Syllabus Review 6 (1), 2015 : 9 - 42
N SYLLABUS
REVIEW
E S Human & Social Science Series
Curée foncière et stratégies d’accès à la terre
dans la périphérie sud-ouest de Yaoundé.
René Joly Assako Assako1, Harold Gaël
Njouonang Djomo2
1Professeur, Groupe de Recherche sur les Villes d’Afrique (GREVA), Ecole
Normale Supérieure de Yaoundé, Cameroun. http://rjassako.voila.net,
[email protected] 2Doctorant, Département de Géographie, Faculté des Arts,
Lettres et Sciences Humaines, Université de Yaoundé I,
[email protected]Résume
La périphérie sud-ouest de Yaoundé, constituée en grande partie de la
commune urbaine d’arrondissement de Yaoundé VI, s’est révélée, depuis
quelques années, très attractive, avec une population qui est passée de 95
000 habitants en 1992 à 300 000 habitants en 2010. Cette situation a
entraînée une véritable curée foncière aux conséquences aussi multiples
que complexes. Le présent article se propose d’étudier les différentes
stratégies développées par divers acteurs pour entrer en possession d’un
lopin de terre dans ce front d’urbanisation, dans ce contexte de rude
concurrence. Les observations de terrain, les enquêtes auprès des ménages,
ainsi que l’exploitation des données de source secondaire, ont montré que
la zone périphérique sud-ouest de Yaoundé est au cœur d’un grand
nombre d’enjeux, nourrissant de manifestes convoitises. L’accès à la terre
étant rendu hautement compétitif dans cette partie de la ville, les
populations ont développé de nouvelles stratégies, à travers des réseaux à
la fois formels et informels. Il ressort également de la présente analyse que
pour une gestion foncière sécurisée dans cette périphérie, il conviendrait
d’encourager une urbanisation verticale et d’associer les collectivités et les
réalités coutumières, bien plus compréhensibles par la majorité des acteurs.
Mots clés : Périurbanisation, compétition foncière, stratégies foncières,
Yaoundé VI.
Assako Assako & Njouonang Djomo /Syllabus Review, Human & Social Sci. Ser. 6, 2015 : 9 - 42
Abstract
The south-western outskirts of Yaoundé, consisting largely of Yaoundé VI
urban district, happens to be very attractive in recent years, with a
population that grew from 95,000 inhabitants in 1992 to 300,000 inhabitants
in 2010. This population exceptional growth has caused land scarcity, with
numerous and complex consequences. This paper intends to study the
strategies developed by various actors to access the land in this
urbanization front, in the context of tough competition. Field observations,
household surveys and the exploitation of secondary source data showed
that the southwest peripheral area of Yaoundé is at the heart of a large
number of issues, feeding manifest and divergent desires. Accessing to
land is rendered highly competitive in this part of the city, so that people
have developed new strategies, through both formal and informal
networks. It is also clear from this analysis that for secure land
management in this periphery, should encourage vertical urbanization and
involve local communities and customary realities, much more understood
by the majority of people.
Key words: urbanization of the peripheries, land competition, land access
strategies, Yaoundé VI
I. Introduction
La politique foncière du Cameroun, bien qu’ambitieuse n’a
pas su s’adapter aux évolutions socioéconomiques qui par
ailleurs ont été marquées dans les années 80 par une
profonde crise économique, assortie d’un désengagement
de l’Etat du secteur urbain (Mougoue B. et Togue B., 2010).
En dépit de la mise sur pied depuis les années 70 d’un
certain nombre d’institutions de gestion et de financement
dans le domaine du foncier et de l’habitat (Mission
d’Aménagement et d’Equipement des Terrains Urbains et
Ruraux (MAETUR), Société Immobilière du Cameroun
(SIC), Crédit Foncier du Cameroun (CFC)), et des
instruments juridiques (ordonnances de juillet 1974 et
autres textes législatifs et réglementaires postérieurs), la
problématique de l’accès à la terre reste encore un défi à
relever (Assako Assako, 1999). En effet, au Cameroun en
général, et dans les villes en particulier, on observe d’un
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côté une augmentation rapide de la démographie, et d’un
autre côté une offre foncière limitée, voire en raréfaction
croissante.
La périphérie sud-ouest de Yaoundé, site de la
présente expérimentation, est essentiellement couverte par
la Commune urbaine d’arrondissement de Yaoundé VI,
créée par décret 93/321 du 25 novembre 1993. Dans cette
zone, comme dans l’ensemble du site urbain de Yaoundé, la
gestion foncière est loin d’être maîtrisée. On constate aussi
que les contraintes économiques que connait la grande
majorité de la population de cet arrondissement viennent
parfois bouleverser les stratégies qui s’inscrivent à
l’intérieur des systèmes socioculturels fortement variés, ce
qui justifie la multiplication des stratégies de conquête
foncière.
Dans le cadre du présent article, nous proposons
d’analyser la situation foncière du front d’urbanisation de
Yaoundé VI, en passant en revue ces stratégies d’accès à la
terre à Yaoundé VI, ce qui nous a conduits à proposer un
modèle sécurisé de gestion foncière dans cette commune
urbaine d’arrondissement.
II. Méthodologique
Les analyses que nous initions dans cette réflexion ont pour
fondement les résultats des Recensement Général de la
Population et de l’Habitat (RGPH) de 1987 et 2005, et une
enquête effectuée dans 3 quartiers de Yaoundé VI en
situation de front d’urbanisation, en Juin 2012, à savoir :
Biyemassi, Etoug-Ebe et Simbock (figure 1).
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Fig. 1 : Localisation de la périphérie sud-ouest de Yaoundé.
Notre méthode de recherche s’est appuyée sur la
collecte de deux types de données : les données de sources
primaires et les données de sources secondaires. L’étape
ultime a consisté au traitement dont l’interprétation des
résultats a permis de proposer un modèle de gestion
foncière plus sécurisé et bénéfique, aussi bien aux
populations à la base qu’aux pouvoirs publics.
