Book5 (I)
Book5 (I)
DOCUMENTS DE COURS
CINQUIÈME PARTIE
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Palais de la Paix – La Haye, Pays-Bas
30 et 31 juillet 2012
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DROIT DES TRAITÉS
PROFESSEUR LUIGI CONDORELLI
1. Exercices sur le droit des traités intern ationaux, document préparé par le professeu r 5
Luigi Condorelli pour le Programme de bourses de perfecti onnement en droit
international des Nations Unies
Instruments juridiques
Jurisprudence
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Exercices sur le droit des traités internationaux
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Luigi Condorelli Luigi Condorelli
EXERCICES SUR LE DROIT DES TRAITES INTERNATIONAUX II. EFFETS DES TRAITES
I. FORMATION DES TRAITES Traité de 1962 de coopération en matière de pêche entre 10 des Etats riverains de la mer
Abécédienne (A, B, C, D, E, F, G, H, I, et L).
Art. 3
“Pendant les saisons de pêche fixées conformément aux dispositions de l’Annexe IV,
Etats A, B, C, D, E, ... C.V. = CONVENTION DE VIENNE SUR LE les bateaux de pêche enregistrés auprès de chacune des HPC et ayant les caractéristiques
DROIT DES TRAITES DE 1969 prescrites dans l’Annexe IV sont admis à exercer la pêche dans les espaces maritimes
relevant de la juridiction exclusive d’une autre HPC (y compris tant la mer territoriale
que le plateau continental, mais a l’exclusion des eaux intérieures)* sur un pied
I. Traité bilatéral entre A et B, entré en vigueur en 1979 par échange des instruments de d’égalité avec les ressortissants de cette partie et dans le respect des lois et règlements
ratification. applicables de celle-ci.”
“Le régime de l’art. 3 est applicable, sous condition de réciprocité, aux bateaux de
pêche d’Etats tiers riverains de la mer Abécédienne, pourvu que l’autorité compétente
II. Traité bilatéral entre A et B, entré en vigueur en 1981. de l’Etat tiers intéressé en ait formulé la requête à la HPC concernée avec un préavis de
6 mois et qu’une redevance forfaitaire, calculée conformément a 1’Annexe VII, ait été
C.V. : A l’a ratifiée et B l’a signée (après avoir voté oui lors de l’adoption) avant son versée avant le début des opérations de pêche.”
entrée en vigueur.
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Art. 21
“Le présent Traité aura une durée initiale de 20 ans à partir de la date de son entrée en
III. Même traité bilatéral. vigueur. A cette échéance, il sera prorogé à temps indéterminé, chaque HPC pouvant
alors s’en retirer avec un préavis de 2 ans.”
C.V. : A l’a ratifiée et B y a adhéré avant son entrée en vigueur.
Art. 23
“Les textes français et anglais du présent Traité sont authentiques et font également foi.”
IV. Traité bilatéral entre A et B conclu en forme simplifiée par la signature le 14 août
1983.
C.V. : A l’a ratifiée le l2 janvier 1971, B le 28 juillet 1983. * Le membre de phrase entre parenthèses (à savoir : « y compris tant la mer
territoriale que le plateau continental, mais a l’exclusion des eaux intérieures ») se
lit en anglais ainsi : « i.e. the territorial sea and the continental shelf, but not the
internal waters ».
V. Traité entre A - B - C - D sur la protection du lac XY contre la pollution, conclu par
la signature de l’Acte final le 1er janvier 1981 et entré en vigueur un mois après le dépôt
de la 4ème ratification le 14 octobre 1982. Nota bene : Les 10 Etats ont tous ratifié le Traité: les 5 premiers l’ont fait en novembre
1962 et les 5 autres en janvier 1964. Depuis ces dates, aucun des Etats parties n’a
C.V. : A, B. et C l’ont ratifiée avant son entrée en vigueur; D y a adhéré le 3 février manifesté l’intention de se retirer du Traité.
1982.
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Luigi Condorelli Luigi Condorelli
1. Lors de l’adoption du texte du Traité de 1962, A avait déclaré que l’art. 3 n’exclut pas
la possibilité pour une HPC de créer dans sa mer territoriale des zones de repeuplement, Aland (PD occidental) et Béland (PVD, ancienne colonie de A ayant acquis
dont l’accès serait réservé exclusivement, à certaines saisons, aux seuls pêcheurs de pacifiquement son indépendance en 1971), ont conclu le 11 octobre 1972 un Traité
cette HPC habitant les communes côtières des zones concernées. B, C et D avaient d’amitié perpétuelle, de commerce et de relations consulaires, dont voici certaines
aussitôt déclaré qu’une telle conception ne se justifie pas, et qu’elle contredit le texte du dispositions :
traité. Les autres parties n’ont rien dit, sauf E qui a “réservé sa position”.
En 2011, A décide d’instituer une “zone de repeuplement” dans sa mer territoriale. E et Art. IX.
F protestent. Quid ?
“Chacune des HPC s’engage à accorder une pleine protection aux investissements
2. A avait fait la même déclaration par écrit en accompagnement de son instrument de effectués sur son territoire avant ou après le 11.10.1972, par des particuliers (personnes
ratification du Traité de 1962. B, C et D avaient aussitôt fait objection, affirmant que la physiques ou morales) ayant ou ayant acquis la nationalité de l’autre Partie. Ces
déclaration de A est en contradiction avec l’objet et le but du traité. Les autres Parties investissements ne subiront aucune discrimination de caractère défavorable, notamment
n’ont rien dit. Quid ? en matière fiscale. Aucune mesure de nationalisation, expropriation ou confiscation ne
pourra être adoptée à leur égard.”
3. B vient d’instituer une ZEE au large de ses côtes. La nouvelle loi de B établit que
dans cette zone le droit de pêche est réservé aux seuls ressortissants de B, Art. XXX.
conformément aux principes pertinents de la Convention de Montego Bay de 1982 (art.
56 par. 1 et 62 par. 2). G et H protestent : pour eux B viole le Traité de 1962. B répond “Le présent Traité entre en vigueur avec effet immédiat lors de la signature conjointe de
qu’il n’en est rien, et invoque en sa faveur le texte anglais de l’art. 3. Quid ? l’acte final par les MAE des HPC. II prend fin 50 ans après cette date s’il est dénoncé
par l’une des Parties au moins un an avant cette échéance. En cas contraire, il est
4. C décide d’élargir ses eaux intérieures en appliquant le principe des “lignes de base renouvelé pour des périodes successives de 10 ans.”
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droites” (Convention de Montego Bay de 1982, art. 7). A, C et L protestent : pour eux
leurs pécheurs doivent pouvoir continuer à pêcher dans tous les espaces maritimes qui, ****
lors de l’entrée en vigueur du Traité de 1962, étaient concernés par le régime
conventionnel. Quid ? Révolution et nouveau gouvernement en B (opposé à A et non reconnu par celui-ci) en
2012. B veut se libérer de l’art. IX., voire de tout le Traité. Dans ce but il entend
5. D adopte une loi interne autorisant ses seuls ressortissants à ramasser las éponges alléguer :
dans sa mer territoriale. A, B et E protestent en invoquant l’art. 3 du Traité de 1962.
D répond en soulignant le caractère spécial du régime établi pour les éponges et invoque 1. La violation de la Constitution de A en matière de Treaty Making Power.
le principe lex specialis derogat generali. Quid ?
2. La violation de sa propre Constitution en matière de régime de 1’ expropriation.
6. E et F concluent un accord en force duquel à partir de 2012 seuls les ressortissants
des deux Parties pourront ramasser le corail rose dans leurs plateaux continentaux 3. La corruption de ses anciens gouvernants.
respectifs. D s’élève contre un tel accord. En a-t-il le droit ?
4. Les irrésistibles pressions politiques et économiques subies lors de la conclusion
7. Même accord entre G et R (Etat tiers). D proteste. Quid ? du Traité.
8. Z et Y, Etats tiers, pêchent en A en application de l’art. 4 du Traité de 1962. A 5. Le contenu immoral de l’article IX.
souhaite arrêter cela, alors que Z et Y voudraient continuer. A a-t-il le droit de leur
imposer sa conception ? Les autres HPC ont-elles voix au chapitre ? 6. La contradiction entre le contenu du Traité et les nouvelles options politiques de
I’Etat.
9. Las HPC peuvent-elles abroger d’un commun accord l’art. 4, malgré que T, U et X
aient régulièrement utilisé à leur avantage l’art. 4 depuis le début ? 7. Le fait que A refuse de reconnaître le Gouvernement révolutionnaire de B.
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Luigi Condorelli Luigi Condorelli
Art. III. à XX. 5. Un coup d’Etat amène au pouvoir en E une dictature militaire. Le nouveau
gouvernement souhaite dénoncer le Traité parce qu’il représente une intolérable
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Régime des études auprès de l’UGA. aliénation de la souveraineté nationale. E veut désormais créer sa propre université.
II vous demande s’il peut soutenir que le Traité ne le lie pas dans la mesure où il
Art. XXI. à XXX. est en contradiction avec le principe de l’égalité souveraine de tous Etats.
Il vous demande aussi d’étudier si E peut se débarrasser d’une façon ou d’une
Recrutement et carrière du corps professoral de l’UGA. autre du Traité sans engager sa responsabilité internationale, tenant compte du fait qu’en
1975 E ne disposait pas des moyens nécessaires pour créer une université, alors qu’il en
Art. XXXI. dispose aujourd’hui grâce à un développement économique important dû à
l’exploitation de ses ressources minières .
“Sur demande adressée au Recteur de l’UGA conformément l’Annexe 2 du présent
Traité, sont inscrits à I’UGA les bacheliers ressortissants des HPC en possession d’un 6. B constate que deux de ses 112 bacheliers ayant demandé l’inscription a l’UGA pour
des diplômes de fin d’études secondaires, décernés par l’autorité compétente de l’une la prochaine année académique viennent d’être refusés sans la moindre motivation par
des HPC, inclus dans la liste figurant à l’Annexe 4 du présent Traité.” le Rectorat de l’UGA, et ce malgré la présence indiscutable de toutes les conditions
requises par l’article XXXI du Traité de 1975 : il y a donc à son avis violation flagrante
Art. XXXII. à XL. du Traité. Face à l’émotion auprès de l’opinion publique de B, suite à des campagnes de
presse accusant l’UGA et le gouvernement de A de mettre en place une politique de
Statut des étudiants, régime des bourses, etc. discrimination grave envers B et d’intolérance à l’égard de sa culture traditionnelle (des
bruits ont couru d’après lesquels l’exclusion serait due au fait que les bacheliers en
Art. XLI. question appartiennent à une tribu très respectée, dont les membres refusent pour des
raisons religieuses de porter toute sorte de vêtements), le Gouvernement de B envisage
Le budget de l’UGA est supporté par A, mais les HPC y contribuent par une somme de dénoncer le Traité. Quid ?
équivalant au 0,50% du total du prélèvement fiscal de l’année.
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Luigi Condorelli
Quels sont les moyens utilisables pour le règlement des différends interétatiques relatifs aux effets (ci-
dessus, partie II), aux causes d’invalidité (ci-dessous, partie III), et aux causes de suspension ou
d’extinction (ci-dessus. Partie IV) des traités internationaux ? Quelles différences si la Convention de
Vienne de 1969 est applicable en l’espèce, ou si elle ne l’est pas ?
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Convention de Vienne sur le droit des traités, 1969
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Faite à Vienne le 23 mai 1969. Entrée en vigueur le 27 janvier 1980.
Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 1155, p. 331
(QWUpHHQYLJXHXUOHMDQYLHU1DWLRQV8QLHV5HFXHLOGHV7UDLWpVYRO
S
Copyright © Nations Unies
2005
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15
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7UDLWpV 7UDLWpV
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8Q(WDWDXPRPHQWGHVLJQHUGHUDWL¿HUG¶DFFHSWHUG¶DSSURXYHU
$UWLFOH
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$UWLFOH SDUWLHGDQVVHVUHODWLRQVDYHFO¶(WDWDXWHXUGHODUpVHUYH
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16
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WUDLWpQHOHSUpYRLH DXWHXUGHODUpVHUYHOHVGLVSRVLWLRQVVXUOHVTXHOOHVSRUWHODUpVHUYHQH
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XQHUpVHUYHSHXWjWRXWPRPHQWrWUHUHWLUpH
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O¶REMHFWLRQ HW O¶(WDW DXWHXU GH OD UpVHUYH j PRLQV TXH O¶LQWHQWLRQ FRQ E /H UHWUDLW G¶XQH REMHFWLRQ j XQH UpVHUYH QH SUHQG HIIHW TXH
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7UDLWpV 7UDLWpV
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j XQH UpVHUYH GRLYHQW rWUH IRUPXOpHV SDU pFULW HW FRPPXQLTXpHV DX[
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YHQXVG¶XQHDXWUHPDQLqUH
/RUVTX¶HOOHHVWIRUPXOpHORUVGHODVLJQDWXUHGXWUDLWpVRXVUp
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UpVHUYHVHUDUpSXWpHDYRLUpWpIDLWHjODGDWHjODTXHOOHHOOHDpWpFRQ¿U G¶XQ(WDWSUHQG¿QVLFHW(WDWQRWL¿HDX[DXWUHV(WDWVHQWUHOHVTXHOVOH
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8QHDFFHSWDWLRQH[SUHVVHG¶XQHUpVHUYHRXXQHREMHFWLRQIDLWH
jXQHUpVHUYHVLHOOHVVRQWDQWpULHXUHVjODFRQ¿UPDWLRQGHFHWWHGHUQLqUH
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(7,17(535e7$7,21'(675$,7e6
/HUHWUDLWG¶XQHUpVHUYHRXG¶XQHREMHFWLRQjXQHUpVHUYHGRLW
rWUHIRUPXOpSDUpFULW 6(&7,21 5(63(&7'(675$,7e6
17
3$&7$68176(59$1'$
$UWLFOH 7RXWWUDLWpHQYLJXHXUOLHOHVSDUWLHVHWGRLWrWUHH[pFXWpSDUHOOHVGH
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(175e((19,*8(85
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¿[pHVSDUVHVGLVSRVLWLRQVRXSDUDFFRUGHQWUHOHV(WDWVD\DQWSDUWLFLSpj '52,7,17(51((75(63(&7'(675$,7e6
ODQpJRFLDWLRQ
8QH SDUWLH QH SHXW LQYRTXHU OHV GLVSRVLWLRQV GH VRQ GURLW LQWHUQH
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(WDWjFHWWHGDWH
1215e752$&7,9,7e'(675$,7e6
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WUDLWpOHVPRGDOLWpVRXODGDWHG¶HQWUpHHQYLJXHXUOHVUpVHUYHVOHVIRQF SDUDLOOHXUVpWDEOLHOHVGLVSRVLWLRQVG¶XQWUDLWpQHOLHQWSDVXQHSDUWLHHQ
WLRQVGXGpSRVLWDLUHDLQVLTXHOHVDXWUHVTXHVWLRQVTXLVHSRVHQWQpFHV FHTXLFRQFHUQHXQDFWHRXIDLWDQWpULHXUjODGDWHG¶HQWUpHHQYLJXHXUGH
VDLUHPHQWDYDQWO¶HQWUpHHQYLJXHXUGXWUDLWpVRQWDSSOLFDEOHVGqVO¶DGRS FHWUDLWpDXUHJDUGGHFHWWHSDUWLHRXXQHVLWXDWLRQTXLDYDLWFHVVpG¶H[LV
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7UDLWpV 7UDLWpV
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$33/,&$7,217(55,725,$/('(675$,7e6
D 7RXW DFFRUG D\DQW UDSSRUW DX WUDLWp HW TXL HVW LQWHUYHQX HQWUH
$PRLQVTX¶XQHLQWHQWLRQGLIIpUHQWHQHUHVVRUWHGXWUDLWpRXQHVRLW WRXWHVOHVSDUWLHVjO¶RFFDVLRQGHODFRQFOXVLRQGXWUDLWp
SDUDLOOHXUVpWDEOLHXQWUDLWpOLHFKDFXQHGHVSDUWLHVjO¶pJDUGGHO¶HQVHP E 7RXWLQVWUXPHQWpWDEOLSDUXQHRXSOXVLHXUVSDUWLHVjO¶RFFDVLRQ
EOHGHVRQWHUULWRLUH GHODFRQFOXVLRQGXWUDLWpHWDFFHSWpSDUOHVDXWUHVSDUWLHVHQWDQWTX¶LQV
WUXPHQWD\DQWUDSSRUWDXWUDLWp
$UWLFOH ,OVHUDWHQXFRPSWHHQPrPHWHPSVTXHGXFRQWH[WH
$33/,&$7,21'(75$,7e668&&(66,)63257$17685/$0Ç0(0$7,Ê5( D 'HWRXWDFFRUGXOWpULHXULQWHUYHQXHQWUHOHVSDUWLHVDXVXMHWGH
O¶LQWHUSUpWDWLRQGXWUDLWpRXGHO¶DSSOLFDWLRQGHVHVGLVSRVLWLRQV
6RXVUpVHUYHGHVGLVSRVLWLRQVGHO¶$UWLFOHGHOD&KDUWHGHV
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VXFFHVVLIVSRUWDQWVXUODPrPHPDWLqUHVRQWGpWHUPLQpVFRQIRUPpPHQW WUDLWpSDUODTXHOOHHVWpWDEOLO¶DFFRUGGHVSDUWLHVjO¶pJDUGGHO¶LQWHUSUp
DX[SDUDJUDSKHVVXLYDQWV WDWLRQGXWUDLWp
/RUVTX¶XQWUDLWpSUpFLVHTX¶LOHVWVXERUGRQQpjXQWUDLWpDQWp F 'HWRXWHUqJOHSHUWLQHQWHGHGURLWLQWHUQDWLRQDODSSOLFDEOHGDQV
ULHXURXSRVWpULHXURXTX¶LOQHGRLWSDVrWUHFRQVLGpUpFRPPHLQFRPSDWL OHVUHODWLRQVHQWUHOHVSDUWLHV
EOHDYHFFHWDXWUHWUDLWpOHVGLVSRVLWLRQVGHFHOXLFLO¶HPSRUWHQW 8QWHUPHVHUDHQWHQGXGDQVXQVHQVSDUWLFXOLHUV¶LOHVWpWDEOL
/RUVTXH WRXWHV OHV SDUWLHV DX WUDLWp DQWpULHXU VRQW pJDOHPHQW TXHWHOOHpWDLWO¶LQWHQWLRQGHVSDUWLHV
SDUWLHVDXWUDLWpSRVWpULHXUVDQVTXHOHWUDLWpDQWpULHXUDLWSULV¿QRXTXH
VRQDSSOLFDWLRQDLWpWpVXVSHQGXHHQYHUWXGHO¶DUWLFOHOHWUDLWpDQWp $UWLFOH
ULHXUQHV¶DSSOLTXHTXHGDQVODPHVXUHRVHVGLVSRVLWLRQVVRQWFRPSDWL
EOHVDYHFFHOOHVGXWUDLWpSRVWpULHXU 02<(16&203/e0(17$,5(6'¶,17(535e7$7,21
18
/RUVTXHOHVSDUWLHVDXWUDLWpDQWpULHXUQHVRQWSDVWRXWHVSDUWLHV ,OSHXWrWUHIDLWDSSHOjGHVPR\HQVFRPSOpPHQWDLUHVG¶LQWHUSUpWD
DXWUDLWpSRVWpULHXU WLRQHWQRWDPPHQWDX[WUDYDX[SUpSDUDWRLUHVHWDX[FLUFRQVWDQFHVGDQV
D 'DQV OHV UHODWLRQV HQWUH OHV (WDWV SDUWLHV DX[ GHX[ WUDLWpV OD OHVTXHOOHVOHWUDLWpDpWpFRQFOXHQYXHVRLWGHFRQ¿UPHUOHVHQVUpVXOWDQW
UqJOHDSSOLFDEOHHVWFHOOHTXLHVWpQRQFpHDXSDUDJUDSKH GHO¶DSSOLFDWLRQGHO¶DUWLFOHVRLWGHGpWHUPLQHUOHVHQVORUVTXHO¶LQWHU
E 'DQV OHV UHODWLRQV HQWUH XQ (WDW SDUWLH DX[ GHX[ WUDLWpV HW XQ SUpWDWLRQGRQQpHFRQIRUPpPHQWjO¶DUWLFOH
(WDWSDUWLHjO¶XQGHFHVWUDLWpVVHXOHPHQWOHWUDLWpDXTXHOOHVGHX[(WDWV D /DLVVHOHVHQVDPELJXRXREVFXURX
VRQWSDUWLHVUpJLWOHXUVGURLWVHWREOLJDWLRQVUpFLSURTXHV
E &RQGXLWjXQUpVXOWDWTXLHVWPDQLIHVWHPHQWDEVXUGHRXGpUDL
/H SDUDJUDSKH V¶DSSOLTXH VDQV SUpMXGLFH GH O¶DUWLFOH GH VRQQDEOH
WRXWHTXHVWLRQG¶H[WLQFWLRQRXGHVXVSHQVLRQGHO¶DSSOLFDWLRQG¶XQWUDLWp
DX[WHUPHVGHO¶DUWLFOHRXGHWRXWHTXHVWLRQGHUHVSRQVDELOLWpTXLSHXW
QDvWUHSRXUXQ(WDWGHODFRQFOXVLRQRXGHO¶DSSOLFDWLRQG¶XQWUDLWpGRQW $UWLFOH
OHVGLVSRVLWLRQVVRQWLQFRPSDWLEOHVDYHFOHVREOLJDWLRQVTXLOXLLQFRP ,17(535e7$7,21'(75$,7e6$87+(17,),e6(1'(8;283/86,(856/$1*8(6
EHQWjO¶pJDUGG¶XQDXWUH(WDWHQYHUWXG¶XQDXWUHWUDLWp
/RUVTX¶XQWUDLWpDpWpDXWKHQWL¿pHQGHX[RXSOXVLHXUVODQJXHV
6(&7,21 ,17(535e7$7,21'(675$,7e6 VRQWH[WHIDLWIRLGDQVFKDFXQHGHFHVODQJXHVjPRLQVTXHOHWUDLWpQH
GLVSRVH RX TXH OHV SDUWLHV QH FRQYLHQQHQW TX¶HQ FDV GH GLYHUJHQFH XQ
$UWLFOH WH[WHGpWHUPLQpO¶HPSRUWHUD
8QHYHUVLRQGXWUDLWpGDQVXQHODQJXHDXWUHTXHO¶XQHGHFHOOHV
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20
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22
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D 8QUHMHWGXWUDLWpQRQDXWRULVpSDUODSUpVHQWH&RQYHQWLRQRX
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(;7,1&7,21'¶8175$,7e286863(16,21'(621$33/,&$7,21,03/,&,7(6 O¶REMHWRXGXEXWGXWUDLWp
'8)$,7'(/$&21&/86,21'¶8175$,7e3267e5,(85 /HVSDUDJUDSKHVTXLSUpFqGHQWQHSRUWHQWDWWHLQWHjDXFXQHGLV
8QWUDLWpHVWFRQVLGpUpFRPPHD\DQWSULV¿QORUVTXHWRXWHOHV SRVLWLRQGXWUDLWpDSSOLFDEOHHQFDVGHYLRODWLRQ
SDUWLHVjFHWUDLWpFRQFOXHQWXOWpULHXUHPHQWXQWUDLWpSRUWDQWVXUODPrPH /HVSDUDJUDSKHVjQHV¶DSSOLTXHQWSDVDX[GLVSRVLWLRQVUHOD
PDWLqUHHW WLYHVjODSURWHFWLRQGHODSHUVRQQHKXPDLQHFRQWHQXHVGDQVGHVWUDLWpVGH
D 6¶LOUHVVRUWGXWUDLWpSRVWpULHXURXV¶LOHVWSDUDLOOHXUVpWDEOLTXH FDUDFWqUHKXPDQLWDLUHQRWDPPHQWDX[GLVSRVLWLRQVH[FOXDQWWRXWHIRUPH
VHORQO¶LQWHQWLRQGHVSDUWLHVODPDWLqUHGRLWrWUHUpJLHSDUFHWUDLWpRX GHUHSUpVDLOOHVjO¶pJDUGGHVSHUVRQQHVSURWpJpHVSDUOHVGLWVWUDLWpV
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23
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24
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D 7RXWHSDUWLHSHXWGHPDQGHUjWRXWHDXWUHSDUWLHG¶pWDEOLUSRXU D /LEqUH OHV SDUWLHV GH O¶REOLJDWLRQ GH FRQWLQXHU G¶H[pFXWHU OH
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25
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GHFRUUXSWLRQRXODFRQWUDLQWHHVWLPSXWDEOH JpQpUDO
'DQVOHVFDVROHFRQVHQWHPHQWG¶XQ(WDWGpWHUPLQpjrWUHOLp
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&216e48(1&(6'(/¶(;7,1&7,21'¶8175$,7e $PRLQVTXHOHWUDLWpQ¶HQGLVSRVHRXTXHOHVSDUWLHVQ¶HQFRQ
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$PRLQVTXHOHWUDLWpQ¶HQGLVSRVHRXTXHOHVSDUWLHVQ¶HQFRQ GHVHVGLVSRVLWLRQVRXFRQIRUPpPHQWjODSUpVHQWH&RQYHQWLRQ
YLHQQHQWDXWUHPHQWOHIDLWTX¶XQWUDLWpDSULV¿QHQYHUWXGHVHVGLVSRVL
WLRQVRXFRQIRUPpPHQWjODSUpVHQWH&RQYHQWLRQ D /LEqUHOHVSDUWLHVHQWUHOHVTXHOOHVO¶DSSOLFDWLRQGXWUDLWpHVWVXV
SHQGXHGHO¶REOLJDWLRQG¶H[pFXWHUOHWUDLWpGDQVOHXUVUHODWLRQVPXWXHOOHV
D /LEqUH OHV SDUWLHV GH O¶REOLJDWLRQ GH FRQWLQXHU G¶H[pFXWHU OH SHQGDQWODSpULRGHGHVXVSHQVLRQ
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E 1H SRUWH DWWHLQWH j DXFXQ GURLW DXFXQH REOLJDWLRQ QL DXFXQH E 1¶DIIHFWHSDVSDUDLOOHXUVOHVUHODWLRQVMXULGLTXHVpWDEOLHVSDUOH
VLWXDWLRQMXULGLTXHGHVSDUWLHVFUppVSDUO¶H[pFXWLRQGXWUDLWpDYDQWTX¶LO WUDLWpHQWUHOHVSDUWLHV
DLWSULV¿Q 3HQGDQWODSpULRGHGHVXVSHQVLRQOHVSDUWLHVGRLYHQWV¶DEVWH
/RUVTX¶XQ(WDWGpQRQFHXQWUDLWpPXOWLODWpUDORXV¶HQUHWLUHOH QLUGHWRXVDFWHVWHQGDQWjIDLUHREVWDFOHjODUHSULVHGHO¶DSSOLFDWLRQGX
SDUDJUDSKHV¶DSSOLTXHGDQVOHVUHODWLRQVHQWUHFHW(WDWHWFKDFXQHGHV WUDLWp
7UDLWpV 7UDLWpV
3$57,(9, ',6326,7,216',9(56(6 DSSDUXHHQWUHXQ(WDWHWXQGpSRVLWDLUHHQFHTXLFRQFHUQHO¶H[HUFLFHGHV
IRQFWLRQVGHFHGHUQLHUQHGRLWSDVLQÀXHUVXUFHWWHREOLJDWLRQ
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28'¶289(5785('¶+267,/,7e6 )21&7,216'(6'e326,7$,5(6
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VLRQG¶(WDWVRXHQUDLVRQGHODUHVSRQVDELOLWpLQWHUQDWLRQDOHG¶XQ(WDWRX PHQWOHVVXLYDQWHV
GHO¶RXYHUWXUHG¶KRVWLOLWpVHQWUH(WDWV
D $VVXUHUODJDUGHGXWH[WHRULJLQDOGXWUDLWpHWGHVSOHLQVSRX
YRLUVTXLOXLVHUDLHQWUHPLV
$UWLFOH E (WDEOLUGHVFRSLHVFHUWL¿pHVFRQIRUPHVGXWH[WHRULJLQDOHWWRXV
5(/$7,216',3/20$7,48(628&2168/$,5(6(7&21&/86,21'(75$,7e6 DXWUHVWH[WHVGXWUDLWpHQG¶DXWUHVODQJXHVTXLSHXYHQWrWUHUHTXLVSDUOH
WUDLWpHWOHVFRPPXQLTXHUDX[SDUWLHVDXWUDLWpHWDX[(WDWVD\DQWTXDOLWp
/DUXSWXUHGHVUHODWLRQVGLSORPDWLTXHVRXGHVUHODWLRQVFRQVXODLUHV SRXUOHGHYHQLU
RXO¶DEVHQFHGHWHOOHVUHODWLRQVHQWUHGHX[RXSOXVLHXUV(WDWVQHIDLWSDV F 5HFHYRLUWRXWHVVLJQDWXUHVGXWUDLWpUHFHYRLUHWJDUGHUWRXVLQV
REVWDFOHjODFRQFOXVLRQGHWUDLWpVHQWUHOHVGLWV(WDWV/DFRQFOXVLRQG¶XQ WUXPHQWVQRWL¿FDWLRQVHWFRPPXQLFDWLRQVUHODWLIVDXWUDLWp
WUDLWpQ¶DSDVHQVRLG¶HIIHWHQFHTXLFRQFHUQHOHVUHODWLRQVGLSORPDWLTXHV
RXOHVUHODWLRQVFRQVXODLUHV G ([DPLQHUVLXQHVLJQDWXUHXQLQVWUXPHQWXQHQRWL¿FDWLRQRX
XQHFRPPXQLFDWLRQVHUDSSRUWDQWDXWUDLWpHVWHQERQQHHWGXHIRUPHHW
OHFDVpFKpDQWSRUWHUODTXHVWLRQjO¶DWWHQWLRQGHO¶(WDWHQFDXVH
$UWLFOH
H ,QIRUPHUOHVSDUWLHVDXWUDLWpHWOHV(WDWVD\DQWTXDOLWpSRXUOH
26
&$6'¶81(7$7$*5(66(85 GHYHQLUGHVDFWHVQRWL¿FDWLRQVHWFRPPXQLFDWLRQVUHODWLIVDXWUDLWp
/HVGLVSRVLWLRQVGHODSUpVHQWH&RQYHQWLRQVRQWVDQVHIIHWVXUOHV I ,QIRUPHUOHV(WDWVD\DQWTXDOLWpSRXUGHYHQLUSDUWLHVDXWUDLWpGH
REOLJDWLRQVTXLSHXYHQWUpVXOWHUjSURSRVG¶XQWUDLWpSRXUXQ(WDWDJUHV ODGDWHjODTXHOOHDpWpUHoXRXGpSRVpOHQRPEUHGHVLJQDWXUHVRXG¶LQV
VHXUGHPHVXUHVSULVHVFRQIRUPpPHQWjOD&KDUWHGHV1DWLRQV8QLHVDX WUXPHQWVGHUDWL¿FDWLRQG¶DFFHSWDWLRQG¶DSSUREDWLRQRXG¶DGKpVLRQUH
VXMHWGHO¶DJUHVVLRQFRPPLVHSDUFHW(WDW TXLVSRXUO¶HQWUpHHQYLJXHXUGXWUDLWp
J $VVXUHUO¶HQUHJLVWUHPHQWGXWUDLWpDXSUqVGX6HFUpWDULDWGHO¶2U
JDQLVDWLRQGHV1DWLRQV8QLHV
3$57,(9,, 'e326,7$,5(6127,),&$7,216
&255(&7,216(7(15(*,675(0(17 K 5HPSOLUOHVIRQFWLRQVVSpFL¿pHVGDQVG¶DXWUHVGLVSRVLWLRQVGH
ODSUpVHQWH&RQYHQWLRQ
$UWLFOH /RUVTX¶XQHGLYHUJHQFHDSSDUDvWHQWUHXQ(WDWHWOHGpSRVLWDLUH
DX VXMHW GH O¶DFFRPSOLVVHPHQW GHV IRQFWLRQV GH FH GHUQLHU OH GpSRVL
'e326,7$,5(6'(675$,7e6 WDLUHGRLWSRUWHUODTXHVWLRQjO¶DWWHQWLRQGHV(WDWVVLJQDWDLUHVHWGHV(WDWV
/DGpVLJQDWLRQGXGpSRVLWDLUHG¶XQWUDLWpSHXWrWUHHIIHFWXpHSDU FRQWUDFWDQWVRXOHFDVpFKpDQWGHO¶RUJDQHFRPSpWHQWGHO¶RUJDQLVDWLRQ
OHV(WDWVD\DQWSDUWLFLSpjODQpJRFLDWLRQVRLWGDQVOHWUDLWpOXLPrPH LQWHUQDWLRQDOHHQFDXVH
VRLWGHWRXWHDXWUHPDQLqUH/HGpSRVLWDLUHSHXWrWUHXQRXSOXVLHXUV(WDWV
XQHRUJDQLVDWLRQLQWHUQDWLRQDOHRXOHSULQFLSDOIRQFWLRQQDLUHDGPLQLVWUD $UWLFOH
WLIG¶XQHWHOOHRUJDQLVDWLRQ
127,),&$7,216(7&20081,&$7,216
/HVIRQFWLRQVGXGpSRVLWDLUHG¶XQWUDLWpRQWXQFDUDFWqUHLQWHU
QDWLRQDOHWOHGpSRVLWDLUHHVWWHQXG¶DJLULPSDUWLDOHPHQWGDQVO¶DFFRP 6DXIGDQVOHVFDVROHWUDLWpRXODSUpVHQWH&RQYHQWLRQHQGLVSRVH
SOLVVHPHQWGHVHVIRQFWLRQV(QSDUWLFXOLHUOHIDLWTX¶XQWUDLWpQ¶HVWSDV DXWUHPHQWXQHQRWL¿FDWLRQRXFRPPXQLFDWLRQTXLGRLWrWUHIDLWHSDUXQ
HQWUp HQ YLJXHXU HQWUH FHUWDLQHV GHV SDUWLHV RX TX¶XQH GLYHUJHQFH HVW (WDWHQYHUWXGHODSUpVHQWH&RQYHQWLRQ
7UDLWpV 7UDLWpV
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Déclarations et résolutions adoptées par
la Conférence des Nations Unies sur le droit des traités, 1969
29
CONFÉRENCE
DES NATIONS UNIES
SUR LE DROIT
DES TRAITÉS
Première et deuxième sessions
Vienne, 26 mars-24 mai 1968 et 9 avril-22 mai 1969
DOCUMENTS OFFICIELS
Documents de la Conférence
NATIONS UNIES
30
Acte final de la Conférence des Nations Unies sur le droit des traités 307
Résolution relative à l'article premier de la Convention 1. Invite l'Assemblée générale à examiner à sa vingt-quatrième
de Vienne sur le droit des traités session la question de l'envoi des invitations de façon à assurer la
participation la plus large possible à la Convention de Vienne sur
Résolution relative à la Déclaration sur l'interdiction de la le droit des traités;
contrainte militaire, politique ou économique lors de la 2. Exprime l'espoir que les Etats Membres de l'Organisation
conclusion de traités des Nations Unies s'efforceront de réaliser l'objet de la présente
Résolution relative à l'article 66 de la Convention de Vienne Déclaration;
sur le droit des traités et à l'annexe à ladite convention 3. Prie le Secrétaire général des Nations Unies de porter la
présente Déclaration à l'attention de l'Assemblée générale;
Remerciements à la Commission du droit international
4. Décide que la présente Déclaration fera partie de l'Acte
Remerciements au Gouvernement fédéral et au peuple de final de la Conférence des Nations Unies sur le droit des traités.
la République d'Autriche.
EN FOI DE QUOI les représentants ont signé le RÉSOLUTION RELATIVE À L'ARTICLE PREMIER DE LA CONVENTION
présent Acte final. DE VIENNE SUR LE DROIT DES TRAITÉS
FAIT A VIENNE le vingt-trois mai mil neuf cent La Conférence des Nations Unies sur le droit des traités.
soixante-neuf, en un seul exemplaire en langues anglaise, Rappelant que l'Assemblée générale des Nations Unies, par sa
chinoise, espagnole, française et russe, chaque texte résolution 2166 (XXI), en date du 5 décembre 1966, a soumis à la
étant également authentique. Par décision unanime de Conférence le projet d'articles figurant au chapitre II du rapport
la Conférence, l'exemplaire original du présent Acte de la Commission du droit international sur les travaux de sa
final sera déposé aux archives du Ministère fédéral des dix-huitième session",
affaires étrangères de la République d'Autriche. Notant que le projet d'articles de la Commission ne concerne que
les traités conclus entre Etats,
Reconnaissant l'importance de la question des traités conclus
ANNEXE entre des Etats et des organisations internationales ou entre deux
Déclarations et résolutions adoptées par ou plusieurs organisations internationales,
la Conférence des Nations Unies sur le droit des traités Sachant que les organisations internationales ont des pratiques
diverses à cet égard, et
DÉCLARATION SUR L'INTERDICTION DE LA CONTRAINTE MILITAIRE, Souhaitant que la vaste expérience des organisations internatio-
POLITIQUE OU ÉCONOMIQUE LORS DE LA CONCLUSION DE TRAITÉS
nales dans ce domaine soit utilisée au mieux,
La Conférence des Nations Unies sur le droit des traités, Recommande à l'Assemblée générale des Nations Unies de ren-
Maintenant le principe que tout traité en vigueur lie les parties voyer à la Commission du droit international pour étude, en con-
et doit être exécuté par elles de bonne foi, sultation avec les principales organisations internationales, la
Réaffirmant le principe de l'égalité souveraine des Etats, question des traités conclus entre des Etats et des organisations
internationales ou entre deux ou plusieurs organisations interna-
Convaincue que les Etats doivent jouir d'une totale liberté pour tionales.
l'exécution de tout acte relatif à la conclusion d'un traité,
Déplorant le fait que, dans le passé, des Etats aient parfois été
RÉSOLUTION RELATIVE À LA DÉCLARATION SUR L'INTERDICTION
forcés de conclure des traités sous l'effet de pressions, de formes DE LA CONTRAINTE MILITAIRE, POLITIQUE OU ÉCONOMIQUE LORS
diverses, exercées par d'autres Etats, DE LA CONCLUSION DE TRAITÉS
Désireuse d'assurer que dans l'avenir pareilles pressions ne puis-
sent être exercées, sous quelque forme que ce soit, par aucun Etat, La Conférence des Nations Unies sur le droit des traités,
en liaison avec la conclusion de traités, Ayant adopté, en tant que partie de l'Acte final de la Conférence,
1. Condamne solennellement le recours à la menace ou à l'emploi la Déclaration sur l'interdiction de la contrainte militaire, politique
de toutes les formes de pression, qu'elle soit militaire, politique ou ou économique locs de la conclusion de traités,
économique, par quelque Etat que ce soit, en vue de contraindre 1. Prie le Secrétaire général des Nations Unies de porter la
un autre Etat à accomplir un acte quelconque lié à la conclusion Déclaration à l'attention de tous les Etats Membres et des autres
d'un traité, en violation des principes de l'égalité souveraine des Etats participant à la Conférence, ainsi que des organes principaux
Etats et de la liberté du consentement ; des Nations Unies;
2. Décide que la présente Déclaration fera partie de l'Acte 2. Prie les Etats Membres de donner à la Déclaration la plus
final de la Conférence sur le droit des traités. large publicité et la plus large diffusion possibles.
DÉCLARATION SUR LA PARTICIPATION UNIVERSELLE À LA CONVENTION RÉSOLUTION RELATIVE À L'ARTICLE 66 DE LA CONVENTION DE VIENNE
DE VIENNE SUR LE DROIT DES TRAITÉS SUR LE DROIT DES TRAITÉS ET À L'ANNEXE À LADITE CONVENTION
La Conférence des Nations Unies sur le droit des traités. La Conférence des Nations Unies sur le droit des traités,
Convaincue que les traités multilatéraux qui portent sur la codi- Considérant qu'aux termes du paragraphe 7 de l'annexe à la
fication et le développement progressif du droit international ou Convention de Vienne sur le droit des traités les dépenses de toute
dont l'objet et le but intéressent la communauté internationale dans commission de conciliation qui serait créée en vertu de l'article 66
son ensemble devraient être ouverts à la participation universelle, de ladite convention seront à la charge de l'Organisation des Nations
Notant que les articles 81 et 83 de la Convention de Vienne sur Unies,
le droit des traités permettent à l'Assemblée générale d'adresser des Prie l'Assemblée générale des Nations Unies de prendre note
invitations spéciales aux Etats qui ne sont pas membres de l'Orga- des dispositions du paragraphe 7 de ladite annexe et de les approuver.
nisation des Nations Unies ou d'une institution spécialisée ou de
l'Agence internationale de l'énergie atomique ou ne sont pas parties
au Statut de la Cour internationale de Justice à devenir parties à a Documents officiels de l'Assemblée générale, vingt et unième session, Supplément
ladite convention, i° 9 (A/6309/Rev.l), deuxième partie.
31
32
Liste des États parties, déclarations et réserves à la
Convention de Vienne sur le droit des traités, 1969
33
CHAPITRE XXIII
DROIT DES TRAITÉS
ENTRÉE EN VIGUEUR:
ENREGISTREMENT: 27 janvier 1980, No 18232.
ÉTAT: Signataires: 45. Parties: 111.
TEXTE: Nations Unies, Recueil des Traités , vol. 1155, p. 331.
Note: La Convention a été adoptée le 22 mai 1969 et ouverte à la si gnature le 23 mai 1969 par la Conférence des Nations
Unies sur le droit des traités. La Conférence avait été convoquée conformément à la résolution 2166 (XXI) 1 de l'Assemblée
générale en date du 5 décem bre 1966 et à la résolution 2287 (XXII) 2 de l'Assemblée générale en date du 6 décembre 1967.
La Conférence a tenu deux s essions au Neue Hofburg, à Vienne, la première du 26 mars au 24 mai 1968 et la seconde du 9
avril au 22 mai 1969. Outre la Convention, la Conférence a adopté l'Acte final ainsi que certaines résolutions et déclarations
qui sont jointes audit Acte. Par décision unanime de la Confére nce, l'original de l'Acte final a été déposé aux archives du
Ministère fédéral des affa ires étrangères autrichien. Le texte de l' Acte final est inclus dans le docum ent
A/CONF.39/11/Add.2.
Adhésion(a), Adhésion(a),
Succession(d), Succession(d),
Participant Signature Ratification Participant Signature Ratification
Afghanistan ................... 23 mai 1969 Congo ............................ 23 mai 1969 12 avr 1982
Albanie .......................... 27 juin 2001 a Costa Rica ..................... 23 mai 1969 22 nov 1996
Algérie .......................... 8 nov 1988 a Côte d'Ivoire.................. 23 juil 1969
Allemagne3,4 .................. 30 avr 1970 21 juil 1987 Croatie5 ......................... 12 oct 1992 d
Andorre ......................... 5 avr 2004 a Cuba .............................. 9 sept 1998 a
Arabie saoudite ............. 14 avr 2003 a Danemark ...................... 18 avr 1970 1 juin 1976
Argentine....................... 23 mai 1969 5 déc 1972 Égypte ........................... 11 févr 1982 a
Arménie......................... 17 mai 2005 a El Salvador .................... 16 févr 1970
Australie ........................ 13 juin 1974 a Équateur ........................ 23 mai 1969 11 févr 2005
Autriche......................... 30 avr 1979 a Espagne ......................... 16 mai 1972 a
Barbade ......................... 23 mai 1969 24 juin 1971 Estonie .......................... 21 oct 1991 a
Bélarus .......................... 1 mai 1986 a États-Unis d'Amérique .. 24 avr 1970
Belgique ........................ 1 sept 1992 a Éthiopie ......................... 30 avr 1970
Bolivie (État Ex-République
plurinational de) ...... 23 mai 1969 yougoslave de
Bosnie-Herzégovine5 .... 1 sept 1993 d Macédoine5.............. 8 juil 1999 d
Brésil ............................. 23 mai 1969 25 sept 2009 Fédération de Russie ..... 29 avr 1986 a
Bulgarie ......................... 21 avr 1987 a Finlande ........................ 23 mai 1969 19 août 1977
Burkina Faso ................. 25 mai 2006 a Gabon ............................ 5 nov 2004 a
Cambodge ..................... 23 mai 1969 Géorgie ......................... 8 juin 1995 a
Cameroun ...................... 23 oct 1991 a Ghana ............................ 23 mai 1969
Canada .......................... 14 oct 1970 a Grèce ............................. 30 oct 1974 a
Chili .............................. 23 mai 1969 9 avr 1981 Guatemala ..................... 23 mai 1969 21 juil 1997
Chine6............................ 3 sept 1997 a Guinée ........................... 16 sept 2005 a
Chypre ........................... 28 déc 1976 a Guyana .......................... 23 mai 1969 15 sept 2005
Colombie ....................... 23 mai 1969 10 avr 1985 Haïti .............................. 25 août 1980 a
AFGHANISTAN ARGENTINE
Lors de la signature : a) La République Argentine ne considère
L'Afghanistan interprète l'article 62 (C hangement pas que la règle énoncée à l'article 45, b, lui est applicable
fondamental de circonstances) de la manière suivante : dans la mesure où celle-ci prévoit la renonciation
L'alinéa a du paragraphe 2 ne s'applique pas dans le anticipée à certains droits.
cas des traités inégaux ou illégaux ni da ns le cas de tout b) La République Argentine n'admet pas
autre traité contraire au principe de l'autodétermination. qu'un changement fondamental de circonstances qui s'est
Cette interprétation est celle qui a été soutenue par produit par rapport à celles qui existaient au moment de la
l'expert consultant dans sa déclaration du 11 mai 1968 conclusion du traité et qui n' avait pas été prévu pa r les
devant la Commission plénière et dans la com munication parties puisse être invoqué comme motif pour m ettre fin
du 14 m ai 1969 (A/CONF.39/L.40) qu'il a adressée à la au traité ou pour s'en retirer; de plus, elle s' élève contre
Conférence. les réserves form ulées par l'Afghanistan, le Maroc et la
Syrie au sujet du paragraphe 2, a, de l'article 62 et contre
toutes autres réserves de même effet que c elles des États
ALGÉRIE susmentionnés qui pourraient être formulées à l'avenir au
Déclaration : sujet de l'article 62.
L'application de la prése nte Convention dans des
"L'adhésion de la République algérienne démocratique territoires sur lesquels deux ou plusieurs États, qu'ils
et populaire à la prése nte Convention ne signifie e n soient ou non parties à l adite Convention, ont des
aucune façon la reconnaissance d'Israël. prétentions adverses à ex ercer la so uveraineté, ne pourra
Cette adhésion ne peut être i nterprétée comme devant être interprétée comme signifiant que c hacun d'eux
aboutir à l' établissement de relations de quelque nature modifie la position qu' il a maintenue jusqu'à présent, y
que ce soit avec Israël." renonce ou l'abandonne.
Réserve :
"Le Gouvernement de la République algérienne
démocratique et populaire c onsidère que l a compétence ARMÉNIE11
de la Cour internationale de justice ne peut s'exercer, à la 13 juillet 2006
requête d'une seule partie, à propos d'un différend tel que
celui visé à l'article 66, paragraphe a . Réserve :
Il déclare que l'accord préalable de toutes l es parties La République arménienne ne se considère pas liée par
concernées est, dans cha que cas, nécessaire pour qu'un les dispositions de l'article 66 de la Convention de Vienne
différend soit soumis à ladite Cour". sur le Dro it des Traités et d éclare que, pour qu'un
différend, quel qu'il soit, entre les Parties cont ractantes
concernant l'application ou l'intérprétation de l'un
ALLEMAGNE3 quelconque des articles de la partie V de l a Convention
Lors de la signature : soit soumis à la décision de la Cour international de
La République fédé rale d'Allemagne se réserve le Justice ou à l'e xamen de la Commission de conciliation ,
droit, au moment de la ratifi cation de la C onvention de il faut que, dans chaque cas, toutes les parties au différend
Vienne sur le droit des traités, d'exposer sa position vis-à- donnent leur accord.
vis des déclarations faites par d'autres États au moment où
ils auront adhéré ai nsi que de form uler des rése rves BÉLARUS
concernant certaines dispositions de ladite Convention. [ Même réserves et déclaration, identique en essence ,
Lors de la ratification : mutatis mutandis, que celles formulées par la Fédération
... de Russie .]
2. La République fédé rale d'Allemagne part du
principe que l'article 66 b) de la Convention de Vienne sur
le droit des traités ne saurait être invoqué pour exclure la BELGIQUE12
juridiction de la Cour internationale de Justice à laquelle 21 juin 1993
sont soumis des États non parties à ladite Convention.
3. La République fédérale d'Allemagne entend par Réserve :
l'expression "mesures prises conformément à la Charte L'État belge ne sera pas lié par les articles 53 et 64 de
des Nations Unies", mentionnée à l'article 75 de la la Convention vis-à-vis de toute partie qui, formulant une
Convention, les futures décis ions adoptées par le Conseil réserve au sujet de l'article 66, point a), récuserait la
de sécurité des Nations Unies en application des procédure de règlement fixée par cet article.
dispositions du Chapitre VII de la Chart e relatives au
maintien de la paix et de la sécurité internationales. BOLIVIE (ÉTAT PLURINATIONAL DE)
1. L'imperfection de la Convention de Vienne sur le
ARABIE SAOUDITE droit des traités retarde la réalisation des aspirations de
Réserve : l'humanité.
.....tout en form ulant la réserve suivante concernant 2. Néanmoins, les normes que c onsacre la
l'article 66 : l'accord préalable des de ux pays concernés Convention marquent d'importants progrès fondés sur des
est nécessaire pour recourir à un jugement ou à un principes de j ustice internationale que la Bolivie a
arbitrage. traditionnellement défendus.
constitutionnel.
Lors de la signature :
En signant la Convention de Vienne sur le droit des
PORTUGAL traités, le G ouvernement du Roya ume-Uni de Grande-
Déclaration : Bretagne et d'Irlande du Nord décl are considérer
L'article 66 de la Conve ntion de Vienne est qu'aucune disposition de l'article 66 de ladite Convention
indissociablement lié aux dispositions de la partie V ne vise à écarter la juridiction de la Cour internationale de
auxquelles il se rapporte. Le Portugal déclare e n Justice lorsque cette juridic tion découle des clauses en
conséquence qu'en ce qui concerne ses relations avec tout vigueur entre les parties, conce rnant le règlem ent des
État qui a fait ou fait une rés erve telle que cet État n 'est différends et ayant force obligatoire à le ur égard. Le
pas lié par quelques-unes des dispositions de l'article 66 Gouvernement du Royaum e-Uni déclare notamment, au
ou par toutes ces dispositions, le Por tugal ne se regard des États parties à la Convention de Vienne qui
considérera lié ni par ces dispositions de procédure ni par acceptent comme obligatoire la juridiction de la Cour
les dispositions de fond de l a partie V de la Convention internationale de Justice, qu'i l ne considérera pa s les
auxquelles les procédures prévues à l'a rticle 66 ne dispositions de l'alinéa b de l'article 66 de la Convention
s'appliquent pas par suite de ladite réserve. Toutefois, le de Vienne comme fournissant "un autre mode de
Portugal ne fa it pas objection à l' entrée en vigueur des règlement pacifique", au sens du paragraphe i, a, de la
autres dispositions de la Convention entre la République Déclaration, déposée auprès du Sec rétaire général de
portugaise et ledit État et considère que l'absence de l'Organisation des Nations Unies le 1er janvier 1969, par
relations conventionnelles entre elle et cet État en ce qui laquelle le Gouve rnement du R oyaume-Uni a accepté
concerne certaines dispositions de la pa rtie V ou toutes comme obligatoire la juridiction de la Cour internationale
ces dispositions n' affectera aucunement le devoir de cet de Justice.
État de s'acquitter de to ute obligation énoncée dans Le Gouvernement du Royaume-Uni, tout en réser vant
lesdites dispositions qui lui est im posée par le droit pour le moment sa pos ition vis-à-vis des aut res
international indépendamment de la Convention. déclarations et réserves faite s par divers États lors de la
signature de la Conve ntion par ces derniers, juge
nécessaire de déclarer que le Royaume-Uni ne reconnaît
RÉPUBLIQUE ARABE SYRIENNE au Guatemala aucun droit ni titre légitime de réclamation
en ce qui concerne le territoire du Honduras britannique.
"A) L'acceptation de cette Convention par la
République arabe syrienne et sa ratification par s on Lors de la ratification :
Gouvernement ne pe uvent comporter en a ucune façon le Le Royaume-Uni considère qu'aucune disposition de
sens d'une reconnaissance d'Israël et ne peuvent aboutir à l'article 66 de la Convention ne vise à écarter la juridiction
entretenir avec lui aucun contact réglé par les dispositions de la C our internationale de Justice lorsque cette
de la Convention. juridiction découle de clauses en vigueur entre les parties,
"B) La République arabe syrienne considère que concernant le règlem ent des diffé rends et ayant force
l'article quatre-vingt-un de ce tte Convention ne s'accorde obligatoire à leur égard. Notamment, au regard des États
pas avec ses buts et ses desseins car il ne permet pas à parties à la Convention de Vienne qui acceptent comme
tous les États sans discrimination ou distinction d'en obligatoire la juridiction de la Cour internationa pas les
devenir parties. dispositions de l'alinéa b de l'article 66 de la Convention
"C) Le Gouvernement de la République a rabe de Vienne sur le droit des traités comme fournissant "un
syrienne n'accepte en auc un cas la non-a pplication du autre moyen de règlement pacifique", au sens de l'alinéa i,
principe du changement fondamental de circonstances sur a , de la Déclaration que le Gouvernement du Royaume-
les traités éta blissant des frontières au paragraphe 2, Uni a déposée auprès du Secrétaire général de
alinéa a, de l'article soixante -deux, car cela est considéré l'Organisation des Nations Unies le 1er janvier 1969.
comme une violation flagra nte de l'une des rè gles
obligatoires parmi les règles générales du C ode
UKRAINE
[Même réserves et déclaration, identique en essence ,
mutatis mutandis, que celles formulées par l'Union des
Républiques socialistes soviétiques.]
Objections
(En l'absence d'indication précédant le texte, la date de réception est celle
de la ratification, de l'adhésion ou de la succession.)
Notifications faites en vertu des paragraphes 1 et 2 de l'annexe (Liste des conciliateurs désignés pour composer
une commission de conciliation) (Pour la liste des conciliateurs dont le mandat n'a pas été renouvelé, voir la
note 21 ci-après)21
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Cour internationale de Justice
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Cour internationale de Justice
99
INTERNATIONAL COURT OF JUSTICE
REPORTS OF JUDGMENTS,
ADVISORY OPINIONS AND ORDERS
100
Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes
(Costa Rica c. Nicaragua), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 213
DIFFE
u REND RELATIF A
v DES DROITS
DE NAVIGATION ET DES DROITS CONNEXES
(COSTA RICA c. NICARAGUA)
ARRE
| T DU 13 JUILLET 2009
Sales number
ISSN 0074-4441 No de vente : 959
ISBN 978-92-1-071068-8
213
13 JULY 2009
JUDGMENT
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphes
QUALITÉS 1-14
I. CONTEXTE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE ET GENÈSE DU DIFFÉREND 15-29
101
III. LE POUVOIR DU NICARAGUA DE RÉGLEMENTER LA NAVIGATION 85-133
1. Observations générales 86-101
DIFFE
u REND RELATIF A
v DES DROITS a) Caractéristiques 87-90
DE NAVIGATION ET DES DROITS CONNEXES b) Notification 91-97
c) Le contexte factuel 98-101
(COSTA RICA c. NICARAGUA)
2. La licéité des mesures nicaraguayennes spécifiques contestées
par le Costa Rica 102-133
a) Obligation de faire halte et identification 103-107
b) Certificats d’appareillage 108-110
c) Visas et cartes de touriste 111-119
d) Acquittement de droits 120-124
e) Horaires de navigation 125-129
f) Pavillons 130-132
g) Conclusion 133
IV. PÊCHE DE SUBSISTANCE 134-144
V. LES DEMANDES PRÉSENTÉES PAR LES PARTIES DANS LEURS CONCLUSIONS
FINALES 145-155
1. Les demandes du Costa Rica 145-150
13 JUILLET 2009 2. Les demandes du Nicaragua 151-155
DISPOSITIF 156
ARRÊT
4
214
DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 215
102
cation de la frontière — Décision de la Cour de justice centraméricaine — Question des bateaux du service des douanes tranchée par la sentence
de 1916 — Accord Fournier-Sevilla de 1956 — Incidents relatifs à la navigation Cleveland de 1888 — La navigation des bateaux officiels costa-riciens utilisés
sur le San Juan — Communiqué Cuadra-Castro de 1995 — Interdiction par le pour des activités de puissance publique et de service public n’entre pas dans le
Nicaragua de la navigation des bateaux de police costa-riciens — Communiqué champ de l’article VI du traité de 1858 — Le droit de navigation de certains
Cuadra-Lizano de 1998 — Accord Tovar-Caldera de 2002 — Instance intro- bateaux officiels costa-riciens aux fins de fournir des services à la population se
duite devant la Cour par le Costa Rica — Absence d’exception du Nicaragua à déduit de l’ensemble des dispositions du traité.
la compétence de la Cour.
*
* Pouvoir du Nicaragua de réglementer la navigation sur le fleuve San Juan.
Droit de libre navigation du Costa Rica sur le fleuve San Juan. Caractéristiques des mesures de réglementation — Protection de l’environne-
Fondement juridique du droit de libre navigation — Nul besoin pour la Cour ment en tant que but légitime d’une mesure de réglementation — Absence de
de déterminer si le San Juan est un « fleuve international » — Le traité de 1858 disposition particulière dans le traité relativement à la notification des mesures
suffit à trancher la question de l’étendue du droit de libre navigation du Costa de réglementation — Eléments imposant une obligation de notification — Accord
Rica — Droit de libre navigation du Costa Rica principalement fondé sur l’ar- de 1956 — Cas particulier d’un cours d’eau sur lequel deux Etats détiennent des
ticle VI du traité de 1858 — Pertinence de la sentence Cleveland, de la décision droits — Notification découlant implicitement de la nature de la réglementa-
de la Cour de justice centraméricaine de 1916 et de l’accord Fournier-Sevilla. tion — Obligation incombant au Nicaragua de notifier au Costa Rica ses me-
Désaccord entre les Parties quant aux types de navigation visés par le traité sures de réglementation — Obligation incombant au Costa Rica d’établir que
de 1858 — Interprétation de l’expression « con objetos de comercio » figurant à les mesures de réglementation ont un effet déraisonnable et disproportionné.
l’article VI du traité — Dispositions conventionnelles limitant la souveraineté Obligation de faire halte et identification — Droit du Nicaragua de connaître
l’identité des personnes entrant sur son territoire et en sortant — L’obligation
— Règles générales d’interprétation applicables — Auteurs du traité de 1858
de faire halte imposée par le Nicaragua aux bateaux lorsqu’ils entrent sur le
n’ayant pas eu l’intention d’établir une hiérarchie entre la souveraineté du Nica-
San Juan et le quittent est licite — Absence de justification juridique à l’obliga-
ragua sur le San Juan et le droit de libre navigation du Costa Rica — Aucun des tion de faire halte en un quelconque point intermédiaire — Costa Rica n’ayant
points examinés en l’affaire n’a été tranché par la sentence Cleveland de 1888 pas démontré que la mesure de réglementation était déraisonnable.
ou par la décision de la Cour de justice centraméricaine de 1916. Certificats d’appareillage — Les buts invoqués par le Nicaragua sont légi-
Sens des mots « con objetos » — Nécessité de pouvoir donner à la phrase un times — Obligation d’obtenir des certificats d’appareillage ne semblant pas
5 6
DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 216 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 217
avoir constitué une entrave substantielle à la liberté de navigation — Costa Rica aurait subi un préjudice susceptible d’évaluation financière — Des assurances et
ne laissant pas entendre qu’il serait en mesure de délivrer des certificats d’appa- garanties de non-répétition ne peuvent être exigées que lorsqu’elles sont justi-
reillage — Aucun cas où un bateau aurait été empêché de naviguer pour s’être fiées par les circonstances — Nulle raison de supposer qu’un Etat reproduira un
vu refuser arbitrairement un certificat. acte ou un comportement déclaré illicite.
Visas et cartes de touriste — Distinction devant être établie entre l’obligation Demande du Nicaragua accueillie dans la mesure correspondant aux motifs
d’obtenir un visa et l’obligation d’obtenir une carte de touriste — Le pouvoir relatifs aux demandes du Costa Rica — Demande par le Nicaragua d’une décla-
d’un Etat de délivrer ou de refuser des visas est discrétionnaire — Titulaire et ration quant à certains droits et obligations des Parties non accueillie.
bénéficiaires du droit de libre navigation — Le Nicaragua ne saurait exiger des
personnes qui bénéficient du droit de libre navigation du Costa Rica qu’elles
obtiennent un visa — Imposition d’un visa constituant une violation du droit
découlant du traité — Situation juridique demeurant inchangée même si l’obli- ARRÊT
gation d’obtenir un visa n’entrave pas la liberté de navigation — Les cartes de
touriste n’ont pas pour objet de faciliter le contrôle des entrées sur le San
Juan — Absence de but légitime — L’achat de cartes de touriste est contraire à Présents : M. OWADA, président ; MM. SHI, KOROMA, AL-KHASAWNEH,
la liberté de navigation. BUERGENTHAL, ABRAHAM, KEITH, SEPÚLVEDA-AMOR, BENNOUNA,
Acquittement de droits — Aucun service rendu en contrepartie de la déli- SKOTNIKOV, CANÇADO TRINDADE, YUSUF, GREENWOOD, juges ;
vrance de certificats d’appareillage — Paiement exigé illicite. M. GUILLAUME, juge ad hoc ; M. COUVREUR, greffier.
Horaires de navigation — Interdiction de la navigation de nuit — Mesures
n’entravant pas la liberté de navigation — But poursuivi légitime — Caractère
déraisonnable non établi. En l’affaire du différend relatif à des droits de navigation et des droits
Pavillons — Le Nicaragua peut exiger de certains bateaux costa-riciens qu’ils connexes,
arborent son pavillon — Absence d’entrave à l’exercice de la liberté de naviga-
tion — Pas de preuve que des bateaux costa-riciens aient été empêchés de navi- entre
guer sur le San Juan du fait de cette exigence. la République du Costa Rica,
représentée par
103
* S. Exc. M. Edgar Ugalde-Alvarez, ambassadeur, vice-ministre des affaires
Pêche à des fins de subsistance pratiquée par les habitants de la rive costa- étrangères du Costa Rica,
ricienne. comme agent ;
Question de recevabilité soulevée par le Nicaragua — Pouvoir d’appréciation M. James Crawford, S.C., F.B.A., professeur de droit international à l’Uni-
de la Cour — Les prétendues entraves nicaraguayennes au droit allégué de pra- versité de Cambridge, titulaire de la chaire Whewell, membre de l’Institut
tiquer la pêche à des fins de subsistance sont postérieures au dépôt de la de droit international,
requête — Il existe un lien suffisamment étroit entre la demande relative à la M. Lucius Caflisch, professeur émérite de droit international de l’Institut de
pêche à des fins de subsistance et la requête — Le Nicaragua n’a pas été désa- hautes études internationales et du développement de Genève, membre de
vantagé par le fait que le Costa Rica n’a pas énoncé cette demande dans la la Commission du droit international, membre de l’Institut de droit inter-
requête — La Cour ne l’a pas été non plus dans sa compréhension des questions national,
en cause — Exception d’irrecevabilité ne pouvant être accueillie. M. Marcelo G. Kohen, professeur de droit international à l’Institut de hautes
Fond de la demande — Différend portant uniquement sur la pêche à des fins études internationales et du développement de Genève, membre associé de
de subsistance — Pratique établie de longue date — Nicaragua n’ayant pas nié l’Institut de droit international,
l’existence d’un droit découlant d’une telle pratique — Le Costa Rica jouit d’un M. Sergio Ugalde, conseiller principal auprès du ministère des affaires étran-
droit coutumier — Le Nicaragua peut prendre des mesures de réglementation à gères du Costa Rica, membre de la Cour permanente d’arbitrage,
des fins légitimes — Droit coutumier ne s’étendant pas à la pêche pratiquée à M. Arnoldo Brenes, conseiller principal auprès du ministère des affaires
bord de bateaux sur le fleuve. étrangères du Costa Rica,
Mme Kate Parlett, conseiller spécial auprès du ministère des affaires étran-
* gères du Costa Rica, Solicitor (Australie), doctorante à l’Université de
Cambridge (Jesus College),
Demandes présentées par les Parties dans leurs conclusions finales.
Demandes costa-riciennes accueillies ou rejetées dans le dispositif de comme conseils et avocats ;
l’arrêt — Le constat d’illicéité du comportement d’un Etat entraîne l’obligation S. Exc. M. Francisco José Aguilar-de Beauvilliers Urbina, ambassadeur du
de faire cesser ce comportement — La cessation d’une violation présentant un Costa Rica auprès du Royaume des Pays-Bas,
caractère continu et le rétablissement de la situation juridique qui en découle M. Ricardo Otarola, chef d’état-major auprès du vice-ministre des affaires
constituent une forme de réparation — Absence de preuve que le Costa Rica étrangères du Costa Rica,
7 8
DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 218 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 219
M. Sergio Vinocour, ministre et consul général du Costa Rica en République Mme Tania Elena Pacheco Blandino, conseiller à l’ambassade du Nicaragua
française, au Royaume des Pays-Bas,
M. Norman Lizano, consul général du Costa Rica au Royaume des Pays- M. Julio César Saborio, conseiller juridique au ministère des affaires étran-
Bas, gères du Nicaragua,
M. Carlos Garbanzo, conseiller à la mission permanente du Costa Rica M. César Vega Masís, directeur, direction des affaires juridiques, de la sou-
auprès de l’Office des Nations Unies à Genève, veraineté et du territoire, ministère des affaires étrangères du Nicaragua,
M. Fouad Zarbiev, doctorant à l’Institut de hautes études internationales et comme conseils adjoints,
du développement de Genève,
M. Leonardo Salazar, Institut géographique national du Costa Rica, LA COUR,
comme conseillers ; ainsi composée,
M. Allan Solis, troisième secrétaire à l’ambassade du Costa Rica au Royaume après délibéré en chambre du conseil,
des Pays-Bas,
comme conseiller adjoint, rend l’arrêt suivant :
1. Le 29 septembre 2005, la République du Costa Rica (dénommée ci-après
et le « Costa Rica ») a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’ins-
la République du Nicaragua, tance datée du même jour contre la République du Nicaragua (dénommée ci-
représentée par après le « Nicaragua ») au sujet d’un « différend relatif aux droits de navigation
et droits connexes du Costa Rica sur le fleuve San Juan ».
S. Exc. M. Carlos José Argüello Gómez, ambassadeur du Nicaragua auprès Dans sa requête, le Costa Rica entend fonder la compétence de la Cour sur la
du Royaume des Pays-Bas, déclaration qu’il a faite le 20 février 1973 en vertu du paragraphe 2 de l’arti-
comme agent et conseil ; cle 36 du Statut, ainsi que sur la déclaration que le Nicaragua a faite le 24 sep-
M. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., membre du barreau d’Angleterre, tembre 1929 en vertu de l’article 36 du Statut de la Cour permanente de Justice
ancien président de la Commission du droit international, professeur émé- internationale et qui, aux termes du paragraphe 5 de l’article 36 du Statut de la
rite de droit international public (chaire Chichele) de l’Université d’Oxford, présente Cour, est considérée, pour la durée restant à courir, comme compor-
104
membre de l’Institut de droit international, Distinguished Fellow de l’All tant acceptation de la juridiction obligatoire de celle-ci. Le Costa Rica entend
Souls College à Oxford, également fonder la compétence de la Cour sur l’accord Tovar-Caldera signé
M. Stephen C. McCaffrey, professeur de droit international à la McGeorge par les Parties le 26 septembre 2002. Il invoque en outre comme base de com-
School of Law de l’Université du Pacifique à Sacramento (Etats-Unis pétence les dispositions de l’article XXXI du traité américain de règlement paci-
d’Amérique), ancien membre de la Commission du droit international, fique des différends, désigné officiellement en son article LX sous le nom de
M. Alain Pellet, professeur à l’Université de Paris Ouest, Nanterre-La « pacte de Bogotá ».
Défense, membre et ancien président de la Commission du droit inter- 2. Conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut, le greffier a
national, membre associé de l’Institut de droit international, immédiatement communiqué au Gouvernement du Nicaragua une copie certi-
M. Paul Reichler, avocat au cabinet Foley Hoag LLP, Washington D.C., fiée conforme de la requête ; d’autre part, en application du paragraphe 3 du
membre des barreaux de la Cour suprême des Etats-Unis d’Amérique et même article, tous les Etats admis à ester devant la Cour ont été informés de la
du district de Columbia, requête.
M. Antonio Remiro Brotóns, professeur de droit international à l’Universi- 3. Sur les instructions données par la Cour en vertu de l’article 43 de son
dad Autónoma de Madrid, membre associé de l’Institut de droit inter- Règlement, le greffier a adressé aux Etats parties au pacte de Bogotá les noti-
national, fications prévues au paragraphe 1 de l’article 63 du Statut de la Cour. Confor-
mément aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement de la
comme conseils et avocats ; Cour, le greffier a en outre adressé à l’Organisation des Etats américains la
Mme Irene Blázquez Navarro, docteur en droit international public, Univer- notification prévue au paragraphe 3 de l’article 34 du Statut, en demandant à
sidad Autónoma de Madrid, cette organisation de lui faire savoir si elle entendait présenter des observations
Mme Clara E. Brillenbourg, cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux écrites au sens du paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement.
du district de Columbia et de New York,
M. Lawrence H. Martin, avocat au cabinet Foley Hoag LLP, Washington 4. La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité des Parties,
D.C., membre des barreaux de la Cour suprême des Etats-Unis d’Amé- chacune d’elles s’est prévalue du droit que lui confère le paragraphe 3 de l’ar-
rique, du Massachusetts et du district de Columbia, ticle 31 du Statut de procéder à la désignation d’un juge ad hoc pour siéger en
M. Walner Molina Pérez, conseiller juridique au ministère des affaires étran- l’affaire. Le Costa Rica a désigné M. Antônio Cançado Trindade et le Nicara-
gères du Nicaragua, gua M. Gilbert Guillaume. M. Cançado Trindade a ensuite été élu membre de
M. Daniel Müller, chercheur au Centre de droit international de Nanterre la Cour. Le Costa Rica a informé la Cour qu’il avait décidé de ne pas désigner
(CEDIN), Université de Paris Ouest, Nanterre-La Défense, de nouveau juge ad hoc.
9 10
DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 220 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 221
5. Par ordonnance en date du 29 novembre 2005, la Cour a fixé au 11. A l’audience, des membres de la Cour ont posé aux Parties des questions,
29 août 2006 et au 29 mai 2007, respectivement, les dates d’expiration des délais auxquelles celles-ci ont répondu par écrit, dans le délai fixé par le président
pour le dépôt du mémoire du Costa Rica et du contre-mémoire du Nicaragua ; conformément au paragraphe 4 de l’article 61 du Règlement de la Cour. En
ces pièces ont été dûment déposées dans les délais ainsi prescrits. application de l’article 72 du Règlement, chacune des Parties a présenté des
6. Se référant au paragraphe 1 de l’article 53 du Règlement de la Cour, le observations sur les réponses écrites fournies par la Partie adverse.
