Concept de couverture : Hokus Pokus Créations.
Photo de couverture : Ministère de l’économie et des finances,
Paris, XIIe arrondissement. Ph © Hassan Bensliman, Fotolia.
© Dunod, 2021
11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff
ISBN : 978-2-10-083364-1
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Table
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Préface
Les auteurs
Introduction
Partie 1
LE CADRE ÉCONOMIQUE DES FINANCES PUBLIQUES
1 Le cadre conceptuel des finances publiques
1 Keynésianisme et critique libérale
2 De l’impôt à la politique fiscale
2 Les finances publiques dans la comptabilité nationale
1 Catégoriser les dépenses publiques
2 Les dépenses publiques déclinées par sous-secteurs institutionnels
3 Poids et évolution des dépenses publiques
3 Le financement des dépenses publiques
1 La notion de prélèvements obligatoires abrite une réalité diverse
2 Poids et évolution des prélèvements obligatoires : une structure atypique
Partie 2
LE CADRE INSTITUTIONNEL ET CONSTITUTIONNEL DES
FINANCES PUBLIQUES
4 Le cadre européen des finances publiques et sa traduction
en droit national
1 La nécessaire coordination des politiques économiques et budgétaires
2 De l’encadrement du déficit public à l’intervention dans la procédure budgétaire
3 L’affirmation de la pluriannualité et les obligations européennes
5 Les grands principes constitutionnels et la gouvernance de la
fiscalité
1 Les principes posés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
2 La Constitution pose de grandes règles structurant la vie des finances publiques
3 La gouvernance légale et réelle de la fiscalité
Partie 3
LE BUDGET DE L’ÉTAT
6 Les principes budgétaires
1 Les principes classiques
2 Les principes récents
7 La structure du budget de l’État
1 Atteindre l’équilibre des finances publiques grâce à la LOLF
2 La formation de l’équilibre budgétaire
8 Les lois de finances
1 Les trois catégories de lois de finances
2 Domaines obligatoire, exclusif, partagé et interdit des lois de finances
9 La préparation et l’adoption du budget de l’État
1 Les phases politiques et administratives de l’élaboration des lois de finances
2 Les règles et modalités d’adoption des lois de finances par le Parlement
10 L’exécution des lois de finances
1 Les modifications de la loi de finances initiale en cours d’exécution
2 La chaîne de la dépense
Partie 4
LES RÈGLES COMPTABLES ET LE CONTRÔLE DES
FINANCES PUBLIQUES
11 La notion de comptabilité publique et les principes
de l’organisation comptable
1 La comptabilité, système d’organisation de l’information financière et instrument de
gestion publique
2 Le bilan permet la connaissance de la situation patrimoniale
3 Une comptabilité publique assurée par les comptables et… les ordonnateurs
12 Le contrôle des finances publiques
1 Un contrôle politique : les contrôles parlementaires
2 Un contrôle juridictionnel
3 Les contrôles internes et externes
4 Les systèmes de contrôle des collectivités territoriales
Partie 5
LES FINANCES LOCALES
13 Le cadre général des finances locales – autonomie
et dépendance
1 Une situation globalement saine mais qui cache des déséquilibres
2 L’autonomie financière n’est pas synonyme d’autonomie fiscale
14 La procédure budgétaire locale
1 La préparation des budgets locaux est l’œuvre de l’exécutif local mais demeure
encadrée par des règles strictes
2 L’adoption des budgets locaux appartient aux assemblées délibérantes mais est
soumise à un ensemble de contraintes
15 La fiscalité locale
1 La fiscalité locale est un ensemble composite
2 La fiscalité locale, de réforme en réforme
16 L’endettement local
1 L’endettement constitue un instrument courant de financement des collectivités
2 La liberté d’emprunt dont jouissent les collectivités a pu donner lieu à un usage
excessivement imprudent
3 Le refinancement du secteur local se devait d’être plus sécurisé et organisé
Partie 6
LES FINANCES SOCIALES
17 Les finances de la protection sociale
1 Une adéquation perfectible entre le mode de financement, le contexte socio-
économique et les objectifs
2 Vers une maîtrise de la dépense ?
18 Les lois de financement de la Sécurité sociale
1 De l’inscription des finances sociales dans un cadre législatif
2 Les limites de la portée des LFSS
Partie 7
LES FINANCES DE L’UNION EUROPÉENNE
19 Le budget de l’Union européenne
1 Le cadre budgétaire de l’UE
2 Les dépenses de l’UE
3 Les ressources de l’UE
20 L’exécution et le contrôle du budget de l’Union européenne
1 L’exécution du budget de l’UE
2 Les contrôles de l’exécution du budget
Partie 8
LES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
21 La structure des prélèvements obligatoires
1 Plusieurs typologies d’impôts
2 Au regard de la structure moyenne dans l’OCDE, la France se détache nettement
3 Un système fiscal complexe
22 Les dépenses fiscales, point de fuite de la dépense publique ?
1 Les niches fiscales ont un poids croissant sans avoir toutes démontré leur efficacité
2 L’amélioration de la gouvernance des dépenses fiscales doit permettre de les
rationaliser
23 L’imposition des revenus
1 Les ménages sont soumis, sur leurs revenus, à plusieurs impôts différents
2 Faut-il encore réformer l’impôt sur le revenu ?
24 La fiscalité du patrimoine
1 L’imposition du patrimoine est parcellaire et composite
2 Une fiscalité du patrimoine peu cohérente et peu efficace
25 La fiscalité des entreprises
1 La fiscalité des entreprises est composite et relativement lourde
2 Le mouvement d’allégement de la fiscalité des entreprises a déjà été significatif
26 L’imposition de la consommation et des transactions
1 La TVA, les accises et les droits de douane
2 Les nouveaux défis de la fiscalité indirecte : taxation des transactions financières et
fiscalité environnementale
27 La concurrence et l’évasion fiscales internationales
1 La concurrence fiscale et l’harmonisation européenne en matière d’imposition des
sociétés
2 La lutte contre l’évasion et la fraude fiscales internationales
28 L’administration fiscale
1 Une dynamique de modernisation et d’amélioration du service aux usagers
2 De nouveaux défis s’annoncent pour la DGFiP et le ministère des finances
Partie 9
LES AUTRES RESSOURCES PUBLIQUES
29 Les ressources publiques non fiscales
1 Les ressources publiques non fiscales sont diverses mais d’un poids modeste
2 L’État actionnaire représente des enjeux financiers mais aussi stratégiques
30 La dette publique
1 Les déficits nourrissent la dette
2 La soutenabilité économique de la dette française s’est érodée mais le cadre juridico-
politique protège sa signature
3 Si la dette de l’État est actuellement peu onéreuse, son caractère excessif plaide
pour une diversification du financement
Sujet-type concours ENA
Abréviations
Index
Préface
1. Quand on parle de finances publiques, on se réfère à une double réalité.
Bien sûr il s’agit, par opposition aux finances privées, des particuliers et des
entreprises, des finances des personnes publiques, et le présent ouvrage en
présente, de façon impeccable le régime juridique, aussi bien du côté des
dépenses que du côté des ressources.
Mais d’un autre côté, et c’est évidemment une dimension psychologique ou
sociologique et non pas institutionnelle ou juridique, cela désigne « l’argent
public », autrement dit « le produit de nos impôts », et à ce titre s’y attache
une sensibilité particulière. Tout le monde y est intéressé, parce que tout le
monde y contribue, par la voie des impôts et des contributions, et par les
services publics qui bénéficient à la collectivité. Mais on peut dire aussi
qu’en France, tout le monde s’y intéresse, parce que c’est le nerf de la
guerre de l’action publique, et que cette dernière dans notre pays est
investie comme on le sait d’énormes attentes.
Cela n’est pas un hasard si la France est en 2020 au premier rang des pays
de l’Union européenne et de l’OCDE pour le rapport de ses dépenses
publiques au PIB (62,1 %), loin devant les moyennes de la zone euro
(54,1 %) et de l’Union européenne (53,4 %) ou encore de l’Allemagne
(51,1 %), avec laquelle les comparaisons sont rituelles.
S’agissant du montant des prélèvements obligatoires, on retrouve la même
singularité française. Avec au total un résultat de 45 % du PIB en 2020, la
France se situe au deuxième rang des pays de l’OCDE, derrière le
Danemark (46,3 %). Seuls les pays nordiques, la Belgique, l’Italie et
l’Autriche ont des taux proches de celui de la France, les autres grands pays
européens affichant des taux nettement plus bas, notamment l’Allemagne
(38,8 %). La moyenne des pays de l’organisation se situe à 34,8 %.
Ce poids des finances publiques en France, souvent commenté, est
représentatif d’une forme de préférence pour la dépense publique, et donc
serait-on tenté de penser, en toute logique pour la ressource publique, mais
évidemment c’est une fausse symétrie : s’agissant des impôts il n’y a ni
préférence ni affection particulière des Français.
2. Toujours est-il que l’actualité récente offre une illustration éclatante de
cet engouement national pour les finances publiques. Parmi les quatre
thèmes structurants proposés en 2019 par le gouvernement pour le grand
débat national destiné à le faire sortir d’une crise sans précédent, celle des
« Gilets jaunes », figure en bonne place « La fiscalité et les dépenses
publiques ». Et les remontées, tant des réunions organisées partout dans le
pays, que des contributions volontaires et autres conférences régionales,
montrent que ce thème n’est pas celui qui a remporté le moins de succès.
À cette occasion d’ailleurs, le gouvernement lui-même a fait un effort
louable de pédagogie, notamment en montrant comment se répartissent sur
une échelle de 1 000 € de dépenses publiques les différentes catégories de
dépenses : où l’on voit le poids extraordinaire de la protection sociale
(575 € au total), dont les retraites en vedette absolue (268 €), suivies de
l’assurance maladie (191 €), puis nettement plus loin les prestations
familiales (42 €) ou l’assurance chômage (35 €).
Du côté des dépenses de l’État, on est rassuré de constater que l’éducation
vient nettement en tête (95 €), suivie de la recherche (23 €) mais que penser
du score de la justice (4 €) ou même de la sécurité (25 €) ? La défense et le
logement, identifiés dans les réponses au grand débat comme les premiers
gisements possibles d’économies, se situent respectivement à 31 € et à 15 €
(aides au logement).
Cette pédagogie élémentaire de la dépense produite pour le grand débat est
sans doute un bon exemple de ce qu’il faut développer à l’avenir, car rien de
tel a priori pour apprécier les enjeux de certains choix de politiques
publiques. Le gouvernement n’a d’ailleurs pas résisté à la tentation de
rappeler à cette occasion que, sur les 1 000 € de dépenses publiques,
l’ensemble des dépenses relatives à l’Assemblée nationale, au Sénat et au
Gouvernement représente 1 €. Sans doute pour relativiser l’impact des
économies à attendre de cette facette du « train de vie de l’État »…
Mais dans le même temps cette pédagogie rejoint une attente extrêmement
vive. Car en effet s’il faut bien le dire, tant les questions posées par les
organisateurs dans le cadre du thème « Fiscalité et finances publiques » que
les réponses issues des contributions sont allées un peu dans tous les sens, il
reste que l’analyse des réponses fait ressortir quelques constats
passionnants. Le premier est le caractère dominant, en termes d’importance
relative, de la demande en matière de transparence, d’information et de
pédagogie sur la dépense publique et l’utilisation des impôts.
À l’évidence, les contribuables, plus que jamais, réclament des explications
et, au-delà, demandent des comptes sur l’emploi des deniers publics.
Comment comprendre que beaucoup de contributeurs au grand débat aient
réclamé de rendre obligatoires les préconisations de la Cour des comptes, ce
qui au passage laisse rêveur sur l’articulation implicite du rôle des experts
et de celui des élus dans la décision publique ? C’est que l’institution
s’identifie facilement à une grande cause, celle du bon usage des deniers
publics, et au-delà, de la bonne gouvernance en matière de finances
publiques.
L’impôt sur le revenu, monument national, est l’objet dans ces réponses de
propositions fortes, comme celle de le faire payer par tout le monde – l’IR
pour tous, en quelque sorte –, alors que l’évolution récente n’a cessé de
réduire le nombre des ménages soumis à cet impôt : sur 38,3 millions de
foyers fiscaux, 16,6 millions sont imposés, soit moins de la moitié. En
réalité, c’est la CSG qui, frappant toutes les formes de revenus, répond le
mieux aujourd’hui à cette demande d’impôt universel sur le revenu. Mais
comment se fait-il que cette réalité déjà ancienne, puisque la CSG a été
créée en 1990, paraisse méconnue ? Par ailleurs et comme on pouvait s’y
attendre, il y a une demande générale de baisse du poids de la fiscalité et
notamment de l’IR. Mais ce n’est pas nécessairement incompatible avec la
revendication de l’IR pour tous, puisque c’est la répartition du poids de cet
impôt qui est en cause, et à travers elle la question de la progressivité,
considérée comme insuffisante.
Autre indice de la centralité de la question fiscale dans le grand débat, et, au
sein de cette question, de l’emblématique impôt sur le revenu, la nature des
mesures annoncées comme suites du grand débat. Y figure en bonne place
la baisse de l’IR adoptée en loi de finances pour 2020, pour 5 milliards
d’euros, qui a concerné 15 millions de foyers.
On sait en effet que ni la TVA, ni la CSG précitée, ne sont construites sur un
principe de progressivité, alors que leur produit, respectivement de
161 Md€ et 124 Md€, est très sensiblement supérieur à celui de l’IR
(74 Md€ en 2020). Mais s’il n’y a que l’IR pour mettre en œuvre
efficacement la progressivité fiscale, l’amenuisement de sa base, contesté
on vient de le voir par la revendication de « l’IR pour tous » risque de
provoquer un alourdissement sélectif lié aux « progrès » de cette
progressivité. Par là même, la mesure pourrait aller à l’encontre de
l’objectif général d’amélioration de l’attractivité du pays, poursuivi par la
suppression de l’ISF et l’instauration de la flat tax, dont le prix politique à
payer a tout de même été assez élevé. La politique fiscale est plus que toute
autre l’art de manier les contradictions…
3. Mais si le grand débat, abondamment cité, a été une manifestation
éclatante de la passion française pour la fiscalité, il ne représente qu’un
moment de l’histoire récente et n’est que la confirmation d’une tendance de
fond, perceptible notamment dans l’activité des juridictions à tous les
niveaux. Ainsi, par exemple il ressort du rapport d’activité du Conseil
d’État pour l’année 2019 que le contentieux fiscal se situe à la troisième
place en importance au niveau des tribunaux administratifs (7 % des
affaires, derrière le contentieux des étrangers 41 %, et celui de la fonction
publique 9 %), à la deuxième place au niveau des cours administratives
d’appel (12 % des affaires, derrière le contentieux des étrangers 51 %) et au
Conseil d’État (14,4 % des affaires derrière le contentieux des étrangers
20 %).
S’agissant du Conseil constitutionnel, en 2020, 46 décisions ont été rendues
à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), et 16 à la
suite d’une saisine « ordinaire » juste après le vote de la loi. Les chiffres
correspondants sont de 61 et 19 pour 2019. Or, nous dit le rapport
d’activité, dans les QPC la matière fiscale est, conjointement avec la
matière pénale, prépondérante (respectivement 22 % et 21 % des QPC).
C’est qu’au niveau des tribunaux comme de notre cour suprême, l’intérêt
déjà mentionné pour la fiscalité se conjugue avec une autre passion
française, celle de l’égalité, pour produire une activité juridictionnelle
intense, et par voie de conséquence une jurisprudence aussi foisonnante que
subtile. Il faut dire que les juges s’appuient en la matière sur un socle
constitutionnel redondant et d’une solidité de granit : pas moins de deux
articles de la vénérable Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,
l’article 6 relatif au principe d’égalité devant la loi et l’article 13 relatif au
principe de l’égalité devant les charges publiques.
La distinction entre les deux branches du principe d’égalité devant l’impôt
n’étant d’ailleurs pas toujours aisée, les parlementaires (devant le Conseil
constitutionnel) ou les contribuables (devant le juge administratif) les
invoquent simultanément dans leurs recours. Cela donne des décisions
discursives dans lesquelles les exigences de l’égalité, comme celles de
l’intérêt général qui permet d’en atténuer (parfois grandement) la portée,
sont minutieusement explicitées. De ce point vue l’introduction en 2010 de
la QPC à la suite de la révision constitutionnelle de 2008 a fait exploser –
quantitativement, s’entend – la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Et
son développement a accentué le caractère chirurgical de cette dernière qui
n’a pas son pareil pour découper au laser, à l’intérieur des dispositions du
« stock législatif » soumises à son examen, les contours de ses éventuelles
invalidations. Mais surtout cet enrichissement accéléré de la jurisprudence
n’a fait que conforter le caractère absolument central du principe d’égalité
dans la jurisprudence constitutionnelle. De ce fait, toute appréciation a
priori de la conformité d’un projet de loi à la Constitution, comme celle par
exemple du Conseil d’État dans son activité consultative, consiste à traquer
dans les moindres recoins toute virtualité de manquement à la sacro-sainte
égalité.
4. Tout cela pour dire que cet intérêt bien français pour la dépense publique
et pour l’impôt mérite d’être nourri par une connaissance solide de l’édifice
aujourd’hui de nos finances publiques, de ses fondations jusqu’à ses étages
les plus récents : dans ce domaine il est plus que jamais indispensable de
savoir où on habite. Or la maison fait parfois penser à ces habitations de
ville en travaux, dont on préserve soigneusement la façade, mais dont on
voit bien qu’à l’intérieur la rénovation se fait de fond en comble. Il faut
donc pouvoir s’y retrouver. L’enjeu est au bout du compte celui de la qualité
du débat démocratique, tant il est vrai que s’il n’est pas établi sur des bases
suffisamment solides et partagées, le jugement s’égare.
Dans ce contexte, c’est tout l’intérêt de l’ouvrage de Frédéric Brigaud,
Robin Degron et Vincent Uher, que d’apporter, non seulement aux étudiants
préparant les concours administratifs mais aussi, à mon avis, au public le
plus large, un socle de connaissances de base aussi essentielles à la vie du
citoyen éclairé que celui des « savoirs fondamentaux » à la vie écoliers. On
s’abstiendra de commenter ici la table des matières, qu’un bref retour en
arrière de quelques pages suffit à mettre sous les yeux du lecteur, pour
souligner qu’elle embrasse avec bonheur, et de façon extensive, tout le
champ de la matière. En effet les auteurs ne s’en tiennent aucunement à la
description sèche des législations et réglementations mais ils ont le souci
constant de situer la présentation de la règle dans son contexte économique,
historique, institutionnel et européen, voire de sociologie administrative.
Ils sont, il est vrai, particulièrement qualifiés pour cette performance. Dotés
d’une formation dans chaque cas très complète, ils sont investis de
responsabilités qui leur donnent une grande légitimité pour dispenser un
enseignement éclairé par leur pratique professionnelle. Frédéric Brigaud est
actuellement directeur comptable et financier à la MSA après avoir exercé
des responsabilités au ministère des finances et dans les URSSAF.
Spécialiste notamment de la protection sociale, il assure de multiples
enseignements auprès de publics divers.
Robin Degron est actuellement conseiller référendaire à la Cour des
comptes, après avoir été conseiller spécial auprès du commissaire général à
France Stratégie. Il est également enseignant en droit et finances publiques.
Vincent Uher est administrateur civil hors classe du ministère des finances,
actuellement membre du service juridique de la Commission européenne. Il
a précédemment été maître de requêtes en service extraordinaire au Conseil
d’État où, à la faveur de l’examen des projets de lois de finances (PLF), des
PLF rectificatifs et de leurs décrets d’application, il a vu se renouveler,
voire se reconstruire la législation et la réglementation financière.
Si leur entreprise pédagogique est précieuse, c’est que sous l’effet des
bourrasques provoquées par les exigences de la démocratie et les attentes du
corps social, par les effets comme par les contraintes de la mondialisation et
par l’impact des nouvelles technologies, tout se passe aujourd’hui comme si
notre maison des finances publiques tremblait sur ses bases. Plus que
jamais ; il est nécessaire de comprendre les mutations en cours.
5. Enjeu démocratique par excellence, la transparence et l’explication des
choix en matière de finances publiques font l’objet aujourd’hui d’attentes
profondément renouvelées. Traditionnellement tout l’effort d’information
en cette matière de finances se concentre sur les parlementaires, notamment
dans la fenêtre des travaux préparatoires à la loi de finances. De ce point de
vue notre « constitution financière », c’est-à-dire la loi organique no 2001-
692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (dite LOLF) énonce en ses
articles 51, 52, 53, 54 et 55, avec un luxe de détail historiquement inégalé,
les annexes que doivent comporter les projets de loi de finances dans leurs
diverses modalités : projet de loi de finances initiale, rectificative ou de
règlement.
Rien que pour le PLF 2019 les annexes ont représenté 5 775 pages de
« bleus budgétaires », 3 109 pages de « jaunes budgétaires » et 2 986 pages
de « documents de politique transversale », soit un total de 11 870 pages en
102 documents. Si la bonne information du Parlement se mesurait au poids
des documents destinés à éclairer sa décision, la période actuelle serait
certainement considérée comme un âge d’or démocratique mais ce n’est pas
seulement une question de quantité. La LOLF a aussi apporté une sorte de
révolution qualitative. Figurent ainsi parmi les annexes explicatives,
destinées à expliciter les dispositions du projet de loi, les « projets annuels
de performance », documents emblématiques d’une novation majeure de la
LOLF, la présentation des ressources et dépenses de l’État non plus selon
une logique de moyens, mais selon une logique de missions et de
programmes. Ce sont ces documents qui précisent les objectifs et
indicateurs de l’action publique, par grands domaines (éducation, culture,
défense, justice, action extérieure de l’État, etc.). On se reportera sur ce
point à la présentation très éclairante qu’en fait le présent ouvrage.
Retenons ici que la LOLF représente un saut qualitatif en ce qui concerne la
lisibilité des politiques publiques.
Pour autant l’ambition du législateur, et les attentes des parlementaires ont
encore élevé le degré d’exigence. Ainsi la LOLF, entrée en vigueur
pleinement en 2005, a-t-elle été modifiée après cette date pour appliquer
aux dispositions des PLF relevant du domaine non exclusif des lois de
finances – typiquement, par exemple, les dispositions fiscales qui excèdent
le cadre de l’année – les obligations générales auxquelles sont soumis les
projets de lois en matière d’études d’impact (en matière fiscale on parle
d’évaluation préalable). Ces obligations, précisées par la loi organique du
15 avril 2009, imposent de fournir une « évaluation des conséquences
économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des
coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour
chaque catégorie… de personnes physiques et morales intéressées ». Ce qui
suppose dans le cas, par exemple, d’un dispositif fiscal incitatif de produire
une évaluation du dispositif existant et de montrer en quoi et dans quelle
mesure les modifications envisagées audit dispositif permettront de mieux
satisfaire son objet. On voit l’ambition. On devine aussi que la pratique
n’est pas tout à fait à la hauteur. En matière fiscale les évaluations
préalables laissent souvent le lecteur sur sa faim, notamment lorsque les
modifications fréquentes des paramètres des dispositifs incitatifs interdisent
d’en apprécier l’impact sur une durée suffisante : il en va ainsi, par
exemple, des dispositifs supposés orienter les comportements dans
l’isolation des logements.
Et pourtant la fiscalité se prête, dans certains cas à une évaluation précise
des effets des nouvelles mesures, notamment lorsque les paramètres en
cause sont directement ceux de l’impôt : autrement dit, il est plus facile de
savoir ce que va coûter telle nouvelle mesure que d’apprécier l’impact réel
qu’elle est supposée avoir. En ce sens, le chiffrage des modifications
apportées à l’impôt peut donner l’impression de se prêter à une évaluation
satisfaisante. Et si en matière de fiscalité incitative l’évaluation, surtout ex
ante, soulève des difficultés méthodologiques qui la rendent
structurellement incomplète, il en va différemment des modifications
d’assiette ou de taux des impôts de rendement. Exonérer 80 % de
redevables de la taxe d’habitation, on sait ce que cela coûte : environ
10 Md€.
Mais le Parlement, sur cette question des simulations des réformes fiscales,
est très dépendant des moyens techniques de l’administration et ne dispose
pas de moyens propres de contre-expertise. Or, indépendamment de la
qualité des calculs effectués par l’administration à la demande des
parlementaires, qui n’est pas en cause, se fait jour une demande de ces
derniers de disposer d’un outil complet d’évaluation à leur main, du type
des bureaux ou offices spécialisés existant auprès des parlements de certains
pays comparables au nôtre. C’est un sujet qui n’a pas encore abouti mais
qui ressurgit périodiquement.
De ce point de vue le souhait des parlementaires rejoint l’appétit des
chercheurs qui, dans la période récente, ont accentué la pression auprès des
détenteurs des bases de données administratives pour pouvoir exploiter ces
gisements pour les besoins de leurs travaux. Et à plusieurs reprises le
législateur leur a donné satisfaction, dans le cadre notamment de la loi
« pour une République numérique » du 7 octobre 2016, qui dans certaines
conditions autorise l’accès aux bases de gestion des organismes
administratifs. On souligne à ce sujet que cette ouverture générale dans son
principe avait été précédée de l’adoption en 2013 de dispositions
spécifiques à la matière fiscale, introduites à l’article L. 135 D du livre des
procédures fiscales. Alors même qu’elles sont couvertes depuis toujours par
une forme particulière protectrice de secret, les bases de gestion de
l’administration fiscale sont aujourd’hui accessibles aux chercheurs. En
pratique, cela se fait bien sûr dans des conditions qui préservent entièrement
le caractère anonyme des données mais un mouvement est lancé qui voit
chaque année des dizaines d’équipes de chercheurs bénéficier de
possibilités jusqu’ici sans précédent de donner une profondeur nouvelle à
leurs travaux.
6. Mais si les parlementaires et les chercheurs sont évidemment des acteurs
de premier plan du débat démocratique, le besoin de transparence ci-dessus
mentionné a pris ces derniers temps une telle vigueur qu’il renouvelle les
conditions du consentement à l’impôt. Historiquement lié à l’apparition de
la démocratie, ce consentement s’exprime traditionnellement au frontispice
de la loi de finances puisque chaque année l’article 1er autorise pour
l’exercice à venir la perception des impôts de toute nature. Mais au-delà de
cette autorisation aussi indispensable que formelle, l’impôt requiert du
citoyen une adhésion qui se manifeste dans la bonne tenue du taux de
recouvrement. De ce point de vue les chiffres affichés par l’administration
fiscale sont tout à fait satisfaisants : le taux de paiement des impôts des
particuliers comme celui de recouvrement spontané des impôts des
professionnels excède bon an mal an les 98 % (et même le taux de
recouvrement des amendes n’est pas si mauvais, à plus de 75 %). À tel
point qu’il a été question, au moment où il a été question pour la première
fois d’établir le bilan de l’État, ce qui est une novation récente, d’inscrire à
l’actif de ce bilan la santé éclatante de ce taux de recouvrement.
Mais ce que montre aussi l’histoire récente c’est qu’alors même qu’il a pu
être voté dans de bonnes conditions, transcendant parfois les oppositions
politiques, l’impôt peut être purement et simplement refusé par le corps
social, et le gouvernement est alors conduit à y renoncer. Chacun a encore
en mémoire l’abandon en octobre 2014, sous la pression des Bonnets
rouges, de l’écotaxe poids lourd, alors même que cet impôt rationnel du
point de vue écologique, issu du « Grenelle de l’environnement » avait été
très largement voté et que le dispositif des portiques nécessaire à sa mise
avait été installé. On s’abstiendra de revenir sur les mésaventures, à la fin
de l’année 2018, de la taxation des carburants, alors même que de la même
manière, pour cette taxe carbone une trajectoire ambitieuse venait d’être
adoptée par le Parlement sous les auspices d’une solide rationalité
écologique. Cette fois-ci, on le sait ce sont les Gilets jaunes qui ont emporté
la décision.
Au-delà même des questions soulevées par ces péripéties douloureuses sur
les voies et moyens d’une politique efficace en matière de transition
écologique, l’épisode a remis en lumière une question fondamentale, qui
certes appelle des efforts renouvelés en matière de pédagogie, mais surtout,
pour la puissance publique, d’être au clair sur ses intentions. La question
est la suivante : au fond, à quoi sert l’impôt ? Si la question se pose c’est
qu’il porte potentiellement en France, compte tenu de l’importance qu’il a
prise comme moyen de politique publique, une diversité d’objectifs. Certes,
le premier et le plus robuste est toujours celui de procurer aux personnes
publiques les ressources nécessaires aux services qu’elles rendent à la
population.
Historiquement, l’impôt a aussi dans notre pays une forte dimension
redistributrice, pas seulement à travers la progressivité de l’impôt sur le
revenu, mais aussi par le financement de politiques sociales qui font de
notre système l’un des plus protecteurs du monde. On pense ici aux
dépenses de solidarité que sont la prime d’activité (9,7 Md€ en 2021) et le
RSA (11 Md€ environ), l’AAH (11,1 Md€), les allocations logement
(12,5 Md€), les prestations familiales (47 Md€), etc. Mais dans la période
récente s’est affirmée la volonté de se servir de l’impôt pour orienter ou
modifier les comportements.
On taxera lourdement, par exemple, dans un but de santé publique,
traditionnellement les cigarettes et, dans la période récente, les boissons
sucrées pour lutter contre l’obésité. Et s’agissant des carburants, il n’était
pas illogique, dans la loi de finances pour 2018, de définir une trajectoire de
convergence de la fiscalité sur le diesel avec celle pesant sur l’essence, la
première étant historiquement moins lourde alors qu’elle est plus
dommageable pour l’environnement. On sait ce qu’il en est advenu.
S’agissant des enseignements à tirer de ces épisodes, on est tenté de penser,
pour le moins, qu’il est très délicat politiquement de vouloir modifier les
comportements par l’impôt, même au nom d’objectifs largement partagés. Il
est troublant à ce sujet de constater que les deux échecs retentissants
mentionnés ci-dessus, Bonnets rouges et Gilets jaunes, sont relatifs à des
taxes à impact écologique. La réalité de cet impact n’a d’ailleurs pas été
contestée, c’est le principe même de cette taxation qui n’a pas été accepté.
D’ailleurs, apparemment les Français n’aiment pas qu’on cherche à peser
sur leur comportement par l’impôt puisqu’une question portant dans le
grand débat directement sur ce point a reçu 58 % de réponses négatives.
À cette difficulté politique répond d’ailleurs une difficulté juridique puisque
du point de vue de la conformité à la Constitution, le contrôle du Conseil
constitutionnel est beaucoup plus étroit sur les impôts à visée
comportementale que sur les impôts dits « de rendement ». Dans ce dernier
cas le législateur dispose d’une large marge de manœuvre, pourvu que
l’assiette fiscale qu’il définit à sa guise repose sur l’existence de réelles
capacités contributives, sans faire échapper à l’impôt des contribuables qui
rentrent normalement dans cette assiette et n’ont pas de raison particulière
d’y échapper. À la limite, on pourrait ressusciter l’impôt sur les portes et
fenêtres, s’il s’agit là d’indices d’une véritable capacité contributive, mais il
ne faudrait pas en excepter par exemple les portes ou les fenêtres en bois.
Dans le premier cas, le contrôle porte sur le caractère objectif et rationnel
des critères de l’imposition au regard des objectifs recherchés, et il est
beaucoup plus serré. S’agissant des boissons contenant des sucres ajoutés
par exemple, il valait mieux, pour échapper à la censure du Conseil
constitutionnel, présenter la taxe comme une mesure de rendement (voir les
décisions 2011-645 DC et 2011-644 DC), alors que par deux fois le CC a
invalidé la taxation par la loi de boissons dites énergisantes (voir la décision
no 2014-417 QPC).
7. L’effort sans précédent de pédagogie qu’exige notre époque devra
montrer notamment combien les choix nationaux en matière de finances
publiques – il s’agit par excellence d’un domaine de souveraineté –
s’inscrivent nécessairement dans un horizon international et européen. La
maison est très secouée par le vent de la mondialisation, mais c’est parfois
la condition même du progrès. Ainsi par exemple, tout le monde considère
que la fraude fiscale est un fléau, et qu’il faut aller plus vite et plus fort dans
la lutte contre ce phénomène. Dans le cadre du grand débat, certains ont
préconisé de supprimer les paradis fiscaux…
Il est vrai que dans ce domaine la mondialisation crée le problème. Elle a
ouvert aux entreprises multinationales des possibilités inédites de réduire
leur charge fiscale, en échafaudant des dispositifs permettant soit de faire
disparaître leurs bénéfices, soit de les transférer artificiellement vers des
zones à fiscalité réduite, ou même nulle. C’est toute la problématique
notamment des prix de transferts, bien connue des fiscalistes. Les pertes
d’impôt sur les bénéfices des sociétés en résultant pour un grand nombre de
pays, dont le nôtre, sont globalement colossales.
Cette pratique a été qualifiée par l’OCDE sous l’acronyme de BEPS (Base
Erosion and Profit Shifting, ou érosion de la base d’imposition et transfert
de bénéfices). Mais s’il s’agit de désigner le phénomène, c’est aussi le nom
d’un vaste programme (OCDE toujours) destiné à le combattre. La
mondialisation est peut-être le problème, mais la coopération internationale
est sans doute la solution, en tout cas il n’y en a pas d’autre. C’est au prix
d’un complet changement d’axe de cette coopération. L’instrument
traditionnel en est la convention fiscale bilatérale, dite « pour l’élimination
des doubles impositions », instrument conclu entre deux pays selon un
modèle standard, OCDE d’ailleurs, très bien rodé. Comme leur nom
l’indique très clairement le but de ces conventions est avant tout d’éviter
que la même matière imposable soit saisie par le système fiscal de deux
pays différents. De ce point de vue, le danger identifié est celui d’un excès
d’imposition. La France a conclu plus d’une centaine de conventions de ce
type, et ce n’est pas terminé, la section des finances du Conseil d’État en
voit encore passer de temps en temps. C’est un système qui a très bien
fonctionné, encore que dans la période récente, il n’a pas pu prévenir la
taxation manifestement abusive par le fisc américain des « Américains
accidentels », n’ayant conservé qu’un lien historique très ténu avec les
USA.
Mais dans le cadre du programme BEPS, il est envisagé de faire servir ces
conventions à la lutte contre la fraude. Le changement de perspective est
complet puisqu’il s’agit cette fois de combattre l’insuffisance d’imposition.
Toutefois la renégociation des conventions bilatérales pour y introduire les
mécanismes et les procédures destinés à donner corps à ce nouvel objectif
prendrait a priori un temps considérable évalué en dizaines d’années. Aussi
l’OCDE a-t-elle conçu un instrument multilatéral sans précédent,
la « convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives
aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et
le transfert de bénéfices », dite « convention BEPS » destinée, une fois
adoptée ; à modifier au fil du temps les conventions bilatérales sur la base
d’une volonté commune de leurs signataires initiaux. Une véritable audace
au regard des dispositions de l’article 53 de la Constitution qui exige dans
certains cas une autorisation du Parlement pour permettre au président de la
République de ratifier un traité international. Comme le bon sens le suggère
et comme cette disposition a été appliquée depuis le début, cette
autorisation suppose en principe que les parlementaires aient une vision
complète des stipulations du traité ou de la convention, ce qui en pratique
est toujours le cas puisqu’ils se prononcent au vu d’un instrument déjà
signé, la ratification n’étant que la confirmation de cette signature. La
ratification de la convention BEPS ayant été approuvée par le Parlement
(loi no 2018-604 du 12 juillet 2018) ; les conventions fiscales bilatérales
pourront être modifiées à l’avenir sans que le Parlement ait à connaître ces
modifications. Sur le plan de la lutte contre la fraude, évidemment
l’efficacité de ce nouvel instrument ne sera démontrée qu’à l’usage, mais il
témoigne d’une recherche ingénieuse d’instruments nouveaux.
Un effort d’imagination comparable est actuellement déployé concernant la
taxation des entreprises de services numériques (pour ne pas dire les GAFA,
mais c’est bien de cela qu’il s’agit). Ces entreprises bénéficient de la
mondialisation, non pas seulement du fait de montages ou de stratagèmes
destinés à échapper à l’impôt mais en raison de la nature même de leur
activité et du processus de création de valeur, qui rend obsolètes les
standards de la fiscalité internationale. Cette activité se déploie en effet par
nature sur plusieurs marchés nationaux à la fois, sans requérir la présence
effective sur le territoire des pays en question d’installations physiques
susceptibles d’être qualifiées d’établissements stables. Or cette notion
centrale de la fiscalité internationale a été conçue dans une approche
réaliste, c’est-à-dire plus économique que juridique, du lieu de création de
valeur. Elle permet d’exercer le pouvoir d’imposer non seulement à l’État
du siège de l’entreprise mais aussi à celui sur le territoire duquel il existe un
établissement stable de cette dernière, auquel de fait il est possible de
rattacher tout ou partie de la valeur créée. Elle correspond bien au modèle
traditionnel de l’industrie et du commerce, dans lequel les facteurs de
production sont aisément localisables.
Mais le modèle économique des entreprises de services numériques est
complètement différent. Il repose sur un processus de création de valeur
dans lequel jouent un rôle essentiel, non pas tant les moyens mis en œuvre
par l’entreprise que les données générées par les utilisateurs de ses services
(les internautes). C’est la masse de connexions de ces derniers qui fournit,
presqu’à l’insu des intéressés, le gisement dont l’exploitation est à la base
de la richesse produite. Dans ce schéma, les avantages concurrentiels sont
liés à la masse des utilisateurs et au volume des données traitées, et leur
localisation ne dépend en aucune manière de celle du dispositif
d’exploitation. Partant du constat, très largement partagé que les entreprises
en question n’acquittent, en application des standards traditionnels, que des
impôts extrêmement faibles au regard de leur puissance économique, toute
une réflexion s’est engagée au niveau international et européen pour définir
une assiette taxable correspondant à leur activité, et sur cette base une
nouvelle répartition du pouvoir d’imposer entre les États.
À l’international, comme souvent en matière fiscale, l’OCDE est en pointe,
et un accord de principe sur la fiscalité des entreprises multinationales a été
dégagé au sein du G7 en juin 2021, qui reste à partager, préciser et
transcrire dans une convention multilatérale. De son côté, l’Europe prépare
un projet de directive pour se caler sur les travaux de l’OCDE. Quant à la
France, elle suit tout cela avec beaucoup d’intérêt mais ne renonçant jamais
à une occasion de montrer la voie au monde, elle vient d’élaborer une loi
sur la taxation des services numériques, destinée en principe à s’effacer
lorsque l’accord OCDE deviendra effectif.
8. Mais si l’Union européenne s’intéresse au fiscal, ce n’est pas ce volet des
finances publiques qu’elle a jusqu’ici privilégié dans l’exercice de son
pouvoir d’influence sur les États membres. La fiscalité, historiquement
identifiée à la souveraineté, reste encore largement un domaine de
compétence de ces derniers, et l’Europe intervient là où elle conditionne le
bon fonctionnement du marché intérieur. Il existe une directive TVA mais il
n’en existe pas en matière d’impôt sur le revenu ni de taxation de la fortune,
et les discussions ont le plus grand mal à progresser sur l’harmonisation des
bases de l’impôt sur les bénéfices des sociétés.
C’est en matière de maîtrise de la dépense publique que le rêve européen
s’est exprimé avec le plus d’ambition, sinon de succès. Chacun connaît les
critères du pacte de stabilité issu du traité de Maastricht, d’où ressort en
lettres de feu la fameuse limite de 3 % du PIB à ne pas dépasser s’agissant
du déficit annuel de budgets nationaux. On connaît aussi les critiques
parfois très acerbes qui lui sont portées, sur fond de controverse sur l’utilité
versus l’absurdité économique d’une telle « règle ». On observera
seulement au passage que s’agissant de la mesure du déficit, la référence au
PIB n’est pas violente en soi, elle est même plutôt de nature à dissimuler
l’ampleur du problème puisque contrairement à n’importe quel budget
familial ou d’entreprise ce déficit n’est pas comparé ici à la dépense.
Ainsi, par exemple, la loi de règlement pour 2020 fait apparaître un déficit
global de 9,2 %. Mais si l’on s’en tient au budget de l’État, le résultat de
l’année, soit −178 Md€, peut être rapproché de l’ensemble des dépenses du
budget général, soit 390 Md€. Le ratio n’est pas le même…
En tout état de cause, comme on le sait aussi, c’est une « règle »
certainement structurante des choix de politique publique mais bien qu’elle
ait été fixée par un traité, et donc source d’obligations pour les États
signataires, il n’existe pas de juge pour en vérifier la mise en œuvre. D’une
manière générale, s’agissant des choix du gouvernement concernant les
dotations budgétaires, le Conseil constitutionnel juge avec constance qu’il
ne dispose pas d’un pouvoir d’appréciation et de décision de même nature
que celui du Parlement et qu’il ne lui appartient pas d’apprécier le montant
des crédits ouverts en loi de finances. Ce qui dans l’ordre interne s’explique
notamment par le fait qu’il n’existe dans ce domaine pas de règle,
constitutionnelle ou organique, s’imposant au législateur. L’article 34 de la
LOLF exige bien que le budget soit présenté avec sincérité, et ce point est
susceptible d’être vérifié par le CC, mais ce n’est pas une règle de contenu.
En réalité, seuls les textes européens comportent des règles de cette nature.
Mais il n’existe pas dans ce domaine de contrôle de « conventionalité », de
telle sorte que leur méconnaissance ne peut être sanctionnée par aucune
juridiction. Cette position, là aussi jamais démentie, s’explique par la
spécificité du droit européen, qui a institué, s’agissant des engagements des
États membres en matière budgétaire, une procédure spécifique, de nature
politique et non pas juridique, puisqu’il n’y a pas de recours en
manquement de possible devant la CJUE. Cette procédure passe par
l’obligation pour le gouvernement de s’expliquer chaque année devant la
Commission européenne, dans le cadre du « semestre européen », sur ses
choix budgétaires en les plaçant dans une perspective triennale. Il en résulte
un examen serré, dont le résultat donne lieu à des observations rendues
publiques, de telle manière qu’il y a certainement lieu de considérer que le
budget national est sous observation des autorités européennes, mais
concrètement il n’est guère possible d’en dire plus.
Cette grande latitude des gouvernements, et donc du législateur national, en
matière budgétaire et financière s’exprime par la force du principe
d’annualité budgétaire qui fait que chaque année, théoriquement, la page à
écrire est redevenue blanche, mais qu’en pratique les mêmes contraintes, les
mêmes travers, les mêmes insuffisances se répètent avec une belle
constance (grande difficulté à maîtriser la dépense, poids persistant des
niches fiscales, etc.). C’est pourquoi l’espoir de progrès nouveaux en
matière de discipline budgétaire a reposé un moment sur les possibilités
offertes par l’approche pluriannuelle. Ainsi la révision constitutionnelle de
2008 a-t-elle rapproché, dans des dispositions nouvelles introduites à
l’article 34 de la Constitution, « l’objectif d’équilibre des comptes des
administrations publiques » de la notion « d’orientations pluriannuelles des
finances publiques » à définir par des « lois de programmation ». Mais il est
vite apparu que ces dernières, bien que ciblées sur la matière financière,
n’étaient pas d’une nature différente des autres lois de programmation :
elles présentent des orientations et des objectifs dépourvus de portée
normative et ne s’imposent donc pas au législateur.
Là encore on a pu croire un moment que c’est de l’Europe qu’allait venir
une percée décisive. Le Traité sur la stabilité, la coordination et la
gouvernance au sein de l’Union (TSCG), signé le 2 mars 2012, prévoit un
« pacte budgétaire » qui énonce une règle d’équilibre sur laquelle sont
censés s’engager les États signataires. Faisant un peu penser à la mythique
« règle d’or » qui continue d’alimenter les fantasmes de certains, cette règle
implique que chaque pays se dote d’un objectif à moyen terme concernant
son « solde structurel annuel », à fixer quelque part dans la limite de –
0,5 % du PIB. Et des précisions sont données, pour le cas où on se trouve
encore loin de cet objectif (typiquement la situation française), sur la
trajectoire à définir pour réduire progressivement les écarts.
Encore une fois, c’est un traité, qui à ce titre, engage ses signataires, en
l’occurrence chaque État membre à « faire prendre effet » dans son droit
national aux engagements qu’il a souscrits. On n’avait jamais été aussi près,
a priori, d’un vrai mécanisme de discipline budgétaire et la France a tout de
suite voulu traduire ses engagements dans une nouvelle loi organique : ce
fut la LO du 17 décembre 2012 relative à la gouvernance des finances
publiques. Mais très vite le CC, dans ses décisions concernant tant le texte
du traité que celui de la LO, a retenu du TSCG, s’appuyant sur sa lettre, une
version non contraignante, sauvegardant encore une fois la pleine et entière
latitude du législateur financier. Ainsi les lois pluriannuelles de
programmation des finances publiques, telles qu’elles sont prévues par la
LO, restent elles impuissantes à cadrer l’intervention de ce dernier. Elles
sont intéressantes comme instrument de prévision, mais à vrai dire la
précision de ces prévisions s’émousse rapidement passée la première année
du triennal.
9. D’autres puissants facteurs viennent bousculer les concepts et procédures
traditionnels des finances publiques. On n’en citera ici qu’un exemple, tiré
de l’évolution de la gestion comptable. Le décret du 7 novembre 2012 sur la
gestion budgétaire et comptable, qui a pris la suite du célèbre décret du
29 décembre 1962 sur la comptabilité publique introduit certes de grandes
novations, comme toute la présentation issue de la LOLF (missions,
programmes, etc.), mais il réaffirme aussi des principes apparemment
immuables, comme celui de la séparation de l’ordonnateur et du
comptable. Célèbre au point d’être identifié comme un repère majeur du
droit de la gestion publique, ce principe hérité de l’histoire a contribué
depuis le début à sa sécurité globale du système. Un peu comparable à celui
de la séparation des pouvoirs, c’est à la fois l’expression du bon sens et le
fruit d’une expérience séculaire. Toute esquisse de transfert de savoir-faire à
l’étranger le mentionne d’entrée de jeu comme une exigence
incontournable. Bref, c’est un pilier.
Mais il est de plus en plus ébranlé, sans qu’aucune remise en cause explicite
ne soit à l’ordre du jour. Le choc vient des nouvelles technologies. Là où il
était possible, dans les organisations traditionnelles, de mettre en place un
séquençage de procédure dans lequel l’intervention de l’ordonnateur puis
celle du comptable étaient aussi clairement distinguées que l’étaient les
étapes de la dépense – ordonnancement, liquidation, paiement –, la
généralisation des traitements informatiques de masse change
complètement la donne. Apparaissent des notions nouvelles comme celle de
service facturier, qui fait éclater les catégories anciennes, et la chaîne de
traitement informatique fait apparaître un continuum dans lequel on a bien
du mal à identifier les étapes traditionnelles.
10. Tous ces vents nouveaux qui soufflent sur la maison des finances
publiques posent certes quelques questions nouvelles mais ne font pas pour
autant disparaître les problèmes récurrents. Ainsi la préférence pour la
dépense publique est-elle souvent dénoncée, mais dans les faits peu
combattue, faute de pouvoir identifier des gisements évidents de
substantielles économies. Même en dehors de la « contrainte
maastrichtienne » l’importance de la dette publique – 115 %, tout de même
– est largement considérée comme excessive et pour beaucoup, de nature à
produire des effets délétères, mais ce dernier point reste controversé. En
effet, la perspective de voir les taux très bas s’installer durablement relance,
de la part de voix autorisées, le débat sur l’utilité dans cette conjoncture de
la dépense publique pour l’investissement. Côté recettes, il y a quasi-
unanimité pour dénoncer les « niches fiscales » et elles ont fait l’objet
d’analyses très documentées, mais elles ne sont supprimées qu’à très petits
pas, et avec la plus grande circonspection. Et certaines d’entre elles sont le
support de dispositifs d’importance majeure en ce qui concerne, par
exemple, l’incitation à la recherche par les entreprises, la lutte contre le
travail dissimulé ou même, hier encore, la compétitivité des entreprises.
Par ailleurs la libre administration des collectivités territoriales, mentionnée
à l’article 72 de la Constitution, implique certainement l’existence pour
elles de ressources qui leur soient propres, sans pour autant, d’après la
jurisprudence du Conseil constitutionnel, qu’elles procèdent nécessairement
d’impositions sur lesquelles les collectivités ont un pouvoir de taux. Ces
ressources peuvent comprendre une part, déterminée par la loi,
d’impositions nationales. Mais dans ce dernier cas comment garantir que
ces ressources évolueront en proportion des dépenses incombant à ces
collectivités et correspondant à des droits, par exemple en matière sociale ?
Cette question renvoie elle-même à celle des compétences respectives de
l’État et des collectivités territoriales, sans cesse en mal de clarification.
Bref, quand on tire le fil des finances publiques, c’est la politique qui vient.
Mais comment s’en étonner, alors que la démocratie parlementaire est née
du consentement à l’impôt ?
Jean Gaeremynck
Juin 2021
Les auteurs
Frédéric Brigaud est diplômé de Sciences Po, ancien élève de l’École
nationale supérieure de Sécurité sociale ou EN3S (major de la
53e promotion) et titulaire du master Ingénierie de la protection sociale de
l’Université de Marne-la-Vallée. Il est actuellement directeur comptable et
financier à la Mutualité sociale agricole après avoir exercé des
responsabilités au ministère des finances et en URSSAF. Il est plus
particulièrement spécialiste de la protection sociale et des questions
budgétaires. Il enseigne ou a enseigné à Sciences Po, à l’EN3S, à
l’Université Toulouse 1 Capitole, au centre de préparation aux concours
administratifs de l’Université Paris 1 et de l’ENS-Ulm (CIPCEA) et à la
Ville de Paris. Il est également membre du jury d’admission du concours de
l’EN3S (épreuve d’économie) et correcteur du concours de l’ENA pour
l’épreuve de finances publiques.
Vincent Uher, diplômé cum laude de Sciences Po et ancien élève de
l’ENA, est administrateur civil hors classe du ministère des finances. Il est
plus particulièrement spécialiste de la fiscalité, des finances locales et des
questions juridiques. Il enseigne ou a enseigné les finances publiques au
centre de préparation aux concours administratifs de l’Université Paris 1 et
de l’ENS-Ulm (CIPCEA), à Sciences Po et à l’Institut d’études politiques
de Grenoble. Il est également correcteur pour l’épreuve de finances
publiques du concours de l’ENA.
Robin Degron, ancien élève de l’ENA, docteur en géographie économique,
diplômé en sciences et ancien ingénieur de l’ENGREF, est un haut
fonctionnaire des finances actuellement conseiller référendaire à la Cour
des comptes. Il a été conseiller spécial auprès du commissaire général à
France Stratégie. Il enseigne par ailleurs le droit et les finances publiques à
l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne où il est notamment responsable
du cours de finances publiques au sein du centre de préparation aux
concours administratifs de l’Université Paris 1 et de l’ENS Ulm (CIPCEA).
Les lecteurs désireux de faire part aux auteurs de remarques sur ce manuel
de finances publiques peuvent le faire par mail aux adresses suivantes :
[email protected], [email protected] et
[email protected].
Introduction
1 Quel manuel choisir ? Ou du besoin d’un manuel
de référence
Ce manuel a été écrit en pensant aux élèves que nous fûmes et, plus encore,
aux élèves et étudiants auxquels nous enseignons les finances publiques,
qui, souvent, ne savent à quel manuel se vouer. Ceux qui s’attellent à
l’apprentissage des finances publiques ont en effet besoin d’un ouvrage de
référence :
1. traitant totalement le champ de la matière malgré son étendue tout en
conservant un regard synthétique et une écriture uniforme ;
2. doté d’une vision pratique indispensable à l’étude d’une matière
concrète, que l’excès d’abstraction peut rendre incompréhensible ;
3. didactique pour accompagner le lecteur dans son apprentissage ;
4. à jour car les finances publiques sont, plus que jamais, vivantes !
Telle est la grande ambition qui nous a appelé à concevoir ce manuel de
finances publiques, paru pour la première fois en 2014.
1.1 Pas d’impasse pour un public large
Ce manuel s’adresse aux candidats aux concours administratifs de catégorie
A et A+, aux étudiants des facultés de droits et des instituts d’études
politiques, aux praticiens de la matière, professionnels ou élus, et à un
public plus large de citoyens désireux de comprendre le fonctionnement des
finances publiques et d’appréhender mieux l’actualité de son pays et de
l’Union européenne, à la recherche d’un ouvrage pédagogique qui
contienne les connaissances qui font référence et donne les moyens à
chacun de les approfondir.
Il a ainsi vocation à initier à la matière, plutôt que d’être réservé aux initiés,
et à placer le lecteur dans le contexte professionnel et démocratique, plutôt
que dans le seul contexte universitaire.
Cet ouvrage couvre l’ensemble du périmètre des finances publiques tel qu’il
est défini par le programme de l’épreuve de finances publiques du concours
de l’École nationale d’administration, qui recouvre celui des autres
concours administratifs de la fonction publique.
1.2 Une approche des finances publiques
pluridisciplinaire et dépassant le cadre national
Dans sa rédaction, nous avons entendu allier présentation de la matière dans
sa technicité et analyse économique : les finances publiques ne peuvent être
abordées sans traiter des incidences micro-économique et macro-
économique des choix budgétaires et fiscaux.
De même, les finances publiques sont plurielles (finances de l’État,
sociales, locales, de l’Union européenne) et, s’agissant de la France,
résolument inscrites dans le cadre européen qui est le prisme à travers
lequel il convient désormais d’aborder nos finances publiques. Au-delà de
la restitution de l’état du droit des finances publiques, c’est toute l’approche
de la matière qui doit être mise à jour, en tenant compte des évolutions
potentielles que dessinent les comparaisons internationales, les rapports
publics et les travaux de réflexion de la société civile.
1.3 Servir de base à l’apprentissage des finances
publiques
Pour être pleinement pédagogique, un manuel doit être vivant et
didactique : le lecteur est accompagné dans la lecture de l’ouvrage et
l’assimilation de la matière par des exemples concrets, des graphiques et
tableaux retraçant des données importantes, des encadrés proposant un
éclairage particulier, des références bibliographiques et des sites internet
permettant d’aller plus loin.
Plus particulièrement, nous proposons, pour chaque chapitre – afin d’aider
le lecteur à en assimiler le contenu –, une liste de sujets d’examen et de
concours, généralement tirés des annales du concours de l’ENA, ainsi que
la liste des notions et données importantes qu’il convient de maîtriser.
À cet égard, le présent ouvrage tient compte des évolutions des concours de
l’ENA et de l’INET notamment. Il comporte des sujets adaptés au format –
écrit – de l’épreuve de finances publiques : certains énoncés s’appuient sur
un ou plusieurs documents. Pour accompagner au mieux les lecteurs dans
l’appropriation de la méthodologie de cette épreuve, un sujet sur document
est proposé en fin d’ouvrage et assorti d’éléments de corrigé rédigés.
2 L’organisation de l’ouvrage
Les parties 1 et 2 sont consacrées au cadre général des finances publiques,
économique et budgétaire d’abord (chapitres 1 à 3), institutionnel et
constitutionnel ensuite : l’extension et l’approfondissement du cadre
européen ont radicalement renouvelé le contexte institutionnel (chapitre 4),
tandis que le Conseil constitutionnel s’est érigé en acteur incontournable
des finances publiques en général et de la fiscalité en particulier (chapitre
5).
Les parties 3 à 7 traitent des finances des administrations publiques dans
leur pluralité : finances de l’État (chapitres 6 à 10), enjeux de comptabilité
et de contrôle des finances publiques (chapitres 11 et 12), finances locales
(chapitres 13 à 16), finances sociales (chapitres 17 et 18) et finances de
l’Union européenne (chapitres 19 et 20).
La partie 8 est dédiée aux prélèvements obligatoires (chapitres 21 à 28),
avec un accent mis sur la fiscalité française et ses enjeux contemporains,
qui invitent à comparer la France avec d’autres pays. La partie 9 évoque les
ressources non fiscales (chapitre 29) et porte également sur les déficits et
l’endettement publics, se posant notamment la question de la soutenabilité
de la dette publique française et de la solvabilité de l’État (chapitre 30).
PARTIE 1
LE CADRE ÉCONOMIQUE
DES FINANCES PUBLIQUES
CHAPITRE 1
Le cadre conceptuel
des finances publiques
NOTIONS À MAÎTRISER
• Multiplicateur, bien public
• Loi de Wagner
• Politiques monétaires non-conventionnelles
• Impôt échange, impôt solidarité
• Courbe de Laffer
• Redistribution (verticale, horizontale)
• Stabilisateurs automatiques
• Taxe pigouvienne
Les finances publiques sont passées, au cours du XXe siècle, du financement
des missions régaliennes à l’alimentation d’un État devenu massivement
dépensier. Le cadre des finances publiques s’est élargi à l’intervention
économique étatique consistant notamment à soutenir la demande, voire à
sa création à crédit, et à une vaste plateforme de redistribution. Parce que la
providence protectrice a un coût, le poids de l’impôt s’est considérablement
accru et ses fonctions se sont diversifiées. L’explosion de la dépense
publique et le caractère peu soutenable de l’endettement appellent
l’élaboration et le nécessaire respect de règles budgétaires strictes ainsi
qu’une interrogation relative aux effets possiblement récessifs d’une forte
imposition. Si la crise de la Covid-19 conduit à réinterroger ces règles,
force est de constater que les risques que celles-ci cherchent à prévenir non
seulement demeurent mais se sont même sensiblement accentués.
Ces finances publiques évoluent dans un cadre économique et dans un cadre
institutionnel et constitutionnel.
C’est dans la science économique que les finances publiques puisent leurs
sources. Les concepts économiques auxquels il est fait appel pour expliquer
et questionner la politique budgétaire, la politique fiscale ou encore
l’endettement public se rattachent à deux courants de pensée également
utiles que sont le libéralisme et le keynésianisme. L’impôt, malgré son
ancienneté historique, s’inscrit également dans les différentes fonctions
économiques et sociales de l’État moderne.
1 Keynésianisme et critique libérale
En 1970, le républicain Richard Nixon s’exclamait « nous sommes tous
keynésiens ». La crise de 2008 a donné une nouvelle audience à la théorie
keynésienne et met de côté la révolution libérale des années 1980-1990. Il
est avant tout attendu de l’État qu’il assure un bon niveau d’emploi.
1.1 L’État keynésien est producteur de demande
a L’activité dépend du niveau de la demande
Selon la théorie keynésienne, le marché peut s’accommoder d’un équilibre
de sous-emploi. Pour dépasser cet équilibre non suffisamment inclusif, elle
propose de stimuler la demande afin qu’elle entraîne de nouvelles
embauches. La propension à consommer des ménages modestes étant plus
importante que celle des ménages aisés (qui épargnent une part plus
importante de leur revenu), un transfert financier des seconds vers les
premiers crée de la demande. L’effet multiplicateur rend cet outil plus
efficace. En effet, une nouvelle dépense publique stimule la production qui
entraîne une hausse des salaires consacrée, en partie, à la consommation
appelant, à son tour, une hausse de la production. Le multiplicateur est
cependant moins efficace à mesure qu’une économie est ouverte puisque la
demande créée peut se diriger vers des biens étrangers ; c’est toute la
différence entre le succès de la relance Kennedy-Johnson des années 1961-
1965 et l’échec de la relance française en 1981 et 1982. En outre, si l’offre
est peu élastique, la hausse de la demande provoque davantage une hausse
des prix.
b L’État a des leviers pour financer la création de demande
Pour relancer la demande, l’État peut, tout d’abord, baisser des impôts. Par
exemple, une baisse de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), en réduisant les
prix de vente, favorisera la demande dans l’hypothèse où les offreurs
répercutent la baisse de la TVA ; or il y a un risque de fuite par les marges
des entreprises. De la même façon, un risque de fuite par l’épargne
accompagne une baisse de l’impôt sur le revenu qui serait destinée à
renforcer le pouvoir d’achat. Dans ces deux cas de figure existe le risque
que la consommation se porte sur des produits importés. Dès lors, la relance
par le multiplicateur fiscal est un facteur de relance par la consommation. Il
soutient la distribution mais pas nécessairement la production nationale.
L’État peut également produire des biens publics, notamment en
investissant dans la recherche, l’éducation ou les infrastructures. La relance
par l’investissement produit, si ce dernier est socio-économiquement
rentable, une action positive à long terme, quoique ses effets puissent être
longs à se révéler. L’environnement plus favorable qui résulte de la
production de biens publics favorise l’activité économique, voire sa
richesse en emplois.
La théorie keynésienne prévoit aussi la relance de la consommation et de
l’investissement au moyen d’une baisse des taux d’intérêt. Cette baisse rend
l’endettement plus aisé et favorise les projets de consommation et
d’investissement. Cependant, la dévolution de la politique monétaire à la
Banque centrale européenne (BCE) rend cet instrument moins aisé
d’utilisation. Dès lors, l’intervention de l’État doit être revisitée dans la
mesure où le policy mix est moins évident. Le policy mix consiste en la
complémentarité entre la politique budgétaire et la politique monétaire.
Aujourd’hui, les gouvernements de la zone euro disposent exclusivement de
la politique budgétaire ; cela peut les conduire à en user de manière
déséquilibrée.
c Le keynésianisme se matérialise aujourd’hui
par la permanence d’une forte dépense publique
La dépense publique – à savoir les dépenses effectuées par
l’administration – a fortement augmenté en cinquante ans (cf. chapitre 3).
En 1960, elle représentait, en France, 35 % du PIB, dans les années 1980,
elle représentait la moitié du PIB. Le PLF pour 2021 prévoit un niveau de
dépense publique de 58 % du PIB (hors crédits d’impôt). À noter qu’en
1970, Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre de l’économie et des
finances estimait, « qu’au-delà de 40 %, la France basculerait dans la
société socialiste » ; ce plafond fut dépassé dès 1973.
Cette augmentation est notamment due à la croissance soutenue des
dépenses de protection sociale, lesquelles ont notamment été utilisées pour
préserver un niveau satisfaisant de consommation. Selon la loi de Wagner,
le développement économique s’accompagne d’une industrialisation et
d’une urbanisation et, par conséquent, d’une hausse des dépenses publiques
en proportion du PIB. En effet, de nouveaux besoins apparaissent,
conditions du bon fonctionnement de l’économie. Il est possible de
distinguer, d’une part, les projets de type infrastructures qui accompagnent
la croissance et, d’autre part, le souhait de la population de bénéficier d’un
bon niveau d’instruction, d’un système efficace de santé et, de manière plus
générale, d’une large protection contre un nombre croissant de risques.
ENCADRÉ 1
ENCADRÉ 1
LA HAUSSE DES DÉPENSES PUBLIQUES EXPLIQUÉE PAR LA THÉORIE
ÉCONOMIQUE
La théorie économique s’est attachée à comprendre la progression séculaire des dépenses
publique. Outre la loi de Wagner (cf. supra), il existe d’autres explications :
• « L’effet de déplacement » de Alan Peacock et Jack Wisemann. Ces derniers montrent
que la dépense publique progresse pour dépasser les incidents historiques (crises,
guerres), lesquels appellent plus de dépenses et donc une augmentation de la pression
fiscale pour assumer les nouvelles contraintes. Au lendemain du choc, le nouveau
niveau des prélèvements obligatoires est admis par les citoyens qui acceptent, par
exemple, de voir des dépenses civiles se substituer aux dépenses militaires (effet cliquet
de la dépense publique).
• Pour d’autres, comme William Baumol, la hausse de la dépense publique résulte de
différentiels de productivité entre le secteur des biens échangeables soumis à la
concurrence internationale (industrie) et le secteur des biens non-échangeables qui est
protégé. Ce dernier comprend majoritairement les services et notamment
l’administration. Contrairement au secteur concurrentiel qui réalise des gains de
productivité redistribués en salaires, l’administration réalise peu de gains car l’essentiel
de ses coûts concerne les traitements des agents. Pourtant, afin d’éviter un transfert de
main-d’œuvre vers le secteur des biens échangeables, les traitements des agents publics
ont tout de même été augmentés.
• Enfin, l’école du « Choix public », en les personnes des « Nobel » James Buchanan
(1986) et George Stigler (1982), s’est attachée à mettre en avant la concentration
différentielle des coûts et des bénéfices de l’action publique comme un facteur de la
hausse des dépenses. En effet, si à l’origine l’État taxe presque uniformément
l’ensemble des agents économiques, certains vont s’organiser en groupe de pression
dans le but de bénéficier de davantage de dépenses publiques (des « retours »). Ce gain
se traduit par une perte pour les autres agents qui devraient à leur tour chercher à
influencer les pouvoirs publics. Dès lors, des dépenses publiques incessantes vont être
générées.
1.2 La critique libérale met en garde contre
les externalités négatives de l’intervention étatique
a L’État acteur peut freiner l’initiative privée
Les théories libérales remettent en cause, pour partie, les postulats
keynésiens. L’intervention keynésienne de l’État peut provoquer un effet
d’éviction des dépenses privées. Par exemple, l’endettement de l’État, par
l’émission de titres publics, provoque une hausse des taux d’intérêt, rendant
plus chers les projets d’investissement du secteur privé. La hausse des
prélèvements obligatoires, nécessaire au financement des dépenses
publiques, réduit le revenu des ménages et des entreprises qui
consommeront, épargneront et investiront moins. En outre, certains biens
produits par l’État auraient pu l’être par des entreprises, d’où une
interrogation sur la légitimité de l’État en la matière.
b L’absence de policy mix rend coûteuse l’intervention de l’État
En l’absence de politique monétaire expansionniste, l’effet d’éviction de la
dette privée par la dette publique ne peut être contrecarré. À la faveur de la
crise financière de 2008 et de la crise de la Covid-19 de 2020-2021, les
États européens se sont beaucoup endettés mais la BCE mène une politique
monétaire relativement restrictive1, au regard de celles de ses homologues
américaine et japonaise par exemple, du fait de son mandat de stabilité des
prix et de l’interdiction inscrite à l’article 123 du traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) de financer directement les
États.
Les situations de crise l’ont cependant conduite à utiliser des instruments
dits non conventionnels. Il y eut d’abord les opérations de refinancement à
long terme (long term refinancing operations, LTRO) de 2011-2012
destinées à refinancer les banques et, par-là, l’économie2. De telles
opérations ont à nouveau été mises en œuvre en 2020 et 2021 pendant la
pandémie de Covid-193, afin d’assurer la liquidité des marchés financiers
européens.
Depuis 2015, la BCE déploie un autre instrument non conventionnel :
l’assouplissement quantitatif (quantitative easing), qui consiste à racheter
des actifs et plus particulièrement des obligations d’État sur le marché
secondaire. Le programme de rachat d’actifs a conduit le système européen
des banques centrales à opérer des rachats nets allant jusqu’à 80 Md€ par
mois, pour un stock total d’actifs qui dépasse 3 000 Md€ début 2021. Cette
pression acheteuse a réduit le coût de financement des États de la zone euro
(cf. chapitre 30).
Le soutien renforcé aux États pendant la crise de la Covid-19 s’est traduit
par la mise en place en mars 2020 d’un programme de rachat d’actifs
dédié (le PEPP – Pandemic emergency purchase programme), doté de
moyens élevés (1 850 Md€ en l’espace d’un an) déployés de manière
flexible en fonction de l’état du marché, avec pour objectif d’éviter une
hausse des taux d’intérêt – notamment pour les États les plus fragiles.
ENCADRÉ 2
Les politiques monétaires non conventionnelles aux États-Unis
Lorsque la faiblesse des taux d’intérêt ne permet plus à la banque centrale de réduire
davantage ses taux directeurs, sauf à risquer une déflation (la baisse des prix), la politique
monétaire peut recourir à des mesures alternatives, étudiées notamment par Ben Bernanke,
qui concluait à leur efficacité potentielle sans exclure tout risque financier3. Ces mesures
alternatives aux Zero Interest Rate policies, aussi dites non conventionnelles, sont utilisées
par la Fed depuis la crise de 2008. Elles sont essentiellement de trois ordres.
Premièrement, l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) consiste en une sensible
augmentation de son bilan par la banque centrale. Elle met à disposition des agents
économiques plus de monnaie. Plus communément, il est possible d’évoquer la « planche à
billets ».
Deuxièmement, cette mesure peut également s’accompagner de la facilité de crédit (credit
easing) qui consiste à dégrader la structure du bilan des banques centrales. Dans cette
hypothèse, alors que les banques commerciales se refinancent normalement auprès de la
banque centrale contre des actifs de qualité, ces dernières acceptent des actifs plus risqués.
Le but est de sortir le risque des banques de second rang afin de renforcer la solidité du
secteur financier.
Enfin, afin de guider les anticipations de taux d’intérêt vers le niveau souhaité et
notamment d’éviter une hausse des taux d’intérêt à moyen terme, il est également possible
de jouer sur les modalités de refinancement (durée, taux, lier les prêts à l’octroi de crédits :
funding for lending), d’influencer la courbe des taux (twist) ou encore d’adopter une
communication rassurante apportant de la prévisibilité dans une période fortement instable
(forward guidance).
En l’absence d’une souveraineté monétaire, les nouveaux déficits ne sont
viables qu’en présence d’une forte épargne préalable ou d’un financement
par des capitaux extérieurs. Mais les balances des capitaux excédentaires
des uns font les balances déficitaires des autres. La politique
d’internationalisation de sa dette menée par la France depuis les années
1990 tend à pallier l’instrument monétaire qui lui échappe.
c « Il faudra imposer réellement un jour, pour se procurer
le gage de l’emprunt d’aujourd’hui » – Mirabeau (1787)
Les pouvoirs publics ne peuvent compter sur la cécité des ménages. Selon
la théorie de l’équivalence néo-ricardienne, la relance par l’endettement
public est d’autant moins efficace qu’il n’échappe pas aux ménages que les
dettes contractées par l’État devront être remboursées. Par conséquent, les
ménages consomment moins et mettent de l’argent en réserve afin de faire
face à l’augmentation des impôts, inéluctable pour rembourser la dette.
L’effet est d’autant plus important que les ménages anticipent qu’un
remboursement massif interviendra, non pour les générations futures, mais
pour eux. C’est le cas lorsque l’endettement est très élevé. Les cas grec et
espagnol au début des années 2010 fournissent des exemples aux ménages
de nettes augmentations des impôts, d’un chômage touchant plus du quart
de la population active et de baisses sensibles des salaires des
fonctionnaires.
1.3 Une politique budgétaire encadrée, donc crédible
Si la confiance ne se décrète pas, elle peut être installée
La question des règles budgétaires est ancienne. Déjà Paul Leroy-Beaulieu4
démontrait qu’il ne s’agissait pas tant de prohiber l’endettement pour l’État,
qui est un agent économique immortel capable de lever des ressources
supplémentaires, que de s’assurer que le déficit soit productif, ne serve pas
à financer son fonctionnement et demeure dans une trajectoire soutenable
(éviter l’effet « boule de neige »).
Le défi est d’installer une politique budgétaire crédible. La confiance en
l’action de l’État et la maîtrise de son endettement doivent reposer sur des
règles. Si ces dernières sont crédibles, les anticipations néo-ricardiennes
fonctionneront à l’inverse. Les mesures d’ajustement budgétaire
redonneront confiance aux ménages qui consommeront une part plus
importante de leurs revenus quand bien même l’ajustement budgétaire
implique, au moins dans un premier temps, une hausse des impôts ou une
baisse de la dépense publique. En parallèle, la confiance des marchés
maintiendra les taux d’intérêt à un faible niveau.
Afin d’asseoir et de garantir l’autorité de règles, il convient de développer
un constitutionnalisme économique, terme issu de la théorie des choix
publics (Buchanan). Le niveau supra étatique de l’Union européenne
semble approprié. La méthode non contraignante ne semble guère suffisante
comme en témoigne l’échec du pacte de stabilité et de croissance. Ainsi, en
2003, l’Allemagne et la France ont violé ce pacte sans être inquiétées. En
2008 a été révélée la falsification de ses comptes publics par la Grèce.
Enfin, la crise de 2008, sans même compter celle de 2020, a conduit la
grande majorité des États membres à ne pas respecter le pacte
(cf. chapitre 4) ; ainsi, malgré la règle d’un endettement public inférieur ou
égal à 60 points de produit intérieur brut (PIB), le ratio de dette publique
atteint 84 points de PIB en 2019 dans la zone euro et même 180 points pour
la Grèce, 135 pour l’Italie et 117 pour le Portugal (98 pour la France).
Cette situation explique l’idée d’inscrire l’interdiction de l’endettement et
de mise en œuvre de politiques non soutenables dans des textes supra
législatifs sous la forme d’une « règle d’or ». La crise et les perspectives de
vieillissement de la population et des coûts à venir du système de santé
rendent ces règles d’autant plus incontournables quoique délicates.
Les finances publiques ne sauraient être l’ensemble des outils ayant
vocation à pallier une demande jugée trop modeste. Un niveau d’activité
inclusif ne se fonde pas sur la dépense publique. L’équilibre de plein-emploi
appelle une action publique vertueuse et modeste. La vertu réside ici en la
confiance qu’ont les acteurs en une gestion saine des finances publiques.
Suite aux excès passés, l’intervention budgétaire publique retrouvera
efficacité et légitimité lorsqu’elle aura démontré sa capacité à se départir de
l’endettement chronique. À côté de l’État acteur, l’État régulateur moderne
doit fonctionner au moyen de règles de bonne gestion librement choisies.
2 De l’impôt à la politique fiscale
À certains égards, on retrouve dans la fiscalité le débat entre keynésiens et
libéraux. Si l’impôt est nécessaire pour financer l’intervention de l’État, il
constitue aussi, sauf à être conçu de manière à être parfaitement neutre, un
perturbateur pour le marché, modifiant les prix et les comportements.
Il existe différentes manières de concevoir l’impôt. Celui-ci est une réalité
millénaire vivante et a donné lieu à diverses théories. Cependant, la
fonction « reine » de l’impôt découle de sa justification historique : financer
le Souverain. L’impôt a donc en principe une fonction budgétaire. Il s’est
cependant vu attribuer d’autres fonctions, économiques, sociales et
environnementales. L’impôt doit désormais concilier rendement, efficacité
économique et équité. Pour autant, ces objectifs sont souvent antagonistes
et participent à la complexification extrême de notre système de
prélèvements obligatoires.
2.1 L’impôt, objet largement théorisé
a L’impôt n’a pas toujours existé
L’impôt se distingue tout d’abord du tribut, qui constitue également un
versement en argent ou en nature mais a la caractéristique d’être acquitté
non à des fins d’intérêt général mais par soumission, sans contrepartie, si ce
n’est celle de ne pas être occis ou celle d’être protégé. Le tribut est une
forme institutionnalisée et évoluée du brigandage5.
ENCADRÉ 3
Les origines antiques de la fiscalité
Les premières formes de fiscalité apparaissent en Orient6 et en Asie7, mais c’est
l’émergence et la diversité de la fiscalité poliade grecque8 puis hellénistique qui va servir
de vecteur à l’ensemble de la fiscalité antique occidentale. La Rome républicaine
développe une fiscalité agraire où l’impôt direct, le tributum, progressivement reporté sur
les peuples vaincus, est centralisé au sein de la caisse publique du temple de Saturne,
l’Aerarium saturni. La montée en puissance de l’Empire sous le principat va ensuite voir se
développer à son profit le trésor impérial, le fiscus, dans les provinces dirigées directement
par l’Empereur9.
Avant l’émergence de l’État moderne, et au sortir de l’époque carolingienne
qui a vu se perpétuer en se transformant la pratique de l’impôt impérial
romain (cf. encadré 3) et sa gestion « autopracte »10 et semi-déconcentrée,
la période féodale connaît des institutions politiques à même de se passer
d’impôt. Selon l’adage, « Le roi vit du sien », c’est-à-dire du produit de son
domaine. Il exerce son ministère temporel comme une charge et est, par
ailleurs, un acteur économique semblable à un autre. Ce n’est qu’en cas de
besoin avéré, principalement pour guerroyer, qu’il peut solliciter ses sujets
en levant un impôt. Celui-ci revêt alors une nature exceptionnelle11.
En revanche, une autre forme d’institution politique au Moyen Âge,
l’Église, lève un impôt permanent appelé dîme. Cette dernière est une forme
d’impôt proportionnel sur le revenu, puisque les producteurs, paysans et
artisans, doivent donner une fraction de leur production.
Le renforcement du pouvoir du roi, qui se dote d’une administration et
d’une armée permanente (1445) pour assumer ses fonctions régaliennes
dans le contexte de la Guerre de Cent ans, conduit le royaume de France à
se munir d’un impôt permanent. C’est Charles VII (1422-1461) qui décide
qu’il n’y a plus lieu de convoquer les assemblées pour lever d’impôt. Il est
vrai que leur réunion coûtait cher… C’est donc sans le consentement des
Français et pour financer, notamment, une armée de métier qu’un impôt
permanent, levé chaque année, est mis en place au milieu du XVe siècle.
Rapidement son montant ne suffit plus à soutenir les efforts de guerre du
royaume de France. Le recours au XVIe siècle aux premières rentes sur l’hôtel
de ville de Paris, puis la mise en place de la Ferme générale12, participent
d’une organisation financière qui repose de plus en plus sur la finance et
l’endettement permanent ; la vénalité des offices acquise définitivement par
l’édit dit de la « Paulette » en 1604 permet de pallier par des expédients
désormais constants l’impécuniosité chronique du souverain. C’est
finalement par la dette et devant l’iniquité ressentie de l’imposition royale
(entre contribuables de statut noble et non noble, pays d’État et pays
d’élection) que les finances publiques monarchiques se retrouvent
irrémédiablement compromises et que les États généraux sont convoqués.
La Révolution de 1789 fait table rase de l’organisation fiscale antérieure.
b Diverses théories de l’impôt
La nécessité de financer des dépenses permanentes qui bénéficient non à
des particuliers mais à la communauté politique justifie le prélèvement
régulier d’un impôt. En 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen a formellement établi le caractère indispensable d’une contribution
commune (cf. chapitre 5).
Ces dépenses publiques, à l’origine régaliennes (guerre, politique étrangère,
sécurité, justice), se sont par la suite étendues à bien d’autres domaines
(développement économique, encouragement des arts et de la culture,
instruction…). En fonction de la nature des dépenses couvertes par l’impôt,
diverses théories se sont développées. L’impôt a pu apparaître comme une
contrepartie à un service offert par la puissance publique et dont les
contribuables devaient bénéficier en retour : l’impôt serait alors une forme
d’échange. Cette théorie est néanmoins contredite lorsque l’impôt a une
vocation de solidarité, en finançant des dépenses dont les contribuables ne
bénéficient pas, même indirectement.
La forme de l’impôt n’a jamais rencontré un large consensus, notamment
parmi les économistes. Tout d’abord, une tension apparaît naturellement
entre le souci de l’État de bénéficier de recettes suffisantes et récurrentes et
la volonté de faire contribuer les habitants en fonction de leur capacité
financière ou patrimoniale. Le premier invite à imposer la population dans
son ensemble sur la base d’une assiette sûre – la consommation de sel par
exemple, imposée à travers la gabelle, quel que soit le niveau de vie des
consommateurs. La seconde appelle plutôt à imposer les habitants en
fonction de leur revenu ou de caractéristiques les reflétant – leur récolte ou
la valeur de leur logement par exemple –, quitte à définir ex ante le montant
de recettes fiscales à répartir entre contribuables, de manière à éviter
l’inconvénient de leur volatilité.
Dans tous les cas, l’impôt peut modifier les comportements. Dans les deux
exemples précités, s’il était difficile de ne pas consommer de sel – sauf à
puiser de l’eau dans des fontaines salées, ce qui fut néanmoins prohibé par
Louis XIV –, le prélèvement d’une fraction de la récolte pouvait avoir deux
effets contraires. L’effet « revenu » conduit à s’efforcer d’accroître la
récolte pour compenser le prélèvement fiscal alors que l’effet
« substitution » incite à travailler moins (en substituant du loisir au travail)
puisque la diminution de récolte est atténuée par la baisse de l’impôt13.
