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Les Défis Éthiques de La Modernisation de L'administration Publique

Éthique et gouvernance

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Éthique et gouvernance

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Éthique publique
Revue internationale d’éthique sociétale et gouvernementale

vol. 4, n° 1 | 2002
Éthique de l'administration et du service public
Nature et logique du service public

Les défis éthiques de la


modernisation de l’administration
publique
Florence Piron
https://doi.org/10.4000/ethiquepublique.2479

Résumés
Français English
Jusqu’à récemment, les organisations publiques se sentaient obligées d’instaurer des
mesures administratives pour garantir l’assujettissement du comportement et des intérêts
de leurs employés aux priorités et aux intérêts de l’organisation. Bien souvent, tout ce qui
avait trait à l’éthique dans ces organisations relevait en premier lieu de cette fonction de
contrôle. Le mouvement mondial de modernisation de l’administration publique selon les
lignes directrices de la nouvelle gestion publique semble davantage ouvert à l’autonomie
du jugement éthique des fonctionnaires. Mais la combinaison de l’exigence de
performance avec la gestion par résultats soulève un défi d’ordre éthique inédit, que cet
article tente de cerner.

Until recently, public organizations felt obliged to create administrative measures


ensuring that their employees’ behavior and interests remain secondary compared to the
priorities and interests of the organization. This paper contends that classical
administrative ethics play a major role in this controlling function. The actual
modernizing move of public administration according to the New Public Management
credo seems more open to the autonomy of public servant’s ethical judgment. However,
combining performance and management by results raises a new ethical challenge that
this paper tries to delineate.

Texte intégral
Cet article est issu de deux projets de recherche, l’un financé par le CRSH, l’autre
par l’INRS-UCS. Je remercie Yves Boisvert, Robin Couture ainsi que mes assistants
de recherche pour leurs conseils et leur aide.
1 Dans toute organisation, publique ou privée, se pose un défi fondamental, du
point de vue de ses responsables et dirigeants : comment contrôler le
comportement de ses membres de manière qu’ils contribuent au bien-être et à la
durée de l’organisation ? Autrement dit, comment s’assurer que le personnel
d’une organisation contribue à l’« intégrité » institutionnelle de celle-ci, c’est-à-
dire à la pérennité de sa mission, de ses pratiques et de sa spécificité, sans que
ces aspects ne se dégradent (ne se « corrompent ») au fil du temps ? Cette
question révèle déjà une conception particulière de la nature humaine selon
laquelle chaque individu a spontanément tendance à donner à son intérêt
personnel priorité sur celui des différentes collectivités auxquelles il appartient :
société, communauté, organisation, etc. Selon cette conception « pessimiste », des
règles et de la surveillance sont nécessaires pour contenir l’égoïsme inné de l’être
humain. L’expérience montre toutefois que l’altruisme, le dévouement et
l’engagement envers la communauté sont aussi des traits de l’expérience
humaine. De ce point de vue plus « optimiste », même sans obligation de se
conformer à des règles de vie commune, chaque individu peut se montrer
spontanément coopératif, soucieux d’autrui et capable d’oublier ses intérêts
personnels au profit de ceux des autres, les plus vulnérables notamment.
2 L’abondance de contrôles externes (codes de conduite, lois, règlements, normes
disciplinaires, directives, consignes, sanctions, etc.) suggère que la conception
« pessimiste » prédomine dans le monde des organisations publiques, comme si
elles se sentaient constamment obligées d’instaurer des mesures administratives
pour garantir l’assujettissement du comportement et des intérêts de leurs
employés aux priorités et aux intérêts de l’organisation. Nous partirons ici du
constat que, bien souvent, tout ce qui a trait à l’éthique dans ces organisations
relève en premier lieu de cette fonction de contrôle. C’est en tout cas un aspect
typique de l’éthique organisationnelle associée à la « bureaucratie rationnelle »
qui a longtemps dominé le mode de gestion de l’administration publique.
3 La modernisation de l’administration publique qui a cours de nos jours dans la
plupart des pays de l’OCDE semble vouloir remettre en question la nécessité,
jamais interrogée auparavant, de ces contrôles externes. Ils sont en effet accusés
d’« alourdir » sans cesse la gestion publique, de faire de la fonction publique un
monstre technobureaucratique autonome et tourné vers lui-même alors que,
nouvel espoir issu des théories du nouveau management public, la gestion
publique pourrait être efficace, efficiente, tournée vers les citoyens et beaucoup
plus flexible. Pourtant, ce virage vers la nouvelle gestion publique (NGP)
entraîne, parfois à l’insu de ses promoteurs, des problèmes inédits d’ordre
éthique que cet article tente de cerner.