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Par ailleurs, nous avons mené une enquête directe par
questionnaire auprès des chefs de ménage âgés d’au moins
25 ans. Comme nous pouvons le remarquer sur la figure 2,
ces ménages échantillonnés ont été répartis dans 3 quartiers
choisis en fonction de leur standing, ainsi qu’il suit : le
quartier Biyemassi a été retenu pour son caractère urbain,
développé et planifié ; le quartier Etoug-Ebe pour son
caractère semi urbain et semi rural ; et le quartier Simbock
pour son caractère quasi rural. Au total, 399 ménages ont
été interrogés, suivant la répartition donnée dans le tableau
1.
Tableau 1 : Composition de l’échantillon d’enquête
Sexe des Quartiers
répondants Biyem- Etoug-Ebe Simbock TOTAL
Assi
Masculin 99 103 86 288
Féminin 32 40 39 111
Total 131 143 125 399
Source : Données de terrain, Juin 2012
Ces enquêtes se sont déroulées le plus souvent les Week-
end et dans l’après-midi car c’est le moment où on avait
plus de chance de rencontrer les chefs de ménage chez eux.
Les données collectées auprès de ces ménages ont été
renforcées par des entretiens avec des autorités intervenant
dans le secteur du foncier, en l’occurrence les responsables
du Ministère des Domaines, du Cadastre et des Affaires
Foncières (MINDCAF), de la Mission d’Aménagement des
Terrains Urbains et Ruraux (MAETUR), de la Société
Immobilière du Cameroun (SIC), du Crédit Foncier du
Cameroun (CFC), de la Communauté Urbaine de Yaoundé
(CUY), de la mairie et de la sous-préfecture de Yaoundé VI,
les chefs traditionnels et les chefs de quartiers (auxiliaires
de l’administration).
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Source : INC, 2010 ; traité par l’auteur.
Fig.2 Localisation des quartiers échantillonnés
III. Analyse, résultats et commentaires
1. Yaoundé VI : Situation foncière d’un front
d’urbanisation
L’évolution de la population de cette zone périphérique
était encore lente au début des années 80. Elle s’est accélérée
avec l’occupation des logements SIC et la cession des
terrains de la MAETUR aux populations. La forte natalité et
l’immigration des personnes venues d’horizons divers sont
également les facteurs qui expliquent la forte croissance
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démographique de Yaoundé VI. Entre 1960 et 2000, cet
arrondissement a vu sa population multipliée par 30
(Mairie de Yaoundé VI, 2010). On note donc comme le
montre la figure 3, une croissance rapide de la population
entre 1992 et 2010, à l’image de l’ensemble de la ville de
Yaoundé, voire même de l’ensemble des villes du
Cameroun.
Source : Institut National de la Statistique (2002) ; Bureau Central du
Recensement et des Études de la Population BUCREP (2005), et Mairie de
Yaoundé VI (2010).
Fig. 3: Evolution de la population de Yaoundé VI de 1992 à 2010
Cette croissance de la population s’est accompagnée
d’une urbanisation rapide et d’une extension spatiale
remarquable (figure 4).
1.1. Les enjeux fonciers dans la périphérie sud-ouest de la
ville de Yaoundé
De par les multiples opportunités qu’offrent en général les
zones périphériques, il apparait que la terre est au cœur de
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toutes les convoitises avec des enjeux divers et variés.
Les enjeux socioéconomiques
La possession du terrain en ville représente pour les
citadins une preuve de réussite sociale. En effet, avoir un
terrain est considéré comme un signe extérieur de richesse.
Avoir accès à une propriété foncière en ville revient à
consolider son assise économique, à renforcer son train de
vie, à assurer une certaine sécurité à sa descendance. Cette
considération sociale est d’autant plus forte que posséder
un espace (même non bâti) en ville devient une obsession
pour de nombreuses personnes. La terre est, en ce sens, un
bien marchand plus que prisé.
Fig. 4 : Evolution du tissu urbain à Yaoundé VI entre 1968 et 2010
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Elle constitue un enjeu essentiel, à la fois pour les
locataires et les propriétaires. En effet, environ 89 % des
enquêtés non encore propriétaires ont tous en projet de
s’acheter un terrain dès qu’ils en auraient les moyens. C’est
peut-être ce qui explique que dans cet arrondissement, le
nombre de propriétaires augmente avec la tranche d’âge,
contrairement au nombre de locataires qui diminue avec
l’âge (figure 5). Le souci et la volonté d’être propriétaire du
logement habité motivent la majorité des personnes
enquêtées.
Enjeux culturels de la terre
Dans presque tous les quartiers populaires d’habitat
précaire de Yaoundé en général et de Yaoundé VI en
particulier, la raison primordiale d’occupation de l’espace
repose d’abord sur des considérations traditionnelles selon
lesquelles la terre est un héritage ancestral qu’on peut
occuper librement ou coutumièrement, sans devoir obtenir
l’autorisation de l’État. C’est ce qui explique que plus de
53% des « propriétaires » enquêtés ne possèdent pas de titre
fonciers, avec plus de la moitié qui estiment n’en avoir pas
besoin, du fait de leur droit coutumier sur ladite parcelle
(tableau 2).
Les coutumes qui avaient cours en 1970 tendent
fortement aujourd’hui à disparaître pour laisser place à des
transactions plus commerciales, à l'intérieur même des
filières populaires. La colonisation va introduire la notion
de propriété privée, contraire à la propriété collective ou
communautaire (coutumière). La valeur marchande des
terres supplante progressivement celle affective d’échange
non marchand, symbole d’alliance diverses, de puissance
après les conquêtes et patrimoine ancestral indivis sur
lequel s’établissent les successions d’héritiers aux
comportements spatiaux spécifiques et divergents.