La combinaison de ces deux effets dépend certes des préférences des
acteurs économiques mais aussi de la manière dont sont calculés les impôts.
Ainsi, un impôt d’un montant forfaitaire fixe n’est-il pas désincitatif à la
production. À l’inverse, un impôt sur le revenu est dissuasif mais biaise
moins les comportements si son taux est proportionnel (identique quel que
soit le niveau de revenu, ce qui confère une plus grande neutralité) que s’il
est progressif (croissant avec le revenu).
c « Un impôt exagéré détruit la base sur laquelle il porte »14
À cet égard, les limites de l’impôt ont également été théorisées – ou, plus
exactement, définies sinon empiriquement du moins intuitivement. Le
journaliste économique Arthur Laffer a décrit la relation entre taux
d’imposition et rendement budgétaire de l’impôt. Selon lui, cette relation
est ambiguë : le rendement est croissant avec le taux d’imposition jusqu’à
un certain point puis décroissant, la matière taxable connaissant une
attrition du fait de l’effet désincitatif du taux de taxation.
Cet effet Laffer ou courbe de Laffer (en cloche) rappelle comme une
évidence que l’impôt n’est pas un phénomène éthéré mais une réalité
concrète pour le contribuable qui voit, par exemple, son revenu amputé. Ce
prélèvement est à même de modifier les comportements des agents
économiques, surtout si la principale motivation de leurs actions, comme
travailler ou investir, est d’ordre financier. En effet, même si occuper un
emploi est socialement intégrateur voire intellectuellement satisfaisant et
payer ses impôts un devoir moral, il est incontestable que l’argent est une
motivation essentielle de nos arbitrages économiques, par exemple entre le
travail et le loisir ou entre l’épargne et la consommation.
Graphique 1 – « Trop d’impôt tue l’impôt » selon la courbe de Laffer
Lecture : les recettes fiscales (T, en ordonnée) n’augmentent avec le taux d’imposition (t,
en abscisse) que jusqu’à t*. Au-delà de cet optimum (Tmax), l’augmentation du taux
d’imposition a un effet dissuasif sur les contribuables et les recettes fiscales diminuent.
Lorsque le taux d’imposition atteint son niveau maximal, soit 100 % (tmax), les recettes
fiscales sont nulles.
Quand bien même ces arbitrages ne pourraient pas (toujours) être mis en
équation, il est nécessaire d’en tenir compte lorsque l’on cherche à anticiper
les effets de la politique fiscale d’un État. De ce fait, la compréhension de la
psychologie du contribuable, l’effort pour convaincre du bien fondé de
mesures fiscales ou tout simplement le bon sens doivent faire partie de
l’attirail du décideur en matière fiscale.
2.2 Bien que par nature budgétaire, l’impôt peut
poursuivre d’autres objectifs de politiques publiques
L’essence même de l’impôt est de procurer des recettes à l’État ou aux
autres administrations affectataires : c’est typiquement le cas de la gabelle
jadis et de la TVA aujourd’hui. Toutefois, certains impôts peuvent
poursuivre d’autres finalités15, parfois même susceptibles de conduire à un
rendement budgétaire nul. Lorsqu’un impôt poursuit plusieurs objectifs, sa
finalité budgétaire peut revêtir une importance plus ou moins grande.
Un objectif social de la fiscalité : concourir à la redistribution
L’impôt concourt à la redistribution des richesses entre citoyens de deux
manières. Indirectement mais très sûrement, il permet la redistribution par
la voie budgétaire (aides sociales, allocations familiales…), qu’il finance.
Directement mais plus difficilement, il modifie la répartition des revenus en
différenciant le niveau de prélèvement en fonction de ces derniers.
L’effet de la redistribution peut être mesuré en comparant le niveau de vie
initial (revenus primaires), avant prestations sociales et impôts directs
(redistribution dite monétaire) aux revenus secondaires (après correction
des prestations et impôts directs). En France, cet effet est de réduire de
moitié le rapport entre le niveau de vie des 20 % des personnes les plus
aisées et celui des 20 % les plus modestes16. Les prestations assurent les
trois quarts de cette redistribution, surtout avec les prestations familiales,
les allocations logement et les minima sociaux. Les impôts directs assurent
le quart restant, essentiellement à travers l’impôt sur le revenu et plus
accessoirement avec les prélèvements sociaux, alors que la taxe
d’habitation avait un impact légèrement négatif.
En effet, l’impôt sur le revenu est porteur d’un objectif de redistribution,
qu’il atteint par sa progressivité et l’ampleur de son rendement. Les
prélèvements sociaux sont à l’inverse pas ou peu progressifs, ce qui leur
confère une plus grande neutralité malgré leur rendement important ; en
revanche, ils contribuent au financement de la sphère sociale, dont l’action
est redistributive. Enfin, d’autres impôts n’ont pas pour principal objet de
participer à la redistribution, comme la taxe d’habitation, la taxe foncière et
la TVA (ces deux dernières impositions n’étant généralement pas incluses
dans les études sur la redistribution telle celle de la DREES à laquelle il est
fait référence ci-dessus).
À noter que la redistribution a un double sens. Elle est verticale quand il
s’agit d’organiser des transferts financiers entre ménages comparables mais
aux revenus différents (soit entre riches et pauvres). Elle est horizontale
lorsque les transferts sont opérés entre ménages aux revenus comparables
mais que leur composition ou situation place dans des situations différentes
(soit notamment entre ménages sans enfant et familles). L’impôt sur le
revenu répond à cette double exigence, bien que de manière atténuée pour
la seconde.
b Stabiliser l’économie et viser une allocation optimale
des facteurs de production
Sur le plan macroéconomique, l’impôt revêt deux fonctions, dont la
seconde peut être largement interprétée. La politique fiscale constitue à cet
égard un élément de la politique budgétaire.
Premièrement, l’impôt participe naturellement à la stabilisation de
l’économie, par le jeu des stabilisateurs automatiques. Dans une logique
keynésienne, les finances publiques dans leur ensemble atténuent les
conséquences des chocs conjoncturels sur l’économie. Ainsi, en phase de
haut de cycle conjoncturel, qui se caractérise par une croissance, un emploi
et une consommation élevés, les recettes fiscales augmentent et les
prestations sociales diminuent, ce qui a un effet contra-cyclique de
ralentissement de l’activité. La situation est symétriquement inverse en
phase de bas de cycle conjoncturel, l’effet contra-cyclique de la baisse des
recettes fiscales et de la hausse des prestations sociales conduisant à
relancer l’économie moyennant un déficit budgétaire conjoncturel.
De ce point de vue, un système fiscal dont le poids est important, dont les
impôts sont sensibles à la conjoncture (TVA, impositions sur le revenu…) et
qui permet de financer une politique redistributive (prestations sociales sous
condition de ressources…), amortira de manière efficace les chocs
conjoncturels, sans qu’il ne soit besoin d’ajuster les règles relatives aux
impôts et aux prestations en cours de cycle. Il sera en revanche inefficace
pour lutter contre les chocs structurels, par exemple un déficit de
compétitivité lié à une monnaie surévaluée.
Deuxièmement, l’impôt peut contribuer à une allocation optimale des
facteurs de production que sont le travail et le capital. Dans une vision
libérale, une telle allocation résulte des forces du marché mais peut être
distordue par l’intervention de la puissance publique, en particulier par
l’impôt. Cette distorsion peut être d’autant plus sensible que les payeurs
finaux de l’impôt ne sont pas toujours bien identifiés par la puissance
publique, la charge effective de l’impôt pouvant être répartie entre plusieurs
agents économiques.
L’impôt est cependant nécessaire pour financer les biens publics et les
activités générant des externalités positives. La fiscalité peut même inciter
directement les agents à adopter des comportements générant de telles
externalités, par exemple en investissant dans la recherche-développement
(objet du crédit d’impôt recherche en France).
Parallèlement, l’impôt constitue un des instruments pouvant inciter les
acteurs économiques à réduire des activités générant des externalités
négatives. C’est l’objet des taxes pigouviennes (ainsi nommées d’après
l’économiste Arthur Pigou), destinées à internaliser ces externalités dans les
choix des acteurs, de telle manière que la taxe intègre dans les prix des
biens et services le coût marginal social de l’activité concernée. Par
exemple, en application du principe pollueur-payeur, la part carbone de la
taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques a pour objet,
en sus de sa finalité budgétaire, d’internaliser dans les choix des
consommateurs de produits énergétiques le coût pour la société de la
pollution par le dioxyde de carbone.
Au-delà de ces fonctions de l’impôt conformes à la théorie économique,
bien d’autres objectifs peuvent être poursuivis par la politique fiscale, au
gré des desiderata de la puissance publique. Ainsi, la taxe incitative relative
à l’incorporation de biocarburants incite-t-elle les entreprises pétrolières à
incorporer des biocarburants dans les carburants proposés à la
consommation du public. Si cette taxe est efficace au regard de son objectif
(atteinte d’un certain pourcentage de biocarburants incorporés), son
rendement sera nul (il ne s’agit pas d’une mesure de rendement) – ce qui est
actuellement le cas. De la même manière, un dispositif fiscal peut répondre
à un objectif d’attractivité du territoire de manière à maintenir ou attirer
dans le pays des investissements (régime des « impatriés », crédit d’impôt
recherche…).
Du fait de la diversité des objectifs assignés à l’impôt, l’existence de
plusieurs impôts est incontournable, conformément à la règle de cohérence
de Tinbergen selon laquelle un instrument de politique économique, qui
peut être un impôt, doit viser un seul objectif17. Si des théoriciens ont pu
envisager l’existence d’un impôt unique, tel l’impôt sur la dépense
(cf. chapitre 21), cette vision apparaît utopique au regard de la place
actuelle de la fiscalité dans la boîte à outils du pouvoir politique. C’est
d’autant plus vrai que, dans l’Union européenne, la fiscalité est un domaine
qui relève encore largement de la souveraineté des États. En cela, l’impôt a
dépassé sa vocation budgétaire et nourrit désormais les ambitions
régulatrices voire interventionnistes alimentées par les théories néo-
keynésiennes.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• La théorie keynésienne et son influence sur les finances publiques
• Les théories économiques libérales et leur influence sur les finances publiques
• À quoi sert l’impôt ?
• Impôt et redistribution
RÉFÉRENCES
Agnès Benassy-Quéré, Benoît Cœuré, Pierre Jacquet et Jean Pisani-Ferry, Politique
économique, De Boeck, 2021.
CHAPITRE 2
Les finances publiques dans
la comptabilité nationale
NOTIONS À MAÎTRISER
• Administrations publiques, sous secteurs institutionnels, État, ODAC, APUC, APUL,
ASSO, ODAL.
• Dépense publique, répartition fonctionnelle et répartition par catégorie de la dépense
publique, interventions de « guichet » et « hors guichet », investissement, fonctionnement,
masse salariale, maîtrise de la dépense publique.
• Taux de dépenses publiques par rapport au PIB (évolution en France, comparaisons
internationales).
La comptabilité nationale, qui a pour objet de représenter et d’analyser
l’activité économique d’un pays, distingue plusieurs catégories d’agents
économiques. Elle regroupe en effet, en des secteurs institutionnels, les
agents économiques qui ont des comportements économiques analogues. Le
secteur des administrations publiques (APU) est l’un d’eux. La mesure des
finances publiques dans l’économie de la France repose ainsi
essentiellement sur deux éléments : le périmètre des administrations
publiques (APU) et le poids des dépenses publiques, communément
apprécié par rapport au produit intérieur brut (PIB).
Selon l’INSEE, les APU sont « l’ensemble des unités institutionnelles dont
la fonction principale est de produire des services non marchands ou
d’effectuer des opérations de redistribution du revenu et des richesses
nationales. Elles tirent la majeure partie de leurs ressources de contributions
obligatoires ». Leurs dépenses sont les dépenses publiques.
Ces dernières obéissent à différentes logiques et peuvent être appréhendées
selon plusieurs classifications. Elles relèvent de sous-secteurs
institutionnels, lesquels sont des subdivisions du secteur des APU. Leur
poids est devenu très important en France. Les dépenses publiques globales
pour 2021 seraient de 58,5 % du PIB, attendu à 2 408 Md€ d’après le PLF
pour 2021, soit 1 409 Md€ (dont 56 Md€ pour le plan de relance relatif à la
crise de la Covid-19).
1 Catégoriser les dépenses publiques
1.1 Identifier et présenter les dépenses
des administrations publiques
a Une dépense publique appauvrit l’administration
La dépense publique recouvre l’ensemble des dépenses des sous-secteurs
institutionnels des administrations publiques. Il s’agit d’un flux qui
appauvrit l’administration. Appauvrir l’administration signifie déprécier ses
actifs financiers nets courants.
Il est difficile de circonscrire avec précision les administrations prises en
compte dans la dépense publique. S’il est évident que l’État et les
collectivités territoriales sont des administrations publiques, une multitude
d’organismes se situe à la frontière du public et du privé, le contrôle public
n’y est que partiel.
De la même façon, la dépense publique est parfois difficile à circonscrire.
Par exemple, une subvention de l’État aux collectivités territoriales est une
dépense de l’État alors que le prélèvement sur recettes en faveur des
collectivités territoriales n’en est pas une. Le grand nombre d’acteurs
publics et de financements croisés ne facilite pas la compréhension.
b L’appréhension de la dépense publique est harmonisée
au niveau de l’Union européenne
La construction européenne et, surtout, la politique monétaire commune ont
appelé des définitions communes pour les recettes et les dépenses
publiques. Le système européen des comptes nationaux et régionaux
« SEC2010 » constitue le cadre normatif pour l’ensemble des pays de
l’Union européenne. Il permet la collecte de données comparables
actualisées et fiables sur la structure et l’évolution de l’économie des États
membres de l’UE et de leurs régions. Les administrations publiques se
définissent alors comme des organismes publics qui gèrent et financent un
ensemble d’activités consistant pour l’essentiel à fournir à la collectivité des
biens et services non marchands.
À l’inverse des institutions sans but lucratif au service des ménages1,
comme les associations, les fondations, les partis politiques, les syndicats de
salariés, les églises et associations cultuelles (ils étaient définis jusqu’en
1974 en comptabilité nationale en tant qu’administrations privées2), autre
secteur institutionnel qui fournit des biens et services non marchands, les
organismes publics sont contrôlés et majoritairement financés par des
administrations publiques. De même, les établissements publics
administratifs font partie des APU mais pas les entreprises publiques qui
produisent des biens et services marchands, comme la SNCF, qui relèvent
des secteurs institutionnels des sociétés non financières ou financières.
1.2 La répartition des dépenses publiques par catégorie
Les dépenses publiques peuvent être classées selon leur nature, en dépenses
d’intervention, de fonctionnement et d’investissement.
a Les dépenses d’intervention ou de transfert matérialisent
la solidarité nationale
Elles consistent en des aides financières inscrites au budget d’une
collectivité publique, provenant des ressources d’autres agents économiques
ou catégories de la population ou acteurs. L’intervention est avant tout
sociale et redistribue des plus aisés vers les plus modestes, des actifs vers
les retraités, des ménages sans enfant vers les familles, des bien portants
vers les malades, etc.
Il existe également une intervention à caractère économique qui consiste en
des incitations à entreprendre, à investir, à embaucher. Elle regroupe, par
exemple, les aides des collectivités territoriales aux entreprises qui viennent
s’installer sur leur territoire.
Les aides aux écoles privées font partie de l’intervention éducative et
culturelle. Enfin, les interventions internationales concernent les
contributions aux organisations internationales et les aides aux pays en
développement.
Les interventions de « guichet » en faveur des ménages représentent 37 %
des interventions de l’État et coûteront 51,2 Md€ en 2019. Elles recouvrent,
par exemple, les minima sociaux comme l’allocation adulte handicapé
(11,1 Md€), les aides à l’accès au logement (10,5 Md€) ; les prestations aux
anciens combattants (1,9 Md€) ; les bourses sur critères sociaux (2,2 Md€).
Les dépenses de « guichet » sont difficiles à maîtriser car elles sont rigides
et liées à des paramètres indépendants de l’action (de court et moyen
termes) de l’État, comme la démographie, le niveau du chômage, les
progrès de la médecine. Intervenir au niveau des dépenses de « guichet »
suppose de nouvelles lois ou, à tout le moins, de nouveaux textes
réglementaires et de nombreux détracteurs. C’est ce qui explique que les
économies sont prioritairement recherchées dans les coûts de gestion.
Les interventions « hors guichet » de l’État devraient atteindre 68,8 Md€
pour 2021. L’intervention de l’État y est plus simple, la modification des
règles est plus souple et notamment la réduction des dépenses. Par exemple,
l’État peut cibler davantage les récipiendaires, dégager des priorités,
recentrer les interventions et optimiser la gestion. Les interventions « hors
guichet » concernent notamment l’emploi, les subventions à la création
d’entreprise, aux collectivités territoriales, aux régimes spéciaux de Sécurité
sociale…
Les dépenses fiscales procèdent de la même logique que les dépenses
d’intervention mais, sous réserve des crédits d’impôt, ne sont pas
comptabilisées parmi elles du fait de leur nature fiscale et non budgétaire
(cf. chapitre 21).
b Les dépenses de fonctionnement permettent l’activité
de l’administration
Les dépenses de fonctionnement au sens large comprennent les dépenses de
fonctionnement courant, notamment l’entretien, les dépenses de personnel,
lesquelles sont les plus importantes, et la charge de la dette.
Les dépenses de personnel évoluent en fonction des effectifs et du point
d’indice de la fonction publique. En 2019, ces dépenses ont atteint 147 Md€
pour les administrations publiques centrales, 83 Md€ pour les
administrations publiques locales et 68 Md€ pour les administrations de
Sécurité sociale3. Les dépenses de personnel comprennent les traitements et
indemnités versés en contrepartie de l’activité prodiguée par les agents et
les contributions sociales des employeurs. Aussi, sont d’importance
l’évolution des effectifs publics, la politique salariale et le glissement
vieillesse technicité (GVT), lequel est positif lorsque l’on considère le
« solde qui traduit l’augmentation de la masse salariale du fait de la
progression des agents dans leurs grilles indiciaires (changements
d’échelon, de grade ou de corps) [et] négatif [lorsqu’il] désigne les
économies dues au fait que les nouveau recrutés ont un indice plus bas »4 ;
l’effet négatif est appelé effet de noria par les économistes.
De 2013 à 2017, l’État s’est employé à stabiliser les effectifs de sa fonction
publique (après cinq années de baisse). L’éducation, l’intérieur, la justice et
l’emploi ont été privilégiés au détriment des autres départements
ministériels, lesquels ont supprimé des postes. Depuis 2018, les efforts de
création de postes portent sur l’intérieur, la justice, les armées et les services
du Premier ministre au détriment de l’économie et des finances, de la
transition écologique et du travail et emploi. Le PLF pour 2021 prévoit un
plafond à 2,35 millions d’emplois pour les administrations publiques
centrales5, soit une baisse de 157 par rapport à 2020.
En ce qui concerne l’ensemble de l’emploi public6, depuis 2017, il est en
légère hausse notamment du fait du passage sous statut de contractuel
public des contrats aidés. Au 31 décembre 2018, 5,56 millions d’agents
travaillent au sein de la fonction publique représentant 19,8 % de l’emploi
total (salariés et non-salariés)7.
La maîtrise des effectifs des fonctions publiques territoriale et hospitalière
est complexe. D’une part, les employeurs sont nombreux et disparates et,
d’autre part, ils se voient imposer des mesures législatives et réglementaires
davantage élaborées par l’État, lequel est le seul responsable des évolutions
du cadre statutaire, indiciaire et indemnitaire de l’emploi public. Ces deux
fonctions publiques sont confrontées à de nombreux départs en retraite et
doivent pourvoir aux recrutements adéquats pour assurer la continuité des
missions de service public, dans un contexte de baisse des subventions et
d’augmentation des compétences et missions pour les collectivités locales et
de croissance de la demande de soin pour les hôpitaux du fait de progrès de
la médecine, de l’allongement de la durée de vie et du vieillissement de la
population, ainsi que de la crise sanitaire de la Covid-19 et ses
conséquences depuis 2020.
Le point d’indice de la fonction publique avait été gelé de 2010 à 2015.
Après deux augmentations successives de 0,6 % au 1er juillet 2016 et au
1er février 2017, il n’a pas évolué depuis.
c Les dépenses d’investissement créent des richesses
nouvelles
Les dépenses d’investissement augmentent le patrimoine des collectivités
publiques. Elles recouvrent les investissements en matières militaire et
civile. Les investissements civils consistent notamment en des dotations aux
entreprises publiques afin qu’elles réalisent des infrastructures, en des
marchés passés notamment par les collectivités territoriales – qui assurent
60 % (53 Md€) de l’investissement public civil – avec des entreprises certes
en étant pour partie aidées par les dotations de soutien à l’investissement
local (DSIL) depuis 2016 et des départements (DSID) depuis 2019 ainsi que
par le plan de relance depuis 2020.
L’identification précise des dépenses d’investissement n’est pas simple tant
elles sont liées à celles de fonctionnement. En effet, un entretien important
voire préventif peut accroître la valeur de l’immobilisation et être considéré
comme de l’investissement. L’investissement d’aujourd’hui appelle, lui,
l’entretien de demain.
Une dépense d’investissement n’est en principe entreprise que si la
rentabilité socio-économique prévisionnelle de l’investissement en montre
l’intérêt pour la collectivité. C’est à cette condition que la collectivité
s’enrichit du fait des dépenses d’investissement, sinon monétairement du
moins par la valeur des services publics et par les effets positifs induits par
les infrastructures sur l’économie.
2 Les dépenses publiques déclinées par sous-
secteurs institutionnels
Les dépenses publiques se répartissent entre sous-secteurs institutionnels :
les administrations publiques centrales (APUC), composé de l’État et des
organismes divers d’administration centrale (ODAC), les administrations
publiques locales (APUL), et les administrations de Sécurité sociale
(ASSO). La loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour la
période 2018-2022 ambitionnait initialement, avec la participation de tous
les acteurs publics, une réduction de plus de trois points de PIB de la
dépense publique ; la crise de la Covid-19 et le « quoi qu’il en coûte » du
président Macron ont fortement accru la dépense publique.
2.1 Les administrations publiques sont les acteurs
de la dépense publique
a Les ressources et les dépenses des sous-secteurs
institutionnels
Les ressources des administrations publiques sont essentiellement
composées d’impôts et de cotisations sociales, lesquels sont des transferts
obligatoires au profit des administrations publiques (prélèvements
obligatoires, cf. chapitre 3). Ils sont la contrepartie indirecte des services
fournis par les administrations à la collectivité et aux ménages. En 2020, les
impôts et cotisations sociales ont représenté 87 % des recettes des
administrations publiques, soit 1 058 Md€ contre 1 105 Md€ en 2019
(baisse de 4,25 % notamment due à la crise de la Covid-19).
Impôts et cotisations sociales ne concourent pas à même proportion aux
recettes des administrations publiques. Ainsi, les administrations publiques
centrales ont bénéficié, en 2019, de 352 Md€ d’impôts (88 %) et de 50 Md€
de cotisations sociales (12 %). Pour les administrations publiques locales,
impôts et cotisations sociales ont représenté respectivement 141 Md€
(90 %) et 15 Md€ (10 %). En revanche, pour les administrations de Sécurité
sociale, les impôts ont représenté 233 Md€ (39 %) et les cotisations sociales
357 Md€ (61 %).
La dépense publique globale française est, depuis 2015, la plus élevée en
Union européenne. Elle a représenté 55,6 points de PIB en 2019. Entre
2005 et 2019, les dépenses de Sécurité sociale et du secteur local ont
beaucoup augmenté, respectivement + 1,4 et + 0,5 point de PIB alors que
celles de l’État ont baissé de 1,2 point de PIB. Du fait des mesures
nécessaires pour faire face à la crise sanitaire de la Covid-19, la dépense
publique a augmenté de 6,3 % en 2020 (PLF 2021) et est attendue à + 0,4 %
en 2021.
b Les sous-secteurs institutionnels entretiennent des liens
financiers entre eux
L’État participe à la dépense publique des autres administrations publiques
puisqu’il leur transfère plus d’un quart de sa dépense totale. À noter que la
dépense est imputée au sous-secteur destinataire. Aussi, les lois de finances
disposent sur davantage que les strictes dépenses de l’État.
Lors de la campagne présidentielle de 2017, le candidat Macron a promis
60 Md€ d’économies sur son quinquennat. Le déficit attendu par le
gouvernement pour 2021 est de 9,4 %, il était de 9,2 % en 2020, dans le
contexte de la crise économique et sanitaire liée à la Covid-19, laquelle
appelle d’importantes mesures de soutien (plan de relance à 100 Md€ dont
15 Md€ engagés dès 2020) et a fortement dégradé l’environnement
économique, réduisant les recettes (baisse des recettes fiscales nettes de
46,2 Md€ en 2020 selon le PLF 2021) et augmentant les besoins. Cette
épreuve fait, qui plus est, suite à la crise des Gilets jaunes à laquelle il a
notamment été répondu, dès fin 2018 par de coûteuses mesures d’urgence
économiques et sociales (déficit de 3,1 % en 2019).
De telles mesures de crise alourdissent les dépenses de l’ensemble des sous-
secteurs. La Sécurité sociale pâtit ainsi de la restauration de niches sociales
d’exonération de cotisations sociales, de phases de suspension du
recouvrement et, bien sûr, de dépenses en forte hausse puisque de
nombreuses personnes deviennent éligibles aux dispositifs d’aide sociale –
dont certains sont à la charge des collectivités territoriales (revenu de
solidarité active pour les départements) ou de l’État (aides personnelles au
logement).
Il demeure que les efforts d’économies se poursuivent. Les dépenses des
ministères sont, chaque année, pour la plupart, en baisse, le point d’indice
des fonctionnaires est gelé depuis le 1er février 2017, les agences de l’État
sont rationalisées. La suppression, en 2015, de la clause de compétence
générale pour les régions et départements a réduit leur périmètre
d’intervention (et donc de dépenses), la rationalisation des syndicats
intercommunaux offre des gisements d’économies. Enfin, les organismes de
Sécurité sociale sont les bons élèves publics en termes de dématérialisation
(bien avant l’invitation au télétravail depuis la crise Covid-19), mettent en
œuvre des mutualisations entre caisses. Ils seraient affectés par une possible
nouvelle réforme des retraites.
Par convention, les économies s’entendent des moindres dépenses au regard
du niveau tendanciel des dépenses, c’est-à-dire le montant théorique des
dépenses, lequel intègre une hausse de dépenses considérée comme
spontanée. Les économies procèdent alors de mesures correctives au regard
de cette situation. L’existence (ou l’affichage) d’économies ne signifie donc
pas nécessairement que les dépenses baissent en valeur (en euros courants)
ni, a fortiori, en volume (en euros constants). En revanche, il permet
d’apprécier l’effort réalisé par l’État pour maîtriser la dépense publique.
2.2 Les administrations publiques centrales fournissent
d’importants efforts de maîtrise de la dépense publique
Les sous-secteurs de l’État et des ODAC forment les administrations
publiques centrales (APUC). Leurs recettes et dépenses sont retracées dans
les lois de finances et suivies par le ministère de l’économie et des finances.
a L’État a pour ambition de réduire les dépenses publiques…
C’est l’État qui fournit le plus d’efforts pour réduire la dépense publique si
l’on considère ses dépenses hors charges de la dette et hors pensions. Il
contribue à ralentir la croissance de la dépense. Le coût de la dette est
favorable du fait de la baisse des taux d’intérêt à 0 % décidée par la Banque
centrale européenne (BCE) le 10 mars 2016 et de son plan de rachats
d’actifs (cf. chapitre 30).
b … notamment en s’appuyant sur ses ODAC
L’INSEE dénombre quelque 700 ODAC. Les ODAC sont des entités
autonomes juridiquement du secteur non marchand qui appartiennent au
périmètre de consolidation des comptes publics et sont contrôlés par l’État ;
ils sont financés principalement par des subventions de l’État et/ou
affectations de recettes votées en loi de finances. En cela, ils se distinguent
de l’État dont les opérations sont retracées dans le budget général, les
budgets annexes, les comptes spéciaux et les opérations patrimoniales du
Trésor. Les ODAC sont très divers et peuvent gérer des services publics
dans le domaine de l’emploi (agence de services et de paiement), de
l’enseignement supérieur (les écoles du service public comme les instituts
régionaux d’administration, l’institut national du service public, ou les
universités). Il y a parmi eux des organismes spécialisés dans la recherche
(institut national d’études démographiques), la politique de la ville (agence
nationale pour la rénovation urbaine), la santé (les agences régionales de
santé), la culture (musées), la protection de l’environnement (office national
de la chasse et de la faune sauvage) ou encore la protection sociale
(Association pour la gestion du régime d’assurance des créances des
salariés ou AGS).
Le solde agrégé des ODAC est déficitaire (– 0,1 point PIB selon le PLF
2021).
Dans son rapport de 2012 « L’État et ses agences », l’inspection générale
des finances (IGF) indiquait que les dépenses des ODAC croissaient plus
vite que celles de l’État. En 2020, les dépenses des ODAC représentaient 98
Md€, en forte hausse de 10 % en raison de la pandémie de Covid-19, qui a
notamment conduit Santé publique France à procéder à des achats massifs
de masques et de vaccins. Cependant, ce sont plus particulièrement les
dépenses de fonctionnement qui sont importantes. Le financement a été
assuré de manière croissante par des taxes affectées, qui représentent 20 %
des ressources des ODAC en 2021. L’IGF et le conseil des prélèvements
obligatoires (CPO) se sont interrogés sur cette tendance et ses externalités
négatives. En effet, un rendement dynamique des taxes concernées pourrait
conduire les ODAC à accroître leurs dépenses sans que leurs missions de
service public ne le justifient. Qui plus est, le principe d’universalité
s’oppose à l’affectation de taxes (cf. chapitre 7). C’est pourquoi, en vertu de
l’article 18 de la loi de programmation des finances publiques pour les
années 2018 à 2022, les impositions de toute nature affectées à des tiers
autres que les collectivités locales et organismes de Sécurité sociale doivent
en principe être systématiquement plafonnées, le plafond ne pouvant pas
dépasser de plus de 5 % le rendement prévisionnel de l’imposition
considérée.
Il peut être considéré que les ODAC sont pratiques, du moins à court ou
moyen terme, pour l’État, d’où leur expansion. En effet, n’appartenant pas
aux structures étatiques, ils sont moins contraints et donc plus réactifs. Ils
sont censés être plus impartiaux et transparents, et l’éloignement serait une
garantie de neutralité et de crédibilité. En termes pratiques, conformément à
ses engagements, l’État réduit ses personnels. A contrario, les règles plus
souples des ODAC leur permettent de recourir à l’embauche, notamment de
contractuels et avec davantage de liberté dans la fixation des rémunérations.
Par exemple, les plafonds d’emplois du ministère de la culture baissant, les
embauches des organismes de ce département ministériel (e.g. le centre
national de la cinématographie) croissent. Cela pose deux questions : l’État
est-il trop lourd pour assurer une gestion efficace et réactive de ses services
et missions ? Les opérateurs, qui participent désormais activement aux
économies de l’État, peuvent-ils assurer la même qualité de service public ?
Cette nouvelle gouvernance n’est pas propre à la France. Elle se retrouve,
par exemple, en Suède, au Royaume-Uni et en Nouvelle-Zélande. Le
Royaume-Uni a systématisé les démembrements puisque 70 % des agents
publics y ont été transférés. En Suède, les agences ont été
constitutionnalisées en 1809. Les années 1990 et l’application du « new
public management » les ont systématisées dans les trois pays. Ce sont les
agences qui mettent en œuvre les politiques publiques ; les ministères,
resserrés, se cantonnent à la conception et au conseil de leurs ministres.
Cela éloigne les ministres de l’exécution, si bien que leur responsabilité est
moins facilement identifiable. Or, pour des structures voulues plus
démocratiques, il est paradoxal que le contrôle du citoyen soit moins
évident. En outre, il faut veiller à ce que ces organismes ne poursuivent pas
leurs propres fins mais mettent bien en place la politique publique.
Désormais, ces trois pays s’efforcent de dégager des règles communes pour
leurs organismes afin d’éviter une autonomie trop importante. L’Australie a
préféré donner des marges de gestion à son administration plutôt que de la
démembrer. Elle a considéré que l’efficacité passait par une réduction du
nombre de départements ministériels. Les économies sont plus simples à
réaliser au sein de grosses structures. On notera à cet égard que le
programme Action publique 2022 envisageait de créer une agence unique
de recouvrement des prélèvements sur les entreprises, mission actuellement
dévolue pour l’essentiel à la DGFiP et aux URSSAF.
En France, les ODAC ont de nombreux statuts différents (établissements
publics administratifs, établissements publics industriels et commerciaux,
groupes d’intérêt public), ce qui nuit à la lisibilité, à l’efficacité et au
contrôle. La LOLF a tenté de répondre à ce morcellement de
l’administration en regroupant les établissements publics qui reçoivent une
« subvention pour charges de service public » : les « opérateurs », lesquels
pèsent 53,8 Md€ et 436 740 emplois en 20198.
La création de cette catégorie est également une réponse à l’exigence
d’information et de contrôle du parlement sur les emplois et les ressources
(budgétaires, fiscales et humaines) qui participent aux politiques publiques
de l’État. Cela offre une image plus fidèle du patrimoine et de la situation
financière de l’État. L’objectif, à terme, est la consolidation des comptes des
opérateurs avec le compte général de l’État. Un opérateur de l’État
répondait traditionnellement à trois critères cumulatifs : exercice d’une
activité de service public, financement majoritaire par l’État et contrôle
(comptable) direct par l’État. Désormais (depuis 2013), un organisme ne
cumulant pas tous ces critères peut néanmoins être qualifié d’opérateur s’il
est considéré comme porteur d’enjeux importants pour l’État : poids
important dans les crédits d’un programme, dans l’atteinte de ses objectifs
ou dans l’exploitation des biens domaniaux, comme par exemple Pôle
emploi. Avec une telle définition plus restreinte, les opérateurs sont moins
nombreux que les ODAC puisqu’au nombre de 483 en 2020.
2.3 Les autres sous-secteurs institutionnels sont mis
à contribution
a Les administrations publiques locales (APUL) financent leurs
nouvelles compétences
Une grosse partie des nouvelles dépenses publiques est le fait des APUL
qui incluent les collectivités territoriales (communes, départements,
régions), les groupements de communes (établissements publics de
coopération intercommunale, EPCI) et les organismes divers
d’administration locale (ODAL) comme les caisses des écoles, les centres
communaux d’action sociale, les services départementaux d’incendie et de
secours (SDIS), les collèges et lycées.
En 2021 et en 2022, les dépenses des APUL augmenteraient de 3,4 % et
2,5 % selon le PSTAB 2021-2027. Les collectivités territoriales, et
notamment les départements, assument des compétences transférées par
l’État. Les APUL estiment que les moyens nécessaires ne leur sont pas
donnés, toutes choses égales par ailleurs, pour maintenir le même niveau de
prestation que celui assuré précédemment par l’État. En outre, les crises ont
engendré la précarisation de nombreuses personnes lesquelles sont
devenues éligibles au RSA (revenu de solidarité active) socle qui est
financé par les départements. Il peut également être considéré que la baisse
des effectifs de l’État dans ses services déconcentrés réduit les services
fournis aux collectivités qui doivent désormais les assumer à leurs frais
(notamment l’expertise, l’ingénierie, l’entretien de la voirie, le contrôle des
risques via les corps techniques). Enfin, les transferts financiers de l’État
aux APUL ont baissé de 2015 à 2017 (cf. chapitre 13), au titre de la
contribution des collectivités territoriales au redressement des finances
publiques.
b Le système de protection sociale doit maîtriser son déficit
mécanique
Les administrations de Sécurité sociale (ASSO) regroupent les hôpitaux et
l’ensemble des organismes de Sécurité sociale ; elles comprennent aussi
l’assurance chômage, la caisse d’amortissement de la dette sociale
(CADES), le fonds de réserve des retraites (FRR) et une partie des dépenses
de Pôle emploi. Les dépenses de ces administrations sont prévues, chaque
année, par la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) en ce qui
concerne le régime général, les autres régimes obligatoires (notamment le
régime agricole), la CADES et le FRR. Elle s’articule avec la loi de
finances, notamment dans le cadre de perspectives pluriannuelles
communes, et permet une stratégie et des engagements particuliers relatifs
au redressement des comptes sociaux depuis la réforme de 1997 et la loi
organique relative aux lois de financement de la Sécurité sociale
promulguée le 2 août 2005 et codifiée dans le code de la Sécurité sociale.
Les ASSO prélèvent des cotisations, bénéficient de recettes fiscales
affectées et versent des prestations. Les prestations sociales englobent les
montants versés par les administrations publiques dans le cadre de la
protection des individus contre certains risques et besoins sociaux. Certains
groupes ont l’obligation légale ou réglementaire de s’affilier à des régimes
ou de verser des cotisations.
Les ASSO sont les plus gros contributeurs à la croissance de la dépense
publique. Elles expliquent près de deux tiers de sa croissance. La croissance
de l’ensemble des dépenses des ASSO vient surtout du régime d’assurance
chômage du fait de la crise (sensibilité à la conjoncture), et des dépenses de
retraite avec la poursuite de l’arrivée à la retraite des générations du « baby-
boom ». Si les dépenses d’assurance maladie étaient maîtrisées ces
dernières années grâce à l’objectif national de dépenses d’assurance
maladie (ONDAM), la crise de la Covid-19 a conduit en 2020 à des
dépenses exceptionnelles (tests PCR, indemnités journalières d’absence
maladie, hôpitaux, etc.) à l’origine d’un ONDAM de + 9,2 % en 2020. Les
dépenses d’assurance maladie ne baisseront ni en 2021 ni par la suite,
compte tenu de la poursuite des dépenses exceptionnelles (dont la
vaccination) et des dépenses structurelles prévues par le Ségur de la santé
(revalorisations salariales).
La croissance des dépenses des ASSO devrait néanmoins rester maîtrisée
grâce à la sortie progressive de la crise sanitaire, à la réforme de l’assurance
chômage au 1er juillet 2021, à une progression limitée de l’ONDAM
(+ 2,3 % en 2021), à une rationalisation de la gestion administrative et à une
éventuelle nouvelle réforme des retraites pour relayer les effets des
réformes précédentes (hausse de la durée de cotisation et de l’âge légal de
départ à la retraite). Il demeure qu’il n’existe pas à proprement parler de
mécanisme de coercition en cas de non-respect de l’ONDAM et que les
efforts nécessaires doivent trouver une traduction lors de chaque
négociation de convention d’objectifs et de gestion (COG) (cf. chapitres 17
et 18).
3 Poids et évolution des dépenses publiques
Les dépenses publiques ont fortement augmenté ces cinquante dernières
années. Au début des années 1960, 35 % de la richesse nationale étaient
consacrés à la dépense publique. Dans les années 1980, la dépense publique
représentait la moitié de la richesse nationale. En 2021, 58,5 % de la
richesse nationale seront dépensés par les administrations publiques. Les
domaines d’intervention ont crû et le système de protection sociale s’est
perfectionné.
3.1 Une évolution dynamique, au profit notamment
des dépenses de protection sociale
a Des dépenses militaires aux dépenses économiques
La première dépense publique fut longtemps la dépense pour l’armée. La
guerre de 1870 a conduit la dépense publique à dépasser les 10 points de
PIB dont 40 % étaient consacrés à la défense. Les dépenses publiques
d’alors étaient, pour plus des trois quarts, le fait de l’État stricto sensu. Le
quart restant permettait aux communes et aux départements d’assurer une
action sociale (hôpitaux, écoles communales). L’ampleur de la première
conflagration mondiale, l’effort de reconstruction et les pensions des
anciens combattants et de réversion ont conduit la dépense publique à
dépasser le tiers de la richesse nationale après la Grande guerre.
Par la suite, c’est surtout l’économie qui a rythmé l’évolution de la dépense
publique. La crise des années 1930 a rendu nécessaire de venir en aide aux
nombreux ménages pauvres et de relancer l’économie. Ce fut l’époque des
grands travaux. Les premières lois sociales installent de nouvelles dépenses
publiques hors le strict périmètre de l’État. À la veille de la Seconde Guerre
mondiale, 25 % du PIB sont consacrés à la dépense publique.
b La France est une République (…) sociale9
La Sécurité sociale est née le 4 octobre 1945 et sa progressive
généralisation a installé durablement d’importantes dépenses. Au fur et à
mesure des remboursements des emprunts de guerre, l’État réalloue les
moyens à l’éducation et les prestations de la Sécurité sociale s’élargissent
voire deviennent progressivement universelles à l’instar de la couverture
maladie universelle (2000) devenue la Protection universelle maladie
(PUMA) en 2017, laquelle permet à tous d’être pris en charge sans
condition de cotisation. Dès les années 1980, les dépenses de la Sécurité
sociale dépassent celles de l’État et demeureront plus dynamiques.
Il s’agit d’une période, jusqu’à la fin des années 1980, de prospérité pour
les théories keynésiennes en matière de politique budgétaire. Les États ont
pris l’habitude de relancer leurs économies en bas de cycle voire de la
soutenir systématiquement. Seuls le Royaume-Uni et les États-Unis
s’employaient à réduire les dépenses publiques en haut de cycle.
Or, pour être viable, la théorie keynésienne implique une réduction des
dépenses publiques en haut de cycle et une mise en réserve pour les
prochains besoins (régulation contracyclique)10. Cette réduction est délicate
car les avantages (sociaux) acquis ne sauraient être abandonnés et la
majorité des agents publics recrutés pour réduire le chômage jouissent
d’une protection de l’emploi. L’emploi public est plus fluide dans les pays
anglo-saxons, lesquels ont également moins de dépenses incompressibles de
protection sociale.
c La progression des dépenses publiques a été relancée
par la crise de la Covid-19
Les taux de dépenses publiques au regard du PIB ont continué à progresser
dans les années 1980 mais de manière moins spectaculaire et, surtout,
moins diversifiée. La moyenne OCDE, égale à 40 % en 1981, atteint 47 %
en 1995, rebaisse et dépasse 47 % en 2009 (cf. graphique 1). Cette hausse
procède essentiellement des effets de la crise de 2008, laquelle a réduit le
PIB (ou tout au moins sa croissance) et a conduit les États à augmenter leur
dépense publique. Le niveau revient à 42 % de 2017 à 2019. La crise de la
Covid-19 a fortement redynamisé les dépenses publiques.
Prise individuellement, la trajectoire de la dépense publique des États est
certes cohérente avec la moyenne OCDE mais souvent singulière. La
croissance de la fin des années 1990 a permis à la France de repasser sous la
barre des 52 % (elle était à 49 % en 1980)11. Avec la crise de 2008, elle
dépasse les 57 % en 2009 et entame une réduction de ses dépenses
publiques pour atteindre 55,6 % en 2019. Cependant, la crise de la Covid-
19 et les mesures qu’elle a appelées conduisent la France à afficher des
ratios de dépenses publiques jamais atteints : 61,3 % du PIB en 2020,
60,4 % en 2021 puis 56,0 % en 2022 selon le PSTAB 2021-2027.
L’Allemagne, après avoir encaissé le choc budgétaire de la réunification,
retrouve en fin de période, avant 2020, un niveau inférieur à celui de 1981,
autour de 44-45 %. À l’exception des années de crise 2009 et 2010, le
Royaume-Uni affiche pour ses dépenses publiques plus de 11 points de PIB
de moins que la France et même jusqu’à 19 points (35,7 % contre 54,5 % en
1997) ; son ratio de dépenses publiques se stabilise à 41 % à la fin des
années 2010.
Source : auteurs (données OCDE).
Graphique 1 – Progression des dépenses publiques entre 1995 et 2019 (en points
de PIB)
En volume, les dépenses publiques ont moins cru dans les années 1990
(2 % annuels contre 3 % dans les années 1980) notamment du fait de la
préparation de l’union monétaire en ce qui concerne les pays européens. La
Belgique et les Pays-Bas ont mis un terme à la croissance de la dépense
publique dès le début des années 1990. L’Irlande, les pays scandinaves et
l’Espagne ont même réduit leurs dépenses, de près de 5 points en quelques
années. Ce sont les politiques budgétaires discrétionnaires qui ont été
réduites et notamment les subventions et les crédits pour la défense. À
l’exception de l’Irlande, tous les pays européens ont renoué avec les
dépenses dans les années 2000 après la phase de qualification pour l’union
monétaire. Les années 2010 ont vu une nouvelle tendance à la baisse dans
le contexte de crise des finances publiques et de nécessaire maîtrise. Dès
2020, la crise sanitaire de la Covid-19 appelle des dépenses publiques
importantes face au fort ralentissement de l’économie et l’augmentation de
la précarité.
3.2 Le poids des dépenses publiques reste très élevé
en France et doit être maîtrisé
a Le poids des dépenses publiques en France est supérieur
à celui constaté dans les autres pays développés
Depuis 2015, les dépenses des administrations publiques représentaient
entre 56 et 57 % en France, ce point haut semblant à ce stade plutôt
constituer un plateau qu’un sommet. En 2019, avec 55,6 %, la France
occupe la première place de l’Union européenne et ce depuis 2014, devant
la Finlande et la Belgique. Les autres plus grandes économies européennes
sont en deçà : l’Allemagne est à 45,2 %, le Royaume-Uni à 41,1 %, l’Italie
à 48,6 %. La moyenne de la zone euro est de 43,7 %, l’Espagne à 42,1 % et
le Danemark à 44,2 %.
Tableau 1 : Le poids des dépenses publiques aujourd’hui (en points de PIB)
2014 2015 2016 2017 2018 2019
France 57,2 56,8 56,7 56,5 55,7 55,6
Allemagne 44,3 44,1 44,4 44,2 44,5 45,2
Italie 50,9 50,3 49,1 48,8 48,4 48,6
Royaume-Uni 43,1 42,3 41,5 41,3 41,1 41,1
Zone euro (19 pays) 49,3 48,4 47,7 47,2 46,9 47,0
UE (28 pays) 48,0 47,1 46,4 45,9 45,7 45,8
Source : auteurs (données Eurostat, incluant les crédits d’impôt).
b Toutes les dépenses publiques ne sont pas également
maîtrisables
Si les années 2000 ont renoué avec d’importantes dépenses publiques, les
niveaux élevés de dette conduisent, dans les années 2010, à un
incontournable encadrement voire une baisse des dépenses publiques. La
dette publique a plus que triplé entre 1983 et 2019. Les pouvoirs publics ont
désormais véritablement pris conscience. Les dépenses publiques françaises
en ont baissé en volume de 0,9 % puis augmenté de 1,8 % en 2019, de
6,3 % en 2010 et augmenteraient de 0,4 % en 2021 (PLF pour 2021). Des
efforts considérables sont demandés à la Sécurité sociale et notamment au
risque maladie avec un ONDAM ambitieux (après + 9,2 % en 2020 :
+ 2,3 % en 2021, + 0,9 % en 2022 et + 2,4 % en 2023).
Les dépenses publiques les plus dynamiques sont en effet les prestations
sociales qui sont passées, de 1990 à 2019, de 24,3 à 31,0 points de PIB. Les
dépenses contraintes résultent de choix faits plus tôt. En effet, l’État et les
autres APU se doivent d’honorer les charges de la dette (entre 1,5 et 2
points de PIB pour l’État depuis 2016)12, de garder les fonctionnaires en
activité et de payer les pensions des fonctionnaires en retraite. Avec l’arrivé
des générations du « baby-boom » à la retraite, le poids des pensions est très
important, d’autant plus que le périmètre de la fonction publique était plus
important auparavant (les anciens et certains actuels personnels de La Poste
ou EDF).
En conséquence de la progression des dépenses d’intervention, le poids des
dépenses d’investissement et de fonctionnement a régressé au sein de la
dépense publique. Ainsi, l’investissement, qui représentait entre 5 et 5,5 %
du PIB dans les années 1960, n’en représente plus que 3,3 % en 2019.
Quant aux dépenses de fonctionnement, elles sont passées, sur la même
période, de 41 % à 32 % malgré les fortes embauches des années 1980.
c Tous les sous-secteurs institutionnels doivent contribuer
à une évolution plus modeste des dépenses publiques
La dépense publique n’est pas seulement l’affaire de l’État. Ainsi que
l’illustre le graphique 2, elle est partagée, en France, entre l’État (35 %), les
ODAC (3 %), les APUL (19 %) et les ASSO (43 %).
Source : auteurs (données INSEE). Les dépenses de chaque sous-secteur des APU
s’entendent de leurs dépenses totales, sans neutralisation notamment des transferts
entre sous-secteurs ; il en résulte un total supérieur au montant consolidé des dépenses
publiques.
Graphique 2 – Répartition de la dépense publique française en 2019
La croissance des dépenses publiques des collectivités territoriales ne
s’explique pas uniquement par les transferts de compétences. Certes, les
transferts, et notamment ceux de personnels, sont coûteux (loi du 13 août
2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales). Entre 2006 et
2012, plus de 130 000 équivalents temps plein travaillés (ETPT) ont été
transférés de l’État aux collectivités territoriales.
Il n’en demeure pas moins que les collectivités territoriales ont eu et ont une
propension importante à recruter – et à dépenser de manière générale – au-
delà de ce que les transferts nécessiteraient. Entre 1983 et 2019, les
dépenses des APUL sont passées de 8,7 à 11,1 % du PIB. Une fois retirées
les dépenses rendues nécessaires par les transferts, les dépenses
supplémentaires expliquent plus de 40 % de la hausse : en l’absence de ces
dernières, le poids des dépenses publiques locales dans le PIB aurait pu
diminuer, la croissance du PIB permettant dans cette hypothèse d’absorber
l’effet des transferts de compétence.
Si désormais les ASSO sont responsables de près de la moitié des dépenses
publiques, elles concentrent aussi plus des 2/3 de la croissance de la
dépense publique notamment du fait de l’assurance vieillesse. Les réformes
successives des retraites (2010 et 2013) limitent cet effet. Une nouvelle
réforme structurelle des retraites a été repoussée dans un contexte de crise
des Gilets jaunes, de crise sanitaire et d’absence de consensus au sein de la
population et des syndicats. La crise a conduit à un fort taux de chômage, sa
courbe ne s’inversant pas significativement, ce qui pèse lourdement sur le
budget du service public de l’emploi13.
d Les économies ont achoppé sur les crises récentes
Depuis le PLF pour 2014, la réduction des dépenses publiques a constitué le
levier privilégié pour réduire le déficit. La crise des Gilets jaunes et celle de
la Covid-19 ont repoussé des hausses de fiscalité (verte), amplifié la baisse
des prélèvements obligatoires, remis à plus tard des mesures d’économie et
appelé des mesures de relance.
Pour réduire ses dépenses publiques, et une fois la crise de la Covid-19
surmontée, la France doit examiner ses dépenses de fonctionnement et faire
évoluer son modèle d’État providence. Des efforts considérables ont été
réalisés en fonctionnement, d’où désormais une crainte relative à la qualité
du service public rendu. En revanche, la hausse rapide et continue des
prestations sociales peut conduire à y trouver des gisements d’économie. Or
cela reviendrait à tempérer la solidarité nationale qui est, pour les Français,
la première mission des dépenses publiques. Une solution médiane
consisterait à contenir la progression de la dépense à un niveau inférieur à la
croissance du PIB de façon à réduire la part de la richesse nationale
consacrée aux dépenses publiques et non, par principe, leur volume. En
effet, geler la dépense publique voire la réduire pourrait gripper le modèle
social et l’activité économique. Par voie de conséquence, un équilibre doit
être trouvé entre sérieux budgétaire, assorti d’une juste répartition de
l’effort, et soutien à l’activité et à la croissance.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• Comptabilité nationale et finances publiques
• Les acteurs de la dépense publique et de sa maîtrise
• Que finance la dépense publique ?
• L’évolution des finances publiques
• Les dépenses de transfert
• Poids, structure et évolution de la dépense publique.
CHAPITRE 3
Le financement des dépenses
publiques
NOTIONS À MAÎTRISER
• Prélèvements obligatoires.
• Impôts ; taxes ; redevances pour services rendus ; cotisations sociales ; droits de douane.
Les ressources dont bénéficient les APU pour réaliser les dépenses
publiques sont essentiellement constituées des prélèvements obligatoires
(PO). Ces derniers sont le mode de financement de l’action publique par
excellence.
Les PO ne sont pas tous des impôts mais, pour ceux qui les acquittent, la
différence paraît souvent ténue. De fait, dans une certaine mesure, les
différentes catégories de prélèvements sont interchangeables. Elles
renvoient pourtant à des modèles d’organisation et de financement distincts
de l’action publique. Des conventions sont nécessaires pour analyser la
structure des PO et du système fiscal.
1 La notion de prélèvements obligatoires abrite
une réalité diverse
La notion de prélèvement obligatoire est d’origine statistique. Son intérêt
est en effet de pouvoir comparer différents pays en retenant une définition
unique permettant d’appréhender le poids des sommes prélevées par la
puissance publique.
1.1 La définition par l’OCDE des prélèvements
obligatoires est mise en œuvre par l’INSEE
C’est l’OCDE qui, la première, a proposé une définition des prélèvements
obligatoires, à partir de trois grands critères cumulatifs :
1. la nature des flux : les flux doivent correspondre à des versements
effectifs, ce qui exclut notamment les cotisations sociales « imputées »,
telles les retenues pour pensions sur les traitements des fonctionnaires,
qui ne donnent lieu à ce jour à aucun versement monétaire (en
l’absence de caisse de retraite) et relèvent du jeu d’écritures ;
2. les destinataires des versements : ce sont uniquement les
administrations publiques, au sens de la comptabilité nationale, et les
institutions de l’Union européenne. Ainsi, des cotisations ou autres
prélèvements s’apparentant parfois à des taxes, versés par exemple à
des ordres professionnels comme le Conseil des ventes volontaires de
meubles aux enchères publiques, ne sont-ils pas des prélèvements
obligatoires ;
3. le caractère « non volontaire » des versements : ce caractère
obligatoire ne procède pas d’un critère juridique mais d’un double
critère économique. D’une part, le débiteur n’a le choix ni du montant,
ni des conditions du versement et, d’autre part, il n’a droit à aucune
contrepartie immédiate. Ainsi, la taxe d’enlèvement des ordures
ménagères (TEOM) n’est-elle pas considérée comme un prélèvement
obligatoire, nonobstant sa nature fiscale1.
Ces trois critères sont mis en œuvre en toute indépendance par l’INSEE,
dans le cadre de la comptabilité nationale dont l’Union européenne, à
travers l’agence Eurostat, normalise les conventions comptables. Toutefois,
cette normalisation n’est pas complète de sorte que, si les règles sont
communes, les conventions restent définies au niveau national, ce qui limite
l’exactitude des comparaisons internationales.
1.2 Quatre catégories de prélèvements – obligatoires
ou non – coexistent
Les prélèvements opérés par les pouvoirs publics sont divers par leur champ
d’application et leur fonctionnalité. Ils comprennent les impôts, les
cotisations sociales, les redevances pour services rendus et les droits de
douane. Les PO comprennent la plupart de ces prélèvements, à l’exception
de ceux échappant à cette classification faute d’en remplir toutes les
conditions, à l’instar de la TEOM et des redevances pour services rendus.
1. Les impôts sont des prestations pécuniaires mises à la charge des
personnes physiques ou morales en fonction de leurs capacités
contributives et sans contrepartie pour les redevables. Ils ont pour objet
la couverture des dépenses publiques et/ou la réalisation d’objectifs
économiques et sociaux fixés par la puissance publique.
À noter que les taxes sont des impôts. La doctrine universitaire distingue
cependant les impôts stricto sensu, qui frappent la généralité des
contribuables (telle la… taxe sur la valeur ajoutée !), et les taxes, dont les
caractéristiques ont un lien avec le motif de la taxation sans que le montant
de chaque taxe ne soit en rapport direct avec le coût d’un service rendu (par
exemple la contribution à l’audiovisuel public).
2. Les droits de douane sont une forme particulière d’impôt ayant un
caractère économique et un champ d’application particulier. Leur objet
principal est en effet de protéger le marché intérieur, en frappant les
produits importés ou, éventuellement, les produits exportés.
3. En dépit de leur caractère obligatoire, les cotisations sociales ne sont
pas des impôts dans la mesure où elles sont perçues dans un but
déterminé – l’assurance et la protection sociales – et où le versement
de prestations financières en constitue la contrepartie. Le cotisant a
ainsi droit à des prestations lorsque certains risques se matérialisent,
bien qu’ils ne se concrétisent pas toujours (un assuré peut ne jamais
être malade !). Les cotisations sociales sont assises sur des revenus
d’activité et, dans certains cas, de remplacement.
À cet égard, en droit interne, la contribution sociale généralisée (CSG) n’est
pas une cotisation sociale mais un impôt. En droit de l’Union européenne,
la CSG est cependant considérée comme équivalant à une cotisation
sociale2.
4. Les redevances pour services rendus sont dues en cas d’utilisation de
certains services publics ou en contrepartie du droit de les utiliser.
C’est l’existence de cette contrepartie qui distingue les redevances des
impôts. Elles relèvent du pouvoir réglementaire et sont globalement
peu importantes : on compte parmi elles la redevance d’enlèvement
des ordures ménagères (REOM), qui peut être levée par les
communes3. Les redevances ne sont généralement pas classées comme
des PO.
En principe, il n’existe pas de catégorie tierce intermédiaire entre impôts et
redevances. Notamment, les taxes dites parafiscales, qui étaient des
prélèvements obligatoires institués essentiellement au profit d’organismes
professionnels, ont été supprimées suite à la loi organique du 1er août 2001
relative aux lois de finances, qui ne les prévoit plus. Pourtant, force est de
constater qu’il existe des prélèvements spécifiques institués par la loi,
généralement à la charge d’un secteur économique spécifique et destinés à
financer des actions ou des organismes bien déterminés. Il en est ainsi des
éco-contributions instituées en application du principe pollueur-payeur
(cf. art. L. 541-10 du Code de l’environnement) et qui permettent de
financer le recyclage des déchets. On parle parfois de « contributions
volontaires obligatoires » (CVO).
Ces quatre catégories de prélèvements ont connu une fortune hétérogène
dans les dernières décennies dans les pays développés.
2 Poids et évolution des prélèvements
obligatoires : une structure atypique
En 2019, les PO ont représenté 1 070 Md€. Le taux français de PO
rapportés au PIB a sensiblement augmenté depuis 2009, passant de 41,0 %
à 44,7 % en 20204. Cette progression se situe dans le prolongement des
tendances passées et révèle la relative spécificité du poids des PO en
France, laquelle est liée à la composition de ces prélèvements. En effet, si
environ 66 % des PO sont constitués de ressources fiscales, les cotisations
sociales revêtent un poids important, que viennent renforcer celui des
ressources fiscales qui sont affectées aux dépenses sociales.
2.1 Un niveau de PO élevé et en hausse
a Une tendance à la hausse dans les pays développés
Sur longue période, parallèlement à la tendance haussière des dépenses
publiques (cf. chapitre 2), on observe, de manière relativement uniforme,
une tendance à la hausse des PO de 1965 à la fin des années 1990. Le
graphique 1 illustre ce phénomène dans l’OCDE et dans les trois principales
économies européennes. La France se caractérise, à l’instar du Royaume-
Uni, par un taux de PO d’ores et déjà relativement élevé au début des
années 1970.
À compter de 1974, l’effet de la première crise pétrolière (1973) puis de la
seconde (1979) conduisent à refaire partir le taux de PO français à la
hausse. Dès lors, les courbes de PO marquent un large parallélisme mais
évoluent à des niveaux différents.
Source : auteurs (données OCDE).
Graphique 1 – Le niveau élevé des PO en France depuis les années 1970
b Un niveau élevé en France
La France se situe à environ 12 points au-dessus de la moyenne OCDE
(33,8 % en 2019). Le graphique 2, qui reprend le taux de PO selon
l’approche OCDE dans les principaux pays développés, révèle que la
France se situe en deuxième position, voisinant avec les pays nordiques et
la Belgique. Elle devance aussi les autres grands pays de l’UE, tant les pays
méditerranéens que les pays slaves, tant l’Allemagne que le Royaume-Uni,
qui se situent pour la plupart entre 30 et 40 % du PIB. En deçà de ces
valeurs, on retrouve notamment la Suisse, les pays d’Extrême-Orient et les
États-Unis.
Ce différentiel renvoie certes dans une certaine mesure à des choix
d’organisation de l’action publique différents, voire à la circonstance que
les comparaisons internationales sont délicates. Ainsi, l’assurance maladie
privée des ménages aisés et des fonctionnaires en Allemagne est-elle
financée par des cotisations obligatoires privées, n’intégrant pas le
périmètre des PO.
Pour autant, la réalité est bien que les APU ont en France un vaste domaine
de compétences, et il n’a pas diminué avec la crise de la fin de la décennie
2000, au contraire. Ainsi, le redressement spontané des recettes fiscales
avec la sortie de la récession en 2010 puis, surtout, l’effort de redressement
des comptes publics consécutif à la crise à compter de 2011 ont renforcé le
poids des PO dans le PIB (cf. tableau 1).
Source : auteurs, données OCDE.
Graphique 2 – Le taux de PO français est parmi les plus élevés (taux de PO dans
les principaux pays OCDE en 2019)
Cette hausse est le double effet d’une augmentation du numérateur et d’une
relative stagnation du dénominateur. Cette dernière n’est d’ailleurs pas sans
lien avec la première, la hausse des PO ayant par nature un effet dépressif
sur la croissance économique.
La crise de la Covid-19 a déprimé parallèlement le numérateur et le
dénominateur et n’a donc pas modifié sensiblement le ratio de PO en 2020
(44,7 %). Les effets de la baisse des PO mise en œuvre sous la présidence
d’Emmanuel Macron devrait néanmoins se faire sentir à compter de 2021,
dans la mesure où le gouvernement s’est engagé à ne pas augmenter les
impôts malgré les déficits élevés. À plus long terme, la hausse des PO
risque néanmoins de devenir inévitable si les dépenses publiques ne sont
pas davantage maîtrisées.
Tableau 1 : Ratio PO/PIB en France : évolution récente et prévisions
Sources : auteurs (en SEC 2010 ; données INSEE jusqu’en 2020 puis données
prévisionnelles issues du programme de stabilité 2021).
2.2 La France accorde une place majoritaire
aux prélèvements affectés à la sphère sociale
a Le poids des cotisations sociales explique largement
le caractère élevé du taux de PO français
Si l’on regarde plus précisément la structure des prélèvements obligatoires,
un premier constat est celui de la large place des cotisations sociales.
En effet, dans les pays membres de l’OCDE, les cotisations sociales
représentent en moyenne 27 % des prélèvements obligatoires, soit 9 % du
PIB. À l’inverse, en France, ces mêmes cotisations sociales pèsent 32,8 %
des PO en 2019, soit 14,9 % du PIB.
L’écart entre la France et l’OCDE déjà important (près de 25 %) si l’on
compare le poids des cotisations sociales dans les PO, est donc porté à 65 %
si l’on compare le poids des cotisations sociales dans le PIB. Le ratio
PO/PIB étant lui-même plus élevé, cette seconde comparaison est plus
révélatrice de la singularité française.
Ainsi, l’écart de 6 points entre le ratio cotisations sociales/PIB français et
celui de l’OCDE explique la moitié du différentiel de 12 points que nous
avons constaté entre la France et l’OCDE pour le ratio PO/PIB. Ce
phénomène traduit un modèle de financement de la Sécurité sociale,
d’origine assurantielle, autant qu’un périmètre étendu de l’action publique
en la matière.
b D’autant plus que des impôts sont affectés aux ASSO
Un deuxième constat est la place importante et croissante prise par les
administrations de Sécurité sociale dans le total des PO.
Jusqu’en 1988, l’État devançait encore les ASSO en termes de PO
(cf. graphique 3). Depuis, la place des PO versés à l’État a régressé, tant en
proportion des PO qu’au regard du PIB. À l’inverse, le taux de PO affectés
aux ASSO dans le PIB a augmenté quasiment sans discontinuer, passant de
18 à 24 % du PIB. Le poids des APUL a également progressé, à la faveur
de la décentralisation.
Près d’un quart de la richesse nationale est ainsi prélevé pour financer les
dépenses « sociales » (santé, retraite…) socialisées, soit, en 2019, 55 % des
PO.
Cette dynamique des PO affectés aux ASSO dépasse celle des cotisations
sociales, dans la mesure où les recettes des ASSO ont été pour partie
fiscalisées : le système français de Sécurité sociale, à l’origine bismarckien
(financé par les cotisations sociales), s’est teinté du modèle beveridgien
(financement par l’impôt) (cf. chapitre 17).
Si l’on se limite au périmètre de l’État et des ASSO, en excluant notamment
les APUL, les cotisations sociales n’ont dépassé en poids les impôts que
pendant une relative courte période, de 1989 à 1994 (cf. graphique 4).
Source : auteurs (données INSEE).
Graphique 3 – Le poids des PO versés aux ASSO s’est accru
La volonté d’augmenter les dépenses sociales, ou même simplement
d’accompagner leur dynamique intrinsèque, a conduit à rechercher d’autres
sources de financement que les cotisations sociales. À cet égard, les années
1990 ont permis, avec la création des prélèvements sociaux assis sur les
revenus des ménages (notamment la contribution sociale généralisée,
encore augmentée en 2018 en contrepartie d’une baisse des cotisations
sociales salariales), d’engager un mouvement d’affirmation d’une fiscalité
sociale doublonnant la fiscalité étatique… qui conduit de nos jours à
s’interroger sur l’articulation entre ces deux ensembles d’impôts.
Source : auteurs (données INSEE).
Graphique 4 – Les impôts devancent les cotisations sociales
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• Portée et limites de la notion de prélèvements obligatoires
• La distinction entre impositions de toute nature, cotisations sociales et redevances pour
services rendus
• La structure des prélèvements obligatoires en France
• Évolution et poids des prélèvements obligatoires
RÉFÉRENCES
Rapport économique, social et financier annexé au PLF. (disponible sur
http://www.performance-publique.budget.gouv.fr)
PARTIE 2
LE CADRE INSTITUTIONNEL
ET CONSTITUTIONNEL
DES FINANCES PUBLIQUES
Il est devenu difficile de raisonner en termes de finances publiques nationales, même en
complétant le propos avec un moment européen. La logique est inverse : le cadre est
d’abord européen et c’est en son sein que droit et travaux budgétaires nationaux existent.
Les finances publiques nationales évoluent ensuite concrètement dans un cadre défini par
la Constitution et ses principes, qui emporte pour le législateur, notamment fiscal, des
contraintes juridiques multiples d’origine nationale et internationale, mais aussi des
contraintes d’ordre social.
CHAPITRE 4
Le cadre européen des finances
publiques et sa traduction
en droit national
NOTIONS À MAÎTRISER
• UEM, ZMO, bail out.
• Gouvernance de la zone euro, conseil Ecofin, Eurogroupe, FESF, MES.
• PSC, TSCG, semestre européen, 6 pack, 2 pack, règle d’or, PNR, OMT.
• HCFP.
La France fait partie de l’Union européenne et de la zone euro. À ce titre,
elle a transféré son pouvoir monétaire. Avec les autres États membres, elle a
fait le choix de limiter le recours à l’autre levier, le budgétaire, la crise de
2008 ayant douloureusement confirmé combien les déficits récurrents
minent la soutenabilité de ses finances publiques. Aussi, le budget, son
élaboration et son organisation pluriannuelle sont-ils contrôlés et ont-ils
pour fin l’équilibre des comptes publics sans préjudice de la prise en
compte de circonstances exceptionnelles.
1 La nécessaire coordination des politiques
économiques et budgétaires
1.1 La maîtrise de la politique budgétaire d’un État
est difficile en l’absence de levier monétaire
L’Union européenne (UE) a vocation à assurer une régulation économique,
monétaire et budgétaire. Les États membres (EM) ont transféré une partie
de leur souveraineté en la matière à des institutions communes, notamment
à la suite de la crise de l’État providence. L’union économique et monétaire
(UEM) a ainsi supprimé les monnaies nationales, privant les États membres
de la zone euro de leur politique monétaire. Leurs moyens d’action se
trouvaient réduits à la politique budgétaire. Afin d’éviter qu’ils y recourent
avec excès, des règles ont été édictées et notamment le pacte de stabilité et
de croissance (PSC), établi dans son principe en 1997 lors du sommet
d’Amsterdam, qui concerne l’ensemble des EM.
La crise financière de 2008 a remis en cause cette gouvernance et appelait à
un durcissement du PSC via les règlements du six pack (2011) et du two
pack (2013). 24 des 27 EM faisaient l’objet d’une procédure pour déficit
excessif. L’insuffisance de cette gouvernance a favorisé une carence de
solidarité entre les EM, notamment du fait de l’art. 125 du traité sur le
fonctionnement de l’UE (TFUE) qui pose un principe de non-renflouement
(« no bail out »).
Or la nécessité de « sauver » des États de la périphérie, au premier rang
desquels la Grèce, a appelé la création de nouveaux instruments comme le
mécanisme européen de stabilité financière (MESF, règlement du 11 mai
2010), le fonds européen de stabilisation financière (FESF, accord du 7 juin
2010 entre les États de la zone euro) et, enfin, un dispositif introduit par un
traité spécifique et remplaçant les deux dispositifs précédents : le
mécanisme européen de stabilité (MES), entré en vigueur le 27 septembre
2012. L’objectif est qu’une entité commune émette des titres d’emprunt.
Pour être récipiendaire de cette source de financement levée sur les marchés
financiers par le MES, un EM doit se conformer aux exigences du traité sur
la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’UEM (TSCG) de
2012.
Si la crise sanitaire de la Covid-19 a un temps suspendu l’ordre budgétaire
européen, permettant ainsi aux États de gérer « sans compter » les dépenses
sanitaires, sociales et économiques nécessaires et d’éponger les manques à
gagner fiscaux, nul doute qu’il faudra remonter la pente et renouer avec un
certain réalisme financier.
Au-delà de la situation de crise, l’absence de possibilité de policy mix –
c’est-à-dire d’usage simultané et complémentaire des politiques monétaire
et budgétaire – tant au niveau de l’Union européenne que des EM impose
une coordination volontariste des politiques budgétaires nationales à côté de
la politique monétaire unique de Francfort (siège de la BCE). Le plan de
relance européen Next Generation EU y participe (cf. chapitre 19).
1.2 La théorie économique confie une lourde tâche
à l’Union économique et monétaire
a De la difficulté pour une zone monétaire d’être optimale
Selon la théorie des zones monétaires optimales (ZMO) de Robert Mundell
(1961), une zone monétaire est bénéfique à ses participants à plusieurs
conditions. Si les entités – les EM dans le cas de l’UE – ne sont pas dans
des situations économiques semblables, alors certaines pâtiront d’une
politique monétaire qui leur est peu adaptée. Si une zone monétaire est utile
en cas de choc symétrique, elle doit se doter d’instruments pour affronter
les chocs asymétriques. Il s’agit, par exemple, de l’ajustement des prix et
des salaires, de la mobilité des facteurs de production et notamment de la
main-d’œuvre. Ainsi, si un choc provoque une perte de compétitivité d’une
entité, elle pourra être compensée par une baisse des salaires et la flexibilité
du marché du travail. Une autre solution (complémentaire) est la mobilité
des salariés, lesquels peuvent quitter les zones à fort chômage pour
rejoindre les entités qui offrent du travail. À défaut de ces deux moyens,
une politique budgétaire commune permet de soutenir les entités
momentanément en difficulté (voire d’atténuer la surchauffe des autres).
b La zone euro n’est pas une zone monétaire optimale
L’Union européenne connaît principalement des chocs asymétriques et son
budget de l’ordre d’un point de PIB n’est pas en capacité d’assumer un rôle
redistributif. Elle a donc besoin de mécanismes pour venir en aide aux EM
les plus affectés par les chocs. Il s’agit des EM de la périphérie, qui sont en
rattrapage et/ou sont très dépendants de l’extérieur comme l’Irlande dont
l’offre de services a besoin de la demande américaine.
Dans ce contexte, le conseil Ecofin, formation du Conseil de l’UE qui
réunit les ministres de l’économie et des finances, est l’institution de la
coordination des politiques économiques en général et des politiques
budgétaires en particulier. L’Eurogroupe, d’abord informel et
définitivement institutionnalisé par le traité de Lisbonne (signé le 13
décembre 2007), réunit les ministres des finances des EM de la zone euro
avec la BCE et la Commission. Parallèlement, le président de l’Eurogroupe
peut participer (sans droit de vote) aux réunions des gouverneurs de la BCE.
L’Eurogroupe est doté d’une présidence stable depuis 2004, elle est élue par
la majorité des EM de l’Eurogroupe pour un mandat de deux ans et demi
renouvelable. Depuis le 13 juillet 2020, son président est Paschal Donohoe
(Irlande).
2 De l’encadrement du déficit public à l’intervention
dans la procédure budgétaire
2.1 Le pacte de stabilité et de croissance limite
la souveraineté budgétaire
a La préparation de l’Union économique et monétaire appelle
une discipline commune
Le traité de Maastricht (1992) visait une coordination des politiques
économiques et une surveillance des politiques budgétaires des États
membres dans l’optique de l’union économique et monétaire. Il revenait au
Conseil d’adopter les grandes orientations de politique économique (GOPE)
et d’assurer une surveillance multilatérale. Le contrôle des déficits publics
excessifs reposait notamment sur deux critères principaux : un plafond du
déficit public annuel à trois points de PIB et celui de la dette publique à
soixante points de PIB. En cas de non-respect des critères de convergence,
les EM ne pouvaient adhérer à la zone euro.
ENCADRÉ
ENCADRÉ
De l’origine de la règle des 3 % de déficit public
Les concepteurs des critères de Maastricht pouvaient estimer, selon des hypothèses néo-
keynésiennes, qu’un faible déficit pouvait ramener la croissance à 3 %. Aussi, limiter le
déficit à 3 % permettait de renouer avec la croissance sans pour autant accroître la dette en
points de PIB. C’est le ministre de l’économie et des finances, Jacques Delors, qui a voulu
faire du non-dépassement des 3 % une règle, nationale dans un premier temps. 3 % du PIB
de 1982 représentaient les symboliques 100 milliards de francs et le déficit de 1982 était de
95 milliards de francs. Le « tournant de la rigueur » aura notamment pour objectif le
respect de cette règle.
Cette règle, ensuite retenue pour les critères de Maastricht, repose sur la définition
mathématique du solde public stabilisant le ratio dette/PIB, en faisant l’hypothèse d’une
croissance potentielle de 5 % en termes nominaux et de 3 % en termes réels. Ainsi, lorsque
la dette s’élève à 60 % du PIB et que la croissance est de 5 %, un déficit de 3 % permet de
ne pas dégrader le ratio d’endettement : 5 %*60 % = 3 % (cf. chapitre 30).
L’application de ces critères s’est cependant traduite par un droit à 3 % de déficit quelle
que soit la situation économique alors que la théorie keynésienne appelle un équilibre à
moyen terme et donc une alternance de soutien à l’économie et de mise en réserve.
b La monnaie unique exige une maîtrise du solde public…
Les stipulations du traité de Maastricht ont été précisées en 1997 dans le
pacte de stabilité et de croissance (PSC) adopté lors du Conseil européen
d’Amsterdam des 16 et 17 juin 1997, lequel visait à instaurer les règles de
fonctionnement de la zone euro après l’introduction imminente, en 1999, de
la monnaie unique et ainsi garantir l’exemplarité des finances publiques.
Les critères de convergence de Maastricht ont ainsi été repris dans le cadre
du PSC.
Désormais, les EM s’engagent sur un objectif de moyen terme (OMT) de
solde public, lequel doit tendre à l’équilibre. L’objectif est ainsi de
permettre aux EM de se constituer, par le maintien d’une discipline
budgétaire en périodes de haut de cycle, des marges de manœuvre pour les
périodes de bas de cycle et pour faire face aux coûts induits par le
vieillissement de la population. En effet, la conjoncture peut justifier un
déficit ne pouvant dépasser en principe trois points de PIB. Pour mettre en
œuvre cet OMT, chaque EM doit présenter annuellement un programme de
stabilité pour l’année en cours et les trois prochaines. Il convient de
prévenir et de corriger une possible déviation de l’OMT.
c … vérifiée par la Commission européenne
Le PSC, formalisé dans les règlements 1466/97 et 1467/97 du Conseil,
comporte deux volets.
Le volet préventif1 consiste en le contrôle par la Commission européenne
de la présentation annuelle, par l’EM, de son programme de stabilité. L’EM
y dessine une trajectoire de retour à l’équilibre budgétaire grâce notamment
à des réformes structurelles et en fonction du contexte macro-économique.
La Commission, qui dispose de ses propres prévisions, vérifie la crédibilité
du programme et saisit le conseil Ecofin qui rend un avis, le cas échéant,
accompagné d’une recommandation.
Le volet correctif2 consiste en le contrôle par la Commission du respect des
ratios de trois points de PIB de déficit et 60 points de PIB de dette. À noter
qu’elle privilégie le critère du déficit. En cas de violation de ce critère, la
Commission saisit le Conseil, après avoir réalisé un rapport, et lui adresse
un avis. Si le Conseil considère qu’il y a déficit excessif, il recommande à
l’EM de prendre des mesures correctrices dans un délai de six mois. Si
l’EM ne s’est pas mis en conformité, le Conseil peut rendre publique sa
recommandation et prononcer une mise en demeure. Enfin, tant qu’il n’y a
pas mise en conformité, le Conseil peut décider de sanctions consistant en
des dépôts non rémunérés de 0,2 à 0,5 point de PIB, lesquels peuvent
devenir des amendes.
d La révision du PSC en 2005 répond aux nombreuses
critiques sans pour autant être satisfaisante
Le PSC a été révisé en 2005. Dans les années 2002, 2003, 2004, de
nombreux États n’ont pas respecté le PSC, notamment la France et
l’Allemagne, qui dépassaient les 3 % de déficit mais sont parvenus à
convaincre la majorité du Conseil de ne pas approuver les sanctions
proposées par la Commission. La surveillance multilatérale n’a pu
fonctionner car le Conseil devenait un lieu de marchandage. Qui plus est,
les critères du PSC semblaient trop simplistes car ne prenaient pas
suffisamment en compte la situation économique, incitaient à la procyclicité
(plus la croissance était importante et plus un État pouvait s’endetter, et
inversement, à rebours des enseignements néo-keynésiens). D’autres
facteurs macro-économiques comme l’épargne des agents privés (qui peut
compenser une partie du déficit public), le solde de la balance des
paiements courants ou les différentiels de compétitivité entre les EM étaient
absents de l’analyse.
Le but de la révision est de ne plus apprécier exclusivement les déficits
courants mais de prendre en compte les évolutions budgétaires structurelles
traduisant davantage les efforts réalisés par les EM en faveur du
désendettement et de la croissance. Une attention particulière est portée sur
les choix des EM en haut de cycle car c’est à ce moment que des gisements
d’économie et de réforme existent.
Si les deux critères historiques sont préservés, le déclenchement de la
procédure pour déficit excessif n’est pas automatique. L’idée est de ne pas
pénaliser un État en bas de cycle en lui retirant toute marge de manœuvre.
L’appréciation de la Commission est d’autant plus magnanime que l’État est
actif en matière d’investissements publics ou de réformes structurelles (qui
peuvent être coûteux à court terme). Il est prévu qu’un État membre ne soit
pas soumis aux sanctions si son PIB décroît de 2 % ou plus ; il s’agit alors
de « circonstances exceptionnelles ». Entre – 0,75 % et – 2 % de croissance,
l’appréciation de la Commission est plus large et ce n’est qu’au-dessus de –
0,75 % de croissance que les sanctions sont automatiques. Les États ont
désormais plus de temps pour se conformer aux critères en cas de
déviation : deux ans au lieu d’un.