La réflexion éthique
4 L’éthique est un domaine de réflexion qui porte sur les valeurs et les fins (les
buts) de l’action humaine. Elle conduit à nous interroger de la manière suivante :
Pourquoi, c’est-à-dire pour quelle raison, ai-je choisi telle ligne de conduite plutôt
que telle autre ? Était-ce pour obéir à des règles générales de comportement ou
parce que les conséquences de mon choix me paraissaient les meilleures ? Dans
quel but ai-je fait ce choix ? Quelles valeurs mon choix traduit-il ? L’éthique offre
ainsi des moyens de réfléchir aux normes qui guident nos faits et gestes, aux
règles pratiques qui nous font opter pour ceci plutôt que pour cela et aux
principes moraux que nous nous efforçons de respecter dans nos rapports avec
les autres. Car « la volonté d’agir ne peut suffire si elle n’est pas informée,
orientée par la réflexion normative », c’est-à-dire par la réflexion sur les normes
et le sens de nos actions : « C’est à la réflexion [éthique] qu’il incombe d’évaluer
les buts visés par l’action, d’examiner d’autres options possibles, de considérer le
contexte où l’action va s’enchâsser, d’envisager les situations où elle serait mise
en échec, les effets néfastes qu’elle entraînerait et les situations irréversibles
qu’elle pourrait créer. Cette réflexion oblige également à un travail de
légitimation puisqu’il faut expliciter les raisons qui justifient l’action1.»
5 Ce qui est en jeu dans la réflexion éthique, ce n’est donc pas seulement le
« comportement », ce que tout observateur pourrait constater de manière
factuelle, mais les motivations, les intentions, les raisons qui poussent vers ceci
ou vers cela. Pourquoi a-t-on menti ? Au nom de quelle valeur a-t-on refusé de
payer ses impôts ? Pour quelle raison a-t-on refusé d’être loyal envers son
supérieur ? Comment justifie-t-on ces choix ? Si les buts et les raisons de l’action
sont au cœur de la réflexion éthique, les moyens envisagés et utilisés pour
réaliser ces actions le sont également. Pourquoi, c’est-à-dire pour quelle raison,
ai-je choisi tel moyen d’action plutôt que tel autre ? Des moyens inappropriés
peuvent-ils ôter toute valeur éthique à un geste qui, pourtant, incarne une valeur
fondamentale ? Par exemple, contourner une loi pour amener devant la justice
un criminel notoire, dans un désir de justice compréhensible ? Inversement, est-
ce que des moyens éthiquement justifiables peuvent contrebalancer un but plus
ou moins acceptable ?
6 L’éthique propose ainsi une réflexion sur les raisons qui sont au fondement de
nos comportements, qu’il est alors préférable d’appeler nos « actions ». Ce
domaine de réflexion est riche et vivant car chacune de nos actions met en
œuvre plusieurs types de normes et de valeurs qui, parfois, s’opposent ou se
contredisent. Par exemple, le sentiment de loyauté envers deux personnes qui
exigent de nous des gestes opposés peut être déchirant. La réflexion éthique
propose des moyens d’analyser ces dilemmes afin d’y trouver la solution la plus
satisfaisante ; « une telle critique évaluative est le but même de la réflexion en
morale2 ». Réflexion éthique et pensée critique sont donc indissociables, ce qui
montre bien à quel point, pour la réflexion éthique, est centrale ce qu’on appelle
la capacité de jugement ou de « délibération » éthique de toute personne
humaine : il s’agit de l’utilisation de certains modes de pensée ou types de
raisonnement s’appuyant sur un « savoir éthique » pouvant nous aider à prendre
nos décisions, à harmoniser nos choix, à nous construire, en somme, comme
sujet éthique tout au long de notre vie. Michel Foucault définit d’ailleurs l’éthique
comme la pratique réfléchie de la liberté : que faisons-nous de notre liberté de
décider, vers quelles fins l’orientons-nous3 ?
7 Cette liberté n’est pas seulement celle de l’individu, libre et responsable de ses
choix personnels. Elle nous engage aussi en tant que membres de plusieurs
collectivités (société, communauté, pays, région, quartier, etc.) au sujet desquelles
nous avons des projets, des aspirations, des préférences qui « débordent » le
cadre strictement individuel de notre vie et qui impliquent nos « con-citoyens ».
Éthique et politique sont ici étroitement liées : tout projet politique de
transformation de nos conditions de vie collective (davantage de démocratie
participative ou davantage de sécurité, davantage de protection étatique ou
davantage de droits individuels, etc.) suppose une position ou une discussion
éthique collective visant à formuler ce que devrait être le « bien commun » d’une
collectivité, auquel sont liées les « valeurs morales communes ». Notre capacité à
respecter – terme qui dissimule une grande variété d’attitudes et de possibilités,
comme on le verra – les valeurs communes de notre collectivité dans toutes nos
décisions, même les plus individuelles, malgré notre désaccord personnel4 et tout
en sachant que la hiérarchie de ces valeurs communes peut être bouleversée
n’importe quand, est une caractéristique de notre statut de citoyen à part entière
de cette société.
Lacunes et risques de l’éthique
administrative classique
8 Si on attend de chaque citoyen qu’il respecte les valeurs morales communes de
la communauté politique à laquelle il appartient, même dans ses choix
personnels, c’est d’autant plus le cas, semble-t-il, pour les fonctionnaires des
sociétés démocratiques, des États de droit. Selon un consensus moral5
fondamental dans ces pays, les fonctionnaires, en tant qu’agents de l’État, doivent
œuvrer au bien-être de leur pays et non à leur bien-être particulier : ils doivent
donc s’efforcer de servir de leur mieux les valeurs morales communes de leur
société telles qu’incarnées par les décisions des élus du moment, même si cela les
désavantage ou les désole. Leurs intérêts privés doivent passer non seulement
derrière ceux de leur organisation (ministère ou autre organisme), mais aussi
derrière l’intérêt général de la population qu’ils servent et du gouvernement qui
la représente. En cas de désaccord entre les valeurs morales mises en œuvre par
l’État et leurs valeurs morales « personnelles », les premières doivent
systématiquement l’emporter ; cela vaut également en cas de conflit entre les
valeurs morales personnelles et les décisions des supérieurs hiérarchiques.
9 Un exemple très simple montre bien à quel point ce principe du « respect » des
valeurs morales communes par les fonctionnaires est, dans la pratique,
extrêmement complexe. Lors d’un concours d’entrée dans la fonction publique
pouvant attirer des milliers de candidats, ceux qui traitent les demandes sont
censés concilier l’exigence (morale commune) d’équité sociale, qui vise à assurer
à chaque citoyen les mêmes chances d’embauche, avec les exigences (morales
organisationnelles) d’efficacité et surtout d’efficience de gestion de l’appareil
public (que tout ce processus ne coûte pas trop cher aux contribuables), et ce
alors que, fonctionnaires eux-mêmes, ils connaissent bien les avantages et les
inconvénients liés à ce type d’emploi. Comment se sortent-ils de ce « nœud » ? En
particulier, comment font-ils face à la tentation de contourner les règlements sur
l’embauche afin d’accélérer ou d’alléger le processus, que ce soit pour obéir aux
critères d’efficience de leur organisation, pour satisfaire leur impatience et leur
frustration individuelles face à l’ampleur du processus ou, du point de vue de la
morale commune, pour aider les citoyens à leurs yeux les plus méritants qui ont
posé leur candidature ?
10 Dans l’histoire de l’administration publique des pays démocratiques, plusieurs
façons d’assurer cet équilibre entre les différents niveaux de valeurs et
d’allégeance des fonctionnaires (conscience personnelle, organisation concrète,
bien commun, décisions du pouvoir politique et morale commune) ont été
imaginées, parfois à l’opposé les unes des autres. L’équilibre le plus classique,
c’est celui de la « bureaucratie rationnelle » : les fonctionnaires doivent appliquer
de manière stricte les lois et règlements votés par les représentants élus de la
population, qui sont censés incarner automatiquement les valeurs morales
communes et le bien commun. Leurs valeurs personnelles doivent être
complètement mises de côté (devoir de réserve). Quant à l’organisation, on
suppose qu’elle n’est qu’un instrument d’exécution des décisions du pouvoir
exécutif et législatif, si bien qu’elle met nécessairement en œuvre les mêmes
valeurs que l’État et la population en général. En somme, selon cette idéologie
officielle, toutes les organisations publiques sont parfaitement en harmonie entre
elles et avec la volonté politique générale.
11 Tout citoyen sait pourtant très bien que l’intérêt d’une organisation publique
peut parfois s’opposer à celui de la fonction publique en général ou, à tout le
moins, à celui d’autres organismes. Pensons par exemple aux rapports difficiles
entre le ministère de l’Environnement et celui des Ressources naturelles. Pensons
aussi à la rivalité pour l’accès aux ressources financières et humaines entre les
différentes organisations publiques. Mais surtout, on peut noter d’emblée que
cette conception minimise la complexité de la position des fonctionnaires : bien
que censés être au service des élus et de la population, c’est à leur supérieur ou à
leurs collègues de l’organisation qu’ils doivent rendre compte quotidiennement
de leur travail ; d’où leur allégeance principale à leur organisation, c’est-à-dire à
leur milieu de travail. Un administrateur public n’est pas simplement un
« serviteur » de la population ; c’est un « serviteur public » (public servant) inséré
dans une organisation particulière : « Ce rôle d’employé d’une organisation
spécifique […] est bien plus puissant et concret dans ses sanctions et mesures
incitatives [que l’appartenance générale à la fonction publique]. Le rôle du
fonctionnaire devient vite limité à l’organisation particulière qui le définit6.»
Selon cette conception de l’administration publique, les valeurs clés sont la
neutralité, l’impartialité, l’obéissance et le professionnalisme des fonctionnaires.
Par exemple, le code d’éthique de la fonction publique québécoise énonce les
valeurs suivantes (en quatre temps), sans jamais évoquer la possibilité qu’elles se
contredisent : assiduité et compétence ; obéissance hiérarchique, loyauté et
allégeance à l’autorité constituée ; courtoisie, non-discrimination et diligence