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Source : Données de terrain, Juin 2012
Fig. 5 : Statut d’occupation des parcelles en fonction de l’âge
Cette situation a ouvert la voie à une vente excessive
des terres au point où, de nos jours, on dénombre plus
d’occupants allochtones (avec ou sans titres fonciers) que
d’occupants locaux (natifs de la commune), ce qui constitue
une menace pour la sauvegarde des valeurs culturelles
(figure 6).
Tableau 2 : Répartition des « propriétaires » en fonction du statut de leurs
parcelles.
Statut foncier des parcelles (%)
Quartiers Avec titre Sans titres Total
foncier foncier
Occupants BiyemAssi 71,3 28,7 100
« propriétaires » Etoug Ebe 28,78 71,22 100
Simbock 39,22 60,78 100
Moyenne (%) 46,43 53,56 100
Source : enquêtes de terrain, Juin 2012
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Source : Données de terrain, Juin 2012.
Fig. 6. Répartition des « propriétaires » en fonction de leur région d’origine
Ces données permettent de constater que la majorité
des occupants sont des ressortissants de la région de l’ouest
(Bamilékés), qui une fois arrivés sur place ont remarqué que
la terre pouvait faire objet d’aliénation, contrairement aux
autres tribus. La tribu Ewondo est reconnue pour être l’une
des tribus où la marchandisation de la terre est depuis
longtemps banalisée. Cette situation va donc entrainer un
afflux massif d’allochtones, à la recherche de terrain à bâtir,
voire simplement de propriétés foncières. Notons tout de
même que certaines terres dans cette zone périphérique ont
encore une très grande valeur culturelle, et ne peuvent faire
l’objet d’aliénation. C’est le cas des tombes, des maisons de
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patriarches et d’autres lieux de mémoire, etc. (photo 1).
Les enjeux d’ordre existentiel
On note ici que les conflits fonciers sont, consciemment ou
inconsciemment, l’expression du vouloir-vivre de certains
au détriment d’autres. On a observé dans cette périphérie
sud-ouest de la ville, des conflits de nature diverses,
opposant soit les autorités entre elles (conflits de
compétences), les autorités et les populations (conflits
d’intérêts pour des raisons d’incivisme fiscal ou de
corruption notamment), et les populations entre elles. De
manière chiffrée, on a noté 56,12 % des problèmes fonciers
liés aux transactions foncières ; 8,67 % liés au problème de
succession et de partage d’héritage ; 7,65 % liés au problème
de gestion de la part des autorités en charge.
Photo 1 : Les espaces occupés par les tombes sont parmi ceux chargés de
valeur affective et de mémoire. Ils ne sont donc pas destinés à la vente. Ici,
une tombe au quartier Etoug-Ebé. Photo H.G. Njouonang Djomo, Juin 2012.
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Ces différents enjeux identifiés dans cette zone
périphérique ne sauraient être les seuls observés en milieu
urbain. B. Crousse (1991) en étudiant les relations entre
foncier et environnement en milieu urbain en Afrique
Noire, avait déjà remarqué que les enjeux
environnementaux étaient aussi de mise car les relations
entre foncier et environnement méritent une attention
particulière. Si on commence à bien percevoir depuis
quelques années que les problèmes fonciers inaperçus ou
mal résolus exercent des effets négatifs sur les résultats
attendus des actions de développement, il s’en faut de
beaucoup, dans les problématiques et dans les pratiques,
que la prise en compte des relations entre foncier et
environnement ait atteint le même niveau d’analyse. Plus
tard, M. Essomba Owona (2005) viendra ajouter, dans le
cadre d’une analyse philosophique sur la problématique de
la propriété foncière au Cameroun, que le foncier en milieu
urbain pouvait aussi être au cœur des enjeux d’ordre
impérialiste, hégémoniste ou même stratégique.
1.2. Les facteurs aggravants
L’accès à la terre dans l’Arrondissement de Yaoundé VI est
assez complexe. Non seulement, la demande est de plus en
plus forte que l’offre, mais aussi, les requérants pauvres
font face à un certain nombre de difficultés ainsi qu’il suit.
La pression démographique, suite à la croissance
démographique qui provoque non seulement la
saturation de la demande foncière à Yaoundé VI, mais
aussi la hausse de la valeur des terres encore
accessibles.
Une juridiction foncière et urbanistique
insuffisamment appliquée. Comme on peut le
remarquer dans le tableau 3, le Cameroun a beaucoup
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légiféré en matière foncière. Mais tous ces textes restent
d’application très limitée (Assako Assako, 2012).
Tableau 3: Inventaire des textes régissant le foncier au Cameroun de la
période coloniale aux années 2000
Périodes Année Nombre de Total %
textes
Avant l’indépendance 1932 1 2 7,14
1948 1
Années 60 1963 1 3 10,71
1966 2
1971 1
1974 3
Années 70 1976 4 13 46,43
1977 1
1979 4
1980 2
1981 1
Années 80 7 25
1983 1
1984 1
1985 1
1987 1
Années 90 1995 1 1 3,57
Années 2000 2005 2 2 7,14
Total 28 100
Source : R.J., Assako Assako, 2012
Les données collectées sur le terrain montrent que plus
de 65 % des personnes enquêtées reconnaissent l’existence
des textes de loi en matière foncière, mais estiment ne pas
s’en intéresser, tellement ils sont nombreux et complexes.
Ainsi donc, on considère qu’au Cameroun, les textes en
matière foncière sont si nombreux, tellement nombreux que
même le professionnel du droit s’y perd (R. Tchapmegni,
2005).
