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Réussir Vos Transformations - Arnaud Tonnelé

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Arnaud Tonnelé collection

BASIC

Le changement : connaître et utiliser Les méthodes qui marchent

| Les pièges dans lesquels vous ne devez plus tomber {même si l'on vous y invite]

Les méthodes fondamentales qui vous feront réussir

Les 7 incontournables de La transformation


3

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Groupe Eyrolles
61, bd Saint-Germain
75240 Paris Cedex 05
www.editions-eyrolles.com

Une collection dirigée par Didier Noyé

Maquette et mise en pages: Florian Hue

DANGER Le Code de la propriété intellectuelle du 1° juillet 1992 interdit en effet expressément la photocopie à usage
collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cette pratique s'est généralisée, notamment dans les établisse-
ments d'enseignement, provoquant une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité même
pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd'hui menacée.
PHOTOCOPLLAGE En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent
TUELELIVRE
ouvrage, Sur quelque support que ce soit, sans l'autorisation de l'éditeur ou du Centre français d'exploitation du
droit de copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.

© Groupe Eyrolles, 2017


ISBN: 978-2-212-56492-1
Arnaud Tonnelé

Réussir vos
transformations
Le changement: connaître et utiliser
les méthodes qui marchent

EYROLLES
RQ
Sommaire

Quelques:sources d'IRSDITAELON...2..25. 2 ste eraeeec ce senc essnss seems eee ee 6

Réüssir ses transfonmotions, halte QUAI een 7

&S 1. L'importance capitale de la méthode 11


(o Mais pourquoi donc a-t-on inventé la conduite Compliqué et Complexe sont dans un bateau... 27
du changement? 13° prévisions de mauvais temps pour les prévisions 30
lé DENSe ONU TENTE changement durable » : un OxÿMOre 36
Comment réussir à échouer plus efficacement... 19

NQ 2. Changement et résistance au changement:


3 frère et sœur Siamois LéSETANSFONMATIONS 40
Avec, Sans, contre: faites Vos jeux! 42
Faut-il chercher à convaincre? 50
La question du sens, ou les « deux pourquoi ».…. 52

AR :. Transformer: oùl, On sait Faire 5 RS


|| Mr CHANCEMEN CES ANONIAEERRERERS 68
Êtes-vous (vraiment) sûr d'être le plus fort? qi

Eyrol
Grou
©
Réussir vos transformations >5

4. Piloter une transformation en quatre moments CLés 88


Premier moment clé: savoir ce que l'on veut... 90 Troisième moment clé: anticiper les impacts 98
Deuxième moment clé: définir les meilleures Quatrième moment clé: accompagner les personnes
IRÉL)OOCSIPOUNVI DAV EN R CORRE ÉQUIPÉ RE PR Re nn 99

£ Sales Septincontournableside ldErans fonmatiOne sn crrermaneerese. 104


cr Incontournable n°1: informer sur le contexte 106 Incontournable n°5: focaliser les ressources 115
Incontournable n°2: créer un cercle d'alliés 109 Incontournable n°6: cadencer la transformation 117
Incontournable n°3: montrer l'implication des dirigeants 111 Incontournable n°7: accompagner, soutenir, aider. 119
Incontournable n°4: coconstruire une vision partagée 113

Conelüsion:lapoule le cochonet l'omelette AUIQTA...../02222.22 ere ssssscsnc cons ececaec coca necoenss 122

ableaudes:0bieCtions seins
recette Mmeden ententes Sato roses doesquete esse dotee tete 127

Ecttesile DOMESURUOITELECEUT ER me eme ce smnes se ee ess en nee a eee es eccercesce reve Mn re ee see cr 129

RIDHO GED SR A A RE dan nc ac notament re 131

INC Rene eue sen are Rene tes SU cet un none SR A le 0 7826 ace vente ne unes Red 133

Eyrolles
Groupe
©
Quelques sources d'inspiration

« La clef pour les entreprises aujourd'hui, c'est de faire « Le rapport d'autorité et les contraintes qui l'accom-
en sorte que les salariés soient associés aux transfor- pagnent vont de moins en moins de soi aujourd'hui.
mations et ne les vivent pas comme des opérations Les mutations sont liées à une demande croissante de
de communication. » Guillaume Pépy, PDG de la SNCF liberté et d'initiative. Mais cette démarche butte sur
« Il est faux de dire que les Français n'aiment pas le une culture managériale que rien ne dispose à affron-
changement. Ce qu'ils attendent, ce ne sont pas des ter ce phénomène. » Thierry Pech, DG du think tank
réformes pour des réformes. Ils réclament un sens, Terra Nova
une nouvelle ambition, une nouvelle manière de «Il ne faut jamais oublier que tout système vivant, du
conduire le changement et de déployer des projets. » plus infinitésimal au plus complexe, possède la carac-
Jean-Paul Bailly, ancien président de la RATP et de La téristique de résister à la modification de son équi-
Poste libre quand il s'est consolidé depuis longtemps déjà. »
« Les sociétés modernes disposent d'une masse d'in- Giorgio Nardone, psychologue et psychothérapeute
formations énorme sur les problèmes, mais demeurent italien
curieusement ignorantes de la réalité du fonctionne- « On ne peut pas résoudre nos problèmes en res-
ment de leurs systèmes humains. » Michel Crozier et tant au même niveau de pensée que celui qui les a
Erhard Friedberg, sociologues créés. » Albert Einstein, physicien helvético-américain
Eyro
Gro
©
Réussir ses transformations,
halte au gâchis!

L'accélération des changements faire de même, dans une espèce de ronde sans fin, qui
LR > : eut donner le vertige.
La capacité à s'adapter — vite - aux évolutions de leur P g
environnement a toujours été une faculté essentielle
Une compétence indispensable
des organismes vivants, dont les organisations font
partie. En cela, rien de bien nouveau depuis Darwin. Une des conséquences de ces « Les espèces qui
évolutions est la nécessité vitale survivent ne sont
Ce qui diffère depuis une quarantaine d'années, sous
pour les organisations de réussir pas les espèces les
l'effet de multiples facteurs (information en temps réel
sur toute la surface du alobe, financiarisation de l'éco-
leurs transformations: d'acquérir plus fortes, ni les
nomie, ouverture des frontières, extension du fonc-
une forme d'agilité qui les rende Plus intelligentes,
aptes aux changements qu'elles mais celles
iionnemnent
i en réseau,
s SOCIÉTÉ
jété « liquide!
liquide! » », etc.), c'est
{ A A : s'adaptent
la vitesse avec laquelle les environnements changent, :
: connaissent pas encore le mieux aux
dans une sorte de courbe exponentielle: plus les or- ; | changements. »
ganisations changent, plus elles obligent les autres à Par rapport . cet enjeu, l0n Charles Darwin
ne peut qu'être surpris de la
Eyrolles
Groupe
© 1. Référence aux travaux de Zygmunt Bauman. maigre place occupée par les connaissances et les
> 8 Réussir ses transformations, halte au gâchis!

savoir-faire liés à l'art et la manière de conduire les des transformations?. Vingt ans après, je ne suis pas
transformations. persuadé qu'on ait beaucoup progressé: les questions
© Combien d'étudiants arrivent-ils sur le marché de de méthode continuent à ennuyer.
l'emploi en ayant sérieusement entendu parler de
Le gâchis des fusions-acquisitions
ces sujets?
D'après Frédéric Fréry, professeur à ESCP Europe, « la grande
© Combien d'entreprises inscrivent-elles cette com- majorité des fusions-acquisitions sont des échecs?. » Quand
pétence dans leurs référentiels et en font-elles un on sait les sommes englouties dans ces opérations, on ne
critère
= d'évolution professionnelle? peut que regretter l'énorme gâchis que cela représente.

© Combien de dirigeants, dans les sphères publiques


comme privées, s'intéressent-ils sérieusement aux La sous-estimation du facteur humain
enjeux de méthodet ?
Étant donné que ce n'est pas la « technique » (stra-
© Combien d'experts sont-ils capables de parler de tégie, organisation, systèmes d'information, etc.) qui,
méthode lorsqu'on évoque les nécessaires évo- dans l'écrasante majorité des cas, pose problème, mais
lutions (économiques, sociales, culturelles) à bien les hommes et les femmes qui sont derrière, ce
conduire? livre se concentre sur le « facteur humain » et, plus
J'avais écrit en 1998 un article insistant sur l'impor- précisément encore, sur la question des méthodes qui
tance de la méthode en matière d'accompagnement
2. À. Tonnelé, « De l'importance de la méthode en matière de
conduite du changement », Personnel, janv.-fév. 1998
3. http://www.xerfi-precepta-strategiques-tv.com/emission/
1. Comme contre-exemple (rare), citons l'excellent livre de Jean- Frederic-Frery-La-grande-majorite-des-fusions-acquisitions-sont-
Paul Bailly (cf. bibliographie), dont nous proposons des extraits. des-echecs_3143.html. Eyrol
Grou
©
Réussir vos transformations >9

marchent ou ne marchent pas avec ce fameux facteur © un accompagnement des transformations - quand
humain, parfois présenté avec fatalisme comme une il y en à - souvent réduità de la communication et
boîte noire incompréhensible et irrationnelle. à de la formation.
Si le nombre de doigts qui se lèvent quand on de- De fait, beaucoup de démarches de changement uti-
mande ce qu'il faudrait faire (que j'appellerais le lisent des méthodes... qui ne marchent pas:
« quoi ») est très important, il chute drastiquement © telle entreprise qui, face aux « Notre talent est
dès que l'on s'oriente vers la question infiniment échecs successifs de ses dif- dans la conception
moins glamour du « comment ». férents plans de transforma- et les idées, mais
Tout le monde est à peu près d'accord pour reconnaître tion, élaborés par un som- nous souffrons
qu'« évidemment », il faut du savoir-faire pour réussir ses met éclairé et «cascadés » d’un manque de
transformations. Mais, lorsqu'on s'éloigne des discours en dessous, n'en continue Capacité d'exécution,
et qu'on observe les pratiques, on est bien obligé d'en pas moins à faire de même, de méthodes
»

rabattre un peu. Ce sont à peu près toujours les mêmes accumulant des pertes abys- ©? d'approches
« réflexes » et façons de faire que l'on voit à l'œuvre: sales année après année; Prapmatiques. »
Jean-Paul Bailly
© un triptyque Conception — Communication ® telle société qui, devant la
> Exécution très top-down et très linéaire, qui levée de boucliers que suscite la refonte - imposée
intègre peu les feedbacks; - de son réseau commercial, souhaite organiser un
© une séparation assez stricte des tâches, avec un séminaire avec ses directeurs régionaux pour leur
sommet qui pense, un encadrement qui relaie et « expliquer » que cette transformation est « non
une base qui exécute; négociable » ;
Eyrolles
©Groupe
> 10 Réussir ses transformations, halte au gâchis!

© tel ministre de l'emploi qui, après plusieurs échecs Ce sont les évidences les plus couramment admises
de refonte du code du travail, et dans un contexte que ce petit livre vise à interroger, pour Vous per-
social crispé, réutilise la même méthode « en petit mettre de connaître les méthodes qui marchent et ne
comité », suscitant le même rejet prévisible. marchent pas, et de piloter vos transformations beau-
coup plus efficacement. 1

« La folie, c'est se comporter de la même manière


et s'attendre à un résultat différent. »
Albert Einstein

Do
Dia
Se
L'importance capitale de La méthode

[Objectifs|
Ÿ Redonner à la réflexion méthodologique sa juste place.
Comprendre pourquoi les pratiques actuelles donnent de mauvais résultats.
Poser les bases d'un nouveau paradigme.

R égulièrement, les études montrent qu'entre la années ont augmenté à la fois le niveau d'exigence
moitié et les deux tiers des projets de transforma- des collaborateurs et leur capacité à ne pas faire ce
tion échouent ou se passent mal, quand ils ne sont pas qu'on leur demande,
tout simplement arrêtés. L'explication la plus couram- La raison voudrait que l'on intègre ces constats et
ment avancée attribue ces échecs à la « résistance au que l'on interroge nos méthodes. Pourtant, il n'en
changement ». est rien. On S'acharne à faire « toujours plus de la
Ce chapitre développe une autre hypothèse: ce gâchis même chose » : un peu plus de top-down, un peu
économique et humain provient principalement de plus de « communication », un peu plus du triptyque
méthodes de conduite des transformations inadap- « Conception > Communication Exécution ».
tées, mais devenues à ce point « évidentes » qu'elles Si nous n'acceptons pas de remettre en cause nos mé-
ne sont plus interrogées. thodes, il est à craindre que nous n'obtenions guère de
Leur point commun est la méconnaissance du fait que résultats plus satisfaisants.
Eyrolles
©Groupe toutes les grandes évolutions de ces trente dernières
1. L'importance capitale de La méthode

« Je pense, donc tu suis »: la vision


de la transformation d’un grand cabinet de conseil

Think : Penser
la transformation

Feel : S'approprier
et s'engager

Management

Do : Déployer
et mettre en œuvre

Collaborateurs

D
Psr
Cr
1. L'importance capitale de La méthode > 13 Ed]

Mais pourquoi donc a-t-on inventé


la conduite du changement ?
On ne se pose jamais vraiment là question de savoir Les rares fois où nous nous po- « Les problèmes
pourquoi une discipline comme la conduite du chan- sons cette question, une explica- les plus importants
gement - ou la conduite des transformations, comme tion simpliste nous vientà l'esprit: en ce monde viennent
on voudra - à commencé à émerger. Car après tout, s'il y a conduite du changement, d’une différence entre
le livre que vous tenez dans les mains, comme tous cest qu'il y a résistance au chan- la façon dont nous
ceux se rapportant à ce sujet, sont une sorte d'aberra- gement. Réponse qui ne fait que Pensons et la façon
tion, tant le changement est la capacité la plus répan- reculer le problème: pourquoi y dont notre nature
due dans la nature. a-til résistance au changement? fonctionne. »
: He £ I Dany Gerbinet
Notre simple existence en est la preuve: si la vie Je crois qu il nous faut aller
existe sur Terre, c'est bien qu'elle s'est adaptée aux Chercher des éléments de ré-
différentes évolutions (géologiques, climatiques, Ponse plus en amont. L'hypothèse qui sous-tend ce
etc.) qu'elle a eu à traverser. L'humanité change livre, c'est que c'est dans nos facons de concevoir et
depuis la nuit des temps, sous toutes les latitudes. de piloter les transformations que réside une grande
Historiquement et géographiquement donc, la trans- part de nos difficultés.
formation est une faculté éminemment naturelle. Nous n'avons pas inventé la conduite du changement
parce que l'être humain serait « naturellement » ré-
1. Dans les années 1980 en France et les années 1950 aux
Eyrolles
Groupe
© États-Unis.
sistant au changement, comme on l'entend parfois;
> 14 1. L'importance capitale de la méthode

nous l'avons inventée parce que beaucoup de nos fa- Je ne vais pas faire la généalogie de la vision de l'être
çons de faire font l'impasse sur l'homme. Celui-ci est humain dans les organisations. Je me contenterai de
considéré comme une variable d'ajustement, la pièce m'arrêter quelques instants sur ce moment charnière
interchangeable d'un immense rouage, une « res- qu'a constitué la diffusion du taylorisme.&
source » pour utiliser le vocabulaire d'aujourd'hui,
alors
que l'impératif kantien nous l'avait pourtant interdit.

« Agis de façon telle que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne
que dans toute autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement
comme moyen. » Emmanuel Kant (1785)

Tr
De
A
1. L'importance capitale de La méthode > 15

Je pense, donc tu suis


La logique du taylorisme d'entre elles étant confiée à un opérateur qui va la
répéter indéfiniment.
/ Séparation verticale 2. Pour chaque tâche, il est possible de trouver /a
et horizontale des tâches meilleure façon de faire: le fameux « one best
/ Une seule meilleure façon Way ».
de faire
3. Pour motiver les collaborateurs, la technique de
/ Carotte et bâton
la carotte et du bâton convient très bien. Encore
Le taylorisme beaucoup d'éléments de GRH fonctionnent sur ce
binôme sanction/rétribution!.
En quoi consiste le taylorisme, très rapidement?
L'entreprise vue comme une machine
1. Les tâches doivent être rigoureusement séparées:
« Schématiquement, s'opposent deux visions du fonction-
© verticalement d'abord, entre la conception (de la nement d'une entreprise. La première assimile l'entreprise
stratégie, par exemple) et l'exécution. Il y a ceux qui à Un gigantesque mécanisme horloger. Au sommet, une
pensent et ceux qui exécutent. Cette vision du mana- grande roue qui, par sa puissance et ses directives, entraîne
tout le mécanisme. C'est un schéma descendant, méca-
gement est encore largement dominante, y compris
dans des cabinets de conseil ayant pignon sur rue; 1. Pour un démontage en règle de cette vision, cf. D. Pink, La Vérité
sur ce qui nous motive, Champs Flammarion, 2016 (1° éd. 2009) ;
© horizontalement ensuite. Les processus de tra-
ou son compte-rendu dans A. Tonnelé, « Manager ou l'art de ne pas
Groupe
©
Eyrolles vail sont décomposés en petites tâches, chacune motiver », Gérer& Comprendre, mars 2013.
> 16 1. L'importance capitale de la méthode

nique, centralisé, faisant fi tant des capacités d'initiative des fonctions, management de type Command and
que des résistances des acteurs. Il se grippe facilement et Control, faible responsabilisation, système de motiva-
demande énormément d'énergie. [...] » Jean-Paul Bailly
tion basé sur le couple sanction/rétribution - donnent
des résultats de plus en plus médiocres, comme le
Le taylorisme à l'épreuve du réel montrent régulièrement les enquêtes sur le niveau
d'engagement des salariés, le rejet du modèle des
On pourra rétorquer que ces recettes ont donné plutôt
grandes entreprises par les jeunes générations, l'at-
de bons résultats, disons pendant les trois premiers
tractivité à contrario des start-ups ou le succès du
quarts du XXE siècle, même si cela s'est fait au prix
mouvement des « entreprises libérées ».
d'une souffrance inouïie. Objection retenue. Mais cer-
taines choses ont quand même un peu évolué. 166|Un besoin de participation
Premier changement: sur le plan technique. Les « La séparation de la pensée et de l'exécution se solde
recettes tayloriennes étaient adaptées à la produc- par là non-participation de l'individu à son travail. Les
tion de grandes séries et aux stratégies d'économie aptitudes essentielles se trouvent exclues des tâches
auxquelles ceux qui les effectuent n'ont pas la possibilité
d'échelle. Cette ère est en train de s'achever sous nos
de participer psychologiquement, moralement, sociale-
yeux, pour laisser la place à une autre, basée sur des ment. L'opposition entre les méthodes des organisateurs
petites séries, un renouvellement rapide des modèles, et les conclusions des sciences humaines est brutale: le
une innovation permanente, une personnalisation technicien, voyant essentiellement dans l'homme un
toujours plus poussée et, surtout, une place croissante instrument, s'ingénie à ce que tout soit pour lui préparé
faite à la qualité de service, donc au facteur humain. à l'avance afin qu'il fonctionne le plus rapidement et le
plus efficacement; le psychologue et le sociologue, eux,
Deuxième changement: sur le plan humain. Les insistent sur la présence fondamentale d'un besoin de par- Fur
Gro
À
modes de gouvernance tayloriens - séparation stricte ticipation chez l'individu. » Georges Friedmann
1. L'importance capitale de La méthode > 17

L'ampleur des résistances au changement que l'on je suis à peu près certain de ce qui va se passer.
observe dans les organisations est d'abord à aller Le monde humain ne fonctionne pas ainsi: on ne sait
chercher dans cet écart entre un modèle de décision pas comment va réagir le système humain sur lequel
centralisé et autoritaire et les aspirations à l'autonomie on agit.
et à l'implication.
Imaginons un instant que nous fassions du vélo (ou
Le paradoxe est que, alors que les entreprises - et de la voile!) comme l'on conduit les transformations,
notamment les plus grandes - se pensent souvent en qu'est-ce que cela donnerait? Un groupe très réduit
avance en termes de management humain, elles sont, de personnes passerait un certain temps - voire un
à bien des égards, très en retard par rapport à d'autres temps certain - pour définir la destination, planifierait
secteurs d'activité, par exemple le sport ou l'armée. la trajectoire de façon détaillée, la communiquerait
Quel coach sportif aurait l'idée de définir ses stratégies aux exécutants, puis contrôlerait, à l'aide d'outils de
de jeu sans y associer étroitement ses joueurs? Quel reporting sophistiqués, que le vélo (ou le bateau) ne
chef d'équipe d'un groupe de forces spéciales pen- s'écarte pas du chemin tracé.
serait à concevoir la prochaine mission sans intégrer
Le skipper agit exactement à l'opposé de ce raisonne-
l'avis de ses hommes ?
ment mécaniste: il a besoin d'une vision à long terme
Le taylorisme est une pensée mécaniste, en ce qu'elle (sa destination) et d'une vision à très court terme (les
applique au monde humain des modes de raisonne- 100 prochains milles). Une fois qu'il sait où il veut al-
ment issus du domaine de la technique. Dans l'univers ler, son attention de tous les instants se concentre sur
technique, si je tourne ma clé de contact, ma voiture
va démarrer; si j'appuie sur le bouton de la machine, 1. Petit clin d'œil lié à l'actualité: ce livre est relu au moment même
Eyrolles
Groupe
© de la belle victoire d'Armel Le Cleac'h au 8° Vendée Globe.
> 18 1. L'importance capitale de La méthode

l'ici et maintenant de l'action. Dès que le vent tourne, © Une attention forte est mise sur le contrôle de la tra-
il vire de bord, il change de direction. S'écarter de la jectoire: tout écart est perçu comme anormal, crée
trajectoire n'est pas un dysfonctionnement. du stress et entraîne de la pression. Les reportings se
multiplient, décourageant les meilleures volontés.
© Le réel n'est pas considéré comme une information
à intégrer, mais comme un problème à corriger.
à Comm Paie
Conception Re Execution Depuis deux ou trois décennies, les signes s'accu-
Niza:ion
mulent pour montrer l'inadéquation croissante de
ce modèle de pensée. La raison voudrait qu'on en
change, mais les résistances sont nombreuses, tant il
est vrai qu'« un biais connu de l'esprit humain est la
Le tryptique mécaniste
tendance à persévérer dans des stratégies inefficaces,
à ne pas remettre en cause ses propres idées après
Beaucoup d'entreprises font l'inverse. qu'elles ont conduit à l'échec » (Bruno Jarrosson). mt
© Leur vision à long terme est parfois floue, ou formu-
lée en termes financiers, abstraits pour une majorité.
© Cette vision est conçue par une petite poignée de
personnes, qui n'intègrent pas (ou peu) le point de
vue de ceux qui vont devoir l'exécuter.

Evra
Gro
©
1. L'importance capitale de la méthode +
Comment réussir à échouer plus efficacement
D'un côté, nous avons un domaine de l'activité hu- gement des hommes, de GRH, d'organisation, de stratégie,
maine, le management, qui se prétend une discipline les praticiens ignorent — ou négligent - la majeure partie
de ce qu'ont produit les soixante ans de recherche dans
pragmatique. De l'autre, nous avons de nombreux
leurs domaines. » Jeffrey Pfeffer et Robert Sutton
chercheurs de par le monde qui accumulent du savoir
sur cette matière. Devant un si bel alignement des Parmi ces idées douteuses, trois se distinguent assez
planètes - un mélange de pragmatisme et de connais- nettement, tels trois Pieds Nickelés? :
sances vérifiées -, nous serions en droit d'attendre les
© « l'idée prime le réel » : c'est Croquignol, l'intellec-
meilleurs résultats.
tuel de la bande;
Pourtant, lorsqu'on y regarde de plus près, on se
© « quand une méthode ne marche pas, surtout ne
heurte à quantité d'idées (et donc de pratiques) au
pas en changer » : ça, c'est Ribouldingue, sympa-
mieux approximatives, au pire tout à fait fausses!.
thique, mais pas très malin;
Surtout, ne pas tenir compte de ce que l'on sait © « l'intendance suivra », incarné par Filochard, le
« Les pratiques managériales ne font qu'un usage très costaud qui pense que la force peut tout.
limité des connaissances accumulées par la recherche en
management. En ce qui concerne les questions de mana-

1. Cf, entre autres titres: François Dupuy, La Faillite de la pensée


managériale, Points Seuil, 2016; Jeffrey Pfeffer et Robert Sutton, 2. Héros d'une bande dessinée du début du XXE siècle, mettant en
Faits et foutaises dans le management, Vuibert, 2007 (1° éd. 2006). scène trois personnages, mi-escrocs, mi-fainéants.
“&
Groupe
Évrolles
> 20 1. L'importance capitale de la méthode

Croquignol, ou l'idée prime Le réel Étant donné que le réel est perçu comme un problème,
la tentation est forte de l'ignorer purement et simple-
Du point de vue de Croquignol, dans une transforma-
ment. Cette hypothèse, si elle se révélait juste, pour-
tion, ce qui prime, ça n'est pas d'où l'on part: c'est là
rait contribuer à expliquer l'importance croissante d'un
où l'on veut arriver. Priorité à la cible, l'existant a peu
phénomène qui s'observe dans différentes sphères de
d'importance.
la société: le déni de réalité.
Pour être honnête, le lien entre ces deux dimensions
Ne vous êtes-vous jamais fait la remarque, à propos
(le souhaité et le réel) n'est pas une question évidente
d'une réforme, d'un projet, d'une organisation: « Mais
à traiter. Par nature, vouloir transformer une situation
comment ne se rendent-ils pas compte que ça ne va
existante (une stratégie, une organisation, Un système
pas marcher !? »
d'information, etc.), c'est se mettre en configuration
de renoncer à l'état présent puisque, justement, c'est Deux explications viennent à l'esprit quand on cherche
de lui qu'on ne veut plus. à comprendre ce phénomène.