dans le service au public, discrétion, neutralité politique, réserve, honnêteté et
impartialité, absence de conflits d’intérêts, exclusivité du service7. Pourtant,
l’expérience montre bien, par exemple, la difficulté de combiner l’obéissance
hiérarchique et la diligence dans le service au public…
12 Cet ensemble de valeurs renvoie à l’idée que le fonctionnaire n’est qu’un
« outil » qui exécute des tâches administratives, avec professionnalisme, c’est-à-
dire compétence et savoir-faire, en conformité avec ce que ses supérieurs
(organisationnels) attendent de lui, que ce soit sur le plan des moyens, des
procédures ou des résultats. La pierre angulaire de cette conception est donc le
principe de l’obéissance hiérarchique, aussi nommée « loyauté ».
13 Le contrôle des fonctionnaires se fait alors de manière « externe » : leur
conduite doit respecter un ensemble de règles (codes d’éthique, déontologie,
normes d’encadrement, directives) ; s’ils ne s’y conforment pas, ils peuvent faire
l’objet de diverses sanctions. Obéissance aux supérieurs, obéissance aux règles et
règlements, qu’il s’agisse des moyens ou des fins de l’action administrative : on
pourrait appeler cela l’« éthique de l’obéissance », si ce n’était pas là commettre
une erreur conceptuelle grave : le jugement éthique suppose, comme on l’a vu
plus haut, la liberté de choix…
14 Dans ce cadre, on peut affirmer que l’intégrité des fonctionnaires coïncide avec
leur probité ainsi qu’avec cette loyauté ou cette obéissance : elle désigne leur
engagement inconditionnel à suivre le cap imposé par l’organisation et la
fonction publique en général, au détriment de leurs préférences personnelles ou
de tout désir d’agir différemment de ce qui leur est demandé. Selon cette
conception, « les fonctionnaires peuvent très bien se sentir à l’étroit et limités
dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire par la chaîne de commandement,
mais c’est là une des fonctions prévues de la structure organisationnelle. Les
préférences personnelles des individus employés par la fonction publique
doivent toujours être assujetties à la volonté populaire, qu’on présume être
communiquée par la chaîne organisationnelle de commandement8. » Du point de
vue de la morale commune, il est évident que la collectivité, dans le cas présent
l’organisation publique, a priorité absolue sur l’individu, ici le fonctionnaire :
« Dans la sphère publique, l’éthique sert à protéger l’intégrité de l’organisation
en aidant les individus à se conformer aux normes professionnelles, à éviter les
erreurs et les méfaits qui violent la confiance du public (corruption, népotisme)
et à assurer que les fonctionnaires d’une démocratie soient imputables devant les
représentants élus de la population9.» En fait, ce système fait en sorte que « la
conscience personnelle est toujours subordonnée aux structures de l’autorité10 ».
En ce sens, « on ne peut être un agent de l’État et être en désaccord public avec
les ordres reçus des autorités politiques légales11 », même si notre conscience
morale nous suggère que ces ordres vont à l’encontre des valeurs morales
communes.
15 En prenant cette orientation, l’éthique organisationnelle devient un instrument
du pouvoir et du commandement, au lieu d’être une ressource pour nourrir le
jugement moral des employés ; d’où la méfiance, justifiée, qu’elle inspire aux
fonctionnaires qui y voient, probablement de manière légitime, un instrument
supplémentaire de contrôle de leurs actes et même de leurs pensées – contrôle
très efficace puisqu’il emprunte le vocabulaire de l’éthique et des valeurs, aux
résonances symboliques puissantes. En fait, il est clair que cette approche qui ne
s’intéresse qu’aux « comportements » non seulement ignore, mais refuse
d’envisager que les fonctionnaires aient analysé ou soient capables de formuler
les raisons morales qui sous-tendent leur action. De ce point de vue, cette
approche qui mise sur l’obéissance et le respect des consignes plutôt que sur la
capacité de délibération éthique des employés, est « anti-éthique ».
16 On peut le constater entre autres dans le fait que l’aspiration « éthique » la plus
haute qui leur est offerte par ce modèle est l’exécution la plus réussie des ordres
reçus dans le respect pointilleux des règlements – ce qui, pragmatiquement, n’est
pas la motivation la plus inspirante, quelle que soit notre conception de
référence de la nature humaine. Au contraire, cette aspiration valorise la dé-
responsabilisation, c’est-à-dire la coupure entre le sujet d’une action et les
conséquences de son action : elle vise à soulager les travailleurs de l’État de la
nécessaire étape de la « délibération éthique ». Hannah Arendt n’a-t-elle pas
conclu du procès d’Eichmann que ce dernier était fondamentalement déficient
dans l’exercice de la pensée qui permet de discerner le bien du mal ? La position
de l’exécutant semble le dispenser de toute réflexion, même sur le caractère
moral (quel qu’en soit le niveau) de ce qui lui est demandé, dispensation qui est
de plus bien souvent présentée comme une nécessité d’ordre éthique… Comme si
la capacité de jugement et de délibération éthique des fonctionnaires ne pouvait
qu’être erronée, néfaste, confuse et corrompue, car ils seraient incapables de
dépasser l’étape de l’opinion « subjective » et « arbitraire ». Cette crainte sous-
jacente à l’éthique administrative classique repose sur la conception pessimiste
de la nature humaine, mais aussi sur la mémoire collective des systèmes
administratifs corrompus de certaines démocraties.
17 Les codes d’éthique qui accompagnent cette approche sont en fait des codes de
conduite qui visent à normaliser les comportements des employés, c’est-à-dire à
les rendre conformes à des normes prédéfinies par les responsables
organisationnels ou politiques. Ils ne visent pas à aider les employés à
développer leur capacité de délibération éthique. D’ailleurs, les codes d’éthique,
surtout ceux qui ne sont pas en même temps des codes de déontologie
accompagnés de sanctions, sont rarement connus ou pris au sérieux par les
employés qui comprennent facilement l’enjeu de contrôle qui se cache derrière.
Ces codes ne font souvent que réitérer des évidences (« il faut être honnête et
compétent ») sans les ancrer dans l’expérience commune réelle des employés de
l’organisation en question. Les codes d’éthique qui prescrivent et proscrivent des
comportements sans donner d’indication sur le contexte dans lequel doivent
s’appliquer prescriptions et proscriptions ne sont ni utilisés ni appréciés par les
employés qui doivent s’y soumettre.
18 Cette hégémonie des structures d’autorité est à l’origine du recours de certains
fonctionnaires aux procédures de whistle-blowing (devoir de divulgation12) pour
dénoncer des situations jugées incompatibles avec les valeurs morales
communes ou même avec les valeurs officielles d’une organisation. Ces
procédures sont souvent douloureuses et délicates, mais, dans cette conception
de la bureaucratie par contrôle et commandement, il ne semble parfois exister
aucune autre manière de protester contre une situation déplorable instaurée ou
acceptée par les autorités hiérarchiques.
19 Le professionnalisme joue un rôle clé dans cette conception de la bureaucratie
« rationnelle » : c’est en son nom que les fonctionnaires acceptent de renoncer à
leurs prérogatives de citoyens, qui pourraient les mener à être parfois en
désaccord avec les politiques publiques qu’ils doivent mettre en place ou avec la
manière de les interpréter et de les implanter ; ils acceptent de mettre leurs
compétences au service exclusif de leur organisation et donc de leurs supérieurs
hiérarchiques. Autrement dit, le professionnalisme technique (compétence,
savoir-faire, évaluation par les pairs) devient la « raison » principale qui décide
de l’action des administrateurs, à qui est refusé le droit de se prononcer sur les
fins de leur action publique (programme, politique publique, procédures, etc.),
ainsi que sur ses conséquences. Ce professionnalisme technique-expert, bien
qu’essentiel du point de vue de l’efficacité d’une organisation, est incomplet sur
le plan éthique puisqu’il n’impose aux employés aucune réflexion sur les
conséquences morales et sociales des gestes administratifs qu’ils exécutent avec
professionnalisme. Le jugement professionnel de l’expert est, dans cette optique,
moralement insuffisant.
20 La conception de la bureaucratie rationnelle ignore aussi plusieurs thèmes
éthiques fondamentaux : par exemple, l’inévitable pouvoir discrétionnaire des
fonctionnaires, dû au tout aussi inévitable décalage entre le texte des lois et les
conditions de leur applicabilité dans des contextes précis. Dans ce cas, ce qui doit
faire l’objet de l’intégrité ou de la loyauté des fonctionnaires devient plus flou :
est-ce le projet de loi ou les interprétations successives qui en sont données à
divers échelons de l’organisation ? Par exemple, l’universalité des soins de santé
(valeur morale commune, loi sur la santé) est parfois en conflit avec la nécessité
organisationnelle et légale d’équilibrer les budgets des hôpitaux. Certains
fonctionnaires peuvent avoir à prendre des décisions lourdes de conséquences,
selon qu’ils privilégient leur probité à l’endroit de la valeur morale commune ou
leur intégrité à l’endroit de la mission de leur organisation, notamment gérer les
fonds qui leur sont confiés de manière satisfaisante pour leurs supérieurs ou leur
ministre.
21 Les insuffisances et les partis pris de l’éthique administrative classique n’ont
jamais été le moteur des réformes de l’administration publique implantées
successivement dans les pays démocratiques. C’est plutôt la nécessité de rendre
la fonction publique plus efficace à un moindre coût, c’est-à-dire de la dé-
bureaucratiser, qui est à l’origine de nombre de ces réformes, fréquemment
inspirées de théories de gestion issues du secteur privé (gestion par objectifs,
qualité totale, déficit zéro, etc.). C’est le cas du grand mouvement actuel de
modernisation des organisations publiques des pays de l’OCDE qui s’inspire
directement des théories du nouveau management. Ce qu’on appelle désormais
la nouvelle gestion publique a en effet pour but de moderniser l’administration
publique, c’est-à-dire de la rendre plus efficace, plus efficiente, plus économique,
plus transparente et plus orientée vers le service au « citoyen-client ». Quels sont
ses défis sur le plan de l’éthique ?