Gouvernement de la République de l’Equateur et celui de la République de
Colombie ont respectivement demandé à obtenir des exemplaires des pièces de
*
procédure et des documents annexés en l’espèce. S’étant renseignée auprès des
Parties conformément à l’article susvisé, la Cour a décidé de ne pas accéder à 12. Dans la requête, les demandes ci-après ont été formulées par le Costa
ces demandes. Le greffier a notifié la décision de la Cour au Gouvernement de Rica :
la République de l’Equateur et à celui de la République de Colombie, ainsi
qu’aux Parties. « Pour ces motifs, tout en se réservant le droit de compléter, préciser ou
7. Par ordonnance en date du 9 octobre 2007, la Cour a autorisé la présenta- modifier la présente requête ainsi que de prier la Cour d’indiquer les mesu-
tion d’une réplique par le Costa Rica et d’une duplique par le Nicaragua, et fixé res conservatoires éventuellement nécessaires pour protéger ses droits et
respectivement au 15 janvier 2008 et au 15 juillet 2008 les dates d’expiration des empêcher l’aggravation du différend, le Costa Rica prie la Cour de dire et
délais pour le dépôt de ces pièces, qui ont été dûment produites dans les délais juger que le Nicaragua enfreint les obligations internationales visées au
ainsi prescrits. paragraphe 1 de la présente requête en refusant au Costa Rica la possibi-
8. Par lettre du 27 novembre 2008, l’agent du Costa Rica a exprimé le sou- lité d’exercer librement ses droits de navigation et ses droits connexes sur le
hait de son gouvernement de produire cinq documents nouveaux, conformé- fleuve San Juan. En particulier, le Costa Rica prie la Cour de dire et juger
ment à l’article 56 du Règlement de la Cour. Ainsi qu’il est prévu au para- que, par son comportement, le Nicaragua a enfreint :
graphe 1 de cet article, ces documents ont été communiqués au Nicaragua. Par a) l’obligation de faciliter et d’accélérer la circulation sur le fleuve San Juan
lettre du 10 décembre 2008, l’agent du Nicaragua a informé la Cour que son conformément aux dispositions du traité du 15 avril 1858 et à son
gouvernement ne donnait pas son assentiment à la production des documents interprétation par voie d’arbitrage du 22 mars 1888 ;
en question. b) l’obligation de permettre aux bateaux du Costa Rica et à leurs passa-
La Cour, en application du paragraphe 2 de l’article 56 de son Règlement, a gers d’emprunter librement et sans entrave le fleuve San Juan à des fins
105
décidé d’autoriser la production de quatre des cinq documents soumis par le commerciales, notamment pour les besoins du transport de passagers
Costa Rica, étant entendu que le Nicaragua aurait la possibilité, ménagée au et du tourisme ;
paragraphe 3 de l’article précité, de présenter par la suite des observations à c) l’obligation de permettre aux bateaux du Costa Rica et à leurs passa-
leur sujet et de soumettre des documents à l’appui de ces observations. Les gers empruntant le fleuve San Juan d’accoster librement sur l’une ou
Parties ont été informées de cette décision par des lettres du greffier datées du l’autre rive du fleuve sans acquitter aucun droit, sauf accord exprès des
18 décembre 2008. deux gouvernements ;
9. Conformément au paragraphe 2 de l’article 53 de son Règlement, la Cour d) l’obligation de ne contraindre les bateaux du Costa Rica et leurs pas-
a décidé, après s’être renseignée auprès des Parties, que des exemplaires des piè- sagers à faire halte à aucun poste nicaraguayen situé le long du fleuve ;
ces de procédure et des documents annexés seraient rendus accessibles au public e) l’obligation de n’imposer aux bateaux du Costa Rica et à leurs pas-
à l’ouverture de la procédure orale. sagers le versement d’aucun droit ou redevance pour naviguer sur le
10. Des audiences publiques ont été tenues du 2 au 12 mars 2009, au cours fleuve ;
desquelles ont été entendus en leurs plaidoiries et réponses : f) l’obligation de laisser au Costa Rica le droit de naviguer sur le fleuve
conformément aux dispositions de l’article 2 de la sentence arbitrale
Pour le Costa Rica : S. Exc. M. Edgar Ugalde-Alvarez, Cleveland ;
M. Arnoldo Brenes, g) l’obligation de laisser aux bateaux officiels du Costa Rica le droit de
M. Sergio Ugalde, naviguer sur le fleuve San Juan à des fins de ravitaillement ou pour
M. Lucius Caflisch, assurer la relève du personnel des postes frontaliers établis le long de la
M. Marcelo G. Kohen, rive droite du San Juan, avec leur équipement officiel, notamment les
M. James Crawford, armes et munitions nécessaires, ainsi qu’à des fins de protection, comme
Mme Kate Parlett. il est prévu dans les instruments pertinents ;
h) l’obligation de coopérer avec le Costa Rica en vue d’exécuter les enga-
Pour le Nicaragua : S. Exc. M. Carlos José Argüello Gómez, gements et activités demandant un effort commun de la part des deux
M. Ian Brownlie, Etats, afin de faciliter et d’accélérer la circulation sur le fleuve San Juan
M. Antonio Remiro Brotóns, conformément aux dispositions du traité de limites et à l’interprétation
M. Alain Pellet, qui en a été donnée par la sentence Cleveland, et à d’autres instruments
M. Paul Reichler, pertinents ;
M. Stephen C. McCaffrey. i) l’obligation de ne pas aggraver ou étendre le différend par l’adoption
11 12
DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 222 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 223
de mesures à l’encontre du Costa Rica, y compris des sanctions éco- g) l’obligation de reconnaître aux bateaux officiels du Costa Rica le droit
nomiques illicites qui seraient contraires aux traités en vigueur ou au de naviguer sur le San Juan, notamment pour ravitailler et relever le
droit international général, ou apporteraient de nouvelles modifica- personnel des postes frontière établis sur la rive droite du fleuve, avec
tions non autorisées par les instruments visés plus haut au régime de la leur équipement officiel, leurs armes de service et des munitions, ainsi
navigation sur le fleuve San Juan et aux droits connexes. qu’à des fins de protection comme il est prévu dans les instruments per-
En outre, la Cour est priée de déterminer les réparations dues par le tinents, en particulier l’article 2 de la sentence Cleveland ;
Nicaragua à raison, en particulier, de toutes mesures du type de celles qui
sont mentionnées au paragraphe 10 de la requête. » h) l’obligation de faciliter et d’accélérer la circulation sur le San Juan, au
sens du traité du 15 avril 1858 tel qu’interprété par la sentence Cleve-
Le paragraphe 10 de la requête est ainsi libellé : land de 1888, conformément à l’article premier de l’accord bilatéral du
« Le Costa Rica demande la cessation de ce comportement de la part du 9 janvier 1956 ; et
Nicaragua, qui l’empêche de faire usage et de jouir librement et pleinement i) l’obligation de permettre aux habitants de la rive costa-ricienne de
des droits qu’il détient sur le fleuve San Juan et qui l’empêche également de pêcher dans le fleuve pour leur subsistance.
s’acquitter des responsabilités que lui confèrent l’article II de l’accord 3. En outre, la Cour est priée de juger et dire que, en raison des viola-
de 1956 et d’autres instruments. Pour le cas où le Nicaragua prendrait les tions énoncées ci-dessus, le Nicaragua est tenu :
sanctions économiques visées ci-dessus, ou toute autre sanction illicite, ou
toute autre mesure propre à aggraver ou à étendre le présent différend, le a) de cesser immédiatement toutes les violations des obligations revêtant
Costa Rica demande en outre la cessation de ce comportement et la répa- un caractère continu ;
ration intégrale des pertes subies. » b) de dédommager le Costa Rica pour tous les préjudices subis par
celui-ci en raison des violations des obligations du Nicaragua dénon-
13. Au cours de la procédure écrite, les conclusions ci-après ont été formu- cées plus haut, sous la forme du rétablissement de la situation anté-
lées par les Parties : rieure auxdites violations et d’une indemnisation dont le montant sera
Au nom du Gouvernement du Costa Rica, fixé lors d’une autre phase de la présente instance ;
c) de fournir des assurances et des garanties appropriées de non-
dans le mémoire et dans la réplique : répétition de son comportement illicite, sous la forme que la Cour
« 1. Pour ces motifs, tout en se réservant le droit de compléter, préciser voudra bien ordonner. »
106
ou modifier les présentes conclusions, le Costa Rica prie la Cour de dire et Au nom du Gouvernement du Nicaragua,
juger que le Nicaragua enfreint ses obligations internationales en lui contes-
tant la possibilité d’exercer librement ses droits de navigation et ses droits dans le contre-mémoire :
connexes sur le San Juan. « Sur la base des considérations de fait et de droit exposées dans le
2. En particulier, le Costa Rica prie la Cour de dire et juger que le Nica- contre-mémoire, la Cour est priée :
ragua a, par son comportement, violé : De dire et juger que les demandes qu’a formulées le Costa Rica dans son
a) l’obligation de permettre à tous les bateaux costa-riciens et à leurs pas- mémoire sont rejetées pour les motifs suivants :
sagers de naviguer librement sur le San Juan à des fins de commerce, a) soit parce qu’il n’y a d’après les faits aucune violation des dispositions
y compris pour les déplacements, les transports de passagers et le du traité du 15 avril 1858 ;
tourisme ; b) soit, le cas échéant, parce que l’obligation dont le non-respect est allé-
b) l’obligation de n’imposer aux bateaux du Costa Rica et à leurs pas- gué n’est pas visée par les dispositions du traité du 15 avril 1858.
sagers le versement d’aucun droit ou redevance pour naviguer sur le
fleuve ; En outre, la Cour est également priée d’adopter une déclaration formelle
c) l’obligation de ne pas exiger des personnes exerçant le droit de libre concernant les questions soulevées par le Nicaragua à la section 2 du cha-
navigation sur le fleuve qu’elles soient munies de passeports et qu’elles pitre 7. »
obtiennent un visa du Nicaragua ; La partie pertinente de cette section du contre-mémoire est ainsi libellée :
d) l’obligation de ne pas exiger des bateaux costa-riciens et de leurs pas-
sagers qu’ils fassent halte à un quelconque poste nicaraguayen situé le
long du fleuve ; « Enfin, compte tenu des considérations qui précèdent et, en particulier,
e) l’obligation de ne pas mettre d’autres entraves à l’exercice du droit de de celles qui sont exposées au chapitre 2 E), le Nicaragua prie la Cour de
libre navigation, notamment sous la forme d’horaires de navigation et déclarer que :
de conditions relatives aux pavillons ; i) le Costa Rica est tenu de se conformer aux règles de navigation (et
f) l’obligation de permettre aux bateaux costa-riciens et à leurs passagers d’accostage) sur le San Juan qui sont imposées par les autorités
empruntant le San Juan d’accoster librement en tout point du fleuve nicaraguayennes, en particulier à celles qui concernent les questions
où la navigation est commune sans acquitter aucun droit, sauf accord de santé et de sécurité ;
exprès des deux gouvernements ; ii) le Costa Rica doit s’acquitter des sommes dues au titre de tous les
13 14
DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 224 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 225
services spéciaux assurés par le Nicaragua dans le cadre de l’utilisa- Au nom du Gouvernement du Costa Rica,
tion du San Juan, que ce soit pour la navigation ou pour l’accostage à l’audience du 9 mars 2009 :
sur les rives nicaraguayennes ;
iii) le Costa Rica doit s’acquitter de toutes les charges raisonnables à « Au vu des exposés écrits et oraux et des éléments de preuve présentés
régler au titre des améliorations apportées aux conditions de naviga- par les Parties, la République du Costa Rica prie la Cour de dire et juger
tion sur le fleuve par rapport aux conditions de 1858 ; que la République du Nicaragua a, par son comportement, violé :
iv) les bateaux du service des douanes peuvent être utilisés uniquement a) l’obligation de permettre à tous les bateaux costa-riciens et à leurs pas-
pendant le transit effectif de marchandises tel qu’autorisé par le sagers de naviguer librement sur le San Juan à des fins de commerce,
traité et dans le strict cadre de ce transit ; y compris pour les communications, le transport de passagers et le
v) le Nicaragua a le droit de draguer le San Juan afin de rétablir le tourisme ;
débit d’eau qui existait en 1858, même si cela modifie le débit b) l’obligation de n’imposer aux bateaux costa-riciens et à leurs passagers
d’autres cours d’eau récepteurs comme le Colorado. » le versement d’aucun droit ou redevance pour naviguer sur le fleuve ;
c) l’obligation de ne pas exiger des personnes exerçant le droit de libre
dans la duplique : navigation sur le fleuve qu’elles soient munies de passeports et qu’elles
« Sur la base des faits et considérations de droit exposées dans le contre- obtiennent un visa du Nicaragua ;
mémoire et dans la duplique, la Cour est priée : d) l’obligation de ne pas exiger des bateaux costa-riciens et de leurs pas-
De dire et juger que les demandes présentées par le Costa Rica dans son sagers qu’ils fassent halte à un quelconque poste nicaraguayen situé le
mémoire et dans sa réplique sont rejetées en général et, en particulier, pour long du fleuve ;
les motifs suivants : e) l’obligation de ne pas mettre d’autres entraves à l’exercice du droit de
libre navigation, notamment sous la forme d’horaires de navigation et
a) soit parce que le Nicaragua n’a violé ni les dispositions du traité de de conditions relatives aux pavillons ;
limites du 15 avril 1858 ni aucune autre obligation internationale lui f) l’obligation de permettre aux bateaux costa-riciens et à leurs passagers
incombant ; empruntant le San Juan d’accoster librement en tout point du fleuve où
b) soit, le cas échéant, parce que l’obligation dont le non-respect est allé- la navigation est commune sans acquitter aucun droit, sauf accord
gué n’est une obligation ni en vertu des dispositions du traité de limites exprès des deux gouvernements ;
107
du 15 avril 1858 ni au regard du droit international général. g) l’obligation de reconnaître aux bateaux officiels du Costa Rica le droit
En outre, la Cour est priée de faire une déclaration formelle sur les ques- de naviguer sur le San Juan, notamment pour ravitailler et relever les
tions que le Nicaragua a soulevées à la section II du chapitre VII de son membres du personnel des postes frontière établis sur la rive droite du
contre-mémoire et mentionnées à nouveau à la section I du chapitre VI de fleuve, munis de leur équipement officiel, de leurs armes de service et
sa duplique. » de munitions, ainsi qu’à des fins de protection comme il est prévu dans
La partie pertinente de cette section de la duplique est ainsi libellée : les instruments pertinents, en particulier l’article 2 de la sentence
« i) le Costa Rica est tenu de se conformer aux règles de navigation (et Cleveland ;
d’accostage) sur le San Juan qui sont imposées par les autorités nica- h) l’obligation de faciliter et d’accélérer la circulation sur le San Juan, au
raguayennes, en particulier à celles qui concernent les questions de sens du traité du 15 avril 1858 tel qu’interprété par la sentence Cleve-
santé et de sécurité ; land de 1888, conformément à l’article premier de l’accord bilatéral du
ii) le Costa Rica doit s’acquitter des sommes dues au titre de tous les ser- 9 janvier 1956 ;
vices spéciaux assurés par le Nicaragua dans le cadre de l’utilisation i) l’obligation de permettre aux habitants de la rive costa-ricienne de pra-
du San Juan, que ce soit pour la navigation ou pour l’accostage sur les tiquer la pêche de subsistance.
rives nicaraguayennes ; En outre, la République du Costa Rica prie la Cour de dire et juger que,
iii) le Costa Rica doit s’acquitter de toutes les charges raisonnables à en raison des violations des obligations énoncées ci-dessus, le Nicaragua
régler au titre des améliorations apportées aux conditions de naviga- est tenu :
tion sur le fleuve par rapport aux conditions de 1858 ; a) de cesser immédiatement toutes les violations des obligations revêtant
iv) les bateaux du service des douanes peuvent être utilisés uniquement un caractère continu ;
pendant le transit effectif de marchandises tel qu’autorisé par le traité b) de dédommager le Costa Rica de tous les préjudices subis par celui-ci
et dans le strict cadre de ce transit ; en raison des violations des obligations du Nicaragua mentionnées
v) le Nicaragua a le droit de draguer le San Juan afin de rétablir le débit plus haut, sous la forme du rétablissement de la situation antérieure
d’eau qui existait en 1858, même si cela modifie le débit d’autres cours auxdites violations et d’une indemnisation dont le montant sera fixé
d’eau récepteurs comme le Colorado. » lors d’une phase ultérieure de la présente instance ; et
c) de fournir des assurances et garanties appropriées de non-répétition de
14. A l’audience, les conclusions ci-après ont été formulées par les Parties : son comportement illicite, sous la forme que la Cour voudra bien
ordonner.
15 16
DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 226 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 227
r a do
mémoire, dans la duplique et à l’audience,
MER DES
Baie de San Juan del Norte
CARAÏBES
lo
Punta de Castilla
Co
Le Nicaragua prie la Cour de dire et juger que :
Les demandes présentées par le Costa Rica dans son mémoire, dans sa
an
réplique et à l’audience sont rejetées en général et, en particulier, pour les
motifs suivants : Ju uí
piq
SAN JOSÉ
an ra
Sa
S
a) soit parce que le Nicaragua n’a violé ni les dispositions du traité de
limites du 15 avril 1858 ni aucune autre obligation internationale lui Castillo Viejo
s
lo
NICARAGUA
incombant ; ar
C
b) soit, le cas échéant, parce que l’obligation dont le non-respect est allé- an S
gué n’est une obligation ni en vertu des dispositions du traité de limites
du 15 avril 1858 ni au regard du droit international général.
En outre, le Nicaragua prie la Cour de faire une déclaration formelle sur
les questions qu’il a soulevées à la section II du chapitre VII de son contre-
mémoire et à la section I du chapitre VI de sa duplique, et qu’il a men-
tionnées à nouveau à l’audience. »
COSTA RICA
* * *
Lac Nicaragua
108
Nicoya
15. Le fleuve San Juan coule sur une distance d’environ 205 kilomètres
entre le lac Nicaragua et la mer des Caraïbes (voir croquis nos 1 et 2). A
Baie de Salinas
Caraïbes au niveau de la baie de San Juan del Norte, tandis qu’au sud le
WGS 84
Croquis n°1:
Colorado, qui est le plus large des deux bras, coule tout du long en ter-
MANAGUA
Ce croquis a été établi
à seule fin d'illustration.
et frontière entre
OCÉAN PACIFIQUE
17 18
DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 228 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 229
C6
comme appartenant au Costa Rica.
C5
d o
18. Au milieu des années 1850, le Nicaragua traversa une période de
r a C4
Punta de Castilla
guerre intestine à laquelle participa un groupe d’aventuriers américains
lo
(11°N)
N7
o
WGS 84
C appelés « flibustiers » (« filibusteros »), menés par William Walker. Le
N6
C3
Croquis n°2:
Gouvernement du Costa Rica ainsi que ceux d’El Salvador, du Guate-
mala et du Honduras joignirent leurs efforts à ceux du Nicaragua afin de
Tracé de la frontière
COSTA RICA
itinéraire touristique et
vaincre ces derniers. En mai 1857, Walker capitula et quitta le territoire
nicaraguayen. A la suite de la défaite des flibustiers, une guerre éclata
N5
pays engagèrent des négociations en vue de régler les questions bilatérales
C2
piqu
í restées en suspens entre eux, concernant notamment leur frontière com-
Sara
mune, le régime de la navigation sur le San Juan et la construction éven-
tuelle d’un canal interocéanique traversant l’isthme centraméricain.
a n
19. Un traité de limites, qui portait sur les limites territoriales et le sta-
J u
tut du San Juan, fut signé le 6 juillet 1857 mais ne fut pas ratifié par le
n
a
Costa Rica. Un traité de paix fut signé le 8 décembre 1857 mais ne fut
S
N4
C1
ratifié ni par le Costa Rica ni par le Nicaragua. Grâce à la médiation du
109
NICARAGUA
ministre salvadorien des affaires étrangères, les Gouvernements costa-
ricien et nicaraguayen se mirent d’accord le 15 avril 1858 sur un traité de
N3
limites qui fut ratifié par le Costa Rica le 16 avril 1858 et par le Nicara-
os
gua le 26 avril 1858. Le traité de limites de 1858 fixait le tracé de la fron-
rl
Ca
o tière entre le Costa Rica et le Nicaragua depuis l’océan Pacifique jusqu’à
n
it
Castillo Viejo
rn
Sa
ie
In
f la mer des Caraïbes. Selon le tracé de la frontière, le district de Nicoya se
trouvait en territoire costa-ricien. Entre un point situé à 3 milles anglais
N2
en aval de Castillo Viejo et la mer des Caraïbes, le traité fixait la frontière
le long de la rive droite du San Juan. Il établissait l’autorité et la juridic-
tion souveraine du Nicaragua sur les eaux du San Juan, mais affirmait en
même temps le droit de navigation « con objetos de comercio » du
Costa Rica sur le cours inférieur du fleuve (article VI). Le traité de 1858
énonçait d’autres droits et obligations des deux parties, notamment l’obli-
gation de contribuer à la défense des baies communes de San Juan del
N1
Norte et de Salinas ainsi qu’à la défense du San Juan en cas d’agression
extérieure (article IV), l’obligation pour le Nicaragua de consulter le
Cours d'eau
Frontière internationale
Itinéraire touristique
Postes costa-riciens
C1: Boca del Río San Carlos
C2: Boca del Río Sarapiquí
C3: Delta Costa Rica
C4: Puerto Lindo
C5: Barra del Colorado Norte
C6: Barra del Colorado Sur
Postes nicaraguayens
N1: San Carlos
N2: Boca Sábalos
N3: Bartola
N4: Boca San Carlos
N5: Boca Sarapiquí
N6: Delta San Juan
N7: San Juan del Norte
Costa Rica avant de conclure tout accord de canalisation ou de passage
concernant le San Juan (article VIII) et l’interdiction pour les parties de
Ce croquis a été établi
à seule fin d'illustration. se livrer à des actes d’hostilité l’une envers l’autre (article IX).
19 20
DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 230 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 231
également déterminer si le Costa Rica pouvait faire naviguer sur le 26. Au mois de juillet 1998, par suite de nouveaux désaccords entre les
San Juan ses bateaux de guerre ou ceux de son service des douanes. Dans Parties quant à l’étendue des droits de navigation du Costa Rica sur le
sa sentence du 22 mars 1888, le président Cleveland décida que le traité San Juan, le Nicaragua adopta certaines mesures. Le 14 juillet 1998, en
de 1858 était valide. Il indiqua aussi, au sujet de l’article VI du traité, que particulier, le Nicaragua interdit la navigation des bateaux costa-riciens
le Costa Rica n’avait pas le droit de faire naviguer ses bateaux de guerre transportant des membres des forces de police du Costa Rica. Le
sur le San Juan, mais que les bateaux de son service des douanes pou- 30 juillet 1998, le ministre nicaraguayen de la défense et le ministre costa-
vaient, eux, emprunter le fleuve dès lors qu’ils naviguaient « for the ricien de la sécurité publique signèrent un accord, dit « communiqué
purposes of commerce ». conjoint Cuadra-Lizano ». Le texte ménageait aux bateaux costa-riciens
21. A la suite de la sentence Cleveland, une commission frontalière transportant des policiers en armes à leur bord la possibilité de naviguer
chargée de démarquer la ligne frontière fut établie. Un ingénieur, Edward sur le fleuve pour ravitailler les postes frontière situés du côté costa-
Alexander, eut pour mission de résoudre tous « points litigieux » pouvant ricien, à condition toutefois que les agents costa-riciens embarqués sur ces
s’élever sur le terrain pendant le processus de démarcation, qui com- bateaux portent uniquement leur arme de service et que les autorités nica-
mença en 1897 et s’acheva en 1900. Alexander rendit cinq sentences à raguayennes soient préalablement informées, celles-ci pouvant décider de
cette fin. leur adjoindre une escorte nicaraguayenne. Le 11 août 1998, le Nicaragua
22. Le 5 août 1914, le Nicaragua signa avec les Etats-Unis un traité (le déclara que, selon lui, le communiqué conjoint Cuadra-Lizano était nul
traité Chamorro-Bryan) accordant à ces derniers des « droits de propriété et non avenu. Cette déclaration unilatérale ne fut pas acceptée par le
exclusifs » et perpétuels pour le percement et l’entretien d’un canal Costa Rica. Ainsi les Parties sont-elles restées divisées sur le régime de la
interocéanique empruntant le San Juan. Le 24 mars 1916, le Costa Rica navigation sur le fleuve San Juan.
introduisit devant la Cour de justice centraméricaine une instance contre 27. Le 24 octobre 2001, le Nicaragua a assorti sa déclaration d’accep-
le Nicaragua, qu’il accusait d’avoir manqué à son obligation de le consul- tation de la juridiction de la Cour d’une réserve (voir paragraphe 1 ci-
ter préalablement à tout projet de canalisation, ainsi qu’il était prévu à dessus) indiquant qu’il ne reconnaîtrait plus la compétence de celle-ci à
l’article VIII du traité de 1858. Le 30 septembre 1916, la Cour de justice l’égard « d’aucune affaire ni d’aucune requête qui auraient pour origine
centraméricaine déclara que, en manquant de consulter le Costa Rica, le l’interprétation de traités, signés ou ratifiés, ou de sentences arbitrales
110
Nicaragua avait violé les droits reconnus à ce dernier dans le traité de rendues, avant le 31 décembre 1901 ». Dans l’accord Tovar-Caldera,
limites de 1858 et dans la sentence Cleveland de 1888. signé par les Parties le 26 septembre 2002, le Nicaragua a accepté que sa
23. Le 9 janvier 1956, le Costa Rica et le Nicaragua conclurent un réserve de 2001 à sa déclaration d’acceptation de la juridiction de la Cour
accord (l’accord Fournier-Sevilla) dans le cadre duquel ils convenaient de fasse l’objet d’un moratoire de trois ans. Pour sa part, le Gouvernement
faciliter et d’accélérer la circulation notamment sur le San Juan et s’enga- du Costa Rica s’est engagé, pour la même période de trois ans, à n’inten-
geaient à coopérer pour assurer la garde de la frontière commune. ter d’action ni devant la Cour internationale de Justice ni devant aucune
24. Divers incidents liés au régime de la navigation sur le San Juan autre instance au sujet d’une affaire ou d’une réclamation mentionnées
commencèrent à se produire dans les années 1980. A cette époque, le dans des traités ou accords actuellement en vigueur entre les deux Etats.
Nicaragua mit en place certaines restrictions applicables à la navigation 28. Le 29 septembre 2005, une fois écoulé ce délai convenu de trois ans
costa-ricienne sur le San Juan, restrictions qu’il justifia en les présentant sans que les Parties soient parvenues à régler leurs divergences, le
comme des mesures temporaires et exceptionnelles visant à protéger sa Costa Rica a introduit une instance devant la Cour à l’encontre du Nica-
sécurité nationale dans un contexte de conflit armé. Certaines de ces res- ragua au sujet du différend relatif à ses droits de navigation et droits
trictions furent suspendues après que le Costa Rica eut protesté. Au connexes sur le San Juan (voir paragraphe 1 ci-dessus). Le Nicaragua n’a
milieu des années 1990, le Nicaragua prit de nouvelles mesures, instituant pas soulevé d’exception à la compétence de la Cour pour connaître de ce
notamment le paiement de certaines sommes pour les passagers qui différend.
empruntaient le San Juan à bord de bateaux costa-riciens et l’obligation,
pour les bateaux costa-riciens, de faire halte aux postes militaires nicara- *
guayens situés le long du fleuve.
25. Le 8 septembre 1995, le commandant en chef de l’armée nicara- 29. Compte tenu de l’objet du différend tel qu’il est résumé ci-dessus,
guayenne et le ministre costa-ricien de la sécurité publique signèrent un et des conclusions et moyens des Parties, la Cour procédera de la manière
document, dit « communiqué conjoint Cuadra-Castro », qui prévoyait la suivante.
coordination des opérations menées dans les zones frontalières des Elle déterminera d’abord l’étendue du droit de libre navigation que
deux Etats contre le trafic illicite de personnes et de véhicules et la contre- possède le Costa Rica sur le fleuve San Juan (II).
bande. Elle se demandera en deuxième lieu si et dans quelle mesure, dans le
21 22
DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 232 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 233
champ d’application du droit ainsi défini, le Nicaragua a le pouvoir de au moins quant à sa partie dont le tracé suit la frontière, et, par suite, le
réglementer la navigation des bateaux costa-riciens, et si les mesures par- Costa Rica posséderait un droit coutumier de libre navigation en sa qua-
ticulières qu’il a décidées et mises en œuvre à cette fin au cours de la lité d’Etat riverain.
période écoulée depuis la naissance du différend sont compatibles avec les 33. Selon le Nicaragua, au contraire, le San Juan n’a pas le caractère
droits du Costa Rica (III). d’un « fleuve international », puisqu’il coule entièrement à l’intérieur du
Elle examinera ensuite la question du droit des habitants de la rive territoire d’un même pays, du fait des dispositions du traité de limites
costa-ricienne du fleuve de pratiquer la pêche de subsistance, que reven- de 1858 qui fixent la frontière d’une façon telle qu’aucune portion du
dique le Costa Rica (IV). fleuve ne relève de la souveraineté d’un Etat autre que le Nicaragua. En
Enfin, à la lumière des motifs qui auront été adoptés sur les points pré- outre, le Nicaragua conteste qu’il existe un régime général qui serait
cédents, elle examinera les demandes que les Parties lui ont présentées applicable, en vertu du droit international coutumier, aux fleuves dont le
dans leurs conclusions finales concernant notamment les réparations cours, ou l’une des rives, constitue la frontière entre deux Etats, et plus
appropriées (V). généralement aux « fleuves internationaux ». Enfin, selon le Nicaragua,
quand bien même un tel régime existerait, il serait supplanté en l’espèce
par les dispositions conventionnelles qui définissent le statut du fleuve
II. DU DROIT DE LIBRE NAVIGATION DU COSTA RICA San Juan et régissent le droit des Etats riverains à la navigation. Ce sont
SUR LE FLEUVE SAN JUAN ces dispositions spéciales qu’il conviendrait d’appliquer pour résoudre le
présent différend, en tout cas dans sa partie relative au droit de naviga-
30. Les deux Parties conviennent que le Costa Rica possède un droit tion sur le fleuve.
de libre navigation sur la portion du fleuve San Juan dont la rive droite, 34. La Cour ne croit pas devoir prendre parti, dans la présente affaire,
celle qui se trouve du côté costa-ricien, marque la frontière entre les deux sur la question de savoir si et dans quelle mesure il existe, en droit inter-
Etats en vertu du traité de limites (dit « traité Jerez-Cañas ») conclu entre national coutumier, un régime applicable à la navigation sur les « fleuves
eux le 15 avril 1858. Il s’agit de la partie du fleuve qui va d’un point situé internationaux », soit de portée universelle, soit de caractère régional en
à une distance de 3 milles anglais en aval de Castillo Viejo, ville située en ce qui concerne la zone géographique où se situe le San Juan. Elle ne croit
111
territoire nicaraguayen, jusqu’à l’embouchure du fleuve sur la mer des pas non plus, par voie de conséquence, devoir trancher la question de
Caraïbes (voir paragraphe 16 ci-dessus). savoir si le San Juan entre dans la catégorie des « fleuves internationaux »
En amont du point précédemment désigné, le San Juan coule entière- — comme le soutient le Costa Rica — ou constitue un fleuve national
ment, depuis le lac Nicaragua où il prend sa source, en territoire nicara- comportant un élément international — ce qui est la thèse du Nicaragua.
guayen, en ce sens que ses deux rives appartiennent au Nicaragua. La 35. En effet, quand bien même la qualification de « fleuve internatio-
partie du fleuve dont la rive droite appartient au Costa Rica, celle qui est nal » serait juridiquement pertinente en matière de navigation en ce
en cause dans le présent différend, est longue d’environ 140 kilomètres. qu’elle entraînerait l’application sur cette question de règles de droit
31. S’il n’est pas discuté que sur la portion du fleuve ainsi définie la international coutumier, de telles règles ne pourraient produire effet, tout
souveraineté appartient au Nicaragua, puisque la frontière se situe à la au plus, qu’en l’absence de dispositions conventionnelles ayant pour
rive costa-ricienne, tandis que le Costa Rica possède un droit de libre résultat de les écarter, notamment parce qu’elles viseraient à définir de
navigation, les positions des Parties divergent, en revanche, à la fois manière complète le régime applicable à la navigation par les Etats rive-
quant au fondement juridique de ce droit et surtout quant à son étendue rains sur un fleuve déterminé ou une portion de celui-ci.
exacte, c’est-à-dire quant aux types de navigation qui sont couverts par 36. Tel est précisément le cas en l’espèce. Le traité de limites de 1858
lui. définit de manière complète les règles applicables à la portion en litige du
fleuve San Juan en matière de navigation. Interprété à la lumière des
1. Le fondement juridique du droit de libre navigation autres dispositions conventionnelles en vigueur entre les deux Parties, et
en conformité avec les décisions arbitrales ou judiciaires rendues à son
32. Selon le Costa Rica, le droit de libre navigation qu’il possède sur la sujet, ce traité suffit à résoudre la question de l’étendue du droit du
partie en litige du fleuve San Juan résulte, d’une part, de certaines dispo- Costa Rica à la libre navigation qui est présentement soumise à la Cour.
sitions conventionnelles en vigueur entre les deux Parties, à savoir prin- En conséquence, la Cour n’a pas besoin de se demander si, dans l’hypo-
cipalement, mais non exclusivement, le traité de limites du 15 avril 1858, thèse où ces dispositions n’auraient pas existé, le Costa Rica aurait néan-
et, d’autre part, des règles du droit international général applicables, moins pu se prévaloir à cette fin de règles tirées de la coutume interna-
même en l’absence de dispositions conventionnelles, à la navigation sur tionale, universelle ou régionale.
les « fleuves internationaux ». Le San Juan entrerait dans cette catégorie, 37. La principale disposition qui fonde le droit du Costa Rica à la libre
23 24
DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 234 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 235
navigation figure à l’article VI du traité de 1858 (voir paragraphes 43 que les actes conventionnels proprement dits : les modalités de la coopé-
et 44 ci-après) ; c’est celle qui s’est trouvée au centre des arguments échan- ration qu’ils organisent sont susceptibles d’être revisées selon les conve-
gés par les Parties quant à l’étendue du droit de navigation sur le nances des parties. Au surplus, le second d’entre eux a été rapidement
San Juan. déclaré nul et non avenu par la partie nicaraguayenne (voir paragra-
L’article VI, après avoir conféré au Nicaragua la pleine et exclusive phe 26 ci-dessus).
souveraineté (« exclusivamente el dominio y sumo imperio ») sur la tota- 41. Les instruments conventionnels susmentionnés doivent être com-
lité du San Juan, depuis sa source dans le lac jusqu’à son embouchure pris à la lumière de deux décisions importantes ayant tranché des diver-
dans la mer, reconnaît au Costa Rica, sur la portion du fleuve qui suit la gences apparues entre les Parties dans la définition de leurs droits et
frontière entre les deux Etats (voir paragraphe 30 ci-dessus), un droit per- obligations respectifs : la sentence arbitrale rendue par le président des
pétuel (« los derechos perpetuos ») de libre navigation « con objetos de Etats-Unis d’Amérique le 22 mars 1888 (dite « sentence Cleveland ») ;
comercio », selon les termes de la version espagnole du traité, qui seule l’arrêt rendu, sur la requête du Costa Rica, par la Cour de justice centra-
fait foi, et sur la signification desquels la Cour aura à revenir plus loin. méricaine le 30 septembre 1916.
En outre, le même article VI reconnaît aux bateaux des deux pays rive- La première de ces deux décisions a tranché plusieurs questions rela-
rains le droit d’accoster librement sur l’une ou l’autre rive sans être sou- tives à l’interprétation du traité de 1858 qui divisaient les parties dans
mis à aucune taxe (« ninguna clase de impuestos »), sauf accord entre les l’affaire en cause ; la seconde a constaté que le Nicaragua, en concluant
deux gouvernements. avec les Etats-Unis d’Amérique un accord autorisant le percement et
38. D’autres dispositions du traité de 1858, quoique de moindre impor- l’entretien d’un canal interocéanique empruntant le San Juan, avait
tance aux fins de la présente affaire, ne sont pas dépourvues de pertinence méconnu le droit que le Costa Rica tenait de l’article VIII du même traité
en ce qui concerne le droit de navigation sur le fleuve. Il en va ainsi d’être consulté avant la conclusion de tout accord de ce genre.
notamment de l’article IV, qui oblige le Costa Rica à concourir à la garde Bien qu’aucune de ces deux décisions ne tranche directement les ques-
du fleuve « pour la partie qui lui revient des rives » de celui-ci, de l’ar- tions qui sont à présent soumises à la Cour, elles comportent certaines
ticle VIII, qui oblige le Nicaragua à consulter le Costa Rica avant la indications dont il y aura lieu de tenir compte pour les besoins de la pré-
conclusion de tout accord de canalisation ou de passage sur le fleuve avec sente affaire.
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un Etat tiers, et bien sûr de l’article II, qui fixe la frontière à la rive costa-
ricienne sur la partie du fleuve qui est en cause dans le présent différend. 2. L’étendue du droit de libre navigation
39. Outre le traité de 1858, il y a lieu de mentionner, au titre des ins- reconnu au Costa Rica
truments conventionnels susceptibles d’exercer un effet sur la définition
du droit de navigation sur le fleuve et les conditions de son exercice, 42. Ayant ainsi défini le fondement juridique du droit dont le
l’accord conclu le 9 janvier 1956 entre les deux Etats (dit « accord Costa Rica soutient qu’il est en partie méconnu par le Nicaragua, la Cour
Fournier-Sevilla »), par lequel les Parties convenaient de coopérer doit à présent en délimiter l’étendue exacte ou, en d’autres termes, le
dans toute la mesure de leurs possibilités afin, notamment, de faciliter et champ d’application. Les Parties divergent en effet considérablement
d’accélérer la circulation sur le San Juan en conformité avec le traité quant à la définition de ce champ, c’est-à-dire quant aux types de naviga-
de 1858 et la sentence arbitrale rendue par le président Cleveland en tion qui sont couverts par le « droit perpétuel » consenti au Costa Rica
1888 (pour le libellé de la disposition pertinente de l’accord de 1956, voir par le traité de 1858. La divergence porte essentiellement sur l’interpréta-
paragraphe 94 ci-après). tion des mots « libre navegación ... con objetos de comercio », à l’ar-
40. Le Costa Rica s’est également prévalu, devant la Cour, des com- ticle VI du traité de limites ; elle entraîne un désaccord important quant à
muniqués ministériels conjoints publiés le 8 septembre 1995 (dit « com- la définition des activités couvertes par le droit en cause et de celles qui,
muniqué conjoint Cuadra-Castro » ; voir paragraphe 25 ci-dessus) et le ne l’étant pas, sont subordonnées au pouvoir souverain du Nicaragua
30 juillet 1998 (dit « communiqué conjoint Cuadra-Lizano » ; voir para- d’autoriser et de réglementer comme bon lui semble toute activité qui
graphe 26 ci-dessus). Toutefois, de l’avis de la Cour, ces déclarations, prend place sur son territoire, dont le fleuve fait partie.
émanant des ministres chargés de part et d’autre des questions de défense
et de sécurité publique, ne sauraient être englobées dans la base conven- a) Le sens et la portée de l’expression « libre navegación ... con objetos
tionnelle du droit de libre navigation reconnu au Costa Rica. Il s’agit plu- de comercio »
tôt d’arrangements pratiques destinés, pour partie, à mettre en œuvre des
engagements antérieurs, en particulier l’obligation de coopération men- 43. Dans sa version espagnole, la seule qui fasse foi, l’article VI du
tionnée dans l’accord du 9 janvier 1956 (voir paragraphe 23 ci-dessus et traité de limites du 15 avril 1858 se lit ainsi :
paragraphe 94 ci-après). De tels arrangements ont une portée plus limitée « La República de Nicaragua tendrá exclusivamente el dominio y
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sumo imperio sobre las aguas del río de San Juan desde su salida del 46. Avant d’aborder directement la question qui lui est soumise, la
Lago, hasta su desembocadura en el Atlántico ; pero la República de Cour fera trois observations préalables, de caractère plus général. Elle se
Costa Rica tendrá en dichas aguas los derechos perpetuos de libre demandera ensuite ce qu’il faut entendre par « con objetos », puis par
navegación, desde la expresada desembocadura hasta tres millas « comercio », au sens de l’article VI précité, puisque c’est en réalité un
inglesas antes de llegar al Castillo Viejo, con objetos de comercio, ya double désaccord qui oppose les Parties.
sea con Nicaragua ó al interior de Costa Rica por los ríos de San
Carlos ó Sarapiquí, ó cualquiera otra vía procedente de la parte que i) Observations liminaires
en la ribera del San Juan se establece corresponder á esta República.
Las embarcaciones de uno ú otro país podrán indistintamente atra- 47. En premier lieu, il revient à la Cour en l’espèce d’interpréter les
car en las riberas del río, en la parte en que la navegación es común, termes d’un traité. Elle le fera en se référant au droit international cou-
sin cobrarse ninguna clase de impuestos, á no ser que se establezcan tumier en la matière, tel qu’il est reflété aux articles 31 et 32 de la conven-
de acuerdo entre ambos Gobiernos. » tion de Vienne de 1969 sur le droit des traités, comme elle l’a affirmé à
plusieurs reprises (voir Application de la convention pour la prévention et
44. Si l’on fait abstraction, pour l’instant, du membre de phrase dont la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-
l’interprétation, et la traduction même en français comme en anglais, Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 109-110, par. 160 ; voir
divisent les Parties, cet article peut être ainsi traduit : également Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt,
« La République du Nicaragua aura le dominium et l’imperium C.I.J. Recueil 1994, p. 21-22, par. 41).
exclusifs sur les eaux du fleuve San Juan depuis son origine dans le En conséquence, ni la circonstance que le Nicaragua n’est pas partie à
lac jusqu’à son embouchure dans l’océan Atlantique ; la République la convention de Vienne sur le droit des traités, ni le fait que le traité qu’il
du Costa Rica aura toutefois un droit perpétuel de libre navigation s’agit ici d’interpréter est bien antérieur à l’élaboration de ladite conven-
sur lesdites eaux, entre l’embouchure du fleuve et un point situé à tion, n’ont pour effet d’empêcher la Cour de se référer aux principes
trois milles anglais en aval de Castillo Viejo, [con objetos de comer- d’interprétation énoncés aux articles 31 et 32 de la convention de Vienne.
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cio], soit avec le Nicaragua soit avec l’intérieur du Costa Rica par la
rivière San Carlos, la rivière Sarapiquí ou toute autre voie de naviga- 48. En deuxième lieu, la Cour n’est pas convaincue par l’argument du
tion partant de la portion de la rive du San Juan établie comme Nicaragua selon lequel le droit de libre navigation du Costa Rica devrait
appartenant à cette république. Les bateaux des deux pays pourront recevoir une interprétation étroite dès lors qu’il représente une limite à la
accoster indistinctement sur l’une ou l’autre rive de la portion du souveraineté que le traité confère au Nicaragua sur le fleuve, laquelle
fleuve où la navigation est commune, sans qu’aucune taxe ne soit constituerait le principe le plus important affirmé par l’article VI.
perçue, sauf accord entre les deux gouvernements. » [Traduction de S’il est bien exact que les limites à la souveraineté d’un Etat sur son
la Cour.] territoire ne se présument pas, il n’en résulte pas pour autant que des dis-
positions conventionnelles instituant de telles limites, telles que celles qui
45. C’est sur le sens des mots « con objetos de comercio » que les sont en cause dans la présente espèce, devraient recevoir pour cette raison
Parties se divisent le plus profondément. Pour le Nicaragua, cette expres- une interprétation étroite a priori. La disposition d’un traité qui a pour
sion doit se traduire en français par « avec des marchandises de com- objet de limiter les pouvoirs souverains d’un Etat doit être interprétée
merce » — et en anglais par « with articles of trade » ; en d’autres termes, comme toute autre disposition conventionnelle, à savoir conformément
les « objetos » dont il est ici question sont des objets au sens concret, aux intentions de ses auteurs telles qu’elles sont révélées par le texte du
matériel du terme. Il en résulte que la liberté de navigation garantie par traité et les autres éléments pertinents en matière d’interprétation.
l’article VI au Costa Rica ne concerne que le transport de marchandises Or, la simple lecture de l’article VI fait apparaître que les Parties n’ont
destinées à être vendues dans le cadre d’un échange commercial. Pour le pas entendu établir une hiérarchie entre la souveraineté du Nicaragua sur
Costa Rica, au contraire, l’expression signifie en français « à des fins de le fleuve et le droit, qualifié de « perpétuel », de libre navigation du Costa
commerce » — et en anglais « for the purposes of commerce » ; les « obje- Rica, chacune de ces deux affirmations faisant contrepoids à l’autre. La
tos » du texte original seraient donc des objets au sens abstrait de finali- souveraineté du Nicaragua n’est affirmée que pour autant qu’elle ne
tés, d’objectifs. Il en résulte, selon le Costa Rica, que la liberté de naviga- porte pas atteinte à la substance même du droit de libre navigation du
tion qui lui est reconnue par le traité doit se voir conférer la portée la plus Costa Rica dans le domaine qui est le sien, et qu’il s’agit précisément de
large, et en tout cas qu’elle englobe non seulement le transport de mar- déterminer ; le droit de libre navigation, pour « perpétuel » qu’il soit, n’est
chandises mais aussi le transport de personnes, y compris, entre autres, reconnu que sous réserve qu’il ne porte pas atteinte aux prérogatives
de touristes. essentielles du souverain territorial.
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Il n’y a donc pas lieu de supposer, a priori, que les termes de « libre La partie de l’article VI à considérer à cette fin est la suivante :
navegación ... con objetos de comercio » devraient recevoir une interpré- « Costa Rica tendrá ... los derechos perpetuos de libre navegación ..., con
tation spécialement restrictive, pas plus qu’une interprétation extensive. objetos de comercio, ya sea con Nicaragua ó al interior de Costa Rica .»
49. Enfin, la Cour relève qu’aucun des points qui se trouvent présen-
tement soumis à son examen n’a été tranché par la sentence Cleveland Si l’on retenait l’interprétation du Nicaragua, le membre de phrase qui
de 1888 ou par l’arrêt de la Cour de justice centraméricaine de 1916. Cha- suit les mots « con objetos de comercio », à savoir « ya sea con Nicaragua
cune des Parties a cherché à tirer argument de ces décisions antérieures au ó al interior de Costa Rica » (« soit avec le Nicaragua soit avec l’intérieur
soutien de ses propres thèses. Mais ces tentatives ne convainquent la du Costa Rica »), ne pourrait pas se rattacher de manière intelligible à la
Cour ni dans un sens ni dans l’autre. partie qui le précède.
La sentence Cleveland s’est bornée à trancher les questions d’interpré- Ou bien les mots « con Nicaragua » se rapporteraient à « objetos de
tation que les Parties avaient expressément soumises à l’arbitre. Au nom- comercio », ce qui n’aurait guère de sens, car on ne saurait parler de
bre de ces questions ne figurait pas celle du sens des termes « con objetos « marchandises (ou articles) de commerce avec le Nicaragua » ; ou bien ces
de comercio » ; il est donc vain de chercher dans la sentence la réponse à mots se rapporteraient à « navegación » et cela en aurait encore moins,
une question qui n’était pas posée à l’arbitre. Ainsi, si la sentence déclare car l’expression « navegación ... con Nicaragua » serait tout simplement
que le Costa Rica n’a pas le droit, en vertu du traité, de faire naviguer sur incompréhensible.
le San Juan ses navires de guerre, tandis qu’il a le droit d’y faire circuler Au contraire, l’interprétation des mots « con objetos » défendue par le
ses bateaux du service des douanes, il n’y a rien à en déduire quant aux Costa Rica permet de donner à l’ensemble de la phrase un sens cohérent.
bateaux appartenant à l’Etat et ne relevant d’aucune de ces deux catégo- S’il s’agit des « fins du commerce » (« purposes of commerce »), alors les
ries. De même, si l’arbitre a employé les mots « aux fins du commerce » mots « ya sea con Nicaragua... », qui suivent immédiatement, se rap-
(« for the purposes of commerce ») en les plaçant entre guillemets, on peut portent clairement à « comercio » (« aux fins du commerce avec
supposer que c’est simplement parce que telle était la traduction en le Nicaragua... »), et la phrase exprime alors une idée qui se comprend
anglais des termes « con objetos de comercio » que les deux Parties parfaitement.
avaient fournie à l’arbitre, et que ce dernier ne souhaitait pas aller, dans Ainsi, c’est en l’espèce l’analyse littérale de la phrase dans laquelle
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l’interprétation du traité, au-delà des questions qui lui étaient soumises. s’insèrent les mots soumis à interprétation qui conduit à donner une pré-
Quant à l’arrêt de la Cour de justice centraméricaine de 1916, pour férence à l’une des interprétations proposées par rapport à l’autre.
important qu’il fût, il s’est borné à fonder son dispositif sur l’application 53. La conclusion qui précède est confortée par trois arguments sup-
des stipulations expresses de l’article VIII du traité, qui ne sont pas en plémentaires allant tous dans le même sens.
cause dans la présente affaire. 54. En premier lieu, le mot « objetos » est employé dans un autre article
du traité de 1858, l’article VIII, dans le contexte duquel il ne peut avoir
ii) Le sens des mots « con objetos » que le sens abstrait de « fins » ou de « sujets » : « Nicaragua se compromete
á no concluir otro (contrato) sobre los expresados objetos... » (« Le Nica-
50. Il convient à présent d’examiner la question de savoir quel est le ragua s’engage à ne pas conclure d’autre contrat aux mêmes fins... »).
sens des mots « con objetos de » tels qu’employés à l’article VI du traité de On peut raisonnablement en déduire que les Parties avaient tendance à
1858, et plus précisément s’ils signifient « aux fins de » — thèse du comprendre « objetos » dans son sens abstrait, ou en tout cas que dans
Costa Rica — ou « avec des marchandises de » — thèse du Nicaragua. leur pratique conventionnelle ce sens leur était familier.
51. Il y a lieu de relever d’abord que le mot espagnol « objetos » peut 55. En deuxième lieu, une indication peut être tirée du traité de paix
revêtir l’une ou l’autre des deux significations en cause, selon le contexte où dit « Cañas-Martinez », signé le 8 décembre 1857 par les deux Parties mais
il est employé. C’est donc vers ce contexte qu’il faut se tourner pour déter- qui n’est jamais entré en vigueur faute d’avoir été ratifié par elles. Ce
miner le sens à retenir. Les deux sens — le sens concret et le sens abs- texte, auquel s’est substitué le traité de limites de 1858 qui en reprend cer-
trait — sont suffisamment éloignés l’un de l’autre pour que, en règle géné- taines dispositions, comportait sur la question de la navigation sur le
rale, l’examen du contexte permette de parvenir à une conclusion sûre. San Juan l’expression « artículos de comercio », qui se traduit sans doute
52. Procédant à un tel examen, la Cour est d’avis que l’interprétation possible par « articles » ou « marchandises » de commerce. Cela tendrait à
suggérée par le Nicaragua ne saurait être retenue. démontrer que lorsque les Parties, à l’époque, voulaient désigner les biens
La raison principale en est que le fait d’attribuer aux mots « con obje- matériels donnant lieu à des opérations de commerce, elles avaient recours
tos » la signification de « avec des marchandises » ou « avec des articles » à une autre expression que « objetos de comercio », présentant l’avantage
aboutit à priver de sens l’ensemble de la phrase dans laquelle ces mots de ne pas laisser place à l’ambiguïté. De même, on peut penser que la
s’insèrent. substitution d’un mot à un autre dans deux textes successifs dont le
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second a été rédigé peu de temps après le premier signifie que les Parties Or, selon le Nicaragua, il importe de donner aux mots employés dans
ont voulu désigner, dans le second de ces textes, autre chose que dans le le traité le sens qu’ils possédaient à l’époque de la conclusion de celui-ci et
premier, et que les deux termes employés ne doivent pas être pris dans le non leur sens actuel, qui peut en être plus ou moins éloigné, car c’est la
même sens. seule manière de rester fidèle à l’intention des auteurs du traité, dont la
56. Enfin, la Cour ne peut manquer de relever que lorsqu’en 1887 les recherche doit être le principal critère dans le travail d’interprétation.
deux Parties ont chacune fourni au président Cleveland, pour les besoins 59. Pour le Costa Rica, au contraire, le « commerce » au sens du traité
de l’arbitrage qu’il était appelé à rendre, une traduction en anglais du englobe toute activité poursuivant des fins commerciales et inclut, entre
traité de 1858, et bien que les traductions préparées par l’une et l’autre ne autres, le transport de passagers, y compris de touristes, aussi bien que de
fussent pas identiques sur tous les points, elles ont employé les mêmes marchandises. Le demandeur ajoute que le « commerce » est une notion
termes pour rendre l’original « con objetos de comercio » : « for the pur- large qui s’étend même au-delà des activités poursuivant une finalité
poses of commerce ». lucrative : il se réfère à cet égard au Dictionnaire de l’Académie royale
Sans doute l’argument n’est-il pas décisif à lui seul, puisque seule la ver- espagnole, dans ses éditions du XIXe siècle, qui donne au mot « comer-
sion espagnole du texte fait foi, et que les Parties pourraient avoir commis cio » le second sens de « comunicación y trato de unas gentes ó pueblos
à l’époque la même erreur de traduction, sans que cela puisse être assimilé con otros », soit la communication et les relations entre des personnes ou
à une revision implicite du traité de 1858. Sans doute aussi le Nicaragua entre des peuples. Il en résulte, toujours selon le Costa Rica, que le « com-
peut-il ne pas avoir prêté alors une attention suffisante au sens des mots merce » inclut notamment la circulation et les contacts entre habitants des
« objetos de comercio », qui n’étaient pas en cause dans les questions sou- villages situés sur la rive costa-ricienne du fleuve San Juan, ainsi que l’uti-
mises à l’arbitre, ce qui pourrait expliquer, de sa part, une traduction lisation du fleuve à des fins de navigation par les agents publics costa-
hâtive. Il n’en reste pas moins que cette convergence, qui s’est produite riciens qui fournissent à la population locale des services essentiels, par
relativement peu de temps après la conclusion du traité, constitue un indice exemple en matière de santé, d’éducation et de sécurité.
non négligeable que les Parties comprenaient à l’époque l’une et l’autre les 60. La Cour ne peut souscrire ni à l’interprétation particulièrement
mots « con objetos de comercio » dans le sens de « aux fins du commerce ». large proposée par le Costa Rica, ni à l’interprétation excessivement
C’est ce sens que la Cour retient. étroite défendue par le Nicaragua.
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61. En ce qui concerne la première, la Cour observe que, si elle était
iii) Le sens du mot « commerce » retenue, elle aboutirait à englober dans la « navigation aux fins du com-
merce » toute forme, ou presque, de navigation sur le fleuve. Si telle avait
57. La conclusion qui précède ne règle pas entièrement la question été l’intention des parties au traité, on comprend mal qu’elles aient pris
d’interprétation débattue entre les Parties. Une fois établi que « con obje- soin de préciser que le droit de libre navigation était garanti « aux fins du
tos de comercio » signifie « aux fins du commerce », il reste à déterminer, commerce », cette dernière mention étant alors pratiquement dépourvue
pour définir l’étendue exacte du droit de libre navigation, le sens à attri- de portée. Il est vrai que le Costa Rica a soutenu lors des audiences que
buer au mot « commerce » dans le contexte de l’article VI. Sur ce point les mots « aux fins du commerce », dans le contexte de l’article VI, n’ont
également les Parties divergent. pas pour effet de restreindre la portée du « droit de libre navigation »
58. Selon le Nicaragua, la notion de « commerce » au sens du traité ne reconnu précédemment dans la même phrase, mais auraient plutôt pour
vise que l’achat et la vente de marchandises, de biens matériels, à l’exclu- objet d’étendre le droit en cause. Mais la Cour ne saurait souscrire à un
sion de toute activité de services, telle que le transport de passagers. Cette tel point de vue : le fait d’indiquer expressément l’objet en vue duquel un
interprétation est évidemment cohérente avec la thèse du Nicaragua, qui droit peut être exercé implique en principe l’exclusion de tous autres
vient d’être écartée, selon laquelle « con objetos » signifie « avec des mar- objets et, par suite, limite dans la mesure ainsi définie le domaine d’appli-
chandises ». Mais, selon le Nicaragua, même si l’on traduit l’expression cation du droit en cause — sans préjudice de ce que le même droit puisse
par « aux fins du commerce », cela ne change rien, car en 1858 le mot s’exercer hors de ce domaine sur des fondements juridiques distincts.
« commerce » signifiait nécessairement commerce de biens et n’englobait Ainsi, la formule employée à l’article VI signifie que le droit de libre
pas les services, une telle inclusion étant un phénomène très récent. Le navigation reconnu au Costa Rica par cette disposition ne s’applique que
Nicaragua admet qu’en 1858 le transport de passagers sur le San Juan dans le domaine de la navigation « aux fins du commerce » et cesse de
existait déjà, et qu’il s’agissait même d’une activité particulièrement lucra- s’appliquer en dehors de ce domaine, dont il appartient maintenant à la
tive, mais ajoute que cette activité n’entrait pas dans le champ de ce que Cour de déterminer l’étendue. Cette détermination est sans préjudice de
l’on appelait à l’époque le « commerce » dans l’usage courant. Quant au l’existence, le cas échéant, d’un droit de navigation qui serait conféré au
transport de touristes, c’était une activité inconnue à l’époque dans la Costa Rica par l’effet d’autres dispositions que l’article VI.
région considérée. 62. En ce qui concerne l’interprétation étroite proposée par le Nicara-
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gua, la Cour observe qu’elle est principalement justifiée par deux argu- excluant de la compétence de la Cour les « différends ayant trait au statut
ments : le premier est tiré de l’interprétation donnée par le défendeur des territorial » de cet Etat, le sens des mots « statut territorial » étant contro-
mots « con objetos », qui vient d’être écartée ; le second est tiré de ce versé, la Cour s’est exprimée ainsi :
que le mot « commerce » devrait recevoir le sens étroit qu’il possédait à
l’époque de la conclusion du traité. « Une fois admis que l’expression « le statut territorial de la Grèce »
63. La Cour ne souscrit pas à ce dernier argument. a été employée dans l’instrument d’adhésion grec [à l’Acte général de
Il est vrai que les termes employés dans un traité doivent être inter- 1928] comme une formule générique englobant toutes les questions
prétés sur la base d’une recherche de la commune intention des parties, qui relèvent de la notion de statut territorial en droit international
laquelle est, par définition, contemporaine de la conclusion du traité. général, il faut nécessairement présumer que son sens était censé évo-
Cela peut conduire le juge, lorsqu’il est saisi d’un différend, ou les parties luer avec le droit et revêtir à tout moment la signification que pour-
elles-mêmes, lorsqu’elles cherchent à comprendre le sens du traité en vue raient lui donner les règles en vigueur. Selon la Cour, cette présomp-
de l’appliquer de bonne foi, à rechercher la signification qu’un terme pos- tion s’impose encore plus si l’on se rappelle que l’Acte de 1928 était
sédait au moment où le traité a été rédigé, une telle recherche étant sus- une convention de règlement pacifique des différends conçue comme
ceptible d’éclairer la commune intention des parties. C’est ainsi que la devant être de la portée la plus générale et sans limite de durée ; car
Cour a procédé dans certaines affaires dans lesquelles il s’agissait d’inter- il ne semble guère concevable que dans un instrument semblable on
préter un terme dont le sens avait évolué depuis la conclusion du traité en ait voulu donner à des expressions comme « compétence exclusive »
cause, et dans ces affaires la Cour s’en est tenue au sens originaire (voir et « statut territorial » un contenu invariable quelle que soit l’évolu-
en ce sens, par exemple, l’arrêt du 27 août 1952 en l’affaire relative aux tion ultérieure du droit international. » (Plateau continental de la mer
Droits des ressortissants des Etats-Unis au Maroc (France c. Etats-Unis Egée (Grèce c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 32, par. 77.)
d’Amérique) (C.I.J. Recueil 1952, p. 176), à propos du sens du terme 66. Bien qu’adopté à propos de l’interprétation d’une réserve à un
« différend » dans le contexte d’un traité conclu en 1836, la Cour ayant traité, le raisonnement suivi par la Cour dans cette affaire est parfaite-
recherché quel pouvait être le sens de ce terme au Maroc à l’époque de la ment transposable pour les besoins de l’interprétation des termes mêmes
conclusion du traité ; l’arrêt du 13 décembre 1999 en l’affaire de l’Ile de
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d’un traité.
Kasikili/Sedudu (Botswana/Namibie) (C.I.J. Recueil 1999 (II), p. 1062, Il repose sur l’idée que lorsque les parties ont employé dans un traité
par. 25) à propos du sens des termes « centre du chenal principal » et certains termes de nature générique, dont elles ne pouvaient pas ignorer
« thalweg » à l’époque de la conclusion du traité anglo-allemand de 1890). que le sens était susceptible d’évoluer avec le temps, et que le traité en
64. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il ne faille jamais tenir compte du cause a été conclu pour une très longue période ou « sans limite de
sens que possède un terme au moment où le traité doit être interprété en durée », les parties doivent être présumées, en règle générale, avoir eu
vue d’être appliqué, lorsque ce sens n’est plus le même que celui qu’il pos- l’intention de conférer aux termes en cause un sens évolutif.
sédait à la date de la conclusion. 67. Tel est le cas, en l’espèce, en ce qui concerne le terme « comercio »
D’une part, la prise en compte de la pratique ultérieure des parties, au employé à l’article VI du traité de 1858. D’une part, il s’agit d’un terme
sens de l’article 31-3-b) de la convention de Vienne, peut conduire à générique, qui se réfère à une catégorie d’activités. D’autre part, le traité
s’écarter de l’intention originaire sur la base d’un accord tacite entre les de 1858 a été conclu sans limite de durée ; il était destiné, dès l’origine, à
parties. D’autre part, il existe des cas où l’intention des parties au créer un régime juridique caractérisé par la pérennité.
moment même de la conclusion du traité a été, ou peut être présumée 68. Ce dernier constat est renforcé par l’objet même du traité, qui était
avoir été, de conférer aux termes employés — ou à certains d’entre eux — de parvenir à un règlement définitif entre les parties de leurs différends
un sens ou un contenu évolutif et non pas intangible, pour tenir compte territoriaux. Les règles territoriales définies par un tel traité possèdent,
notamment de l’évolution du droit international. En pareil cas, c’est pré- par nature, un caractère de permanence particulièrement marqué, puis-
cisément pour se conformer à la commune intention des parties lors de la que, comme la Cour l’a rappelé récemment :
conclusion du traité, et non pas pour s’en écarter, qu’il conviendra de
tenir compte du sens que les termes en question ont pu acquérir à chacun « [C]’est un principe de droit international qu’un régime territorial
des moments où l’application du traité doit avoir lieu. établi par traité « acquiert une permanence que le traité lui-même ne
65. Une bonne illustration du raisonnement qui précède est fournie connaît pas nécessairement » et que la persistance de ce régime ne
par l’arrêt qu’a rendu la Cour le 18 décembre 1978 en l’affaire du dépend pas de la durée du traité par lequel ledit régime a été
Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie) (C.I.J. Recueil convenu. » (Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colom-
1978, p. 3). bie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 861,
Appelée à interpréter une réserve faite par un Etat à un traité et par. 89.)
33 34
DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 244 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 245
69. Cela vaut également pour le droit de libre navigation garanti au y compris ses collectivités publiques —, bien que cette distinction, comme
Costa Rica par l’article VI. Ce droit, d’ailleurs qualifié de « perpétuel », il sera expliqué plus loin, ne possède qu’une pertinence limitée.
est si étroitement lié au règlement territorial défini par le traité — au
point que l’on pourrait le considérer comme en faisant partie inté- i) La navigation privée
grante — qu’il possède le même caractère de permanence que le régime
territorial stricto sensu lui-même. 73. Ainsi qu’il vient d’être dit, deux types de navigation privée sont
70. La Cour déduit de ce qui précède que les termes par lesquels a été certainement couverts par le droit de libre navigation au titre de l’ar-
définie l’étendue du droit de libre navigation du Costa Rica, et notam- ticle VI du traité de 1858 : la navigation des bateaux transportant des
ment le terme « comercio », doivent être compris dans le sens qui est le marchandises destinées à donner lieu à des actes de commerce ; et celle
leur à chaque moment où il est fait application du traité, et pas nécessai- des bateaux transportant des passagers qui acquittent un prix autre que
rement dans leur sens originaire. symbolique (ou pour le compte desquels est acquitté un tel prix) en
Dès lors, à supposer que la notion de « commerce » n’ait plus contrepartie du service qui leur est ainsi fourni.
aujourd’hui le même contenu qu’au milieu du XIXe siècle, c’est son sens Dans la première hypothèse, l’activité commerciale est le fait des per-
actuel qui doit être retenu aux fins de l’application du traité. sonnes qui sont propriétaires des marchandises destinées à être vendues.
Ces personnes peuvent être elles-mêmes transportées à bord ; elles peu-
71. En conséquence, la Cour estime que le droit de libre navigation en vent aussi confier leurs marchandises à l’exploitant du bateau, moyen-
question s’applique au transport de personnes aussi bien qu’au transport nant un prix convenu ou à titre gratuit. Ce dernier élément est sans
de marchandises, le transport de personnes étant susceptible, à l’heure pertinence : dans tous les cas, une navigation qui est effectuée en vue du
actuelle, de revêtir la nature d’une activité commerciale. Tel est le cas si transport de marchandises destinées à la vente, ou de marchandises qui
cette activité est exercée, par le transporteur, à des fins lucratives. Une viennent d’être acquises dans le cadre d’un échange commercial, doit être
considération déterminante à cet égard est de savoir si un prix (autre que considérée comme ayant lieu « aux fins du commerce », que le propriétaire
purement symbolique) est payé au transporteur — l’exploitant du des marchandises se trouve ou non à bord, et que l’exploitant du bateau
bateau — par les passagers ou en leur nom. Si la réponse à cette question soit ou non payé pour effectuer ce transport. Il est entendu que la navi-
117
est affirmative, alors l’activité du transporteur revêt une nature commer- gation « aux fins du commerce » comprend également le retour des
ciale, et la navigation en cause doit être regardée comme « aux fins du personnes ayant transporté des marchandises destinées à la vente.
commerce » au sens de l’article VI. La Cour n’aperçoit aucune raison Dans la seconde hypothèse, en revanche, il est décisif que l’exploitant
convaincante d’exclure de cette catégorie le transport de touristes, sous la du bateau perçoive un prix en contrepartie de son activité. En effet, si
même condition. l’on considère le transport de passagers, ce ne sont pas les passagers eux-
En revanche, toute navigation qui n’est effectuée ni en vue du trans- mêmes qui exercent une activité commerciale (sauf s’ils voyagent en vue
port de marchandises destinées à donner lieu à des actes de commerce, ni de transporter des marchandises ; on est alors dans l’hypothèse précé-
en vue du transport de passagers moyennant un prix payé par eux ou en dente), c’est le transporteur, à condition qu’il exerce son activité à des fins
leur nom, ne peut être regardée comme répondant à des « fins de com- lucratives.
merce » au sens de l’article VI. Tel est le cas, notamment, de la navigation 74. On s’est demandé si la navigation des bateaux appartenant aux
des bateaux utilisés à des fins d’activités de puissance publique ou de ser- habitants des villages de la rive costa-ricienne du fleuve, et destinée à sub-
vice public dépourvu de nature commerciale. venir aux nécessités de la vie courante — par exemple pour transporter
des enfants se rendant à l’école, ou pour prodiguer ou recevoir des soins
b) Les activités couvertes par le droit de libre navigation possédé par le médicaux —, était protégée par le droit de libre navigation lorsqu’elle
Costa Rica a lieu à titre gratuit. Les Parties en ont débattu : selon le Nicaragua,
la réponse est négative, puisque le défendeur considère que seul le trans-
72. Sur la base des motifs qui précèdent, la Cour est à présent en port de marchandises bénéficie de la garantie conférée par l’article VI
mesure de déterminer de façon plus précise les types d’activités qui sont du traité ; selon le Costa Rica, la réponse est affirmative, sur la base
couverts par le droit de libre navigation du Costa Rica, et ceux qui ne le de la définition particulièrement large du « commerce » que retient le
sont pas. demandeur.
Par simple commodité, la Cour distinguera, dans le cadre de cet examen, 75. La Cour a déjà indiqué qu’elle ne pouvait souscrire à une défini-
entre la navigation privée — c’est-à-dire celle de bateaux appartenant à des tion du mot « commerce » aussi large que celle qu’a proposée le Costa Rica.
propriétaires privés — et celle des « bateaux officiels » (ou « publics ») Elle a aussi indiqué (au paragraphe 71 ci-dessus) qu’un transport de pas-
— c’est-à-dire ceux qui sont la propriété de la République du Costa Rica, sagers effectué à titre gratuit, ou le déplacement de personnes sur leurs
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DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 246 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 247
propres embarcations pour un autre objet que d’effectuer des actes de ii) Les « bateaux officiels »
commerce, ne pouvaient entrer dans le champ de la « navigation à des fins
de commerce » au sens de l’article VI du traité de 1858. 80. Il est clair que le traité de 1858 n’institue, dans son article VI,
76. Il n’en résulte pas nécessairement, pour autant, que de telles acti- aucun régime particulier pour les bateaux « officiels » (ou « publics »).
vités ne sont aucunement couvertes par la liberté de navigation : d’autres Le seul critère que prévoit l’article VI repose non pas sur la qualité
dispositions du traité de 1858 peuvent avoir pour effet de garantir le droit publique ou privée du propriétaire du bateau, mais sur la finalité de la
des habitants de la rive costa-ricienne de naviguer dans certaines limites navigation : ou bien elle est effectuée à des « fins de commerce » et elle
sur le fleuve, même lorsqu’ils ne naviguent pas dans le cadre d’activités bénéficie de la liberté ; ou bien elle est effectuée à des fins étrangères au
commerciales. « commerce » et elle n’en bénéficie pas. De ce point de vue, la distinction
77. A cet égard, la Cour considère qu’il y a lieu de prendre en compte entre bateaux publics et bateaux privés est dépourvue de pertinence juri-
l’ensemble des dispositions du traité, et spécialement celles qui fixent la dique. De même qu’une partie de la navigation privée n’est pas couverte
frontière entre les deux Etats, afin d’en déduire, le cas échéant, certaines par le « droit perpétuel de libre navigation » (la navigation de plaisance,
implications nécessaires. En d’autres termes, même si l’on ne trouve dans par exemple), de même, mais en sens inverse, il ne serait pas inconcevable
le traité aucune disposition expresse garantissant en faveur des riverains que des bateaux publics naviguent à des « fins de commerce » s’ils répon-
costa-riciens un droit à la navigation non commerciale, il faut se deman- dent aux conditions auxquelles est subordonnée une telle qualification.
der si un tel droit ne peut pas découler de dispositions ayant un objet 81. En réalité, en débattant de la question des « bateaux officiels », les
différent mais dont il serait, dans une certaine mesure, la conséquence Parties ont surtout eu en vue ceux qui sont utilisés par les autorités du
nécessaire. Costa Rica pour des activités de puissance publique — telles que la police
78. Ainsi qu’il a été dit, les deux Etats ont décidé, par le traité de li- et la douane — ou de service public lorsque celui-ci est dépourvu de toute
mites, de fixer leur frontière commune à la rive droite du fleuve San Juan finalité lucrative et, par suite, de toute nature commerciale.
sur toute la portion du fleuve allant de l’embouchure à un point situé à 82. Comme cela a déjà été relevé (voir paragraphe 49 ci-dessus), la sen-
3 milles anglais en aval de Castillo Viejo. Ainsi en décide l’article II du tence Cleveland ne s’est prononcée que sur le cas des navires de guerre
traité de 1858. A l’époque, il existait déjà une population riveraine du costa-riciens et sur celui des bateaux du service des douanes, en déniant
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côté costa-ricien de la frontière ainsi définie, c’est-à-dire habitant au bord aux premiers le droit de naviguer sur le San Juan et en permettant la
du fleuve ou non loin de la rive. Compte tenu du caractère très difficile navigation des seconds « dans l’exercice du droit d’usage de ce fleuve
des déplacements à l’intérieur des terres, en raison de la faiblesse du « aux fins du commerce » que lui reconnaît [l’article VI], ou dans les cas
réseau de communication intérieur, cette population empruntait ordinai- nécessaires à la protection de ce droit d’usage ». On ne peut rien en
rement, et emprunte toujours, la voie fluviale pour ses déplacements des- déduire quant à la navigation des autres bateaux officiels du Costa Rica.
tinés à subvenir aux besoins essentiels de la vie ordinaire qui nécessitent 83. A la lumière des motifs qui sont énoncés plus haut, la Cour estime
des déplacements dans de brefs délais, tels que le transport scolaire ou les qu’en règle générale la navigation des bateaux du Costa Rica affectés à
soins médicaux. des activités de puissance publique ou de service public dépourvu de fina-
79. La Cour estime qu’il n’a pas pu être dans l’intention des auteurs du lité lucrative, notamment ceux des services de police, se situe hors du
traité de 1858 de dénier aux habitants de la rive costa-ricienne du fleuve, champ de l’article VI du traité de 1858, réserve faite des embarcations du
là où cette rive constitue la frontière entre les deux Etats, le droit service des douanes dont le cas a été réglé par l’arbitrage de 1888. Elle
d’emprunter le fleuve dans la mesure nécessaire à la satisfaction de leurs n’est pas convaincue, par ailleurs, qu’un droit pour le Costa Rica de faire
besoins essentiels, compte tenu de la configuration des lieux, et en dehors naviguer de tels bateaux pourrait se déduire de l’article IV du traité, aux
même de toute activité de nature commerciale. Tout en choisissant, en termes duquel, « pour la partie qui lui revient des rives du fleuve San Juan,
vertu de l’article II du traité, de fixer la frontière à la rive, les parties le Costa Rica sera tenu de concourir à la garde de celui-ci, ... de même
doivent être présumées, eu égard au contexte historique de la conclu- que les deux républiques concourront à sa défense en cas d’agression
sion de ce traité, ainsi qu’à son objet et à son but tels que définis par le extérieure ». Cette disposition, contrairement à ce que soutient le
préambule et l’article premier, avoir entendu maintenir au profit des Costa Rica, ne lui confère aucun droit de navigation en temps ordinaire.
riverains costa-riciens un droit minimal de navigation afin qu’ils Elle lui impose une obligation de « garde » du fleuve à partir de son
puissent continuer à mener une vie normale dans les villages qui propre territoire.
longent le fleuve. La Cour considère qu’un tel droit, s’il ne peut découler En outre, la Cour estime que le Costa Rica n’a pas établi, en tout état
des termes exprès de l’article VI, peut en revanche être déduit des de cause, le bien-fondé de son affirmation selon laquelle le transport flu-
dispositions du traité dans son ensemble et notamment de la manière vial constituait la seule manière d’approvisionner ses postes de police se
dont celui-ci définit la frontière. trouvant le long de la rive, ou d’assurer la relève des fonctionnaires qui y
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DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 248 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 249
sont affectés. Il ressort en effet des éléments du dossier que les postes en « d[evait] avoir la compétence exclusive pour exercer les pouvoirs de
question sont notamment accessibles en empruntant les rivières costa- réglementation suivants : a) la protection et la garantie du droit de
riciennes communiquant avec le San Juan, à proximité desquelles ils se navigation, à savoir le pouvoir de maintenir l’ordre public et d’assu-
trouvent. rer le respect des normes de sécurité en matière de navigation ; b) la
Enfin, pour les raisons déjà exposées (voir paragraphe 40 ci-dessus), protection de la frontière, y compris la mise en œuvre de moyens de
le Costa Rica ne saurait se prévaloir du communiqué conjoint Cuadra- contrôle des ressortissants étrangers qui empruntent les eaux territo-
Lizano du 30 juillet 1998 pour revendiquer un droit à faire naviguer riales du Nicaragua ; c) l’exercice des pouvoirs de police générale ;
des bateaux officiels armés ou transportant des armes. d) la protection de l’environnement et des ressources naturelles ; et
84. Toutefois, la Cour estime que les motifs énoncés plus haut (aux e) la garantie de l’application des dispositions du traité énonçant les
paragraphes 78 et 79) à propos des bateaux privés dont la circulation sur conditions de navigation ».
le fleuve vise à satisfaire les besoins essentiels de la population riveraine,
Le Costa Rica, tout en reconnaissant que le Nicaragua a effectivement
lorsque la rapidité du déplacement est une condition de la satisfaction
un pouvoir de réglementation, affirme que la souveraineté de ce dernier
desdits besoins, valent aussi pour les bateaux publics costa-riciens lors-
sur le San Juan doit être considérée comme une partie — une partie
que, dans des cas particuliers, certains d’entre eux sont exclusivement
importante — du régime fluvial établi en 1858 et que les mesures prises
employés en vue de fournir à cette population ce dont elle a besoin pour
par le Nicaragua ne doivent pas porter atteinte à son droit perpétuel de
faire face aux nécessités de la vie courante, telles que définies au para-
libre navigation. Il soutient que les mesures de réglementation doivent
graphe 78 ci-dessus.