R.J. Assako Assako (1999) s’était déjà prononcé en faux
vis-à-vis de cette vision pessimiste des populations vis-à-vis
des textes de loi. Il considère en effet que le Cameroun
devrait se féliciter de l’abondance de ses textes de loi en
matière foncière car cela témoigne de la vigueur législative
et réglementaire dont il fait preuve en matière foncière. Le
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bilan juridique du Cameroun en matière foncière est
numériquement positif. Ce qui est évident, c’est la volonté
des différents acteurs de contourner les lois et règlements
de la République. Nous confirmons donc cette position de
R.J. Assako Assako (2012) évoquée ci-dessus, et qui dit que
les textes qui régissent le foncier au Cameroun existent bel
et bien ; qu’ils sont en nombre suffisant et de bonne qualité
(parce que pertinents) ; qu’ils sont par ailleurs revêtus de la
légalité et de la légitimité que leur confère leur nature
législative et/ou réglementaire. C’est simplement la
corruption, qui engraisse aussi bien les acteurs étatiques
que les acteurs privés et individuels, qui bloque leur saine
et pleine application, causant un manque à gagner
considérable à l’État.
Une dualité des modes d’accès à la terre. Il y a, d’un côté, une
considération traditionnelle (surannée) selon laquelle la
terre appartient aux ancêtres, et par conséquent à la
communauté. D’un autre côté, on a une considération
juridique de ce domaine qui considère par contre que
l’Etat est le seul propriétaire de la terre. Face à cette
situation, les populations requérantes, sont tout
simplement confuses, et pas toujours sures de faire le
bon choix. A cet effet, un patriarche enquêté a affirmé
ceci :
« Auparavant, on ne vendait pas le terrain à Yaoundé. Les
Ewondos étaient accueillants et ne voulaient pas vivre
seuls. Ce n’était que la brousse et chaque fois que
quelqu’un avait ou pouvait donner un lopin de terrain à
un étranger, il le faisait sans tenir compte de sa région
d’origine. Mais aujourd’hui, à cause des villes qui
progressent rapidement, nous avons déjà beaucoup de
problèmes. C’est dire que, obtenir un titre foncier pour
nous au départ n’était pas indispensable car on ne
connaissait pas sa valeur. Ceux qui ont été sages à l’époque
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ont eu des livrets qui sont devenus des titres. Ceux qui
n’en ont pas eu aujourd’hui souffrent ».
La situation foncière urbaine au Cameroun demeure
donc ambiguë, malgré toute la batterie de lois en cours au
Cameroun. En 1999 déjà R.J. Assako Assako avait bien
stigmatisé cette dualité comme source première de
l’ambigüité de la gestion foncière au Cameroun de façon
générale.
Une procédure d’accès à la terre trop longue et onéreuse. La
législation foncière camerounaise a adopté le titre foncier
comme l’unique moyen d’accéder à la propriété foncière.
Cependant, accéder à ce fameux document pour les
populations pauvres de Yaoundé VI constitue un véritable
parcours parsemé d’embûche (figure 7).
Source : données de terrain, Juin 2012
Fig. 7 Procédures d’obtention d’un titre foncier avant et après 2005.
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En effet, parmi les raisons de la non possession du titre
foncier avancées par les personnes enquêtées, près de 62 %
parlent de procédures trop longues et couteuses, ce qui les
oblige à contourner les textes dont ils connaissent bien
l’existence, et à se replier vers le droit coutumier ou des
réseaux informels pour espérer entrer en possession d’un
lopin de terre. On considère ici que malgré la réforme de
2005 qui a simplifié la procédure d’obtention du titre
foncier, cette dernière reste encore trop longue et onéreuse.
Ainsi, on peut comprendre que la majorité des enquêtés
soient encore des locataires ou encore des « propriétaires »
coutumiers, ne détenant aucun titre de propriété (figure 8).
Source : Données de terrain, Juin 2012
Fig. 8. Répartition des enquêtés en fonction du statut d’occupation du
terrain
2. Revue des stratégies d’accès à la terre à Yaoundé VI
Au vu de tout ce qui a été dit plus haut, on retient que dans
cette périphérie sud-ouest, la terre alimente beaucoup de
convoitises. Entrer en possession d’un lopin de terre dans
cette partie de la ville constitue l’une des choses les plus
complexes. Face à ces difficultés, il parait donc
indispensable pour tout requérant de développer de
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nouvelles stratégies pour espérer entrer en possession d’un
lopin de terre. A partir des données collectées auprès de ces
populations, il ressort que ces stratégies, se font à travers
des réseaux aussi bien formels qu’informels.
2.1. Les Réseaux formels
Il s’agit ici des stratégies qui se développent dans la
transparence et qui découlent des accords signés entre deux
ou plusieurs acteurs, ainsi qu’il suit.
Aménagement concerté
Il est effectué sur la base d’une convention librement passée
entre une institution publique et les propriétaires fonciers
ou encore entre les propriétaires fonciers et un aménageur
privé, dans le but de combler un besoin en matière foncière.
Des situations similaires ont été observées sur le terrain.
Évoquons notamment, en guise d’exemple, le cas de ce
lopin de terre au lieudit « Biyemassi stade ». A l’origine, il
s’agissait du stade Biyemassi, mais en 2009, il est désigné
pour la construction de la nouvelle sous-préfecture, ce qui a
ouvert la voie à un litige foncier avec les responsables et
propriétaires dudit terrain. Ce litige durera 2 ans et après
un passage dans les tribunaux, la solution trouvée était de
procéder à un aménagement concerté.
Gage et prêt
Le gage est une convention par laquelle un propriétaire
terrien remet son terrain à son créancier, en garantie du
remboursement d’une dette contractée pour résoudre des
problèmes financiers urgents (décès, maladie grave,
scolarité des enfants, etc.). C’est un mode d’accès à la terre
très répandu dans cette zone périphérique, qui soulève un
certain nombre de problèmes liés à l’abus du créancier
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gagiste. En effet, pour la grande majorité des propriétaires
fonciers ayant eu à mettre en gage leur terrain comme
garantie, les créanciers parfois les poussent à un niveau
d’endettement insoutenable. C’est ce qui explique que 17%
des propriétaires terriens interviewés et vivant tous aux
quartiers Etoug-Ebe et Simbock, ont affirmé être entrés en
possession de leurs terrains, suite au non-paiement d’une
dette contractée par un débiteur. Face à l’insolvabilité de ces
propriétaires dans un délai défini, les terrains qui ont été
mis en gage reviennent automatiquement au créancier.