NGP et renouvellement éthique


22 La nouvelle gestion publique s’est largement répandue dans les démocraties
libérales du monde occidental depuis le début des années 1990. Cette forme de
modernisation de la fonction publique a été adoptée par de grands organismes
publics québécois et canadiens (Gendarmerie royale du Canada, ministère de la
Défense, Développement des ressources humaines du Canada, Régie des rentes,
etc.) et fait désormais officiellement partie de la nouvelle loi sur l’administration
publique au Québec. Caractérisant l’organisation « postbureaucratique »
publique, cette nouvelle forme de gestion se définit par une plus grande
« flexibilité » de l’organisation du travail (par opposition aux hiérarchies
traditionnelles), par la priorité accordée au « client » et à sa satisfaction (et non
plus à l’organisation), par une orientation marquée vers les résultats et
l’imputabilité (et non plus vers les méthodes et les procédures), et par une plus
grande « responsabilisation » des employés, tout cela dans le but d’atteindre les
idéaux – parfois présentés comme des idéaux éthiques – de l’efficacité, de
l’efficience et de l’économie13.
23 Une des caractéristiques de la NGP est l’importance accordée au thème de
l’éthique et des valeurs par certains pays. À l’origine de cet intérêt se trouve le
fait que ce mouvement mondial de modernisation trouve son origine dans le
secteur privé – évidemment étranger au domaine de l’éthique du service public.
Si certains pays ont crûment essayé de reproduire dans leur administration
publique le modèle du secteur privé, sans se soucier de ce qu’il advenait des
valeurs morales communes de l’État (équité, justice, égalité, liberté, solidarité,
etc.), comme la Grande-Bretagne ou la Nouvelle-Zélande, d’autres essaient de
combiner les principes de la NGP avec l’éthique du service public, comme la
Belgique ou le Canada, s’exposant ainsi à certains dilemmes que nous allons
discuter.
24 Le volumineux rapport de l’OCDE, Renforcer l’éthique du service public, qui
compile les stratégies éthiques récentes des pays de l’OCDE, fait lui-même un lien
direct entre cette réforme et la nécessité de réfléchir de manière renouvelée à
l’éthique administrative : « Les agents publics accomplissent leurs tâches dans un
environnement qui change rapidement, notamment du fait des restrictions qui
pèsent sur les ressources, des exigences nouvelles des citoyens et d’une
surveillance renforcée de la part du public. Ils sont donc obligés d’innover dans
la gestion de l’action publique […]. Cependant, ces réformes ont eu des
conséquences inattendues pour l’universalité des valeurs et des normes
traditionnelles du service public. Autrement dit, l’infrastructure de l’éthique doit
évoluer […] pour assurer la qualité du service public et veiller à ce que soit
remplie la mission fondamentale du service public, c’est-à-dire le service de
l’intérêt général14. » Derrière ces précautions oratoires, on devine bien les
inquiétudes soulevées par l’irruption du nouveau management privé et de la
pensée néomanagériale dans la fonction publique, dédiée non pas à la recherche
de profit, mais au bien commun.
25 L’importance du vocabulaire des « valeurs » est remarquable dans ces
nouvelles stratégies éthiques, au point que le rapport de l’OCDE estime que
l’« affirmation de valeurs fondamentales offre la base de l’action du service
public dans les pays de l’OCDE15 ». On peut définir une valeur « comme la
conviction absolue qu’un mode de conduite spécifique ou un certain type
d’existence est personnellement ou socialement préférable au mode de conduite
ou au type d’existence opposé16 ». Relevant toutefois de l’ordre de la conviction
ou de la croyance, des aspirations ou des idéaux, les valeurs sont inévitablement
soumises au débat, à la discussion et à l’interprétation. De ce point de vue, on
peut supposer qu’elles sollicitent, beaucoup plus directement que ne le font les
codes d’éthique, la capacité d’engagement et de jugement moral des personnes,
c’est-à-dire leur capacité de formuler des préférences, de les évaluer, de les
interroger, de les confronter à celles des autres, de les modifier ; en somme, elles
invitent à la délibération éthique, que ce soit dans notre for intérieur ou dans un
dialogue public.
26 Le choix politique de fonder la nouvelle éthique gouvernementale sur les
valeurs semble donc a priori plus respectueux que ne l’était la bureaucratie
rationnelle de la capacité des employés d’une organisation à analyser les valeurs
qu’ils doivent appliquer et à mener des délibérations éthiques de qualité. Dans
un effort explicite de « revalorisation des employés », de leur compétence et de
leur créativité, cette orientation propose de miser davantage sur leurs qualités
personnelles, notamment sur leur capacité à intérioriser (analyser, comprendre
et appliquer) des valeurs, qu’il s’agisse de valeurs morales communes ou de
valeurs organisationnelles.
27 Cette approche devrait donc inciter les responsables d’une organisation
publique à ne plus considérer leurs employés comme des « machines » à
appliquer des directives sans réfléchir ou en s’appuyant seulement sur une
réflexion d’ordre technique, mais plutôt à les traiter comme des personnes
capables de jugement éthique éclairé, de créativité et d’innovation. C’est entre
autres un des éléments frappants de la réforme imaginée par le gouvernement
fédéral canadien qui promeut l’« habilitation » (empowerment) des employés : les
cadres devront déléguer de plus en plus de responsabilités à des personnes
auparavant subalternes, par exemple les employés de première ligne qui sont en
contact direct avec les citoyens, alors que, dans l’ancien mode de gestion, ces
employés devaient seulement appliquer des règles définies par d’autres à des
buts auxquels ils se sentaient étrangers, sans pouvoir procéder eux-mêmes aux
améliorations que leur suggérait leur expérience quotidienne. Effectuer une telle
délégation suppose d’avoir confiance en la qualité du jugement et de l’esprit
d’initiative de ces employés. Le rapport De solides assises a bien identifié ce
mouvement fondamental de « redécouverte des personnes de la fonction
publique, de même que de la qualité du leadership et de la gestion axée sur les
personnes. Les hauts fonctionnaires doivent apprendre à gérer vers le bas et non
vers le haut […], faisant preuve de leadership et d’exemple pour leurs
employés », « les valeurs liées aux personnes jouent un rôle important dans le
déclenchement d’un éventail plus large de valeurs du service public17 ». Le
Conseil du trésor fédéral a mis sur pied un Bureau de l’éthique et des valeurs,
animé par deux sous-ministres désignés comme les « co-champions » de
l’éthique, pour nourrir et animer cette réflexion au sein de l’administration
fédérale.
28 Mais est-il certain que l’intérêt actuel pour le vocabulaire des valeurs dans le
monde de l’éthique administrative soit seulement le fait d’une intention politique
visant à « revaloriser les personnes », selon l’expression tirée du nouveau cadre
de gestion de la fonction publique fédérale canadienne ? La réflexion suivante
nous met sur une autre piste : « Tout l’intérêt de la notion de valeur, c’est qu’elle
permet de diminuer considérablement l’importance de l’idée de sanction dans
l’explication de l’action. Elle déplace l’accent vers des éléments attractifs,
désirables de certaines manières d’être, d’agir, de penser, de sentir, même si cette
attraction n’est que l’effet d’un apprentissage préalable par récompenses et
punitions18. » Autrement dit, l’approche par les valeurs, « fondée sur les
aspirations, consiste à encourager les comportements appropriés par des
mesures incitatives plutôt qu’à faire la police et à punir les erreurs et les actes
répréhensibles19 ».
29 L’approche par les valeurs n’est donc pas seulement une nouvelle prise de