Dans cette vision des choses, le réel est moins consi- © Une explication naïve: si les responsables en
déré comme une donnée dont il faudrait tenir compte charge de la transformation ne « voient » pas la
que comme un problème à résoudre, une contrainte situation, c'est qu'ils ne savent pas. Ils ne sont pas
à éliminer. « Le réel, c'est ce qui résiste », comme dit au courant, leurs conseillers leur cachent la réalité:
Christophe Dejours!. une sorte de vision rousseauiste où, l'homme étant
naturellement bon, s'il fait mal, c'est qu'il est dans
1. Régis Debray dit la même chose dans Éloge des frontières, Folio,
l'ignorance.
2010: « Le réel, c'est ce qui nous résiste et nargue nos plans sur la
comète. » Dir
D'um
ss
1. L'importance capitale de La méthode > 21

© Une explication cynique: c'est la version opposée sée managériale, se demande « si l'inculture [ne serait]
de la précédente. Hobbes remplace Rousseau. « Ils pas protectrice! . »
sont au courant, mais ils s'en moquent. » Marie-Anne Dujarier, dans Le Management désincarné,
une enquête consacrée à li nflation des dispositifs de
« Nous répugnons à savoir contrôle, en arrive à la conclusi on que les dirigeants savent
parce que savoir signifie (en l'occurrence, ils savent que les dispositifs qu'ils mettent
changer. » Ruth Dreifuss en place créent beaucoup d'i nefficacité et de démotiva-
tion), mais savent surtout qu'i s ne veulent pas savoir?.
Je serais tenté de proposer une troisième explication, Bruno Jarrosson évoque mêm e cette hypothèse ouverte-
à mi-chemin: le déni volontaire, qui consiste à évi- ment, dans son livre La Panne de l'intelligence stratégique,
quand il tente de comprendre pourquoi les généraux fran-
ter volontairement de voir certaines choses, comme
çais de la Première Guerre mon diale ont attendu 1917 avant
on éteindrait la radio par saturation de mauvaises de changer une stratégie qui faisait 6000 morts par jour.
‘ nouvelles.
Lorsqu'un dirigeant engage une transformation, il sait Les lecteurs du Guépard de Lampedusa se souviennent
que cela va être difficile. Et plus c'est difficile, plus ce sûrement du Prince Fabrizio de Salina, pour qui « la
mécanisme de déni volontaire a des chances de se faculté de se leurrer soi-même [est une] qualité essen-
mettre en place. tielle requise pour ceux qui veulent guider les autres ».

Le déni volontaire comme réponse 1. Cf. compte rendu dans A. Tonnelé, « À quoi sert de ne pas
à la résistance du réel savoir? », Gérer & Comprendre, Septembre 2015.
2. Cf compte rendu dans A. Tonnelé, « La Conjuration des inutiles »,
Ë Plusieurs auteurs confirment cette hypothèse. Gérer & Comprendre, décembre 2015.
3. Cf. compte rendu dans A. Tonnelé, « Le Coût de la panne », Gérer
+ François Dupuy, dans son dernier livre La Faillite de la pen-
& Comprendre, juin 2015.

UM"
Dee 1. L'importance capitale de La méthode

Le recours au déni volontaire présente un double L'une des conséquences assez étrange de cette
avantage: il ne comporte pas assez d'ignorance pour primauté de l'idée sur le réel, c'est que lorsqu'une
passer pour un naïf, mais pas assez de connaissance méthode ne marche pas, on n'en change pas: on
pour passer pour un coupable. « persévère ». Ribouldingue, notre deuxième Pied
La France a un rapport difficile avec le réel, car elle Nickelé, est passé maître en matière de persévérance
privilégie, plus que d'autres pays, l'approche déduc- inefficace.
tive dans ses modes d'éducation. Il n'est qu'à voir la
place que tiennent les disciplines théoriques (hier la
Ribouldingue: on ne change pas
une méthode qui ne marche pas
philosophie, aujourd'hui les mathématiques) dans les
mécanismes de sélection scolaire, et inversement, le Dans beaucoup d'entreprises!, on continue de penser
peu de considération dont bénéficient les disciplines que conduire une transformation, ça consiste à conce-
d'observation ou les métiers manuels. voir une cible, la communiquer, puis la faire exécuter
par le « terrain ».
166|Accepter le réel: un apprentissage
Le triptyque « Conception > Communication >
« Se confronter à la réalité, accepter de la regarder telle
qu'elle est et non pas telle que l'on souhaiterait qu'elle Exécution » a beau avoir multiplié les preuves de son
soit, en d'autres termes écouter est dérangeant pour des inefficacité, on n'en continue pas moins à l'utiliser
dirigeants qui sont là où ils sont parce qu'ils sont supposés encore et encore: c'est ce que les représentants de
savoir plus et mieux que les autres ce que les choses sont, l'école de Palo Alto ont appelé le « toujours plus de la
ce qu'elles doivent être et comment y parvenir. Il y a, dans
même chose ».
cette acceptation de la réalité, une modestie mais aussi un
courage qui doivent s'apprendre. » François Dupuy
1. Soyons juste: la même chose s'observe dans le domaine public. Gron
©
Fvra
1. L'importance capitale de la méthode > 23 a

Paul Watzlawick, l'un des principaux représentants de ils ont appelé ça le « toujours plus de la même
cette école de pensée, a mis à jour ce phénomène chose » : plus la méthode échoue, plus on recom-
tandis qu'il observait, avec ses collègues, les familles mence, en insistant davantage à chaque nouvelle
et les couples venus le voir en thérapie. Ils se sont tentative. Les exemples sont innombrables: tel parent
aperçus que lorsque les personnes et les familles qui, face à un enfant « indocile », reproduit à l'infini le
étaient face à un problème donné, elles avaient ten- même schéma (au choix: l'autoritarisme, l'indulgence,
dance - involontairement bien entendu - à reproduire etc.) ; tel manager qui tente de convaincre ses colla-
des comportements, même si elles constataient que borateurs du bien-fondé des changements engagés,
ceux-ci ne marchaient pas. puis, devant leur scepticisme, tente de les convaincre
encore, en insistant à chaque fois un peu plus; telle
Mauvaises pratiques : entreprise qui a l'habitude d'utiliser le triptyque
échouer avec les meilleures intentions
« Conception > Communication æ Exécution » dans
« Pour qu'une simple difficulté devienne un problème, il la mise en œuvre de ses stratégies, ne change pas de
faut qu'une solution d'apparent bon sens soit tentée, que
modèle même après de nombreux échecs répétitifs;
celle-ci échoue, et qu'elle soit répétée de nombreuses fois.
Elle devient alors un problème chronique, récurrent, entre- tel État qui, voulant réduire les dégâts causés par l'al-
tenu. Ceux qui appliquent cette solution inefficace répétée cool, interdit celui-ci, favorisant l'émergence d'alcool
le font avec logique, bonne foi et bonnes intentions. » de contrebande (il faudra plus d'une décennie - 1919-
Yves Doutrelugne 1933 - pour que le gouvernement américain accepte
d'abandonner cette « tentative de solution »).

Groupe
©Eyrolles
ER >= 1. L'importance capitale de la méthode

Arrêter ce qui ne marche pas qui était réalisé, on améliore significativement ses
Soit un très gros projet industriel, mêlant plusieurs pays. résultats!.
L'équipe projet comporte plusieurs nationalités. Les Comment faire pour savoir ce qui ne marche pas? À
années passent, les difficultés techniques et humaines
ma connaissance, on n'a encore rien trouvé de plus
s'accumulent. Les budgets et les délais sont revus à la
hausse plusieurs années de suite. Au final, le projet efficace ni de moins coûteux que de faire des retours
s'étend sur plus d'une décennie, soit deux fois plus que ce d'expérience.
qui était prévu (idem pour le budget).
Le faible usage du retour d'expérience:
Lors d'un échange autour de ce sujet, l'un des bons
connaisseurs du dossier témoigne: « J'ai pu observer au cours de mes trente-cinq années pas-
« Il est prévu qu'on change l'organisation du projet. La sées dans de grandes entreprises à quel point le manque
précédente datait de l'an dernierà peine. de retours d'expérience était une constante de leur fonc-
— Depuis le lancement du projet, cela fait combien de fois tionnement et traduisait d'immenses lacunes de manage-
que l'organisation a été modifiée ? ment. » Christian Morel
— On doit en être à la huitième organisation.
- Donc, si je Vous comprends bien, vous pensez que ce L'avantage du retour d'expérience est qu'il se base sur
qui n'a pas fonctionné huit fois de suite va marcher la
le réel, et non sur la théorie. Il fournit donc une infor-
neuvième fois, c'est ça? »
mation fiable. Au bout de vingt-cinq ans de métier, je
Pourquoi changer une méthode qui a si bien échoué ?
n'ai pas encore réussi à trouver une explication ration-
nellement satisfaisante justifiant le si faible usage des
Fondamentalement, la conduite des transformations,
retours d'expérience.
ça consiste, d'abord et avant tout, à arrêter ce qui ne
marche pas. Parfois, en faisant juste l'inverse de ce 1. Le lecteur sceptique pourra consulter avec profit l'ouvrage
d'Emmanuelle Piquet (cf. bibliographie). Errn
Cro
À
1. Limportance capitale de La méthode > 25

En entreprise, on peut continuer indéfiniment les


© les centres d'appel ne s'autorisaient pas à communi-
mêmes méthodes sans que personne n'y trouve rien quer ouvertement les chiffres, à cause de leur « sen-
à redire. La moins mauvaise explication me paraît être sibilité sociale » — après consultation des élus, on a
celle de l'ego: changer d'avis est mal vécu en termes régulièrement affiché les chiffres;
d'estime de soi. C'est souvent perçu comme une « fai- © l'organisation ne permettait pas aux collaborateurs
blesse », un manque de « ténacité ». On préfère ne pas de s'absenter à cause d'un système de planification
rigide — on à demandé aux équipes de direction ce
avoir de résultats, mais sortir avec son honneur sauf.
qu'elles préféraient: une planification connue long-
Pourquoi conserver une méthode qui marche ? temps à l'avance ou une baisse des absences. Elles
ont choisi la seconde voie.
Une grande entreprise connaît un absentéisme (de
Mois après mois, le taux d'absentéisme a décru, jusqu'à
courte durée) de 15 % dans ses centres d'appel. D'après
atteindre la moitié du chiffre de départ.
la direction des ressources humaines, ils ont « tout
essayé » : de la communication, de la formation, des Un retour d'expérience fut organisé. Au bout d'une
« sensibilisations » du management, etc. Ils ont tra- heure de réunion, le DRH interrompit la présentation,
vaillé avec tous les cabinets spécialisés. Cela fait cinq visiblement excédé :« Donc, si je comprends bien, vous
ans que ça dure, et la courbe de l'absentéisme ne avez redonné le pouvoir au corps social? ! »
décroche pas. Voici les solutions proposées : La démarche a été interrompue, et l'absentéisme est
© le sujet était confié au management —+ on a travaillé reparti à la hausse.
avec les opérateurs; Pourquoi conserver une méthode qui marche ?

1. Et l'on sait, depuis les travaux de Philippe d'Iribarne, La Logique


de l'honneur, Points Seuil, 1989, la place que l'honneur occupe en
en
©Groupe
Eyrolles France dans les relations professionnelles.
> 26 1. L'importance capitale de La méthode

Les grandes organisations génèrent pleins de à ne pos faire ce qu'on leur demande. Que ce soit
Ribouldingue, qui préfèrent « échouer avec les conven- la hausse du niveau moyen d'éducation, la généra-
tions que réussir contre elles » (John M. Keynes). lisation du fonctionnement en réseau, l'informa-
tion en temps réel, etc. les facteurs sont nombreux
Filochard, ou l'intendance suivra qui donnent toujours plus de pouvoir aux acteurs.
Pour notre troisième Pied Nickelé, Filochard, le pro- L'interconnexion croissante des problèmes permet à
blème des transformations est assez simple à ré- des maillons insoupçonnés de la chaîne de gripper les
soudre: il suffit que la solution technique soit bonne, mécanismes. La qualité technique d'un projet, d'une
et tout roulera derrière. Si votre nouvelle organisation solution, d'une organisation, d'une réforme, d'une stra-
tient la route, si votre nouvelle stratégie est bonne, si tégie, hier condition nécessaire et suffisante, ne suffit
votre nouveau système d'information correspond aux plus aujourd'hui. Le facteur humain devient chaque
besoins des utilisateurs, si votre projet de loi résout le jour davantage la variable clé.
problème, alors tout doit bien se passer. Comme aurait L'importance du facteur humain
dit un de nos grands hommes, « l'intendance suivra ».
« On à maintes fois démontré que plus la compétition est
Et si elle ne suit pas, c'est qu'elle n'a rien compris, il sévère sur des marchés de plus en plus ouverts, et moins
faut donc lui forcer un peu la main. ce sont les produits qui font la différence. C'est à nouveau
Malheureusement, l'intendance ne suit pas toujours. l'« organisation », c'est-à-dire les hommes et leurs façons
de travailler, qui tient entre ses mains la résolution de
Elle a même tendance à suivre de moins en moins.
l'équation contemporaine du faire mieux avec moins. »
Depuis trois décennies, les évolutions du monde ont François Dupuy M
considérablement renforcé les capacités des acteurs
Eyr
Gro
©
1. L'importance capitale de La méthode 1 ER
Compliqué et Complexe sont dans un bateau
Les transformations sont conçues et pilotées comme Si je tourne la clé de contact dans ma voiture (cause A),
s'il s'agissait de phénomènes compliqués, alors qu'il ma voiture démarre (effet B). Une cause produit un
s'agit en fait de phénomènes complexes. La distinc- seul effet, un effet est produit par une seule cause:
tion entre les deux notions est loin d'être seulement c'est très prévisible. Si éventuellement le résultat ne
rhétorique. correspond pas à ma prévision, c'est que soit je n'ai
Une voiture, une fusée, une centrale nucléaire appar- pas compris le système considéré - ce qui est mon
tiennent par exemple au domaine du compliqué: ce cas à chaque fois que j'ai l'occasion de conduire un
sont des systèmes techniques comportant beaucoup nouveau modèle -, soit qu'il est cassé. Dans les deux
de pièces, mais relativement prévisibles. cas, avec du savoir-faire et du temps, nous arrivons
à connaître et maîtriser ce qui est compliqué; et du
Le compliqué repose sur même coup, à faire des prévisions. Car on adore faire
un raisonnement de type linéaire: des prévisions.
si À, alors B
Le complexe relève d'une tout autre
entraîne logique
Cause A mms d EffetB
Le complexe, c'est, par exemple, une fourmilière,
une équipe, une organisation, une nation. La pensée
Les phénomènes compliqués
linéaire (A entraîne B, et seulement B; B est causé
Eyrolles
Groupe
© sont linéaires
> 28 1. L'importance capitale de La méthode

par À, et seulement A) n'y fonctionne pas: une même La différence entre compliqué
cause peut produire de multiples effets, une même et complexe
conséquence peut provenir de différentes causes.
Quelle est la différence fondamentale entre un phéno-
mène compliqué et un phénomène complexe? Dans
entraîne
le second, il y a des feedbacks: la conséquence rétroa-
git sur la cause initiale, et pas forcément comme on
rétroagit sur le souhaiterait.
Cette notion de feedback est absolument centrale en
Les phénomènes complexes matière de conduite des transformations.
sont circulaires
Si nous introduisons un changement dans une four- « Nous sommes des quêteurs de logique,
milière (en donnant un coup de pied dedans, par nous voulons croire en un monde cohérent,
exemple), nous sommes incapables de prévoir les où les régularités ne surviennent pas par
trajectoires que vont suivre les fourmis. Quand nous
accident, mais comme conséquence d’une
causalité mécanique ou par l'intention de
introduisons un changement dans une équipe ou une quelqu'un. » Daniel Kahneman
organisation, la façon dont les collaborateurs et leurs
interactions vont se modifier est quasi impossible à 2$

anticiper avec certitude. On peut bien sûr faire des


hypothèses, mais leur fiabilité va diminuer très rapide-
ment à mesure qu'on s'éloigne de l'événement. Pyra
Gro
©
1. L'importance capitale de La méthode

La pensée linéaire ne marche pas Pourquoi cette distinction entre compliqué et com-
avec les systèmes humains plexe est-elle importante ? Car l'on conduit les trans-
Un parent est agacé par la chambre en désordre de l'un formations comme s’il ny allait pas avoir de feedback,
de ses enfants, et le lui dit (cause A). Celui-ci rechigne comme si la transformation se déroulait dans un uni-
(conséquence B). Cette conséquence B rétroagit en vers compliqué et non complexe. Nous faisons comme
retour sur la cause initiale (l'agacement parental) et
si les systèmes humains sur lesquels nous intervenons
l'accroît. Lequel agacement va, à son tour, s'exprimer de
allaient sagement attendre sans réagir. Et quand ils
façon plus marquée et provoquer une conséquence B'
encore plus marquée elle aussi. Et ainsi de suite dans réagissent, nous appelons ça paresseusement « résis-
une boucle potentiellement sans fin. À un certain point, tance au changement ».
qui se traduit par exemple par une dégradation de la On comprend mieux l'impasse dans laquelle nous
relation parent-enfant, il devient difficile de savoir où
conduit une grille de lecture aussi inadaptée. Comme
est la cause et où est l'effet. Chacun des deux prota-
gonistes pense que c'est l'autre le responsable, mais le dit Hervé Serieyx, « quand on affronte les réali-
quand on est à l'extérieur du jeu, on voit deux per- tés de demain avec les idées d'hier, on a les drames
sonnes qui se chiffonnent interminablement. d'aujourd'hui. »
Nous ne sommes plus dans un schéma linéaire, mais
L'autre conséquence importante de cette distinction
circulaire.
entre compliqué et complexe concerne les prévisions. 1

Groupe
Eyrolles
©
> 30 1. L'importance capitale de La méthode

Prévisions de mauvais temps pour les prévisions


Prévoir l'imprévisible ? | toutes sortes de phénomènes, et généralement incapable
d'accepter l'idée d'imprédictibilité. » Nassim Taleb
Dans l'univers du compliqué, pour piloter un change-
ment, on conçoit un plan, on le communique puis on C'est là que nous entrons dans un cercle vicieux. Plus
attend que l'exécution se déroule, conformément au le monde se complexifie, moins les prévisions sont
plan. Dans cet univers, ce bel enchaînement de causes fiables ; et moins elles le sont, plus nouûs éprouvons
et d'effets fonctionne, c'est pourquoi il est possible de le besoin d'en avoir. La pensée magique fonctionne à
faire des prévisions. Ce qui s'écarte des prévisions plein. Au lieu d'admettre que nos prévisions ont à peu
peut être considéré comme « anormal ». près autant de rationalité qu'une danse autour du feu,
Dans le paradigme complexe, ca ne fonctionne pas, à nous restons collectivement dans une sorte de déni,
cause des feedbacks, largement imprévisibles. Dans nous donnant l'illusion de contrôler l'incontrôlable.
l'univers de l'humain, prévoir relève davantage de Prévoir, un marché rentable
l'exercice divinatoire que de la pratique rationnelle.
« Prévoir l'avenir n'est pas simple, ce qui ne l'empêche pas
d'être devenu un énorme marché, omniprésent. Certes,
Le besoin de donner un sens de réelles avancées ont été réalisées dans certains do-
« Notre monde est dominé par l'extrême, l'inconnu et le maines. (...) Reste qu'en ce qui concerne la géopolitique ou
très improbable - et pendant ce temps, nous ne cessons la macro-économie, les prédictions des experts à prévoir
de nous focaliser sur le connu et le répété. (...) Notre esprit une crise économique, un nouveau conflit ou une révolu-
est une fabuleuse machine à expliquer, capable de don- tion sont loin d'être exactes et fiables. » Hubert Guillaud
ner un sens à presque tout, de bâtir des explications pour (Source : Linkedin Pulse) Dot
B
1. L'importance capitale de la méthode > 81

Ce qui vaut pour la géopolitique ou l'économie vaut En revanche, si l'on admet que, d'une façon où d'une
aussi pour la conduite des transformations. Le fait de autre, des choses imprévues vont arriver, alors l'im-
vouloir prévoir l'imprévisible nous place dans une prévu. devient prévisible. L'imprévu devient même
configuration mentale où l'inattendu et l'imprévu de- la seule chose prévisible.
viennent inacceptables, alors que l'on sait qu'ils vont
arriver. … Ou se préparer à l'impréuu
Mais allons un cran plus loin. Tout est-il aussi imprévi- Cette dernière formule n'est pas une simple pirouette:
sible que cela? elle a des conséquences très pratiques sur notre sujet.
Oui, si l'on cherche à deviner la forme et le contenu Nassim Taleb, l'un des essayistes contemporains les
précis des changements à venir: on ne sait pas la plus influents, ancien trader, nous invite non à tenter
forme que prendra le prochain Fukushima, nous ne de réduire la probabilité de l'imprévu - ce qui n'a guère
Savons pas quand notre voiture va tomber en panne, de sens - mais à nous préparer à cet imprévu!. Un peu
ni quelle sera la nature de cette panne. comme les militaires s'entraînent sans connaître les
dangers qu'ils vont affronter, tout en sachant de façon
La prévision a-t-elle un avenir?
certaine qu'ils vont en affronter.
« Parce que les sociétés sont de plus en plus ramifiées, les
Cest ce qu'il appelle devenir « antifragile ». Cette
hommes exercent des tâches de plus en plus fragmentées.
Par conséquent, il n'est plus possible d'embrasser la tota-
« antifragilité », c'est-à-dire la capacité à se trans-
lité du corps social d'un seul regard. C'est peut-être pour former en permanence, qui s'observe chez tous les
cela qu'il n'est plus possible de conjuguer le verbe prévoir
au futur, que la prévision a un passé, mais semble ne plus
1. Nassim Nicholas Taleb, Antifragile - Les bienfaits du désordre, tr.
Eyrolles
©Groupe
| avoir d'avenir. » Guillaume Erner (Source : France Culture) fr, Les Belles Lettres, 2013.
ÉQ :< 1. L'importance capitale de la méthode

« Si vous voulez systèmes vivants, peut très bien © arrêter de vouloir faire à tout prix des prévisions
faire rire Dieu, s'appliquer dans l'univers des orga- dans un monde dominé par les rétroactions ;
parlez-lui nisations. Après tout, ça n'est jamais d'investir autant de temps et de ressources dans
de vos plans. »
que ce qu'on appelle l'agilité, et que des systèmes de contrôle dont on connaît l'effet
Woody Allen
l'on retrouve dans toutes les proposi- contre-productif sur la confiance et l'engagement
tions les plus récentes de management de projet ou des collaborateurs;
de conduite des transformations. © inversement, investir cette énergie dans le dévelop-
À l'heure actuelle, une grande partie de l'énergie des pement d'organisations, de cultures et de systèmes
organisations est mobilisée pour gérer le présent, le de management qui partent de l'homme pour bâtir
business as usual. Tous les dispositifs de contrôle que les transformations.
l'on s'échine à mettre en place (reportings, référen- « La seule chose dont
Dans cette optique, à 180° on soit sûr en ce qui
tiels, systèmes qualité, procédures, processus, règles, de ce que nous proposent concerne l'avenir,
modes opératoires, etc.), non seulement diminuent le nombre de pratiques c'est qu’il ne sera
niveau d'engagement et de créativité des collabora- actuelles, l'homme n'est jamais conforme
teurs mais, lorsqu'un imprévu survient, se révèlent de plus le problème: il est la à nos prévisions. »
redoutables obstacles à l'agilité. Jean Dutourd
solution.
Une question peut se poser à ce stade, devant tant
De l'agilité
d'évidences: pourquoi consacre-t-on du temps à faire
Devenir « antifragile », par rapport au sujet qui nous des prévisions qui s'avèrent toutes plus ou moins
occupe, cela signifie: fausses - cf. la fréquence avec laquelle les prévisions
DE
Te
x

1. Eimportance capitale de la méthode DS ÉQ|

économiques sont revues -, plutôt qu'à se préparer à celui dépensé pour créer une culture de l'agilité ?
imprévu? Comment expliquer l'écart d'énergie entre
La réponse est simple: l'imprévu est statistiquement rare.
l'investissement consacré aux dispositifs de contrôle et

C'est très souvent à cause d'événements improbables


(statistiquement rares) que les transformations sont engagées

Les transformations sont issues Les entreprises s'organisent


d'événements improbables autour du probable

La courbe de Gauss
> 34 1. L'importance capitale de la méthode

Nous mettons notre énergie au centre de la courbe de Chaque événement spécifique — par exemple l'incen-
Gauss, et peu aux extrémités. Lorsque nous réalisons die de sa voiture - a une probabilité de survenue faible
une analyse de risque - dont les deux dimensions, pour (c'est-à-dire en dehors de la courbe de Gauss). Mais si
mémoire, sont la criticité et la probabilité -, nous nous l'on considère tous les événements possibles - que l'on
concentrons sur les risques jugés les plus probables et va appeler de façon générique « les pépins » -, la sur-

laissons de côté les autres. Nous agissons en fonction venue de l'un d'entre eux est extrêmement probable.
des événements qui se situent dans la courbe de Gauss. Et à cela, on ne se prépare pas. Ce n'est pas à tel ou tel
C'est une erreur: une fois de plus, nous confondons « pépin » en particulier qu'il convient de se préparer,
le contenu de l'événement improbable - peu prévi- mais au fait même qu'il nous en arrive un, qui nous
sible - avec le fait même qu'un imprévu survienne obligera à réagir très vite.
- très prévisible. La dinde et le 24 décembre

Se préparer à l’imprévisible C'est l'histoire d'une dinde élevée par un agriculteur.