Pour ce qui est du prêt, il s’agit d’une convention par
laquelle le propriétaire d’un terrain accepte l’exploitation à
titre gratuit au profit d’amis, d’alliés ou de parents. Ici, le
propriétaire, en attendant généralement une éventuelle
construction autorise un proche à l’exploiter à des fins
personnelles afin d’échapper à la loi foncière selon laquelle
le terrain doit être mis en valeur 4 mois au plus après son
achat, sinon il est rétrocédé à l’Etat. Il est important de
signaler que dans cet arrondissement, cette pratique de prêt
se raréfie avec l’accroissement démographique et la
réduction des terres cultivables. De plus, c’est une pratique
qui soulève un certain nombre de problèmes dont le plus
important est la résiliation anticipée du contrat
généralement oral par le prêteur et l’insécurité dans la
jouissance des droits de l’emprunteur. En ce qui concerne
les problèmes liés à ces résiliations, il faut signaler qu’ils
sont en nombre très réduit car dans la plupart des cas, les
deux parties sont unies par des liens de parenté, ce qui
limite déjà dans certains cas les conflits ; et dans un autre
sens cela peut être dû au fait que l’emprunteur est averti
dès le départ que la mise en valeur du terrain à des fins
d’habitation peut intervenir à n’importe quel moment.
En plus, il est important de noter qu’à travers ces prêts,
beaucoup en profitent pour gagner définitivement le terrain
en plantant des bananiers ou des arbres fruitiers qui mettent
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du temps pour produire. Cela parce qu’ils se disent pour la
plupart que les textes de lois sur le foncier stipulent que
l’unique propriétaire d’une parcelle est celui qui le met en
valeur.
Mariages
Les mariages interethniques sont nés de l’immigration.
Dans la première phase de ce processus, les autochtones
donnaient des terres et des femmes aux étrangers en
échange de cadeaux, ce qui garantissait l’intégration de ces
derniers dans la communauté locale. Les mariages
interethniques étaient pour les locaux une pratique visant à
contrecarrer les velléités des étrangers à constituer dès leur
arrivée des entités sociopolitiques distinctes de celles
existant localement. Cette stratégie fut par contre perçue par
les autres tribus comme un cordon sociétal de sécurité pour
accéder à la terre. L’astuce consistait pour ces migrants à
prendre femme chez les autochtones pour se familiariser et
s’insérer dans la communauté d’accueil. Un enquêté de
Biyem-Assi a laissé entendre ceci à ce sujet :
« Mon fils, quand je suis arrivé ici en 1990, c’était
tellement difficile pour moi de trouver le terrain. Non
seulement c’était rare, mais aussi c’était très cher […].
C’est là que j’ai rencontré ma Suzana (son épouse). A
l’époque, son père était très riche et disposait de plusieurs
parcelles de terrain partout dans la ville. C’est là que je me
suis décidé à épouser sa fille parce que je savais que cela me
permettra de bénéficier d’un certain nombre d’avantages.
J’ai eu raison car ce terrain m’a été offert par mon beau
père comme cadeau de mariage [...]».
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Construction en étage et vente des dalles (copropriété).
C’est une stratégie de plus en plus présente dans cet
Arrondissement. Ici, les « propriétaires » terriens
construisent des maisons, mais au lieu de les tôler une fois
terminées, ils coulent des dalles qu’ils vendent par la suite
aux requérants. La dalle constituera donc pour ce nouvel
acheteur un terrain sur lequel il peut construire sa nouvelle
maison. Ce processus ne peut être sécurisé que si à la base
le propriétaire principal a pris la peine de mettre des
fondations pouvant supporter deux ou plusieurs niveaux.
Toutefois, cette stratégie expose ces acheteurs à un très
grand risque. En effet, lors de l’achat, ils n’ont droit qu’à un
certificat de vente et non un vrai titre de propriété. Pour
certains d’entre eux, on compte juste sur le sérieux du
propriétaire initial car comme l’a avancé l’un d’entre eux
« On borne en bas en non en haut ». L’occupation des dalles ou
des toits en terrasse est bien connue dans les villes
africaines. Des centaines de familles construisent et vivent
dans des conditions semblables sur les hauteurs du Caire.
Accès collectif et morcellement (groupes stratégiques).
C’est une forme d’accès qui se fait de plus en plus ressentir
dans cette partie de la ville, et permet d’une façon ou d’une
autre de faire face au problème de rareté et de compétitions
foncières. En effet, les populations désireuses d’entrer en
possession d’un lopin de terrain se mettent en groupe,
unis (parfois) par des liens ethniques, familiaux et même
amicaux, et au nom du groupe, accèdent à une moyenne ou
grande parcelle de terrain. Il s’en suit un morcellement en
fonction du nombre de personnes du groupe. Ainsi, chacun
peut entrer en possession de sa parcelle aussi petite soit-
elle. A la suite, on établit des morcellements sur le titre
foncier mère avec les superficies et les noms des différents
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propriétaires, ce qui permet donc à chaque propriétaire
d’établir son propre titre de propriété.
La montée en puissance de cette forme d’accès au
foncier peut s’expliquer par le fait que les populations
pauvres ont compris que face à la rareté et à la compétition,
seule l’union fait la force.
La spéculation foncière
La spéculation foncière est une opération économique
motivée par la variation attendue de la valeur du terrain.