être licites, publiques, raisonnables, non arbitraires et non discrimina-
En conséquence, cet aspect particulier de la navigation par des « bateaux
toires et qu’elles doivent viser un objectif public légitime. Le Nicaragua
officiels » est couvert par le droit de navigation défini au paragraphe 79
souscrit à cette position de principe.
ci-dessus : ce droit n’est pas garanti par l’article VI du traité, mais il se
Les Parties sont en désaccord quant à la question de savoir si le Nica-
déduit de l’ensemble des dispositions de celui-ci et en particulier de la
ragua est tenu de notifier au Costa Rica les mesures de réglementation
fixation de la frontière à la rive.
qu’il a prises ou de le consulter au sujet de mesures qu’il entend prendre.
119
La Cour se prononcera sur ces points dans la présente partie de l’arrêt.
III. LE POUVOIR DU NICARAGUA DE RÉGLEMENTER LA NAVIGATION
a) Caractéristiques
85. Dans cette partie de l’arrêt, la Cour examinera le pouvoir du Nica-
ragua de réglementer la navigation dans la portion du San Juan où le 87. C’est essentiellement pour les raisons exposées par les Parties que
Costa Rica jouit, ainsi que cela a été établi dans la partie II de l’arrêt, la Cour conclut que le Nicaragua a le pouvoir de réglementer l’exercice
d’un droit de navigation. En ce qui concerne les questions n’entrant pas par le Costa Rica du droit de libre navigation qu’il tient du traité de 1858.
dans le champ du droit de libre navigation du Costa Rica, et à l’égard des Ce pouvoir n’est pas illimité, puisqu’il est subordonné aux droits et obli-
autres portions du fleuve, qui ne sont pas soumises au régime du traité de gations des Parties. Dans la présente affaire, une mesure de réglementa-
1858, le Nicaragua jouit en tant que souverain d’un pouvoir entier de tion doit présenter les caractéristiques suivantes :
réglementation. 1) elle doit seulement assujettir l’activité en cause à certaines règles, sans
rendre impossible ni entraver de façon substantielle l’exercice du droit
1. Observations générales de libre navigation ;
2) elle doit être compatible avec les termes du traité, par exemple avec
86. Dans leurs écritures, les Parties ont exposé des vues divergentes l’interdiction d’instituer unilatéralement certaines taxes contenues
quant à l’étendue, voire à l’existence même du pouvoir du Nicaragua de dans l’article VI ;
réglementer l’utilisation du fleuve lorsque cela a une incidence sur le 3) elle doit poursuivre un but légitime, tel que la sécurité de la naviga-
Costa Rica. A l’audience, cette divergence de vues s’est, dans une large tion, la prévention de la criminalité, la sécurité publique et le contrôle
mesure, dissipée. Les Parties demeurent toutefois en désaccord sur l’éten- des frontières ;
due du pouvoir de réglementation du Nicaragua et sur certaines mesures 4) elle ne doit pas être discriminatoire et, sur des questions telles que les
que celui-ci a prises et continue d’appliquer. horaires de navigation, doit s’appliquer aux bateaux du Nicaragua au
Lors du premier tour de plaidoiries, le Nicaragua a indiqué que, quel- même titre qu’à ceux du Costa Rica ;
les que soient la nature et l’étendue précises des droits que le Costa Rica 5) elle ne doit pas être déraisonnable, ce qui signifie que son incidence
tient des dispositions du traité de limites et de la sentence Cleveland, il négative sur l’exercice du droit en question ne doit pas être mani-
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DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 250 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 251
festement excessive par rapport au bénéfice qu’elle présente pour tion posée par l’un des membres de la Cour, le Nicaragua a indiqué que, en
atteindre le but recherché. tant que détenteur exclusif de l’autorité souveraine et du titre sur le fleuve,
88. Le Costa Rica a contesté que la protection de l’environnement il n’était pas tenu — que ce soit en vertu du traité ou de toute autre règle —
puisse justifier les mesures de réglementation nicaraguayennes, affirmant de consulter le Costa Rica ou de l’informer avant de prendre des mesures
qu’il s’agissait d’un prétexte pour imposer d’autres obligations. A de réglementation. Le Nicaragua précise qu’il a néanmoins, dans l’intérêt
l’audience, il a cependant lui-même insisté sur les questions environne- des relations de bon voisinage et pour des raisons de courtoisie, régulière-
mentales. Pour sa part, le Nicaragua appelle l’attention sur les éléments ment consulté le Costa Rica, l’a informé et a engagé avec lui un dialogue
de preuve qu’il a présentés et qui attestent que le San Juan et la rive nica- sur les mesures de réglementation. Il a par ailleurs produit des éléments
raguayenne de ce fleuve sont des réserves naturelles extrêmement impor- établissant qu’il avait ainsi procédé en ce qui concerne les différentes me-
tantes et gravement menacées. Il fait également référence aux obligations sures en litige. Dans sa réponse à cette même question, le Costa Rica passe
internationales découlant de la convention de Ramsar de 1971 sur les en revue les mesures prises par le Nicaragua et affirme qu’il n’en a pas reçu
zones humides, de la convention de 1973 sur le commerce international notification. Le Costa Rica, se référant à ce qu’il dit être les termes mêmes
des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction et de la de l’article VI du traité, conteste, dans ses observations sur la réponse du
convention de 1992 pour la conservation de la diversité biologique et la Nicaragua, la thèse de celui-ci selon laquelle aucune obligation juridique ne
protection des régions fauniques prioritaires d’Amérique centrale. lui incombait de procéder à des consultations.
89. La Cour estime que, au cours des cent cinquante ans qui se sont 92. Cependant, la partie de l’article VI sur laquelle se fonde le
écoulés depuis la conclusion du traité de 1858, les intérêts devant être Costa Rica porte uniquement sur l’imposition de certains droits. Cette
protégés au moyen d’une réglementation prise dans l’intérêt public peu- disposition ne s’appliquant pas à l’ensemble des mesures prises pour
vent tout à fait avoir évolué d’une manière qui, à l’époque, ne pouvait réglementer la navigation sur le fleuve, elle ne saurait être interprétée
être prévue par les Parties ; la protection de l’environnement en est un comme imposant une obligation générale de notification et de consulta-
excellent exemple. Ainsi que cela ressortira des conclusions formulées tion, et la Cour n’a pas à examiner cet argument plus avant. Le reste des
plus loin dans le présent arrêt (voir paragraphes 104, 109, 118, 127 et observations du Costa Rica ainsi que l’intégralité de celles du Nicaragua
141), la Cour considère que, en adoptant certaines mesures contestées, le portent sur les contacts qu’ont eus les Parties au sujet des différentes
120
Nicaragua poursuit l’objectif légitime que constitue la protection de mesures.
l’environnement. 93. Le traité n’impose expressément aux Parties aucune obligation
90. Les Parties ont mentionné deux autres points concernant le pou- générale de notification des mesures prises relativement à la navigation
voir de réglementation du Nicaragua. Le Costa Rica a avancé que sur le fleuve. Il contient seulement l’exigence d’un accord en son ar-
l’adoption par le Nicaragua des mesures et réglementations contestées ticle VI et une obligation de consultation en son article VIII, qui impli-
n’était pas conforme au droit nicaraguayen. Il n’a cependant pas indiqué quent des contacts préalables entre les Parties. En vertu de l’article VI, les
à la Cour quelles étaient les dispositions nicaraguayennes, constitution- deux Parties sont tenues de se mettre d’accord si elles souhaitent instituer
nelles ou autres, pertinentes à cet égard et n’a pas formulé le moindre une taxe dans la situation visée par cette disposition. En vertu de l’ar-
argument démontrant en quoi cette inobservation du droit nicaraguayen, ticle VIII, si le Gouvernement du Nicaragua envisage de conclure des
si tant est qu’elle ait eu lieu, pourrait avoir des conséquences au regard du accords de canalisation ou de passage sur le San Juan, il doit préalable-
droit international. ment consulter le Gouvernement du Costa Rica à propos des inconvé-
Le Nicaragua a soutenu qu’il pouvait exercer son pouvoir de réglemen- nients que pourrait avoir le projet pour les deux Parties.
tation aux fins « d’assurer la bonne application des dispositions du traité ». 94. Nonobstant l’absence, dans le traité, de toute disposition expresse
Il n’a cependant pas précisé en quoi cela lui permettrait d’étendre ses concernant la notification, la Cour estime que trois éléments imposent
pouvoirs de réglementation dans le présent contexte. conjointement, en la présente espèce, une obligation de notification des
Les Parties n’ayant pas développé ces deux arguments, la Cour ne les mesures de réglementation. Le premier découle de l’accord de 1956, en
examinera pas plus avant. vertu duquel les Parties sont convenues de ce qui suit :
b) Notification « Les deux parties, fidèles à l’esprit qui doit animer les membres
de la famille des nations centraméricaines, collaboreront dans toute
91. La Cour en vient maintenant à la question de savoir si le Nicaragua la mesure du possible pour mener à bien les entreprises et réalisa-
est juridiquement tenu de notifier au Costa Rica les mesures qu’il prend tions exigeant un commun effort des deux Etats et avantageuses
aux fins de réglementer la navigation sur le fleuve, ou de le prévenir et de le pour tous deux, notamment pour faciliter et accélérer la circulation
consulter avant l’adoption de telles mesures. Dans sa réponse à une ques- sur la route interaméricaine ainsi que sur le fleuve San Juan, confor-
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DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 252 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 253
mément aux dispositions du traité du 15 avril 1858 et de son inter- la navigation des touristes costa-riciens n’a jamais été entravée. Les chif-
prétation par voie d’arbitrage du 22 mars 1888, et pour faciliter fres qu’il a présentés montrent que le nombre de touristes est passé de 711
également le fonctionnement des services de transport effectués sur en 1998 à 2590 en 2004. Le Costa Rica ne conteste pas ces chiffres ni, plus
le territoire de l’une des parties par des entreprises ayant la natio- particulièrement, leur augmentation. Il s’est d’ailleurs lui-même appuyé
nalité de l’autre. » sur une des sources nicaraguayennes pour illustrer cette augmentation.
Il est difficile de voir comment pourrait être respectée l’obligation, En réalité, sa thèse relative à l’entrave au tourisme est d’ordre général, et
énoncée dans l’accord de 1956, de collaborer pour faciliter la circulation elle repose en grande partie sur les conséquences défavorables qui, selon
sur le San Juan et le fonctionnement des services de transport effectués lui, découleraient des mesures nicaraguayennes consistant à exiger des
sur le territoire de l’une des Parties par des entreprises ayant la nationa- bateaux qu’ils fassent halte et se soumettent à une inspection, et à impo-
lité de l’autre si le Nicaragua ne notifie pas au Costa Rica les mesures ser l’enregistrement des passagers, l’obtention de visas et de cartes de tou-
qu’il adopte. riste ainsi que le paiement de certaines sommes. Il ressort des éléments de
95. Le deuxième élément au soutien de l’obligation pour le Nicaragua preuve qui ont été présentés à la Cour que la plupart des bateaux de tou-
de notifier l’adoption des mesures de réglementation réside dans l’objet risme commencent ou achèvent leur trajet au Costa Rica, sur le Sarapiquí
même de celles-ci, à savoir la navigation sur un cours d’eau sur lequel et sur le Colorado, et n’empruntent le San Juan que sur les quelque
deux Etats détiennent des droits, l’un ayant la souveraineté, l’autre un 25 kilomètres qui séparent les points de jonction avec ces deux cours
droit de libre navigation. Cette obligation découle des nécessités prati- d’eau. Au vu des éléments d’information limités dont dispose la Cour, les
ques de la navigation sur un tel cours d’eau. Si l’on veut que les différents bateaux de tourisme peuvent accueillir une dizaine de passagers.
objectifs de la navigation soient réalisés, celle-ci doit être soumise à une 100. Les Parties ont communiqué à la Cour des éléments d’infor-
certaine discipline, et il faut pour cela que les mesures pertinentes soient mation relatifs à des mesures que le Nicaragua a prises et continue de
dûment notifiées. prendre pour réglementer l’utilisation du fleuve. Le Costa Rica affirme
96. Le troisième élément réside dans la nature même de la réglementa- qu’il ressort de ces éléments que le Nicaragua agit non de manière licite
tion. Si celle-ci a pour objet d’assujettir l’activité visée à certaines règles, et en poursuivant des objectifs légitimes, mais à des fins de harcèlement,
d’une manière déraisonnable et discriminatoire. Le Nicaragua soutient
121
les personnes se livrant à cette activité doivent en être informées. La noti-
fication permettra une meilleure application de la réglementation et une le contraire.
réalisation plus efficace de ses objectifs. Elle permettra également aux 101. La Cour note que le Costa Rica, à l’appui de sa thèse selon
personnes visées de porter à l’attention de l’autorité compétente les élé- laquelle l’action du Nicaragua est illicite, avance des éléments de fait
ments de fait dont elles ont connaissance, ainsi que de suggérer d’autres visant à en démontrer le caractère déraisonnable en invoquant l’incidence
moyens de poursuivre et de réaliser le but pertinent. prétendument disproportionnée des mesures en question. La Cour rap-
97. La Cour conclut que le Nicaragua a l’obligation de notifier au pelle que, selon un principe général bien établi, c’est au Costa Rica qu’il
Costa Rica les mesures de réglementation qu’il prend relativement à la incombe d’établir ces éléments (cf. Délimitation maritime en mer Noire
navigation sur le San Juan. Le Nicaragua n’a cependant pas l’obliga- (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 86, par. 68 et affai-
tion d’informer ou de consulter le Costa Rica avant d’adopter de telles res qui y sont citées). En outre, une juridiction qui examine le caractère
mesures. raisonnable d’une réglementation doit reconnaître que c’est à l’autorité
de réglementation, en l’occurrence à l’Etat qui jouit de la souveraineté sur
c) Le contexte factuel le fleuve, que revient la responsabilité principale d’apprécier la nécessité
de réglementer et, en se fondant sur sa connaissance de la situation, de
98. La Cour juge nécessaire de replacer dans leur contexte les diffé- retenir à cette fin la mesure qu’il estime la plus appropriée. Il ne suffit pas,
rentes mesures et actions du Nicaragua contestées par le Costa Rica. A pour contester une réglementation, d’affirmer en termes généraux qu’elle
cet effet, la Cour rappellera les éléments d’information qui lui ont été est déraisonnable ; pour qu’une juridiction fasse droit à une telle contesta-
présentés au sujet de la population de la rive costa-ricienne du San Juan, tion, des faits concrets et spécifiques doivent lui être présentés.
des touristes qui empruntent le fleuve et de l’accès du Costa Rica à la
zone considérée. Selon ce dernier, environ 450 personnes — dont à
peu près la moitié sont nicaraguayennes — vivent sur les quelque 2. La licéité des mesures nicaraguayennes
140 kilomètres de la rive costa-ricienne. Le Nicaragua ne conteste pas spécifiques contestées par le Costa Rica
ces chiffres.
99. Le Nicaragua expose que, à l’exception de l’année 1982, au cours 102. La Cour examinera maintenant les mesures adoptées par le Nica-
de laquelle des mesures d’urgence de temps de guerre ont été appliquées, ragua que le Costa Rica conteste.
43 44
DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 254 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 255
a) Obligation de faire halte et identification détient la souveraineté sur le fleuve de réglementer ce droit dans l’intérêt
public, sont deux questions distinctes. Ils peuvent être exercés de manière
103. Dans ses conclusions finales, le Costa Rica prie la Cour de dire tout à fait harmonieuse.
que le Nicaragua a l’obligation de ne pas exiger des bateaux costa-riciens 106. Le Costa Rica soutient qu’il serait raisonnable, licite et suffisam-
qu’ils fassent halte à un quelconque poste nicaraguayen situé le long ment efficace que le Nicaragua effectue des patrouilles plus fréquentes sur
du fleuve et de leurs passagers qu’ils soient munis de passeports. Le le fleuve. Il ne présente cependant aucun élément de preuve de nature à
Costa Rica soutient que les obligations de faire halte et de s’enregistrer établir que de telles patrouilles permettraient de réaliser l’objectif en vue
ont, en pratique, pour effet de rendre presque impossible l’exercice de ses duquel ont été instituées les obligations en cause, ni aucun élément précis
droits conventionnels de libre navigation et qu’elles n’ont qu’un effet pré- de nature à démontrer que lesdites obligations constituent effectivement
ventif fort limité. Selon lui, elles ne sauraient être considérées comme rai- une entrave à la circulation des touristes, notamment du fait des retards
sonnables ou licites. Le Nicaragua indique que, dès avant les années 1960, qui résulteraient de leur application. La Cour rappelle qu’il est établi que
il a commencé à exiger des exploitants de bateaux — y compris nicara- le nombre de touristes empruntant le fleuve a augmenté dans les années
guayens — empruntant le fleuve qu’ils fassent halte, fassent connaître durant lesquelles l’obligation a été en vigueur. Selon elle, le Costa Rica
leur identité et celle de leurs passagers et déclarent leurs marchandises. n’est donc pas parvenu à démontrer que la réglementation en question
Selon lui, cette obligation est un aspect fondamental de son action en était déraisonnable.
matière de répression des infractions dans la zone considérée. Il considère 107. En conséquence, la Cour conclut qu’elle ne saurait faire droit à la
qu’il est fort révélateur que le Costa Rica ait, depuis les années 1960 au contestation par le Costa Rica de l’obligation imposée aux bateaux de
moins, jugé nécessaire d’instaurer cette même obligation sur ses propres faire halte et de celle, imposée à leurs membres d’équipage et passagers,
cours d’eau. Le Nicaragua précise que ses postes militaires sont très éloi- de s’enregistrer et d’être munis de pièces d’identité.
gnés les uns des autres, de vastes secteurs du fleuve échappant à toute
présence des agents de la force publique, et que ce n’est qu’en contrôlant b) Certificats d’appareillage
les bateaux entrant sur le fleuve et en sortant qu’il peut les surveiller effi-
cacement pour s’assurer qu’ils ne se livrent pas à des activités illicites. 108. Le Costa Rica conteste l’obligation d’obtenir un certificat d’appa-
122
Pour justifier les mesures qu’il a prises, le Nicaragua invoque également reillage que le Nicaragua impose aux bateaux empruntant le fleuve.
la protection de l’environnement et la sécurité de la navigation. Comme on le verra, il conteste également le paiement de la redevance ou
104. S’agissant de la licéité des obligations en question, la Cour est du droit y afférent. Selon lui, avant 1979, les exploitants de bateaux
d’avis que le Nicaragua, en tant que souverain, a le droit de connaître costa-riciens se voyaient délivrer un certificat d’appareillage par les autori-
l’identité des personnes entrant sur son territoire et de savoir si elles en tés costa-riciennes (à Barra del Colorado ou à Puerto Viejo de Sarapiquí)
sont sorties. Le pouvoir d’exiger la présentation d’un passeport ou d’une et le présentaient, à la demande des autorités nicaraguayennes, en entrant
pièce d’identité fait légitimement partie de l’exercice de ce droit. Le Nica- sur le San Juan. Au début des années 1980, les autorités nicaraguayennes
ragua a également des responsabilités connexes en matière de maintien de ont instauré leurs propres certificats et le paiement d’une somme à ce
l’ordre et de protection de l’environnement. Dès lors, l’obligation qu’il titre. Cette question est désormais régie par le plan d’action relatif à la
impose aux bateaux de faire halte lorsqu’ils entrent sur le fleuve et le quit- délivrance de certificats d’appareillage sur le fleuve San Juan établi par
tent et de se soumettre à des inspections est licite. En revanche, la Cour l’armée nicaraguayenne en 2001, lequel dispose ce qui suit :
ne voit aucune justification juridique à l’obligation générale qui est faite « 1. Les bateaux qui naviguent entre les postes de contrôle mili-
aux bateaux empruntant le San Juan pour se rendre, par exemple, de la taires sur le fleuve San Juan se verront délivrer un certificat d’appa-
rivière San Carlos au Colorado, de faire halte en un quelconque point reillage de courtoisie.
intermédiaire, en l’occurrence à Sarapiquí. 2. Les bateaux et les Nicaraguayens dont le point d’attache/domi-
105. Dans son mémoire, le Costa Rica a également appelé l’attention cile est proche de la rive du fleuve San Juan ainsi que les Costa-
sur le droit d’accoster indistinctement sur l’une ou l’autre rive du fleuve Riciens dont le domicile est situé dans les zones adjacentes se
que les deux Parties tiennent de l’article VI, droit qu’il invoque à l’appui verront délivrer un certificat d’appareillage de courtoisie qui sera
de l’argument selon lequel « [i]l n’est nulle part stipulé que les navires valable un mois et devra être renouvelé un jour avant la date
costa-riciens ont l’obligation d’accoster sur la rive nicaraguayenne et de se d’expiration. Ces bateaux et personnes se présenteront aux postes de
faire connaître aux autorités nicaraguayennes ». Le Costa Rica ne déve- contrôle militaires situés le long du fleuve San Juan.
loppe toutefois pas cet argument. Cela n’est guère surprenant. Le droit 3. La capitainerie du port de San Juan del Norte est autorisée par
qu’ont certains bateliers d’accoster sur la rive opposée pour des raisons le présent plan d’action à délivrer des certificats d’appareillage inter-
qui leur sont propres, et le pouvoir et la responsabilité de l’Etat qui nationaux aux bateaux de tourisme, au prix de $10 (dix dollars des
45 46
DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 256 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 257
Etats-Unis). Ces certificats peuvent être délivrés par les postes mili- c) Visas et cartes de touriste
taires de Boca de Sarapiquí et d’El Delta uniquement lorsque les
navires tentent de contourner la capitainerie du port. 111. Dans ses conclusions finales, le Costa Rica prie la Cour de dire
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . que le Nicaragua a l’obligation de ne pas exiger des personnes exerçant le
droit de libre navigation qu’elles obtiennent un visa du Nicaragua. Sa
5. Les bateaux costa-riciens dont le point d’attache est situé sur le demande porte également sur les cartes de touriste. Le Nicaragua indique
territoire costa-ricien et qui empruntent le fleuve San Juan comme que, depuis 1979 au moins, tout non-national est tenu d’obtenir une carte
voie de transit se verront délivrer un certificat d’appareillage inter- de touriste lorsqu’il entre au Nicaragua, y compris par le San Juan. Il
national à San Juan del Norte, moyennant paiement d’un droit sym- ajoute qu’une dérogation est accordée aux membres des communautés
bolique de $5 (cinq dollars des Etats-Unis). » costa-riciennes riveraines et aux commerçants costa-riciens qui utilisent
régulièrement le fleuve pour transporter des marchandises d’une commu-
Le Nicaragua indique que, lorsqu’ils entrent sur le fleuve, les bateaux
nauté à une autre. Il précise que ces dérogations valent également en
sont soumis à une inspection visant à s’assurer qu’ils sont en état de navi-
matière de visas. De plus, de nombreux touristes bénéficient d’une dis-
guer, ne présentent pas de fuites de carburant susceptibles de polluer les
pense de visa accordée par le Nicaragua. Le Costa Rica présente certains
eaux et ne transportent pas de marchandises illégales. Pour justifier cette
éléments de preuve qui mettent en doute l’application des dérogations
réglementation, le Nicaragua cite également le compte rendu d’une réu-
aux riverains.
nion tenue en 1997 par la commission binationale Nicaragua-Costa Rica :
112. Le Costa Rica soutient que les obligations imposées en matière de
« En ce qui concerne les mouvements de bateaux, il a été jugé visas et de cartes de touriste constituent des violations de son droit de
nécessaire que ceux-ci naviguent uniquement s’ils ont été dûment libre navigation. Selon lui, elles imposent des restrictions illicites à l’exer-
enregistrés par les postes qui délivrent les certificats de navigation cice de ce droit. Que le Nicaragua puisse exercer un tel pouvoir revien-
correspondants, en l’espèce les postes de San Juan del Norte, de San drait à transformer le droit de libre navigation en un privilège qu’il pour-
Carlos et de Sarapiquí. » rait accorder ou refuser de manière discrétionnaire. Selon le Nicaragua, le
pouvoir de délivrer de tels documents découle tout simplement de la sou-
123
Selon le Nicaragua, le Costa Rica a, dans ce compte rendu, reconnu veraineté qu’il détient sur le fleuve. De la même manière qu’il peut exiger
que les mesures que le Nicaragua avait imposées en matière d’enregistre- que de telles autorisations soient présentées par des non-nationaux qui
ment et d’appareillage étaient justifiées. Le Costa Rica, quant à lui, consi- souhaitent entrer sur son territoire à l’aéroport de Managua, il peut
dère que ce compte rendu portait sur le trafic de stupéfiants et que le imposer cette obligation lorsque des non-nationaux veulent entrer sur le
passage précité signifiait uniquement que les bateaux devaient obtenir les fleuve sur lequel il détient la souveraineté.
certificats en question auprès de leurs pays respectifs. 113. La Cour fait observer, à titre liminaire, qu’une distinction doit
109. La Cour considère que les objectifs invoqués par le Nicaragua, à être établie entre l’obligation d’obtenir un visa et l’obligation d’obtenir
savoir la sécurité de la navigation, la protection de l’environnement et la une carte de touriste. La faculté qu’a chaque Etat de délivrer ou de refu-
répression des infractions pénales, sont légitimes. Par ailleurs, l’obliga- ser des visas est une expression concrète des prérogatives dont il jouit afin
tion qui est faite d’obtenir un certificat d’appareillage ne semble pas avoir de contrôler l’entrée des non-nationaux sur son territoire.
constitué une entrave substantielle à l’exercice par le Costa Rica de sa 114. L’obligation qui est faite aux passagers des bateaux costa-riciens
liberté de navigation. exerçant le droit de libre navigation — autres que les riverains et certains
La question se pose aussi de savoir si, conformément à la pratique marchands costa-riciens — d’être munis de visas pose la question de
antérieure, l’inspection et la délivrance d’un certificat doivent, comme savoir qui est le titulaire du droit de libre navigation à des fins de com-
c’est le cas en matière de navigation maritime, être effectuées par l’Etat de merce énoncé à l’article VI du traité de 1858, et qui peut en bénéficier. En
nationalité des exploitants des bateaux. Le Costa Rica n’a cependant pas vertu de cette disposition, le titulaire du droit de libre navigation est le
laissé entendre qu’il était en mesure d’assumer cette responsabilité. Il ne Costa Rica. Les propriétaires et exploitants de bateaux costa-riciens
mentionne pas non plus le moindre cas où l’un de ses bateaux aurait été bénéficient de ce droit lorsqu’ils empruntent le San Juan à des fins de
empêché de naviguer pour s’être vu refuser arbitrairement un certificat. commerce. Les passagers des bateaux exerçant le droit de libre navigation
110. En conséquence, la demande du Costa Rica tendant à ce que ses détenu par le Costa Rica en bénéficient également, même s’ils ne sont pas
bateaux ne soient pas tenus de se procurer des certificats d’appareillage ressortissants du Costa Rica.
ne saurait être accueillie. La Cour examinera plus loin la demande rela- 115. La Cour rappelle que la faculté qu’a chaque Etat de délivrer ou
tive aux droits devant être acquittés (voir paragraphes 120 à 124 ci- de refuser des visas est de nature discrétionnaire. En l’espèce cependant,
après). le Nicaragua ne saurait imposer l’obligation d’être munies d’un visa aux
47 48
DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 258 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 259
personnes qui, conformément à ce qui a été dit au paragraphe précédent, libre navigation du Costa Rica sur le fleuve qu’elles achètent des cartes de
peuvent bénéficier du droit de libre navigation détenu par le Costa Rica. touriste.
Si ce bénéfice leur était refusé, la liberté de navigation serait entravée.
Dans ces conditions, l’institution d’un visa obligatoire est une violation d) Acquittement de droits
du droit consacré par le traité.
116. La Cour fait observer que le nombre de touristes voyageant sur le 120. Le Costa Rica, dans ses conclusions finales, prie la Cour de dire
fleuve à bord de bateaux costa-riciens a, en réalité, augmenté au cours de que le Nicaragua a l’obligation de n’imposer aucun droit ou redevance
la période pendant laquelle cette obligation était en vigueur (voir para- aux bateaux costa-riciens et à leurs passagers naviguant sur le fleuve. Il
graphe 99 ci-dessus). Par ailleurs, le Costa Rica n’a présenté aucun élé- fait référence aux sommes demandées en contrepartie de la délivrance de
ment de preuve attestant que des touristes se seraient vu arbitrairement certificats d’appareillage pour les bateaux, et de visas et cartes de touriste
refuser la délivrance d’un visa, et le Nicaragua précise qu’il n’impose pas pour leurs passagers. Selon le Nicaragua, ces sommes sont perçues au titre
aux ressortissants des pays d’où proviennent la plupart des touristes non de la navigation sur le fleuve, mais du service en contrepartie duquel
empruntant le San Juan d’obtenir des visas. En outre, des dérogations ces différents documents sont délivrés. Dès lors que le Nicaragua n’est pas
ont été accordées par le Nicaragua aux membres des communautés costa- fondé à exiger des intéressés qu’ils se procurent de tels documents, comme
riciennes riveraines et à certains commerçants costa-riciens qui utilisent l’a dit plus haut la Cour à propos des visas, aucun droit ni redevance n’est
régulièrement le fleuve. Tout cela n’a cependant pas d’incidence sur la bien entendu dû à ce titre. La Cour a traité de la question de l’achat des
situation juridique exposée ci-dessus. cartes de touriste dans le paragraphe précédent. La question demeure,
117. En conséquence, la Cour conclut que le Nicaragua n’a pas le toutefois, en ce qui concerne la délivrance de certificats d’appareillage. Le
droit d’exiger des personnes voyageant à bord de bateaux costa-riciens Costa Rica soutient que l’obligation en question est proscrite par le traité.
qui exercent leur droit de libre navigation sur le fleuve qu’elles se procu- En 1982, il avait protesté contre l’institution d’un droit à acquitter pour la
rent des visas. Il en irait bien entendu autrement si ces personnes souhai- délivrance de certificats d’appareillage, l’assimilant à une taxe exclue par
taient entrer sur le territoire terrestre du Nicaragua depuis le fleuve ou l’article VI du traité. Dans un échange de correspondance ultérieur,
remonter ce dernier en direction du lac Nicaragua, au-delà du secteur où en 2001, le Nicaragua fit valoir que la somme perçue ne l’était pas
124
la navigation est commune. « au titre de la navigation sur le fleuve San Juan — et ne constitu[ait]
118. La Cour ajoute un élément à cette conclusion. Elle a d’ores et donc nullement une taxe — mais au titre de la délivrance du certifi-
déjà confirmé que le Nicaragua avait le droit de connaître, notamment cat d’appareillage qu’aussi bien les navires nicaraguayens que les
pour des raisons liées au maintien de l’ordre et à la protection de l’envi- navires étrangers d[evaient] acquitter dans tout port nicaraguayen, y
ronnement, l’identité des personnes souhaitant s’engager sur le fleuve compris tout port situé sur ledit fleuve, lorsqu’ils se rend[aient] dans
(voir paragraphe 104 ci-dessus). L’une des mesures que le Nicaragua un autre Etat ».
pourrait légitimement prendre pour protéger de tels intérêts consisterait à
refuser l’entrée sur le fleuve à une personne pour des raisons valables au Le Nicaragua rappelle que, sur décision du président du Nicaragua, et
regard de l’objectif poursuivi. Il peut agir ainsi lorsque l’intéressé fait afin de « renforcer les relations » entre les deux pays et gouvernements, le
connaître son identité (voir paragraphes 103 à 107 ci-dessus). Si cette certificat d’appareillage devait être accordé gratuitement aux bateaux
mesure est justifiée au regard de l’objectif poursuivi, il n’y a pas violation costa-riciens, à l’exception de ceux qui étaient employés à des activités de
du droit de libre navigation. Cette analyse pourrait valoir également dans tourisme ou qui utilisaient le port de San Juan del Norte. En réponse, le
l’hypothèse d’une mesure d’urgence dérogatoire au droit de navigation. Costa Rica renvoya une fois de plus à l’article VI, dont il citait la dernière
119. En ce qui concerne les cartes de touriste exigées par le Nicaragua, partie, soutenant qu’aucun service en fait n’était rendu en contrepartie du
elles ne semblent pas destinées à faciliter le contrôle par cet Etat de certificat d’appareillage. Le Nicaragua, soutient le Costa Rica, méconnaît
l’accès au San Juan. Au cours de l’instance, le Nicaragua s’est contenté de le libellé clair de l’article VI du traité de limites, qui interdit à chacune des
présenter certaines informations d’ordre factuel relatives au système des Parties d’imposer à l’autre l’acquittement de droits, si ce n’est avec le
cartes de touriste et aux dispenses, dont il a déjà été fait mention. Il n’a consentement de leurs deux gouvernements.
invoqué la poursuite d’aucun objectif légitime à l’appui de cette exigence. 121. Dans sa version originale espagnole, la dernière phrase de l’ar-
L’obligation faite aux personnes souhaitant emprunter des bateaux ticle VI se lit comme suit :
costa-riciens qui exercent le droit de libre navigation du Costa Rica sur « Las embarcaciones de uno ú otro país podrán indistintamente
le fleuve d’acheter des cartes de touriste est incompatible avec ce droit. En atracar en las riberas del río, en la parte en que la navegación es
conséquence, la Cour conclut que le Nicaragua ne saurait exiger des per- común, sin cobrarse ninguna clase de impuestos, á no ser que se
sonnes qui voyagent à bord de bateaux costa-riciens exerçant le droit de establezcan de acuerdo entre ambos Gobiernos. » (Pour le texte inté-
49 50
DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 260 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 261
gral de l’article VI dans sa version originale espagnole, voir le para- 124. En conséquence, la demande du Costa Rica relative à l’acquitte-
graphe 43 ci-dessus.) ment d’un droit pour la délivrance d’un certificat d’appareillage à ces
bateaux doit être accueillie.
Les traductions anglaises de cette phrase fournies par les Parties au pré-
sident Cleveland étaient respectivement les suivantes :
e) Horaires de navigation
« The vessels of both countries shall have the power to land indis-
criminately on either side of the river, at the portion thereof where the 125. Dans ses conclusions finales, le Costa Rica prie la Cour de dire
navigation is common ; and no charges of any kind, or duties, shall be que le Nicaragua a l’obligation de ne pas mettre d’entraves à l’exercice du
collected unless when levied by mutual consent of both Governments. » droit de libre navigation, notamment sous la forme d’horaires de naviga-
(« Les bateaux des deux pays auront le droit d’accoster indistinctement tion. Le Nicaragua, affirme-t-il, a limité en 1999 la navigation sur le
l’une ou l’autre rive de la portion du fleuve où la navigation est com- fleuve, ne l’autorisant qu’entre 6 heures et 17 h 30. Le Costa Rica a,
mune sans qu’aucun droit ou redevance soit perçu, sauf accord entre en 2001, protesté contre « [c]ette limitation unilatérale..., étant donné
les deux gouvernements. » [Traduction du Greffe.]) (Costa Rica) qu’elle ne résult[ait] pas d’un accord entre les deux Etats ». En réponse, le
et Nicaragua a noté qu’il avait « le droit et l’obligation, [en tant qu’]Etat
souverain, d’adopter les règlements nécessaires pour garantir la sécurité
« The vessels of both countries may indiscriminately approach the
des personnes et des bateaux circulant sur le fleuve et prévenir toute acti-
shores (atracar) of the river where the navigation is common to
vité criminelle ». Le Costa Rica a répliqué que le Nicaragua ne pouvait
both, without the collection of any class of impost unless so esta-
établir ces limitations unilatéralement, aucun des instruments en vigueur
blished by the two Governments. » (« Les bateaux des deux pays
entre les deux pays ne lui donnant cette faculté. Au cours de l’année 2001,
seront autorisés à accoster (atracar) indistinctement l’une ou l’autre
la prescription ci-après fut énoncée dans le plan d’action du Nicaragua
rive de la partie du fleuve où la navigation est commune, sans
relatif à la délivrance de certificats d’appareillage sur le fleuve San Juan :
qu’aucune taxe soit perçue, sauf accord entre les deux gouverne-
« Aux fins d’assurer la protection de la vie humaine et la sécurité de la
ments. » [Traduction du Greffe.]) (Nicaragua)
navigation, la navigation sur le fleuve San Juan demeure suspendue entre
125
122. La Cour considère que la dernière phrase de l’article VI recouvre 17 et 5 heures ». Le Costa Rica soutient que cette interdiction constitue
deux éléments. En premier lieu, elle confère aux bateaux de chacune des une violation d’un droit « perpétuel » et « libre ».
Parties le droit d’accoster sur la rive de l’autre. En second lieu, elle dis- 126. La Cour rappelle que l’exercice d’un pouvoir de réglementation
pose que l’exercice de ce droit spécifique ne doit pas donner lieu à paie- peut légitimement comporter la limitation de l’activité visée. Les quelques
ment d’une taxe. De même que l’exercice du droit de navigation sur le éléments de preuve soumis à la Cour n’attestent nullement une utilisation
fleuve, celui de faire halte sur l’autre rive doit être libre et exempt de toute massive du fleuve à des fins de navigation nocturne : les bateaux de tou-
contrepartie financière. La Cour n’interprète pas la disposition comme risme, naturellement, l’empruntent de jour ; le Nicaragua admet qu’il
allant au-delà de ce cadre précis et interdisant la facturation de services soit fait exception à la règle dans les situations d’urgence ; et, selon le
exigés de façon licite et régulière par le Nicaragua, et rendus aux bateaux commandant militaire nicaraguayen responsable de la région entre
empruntant le fleuve. 1992 et 1995, « [l]a coutume depuis longtemps [était] de ne pas naviguer
123. La Cour en vient maintenant à la question posée par le Costa Rica la nuit, sauf en cas d’urgence ». Cette interdiction, ajoutait l’officier en
dans sa correspondance de 2001 avec le Nicaragua au sujet du service question, « s’applique à tous, Nicaraguayens compris. Le fleuve est dan-
rendu en contrepartie du certificat d’appareillage et du droit acquitté gereux pour la navigation de nuit, puisqu’il n’y a pas d’éclairage et
(voir paragraphe 120 ci-dessus). La Cour croit comprendre que le Costa que les troncs d’arbres et bancs de sable, invisibles dans l’obscurité,
Rica ne conteste pas au Nicaragua le droit d’inspecter les bateaux emprun- y sont nombreux, tout comme les crocodiles. » L’atteinte limitée qui est
tant le fleuve pour des raisons en rapport avec la sécurité, l’environne- causée à la liberté de navigation du Costa Rica n’est pas, de l’avis de
ment et le maintien de l’ordre public ; ainsi qu’il a été relevé, il l’a accepté la Cour, constitutive d’une entrave illicite à cette liberté, tout particu-
dans le cas du trafic de stupéfiants en 1997. De l’avis de la Cour, ce droit lièrement eu égard aux considérations motivant la réglementation en
constituerait en tout état de cause un aspect de la souveraineté nicara- cause.
guayenne sur le fleuve. Cependant, les mesures de police que prend le 127. Le Costa Rica, lorsqu’il conteste cette réglementation, vise égale-
souverain ne comprennent la prestation d’aucun service aux exploitants ment l’une de ces motivations, à savoir la protection de l’environnement.
de bateaux. En ce qui concerne les bateaux du Costa Rica qui exercent le Comme indiqué, la Cour juge qu’il s’agit d’un but légitime et écarte en
droit de libre navigation sur le fleuve, le paiement en question doit être conséquence ce motif de contestation de l’interdiction de naviguer de
considéré comme illicite. nuit.
51 52
DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 262 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 263
128. Enfin, le Costa Rica soutient que la réglementation est déraison- 132. La Cour considère que le Nicaragua, qui a la souveraineté sur le
nable. L’objectif, affirme-t-il, aurait pu être atteint plus efficacement par San Juan, peut, dans l’exercice de ses pouvoirs souverains, exiger des
d’autres moyens ; ainsi aurait-il pu être requis que les bateaux naviguant bateaux costa-riciens pourvus de mâts ou de tourelles naviguant sur le
la nuit soient éclairés et les endroits dangereux, indiqués par des feux. Le fleuve qu’ils arborent son pavillon. Cette obligation ne saurait être consi-
Costa Rica n’aborde pas la question de savoir s’il serait matériellement dérée comme représentant une entrave à l’exercice de la liberté de naviga-
possible de prendre de telles mesures, eu égard notamment à leur coût ou tion garantie aux bateaux costa-riciens par le traité de 1858. La Cour
à leur efficacité. Il ne procède que par assertions. Il est, selon la Cour, relève en outre qu’il ne lui a été présenté aucun élément de preuve attes-
loin d’avoir établi le caractère déraisonnable de cette réglementation. tant que les bateaux costa-riciens avaient été empêchés de naviguer sur
129. En conséquence, la demande du Costa Rica relative aux horaires le San Juan du fait des conditions relatives aux pavillons imposées par
de navigation ne saurait être accueillie. le Nicaragua. En conséquence, la demande du Costa Rica selon laquelle
le Nicaragua aurait violé son obligation de ne pas mettre d’entraves à
f) Pavillons l’exercice du droit de libre navigation en imposant des conditions rela-
tives aux pavillons ne saurait être accueillie.
130. Dans ses conclusions finales, le Costa Rica prie la Cour de dire
que le Nicaragua a l’obligation de ne pas mettre d’entraves à l’exercice g) Conclusion
du droit de libre navigation, notamment sous la forme de conditions
relatives aux pavillons. Le Costa Rica soutient que le droit qu’ont ses 133. Il découle de ce qui précède que le Nicaragua exerce ses pouvoirs
bateaux d’arborer le pavillon costa-ricien et non celui du Nicaragua est de réglementation dans les domaines examinés ci-dessus aux points a),
un corollaire du droit de libre navigation garanti par le traité. Selon b), e) et f) de la partie 2 de la section III conformément au traité de
le Nicaragua, l’obligation faite aux bateaux d’arborer son pavillon 1858, mais qu’il n’agit pas en conformité avec les obligations qui sont les
lorsqu’ils naviguent sur ses eaux, celles du San Juan comprises, est un siennes en vertu dudit traité lorsqu’il met en œuvre des mesures imposant
attribut de sa souveraineté et relève de la pratique et de la coutume inter- l’obtention de visas et de cartes de touriste ainsi que le paiement de droits
nationales. Elle constitue une obligation raisonnable et peu astreignante. pour les bateaux, exploitants de bateaux et leurs passagers exerçant la
126
131. Les Parties sont également en désaccord sur les faits. Le liberté de navigation (voir paragraphes 111 à 124 ci-dessus).
Costa Rica, s’il donne à entendre que le Nicaragua impose à tous ses
bateaux d’arborer le pavillon nicaraguayen, n’en a, de l’avis de la Cour,
pas fourni de preuves convaincantes. En outre, le document pertinent du IV. PÊCHE DE SUBSISTANCE
Nicaragua, le plan d’action relatif à la délivrance de certificats d’appa-
reillage pour la navigation sur le fleuve San Juan établi par l’armée nica- 134. Dans ses conclusions finales, le Costa Rica prie la Cour de dire
raguayenne, impose bien l’obligation de battre pavillon nicaraguayen, que le Nicaragua a l’obligation de permettre aux habitants de la rive
mais en l’assortissant d’une importante limite : « Les bateaux qui n’ont costa-ricienne de pratiquer la pêche de subsistance. Le Nicaragua, qui
pas de mât porte-drapeau arboreront le pavillon sur la tourelle de poupe, conteste cette demande au fond, l’a également déclarée irrecevable. La
s’ils en ont une. » Le conseil du Nicaragua a indiqué que cette limite ren- Cour commencera par examiner ce dernier point.
dait la réglementation inapplicable à la grande majorité des bateaux 135. Le Costa Rica n’a pas fait figurer la demande relative à la pêche
costa-riciens empruntant le fleuve, lesquels sont presque tous de petits dans sa requête. Il l’a fait, toutefois, dans son mémoire, en précisant que
« pangas » en bois ou de simples embarcations munies d’un petit moteur ce n’est qu’après l’introduction de l’instance que le Nicaragua s’était mis
hors-bord, qui ne peuvent matériellement arborer un pavillon. Le Costa à empêcher les riverains de pratiquer la pêche. Dans son contre-mémoire,
Rica prétend aussi que ses bateaux ne sont pas autorisés par le Nicaragua le Nicaragua a affirmé que le traité de 1858 ne prévoyait aucun droit de
à arborer le pavillon costa-ricien. Le Nicaragua cite les propos de l’offi- pêche ; il a également contesté que les riverains costa-riciens bénéficiaient
cier de l’armée responsable de la région du San Juan entre 2002 et 2005, d’un quelconque droit coutumier de la pêche à des fins de subsistance. Ce
qui indiquent que les bateaux costa-riciens pouvaient arborer le pavillon n’est que dans sa duplique que le Nicaragua a affirmé que la demande
du Costa Rica dès lors qu’ils arboraient aussi celui du Nicaragua — ce n’était pas recevable, au motif qu’elle ne figurait pas dans la requête et
qui, en pratique, signifiait simplement que les bateaux de tourisme costa- n’y était pas implicitement contenue. Le Nicaragua affirme également
riciens gardaient un pavillon nicaraguayen à bord et le hissaient pendant que cette demande ne découlait pas directement de l’objet de la requête.
qu’ils naviguaient sur le San Juan. Enfin, comme l’a admis le conseil du 136. Le Costa Rica, lors de son premier tour de plaidoiries, a traité
Costa Rica, il n’a été fait état d’aucun cas de bateau costa-ricien empêché non seulement le fond de cette demande, mais également, de façon rela-
d’emprunter le fleuve faute d’avoir honoré cette obligation. tivement détaillée, la question de sa recevabilité. Il a soutenu, première-
53 54
DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 264 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 265
ment, qu’en plaidant dans son contre-mémoire la question au fond le demande relative aux droits de pêche n’est pas expressément mentionnée
Nicaragua avait implicitement accepté la recevabilité de la demande rela- dans la requête, cela n’a cependant pas gêné sa compréhension des ques-
tive aux droits de pêche ; deuxièmement, que le Nicaragua devait être tions en cause.
réputé avoir consenti à la compétence de la Cour et était empêché de sou- 139. En conséquence, l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Nica-
lever cette question ; troisièmement, que le Costa Rica s’était réservé le ragua ne saurait être accueillie.
droit de compléter ou d’amender sa requête ; quatrièmement, que la 140. La Cour examinera maintenant le fond de la demande du Costa
demande était implicitement contenue dans la requête, en tant qu’elle a Rica concernant les droits de pêche à des fins de subsistance. Le
trait à l’un des cas de figure visés dans celle-ci, celui d’une « mesure pro- Costa Rica soutient qu’il existe depuis longtemps une pratique autorisant
pre à aggraver ou à étendre le ... différend » ; et, cinquièmement, que la les habitants de la rive costa-ricienne du San Juan à pêcher dans ce fleuve
demande relevait « d’autres règles ... applicables du droit international » pour assurer leur subsistance. Cette pratique aurait survécu au traité
également visées dans la requête. Le Nicaragua n’a pas répondu aux diffé- de 1858 et constituerait, selon lui, un droit coutumier. A l’appui de cette
rents points de cette argumentation et, mis à part une brève référence aux thèse, le Costa Rica renvoie à une ordonnance royale de 1540 en vertu de
développements présentés dans ses pièces écrites, s’en est tenu au fond, laquelle le cours supérieur du fleuve, à partir du lac et sur une distance de
contestant que le Costa Rica ait établi l’existence d’un droit coutumier. 15 lieues, appartient au Nicaragua, et son cours inférieur, jusqu’à la mer
137. La Cour rappelle tout d’abord que la question de la recevabilité des Caraïbes, au Costa Rica, le fleuve et le lac devant être d’usage com-
est distincte de celle de la compétence. C’est ici la première qu’elle exa- mun aux fins de la navigation et de la pêche. Le Costa Rica met en avant
mine. Elle rappelle ensuite qu’il lui appartient d’apprécier, eu égard aux le fait que les riverains ont continué à se livrer à la pêche de subsistance,
circonstances de chaque espèce, la recevabilité d’une requête (Certaines pratique qui, selon lui, n’a été contestée par le Nicaragua qu’après
terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions prélimi- l’ouverture de la présente instance. Le Nicaragua répond que le Costa Rica
naires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 240). Aux termes du paragraphe 1 de n’est pas parvenu à établir que la coutume s’était constituée de telle
l’article 40 du Statut de la Cour, « l’objet du différend » doit être indiqué manière qu’elle lui était devenue opposable. S’il est vrai que le Nicaragua
dans la requête. Par ailleurs, ainsi qu’il a été établi dans la jurisprudence a généralement toléré un usage limité par les riverains costa-riciens du
de la Cour, il convient que la demande additionnelle soit implicitement San Juan pour la pêche non commerciale, cette tolérance ne saurait être
127
contenue dans la requête (Temple de Préah Vihéar (Cambodge considérée comme la source d’un droit. En outre, le Costa Rica a, d’après
c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 36) ou découle « direc- le Nicaragua, reconnu de manière constante ne détenir d’autres droits
tement de la question qui fait l’objet de cette requête » (Compétence en que ceux découlant des traités, et non du droit coutumier. Enfin, à
matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne c. Islande), fond, l’audience, le Nicaragua a répété qu’il n’avait « nullement l’intention
arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 203, par. 72). d’empêcher les résidents costa-riciens de se livrer à la pêche de subsis-
S’agissant de l’argument du Nicaragua selon lequel la demande du tance ». Le Costa Rica, dans sa déclaration finale sur ce point, a prié la
Costa Rica relative à la pêche à des fins de subsistance est irrecevable Cour de prendre acte dans le dispositif de l’arrêt, pour suite à donner, de
parce qu’elle ne figure pas, même implicitement, dans la requête, la Cour la position affichée par le Nicaragua selon laquelle la pêche de subsis-
fait observer que les prétendues entraves nicaraguayennes au droit allé- tance pratiquée par les riverains ne devait pas être entravée.
gué de pratiquer la pêche à des fins de subsistance sont postérieures au 141. La Cour rappelle que les Parties sont d’accord sur le fait que la
dépôt de ladite requête. S’agissant de l’argument du Nicaragua selon seule question en litige est celle de la pêche pratiquée par les riverains
lequel la demande ne découle pas directement de la question qui fait costa-riciens à des fins de subsistance. Il n’est pas question de pêche
l’objet de la requête, la Cour estime que, dans les circonstances de la pré- commerciale ou sportive. La Cour note également que les Parties n’ont pas
sente espèce, compte tenu de la relation que les riverains entretiennent cherché à définir la notion de pêche de subsistance (si ce n’est en excluant
avec le fleuve et du libellé de la requête, il existe un lien suffisamment ces autres types de pêche) et n’ont pas davantage demandé à la Cour d’en
étroit entre la demande relative à la pêche à des fins de subsistance et la fournir une définition. La pêche de subsistance se pratique indubitable-
requête, dans laquelle le Costa Rica invoque, outre le traité de 1858, ment depuis très longtemps. Abstraction faite, pour le moment, de la
« d’autres règles et principes applicables du droit international ». question de la pêche pratiquée sur le fleuve à bord de bateaux, sur
138. En outre, la Cour relève, ainsi qu’il ressort des arguments qu’il a laquelle la Cour reviendra, les Parties conviennent que la pratique de la
développés sur le fond au cours des deux tours de procédure écrite et des pêche de subsistance est établie de longue date. Elles sont en désaccord,
deux tours de procédure orale, que le Nicaragua n’a pas été désavantagé en revanche, quant au point de savoir si cette pratique est devenue
par le fait que le Costa Rica n’a pas énoncé cette demande dans sa contraignante pour le Nicaragua et si, dès lors, les riverains peuvent, en
requête. De même, en ce qui concerne la responsabilité qui lui incombe vertu d’un droit coutumier, se livrer à la pêche de subsistance depuis la
d’assurer une bonne administration de la justice, la Cour estime que, si la rive du fleuve. La Cour relève qu’il ne faut pas s’attendre qu’une telle pra-
55 56
DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 266 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 267
tique, par sa nature même, et tout particulièrement au vu de l’isolement le Nicaragua devra dédommager le Costa Rica des préjudices subis par
de la région, ainsi que de la faible densité et du caractère clairsemé de sa lui en raison des violations constatées, sous la forme du rétablissement de
population, soit consignée de manière formelle dans un quelconque la situation antérieure et du versement d’une indemnité dont le montant
compte rendu officiel. De l’avis de la Cour, le fait que le Nicaragua n’ait sera fixé ultérieurement ; enfin, de fournir des assurances et garanties de
pas nié l’existence d’un droit découlant de cette pratique, qui s’était pour- non-répétition de son comportement illicite.
suivie sans être entravée ni remise en question durant une très longue 148. En ce qui concerne le premier de ces trois chefs de conclusions, il
période, est particulièrement révélateur. La Cour conclut dès lors que le y a lieu de rappeler que, lorsque la Cour a constaté que le comportement
Costa Rica jouit d’un droit coutumier. Celui-ci reste subordonné à toute d’un Etat présente un caractère illicite, et dans le cas où ce comportement
mesure de réglementation en matière de pêche que le Nicaragua pourrait se poursuit encore à la date de l’arrêt, l’Etat en cause est tenu d’y mettre
prendre à des fins légitimes, notamment pour la protection des ressources fin immédiatement. Cette obligation de cessation d’un comportement illi-
et de l’environnement. cite découle tout autant du devoir général qu’a chaque Etat de se com-
142. La Cour ne souscrit pas à la thèse du Nicaragua selon laquelle le porter conformément au droit international que de l’obligation spécifique
Costa Rica aurait admis, dans le cadre de cette instance, ne détenir qu’ont les Etats parties aux différends portés devant la Cour de se confor-
d’autres droits que ceux qui découlent des traités. Toute déclaration en ce mer aux arrêts de celle-ci, en vertu de l’article 59 de son Statut.
sens ne portait que sur des droits de navigation contestés au regard du Il n’est pas nécessaire, et il n’est pas utile en règle générale, que la Cour
traité de 1858 et d’autres instruments contraignants ; la demande relative rappelle l’existence de cette obligation dans le dispositif des arrêts qu’elle
aux droits de pêche était, d’emblée, fondée sur une coutume. rend : du seul fait que la Cour constate l’existence d’une violation qui pré-
143. La Cour n’estime pas, toutefois, que ce droit coutumier s’étende à sente un caractère continu, il découle de plein droit l’obligation de la faire
la pêche pratiquée à bord de bateaux sur le fleuve. Les preuves d’une telle cesser, à la charge de l’Etat concerné.
pratique sont rares et récentes. En outre, elles ont principalement trait au
refus de ce type de pêche par les autorités nicaraguayennes. La Cour peut estimer opportun, dans des circonstances spéciales, de
144. En conséquence, la Cour conclut que la pêche à des fins de sub- mentionner expressément ladite obligation dans le dispositif de son arrêt.
sistance pratiquée par les habitants de la rive costa-ricienne du San Juan Elle n’aperçoit pas de raison particulière de le faire en l’espèce.
128
depuis cette rive doit être respectée par le Nicaragua en tant que droit 149. En ce qui concerne le deuxième chef de conclusions énoncé au
coutumier. paragraphe 147 ci-dessus, il y a lieu de rappeler que la cessation d’une
violation qui présente un caractère continu et le rétablissement de la
situation légale qui en découle constituent une forme de réparation au
V. LES DEMANDES PRÉSENTÉES PAR LES PARTIES bénéfice de l’Etat lésé. S’agissant de la demande d’indemnisation, la Cour
DANS LEURS CONCLUSIONS FINALES relève que le Costa Rica n’a pas fourni d’éléments permettant de démon-
trer qu’il aurait subi un préjudice propre susceptible d’évaluation finan-
1. Les demandes du Costa Rica cière. La Cour ne fera donc pas droit à cette partie des conclusions.
150. Enfin, si la Cour peut, comme il lui est arrivé de le faire, ordonner
145. Dans ses conclusions finales présentées à la Cour au terme de ses à l’Etat responsable d’un comportement internationalement illicite d’offrir
plaidoiries, le Costa Rica a présenté plusieurs demandes distinctes (voir à l’Etat lésé des assurances et des garanties de non-répétition, c’est seu-
paragraphe 14 ci-dessus). lement si les circonstances le justifient, ce qu’il lui appartient d’apprécier.
146. Le principal objet de la requête est d’obtenir de la Cour qu’elle En règle générale, il n’y a pas lieu de supposer que l’Etat dont un acte
déclare que le Nicaragua a un certain nombre d’obligations à l’égard du ou un comportement a été déclaré illicite par la Cour répétera à l’avenir
Costa Rica, des bateaux costa-riciens et de leurs passagers, et des habi- cet acte ou ce comportement, puisque sa bonne foi doit être présumée
tants de la rive costa-ricienne du fleuve San Juan, et que le Nicaragua a (voir Usine de Chorzów, fond, arrêt no 13, 1928, C.P.J.I. série A no 17,
violé ces obligations, lesquelles sont présentées aux points a) à i) des p. 63 ; Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974,
conclusions finales. p. 272, par. 60 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt,
Dans le dispositif du présent arrêt, la Cour fera droit à certains élé- C.I.J. Recueil 1974, p. 477, par. 63 ; et Activités militaires et paramili-
ments de cette demande, dans la mesure où ils correspondent aux motifs taires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amé-
qui précèdent, et rejettera les autres. rique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 437,
147. En outre, le Costa Rica présente trois chefs de conclusions : il par. 101). Il n’y a donc pas lieu, sauf circonstances spéciales que la Cour
demande à la Cour d’ordonner au Nicaragua de cesser celles des viola- n’aperçoit pas en la présente espèce, d’ordonner une mesure telle que celle
tions de ses obligations qui présentent un caractère continu ; de dire que que réclame le Costa Rica.
57 58
DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 268 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 269
2. Les demandes du Nicaragua présent arrêt suffisent donc à répondre au souhait du Nicaragua que
soient précisées par la Cour les obligations du Costa Rica à son égard.
151. Dans ses conclusions finales, le Nicaragua présente également 155. Quant au cinquième des points devant faire l’objet de la « déclara-
plusieurs demandes à la Cour. tion » sollicitée, en admettant qu’il ait la nature d’une demande reconven-
152. Il demande, d’abord, à la Cour de rejeter l’ensemble des deman- tionnelle, le Costa Rica a mis en doute la recevabilité de celle-ci, au motif
des du Costa Rica, soit parce que le défendeur n’a pas violé les obliga- qu’elle ne serait pas « en connexion directe » avec l’objet de sa propre
tions qui lui incombent, soit parce que les obligations dont la violation demande au sens de l’article 80 du Règlement de la Cour. La même ques-
est alléguée ne découlent d’aucune règle de droit international. tion pourrait être posée en ce qui concerne le troisième point.
La Cour fera droit à cette demande dans la mesure correspondant aux En tout état de cause, il suffit à la Cour de relever que les deux ques-
motifs du présent arrêt qui sont relatifs aux demandes du Costa Rica. tions ainsi soulevées ont été réglées dans le dispositif de la sentence Cle-
veland. Cette sentence a en effet décidé, dans les points 4 à 6 de la troi-
153. Le Nicaragua ajoute un chef de conclusions supplémentaire. Il sième partie, que le Costa Rica n’est pas tenu de contribuer aux dépenses
demande à la Cour de « faire une déclaration formelle sur les questions nécessaires pour améliorer la navigation sur le fleuve San Juan et que le
qu’il a soulevées à la section II du chapitre VII de son contre-mémoire et Nicaragua peut exécuter les travaux d’amélioration qu’il estime conve-
à la section I du chapitre VI de sa duplique ». nables, à condition que lesdits travaux ne perturbent pas gravement la
La déclaration sollicitée est la suivante : navigation sur les affluents du San Juan appartenant au Costa Rica.
« i) le Costa Rica est tenu de se conformer aux règles de navigation Le Nicaragua n’ayant nullement expliqué en quoi la sentence précitée
(et d’accostage) sur le San Juan qui sont imposées par les auto- ne suffirait pas à préciser les droits et obligations des Parties sur ces ques-
rités nicaraguayennes, en particulier à celles qui concernent les tions, sa demande à cet égard doit être rejetée.
questions de santé et de sécurité ;
ii) le Costa Rica doit s’acquitter des sommes dues au titre de tous * * *
les services spéciaux assurés par le Nicaragua dans le cadre de
156. Par ces motifs,
129
l’utilisation du San Juan, que ce soit pour la navigation ou pour
l’accostage sur les rives nicaraguayennes ; La COUR,
iii) le Costa Rica doit s’acquitter de toutes les charges raison-
1) S’agissant des droits de navigation que le Costa Rica tient du traité
nables à régler au titre des améliorations apportées aux condi-
de 1858 dans la partie du fleuve San Juan où cette navigation est com-
tions de navigation sur le fleuve par rapport aux conditions de
mune,
1858 ;
iv) les bateaux du service des douanes peuvent être utilisés unique- a) A l’unanimité,
ment pendant le transit effectif de marchandises tel qu’autorisé
Dit que le Costa Rica a le droit de libre navigation sur le fleuve San
par le traité et dans le strict cadre de ce transit ;
Juan à des fins de commerce ;
v) le Nicaragua a le droit de draguer le San Juan afin de rétablir le
débit d’eau qui existait en 1858, même si cela modifie le débit b) A l’unanimité,
d’autres cours d’eau récepteurs comme le Colorado. » Dit que le droit de naviguer à des fins de commerce dont jouit le Costa
Rica couvre le transport des passagers ;
La Cour relève, à cet égard, que le Nicaragua a indiqué au cours des c) A l’unanimité,
audiences qu’il se satisferait de trouver une telle « déclaration » dans
n’importe quelle partie de l’arrêt, soit dans le dispositif, soit simplement Dit que le droit de naviguer à des fins de commerce dont jouit le Costa
dans les motifs. Il est donc douteux que l’on se trouve encore, désormais, Rica couvre le transport des touristes ;
en présence de conclusions formelles. La Cour note cependant que l’agent d) Par neuf voix contre cinq,
du Nicaragua a réitéré, dans l’énoncé de ses conclusions finales, la
demande du défendeur sur ce point. Dit que les personnes qui voyagent sur le fleuve San Juan à bord de
154. En tout état de cause, la Cour relève que les deux premiers et le bateaux costa-riciens exerçant le droit de libre navigation du Costa Rica
quatrième points au sujet desquels le Nicaragua a sollicité la « déclara- ne sont pas tenues de se procurer un visa nicaraguayen ;
tion » concernent en réalité des questions soulevées par le Costa Rica et POUR :M. Owada, président ; MM. Shi, Buergenthal, Abraham, Keith,
débattues entre les Parties tout au long de la procédure. Les motifs du Bennouna, Cançado Trindade, Yusuf, Greenwood, juges ;
59 60
DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 270 DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 271
CONTRE :
MM. Koroma, Al-Khasawneh, Sepúlveda-Amor, Skotnikov, juges ; Dit que le Nicaragua a le droit d’exiger la présentation d’un passeport
M. Guillaume, juge ad hoc ; ou d’un document d’identité par les personnes voyageant sur le fleuve
e) A l’unanimité, San Juan ;
Dit que les personnes qui voyagent sur le fleuve San Juan à bord de c) A l’unanimité,
bateaux costa-riciens exerçant le droit de libre navigation du Costa Rica Dit que le Nicaragua a le droit de délivrer des certificats d’appareillage
ne sont pas tenues d’acheter une carte de touriste nicaraguayenne ; aux bateaux costa-riciens exerçant le droit de libre navigation du Costa
f) Par treize voix contre une, Rica, mais n’a pas le droit d’exiger l’acquittement d’un droit en contre-
partie de la délivrance de ces certificats ;
Dit que les habitants de la rive costa-ricienne du fleuve San Juan ont le
droit de naviguer sur celui-ci entre les communautés riveraines afin de d) A l’unanimité,
subvenir aux besoins essentiels de la vie quotidienne qui nécessitent des Dit que le Nicaragua a le droit d’imposer des horaires de navigation
déplacements dans de brefs délais ; aux bateaux empruntant le fleuve San Juan ;
POUR : M. Owada, président ; MM. Shi, Koroma, Al-Khasawneh, Buergen- e) A l’unanimité,
thal, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, Cançado
Trindade, Yusuf, Greenwood, juges ; Dit que le Nicaragua a le droit d’exiger que les bateaux costa-riciens
CONTRE : M. Guillaume, juge ad hoc ; pourvus de mâts ou de tourelles arborent le pavillon nicaraguayen ;
g) Par douze voix contre deux, 3) S’agissant de la pêche de subsistance,
Dit que le Costa Rica a le droit de navigation sur le fleuve San Juan Par treize voix contre une,
avec des bateaux officiels exclusivement employés, dans des cas parti- Dit que la pêche à des fins de subsistance pratiquée par les habitants de
culiers, en vue de fournir des services essentiels aux habitants des zones la rive costa-ricienne du San Juan depuis cette rive doit être respectée par
riveraines lorsque la rapidité du déplacement est une condition de la le Nicaragua en tant que droit coutumier ;
130
satisfaction des besoins de ces habitants ;
POUR : M. Owada, président ; MM. Shi, Koroma, Al-Khasawneh, Buergen-
POUR : M. Owada, président ; MM. Shi, Koroma, Al-Khasawneh, Buergen- thal, Abraham, Keith, Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf,
thal, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Cançado Trindade, Greenwood, juges ; M. Guillaume, juge ad hoc ;
Yusuf, Greenwood, juges ; CONTRE : M. Sepúlveda-Amor, juge ;
CONTRE : M. Skotnikov, juge ; M. Guillaume, juge ad hoc ;
4) S’agissant du respect par le Nicaragua des obligations internatio-
h) A l’unanimité, nales qui sont les siennes en vertu du traité de 1858,
Dit que le Costa Rica n’a pas le droit de navigation sur le fleuve San a) Par neuf voix contre cinq,
Juan avec des bateaux affectés à des fonctions de police ;
Dit que le Nicaragua n’agit pas en conformité avec les obligations qui
i) A l’unanimité, sont les siennes en vertu du traité de 1858 lorsqu’il exige des personnes
Dit que le Costa Rica n’a pas le droit de navigation sur le fleuve San qui voyagent sur le fleuve San Juan à bord de bateaux costa-riciens exer-
Juan aux fins de relever les membres du personnel des postes frontière çant le droit de libre navigation du Costa Rica qu’elles se procurent des
de police établis sur la rive droite du fleuve et de pourvoir au ravitaille- visas nicaraguayens ;
ment de ceux-ci en équipement officiel, armes de service et munitions POUR :
M. Owada, président ; MM. Shi, Buergenthal, Abraham, Keith, Ben-
comprises ; nouna, Cançado Trindade, Yusuf, Greenwood, juges ;
CONTRE : MM. Koroma, Al-Khasawneh, Sepúlveda-Amor, Skotnikov, juges ;
2) S’agissant du droit du Nicaragua de réglementer la navigation sur le M. Guillaume, juge ad hoc ;
fleuve San Juan dans la partie où cette navigation est commune,
b) A l’unanimité,
a) A l’unanimité,
Dit que le Nicaragua n’agit pas en conformité avec les obligations qui
Dit que le Nicaragua a le droit d’exiger que les bateaux costa-riciens et sont les siennes en vertu du traité de 1858 lorsqu’il exige des personnes
leurs passagers fassent halte aux premier et dernier postes nicaraguayens qui voyagent sur le fleuve San Juan à bord de bateaux costa-riciens exer-
situés sur leur trajet le long du fleuve San Juan ; çant le droit de libre navigation du Costa Rica qu’elles achètent des
b) A l’unanimité, cartes de touriste nicaraguayennes ;
61 62
DROITS DE NAVIGATION ET DROITS CONNEXES (ARRÊT) 272
c) A l’unanimité,
Dit que le Nicaragua n’agit pas en conformité avec les obligations qui
sont les siennes en vertu du traité de 1858 lorsqu’il exige des exploitants
de bateaux exerçant le droit de libre navigation du Costa Rica qu’ils
s’acquittent de droits pour la délivrance de certificats d’appareillage ;
5) A l’unanimité,
Rejette le surplus des conclusions du Costa Rica et du Nicaragua.
Le président,
(Signé) Hisashi OWADA.
Le greffier,
(Signé) Philippe COUVREUR.
131
MM. les juges SEPÚLVEDA-AMOR et SKOTNIKOV joignent à l’arrêt les
exposés de leur opinion individuelle ; M. le juge ad hoc GUILLAUME joint
une déclaration à l’arrêt.
(Paraphé) H.O.
(Paraphé) Ph.C.
63
132
Cour internationale de Justice
133
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ARRE
| T DU 20 AVRIL 2010 Mode officiel de citation :
Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay),
arrêt, C.I.J. Recueil 2010, p. 14
2010
134
Official citation :
Pulp Mills on the River Uruguay (Argentina v. Uruguay),
Judgment, I.C.J. Reports 2010, p. 14
REPORTS OF JUDGMENTS,
ADVISORY OPINIONS AND ORDERS
Sales number
ISSN 0074-4441 No de vente : 977
ISBN 978-92-1-071089-3
14
20 AVRIL 2010
ARRE
|T
TABLE DES MATIE
v RES
Paragraphes
QUALITÉS 1-24
I. CADRE JURIDIQUE ET FAITS DE L’ESPÈCE 25-47
A. Cadre juridique 26-27
B. Le projet CMB (ENCE) 28-36
C. L’usine Orion (Botnia) 37-47
II. ÉTENDUE DE LA COMPÉTENCE DE LA COUR 48-66
III. LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES OBLIGATIONS DE NATURE PROCÉDURALE 67-158
A. Les liens entre les obligations de nature procédurale et les
obligations de fond 71-79
B. Les obligations de nature procédurale et leur articulation 80-122
USINES DE PA
| TE A
v PAPIER SUR LE FLEUVE URUGUAY
1. La nature et le rôle de la CARU 84-93
(ARGENTINE c. URUGUAY) 2. L’obligation de l’Uruguay d’informer la CARU 94-111
3. L’obligation de l’Uruguay de notifier les projets à l’autre
partie 112-122
C. Les Parties sont-elles convenues de déroger aux obligations
135
de nature procédurale prévues dans le statut de 1975 ? 123-150
1. L’« arrangement » du 2 mars 2004 entre l’Argentine et
l’Uruguay 125-131
2. L’accord créant le Groupe technique de haut niveau
PULP MILLS ON THE RIVER URUGUAY (GTAN) 132-150
(ARGENTINA v. URUGUAY) D. Les obligations de l’Uruguay après l’expiration de la période
de négociation 151-158
IV. LES OBLIGATIONS DE FOND 159-266
A. La charge de la preuve et la preuve par expertise 160-168
B. Les violations alléguées des obligations de fond 169-266
1. L’obligation de contribuer à l’utilisation rationnelle et
optimale du fleuve (article premier) 170-177
2. L’obligation de veiller à ce que la gestion du sol et des
forêts ne cause pas un préjudice au régime du fleuve ou à
la qualité de ses eaux (article 35) 178-180
3. L’obligation de coordonner les mesures propres à éviter
une modification de l’équilibre écologique (article 36) 181-189
4. L’obligation d’empêcher la pollution et de préserver le
milieu aquatique (article 41) 190-266
a) Evaluation de l’impact sur l’environnement 203-219
20 APRIL 2010 i) Le choix du site de Fray Bentos pour l’usine Orion
(Botnia) 207-214
JUDGMENT ii) Consultation des populations concernées 215-219
4
16
15 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
136
CMB
DINAMA « Dirección Nacional de Medio Ambiente » (direction nationale
de l’environnement du Gouvernement uruguayen)
ECF « Elemental Chlorine-Free » (exempt de chlore élémentaire)
EIE Evaluation de l’impact sur l’environnement
ENCE « Empresa Nacional de Celulosas de España » (société espa-
gnole ayant créé la société CMB de droit uruguayen)
GTAN « Grupo Técnico de Alto Nivel » (Groupe technique de haut
niveau créé en 2005 par l’Argentine et l’Uruguay pour résoudre
leur litige concernant les usines CMB (ENCE) et Orion (Bot-
nia))
IPPC-BAT « Integrated Pollution Prevention and Control Reference Docu-
ment on Best Available Techniques in the Pulp and Paper
Industry » (document de référence en matière de prévention et
de réduction intégrées de la pollution sur les meilleures techni-
ques disponibles dans l’industrie de la pâte et du papier)
MVOTMA « Ministerio de Vivienda, Ordenamiento Territorial y Medio
Ambiente » (ministère uruguayen du logement, de l’aménage-
ment du territoire et de l’environnement)
Orion (Botnia) Usine de pâte à papier construite à Fray Bentos par la société
finlandaise Oy Metsä-Botnia AB, ayant créé à cette fin les
sociétés uruguayennes Botnia S.A. et Botnia Fray Bentos
S.A.