Pendant une année, l'éleveur nourrit sa dinde qui, jour
Toutes les grandes ruptures de ces dernières décennies
après jour, finit par se dire que, décidément, son patron
- notamment dans le domaine du digital - trouvent
est vraiment un gars sympa. Cette idée s'ancre chaque
leur terreau dans cette erreur: Uber, BlaBlaCar, Airbnb
jour un peu plus, et, qui voudrait suggérer à la dinde
aujourd'hui; Amazon, Easyjet hier; Microsoft et Apple
que sa croyance n'est peut-être pas si juste que ça,
avant-hier. Chaque entreprise cherche à se protéger de
serait prié de garder pour lui ses mauvaises pensées.
ce qu'elle connaît: prix, services, produits, etc. Or, c'est de
ce que l'on ne connaît pas dont il faut chercher à se pré- De fait, la dinde a raison de penser ce qu'elle pense...
munir. Et, par définition, ce que l'on ne connaît pas, rien jusqu'au jour de Noël. Elle fait comme nous: elle se dit que
ne sert de chercher à l’imaginer: mieux vaut se préparer la probabilité d'un événement comme le 24 décembre
de façon générique, et non de façon spécifique. (1 sur 365) est trop faible pour qu'elle en tienne compte.
1. L'importance capitale de la méthode = E
Dans son référentiel, le 24 décembre et ses consé- Survient alors « l'imprévu » : la direction générale,
quences sont un événement tellement en contradiction dont l'un des axes stratégiques est de réduire les coûts,
avec son univers présent qu'elle ne l'envisage même décide de construire une usine sans recourir au bureau
pas. Le jour où l'événement soi-disant improbable se d'étude interne, pour disposer d'éléments de comparai-
produit, il est trop tard. son. Tout est sous-traité. Résultat: l'usine est construite
deux fois plus vite que les référentiels internes, pour un
L'art de la transformation, c'est aussi penser son orga- coût inférieur de 30%. La direction générale donne six
nisation, ses systèmes de GRH et de management en mois au bureau d'études pour revoir son modèle.
intégrant cette dimension de l'imprévu, faute de quoi Comme tout a été fait pendant des années pour réduire
l'improbable, lorsque celui-ci survient, l'équipe de direc-
l'on risque de se retrouver dans la situation de la dinde
tion du bureau d'études est tétanisée. Elle enclenche
le jour de Noël.
timidement une étude, d'abord menée en interne, puis,
devant la maigreur des résultats obtenus, la confie à
Exemple: l’inattendu prévisible
un cabinet de conseil. Celui-ci rend ses conclusions au
Le bureau d'études d'une grande entreprise industrielle bout de cinq mois. Six mois passent à nouveau, et rien
a élaboré au fil des années une masse impression- n'a encore bougé.
nante de procédures, règles, référentiels, modes opé- L'option du « tout sous-traitance » commence à deve-
ratoires, documents types. Ce système qualité a grossi nir de plus en plus attractive aux yeux de la direction
année après année, à tel point que plus grand monde générale.
ne connaît l'intégralité de son contenu. De par son
ampleur, les nouveaux venus se sentent même un peu
découragés de le consulter.

1. Tiré de Nassim Nicholas Taleb. Voir bibliographie en fin d'ouvrage.


> S6 1. L'importance capitale de la méthode

Le « changement durable » : un oxymore


Une objection fréquemment entendue lors de projets Pourquoi enclencher un changement,
de transformation est: « Pourquoi devrait-on changer surtout quand « tout ua bien » ?
puisqu'on à toujours fait comme ça? » Oui, évidem-
Pour deux raisons. La première, on l'a compris, c'est
ment: pourquoi devrais-je faire changer mon navire de
que chaque jour les cartes sont rebattues. Ce qui va
trajectoire puisque, jusqu'à présent, je n'ai pas rencon-
faire irruption dans la vie de nos organisations est,
tré d’iceberg? Pourquoi devrais-je changer ma façon de
on l'a dit, imprévisible. La probabilité que « quelque
conduire puisque, jusqu'à présent, je n'ai pas eu d'acci-
chose » arrive est forte, mais quoi, personne n'en
dent? Pourquoi devrais-je changer de point de vue sur
sait rien. Or - et c'est là le point fondamental -, les
mon éleveur puisque, jusqu'à présent, il m'a nourri?
solutions que nous avons construites pour hier conve-
On voit bien l'erreur de raisonnement: ce n'est pas naient.. pour hier. Une stratégie, une organisation, un
parce que je n'ai eu aucun accident de la route dans le métier, des pratiques professionnelles, n'ont de perti-
passé, qu'aujourd'hui ou demain je n'en aurai pas un. nence que par rapport à un contexte donné. Mis dans
Ce qui marchait hier ne dit pas grand-chose de ce qui un autre contexte, ils peuvent ne plus avoir de sens!.
marchera demain.

1. Cest d'ailleurs la raison qui me rend un peu sceptique sur


la notion de « bonnes pratiques » : celle-ci éclaire les solutions
techniques, mais oublie généralement le contexte dans lequel elles
ont été élaborées, et qui leur donnait leur pertinence. Ca
DR
om
1. L'importance capitale de la méthode > 37

Demain est-il la reproduction d'aujourd'hui? machine, un couple, une organisation. Les débats sur
« Beaucoup de nos entreprises souffrent d'inertie liée le climat sont là pour le rappeler: faute d'entretien,
autant à la complexité de leur fonctionnement qu'à une les grands équilibres écologiques se dégradent. Il en
certaine forme de conservatisme: “Si nous avons réussi à va de même d'une société, d'une organisation, d'une
grossir, c'est que nous sommes dans le vrai, alors pourquoi
transformation: faute d'entretien, la désorganisation,
changer?” Mais ce qui a fait le succès d'une organisation au
cours d'une période ne peut nullement être repris à l'iden- le désordre, la désagrégation croissent.
tique sur une autre. Pourquoi? Parce qu'entre-temps, l'envi-
L'entropie nous quette
ronnement a évolué. » David Autissier, Jean-Michel Moutot
« La loi de la matière, livrée à elle-même, est l'entropie. Ce
Entre deux dates données, énormément de choses dont on ne prend soin, ce qui est laissé à l'abandon dépé-
rit, décline, se dégrade, qu'il s'agisse du corps, d'une rela-
peuvent avoir changé: les marchés, les besoins et
tion, d'un jardin, de l'organisation sociale d'un pays. Tout
habitudes des clients, les collaborateurs qui intègrent
demande de l'entretien, de l'énergie, de la vigilance, des
l'entreprise, les concurrents, les fournisseurs, les tech- efforts. » Olivier Clerc
nologies, les réglementations, etc.
La deuxième raison, c'est que le changement n'est pas
Un changement n'est pas durable
plus durable que son contraire, la stabilité, du fait de
l'une des principales lois de la physique: l'entropie. Une organisation dont on ne s'occupe pas, où mal, finit
L'entropie, pour faire simple, c'est la propension de par perdre en efficacité. Comme le dit Olivier Clerc,
tous les systèmes à perdre de l'énergie, à se désor- tout demande de l'entretien.
ganiser. Toute chose dont on ne s'occupe pas finit par C'est la raison pour laquelle il est illusoire de pen-
Eyrolles
Groupè
© se dégrader: une maison, une relation, un corps, une ser qu'un changement peut être durable. Les
> 38 1. L'importance capitale de La méthode

transformations ne sont durables qu'à la condition que Pour conclure, « on ne peut pas résoudre nos pro-
nous nous en occupions. AucUn système, aucun dispo- blèmes en restant au même niveau de pensée
sitif, aucune stratégie ne tiennent indéfiniment sans que celui qui les a créés », nous rappelle Einstein
entretien, sans ajout d'énergie contrant l'entropie. en exergue de cet ouvrage. Aristote et Ptolémée,
Par ailleurs, ce qui rend aussi la notion de « transfor- qui pensaient que la Terre était au centre de l'uni-
mation durable » illusoire, c'est que nous oublions que vers, n'étaient pas moins intelligents que Galilée.
nous ne sommes pas seuls à conduire des transfor- Simplement, leur paradigme était faux, on le sait
mations. La transformation que nous condüisons à aujourd'hui.
un instant T défait une situation ous en sommes arrivés à un point OÙ, NOUS aussi,
« Un changement en qui a elle-même été un jour le nous devons changer de paradigme, et cela com-
prépare un autre. »
fruit d'une transformation. Et du mence par l'arrêt des méthodes qui ne fonctionnent
Machiavel
même coup, la transformation pas. Tant que l'on continuera à agir avec un mode de
que nous menons aujourd'hui sera un jour défaite par pensée mécaniste, linéaire, qui ne s'applique pas aux
une autre transformation. phénomènes humains, on tournera en rond. 5

Evro
Grou
©
1. L'importance capitale de la méthode > 89

[En bref |

Ÿ Une discipline comme la conduite du changement ne devrait finalement pas exister, tant la capacité à
changer est une faculté naturelle chez l'être humain depuis la nuit des temps.

Ÿ Si nous avons tant besoin de ces méthodes, c'est pour compenser des pratiques qui prennent à rebrousse-
poil le facteur humain et génèrent - assez logiquement - beaucoup de résistances.

Ÿ Derrière ces pratiques nocives, se cachent des théories et des idées devenues de telles évidences qu'elles
en deviennent invisibles. Parmi celles-ci:
— la pensée taylorienne, qui sépare la conception de l'exécution;
l'application au domaine de l'humain d’un mode de pensée mécaniste;
la prééminence donnée à l'idée sur le réel;
la réticence à changer de méthodes, même en cas d'échecs répétés;
— notre refus du caractère imprévisible des changements.

Ÿ S'inspirant de la citation d’Einstein placée en exergue, ce chapitre en appelle à changer assez profondé-
ment de paradigme, en faisant du facteur humain la solution et non plus le problème.

Eyrolles
Groupe
©
Changement et résistance
au changement: frère et sœur siamois
des transformations
[Objectifs|
Prendre conscience que la résistance au changement - l’homéostasie - est LA question centrale que doit
traiter tout transformateur.

Comprendre que nos résultats dépendent fortement de la place que nous faisons aux acteurs.

L a résistance au changement a mauvaise presse: elle L'être humain étant autant porté à résister au change-
est souvent rendue responsable de tous nos maux. ment qu'à l'accepter, voire le promouvoir, qu'est-ce qui
Ce chapitre souhaite la réhabiliter en montrant, d'une va le faire pencher d'un côté ou de l'autre? La place
part, qu'elle est une composante essentielle du fonc- que nous allons lui faire, le rôle que nous allons lui
tionnement humain; d'autre part, qu'elle est une donner dans le processus de changement.
formidable source d'information, pour peu que l'on Réussir ses transformations suppose de comprendre
accepte de prêter l'oreille à ce qu'elle nous dit des comment marchent le changement mais aussi son
méthodes qui ne fonctionnent pas. opposé, la résistance au changement. 1

Evro
Grou
©
2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations > 4]

Changement et résistance au changement sont indissociables Ga

juawaBueuy2 ne
22UE}SISAY

Changement .
> 42 2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations

Avec, sans, contre: faites vos jeux!


Homéostasie et changement nation. Dans cette optique, «J'aime beaucoup
ci. PA 4
Au XIXe siècle, le médecin français Claude Bernard là résistance au change- l'idée de la résistance.
»

;
(1813-1878) a
met à jour . MÉCANISME par lequel les ment, loinCE d'être
A le dy;
Ne MONS Je
CREpense que Hene
réaction c'est
cellules du corps humain résistent au changement qui 1 essentielle. »
leur est imposé de l'extérieur, qu'il va appeler l'ho- dénoncé, est au contraire Costa-Gavras
méostasie. L'un des exemples les plus familiers est la une réaction parfaitement
thermorégulation, cette capacité qu'a notre corps de Saine: elle est ce qui permet la vie et la survie.
rester en permanence à 37°C: Dans le cas des mécanismes réflexes de type ther-
© si la température extérieure monte, le corps va ré- moréqulation, la volonté humaine n'entre pas en jeu.
sister et provoquer un mécanisme de transpiration, Mais pour quantité d'autres changements accessibles
pour empêcher la hausse de latempérature
interne; à la conscience, l'organisme humain (personnes,
© si la température extérieure baisse, le corps va se groupes, organisations) se pose la question: est-ce
mettre à frissonner pour nous inciter à nous réchauffer. que le changement qu'on me demande est bon pour
moi? Est-ce que je l'accepte ou pas?
Au fil du temps, on s'est aperçu que ce mécanisme
homéostatique - résister à un changement menaçant Les deux mouvements - accepter le changement ou
la situation établie
-s'appliquait bien au-delà du corps le refuser - coexistent en permanence. Cest donc
humain. De fait, on l'observe pour tout système hu- tout à fait juste de dire que l'être humain est « natu-
main: individu, couple, famille, équipe, organisation, fellement » résistant au changement. Cest juste, à
2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations > 43
fl
condition d'admettre dans le même temps que le Supposons que notre transformateur, soucieux de la
contraire est tout aussi vrai. L'être humain est, en réussite de son projet, choisisse la première option
permanence, confronté à ces deux choix: accepter ou - avec -, comment va-t-il devoir s'y prendre?
refuser le changement. Et il sait faire aussi bien l'un Si vous le permettez, nous allons faire un détour par
. que l'autre. Ce qui le fait pencher en faveur de l'un ou une petite équation, qui résume cela mieux qu'un long
l'autre mouvement, c'est sa perception: y a-t-il danger discours.
ou pas? Y a-t-il perte ou pas? Y ai-je intérêt ou pas?
Efficacité
« L'instinct essentiel est l'instinct du
LZE
de la permanence. »

É =Q x@
Antoine de Saint-Exupéry

L'homéostasie est LA question majeure que doit


adresser le transformateur: comment dois-je m'y eme technique
de la solution
prendre pour la limiter au maximum? Évidemment, Degré el
d'
des acteurs
elle ne va pas être de même ampleur selon que je
vais conduire ma transformation avec, sans ou contre L’équation du changement
le système humain considéré (équipe, organisation).
J'ai plutôt intérêt à ne pas me tromper dans mon Le E, c'est ce après quoi tout le monde court: la réussite
choix, car mes résultats, mes coûts et mes délais en de notre projet de transformation, les résultats, l'atteinte
dépendent directement. de nos objectifs, la plus grande efficacité possible.
> 44 2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations

Habituellement, pour atteindre nos objectifs, nous Le syndrome du lampadaire, c'est notre propension à
nous concentrons sur la qualité technique du sujet (le chercher nos « clés » (nos clés du succès, bien en-
Q de l'équation) : la meilleure machine, le meilleur tendu) dans la zone qui, pour nous, est « éclairée » :
produit, le meilleur système informatique, la meilleure ce que nous avons appris, notre zone de confort, nos
organisation, la meilleure stratégie, la meilleure loi, repères, nos habitudes, nos réflexes, nos savoir-faire,
etc. Depuis que nous sommes gamins, nous sommes notre façon de voir les choses.
formés à l'école de la technique. C'est ce que notre Nous devons être vigilants à ce syndrome lorsque nous
« lampadaire » éclaire. cherchons à résoudre nos problèmes, et notamment ceux
Le syndrome du lampadaire qui nous résistent. Nous avons naturellement tendance à
Tout le monde connaît l'histoire de ce monsieur qui
chercher les solutions sous notre lampadaire, sauf que, si
cherche ses clés la nuit sous un lampadaire. Un couple elles y étaient, on les aurait probablement déjà trouvées.
s'approche et lui demande ce qui lui arrive: « J'ai perdu Lorsque nous pilotons une transformation, notre lam-
mes clés de maison et de voiture. - Ah, ce n'est pas de
padaire, c'est la solution technique, la vision « mé-
chance. Attendez! Nous allons vous aider. » Et le couple
de fouiller sous le lampadaire afin de trouver les clés. tier ». Si vous êtes stratège, vous allez mettre toute
Au bout de quelques minutes infructueuses, madame votre énergie pour élaborer la meilleure stratégie; si
demande: « Vous êtes bien sûr que c'est là que vous vous êtes organisateur, la bonne organisation; si vous
avez perdu vos clés? » Et le monsieur de répondre: êtes informaticien, le bon système d'information; si
« Non, mais il n'y a que là que c'est éclairé. »
vous êtes ministre, le bon projet de loi, etc.

Der
Da
1
2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations > 45 NN

Bonnes pratiques:
À O la réforme est engagée un an avant l'élection pré-
la méthode est la source de la confiance gag P
sidentielle, soit un timing empêchant tout travail
« Cest la méthode, et non son contenu, qui fonde la sérieux de pédagogie;
légitimité d'une décision. (..) Ce sont les méthodes qui
© le sujet est confié à un ministre novice;
génèrent la confiance et assoient la crédibilité. »
Jean-Paul Bailly O alors que le lien entre le problème à résoudre (réduire
le chômage) et la solution proposée (la refonte du
Code du travail) ne saute pas aux yeux, aucun dia-
Non seulement nous regardons le Q de l'équation, die paileue eoi ngacé,
mais bien souvent nous ne regardons que lui. Nous
© les acteurs qui auraient des choses à dire sur le sujet
laissons dans l'ombre l'autre partie de l'équation, la (syndicats de salariés) ne sont pas associés;
place que nous donnons aux acteurs, en adoptant le © les alliés naturels (parlementaires PS) sont tellement
réflexe de Filochard” : « L'intendance suivra », il sera bousculés par le fond du projet et la méthode utilisée
toujours temps de voir le moment venu comment qu'ils en deviennent opposants, incitant le gouverne-
déployer cette belle solution technique, cette stratégie ment à passer en force.
si intelligente, cette loi si bien pensée.
La loi Travail El Khomri (2016) Voilà un exemple - parmi tant d'autres - de projet de
: ; transformation dans le domaine public qui se foca-
Sous l'angle qui nous occupe - les méthodes qui | k | | eait l'i
marchent et ne marchent pas -, cette réforme est tout ise sur la lettre Q (le contenu) et fait l'impasse sur
à fait exemplaire: la lettre À, la place faite aux acteurs; avec, au final,
une détérioration du climat social et des résultats plus
qu'incertains.
1. Cf. chapitre 1.
> 46 2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations

La qualité technique, nécessaire et suffisante? Qui va faire la mise en œuvre ?

Une étude menée par General Electric sur ses propres Lors de la visite d'une usine automobile il y a quelques
projets il y a quelques années a montré qu'une bonne années, le directeur du site témoigna: « J'ai demandé
solution technique avait été mise en œuvre dans 100 % à mes deux responsables de production, l'un quittant
des projets jugés réussis, et qu'une bonne solution son poste, l'autre arrivant, de me faire une recomman-
technique avait aussi été mise en œuvre dans 98% des dation pour améliorer l'organisation des ateliers. La
projets estimés non réussis. recommandation que m'a rendue le premier avait ma
préférence, mais j'ai choisi celle du second. Pourquoi?
Parce que c'est lui qui va devoir la mettre en œuvre. »
« Les solutions qui Indéniablement, sortir de
fonctionnent ne sont notre logique technique est
pe les LUE difficile. 11 n'est facile pour per- Continuons avec notre équation E = Q x A.
arfai mai
parfaites, mais celles sonne de regarder ailleurs que Le poids du facteur humain
que les gens peuvent
faire fonctionner. » SOUS Sn lampadaire. Nous
Bruno Jarrosson avons beau voir de tous côtés Si je poussais le bouchon un peu plus loin, j'oserais
les résistances se lever, nous presque dire que des deux facteurs, le technique et
n'en restons pas moins accrochés à notre argumen- l'humain, le second à plus d'importance que le pre-
taire technique: si le fond est bon, la forme suivra mier. Pourquoi?
(réflexe de Filochard). D'où le fait qu'on retrouve un © Une excellente solution technique dont les acteurs
vieux paradoxe: les initiateurs du changement sont ont le sentiment qu'elle a été construite sans eux
aussi souvent ceux qui ont le plus de mal à changer aura vraisemblablement du mal à se déployer,
eux-mêmes. quelle que soit sa pertinence sur le fond.
2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations > 47

technique. Je leur demande: « Est-ce sur la technique


© Inversement, une solution techniquement que ça a posé problème? Grand silence. - Non, c'est
moyenne, mais que les acteurs auront contribué entre les équipes. La coordination se fait mal, on perd
à élaborer, leur donnera plus envie de la mettre beaucoup de temps, il y a des tensions. - Allez-vous
en tenir compte pour la réalisation de la prochaine
en pratique, et d'améliorer ses éventuels imperfec-
tranche ? Nouveau silence. - Non, a priori, on n'a rien
tions au fil du temps. prévu de changer de ce côté-là. »

Un des grands reproches traditionnellement fait Pourquoi changer quand ça ne marche pas?
aux ingénieurs français est que, s'ils réalisent des
prouesses sur le plan technique, celles-ci sont souvent Alors, que recouvre exactement cette lettre A?
invendables, car éloignées des besoins des utilisateurs
Il y a encore quelques années, je mettais sous cette
finaux. L'industrie de défense française en est un bon
lettre l'adhésion: pour qu'un p rojet de transformation
exemple: les meilleurs avions du monde (d'après les
marche, il fallait que les acteu fs y adhèrent. À priori,
Français) mais que pas grand-monde n'achète. Le fac-
rien que du bon vieux bon sens.
teur humain est, encore et toujours, la dernière roue
du carrosse. Puis, le temps passant, j'en suis venu à douter:
© d'un côté, j'observais des changements qui échour-
Dégrader ses résultats plutôt que changer ses pratiques
aient, alors même qu'ils suscitaient ‘adhésion:
Un gros site industriel réalise un investissement en deux
tranches. La première tranche qui à déjà été exécutée, © de l'autre, des transformations s'opéraient, alors
a fait dépasser le budget prévisionnel de plus d’un même que les acteurs n'adhéraient pas, au moins
tiers. Un retour d'expérience est organisé, sur la partie au départ.
Eyrolles
Groupé
©
> 48 2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations

Lorsque j'anime des sessions de formation, l'une des Avant d'être une question intellectuelle, le changement
attentes récurrentes des participants est de savoir est une question de pratiques.
comment susciter l'adhésion. Mais l'adhésion est un Vous voulez une méthode qui marche? En voilà une:
lièvre après lequel on court souvent en vain, pour une faites une place aux acteurs dans votre projet, qui leur
simple raison: bon nombre des transformations qu'on donne un rôle actif, où ils vont pouvoir contribuer, co-
doit conduire n'ont pas de quoi faire danser sur les élaborer, s'impliquer. Faites-leur vivre une expérience
tables... Est-on si sûr que l'adhésion est le cheval sur concrète plutôt que de chercher à les convaincre
lequel miser ? intellectuellement.