Dans le langage courant, c'est une expression péjorative,
relative à des opérations présentées comme abusivement
profitables car réalisées pour un prix inférieur au prix
« normal » du marché, par des opérateurs dont l'honnêteté
est implicitement ou explicitement mise en
doute(promoteurs immobiliers, agents immobiliers,
particuliers, responsables politiques…). Dans la commune
urbaine d’arrondissement de Yaoundé VI, les propriétaires
privés n'hésitent pas à constituer des réserves foncières,
bloquant ainsi l'offre du marché. Ils ne mettent en vente
leurs terres que lorsque le prix sur le marché a fortement
augmenté. C’est le cas sur des dizaines d’hectares dans les
quartiers Simbock et Etoug-Ebé II (Mendong village).
La production foncière, par sa rentabilité, est devenue
la seconde activité de nombreux détenteurs de capitaux qui
cherchent à les faire fructifier. Les acteurs principaux de la
filière de production capitaliste (spéculation foncière) à
Yaoundé VI sont des hommes d’affaires, des hauts
fonctionnaires de l'administration publique, des personnes
travaillant dans des organismes parapublics, des personnes
exerçant des professions libérales ou des promoteurs privés
occasionnels. Dans ce type d'opération foncière, le terrain
fait systématiquement l'objet d'une demande de titre
foncier.
La forme la plus répandue de spéculation foncière, est
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Assako Assako & Njouonang Djomo /Syllabus Review, Human & Social Sci. Ser. 6, 2015 : 9 - 42
celle que pratiquent les petits promoteurs qui bâtissent des
maisons pour les mettre en location. Puis vient celle des
particuliers qui achètent une parcelle non pas pour
construire une maison, mais pour la revendre plus tard1 : il
y a ici un déséquilibre notoire entre l'offre et la demande de
terrains, ce qui contribue à déséquilibrer davantage l’offre
et la demande de logement.
2.2. Les réseaux illégaux et/ou informels.
Avec la pauvreté urbaine des populations de Yaoundé VI 2,
des procédures d’accès légal à la terre longues et coûteuses,
la complexité de l’accès légal à la terre, etc., les réseaux
informels deviennent les issues de secours pour les
populations en quête de terre. L’accès à la terre y est
relativement facile, raison pour laquelle les stratégies
développées sont de plus en plus variées.
Usurpation d’héritage
Il y a usurpation d’héritage lorsqu’au décès du prêteur ou
du propriétaire de la parcelle mise en location, l’usurpateur
s’attribue d’office la propriété des parcelles concernées. La
stratégie d’usurpation de droit apparaît aussi dans certains
cas d’héritage au décès du père de famille avec
l’administrateur des biens. L’usurpation est aussi
caractérisée par l’abus du droit d’aînesse ou de désaccords
sur le partage de l’héritage foncier après décès du
propriétaire. Aucun écrit n’étant disponible pour attester de
la véracité des allégations servies, la terre peut revenir à
l’usurpateur. Dans certains cas, la parcelle fait l’objet de
litiges qui se terminent devant les tribunaux.
1Placement d’argent pour revendre plus tard quand le prix sera plus élevé.
2D’après les données collectées sur le terrain, plus de 30 % des enquêtés
vivent avec un revenu annuel inférieur à 280 000 FCFA.
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Selon les populations Ewondo, depuis des décennies,
chaque famille réside sur les terres héritées des parents,
dont l’attachement au sol de ses ancêtres s’est cultivé au fil
des années. Chaque parcelle est occupée par une famille
qui y tire tous les avantages.
Occupation des zones interdites
Ce type de stratégie, qui concerne essentiellement les
populations à faibles revenus, est une conséquence à la fois
de la pression démographique urbaine, de revenus faibles
de certains citadins à Yaoundé VI, et du laxisme ou
complicité des pouvoirs publics. C’est le fruit d’une
initiative personnelle, et c’est une stratégie qui génère la
plupart du temps des conflits entre les habitants et les
autorités municipales. Pour ces populations il faut
s’installer dans les zones à risque et les zones interdites, en
se promettant de les viabiliser ou de les normaliser avec le
temps (photo 2 et 3).
Clichés Njouonang Djomo H., Juin 2012
Photos 2 et 3 : Occupation des fonds de vallées inondables à Biyemassi
(photo 1) et d’une foncière formelle de la Communauté Urbaine de
Yaoundé à Etoug Ebe (photo 2).
La photo 2 matérialise une occupation anarchique du
lieu-dit carrefour Biyem-Assi. On observe des maisons (i)
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construites au fond du talweg (ii) et sur des espaces à
risque jugés inconstructibles par la CUY (iii). Sur la photo
3, on observe, à Etoug-Ebe, que malgré la plaque de la CUY
(iiii) défendant d’occuper cette zone à écologie fragile, les
populations continuent d’y pratiquer de l’agriculture, qui est
en réalité un prélude à l’occupation immobilière dense (iiiii).
Cette forme de stratégie d’accès à la parcelle est très
répandue dans cette localité et pose des problèmes d’une
complexité dépassant souvent les capacités des collectivités
locales. Elle est à l’origine du développement de l’habitat
spontané.
Défrichage et squat
L’occupation primitive du sol (principe d’antériorité de
l’installation) dans la commune d’arrondissement de
Yaoundé VI confère aux acteurs (groupes socioculturels
premièrement installés), des droits fonciers coutumiers
(droit de feu et de hache) qu’on peut qualifier de droits de
propriété de fait. L’occupation se fait donc aussi par libre
installation où l’on défriche un espace libre jusqu’à la lisière
d’un espace occupé, ou que l’on s’arrête après épuisement
total de la force de travail. Notons que ces espaces se
trouvent localisés pour la plupart dans les périphéries et
sont occupés sans aucun droit légal. Vu la cherté des
terrains dans les zones loties, ces squatteurs n’ont d’autres
choix que de recourir à des moyens de contournement.
