Charles Cros, poète français du XIXe siècle, est une figure originale du
symbolisme, un mouvement littéraire marqué par l’expression de la
subjectivité et de l’expression de ses émotions. Son recueil Le Coffret de santal
(1873) traduit bien cette recherche poétique et spirituelle. Le poème prose et
lyrique « Lassitude », que nous allons commenter, reflète la souffrance
intérieure de Cros, tiraillé entre des moments de grande réflexion spirituelle et
des phases de dépression mentale. Dans ce texte, il se livre à une réflexion sur
sa quête d’un état de clarté mentale, d’où il peut exercer sa « royauté », mais
constate avec amertume qu’il est souvent rattrapé par la folie et la lassitude. La
problématique qui guidera notre analyse est donc la suivante : comment
Charles Cros exprime-t-il son désarroi face à la fuite de son inspiration et à la
difficulté de maintenir une stabilité mentale ? Nous verrons dans un premier
temps comment le poète décrit son désordre intérieur à travers des images
puissantes et des métaphores, puis nous analyserons sa quête de lucidité et
pour finir les conséquences de cette lutte sur son rapport à lui-même et aux
autres.
Tout d’abord nous verrons l’expression du désordre mental puis la perte
de contrôle. Le poème s’ouvre sur une scène de désorientation mentale, où le
poète tente en vain de « rassembler ses pensées qui s’enfuient ». Cette image
traduit la difficulté de maintenir une cohérence dans son esprit. Les « corridors
froids » renforcent cette idée de solitude et d’inaccessibilité à soi-même, un
thème récurrent dans ce poème. De plus, il commence par une antithèse qui
symbolise se désordre mentale « de longues périodes dans la vie courte ». Le
poète utilise ensuite une métaphore puissante : « mon âme est comme une
maison désertée par les serviteurs ». Ici, la maison représente son esprit, tandis
que les serviteurs symbolisent ses pensées et ses émotions, qui l’ont
abandonné.
Le maître, c’est le poète lui-même, errant « inquiet dans les corridors
froids ». Cette métaphore de la maison désertée est frappante, car elle suggère
une perte de contrôle et un sentiment de vide intérieur. Le poète est incapable
de retrouver les « merveilles » qu’il a accumulées, symbolisant ici ses souvenirs
heureux, ses moments de création et de ravissement. Cette impuissance est au
cœur de la première partie du poème, où Cros exprime la douleur de voir
disparaître les moments de lucidité et de grandeur, en affirmant que « les
ravissements [...] ont été bien courts et bien rares ». Ainsi, dans cette première
partie, Cros dépeint un esprit en désordre, un vide intérieur qu’il ne parvient
pas à combler malgré ses efforts. Il se trouve dans une position d’impuissance
face à sa propre psychologie. Cette lutte pour retrouver la clarté mentale le
conduit à une quête désespérée, qui est au centre de la seconde partie du
poème.
Pour continuer nous verrons la quête de lucidité suivis des effets de la
lassitude. Dans la seconde partie du poème, Cros exprime son désir d’accéder à
un état de « pensée normale », qu’il évoque presque comme un état de grâce.
Il se demande : « Quelle drogue me rendra plus fréquente la pensée normale ?
». Cette question montre à quel point cet état de lucidité lui échappe, et qu’il
en vient à envisager des solutions artificielles pour retrouver une certaine
clarté mentale. La « pensée normale » représente pour lui un moment de
ravissement où il peut « monter là où nulle senteur terrestre n’arrive plus », un
espace d’élévation spirituelle où il peut exercer sa « royauté ». Cette image
renvoie à une quête spirituelle, une envie d’être au-dessus de la réalité
terrestre. Cependant, ces moments sont éphémères.
Cros évoque « de mauvais sommeils », métaphore des phases de
dépression ou de confusion mentale qui le ramènent brusquement à la réalité.
Ces confusions mentales vont jusqu’à lui donner mal à la tête nous explique-t-il
avec « la fièvre pesante m’a égaré » et va même jusqu’à la personnifier. De plus
ils va beaucoup se questionné notamment avec l’expression de l’interrogation
« mais quand la fièvre » mais aussi avec « ne me désigne-t-il pas plutôt ». Il
compare ce retour à une chute brutale, après laquelle il ne lui reste que le «
regret » de ce qu’il a vécu dans ces moments d’élévation. La descente est
d’autant plus douloureuse qu’il doit ensuite « rendre compte aux hommes de
ce que j’y ai fait », ce qui renforce son sentiment d’impuissance. Il regrette
également d’avoir « dédaigné les comptes à rendre », car il se trouve
désormais dans une position où il doit justifier son instabilité mentale auprès
des autres. Ainsi, dans cette seconde partie, Cros exprime son désir de
retrouver la lucidité mentale, tout en déplorant la rapidité de ces moments
d’extase. Il se voit prisonnier d’un cycle entre extase psychique et dépression
mentale, ce qui le plonge dans une grande lassitude, tant mentale que dans sa
propre existence.
Pour finir, nous allons étudier l’isolement puis la relation difficile avec les
autres Enfin, le poème se termine sur une réflexion amère concernant les
relations sociales du poète. Après avoir expérimenté ces phases
d’épanouissement mentale et de dépression, Cros se demande s’il peut
continuer à « vivre seul et sans soleil entre des murs de haine ». Cette
métaphore des « murs de haine » suggère un isolement social profond, où il se
sent coupé du monde extérieur.
Le « soleil » pourrait ici symboliser la chaleur humaine ou l’inspiration,
éléments qui lui sont désormais inaccessibles. Malgré sa lassitude, le poète
consent encore à faire des efforts pour se maintenir, mais il se demande si ces
efforts ne le désignent pas plutôt « à la fureur des empressés qui s’agitent en
bas ». Cette dernière phrase suggère une opposition entre le poète, qui se
trouve dans un état de retrait psychologique et de fatigue, et les hommes du
quotidien, qui sont « empressés », pris dans l’agitation du monde réel. Le
poète, par son isolement et sa quête de grandeur, se coupe donc des autres,
tout en étant conscient de cette fracture. Cette dernière partie montre bien
l’isolement du poète et son rapport difficile avec les autres. Il est à la fois
dédaigneux et conscient de la nécessité de se justifier, ce qui traduit une lutte
intérieure entre la fierté de sa quête spirituelle et la réalité de son impuissance
face aux attentes sociales.
En conclusion, le poème « Lassitude » de Charles Cros traduit un profond
sentiment de désarroi face à l’impossibilité de maintenir une stabilité mentale
et une élévation psychologique. À travers des métaphores puissantes, comme
celle de la maison désertée, Cros exprime la difficulté de concilier l’inspiration
artistique avec les contraintes de la réalité et des relations humaines. Ce
poème nous invite donc à réfléchir sur la fragilité de l’âme créatrice, souvent en
quête d’une grandeur insaisissable et éphémère, et nous offre une vision des
tourments de l’esprit humain.