Agir pour changer Avoir une place dans le processus de changement


« Les Français craignent beaucoup moins le changement
La variable déterminante n'est pas l'adhésion: c'est le
que ce qu'on imagine. Ils revendiquent simplement dy
degré d'action des acteurs. C'est le point clé de toute trouver une place honorable, conforme à l'idée qu'ils se
transformation: quelle place fait-on aux acteurs lors font de la considération qu'ils méritent. » Jean-Pierre Segal
d'une transformation ? Quel rôle leur donne-t-on? Les
place-t-on en situation passive ou active? L'action à plusieurs avantages.
« Changer, c'est d'abord changer de point de vue », 1. Sur le plan du contenu, elle permet d'enrichir les
« Changer, c'est disait le psychanalyste Jean-Bertrand travaux: on est souvent plus intelligent à plusieurs
d’abord changer Pontalis. On pourrait compléter en di- que tout seul.
de point de vue. » sant que changer, c'est peut-être aussi 2. Sur le plan du processus, quand vous rendez les
J.-B. Pontalis (et d'abord) changer de façon de faire. acteurs actifs, vous leur faites vivre une expérience
2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations > 49
fl
émotionnelle, plus intense et impliquante qu'une 3. L'action est un anxiolytique naturel. Avez-vous déjà
expérience intellectuelle. remarqué que, durant les périodes d'annonce de
changements, les gens éprouvent le besoin de sor-
Pourquoi la formation a-t-elle si peu d'impact sur
le changement ?
tir de leur bureau, de parler à quelqu'un, de bou-
ger? L'inactivité génère une forme d'anxiété, et
Dans son numéro d'octobre 2016, la Harvard Business
c'est l'une des raisons qui explique le relativement
Review met les pieds dans le plat de la formation. L'étude
qu'elle publie montre que les milliards investis dans les faible rendement de la communication comme le-
formations managériales ne changent pas grand-chose vier de transformation: elle laisse souvent les gens
aux pratiques réelles des managers. Non du fait de la qua- passifs. M
lité des formations, mais parce que ce que les managers
apprennent en formation est trop en décalage avec la réa- « Le changement, par définition, inquiète.
lité du fonctionnement de leur entreprise, et notamment Mais face à un environnement menaçant,
L les pratiques des top managers. Ceux-ci ne s'intègrent pas linaction inquiète encore plus. »
dans les programmes, « considérant que leur niveau hié- Jean-Paul Bailly
rarchique leur confère une exhaustivité de compétences
qui les dispense de toute formation. Ayant réussi plus vite
que les autres, tout les pousse à être confortés dans la
répétition de leurs modes de management antérieurs.

Bien qu'ils souhaitent le changement, ils en sont souvent
les premiers freins. »!

1. Source: www.business.lesechos.fr.

|
> 50 2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations

Faut-il chercher à convaincre?


Nous avons vu l'importance de l'homéostasie, décou- © dans le second groupe, après une brève informa-
verte par Claude Bernard. Un autre grand nom à avoir tion sur le sujet, il fait discuter les participantes
mis à jour des résultats incontournables est Kurt Lewin. entre elles, avec l'aide d'un animateur.
Une semaine après, Lewin vérifie l'impact de ces deux
L'expérience de Kurt Lewin
méthodes:
Kurt Lewin (1890-1947), psychologue américain, est © dans le premier groupe, la consommation de
l'un des pionniers de la psychologie sociale et de la viande d'abats a augmenté de 3% ;
dynamique des groupes.
© dans le second, de 30%.
En 1943, le gouvernement américain le sollicite pour
En changeant simplement de méthode (sans augmen-
inciter les ménagères américaines à consommer des
ter la durée), en utilisant, dans le second groupe, une
abats (viande dévalorisée à l'époque, car difficile à
méthode rendant les personnes actives, Lewin à mul-
conserver)!. Il va s'adresser aux clubs et associations
tiplié par dix son impact.
féminines de petites villes, et utiliser deux méthodes,
chacune durant 45 minutes: Les effets obtenus
© au premier groupe, il propose des conférences sur
Que se passe-t-il dans ces deux groupes?
les avantages nutritifs des abats;
Dans le premier cas, les individus sont psychologique-
1. Les lignes qui suivent sont empruntées à A. Tonnelé, La Bible du ment isolés face à la demande de changement, ce qui
team-buïlding (cf. bibliographie), et D. Autissier et J.-M. Moutot, La
Boîte à outils de la conduite du changement, Dunod, 2013. accroît leur besoin de se sentir protégés. Le premier Crr
M
Prr
2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations > 51

réflexe est donc de ne rien changer. Dans le second Il est beaucoup plus efficace de « tirer » — pour re-
cas, les individus peuvent discuter, échanger des arqu- prendre le langage de la supply chain -, c'est-à-dire
ments, ils éprouvent moins de difficultés à changer d'écouter, faire échanger, que de « pousser », c'est-
de comportement, surtout s'ils sentent que d'autres a-dire de convaincre, faire adhérer. Bien souvent, ce
- sont sur le point de faire de même. Le fait d'être en n'est pas par manque de conviction ou d'adhésion
groupe et de dialoguer permet non seulement de faire que les acteurs ne changent pas, mais plutôt parce
tomber les anciens repères plus facilement, mais aussi qu'ils ont des obstacles sur leur route: manque de
d'en construire de nouveaux ensemble: on n'est plus temps, difficulté à arbitrer entre des priorités diffé-
tout seul à changer, cela devient plus facile. rentes, manque de soutien, manque de compétences,
Les conséquences en matière de conduite du chan- etc. Tous ces obstacles sont autant de freins qu'il faut
gement sont considérables, et invitent à une double s'efforcer de lever.
évolution de nos pratiques: Parmi les freins, ceux ayant trait au(x) sens requièrent
© arrêter de laisser seuls les individus face au une attention particulière. 1
changement;
© créer des espaces collectifs permettant d'échanger « Si tu veux convaincre quelqu'un,
et de construire ensemble de nouveaux repères, de utilise ses propres arguments. »
nouvelles pratiques. Aristote

LYyTONES
Groupe
©
> 52 2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations

La question du sens, ou Les « deux pourquoi »


Lorsqu'un changement est introduit dans une orga- comprennent pas le changement engagé, ou ne com-
nisation, ce qui émerge le plus rapidement, c'est la prennent pas en quoi le changement engagé répond
question du sens, dans les deux acceptions du terme. à la situation.
® La signification: pourquoi changer (d'organisation, Au lancement d'une transformation, il y a un intense
de SI, etc.) ? besoin de compréhension, de dialogue, d'échanges.
© La direction: pour quoi changer? Vers quoi veut-on C'est à ce stade que la communication, dans son double
aller? aspect d'information et d'échanges, est nécessaire.
L'information doit insister sur ce qui, dans la situation
Pourquoi changer?
donnée, pose problème. Moins les acteurs comprennent
Le premier « pourquoi », en un mot, est tourné vers la nature du problème à résoudre, plus ils combattent
le passé. L'une des principales sources de résistance les solutions qu'on leur demande de déployer.
au changement vient du fait que les acteurs ne

« C’est fou de voir l'énergie qui est


POURQUOI CHANGER ? POUR QUOI CHANGER ? dépensée pour vendre aux autres

Ÿ
/ Besoin de signification
Ÿ
/ Besoin de direction
les solutions à des problèmes qui
ne leur ont pas été posés. »
Bruno Jarrosson
/ Tourné vers le passé Tourné vers l'avenir

Les deux « pourquoi »


2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations 158

© Engager un travail de refonte des processus, sans & Bonnes pratiques:


indiquer en quoi cette transformation va résoudre l'importance de donner du sens
la situation, a toutes les chances de susciter de la « D'expérience, il est impossible de conduire un change-
perplexité. ment si les acteurs concernés n'en comprennent pas le
sr : sens. Le sens, c'est à la fois ce qui permet la compréhen-
conertudiserrinianmann sion. C'est aussi la direction. Diriger, c'est donner le sens. »
L'action de votre entreprise prend 2% au cours de la ean-Paul Bailly
séance de la veille. Bonne ou mauvaise nouvelle ?Sans
autre information, on peut penser a priori que c'est une De nombreuses démarches de transformation
bonne nouvelle. Rajoutons maintenant une information - digitalisation des activités, mise en place d'un fonc-
de contexte: « La communauté financière attendait une tionnement par processus, changement de système

hausse de 3% ». Le fait
nechange pas, mais la signif d'information, centralisation (ou décentralisation),
cation, oui : les 2% deviennent insuffisants par rapport : +
à : Se ; refonte du parcours client, création de centres de ser-
aux attentes. Contrairement à une idée reçue, les faits : ; ; ;
ne parlent pas tout seuls. vices partagés, etc. - s'engagent sans que les gens ny
comprennent quoi que ce soit.

© Envisager une énième « réorganisation » pour un : Fe.


projet qui a déjà pris quatre ans de retard, sans 76% des salariés ne comprennent
pas la nécessité des changements
préciser en quoi ce nouveau changement d'orga- PE
engagés.
nigramme va résoudre les enjeux de délais, a
toutes les chances de ressembler au remède de
Ribouldinque (cf. chapitre précédent).
Eyrolles
Groupo
© 1. Source: Chaire Essec de conduite du changement.
> 54 2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations

Jean-Paul Bailly ne dit pas autre chose quand il affirme suscite des résistances alors que la colonne des pertes
qu'« une erreur fréquente est d'aborder les réponses est bien plus garnie que la colonne des gains! Cest
et les mesures concrètes avant d'avoir fait la péda- plutôt une attitude logique et rationnelle de refuser
gogie permettant de comprendre le pourquoi et le quelque chose qui détériore notre situation, non? Et
comment ». une notion aussi vague et abstraite que « l'intérêt de
l'entreprise » ne suffit pas à mobiliser les énergies.
Comprendre le problème
« Ce qui est déterminant, c'est la mise en œuvre, c'est-
Une objection courante est que « tout le monde
à-dire la façon dont on partage le problème avec les ac- ne peut pas être gagnant », « il y a forcément des
teurs et dont on les associe à la recherche de solutions. » pertes », « des gagnants et des perdants », etc. Cette
François Dupuy croyance-là est néfaste, et repose sur un raisonne-
ment « toutes choses égales par ailleurs ». Pourquoi
Changer pour quoi? donc n'envisagerait-on pas les transformations où le
Le deuxième « pour quoi », en deux mots cette fois, plus grand nombre pourrait y trouver quelque intérêt?
est tourné vers l'avenir: le défaut de sens est aussi un Les intérêts des parties concernées doivent être pris
défaut d'orientation. en considération. Cela suppose d'inventer de nou-
À ce stade, il est important de réfléchir à ce que les velles façons de faire. Et qui dit innover dit favoriser
collaborateurs vont gagner dans la transformation. l'expression de points de vue différents, construire
Lorsque ce qui est proposé dans le futur est intéres- ensemble. Plus les acteurs travaillent de concert,
sant, les acteurs n'ont quère de raison de résister. plus grande est la probabilité d'inventer des solutions
Combien de chefs de projet s'étonnent que leur projet auxquelles aucun acteur isolément n'aurait songé. Le an
Pn
D
2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations > 55
#
pilote de la transformation doit moins se fixer pour carte de transformation (présentée au chapitre 4)
mission d'apporter toutes les solutions que de dé- est idéal.
ployer un processus de travail permettant aux acteurs Ces « deux pourquoi » résument les besoins fon-
de trouver les leurs. damentaux de toute personne engagée dans un
changement :
Conjuguer pourquoi et pour quoi
1. comprendre pourquoi ce qui se faisait dans le passé
Comment faire travailler les acteurs? C'est là que ne convient plus, ce qui, dans le contexte actuel,
les outils peuvent être utiles. Deux exemples, parmi rend les solutions d'hier inadaptées;
d'autres : 2. pouvoir Se projeter dans un futur souhaitable afin
© autour du premier « pourquoi », on peut inviter de se rassurer qu'on ne « lâche pas la proie pour
les collaborateurs à travailler sur le diagnostic de l'ombre ».
la situation, sur une analyse SWOT', notamment Ces deux questions sont malheureusement trop sou-
pour faire émerger les manques - il n'y a rien de vent délaissées, car les responsables de projets de
plus difficile à faire changer que des collaborateurs changement ont le sentiment, soit qu'ils n'ont « pas le
satisfaits de la situation; temps », soit qu'ils n'ont pas de marge de manœuvre.
© autour du deuxième « pour quoi », monter un ate- Ce faisant, ils mobilisent peu les acteurs, déclenchant
lier d'un jour ou deux à l'aide d'un outil comme la ce qu'on appelle la « loi de Z ».

1. SWOT: Analyse des forces et faiblesses (internes), des menaces


et des opportunités (externes).
> 56 2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations

Comment ne pas perdre ses wagons


Prenons une instance de décision (comité de direc- fait d'échanges, de discussions, de renoncements,
tion, équipe projet, etc.) qui a réfléchi pendant plu- de « mini-deuils », l'équipe en question finit par se
sieurs semaines, voire plusieurs mois, sur la nécessité mettre d'accord et donne le Go à la transformation.
d'engager une transformation. Au bout de ce délai,

Points intermédiaires, débats, |


discussions, deuils, renoncements…

Encadrement
ON“ ET CURE
no
,
La loi de Z
I
I
I
I
Personnel [2
llnn
Damm
nu
A
2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations > 57

Elle va demander à ses communicants de préparer un La loi de Z, c'est la propension à oublier que tous les
« kit de com ». Au mieux, elle va présenter ce kit acteurs (direction, managers opérationnels, collabora-
aux opérationnels, en leur demandant de le répercuter teurs) n'en sont pas au même point de la réflexion sur
auprès des équipes: au pire elle va l'envoyer par mail, le changement.
sans guère plus d'explications. Comment éviter cette loi de Z?
En quelques heures ou quelques jours à peine, on va En concevant un processus de changement qui per-
demander à l'encadrement de « s'approprier » tout ce mette d'obtenir régulièrement des feedbacks. Il va
qu'il vient d'entendre et de « s'engager! ». Les concep- falloir se poser la question (encore elle!) : sur qui
teurs du projet savent par cœur ce qu'il y a dedans, car déploie-t-on? De qui a-t-on besoin pour réussir cette
ils y ont activement contribué: ils connaissent le pro- transformation? Quels sont les acteurs clés de la
blème à résoudre, les scénarios qui ont été envisagés; transformation ?
savent pourquoi telle option a été retenue, telle autre
Ces acteurs, il va falloir les mettre dans la boucle réqu-
rejetée. Bref, ils maîtrisent le sujet. Mais il en va tout
lièrement, les solliciter, les associer, intégrer leurs avis.
autrement du ou des niveaux d'en dessous qui n'ont
En un mot, tout au long du travail de conception, il
pas trempé dans les travaux.
s'agit de ne pas perdre nos acteurs clés, pour que, le
Le paradoxe est que plus l'instance de décision s'est jour où la décision sera prise de déployer, ils soient
accordé de temps, moins elle en accorde au reste du parfaitement « dedans ».
corps social pour « monter dans le bateau ». Ce qui va
yrolles Ce que nous dit aussi la loi de Z, c'est que la ques-
évidemment se traduire en résistances :incompréhen-
tion du déploiement (c'est-à-dire le passage d'un
sion, impatience, grogne, silence désapprobateur, etc.
projet sur le papier à une nouvelle réalité tangible),
1. Cf. schéma p. 12.
7 > 58 2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations

généralement traitée en fin de processus, doit être c'est véritablement là que du temps peut être gaspillé.
intégrée dès le début de la réflexion. La question du La loi de Z est l'une des principales sources de perte
« comment déployer » doit être pensée en même de temps lors des transformations. Elle nous incite
temps que le « que veut-on changer ». Il s'agira, en à passer d'une pratique très linéaire (Conception >
quelque sorte, de dessiner de « petits Z », c'est-à-dire Communication Exécution) à des démarches itéra-
des moments réguliers de partage et de feedbacks tives, faites de petits pas, de feedbacks, de boucles
avec le reste du personnel (notamment l'encadre- d'apprentissage, d'expérimentations. |
ment), pour que celui-ci reste impliqué. L'essentiel On pourra rétorquer que cette méthode prend du
n'est pas que la locomotive de tête arrive en premier temps. Sans doute. Mais ne pas tenir compte de la loi
mais qu'elle ne perde pas ses wagons en route, car de Z permet-il d'aller plus vite?Rien n'est moins sûr. mt

Pur
Gro
D
2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations > 59

Êtes-vous plutôt mer ou plutôt montagne?


Vous avez décidé d'aller faire une randonnée. Vous des chaussures de montagne. Vous choisissez instinc-
allez dans votre garde-robe et vous voyez trois paires tivement les troisièmes, qui correspondent à votre
de chaussures: des tongs, des chaussures de ville et objectif.
Le 1° janvier de cette nouvelle année, vous avez pris
Vos résultats dépendent de l'adéquation la bonne résolution de vous remettre à la course à
entre vos objectifs et vos moyens
pied. Vous vous fixez comme objectif d'être capable
Objectif + Moyens = Résultats de finir un 10 km à la fin de l'année. Allez-vous en être
capable? La réponse est bien évidemment: ça dé-

L.
pend. Ça dépend de la méthode que vous allez choisir,
des moyens que vous allez allouer à cette « transfor-
mation » : le nombre de séances d'entraînement que
vous allez suivre, la gestion de votre poids, la modi-

:
fication (ou pas) de vos habitudes alimentaires, l'aide
d'un coach (ou pas), votre passé de sportif, etc.
Vous êtes un État, et vous avez l'intention de dissuader
les potentiels criminels de tuer leurs prochains. Vous
avez le choix des méthodes: soit instaurer la peine de
Mer ou montagne ? mort, soit l'abolir. Évidemment, les résultats ne seront

2
> 60 2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations

pas les mêmes (surtout si l'on a en tête le mécanisme sens (nos objectifs) et des processus (nos façons de
du mimétisme!). faire). La plupart des difficultés dans les transforma-
Le point commun de ces trois cas est que les résul- tions proviennent d'un désalignement de ces deux
tats obtenus dépendent des moyens utilisés et de la dimensions.
méthode choisie. Si je reprends l'exemple de la randonnée et des chaus-
Crier pour faire arrêter de crier? sures, on voit que ce n'est ni l'objectif seul qui pose
problème, ni les moyens seuls: c'est leur adéquation.
La scène se passe un samedi après-midi, au stade de
football. Deux équipes d'enfants s'affrontent. Un jeune Aller en montagne avec des chaussures de montagne,
garçon assez brutal se fait reprendre plusieurs fois par le binôme marche bien. Avec des tongs, ce sera plus
l'arbitre. Le père du jeune joueur, dans les tribunes, compliqué. Mais si l'on change d'objectif et que l'on
commence à fulminer de voir son fils se comporter de décide d'aller à la plage, les tongs vont très bien.
la sorte. La mi-temps arrive. Le père déboule sur le ter-
rain, saisit son fils par les épaules et lui crie: « Arrête de Il faut donc toujours penser les deux questions de
bousculer les autres! » façon synchrone.
Que pensez-vous de l'adéquation entre la méthode du © Question 1: que veut-on obtenir comme résultats?
père et ses objectifs ?
Quels sont nos objectifs?
Il n'est pas rare de voir des projets de transforma-
Il ne faut pas réfléchir exclusivement aux résultats at-
tion ayant des objectifs flous, du type: « baisser les
tendus ou à la méthode, mais à /adéquation entre les
coûts », « rétablir la compétitivité », « changer d'orga-
deux: ce que Vincent Lenhardt appelle l'alignement du
nisation », « développer la transversalité », etc. Des
objectifs flous vont entraîner des résultats flous. Il y
1. Cf. chapitre 3.
2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations > 61

a un travail à faire pour rendre les objectifs les plus La transformation doit s'appuyer sur des façons de
précis et les plus concrets possibles. faire, des méthodes qui sont cohérentes avec les ob-
© Question 2: une fois que l'on sait ce que l'on veut, jectifs visés. Bt
comment va-t-on sy prendre pour atteindre nos ob-
jectifs? Quelles méthodes, quels moyens, quels dé-
lais adopter pour être « aligné » avec nos objectifs?
Choisir des méthodes cohérentes avec les objectifs

Deux sociétés de prévoyance veulent fusionner. Cela fait


plusieurs années qu'elles essaient, sans succès. Le direc-
teur général de la société acquéreuse consulte des cabi-
nets pour l'aider dans cette opération. Parmi les questions
que les consultants posent: « Quels objectifs souhaitez-
vous atteindre? Vous estimerez que cette opération de
rapprochement sera réussie si... ? Dans quels délais sou-
haitez-vous réaliser ce rapprochement? », etc. Pour tenir
l'objectif principal - signer au plus tôt -, une démarche
rapide est proposée: quelques task forces agiles, visant à
préparer les dossiers nécessaires pour la signature.
Une fois la signature réalisée, de nouveaux objectifs
sont définis, parmi lesquels rapprocher les équipes,
définir des valeurs communes, etc. La méthode change
et déploie un accompagnement équipe par équipe.
Eyrolles
Groupe
©

=
> 62 2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations

À qui profite Le crime ?


La résistance au changement est utile en ce qu'elle Parmi ces problèmes, il y à ceux qui, étrangement,
nous renseigne sur le fonctionnement des organi- n'arrivent pas à trouver de solutions, qui reviennent,
sations et, en particulier, sur les méthodes qui ne encore et toujours, résistant à toutes les tentatives.
marchent pas. Un peu comme une serrure dans la- Question: pourquoi une organisation, peuplée de gens
quelle notre clé ne rentre pas nous indique que nous raisonnablement intelligents, n'arrive-t-elle pas à ré-
n'avons pas choisi la bonne clé. soudre tel ou tel problème récurrent?Est-ce parce qu'il
Une organisation génère tous les jours quantité de est plus complexe que les autres?
problèmes très divers, des plus simples aux plus com- Possible. Mais on peut tenter une autre hypothèse: si
plexes, que les équipes et les collaborateurs résolvent l'organisation (ou l'équipe) n'arrive pas (durablement)
au fil de l'eau. à résoudre le problème X alors qu'elle arrive à traiter
le problème Y, c'est probablement que le problème X
Intelligence ou bêtise? apporte une solution à un autre problème, caché celui-
« Dans les organisations, dans la vie collective en géné- là. Un peu comme les secrets de famille qui persistent,
ral, les acteurs font ce qu'ils font non parce qu'ils sont car =, ils maintiennent l'unité familiale.
bêtes, stupides, voire mal intentionnés, mais parce qu'ils
sont intelligents. En d'autres termes, les problèmes que
Autrement dit, parmi toutes les façons possibles
nous rencontrons dans les organisations ne tiennent pas d'envisager la résistance au changement, la vision
à la bêtise humaine, mais bien à l'intelligence humaine. » morale est de loin la moins efficace (voir tableau page
François Dupuy suivante).
2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations > 63

Sept facons de voir la résistance au changement


Le changement est une nécessité pour s'adapter aux évolutions de l'environnement.
1. Vision morale A #4 ’ Ë
Résister au changement est irrationnel et irresponsable, ce n'est pas bien.
Le changement modifie le pouvoir des acteurs.
AAOCUENEICCCUTES Résister au changement est une stratégie rationnelle des acteurs pour défendre leurs
intérêts.
Le changement remet en cause des valeurs importantes pour les acteurs.
3. Vision éthique Résister au changement se fait au nom d'une certaine vision de son métier, pour main-
tenir certaines valeurs identitaires.
Le changement est la base de l'innovation, moteur de l'économie de marché.
POUCES Résister au changement permet d'éviter les conséquences des innovations sur le posi-
tionnement concurrentiel de l'entreprise.
RE Es Le changement représente une perte par rapport à une situation antérieure.
5. Vision historique de à 2 Te
Résister au changement permet de conserver les acquis de la période précédente.
Le changement représente une surconsommation d'énergie mentale.
6. Vision psychique
Résister au changement permet d'économiser son énergie psychique.
Le changement est un input menaçant un système donné.
7. Vision systémique x ; : .
Résister au changement permet de conserver son état actuel (homéostasie).
> 64 2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations

À qui profite le crime? que certains problèmes n'arrivent pas à trouver de


Une association dont la mission est d'aider les entre- solutions.
prises à améliorer leurs conditions de travail bute
166)Résister au changement, c'est « dépassé »
sur l'installation d'un nouvel outil informatique (pro-
blème A). Après examen rapide, il s'avère que celui-ci « Le phénomène majeur des 20 dernières années corres-
mettrait en lumière la productivité réelle des équipes, pond à cette étonnante capacité à s'investir dans le chan-
ce qui placerait l'organisation en délicatesse avec l'ac- gement. Comment expliquer alors le sempiternel discours
tionnaire public (problème B), en charge de lui allouer concernant la “résistance au changement ” ? Cette formule
son budget. Le problème A, identifié, est la solution du n'a aucunement l'ambition de décrire une quelconque
problème B, caché. à réalité, et sa fonction est de justifier la succession inin-
Une entreprise du secteur électrique souhaite proposer terrompue des changements. Elle synthétise en fait une
au marché des « solutions », c'est-à-dire des assem- rhétorique organisée selon trois lignes d'argumentation:
blages intelligents de produits, sur lesquels la valeur 1. En soi, le changement est une bonne chose. 2. Il est
ajoutée est plus forte. Malgré ses efforts, elle peine donc devenu incorrect de critiquer tel ou tel aspect, sauf
dans cette voie (problème A), car cela signifierait de à accepter de passer pour “dépassé”. 3. Recourir à cette
faire coopérer beaucoup plus étroitement les commer- formule de la “résistance au changement” passe pour
ciaux et les techniciens, de revoir l'organisation pour manifester l'intelligence, voire la culture du locuteur. »
l'orienter davantage vers les clients, mais le directeur Nobert Alter
commercial et le directeur industriel, qui ne s'entendent
pas, n'ont nulle envie de coopérer et encore moins de Adopter ce point de vue suppose bien sûr d'accepter
revoir leur périmètre respectif (problème B). de quitter la vision morale de la résistance au chan-
gement, et de considérer que la résistance sert à
Lutter contre les résistances au changement, c'est quelque chose: trouvez à qui profite le crime, et vous
très souvent identifier à qui (ou quoi) profite le fait trouverez de nouvelles clés. mt
2. Changement et résistance au changement : frère et sœur siamois des transformations > 65

[En bref |

Au XX: siècle, le médecin Claude Bernard met à jour une caractéristique fondamentale du fonctionne-
ment humain: la capacité des cellules de notre corps à résister à des changements extérieurs. Il l'appelle
l'homéostasie.