position éthique, un choix moral des gouvernements visant à revaloriser le
jugement moral des fonctionnaires : c’est en même temps une stratégie de
gestion qui s’harmonise avec les exigences de la NGP, notamment avec le
principe de l’allègement des contrôles externes bureaucratiques. L’idée est que si
les fonctionnaires « intériorisent » ou « intègrent » les valeurs privilégiées par
l’organisation dans laquelle ils travaillent, ils les appliqueront
« automatiquement », sans même y penser, et surtout sans qu’il soit nécessaire de
les menacer de sanctions ou de punitions. Non seulement le succès de cette
« intériorisation » permettrait de déréglementer en partie l’activité
administrative, c’est-à-dire d’alléger les règlements qui encadrent l’action des
fonctionnaires, mais cela encouragerait les cadres à donner plus de liberté et de
marge de manœuvre à leurs subalternes : la NGP recommande d’ailleurs de viser
« la réduction du nombre de règles, afin que les fonctionnaires qui jouissent
d’une plus grande liberté d’action et qui sont plus responsables du résultat que
de la méthode puissent laisser libre cours à leur créativité et même à leur sens de
l’entreprise20 ».
30 En somme, le fait de centrer le discours éthique sur les valeurs a de nombreux
avantages du point de vue de l’instauration de la NGP dans une organisation :
présentées comme une voie autre que celle des règles, des directives et des
sanctions, les valeurs sont susceptibles de rendre les fonctionnaires plus
autonomes, plus « responsables » et plus « intéressés » par les résultats de leur
travail, donc plus créatifs et productifs. L’article 3.20 du rapport du vérificateur
général du Québec sur l’éthique gouvernementale québécoise indique très
clairement la place stratégique de ce recours aux valeurs : « Plus l’État allège son
cadre normatif (c’est-à-dire ses règlements et contrôles procéduraux), plus il doit
axer le processus de responsabilisation des détenteurs d’une charge publique sur
des valeurs qui sont bien comprises et partagées par eux21.»
31 Une des conséquences de cette nouvelle situation, c’est évidemment
l’importance de définir adéquatement les fameuses « valeurs » que doivent
intérioriser les fonctionnaires. Cette étape fait désormais partie du processus
d’implantation de la NGP, sous la forme de la préparation d’un énoncé de
« mission, vision, valeurs » de l’organisation. Si la préparation de cet énoncé se
fait selon le principe du leadership partagé ou participatif (comme à la
Gendarmerie royale du Canada, par exemple), c’est-à-dire en consultation avec
l’ensemble des membres de l’organisation concernée, et si les spécificités
concrètes de l’organisation sont prises en compte, il y a plus de chances que les
employés « intègrent » et appliquent ces valeurs dans leur vie professionnelle
que si cet énoncé leur est imposé par les supérieurs hiérarchiques, du haut vers
le bas, comme c’est le cas pour les codes d’éthique classiques. Or, bien des
organisations hésitent à prendre le temps de cette consultation, préférant confier
la tâche à des experts ou à des dirigeants, s’exposant ainsi de nouveau aux
lacunes déjà relevées. Notons de plus que ce travail devrait être « continu » :
l’évolution des pratiques, l’accumulation de savoir et d’expérience, les
transformations des conditions de travail de l’organisation, tout cela fait en sorte
que la réflexion sur la mission, la vision et les valeurs de l’organisation devrait
être vivante et dynamique et non scellée une fois pour toutes, comme c’est le cas
des codes d’éthique et de déontologie. Les nouveaux « Principes de la fonction
publique22 » formulés par le gouvernement canadien risquent peut-être de
connaître ce sort.
32 Qu’ils soient d’origine collective ou préparés par les dirigeants, ces discours
éthiques organisationnels produisent parfois des effets curieux, aux résonances
politiques que je ne peux analyser ici en détail. Par exemple, ils peuvent conduire
à « moraliser » certaines valeurs qui ne sont pas des valeurs morales23, en les
rendant coprésentes dans l’énoncé avec des valeurs morales classiques : par
exemple, l’intégrité et le service aux citoyens. Bien que reposant sur l’idéal moral
d’accessibilité des citoyens à l’État, l’idée de service est une priorité managériale,
au même titre que l’efficience, l’efficacité et l’économie, et non une valeur
morale. Le même genre de raisonnement s’applique à la notion de
« professionnalisme », au cœur de l’argument de la bureaucratie rationnelle. En
effet, comme Tait l’a bien noté, le professionnalisme tend à se transformer, sous
la pression de la NGP, pour se rapprocher de l’idée de « performance » (ce qui
inclut esprit d’innovation, créativité, audace, autonomie, rapidité) et à s’éloigner
de l’idéal de « compétence » (savoir-faire) dans le cadre de l’application
consciencieuse des directives. Si aucune des « qualités » propres au nouveau
professionnalisme n’a de portée morale, la mention de cette « vertu » exigée des
fonctionnaires à proximité de l’énoncé d’autres valeurs plus « morales » peut
avoir comme effet de donner un parfum éthique à ce nouveau
professionnalisme, alors qu’en fait, comme on le verra plus loin, il peut entrer en
conflit avec certaines exigences morales de base.
Dilemmes éthiques de la NGP
33 Nous venons de voir que la NGP porte en elle un réel potentiel de
renouvellement éthique de la fonction publique (revaloriser les personnes et le
processus de réflexion éthique au sein de l’organisation) qui semble être en
même temps compatible avec ses exigences managériales, notamment le choix
de l’allègement administratif et celui de la responsabilisation24 croissante des
fonctionnaires. On peut ajouter à cette liste le choix de la décentralisation des
décisions et actions administratives, qui suppose et exige qu’à tous les échelons
de l’appareil administratif se trouvent des personnes dignes de confiance et
capables de prendre des décisions appropriées. L’intériorisation des valeurs de
l’organisation et notamment de ses valeurs morales par chaque fonctionnaire est
présentée comme étant le « moyen » par excellence de réaliser cette réforme
fondamentale.
34 Le principe de la gestion par résultats, au cœur de la NGP, qui suppose lui aussi
des employés capables de prendre des décisions judicieuses et éclairées, sans les
contrôles externes habituels et donc avec une supervision plus légère, soulève
toutefois un défi d’ordre éthique qui remet en question l’éventuelle harmonie
entre NGP et éthique. En effet, d’une part, axer les efforts des employés et des
organisations sur les résultats, et donc sur les fins de l’action administrative,
suppose un changement radical par rapport au modèle administratif de type plus
déontologique, axé sur le respect des règles et des procédures. D’autre part, cette
stratégie de gestion est inséparable de l’objectif de « performance de gestion »
visé par les responsables politiques : efficacité, efficience et économie doivent
devenir les critères principaux de l’action publique. En l’absence de contrôles
externes, la combinaison du principe de gestion par résultats avec une exigence
élevée de performance ou d’efficience de la part du pouvoir (politique ou
hiérarchique) pourrait ainsi conduire les fonctionnaires à choisir n’importe quel
moyen pour satisfaire les nouvelles demandes de leur organisation. L’exigence de
performance peut conduire à mettre de côté toute réflexion d’ordre éthique qui
pourrait « ralentir » le rythme de l’action, y compris le fait de prendre le temps
de vérifier si cette action est conforme aux valeurs morales communes de la
société ou de l’organisation.
35 Lorsque le nouveau professionnalisme se mesure à l’aune de la
« performance », il ne peut plus laisser de place au jugement moral et civique des