OSE « Obras Sanitarias del Estado » (organisme public uruguayen
chargé de l’assainissement et de la distribution de l’eau)
5
6
18
17 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
137
jet d’usine de pâte à papier CMB (ENCE) — Projet d’usine de pâte à papier
Orion (Botnia) — Terminal portuaire de Nueva Palmira — Objet du différend.
*
Etendue de la compétence de la Cour.
Clause compromissoire (article 60 du statut de 1975) — Dispositions du sta-
tut de 1975 et compétence ratione materiae — Incompétence de la Cour pour
connaître d’allégations relatives à la pollution sonore et visuelle ou aux mau-
vaises odeurs (article 36 du statut de 1975) — Pollution atmosphérique et
atteinte à la qualité des eaux du fleuve examinées dans le cadre des obligations
de fond.
Article premier du statut de 1975 — Définition du but du statut
de 1975 — Mécanismes communs nécessaires à l’utilisation rationnelle et opti-
male du fleuve — Portée de la référence aux « droits et obligations découlant des
traités et autres engagements internationaux en vigueur à l’égard de l’une ou
l’autre des parties » — Texte original espagnol — Statut adopté par les parties
dans le respect de leurs engagements internationaux respectifs.
Alinéa a) de l’article 41 du statut de 1975 — Texte original espagnol — Absence
de « clause de renvoi » ayant pour effet d’incorporer dans le champ d’application
du statut les obligations des parties découlant des accords internationaux et
autres normes qui y sont visées — Obligation des parties d’exercer leurs pouvoirs
de réglementation en conformité avec les accords internationaux applicables aux
fins de la protection et de la préservation du milieu aquatique du fleuve Uru-
guay — Règles d’interprétation du statut de 1975 — Article 31 de la convention
7 8
19 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 20 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
de Vienne sur le droit des traités — Distinction entre la prise en considération Obligations de l’Uruguay après l’expiration de la période de négocia-
d’autres règles internationales lors de l’interprétation du statut de 1975 et l’éten- tion — Portée de l’article 12 du statut de 1975 — Absence d’obligation de « non-
due de la compétence de la Cour en vertu de son article 60. construction » après l’expiration de la période de négociation et pendant la phase
de règlement judiciaire.
*
*
Violation alléguée des obligations de nature procédurale.
Question des liens entre les obligations de nature procédurale et les obliga- Violations alléguées des obligations de fond.
tions de fond — Objet et but du statut de 1975 — Utilisation rationnelle et opti- Charge de la preuve — Approche de précaution et absence de renversement de
male du fleuve Uruguay — Développement durable — Coopération entre les la charge de la preuve — Preuve par expertise — Rapports établis à la demande
parties pour la gestion commune des risques de dommages à l’environne- des Parties — Indépendance des experts — Appréciation des faits par la
ment — Existence d’un lien fonctionnel, relatif à la prévention, entre les obli- Cour — Experts intervenus à l’audience en qualité de conseils — Question des
gations de nature procédurale et les obligations de fond — Responsabilité en cas témoins, experts et témoins-experts.
de violation des unes ou des autres. Utilisation rationnelle et optimale du fleuve Uruguay — Définissant le but du
Articulation des différentes obligations de nature procédurale prévues par les statut de 1975, l’article premier ne crée pas de droits ou obligations spécifi-
articles 7 à 12 du statut de 1975 — Texte original espagnol de l’article 7 — Obli- ques — Obligation de se conformer aux obligations prescrites par le statut aux
gation d’informer, de notifier et de négocier comme moyen approprié de parvenir fins de la protection de l’environnement et de la gestion conjointe du
à l’objectif d’utilisation rationnelle et optimale du fleuve en tant que ressource fleuve — Fonction réglementaire de la CARU — Lien étroit entre l’utilisation
partagée — Personnalité juridique de la CARU — Rôle central de la CARU équitable et raisonnable du fleuve comme ressource partagée et la nécessité,
dans la gestion commune du fleuve et l’obligation de coopérer entre les parties. qui est au cœur du développement durable, de concilier le développement écono-
Obligation d’informer la CARU (premier alinéa de l’article 7 du statut de mique et la protection de l’environnement (article 27 du statut de 1975).
1975) — Ouvrages soumis à cette obligation — Lien entre l’obligation d’infor-
mer la CARU, la coopération entre les parties et l’obligation de préven- Obligation de veiller à ce que la gestion du sol et des forêts ne cause pas un
tion — Détermination sommaire par la CARU d’un risque de préjudice sensible préjudice au régime du fleuve ou à la qualité de ses eaux (article 35 du statut
à l’autre partie — Contenu de l’information devant être transmise à la de 1975) — Allégations de l’Argentine non établies.
CARU — Obligation d’informer la CARU avant la délivrance de l’autorisation Obligation de coordonner les mesures propres à éviter une modification de
138
environnementale préalable — L’information de la CARU par des opérateurs l’équilibre écologique (article 36 du statut de 1975) — Exigence d’une action
privés ne peut tenir lieu de l’obligation d’informer prévue par le statut individuelle de chaque partie et d’une action concertée par l’intermédiaire de la
de 1975 — Violation par l’Uruguay de l’obligation d’informer la CARU. CARU — Obligation de diligence requise (« due diligence ») — L’Argentine n’a
Obligation de notifier les projets à l’autre partie (deuxième et troisième ali- pas démontré de manière convaincante que l’Uruguay a refusé de prendre part
néas de l’article 7 du statut de 1975) — Nécessité de disposer d’une évaluation aux efforts de coordination prévus par l’article 36 du statut de 1975.
de l’impact sur l’environnement (EIE) complète — Notification de l’EIE à Obligation d’empêcher la pollution et de préserver le milieu aquati-
l’autre partie par l’intermédiaire de la CARU avant toute décision relative à la que — Contenu normatif de l’article 41 du statut de 1975 — Obligation pour
viabilité environnementale du projet — Violation par l’Uruguay de l’obligation chaque partie d’adopter des normes et mesures destinées à protéger et préserver
de notifier les projets à l’Argentine. le milieu aquatique et, en particulier, à empêcher la pollution — Les normes et
Question de l’éventuelle dérogation aux obligations de nature procédurale mesures adoptées par chaque partie doivent être conformes aux accords inter-
convenue entre les Parties — « Arrangement » du 2 mars 2004 — Contenu et nationaux applicables et, le cas échéant, en harmonie avec les directives et
portée — L’Uruguay ne s’y étant pas conformé, l’« arrangement » ne peut être recommandations des organismes techniques internationaux — Obligation de
considéré comme ayant eu pour effet de le dispenser du respect des obligations diligence requise (« due diligence ») d’adopter des normes et mesures et de les
de nature procédurale — Accord créant le Groupe technique de haut niveau mettre en œuvre — Définition de la pollution selon l’article 40 du statut
(GTAN) — Saisine de la Cour sur la base de l’article 12 ou de l’article 60 du de 1975 — Activité réglementaire de la CARU (article 56 du statut de 1975),
statut de 1975 : distinction sans incidence — L’accord créant le GTAN a eu complémentaire à celle de chaque partie — Digeste de la CARU — Règles à
pour but de permettre aux négociations prévues à l’article 12 du statut de 1975 l’aune desquelles l’existence d’effets nocifs doit s’apprécier : statut de 1975,
d’avoir lieu, mais il n’a pas dérogé à d’autres obligations de nature procédu- digeste de la CARU, droit interne de chacune des parties dans la mesure exigée
rale — En acceptant la création du GTAN, l’Argentine n’a renoncé ni aux par le statut de 1975.
droits de nature procédurale que lui reconnaît le statut, ni à invoquer la respon- Evaluation de l’impact sur l’environnement (EIE) — Obligation de procéder
sabilité de l’Uruguay ; l’Argentine n’a pas davantage consenti à suspendre à une EIE — Portée et contenu de l’EIE — Renvoi au droit interne — Question
l’application des dispositions procédurales du statut (article 57 de la convention du choix du site des usines comme élément de l’EIE — La Cour n’est pas
de Vienne sur le droit des traités) — Obligation de négocier de bonne foi — Obli- convaincue par l’argument de l’Argentine selon lequel une évaluation des diffé-
gation de « non-construction » durant la période de négociation — Travaux pré- rents sites possibles n’a pas eu lieu — Capacité de réception des eaux du fleuve
liminaires autorisés par l’Uruguay — Violation par l’Uruguay de l’obligation de à Fray Bentos et inversions de courant — Les normes de la CARU relatives à la
négocier prévue à l’article 12 du statut de 1975. qualité des eaux tiennent compte des caractéristiques géomorphologiques et
9 10
21 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 22 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
139
comme coagents ;
leur coopération par l’intermédiaire de la CARU.
M. Alain Pellet, professeur à l’Université de Paris Ouest, Nanterre-La
Défense, membre et ancien président de la Commission du droit interna-
* tional, membre associé de l’Institut de droit international,
Demandes présentées par les Parties dans leurs conclusions finales. M. Philippe Sands, Q.C., professeur de droit international à l’University Col-
Demandes de l’Argentine — Violation des obligations de nature procédu- lege de Londres, avocat, Matrix Chambers (Londres),
rale — Constat d’illicéité et satisfaction — Formes de réparation autres que M. Marcelo Kohen, professeur de droit international à l’Institut de hautes
l’indemnisation non exclues par le statut de 1975 — Restitution en tant que études internationales et du développement de Genève, membre associé de
forme de réparation du préjudice — Définition — Limites — Caractère appro- l’Institut de droit international,
prié de la forme de réparation par rapport au préjudice subi, compte tenu du Mme Laurence Boisson de Chazournes, professeur de droit international à
fait illicite — Caractère inapproprié de la restitution sous la forme du déman- l’Université de Genève,
tèlement de l’usine Orion (Botnia) dans le cas d’une violation des seules obliga- M. Alan Béraud, ministre à l’ambassade de la République argentine auprès
tions de nature procédurale — Absence de violation des obligations de fond et de l’Union européenne, ancien conseiller juridique du ministère des rela-
rejet des autres réclamations présentées par l’Argentine — Absence de circon- tions extérieures, du commerce international et du culte,
stances spéciales requérant d’ordonner des assurances et garanties de non- M. Daniel Müller, chercheur au Centre de droit international de Nanterre
répétition. (CEDIN), Université de Paris Ouest, Nanterre-La Défense,
Demande de l’Uruguay visant à confirmer son droit de poursuivre l’exploita- comme conseils et avocats ;
tion de l’usine Orion (Botnia) — Absence de portée utile. M. Homero Bibiloni, secrétaire d’Etat à l’environnement et au développe-
ment durable,
* comme autorité gouvernementale ;
Obligation des Parties de coopérer entre elles selon les modalités prévues par M. Esteban Lyons, directeur national du contrôle environnemental du secré-
le statut de 1975 afin d’assurer la réalisation de son objet et de son but — Action tariat à l’environnement et au développement durable,
conjointe des Parties au sein de la CARU et établissement d’une réelle commu- M. Howard Wheater, docteur en hydrologie de l’Université de Bristol, pro-
nauté d’intérêts et de droits dans la gestion du fleuve Uruguay et dans la protec- fesseur d’hydrologie à l’Imperial College de Londres, directeur de l’Impe-
tion de son environnement. rial College Environment Forum,
11 12
23 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 24 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
M. Juan Carlos Colombo, docteur en océanographie de l’Université de Qué- M. Lawrence H. Martin, cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux de
bec, professeur à la faculté des sciences et au musée de l’Université natio- la Cour suprême des Etats-Unis d’Amérique, du district de Columbia et du
nale de La Plata, directeur du laboratoire de chimie environnementale et Commonwealth du Massachusetts,
de biogéochimie de l’Université nationale de La Plata, M. Stephen C. McCaffrey, professeur à la McGeorge School of Law de
M. Neil McIntyre, docteur en ingénierie environnementale, maître de confé- l’Université du Pacifique (Californie), ancien président de la Commission
rences à l’Imperial College de Londres, du droit international et rapporteur spécial aux fins des travaux de la
Mme Inés Camilloni, docteur en sciences atmosphériques, professeur de Commission sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internatio-
sciences atmosphériques à la faculté des sciences de l’Université de naux à des fins autres que la navigation,
Buenos Aires, maître de recherche au conseil national de la recherche M. Alberto Pérez Pérez, professeur à la faculté de droit de l’Université de la
(CONICET), République (Montevideo),
M. Gabriel Raggio, docteur en sciences techniques de l’Ecole polytechnique M. Paul S. Reichler, cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux
fédérale de Zurich (ETHZ) (Suisse), consultant indépendant, de la Cour suprême des Etats-Unis d’Amérique et du district de Colum-
bia,
comme conseillers scientifiques et experts ; comme conseils et avocats ;
M. Holger Martinsen, ministre au bureau du conseiller juridique du minis- M. Marcelo Cousillas, conseiller juridique à la direction nationale de l’envi-
tère des relations extérieures, du commerce international et du culte, ronnement, ministère du logement, de l’aménagement du territoire et de
M. Mario Oyarzábal, conseiller d’ambassade, membre du bureau du l’environnement,
conseiller juridique du ministère des relations extérieures, du commerce M. César Rodriguez Zavalla, chef de cabinet au ministère des affaires étran-
international et du culte, gères,
M. Fernando Marani, deuxième secrétaire à l’ambassade de la République M. Carlos Mata, directeur adjoint des affaires juridiques au ministère des
argentine au Royaume des Pays-Bas, affaires étrangères,
M. Gabriel Herrera, secrétaire d’ambassade, membre du bureau du conseiller M. Marcelo Gerona, conseiller à l’ambassade de la République orientale de
juridique du ministère des relations extérieures, du commerce international l’Uruguay au Royaume des Pays-Bas,
et du culte, M. Eduardo Jiménez de Aréchaga, avocat, admis au barreau de la Répu-
Mme Cynthia Mulville, secrétaire d’ambassade, membre du bureau du blique orientale de l’Uruguay et membre du barreau de New York,
140
conseiller juridique du ministère des relations extérieures, du commerce M. Adam Kahn, cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau du Com-
international et du culte, monwealth du Massachusetts,
Mme Kate Cook, avocat, Matrix Chambers (Londres), spécialisée en droit de M. Andrew Loewenstein, cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau du
l’environnement et en droit du développement, Commonwealth du Massachusetts,
Mme Mara Tignino, docteur en droit, chercheur à l’Université de Genève, Mme Analia Gonzalez, LL.M., cabinet Foley Hoag LLP, admise au barreau
M. Magnus Jesko Langer, assistant d’enseignement et de recherche à l’Insti- de la République orientale de l’Uruguay,
tut de hautes études internationales et du développement de Genève, Mme Clara E. Brillembourg, cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux
comme conseillers juridiques, du district de Columbia et de New York,
Mme Cicely Parseghian, cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau du
et Commonwealth du Massachusetts,
M. Pierre Harcourt, doctorant à l’Université d’Edimbourg,
la République orientale de l’Uruguay, M. Paolo Palchetti, professeur associé à la faculté de droit de l’Université de
Macerata,
représentée par Mme Maria E. Milanes-Murcia, M.A., LL.M., J.S.D. Candidate à la
S. Exc. M. Carlos Gianelli, ambassadeur de la République orientale de McGeorge School of Law de l’Université du Pacifique (Californie), docto-
l’Uruguay auprès des Etats-Unis d’Amérique, rante à l’Université de Murcie, admise au barreau d’Espagne,
comme agent ; comme conseils adjoints ;
S. Exc. M. Carlos Mora Medero, ambassadeur de la République orientale de Mme Alicia Torres, directrice nationale de l’environnement au ministère du
l’Uruguay auprès du Royaume des Pays-Bas, logement, de l’aménagement du territoire et de l’environnement,
M. Eugenio Lorenzo, conseiller technique à la direction nationale de l’envi-
comme coagent ; ronnement du ministère du logement, de l’aménagement du territoire et de
M. Alan Boyle, professeur de droit international à l’Université d’Edimbourg, l’environnement,
membre du barreau d’Angleterre, M. Cyro Croce, consultant technique à la direction nationale de l’environ-
M. Luigi Condorelli, professeur à la faculté de droit de l’Université de Flo- nement du ministère du logement, de l’aménagement du territoire et de
rence, l’environnement,
13 14
25 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 26 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
Mme Raquel Piaggio, organisme public chargé de l’assainissement et de la par lesquelles chacune a présenté à la Cour certaines observations sur les docu-
distribution de l’eau (OSE), consultante technique à la direction nationale ments déposés par l’autre. L’Uruguay a fait objection à la présentation de
de l’environnement du ministère du logement, de l’aménagement du terri- l’enregistrement vidéo déposé par l’Argentine. La Cour a décidé de ne pas auto-
toire et de l’environnement, riser la présentation de cet enregistrement à l’audience.
M. Charles A. Menzie, Ph.D., Principal Scientist et directeur d’EcoSciences 7. La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité des Parties,
Practice chez Exponent, Inc., à Alexandria (Virginie), chacune d’elles s’est prévalue du droit que lui confère le paragraphe 3 de l’arti-
M. Neil McCubbin, Eng., B.sc. (Eng.), 1st Class Honours (Glasgow), Asso- cle 31 du Statut de procéder à la désignation d’un juge ad hoc pour siéger en
ciate au Royal College of Science and Technology de Glasgow, l’affaire. L’Argentine a désigné M. Raúl Emilio Vinuesa, et l’Uruguay M. San-
comme conseillers scientifiques et experts, tiago Torres Bernárdez.
8. Par ordonnance du 13 juillet 2006, la Cour, après avoir entendu les
Parties, a conclu « que les circonstances, telles qu’elles se présent[ai]ent [alors] à
LA COUR, [elle], n[’étaient] pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer des
mesures conservatoires en vertu de l’article 41 du Statut ».
ainsi composée, 9. Par une autre ordonnance du même jour, la Cour, compte tenu des vues
après délibéré en chambre du conseil, des Parties, a fixé au 15 janvier 2007 et au 20 juillet 2007, respectivement, les
dates d’expiration des délais pour le dépôt d’un mémoire de l’Argentine et d’un
rend l’arrêt suivant : contre-mémoire de l’Uruguay ; ces pièces ont été dûment déposées dans les
1. Le 4 mai 2006, la République argentine (ci-après dénommée l’« Argen- délais ainsi prescrits.
tine ») a déposé au Greffe de la Cour une requête introduisant une instance 10. Le 29 novembre 2006, l’Uruguay, invoquant l’article 41 du Statut et
contre la République orientale de l’Uruguay (ci-après dénommée l’« Uruguay ») l’article 73 du Règlement, a présenté à son tour une demande en indication de
au sujet d’un différend relatif à la violation, qu’aurait commise l’Uruguay, mesures conservatoires. Conformément au paragraphe 2 de l’article 73 du
d’obligations découlant du statut du fleuve Uruguay (Recueil des traités des Règlement, le greffier a immédiatement fait tenir au Gouvernement argentin
Nations Unies (RTNU), vol. 1295, no I-21425, p. 348), traité signé par l’Argen- une copie certifiée conforme de cette demande.
tine et l’Uruguay à Salto (Uruguay) le 26 février 1975 et entré en vigueur le 11. Le 14 décembre 2006, l’Uruguay a fait parvenir à la Cour un volume de
18 septembre 1976 (ci-après le « statut de 1975 ») ; selon la requête, cette viola- documents relatifs à la demande en indication de mesures conservatoires, inti-
tion résulte de « l’autorisation de construction, [de] la construction et [de] tulé « Observations de l’Uruguay » ; copie de ces documents a immédiatement
141
l’éventuelle mise en service de deux usines de pâte à papier sur le fleuve Uru- été transmise à l’Argentine.
guay », l’Argentine invoquant plus particulièrement les « effets desdites activités 12. Le 18 décembre 2006, avant l’ouverture de la procédure orale, l’Argen-
sur la qualité des eaux du fleuve Uruguay et sa zone d’influence ». tine a fait parvenir à la Cour un volume de documents relatifs à la demande en
Dans sa requête, l’Argentine, se référant au paragraphe 1 de l’article 36 du indication de mesures conservatoires présentée par l’Uruguay ; le greffier a immé-
Statut de la Cour, entend fonder la compétence de celle-ci sur le premier para- diatement transmis au Gouvernement uruguayen une copie de ces documents.
graphe de l’article 60 du statut de 1975. 13. Par ordonnance du 23 janvier 2007, la Cour, après avoir entendu les
2. Conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut de la Cour, la Parties, a conclu « que les circonstances, telles qu’elles se présent[ai]ent [alors] à
requête a été immédiatement communiquée au Gouvernement uruguayen par le [elle], n[’étaient] pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer des
greffier. Conformément au paragraphe 3 de cet article, le Secrétaire général de mesures conservatoires en vertu de l’article 41 du Statut ».
l’Organisation des Nations Unies a été informé du dépôt de ladite requête. 14. Par ordonnance du 14 septembre 2007, la Cour, compte tenu de l’accord
3. Le 4 mai 2006, immédiatement après le dépôt de sa requête, l’Argentine a des Parties et des circonstances de l’espèce, a autorisé la présentation d’une
en outre présenté une demande en indication de mesures conservatoires sur la réplique par l’Argentine et d’une duplique par l’Uruguay, et fixé respectivement
base de l’article 41 du Statut de la Cour et de l’article 73 de son Règlement. au 29 janvier 2008 et au 29 juillet 2008 les dates d’expiration des délais pour le
Conformément au paragraphe 2 de l’article 73 du Règlement, le greffier a dépôt de ces pièces. La réplique de l’Argentine et la duplique de l’Uruguay ont
immédiatement transmis au Gouvernement uruguayen une copie certifiée été dûment déposées dans les délais ainsi prescrits.
conforme de cette demande. 15. Par lettres datées respectivement du 16 juin 2009 et du 17 juin 2009, les
4. Le 2 juin 2006, l’Uruguay a fait tenir à la Cour un CD-ROM contenant la Gouvernements de l’Uruguay et de l’Argentine ont fait connaître à la Cour
version électronique de deux volumes de documents relatifs à la demande en qu’ils étaient parvenus à un accord à l’effet de produire des documents nou-
indication de mesures conservatoires présentée par l’Argentine, intitulés « Obser- veaux en application de l’article 56 du Règlement. Par lettres du 23 juin 2009,
vations de l’Uruguay » (dont des exemplaires sous forme papier ont ensuite été le greffier a informé les Parties que la Cour avait décidé de les autoriser à pro-
reçus) ; copie de ces documents a immédiatement été transmise à l’Argentine. céder comme elles en étaient convenues. Ces nouveaux documents ont été
5. Le 2 juin 2006, l’Argentine a fait parvenir à la Cour divers documents, dûment déposés dans le délai convenu.
dont un enregistrement vidéo, et, le 6 juin 2006, elle lui en a fait parvenir de 16. Le 15 juillet 2009, chacune des Parties a, conformément à l’accord inter-
nouveaux ; copie de chaque série de documents a immédiatement été transmise venu entre elles et avec l’autorisation de la Cour, présenté certaines observa-
à l’Uruguay. tions sur les documents nouveaux déposés par la Partie adverse. Chaque Partie
6. Les 6 et 7 juin 2006, diverses communications ont été reçues des Parties, a également déposé certains documents à l’appui desdites observations.
15 16
27 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 28 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
17. Conformément au paragraphe 2 de l’article 53 de son Règlement, la 22. Dans la requête, les demandes ci-après ont été formulées par l’Argentine :
Cour, après s’être renseignée auprès des Parties, a décidé que des exemplaires « Sur la base de l’exposé des faits et des moyens juridiques qui précèdent,
des pièces de procédure et des documents annexés seraient rendus accessibles au l’Argentine, tout en se réservant le droit de compléter, d’amender ou de
public à l’ouverture de la procédure orale. modifier la présente requête pendant la suite de la procédure, prie la Cour
18. Par lettre du 15 septembre 2009, l’Uruguay, se référant au paragraphe 4 de dire et juger :
de l’article 56 du Règlement et à l’Instruction de procédure IX bis, a commu-
niqué à la Cour des documents faisant partie de publications facilement acces- 1. que l’Uruguay a manqué aux obligations lui incombant en vertu du
sibles sur lesquels il entendait s’appuyer au cours de la procédure orale. statut de 1975 et des autres règles de droit international auxquelles ce
L’Argentine n’a formulé aucune objection au sujet de ces documents. statut renvoie, y compris mais pas exclusivement :
19. Par lettre du 25 septembre 2009, le Gouvernement argentin, se référant à a) l’obligation de prendre toute mesure nécessaire à l’utilisation ration-
l’article 56 du Règlement et au paragraphe 2 de l’Instruction de procédure IX, nelle et optimale du fleuve Uruguay ;
a adressé au Greffe des documents nouveaux qu’il souhaitait produire. Par let- b) l’obligation d’informer préalablement la CARU et l’Argentine ;
tre du 28 septembre 2009, le Gouvernement uruguayen a informé la Cour qu’il c) l’obligation de se conformer aux procédures prévues par le cha-
s’opposait à la production desdits documents. Il a indiqué en outre que si, pitre II du statut de 1975 ;
néanmoins, la Cour autorisait que les documents en question soient versés au d) l’obligation de prendre toutes mesures nécessaires pour préserver
dossier de l’affaire, il présenterait des observations à leur sujet et soumettrait le milieu aquatique et d’empêcher la pollution et l’obligation de
certains documents à l’appui de ces observations. Par lettres en date du 28 sep- protéger la biodiversité et les pêcheries, y compris l’obligation de
tembre 2009, le greffier a porté à la connaissance des Parties que la Cour procéder à une étude d’impact sur l’environnement, complète et
n’avait pas estimé que la production des documents nouveaux présentés par le objective ;
Gouvernement argentin était nécessaire, au sens du paragraphe 2 de l’article 56 e) les obligations de coopération en matière de prévention de la pollu-
du Règlement, et qu’elle n’avait par ailleurs pas identifié de circonstance excep- tion et de la protection de la biodiversité et des pêcheries ; et
tionnelle (Instruction de procédure IX, paragraphe 3) qui eût justifié leur pro- 2. que, par son comportement, l’Uruguay a engagé sa responsabilité inter-
duction à ce stade de la procédure. nationale à l’égard de l’Argentine ;
20. Des audiences publiques ont été tenues entre le 14 septembre 2009 et le 3. que l’Uruguay est tenu de cesser son comportement illicite et de respec-
2 octobre 2009, au cours desquelles ont été entendus en leurs plaidoiries et ter scrupuleusement à l’avenir les obligations lui incombant ; et
réponses : 4. que l’Uruguay est tenu de réparer intégralement le préjudice causé par
142
Pour l’Argentine : S. Exc. Mme Susana Ruiz Cerutti, le non-respect des obligations lui incombant.
M. Alain Pellet, L’Argentine se réserve le droit de préciser ou modifier les présentes
M. Philippe Sands, demandes dans une étape ultérieure de la procédure. »
M. Howard Wheater,
23. Au cours de la procédure écrite, les conclusions ci-après ont été présen-
Mme Laurence Boisson de Chazournes,
tées par les Parties :
M. Marcelo Kohen,
M. Alan Béraud, Au nom du Gouvernement de l’Argentine,
M. Juan Carlos Colombo, dans le mémoire :
M. Daniel Müller.
« Pour l’ensemble des raisons exposées dans le présent mémoire, la
Pour l’Uruguay : S. Exc. M. Carlos Gianelli, République argentine prie la Cour internationale de Justice de bien vou-
M. Alan Boyle, loir :
M. Paul S. Reichler,
M. Neil McCubbin, 1. constater que, en autorisant unilatéralement la construction des usines
M. Stephen C. McCaffrey, de pâte à papier CMB et Orion et les installations annexes de celle-ci
M. Lawrence H. Martin, sur la rive gauche du fleuve Uruguay en violation des obligations
M. Luigi Condorelli. découlant du statut du 26 février 1975, la République orientale de
l’Uruguay a commis les faits internationalement illicites énumérés aux
21. A l’audience, des questions ont été posées aux Parties par des membres chapitres IV et V du présent mémoire, qui engagent sa responsabilité
de la Cour, auxquelles il a été répondu oralement et par écrit conformément au internationale ;
paragraphe 4 de l’article 61 du Règlement. Conformément à l’article 72 du 2. dire et juger que, en conséquence, la République orientale de l’Uruguay
Règlement, l’une des Parties a présenté des observations écrites sur une réponse doit :
fournie par écrit par l’autre Partie et reçue après la clôture de la procédure i) immédiatement cesser les faits internationalement illicites mention-
orale. nés ci-dessus ;
ii) reprendre une stricte application de ses obligations découlant du
* statut du fleuve Uruguay de 1975 ;
17 18
29 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 30 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
iii) rétablir sur le terrain et au plan juridique la situation qui existait La République argentine se réserve la possibilité de compléter et amen-
avant la perpétration des faits internationalement illicites mention- der le cas échéant les présentes conclusions au vu des développements ulté-
nés ci-dessus ; rieurs de l’affaire. »
iv) verser à la République argentine une indemnité pour les dommages
occasionnés par ces faits internationalement illicites qui ne seraient Au nom du Gouvernement de l’Uruguay,
pas réparés par cette remise en état, dont le montant sera déterminé dans le contre-mémoire :
par la Cour dans une phase ultérieure de la présente instance ;
« Sur la base des faits et arguments exposés ci-dessus, et se réservant le
v) donner des garanties adéquates qu’elle s’abstiendra à l’avenir droit de compléter ou de modifier les présentes conclusions, l’Uruguay prie
d’empêcher l’application du statut du fleuve Uruguay de 1975 et, la Cour de rejeter les demandes de l’Argentine. »
en particulier, du mécanisme de consultation institué par le cha- dans la duplique :
pitre II de ce traité.
La République argentine se réserve la possibilité de compléter et amen- « Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que :
der le cas échéant les présentes conclusions, notamment en fonction de a) l’Argentine n’a établi l’existence, pour le fleuve ou son écosystème,
l’évolution de la situation. Il en irait ainsi tout spécialement si l’Uruguay d’aucun préjudice, ou risque de préjudice, qui résulterait des violations
aggravait le différend1, notamment si l’usine Orion devait être mise en ser- qu’aurait commises l’Uruguay des obligations de fond lui incombant
vice avant la fin de la présente procédure. en vertu du statut de 1975 et suffirait à justifier le démantèlement de
l’usine Botnia ;
1 b) un tel démantèlement causerait à l’économie uruguayenne un préjudice
Voir l’ordonnance de la Cour du 13 juillet 2006 sur la demande en indication de
mesures conservatoires de l’Argentine, par. 82. » considérable sous forme de pertes d’emplois et de revenus ;
c) à la lumière des points a) et b), le remède consistant à démolir l’usine
dans la réplique : se traduirait donc par des coûts disproportionnellement élevés et ne
doit pas être accordé ;
« Pour l’ensemble des raisons exposées dans son mémoire, qu’elle main- d) si la Cour estime, nonobstant toutes les preuves contraires, que
tient intégralement, et dans la présente réplique, la République argentine l’Uruguay a violé les obligations procédurales lui incombant envers
prie la Cour internationale de Justice de bien vouloir :
143
l’Argentine, elle peut rendre un jugement déclaratoire à cet effet, qui
1) constater qu’en autorisant constituerait une forme de satisfaction adéquate ;
e) si la Cour estime, nonobstant toutes les preuves contraires, que l’usine
— la construction de l’usine CMB,
ne satisfait pas pleinement à l’obligation incombant à l’Uruguay de
— la construction et la mise en service de l’usine Orion et de ses ins-
protéger le fleuve ou son milieu aquatique, elle peut ordonner à l’Uru-
tallations connexes sur la rive gauche du fleuve Uruguay,
guay de prendre toute autre mesure de protection nécessaire pour faire
la République orientale de l’Uruguay a violé les obligations lui incom- en sorte que l’usine réponde aux obligations de fond imposées par le
bant en vertu du statut du fleuve Uruguay du 26 février 1975 et engagé statut ;
sa responsabilité internationale ; f) si la Cour estime, nonobstant toutes les preuves contraires, que l’Uru-
2) dire et juger que, en conséquence, la République orientale de l’Uruguay guay a effectivement causé un dommage au fleuve ou à l’Argentine,
doit : elle peut condamner l’Uruguay à indemniser cette dernière au titre des
articles 42 et 43 du statut ; et
i) reprendre une stricte application de ses obligations découlant du g) la Cour doit faire une déclaration énonçant clairement que les
statut du fleuve Uruguay de 1975 ; Parties sont tenues de veiller au plein respect de tous les droits en
ii) immédiatement cesser les faits internationalement illicites par les- litige en l’espèce, y compris celui de l’Uruguay de continuer à
quels elle a engagé sa responsabilité ; exploiter l’usine Botnia conformément aux dispositions du statut de
iii) rétablir sur le terrain et au plan juridique la situation qui existait 1975.
avant la perpétration de ces faits internationalement illicites ;
iv) verser à la République argentine une indemnité pour les dommages Conclusions
occasionnés par ces faits internationalement illicites qui ne seraient Sur la base des faits et arguments exposés ci-dessus, et se réservant le
pas réparés par cette remise en état, dont le montant sera déterminé droit de compléter ou de modifier les présentes conclusions, l’Uruguay prie
par la Cour dans une phase ultérieure de la présente instance ; la Cour de rejeter les demandes de l’Argentine et de lui reconnaître le droit
de continuer à exploiter l’usine Botnia conformément aux dispositions du
v) donner des garanties adéquates qu’elle s’abstiendra à l’avenir statut de 1975. »
d’empêcher l’application du statut du fleuve Uruguay de 1975 et,
en particulier, du mécanisme de consultation institué par le chapi- 24. Au cours de la procédure orale, les conclusions finales ci-après ont été
tre II de ce traité. présentées par les Parties :
19 20
31 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 32 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
Au nom du Gouvernement de l’Argentine, l’Uruguay, d’une autre usine de pâte à papier, le long du fleuve Uruguay
à l’audience du 29 septembre 2009 : (voir croquis no 1, p. 33, pour le contexte géographique général). Après
avoir présenté les instruments juridiques relatifs au fleuve Uruguay
« Pour l’ensemble des raisons exposées dans son mémoire, dans sa
réplique et lors de la procédure orale, qu’elle maintient intégralement, qui lient les Parties, la Cour rappellera les principaux faits de
la République argentine prie la Cour internationale de Justice de bien l’espèce.
vouloir :
1) constater qu’en autorisant A. Cadre juridique
— la construction de l’usine ENCE, 26. La frontière entre l’Argentine et l’Uruguay sur le fleuve Uruguay
— la construction et la mise en service de l’usine Botnia et de ses ins-
tallations connexes sur la rive gauche du fleuve Uruguay, est définie par le traité bilatéral conclu à cet effet à Montevideo le
7 avril 1961 (RTNU, vol. 635, no 9074, p. 99). Les articles premier à 4 de
la République orientale de l’Uruguay a violé les obligations lui incom- ce traité délimitent la frontière des Etats contractants sur le fleuve et leur
bant en vertu du statut du fleuve Uruguay du 26 février 1975 et engagé
sa responsabilité internationale ; attribuent certains îles et îlots qui occupent son lit. Les articles 5 et 6 sont
relatifs au régime de navigation sur le fleuve. L’article 7 envisage la
2) dire et juger que, en conséquence, la République orientale de l’Uruguay conclusion par les parties d’un « code de l’utilisation du fleuve » portant
doit :
sur différents éléments, dont la conservation des ressources biologiques
i) reprendre une stricte application de ses obligations découlant du et la prévention de la pollution des eaux du fleuve. Les articles 8 à 10
statut du fleuve Uruguay de 1975 ; prévoient certaines obligations relatives aux îles et îlots ainsi qu’à leurs
ii) immédiatement cesser les faits internationalement illicites par les-
quels elle a engagé sa responsabilité ;
habitants.
iii) rétablir sur le terrain et au plan juridique la situation qui existait 27. Le « code de l’utilisation du fleuve » envisagé par l’article 7 du
avant la perpétration de ces faits internationalement illicites ; traité de 1961 a été institué par le statut de 1975 (voir paragraphe 1 ci-
iv) verser à la République argentine une indemnité pour les dommages dessus). L’article premier du statut de 1975 précise que les parties l’adop-
occasionnés par ces faits internationalement illicites qui ne seraient tent « à l’effet d’établir les mécanismes communs nécessaires à l’utilisation
144
pas réparés par cette remise en état, dont le montant sera déterminé rationnelle et optimale du fleuve Uruguay, dans le strict respect des droits
par la Cour dans une phase ultérieure de la présente instance ; et obligations découlant des traités et autres engagements internationaux
en vigueur à l’égard de l’une ou l’autre des parties ». Après avoir ainsi
v) donner des garanties adéquates qu’elle s’abstiendra à l’avenir défini son but (article premier) et aussi précisé la portée de certains de ses
d’empêcher l’application du statut du fleuve Uruguay de 1975 et, termes (article 2), le statut de 1975 énonce des règles relatives à la naviga-
en particulier, du mécanisme de consultation institué par le cha-
pitre II de ce traité. » tion et aux ouvrages sur le fleuve (chapitre II, articles 3 à 13), au pilotage
(chapitre III, articles 14 à 16), aux facilités portuaires, au chargement et
Au nom du Gouvernement de l’Uruguay, au déchargement de marchandises (chapitre IV, articles 17 et 18), au sau-
à l’audience du 2 octobre 2009 : vetage de la vie humaine (chapitre V, articles 19 à 23) et de biens maté-
« Sur la base des faits et arguments exposés dans le contre-mémoire de riels (chapitre VI, articles 24 à 26), à l’utilisation des eaux du fleuve
l’Uruguay, dans sa duplique et au cours de la procédure orale, l’Uruguay (chapitre VII, articles 27 à 29), aux ressources du lit et du sous-sol (cha-
prie la Cour de rejeter les demandes de l’Argentine et de confirmer le droit pitre VIII, articles 30 à 34), à la conservation, l’utilisation et l’exploita-
de l’Uruguay de poursuivre l’exploitation de l’usine Botnia conformément tion d’autres ressources naturelles (chapitre IX, articles 35 à 39), à la
aux dispositions du statut de 1975. » pollution (chapitre X, articles 40 à 43), à la recherche scientifique (chapi-
tre XI, articles 44 et 45), ainsi qu’aux différentes compétences des parties
* * * sur le fleuve et sur les navires l’empruntant (chapitre XII, articles 46
à 48). Le statut de 1975 institue la commission administrative du
fleuve Uruguay (ci-après la « CARU », selon l’acronyme espagnol de
I. CADRE JURIDIQUE « Comisión Administradora del Río Uruguay ») (chapitre XIII, articles 49
ET FAITS DE L’ESPÈCE à 57), avant de prévoir une procédure de conciliation (chapitre XIV,
articles 58 et 59) et de règlement judiciaire des différends (chapitre XV,
25. Le différend soumis à la Cour se rapporte au projet de construc- article 60). Le statut de 1975 contient enfin des dispositions transi-
tion, autorisé par l’Uruguay, d’une usine de pâte à papier, ainsi toires (chapitre XVI, articles 61 et 62) et finales (chapitre XVII,
qu’à la construction et à la mise en service, également autorisées par article 63).
21 22
33 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 34 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
Rivière Guale
en face de la région argentine de Gualeguaychú, plus précisément à l’est
guay
de la ville de Fray Bentos, près du pont international « General San Mar-
chú
tín » (voir croquis no 2, p. 35).
Gualeguaychú 29. Le 22 juillet 2002, les promoteurs de ce projet industriel entrepri-
Fray Bentos
rent des démarches auprès des autorités uruguayennes et présentèrent à la
(emplacement de l'usine Orion (Botnia)) direction nationale de l’environnement de l’Uruguay (ci-après la
ARGENTINE
« DINAMA », selon l’acronyme espagnol de « Dirección Nacional de
Medio Ambiente ») une évaluation de l’impact sur l’environnement
Fleuve Uruguay
(« EIE », selon l’abréviation utilisée par les Parties) s’y rapportant. A la
même époque, les représentants de CMB, société spécialement créée afin
URUGUAY de construire l’usine CMB (ENCE), informèrent le président de la CARU
Nueva Palmira de ce projet. Le président de la CARU écrivit le 17 octobre 2002 au mi-
nistre uruguayen de l’environnement afin d’obtenir copie de l’évaluation
de l’impact sur l’environnement concernant le projet CMB (ENCE) sou-
mise par les promoteurs de ce projet industriel. Cette demande fut réité-
145
rée le 21 avril 2003. Le 14 mai 2003, l’Uruguay remit à la CARU un
document intitulé « Etude de l’impact sur l’environnement, Celulosas
de M’Bopicuá. Résumé de diffusion ». Un mois plus tard, la sous-
BUENOS AIRES Río commission de la CARU chargée de la qualité des eaux et de la préven-
de
la
Pla tion de la pollution prit connaissance du document transmis par
ta MONTEVIDEO l’Uruguay et suggéra d’en remettre copie à ses conseillers techniques
en sollicitant leur opinion. Des copies furent également remises aux délé-
gations des Parties.
30. Une séance publique de discussion relative à la demande d’autori-
sation environnementale présentée par CMB eut lieu le 21 juillet 2003
dans la ville de Fray Bentos, en présence du conseiller juridique et du
secrétaire technique de la CARU. Le 15 août 2003, la CARU pria l’Uru-
guay de lui transmettre des informations complémentaires sur différents
points au sujet de l’usine CMB (ENCE) en projet. Cette demande fut réi-
térée le 12 septembre 2003. Le 2 octobre 2003, la DINAMA soumit son
rapport d’évaluation au ministère uruguayen du logement, de l’aménage-
ment du territoire et de l’environnement (ci-après le « MVOTMA », selon
l’abréviation espagnole de « Ministerio de Vivienda, Ordenamiento Ter-
ritorial y Medio Ambiente »), et lui recommanda d’accorder à CMB
l’autorisation environnementale préalable (« AAP », selon l’abréviation
espagnole d’« Autorización Ambiental Previa »), sous certaines condi-
tions. Le 8 octobre 2003, la CARU fut informée par la délégation uru-
guayenne que la DINAMA devait incessamment lui adresser un rapport
sur le projet CMB (ENCE).
23 24
35 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 36 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
URUGUAY
Lagune Inés
tion environnementale préalable. A la suite de cette réunion extraordi-
naire, la CARU suspendit ses activités durant plus de six mois, faute
d’accord entre les Parties sur la mise en œuvre du mécanisme de consulta-
Fray Bentos
tion prévu par le statut de 1975.
146
ARGENTINE
33. Le 27 octobre 2003, l’Uruguay transmit à l’Argentine des copies de
gua
y l’évaluation de l’impact sur l’environnement déposée par ENCE
Uru
Fle
uve le 22 juillet 2002, du rapport final d’évaluation de la DINAMA du
2 octobre 2003 et de l’autorisation environnementale préalable du 9 oc-
Baie de Ñandubaysal
tobre 2003. L’Argentine réagit à cet envoi en indiquant que, selon elle,
l’article 7 du statut de 1975 n’avait pas été respecté et que les documents
transmis semblaient être insuffisants pour pouvoir émettre un avis tech-
nique sur l’impact sur l’environnement du projet. Le 7 novembre 2003,
comme suite à une demande du ministère des relations extérieures de
(33°S)
WGS84
hú
l’Argentine, l’Uruguay communiqua à l’Argentine une copie de l’ensem-
guayc
Guale
Croquis n°2:
ble du dossier du ministère uruguayen de l’environnement relatif au pro-
(non réalisé)
Ce croquis a été établi
Rivière
Projection de Mercator
ces documents uruguayens à la CARU.
34. Le 2 mars 2004, les ministres des affaires étrangères des deux
Gualeguaychú
Emplacements de l'usine Orion (Botnia)
ses travaux à l’occasion d’une séance plénière extraordinaire au cours
de laquelle elle prit acte de l’« arrangement » ministériel intervenu
le 2 mars 2004. Les Parties divergent toutefois quant au contenu de cet
« arrangement ». La Cour ne manquera pas d’y revenir lorsqu’elle se pen-
chera sur les allégations de l’Argentine concernant la méconnaissance par
l’Uruguay de ses obligations de nature procédurale aux termes du statut
de 1975 (voir paragraphes 67 à 158).
35. Donnant suite à la réunion extraordinaire de la CARU du
15 mai 2004, sa sous-commission en charge de la qualité des eaux et de la
25 26
37 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 38 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
prévention de la pollution prépara un plan de contrôle et de suivi (moni- de discussion à Fray Bentos sur le projet Orion (Botnia), en présence
toring) de la qualité des eaux dans la zone des usines de pâte à papier d’un conseiller de la CARU. Le 11 février 2005, la DINAMA adopta son
(ci-après plan « PROCEL », selon l’acronyme espagnol de « Plan de Moni- évaluation de l’impact sur l’environnement relative à l’usine Orion (Bot-
toreo de la Calidad Ambiental del Río Uruguay en Areas de Plantas nia) en projet et recommanda l’octroi de l’autorisation environnementale
Celulósicas »). Ce plan fut approuvé par la CARU le 12 novembre 2004. préalable, moyennant certaines conditions. Cette autorisation préalable
36. Le 28 novembre 2005, l’Uruguay autorisa le commencement des fut délivrée à la société Botnia le 14 février 2005 par le MVOTMA, en
travaux préparatoires en vue de la construction de l’usine CMB (ENCE) vue de la construction de l’usine Orion (Botnia) et d’un terminal por-
(nivellement du terrain). Le 28 mars 2006, les promoteurs de ce projet tuaire adjacent. Le 11 mars 2005, lors d’une réunion de la CARU,
industriel décidèrent de suspendre ces travaux durant quatre-vingt- l’Argentine contesta le bien-fondé de la délivrance de l’autorisation envi-
dix jours. Ils annoncèrent, le 21 septembre 2006, leur intention de ne pas ronnementale préalable au regard des obligations de nature procédurale
construire l’usine projetée à l’emplacement envisagé sur la rive du fleuve prévues par le statut de 1975. L’Argentine réitéra cette position lors de la
Uruguay. réunion de la CARU du 6 mai 2005. Le 12 avril 2005, l’Uruguay avait
entre-temps autorisé le défrichement du futur site de l’usine et le nivelle-
C. L’usine Orion (Botnia) ment de ce terrain.
40. Le 31 mai 2005, donnant suite à un accord intervenu le 5 mai 2005
37. Le deuxième projet industriel à l’origine du différend porté devant entre les présidents des deux Parties, les ministres des affaires étrangères
la Cour est dû à l’initiative des sociétés de droit uruguayen « Botnia S.A. » des deux Etats procédèrent à la création d’un groupe technique de haut
et « Botnia Fray Bentos S.A. » (ci-après « Botnia »), lesquelles ont été spé- niveau (ci-après le « GTAN », selon l’abréviation espagnole de
cialement créées à cette fin dès 2003 par la société finlandaise Oy Metsä- « Grupo Técnico de Alto Nivel »). Ce groupe fut chargé de résoudre les
Botnia AB. Dénommée « Orion », cette seconde usine de pâte à papier (ci- différends relatifs aux usines CMB (ENCE) et Orion (Botnia) dans un
après l’usine « Orion (Botnia) ») a été construite sur la rive gauche du délai de cent quatre-vingts jours. Le GTAN tint douze réunions entre
fleuve Uruguay, à quelques kilomètres en aval de l’emplacement prévu le 3 août 2005 et le 30 janvier 2006, les Parties s’échangeant différents
pour l’usine CMB (ENCE), également à proximité de la ville de Fray Ben- documents dans le cadre de ce processus bilatéral. Le 31 janvier 2006,
147
tos (voir croquis no 2, p. 35). Elle est exploitée et en fonctionnement l’Uruguay constata l’échec des négociations entreprises dans le cadre du
depuis le 9 novembre 2007. GTAN ; l’Argentine fit de même le 3 février 2006. La Cour reviendra plus
38. Ayant, à la fin de l’année 2003, informé les autorités uruguayennes loin sur la portée de ce processus convenu entre les Parties (voir paragra-
de leur projet industriel, les promoteurs les saisirent, le 31 mars 2004, phes 132 à 149).
d’une demande d’autorisation environnementale préalable, qu’ils complé- 41. Le 26 juin 2005, l’Argentine s’adressa au président de la Banque
tèrent le 7 avril 2004. Quelques semaines plus tard, les 29 et 30 avril 2004, internationale pour la reconstruction et le développement pour lui expri-
une rencontre officieuse eut lieu entre des membres de la CARU et des mer sa préoccupation face à la possibilité de voir la Société financière
représentants de la société Botnia. A la suite de cette réunion, la sous- internationale (ci-après la « SFI ») contribuer au financement des usines
commission chargée de la qualité des eaux et de la prévention de la pollu- de pâte à papier en projet. La SFI décida néanmoins d’apporter son sou-
tion de la CARU suggéra, le 18 juin 2004, que Botnia complète les infor- tien financier à l’usine Orion (Botnia), non sans avoir chargé la société
mations fournies lors de cette réunion. Le 19 octobre 2004, lors d’une EcoMetrix, spécialisée en expertises environnementales et industrielles, de
autre réunion avec les représentants de Botnia, la CARU jugea à nou- lui présenter différents rapports techniques sur l’usine en projet et l’éva-
veau nécessaire d’obtenir un complément d’information au sujet de la luation de son impact sur l’environnement. EcoMetrix fut également
demande d’autorisation environnementale préalable déposée par Botnia chargée par la SFI d’assurer pour son compte le suivi environnemental de
auprès de la DINAMA. Le 12 novembre 2004, en même temps que l’usine dès sa mise en service.
d’approuver le plan de contrôle et de suivi de la qualité des eaux proposé 42. Le 5 juillet 2005, l’Uruguay autorisa la société Botnia à construire
par sa sous-commission en charge de la qualité des eaux et de la préven- un port adjacent à l’usine Orion (Botnia). Cette autorisation fut trans-
tion de la pollution (voir paragraphe 35 ci-dessus), la CARU décida, mise à la CARU le 15 août 2005. Le 22 août 2005, l’Uruguay autorisa la
sur proposition de la même sous-commission, de demander à l’Uruguay construction d’une cheminée et des fondations en béton de l’usine Orion
un complément d’information sur la demande d’autorisation environ- (Botnia). D’autres autorisations furent accordées à mesure de l’avance-
nementale préalable. Cette demande d’information complémentaire fut ment de la construction de cette usine, notamment en ce qui concerne les
transmise à l’Uruguay par une note de la CARU en date du 16 no- installations de traitement des déchets. Le 13 octobre 2005, l’Uruguay
vembre 2004. transmit à la CARU des documents complémentaires au sujet du termi-
39. La DINAMA organisa le 21 décembre 2004 une séance publique nal portuaire adjacent à l’usine Orion (Botnia).
27 28
39 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 40 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
A plusieurs reprises, et notamment lors de réunions de la CARU, de kilomètres au sud de Fray Bentos, en aval de l’usine Orion (Botnia)
l’Argentine demanda la suspension des premiers travaux relatifs à l’usine (voir croquis no 1, p. 33), et également utilisé par d’autres opérateurs éco-
Orion (Botnia), ainsi que de ceux relatifs à l’usine CMB (ENCE). A nomiques, comme constituant une installation « connexe » à cette dernière.
l’occasion d’une rencontre entre les chefs d’Etat des Parties à Santiago du 46. Le différend soumis à la Cour concerne l’interprétation et l’appli-
Chili le 11 mars 2006, le président uruguayen demanda aux sociétés cation du statut de 1975. Il porte, en particulier, sur la question de savoir,
ENCE et Botnia de suspendre la construction des usines. ENCE suspen- d’une part, si l’Uruguay s’est conformé aux obligations de nature procé-
dit les travaux durant quatre-vingt-dix jours (voir paragraphe 36 ci- durale qui sont les siennes en vertu du statut de 1975 en accordant des
dessus) ; Botnia, durant dix jours. autorisations en vue de la construction de l’usine CMB (ENCE) ainsi que
43. L’Argentine a saisi la Cour du présent différend par une requête en de la construction et de la mise en service de l’usine Orion (Botnia) et du
date du 4 mai 2006. Le 24 août 2006, l’Uruguay autorisa la mise en ser- port qui lui est adjacent, et, d’autre part, si l’Uruguay s’est acquitté des
vice du terminal portuaire adjacent à l’usine Orion (Botnia), ce dont il obligations de fond lui incombant en vertu du statut de 1975 depuis la
informa la CARU le 4 septembre 2006. Le 12 septembre 2006, l’Uruguay mise en service de l’usine Orion (Botnia) au mois de novembre 2007.
autorisa la société Botnia à prélever et utiliser les eaux du fleuve à des fins
industrielles et notifia officiellement cette autorisation à la CARU le * *
17 octobre 2006. En novembre 2006, à l’occasion du sommet des chefs
d’Etat et de gouvernement des pays ibéro-américains qui se tint à Mon- 47. Ayant ainsi rappelé le contexte dans lequel s’inscrit le différend
tevideo, le roi d’Espagne fut sollicité afin de tenter de rapprocher les posi- entre les Parties, la Cour se penchera sur le fondement et l’étendue de sa
tions des Parties ; une issue négociée au différend ne put toutefois être compétence, y compris sur les questions relatives au droit applicable au
trouvée dans ce cadre. Le 8 novembre 2007, l’Uruguay autorisa la mise présent différend (voir paragraphes 48 à 66). Elle examinera ensuite les
en service de l’usine Orion (Botnia), qui devint opérationnelle le len- allégations de l’Argentine relatives à la violation par l’Uruguay des obli-
demain. En décembre 2009, la société Oy Metsä-Botnia AB transféra à gations de nature procédurale (voir paragraphes 67 à 158) et de fond
une autre société finlandaise, UPM, sa participation dans l’usine Orion (voir paragraphes 159 à 266) prévues par le statut de 1975. La Cour
(Botnia). répondra enfin aux demandes présentées par les Parties dans leurs conclu-
148
sions finales (voir paragraphes 267 à 280).
*
* *
44. L’Uruguay a par ailleurs autorisé la société Ontur Internatio-
nal S.A. à construire et à exploiter un terminal portuaire à Nueva Pal-
II. E
u TENDUE DE LA COMPÉTENCE DE LA COUR
mira. Celui-ci a été inauguré en août 2007, l’Uruguay ayant transmis à la
CARU, le 16 novembre 2007, la copie de l’autorisation de mise en service
48. Les Parties s’accordent pour fonder la compétence de la Cour sur
du terminal portuaire.
le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour et sur le premier para-
45. Dans leurs écritures, les Parties se sont opposées au sujet de la
graphe de l’article 60 du statut du fleuve Uruguay de 1975. Celui-ci se
régularité de la délivrance des autorisations uruguayennes relatives à ce
lit comme suit : « Tout différend concernant l’interprétation ou l’appli-
terminal portuaire au regard des obligations de nature procédurale pré-
cation du traité1 et du statut qui ne pourrait être réglé par négocia-
vues par le statut de 1975. La Cour n’estime toutefois pas nécessaire de
tion directe peut être soumis par l’une ou l’autre des parties à la Cour
retracer précisément les faits ayant conduit à la construction du terminal
internationale de Justice. » Elles divergent sur la question de savoir si
de Nueva Palmira, considérant que ce complexe portuaire ne fait pas par-
toutes les demandes de l’Argentine entrent dans les prévisions de cette
tie de l’objet du différend porté devant elle. L’Argentine n’a en effet à
clause.
aucun moment visé explicitement le terminal portuaire de Nueva Palmira
49. L’Uruguay reconnaît que la compétence de la Cour au titre de la
dans les demandes formulées dans sa requête, ni dans les conclusions de
clause compromissoire s’étend aux demandes concernant toute pollution
son mémoire ou de sa réplique (voir paragraphes 22 et 23 ci-dessus).
ou tout type de dommage causé, en violation du statut de 1975, au fleuve
Dans ses conclusions finales présentées à l’audience du 29 septembre 2009,
Uruguay ou aux organismes qu’il abrite. L’Uruguay reconnaît également
l’Argentine a à nouveau limité l’objet de ses demandes à l’autorisation de
que les demandes relatives à l’effet allégué de l’exploitation de l’usine de
construction de l’usine CMB (ENCE), ainsi qu’aux autorisations de
construction et de mise en service de « l’usine Botnia et ... ses installations
connexes sur la rive gauche du fleuve Uruguay ». La Cour ne saurait 1 Il s’agit du traité de Montevideo relatif à la frontière sur l’Uruguay du 7 avril 1961
considérer le terminal portuaire de Nueva Palmira, situé à une centaine (RTNU, vol. 635, no 9074, p. 99 ; note de bas de page ajoutée).
29 30
41 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 42 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
pâte à papier sur la qualité des eaux du fleuve sont couvertes par la clause nocifs sur le fleuve et dans ses zones d’influence », ne laisse aucun doute
compromissoire. Il estime en revanche que cette clause ne permet pas à sur le fait que, contrairement à ce qu’affirme l’Argentine, cette pollution
l’Argentine de présenter des demandes portant sur tout type de dommage sonore et visuelle n’est pas couverte par la disposition. La Cour ne voit en
environnemental. L’Uruguay affirme en outre que les allégations argen- outre dans le statut aucune autre disposition qui puisse venir fonder de
tines visant la pollution atmosphérique, les nuisances sonores, visuelles et telles demandes ; dès lors, les demandes relatives à la pollution sonore et
autres prétendument causées par l’usine Orion (Botnia), ainsi que les visuelle ne relèvent manifestement pas de la compétence que lui confère
effets spécifiques que celle-ci aurait eus sur le secteur du tourisme, ne l’article 60.
concernent pas l’interprétation ou l’application du statut de 1975, la De même, aucune disposition du statut de 1975 ne traite de la question
Cour étant dès lors sans compétence pour en connaître. des « mauvaises odeurs » dont tire grief l’Argentine. En conséquence, et
L’Uruguay concède néanmoins qu’une pollution atmosphérique qui pour les mêmes raisons, la demande relative à l’impact qu’auraient ces
aurait des effets préjudiciables sur la qualité des eaux du fleuve ou sur le odeurs sur le tourisme en Argentine échappe également à la compétence
milieu aquatique entrerait dans le champ de compétence de la Cour. de la Cour. Celle-ci note que, quand bien même de telles odeurs entre-
50. L’Argentine soutient que la position de l’Uruguay quant à l’éten- raient dans le cadre de la pollution atmosphérique, qu’elle examinera aux
due de la compétence de la Cour est trop restrictive. Elle affirme que le paragraphes 263 et 264 ci-dessous, l’Argentine n’a fourni aucun élément
statut de 1975 a été conclu pour protéger non seulement la qualité des de preuve quant à la relation qui existerait entre les mauvaises odeurs
eaux du fleuve, mais plus généralement le « régime » et les zones d’influence alléguées et le milieu aquatique du fleuve.
de celui-ci. Se fondant sur l’article 36 du statut de 1975, qui fait obliga- 53. Qualifiant les articles premier et 41 du statut de 1975 de « clauses
tion aux parties de coordonner les mesures propres à éviter une modifica- de renvoi », l’Argentine estime que de telles clauses ont pour effet d’incor-
tion de l’équilibre écologique et contenir les facteurs nocifs sur le fleuve et porer dans cet instrument les obligations que les Parties tiennent du droit
dans ses zones d’influence, l’Argentine argue que la Cour est également international général et d’un certain nombre de conventions multilaté-
compétente pour connaître de demandes relatives à la pollution atmo- rales relatives à la protection de l’environnement. Dès lors, estime-t-elle,
sphérique, et même à la pollution sonore et « visuelle ». Elle prétend en la Cour a compétence pour déterminer si l’Uruguay s’est conformé
outre que les mauvaises odeurs produites par l’usine Orion (Botnia) ont aux obligations lui incombant en vertu de certaines conventions inter-
149
un impact sur les utilisations récréatives du fleuve, en particulier à la sta- nationales.
tion balnéaire de Gualeguaychú, située sur sa rive. Cette demande, selon 54. La Cour se penchera donc maintenant sur la question de savoir si
l’Argentine, relève également de la compétence de la Cour. la compétence que lui confère l’article 60 du statut de 1975 couvre éga-
51. La Cour, lorsqu’elle examinera les différentes allégations ou lement les obligations des Parties découlant d’accords internationaux et
demandes avancées par l’Argentine, devra déterminer si celles-ci concer- du droit international général invoqués par l’Argentine, et sur le rôle de
nent « l’interprétation ou l’application » du statut de 1975, sa compétence ces accords et du droit international général dans le contexte de la pré-
couvrant, aux termes de l’article 60 dudit statut, « [t]out différend concer- sente affaire.
nant l’interprétation ou l’application du traité [de 1961] et du statut 55. L’Argentine affirme que le droit applicable au différend dont la
[de 1975] » et l’Argentine n’ayant, par ailleurs, pas prétendu que l’Uru- Cour est saisie est le statut de 1975, complété pour son application et son
guay ait violé des obligations découlant du traité de 1961. interprétation par divers principes coutumiers et traités en vigueur entre
52. Pour déterminer si l’Uruguay a violé les obligations lui incombant les Parties, auxquels le statut renvoie. Se fondant sur la règle d’interpréta-
en vertu du statut de 1975, comme le soutient l’Argentine, la Cour devra tion des traités énoncée à l’article 31, paragraphe 3, alinéa c), de la
interpréter les dispositions de ce statut et en déterminer le champ d’appli- convention de Vienne sur le droit des traités, l’Argentine soutient notam-
cation ratione materiae. ment que le statut de 1975 doit être interprété à la lumière des principes
Seules les demandes que l’Argentine a formulées en se fondant sur les qui règlent le droit des cours d’eau internationaux et des principes du
dispositions du statut de 1975 relèvent de la compétence de la Cour droit international assurant la protection de l’environnement. Elle affirme
ratione materiae en vertu de la clause compromissoire contenue à l’ar- que l’interprétation du statut de 1975 doit tenir compte de toute « règle
ticle 60. Bien que l’Argentine, à l’appui de ses demandes relatives à la pol- pertinente » de droit international applicable dans les relations entre les
lution sonore et « visuelle » qu’aurait causée l’usine de pâte à papier, ait Parties, pour rester d’actualité et refléter l’évolution des normes environ-
invoqué la disposition contenue à l’article 36 du statut de 1975, la Cour nementales. L’Argentine mentionne à ce titre les principes de l’utilisation
ne voit rien dans celle-ci qui puisse venir fonder lesdites demandes. Le équitable, raisonnable et non dommageable des cours d’eau internatio-
libellé clair de l’article 36, qui prévoit que « [l]es parties coordonnent, par naux, les principes de développement durable, de prévention et de pré-
l’intermédiaire de la commission, les mesures propres à éviter une modi- caution, et la nécessité de conduire une évaluation de l’impact sur l’envi-
fication de l’équilibre écologique et à contenir les fléaux et autres facteurs ronnement. Elle soutient que ces règles et principes servent à l’interpréta-
31 32
43 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 44 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
tion dynamique du statut de 1975, bien qu’ils ne viennent pas se substituer respect des droits et obligations découlant des traités et autres enga-
à celui-ci ni en amoindrir la portée. gements internationaux en vigueur à l’égard de l’une ou l’autre des
56. L’Argentine considère de plus que la Cour doit faire respecter les parties. » (RTNU, vol. 1295, no I-21425, p. 348 ; note de bas de page
obligations conventionnelles liant les Parties auxquelles renvoient les arti- omise.)
cles premier et 41, alinéa a), du statut de 1975. Elle soutient que les
« clauses de renvoi » contenues dans ces articles permettent l’incorpora- L’article premier définit le but du statut de 1975 : les Parties l’ont
tion et l’application d’obligations découlant d’autres traités et engage- conclu à l’effet d’établir les mécanismes communs nécessaires à l’utilisa-
ments internationaux liant les Parties. A cet effet, l’Argentine mentionne tion rationnelle et optimale du fleuve Uruguay. L’article contient certes
la convention de 1973 sur le commerce international des espèces de faune une référence aux « droits et obligations découlant des traités et autres
et de flore sauvages menacées d’extinction (ci-après dénommée la engagements internationaux en vigueur à l’égard de l’une ou l’autre des
« convention CITES »), la convention de Ramsar de 1971 sur les zones parties », mais l’on ne saurait en déduire que les Parties cherchaient à
humides d’importance internationale (ci-après dénommée la « convention faire du respect des obligations qu’elles tenaient d’autres traités l’un des
de Ramsar »), la convention des Nations Unies de 1992 sur la diversité devoirs leur incombant en vertu du statut de 1975 ; la référence à d’autres
biologique (ci-après dénommée la « convention sur la diversité biologi- traités met plutôt l’accent sur le fait que l’adoption du statut intervient
que ») et la convention de Stockholm de 2001 sur les polluants organiques conformément aux dispositions de l’article 7 du traité de 1961 et « dans le
persistants (ci-après dénommée la « convention POP »). Selon elle, ces strict respect des droits et obligations découlant des traités et autres enga-
obligations conventionnelles s’ajoutent aux droits et obligations décou- gements internationaux en vigueur à l’égard de l’une ou l’autre des
lant du statut de 1975, et il convient, lors de l’examen de l’application de parties » (les italiques sont de la Cour). Si la conjonction « et » n’apparaît
celui-ci, de s’assurer qu’elles ont bien été respectées. L’Argentine soutient pas dans les traductions anglaise et française du statut de 1975, telles que
que ce n’est qu’en cas de « dispositions plus précises du statut [de 1975] publiées dans le Recueil des traités des Nations Unies (ibid., p. 340
(lex specialis) » y dérogeant que les instruments auxquels le statut ren- et 348), elle figure dans la version espagnole, qui est celle faisant foi. Le
voie ne devraient pas être appliqués. texte espagnol se lit comme suit :
57. L’Uruguay considère de même que l’interprétation du statut « Las partes acuerdan el presente Estatuto, en cumplimiento de lo
150
de 1975 doit se faire à la lumière du droit international général, et cons- dispuesto en el Artículo 7 del Tratado de Límites en el Río Uruguay,
tate l’accord des Parties à cet égard. Il soutient toutefois que l’interpré- de 7 de Abril de 1961 con el fin de establecer los mecanismos comu-
tation qu’il développe est conforme aux différents principes généraux du nes necesarios para el óptimo y racional aprovechamiento del Río
droit des cours d’eau internationaux et du droit de l’environnement, Uruguay, y en estricta observancia de los derechos y obligaciones
même s’il a de ces principes une compréhension qui n’est pas tout à fait la emergentes de los tratados y demás compromisos internacionales
même que celle de l’Argentine. L’Uruguay estime que la question de vigentes para cualquiera de las partes. » (Ibid., p. 332 ; les italiques
savoir si les articles premier et 41, alinéa a), du statut de 1975 peuvent sont de la Cour.)
être compris comme renvoyant à d’autres traités en vigueur entre les
Parties est dépourvue de pertinence en l’espèce, soit que les conventions La présence de la conjonction dans le texte espagnol donne à penser
invoquées par l’Argentine seraient sans pertinence, soit qu’aucune viola- que la clause relative au « strict respect des droits et obligations découlant
tion d’autres obligations conventionnelles ne pourrait lui être reprochée. des traités et autres engagements internationaux en vigueur à l’égard de
En tout état de cause, la Cour serait sans compétence pour statuer sur des l’une ou l’autre des parties » est liée, et doit être rattachée, à la première
allégations de violations d’obligations internationales non prévues par le partie de l’article premier (« [l]es parties adoptent le présent statut, confor-
statut de 1975. mément aux dispositions de l’article 7 du traité relatif à la frontière sur
58. La Cour examinera d’abord la question de savoir si les articles pre- l’Uruguay »).
mier et 41, alinéa a), peuvent être interprétés comme incorporant dans le 60. Une autre observation s’impose en ce qui concerne le texte de
statut de 1975 les obligations incombant aux Parties en vertu des diffé- l’article premier du statut de 1975. Celui-ci mentionne les « traités et
rents traités multilatéraux sur lesquels l’Argentine fait fond. autres engagements internationaux en vigueur à l’égard de l’une ou
59. L’article premier du statut de 1975 se lit comme suit : l’autre des parties » (« tratados y demás compromisos internacionales
vigentes para cualquiera de las partes » dans l’original espagnol ; les itali-
« Les parties adoptent le présent statut, conformément aux dispo- ques sont de la Cour). Dans sa traduction anglaise, ce passage se lit
sitions de l’article 7 du traité relatif à la frontière sur l’Uruguay du « treaties and other international agreements in force for each of the
7 avril 1961, à l’effet d’établir les mécanismes communs nécessaires à parties » (les italiques sont de la Cour).
l’utilisation rationnelle et optimale du fleuve Uruguay, dans le strict Le fait que l’article premier n’exige pas que les « traités et autres enga-
33 34
45 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 46 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
gements internationaux » soient en vigueur entre les deux parties indique parties l’obligation d’exercer leurs pouvoirs de réglementation, en confor-
ainsi clairement que le statut de 1975 tient compte des engagements anté- mité avec les accords internationaux applicables, aux fins de la protection
rieurs pertinents de chacune des parties. et de la préservation du milieu aquatique du fleuve Uruguay. Aux termes
61. L’article 41 du statut de 1975, dont l’alinéa a) constitue, pour de l’alinéa b) de l’article 41, les normes mises en place pour prévenir la
l’Argentine, une autre « clause de renvoi » incorporant dans le statut les pollution des eaux et la sévérité des « pénalités » ne doivent pas être abais-
obligations découlant d’engagements internationaux, se lit comme suit : sées. Enfin, l’alinéa c) de l’article 41 concerne l’obligation faite à chacune
des parties d’informer l’autre des normes qu’elle se propose d’établir en
« Sans préjudice des fonctions assignées à la commission en la
matière de pollution des eaux.
matière, les parties s’obligent :
63. La Cour en conclut que rien, dans le texte de l’article 41 du statut
a) à protéger et à préserver le milieu aquatique et, en particulier, à de 1975, ne vient étayer la thèse selon laquelle cet article constituerait une
en empêcher la pollution en établissant [l]es normes et en adop- « clause de renvoi ». En conséquence, les différentes conventions multila-
tant les mesures appropriées, conformément aux accords inter- térales invoquées par l’Argentine ne sont pas, comme telles, incorporées
nationaux applicables et, le cas échéant, en harmonie avec les dans le statut de 1975. Pour cette raison, elles ne relèvent pas de la clause
directives et les recommandations des organismes techniques compromissoire et la Cour n’a pas compétence pour trancher la question
internationaux ; de savoir si l’Uruguay a rempli les obligations lui incombant en vertu de
b) à ne pas abaisser, dans leurs systèmes juridiques respectifs : ces instruments.
1) les normes techniques en vigueur pour prévenir la pollution 64. La Cour examinera ensuite brièvement comment le statut de 1975
des eaux, et doit être interprété. Si les vues des Parties concordent en ce qui concerne
2) les pénalités établies pour les infractions ; l’origine du statut et le contexte historique dans lequel il s’insère, elles
divergent quant à sa nature et à son économie générale ainsi que quant
c) à s’informer mutuellement des normes qu’elles se proposent
aux obligations de nature procédurale et de fond qu’il énonce.
d’établir en matière de pollution des eaux, en vue d’établir des
Les Parties conviennent cependant que le statut de 1975 doit être inter-
normes équivalentes dans leurs systèmes juridiques respectifs. »
prété conformément aux règles de droit international coutumier relatives
(Les italiques sont de la Cour.)