Avec l'expérience, il va se révéler que l’homéostasie s'applique finalement à tous les systèmes humains:
individus, groupes, organisations, nations, etc.

Ÿ Mais si la capacité à résister aux transformations est naturelle aux êtres humains, la capacité inverse -
celle de coopérer - l'est tout autant. Du coup, La question qui se pose est: qu'est-ce qui va décider des
individus ou des groupes à pencher d'un côté ou de l’autre ? La réponse est très simple: la place qui leur est
faite dans le processus de changement. Car, contrairement à une idée répandue, c'est bien plus souvent
pour des questions de méthode que de fond que les acteurs résistent.

Tout cela est porteur d'une excellente nouvelle: nous avons une vraie influence sur le degré d'homéostasie,
selon que nous allons choisir de construire la transformation avec, sans, ou contre les acteurs, intégrer leurs
feedbacks (ou pas), donner du sens (ou pas).
Transformer: oui, on sait faire

[Objectifs |

“ Prendre conscience de l'influence de nos comportements sur le changement.


Connaître l'efficacité respective des trois principaux leviers du changement: l'autorité, la persuasion,
l'action.
Savoir comment donner aux acteurs l'envie de s'engager dans la transformation.

À près avoir mis en évidence l'importance des en- © donner un rôle actif aux acteurs en charge de la
jeux de méthode (chapitre 1), montré ce qui ne transformation;
marchait pas (chapitre 2), ce chapitre et les suivants © leur donner envie, accroître leur intérêt, dévelop-
se concentrent sur les méthodes qui marchent. per leurs capacités à réussir;
Parmi celles-ci: © les inciter à passer au moins autant d'énergie sur le
© tenir compte du principe mimétique et de sa consé- « comment » (ça pourrait réussir) que sur le « pour-
quence concrète - notre nécessaire exemplarité; quoi » (ça ne fonctionne pas bien).

PTE CAS
AA 1]

+?
1)
3. Transformer : oui, on sait faire > 67

Les quatre facteurs du changement comportemental és


> 68 3. Transformer : oui, on sait faire

« Le changement, c'est moi! »


Imaginez que vous entrez dans une boulangerie, et réciproques qu'Yves Doutrelugne appelle le « tennis
que la boulangère vous fasse un grand sourire: com- relationnel » : comme au tennis, nous échangeons des
ment allez-vous être tenté de réagir? Probablement « coups relationnels », qui peuvent être positifs (sou-
par la pareille: en souriant. rire) comme négatifs (agacement).
En sortant, vous allez chez le buraliste d'à côté, qui Ce principe mimétique - donc le fameux tennis rela-
a mal dormi et a un visage de six pieds de long. Il tionnel - est valable quels que soient les comporte-
est probable que vous allez adopter une attitude un ments et le nombre de personnes impliquées:
peu plus fermée. Entre les deux boutiques, vous au- © la France et l'Allemagne échangent des coups posi-
rez changé: non de psychologie, de caractère ou de tifs (coopération commerciale) depuis la fin de la
« mentalité », mais de comportement. Le comporte- Deuxième Guerre mondiale;
ment des deux commerçants aura influé sur le vôtre.
© Israël et la Palestine échangent des coups négatifs
Notre comportement est sou- (conflit) depuis la seconde moitié du XX° siècle, basés
vent une « réponse mimé- sur une violence mimétique, chacune des deux par-
tique » au comportement des ties étant convaincue que c'est « la faute de l'autre ».
autres. Et inversement: le
Quand on est à l'intérieur de la « partie », il est difficile
comportement des autres est
de se rendre compte de ce mécanisme. Mais quand on
influencé par le nôtre. C'est
est à l'extérieur, on s'aperçoit très vite de la similitude
ce mécanisme d'influences
des coups. Dém
Deu
AR
3. Transformer : oui, on sait faire > 69

Le mécanisme du mimétisme et du tennis relation- moins. Je ne suis pas responsable du « coup rela-
« L'exemplarité Là ési ressent à plus tionnél à os reçois, Ta je le sue de celui que
n'est pas une façon d'un titre pour qui conduit je renvoie, et à ce titre, je peux choisir de poursuivre
d’influencer. une transformation. Avec lui, ou d'arrêter la partie. Avec le tennis relationnel, il
C'est la seule. » On dispose d'un levier d'in- devient difficile de rendre les autres responsables de
Albert Schweitzer fluence, qui est notre propre tous nos malheurs. Le tennis relationnel nous inter-
facon de nous comporter: dit de jouer au « c'est pas moi,
© si nous traitons les acteurs de façon respectueuse Cest l'autre » si fréquemment
« Plus on parle,
moins on a de
et en leur faisant une place, nous augmentons nos evoque lorsque les choses ne
chances d’être
chances qu'ils se comportent de la même façon marchent pas comme nous le
écouté. »
avec NOUS; souhaiterions.
Françoise Kourilsky
© si nous ne les écoutons pas et ignorons leurs feed- Comment se servir du ten-
backs, nous augmentons nos chances qu'ils ne nis relationnel dans nos projets de transformation?
nous écoutent pas et ignorent nos attentes. Imaginons que vous souhaitiez obtenir un certain type
Par ailleurs, le tennis relationnel nous invite à re- de comportement, par exemple: l'implication des col-
connaître que nous avons une part de responsabi- laborateurs. Plutôt que de chercher à les convaincre,
lité dans les relations que nous établissons: nous le tennis relationnel nous invite à être nous-mêmes
sommes responsables à hauteur de 50%. Ni plus ni impliqués et ce, de façon visible.
> 70 3. Transformer : oui, on sait faire

Faites ce que je dis, pas ce que je fais Bien entendu, il n'y a rien d'automatique dans tous ces
Une grande banque constate dans les résultats de son outils, mais aucun outil ni aucune méthode ne nous
baromètre d'opinion interne que l'esprit d'équipe, la fournira jamais une garantie absolue de réussite. C'est
coopération, l'entraide sont parmi les dimensions les d'ailleurs bien parce qu'il faut rester humble par rap-
plus sévèrement notées par les col aborateurs. Elle sol-
port aux résultats à attendre qu'il nous faut redoubler
icite des cabinets de conseil pour l'aider à développer
de vigilance sur nos méthodes. || y a déjà suffisam-
ces dimensions. L'une des offres s'appuie sur le méca-
nisme mimétique: si ça ne collabo e pas sur le terrain, ment d'incertitudes et de raisons d'échouer pour ne
il est probable que ça ne collabore pas beaucoup dans pas encore en rajouter en privilégiant des méthodes
es échelons supérieurs. Il est donc proposé de démar- qui marchent mal. 1
er la démarche avec l'équipe de d irection. L'offre n'est
pas retenue.
Une offre moins engageante est ch oisie, basée sur des
f
ormations: apprendre « l'esprit d'équipe » et la « coo-
pération » aux collaborateurs.
Dix-huit mois après, les résultats mesurés dans le baro-
mètre se sont encore dégradés.
Exiger des autres un changement qu ‘on ne s'applique pas
à soi ne marche pas.

©)
Fwrnl
Crou
3. Transformer : oui, on sait faire > 71

Êtes-vous (vraiment) sûr d'être Le plus fort?


Arrivé à ce stade, vous pourriez légitimement penser l'avantage d'être très simple et de rencontrer l'idée
que, décidément, c'est prendre beaucoup de précau- la plus répandue qui soit, à savoir qu'il suffit d'être le
tions pour conduire des-transformations, et qu'après chef pour que les gens nous obéissent.
tout, si l'on a nommé des chefs, c'est bien pour qu'ils La réalité est malheureusement parfois moins com-
donnent des ordres et que ceux-ci soient exécutés. mode que la théorie, et n'importe qui a été manager
Examinons cette proposition pleine de bon sens. où parent a pu mesurer la relativité de ce levier.
D'après Bruno Jarrosson, nous disposons de trois Le levier de l'autorité fonctionne sous deux conditions:
grands types de leviers pour conduire nos change-
ments: l'autorité, la persuasion, l'action. Première condition:
il faut effectivement être le plus fort
Levier 1: l'autorité CL Bien souvent, l'on s'imagine être le plus fort, car nous
C'est le levier le plus connu: je suis le chef, vous faites avons le statut. Dans cette vision des choses, le statut
ce que je vous demande. Nous nous appuyons sur vaut autorité. Rien n'est moins sûr, comme s'en aper-
notre autorité, le levier hiérarchique, pour imposer le çoivent à leur grand dam nombre de managers ou
changement aux autres. Jarrosson parle de la « théorie de chefs de projets fraîchement promus « chefs » ou
du coup de pied aux fesses ». « directeurs ».
Soyons clair: ce levier fonctionne, autrement cela ferait Cela fait quarante ans que les sociologues des orga-
Eyrolles
Groupe
©- longtemps que nous l'aurions abandonné. || présente nisations, Michel Crozier en tête, ont montré que le
> 72 3, Transformer : oui, on sait faire

pouvoir était une relation bien davantage qu'un sta- Tous les managers savent d'expérience que leur statut
tut. N'importe qui a eu affaire à un employé de mai- ne suffit pas pour imposer leurs quatre volontés à leurs
ie sait d'instinct que celui-ci a le pouvoir de placer collaborateurs. Combien de chefs de projet s'arrachent
notre dossier en bas de la pile, selon son bon vouloir les cheveux devant leur impuissance à obtenir ce qu'ils
du moment. N'importe qui a eu envie un jour de demandent, n'ayant de « chefs », justement, que le titre?
parler au grand patron s'est aperçu qu'il fallait pas- Un dirigeant peut être dirigeant autant qu'il le souhaite :
ser par son assistant. Si celui-ci ne nous à pas à la ses collaborateurs disposent du pouvoir de faire échouer
bonne, on n'est pas près de voir le grand chef. À ce sa stratégie s'ils le décident, et ce, bien entendu, sans le
moment-là, dans ce contexte-là, l'employé de mai- lui dire, histoire de complexifier un peu la donne.
rie et l'assistant ont du pouvoir sur nous, même s'ils Cette confusion entre autorité et statut fait beaucoup
n'ont pas le statut. de mal dans la conduite des transformations, car elle
induit l'idée que l'on peut se passer de négocier, c'est-
Le pouvoir est une négociation
à-dire, au fond, de tenir compte des autres.
« Le pouvoir implique toujours la possibilité pour certains
individus ou groupes d'agir sur d'autres individus ou groupes. Deuxième condition:
Agir sur autrui, c'est entrer en relation avec lui. Et c'est dans il ne faut pas avoir besoin des autres
cette relation que se développe le pouvoir d'une personne A
Sur une personne B. Le pouvoir est donc une relation et non Admettons tout de même que nous soyons le plus
pas un attribut. C'est une relation d'échange, donc de négo- fort, il reste encore une deuxième condition. Pour faire
ciation. » Michel Crozier et Erhard Friedberg usage d'autorité, il ne faut pas avoir besoin des gens
plus tard.
3. Transformer : oui, on sait faire > 73

L'autorité fonctionne à la hauteur de l'exact équilibre : : FUMER


des forces en présence. Les gens s'exécutent, car, à un Levier 2: la persuasion
instant T, nous sommes les plus forts. Le deuxième levier à notre disposition est la persua-
sion. Nous allons tenter de « convaincre » les per-
à Le président des États-Unis peut-il faire ce qu'il veut ?
sonnes avec qui nous travaillons que la transforma-
Le président des États-Unis était effectivement le plus tion que nous menons est très bonne pour eux, ou
fort lorsque, en 2003, il a pris la décision de délo-
indispensable pour l'entreprise, ou toute autre ligne
ger Saddam Hussein et de faire du State building au
Moyen-Orient: il disposait de porte-avions, de mis- argumentaire que nous aurons choisie.
siles, de troupes nombreuses, bref, de tout l'attirail Là aussi, ce levier a son utilité, notamment dans son
nécessaire. Cela fut-il suffisant? Non, car la deuxième
volet informations et échanges.
condition n'était pas réunie: on ne remodèle pas des
régimes politiques sans la collaboration des popula- Il est moins efficace dans son volet conviction. || y aura
tions locales. toujours des personnes que l'on ne parviendra pas à
convaincre : soit parce que les transformations dont
Lorsqu'on a tordu le bras des gens pendant des semaines, nous avons la charge ne sont pas très excitantes, soit
des mois, des années, il est probable qu'ils ne vont pas parce que les visions du monde des deux côtés de la
nous faciliter la tâche dès qu'on aura besoin d'eux. barrière sont trop éloignées.
Le recours à l'autorité pure dégrade les relations. Que Plus fondamentalement, la persuasion repose sur un
cela nous plaise ou non, les acteurs ont des ressources postulat fragile: elle suppose que le message que
pour nous résister. nous déployons est recu tel quel, sans aucune forme
3. Transformer : oui, on sait faire

de modification, comme si nous l'injections pur à l'aide changement est bon et ne rien changer du tout, et,
d'une seringue. inversement, changer nos façons de faire sans être
Mais l'être humain ne fonctionne pas ainsi: son convaincu de l'intérêt de le faire. Le lien que nous éta-
écoute est fondamentalement active et sélective!. Le blissons entre adhésion et changement n'est pas du
cerveau humain est une machine à traiter l'informa- tout aussi avéré que cela.
tion, faire le tri, choisir le sens à donner aux choses, Si la communication marchait
conserver ce qui lui convient et éliminer le reste. En aussi bien que cela, il n’y aurait plus de fumeurs
somme, lorsqu'on « communique », les personnes en
« La meilleure manière de comprendre comment nous
face de nous ne sont pas des pages blanches: elles pouvons être à la fois rationnels dans notre perception
sélectionnent, classent, prennent certaines choses, des risques tout en demeurant assez sots pour nous
en rejettent d'autres. Et quand elles rejettent certains aisser duper, ce serait d'avoir une conversation avec
messages, les répéter ne sert à rien, si ce n'est donner un fumeur. Très peu d'entre eux ignorent qu'ils ont une
aux gens le sentiment d'être pris pour des imbéciles. chance sur trois de souffrir un jour du cancer du pou-
mon. Si vous n'êtes toujours pas convaincu, allez voir la
L'autre limite de la communication réside dans le foule des fumeurs rassemblés à l'entrée du Memorial
lien mécanique que l'on fait - à tort - entre persua- Sloan Kettering Cancer Centre, centre spécialisé dans
sion et changement. On peut être persuadé qu'un e traitement du cancer à New York. Vous y verrez des
douzaines d'infirmières et peut-être des médecins spé-
cialistes du cancer, la cigarette à la main, tandis que des
1. La notion d'« écoute active » est d'ailleurs un pléonasme. Comme patients condamnés arrivent en chaise roulante pour
l'écoute suppose le silence, on en déduit qu'elle est passive. Mais
subir leur traitement. » Nassim Taleb
c'est inexact: se taire et écouter (vraiment) suppose de faire silence
en soi, d'être concentré sur l'autre, sur la relation comme sur les
propos. Il n'y a d'écoute qu'active
3. Transformer : oui, on sait faire > 75

La communication est utile lorsqu'elle livre des infor- Le plus intéressant avec l'action, c'est que bien souvent
mations et permet aux acteurs d'échanger, mais il ne on obtient les deux résultats: les choses changent, et,
faut pas attendre d'elle qu'elle suscite mécaniquement parfois, les acteurs finissent par être convaincus de la
l'adhésion, et encore moins le changement. Elle est pertinence de ce qu'ils font.
. nécessaire, mais loin d'être suffisante. Pourquoi? À cause d'un phénomène appelé la disso-
Levier 3: l'action ki nance cognitive.
La dissonance cogni- « Le changement et la mise
Alors si l'autorité (la hiérarchie) et la persuasion (la tive, c'est l'écart qui en œuvre d’idées nouvelles
communication) ne se révèlent pas aussi efficaces peut exister entre nos
commencent par des actes,
qu'attendu, que nous reste-t-il? L'action, encore elle. c'est-à-dire des mises en
Opinions, croyances,
situation plutôt que par
Pour faire changer les choses, pour conduire une trans- valeurs, idées (la
des discours. La méthode
formation, on n'a encore rien inventé de mieux que sphère cognitive)
du changement par
d'engager les acteurs dans l'action. Souvenez-vous: le et nos actes, com- l'engagement dans l’action
A de l'équation E = Q x A. portements, façons obtient des taux supérieurs
© Vous voulez convaincre quelqu'un que votre choco- de faire (la sphère à celle de la persuasion. »
lat est bon? Faites-le lui goûter. comportementale). Bruno Jarrosson
© Vous voulez que votre enfant apprenne le vélo? La plupart du temps,
Faites-le monter dessus. ces deux sphères sont alignées: nos actes sont
© Vous voulez conduire une transformation? Faites conformes à nos idées, nos idées sont conformes à
travailler les collaborateurs dessus, concrètement. nos actes.
> 76 3. Transformer : oui, on sait faire

La non-dissonance cognitive D'une façon ou d'une autre, je vais essayer de réduire


le pense que fumer n'est pas bon pour la santé (sphère cette dissonance:
cognitive), doncje ne fume pas (sphère comportemen- ® soit je vais réaligner mes actes sur mes idées: je
tale). Mes actes sont alignés sur mes idées, il n'y a pas
démissionne de cette entreprise, qui m'oblige à
de dissonance.
Je fais du sport depuis longtemps (sphère comporte- aller contre mes valeurs :
mentale), donc je finis par penser que le sport est bon © soit je vais réaligner mes idées sur mes actes:
pour la santé (sphère cognitive). Mes idées sont ali- après tout, si ce n'est pas moi qui mène cette res-
gnées sur mes actes, il n'y a pas de dissonance.
tructuration, ce sera quelqu'un d'autre.

Mais parfois, nous faisons (ou l'on nous demande de Pourauoi beaucoup de transformations se déroulent-
faire) des choses qui ne sont pas conformes à nos elles avec difficulté?
idées, opinions, valeurs: je suis convaincu des méfaits À cause de cette dissonance: on demande aux gens
de l'alcool au volant, mais je bois quand même au de faire des choses (sphère comportementale), de
diner où je suis invité. Il y a une dissonance. Une changer leurs pratiques, leurs modes opératoires,
petite voix me dit que quelque chose cloche. On me leur organisation, leur métier, alors qu'ils ne sont pas
demande de déployer cette action, ce message, ce convaincus (sphère cognitive) de la pertinence de ce
projet, mais je n'y crois pas, cela va contre mes va- changement, qu'ils ne voient pas à quoi ça sert, qu'ils
leurs : il y a dissonance. n'en voient pas l'intérêt, ni pour eux, ni pour leur orga-
Cet écart crée un inconfort qui ne peut pas durer trop nisation. || Y a une dissonance entre les deux sphères.
longtemps sous peine de provoquer doute, honte, En travaillant concrètement sur le changement qui les
malaise, stress, etc. concerne, en cherchant des solutions, en trouvant les
3. Transformer : oui, on sait faire > VL

bons arrangements, les collaborateurs construisent changement fop-down, qui « On peut convaincre
progressivement leurs propres « raisons de faire », ils risquent de réduire l'envie de les autres par ses
réduisent leurs dissonances. coopérer; de vouloir susci- propres raisons, mais
ter une adhésion à tout prix,
on ne les persuade
. Cela suppose, bien entendu, de leur laisser de la place, que par les leurs. »
d'accepter le fait qu'ils ont quelque chose à dire sur les mieux vaut passer par et à l'ac-
Joseph Joubert!
situations qui les concernent. tion. Vous aurez d'autant plus
de chances de voir votre trans-
On voit, en synthèse, que les apports de Bruno
formation se réaliser que vous donnerez un rôle actif
Jarrosson et d'Yves Doutrelugne se rejoignent pour
aux acteurs dans la coconstruction des solutions.
mettre l'action au centre de la dynamique de trans-
formation: plutôt que de privilégier des démarches de

1. Source : dicocitations.lemonde.fr
> 78 3. Transformer : oui, on sait faire

Changer les mentalités, le Graal inaccessible


L'une des idées qui ne marchent pas bien, c'est celle qui transformation se ramène toujours peu ou prou à des
voudrait qu'il faille « changer les mentalités » pour que changements d'attitudes, d'habitudes, de comporte-
les changements se produisent. Malheureusement, le ments, de façons de faire. Dit autrement, si l'on veut
« changement des mentalités » ressemble fort à un Graal qu'une transformation aboutisse, il faut qu'in fine elle
que personne n'a encore trouvé. On ne sait pas faire: on se concrétise dans de nouveaux gestes, de nouveaux
ne sait pas entrer dans la boîte noire du cerveau des gens comportements, de nouvelles pratiques.
et changer à volonté les croyances qui s'y trouvent. Et faire changer les comportements des autres, ça,
Ce qu'on sait mieux faire, en revanche, c'est possible! Les sciences sociales ont mis à jour
« Tout un chacun
c'est changer - où en tout cas influer quelques résultats intéressants en la matière.
songe à changer
le monde, mais sur - les comportements. Le premier moyen pour faire changer les autres, on l'a
personne ne songe Mais quel rapport entre réussir une déjà examiné avec les notions de mimétisme et de
à se changer. » transformation et faire évoluer les tennis relationnel: c'est nous-mêmes.
Léon Tolstoiï
comportements ? L'imitation est le premier vecteur d'apprentissage, chez
Conduire une transformation, c'est modifier une orga- les animaux comme chez les humains. L'apprentissage
nisation, installer un outil, faire évoluer un métier, dans un amphithéâtre ou en salle de formation est
changer de stratégie, développer de nouveaux usages, historiquement très récent. On a toujours appris, donc
de nouvelles pratiques, fonctionner différemment. changé, par imitation, reproduction du geste: l'apprenti
Quelle que soit la façon dont on aborde le sujet, une regarde le compagnon, l'enfant regarde ses parents, le
3. Transformer : oui, on sait faire > 79

novice observe l'expérimenté, l'élève regarde le pro-


fesseur. On regarde, on reproduit, on change.
Offrir un exemple à imiter est d'ailleurs, à mon sens, l'une
envie
des fonctions du manager. Ou devrait l'être, car cette de faire
ee”
onction semble de plus en plus reléquée au second rang,
sous-traitée aux formateurs ou aux coachs. Cette évolu-
tion n'est pas sans effet, à mon sens, sur le caractère
aborieux de bien des transformations. Les collaborateurs
pour des acteurs qui n'ont pas envie, le moindre obs-
n'ont plus quère de modèles auprès desquels apprendre.
tacle se révèle une montagne.
Une autre façon d'aborder cette thématique est de
© Développer les motivations intrinsèques! : bien
repartir des questions que les gens se posent lorsqu'ils
faire comprendre le sens du changement visé,
doivent décider s'ils vont, ou non, adopter le change-
donner de l'autonomie quant aux voies et moyens
ment qu'on leur demande.
d'y arriver, accorder une réelle capacité de décision,
Ces questions sont au nombre de quatre
etc.
essentiellement.
© Multiplier les encouragements, les soutiens.
Est-ce que j'ai ENVIE de faire ce qu'on
1. Les motivations intrinsèques sont celles qui sont liées au poste,
me demande ? à la mission, au projet eux-mêmes: l'intérêt des tâches à accomplir,
l'ampleur des responsabilités qui nous sont confiées, le caractère
Cest sans doute la question la plus importante :des ac- stimulant de la vision, etc. Les motivations extrinsèques sont liées à
teurs qui ont envie peuvent déplacer des montagnes: des éléments externes à l'activité stricto sensu: les avantages sociaux
AaTOUPEEYIONES
© dans une entreprise: les vacances dans l'Éducation nationale, etc.
> 80 3, Transformer : oui, on sait faire

© Solliciter les dirigeants pour rencontrer les équipes, Est-ce que je vais SAVOIR Le faire?
rendre visible leur implication.
© Diffuser massivement de l'information sur la trans-
formation: son contexte, le problème à régler, les
options de solutions envisagées, le rôle attendu des
acteurs, les marges de manœuvre accordées, etc.