fonctionnaires, c’est-à-dire à une réflexion sur les fins et les conséquences des
gestes administratifs qu’ils posent (et qui peut prendre du temps, nécessiter un
dialogue, impliquer des erreurs et des hésitations). Par exemple, l’élaboration
rapide et efficace d’un portail électronique comme guichet unique pour certains
citoyens devrait comporter un temps de réflexion sur l’accessibilité de cette
technologie aux citoyens visés, au lieu de se contenter d’une analyse des
avantages financiers d’un tel changement pour l’organisation ou l’État ; cette
réflexion pourrait aboutir à des changements de la politique proposée. L’exigence
de performance risque donc sans cesse, si elle n’est pas elle-même « contrôlée »
et limitée par la réflexion éthique, de faire oublier le principe de la
« revalorisation des personnes et de leur jugement », pourtant présent dans les
principes de la NGP.
36 Comment, dans ce nouveau contexte, évaluer le caractère éthique des moyens
adoptés par les acteurs pour atteindre les fins que le pouvoir exécutif ou législatif
attend d’eux ? Par exemple, comment peut-on qualifier sur le plan éthique la
décision d’un fonctionnaire préférant ne pas « contourner » les règlements qui
pourraient ralentir son action, au risque de n’être pas assez performant, donc
d’être moins satisfaisant aux yeux de ses supérieurs et même du pouvoir
politique qui a fait le choix de la NGP ? Et comment qualifier celui qui aura
préféré sacrifier certaines règles d’équité, pourtant imposées par les valeurs
démocratiques communes, pour répondre aux demandes de performance de son
patron ? Comment parler d’« autonomie », de responsabilisation et de libre choix
des fonctionnaires, cadres ou subalternes, dans un tel contexte ?
37 La résistance de nombreux fonctionnaires à la modernisation de la fonction
publique axée sur la NGP, constatée par plusieurs observateurs de la réforme,
peut certes s’expliquer par les tendances immémoriales et universelles à l’inertie
et au conservatisme ou par une « mauvaise » stratégie de communication de la
part du gouvernement. Mais, comme le suggère Foucault à propos de toute forme
de résistance, celle-ci est peut-être aussi le symptôme d’un rapport de pouvoir
fondamental. C’est comme si les fonctionnaires comprenaient que non seulement
cette réforme visait à les faire « travailler plus avec moins25 », mais qu’elle les
obligeait, sous le prétexte alléchant de revaloriser leur jugement et leurs
capacités individuelles, à assumer seuls des responsabilités professionnelles et
morales beaucoup plus lourdes qu’auparavant, notamment le choix de moyens
d’action qui devront satisfaire à la fois les « valeurs » de l’organisation et de la
société et l’exigence de performance. Ce choix est d’autant plus complexe que
l’exigence de performance n’est pas seulement promue par un gouvernement
plus ou moins « néolibéral » et les acteurs du secteur privé (par exemple, le
consensus du sommet socioéconomique de 1996 au Québec), mais elle l’est aussi
par les « contribuables-consommateurs » que nous sommes en train de devenir26
et qui voulons maximiser les services financés par nos impôts. Autrement dit, les
fonctionnaires qui « résistent » perçoivent peut-être, sous ce qui pourrait finir
par n’apparaître que comme un vernis éthique hypocrite, une nouvelle modalité
de contrôle de leur action, à un moindre coût financier et humain que celui des
contrôles externes : l’autocontrôle de soi, qui rend la personne responsable de
ses actes dans un contexte où, en fait, elle est coincée entre l’exigence de
performance et celle du respect de certaines valeurs morales communes.
38 Ce système de « contrôle interne27 », autre manière de décrire la stratégie de
l’« intériorisation des valeurs », impose en fait aux agents de l’État les valeurs de
l’organisation – censées reproduire celles de la société –, sans leur fournir les
repères indispensables à l’analyse éthique des choix qui s’offrent à eux,
notamment parce que les énoncés des valeurs, sauf dans le cas exceptionnel du
plan d’éthique de la Défense canadienne28, ne hiérarchisent pas les différentes
valeurs dont ils font la liste et n’indiquent même pas comment elles entrent en
relation les unes avec les autres. Une telle précision n’enlèverait rien à la
nécessité d’interprétation de ces valeurs dans des contextes spécifiques d’action,
mais elle fournirait certains repères pertinents.
39 Nombreux sont les rapports et documents officiels qui, comme solution ultime,
proposent la vertu individuelle de l’intégrité, définie comme l’aspiration et la
capacité à s’engager à long terme envers des valeurs (mais lesquelles ? justifiées
par quelle instance ?), sans succomber aux pressions incitant à y renoncer. Dans
cette perspective, la probité peut être associée à l’intégrité : dans un contexte où
le respect des lois et des chartes, des valeurs morales communes, par les
administrateurs est essentiel pour la qualité de notre vie démocratique et pour
reconstruire le lien de confiance entre l’État et les citoyens, une solide
« intériorisation » de la probité, c’est-à-dire de l’engagement à respecter les
valeurs morales communes et les valeurs organisationnelles même si elles vont à
l’encontre de l’intérêt personnel ou des valeurs personnelles, devrait
accompagner la plus grande marge de manœuvre des employés de l’État. Leur
compréhension de l’importance du respect des valeurs morales communes prend
un caractère particulièrement décisif dans ce contexte où, parfois, tous les
moyens peuvent sembler bons pour arriver aux résultats exigés.
40 Mais, pour être crédible et prise au sérieux par les fonctionnaires, l’intégrité
(comme la probité) doit pouvoir être vécue de manière « authentique » et
complète. En particulier, il est clair qu’elle peut amener certains fonctionnaires à
rejeter les compromis moraux que leur impose, même tacitement, l’exigence de
performance contenue dans la NGP, au profit du respect des valeurs morales
communes propres au service public d’une société démocratique. Elle peut donc
et doit même pouvoir les conduire à contester librement et sans risque de
représailles les orientations des dirigeants de l’organisation ou de leurs
supérieurs immédiats, notamment leur manière d’interpréter les énoncés de
valeurs ou leur choix des moyens d’action publique, s’ils estiment qu’elles
s’opposent aux valeurs communes les plus précieuses. Cette nouvelle forme
d’intégrité ne pourra plus se limiter à l’ancienne « loyauté » envers
l’organisation, ses règles et ses dirigeants ; au contraire, elle doit inclure la
possibilité de contester de manière légitime et libre les directives patronales ou
politiques, à l’opposé de la logique hiérarchique classique. Comment cette
possibilité de contestation peut-elle être accueillie et comprise par les leaders de
la fonction publique ? Et par le pouvoir politique, qui a continuellement besoin
de « soldats » dociles pour exécuter ses décisions ?
41 Cette énorme difficulté, non dite et non débattue, nourrit sans aucun doute la
résistance de nombre de fonctionnaires à transformer leurs conditions de travail
pour se conformer à cette nouvelle forme de gestion publique. Cela fait partie des
obstacles à la mise en œuvre de la réforme telle que prévue et imaginée par ses
concepteurs29. À cela s’ajoutent les conséquences non prévues de certains
« raccourcis » de cette nouvelle pensée éthique. Ainsi, le principe de
l’imputabilité, indissociable de la gestion par résultats et de la responsabilisation
croissante des fonctionnaires, équivaut, sur le plan opératoire, à la pratique de la
reddition de comptes : il s’agit, pour les gestionnaires d’organisations publiques,
de rendre compte « publiquement », de manière transparente, de leur action
publique à leurs supérieurs mais aussi au parlement. Cela se fait sous forme de