Enfin, afin d’éviter l’erreur des années 1990 et début 2000, qui ont vu
coexister de forts taux de croissance et un endettement important, les États
se sont engagés en 2005 à utiliser les marges de manœuvre dégagées par un
déficit moins élevé que prévu en haut de cycle à des fins de réduction de la
dette et du déficit. Ainsi, la loi française de programmation des finances
publiques pour les années 2018 à 2022 du 22 janvier 2018 prévoit que les
écarts positifs par rapport aux prévisions de la LPFP soient affectés à la
réduction du déficit public à hauteur de 100 % si cet écart porte sur le solde
conjoncturel et d’au moins 50 % s’il porte sur le déficit structurel, le
reliquat étant alors alloué à des baisses de prélèvements obligatoires ou à
des dépenses d’investissement (art. 7).
2.2 Le semestre européen, le six pack et le two pack
ou de l’intervention de la Commission dans les procédures
budgétaires nationales
a Les trajectoires économiques et financières des États
membres sont suivies par la Commission et le Conseil
Afin de renforcer la coordination des politiques économiques, la
Commission a institué un « semestre européen » via une communication du
12 mai 2010. Ce qu’il est convenu d’appeler le « semestre européen »3 a été
ensuite consolidé par le six pack de 2011. Ainsi, chaque année, avant fin
avril, les États membres soumettent à la fois leur programme de stabilité
(dans la zone euro) ou de convergence (hors zone euro) et un programme
national de réforme (PNR) à la Commission. Les programmes de stabilité
ou de convergence présentent la stratégie et la trajectoire à moyen terme des
finances publiques (en avril 2021 a été présenté le programme de stabilité
pour la France 2021-2027). Le PNR présente les réformes structurelles pour
se conformer à la stratégie Europe 2020 pour une croissance économique
« intelligente, durable et inclusive ». Le but est une prise en compte plus
importante des engagements européens dès la conception du budget, avant
leur examen par les parlements nationaux.
Le respect des règles relatives au déficit et à la dette reste cependant le cœur
du dispositif de suivi et de contrôle opéré par le conseil Ecofin sur
proposition de la Commission.
b Les obligations et sanctions ont été renforcées depuis
la crise de la dette souveraine
Pour sortir de la précédente crise, une efficacité du PSC devait être
retrouvée, grâce au « six pack », composé de cinq règlements, en particulier
les règlements 1173, 1175 et 1177/2011 du Conseil, et une directive adoptés
le 23 novembre 2011 qui modifient et complètent le PSC. Depuis, il y a
obligation, pour chaque EM dont la dette publique dépasse le plafond de
60 % du PIB, de réduire la fraction de sa dette publique supérieure à ce
plafond d’1/20 par an pendant trois ans. Les sanctions financières
deviennent la règle. Le Conseil n’a plus à voter les propositions de la
Commission en la matière, mais il doit dégager une majorité qualifiée qui
s’y opposerait pour les faire éviter à l’EM (majorité inversée). Les sanctions
font désormais partie des volets correctif et préventif. Il est obligatoire de se
conformer à un cadre budgétaire pluriannuel d’au moins trois ans.
Enfin, le two pack, composé de deux règlements 472 et 473/2013 du 21 mai
2013, prévoit la transmission par les EM de la zone euro à la Commission,
lors de la préparation du budget national de l’année suivante, d’un
« programme budgétaire » précisant comment serait résorbé l’écart entre la
situation toutes choses égales par ailleurs et les objectifs de finances
publiques. La Commission émet un avis sur ce programme et peut
demander des modifications importantes dans un délai de 15 jours. Enfin,
les pays en difficultés financières avérées ou potentielles bénéficient d’une
surveillance économique et budgétaire renforcée. Fin 2018, la Commission
a ainsi été amenée à « retoquer » le projet de budget présenté par l’Italie
compte tenu du dérapage en termes de déficit, du très haut niveau
d’endettement du pays et de la hausse des taux d’intérêt de la dette
italienne. Le gouvernement italien avait dû revoir sa copie pour échapper à
une procédure pour déficit excessif.
c La crise de la Covid-19 montre la souplesse mais aussi
les limites du PSC révisé par les « packs »
En 2021, malgré la dégradation spectaculaire des comptes publics de la
quasi-totalité des EM en raison de la crise de la Covid-19, seule la
Roumanie, qui faisait déjà l’objet d’une PDE avant la crise, reste sous le
coup de cette procédure. En effet, pour les années 2020 à 2022, la
Commission européenne a activé la « clause dérogatoire générale » du PSC,
qui consiste, en période de grave récession économique affectant la zone
euro, à autoriser les États membres à s’écarter de leur trajectoire de retour à
l’équilibre, à condition toutefois de ne pas mettre en péril leur viabilité
budgétaire à moyen terme (article 5, § 1 et article 9, § 1 du règlement
no 1466/97).
Le retour à une trajectoire budgétaire viable conforme au PSC s’annonce
néanmoins longue et compliquée dans plusieurs EM déjà très endettés qui
ont laissé filer les déficits (jusqu’à – 11 % du PIB en Espagne en 2020). De
ce fait, au printemps 2021, la Commission a spécifiquement invité les sept
EM les plus endettés (Grèce 206 % du PIB à fin 2020, Italie 156 %,
Portugal 134 %, Espagne 120 %, Chypre 118 %, France 116 % et Belgique
114 %) à limiter leurs dépenses budgétaires à caractère permanent – à
distinguer des mesures temporaires de soutien à l’économie qui sont quant à
elles nécessaires.
Une fois la crise de la Covid-19 surmontée, la sortie de la clause
dérogatoire générale, prévue pour 2023, conduira à appliquer à nouveau les
règles du PSC dans toute leur rigueur. Cependant, d’autres outils devront
sans doute être imaginés pour accompagner les EM dans la résorption
progressive de leur déficit et de leur dette. À cet égard, des voix s’élèvent, y
compris celle du comité budgétaire européen4 placé auprès de la
Commission européenne, pour réformer le PSC : il s’agirait, d’une part,
d’individualiser les objectifs de réduction de la dette publique en fonction
de la situation propre à chaque pays et, d’autre part, d’assurer un suivi plus
précis – et donc plus intrusif – des dépenses de chaque État, de manière à
maîtriser globalement les dépenses publiques tout en protégeant les
dépenses stimulant la croissance, lesquelles pourraient en outre être
soutenues par un fonds budgétaire permanent.
2.3 Le TSCG permet une appréciation qualitative
de la situation financière
Si les « packs » sont une actualisation et un enrichissement substantiel du
PSC, la volonté intergouvernementale qui s’est imposée pendant la crise a
conduit à un traité international spécifique distinct des traités européens : le
TSCG, dont la mise en œuvre s’appuie toutefois sur les institutions de
l’Union européenne.
Il a été signé à Bruxelles le 2 mars 2012 par les chefs d’État ou de
gouvernement de 25 des 27 États membres d’alors. La volonté de non-
participation du Royaume-Uni et de la République tchèque (puis de la
Croatie après son adhésion le 1er juillet 2013) n’a pas rendu possible son
intégration aux traités européens. Le TSCG reste donc un traité
international multilatéral classique. À l’instar de la procédure utilisée pour
les accords de Schengen, son intégration dans les traités européens était
prévue à moyen terme (art. 16 TSCG : délai de 5 ans). Jusqu’à nouvel
ordre, ce sont les traités européens – et donc les « packs » – qui primeront si
contradiction il devait y avoir.
a L’effort budgétaire doit être structurel…
Le TSCG est entré en vigueur le 1er janvier 2013. Il vise, de manière
pérenne, à maîtriser les finances publiques des EM signataires afin
notamment de les rendre éligibles à des aides conditionnées.
Il s’agit tout d’abord de s’assurer d’un équilibre structurel satisfaisant,
considéré comme tel si « le solde annuel des administrations publiques
correspond à l’objectif à moyen terme (OMT) (…) » avec une limite
inférieure de – 1 % de PIB lorsque les 60 % de dette sont respectés et de
-0,5 % lorsqu’ils sont outrepassés. Désormais, le mécanisme de correction
est automatique (et non plus dépendant d’un vote du Conseil) lorsque les
écarts avec l’OMT sont importants ou lorsque la réalisation de la trajectoire
présentée est compromise. Les sanctions sont également appliquées
lorsqu’il y a une déviation de l’effort structurel qui concerne notamment la
dépense publique. En ce qui concerne l’endettement de 60 %, des sanctions
peuvent intervenir si sa réduction annuelle n’est pas assez rapide (inférieure
à 1/20e de la différence avec les 60 % sur une période de 3 ans). Enfin, ce
sont des institutions nationales indépendantes qui contrôlent le respect des
règles.
b … et garanti par une règle d’or
Le TSCG exige de la part des EM la mise en place d’une obligation
d’équilibre budgétaire, laquelle a vocation à interdire les déficits de
fonctionnement. L’emprunt ne peut alors que financer des dépenses
exceptionnelles, d’investissement, qui augmentent l’actif. L’idée est de ne
pas faire porter par les générations futures des dépenses qui ne bénéficient
qu’aux générations actuelles. Le budget des collectivités territoriales
françaises est déjà organisé ainsi puisque les emprunts des collectivités
territoriales ne peuvent abonder que la section « investissement » et non
« fonctionnement » (cf. chapitre 14). La loi fondamentale allemande prévoit
un déficit structurel maximal de 0,35 point de PIB pour le Bund depuis
2016, et nul pour les Länder depuis 2020, sous réserve de situations
d’urgence.
Toutefois, les règles d’or installées aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en
Espagne n’ont pas empêché des déficits réguliers, dépassent 10 % en
Espagne en 2012 et en 2020 ni une augmentation de la dette, laquelle est
passée, au Royaume-Uni, de 36 % en 2003 à un pic de 85 % en 2016.
Cependant, la meilleure situation financière est celle des pays scandinaves,
lesquels n’ont certes pas de règle d’or mais des « freins à l’endettement » à
l’instar du « debt brakes » suédois. En définitive, la règle d’or aura peu
d’effet sans une volonté voire un courage politique. Or les réformes
structurelles sont douloureuses et impopulaires, et les cycles électoraux
courts.
3 L’affirmation de la pluriannualité
et les obligations européennes
3.1 La France a anticipé le besoin de contrainte
budgétaire
Dès 2003, la France limitait la progression de la dépense de l’État à
l’inflation grâce à la règle « zéro volume ». Dès juillet 2005, une réforme de
la LOLF prévoyait que la loi de finances disposât sur l’utilisation
d’éventuels surplus et la création d’une réserve de précaution pour chaque
programme améliorant la régulation budgétaire.
En outre, les lois de finances et les lois de financement de la Sécurité
sociale sont soumises à un cadre pluriannuel depuis la réforme
constitutionnelle de 20085 : la loi de programmation des finances publiques
(LPFP). La LPFP fixe à titre indicatif un plafond de dépenses et un plancher
de recettes pour plusieurs années. La première LPFP a été votée en février
2009 pour la période 2009-2012.
3.2 Les exigences du TSCG ont été intégrées dans
le droit budgétaire national
a La loi organique relative à la programmation
et à la gouvernance des finances publiques
La loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des
finances publiques du 13 décembre 2012, qui met la France en conformité
avec le TSCG, formalise les LPFP et précise l’application de l’article 34 de
la Constitution. Les LPFP doivent prévoir un objectif de déficit structurel
(hors effets conjoncturels) de 0,5 % du PIB au maximum. Une LPFP porte
sur une période minimale de 3 ans (art. 4), doit préciser les objectifs de
moyen terme (art. 1) en tant que cible de solde de déficit structurel pour
l’ensemble des administrations publiques. Les LPFP doivent préciser la
trajectoire pour atteindre l’objectif. Elles expliquent comment y parvenir et
en quoi consiste le mécanisme de correction lorsque déviation de la
trajectoire il y a. Un rapport annexé, et voté par le Parlement, précise les
hypothèses et les méthodes retenues pour réaliser la programmation.
Désormais, toute loi de finances et de financement de la Sécurité sociale
débute par un article liminaire qui présente les soldes structurels et effectifs
de l’ensemble des administrations publiques (les soldes actualisés pour les
lois rectificatives et les soldes des années échues pour la loi de règlement).
b L’examen des prévisions est assuré par le Haut Conseil
des finances publiques qui peut déclencher le mécanisme
de correction
La loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des
finances publiques a créé un Haut Conseil des finances publiques (HCFP),
présidé par le premier président de la Cour des comptes qui rend un avis sur
les hypothèses macro-économiques sur lesquelles se fondent les textes
financiers, sur le réalisme des trajectoires des finances publiques présentées
puis sa comparaison avec l’exécution une fois celle-ci connue.
À titre de comparaison, la Suède est dotée, depuis 2007, d’un « conseil de
politique budgétaire » indépendant. Les six membres (dont un étranger),
universitaires et anciens responsables de la politique économique, ne
peuvent avoir de contacts informels avec le gouvernement et se cooptent.
Ce conseil évalue la politique budgétaire, son exécution, sa soutenabilité sur
le cycle économique et les hypothèses macroéconomiques retenues. Le
Royaume-Uni a suivi en 2010 avec « l’agence pour la responsabilité
budgétaire ». C’est dès 1947 que les Pays-Bas se sont dotés d’une telle
structure : le « bureau central du plan ».
Le HCFP a la mission d’alerter publiquement le gouvernement et le
Parlement sur un écart important à l’OMT lors de l’examen de la loi de
règlement qui appelle la mise en œuvre du mécanisme de correction. Il a le
pouvoir de déterminer si sont réunies les conditions des « circonstances
exceptionnelles ». Dans un tel cas de figure, le gouvernement doit expliquer
publiquement les raisons de l’écart et présenter les mesures prévues. Ces
nouvelles mesures, qui trouveront notamment leur place dans le plus
prochain PLF ou PLFSS, seront détaillées dans une annexe budgétaire. En
plus de son président, siègent au HCFP : le directeur de l’INSEE, quatre
magistrats de la Cour des comptes (deux femmes, deux hommes), quatre
membres nommés respectivement par les présidents des deux assemblées et
les présidents de leur commission des finances (deux femmes, deux
hommes) et un membre nommé par le président du conseil économique,
social et environnemental (CESE). Hormis le premier président de la Cour
des comptes et le directeur de l’INSEE, les membres sont renouvelés par
moitié tous les 30 mois.
L’article 3 du TSCG prévoit le déclenchement automatique d’un mécanisme
de correction « si des écarts importants sont constatés par rapport à
l’objectif », il y a alors obligation de « mettre en œuvre des mesures visant
à corriger ces écarts ». C’est l’article 4 de la loi organique qui prévoit ce
mécanisme. Avant le dépôt de la loi de règlement, le HCFP, s’il constate des
écarts entre l’exécution de l’année écoulée et les orientations de la LPFP,
alerte publiquement le gouvernement et le Parlement sur la nécessité de
déclencher ce mécanisme au moyen d’un avis rendu public. Le
gouvernement doit expliquer la présence des écarts et présenter les mesures
correctrices lors du débat d’orientation des finances publiques (juin). Ces
mesures doivent permettre un retour à la trajectoire. Seules des conditions
exceptionnelles peuvent justifier un écart.
De telles conditions sont à l’évidence réunies à la suite de la crise de la
Covid-19, qui, selon le constat dressé par le HCFP, a rendu obsolètes le
scénario macroéconomique et la trajectoire de finances publiques retenus
par la LPFP 2018-2022. Dans son avis sur le projet de loi de règlement
2020 rendu en avril 2021, le HCFP s’est cependant fondé sur l’absence
d’écart important entre le solde structurel estimé par le gouvernement et la
trajectoire fixée par la LPFP pour en déduire qu’il n’y avait pas lieu de
mettre en œuvre le mécanisme de correction.
Les finances publiques évoluent désormais dans un cadre contraint par un
ensemble de normes et de procédures destinées à favoriser, sinon y
contraindre, leur maîtrise. Européen, ce cadre est partagé avec les autres
EM de la zone euro et implique les institutions européennes, notamment la
Commission. Pour autant, il est désormais résolument inscrit dans le droit
national, où il s’articule avec les autres dispositions et principes régissant
les finances publiques de la France.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• Pacte de stabilité et de croissance et pacte budgétaire européen
• La règle d’or des finances publiques
• Le semestre européen
• Le Haut Conseil des finances publiques
• La traduction nationale du TSCG
• La Commission européenne et la procédure budgétaire nationale
• La France est-elle encore budgétairement souveraine ?
RÉFÉRENCES
Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et
monétaire.
Loi organique no 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la
gouvernance des finances publiques.
Programme de stabilité et programme national de réforme de la France.
Robert Mundell, « A theory of optimum currency areas », American Economic Review, vol. 51,
1961, p. 509-517.
Robin Degron, The new European budgetary order, Bruylant, septembre 2018, 189 p.
CHAPITRE 5
Les grands principes
constitutionnels
et la gouvernance de la fiscalité
TEXTES À CONNAÎTRE ET NOTIONS À MAÎTRISER
• DDHC, notamment les articles 6, 13, 14, 15 et 16.
• Constitution, notamment l’article 34.
• Principes d’égalité devant la loi, d’égalité devant les charges publiques, de consentement à
l’impôt.
• Aide d’État. Principes européens de non discrimination et de liberté de circulation et
d’investissement. Convention fiscale internationale.
• DLF, DGFiP, doctrine administrative. CPO.
Les marges de manœuvre juridiques de l’État en matière financière et
fiscale sont bornées par le droit constitutionnel et, en premier lieu, par les
principes issus de la Révolution française, ainsi que par le droit européen et
le droit conventionnel. La gouvernance de la fiscalité est particulièrement
marquée par ce cadre.
1 Les principes posés par la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen
Trois articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
(DDHC) du 26 août 1789 ont spécifiquement trait aux finances publiques
mais, avant cela, d’autres, plus généraux, ont une incidence particulière en
la matière.
1.1 Les grands principes de la Déclaration de 1789
s’imposent également aux finances publiques
a La loi doit être la même pour tous
L’article 6 dispose que « La loi (…) doit être la même pour tous » et fonde
ainsi le principe d’égalité devant la loi, y compris devant l’impôt et devant
les cotisations sociales. L’impôt est donc universel et prohibe l’existence de
privilèges fiscaux en faveur d’une catégorie de contribuables.
Si toute différence de traitement n’est pas inconstitutionnelle, elle l’est
lorsqu’elle ne correspond pas à une différence de situation ou n’est pas
justifiée par un motif d’intérêt général suffisant. Ainsi, la réduction
dégressive de cotisations sociales salariales en faveur des salariés modestes,
prévue par la loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour
2014, instituait une différence de traitement « sans rapport avec l’objet des
cotisations salariales de Sécurité sociale » (Conseil constitutionnel (CC),
décision no 2014-698 DC du 6/08/2014, cons. 13) : dès lors qu’il ne reposait
pas sur une différence de situation entre les assurés sociaux qui en
bénéficiaient et les autres, cet avantage social était contraire au principe
d’égalité. En matière fiscale, c’est « sans motif légitime » que le législateur
avait prévu que la transmission d’immeubles situés en Corse soit
partiellement exonérée des droits de mutation à titre gratuit, ce qui a motivé
une censure du Conseil constitutionnel (CC, décision no 2013-685 DC du
29/12/2013, LFI 2014, cons. 139 à 140).
Le Conseil constitutionnel tire des conséquences inattendues du principe
d’égalité devant la loi en le faisant entrer en résonance avec les règles
résultant du droit de l’Union européenne (cf. infra). Ainsi, si l’application
de la loi fiscale française à un contribuable lui est plus défavorable que
l’application à d’autres contribuables placés dans la même situation de
règles résultant d’une directive européenne, cette loi est à l’origine d’une
rupture d’égalité (on parle de discrimination « à rebours » ou « par
richochet ») (CC, décision no 2015-520 QPC du 3/2/2016, Société Metro
Holding). Toutefois, le Conseil constitutionnel ne censure cette loi que si la
différence de traitement résultant de la prise en compte du droit de l’Union
européenne « dénature » l’objet initial de la loi française en cause (CC,
décision no 2019-832/833 QPC du 3/4/2020, M. Marc S. et autre), ce qui
atténue la portée de cette jurisprudence « Metro Holding ». Celle-ci n’a par
ailleurs pas été étendue aux discriminations par rapport aux contribuables
bénéficiant des stipulations favorables d’une convention fiscale
internationale.
b La rétroactivité de la loi est bornée en matière de sanctions
et par le principe de garantie des droits
Le principe de non-rétroactivité de la loi n’a de valeur constitutionnelle
qu’en matière pénale, en vertu de l’article 8 de la DDHC. Ce dernier peut
trouver à s’appliquer en matière d’impôt et de cotisations sociales, dès lors
que des sanctions s’appliquent en cas de non-respect des obligations
fiscales ou sociales.
Saisi de dispositions relatives à ces sanctions, le CC s’assure de « l’absence
de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue ».
Plusieurs dispositions de lutte contre la fraude ou l’optimisation fiscales,
jugées inadaptées ou disproportionnées, ont ainsi été invalidées par le CC,
par exemple s’agissant de peines calculées en proportion du chiffre
d’affaires (cf. CC, décision no 2013-679 DC du 04/12/2013, loi relative à la
lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et
financière, cons. 7 à 10).
En dehors de la matière répressive, dans la généralité des cas, le législateur
n’est pas tenu à la non-rétroactivité. Il ne peut cependant adopter des
dispositions fiscales rétroactives « qu’en considération d’un motif d’intérêt
général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales, des
exigences constitutionnelles » (CC, décision no 98-404 DC du 25/06/1998,
LFSS 1999, cons. 5)1.
Parmi ces exigences constitutionnelles figurent notamment la garantie des
droits et la séparation des pouvoirs, protégées par l’article 16 de la DDHC2.
Ainsi, la loi ne peut revenir sur des droits ayant été reconnus par une
décision de justice passée en force de chose jugée. Sans doute sous
l’influence des exigences conventionnelles résultant notamment de la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), la
portée accordée à ce principe par le CC est large et croissante. Il limite de
fait la rétroactivité des lois, y compris en matière financière et fiscale.
Le CC considère en effet que le législateur ne saurait, « sans motif d’intérêt
général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni
remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles
situations » et que, parmi ces effets, on peut compter l’application d’un
« régime particulier d’imposition », par exemple celui lié au respect de la
durée légale de détention des contrats d’assurance-vie. C’est pour cette
raison qu’il a déclaré contraire à la Constitution l’application des
prélèvements sociaux aux taux en vigueur, au lieu des taux historiques, aux
revenus générés pendant cette durée légale de conservation (CC, décision
no 2013-682 DC du 19/12/2013, LFSS 2014, cons. 8 à 20). Ainsi, sans
reconnaître le principe de confiance légitime appliqué par la CEDH, le CC a
évolué en adaptant sa jurisprudence qui fait désormais une large
interprétation de l’article 16 de la DDHC.
À noter que la « petite rétroactivité » (ou « rétrospectivité »), pratiquée
notamment en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt sur les sociétés, ne
constitue pas une rétroactivité au sens juridique du terme. Autrement dit, le
régime fiscal des revenus et bénéfices acquis au cours d’une année peut être
déterminé et modifié jusqu’au 31 décembre de cette année3. Cet usage,
certes devenu plus rare depuis la mise en œuvre du prélèvement à la source
de l’impôt sur le revenu en 2019, est critiquable sur le plan économique,
dans la mesure où les acteurs économiques doivent fonder leurs décisions
(par exemple travailler plus) sur une loi fiscale susceptible d’évoluer.
c Le préambule de la Constitution de 1946 est également pris
en compte par le juge
Pour mémoire, les principes énoncés par le préambule de la Constitution du
27 octobre 1946 peuvent également avoir une incidence sur les finances
publiques, en l’espèce la dépense publique. En effet, certains droits dits
« droits créances » induisent un devoir pour l’État d’apporter une aide, le
cas échéant financière, à la population ou à certaines catégories de
personnes. Par exemple, le dixième alinéa du préambule affirme que « La
Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur
développement », lesquelles sont aussi matérielles. De même, le quatrième
alinéa dispose que « Tout homme persécuté en raison de son action en
faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République », ce
qui contraint la législation relative à l’asile et les aides subséquentes.
1.2 Les articles 13 à 15 sont une première « constitution
financière »
a L’article 13 est le fondement du principe d’égalité devant
les charges publiques
L’article 13 de la DDHC proclame que « pour l’entretien de la force
publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune
est indispensable ; elle doit être également répartie entre tous les citoyens,
en raison de leurs facultés ».
Est ici posé le principe de nécessité de l’impôt : la ressource fiscale doit
financer l’État afin qu’il puisse assumer ses missions régaliennes.
Corrélativement, les dépenses d’administration et l’entretien d’une force
publique sont à la charge de l’État et ne sont pas déléguées à des corps
privés. L’impôt revêt ainsi une dimension civique. L’appartenance au corps
politique que constitue la Nation induit des droits – bénéficier de sa
protection et de son administration – mais aussi des devoirs – contribuer à
son financement.
Le principe d’égalité devant les charges publiques découle de ce même
article 13, puisque les contribuables devront payer l’impôt en fonction de
leurs « facultés contributives », selon l’expression consacrée par la
jurisprudence constitutionnelle. Cette dernière est abondante en la matière,
le principe d’égalité devant les charges publiques étant celui qui, sans doute
parce qu’il est d’interprétation à la fois large et difficile, fonde le plus de
déclarations d’inconstitutionnalité de dispositions fiscales.
À cet égard, le Conseil constitutionnel assure un véritable contrôle de
proportionnalité de la loi, vérifiant que l’impôt est équitablement réparti
entre citoyens, que la charge fiscale est proportionnée aux facultés
contributives des redevables et, en particulier, ne revêt pas un caractère
confiscatoire et, enfin, que le dispositif fiscal répond aux objectifs que s’est
fixés le législateur. Les marges de manœuvre de ce dernier sont réduites
d’autant.
Le principe d’égalité devant les charges publiques trouve par excellence à
s’appliquer en matière d’imposition des revenus. Ainsi, le taux d’une
imposition sur le revenu doit tenir compte de l’ensemble des facultés
contributives du foyer : sauf à ce que l’imposition soit purement
proportionnelle (comme les prélèvements sociaux, sauf exception), le taux
appliqué doit tenir compte de la composition du foyer et de l’ensemble de
ses revenus. Différentes techniques peuvent être utilisées à cette fin (barème
progressif applicable à l’ensemble des revenus et associé au quotient
familial, taux proportionnel éventuellement modulé selon les ressources
totales du foyer…). En revanche, un impôt progressif individuel est
inconstitutionnel, comme l’a jugé le CC pour la contribution exceptionnelle
de solidarité sur les très hauts revenus d’activité (CC, décision no 2012-662
DC du 29/12/2012, LFI 2013, cons. 73).
Le Conseil constitutionnel invalide également les dispositions conduisant à
ce qu’une catégorie de redevables supporte de manière pérenne une charge
fiscale excessive au regard de ses facultés contributives. Cette charge peut
résulter de l’addition de plusieurs impôts pesant sur une même assiette,
quelle qu’elle soit, notamment un revenu ou un patrimoine.
Il a ainsi établi la nécessité de prévoir un plafonnement de l’ISF en fonction
des revenus ou un dispositif équivalent, sauf à fixer un barème d’imposition
plus faible (CC, décision no 2012-654 DC, 2e LFR 2012, cons. 33)4.
Plusieurs mesures conduisant à un taux marginal d’imposition cumulé5
considéré comme excessif – supérieur à 66 % – sur certaines catégories de
revenus, telles les retraites chapeau, ont été censurées (cf. CC, décision
no 2012-662 DC du 29/12/2012, LFI 2013, cons. 19).
Le CC applique ce raisonnement à des personnes morales et pour d’autres
assiettes, comme les rémunérations : c’est notamment en considération de
son caractère exceptionnel que le CC a validé la taxe sur les très hautes
rémunérations conduisant pourtant, pour les employeurs, à un taux marginal
cumulé d’imposition pouvant aller jusqu’à 132 % sur certains éléments de
ces rémunérations – soit « seulement » 57 % si on rapporte l’impôt au coût
total de ces éléments de rémunérations pour l’employeur, impôts compris6.
Le caractère confiscatoire d’autres impôts pourrait à l’avenir être contrôlé,
par exemple des taxes foncières, dont le taux d’imposition peut dépasser
100 %.
Enfin, un impôt qui n’est pas à même d’atteindre l’objectif qui lui a été
conféré conduit à imposer de manière injustifiée certains contribuables et,
par là même, à rompre l’égalité devant les charges publiques. Le législateur
se doit donc d’être cohérent, en particulier lorsqu’il ne poursuit pas un
objectif budgétaire mais un objectif incitatif : en instituant une contribution
climat énergie afin de lutter contre le réchauffement climatique, il ne
pouvait pas légitimement exclure du champ de la taxe une très grande partie
des émissions de gaz à effet de serre (CC, décision no 2009-599 DC du
29/12/2009, LFI 2010, cons. 77 à 83). De même, une taxe sur des boissons
énergisantes (dépourvues d’alcool), instituée afin de lutter contre
l’alcoolisme « n’est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en
rapport avec l’objectif poursuivi » et méconnaît par conséquent les
exigences de l’article 13 de la DDHC (CC, décision no 659 DC du
13/12/2012, LFSS 2013, cons. 26).
Ce contrôle s’étend aussi aux dispositions introduisant des avantages
fiscaux. Le CC apprécie alors la proportionnalité des moyens déployés au
regard des effets attendus, veillant ainsi aux intérêts financiers de l’État
(cf. CC, décision no 2007-555 DC du 16/08/2007, loi en faveur du travail,
de l’emploi et du pouvoir d’achat, cons. 20).
b L’article 14 pose le principe de consentement à l’impôt,
qui s’exprime de manière annuelle
L’article 14 de la Déclaration proclame que « les citoyens ont le droit de
constater par eux-mêmes, ou par leurs représentants, la nécessité de la
contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et
d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ». Il s’agit
ici du principe du consentement à l’impôt, au sens juridique7 (cf. infra
s’agissant de son sens psychologique), et du principe de légalité de l’impôt.
Ainsi, seul le législateur peut créer un impôt et en autoriser la levée.
Pour que ce consentement soit régulièrement vérifié et que les citoyens
puissent utilement suivre l’emploi des deniers publics – c’est-à-dire les
dépenses publiques, sans distinguer si leur financement provient de l’impôt
ou d’autres ressources –, l’intervention du législateur doit se faire à un
rythme annuel. L’article 14 induit par conséquent le principe d’annualité
budgétaire (cf. chapitre 6). Celui-ci se traduit concrètement par l’article 1er
de chaque loi de finances initiale, qui autorise la perception de l’ensemble
des impôts, qu’ils abondent le budget de l’État ou soient affectés à d’autres
personnes.
L’article 34 de la Constitution confirme la compétence du législateur en
matière fiscale en des termes très proches à ceux de l’article 14 de la
DDHC. Il dispose en effet que « La loi fixe les règles concernant (…)
l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes
natures ». L’impôt est de la compétence exclusive du législateur, qui doit
épuiser sa compétence, c’est-à-dire qu’il ne peut par exemple renvoyer au
pouvoir réglementaire le soin de déterminer le taux d’un impôt sans
encadrer suffisamment ce renvoi. À défaut, en cas d’incompétence négative,
les dispositions sont inconstitutionnelles.
c L’article 15 prévoit le contrôle de l’administration par le corps
social
Selon l’article 15 de la DDHC « La société a le droit de demander compte à
tout agent public de son administration », induisant que la Nation peut
désormais, par ses représentants, contrôler l’exécution du budget par
l’administration. Ce contrôle s’entend en effet d’abord comme a posteriori :
les citoyens doivent pouvoir apprécier les comptes de l’État, ce qui suppose
que ces derniers soient rendus publics.
Mais pour assurer que l’usage des deniers publics serve l’intérêt général et
non des intérêts particuliers, ce contrôle du corps social s’entend aussi
comme a priori : les citoyens participent à la prévision et à l’autorisation
des dépenses. Les comptes devront refléter fidèlement l’autorisation
délivrée a priori et le gouvernement est comptable de son respect. Est ainsi
mise en place la notion de responsabilité8 de la puissance publique.
Les juridictions et corps de contrôle contribuent à l’effectivité de cette
responsabilité. Tel est en particulier le cas de la Cour des comptes, dont
l’article 47-2 de la Constitution, introduit par la loi constitutionnelle du 23
juillet 2008, précise que par « ses rapports publics, elle contribue à
l’information des citoyens ».
2 La Constitution pose de grandes règles
structurant la vie des finances publiques
Les normes entourant les finances publiques de manière générale et celles,
respectivement, de l’État, de la Sécurité sociale et des collectivités
territoriales ont un ancrage constitutionnel. Ces grandes règles ici
esquissées sont détaillées dans la suite de cet ouvrage.
2.1 Les finances publiques sont encadrées au niveau
le plus élevé sur le plan normatif
La Constitution détermine directement les grandes lignes de l’organisation
de la décision en matière de finances publiques. Plus précisément, elle
indique quels textes normatifs sont nécessaires afin que les administrations
publiques puissent disposer de ressources et procéder à des dépenses, ainsi
que les principales règles entourant la prise de décision.
L’article 34 prévoit que des lois de finances (LF) et des lois de financement
de la Sécurité sociale (LFSS) déterminent, respectivement, les ressources et
les charges de l’État et celles – prévisionnelles – de la Sécurité sociale.
Deux lois organiques précisent les attributions du législateur financier. Mais
les articles 47 et 47-1 de la Constitution déterminent les grandes règles de
calendrier et de procédure applicables au processus législatif en matière de
LF et de LFSS.
Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des
institutions de la Ve République, l’article 34 prévoit également que le
législateur définisse à titre programmatique les « orientations pluriannuelles
des finances publiques [lesquelles] s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre
des comptes des administrations publiques ».
Enfin, l’article 47-2 de la Constitution, issu de cette même révision, précise,
d’une part, l’organisation institutionnelle du contrôle de l’application de la
législation financière. Cette mission est dévolue tant au Parlement qu’au
gouvernement, qui bénéficient à cet effet de l’assistance de la Cour des
comptes qui se positionne à équidistance entre les deux. Il en va de même,
plus largement, en matière d’évaluation des politiques publiques
(cf. chapitre 12). À cet égard, la loi organique prise sur le fondement de
l’article 39 de la Constitution impose que les projets de loi soient assortis
d’une évaluation préalable de leur impact, y compris financier.
D’autre part, l’article 47-2 fixe les principes directeurs de la comptabilité
publique, en énonçant que « Les comptes des administrations publiques
sont réguliers et sincères » et « donnent une image fidèle du résultat de leur
gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière ». Par là, le
Constituant a érigé en impératifs – et non pas seulement en objectifs – le
respect des principes fondamentaux de la comptabilité tels qu’ils ont été
définis pour les personnes privées.
2.2 L’État doit respecter l’autonomie financière
des collectivités territoriales
Les finances locales sont abordées dans le texte constitutionnel sous un
angle général, laissant au législateur le soin d’encadrer plus précisément la
vie financière des collectivités territoriales.
Ainsi, le principe de libre administration des collectivités territoriales, prévu
par l’article 72 de la Constitution, contraint juridiquement peu l’État dans la
mesure où il s’applique dans les conditions prévues par la loi.
En revanche, l’État est tenu de respecter le principe d’autonomie financière
prévu à l’article 72-2 de la Constitution, qui se traduit par une proportion
minimale de ressources propres dans les ressources des collectivités
territoriales. Ce ratio minimum s’apprécie par niveau de collectivités, par
référence à la situation constatée en 2003 (60,8 % pour les communes,
58,6 % pour les départements, 41,7 % pour les régions). Par conséquent,
toute réforme se traduisant par une diminution des ressources fiscales
locales est limitée par la nécessité de respecter ces valeurs (cf. chapitre 13).
2.3 La supériorité du droit de l’Union européenne
et du droit conventionnel
Enfin, l’article 55 de la Constitution confère aux traités « une autorité
supérieure à celle des lois ». Ceux dont les stipulations ont des incidences
financières ou fiscales ne font pas exception.
L’article 88-1, qui prévoit la participation de la France à l’Union
européenne, a même des conséquences plus profondes puisqu’il accorde un
statut particulier aux prescriptions du droit de l’Union européenne, la
transposition des directives étant notamment une exigence constitutionnelle.
Ces dispositions constitutionnelles ont des implications lourdes pour la
gouvernance de la fiscalité.
3 La gouvernance légale et réelle de la fiscalité
Entre le principe de consentement à l’impôt ancré dans l’article 14 de la
DDHC et la réalité du processus décisionnel en matière fiscale, la
gouvernance de la fiscalité apparaît à la fois comme très encadrée et comme
produisant des résultats fragiles.
3.1 Le consentement à l’impôt revêt aussi
une dimension psychologique et sociale
« Consentir à l’impôt suppose aussi la confiance » rappelait l’historien Jean
Sévillia dans Le Figaro Magazine du 4 octobre 2013. Autant le
consentement libre et exprès des citoyens à l’impôt peut être organisé de
manière irréprochable sur le plan institutionnel, autant l’acceptation
concrète du système fiscal par ces mêmes citoyens ne peut jamais être
considérée comme acquise.
De ce point de vue, le consentement à l’impôt a une double dimension,
légale d’une part, psychologique et sociale d’autre part. Un consentement à
l’impôt trop formel, insuffisamment incarné, conduit à affaiblir le civisme
fiscal et à relativiser les obligations fiscales.
a Le consentement à l’impôt est un bien précieux et fragile
Or l’acceptation du système fiscal français n’est pas unanime, tout d’abord
dans la mesure où la connaissance et le respect du système fiscal sont
encore perfectibles. La fiscalité, votée par le Parlement, reste un objet
complexe et souvent mal maîtrisé par les citoyens. Le débat parlementaire
en matière de fiscalité reste technique. Quant aux évolutions de charge
fiscale d’une année à l’autre, à la hausse ou à la baisse, elles sont souvent
mal comprises.
Cette distance à l’impôt ne nuit cependant pas de manière évidente à
l’observation par les contribuables de leurs obligations fiscales. La France
ne connaît pas de phénomène de fraude massive comme peuvent le
connaître d’autres pays dont les habitants sont moins civiques ou moins
bien contrôlés.
Néanmoins, la fraude, tant interne qu’internationale, reste réelle et, surtout,
un doute s’est instillé sur la tolérance des Français à l’impôt. La dernière
révolte significative à dimension fiscale remontait au mouvement des
vignerons du Languedoc qui, en 1905, ont appelé à la « grève » de l’impôt ;
sur le plan fiscal, elle s’était soldée par une exonération d’impôt rétroactive,
une fois la crise résolue en 1907. Les actes de sabotage perpétrés,
notamment en Bretagne par les Bonnets rouges, pour empêcher
l’instauration en janvier 2014 de la taxe poids lourds, puis la crise des
Gilets jaunes déclenchée en novembre 2018 en réaction à la hausse de la
taxation des carburants, constituent cependant des alertes quant à la fragilité
du civisme fiscal français.
b Consolider le civisme fiscal
Pour le consolider, l’équité et l’accessibilité de la loi fiscale apparaissent
comme des axes de travail pour les autorités. Perçu comme équitable et
mesuré, l’impôt serait probablement mieux accepté. À l’inverse, l’existence
de « niches » fiscales (cf. chapitre 22) et la concentration de l’impôt sur
certaines catégories de redevables sont de nature à fragiliser le
consentement à l’impôt. De même, des marges de manœuvre existent pour
rendre le système fiscal plus simple et plus lisible car, dispersé entre une
multitude de prélèvements, le système fiscal français donne l’impression
d’une fiscalité envahissante. À cet égard, des taux d’imposition moins
élevés pourraient être obtenus en adoptant des assiettes plus larges, afin de
rendre le système fiscal plus attractif. En tout état de cause, toute réforme
de la fiscalité gagnerait à s’appuyer sur un discours mettant en valeur le
civisme fiscal, sans incriminer un excès d’impôt.
Le caractère très concret des obligations fiscales pour les contribuables
appelle de la part de l’État tact et mesure et limite de fait, par principe de
réalité, la possibilité de légiférer en matière fiscale.
3.2 Les marges de manœuvre du législateur sont aussi
restreintes par nos engagements européens
et internationaux
Conséquence directe de l’article 55 de la Constitution, le droit de l’Union
européenne et le droit conventionnel contraignent la fiscalité française de
manière importante.
a Le droit de l’UE a une prégnance forte en finances publiques,
tout particulièrement sur le plan fiscal
Les développements récents conduisent à faire du droit de l’UE le premier
cadre institutionnel des finances publiques de la France, avec des
contraintes pesant sur ses objectifs et sur les voies et moyens pour les
atteindre. Mais la prégnance du droit de l’UE se fait aussi sentir sur le
contenu même des politiques budgétaires et fiscales.
En premier lieu, la législation européenne encadre strictement les aides
d’État, c’est-à-dire tout avantage pécuniaire consenti à une ou plusieurs
entreprises et financé au moyen de ressources publiques, qui revêt un
caractère sélectif et est susceptible d’affecter les échanges
intracommunautaires.
Les aides d’État sont, par principe, interdites par l’article 107 du traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Mais la Commission peut
autoriser certaines aides d’État, qu’elles soient compatibles par nature avec
le marché commun, par exemple du fait de leur caractère social, ou qu’elles
puissent être considérées comme compatibles, par exemple les aides
régionales ou encore les aides à l’investissement et à l’emploi en faveur des
PME. Une aide d’État incompatible ne peut être mise en œuvre ; si elle l’a
néanmoins été, son bénéficiaire doit rembourser les avantages dont il a
illégalement bénéficié. Certaines aides ne sont pas soumises à l’obligation
de notification. C’est essentiellement le cas des aides placées sous le
règlement de minimis, dont le montant global ne dépasse pas 200 000 € par
bénéficiaire sur une durée de trois ans.
Une aide d’État peut aussi prendre une forme fiscale, lorsque la charge
fiscale est inférieure à celle résultant du droit commun. Sauf à ce qu’une
telle mesure spécifique puisse se justifier par l’économie du système fiscal
en cause, par exemple le taux réduit d’impôt sur les sociétés applicable aux
petites et moyennes entreprises, un avantage fiscal doit être notifié à la
Commission européenne aux fins d’être autorisé préalablement à son entrée
en vigueur.
En second lieu, certains domaines de la fiscalité font l’objet d’une
harmonisation européenne. Les règles fiscales étant soumises à la règle de
l’unanimité au Conseil de l’UE, les textes législatifs sont relativement peu
nombreux, ce qui accorde, par défaut, une place d’autant plus importante à
la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
La fiscalité indirecte fait l’objet d’une large harmonisation au niveau
européen, sur le fondement de l’article 113 du TFUE. La taxe sur la valeur
ajoutée (TVA) est l’impôt le plus harmonisé, ce qui se traduit par
l’unification des règles d’assiette et l’encadrement du nombre et de la
valeur des taux de TVA. Les accises font également l’objet d’une
harmonisation, notamment s’agissant de leur champ et de leur assiette.
La fiscalité directe est harmonisée dans une moindre mesure, sur le
fondement de l’article 115 du TFUE relatif au rapprochement des
législations « qui ont une incidence directe sur l’établissement ou le
fonctionnement du marché intérieur ». Plusieurs textes ont été adoptés
(directives « mère-fille », « fusions », « intérêts et redevances »,
« épargne », « anti-évasion fiscale »). Des travaux visent actuellement à
renforcer cette harmonisation législative, par exemple en matière d’impôt
sur les sociétés.
En troisième lieu, les grands principes européens contraignent la loi fiscale.
En dehors de la simple application des textes adoptés en vue d’harmoniser
la fiscalité, la législation fiscale française est en effet contrainte par les
principes de non-discrimination et de libre circulation inscrits dans les
traités européens et interprétés de manière très extensive par la CJUE9.
Ainsi, le droit de l’UE prescrit une égalité du traitement entre les situations
domestiques et transfrontalières comparables. Cette égalité est de rigueur au
sein de l’espace économique européen en matière de droit d’établissement,
de libre prestation de services, de circulation des personnes et des
travailleurs et de circulation des marchandises. En matière de circulation
des capitaux, elle concerne également les flux entre États membres de l’UE
et pays tiers.
L’absence d’égalité de traitement n’est admise que si elle est appropriée
pour atteindre un objectif impérieux d’intérêt général et si la restriction
qu’elle induit ne va pas au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour
l’atteindre. Il est ainsi en principe contraire au droit de l’UE de soumettre
des avantages fiscaux à une condition de territorialité ou encore d’introduire
des dispositifs ayant pour objet ou pour effet de dissuader les transferts
d’actifs hors de France. À titre d’exemple, le plan d’épargne en actions
(PEA), limité à l’origine aux actions françaises, a dû s’ouvrir en 2002 aux
actions européennes. Prélever des impôts contraires au droit de l’Union
européenne recèle un risque financier, dès lors que les redevables peuvent
les contester au contentieux et en obtenir le remboursement et que, en
appliquant sa jurisprudence Metro Holding précitée, le CC peut
démultiplier les effets de cette inconventionnalité en en déduisant
l’existence d’une rupture d’égalité devant la loi entre contribuables selon
que ceux-ci peuvent se prévaloir du droit de l’UE ou non, ainsi que l’illustre
l’annulation en 2017 de la contribution dite de 3 % sur les dividendes10.
b La France est liée par de nombreuses conventions fiscales,
ce qui réduit l’effectivité de la loi fiscale française
La France est signataire de 132 conventions fiscales internationales, qui
précisent le droit applicable entre deux territoires dans une situation donnée.
Ces conventions ont pour objectifs l’élimination des doubles impositions et
la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
Ces conventions sont négociées et conclues dans un cadre bilatéral mais
aussi multilatéral car il est souhaitable, pour le développement des échanges
internationaux et la lisibilité de la fiscalité, que des solutions communes
soient appliquées par chacun des États. C’est pourquoi des modèles de
convention sont définis par l’Organisation de coopération et de
développement économique (OCDE). Ils prévoient des règles générales
d’interprétation des traités en cas de problème de définition. Cependant, si
un État est confronté à un problème de définition d’un terme de la
convention, il pourra appliquer la définition résultant de son droit national
(loi du for).
Les conventions fiscales internationales limitent la souveraineté fiscale de
l’État. La territorialité des impôts visés par les conventions signées par la
France est limitée aux revenus ou au patrimoine correspondant à un
territoire donné. Un résident français ne peut par exemple pas être imposé
par la France sur des salaires qu’il tirerait de son activité dans un autre État
lié à la France par une convention d’élimination des doubles impositions.
Les conventions attribuent le droit de taxer certains revenus à l’État ou au
territoire dans lequel ces revenus prennent leur source. Tel est le cas des
revenus immobiliers, des salaires et des bénéfices des entreprises. Ainsi une
entreprise disposant d’un « établissement stable » dans un autre État est-elle
taxable dans cet autre État sur les bénéfices de cet établissement, et ne peut
être imposée dans l’État de son siège que pour l’activité qu’elle y déploie
effectivement.
En pratique, ce réseau conventionnel a pour effet de limiter les marges de
manœuvre du législateur lorsque ce dernier souhaite faire évoluer les règles
de la fiscalité existante pour des situations couvertes par une convention
fiscale. Concrètement, toute mesure législative portant sur un revenu ou un
bénéfice qui, en vertu du droit conventionnel, est imposé par un État
étranger, restera sans effet, sauf à pouvoir exploiter l’imprécision des
conventions.
En outre, une mesure d’augmentation de l’impôt dû en France, sur des
revenus ou bénéfices de source française perçus par un résident étranger ou
une entreprise étrangère, peut être limitée par des stipulations bornant
l’impôt maximal exigible, voire prévoyant une exonération (cas des
investisseurs qatari).
Toutefois, les conventions ne couvrent pas la totalité des impôts. Elles
excluent en général ceux sur les transactions (taxes sur le chiffre d’affaires,
TVA, accises, etc.). Par conséquent, alors que l’imposition des bénéfices
localisés à l’étranger d’entreprises françaises pourrait se révéler sans effet
du fait des stipulations conventionnelles, le législateur peut envisager sans
obstacle conventionnel d’imposer ces entreprises sur leur chiffre d’affaires
(cf. taxe « GAFA »). Par ailleurs, dans les situations clairement abusives,
notamment lorsqu’un contribuable fait usage des règles des traités dans un
but clair de diminution de sa charge fiscale (« Treaty shopping »), l’État
peut s’appuyer sur les objectifs constitutionnels et conventionnels de lutte
contre la fraude fiscale et de lutte contre l’évasion fiscale pour refuser le
bénéfice des clauses des traités.
Enfin, un État est toujours libre de dénoncer une convention fiscale, comme
il peut le faire de tout traité. En l’absence de convention, des situations de
double imposition sont néanmoins susceptibles d’apparaître, ce qui n’est
guère satisfaisant pour les parties en présence mais peut constituer, en
dernier ressort, un moyen de pression pour un État souhaitant renégocier les
termes d’une convention. À cet égard, suite à l’absence de ratification par la
Suisse de la révision de la convention relative aux droits de successions, la
France, par un décret du 30 octobre 2014, a dénoncé purement et
simplement la convention existante, qui accordait à la Suisse le droit
d’imposer les successions dont les bénéficiaires sont résidents français.
3.3 Les acteurs multiples de la gouvernance
de la fiscalité
Dans ce cadre, le processus décisionnel en matière fiscale n’est pas
seulement le fait du législateur mais fait largement intervenir le
gouvernement et son administration, sous le contrôle des juges.
a La conception de la loi fiscale : entre pouvoirs politiques,
assemblées de « sages » et administrations
D’un point de vue institutionnel, l’initiative de la loi fiscale vient davantage
du gouvernement que du Parlement. Par un principe dit du « monopole
fiscal », les mesures fiscales doivent, en principe, être votées dans le cadre
des lois de finances et des lois de financement de la Sécurité sociale. Ce
principe n’est cependant pas contraignant et a été établi par circulaire du
Premier ministre (initialement, circulaire du 4 juin 2010, confirmée en
dernier lieu par celle du 17 juillet 2017 relative aux règles de gouvernance
en matière de prélèvements obligatoires.
D’un point de vue technique, nonobstant l’intervention des parlementaires,
c’est en premier lieu l’administration qui est force de rédaction et de
proposition. C’est en particulier la mission de la direction de la législation
fiscale (DLF) que de rédiger les projets de textes fiscaux puis de
coordonner les travaux du gouvernement pendant la phase parlementaire.
D’autres administrations interviennent, selon les impositions en jeu, par
exemple la direction de la Sécurité sociale (DSS) pour les prélèvements
sociaux11.
Par ailleurs, le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel encadrent la
procédure législative. Le premier, en tant que conseiller du gouvernement,
est saisi des projets de lois et contribue par sa science juridique à améliorer
la qualité des textes et leur adaptation aux objectifs poursuivis par le
gouvernement. Le second, lorsqu’il est saisi, procède à un contrôle de
constitutionnalité de plus en plus approfondi (cf. supra).
b La loi fiscale est appliquée par règlements et instructions
et précisée par la jurisprudence
Une fois la loi promulguée, elle est appliquée par le pouvoir réglementaire
et, surtout, commentée par l’administration fiscale. Ces commentaires,
équivalents de circulaires, forment la doctrine administrative, dont est
chargée, pour les impôts de sa compétence, la DLF. Leur objectif est
d’abord d’assurer une application homogène de la loi par l’ensemble des
services qui participent à une mission fiscale. Mais il s’agit aussi d’assurer
la sécurité juridique des usagers, en leur donnant accès à ces
« instructions » et en leur donnant la possibilité de s’en prévaloir ou même
de les contester par la voie du recours pour excès de pouvoir.
En effet, en vertu d’une disposition législative de portée générale (article L.
80 A du livre des procédures fiscales), tout contribuable peut opposer à
l’administration l’interprétation de la loi qu’elle a fait publiquement
connaître par ses instructions et circulaires, quand bien même cette
interprétation serait erronée ou illégale. Il peut également s’en prévaloir
devant le juge dans le cadre d’un contentieux. À l’inverse, l’administration
ne peut opposer à un contribuable une doctrine illégale… sauf à prendre le
risque de perdre un contentieux juridictionnel.
ENCADRÉ
ENCADRÉ
La répartition du contentieux fiscal entre juge administratif et juge judiciaire12
Le juge judiciaire est essentiellement compétent pour le contentieux de l’assiette des
impôts ayant trait au patrimoine et à la propriété. Il est ainsi compétent pour l’impôt sur la
fortune immobilière et les droits d’enregistrement (sur les successions, donations,
mutations à titre onéreux, partages…), ainsi que pour les contributions indirectes. Il
connaît en outre du contentieux relatif à la régularité des actes de recouvrement, quels que
soient les impôts recouvrés, et du contentieux du recouvrement des impositions précitées
lorsque la dette fiscale est contestée.
Le juge administratif est chargé de la plus grande part du contentieux fiscal d’assiette. Il est
notamment compétent en matière d’impôt sur le revenu, d’impôt sur les sociétés, de taxe
sur la valeur ajoutée et d’impôts directs locaux. Il connaît en outre du contentieux relatif au
recouvrement de ces derniers impôts lorsqu’est en cause la dette fiscale recouvrée elle-
même.
Cette force juridique singulière de la doctrine administrative permet une
grande réactivité de l’administration et du gouvernement. Ainsi, en 2009,
pour mettre fin à la fraude de TVA sur les transactions de quotas
d’émissions de carbone, une instruction de la DLF a exonéré
temporairement ces dernières de TVA, dans l’attente de dispositions
législatives. De même, la réforme de l’imposition des plus-values
immobilières par la LFI 2014 a été mise en place par anticipation
dès septembre 2013 sur le fondement d’une instruction signée par le
ministre de l’économie et des finances.
Depuis septembre 2012, la doctrine administrative est codifiée dans une
base documentaire unique, actualisée en continu et accessible sous format
dématérialisé. Il s’agit du Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) –
Impôts.
c L’application et l’évaluation de la loi fiscale :
entre administrations fiscales et corps de contrôle
L’application de la loi fiscale, entendue comme l’appréhension
opérationnelle de l’impôt, est essentiellement du ressort de la direction
générale des finances publiques (DGFiP). D’autres administrations
interviennent cependant : certains impôts sont gérés par les douanes,
d’autres par la Sécurité sociale, d’autres encore le sont par des ministères
sectoriels telle la direction générale de l’aviation civile pour les taxes
aéronautiques.
Dans cette mission, les administrations prennent aussi appui sur des
personnes privées (notaires, employeurs, banques…), chargées de calculer
et de prélever l’impôt afin de le reverser au Trésor public. Même lorsque le
recouvrement est assuré directement par l’administration, les redevables
sont dans une certaine mesure les premiers acteurs de l’application de la loi
fiscale, par exemple lorsqu’ils déclarent leurs revenus ou collectent la TVA.
Enfin, l’évaluation de la norme fiscale est une œuvre collective, dans
laquelle interviennent, outre l’administration fiscale, les corps d’inspection
et de contrôle. Les premiers conduisent des inspections, des audits et des
missions de conseil. La Cour des comptes contrôle et évalue l’impôt et sa
gestion au regard de la régularité, de l’efficience et de l’efficacité. Quant au
Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), il apprécie l’évolution et
l’impact économique, social et budgétaire de l’ensemble des prélèvements
obligatoires.
La société civile a naturellement son rôle à jouer. Si l’intervention des
groupes de pression et d’influence auprès des cabinets ministériels voire des
administrations afin d’améliorer l’adéquation de la fiscalité à telle ou telle
situation n’est pas désintéressée, celle des laboratoires d’idées et fondations
de recherche apporte un regard indépendant utile.
De par le bloc de constitutionnalité, le législateur est l’acteur essentiel des
finances publiques en général et de la fiscalité en particulier. Il évolue
cependant dans un cadre contraint par le droit constitutionnel, le droit de
l’Union européenne et le droit international. Il a aussi la charge, avec les
autres acteurs de la gouvernance de la fiscalité et notamment le
gouvernement et son administration, de veiller à ce que le consentement à
l’impôt ne reste pas seulement un formalisme à respecter mais aussi une
réalité vécue et entretenue par la confiance entre corps social et pouvoirs
politiques.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• Le principe d’égalité et l’impôt.
• L’impôt peut-il être confiscatoire ?
• Le consentement à l’impôt, mythe ou réalité ?
• Le juge et les finances publiques.
• Conseil constitutionnel et lois de finances.
• Impôts et Union européenne.
• Le contentieux fiscal.
• Les principes fiscaux.
RÉFÉRENCES
Guy Carcassonne et Marc Guillaume, La Constitution, Paris, Le Seuil, 2019.
PARTIE 3
LE BUDGET DE L’ÉTAT
CHAPITRE 6
Les principes budgétaires
NOTIONS À MAÎTRISER
• Les différents principes budgétaires
• Loi organique relative aux lois de finances
• Loi de finances initiale, loi de finances rectificative, loi de règlement
• Décrets d’avance
• AE / CP
• Compte du Trésor, compte spécial, prélèvement sur recettes, compte d’affectation spéciale,
budget annexe
• Annexe budgétaire
• Fonds spéciaux ; fonds de concours
• Fongibilité (asymétrique)
Le droit et la pratique budgétaires sont irrigués et encadrés par de grands
principes, lesquels ont su s’adapter aux besoins des finances publiques et à
leur complexité croissante. Les principes classiques ont été complétés par
des principes récents. L’objectif est que l’État dispose d’un budget voté
chaque année, présenté certes dans un document clair mais présentant
néanmoins tous les crédits et débits à des fins de transparence. En effet,
c’est ainsi que les citoyens peuvent contrôler l’usage des deniers publics,
lesquels permettent la mise en œuvre des politiques publiques. Afin de
rendre l’usage des deniers plus efficient, des marges de gestion sont
accordées à l’administration. En contrepartie, les principes d’équilibre et de
sincérité ont accru les exigences à l’endroit de l’administration, laquelle
doit se conformer à des conventions conservatoires et fonder ses réflexions
sur des hypothèses crédibles.
1 Les principes classiques
1.1 Le principe d’annualité
Il s’agit du principe le plus controversé. Les premiers parlements, et
notamment l’anglais, sont nés du besoin d’un consentement à l’impôt (« no
taxation without representation »1). Il est proclamé à l’article 14 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Tous les citoyens ont le
droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de
la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et
d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ». Au
pouvoir parlementaire de contrôler l’impôt et les dépenses du pouvoir
exécutif. Ainsi, le premier article de chaque loi de finances initiale doit
autoriser la perception de l’impôt. Ce rythme est rigide dans la mesure où
l’horizon de l’action publique est de moyen ou long terme (ou devrait
l’être) et que le calendrier électoral le contrarie. L’équilibre à trouver
consiste en le respect du principe d’annualité et le bénéfice d’une
conception et exécution pluriannuelles.
a La pratique rend délicate l’application stricte du principe
d’annualité
Fidèle au principe, la Constitution de la première République (1791)
proclame une autorisation annuelle de l’impôt et un vote annuel des
dépenses publiques. De la même façon, en son article 16, l’ordonnance
organique de 1959 dispose que « le budget est constitué par l’ensemble des
comptes qui décrivent, pour une année civile, toutes les ressources et toutes
les charges permanentes de l’État ». Le Conseil constitutionnel précise que
la conformité aux délais assure « la continuité de la vie nationale » (CC,
décision no 86-209 DC du 3 juillet 1986, loi de finances rectificative pour
1986).
Rapidement, les difficultés liées à l’application stricte du principe
apparaissent et notamment en l’absence de vote du budget. L’État n’est
alors pas autorisé à recouvrer l’impôt et à dépenser. Dans la pratique, le
Parlement a toujours autorisé le recouvrement. Pour pallier l’absence de
vote des dépenses dans les délais, les « douzièmes provisoires »
permettaient, pour chaque mois de l’année, de voter les mêmes crédits que
l’an passé. Le système de gestion d’alors permettait de rattacher les
dépenses à l’année de leur exécution et non de leur autorisation. Si la
France a aujourd’hui abandonné en pratique les douzièmes provisoires,
l’Union européenne y recourt toujours pour son propre budget.
b La loi organique relative aux lois de finances aménage
le principe d’annualité
Avec la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), le législateur
organique a installé une logique pluriannuelle. L’idée est d’aménager des
marges de manœuvre au pouvoir exécutif qui élabore et exécute les lois de
finances, en échange de vrais moyens pour la discussion et le contrôle par le
pouvoir législatif, atténuant d’autant le parlementarisme rationalisé.
Aménageant, en partie, le principe d’annualité, une loi de finances peut
désormais être modifiée en cours d’année, par le Parlement, notamment
pour l’adapter à la conjoncture et aux réalités de l’exécution. Cela est
permis par les lois de finances rectificatives (LFR) prévues à l’article 35
LOLF. La crise sanitaire de 2020 a démontré la nécessité de réagir
rapidement. Ce dispositif est également utile dans les cas d’un changement
de majorité en cours d’année, d’un changement de Premier ministre avec la
même majorité voire d’un « simple » changement de cap.
Les décrets d’avance (art. 13 LOLF) permettent directement au pouvoir
exécutif de modifier la loi de finances en cours d’exécution. Il faut
néanmoins un cas d’urgence et nécessité impérieuse, et une validation
parlementaire ultérieure (ratification).
Enfin, la solution alternative aux douzièmes provisoires est l’article 47 de la
Constitution de la Ve République et l’article 45 de la LOLF, lesquels
autorisent le gouvernement à mettre en vigueur par ordonnance son projet
de loi de finances initiale si le Parlement ne l’a pas voté dans les délais qui
lui sont impartis. À l’inverse, si la loi de finances initiale n’est pas adoptée
avant le début de l’exercice budgétaire du fait d’un dépôt tardif du
gouvernement ou d’une censure du Conseil constitutionnel, le
gouvernement demande l’autorisation au Parlement, par une loi spéciale, de
continuer à percevoir les impôts et prend des décrets ouvrant les crédits
applicables aux seuls « services votés » de l’année précédente – soit un
système équivalant aux douzièmes provisoires et également prévu sous
l’empire de l’ordonnance organique du 2 janvier 1959 par son article 44.
En ce qui concerne la pluriannualité, l’ordonnance organique de 1959
prévoyait les autorisations de programmes qui fixaient un plafond de crédits
à engager par un ministère sur plusieurs années pour des investissements.
Chaque année, les crédits nécessaires à l’engagement pluriannuel étaient
votés. La LOLF permet, elle, une fongibilité des crédits au sein d’un
programme. Ainsi, si des priorités changent ou ont été mal évaluées, les
crédits (dont les plafonds ne peuvent être dépassés) peuvent être redéployés.
Les autorisations d’engagement (AE) fixent le plafond de la dépense
engagée dans l’année. Les crédits de paiement (CP) fixent le plafond des
dépenses pouvant être ordonnancées pendant l’année pour répondre aux
engagements en AE (qui peuvent, pour partie, être antérieures à l’année
d’exécution nonobstant les dépenses de personnels pour lesquelles AE = CP
chaque année).
L’application stricte du principe d’annualité en fin d’année conduit à des
dépenses précipitées, les ministères ne souhaitant pas « perdre » ce qui leur
a été octroyé par les lois de finances de l’année. Les crédits de reports
prévus à l’art. 15 LOLF sont les crédits accordés à un ministère et non
consommés en fin d’année qui peuvent s’ajouter à la dotation de l’année
suivante à la suite d’un arrêté conjoint du ministre chargé des finances et du
ministre concerné pris avant le 31 mars de l’année N + 1. Les AE ne sont
reportables que sur le même programme ou un programme qui poursuit des
objectifs identiques. Toutefois, les AE des dépenses de personnel (titre 2) ne
peuvent être reportées. Les CP, eux, ne peuvent être reportés que dans la
limite de 3 % des crédits initiaux, plafond qui peut être majoré par la loi de
finances sauf pour les dépenses de personnel. Enfin, les crédits des fonds de
concours sont obligatoirement reportés. La période complémentaire de 20
jours en début d’année permet, quant à elle, les opérations de régularisation.
Il s’agit d’opérations ordonnancées et comptabilisées au-delà de l’année et
qui sont prévues dans la loi de finances rectificative de fin d’année.
Enfin, la régulation budgétaire est un instrument de maîtrise de l’exécution
des dépenses utilisé par le gouvernement pour prévenir une détérioration de
l’équilibre budgétaire, il permet de mettre en œuvre des mises en réserve et
des annulations de crédits (art. 14 LOLF) (cf. chapitre 10).
c Le principe d’annualité n’est pas incompatible
avec la pluriannualité
La LOLF adopte une démarche prospective, héritière des lois d’orientation.
Cette démarche appelle une information du Parlement relative à
l’environnement pluriannuel. C’est le rôle du rapport économique, social et
financier de l’art. 50 LOLF, lequel « présente et explicite les perspectives
d’évolution, pour au moins les quatre années suivant celle du dépôt du
projet de loi de finances, des recettes, des dépenses et du solde de
l’ensemble des administrations publiques ». En parallèle, la Cour des
comptes, indépendante, remet au Parlement, avant le débat d’orientation
budgétaire, un « rapport sur la situation et les perspectives des finances
publiques ».
Le cadre européen des finances publiques et sa traduction en droit national
(cf. chapitre 4) appellent également une forte organisation pluriannuelle.
Les programmes de stabilité et de convergence, dans le cadre du semestre
européen, et les programmes nationaux de réforme, sont nécessairement
pluriannuels puisqu’ils ont pour objet le retour à l’équilibre budgétaire à
moyen terme. Leurs présentations en avril intègrent, a minima, les trois
années suivantes. En juillet, le Conseil de l’Union européenne formule ses
observations spécifiques. Ce n’est qu’ensuite que le PLF peut être finalisé
en intégrant les prévisions (le cas échéant revues) à moyen terme. Par
ailleurs, le Haut Conseil des finances publiques, en cas d’écart important
entre l’exécution du budget et la loi de programmation des finances
publiques (LPFP) – qui intègre le périmètre de toutes les administrations
publiques –, peut proposer une trajectoire corrective qui devra être déclinée
dans le cadre de la LPFP en N + 1 par les pouvoirs publics.
1.2 Le principe d’unité
a La loi de finances doit respecter les règles d’unicité
et de totalité
Sur une base a minima annuelle (vue plus haut), le Parlement doit disposer
des moyens pour contrôler l’exhaustivité du budget de l’État. À cette fin, le
principe d’unité se compose des règles de l’unicité et de la totalité. Selon la
règle de l’unicité, les recettes et les dépenses de l’État doivent être
présentées dans un document unique, en l’espèce la loi de finances (art. 16
LOLF). Selon la règle de la totalité, le budget doit contenir l’ensemble des
recettes et des dépenses de l’État. Ainsi, l’art. 6 LOLF dispose que « le
budget décrit, pour une année, l’ensemble des recettes et des dépenses
budgétaires de l’État ». Cette exigence permet de savoir si le budget est en
équilibre ou en déficit et s’inscrit dans l’exigence de l’article 14 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen vu plus haut.
b De la fragmentation du budget
Le principe d’unité a été, notamment au sortir de la Seconde Guerre
mondiale qui appelait d’importants efforts de reconstruction, mis à mal par
l’interventionnisme de l’État, qui s’est traduit par la création de comptes
spéciaux du Trésor (aujourd’hui appelés comptes du Trésor). À l’origine,
les comptes spéciaux du Trésor (CST) retraçaient de simples mouvements
de fonds provisoires. Toutefois, la souplesse de leur utilisation conduisit à
l’inflation du nombre de CST (400 en 1947, un simple règlement était alors
nécessaire à leur création). La LOLF limite les comptes du Trésor à quatre
catégories.
La première catégorie est le compte d’affectation spéciale (CAS) pour les
opérations à caractère définitif qui « retracent des opérations budgétaires
financées au moyen de recettes particulières qui sont, par nature, en relation
directe avec les dépenses concernées » (art. 21 LOLF), comme la gestion du
patrimoine immobilier de l’État qui vise à financer la modernisation du parc
immobilier par le produit des cessions d’actifs, de l’ordre de 280 M€ pour
2021, et visait initialement à participer au désendettement de l’État, ainsi
que les pensions (57 Md€ en AE et en CP prévus pour 2021).
La deuxième catégorie (art. 22 LOLF) est le compte de commerce qui
retrace les opérations à caractère industriel et commercial effectuées à titre
accessoire par des services de l’État non dotés de la personnalité juridique,
comme l’approvisionnement en produits pétroliers ou la gestion de la dette
et de la trésorerie de l’État.
La troisième catégorie est le compte d’opérations monétaires et notamment
celui des opérations avec le Fonds monétaire international (FMI).
La quatrième catégorie est le compte de concours financier, comme les
comptes de prêts à d’autres États dans le cadre de l’aide au développement,
les comptes d’avance pour les collectivités territoriales, les organismes ou
des entités privées.
Les budgets annexes, nombreux par le passé, ont été définis strictement par
la LOLF : « des budgets annexes peuvent retracer les opérations des
services de l’État non dotés de la personnalité morale résultant de leur
activité de production de biens ou de prestation de services donnant lieu au
paiement de redevances, lorsqu’elles sont effectuées à titre principal par
lesdits services » (article 18).
Contrairement au budget général, ils doivent être divisés en deux sections :
la section des opérations courantes, qui regroupe les produits et les coûts de
production, et la section des opérations en capital, qui retrace les dépenses
d’investissement et la variation de l’endettement. L’objectif est d’isoler les
opérations pour pouvoir calculer le coût des prestations fournies et préparer
une éventuelle séparation juridique (en établissement public le plus
souvent). Il ne reste plus que deux budgets annexes : contrôle et
exploitation aériens, et publications officielles et information
administrative.
c Les débudgétisations et la régulation budgétaire
sont encadrées
Une autre atteinte au principe d’unité est les débudgétisations qui sont des
transferts, à d’autres personnes morales que l’État, à des comptes spéciaux
ou à la caisse des dépôts et consignations (CDC), de financements
auparavant assurés par l’État (et retracés dans son budget), comme, par
exemple, la création du fonds de solidarité vieillesse (FSV) en 1993. La
décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 1994 limite les
possibilités de débudgétisation en confirmant que des dépenses
permanentes ne peuvent être prises en charge par un organisme autonome2
car cela nuirait à la sincérité d’ensemble de la présentation du PLF. Cette
jurisprudence est toutefois à nuancer au regard de la multiplication des
opérateurs de l’État et surtout des agences appartenant à la catégorie des
organismes divers d’administration centrale (ODAC) en comptabilité
nationale. Ainsi, le Fonds pour l’innovation et l’industrie (FII) de 10 Md€
lancé en janvier 2018 (cf. chapitre 30) a été qualifié par la Cour des comptes
de « mécanique budgétaire inutilement complexe et injustifiée ». Ce fonds
sans personnalité juridique est peu doté puisque sa principale recette –
l’affectation du produit de la vente de la participation de l’État dans le
groupe aéroportuaire ADP – n’est plus d’actualité dans l’immédiat (chute
de sa revalorisation boursière dans le contexte de la crise de la Covid-19).
La régulation budgétaire – qui est un instrument de maîtrise de dépenses
anticipant les possibles non-respects de plafonds du budget général –
semble déroger à la règle de l’unicité puisqu’elle modifie la loi de finances
mais est autorisée par l’article 14 de la LOLF pour garantir l’équilibre
budgétaire défini par la dernière loi de finances. L’article 51 alinéa 4 bis
précise que, dès la loi de finances initiale, le Parlement doit être informé des
mesures envisagées (de mises en réserve notamment). Le Conseil
constitutionnel accepte la régulation budgétaire dans la mesure où des
erreurs de prévisions, et donc une réorientation de l’exécution, ne sont pas
évitables. Toutefois, le gouvernement doit présenter, dans le plus prochain
projet de loi de finances rectificative (PLFR), les mesures de régulation
budgétaire décidées. Le PLFR lui-même peut sembler contrevenir à la règle
de l’unicité lorsque les mesures envisagées auraient en fait pu être inscrites
dans le PLF initial.
d L’information documentaire exhaustive aménage le principe
d’unité
La profusion d’informations, d’études pour la meilleure information du
Parlement et la complexité du budget font que l’unité matérielle du budget a
évolué. En effet, le PLF est complété par des documents explicatifs
améliorant la compréhension par le Parlement, notamment le tome 1 de
l’évaluation des « voies et moyens » retraçant les recettes, le rapport
économique, social et financier, le rapport sur la dépense publique et son
évolution, les projets annuels de performance pour chaque programme du
budget général et pour chaque budget annexe et compte spécial (les
« bleus »), les documents de politique transversale qui concernent plusieurs
programmes (les « oranges », par exemple « Politique française en faveur
du développement »), les annexes informatives qui présentent l’effort
financier dans un domaine d’intervention (les « jaunes », par exemple
« effort financier de l’État en faveur des associations »).
e Vers une consolidation complète des comptes publics
Un prochain aboutissement du principe d’unité budgétaire pourrait être la
consolidation des comptes publics toutes administrations publiques
confondues, à commencer par ceux des opérateurs de l’État, puis à terme
avec les collectivités territoriales, les organismes de Sécurité sociale (OSS),
voire les entreprises publiques, dont la consolidation est certes à ce stade
partielle en comptabilité nationale mais absente en comptabilité budgétaire.
Un lourd chantier d’identification et de fiabilisation des opérations
réciproques (dettes et créances) entre l’État et ses opérateurs ou entre l’État
et les OSS est mené depuis plusieurs années par la direction générale des
finances publiques (DGFiP) sous le contrôle de la Cour des comptes.
Le développement de la certification des comptes du régime général de la
Sécurité sociale (que la LOLFSS de 2005 confie à la Cour des comptes) et
le projet de certification des comptes des principales collectivités
territoriales devraient permettre la consolidation des comptes publics,
aboutissement moderne du principe d’unité budgétaire. La Cour des
comptes assumerait le rôle d’un grand organisme d’audit.
En outre, sur le plan comptable, le principe d’unité budgétaire se double du
principe d’unité de trésorerie, lequel se traduit, pour les collectivités
territoriales, par une obligation de centralisation de leurs fonds auprès du
Trésor.
1.3 Le principe de spécialité
a Une forte emprise du pouvoir législatif
L’autorisation budgétaire ne doit pas consister à donner à l’exécutif un
blanc-seing pour dépenser l’argent public. Sous la Restauration se
développa la spécialité des crédits : le budget, d’abord voté par ministère
(loi du 25 mars 1817), puis par section de ministère (ordonnance du 1er
septembre 1827), puis par chapitre (loi du 29 janvier 1831 : « le budget des
dépenses de chaque ministère sera, à l’avenir, divisé en chapitres. Les
sommes affectées par la loi, à chacun de ces chapitres, ne pourront être
appliquées à des chapitres différents »). Cette loi de 1831 établit la règle
fondamentale de la spécialisation par chapitre qui sera reprise dans
l’ordonnance organique de 1959.
Sous la IIIe République, le budget était composé de quelque 850 chapitres,
ce qui étendit au maximum le pouvoir de contrôle (et donc d’obstruction)
du Parlement. Or, s’il peut sembler légitime de contraindre l’exécutif, il
convient de ne pas priver l’administration de marges de manœuvre. Si le
droit budgétaire français n’a jamais défini précisément le chapitre, l’article
7 précité proposait deux critères pour l’application du principe de
spécialité : le critère de la nature de la dépense, qui s’appliquait aux moyens
à mettre en œuvre (e.g. une dépense de personnel), et le critère de la
destination de la dépense, qui renvoyait à l’objectif à atteindre (e.g.
l’aménagement du territoire).
Tous les chapitres n’étaient pas spécialisés : il existait des crédits globaux
appelés « chapitres-réservoirs » par la Cour des comptes, à l’égard desquels
le Parlement ne pouvait exercer que difficilement son pouvoir de contrôle.
L’article 7 de l’ordonnance organique de 1959 prévoyait expressément
l’existence de crédits globaux pour faire face à des dépenses éventuelles.
De plus, la spécialité originaire pouvait toujours être modifiée en cours
d’exécution du budget, au moyen de virements de crédits (qui modifiaient
la nature de la dépense, virements qui étaient toutefois soumis à des
conditions restrictives). Enfin, la pratique des « services votés » affaiblissait
la spécialisation du vote parlementaire : 95 % des crédits étaient votés en
une seule fois sans examen détaillé.
b Vers la responsabilisation du gestionnaire
et donc une réforme du principe de spécialité
Selon le principe de spécialité, l’objet des dépenses publiques doit être
clairement spécifié. Cela comprend l’indication de la personne bénéficiaire
et de celle responsable de la dépense, de la nature économique de la
dépense (les titres, notamment fonctionnement, personnel, investissement),
de la finalité poursuivie et de la nouvelle classification fonctionnelle
(nouveauté issue de la LOLF). L’ensemble constitue la « nomenclature
matricielle ». Est recherché l’équilibre entre le respect de l’autorisation
accordée par une assemblée et la souplesse nécessaire à une action publique
efficace.
La réforme des modalités d’application du principe de spécialité budgétaire
est l’une des innovations majeures de la LOLF. Selon l’article 7 de la
LOLF, les crédits sont ventilés en missions. Chaque mission, qui est l’unité
de vote des parlementaires, correspond à une politique publique et peut
relever de plusieurs départements ministériels. Le PLF pour 2021 compte
34 missions au budget général. Une mission comprend l’ensemble des
programmes concourant à la politique définie. Les programmes, au nombre
de 135 dans le PLF pour 2021, sont monoministériels afin de faciliter la
gestion et les responsabilités. Enfin, les programmes sont ventilés en
actions pour le besoin du suivi budgétaire. Chaque budget annexe et chaque
compte du Trésor constituent une mission supplémentaire.
Après la présentation des crédits en fonction de l’objet, chaque programme
les ventile par nature à l’aide des titres. Le maintien de la traditionnelle
ventilation par titre permet de suivre des agrégats essentiels et de contrôler
la règle de la fongibilité asymétrique et donc les crédits de personnels.
Selon cette règle, il n’est pas possible d’accroître les dépenses de personnel
(titre 2) en transférant des fonds d’autres titres. Les transferts de crédits
entre les autres titres ou issus du titre 2 et à destination des autres titres sont
possibles à des fins de gestion plus fine et de responsabilisation des
gestionnaires (responsables de programme ou RPROG, responsables de
budget opérationnel de programme ou RBOP, responsables d’unité
opérationnelle ou RUO), qui bénéficient en effet d’un budget global et
peuvent ainsi allouer au mieux les crédits en fonction de leurs objectifs. Les
autres titres sont : dotations aux pouvoirs publics (titre 1), dépenses de
fonctionnement (titre 3), charges de la dette (titre 4), dépenses
d’investissement (titre 5), dépenses d’intervention (titre 6), dépenses
d’opérations financières (prêts, avances, participations) (titre 7).
Il convient de noter que le principe de spécialité ne s’applique pas aux
recettes. Pour le budget général, il est fait distinction entre les recettes
fiscales, non fiscales, les fonds de concours et les prélèvements sur recettes
(qui viennent en déduction).
c Les exceptions au principe de spécialité sont
peu nombreuses
Les fonds spéciaux sont l’apanage des services de renseignement,
notamment pour des actions de contre-espionnage. Ils font partie de la
mission « direction de l’action du gouvernement » mais sont soustraits aux
règles de la procédure budgétaire et de la comptabilité publique. Jusqu’en
2001, le Premier ministre disposait librement de ces fonds (environ 60 M€
annuels) sans aucun contrôle. Un rapport d’octobre 2001 sur les fonds
spéciaux demandé par le Premier ministre3 a donné lieu à un amendement
gouvernemental à la loi de finances pour 2002 qui réserve les fonds
spéciaux aux seules opérations des services de renseignement et instaure
une commission de vérification chargée de s’assurer que les crédits sont
utilisés conformément à leur destination. Leur montant est aujourd’hui de
l’ordre de 70 M€4.