151
à l’interprétation des traités, telles que codifiées à l’article 31 de la
62. La Cour fait observer que les mots « adoptant ... appropriées » convention de Vienne sur le droit des traités.
[« adopting appropriate »] ne figurent pas dans la version anglaise, alors 65. La Cour s’est référée à ces règles lorsqu’elle a été appelée à inter-
qu’ils sont présents dans le texte original espagnol (« dictando las normas préter les dispositions de traités et d’accords internationaux conclus
y adoptando las medidas apropiadas »). Pour la Cour, qui s’appuie sur le avant l’entrée en vigueur de la convention de Vienne en 1980 (voir, par
texte original espagnol, il est difficile de voir comment cette disposition exemple, les affaires du Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/
pourrait être interprétée comme une clause de renvoi ayant pour effet Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 21, par. 41, et de l’Ile de Kasikili/
d’incorporer dans le champ d’application du statut de 1975 les obliga- Sedudu (Botswana/Namibie), arrêt, C.I.J. Recueil 1999 (II), p. 1059,
tions des parties découlant des accords internationaux et autres normes par. 18).
visées. Le statut de 1975 est lui aussi un traité antérieur à l’entrée en vigueur
La clause figurant à l’alinéa a) de l’article 41 a pour but la protection de la convention de Vienne sur le droit des traités. Pour en interpréter les
et la préservation du milieu aquatique, chacune des parties devant à cet termes, la Cour se référera aux règles coutumières d’interprétation des
effet édicter des normes et adopter des mesures appropriées. L’alinéa a) traités telles qu’elles ressortent de l’article 31 de la convention de Vienne.
de l’article 41 distingue entre les accords internationaux applicables, Le statut de 1975 doit donc être « interprété de bonne foi suivant le sens
d’une part, et les directives et recommandations des organismes techni- ordinaire à attribuer [à ses] termes ... dans leur contexte et à la lumière de
ques internationaux, d’autre part. Les premiers sont juridiquement son objet et de son but ». L’interprétation prendra aussi en compte, outre
contraignants et, par conséquent, les normes et réglementations édictées le contexte, « toute règle pertinente de droit international applicable dans
en droit interne et les mesures adoptées par les Etats doivent leur être les relations entre les parties ».
conformes ; les secondes, qui ne lient pas formellement les Etats, doivent
être prises en compte par ces derniers, pour autant qu’elles sont pertinen- 66. La prise en considération, aux fins de l’interprétation du statut
tes, de manière que les mesures, les normes et les réglementations internes de 1975, des règles pertinentes de droit international applicables dans les
adoptées soient compatibles (« con adecuación ») avec ces directives et relations entre les Parties, qu’il s’agisse de règles de droit international
recommandations. L’article 41, toutefois, n’incorpore pas dans le statut général ou de règles contenues dans les conventions multilatérales aux-
de 1975 les accords internationaux en tant que tels, mais impose aux quelles les deux Etats sont parties, est toutefois sans incidence sur l’éten-
35 36
47 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 48 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
due de la compétence conférée à la Cour en vertu de l’article 60 du statut « l’utilisation rationnelle et optimale du fleuve » (article premier), au
de 1975, qui demeure circonscrite aux différends concernant l’interpréta- même titre que les dispositions relatives à l’utilisation des eaux, à la
tion ou l’application du statut. conservation, à l’utilisation et à l’exploitation d’autres ressources natu-
relles, à la pollution et à la recherche. L’objectif serait également d’em-
* * pêcher que les Parties ne puissent agir unilatéralement et sans égard
aux utilisations antérieures ou actuelles du fleuve. Toute méconnais-
sance de ces mécanismes entraînerait dès lors, selon l’Argentine, une
III. LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES OBLIGATIONS DE NATURE PROCÉDURALE atteinte à l’objet et au but du statut de 1975 ; en effet, « l’utilisation
rationnelle et optimale du fleuve » ne serait pas assurée, car celle-ci ne
67. La requête déposée par l’Argentine le 4 mai 2006 porte sur la viola- pourrait se réaliser que conformément aux procédures établies par le
tion alléguée par l’Uruguay des obligations tant de nature procédurale statut.
que de fond prévues par le statut de 1975. La Cour commencera par exa- 72. Il s’ensuivrait, selon l’Argentine, qu’une violation des obligations
miner la violation alléguée des obligations de nature procédurale prévues de nature procédurale entraînerait automatiquement celle des obligations
par les articles 7 à 12 du statut de 1975 au sujet des projets relatifs de fond, dans la mesure où les deux catégories d’obligations sont indivi-
aux usines CMB (ENCE) et Orion (Botnia), ainsi qu’aux installations sibles. Une telle position trouverait un appui dans l’ordonnance de la
connexes de cette dernière, sur la rive gauche du fleuve Uruguay, près Cour du 13 juillet 2006, selon laquelle le statut de 1975 a créé « un régime
de la ville de Fray Bentos. complet ».
68. L’Argentine considère que les obligations de nature procédurale 73. L’Uruguay considère également que les obligations de nature pro-
sont intrinsèquement liées aux obligations de fond prévues par le statut cédurale sont destinées à faciliter la mise en œuvre des obligations de
de 1975, et qu’un manquement aux premières entraîne un manquement fond car les premières constituent un moyen et non une fin. Il souligne,
aux secondes. de même, que l’article premier du statut de 1975 définit l’objet et le but de
S’agissant des obligations de nature procédurale, elles constitueraient, celui-ci.
selon l’Argentine, un ensemble intégré et indissociable, au sein duquel la 74. Mais l’Uruguay rejette, comme artificielle, l’argumentation de
152
CARU jouerait, en tant qu’organisation, un rôle essentiel. l’Argentine, en ce qu’elle tend à confondre les questions de procédure et
Il en découlerait, selon l’Argentine, que l’Uruguay ne pourrait invo- de fond dans le but de faire croire que la violation des obligations de
quer d’autres arrangements procéduraux pour déroger aux obligations de nature procédurale se traduirait nécessairement par celle des obligations
nature procédurale prévues par le statut de 1975, en dehors du consente- de fond. Il appartiendrait à la Cour, selon l’Uruguay, d’apprécier la vio-
ment des deux Parties. lation, en elle-même, de chacune de ces catégories d’obligations et d’en
69. A l’issue du mécanisme procédural prévu par ce statut, et faute tirer les conséquences qui s’imposent dans chaque cas en matière de res-
d’accord entre les Parties, celles-ci n’auraient, selon l’Argentine, d’autre ponsabilité et de réparation.
choix que de saisir la Cour, aux termes des articles 12 et 60 du statut, 75. La Cour relève que l’objet et le but du statut de 1975, inscrits à
l’Uruguay ne pouvant procéder à la construction des usines projetées tant l’article premier, consistent, pour les Parties, à parvenir à « l’utilisation
que la Cour n’aurait pas rendu son arrêt. rationnelle et optimale du fleuve Uruguay » au moyen des « mécanismes
communs » de coopération, constitués aussi bien par la CARU que par
70. Dans le fil de l’argumentation avancée par le demandeur, la Cour les dispositions de nature procédurale des articles 7 à 12 du statut.
examinera successivement les quatre points suivants : les liens entre les La Cour a souligné à ce propos, dans son ordonnance du 13 juillet 2006,
obligations de nature procédurale et les obligations de fond (A), les obli- qu’une telle utilisation devrait permettre un développement durable qui
gations de nature procédurale et leur articulation (B), la question de tienne compte « de la nécessité de garantir la protection continue de
savoir si les Parties sont convenues de déroger aux obligations de nature l’environnement du fleuve ainsi que le droit au développement écono-
procédurale prévues par le statut de 1975 (C) et les obligations de l’Uru- mique des Etats riverains » (Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay
guay au terme de la période de négociation (D). (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires, ordonnance du 13 juillet
2006, C.I.J. Recueil 2006, p. 133, par. 80).
A. Les liens entre les obligations de nature procédurale 76. Dans l’affaire Gabčíkovo-Nagymaros, la Cour, après avoir rappelé
et les obligations de fond que « [l]e concept de développement durable traduit bien cette nécessité
de concilier développement économique et protection de l’environne-
71. L’Argentine soutient que les dispositions de nature procédurale, ment », a ajouté que « [c]e sont les Parties elles-mêmes qui doivent trouver
prévues aux articles 7 à 12 du statut de 1975, ont pour objectif d’assurer d’un commun accord une solution qui tienne compte des objectifs du
37 38
49 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 50 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
153
respectant seulement ses obligations de nature procédurale, ni qu’une par l’intermédiaire de la commission, à la partie qui projette de
violation des obligations de nature procédurale emporterait automatique- construire l’ouvrage.
ment celle des obligations de fond. Le délai de 180 jours susmentionné commence à courir à partir du
De même, ce n’est pas parce que les parties auraient respecté leurs obli- jour où la délégation de la partie notifiée a reçu la documentation
gations de fond qu’elles seraient censées avoir respecté ipso facto leurs complète.
obligations de nature procédurale, ou qu’elles seraient dispensées de le Ce délai peut être prorogé de façon raisonnable par la commission
faire. D’ailleurs, le lien entre ces deux catégories d’obligations peut être si la complexité du projet l’exige.
rompu, dans les faits, lorsqu’une partie qui n’aurait pas respecté ses obli- Article 9
gations de nature procédurale renoncerait ensuite à la réalisation de
l’activité projetée. Si la partie notifiée ne formule pas d’objections ou ne répond pas
79. La Cour considère, en conséquence de ce qui précède, qu’il existe dans le délai prévu à l’article 8, l’autre partie peut construire ou
certes un lien fonctionnel, relatif à la prévention, entre les deux catégories autoriser la construction de l’ouvrage projeté.
d’obligations prévues par le statut de 1975, mais que ce lien n’empêche Article 10
pas que les Etats parties soient appelés à répondre séparément des unes et La partie notifiée a le droit d’inspecter les ouvrages en construc-
des autres, selon leur contenu propre, et à assumer, s’il y a lieu, la res- tion pour vérifier s’ils sont conformes au projet présenté.
ponsabilité qui découlerait, selon le cas, de leur violation.
Article 11
B. Les obligations de nature procédurale et leur articulation Si la partie notifiée aboutit à la conclusion que l’exécution de
l’ouvrage ou le programme d’opérations peut causer un préjudice
80. Le statut de 1975 prévoit à la charge de la partie qui projette cer- sensible à la navigation, au régime du fleuve ou à la qualité de ses
taines activités, énumérées au premier alinéa de l’article 7, des obligations eaux, elle en informe l’autre partie par l’intermédiaire de la commis-
de nature procédurale dont le contenu, l’articulation et les délais sont sion dans le délai de 180 jours fixé à l’article 8.
précisés aux articles 7 à 12 comme suit : La communication précise quels sont les aspects de l’ouvrage ou
39 40
51 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 52 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
du programme d’opérations qui peuvent causer un préjudice sensible mis en échec l’ensemble des procédures prévues aux articles 7 à 12 du sta-
à la navigation, au régime du fleuve ou à la qualité de ses eaux, les tut. Par ailleurs, en ne lui notifiant pas les projets des usines CMB
raisons techniques qui permettent d’arriver à cette conclusion et les (ENCE) et Orion (Botnia), par l’intermédiaire de la CARU, avec toute la
modifications qu’elle suggère d’apporter au projet ou au programme documentation nécessaire, l’Uruguay n’aurait pas respecté les deuxième
d’opérations. et troisième alinéas de l’article 7. L’Argentine ajoute que des contacts
Article 12 informels qu’elle-même ou la CARU ont pu avoir avec les sociétés
concernées ne peuvent tenir lieu de saisine de la CARU et de notification
Si les parties n’aboutissent pas à un accord dans un délai de des projets par l’intermédiaire de cette commission. L’Argentine en
180 jours à compter de la communication visée à l’article 11, la pro- conclut que l’Uruguay a violé l’ensemble des obligations de nature pro-
cédure indiquée au chapitre XV est applicable. » cédurale lui incombant en vertu des articles 7 à 12 du statut.
81. L’original espagnol de l’article 7 du statut de 1975 se lit ainsi : L’Uruguay, de son côté, considère que la saisine de la CARU n’est pas
aussi contraignante que le soutient l’Argentine et que les parties peuvent
convenir, d’un commun accord, d’emprunter d’autres voies, en recourant
« La parte que proyecte la construcción de nuevos canales, la
à d’autres arrangements de nature procédurale, pour engager la coopéra-
modificación o alteración significativa de los ya existentes o la reali-
tion entre elles. Il en déduit qu’il n’a pas enfreint les obligations de nature
zación de cualesquiera otras obras de entidad suficiente para afectar
procédurale prévues par le statut, même s’il s’en est acquitté sans suivre à
la navegación, el régimen del Río o la calidad de sus aguas, deberá
la lettre le processus formel qui y est décrit.
comunicarlo a la Comisión, la cual determinará sumariamente, y en
83. La Cour examinera d’abord la nature et le rôle de la CARU, puis
un plazo máximo de treinta días, si el proyecto puede producir per-
se penchera sur la question de savoir si l’Uruguay a respecté son obli-
juicio sensible a la otra parte.
gation d’informer la CARU de ses projets et celle de les notifier à
Si así se resolviere o no se llegare a una decisión al respecto, la
l’Argentine.
parte interesada deberá notificar el proyecto a la otra parte a través
de la misma Comisión.
En la notificación deberán figurar los aspectos esenciales de la 1. La nature et le rôle de la CARU
154
obra y, si fuere el caso, el modo de su operación y los demás datos
84. L’Uruguay estime que la CARU, au même titre que les autres
técnicos que permitan a la parte notificada hacer una evaluación del
commissions fluviales, n’est pas un organisme doté d’une volonté auto-
efecto probable que la obra ocasionará a la navegación, al régimen
nome, mais plutôt un mécanisme établi pour faciliter la coopération entre
del Río o a la calidad de sus aguas. »
les Parties. Il ajoute que les Etats qui ont créé ces commissions fluviales
La Cour relève que, comme l’original espagnol, la traduction française sont libres de s’écarter du mécanisme commun, lorsque cela sert leurs
de cet article (voir paragraphe 80 ci-dessus) distingue l’obligation d’infor- objectifs, et qu’ils le font souvent. Selon l’Uruguay, dès lors que la
mer (« comunicar ») la CARU au sujet des projets entrant dans son CARU n’est pas habilitée à agir en dehors de la volonté des Parties,
champ d’application (premier alinéa) de celle de les notifier (« notificar ») celles-ci sont libres de faire directement ce qu’elles avaient décidé de faire
à l’autre partie (deuxième alinéa). En revanche, la traduction anglaise uti- par l’intermédiaire de cette commission, et elles peuvent convenir notam-
lise indistinctement le verbe « notify » au sujet de ces deux obligations. ment de ne pas l’informer ainsi que cela est prévu à l’article 7 du sta-
Afin de se conformer au texte original espagnol, la Cour utilisera dans les tut de 1975. L’Uruguay affirme que c’est précisément ce qui s’est passé
deux versions linguistiques du présent arrêt le verbe « informer » pour dans le cas d’espèce : les deux Etats se sont entendus pour se dispenser de
l’obligation prescrite par le premier alinéa de l’article 7 et le verbe « noti- l’examen sommaire de la CARU et passer immédiatement à des entre-
fier » pour celle des deuxième et troisième alinéas. tiens directs.
La Cour considère que les obligations d’informer, de notifier et de 85. Pour l’Argentine, en revanche, le statut de 1975 n’est pas un simple
négocier constituent un moyen approprié, accepté par les Parties, de par- traité bilatéral imposant des obligations synallagmatiques aux parties ; il
venir à l’objectif qu’elles se sont fixé à l’article premier du statut de 1975. institutionnalise une coopération permanente et étroite, dont la CARU
Ces obligations s’avèrent d’autant plus indispensables lorsqu’il s’agit, est l’élément central et incontournable. La CARU constitue, de l’avis de
comme dans le cas du fleuve Uruguay, d’une ressource partagée qui ne l’Argentine, l’organe clef de coordination entre les parties dans à peu près
peut être protégée que par le biais d’une coopération étroite et continue tous les domaines couverts par le statut. En ne s’acquittant pas de ses
entre les riverains. obligations à cet égard, l’Uruguay remettrait profondément en question
82. Selon l’Argentine, en ne respectant pas la première obligation (pre- le statut de 1975.
mier alinéa de l’article 7 du statut) de saisine de la CARU, l’Uruguay a 86. La Cour rappelle qu’elle a déjà qualifié la CARU de
41 42
53 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 54 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
« mécanisme commun doté de fonctions réglementaires, administra- d’efficacité à leur volonté de coopérer à « l’utilisation rationnelle et opti-
tives, techniques, de gestion et de conciliation…, à laquelle a été male du fleuve ».
confiée la bonne application des dispositions du statut de 1975 régis- 91. C’est pour cette raison que la CARU joue un rôle central dans le
sant la gestion des ressources fluviales partagées, ... méca- statut de 1975 et ne peut être réduite à un simple mécanisme facultatif mis
nisme ... [qui] occupe une place très importante dans le régime de ce à la disposition des parties que chacune d’entre elles pourrait utiliser à sa
traité » (Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine guise. La CARU intervient à tous les niveaux de l’utilisation du fleuve,
c. Uruguay), mesures conservatoires, ordonnance du 13 juillet 2006, qu’il s’agisse de la prévention des dommages transfrontières susceptibles
C.I.J. Recueil 2006, p. 133-134, par. 81). de découler des activités projetées ; de l’utilisation des eaux, au sujet de
laquelle elle reçoit les rapports des parties et vérifie si la somme des
87. La Cour relève tout d’abord que, conformément à l’article 50 du utilisations ne cause pas un préjudice sensible (articles 27 et 28) ; de la
statut de 1975, la CARU « jouit de la personnalité juridique dans l’accom- prévention de la modification de l’équilibre écologique (article 36) ; des
plissement de son mandat » et que les parties audit statut se sont engagées études et des recherches de caractère scientifique effectuées par une
à lui attribuer « les ressources nécessaires, ainsi que tous les éléments et partie dans la juridiction de l’autre (article 44) ; de l’exercice du droit de
facilités indispensables à son fonctionnement ». Il en découle que, loin police (article 46) et du droit de navigation (article 48).
d’être une simple courroie de transmission entre les parties, la CARU a 92. Par ailleurs, la CARU a reçu comme fonction d’édicter des normes
une existence propre et permanente ; elle exerce des droits et est tenue à réglementaires dans un grand nombre de domaines liés à la gestion com-
des devoirs pour s’acquitter des fonctions qui lui sont conférées par le mune du fleuve et énumérés à l’article 56 du statut de 1975. Enfin, la
statut de 1975. commission peut servir d’instance de conciliation pour tout litige né
88. Certes, les décisions de la commission doivent être adoptées d’un entre les parties, sur proposition de l’une d’entre elles (article 58).
commun accord par les deux riverains (article 55), mais leur préparation 93. Dès lors, la Cour considère que, de par l’ampleur et la diversité des
et leur mise en œuvre relèvent d’un secrétariat dont les fonctionnaires fonctions qu’elles ont confiées à la CARU, les Parties ont entendu faire
jouissent de privilèges et d’immunités. D’autre part, la CARU peut de cette organisation internationale un élément central dans l’accomplis-
décentraliser ses différentes fonctions en créant les organes subsidiaires sement de leurs obligations de coopérer édictées par le statut de 1975.
qui lui sont nécessaires (article 52).
155
89. La Cour observe que, comme toute organisation internationale
dotée de la personnalité juridique, la CARU est habilitée à exercer les
2. L’obligation de l’Uruguay d’informer la CARU
compétences qui lui sont reconnues par le statut de 1975 et qui sont
nécessaires à la réalisation de l’objet et du but de celui-ci, soit « l’utilisa- 94. La Cour note que l’obligation de l’Etat d’origine de l’activité pro-
tion rationnelle et optimale du fleuve » (article premier). Ainsi que la jetée d’informer la CARU constitue la première étape de l’ensemble du
Cour l’a souligné, mécanisme procédural qui permet aux deux parties de réaliser l’objet du
« [l]es organisations internationales sont régies par « le principe de statut de 1975, à savoir « l’utilisation rationnelle et optimale du fleuve
spécialité », c’est-à-dire dotées par les Etats qui les créent de compé- Uruguay ». Cette étape, prévue au premier alinéa de l’article 7, consiste,
tences d’attribution dont les limites sont fonction des intérêts pour l’Etat d’origine de l’activité projetée, à en informer la CARU pour
communs que ceux-ci leur donnent pour mission de promou- que celle-ci puisse déterminer « sommairement », dans un délai maximum
voir » (Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un Etat dans de trente jours, si le projet peut causer un préjudice sensible à l’autre
un conflit armé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 78, partie.
par. 25). 95. Pour que le reste de la procédure puisse se poursuivre, les deux
parties ont posé comme conditions alternatives, dans le statut de 1975,
Cela est naturellement vrai aussi pour les organisations qui, comme la que l’activité projetée par l’une soit susceptible, selon la CARU, de cau-
CARU, ne comportent que deux Etats membres. ser un préjudice sensible à l’autre, faisant naître à la charge de la première
90. La CARU servant de cadre de concertation entre les parties, une obligation de prévention, afin d’éliminer ou de réduire au minimum
notamment pour les projets d’ouvrages envisagés au premier alinéa de le risque, en consultation avec la seconde ; ou que la CARU, dûment
l’article 7 du statut de 1975, aucune d’entre elles ne peut sortir unilatéra- informée, ne prenne pas de décision à ce sujet dans le délai prescrit.
lement et au moment qu’elle juge opportun de ce cadre et lui substituer
d’autres canaux de communication. En créant la CARU et en la dotant 96. La Cour constate que les deux Parties s’accordent à considérer que
de tous les moyens nécessaires à son fonctionnement, les parties ont les deux usines projetées étaient des ouvrages suffisamment importants
entendu donner les meilleures garanties de stabilité, de continuité et pour entrer dans le champ d’application de l’article 7 du statut de 1975
43 44
55 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 56 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
et, partant, pour que la CARU dût en être informée. Il en est de même d’autres Etats » (Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), fond,
pour le projet de construction du terminal portuaire de Fray Bentos à arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 22). En effet, l’Etat est tenu de mettre en
l’usage exclusif de l’usine Orion (Botnia), qui incluait des opérations de œuvre tous les moyens à sa disposition pour éviter que les activités qui se
dragage et d’utilisation du lit du fleuve. déroulent sur son territoire, ou sur tout espace relevant de sa juridiction,
97. La Cour relève cependant que les Parties sont en désaccord sur ne causent un préjudice sensible à l’environnement d’un autre Etat. La
l’existence d’une obligation d’informer la CARU au sujet du prélèvement Cour a établi que cette obligation « fait maintenant partie du corps de
et de l’utilisation, par l’usine Orion (Botnia), de l’eau du fleuve à des fins règles du droit international de l’environnement » (Licéité de la menace
industrielles. L’Argentine estime que l’autorisation octroyée par le mi- ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I),
nistère du transport et des travaux publics uruguayen, le 12 septembre p. 242, par. 29).
2006, concerne une activité suffisamment importante (« entidad sufi- 102. L’obligation d’informer la CARU permet, selon la Cour, de
ciente ») pour affecter le régime du fleuve ou la qualité de ses eaux, et que déclencher la coopération entre les Parties, nécessaire pour la mise en
l’Uruguay aurait dû suivre, à ce sujet, la procédure prévue aux articles 7 œuvre de l’obligation de prévention. Cette première étape procédurale a
à 12 du statut de 1975. Pour sa part, l’Uruguay soutient que cette activité pour conséquence de soustraire à l’application du statut de 1975 les acti-
fait partie intégrante de l’ensemble du projet de l’usine Orion (Botnia) et vités qui apparaîtraient ne causer un dommage qu’à l’Etat sur le territoire
que le statut n’exige pas d’informer la CARU à chaque étape de l’avan- duquel elles s’exercent.
cement de l’ouvrage projeté. 103. La Cour observe qu’en ce qui concerne le fleuve Uruguay, qui
98. La Cour relève que, si les Parties s’accordent pour reconnaître que constitue une ressource partagée, le « préjudice sensible à l’autre partie »
la CARU devait être informée des deux projets d’usines et du projet de (premier alinéa de l’article 7 du statut de 1975) peut résulter d’une
construction du terminal portuaire de Fray Bentos, elles s’opposent néan- atteinte à la navigation, au régime du fleuve ou à la qualité de ses eaux.
moins quant au contenu de l’information qui devait être adressée à la D’ailleurs, l’article 27 du statut de 1975 souligne que
CARU et quant au moment auquel elle devait avoir lieu.
« [l]e droit de chaque partie d’utiliser les eaux du fleuve, à l’intérieur
99. L’Argentine a soutenu que le contenu de l’obligation d’informa-
de sa juridiction, à des fins ménagères, sanitaires, industrielles et
tion doit être déterminé à la lumière de l’objectif de celle-ci, soit la
agricoles, s’exerce sans préjudice de l’application de la procédure
156
prévention des atteintes à la navigation, au régime du fleuve ou à la
prévue aux articles 7 à 12 lorsque cette utilisation est suffisamment
qualité des eaux. Le projet dont la CARU doit être informée peut, selon
importante pour affecter le régime du fleuve ou la qualité de ses
l’Argentine, n’être pas très avancé car il s’agit seulement de permettre
eaux ».
à la commission de « déterminer sommairement » dans un délai très
bref de trente jours si ce projet « peut causer un préjudice sensible à 104. La Cour note que, conformément aux termes du premier alinéa
l’autre partie ». Ce serait seulement dans la phase procédurale suivante de l’article 7 du statut de 1975, l’information qui doit être adressée à la
que l’obligation d’informer serait plus complète. L’information de la CARU, à ce premier stade de la procédure, doit lui permettre de déter-
CARU doit cependant, de l’avis de l’Argentine, intervenir préalablement miner sommairement et rapidement si le projet peut causer un préjudice
à l’autorisation et à la construction d’un projet sur le fleuve Uruguay. sensible à l’autre partie. Il s’agit à ce stade, pour la CARU, de décider si
100. Reprenant les termes du premier alinéa de l’article 7 du statut le projet relève ou non de la procédure de coopération prévue par le sta-
de 1975, l’Uruguay en donne une autre interprétation, estimant que tut et non de se prononcer sur son impact réel sur le fleuve et la qualité
l’information prévue par cette disposition ne peut être transmise à la des eaux. C’est ce qui explique, de l’avis de la Cour, la différence entre la
CARU aux tout premiers stades de la planification, car la commission ne terminologie du premier alinéa de l’article 7, relative à l’obligation d’infor-
pourrait disposer des éléments suffisants pour déterminer si le projet est mer la CARU, et celle du troisième alinéa de cet article, qui concerne
susceptible ou non de causer un préjudice sensible à l’autre Etat. Pour le contenu de la notification qui doit être adressée à un stade ultérieur
cela, il faudrait, selon l’Uruguay, que le projet ait atteint un stade où l’on à l’autre partie et est destinée à « évaluer l’effet probable que l’ouvrage
dispose à son sujet de toutes les informations techniques. L’Uruguay aura sur la navigation, sur le régime du fleuve ou sur la qualité de ses
tend, comme la Cour y reviendra plus loin, à lier le contenu de l’informa- eaux ».
tion au moment où elle devrait être fournie, soit même après l’octroi par 105. La Cour considère que l’Etat qui projette les activités visées à
l’Etat concerné de l’autorisation environnementale préalable. l’article 7 du statut est tenu d’en informer la CARU dès qu’il est en pos-
101. La Cour observe que le principe de prévention, en tant que règle session d’un projet suffisamment élaboré pour permettre à la commission
coutumière, trouve son origine dans la diligence requise (« due diligence ») de déterminer sommairement, en application du premier alinéa de cette
de l’Etat sur son territoire. Il s’agit de « l’obligation, pour tout Etat, de ne disposition, si cette activité risque de causer un préjudice sensible à l’autre
pas laisser utiliser son territoire aux fins d’actes contraires aux droits partie. A ce stade, l’information fournie ne consistera pas nécessairement
45 46
57 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 58 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
en une évaluation complète de l’impact sur l’environnement du projet, quels qu’ils soient, ne constituent pas l’exécution de l’obligation imposée
qui exige souvent davantage de temps et de moyens. Cela étant, si une aux Parties par le premier alinéa de l’article 7.
information plus complète est disponible, elle doit bien entendu être 110. La Cour considère que les informations sur les projets d’usines
transmise à la CARU, afin que celle-ci puisse procéder dans les meilleures parvenues à la CARU de la part des entreprises concernées ou d’autres
conditions à son examen sommaire. En tout état de cause, l’obligation sources non gouvernementales ne peuvent tenir lieu de l’obligation
d’informer la CARU intervient à un stade où l’autorité compétente a été d’informer, prévue au premier alinéa de l’article 7 du statut de 1975,
saisie du projet en vue de la délivrance de l’autorisation environnemen- qui est à la charge de la partie qui projette de construire les ouvrages
tale préalable, et avant la délivrance de ladite autorisation. visés par cette disposition. De la même manière, dans l’affaire relative à
106. La Cour relève que, dans le cas d’espèce, l’Uruguay n’a pas trans- Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale
mis à la CARU l’information requise par le premier alinéa de l’article 7, (Djibouti c. France), la Cour a observé que
concernant les usines CMB (ENCE) et Orion (Botnia), malgré les deman-
« [s]i Djibouti a certes pu disposer en fin de compte de certaines
des qui lui avaient été adressées à plusieurs reprises par la commission, en
informations à travers la presse, un tel mode de diffusion d’informa-
particulier les 17 octobre 2002 et 21 avril 2003, au sujet de l’usine CMB
tions ne saurait être pris en compte aux fins de l’application de l’ar-
(ENCE), et le 16 novembre 2004, au sujet de l’usine Orion (Botnia).
ticle 17 [de la convention d’entraide judiciaire entre les deux pays
L’Uruguay s’est contenté d’adresser à la CARU, le 14 mai 2003, un
prévoyant que « tout refus d’entraide judiciaire sera motivé »] » (arrêt,
résumé de diffusion de l’évaluation de l’impact sur l’environnement
C.I.J. Recueil 2008, p. 231, par. 150).
concernant l’usine CMB (ENCE). La CARU a estimé ce document insuf-
fisant et a demandé à nouveau à l’Uruguay, les 15 août 2003 et 12 sep-
tembre 2003, un complément d’information. Par ailleurs, aucun docu- 111. En conséquence, la Cour conclut de ce qui précède que l’Uru-
ment n’a été transmis à la CARU par l’Uruguay au sujet de l’usine Orion guay, en n’informant pas la CARU des travaux projetés avant la déli-
(Botnia). Ainsi, les autorisations environnementales préalables ont été vrance de l’autorisation environnementale préalable pour chacune des
délivrées par l’Uruguay le 9 octobre 2003 à CMB et le 14 février 2005 à usines et pour le terminal portuaire adjacent à l’usine Orion (Botnia), n’a
Botnia, sans respecter la procédure prévue au premier alinéa de l’ar- pas respecté l’obligation que lui impose le premier alinéa de l’article 7 du
157
ticle 7. L’Uruguay s’est donc prononcé sur l’impact sur l’environnement statut de 1975.
des projets sans associer la CARU, se limitant ainsi à donner effet au
troisième alinéa de l’article 17 du décret uruguayen no 435/994, du 21 sep- 3. L’obligation de l’Uruguay de notifier les projets à l’autre partie
tembre 1994, portant règlement d’évaluation de l’impact sur l’environne-
ment, selon lequel le ministère du logement, de l’aménagement du 112. La Cour note qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 7 du
territoire et de l’environnement peut accorder l’autorisation environne- statut de 1975, au cas où la CARU décide que le projet peut causer un
mentale préalable pour autant que les impacts négatifs du projet sur préjudice sensible à l’autre partie ou si une décision n’intervient pas à cet
l’environnement restent dans des limites acceptables. égard, « la partie intéressée notifie le projet à l’autre partie par l’intermé-
107. La Cour relève en outre que l’Uruguay a accordé, le 12 avril 2005, diaire de la commission ».
une autorisation à la société Botnia pour la première phase de construc- Le troisième alinéa de l’article 7 du statut détaille le contenu de cette
tion du projet d’usine Orion et, le 5 juillet 2005, un permis pour notification qui
construire un port à son usage exclusif et utiliser le lit du fleuve à
« énonce les aspects essentiels de l’ouvrage et ... les autres données
des fins industrielles, sans avoir préalablement informé la CARU de
techniques permettant à la partie à laquelle la notification est adres-
ces projets.
sée d’évaluer l’effet probable que l’ouvrage aura sur la navigation,
108. En ce qui concerne le prélèvement et l’utilisation de l’eau du
sur le régime du fleuve ou sur la qualité de ses eaux ».
fleuve qui auraient dû, selon l’Argentine, donner lieu à une information
préalable de la CARU, la Cour estime qu’il s’agit là d’une activité qui fait 113. L’obligation de notifier est destinée, selon la Cour, à créer les
partie intégrante de la mise en service de l’usine Orion (Botnia), et qui ne conditions d’une coopération fructueuse entre les parties leur permettant,
nécessitait donc pas une saisine distincte de la CARU. sur la base d’une information aussi complète que possible, d’évaluer
109. L’Uruguay soutient cependant que la CARU avait parfaitement l’impact du projet sur le fleuve et, s’il y a lieu, de négocier les aménage-
connaissance des projets d’usines avant la délivrance des autorisations ments nécessaires pour prévenir les préjudices éventuels qu’il pourrait
environnementales préalables, par le biais des représentants d’ENCE, le causer.
8 juillet 2002, et au plus tard le 29 avril 2004, par ceux de Botnia. 114. L’article 8 prévoit un délai de cent quatre-vingts jours, qui peut
L’Argentine estime, pour sa part, que ces prétendus agissements privés, être prorogé par la commission, pour que la partie qui a reçu la notifica-
47 48
59 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 60 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
tion puisse se prononcer sur le projet, à charge pour elle de demander à des préjudices sensibles transfrontières à un autre Etat, doivent être noti-
l’autre partie, par l’intermédiaire de la commission, de compléter au fiées, selon les deuxième et troisième alinéas de l’article 7 du statut
besoin la documentation qu’elle lui a adressée. de 1975, par la partie concernée à l’autre partie, par l’intermédiaire de la
Faute d’objection de la part de la partie destinataire de la notification, CARU. Cette notification est destinée à permettre à la partie qui en est le
l’autre partie peut procéder à la construction de l’ouvrage ou l’autoriser destinataire de participer au processus visant à s’assurer que l’évaluation
(article 9). Dans le cas contraire, la première informe la seconde des est complète, pour qu’elle puisse ensuite apprécier, en toute connaissance
aspects de l’ouvrage qui peuvent lui causer préjudice et des modifications de cause, le projet et ses effets (article 8 du statut de 1975).
qu’elle suggère (article 11), ouvrant ainsi une période de négociation, 120. La Cour observe que cette notification doit intervenir avant que
avec un nouveau délai de cent quatre-vingts jours pour parvenir à un l’Etat intéressé ne décide de la viabilité environnementale du projet,
accord (article 12). compte dûment tenu de l’évaluation de l’impact sur l’environnement qui
115. L’obligation de notifier est donc essentielle dans le processus qui lui a été présentée.
doit mener les parties à se concerter pour évaluer les risques du projet et 121. Dans le cas d’espèce, la Cour relève que les notifications à l’Argen-
négocier les modifications éventuelles susceptibles de les éliminer ou d’en tine des évaluations de l’impact sur l’environnement relatives aux usines
limiter au minimum les effets. CMB (ENCE) et Orion (Botnia) n’ont pas eu lieu par l’intermédiaire de
116. Les Parties conviennent de la nécessité de disposer d’une évalua- la CARU, et que l’Uruguay n’a transmis à l’Argentine ces évaluations
tion de l’impact sur l’environnement complète pour apprécier le préjudice qu’après avoir délivré les autorisations environnementales préalables pour
sensible qui pourrait être causé par un projet. les deux usines concernées. Ainsi, en ce qui concerne l’usine CMB
117. L’Uruguay considère que de telles évaluations sont intervenues (ENCE), la notification du dossier à l’Argentine est intervenue les 27 oc-
conformément à sa législation (décret no 435/994, du 21 septembre 1994, tobre et 7 novembre 2003, alors que l’autorisation environnementale
portant règlement d’évaluation de l’impact sur l’environnement), qu’elles préalable avait déjà été délivrée le 9 octobre 2003. En ce qui concerne
ont été soumises à l’appréciation de la DINAMA et qu’elles ont été trans- l’usine Orion (Botnia), le dossier a été transmis à l’Argentine entre
mises à l’Argentine le 7 novembre 2003 pour le projet CMB (ENCE) et août 2005 et janvier 2006, alors que l’autorisation environnementale
le 19 août 2005 pour le projet Orion (Botnia). Selon l’Uruguay, la préalable avait été octroyée le 14 février 2005. L’Uruguay n’aurait pas
158
DINAMA a demandé aux entreprises concernées tous les suppléments dû, avant la notification, délivrer les autorisations environnementales
d’information nécessaires pour compléter les évaluations de l’impact sur préalables et les permis de construction sur la base des évaluations
l’environnement initiales qui lui ont été soumises, et ce n’est que quand de l’impact sur l’environnement présentées à la DINAMA. En effet, ce
elle a été satisfaite qu’elle a proposé au ministère de l’environnement de faisant, l’Uruguay a donné la priorité à sa propre législation sur les
délivrer les autorisations environnementales préalables demandées, qui obligations de nature procédurale qu’il tenait du statut de 1975 et a
l’ont été à CMB le 9 octobre 2003 et à Botnia le 14 février 2005. méconnu la règle coutumière bien établie, reflétée à l’article 27 de la
L’Uruguay soutient qu’il n’était pas tenu de transmettre à l’Argentine convention de Vienne sur le droit des traités, aux termes duquel « [u]ne
les évaluations de l’impact sur l’environnement avant de délivrer aux partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme
entreprises les autorisations environnementales préalables, celles-ci ayant justifiant la non-exécution d’un traité ».
été établies sur la base de sa législation en la matière. 122. La Cour conclut de ce qui précède que l’Uruguay n’a pas res-
118. L’Argentine, pour sa part, souligne tout d’abord que les évalua- pecté l’obligation de notifier les projets à l’Argentine au travers de la
tions de l’impact sur l’environnement qui lui ont été transmises par l’Uru- CARU, prévue aux deuxième et troisième alinéas de l’article 7 du statut
guay étaient incomplètes, notamment en ce qu’elles ne prévoyaient pas de de 1975.
sites alternatifs pour l’implantation des usines et qu’elles ne contenaient
pas de consultation des populations concernées. La Cour reviendra plus C. Les Parties sont-elles convenues de déroger aux obligations
loin sur les conditions de fond auxquelles doivent satisfaire les évalua- de nature procédurale prévues dans le statut de 1975 ?
tions de l’impact sur l’environnement (voir paragraphes 203 à 219).
D’autre part, sur le plan procédural, l’Argentine estime que les autori- 123. Ayant ainsi examiné les obligations de nature procédurale éta-
sations environnementales préalables n’auraient pas dû être accordées blies par le statut de 1975, la Cour se penchera à présent sur le point de
aux entreprises avant qu’elle n’ait reçu les évaluations de l’impact sur savoir si les Parties sont convenues, par accord entre elles, d’y déroger,
l’environnement complètes et qu’elle n’ait pu exercer les droits qui lui comme le prétend l’Uruguay.
sont reconnus à ce sujet par les articles 7 à 11 du statut de 1975. 124. Les Parties se réfèrent à cet égard aux deux « accords » intervenus
119. La Cour relève que les évaluations de l’impact sur l’environne- le 2 mars 2004 et le 5 mai 2005. Elles développent cependant des positions
ment, nécessaires pour se prononcer sur tout projet susceptible de causer divergentes quant à leur contenu et à leur portée.
49 50
61 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 62 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
1. L’« arrangement » du 2 mars 2004 entre l’Argentine et l’Uruguay ronnementale relatifs à la construction et à l’exploitation de l’usine
soumis par l’entreprise au Gouvernement uruguayen, une fois qu’ils
auront été transmis à la CARU par la délégation uruguayenne. »
125. La Cour rappelle que, à la suite de la délivrance par l’Uruguay de (Les italiques sont dans l’original.) [Traduction de la Cour.]
l’autorisation environnementale préalable à CMB, sans que la CARU ait
pu exercer, à cet égard, les fonctions qui lui sont attribuées par le statut 126. L’Uruguay considère que, en vertu de cet « arrangement », les
de 1975, les ministres des affaires étrangères des Parties se sont mis Parties sont convenues de la marche à suivre, concernant le projet CMB
d’accord, le 2 mars 2004, sur la procédure à suivre, ainsi que cela est (ENCE), en dehors de la CARU, et que rien, que ce soit d’un point de
reflété dans le procès-verbal de la séance extraordinaire de la CARU en vue juridique ou logique, ne les empêchait de déroger, dans le cadre d’un
date du 15 mai 2004. L’extrait pertinent de ce procès-verbal se lit comme accord bilatéral approprié, aux procédures énoncées par le statut de 1975.
suit en espagnol : Un tel « arrangement », selon l’Uruguay, se limitait à la transmission à
« II) En fecha 2 de marzo de 2004 los Cancilleres de Argentina y la CARU des plans de gestion environnementale relatifs à la construction
Uruguay llegaron a un entendimiento con relación al curso de et à l’exploitation de l’usine CMB (ENCE). Il aurait mis un terme, de la
acción que se dará al tema, esto es, facilitar por parte del gobierno sorte, à tout différend avec l’Argentine concernant la procédure prévue à
uruguayo, la información relativa a la construcción de la planta y, l’article 7 du statut de 1975. Enfin, l’Uruguay soutient que l’« arrange-
en relación a la fase operativa, proceder a realizar el monitoreo, por ment » du 2 mars 2004 sur le projet CMB (ENCE) a été par la suite
parte de CARU, de la calidad de las aguas conforme a su Estatuto. étendu au projet Orion (Botnia) dans la mesure où le plan PROCEL, éta-
bli par la sous-commission chargée de la qualité des eaux de la CARU et
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . mettant en œuvre cet accord, était relatif à l’activité des « deux usines »,
I) Ambas delegaciones reafirmaron el compromiso de los Minis- CMB (ENCE) et Orion (Botnia), le pluriel étant utilisé dans le titre du
tros de Relaciones Exteriores de la República Argentina y de la rapport de la sous-commission et dans son texte.
República Oriental del Uruguay de fecha 2 de marzo de 2004 por el
cual el Uruguay comunicará la información relativa a la construc- 127. L’Argentine, de son côté, soutient que l’« arrangement » intervenu
159
ción de la planta incluyendo el Plan de Gestión Ambiental. En tal entre les deux ministres, le 2 mars 2004, était destiné à faire respecter la
sentido, la CARU recibirá los Planes de Gestión Ambiental para la procédure prévue par le statut de 1975 et à réintroduire ainsi le projet
construcción y operación de la planta que presente la empresa al CMB (ENCE) au sein de la CARU, mettant fin au différend relatif à la
gobierno uruguayo una vez que le sean remitidos por la delegación compétence de la CARU pour connaître du projet. L’Argentine aurait
uruguaya. » (Les italiques sont dans l’original.) réitéré devant les instances de la CARU n’avoir pas renoncé aux droits
qu’elle tenait de l’article 7, même si elle a accepté que le différend qui
L’Argentine et l’Uruguay ont respectivement fourni à la Cour une tra- l’opposait à ce sujet à l’Uruguay aurait pu s’éteindre si la procédure
duction française et une traduction anglaise de ce procès-verbal. Compte envisagée dans l’« arrangement » du 2 mars 2004 avait été menée à son
tenu des divergences existant entre ces deux traductions, la Cour utilisera terme.
la traduction suivante : Or, selon l’Argentine, l’Uruguay n’a jamais transmis à la CARU les
« II) Le 2 mars 2004, les ministres des affaires étrangères de informations requises, comme il s’y était engagé dans l’« arrangement »
l’Argentine et de l’Uruguay se sont entendus quant à la façon de du 2 mars 2004. Elle a rejeté par ailleurs l’extension de l’« arrangement »
procéder en la matière, à savoir que le Gouvernement uruguayen du 2 mars 2004 à l’usine Orion (Botnia) ; la mention des deux futures
fournira l’information relative à la construction de l’usine et que, usines par le plan PROCEL ne signifierait nullement, selon elle, la renon-
s’agissant de la phase opérationnelle, la CARU procédera au suivi ciation au respect de la procédure prévue par le statut de 1975.
de la qualité des eaux conformément à son statut. 128. La Cour relève tout d’abord que, si l’existence de l’« arrange-
ment » du 2 mars 2004, consigné au procès-verbal de la CARU, n’a pas
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . été contestée par les Parties, celles-ci s’opposent, en revanche, sur son
I) Les deux délégations ont réaffirmé l’arrangement auquel étaient contenu et sa portée. Quels que soient sa dénomination particulière et
parvenus les ministres des affaires étrangères de la République argen- l’instrument dans lequel il est consigné (le procès-verbal de la commis-
tine et de la République orientale de l’Uruguay le 2 mars 2004, en sion), cet « arrangement » liait les Parties dans la mesure où elles y avaient
vertu duquel l’Uruguay communiquera les informations relatives à consenti, et elles devaient s’y conformer de bonne foi. Celles-ci étaient
la construction de l’usine, parmi lesquelles le plan de gestion envi- habilitées à s’écarter des procédures prévues par le statut de 1975, à
ronnementale. Il s’ensuit que la CARU recevra les plans de gestion envi- l’occasion d’un projet donné, par l’effet d’un accord bilatéral approprié.
51 52
63 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 64 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
La Cour rappelle que les Parties divergent sur la question de savoir si la Le Groupe mentionné ... doit produire un premier rapport dans
procédure pour la communication de l’information prévue par l’« arran- un délai de 180 jours. »
gement » devait, si elle était appliquée, se substituer à celle prévue par le
statut de 1975. Quoi qu’il en soit, une telle substitution était conditionnée 133. L’Uruguay considère ce communiqué de presse comme un accord
par le respect, de la part de l’Uruguay, de la nouvelle procédure prévue liant les deux Etats, par lequel ils ont décidé de faire du GTAN l’organe
par l’« arrangement ». au sein duquel se tiendraient les négociations directes entre les Parties,
129. La Cour constate que l’information que l’Uruguay avait accepté prévues par l’article 12 du statut de 1975, puisqu’il est destiné à l’analyse
de communiquer à la CARU dans l’« arrangement » du 2 mars 2004 ne l’a des effets sur l’environnement du « fonctionnement des usines de pâte à
jamais été. Par conséquent, la Cour ne saurait accueillir la prétention de papier que l’on construit dans la République orientale de l’Uruguay ».
l’Uruguay selon laquelle l’« arrangement » aurait mis un terme au diffé- L’Uruguay en déduit que les Parties étaient d’accord sur la construction
rend relatif à l’usine CMB (ENCE) qui l’opposait à l’Argentine, concer- des usines et qu’elles avaient circonscrit le litige, entre elles, aux risques
nant la mise en œuvre de la procédure prévue à l’article 7 du statut environnementaux engendrés par leur fonctionnement. L’Uruguay en
de 1975. veut pour preuve la saisine de la Cour sur la base de l’article 12 du statut,
130. Par ailleurs, la Cour observe que, lorsque cet « arrangement » est qui permet à chacune des Parties de s’adresser à la Cour au cas où les
intervenu, il n’était question que du projet CMB (ENCE) et que, dès lors, négociations, au terme du délai de cent quatre-vingts jours, n’aboutissent
il ne peut s’étendre, comme l’a prétendu l’Uruguay, au projet Orion (Bot- pas.
nia). Les deux usines n’ont été mentionnées qu’à partir de juillet 2004, Ainsi, selon l’Uruguay, l’accord contenu dans le communiqué de presse
dans le cadre du plan PROCEL. Or, ce plan ne concerne que les mesures du 31 mai 2005, en ouvrant la voie aux négociations directes prévues à
de suivi et de contrôle de la qualité environnementale des eaux du fleuve l’article 12, a couvert toutes les irrégularités éventuelles de procédure
dans les zones des usines de pâte à papier, mais non les procédures de relatives aux articles 7 et suivants du statut de 1975. L’Uruguay rappelle
l’article 7 du statut de 1975. qu’il a communiqué à l’Argentine, au cours des douze réunions que le
131. La Cour conclut que l’« arrangement » du 2 mars 2004 n’aurait eu GTAN a tenues, toutes les informations nécessaires, et qu’il a transmis le
pour effet d’exonérer l’Uruguay des obligations lui incombant en vertu projet portuaire d’Orion (Botnia) à la CARU, comme convenu par les
160
de l’article 7 du statut de 1975, si tel était l’objectif de cet « arrangement », Parties lors de la première réunion du GTAN.
que si l’Uruguay s’y était conformé. De l’avis de la Cour, tel n’a pas été 134. L’Uruguay fait observer, par ailleurs, que le statut de 1975 est
le cas. En conséquence, cet « arrangement » ne peut être considéré comme silencieux sur le point de savoir si l’Etat d’origine du projet peut ou non
ayant eu pour effet de dispenser l’Uruguay du respect des obligations de le mettre en œuvre alors que les négociations sont en cours. Il admet
nature procédurale prévues par le statut de 1975. qu’en vertu du droit international l’Etat d’origine doit s’abstenir de le
faire au cours de cette période de négociation, mais il estime que cela ne
concerne pas tous les travaux et qu’en particulier les travaux prépara-
2. L’accord créant le Groupe technique de haut niveau (GTAN) toires sont autorisés. L’Uruguay admet avoir procédé à de tels travaux,
notamment à la construction des fondations de l’usine Orion (Botnia),
mais il ne s’agirait pas, selon lui, de faits accomplis empêchant les négo-
132. La Cour note que, donnant suite à l’accord intervenu le 5 mai 2005 ciations d’aboutir. L’Uruguay considère, au demeurant, qu’il n’avait
entre les présidents de l’Argentine et de l’Uruguay (voir paragraphe 40 aucune obligation juridique de suspendre ne serait-ce qu’une partie des
ci-dessus), les ministères des affaires étrangères des deux Etats ont publié travaux du port.
le 31 mai 2005 un communiqué de presse annonçant la création du 135. L’Argentine estime qu’il ne peut être déduit des termes du com-
Groupe technique de haut niveau, que les Parties désignent sous l’abré- muniqué de presse du 31 mai 2005 une quelconque acceptation, de
viation « GTAN ». Aux termes de ce communiqué : sa part, de la construction des usines litigieuses. Elle affirme qu’en
« Suivant ce qui a été convenu entre MM. les Présidents de la créant le GTAN les Parties n’ont pas décidé de le substituer à la CARU,
République argentine et de la République orientale de l’Uruguay, les mais l’ont conçu comme une enceinte de négociation coexistant avec
ministères des affaires étrangères des deux pays constituent, sous celle-ci.
leur supervision, un groupe de techniciens, pour complément Contrairement à l’Uruguay, l’Argentine soutient que la Cour est saisie
d’études et d’analyses, d’échanges d’information et de suivi des en cette affaire sur la base de l’article 60 et non de l’article 12 du statut
conséquences qu’aura, sur l’écosystème du fleuve qu’ils partagent, de 1975, parce que l’Uruguay, par son comportement, a empêché qu’elle
le fonctionnement des usines de pâte à papier que l’on construit dans puisse l’être sur ce dernier fondement, dans la mesure où il aurait ignoré
la République orientale de l’Uruguay. toute la procédure du chapitre II du statut. Il appartiendrait ainsi à la
53 54
65 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 66 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
Cour, selon l’Argentine, de se prononcer sur l’ensemble des violations du du fleuve ou à la qualité de ses eaux, les raisons techniques qui per-
statut de 1975, y compris, mais pas seulement, sur l’autorisation de cons- mettent d’arriver à cette conclusion et les modifications qu’elle sug-
truction des usines litigieuses. gère d’apporter au projet ou au programme d’opérations ».
136. L’Argentine soutient que l’Uruguay, par son comportement, a
fait avorter les procédures prévues aux articles 7 à 9 du statut de 1975 et La Cour est consciente de ce que la négociation prévue à l’article 12 du
qu’il a, au cours de la période de négociation ouverte au sein du GTAN, statut de 1975 s’intègre dans l’ensemble de la procédure prévue aux arti-
poursuivi les travaux de construction de l’usine Orion (Botnia) et com- cles 7 à 12, qui est articulée de telle manière que les parties, en relation
mencé la construction du terminal portuaire. Pendant le même temps, avec la CARU, soient en mesure, au terme du processus, de s’acquitter de
l’Argentine réitérait, au sein de la CARU, la nécessité pour l’Uruguay de leur obligation de prévenir tout préjudice sensible transfrontière suscep-
s’acquitter des obligations de nature procédurale lui incombant en vertu tible d’être généré par des activités potentiellement nocives projetées par
des articles 7 à 12 du statut, et de suspendre les travaux. l’une d’elles.
L’Argentine rejette enfin l’allégation de l’Uruguay selon laquelle les 140. La Cour considère, en conséquence, que l’accord créant le GTAN,
travaux sur les fondations de l’usine Orion (Botnia), la cheminée et le s’il établit effectivement une instance de négociation à même de permettre
port n’auraient eu qu’un caractère préliminaire et ne pouvaient être aux Parties de poursuivre le même objectif que celui prévu à l’article 12
considérés comme étant le commencement des travaux de construction du statut de 1975, ne peut être interprété comme exprimant l’accord des
au sens propre. Pour l’Argentine, une telle distinction n’a pas lieu d’être Parties pour déroger à d’autres obligations de nature procédurale prévues
et ne peut être justifiée par la nature des travaux entrepris. par le statut.
137. La Cour souligne tout d’abord qu’il n’y a pas lieu de distinguer, 141. Dès lors, selon la Cour, l’Argentine, en acceptant la création du
comme l’ont fait respectivement l’Uruguay et l’Argentine pour les besoins GTAN, n’a pas renoncé, comme le prétend l’Uruguay, aux autres droits
de leur cause, entre sa saisine sur la base de l’article 12 et sa saisine sur la de nature procédurale que lui reconnaît le statut de 1975, ni à invoquer la
base de l’article 60 du statut de 1975. Certes, l’article 12 prévoit le recours responsabilité de l’Uruguay du fait de leur violation éventuelle. En effet,
à la procédure prévue au chapitre XV au cas où les négociations n’abou- l’Argentine n’a pas renoncé, dans l’accord créant le GTAN, aux droits
tissent pas dans le délai de cent quatre-vingts jours, mais sa fonction qu’elle tient du statut, « de manière claire et non équivoque » (Certaines
161
s’arrête là. L’article 60 prend ensuite le relais, en particulier son pre- terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions prélimi-
mier alinéa, qui permet à l’une ou l’autre Partie de soumettre à la Cour naires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 247, par. 13). Elle n’a pas non plus
tout différend concernant l’interprétation ou l’application du statut consenti à suspendre l’application des dispositions procédurales du sta-
qui ne pourrait être réglé par la négociation directe. Cette formu- tut. En effet, selon l’article 57 de la convention de Vienne du 23 mai 1969
lation couvre aussi bien un différend portant sur l’application et sur le droit des traités, relatif à la « suspension de l’application d’un
l’interprétation de l’article 12 que sur toute autre disposition du statut traité », y compris, selon le commentaire de la Commission du droit inter-
de 1975. national, « la suspension de l’application de certaines de ses dispositions »
138. La Cour note que le communiqué de presse du 31 mai 2005 est (Annuaire de la Commission du droit international, 1966, vol. II, p. 274),
l’expression d’un accord entre les deux Etats pour créer un cadre de négo- la suspension n’est possible que « conformément à une disposition du
ciation, le GTAN, afin d’étudier, analyser et échanger les informations traité » ou « par consentement des parties ».
sur les effets que le fonctionnement des usines de pâte à papier que l’on 142. La Cour observe, d’autre part, que l’accord créant le GTAN, en
construisait dans la République orientale de l’Uruguay pouvait avoir sur se référant aux « usines de pâte à papier que l’on construit dans la Répu-
l’écosystème du fleuve partagé, « le groupe [devant] produire un premier blique orientale de l’Uruguay », constate un simple fait et ne peut être
rapport dans un délai de 180 jours ». interprété, ainsi que le prétend l’Uruguay, comme une acceptation de
139. La Cour admet que le GTAN a été créé dans le but de permettre cette construction par l’Argentine.
aux négociations prévues, également pour une durée de cent quatre- 143. La Cour considère que l’Uruguay n’avait le droit, pendant toute
vingts jours, à l’article 12 du statut de 1975 d’avoir lieu. Ces négociations la période de consultation et de négociation prévue aux articles 7 à 12 du
entre les parties, pour parvenir à un accord, interviennent une fois que la statut de 1975, ni d’autoriser la construction ni de construire les usines
partie destinataire de la notification a adressé, conformément à l’ar- projetées et le terminal portuaire. En effet, il serait contraire à l’objet et
ticle 11, une communication à l’autre partie, par l’intermédiaire de la au but du statut de 1975 de procéder aux activités litigieuses avant
commission, précisant d’avoir appliqué les procédures prévues par les « mécanismes communs
nécessaires à l’utilisation rationnelle et optimale du fleuve » (article pre-
« quels sont les aspects de l’ouvrage ou du programme d’opérations mier). L’article 9 prévoit cependant que, « [s]i la partie notifiée ne formule
qui peuvent causer un préjudice sensible à la navigation, au régime pas d’objections ou ne répond pas dans le délai prévu à l’article 8
55 56
67 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 68 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
[cent quatre-vingts jours], l’autre partie peut construire ou autoriser la Fray Bentos avant la fin de la période de négociation, l’Uruguay n’a pas
construction de l’ouvrage projeté ». respecté l’obligation de négocier prévue à l’article 12 du statut. Il en
144. Il en découle, selon la Cour, que, tant que se déroule le méca- résulte que l’Uruguay a méconnu l’ensemble du mécanisme de coopéra-
nisme de coopération entre les parties pour prévenir un préjudice sensible tion prévu par les articles 7 à 12 du statut de 1975.
au détriment de l’une d’elles, l’Etat d’origine de l’activité projetée est tenu 150. Etant donné que « l’engagement de négocier n’implique pas celui
de ne pas autoriser sa construction et a fortiori de ne pas y procéder. de s’entendre » (Trafic ferroviaire entre la Lithuanie et la Pologne, avis
consultatif, 1931, C.P.J.I. série A/B no 42, p. 116), il reste à la Cour à
145. La Cour relève, en outre, que le statut de 1975 s’inscrit parfaite- examiner si l’Etat d’origine du projet est tenu à certaines obligations
ment dans le cadre des exigences du droit international en la matière, dès après l’expiration de la période de négociation prévue à l’article 12.
lors que le mécanisme de coopération entre Etats est régi par le principe
de la bonne foi. En effet, selon le droit international coutumier, reflété à
l’article 26 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, D. Les obligations de l’Uruguay après l’expiration
« [t]out traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de de la période de négociation
bonne foi ». Cela s’applique à toutes les obligations établies par un traité,
y compris les obligations de nature procédurale, essentielles à la coopé- 151. L’article 12 renvoie les Parties, dans l’hypothèse où elles n’abou-
ration entre Etats. La Cour a rappelé, dans les affaires des Essais tissent pas à un accord dans un délai de cent quatre-vingts jours, à
nucléaires (Australie c. France) (Nouvelle-Zélande c. France), ce qui suit : l’application de la procédure indiquée au chapitre XV.
Le chapitre XV comporte un article unique, l’article 60, selon lequel :
« L’un des principes de base qui président à la création et à l’exé-
cution d’obligations juridiques, quelle qu’en soit la source, est celui « Tout différend concernant l’interprétation ou l’application du
de la bonne foi. La confiance réciproque est une condition inhérente traité et du statut qui ne pourrait être réglé par négociation directe
de la coopération internationale... » (Arrêts, C.I.J. Recueil 1974, peut être soumis par l’une ou l’autre des parties à la Cour interna-
p. 268, par. 46, et p. 473, par. 49 ; voir également Actions armées tionale de Justice.
frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compé- Dans les cas visés aux articles 58 et 59, l’une ou l’autre des parties
162
tence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 105, par. 94.) peut soumettre tout différend sur l’interprétation ou l’application du
traité et du statut à la Cour internationale de Justice lorsque ledit
146. La Cour a par ailleurs eu l’occasion de mettre l’accent sur les
différend n’a pas pu être réglé dans un délai de 180 jours à compter
caractéristiques de l’obligation de négocier et sur le comportement qu’elle
de la notification prévue à l’article 59. »
prescrit aux Etats concernés : « les parties ont l’obligation de se comporter
de telle manière que la négociation ait un sens » (Plateau continental de la 152. Le statut de 1975, selon l’Uruguay, ne reconnaît pas à l’une des
mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République parties un « droit de veto » sur les projets initiés par l’autre. L’Uruguay
fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 47, estime qu’il n’existe aucune « obligation de non-construction » qui pèse-
par. 85). rait sur l’Etat d’origine des projets jusqu’à ce que la Cour, une fois saisie,
147. Le mécanisme de coopération prévu par les articles 7 à 12 du sta- se soit prononcée. L’existence d’une telle obligation, souligne l’Uruguay,
tut de 1975 n’aurait pas de sens, de l’avis de la Cour, si la partie d’origine permettrait à une partie de bloquer un projet vital pour le développement
de l’activité projetée autorisait celle-ci ou la mettait en œuvre sans atten- durable de l’autre partie, ce qui serait incompatible avec « l’utilisation
dre que ce mécanisme soit mené à son terme. En effet, si tel était le cas, rationnelle et optimale du fleuve ». Au contraire, pour l’Uruguay,
les négociations entre les parties n’auraient plus d’objet. en l’absence de disposition particulière dans le statut, il convient
d’en revenir au droit international général, que refléterait le projet
148. A cet égard, les travaux préliminaires des usines de pâte à papier d’articles de la Commission du droit international de 2001 sur la
sur des sites approuvés uniquement par l’Uruguay ne font pas exception, prévention des dommages transfrontières résultant d’activités dange-
contrairement à ce que prétend cet Etat. Ces travaux font en effet partie reuses (Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II,
intégrante de la construction des usines projetées (voir paragraphes 39 deuxième partie), en particulier l’alinéa 3 de l’article 9 de ce projet,
et 42 ci-dessus). relatif aux « consultations sur les mesures préventives », selon lequel
149. La Cour conclut de ce qui précède que l’accord créant le GTAN « si les consultations ... ne permettent pas d’aboutir à une solution
n’a pas permis à l’Uruguay de déroger à ses obligations d’informer et de concertée, l’Etat d’origine tient néanmoins compte des intérêts de
notifier, conformément à l’article 7 du statut de 1975, et que, en auto- l’Etat susceptible d’être affecté s’il décide d’autoriser la poursuite de
risant la construction des usines ainsi que du terminal portuaire de l’activité... ».
57 58
69 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 70 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
153. L’Argentine, au contraire, soutient que l’article 12 du statut de droits figure celui de mettre en œuvre le projet, sous la seule responsabi-
1975 fait de la Cour le décideur final lorsque les parties n’aboutissent pas lité de cette partie, dans la mesure où la période de négociation a expiré.
à un accord dans le délai de cent quatre-vingts jours à compter de la com- 156. La Cour avait considéré, dans son ordonnance du 13 juillet 2006,
munication visée à l’article 11. Il résulterait de l’article 9 du statut, inter- que « la construction des usines sur le site actuel ne p[ouvait] être réputée
prété à la lumière des articles 11 et 12, et compte tenu de son objet et de constituer un fait accompli » (Usines de pâte à papier sur le fleuve Uru-
son but, que, si la partie à laquelle la notification est adressée formule une guay (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires, ordonnance du
objection, l’autre partie ne pourrait ni construire l’ouvrage en question ni 13 juillet 2006, C.I.J. Recueil 2006, p. 133, par. 78). Ainsi, en statuant au
autoriser sa construction, aussi longtemps que la procédure prévue aux fond sur le différend qui oppose les deux Parties, la Cour est l’ultime
articles 7 à 12 n’aurait pas été achevée et que la Cour ne se serait pas garant du respect par celles-ci du statut de 1975.
prononcée sur le projet. L’Argentine considère ainsi que, pendant la pro- 157. La Cour conclut de ce qui précède qu’aucune « obligation de non-
cédure de règlement du différend devant la Cour, l’Etat qui projette de construction » ne pesait sur l’Uruguay après que la période de négocia-
construire l’ouvrage ne peut mettre l’autre Partie devant le fait accompli tion prévue par l’article 12 a expiré, soit le 3 février 2006, les Parties ayant
de sa construction. constaté à cette date l’échec des négociations entreprises dans le cadre du
En ce qui concerne la question du « veto », elle serait, selon l’Argentine, GTAN (voir paragraphe 40). En conséquence, le comportement illicite de
mal posée par l’Uruguay, car ni l’une ni l’autre des parties ne pourrait l’Uruguay (constaté au paragraphe 149 ci-dessus) ne pouvait s’étendre
imposer sa position sur la construction et il reviendrait en définitive à la au-delà de cette date.
Cour de trancher, en cas de désaccord, par une décision revêtue de l’auto- 158. La Cour ayant établi que l’Uruguay a violé ses obligations de
rité de la chose jugée. En quelque sorte, l’Uruguay n’aurait d’autre choix, nature procédurale d’informer, de notifier et de négocier dans la mesure
selon l’Argentine, que de parvenir à un accord avec elle ou d’attendre le et pour les raisons exposées ci-dessus, elle se penchera à présent sur la
règlement du différend. En poursuivant la construction et la mise en ser- question du respect par cet Etat des obligations de fond prescrites par le
vice de l’usine et du port d’Orion (Botnia), l’Uruguay commet, selon statut de 1975.
l’Argentine, une violation continue des obligations de nature procédurale
résultant du chapitre II du statut de 1975. * *
163
154. La Cour observe que la prétendue « obligation de non-construc-
tion », qui pèserait sur l’Uruguay entre la fin de la période de négociation
et la décision de la Cour, ne figure pas expressément dans le statut de IV. LES OBLIGATIONS DE FOND
1975 et ne découle pas davantage de ses dispositions. L’article 9 ne pré-
voit une telle obligation que pendant la mise en œuvre de la procédure 159. Avant d’examiner les violations alléguées des obligations de
prévue aux articles 7 à 12 du statut. fond découlant du statut de 1975, la Cour traitera de deux questions
En outre, le statut ne prévoit pas que, en cas de désaccord persistant préliminaires, à savoir la charge de la preuve et la preuve par
entre les parties sur l’activité projetée au terme de la période de négocia- expertise.
tion, il reviendrait à la Cour, saisie par l’Etat concerné, comme le prétend
l’Argentine, d’autoriser ou non l’activité en question. La Cour souligne A. La charge de la preuve et la preuve par expertise
que, si le statut de 1975 lui confère compétence pour le règlement de tout
différend relatif à son application et à son interprétation, il ne l’investit 160. L’Argentine soutient que l’approche de précaution adoptée dans
pas pour autant de la fonction d’autoriser ou non en dernier ressort le statut de 1975 a pour effet de « transfér[er] la charge de la preuve à
les activités projetées. Par conséquent, l’Etat d’origine du projet peut, à la l’Uruguay, [de telle sorte que ce serait à lui de démontrer] que l’usine de
fin de la période de négociation, procéder à la construction à ses pâte à papier Orion (Botnia) ne cause pas de dommages significatifs à
propres risques. l’environnement ». Elle affirme également que la charge de la preuve
La Cour ne peut retenir l’interprétation de l’article 9 selon laquelle ne devrait pas peser sur elle seule, en tant qu’Etat demandeur, car, selon
toute construction serait interdite jusqu’à ce qu’elle se soit prononcée en elle, le statut de 1975 impose aux deux Parties une obligation égale de
vertu des articles 12 et 60. convaincre — l’une, de l’innocuité du projet, l’autre, de sa nocivité.
155. L’article 12 ne met pas à la charge des parties une obligation de 161. L’Uruguay estime au contraire que, conformément à la jurispru-
saisir la Cour mais leur donne plutôt la possibilité de le faire, après l’expi- dence bien établie de la Cour, c’est à l’Argentine, Etat demandeur,
ration de la période de négociation. Ainsi, l’article 12 n’est pas suscep- qu’incombe la charge de la preuve, mais que, quand bien même la posi-
tible de modifier les droits et obligations de la partie intéressée, tant que tion argentine relative au transfert de la charge de la preuve serait fondée
la Cour n’a pas statué définitivement à leur sujet. Selon la Cour, parmi ces en droit, cela ne changerait rien, étant donné la faiblesse manifeste de
59 60
71 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 72 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
l’argumentation de l’Argentine sur le fond et le nombre d’éléments de sentés devant la Cour comme conseils de l’une ou l’autre Partie pour
preuve émanant de sources indépendantes que l’Uruguay a soumis à la fournir des éléments de preuve.
Cour. Il conteste également avec force l’argument de l’Argentine selon 166. Les Parties sont néanmoins divisées sur l’autorité et la fiabilité des
lequel l’approche de précaution adoptée dans le statut de 1975 aurait études et rapports versés au dossier, qui ont été établis par leurs experts et
pour effet de transférer la charge de la preuve, invoquant l’absence de consultants respectifs, d’une part, et par ceux de la SFI, d’autre part, et
toute disposition conventionnelle expresse en ce sens, et rejette de même qui contiennent bien souvent des affirmations et des conclusions contra-
l’idée avancée par l’Argentine selon laquelle le statut ferait peser la dictoires. Répondant à une question posée par un juge, l’Argentine a
charge de la preuve à égalité sur les deux Parties. affirmé que le poids à leur accorder devait être déterminé en fonction non
162. Tout d’abord, la Cour considère que, selon le principe bien établi seulement de l’« indépendance » de l’auteur, qui devait n’avoir aucun inté-
onus probandi incumbit actori, c’est à la partie qui avance certains faits rêt personnel à ce que l’affaire fût tranchée dans un sens ou un autre et ne
d’en démontrer l’existence. Ce principe, confirmé par la Cour à maintes devait pas être fonctionnaire du gouvernement, mais aussi des caractéris-
reprises (Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), tiques du document lui-même, en particulier du soin avec lequel l’analyse
arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 86, par. 68 ; Souveraineté sur Pedra Branca/ avait été réalisée, de son exhaustivité, de l’exactitude des données utili-
Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour), sées, et de la clarté et de la cohérence des conclusions tirées de celles-ci.
arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 31, par. 45 ; Application de la conven- Dans sa réponse à la même question, l’Uruguay a soutenu que les rap-
tion pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie- ports élaborés par des experts engagés aux fins de l’instance et versés au
Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), dossier ne devaient pas être considérés comme établis de façon indépen-
p. 128, par. 204 ; Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua dante et devaient être traités avec circonspection, contrairement aux
et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compé- déclarations et analyses d’experts publiées par une organisation inter-
tence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 437, par. 101), nationale compétente telle la SFI ou celles publiées par les consultants
s’applique aux faits avancés aussi bien par le demandeur que par le engagés par ladite organisation, qui, elles, devaient être considérées
défendeur. comme émanant d’une source indépendante et se voir accorder un
« poids spécial ».
164
163. Le demandeur doit naturellement commencer par soumettre les 167. La Cour a prêté la plus grande attention aux éléments qui lui ont
éléments de preuve pertinents pour étayer sa thèse. Cela ne signifie pas été soumis par les Parties, ainsi qu’il ressortira de son examen des élé-
pour autant que le défendeur ne devrait pas coopérer en produisant tout ments de preuve ci-après relatifs aux violations alléguées des obligations
élément de preuve en sa possession susceptible d’aider la Cour à régler le de fond. S’agissant des experts qui sont intervenus à l’audience en qualité
différend dont elle est saisie. de conseils, la Cour aurait trouvé plus utile que les Parties, au lieu de les
164. Quant aux arguments avancés par l’Argentine concernant le ren- inclure à ce titre dans leurs délégations respectives, les présentent en tant
versement de la charge de la preuve et l’existence, à l’égard de chaque que témoins-experts en vertu des articles 57 et 64 du Règlement de la
Partie, d’une obligation égale de convaincre au titre du statut de 1975, la Cour. Elle considère en effet que les personnes déposant devant elle sur la
Cour considère qu’une approche de précaution, si elle peut se révéler per- base de leurs connaissances scientifiques ou techniques et de leur expé-
tinente pour interpréter et appliquer les dispositions du statut, n’a toute- rience personnelle devraient le faire en qualité d’experts ou de témoins,
fois pas pour effet d’opérer un renversement de la charge de la preuve ; voire, dans certains cas, à ces deux titres à la fois, mais non comme
elle considère également que rien dans le statut de 1975 lui-même ne per- conseils, afin de pouvoir répondre aux questions de la partie adverse ainsi
met de conclure que celui-ci ferait peser la charge de la preuve de façon qu’à celles de la Cour elle-même.