Est-ce que j'ai INTÉRÊT à Le faire ?

© Favoriser le développement des compétences sous


toutes ses formes: accompagnement managérial,
_ intérêt
à faire formation, tutorat, binômage, groupes de codéve-
loppement, coaching individuel, coaching d'équipe,
benchmarkings, conférences, learning expedlitions,
salons professionnels, partage des bonnes pra-
tiques, retours d'expérience, mises en situation!.
© Développer les motivations extrinsèques.
© Rétribuer sous toutes les formes possibles: signes
de reconnaissance, valorisation, exposition, rému- 1. On ne peut que regretter, au vu de la multitude de leviers
nération, évolution professionnelle, etc. existants pour développer les compétences, de voir que parfois
seule la formation est utilisée. De
Do
Œ
3. Transformer : oui, on sait faire > 81

Est-ce que je vais POUVOIR Le faire? Une variante possible peut consister à identifier les
freins à ces quatre questions: qu'est-ce qui limite
l'envie, l'intérêt, la capacité et la possibilité de s'enga-
peux ger dans la transformation, et quelles actions peut-on
faire mener pour lever ces freins? 1

© S'assurer des conditions de faisabilité du chan-


gement attendu (notamment les conditions
organisationnelles).
© Identifier et lever les freins à l'action.
© Veiller à la clarté des rôles attendus.
© Encourager la coopération, décloisonner.
> 82 3. Transformer : oui, on sait faire

Chercher les causes ne sert pas la cause


Lorsque nous sommes engagés dans une transforma- © c'est la démarche des sociologues qui nous ex-
tion, c'est bien pour résoudre un problème: perte de pliquent pourquoi la situation est telle qu'elle est.
parts de marché, transformation des métiers, accrois-
sement des coûts, « ubérisa- Comprendre les causes ou trouver des solutions
« La connaissance du
tion » latente, et. Sur les soixante pages du récent rapport « de synthèse »
supposé “pourquoi” du Conseil national d'évaluation du système scolaire,
ancien n’est ni nécessaire Et qui dit résoudre un pro- intitulé Comment l'école amplifie-t-elle les inégalités
ni suffisante pour blème, dit nécessité - pense-t- sociales et migratoires? (2016), seules quatre sont
changer. » on - d'en connaître les causes. consacrées aux recommandations. Autrement dit, 93 %
Yves Doutrelugne Depuis l'école maternelle, on de l'effort intellectuel des chercheurs sont mis sur la
nous apprend qu'un phéno- description de la situation et de ses causes, et seule-
à ; ment 7 % sont consacrés aux remèdes.!
mène a des causes, et que la connaissance des causes
est nécessaire pour apporter des solutions:
Jusque-là, tout va bien. Sauf que la démarche consis-
© c'est la démarche du garagiste qui nous écoute ra-
tant à rechercher les causes, à se poser la question
conter les symptômes pour identifier le problème;
« Pourquoi les choses sont comme elles sont? », pré-
© c'est la démarche des consultants qui démarrent le sente cinq inconvénients majeurs.
plus souvent leurs interventions par un diagnostic;

1. Source: http://www.cnesco.fr/
inegalites-sociales-et-migratoires-comment-lecole-les-amplifie/
3. Transformer : oui, on sait faire

(No) Recherche Recherche


des causes des solutions

Pourquoi Comment
(+ qui) (+ quoi)

Recherche Recherche
des coupables des faits

Du pourquoi au comment
1. La causalité linéaire fonctionne © Un même effet peut avoir plusieurs causes: une
moins auec l'humain maladie peut être provoquée par plusieurs fac-
Si la causalité linéaire dont on a parlé plus haut (une teurs; des bibliothèques entières tentent d'expli-
cause À entraîne une conséquence B) fonctionne dans quer les causes du conflit israélo-palestinien; la
le domaine technique, elle donne des résultats beau- baisse de parts de marché d'une entreprise peut
coup plus aléatoires dans le domaine humain. s'expliquer de beaucoup de facons différentes, etc.
> 84 3. Transformer : oui, on sait faire

© Une même cause peut entraîner plusieurs effets: de femmes auraient de meilleurs résultats » ; « On
un management autoritaire peut s'accompagner observe que les entreprises les plus performantes sont
tout aussi bien de bons que de mauvais résultats; dirigées par des personnes qui présentent telles carac-
un défaut de coopération entre deux services peut téristiques » ; « Une récente étude a “prouvé” que les
— où non - avoir un impact sur la performance de salariés heureux étaient aussi plus performants », etc.
l'entreprise, etc. Ce genre d'assertions tend en outre à réposer sur le
Dans le domaine humain, les causalités ne sont pas « tri sélectif » des données: beaucoup d'entreprises
mécaniques, et sont donc sujettes à interprétation. dont le comité de direction est masculin ont aussi de
Chercher des causalités revient bien souvent à choisir bons résultats: beaucoup d'entreprises performantes
celles qui nous arrangent. sont dirigées par des patrons ne présentant pas les-
dites caractéristiques; beaucoup d'entreprises perfor-
2. La confusion entre la corrélation mantes n'ont pas que des salariés « heureux », etc.
et la causalité
Ces « résultats » correspondent peut-être moins aux
On constate très fréquemment chez les enfants un idées du moment, mais ils n'en sont pas moins aussi
lien entre la maîtrise de l'orthographe et la taille de « vrais » que les précédents.
leurs pieds. C'est une corrélation. La causalité est bien
entendu davantage à aller chercher du côté de l'âge. 3. La recherche de coupables
Cette confusion courante rend très fragiles toutes les Derrière le « pourquoi » (recherche des causes), il y a
argumentations liées à des corrélations, du type: bien souvent le « qui » (recherche de coupables) : s'il
« Les comités de direction qui comportent davantage y a un problème de climat social dans l'entreprise, c'est
3. Transformer : oui, on sait faire > 85

la faute de la DRH; si les reportings sont faux, c'est la jours. Le coaching et certaines formes de thérapies
faute du contrôle de gestion; s’il y a des grèves, c'est aussi: ils ne s'attardent pas trop sur les causes, car ils
la faute des syndicats; s’il y a des résistances au chan- n'ont pas besoin de les connaître pour enclencher un
. gement, c'est que les gens n'ont rien compris, etc. changement.
Évidemment, cette recherche de coupables engendre Je n'ai pas besoin de savoir pourquoi je fume pour
autant de mécanismes de protection. Donc, même si arrêter de fumer.
Sur un strict plan rationnel, la recherche des causes et Je peux très bien comprendre que ma dépression vient
du « pourquoi » peut éventuellement se justifier, sur du fait que j'ai perdu mon « Accuser les autres
un plan relationnel, cette méthode est à manier avec boulot ou que mon chef de ses malheurs, cela
précaution du fait de l'homéostasie qu'elle déclenche. me martyrise, cela ne me est d’un ignorant; n’en
donnera pas la solution accuser que soi-même,
4. Connaître La cause n'indique pas plus facilement. cela est d’un homme qui
le remède Re commence à s’instruire;
Je peux très bien com- et n’en accuser ni soi-
Admettons que l'on parvienne à se mettre d'accord sur prendre d'où vient le fait même ni les autres, cela
la ou les causes de tel ou tel problème, cela ne nous que les dépenses de mon est d’un homme déjà
donne pas pour autant la solution ou le remède. entreprise sont trop éle- instruit. » Épictète
Inversement, on peut très bien prescrire un remède vées, cela ne m'indique pas automatiquement celles
sans connaître la cause: la médecine fait cela tous les qu'il faut que je réduise, ni comment.
> 86 3, Transformer : oui, on sait faire

5. Chercher les causes Réfléchir ou changer?


est consommateur de temps Une équipe RH a planifié une demi-journée pour réflé-
chir à l'amélioration de ses modes de fonctionnement.
(Pest toujours piquant de constater que ce sont sou Elle fait un bilan de ce qui marche bien et moins bien.
vent les mêmes personnes qui réclament d'aller vite, Concernant ce qui marche moins bien, une consigne
toujours plus vite, et qui, dès qu'un problème se pose, stricte est donnée de consacrer le temps qui reste
passent beaucoup de temps à chercher d'où il y vient. (1 h) à faire des propositions pour que cela fonctionne
à < LAUR RAAESE mieux. Malgré cela, l'équipe commence à rentrer dans
« Voulez-vous arriver à votre objectif OÙ avoir fal- : ë 1
un débat sur le « pourquoi ça ne marche pas ». L'heure
son? », a coutume de dire Yves Doutrelugne. Préférez passe, l'équipe à beaucoup discuté, mais n'a produit
vous consacrer votre temps à devenir intelligent SUr aucune solution alternative.
les causes de votre problème, ou trouver des solutions Chercher les causes est-il raisonnable quand on n'a pas
pour le résoudre? le temps? M
3. Transformer : oui, on sait faire > 87

[En bref |

Ÿ La particularité des comportements humains est qu'ils fonctionnent en miroir :le comportement des autres
influe sur le nôtre, et notre comportement influe sur celui des autres. Sur cette base « mimétique », il est
possible, à travers nos propres façons de faire, d’influer sur les comportements que nous souhaitons voir
dans une transformation: écoute, implication, engagement, etc. Cette raison fait de l'exemplarité, dont
celle des managers et des dirigeants, l'un des leviers de changement les plus importants.

Parmi les trois autres leviers dont nous disposons - l'autorité, la persuasion, l'action -, c'est très nettement
le dernier qui donne les meilleurs résultats.

Plutôt que de chercher à convaincre les collaborateurs, mieux vaut répondre à leurs questions: comment
leur donner envie de s'engager dans la transformation ? Qu'ont-ils à y gagner ?Comment accroître leurs
compétences ? Comment lever les obstacles qu'ils rencontrent ?

Ÿ Lorsque le temps est compté, il est infiniment plus utile de réfléchir au « comment » (on pourrait faire
différemment) qu'au « pourquoi » (cela ne marche pas).
Piloter une transformation
en quatre moments clés
[Objectifs |

Identifier les étapes clés d'une transformation.


“ Clarifier les résultats attendus.
Prendre conscience de l'importance du soutien et de l'accompagnement.

C e quatrième chapitre na pas l'ambition de décrire avant de se jeter à corps perdu dans l'action, savoir
toutes les étapes d'une transformation - la taille le plus précisément possible ce que l'on veut;
de ce livre ne le permet pas. Tout au plus vise-t-il à se se poser la question des méthodes les plus adé-
centrer Sur quelques moments essentiels. quates pour atteindre nos résultats;
Partant du constat que beaucoup de transformations anticiper les impacts que la transformation va avoir
échouent faute d'une préparation suffisante, nous ex- et SUF qui;
plorons ici quatre moment clés, situés essentiellement identifier les acteurs (individuels et collectifs) qui
au démarrage: vont le plus avoir besoin de soutien. mt

R
4. Piloter une transformation en quatre moments clés > 89 _

| ————— Les quatre moments clés d’une transformation

Savoir ce que l’on Accompagner


Anticiper
veut et définir les les personnes
les impacts
meilleures méthodes et les équipes

I
|
l
I Déni

| Colère
Remise

| :
en mouvement
et peur

Découverte
Carte de transformation
I du sens
I Marchandage,
négociation Acceptation

I Retrait,

(2)
engagement
fable

La courbe du deuil
à4 Analyse d'impact

PAS
Alignement
I
Sens > Processus > Contenu I
I
[]
Éyrolles
Groupe
©-
> Q0 4, Piloter une transformation en quatre moments clés

Premier moment clé: savoir ce que l'on veut


La première chose à faire lorsque l'on engage une Une vision, c'est une fusée
translormalion est de savoir ce que l'on veut: quel à trois étages
changement veuton? Quels objectifs veuton al
teindre ? Quels sont les résultats attendus ?
Celle étape Introductive peut paraitre évidente, mais 3 Le pilotage :
comment sécurise-t-on
beaucoup de projets démarrent en étant entourés d'un la trajectoire ?
joll lou artistique, On ne passe Jamais assez de temps
à être clair en amont sur ce que l'on veut, de façon
Les modalités :
précise el concrète qui embarque-t-on,
et comment ?
Vous pouvez élaborer une vision à court et moyen
lose avec l'outil de la carte de transtormation (cl,
plus loin), La vision :
que veut-on ?
« Il n'est pas de bon vent pour
Fr ne connaît pas son port. »
énèque
4. Piloter une transformation en quatre moments clés > 9]

Premier étage © Quel rôle actif leur donne-t-on? Quelle place leur
© Cest la vision stricto sensu (l'outil de la carte fait-on?
de transformation peut être utilisé pour ce © Comment s'assure-t-on de leur engagement ?
travail — cf. ci-après).
Troisième étage
Deuxième étage © C'est le pilotage de la trajectoire.
© || s'agit des modalités pour éviter la loi de Z et © Une fusée, par nature, c'est fait pour aller loin. Mais
« embarquer » les acteurs. dans une trajectoire, ce sont les premiers 10% qui
© Qui sont les acteurs clés, ceux dont nous avons sont importants. D'où l'importance de sécuriser ce
absolument besoin pour réussir la transformation? début de trajectoire, avec un pilotage assez serré.
© Comment les fait-on monter à bord?

« Lorsqu'un seul homme rêve, ce n’est qu’un rêve.


Mais si beaucoup d'hommes rêvent ensemble.
C’est le début d’une nouvelle réalité. »
Friedrich Hundertwasser!

1. Source : citations-inspirantes.fr
sl 4. Piloter une transformation en quatre moments clés

La carte de transformation

Décembre Décembre
2017 2018

Résultats attendus
à 6 mois

Personnes

Evro
Gro
©
4. Piloter une transformation en quatre moments clés
= sil
Si l'on s'attarde sur le premier étage, le livrable propre- Sur le plan de la temporalité
ment dit, celui-ci est composé de deux parties, elles- © La perspective à moyen-long terme (entre trois et
mêmes décomposées en deux sous-parties. cinq ans, voire davantage) est destinée à donner
- Sur le plan du contenu le sens (à la fois la direction et la signification), à
poser les enjeux.
Trop souvent, les visions se contentent de définir les
objectifs métier/business. C'est nécessaire, mais pas © La perspective à court terme (entre six et
suffisant, car le « quoi » du business a besoin d'être douze mois) est dédiée au pilotage opérationnel.
complété par le « comment » relatif aux hommes. Ces deux temporalités sont complémentaires.
La carte de transformation définira donc deux types La perspective à long terme seule risque de demeurer
d'objectifs (en nombre limité!) : abstraite pour les acteurs. Beaucoup de visions restent
© les objectifs métier. Quels sont les grands résultats des catalogues de bonnes intentions, stimulantes au

que nous souhaitons atteindre sur le plan du busi- moment de la conception, décourageantes quand, plu-
ness, du métier? sieurs mois après, les participants s'aperçoivent que
pas grand-chose ne s'est concrétisé.
© les objectifs humains. Quelle organisation ?Quelles
compétences ? Quel accompagnement du change- La perspective à court terme seule n'est pas non plus
ment? Quels modes de fonctionnement? Quelle suffisante: les acteurs doivent pouvoir sortir le « nez
culture ?Quelles valeurs ? Etc. du quidon » et voir au-delà du problème du lende-
main. Cest l'une des conditions pour que la transfor-
mation soit motivante.
Eyrolles
Groupe
@- 1. Cf. Incontournable n°5, chapitre 5.
> 94 4. Piloter une transformation en quatre moments clés

Avantages de |a carte de transformation Concrétiser chaque priorité à long terme en la


La carte de transformation est très visuelle et fournit découpant en actions à court terme.
un bon support de communication: elle peut être im- © Deuxième étage: identifier les acteurs clés, le rôle
primée en gran d format et affichée dans les bureaux, et la place que vous souhaitez leur donner.
es salles de réunion ou les ateliers. Leur degré de mobilisation et d'engagement
On peut y associer autant de personnes que l'on sou- sera proportionnel à la place que vous leur ferez
haïite. Plus un t ravail de vision associe de personnes, (souvenez-vous du tennis relationnel). À ce titre,
plus on multipli e sa force d'entraînement. fournir une « copie » parfaite que les acteurs
n'ont plus qu'à valider est exactement ce qu'il
Mode d'emploi faut éviter de faire.
© Premier éta ge de la fusée: élaborer la carte de © Troisième étage: définir le mode de pilotage et de
transformation. mise à jour, par exemple, tous les trois à six mois
= COST es échelles de temps pertinentes: (selon la durée prévue de la transformation) au
moyen-long terme pour le sens (trois, cinq, dix cours d'un atelier dédié (entre % et une journée).
ans) ; court terme pour l'action (le trimestre, le En première partie (tournée vers le passé), vous
semestre). faites le bilan des résultats atteints.
Déterminer un faible nombre de priorités En deuxième partie (tournée vers l'avenir),
(quatre à six) pour les deux volets métier et vous remettez à jour la carte, en vérifiant que
humain, avec si possible un à deux chiffres clés les priorités à long terme fixées précédemment
par priorité pour rendre les choses mesurables. sont toujours d'actualité, en redéfinissant les
4. Piloter une transformation en quatre moments clés > 9 sil

actions à court terme. Vous planifiez la date du


prochain atelier sur la carte de transformation.

Ce processus régulier de mise à jour permet de mettre


| . en place des boucles d'apprentissage: célébrer les
quick wins, apprendre de ce qui marche et ne marche
| pas, de ce qui est faisable ou pas, conserver une vision
toujours d'actualité. 5
> %6 4. Piloter une transformation en quatre moments clés

Deuxième moment clé: définir Les meilleures


méthodes pour y parvenir
On l'a dit à de multiples reprises: la majorité des
ransformations échouent moins du fait de la nature 1: Sens
du changement engagé que de méthodes inadaptées.
Dans notre vie quotidienne, nous faisons spontané- 2. Processus
ment attention à nos façons de faire: soit nous adap-
3. Contenu
ons nos façons de vivre à nos objectifs de vie: soit,
à l'inverse, nous adaptons notre mode de vie à nos
moyens. Dans tous les cas, nous faisons le maximum
pour que les deux dimensions (objectifs et méthodes
pour y parvenir) Soient alignées. Alignement
Dans l'entreprise, nous préférons souvent rester dans Sens > Processus —» Contenu
la croyance qu'il suffit de définir des objectifs pour que
ceux-ci soient automatiquement atteints.

ét
M
4. Piloter une transformation en quatre moments clés > 97 m.

Aligner les processus sur le sens, cela signifie concrè- KOOIECARUEUTIEECTOE CNTat RCE TEA TLE
tement deux choses. Une business unit d'un grand groupe souhaite mobiliser
1. D'une part, définir le sens, les finalités, les résultats ses cinquante top managers autour d'un nouveau plan
attendus du changement (le « quoi »), aussi bien stratégique, défini par l'équipe de direction. Les deux
NC ne PRoeL ES dirigeants en charge du projet organisent pour ce faire
sur le plan du métier-que sur le plan des hommes deux réunions de communication, avant et après l'été.
| et du management; l'outil de la carte de transfor- Au bout de plusieurs semaines, la direction s'inquiète
mation peut nous aider à cela. du manque de résultats. Que s'est-il passé?
L'engagement trop peu visible de la direction génère en
2. D'autre part, déterminer les méthodes de change-
retour (tennis relationnel) un manque d'implication des
ment (le « comment ») qui permettront d'atteindre managers. La méthode (deux réunions de communica-
les résultats visés: des ateliers participatifs si l'on tion) est insuffisante pour atteindre l'objectif.
veut mobiliser du monde, des task forces légères si Un engagement visible du top management est l'un
l'on veut aller vite, etc. des « sept incontournables » de toute transformation
(cf. chapitre 5).
> 98 4. Piloter une transformation en quatre moments clés

Troisième moment clé: anticiper les impacts


On a vu qu'il était plus efficient de lever les freins
que de chercher à convaincre (cf. chapitre 2). L'analyse
d'impact permet d'identifier les impacts d'une trans-
formation, impacts qui sont autant de freins qui vont
limiter l'envie, l'intérêt ou la capacité des acteurs à
s'engager.
Organisat
Cet outil a clairement une vocation préventive: anti- et pr

ciper et atténuer les impacts négatifs, les freins au


changement.
Sur chacune des quatre dimensions (culture, organi-
sation, métier, outil), on évalue sur une échelle de 1
(faible) à 3 (fort) l'impact du changement envisagé
Sur la population ou les acteurs concernés.
Analyse d'impact
Anticiper les impacts
« L'essentiel concerne les hommes et les femmes. Ont- Pour tous les impacts notés 3, une action préventive
ils la formation ou les compétences pour conduire ou est proposée.
s'adapter au changement? En comprennent-ils la néces-
sité?Comment cela impacte-t-il leurs habitudes de vie? » L'exercice est à réaliser pour toutes les populations
Jean-Paul Bailly impactées par la transformation. AS
2
n
4. Piloter une transformation en quatre moments clés

Quatrième moment clé: accompagner


les personnes et les équipes
Pour réussir une transformation, on l'aura compris La courbe du deuil: principes
maintenant, il ne suffit pas de réussir la dimension
Pour cela, nous disposons d'un outil célèbre: la courbe
technique. Bien entendu, il faut que la solution tech-
du deuil.
nique soit de bonne qualité. Mais cela ne suffit pas. Une
transformation, comme n'importe quel changement,
suscite des réactions, des émotions, qu'il importe
d'identifier afin de mieux pouvoir les accompagner. Remise
en mouvement

« Si l'existence est une école,


le deuil constitue une grande partie Découverte
du sens
du programme. Beaucoup d’entre Marchandage,
nous refusent le sentiment de perte, négociation Acceptation
car nous ne comprenons pas qu'il fait Retrait,
engagement
intrinsèquement partie de la vie. faible
Vivre, c’est perdre. »
Elisabeth Kübler-Ross La courbe du deuil


Eyrolles
Groupe
> 100 4. Piloter une transformation en quatre moments clés

À l'origine de cet outil, une psychiatre, Elisabeth laborieuse, des étapes du deuil.
Kübler-Ross (1926-2004). Dans son travail d'accompa-
Les étapes émotionnelles
gnement des personnes en fin de vie, elle observa
que les personnes ressentaient à peu près toujours les « Tout le monde ne passe pas forcément par ces cinq
étapes à chaque incident de la vie, et les réactions ne e
mêmes émotions, qu'elle modélisa dans un « cycle
suivent pas forcément le même ordre. Certains stades
émotionnel » comportant cinq étapes: le déni, la co- peuvent être revécus plusieurs fois. Le processus n'est pas
lère (à laquelle se mêle souvent la peur), le marchan- toujours linéaire, il ressemble davantage aux montagnes
dage, la tristesse, l'acceptation. russes: on passe du mieux-être au désespoir le plus pro-
fond. On croit régresser, alors qu'en fait on à franchi une
Par extension, ces étapes sont apparues très proches
étape importante. » Elisabeth Kübler-Ross
de celles vécues par quiconque vivait un changement,
surtout un changement non souhaité. Plus la ou les
Une objection fréquente est que le deuil est une af-
personnes ont le sentiment de perdre quelque chose
faire personnelle. Oui et non.
(ou quelqu'un) d'important, plus le deuil est doulou-
© Oui si l'on adopte une vision individuelle, psycho-
reux et potentiellement long.
logique des choses. Il est évident que le même
La courbe du deuil: intérêt changement ne sera pas vécu de façon identique
L'outil de la courbe du deuil nous aide à accompagner par tout le monde.
es personnes ou les équipes selon « l'endroit » de © Mais si l'on adopte une vision relationnelle, alors on
a courbe où ils se trouvent. On pourrait presque dire mesure à quel point nos propres attitudes pourront
que toute transformation - individuelle ou collective - favoriser (ou défavoriser) le franchissement des
est la traversée, plus où moins rapide, plus ou moins étapes.
4. Piloter une transformation en quatre moments clés > OI

À chacune des étapes, correspond un accompagnement spécifique:

À quoi la reconnaît-on ? Que faire ? Qu'éviter de faire?