L’Assemblée nationale et le Sénat bénéficient du principe d’autonomie
financière pour leurs budgets en vertu de l’ordonnance de 1958 relative au
fonctionnement des assemblées parlementaires. La raison est notamment la
séparation des pouvoirs (décision du Conseil constitutionnel du 27
décembre 2001 relative à l’article 115 de la loi de finances pour 2002). Ce
sont les commissions des questeurs des assemblées qui préparent les
propositions relatives aux crédits nécessaires au fonctionnement des
assemblées. Si les propositions sont séparées pour l’Assemblée nationale et
le Sénat, c’est une commission commune qui les arrête. Elle est composée
de sénateurs, de députés et de deux magistrats de la Cour des comptes qui
ont une voix seulement consultative. S’il n’y avait jusqu’à peu aucun
contrôle autre que parlementaire, depuis le budget 2014, l’Assemblée
nationale et le Sénat ont décidé librement de soumettre l’exécution de leurs
comptes au contrôle de la Cour des comptes. Il existe un engagement moral
à la publication de ces deux rapports.
Une autre exception concerne deux programmes de dotation regroupés au
sein de la mission « crédits non répartis » : la dotation « provision relative
aux rémunérations publiques », destinée à financer d’éventuelles dépenses
de personnel non ou insuffisamment budgétées, d’un montant de 199 M€ en
PLF 2021, et la dotation « dépenses accidentelles et imprévisibles ». Cette
dernière est destinée à faire face à des calamités et aux dépenses
imprévisibles (199 M€ pour 2021). Les crédits de ces deux dotations
peuvent ensuite être répartis par programme, par décret pour la première,
par arrêté du ministre des finances pour la seconde (art. 11 LOLF).
1.4 Le principe d’universalité
a Les règles de non-contraction et non-affectation assurent
une information complète et sincère du Parlement
La bonne information des parlementaires implique l’inscription au budget
de toutes les dépenses et recettes selon leur montant brut, sans
compensation, sans solde net. Aussi, toute dépense ou recette doit être
mentionnée dans la loi de finances. Le principe d’universalité a été affirmé
à l’article 18 de l’ordonnance organique de 1959, réaffirmé par la
jurisprudence constitutionnelle : interdiction d’affecter une recette
déterminée à une dépense déterminée (décision du 29 décembre 1982
relative à la loi de finances pour 1983).
La règle de non-contraction permet au Parlement d’assurer un contrôle réel
sur l’ensemble des dépenses en obligeant l’État à présenter, dans son projet
de loi de finances, l’ensemble des dépenses et des recettes qualifiées
d’opérations budgétaires. Ainsi, si pour la perception d’une recette de
100 000 €, 20 000 € de frais de recouvrement ont été engagés, la règle de
non-contraction interdit que les deux opérations soient comptabilisées une
seule fois en 80 000 € de recettes nettes. Le principe de non-contraction
exige que les 100 000 € et les 20 000 € soient inscrits séparément en
recettes et en dépenses. En définitive, le principe de non-contraction
empêche que des dépenses indues soient dissimulées aux yeux de la
représentation nationale : à cet égard, l’exigence d’universalité budgétaire
peut s’évaluer en rapport avec le principe de sincérité budgétaire, destiné à
garantir la transparence des comptes publics.
L’affectation des recettes limiterait considérablement les pouvoirs du
Parlement qui n’aurait, chaque année, qu’à approuver à nouveau le budget
prévu l’année passée ou à l’amender à la marge pour changer l’affectation
de certaines recettes à d’autres dépenses. L’idée d’intérêt général confère à
toutes les dépenses publiques une importance égale, de sorte qu’il n’est pas
possible de mettre en péril le financement d’une dépense en l’associant de
façon rigide à une recette. En effet, la diminution ou la disparition de cette
recette menacerait voire empêcherait la réalisation des dépenses liées qui
peuvent se révéler d’un intérêt national impératif.
Le principe de non-affectation permet au Parlement d’opérer un arbitrage
global conforme à l’intérêt général et de s’interroger régulièrement sur la
pertinence de chaque dépense. En effet, si sous le régime de l’ordonnance
de 1959, seuls 6 % des crédits faisaient l’objet de votes détaillés lors du
débat budgétaire, avec la LOLF la totalité des crédits est discutée au
Parlement (vote par mission) et fait l’objet d’une « justification au premier
euro ». Cette justification et la connaissance des dépenses de l’État sont à
même d’améliorer le consentement à l’impôt. À l’extrême, le consentement
serait davantage facilité si les contribuables choisissaient l’emploi de leur
contribution, comme ils peuvent d’une certaine manière le faire lorsqu’ils
bénéficient d’une réduction d’impôt, au taux de 66 % ou de 75 % selon les
dépenses financées, en contrepartie de dons à des œuvres d’intérêt général5.
Cette réduction d’impôt constitue cependant aussi une manière d’orienter
les dépenses des particuliers vers des dépenses qui auraient éventuellement
pu être prises en charge par la puissance publique, ce qui peut conduire à les
voir comme une exception au principe d’universalité, ces dépenses d’intérêt
général s’imputant pour partie sur les recettes fiscales. Il est également
possible de considérer que la puissance publique laisse jouer l’arbitrage
microéconomique des contribuables qui répartissent ces dépenses plus
efficacement que n’aurait pu le faire la puissance publique suivant leurs
propres affinités électives et sous leur contrôle. L’atteinte est donc limitée et
guidée par un principe de simplification administrative.
b À des fins de simplification administrative, les législateurs
organique et constitutionnel ont aménagé des exceptions
Les fonds de concours constituent une procédure ancienne qui a connu une
extension progressive en alimentant les recettes du budget de l’État pour
5,7 Md€ PLF pour 20216. Ils sont essentiellement constitués de la
participation par les collectivités territoriales à la réalisation de dépenses
d’intérêt général et d’abondement de la part de l’Union européenne dans le
cadre des fonds structurels. Dans une décision du 15 décembre 2005, le
Conseil constitutionnel a indiqué que ces fonds de concours devraient
désormais être fondés sur le volontariat. Cette décision a pour objectif la
diminution de ces fonds afin de renforcer le principe d’universalité.
La procédure d’attribution de produits est également une dérogation au
principe d’universalité et permet d’affecter à un service de l’État le produit
des recettes tirées de prestations de services qu’il facture à des tiers, comme
les redevances aériennes facturées par les services de la navigation aérienne
de la direction générale de l’aviation civile (DGAC). Elle permet d’inciter
les administrations à utiliser les possibilités qu’elles ont de générer des
recettes et décourage l’inertie administrative.
Enfin, la procédure de rétablissement de crédit permet de restituer à un
service donné les crédits consommés de façon erronée (comme le
versement indu d’un salaire à un fonctionnaire), les dépenses provisoires et
les cessions entre services de l’État.
L’exception des opérations de trésorerie se justifie par un souci de lisibilité
et d’efficacité de présentation des comptes au contrôle parlementaire. Les
très nombreuses opérations courantes réalisées par l’Agence France Trésor
ne sont pas toutes consignées dans le projet de loi de finances mais les
parlementaires sont informés par la situation mensuelle de l’État (SME).
Outre les informations de caractère budgétaire et celles relatives à la dette
financière, la SME présente en effet la trésorerie de l’État, sous la forme
d’un tableau des flux de trésorerie. Ces flux y sont ventilés par nature
précise, selon trois grandes catégories : flux d’activité, d’investissement et
de financement. L’existence des comptes spéciaux, des prélèvements sur
recettes et des budgets annexes, qui fait exception au principe d’unité
(cf. supra) est également dérogatoire au principe d’universalité.
Enfin, des procédures particulières facilitent la bonne destination des fonds.
Il s’agit de ressources mises à disposition de l’État, qui doivent être
dépensées selon l’intention de la personne qui les versent. Leur versement
est conditionné à leur affectation à une opération déterminée.
2 Les principes récents
L’accumulation de déficits importants, les engagements européens, la crise
économique et le rôle des agences de notation ont contribué à installer
durablement de nouveaux principes budgétaires. Deux principes
budgétaires supplémentaires ont notamment vocation à lutter en faveur de
l’assainissement des finances publiques : les principes d’équilibre et de
sincérité.
2.1 Le principe d’équilibre
a De l’équilibre strict à l’inscription au sein d’une réalité
économique
Les économistes classiques voyaient en le principe d’équilibre une stricte
égalité entre les recettes et les dépenses, sans déficit ni excédent. La pensée
de Keynes a remis en cause le dogme de l’équilibre budgétaire en période
de crise en introduisant la notion d’équilibre économique global : à moyen
terme, la relance doit permettre au déficit d’être remboursé par l’excédent
budgétaire. À partir des années 1960, ce raisonnement va faire l’objet de
critiques. Pour les monétaristes, le déficit budgétaire constitue soit un impôt
différé, soit une source d’inflation.
Souhaitable dans l’absolu, l’équilibre budgétaire n’est appréciable qu’en
fonction de la situation économique globale et de l’ensemble des équilibres
qui la composent (équilibre monétaire sur le marché des biens et des
services, sur le marché de l’emploi, du commerce extérieur). Le budget
aurait vocation à maintenir ces équilibres, le cas non échéant, à les
favoriser. Aussi, des situations temporaires d’excédent et de déficit ne
s’opposent pas nécessairement au principe d’équilibre. En effet, la
croissance n’est pas continue, dans la mesure où il est possible de distinguer
des cycles économiques. Ils sont, selon les auteurs, plus ou moins longs (de
trois à quatre ans pour le cycle de Kitchin à 40-60 ans pour le cycle
Kondratieff) et voient se répéter quatre phases : le démarrage (la reprise le
cas échéant), l’expansion, la surchauffe et la récession.
De toutes les façons, une loi de finances initiale (LFI) ne serait pas en état
d’assurer l’équilibre strict dans la mesure où elle ne reflète pas toujours la
réalité. En effet, certaines recettes et dépenses sont difficiles à évaluer. Les
lois de finances ne reflètent pas plus précisément la réalité de la situation
financière de l’État, comme vu pour les principes d’unité et d’universalité,
du fait des reports de crédits, des débudgétisations… Il demeure que le rôle
de la loi de finances n’est pas de fixer un objectif d’égalité entre les
ressources et les charges de l’État, mais de faire la clarté sur le montant et la
combinaison choisis pour leurs grandes composantes.
L’équilibre retenu au plan juridique est l’équilibre budgétaire, c’est-à-dire
correspondant à une comptabilité de caisse (enregistrant les encaissements
et les décaissements). L’appréciation de l’équilibre est tout autre dans le
cadre de la comptabilité générale de l’État (cf. chapitre 11), laquelle intègre
les engagements (ce qui est dû, par exemple suite à la passation d’un
marché) et la situation patrimoniale de l’État (par exemple ses terrains, ses
immeubles, ses créances) ; un bilan peut ainsi être dressé, dont l’équilibre
prend en compte l’actif et le passif de l’État sur le modèle de la
comptabilité générale des entreprises. Par conséquent, en comptabilité
générale de l’État, les dépenses d’investissement ne dégradent pas
l’équilibre comptable du bilan de l’État dans la mesure où il détient un bien
ou la promesse d’un même montant. Par exemple, l’achat d’un immeuble
est compensé par la détention dudit immeuble. La comptabilité budgétaire
enregistre, elle, exclusivement un déficit correspondant au prix de
l’immeuble.
Depuis 1965, seuls quatre budgets ont été exécutés en équilibre (1970,
1972, 1973, 1974). Il faut en effet distinguer deux équilibres : l’équilibre de
présentation (ou prévisionnel) qui ne figure que dans la loi de finances
initiale, qui est discuté par les parlementaires et corrigé par une loi de
finance rectificative, et l’équilibre d’exécution qui est l’équilibre constaté
par la loi de règlement (LR) une fois l’année écoulée et le budget exécuté.
b L’ambition d’équilibre contraint toujours davantage les lois
de finances
Le premier alinéa de l’article 1er de la LOLF dispose : « les lois de finances
déterminent, pour un exercice, la nature, le montant et l’affectation des
ressources et des charges de l’État, ainsi que l’équilibre budgétaire et
financier qui en résulte. Elles tiennent compte d’un équilibre économique
défini, ainsi que des objectifs et des résultats des programmes qu’elles
déterminent ». Cet équilibre budgétaire et financier s’entend factuellement
de celui qui résulte des ressources et des dépenses : il ne suppose pas un
solde budgétaire nul ou positif, comme le montre l’article d’équilibre de la
loi de finances.
Le 24 décembre 1979, le Conseil constitutionnel avait qualifié l’équilibre de
principe fondamental du droit public financier. Il en déduit le vote préalable
de la première partie de la loi de finances. La mise en discussion de la
seconde partie n’est pas possible en l’absence « de la disposition qui arrête
en recettes et en dépenses les données générales de l’équilibre ». Le vote
préalable de la première partie est repris à l’art. 42 LOLF. Le respect du
principe d’équilibre conditionne le contenu de la seconde partie. Ainsi,
l’adoption, en seconde partie, d’amendements modifiant les recettes ou les
crédits prévus en première partie est possible dès lors que de telles
modifications ne portent pas atteinte aux grandes lignes de l’équilibre
préalablement défini et arrêté par le vote de la première partie, notamment
au moyen de la règle du gage pour les dépenses supplémentaires7.
Lorsqu’une disposition est annulée par le Conseil constitutionnel, elle est
considérée comme séparable du reste de la loi de finances (et n’entraîne
donc pas l’annulation de cette dernière) dans la mesure où elle ne remet pas
en cause les données générales de l’équilibre budgétaire. Le gouvernement
veille du reste, au cours de l’exécution, à déposer un projet de loi de
finances rectificative lorsque les grandes lignes de l’équilibre économique
et financier présentées en LFI sont bouleversées.
La notion d’équilibre inscrite dans notre Constitution relève d’une autre
dimension puisqu’elle renvoie à une absence de déficit. La réforme
constitutionnelle de 2008 a ainsi introduit à l’article 34 de la Constitution :
« Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par
des lois de programmation. Elles s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des
comptes des administrations publiques. » Cet ajout consacre pleinement
l’objectif d’équilibre. Il amène également à remplacer les anciennes « lois
de programme à caractère économique et social » par des lois de
programmation. Chaque loi de finances s’inscrit au sein d’une loi de
programmation pluriannuelle des finances publiques (cf. chapitre 4).
c L’engagement européen de la France valorise
le principe d’équilibre
Dès le traité de Maastricht (1992), le droit de l’Union européenne insiste sur
l’équilibre. Il stipule notamment : « le caractère soutenable de la situation
des finances publiques (…) ressortira d’une situation budgétaire qui
n’accuse pas de déficit public excessif ». En ce sens, il a également été vu,
dans le chapitre 4, les conséquences en droit interne du TSCG et son
application.
L’enjeu actuel du principe d’équilibre est le pouvoir de contrôle,
d’appréciation et de sanction et notamment celui du juge constitutionnel. Il
devrait s’assurer que les lois de programmation des finances publiques
respectent le principe (constitutionnel) d’équilibre. Une référence serait
notamment la date prévue de retour à l’équilibre des finances publiques. Un
pas supplémentaire serait que le Conseil constitutionnel vérifie que les lois
de finances annuelles respectent les lois de programmation – ce que les lois
de finances ne sont pas tenues de faire en l’état du droit – ou un principe
constitutionnel d’équilibre. Or cela peut sembler difficile. En effet, le juge
s’éloignerait d’une analyse juridique pure et devrait développer une
expertise. Les décisions à prendre en faveur de finances publiques saines
sont souvent politiques, constituent des choix gouvernementaux, de la
majorité. Or le contrôle juridictionnel des choix politiques est généralement
minimal. En outre, il est peu probable que le Conseil constitutionnel prenne
le risque de censurer l’ensemble d’une loi de finances, privant la France de
son budget dans les temps et affectant sa crédibilité sur les marchés
financiers.
2.2 Le principe de sincérité
a Les parlementaires contrôlent l’exécution
de la loi de finances et les hypothèses de son élaboration
Le principe de sincérité repose sur la nécessaire bonne et fiable information
du Parlement. Le principe de sincérité s’inscrit dans l’obligation du
consentement à l’impôt de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen (art. XIV). Le principe d’universalité appelle un respect de la
sincérité d’après le juge constitutionnel dans une décision de 1982 : « le
principe de l’universalité budgétaire […] répond au double souci d’assurer
la clarté des comptes de l’État et de permettre, par là même, un contrôle
efficace du Parlement » (CC, décision no 82-154 DC du 29/12/1982, LFI
1983, cons. 20).
Après les nombreux textes budgétaires déférés par les parlementaires
devant le juge constitutionnel au motif d’insincérité, la décision du 21 juin
1993 du Conseil constitutionnel fait de ce motif un élément d’appréciation
de la constitutionnalité des lois de finances. En l’espèce, le Conseil
constitutionnel a accepté de vérifier la sincérité des prévisions des recettes
de privatisation.
La LOLF a consacré le principe de sincérité des lois de finances (art. 32)
dégagé par le juge constitutionnel et prévoit également la sincérité en
matière comptable (art. 27). Cette extension du principe de sincérité au
domaine des comptes de l’État est une nouveauté et a été consacrée sur le
plan constitutionnel par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui
a introduit la sincérité des comptes publics à l’art. 47-2 al. 2. Ces
enrichissements sont cohérents avec le contexte actuel de modernisation de
la gestion des finances publiques, lequel requiert plus de transparence et de
performance. L’article 47-2 de la Constitution confie à la Cour des comptes
le soin d’assister le Parlement et le gouvernement dans le contrôle de
l’exécution des lois de finances. Elle doit contrôler que « les comptes des
administrations publiques sont réguliers et sincères ». Cette disposition
s’inscrit dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel du 25 juillet 2001
qui précise que le principe de sincérité s’entend comme « imposant
l’exactitude des comptes » (décision no 2001-448 DC, LOLF, cons. 61). Le
contrôle peut être qualifié d’objectif car il s’agit d’un constat de l’exactitude
matérielle. Le principe de sincérité comptable est une transposition des
règles s’appliquant aux entreprises et notamment de l’art. L. 123-14 du code
de commerce : « les comptes annuels doivent être réguliers, sincères et
donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du
résultat de l’entreprise » ; l’article 27 LOLF, dispose dans son dernier alinéa
que « les comptes de l’État doivent être réguliers, sincères et donner une
image fidèle de son patrimoine et de sa situation financière ». Le
chapitre 11 traitera en détail de la certification des comptes.
La sincérité des lois de finances, prévue à l’article 32 de la LOLF, fait
davantage appel à la subjectivité : « Les lois de finances présentent de façon
sincère l’ensemble des ressources et des charges de l’État. » La sincérité
concerne la loi de finances et notamment ses prévisions budgétaires,
lesquelles se fondent sur les informations alors disponibles. Le cas échéant,
l’insincérité ne viendrait pas de l’acte même mais de son auteur, lequel
aurait manifestement l’intention de tromper. Dès sa décision du 25 juillet
2001, le Conseil constitutionnel indiquait que la sincérité se caractérisait
également « par l’absence d’intention de fausser les grandes lignes
déterminées par la loi de finances ». L’opposition politique soulève
systématiquement le grief d’insincérité dans son recours constitutionnel
contre la LFI. La responsabilité de la sincérité semblerait relever
essentiellement du pouvoir exécutif.
b Le juge suprême n’est pas juge politique
Pour toutes ces raisons et notamment la délicate appréciation, le Conseil
constitutionnel demeure prudent. Il ne se reconnaît pas compétent pour
juger « les choix de gestion du gouvernement » (décision du 30 décembre
1996, loi de finances pour 1997). Si une loi de finances est insincère, c’est
tout le projet qu’il faudrait revoir avec le risque qu’une année débute sans
autorisation budgétaire. Il faudrait donc que l’atteinte soit suffisamment
grave pour justifier la remise en cause de tout le calendrier budgétaire.
Le Conseil constitutionnel n’a jamais censuré la loi de finances pour
insincérité, exerçant un contrôle limité à celui de l’erreur manifeste
d’appréciation. L’exigence de la continuité de la vie nationale rend difficile
une censure de la loi de finances. Il faudrait que le gouvernement ignorât
délibérément les informations disponibles au moment de l’élaboration du
projet de loi de finances. Le Conseil constitutionnel donne toute sa place à
la LFR dans sa décision du 27 décembre 2001 : « si au cours de l’exercice
2002 les recouvrements de recettes constatés s’écartaient sensiblement des
prévisions il appartiendrait au gouvernement de soumettre au Parlement un
projet de loi de finances rectificative » (décision no 2001-456 DC, LFI
2002, cons. 4). Le Conseil constitutionnel admet avec constance ne pas
disposer « d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même
nature que celui du Parlement » et ne pourrait par exemple rectifier soi-
même des prévisions de recettes et de dépenses qu’il estimerait erronées.
c Vers une nouvelle organisation de l’élaboration des lois
de finances
Un enrichissement de la mise en œuvre du principe de sincérité consisterait
en un assouplissement du monopole gouvernemental pour l’élaboration des
lois de finances. À ce stade, l’élaboration est strictement gouvernementale,
à savoir confiée à l’administration du ministère chargé des finances,
nonobstant la communication d’informations aux commissions des finances
(depuis la LOLF). Il conviendrait que l’élaboration en elle-même fût
ouverte aux parlementaires, y compris ceux de l’opposition. La
participation active des parlementaires à cette « coproduction » du budget
réduirait les possibilités de recours pour insincérité ou, à tout le moins,
réduirait leur portée et renforcerait le niveau des informations disponibles et
l’enrichissement des rapports annexés (élasticités des recettes, des
dépenses, cadrage macroéconomique, éléments de chiffrage contradictoires,
etc.).
Davantage de place a d’ores et déjà été ménagée au principe de sincérité
grâce au rôle plus important donné à la Cour des comptes en matière de
sincérité des prévisions budgétaires. Si son rôle historique est le contrôle
des comptes, et donc de l’exécution (art. 57 et 58 LOLF et 47-2 de la
Constitution), il devenait indispensable de l’impliquer également dans la
préparation du budget. C’est ce qui est, en partie fait, avec le Haut Conseil
des finances publiques vu au chapitre 4.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• Le principe de sincérité budgétaire
• Le principe d’universalité
• L’équilibre des finances publiques
• Le principe d’annualité budgétaire
• Le principe d’unité budgétaire
• Le principe de spécialité budgétaire
• Les principes budgétaires sont-ils adaptés à une gestion moderne des finances publiques ?
• Le Conseil constitutionnel et les lois de finances
RÉFÉRENCES
Laurent Pancrazi, Le principe de sincérité budgétaire, Paris, L’Harmattan, 2012.
William Gilles, Les principes budgétaires et comptables publics, Paris, LGDJ, 2009.
Jean-Pierre Camby et Gérald Sutter, Le Budget de l’État : la LOLF, Paris, LGDJ, 2019
(4e édition).
CHAPITRE 7
La structure du budget de l’État
NOTIONS À MAÎTRISER
• PAP / RAP
• Performance
• Normes de dépense, dépenses pilotables, ODETE
• Dépenses par destination et par nature
• Tableau de financement
• Charte de budgétisation
• Principaux postes de dépenses de l’État, par destination et par nature
La manière dont est structuré le budget de l’État résulte des principes
budgétaires, tant classiques que récents, et de leur mise en musique par la
LOLF. L’évolution de ces principes est notamment la traduction de la
recherche de l’amélioration de la gestion publique. À cet égard, la LOLF a
introduit le souci de la performance dans l’élaboration et la structuration du
budget.
1 Atteindre l’équilibre des finances publiques grâce
à la LOLF
1.1 La LOLF organise les lois de finances
dans une logique de performance
L’ordonnance organique de 1959 ne répondait plus aux attentes dans un
contexte de complexification des finances publiques et d’endettement. Les
parlementaires avaient peu d’impact sur le budget et un faible contrôle
puisque 95 % des crédits étaient reconduits par un seul vote (services
votés). En outre, la spécialité était appliquée au niveau le plus fin, celui du
chapitre, ce qui ne laissait pas de marge de manœuvre aux gestionnaires. La
logique était celle des moyens et non des objectifs (et de leur atteinte). Le
Parlement n’était pas formellement informé des objectifs des crédits inscrits
au budget de l’État. La précision jouait contre la performance car elle ne
permettait pas de mesurer les efforts mis en œuvre par politique publique ;
le vote se faisait en moindre connaissance de cause. Quand l’endettement
public a dépassé 60 % du PIB au début des années 2000, l’une des causes
avancées était la lourdeur et l’opacité de l’action de l’administration et le
manque d’efficience de nombreuses dépenses.
Afin de donner davantage de transparence et de souplesse au budget de
l’État, la nomenclature budgétaire en missions, programmes et actions offre
plus de lisibilité et ouvre la voie à une meilleure gestion. Les programmes
sont déclinés par territoire et/ou par activité en budgets opérationnels de
programme (BOP), confiés à des gestionnaires (responsables de BOP)
lesquels sont placés au niveau le plus pertinent pour le programme
considéré : administration centrale, niveau interrégional, régional ou
départemental. Au niveau territorial, il s’agit souvent du préfet pour les
politiques publiques relevant des services territoriaux placés sous son
autorité1 ou des directeurs de ces services, qui peuvent se voir déléguer par
le préfet la qualité de RBOP ou être investis directement de cette fonction.
Le cycle de la loi de finances (cf. chapitre 9) de la LOLF donne des
pouvoirs accrus au Parlement, notamment d’amendement et de contrôle. Le
Parlement oriente les priorités de l’action publique en arbitrant entre les
programmes d’une même mission. Les gestionnaires doivent se justifier
devant les parlementaires (justification au premier euro).
En matière de recherche de performance, chaque programme est doté d’un
projet annuel de performance (PAP), lequel présente les coûts, les objectifs
(dotés d’indicateurs de performance) : « la présentation des actions, des
coûts associés, des objectifs poursuivis, des résultats obtenus et attendus
pour l’année à venir, mesurés au moyen d’indicateurs précis dont le choix
est justifié » (art. 51-5 LOLF). Les objectifs ont vocation à être précis,
définis en fonction des finalités d’intérêt général ainsi que des résultats
attendus et faisant l’objet d’une évaluation. Il y a environ trois objectifs par
programme afin que l’action publique demeure lisible et que les efforts ne
soient dispersés2.
La loi de règlement présente, pour chaque programme, les rapports annuels
de performance (RAP) afin de rendre compte au pouvoir parlementaire de
l’exécution de la loi de finances initiale et, le cas échéant, des lois de
finances rectificatives. L’article 54-4 LOLF prévoit de joindre « au projet de
règlement les rapports annuels de performance, faisant connaître, par
programme, en mettant en évidence les écarts avec les prévisions des lois de
finances de l’année considérée (…) ». C’est chaque gestionnaire, à chaque
niveau, qui justifie sa gestion.
Enfin, l’introduction d’une comptabilité générale répond aux attentes de
sincérité et de clarté en décrivant la situation patrimoniale de l’État. La
comptabilité d’analyse des coûts s’attarde sur le coût des actions,
permettant de le confronter aux résultats (cf. chapitre 11).
Malgré une forte volonté, la performance budgétaire n’a pas encore été
atteinte. Certains outils peuvent se révéler contre-productifs. Par exemple,
les acteurs se concentrent sur les indicateurs, quitte à prendre de mauvaises
décisions pour les atteindre au détriment de sujets nouveaux ou peu présents
dans les indicateurs. A contrario, de nombreux indicateurs sont difficiles à
renseigner, notamment dans le domaine social où la quantification et les
effets sont difficiles à mesurer. Les médias mettent régulièrement en avant,
par exemple, un indicateur relatif à la sécurité publique consistant en le
nombre d’enquêtes élucidées qui privilégierait une concentration sur les
affaires les plus simples voire la non prise de certaines plaintes. Enfin, la
recherche de la performance chronophage et autocentrée serait même
susceptible d’installer une « bureaucratie de la performance »3.
1.2 La progression de la dépense est arrêtée avant
la discussion du budget
La norme de la dépense, initiée en 1997, correspond à l’encadrement de la
progression des dépenses d’une LFI indépendamment des recettes,
lesquelles sont sensibles à la conjoncture (procyclicité). La tentation
pourrait être grande de dépenser plus en cas de recettes plus importantes
que prévues.
La loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années
2011 à 2014 a introduit une norme de dépense rigoureuse : la règle « zéro
valeur », qui exigeait un gel des dépenses en euros courants et s’entendait
hors contribution au compte d’affectation spéciale (CAS) pensions et hors
engagements financiers de l’État. Ainsi, des économies liées à la charge de
la dette ou aux pensions des fonctionnaires ne peuvent pas être redéployées
et contribuent obligatoirement à la réduction du déficit. L’article 8 de la
LPFP 2014-2019 a durci cette norme en valeur, en prévoyant non plus un
gel mais une diminution des dépenses.
C’est la lettre de cadrage du Premier ministre qui fixe la norme de la
dépense. De nombreuses dépenses étant inéluctables, le gouvernement et
son administration disposent d’une faible marge de manœuvre lors de
l’élaboration du PLF. L’arbitrage du Premier ministre porte ainsi davantage
sur une répartition des économies à réaliser. De nouvelles dépenses sont
donc conditionnées par la réduction d’autres : on parle de « redéploiement »
de crédits.
Depuis 2008, la norme de la dépense intègre, outre le strict budget de l’État,
les prélèvements sur recettes (PSR) et les affectations des recettes à d’autres
entités (des opérateurs par exemple). Les affectations de recettes sont des
moindres recettes, c’est-à-dire indirectement des dépenses.
L’article 9 de la LPFP 2018-2022 permet de conjuguer les deux visions en
introduisant une double norme de dépense de l’État. D’une part, « la norme
de dépenses pilotables de l’État » s’intéresse exclusivement aux dépenses
du budget général et aux budgets annexes (hors charges de la dette et
alimentation des comptes d’affectation spéciale notamment). Pour cette
première norme, les montants fixés pour 2020 à 2022 correspondent à une
cible de diminution de 1 % en volume (264,5 Md€ pour 2022). D’autre part,
l’objectif de dépenses totales de l’État (ODETE) intègre les dépenses
d’investissement d’avenir, la charge de la dette, les PSR, la TVA affectée
aux régions et la contribution au CAS pensions. Cette seconde norme est
fixée à 450,9 Md€ pour 2022. L’idée est ainsi de distinguer, grâce aux
dépenses pilotables de l’État, les dépenses pour lesquelles il dispose d’une
réelle marge de manœuvre des dépenses dont le montant lui est imposé, fut-
ce par lui-même à la faveur d’engagements antérieurs. Aussi, il est permis
de s’étonner de l’exclusion des prélèvements sur recettes des collectivités
territoriales dans la mesure où l’État a la capacité de les piloter
(contrairement au PSR au profit de l’Union européenne).
C’est la charte de budgétisation, établie par le ministère des finances, qui
définit les règles d’intégration de tout mouvement qui affecte directement
ou indirectement le niveau de dépense de l’État. L’actuelle charte est
présentée dans le rapport annexé au projet de loi de programmation des
finances publiques 2018-2022. Dans le cadre de la dynamique de
décentralisation, l’État réalise une économie lorsqu’il transfère plus de
dépenses que de recettes4. S’il y a désormais une obligation
constitutionnelle de compensation financière des transferts de compétences
aux collectivités territoriales et une disposition organique équivalente,
prévue par le code de la sécurité sociale, pour les ASSO5, les récipiendaires
des missions supplémentaires estiment ne pas bénéficier d’une
compensation à la hauteur de leurs nouvelles obligations. En effet, la
garantie de transfert initiale ne préjuge pas du dynamisme relatif des
recettes transférées par rapport aux dépenses qu’elles couvrent.
2 La formation de l’équilibre budgétaire
La loi de finances présente les ressources de l’État, puis les dépenses selon
une double nomenclature. Des recettes et des dépenses résultent un tableau
d’équilibre.
2.1 Les ressources de l’État
La loi de finances synthétise chaque année l’ensemble des ressources à la
disposition de l’État pour la mise en œuvre des politiques publiques et
figurant dans son budget.
L’essentiel de ces ressources vient des recettes fiscales – soit plus de 90 %
du total des recettes hors emprunt – constituées d’impôts directs ou
indirects prélevés à la fois sur les particuliers et les entreprises
(cf. graphique 1). Les autres recettes de l’État, outre l’emprunt, sont dites
non fiscales et se composent notamment du produit de son patrimoine et des
amendes.
Source : auteurs (données direction du budget).
Graphique 1 – La décomposition des recettes fiscales nettes de l’État (LFI 2021),
en Md€
À noter que, en 2021 et 2022, les recettes encore issues de la taxe
d’habitation et afférentes aux résidences principales abondent le budget de
l’État, ici dans la catégorie des autres contributions fiscales. A contrario, du
fait des modalités de compensation de la suppression de la taxe d’habitation
(cf. chapitre 15), l’État partage désormais les recettes de TVA, outre avec la
Sécurité sociale et les régions, avec les départements et les EPCI à fiscalité
propre.
2.2 Les dépenses de l’État sont ventilées par destination
et par nature
À des fins de bonne compréhension de la dépense publique, la LOLF
prévoit une double présentation des crédits de chaque programme : par
destination (les missions, structurées en programmes eux-mêmes
décomposés en actions) et par nature (les titres, décomposés en catégories).
Source : auteurs (données direction du budget).
Graphique 2 – La décomposition par destination des dépenses de l’État (LFI 2021),
en Md€ (principales missions, en crédits de paiement)
La décomposition du budget par missions (cf. graphique 2) permet aux
citoyens et à leurs représentants d’identifier à quelles fins sont consacrées
les recettes de l’État. En l’occurrence, les missions les plus importantes en
volume sont l’enseignement scolaire, la défense et les engagements
financiers de l’État (c’est-à-dire la dette). Il convient de noter la nouvelle
mission « plan de relance » pour 22 Md€, conséquence de la crise sanitaire
et économique liée à la Covid-19.
Plus finement que le programme, l’action précise la partie de la politique
publique ministérielle concernée, de manière à permettre le suivi de
l’utilisation des deniers publics et de l’évaluer. C’est l’action qui, dans les
PAP, est assortie des indicateurs de performance.
Cette nomenclature par destination est croisée, de manière matricielle, avec
la nomenclature par nature de dépenses définie à l’art. 5 de la LOLF (sept
titres et 18 catégories, cf. tableau 1). Cette dernière nomenclature est plus
classique et se situe dans la continuation de la présentation des crédits du
budget de l’État sous l’empire de l’ordonnance organique de 1959.
Toutefois, ses conséquences sont différentes sous le régime de la LOLF, la
ventilation entre titres étant indicative à l’exception des dépenses de
personnel (concept de fongibilité asymétrique, cf. chapitre 6). Elle apporte
pour autant un éclairage utile sur la destination du budget de l’État, dont on
peut ainsi relever qu’il est consacré, s’agissant du budget général, à 35 % à
des dépenses de personnel et à moins de 5 % à des dépenses
d’investissement.
Tableau 1 : Ventilation par nature des crédits – LFI 2021
En % du budget
général de l’État
Titre et catégories
et en montants de
crédits de paiement
Titre 1 : dotations des pouvoirs publics (Présidence de la
0,2 %
République, Assemblée nationale, Sénat, Conseil constitutionnel,
1,0 Md€
Haute Cour de justice, Cour de justice de la République).
Titre 2 : dépenses de personnel (rémunération d’activité ;
35,2 %
cotisations et contributions sociales ; prestations sociales et
135,5 Md€
allocations diverses).
Titre 3 : dépenses de fonctionnement (dépenses de fonctionnement
14,8 %
autres que celles de personnel ; subventions pour charges de service
57,1 Md€
public).
Titre 4 : charges de la dette de l’État (intérêts de la dette financière
9,6 %
négociable ; intérêts de la dette financière non négociable ; charges
36,8 Md€
financières diverses).
Titre 5 : dépenses d’investissement (dépenses pour immobilisations
4,7 %
corporelles de l’État ; dépenses pour immobilisations incorporelles
18,1 Md€
de l’État).
Titre 6 : dépenses d’intervention (transferts aux ménages ;
34,6 %
transferts aux entreprises ; transferts aux collectivités territoriales ;
133,3 Md€
transferts aux autres collectivités ; appels en garantie).
Titre 7 : dépenses d’opérations financières (prêts et avances ; 0,8 %
dotations en fonds propres ; dépenses de participations financières). 3,2 Md€
Source : Auteurs (données : www.budget.gouv.fr).
2.3 L’équilibre du budget et le tableau de financement
de l’État
L’équilibre du budget est une notion à la fois budgétaire et financière et se
traduit par deux tableaux, d’équilibre et de financement, portés par l’article
d’équilibre (cf. chapitre 10) de chaque loi de finances.
La première renvoie au solde du budget, soit à la différence entre les
recettes (hors emprunt) et les dépenses (hors remboursement du capital de
la dette). Pour 2021, la LFI prévoit ainsi un déficit de 173,3 Md€ pour le
budget de l’État (172,3 Md€ pour son budget général).
Tableau 2 : Tableau d’équilibre de la LFI 2021 (en M€)
RESSOURCES CHARGES SOLDE
Budget général
Recettes fiscales brutes / dépenses brutes 387 204 514 270
À déduire : Remboursements et dégrèvements 129 334 129 334
Recettes fiscales nettes / dépenses nettes 257 870 384 936
Recettes non fiscales 25 308
Recettes totales nettes / dépenses nettes 283 179 384 936
À déduire : Prélèvements sur recettes au profit
des collectivités territoriales et de l’Union 70 600
européenne
Montants nets pour le budget général 212 579 384 936 – 172 357
Évaluation des fonds de concours et crédits
5 674 5 674
correspondants
Montants nets pour le budget général y compris
218 252 390 610
fonds de concours
Budgets annexes
Contrôle et exploitation aériens 2 222 2 266 – 44
Publications officielles et information
159 152 7
administrative
Totaux pour les budgets annexes 2 381 2 418 – 37
Évaluation des fonds de concours et crédits
correspondants :
Contrôle et exploitation aériens 28 28
Publications officielles et information
administrative
Totaux pour les budgets annexes y compris
2 409 2 446
fonds de concours
Comptes spéciaux
Comptes d’affectation spéciale 77 607 77 236 370
Comptes de concours financiers 128 269 129 613 – 1 345
Comptes de commerce (solde) – 19
Comptes d’opérations monétaires (solde) 51
Solde pour les comptes spéciaux – 943
Solde général – 173 337
Source : LFI 2021, article 93.
La seconde renvoie au besoin annuel de financement de l’État, qui résulte
de l’addition de son déficit budgétaire et des amortissements de dette à
moyen et long termes (renouvellement des emprunts arrivant à échéance).
L’article d’équilibre de la loi de finances (cf. chapitre 9) comporte un tel
tableau de financement, nécessairement équilibré qui indique quelles sont
les ressources qui financent ce besoin de financement (cf. tableau 2). Le
même article autorise en conséquence l’émission d’emprunts.
Tableau 3 : Tableau de financement de l’État pour 2021 (en Md€)
Besoin de financement
Amortissement de la dette à moyen et long termes 118,3
Dont remboursement du nominal à valeur faciale 117,5
Dont suppléments d’indexation versés à l’échéance (titres indexés) 0,8
Amortissement de la dette reprise de SNCF Réseau 1,3
Amortissement des autres dettes reprises 0,0
Déficit à financer 173,3
Autres besoins de trésorerie 0,1
Total 293,0
Ressources de financement
Emission de dette à moyen et long termes, nette des rachats 260,0
Ressources affectées à la Caisse de la dette publique et consacrées au
0,0
désendettement
Variation nette de l’encours des titres d’État à court terme 19,5
Variation des dépôts des correspondants 7,0
Variation des disponibilités du Trésor à la Banque de France et des placements de
0,0
trésorerie de l’État
Autres ressources de trésorerie 6,5
Total 293,0
Source : LFI 2021, article 93.
La loi de règlement – laquelle arrête le montant définitif des dépenses et des
recettes de l’État – présente un tableau de financement qui décrit
l’exécution. La comparaison avec le tableau de financement de la LFI est
révélatrice de la sincérité du PLF sous réserve des éléments non prévisibles.
Les objectifs de performance et d’équilibre marquent la présentation du
budget de l’État. Sur le plan juridique, ils transparaissent aussi dans la
manière dont les différentes catégories de lois de finances sont bâties et
s’articulent entre elles.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• La présentation et la nomenclature du budget de l’État
• L’apport de la LOLF par rapport à l’ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique
relative aux lois de finances
• La mesure des performances dans la LOLF
• Objectifs et indicateurs de performances
• La LOLF a-t-elle des incidences sur les finances des établissements publics et celles des
collectivités territoriales ?
RÉFÉRENCES
Ministère de l’économie et des finances, juin 2012, Guide pratique de la LOLF. Comprendre le
budget de l’État.
http://www.performance-
publique.budget.gouv.fr/fileadmin/medias/documents/performance/approfondir/guidepratiquelo
lf2012/guidelolf2012.pdf
Cour des comptes, novembre 2020, Finances publiques : pour une réforme du cadre organique
et de la gouvernance.
Ministère chargé des finances, publication annuelle, Les chiffres clés du budget de l’État.
CHAPITRE 8
Les lois de finances
NOTIONS ET DONNÉES À MAÎTRISER
• Lois de finances initiale, rectificative, de règlement
• La structure des lois de finances (article liminaire, première partie, deuxième partie)
• Domaines de la loi de finances (exclusif, partagé, interdit) ; cavalier budgétaire
À l’initiative du pouvoir exécutif, les lois de finances (LF) permettent au
Parlement d’approuver et d’amender le travail préparatoire de
l’administration. C’est bien la représentation nationale qui doit
formellement autoriser la levée de l’impôt et choisir les grandes masses de
dépenses. La singularité des LF conduit à distinguer leurs domaines exclusif
obligatoire, exclusif facultatif, partagé et interdit. Dans l’année N – 1, la loi
de finances initiale (LFI) est préparée et votée. Le cas échéant, en N, une loi
de finances rectificative (LFR) peut l’ajuster1. Enfin, en N + 1, la loi de
règlement du budget et d’approbation des comptes (LR) fera le bilan de
l’exécution des LFI et LFR.
1 Les trois catégories de lois de finances
Actes de prévision, d’autorisation et de contrôle, les lois de finances
permettent une gestion responsable et performante des finances publiques.
Les lois de finances sont consacrées à l’article 34 de la Constitution : « les
lois de finances déterminent les ressources et les charges de l’État dans les
conditions et sous réserves prévues par une loi organique ». L’article 1er
LOLF précise : « les lois de finances déterminent, pour un exercice, la
nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges de l’État
ainsi que l’équilibre budgétaire et financier qui résultent (…) elles tiennent
compte d’un équilibre économique défini ainsi que des objectifs et des
résultats des programmes qu’elles déterminent ».
Il existe des catégories de lois de finances. La loi de finances initiale (LFI)
est un acte de prévision et d’autorisation juridique constituant le document
central des finances de l’État. La loi de finances rectificative (LFR) modifie
la LFI notamment pour accompagner les évolutions conjoncturelles et
politiques. La loi de règlement du budget et d’approbation des comptes
(LR) arrête le montant définitif des recettes et dépenses exécutées, et le
solde budgétaire. Enfin, la loi de finances spéciale (art. 45 LOLF) existe
lorsque la LFI n’a pu être promulguée avant le début de l’année (procédure
d’urgence).
1.1 La LFI établit la perception des ressources et arrête
l’équilibre budgétaire
a La LFI présente en année N – 1 le budget de l’année
N et autorise son exécution
La LFI est un document obligatoire qui rend possible la continuité de la vie
publique. En effet, sans son adoption, l’État ne pourrait ni percevoir les
recettes de l’année et notamment recouvrer les impôts ni autoriser les
dépenses. Cela traduit le nécessaire consentement à l’impôt des citoyens
(cf. chapitre 5). En conformité avec le principe d’annualité de l’autorisation
de perception des impôts prévu à l’article 34 LOLF, l’article 1er de la LFI
autorise la perception des impôts existants qui sont affectés à l’État, aux
collectivités territoriales et aux autres administrations publiques.
L’ouverture de crédits par la LFI précise le montant et l’objet de la dépense.
Les lois de finances affectent les crédits en fonction d’objectifs déterminés
et de résultats et leur emploi doit être justifié au premier euro, comme le
développe le chapitre 7. Les ordonnateurs et les comptables exécuteront
cette LFI durant l’année modulo les marges de manœuvre des gestionnaires
et les LFR.
La LFI est un acte politique puisqu’elle permet au gouvernement de mettre
en œuvre sa politique qui est traduite et autorisée concrètement. Son
adoption par le Parlement donne à ce dernier le pouvoir de valider les
orientations gouvernementales, de les discuter, de les préciser et, le cas
échéant, de les amender. Cet acte financier résume in fine toute l’action
gouvernementale.
b La LFI comporte un article liminaire donnant une vision
d’ensemble des finances publiques
La loi organique no 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la
programmation et à la gouvernance des finances publiques prévoit, en son
article 7, que les LFI, LFR et LFSS comportent « un article liminaire
présentant un tableau de synthèse retraçant, pour l’année sur laquelle elles
portent, l’état des prévisions de solde structurel et de solde effectif de
l’ensemble des administrations publiques, avec l’indication des calculs
permettant d’établir le passage de l’un à l’autre ». Il figure obligatoirement
dans les PLF depuis le PLF 2014.
Cet article liminaire donne aux parlementaires une vision d’ensemble de
l’état des finances publiques, au-delà de celles de l’État, et de ses
perspectives. C’est dans le même esprit que chaque PLF précise, dans le
cadre du tableau de synthèse, « les soldes structurels et effectifs de
l’ensemble des administrations publiques » pour les années N – 2 et N – 1.
L’article liminaire répond également à un objectif de transparence quant à la
présentation des soldes budgétaires retenue par le gouvernement. L’exposé
des motifs des PLF, PLFR et PLFSS doit d’ailleurs indiquer « si les
hypothèses ayant permis le calcul du solde structurel sont les mêmes que
celles ayant permis de le calculer pour cette même année dans le cadre de la
loi de programmation des finances publiques ».
c La structure de la LFI est claire, ce qui facilite
sa compréhension et son exécution
La « loi de finances de l’année comprend deux parties distinctes » (art. 34
LOLF).
La première partie dispose sur les ressources qui affectent l’équilibre
budgétaire de l’année, c’est-à-dire les dispositions qui « constituent sa
raison d’être et sont indispensables pour qu’elle puisse remplir un objet »
(titre I) et celles qui assurent l’équilibre des ressources et des charges (titre
II). En sus de l’autorisation de perception vue plus haut, les autres articles
fiscaux du titre I concernent les modifications fiscales ayant un effet sur
l’année de la LFI. Ce titre dispose aussi sur les affectations de ressources,
notamment au profit des collectivités territoriales et des comptes spéciaux
du Trésor. Enfin, deux articles fixent le montant des prélèvements sur
recettes (PSR) au profit des collectivités territoriales et du budget de
l’Union européenne (art. 6 LOLF).
Le titre II est constitué d’un seul article dit d’équilibre qui est la clé de
voûte de la loi de finances. Il fixe les données générales de l’équilibre
budgétaire présentées dans un tableau d’équilibre (art. 37-1 LOLF)
(cf. chapitre 7). Il évalue les ressources fiscales et non fiscales (détaillées
dans l’état A annexé à la LF) et présente les masses budgétaires pour le
budget général, les comptes annexes et les comptes du Trésor. Ce faisant, il
indique les soldes budgétaires et, par voie de conséquence, le niveau de
déficit prévisionnel, lequel sera donc autorisé par la LF. Le tableau est
synthétique et présente les ressources brutes du budget général
correspondant aux recettes fiscales et non fiscales diminuées des
remboursements et dégrèvements d’impôts aboutissant aux « ressources
nettes », puis diminuées des PSR aboutissant aux « montants nets pour le
budget général ».
Comme vu dans le chapitre précédent, la LOLF complète cette présentation
avec le tableau de financement, lequel évalue les ressources et les charges
de trésorerie permettant l’équilibre financier, suite aux autorisations
relatives aux emprunts et à la trésorerie de l’État. Cet article fixe également
le plafond autorisé des emplois en équivalents temps plein rémunérés par
l’État. Enfin, conformément à la loi organique du 12 juillet 2005 modifiant
la loi organique du 1er août 2001, une disposition de la loi de finances
présente l’utilisation des éventuels surplus du produit des impôts
(généralement à des fins de réduction du déficit budgétaire).
La seconde partie de la LFI ne peut être abordée qu’après l’adoption de la
première partie (art. 42 LOLF). En effet, ce n’est qu’après des recettes
autorisées et l’équilibre établi que la dépense peut être engagée. Cette partie
permet de répertorier les missions pour le budget général, les budgets
annexes et les comptes spéciaux du Trésor. Chaque mission regroupe les
crédits consacrés à une politique publique. Les crédits sont arrêtés en
autorisations d’engagement (AE) et en crédits de paiement (CP). Est
rappelé le plafond des autorisations d’emplois par département ministériel
et par budget annexe. Sont également prévus les chapitres pouvant
bénéficier d’une majoration du plafond de report de CP (cf. chapitre 10).
Le titre II de la seconde partie peut comporter diverses nouvelles mesures
fiscales et budgétaires dépourvues d’incidence financière sur le budget de
l’année N.
Enfin, les états annexés (de A à E) complètent des dispositions de la loi de
finances dont ils font partie. L’état A « tableau des voies et moyens »
précise les évaluations des recettes fiscales (détaillées par impôt) et non
fiscales, les PSR, les recettes des budgets annexes et des deux catégories de
comptes spéciaux dotés de crédits. L’état B ventile les crédits AE et CP
entre les missions du budget général. L’état C répartit par mission et
programme les crédits des budgets annexes. L’état D répartit les crédits des
comptes de concours financiers et d’affectation spéciale. Enfin, l’état E
répartit les autorisations de découvert des comptes de commerce et des
comptes d’opérations monétaires.
1.2 Les LFR peuvent aménager les engagements
de la LFI
a Au cours de l’exécution, les LFR adaptent et modifient la LFI
Les LFR (art. 35 LOLF), également appelées « collectifs budgétaires »,
interviennent au cours de l’année pour modifier la LFI. Il y en a eu quatre
en 2020, notamment du fait des mesures appelées par la crise sanitaire
persistante, inimaginables lois de l’élaboration du PLF pour 2020. Elles ont
le monopole de telles modifications2. Il y en a aujourd’hui une ou plusieurs
par an. Elles permettent de prendre en compte les évaluations révisées des
ressources, de modifier les crédits au-delà de ce que le gouvernement peut
faire seul lors de l’exécution (par voie réglementaire) et de déterminer le
nouvel équilibre budgétaire qui en résulte. Elles permettent aussi d’intégrer
de nouvelles priorités gouvernementales (suite, par exemple, à des
élections3, à un changement de Premier ministre) ou de réagir à des crises
de grande ampleur.
Les LFR sont soumises aux mêmes règles que les LFI en ce qui concerne
leur contenu et leur dépôt à l’Assemblée nationale. En revanche, la
discussion des crédits n’a pas lieu mission par mission et seul le ministre
chargé du budget soutient le projet de loi. Les débats sont relativement
brefs. À l’instar des LFI, les LFR fixent des plafonds de dépenses et des
autorisations d’emplois et présentent un tableau d’équilibre. L’article 53 de
la LOLF prévoit leur accompagnement par un rapport présentant la
situation économique et budgétaire justifiant la LFR et une annexe
explicative détaillant et justifiant les modifications de crédit proposées.
Enfin, des tableaux rappellent les mouvements intervenus par voie
réglementaire et relatifs aux crédits de l’année en cours (décrets
d’annulation, de répartition, de virement, de transfert).
b Les LFR peuvent altérer le pouvoir budgétaire parlementaire
Le principe de sincérité appelle le dépôt, par le gouvernement (qui en a le
monopole), d’une LFR lorsque l’équilibre défini en LFI risque d’être
bouleversé. À l’inverse, la fragmentation de l’autorisation budgétaire nuit
au principe d’unité et au contrôle par le Parlement, d’autant plus que les
LFR sont adoptées dans l’urgence, et, pour celle(s) de fin d’année, en même
temps que l’examen du PLF. En outre, considérer les LFR comme des lois
de validation des décisions budgétaires au cours de l’année par le
gouvernement amoindrirait encore le pouvoir budgétaire législatif. En fin
d’année, les LFR sont courantes et ratifient les décrets d’avance, le plus
souvent la semaine de décembre lors de laquelle l’Assemblée nationale a
terminé la première lecture de la LFI de l’année suivante.
1.3 La LR rend compte de l’exécution
a La LR constate et approuve les comptes
La LR achève le cycle budgétaire. À la différence des autres lois de
finances, elle ne comprend pas des actes de prévision et d’autorisation mais
constitue un acte de constatation et d’approbation : elle « arrête le montant
définitif des ressources et des charges de trésorerie ayant concouru à la
réalisation de l’équilibre financier de l’exercice précédent » (art. 37 LOLF).
La LR constate le solde budgétaire de l’année ; approuve, le cas échéant,
des différences entre ces résultats et les prévisions ; autorise, le cas échéant,
une augmentation des découverts du Trésor. Elle permet au Parlement
d’examiner les comptes de l’État notamment en procédant à la ratification,
le cas échéant, des décrets d’avance intervenus depuis la dernière loi de
finances et d’apurer les pertes et les profits des comptes spéciaux. Un
tableau de financement, symétrique à celui de la LFI, confronte les résultats
d’exécution avec les données prévisionnelles.
Le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de
l’État 2020 nous apprend, par exemple, que 478 Md€ ont été mobilisés par
le gouvernement pour faire face à la crise sanitaire, que le déficit budgétaire
de l’État s’élève à 178,1 Md€ et rappelle que l’Insee prévoit un déficit
public de 9,2 % du PIB (publication du 26 mars 2021).
b La LR évalue et prépare la performance des lois de finances
Tout d’abord, la LR constitue un contrôle politique a posteriori. À cette fin,
la LOLF l’a fait évoluer d’une ratification comptable à un levier
d’évaluation des politiques publiques. L’article 46 de la LOLF impose une
approbation rapide de la LR après la clôture d’un exercice budgétaire, le
texte devant être déposé, au plus tard, le 1er juin de l’année N + 1. Ensuite,
l’adoption de cette LR (relative donc à la LF N, elle-même adoptée en
N − 1) devient une condition sine qua non du début de la discussion de la
LFI N + 2 (art. 41 LOLF).
Afin que le chaînage soit vertueux, encore faut-il que les débats
parlementaires soient riches. Face à l’intérêt modeste manifesté jusqu’alors
par le Parlement4, dès 2018, le nouveau printemps de l’évaluation a
ambitionné de renforcer la place de la LR. À l’Assemblée nationale, dès le
début de l’année, des rapporteurs spécialisés, issus de la commission des
finances, s’emparent d’un thème afin de fournir une évaluation en
recourant, entre autres, à des enquêtes ou autres auditions. Ainsi outillée, la
commission des finances peut auditionner, fin mai-début juin, les ministres
afin d’évaluer la performance des politiques dont ils avaient la
responsabilité et donc la qualité de l’exécution de la LF N−1. Enfin, trois
jours de séance publique permettent à tous les députés d’interroger les
membres de l’exécutif. C’est en connaissance de cause que les comptes de
l’année écoulée peuvent être approuvés.
Ainsi, plein bénéfice pourra être tiré des travaux de la Cour des comptes,
laquelle accompagne la réflexion des parlementaires relative à l’exécution
du budget au moyen des notes d’exécution budgétaire (NEB) rédigées pour
chaque mission (art. 58-4 LOLF). Surtout, le projet de LR doit être
accompagné de la certification par la Cour des comptes de la régularité et
de la sincérité des comptes de l’État.
2 Domaines obligatoire, exclusif, partagé et interdit
des lois de finances
Le législateur est contraint par les dispositions organiques dans le contenu
des lois de finances qu’il vote. Ces dernières, notamment les lois de
finances initiale et rectificative, ont en effet un domaine très encadré par
l’article 34 de la LOLF.
2.1 Les lois de finances ont un domaine exclusif
a Le domaine exclusif obligatoire
Une loi de finances initiale doit obligatoirement comprendre certaines
dispositions. En effet, elle ne saurait exister sans moyen et donc sans
l’autorisation de perception des ressources de l’État. Il convient de
connaître le montant de ces moyens, ce qui appelle une évaluation (sincère)
du produit des recettes. Afin de respecter le principe d’équilibre et de
maîtriser les coûts, la loi de finances fixe le montant des AE et des CP du
budget général et les plafonds des autorisations d’emplois, ainsi que les
données générales de l’équilibre budgétaire (tableau d’équilibre). Enfin,
pour assurer son financement complet, une LFI doit présenter les
autorisations relatives aux emprunts et à la trésorerie de l’État. Cela
implique l’évaluation des ressources et des charges de trésorerie (tableau de
financement). Ces dispositions ne peuvent figurer dans une loi ordinaire.
b Le domaine exclusif facultatif
Certaines dispositions, sans être obligatoires, doivent faire partie de la loi de
finances lorsqu’elles existent. Il en est ainsi des affectations de recettes au
sein du budget de l’État, des affectations à une autre personne morale d’une
imposition de toute nature ou d’une ressource de l’État, de l’évaluation des
prélèvements sur recettes (au profit des collectivités territoriales et du
budget de l’Union européenne).
Les lois de finances ont également vocation à ratifier des décrets établissant
des redevances pour services rendus, relatifs aux dérogations au principe de
dépôt auprès de l’État des disponibilités des collectivités territoriales (unité
de trésorerie), au plafond de variation nette de la dette ou à la majoration du
plafond de report de crédits. Font aussi partie du domaine réservé des lois
de finances, l’autorisation de l’octroi de garanties de l’État et la fixation de
leur régime, et l’autorisation des prises en charge des dettes de tiers et la
fixation de leur régime.
2.2 D’autres dispositions ne sont pas propres aux lois
de finances
a Le domaine partagé
Le domaine partagé des lois de finances recouvre des éléments qui peuvent
se trouver en loi de finances mais pourraient également l’être dans une loi
ordinaire. Il en va ainsi des dispositions relatives à l’assiette, au taux et aux
modalités de recouvrement des impositions de toute nature, des dispositions
affectant directement les dépenses budgétaires de l’année, des modalités de
répartition des concours de l’État aux collectivités territoriales, de
l’approbation des conventions financières, des dispositions relatives à
l’information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances
publiques, des dispositions relatives à la comptabilité de l’État et au régime
de la responsabilité pécuniaire des agents des services publics.
Naturellement, toute disposition ayant une incidence sur l’équilibre
budgétaire de l’État doit in fine être ratifiée par une loi de finances, par
exemple une LFR si ces dispositions interviennent en cours d’exercice
budgétaire.
b Le domaine interdit
Ce qui ne peut faire partie des domaines obligatoire, exclusif ou partagé est
interdit dans les lois de finances. Ces dispositions interdites sont appelées
« cavaliers budgétaires » et peuvent être censurées par le CC. Par exemple,
la LFI 2021 étendait les possibilités pour les organismes de formation
professionnelle de collecter des contributions supplémentaires de la part des
entreprises sur une base volontaire, or une telle disposition ne présentait pas
un caractère fiscal et n’entrait donc pas dans le domaine des LF. La
tentation est grande d’insérer des cavaliers budgétaires dans les LF dans la
mesure où la procédure parlementaire relative aux lois de finances est plus
rapide que celle d’une loi ordinaire (cf. chapitre 9). A contrario, une loi
ordinaire ne peut contenir des dispositions appartenant au domaine exclusif.
Les politiques publiques, les choix politiques sont mis en œuvre grâce aux
lois de finances et les moyens qu’elles accordent. Par conséquent, ces textes
législatifs revêtent une importance particulière ; ils sont la condition sine
qua non de l’action publique. Aussi, il convient d’accorder une attention
soutenue aux processus et conditions de leur élaboration.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• Les lois de finances
• Le domaine de la loi de finances
CHAPITRE 9
La préparation et l’adoption
du budget de l’État
NOTIONS À MAÎTRISER
• Lettre de cadrage ; lettre plafond
• PMT
• Conférences budgétaires
• DOFP
• Bleu ; jaune ; orange
• Irrecevabilité financière ; gage
Le budget constitue le document comptable retraçant l’ensemble des
prévisions de recettes et de dépenses, alors que la loi de finances (LF) est
l’acte juridique par lequel le Parlement autorise la levée de l’impôt et
l’exécution de la dépense. Sous la Ve République, sa préparation et son
dépôt demeurent le monopole du gouvernement. Avec la LOLF (2001), le
Parlement a toutefois été davantage intégré. La procédure budgétaire est
caractérisée par la préparation du projet de loi de finances (PLF) par le
gouvernement sous l’autorité du Premier ministre (art. 38 LOLF) et sa
discussion puis son adoption par le Parlement.
1 Les phases politiques et administratives
de l’élaboration des lois de finances
Phases politiques et administratives sont indissociablement liées.
1.1 Le rôle du pouvoir exécutif dans l’élaboration
des lois de finances
Le pouvoir exécutif a une maîtrise complète de la préparation du PLF :
« Sous l’autorité du Premier ministre, le ministre chargé des finances
prépare les projets de loi de finances qui sont délibérés en Conseil des
ministres » (art. 38 LOLF). Le contexte actuel fait de l’élaboration du PLF
un moteur de recherche de performance, d’économies et de répartition de
l’effort budgétaire.
a Les ministères négocient la hauteur de leurs moyens…
En janvier, un séminaire gouvernemental élabore la stratégie budgétaire
générale pour l’année suivante. En parallèle, les ministères recensent et
évaluent leurs besoins pour le prochain budget (la stratégie ministérielle de
réforme).
En outre, pour chaque ministère, les années paires, la direction du budget du
ministère chargé du budget réalise ses propres estimations afin de garantir
la soutenabilité de la prévision à moyen terme (PMT, sur trois ans). Les
années impaires sont élaborées des prévisions pluriannuelles portant
traditionnellement sur deux années. Après synthèse de ces travaux, le
Premier ministre adresse en mars ou avril les lettres de cadrage
individualisées aux ministres leur précisant les orientations qu’ils doivent
suivre pour élaborer leurs budgets et imposant la norme de dépense.
Chaque ministère doit, entre février et avril, étudier, avec le ministère
chargé du budget, les réformes structurelles relatives à son administration
(par exemple en termes de redéploiement de personnels ou de
réorganisation territoriale du réseau le cas échéant). En parallèle, la
direction du budget rencontre les directions financières des ministères afin
d’étudier, au cours de conférences budgétaires, leurs demandes de crédits et
d’effectifs, lesquelles doivent être cohérentes avec le cadrage budgétaire
global. À la fin de cette période, les conseillers du Premier ministre
organisent des réunions afin de traduire en réformes les économies
structurelles identifiées.
Afin de respecter la démarche de performance, la direction du budget et les
ministères élaborent, en avril, les objectifs et les indicateurs de performance
qui seront présentés lors du débat d’orientation des finances publiques et
qui constitueront le socle des projets annuels de performance.
En mai sont présentées au ministre chargé du budget les propositions
budgétaires, résultats des réunions entre ses services et ceux des ministères.
Le Premier ministre s’appuie sur ces restitutions pour adresser, à chaque
ministre, en juin, une lettre plafond qui arrête le montant maximum des
crédits par mission, les plafonds d’emplois ainsi que les réformes à mettre
en œuvre.
b … ainsi que leur ventilation conformément à la nomenclature
budgétaire
Entre juin et septembre se tiennent les conférences de répartition entre les
ministères et la direction du budget. Le but est de répartir les crédits des
missions entre leurs différents programmes (pour mémoire, une mission
peut être pluri-ministérielle alors que le programme est mono-ministériel)
tout en vérifiant la soutenabilité et la sincérité des répartitions proposées par
les ministères. Les responsables de programme précisent leur stratégie et les
objectifs à atteindre. Aussi, les documents budgétaires, et notamment les
projets annuels de performances (les « bleus », cf. encadré) et la
justification au premier euro des crédits, peuvent être terminés pendant
l’été. Étant donné la contrainte temporelle, les responsables de programme
n’ont guère la possibilité d’échanger avec leurs responsables de budgets
opérationnels de programme ou les préfets, lesquels seront pourtant chargés
de l’exécution.
Le PLF est ensuite examiné par le Conseil d’État et adopté en Conseil des
ministres dans la seconde quinzaine du mois de septembre. La LOLF
n’impose au gouvernement qu’une obligation de résultat : le délai imposé
par l’article 39 : « Le projet de loi de finances de l’année, y compris les
documents prévus aux articles 50 et 51, est déposé et distribué au plus tard
le premier mardi d’octobre de l’année qui précède celle de l’exécution du
budget. »
Enfin, le PLF présenté en octobre est désormais, depuis le PLF pour 2021,
assorti de la présentation d’un budget vert destiné à éclairer la
représentation nationale et le public quant à l’impact environnemental du
budget de l’État (cf. encadré ci-après).
ENCADRÉ
ENCADRÉ
La « chromatologie » budgétaire et le « budget vert »
Les annexes au PLF
Les « jaunes » sont des annexes générales, prévues au 7° de l’article 51 de la LOLF mais
définies par les lois et règlements. Ils doivent être déposés devant le Parlement avant la
discussion des opérations auxquelles ils se rattachent : ce sont des fiches récapitulant les
efforts financiers en faveur ou en provenance de certains secteurs tels que l’Union
européenne, la gestion de certains organismes tels que les agences de l’eau, le bilan de
certains secteurs d’activité telle la formation professionnelle et les éléments importants de
la gestion publique telle la politique de l’État actionnaire. Leur but est de replacer ces
activités dans un contexte pluriannuel et de les analyser afin de dresser un bilan des actions
menées lors des exercices précédents. Le nombre avait considérablement augmenté pour
dépasser les 30 au début des années 2000, ce qui entraîna une réduction de leur nombre par
souci de visibilité. Ainsi, le PLF pour 2008 était accompagné de 18 jaunes. Le choix d’une
information la plus exhaustive des parlementaires conduit le PLF pour 2021 à en présenter
29.
Parmi les documents annexés les plus importants figurent les annexes explicatives, dites
« bleus budgétaires ». Ceux-ci sont accompagnés des projets annuels de performance
(PAP). Le but de ces documents est d’expliquer précisément chaque article du projet de loi
de finances déposé par le gouvernement, de telle sorte que le Parlement puisse apprécier la
justification, la pertinence et les perspectives des mesures envisagées, assurant ainsi un
contrôle effectif des finances publiques.
Les « oranges » sont apparus avec la loi de finances pour 2005 et sont aussi nommés
documents de politique transversale (DPT). Il s’agit de documents qui, pour chaque
politique concernée (par exemple, la sécurité civile), développent la stratégie mise en
œuvre, les crédits, les objectifs et indicateurs y concourant. Ils approfondissent la vision
d’ensemble des politiques publiques déjà offerte par les jaunes en se concentrant
notamment sur les actions interministérielles recouvrant plusieurs missions, demandant un
effort supplémentaire de coordination et une explication adaptée. Leur objectif affiché est
d’améliorer la coordination par un ministre chef de file d’actions de l’État relevant de
plusieurs ministères et de plusieurs programmes qui concourent à une politique
interministérielle et de favoriser l’obtention de résultats socio-économiques communs
(circulaire du 29 mars 2007). Chaque orange comprend trois parties : la première présente
les différentes politiques transversales en listant les programmes concernés ; la deuxième
partie envisage une présentation stratégique des politiques transversales étudiées ; la
troisième partie est constituée d’annexes explicatives.
Le budget vert ou de la performance environnementale des politiques publiques
Le budget, en ce qu’il recouvre l’action du gouvernement et de la majorité parlementaire,
revêt une dimension politique importante, porteuse d’ambition. C’est ainsi que, précurseur,
la France mesure l’impact du budget de l’État sur l’environnement. Le 1er octobre 2020,
les ministres en charge respectivement de l’écologie, de l’économie et des finances, et des
comptes publics ont présenté le premier « budget vert » à la faveur du PLF pour 20211. Il
permet de classer les mesures budgétaires et fiscales selon leur impact sur l’environnement
et d’identifier les ressources publiques à caractère environnemental. La France peut ainsi
afficher combien elle respecte ses engagements internationaux comme l’accord de Paris de
2016 sur le climat.
Le PLF pour 2021 recouvrirait 43 milliards d’euros de dépenses favorables à
l’environnement ; on peut penser à l’attention portée à l’aide au développement,
aux crédits en faveur des énergies renouvelables, à certaines infrastructures de transport,
notamment ferroviaires. Par ailleurs, les dépenses à impact défavorable baisseraient, à
l’instar des exonérations ou taux réduits sur les taxes relatives aux carburants ou des
dépenses en faveur du transport aérien. En outre, sur les 100 Md€ du plan « France
Relance », 32 seraient favorables à l’environnement et aucune dépense n’y serait
défavorable.
1.2 Le débat d’orientation des finances publiques permet
au Parlement de jouer un rôle actif
Afin que le Parlement puisse, par la suite, examiner de manière avertie le
PLF qui lui sera soumis, un débat d’orientation des finances publiques
(DOFP) est prévu en amont, fin juin. Il s’agit de l’institutionnalisation du
débat d’orientation budgétaire (DOB) qui était systématique depuis 1998.
L’article 48 de la LOLF prévoit que le rapport d’orientation soumis par le
gouvernement aux assemblées précise la liste des missions, programmes et
indicateurs de performance figurant dans le PLF de l’année à venir. Il
présente les perspectives économiques, les grandes orientations politiques,
budgétaires et économiques, ainsi qu’une évaluation à moyen terme des
ressources et des charges de l’État ventilées par grandes fonctions. Cette
présentation peut faire l’objet d’un débat, lequel peut également porter sur
le contenu de la nomenclature budgétaire.
Dans le cadre du DOFP, le Parlement et, plus particulièrement, les
commissions des finances des deux assemblées peuvent faire part de leur
sentiment et de leurs préférences sur les grandes lignes du budget et sur sa
structuration. En pratique, un dialogue politique s’engage entre les
rapporteurs généraux des commissions des finances et le ministre chargé du
budget. Ainsi, le PLF déposé en octobre pourra tenir compte des souhaits
des représentants de la Nation.
2 Les règles et modalités d’adoption des lois
de finances par le Parlement
Après son dépôt à l’Assemblée nationale, au plus tard le 1er mardi d’octobre
(art. 39 LOLF), l’examen du budget contenu dans le PLF est caractérisé par
un calendrier strictement déterminé par la Constitution et un rôle
prépondérant des commissions des finances ; un vote en deux temps par un
Parlement au pouvoir d’amendement renforcé par la LOLF vient clore le
débat budgétaire.
2.1 L’examen du PLF est soumis à des délais stricts
et à l’intervention des commissions des finances
L’adoption du PLF est soumise à un calendrier fixé par la Constitution qui
prévoit un rôle prépondérant des commissions des finances des deux
assemblées.
a Les délais d’examen du PLF sont encadrés par l’article 47
de la Constitution
L’adoption de la LF se déroule globalement selon la procédure législative
classique issue de l’article 45 de la Constitution. Pour que la France dispose
d’un budget au début de l’année civile, l’article 47 de la Constitution
accorde 70 jours au Parlement pour l’examen du texte. La jurisprudence du
Conseil constitutionnel est à cet égard conciliante avec le pouvoir législatif
car elle retient comme point de départ des délais constitutionnels le dépôt
de la totalité des annexes explicatives du PLF.
Durant cette période, l’Assemblée nationale doit se prononcer en première
lecture sous 40 jours. Le Sénat dispose ensuite de 20 jours. À l’issue du 60e
jour, les débats sont rythmés par la navette parlementaire (cf. infra).
Si le délai fixé par l’art. 47 de la Constitution est dépassé, et si le retard est
imputable aux assemblées, elles en assumeront les conséquences puisque le
projet du gouvernement, sans amendement parlementaire, sera promulgué
par ordonnance. Si le retard n’est pas du fait du Parlement, l’Assemblée
nationale ayant été dissoute, comme en 1962, ou à la suite d’une
invalidation de la LF par le Conseil constitutionnel, comme en 1979, le
gouvernement n’est qu’en mesure de demander au Parlement l’autorisation
de continuer à percevoir les impôts et reconduit le budget de l’année
précédente, sans les modifications contenues dans le PLF : il ouvre par
décrets les crédits afférents aux « services votés », en attendant l’adoption
de la LFI en début d’année (art. 45 LOLF).
b Les commissions des finances des assemblées occupent
une place centrale dans l’examen du PLF
Le PLF de l’année est renvoyé de droit aux commissions des finances des
deux assemblées (art. 39 LOLF). Les autres commissions permanentes se
saisissent pour avis des fascicules budgétaires relevant de leurs
compétences. Les bleus adoptent une présentation par mission et sont
instruits par des rapporteurs spéciaux, membres de la commission des
finances, chargés de proposer une position à la commission et,
éventuellement, des amendements.
Chaque rapporteur présente un commentaire du projet de budget qui éclaire
la demande de crédits qui figure dans le bleu et l’exécution du budget pour
l’année en cours. Comme l’expliqueront les chapitres 10 et 12, la LOLF
accroît également leur pouvoir de contrôle de l’exécution du budget durant
l’année (notamment art. 58 LOLF) tout en améliorant leur information (art.
51 LOLF). Le rapporteur général assure la coordination des travaux de la
commission des finances. Cette dernière est saisie au fond de tous les
amendements déposés. Il lui revient également de défendre sa position sur
tous les amendements en séance publique.
Toutefois, contrairement à la procédure législative de droit commun, le
texte examiné par l’Assemblée en séance publique est celui du
gouvernement et non celui tel que modifié par les amendements de la
commission des finances. La procédure budgétaire demeure ainsi
profondément marquée par le parlementarisme rationalisé de 1958 et a été
relativement épargnée par la réforme constitutionnelle de 2008 qui visait à
le réduire.
2.2 Un pouvoir d’amendement renforcé nonobstant
la persistance d’une rationalisation du parlementarisme
La discussion du PLF en séance publique permet, depuis la LOLF,
l’affirmation d’un pouvoir du Parlement au cours d’un débat budgétaire
maîtrisé par le gouvernement.
a Le vote en séance publique est organisé en deux temps
L’article 43 de la LOLF définit les règles de vote, consacrant la mission
comme unité de vote des dépenses et prévoyant un vote d’ensemble pour
les évaluations de recettes. C’est la conférence des présidents qui arrête le
déroulement de l’examen du PLF. Dans un premier temps, la discussion
générale est l’occasion d’un débat entre représentants des groupes
politiques et le gouvernement sur les grandes orientations du PLF. La
discussion de la première partie, essentiellement l’autorisation de percevoir
les impôts et les dispositions fiscales qui affectent l’équilibre budgétaire de
l’année à venir, se clôt par le vote de l’article d’équilibre (cf. chapitre 8).
La seconde partie, comprenant les crédits présentés dans les bleus et des
mesures n’ayant pas d’effet sur l’équilibre budgétaire de l’année à venir, ne
peut être examinée avant le vote de la première partie (art. 42 LOLF). La
discussion de la seconde partie est plus longue, si bien que les assemblées
ont essayé d’en limiter la durée par des procédures en commission élargie à
l’Assemblée nationale ou une procédure interactive de « questions -
réponses » au Sénat. Après une première lecture du PLF par chacune des
assemblées et en cas d’absence d’accord sur tous les articles, notamment
suite aux amendements, une commission mixte paritaire (CMP) se réunit
pour s’accorder sur un texte commun. En cas d’échec de la CMP, fréquent
lorsque la majorité du Sénat diffère de celle de l’Assemblée nationale, et
après une seconde lecture du texte par les deux assemblées, l’Assemblée
nationale a le dernier mot si persistance du désaccord il y a.
b Le Parlement voit ses prérogatives renforcées par la LOLF
mais demeure encadré par les compétences gouvernementales
L’article 40 de la Constitution rend irrecevables les amendements
parlementaires qui conduiraient à une diminution des ressources ou à
l’augmentation des charges publiques : c’est l’irrecevabilité financière.
Cependant, l’interdiction de diminuer les ressources est contournée par la
technique du gage : est recevable un amendement qui, globalement, ne
diminue pas les ressources publiques, fût-ce en gageant une diminution
d’impôt par l’augmentation d’un autre impôt. Toutefois, seul le
gouvernement peut « lever le gage », c’est-à-dire supprimer le volet de
l’amendement prévoyant de manière formelle une hausse d’impôt
(généralement, les droits sur les tabacs) qui se révélerait peu praticable si
elle devait être votée.
La LOLF offre également la possibilité de contourner l’interdiction
d’augmenter les dépenses grâce à son article 47 selon lequel est recevable
un amendement parlementaire qui modifie, au sein d’une mission, la
répartition des crédits entre programmes à condition de respecter le plafond
de crédits attribués à la mission concernée : il est donc possible
d’augmenter les crédits d’un programme.
Le Parlement peut également créer, modifier ou supprimer un programme.
Il demeure que le droit d’amendement élargi est encadré : l’amendement
« doit être motivé et accompagné des développements des moyens qui le
justifient » (art. 47 LOLF) ; le droit d’amendement ne peut avoir pour
conséquence de rendre une mission « mono programme » (art. 7 de la
LOLF et décision no 2005-530 DC du 29 décembre 2005).
Par ailleurs, des dispositions constitutionnelles, issues du parlementarisme
rationalisé voulu par les constituants de 1958, permettent au gouvernement
d’écarter des amendements qui ne reçoivent pas son assentiment. Le
gouvernement peut s’opposer à des amendements qui n’auraient pas été
soumis à la commission des finances (art. 44 al. 2), engager la procédure
dite du « vote bloqué »2 (art. 44 al. 3) ou sa responsabilité (art. 49 al. 3
Constitution). Les « cavaliers budgétaires », qui sont des dispositions
inscrites dans une loi de finances alors qu’elles n’ont aucun caractère
financier, sont également interdits.
En définitive, la procédure d’adoption du budget est caractérisée par la
primauté donnée à l’Assemblée nationale lors d’un débat aux délais courts
et impératifs. La mise en œuvre de la LOLF renforce le pouvoir
d’amendement du Parlement lors de cette procédure. Néanmoins, cette
réforme n’a eu que peu de conséquence sur les budgets adoptés depuis son
application en 2006. Il faut également remarquer que, par rapport aux
ambitions de la LOLF, la performance n’occupe qu’une place réduite lors
de l’examen du PLF.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• La préparation du projet de loi de finances
• L’examen et l’adoption de la loi de finances
• Les commissions des finances des assemblées parlementaires
• Le pouvoir de proposition et d’amendement des parlementaires en matière financière
• Le Parlement et les finances de l’État : acteur ou spectateur ?
• Peut-on « verdir » le budget de la France ?
CHAPITRE 10
L’exécution des lois de finances
NOTIONS À MAÎTRISER
• Les autorisations, les plafonds
• Les mises en réserve de crédits, gels, dégels, surgels…
• Les transferts, virements, annulations, reports, rétablissements, avances des crédits, les
fonds de concours, la répartition de crédits globaux
• Les ministères financiers et les « ministères dépensiers »
• La liquidation, l’ordonnancement ; l’exécution forcée
• Les comptables du Trésor, les comptables des administrations financières
• Les paiements avant ordonnancement et sans ordonnancement, les régies d’avances
L’exécution des lois de finances, assurée par l’administration, échappe par
nature, pour partie, au Parlement. La régulation budgétaire, consacrée, si
besoin était, par la LOLF, confirme la mise au second plan du pouvoir
législatif.
Toutes les dispositions de la loi de finances n’ont pas le même caractère
contraignant. En recettes, l’obligation est de moyens et non de résultat dans
la mesure où les recettes fiscales sont estimées, nonobstant le souci constant
et croissant de sincérité. En dépenses, les crédits sont, eux, limitatifs,
évaluatifs ou provisionnels. Enfin, la portée pratique du contrôle de
l’exécution (cf. chapitre 12) assuré par la loi de règlement, bien que
davantage promue, demeure modeste.
Dès lors, il convient de s’assurer que le Parlement ne donne pas son aval à
une gestion de crédits qui lui échappe et modifie sensiblement ses
autorisations initiales.
