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Hérodote 108 10/05/05 17:06 Page 3

Mondialisation et géopolitique

Yves Lacoste

L’ensemble des phénomènes et interactions que l’on appelle la mondialisation


(ou à l’anglo-saxonne, globalisation) fait l’objet, en France notamment, depuis
plusieurs années d’un très grand nombre de publications et de discours très polé-
miques. Après de grandes manifestations lors des récentes réunions du G7 (les
sept « pays » les plus riches du monde), on sait évidemment que les antimondia-
listes dénoncent les méfaits qu’entraîne, pour la majeure partie de l’humanité, le
développement de cette mondialisation. Elle est en effet menée au profit pour
l’essentiel de banques, de spéculateurs et de trafiquants, des firmes multinatio-
nales – en fait américaines – et sous la domination multiforme de l’hyperpuis-
sance que sont devenus récemment les États-Unis.
Les militants d’une organisation comme Attac, dont l’influence en France est
rapidement devenue considérable, affirment qu’une autre mondialisation est pos-
sible, tout au moins que l’on pourrait freiner les formes les plus scandaleuses de
celle qui est en cours, et tout d’abord les « paradis fiscaux » et les trafics qu’ils
favorisent. Il s’agit donc d’un très grand débat et certains de nos amis se sont éton-
nés qu’Hérodote n’y ait pas encore contribué. La raison est peut-être que la mon-
dialisation apparaît comme un ensemble de phénomènes économiques – et surtout
commerciaux, financiers, monétaires – qui se déploient au niveau planétaire, sur
l’ensemble des États, en réduisant les pouvoirs de chacun d’eux, comme les fonc-
tions de leurs frontières. En internationalisant plus que jamais les pouvoirs de
l’argent, au profit de ceux qui en ont beaucoup, la mondialisation à leurs yeux
semble donc être un processus qui va affaiblir les rivalités de pouvoirs sur des
territoires, c’est-à-dire les problèmes géopolitiques.
Pour les théoriciens de la mondialisation et plus encore pour ses idéologues, la
récente extension du système capitaliste à tous les pays, la circulation désormais
quasi instantanée des capitaux entre les Bourses, les centres d’affaires et les « paradis
fiscaux », l’accélération des transports et de la circulation des idées à la surface du
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HÉRODOTE

globe, tout cela marquerait une étape nouvelle et capitale dans le développement
économique et social de l’humanité. Du coup, les rivalités entre les États, les
conflits religieux et les questions militaires perdraient bientôt toute importance
devant la logique du marché mondial, les évolutions véritablement stratégiques
dépendant désormais de la finance internationale et de ses choix quant à la locali-
sation de ses investissements de capitaux. Bref, la géopolitique serait sous peu
supplantée par une problématique nouvelle, celle de la géo-économie.
Ce genre de discours prône le primat presque absolu de l’économique sur le
politique et le culturel. Mais les attentats du 11 septembre et les nouveaux prépa-
ratifs militaires des États-Unis, centre et moteur de cette mondialisation, montrent
que tout ne dépend pas seulement de l’économique, même quand il serait question
à propos de l’Irak du marché mondial du pétrole. Certes, pour ce qui est des tech-
niques, le monde s’uniformise et les gratte-ciel poussent comme des champignons
dans les grandes villes chinoises. Mais en Palestine et au Cachemire s’aggravent
des conflits pour du territoire entre des peuples, même si territorialement l’enjeu
est de bien petites dimensions. Au plan mondial, ces luttes risquent d’avoir de très
graves répercussions provoquées par divers réseaux terroristes qui utilisent eux
aussi les circuits de la mondialisation. Le capitalisme se développe à toute vitesse
en Chine, mais plus d’un milliard de Chinois savent qu’ils sont une très grande
civilisation et qu’ils n’ont plus à s’incliner devant ce nouvel « empire du milieu »
qu’est l’Amérique. Les dirigeants américains estiment d’ailleurs que la Chine est
la prochaine superpuissance et qu’il leur faudra sans doute l’affronter de l’autre
côté du Pacifique.
Non seulement les problèmes géopolitiques ne vont pas disparaître avec le
développement de la mondialisation, mais ils vont sans doute en être modifiés et de
plus en plus nombreux du fait de leurs interactions. Aussi le phénomène planétaire
qu’est la mondialisation doit-il être pris en compte dans la revue de géographie et
de géopolitique qu’est Hérodote, sans pour autant qu’on y répète des analyses éco-
nomiques et sociales qui sont maintenant largement connues. De cette très vaste
question, il s’agit de faire une approche de type géopolitique et tout d’abord de
l’envisager au plan mondial en termes de rivalités de pouvoirs sur des territoires.
La mondialisation est aussi une façon occidentale de se représenter le monde :
les Européens et les Américains estiment que la mondialisation est d’ores et déjà
effectivement mondiale. Or, à mon sens, cet ensemble de phénomènes, qui n’est
pas seulement économique, mais aussi politique et culturel, n’englobe sans doute
qu’une moitié de la population mondiale. En effet, ce que l’on peut appeler le
monde chinois, le monde hindou et le monde musulman – le terme de « monde »
implique l’idée du nombre mais aussi celle de singularité culturelle – se trouvent
chacun en position de résister à la diffusion de cette hégémonie culturelle occiden-
tale qui est étroitement liée à la mondialisation.
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MONDIALISATION ET GÉOPOLITIQUE