égale sur les deux Parties. 168. Quant à l’indépendance de ces experts, la Cour n’estime pas
nécessaire, pour statuer en l’espèce, de s’engager dans un débat général
* sur la valeur, la fiabilité et l’autorité relatives des documents et études éla-
borés par les experts et les consultants des Parties. Elle doit seulement
165. La Cour examinera à présent la question de la preuve par exper- garder à l’esprit que, si volumineuses et complexes que soient les
tise. L’Argentine et l’Uruguay ont tous deux soumis à la Cour une grande informations factuelles qui lui ont été soumises, il lui incombe, au
quantité d’informations factuelles et scientifiques à l’appui de leurs pré- terme d’un examen attentif de l’ensemble des éléments soumis par
tentions respectives. Ils ont également produit des rapports et des études les Parties, de déterminer quels faits sont à prendre en considération,
établis par les experts et les consultants qu’ils ont engagés, ainsi que par d’en apprécier la force probante et d’en tirer les conclusions
ceux engagés par la Société financière internationale en sa qualité de appropriées. Ainsi, fidèle à sa pratique, la Cour se prononcera sur les
bailleur de fonds du projet. Certains de ces experts se sont également pré- faits, en se fondant sur les éléments de preuve qui lui ont été pré-
61 62
73 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 74 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
sentés, puis appliquera les règles pertinentes du droit international tions prescrites par le statut aux fins de la protection de l’environnement
à ceux qu’elle aura jugés avérés. et de la gestion conjointe de cette ressource partagée. Cet objectif doit
aussi être poursuivi par le biais de la CARU, qui constitue le « mécanisme
B. Les violations alléguées des obligations de fond commun » nécessaire à sa réalisation, ainsi que par le biais des règles
adoptées par cette commission et des normes et mesures adoptées par les
169. La Cour examinera maintenant les violations alléguées des obli- Parties.
gations de fond découlant du statut de 1975 commises par l’Uruguay en 174. La Cour rappellera que les Parties ont conclu le traité contenant
autorisant la construction et la mise en service de l’usine Orion (Botnia). le statut de 1975 en application de l’article 7 du traité de 1961, qui leur
En particulier, l’Argentine affirme que l’Uruguay a violé les obligations faisait obligation d’établir conjointement un code de l’utilisation du
que lui imposent les articles premier, 27, 35, 36 et 41, alinéa a), du statut fleuve comprenant, entre autres, des dispositions visant à prévenir la pol-
de 1975 ainsi que d’« autres obligations découlant du droit international lution et à protéger et préserver le milieu aquatique. Ainsi, l’utilisation
général, conventionnel et coutumier, ... nécessaires à l’application [de ce] rationnelle et optimale des eaux du fleuve peut être considérée comme la
statut... ». L’Uruguay rejette ces allégations. Il considère par ailleurs que pierre angulaire du système de coopération institué par le statut de 1975
l’article 27 du statut de 1975 autorise les parties à utiliser les eaux du et du mécanisme commun destiné à assurer cette coopération.
fleuve à des fins ménagères, sanitaires, industrielles et agricoles. 175. La Cour considère que, pour parvenir à une utilisation ration-
nelle et optimale, un équilibre doit être trouvé entre, d’une part, les droits
1. L’obligation de contribuer à l’utilisation rationnelle et optimale du et les besoins des Parties concernant l’utilisation du fleuve à des fins éco-
fleuve (article premier) nomiques et commerciales et, d’autre part, l’obligation de protéger celui-ci
de tout dommage à l’environnement susceptible d’être causé par de telles
170. Selon l’Argentine, l’Uruguay a violé son obligation de contribuer activités. Cette nécessité d’assurer un tel équilibre ressort de plusieurs dis-
à l’« utilisation rationnelle et optimale du fleuve » en manquant de la positions du statut de 1975 établissant les droits et obligations des Parties,
consulter sur les actions propres à éviter une modification de l’équilibre telles que les articles 27, 36 et 41. La Cour appréciera donc le compor-
écologique, et de prendre les mesures nécessaires pour empêcher une pol- tement de l’Uruguay en ce qui concerne l’autorisation de la construction
165
lution. L’Argentine fait également valoir que, pour interpréter le statut et de la mise en service de l’usine Orion (Botnia) à la lumière de ces dis-
de 1975 (en particulier ses articles 27, 35 et 36) selon le principe de l’uti- positions du statut, et des droits et obligations énoncés dans celles-ci.
lisation équitable et raisonnable, il faut tenir compte de toutes les utilisa- 176. La Cour a déjà examiné aux paragraphes 84 à 93 ci-dessus le rôle
tions préalables et légitimes du fleuve, y compris son utilisation à des fins de la CARU par rapport aux obligations de nature procédurale établies
récréatives et touristiques. dans le statut de 1975. En plus de son rôle à cet égard, les fonctions de la
171. Pour l’Uruguay, l’objet et le but du statut de 1975 sont d’organi- CARU concernent presque tous les aspects de la mise en œuvre des dis-
ser la coopération entre les Parties par l’intermédiaire de la CARU au positions de fond du statut de 1975. Les fonctions de réglementation de la
service de leur objectif commun, celui d’assurer une utilisation équitable commission dans le domaine de la conservation et de la préservation des
et durable des eaux et des ressources biologiques du fleuve. L’Uruguay ressources biologiques, de la prévention et de la surveillance de la pollu-
estime, d’une part, n’avoir contrevenu en rien au principe de l’utilisation tion, ainsi que celles qui concernent la coordination des mesures prises
équitable et raisonnable du fleuve et, d’autre part, que ce principe ne peut par les Parties, revêtent une importance particulière dans la présente
être invoqué pour privilégier des utilisations préalables du fleuve, liées affaire. La Cour les examinera au stade de son analyse des positions des
par exemple au tourisme ou à la pêche, par rapport à de nouvelles utili- Parties sur l’interprétation et l’application des articles 36 et 41 du statut
sations. de 1975.
172. Les Parties sont également en désaccord sur la portée et les impli- 177. Quant à l’article 27, la Cour considère que son libellé reflète non
cations de l’article 27 du statut de 1975 concernant le droit de chacune seulement la nécessité de concilier les intérêts variés des Etats riverains
d’elles d’utiliser les eaux du fleuve, à l’intérieur de sa juridiction, à des fins dans un contexte transfrontière et, en particulier, dans l’utilisation d’une
ménagères, sanitaires, industrielles et agricoles. ressource naturelle partagée, mais aussi celle de trouver un équilibre entre
173. La Cour fait observer que, comme l’indique le titre de son cha- l’utilisation et la protection des eaux du fleuve qui soit conforme à
pitre I, le statut de 1975 expose, en son article premier, le but de cet ins- l’objectif de développement durable. La Cour a déjà examiné les obliga-
trument. En tant que tel, l’article premier éclaire l’interprétation des obli- tions découlant des articles 7 à 12 du statut de 1975 qui, selon l’article 27,
gations de fond mais ne confère pas, en lui-même, de droits ou d’obliga- doivent être respectées par toute partie souhaitant exercer son droit d’uti-
tions spécifiques aux parties. Celles-ci sont tenues de garantir l’utilisation liser les eaux du fleuve pour l’une quelconque des fins y énoncées dès lors
rationnelle et optimale du fleuve Uruguay en se conformant aux obliga- que le régime du fleuve ou la qualité de ses eaux risque de pâtir de cette
63 64
75 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 76 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
utilisation. La Cour tient à ajouter que l’utilisation en question ne pour- de 1975, qui fait obligation aux Parties de coordonner, par l’intermé-
rait être jugée équitable et raisonnable s’il n’était pas tenu compte des diaire de la CARU, les mesures propres à éviter une modification de
intérêts de l’autre Etat riverain à l’égard de la ressource partagée et de la l’équilibre écologique du fleuve. Elle indique que les rejets de l’usine
protection environnementale de cette dernière. Aussi la Cour est-elle Orion (Botnia) ont modifié cet équilibre, et cite à titre d’exemples la pro-
d’avis que l’article 27 traduit ce lien étroit entre l’utilisation équitable et lifération d’algues du 4 février 2009, qui constitue selon elle une preuve
raisonnable d’une ressource partagée et la nécessité de concilier le déve- flagrante d’une telle modification, et les rejets de toxines qui seraient à
loppement économique et la protection de l’environnement qui est au l’origine des malformations observées chez les rotifères dont des photo-
cœur du développement durable. graphies ont été présentées à la Cour.
182. L’Uruguay considère que toute appréciation du comportement
2. L’obligation de veiller à ce que la gestion du sol et des forêts ne cause des Parties en ce qui concerne l’article 36 du statut de 1975 doit tenir
pas un préjudice au régime du fleuve ou à la qualité de ses eaux compte des règles adoptées par la CARU, car cet article, qui crée une
(article 35) obligation de coopération, fait référence à ces règles et n’interdit pas en
soi tel ou tel comportement. L’Uruguay estime que l’usine satisfait plei-
178. A l’article 35 du statut de 1975, les parties : nement aux exigences de la CARU concernant l’équilibre écologique du
fleuve, et conclut qu’il n’a pas agi de manière contraire à l’article 36 du
« s’obligent à adopter les mesures nécessaires pour que la gestion du
statut de 1975.
sol et des forêts, l’utilisation des eaux souterraines et celle des
183. Il est rappelé que, aux termes de l’article 36, « [l]es parties coor-
affluents du fleuve n’entraînent pas de modification causant un
donnent, par l’intermédiaire de la commission, les mesures propres à évi-
préjudice sensible au régime de ce dernier ou à la qualité de ses
ter une modification de l’équilibre écologique et à contenir les fléaux et
eaux ».
autres facteurs nocifs sur le fleuve et dans ses zones d’influence ».
179. L’Argentine soutient que la décision de l’Uruguay de procéder à 184. La Cour est d’avis que les Parties ne sauraient satisfaire à cette
d’importantes plantations d’eucalyptus afin de fournir de la matière pre- obligation isolément, par des actes individuels. Le respect de cette obliga-
mière à l’usine Orion (Botnia) a des incidences non seulement sur la ges- tion exige une action concertée, par l’intermédiaire de la commission.
166
tion des sols et des forêts uruguayennes, mais aussi sur la qualité des eaux Cette obligation est l’expression de la recherche par le statut de 1975 de
du fleuve. Pour sa part, l’Uruguay affirme que l’Argentine n’expose l’intérêt collectif, et reflète l’un des objectifs ayant présidé à la mise en
aucun argument fondé sur la manière dont il gère ses sols et ses forêts place de mécanismes communs, à savoir celui d’assurer une coordination
— et qu’elle « n’a pas non plus formulé d’allégations relatives aux eaux entre les initiatives et mesures prises par les Parties aux fins de la gestion
des affluents ». durable et de la protection environnementale du fleuve. Les Parties ont
180. La Cour fait observer que l’Argentine n’a apporté aucune preuve effectivement coordonné leur action en promulguant, dans le cadre de la
à l’appui de ce qu’elle avance. En outre, l’article 35 concerne la gestion commission, des normes qui figurent aux points E3 et E4 du digeste de la
des sols et des forêts ainsi que l’utilisation des eaux souterraines et des CARU. L’un des objectifs énoncés au point E3 consiste à « [p]rotéger et
affluents, et rien dans les éléments de preuve produits par l’Argentine ne préserver le milieu aquatique et son équilibre écologique ». De même, il
permet de relier directement la façon dont l’Uruguay gère ses sols et ses est indiqué au point E4 que celui-ci a été élaboré « suivant ce qui
forêts, ou utilise les eaux souterraines et les affluents, aux modifications [était] ... établi dans le[s] ... [a]rticles 36, 37, 38 et 39 ».
alléguées de la qualité des eaux du fleuve Uruguay que l’Argentine attri- 185. Selon la Cour, l’article 36 du statut de 1975 vise à empêcher toute
bue à l’usine de pâte à papier Orion (Botnia). De fait, si elle a développé pollution transfrontière susceptible de modifier l’équilibre écologique du
une longue argumentation quant aux effets des rejets de l’usine de pâte à fleuve, en coordonnant l’adoption des mesures nécessaires à cette fin, par
papier sur la qualité des eaux du fleuve, l’Argentine a en revanche été net- l’intermédiaire de la CARU. Il oblige donc les deux Etats à prendre des
tement moins diserte quant à l’effet délétère qu’auraient eu sur la qualité mesures concrètes pour éviter toute modification de l’équilibre écolo-
de ces eaux les opérations de plantation d’eucalyptus effectuées par gique. Ces mesures ne se limitent pas à l’adoption d’un cadre réglemen-
l’Uruguay. La Cour en conclut que l’Argentine n’a pas établi le bien- taire — ce qu’ont fait les Parties par l’intermédiaire de la CARU ; les
fondé de ses allégations sur ce point. deux Parties sont également tenues de respecter et de mettre en œuvre les
mesures ainsi adoptées. Comme la Cour l’a souligné dans l’affaire relative
3. L’obligation de coordonner les mesures propres à éviter une modifi- au Projet Gabčíkovo-Nagymaros :
cation de l’équilibre écologique (article 36)
« dans le domaine de la protection de l’environnement, la vigilance et
181. L’Argentine soutient que l’Uruguay a violé l’article 36 du statut la prévention s’imposent en raison du caractère souvent irréversible
65 66
77 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 78 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
des dommages causés à l’environnement et des limites inhérentes directives et les recommandations des organismes techniques
au mécanisme même de réparation de ce type de dommages » internationaux ;
(Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. b) à ne pas abaisser, dans leurs systèmes juridiques respectifs :
Recueil 1997, p. 78, par. 140). 1) les normes techniques en vigueur pour prévenir la pollution
186. Les Parties divergent encore quant à la nature de l’obligation des eaux, et
énoncée à l’article 36 ; elles s’opposent en particulier sur la question de 2) les pénalités établies pour les infractions ;
savoir s’il s’agit d’une obligation de comportement ou de résultat. c) à s’informer mutuellement des normes qu’elles se proposent
L’Argentine soutient que, suivant leur sens ordinaire, les articles 36 et 41 d’établir en matière de pollution des eaux, en vue d’établir des
du statut de 1975 établissent l’un et l’autre une obligation de résultat. normes équivalentes dans leurs systèmes juridiques respectifs. »
187. La Cour considère que l’obligation formulée à l’article 36 incombe 191. Selon l’Argentine, en autorisant le rejet de nutriments supplémen-
aux deux Parties et leur impose d’adopter un comportement spécifique taires dans un fleuve qui connaît des phénomènes d’eutrophisation,
consistant à prendre les mesures nécessaires de façon coordonnée, par d’inversion de courant et de stagnation, l’Uruguay a violé l’obligation qui
l’intermédiaire de la commission, pour éviter toute modification de l’équi- lui incombe d’empêcher la pollution, faute d’avoir prescrit des mesures
libre écologique. L’obligation d’adopter des mesures réglementaires ou appropriées en ce qui concerne l’usine Orion (Botnia) et respecté les
administratives, que ce soit de manière individuelle ou conjointe, et de les accords internationaux en matière d’environnement applicables, notam-
mettre en œuvre constitue une obligation de comportement. Les deux ment la convention sur la diversité biologique et la convention de Ram-
Parties doivent donc, en application de l’article 36, faire preuve de la dili- sar. Elle soutient que le statut de 1975 interdit toute pollution portant
gence requise (« due diligence ») en agissant dans le cadre de la commis- atteinte à la protection et à la préservation du milieu aquatique ou modi-
sion pour prendre les mesures nécessaires à la préservation de l’équilibre fiant l’équilibre écologique du fleuve. L’Argentine affirme en outre que
écologique du fleuve. l’obligation d’empêcher la pollution du fleuve est une obligation de résul-
188. Cette vigilance et cette prévention sont particulièrement impor- tat et qu’elle ne porte pas seulement sur la protection du milieu aquatique
tantes lorsqu’il s’agit de préserver l’équilibre écologique puisque les effets proprement dit, mais s’étend également à toute utilisation raisonnable et
négatifs des activités humaines sur les eaux du fleuve risquent de toucher
167
légitime du fleuve, y compris au tourisme et aux autres usages récréatifs.
d’autres composantes de l’écosystème du cours d’eau, telles que sa flore, 192. L’Uruguay soutient que l’obligation d’« empêcher la pollution »
sa faune et son lit. L’obligation de coordonner, par l’intermédiaire de la énoncée à l’alinéa a) de l’article 41 du statut de 1975 n’emporte pas
commission, l’adoption des mesures nécessaires, ainsi que la mise en l’interdiction de tout déversement dans le fleuve. Seuls les rejets supé-
application et le respect de ces mesures, jouent dans ce contexte un rôle rieurs aux limites fixées conjointement par les Parties au sein de la
central dans le système global de protection du fleuve Uruguay établi par CARU, conformément à leurs obligations internationales, et qui ont
le statut de 1975. Il est dès lors d’une importance cruciale que les Parties pour cette raison des effets préjudiciables, sont susceptibles d’être quali-
respectent cette obligation. fiés de « pollution » au sens de l’article 40 du statut de 1975. De surcroît,
189. La Cour conclut des développements qui précèdent que l’Argen- l’Uruguay estime que l’article 41 crée une obligation de comportement, et
tine n’a pas démontré de manière convaincante que l’Uruguay a refusé de non de résultat, mais que, de fait, cela importe peu puisqu’il s’est acquitté
prendre part aux efforts de coordination prévus par l’article 36, en viola- de son devoir d’empêcher la pollution en exigeant de l’usine qu’elle
tion de celui-ci. réponde aux normes relatives aux meilleures techniques disponibles.
193. Avant d’en venir à l’analyse de l’article 41, la Cour rappelle ce qui
4. L’obligation d’empêcher la pollution et de préserver le milieu aqua- suit :
tique (article 41)
« L’obligation générale qu’ont les Etats de veiller à ce que les acti-
vités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle
190. L’article 41 est ainsi libellé :
respectent l’environnement dans d’autres Etats ou dans des zones ne
« Sans préjudice des fonctions assignées à la commission en la relevant d’aucune juridiction nationale fait maintenant partie du
matière, les parties s’obligent : corps de règles du droit international de l’environnement. » (Licéité
de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif,
a) à protéger et à préserver le milieu aquatique et, en particulier, à
C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 242, par. 29.)
en empêcher la pollution en établissant des normes et en adop-
tant les mesures appropriées, conformément aux accords inter- 194. Dans le cadre de l’affaire relative au Projet Gabčíkovo-
nationaux applicables et, le cas échéant, en harmonie avec les Nagymaros, la Cour a par ailleurs eu l’occasion de souligner que « les
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79 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 80 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
Parties devraient, ensemble, examiner à nouveau les effets sur l’environ- juridiction. L’obligation de diligence requise qu’impose l’alinéa a) de
nement de l’exploitation de la centrale de Gabčíkovo » (Projet Gabčíkovo- l’article 41 en ce qui concerne l’adoption et la mise en œuvre des normes
Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 78, et mesures appropriées est encore renforcée par la double exigence que
par. 140). C’est en gardant à l’esprit ces déclarations que la Cour ces normes et mesures soient « conform[es] aux accords internationaux
analysera maintenant l’article 41 du statut de 1975. applicables » et, « le cas échéant, en harmonie avec les directives et les
195. Compte tenu du rôle central de cette disposition dans le différend recommandations des organismes techniques internationaux ». Cette exi-
qui oppose les Parties à la présente affaire, ainsi que des profondes diver- gence présente l’avantage de garantir que les normes et mesures adoptées
gences entre celles-ci en ce qui concerne l’interprétation et l’application par les parties soient conformes aux accords internationaux applicables et
de cette disposition, la Cour souhaiterait faire quelques observations prennent en même temps en compte les normes techniques convenues au
d’ordre général sur le contenu normatif de l’article 41 avant de se pencher niveau international.
sur les arguments spécifiques des Parties. Premièrement, selon la Cour, 198. Enfin, la portée de l’obligation d’empêcher la pollution doit être
l’article 41 établit une distinction claire entre les fonctions réglementaires déterminée à la lumière de la définition de la pollution donnée à l’ar-
confiées à la CARU en vertu du statut de 1975 — qui font l’objet de ticle 40 du statut de 1975. Celui-ci se lit ainsi : « Aux fins du présent statut,
l’article 56 — et l’obligation que ledit article impose aux Parties d’adop- le terme « pollution » désigne l’introduction directe ou indirecte par
ter individuellement des normes et des mesures destinées à « protéger et à l’homme de substances ou d’énergie nocives dans le milieu aquatique », le
préserver le milieu aquatique et, en particulier, à en empêcher la pollu- concept d’« effets nocifs » étant pour sa part défini comme suit dans le
tion ». Ainsi, l’obligation que les Parties s’engagent à respecter en vertu digeste de la CARU :
de l’article 41, qui est distincte de celles prévues aux articles 36 et 56 du
« tout changement de la qualité des eaux qui empêche ou entrave
statut de 1975, consiste à adopter les normes et mesures appropriées au
leur utilisation légitime, produisant des effets délétères ou portant
sein de leurs systèmes juridiques nationaux respectifs afin de protéger et
atteinte aux ressources vivantes, un risque à la santé humaine, une
de préserver le milieu aquatique et d’en empêcher la pollution. Cette
menace aux activités aquatiques y compris la pêche, ou la réduction
conclusion est confortée par le libellé des alinéas b) et c) de l’article 41,
des activités de récréation » (titre I, chapitre 1, section 2, article 1,
qui mentionnent la nécessité pour les Parties de n’abaisser ni les normes
alinéa c), du digeste de la CARU (E3)).
168
techniques ni les pénalités en vigueur dans leurs législations respectives
et de s’informer mutuellement des normes qu’elles se proposent d’édicter 199. Le digeste reflète la volonté des Parties et leur interprétation des
en vue d’établir des normes équivalentes dans leurs systèmes juridiques dispositions du statut de 1975. Tout comme de nombreuses autres dispo-
respectifs. sitions du statut, l’article 41 énonce les obligations d’ordre général, dont
196. Deuxièmement, selon la Cour, une simple lecture du texte de les Parties sont convenues, de réglementer et de limiter l’utilisation du
l’article 41 montre que ce sont les normes et mesures que les Parties sont fleuve et de protéger son environnement ; c’est par le biais de l’activité
tenues d’établir dans leurs systèmes juridiques respectifs qui doivent être réglementaire coordonnée de la CARU, telle que définie à l’article 56 du
« conform[es] aux accords internationaux applicables » et, « le cas échéant, statut, de l’activité réglementaire de chacune des parties, ou par ces deux
en harmonie avec les directives et les recommandations des organismes moyens, qu’un contenu plus précis est donné à ces obligations d’ordre
techniques internationaux ». général. Les deux types d’activités réglementaires sont conçus pour être
197. Troisièmement, l’obligation de « préserver le milieu aquatique et, complémentaires. Ainsi qu’expliqué plus bas (voir paragraphes 201 à 202,
en particulier, [d’]en empêcher la pollution en établissant des normes et et 214), les normes établies par la CARU concernent principalement la
en adoptant les mesures appropriées » impose d’exercer la diligence requise qualité de l’eau. Le digeste de la CARU établit seulement des limites
(« due diligence ») vis-à-vis de toutes les activités qui se déroulent sous la générales pour certains rejets ou effluents provenant d’installations indus-
juridiction et le contrôle de chacune des parties. Cette obligation impli- trielles, tels que les « hydrocarbures », les « solides sédimentables » et les
que la nécessité non seulement d’adopter les normes et mesures appro- « huiles et graisses », mais prévoit explicitement que la réglementation de
priées, mais encore d’exercer un certain degré de vigilance dans leur mise ces questions est du ressort de chacune des parties. Il dispose également
en œuvre ainsi que dans le contrôle administratif des opérateurs publics que, en ce qui concerne les effluents relevant de leur juridiction, chacune
et privés, par exemple en assurant la surveillance des activités entreprises des parties doit prendre les « mesures correctives » nécessaires pour assu-
par ces opérateurs, et ce, afin de préserver les droits de l’autre partie. Par rer la conformité aux normes relatives à la qualité de l’eau (digeste de la
conséquent, la responsabilité d’une partie au statut de 1975 serait engagée CARU, point E3 : pollution, titre 2, chapitre 5, section 1, article 3). En
s’il était démontré qu’elle n’avait pas agi avec la diligence requise, faute Uruguay, ces mesures ont pris la forme d’un règlement sur la qualité des
d’avoir pris toutes les mesures appropriées pour assurer l’application de eaux (décret no 253/79) et, en ce qui concerne l’usine Orion (Botnia),
la réglementation pertinente à un opérateur public ou privé relevant de sa des conditions imposées dans le cadre de l’autorisation délivrée par le
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81 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 82 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
MVOTMA. En Argentine, la province d’Entre Ríos, qui jouxte le fleuve a) Evaluation de l’impact sur l’environnement
sur la rive opposée au site de l’usine, a réglementé les rejets industriels par
des décrets qui reconnaissent également le caractère contraignant du 203. La Cour se penchera maintenant sur la relation entre la nécessité
digeste de la CARU (décret réglementaire no 5837, gouvernement d’Entre de réaliser une évaluation de l’impact sur l’environnement, lorsque l’acti-
Ríos (26 décembre 1991), et décret réglementaire no 5394, gouvernement vité projetée risque d’avoir un effet préjudiciable sur une ressource par-
d’Entre Ríos (7 avril 1997)). tagée et de causer un dommage transfrontière, et les obligations qui
200. La Cour estime qu’il convient de traiter à ce stade de la question incombent aux Parties en vertu des alinéas a) et b) de l’article 41 du sta-
des règles à l’aune desquelles doit s’apprécier toute allégation de violation tut de 1975. Les Parties conviennent de la nécessité de procéder à une
et, plus précisément, l’existence d’« effets nocifs ». La Cour considère évaluation de l’impact sur l’environnement. L’Argentine soutient que,
qu’il convient de rechercher ces règles dans le statut de 1975, dans les prises dans leur globalité, les obligations prévues par le statut imposaient
mesures communes que les Parties ont adoptées de manière coor- l’obligation de procéder à une évaluation de l’impact sur l’environnement
donnée par l’intermédiaire de la CARU (comme le prévoit le texte avant d’autoriser Botnia à construire l’usine, ce dont convient l’Uruguay.
introductif des articles 41 et 56 du statut), et dans les dispositions En revanche, les Parties sont en désaccord quant à la portée et au
réglementaires adoptées par chacune des Parties dans la mesure exigée contenu de l’évaluation de l’impact sur l’environnement à laquelle aurait
par le statut de 1975 (comme le prévoient les alinéas a), b) et c) de dû procéder l’Uruguay en ce qui concerne le projet d’usine Orion (Bot-
l’article 41). nia). L’Argentine soutient en premier lieu que l’Uruguay a manqué de
201. En vertu de l’alinéa a) de l’article 56, la CARU a notamment s’assurer que « des évaluations environnementales complètes [avaient été]
pour fonction d’établir le cadre réglementaire relatif à la prévention de la préparées préalablement à ses décisions d’autoriser la construction… » et,
pollution ainsi qu’à la conservation et à la préservation des ressources en second lieu, que « [l]es décisions de l’Uruguay [ont été] ... basées sur
biologiques. C’est dans l’exercice de ce pouvoir réglementaire que la com- des évaluations environnementales qui [n’étaient] pas satisfaisantes »,
mission a adopté en 1984 le digeste sur les utilisations des eaux du fleuve essentiellement parce que l’Uruguay n’a pas pris en compte l’ensemble
Uruguay, qu’elle a depuis modifié. En 1990, lorsqu’elles ont adopté des impacts potentiels de l’usine, alors que le droit international et la pra-
le point E3 du digeste, les Parties ont indiqué l’avoir élaboré au titre tique internationale l’exigeaient ; elle mentionne à cet égard la convention
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de l’alinéa f) de l’article 7 du traité de 1961 ainsi que des articles 35, de 1991 sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte
36, 41 à 45 et 56, alinéa a), point 4), du statut de 1975. Ainsi que men- transfrontière de la Commission économique des Nations Unies pour
tionné dans le digeste, les « objectifs de base » du point E3 sont les l’Europe (ci-après la « convention d’Espoo ») (RTNU, vol. 1989, p. 309)
suivants : ainsi que les buts et principes de l’évaluation de l’impact sur l’environne-
ment adoptés en 1987 par le Programme des Nations Unies pour l’envi-
« a) protéger et préserver le milieu aquatique et son équilibre éco-
ronnement (ci-après les « buts et principes du PNUE ») (UNEP/WG.152/4
logique ;
Annexe (1987), document adopté par le conseil d’administration du
b) assurer toute utilisation légitime des eaux, en tenant compte des
PNUE lors de sa 14e session (déc. 14/25 (1987)). L’Uruguay admet que,
besoins à long terme et particulièrement [de] ceux concernant la
conformément à la pratique internationale, une évaluation de l’impact
consommation humaine ;
sur l’environnement de l’usine Orion (Botnia) était nécessaire, mais sou-
c) prévenir toute nouvelle forme de pollution et essayer de la
tient que le droit international n’impose aucune condition quant au
réduire, lorsque les valeurs de référence adoptées pour les dif-
contenu d’une telle évaluation, sa réalisation relevant d’une procédure
férentes utilisations légitimes des eaux du fleuve sont dépassées ;
nationale, et non internationale, du moins lorsque le projet concerné n’est
d) promouvoir la recherche scientifique en matière de pollution. »
pas un projet commun à plusieurs Etats. L’Uruguay estime que, en vertu
(Titre I, chapitre 2, section 1, article 1.)
de la pratique des Etats et du projet d’articles sur la prévention des dom-
202. Les normes établies dans le cadre du digeste ne sont toutefois pas mages transfrontières résultant d’activités dangereuses adopté en 2001
exhaustives. Comme cela a été indiqué précédemment, il est prévu qu’elles par la Commission du droit international, le droit international lui impose
soient complétées par les normes et mesures devant être adoptées par uniquement d’évaluer les éventuels effets nocifs transfrontières du
chacune des Parties dans le cadre de sa législation interne. projet sur les êtres humains, les biens et l’environnement des autres Etats,
La Cour appliquera donc, outre le statut de 1975, ces deux ensembles sans qu’il soit nécessaire d’évaluer les risques lointains ou purement
de règles pour déterminer si les Parties ont violé les obligations qu’elles théoriques.
avaient contractées en ce qui concerne les rejets d’effluents de l’usine et 204. La Cour considère que, pour s’acquitter comme il se doit des obli-
l’impact de ces rejets sur la qualité des eaux, l’équilibre écologique et la gations qu’elles tiennent des alinéas a) et b) de l’article 41 du statut
diversité biologique du fleuve. de 1975, les Parties sont tenues, aux fins de protéger et de préserver le
71 72
83 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 84 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
milieu aquatique lorsqu’elles envisagent des activités pouvant éventuelle- qu’une évaluation de l’impact sur l’environnement doit être réalisée avant
ment causer un dommage transfrontière, de procéder à une évaluation de la mise en œuvre du projet. En outre, une fois les opérations commencées,
l’impact sur l’environnement. Comme la Cour l’a relevé dans l’affaire du une surveillance continue des effets dudit projet sur l’environnement sera
Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes, mise en place, qui se poursuivra au besoin pendant toute la durée de vie
du projet.
« il existe des cas où l’intention des parties au moment même de la
206. La Cour a déjà examiné la place qu’occupe l’évaluation de l’impact
conclusion du traité a été, ou peut être présumée avoir été, de confé-
sur l’environnement dans le cadre des obligations de nature procédurale
rer aux termes employés — ou à certains d’entre eux — un sens ou
imposées aux Parties par le statut de 1975 (paragraphes 119 et 120). Elle
un contenu évolutif et non pas intangible, pour tenir compte notam-
se penchera à présent sur les points en litige concernant spécifiquement le
ment de l’évolution du droit international » (Différend relatif à des
rôle de ce type d’évaluation dans le respect des obligations de fond des
droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicara-
Parties, c’est-à-dire sur les questions de savoir, d’une part, si cette évalua-
gua), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 242, par. 64).
tion aurait, sur le plan méthodologique, nécessairement dû envisager
Ainsi, l’obligation de protéger et de préserver, énoncée à l’alinéa a) de d’autres sites possibles, compte tenu de la capacité de réception du
l’article 41 du statut, doit être interprétée conformément à une pratique fleuve dans la zone où l’usine devait être construite, et, d’autre part, si les
acceptée si largement par les Etats ces dernières années que l’on peut populations susceptibles d’être affectées, en l’occurrence les popula-
désormais considérer qu’il existe, en droit international général, une obli- tions riveraines uruguayenne comme argentine, auraient dû être
gation de procéder à une évaluation de l’impact sur l’environnement lors- consultées, ou l’ont en fait été, dans le cadre d’une évaluation de
que l’activité industrielle projetée risque d’avoir un impact préjudiciable l’impact sur l’environnement.
important dans un cadre transfrontière, et en particulier sur une res-
source partagée. De plus, on ne pourrait considérer qu’une partie s’est i) Le choix du site de Fray Bentos pour l’usine Orion (Botnia)
acquittée de son obligation de diligence, et du devoir de vigilance et de
prévention que cette obligation implique, dès lors que, prévoyant de réa- 207. Selon l’Argentine, si l’évaluation de l’impact sur l’environnement
liser un ouvrage suffisamment important pour affecter le régime du fleuve réalisée par l’Uruguay est insuffisante, c’est notamment parce qu’elle ne
170
ou la qualité de ses eaux, elle n’aurait pas procédé à une évaluation de prévoit pas d’autres emplacements possibles pour la construction de
l’impact sur l’environnement permettant d’apprécier les effets éventuels l’usine, comme l’exige le droit international (buts et principes du PNUE,
de son projet. convention d’Espoo, politique opérationnelle SFI 4.01). L’Argentine sou-
205. La Cour note que ni le statut de 1975 ni le droit international tient que le site choisi est particulièrement sensible d’un point de vue éco-
général ne précisent la portée et le contenu des évaluations de l’impact sur logique et qu’il n’est pas propice à la dispersion des polluants « eu égard
l’environnement. Elle relève par ailleurs que l’Argentine et l’Uruguay ne à la nature des eaux qui recevront la pollution, à la propension du site à
sont pas parties à la convention d’Espoo. Enfin, elle constate que l’autre la sédimentation et à l’eutrophisation, au phénomène d’inversion de cou-
instrument cité par l’Argentine à l’appui de son argument, à savoir les rant et à la proximité de l’agglomération la plus importante du fleuve
buts et principes du PNUE, ne lie pas les Parties, mais doit, en tant qu’il Uruguay ».
s’agit de directives établies par un organisme technique international, être 208. L’Uruguay répond que le site de Fray Bentos a été initialement
pris en compte par chacune des Parties conformément à l’alinéa a) de retenu en raison du volume d’eau particulièrement important du fleuve à
l’article 41 lorsqu’elle adopte des mesures dans le cadre de sa réglemen- cet endroit, qui constituerait un facteur propice à la dilution des effluents.
tation interne. En outre, cet instrument dispose seulement que « [l]es Il précise que le site est en outre aisément accessible par voie fluviale, ce
effets sur l’environnement devraient être évalués, dans une [évaluation de qui facilite la livraison des matières premières, et qu’une main-d’œuvre
l’impact sur l’environnement], à un niveau de détail correspondant à leur locale y est disponible. L’Uruguay considère que, s’il existe une obliga-
importance probable du point de vue de l’environnement » (principe 5), tion d’envisager d’autres sites, les instruments invoqués en ce sens par
mais ne spécifie aucunement les éléments qu’une telle évaluation doit à l’Argentine ne font pas obligation de le faire dans le cadre d’une évalua-
tout le moins contenir. Dès lors, la Cour estime qu’il revient à chaque tion de l’impact sur l’environnement, à moins que les circonstances ne
Etat de déterminer, dans le cadre de sa législation nationale ou du pro- l’imposent. Enfin, l’Uruguay affirme qu’il a de toute façon étudié les
cessus d’autorisation du projet, la teneur exacte de l’évaluation de l’impact autres sites possibles et que l’opportunité du choix du site de l’usine
sur l’environnement requise dans chaque cas en prenant en compte la Orion (Botnia) a été évaluée de manière exhaustive.
nature et l’ampleur du projet en cause et son impact négatif probable sur 209. La Cour examinera à présent la question de savoir si, d’une part,
l’environnement, ainsi que la nécessité d’exercer, lorsqu’il procède à une l’Uruguay a manqué d’exercer la diligence requise dans le cadre de
telle évaluation, toute la diligence requise. La Cour estime par ailleurs son évaluation de l’impact sur l’environnement, en particulier en ce qui
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85 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 86 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
concerne le choix de l’emplacement de l’usine, et si, d’autre part, le site ADCP ») — pour enregistrer, pendant environ un an, la vitesse du cou-
retenu, en l’occurrence Fray Bentos, était impropre à la construction rant à différentes profondeurs. Le système tridimensionnel a produit
d’une installation produisant des rejets industriels de cette nature et de un grand nombre de données, intégrées ensuite dans un modèle hydro-
cette ampleur ou pouvait avoir un impact préjudiciable sur le fleuve. dynamique numérique. En revanche, Botnia a fondé son évaluation
210. S’agissant du premier point, la Cour a déjà indiqué que la conven- de l’impact sur l’environnement sur un modèle bidimensionnel — le
tion d’Espoo n’était pas applicable en l’espèce (voir paragraphe 205 ci- RMA2. L’étude d’impact cumulé d’EcoMetrix, quant à elle, se fondait
dessus) ; pour ce qui est des buts et principes du PNUE auxquels l’Argen- à la fois sur un modèle tridimensionnel et sur un modèle bidimen-
tine fait référence, et dont le caractère juridique a été explicité plus haut sionnel, mais n’indiquait pas si un sonar ADCP avait été utilisé à
au paragraphe 205, la Cour rappelle que l’alinéa c) du principe 4 dispose différentes profondeurs.
simplement qu’une évaluation de l’impact sur l’environnement doit au 213. La Cour n’estime pas nécessaire d’examiner en détail la validité
minimum contenir « [une] description des autres solutions possibles, le cas scientifique et technique des différents types de modélisation, de calibrage
échéant ». Il convient par ailleurs de noter que l’Uruguay a précisé à plu- et de validation mis en œuvre par les Parties pour déterminer le débit du
sieurs reprises que l’opportunité du choix de Fray Bentos avait été éva- fleuve et le sens de son courant dans la zone concernée. La Cour observe
luée de manière exhaustive et que d’autres emplacements possibles avaient cependant que, si les deux Parties conviennent que des inversions de cou-
été envisagés. La Cour relèvera encore que l’étude d’impact cumulé (ci- rant se produisent fréquemment et que des périodes de bas débit et de
après « CIS », selon l’acronyme anglais de « Cumulative Impact Study ») stagnation peuvent être observées dans la zone concernée, elles sont en
finale réalisée par la SFI en septembre 2006 montre que Botnia a évalué désaccord sur les conséquences de ces phénomènes pour les rejets de
au total quatre sites en 2003 — La Paloma, Paso de los Toros, Nueva Pal- l’usine Orion (Botnia) dans ce tronçon du fleuve.
mira et Fray Bentos —, avant de retenir celui de Fray Bentos. Ces éva- 214. La Cour est d’avis que, en élaborant ses normes relatives à la
luations concluaient que le site de La Paloma ne convenait pas parce que qualité de l’eau conformément aux articles 36 et 56 du statut de 1975, la
les quantités d’eau douce y étaient limitées et qu’il abritait d’importantes CARU a certainement tenu compte de la capacité de réception et de la
populations d’oiseaux, que celui de Nueva Palmira devait être écarté sensibilité des eaux du fleuve, y compris dans les zones fluviales qui bor-
en raison de la présence de zones résidentielles, récréatives et culturel- dent Fray Bentos. Dès lors, s’il n’est pas établi que les rejets d’effluents de
171
lement importantes à proximité, et que celui de Paso de los Toros l’usine Orion (Botnia) ont, du fait de leur taux de concentration, excédé
était à exclure en raison d’un trop faible débit pendant la saison les limites fixées par ces normes, la Cour ne saurait conclure que l’Uru-
sèche, d’un conflit potentiel avec d’autres utilisations de l’eau et d’un guay a violé les obligations lui incombant en vertu du statut de 1975. Qui
manque d’infrastructures. Dès lors, la Cour n’est pas convaincue plus est, aucune des Parties n’a soutenu devant la Cour que, en élaborant
par l’argument de l’Argentine selon lequel une évaluation des diffé- ses normes relatives à la qualité de l’eau, la CARU n’avait pas dûment
rents sites possibles n’a pas eu lieu avant le choix de l’emplacement tenu compte des caractéristiques géomorphologiques et hydrologiques du
définitif. fleuve et de la capacité de ses eaux à disperser et diluer différents types de
211. S’agissant du second point, la Cour ne peut manquer d’observer rejets. La Cour estime que, si pareille insuffisance était avérée, notam-
que le choix de l’emplacement effectif d’une usine telle que celle cons- ment en ce qui concerne certaines portions du fleuve, telles que le tronçon
truite le long du fleuve Uruguay devrait tenir compte de la capacité des qui borde Fray Bentos, les Parties devraient entamer une révision des
eaux du fleuve à recevoir, diluer et disperser des rejets d’effluents d’une normes relatives à la qualité de l’eau établies par la CARU pour s’assurer
installation de cette nature et de cette ampleur. qu’elles tiennent bien compte des caractéristiques du fleuve et permettent
212. La Cour relève que, sur la question de la capacité de réception des d’en protéger les eaux et l’écosystème.
eaux du fleuve à l’emplacement de l’usine, les Parties sont en désaccord
sur les caractéristiques géomorphologiques et hydrodynamiques du fleuve ii) Consultation des populations concernées
dans la zone en question, notamment en ce qui concerne son débit et la
manière dont le courant, y compris son sens et sa vitesse, agit à son tour 215. Les Parties sont en désaccord sur la mesure dans laquelle les
sur la dispersion et la dilution des polluants. Les différentes interpréta- populations susceptibles d’être affectées par la construction de l’usine
tions avancées par les Parties quant au débit du fleuve résultent peut-être Orion (Botnia), notamment les riverains en Argentine, ont été consultées
des différents modèles utilisés par celles-ci pour analyser les caractéristi- au cours de la réalisation de l’évaluation de l’impact sur l’environnement.
ques hydrodynamiques du fleuve Uruguay à Fray Bentos. L’Argentine a Les deux Parties conviennent que la consultation des populations concer-
eu recours à un modèle tridimensionnel s’appuyant sur des mesures de la nées doit faire partie de l’évaluation de l’impact sur l’environnement,
vitesse et du sens du courant à dix profondeurs différentes, et s’est servie mais l’Argentine affirme que le droit international impose aux Etats des
d’un sonar — un profileur de courant à effet Doppler (ci-après « sonar obligations spécifiques à cet égard. A l’appui de cet argument, elle cite les
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87 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 88 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
articles 2.6 et 3.8 de la convention d’Espoo, l’article 13 du projet d’arti- b) La question des techniques de production utilisées à l’usine Orion
cles de la Commission du droit international de 2001 sur la prévention (Botnia)
des dommages transfrontières résultant d’activités dangereuses et les
principes 7 et 8 des buts et principes du PNUE. L’Uruguay estime que 220. L’Argentine soutient que l’Uruguay n’a pas pris toutes les me-
les dispositions invoquées par l’Argentine ne peuvent servir de fon- sures propres à empêcher la pollution en n’exigeant pas de l’usine qu’elle
dement juridique à une obligation de consulter les populations utilise les « meilleures techniques disponibles », alors que cette exigence
concernées et ajoute qu’en tout état de cause ces populations ont bien résulterait de l’alinéa d) de l’article 5 de la convention POP, dont les dis-
été consultées. positions seraient incorporées, par l’effet de la « clause de renvoi », dans
216. La Cour estime qu’aucune obligation juridique de consulter les l’alinéa a) de l’article 41 du statut de 1975. Selon l’Argentine, les rap-
populations concernées ne découle pour les Parties des instruments invo- ports d’experts qu’elle cite établissent que l’usine n’utilise pas les meilleu-
qués par l’Argentine. res techniques disponibles et que ses performances sont en deçà des
217. En ce qui concerne les faits de l’espèce, la Cour note que, tant normes internationales, si l’on considère les diverses techniques de pro-
avant qu’après l’octroi de l’autorisation environnementale préalable, duction de pâte à papier disponibles. L’Uruguay conteste ces affirma-
l’Uruguay a entrepris des activités visant à consulter les populations tions. S’appuyant sur l’étude d’impact cumulé finale, le deuxième rap-
concernées, à la fois sur la rive argentine et sur la rive uruguayenne du port Hatfield et l’audit réalisé à la demande de la SFI par l’AMEC,
fleuve. Ainsi, des réunions ont eu lieu le 2 décembre 2003 à Río Negro et l’Uruguay affirme que, par la technologie qu’elle emploie, l’usine Orion
le 26 mai 2004 à Fray Bentos, avec la participation d’organisations non (Botnia) est une des usines de pâte à papier les plus performantes au
gouvernementales argentines. En outre, le 21 décembre 2004, une séance monde, mettant en œuvre les meilleures techniques disponibles et se
publique de discussion a eu lieu à Fray Bentos, qui, selon l’Uruguay, a conformant notamment aux normes fixées par l’Union européenne dans
porté entre autres sujets sur la ce domaine.
221. L’Argentine, cependant, dénonce en particulier l’absence de tout
« manipulation de produits chimiques dans l’usine et dans le port,
« traitement tertiaire des effluents » (c’est-à-dire un troisième traitement
l’apparition de pluies acides, de dioxines, de furanes et d’autres com-
des résidus de production avant leur rejet dans la nature), qui serait
posés polychlorés hautement toxiques pouvant avoir des effets dom-
172
nécessaire pour réduire le volume des nutriments, dont le phosphore, dès
mageables sur l’environnement, la conformité à la convention de
lors que les rejets sont déversés dans un environnement très sensible.
Stockholm, les rejets atmosphériques de l’usine, les émissions élec-
L’usine de pâte à papier est, selon l’Argentine, également dépourvue d’un
tromagnétiques et électrostatiques [et] les rejets liquides dans le
bassin d’urgence vide, censé contenir les déversements soudains
fleuve ».
d’effluents. Répondant à une question posée par un juge, l’Argentine
Des habitants de Fray Bentos et des régions voisines d’Uruguay et estime qu’il serait possible d’ajouter un système de traitement tertiaire,
d’Argentine ont participé à la réunion et présenté 138 documents, dans mais que l’Uruguay n’a pas évalué comme il se devait les possibilités
lesquels sont exposées leurs questions ou préoccupations. s’offrant en la matière à l’usine Orion (Botnia).
218. De plus, la Cour note que, entre juin et novembre 2005, plus de 222. L’Uruguay fait observer que « les experts n’ont pas jugé néces-
quatre-vingts entretiens ont été menés par le Consensus Building Insti- saire de prévoir, pour l’usine, une phase de traitement tertiaire ». En
tute, organisation sans but lucratif spécialisée dans la facilitation du dia- réponse à cette même question, l’Uruguay a fait valoir que, bien que pos-
logue, la médiation et la négociation, que la SFI avait chargée de ce sible, l’ajout d’une installation de traitement tertiaire ne serait pas globa-
travail. Ces entretiens se sont déroulés entre autres à Fray Bentos, Gua- lement bénéfique pour l’environnement, puisqu’il entraînerait une hausse
leguaychú, Montevideo et Buenos Aires ; y ont notamment participé des importante de la consommation d’énergie, des émissions de carbone de
groupes de la société civile, des organisations non gouvernementales, des l’usine, de la production de boues et de l’utilisation de produits chimi-
associations professionnelles, des représentants officiels, des agences de ques. L’Uruguay a invariablement soutenu que la technique de blanchi-
tourisme, des chefs d’entreprise locaux, des pêcheurs, des agriculteurs et ment utilisée était adéquate, que les bassins d’urgence installés étaient
des propriétaires de plantations des deux rives du fleuve. En décembre suffisants, que la production de composés chimiques synthétiques de
2005, le projet d’étude d’impact cumulé et le rapport du Consensus Buil- l’usine répondait aux exigences technologiques et que le risque potentiel
ding Institute ont été publiés, et la SFI a ouvert une période de consulta- de cette production avait bien été évalué.
tion afin de recevoir de nouveaux commentaires des parties prenantes en 223. Tout d’abord, la Cour fera observer que l’obligation d’empêcher
Argentine et en Uruguay. la pollution et de protéger ainsi que de préserver le milieu aquatique du
219. Compte tenu de ce qui précède, la Cour constate qu’une consulta- fleuve Uruguay énoncée à l’alinéa a) de l’article 41, et l’exercice de la dili-
tion par l’Uruguay des populations concernées a bien eu lieu. gence requise (« due diligence ») qu’elle implique, entraîne la nécessité
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89 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 90 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
d’examiner avec soin la technologie à laquelle l’installation industrielle a à ceux-ci. La Cour note cependant que l’Argentine a elle-même produit
recours, en particulier dans un secteur tel que celui de la fabrication de un grand nombre d’informations factuelles, et que les éléments soumis
pâte à papier, où sont souvent employées ou produites des substances par l’Uruguay ou bien lui ont été accessibles à différents stades de la pro-
ayant un impact sur l’environnement. Ce point est d’autant plus impor- cédure ou bien figurent dans le domaine public. Aussi n’estime-t-elle pas
tant que, aux termes de l’alinéa a) de l’article 41, le cadre réglementaire que l’Argentine ait été désavantagée en ce qui concerne la production
qu’il incombe aux Parties d’adopter doit être en harmonie avec les direc- d’éléments de preuve relatifs aux déversements d’effluents provenant de
tives et les recommandations des organismes techniques internationaux. l’usine de pâte à papier.
224. La Cour note que l’usine Orion (Botnia) utilise le procédé Kraft 227. Afin de déterminer si les concentrations des polluants déversés
de fabrication de pâte blanchie. D’après le document de référence de par l’usine Orion (Botnia) respectent les limites réglementaires, la Cour
décembre 2001 sur les meilleures techniques disponibles en matière de devra les évaluer à l’aune des limites autorisées en matière de rejet
prévention et de réduction intégrées de la pollution dans l’industrie de la d’effluents — tant en ce qui concerne la concentration d’effluents par litre
pâte à papier (ci-après « IPPC-BAT ») de la Commission européenne, que d’eaux usées déversés qu’en ce qui concerne la quantité absolue d’effluents
les Parties ont qualifié de texte de référence pour ce secteur, le procédé pouvant être rejetée en une journée — figurant dans les textes de régle-
Kraft, déjà utilisé à l’époque dans environ 80 % de la production mon- mentation applicables des Parties, tels que qualifiés plus haut par la Cour
diale de pâte à papier, constitue donc le procédé de production chimique au paragraphe 200, et dans les autorisations relatives à l’usine accordées
de pâte à papier le plus répandu. L’usine utilise un procédé de blanchi- par les autorités uruguayennes. Le digeste, en effet, ne fixe que des limites
ment exempt de chlore élémentaire dit « léger » (« ECF light »), ainsi que générales pour les « hydrocarbures », les « solides sédimentables » et les
des systèmes de traitement des eaux usées primaire et secondaire faisant « huiles et graisses », et n’en prévoit pas de spécifiques en ce qui concerne
intervenir un procédé de traitement par boues activées. les substances à propos desquelles les Parties sont en désaccord. L’Argen-
225. La Cour estime que, s’agissant de la technologie employée, et sur tine n’a pas allégué que l’usine Orion (Botnia) n’avait pas respecté les
la base des documents que lui ont soumis les Parties, en particulier du normes de la CARU relatives aux effluents (digeste de la CARU, point
document IPPC-BAT, aucun élément de preuve ne vient à l’appui de la E3 (1984, tel que modifié)).
prétention de l’Argentine selon laquelle l’usine Orion (Botnia) n’appli- 228. De l’examen des données réunies après sa mise en service, telles
173
querait pas les meilleures techniques disponibles en matière de rejets qu’elles figurent dans les différents rapports de la DINAMA et d’EcoMe-
d’effluents par tonne de pâte à papier produite. Cette conclusion est trix, il ne ressort pas que les rejets de l’usine Orion (Botnia) ont excédé les
étayée par le fait que, comme démontré ci-dessous, l’Argentine n’a pas limites fixées par les normes relatives aux effluents énoncées dans la régle-
présenté d’éléments de preuve établissant clairement que l’usine Orion mentation applicable de l’Uruguay telle que qualifiée plus haut par
(Botnia) ne respecte pas les prescriptions du statut de 1975, du digeste de la Cour au paragraphe 200 ou dans l’autorisation environnementale
la CARU ou des règlements applicables des Parties en ce qui concerne la préalable accordée par le MVOTMA (autorisation environnementale
concentration d’effluents par litre d’eaux usées déversés par l’usine et la préalable accordée pour l’usine Orion (Botnia) par le MVOTMA
quantité absolue d’effluents pouvant être rejetée en une journée. (14 février 2005)), si ce n’est dans quelques cas où les concentrations ont
226. La Cour rappelle que l’Uruguay a soumis de très nombreuses dépassé les limites autorisées. Des valeurs excédant les limites prescrites
informations relatives à la surveillance des effluents de l’usine Orion dans le décret no 253/79 ou dans l’autorisation environnementale préala-
(Botnia), qui figurent dans les multiples rapports établis par EcoMetrix et ble du MVOTMA n’ont été mesurées qu’en ce qui concerne les paramè-
la DINAMA (évaluation indépendante de la performance environnemen- tres suivants : l’azote, les nitrates et les AOX (composés organo-halogénés
tale, réalisée par EcoMetrix à la demande de la SFI (phase 2 : examen de adsorbables). Dans ces cas, les mesures enregistrées pour un jour donné
la performance environnementale à six mois), juillet 2008 ; évaluation dépassaient le maximum autorisé. Toutefois, l’autorisation environne-
indépendante de la performance environnementale, réalisée par EcoMe- mentale préalable du 14 février 2005 prévoit expressément la possibilité
trix à la demande de la SFI (phase 3 : examen de la performance environ- de calculer pour ces paramètres une moyenne annuelle. Le dépassement
nementale de l’année 2008) (ci-après le « troisième rapport de suivi le plus notable est celui enregistré pour les AOX, paramètre utilisé sur le
d’EcoMetrix »), mars 2009 ; DINAMA, rapport d’évaluation de la per- plan international pour surveiller les effluents rejetés par les usines de
formance dans la première année d’opération de l’usine Orion (Botnia) et pâte à papier, comprenant parfois des polluants organiques persistants
de la qualité de l’environnement dans la zone d’influence, mai 2009 ; (POP). Selon le document de référence sur les IPPC-BAT, soumis par les
DINAMA, rapport semestriel des résultats du plan de contrôle des émis- Parties et considéré par elles comme le texte de référence pour ce secteur,
sions et de la performance environnementale), et que l’Argentine a avancé, « les autorités chargées de la protection de l’environnement de nombreux
à cet égard, que l’Uruguay bénéficiait, sur cette question, sinon de l’exclu- pays ont imposé des restrictions sévères aux rejets de substances organi-
sivité des éléments de preuve factuels, du moins d’un accès très privilégié ques chlorées, mesurées en AOX, dans le milieu aquatique ». Après la
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91 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 92 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
mise en service de l’usine de pâte à papier, les concentrations d’AOX ont et le suivi postopérationnel de la performance effective de l’usine quant
pu atteindre en une occasion, le 9 janvier 2008, 13 mg/l, alors que la aux effets des rejets sur le fleuve figurent des relevés obtenus au moyen de
limite maximale utilisée dans l’évaluation de l’impact sur l’environnement différents programmes de surveillance. Ces derniers ont été réalisés, entre
et prescrite ultérieurement par le MVOTMA était de 6 mg/l. Toutefois, autres, par une équipe scientifique argentine regroupant des chercheurs
en l’absence d’éléments de preuve établissant de manière convaincante de deux universités nationales mandatée par le secrétariat d’Etat argentin
qu’il ne s’agissait pas là d’un épisode isolé mais bien d’un problème plus à l’environnement et au développement durable (dix sites), par l’OSE
durable, la Cour n’est pas à même de conclure que l’Uruguay a violé les (l’organisme public uruguayen chargé de l’assainissement et de la distri-
dispositions du statut de 1975. bution de l’eau, selon l’acronyme espagnol d’« Obras Sanitarias del
Estado »), par la DINAMA, indépendamment de Botnia (seize sites), et
c) L’impact des rejets sur la qualité des eaux du fleuve par Botnia faisant rapport à la DINAMA et à la SFI (quatre sites ; et
prélèvement des effluents).
229. Comme indiqué ci-dessus (paragraphe 165), les Parties ont, au 233. Les sites de prélèvement relevant de la responsabilité de l’Argen-
cours des trois dernières années, soumis à la Cour quantité de documents tine sont situés sur la rive argentine du fleuve, le plus en amont d’entre
contenant des données et analyses d’ordre factuel et scientifique concer- eux se trouvant à 10 kilomètres de l’usine, le plus en aval à 16 kilomètres
nant les concentrations de référence des polluants présents dans le fleuve environ. Trois d’entre eux (les sites U0, U2 et U3), néanmoins, se trou-
avant la mise en service de l’usine, ainsi que les résultats de relevés relatifs vent près de l’usine ; et trois autres sont situés dans la baie de Nandubay-
à ses eaux et aux émissions atmosphériques après le début des activités de sal et la lagune Inés. Ce sont eux qui ont fourni les données qui, selon le
production et, pour certains, jusqu’au milieu de l’année 2009. conseil de l’Argentine, « ont permis aux scientifiques argentins de clai-
230. S’agissant des données de référence, les études et rapports soumis rement différencier la baie du reste du fleuve, étant donné qu’elle se
par les Parties contenaient des informations et analyses relatives, entre comporte comme un écosystème relativement autonome par rapport à
autres, à la qualité de l’eau et de l’air, au phytoplancton et au zooplanc- celui-ci » (rapport scientifique et technique, chapitre 3, annexe intitulée
ton présents dans le fleuve, aux indicateurs de santé et biomarqueurs de « Background Biogeochemical Studies », par. 4.1.2 ; voir aussi ibid.,
pollution chez les poissons du fleuve, à la surveillance de l’ichtyofaune par. 4.3.1.2).
174
autour de l’usine de pâte à papier Orion (Botnia), aux populations 234. Les sites de prélèvement relevant de la responsabilité de l’Uru-
de poissons et à la diversité des espèces du fleuve, aux concentrations en guay (DINAMA) et de Botnia sont situés du côté uruguayen du fleuve.
acides résiniques, en phénols chlorés et en phytostérols observées Le point de prélèvement de l’OSE est situé au niveau de la prise d’eau
chez les poissons du fleuve, à l’étude des espèces appartenant au genre potable de Fray Bentos, devant la station no 11 de la DINAMA.
Tillandsia, à l’audit avant la mise en service de l’usine Orion (Botnia) et 235. L’équipe argentine a recueilli des données entre novembre 2007
à des études du mercure et du plomb dans les muscles des poissons. et avril 2009, une bonne partie de la surveillance commençant à partir
231. L’Argentine soutient que les données de référence de l’Uruguay d’octobre 2008. L’Uruguay, par l’intermédiaire de la DINAMA, assure
laissent à désirer à bien des égards et qu’elles sont, notamment, incom- une surveillance du site depuis mars 2006, ses plus récents relevés cou-
plètes. L’Uruguay rejette cette assertion, et prétend que, de fait, l’Argen- vrant la période allant jusqu’au mois de juin 2009. L’OSE, dans le cadre
tine s’est fondée sur ces données pour sa propre évaluation de la qualité de la responsabilité globale qui lui incombe d’assurer la qualité de l’eau
de l’eau. L’Uruguay soutient que, contrairement aux affirmations de uruguayenne, a recueilli des informations utiles, qui ont été reprises dans
l’Argentine, il a commencé à recueillir des données de référence en les rapports périodiques sur l’exploitation de l’usine.
août 2006, dans le cadre du contrôle préopérationnel de la qualité de 236. La Cour dispose également de l’interprétation des données qu’ont
l’eau effectué par la DINAMA avant la mise en service de l’usine (en fournie les experts désignés par les Parties, les Parties elles-mêmes et leurs
novembre 2007). Ce contrôle s’est étendu sur une période de quinze conseils. Toutefois, lorsqu’elle appréciera la valeur des éléments de preuve
mois et est venu compléter près de quinze années d’une surveillance plus qui lui ont été soumis, la Cour, afin de déterminer si, en autorisant la
générale menée sous la houlette de la CARU au titre du programme construction et la mise en service de l’usine Orion (Botnia), l’Uruguay a
PROCON (Programme de contrôle de la qualité et de la pollution des violé les obligations qui étaient les siennes en vertu des articles 36 et 41 du
eaux du fleuve Uruguay, selon l’acronyme espagnol de « Programa de statut de 1975, soupèsera et évaluera essentiellement les données elles-
Calidad de Aguas y Control de la Contaminación del Río Uruguay »). mêmes — et non les interprétations divergentes qu’en ont faites les
L’Argentine n’a pas, à l’audience, contesté l’allégation du conseil de Parties ou leurs experts et consultants.
l’Uruguay selon laquelle elle s’était servie des données fournies par celui- 237. Le désaccord entre les Parties quant à l’impact des effluents reje-
ci pour sa propre évaluation de la qualité de l’eau. tés par l’usine Orion (Botnia) sur la qualité de l’eau du fleuve porte sur les
232. Parmi les données présentées par les Parties concernant le contrôle paramètres et substances suivants : oxygène dissous ; phosphore total (et
81 82
93 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 94 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
la question connexe de l’eutrophisation due aux phosphates) ; substances rant dans le rapport de la DINAMA sur la qualité de l’eau présentent
phénoliques ; nonylphénols et éthoxylates de nonylphénol ; dioxines essentiellement les mêmes caractéristiques que ceux recueillis par l’Argen-
et furanes. La Cour procédera maintenant à l’examen des moyens de tine — les valeurs sont supérieures au seuil fixé par la CARU, et sont les
preuve produits par les Parties en ce qui concerne ces paramètres et mêmes en amont et en aval de l’usine. La Cour en conclut que ces valeurs
substances. ne semblent pas avoir notablement changé au fil du temps et que rien ne
vient étayer l’affirmation selon laquelle la référence à l’« oxidabilidad »
i) L’oxygène dissous dans le rapport de l’OSE invoquée par l’Argentine devrait être interprétée
comme un renvoi à l’« oxygène dissous ».
238. C’est à l’audience que l’Argentine a, pour la première fois, fait
état de l’altération des teneurs en oxygène dissous du fleuve que provo- ii) Le phosphore
querait l’usine Orion (Botnia), en renvoyant à des données présentées
dans le rapport de l’organisme public uruguayen OSE. Pour l’Argentine, 240. Les Parties s’accordent sur le niveau élevé de phosphore total
puisque l’oxygène dissous contribue à la qualité de l’environnement et dans le fleuve Uruguay. Selon l’Uruguay, la quantité totale de phosphore
qu’il existe une norme de la CARU fixant (à 5,6 mg/l) sa concentration (naturel et anthropique) rejeté dans le fleuve est d’environ 19 000 tonnes
minimale dans les eaux du fleuve, l’introduction dans le milieu aquatique, par an, auxquelles l’usine Orion (Botnia) contribue à hauteur de quelque
par l’usine Orion (Botnia), de substances ou d’énergie ayant fait chuter 15 tonnes (pour l’année 2008), voire moins, selon les estimations
les taux d’oxygène dissous en deçà de ce seuil constitue une violation de pour 2009. L’Argentine n’a pas contesté ces chiffres au cours de la pro-
l’obligation d’empêcher la pollution et de préserver ce milieu aquatique. cédure. L’Uruguay avance en outre qu’il ne saurait être allégué de viola-
L’Uruguay soutient que les chiffres que l’Argentine a puisés dans les rele- tion des dispositions du statut de 1975, puisque cette forte concentration
vés de l’OSE concernaient l’« oxidabilidad », qui renvoie à la « demande ne peut être attribuée avec certitude à l’usine Orion (Botnia), et que la
en oxygène » et non à l’« oxígeno disuelto » — c’est-à-dire l’oxygène dis- CARU n’a fixé aucune norme concernant le phosphore. L’Uruguay sou-
sous —, et qu’une chute du niveau de la demande en oxygène révèle une tient également qu’il ressort des données fournies par la DINAMA, com-
amélioration de la qualité de l’eau puisque ce niveau doit être maintenu parées aux données de référence également recueillies par cette dernière,
175
aussi bas que possible. que « [l]es teneurs en phosphore étaient généralement plus faibles après la
239. La Cour note qu’en ce qui concerne l’oxygène dissous, une concen- mise en service de l’usine, par rapport aux données de référence de 2005-
tration moyenne de 3,8 mg/l après la mise en service de l’usine constitue- 2006 » (troisième rapport de suivi d’EcoMetrix, mars 2009).
rait effectivement, si elle était avérée, une violation des normes de la 241. L’un des grands points de désaccord entre les Parties concerne le
CARU, ce chiffre étant au-dessous du seuil de 5,6 mg d’oxygène dissous lien entre l’augmentation de la concentration de phosphore dans les eaux
par litre d’eau requis selon le digeste de la CARU (E3, titre 2, chapitre 4, du fleuve et la prolifération d’algues survenue en février 2009, ainsi que
section 2). Elle estime toutefois que cette allégation de l’Argentine n’a pas la question de savoir si l’eutrophisation du fleuve est due à l’exploitation
été prouvée. Premièrement, les chiffres sur lesquels se fonde l’Argentine de l’usine Orion (Botnia). L’Argentine affirme que l’usine est à l’origine
ne correspondent pas aux valeurs indiquées dans le troisième rapport de de cette eutrophisation et de l’élévation de la teneur en phosphates,
suivi d’EcoMetrix, qui fait état de concentrations d’oxygène dissous supé- tandis que l’Uruguay nie que l’une comme l’autre soient attribuables à
rieures au seuil fixé par la CARU dans tous les échantillons prélevés entre l’exploitation de l’usine à Fray Bentos.
février et octobre 2008. Deuxièmement, le rapport de la DINAMA sur la 242. La Cour relève que la CARU n’a pas adopté de normes de qualité
qualité des eaux de surface et des sédiments de juillet 2009 (rapport semes- de l’eau relatives aux concentrations de phosphore total et de phosphates
triel : janvier-juin) (ci-après le « rapport de la DINAMA sur la qualité de dans le fleuve. L’Argentine ne dispose pas, elle non plus, de normes de
l’eau ») (voir p. 7, fig. 4.5 : moyenne de 9,4 mg/l) fait état de concentra- qualité de l’eau pour ce qui est du phosphore total. La Cour devra donc
tions d’oxygène dissous bien supérieures aux valeurs minimales requises se référer aux normes de qualité de l’eau et limites de rejets de phosphore
dans le digeste de la CARU. Troisièmement, le rapport de l’Argentine en total édictées par l’Uruguay dans le cadre de sa législation interne, telle
date du 30 juin 2009 indique, dans son résumé, que les paramètres de que qualifiée par la Cour plus haut, au paragraphe 200, afin de détermi-
qualité de l’eau relevés au cours de la période présentaient des valeurs ner si la teneur en phosphore total a dépassé les limites fixées dans les
« normales, avec des variations saisonnières de la température et des textes de réglementation des Parties adoptés conformément à l’alinéa a)
concentrations correspondantes en oxygène dissous ». Les centaines de de l’article 41 du statut de 1975. La concentration de phosphore total ne
valeurs consignées dans les données de ce chapitre du « Rapport peut, selon les normes de qualité de l’eau fixées par ce décret, excé-
Colombo » étayent cette conclusion, même si certaines sont légèrement der 0,025 mg/l pour certaines utilisations, telles que l’eau potable, l’irriga-
inférieures. Quatrièmement, les chiffres relatifs à l’oxygène dissous figu- tion des cultures destinées à la consommation humaine et l’utilisation de
83 84
95 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 96 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
l’eau à des fins récréatives qui impliquent un contact humain direct avec dépassement de la valeur standard pour l’un quelconque des para-
cette eau (décret no 253/79, réglementation de la qualité de l’eau). Le mètres critiques. » (Rapport de la DINAMA, p. 21.)
décret uruguayen fixe aussi — à 5 mg/l — la norme en matière de rejet de
phosphore total (ibid., article 11, alinéa 2)). L’usine Orion (Botnia) doit 246. La Cour observera en outre que l’autorisation environnementale
satisfaire à l’une et l’autre de ces normes. préalable, accordée le 15 février 2005, faisait obligation à Botnia de res-
243. La Cour estime que, sur la base des éléments de preuve qui lui ont pecter ces conditions, les normes de la CARU et les meilleures techniques
été soumis, l’usine Orion (Botnia) a jusqu’à présent satisfait aux normes disponibles, telles que définies dans le document IPPC-BAT de la Com-
en matière de rejet de phosphore total. Dans ce contexte, la Cour note mission européenne de décembre 2001. Elle imposait également la réa-
que, selon le troisième rapport de suivi d’EcoMetrix, les relevés de l’Uru- lisation d’un plan de mise en œuvre de mesures d’atténuation et de
guay enregistrent, pour les rejets d’effluents de l’usine, une valeur moyenne compensation. Ce plan avait été réalisé avant la fin de l’année 2007 et
de 0,59 mg/l de phosphore total en 2008. En outre, d’après le rapport de l’autorisation de mise en service fut accordée le 8 novembre 2007.
la DINAMA sur les émissions de juillet 2009, les chiffres relatifs aux Le 29 avril 2008, Botnia et l’OSE ont conclu un accord concernant le traite-
effluents variaient, pour la période allant de novembre 2008 à mai 2009, ment des eaux usées municipales de Fray Bentos, visant à réduire les
entre 0,053 mg/l et 0,41 mg/l (voir, par exemple, DINAMA, rapport rejets de phosphore total et autres polluants.
semestriel des résultats du plan de contrôle des émissions et de la perfor- 247. La Cour estime que le volume de phosphore total rejeté dans le
mance environnementale (11 novembre 2008-31 mai 2009), 22 juillet 2009, fleuve qui est attribuable à l’usine Orion (Botnia) est proportionnellement
p. 5 ; voir aussi p. 25 et 26). L’Argentine ne conteste pas ces chiffres, dont insignifiant, par rapport à la teneur globale du fleuve en phosphore total
les valeurs sont clairement inférieures à la norme établie en vertu du provenant d’autres sources. Elle conclut donc que le fait que la concen-
décret uruguayen. tration de phosphore total dans le fleuve dépasse les limites fixées par la
244. La Cour notera à cet égard que, dès le 11 février 2005, la législation uruguayenne en matière de normes de qualité de l’eau ne sau-
DINAMA relevait, dans son rapport d’évaluation de l’impact sur l’envi- rait être considéré comme une violation de l’alinéa a) de l’article 41 du
ronnement relatif à l’usine Orion (Botnia), la forte teneur en nutriments statut de 1975, compte tenu de la teneur relativement élevée en phosphore
(phosphore et azote) dans le fleuve, et indiquait ceci : total du fleuve avant la mise en service de l’usine et des mesures prises par
176
l’Uruguay à titre de compensation.