1 Les modifications de la loi de finances initiale
en cours d’exécution
1.1 Les lois de finances rectificatives
(LFR) sont aujourd’hui la règle
Le chapitre 8 présente en détail la LFR. On rappellera ici qu’elle permet de
rectifier la LFI en y intégrant les écarts aux prévisions identifiés ou projetés,
ou en infléchissant volontairement la politique budgétaire gouvernementale.
Une LFR modifie les autorisations initiales au-delà de ce que le
gouvernement pourrait faire seul par voie réglementaire. La LFR présente
un nouvel équilibre budgétaire. Si le gouvernement a l’obligation de
présenter une LFR lorsque l’équilibre défini par la LFI risque d’être
bouleversé, et tout particulièrement lorsque le HCFP constate un écart
significatif par rapport à la trajectoire des finances publiques transmise à la
Commission européenne, un dépassement du plafond de variation de la
dette à moyen et long terme n’appelle pas une LFR.
Les modifications apportées par une LFR sont souvent marginales, sauf cas
exceptionnels (crise, changement politique). Elles sont un outil conjoncturel
primordial non seulement pour les finances publiques mais, au-delà, pour la
politique économique de l’État, laquelle peut alors être réactive.
Il demeure que la possibilité de recourir à des LFR minore le caractère
impératif des plafonds de dépenses par programme et incite moins à calibrer
les enveloppes budgétaires au plus près de la prévision de dépenses la plus
fiable.
1.2 Les mouvements de crédits réglementaires
La LOLF encadre les mouvements de crédits afin de ne pas déborder la
gestion – qu’elle a voulue globale – des crédits par programme. Ces
mouvements doivent respecter le principe de fongibilité (asymétrique), les
plafonds des crédits initiaux et être publiés. Les mouvements se font en AE
et en CP et associent le Parlement. À l’exception des décrets d’avance, les
mouvements de crédits ne peuvent créer de programmes nouveaux. Il existe
plusieurs mouvements réglementaires.
a Les transferts et les virements de crédits
Les transferts décrétaux1 de l’article 12 de la LOLF sont opérés entre
programmes de départements ministériels différents. Les actions émettrices
et récipiendaires doivent avoir un même objet. Ces transferts permettent
d’accompagner des modifications d’attributions entre différents ministères.
Ils ne sont donc pas limités en montant.
Les virements décrétaux de l’article 12 de la LOLF sont opérés entre
programmes d’un même département ministériel dans une limite de 2 % des
crédits initiaux. Ils permettent au gouvernement d’adapter la répartition des
crédits aux besoins.
Les transferts et les virements ne sont pas possibles entre budget général,
budgets annexes et comptes spéciaux. Le Parlement, à travers les
commissions des finances et les autres commissions concernées, doit être
préalablement informé des transferts et virements, lesquels doivent être
présentés l’année suivante dans les rapports annuels de performance (RAP)
concernés.
b Les annulations, les reports et les rétablissements de crédits
L’annulation décrétale, prévue à l’article 14 de la LOLF, vise à prévenir une
détérioration de l’équilibre budgétaire et à annuler des crédits devenus sans
objet, y compris ceux de personnel (titre 2). L’annulation intervient au
niveau du programme et est plafonnée à 1,5 % des crédits ouverts en LFI.
Les obligations d’information sont les mêmes que pour les transferts et
virements.
Les annulations sont précédées de « gels » de crédits (cf. infra).
Les reports, prévus à l’article 15 de la LOLF, sont pris par arrêté conjoint
entre le ministre chargé du budget et le ministre « technique » concerné afin
de reporter des crédits (AE et CP) non consommés sur l’exercice suivant.
Les AE peuvent être reportées sans limitation de montant mais ne peuvent
pas abonder le titre 2. Les CP ne peuvent être reportés que dans la limite de
3 % des crédits initiaux. Les CP reportés peuvent concerner tous les titres, y
compris le titre 2, mais la fongibilité asymétrique s’appliquant, le titre 2 ne
peut être abondé par des CP issus d’autres titres.
Le rétablissement de crédits, prévus au IV de l’article 17 de la LOLF, est un
acte comptable qui consiste à réintégrer dans le budget de l’État des
recettes, issues soit de restitution au Trésor de sommes payées indûment ou
d’avances, soit de cessions entre services de l’État. Il ne peut concerner les
comptes spéciaux.
c Les avances, les fonds de concours et la répartition
de crédits globaux
L’avance gagée décrétale (ou décret d’avance), prévue à l’article 13 de la
LOLF, consiste à ouvrir des crédits supplémentaires pour un ou plusieurs
programmes, sans pour autant dégrader l’équilibre budgétaire. Le gage
résulte d’annulations de crédits d’autres programmes, y compris de
personnel, ou de constatations de recettes supplémentaires. L’avance est
plafonnée à 1 % des crédits ouverts par la LFI. L’avis du Conseil d’État
puis des commissions des finances du Parlement doivent être recueillis.
Toute avance gagée devra être ratifiée par la plus prochaine loi de finances.
Elle est présentée dans le RAP concerné.
L’avance non gagée de l’article 13 consiste également à ouvrir des crédits
supplémentaires mais en dégradant l’équilibre budgétaire. Elle est
exceptionnelle et ne peut intervenir qu’en cas d’urgence et de nécessité
impérieuse d’intérêt national. Le décret d’avance est alors pris en Conseil
des ministres. L’avis du Conseil d’État doit être recueilli et les commissions
des finances simplement informées. Une LFR doit immédiatement être
déposée.
Les fonds de concours sont constitués par des versements de tiers,
notamment afin de concourir à des dépenses d’intérêt public. Prévus au II
de l’article 17 de la LOLF, ils sont intégrés au budget de l’État par un arrêté
de rattachement. Ils interviennent au niveau du programme et doivent
correspondre à l’intention de la partie versante.
L’attribution de produits, prévue au III de l’article 17-3 de la LOLF, est
décrétale et porte sur une recette tirée de la rémunération de prestations
fournies par des services de l’État. Elle consiste à affecter la recette
correspondante au service producteur.
Enfin, des procédures spécifiques sont prévues à l’article 11 de la LOLF
pour répartir les crédits de la mission « provisions » (cf. chapitre 6). La
répartition a lieu par décret en ce qui concerne les dépenses accidentelles et
imprévisibles et par arrêté du ministre chargé des finances pour les mesures
générales et les rémunérations.
1.3 La régulation budgétaire non réglementaire
Au-delà de ces mouvements organisés par décrets ou arrêtés, l’exécution du
budget peut aussi être régulée par la mise en réserve (aussi appelée gel) de
crédits.
a La mise en réserve de crédits est systématique
À partir de 1982 et de façon non encore pérenne, des fonds étaient mis en
place afin notamment de pouvoir honorer les charges de la dette ; il
s’agissait, à l’époque, du « fonds de régulation budgétaire ». On peut parler
d’épargne de précaution.
La régulation budgétaire est un instrument aujourd’hui omniprésent « de
maîtrise de l’exécution des dépenses utilisé par le gouvernement pour
s’assurer du respect du plafond de dépenses du budget général voté par le
Parlement en loi de finances initiale et prévenir une détérioration de
l’équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances »2.
Elle se traduit d’abord par la mise en réserve d’une partie des crédits
ouverts par la loi de finances. Le principe de cette « réserve de précaution »,
qui vise à bloquer une partie des crédits en début de gestion, est posé au 4°
bis de l’article 51 de la LOLF. Depuis le PLF 2018, le gouvernement définit
un taux de mise en réserve des crédits de 3 % (0,5 % pour les dépenses de
personnel)3. Depuis 2020, un taux réduit de 0,5 % est appliqué aux
programmes « Aide à l’accès au logement », « Handicap et dépendance » et
« Inclusion sociale et protection des personnes ». En 2021, les crédits des
missions « Plan de relance », « Plan d’urgence face à la crise sanitaire » et
« Investissements d’avenir » sont exclus de la mise en réserve.
En pratique, les ordonnateurs n’ont plus ces crédits à disposition. On parle
de « gels » de crédits, lesquels peuvent être par la suite « dégelés » –
lorsque besoin, accepté par le ministère des finances, il y a –, reportés sur
l’année suivante ou annulés dans les conditions précédemment décrites.
Afin d’obtenir un dégel, il revient aux ministères techniques de démontrer
au ministère des finances le bien-fondé des dépenses concernées. À
l’inverse, des « surgels » (gel de crédits supplémentaires) peuvent intervenir
en cours d’année, lorsque l’équilibre budgétaire se dégrade.
Cette pratique permet d’instaurer un dialogue entre Bercy et les ministères
dits dépensiers de manière à optimiser la dépense. Cependant, la régulation
budgétaire repose sur une vision de court terme, qui risque de se faire au
détriment d’une réflexion à moyen et long termes, à tout le moins
pluriannuelle. Trop souvent, les gels peuvent avoir des conséquences
financières défavorables, par exemple, en entraînant des retards de paiement
ou en retardant des dépenses d’investissement nécessaires. Dans un tel
contexte, il devient délicat de demander aux gestionnaires de tenir des
engagements s’ils n’ont pas la disposition des moyens que l’autorisation
parlementaire leur a accordés ce qui explique la diminution du taux de gel
depuis 2018, qui permet de responsabiliser davantage les gestionnaires
(principe d’auto-assurance).
b Le Parlement est informé
Au nom du respect du plafond de dépenses du budget général, peuvent ainsi
être freinées voire empêchées des dépenses publiques pourtant votées et
prévues par la représentation nationale. Il est troublant que des mises en
réserve, lesquelles interviennent généralement au mois de janvier, altèrent
des choix parlementaires votés un mois plus tôt mais, il est vrai, formulés
de manière générale.
La LOLF a cependant permis que le Parlement soit associé à cette
régulation budgétaire. D’une part, l’article 14 prévoit que tout acte du
gouvernement « ayant pour objet ou pour effet de rendre des crédits
indisponibles, est communiqué aux commissions de l’Assemblée nationale
et du Sénat chargées des finances ». Le gel n’est donc pas effectué de
manière opaque. Pour que le Parlement puisse l’anticiper en toute
transparence, la LOLF a été modifiée en 2005 par l’insertion d’un 4° bis à
l’article 51, qui prévoit que le taux de mise en réserve prévu par le
gouvernement est indiqué, par programme et séparément pour les dépenses
de personnel et les autres titres, en annexe au PLF.
Un taux élevé de mise en réserve facilite l’annulation de crédits, qui
intervient cependant dans la limite de 1,5 % des crédits (cf. supra), un vote
du Parlement étant nécessaire pour avaliser toute modification plus
importante de l’autorisation budgétaire qu’il a accordée par la LFI.
2 La chaîne de la dépense
2.1 L’exécution des recettes et des dépenses
a Le décret relatif à la gestion budgétaire et comptable
publique (GBCP)
Le décret no 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire
et comptable publique présente les principes de la gestion budgétaire et les
décline pour l’État et les organismes relevant du secteur des administrations
publiques. Il se substitue au règlement général sur la comptabilité publique
du 29 décembre 1962 et à divers autres textes qui participaient de
l’éparpillement des règles budgétaires en adaptant les règles au nouveau
cadre de gestion des finances publiques suite à la LOLF, aux évolutions de
gestion pluriannuelle, à la dématérialisation des actes et procédures et,
enfin, à la réforme constitutionnelle de 2008 et notamment l’article 47-2 qui
prévoit la régularité et la sincérité des comptes de toutes les administrations
publiques. Le chapitre 11 reviendra en détail sur les règles comptables
applicables à la gestion publique.
b De la bonne exécution des dépenses et des recettes
L’article 6 de la LOLF prévoit que « Le budget décrit, pour une année,
l’ensemble des recettes et des dépenses budgétaires de l’État. Il est fait
recette du montant intégral des produits, sans contraction entre les recettes
et les dépenses. » Toute dépense doit être liquidée et ordonnancée au cours
de l’exercice budgétaire auquel elle se rattache. L’engagement juridique
correspond à une dépense future de l’État, laquelle doit rester dans la limite
des autorisations budgétaires. L’ordre de paiement doit être conforme à la
liquidation.
L’autorisation de la dépense par l’ordonnateur s’organise autour de cinq
phases. Premièrement, l’individualisation permet au RBOP (responsable de
budget opérationnel de programme) de préciser la nature et le périmètre de
chaque sous-enveloppe d’AE subdéléguée au RUO (responsable d’unité
opérationnelle). Deuxièmement, le RUO met en réserve les montants d’AE
nécessaires à la réalisation de chaque opération budgétaire. Troisièmement,
l’engagement de la dépense est l’acte par lequel l’État constate, à son
encontre, une obligation de laquelle résultera la charge. L’engagement
juridique correspond à une dépense future de l’État. L’engagement
comptable, lui, mobilise les crédits nécessaires pour honorer l’engagement
juridique. Quatrièmement, la liquidation consiste en la vérification de la
réalité de la dette et la fixation du montant de la dépense. Cela revient à
constater le service fait et calculer le montant exact de la dette.
Cinquièmement, l’ordonnancement est l’acte administratif qui donne ordre
au comptable public de payer la dette de l’État.
L’action du comptable relative à la dépense se fait alors en deux temps.
Premièrement, le comptable vérifie la régularité budgétaire, la validité des
créances, le caractère libératoire du règlement et la disponibilité des fonds.
Une fois ces étapes satisfaites, il peut viser la dépense ou suspendre le
paiement en cas d’illégalité ou d’irrégularité. Deuxièmement, le comptable
décaisse les fonds et les remet au créancier. La dette est alors réglée.
L’autorisation de la recette par l’ordonnateur se fait en deux phases.
Premièrement, il constate et calcule la créance et adresse au débiteur un
ordre de recette : il s’agit de l’établissement des recettes. Deuxièmement,
l’ordonnateur envoie le bordereau d’enregistrement au comptable avec les
pièces justificatives et ordonne le recouvrement. La phase comptable
relative aux recettes se fait en deux temps. Premièrement, le comptable
contrôle l’identité du débiteur et vérifie la régularité de la recette.
Deuxièmement, le comptable met la somme en recouvrement auprès du
débiteur et peut, au besoin, procéder à l’exécution forcée (saisie, vente).
2.2 Les acteurs de l’exécution des lois de finances4
L’exécution des lois de finances est en France structurée autour de la
séparation des ordonnateurs et des comptables (cf. chapitre 11).
a L’ordonnateur
Un ordonnateur est un agent public d’autorité. C’est lui qui prend la
décision de la dépense nonobstant l’ouverture des crédits. Il existe
différentes catégories d’ordonnateurs. Les ordonnateurs principaux sont les
ministres pour le budget de l’État, les directeurs de service pour les budgets
annexes et les directeurs des établissements publics. Les ordonnateurs
principaux confient à des ordonnateurs secondaires une délégation ; il s’agit
principalement des préfets et des maires. En administration centrale, les
agents supérieurs, et notamment les directeurs, ont compétence pour signer
toutes les ordonnances de paiement et ordres de recettes de leur ressort.
En outre, à des fins de fluidification de la prise de décision, des
ordonnateurs délégués – le plus souvent des membres de cabinets
ministériels – peuvent obtenir délégation (de signature) de la part de leur
ministre.
Enfin, les ordonnateurs suppléants ont vocation à pallier l’absence des
ordonnateurs principaux, secondaires ou délégués.
b Le comptable public, responsable sur ses deniers personnels
Un comptable public est nommé par le ministre chargé des finances ou avec
son agrément. Il est accrédité auprès des ordonnateurs. Le comptable est
payeur et caissier. Aussi, premièrement, il doit s’assurer de la régularité
financière des ordres de dépense (et, dans une moindre mesure, des ordres
de recette) et refuser d’exécuter des ordres irréguliers, d’où l’importance de
son indépendance. Deuxièmement, il a vocation à être le seul à détenir et
manier des deniers publics. La responsabilité personnelle et pécuniaire du
comptable public l’oblige, en amont de son entrée en fonction, à assurer sa
solvabilité financière notamment au moyen de la souscription d’une police
d’assurance professionnelle (appelée cautionnement). C’est le ministre
chargé des finances qui apprécie le montant nécessaire de la garantie en
fonction du poste.
Les comptables publics sont organisés en deux réseaux. La majorité d’entre
eux sont des comptables du Trésor, fonctionnaires du service de la fonction
financière et comptable de l’État ou du service des collectivités locales –
deux services de la direction générale des finances publiques (ministère
chargé des finances). Les comptables du Trésor exécutent le budget général
de l’État et les budgets des collectivités territoriales. Parmi les comptables
du Trésor, il convient de distinguer les comptables principaux, qui
centralisent les opérations réalisées pour le compte du Trésor au niveau
d’une région ou d’un département et qui soumettent leurs comptes à la Cour
des comptes, des comptables secondaires, en charge d’un arrondissement et
qui relèvent d’un comptable principal qui apure leurs comptes.
Le second réseau est celui des comptables des administrations financières,
fonctionnaires du service de la gestion fiscale de la direction générale des
finances publiques (DGFiP) ou de la direction générale des douanes et des
droits indirects (DGDDI)5. Leurs opérations sont centralisées par des
comptables principaux du Trésor. Le rôle de ce second réseau est la prise en
charge et le recouvrement des rôles et des ordres de recettes transmis par les
ordonnateurs, des créances constatées, et l’encaissement des droits au
comptant et des recettes de toute nature dont les administrations publiques
peuvent être récipiendaires.
Des sanctions et procédures de réparation sont applicables aux comptables,
lesquelles varient en fonction de l’infraction commise. En cas de
recouvrement d’une recette sans titre valable de la part de l’ordonnateur
compétent, le comptable est dit « concussionnaire » et peut faire l’objet
d’une amende et d’un emprisonnement (sanctions pénales), en sus de
sanctions disciplinaires et de la mise en jeu de sa responsabilité personnelle
et pécuniaire (RPP) définie à l’article 60 de la loi du 23 février 1963. La
RPP est mise en jeu en cas d’une dépense sans ordonnancement ou
mandatement : le comptable peut être mis en débet par la Cour des comptes
et contraint de rembourser les sommes irrégulièrement payées. Toutefois,
l’intervention du cautionnement et la possibilité de remise gracieuse par le
ministre chargé du budget limitent le « laissé à charge » du comptable, qui
peut même être nul.
La remise gracieuse – que le comptable public doit demander – a toute sa
place dans le système actuel où il est demandé au comptable de laisser
davantage de marges de manœuvre aux gestionnaires. En effet, si la
hiérarchisation du contrôle, appelé « contrôle sélectif des dépenses »,
fluidifie l’action publique, l’absence de contrôle exhaustif ne permet plus
aux comptables publics de prendre les mêmes engagements.
Toutefois, afin d’éviter une systématicité de la remise gracieuse qui a pu
laisser penser que la RPP n’existait plus de facto, l’article 90 de la loi du 28
décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 vise à limiter les remises
gracieuses en faisant toujours précéder la décision du ministre de
l’appréciation du juge des comptes.
Désormais, les conditions de mise en jeu de la RPP varient selon que
l’irrégularité constatée est à l’origine d’un préjudice financier pour l’État ou
non. Si tel n’est pas le cas, le juge des comptes met à la charge du
comptable une somme forfaitaire – dont le montant dépend du
cautionnement du comptable et donc de la cotation de son poste –, qui ne
peut faire l’objet d’une remise gracieuse. Si l’État a subi un préjudice, le
comptable doit rembourser la somme mais peut demander une remise
gracieuse, qui demeure à la discrétion du ministre et qui ne peut être totale
qu’en cas de respect des règles de contrôle sélectif des dépenses.
c Des procédures dérogatoires
Certaines exceptions sont néanmoins prévues. Tout d’abord, il existe des
situations dans lesquelles le comptable exerce des fonctions habituellement
du ressort de l’ordonnateur. Le comptable peut ainsi remettre des fonds
avant l’émission, par l’ordonnateur, d’un acte de régulation : il s’agit des
paiements avant ordonnancement. Les paiements sans ordonnancement
n’appellent pas d’ordre de paiement de l’ordonnateur. En ce qui concerne
les recettes, et notamment pour le recouvrement d’impôts indirects, le
comptable assume le rôle de l’ordonnateur dans la mesure où il émet et rend
exécutoires des ordres de recettes.
Au niveau central, les dépenses sont assignées sur la caisse de chaque
contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM) et, à l’échelon
local, sur les caisses des directeurs départementaux des finances publiques
(DDFiP). Le comptable public a deux missions : il assure le paiement qui
libère l’État de sa dette et tient sa comptabilité, tant la comptabilité générale
qui constate les droits et obligations que les comptabilités budgétaires de la
dépense (en AE et CP)6.
Il existe des procédures dérogatoires, notamment pour que l’État puisse
payer plus rapidement certains créanciers. En effet, la dépense publique est
un facteur important de la demande, d’autant plus dans le contexte
économique actuel. Afin de prendre en compte les contraintes de trésorerie
des entreprises – et notamment des petites et des moyennes – l’État
s’efforce de réduire les délais de paiement. À cet égard, l’article L. 2192-10
du Code de la commande publique dispose que le délai de paiement pour
les pouvoirs adjudicateurs est prévu par le marché, dans la limite d’un
plafond réglementaire ; depuis 2010, ce délai ne peut excéder 30 jours
modulo la bonne fourniture par l’entreprise des pièces indispensables.
Dans le cadre des dépenses sans ordonnancement préalable (DSOP), la
phase de paiement par le comptable intervient préalablement à celle de
l’ordonnancement. En outre, le comptable assure lui-même la liquidation. Il
s’agit notamment des rémunérations des fonctionnaires de l’État. La phase
d’ordonnancement est complètement supprimée dans le cas des dépenses
sans ordonnancement (DSO). Dans cette hypothèse, le comptable public
paie directement les créanciers. Cela concerne notamment les intérêts de la
dette de l’État et les frais de poursuite et de contentieux.
Enfin, pour les dépenses de faibles montants, répétitives et urgentes, les
régies d’avance permettent à un régisseur de payer les créanciers pour le
comptable public, lequel lui confie régulièrement des fonds à cet effet. La
régularisation a lieu suite à l’émission et par ordonnance.
L’exécution du budget de l’État se lit à deux niveaux. D’une part, la
régulation budgétaire est indispensable à une gestion précautionneuse et
réactive du budget de l’État. Cependant, il est permis d’espérer que la
crédibilité renforcée – contrôlée notamment par le Haut Conseil des
finances publiques – des hypothèses sur lesquelles se fondent la LFI
dépassera l’optimisme excessif passé et diminuera d’autant les outils mis en
œuvre pour s’accommoder de la réalité. D’autre part, l’exécution
opérationnelle du budget fait appel à des fonctions et procédures
spécifiques, qui apparaissent parfois lourdes mais sont éprouvées par le
temps tout en étant capables d’évoluer.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• Qui exécute la loi de finances ?
• La régulation budgétaire
• La procédure d’exécution des dépenses publiques
• La procédure d’exécution des recettes publiques
• La responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics
• La responsabilité pénale des gestionnaires publics
• L’avenir de la séparation des ordonnateurs et des comptables
• Le réseau des comptables
RÉFÉRENCES
Plateformes des finances publiques, du budget de l’État et de la performance publique :
budget.gouv.fr.
Jean Bassères et Muriel Pacaud, « Responsabilisation des gestionnaires publics », rapport remis
en juillet 2020 au ministre chargé des comptes publics.
Colloque conjoint entre la Cour des comptes et le Conseil d’État, « La responsabilité des
gestionnaires publics », 18 octobre 2019. L’enregistrement vidéo complet est disponible à
l’adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=YQQrlsTxltc.
PARTIE 4
LES RÈGLES COMPTABLES
ET LE CONTRÔLE
DES FINANCES PUBLIQUES
La tenue d’une comptabilité adaptée aux particularités de l’État et les mécanismes de
contrôle des finances publiques sont indispensables pour garantir la transparence des
comptes publics.
CHAPITRE 11
La notion de comptabilité
publique et les principes
de l’organisation comptable
NOTIONS À MAÎTRISER
• La comptabilité de caisse, la comptabilité d’analyse des coûts
• La comptabilité générale / en droits constatés / patrimoniale
• Le compte général de l’État
• Chorus
• Le contrôle interne comptable, le contrôle hiérarchisé de la dépense
• Le contrôle partenarial, le comptable patent
• Le juge des comptes
« La comptabilité publique est un système d’organisation de l’information
financière permettant : /1° De saisir, de classer, d’enregistrer et de contrôler
les données des opérations budgétaires, comptables et de trésorerie afin
d’établir des comptes réguliers et sincères ; /2° De présenter des états
financiers reflétant une image fidèle du patrimoine, de la situation
financière et du résultat à la date de clôture de l’exercice ; /3° De contribuer
au calcul du coût des actions ou des services ainsi qu’à l’évaluation de leur
performance. »1
La comptabilité publique conduit à tenir les comptes, établir des états
financiers, exécuter des dépenses et des recettes publiques (cf. chapitre 10)
selon des règles. Cette expression renvoie aussi à une administration : la
direction générale des finances publiques (DGFiP).
Le chapitre V de la LOLF est consacré à la comptabilité publique,
notamment l’article 27 relatif aux trois types de comptabilité et l’article 30
relatif à la comptabilité générale, laquelle tient compte des « spécificités de
l’action de l’État ».
1 La comptabilité, système d’organisation
de l’information financière et instrument de gestion
publique
1.1 La comptabilité publique doit offrir une vision globale
et sincère du résultat et du bilan de l’État
Sous l’empire de l’ordonnance organique de 1959, la comptabilité générale
était modeste. En effet, elle n’intégrait ni l’ensemble des actifs, ni
l’ensemble des passifs ; ne connaissait ni les amortissements ni les
provisions ; et ses règles d’évaluation étaient sommaires. Enfin, la
comptabilité analytique était peu présente.
Aussi une réforme comptable s’imposait avec un niveau d’exigence
comparable à celui des entreprises privées : selon l’article 27 de la LOLF,
« les comptes de l’État doivent être réguliers, sincères et donner une image
fidèle de la situation financière et patrimoniale de l’État ». Le comptable
public n’est plus uniquement responsable de la régularité mais aussi de la
qualité.
Les informations fournies par le compte général de l’État (CGE), lequel
figure dans la loi de règlement du budget et d’approbation des comptes,
sont les suivantes : le bilan, le compte de résultat, le tableau des flux de
trésorerie et des annexes précisant ces états financiers.
Le CGE offre une vision globale de la situation financière et patrimoniale
de l’État. Les pays anglo-saxons, s’ils étaient en avance en matière de
comptabilité davantage exhaustive, présentent la situation financière et
patrimoniale par département ministériel ; or les particularités de
comptabilisation de chaque département rendent la consolidation
laborieuse. La vision globale du CGE permet une bonne connaissance des
marges de manœuvre possibles des finances publiques, des effets des
politiques mises en œuvre ou des choix de gestion faits. Grâce à ces
informations, les parlementaires, le gouvernement, l’administration peuvent
décider en connaissance de cause.
1.2 Le décret relatif à la gestion budgétaire et comptable
publique (GBCP)
Le GBCP traduit pour l’ensemble des structures et organismes
majoritairement financés par des fonds publics2 les nouvelles obligations
comptables
a Un demi-siècle après le règlement général sur la comptabilité
publique (RGCP)
Afin d’accompagner la modernisation de la gestion publique et d’assurer la
conformité à la révision constitutionnelle de 2008 – et notamment à « la
régularité et la sincérité des comptes de toutes les administrations
publiques » (art. 47-2 C) – et à la LOLF du 1er août 2001, il n’était plus
possible que le règlement général sur la comptabilité publique du 29
décembre 1962 (RGCP) demeurât en l’état.
Aussi, les décrets no 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion
budgétaire et comptable publique (GBCP) et no 2012-1247 du 7 novembre
2012 portant adaptation de divers textes aux nouvelles règles de la gestion
budgétaire et comptable publique adaptent les règles certes comptables mais
aussi budgétaires, lesquelles étaient, jusqu’à présent, à rechercher dans une
myriade de textes.
b Un champ d’application élargi pour le GBCP
Si le GBCP dispose pour l’État et les établissements publics nationaux
(EPN), il étend son champ d’application notamment aux collectivités
territoriales et aux établissements publics locaux (EPL). Le GBCP apporte
également une logique pluriannuelle, de programmation, ainsi que la
nécessaire dématérialisation et le déploiement du système d’information
financière et comptable de l’État : Chorus3. Enfin, et c’est toute sa
dimension budgétaire, il intègre la nouvelle nomenclature budgétaire issue
de la LOLF, en déduit des nouvelles règles de gestion et de responsabilité
des acteurs.
Trois grands titres composent le GBCP : les principes fondamentaux ; la
gestion budgétaire et comptable de l’État ; la gestion budgétaire et
comptable des organismes.
Bien que certaines de ses règles soient applicables exclusivement à l’État, le
GBCP concerne aussi les collectivités territoriales et les EPL, les
établissements publics de santé (EPS), les autres personnes morales de droit
public présentes sur une liste arrêtée par les ministres chargés de
l’économie et du budget, certaines personnes morales de droit privé
(lorsqu’elles relèvent de la catégorie des administrations publiques au sens
de la comptabilité nationale ou après accord du ministre chargé du budget)
et aux autres personnes morales publiques sous réserve des dispositions de
leurs textes constitutifs.
2 Le bilan permet la connaissance de la situation
patrimoniale
2.1 L’application de principes de la comptabilité générale
à l’État
a La prise en compte de la spécificité des missions
régaliennes, voire de service public
La comptabilité générale – ou encore « patrimoniale », « d’exercice », « en
droits constatés » – concerne désormais l’État, les collectivités territoriales
et les organismes de Sécurité sociale. Il convenait d’adapter des méthodes et
attentes du secteur concurrentiel à l’administration.
Le GBCP a vocation à être le plus proche possible de la comptabilité
générale – laquelle concerne, à l’origine, les entreprises privées –
nonobstant les spécificités propres à l’action publique (art. 30 LOLF). En
effet, a contrario des entreprises privées, des pans entiers de l’activité de
l’État sont spécifiques et inexistants dans le secteur privé, qu’il s’agisse de
la redistribution, du recouvrement de l’impôt et des cotisations sociales ou
de la gestion d’un système de retraite public par répartition. Des règles
propres sont nécessaires même si elles s’inspirent de référents existant par
ailleurs.
b Le compte général de l’État comprend un bilan déséquilibré4
L’obligation de renseigner le CGE appelle des informations relatives aux
immobilisations, créances, échéances des dettes, charges de personnel,
charges d’intervention, impôts perçus, ainsi qu’aux engagements hors bilan
et notamment les engagements relatifs à la retraite des fonctionnaires et
militaires (2 851 Md€ au 31 décembre 2020), aux instruments financiers et
aux garanties accordées par l’État.
À son actif, qui atteint 1 169 Md€ fin 2020, l’État présente des
immobilisations incorporelles et, surtout, corporelles (508 Md€) dont les
infrastructures routières nationales, le patrimoine immobilier et le matériel
militaire. Les immobilisations financières représentent 379 Md€ et
regroupent les participations de l’État et les créances rattachées.
Le passif de l’État, de 2 705 Md€, est notamment composé des dettes
financières (2 047 Md€) et des provisions pour risques et pour charges. Les
charges à payer, les provisions, les reports de charges permettent d’affiner la
prévision budgétaire et les besoins (incompressibles) des programmes, et de
« challenger » le réalisme des projets de BOP soumis à l’examen des
contrôleurs budgétaires et comptables ministériels ou contrôleurs
budgétaires en région.
L’originalité du bilan de l’État est d’être déséquilibré, le passif étant
largement supérieur à l’actif (l’écart est de 1 536 Md€). Outre les
conventions et imperfections comptables, cette situation tient notamment à
l’absence de comptabilisation de l’actif régalien que constitue le pouvoir de
lever l’impôt.
c La certification des comptes
Les entreprises privées doivent soumettre leurs comptes à certification.
Ainsi, sont appréciées la régularité, sincérité et fidélité des états financiers
(bilan et compte de résultat). L’article 15 de la DDHC proclame la nécessité
pour tout agent public de pouvoir rendre des comptes à la société. La LOLF
dispose ainsi à son article 58 que la Cour des comptes a notamment pour
mission : « la certification de la régularité, de la sincérité et de la fidélité
des comptes de l’État. Cette certification est annexée au projet de loi de
règlement et accompagnée du compte-rendu des vérifications opérées. »
Depuis 2006, la France – l’un des rares pays du monde à le faire – certifie
les comptes de l’État. Cela est notamment permis par la nouvelle
comptabilité tri-dimensionnelle (cf. infra) et notamment la comptabilité
générale.
Dans son premier rapport de certification des comptes pour l’exercice 2006,
la Cour des comptes a exposé la portée du principe de certification : « la
certification des comptes se définit comme l’opinion écrite et motivée que
formule un organisme indépendant sur la conformité des états financiers
d’une entité, dans tous ses aspects significatifs, à un ensemble donné de
règles comptables ». La Cour des comptes assume le rôle de l’expert-
comptable et, après analyse, doit soit certifier les comptes sans réserve, soit
les certifier avec réserve(s), soit expliquer être dans l’impossibilité de les
certifier, soit refuser de les certifier. En France, les comptes de l’État ont
été, jusqu’à ce jour, certifiés avec réserves, lesquelles pouvaient porter sur
les systèmes d’information, les actifs de la défense ou encore le contrôle
interne.
2.2 Le contrôle interne permet de maîtriser les risques
Le contrôle interne correspond à l’organisation développée par une
structure pour maîtriser et garantir le bon fonctionnement de son activité.
Ce signal de sincérité et de qualité est nécessaire pour garantir la fidélité à
la réalité économique, patrimoniale et financière. Le contrôle interne
comptable concerne la qualité des comptes du fait générateur au
dénouement, le contrôle interne budgétaire concerne la qualité de la
comptabilité budgétaire et de la soutenabilité de la programmation et de son
exécution (respect des plafonds fixés).
Le contrôle interne n’a pas vocation à être l’apanage des comptables. En
effet, la qualité attendue ne saurait exister sans l’implication des
gestionnaires. Le contrôle interne est accompagné d’une gestion des risques
et d’une cartographie des risques comptables afin de déterminer
l’implication de chaque acteur. Dans la pratique, les tâches sont identifiées,
le travail tracé et la sécurité informatique renforcée. Ce sont les organismes
de Sécurité sociale qui sont à la pointe dans l’organisation de leur contrôle
interne puisque, dès le décret du 10 août 1993, le directeur comptable et
financier5 d’une caisse et les autres agents de direction6 sont responsables
de la sincérité comptable.
La direction générale des finances publiques accompagne les démarches de
contrôle interne dans les administrations d’État. Elle met à disposition des
ministères un outil de gestion interne des risques, notamment à partir de
l’application interne de gestion des risques (AGIR), laquelle porte la
programmation, puis l’exécution des plans de contrôle, les cartographies de
risques, les plans d’action qui peuvent en découler et la valorisation des
données.
2.3 De la comptabilité de caisse à la comptabilité
d’analyse des coûts
a La traditionnelle comptabilité budgétaire
La comptabilité budgétaire demeure. Elle retrace l’exécution des dépenses
budgétaires, au moment où elles sont payées (émission d’un virement au
profit d’un fournisseur par exemple) et l’exécution des recettes, au moment
où elles sont encaissées (exemple : réception des sommes prélevées à la
source par les tiers collecteurs au titre de l’IR et reversées à l’État). La
comptabilité budgétaire permet de piloter le solde budgétaire (ce qu’il y a
en caisse au 31 décembre) et de suivre l’état de la disponibilité des crédits à
un moment donné.
C’est la comptabilité retenue dans la présentation des lois de finances et du
solde budgétaire par exemple.
b La nécessité, à titre complémentaire, d’une comptabilité
patrimoniale
Il convenait cependant de dépasser cette comptabilité dans la mesure où est
désormais tenu compte de la contribution à la valorisation du patrimoine de
l’État, d’une meilleure appréhension de la réalité de l’activité annuelle en
termes de recettes et de dépenses et d’une meilleure communication
financière et comptable.
La comptabilité publique a été enrichie de la comptabilité générale en droits
constatés – fondée sur le principe du rattachement à un exercice budgétaire
(une année) des charges et des ressources s’y rapportant, qui ont pu être
payées ou perçues l’année précédant ou suivant l’exercice. Les
gestionnaires peuvent ainsi prendre conscience des conséquences
pluriannuelles de leurs décisions. L’État peut disposer d’une vision claire de
ses engagements et de sa situation patrimoniale (immobilisations, stocks,
créances).
La comptabilité générale permet en effet de neutraliser les aléas de la
comptabilité de caisse et les tactiques de contournement des limites des
crédits budgétaires, par exemple lorsque le paiement d’une dépense
engagée en année N est reporté en N + 1 du fait de crédits de paiement
insuffisants. En mesurant les droits constatés et, surtout, les obligations, la
comptabilité générale permet d’identifier si un service ou un organisme
accumule des dettes d’une année sur l’autre ou, à l’inverse, enregistre des
créances qu’il peine à recouvrer.
c De la CAC à la comptabilité analytique
Si l’article 27 de la LOLF prévoit pour l’État une simple comptabilité
d’analyse des coûts (CAC) des différentes actions engagées dans le cadre
des programmes, celle-ci a été supprimée dans le cadre du programme
« action publique 2022 »7, suivant une simplification qui avait été
recommandée par la Cour des comptes, pour ne conserver que la
comptabilité analytique, laquelle va au-delà de la CAC. Les organismes
publics autres que l’État sont également tenus de disposer d’une
comptabilité analytique.
Celle-ci est définie par l’article 59 du GBCP comme ayant pour objet « de
mesurer les coûts d’une structure, d’une fonction, d’un projet, d’un bien
produit ou d’une prestation réalisée et, le cas échéant, des produits afférents
en vue d’éclairer les décisions d’organisation et de gestion ». Pour l’État, le
GBCP précise désormais que cette comptabilité, tenue par l’ordonnateur,
« permet l’analyse des coûts des actions ou des services ainsi que
l’évaluation de leur performance » (art. 166), de manière à satisfaire
pleinement aux exigences de la LOLF. Il s’agit ainsi de mesurer les coûts
complets de ces actions ou services à partir des données de la comptabilité
générale et non pas en tenant une troisième comptabilité, laquelle était
coûteuse, chronophage et surtout peu valorisée par le Parlement et par les
citoyens.
Ces coûts sont ensuite évalués et analysés dans les RAP, qui mettent en
avant les coûts synthétiques de certaines actions, par exemple le coût direct
de la gestion fiscale d’une PME, lequel s’élève à 68,80 € selon le RAP 2020
du programme 156 contre 74 € un an plus tôt. L’exploitation de la
comptabilité analytique doit permettre de disposer d’une information plus
riche quant aux coûts des actions de l’État. Le gouvernement et le
Parlement pourront intégrer cette information dans la prise de décision
budgétaire.
3 Une comptabilité publique assurée par les
comptables et… les ordonnateurs
Si la séparation de l’ordonnateur et du comptable n’a pas été remise en
cause par le GBCP ; leur coopération a été organisée. Ainsi, l’art. 42 GBCP
consacre les contrôles hiérarchisés et partenariaux appelant une évaluation
des risques de la dépense.
3.1 D’une stricte incompatibilité des fonctions
d’ordonnateurs et de comptables publics…
a Manier les fonds ou décider de leur affectation
L’ordonnance royale des 14 et 17 septembre 1822 a installé le principe de la
séparation des ordonnateurs et des comptables. La prudence dictait alors de
ne pas confier à une même personne la décision de la dépense et la clé de la
cassette. Si ce principe n’a cessé d’alimenter le droit budgétaire français, il
est possible de considérer que la LOLF tente de l’aménager. Selon le
principe, d’une part, les fonctions d’ordonnateur et de comptable sont
incompatibles. Depuis 1962, l’interdiction a été étendue au conjoint.
D’autre part, le comptable public jouit d’une indépendance. L’indépendance
n’est pas nécessairement statutaire ; le comptable peut avoir à se conformer
aux ordres (légaux et réglementaires) de l’ordonnateur qu’il contrôle. En
revanche, l’indépendance du comptable est toujours fonctionnelle, la loi
l’obligeant à contrôler la régularité des opérations. Il est personnellement et
pécuniairement responsable de toute irrégularité et notamment tout déficit
de caisse.
b La condamnation de la gestion de fait
La gestion de fait est le maniement de deniers publics par une personne
n’ayant pas la qualité de comptable public8. Il s’agit d’un acte irrégulier
sanctionné par la Cour des comptes ou les chambres régionales (ou
territoriales) des comptes (CRTC).
Trois éléments caractérisent la gestion de fait. Premièrement, le maniement
qui peut consister en la détention de fonds, la dépense ou le fait de toucher
des fonds. Deuxièmement, il doit s’agir de deniers publics qui sont les
fonds et les valeurs possédés en toute propriété par les organismes publics.
Troisièmement, le maniement de deniers publics doit avoir été réalisé par
une personne sans autorisation régulière. Seul le comptable public ou les
agents agissant sous leur contrôle et pour leur compte ont qualité pour
manier et détenir des fonds publics ; on les appelle « comptables patents ».
Dès lors, toute personne qui s’immisce sans habilitation dans ces fonctions
est comptable de fait.
Il convient de distinguer la gestion de fait « en recettes », dans laquelle le
gestionnaire a fait recouvrer certaines recettes en se substituant au
comptable public9, de la gestion de fait « en dépenses », consistant en le
versement par un organisme public d’une subvention (considérée comme
fictive) à un organisme tiers, telle une association, contrôlé par les
dirigeants de l’organisme public.
Le juge des comptes est compétent et jugera alors, le cas échéant, des
ordonnateurs. Toute personne, ordonnateur ou pas, qui s’est comportée
comme un comptable de fait endosse les mêmes responsabilités que celles
instituées pour les comptables publics, en particulier la responsabilité
pécuniaire personnelle.
c Une dichotomie difficilement compréhensible
Les exigences de la nouvelle comptabilité publique pourraient impliquer un
certain assouplissement de la procédure de gestion de fait. En effet, dans
beaucoup de cas, il est avéré que le comptable de fait était de bonne foi. Il
est possible de donner comme exemple la perception de droits d’inscription
dans un établissement d’enseignement par une personne n’ayant pas la
qualité de comptable public, de régisseur ou de mandataire du régisseur ou
du comptable public, ou la vente de documentation éditée par un
établissement, lorsqu’elle est réalisée par un organisme privé n’ayant pas
d’habilitation légale. Mais l’exemple le plus marquant est le paiement de
dépenses par le biais d’une association subventionnée : une telle situation
peut procéder d’un choix de gestion, destiné à améliorer la performance de
l’action publique, davantage que d’une volonté de contourner les règles de
la comptabilité publique.
La gestion de fait peut être contre performante si l’ordonnateur redoute de
voir sa responsabilité engagée : il ne paraîtrait pas aberrant de laisser une
marge de manœuvre plus grande à l’ordonnateur, dans l’esprit de la LOLF.
Les évolutions liées à la comptabilité d’exercice semblent entraîner une
plus grande proximité dans le travail du comptable et de l’ordonnateur à
côté de laquelle la procédure de gestion de fait peut paraître
particulièrement longue et inadaptée. Il est possible de se demander s’il
reste souhaitable que la gestion de fait continue de se situer à la fois sur le
terrain de la correction des comptes et celui de la répression ou s’il ne serait
pas mieux qu’elle se concentre sur un seul de ces deux domaines.
3.2 … à sa remise en cause au bénéfice d’une relation
partenariale
a Quelle place pour le gestionnaire ?
Il y a actuellement un bouleversement de la frontière entre ordonnateur et
comptable notamment du fait de la logique gestionnaire voulue par la
LOLF. Désormais, c’est l’ordonnateur gestionnaire de crédits qui réalise les
écritures comptables, le comptable assumant uniquement un rôle de
validation. Qui plus est, les nouvelles marges de manœuvre du gestionnaire
réduisent les contrôles a priori du comptable. Pour autant, la responsabilité
du comptable n’a pas changé. Or les comptables, eux, se voient soumettre
des demandes de contrôles plus rapides, moins systématiques, par
échantillon, intégrant les nouveautés juridiques et les nouvelles possibilités
technologiques sans pour autant voir disparaître leur responsabilité
pécuniaire et personnelle. De nombreux pays ont abandonné cette stricte
séparation, laquelle rend difficile la mesure de la qualité de la gestion
publique.
b L’audit interne, préalable au partenariat
Afin que le partenariat soit envisageable, il convient d’organiser une
démarche d’audit définie conjointement par les ordonnateurs et les
comptables afin de maîtriser les risques d’irrégularités. L’audit interne
prévu par l’article 216 du GBCP vise à doter chaque ministère de sa propre
procédure de contrôle interne et à réaliser une cartographie des risques
comptables. La directive 2011/85/UE du 8 novembre 2011 renforce les
exigences de l’UE en incitant à la mise en place de dispositifs de contrôle
interne et d’audit indépendant sur le champ de la comptabilité publique. Les
articles 170 et 215 du GBCP obligent respectivement l’État et les
organismes publics, à mettre en œuvre des dispositifs de contrôle interne
budgétaire et comptable (cf. supra).
c Le contrôle hiérarchisé et le contrôle partenarial
Depuis 2004, le « contrôle hiérarchisé de la dépense » (CHD) a vocation à
adapter le contrôle des comptables au niveau du risque de la dépense afin
d’économiser de chronophages contrôles pour des sommes modestes. Par
exemple sont demandées moins de pièces justificatives ; ainsi les délais (de
paiement notamment) sont plus courts. Le GBCP donne une assise
réglementaire à cette pratique.
Le « contrôle partenarial » consiste en l’identification conjointe des risques
par les ordonnateurs et les comptables. L’application informatique
« Chorus » permet d’automatiser des contrôles et de supprimer certains
visas des comptables. À cette fin, l’ordonnateur et le comptable auditent
conjointement la chaîne de la dépense depuis l’engagement jusqu’au
paiement grâce à un « work flow ».
Les services facturiers prévus aux articles 41 et 131 GBCP centralisent les
paiements d’un ou plusieurs ordonnateurs afin de fluidifier la chaîne de la
dépense. En effet, auparavant, des factures pouvaient être contrôlées
plusieurs fois, d’où des délais préjudiciables aux fournisseurs.
Incontestablement, la comptabilité publique s’est adaptée aux exigences de
performance et de transparence, ainsi qu’aux nouvelles priorités telle la
réactivité de la chaîne de paiement. Le recul manque cependant encore pour
apprécier le bilan coûts- avantages et mesurer les éventuels risques attachés
aux innovations que sont notamment l’établissement d’un bilan de l’État,
l’allégement du contrôle du comptable et le développement de nouvelles
fonctions (contrôle interne, audit interne).
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• Faut-il remettre en cause la séparation ordonnateur / comptable ?
• Quel partenariat entre les ordonnateurs et les comptables ?
• Le décret relatif à la gestion budgétaire et comptable publique (GBCP)
• Les trois comptabilités de l’État
• La gestion de fait
• Le bilan comptable de l’État
RÉFÉRENCES
« La réforme comptable », Gestion et finances publiques, no 2013-2 et 3, février-mars 2013.
Martin Collet, « Le décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable
publique : « dépenser mieux » ou « dépenser moins » ? », Revue française de droit
administratif, 2013, p. 433.
Jean-Pierre Rougeaux, « Principes généraux de comptabilité publique », Juris-Classeur.
« La responsabilité des gestionnaires publics : quelles réformes ? », Gestion et Finances
publiques, no 2020-3, mai-juin 2020.
CHAPITRE 12
Le contrôle des finances
publiques
NOTIONS À MAÎTRISER
• Le contrôle interne et le contrôle externe
• MEC, comité d’évaluation des politiques publiques
• Les réserves d’interprétation
• Les cavaliers budgétaires
• Le contrôle juridictionnel financier
• La soutenabilité budgétaire
• Le CBCM ; le CSCRC
La mise en œuvre des finances publiques et, notamment, l’exécution des
dépenses constituent l’une des missions principales des administrations
publiques. Les autorisations, nécessairement plus globales, sont données en
amont par les représentants des citoyens. Aussi, il convient de s’assurer que
l’administration, le pouvoir exécutif, se sont acquittés de leurs tâches de
façon régulière et efficace et, le cas échéant, de leur montrer les voies de
progression.
Pour ce faire, la représentation nationale doit avoir accès à toutes les
informations utiles et être aidée dans sa tâche par des corps dédiés (contrôle
politique). Le juge a toute sa place dans le contrôle des finances publiques
puisqu’il juge de la conformité à la Constitution des lois de finances
lorsqu’il est constitutionnel, de la régularité et de la sincérité des comptes
des comptables publics, voire les comptables publics eux-mêmes, lorsqu’il
est financier (contrôle juridictionnel).
L’administration se contrôle également elle-même en s’assurant que les
conditions de la juste exécution sont réunies avant la dépense et, de manière
plus générale, en évaluant l’organisation de l’administration en la matière.
Ainsi, le contrôle financier du ministère chargé des finances est présent
dans chaque département ministériel pour s’assurer de la régularité et de la
soutenabilité des dépenses (contrôle interne). L’inspection générale des
finances (IGF) se concentre principalement désormais sur l’audit de
politiques publiques et sur l’expertise au service du pouvoir exécutif
(contrôle externe).
En parallèle de la croissance de leurs attributions et autonomie, les
collectivités territoriales sont encadrées par des mécanismes de contrôle,
notamment des chambres régionales et territoriales des comptes.
1 Un contrôle politique : les contrôles
parlementaires
1.1 Les représentants du peuple contrôlent…
L’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, lequel
proclame que « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes
ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la
consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité,
l’assiette, le recouvrement et la durée », indique que les fonctions naturelles
du Parlement sont certes le vote du budget, mais aussi le contrôle de sa
bonne exécution. La LOLF précise le contrôle permanent et l’évaluation de
l’exécution des lois de finances, et le rôle qu’y jouent les commissions des
finances1 des deux assemblées. L’article 57 de la LOLF identifie les
présidents, rapporteurs généraux et rapporteurs spéciaux2 des commissions
des finances ; les commissions des finances « procèdent à l’évaluation de
toute question relative aux finances publiques ». À des fins d’objectivité, si
besoin était, la présidence de ces deux commissions est assurée par un
parlementaire de l’opposition (coutume parlementaire introduite sous la
présidence de Nicolas Sarkozy ; le règlement de l’Assemblée nationale l’a
formalisée) – la fonction de rapporteur général, qui assume la direction
effective de la commission, revient en revanche à un parlementaire de la
majorité. En outre, en vertu de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, les
projets de loi non organique doivent être assortis d’une étude d’impact
évaluant leurs implications pour les finances publiques, à destination du
Parlement.
… et évaluent l’exécution des lois de finances
La budgétisation se faisant par objectifs, le contrôle a posteriori de la
performance de l’État devient possible, politique par politique qui plus est.
Au cours de l’année, le gouvernement transmet les informations nécessaires
au Parlement, lequel peut ainsi évaluer l’évolution périodique des dépenses
et des crédits de l’État. Les parlementaires disposent de moyens dans la
mesure où ils peuvent procéder à des investigations sur pièces et sur place
ainsi qu’à des auditions (notamment de hauts fonctionnaires). Si
l’administration n’est manifestement pas assez diligente, les présidents des
commissions peuvent demander, notamment au juge administratif, statuant
en référé, de faire cesser l’entrave sous astreinte (art. 59 LOLF).
Dans le cas d’une mission d’évaluation et de contrôle ou MEC (mise en
place le 3 février 1999 à l’Assemblée nationale3), le gouvernement dispose
d’un délai de deux mois pour répondre aux observations formulées. La
MEC procède à des auditions de responsables administratifs et politiques
afin d’évaluer leur gestion des crédits. Elle enquête sur des politiques
publiques choisies. Par exemple, l’un des travaux de la MEC pour 2019
portait sur les outils publics encourageant l’investissement privé dans la
transition écologique. La mission d’évaluation et de contrôle des LFSS
(MECSS) est le pendant de la MEC pour les finances sociales : elle a ainsi
remis un rapport en 2020 sur la chirurgie ambulatoire. Le comité
d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) de l’Assemblée
nationale, créé en 2009, a une vocation davantage transversale : en effet, les
sujets doivent être larges et concerner plusieurs commissions permanentes
(dont souvent celle des finances).
Le contrôle a posteriori le plus institutionnalisé réside en la loi de
règlement vue au chapitre 8.
1.2 La Cour des comptes assiste le Parlement
Le Parlement se voit aidé dans sa tâche par la Cour des comptes qui exerce
une mission d’assistance aux pouvoirs publics dans le cadre du contrôle de
l’exécution de la loi de finances. Selon l’article 47-2 de la Constitution, elle
est chargée d’« assister le Parlement et le gouvernement dans le contrôle de
l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement
de la Sécurité sociale ainsi que dans l’évaluation des politiques publiques ».
Son champ d’action n’est donc pas limité à la sphère des finances de l’État.
Le Sénat et l’Assemblée nationale peuvent demander à la Cour des comptes
de mener des enquêtes. La Cour dispose alors de huit mois pour rendre ses
conclusions. En outre, chaque année, la Cour des comptes transmet aux
parlementaires un rapport préliminaire relatif aux résultats d’exécution de
l’année antérieure à l’occasion du débat d’orientation des finances
publiques (DOFP) et un rapport destiné à éclairer le Parlement lorsque le
gouvernement opère des mouvements de crédits qui doivent être ratifiés par
la plus prochaine loi de finances. Enfin dans le cadre de ses missions
propres de contrôle administratif de la gestion des organismes publics et
parapublics (cf. infra), la Cour des comptes prononce des référés qu’elle
transmet à la représentation nationale et qu’elle rend systématiquement
publics depuis le 1er janvier 2013 sous deux mois, délai laissé à
l’administration pour présenter ses observations.
2 Un contrôle juridictionnel
2.1 Le contrôle de conformité à la Constitution
du Conseil constitutionnel
a Le Conseil constitutionnel veille au respect, par le législateur,
des principes budgétaires
Le rôle du Conseil constitutionnel (CC) est de vérifier la conformité des lois
à la Constitution (cf. chapitre 5). Il assume également cette mission pour les
lois de finances. Comme pour les lois simples, la saisine du CC n’est pas
automatique. En revanche, elle est quasi systématique pour les LF depuis
1974, date à partir de laquelle la saisine du CC est devenue possible à 60
députés ou 60 sénateurs (en ce qui concerne les LFI, seules les lois de
finances pour 1989 et 1993 n’ont pas été déférées). La saisine est souvent
plus politique que juridique. En théorie, le CC pourrait annuler l’intégralité
d’une loi de finances, mais cela entraînerait des conséquences importantes
sur la continuité de la vie publique dans la mesure où la LF ne serait pas
votée avant le 1er janvier de l’année N. Outre l’annulation de certaines
dispositions, plus subtilement, le CC utilise les « réserves d’interprétation »,
lesquelles conditionnent la constitutionnalité d’un ou plusieurs articles à
une certaine interprétation ou mise en œuvre.
b Une attention particulière est accordée par le Conseil
constitutionnel à la sincérité et au domaine de compétences
de la loi de finances
Dans ses décisions, le CC veille notamment au respect des grands principes
budgétaires (cf. chapitre 6). Depuis sa décision no 94-351 DC du 29
décembre 1994, il est susceptible de sanctionner notamment la violation du
principe de sincérité qu’il a érigé en principe à valeur constitutionnelle. En
effet, il est attaché à une image aussi exacte que possible de la situation
budgétaire anticipée. Les parlementaires qui défèrent une LF devant le CC
soulèvent désormais systématiquement le motif de l’insincérité.
Le Conseil constitutionnel ne dispose pas des moyens et du temps
nécessaires pour assurer un examen approfondi de la LF et demeure très
dépendant des informations que l’administration veut bien lui délivrer.
Aussi, seules sont censurées les erreurs manifestes.
Le CC veille également particulièrement au respect de la compétence des
lois de finances en censurant, généralement d’office, les cavaliers
budgétaires (cf. chapitre 8). Il veille de la même manière au respect des
grands principes constitutionnels par les dispositions fiscales
(cf. chapitre 5).
2.2 Le contrôle juridictionnel financier et administratif
de la Cour des comptes
En sus de la mission de certification des comptes de l’État (cf. chapitre 11)
et de la participation à l’évaluation des politiques publiques (cf. supra), la
Cour des comptes exerce deux missions, sous réserve des prérogatives des
CRC : le contrôle juridictionnel des comptes des comptables publics et le
contrôle administratif de la gestion des organismes publics.
a La Cour des comptes est à la tête des juridictions financières
mais assure également un contrôle administratif
La majorité des États modernes ont une institution dont la fonction
essentielle réside en la vérification de la régularité des opérations
financières effectuées par les organismes publics. En France, l’existence
d’un corps de contrôle des finances royales remonte à l’ordonnance de
Vivier-en-Brie promulgée en 1320 sous le règne de Philippe V le Long. Le
contrôle des comptes publics a été unifié au XIXe siècle par Napoléon Ier au
moyen de la création de la Cour des comptes le 16 septembre 1807. Les
contrôles servent deux objectifs principaux : garantir la régularité des
opérations financières publiques et s’assurer de la performance de la
dépense publique. Cette seconde mission est plus nouvelle et réclame une
organisation revue.
Les attributions de la Cour des comptes relèvent d’une part d’un contrôle
juridictionnel, d’autre part d’un contrôle administratif. La mission
traditionnelle est le contrôle juridictionnel des comptes des comptables
publics. Le contrôle de la sincérité et de la régularité des comptes réside en
la vérification de la régularité des comptes (vis-à-vis des règles de la
comptabilité), de la régularité des opérations décrites dans ses comptes (vis-
à-vis du droit budgétaire et administratif) et de la réalité des opérations
(cf. infra).
S’y est ajoutée une mission de contrôle administratif de la gestion des
organismes publics et parapublics, qui porte sur le bon emploi des fonds
publics. Cette attribution est en croissance permanente. Elle consiste, par
exemple, à évaluer si les responsables d’un ministère ont fait un bon emploi
des crédits ouverts.
Ces deux types de contrôle sont complémentaires et s’exercent
simultanément : c’est à travers la vérification de la régularité des
comptabilités et en se fondant sur les pièces justificatives que les magistrats
de la Cour peuvent apprécier la qualité de la gestion.
Dans toutes ses missions, l’indépendance de la Cour des comptes est
garantie par son statut de juridiction et par l’inamovibilité de ses membres,
qui ont la qualité de magistrat. La compétence de la Cour est d’ordre
public : elle procède d’office, sans être saisie par quiconque et sans que les
contrôlés puissent se soustraire à cette obligation. Dans sa mission de
contrôle administratif, la Cour ne dispose pas de pouvoir de sanction. Le
cas échéant, elle informe les autorités compétentes.
La Cour des comptes doit contrôler obligatoirement l’État, les
établissements publics nationaux (EPN), les entreprises publiques, les
organismes de Sécurité sociale.
La Cour des comptes contrôle facultativement les organismes de droit privé
dont la majorité des voix ou du capital est détenue par des organismes
soumis obligatoirement au contrôle de la Cour des comptes ou dans lesquels
ces organismes ont un pouvoir prépondérant de décision ou de gestion (i.e.
les entreprises publiques), les organismes de droit privé (les associations,
notamment) bénéficiaires de concours financiers d’origine publique, les
organismes de d’intérêt général faisant appel à la générosité publique, les
organismes bénéficiant de concours financiers de l’UE et les organismes
habilités à recevoir des impositions de toute nature ou des cotisations
légalement obligatoires.
Le programme des contrôles est arrêté chaque année par le premier
président, après avis du comité du rapport public et des programmes. Il est
établi notamment en fonction de la date des précédentes vérifications.
L’objectif est que toutes les institutions qui relèvent de la compétence de la
Cour soient contrôlées, en moyenne, tous les quatre ou cinq ans. Le contrôle
est assuré par un ou plusieurs rapporteurs qui instruisent et rédigent un
rapport. Il est suivi par un conseiller maître et donne lieu, le cas échéant, à
une audition des responsables de l’organisme contrôlé et aboutit à l’examen
du rapport par la chambre compétente. La Cour présente un rapport public
annuel rendant compte tant de la vérification systématique des comptes que
des enquêtes menées à partir de thèmes de contrôles définis a priori et l’état
de suivi de ses propres recommandations.
b La procédure de jugement du comptable public
Le chapitre 11 évoquait la question de la responsabilité pécuniaire et
personnelle (RPP) des comptables prévue à l’art. 60 de la loi du 23 février
1963. La responsabilité du comptable est mise en jeu en cas de déficit ou de
manquant en deniers ou en valeurs dans sa caisse, de recette non recouvrée,
de dépense irrégulièrement payée ou de l’indemnisation d’un tiers due à une
faute du comptable. Le comptable est responsable tant de ses agissements
propres que de ceux de ses subordonnés, de ses régisseurs ou même de son
prédécesseur s’il n’a pas formulé, à l’écrit et précisément, des réserves
relatives à la gestion de son prédécesseur durant les 6 mois suivant sa prise
de fonction.
Les juridictions financières jugent les comptables publics. Une voie
administrative de la mise en jeu de la responsabilité appartient également au
ministre chargé du budget. La Cour des comptes contrôle les comptes des
comptables principaux de l’État et des agents comptables des EPN. Suite au
contrôle d’un comptable, un rapport d’instruction est transmis au parquet
général près la Cour des comptes. Si aucune charge n’est retenue, alors le
juge rend une ordonnance, laquelle rend acte au comptable de la régularité
de sa gestion. Si le ministère public estime que la responsabilité du
comptable peut être engagée, et en l’absence de délit (détournement,
malversation), une phase amiable débute. À cette occasion, la responsabilité
pécuniaire du comptable est mise en jeu et un ordre de versement, émis par
le ministre chargé du budget, lui est notifié. Si le comptable ne s’acquitte
pas de la somme, un arrêt de débet est pris à son encontre et la procédure
contentieuse est mise en œuvre en respectant le principe du contradictoire
(accès aux pièces du dossier, assistance par un avocat). L’arrêt de la Cour
des comptes prononce la décharge ou la mise en débet. Cette dernière
signifie que le comptable doit verser les sommes non recouvrées,
manquantes ou payées irrégulièrement. À défaut, le recouvrement est forcé,
sur le cautionnement puis les biens propres du comptable.
Les arrêts de la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en
cassation devant le Conseil d’État pour incompétence, vice de forme et
violation de la loi. Un recours en révision devant la Cour est possible contre
les erreurs de fait mais seulement lorsqu’elles n’ont pas eu d’influence sur
le jugement de l’affaire. Enfin, comme évoqué dans le chapitre 10, le
recours par voie administrative consiste en la demande au ministre chargé
du budget d’une décharge de responsabilité en cas de force majeure ou en la
demande d’une remise gracieuse du débet, le cas échéant accordée par le
ministre après avis de la Cour des comptes.
2.3 Le jugement des ordonnateurs par la Cour
de discipline budgétaire et financière
En complément de la RPP des comptables, un régime de responsabilité
personnelle des ordonnateurs, au-delà des cas de gestion de fait
(cf. chapitre 11), a été installé grâce à la Cour de discipline budgétaire et
financière4 (CDBF). Seulement, son rôle est modeste dans la mesure où les
ministres sont exclusivement passibles de la Cour de justice de la
République et que les ordonnateurs pouvant se prévaloir d’un ordre
hiérarchique préalable à l’infraction sont déchargés de toute responsabilité.
Les justiciables sont les membres des cabinets ministériels, les
fonctionnaires, agents civils ou militaires de l’État et des EPN.
La CDBF sanctionne la violation des règles relatives à l’engagement des
recettes, des autres règles d’exécution des recettes et des dépenses. Le
président de la CDBF est le premier président de la Cour des comptes et son
vice président est le président de la section des finances du Conseil d’État
(CE). Les dix membres titulaires et six suppléants sont pour moitié des
conseillers d’État et pour moitié des conseillers maîtres à la Cour des
comptes. Le ministère public est assuré par le procureur général près la
Cour des comptes.
La CDBF n’exerce pas de fonction de contrôle mais uniquement une
fonction juridictionnelle. Elle doit être saisie par le procureur près la Cour
des comptes, lequel à la possibilité de classer l’affaire à ce stade. Peuvent
saisir le procureur : les présidents des deux assemblées, le Premier ministre,
le ministre chargé des finances, les membres du gouvernement dont le
département ministériel couvre l’administration de l’agent en cause, la Cour
des comptes et les créanciers dans un cas spécifique. S’il le juge opportun,
le procureur général peut transmettre la saisine au président de la CDBF.
Il n’y a pas d’appel mais un recours en révision est possible en cas
d’éléments nouveaux. La cassation a lieu devant le CE.
3 Les contrôles internes et externes
3.1 L’œil de Bercy ou du contrôle budgétaire
Le contrôleur budgétaire, anciennement appelé contrôleur financier, est le
représentant du ministère chargé des finances dans les autres départements
ministériels. Il est chargé de contrôler la dépense préalablement à
l’engagement par l’ordonnateur. La fonction traditionnelle du contrôleur
financier, fixée par la loi du 10 août 1922 relative à l’organisation du
contrôle des dépenses engagées, se heurtait à la logique de
responsabilisation des gestionnaires promue par la LOLF. Le contrôleur
budgétaire se caractérise par son indépendance, une action centrée sur la
régularité et une démultiplication des niveaux d’intervention. Les
contrôleurs budgétaires sont nommés par arrêté du ministre des finances.
Aussi, ils dépendent de lui et des conditions sont posées à leur nomination
afin de garantir leur indépendance (par exemple, ils ne doivent pas avoir eu
des fonctions dans les ministères qu’ils contrôleront).
a D’un contrôle financier exhaustif…
En visant la dépense, le contrôleur budgétaire autorise l’acte d’engagement.
Avant la rénovation de sa fonction en 2005, le contrôleur « financier »
devait apposer son visa sur tous les actes engageant une dépense. Cela
représentait une quantité importante d’actes (ex : recrutement, marché
public). La conséquence d’un refus de visa est le blocage de la décision ; le
comptable public est alors tenu de ne pas payer la dépense, y compris sur
réquisition de l’ordonnateur.
Le contrôleur budgétaire contrôle la correcte imputation de la dépense, la
disponibilité des crédits, l’exacte évaluation de la dépense, l’application des
dispositions financières des lois et règlements, l’exécution du budget
conformément aux lois de finances. Le visa peut être accompagné
d’observations, ou d’un différé, pour obtenir des pièces complémentaires.
En dernier lieu, en cas de désaccord persistant, le contrôleur budgétaire en
réfère au ministre des finances qui prend la décision finale (le ministre a,
par exemple, la possibilité d’accorder un visa en dépassement de crédits).
b … au contrôle budgétaire et comptable
Avec l’installation progressive du mécanisme gestionnaire, le curseur du
contrôle budgétaire s’est déplacé. 5 % des actes budgétaires représentent à
eux seuls quelque 80 % des crédits employés. Aussi, le but est désormais de
limiter les interventions nombreuses et de précision et la focalisation sur les
marchés publics, notamment au profit d’un contrôle de soutenabilité
budgétaire relatif au réalisme du budget proposé, aux dépenses publiques
induites et à la capacité à payer les dépenses engagées.
Depuis 2005, les fonctions de contrôleur budgétaire sont regroupées avec
celles de comptable public. Au niveau central, dans chaque ministère, elles
sont assumées par le contrôleur budgétaire et comptable ministériel
(CBCM), placé par le ministre chargé du budget auprès des ordonnateurs
principaux. Ses missions sont, d’après le décret no 2005-1429 du 18
novembre 2005, le contrôle budgétaire du ministère, sa fonction de
comptable et la transmission aux autorités budgétaires et à l’ordonnateur
principal d’un rapport annuel sur l’exécution budgétaire et une analyse de la
situation financière du ministère. La vision globale dont dispose le ministre
des finances lui permet de garantir la sécurité et la fiabilité de la chaîne de
la dépense, d’organiser une nécessaire prévention et une maîtrise des
risques financiers. Il en va de même au niveau déconcentré, où le contrôleur
budgétaire est le directeur régional des finances publiques, assisté d’un
membre du contrôle général économique et financier (CGEFI) ou d’un
expert de niveau équivalent5.
La vision globale est permise par la collaboration des deux départements
sur lesquels le CBCM s’appuie, à savoir le département du contrôle
comptable et celui du contrôle budgétaire. Il est à la fois le comptable du
ministère et le responsable de la soutenabilité financière de l’exécution par
le ministère des programmes dont il a la charge tant en matière de crédits
que d’emplois (titre 2). À ce titre, il est possible de dire qu’il représente les
directions du budget et des finances publiques. Il évaluera a posteriori les
actes dispensés de visa ou d’avis, identifiera les déterminants de la dépense
et évaluera l’organisation interne du ministère, notamment la mise en œuvre
de son contrôle interne et la sécurisation des procédures. Enfin, il a une
mission de conseil auprès des gestionnaires.
Plus spécifiquement, le contrôleur budgétaire contrôle la sincérité de la
programmation budgétaire initiale (PBI) et supervise la mise en œuvre de la
régulation budgétaire. Il vise le document annuel de PBI afin de vérifier
« l’exactitude des projets de répartition des emplois de chaque ministère et
de répartition des crédits de chaque programme entre les services de
l’État »6.
Le contrôleur budgétaire étudie la cohérence et la soutenabilité budgétaire,
notamment au moyen d’avis préalables relatifs aux documents
prévisionnels de gestion (DPG) présentés par les gestionnaires et qui
comprennent les BOP. Le contrôle porte, par exemple, sur la présence des
dépenses obligatoires. Le CF a la possibilité de procéder à une nouvelle
ventilation des UO (unités opérationnelles). Les seuils des contrôles ont été
relevés pour ne concerner que les actes pouvant entraîner des conséquences
budgétaires importantes (approche en termes de risques). C’est le ministre
chargé du budget qui élabore, pour chaque ministère, une liste des projets
d’actes qui doivent faire l’objet d’un contrôle.
Les contrôles hiérarchisé et partenarial, vus au chapitre 11, renforcent
l’efficacité du contrôle interne.
3.2 Le rôle des corps d’inspection
a Les différents corps d’inspection
Les corps d’inspection, et notamment l’inspection générale des finances
(IGF), réalisent des contrôles externes ; en effet, ils sont externes à
l’organisme contrôlé. La mission d’une inspection est ponctuelle. Dans sa
conception la plus traditionnelle, elle consiste en le contrôle de la régularité
des opérations et peut entraîner des sanctions en cas de défaillance. À tout
le moins, l’organisme s’il ne bénéficie pas d’une mauvaise publicité, se
trouvera dans des conditions dégradées pour négocier les crédits de l’année
suivante. L’IGF a acquis une dimension généraliste et interministérielle, à
l’instar de l’inspection générale de l’administration (IGA) pour le ministère
de l’intérieur et de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) pour
les ministères sociaux, et effectue aujourd’hui essentiellement des missions
ne relevant pas du contrôle à proprement parler (cf. infra).
Ces trois inspections générales subsistent à ce stade mais leur
fonctionnement est réformé par l’ordonnance no 2021-702 du 2 juin 2021
portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de
l’État, qui « fonctionnalise » leurs membres : les nouveaux inspecteurs ne
rejoindront pas un corps mais seront nommés dans leurs fonctions pour une
durée déterminée, tout en bénéficiant de garanties d’indépendance.
Certains ministères sont par ailleurs dotés de leur propre inspection, comme
l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la
recherche (IGAENR) pour le ministère de l’éducation nationale ou encore
le Conseil général de l’environnement et du développement durable
(CGEDD), héritier du Conseil général des Ponts, pour le ministère chargé
de la transition écologique ainsi que celui chargé du logement. Certes, la
dimension budgétaire et financière n’est jamais absente lors de ces
inspections « techniques » mais ces dernières n’assument pas, en premier
lieu, un rôle de contrôle des finances publiques. Elles se concentrent sur le
cœur de métier de leur département ministériel.
b Le rôle de l’inspection générale des finances
L’IGF a été créée le 25 mars 1816. Sa fonction historique réside en le
contrôle financier, comptable et administratif des comptables publics et des
services extérieurs du ministère des finances. Progressivement, ce contrôle
s’est étendu à l’ensemble du secteur public, y compris les établissements
privés bénéficiant de concours financiers publics. La loi du 8 août 1950
dispose ainsi que l’ensemble des comptes des comptables publics est
contrôlé par l’IGF.
En 2019, les activités de vérification et d’audit, qui portent principalement
sur les services déconcentrés des ministères financiers, n’ont représenté que
10 % des missions de l’IGF. Ce rôle traditionnel de contrôle est devenu
secondaire, l’IGF réalisant essentiellement des missions de conseil,
d’évaluation et d’assistance. L’objectif est alors d’évaluer l’existant de
proposer des améliorations, et, parfois, d’aider à leur mise en œuvre. L’IGF
est conseil de l’exécutif en préparant la prise de décision politique au plus
haut niveau à la demande des pouvoirs publics. Les missions d’expertise et
de conseil sollicitées portent notamment sur la mise en œuvre et
l’évaluation de certaines politiques publiques. À cette occasion, elle peut,
par exemple, évaluer les coûts et les avantages de certaines aides sociales.
L’IGF a adopté les nouvelles techniques de contrôle, de maîtrise des risques
et accompagne les administrations publiques dans leur modernisation. Par
exemple, avec son rapport de septembre 2012 relatif au bilan de la RGPP et
les conditions de réussite d’une nouvelle politique de réforme de l’État, elle
a impulsé les nouvelles méthodes de gestion et de mesure la performance.
Et c’est à l’ancien chef de service de l’IGF, Jean Bassères, que le
gouvernement a commandé un rapport sur la responsabilisation des
gestionnaires publiques (2020), qui propose de faire le pari de la confiance
aux ordonnateurs.
4 Les systèmes de contrôle des collectivités
territoriales
La vérification des comptes locaux a longtemps été partagée entre la Cour
des comptes (départements et grandes communes) et les préfets. Or les
membres des conseils de préfecture n’étaient pas spécialisés en matière
comptable et financière et la Cour des comptes ne pouvait davantage faire
face au nombre important et croissant de comptes, si bien que l’examen
n’était pas approfondi. C’est la création, en 1982, des chambres régionales
et territoriales des comptes (CRTC), lesquelles sont placées depuis 1988
sous l’autorité fonctionnelle de la Cour des comptes, qui a permis un
véritable contrôle des finances publiques locales.
4.1 La décentralisation imposait la création d’un
nouveau contrôleur : les CRTC
Les CRTC sont des juridictions financières indépendantes, implantées dans
chaque région ou territoire. Elles assurent un contrôle des finances locales
adapté aux nouvelles compétences des collectivités territoriales. La loi du 2
mars 1982 identifie trois missions pour les CRTC. Premièrement, elles
jugent les comptes des collectivités et établissements publics locaux (EPL)
en se substituant, selon les cas, à la Cour des comptes ou à l’apurement
administratif. Un appel est possible devant la Cour des comptes.
Deuxièmement, elles s’assurent du bon emploi des crédits par un examen
de la gestion et, plus largement, par l’évaluation des politiques publiques.
Troisièmement, elles participent au contrôle budgétaire, assuré par le préfet
et destiné à remplacer les pouvoirs de tutelle budgétaire détenus par les
préfets avant la décentralisation.
a L’organisation d’une CRTC
Une CRTC comporte a minima un président et deux assesseurs et un
procureur financier7, représentant du Parquet. Les magistrats des CRTC
sont inamovibles à l’exception du ministère public. Les présidents de
chambre régionale sont nommés par décret du président de la République,
sur proposition du premier président de la Cour des comptes et du Conseil
supérieur des chambres régionales des comptes (CSCRC). Les procureurs
financiers sont choisis parmi les magistrats des CRTC. Ils sont les
correspondants du procureur général près la Cour des comptes à qui ils
rendent compte de leurs activités. Le CSCRC est le garant de
l’indépendance des CRTC.
Les décisions rendues par les CRTC sont collégiales. Le quorum est fixé à
trois membres. Les comptables de droit ou de fait, le représentant légal de
l’organisme public concerné et le ministère public peuvent faire appel des
jugements des CRTC devant la Cour des comptes. Après expiration des
délais d’appel, le comptable peut également demander à la CRTC la
révision d’un jugement définitif rendu sur ses comptes, en produisant des
justifications recouvrées postérieurement au jugement.
b Contrôle des comptes et de la gestion : les principes
généraux de procédure des CRTC
La programmation des travaux des CRTC est libre. Elles se sont assignées
un rythme quinquennal pour le jugement des comptes. Depuis la loi du 6
février 1992, le préfet et l’autorité territoriale concernée peuvent adresser à
la CRTC une demande motivée tendant à l’inscription au programme de
l’examen de la gestion d’une collectivité ou d’un EPL ou d’un organisme
susceptible de faire l’objet d’un contrôle facultatif. Cette disposition est
relativement peu utilisée (20 demandes par an), et les demandes formulées
par les autorités territoriales sont surtout nombreuses les années de
renouvellement des conseils municipaux. Les CRTC sont libres de donner
suite ou non à ces demandes et d’en apprécier l’urgence.
Comme la Cour des comptes, les CRTC font des contrôles sur pièces et sur
place. Les rapporteurs examinent alors la gestion de l’ordonnateur et
entretiennent des contacts directs et fréquents avec ses services. Des
observations provisoires sont ensuite soumises à contradiction auprès des
ordonnateurs, avant l’établissement de rapports d’observations définitives
(environ 600 par an).
c Vers des évaluations de politiques locales ?
En marge des contrôles de régularité des comptes et de la gestion exercés
par les CRTC, il est possible que se développent dans les années à venir des
évaluations de politiques locales, plus thématiques et systémiques. Cette
orientation est promue par le nouveau projet stratégique dont se sont dotées
les juridictions financières sous l’impulsion de leur nouveau premier
président Pierre Moscovici (JF 2025). Il restera à suivre dans la durée cette
ligne, qui devra être validée par le législateur, en particulier le Sénat.
4.2 Sur saisine, les CRTC peuvent contrôler les actes
budgétaires et les conventions à portée budgétaire
a Du contrôle budgétaire des collectivités locales
Depuis la décentralisation, les actes des collectivités territoriales sont
exécutoires de plein droit et le représentant de l’État n’a que le pouvoir de
déférer au juge administratif ceux qui lui paraîtraient irréguliers (contrôle a
posteriori).
Le législateur a toutefois maintenu un contrôle plus étroit sur les actes
budgétaires (cf. chapitre 14). En effet, il convient de s’assurer que les
collectivités soient dotées d’un budget dans les délais légaux (art. L. 1612-2
du CGCT), que ce budget soit voté en équilibre réel (art. L. 1612-5), que
son exécution ne conduise pas à un déficit anormalement élevé (art. L.
1612-14) et qu’il comporte les crédits nécessaires au règlement des
dépenses obligatoires (art. L. 1612-15). Sauf dans le cas des dépenses
obligatoires non inscrites, le préfet est le seul à pouvoir saisir la CRTC. Les
cas les plus fréquents de saisine sont relatifs à l’absence d’équilibre réel du
budget et au défaut d’inscription de dépenses obligatoires. Le contrôle des
actes budgétaires s’applique aux EPL.
Le contrôle budgétaire joue un rôle curatif puisqu’il fait régresser le
nombre, déjà réduit, des budgets non votés (moins de 100 cas par an), veille
au respect de l’équilibre budgétaire (150 à 200 saisines par an), contribue
parfois sur plusieurs années, à la résorption des déficits (150 à 200 saisines
par an) et facilite le règlement des dépenses obligatoires (500 saisines par
an en moyenne)8.
b Du contrôle des conventions des collectivités locales
Depuis la loi du 6 février 1992, le préfet a la faculté de transmettre à la
CRTC, en raison de leur incidence financière et des problèmes juridiques
qu’elles peuvent soulever, les conventions relatives aux délégations de
service public et aux marchés publics. La CRTC rend, dans un délai d’un
mois, un avis qui est communiqué au préfet, à l’assemblée délibérante de la
collectivité ou de l’établissement public concerné et postérieurement, à
toute personne en faisant la demande. Limitées à quelques dizaines par an,
ces saisines sont pourtant de nature à permettre la détection relativement
précoce des irrégularités ou des risques potentiels.