Voilà pourquoi ce numéro d’Hérodote comprend pour une grande part des
articles sur la Chine, l’Inde et l’Indonésie (le plus peuplé des États musulmans).
Comme les autres articles de ce numéro, ils ont été sollicités et rassemblés par
Robert Fossaert, qui m’avait proposé, il y a plus de deux ans, de contribuer à la
réflexion d’Hérodote sur la mondialisation. Il a maintes fois écrit dans la revue et
celle-ci, il y a vingt-cinq ans, dans son n° 10 (p. 155-159), a été l’une des premières
à faire connaître l’importance de l’œuvre que Robert Fossaert commençait à
publier au Seuil, La Société. Une théorie générale, qui allait compter six volumes
(de 1977 à 1983). À la différence de la quasi-totalité des auteurs qui, à cette
époque de prépondérance du marxisme, subordonnaient encore la totalité des
phénomènes sociaux et politiques aux « rapports de production », Fossaert a montré
la nécessité, pour y voir plus clair, de distinguer nettement trois « instances », celle
de l’économique, celle du politique et celle du culturel (ou de l’idéologique), et de
combiner les différentes « formations » qu’il a distinguées concrètement.
La taille des différents articles et notamment celle de la contribution de Robert
Fossaert ont fait qu’ils n’ont pas pu tenir dans le gabarit (même majoré) d’un
numéro d’Hérodote et que j’ai dû réduire mon propos au minimum et transférer au
prochain numéro l’article encore plus volumineux intitulé « Le monde des
banques et des Bourses », article rédigé par un groupe de banquiers et d’un grand
intérêt quant à la connaissance du phénomène général de la mondialisation. Il a
été aussi nécessaire de reporter au prochain numéro l’article intitulé « Géo-
politique de la drogue » que j’avais demandé à Pierre-Arnaud Chouvy. Ce
numéro 109 sera intitulé « Les États-Unis et le reste du monde ». En effet, il doit
être dans la logique de celui sur la mondialisation et davantage aborder des pro-
blèmes majeurs – l’hégémonie américaine – qui n’y ont été qu’indirectement
abordés ou évoqués – malgré mes conseils – par imprécations philosophiques.
Certes, la mondialisation est une immense question et il est difficile dans un
numéro de revue d’en aborder tous les facteurs et les aspects. Mais il est paradoxal
que le rôle des États-Unis n’y soit qu’indirectement évoqué, alors que l’impéria-
lisme américain est essentiellement dénoncé par les antimondialistes comme la
cause géopolitique principale de la malfaisance de la mondialisation. Peut-être
est-ce l’abondance de leur discours qui en a réduit les échos dans ce numéro
d’Hérodote. Mais est-il possible de traiter de la mondialisation sans poser la ques-
tion du rôle de l’empire mondial que domineraient les États-Unis ?
À ce propos, je tiens à signaler un ouvrage récent très intéressant qui, me
semble-t-il, n’a guère eu d’échos. Il est intitulé Empire (publié en 2000 chez Exils
Éditeurs, 559 pages), et ce livre d’abord publié aux États-Unis (remarquablement
traduit en français) a pour auteurs deux marxistes qui s’affirment comme tels :
Michael Hardt et Antonio Negri (cet Italien qui s’était réfugié en France durant de
longues années est actuellement en prison en Italie, pour son rôle présumé lors des
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HÉRODOTE

« années de plomb »). Ces auteurs considèrent que la mondialisation, qu’ils dési-
gnent par le « concept d’empire », se définissant par la disparition des frontières
étatiques, offre des « possibilités nouvelles aux forces de libération ». Ils affirment
notamment que « les États-Unis ne constituent pas le centre d’un projet impéria-
liste, [car] en fait aucun État-nation ne peut le faire aujourd’hui ». Je reviendrai
dans le prochain numéro sur ce livre stimulant (hormis sa dernière partie, qui
annonce la « chute de l’empire » en invoquant... saint François d’Assise).
Hardt et Negri sont des philosophes qui se définissent comme marxistes et leur
réflexion philosophique me paraît fort intéressante pour l’analyse de ce processus
planétaire qu’est la mondialisation. En revanche, à mon avis, Alain Joxe dans son
article « L’empire global et ses guerres locales », qui se réfère implicitement aux
théories de Hobbes (philosophe anglais du XVIIe siècle), n’ajoute apparemment
pas grand-chose aux discours anti-impérialistes habituels. J’ai souhaité, mais en
vain, qu’il reprenne davantage l’argumentation de son dernier (et intéressant)
ouvrage, L’Empire du chaos (La Découverte, 2002, 190 pages), où il explicite
nombre de ses raisonnements. Il s’y réclame de Hobbes et de Clausewitz en extra-
polant leurs théories pour lancer une « géopolitique philosophique » (p. 16), ce
dont il faudra discuter.
Il est utile et légitime que, pour traiter de cet immense phénomène qu’est la
mondialisation, l’on fasse référence comme Robert Fossaert aux « temps longs » de
l’Histoire et même aux thèses que des philosophes ont avancées au début du
« temps des Lumières ». On ne peut tenter d’appréhender la mondialisation qu’au
travers de représentations plus ou moins contradictoires menées à un haut degré
d’abstraction. Mais il faut aussi tenir compte, par le biais d’autres représentations,
de ce que l’on peut appeler les réalités, et c’est ce que fait Laurent Carroué, qui
vient de publier une Géographie de la mondialisation (Armand Colin, 2002,
254 pages).

Ces deux numéros sur la mondialisation marquent, entre autres, une nouvelle
étape dans le développement d’Hérodote et de l’école géopolitique française.
Aussi importe-t-il d’annoncer la transformation officielle du Centre de recherche
et d’analyses géopolitiques (de l’université Paris-VIII) en Institut français de
géopolitique, sous la direction de Béatrice Giblin. Il n’est pas inutile de rappeler
qu’elle a participé en 1976 à la création d’Hérodote.

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