« Cette situation provoque fréquemment la prolifération d’algues
parfois très toxiques en raison de la présence de cyanobactéries. 248. La Cour en vient maintenant à l’examen de la question de la pro-
Ces proliférations — qui ont augmenté, à la fois en fréquence et en lifération d’algues du 4 février 2009. L’Argentine a attribué celle-ci aux
intensité, ces dernières années — constituent un risque sanitaire et nutriments rejetés dans le fleuve par l’usine Orion (Botnia). A l’appui de
provoquent de lourdes pertes économiques, dans la mesure où cette assertion, elle renvoie à la présence d’effluents dans les algues bleues
elles perturbent certaines utilisations de l’eau comme les activités ainsi qu’à diverses images satellite montrant la concentration de chloro-
de loisirs et l’approvisionnement en eau de boisson. A cette situation phylle dans l’eau. De telles proliférations se produisent, selon l’Argentine,
existante, il convient d’ajouter qu’à l’avenir l’usine rejettera un total pendant la saison chaude et sont dues à une croissance explosive d’algues,
de 200 tonnes/an d’azote et de 20 tonnes/an de phosphore, soit en particulier de cyanobactéries, consécutive à un enrichissement en
des valeurs équivalant approximativement aux rejets d’une ville de nutriments, principalement des phosphates, entre autres éléments entrant
65 000 habitants dépourvue de système de traitement des eaux dans la composition des détergents et fertilisants.
usées. » (P. 20, par. 6.1.) 249. L’Uruguay soutient que la prolifération d’algues de février 2009
245. Le rapport de la DINAMA se poursuit en ces termes : — et la forte concentration de chlorophylle — n’a pas été causée par
l’usine Orion (Botnia), mais pourrait être apparue très en amont de
« Il est également entendu qu’il serait contre-indiqué d’autoriser le celle-ci et s’explique très probablement non pas par les rejets d’effluents
rejet de déchets de nature à accroître la valeur de tout paramètre de l’usine, mais par l’afflux de visiteurs à l’occasion du carnaval annuel
ayant déjà atteint un seuil critique, même lorsque cette augmentation de Gualeguaychú et l’augmentation correspondante du volume des eaux
est considérée comme insignifiante par l’entreprise. Néanmoins, les usées. L’Uruguay soutient que les relevés de l’Argentine montrent en réa-
variations de ces valeurs ne dépendant pas des seuls effluents du pro- lité que, depuis sa mise en service, l’usine Orion (Botnia) n’a à aucun
jet — ces paramètres étant susceptibles d’être modifiés par le déver- moment provoqué l’augmentation de la concentration de phosphore dans
sement de tout effluent industriel ou domestique —, le rejet des le fleuve.
déchets proposé dans le projet pourrait être accepté, à condition de 250. Les Parties sont d’accord sur plusieurs points en ce qui concerne
prévoir une compensation en cas d’augmentation provoquant le la prolifération d’algues du 4 février 2009 : elles conviennent notamment
85 86
97 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 98 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
que les concentrations de nutriments dans le fleuve Uruguay ont atteint fisants pour attribuer l’augmentation alléguée des concentrations de subs-
des niveaux élevés tant avant qu’après cet épisode, et que celui-ci a été tances phénoliques dans le fleuve aux activités de l’usine Orion (Botnia).
très bref. Les Parties semblent également d’accord pour reconnaître
l’existence de liens étroits entre prolifération d’algues, élévation des tem- iv) La présence de nonylphénols dans le milieu aquatique
pératures, faiblesse ou inversion du courant, et présence dans le fleuve de
fortes concentrations de nutriments tels que l’azote et le phosphore. Il n’a 255. L’Argentine affirme que l’usine Orion (Botnia) rejette, ou a rejeté,
toutefois pas été établi à la satisfaction de la Cour que la prolifération des nonylphénols, ce qui aurait un effet dommageable, ou ferait du moins
d’algues du 4 février 2009 avait été causée par les rejets de nutriments de peser une lourde menace, sur le milieu aquatique. Selon elle, la source de
l’usine Orion (Botnia). pollution la plus probable est à rechercher dans les agents tensioactifs
(détergents), les éthoxylates de nonylphénol, utilisés pour nettoyer la pâte
iii) Les substances phénoliques à papier et les équipements de l’usine elle-même. Toujours selon l’Argen-
tine, l’analyse de 46 relevés a permis d’établir que les plus fortes concen-
251. L’Argentine soutient que les rejets de polluants émanant de l’usine trations de nonylphénols, notamment celles qui étaient supérieures aux
Orion (Botnia) ont, depuis la mise en service de celle-ci, enfreint la norme normes pertinentes de l’Union européenne, se trouvaient dans les échan-
relative aux substances phénoliques établie par la CARU, les données de tillons d’eau prélevés dans le tronçon situé en face et en aval de l’usine et
référence antérieures à l’exploitation ne faisant apparaître aucun dépas- dans les échantillons d’algues bleues ayant proliféré le 4 février 2009, avec
sement des valeurs maximales fixées par celle-ci. L’Uruguay, pour sa des concentrations plus faibles en amont et en aval, laissant penser que
part, affirme que ces valeurs ont été maintes fois dépassées, sur toute la les effluents rejetés par l’usine Orion (Botnia) étaient la source la plus
longueur du fleuve, bien avant le démarrage des activités de l’usine. A probable de ces résidus. En outre, les prélèvements effectués sur les sédi-
l’appui de cette assertion, il cite plusieurs études, dont l’étude d’impact ments du fond du fleuve dans le tronçon situé en face et en aval de l’usine
cumulé finale réalisée par EcoMetrix selon laquelle le taux maximal de auraient montré que la concentration de nonylphénols avait augmenté
substances phénoliques, fixé à 0,001 mg/l par la norme de qualité de l’eau rapidement entre septembre 2006 et février 2009, confirmant ainsi la pré-
de la CARU, a fréquemment été dépassé. sence accrue de ces composés dans le fleuve Uruguay. Pour l’Argentine,
177
252. La Cour note également que, selon les données fournies par la répartition spatiale des effets sublétaux détectés chez les rotifères
l’Uruguay, des valeurs supérieures à la limite autorisée par la norme de la (absence de vertèbres), les coquillages asiatiques transplantés (réduction
qualité de l’eau avaient été observées bien avant la mise en service de des réserves lipidiques) et les poissons (effets estrogènes) coïncidait avec
l’usine. Ainsi, selon l’étude d’impact cumulé finale réalisée en septembre le périmètre de distribution des nonylphénols, signe que ces composés
2006 par EcoMetrix à la demande de la SFI, les substances phénoliques pourraient avoir un effet perturbateur important.
ont fréquemment excédé la limite autorisée, les concentrations les plus 256. L’Uruguay rejette les allégations de l’Argentine relatives aux
élevées étant mesurées dans la partie argentine du fleuve. Certains relevés nonylphénols et aux éthoxylates de nonylphénol, et dément catégorique-
figurant dans le rapport le plus récent soumis à la Cour indiquent encore ment l’usage de ces deux substances par l’usine Orion (Botnia). Il fournit
des concentrations excessives, mais la plupart enregistrent des valeurs des déclarations sous serment émanant de responsables de Botnia selon
inférieures à la limite autorisée (Rapport de la DINAMA sur la qualité lesquelles l’usine n’utilise pas, et n’a jamais utilisé, de nonylphénols ou de
de l’eau de juillet 2009, p. 21, par. 4.1.11.2 et appendice I, qui indique des dérivés d’éthoxylates de nonylphénol dans l’un quelconque de ses procé-
taux compris entre 0,0005 et 0,012 mg/l). dés de fabrication de pâte à papier, y compris au cours des opérations de
253. Un conseil de l’Argentine a fait valoir à l’audience que c’était lavage et de nettoyage de la pâte, et qu’aucun agent nettoyant contenant
l’activité de l’usine qui avait entraîné des dépassements des valeurs limi- des nonylphénols n’est ou n’a été utilisé pour nettoyer les équipements de
tes, lesquels n’avaient jamais été observés antérieurement. Les concentra- l’usine (déclaration sous serment de M. González, 2 octobre 2009).
tions de substances polluantes, a-t-il déclaré, avaient en moyenne triplé, 257. La Cour tient à rappeler que la question des nonylphénols n’avait
la valeur maximale étant vingt fois supérieure à la valeur autorisée. Selon pas été soulevée en l’affaire avant que l’Argentine ne verse au dossier son
l’Uruguay, les données figurant dans le rapport de juillet 2009 de la rapport du 30 juin 2009. Bien que les concentrations de nonylphénols
DINAMA indiquent que les concentrations de substances phénoliques aient été mesurées depuis novembre 2008, l’Argentine n’a pas, de l’avis de
mesurées après la mise en service étaient inférieures aux valeurs de réfé- la Cour, produit d’éléments de preuve établissant clairement un lien entre
rence sur l’ensemble du fleuve, y compris au niveau de la prise d’eau de les nonylphénols présents dans les eaux du fleuve et l’usine Orion (Bot-
l’OSE. nia). L’Uruguay a également démenti catégoriquement devant la Cour
254. D’après les éléments versés au dossier, y compris les données four- l’utilisation par l’usine Orion (Botnia) d’éthoxylates de nonylphénol dans
nies par les Parties, la Cour conclut que les éléments de preuve sont insuf- ses procédés de fabrication et de nettoyage. La Cour est donc amenée à
87 88
99 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 100 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
conclure que les éléments versés au dossier ne viennent pas étayer les allé- l’exploitation de l’usine fait peser un risque sur le site d’Esteros de Far-
gations de l’Argentine. rapos, situé sur le cours inférieur du fleuve Uruguay « en aval du barrage
de Salto Grande et à la frontière avec l’Argentine », à quelques kilomètres
v) Les dioxines et furanes en amont de l’usine Orion (Botnia).
258. L’Argentine a affirmé que les concentrations de dioxines et de 261. L’Uruguay affirme que l’Argentine n’a pas démontré qu’il avait
furanes étaient généralement très faibles dans les sédiments de surface, commis la moindre violation de la convention sur la diversité biologique,
mais que les données issues de ses études laissaient apparaître une ten- tandis que la convention de Ramsar est sans pertinence en l’espèce puis-
dance à la hausse par rapport aux données recueillies avant la mise en que le site d’Esteros de Farrapos ne figure pas sur la liste des sites Ram-
service de l’usine Orion (Botnia). L’Argentine ne prétend pas que les nor- sar dont les caractéristiques écologiques sont menacées. Quant à la pos-
mes établies n’ont pas été respectées, mais s’appuie sur un échantillon- sibilité que le panache d’effluents provenant de l’usine atteigne Esteros de
nage de poissons sábalos effectué par son équipe de surveillance, qui a Farrapos, l’Uruguay a reconnu à l’audience qu’un tel phénomène pouvait
révélé que l’un de ces poissons présentait des taux élevés de dioxines et de se produire lorsque certaines conditions étaient réunies. Toutefois l’Uru-
furanes, pour conclure à une présence de plus en plus notable de ces deux guay a ajouté que l’on peut s’attendre à ce que la dilution des effluents de
substances dans le fleuve depuis la mise en service de l’usine Orion (Bot- l’usine au 1/1000 rende ces derniers relativement inoffensifs, étant rame-
nia). L’Uruguay conteste cette assertion, affirmant que l’élévation de ces née bien en deçà de toute concentration constitutive de pollution. L’Uru-
taux ne peut être attribuée à l’exploitation de l’usine Orion (Botnia) vu le guay soutient que les allégations de l’Argentine concernant les effets pré-
nombre d’usines en service sur les rives du fleuve et dans la baie voisine judiciables des effluents de l’usine Orion (Botnia) sur les poissons et les
de Nandubaysal, et le fait que le sábalo ayant fait l’objet de ce contrôle rotifères ne sont pas crédibles. Il renvoie à un rapport détaillé récemment
est une espèce de grands migrateurs. En outre, selon l’Uruguay, il ressort publié par la DINAMA sur l’ichtyofaune, selon lequel la biodiversité des
des résultats des analyses que ni dioxines ni furanes n’ont été introduits espèces n’a pas changé entre 2008 et 2009. L’Uruguay ajoute que, dans
dans les effluents de l’usine Orion (Botnia) puisque les concentrations de son rapport de juillet 2009 sur les résultats des analyses effectuées en
ces deux substances n’étaient pas plus élevées, de manière mesurable, février 2009 sur les sédiments dans lesquels s’alimentent certaines espèces
dans les effluents de l’usine que dans l’eau puisée dans le fleuve pour les de poissons, la DINAMA a déclaré que « la qualité des sédiments au fond
178
besoins du processus de fabrication. du fleuve Uruguay n’a[vait] pas été altérée du fait de l’activité industrielle
259. La Cour estime que les éléments de preuve ne permettent pas de l’usine Botnia ».
d’établir clairement un lien entre la présence accrue de dioxines et de 262. De l’avis de la Cour, dans le cadre de leur obligation de préserver
furanes dans le fleuve et l’exploitation de l’usine Orion (Botnia). le milieu aquatique, les Parties ont le devoir de protéger la faune et la
flore du fleuve. Les normes et les mesures qu’elles sont tenues d’adopter
d) Effets sur la diversité biologique au titre de l’article 41 devraient également refléter leurs engagements
internationaux en matière de protection de la biodiversité et des habitats,
260. L’Argentine affirme que l’Uruguay « a négligé de prendre toutes outre les autres normes relatives à la qualité de l’eau et aux rejets
les mesures propres à protéger et à préserver la diversité biologique du d’effluents. La Cour ne dispose cependant pas d’éléments de preuve suf-
fleuve Uruguay et ses zones d’influence ». Selon l’Argentine, l’obligation fisants pour lui permettre de conclure que l’Uruguay n’a pas respecté
conventionnelle « de protéger et de préserver le milieu aquatique » com- l’obligation lui incombant de préserver le milieu aquatique, y compris en
prend une obligation de protéger la diversité biologique du fleuve, y com- protégeant la faune et la flore. Les éléments recueillis montrent plutôt
pris « les habitats et les espèces de la flore et de la faune ». Par l’effet de la qu’aucun lien n’a pu être clairement établi entre les effluents de l’usine
« clause de renvoi » contenue dans l’alinéa a) de l’article 41, l’Argentine Orion (Botnia) et les malformations des rotifères, les concentrations de
soutient que le statut de 1975 impose à l’Uruguay, dans le cadre des acti- dioxines mesurées chez le sábalo ou la réduction des réserves lipidiques
vités qu’il entreprend sur le fleuve et dans ses zones d’influence, d’honorer des coquillages, dont il est fait état dans les constatations du programme
les obligations découlant de la convention CITES, de la convention sur la de surveillance environnementale du fleuve Uruguay mis en œuvre par
diversité biologique et de la convention de Ramsar. Elle affirme que son l’Argentine (programme URES).
programme de surveillance a permis de mettre en évidence des effets
anormaux chez les organismes aquatiques — tels que la malformation e) Pollution atmosphérique
des rotifères et la réduction des réserves lipidiques des coquillages — et
une biomagnification de certains polluants persistants, comme les dio- 263. L’Argentine affirme que l’usine Orion (Botnia) a provoqué une
xines et les furanes, chez les poissons détritivores (tel le poisson sábalo). pollution atmosphérique, sonore et visuelle qui a eu un impact négatif sur
L’Argentine affirme également que, lors des inversions de courant, « le milieu aquatique », en violation de l’article 41 du statut de 1975. Elle
89 90
101 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 102 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
fait également valoir que ce dernier a été conclu pour protéger non seu- V. LES DEMANDES PRÉSENTÉES PAR LES PARTIES
lement la qualité des eaux, mais aussi, plus généralement, le « régime » et DANS LEURS CONCLUSIONS FINALES
les « zones d’influence » du fleuve, c’est-à-dire « l’ensemble des éléments
qui influencent, et qui sont influencés par, l’écosystème du fleuve pris 267. La Cour ayant conclu que l’Uruguay a manqué aux obligations
dans son ensemble ». L’Uruguay soutient que la Cour n’est pas compé- de nature procédurale lui incombant en vertu du statut de 1975 (voir
tente pour traiter ces questions et qu’en tout état de cause le bien-fondé paragraphes 111, 122, 131, 149, 157 et 158 ci-dessus), il lui appartient de
des allégations de l’Argentine n’est pas établi. tirer les conséquences de ces faits internationalement illicites qui engagent
264. Pour ce qui est de la pollution visuelle et sonore, la Cour a déjà la responsabilité internationale de l’Uruguay et de déterminer le contenu
conclu au paragraphe 52 que ces questions ne relevaient pas de sa com- de celle-ci.
pétence en vertu du statut de 1975. Pour ce qui est de la pollution atmo- 268. L’Argentine demande en premier lieu à la Cour de constater que
sphérique, la Cour est d’avis que, si les rejets des cheminées de l’usine l’Uruguay a violé les obligations de nature procédurale lui incombant en
déposaient dans le milieu aquatique des substances nocives, cette pollu- vertu du statut de 1975, et a engagé sa responsabilité internationale à ce
tion indirecte du fleuve relèverait des dispositions du statut de 1975. titre. Elle demande aussi à la Cour d’ordonner à l’Uruguay la cessation
L’Uruguay semble adhérer à cette conclusion. Quoi qu’il en soit, eu égard immédiate de ces faits internationalement illicites.
aux conclusions de la Cour sur la qualité de l’eau, la Cour estime que les 269. La Cour considère que la constatation du comportement illicite
éléments versés au dossier n’établissent pas clairement que des substances de l’Uruguay en ce qui concerne ses obligations de nature procédurale
toxiques ont été introduites dans le milieu aquatique en conséquence des constitue en elle-même une mesure de satisfaction pour l’Argentine. Les
rejets atmosphériques de l’usine Orion (Botnia). manquements de l’Uruguay aux obligations de nature procédurale ayant
eu lieu par le passé et ayant pris fin, il n’y a pas lieu d’en ordonner la
f) Conclusions relatives à l’article 41 cessation.
265. Il découle de ce qui précède que les éléments de preuve versés au 270. L’Argentine estime toutefois qu’un constat d’illicéité constituerait
dossier ne permettent pas d’établir de manière concluante que l’Uruguay une forme de réparation insuffisante, quand bien même la Cour consta-
n’a pas agi avec la diligence requise ou que les rejets d’effluents de terait que l’Uruguay n’a manqué à aucune obligation de fond découlant
179
l’usine Orion (Botnia) ont eu des effets délétères ou ont porté atteinte aux du statut de 1975, mais seulement à certaines de ses obligations de nature
ressources biologiques, à la qualité des eaux ou à l’équilibre écologique procédurale. L’Argentine soutient en effet que les obligations de nature
du fleuve depuis le démarrage des activités de l’usine en novembre 2007. procédurale et les obligations de fond prévues par le statut de 1975 sont
En conséquence, sur la base des preuves qui lui ont été présentées, la étroitement liées et qu’on ne saurait les dissocier sous l’angle de la répara-
Cour conclut que l’Uruguay n’a pas violé ses obligations au titre de l’ar- tion, car les manquements aux premières continueraient à produire des
ticle 41. effets indésirables alors même qu’ils auraient pris fin. En conséquence,
l’Argentine estime que l’Uruguay est tenu de « rétablir sur le terrain et au
g) Obligations continues : suivi et contrôle plan juridique la situation qui existait avant la perpétration de[s] ... faits
internationalement illicites ». A ce titre, l’usine Orion (Botnia) devrait être
266. De l’avis de la Cour, les deux Parties ont l’obligation de veiller à démantelée. Selon l’Argentine, la restitutio in integrum serait en effet la
ce que la CARU, en tant que mécanisme commun créé par le statut forme de réparation de principe du fait internationalement illicite. En
de 1975, puisse continûment exercer les pouvoirs que lui confère le statut, s’appuyant sur l’article 35 des articles de la Commission du droit inter-
y compris ses fonctions de surveillance de la qualité des eaux du fleuve et national sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illi-
d’évaluation de l’impact de l’exploitation de l’usine Orion (Botnia) sur le cite, l’Argentine soutient que la restitution jouirait d’une priorité sur
milieu aquatique. L’Uruguay, pour sa part, a l’obligation de poursuivre toutes les autres formes de réparation, sauf lorsqu’elle est « matériellement
le contrôle et le suivi du fonctionnement de l’usine conformément à l’ar- impossible » ou impose « une charge hors de toute proportion avec l’avan-
ticle 41 du statut et de s’assurer que Botnia respecte la réglementation tage qui dériverait de la restitution plutôt que de l’indemnisation ». Elle
interne uruguayenne ainsi que les normes fixées par la commission. En expose que le démantèlement de l’usine n’est pas matériellement impos-
vertu du statut de 1975, les Parties sont juridiquement tenues de poursui- sible et n’emporterait par ailleurs pas de charge hors de toute proportion
vre leur coopération par l’intermédiaire de la CARU et de permettre à dans le chef de l’Etat défendeur, dès lors que ce dernier a
cette dernière de développer les moyens nécessaires à la promotion de
l’utilisation équitable du fleuve, tout en protégeant le milieu aquatique. « souligné que la construction des usines ne reviendrait pas à consti-
tuer un fait accompli susceptible de porter préjudice aux droits
* * de l’Argentine, et que la décision de poursuivre les travaux et de
91 92
103 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 104 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
prendre ainsi le risque de devoir démanteler les usines en cas de déci- de la satisfaction (voir Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie),
sion défavorable de la Cour relevait de sa seule responsabilité », arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 81, par. 152 ; Conséquences juridiques de l’édi-
fication d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
ainsi que la Cour l’a noté dans son ordonnance sur la demande en indica- C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 198, par. 152-153 ; Application de la conven-
tion de mesures conservatoires soumise par l’Argentine en la présente tion pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-
affaire (ordonnance du 13 juillet 2006, C.I.J. Recueil 2006, p. 125, par. 47). Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I),
L’Argentine ajoute que le caractère éventuellement disproportionné de la p. 233, par. 460 ; voir également les articles 34 à 37 des articles de la Com-
restitution doit s’apprécier au plus tard au moment du dépôt de la mission du droit international sur la responsabilité de l’Etat pour fait
requête introductive d’instance, puisque dès cet instant l’Uruguay ne internationalement illicite).
pouvait ignorer le risque qu’il encourait en poursuivant la construc- 274. Tout comme les autres formes de réparation, la restitution doit
tion de l’usine litigieuse, ayant connaissance de la demande argentine de être appropriée au préjudice subi, compte tenu de la nature du fait illicite
cessation des travaux et de rétablissement de la situation antérieure. dont il procède. Comme la Cour l’a souligné,
L’Argentine considère enfin que les articles 42 et 43 du statut de 1975
« savoir ce qui constitue « une réparation dans une forme adé-
sont inapplicables en l’espèce car ils établissent un régime de respon-
quate » ... dépend, manifestement, des circonstances concrètes de
sabilité en l’absence de fait illicite.
chaque affaire ainsi que de la nature exacte et de l’importance du
271. Considérant que les obligations de nature procédurale sont dis-
préjudice, puisqu’il s’agit de déterminer quelle est la « réparation
tinctes des obligations de fond prévues par le statut de 1975, et que le
dans une forme adéquate » qui correspond à ce préjudice » (Avena et
contenu de la règle en cause doit être pris en compte pour déterminer la
autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique),
forme que doit prendre l’obligation de réparer découlant de sa violation,
arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 59, par. 119).
l’Uruguay soutient que la restitution ne serait pas une forme de répara-
tion appropriée s’il n’était trouvé responsable que de manquements à des 275. Comme la Cour a eu l’occasion de le montrer (voir paragra-
obligations de nature procédurale. L’Uruguay souligne qu’en toute hypo- phes 154 à 157 ci-dessus), les obligations de nature procédurale du statut
thèse le démantèlement de l’usine Orion (Botnia) emporterait une « dis- de 1975 n’emportaient pas, après l’expiration de la période de négocia-
180
proportion frappante entre la gravité des conséquences du fait illicite tion, l’interdiction pour l’Uruguay de construire l’usine Orion (Botnia) en
reproché et celles du remède demandé », le caractère éventuellement dis- l’absence du consentement de l’Argentine. La Cour a relevé cependant
proportionné de la charge que représente la restitution devant s’apprécier que la construction de cette usine avait commencé avant la fin des négo-
au moment où la Cour statue et non, comme le soutient l’Argentine, au ciations, en violation des obligations de nature procédurale énoncées par
moment de sa saisine. L’Uruguay ajoute que le statut de 1975 constitue le statut de 1975. Par ailleurs, ainsi que la Cour l’a constaté sur la base
une lex specialis au regard du droit de la responsabilité internationale, ses des éléments de preuve qui lui ont été soumis, le fonctionnement de
articles 42 et 43 érigeant l’indemnisation, et non la restitution, comme la l’usine Orion (Botnia) n’a pas entraîné une violation des obligations de
forme de réparation appropriée en cas de pollution du fleuve survenant fond prévues par le statut de 1975 (paragraphes 180, 189 et 265 ci-
en violation du statut de 1975. dessus). Dès lors qu’il n’était pas interdit à l’Uruguay de construire et
272. N’ayant pas été saisie d’une demande de réparation fondée sur un de mettre en service l’usine Orion (Botnia) après l’expiration de la période
régime de responsabilité en l’absence de fait illicite, la Cour n’estime pas de négociation, et que l’Uruguay n’a violé aucune des obligations de fond
nécessaire de déterminer si les articles 42 et 43 du statut de 1975 établis- imposées par le statut de 1975, ordonner le démantèlement de cette ins-
sent un tel régime. Il ne saurait par contre être déduit du texte desdits tallation ne saurait constituer, de l’avis de la Cour, une forme de répara-
articles, qui visent spécifiquement des cas de pollution, qu’ils auraient tion appropriée à la violation des obligations de nature procédurale.
pour objet ou pour effet d’écarter toute autre forme de réparation que 276. L’Uruguay n’ayant pas manqué aux obligations de fond décou-
l’indemnisation en cas de manquement aux obligations de nature procé- lant du statut de 1975, la Cour ne saurait davantage, pour les mêmes rai-
durale découlant du statut de 1975. sons, accueillir la demande de l’Argentine relative à l’indemnisation de
273. La Cour rappelle que, selon le droit international coutumier, la certains préjudices dans différents secteurs économiques, notamment le
restitution est l’une des formes de réparation du préjudice ; elle consiste tourisme et l’agriculture, dont elle allègue l’existence.
dans le rétablissement de la situation qui existait avant la survenance du 277. L’Argentine demande aussi à la Cour de dire et juger que l’Uru-
fait illicite. La Cour rappelle également que, dans les cas où la restitution guay doit « donner des garanties adéquates qu’[il] s’abstiendra à l’avenir
est matériellement impossible ou emporte une charge hors de toute pro- d’empêcher l’application du statut du fleuve Uruguay de 1975 et, en par-
portion avec l’avantage qui en dériverait, la réparation prend alors la ticulier, du mécanisme de consultation institué par le chapitre II de ce
forme de l’indemnisation ou de la satisfaction, voire de l’indemnisation et traité ».
93 94
105 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT) 106 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
278. La Cour n’aperçoit pas en la présente espèce de circonstances du mécanisme conjoint constitué par la CARU, conformément aux dis-
spéciales requérant d’ordonner une mesure telle que celle que réclame positions du statut de 1975, et trouvé dans ce cadre des solutions appro-
l’Argentine. Comme la Cour a eu récemment l’occasion de le rappeler : priées à leurs divergences sans éprouver la nécessité d’avoir recours au
règlement judiciaire des différends prévu à l’article 60 du statut, jusqu’à
« [S]i la Cour peut, comme il lui est arrivé de le faire, ordonner à
ce que la présente affaire soit portée devant la Cour.
l’Etat responsable d’un comportement internationalement illicite
d’offrir à l’Etat lésé des assurances et des garanties de non-
répétition, c’est seulement si les circonstances le justifient, ce * * *
qu’il lui appartient d’apprécier. 282. Par ces motifs,
En règle générale, il n’y a pas lieu de supposer que l’Etat dont un
acte ou un comportement a été déclaré illicite par la Cour répétera à La COUR,
l’avenir cet acte ou ce comportement, puisque sa bonne foi doit être 1) Par treize voix contre une,
présumée (voir Usine de Chorzów, fond, arrêt no 13, 1928, C.P.J.I.
série A no 17, p. 63 ; Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, Dit que la République orientale de l’Uruguay a manqué aux obliga-
C.I.J. Recueil 1974, p. 272, par. 60 ; Essais nucléaires (Nouvelle- tions de nature procédurale lui incombant en vertu des articles 7 à 12 du
Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 477, par. 63 ; et statut du fleuve Uruguay de 1975 et que la constatation par la Cour de
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci cette violation constitue une satisfaction appropriée ;
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, POUR :M. Tomka, vice-président, faisant fonction de président en l’affaire ;
arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 437, par. 101). Il n’y a donc pas lieu, MM. Koroma, Al-Khasawneh, Simma, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor,
sauf circonstances spéciales ... d’ordonner [que des assurances et des Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Greenwood, juges ;
M. Vinuesa, juge ad hoc ;
garanties de non-répétition soient offertes]. » (Différend relatif à des
CONTRE : M. Torres Bernárdez, juge ad hoc ;
droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicara-
gua), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 267, par. 150.) 2) Par onze voix contre trois,
181
279. L’Uruguay demande pour sa part à la Cour de confirmer son Dit que la République orientale de l’Uruguay n’a pas manqué aux obli-
droit « de poursuivre l’exploitation de l’usine Botnia conformément aux gations de fond lui incombant en vertu des articles 35, 36 et 41 du statut
dispositions du statut de 1975 ». L’Argentine estime que cette demande du fleuve Uruguay de 1975 ;
doit être rejetée, notamment parce que, ayant été formulée pour la pre- POUR :M. Tomka, vice-président, faisant fonction de président en l’affaire ;
mière fois dans la duplique de l’Uruguay, elle constituerait une demande MM. Koroma, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov,
reconventionnelle irrecevable au regard de l’article 80 du Règlement. Cançado Trindade, Yusuf, Greenwood, juges ; M. Torres Bernárdez, juge
280. Sans qu’il soit nécessaire à la Cour de trancher la question de ad hoc ;
recevabilité de cette demande, il lui suffit de constater que la demande de CONTRE : MM. Al-Khasawneh, Simma, juges ; M. Vinuesa, juge ad hoc ;
l’Uruguay n’a aucune portée utile dès lors que les demandes de l’Argen- 3) A l’unanimité,
tine relatives aux violations, par l’Uruguay, de ses obligations de fond et
au démantèlement de l’usine Orion (Botnia) ont été rejetées. Rejette le surplus des conclusions des Parties.
95 96
107 USINES DE PÂTE À PAPIER (ARRÊT)
(Paraphé) P.T.
(Paraphé) Ph.C.
182
97
Cour internationale de Justice
183
5 DECEMBER 2011
Paragraphes
QUALITÉS 1-14
I. INTRODUCTION 15-22
184
III. QUESTION DE SAVOIR SI LE DÉFENDEUR NE S’EST PAS CONFORMÉ À
APPLICATION DE L’ACCORD INTÉRIMAIRE DU 13 SEPTEMBRE 1995 L’OBLIGATION CONTENUE DANS LE PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE 11
DE L’ACCORD INTÉRIMAIRE 62-113
(EX-RÉPUBLIQUE YOUGOSLAVE DE MACÉDOINE c. GRÈCE) 1. L’obligation de ne pas s’opposer à l’admission du demandeur à
l’OTAN qui incombe au défendeur au titre du paragraphe 1 de
l’article 11 de l’accord intérimaire 67-83
A. Le sens de la première clause du paragraphe 1 de l’article 11
de l’accord intérimaire 67-71
B. La question de savoir si le défendeur «s’est opposé» à
l’admission du demandeur à l’OTAN 72-83
2. L’effet de la seconde clause du paragraphe 1 de l’article 11 de
l’accord intérimaire 84-103
3. L’article 22 de l’accord intérimaire 104-112
4. Conclusion quant à la question de savoir si le défendeur ne s’est
pas conformé au paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord
intérimaire 113
5 DÉCEMBRE 2011
ARRÊT
- ii -
185
F. La violation du paragraphe 3 de l’article 7 qu’aurait
commise le demandeur 154-160 Dissolution de la République fédérative socialiste de Yougoslavie Demande d’admission
3. Conclusions concernant les justifications additionnelles invoquées à l’Organisation des Nations Unies présentée par le demandeur le 30 juillet 1992 Opposition du
par le défendeur 161-164 défendeur à l’admission du demandeur Résolution 817 (1993) du Conseil de
A. Conclusion concernant l’exceptio non adimpleti contractus 161 sécurité Admission du demandeur à l’Organisation des Nations Unies sous l’appellation
provisoire d’«ex-République yougoslave de Macédoine» Accord intérimaire du
B. Conclusion concernant la réponse à une violation 13 septembre 1995 Candidature du demandeur à l’OTAN ayant été examinée au sommet de
substantielle 162-163 Bucarest les 2 et 3 avril 2008 Demandeur n’ayant pas été invité à entamer des discussions en
C. Conclusion concernant les contre-mesures 164-165 vue d’adhérer à l’OTAN.
V. RÉPARATION 167-169
DISPOSITIF 170 *
Seconde exception d’incompétence soulevée par le défendeur Argument selon lequel le Non-respect par le défendeur de l’obligation que lui impose le paragraphe 1 de l’article 11.
différend a trait à un comportement imputable à l’OTAN et à ses Etats membres Demandeur
entendant tirer grief du comportement du défendeur et non de la décision de l’OTAN Nul besoin
de déterminer la responsabilité de l’OTAN ou de ses Etats membres Principe de l’Or monétaire
*
dépourvu de pertinence Exception ne pouvant être retenue.
Première exception du défendeur à la recevabilité de la requête Argument selon lequel Justifications additionnelles invoquées par le défendeur.
l’arrêt ne serait pas susceptible d’application effective Prétentions du demandeur ayant trait au
comportement du défendeur Arrêt susceptible d’application effective par les Exceptio non adimpleti contractus Réponse à une violation substantielle d’un
Parties Exception ne pouvant être retenue. traité Contre-mesures Certaines conditions minimales communes à ces trois arguments.
Seconde exception du défendeur à la recevabilité de la requête Argument selon lequel Allégations du défendeur selon lesquelles le demandeur ne s’est pas conformé aux
l’arrêt de la Cour interférerait avec les négociations diplomatiques en cours Règlement des obligations que lui impose l’accord intérimaire Demandeur n’ayant pas contrevenu à la
différends par la Cour n’étant pas incompatible avec des négociations diplomatiques Exception seconde clause du paragraphe 1 de l’article 11 Violation du paragraphe 1 de l’article 5
ne pouvant être retenue. qu’aurait commise le demandeur Obligation de négocier de bonne foi Défendeur n’ayant
pas, comme il en avait la charge, démontré que le demandeur avait manqué à l’obligation que lui
Cour se déclarant compétente Requête jugée recevable. impose le paragraphe 1 de l’article 5 Demandeur n’ayant pas contrevenu au paragraphe 2 de
l’article 6 interdisant l’intervention dans les affaires intérieures du défendeur Demandeur
n’ayant pas contrevenu au paragraphe 1 de l’article 7 qui lui impose de prendre des mesures
efficaces aux fins d’interdire des actes d’hostilité ou de propagande par des organismes
*
d’Etat Violation du paragraphe 2 de l’article 7 qu’aurait commise le demandeur Seul cas,
en 2004, dans lequel le demandeur a utilisé un symbole visé par l’interdiction figurant au
Fond. paragraphe 2 de l’article 7 Demandeur n’ayant pas contrevenu au paragraphe 3 de l’article 7,
qui a trait à la procédure devant être suivie dans les cas où des symboles faisant partie du
Argument du demandeur selon lequel le défendeur ne s’est pas conformé à l’obligation que patrimoine historique ou culturel de l’une des Parties sont utilisés par l’autre Partie.
186
lui impose le paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire.
Conclusions concernant les justifications additionnelles invoquées par le
Sens de la première clause du paragraphe 1 de l’article 11 Parties n’ayant pas eu défendeur Conditions qui, selon le défendeur, sont requises pour que l’exceptio s’applique
l’intention d’exclure l’OTAN du champ d’application de cette disposition Question de savoir si n’ayant pas été remplies Cour n’ayant pas besoin de déterminer si cette théorie fait partie du
le défendeur «s’est opposé» à l’admission du demandeur à l’OTAN Règlement de la divergence droit international contemporain Réponse à une violation substantielle Utilisation du
au sujet du nom ayant été le «critère décisif» pour que le défendeur accepte l’admission du symbole en 2004 ne pouvant être considérée comme une violation substantielle au sens de
demandeur à l’OTAN Défendeur s’étant opposé à l’admission du demandeur à l’OTAN. l’article 60 de la convention de Vienne de 1969 Défendeur n’ayant pas démontré que son
comportement de 2008 était une réponse à la violation de 2004 Contre-mesures Violation
Effet de la seconde clause du paragraphe 1 de l’article 11 Sens ordinaire des termes par le demandeur du paragraphe 2 de l’article 7 ayant pris fin en 2004 Objection du défendeur
employés Sens de l’expression «dans la mesure où» Sens de la formule «doit être doté ne pouvant se justifier comme une contre-mesure Justifications additionnelles invoquées par le
[] … d’une appellation différente [de] celle prévue au paragraphe 2 de la résolution 837 (1993) du défendeur ne pouvant être retenues.
Conseil de sécurité» Accord intérimaire n’imposant pas au demandeur d’utiliser l’appellation
provisoire dans ses relations avec le défendeur Rien ne s’opposant à la pratique du demandeur
consistant à se désigner lui-même par son nom constitutionnel Interprétation étayée par l’objet
et le but de l’accord intérimaire — Pratique ultérieure des Parties en ce qui concerne l’exécution *
de l’accord intérimaire — Perspective que le demandeur se désigne lui-même dans une
organisation par son nom constitutionnel n’autorisant pas à s’opposer à son admission — Nul
Accord intérimaire mettant les Parties dans l’obligation de négocier de bonne foi en vue de
besoin d’examiner les travaux préparatoires ou d’autres éléments de preuve concernant
parvenir à un accord sur la divergence relative au nom.
l’utilisation par le demandeur de son nom constitutionnel Seconde clause du paragraphe 1 de
l’article 11 n’autorisant pas le défendeur à élever des objections à l’admission du demandeur à
l’OTAN.
*
Argument du défendeur selon lequel toute objection à l’admission du demandeur à l’OTAN
serait justifiée aux termes de l’article 22 de l’accord intérimaire Interprétation de l’article 22
donnée par le défendeur Aucune disposition du traité de l’Atlantique Nord n’obligeant le
défendeur à s’opposer à l’admission du demandeur à l’OTAN Tentative du défendeur de se
fonder sur l’article 22 ne pouvant aboutir.
-4- -5-
Déclaration à l’effet que le défendeur a manqué à l’obligation que lui impose envers le comme conseils ;
demandeur le paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire constituant une satisfaction
appropriée Inutilité d’ordonner au défendeur de s’abstenir à l’avenir de toute action contraire à M. Saso Georgievski, professeur de droit à l’Université Saints-Cyrille-et-Méthode de Skopje,
l’obligation que lui impose le paragraphe 1 de l’article 11.
M. Toni Deskoski, professeur de droit à l’Université Saints-Cyrille-et-Méthode de Skopje,
187
représentée par M. Remi Reichold, assistant de recherche, Matrix Chambers (Londres),
S. Exc. M. Nikola Poposki, ministre des affaires étrangères de l’ex-République yougoslave comme assistants ;
de Macédoine,
Mme Elena Bodeva, troisième secrétaire à l’ambassade de l’ex-République yougoslave de
S. Exc. M. Antonio Miloshoski, président de la commission de politique étrangère de Macédoine au Royaume des Pays-Bas,
l’Assemblée de l’ex-République yougoslave de Macédoine,
comme attaché de liaison auprès de la Cour internationale de Justice ;
comme agents ;
M. Ilija Kasaposki, agent chargé de la sécurité du ministre des affaires étrangères de
S. Exc. M. Nikola Dimitrov, ambassadeur de l’ex-République yougoslave de Macédoine l’ex-République yougoslave de Macédoine,
auprès du Royaume des Pays-Bas,
et
comme coagent ;
la République hellénique,
M. Philippe Sands Q.C., professeur de droit au University College de Londres, avocat,
Matrix Chambers (Londres), représentée par
M. Sean D. Murphy, professeur de droit à la George Washington University, titulaire de la S. Exc. M. Georges Savvaides, ambassadeur de Grèce,
chaire de recherche Patricia Roberts Harris,
Mme Maria Telalian, conseiller juridique, chef de la section de droit international public du
Mme Geneviève Bastid-Burdeau, professeur de droit à l’Université Panthéon-Sorbonne département juridique du ministère des affaires étrangères de Grèce,
(Paris I),
comme agents ;
M. Pierre Klein, professeur de droit international, directeur du centre de droit international
de l’Université libre de Bruxelles,
-6- -7-
M. Georges Abi-Saab, professeur honoraire de droit international à l’Institut universitaire des M. Konstantinos Kodellas, secrétaire d’ambassade,
hautes études internationales de Genève, membre de l’Institut de droit international,
comme conseillers diplomatiques ;
M. James Crawford, S.C., F.B.A., professeur de droit international à l’Université de
Cambridge, titulaire de la chaire Whewell, membre de l’Institut de droit international, M. Ioannis Korovilas, attaché d’ambassade,
M. Alain Pellet, professeur de droit international à l’Université de Paris ouest, Nanterre-La M. Kosmas Triantafyllidis, attaché d’ambassade,
Défense, membre et ancien président de la Commission du droit international, membre
associé de l’Institut de droit international, comme personnel administratif,
M. Arghyrios Fatouros, professeur honoraire de droit international à l’Université nationale après délibéré en chambre du conseil,
d’Athènes, membre de l’Institut de droit international,
rend l’arrêt suivant :
M. Linos-Alexandre Sicilianos, professeur de droit international à l’Université nationale
d’Athènes,
1. Le 17 novembre 2008, l’ex-République yougoslave de Macédoine (ci-après dénommée le
M. Evangelos Kofos, ancien ministre conseiller du ministère des affaires étrangères de «demandeur») a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la
Grèce, spécialiste des Balkans, République hellénique (ci-après dénommée le «défendeur») au sujet d’un différend concernant
l’interprétation et l’exécution de l’accord intérimaire signé par les Parties le 13 septembre 1995 et
188
comme conseils ; entré en vigueur le 13 octobre 1995 (ci-après l’«accord intérimaire»). En particulier, le demandeur
cherche
M. Tom Grant, collaborateur scientifique au Lauterpracht Centre for International Law de
l’Université de Cambridge, «à établir que le défendeur a manqué aux obligations qui lui incombent aux termes du
paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire et à obtenir que celui-ci respecte
M. Alexandros Kolliopoulos, conseiller juridique adjoint à la section de droit international ses obligations découlant de l’article 11 de l’accord intérimaire dans les cas où le
public du département juridique du ministère des affaires étrangères de Grèce, demandeur serait invité à adhérer à l’OTAN ou à toute autre organisation ou
institution internationale, multilatérale ou régionale dont est membre le défendeur ou
M. Michael Stellakatos-Loverdos, conseiller juridique adjoint à la section de droit présenterait une demande d’admission à l’une d’elles».
international public du département juridique du ministère des affaires étrangères de
Grèce,
2. Dans sa requête, le demandeur, se référant au paragraphe 1 de l’article 36 du Statut,
Mme Alina Miron, chercheur au Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), invoque, pour fonder la compétence de la Cour, le paragraphe 2 de l’article 21 de l’accord
Université de Paris ouest, Nanterre-La Défense, intérimaire.
comme conseillers ;
3. Conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut, la requête a été immédiatement
S. Exc. M. Ioannis Economides, ambassadeur de Grèce auprès du Royaume des Pays-Bas, communiquée au Gouvernement du défendeur par le greffier ; conformément au paragraphe 3 de
cet article, tous les Etats admis à ester devant la Cour ont par ailleurs été informés de la requête.
Mme Alexandra Papadopoulou, ministre plénipotentiaire, chef du bureau de liaison de la
Grèce à Skopje,
4. La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité des Parties, chacune d’elles
M. Efstathios Paizis Paradellis, premier conseiller auprès de l’ambassade de Grèce à s’est prévalue du droit que lui confère le paragraphe 3 de l’article 31 du Statut de procéder à la
La Haye, désignation d’un juge ad hoc pour siéger en l’affaire. Le demandeur a désigné M. Budislav Vukas
et le défendeur, M. Emmanuel Roucounas.
M. Elias Kastanas, conseiller juridique adjoint à la section de droit international public du
département juridique du ministère des affaires étrangères de Grèce,
-8- -9-
M. Michael Reisman,
5. Par ordonnance en date du 20 janvier 2009, la Cour a fixé au 20 juillet 2009 et au M. Alain Pellet,
20 janvier 2010, respectivement, les dates d’expiration du délai pour le dépôt du mémoire du M. James Crawford.
demandeur et du contre-mémoire du défendeur ; le mémoire du demandeur a été dûment déposé
dans le délai ainsi prescrit.
11. A l’audience, un membre de la Cour a posé une question au défendeur qui y a répondu
par écrit, dans le délai fixé par le président conformément au paragraphe 4 de l’article 61 du
6. Par lettre datée du 5 août 2009, le défendeur a indiqué avoir «acquis la conviction que la Règlement. En application de l’article 72 du Règlement, le demandeur a présenté des observations
Cour n’a[vait] manifestement pas compétence pour se prononcer sur les demandes de l’Etat sur la réponse écrite donnée par le défendeur.
requérant dans cette affaire», ajoutant cependant que, plutôt que de soulever des exceptions
préliminaires au titre de l’article 79 du Règlement de la Cour, il «aborder[ait] les questions de
compétence conjointement avec celles relatives au fond». Le greffier a immédiatement transmis *
une copie de cette lettre au demandeur.
7. Au cours d’une réunion que le président de la Cour a tenue le 9 mars 2010 avec les i) de dire et juger que le défendeur, par l’intermédiaire de ses organes d’Etat et
représentants des Parties, le coagent du demandeur a indiqué que son gouvernement désirait de ses agents, a manqué aux obligations que lui impose le paragraphe 1 de
pouvoir répondre au contre-mémoire du défendeur, et notamment aux exceptions d’incompétence l’article 11 de l’accord intérimaire ;
et d’irrecevabilité qu’il contient, dans une réplique. Lors de la même réunion, l’agent du défendeur
a déclaré que son gouvernement n’avait pas d’objection à ce qu’il soit accédé à cette demande, ii) d’ordonner au défendeur de prendre immédiatement toutes les mesures
189
pour autant que le défendeur puisse en réponse présenter une duplique. nécessaires afin que celui-ci respecte les obligations que lui impose le
paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire et de mettre fin et de
renoncer à toute forme d’opposition, directe ou indirecte, à l’admission du
8. Par ordonnance en date du 12 mars 2010, la Cour a autorisé la présentation d’une réplique demandeur à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord ou à l’une
par le demandeur et d’une duplique par le défendeur, et fixé au 9 juin 2010 et au 27 octobre 2010, quelconque des autres «organisations ou institutions internationales,
respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt de ces pièces. La réplique et la multilatérales et régionales» dont le défendeur est membre, lorsque le
duplique ont été dûment déposées dans les délais ainsi prescrits. demandeur doit être désigné, dans ces organisations ou institutions, sous
l’appellation prévue au paragraphe 2 de la résolution 817 (1993) du Conseil
de sécurité des Nations Unies.»
9. Conformément au paragraphe 2 de l’article 53 de son Règlement, la Cour, après s’être
renseignée auprès des Parties, a décidé que des exemplaires des pièces de procédure et documents
annexés seraient rendus accessibles au public à l’ouverture de la procédure orale. 13. Au cours de la procédure écrite, les conclusions ci-après ont été présentées par les
Parties :
10. Des audiences publiques ont été tenues du 21 au 30 mars 2011, au cours desquelles ont Au nom du Gouvernement du demandeur,
été entendus en leurs plaidoiries et réponses :
dans le mémoire :
Pour le demandeur : M. Antonio Miloshoski,
M. Philippe Sands, «Sur la base des éléments de preuve et des moyens de droit exposés dans le
M. Sean Murphy, présent mémoire, le demandeur
M. Pierre Klein,
Mme Geneviève Bastid-Burdeau, prie la Cour :
M. Nikola Dimitrov.
i) de dire et juger que le défendeur, par l’intermédiaire de ses organes d’Etat et
Pour le défendeur : Mme Maria Telalian, de ses agents, a manqué aux obligations que lui impose le paragraphe 1 de
M. Georges Savvaides, l’article 11 de l’accord intérimaire ; et
M. Georges Abi-Saab,
- 10 - - 11 -
dans la réplique : i) de rejeter les exceptions soulevées par le défendeur quant à la compétence de
la Cour et à la recevabilité des prétentions du demandeur ;
«Sur la base des éléments de preuve et des moyens de droit exposés dans la
présente réplique, le demandeur ii) de dire et juger que le défendeur, par l’intermédiaire de ses organes d’Etat et
de ses agents, a manqué aux obligations que lui impose le paragraphe 1 de
prie la Cour : l’article 11 de l’accord intérimaire ; et
i) de rejeter les exceptions à la compétence de la Cour et à la recevabilité de la iii) d’ordonner au défendeur de prendre immédiatement toutes les mesures
requête soulevées par le défendeur ; nécessaires afin que celui-ci respecte les obligations que lui impose le
paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire et de mettre fin et de
ii) de dire et juger que le défendeur, par l’intermédiaire de ses organes d’Etat et renoncer à toute forme d’opposition, directe ou indirecte, à l’admission du
de ses agents, a manqué aux obligations que lui impose le paragraphe 1 de demandeur à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ou à l’une
l’article 11 de l’accord intérimaire ; et quelconque des autres «organisations ou institutions internationales,
multilatérales et régionales» dont le défendeur est membre, lorsque le
iii) d’ordonner au défendeur de prendre immédiatement toutes les mesures demandeur doit être désigné, dans ces organisations ou institutions, sous
nécessaires afin que celui-ci respecte les obligations que lui impose le l’appellation prévue au paragraphe 2 de la résolution 817 (1993) du Conseil
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paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire et de mettre fin et de de sécurité des Nations Unies.»
renoncer à toute forme d’opposition, directe ou indirecte, à l’admission du
demandeur à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ou à l’une Au nom du Gouvernement du défendeur,
quelconque des autres «organisations ou institutions internationales,
multilatérales et régionales» dont le défendeur est membre, lorsque le à l’audience du 30 mars 2011 :
demandeur doit être désigné, dans ces organisations ou institutions, sous
l’appellation prévue au paragraphe 2 de la résolution 817 (1993) du Conseil «Sur la base des éléments de preuve et des arguments juridiques exposés dans
de sécurité des Nations Unies.» ses écritures et plaidoiries, la République hellénique, défendeur en l’affaire, prie la
Cour de dire et juger :
Au nom du Gouvernement du défendeur,
i) que l’instance introduite par le demandeur ne relève pas de sa compétence et
dans le contre-mémoire et la duplique : que ses demandes sont irrecevables ;
«Sur la base des éléments de preuve et des moyens de droit exposés, la ii) dans l’hypothèse où elle conclurait à sa compétence et à la recevabilité des
République hellénique, défendeur en l’affaire, prie la Cour de dire et juger : demandes du demandeur, que ces dernières sont dépourvues de fondement.»
1
Le défendeur emploie l’acronyme «ERYM» pour désigner le demandeur.
- 12 - - 13 -
19. Après son admission à l’Organisation des Nations Unies, le demandeur devint membre
I. INTRODUCTION de plusieurs institutions spécialisées du système des Nations Unies. L’action qu’il mena pour
adhérer à diverses autres institutions et organisations internationales non affiliées à l’Organisation
15. Avant 1991, la République fédérative socialiste de Yougoslavie était constituée de six des Nations Unies dont le défendeur était déjà membre se révéla cependant infructueuse.
républiques, dont la «République socialiste de Macédoine». Au cours de la dissolution de la Le 16 février 1994, le défendeur imposa au demandeur des restrictions commerciales.
Yougoslavie, l’Assemblée de la République socialiste de Macédoine adopta (le 25 janvier 1991) la
«déclaration sur la souveraineté de la République socialiste de Macédoine», dans laquelle étaient
affirmés la souveraineté et le droit à l’autodétermination. Le 7 juin 1991, elle adopta un 20. C’est dans ce contexte que les Parties signèrent, le 13 septembre 1995, l’accord
amendement constitutionnel rebaptisant «République de Macédoine» la «République socialiste de intérimaire, qui prévoyait l’établissement de relations diplomatiques entre elles et traitait de
Macédoine». L’Assemblée adopta alors une déclaration affirmant la souveraineté et certaines questions connexes. Dans cet instrument, le demandeur est appelé «seconde Partie» et le
l’indépendance du nouvel Etat, lequel chercha à obtenir sa reconnaissance sur le plan international. défendeur «première Partie», et ce, afin d’éviter l’emploi de tout nom litigieux. Aux termes de
l’article 5 de l’accord, les Parties
16. Le 30 juillet 1992, le demandeur présenta une demande d’admission à l’Organisation des «conv[enaient] de poursuivre les négociations sous les auspices du Secrétaire général
Nations Unies. Le défendeur déclara le 25 janvier 1993 qu’il s’opposait à cette admission en raison de l’Organisation des Nations Unies, conformément à la résolution 845 (1993) … du
notamment de l’adoption par le demandeur du nom de «République de Macédoine». Il indiqua que Conseil de sécurité, en vue de parvenir à régler le différend mentionné dans cette
son opposition était, entre autres, fondée sur le fait que le terme «Macédoine» désignait, selon lui, résolution et dans la résolution 817 (1993) … du Conseil».
une région géographique du sud-est de l’Europe comprenant une partie importante du territoire et
de la population du défendeur et de certains Etats tiers. Le défendeur ajouta qu’il cesserait de
s’opposer à l’admission du demandeur à l’Organisation des Nations Unies dès que ces questions 21. Dans l’accord intérimaire, les Parties traitaient aussi de la question de l’admission et de
auraient été réglées. Il s’était déjà, pour des motifs semblables, opposé à la reconnaissance du la participation du demandeur à des organisations et institutions internationales dont le défendeur
demandeur par les Etats membres de la Communauté européenne. était membre. A cet égard, le paragraphe 1 de l’article 11 de cet instrument dispose que,
191
au sujet du nom d[u demandeur], qu’il f[allait] régler dans l’intérêt du maintien de relations institutions ; toutefois, la première Partie se réserve le droit d’élever des objections à
pacifiques et de bon voisinage dans la région», le Conseil de sécurité une telle demande ou à une telle participation si [et dans la mesure où 2 ] la seconde
Partie doit être dotée dans ces organisations ou institutions d’une appellation
«1. pri[ait] instamment les parties de continuer à coopérer avec les coprésidents différente [de] celle prévue au paragraphe 2 de la résolution 817 (1993) du Conseil de
du comité directeur de la conférence internationale sur l’ex-Yougoslavie afin de sécurité des Nations Unies». (La traduction française de l’accord intérimaire, dont le
parvenir à un règlement rapide de la divergence qui existe entre elles ; texte authentique est en anglais, a été publiée dans : Recueil des traités des
Nations Unies, vol. 1891, p. 40.)
2. recommand[ait] à l’Assemblée générale d’admettre à l’Organisation des
Nations Unies l’Etat dont la demande [était] formulée dans le document S/25147, cet
Etat devant être désigné provisoirement, à toutes fins utiles à l’Organisation, sous le 22. Dans la période qui suivit l’adoption de l’accord intérimaire, le demandeur fut admis au
nom d’«ex-République yougoslave de Macédoine» en attendant que soit réglée la sein de plusieurs organisations internationales dont le défendeur était déjà membre. A l’invitation
divergence qui a[vait] surgi au sujet de son nom ; de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, il fut admis à participer, en 1995, au partenariat
pour la paix de cette organisation (un programme qui vise à favoriser la coopération entre l’OTAN
3. pri[ait] le Secrétaire général de lui faire connaître l’issue de l’initiative prise et les pays partenaires), puis, en 1999, au plan d’action pour l’adhésion (qui aide les éventuels
par les coprésidents du comité directeur de la conférence internationale sur futurs membres de l’Organisation). La candidature du demandeur fut examinée à une réunion des
l’ex-Yougoslavie.» Etats membres de l’OTAN tenue à Bucarest (ci-après le «sommet de Bucarest») les 2 et
3 avril 2008, mais le demandeur ne fut pas invité à entamer des discussions en vue de son adhésion.
Dans le communiqué publié à l’issue du sommet, il était précisé que le demandeur serait invité à
18. Le 8 avril 1993, le demandeur fut admis à l’Organisation des Nations Unies, à la suite de adhérer «dès qu’une solution mutuellement acceptable à la question de son nom aura[it] été
l’adoption par l’Assemblée générale, sur recommandation du Conseil de sécurité, de la trouvée».
résolution A/RES/47/225. La divergence relative au nom n’étant pas encore réglée, le Conseil de
sécurité adopta, le 18 juin 1993, la résolution 845 (1993), dans laquelle il priait instamment les
Parties «de poursuivre les efforts qu’elles m[enaient] sous les auspices du Secrétaire général en vue
de parvenir à un règlement rapide des questions qu’il leur rest[ait] à résoudre». Quoique les Parties
aient engagé des négociations à cette fin, celles-ci n’ont pas encore permis d’apporter une solution
mutuellement acceptable à la question du nom.
[2] L’expression «if and to the extent», qui figure dans la version originale anglaise de l’accord intérimaire
publiée dans le Recueil des traités des Nations Unies, a été rendue dans la traduction française par la seule conjonction
«si». Aux fins du présent arrêt, la Cour emploiera néanmoins l’expression «si [et dans la mesure où]», qui constitue une
traduction plus littérale de la version originale anglaise.
- 14 - - 15 -
II. COMPÉTENCE DE LA COUR ET RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE 1. La question de savoir si le différend est exclu de la compétence que la Cour tient du
paragraphe 2 de l’article 21 de l’accord intérimaire lu conjointement avec le paragraphe 1
23. En la présente espèce, le demandeur affirme que le défendeur ne s’est pas conformé au de l’article 5
paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire. Le défendeur réfute cette allégation d’un point
de vue tant factuel que juridique, c’est-à-dire en ce qui concerne le sens, la portée et l’effet de 28. Aux termes du paragraphe 2 de l’article 21 de l’accord intérimaire (voir paragraphe 24
certaines dispositions de l’accord intérimaire. Tel est, selon la Cour, le différend que le demandeur ci-dessus), toute «divergence ou … tout différend» concernant l’«interprétation ou l’exécution» de
a porté devant elle, et à l’égard duquel elle doit maintenant déterminer si elle a compétence. l’accord intérimaire relève de la compétence de la Cour, à l’exception de la «divergence» visée au
paragraphe 1 de l’article 5. Cette dernière disposition est ainsi libellée :
24. Le demandeur invoque, comme base de compétence de la Cour, le paragraphe 2 de «Les parties conviennent de poursuivre les négociations sous les auspices du
l’article 21 de l’accord intérimaire, qui se lit comme suit : Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, conformément à la
résolution 845 (1993) du Conseil de sécurité, en vue de parvenir à régler le différend
«A l’exception de la divergence visée au paragraphe 1 de l’article 5, l’une ou mentionné dans cette résolution et dans la résolution 817 (1993) du Conseil.»
l’autre des Parties peut saisir la Cour internationale de Justice de toute divergence ou
de tout différend qui s’élèvent entre elles en ce qui concerne l’interprétation ou
l’exécution du présent accord intérimaire.» 29. Ainsi que cela a été indiqué ci-dessus, le troisième alinéa du préambule de la
résolution 817 du Conseil de sécurité fait, à cet égard, référence à «une divergence [qui] a surgi au
sujet du nom de l’Etat, qu’il faudrait régler dans l’intérêt du maintien de relations pacifiques et de
25. Ainsi que cela a été indiqué précédemment (voir paragraphe 6 ci-dessus), le défendeur a bon voisinage dans la région». Dans cette résolution, le Conseil de sécurité «[p]rie instamment les
précisé à la Cour que, plutôt que de soulever des exceptions préliminaires au titre de l’article 79 du parties de continuer à coopérer avec les coprésidents du comité directeur de la conférence
Règlement, il aborderait les questions de compétence et de recevabilité conjointement avec celles internationale sur l’ex-Yougoslavie afin de parvenir à un règlement rapide de la divergence qui
relatives au fond. La Cour commencera par examiner les questions de compétence et de existe entre elles» (paragraphe 1 du dispositif).
recevabilité.
192
30. Dans sa résolution 845, adoptée le 18 juin 1993 dans le prolongement de la résolution
26. Le défendeur prétend que la Cour n’a pas compétence pour connaître de la présente précitée et où celle-ci est rappelée, le Conseil de sécurité prie en outre «instamment les parties de
espèce et que la requête est irrecevable pour les motifs suivants. Premièrement, il affirme que le poursuivre les efforts qu’elles mènent sous les auspices du Secrétaire général en vue de parvenir à
différend se rapporte à la divergence au sujet du nom du demandeur visée au paragraphe 1 de un règlement rapide des questions qu’il leur reste à résoudre».
l’article 5 de l’accord intérimaire, et est donc exclu de la compétence de la Cour aux termes de
l’exception énoncée au paragraphe 2 de l’article 21 de ce même instrument. Deuxièmement, il
avance que le différend a trait à un comportement imputable à l’OTAN et à ses Etats membres, à
l’égard duquel la Cour n’est pas compétente en l’espèce. Troisièmement, il soutient qu’un arrêt de *
la Cour en la présente affaire ne serait pas susceptible d’application effective, puisqu’il ne pourrait
avoir d’effet sur l’admission du demandeur à l’OTAN ou à d’autres organisations ou institutions
internationales, multilatérales et régionales. Quatrièmement, il affirme que l’exercice par la Cour
de sa compétence interférerait avec les négociations diplomatiques en cours sur la divergence au 31. Selon la première exception d’incompétence soulevée par le défendeur, le différend entre
sujet du nom, prescrites par le Conseil de sécurité, et, partant, serait incompatible avec la fonction les Parties porte sur la divergence relative au nom du demandeur, qui est exclue de la compétence
judiciaire de la Cour. de la Cour par l’effet du paragraphe 2 de l’article 21, lu conjointement avec le paragraphe 1 de
l’article 5. Le défendeur avance que cette exception a une large portée et exclut de la compétence
de la Cour non seulement tout différend relatif au règlement définitif de la divergence au sujet du
27. En outre, le défendeur a, dans un premier temps, fait valoir que ses actes ne sauraient nom, mais aussi «tout différend qui, s’il était réglé, préjugerait — directement ou implicitement —
relever de la compétence de la Cour car, par l’effet de l’article 22 qui prévoit, selon lui, que la divergence au sujet du nom».
toute obligation incombant à chaque partie à l’accord intérimaire en vertu d’autres accords
bilatéraux ou multilatéraux conclus avec d’autres Etats ou organisations internationales l’emporte
sur les obligations contenues dans cet instrument —, il n’a violé aucune des dispositions de 32. Le défendeur soutient que la Cour ne peut examiner les prétentions du demandeur sans se
l’accord intérimaire. Le défendeur estime donc que le comportement qui lui est imputé ne saurait prononcer sur la question du non-règlement de la divergence relative au nom, puisque telle serait
être à l’origine d’un quelconque différend entre les Parties. La Cour observe cependant que le l’unique raison pour laquelle il se serait opposé à l’admission du demandeur à l’OTAN. Il affirme
défendeur a, en cours d’instance, exposé l’essentiel de ses arguments relatifs à l’article 22 en tant en outre que la Cour ne peut statuer sur la question de la violation du paragraphe 1 de l’article 11
que moyens de défense au fond. Elle examinera donc l’article 22 lorsqu’elle abordera, le cas qu’il aurait commise sans trancher de facto la divergence relative au nom, «si bien que rien
échéant, le fond de l’affaire. n’inciterait plus le demandeur à négocier le règlement de la divergence conformément à l’accord
intérimaire et aux prescriptions du Conseil de sécurité». Enfin, le défendeur fait valoir qu’il ressort
- 16 - - 17 -
défendeur en vertu du paragraphe 1 de l’article 11. Si les Parties avaient eu pour intention de ne
des termes mêmes de la déclaration du sommet de Bucarest et des déclarations ultérieures de conférer à la Cour que la compétence limitée proposée par le défendeur, elles auraient pu exclure
l’OTAN que la décision de l’organisation de surseoir à l’admission du demandeur tenait expressément l’objet du paragraphe 1 de l’article 11 de la compétence qu’elles lui ont attribuée en
essentiellement à la divergence relative au nom. Selon lui, l’exception prévue au paragraphe 2 de vertu du paragraphe 2 de l’article 21.
l’article 21 de l’accord intérimaire trouve donc à s’appliquer.
36. Outre que l’interprétation large avancée par le défendeur n’est aucunement étayée par le
33. Le demandeur soutient pour sa part que l’objet du présent différend ne se rapporte ni sens ordinaire du paragraphe 2 de l’article 21 de l’accord intérimaire, elle est infirmée par l’objet
directement ni indirectement à la divergence visée au paragraphe 1 de l’article 5 de l’accord de cet instrument dans son ensemble. Selon la Cour, l’un des objectifs essentiels de l’accord
intérimaire. Il conteste l’interprétation large du paragraphe 2 de l’article 21 avancée par le intérimaire était de stabiliser les relations entre les Parties en attendant le règlement de la
défendeur, affirmant qu’elle serait contraire à l’objet même de l’accord intérimaire, et que le divergence relative au nom. L’interprétation large de l’exception énoncée au paragraphe 2 de
paragraphe 1 de l’article 11 serait privé d’effet si cet argument du défendeur était retenu. Selon lui, l’article 21 avancée par le défendeur empêcherait la Cour de connaître de nombreux différends
l’examen du présent différend n’impose pas à la Cour de régler la divergence au sujet du nom à relatifs à l’interprétation ou à l’exécution de l’accord intérimaire. Il est en effet possible que des
laquelle il est fait référence au paragraphe 1 de l’article 5, ou d’exprimer sur celle-ci un quelconque différends qui pourraient se faire jour entre les Parties concernant l’interprétation ou l’exécution de
avis ; le différend en cause n’est donc pas exclu de la compétence de la Cour par l’effet du cet accord aient un certain lien avec la divergence relative au nom.
paragraphe 2 de l’article 21. Le demandeur fait également valoir que la déclaration faite par
l’OTAN après le sommet de Bucarest aux termes de laquelle la qualité de membre de
l’organisation sera accordée au demandeur lorsqu’une solution au problème du nom aura été 37. Le fait qu’existe un lien entre le différend dont la Cour a été saisie et la divergence
trouvée ne transforme pas le différend dont la Cour a été saisie en un différend ayant pour objet la relative au nom ne suffit pas à soustraire ce différend à sa compétence. La question du
question du nom. manquement allégué à l’obligation énoncée au paragraphe 1 de l’article 11 est distincte de celle de
savoir quel nom devra être convenu au terme des négociations que les Parties doivent mener sous
les auspices des Nations Unies. C’est seulement dans l’hypothèse où il serait demandé à la Cour de
trancher spécifiquement la divergence au sujet du nom, ou d’exprimer un quelconque avis sur ce
* point particulier, que l’exception énoncée au paragraphe 2 de l’article 21 entrerait en jeu. Or, telle
193
n’est pas la situation dans laquelle la Cour se trouve en l’espèce. L’exception prévue au
paragraphe 2 de l’article 21 ne s’applique donc pas au présent différend entre les Parties, qui a trait
à l’allégation du demandeur selon laquelle le défendeur a manqué à son obligation au titre du
34. La Cour estime que l’interprétation large que fait le défendeur de l’exception prévue au paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire et aux justifications que celui-ci a présentées à
paragraphe 2 de l’article 21 ne saurait être retenue. Cette disposition n’exclut de sa compétence cet égard.
qu’un seul type de différends, à savoir ceux ayant trait à la divergence visée au paragraphe 1 de
l’article 5. Ledit paragraphe précisant la nature de cette divergence par renvoi aux résolutions 817
et 845 (1993) du Conseil de sécurité, c’est à ces textes qu’il convient de se référer pour déterminer 38. En conséquence, il ne saurait être fait droit à l’exception d’incompétence que le
ce que les Parties entendaient exclure de la compétence de la Cour. défendeur fonde sur l’exclusion résultant du paragraphe 2 de l’article 21 de l’accord intérimaire.
35. Dans les résolutions 817 et 845 (1993), une distinction a été établie entre le nom du 2. Les questions de savoir si le différend a trait au comportement de l’OTAN ou de ses Etats
demandeur, au sujet duquel est reconnue l’existence d’une divergence entre les Parties que celles-ci membres et si la décision de la Cour peut affecter leurs droits et obligations
sont instamment priées de régler par voie de négociation (ci-après le «nom définitif»), et
l’appellation provisoire sous laquelle le demandeur devait être désigné à toutes fins utiles à 39. Pour contester la compétence de la Cour en la présente affaire et la recevabilité de la
l’Organisation des Nations Unies, en attendant que soit réglée ladite divergence. Cette distinction requête, le défendeur fait valoir que l’objet de cette dernière renvoie au comportement de l’OTAN
est reprise dans l’accord intérimaire, qui l’applique aux demandes d’admission et à la participation et de ses autres Etats membres car la décision de reporter le moment où le demandeur serait invité à
du demandeur à d’autres organisations internationales. Le paragraphe 1 de l’article 5 de l’accord adhérer à l’organisation a été une décision collective prise «à l’unanimité» au sommet de Bucarest,
intérimaire prescrit donc aux Parties de négocier au sujet de la divergence relative au nom définitif et non une décision individuelle ou autonome du défendeur. Il soutient donc que l’acte dont il est
du demandeur, alors que le paragraphe 1 de l’article 11 impose au défendeur de ne pas s’opposer tiré grief est imputable à l’OTAN dans son ensemble et non à lui seul. En outre, selon le
aux demandes d’admission et à la participation du demandeur à des organisations internationales, à défendeur, même si la décision de différer l’admission du demandeur à l’OTAN pouvait lui être
moins que celui-ci y soit doté d’une appellation différente de celle prévue dans la attribuée, la Cour ne pourrait statuer sur ce point sans se prononcer également sur la responsabilité
résolution 817 (1993). La Cour estime qu’il ressort clairement du libellé du paragraphe 2 de de l’OTAN ou de ses autres membres, à l’égard desquels elle n’a pas compétence. En
l’article 21 et de celui du paragraphe 1 de l’article 5 de l’accord intérimaire que la «divergence» à conséquence, affirme le défendeur, les intérêts de tiers formeraient l’objet de toute décision que la
laquelle il est fait référence, et que les Parties entendaient exclure de sa compétence, est celle qui Cour pourrait prendre. Le défendeur prétend en outre que, conformément à la jurisprudence de
concerne le nom définitif du demandeur et non les différends relatifs à l’obligation incombant au l’Or monétaire, la Cour ne saurait «exercer sa compétence lorsque les intérêts d’un tiers absent en
constitu[ent] «l’objet même»».
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* 44. En conséquence, la Cour conclut qu’elle ne saurait faire droit à l’exception du défendeur
fondée sur l’argument selon lequel le différend porterait sur un comportement imputable à l’OTAN
et à ses Etats membres et selon lequel cette organisation et ces Etats seraient des tiers à l’instance
dont la présence est indispensable.
41. Aux fins d’examiner l’exception soulevée ici par le défendeur, la Cour doit se pencher
sur l’objet spécifique de la requête. Le demandeur affirme que «le défendeur, par l’intermédiaire
de ses organes d’Etat et de ses agents, a manqué aux obligations que lui impose le paragraphe 1 de 3. La question de savoir si l’arrêt de la Cour ne serait pas susceptible d’application effective
l’article 11 de l’accord intérimaire», et prie la Cour de faire une déclaration à cet effet et
d’ordonner au défendeur de «prendre … toutes les mesures nécessaires afin que celui-ci respecte 45. Le défendeur fait valoir que toute décision de la Cour en la présente espèce serait sans
les obligations que lui impose le paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire». effet car elle ne pourrait ni annuler ni modifier la décision de l’OTAN, pas plus qu’elle ne pourrait
changer les conditions d’admission qui y sont mentionnées. Il soutient en outre que, même s’il
était favorable au demandeur, l’arrêt de la Cour n’aurait concrètement aucun effet sur l’admission
42. Au vu du libellé de la requête, la prétention du demandeur repose exclusivement sur de celui-ci à l’OTAN. Selon le défendeur, la Cour devrait donc, pour préserver l’intégrité de sa
l’allégation selon laquelle le défendeur a méconnu l’obligation que lui impose le paragraphe 1 de fonction judiciaire, refuser d’exercer sa compétence.
l’article 11 de l’accord intérimaire, qui a spécifiquement trait au comportement de celui-ci, quelles
que soient les conséquences que ce comportement puisse avoir sur la décision finalement prise par
194
une organisation donnée au sujet de l’adhésion du demandeur. La Cour relève que ce dernier 46. Le demandeur soutient pour sa part qu’il cherche à obtenir une déclaration de la Cour à
conteste le comportement du défendeur dans la période antérieure à la décision qui a été prise à la l’effet que le défendeur a, par son comportement, violé l’accord intérimaire ; pareille déclaration
fin du sommet de Bucarest, et non cette décision elle-même. La question qu’il incombe à la Cour constitue, selon lui, une demande légitime dans le cadre d’une procédure judiciaire. Selon le
de trancher n’est donc pas de savoir si la décision de l’OTAN peut être attribuée au défendeur mais demandeur, «ce n’est qu’en livrant une présentation tronquée de l’objet de cette demande que l’Etat
si celui-ci a, par son comportement propre, violé l’accord intérimaire. Rien dans la requête qui a défendeur peut prétendre qu’un arrêt de la Cour ne pourrait avoir d’effet concret». Le demandeur
été présentée à la Cour ne peut être interprété comme tendant à ce que celle-ci se prononce sur la soutient au contraire qu’un arrêt de la Cour aurait bel et bien un effet juridique concret puisqu’il
licéité de la décision de l’OTAN de reporter le moment où le demandeur sera invité à adhérer à «aurait [notamment] pour résultat de [le] remettre en position de candidat à l’admission au sein de
l’organisation. C’est pourquoi, contrairement à ce que soutient le défendeur, le différend n’a pas l’OTAN sans risquer de se voir une nouvelle fois opposer une objection fondée sur des motifs
trait au comportement de l’OTAN ou de ses Etats membres, mais seulement au sien propre. autres que ceux prévus dans l’accord intérimaire» (les italiques sont dans l’original).
43. De même, point n’est besoin, aux fins d’apprécier le comportement du défendeur, que la
Cour détermine la responsabilité de l’OTAN ou de ses Etats membres. A cet égard, la Cour estime *
que c’est à tort que le défendeur affirme que les droits et intérêts de tiers (c’est-à-dire, selon lui,
l’OTAN et/ou ses Etats membres) formeraient l’objet de toute décision qu’elle pourrait prendre
ce qui impliquerait qu’elle devrait refuser de connaître de la présente espèce, conformément au
principe énoncé dans l’affaire de l’Or monétaire pris à Rome en 1943. La présente espèce se 47. Ainsi que cela a été établi dans sa jurisprudence, l’un des éléments essentiels pour que la
distingue en effet de l’affaire de l’Or monétaire en ce que le comportement du défendeur peut être Cour puisse s’acquitter de sa fonction judiciaire est que ses arrêts «doi[vent]avoir des conséquences
apprécié indépendamment de la décision de l’OTAN, que les droits et obligations de cette pratiques en ce sens qu’il[s] doi[vent] pouvoir affecter les droits ou obligations juridiques existants
organisation et de ses Etats membres autres que la Grèce ne forment pas l’objet de la décision de la des parties, dissipant ainsi toute incertitude dans leurs relations juridiques» (Cameroun
Cour sur le fond de l’affaire (Or monétaire pris à Rome en 1943 (Italie c. France, Royaume-Uni et septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963,
Etats-Unis d'Amérique), question préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1954, p. 19 ; Timor oriental p. 34).
(Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 105, par. 34) et que la détermination de leur
responsabilité n’est pas «une condition préalable à la détermination de la responsabilité» du
48. En la présente espèce, la Cour rappellera que, dans ses conclusions finales, le demandeur
la prie :
«i) de rejeter les exceptions soulevées par le défendeur quant à la compétence de
la Cour et à la recevabilité des prétentions du demandeur ;
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ii) de dire et juger que le défendeur, par l’intermédiaire de ses organes d’Etat et
de ses agents, a manqué aux obligations que lui impose le paragraphe 1 de 52. L’invocation par le défendeur des affaires des Essais nucléaires n’étaye pas davantage sa
l’article 11 de l’accord intérimaire ; et position. Dans ces affaires, la Cour avait estimé que les requêtes introductives d’instance déposées
par l’Australie et la Nouvelle-Zélande avaient trait à des essais futurs d’armes nucléaires effectués
iii) d’ordonner au défendeur de prendre immédiatement toutes les mesures par la France dans l’atmosphère. Or, au vu des déclarations de la France, dont elle estimait qu’elles
nécessaires afin que celui ci respecte les obligations que lui impose le constituaient un engagement ayant un effet juridique de ne pas effectuer pareils essais dans
paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire et de mettre fin et de l’atmosphère, la Cour avait conclu qu’il n’existait plus de différend sur ce point et que l’objectif du
renoncer à toute forme d’opposition, directe ou indirecte, à l’admission du demandeur avait, de fait, été atteint ; aucune autre action judiciaire n’était donc nécessaire (Essais
demandeur à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ou à l’une nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 271, par. 56 ; Essais nucléaires
quelconque des autres «organisations ou institutions internationales, (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 476, par. 59).
multilatérales et régionales» dont le défendeur est membre, lorsque le
demandeur doit être désigné, dans ces organisations ou institutions, sous
l’appellation prévue au paragraphe 2 de la résolution 817 (1993) du Conseil 53. La présente espèce se distingue nettement des affaires précitées, puisque le défendeur n’a
de sécurité des Nations Unies.» pris aucune mesure qui puisse être considérée comme ayant réglé le différend relatif à la violation
alléguée du paragraphe 1 de l’article 11. De plus, un arrêt de la Cour en l’espèce ne serait pas sans
objet dès lors qu’il affecterait les droits et obligations des Parties au titre de l’accord intérimaire et
49. Le demandeur prie donc la Cour de déclarer que le défendeur a méconnu les obligations serait susceptible d’application effective.
qui lui incombent en application du paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire. Ainsi qu’il
ressort clairement de la jurisprudence de la Cour et de sa devancière, «la Cour peut, dans des cas
appropriés, prononcer un jugement déclaratoire» (Cameroun septentrional (Cameroun 54. En conséquence, la Cour considère qu’il ne saurait être fait droit à l’exception
c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 37). Pareil jugement vise d’irrecevabilité soulevée par le défendeur au motif que l’arrêt de la Cour serait dépourvu d’effet.
«à faire reconnaître une situation de droit une fois pour toutes et avec effet obligatoire entre les
Parties, en sorte que la situation juridique ainsi fixée ne puisse plus être mise en discussion, pour ce
qui est des conséquences juridiques qui en découlent» (Interprétation des arrêts nos 7 et 8 (usine de 4. La question de savoir si l’arrêt de la Cour interférerait avec les négociations
diplomatiques en cours
195
Chorzów), arrêt no 11, 1927, C.P.J.I. série A no 13, p. 20).
55. Le défendeur avance que, si elle exerçait sa compétence, la Cour interférerait avec le
50. Quoique le défendeur ait raison de dire qu’une décision de la Cour ne saurait modifier processus diplomatique prévu par le Conseil de sécurité dans sa résolution 817 (1993), ce qui serait
celle que l’OTAN a prise au sommet de Bucarest ni créer pour le demandeur des droits envers cette contraire à sa fonction judiciaire. Il soutient qu’un arrêt favorable au demandeur «scellerait
organisation, telles ne sont pas les prétentions du demandeur. De toute évidence, c’est le judiciairement une pratique unilatérale tendant à imposer l’usage d’un nom contesté et irait ainsi à
comportement du défendeur qui est au cœur de ces prétentions, et non un comportement imputable l’encontre des résolutions 817 (1993) et 845 (1993) du Conseil de sécurité, lesquelles exigent des
à l’OTAN ou à ses Etats membres. Le demandeur ne demande pas à la Cour d’annuler la décision Parties qu’elles règlent cette divergence par la négociation». Selon le défendeur, l’opportunité
que l’OTAN a prise au sommet de Bucarest ou de modifier les conditions d’adhésion à l’Alliance. judiciaire voudrait que la Cour refuse d’exercer sa compétence.
C’est pourquoi l’argument du défendeur selon lequel l’arrêt de la Cour en la présente espèce serait
dépourvu de tout effet pratique au motif que la Cour ne peut annuler cette décision ou modifier ces
conditions n’est pas convaincant. 56. En réponse à cet argument, le demandeur fait valoir que, en précisant la portée de la
résolution 817 (1993) du Conseil de sécurité et de l’accord intérimaire, la Cour ne règlerait
nullement la divergence relative au nom et ne déterminerait pas l’issue des négociations entre les
51. L’affaire du Cameroun septentrional doit être distinguée de la présente espèce. A cet Parties sur ce point, étant donné que l’objet de sa prétention en la présente espèce et celui de ces
égard, la Cour rappelle que le Cameroun lui avait à l’époque, dans sa requête, demandé de «dire et négociations sont différents. Il ajoute que l’argument du défendeur repose sur une mauvaise
juger … que le Royaume-Uni, dans l’application de l’Accord de Tutelle du 13 décembre 1946, compréhension de l’objet de sa demande. Selon lui, l’existence de négociations n’empêche donc
n’a[vait] pas respecté certaines obligations qui en découl[ai]ent directement ou indirectement», et pas la Cour d’exercer sa fonction judiciaire.
que, au moment où il fut plaidé et statué en l’affaire, en 1963, il avait déjà été mis fin à l’accord en
question. En la présente espèce, en revanche, le paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire
demeure contraignant ; l’obligation qui y est énoncée est inchangée, et le demandeur reste candidat
à l’OTAN. Par conséquent, l’arrêt de la Cour «demeure[rait] applicable dans l’avenir», étant donné *
qu’existe la «possibilité que ce traité fasse à l’avenir l’objet d’un acte d’interprétation ou
d’application conforme à un jugement rendu par la Cour» (Cameroun septentrional (Cameroun
c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 37-38).
57. En ce qui concerne la question de savoir si le règlement judiciaire des différends par la
Cour est incompatible avec la poursuite de négociations diplomatiques, la Cour a clairement
indiqué que «le fait que des négociations se poursuivent activement pendant la procédure
- 22 - - 23 -
58. En tant qu’organe judiciaire, la Cour doit déterminer 62. La Cour en vient maintenant au fond de l’affaire. Le paragraphe 1 de l’article 11 de
l’accord intérimaire est ainsi libellé :
«d’une part si le différend qui lui est soumis est d’ordre juridique, c’est-à-dire s’il est
susceptible d’être résolu par application des principes et des règles du droit «la première Partie [le défendeur] ne s’opposera pas à la demande d’admission de la
international, et d’autre part si elle a compétence pour en connaître et si l’exercice de seconde Partie [le demandeur] dans des organisations et institutions internationales,
cette compétence n’est pas entravé par des circonstances qui rendent la requête multilatérales ou régionales dont la première Partie est membre, non plus qu’à la
irrecevable» (Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua participation de la seconde Partie à ces organisations et institutions ; toutefois, la
c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 91, par. 52). première Partie se réserve le droit d’élever des objections à une telle demande ou à une
telle participation si [et dans la mesure où] la seconde Partie doit être dotée dans ces
La question posée à la Cour, celle de savoir si le comportement du défendeur constitue une organisations ou institutions d’une appellation différente [de] celle prévue au
violation du paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire, est une question juridique relative paragraphe 2 de la résolution 817 (1993) du Conseil de sécurité des Nations Unies».
à l’interprétation et à l’exécution d’une disposition de cet accord. Ainsi que cela a été précisé
ci-dessus, le désaccord entre les Parties est un différend d’ordre juridique qui n’est pas exclu de la Les Parties s’accordent à considérer que cette disposition impose au défendeur de ne pas
compétence de la Cour. En se prononçant sur l’interprétation et l’exécution d’une disposition de s’opposer à l’admission du demandeur à des organisations internationales dont il est lui-même
l’accord intérimaire tâche dont les Parties sont, en vertu du paragraphe 2 de l’article 21, membre, y compris l’OTAN, sous réserve de l’exception prévue dans la seconde clause du même
convenues qu’elle relevait de sa compétence , la Cour s’acquitterait donc strictement de sa paragraphe.
196
fonction judiciaire.
63. Le demandeur allègue qu’avant et pendant le sommet de Bucarest, le défendeur a
59. Les Parties ont inclus une disposition conférant compétence à la Cour (l’article 21) dans méconnu l’obligation, énoncée dans la première clause du paragraphe 1 de l’article 11, de ne pas
un accord qui leur prescrivait aussi de poursuivre les négociations sur le différend qui les oppose au s’opposer à son admission.
sujet du nom du demandeur (le paragraphe 1 de l’article 5). Si elles avaient considéré que la
décision future de la Cour interférerait avec les négociations diplomatiques prescrites par le Conseil
de sécurité, elles ne seraient pas convenues de porter devant elle les différends touchant à 64. Le défendeur affirme qu’il ne s’est pas opposé à l’admission du demandeur à l’OTAN.
l’interprétation ou à l’exécution de l’accord intérimaire. A titre subsidiaire, il soutient que toute objection qu’il aurait élevée au sommet de Bucarest ne
constituerait pas une violation du paragraphe 1 de l’article 11 parce qu’elle entrerait dans les
prévisions de la seconde clause de cette disposition. A l’appui de cette assertion, le défendeur
60. En conséquence, il ne saurait être fait droit à l’exception d’irrecevabilité soulevée par le avance que le demandeur aurait été doté à l’OTAN «d’une appellation différente [de]» celle prévue
défendeur au motif que l’arrêt de la Cour interférerait avec les négociations diplomatiques en cours au paragraphe 2 de la résolution 817. Il affirme en outre que, même s’il était établi qu’il s’est
prescrites par le Conseil de sécurité. opposé au sens du paragraphe 1 de l’article 11, cette objection n’aurait pas, par l’effet de
l’article 22 de cet instrument, été contraire à l’accord intérimaire.
66. La Cour examinera tout d’abord les deux clauses du paragraphe 1 de l’article 11, puis
l’effet de l’article 22.
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ou d’empêcher qu’une telle décision soit prise (lorsque le consensus est nécessaire pour l’admission du demandeur à des organisations internationales.
l’admission du demandeur), ou encore d’informer les autres membres d’une organisation ou
institution internationale que le défendeur ne permettrait pas qu’une telle décision par consensus
soit prise. En particulier, le demandeur fait observer que l’admission à l’OTAN procède d’une B. La question de savoir si le défendeur «s’est opposé» à l’admission du demandeur à
décision des Etats membres de l’organisation prise à l’unanimité, conformément à l’article 10 du l’OTAN
traité de l’Atlantique Nord. Cette disposition, dans sa partie pertinente, énonce ce qui suit :
72. La Cour considérera à présent les éléments de preuve que lui ont soumis les Parties, aux
«Les Parties peuvent, par accord unanime, inviter à accéder au traité tout autre fins de déterminer s’ils corroborent la thèse du demandeur selon laquelle le défendeur s’est opposé
Etat européen susceptible de favoriser le développement des principes du présent traité à son admission à l’OTAN. A cet égard, elle rappelle que c’est, en règle générale, à la Partie qui
et de contribuer à la sécurité de la région de l’Atlantique Nord.» (Traité de avance certains faits d’en démontrer l’existence (Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay
l’Atlantique Nord, 4 avril 1949, art. 10, Recueil des traités des Nations Unies, vol. 34, (Argentine c. Uruguay), arrêt du 20 avril 2010, par. 162 ; Délimitation maritime en mer Noire
p. 249.) (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 86, par. 68). Le demandeur a donc la charge
d’établir les faits qu’il invoque à l’appui de son allégation selon laquelle le défendeur ne s’est pas
conformé à son obligation au titre de l’accord intérimaire.
69. Le défendeur fait une interprétation plus étroite de l’obligation de «ne [pas] s’opposer[]».
Selon lui, une objection prend nécessairement la forme d’un acte spécifique et négatif, comme
l’expression d’un vote ou l’opposition d’un veto à l’admission ou à la participation du demandeur à 73. Pour étayer sa position selon laquelle le défendeur s’est opposé à son admission à
une organisation ou institution ; ni une abstention ni une absence de soutien dans le cadre d’un l’OTAN, le demandeur invite la Cour à se reporter à des pièces de correspondance diplomatique
processus régi par le consensus ne sauraient être qualifiées d’objection. D’un point de vue général, émanant de l’Etat défendeur avant et après le sommet de Bucarest, ainsi qu’à des déclarations faites
le défendeur avance que l’expression : «ne [pas] s’opposer[]» doit être interprétée de manière par de hauts responsables de cet Etat au cours de la même période. Le défendeur ne conteste pas
étroite car elle limite un droit qu’il détiendrait normalement. l’authenticité de ces déclarations. La Cour les examinera en ce qu’elles témoignent du
comportement du défendeur relativement au sommet de Bucarest, au regard de l’obligation
énoncée au paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire.
*
74. Le demandeur s’est référé à des pièces de correspondance diplomatique que le défendeur
a adressées aux autres Etats membres de l’OTAN avant le sommet de Bucarest. Ainsi, dans un
aide-mémoire distribué à ces Etats en 2007, le défendeur faisait état des négociations en cours entre
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les Parties en application de la résolution 817 et déclarait que «[l]a conclusion satisfaisante desdites Le demandeur affirme que le défendeur a adressé des lettres comparables à tous les autres membres
négociations [était] une condition impérative pour que la Grèce puisse continuer de soutenir les du Conseil de sécurité ainsi qu’au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies. Le
aspirations euro-atlantiques de Skopje». Il ajoutait que le règlement de la question du nom «sera[it] défendeur ne le conteste pas.
le critère décisif pour que la Grèce accepte que l’ERYM soit invitée à engager des négociations en
vue de son adhésion à l’OTAN».
79. Le 1er juin 2008, dans un aide-mémoire adressé à l’Organisation des Etats américains et à
ses Etats membres, le défendeur indiquait ce qui suit :
75. Le demandeur a aussi produit des éléments de preuve établissant que, durant la même
période, le premier ministre et le ministre des affaires étrangères du défendeur avaient déclaré «Au sommet de l’OTAN qui s’est tenu à Bucarest en avril 2008, les dirigeants
publiquement à plusieurs occasions que celui-ci s’opposerait à ce qu’il soit invité à adhérer à des pays membres sont convenus, sur proposition de la Grèce, de différer le moment
l’OTAN au sommet de Bucarest, à moins que la question du nom ne soit réglée. où l’ERYM serait invitée à adhérer à l’Alliance jusqu’à ce qu’une solution
Le 22 février 2008, devant le Parlement du défendeur, le premier ministre de celui-ci a, au sujet de mutuellement acceptable soit trouvée au problème du nom.»
la divergence entre les Parties relative au nom, fait la déclaration suivante : «Sans une solution
mutuellement acceptable, nous ne saurions être alliés, et notre voisin ne peut être invité à adhérer à
l’Alliance. Pas de solution, pas d’invitation.» Ainsi qu’il ressort du dossier de l’affaire, le premier 80. Le défendeur souligne qu’il n’existe pas de procédure formelle de vote à l’OTAN. Il
ministre a réaffirmé publiquement cette position à trois reprises au moins en mars 2008. affirme que, nonobstant les déclarations faites par des membres de son gouvernement, les Etats
membres de l’OTAN ne disposent donc d’aucun moyen d’opposer un «veto» aux décisions de cette
organisation. Le défendeur soutient en outre que l’obligation qui est la sienne aux termes du
76. Le ministre des affaires étrangères du défendeur aussi a, préalablement à la tenue du paragraphe 1 de l’article 11 ne lui interdit pas d’exprimer ses vues, qu’elles soient favorables ou
sommet de Bucarest, explicité la position de son gouvernement. Le 17 mars 2008, elle a ainsi défavorables, sur la question de savoir si le demandeur satisfait aux critères d’adhésion à une
déclaré à propos du demandeur : «s’il n’y a pas de compromis, nous ferons échec à son adhésion». organisation ; selon lui, lesdites déclarations portaient sur la question de savoir si le demandeur
Dix jours plus tard, le 27 mars 2008, dans un discours prononcé devant le groupe parlementaire du avait satisfait à ces critères en ce qui concerne l’OTAN et ne visaient pas à exprimer une objection
parti au pouvoir, elle a tenu les propos suivants : «Nous ne pouvons bien entendu consentir à formelle. Le défendeur affirme en outre qu’au sommet de Bucarest, il a été décidé «à l’unanimité»
adresser à notre voisin une invitation à adhérer à l’OTAN [avant qu’une solution en soit trouvée]. que le demandeur ne serait pas encore invité à adhérer à l’OTAN et que l’on ne peut donc établir si
Pas de solution, pas d’invitation. Nous l’avons dit, nous ne plaisantons pas et chacun le sait.» un Etat donné «s’est opposé» à son admission. Selon le défendeur, «la Grèce n’a pas opposé son
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veto à l’admission de l’ERYM à l’OTAN… Il s’agissait d’une décision collective prise au nom de
l’Alliance dans son ensemble.» (Les italiques sont dans l’original.)
77. Le demandeur appelle aussi l’attention sur les propos tenus par le premier ministre du
défendeur le 3 avril 2008, à l’issue du sommet de Bucarest, dans un message adressé au peuple
grec :
«Il a été décidé à l’unanimité que l’Albanie et la Croatie adhéreraient à *
l’OTAN. En raison du veto de la Grèce tel ne sera cependant pas le cas de l’ERYM.
J’avais informé tout le monde sur tous les tons et à la moindre occasion
qu’«un non-règlement de la question du nom empêcherait [le demandeur] d’être 81. Au vu des éléments qui lui ont été soumis, la Cour estime que le défendeur a, dans sa
invité» à adhérer à l’Alliance. Et c’est bien ce que j’ai fait. Skopje ne pourra devenir correspondance diplomatique officielle et par la voie des déclarations de ses dirigeants, clairement
membre de l’OTAN que lorsque cette question aura été réglée.» indiqué avant, pendant et après le sommet de Bucarest, que le règlement de la divergence au sujet
du nom était le «critère décisif» pour qu’il accepte l’admission du demandeur à l’OTAN. Au
Le demandeur relève que cette présentation des événements qui se sont déroulés au sommet est sommet de Bucarest, le défendeur a élevé des objections à cette admission, invoquant le fait que la
confirmée par d’autres déclarations faites à la même époque, notamment celle d’un porte-parole de divergence relative au nom de ce dernier n’était toujours pas réglée.
l’OTAN.
82. En outre, la Cour ne peut admettre que les déclarations du défendeur concernant
78. Le demandeur invoque en outre des pièces de correspondance diplomatique émanant du l’admission du demandeur à l’OTAN n’étaient pas des objections mais de simples observations
défendeur après le sommet de Bucarest, dans lesquelles celui-ci précisait quelle avait été sa visant à appeler l’attention des autres Etats membres de l’organisation sur ses préoccupations quant
position au sommet. Il a notamment produit une lettre en date du 14 avril 2008, adressée par le à l’aptitude du demandeur, au regard des conditions requises, à adhérer à celle-ci. Il ressort
représentant permanent de l’Etat défendeur auprès de l’Organisation des Nations Unies au clairement du dossier que le défendeur est allé au-delà de telles observations pour faire obstacle à
représentant permanent du Costa Rica, qui contenait la déclaration suivante : l’admission du demandeur à l’OTAN au motif que la divergence au sujet du nom n’avait pas été
réglée.
«Au récent sommet de l’OTAN à Bucarest, étant donné qu’aucune solution
viable et définitive n’a pu être trouvée à la question du nom, la Grèce n’a pas pu
accepter que l’ex-République yougoslave de Macédoine soit invitée à adhérer à
l’Alliance nord-atlantique.»
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86. Le demandeur soutient que l’exception énoncée dans la seconde clause du paragraphe 1 *
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de l’article 11 s’applique seulement s’il doit être désigné par l’organisation elle-même sous une
appellation autre que : «ex-République yougoslave de Macédoine». Selon lui, la résolution 817
laisse envisager la possibilité qu’il se désigne lui-même par son nom constitutionnel («République
de Macédoine») au sein de l’Organisation des Nations Unies. Le demandeur affirme que telle est 89. La Cour relève que les Parties s’accordent sur l’interprétation de la seconde clause du
d’ailleurs sa pratique constante depuis l’adoption de la résolution 817 et que les Parties ont entériné paragraphe 1 de l’article 11 dans un cas : l’exception énoncée dans cette clause permet au
cette pratique dans la seconde clause du paragraphe 1 de l’article 11. Le demandeur se réfère défendeur d’élever des objections à l’admission du demandeur dans une organisation internationale
également à des éléments de preuve remontant à l’adoption de la résolution 817, dont il ressort, lorsque celui-ci doit être désigné par l’organisation elle-même sous un nom différent de
selon lui, que les Etats ayant participé à la rédaction de cette résolution considéraient que celle-ci l’appellation provisoire. Le défendeur affirme aussi avoir le droit d’élever des objections dans
ne l’obligerait pas à se désigner lui-même par l’appellation provisoire pas plus qu’elle ne prescrirait deux autres cas, à savoir, premièrement, si le demandeur devait se désigner lui-même par son nom
aux Etats tiers l’emploi d’un nom ou d’une appellation particulière pour le désigner. Dès lors, il constitutionnel au sein de l’organisation et, deuxièmement, si des Etats tiers devaient désigner le
estime que le droit d’élever des objections en vertu du paragraphe 1 de l’article 11 ne s’applique demandeur par ce même nom. Le demandeur conteste ces deux affirmations.
pas à son admission à l’OTAN parce que la pratique qui est suivie à l’Organisation des
Nations Unies serait également suivie à l’OTAN. Il affirme que la manière dont il sera désigné
«dans» une organisation renvoie notamment, en ce qui concerne une organisation telle que 90. Bien que les Parties donnent des interprétations divergentes de cette clause en ce qui
l’OTAN, au nom sous lequel il figurera dans la liste des Etats membres, à la manière dont ses concerne la question de savoir si le défendeur pourrait élever des objections dans le cas où des
représentants seront accrédités et au nom que cette organisation utilisera dans tous ses documents Etats tiers désigneraient le demandeur par son nom constitutionnel, le défendeur ne prétend pas, en
officiels pour le désigner. fait, qu’une éventuelle objection de sa part au sommet de Bucarest ait été motivée par cette
perspective. La Cour n’a donc pas besoin de déterminer, en la présente affaire, si la seconde clause
permettrait d’élever des objections fondées sur la perspective que des Etats tiers emploient le nom
87. Le défendeur, pour sa part, estime que l’intention du demandeur de se désigner lui-même constitutionnel du demandeur à l’OTAN. En revanche, les Parties s’accordent à dire en l’espèce
à l’OTAN par son nom constitutionnel et l’éventualité que des Etats tiers le désignent par ce même que le demandeur avait l’intention de se désigner lui-même à l’OTAN, une fois admis dans cette
nom permettent d’invoquer l’exception énoncée dans la seconde clause du paragraphe 1 de organisation, par son nom constitutionnel et non par l’appellation provisoire prévue dans la
l’article 11 et l’autorisaient donc à élever des objections à l’admission du demandeur à l’OTAN. résolution 817. La Cour doit donc déterminer si la seconde clause du paragraphe 1 de l’article 11
De l’avis du défendeur, la résolution 817 impose au demandeur de se désigner lui-même à permettait au défendeur d’élever des objections dans ce cas.
l’Organisation des Nations Unies par l’appellation d’«ex-République yougoslave de Macédoine».
Le défendeur ne conteste pas que le demandeur ait, comme il le soutient, suivi une pratique
constante au sein de l’Organisation des Nations Unies mais affirme avoir, quant à lui, eu pour
- 30 - - 31 -
200
une disposition explicite en ce sens, comme elles l’ont fait dans le cas des obligations énoncées à
l’article 6 et au paragraphe 2 de l’article 7 de l’accord.
93. En ce qui concerne la formule «doit être doté[] … d’une appellation différente [de] celle
prévue au paragraphe 2 de la résolution 817 (1993) du Conseil de sécurité des Nations Unies», il
convient de rappeler que le Conseil de sécurité, dans la partie pertinente de cette résolution, 97. La prise en considération de la structure d’ensemble de l’accord intérimaire, ainsi que de
recommande d’admettre le demandeur à l’Organisation des Nations Unies, celui-ci devant être son objet et de son but, confirme la pertinence de cette comparaison entre la seconde clause du
«désigné provisoirement, à toutes fins utiles à l’Organisation, sous le nom d’«ex-République paragraphe 1 de l’article 11 et les autres dispositions dudit accord. Si chacune des Parties
yougoslave de Macédoine»» en attendant que soit réglée la divergence sur le nom. Se pose donc à privilégie des aspects différents de l’accord lorsqu’elle en présente l’objet et le but, l’une et l’autre
la Cour la question fondamentale de savoir si la perspective que le demandeur se désigne lui-même semblent toutefois s’accorder à considérer que cet instrument constituait un arrangement global
à l’OTAN par son nom constitutionnel signifie qu’il «doit [y] être doté[] d’une appellation dont l’objet et le but étaient les suivants : premièrement, assurer la normalisation des relations entre
différente [de] celle prévue au paragraphe 2 de la résolution 817 (1993) du Conseil de sécurité des les Parties (sur le plan bilatéral et dans les organisations internationales) ; deuxièmement, prévoir la
Nations Unies». La Cour doit par conséquent examiner le texte de la résolution 817 en regard de la tenue de négociations de bonne foi en ce qui concerne la divergence relative au nom ; et,
seconde clause du paragraphe 1 de l’article 11. Cette résolution a été adoptée en vertu du troisièmement, s’entendre sur ce que le défendeur a appelé «les assurances liées à des
paragraphe 2 de l’article 4 de la Charte des Nations Unies, qui dispose que l’admission d’un Etat circonstances particulières», comme, par exemple, les dispositions régissant l’utilisation de certains
comme Membre de l’Organisation se fait par décision de l’Assemblée générale sur symboles ou prévoyant des mesures effectives visant à interdire toute ingérence politique, activité
recommandation du Conseil de sécurité. On pourrait donc soutenir que le paragraphe 2 de la hostile ou propagande négative. Considérées conjointement, les deux clauses du paragraphe 1 de
résolution 817 s’adresse avant tout à un autre organe de l’Organisation, à savoir à l’Assemblée l’article 11 visent le premier de ces objets en ce qu’elles précisent les conditions dans lesquelles le
générale, plutôt qu’aux Etats Membres individuellement. Il n’en reste pas moins que le défendeur est tenu de mettre fin à sa pratique consistant à faire obstacle à l’admission du
paragraphe 2 de la résolution 817 est libellé en des termes généraux «à toutes fins utiles» et demandeur à des organisations. Un autre aspect de l’arrangement à savoir les dispositions
qu’il pourrait donc être interprété comme s’appliquant au comportement des Etats Membres, parmi contenant des assurances, notamment celles qui imposent au demandeur de modifier son
lesquels le demandeur, au sein de l’Organisation des Nations Unies. comportement apparaît ailleurs dans l’accord. Compte tenu de la structure ainsi que de l’objet
et du but de celui-ci, il ne semble pas à la Cour que les Parties auraient voulu imposer au
demandeur une nouvelle contrainte importante visant à limiter sa pratique constante consistant à
94. Compte tenu de ces observations concernant le libellé de la seconde clause du se désigner lui-même par son nom constitutionnel sur la base d’une simple implication du
paragraphe 1 de l’article 11 et celui de la résolution 817, la Cour cherchera maintenant à déterminer paragraphe 1 de l’article 11. La Cour conclut donc que la structure de l’accord intérimaire, ainsi
le sens ordinaire de cette clause considérée dans son contexte et à la lumière de l’objet et du but de que son objet et son but, étayent l’interprétation avancée par le demandeur.
l’accord intérimaire. A cette fin, elle examinera d’autres dispositions de celui-ci, ainsi qu’un
accord connexe conclu à la même époque entre les Parties.
- 32 - - 33 -
n’est pas nécessaire d’examiner ces éléments de preuve additionnels. La Cour rappelle par ailleurs
98. Par conséquent, le libellé de la seconde clause du paragraphe 1 de l’article 11, considéré que les deux Parties ne se sont pas limitées à invoquer la pratique ultérieure en application de
dans le contexte et à la lumière de l’objet et du but de l’accord, ne peut être interprété comme l’accord intérimaire, qui est examinée ci-dessus, se référant aussi à d’autres éléments de preuve
permettant au défendeur de s’opposer à l’admission ou à la participation du demandeur dans une relatifs à l’emploi du nom constitutionnel du demandeur. Ces éléments étant sans incidence directe
organisation lorsqu’il est à prévoir que celui-ci utilisera son nom constitutionnel pour s’y désigner. sur la question de savoir si l’accord intérimaire autorise le défendeur à élever des objections à
l’admission ou à la participation du demandeur à une organisation au motif que celui-ci se désigne
lui-même par son nom constitutionnel, ils ne seront pas davantage examinés par la Cour.
99. La Cour examinera à présent la pratique ultérieure des Parties en ce qui concerne
l’application du paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire, conformément à l’alinéa b) du
paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne de 1969. Le demandeur affirme qu’entre la
conclusion de l’accord intérimaire et le sommet de Bucarest, il a adhéré à au moins *
quinze organisations internationales dont le défendeur était membre. Dans chacune d’entre elles, il
a été admis sous l’appellation provisoire spécifiée au paragraphe 2 de la résolution 817, et est
désigné sous cette même appellation. Il continue cependant d’employer son nom constitutionnel
pour se désigner lui-même aux fins de ses relations avec ces organisations et institutions 103. Cette analyse porte la Cour à conclure que, si le demandeur avait l’intention de se
internationales, ainsi que dans le cadre de ses activités au sein de celles-ci. La Cour relève en désigner lui-même par son nom constitutionnel dans une organisation internationale, cela ne
particulier l’affirmation du demandeur selon laquelle le défendeur n’a élevé d’objection à son signifie pas qu’il «d[eva]it être doté[]» dans cette organisation «d’une appellation différente [de]
admission à aucune de ces quinze organisations. Ce point n’a pas été contesté par le défendeur. celle prévue» au paragraphe 2 de la résolution 817. En conséquence, l’exception énoncée dans la
Bien que rien n’indique qu’il ait jamais élevé d’objection à l’admission ou à la participation du seconde clause du paragraphe 1 de l’article 11 ne conférait pas au défendeur le droit d’élever des
demandeur à ces organisations au motif qu’il était à prévoir que celui-ci y emploierait son nom objections à l’admission du demandeur à l’OTAN.
constitutionnel, le défendeur mentionne le cas d’une organisation — le Conseil de l’Europe — où il
s’est plaint de l’utilisation par le demandeur de ce nom après que celui-ci y avait adhéré. Le
défendeur ne semble avoir exprimé ses préoccupations à cet égard pour la première fois qu’en 3. L’article 22 de l’accord intérimaire
201
décembre 2004, soit plus de neuf ans après l’admission du demandeur, revenant une nouvelle fois
sur le sujet en 2007. 104. L’article 22 de l’accord intérimaire est ainsi libellé :
«Le présent accord intérimaire n’est dirigé contre aucun autre Etat ou entité et il
100. La Cour se réfère également aux éléments de preuve qui se rapportent à la pratique des ne porte pas atteinte aux droits et aux devoirs découlant d’accords bilatéraux et
Parties à l’égard de l’OTAN avant le sommet de Bucarest. Pendant les années qui ont précédé ce multilatéraux déjà en vigueur que les Parties ont conclus avec d’autres Etats ou
sommet, le demandeur a toujours employé son nom constitutionnel dans ses relations avec organisations internationales.»
l’OTAN, en tant que participant au partenariat pour la paix et au plan d’action pour l’adhésion.
Nonobstant cette pratique, qui est conforme à celle que le demandeur a suivie dans toutes les autres
organisations internationales, rien n’indique que le défendeur ait, dans la période qui a précédé le 105. Le demandeur soutient que l’article 22 «est simplement une déclaration de fait» et que
sommet de Bucarest, jamais exprimé de préoccupation au sujet de l’emploi par le demandeur de cette disposition «ne vise pas les droits et les devoirs du défendeur : elle indique seulement que
son nom constitutionnel dans ses relations avec l’OTAN ou qu’il ait indiqué qu’il élèverait des l’accord intérimaire dans son ensemble ne porte pas atteinte aux droits et devoirs d’Etats tiers ou
objections à l’admission du demandeur à l’OTAN en raison de l’emploi — passé ou futur — par autres entités». Selon lui, l’article 22 est l’expression «de la règle énoncée à l’article 34 de la
celui-ci de ce nom. Ainsi que cela a été exposé ci-dessus, les éléments de preuve démontrent en convention de Vienne de 1969, selon laquelle «[u]n traité ne crée ni obligations ni droits pour un
revanche clairement que le défendeur a élevé des objections à l’admission du demandeur à l’OTAN Etat tiers sans son consentement»». Le demandeur fait valoir que «le paragraphe 1 de l’article 11
parce que la divergence relative au nom n’avait pas été définitivement réglée. serait vidé de son sens» si l’on retenait l’interprétation du défendeur parce qu’il suffirait à celui-ci,
pour élever des objections, d’invoquer un prétendu droit ou une prétendue obligation qu’il tiendrait
d’un autre accord.
101. Au vu de l’examen qui précède, la Cour conclut que la pratique des Parties en ce qui
concerne l’application de l’accord intérimaire étaye ses conclusions précédentes (voir
paragraphe 98) et que, partant, la seconde clause du paragraphe 1 de l’article 11 n’autorise pas le 106. Le défendeur soutient qu’à supposer même que la Cour vienne à conclure qu’il s’est
défendeur à élever des objections à l’admission du demandeur à une organisation au motif qu’il est opposé à l’admission du demandeur à l’OTAN en contravention du paragraphe 1 de l’article 11,
à prévoir que celui-ci s’y désignera lui-même par son nom constitutionnel. cela ne constituerait pas, par l’effet de l’article 22, une violation de l’accord intérimaire. Selon
l’interprétation de l’article 22 que donne le défendeur dans ses écritures, cette disposition signifie
que les droits et les devoirs d’une partie à l’accord intérimaire découlant d’un accord antérieur
102. La Cour rappelle que les Parties ont présenté de nombreux éléments de preuve relatifs l’emportent sur les obligations de cette partie au titre de l’accord intérimaire. En particulier, le
aux travaux préparatoires de l’accord intérimaire et de la résolution 817. Toutefois, eu égard à la défendeur soutient qu’il était libre de s’opposer à l’admission du demandeur à l’OTAN parce que
conclusion à laquelle elle est parvenue plus haut (voir paragraphes 98 et 101), la Cour estime qu’il «tous les droits détenus par la Grèce dans le cadre de l’OTAN, et toutes ses obligations envers
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l’OTAN ou ses Etats membres, doivent prévaloir en cas de conflit» avec la restriction de son droit Cour européenne a conclu que les termes «droits et obligations» renvoyaient respectivement aux
d’élever des objections énoncée au paragraphe 1 de l’article 11. Il invoque à cet égard le droit, «droits» des Etats tiers et aux «obligations» des Etats parties (voir arrêt du 27 février 1962,
qu’il tient de l’article 10 du traité de l’Atlantique Nord, de consentir (ou non) à l’admission d’un Commission/Italie, C-10/61, Rec. p. 22 ; voir également : arrêt du 3 mars 2009, Commission/Suède,
Etat à l’OTAN, ainsi que son «devoir de participer activement et diligemment aux discussions C-249/06, Rec. p. I-1348, point 34).
concernant l’Organisation». Il soutient que l’article 22 «est une disposition juridique» (les italiques
sont dans l’original), et non «une simple déclaration de fait», et que la lecture que fait le demandeur
de cette disposition qui réaffirmerait la règle énoncée à l’article 34 de la [convention de Vienne 110. La Cour en vient maintenant à l’interprétation plus étroite de l’article 22 faite par le
de 1969] «reviendrait essentiellement à rendre l’article 22 redondant». défendeur, selon laquelle les «devoirs» découlant d’un traité antérieur prévalent sur les obligations
au titre de l’accord intérimaire. A supposer, arguendo, qu’elle retienne cette interprétation plus
étroite, la prochaine étape de son examen consisterait à rechercher si le défendeur a, au titre du
107. Il apparaît cependant que le défendeur a, au cours de la procédure orale, adopté une traité de l’Atlantique Nord, des devoirs dont il ne peut s’acquitter sans manquer à son obligation de
interprétation plus étroite de l’article 22, déclarant qu’il avait le droit d’élever des objections «si, et ne pas s’opposer à l’admission du demandeur à l’OTAN. Par conséquent, pour évaluer l’effet de
seulement si, les règles et les critères de ces organisations lui impos[ai]ent, compte tenu des l’article 22 tel qu’interprété comme le suggère le défendeur dans la version ultérieure, plus étroite,
circonstances de la demande d’admission, l’obligation d’objecter» (les italiques sont de la Cour). de son argument, la Cour doit chercher à déterminer si celui-ci a établi que le traité de l’Atlantique
Par ailleurs, constatant que l’OTAN est une «organisation à composition limitée» dont l’objectif Nord lui imposait de s’opposer à l’admission du demandeur à l’OTAN.
spécifique est la défense collective, le défendeur en déduit qu’il existe un devoir d’«exercer tout
son jugement dans chaque décision relative à l’admission d’un nouveau membre». Selon lui,
chaque Etat membre a donc non seulement le droit, mais aussi le devoir, d’exprimer ses 111. Le défendeur n’a présenté aucun argument convaincant tendant à démontrer qu’une
préoccupations s’il estime qu’un candidat ne satisfait pas aux critères d’adhésion de l’organisation. quelconque disposition du traité de l’Atlantique Nord lui imposait de s’opposer à l’admission du
S’agissant du contenu de ces critères en ce qu’ils s’appliquent au demandeur, le défendeur invoque demandeur à l’OTAN. En réalité, il a tenté de transformer un «droit» d’ordre général de se
principalement un communiqué de presse de l’OTAN intitulé «plan d’action pour l’adhésion prononcer sur les décisions à prendre relativement à l’admission de nouveaux membres en un
(MAP)», adopté à l’issue du sommet de l’OTAN de Washington D.C. le 24 avril 1999, indiquant «devoir», affirmant qu’il avait en la matière un tel «devoir» et que cela le libérait de son obligation
que les pays candidats devraient notamment «régle[r] les différends ethniques ou les litiges de ne pas s’opposer à l’admission du demandeur à une organisation. Cet argument souffre des
mêmes faiblesses que l’interprétation plus large de l’article 22 initialement avancée par le
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territoriaux d’ordre externe, y compris les revendications irrédentistes … par des moyens
pacifiques» et «recherche[r] des relations de bon voisinage». défendeur, à savoir qu’il ôterait toute valeur à la première clause du paragraphe 1 de l’article 11.
La Cour conclut donc que le défendeur n’a pas démontré qu’il était, aux termes du traité de
l’Atlantique Nord, tenu de s’opposer à l’admission du demandeur à l’OTAN.
*
112. Au vu de l’analyse qui précède, la Cour conclut que la tentative faite par le défendeur
de se fonder sur l’article 22 est vaine. En conséquence, elle n’a pas à décider si l’une ou l’autre des
interprétations données par les Parties est correcte.
108. La Cour commence par faire observer que, si l’article 22 de l’accord intérimaire doit,
ainsi que l’avance le demandeur, être considéré comme une disposition strictement déclaratoire, il
ne saurait en aucun cas servir de fondement aux objections élevées par le défendeur. 4. Conclusion quant à la question de savoir si le défendeur ne s’est pas conformé au
paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire
109. En ce qui concerne l’interprétation de l’article 22 que donne le défendeur, la Cour prend 113. La Cour conclut que le défendeur, en s’opposant à l’admission du demandeur à l’OTAN
note de la très large portée de l’affirmation initiale de celui-ci, selon laquelle ses «droits» (en plus au sommet de Bucarest, ne s’est pas conformé à l’obligation que lui impose le paragraphe 1 de
de ses «devoirs») découlant d’un accord antérieur prévalent sur l’obligation qui lui incombe en l’article 11 de l’accord intérimaire. La perspective que le demandeur emploie sa dénomination
vertu du paragraphe 1 de l’article 11 de ne pas s’opposer à l’admission du demandeur à une constitutionnelle pour se désigner lui-même à l’organisation ne rendait pas cette objection licite par
organisation. Cette interprétation de l’article 22, si elle était retenue, viderait de son sens ladite l’effet de l’exception énoncée dans la seconde clause du paragraphe 1 de l’article 11. Dans les
obligation car on peut normalement s’attendre à ce que le défendeur ait, en vertu d’accords circonstances de la présente espèce, le défendeur ne saurait fonder sur l’article 22 de l’accord
antérieurs conclus avec des Etats tiers, le «droit» de se prononcer sur les décisions à prendre intérimaire une objection contraire aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 11.
relativement à l’admission de nouveaux membres. La Cour, considérant que les Parties
n’entendaient pas que la première clause du paragraphe 1 de l’article 11 soit privée d’effet par
l’article 22, ne peut souscrire à l’interprétation large initialement avancée par le défendeur. A cet IV. JUSTIFICATIONS ADDITIONNELLES INVOQUÉES PAR LE DÉFENDEUR
égard, elle observe que la Cour de justice des Communautés européennes a rejeté un argument
similaire. Cette juridiction a notamment interprété une disposition du traité instituant la 114. Subsidiairement à son argument principal, à savoir qu’il s’est conformé aux obligations
Communauté économique européenne qui prévoyait que les «droits et obligations» découlant que lui impose l’accord intérimaire, le défendeur prétend que l’illicéité de toute objection à
d’accords antérieurs «ne ser[aie]nt pas affectés par» les dispositions de ce même instrument. La l’admission du demandeur à l’OTAN serait exclue en vertu de la théorie de
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l’exceptio non adimpleti contractus. Il donne également à entendre que tout manquement aux Vienne de 1969 pour obtenir la suspension de l’application de l’accord intérimaire, en totalité ou en
obligations que lui impose l’accord intérimaire pourrait être justifié aussi bien comme une réponse partie, le défendeur a changé de position, soutenant que la suspension partielle de l’application de
à une violation substantielle d’un traité que comme une contre-mesure prise conformément au droit l’accord conformément à l’article 60 de ladite convention (à laquelle le demandeur et le défendeur
de la responsabilité de l’Etat. La Cour commencera par résumer les arguments des Parties relatifs à sont l’un et l’autre parties) était «justifiée» parce que les violations imputées au demandeur étaient
ces trois justifications additionnelles. substantielles. Tout en se déclarant conscient des obligations procédurales énoncées à l’article 65
de la convention de Vienne de 1969, le défendeur soutient que, si un Etat suspend partiellement
l’application d’un traité «en réponse à une autre partie … qui allègue sa violation», la notification
1. Les arguments des Parties concernant les justifications additionnelles invoquées par le ex ante n’a pas lieu d’être.
défendeur
119. Le demandeur affirme, quant à lui, que le défendeur ne l’a jamais avisé qu’il lui
A. Les arguments des Parties concernant l’exceptio non adimpleti contractus imputait une violation substantielle de l’accord intérimaire et n’a jamais cherché à invoquer le droit
de suspension prévu à l’article 60 de la convention de Vienne de 1969. Il fait observer que le
115. Le défendeur considère que l’exceptio non adimpleti contractus est un principe général défendeur a, dans son contre-mémoire, confirmé qu’il ne s’appuyait pas sur l’article 60. De plus, il
de droit international l’autorisant à «suspendre celles de ses obligations qui sont réciproques aux appelle l’attention sur «la procédure précise et détaillée» énoncée à l’article 65 de la convention de
obligations que [le demandeur] n’observe pas». Selon lui, l’exceptio joue en cas de manquement Vienne de 1969 et affirme que le défendeur ne l’a pas respectée. Le demandeur affirme en outre
par une partie à une «disposition fondamentale» de l’accord intérimaire. Le défendeur considère qu’avant le sommet de Bucarest, le défendeur ne lui a jamais notifié qu’il avait motif à suspendre
que l’exceptio permet à un Etat victime de manquements à des engagements conventionnels l’application de l’accord intérimaire, qu’il lui en imputait une violation ou qu’il en suspendait
commis par un autre Etat d’y répondre en suspendant l’exécution de ses obligations corrélatives ou l’application.
en y mettant fin. Il affirme en particulier qu’il existe un lien synallagmatique entre son obligation
de ne pas s’opposer (énoncée au paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire) et les
obligations assumées par le demandeur aux termes des articles 5, 6, 7 et 11 dudit accord, et que, par C. Les arguments des Parties concernant les contre-mesures
le jeu de l’exceptio, le manquement par le demandeur à ces obligations exclut l’illicéité de toute
inobservation par le défendeur de son obligation de ne pas s’opposer à son admission à l’OTAN. 120. Le défendeur allègue également que tout défaut de conformité de sa part avec les
203
obligations que lui fait l’accord intérimaire peut être justifié en tant que contre-mesure. De même
que son argument au sujet de la suspension de l’application de l’accord en réponse à une violation
116. Le défendeur affirme également que «les conditions permettant d’invoquer l’exception substantielle, sa position sur les contre-mesures a évolué en cours d’instance. Après avoir déclaré
d’inexécution sont différentes de celles qui entraînent la suspension d’un traité ou excluent ne pas prétendre que toute objection à l’admission du demandeur à l’OTAN était justifiée en tant
l’illicéité par le jeu des contre-mesures, et [qu’]elles sont moins rigides». Selon lui, «il n’y a pas que contre-mesure, le défendeur a soutenu que sa «prétendue opposition remplirait les conditions
lieu de notifier [l’invocation de l’exceptio] ou d’en prouver le bien-fondé au préalable… La requises pour constituer une contre-mesure». Il a présenté ce moyen de défense comme
suspension, sur la base de l’exceptio, de l’exécution d’une obligation n’est assujettie à aucune règle «doublement subsidiaire», signifiant par là qu’il n’aurait à le faire valoir que si la Cour établissait
de procédure. Le défendeur cite aussi plusieurs cas où il affirme s’être plaint auprès du demandeur qu’il avait contrevenu à l’accord intérimaire et si elle concluait que l’exceptio ne pouvait pas être
du manquement de ce dernier à ses obligations au titre de l’accord intérimaire. invoquée pour exclure l’illicéité du comportement du défendeur.
117. Le demandeur soutient pour sa part que le défendeur n’a pas démontré que l’exceptio 121. Le défendeur s’est penché sur les conditions auxquelles les articles de la Commission
constituait un principe général de droit international. Il fait également valoir que l’article 60 de la du droit international sur la responsabilité de l’Etat (annexe de la résolution 56/83 de l’Assemblée
convention de Vienne de 1969 énonce un ensemble complet de règles et de procédures régissant la générale, du 12 décembre 2001, ci-après dénommés «les articles de la CDI sur la responsabilité de
façon dont il convient de répondre à des violations substantielles en vertu du droit des traités et que l’Etat») subordonnent l’adoption de contre-mesures. Il soutient que les violations qu’il impute au
le droit de la responsabilité de l’Etat ne reconnaît pas l’exceptio comme justifiant l’inexécution demandeur sont graves et que la manière dont il y a répondu satisfait aux conditions prévues par les
d’obligations. Il conteste en outre la position du défendeur selon laquelle les obligations que lui articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, dont il retient que les contre-mesures doivent être
font les articles 5, 6 et 7 de l’accord intérimaire et l’obligation de ne pas s’opposer que le proportionnées, être prises dans le but d’obtenir la cessation du fait illicite et se limiter à
paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord impose au défendeur sont synallagmatiques. De plus, le l’inexécution temporaire de son obligation de ne pas s’opposer à l’admission du demandeur à
demandeur fait valoir que le défendeur n’a fait état des violations dont il tire maintenant argument l’OTAN. De plus, le défendeur affirme avoir, à maintes reprises, informé le demandeur de ses
qu’après s’être opposé à son admission à l’OTAN. positions.
B. Les arguments des Parties concernant la réponse à une violation substantielle 122. Le demandeur appelle pour sa part l’attention sur les dispositions des articles de la CDI
sur la responsabilité de l’Etat stipulant que les contre-mesures doivent constituer une réponse à des
118. Le défendeur soutient que toute méconnaissance de sa part des obligations que lui violations commises par un autre Etat, être proportionnées à ces violations et n’être prises qu’après
impose l’accord intérimaire peut être justifiée comme étant une réponse à la violation substantielle
d’un traité. Après avoir commencé par déclarer qu’il n’entendait pas invoquer la convention de
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notification à l’autre Etat. Selon lui, aucune de ces conditions n’a été remplie. Le demandeur «Les Parties conviennent de poursuivre les négociations sous les auspices du
considère également que les conditions énoncées dans les articles de la CDI sur la responsabilité de Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, conformément à la
l’Etat pour la mise en œuvre de contre-mesures reflètent le «droit international général». résolution 845 (1993) du Conseil de sécurité, en vue de parvenir à régler le différend
mentionné dans cette résolution et dans la résolution 817 (1993) du Conseil.»
2. Les allégations du défendeur selon lesquelles le demandeur ne s’est pas conformé à ses
obligations au titre de l’accord intérimaire 128. Le défendeur soutient que, dans l’esprit des deux Parties, les négociations menées en
application du paragraphe 1 de l’article 5 ont toujours eu pour objet de parvenir à un accord sur un
123. La Cour observe que le défendeur, s’il a présenté séparément ses arguments relatifs, nom unique, à employer à quelque fin que ce soit. Il affirme que le demandeur s’est écarté de cette
respectivement, à l’exceptio, à la suspension partielle de l’accord intérimaire en vertu de l’article 60 conception commune en insistant pour que soit retenue une «double formule», selon laquelle les
de la convention de Vienne de 1969 et aux contre-mesures, a énoncé certaines conditions négociations auraient «simplement pour but la détermination du nom à employer dans le cadre des
minimales qui, selon lui, sont communes à ces trois arguments. Premièrement, il a fondé chacun relations bilatérales entre les Parties», et a ainsi tenté de «redéfinir unilatéralement l’objet et le but
d’entre eux sur l’allégation selon laquelle le demandeur avait violé plusieurs dispositions de des négociations». Le défendeur affirme en outre qu’en employant constamment son nom
l’accord avant qu’il n’élève des objections à l’admission de celui-ci à l’OTAN. Deuxièmement, constitutionnel pour se désigner lui-même et en cherchant systématiquement à se faire reconnaître
chacun de ces arguments, tel que présenté par le défendeur, suppose que ce dernier démontre que sous ce nom par les Etats tiers, le demandeur prive les négociations de leur objet et de leur but. Il
ses objections ont été élevées en réponse aux violations alléguées du demandeur ; autrement dit, il soutient aussi, plus généralement, que le demandeur a adopté une position intransigeante et
lui faut démontrer qu’il existe un rapport entre lesdites violations et ses objections. En gardant à inflexible pendant les négociations sur le nom.
l’esprit les conditions ainsi énoncées, la Cour examinera maintenant les éléments de preuve relatifs
aux violations que le demandeur aurait commises. Ainsi qu’il a été indiqué précédemment (voir
paragraphe 72), c’est en principe à la Partie qui avance certains faits d’en démontrer l’existence. 129. Le demandeur estime de son côté qu’il «ne s’est jamais engagé, que ce soit en vertu de
la résolution 817, de l’accord intérimaire ou d’un autre texte, à se désigner lui-même par
l’appellation provisoire» (les italiques sont dans l’original) et soutient que, en cherchant à rallier les
A. La violation de la seconde clause du paragraphe 1 de l’article 11 qu’aurait commise le Etats tiers à l’emploi de son nom constitutionnel, il n’a pas manqué à l’obligation de négocier de
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demandeur bonne foi que lui impose le paragraphe 1 de l’article 5. Il fait valoir que l’accord intérimaire ne
préjuge pas l’issue des négociations, le paragraphe 1 de l’article 5 ne prescrivant pas que celles-ci
124. La Cour commencera par examiner l’assertion du défendeur selon laquelle la seconde doivent aboutir à l’adoption d’un nom unique à employer à quelque fin que ce soit. Le demandeur
clause du paragraphe 1 de l’article 11 impose au demandeur l’obligation de ne pas être doté dans affirme en outre qu’il s’est montré disposé à transiger et que c’est le défendeur qui a fait preuve
une organisation ou une institution internationale d’une appellation autre que la dénomination d’intransigeance.
provisoire (à savoir «l’ex-République yougoslave de Macédoine»). Le défendeur prétend que le
demandeur ne s’est pas conformé à cette obligation.
130. La Cour fait observer qu’elle a compétence — sans aborder la divergence sur le nom au
fond ni exprimer une quelconque opinion à ce sujet, ce qui est exclu de sa compétence en vertu du
125. Le demandeur affirme, pour sa part, que la seconde clause du paragraphe 1 de paragraphe 2 de l’article 21 de l’accord intérimaire (voir paragraphes 28 à 38 ci-dessus) pour
l’article 11 ne lui impose nullement une obligation, mais définit le seul cas où le défendeur peut examiner la question, soulevée par le défendeur, de savoir si les Parties ont, en application du
s’opposer à son admission. paragraphe 1 de l’article 5, mené des négociations de bonne foi.
126. La Cour observe que, telle qu’elle est libellée, la seconde clause du paragraphe 1 de 131. La Cour relève d’emblée que, bien que le paragraphe 1 de l’article 5 ne fasse pas
l’article 11 n’impose pas une obligation au demandeur. La Cour relève en outre que, tout comme expressément obligation aux Parties de négocier de bonne foi, cette obligation découle
d’autres dispositions de l’accord intérimaire imposent des obligations au seul demandeur, le implicitement de ladite disposition (voir convention de Vienne de 1969, art. 26 ; voir aussi
paragraphe 1 de l’article 11 en impose une au seul défendeur. La seconde clause énonce une Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis
importante exception à cette obligation, mais ne fait pas de cette exception une obligation à la d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 292, par. 87 ; Compétence en matière de pêcheries
charge du demandeur. La Cour estime donc que le demandeur n’a pas contrevenu à cette (Royaume-Uni c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 33-34, par. 78-79 ; Compétence en
disposition. matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne c. Islande), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1974, p. 202, par. 69 ; Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt,
C.I.J. Recueil 1974, p. 268, par. 46 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt,
B. La violation du paragraphe 1 de l’article 5 qu’aurait commise le demandeur C.I.J. Recueil 1974, p. 473, par. 49 ; Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale
d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969,
127. La Cour se penchera à présent sur l’allégation du défendeur selon laquelle le demandeur p. 46-47, par. 85).
a manqué à son obligation de négocier de bonne foi. Elle rappellera que le paragraphe 1 de
l’article 5 de l’accord intérimaire est ainsi libellé :
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des Nations Unies a, au fil des années, présenté aux Parties différentes propositions et qu’il a en
132. La Cour fait observer que la notion de négociation aux fins du règlement des différends, particulier émis l’avis selon lequel, durant la période qui a précédé le sommet de Bucarest, les
ou d’obligation de négocier, a été clarifiée par sa jurisprudence et celle de sa devancière, ainsi que Parties négociaient sérieusement. Considérés dans leur ensemble, les éléments de preuve de cette
par des sentences arbitrales. Comme la Cour permanente de Justice internationale l’a précisé période indiquent que le demandeur n’a pas totalement exclu l’idée d’examiner des propositions
dès 1931 dans l’avis consultatif qu’elle a donné sur la question du Trafic ferroviaire entre la s’écartant tant de l’emploi exclusif de son nom constitutionnel que de la «double formule», tandis
Lithuanie et la Pologne, l’obligation de négocier, avant tout, n’est «pas seulement [celle] d’entamer que le défendeur, modifiant apparemment sa position initiale, a déclaré en septembre 2007 qu’il
des négociations, mais encore [celle] de les poursuivre autant que possible, en vue d’arriver à des accepterait que le mot «Macédoine» soit inclus dans un nom composé par lequel serait désigné le
accords». De toute évidence, cela n’implique cependant ni «[l’obligation] de s’entendre» (Trafic demandeur.
ferroviaire entre la Lithuanie et la Pologne, avis consultatif, 1931, C.P.J.I. série A/B n° 42, p. 116 ;
voir également Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt
du 20 avril 2010, par. 150) ni la nécessité de mener de longues négociations (Concessions 136. En particulier, le médiateur des Nations Unies a, en mars 2008, proposé que le
Mavrommatis en Palestine, arrêt n° 2, 1924, C.P.J.I. série A n° 2, p. 13). Les Etats ont néanmoins demandeur adopte le nom de «République de Macédoine (Skopje)» à quelque fin que ce soit.
l’obligation de se comporter de telle sorte que «les négociations aient un sens». Il n’est pas satisfait D’après le dossier de l’affaire, le demandeur a fait savoir qu’il était disposé à soumettre l’adoption
à cette condition lorsque, par exemple, l’une ou l’autre partie «insiste sur sa propre position sans de ce nom à un référendum. Il ressort également du dossier que c’est le défendeur qui a rejeté le
envisager aucune modification» (Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale nom proposé.
d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969,
p. 47, par. 85 ; voir également Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine
c. Uruguay), arrêt du 20 avril 2010, par. 146) ou fait obstacle aux négociations, par exemple, en 137. La Cour note aussi que le médiateur des Nations Unies a, durant la période allant de
interrompant toute communication, en causant des retards injustifiés, en ne tenant pas compte des janvier à mars 2008, formulé des commentaires favorables sur le déroulement des négociations,
procédures convenues (Affaire du Lac Lanoux (Espagne/France) (1957), RSA, vol. XII, p. 307). La faisant état du désir manifeste des Parties de résoudre leurs divergences.
tenue de négociations en vue de parvenir à un accord implique également que chaque partie tienne
raisonnablement compte de l’intérêt de l’autre (Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni
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c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 33, par. 78). En ce qui concerne la preuve requise 138. La Cour conclut donc que le défendeur n’a pas, comme il en avait la charge, démontré
pour établir la mauvaise foi (ce qui fonderait l’une ou l’autre partie à soutenir qu’elle est libérée de que le demandeur avait manqué à son obligation de négocier de bonne foi.
son obligation d’exécution), «le simple échec de certaines négociations ne constitue pas un élément
suffisant» [traduction du Greffe] (arbitrage de Tacna-Arica (Chili/Pérou), (1925), RSA, vol. II,
p. 930). Si ladite preuve peut être apportée par des éléments indirects, elle doit cependant être C. La violation du paragraphe 2 de l’article 6 qu’aurait commise le demandeur
étayée «non par des déductions contestables mais par des éléments clairs et convaincants qui
appellent nécessairement pareille conclusion» [traduction du Greffe] (ibid.). 139. Le paragraphe 2 de l’article 6 est ainsi libellé :
133. La Cour examinera maintenant la question de savoir si l’obligation de négocier de «La seconde Partie déclare solennellement qu’aucune disposition de sa
bonne foi a été satisfaite en l’espèce au regard des critères exposés ci-dessus. constitution, en particulier l’article 49 tel qu’amendé, ne peut et ne doit être interprétée
comme constituant et ne constituera jamais une raison d’intervenir dans les affaires
intérieures d’un autre Etat en vue de protéger le statut et les droits de toutes personnes
134. La Cour observe que le fait que les Parties ne sont toujours pas parvenues à s’entendre se trouvant dans d’autres Etats qui ne sont pas citoyens de la seconde Partie.»
seize ans après la conclusion de l’accord intérimaire ne suffit pas, en soi, à établir que l’une ou
l’autre a manqué à son obligation de négocier de bonne foi. La question de savoir si elles se sont 140. Les allégations du défendeur à cet égard portent principalement sur l’action menée par
acquittées de cette obligation ne peut être appréciée en fonction des résultats obtenus. Pour y le demandeur pour soutenir ou défendre les intérêts de personnes résidant aujourd’hui sur le
répondre, la Cour doit rechercher si les Parties se sont comportées de telle sorte que les territoire du demandeur (dont des nationaux de celui-ci) après avoir quitté le territoire du défendeur
négociations puissent avoir un sens. ou en avoir été expulsées par suite de la guerre civile que ce dernier a connue dans les années 1940
(ou les intérêts de leurs descendants) et qui revendiquent notamment des biens fonciers abandonnés
sis sur le territoire du défendeur. Certaines des allégations du défendeur renvoient à des
135. Il ressort du dossier de l’affaire que, durant les négociations menées en application du événements postérieurs au sommet de Bucarest. Elles ne sauraient donc avoir été le motif de
paragraphe 1 de l’article 5, le demandeur a refusé les propositions de s’écarter de son nom l’opposition manifestée par le défendeur lors de ce sommet. Celui-ci tire aussi grief de l’action
constitutionnel et que le défendeur s’est opposé à ce que le mot «Macédoine» figure dans le nom selon lui menée par le demandeur pour soutenir, sur son territoire, «une minorité macédonienne»
du demandeur. Le dossier révèle aussi que les dirigeants politiques des deux Parties ont parfois, constituée de personnes qui sont ses nationaux.
notamment dans les mois qui ont précédé le sommet de Bucarest, fait des déclarations publiques
qui laissaient entrevoir une position intransigeante sur la divergence relative au nom. Ces
déclarations sont certes regrettables, mais certains éléments attestent également que le médiateur
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144. Le défendeur allègue que le demandeur a violé cette disposition en ne prenant pas des
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E. la violation du paragraphe 2 de l’article 7 qu’aurait commise le demandeur
mesures efficaces pour interdire les actes hostiles commis par des institutions contrôlées par l’Etat,
formulant notamment à cet égard des assertions concernant le contenu de certains manuels 148. Le paragraphe 2 de l’article 7 est ainsi libellé :
scolaires. Les manuels auxquels il fait référence sont des manuels d’histoire utilisés dans les écoles
du demandeur qui dépeignent une «Grande Macédoine» et présentent certains personnages «Lorsque le présent accord intérimaire entrera en vigueur, la seconde Partie
historiques comme les ancêtres de la population actuelle du demandeur. Selon le défendeur, ces cessera d’utiliser de quelque façon que ce soit et sous toutes ses formes le symbole qui
exemples, et d’autres encore, démontrent que le demandeur n’a pris aucune mesure pour interdire figurait sur son drapeau national avant l’entrée en vigueur de l’accord.»
les actes d’hostilité à l’encontre du défendeur et s’est livré activement à une propagande hostile.
152. Le défendeur a également produit des éléments de preuve portant sur moins de
dix autres cas où ledit symbole a été utilisé de diverses manières sur le territoire du demandeur,
principalement dans des publications ou lors de manifestations publiques.
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153. La Cour fait cependant observer que ces allégations ou bien visent les activités de
particuliers, ou bien n’ont été portées à l’attention du demandeur qu’après le sommet de Bucarest. 159. A la lumière de ces éléments du dossier, la Cour conclut que le défendeur n’a pas,
Certes, comme elle l’a relevé précédemment, le dossier de l’affaire permet d’établir que, dans un comme il en avait la charge, démontré que le demandeur a contrevenu au paragraphe 3 de
cas au moins, l’armée du demandeur a utilisé le symbole que vise l’interdiction figurant au l’article 7.
paragraphe 2 de l’article 7 de l’accord intérimaire.
*
F. La violation du paragraphe 3 de l’article 7 qu’aurait commise le demandeur
154. Le paragraphe 3 de l’article 7 est ainsi libellé : 160. Au vu de cet examen des allégations du défendeur selon lesquelles le demandeur a manqué
à plusieurs obligations que lui impose l’accord intérimaire, la Cour conclut que le défendeur n’a
«Si l’une des Parties pense que l’autre Partie utilise un ou plusieurs symboles établi qu’un seul manquement de cette nature. Il a en effet démontré que le demandeur avait,
faisant partie de son patrimoine historique ou culturel, elle portera cette question à en 2004, utilisé le symbole interdit par le paragraphe 2 de l’article 7. Après que le défendeur eut
l’attention de l’autre Partie et cette dernière soit prendra les mesures voulues pour appelé son attention sur cette question en 2004, le demandeur a mis fin à l’utilisation dudit symbole
remédier à la situation, soit indiquera pourquoi elle ne considère pas nécessaire de le cette même année. Sur la base de ce qui précède, la Cour énoncera maintenant ses conclusions
faire.» concernant chacune des trois justifications invoquées par le défendeur.
155. Selon le défendeur, le paragraphe 3 de l’article 7 signifie que chacune des Parties doit 3. Conclusions concernant les justifications additionnelles invoquées par le défendeur
s’abstenir d’utiliser les symboles qui y sont visés car une telle utilisation pourrait aller à l’encontre
des objectifs de l’accord intérimaire. Le défendeur soutient également que le demandeur a
contrevenu de diverses manières à cette disposition, notamment en émettant des timbres, en A. Conclusion concernant l’exceptio non adimpleti contractus
érigeant des statues et en rebaptisant l’aéroport de la capitale.
161. Ayant examiné les allégations de violations que le défendeur a formulées à l’encontre
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du demandeur, la Cour en revient à l’argument du défendeur selon lequel, en vertu de l’exceptio,
156. La Cour relève qu’à la différence du paragraphe 2 de l’article 7, le paragraphe 3 telle que celui-ci la définit, elle ne saurait conclure qu’il a manqué à l’obligation que lui impose le
n’interdit pas expressément au demandeur d’utiliser les symboles qui y sont visés. Il énonce paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire. Elle rappelle que, à une exception près
simplement la procédure à suivre lorsque l’une des Parties pense que l’autre utilise des symboles (l’interdiction d’utiliser le symbole énoncée au paragraphe 2 de l’article 7 (voir paragraphe 153)),
appartenant à son patrimoine historique ou culturel. le défendeur n’a pas démontré que le demandeur avait commis une quelconque violation de
l’accord intérimaire. De surcroît, le défendeur n’a pas établi l’existence d’un rapport entre
l’utilisation du symbole par le demandeur en 2004 et son opposition à l’admission de celui-ci à
157. Le paragraphe 3 de l’article 7 n’interdisant en rien l’utilisation de tel ou tel symbole, le l’OTAN en 2008 ; autrement dit, il n’a pas démontré qu’il s’était opposé à cette admission en
fait de rebaptiser un aéroport ne saurait en soi en constituer une violation. La question est de savoir réponse à l’apparente violation du paragraphe 2 de l’article 7 ou, plus généralement, parce qu’il
si le défendeur a porté ses préoccupations «à l’attention» du demandeur avant le sommet de pensait que l’exceptio excluait l’illicéité de cette opposition. Le défendeur n’a donc pas établi qu’il
Bucarest. Le défendeur a produit des éléments de preuve montrant qu’en décembre 2006, son avait été satisfait, en l’espèce, aux conditions, énoncées par lui-même, qui seraient requises pour
ministre des affaires étrangères avait qualifié le comportement du demandeur d’«incompatible avec que l’exceptio s’applique. Dès lors, il n’est pas nécessaire que la Cour détermine si cette théorie
les obligations en matière de relations de bon voisinage qui découlent de l’accord intérimaire» et de fait partie du droit international contemporain.
«contraire aux aspirations euro-atlantiques de Skopje», sans toutefois faire expressément mention
du changement de nom de l’aéroport. En février 2007, devant le parlement, le ministre des affaires
étrangères du défendeur a expressément qualifié de violation de l’accord intérimaire le changement B. Conclusion concernant la réponse à une violation substantielle
de nom de l’aéroport par le demandeur. Rien n’indique toutefois que le défendeur ait adressé à ce
sujet une communication au demandeur. 162. Comme indiqué ci–dessus (voir paragraphe 118), le défendeur a aussi avancé que son
opposition à l’admission du demandeur à l’OTAN aurait pu être considérée comme une réponse, au
sens de l’article 60 de la convention de Vienne de 1969, à des violations substantielles de l’accord
158. Bien que le défendeur ne semble pas avoir porté ses préoccupations à son attention intérimaire que le demandeur aurait, selon lui, commises. L’alinéa b) du paragraphe 3 de cet
comme le prévoit le paragraphe 3 de l’article 7, le demandeur en était conscient, et son ministre des article dispose qu’une violation substantielle est constituée par «la violation d’une disposition
affaires étrangères a expliqué le changement du nom de l’aéroport dans une interview accordée en essentielle pour la réalisation de l’objet et du but du traité».
janvier 2007 à un journal grec.
163. La Cour rappelle l’analyse qu’elle a faite aux paragraphes 124 à 159 ci-dessus des
allégations de violation formulées par le défendeur, ainsi que sa conclusion selon laquelle la seule
violation établie concerne l’utilisation d’un symbole contrairement aux prescriptions du
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paragraphe 2 de l’article 7 de l’accord intérimaire, situation qui a pris fin en 2004. Elle estime que
cet incident ne peut être considéré comme une violation substantielle au sens de l’article 60 de la V. RÉPARATION
convention de Vienne de 1969. De surcroît, elle est d’avis que le défendeur n’a pas établi que
l’action menée par lui en 2008 relativement à la demande d’admission du demandeur à l’OTAN 167. La Cour rappelle que, dans ses conclusions finales sur le fond, le demandeur la prie de
répondait à la violation du paragraphe 2 de l’article 7 survenue environ quatre ans auparavant. En prendre deux mesures qui constituent selon lui une réparation appropriée pour les violations de
conséquence, la Cour n’admet pas que l’action du défendeur pouvait entrer dans les prévisions de l’accord intérimaire qu’il impute au défendeur. Il demande réparation, premièrement, sous la
l’article 60 de la convention de Vienne de 1969. forme d’une déclaration de la Cour à l’effet que le défendeur a agi de façon illicite et,
deuxièmement, sous la forme d’une injonction de la Cour au défendeur de s’abstenir à l’avenir de
toute action contraire à l’obligation que lui impose le paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord
C. Conclusion concernant les contre-mesures intérimaire.
164. Comme il a été indiqué ci-dessus (voir paragraphes 120 et 121), le défendeur affirme
aussi que son opposition à l’admission du demandeur à l’OTAN pourrait être justifiée en tant que 168. A l’issue de l’examen exposé ci-dessus, la Cour a établi que le défendeur avait manqué
contre-mesure proportionnée aux violations de l’accord intérimaire qu’il lui impute. Ainsi que la à l’obligation que lui impose le paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire. Quant à la
Cour l’a déjà précisé, la seule violation que le défendeur ait établie est l’utilisation par le forme que peut revêtir la réparation à accorder pour ce manquement, la Cour estime être fondée à
demandeur en 2004 du symbole visé au paragraphe 2 de l’article 7 de l’accord intérimaire. Etant déclarer que le défendeur a méconnu son obligation de ne pas s’opposer à l’admission du
parvenue à cette conclusion, et compte tenu de son analyse présentée aux paragraphes 72 à 83 des demandeur à l’OTAN. En revanche, la Cour n’estime pas nécessaire d’ordonner au défendeur,
raisons qui, selon le défendeur, justifiaient son objection à l’admission du demandeur à l’OTAN, la comme le demandeur l’en prie, de s’abstenir à l’avenir de toute action contraire à l’obligation que
Cour n’est pas convaincue que ladite objection visait à contraindre le demandeur à cesser d’utiliser lui impose le paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord. Comme elle l’a indiqué précédemment, «en
le symbole prohibé par le paragraphe 2 de l’article 7. Comme elle l’a noté ci-dessus, l’utilisation règle générale, il n’y a pas lieu de supposer que l’Etat dont un acte ou un comportement a été
dudit symbole, qui permet de conclure à une violation par le demandeur du paragraphe 2 de déclaré illicite par la Cour répétera à l’avenir cet acte ou ce comportement, puisque sa bonne foi
l’article 7, a pris fin en 2004. En conséquence, la Cour rejette la prétention du défendeur selon doit être présumée» (Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica
c. Nicaragua), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 267, par. 150).
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laquelle son objection pourrait se justifier comme une contre-mesure excluant l’illicéité de
l’opposition manifestée par lui à l’admission du demandeur à l’OTAN. Elle n’a donc pas à
examiner les arguments supplémentaires que les Parties ont pu avancer au sujet du droit régissant
les contre-mesures. 169. La Cour décide en conséquence que sa conclusion selon laquelle le défendeur a manqué
à l’obligation que lui impose envers le demandeur le paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord
intérimaire constitue une satisfaction appropriée.
165. Pour les motifs exposés ci-dessus, les justifications additionnelles invoquées par le
défendeur ne peuvent être retenues.
*
* *
* *
166. En dernier lieu, la Cour souligne que l’accord intérimaire de 1995 met les Parties dans
l’obligation de négocier de bonne foi sous les auspices du Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, en vue de parvenir
à un accord sur la divergence visée dans ces résolutions.
* *
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170. Par ces motifs, M. le juge SIMMA joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge BENNOUNA
joint une déclaration à l’arrêt ; Mme le juge XUE joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ;
LA COUR, M. le juge ad hoc ROUCOUNAS joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; M. le juge ad hoc
VUKAS joint une déclaration à l’arrêt.
1) Par quatorze voix contre deux,
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CONTRE : M. Roucounas, juge ad hoc ;
Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le
cinq décembre deux mille onze, en trois exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la
Cour et les autres seront transmis, respectivement, au Gouvernement de l’ex-République
yougoslave de Macédoine et au Gouvernement de la République hellénique.
Le président,
(Signé) Hisashi OWADA.
Le greffier,
(Signé) Philippe COUVREUR.