore de protection juridique sur les œuvres étrangères. Les « retraductions actives » (Pym 1998,
pp. 82-83) deviennent relativement fréquentes sur des marchés plus compétitifs. On est donc loin
du volumen (rouleaux) sans ponctuation et loin aussi des codex avec leurs lettres enluminées.
26Le besoin de lire vite et en silence est désormais satisfait depuis que imprimeurs et typographes
ont systématisé, sinon standardisé, mise en page et orthographe et également depuis que les
traducteurs ont favorisé la fluidité (fluency) comme stratégie dominante de leurs traductions pour
complaire à cette double exigence de la lecture (Venuti 2008).
29De Cicéron à aujourd’hui, la traduction a toujours été de fait marquée par son environnement
technique, même si on n’y a guère jusqu’à maintenant porté une grande attention dans la
continuité historique. On doit cependant insister de nouveau sur le fait qu’il n’y a pas de
correspondance tranchée entre un médium et une période donnée. Divers supports coexistent dans
une culture donnée, à un moment donné. La façon linéaire dont j’ai présenté certains phénomènes
et exemples ne doit pas abuser et donner l’impression d’un espace et d’un temps monolithiques.
En fait, il y a toujours des ethos de traduction plus ou moins conflictuels dans une durée délimitée.
La même prudence devrait s’appliquer si on regarde l’interprétation : considérée comme
performance orale pendant longtemps, elle est aujourd’hui sous la pression de plusieurs médias —
du téléphone aux systèmes de reconnaissance vocale, des ressources disponibles en ligne à
l’interprétation dans la réalité virtuelle. Dans les deux cas, stratégies, critères d’évaluation et
perception des pratiques sont en cours de changement. Certainement, les théorisations assez
divergentes de l’équivalence s’éclairent au vu de l’impact des médias de traduction. N’empêche, le
passage de l’imprimé au numérique explique (en grande partie ?) les ambiguïtés, sinon les
contradictions, de la traductologie : en effet, la notion de texte comprise à la fois comme produit
verbal et comme textualité, les rapports entre l’oral et l’écrit, les hésitations pour dénommer l’objet
traduction — tous en cours de transformation sous l’influence des TIC, concourent à repenser nos
approches théoriques, sans pour autant quitter nos conceptions héritées du paradigme technique
du livre imprimé. Les efforts typologiques des textes à traduire reflètent encore ce paradigme.
3. Genres, types de texte et traduction
30Pour décider ce qu’on va voir, ce qu’on va lire ou ce qu’on va acheter, on tend à catégoriser, à
classifier toute production verbale selon un genre donné. Toutes les disciplines, par exemple les
études littéraires, l’histoire de l’art, les études cinématographiques, la linguistique, les sciences de
l’information, recourent au concept de genre ou de type. La traductologie n’a pas échappé au
besoin de définir genres et types textuels. La distinction entre les deux notions n’est pas nouvelle
et reste bien problématique, même si, en simplifiant, on peut dire que les genres relèvent du social
alors que les types relèvent du linguistique.
31Dans une librairie ou une bibliothèque, les livres sont classés de différentes façons. Ils n’y sont
pas tant caractérisés selon des catégories de texte ou de structure que par des catégories
d’expérience, par sujet, par domaine de connaissance. Si on cherche un ouvrage littéraire, on
choisit au préalable un genre : action, aventure, comédie, policier, fantastique, romance, science-
fiction, etc. Si on veut aller au cinéma, on sélectionne d’avance un genre : dessin animé, western,
thriller, film d’action, etc. De même si on veut écouter de la musique, on opte pour du baroque, du
rock, du folk, du blues, etc.
32Le concept de genre fut d’abord limité aux études de folklore et de littérature puis il s’est élargi
aux genres non-littéraires, par exemple en analyse de discours, en LSP (Langue de spécialité) et en
traductologie. Ainsi Bhatia (2004) a étendu le cadre générique jusqu’à couvrir les professions
judiciaires et commerciales, traitant des problèmes théoriques soulevés par la complexité et la
diversité des genres professionnels : en réalité, les genres sont très souvent mélangés, hybrides.
Ces formes conventionnelles ou genres sont associées à une situation particulière de
communication, à un événement social, comme le code de procédures pénales au tribunal, ou
encore comme une commande, une demande d’emploi qui remplissent aussi une fonction sociale.