En effet, ces squatteurs, très souvent, décident de
s’installer sur des terrains non occupés et mal surveillés,
appartenant dans la plupart des cas au Domaine public ou
privé de l’Etat ou au domaine national, dans des zones
délaissées, souvent impropres à l’habitat : bas- fonds, zones
marécageuses, fortes pentes, zones soumises à de fortes
nuisances, etc. Avec le squat, l’accès à la terre se fait de
façon progressive : le squatteur occupe d’abord
temporairement et de façon tout à fait précaire le terrain,
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puis, il s’enhardit s’il ne constate pas de réaction de la part
des pouvoirs publics ou des propriétaires éventuels. Par la
suite, il construit un abri en matériaux définitifs au fur et à
mesure de ses possibilités.
Développement des rapports sociaux.
Cette stratégie se fait de plus en plus présente à Yaoundé
VI. Il s’agit ici de ceux qui, face à la compétition, font appel
à certains frères ou amis hauts placés afin de prendre le
dessus sur les autres requérants. Ainsi, il est plus facile
pour quelqu’un dont le frère ou l’oncle est haut placé dans
la société d’entrer en possession d’un espace convoité, au
détriment des autres acteurs moins ou pas du tout
soutenus. Ces hauts placés usent parfois de leur position
sociale pour favoriser un frère ou un ami dans une
situation de compétition foncière. Un enquêté décrie à ce
sujet :
« Il y a des sous-préfets, j’en connais certains qui faisaient
signer rapidement l’abandon des droits coutumiers à des
gens qui n’ont pas de droit sur un terrain. Ils sont très
nombreux à le faire, ils réclament et reçoivent des pots de
vins et par la suite signent des certificats de vente des
terrains. Ils savent que personne ne leur demandera des
comptes. Il signe ça, et celui-là, le nanti, se met à vendre
les terrains qui ne lui appartiennent pas ».
Corruption
Dans cette commune d’arrondissement, les populations
procèdent très souvent à des ventes multiples et fictives de
terrains, avec la complicité de certains agents immobiliers
clandestins, et des techniciens corrompus de
l’administration. D’un autre côté, des méthodes de
contournement de l’Etat consistent à procéder à des
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bornages illicites de terrain non titrés, situés dans des zones
déclarées non constructibles.
Récurrente et efficace, cette pratique est une stratégie
de plus en plus employée dans cet arrondissement. En effet,
dans une situation de compétition, tous les moyens sont
utiles et chaque acteur use de ce qu’il a de mieux pour
espérer atteindre son objectif. Dans ce cas précis, les pots de
vin, les dessous de table, sont des éléments qui à eux seuls
peuvent donner un ascendant considérable sur les autres
acteurs en compétition. Mais malheureusement, c’est une
stratégie qui ne sourit qu’à ceux qui ont « le bras long et les
poches pleines ». Pour la plupart des populations enquêtées,
la pauvreté est un facteur limitant.
Tous ces résultats viennent compléter ceux
antérieurement présentées par A. Yapi Diahou (1991) qui,
contribuant à la connaissance des évolutions
caractéristiques des modes d'accès au sol urbain, dans les
villes d'Afrique de l'Ouest, avec notamment le cas
d’Abidjan, montrait déjà que la scène foncière urbaine est
marquée, en Afrique, par des affrontements permanents
entre trois modes concurrentiels d'appropriation du
sol avec un premier mode (légal) où les acquéreurs
s'adressent directement à l'Etat (propriétaire terrien et
promoteur foncier) qui leur vend des parcelles via ses
services ou organismes. Un second mode (illégal) où
l'acquéreur négocie directement les termes et les conditions
de la concession du sol, en dehors de 1'État. Et un troisième
mode qui consiste en l'invasion, par des groupes de
citadins, de terrains déjà aménagés et affectés par 1'Etat à
des particuliers ou à la réalisation d'ouvrages publics
programmés. Ces stratégies d’accès à la terre sont classées
suivant les acteurs qui s’affrontent. Elles sont variées et
inspirées des logiques individuelles ou collectives,
coutumières ou étatiques. (J.M. Fotsing, 1995).
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3. Propositions pour une gestion foncière sécurisée à
Yaoundé VI
Au vu de tout ce qui a été dit plus haut, il parait évident
qu’il y a nécessité d’agir. Ainsi, dans cette partie du travail,
nous faisons un certain nombre de recommandations qui
pourraient contribuer à une gestion sécurisée du foncier
dans cette périphérie sud-ouest de la ville de Yaoundé et
notamment la promotion d’un urbanisme vertical et
l’implication des collectivités coutumières.
3.1 Opter pour une croissance verticale
Avec la croissance démographique et l’extension urbaine, la
terre est devenue une ressource très rare. Si on part du
principe selon lequel la terre est dans le cas présent le
support des constructions, alors, la croissance verticale
semble être une solution pouvant aider à faire face à la
rareté foncière. La photo 4, montre une situation de
croissance verticale où l’accent est mis sur les maisons à
étages. On considère donc que face à la rareté et la cherté
de la terre, une parcelle quelconque pourra désormais
simultanément satisfaire plusieurs personnes, au lieu d’une
seule comme ça a toujours été le cas. Dans le cas présent, on
considère que, dans ces bâtiments, les occupants des
différents niveaux détiennent chacun un titre de propriété
sur le logement qu’ils occupent de façon permanente. Il ne
s’agit en réalité pas d’une invention, car cette forme
d’urbanisation a déjà permis d’apporter des solutions
significatives à la question de l’habitat social, notamment
dans les villes européennes, qui ont multiplié des tours et
des barres pour répondre au croit démographique
exceptionnel qui suivi le baby-boom post deuxième guerre
mondiale et la croissance économique qui a caractérisé cette
période.
Disons tout de même que cette forme d’urbanisation
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nécessite de gros moyens financiers, pour supporter les
coups exorbitants qu’induisent les aménagements
protecteurs des immeubles à plusieurs niveaux. Il est donc
impératif que la législation et la réglementation
urbanistique soient appliquées ici avec toutes la rigueur des
textes y relatifs, afin de prévenir des catastrophes qui se
multiplient dans les grandes villes du Cameroun (Douala et
Yaoundé notamment), où des immeubles à plusieurs
niveaux s’effondrent de jour en jour, du fait des défaillances
architecturales notoires.