Les contrôles des finances publiques ont évolué suite à la LOLF. En effet,
l’importance accordée au rôle du gestionnaire et les marges de manœuvre
dont il doit disposer rendent délicat le traditionnel contrôle systématique,
exhaustif et de légalité. Sont désormais privilégiés des contrôles moins
formels et portant davantage sur les grands enjeux financiers. La réforme
constitutionnelle de 2008 s’inscrit, en matière budgétaire, dans le même
cadre puisque le conseil apporté par la Cour des comptes aux pouvoirs
exécutif et législatif, de même que celui procuré par l’inspection générale
des finances, s’intéresse à l’ensemble des processus et organisations des
administrations, jusqu’à la mise en place d’un contrôle interne. Enfin, la
jurisprudence financière confirme un attachement au principe de sincérité et
une attention portée à la soutenabilité des finances publiques qui s’apprécie
à plus long terme et dépend également des efforts structurels consentis. Le
contrôle des finances publiques devient ainsi davantage budgétaire que
financier.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• Le contrôle de l’exécution des lois de finances
• Le contrôle des comptes des comptables publics
• Le contrôle budgétaire
• Quels contrôles pour les gestionnaires publics ?
• À quoi sert la Cour des comptes ?
• Les CRTC
• La CDBF
• Faut-il réformer les juridictions financières ?
• L’inspection générale des finances
• Les juges et les finances publiques
• Le Parlement et les finances publiques
RÉFÉRENCES
Rapports d’activité de la Cour des comptes et de l’IGF.
Cour des comptes, JF 2025. Construire ensemble l’avenir des juridictions financières,
février 2021 (projet stratégique des juridictions financières).
Jean Bassères et Muriel Pacaud, Responsabilisation des gestionnaires publics, juillet 2020
(rapport commandé par le ministre de l’action et des comptes publics, disponible sur le site de
l’IGF).
PARTIE 5
LES FINANCES LOCALES
Les finances locales renvoient aux finances des administrations publiques locales (APUL),
c’est-à-dire des collectivités territoriales et de leurs démembrements. Elles n’incluent pas
les finances des services déconcentrés de l’État ou encore des organismes de Sécurité
sociale présents sur le territoire.
La partie 5 examinera le cadre et la situation générale des finances locales (chapitre 13),
présentera le droit budgétaire local (chapitre 14) et la fiscalité locale (chapitre 15), puis
s’interrogera sur l’endettement des APUL (chapitre 16).
CHAPITRE 13
Le cadre général des finances
locales – autonomie
et dépendance
NOTIONS À MAÎTRISER
• Autonomie financière des collectivités territoriales ; pouvoir de taux
• Concours financiers ; enveloppe normée ; fiscalité transférée
• ODEDEL, contractualisation
Les finances locales constituent une part minoritaire mais néanmoins
importante des finances publiques. Leur particularité est d’être le fruit d’une
multitude d’acteurs fonctionnant de manière autonome. Régions,
départements, communes et établissements publics de coopération
intercommunale (EPCI) à fiscalité propre jouissent de marges de manœuvre
quant à leurs recettes et leurs dépenses pour mettre en œuvre leur politique
locale.
Les collectivités territoriales bénéficient, en effet, de par la Constitution, de
la libre administration (art. 72 al. 3 C) et de l’autonomie financière (art. 72-
2 C). Pour autant, les marges de manœuvre réelles des collectivités en
matière financière et, davantage encore, en matière fiscale, ne doivent pas
être surévaluées. À tel point que l’autonomie financière est parfois mise en
cause comme excessivement formelle par les élus locaux.
1 Une situation globalement saine mais qui cache
des déséquilibres
1.1 Une situation financière globalement saine
a Des enjeux financiers de l’ordre de 11 % du PIB
Les APUL forment le troisième sous-secteur institutionnel par la taille
budgétaire. Leurs ressources comme leurs dépenses s’élèvent à près de
11,1 % du PIB – respectivement 270 et 271 Md€ en 2019. Ce budget est
certes inférieur à celui de l’État et, a fortiori, à celui des ASSO. Il est
cependant plus dynamique. En 1981, avant l’acte I de la décentralisation,
les dépenses des APUL représentaient 8,3 % du PIB ; en 2003, avant l’acte
II, cette part avait été portée à 9,9 %. Alors que le budget de l’État est
contraint par des normes de dépenses exigeantes, les dépenses des
collectivités ont continué à augmenter plus rapidement que le PIB jusqu’en
2013.
Cette évolution est en partie liée à la nature dynamique de certaines de leurs
dépenses, notamment les dépenses sociales. Les dépenses des collectivités
peuvent être classées en trois catégories1 :
– les dépenses de fonctionnement constituent plus de la moitié des
dépenses, avec 52 %, dont 31 points de dépenses de personnel ;
– les prestations et les transferts représentent 27 % des dépenses, incluant
notamment les aides sociales (tel le revenu de solidarité active, pris en
charge par les départements), les tarifs sociaux de certains services
publics (crèches, cantines…) et les subventions ;
– les investissements (transports publics urbains, équipements sportifs et
culturels, infrastructures routières…) sont le dernier poste, avec 21 %,
auquel il faut ajouter les intérêts de la dette (0,5 %).
S’agissant des ressources, elles proviennent majoritairement de la fiscalité
mais dans une bien moindre ampleur que pour l’État :
– 58 % des ressources sont fiscales, y compris les recettes de fiscalité
transférée par l’État sur lesquelles les collectivités n’ont en général pas
de prise ;
– 24 % proviennent de transferts, soit essentiellement de dotations
budgétaires versées par l’État ;
– 16 % sont des ressources de production, émanant d’activités
industrielles et commerciales et de la participation des usagers aux
charges des équipements et services publics qui leur sont fournis ;
– 1 % est issu du patrimoine des collectivités.
b Un déficit et une dette globalement limités
Les intérêts d’emprunt ne représentent que 1,4 % des dépenses des
collectivités – chiffre à comparer au poids du programme « charge de la
dette et de la trésorerie de l’État » dans les dépenses du budget général de
l’État en 2019, soit 10,3 %. Cette comparaison témoigne de ce que les
collectivités sont moins endettées que l’État. De fait, la dette des APUL
s’élève à 230 Md€ fin 2020, soit 10,0 % du PIB – moins d’un dixième de la
dette publique totale. En proportion du PIB, cette dette est relativement
stable, malgré un ressaut en 2020, et reste à ce stade sous contrôle.
En 2020, le solde des APUL au sens de Maastricht s’élève à – 0,2 %, ne
contribuant que peu au déficit public (– 9,2 %).
1.2 Des déséquilibres à surveiller
a À moyen terme, la soutenabilité des finances locales n’est
pas garantie
Du fait des règles budgétaires qui prohibent le recours à l’endettement pour
financer des dépenses de fonctionnement (cf. chapitre 14), le déficit des
APUL est limité par construction. Son niveau relativement faible ne doit
donc pas occulter les facteurs de déséquilibre budgétaire que l’on peut
identifier par ailleurs. En l’occurrence, les dépenses de fonctionnement
augmentent (les prestations sociales monétaires ont augmenté de 60 % entre
2008 et 2019, atteignant 17 Md€) et la bonne tenue du solde est surtout
permise par l’augmentation continue des recettes.
Or, d’une part, les recettes issues des concours financiers ne sont pas et ne
peuvent pas être dynamiques, eu égard à la nécessité de redresser les
comptes publics. De fait, de 2011 à 2013, dans le cadre de la norme de
dépense dite « zéro valeur », une partie des concours financiers de l’État
aux collectivités locales a été gelée en valeur. Plus encore, de 2014 à 2017,
au titre de la contribution des APUL au programme dit de 50 milliards
d’économies, les concours financiers de l’État ont enregistré une baisse
inédite de 10,9 Md€, concentrée sur la dotation globale de fonctionnement
(DGF). Cette baisse des concours de l’État, en contraignant les collectivités
locales à modérer leurs dépenses, a permis de les associer concrètement à
l’effort de redressement des comptes publics.
Cette contrainte a néanmoins été affaiblie par les hausses de ressources
fiscales concédées parallèlement aux collectivités territoriales par l’État,
dans le cadre du pacte de confiance et de responsabilité conclu avec les
collectivités en juillet 2013. La LFI 2014 a ainsi fait don aux départements,
sans aucune contrepartie pour l’État, des frais de gestion2 perçus sur la taxe
foncière sur les propriétés bâties (TFPB). De même, en avril 2014, les
départements ont obtenu la faculté – initialement temporaire – de relever
leur taux de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) de 3,8 à 4,5 %.
De fait, l’immense majorité des départements (à l’exception de quatre) ont
porté leur taux au plafond de 4,5 %. Ces deux mesures ont représenté des
recettes supplémentaires d’environ 2 Md€ pour les départements.
En ce qui concerne les régions, elles ont bénéficié du transfert de recettes
fiscales en lieu et place de dotations budgétaires. Ainsi, en 2018, elles se
sont vues attribuer une part de TVA, plus dynamique, en remplacement de
la DGF qu’elles percevaient précédemment.
Pour autant, d’autre part, sous réserve de ces mesures exceptionnelles, la
dynamique des ressources fiscales a des limites intrinsèques. Ces limites
tiennent d’abord à l’assiette des impôts locaux, parfois volatile (DMTO,
CVAE) ou en régression (TICPE), au fait que les collectivités ne disposent
pas nécessairement d’un pouvoir de taux et, enfin, aux capacités
contributives des contribuables locaux – qui sont aussi parfois des
électeurs – et à leur mobilité.
b Les collectivités territoriales doivent apporter leur contribution
à l’effort structurel de la France
Sous réserve de ne pas concéder de nouveaux transferts de recettes fiscales
aux collectivités territoriales, les recettes de ces dernières ne pourront pas
toujours s’ajuster à la dynamique de leurs dépenses. Sauf à recourir de
manière accrue à l’endettement, dans la mesure du possible, les collectivités
devront, à l’instar de l’État, réaliser un effort structurel en réduisant leurs
dépenses. De cette manière, elles apporteront leur pierre à l’édifice du
redressement des comptes publics et au respect des engagements européens
de la France.
À cette fin, le législateur a renforcé la gouvernance des finances locales, en
mettant en place, par la loi de programmation des finances publiques 2014-
2019, un objectif d’évolution de la dépense publique locale (ODEDEL).
Dans sa première version, issue de l’article 11 de la LPFP 2014-2019, il
portait sur l’ensemble des dépenses réelles des collectivités territoriales et
des EPCI à fiscalité propre (hors remboursements d’emprunts) et
comprenait un sous-objectif pour les dépenses de fonctionnement. Dans sa
deuxième version, issue de l’article 13 de la LPFP 2018-2022, il est limité
aux dépenses réelles de fonctionnement3. L’ODEDEL est, comme son nom
l’indique, purement indicatif, mais il est désormais assorti d’un instrument
contraignant destiné à assurer son respect.
Sous l’empire de la LPFP 2014-2019, la baisse des dotations de l’État déjà
évoquée et le cycle électoral de l’investissement local ont d’abord permis
que l’ODEDEL soit respecté de 2014 à 2016. Au-delà des dépenses
d’investissement, les dépenses de fonctionnement ont également été
maîtrisées. Il en a été différemment à compter de 2017 mais en partie pour
des raisons pour partie étrangères à la gestion locale : les collectivités
locales ont par exemple subi en 2017 les effets de la revalorisation du point
d’indice de la fonction publique et des grilles indiciaires de la fonction
publique, qui ont pesé sur leurs dépenses de personnel.
La LPFP 2018-2022 a fixé l’ODEDEL à 1,2 % chaque année, soit un
objectif de hausse en valeur des dépenses réelles de fonctionnement de
6,2 % sur cinq ans. Compte tenu de l’inflation, anticipée en moyenne à
1,4 % par an, cet objectif est exigeant puisqu’il représente en réalité une
baisse annuelle moyenne de 0,2 % en volume. En complément, le même
article 13 de cette LPFP a créé un « objectif national d’évolution du besoin
annuel de financement » des collectivités locales, fixé à – 13 Md€ pour les
années 2018-2022 – montant qui peut paraître élevé mais qui ne représente
qu’environ 0,05 point de PIB. Pour atteindre ces objectifs, il n’est plus
recouru à la baisse des dotations, qui avait atteint ses limites. Pour
poursuivre la baisse des dotations, il aurait a minima fallu réformer la DGF,
comme cela avait été initialement envisagé pour 2016, afin notamment de
mieux tenir compte des charges de chaque collectivité locale et de mieux
appréhender l’échelon intercommunal (dont le mode de financement n’est
pas toujours responsabilisant).
L’article 29 de la LPFP 2018-2022 entendait se donner les moyens
d’atteindre l’ODEDEL par un mécanisme fortement incitatif, assorti de
pénalités financières en cas de dépassement de l’objectif. Seuls les régions,
départements, communes et EPCI à fiscalité propre dont les dépenses
réelles de fonctionnement sont supérieures à 60 M€ sont soumis à ce
dispositif de contractualisation – soit 322 collectivités – les autres
collectivités pouvant toutefois y adhérer à titre facultatif. Il consiste pour la
collectivité à signer un contrat avec le préfet pour s’engager à respecter
l’objectif décliné à son niveau, le pourcentage de progression annuelle des
dépenses réelles de fonctionnement de 1,2 % pouvant être modulé entre
0,75 % et 1,65 % en fonction de trois critères (croissance de la population,
revenu moyen, croissance des dépenses sur la période antérieure).
Si l’objectif individualisé n’est pas atteint, la collectivité est redevable
d’une reprise financière égale aux trois quarts de l’excès de dépenses si elle
a signé le contrat et de la totalité de cet excès si elle a refusé de le signer,
dans la limite d’un plafond de 2 % des dépenses réelles de fonctionnement.
En effet, ces règles s’appliquent également lorsque la collectivité concernée
a refusé de signer un contrat alors qu’elle se situe dans le champ de la
contractualisation obligatoire. En complément de ce « bâton », la seule
« carotte » prévue est que les collectivités respectant leur contrat peuvent
éventuellement bénéficier d’un taux majoré de subvention de la Dotation de
soutien à l’investissement local, à laquelle seules les collectivités du bloc
communal sont néanmoins éligibles. Une circulaire du 16 mars 20184 est
venue préciser le contenu des contrats, qui sont triennaux.
Néanmoins, la première génération de ces contrats dits de Cahors5, qui
devait s’appliquer pour les années 2018 à 2020, reste une expérience
inachevée, les contrats ayant été suspendus en mars 2020 en raison de la
crise de la Covid-19. Dans ces conditions, il est difficile de dresser le bilan
de ce dispositif de régulation des dépenses locales. Environ 70 % des
collectivités entrant dans le champ du dispositif ont accepté de signer un
contrat en 2018, ce qui est satisfaisant mais en deçà des attentes. Sur les
années 2018 et 2019, les résultats obtenus ont été positifs (hausse cumulée
de +1,9 % des dépenses de fonctionnement, contre un plafond de +2,4 %),
de sorte que le mécanisme « punitif » de reprise financière n’a été activé
que dans de rares cas (pour 12 collectivités).
La crise de la covid 19 a également gelé les discussions sur la deuxième
génération des contrats de Cahors, qui a finalement été renvoyée à après
une révision de leur cadre juridique par une prochaine LPFP. Le
gouvernement souhaite en effet élargir le champ de la contractualisation et
en adapter les modalités, de manière à ce que les collectivités locales
contribuent, par la poursuite des objectifs de maîtrise des dépenses de
fonctionnement, au retour progressif à l’équilibre des comptes publics6.
Une perspective qui ne suscite pas l’enthousiasme des représentants des
collectivités locales, notamment l’Association des maires de France, qui fait
valoir qu’il est prioritaire dans le cadre de la politique de relance de
favoriser l’investissement, lequel s’accompagne toujours de nouvelles
dépenses de fonctionnement.
Pour garantir leur efficacité dans le pilotage de l’évolution de la dépense
locale, il serait d’abord souhaitable que, au-delà des améliorations
techniques à apporter, les prochains contrats financiers couvrent un champ
plus large de collectivités locales et pas seulement celles dont le budget est
inférieur à 60 M€ (lesquelles ne représentaient que 45 % de la dépense
totale des APUL). Il serait ensuite opportun de différencier davantage
l’objectif d’évolution de la dépense locale, notamment en fonction des
strates de collectivités. En effet, les marges de manœuvre pour maîtriser les
dépenses sont inégales selon l’échelon considéré.
c La situation est hétérogène selon les niveaux de collectivités
Parmi les trois échelons de collectivités, c’est le départemental qui inquiète
le plus quant à la soutenabilité de sa trajectoire financière.
Le bloc communal, composé des communes et des EPCI, est l’échelon le
plus important en termes de volume budgétaire. En 2019, les dépenses des
communes et des EPCI à fiscalité propre s’élevaient respectivement à 102
et 39 Md€. Leurs charges de fonctionnement progressent, notamment la
masse salariale des EPCI. En effet, le développement de l’intercommunalité
à fiscalité propre et de ses missions – transférées des communes – a entraîné
de nouveaux recrutements, sans que les effectifs des communes ne soient
révisés en conséquence. La Cour des comptes relève à cet égard que la
multiplication des EPCI et l’enchevêtrement corrélatif des compétences au
sein du bloc communal ont été un puissant facteur d’augmentation des
dépenses de fonctionnement en général et des dépenses de personnel en
particulier7. De 2015 à 2019, les dépenses de personnel de
l’intercommunalité à fiscalité propre ont progressé de presque 27 %, tandis
que celles des communes, loin de diminuer, se sont à peine stabilisées
(+ 3 %).
Toutefois, le bloc communal peut compter sur des ressources fiscales
dynamiques. Les réformes de la fiscalité locale de 2010 et 2021
consécutives à la suppression respectivement de la taxe professionnelle puis
de la taxe d’habitation laissent au bloc communal la totalité de la CFE et
des taxes foncières, ainsi que la future taxe sur les résidences secondaires,
53 % de la CVAE et, pour les EPCI à fiscalité propre uniquement, une
fraction de TVA. Compte tenu des marges de manœuvre dont disposent les
collectivités du bloc communal, le renouvellement des conseils municipaux
et des conseils communautaires au printemps 2020 devrait engager un
nouveau cycle électoral de la dépense locale d’investissement : la nouvelle
municipalité engage en début de mandat des dépenses, qui sont susceptibles
d’alourdir les charges d’investissement au cours des années suivantes.
Les départements sont dans une situation plus tendue. Certes, la reprise du
marché immobilier, qui avait été déprimé par la crise de 2008, a eu des
conséquences favorables sur les recettes de DMTO, lesquelles ont atteint un
niveau historiquement élevé (+ 10 % en 2019, soit plus de 11 Md€ pour les
seuls départements), qui s’est à peine tassé en 2020 (– 2 %). Cependant, les
dépenses des départements sont dynamiques (70 Md€ en 2019), plus
particulièrement celles liées aux politiques sociales, qui leur ont souvent été
transférées par l’État : les frais d’hébergement dans les établissements
sociaux et médico-sociaux et les allocations individuelles de solidarité
(RSA, allocation personnalisée d’autonomie, prestation de compensation de
handicap…) représentent plus de 50 % des charges de fonctionnement des
départements sans compter la charge croissante, évaluée par l’Association
des départements de France à 2 Md€ en 2018, des étrangers se présentant
comme étant mineurs non accompagnés. Par ailleurs, les réformes de la
fiscalité locale de 2010 et 2021 ont ôté aux départements leur fraction de
TH et de taxe professionnelle (en 2010) puis de TFPB (en 2021), leur
laissant notamment, outre les DMTO, 47 % de la CVAE et une fraction de
TVA.
Enfin, les régions ont le budget le plus faible (36 Md€). Elles disposent de
très peu de pouvoir de taux sur leurs recettes fiscales. Elles ne perçoivent
aucun impôt direct local et ont perdu en 2021 leur fraction de CVAE, à la
suite de sa suppression par la LFI 2021 aux fins de réduire la fiscalité de
production (cf. chapitre 25). C’est pourquoi les ressources régionales se
sont vues conférer davantage de dynamisme, notamment par l’attribution de
fractions de TVA, en 2018 en remplacement de la DGF régionale et en 2021
à la place de la fraction régionale de CVAE. La TVA n’est néanmoins pas
dynamique en période de crise économique et les régions ont d’ailleurs
bénéficié en 2020 de la clause de sauvegarde qui garantit que la TVA en
question ne soit pas inférieure à la DGF perçue par les régions en 2017, soit
4 Md€. Cette fraction de TVA a néanmoins retrouvé une certaine
dynamique depuis (4,3 Md€ en 2021). Pour autant, les régions sont aussi
moins contraintes dans leurs dépenses : à la différence des départements,
qui ont pour obligation légale de distribuer des aides sociales dont les
critères sont définis par la loi, les régions sont libres de fixer la plupart de
leurs dépenses. À cet égard, si la compétence transport induit des dépenses
dynamiques du fait de l’importance accordée au transport ferroviaire, rien
n’interdit aux régions de dépenser moins. La fusion des régions au
1er janvier 2016 n’a pas fondamentalement changé la donne dans la mesure
où elle ne s’est pas accompagnée d’extensions significatives des
compétences des conseils régionaux8.
Naturellement, au sein de chaque échelon, toutes les collectivités ne
connaissent pas les mêmes difficultés ou la même prospérité. Aussi, des
mécanismes de péréquation horizontale ont-ils été mis en place, afin de
mutualiser les ressources locales sans mettre à contribution le contribuable
national9. Au niveau du bloc communal, on compte le fonds de péréquation
intercommunal et communal (FPIC), mis en place en 2012 et qui redistribue
2 % des ressources fiscales communales et intercommunales, soit environ 1
Md€. Au niveau des départements, le fonds globalisé de péréquation des
DMTO, refondu en 2020, a pour particularité, en plus d’une composante de
péréquation proprement dite, d’intégrer une composante de lissage
intertemporel, par une mise en réserve les années fastes. Enfin, les régions
ont un fonds de péréquation des ressources de manière à partager la
dynamique des ressources fiscales.
2 L’autonomie financière n’est pas synonyme
d’autonomie fiscale
L’autonomie financière des collectivités territoriales s’entend en première
approche de leur capacité à maîtriser leurs dépenses et recettes, condition de
la libre administration. Elle se distingue de l’autonomie fiscale, laquelle se
réfère au pouvoir régalien de l’État de lever l’impôt et d’en fixer le produit.
2.1 Les collectivités territoriales sont financièrement
autonomes
a La Constitution confère à chaque catégorie de collectivités
territoriales l’autonomie financière
Depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, l’article 72-2 de la
Constitution dispose en son troisième alinéa que les ressources propres des
collectivités territoriales constituent « une part déterminante de l’ensemble
de leurs ressources ». Ces dispositions sont le principal élément du principe
d’autonomie financière des collectivités.
Ce même article énonce en outre la libre disposition des ressources
attribuées aux collectivités territoriales, prévoit que la loi peut confier à ces
dernières un pouvoir d’assiette et de taux sur les impôts locaux, encadre le
financement des transferts de compétences et autorise la mise en place par
la loi de dispositifs de péréquation financière entre collectivités.
La notion de « part déterminante » de ressources propres a été précisée de
manière pragmatique par le législateur organique, qui a ainsi fixé les termes
et les limites de l’autonomie financière.
La loi organique du 29 juillet 2004 a premièrement précisé le champ des
ressources propres. Il comprend les impositions locales au sens large : non
seulement les impôts dont la loi autorise à fixer l’assiette ou le taux mais
aussi les impôts dont la loi détermine une part locale, même exprimée en
produit fiscal. Constituent par conséquent des ressources propres des impôts
nationaux transférés en tout ou partie aux collectivités selon des modalités
fixées par la loi, par exemple la taxe spéciale sur les conventions
d’assurance (TSCA).
Deuxièmement, la loi organique a précisé que la part déterminante de
ressources propres devait être respectée non par chaque collectivité mais de
manière globale pour chacun des trois échelons de collectivités territoriales.
Troisièmement, elle a arrêté les trois ratios d’autonomie financière en
retenant comme référence minimale le niveau de ressources propres atteint
en 2003, soit 41,7 %10 pour les régions, 58,6 % pour les départements et
60,8 % pour les communes et leurs EPCI.
b Les ratios d’autonomie financière sont largement dépassés
En 2018, les ratios d’autonomie financière étaient nettement au-delà du
minimum posé par la loi organique (cf. tableau 1). Sous l’effet notamment
du recul des dotations budgétaires, ils sont tous largement au-delà de 60 %,
y compris celui des régions (77,3 %) qui n’était en 2003 que de 41,7 %.
Contrairement à la situation qui prévalait en 2003, le ratio le plus élevé est
celui des régions et non plus celui des communes qui, bien qu’ayant
augmenté est le plus faible (71,4 %).
Tableau 1 : Les ratios d’autonomie financière
Collectivités Ratio minimum (2003) Ratio 2018
Communes (dont EPCI) 60,8 71,4
Départements 58,6 74,4
Régions 41,7 77,3
Source : Données du rapport de l’Observatoire des finances locales 2020.
c Les ressources des collectivités reposent de manière
importante sur l’État
Nonobstant l’autonomie financière des collectivités territoriales, ces
dernières perçoivent des transferts de l’État qui représentent une part
significative de leurs ressources, à savoir 104 Md€ en 202111. Ces transferts
prennent différentes formes et s’expliquent par plusieurs raisons.
Premièrement, les collectivités perçoivent des concours financiers d’un
montant de 52 Md€ pour 2021 si on y inclut la TVA des régions. Ces
concours correspondent aux grandes dotations, très majoritairement la
dotation globale de fonctionnement (DGF), dont l’objet est de financer les
dépenses des collectivités en fonction de critères objectifs de charges, ainsi
qu’à des compensations d’exonérations de fiscalité locale.
Sur le plan budgétaire, ces concours apparaissent essentiellement dans les
prélèvements sur recettes (PSR) de l’État au profit des collectivités
territoriales, mécanisme souple qui permet d’affecter directement aux
collectivités les ressources de l’État, par exception au principe
d’universalité budgétaire (cf. chapitre 6). Certains sont cependant inscrits
dans les crédits du budget général relevant de la mission « Relations avec
les collectivités territoriales » parce qu’ils s’apparentent davantage à des
subventions de l’État (dotations générales de décentralisation,
d’équipement…).
Certains concours financiers, transitant par les PSR, sont placés à l’abri de
toute réduction pour ne pas affecter leur efficacité. Il s’agit notamment du
Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA). Ce
dernier est une aide à l’investissement des collectivités territoriales dont
l’objet est de compenser de manière forfaitaire (sur la base d’un taux de
16,404 %) la TVA que les collectivités ont supportée sur leurs dépenses
d’investissement12. Son montant est de 6,5 Md€ en 2021. On trouve
également dans cette catégorie les dotations de compensation de réformes
fiscales, notamment de la suppression de la taxe professionnelle.
Deuxièmement, des crédits budgétaires sont consacrés aux collectivités sans
que ces dernières soient visées en tant que telles (14 Md€ en 2021). Ces
crédits relèvent de politiques plus larges, dont les collectivités sont un des
acteurs. Il s’agit des dégrèvements d’impôt locaux décidés par le législateur
pour alléger l’imposition des personnes modestes ou à des fins incitatives,
du produit des amendes de police de la circulation et des radars, des
programmes d’investissement d’avenir, de subventions…
Troisièmement, l’État a transféré des ressources fiscales aux collectivités
pour financer notamment des compétences transférées dans le cadre de la
décentralisation (38 Md€ en 2021, hors TVA des régions). L’acte I de la
décentralisation a ainsi conduit à transférer aux départements en 1983 une
part des DMTO, pour un montant de 12,4 Md€ en 202113. Plusieurs
transferts de compétence depuis 2003, notamment celui du RSA, ont été
financés par l’affectation de fractions de TICPE aux départements et aux
régions, pour des recettes de 12,1 Md€. Le pouvoir de taux des collectivités
sur ces impôts est variable : pour la TICPE par exemple, il existe pour les
régions mais est nul pour les départements. Les élus locaux estiment
régulièrement que ces nouvelles ressources fiscales ne couvrent pas
l’ensemble des dépenses transférées, lesquelles seraient plus dynamiques
que les recettes accordées.
2.2 Les collectivités territoriales ne jouissent
pas de l’autonomie fiscale
La fiscalité est une compétence régalienne qui ne peut être déléguée que de
manière restreinte. C’est ce qui différencie sur le plan de l’organisation
fiscale, un État unitaire, fût-il décentralisé, d’un État fédéral (fédéralisme
fiscal).
a La fiscalité est une matière régalienne encadrée par le bloc
de constitutionnalité
De par la Constitution, l’organisation et le fonctionnement de la fiscalité,
fût-elle locale, relève de la compétence de l’État (cf. chapitre 5). En premier
lieu, selon le principe de légalité de l’impôt, ce dernier relève de la
compétence du législateur national. Les prérogatives des collectivités
territoriales sont donc inexistantes concernant la création, la modification et
la suppression d’un impôt. Ce n’est que dans le cadre défini par le
législateur que les collectivités peuvent bénéficier d’un pouvoir de taux et
d’assiette, ainsi que l’énonce l’article 72-2 de la Constitution.
En second lieu, le principe d’égalité devant la loi fiscale, fondé sur l’article
6 de la DDHC>, interdit au législateur d’instituer des différences de
traitement en matière fiscale entre contribuables situés dans des collectivités
différentes, sauf à justifier d’une différence de situation ou d’un motif
d’intérêt général suffisant. Par conséquent, il ne serait pas possible
d’instituer des régimes fiscaux différents sur le territoire national. Par
exemple, il ne serait pas possible de déléguer à la seule collectivité
territoriale de Corse la compétence en matière de droits de succession pour
les biens immobiliers situés en Corse, comme elle en a formulé le vœu dès
lors que les droits de mutation à titre gratuit (DMTG) sont une imposition
nationale.
La conséquence est que le territoire national est soumis à une uniformité de
l’impôt, qui est défini et géré par l’État. Ainsi, les bases utilisées pour le
calcul des impôts directs locaux sont déterminées conformément à la loi,
que met en œuvre l’administration fiscale. En outre, les collectivités
territoriales sont contraintes par les principes d’unicité de caisse et d’unicité
de trésorerie qui font du Trésor Public le seul collecteur d’impôts et le
garant des recettes et de leur dépôt : les collectivités ne disposent pas de
leur propre administration fiscale ni ne déposent leurs fonds auprès
d’institutions financières privées (obligation de dépôt sur leurs comptes
ouverts auprès du Trésor).
Ces principes souffrent deux exceptions, touchant à l’outre-mer. À titre
temporaire, certains départements d’outre-mer (DOM), régis par l’article 73
de la Constitution, bénéficient de régimes transitoires. À Mayotte, le droit
commun de la fiscalité ne s’applique que depuis 2014. Encore des
dispositions dérogatoires y sont-elles applicables, de même qu’en Guyane,
par exemple l’absence de TVA.
À titre permanent, les collectivités d’outre-mer (COM) et la Nouvelle-
Calédonie, respectivement régis par l’article 74 et le titre XIII de la
Constitution, jouissent de l’autonomie fiscale. Leur statut, qui relève de la
loi organique, leur confère la compétence fiscale et la République française
conclut avec ces collectivités des conventions fiscales, sur le modèle des
conventions fiscales internationales. La loi fiscale n’y est pas du tout
applicable, sauf exceptions prévues par le statut (par exemple les
impositions affectées à la Sécurité sociale s’appliquent à Saint-Martin et à
Saint-Barthélemy).
b La compétence fiscale des collectivités territoriales n’est
que limitée et encadrée dans ses modalités
La jurisprudence du Conseil constitutionnel ne reconnaît aux collectivités
territoriales qu’une compétence limitée dans le domaine fiscal.
Le principe de libre administration protège dans une certaine mesure le
pouvoir fiscal local puisque les règles posées par la loi ne sauraient avoir
pour effet de restreindre les ressources fiscales des collectivités territoriales
« au point d’entraver leur libre administration » (cf. décision no 90-277 DC
du 25 juillet 1990, loi relative à la révision générale des évaluations des
immeubles retenus pour la détermination des bases des impôts directs
locaux, cons. 14).
Les implications de cette jurisprudence demeurent cependant peu
contraignantes. Le juge constitutionnel s’attache surtout à déterminer si
l’intervention du législateur est excessive au regard de la situation des
catégories de collectivités concernées. Jusqu’ici, une seule disposition, dans
un cas particulier14, a été analysée comme faisant obstacle à la libre
administration des collectivités. En pratique, l’État dispose donc de larges
marges de manœuvre et peut par exemple décider que le produit d’un impôt
local soit attribué en partie à une autre collectivité que celle précédemment
affectataire (cf. décision no 91-291 DC du 6 mai 1991, loi instituant une
dotation de solidarité urbaine etc., cons. 29 à 31 et 40).
En définitive, le Conseil constitutionnel réserve un large pouvoir
d’appréciation au législateur. Il n’existe pas de seuils clairs au-delà desquels
le Conseil sanctionnerait des dispositions législatives réduisant le pouvoir
fiscal des collectivités.
Les dépenses des APUL représentent environ un cinquième des dépenses
publiques et suivent une pente dynamique. Dans la mesure où elles
appartiennent à part entière aux finances publiques de la France, il est
nécessaire de chercher les moyens d’assurer la cohérence des trajectoires
financières des différentes administrations publiques. Eu égard aux
engagements européens de la France et aux risques de déséquilibres à venir
des finances locales, l’objectif doit être de modérer les dépenses des
collectivités territoriales.
Il est certes légitime que ces dernières bénéficient de marges de manœuvre
pour adapter leurs recettes fiscales à leurs besoins. Toutefois,
l’environnement financier des collectivités, qui est essentiellement
déterminé par l’État, que ce soit par la fiscalité, par ses concours financiers
ou par l’organisation de la péréquation, doit pouvoir inciter à une bonne
gestion financière. À cet égard, la mise sous tensions des budgets peut être
une solution adaptée si elle s’accompagne de dispositifs de péréquation
suffisants et d’une révision des compétences des collectivités (y compris par
la fin de la clause de compétence générale pour les communes) – ou de
l’octroi de davantage de marges de manœuvre aux collectivités dans
l’étendue et l’accomplissement des missions que l’État leur a confiées.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• L’évolution générale des finances locales
• Le mode de financement des collectivités territoriales est-il en mesure de garantir leur
autonomie ?
• Les collectivités territoriales disposent-elles des moyens de leurs compétences ?
• Les concours financiers de l’État aux collectivités territoriales
• La contribution des collectivités locales à l’effort de redressement des comptes publics
RÉFÉRENCES
Cour des comptes, Les finances publiques locales (trois fascicules), 2020.
Observatoire des finances et de la gestion publique locales, juillet 2020, rapport annuel.
Jaune budgétaire annexé au PLF 2021, Transferts financiers de l’État aux collectivités
territoriales.
CHAPITRE 14
La procédure budgétaire locale
NOTIONS À MAÎTRISER
• Sections de fonctionnement et d’investissement ; équilibre réel et règle d’or
• Compte administratif ; compte de gestion ; compte financier unique
• Budget primitif ; budget supplémentaire ; décision modificative
• Nomenclatures par nature et par fonction ; présentation fonctionnelle du budget
• Établissement d’office ; redressement d’office ; inscription d’office
• Réquisition du comptable
Le terme de procédure budgétaire englobe à la fois l’élaboration et
l’adoption du budget. L’exécution du budget en est le prolongement et
permet en outre l’établissement de comptes qui alimentent la préparation
des budgets suivants. Que ce soit au niveau national ou au niveau local, la
procédure budgétaire est un épisode clé de la vie administrative et
démocratique.
Si la LOLF ne régit pas la procédure budgétaire locale, celle-ci n’en
demeure pas moins soumise aux grands principes budgétaires que sont
l’annualité, l’unité, la non-affectation et la spécialité des crédits1, avec
cependant certaines atténuations propres aux collectivités territoriales.
Au-delà de ces grands principes, il apparaît que la procédure budgétaire
locale est soumise à un ensemble de contraintes légales et à un contrôle du
préfet et des chambres régionales (ou territoriales) des comptes (CRC). Il
existe ainsi un équilibre entre libre administration des collectivités
territoriales et contrôle budgétaire et financier.
1 La préparation des budgets locaux est l’œuvre
de l’exécutif local mais demeure encadrée
par des règles strictes
1.1 L’élaboration du budget relève de l’exécutif
a Les exécutifs locaux ont le monopole de la préparation
du budget
En vertu des dispositions du code général des collectivités territoriales, ce
sont les maires, les présidents de conseil départemental et régional – c’est-
à-dire les chefs de l’exécutif local – qui ont la compétence exclusive en
matière de préparation budgétaire. Ils sont en effet les ordonnateurs des
collectivités territoriales. Il en va de même dans les EPCI, dont l’exécutif
est le président de l’organe délibérant.
Ce sont, dans les faits, les services municipaux, départementaux et
régionaux qui sont chargés de préparer le budget, sauf dans le cas de très
petites communes, qui sont parfois assistées dans la préparation budgétaire
par le comptable public2. Le contrôle de l’élaboration budgétaire n’en
revient cependant pas moins à l’exécutif local.
b La préparation du budget s’inscrit dans un cycle long
Comme pour le budget de l’État, la préparation budgétaire locale
s’échelonne sur un temps long : elle débute par l’analyse de la situation
financière de la collectivité, basée sur les résultats de l’exercice précédent.
Ces résultats apparaissent dans le compte administratif, tenu par
l’ordonnateur, ainsi que dans le compte de gestion, issu de la comptabilité
officielle tenue par le comptable public, ou bien dans le compte financier
unique pour les collectivités qui l’expérimentent (cf. encadré ci-contre).
C’est notamment sur ces résultats que sont évaluées les marges de
manœuvre financières des collectivités territoriales, par exemple par
l’estimation de la capacité d’autofinancement.
ENCADRÉ
ENCADRÉ
Le compte administratif et le compte financier unique
Le compte administratif des collectivités locales
La préparation budgétaire s’appuie particulièrement sur le compte administratif, qui est
l’équivalent d’une loi de règlement. Il rapproche les prévisions de l’exécution effective des
dépenses et des recettes.
Le compte administratif est tenu par l’ordonnateur, étant entendu que les montants portés
dans ce compte doivent correspondre à ceux inscrits au compte de gestion tenu par le
comptable public. Il retrace les opérations réalisées durant l’année, ainsi que les « restes à
réaliser », c’est-à-dire les crédits d’engagement qui ont été engagés sans que les crédits de
payement correspondants ne soient encore consommés. Son déficit ou excédent est
enregistré dans la décision modificative de l’exercice suivant. Il doit être à l’équilibre au
moment de son vote, intervenant avant le 30 juin de l’année suivant celle de l’exécution
(N + 1).
Le compte financier unique des collectivités locales volontaires
Suivant une recommandation récurrente de la Cour des comptes, l’article 242 de la loi de
finances pour 2019 a ouvert l’expérimentation du compte financier unique (CFU) pour
les collectivités locales volontaires. Au cours d’une période de trois ans (exercices 2021 à
2023), le CFU se substitue pour celles-ci au compte administratif et au compte de gestion.
Il s’agit d’abord d’une simplification, puisque la distinction entre compte administratif et
compte de gestion conduit à la tenue redondante de deux comptabilités parallèles. La mise
en place du CFU concourra également à la modernisation de la procédure budgétaire locale
dans la mesure où le CFU afférent à l’année N sera en général produit en temps utile pour
être pris en compte dès le vote du BP N + 1, rendant inutile l’adoption d’une DM.
L’objectif est aussi de fournir aux collectivités locales un document de synthèse lisible et
transparent, comportant toute l’information financière utile à l’exercice du débat
démocratique local. Le CFU permet en effet d’enrichir l’approche budgétaire, qui est celle
du compte administratif, par des informations patrimoniales actuellement produites par le
seul comptable public.
Si l’expérimentation est concluante, le CFU pourrait être généralisé à partir de 2024.
La préparation budgétaire nécessite également un ensemble de données
fournies par les services de l’État, notamment les services préfectoraux et
ceux de la direction départementale des finances publiques : dotations
budgétaires, bases prévisionnelles des impôts directs locaux… En outre, ces
services peuvent éclairer les collectivités sur l’évolution du cadre législatif
(paramètres des dotations et des fonds de péréquation, législation fiscale…)
et de l’environnement financier (conditions d’emprunt…). Pour renforcer le
conseil budgétaire, comptable, financier et économique aux communes et
EPCI, la DGFiP déploie d’ailleurs depuis 2020 et jusqu’en 2023, dans le
cadre de son nouveau réseau de proximité (NRP), un réseau de conseillers
aux décideurs locaux (CDL).
Une évaluation des recettes et des dépenses doit ensuite être effectuée tant
pour la section de fonctionnement que la section d’investissement. De
même, la capacité d’autofinancement et le niveau d’emprunt doivent être
déterminés afin que les deux sections soient équilibrées entre elles et en leur
sein.
1.2 Une procédure encadrée par un ensemble de règles
propres aux collectivités territoriales mais variables selon
les catégories
a Le budget est présenté en deux sections et respecte
une « règle d’or »
L’exécutif doit respecter la séparation entre section de fonctionnement et
section d’investissement, ce que ne prévoit pas la LOLF pour l’État. En
revanche, les crédits sont présentés à la fois en autorisations d’engagement
(ou de programme pour les investissements) et en crédits de paiement, de la
même manière que pour le budget de l’État.
La section de fonctionnement regroupe les dépenses ordinaires, à savoir les
opérations relatives au fonctionnement courant et aux activités des services,
ainsi que les intérêts de la dette. Ainsi, dès lors que l’emprunt n’est possible
qu’en section d’investissement, les collectivités ne peuvent pas s’endetter
pour rembourser des intérêts d’emprunt, ce qui prévient l’effet boule de
neige de la dette (cf. chapitre 30). Les recettes de la section de
fonctionnement sont les recettes fiscales, la plupart des dotations, ainsi que
les produits d’exploitation et les produits domaniaux.
Les recettes doivent être au moins égales aux dépenses, de sorte que la
section de fonctionnement soit équilibrée, conformément à la « règle d’or »
des budgets locaux. Le solde positif de la section de fonctionnement
constitue l’autofinancement de la collectivité et vient abonder les recettes
de la section d’investissement.
Cette dernière regroupe les dépenses extraordinaires : remboursement du
capital des emprunts, achats de matériels et mobiliers, acquisition de
bâtiments, travaux… Comme en comptabilité d’entreprise, les biens dont
l’acquisition relève de la section d’investissement sont ceux qui remplissent
des conditions de durabilité et de consistance et dont la valeur unitaire est
au moins égale à 500 €. Pour les biens répondant à ces conditions mais dont
le coût est inférieur à ce seuil, une délibération expresse de l’assemblée
délibérante peut néanmoins décider leur inscription en section
d’investissement.
Les recettes d’investissement comprennent l’autofinancement, le FCTVA
(cf. chapitre 13), les subventions et dotations affectées à l’investissement
(comme la dotation générale d’équipement), les cessions d’immobilisations,
l’emprunt et… les produits des amendes de police de la circulation et des
radars. La présence de cette dernière recette dans la section
d’investissement se justifie par la volonté d’encourager l’investissement
dans les infrastructures routières, notamment à des fins de sécurité routière.
L’emprunt, seulement autorisé dans la section d’investissement, apporte le
complément de ressources éventuellement nécessaire à l’équilibre de cette
section. Toutefois, il n’est pas possible d’emprunter aux seules fins de
rembourser l’annuité du capital de la dette, toujours dans le but de prévenir
l’effet boule de neige de la dette.
b Les nomenclatures budgétaires et comptables dépendent
de la catégorie et de la taille de la collectivité
Les budgets locaux sont en principe structurés selon une nomenclature
comptable par nature de dépenses, propre à chaque niveau de collectivités
et inspirée du plan comptable général en vigueur dans la comptabilité
privée. Cette nomenclature est plus fine que la présentation par nature
prévue par la LOLF, qui ne repose que sur sept titres (cf. chapitre 7).
Les budgets locaux ne sont pas soumis à la nomenclature fonctionnelle en
missions, programmes et actions prévue pour le budget de l’État par la
LOLF. Cependant, les grandes collectivités (les régions, les départements et
les communes de plus de 10 000 habitants) peuvent opter pour une
nomenclature fonctionnelle propre aux budgets locaux, en lieu et place de la
nomenclature par nature. Cette option est cependant peu utilisée du fait de
sa plus grande complexité.
Pour plus de lisibilité, les collectivités qui retiennent une présentation par
nature sont toutefois tenues, à l’exception des communes de moins de 3 500
habitants, de l’assortir d’une présentation fonctionnelle du budget, plus
simple que la nomenclature fonctionnelle détaillée. Les fonctions utilisées
pour les présentations fonctionnelles détaillée et simplifiée sont au nombre
de dix :
– 0 Services généraux des administrations publiques locales
– 1 Sécurité et salubrité publiques
– 2 Enseignement, formation
– 3 Culture
– 4 Sport et jeunesse
– 5 Interventions sociales et santé
– 6 Famille
– 7 Logement
– 8 Aménagement et services urbains, environnement
– 9 Action économique
L’ensemble de ces nomenclatures sont fixées par des instructions
budgétaires et comptables établies par arrêté ministériel – par exemple
l’instruction « M 14 » pour les communes.
2 L’adoption des budgets locaux appartient
aux assemblées délibérantes mais est soumise
à un ensemble de contraintes
2.1 Le budget est voté par l’assemblée délibérante
Le débat démocratique commence avant le vote du budget, qui intervient en
cours d’exercice budgétaire.
a Le vote du budget est précédé d’un débat d’orientation
budgétaire
Sauf dans les communes de moins de 3 500 habitants, l’organisation d’un
débat d’orientation budgétaire (DOB) est obligatoire dans les deux mois
précédant le vote du budget. Cet espace de temps est porté à 10 semaines
pour les régions. Le DOB porte sur les orientations générales du budget – y
compris les engagements pluriannuels pour les régions. Il permet d’associer
l’assemblée délibérante à la conception du projet de budget en temps utile
pour tenir compte des suggestions de ses membres.
D’autres formalités substantielles sont prévues. Toutes les collectivités
territoriales et EPCI à fiscalité propre de plus de 50 000 habitants doivent
ainsi présenter à l’assemblée délibérante, préalablement aux débats sur le
projet de budget, un rapport sur la situation de la collectivité en matière de
développement durable, de manière à ce que les débats sur le projet de
budget puissent éventuellement en tenir compte. En outre, les régions
doivent solliciter l’avis du Conseil économique, social et environnemental
de région (CESER). À défaut de respecter ces formalités, la délibération
adoptant le budget est irrégulière.
Le budget est voté par l’assemblée délibérante de la collectivité, dûment
convoquée à cet effet. La convocation est accompagnée de documents
budgétaires (le projet de budget pour les départements et régions, une note
de synthèse pour les communes de plus de 3 500 habitants). Préalablement
à la délibération en séance plénière, le projet de budget est soumis à la
commission chargée des finances, qui rend un avis consultatif.
Le vote se fait en principe par chapitre, éventuellement par article ou
encore, dans les collectivités de plus de 10 000 habitants, par nature ou par
fonction. La section de fonctionnement est votée avant la section
d’investissement. Toutefois, une fois formellement soumis à l’assemblée, le
projet de budget est généralement fort peu modifié.
b Le budget est adopté annuellement mais en cours d’année
Le budget d’une collectivité territoriale prend la forme d’un budget primitif
(BP) pouvant être modifié par des décisions modificatives (DM).
Le BP, qui correspond à une LFI, prévoit et autorise les dépenses et les
recettes de la collectivité, ce qui suppose qu’elles soient évaluées de
manière sincère. Il comporte quatre parties :
1. Informations générales sur la collectivité et sa situation financière.
2. Tableau relatif à l’équilibre financier.
3. Budget proprement dit, comportant les recettes et les dépenses,
présentées en deux sections, de fonctionnement et d’investissement.
4. Annexes : états de la dette, liste des agents territoriaux, liste des
immobilisations…
Le calendrier de l’adoption du BP déroge aux règles qui s’appliquent au
budget de l’État et notamment au corollaire du principe d’annualité, qui
veut que le budget soit voté avant le début de l’année budgétaire. Le
principe d’annualité est assoupli afin que les collectivités puissent voter leur
budget sur la base d’informations fiables et précises, notamment quant aux
montants des concours financiers et recettes fiscales transférées, et aux
bases des impôts directs locaux. Ainsi, même si dans l’idéal, le budget des
collectivités locales doit être voté avant le 1er janvier de l’année N, il peut
être voté jusqu’au 15 avril (30 avril en année d’élection locale).
Pendant la période qui sépare le 1er janvier de la date d’adoption du budget,
l’exécutif local peut mettre en recouvrement les recettes mais ne peut, par
exemple, souscrire de nouveaux emprunts. De manière similaire, il peut
engager et liquider les dépenses de fonctionnement dans la limite des
crédits inscrits au budget précédent. En revanche, les dépenses
d’investissement ne peuvent être mandatées que dans la limite du quart des
crédits de l’année précédente et ce sur autorisation expresse de l’assemblée
délibérante.
Enfin, la DM est l’équivalent d’une LFR. Son objet est d’ajuster les
dépenses et les recettes et, en particulier, d’intégrer au budget N le report en
cours d’exercice de l’excédent ou du déficit constaté par le compte
administratif N – 1. La DM qui procède à l’intégration de ce report, ainsi
qu’éventuellement à d’autres ajustements, est couramment appelée le
budget supplémentaire (BS). Ce dernier intervient après le vote du compte
administratif et introduit un chaînage entre les budgets des deux exercices
successifs N – 1 et N. Toutefois, l’amélioration de la qualité des comptes
des collectivités locales permet souvent de constater le résultat de l’exercice
N – 1 suffisamment tôt pour en tenir compte dès le BP ; auquel cas, aucun
BS n’est nécessaire.
2.2 Le budget est soumis au contrôle de l’État avant
d’être rendu exécutoire
a Le préfet et, le cas échéant, la CRC, contrôlent le budget
voire suppléent au pouvoir budgétaire local
Dans un délai de 15 jours après la délibération adoptant le budget, les
documents budgétaires doivent être transmis au préfet. Ce dernier effectue
alors un contrôle de légalité, condition de l’exécution du budget, en
vérifiant que l’ensemble des conditions formelles et de fond ont été
respectées (présentation conforme à la loi, équilibre budgétaire réel,
inscription des dépenses obligatoires3, respect des consultations
obligatoires, régularité de la convocation et de la délibération…). Ce
contrôle budgétaire est assuré par la direction de la préfecture chargée des
collectivités locales.
En cas d’irrégularité importante, visible dans le délai d’adoption du budget
ou ultérieurement dans le cadre de son exécution, le préfet saisit la chambre
régionale des comptes (CRC). Il peut mettre en œuvre plusieurs
procédures :
– la procédure d’établissement d’office du budget, lorsque ce dernier
n’est pas adopté dans le délai imparti ;
– la procédure de redressement d’office, lorsqu’il est voté en déséquilibre
ou que l’exécution fait apparaître un déficit égal ou supérieur à 5 %
des recettes de la section de fonctionnement (10 % pour les communes
de moins de 20 000 habitants) ;
– la procédure d’inscription d’office, lorsque les crédits nécessaires à une
dépense obligatoire ne sont pas inscrits au budget ou sont sous-
budgétés, ce qui révèle son insincérité budgétaire.
Si la collectivité ne corrige pas spontanément la situation, le préfet modifie
ou, le cas échéant, arrête le budget, sur avis de la CRC. Cet avis comporte
une analyse détaillée de la situation financière de la collectivité, propose les
rectifications à apporter à son budget et formule aussi des préconisations
plus générales sur sa gestion. L’avis de la CRC n’est que consultatif mais,
en règle générale, le préfet ne s’en écarte pas.
En amont de cette intervention de la CRC dans le cadre du contrôle
budgétaire, les difficultés financières des collectivités peuvent être
anticipées et, si possible, prévenues. C’est tout l’objet du « réseau d’alerte
sur les finances locales », animé par les préfets et les directeurs
départementaux des finances publiques. Ce dispositif de détection, qui fait
appel à l’analyse des comptes des collectivités, a pour objet de déceler
préventivement les difficultés financières des collectivités territoriales, dès
le printemps suivant la clôture de l’exercice. Ainsi, les services de l’État
peuvent appeler rapidement l’attention des élus concernés sur les risques
inhérents à la situation financière de leur collectivité, de manière à ce qu’ils
puissent prendre le plus en amont possible les dispositions nécessaires4.
b L’exécution du budget relève du pouvoir exécutif
Les dépenses et les recettes sont exécutées conformément à la séparation
entre ordonnateur (le chef de l’exécutif) et comptable (le comptable public)
(cf. chapitre 11). Le premier est maître de la phase administrative, tandis
que le second est responsable de la phase comptable.
S’agissant de l’exécution des dépenses, l’ordonnateur procède à leur
engagement en prenant la décision faisant naître une dette à l’égard d’un
tiers. Il en calcule ensuite le montant (liquidation), puis la mandate, c’est-à-
dire qu’il donne ordre au comptable public de payer. Ce dernier contrôle la
dépense (visa) avant de la prendre en charge et de la payer. Il doit en refuser
le paiement si elle est en l’état irrégulière. Si cette irrégularité peut être
corrigée (pièces manquantes…), il prend naturellement l’attache de
l’ordonnateur pour qu’il remédie à la situation.
À noter cependant que l’ordonnateur peut décider de réquisitionner le
comptable lorsque ce dernier refuse de payer des mandatements. Cette
procédure, rarement mise en œuvre, n’est pas sans risque pour
l’ordonnateur, puisque l’exercice du droit de réquisition a pour effet de
transférer sur sa personne la responsabilité, y compris pécuniaire, de la
régularité du paiement. La CRC est informée et, si la réquisition n’est pas
justifiée, l’ordonnateur est passible de la CDBF (cf. chapitre 12). En outre,
la réquisition est sans effet dans certains cas, notamment lorsque la
collectivité ne dispose pas des fonds nécessaires au paiement.
L’exécution des recettes est techniquement semblable à celle des dépenses.
L’ordonnateur procède à la constatation des droits et à la liquidation de la
créance, puis décide de sa mise en recouvrement. Le comptable contrôle le
titre de recette et ses pièces justificatives. En l’absence d’obstacle, il prend
en charge la créance et procède au recouvrement de la somme.
À noter que les collectivités locales ne sont pas responsables du
recouvrement des impôts locaux. Sauf exception (la taxe de séjour), ces
derniers sont entièrement gérés et recouvrés par les services de l’État, qui
perçoivent pour cette raison, en sus de l’impôt local, des frais de gestion
majorant la cotisation d’impôt des contribuables locaux.
L’absence de réforme d’ampleur du droit budgétaire local, semblable à la
LOLF, s’explique par le caractère particulier voire précurseur de la
procédure budgétaire locale par rapport à celle de l’État antérieurement à la
LOLF. La règle d’or, le contrôle budgétaire de l’État et la tenue des comptes
par le comptable public, l’existence d’une présentation fonctionnelle,
l’exigence démocratique complétée pour les régions par la consultation du
CESER… L’ensemble de ces éléments font des finances locales un secteur
très encadré, de manière à assurer la transparence et la lisibilité des comptes
locaux et à éviter les dérives financières, tout en laissant aux élus locaux
une grande liberté de gestion. Pour autant, le phénomène des emprunts dits
toxiques a démontré qu’un manque de vigilance quant aux engagements
financiers des APUL, tant de la part des collectivités locales que de la part
des services de l’État, demeurait possible.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• La préparation et l’adoption du budget des collectivités territoriales
• Les documents budgétaires locaux
• L’exécution du budget des collectivités territoriales
• Les principes budgétaires applicables aux budgets locaux
• Le droit des finances locales peut-il servir de modèle pour les finances de l’État ?
• Les contrôles sur le budget des collectivités territoriales
• Les chambres régionales et territoriales des comptes
• Le conseil financier de l’État aux collectivités locales
RÉFÉRENCES
Portail commun de la DFFiP et de la direction générale des collectivités locales :
www.collectivites-locales.gouv.fr.
CHAPITRE 15
La fiscalité locale
NOTIONS À MAÎTRISER
• Fiscalité locale ; impôts directs locaux
• Valeurs locatives cadastrales (ou foncières)
• Spécialisation des impôts locaux
L’expression de fiscalité locale désigne l’ensemble des impôts ou fractions
d’impôt affectés aux APUL, que ces dernières disposent ou non du droit
d’en moduler le rendement. Il s’agit d’un ensemble composite, qui ne se
résume pas aux impôts directs locaux que sont les « trois vieilles » (taxe
d’habitation – TH, taxe foncière sur les propriétés bâties – TFPB, taxe
foncière sur les propriétés non bâties – TFPNB), la contribution
économique territoriale (CET) et leurs impôts additionnels. Il comprend
aussi des impôts indirects, parfois partagés avec l’État.
La fiscalité locale est devenue au fil du temps assez peu lisible pour les
contribuables voire pour les collectivités locales elles-mêmes. Les règles se
sont complexifiées, en particulier du fait de l’intercommunalité. L’État a
instauré des allégements de fiscalité qu’il prend en tout ou partie à sa
charge, la responsabilité des collectivités en matière fiscale est parfois
brouillée. S’agissant plus particulièrement de la fiscalité directe locale, son
assiette (les valeurs locatives cadastrales, VLC) est pour partie calculée
selon des références anciennes et devenues inéquitables. Autant de défauts
auxquels n’ont pas totalement remédié les réformes récentes, notamment
celles consécutives à la suppression de la taxe professionnelle (TP) en 2010
et à la suppression de la TH en 2021.
1 La fiscalité locale est un ensemble composite
Globalement, les recettes de fiscalité directe et indirecte de l’ensemble des
collectivités (cf. tableau 1) sont dynamiques. Elles s’élèvent à 157 Md€ en
2019, en hausse de 3,4 % par rapport à l’année précédente. Cette
progression provient notamment des transferts de recettes fiscales et des
impôts directs locaux, lesquels augmentent sensiblement du fait d’un effet
base (les VLC sont indexées chaque année sur l’inflation et sont
augmentées par la construction de nouveaux locaux) et d’un effet taux (les
collectivités tendent à augmenter leur taux). Les recettes liées aux autres
impôts et taxes sont moins importantes et restent habituellement
globalement stables, sauf les années de transferts supplémentaires de
fiscalité de l’État vers les collectivités. Dans l’ensemble, la fiscalité
représente 78 % des dépenses de fonctionnement des collectivités locales.
Tableau 1 : Les recettes fiscales des collectivités locales
Impôt Produit 2019 Affectataires
(en Md€)
TH 23,5 Communes1
TFPB 34,5 Communes et départements
TFPNB 1,1 Communes
CFE 8,0 Communes
CVAE 18,9 Communes, départements et régions
IFER 1,5 Communes, départements et régions
TASCOM 0,8 Communes
TEOM 7,0 Communes
Versement mobilité (ex versement 9,2 Communes et syndicat des transports
transport) d’Île-de-France (STIF)2
Taxe d’apprentissage et frais de 2,4 Régions
gestion sur la FDL
Taxes annexes (GEMAPi et TASA) 2,4 Communes, région Île-de-France
Ensemble de la fiscalité directe 107,3
DMTO 16,2 Communes et départements
TICPE 12,0 Départements et régions
TVA 4,3 Régions (et, à compter de 2021,
départements et EPCI)
Taxe sur la consommation finale 2,3 Communes et départements
d’électricité
TSCA 7,5 Départements
Taxe de séjour 0,5 Communes
Taxes d’urbanisme 1,8 Communes, départements et région Île-
de-France
Taxe sur les certificats 2,3 Régions
d’immatriculation
Impôts et taxes en Corse et outre- 2,0 Communes, départements et régions
mer dans les départements d’outre-mer ;
Corse
Autres 1,1 Communes, départements, régions
Ensemble de la fiscalité indirecte 50,0
Ensemble de la fiscalité locale 157,3
Source : Données issues du rapport 2020 de l’Observatoire des finances locales.
Les ressources fiscales locales relèvent de différentes catégories, dont les
collectivités ont une maîtrise inégale.
1.1 Une typologie de la « fiscalité locale » : impôts
directs et indirects
a La plupart des impôts directs locaux ont été confiés
aux collectivités territoriales avant la décentralisation
L’État a confié dès la Révolution française des impôts aux collectivités
territoriales. Ce mouvement s’est poursuivi jusqu’en 1948, avec le transfert
des contributions foncières. Tous les impôts directs locaux sont dotés d’une
base locale, c’est-à-dire que l’assiette est localisée sur le territoire de la
collectivité qui vote l’impôt. Cette assiette est essentiellement de nature
foncière : il s’agit des locaux bâtis et des terrains non bâtis, dont la valeur
est appréciée d’après leur valeur locative résultant de leur classement
cadastral.
La valeur locative annuelle s’entend des revenus (les loyers) que le bien est
susceptible de procurer à son propriétaire pendant un an de location. Cette
valeur locative est calculée par l’administration, laquelle se réfère à des
moyennes par commune en fonction de catégories de locaux ou de terrains :
il ne s’agit donc pas du loyer effectivement perçu pour le bien en question,
qui peut du reste être inexistant. On parle de VLC ou encore de valeurs
locatives foncières.
Les VLC sont l’assiette de la TH, due par l’occupant d’un local d’habitation
et dont il ne doit rester que la taxe sur les résidences secondaires (TRS) à
compter de 2023, de la cotisation foncière des entreprises (CFE), due par
l’occupant d’un local professionnel, de la TFPNB, due par le propriétaire
d’un terrain non bâti, de la TFPB, due par le propriétaire de tout local bâti,
et de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM), qui, en tant que
taxe annexe à la TFPB, est due par le propriétaire mais peut être refacturée
au locataire. La CFE est l’une des deux composantes de la CET. L’autre
composante est la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE),
dont l’assiette est, comme son nom l’indique, la valeur ajoutée de
l’entreprise. Il existe encore des taxes additionnelles à ces impôts locaux,
notamment les taxes spéciales d’équipement affectées aux établissements
publics fonciers et les taxes affectées aux chambres consulaires.
À part la CVAE, qui est partagée entre communes et départements, les
impôts directs locaux sont désormais, depuis la suppression de la TP,
principalement perçus par le bloc communal. Ce dernier perçoit la TH
afférente aux locaux non affectés à l’habitation principale (TRS à compter
de 2023), la CFE, la TFPNB, la TFPB et la TEOM. Au sein de ce bloc, les
EPCI à fiscalité propre sont souvent affectataires de l’ensemble de la CFE,
voire de la TEOM, et d’une fraction et des deux taxes foncières. Les régions
ne bénéficient d’aucun impôt direct local assis sur les VLC3 (cf. infra).
À l’occasion de la suppression de la TP par la LFI 2010, un nouvel impôt a
été institué au bénéfice des collectivités territoriales des trois échelons.
L’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) est une taxe
sur les immobilisations détenues par des entreprises industrielles ou de
réseau. Elle est composée de neuf cédules (trains, canalisations de transport
d’hydrocarbures et de produits chimiques, centrales nucléaires et
thermiques, transformateurs électriques, éoliennes…). Parallèlement, l’État
a transféré en 2011 au bloc communal la taxe sur les surfaces commerciales
(TASCOM), due par les grandes surfaces.
En outre, les communes (ou EPCI), les départements et la région Île-de-
France bénéficient des taxes d’urbanisme, dues une unique fois à raison de
la valeur forfaitaire des constructions ou aménagements de bâtiments sur le
territoire de la collectivité. Par ailleurs, le bloc communal ou, en Île-de-
France, le STIF perçoivent le versement mobilité, qui est une taxe assise sur
les salaires. Enfin, les communes peuvent instituer la taxe locale sur les
enseignes et publicités extérieures (TLPE), la taxe sur les pylônes
supportant des lignes à haute tension, ou encore la taxe de balayage
(notamment levée à Paris auprès des propriétaires riverains des voies
publiques) pour financer le service du même nom. Cette liste n’est pas
exhaustive.
b Les impôts transférés depuis la décentralisation
sont principalement des impôts indirects
Le phénomène selon lequel des impôts d’État sont transférés aux APUL
n’est pas récent puisque c’est à l’origine également le cas des impôts directs
précités. Il a toutefois connu d’importants développements depuis 1982,
puisque les lois de décentralisation des 2 mars 1982 et 7 janvier 1983 ont
prévu le transfert de ressources fiscales de l’État aux collectivités
territoriales pour que celles-ci puissent assumer les nouvelles compétences
qui leur étaient parallèlement confiées. Chose nouvelle, parmi les recettes
fiscales transférées, on compte des fractions d’impôts, des taxes sur
lesquelles les collectivités ne disposent d’aucune marge de manœuvre voire
dont l’assiette n’est pas territorialisée.
Ainsi, pour financer des transferts de compétences dans le cadre de l’acte II
de la décentralisation en 2004-2005, l’approche privilégiée a été de fournir
une compensation financière par l’attribution du produit d’impositions de
toute nature selon des critères de répartition entre collectivités permettant
d’assurer qu’aucune d’entre elles ne soit perdante. Le surcroît de dépenses
transféré à chaque collectivité, évalué selon son coût historique et constaté
par arrêté ministériel pris après avis de la commission consultative sur
l’évaluation des charges (CCEC, notamment composée d’élus locaux), a été
entièrement compensé. Dans cette perspective, l’affectation de ressources
est similaire, en pratique, à une dotation budgétaire.
Des transferts de fiscalité ont aussi été organisés à des fins budgétaires,
pour remplacer d’autres recettes ou pour abonder les budgets locaux. Ainsi,
des fractions de TVA ont été attribuées aux régions en 2018, en
remplacement de la DGF (cf. chapitre 13), ainsi qu’aux départements et aux
EPCI à fiscalité propre en 2021, en compensation de la perte de leur TFPB
et TH respectivement.
Les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), notamment sur les ventes
d’immeubles, ont ainsi été transférés en très large partie aux départements
puis également aux communes, en plusieurs séquences. Cet impôt présente
l’avantage de pouvoir être territorialisé puisqu’il porte essentiellement sur
des biens immeubles, par définition localisés sur un territoire donné4.
Une fiscalité automobile a également été transférée aux régions en 1983 (la
taxe sur les cartes grises, qui existe toujours) et aux départements en 1984
(la vignette automobile, jusqu’à sa suppression en 2006).
La taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) a
été transférée pour partie à la fois aux départements et aux régions. La taxe
spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA), mise à part la fraction
affectée à la caisse nationale d’assurance maladie, a été transférée aux
départements. À l’exception de la part régionale de TICPE, les montants de
recettes de ces impôts versées aux collectivités sont déterminés de manière
à compenser les charges nées des transferts de compétences. En revanche,
c’est de plus longue date que les communes et les départements se sont vus
attribuer la taxe sur la consommation finale d’électricité (TCFE) – à
distinguer de la contribution au service public de l’électricité (CSPE)
perçue par l’État.
1.2 Des marges de manœuvre inégales
a Pour la fiscalité directe, les collectivités ont un pouvoir
de taux voire d’assiette significatif
Les collectivités territoriales ont le choix d’appliquer ou non certains
impôts sur leur territoire, comme la TEOM, à laquelle les élus locaux
peuvent préférer la redevance d’enlèvement des ordures ménagères ou
encore un financement du service d’enlèvement des ordures ménagères par
les recettes du budget général. Elles ont également le choix d’appliquer
certaines mesures particulières, telle la majoration facultative de TFPNB
pour les terrains constructibles situés en zone de tension du marché du
logement, et diverses exonérations.
Mais la marge de manœuvre la plus importante se situe la plupart du temps
au niveau du taux, où elle est cependant encadrée. À noter qu’une telle
marge n’existe pas pour la CVAE et les IFER, dont le taux et les tarifs sont
nationaux.
S’agissant des impôts directs locaux, il existe des règles de plafonnement
des taux votés et de liaison entre ces taux, afin d’éviter des disparités
excessives de pression fiscale entre contribuables (selon leur statut de
particulier ou de professionnel et selon leur localisation géographique) et de
limiter le risque d’une trop forte croissance des taux d’imposition. Tout
d’abord, lors de la fixation de certains taux, les élus locaux doivent prendre
en compte l’évolution des taux des autres taxes. En particulier, les
collectivités ne peuvent augmenter leur taux de CFE que dans la même
proportion que l’augmentation de leur taux de TFPB (ou, si elle est moins
élevée, de l’augmentation du taux moyen pondéré de la TH, de la TFPB et
de la TFPNB). Il en ira de même pour le taux de la TRS. Ensuite, les élus
sont tenus de prendre en compte les taux moyens nationaux. Pour la future
TRS et les deux taxes foncières, les taux ne doivent pas dépasser un plafond
égal à deux fois et demi la moyenne nationale de l’année précédente (ou la
moyenne départementale si celle-ci est plus élevée)5. Pour la CFE, le
plafond est de deux fois le taux national et s’élève ainsi à 52,9 % pour le
vote du taux de CFE en 2021.
En revanche, l’évolution de la cotisation minimale de CFE n’est pas
soumise à des règles similaires de lien ou de plafonnement en fonction de
moyennes nationales : son encadrement repose sur un barème. Quelles que
soient par ailleurs les VLC des locaux qu’ils occupent, chaque redevable de
la CFE doit contribuer pour un montant minimum à la couverture des
charges des collectivités locales. Cette cotisation minimale de CFE est
différenciée en fonction du chiffre d’affaires de l’entreprise. Le barème de
la base minimum est composé de six tranches de chiffre d’affaires : les
communes ou les EPCI peuvent déterminer pour chaque tranche le montant
de cotisation minimale applicable, entre 223 et 531 € pour la première
tranche (<10 000 €) et entre 223 et 6 901 € pour la dernière tranche
(>500 000 €)6. Depuis 2019, les entreprises réalisant un chiffre d’affaires
inférieur à 5 000 € sont néanmoins totalement exonérées de CFE.
La TASCOM ne repose pas sur un taux mais sur un tarif national, défini en
euros par mètre carré selon un barème dépendant du chiffre d’affaires.
Après application du tarif, le montant de la taxe peut cependant être modulé
par la commune ou l’EPCI, en lui appliquant un coefficient multiplicateur
compris entre 0,8 et 1,27. D’une année sur l’autre, ce coefficient ne peut
varier de plus de 0,05. À noter que la majoration de 30 ou 50 % de
TASCOM sur les grandes surfaces (établissements de plus de 2 500 m²) est
perçue au profit de l’État et ne relève donc pas de la fiscalité locale.
b Pour la fiscalité indirecte, la compétence est plus réduite
Certains impôts indirects sont assortis d’un pouvoir de taux. C’est le cas des
DMTO, pour lesquels la marge de manœuvre des collectivités est réelle
mais devenue théorique à la hausse. Le taux maximum cumulé de DMTO
s’élève à 5,81 %. Il se compose d’abord d’un taux départemental compris
entre un taux plancher de 1,2 % et un taux plafond relevé en 2014 à 4,5 %
pour soutenir les finances des départements, notamment de ceux en
difficulté8.
Ensuite, le taux communal est de 1,2 % mais peut être réduit à 0,5 % par les
communes qui en perçoivent directement le produit, c’est-à-dire celles de
plus de 5 000 habitants ou classées comme stations de tourisme (les autres
communes perçoivent le produit à travers un fonds de péréquation
départemental). Toutefois, la quasi-totalité des communes sont au plafond.
Les règles entourant le tarif de la TICPE sont distinctes pour la fraction
régionale et pour la fraction départementale. Grâce à une dérogation
accordée par l’Union européenne au regard des principes applicables aux
accises, les régions peuvent depuis 2007 moduler le tarif de TICPE perçue
sur les carburants commercialisés sur leur territoire. Les tarifs applicables
au gazole et aux supercarburants peuvent ainsi être augmentés de 2,5 c€ par
litre. Toutes les régions sont à ce plafond, sauf la Corse qui n’a pas souhaité
faire usage de cette modulation.
Les communes et les départements disposent en outre d’un large pouvoir de
modulation du tarif de la TCFE, auquel s’applique un coefficient
multiplicateur voté par la collectivité et pouvant être compris entre 0 et 8,5
pour la taxe communale (sauf cas particuliers) et 2 et 4,25 pour la taxe
départementale.
À l’inverse, la fraction de TICPE affectée aux départements est répartie
entre ces derniers en fonction de critères budgétaires. Cette répartition a
pour objet d’assurer la compensation budgétaire du transfert aux
départements des dépenses de RSA.
Il en va de même pour la TSCA, sur laquelle les départements ne disposent
d’aucune marge de manœuvre. Toutefois, les recettes de TSCA sont
relativement dynamiques.
2 La fiscalité locale, de réforme en réforme
2.1 Améliorer l’équité et la lisibilité de la fiscalité directe
locale
a La révision des valeurs locatives des locaux d’habitation
permettra de restaurer l’équité de la fiscalité directe locale
Les VLC des locaux bâtis à usage d’habitation ont été évaluées en 1970 et
celles des terrains non-bâtis en 1960. Certes, elles sont revalorisées chaque
année par un coefficient voté en loi de finances, en général égal à l’inflation
prévisionnelle de l’année N. De même, les changements de consistance
(agrandissements…) et d’affectation (transformation d’un magasin en
logement par exemple) des locaux, dûment déclarés par leur propriétaire,
sont pris en compte chaque année. Pour autant, c’est par rapport à l’état du
marché locatif de 1970 que les VLC sont évaluées.
Or la valeur locative dépend de la localisation des biens et de leurs
caractéristiques (état, confort…). Le marché locatif évoluant au fil des ans,
les grilles tarifaires peuvent se révéler inadaptées : tels logements sociaux
ou résidences pavillonnaires, bien situés et modernes à l’époque, sont
susceptibles d’être affectés d’une VLC plus élevée que des appartements
situés dans le centre-ville de la même commune, dont la qualité et le prix de
l’emplacement ont souvent augmenté nettement plus rapidement. Ensuite,
les VLC de bâtiments construits postérieurement à 1970 ne peuvent pas, par
construction, être déterminées d’après leur bail de 1970 : l’administration
compare donc ces nouveaux bâtiments aux locaux-types. En outre, les VLC
ayant été évaluées au niveau communal, elles peuvent être sensiblement
différentes au sein d’une commune fusionnée et entre communes d’une
même intercommunalité et, a fortiori, d’un même département sans que ces
différences ne se justifient encore aujourd’hui.
Il en résulte des inégalités de répartition des impôts directs locaux entre
contribuables d’une même commune (soit notamment pour la TH résiduelle
et la TFPB) et, a fortiori, d’un même EPCI (part intercommunale de TFPB).
C’est pour remédier à cette iniquité et pour restaurer un cadre d’évaluation
des VLC plus adapté au marché locatif actuel que la révision des valeurs
locatives a été engagée, en deux temps après une première tentative avortée
au début des années 1990.
Dans un premier temps, la révision des VLC des 3,3 millions de locaux
professionnels a été engagée par l’article 34 de la 4e LFR 2010 (loi no 2010-
1658) et est effective depuis les impositions 2017. D’une part, les VLC ont
été calculées à partir des loyers réellement constatés dans chaque
département en 2013, qui ont servi à concevoir des grilles tarifaires propres
à chaque secteur géographique d’évaluation (caractérisé par un marché
locatif homogène), préparées par l’administration et approuvées par des
commissions départementales représentant les élus locaux et les
contribuables. D’autre part, les VLC sont par la suite mises à jour de
manière permanente à l’aide de déclarations remises chaque année par les
propriétaires.
Globalement, les VLC des locaux professionnels ont triplé en 2017. Pour
autant, l’objectif de la révision n’étant pas d’augmenter le rendement
budgétaire des impôts directs locaux, un coefficient de neutralisation est
appliqué pour neutraliser cette hausse d’assiette (la part dans le total des
bases d’imposition des bases des locaux concernés par la révision reste ainsi
inchangée après application du coefficient). En revanche, des effets
redistributifs entre contribuables sont inévitablement constatés dès lors que
la charge fiscale est répartie plus équitablement entre eux – c’est du reste
l’objectif de la réforme. Pour éviter de brutales évolutions, un lissage des
hausses et des baisses des cotisations d’impôt sur dix ans, combiné à une
limitation des variations de VLC appelée « planchonnement », a été prévu9.
Ces modalités de mise en œuvre de la révision des valeurs locatives des
locaux professionnels étaient néanmoins assez injustes envers les locaux
industriels. En effet, l’assiette de ces locaux est constituée non pas de leur
valeur locative mais de leur valeur comptable, laquelle était historiquement
déterminée par application d’un taux d’intérêt de 8 % au prix de revient de
chaque local inscrit à l’actif des entreprises. Il en résultait une assiette certes
réaliste mais relativement élevée par rapport aux autres locaux évalués
selon leur valeur locative de 1970. La révision de 2017 était l’occasion de
rétablir l’équité entre locaux professionnels, dont les bases ont été mises au
prix du marché, et locaux industriels, qui étaient déjà au prix du marché. Or
l’application du coefficient de neutralisation a annulé les effets de la
réforme pour les locaux industriels, dont la part dans le total des bases
d’imposition est restée aussi élevée qu’auparavant. Pour rattraper cette
occasion manquée, la LFI 2021, dans le cadre de la baisse de la fiscalité de
production (cf. chapitre 25), a divisé par deux la base des locaux industriels,
désormais calculée par application d’un taux d’intérêt de 4 %. Cette
méthode expédiente pour réduire les impôts directs locaux des entreprises
industrielles ne règle néanmoins pas le problème de fond posée par les
modalités d’application du coefficient de neutralisation.
Dans un second temps, la révision des valeurs locatives des locaux
d’habitation a été engagée par l’article 146 de la LFI 2020, selon des
principes adaptés de la révision des VLC des locaux professionnels, en vue
d’une mise en œuvre en 2026. La tâche s’annonce plus lourde pour les
locaux d’habitation, qui représentent environ 90 % des 33 millions de
locaux.
Cette révision est nécessaire. En effet, malgré la suppression de la taxe
d’habitation sur les résidences principales, la taxe sur les résidences
secondaires et, surtout, la TFPB continueront à être assises sur des VLC
obsolètes. Or cette obsolescence est non seulement source d’iniquité mais
fait également courir un risque juridique aux impositions assises sur les
VLC des locaux d’habitation. À cet égard, le Tribunal fédéral
constitutionnel allemand a enjoint au Bundestag de réviser les valeurs
locatives fiscales, qui se réfèrent à l’année 1964, jugeant que celles-ci
méconnaissent le principe d’égalité en raison de leur décalage avec les
valeurs locatives de marché (décision du 10 avril 2018). Si le Conseil
constitutionnel n’a pas (encore) été jusque-là, il a relevé que le dégrèvement
de TH créé par la LFI 2018 « n’a pas réduit l’ensemble des disparités de
situation entre contribuables inhérentes au régime de cette taxe sous l’effet
de son évolution depuis sa création » (CC, décision no 2017-758 DC,
point 12), ce qui apparaît constituer une invitation à corriger les disparités
provoquées par l’absence de révision des VLC.
b La lisibilité de la fiscalité locale pourrait être renforcée
par sa simplification et le retrait de l’État
Même si la réforme liée à la suppression de la TH a simplifié le paysage (cf.
encadré ci-après), la fiscalité locale souffre d’un double manque de
transparence, sur le produit que perçoivent les collectivités et sur la charge
qui pèse effectivement sur le contribuable.
En premier lieu, la fiscalité directe locale a longtemps souffert de la
multiplicité des affectataires d’une même taxe, parfois partagée entre trois
collectivités de niveaux différents. Les réformes du schéma de financement
des collectivités locales induites par la suppression de la taxe
professionnelle et de la TH ont introduit davantage de spécialisation des
impôts locaux, gage de la responsabilité de ceux qui en votent leur taux. En
effet, lorsqu’une taxe résulte de l’addition de taux votés par différentes
entités, le contribuable ne sait plus au juste qui est responsable de
l’évolution de la pression fiscale.