Ce sont des constructions dynamiques et d’aucune manière des catégories figées ou stables ; elles
changent dans le temps et selon les cultures, tout en étant néanmoins en même temps
« reconnues » comme « genres » (Frow 2005). Des normes de sécurité, des rapports juridiques, des
manuels d’instruction et des accords de partenariat peuvent être régulés par des règles normatives
tandis que des documents d’entreprise, des brochures de marketing, des rapports annuels peuvent
être l’objet de variations.
a. Les traducteurs ont besoin de comprendre les tenants et aboutissants d’un document donné pour choisir de
manière appropriée des stratégies de traduction. Le processus n’est-il pas différent s’ils identifient différents
types de texte ? Quelles similarités peut-on observer entre types de texte de l’original et types de textes
traduits ?
b. La spécialisation du traducteur n’est-elle pas conditionnée à la fois par le sujet, le domaine abordé par les
textes et les types de texte ? Quelles en sont les implications pour la formation ?
35Avec de telles questions, on s’est ainsi peu à peu rapproché des fonctions communicatives liées
aux objectifs du texte, ouvrant la voie aux approches fonctionnalistes et aussi au rôle de la
traduction dans l’acceptation de nouveaux genres dans un système ciblé donné où les besoins et
les conventions gouvernent ce qui se passe à la fois dans le processus de traduction et dans le
devenir des textes traduits (Trosborg 1997, en particulier les chapitres par J. Sager et par C. Nord).
Une typologie fondée sur les textes de départ est valide aussi longtemps que la fonction du texte
d’arrivée est la même que celle du document original.
36K. Reiss (2000, pp. 24-47 ; Reiss & Wermeer 2013, ch. 11 et 12) fut une des premières à
proposer une classification des textes répondant aux besoins de la traduction, avec trois types de
base — assignant à chacun d’entre eux un certain nombre de variétés textuelles, combinant traits
contextuels et structuraux (Reiss 1981) :
informatif (centré sur le contenu), par ex. communiqués de presse, nouvelles, rapports scientifiques,
instructions, modes d’emploi, brevets, traités, textes à visée éducative, littérature de gare, etc. ;
expressif (centré sur la forme), par ex. essais, biographies, romans, nouvelles, la plupart des différentes formes
de poésie, etc. ;
incitatif, représentant la fonction persuasive, d’appel du langage, visant un effet non-linguistique, par ex.
réclame, sermon, texte satirique, propagande, textes de promotion, etc. ;
37Plus tard, une quatrième catégorie fut ajoutée, plutôt centrée sur le support que sur le contenu :
les textes scripto-sonores, s’appuyant sur les médias et les diverses sortes graphiques, acoustiques
et visuelles de l’expression, par ex. les scripts pour la radio ou la télévision, les informations
radiodiffusées, les productions théâtrales, les chansons, les opéras, etc.
38D’autres essais de classification ont été aussi proposés sur la base de critères communicatifs-
fonctionnels et toujours dans une perspective descendante (top-down) (voir Newmark 1981, Nord
1988/2005, House 1997). Pour Trosborg (2000), le genre se comprend comme l’objectif d’une
interaction ; elle a combiné des travaux sur les genres orientés par la traduction avec la théorie
du Skopos. Cependant des textes de même fonction peuvent se concrétiser en des types
différents : un rapport médical et un rapport de police peuvent être informatifs alors qu’un compte-
rendu de livre (rapport sur un ouvrage) peut être expressif. Par ailleurs, des types similaires
peuvent être utilisés pour des textes qui présentent différentes fonctions textuelles, par ex. un avis
aux consommateurs et un contrat peuvent être tous les deux incitatifs mais servir des buts
différents.
39Les types textuels pourraient être également pertinents dans d’autres domaines comme celui de
l’interprétation de conférence (Alexieva 1994) ou celui des médias imprimés et audiovisuels. Dans
la presse, le type informatif voisine avec les types persuasif et expositif. L’audio-description (AD)
qui change des images en mots et génère un texte cible oral soulève également la question des
types de texte : quelle sorte de texte l’AD est-elle elle-même et comment peut-on la relier aux
autres types qu’on trouve en traduction audiovisuelle (traduction de scénario, doublage,
sous-titrage intra- et inter-linguistique, commentaire libre, etc.) ?