rapports annuels liés à des planifications stratégiques préalables. Le rapport de
l’OCDE30 recommande ainsi de manière très claire que toute « infrastructure
éthique » permette « une reddition de comptes et un contrôle quant aux résultats
obtenus par l’entité et au respect des normes d’éthique ». Non seulement il s’agit
là d’un retour tacite à une forme de « contrôle externe » de l’action des
fonctionnaires, mais c’est une forme de contrôle qui ne peut qu’entraîner une
nouvelle forme de bureaucratisation. Les députés québécois s’en sont bien
aperçu au moment où ils ont compris qu’au nom de ce principe, inscrit dans la
nouvelle loi de l’administration publique, ils auraient des milliers de rapports de
reddition de comptes à lire et à évaluer31. Rapports qui, de plus, privilégient
l’évaluation quantitative des performances… et non la capacité d’être
responsable de ses actes.
42 Face à ces difficultés qui font pourtant bien ressortir l’urgence de réfléchir et
d’innover en matière d’éthique de l’administration publique, les vieux remèdes
ont encore la cote. Ainsi, le rapport de l’OCDE insiste sur la nécessaire mise en
place dans chaque pays d’une « infrastructure éthique », c’est-à-dire d’un
ensemble cohérent et coordonné d’« incitations et de sanctions pour encourager
des normes de conduites […] élevées en matière d’éthique dans la fonction
publique32 ». La présence du terme « sanctions » est révélatrice de la crédibilité
persistante des « contrôles externes » en matière éthique, comme si les nouveaux
défis éthiques que nous venons d’explorer ne pouvaient déclasser les thèmes
classiques de la corruption et des conflits d’intérêts, qui appellent la surveillance
et le contrôle. S’inspirant de ce document, les derniers rapports des vérificateurs
généraux du Québec et du Canada, qui comportent chacun un chapitre sur
l’éthique, finissent eux aussi par retourner à une conception centralisée et
réglementée de l’éthique administrative, notamment celui de Guy Breton qui
recommande, entre autres, « de consolider l’infrastructure de l’éthique au sein de
l’administration gouvernementale québécoise par l’énonciation et la diffusion
d’un corps commun de valeurs fondamentales et de règles minimales applicables
à l’ensemble des détenteurs d’une charge publique33 ». Autrement dit, retournons
aux codes d’éthique…
43 La modernisation de l’administration publique des démocraties libérales
contemporaines semble donc insérée dans un rapport de forces entre « Anciens »
et « Modernes » doublé d’un deuxième rapport de forces entre deux conceptions
de l’éthique administrative (loyauté ou droit à la contestation) et d’un troisième
entre les exigences morales communes des citoyens à l’endroit des instances qui
les administrent et les attentes de performance des contribuables-
consommateurs qui veulent maximiser les avantages tirés de leurs impôts… Ce
triple rapport de forces mériterait bien un débat public actif et bien argumenté,
au lieu de l’indifférence et du silence actuels. Afin d’y contribuer, je termine sur
trois propositions à débattre :
44 Premièrement, il est essentiel que les énoncés de « Mission, vision, valeurs »
soient nourris du savoir et de la réflexion éthique de tous les employés de
l’organisation. Il faudrait, de plus, que les valeurs ou principes ainsi énoncés
soient mis en relation les uns avec les autres, de manière qu’une hiérarchie
puisse apparaître (par exemple, dans l’énoncé éthique de la Défense, le respect
de la dignité de toute personne précède la loyauté envers le pays et l’obéissance
hiérarchique). Cette hiérarchie, qui devrait être régulièrement retravaillée,
servirait de repère aux fonctionnaires devant décider des moyens de leur action
publique, mais également désireux de se prononcer sur les fins de cette action.
Autrement dit, suivant en cela la proposition de Cooper34, je propose que
l’éthique de l’administration publique reconnaisse clairement que les
fonctionnaires sont aussi des citoyens aspirant au bien commun, qu’ils sont
même très bien placés pour mener une réflexion riche sur ce thème (même si ce
n’est pas dans les termes éthiques conventionnels), et qu’à ce titre minimal ils ne
sont pas seulement des compétents-performants incapables de réflexion éthique.
45 Deuxièmement, le rôle du pouvoir est essentiel. Pour que les fonctionnaires
acceptent avec intégrité et probité les responsabilités que la NGP leur impose, il
est indispensable que les dirigeants de l’organisation reconnaissent
véritablement la valeur et l’intérêt du jugement professionnel et moral de leurs
employés, même les plus subalternes, notamment en pilotant des processus de
leadership partagé ou participatif. Cet exercice de réflexion commune devrait
pouvoir s’appuyer sur des ressources nécessaires à l’intérieur de l’organisation :
documents, forums, formation, etc.35. Il faut aussi bien sûr que les dirigeants
soient eux-mêmes des « exemples » d’une telle attitude, de manière authentique
et sans hypocrisie ; qu’ils inspirent leurs employés par l’intégrité de leurs gestes
et de leurs actes, c’est-à-dire par une grande cohérence entre leur discours, les
valeurs qu’ils choisissent de promouvoir et leurs actes. L’absence de cette
intégrité ne ferait que renforcer le cynisme moral des employés. Mais surtout, les
dirigeants devraient accepter de bon gré qu’au nom de l’intégrité ou de la probité
des employés contestent publiquement certaines orientations générales ou
particulières de l’organisation et qu’ils proposent d’autres voies qui leur
paraissent plus conformes aux valeurs morales communes ou même aux valeurs
morales de l’organisation. Une organisation postbureaucratique, ouverte à
l’innovation et décentralisée, ne peut pas être « unanime », toute d’un bloc.
46 Troisièmement, dans une démocratie, il existe une solution de rechange à
l’éternel débat entre les contrôles externes ou internes des fonctionnaires : le
dialogue démocratique, c’est-à-dire le dialogue concret entre les fonctionnaires et
la communauté politique qu’ils servent, selon le modèle de l’éthique de
citoyenneté proposée par Cooper36. Ce dialogue, qui pourrait être médiatisé par
toutes sortes d’instances37, serait radicalement différent du principe du service à
la clientèle proposé par la NGP pour redéfinir les rapports entre citoyens et État.
Si la fonction publique décidait de faire confiance à ses employés, à leur capacité
de transcender leurs intérêts personnels pour être soucieux du bien commun et
de la morale commune (et même être capables de comprendre la complexité des
relations entre ces deux éléments), pourquoi n’aurait-elle pas la même confiance
dans les citoyens, ces non-experts par excellence ? Pourquoi le dialogue continu
sur les priorités et les valeurs ne s’ouvrirait-il pas aux voix de différents types de
citoyens, au lieu de se faire en vase clos ? Ce dialogue ne permettrait-il pas aux
citoyens et aux fonctionnaires de mieux se comprendre et ainsi de faire avancer
la réflexion sur les valeurs ? Il pourrait, par exemple, montrer aux contribuables
les implications du professionnalisme performant qu’ils exigent et leur proposer
plutôt le professionnalisme civique décrit par Sullivan38 ; il pourrait aussi
renforcer la nouvelle intégrité des fonctionnaires en leur donnant la possibilité
d’une compréhension plus directe et concrète des valeurs morales communes. Ce
bouleversement politique, qui exigerait de mettre de côté le culte de l’expertise,
du contrôle parfait et de la performance, mais qui empiéterait sur la division
classique des pouvoirs entre l’administration et l’appareil politique
institutionnel, soulève bien sûr de nombreuses questions39. Il peut en tout cas
faire avancer la réflexion d’éthique publique sur les enjeux éthiques et politiques
de la modernisation de l’administration publique.