Il ne se passe rien alors que le change- Donner des informations, répondre aux Minimiser le changement, promettre
ment aurait dû démarrer. deux « pourquoi » : pourquoi et pour le « paradis ».
quoi (vers quoi) cette transformation? Laisser de fausses informations, des
S'assurer que l'information est bien rumeurs se répandre.
reçue (« accusé de réception »). Rassurer (ça n'est pas le moment).

Différents signes indiquent que les per- Favoriser l'extériorisation des émo- Refuser l'expression des émotions.
sonnes sont mécontentes, insatisfaites, tions: une émotion dure moins long- Des émotions non verbalisées ou non
ou ont peur. Bien souvent, ces deux temps quand elle peut s'exprimer. entendues risquent de rallonger les
émotions se mêlent. Derrière la colère, un besoin de répa- délais, voire de bloquer le processus
ration: comment réparer ce qui a été de changement.
perçu (à tort ou à raison) comme un
« dommage » ?
Derrière la peur, un besoin de réas-
surance: identifier toutes les actions
susceptibles de rassurer.
Les personnes laissent entendre que Échanger sur les conditions de fai- Ne laisser aucune place aux acteurs.
ce sont les conditions du changement, sabilité du changement: « À quelles Imposer un changement top-down.
davantage que le changement lui- conditions ce changement serait-il
Ne prévoir aucun accompagnement.
même, qui ne leur conviennent pas. acceptable pour vous? »
C'est une ouverture à saisir. Coconstruire les solutions.
Marchandage,
Plus les acteurs peuvent être actifs Mettre en place des actions d'accom-
négociation
dans la construction des solutions, pagnement (individuelles et/ou
mieux c'est. collectives).
Sans coconstruction (négociation),
les acteurs restent bloqués à l'étape
précédente.
4. Piloter une transformation en quatre moments clés

À quoi la reconnaît-on ? Que faire? Qu'éviter de faire?


Les personnes ou les équipes Faire preuve d'empathie et de soutien. Accélérer le changement.
manifestent des signes de fatigue, Accompagner les équipes et les col- Forcer l'adaptation.
de manque d'engagement et laborateurs qui en ont le plus besoin
RENSIE d'enthousiasme. (l'analyse d'impact peut servir à cela).
engagement
faible C'est l'étape « en creux » du pro-
cessus, le moment où les acteurs
prennent conscience véritablement du
changement.
Le changement semble derrière, on en Encourager les comportements qui Mettre l'accent uniquement sur ce qui
parle moins. vont dans le sens souhaité. ne Va pas.
Acceptation Valoriser les prises d'initiative. Ne pas reconnaître les efforts déjà
Reconnaître les efforts, distribuer de la accomplis.
reconnaissance positive.

Comme son nom l'indique, le processus de deuil est organisations ont parfois fait un usage non éthique de
un processus. À ce titre, il n'a rien de mécanique: il cet outil, dont les médias se sont fait les témoins. Les
s'accompagne. outils sont, par nature, neutres.
Cet outil offre un usage à trois niveaux. Il peut servir: Cest la posture et l'intention avec lesquelles nous les
© à saccompagner soi-même dans une transformation; utilisons qui en déterminent les résultats. Toute utili-
sation non éthique, qui aurait une visée manipulatoire
© à accompagner un collaborateur;
et irrespectueuse, serait immédiatement perçue et
© à accompagner une équipe, une organisation. conduirait aux résultats inverses de ceux recherchés
Petite précision avant de clore ce chapitre: certaines (je renvoie à la notion de tennis relationnel). mt

a
4. Piloter une transformation en quatre moments clés > 103

[En bref |

La première condition de réussite d'une transformation, c'est la clarté de ses objectifs, ce que l'on peut
appeler le « quoi ». Soucieux de se mettre vite en action, les initiateurs du changement formulent parfois
trop vite les objectifs. Avoir des objectifs peu clairs est une façon assez certaine de ne pas les atteindre.
Cette étape réclame un certain temps. Un travail de vision (à court, moyen et long termes) peut être très
utile à ce stade.

Ÿ Une fois défini le « quoi », il convient de s'interroger sur le « comment », c'est-à-dire les méthodes à
utiliser et les moyens à allouer. Cette étape est, elle aussi - et peut-être encore davantage que la précé-
dente -, trop négligée. La quasi-totalité des échecs proviennent d'un manque de cohérence entre ces deux
dimensions du « quoi » et du « comment », un peu comme si nous décidions d'aller faire de la montagne
en choisissant des chaussures de plage.

J Enfin, toute transformation, par définition, change la situation d'un certain nombre de (catégories de)
collaborateurs. Il importe d'identifier et de qualifier ces impacts, pour mieux les anticiper et définir les
actions d'accompagnement nécessaires.

Eyrolles
©Groupe
|

Les sept incontournables


:|
sl

|
de la transformation
[Objectifs|
Ÿ Connaître les principales conditions de réussite.
Disposer d'une check:list facile d'utilisation.
Ÿ Éviter les principaux pièges.

|peut paraître étonnant de parler d'« incontournables », aussi des ressemblances suffisamment fortes pour
alors même que ce qui semble caractériser les transfor- permettre de dégager des facteurs communs.
mations, c'est leur caractère à chaque fois singulier. Ce dernier chapitre tente de rassembler les conditions
Tout dépend en fait des lunettes avec lesquelles on les essentielles, au nombre de sept, qui font la réussite
observe. Chaque être humain est unique, et pourtant tous des transformations.
les êtres humains se ressemblent. Chaque entreprise est Cela ne signifie pas que chaque transformation néces-
unique, mais elles ont toutes des points communs. site de respecter systématiquement l'ensemble des
Les transformations possèdent des traits bien spéci- sept conditions. Mais bien souvent, en cas d'échec ou
fiques, liés à leur environnement, leur contexte, leurs de semi-réussite, on peut observer que l'une ou l'autre
objectifs, leurs modalités, etc. Mais elles présentent de ces conditions n'était pas remplie. mt
5, Les sept incontournables de la transformation

Les sept incontournables de la transformation

Informer sur
le contexte

Accompagner, Créer un cercle


soutenir, aider d’alliés

7 incontournables
de la transformation Montrer
Cadencer la
l'implication
transformation
des dirigeants

Focaliser Coconstruire
les ressources la vision

Eyrolles
Groupe
©
> 106 5. Les sept incontournables de la transformation

Incontournable n°1: informer sur le contexte

Informer sur
© Que fait-on lorsqu'on veut punir un collaborateur
le contexte
dans une entreprise? On le coupe des informa-
Accompagner, : è : } Créerun cercle tions : on le « placardise ».
soutenir, aider 7 d’allies:

en © Pourquoi, parfois, maintient-on des informations


Informer SU confidentielles
?Justement parce qu'on ne veut pas
le contexte res provoquer de changement, où pas tout de suite.
Cadencer la l'implication
ie _ EE | Le besoin d'information est une nécessité cérébrale.
Lorsqu'on regarde comment fonctionne notre cerveau,
. . on s'aperçoit que le néocortex, la partie en charge
hits du raisonnement, celle qui nous permet de prendre
des décisions rationnelles, se nourrit principalement
[=

Le principe d'informations.
La première condition du changement est l'informa- Ç :
tion. L'information est la denrée de base du change- « Le plus souvent, l'information
ne
ment. Sans information, un système humain (un col- circule plus quand survient la crise,
PAUL y : ; l'information nécessaire est bloquée ou
laborateur, une équipe, une entreprise, une nation) a inutilisable. » Guy Ausloos
toutes les peines du monde à changer.
5. Les sept incontournables de La transformation > 107

En l'absence d'information, le relais est pris par les par- Informer, encore et toujours
ties les plus archaïques du cerveau: « Sans arrêt, il faut redire que la concurrence est là, multi
© au mieux, par le système limbique, le centre de forme du fait des autres acteurs ayant une activité compa-
rable, mais aussi de toutes les formes disruptives et inno-
nos émotions, qui risque de nous envoyer une
vantes qui surgissent sans cesse. » Jean-Paul Bailly
émotion négative;
© au pire, par le cerveau reptilien, dont le raison- Cette information doit insister sur deux volets
nement binaire « danger/sécurité » a toutes les importants.
chances d'arbitrer en faveur de la première option, © Le contexte: une même information sortie de son
et donc de générer de l'homéostasie. contexte peut prendre des significations très diffé-
Les individus et les groupes ont besoin de comprendre rentes. || faut contextualiser l'information.
pourquoi on leur demande de changer. Beaucoup de © La nature du problème à résoudre: on se souvient
projets de changement peinent, car les acteurs ne dis- que les acteurs ont tendance à résister aux solu-
posent pas de suffisamment d'informations, ne com- tions quand ils ne comprennent pas le problème à
prennent rien à ce qui est engagé. résoudre derrière.
La première étape du changement consiste donc
à diffuser massivement de l'information sur le Quels résultats attendre?
contexte, l'environnement, le « pourquoi » de la Alimenter le rationnel des acteurs
transformation.
Bien des argumentaires de projets de transforma-
tion se révèlent trop fragiles. Il est difficile dans ces
> 108 5. Les sept incontournables de la transformation

conditions de demander aux gens de s'engager dans © Susciter un sentiment d'urgence va provoquer de
quelque chose qu'ils ne comprennent pas. Ils ne le la crainte, donc probablement des résistances. Il y
font pas dans leur vie privée, il n'y a quère de raison a des gens que la peur fait bouger, il y en d'autres
qu'ils le fassent dans leur travail. qu'elle tétanise. Si l'on veut que nos interlocuteurs
se comportent comme des adultes, il faut les trai-
Faciliter la sortie du déni
ter comme tels (principe du tennis relationnel) :
L'information est encore le meilleur moyen de s'assu- donner des informations sur la situation présente
rer que les acteurs sortent du déni (première étape de est une attitude rationnelle et adulte. Si l'on veut
la courbe du deuil, cf. chapitre précédent). cependant à tout prix susciter une émotion, je sug-
Éviter de créer un sentiment d'urgence factice gère plutôt de favoriser le sentiment de fierté, qui
crée de l'enthousiasme et donne envie d'agir.
John Kotter préconise de commencer le processus de
changement en créant un sentiment d'urgence, qu'il © La seconde raison est que créer un sentiment d'ur-
appelle une burning platform". Je n'y suis guère favo- gence est un fusil à un coup. La première fois, les
rable pour deux raisons. collaborateurs y croiront peut-être, mais si « l'ur-
gence » ne correspond à rien de tangible, ils s'en
rendront vite compte, et cela renforcera la défiance
pour les transformations à venir. À trop crier au
1. Il semblerait que dans son dernier ouvrage, Accélérez !Construire
loup, on finit par ne plus y croire. 1
un modèle agile pertinent pour un monde en mouvement (édition
française annoncée pour avril 2017), Kotter nuance la nécessité de
cette burning platform, devant le constat que le changement est
devenu permanent. Comme quoi, si même les experts en change-
ment se mettent à changer, tous les espoirs sont permis! Evro
Grou
©
æ”
5. Les sept incontournables de La transformation > 109 æ æ

Incontournable n°2: créer un cercle d'alliés


Comment faire?
Informer sur
le contexte © En accroissant le nombre d'acteurs engagés.
ZT
Accompagner, | Créer un cercle © En augmentant l'énergie des acteurs déjà engagés.
soutenir, aider L d’alliés

Ces acteurs, Fauvet les a appelés des « alliés ».


Créer un cercle La réforme de La Poste et les maires
Cadencer la
Montrer
trañsformatio:
l'implication « La confiance bâtie en amont et dans la durée avec les
des dirigeants
élus locaux et les parlementaires a été un atout perma-
nent pour la stratégie de La Poste. Elle a été décisive dans
Coconstruire le processus législatif de la création de la Banque Postale.
la vision
Elle a facilité la transformation de plus de 7000 bureaux
de poste. À l'occasion du changement de statut, pourtant
Le principe présenté par certains syndicats et
« On ne conduit
partis politiques comme une priva-
Jean-Christian Fauvet, inventeur de la sociodynamique, pas seul un projet
tisation, cette confiance a permis
de changement. II
a montré dans les années 1970-1980 que ce qui fait d'éviter une opposition frontale
faut toujours une
la réussite d'un projet de transformation, quelle que généralisée des élus locaux et des
coalition autour. »
soit sa nature, c'est l'ensemble des énergies déployées maires et n'a pas entraîné la mobi-
Bruno Jarrosson
lisation nationale de ces derniers. »
pour le réaliser. Réussir une transformation, c'est donc
Jean-Paul Bailly
injecter suffisamment d'énergie (humaine) pour que
le changement s'opère.
> 110 5. Les sept incontournables de la transformation

Le sens du mot « allié », tel que l'entend la sociodyna- Se focaliser sur les opposants, comme cela arrive,
mique, n'est pas celui du sens commun. Un allié n'est revient à se tirer deux balles dans le pied:
pas quelqu'un qui nous approuve ou trouve notre pro- © plus l'on s'occupe d'eux, plus on leur donne de
jet sympathique: c'est quelqu'un qui, concrètement, l'importance;
fait quelque chose pour que le projet avance. Un allié
© pendant ce temps, on ne s'occupe pas des alliés,
n'est pas un diseur, c'est un faiseur.
« Personne ne peut qui se découragent.
réussir sans alliés, D'après Fauvet, une transformation
L'ensemble de ces principes, Fauvet les a rassemblés
c'est-à-dire des échoue plus souvent faute d'alliés
sous le terme « stratégie des alliés », qui est l'une des
acteurs capables qu'à cause de ses opposants. Il faut
d'accompagner méthodes les plus éprouvées et les plus efficaces pour
donc d'abord s'entourer d'alliés: aller
et de soutenir réussir les transformations.
la dynamique de les chercher et s'en occuper, car ils
transformation. » peuvent se décourager s'ils ne sont Quels résultats attendre?
Jean-Paul Bailly pas soutenus.
© Augmenter l'engagement des acteurs déjà
Quant aux opposants, il s'agit dans la mesure du pos- impliqués.
sible d'intégrer leurs objections; mais l'erreur consiste-
NZ 6 © Augmenter le nombre d'acteurs qui vont œuvrer en
rait à ne se focaliser que sur eux.
faveur de la transformation. 1
5. Les sept incontournables de la transformation > 11]

Incontournable n°3: montrer l'implication


des dirigeants
simple mais fondamental: dans une organisation
Informer sur
le contexte (une famille, une équipe, une entreprise, une socié-
Accompagner, Créer un cerèle
té), beaucoup de choses fonctionnent par imitation.
soutenir, aider d’alliés
Chaque niveau N regarde comment fait le niveau N+1 :
les enfants calquent leur comportement sur celui des
parents, les catégories sociales tendent à vouloir imi-
Cadencer la
Montrer
l'implication
ter les catégories sociales juste au-dessus d'elles, les
transformation
des dirigeants
collaborateurs tendent à reproduire les pratiques de
leur hiérarchie, etc.
Focaliser ; D Coconstruire
les ressources SRE fa vision
Bonnes pratiq
pratiques: l'implication visible
« Un projet stratégique doit d'abord être porté par le
président et le comité exécutif. C'est un engagement
Le principe et d'abord celui des dirigeants. (..) En permanence, j'ai
ainsi fait des tournées mensuelles et des déplacements
On a évoqué au chapitre 3 les notions de mimétisme hebdomadaires, afin de faire vivre le plan stratégique. »
et de tennis relationnel. Rappelons-en le principe, Jean-Paul Bailly

Eyrolles
Groupe
©

AT
> 112 5, Les sept incontournables de la transformation

La somme de ces comportements finit par créer une Si l'on accepte ce principe, alors l'un des leviers pour
culture, c'est-à-dire un ensemble de facons de faire, favoriser l'engagement des acteurs est de montrer ce-
de coutumes, de rituels, de comportements que l'on lui des dirigeants: des dirigeants visiblement engagés
ne voit plus quand on est dedans, pas plus que le pois- donnent envie aux personnes en dessous de faire de
son rouge ne voit l'eau de son bocal. même. Des dirigeants que l'on ne voit jamais donnent
Un manque d'engagement « mimétique » envie de... s'occuper d'autre chose. |

À l'issue d'un travail de vision réalisé sur trois jours,


Quels résultats attendre ?
l'équipe de direction sort enthousiasmée et décide de
« communiquer » son travail à ses niveaux N-1 pour la Donner envie aux acteurs de s'engager dans la réus-
mise en œuvre. Au bout de six mois, au grand éton- site de la transformation.
nement de tout le monde, rien ou pas grand-chose ne
s'est passé : les dirigeants ne montrant pas de signes
visibles d'engagement, le corps social fait de même.
5. Les sept incontournables de La transformation > 113

Incontournable n°4: coconstruire


une vision partagée
propension à la fois à changer et à résister au change-
Informer sur
lé-contexte
ment. Ce qui va faire pencher la balance dans un sens
ou dans l'autre est l'accord du système.
Accompagner, Créer un cercle
soutenir, aider # È ; pes d’alliés
cd Bonnes pratiques :formuler une vision
« Formuler sa vision, cela élargit l'horizon et donne un
sens à toutes les actions. (...) Tout discours sur le sens et la
Montrer
Cadencer la
transformation
à
l'implication vision ne peut partir que du client. Il est le point de départ
2 des dirigeants
et le point d'arrivée de toute entreprise. » Jean-Paul Bailly

Engager un travail sur la vision va permettre d'associer


focaliser D} Coconstruire
les ressources # la vision le système humain à son propre changement, et donc
lui permettre de lâcher plus facilement le passé.
Tout ce qui peut permettre de donner un rôle actif aux
Le principe
collaborateurs est de nature à faciliter la transforma-
Nous avons vu précédemment que deux des princi- tion. Plutôt que de chercher par tous les moyens à les
pales propriétés des systèmes humains étaient leur faire « adhérer », il est plus intéressant, et pour eux
Eyrolles
Groupe
©
> 114 5. Les sept incontournables de la transformation

et pour le pilote de la transformation, de se mettre Quels résultats attendre?


concrètement au travail.
© Définir une vision partagée de la transformation,
L'importance de la coconstruction qui ait du sens pour les acteurs.
« Aucune conduite du changement n'est possible s'il © Favoriser l'engagement.
n'existe pas un projet partagé. Mais dans un climat de
défiance, ce n'est pas facile, sauf à faire des acteurs les
coconstructeurs du projet. » Jean-Paul Bailly « L'homme est ainsi fait
qu'il ne se réjouit que
Une fois la vision élaborée, celle-ci doit être déclinée
de ce qu’il forme. »
Antoine de Saint-Exupéry
en projets concrets, qui doivent permettre de donner
un rôle au plus grand nombre.
5. Les sept incontournables de La transformation > 115

Incontournable n°5: focaliser Les ressources


Le principe
Informer sur
lécontexte” > Une difficulté traditionnelle des périodes de transition
Accompagner, # Créer uncercle est de vouloir tout faire en même temps. Cela conduit
soutenir, aider d'alltés
à diluer les ressources et les messages.
_ Focaliser Le pilote d'une transformation doit se montrer exi-
__ les ressources geant sur les arbitrages, la priorisation: non, tout ne
Csdéncer] È HE
ao A . ; : . peut pas être fait en même temps, car les ressources
ne sont pas infinies. Il faut choisir, et donc renoncer, au
moins temporairement. Cela n'est pas facile, mais ça
Focaliser Coconstruire
les ressources lWision n'est jamais finalement que ce que chaque famille fait
lorsqu'elle échelonne ses projets dans le temps.

« Choisir, c'est renoncer. Qu'il est difficile et terrifiant de renoncer. »


Dominique Lévy-Chédeville'

Eyrolles
Groupe
©- 1. Source : evene.lefigaro.fr
> 116 5. Les sept incontournables de la transformation

Prioriser, c'est reporter Si un travail de priorisation n'est pas fait par le som-
Un site industriel a de mauvais résultats sur à peu près met, il sera fait - par nécessité davantage que par
tous ses indicateurs: qualité, coût de revient, rende- envie - par la base, donc beaucoup plus aléatoirement
ment machines, absentéisme, etc. Après une série
d'entretiens avec le directeur et les onze membres Quels résultats attendre?
du comité de direction, je reviens voir le directeur et
lui annonce une bonne et une mauvaise nouvelle: © Augmenter les chances de réussite des change-
la bonne, c'est que ses collaborateurs ont tous une ments prioritaires en concentrant les ressources
vision très claire des priorités. La mauvaise, c'est qu'il (personnels, budgets, etc.) dessus.
y a autant de visions différentes que de collaborateurs.
Résultat : les ressources du site sont éparpillées sur une © Diffuser des messages clairs. 1
multitude de chantiers. || faudra un séminaire de deux
jours intenses pour parvenir à limiter les priorités à cinq
grands chantiers, et concentrer les ressources dessus.
5. Les sept incontournables de la transformation > 117

Incontournable n°6: cadencer la transformation


cadencement du rythme est donc essentiel.
Imformer sur
le contexte
Il n'y a pas de bon timing dans l'absolu: le bon rythme
Accompagner, Créer un cercle est celui qui est adapté à ce qu'est capable de suppor-
soutenir, aider d'alliés
ter le système humain. Pour ce faire, il faut régulière-
_ Cadencer ment recueillir des feedbacks du terrain.
Om là transformation Montres
Cadencer la
l'implication
Bonnes pratiques : le bon rythme
transformation
des dirigeants
« Le bon rythme doit être fonction des objectifs et de la
faisabilité, qu'il s'agisse du temps nécessaire pour créer les
Focaliser Coconstruire conditions de la réussite ou de la capacité des hommes et
les ressources la vision
des femmes à conduire le changement ou à l'accepter. »
Jean-Paul Bailly

Le principe « La plupart des succès


Une transformation a beaucoup à voir avec la ges- obtenus du jour au
lendemain prennent
tion du temps. Beaucoup de transformations sont
beaucoup de temps. »
conduites à un rythme inapproprié, soit trop rapide- Steve Jobs
ment et le système humain n'arrive pas à suivre; soit
Eyrolles
Groupe
©- trop lentement, et les équipes s'essoufflent. Un juste
> 118 5. Les sept incontournables de la transformation

Une transformation doit avoir deux horizons de temps: l'engagement) ; les responsables de la transformation
© Ün à moyen-long terme (trois à cinq ans), pour le doivent être vigilants sur le maintien et l'entretien de
sens. C'est l'objectif à atteindre, l’« étoile polaire » cette énergie.
qui fixe la direction. Enfin, ces moments fixés à intervalles réguliers doivent
© Un à court terme (le trimestre ou le semestre), permettre de définir les nouveaux résultats à atteindre
pour l'action: c'est le premier pas. pour l'échéance suivante. |
À chaque échéance - par exemple le trimestre -, un bi-
Quels résultats attendre?
lan intermédiaire doit être réalisé, pour faire le point sur
les résultats obtenus et vérifier que le rythme est le bon. © Soutenir l'engagement tout au long de la période
de transformation.
La gestion du cadencement d'un projet de transfor-
mation doit reposer sur une logique d'apprentis- © Montrer le changement en train de se faire (quick
sage: il faut permettre aux acteurs d'expérimenter et wins).
d'apprendre. © Permettre aux équipes d'apprendre par paliers
Ces bilans ont aussi vocation à réinjecter de l'éner- (boucles d'apprentissage).
gie, sous forme de célébration, de « petites vic- © Offrir des occasions régulières de célébration. mt
toires » (les quick wins si nécessaires pour soutenir

«il n'existe pas de projets de changement réussis sans fabrication


de succès intermédiaires. Le succès intermédiaire modifie le regard.
Il s'agit de segmenter l'apprentissage et de baliser le chemin. »
Bruno Jarrosson.
5. Les sept incontournables de la transformation > 119 es

Incontournable n°7: accompagner,


_ soutenir, aider
le business as usual. Pendant les travaux, la vente
Informer’ sur”’h continue.
lé contexte
7
Accompagrit 7. cn cercle Cette surcharge est l'un des obstacles qui rend les
Fermes he transformations douloureuses, longues, laborieuses,
surtout si elles ne sont pas accompagnées.
Les acteurs finissent par se décourager s'ils ne sont
CS
Cadencer la À PS è 7 : f 7/20
pas soutenus,
t
aidés.
id 4 L
Le pilotage
il t d'
d'une ttransformation
f ti

doit prévoir un volet accompagnement; cela a en


outre pour avantage de crédibiliser le discours de la
Focaliser | Coconstruire
lessessources DR (a vision direction sur sa volonté de réussir.