40Il est aisé, à ce stade, de noter les points faibles des taxinomies de textes, développées dans le
sillage des études structurales des récits (années 1960-1970), profitant des analyses en poétique et
en sémiotique de la description, de l’argumentation et de l’explication : la langue ne peut être
réduite à un système de catégories statiques et bien tranchées, et le type de texte n’est pas
forcément la contrainte essentielle qui détermine les stratégies de traduction et l’unique référence
pour évaluer la qualité d’une traduction. On peut saisir pourquoi la traductologie semble
abandonner le dilemme théorique des types textuels. Après avoir suivi la tendance générale de la
linguistique textuelle, longtemps dominée par les approches textualistes (elles-mêmes influencées
par exemple par Greimas, Todorov, Barthes, Foucault), elle prend le tournant socio-culturel et met
l’accent sur le traducteur. N’empêche, de nouveaux types textuels existent avec les outils
électroniques et une certaine re-conceptualisation de la notion de type textuel ne délaisse pas la
problématique, empruntant à la fois à la théorie des actes de langage et à la théorie de la
pertinence (voir entre autres Unger 2006 ; Tsiplakou & Floros 2013).
41Les approches taxinomiques d’orientation fonctionnelle ont fourni un cadre théorique lorsqu’on a
cherché à comprendre un texte ou à produire une traduction. Pourtant on a noté des confusions du
côté de la terminologie (genre, type textuel, fonction langagière, style, domaine) et des catégories
utilisées pour ces taxinomies. Plusieurs raisons expliquent ces confusions : d’abord la multiplication
des perspectives chez les théoriciens, référant à la pragmatique, à la linguistique textuelle, à
l’analyse de discours, à la pédagogie, aux études contrastives, aux discours en langue de spécialité
et à la traductologie ; ensuite la diversité des buts qu’ils se donnent (catégoriser les textes de
départ, trouver des équivalences textuelles, justifier des stratégies de traduction, ou enseigner des
domaines de spécialité) ; enfin le fait que les textes ne sont jamais absolument homogènes : ils
exhibent des traits de plus d’un type à la fois. La multifonctionnalité (plus d’un objectif) est la règle
plutôt que l’exception. En avons-nous alors fini avec les types de texte ? Notre perception et nos
connaissances à propos des types de texte et des genres s’appuient sur une série de
caractéristiques prototypiques qui sont plus que linguistiques : il y a une action sociale, une
exigence sociale derrière nos manières d’identifier et d’interpréter les types textuels et les genres.
De la convention du texte comme arrangement linéaire de phrases ou comme séquence d’unités
langagières à l’hypertexte sur l’Internet, le concept est devenu ambigu, sinon flou. La perception
courante de texte et de la relation texte-auteur-lecteur-traducteur est elle-même de nature
dynamique dans les théories de la traduction.
44Les communications médiées par ordinateur (CMO) ou par téléphone (CMT) sont désormais des
pratiques vernaculaires courantes, sans oublier que ces pratiques peuvent mêler (code-mixing) ou
changer de langues (code-switching) (Liénard & Zlitni 2011) : le monde en ligne a des effets sur nos
langues naturelles, sur nos manières de nous identifier, de présupposer (Barton & Lee 2013). On
peut faire une nouvelle analogie entre les gestes physiques, non-verbaux et les conventions
textuelles des médias sociaux : ces textes digitaux et des médias sociaux sont des textes
conversationnels, trop souvent compris et approchés comme « désincarnés ». L’opposition binaire
entre médié et incarné est une fausse dichotomie, autant que la prétendue opposition entre oral et
écrit. Les textes des CMO sont des hybrides d’écrit et d’oral où émotions, pensées et cognition
sociale sont intimement liées. Dans l’évolution actuelle des technologies de la communication,
fournissant de nouveaux moyens de garder le contact, on assiste à la fermeture de la « parenthèse
Gutenberg » (Pettitt 2009).
45On ne peut pas exclure de ces changements que la littérature elle-même change, de ses cyber-
formes — comme par exemple TOC : A Media-novel de Steve Tomasula (2010) : une mosaïque de
textes, de médias, et de collaborateurs, où le rôle de l’auteur est multiple : écrivain, chef
d’orchestre, producteur, directeur artistique, etc. — jusqu’aux installations qui combinent design et
textes littéraires. La poésie peut également devenir une performance orale (cf. slam, rap), une
lecture publique, ou une exhibition visuelle (Lee 2013). Keitai Shousetsu est maintenant aujourd’hui
au Japon le nom pour des récits écrits en SMS, distribués sous forme de feuilletons sur des
téléphones mobiles, puis publiés comme séries dans la presse, comme certains romans en France
au XİXe siècle.
l’interprétation simultanée qui peut dépendre d’un discours écrit planifié et lu par l’orateur ;
la traduction à vue ou prima vista, à la fois processus dichotomique du langage (de la langue source vers la
langue cible) et passage de l’écrit à l’oral ;
la traduction de pièces théâtrales, de bandes dessinées, de chansons, d’opéras où plusieurs types de signes
coexistent (oral, visuel, musical, etc.) et où l’acceptabilité est moins importante que la mise en bouche
(speakability), l’efficacité scénique (performability) et la force chantée (singability) ;
la localisation de jeux vidéo (leurs règles, leur interface, leur menu et leurs messages d’aide, leurs
avertissements, leurs instructions, leur manuel, leur histoire, leurs dialogues, leurs textes en images, leur
voice-over, etc.) ;
le sous-titrage en direct, le sous-titrage intra- et inter-linguistique ainsi que le sur-titrage (des dialogues aux
lignes écrites en bas ou sur le côté ou en haut de l’écran).