Notes
1 M. Canto-Sperber, L’inquiétude morale et la vie humaine, Paris, PUF, 2001, p. 86.
2 Ibid.
3 M. Foucault, « L’éthique du souci de soi comme pratique de la liberté », 1984, Dits et
écrits, tome IV, Paris, Gallimard, 1994.
4 Toutefois, dans certains cas extrêmes, notre conscience morale personnelle nous amène
à juger nécessaire de ne pas respecter les valeurs communes de notre société, parfois
édictées de manière précise (charte, déclaration des droits, constitution, etc.) ou parfois
portées implicitement par la culture. Cette décision très grave demande une réflexion
éthique personnelle approfondie et des arguments solides pour ne pas apparaître comme
un simple geste de provocation. Pour un fonctionnaire, le refus d’appliquer des lois
racistes est un geste éthique et politique qui correspondrait à ce type de décision : dans ce
cas, le respect de la dignité et de la liberté de tout être humain, quelle que soit sa religion
ou sa culture, l’emporte sur le devoir d’obéissance hiérarchique. Existe-t-il des valeurs
fondamentales qui transcendent les débats d’éthique publique sur les valeurs morales
communes d’une société ? Cela est un autre débat…
5 Suivant la proposition de Canto-Sperber (op. cit.) et pour les fins de cet article, j’utilise
indifféremment les termes « morale » et « éthique ».
6 T. L. Cooper, The Responsible Administrator, San Francisco, Jossey-Bass, 1998, p. 186.
7 L’éthique dans la fonction publique québécoise, Les publications du Québec, 1998.
8 T. Cooper, op. cit., p. 70.
9 G. B. Adams et D. L. Balfour, Unmasking Administrative Evil, Thousand Oaks, Sage, 1998,
p. 163.
10 Ibid., p. 166.
11 Ibid., p. 168.
12 J. Bec, « Le devoir de divulgation », Téléscope, vol. 7, no 2, Québec, Observatoire de
l’ENAP, 1999.
13 K. Kernaghan, « L’organisation post-bureaucratique et les valeurs du service public »,
Revue internationale des sciences administratives, vol. 66, no 1, 2000, p. 108-110.
14 OCDE, Renforcer l’éthique dans les services public. Les mesures de l’OCDE, Paris, OCDE,
juin 2000, p. 31.
15 Ibid., p. 12.
16 M. Rokeach, cité par K. Kernaghan, art. cité, p. 112.
17 R. Heintzman, « De solides assises : valeurs et éthique dans la fonction publique de
demain », Isuma, vol. 2, no 1, 2001, p. 124 et 125.
18 R. Ogien, « Normes et valeurs », dans M. Canto-Sperber (dir.), Dictionnaire d’éthique et
de philosophie morale, Paris, PUF, 1996, p. 1062.
19 OCDE, op. cit., p. 28.
20 K. Kernaghan, art. cité, p. 120.
21 G. Breton, Rapport annuel du vérificateur général, Québec, 2000, art. 3.20.
22 Voir le site web du Conseil du trésor, www.tbs-sct.gc.ca/.
23 Toutes les valeurs de la fonction publique ne sont pas d’ordre éthique, c’est-à-dire ne se
rattachent pas à la question du bien et du mal. Ainsi, le célèbre rapport Tait (De solides
assises, Ottawa, Centre canadien de gestion, 1996) sur les valeurs de la fonction publique
canadienne, distingue et définit quatre familles de valeurs : les valeurs démocratiques
(aider les ministres, reddition de comptes, primauté de la loi), professionnelles
(traditionnelles : compétence, impartialité, et nouvelles : esprit d’innovation), liées à
l’éthique (intégrité, probité, conserver la confiance du public, donner préséance à l’intérêt
public) et liées à la personne (respect, courtoisie, civilité, impartialité).
24 Faute de place, nous n’aborderons pas le thème de la responsabilité dans ce contexte. À
ce sujet, voir M. M. Harmon, Responsibility as a Paradox. A Critique of Rational Discourse
on Government, Londres, Sage, 1995.
25 Par exemple, B. Caroll et D. Siegel (Service in the Field : The World of Front-line Public
Servants, Montréal, McGill’s-Queen’s University Press, 1999, p. 156) rapportent le propos
suivant d’un fonctionnaire : « Quand ils disent réformes, j’entends congédiements. »
26 F. Piron, « La production politique de l’indifférence dans les pratiques et les discours du
nouveau management public », à paraître.
27 T. Cooper, op. cit., p. 150-160.
28 Voir le site web du ministère de la Défense canadienne.
29 Il y a bien d’autres explications possibles à ces difficultés, notamment le caractère
« importé » de la NGP, clone approximatif du nouveau management privé, mais aussi la
« jeunesse » de cette réforme et le manque d’expérience, la non-consultation des
fonctionnaires dans le processus (bien noté par R. Arpin, « Rôle de l’État. L’éthique doit
primer dans la prise de décision », lettre d’opinion, Le Soleil, 21 novembre 1999), les
résistances à l’intérieur même du groupe des leaders et décideurs politiques, le manque
de temps pour bien réfléchir à tous ces enjeux, les contraintes de la réalité quotidienne
des organisations et l’indifférence même des citoyens.
30 OCDE, op. cit.
31 G. Leduc, « Réforme de l’administration publique. Les députés croulent sous les
rapports », Le Soleil, 8 mai 2001.
32 OCDE, op. cit.
33 G. Breton, op. cit., art. 3.98.
34 T. Cooper, An Ethic of Citizenship for Public Administration, Englewood Cliffs, Prentice
Hall, 1991.
35 J. Tait et al., op. cit. ; R. Heintzman, art. cité.
36 T. Cooper, op. cit.
37 On retrouve ici en filigrane les difficultés des « représentants du public » dans les
comités d’éthique ; à ce sujet, voir, par exemple, D. Laudy, « Le rôle du représentant du
public dans les comités d’éthique de la recherche », Éthique publique, vol. 2, no 2, 2000,
p. 65-72.
38 W. M. Sullivan, Work and Integrity. The Crisis and Promise of Professionalism in
America, New York, Harper Business, 1995.
39 Voir F. Piron, « Le nouveau management public et le dialogue démocratique au Québec
et au Canada », à paraître.

Pour citer cet article


Référence électronique
Florence Piron, « Les défis éthiques de la modernisation de l’administration publique », Éthique
publique [En ligne], vol. 4, n° 1 | 2002, mis en ligne le 15 mai 2016, consulté le 16 septembre 2024.
URL : http://journals.openedition.org/ethiquepublique/2479 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/ethiquepublique.2479

Cet article est cité par


Piron, Florence. (2007) La gestion, l’éthique et la modernisation de la
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Auteur
Florence Piron
Florence Piron est professeure associée au département de communication de l’université Laval
et associée de recherche au Laboratoire d’éthique publique, INRS-UCS.

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