L'accompagnement, gage de réussite


Le principe « À condition d'être correctement orientée, impulsée,
x "4 ” ; accompagnée, la réforme est, dans notre pays, non seu-
L'une des principales difficultés des périodes de trans- lement acceptée, mais plébiscitée. » Emmanuel Macron!
formation est que les acteurs doivent engager le chan-
gement proprement dit et, en même temps, gérer
Eyrolles
Groupe
© 1. Préface à l'ouvrage de Jean-Paul Bailly (cf. bibliographie).
> 120 5. Les sept incontournables de la transformation

Les moyens sont divers: encouragements réguliers de Quels résultats attendre?


la direction, soutien du management, formation, coa-
© Soutenir les acteurs en charge de la transformation.
ching individuel, team-building, groupes d'échange de
pratiques, séminaires, etc.
© Renforcer leurs compétences et leurs capacités.
© Leur offrir des espaces réguliers d'échange et
d'apprentissage.
5. Les sept incontournables de la transformation > 121

[En bref |]

La première condition pour engager une transformation est l'information. Sans information, les systèmes
humains ont le plus grand mal à changer.

Une transformation réussie, c'est un certain volume d'énergie humaine consacré à cet objectif. Il faut créer
un « cercle d'alliés », c'est-à-dire des collaborateurs qui vont concrètement engager des actions pour que
la transformation avance.

Ÿ Si l'on partage le fait que les comportements se répondent de façon mimétique, il est tout à fait essentiel
que les dirigeants fassent preuve d'une implication visible: présence sur le terrain, écoute, encourage-
ments, etc.

La quatrième condition de réussite est dans la coconstruction d’une vision partagée. Une vision trop top-
down réduit l'engagement.
Beaucoup d'équipes ou d'entreprises souffrent d'une difficulté à prioriser, ce qui conduit à une dilution des
ressources. Se concentrer sur les chantiers stratégiques et reporter les autres est une condition clé.

Une transformation, c'est un voyage, plus ou moins long. Il importe de le cadencer, de le fractionner en
petits morceaux de temps « visibles à l'œil nu ».

‘ Enfin, qui dit transformation dit surcroît de travail, apprentissages, changements, donc besoin de soutien.
Eyrolles
Groupe
©
Conclusion: la poule, Le cochon
et l'omelette au lard

L'adhésion en question Adhérer sans changer

L'aspect troublant de la conduite des transformations Le vice-président en charge de l'innovation et de la


est que, discipline centrée sur la méthodologie, elle recherche d'une entreprise du secteur de la haute tech-
Re M re de ie nologie réunit tous ses chercheurs pour un meeting sur
9 PIRE 8 les enjeux à venir. Pendant trois heures, le dirigeant,
près toujours les mêmes méthodes qui sont prônées à très charismatique, présente la situation de la R&D dans
travers livres, réseaux sociaux, formations, quels que son entreprise et centre son intervention autour de
soient les contextes, les objectifs, les moyens dispo- deux grands messages:
nibles et les cultures. O « Si nous ne réussissons pas une percée technolo-
er - > ù gique dans les six mois, nous aurons de gros soucis. »
Ainsi, à titre d'exemple, en va-t-il de là question de © «il faut que vous changiez vite vos façons de travail:
l'adhésion: nécessité inquestionnée, inquestionnable, ler, que vous coopériez davantage, travailliez davan-
véritable « marronnier » des transformations. tage en transversal, pour créer des synergies, baisser
les coûts. »
Certes, l'adhésion est utile et doit être recherchée, ‘ sl ,
Deux mois après, je retrouve une partie de ces mana-
mais elle n'est en aucun cas le gage de la réussite d’un gers. Manifestement, ils ont beaucoup apprécié l'inter-
changement. vention: argumentée, claire, pertinente, motivante.
Leur niveau d'adhésion est élevé.
Eyro
Grou
©
Conclusion: la poule, Le cochon et l’'omelette au lard > 123

adhérer. Tout ce qui peut mettre les acteurs en mou-


Question: « Qu'est-ce qui a changé concrètement, dans
vos équipes, depuis ce meeting? » Silence gêné: rien. vement est à privilégier.
Rien n'a changé, alors qu'un tiers du temps que le VP Certains managers s'offusquent parfois devant ces mé-
s'est donné pour engager le changement a déjà été thodes, en criant à la « manipulation ». Outre le fait
consommé.
qu'ils trouvent à redire avec ces méthodes mais pas
Adhésion, mais pas changement.
avec d'autres - par exemple, les méthodes top-down,
qui ne semblent pas moins « manipulatrices » -, j'ai la
Chacun peut d'ailleurs se poser la question: combien
faiblesse de croire que si tout ce que raconte ce petit
de fois dans ma vie ai-je changé d'avis - et encore
livre donne d'honorables résultats, c'est justement
plus de pratiques - en écoutant un discours, une
parce qu'il Y a moins de manipulation. Les acteurs
communication ?
jouent le jeu, car on leur fait une place. La réussite
Les acteurs ne vont pas tellement changer par la ma- d'une transformation est autant affaire de méthode
gie d'un discours, aussi convaincant soit-il, mais parce que de respect des personnes.
qu'on va les associer, les faire participer à la transfor-
mation, leur faire une place, leur donner un rôle actif. La persistance des méthodes
Ce qui est important dans le changement, c'est de inefficaces
changer. Vérité de la Palisse, mais qui indique bien Mais alors, si l'on connaît les méthodes qui marchent,
que le transformateur doit mettre toute son énergie pourquoi ne les utilise-t-on pas davantage ? Pourquoi
à faire évoluer les pratiques des acteurs, leur organi- y a-t-il encore autant de projets de changement, de
sation, leurs façons de travailler. Changer, c'est prio- réformes qui marchent si mal? Comment expliquer ce
Eyrolles
Groupe
© ritairement faire différemment, et secondairement décalage entre ce que l'on sait et ce que l'on fait?
> 124 Conclusion: la poule, Le cochon et l'omelette au lard

La première explication qui vient à l'esprit est liée aux Le coach d'une équipe sportive, le chef d'un groupe
connaissances justement, ou plutôt aux compétences: de forces spéciales, le dirigeant d'une petite entreprise
les managers en charge des transformations ne sont peuvent faire les mauvais choix une fois, deux fois,
pas toujours suffisamment formés et accompagnés mais pas beaucoup plus. À chaque échec, c'est leur
eux-mêmes. L'art et la manière de piloter des trans- peau qu'ils jouent, ou celle de leur entourage. Leur
formations, grandes et petites, sont une matière peu tolérance aux méthodes inefficaces est par nécessité
enseignée. Dont acte. Ce petit ouvrage aura atteint très limitée. Ils peuvent avoir raison (sur le plan de la
son but s'il peut, à sa modeste mesure, contribuer à rationalité), mais s'ils échouent, ils paient cash. On a
combler ce manque. toujours tort quand on échoue.
Mais la principale explication me paraît résider ail- Les petits groupes, les petites organisations, génèrent
leurs. Tout le monde connaît la différence que la poule majoritairement des cochons.
et le cochon entretiennent dans leur rapport avec une Dans les grandes organisations, il en va autrement.
omelette au lard : Le rapport au résultat est beaucoup plus distendu. La
® La poule est impliquée. Elle donne un (ou plusieurs) complexité de l'action, l'enchevêtrement des respon-
œuf(s), mais c'est tout. Sa contribution s'arrête là. sabilités, la contradiction des objectifs, les jeux de
® Le cochon, lui, est concerné. C'est sa peau qu'il joue pouvoir y sont tels que personne ne peut vraiment se
dans l'opération. tarquer d'être entièrement responsable de ses résul-
Quand nous pilotons une transformation, sommes- tats — pour le meilleur et pour le pire.
nous dans la posture de la poule ou du cochon?

©Group
Eyroll
Conclusion: La poule, Le cochon et l'omelette au lard > 125

En cas d'échec, la tentation est grande de trouver des Résultats ou explications?


raisons ailleurs. La scène se passe lors d'une conventi on réunissant une
© Pour le terrain, c'est la faute du siège, « qui n'a pas centaine de managers. Durant toute la matinée, les
différents membres du comité de di ection présentent
le sens des réalités » ; pour le siège, c'est la faute
une longue série de power point expliquant, de façon
du terrain, qui ne «comprend rien à la stratégie ». convaincante et argumentée, pourqu oi les résultats de
© Quand on est commercial, c'est la faute des l'année n'ont pas été au rendez-vous (pas plus que ceux
techniciens, de la production, du marketing (et de l'année passée).
Le déjeuner se passe. L'après-midi reprend, et un
inversement).
membre du comité exécutif du groupe (le niveau N+2 de
© Un dirigeant qui échoue à déployer sa stratégie, à l'équipe de direction), présent toute a matinée, monte
fusionner avec le concurrent, à déployer son ERP à sur scène :« Je Vous ai écoutés avec la plus grande atten-
réussir sa transformation digitale, aura la tentation tion ce matin, et en vous écoutant, il m'est venu une
réflexion. Dans la vie, il y a deux types de gens: ceux
de soutenir que c'est « la faute des résistances au
qui ont des résultats, et ceux qui ont d es explications. J'ai
changement ». entendu beaucoup d'explications ce matin. » Et il est
Dans le monde des poules, l'échec ne prouve rien, n'in- parti, alors qu'il était prévu qu'il reste toute la journée.
valide rien: on peut à la fois échouer et continuer à avoir L'année suivante, l'entreprise faisait ses résultats.

« raison »!. Dans le monde des cochons, c'est impossible.

« Personne ne reconnaît la part


1. Durant la conférence de presse annonçant le rachat de son du hasard dans son succès, uniquement
entreprise par Microsoft (septembre 2013), le PDG de Nokia a dans son échec. » Nassim Taleb
ainsi terminé son allocution: « We didn't do anything wrong, but
Eyrolles
Groupe
© somehow, we lost. » (C'est moi qui souligne).
> 126 Conclusion: la poule, Le cochon et l'omelette au lard

Reste la question de comment changer cela. Pour les autres qui doivent changer, difficile le changement
arrêter d'utiliser des méthodes qui marchent mal, il de ses propres pratiques, forte la pression pour « faire
faut multiplier les cochons, c'est-à-dire accroître l'au- comme on à toujours fait. »
tonomie, la responsabilisation, la participation aux Si, maintenant, nous regardons du côté des entreprises
décisions. dites « libérées », ces entreprises que décrit si bien, par
Est-ce la voie que nous prenons? Les augures sont par- exemple, le livre de Frédéric Laloux (cf. bibliographie),
tagés. Certains signes n'invitent quère à l'optimisme: alors tout est permis: ces organisations, grandes et pe-
la persistance des modes de décision centralisés, l'in- tites, privées et publiques, à but lucratif ou non, reposent
flation des dispositifs de contrôle, une forme d'indiffé- toutes sur le pari du cochon, c'est-à-dire l'autonomie, la
rence aux conditions concrètes de fonctionnement des confiance, la responsabilité, la prise de décision au plus
équipes et des organisations, l'enchaînement com- près du terrain, la vision partagée, l'entraide, le respect
pulsif des réorganisations, le faible usage des retours des valeurs humaines fondamentales.
d'expérience, etc. Elles montrent que l'on n'est pas obligé de choisir
Je ne suis d'ailleurs pas convaincu - j'espère à tort - entre nos valeurs et nos résultats: quand les femmes
que certains lecteurs ne vont pas, à l'issue de la lec- et les hommes sont placés au centre des démarches
ture de cet ouvrage, continuer comme avant, tant est de transformation, ça marche, et ça marche même
apaisante la croyance selon laquelle ce sont d'abord très bien. mn

Eyroll
Group
©
Tableau des objections

Objections Réponses
La conduite du changement coûte Peut-être, mais fort probablement moins que de ne pas en faire.
cher.
La conduite du changement prend Même réponse
du temps.
Il n'y à pas de recette miracle qui garantisse une réussite à 100 %. Ce qui est sûr,
Comment fait-on si les gens ne c'est que moins les acteurs ont leur place dans le processus de transformation,
veulent pas aller dans notre sens ? plus on augmente la probabilité qu'ils résistent, même s'ils adhèrent. Quelqu'un
qui a le sentiment d'être maltraité n'est pas très porté à collaborer.
Certains projets suscitent l'adhésion, mais peu de changements; d'autres ne sus-
Pour qu'une transformation fonc-
citent pas d'adhésion (au moins au départ), et voient quand même les pratiques
tionne, il faut que les gens y
évoluer. L'adhésion n'est pas la variable clé des transformations: c'est davantage
adhèrent.
l'action.
Cette idée reçue repose sur un raisonnement « toutes choses égales par ail-
Dans une transformation, il y a
leurs », Mais on peut aussi envisager un changement qui se donne pour objectif
forcément des gagnants et des
de faire en sorte que le maximum de personnes y trouvent un intérêt. Cela
perdants.
suppose de se creuser un peu la tête, d'innover, de négocier. :
Pour faire usage de l'autorité, il faut deux conditions: 1. être objectivement le
Si j'ai l'autorité hiérarchique, je peux
Eyrolles
Groupe
© plus fort; 2. ne pas avoir besoin des autres. Rares sont les transformations qui
imposer la transformation.
voient réunies ces deux conditions.
> 128 Tableau des objections

li
Les retours d'expérience sur des transformations similaires sont très utiles pour
Si mon responsable hiérarchique ne
sensibiliser à ce qui marche et ne marche pas.
veut pas appliquer les méthodes qui
marchent, comment faire? Préférez-vous avoir raison ou réussir? C'est une question que l'on peut poser au |
responsable hiérarchique.
Car elles supposent de changer soi-même (de point de vue, de pratiques), et
Pourquoi ces méthodes, si elles que personne n'aime cela: on préfère toujours que ce soit l'autre qui change.
marchent, ne sont-elles pas plus Elles supposent notamment de renoncer à l'idée qu'avec le statut (de dirigeant,
appliquées ? de manager), on a le pouvoir de faire faire aux gens ce qu'on veut. L'homéostasie
s'applique à tout le monde, même au président des États-Unis.
Parce que les changements vécus depuis trente ans (internet, réseaux sociaux,|
Pourquoi est-ce plus difficile information en temps réel, augmentation du niveau culturel moyen, etc.) ont
qu'avant de conduire des considérablement accru les capacités des acteurs à résister aux changements|
transformations ? qu'on leur demande. Ne pas intégrer cette donnée multiplie les probabilités :
d'échec.
Ce qui est intéressant dans la communication, c'est l'information et l'échange,
davantage que la volonté de convaincre. Informer et échanger, oui; chercher
à convaincre, à user avec modération. Identifier les freins des acteurs marche
beaucoup mieux. Cela commence par parler moins et écouter plus.
La communication et la formation
sont-elles des leviers efficaces? Concernant la formation, elle part du présupposé que si les gens ne font pas ce
qu'on leur demande, c'est qu'ils ne savent pas faire. C'est une vision réductrice:
il y a moult raisons pour lesquelles les gens ne font pas ce qu'on leur demande,
au rang desquelles, par exemple, le fait de voir leurs dirigeants ne pas appliquer
Eyroll
Group
©
à eux-mêmes ce qu'ils demandent aux autres (exemplarité).
Faites le point sur votre lecture

Votre organisation vous paraît-elle suffisam- De quelle manière la lettre A de l'équation E = Q x A


ment sensibilisée Sur l'importance de la métho- se concrétise-t-elle sur vos projets?(chapitre 2)
dologie lorsqu'elle engage des transformations ? Quels rôles donnez-vous aux acteurs sur vos pro-
(introduction) jets? (chapitre 2)
Quelle place la culture de votre organisation fait- Les « deux pourquoi » vous paraissent-ils suffisam-
elle au facteur humain? (chapitre 1) ment adressés sur votre projet? (chapitre 2)
Sauriez-vous dresser la liste des méthodes qui Les acteurs dont vous avez besoin pour réussir ont-
donnent de bons résultats dans votre organisation? ils des ressources pour résister au changement ?
Ces méthodes sont-elles celles qui sont utilisées en Comment en tenez-vous compte? (chapitre 2)
priorité?(chapitre 1) Avez-vous déjà pu constater les effets de la loi
Avez-Vous parfois le sentiment de faire « toujours de Z? Comment pouvez-vous l'éviter? (chapitre 2)
plus de la même façon » ? (chapitre 1) Avez-vous déjà pu observer le phénomène du ten-
Faites-vous des retours d'expérience régulièrement nis relationnel? Comment pouvez-vous vous en
pour identifier ce qu'il faut faire et éviter de faire? servir sur votre projet? (chapitre 3)
(chapitre 1) Des trois grands leviers de changement - l'autorité,
Que pensez-vous des idées des trois Pieds Nickelés? la persuasion, l'action -, lequel utilisez-vous le plus?
Eyrolles
Groupe
©
Les avez-vous déjà vues à l'œuvre? (chapitre 1) (chapitre 3)
> 130 Faites le point sur votre lecture

Quelle appréciation portez-vous sur votre propre Utilisez-vous des outils de conduite du changement
exemplarité ?Que pouvez-vous améliorer à ce pro- lorsque vous pilotez un projet? (chapitre 4)
pos? (chapitre 3) Vos dirigeants ou vos managers vous paraissent-
Pensez-vous important de changer les mentalités ils engagés de façon suffisamment visible pour les
pour que votre transformation réussisse?(chapitre 3) collaborateurs? (chapitre 5)
Quel est votre mouvement spontané lorsque vous Les priorités de votre transformation sont-elles en
rencontrez une difficulté sur un projet: chercher nombre limité? (chapitre 5)
les causes (Pourquoi. ?) ou chercher les remèdes Avez-vous identifié les acteurs (« alliés ») dont
(Comment... ?) ? (chapitre 3)
vous avez besoin pour réussir votre projet?Savent-
Les objectifs de votre transformation sont-ils ils clairement ce que vous attendez d'eux? Votre
clairs, concrets, compréhensibles par le plus grand projet est-il cadencé de façon à permettre des
nombre? (chapitre 4) moments réguliers d'apprentissage ? (chapitre 5)
Les méthodes que vous utilisez vous paraissent-elles Les personnes et les équipes en ayant besoin sont-
bien « alignées » sur vos objectifs?(chapitre 4) elles accompagnées? (chapitre 5)
Avez-vous une idée claire des impacts que votre La culture de votre organisation favorise-t-elle plu-
transformation va produire et des actions préven- tôt des comportements de poule ou de cochon?
tives à engager? (chapitre 4) Que pouvez-vous faire, vous, à votre niveau, pour
Comment gérez-vous les aspects émotionnels sur améliorer les choses? (conclusion)
votre projet? (chapitre 4)
©
Eyroll
Group
Bibliographie

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Eyrolles
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Eyroll
Groupe
©
Index

A burning platform 108 D


accompagnement 9, 61, 80, 93, C déni volontaire 21, 22
10000219 déploiement de projet 57
acteur clé 57, 91, 94 carte de transformation 55, 90,
développement des compétences
agilité 32, 33
91, 92, 93, 94, 95, 97 80
alignement du sens et des causalité linéaire 83 dissonance cognitive 75, 76
processus 60 changement durable 36, 37
alliés 45, 109, 110 coconstruction 77, 101, 114
analyse de risque 34 communication 9, 25, 49, 52, 74,
écoute sélective 74
analyse d'impact 98, 102 15 9229704128
engagement des acteurs 16, 32,
analyse SWOT 55 comportement 23, 51, 68, 69, 48, 75, 91, 94, 97, 102, 110,
antifragilité 31 15718 UP PANe. 127
autorité 71, 72, 73, 75, 127 conception de projet 15, 57 engagement des dirigeants 111,
conduite du changement 13, 51, 112
27 entreprise libérée 126
bilan intermédiaire 118 coup relationnel 69 entropie 37, 38
boucle d'apprentissage 58, 95, courbe de Gauss 34 équation du changement 43
118 courbe du deuil 99, 100, 108 étapes du changement 107

Groupe
Eyrolles
> 134 Index

étapes émotionnelles 100 moyens 59, 60, 61, 79, 122

F imprévu 31, 32, 33, 34, 35 (e)


information 52, 53, 74, 80, 106,
facteur humain 8, 16, 26, 46, 47 108, 128 objectifs 43, 44, 59, 60, 61, 90,
feedback 9, 28, 29, 30, 57, 58 93, 96, 97, 117, 118, 122, 124,
69,117 L 127 :
opposants 45, 110
formation 9, 25, 48, 49, 78, 80, leviers de conduite du
9420128 changement 71, 112, 128 P
frein au changement 49, 51, 81, loi de Z 55, 56, 57, 58, 91
98, 128
pensée linéaire 27, 29
M pensée mécaniste 17, 38
G méthode 10, 19, 22, 23, 24,25, persuasion 71, 73, 74, 75
45, 48, 50, 58, 59, 60, 70, 75, pilotage de la transformation 91,
gestion du temps 93, 117, 118
85, 97 SSANS
mimétisme 60, 69, 70, 78, 111 prévisions 27, 29, 30, 32
H mise en situation 75, 80 priorisation 115, 116
homéostasie 42, 43, 50, 63, 85, mode de pilotage 94 processus de changement 57,
107, 128 motivation 79, 80 108
Index > 135

Q S V
quick wins 95, 118 stratégie des alliés 110 vision 17, 18, 90, 91, 112, 113,
syndrome du lampadaire 44 114
R
résistance au changement 29, T
42, 52, 62, 63, 64, 85, 108 taylorisme 14, 15, 16, 17
retour d'expérience 24, 25, 47, tennis relationnel 68, 69, 78, 94,
80, 128 97, 102, 108,
111
rythme des transformations 117,
118
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Achevé d'imprimer en avril 2017


sur les presses de la Nouvelle Imprimerie Laballery — 58500 Clamecy
Dépôt légal : avril 2017 — N° d’impression : 704343

Imprimé en France
La Nouvelle Imprimerie Laballery est titulaire de la marque Imprim' Vert®
collection Ré ; .
; éussir vos transformations
BASIC.

"5 7"x Arnaud Tonnelé est un ex-


LA conduite des transformations collectives est l'un des
pert reconnu de la transfor-
thèmes les plus rebattus de l'univers du management. Devant
mation. |La officié à La Sofres,
tant d'attention, Le sujet devrait être correctement maîtrisé.
‘ chez Bossard Consultants,
Pourtant, iln'en est rien : les enquêtes se suivent pour montrer ©
Tonnelé
Arnaud
Blédina (Groupe Danone),
qu'une large part des transformations échoue. Est-ce à dire
puis au sein de Julhiet-Sterwen. Il est
que les méthodes usuelles ne sont pas appliquées ?
aujourd'hui coach et associé au sein du
Ce BASIC revient aux fondamentaux du changement pour vous cabinet SERENSYS, et est l'auteur de
permettre de : plusieurs ouvrages sur Les éaui tles
{ comprendre pourquoi Les méthodes les plus transformations.
répandues ne marchent plus ;
1 connaître Les méthodes qui marchent vraiment ;
L) et, in fine, piloter vos transformations beaucoup
plus efficacement.

Du même auteur :
TL
LIL
12€

fin
ON
e: _ www.editions-eyrolles.com
L ) QUALITÉ ET PERFORMANCE Groupe Eyrolles |Diffusion Geodif
2016

Studio Eyrolles © Éditions Eyrolles


© Shutterstock éditeur
Code
656492
:
ISBN
978-2-217-56a
72: 9

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