47Par ailleurs, des outils électroniques dérangent aussi la frontière entre oral et écrit — que l’on
pense ainsi aux logiciels de reconnaissance vocale permettant à un énoncé oral de s’écrire
directement sur l’écran. Combiné avec la traduction automatique, on peut facilement imaginer
comment cela changera l’interprétation de conférence dans certaines situations.
49En linguistique textuelle, le texte a été défini par sept critères de textualité : cohésion,
cohérence, intentionnalité, acceptabilité, degré d’information, mise en situation et intertextualité
(Beaugrande & Dressler 1981) (voir aussi Hatim & Mason 1990 ; Neubert & Shreve 1992 ; Jiménez-
Crespo 2013, pp. 43-49 ; Mira & Matthiessen 2015). Cependant, il y a des différences entre un texte
de Cicéron ou de Virgile — à lire à haute voix pendant un événement donné (politique, religieux,
esthétique) — et un texte écrit par M. Proust, entre un texte littéraire traditionnel publié sous forme
de livre et un texte donnant des instructions. Tous ces textes sont néanmoins matériellement
(physiquement) finis et sémantiquement ouverts, tandis que les hypertextes sont à la fois
matériellement et sémantiquement ouverts. Aujourd’hui, on ne lit pas un e-texte sans bonus
référant à une interview sur You Tube, à une lecture publique, à une carte (comme on ne regarde
pas un film sur DVD sans quelques-uns de ses rushes, sans un clip, etc.). Par ailleurs, la logique
sous-jacente des TIC suggère une nouvelle relation entre traducteur et contenu textuel. Ces outils
impliquent en effet des tâches et des procédures conçues pour l’automatisation, comme
l’alignement textuel (ou faire correspondre des versions en langue source et langue cible), les
mémoires de traduction (ou faire correspondre des segments de texte — du mot au paragraphe —
entre les langues en présence), la gestion de contenu (en langage de balisage comme HTML), sans
oublier le fractionnement du travail et des documents dans la traduction collaborative (voir section
1.2).
50Le concept de texte en traductologie change selon les approches (descriptive, systémique,
postcoloniale, féministe, etc.) et selon les périodes. D’évidence, dans la perspective de
l’équivalence et celle de la domestication des brochures touristiques, des livres d’art, des
catalogues d’expositions, des publicités mêlant écrit et illustrations (photos et dessins), le concept
de texte a peu à peu changé (Gorlée 2004). Le texte tel que renouvelé par les TIC est devenu poly-
sémiotique ou multimodal — une composition hybride faite de différents signes sémiotiques,
exigeant de nouvelles compétences et de nouvelles formes de littératie. Deux décades d’Internet et
de Web ont transformé un concept qui avait dominé plus d’un millier d’années. On a dorénavant
des textes faits de courts messages (blogues, tweets), d’images fixes ou mobiles, de sons, de
pictogrammes, tableaux, jouant sur les couleurs et les polices de caractères, etc. Les textes sont
désormais fluides avec d’autres textes et d’autres signes sémiotiques.
51Le Web accueille et distribue tous les médias existants (Lancien 2010). Il favorise la navigation :
le sens est construit de lien en lien, de site en site (hypertextualité ; voir Jiménz-Crespo 2013,
pp. 54-65), donnant à l’acte de lecture un rôle déterminant dans la co-construction du texte. Alors
que tout document pouvait naguère être daté et attribué au moment de sortir de l’imprimerie, avec
le Net on a un processus permanent d’actualisation (mise à jour) et en même temps d’infinitude
des contenus. D’une façon, les hypertextes recréent les ambiguïtés des manuscrits médiévaux —
ce n’était pas toujours alors facile de distinguer entre auteur et copistes, entre savoir original et
commentaires. De plus, aujourd’hui, le même texte peut être aussi multimédia : par exemple, un
article de presse avec photos peut être transféré d’un journal à un site Web ou sur un téléphone
mobile.