Parmi les impôts dont les collectivités votent le taux, seuls les DMTO
demeurent partagés entre deux niveaux – le bloc communal et les
départements. Une spécialisation de cet impôt pourrait être envisagée, par
exemple par l’affectation exclusive des DMTO aux départements, en
échange du transfert d’une fraction de CVAE des départements aux
communes.
En outre, la perception d’une taxe par le bloc communal se traduit la plupart
du temps par un double étage (communal et intercommunal) de vote de taux
et d’affectation, notamment pour les taxes « ménages » (future TRS, TFPB
et TFPNB), à l’exception des DMTO (perçus au profit des communes) et de
la CFE lorsqu’elle est perçue par des EPCI à fiscalité professionnelle
unique. D’autres étages plus marginaux peuvent s’ajouter (taux additionnels
des EPCI sans fiscalité propre, taxes spéciales d’équipement…). Bien que
la caractéristique des EPCI à fiscalité propre soit de percevoir en propre des
recettes de fiscalité directe locale, la justification d’un tel financement pour
de simples établissements publics ne constituant pas des collectivités
territoriales n’est pas évidente. Sans même se prononcer sur le bilan de cette
intercommunalité et, notamment, sur sa responsabilité dans la croissance
des dépenses publiques locales (cf. chapitre 13), le schéma de financement
actuel nuit à la lisibilité de l’impôt pour le contribuable et, plus largement,
conduit à complexifier considérablement les règles de la fiscalité directe
locale, qui n’en avaient pourtant pas besoin. Aussi pourrait-on sérieusement
envisager de ne plus financer les EPCI que par les contributions financières
de leurs communes membres.
Enfin, certaines taxes à faible rendement pourraient être supprimées, les
collectivités concernées étant libres de recourir à leurs ressources de droit
commun : taxes de balayage, sur les friches commerciales, de gestion des
milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI)…
En second lieu, l’État demeure le plus important contribuable local. Cette
situation s’explique d’abord par la prise en charge de dégrèvements,
notamment ceux accordés sous condition de revenu et le dégrèvement
barémique de la CVAE (cf. chapitre 25). Elle s’explique ensuite par la
compensation par voie budgétaire, généralement partielle, d’exonérations
partielles ou totales d’impôts locaux. Au total, en 2019, l’État prend en
charge 49 % de la TH et 5,3 % des taxes foncières, soit 14,2 Md€, ainsi que
23 % des impôts économiques (principalement la CET) pour 6,7 Md€.
S’il n’est pas illégitime que l’État prenne en charge les conséquences
financières de mesures incitatives ou concourant à la réalisation de
politiques publiques, il est moins naturel qu’il se substitue purement et
simplement aux contribuables locaux pour compenser leurs moindres
facultés contributives. Si ces dernières sont considérées comme trop faibles
pour que le contribuable soit mis à contribution, aucun impôt ne devrait être
perçu par les collectivités affectataires ou son montant devrait être révisé à
la baisse.
ENCADRÉ
ENCADRÉ
La suppression de la taxe d’habitation
La LFI 2018 visait à supprimer la TH pour 80 % des contribuables
Conformément à l’engagement du candidat Emmanuel Macron à la présidence de la
République en 2017, la LFI 2018 a institué un dégrèvement destiné à effacer
progressivement la TH afférente à la résidence principale d’environ 80 % des foyers, à
l’exclusion de la TH des résidences secondaires. Ce dégrèvement, accordé sous condition
de revenu modulée en fonction de la composition du foyer, s’est élevé à 30 % de la
cotisation de TH du foyer en 2018, 65 % en 2019 et 100 % en 2020.
S’agissant d’un dégrèvement (et non d’une exonération), l’État le prenait intégralement en
charge, en se substituant au contribuable, et les collectivités affectataires continuaient donc
à percevoir les recettes fiscales afférentes. Le coût de ce dégrèvement « Macron » pour
l’État s’est élevé à environ 10 Md€ en 2020, en sus des dégrèvements préexistants.
La LFI 2021 a organisé la suppression de la TH et son remplacement par la TRS
La mesure votée en LFI 2018 n’était pas totalement satisfaisante pour les contribuables.
D’une part, l’État n’entendait pas prendre à sa charge l’impact des hausses de taux et
baisses d’abattements votées par les collectivités, ce qui aurait conduit à ce que les foyers
bénéficiaires du dégrèvement restent redevables d’un reste à charge de TH, alors que la
promesse présidentielle était de les en dispenser totalement. D’autre part, les 20 % de
foyers les plus aisés devaient acquitter seuls une TH présentée comme injuste pour les
80 % restants… En outre, l’État se retrouvait redevable de plus de la moitié de la TH.
Pour ces raisons et sans être contraint en cela par le Conseil constitutionnel10, le
Gouvernement s’est engagé dans une suppression totale de la TH pour ce qui concerne les
résidences principales, seules les résidences secondaires et certains locaux de personnes
morales restant soumis à une taxation. C’est l’article 16 de la LFI 2020 (loi no 2019-1479)
qui a défini le calendrier et les modalités de cette suppression, qui suivaient assez
largement les recommandations du rapport de MM. Bur et Richard sur la refonte de la
fiscalité locale, remis au Premier ministre en mai 2018.
Ainsi, en 2021, le dégrèvement « Macron » a été transformé en exonération : pour quelque
80 % des foyers les moins aisés, aucun impôt n’est ni dû ni calculé. Quant aux 20 % des
foyers les plus aisés, ils bénéficient d’une exonération partielle de 30 % en 2021 et 65 %
en 2022, avant que la TH sur les résidences principales ne soit définitivement supprimée en
2023.
Pour neutraliser les effets de ces exonérations sur les finances locales, l’ensemble des
recettes de TH afférentes aux résidences principales perçues en 2020 sont compensées par
l’attribution de la part départementale de TFPB pour les communes et d’une fraction de
TVA pour les EPCI à fiscalité propre. Les départements bénéficient également de
l’attribution d’une fraction de TVA pour remplacer la part de TFPB qui leur est ôtée à leur
corps défendant. Corrélativement, la TH résiduelle sur les résidences principales (celle des
« 20 % ») est récupérée par l’État pour contribuer transitoirement au financement du coût
de la réforme, d’un total d’environ 18 Md€ (10 Md€ au titre des « 80 % » et 8 Md€ au titre
des « 20 % »).
L’opération de redescente de la TFPB départementale aux communes est en réalité assez
complexe, dans la mesure où localement les recettes de TFPB transférées ne sont pas
identiques aux recettes de TH perdues. Pour qu’aucune commune n’y perde, un
« coefficient correcteur » des recettes de TFPB transférées à chaque commune a été
institué, qui conduit en pratique à mutualiser ces recettes au niveau national (les communes
« sur-compensées » reversant de la TFPB aux communes « sous-compensées »). Ce
coefficient est pérenne mais une évaluation est prévue en 2024.
Par ailleurs, les communes et EPCI à fiscalité propre continuent à percevoir en 2021 et
2022 le produit de la TH afférente aux locaux non affectés à l’habitation principale, dont la
taxation est érigée à compter de 2023 en « taxe sur les résidences secondaires » (TRS).
Divers autres ajustements à la fiscalité locale et aux concours financiers ont dû être
apportés. En particulier, la TFPB remplace désormais la TH comme impôt pivot pour
déterminer les limites d’évolution des taux des impôts directs locaux. Il reste maintenant à
définir de nouvelles modalités de recouvrement pour la contribution à l’audiovisuel public,
celle-ci étant aujourd’hui adossée à la TH.
2.2 La fiscalité locale pourrait former une symbiose avec
la fiscalité nationale
De manière plus radicale, d’autres schémas de financement des APUL sont
envisageables. Un monde sans fiscalité proprement locale pourrait
constituer une solution alternative et a d’ailleurs été esquissé par la
suppression de la TH.
a La fiscalité locale doit aussi poursuivre l’efficacité budgétaire
et l’efficience en gestion
Les collectivités sont certes demandeuses de marges de manœuvre en
matière fiscale mais aussi, simultanément et très paradoxalement, d’une
plus grande sécurité de leurs recettes. L’État est ainsi invité à jouer un rôle
d’assureur gratuit pour faire face aux fluctuations de recettes de fiscalité
locale (DMTO, CVAE…), les collectivités arguant de la nécessité pour elles
de financer leurs dépenses. La crise de la Covid-19 a illustré ce
phénomène11.
Or, si l’objectif est de financer les charges des collectivités, il serait plus
efficace de le faire par l’intermédiaire de dotations budgétaires ou de
recettes fiscales transférées dont le montant serait calculé objectivement en
fonction desdites charges. Cette solution permettrait aussi d’éviter que les
collectivités ne bénéficient d’un excès de recettes par rapport à leurs
besoins réels.
Autre avantage, à cette fin, il serait possible de recourir à des impôts
nationaux dont le coût de gestion est moindre que celui des impôts directs
locaux. C’est du reste cette voie qui a été poursuivie avec les transferts de
TICPE, de TSCA et de TVA. À l’inverse, il serait contre-productif de créer
de nouveaux impôts directs locaux, tel un impôt sur le revenu local, qui
procurerait aux collectivités au tissu fiscal le plus riche des recettes dont
elles n’ont pas besoin et aggraverait ainsi les inégalités financières entre
territoires (sauf à renforcer la péréquation horizontale, ce qui ne
contribuerait pas à alléger les coûts de gestion).
En régime cible, les impôts directs locaux pourraient être supprimés, le
financement s’appuyant sur d’autres outils – dotations, transferts d’impôts
nationaux, redevances… Si le maintien d’un impôt direct local était
néanmoins souhaité, à titre complémentaire, mais que la révision des VLC
n’était pas menée à bien, des voies alternatives, plus simples et
rudimentaires, pourraient être explorées. Il pourrait s’agir par exemple d’un
impôt inspiré de la capitation (impôt par tête ou par foyer mais pouvant être
modulé en fonction de divers critères), semblable à la contribution à
l’audiovisuel public (due par chaque foyer sous réserve de détenir une
télévision) ou encore à la cotisation minimale de CFE. Un tel impôt serait
sans doute inéquitable mais un tel inconvénient n’est manifestement pas un
obstacle dirimant puisque l’ensemble des impôts directs locaux sur les
ménages sont aujourd’hui inéquitables du fait du caractère suranné de leurs
bases.
b À titre de comparaison, la fiscalité allemande offre un modèle
mixte associant impôts nationaux et locaux
Le modèle allemand de fiscalité locale repose précisément, à côté d’impôts
spécifiquement locaux (notamment de nature foncière), sur le partage
d’assiettes fiscales entre les échelons locaux et l’échelon fédéral.
C’est le cas pour l’impôt sur le revenu, dont les règles sont définies au
niveau fédéral et dont le produit est partagé entre le Bund (État fédéral)
(42,5 %), les Länder (42,5 %) et les communes (15 %). Les entités locales
reçoivent ainsi le produit afférent à l’impôt acquitté par les foyers qui
résident sur leur territoire. Parallèlement est organisée une importante
péréquation entre Länder pour rapprocher les recettes des charges.
Le partage de l’imposition des bénéfices se fait d’une autre manière, via
deux impôts différents, puisque l’impôt fédéral (équivalent de notre impôt
sur les sociétés mais doté d’un taux de 15 % seulement) est distinct de la
taxe professionnelle levée au niveau communal (Gewerbesteuer). Cette
dernière, qui ressemblait naguère à la TP française, est désormais assimilée
à un impôt sur les bénéfices, son assiette reposant sur le bénéfice retenu
pour l’IS modulo plusieurs corrections positives et négatives. Dans le cas de
la taxe professionnelle, les communes allemandes disposent du pouvoir de
fixer le taux. La pression fiscale qu’elles exercent est clairement identifiée.
Ce schéma ne serait néanmoins transposable en France si le taux d’IS défini
par l’État était plus faible, rendant acceptable un second étage d’IS local.
La fiscalité locale est une expression qui induit en erreur : à l’exception des
collectivités d’outre-mer et contrairement à ce que souhaiteraient certaines
collectivités, les collectivités territoriales ne jouissent pas de l’autonomie
fiscale et perçoivent voire modulent des impôts dans le cadre défini par la
loi. Il est certes légitime que les collectivités bénéficient d’un socle de
marges de manœuvre pour adapter leurs recettes fiscales à leurs besoins
mais à condition d’éviter l’écueil d’une dérive des finances locales et de
veiller à l’équité de la fiscalité locale.
À cet égard, la révision complète des valeurs locatives est une réforme
nécessaire – sauf à réformer profondément la fiscalité directe locale, de
sorte à ne plus avoir recours aux impôts fonciers assis sur les VLC.
Davantage de lisibilité et de simplicité sont aussi à rechercher, par des
réformes remettant en cause ou non le cadre général de la fiscalité locale.
Des considérations d’efficacité et d’efficience plaident pour s’appuyer
davantage sur des impôts nationaux – telle la TVA mais pourquoi pas aussi
la CSG ou l’IS – et moins sur des impôts locaux.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• Que reste-t-il à réformer dans la fiscalité locale ?
• Comment lutter contre les inégalités générées par la fiscalité locale ?
• Faut-il recréer la taxe d’habitation ?
• La révision des valeurs locatives cadastrales.
RÉFÉRENCES
Rapport au Premier ministre de MM. Bur et Richard sur la refonte de la fiscalité locale,
mai 2018.
CHAPITRE 16
L’endettement local
Eu égard à la règle d’or applicable en matière de finances locales, selon
laquelle il n’est autorisé de s’endetter que pour investir (cf. chapitre 14), il
serait paradoxal que les collectivités territoriales fussent endettées à l’excès.
En revanche, l’affaire des prêts « toxiques » contractés avant la crise
financière de 2008 a révélé que certaines d’entre elles ont pu mal s’endetter,
en souscrivant des produits financiers à risque sans en maîtriser les
conséquences.
Par ailleurs, s’endetter pour investir ne préjuge pas de la rentabilité socio-
économique des dépenses d’investissement ainsi financées : un « mauvais
endettement » peut provenir de dépenses engagées à mauvais escient.
L’appréciation de la qualité et de la nécessité de ces dépenses est cependant
difficile à objectiver et, a fortiori, à généraliser : le présent chapitre ne se
livrera donc pas à une telle appréciation.
1 L’endettement constitue un instrument courant
de financement des collectivités
L’argument selon lequel les collectivités territoriales font un bon emploi de
leurs ressources parce qu’elles investissent est souvent avancé. De fait, elles
investissent et ont, à cette fin, recours à l’emprunt.
1.1 Le secteur public local investit effectivement
Sur longue période, la décentralisation s’est traduite par un double
mouvement de développement des compétences des collectivités
territoriales et de relatif désengagement de l’État des problématiques
locales, ce qui a conduit les APUL à effectuer 60 % du total des
investissements publics en France en 2019 contre 52 % en 1990, selon les
normes SEC 2010 de comptabilité nationale, lesquelles intègrent les
investissements en recherche et développement effectués en interne.
La dynamique de l’investissement des collectivités dépend de l’évolution de
leurs compétences et de leurs capacités financières, mais aussi du « cycle
électoral » : à la suite du renouvellement des assemblées délibérantes
(conseils municipaux, départementaux et régionaux), les nouveaux élus
engagent un cycle d’investissement, en prenant en début de mandat des
décisions qui se traduisent par des hausses des dépenses d’investissement
en seconde partie de mandat. Ainsi, ces dépenses ont fortement progressé
(+ 32 %) entre 2016 et 2019, juste avant les élections municipales de 2020.
On s’attend à l’inverse à une baisse en 2020 (pour les communes) et 2021
(pour les départements et les régions), amplifiée par la crise de la Covid-19.
Le plan de relance pourrait toutefois contribuer à lancer un nouveau cycle
d’investissement.
En 2019, les dépenses d’investissement des collectivités locales, hors
remboursement de la dette, ont ainsi représenté 67,6 Md€, soit 24 % de
leurs dépenses totales. Elles sont effectuées en large partie par les
communes et leurs groupements (69 %). Viennent ensuite les régions
(16 %) et les départements (15 %). Ces dépenses représentent la proportion
non négligeable de 2,8 % du PIB.
Concrètement, l’investissement des APUL intervient notamment dans les
domaines des transports publics urbains, du développement des nouvelles
technologies, de la mise aux normes et de l’environnement. S’y ajoutent les
acquisitions immobilières et mobilières, dont des participations dans des
sociétés d’économie mixte, par exemple pour réaliser, avec des
investisseurs privés, des opérations d’aménagement ou d’équipement.
Parmi les investissements des collectivités, on peut citer, parmi ceux qui
apparaissent comme prioritaires au regard des besoins en équipements
publics, les infrastructures de transport, d’eau et d’assainissement, la
prévention des inondations (digues), les hôpitaux, le logement social,
l’enseignement supérieur ou encore les réseaux numériques de très haut
débit.
1.2 L’endettement représente une source
de financement minoritaire mais importante
a L’emprunt représente environ un quart des ressources
d’investissement et un cinquième des dépenses correspondantes
En 2019, contrairement à 2018, les ressources des collectivités dédiées à
l’investissement ont été inférieures à leurs dépenses d’investissement :
l’épargne brute, c’est-à-dire l’excédent de la section de fonctionnement, et
les recettes d’investissement hors emprunts ont couvert ces dépenses à
hauteur de 98,7 %. Les collectivités locales ont ainsi dégagé dans
l’ensemble un besoin de financement de 0,8 Md€, de sorte que le recours à
l’emprunt n’a concerné qu’une minorité de collectivités, notamment le bloc
communal dont le taux de couverture est ressorti à 95 % en 2019.
Le remboursement d’emprunt représente en 2019 une part minoritaire des
dépenses d’investissement totales 21 %. Les autres dépenses sont
essentiellement les dépenses directes d’équipement (63 %) et les
subventions d’équipement (12 %).
Par ailleurs, les frais financiers représentent 4,7 Md€ en 2019, soit 2,4 %
des dépenses de fonctionnement. Si l’on rapporte les frais financiers, qui
incluent aussi les indemnités de remboursement anticipé, à la dette, le taux
d’intérêt apparent de la dette locale ressort à 2,4 %.
b L’endettement continue à augmenter
En 2019, les nouveaux emprunts sont légèrement plus élevés que les
remboursements du capital : le flux net de dette est positif. D’un côté, les
emprunts atteignent 18,6 Md€, en baisse de 3,2 % par rapport à l’année
précédente. Ce niveau est relativement élevé. De l’autre côté, les
collectivités ont remboursé pour 18 Md€ de capital. Il en résulte une
croissance de la dette locale limitée à 0,6 Md€.
Par conséquent, le stock de dette augmente. Il s’élève à 196 Md€, dont
60 % sont portés par le bloc communal, 9 % par les syndicats de
collectivités, 16 % par les départements et 14 % par les régions. Cette
hausse est moins rapide que la progression des recettes de fonctionnement,
de sorte que le ratio « dette/recettes de fonctionnement » s’améliore
légèrement, à 91 % en 2019, tout en demeurant légèrement plus faible que
dans les années 1990. Ce ratio cache néanmoins des disparités entre
niveaux de collectivités : les régions (97 %) et le bloc communal (91 %)
sont davantage endettés que les départements (48 %), lesquels ont
structurellement moins de dépenses d’investissement à réaliser.
Cette dette – et son service – restreignent les marges de manœuvre
ultérieures des APUL pour investir les années suivantes. En 2017, les
collectivités ne pouvaient financer que 36 % de leur investissement à l’aide
de leur autofinancement, après avoir acquitté leur annuité de dette (épargne
nette).
c Un endettement maîtrisé et une très bonne solvabilité
Eu égard au flux net de dette positif et à la dynamique contenue des
ressources de fonctionnement (cf. chapitre 13), le stock de dette peut
paraître difficilement résorbable et donc élevé.
Cependant, prise globalement, la solvabilité des collectivités appréciée à
travers les ratios financiers est très bonne. Il convient tout d’abord de
relever que le taux d’endettement précité, de 91 % pour les APUL, serait de
760 % s’il était transposé à l’État1. Surtout, l’annuité de la dette (i.e. le
montant de capital remboursé en une année) ne représente que 7,6 % des
recettes de fonctionnement.
Le rapport entre le stock de dette et l’autofinancement (épargne brute, soit
le solde de la section de fonctionnement) fournit un autre indicateur positif
(cf. graphique 1). Il est égal à 4,3 en 2019, ce qui signifie que, si les
collectivités consacraient l’ensemble des moyens disponibles au
désendettement, la dette serait totalement apurée en 4 ans et 4 mois. C’est
ce dernier indicateur qui a été retenu par l’article 29 de la LPFP 2018-2022
pour instituer un dispositif d’encadrement de l’endettement local. Les
contrats triennaux prévus à cet article (cf. chapitre 13) incluant « une
trajectoire d’amélioration de la capacité de désendettement » lorsque le
rapport dette/marge brute dépasse en 2016 un plafond national de référence.
Ce plafond est modulé selon la strate de collectivités : 12 années pour le
bloc communal, 10 pour les départements et 9 pour les régions. Outre que
ces plafonds sont assez élevés, leur franchissement ne donnera lieu à
aucune sanction… Leur respect sera en revanche une des conditions pour
l’accès à la dotation de soutien à l’investissement local pour les collectivités
concernées.
Source : Rapport 2020 de l’Observatoire des finances locales.
Graphique 1 – Capacité de désendettement des collectivités locales (ratio dette/épargne
brute)
Le parangonnage relativise enfin la dette des collectivités territoriales : en
proportion du PIB, la dette des APUL françaises (8,7 %) se situait en 2018
à un niveau inférieur à la moyenne des pays de l’UE (12,9 %), alors qu’il
s’élevait à 22,8 % du PIB en Allemagne et à 26,5 % du PIB en Espagne. À
l’inverse, dans des pays centralisés, ce ratio s’élevait à seulement 0,7 % du
PIB en Grèce et 0,5 % du PIB en Hongrie.
2 La liberté d’emprunt dont jouissent
les collectivités a pu donner lieu à un usage
excessivement imprudent
2.1 Les prêts toxiques ont révélé une maîtrise
insuffisante des outils de financement
a Des emprunts risqués à formules complexes
Au cours des années 2000, de nombreuses collectivités se sont endettées en
souscrivant des emprunts dont les conditions initiales étaient très favorables
(les taux de départ étaient faibles voire proches de zéro) mais se sont parfois
brutalement et fortement dégradées, notamment à compter de la crise des
subprimes débutée en 2007. On appelle couramment ces produits structurés
(i.e. dont le taux d’intérêt dépend d’un produit pris contractuellement
comme sous-jacent de l’emprunt) des prêts « toxiques ».
La commission d’enquête de l’Assemblée nationale relative aux produits
financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux, dans son rapport
rendu en décembre 2011, a retenu un périmètre assez large pour ces
produits à risque. Ils recouvrent :
– des emprunts libellés en devises, qui exposent l’emprunteur à un risque
supplémentaire de change ;
– des produits libellés en euros mais indexés sur des taux de change (par
exemple la parité euro/franc suisse) dont la volatilité peut conduire à
de fortes hausses de taux d’intérêt. De fait, les taux de certains
emprunts ont atteint les 14 % ;
– des produits dits de courbe, dont le sous-jacent est la différence entre
les taux d’un même type de produit (les obligations d’État françaises
par exemple) à deux horizons temporels différents. Ces produits ont
donc pour objet de spéculer sur l’évolution de la courbe des taux et
sont par conséquent fortement exposés à un risque de taux. À titre
illustratif, la commission d’enquête donne cet exemple d’un taux qui
passait de 3,13 % à 5,99 % (soit un quasi-doublement) en cas de
franchissement d’un seuil de différentiel entre deux taux ;
– enfin, des produits cumulatifs, dans lesquelles le taux payé accumule,
échéance après échéance, l’écart entre un index (le taux d’un sous-
jacent donné, qui évolue) et une barrière (un seuil défini à l’avance) :
en sus des inconvénients précités, le taux est donc susceptible
d’augmenter chaque année.
En outre, sortir de l’emprunt à risque n’était possible que dans le cadre de
conditions dissuasives, le remboursement du capital restant dû pouvant être
indexé sur le sous-jacent sur lequel reposait l’emprunt : dans certains cas, il
était doublé.
b Les emprunts à risque représentaient un volume d’emprunt
significatif
Selon la commission d’enquête, le secteur financier a émis pour 18,8 Md€
de produits à risque en France, dont 13,6 Md€ pour les seules APUL, soit
alors plus de 10 % de leur dette totale. Individuellement, le poids de la dette
à risque de certaines collectivités est nettement plus important, de même par
ailleurs que pour certains centres hospitaliers, tel celui d’Ajaccio.
C’est pourquoi un fonds de soutien pour les emprunts structurés a été créé,
pour aider les collectivités locales à racheter leurs emprunts « toxiques ».
Ce fonds, instauré par l’article 92 de la loi de finances pour 2014 en
substitution d’un précédent fonds créé en 2012, est financé par le budget
général de l’État, ce qui illustre le rôle de garantie implicite assumé par
l’État à l’endroit des collectivités territoriales. Son principal objet était
d’aider les collectivités, par une prise en charge partielle des indemnités de
remboursement anticipé, à racheter auprès de leurs créanciers les emprunts
structurés à risque souscrits jusqu’en 2013 inclus. Finalement, près de
600 collectivités ont bénéficié d’un soutien représentant pour l’État des
engagements à hauteur de 2,6 Md€. Ce dispositif, désormais géré par la
DGFiP, poursuivra son activité jusqu’en 2028 afin de continuer à
accompagner les collectivités. Les hôpitaux publics ont également bénéficié
d’un soutien financier ciblé.
Naturellement, les produits financiers incriminés ne présentaient pas tous le
même degré de risque. A fortiori, tous ne se sont pas traduits par des
hausses de taux d’intérêt : dans l’ensemble, dans la mesure où ces produits
donnaient accès à des conditions d’emprunt plus avantageuses que les
produits classiques, le bilan strictement financier est potentiellement
globalement positif pour les collectivités.
Un tel bilan global fait néanmoins défaut, les enquêtes ayant surtout porté
sur l’aspect négatif (le risque) des produits en question. Ainsi, la
commission d’enquête parlementaire a calculé, en cas de dégradation des
conditions de marché, un surcoût potentiel total pour les APUL de près de
1 Md€ par an d’intérêts d’emprunt ; mais ce surcoût est brut, puisqu’il ne
tient pas compte des économies réalisées.
2.2 Les responsabilités de cette prise de risque
excessive sont partagées
Au-delà de la responsabilité des établissements bancaires, qui ont démarché
les collectivités, y compris les plus petites, pour commercialiser leur offre
risquée, les torts sont partagés entre collectivités et services de l’État.
a Les collectivités n’ont pas pris la mesure des risques
Les collectivités ayant souscrit des emprunts à risque n’avaient pas toutes
les moyens de le faire. Une telle prise de risque suppose en effet de disposer
des capacités financières pour faire face à une hausse des taux d’intérêt ou
d’être en situation de procéder au remboursement anticipé en cas de dérive
des conditions d’emprunt – ce qui n’était pas vraiment le cas de
collectivités comme le département de la Seine-Saint-Denis et la ville de
Saint-Étienne.
Surtout, les produits structurés n’ont pas été souscrits en connaissance de
cause. Deux défaillances peuvent être identifiées : l’une administrative,
l’autre politique. D’une part, les services financiers des collectivités n’ont
pas instruit les dossiers d’emprunt de manière suffisamment approfondie –
quand ils ne déléguaient pas cette tâche à des cabinets de conseil rémunérés
en fonction des économies budgétaires qu’ils permettaient à court terme. En
acceptant les produits qui leur étaient présentés par les établissements
bancaires pour satisfaire les demandes de prêts, les services ont cédé à la
pression des élus et marqué une préférence pour le court terme (les taux
bas) sans mesurer l’ampleur des risques à moyen et à long termes.
D’autre part, les exécutifs ont signé les emprunts en question – lorsqu’ils
avaient une délégation à cette fin, ce qui est courant – ou les ont présentés à
la délibération des conseils. Dans ce dernier cas, les emprunts ont été votés,
malgré l’insuffisance généralement constatée de l’information
accompagnant les projets de délibérations. À cet égard, souscrire un
emprunt se fait sans procédure d’appel d’offres (le code des marchés
publics n’est pas applicable), ce qui facilite l’opacité des conditions
contractuelles : les besoins ne sont pas exprimés de manière cadrée, il
n’existe pas de commission examinant les offres, le choix final est moins
éclairé que pour des marchés publics qui présentent pourtant parfois des
enjeux financiers faibles. En outre, la directive concernant les marchés
d’instruments financiers2, qui protège les investisseurs contre la vente de
produits non adéquats, traite les collectivités territoriales comme des clients
professionnels au même titre que les grandes entreprises et les États ; aussi
les obligations de protection et d’information sont-elles légères.
b Les services de l’État n’ont pas alerté les collectivités sur les
risques encourus
Les collectivités territoriales s’administrent certes librement mais sont
néanmoins soumises à un contrôle de légalité et budgétaire exercé par l’État
(services préfectoraux et CRC) et voient leur comptabilité tenue par l’État
(services de la direction générale des finances publiques – DGFiP)
(cf. chapitre 14).
La portée du contrôle de légalité exercé par les préfets est insuffisante pour
détecter les risques pris. En effet, les services préfectoraux ne disposent pas
toujours d’états budgétaires exploitables pour apprécier les risques, ni des
conventions d’emprunt, dont la transmission au contrôle de légalité n’est
pas obligatoire, s’agissant de contrats de droit privé. Par ailleurs, les agents
des services chargés du contrôle de légalité n’ont généralement pas la
formation nécessaire pour décrypter des contrats d’emprunt complexes.
Enfin, ils n’ont pas été saisis pour avis, dans le cadre du rôle de conseil
juridique fourni par le préfet aux collectivités.
En l’absence de tutelle financière de l’État sur les collectivités, les
comptables publics n’exercent aucun contrôle d’opportunité et ne sont pas
chargés de la fonction de contrôle financier qu’ils exercent par ailleurs pour
les services de l’État (cf. chapitre 12). Pour autant, la commission d’enquête
parlementaire précitée a regretté l’absence de conseil prodigué par les
services de la DGFiP et critiqué l’insuffisance du cadrage donné aux
comptables par l’administration centrale. La mise en place par la DGFiP de
conseillers aux décideurs locaux au sein du secteur communal (cf.
chapitre 13) est justement de nature à répondre à cette critique.
En revanche, les CRC, qui ont précisément dans leurs attributions l’examen
de la gestion des collectivités locales (cf. chapitre 12) ont pu, au cours de
leurs audits, détecter de tels risques – sans que les conséquences n’en soient
tirées par les collectivités ni que les services de l’État ne s’emparent du
sujet.
3 Le refinancement du secteur local se devait d’être
plus sécurisé et organisé
Suite à la crise financière, le secteur public local a connu un contexte de
refinancement difficile, marqué par un resserrement de l’offre de crédits
bancaires, qui s’est traduit non seulement par une réduction des volumes et
une augmentation des marges, mais également par une diminution des
durées des prêts. Cette situation résultait de la dégradation des conditions de
marché, du retrait de la banque Dexia (grand acteur du financement local),
des exigences prudentielles renforcées dans le cadre des règles de
Bâle III et, enfin, des mauvaises relations commerciales suite à l’affaire des
prêts toxiques.
Il a alors paru nécessaire de sécuriser le refinancement des APUL en
renforçant son encadrement et en améliorant l’accès aux émissions
obligataires.
3.1 L’encadrement de l’endettement local a été renforcé
a La connaissance comptable du risque a été améliorée
Les produits structurés ont tout d’abord été classifiés selon leur degré de
risque potentiel par la charte de bonne conduite du 7 décembre 2009,
élaborée par une mission d’inspection dirigée par M. Éric Gissler (IGF) et
signée par les représentants des collectivités locales et des établissements de
crédit. La classification Gissler s’appuie sur une double cotation des
emprunts, en fonction de l’indice sous-jacent et de la nature de la formule
de calcul du taux d’intérêt, et s’étend de A1 (risque faible) à E5 (risque
élevé). En outre, certains produits sont « hors charte » (emprunts libellés en
devise par exemple), car d’un degré de risque potentiel très variable mais
pouvant être très élevé.
Cette classification ne suffit pas à définir précisément le risque encouru par
une collectivité emprunteuse, dans la mesure où tous les facteurs de risque
ne sont pas pris en compte (durée de l’exposition au risque, niveau des
valeurs déclenchant des hausses de taux d’intérêt…). Son objet est
d’éclairer les collectivités (services administratifs et élus) sur le caractère
risqué des emprunts.
À cette fin, la documentation budgétaire locale a été enrichie en 2011. Les
états de la dette, qui figurent en annexe des documents budgétaires des
collectivités territoriales, recensent l’ensemble des emprunts souscrits selon
la classification Gissler. Les maquettes comptables des collectivités locales
ont été revues afin d’affiner l’information sur la composition de la dette de
la collectivité, de manière à permettre aux élus et aux citoyens de mieux
appréhender les risques encourus par la souscription des emprunts
structurés. Ainsi, l’assemblée délibérante choisit en toute connaissance de
cause le niveau de risque qu’elle accepte. En outre, la collectivité peut être
amenée à définir les renégociations nécessaires avec les établissements de
crédit prêteurs.
b Les conditions d’emprunt ont été encadrées
L’article L. 1611-3-1 du CGCT3 fixe le cadre juridique du recours à
l’emprunt pour les APUL. La souscription d’emprunts excessivement
risqués ou dont le risque élevé n’est pas couvert est désormais pratiquement
interdite, quelles que soient la taille, l’expertise et la solidité des
collectivités emprunteuses.
En effet, les emprunts doivent être libellés en euros ou, s’ils le sont en
devises étrangères, doivent voir leur risque de change couvert par un contrat
d’échange de devises contre euros (swap). Leur taux doit être fixe ou, s’il
est variable, ses clauses d’indexation ne peuvent se référer qu’aux indices et
écarts d’indices autorisés par décret en Conseil d’État. En outre, la formule
d’indexation des taux variables doit répondre à des critères de simplicité ou
de prévisibilité des charges financières. Par ailleurs, une collectivité ne peut
souscrire de contrat d’échange de taux pour contourner ces règles.
De manière plus générale, le contrôle des assemblées délibérantes sur les
exécutifs locaux a été accentué. Ainsi, depuis 2014, les débats d’orientation
budgétaire portent également sur l’évolution et les caractéristiques de
l’endettement de la collectivité (cf. article L2312-1 du CGCT pour les
communes).
3.2 La création d’une agence de financement
des collectivités locales n’a pas remplacé le refinancement
bancaire
a Les émissions obligataires constituaient déjà une alternative
au refinancement bancaire
En cas de refinancement intermédié tendu et pour diversifier leur
financement, les collectivités peuvent recourir au refinancement direct sur
les marchés financiers. Certaines collectivités, comme la région Limousin,
ont même placé des obligations auprès des particuliers. En 2012, avant la
création de l’Agence France Locale (AFL), les émissions obligataires ont
atteint 2,3 Md€ (soit 12,8 % des emprunts totaux).
Émettre des obligations est contraignant sur le plan réglementaire et induit
un coût fixe qui n’est amorti que par un volume élevé d’emprunt. Ces
obligations sont émises soit par des collectivités seules, de taille importante,
soit dans le cadre d’un regroupement de collectivités ayant mutualisé leurs
besoins (émission syndiquée). Seulement une trentaine d’émetteurs procède
à des émissions régulières et est notée par les agences.
Pour organiser une mutualisation des émissions obligataires à plus grande
échelle et de manière institutionnalisée, les élus locaux ont obtenu la
création d’une agence de financement dédiée.
b Une agence de financement des collectivités locales
a été créée fin 2013
L’AFL a été créée par un protocole d’accord entre 11 collectivités en
octobre 2013, après avoir été autorisée dans son principe par la loi (article
L1611-3-2 CGCT). Elle prend la forme d’une société anonyme (AFL
société territoriale), détenue à 100 % par des collectivités territoriales et des
EPCI à fiscalité propre, qui ne bénéficie d’aucune garantie de l’État.
Pour financer les collectivités actionnaires – et elles seules – la société est
dotée d’une filiale (AFL société financière) chargée d’émettre en son nom
des obligations sur le marché financier et de leur prêter ensuite ces
ressources. Les collectivités actionnaires garantissent les engagements
financiers d’AFL société financière pour assurer sa bonne solvabilité, de
manière à bénéficier de conditions de marché favorables.
L’objectif de l’AFL n’est pas de se substituer aux acteurs bancaires mais
d’introduire une saine concurrence avec eux et de répondre à terme à 25 %
des besoins de financement des collectivités locales. L’agence s’interdit en
outre de financer à plus de 50 % le besoin de financement d’une
collectivité.
Les collectivités sont sélectionnées sur la base de leur notation financière
élaborée par l’AFL elle-même : en mars 2021, elle comptait 430 membres.
Les prêts (à taux fixe ou à taux variables simples) leur sont délivrés par
AFL société financière selon des conditions dépendant de leur situation
financière. La première émission obligataire de l’AFL, pour un montant de
750 M€ et une maturité de 7 ans, a eu lieu en mars 2015 : elle fut un succès.
Depuis, l’AFL est en croissance. En 2018, elle a couvert 5,1 % des crédits
long terme des collectivités locales françaises. Fin 2020, elle gérait ainsi
déjà un encours de 3,8 Md€, soit 1,9 % de la dette totale des collectivités
locales dans leur ensemble. L’AFL bénéficie par ailleurs d’une bonne
notation de sa solvabilité (Aa3 pour Moody’s, soit deux crans derrière
l’État).
Toutefois, la création d’un tel instrument de financement n’est pas sans
soulever des interrogations d’opportunité. Il est par ailleurs difficile aux
collectivités membres de quitter éventuellement la structure.
c Le refinancement des APUL peut cependant être assuré
autrement
Premièrement, l’AFL doit maîtriser le risque d’aléa moral qu’implique la
mutualisation de l’endettement : la sélection des collectivités doit être
réelle ; les conditions des prêts doivent être effectivement différenciées
selon la situation financière des collectivités, de manière à éviter que celles
les moins bien gérées n’alourdissent le coût de refinancement de celles dont
la situation financière est saine. Corrélativement, la gouvernance de
l’agence doit être suffisamment robuste pour écarter le risque de conflit
d’intérêts entre les élus, qui siègent au conseil d’administration d’AFL
société territoriale, et ces mêmes élus, qui demandent des prêts à AFL
société financière. À cet égard, seule une forte crédibilité dans la solidité et
la pérennité de la structure, ainsi que l’absence de collectivités en difficulté,
permettra à l’AFL de bénéficier de manière durable d’un financement à des
taux intéressants sur les marchés.
Deuxièmement, faciliter le recours à l’endettement pourrait inciter les
collectivités à dépenser davantage et à renoncer à participer à l’effort
collectif de redressement des comptes publics. En effet, l’endettement offre
un point de fuite aux finances locales lorsque par ailleurs les recettes sont
contraintes. Si l’on considère que les dépenses locales doivent absolument
être maîtrisées, il serait préférable que l’État conserve le contrôle direct ou
indirect du financement des collectivités territoriales.
Précisément, d’autres modèles d’organisation pour assurer un
refinancement public des collectivités sont envisageables. Tout d’abord,
l’Agence France Trésor (cf. chapitre 30) pourrait elle aussi assumer cette
mission. Ainsi, le Trésor britannique dispose d’un service qui propose des
prêts aux collectivités, en concurrence avec le secteur bancaire4.
À défaut, la Caisse des dépôts et consignations (CDC), dont l’activité de
crédit à des organismes d’intérêt général est une des missions principales,
est pleinement en situation d’effectuer cette tâche. Mais c’est plus
particulièrement sa filiale la Banque des Territoires, créée en 2018, qui
intervient dans le secteur des prêts aux collectivités locales et aux autres
porteurs de projets concourant au développement des territoires. La Banque
des Territoires s’est ainsi engagée en 2020 à mettre à disposition, dans le
cadre du plan de relance post-Covid, une enveloppe de 47 Md€ en faveur
notamment de l’habitat et du climat. Une partie de ces fonds ne manquera
pas d’être allouée aux collectivités locales, par exemple via les
« Aquaprêts » d’une maturité allant jusqu’à 60 ans pour développer et
moderniser les réseaux d’eau et d’assainissement.
À cet égard, la Banque des Territoires n’est pas la seule banque évoluant
dans le secteur concurrentiel à pouvoir prêter aux collectivités locales. De
manière générale, celles-ci peuvent recourir au secteur bancaire dans son
ensemble, dans un cadre légal qui évite désormais le recours à des prêts
« toxiques » (cf. supra).
*
Globalement et sans se prononcer sur la pertinence des investissements,
l’endettement local n’est pas déraisonnable. Individuellement, il a pu être
moins maîtrisé, tant du fait d’une solvabilité dégradée que du fait de la
toxicité de certains emprunts.
En revanche, du point de vue des finances publiques de la France, la
participation des APUL à l’effort de désendettement et de réduction des
déficits publics pourrait être mieux organisée, à condition que les
collectivités prennent conscience de l’utilité d’un tel effort de leur part.
En effet, la règle d’or ne protège pas contre le mauvais endettement. Si
l’investissement public joue à court terme un rôle de relance, il nourrit aussi
à moyen et long termes des dépenses de fonctionnement et de personnel
dangereusement croissantes, sans toujours contribuer à la compétitivité de
la France.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• Qui doit refinancer les collectivités locales ?
• Les collectivités locales et l’emprunt
• Une collectivité locale peut-elle faire faillite ?
• Commentez le graphique 1 (capacité de désendettement des collectivités locales)
RÉFÉRENCES
Cour des comptes, La gestion de la dette publique locale, juillet 2011.
Rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale relative aux produits financiers
à risque souscrits par les acteurs publics locaux, décembre 2011, no 4030.
Rapport de la mission « flash » sur l’investissement des collectivités territoriales de la
Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l’Assemblée nationale,
communication de M. Rebeyrotte et Mme Pires Beaune, mars 2019.
PARTIE 6
LES FINANCES SOCIALES
Les finances sociales font partie intégrante des finances publiques, dont elles sont même la
première composante. Malgré leurs particularités, elles ne peuvent en être détachées, au
regard de la fiscalisation partielle des finances sociales et des liens financiers qui existent
entre finances de l’État et sphère sociale. Les lois de financement de la Sécurité sociale
sont venues ancrer les finances sociales dans les finances publiques.
CHAPITRE 17
Les finances de la protection
sociale
NOTIONS À MAÎTRISER
• La protection sociale, la Sécurité sociale
• La logique assurantielle et la logique solidaire
• Le Haut Conseil du financement de la protection sociale
• Régime général et régimes particuliers ; les ROBSS
• La ROSP, la T2A, la CMU, l’ACS, le FSV
En 2021, la Sécurité sociale fête ses 76 ans et le montant total de ses
dépenses s’élève à 509 Md€ (hors Fonds de solidarité vieillesse).
La Sécurité sociale a été créée dans un pays ruiné par la guerre. Il s’agissait
encore d’une Sécurité sociale a minima. Par exemple, les pensions de
retraite ne dépassaient pas 40 % des salaires antérieurs. Après la guerre, il
convenait de satisfaire les besoins élémentaires des Français : se nourrir, se
vêtir, se loger. Or, au fur et à mesure qu’un pays s’enrichit, d’autres besoins
apparaissent et notamment la protection contre les grands risques de
l’existence : la maladie et la vieillesse.
Pendant les Trente Glorieuses, la Sécurité sociale s’est développée pour
atteindre un niveau très important. Désormais, toute la population est
couverte, qu’elle soit salariée, commerçante, artisante, sans emploi, qu’elle
ait cotisé ou pas. En sus des vagues de généralisation (aux différentes
franges de la population et non uniquement aux salariés), le montant des
prestations a augmenté.
Ont mis un terme aux Trente Glorieuses les deux chocs pétroliers et la crise
économique de 1993, laquelle a fait reculer le PIB et stagner la masse
salariale. Or, les cotisations sociales, principaux financeurs des prestations
de Sécurité sociale, sont assises sur les salaires. Quel constat désormais
dresser après la crise économique débutée en 2008 et la crise sanitaire
amorcée en 2020 avec la Covid-19 ? Il est admis que, grâce à son système
de protection sociale, l’économie française joue un rôle d’amortisseur social
(les prestations sont versées). Les mesures de confinement rendues
nécessaires par la Covid-19 ont été compensées par un dispositif de
dépenses publiques évalué comme l’un des plus généreux au monde ; on
peut notamment penser à la coûteuse indemnisation du chômage partiel. Les
Français ressentiraient alors moins l’impact de la crise. A contrario, les
dépenses publiques induites ralentiraient une possible sortie de crise.
Si la Sécurité sociale est devenue une gigantesque machine à redistribuer,
d’aucuns s’interrogent sur sa croissance. Pour redistribuer davantage, il
faudrait augmenter les recettes : au choix les cotisations sociales, la TVA,
les impôts, des taxes variées. Lorsque la richesse nationale stagne et que la
croissance est atone, voire négative en situation de crise sanitaire, est-il
possible de maintenir l’un des plus ambitieux systèmes de protection
sociale au monde ? La première des économies est la non-dépense, d’où une
interrogation légitime relative aux prestations de Sécurité sociale, à certains
droits acquis.
Source : Ministère des affaires sociales.
Schéma 1 – La décomposition des comptes de la protection sociale
Composées de différents agrégats, les dépenses de protection sociale
recouvrent les comptes des administrations de Sécurité sociale et les
interventions sociales des autres administrations (cf. schéma 1). La maîtrise
des dépenses sociales constitue aujourd’hui une question clé des finances
publiques.
ENCADRÉ 1
ENCADRÉ 1
L’organisation de la sécurité sociale
Les organismes de Sécurité sociale (OSS) se composent des caisses nationales et de leurs
réseaux de caisses locales :
Les caisses nationales (du régime général) : caisse nationale des allocations familiales
(CNAF), caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), caisse nationale d’assurance
vieillesse (CNAV), agence centrale des organismes de Sécurité sociale (ACOSS)1 et caisse
nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA)2 ;
Les caisses locales (du régime général) : caisses d’allocations familiales (CAF), caisses
primaires d’assurance-maladie (CPAM), caisses d’assurance retraite et de la santé au
travail (CARSAT), unions de recouvrement des cotisations de la Sécurité sociale et
d’allocations familiales (URSSAF).
Chaque caisse nationale et chaque caisse locale sont dotées d’un conseil d’administration
composé de représentants des salariés et des employeurs et, le cas échéant, de personnalités
qualifiées. C’est le consensus entre les partenaires sociaux qui est nécessaire à la bonne
mise en œuvre des politiques de Sécurité sociale.
Les caisses locales, si elles s’attachent à mettre en œuvre les décisions de leur conseil
d’administration, n’en font pas moins partie d’un réseau organisé par leur caisse nationale.
Cette synthèse permet une mise en œuvre, sur le terrain, de la législation et la
réglementation relatives à la Sécurité sociale en tenant compte des singularités locales.
Pour prendre la mesure de l’organisation de la Sécurité sociale, il faut faire la distinction
entre ses deux éléments constitutifs :
Le régime qui désigne, pour une population donnée, les règles spécifiques à la couverture
d’un risque ainsi que l’organisation juridique et comptable chargée de gérer ce risque
(régime général mais aussi régime agricole3 et régimes spéciaux).
La « branche » qui correspond à un risque social. On en dénombre cinq : la branche
« maladie » ; la branche « famille » ; la branche « vieillesse » ; la branche « accidents du
travail-maladies professionnelles » ou « ATMP », et désormais la nouvelle branche
« autonomie », encore en construction.
La conjonction de ces deux dimensions permet de définir les modalités de cotisations et la
hauteur des prestations fournies respectivement par et pour une personne dans le but de
couvrir un risque. Autrement dit, chaque branche correspond à un risque social dont la
couverture est assurée selon les modalités prévues par un régime donné. Les charges
vieillesse d’un exploitant agricole ne seront ainsi pas couvertes selon les mêmes modalités
que celles d’un artisan ou d’un salarié affilié au régime général.
Au niveau local, les organismes « de base » sont chargés de payer effectivement les
prestations aux assurés. Les caisses nationales n’exercent pas, juridiquement, de contrôle
hiérarchique sur les organismes locaux qui jouissent d’un budget propre. Cette autonomie
est le fruit de l’héritage mutualiste des assurances sociales. Cependant, elle est
contrebalancée par un contrôle substantiel de l’État qui se justifie en tant que la Sécurité
sociale est un service public et que son fonctionnement est assuré, pour partie, par des
recettes de l’État.
Contrôle de l’État sur les organismes nationaux : la direction de la Sécurité sociale
(ministère en charge des affaires sociales) exerce une tutelle technique sur les organismes
nationaux ; à cette tutelle technique se rajoute une tutelle budgétaire exercée par le
ministère chargé des finances.
Contrôle de l’État sur les organismes locaux : l’État contrôle la légalité de leurs opérations.
Contrôle de l’État sur les niveaux de cotisations : le gouvernement fixe les niveaux de
cotisations et de prestations par voie réglementaire.
1 Une adéquation perfectible entre le mode
de financement, le contexte socio-économique
et les objectifs
La Sécurité sociale est un instrument de redistribution au nom de la
solidarité nationale (art. L. 111-1 du code de la Sécurité sociale, CSS). Le
financement de la Sécurité sociale doit concilier soutenabilité financière et
économique. En effet, il n’est possible de redistribuer que dans la limite des
ressources disponibles, ce qui implique de couvrir, d’une part, les dépenses
par des recettes d’un montant approprié et, d’autre part, de mettre en place
une politique de prélèvements en cohérence avec le niveau de croissance et
d’emploi. En outre, cette double condition de soutenabilité doit intégrer des
logiques d’équité, de cohérence et de lisibilité du prélèvement en rapport
avec son affectation.
La masse salariale du secteur privé, laquelle est le principal financeur des
régimes de Sécurité sociale, se contracterait de 8,9 % en 2020 selon LFSS
pour 2021 du fait de la Covid-19. Serait attendue pour 2021 une croissance
de plus de 4 % et pour 2022 de 7 %.
1.1 L’ universalisation des risques couverts ne permet
plus de lier exclusivement protection sociale et travail
a La protection sociale demeure majoritairement financée
par les cotisations sociales
La part individuelle et non obligatoire du financement de la protection
sociale demeure minoritaire en France. Elle regroupe notamment les
mutuelles, les assurances ou la prévoyance. La maîtrise des dépenses
sociales passerait par le développement des organismes complémentaires.
Aussi, le développement des mutuelles est soutenu par plus de 3 Md€ de
dépenses fiscales. La mise en place des « contrats responsables »
depuis 2004 est un exemple de la volonté de responsabiliser/associer les
organismes complémentaires à la maîtrise des dépenses (non-
remboursement du ticket modérateur d’ordre public en contrepartie
d’avantages fiscaux, non-remboursement des dépassements d’honoraires
excessifs).
Toutefois, l’intérêt d’un système mixte d’assurance-maladie notamment n’a
pas été démontré. Pour Brigitte Dormont, Pierre-Yves Geoffard et Jean
Tirole, l’organisation reposant sur « deux types d’opérateurs, (lesquels)
concourent à la couverture des mêmes soins : la Sécurité sociale et les
organismes complémentaires (…), entraîne(nt) des coûts de gestion élevés
et favorise la hausse des prix des soins (et) encourage la sélection des
risques, ce qui produit des inégalités dans l’accès à l’assurance et aux
soins »4 . En outre, la couverture par un organisme complémentaire peut
être rendue obligatoire pour les salariés dans le cadre de contrats collectifs
d’entreprise, comme c’est le cas pour le risque santé depuis 2016, ce qui
renforce la confusion entre Sécurité sociale et protection complémentaire.
Au moment de la retraite, l’ancien salarié ne bénéficiera plus de sa
protection complémentaire. S’il en souhaite une personnelle, elle lui coûtera
très cher (le coût de l’assurance maladie complémentaire croît avec l’âge).
Le financement public de la protection sociale, hors Sécurité sociale, est
croissant et correspond aux interventions directes des administrations
publiques au bénéfice notamment de l’insertion, de la dépendance et du
logement. Le budget général de l’État consacre ainsi près de 80 Md€ à la
protection sociale, notamment au titre de la solidarité, de l’insertion et de
l’égalité des chances, des aides au logement, de la politique de l’emploi, de
l’accès aux soins et des prises en charges d’autres prestations. L’État
transférait également des financements à la Sécurité sociale lorsqu’il mettait
en œuvre des réductions de cotisations sociales (par exemple sur les bas
salaires) qui réduisaient les ressources de la Sécurité sociale, laquelle devait
pourtant assumer les mêmes dépenses qu’avant. Il n’a cependant plus jugé
utile de le faire depuis 2019, année de réduction générale des cotisations
sociales patronales. Ainsi, 2,4 Md€ annuels de mesures (allègements de
cotisations sur les heures supplémentaires, suppressions ou exonérations de
forfait social…) hors crise ne sont pas compensés, minorant d’autant
l’impact des efforts de gestion réalisés par les organismes de Sécurité
sociale et ceux supportés par l’ensemble des assurés sociaux (risque
maladie, risque retraite principalement).
Les différents régimes de la Sécurité sociale répondent encore, pour 70 %, à
une logique assurantielle dans le cadre des revenus de remplacement, tels
ceux versés au titre de la maladie, de la maternité, des accidents du travail
et maladies professionnelles ; et de revenus différés comme la retraite. Cette
part assurantielle diminue néanmoins, compte tenu du remplacement de
cotisations sociales par des recettes fiscales, dont la TVA. À cet égard, une
meilleure distinction entre les prestations qui relèvent d’une logique
assurantielle, qui devraient être financées par des cotisations, et celles qui
relèvent d’une logique de solidarité, à financer par l’impôt, est souhaitable
(cf. infra 2).
b Une progressive déconnexion des droits de l’activité
professionnelle
La nécessaire solidarité et l’apparition du chômage de masse ont dépassé la
stricte logique d’ayants droit. Dès 1978, les prestations familiales
deviennent universelles. La couverture maladie universelle (CMU), mise en
place en 2000, assure, à tous, le remboursement de base de la branche
maladie. La complémentaire santé solidaire (CSS), qui a remplacé la CMU-
C et l’ACS au 1er novembre 2019, permet de couvrir, pour les plus
modestes, des dépenses peu prises en charge par les régimes de base
(optique) ou certains dépassements d’honoraires. Enfin, la logique
assurantielle, liée au travail, laissait également passer certaines personnes
âgées à travers les mailles du filet. Le fonds de solidarité vieillesse (FSV)
permet de pallier cela en versant les allocations du minimum vieillesse. De
la même façon, l’aide médicale de l’État (AME) permet l’accès aux soins
de personnes présentes, en situation irrégulière, sur le territoire français
(sous conditions de ressources et de résidence).
Au-delà des prestations familiales, des dispositifs fiscaux concourent
également à la couverture des dépenses engagées par les familles aux fins
d’exercer une activité professionnelle, tels les crédits d’impôts relatifs à la
garde d’enfant ou à l’emploi à domicile. Le coût de ces deux dispositifs
s’est élevé à 6,1 Md€ en 2021. En outre, l’impôt sur le revenu tient compte
de la composition du foyer (quotient familial), ce qui organise une
redistribution horizontale (cf. chapitre 23).
1.2 Les actuelles sources de financement présentent
des limites
a La logique de solidarité nationale a appelé une diversification
des financements associés
Afin de ne pas alourdir trop les cotisations sociales reposant sur le seul
travail, le législateur a décidé de créer ou d’affecter tout ou partie d’impôts
et taxes au financement de la Sécurité sociale (cf. tableau 1). L’étatisation
du financement de la Sécurité sociale répond également à l’universalisation
de certaines prestations. On note un basculement progressif, lié au
développement de l’universalité, d’une logique bismarckienne (cotisations
sociales sur le travail) à une logique beveridgienne (par l’impôt). En effet,
les prestations profitant à tous, il n’est pas logique d’asseoir leur
financement sur les seuls salaires. De nouvelles contributions sur
l’ensemble des revenus – travail, revenus de remplacement et capital –
alimentent la Sécurité sociale. Il s’agit notamment de la CSG, de la
contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) et de la
contribution de solidarité autonomie (en faveur des personnes âgées). Plus
de 50 impôts sont affectés à la protection sociale : c’est aussi le cas des
taxes sur les alcools et le tabac.
Tableau 1 : Recettes, par catégories et par branche, du régime général (en Md€)
Accidents du
Régime
Maladie Vieillesse Famille travail/maladies Autonomie
général
professionnelles
Cotisations 72,8 87,5 30,4 12,4 0,0 201,4
effectives
Cotisations 2,5 2,4 0,8 0,1 0,0 5,8
prises
en charge
par l’État
Cotisations
fictives 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0
d’employeur
Contribution
sociale 47,4 0,0 12,3 0,0 28,1 87,5
généralisée
Impôts, taxes
et autres 63,5 16,4 5,3 0,0 2,8 88,0
contributions
sociales
Charges liées
au non – 0,9 – 0,7 – 0,1 0,1 – 0,1 – 2,0
recouvrement
Transferts 1,8 29,1 0,2 0,0 0,4 19,7
Produits 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0
financiers
Autres 6,7 0,3 0,8 0,5 0,0 8,2
produits
Recettes 193,9 135,0 49,6 12,8 31,2 408,6
Source : loi no 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la Sécurité sociale
pour 2021.
b Une dynamique d’équilibre contrariée par une crise
conjoncturelle historique
Tant pour garantir la pérennité de la couverture des risques que pour assurer
la confiance des jeunes générations, l’équilibre des comptes de la sécurité
sociale est souhaitable. Il semblait à portée de main dans la mesure où le
déficit de la sécurité sociale (régime général) et du FSV était de 1,9 Md€ en
2019 et de 1,2 Md€ en 2018. Auparavant, le déficit atteignait plusieurs
milliards d’euros chaque année (plus de 27 Md€ en 2010).
L’épidémie sans précédent subie par la France dès les premiers mois de
2020, l’état d’urgence sanitaire ont inversé la tendance. Pour soulager le
système de soins saturé, protéger la population (par exemple prise en charge
intégrale des tests diagnostiques), accompagner les familles (par exemple
prise en charge des arrêts de travail pour garde d’enfants) et soutenir les
entreprises, des dépenses supplémentaires et des baisses de prélèvements
sociaux ont été engagés. L’indemnité d’activité partielle exonérée de
cotisations sociales et soumise à un taux de CSG minoré (6,2 % contre
9,2 % sur les revenus d’activité) a contribué à des pertes de recettes sans
précédent. Enfin, des entreprises des secteurs particulièrement impactés par
la crise (hôtellerie, restauration, culture, événementiel, sport) ont bénéficié
d’exonérations de cotisations et contributions sociales.
Si le PLFSS pour 2021 prévoyait un déficit 2020 de 49 Md€, le ministre
délégué chargé des comptes publics a annoncé, dès mars 2021, un déficit
approchant en définitive les 39 Md€. S’il s’agit ici d’un déficit certes
important (quoi que relativement contenu au regard de la violence de
l’épidémie), il convient de souligner son caractère conjoncturel et non
structurel. Le paradigme a donc bien évolué et ne remet pas en cause la
confiance accordée en la Sécurité sociale.
Au contraire, dans une période de défiance à l’égard des institutions
publiques, le baromètre 2021 « Les Français et la Sécurité sociale » de
l’UCANSS5 révèle que 88 % des Français interrogés se disent fortement
attachés à cette institution, 82 % y voient un acteur majeur dans la lutte
contre la Covid 19. Par rapport au baromètre 2019, la sécurité sociale est
davantage plébiscitée encore pour son engagement quotidien. 76 % des
Français sondés se félicitent de son accessibilité (+ 8 points), 75 % de sa
proximité (+ 14 points) et 74 % de son adaptabilité aux évolutions de la
société (+ 18 points).
Pour autant, la Sécurité sociale a un coût croissant sans que les recettes ne
suivent. Ainsi, les mesures décidées dans le cadre du Ségur de la santé en
réaction à la crise de la Covid-19 (notamment des revalorisations salariales
des soignants) ont un coût pérenne de l’ordre de 9,5 Md€, essentiellement
observable à compter de l’exercice 2021. Compte tenu également d’une
moindre dynamique des recettes, reflet d’une plus faible activité et d’un
plus grand chômage, le déficit sur le champ du régime général et du FSV
serait encore de 20,2 Md€ en 2024 (21,6 Md€ sur l’ensemble des régimes
de base). Le HCFiPS ne voit donc pas de retour à l’équilibre au cours de la
décennie 2020 et s’attend par conséquent à ce que la dette sociale ne soit
pas résorbée en 2033, voire augmente d’ici là.
Tableau 2 : Recettes, dépenses et solde du régime général
2018 2019 2020 (p) 2021 (p) 2022 (p) 2023 (p) 2024 (p)
Recettes 394,6 402,4 382,0 408,6 425,7 438,2 452,4
Dépenses 394,1 402,8 428,1 442,0 449,0 460,0 471,8
Solde 0,5 – 0,4 – 46,1 – 33,3 – 23,3 – 21,8 – 19,4
Source : loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021.
c La dette sociale générée par les déficits est portée
par un établissement public de l’État
Les déficits sont à l’origine d’une dette sociale. Certes, formellement,
l’agence centrale des organismes de Sécurité sociale (ACOSS), qui tient les
comptes du régime général de Sécurité sociale et assure la gestion
commune et centralisée de sa trésorerie, ne peut s’endetter. Cependant,
l’ACOSS peut emprunter à court terme, c’est-à-dire à moins d’un an, pour
couvrir le besoin de trésorerie des organismes de Sécurité sociale. Or la
trésorerie de l’ACOSS est structurellement déficitaire. Le déficit de
l’ACOSS a atteint 89,7 Md€ au 22 juin 2020 : ce fut le point bas de l’année,
le déficit maximum autorisé pour 2020 et 2021 étant de 95 Md€. Ce plafond
n’était « que » de 39 Md€ en LFSS 2020 mais deux décrets successifs l’ont
augmenté en cours d’année en réaction à la crise de la Covid-19 et ont été
ratifiés par l’article 6 de la LFSS 2021.
C’est la caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) qui, depuis sa
création en 19966, gère et « amortit » (i.e. rembourse) la dette de la Sécurité
sociale. Auparavant, l’État comblait régulièrement le besoin de financement
de l’ACOSS, ce qui revenait à mettre en échec le principe selon lequel le
budget des organismes de Sécurité sociale avait vocation à être équilibré à
long terme et, de surcroît, ne permettait pas d’identifier de manière
transparente la part de la dette de l’État due à l’accumulation des déficits
sociaux. Par ailleurs, le recours à des emprunts à court terme n’offrait pas
une sécurité suffisante au financement de l’ACOSS, de sorte qu’un
dispositif pérenne, prenant acte de l’endettement structurel de la Sécurité
sociale, était devenu nécessaire.
La mission de la CADES est de prendre en charge les déficits de l’ACOSS,
dans les limites définies par la loi organique et dans les conditions prévues
par les LFSS, et de les rembourser. Pour ce faire, la CADES est affectataire
de ressources (de la CRDS notamment, mais aussi de points de CSG et d’un
versement du fonds de réserve des retraites, FRR) et peut emprunter à
moyen et à long termes sur les marchés financiers afin de refinancer sa dette
à court terme (cf. graphique 1). Ainsi, en 2020, elle a levé 23 Md€ sur les
marchés financiers en euros, dollars et renminbis. En tant qu’établissement
public administratif, la CADES est un démembrement de l’État, qui est
l’ultime responsable de sa solvabilité (garantie implicite). Elle bénéficie
ainsi de conditions d’emprunt favorables, proches de celles de l’État
français (cf. chapitre 30).
Source : CADES (www.cades.fr).
Graphique 1 – Mécanisme de reprise de dette par la CADES
Originellement conçue comme provisoire, la CADES a vu sa durée de vie
plusieurs fois prolongée. En effet, elle s’est vue régulièrement transférer de
la dette sociale à amortir depuis 1996 et a ainsi repris 280,5 Md€ de dette au
31 décembre 2020. À cette date, elle a amorti près de 67 % de la dette
(187,3 Md€) et payé 58 Md€ d’intérêts. À cette date, le solde de dette
restant à rembourser s’élève ainsi à 93,2 Md€ (soit 35 % de la dette des
ASSO et 3,5 % de la dette publique totale). Doivent s’y ajouter 116 Md€ de
dette à transférer dont 40 Md€ en 2021.
En effet, la loi organique et la loi ordinaire relatives à la dette sociale et à
l’autonomie du 7 août 2020 ont organisé le transfert à la CADES de dettes
d’un total de 136 Md€, décomposé comme suit : 31 Md€ de déficits portés
par l’ACOSS antérieurs à 2020, 92 Md€ de déficits prévisionnels de la
Sécurité sociale de 2020 à 2023 (dette « covid ») et 13 Md€ représentant la
reprise du tiers de la dette des établissements hospitaliers. Ce transfert a
commencé en 2020 et s’étalera sur plusieurs années. Il portera la dette
reprise par la CADES à un total de près de 400 Md€, sous réserve
naturellement de l’autorisation de nouveaux transferts par le législateur
organique.
Pour 2020, les ressources de la CADES sont de 18,4 Md€ : 8,9 Md€ de
CSG, 7,4 Md€ de CRDS et 2,1 Md€ du FRR. Après paiement des intérêts
d’emprunt à hauteur de 1,6 Md€ et autres frais, ce sont ainsi 16,8 Md€ qui
ont été amortis en 20207.
L’extinction de la CADES est prévue lorsque la dette sociale aura été
totalement amortie, fin 2033. Cette borne a été fixée par la loi organique du
7 août 20208 (elle était précédemment fixée à fin 2024), sur la base de
prévisions qui peuvent être regardées comme optimistes9. Conformément
aux dispositions organiques applicables, tout transfert de dette
supplémentaire à ceux déjà votés exigerait l’affectation de ressources
supplémentaires, tirées notamment de la CRDS ou de la CSG, afin de ne
pas repousser cette date du 31 décembre 2033. En 2020, compte tenu de la
nécessité de ne pas dégrader l’équilibre des comptes sociaux courants et de
la volonté de ne pas augmenter les impôts, le législateur a préféré prendre
une loi organique pour étendre la période d’amortissement de la dette
sociale et réduire les recettes de la CADES à hauteur d’environ 3 Md€ à
moyen terme : en 2024, une partie de la fraction de CSG perçue par la
CADES sera réaffectée à la CNSA (ladite fraction sera ramenée de 0,6
point de CSG à 0,45 point) et, en 2025, faute de réserves suffisantes, le
versement annuel du FRR passera de 2,1 à 1,45 Md€.
Une fois la CADES supprimée, il est prévu que l’ACOSS rétablisse sa
situation financière de manière durable en bénéficiant des excédents
structurels de la Sécurité sociale, de sorte qu’il n’y aurait plus de dette
sociale. Dès lors, se posera la question du devenir des ressources
actuellement affectées à la CADES et notamment de la CRDS.
ENCADRÉ 2
ENCADRÉ 2
Le fonds de réserve pour les retraites (FRR)
En 2001 a été créé l’établissement public administratif « fonds de réserve pour les
retraites », lequel avait pour mission d’accumuler 150 Md€ jusqu’en 2020 afin de faire
face au choc démographique et de pouvoir payer les pensions. En 2011 a été stoppée
l’alimentation de 2 Md€ par an au motif que la réforme des retraites garantissait
l’intégralité du paiement des pensions à venir. Le FRR a poursuivi sa mission de gestion de
ses actifs (40 Md€ initialement). Chaque année jusqu’en 2024, il doit verser 2,1 Md€ à la
CADES en sus de versements ponctuels, et puis 1,45 Md€ à partir de 2025. L’actif net du
FRR fin 2019 est de 33,7 Md€.
Élargir la logique du FRR reviendrait à introduire une part de fonds de pension dans le
financement des retraites.
2 Vers une maîtrise de la dépense ?
2.1 Pour une distinction claire entre les prestations
assurantielles et de solidarité
Le système de protection sociale pourrait se fixer de nouveaux objectifs.
Une ventilation claire entre les prestations relevant d’une logique
assurantielle et celles relevant d’une logique solidaire serait possible10. Les
prestations prodiguées sans contribution sont croissantes. Or les prestations
relevant d’une logique assurantielle (telles les pensions de retraite)
pourraient n’être ouvertes qu’aux seuls cotisants. A contrario, les
prestations relevant d’une logique solidaire, et donc financées par des
impôts (comme la PUMA (protection universelle maladie)11 ou l’ASPA –
allocation de solidarité aux personnes âgées), devraient bénéficier d’un
financement strictement distinct des cotisations sociales. La fiscalisation
croissante des ressources affectées à des dépenses de solidarité (comme la
CSG) montre, si besoin était, le souci croissant de maintien de l’équilibre
entre prestations et ressources.
2.2 Les gisements d’économies seraient
dans la branche maladie
La branche maladie est celle à laquelle les efforts les plus importants sont
demandés. En effet, les dépenses d’assurance maladie augmentent
mécaniquement avec le vieillissement de la population et le progrès
technique. Pour limiter cette progression, l’objectif national de dépenses
d’assurance-maladie (ONDAM) encadre l’offre de soin. Chaque année sont
fixés un objectif de dépenses et un taux d’accroissement des dépenses de
santé ; ils fixent les orientations de la politique de santé et notamment la
régulation de la consommation de soins. L’ONDAM était en moyenne de
2,3 %. Le niveau de 205,6 Md€ prévu dans le PLFSS pour 2020 atteint
219,5 Md€, soit une progression de + 9,5 % du fait de la Covid-19.
Le pilotage financier au moyen de normes de dépenses n’allait pas de soi
car la Sécurité sociale se fonde sur des droits objectifs que les personnes
utilisent en fonction de leurs nécessités (logique de guichet et non
d’enveloppe). Traditionnellement, les dépenses se constataient et les
pouvoirs publics ne fixaient que le niveau des droits. Différents instruments
de régulation ont été mis en place, comme le médecin référent, le parcours
de soins et, facultativement, le dossier médical personnalisé, ainsi que des
dispositifs de participation et de responsabilisation des assurés au paiement
de leurs soins comme les franchises et les déremboursements. Intégrés aux
plans successifs de redressement de l’assurance maladie, ces différents
leviers de régulation sont aujourd’hui contestés au regard du phénomène de
renoncement aux soins. Pour les hôpitaux, les instruments de régulation
sont notamment la T2A (tarification à l’activité) à la place de la DGF
(dotation globale de financement), ainsi que l’hospitalisation ambulatoire.
Selon l’organisation mondiale de la santé (OMS), la rémunération des
médecins à l’acte entraîne un surcoût automatique de 11 à 12 %, et
n’inciterait ni au contrôle des acte ni à la prévention. Aussi, à l’instar
d’autres pays européens, la France a commencé à diversifier la
rémunération des médecins. A été introduite la rémunération basée sur les
objectifs de santé publique (ROSP), laquelle lie une part de la rémunération
à l’atteinte d’objectifs liés à la (bonne) gestion de la patientèle (par
exemple : inciter les patients à aller se faire dépister pour certains cancers).
Ces évolutions se concrétisent par des bonus pour les professionnels de
santé (la ROSP augmente la rémunération des médecins et peut atteindre
plusieurs milliers d’euros par an) et ne s’inscrivent pas dans un système,
moins onéreux, d’incitations à la vertu ou de sanction (certains médecins
n’ont toujours pas de lecteur de carte Vitale !). La ROSP permet de ne pas
augmenter le prix de la consultation et de cibler les nouvelles ressources
accordées aux médecins par la Sécurité sociale aux plus vertueux. De
surcroît, la consultation chez un généraliste (secteur I) a été revalorisée de
23 à 25 € au 1er janvier 2017.
Le parangonnage donne des pistes supplémentaires. La rémunération
pourrait être liée aux conditions de travail en tenant compte des coûts
d’installation, des caractéristiques de la population, de la taille de la
patientèle. Des mécanismes d’alerte pourraient encadrer la prescription de
médicaments et d’arrêts de travail. En effet, en France, 90 % des
consultations débouchent sur des prescriptions contre un peu plus de 40 %
aux Pays-Bas.
2.3 Le Haut Conseil du financement de la protection
sociale
En mars 2012 a été créé le Haut Conseil du financement de la protection
sociale (HCFiPS) sur le modèle du comité d’orientation des retraites
(COR), du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie (HCAAM) ou
encore du Haut Conseil de la famille. Le rôle des partenaires sociaux, à
l’origine de la création et théoriquement de l’administration de la Sécurité
sociale, est mis à l’écart au profit de l’État qui se voit confier la
responsabilité de l’équilibre des comptes sociaux.
Dans ses derniers travaux, comme suite à la crise de la covid-19, le HCFiPS
appelle un retour à l’équilibre des comptes sociaux courants afin d’échapper
à une augmentation indéfinie de la dette. Pour mémoire, en 2019, les bons
résultats annonçaient un retour à l’équilibre des comptes sociaux pour 2023.
Le retour à l’équilibre post-Covid n’a pas vocation à s’appuyer sur une
seule baisse des dépenses, mais sur des changements structurels et une
approche davantage anticipatrice et préventive des risques sanitaires et
sociaux. Précédemment, le HCFiPS avait proposé des diminutions (voire
suppressions) de cotisations sociales compensées par des hausses de CSG
(et de TVA). Enfin, il mettait en garde contre la non-compensation de
dispositifs d’exonération de cotisations, facteur d’incertitude sur les recettes
à venir.
*
En définitive, et au-delà du plongeon brutal en 2020-2021 du système de
protection sociale français dans des déficits importants, le financement de la
Sécurité sociale doit assurer la soutenabilité du système (dynamique des
recettes et des prestations à verser), la conciliation avec la croissance et
l’emploi (les allégements de cotisations sociales notamment sur les bas
salaires doivent être compensés) et la cohérence du financement et des
compensations des baisses de cotisations.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• Quel budget pour la Sécurité sociale ?
• Le financement de la Sécurité sociale est-il adapté ?
• Peut-on et faut-il maîtriser les dépenses sociales ?
• Augmenter et diversifier les ressources ou réduire les prestations ?
• L’endettement social
RÉFÉRENCES
« Gouvernance et financement de la protection sociale », 20e édition des entretiens du Conseil
d’État en droit social, 12 février 2021.
Jean Tirole et alii, Refonder l’assurance-maladie, Note CAE no 12, avril 2014.
Virginie Donier, « l’avenir de la décentralisation de l’action sociale », Revue française
d’administration publique, 2015/4, l’ENA.
CHAPITRE 18
Les lois de financement
de la Sécurité sociale
NOTIONS À MAÎTRISER
• LFSS, LOLFSS
• Cavalier social
• ONDAM
• REPSS
• MECSS
• Conventions d’objectifs et de gestion ; contrats pluriannuels de gestion
L’implication de l’État dans le pilotage de la Sécurité sociale s’est renforcée
avec la révision constitutionnelle du 22 février 1996, qui a modifié l’article
34 de la Constitution et introduit un nouvel article 47-1. L’article 34, précisé
sur le plan de la procédure législative par l’article 47-1, prévoit le vote
annuel d’une loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS). Les LFSS
sont l’équivalent des lois de finances, dans le domaine de la Sécurité
sociale : elles « déterminent les conditions générales de son équilibre
financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs
de dépenses ».
L’institution de ces lois spéciales traduisait en 1996 un accroissement des
compétences du Parlement en matière de finances sociales et, plus
largement, une plus grande intervention de l’État – revenant en cela
partiellement sur l’autonomie des partenaires sociaux dans la gestion des
régimes de Sécurité sociale. Jusqu’alors, la gouvernance financière de la
Sécurité sociale relevait en effet conjointement de l’État et, conformément
au principe originel de leur financement, des cotisants (salariés et
employeurs) ou, plus exactement, de leurs organismes représentatifs.
Cependant, la hausse continue des dépenses sociales, l’universalisation de
la protection sociale et la place croissante accordée aux ressources fiscales
pour assurer leur financement justifiaient une intervention accrue du
Parlement. En particulier, les LFSS visent, par un meilleur pilotage, une
maîtrise des dépenses sociales de santé. De manière plus générale, le vote
de cette loi permet, chaque année, au Parlement de se prononcer sur les
grandes orientations des politiques de santé et de Sécurité sociale, ainsi que
sur leurs modes de financement.
1 De l’inscription des finances sociales dans
un cadre législatif
Les LFSS ont été considérées comme un élément du contrôle parlementaire
en matière de finances publiques, lequel faisait défaut s’agissant des
finances sociales
1.1 Renforcer le contrôle du Parlement en matière
de finances sociales
a Reprendre en main les finances sociales pour se qualifier
pour l’euro
En matière financière, le Parlement était tenu à l’écart des affaires de la
Sécurité sociale avant la création des LFSS. Son intervention normative se
limitait à une enclave des finances sociales dans le périmètre du budget de
l’État : le budget annexe des prestations sociales agricoles. Par ailleurs, un
rapport sur les régimes obligatoires de base lui était communiqué à titre
informatif depuis 1994.
La volonté de reprise en main par l’État des finances sociales résulte aussi
du contexte politique et économique de l’époque. Suite à l’entrée en
vigueur du traité de Maastricht en 1993, la France devait fournir les efforts
nécessaires pour respecter les critères de convergence nécessaires à sa
qualification pour l’union économique et monétaire. Le plan de réforme de
la protection sociale du Premier ministre Alain Juppé est d’ailleurs
contemporain de la révision constitutionnelle de 1996.
La création des LFSS n’a cependant pas été acceptée sans débat et sans
opposition. Certaines organisations syndicales ont vivement contesté cette
innovation normative, considérant qu’en mettant fin à la gestion exclusive
par les partenaires sociaux, la réforme conduisait à une « étatisation »1.
b Une réforme constitutionnelle précisée par des lois
organiques
La révision constitutionnelle a été complétée par la loi organique du 22
juillet 1996, codifiée au sein du code de la Sécurité sociale (CSS), qui est
notamment venu préciser le champ du nouveau pouvoir normatif du
Parlement. Les LFSS portent sur les seuls régimes obligatoires de base2. À
l’inverse, les régimes complémentaires obligatoires de retraite et le régime
d’assurance chômage n’entrent pas dans le périmètre des LFSS.
Dans le sillage de la LOLF, les dispositions organiques relatives aux LFSS
ont été substantiellement révisées en 2005. La loi no 2005-881 du 2 août
2005 relative aux lois de financement de la Sécurité sociale (dite LOLFSS)
a approfondi le pilotage des finances sociales par l’État. Elle a redéfini le
contenu et la présentation des LFSS et renforcé le pilotage de l’ensemble de
la politique publique de Sécurité sociale. Les LFSS ont, en effet, été
conçues comme un cadre permettant d’améliorer la performance de la
Sécurité sociale, sur le plan de la qualité de service pour les usagers et de
l’efficience pour le cotisant et le contribuable.
1.2 Un dispositif : la LFSS, inspirée de la loi de finances
Plusieurs éléments rapprochent les LFSS des lois de finances.
a Les LFSS sont gouvernées par des principes proches
de ceux applicables aux lois de finances
Les lois de financement ne sont pas des lois ordinaires. Elles ont un
domaine limité à leur objet et ne peuvent donc contenir que des dispositions
susceptibles « d’affecter directement l’équilibre financier des régimes
obligatoires de base ou améliorer le contrôle du Parlement sur l’application
des LFSS ». Toute disposition extérieure à ce domaine est un « cavalier
social », susceptible d’être censuré comme tel par le Conseil
constitutionnel, au même titre que les cavaliers budgétaires des lois de
finances.
Les LFSS ont également un domaine exclusif. Doit figurer en LFSS, du fait
de son incidence sur les finances sociales, l’affectation totale ou partielle
d’une recette de la Sécurité sociale (cotisations sociales et impôts affectés à
la Sécurité sociale) à une personne morale autre que les organismes gérant
un régime obligatoire de base de Sécurité sociale (ROBSS) ou concourant à
leur financement. Il en va de même des mesures de réduction, d’exonération
ou d’abattement d’assiette de cotisations ou de contributions sociales, à
moins d’être compensées financièrement par le budget de l’État.