3.2 Intégrer les collectivités et les réalités coutumières
dans la gestion foncière.
On note, depuis les ordonnances de 1974, une certaine
centralisation dans la gestion foncière au Cameroun. Le
régime foncier actuel tend à réaliser, plus que la
centralisation, l’omniprésence et l’omnipotence de l’État. En
effet, ce dernier est le gardien et le gestionnaire de toutes les
terres quelle qu’en soit la catégorie 3. Il est seul apte à
garantir les droits de tout propriétaire personne physique
ou morale. Les textes actuels sont donc fondés sur une
croyance en la toute-puissance de l’État, au détriment des
collectivités traditionnelles qui ont toujours existé, même
avant les textes de loi. Il parait donc judicieux pour l’Etat
camerounais de les intégrer dans la gestion foncière au
Cameroun.
Dans le même ordre d’idée, P. Tchawa (2009),
estimait qu’en Afrique, peut-être plus qu’ailleurs, la terre a
des dimensions qui vont au-delà de la production, telles
3
C’est ce qui résulte de l’ordonnance n°74/1 du 6 juillet 1974 fixant le
régime foncier en ces termes : « l’État est le gardien de toutes les terres ». Il
peut, à ce titre, « intervenir en vue d’en assurer un usage rationnel ou pour tenir
compte des impératifs de la défense ou des options économiques de la nation »
(article 1er).
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que les dimensions culturelles et anthropologiques. Ainsi,
dans le processus de gestion foncière, il est indispensable de
prendre en compte ces aspects, afin de comprendre les
conflits survenus dans le passé et mieux résoudre ceux qui
ont lieu aujourd’hui ou pourraient éclater demain. Pour lui,
en effet, l’élément commun que l’on retrouve le plus
souvent dans les pays africains, est sans doute que l’Etat
exerce son autorité sur toutes les terres. R.J. Assako Assako
(2011) viendra plus tard compléter ces résultats en montrant
qu’afin de favoriser une bonne gestion du foncier au
Cameroun, il serait souhaitable pour l’Etat d’intégrer les
légitimités coutumières, notamment des autochtones dans
la gestion foncière.
Cliché Njouonang Djomo H., Juin 2012
Photo 4 : Situation de croissance verticale à Biyem-Assi.
Mais cette assertion cache mal, en réalité, la difficulté
d’appliquer les textes juridiques en matière d’aménagement
urbain au Cameroun. Comme R.J. Assako Assako l’a
maintes fois rappelé dans les publications citées, seule la
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manière forte permettra d’y arriver. Elle consiste
notamment à doter la ville de documents d’urbanisme, dont
la spécialité est d’inscrire précisément le droit sur le sol, en
le parcellisant. Cela fait, il convient de passer à l’action, en
mettant de l’ordre, c’est-à-dire en cassant tout immeuble
bâti en contradiction des normes urbanistiques ou à des
endroits non indiqués à cet effet. Cela suppose également
un adressage et une toponymisation exhaustifs de l’espace,
afin de sortir de cette situation floue où les pouvoirs publics
prennent des décisions qui figent de façon durable (voire
définitive) des espaces dont ils ne savent rien ou presque.
VI. Conclusion
Yaoundé VI, qui était une zone sous-peuplée dans les
années 80, a connu une augmentation rapide de sa
population et des densités, avec une pression de plus en
plus forte sur le foncier. A partir des années 90, avec la crise
économique, les populations se retrouvent dans une
situation de précarité et de concurrence foncières car la
demande est devenue supérieure à l’offre. La terre est
désormais au cœur de toutes les convoitises, avec des
enjeux de plus en plus grands. Et effet, pour certains, la
terre est un signe de réussite sociale et de richesse ; pour
d’autres, c’est un bien culturel et sacré, qui permet de rester
en communion avec les ancêtres. Pour d’autres encore, c’est
un puissant outil de développement car étant le support de
toute politique d’aménagement. Mais seulement, entrer en
possession d’un lopin de terre à Yaoundé VI pour la plupart
des requérants relève du mystère, avec des facteurs
aggravants comme la croissance démographique, la dualité
des modes de gestion, le cadre normatif complexe et
ambigu les procédures d’accès longues et couteuses, etc.
Pour de nombreux requérants, il est donc question de
développer de nouvelles techniques et ruses pour espérer
entrer en possession d’un lopin de terre. La compétition est
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désormais lancée et chaque acteur use de ce qu’il a de
mieux pour tirer profit de la situation et accéder au précieux
sésame. Yaoundé VI, qui plus est, se trouve dans une zone
périphérique est désormais le siège des initiatives foncières
en tout genre. Pendant que certains acteurs initient des
stratégies à travers les réseaux formels, d’autres par contre
le font à travers les réseaux informels. En effet, pour ceux
qui ont décidé de rester sur le chemin de la formalité, on a
pu identifier des techniques comme : les aménagements
concertés, les gages, les prêts, le mariage, la copropriété, les
accès collectifs, et les spéculations dans une certaine
mesure. De l’autre côté, pour ceux qui ont opté pour
l’informel, on a pu observer des ruses telles que : les
usurpations d’héritage, les occupations des zones interdites,
les squats, le développement des rapports sociaux et la
corruption.
Ces multiples stratégies développées échappent parfois
au contrôle des pouvoirs publics et sont parfois objets de
discordes entre les populations. C’est la raison pour
laquelle il serait souhaitable de définir un cadre
sociojuridique adéquat pouvant contribuer à accompagner
certaines de ces stratégies ; intégrer les collectivités et les
réalités coutumières dans la gestion foncière, opter pour la
croissance verticale plutôt qu’horizontale.
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