52Pour R. Barthes (1964), la relation entre verbal et autres modes sémiotiques de communication
était hiérarchique et asymétrique : il postulait la domination du texte verbal sur les autres codes
sémiotiques — le texte fonctionnant comme un relais (texte et image étant dans une relation de
complémentarité) et un ancrage (le texte orientant la lecture de l’image). Aujourd’hui, les
chercheurs en multimodalité, comme Kress & van Leeuwen (1996 ; 2001), soulignent la primauté et
l’autonomie des signes visuels. La question ici n’est pas de déterminer qui a raison mais d’observer
que les deux tendances données ici comme exemples mettent le doigt sur l’importance de prendre
en considération les modes multiples de représentation en tandem — les formes verbales ne
constituant plus l’unique manière de produire du sens.
53La mono-modalité ne peut pas être une approche des textes, y compris pour certains écrits
littéraires. De même, la traduction ne peut pas être exclusivement liée au texte verbal écrit. Dans
les études en interprétation, on reconnait maintenant le poids des éléments non-verbaux et les
communications multilingues. Plusieurs critères de qualité ont été définis ici et là pour, par
exemple, l’interprétation dans les médias parlés : compréhensibilité, synchronie, information
complète, énonciation aisée et régulière, expressions faciales appropriées, gestualité posée, code
vestimentaire non négligé.
54La transformation du concept de texte va de pair avec le renouveau des genres, en particulier les
genres médiés par le Web (voir Jiménez-Crespo 2013, pp. 67-101) — des 140 caractères d’un tweet
jusqu’aux transformations intersémiotiques disponibles sur le Net (comme par exemple la
« traduction » par l’artiste chinois Ai Weiwei du Gangnam Style en Grass Mud Horse Style). Il
resterait à tester les sept critères de textualité sur divers matériaux textuels à traduite, à localiser,
à sous-titrer. Des essais ont été tentés, notamment avec les notions de cohérence et
d’intertextualité (voir par exemple les travaux de Di Giovanni [2014] et de Taylor [2014] en
audiodescription).
57Le clash des paradigmes — de la tradition basée sur les textes religieux et les imprimés à la
culture numérique — a lieu maintenant. Les hésitations pour dénommer ce qu’on fait quand on
traduit, on transcréé, on transédite, on localise, sont palpables. Nombre d’associations de
traducteurs s’appuient toujours sur les catégories fondatrices de « littéraire » et de « non-
littéraire » (technique, commercial, médical, juridique).
58Deux paradigmes ont changé et changent. D’un côté, la conception devenue conventionnelle de
la traduction basée sur le paradigme de l’équivalence a évolué vers une conception orientée vers le
public cible c’est-à-dire le paradigme du tournant culturel. Ce premier paradigme existe en
parallèle avec un autre paradigme également en cours de transformation et qui reflète les supports
et médias par lesquels passent les traductions. Le paradigme de l’imprimé et du livre (d’où a
émergé le paradigme de l’équivalence) se transforme en paradigme du numérique et du Web (où
les textes à traduire deviennent multimodaux). Dans ce contexte de changement rapide
s’expliquent la prolifération des termes employés dorénavant pour désigner ce qui était
« traduction » et les ambiguïtés attachées à ce qu’on appelle « texte », comment on le produit et
comment on le reçoit.
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Référence papier
Yves Gambier, « Traduction et texte : vers un nouveau double paradigme », Signata, 7 | 2016, 175-197.
Référence électronique
Yves Gambier, « Traduction et texte : vers un nouveau double paradigme », Signata [En ligne], 7 | 2016,
mis en ligne le 31 décembre 2017, consulté le 01 octobre 2024. URL :
http://journals.openedition.org/signata/1195 ; DOI : https://doi.org/10.4000/signata.1195
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AUTEUR
Yves Gambier
Yves Gambier est professeur émérite depuis le 1er août 2014 de l’Institut de traduction et d’interprétation
de l’Université de Turku (Finlande). À partir de 1990, il a consacré une partie de ses activités à la
traduction audiovisuelle. Ses travaux (près de 180 publications dont une vingtaine d’ouvrages édités ou
coédités) portent aussi sur la théorisation en traduction, la socio-terminologie et l’analyse du discours de
spécialité. Ses dernières productions sont, avec Luc van Doorslaer, la Translation Studies Bibliography (en
ligne, régulièrement mise à jour) et les quatre volumes du Handbook of Translation Studies (2010-2013),
aussi disponibles en ligne. Il est membre de divers groupes pour promouvoir la formation et la recherche
doctorale en traduction. Il est éditeur général de Translation Benjamins Library et membre de plusieurs
comités de rédaction.