Pour 2021, le total des exonérations ou abattements d’assiette et réductions
de taux s’appliquant aux cotisations et contributions de sécurité sociale
affectées aux régimes obligatoires de base ou aux organismes concourant à
leur financement (niches sociales) devrait atteindre 66,6 Md€3, hors
mesures exceptionnelles d’exonération et d’aide au paiement mises en place
dans le cadre de la crise sanitaire en soutien aux entreprises.
Du fait de la diversité des finances sociales, le principe budgétaire
d’universalité n’a certes pas le même sens pour les LFSS que pour le budget
de l’État. Néanmoins, la LOLFSS tend à embrasser l’ensemble des finances
sociales. L’ensemble des dépenses et recettes des régimes obligatoires
figurent dans les LFSS. Le Parlement est également amené à se prononcer
sur les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses des organismes qui
participent au financement de la Sécurité sociale. Enfin, le champ des LFSS
couvre les dispositions ayant trait à l’amortissement de la dette des régimes
de Sécurité sociale.
b La préparation et l’examen du projet de LFSS (PLFSS) sont
calqués sur ceux des PLF
Tout comme les lois de finances, les LFSS sont d’initiative
gouvernementale. Les PLFSS sont établis conjointement par les ministres
chargés de la Sécurité sociale et des comptes publics, sous l’autorité du
Premier ministre. Au plan administratif, c’est la direction de la Sécurité
sociale (ministère de la santé) qui coordonne ces projets de lois, en liaison
avec la direction du budget (ministère des finances). Toutefois, leur
préparation est moins longue et conflictuelle que celle des PLF car les
négociations concernent essentiellement les deux ministres précités, sans
qu’il ne soit besoin d’organiser, avec chaque ministère, l’équivalent des
conférences budgétaires.
Les PLFSS élaborés par le gouvernement sont soumis à l’avis du Conseil
d’État, dont la section sociale est chargée de l’instruction. Après adoption
par le Conseil des ministres, les PLFSS sont soumis en premier lieu à
l’Assemblée nationale, devant laquelle ils sont déposés avant le 15 octobre.
Le dépôt est donc postérieur à celui du PLF de sorte, qu’en pratique, le
débat sur le PLFSS a lieu après la première lecture du PLF.
Le calendrier de lecture et d’adoption est encadré par l’article 47-1 de la
Constitution, qui prévoit un délai maximum de 50 jours, dont 20 jours à
l’Assemblée et 15 jours au Sénat en première lecture. Pour la navette
parlementaire, la procédure d’urgence est de droit. À défaut de délibération
dans ces délais, qui sont plus resserrés que ceux applicables aux PLF, les
dispositions du PLFSS peuvent être mises en œuvre par ordonnance.
L’irrecevabilité financière des amendements parlementaires prévue par
l’article 40 de la Constitution est naturellement applicable aux LFSS. Les
amendements diminuant les ressources ou créant une charge publique ne
sont donc pas recevables. Toutefois, la notion de charge publique a été
interprétée de manière souple puisqu’elle s’entend des objectifs de dépenses
et non des sous-objectifs, s’agissant notamment de l’ONDAM (objectif
national des dépenses d’assurance maladie, cf. tableau 1).
c Les LFSS sont composées de quatre parties
et accompagnées d’annexes
Formellement, les LFSS sont présentées en quatre parties, contre deux
parties pour les lois de finances. Aucune partie ne peut être votée avant que
la précédente ne l’ait été. Les LFSS comportent des tableaux d’équilibre
permettant de rapprocher les prévisions de recettes des différentes branches
de Sécurité sociale des objectifs de dépenses qui leur sont fixés.
La première partie comporte les dispositions relatives au dernier exercice
clos, afférent à l’année N – 2. Elle est l’équivalent de la loi de règlement du
budget de l’État.
La deuxième partie comprend les dispositions rectificatives de l’exercice en
cours (année N – 1), à l’instar des LFR pour l’État. En effet, bien que cela
soit théoriquement possible, le gouvernement recourt rarement à des lois de
financement rectificatives n’ayant que ce seul objet. Il y a eu une telle loi
rectificative en date du 8 août 2014, correspondant notamment à la volonté
du nouveau Premier ministre, Manuel Valls, de mettre immédiatement en
œuvre le pacte de responsabilité et de solidarité (notamment l’allégement de
cotisations sociales salariales sur les bas salaires, qui a toutefois été censuré
par le Conseil constitutionnel).
Ce n’est qu’avec la troisième partie que l’on parvient aux dispositions
touchant à l’exercice à venir (année N). Cette partie, comparable à la
première partie d’une LFI, est relative aux recettes, aux conditions de
l’équilibre financier et aux tableaux d’équilibre (déclinés par branches).
Elle comporte aussi les dispositions d’autorisation d’emprunt de trésorerie.
Les prévisions financières sont en outre pluriannuelles puisqu’elles
s’étendent jusqu’à l’exercice N + 3.
Les objectifs de dépenses et les mesures de dépenses figurent dans la
quatrième partie, qui équivaut à la seconde partie d’une LFI. Les objectifs
sont nationaux et portent sur chaque branche. Plus précisément, l’ONDAM
est décomposé en sous-objectifs (soins de ville, établissements de santé
tarifés à l’activité, autres dépenses relatives aux établissements de santé,
établissements et services pour personnes âgées, établissements et services
pour personnes handicapées et autres modes de prise en charge) permettant
d’affiner le pilotage des dépenses d’assurance maladie (cf. tableau 1).
Tableau 1 : L’ONDAM pour 2021 et ses sous-objectifs
L’ONDAM et ses sous-objectifs Sous-objectifs Évolution par
2021 (en Md€) rapport à 2020
Soins de ville 98,9 5,4 %
Établissements de santé 92,9 3,3 %
Établissements et services médico-sociaux4 26 2,4 %
Dépenses relatives au Fonds d’intervention 7,6 – 31,5 %
régionale (prévention…) et autres prises en charge
ONDAM 225,4 2,3 %
Source : D’après La LFSS 2021 en chiffres, ministère des solidarités et de la santé.
Par ailleurs, les PLFSS sont accompagnés de dix annexes, au premier
desquelles les rapports d’évaluation des politiques de sécurité sociale
(REPSS)5. Ces rapports apprécient les résultats des politiques de sécurité
sociale au regard des objectifs assignés et l’adéquation des mesures
proposées dans le PLFSS de l’année au contexte économique,
démographique, sanitaire et social au moyen d’indicateurs quantitatifs. Ont
été étudiées pour le PLFSS 2021 les branches maladie, famille, retraite, AT-
MP, autonomie ainsi que le financement – soit un REPSS par branche.
Parmi les autres annexes, on compte notamment l’annexe 3, dédiée à la
mise en œuvre de la loi de financement de la Sécurité sociale précédente,
l’annexe 5, qui traite des niches sociales, ou encore l’annexe 8, sur les
comptes sociaux.
Enfin, ces annexes sont distinctes des rapports joints aux PLFSS, qui
renforcent la dimension pluriannuelle de ces derniers et inscrivent les
finances sociales dans le cadre plus large des finances publiques. En amont,
le gouvernement doit transmettre au Parlement, au cours du dernier
trimestre de la session ordinaire, un rapport sur les orientations des finances
publiques avec notamment une description des grandes orientations de la
politique de Sécurité sociale de la France au regard de ses engagements
européens et une évaluation pluriannuelle, pour les quatre années à venir, de
l’évolution des recettes et des objectifs de dépenses (notamment
l’ONDAM) des ASSO.
Un autre rapport décrit les mesures prévues pour l’affectation des excédents
ou la couverture des déficits. Enfin, un rapport introduit par la loi du
17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des
finances publiques, présente l’effort structurel (cf. chapitre 30) des ROBSS
pour l’année N, soit la contribution de la Sécurité sociale à l’effort de
réduction du déficit public.
2 Les limites de la portée des LFSS
La portée juridique propre aux LFSS ne met pas en cause le progrès apporté
en termes de pilotage des finances sociales mais conduit à en constater les
limites. En effet, malgré la ressemblance entre lois de finances et LFSS, ces
dernières n’ont pas la même portée juridique et pratique.
2.1 Le contrôle des finances sociales par le Parlement
demeure limité
a Le Parlement évalue les recettes à défaut de pouvoir
les autoriser
Tout d’abord, la portée juridique des LFSS est moindre car le Parlement n’a
pas le pouvoir de fixer lui-même les taux des cotisations sociales,
principales recettes de la Sécurité sociale. En effet, les principes
fondamentaux des cotisations sociales sont fixés par la loi mais leurs
paramètres (taux, assiette…) sont fixés réglementairement.
En revanche, le Parlement est pleinement compétent pour créer et modifier
lors du vote des LFSS les impositions affectées à la Sécurité sociale, dont la
levée est cependant autorisée en loi de finances. Le principe de monopole
fiscal des LF et LFSS (cf. chapitre 5) invite à faire figurer en LFSS les
dispositions fiscales ayant une incidence sur les finances sociales.
Cependant, de telles dispositions peuvent aussi figurer en lois de finances
(pratique courante) voire, en contravention avec le monopole fiscal, dans
des lois ordinaires – à condition que la plus prochaine LFSS intègre
l’impact sur les finances sociales.
Ensuite, les recettes des OSS sont uniquement évaluées et non pas
autorisées, en cohérence avec la compétence limitée du législateur,
notamment pour les cotisations sociales.
b Le Parlement fixe des objectifs de dépenses, à défaut
de crédits limitatifs
Les dépenses des OSS sont également évaluées, à l’instar des crédits
évaluatifs votés en loi de finances pour certaines dépenses comme les
intérêts de la dette de l’État. Le Parlement vote donc des objectifs de
dépenses et non des plafonds limitatifs. Cette portée limitée résulte de
l’organisation même de la Sécurité sociale et notamment des règles
entourant l’accès à ses prestations, qui sont généralement à guichet ouvert
(un assuré malade a le droit de se faire soigner) ou issus de droits acquis
(retraite). Enfin, si l’ordonnancement est très encadré pour l’État, il peut
être très décentralisé pour certaines dépenses sociales notamment de
maladie. En effet, chaque prescripteur (notamment médecin) est un
ordonnateur.
Certaines dispositions sont en revanche pleinement normatives, telle
l’autorisation de déficit de trésorerie de l’ACOSS, établissement public de
l’État. Dans le cas où cette autorisation se révélerait insuffisante en cours
d’année, elle peut néanmoins être relevée par un décret pris en Conseil des
ministres après avis du Conseil d’État, qui sera ratifié ultérieurement par la
plus prochaine LFSS. Ce dispositif pragmatique garantit le bon
fonctionnement du service public de la Sécurité sociale mais nuance la
portée de l’autorisation parlementaire.
c L’application des LFSS est contrôlée et évaluée
par le Parlement
Au regard de la portée juridique des LFSS et du fonctionnement de la
Sécurité sociale, on parle non pas d’exécution des LFSS mais de leur
application. En l’occurrence, l’application des LFSS et son suivi sont
l’affaire des OSS sous le pilotage du ministère chargé de la Sécurité sociale.
L’application des LFSS s’inscrit dans une démarche de performance, à
travers la conclusion de conventions d’objectifs et de gestion (COG).
Institués en 1996, ces documents contractuels sont conclus entre l’État et
les caisses nationales des principaux régimes de Sécurité sociale6. Ils
formalisent la délégation de gestion du service public de la Sécurité sociale
aux organismes gestionnaires. Ces conventions sont pluriannuelles, signées
pour une durée de quatre ans par les ministres de tutelle et les caisses
concernées. Les caisses nationales déclinent ensuite les COG au niveau
territorial, en concluant des contrats pluriannuels de gestion (CPG) avec les
caisses locales.
Le Parlement est associé à l’application des LFSS. Les commissions des
affaires sociales des deux assemblées sont chargées de ce contrôle et, plus
particulièrement, les missions d’évaluation et de contrôle des LFSS
(MECSS, cf. chapitre 17) qui ont été constituées en leur sein en 2004. Les
MECSS se sont vues reconnaître un pouvoir propre de contrôle sur pièces et
sur place, que les présidents des commissions des affaires sociales peuvent
au besoin faire respecter en saisissant le juge en référé. Outre les demandes
de renseignements adressées à l’administration, les MECSS procèdent
notamment à des auditions et peuvent saisir la Cour des comptes pour
l’assister dans le contrôle de l’application des LFSS, conformément à
l’article 47-2 de la Constitution. Ainsi, en septembre 2020, la Cour a remis
à la commission des affaires sociales du Sénat un rapport sur la lutte contre
les fraudes aux prestations sociales.
2.2 Pour une vision plus intégrée des finances publiques
La portée juridique réduite des LFSS ne remet pas en cause leur utilité mais
appelle une vision plus intégrée des finances publiques.
a La LFSS permet à la représentation nationale de piloter
les finances sociales
La LFSS est utile. Elle permet de disposer, chaque année, de données
agrégées pour l’ensemble des régimes de base. Ces données permettent au
gouvernement, au Parlement et aux partenaires sociaux d’avoir une vision
d’ensemble des enjeux financiers de la Sécurité sociale. Plus encore, ces
informations sont portées à la connaissance de la société civile qui peut
ainsi exercer un contrôle critique.
Ces informations sont d’autant plus intéressantes que leur fiabilité s’est
renforcée grâce à la réforme comptable de la Sécurité sociale. Les comptes
du régime général de la Sécurité sociale sont, en effet, certifiés par la Cour
des comptes depuis l’exercice 20067. La Cour certifie les comptes des
caisses nationales et les comptes combinés des caisses locales. Elle doit
rendre son rapport le 30 juin de l’année N + 1.
Les travaux de certification ont permis d’améliorer sensiblement la qualité
comptable de sorte que, pour l’exercice 2013, pour la première fois, la Cour
a certifié les comptes de la totalité des entités du régime général (les
comptes combinés des caisses locales et ceux des caisses nationales).
Cependant, pour l’exercice 2020, la Cour estime être dans l’impossibilité de
certifier les comptes de la branche recouvrement du régime général. Cela
signifie néanmoins que les comptes des autres branches (celles relatives aux
prestations) sont certifiés malgré 22 réserves (contre 16 en 2019). La Cour
motive son impossibilité d’exprimer une opinion sur la régularité, la
sincérité et l’image fidèle des comptes du recouvrement (ceux de l’ACOSS
et les comptes combinés des URSSAF) notamment en raison du manque de
justification des dépréciations des créances sur les cotisants constituées en
2020, de l’absence d’exhaustivité des montants comptabilisés
d’exonérations et d’aides au paiement en faveur des entreprises affectées
par des mesures de fermeture administrative, des suspensions, réductions ou
reports de dispositifs de contrôle interne réduisant la capacité de maîtrise
des risques de la branche recouvrement.
Pour les branches prestataires, les réserves portent principalement sur les
dispositifs de contrôle interne (par exemple sur la justification des droits
aux prestations d’assurance maladie et le paiement à bon droit des frais de
santé et des indemnités journalières), les données déclarées par les
allocataires notamment récipiendaires de prestations familiales, des erreurs
dans la liquidation des retraites. Ces raisons sont, évidemment, à situer dans
le contexte de crise sanitaire et l’incitation du pouvoir exécutif à alléger les
contrôles afin de ne pas dégrader davantage la situation des ménages et des
entreprises8.
Dans ce même contexte, l’ensemble des comptes du régime agricole ont été
certifiés par le collège des commissaires aux comptes. L’unique réserve
n’est pas imputable à la MSA puisque relative à l’intégration dans la
comptabilité de la caisse centrale de la MSA de flux notifiés par des
organismes tiers dont les comptes font l’objet de réserves et de refus de
certification.
L’exercice de certification se révèle, par la place centrale qu’il donne à
l’examen du contrôle interne, un levier important de la modernisation de la
gestion des branches de prestations et de l’activité de recouvrement. Ainsi,
depuis 2006, se sont structurées des démarches de contrôle interne, mis en
place des indicateurs de mesure de la qualité de la liquidation des
prestations. Les caisses nationales ont renforcé le pilotage de leur réseau,
contribuant à la qualité du service rendu aux assurés sociaux et cotisants et
à la maîtrise des risques financiers liés aux activités. En sus du rapport de
certification de la régularité, de la sincérité et de la fidélité des comptes, la
Cour des comptes produit également un rapport annuel sur l’application des
LFSS et un avis sur la cohérence des tableaux d’équilibre par branche du
dernier exercice clos.
La gouvernance a été profondément réformée par les LFSS. Le rôle des
partenaires sociaux dans la gestion des caisses de Sécurité sociale n’a pas
été remis en cause. Mais l’attribution de nouveaux pouvoirs au Parlement
en matière de finances sociales a permis de mieux articuler les arbitrages
par les finances publiques. Ces arbitrages se fondent au demeurant sur des
outils de pilotage améliorés, notamment en matière de prévision,
contribuant à un processus de décision plus rationnel. L’introduction par la
LOLFSS d’une logique de pluriannualité a renforcé l’intégration des
finances sociales dans la construction de la trajectoire de finances publiques
et, plus particulièrement, de retour à l’équilibre des comptes publics.
Enfin, la démarche « objectifs-résultats » impulsée par les LFSS permet de
mieux maîtriser l’évolution des finances sociales. Les objectifs fixés par la
LFSS sont généralement très proches des réalisations pour les dépenses
d’assurance vieillesse et de prestations familiales. La régulation des
dépenses d’assurance-maladie est demeurée longtemps plus difficile,
l’ONDAM étant systématiquement dépassé de 1998 à 2009. Cependant,
depuis 2010 et à la seule exception de l’année 2020, l’ONDAM est au
contraire sous-exécuté, ce qui permet de le considérer comme un outil
efficace.
Après + 2,2 % en 2018 et + 2,6 % en 2019, l’ONDAM a atteint + 9,2 % en
2020 à cause de la crise sanitaire. La LFSS 2021 l’a fixé à + 2,3 % en 2021,
soit + 6,2 % à champ constant (i.e. en neutralisant les dépenses
exceptionnelles liées à la Covid-19) compte tenu des mesures du Ségur de
la santé, qui comportent principalement des dépenses pérennes, notamment
salariales, ainsi que certaines dépenses plus ponctuelles, en particulier pour
l’investissement dans le numérique. L’ONDAM reviendrait ensuite à
+ 0,9 % en 2022 et + 2,4 % en 2023.
b Une fusion partielle des LF et LFSS pourrait être envisagée
En comparaison avec la situation antérieure, l’existence des LFSS contribue
certes à l’unité des finances publiques. La préparation des PLF et PLFSS est
coordonnée. Au printemps, un débat d’orientation des finances publiques
portant tant sur les orientations du budget de l’État que sur celles des
finances sociales est organisé – sur la base, pour ce qui concerne ces
dernières, d’un rapport du gouvernement sur les orientations des finances
sociales. Les deux textes sont élaborés au terme d’une procédure
interministérielle impliquant un cadrage financier commun et des
hypothèses macro-économiques communes, puis sont examinés lors de la
même session parlementaire d’automne.
Le retour depuis mai 2017 (après deux expériences, en 2007-2012 et en
2014-2016) d’un ministère chargé des comptes publics compétent sur les
comptes de l’État et les comptes sociaux ne peut que raviver le débat d’une
fusion (partielle) des lois de finances et des lois de financement. En ce qui
concerne l’organisation administrative, et afin d’améliorer le pilotage des
finances publiques, une solution volontariste résiderait en une fusion des
administrations responsables de la préparation et de l’exécution des lois de
finances et des LFSS.
Des dispositions propres à la sphère sociale justifient sans aucun doute
l’existence d’une loi autonome. Des mesures relatives aux prestations
sociales, la démarche de performance de la Sécurité sociale et d’autres
aspects qui ne traitent pas directement des finances sociales – tout en étant
susceptibles d’avoir une incidence sur ces dernières – pourraient faire
l’objet de lois non financières, pouvant être annuelles.
En revanche, la fiscalisation croissante des ressources de la Sécurité sociale
et de l’assurance chômage, ainsi que le rôle de l’État dans la gestion de la
trésorerie et de sa dette – l’ACOSS et la CADES étant des établissements
publics administratifs de l’État –, peuvent conduire à se demander si la
gouvernance des finances sociales est encore adaptée à cette réalité : ces
dernières sont largement étatisées.
Aussi, plusieurs solutions peuvent être envisagées pour conférer à l’État une
maîtrise accrue des finances des ASSO – sous-secteur le plus important des
APU. D’une part, il est concevable que les objectifs de dépenses puissent
évoluer vers la fixation de crédits limitatifs – selon un modèle existant par
exemple au Royaume-Uni. D’autre part, les dispositions financières et
fiscales des lois de financement pourraient trouver leur place en lois de
finances, dont le champ pourrait être étendu à cette fin. À cet égard, les
dispositions financières et fiscales touchant aux APUL trouvent déjà
naturellement leur place en loi de finances : bien que cette hypothèse ait été
avancée9, aucune « loi des finances locales » n’a été instituée pour y traiter
des concours financiers de l’État aux collectivités, des ressources fiscales
locales et de leur péréquation. Enfin, si l’on conservait le modèle actuel des
LFSS, leur champ pourrait être étendu a minima à l’assurance chômage et
aux régimes de retraite obligatoires complémentaires, ce qui paraît
juridiquement possible à Constitution constante.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• Quelle place pour les finances sociales au sein des finances publiques ?
• Le Parlement et les finances sociales
• Les dépenses sociales sont-elles contrôlables ?
• Les lois de financement de la Sécurité sociale ont-elles amélioré les finances sociales ?
• L’objectif national des dépenses d’assurance maladie et la crise sanitaire
RÉFÉRENCES
« La Sécurité sociale et les finances publiques » (dossier), Revue française de finances
publiques, 2011, no 115.
La LFSS 2021 en chiffres, 2021 : https://www.securite-sociale.fr/la-secu-en-detail/loi-de-
financement/annee-en-cours
HCFiPS, « Note d’étape sur les finances sociales après la crise Covid-19 », mars 2021.
PARTIE 7
LES FINANCES DE L’UNION
EUROPÉENNE
L’Union européenne (UE) est dotée d’un budget, adopté selon une procédure propre aux
institutions européennes et s’inscrivant dans un cadre pluriannuel. Ce budget est alimenté
par des ressources propres, plusieurs fois réformées. L’originalité du budget de l’UE est
d’être exécuté principalement par les États membres, sous un contrôle multiforme.
CHAPITRE 19
Le budget de l’Union
européenne
NOTIONS À MAÎTRISER
• Les principes et la procédure du budget annuel
• Le cadre financier pluriannuel et la decision ressources propres
• Les rubriques des dépenses de l’Union
• Les sources de financement de l’Union
• Le plan de relance NextGenerationEU
Au-delà des règles générales budgétaires qui demeurent inchangées et d’une
nomenclature de dépenses communautaires qui évolue à la marge, la
période 2021-2027 qui s’ouvre marque une évolution profonde des
financements européens avec le recours inédit à l’emprunt pour couvrir le
plan de relance Next Generation EU adopté en juillet 2020 en complément
du cadre financier pluriannuel qui continue de couvrir les politiques
structurelles de l’Union.
1 Le cadre budgétaire de l’UE
Le cadre budgétaire européen repose sur une série de principes mais
également sur une gouvernance complexe et différenciée selon que l’on
considère les finances communes à l’échelle annuelle ou pluriannuelle.
1.1 La procédure budgétaire annuelle
En marge des huit principes budgétaires que respecte l’Union dans la
préparation, d’adoption et la gestion de son budget annuel, les rapports de
force institutionnels sont encadrés par une procédure complexe qui donne
finalement le dernier mot au Parlement européen.
a Les principes budgétaires de l’Union
Les principes budgétaires de l’UE sont posés par le règlement (UE,
Euratom) no 966/2012 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre
2012, il s’agit de :
• l’unité et la vérité budgétaires : un document unique rassemble
l’ensemble des recettes et dépenses de l’Union européenne. Toutes les
recettes et les dépenses de l’Union doivent être inscrites au budget ;
• l’annualité : le budget est voté pour un an (l’exercice budgétaire
commence le 1er janvier pour s’achever le 31 décembre) et doit prendre
en compte les programmes d’intervention prévus sur plusieurs années ;
• l’universalité : d’une part, il est impossible d’affecter les recettes à des
dépenses précises (règle de non-affectation), d’autre part, les montants
des recettes et des dépenses doivent apparaître dans le détail (règle de
non-contraction) ;
• la spécialité des dépenses : elles sont destinées à un but spécifique et ne
peuvent être utilisées à d’autres fins. Le budget est structuré en
sections, titres, chapitres, articles et postes. Si les crédits sont
précisément répartis, une certaine flexibilité de gestion pour les
institutions est néanmoins prévue ;
• la bonne gestion financière : des objectifs vérifiables sont mis en œuvre
selon des principes d’efficacité, d’économie et d’efficience. Les
institutions doivent ensuite réaliser des évaluations ex ante et ex post
conformément aux orientations définies par la Commission ;
• la transparence : l’établissement et l’exécution du budget ainsi que la
reddition des comptes doivent respecter le principe de transparence.
Cela se traduit notamment par la publication du budget et des budgets
rectificatifs au Journal officiel de l’Union européenne ;
• l’unité de compte : l’euro est l’unité de compte pour l’ensemble des
opérations concernant le budget.
b Les acteurs et leur comité de conciliation
La procédure de préparation et d’adoption du budget annuel de l’Union est
définie à l’article 314 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
(TFUE). La procédure budgétaire implique les trois pôles du triangle
institutionnel (Conseil, Parlement européen et Commission). Elle constitue
un bon exemple de la confrontation entre logique gouvernementale et
logique communautaire. Le Conseil y défend la logique
intergouvernementale des États alors que la Commission et le Parlement
recherchent une logique communautaire.
Le traité de Lisbonne du 13 décembre 2007 a profondément réformé la
procédure budgétaire, renforçant les pouvoirs du Parlement européen (PE).
La Commission, gardienne des traités et de l’intérêt communautaire, a
toujours l’initiative en matière budgétaire. Elle présente, sur la base de l’état
prévisionnel des dépenses transmis par chaque institution, une proposition
contenant le projet de budget1. Le Conseil fait ensuite une première lecture
avant transmission du projet au PE. Le PE dispose alors de 42 jours pour
l’approuver ou l’amender à la majorité de ses membres. S’il ne se prononce
pas dans les délais, le projet est réputé adopté. Le Conseil fait ensuite une
deuxième lecture. Il peut soit l’adopter à la majorité qualifiée, soit le rejeter.
En cas de désaccord, le président du PE, en accord avec le président du
Conseil, convoque un comité de conciliation.
La création du comité de conciliation est la grande nouveauté introduite par
le traité de Lisbonne. Il réunit des membres du Conseil ou leurs
représentants et le même nombre de représentants du PE. La Commission y
participe également. Le comité de conciliation doit établir un projet
commun à la majorité qualifiée des membres représentant le Conseil et à la
majorité des membres représentant le PE. Si le comité de conciliation ne
parvient pas à un accord, la Commission doit alors proposer un nouveau
budget et la procédure budgétaire reprend du départ. Si un accord est trouvé
au sein du comité de conciliation, le nouveau projet commun doit être
approuvé par le Conseil à la majorité qualifiée de ses membres. Le Conseil
peut cependant le rejeter ou ne pas statuer. Dans tous les cas, le projet est
ensuite soumis au PE pour qu’il statue. Si le projet a été approuvé par le
Conseil, le PE doit approuver l’accord ou ne pas parvenir à statuer afin que
l’accord soit adopté. Si ni le Conseil, ni le PE ne parviennent à statuer, le
budget est approuvé selon le projet commun. Si le PE décide, comme le
Conseil, de rejeter le texte du comité de conciliation, une nouvelle
procédure doit être engagée. Si l’une des deux institutions l’approuve et que
l’autre ne peut statuer, un nouveau projet de budget doit être présenté par la
Commission. Si le projet commun est approuvé par le Conseil mais rejeté
par le PE, un nouveau projet de budget doit être présenté par la
Commission. Si le projet du comité a été rejeté par le Conseil mais
approuvé par le PE, le président du PE peut décider de confirmer
l’ensemble ou une partie des amendements. Il arrêtera le budget qui
deviendra exécutoire. En matière de budget annuel, le PE a le dernier mot.
1.2 La procédure budgétaire pluriannuelle
Très différents de ce qui est rencontré dans le droit budgétaire des États,
notamment en France où les lois de programmation des finances publiques
ne sont qu’indicatives, les cadres financiers pluriannuels adoptés par
l’Union sont contraignants et enserrent fortement l’exercice annuel de vote
du budget. Pour l’UE, l’essentiel est dans la trajectoire financière définie
tous les sept ans et adossée à une décision ressources propres qui demeurent
à la main des États.
a Le cadre financier pluriannuel
Constatant que la procédure budgétaire annuelle prévue dans le traité
n’avait pas anticipé le cas de confrontation persistante entre les deux
institutions de l’autorité budgétaire, la Commission, le Conseil et le
Parlement ont élaboré des règles de discipline budgétaire pluriannuelle et de
concertation avec la signature d’accords interinstitutionnels. Ainsi, ont tout
d’abord été négociées les « perspectives financières » du « paquet Delors
I » (1988-1992) relatif à la réalisation du marché unique, puis celles du
« paquet Delors II » (1993-1999) relatif au rattrapage des pays du Sud et de
l’Irlande à des fins de préparation de la monnaie unique. L’Agenda 2000 a
par la suite été élaboré pour la période 2000-2006 relatif à la préparation de
l’élargissement ; les perspectives financières pour la période 2007-2013 ont
pris le relai. Nous sortons juste du cadre financier pluriannuel 2014-2020
pour entamer le CFP 2021-2027 post Brexit.
Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009, les
perspectives financières sont institutionnalisées dans le cadre financier
pluriannuel (CFP). L’idée est d’inscrire l’annualité budgétaire dans un cadre
global couvrant cinq à sept années (cinq minimum et sept dans les faits) et
se fondant sur un accord politique. Le CFP est proposé par la Commission
et approuvé par le PE à la majorité de ses membres. Un CFP s’applique si le
Conseil s’est exprimé à l’unanimité sur son règlement financier. Les
accords financiers pluriannuels sont en effet adoptés dans le cadre d’une
« procédure législative spéciale » encadrée par les dispositions de
l’article 312 du TFUE qui passe par l’unanimité au Conseil et l’approbation
du Parlement européen. Les États membres disposent donc d’un droit de
veto sur la question du cadre financier. Les parlementaires ont un rôle plus
modeste puisqu’ils ne disposent pas d’un pouvoir de codécision en la
matière. Le rôle limité du Parlement sur cette question déterminante vient
contrebalancer la « concession faite par les États aux eurodéputés qui, dans
la nouvelle procédure budgétaire annuelle, ont le dernier mot (cf. supra à
propos de l’article 314 TFUE). Sur les enjeux financiers qui engagent
l’Union sur le long terme, c’est encore le Conseil qui est l’acteur clef.
b La décision ressources propres
L’UE se distingue d’une organisation internationale classique notamment
du fait qu’elle bénéficie de l’affectation directe de ressources propres, au
lieu de contributions des États membres. Un tel système est toutefois
complexe puisqu’il implique une redéfinition des ressources propres en
fonction de l’évolution de leur rendement et des nouvelles missions
dévolues à l’UE. En l’espèce, les États membres n’ont eu de cesse de les
lire au prisme des soldes nets et à réclamer des transformations ou rabais à
toute iniquité réelle ou supposée. L’organisation des ressources propres nuit
à l’existence d’une Union politique et à la compréhension de sa valeur
ajoutée pour tous.
De 1958 à 1970, le financement était assuré par des contributions des États
membres. Cette période a servi de réflexion pour définir les ressources
propres. En effet, dès le traité de Rome du 25 mars 1957, il était prévu un
système de ressources propres afin que le financement de la CEE soit
indépendant des États. La première décision relative aux ressources propres
du 21 avril 1970 identifie des ressources indépendantes.
Les ressources propres traditionnelles (RPT) sont ainsi constituées des
droits de douane sur les importations en provenance de pays tiers et des
cotisations « sucre » et autres droits prévus dans le cadre de l’organisation
commune des marchés dans le secteur du sucre. En 2020, les RPT ont
représenté 11,4 % des recettes totales (18,5 Md€). Les RPT sont perçues par
les États membres pour le compte de l’UE qui, pour le CFP 2021-2027,
gardent 25 % de frais de perception2.
La ressource TVA a été créée en 1970 pour être finalement mise en œuvre à
partir de 1979. Elle consiste en un taux applicable sur une assiette
harmonisée de la TVA écrêtée à 50 % du RNB afin de ne pas désavantager
les pays dont une part importante des revenus est consacrée à la
consommation. Ce système est parfois considéré comme inéquitable car
pesant davantage sur les États membres plus modestes. A contrario, sont
gagnants les États membres dont la perception de la TVA est peu efficace
et/ou ceux dont l’économie souterraine n’est pas négligeable. Cette
ressource est sensible à la conjoncture. En 2020, la ressource TVA
représente 10,6 % des recettes totales (17,3 Md€).
À compter de 2021, une nouvelle ressource sur les emballages plastiques
non recyclés est versée par les États membres (cf. infra).
Enfin, la ressource RNB correspond à une contribution directe des États
membres. La ressource propre RNB a progressivement pris l’ascendant sur
les autres ressources pour composer la majorité du budget européen alors
qu’initialement, en 1988, il ne devait s’agir que d’une ressource
d’ajustement, « d’équilibre ». Son rendement est important et elle présente
un caractère équitable. La ressource RNB a représenté 75 % des recettes
totales en 2020 (121,8 Md€).
Les autres recettes représentent, en 2020, 3 % du total (4,9 Md€). Il s’agit
du produit tiré des amendes infligées par la Commission, notamment au
titre de la politique de concurrence, du produit des impôts prélevés sur les
eurodéputés et les fonctionnaires européens, de l’excédent budgétaire de
l’année précédente.
À noter qu’en marge du budget de l’UE, a longtemps subsisté un mode de
financement intergouvernemental pour financer le fonds européen de
développement (FED) – exception majeure au principe d’unité budgétaire
européen –, qui regroupe les aides en faveur des pays d’Afrique, des
Caraïbes et du Pacifique. Ce fonds s’élèvait à 30,5 Md€ pour la période
2014-2020, soit en moyenne 4,4 Md€ par an (11e FED, entré en vigueur le
1er janvier 2015). Dans le cadre du nouveau CFP 2021-2027, le FED est
désormais intégré au budget général de l’Union et participe du financement
de sa politique extérieure.
L’importance de la contribution RNB et du prélèvement TVA, directement
rattachable à l’économie des États membres, a affaibli le fait
communautaire en renvoyant, en permanence, à la question du « juste
retour », du solde de net de ce que chaque États donnait à l’UE relativement
à ce qu’il en percevait. Le Royaume-Uni, dès son adhésion en 1974, avait
critiqué le système de financement de l’Union. C’est finalement lors du
Sommet de Fontainebleau de 1984 que les chefs d’État et de gouvernement
ont reconnu « une charge budgétaire excessive » du Royaume-Uni et ont
concédé à la Première ministre d’alors, Margaret Thatcher, rentrée dans
l’histoire avec son fameux « I want my money back », le versement annuel
aux Britanniques d’un « chèque » destiné à compenser ce déséquilibre. Ce
rabais devait être financé par les autres États membres. Certains d’entre
eux, en particulier l’Allemagne mais également la Suède, les Pays-Bas,
l’Autriche et plus tardivement le Danemark, ont su négocier des rabais sur
leur contribution au financement du rabais britannique. S’en est suivi un
système de correction en cascade des contributions nationales.
Au coeur de cette logique de rabais et de « rabais sur le rabais », il convient
d’avoir en tête les ordres de grandeurs des soldes nets approximatifs et des
soldes nets par habitants de quelques États membres contributeurs nets de
l’UE en 2019 : Allemagne (– 16 Md€, – 162 €/hab), Danemark (– 1 Md€, –
207 €/hab), Pays-Bas (– 2 Md€, – 143 €/hab), Autriche (– 1 Md€, –
153 €/hab), Suède (– 1,5 Md€, – 151 €/hab), Royaume-Uni (– 7 Md€, –
105 €/hab), France (– 6 Md€, – 93 €/hab), Italie (– 5 Md€, – 84 €/hab).
A contrario, la Roumanie (+ 3 Md€, + 164 €/hab), la Pologne (+ 12 Md€,
+ 325 €/hab), la Hongrie (+ 5 Md€, + 533 €/hab) ou la Grèce (+ 3 Md€,
+ 312 €/hab) benéficient de transferts européens positifs. Il est à noter que
les dispositifs et avantages des uns sont financés par les autres et
particulièrement la France qui n’a négocié aucune ristourne bien qu’étant
désormais, suite au Brexit, le 2e contributeur net derrière l’Allemagne.
2 Les dépenses de l’UE
La meilleure façon d’appréhender les dépenses de l’UE est de considérer les
perspectives tracées par le CFP. Les ajustements interannuels sont en effet
limités. À ce titre, il est intéressant de mesurer l’écart entre les priorités de
l’UE sous l’empire du CFP 2014-2020 et celles portées par le CFP post
2020.
2.1 Les dépenses du CFP 2014-2020
Les 1087 Md€ de crédits d’engagement du CFP 2014-2020, soit 1 % du
RNB de l’UE, sont répartis parmi 5 rubriques (aux prix 2018). Les
rubriques 1 et 2 priment largement sur les autres.
a La rubrique 1 en faveur de la compétitivité et de la cohésion
(47 % du CFP)
Au sein de la rubrique 1 (513 Md€3), la sous-rubrique 1a « compétitivité
pour la croissance et l’emploi » (142 Md€) ambitionne tout d’abord la mise
en œuvre d’une « croissance intelligente, durable et inclusive » telle que
définie par la stratégie « Europe 2020 » adoptée par le Conseil européen du
17 juin 2010. Pour ce faire, l’accent est mis sur la recherche, l’innovation,
le développement technologique, la compétitivité des entreprises, les
infrastructures d’envergure, l’éducation et l’agenda social. La partie gérée
directement par la Commission (ou ses agences exécutives) se traduit par
des appels à projet. Les États membres peuvent également se voir confier la
gestion d’une partie des mises en œuvre au moyen d’agences nationales. La
grande majorité des crédits d’engagement de cette sous-rubrique abondent
les programmes Horizon 20204, MIE (mécanisme pour l’interconnexion en
Europe), Erasmus+5 et COSME6.
Le but principal de la sous-rubrique 1b « cohésion économique, sociale et
territoriale » (371 Md€) est de réduire les inégalités de développement entre
les régions et États de l’UE. Les trois objectifs sont « l’investissement pour
la croissance et l’emploi » (ICE), la « coopération territoriale européenne »
(CTC) et « l’initiative en faveur de l’emploi des jeunes » (IEJ). Le premier
objectif flèche les crédits sur :
• les régions les moins développées (celles dont le PIB par habitant est
inférieur à 75 % du PIB moyen par habitant de l’UE, à savoir
71 régions dont la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et La
Réunion, auxquelles s’ajoute Mayotte depuis 2014) ;
• les régions en transition (53 régions dont, selon l’ancien découpage
régional, l’Auvergne, la Basse-Normandie, la Corse, le Poitou-
Charentes, la Franche-Comté, le Languedoc-Roussillon, la Lorraine, le
Limousin, le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie) ;
• les régions développées (pour favoriser les compétitivités et ne pas
laisser certains États membres avec trop peu de retours sur cette
politique, régions dont le PIB est supérieur à 90 % du PIB moyen, soit
la moitié des régions de l’UE) ;
• les États éligibles au fonds de cohésion (pour les 14 États membres dont
le RNB par habitant en parité de pouvoir d’achat est inférieur à 90 %
de la moyenne européenne) ;
• et les régions ultra-périphériques (RUP7) pour les régions d’outre-mer
les moins développées.
La mise en œuvre de ces crédits (à l’exception de ceux du fonds de
cohésion) est assurée par le fonds européen de développement régional
(FEDER) et le fonds social européen (FSE). La CTC renforce quant à elle
les coopérations transfrontalières, transnationales et interrégionales. L’IEJ a
été créée en 2013 en faveur des régions dont le taux de chômage des jeunes
(15-24 ans) est supérieur à 25 % (100 régions dont 10 françaises selon
l’ancien découpage).
b La rubrique 2 en faveur des ressources naturelles
et de la politique agricole commune (39 % du CFP)
La rubrique 2 « croissance durable : ressources naturelles » représente une
grosse part du budget de l’UE (420 Md€). Elle regroupe en particulier les
dépenses de la PAC à savoir les aides directes en faveur des agriculteurs, les
mesures de soutien de marché, les aides au développement rural, à la pêche
et à l’environnement.
Deux fonds principaux mettent en œuvre la PAC : le fonds européen
agricole de garantie (FEAGA), lequel gère les aides directes aux
agriculteurs et l’organisation commune des marchés (les cas échéants,
interventions, restitutions aux exportations) ; le fonds européen agricole de
développement rural (FEADER) finance le développement durable et
notamment ses dimensions environnementale, qualitative, de bien-être
animal et de développement régional.
Enfin, sont également à relever le fonds européen pour les affaires
maritimes et la pêche (FEAMP), le programme Life en faveur de
l’environnement et de l’action pour le climat.
c Des rubriques 3 à 5 plus modestes (14 % du CFP)
La rubrique 3 « citoyenneté et sécurité » promeut le concept de citoyenneté
européenne au moyen d’un espace de liberté, de sécurité et de justice, d’un
accès aux biens et services publics (18 Md€). L’objectif premier est de
développer un sentiment d’appartenance à l’UE. Les crédits abondent des
projets en faveur de la culture, l’éducation, les médias, la santé, la
protection des consommateurs. Le volet justice s’emploie à favoriser la
coopération judiciaire en matière civile et pénale, et d’accès au droit. La
protection des droits des citoyens se traduit par des efforts de lutte contre
les discriminations, pour la protection des données personnelles et des
droits de l’enfant.
La rubrique 4 « l’Europe dans le monde » traite des actions extérieures de
l’UE (66 Md€ hors FED). Les efforts sont réalisés en matière de pré-
adhésion afin d’aider de potentiels nouveaux membres à remplir les
conditions d’adhésion et de sécuriser les frontières extérieures de l’UE ; en
matière de voisinage afin de renforcer les coopérations politiques ; en
matière de respect des libertés fondamentales au moyen de mesures de
protection des sociétés civiles en lutte pour la démocratie, d’aides pour des
élections libres et de protection des droits de l’homme en général ; en
matière d’aide au développement en luttant contre la pauvreté, pour une
bonne gestion des ressources en eau, pour la cohésion sociale et l’emploi ;
en matière humanitaire en protégeant contre les catastrophes majeures et en
venant en aide suite à des catastrophes naturelles ou humaines8.
La rubrique 5 « administration » concerne les dépenses administratives des
institutions de l’UE. Les coûts administratifs de l’UE représentent 6 % du
CFP 2014-2020 (70 Md€).
2.2 Les dépenses du CFP 2021-2027
Les rubriques du nouveau CFP9 sont désormais au nombre de sept pour des
crédits d’engagement de 1074 Md€ au total sur la période (prix 2018) – un
montant en baisse par rapport au précédent CFP, compte tenu du Brexit. Les
anciennes sous-rubriques 1a et 1b ont gagné leur indépendance ce qui
permet de mieux distinguer ce qui relève des politiques d’amélioration de la
productivité de celles de la cohésion sociale ou territoriale. Les politiques
en faveur de la défense et de la citoyenneté européenne font par désormais
l’objet de rubriques séparées.
Pour 2021, le budget de l’UE s’élève à 166 Md€ en crédits de paiement
(prix courants), soit 1,19 % du RNB – un pourcentage élevé qui s’explique
surtout par l’impact de la crise de la covid-19 sur le RNB.
a La rubrique 1 en faveur du Marché unique (12 % du CFP)
À travers le CFP 2021-2027, l’UE met l’accent sur les politiques en faveur
du développement du Marché commun, de l’innovation et du numérique
(133 Md€). La priorité est donnée à la recherche&développement, aux
infrastructures considérées comme stratégiques, à la promotion de grands
projets, en particulier en matière nucléaire ou spatiale. La progression entre
le CFP 2014-2020 et le 2021-2027 est sensible en la matière avec une
progression de de 14 %. Notons qu’une partie du plan de relance
contribuera également à ce type de politique.
b La rubrique 2 en faveur de la cohésion et des valeurs (35 %
du CFP)
Par contraste avec la tendance enregistrée sur la première rubrique du
budget général, la dynamique qui anime les fonds de cohésion interne à
l’UE apparaît légèrement dépressive. Les financements alloués à la rubrique
« Cohésion, résilience et valeurs » baissent entre les deux CFP avec 378
Md€, soit – 3,6 % par rapport au CFP 2014-2020. Toutefois, la politique de
cohésion se trouve mêlée dans la même rubrique avec la politique en faveur
de l’Union économique et monétaire. Dans le détail intra-rubrique, une
forte variabilité se fait jour en défaveur de la cohésion territoriale. Les fonds
alloués à ce segment de politique communautaire chutent de 12 %, passant
de 274 à 242 Md€. Le Fonds social européen baisse quant à lui de 6 %,
passant de 95 à 90 Md€. Le plan de relance participe toutefois de la
cohésion territoriale au sein de l’UE.
L’Union a souhaité associer à la consommation des fonds structurels un
contrôle de conformité des États membres récipiendaires aux principes de
base de l’État de droit (ex. respect de l’indépendance de la justice et des
médias). Cet élément de la négociation a généré beaucoup de tension avec
la plupart des pays d’Europe centrale et orientale, en commençant par la
Hongrie et la Pologne. Après d’âpres négociations, la conditionnalité a été
entérinée. C’est la Commission, après avoir établi l’existence d’une
violation, qui proposera de déclencher le mécanisme de conditionnalité à
l’encontre d’un État de l’UE. Le Conseil disposera alors d’un mois pour
adopter les mesures à la majorité qualifiée. Il reste à voir la mise en
pratique, politiquement sensible, de ce tout nouveau mécanisme sur lequel
on manque à l’évidence de recul, d’autant plus que la CJUE doit encore se
prononcer sur sa légalité et sa portée.
c La rubrique 3 en faveur des ressources naturelles
et de l’environnement (33 % du CFP)
La politique en faveur du secteur agricole et du monde rural, qui correspond
à l’ancienne rubrique 2 du CFP 2014-2020, apparaît également comme une
victime du resserrement budgétaire avec une chute de 11 %, qui la situe à
356 Md€. Les paiements directs aux agriculteurs (FEAGA), ainsi que le
développement rural (FEADER), sont symétriquement affectés. En fait,
dans la cadre de la prochaine politique agricole commune qui devrait se
mettre en place à partir de 2023, la Commission propose de renationaliser
une partie de la PAC en augmentant, pour maintenir le revenu des
agriculteurs, les cofinancements nationaux. Cette orientation va à l’encontre
des intérêts de la plupart des PECO et de la France, premier bénéficiaire de
la PAC. Il reste que la contrainte sur les ressources étant forte, il faudra sans
doute lâcher du lest sur ce champ sensible de politique publique. Le
maintien du FEAGA devrait quant à lui être un « but de guerre » de la
diplomatie française eu égard à l’importance de ces crédits pour la survie de
nombreuses exploitations agricoles dans le pays.
d Des rubriques 4 à 7 plus modestes (20 % du CFP)
La définition d’une rubrique spécifique dédiée à la gestion des migrations et
des frontières (rubrique 4 de la proposition de CFP post 2020)
s’accompagne d’une augmentation très sensible des budgets affectés avec
un montant de 23 Md€, à comparer aux seulement 10 Md€ pour la période
2014-2020. Dans le contexte migratoire fort sensible sur le plan intérieur
dans de nombreux États, cette politique est le grand vainqueur du nouveau
cadre budgétaire avec une hausse des crédits de 130 %. Dans le détail, c’est
bien la protection des frontières extérieures de l’UE qui est visée avec un
nouveau fonds de gestion des frontières qui permettra aux pays du Sud-Est
de l’Union, en particulier la Grèce, d’obtenir un soutien conséquent. Même
si le fonds dédié à l’asile et aux migrations devrait connaître une
augmentation, c’est avant tout l’agence Frontex qui verra ses moyens
croître.
Dans le même ordre d’idée d’une Europe qui souhaite améliorer les
conditions de sa sécurité, l’émergence d’une rubrique spécifique « sécurité
et défense » (rubrique 5) dans l’architecture du CFP 2021-2027 va de pair
avec un développement sans précédent des moyens budgétaires alloués avec
une progression de 1,9 à 13 Md€ entre les deux agendas financiers (× 7). La
Commission propose en particulier de renforcer le Fonds de sécurité
intérieure afin de développer les systèmes d’information entre les autorités
nationales. La cyber-sécurité apparaît comme une priorité en relation avec
l’investissement par ailleurs consenti en faveur des programmes pour
l’Europe numérique et Horizon. Les moyens d’Europol devraient par
ailleurs être sensiblement renforcés. En matière de défense, l’Union
souhaite monter en puissance via la consolidation et le développement du
Fonds européen de défense qui est vu comme un outil au bénéfice d’une
Europe de l’armement, devant éviter les doublons entre les États-membres
et optimiser les moyens à disposition qui seront autant de leviers
d’interopérabilité des forces sur le terrain. La convergence des instruments
de mobilité militaire est d’ailleurs évoquée comme un enjeu en soi de la
nouvelle politique de défense en gestation de l’Union. Il convient de
souligner que l’essor de l’Europe de la défense participe en premier lieu du
pilier industriel de l’UE, donc d’une prise de décision à la majorité qualifiée
du Conseil. Cette orientation ne préjuge donc pas de l’essor des
coopérations militaires opérationnelles.
Les budgets en faveur de l’action de l’Union dans le Monde, rubrique
rebaptisée « Le voisinage et le monde » (rubrique 6) semblent apparemment
préservés entre l’ancien et le nouveau cadre financier pluriannuel : une
légère augmentation est même enregistrée de 3 %, avec des crédits passant
de 95 à 98 Md€. Toutefois, cette nouvelle rubrique inclut désormais le
Fonds européen pour le développement (FED) qui était jusqu’alors un fonds
extrabudgétaire. Par ailleurs, sont rangés dans cette rubrique les fonds
participant au soutien des pays en voie d’accession à l’UE, en particulier
ceux des Balkans. Grâce à la coordination renforcée des acteurs du
financement de l’aide au développement autour des Objectifs de
développement durable arrêtés par l’ONU pour la période 2015-2030, la
Commission espère faire jouer des effets de synergies, voire lever des
contributions du secteur privé afin de soutenir la politique européenne en
faveur du développement au sens strict. Le fait est que la priorité de la
rubrique 6 va au proche voisinage de l’UE et n’est pas sans interaction avec
la volonté de renforcer l’étanchéité des frontières communes. L’intégration
du FED dans le budget général participe d’une normalisation et d’une
stabilisation des efforts de l’UE en faveur des pays africains, de la zone
Caraïbes et du Pacifique (ACP). Sans renoncer à son rôle moteur en matière
d’aide publique au développement, l’Union recentre cependant sa politique
extérieure vers la réalisation d’un objectif de sécurisation de ses frontières
et de stabilisation de son environnement le plus proche.
Avec 73 Md€, la dernière rubrique 7 correspondant à l’administration
générale de l’Union et de ses institutions, en particulier le Parlement
européen, représente quant à elle 6,7 % sur le CFP 2021-2027.
3 Les ressources de l’UE
C’est toujours la décision ressources propres (DRP) qui fixe les modes de
financements de l’Union. Cependant, avec la crise sanitaire, un plan de
relance intitulé Next Generation EU est venu compliquer la lecture des
types de financement communautaire en offrant la possibilité d’un recours à
l’emprunt, de nature exceptionnelle, pour financer la relance.
3.1 La décision ressources propres de 2020
La décision ressources propres du 14 décembre 2020 encadre désormais les
ressources de l’Union. Sa validation passe par l’accord des différents États
selon leur procédure interne. En la matière, le fait national l’emporte sur le
fait communautaire.
a Les sources de financement du CFP 2021-2027
Avec la nouvelle DRP, la liste des ressources propres reste globalement
inchangée.
Elle s’appuie d’abord sur les droits de douanes et ceux prévus dans le cadre
de l’organisation du marché du sucre.
Demeure ensuite un prélèvement sur la TVA avec un taux d’appel de
0,30 % pour tous les États, les rabais dont bénéficiaient certains
contributeurs nets ayant été supprimés. L’assiette de TVA à prendre en
compte n’excède pas 50 % du RNB pour chaque État membre.
Plus nouveau mais relativement marginal, une nouvelle ressource sur les
déchets d’emballages en plastique non recyclés produits dans chaque État
membre est instituée avec un taux d’appel uniforme de 0,80 € par
kilogramme. Les termes de déchets d’emballages et de recyclage sont
définis au regard des dispositions de la directive 94/62/CE. Il n’est pas
anodin que cette nouvelle ressource propre relève du champ de la protection
de l’environnement où l’UE est très allante depuis l’Acte Unique et plus
encore avec l’adoption de Pacte vert ou European Green Deal par la
Commission von der Leyen. Des réductions annuelles forfaitaires ont
cependant été négociées par différents États pour atténuer leur contribution :
en bénéficient les PECO mais également les pays du Sud de l’Union
(Espagne, Portugal, Italie, Grèce, Chypre et Malte).
Cette nouvelle ressource à la charge des États membres devrait contribuer à
hauteur de 6 Md€ par an au budget de l’Union, ce qui représente près de
4 % de son montant. Il est cependant à noter que ce produit devrait être
amené à baisser si les États membres prennent les mesures nécessaires pour
réduire le volume des déchets en question, ce qui est précisément l’objectif
de la mesure. À titre d’exemple, la France s’est engagée à réduire de 20 %
cette pollution entre 2018 et 2025.
Le prélèvement RNB continue d’équilibrer le budget et reste la principale
source de financement de l’Union.
b Des réductions de contributions RNB qui persistent,
au détriment de la France
Avec le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne, on aurait pu penser
que les modalités de calcul de la contribution RNB auraient été simplifiées
et que les rabais consentis depuis une quarantaine d’années à certains États
membres se seraient éteints. Or il reste des décotes annuelles importantes
dans le cadre du CFP 2021-2027 avec par ordre croissant : le Danemark
(377 M€), l’Autriche (565 M€), la Suède (1 069 M€), les Pays-Bas (1 921
M€) et, c’est trop peu souligné, l’Allemagne dont la réduction sur la
contribution RNB atteint 3 671 M€. La France, opposée par principe à tout
rabais, n’en a pas négocié.
Pour 2021, la contribution de la France est d’ailleurs attendue en forte
hausse de 25 %, en répercussion notamment du retrait du Royaume-Uni de
l’Union, qui a eu pour conséquence une réduction des ressources du budget
européen sans que les dépenses n’aient été ajustées à due concurrence. La
contribution française s’éleverait ainsi à un total de 26,9 Md€, dont 6 % au
titre des ressources propres traditionnelles collectées par la France (après
déduction des frais de perception), 13 % au titre de la TVA, 4 % au titre de
la contribution sur les emballages plastiques non-recyclés et 78 % au titre
de la contribution RNB10.
3.2 Le plan Next Generation EU
Adopté lors du Conseil européen du 21 juillet 2020, après plusieurs jours de
négociations, le plan de relance Next Generation EU est une première pour
l’Union en cela qu’il s’appuie sur un endettement commun, réalisé par la
Commission au nom de l’UE. Celui-ci reste cependant à couvrir par des
recettes pérennes qui permettront de le rembourser.
a Le recours exceptionnel à l’emprunt
Le plan de relance européen représente une enveloppe de 750 Md€ (prix
2018) de fonds empruntés pour le compte des États membres par la
Commission européenne composés de 360 Md€ à utiliser sous forme de
prêts et de 390 Md€ à utiliser sous forme de subventions. Selon les termes
des conclusions du Conseil européen du 21 juillet 2020, « le pouvoir
d’emprunter conféré à la Commission est clairement limité en termes de
volume, de durée et de portée ». Les projets financés sont à mettre en œuvre
rapidement : en tout état de cause, les engagements juridiques doivent être
souscrits d’ici le 31 décembre 2023, avec des paiements à réaliser au plus
tard le 31 décembre 2026. Le remboursement du prêt contracté par la
Commission doit s’étaler jusqu’au 31 décembre 2058 avec un
commencement d’ici la fin du CFP 2021-2027. Durant une trentaine
d’années, le budget de l’Union devra donc assurer une nouvelle charge
correspondant aux intérêts et au capital de la dette assumée.
Le plan de relance modifie un peu les équilibres budgétaires du CFP dans la
mesure où il abonde des fonds et programmes communautaires préexistants
(REACT EU, Horizon Europe, InvestEU, Développement rural, Fonds pour
la transition juste et RescEU) pour un montant de 77,5 Md€. L’essentiel du
plan reste porté par un nouvel outil intitulé Facilité pour la reprise et la
resilience à hauteur de 672,5 Md€.
b Une couverture fiscale largement hypothétique
La grande faiblesse du plan de de relance européen réside dans les moyens
financiers de son remboursement qui ne sont pas à l’heure actuelle
pleinement assurés. « Sans préjudice d’autres ressources », Next
Generation EU sera couvert par la contribution RNB des États, ce qui
signifie que, faute de nouvelles ressources propres, les montants affectés au
remboursement de l’emprunt communautaire seront répercutés sur les
contributions annuelles des États membres ou bien seront pris sur les
moyens des politiques de droit commun de l’Union.
Les conclusions du Conseil européen de juillet 2020 ainsi que la DRP du
14 décembre 2020 prévoient la mise en œuvre de nouvelles ressources
fiscales pour l’UE. À ce stade, trois ressources sont envisagées.
D’une part, il est prévu que les 27 s’accordent sur un mécanisme
d’ajustement carbone aux frontières (MACF ou CBAM11) ainsi que sur une
« redevance numérique » pour une application au 1er janvier 2023. La
Commission a fait des propositions en ce sens en juillet 2021. Le MACF
prendrait la forme d’une réplique du système ETS de quotas d’émission de
CO2 : les entreprises important certains biens (ciment, électricité, acier…)
émanant de pays n’ayant pas mis en place de mécanisme de prix carbone
équivalent devraient payer des droits à une agence européenne. Aucune
proposition n’a encore été faite en revanche sur l’extension du système ETS
à l’aviation et au transport maritime. Quant à la « redevance » numérique, il
s’agirait concrètement de taxer à taux bas les grandes entreprises sur le
chiffre d’affaires correspondant aux activités numériques qu’elles déploient
dans l’Union. Elle aurait donc bien un caractère fiscal, ce qui pose la
question de son articulation avec les travaux menés dans le cadre de
l’OCDE sur la fiscalité des multinationales (cf. chapitre 27).
D’autre part, une réflexion reste à conduire d’ici 2027 sur l’éventualité
d’une taxe européenne sur les transactions financières (cf. chapitre 26). Le
Parlement européen avait également imaginé d’autres ressources comme
une fraction d’impôt sur les sociétés (cf. chapitre 27).
À ce stade, il convient de souligner qu’en matière fiscale, l’unanimité des
États est requise au sein du Conseil de l’Union européenne (cf. dispositions
des articles 110 à 118 du TFUE). Il n’y a donc rien d’évident à la mise en
place, dans les délais prévus, d’une nouvelle fiscalité communautaire
d’autant que les États membres ont des intérêts divergents en matière
d’import/export, de développement de leur secteur numérique et de gestion
de leur place financière. L’UE est donc prisonnière d’une décision à 27 pour
débloquer le financement de son plan de relance sur la période 2028-2058.
Le développement de la fiscalité environnementale reste cependant un cas
particulier dans la mesure où l’article 192 du TFUE, sur lequel se baserait le
MACF, prévoit que, dans ce champ particulier, les 27 peuvent décider, à
l’unanimité, de faire basculer leur procédure de décision dans le champ de
la majorité qualifiée avec codécision du PE. La pression croissante exercée
par le Parlement européen, les médias, l’opinion publique sur « l’urgence
écologique » ou « l’urgence climatique » pourrait peut-être faire bouger les
lignes sur la taxation du carbone dans les années à venir. Cela paraît
beaucoup moins évident en matière de fiscalité générale.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• Le système budgétaire de l’Union européenne.
• Le rôle des institutions européennes dans l’élaboration du budget annuel
• Qui est maître du cadre financier pluriannuel de l’UE ?
• Les ressources propres de l’UE, état des lieux et incertitudes
• Les dépenses de budget de l’Union et leur évolution inter-CFP
• Le plan de relance Next Generation EU est-il soutenable ?
RÉFÉRENCES
PLF pour 2021, annexe Relations financières avec l’Union européenne (jaune budgétaire).
Commission européenne, Cadre financier pluriannuel 2021-2027 et Plan de relance Next
Generation EU.
Robin Degron, « L’agenda financier Europe 2027 : Une quête de croissance, des cohésions qui
s’érodent », Revue de gestion et de finances publiques, pp. 112-120, no 6, novembre-décembre
2018.
Robin Degron, « Les finances de l’Union 2019-2020 : Essor ou érosion rampante ? »,
communication du 19 janvier 2021 https://www.mouvement-europeen.paris/les-finances-de-
lunion-europeenne-2019-2020-essor-ou-erosion-rampante/
CHAPITRE 20
L’exécution et le contrôle
du budget de l’Union
européenne
NOTIONS À MAÎTRISER
• Le règlement financier
• La commission interministérielle de coordination des contrôles
• La déclaration d’assurance
L’originalité de l’exécution du budget de l’UE est qu’elle revient in fine
principalement aux États membres. Pour réduire les risques financiers que
recèle cette organisation, la responsabilité pleine et entière de la
Commission européenne quant à l’exécution du budget a été affirmée et
plusieurs dispositifs de contrôle ont été mis en place.
1 L’exécution du budget de l’UE
Selon l’article 317 du TFUE, « La Commission exécute le budget en
coopération avec les États membres, conformément aux dispositions des
règlements pris en exécution de l’article 322, sous sa propre responsabilité
et dans la limite des crédits alloués, conformément au principe de la bonne
gestion financière. Les États membres coopèrent avec la Commission pour
faire en sorte que les crédits soient utilisés conformément aux principes de
la bonne gestion financière ».
1.1 Le budget de l’UE est exécuté sous la responsabilité
de la Commission
a L’ordonnateur s’appuie sur un auditeur interne
Le règlement de 1977 prévoyait un système d’exécution du budget proche
du système français, avec sa distinction classique entre ordonnateur,
contrôleur financier et comptable. Le premier établit les propositions
d’engagement, de liquidation et d’ordonnancement des dépenses ; le second
contrôle ex ante le respect des principes budgétaires pour chaque opération
et délivre une autorisation préalable explicite ; le troisième exécute les
ordres de payement et de recouvrement.
L’article 65 du règlement financier du 25 octobre 2012 a revu à la hausse
les compétences et l’autonomie de l’ordonnateur. En effet, le système du
« visa » a disparu (dès le règlement financier précédent de 2002), la
fonction de contrôleur financier ayant été supprimée – ou plus exactement
profondément transformée. De ce fait, les services de l’ordonnateur assurent
eux-mêmes – avec une structure spécialisée – les vérifications nécessaires à
la validité des actes d’exécution budgétaire.
Le contrôleur financier a été remplacé par un auditeur interne, présent dans
chaque institution et indépendant. Il n’intervient pas (plus) dans l’exécution
du budget, mais remplit deux missions en rapport avec celle-ci : d’une part
il est le spécialiste à même d’assurer que l’exécution se déroule
conformément à la réglementation ; d’autre part il évalue l’efficacité du
système de contrôle interne ex ante mis en place par l’ordonnateur et ses
services. Il rend compte à l’ordonnateur principal, son responsable.
b Le comptable assume une fonction traditionnelle
Le comptable conserve son rôle, le principe de séparation d’avec
l’ordonnateur étant maintenu (art. 58 du règlement). De manière plus
précise, il continue à exécuter les ordres de l’ordonnateur en vérifiant que
les payements qu’il effectue correspondent bien aux dettes de l’institution
de l’ordonnateur. De même, il recouvre des recettes. Chargé de ces
opérations pratiques, il gère aussi la trésorerie et assure la comptabilité
budgétaire (recettes et dépenses).
1.2 D’autres acteurs que la Commission interviennent
dans l’exécution
a Les pouvoirs d’exécution de la Commission sont encadrés
Outre la Commission, le Parlement européen, le Conseil, la Cour de Justice
de l’Union européenne et la Cour des comptes européenne bénéficient d’un
principe d’autonomie dans l’exécution des moyens budgétaires qui leur
reviennent. L’article 55 du règlement de 2012 indique en effet que « la
Commission reconnaît aux autres institutions les pouvoirs nécessaires à
l’exécution des sections du budget qui les concernent ». En outre, le Conseil
et le Parlement ont conclu un gentlemen’s agreement stipulant que chacune
des deux institutions s’abstient de porter un jugement sur le budget de
l’autre.
De manière générale, les pouvoirs d’exécution de la Commission sont
encadrés par les comités dits de comitologie selon les règles prévues en
application de l’article 291 du TFUE. Cet encadrement vaut également pour
l’exécution du budget. Rappelons que les comités de comitologie sont
composés d’un représentant de chaque État membre et présidés par un
représentant de la Commission. À la différence de la procédure consultative
(le comité est consulté par la Commission), la procédure d’examen confère
au Conseil un pouvoir décisionnel sur les actes d’exécution proposés par la
Commission.
b La gestion des crédits est majoritairement partagée avec
les États membres
L’article 58 du règlement financier distingue trois grands types de gestion
des crédits européens.
Le premier est la gestion directe de ces crédits par la Commission
(notamment pour ses dépenses de nature administrative) ou par ses
délégations et agences exécutives (par exemple l’Agence exécutive
européenne pour la recherche). La gestion directe représente 22 % du
budget 2019. On parle parfois de gestion centralisée.
Le deuxième est la gestion partagée avec les États membres. La gestion des
crédits est alors confiée soit aux États membres eux-mêmes, soit à des
autorités territoriales (par exemple les régions en France pour la politique
de cohésion), soit encore à des organismes spécialisés étatiques (par
exemple offices agricoles pour la mise en œuvre de la PAC). C’est de loin le
premier mode de gestion (71 % du budget). L’article 59 du règlement
précise les obligations des États (ou entités), qui sont responsables de la
bonne gestion financière, de la transparence et de l’absence de
discrimination doivent assurer la visibilité de l’action de l’Union.
Le troisième est la gestion indirecte (7 % du budget), dans le cadre de
laquelle les tâches d’exécution budgétaire sont confiées à des organismes
tiers variés : organisations internationales, agences décentralisées et
entreprises communes, agences nationales, organes syndicaux spécialisés et
pays tiers. C’est le mode de gestion retenu par Erasmus+ par exemple, qui
s’appuie sur des agences nationales tel le groupement d’intérêt public
« agence Erasmus+ France/Éducation ». Les États tiers peuvent être amenés
à gérer des fonds au titre de la pré-adhésion ; l’aide humanitaire peut être
confiée à une organisation internationale. Les mêmes principes que pour la
gestion partagée s’appliquent mais, en outre, un audit externe indépendant
conforme aux standards internationaux applicables doit être mené.
2 Les contrôles de l’exécution du budget
2.1 Les contrôles opérés par la Commission
a L’audit interne au sein des autres institutions européennes
Au sein de la Commission, le service d’audit interne est placé sous
l’autorité du vice-président de la Commission, ce qui le rend indépendant
des (autres) commissaires, et est nécessaire dans la mesure où ceux-ci sont
gestionnaires de crédits. En effet, l’auditeur interne a en charge le contrôle
des fonds directement gérés par la Commission.
Par ailleurs, les autres institutions disposent également de leurs propres
auditeurs internes, également issus du corps des administrateurs de l’UE
spécialisés dans l’audit.
b Le contrôle des dépenses dans le cadre des gestions
partagée et décentralisée
En ce qui concerne la gestion partagée ou décentralisée, le règlement de
2012 poursuit la procédure dite d’apurement des comptes, laquelle consiste
en un contrôle, assuré par la Commission, pouvant être suivi de corrections
financières. La procédure varie selon les secteurs de dépenses ; nous nous
limiterons à l’exemple de la PAC.
En matière de PAC, le contrôle porte sur les exercices clôturés. Il consiste
en la vérification de la réglementation communautaire dans son ensemble,
c’est-à-dire non seulement de la régularité comptable des payements mais
aussi des modalités de contrôle. Les États membres sont chargés de veiller à
la bonne exécution des dépenses en déployant leurs propres dispositifs de
contrôle interne. Ainsi, la France a institué une commission
interministérielle de coordination des contrôles (CICC), autorité d’audit
unique pour les fonds européens, placée sous l’autorité du Premier ministre.
2.2 Le contrôle externe de l’exécution du budget
a Le contrôle externe exercé par la Cour des comptes
européenne
Jusqu’en 1975, le contrôle externe des finances communautaires était
exercé par deux organes : une commission de contrôle (pour le budget
général) et un commissaire au compte (pour le budget de la CECA et celui
d’Euratom). L’émergence d’un budget propre à l’UE et de l’autonomie de
gestion accordée aux institutions européennes a rendu impératif un
changement qualitatif du contrôle du budget, avec la création d’un
organisme disposant de moyens appropriés : chose faite avec le traité de
Bruxelles de 1975 créant la Cour des comptes européenne (qui se substitue
aux deux organes précités), puis avec le traité de Maastricht qui l’élève au
rang d’institution de l’UE.
Si la Cour des comptes européenne ressemble au premier abord à une
institution nationale traditionnelle, l’originalité du contexte institutionnel
communautaire fait de la Cour un modèle unique. Il convient dès lors de
s’interroger sur l’adéquation de l’organisation et des missions de la Cour à
la gouvernance de l’Union européenne.
Les caractéristiques classiques de la Cour des comptes européenne ne
doivent pas occulter le fait qu’elle est une institution originale par son
contexte institutionnel et ses missions. La Cour des comptes a son siège à
Luxembourg. Outre les fonctionnaires à son service, notamment les
auditeurs, elle est composée d’un ressortissant de chaque État membre
devant présenter toutes garanties d’indépendance. Les membres sont
nommés pour 6 ans renouvelables. Pour leur nomination, le Conseil statue à
la majorité qualifiée, après consultation du Parlement européen et adopte la
liste des membres conformément aux propositions des États. Ils sont choisis
parmi des personnalités appartenant ou ayant appartenu, dans leurs pays
respectifs, aux institutions de contrôle externe ou possédant une
qualification pour cette fonction. Le président de la Cour des comptes
européenne (Klaus-Heiner Lehne, allemand) élu par ses collègues pour une
durée de trois ans renouvelable, veille au bon fonctionnement des services
et au bon déroulement de l’activité de la Cour.
En vertu de l’article 285 du TFUE, les membres de la Cour « exercent leurs
fonctions en pleine indépendance, dans l’intérêt général de l’Union ». Cette
indépendance est garantie par le rang d’institution de la Cour, le statut des
membres et le règlement intérieur. Ainsi, les membres ne sollicitent, ni
n’acceptent d’instruction d’aucun gouvernement, ni d’aucun organisme. Ils
ne peuvent exercer d’autres activités professionnelles. Après cessation de
leur activité, ils veillent à ne pas exercer de charges manifestement
incompatibles avec leur fonction précédente. Ils prêtent serment pour le
respect de ces principes.
La Cour contrôle la gestion financière de l’Union européenne, de ses
institutions (Commission européenne, Parlement européen, Conseil de
l’Union européenne, Cour de Justice, Banque européenne
d’investissement), de ses organes (agences, fondations, instituts,
observatoires…) et des bénéficiaires des aides européennes. La Cour des
comptes examine la légalité et la régularité des recettes et des dépenses,
s’assure de la bonne gestion financière et permet ainsi au Parlement
européen de donner quitus à la Commission européenne pour l’exécution du
budget. Les rapports de la Cour peuvent constituer un moyen de pression
sur les institutions et autres organes administratifs pour qu’ils assurent une
bonne gestion des fonds.
Lorsque la Cour identifie des lacunes, des irrégularités et des cas de fraude
potentielle, elle les porte à l’attention des administrations et organes
compétents, notamment l’office européen de lutte antifraude (OLAF) pour
qu’ils agissent en conséquence. En effet, elle n’a pas de pouvoir
juridictionnel propre. Elle est seulement chargée de l’examen de la
régularité des comptes, et non pas de leur jugement, et du contrôle de
l’exécution du budget. Elle relaye dans ce rôle le Parlement dans ses
fonctions accrues.
Ses moyens sont le contrôle sur pièces et sur place auprès des institutions et
des États membres qui doivent communiquer à la Cour tout document ou
toute information nécessaire à l’accomplissement de sa mission. Le contrôle
dans les États membres s’effectue en lien avec les institutions de contrôle
nationales.
La Cour a également une fonction consultative. Elle exerce un rôle
consultatif obligatoire sur les propositions de législation de l’UE à vocation
budgétaire ou financière ou avant adoption de toute législation dans le
domaine de la lutte contre la fraude et la répression de la fraude. En outre,
la Cour peut rendre des avis à la demande d’une des autres institutions de
l’Union. Ses avis ne sont pas contraignants.
Depuis le traité de Maastricht, la Cour doit fournir au Parlement et au
Conseil une déclaration d’assurance (DAS) concernant la fiabilité des
comptes mais aussi la légalité et la régularité des opérations sous-jacentes.
Cette déclaration peut être complétée par des appréciations spécifiques pour
chaque domaine majeur de l’activité de l’UE. À cette fin, la Cour effectue
deux audits. Le premier, l’audit de la fiabilité des comptes, doit aboutir à
une déclaration certifiant premièrement que les états financiers (bilan,
compte de gestion consolidé et annexes explicatives) donnent une image
fidèle de la situation financière de l’UE, deuxièmement qu’ils intègrent de
manière complète et exacte les recettes et dépenses de l’exercice. Le
second, l’audit de la légalité et de la régularité des opérations sous-jacentes,
vérifie la conformité des recettes et dépenses avec ce qu’elle devrait être au
vu du droit de l’UE et des clauses contractuelles en vigueur, ce qui permet
d’évaluer la qualité du contrôle interne. La Cour procède ici par sondage et
sélection. L’absence de DAS n’a aucune conséquence juridique, aucune
sanction n’étant prévue.
b La déclaration d’assurance n’a qu’une faible portée pratique
Les missions de la Cour sont compliquées par les spécificités du budget
communautaire et par la pratique de la DAS particulièrement lourde.
L’évolution des ressources propres de l’UE, marquée par le poids croissant
de la ressource RNB, tend à limiter les possibilités de contrôle de la Cour en
déplaçant les opérations de recette au sein des administrations nationales.
De même, dans le cas des dépenses, près de 80 % des fonds sont gérés et
dépensés par les États membres. Aussi, la Cour est tenue de travailler dans
l’ensemble des langues de l’UE lors des contrôles dans les États membres.
Pour autant, c’est la Commission qui porte la responsabilité de l’ensemble
de la gestion, ce qui assure la cohérence du système institutionnel : la
délégation de gestion n’entraîne pas la délégation de responsabilité.
La DAS a conduit la Cour, qui avait une conception large des opérations
qu’elle a en charge de vérifier, à systématiser un contrôle annuel de
l’ensemble des paiements. Pour mener à bien cette tâche, elle s’appuie sur
une méthodologie statistique de contrôle par échantillonnage. La DAS
représente à elle seule plus de 40 % des moyens mobilisés par la Cour.
Jusqu’en 2016, la Cour n’avait jamais été en mesure de donner au
Parlement ou au Conseil une assurance raisonnable sur la légalité et la
régularité sous-jacentes aux comptes de l’UE, faisant douter de l’intérêt de
l’exercice. De 1994 à 2015, elle a systématiquement émis une opinion
défavorable, en raison d’irrégularités significatives dans les dépenses. Ces
irrégularités n’étaient pas sans lien avec la complexité de la réglementation
de l’UE et les aléas d’une exécution de l’essentiel du budget par un grand
nombre d’États membres.
Depuis l’exercice 2016, l’opinion de la Cour s’est cependant améliorée.
Pour les exercices 2016 à 2018, la Cour a émis une opinion favorable sur
les comptes (jugés fiables) et les recettes (jugées légales et régulières), mais
une « opinion avec réserve » sur les dépenses. En effet, si une partie
importante des dépenses contrôlées ne présentaient pas un niveau
significatif d’erreur, les dépenses fondées sur le remboursement de coûts
ont appelé une réserve, faisant obstacle à une opinion favorable.
En revanche, pour l’exercice 2019, la Cour, si elle a maintenu son opinion
favorable sur les comptes et les recettes, a donné une opinion défavorable
sur les dépenses. Cette dégradation est motivée par la hausse du niveau
d’erreur caractérisant les dépenses de l’UE, qui, après avoir longtemps
baissé, est passé de 2,4 % en 2017 à 2,7 % en 2019. Plus particulièrement,
le niveau d’erreur affectant les dépenses dites à haut risque (paiements
fondés sur des remboursements, règles complexes, etc.), qui représentent
elles-mêmes une part croissante des dépenses (plus de la moitié des
dépenses totales), a augmenté à 4,9 %, ce qui révèle selon la Cour un niveau
d’erreur « généralisé ». Cette appréciation n’est évidemment pas favorable à
l’image de l’UE.
c Le contrôle du Parlement
L’article 319 du TFUE prévoit que le Parlement, sur recommandation du
Conseil et statuant à la majorité absolue de ses membres, « donne décharge
à la Commission sur l’exécution du budget », ce avant le 30 avril de l’année
N + 2 (N étant l’année d’exercice), sauf raison motivée. Le Parlement vote
sur le budget général dans son ensemble ainsi que, mais de manière séparée,
sur les opérations financées par le Fonds européen de développement
(FED).
Le Parlement – et avant lui le Conseil – fonde sa décision sur la
recommandation du Conseil, sur l’examen des comptes de l’exercice et du
bilan financier, du rapport annuel de la Cour avec les réponses qui lui ont
été fournies (de la part des institutions comme des États membres), des
rapports spéciaux de la Cour et de la DAS. Il a également la faculté
d’entendre la Commission et d’exiger toute information estimée nécessaire.
Juridiquement, cette décharge permet de clore définitivement les comptes.
Politiquement, elle est l’expression du jugement porté par l’autorité
budgétaire (ou tout au moins sa partie parlementaire) sur son exécutant. Par
deux fois le Parlement a refusé de voter la décharge (dans un premier temps
en tout cas) : en 1984 puis en 1998, au titre de l’exercice 1996. Dans ce
dernier cas, le vote négatif a manifesté l’opposition du Parlement à la
Commission Santer, ce qui n’a pas été étranger à la démission de cette
dernière en mars 1999.
Outre le vote de la décharge, le Parlement dispose de moyens lui permettant
de contrôler en continu l’exécution du budget, notamment via la
commission du contrôle budgétaire (CONT, ex-COCOBU). L’article 319 du
TFUE permet ainsi au Parlement (en pratique la commission CONT)
d’auditionner la Commission1 sur l’exécution des dépenses et sur le
fonctionnement des systèmes de contrôle financier. La commission CONT
assure donc la vérification pour le Parlement de l’ensemble des mesures
d’exécution financières, budgétaires et administratives relatives au budget
général, au FED et, de manière restreinte, aux activités de la Banque
européenne d’investissement.
Le Parlement, à la demande d’au moins 25 % de ses membres, peut aussi
constituer une commission parlementaire d’enquête.
En conclusion, l’exécution du budget de l’UE a été modernisée par les
règlements financiers de 2002 et de 2012, lesquels insistent sur le principe
de bonne gestion financière et ont modernisé les procédures d’exécution,
notamment l’audit interne. Cette modernisation implique un contrôle
efficace, dont le Parlement et la Cour des comptes ont dans l’ensemble les
moyens – tout au moins pour un contrôle ciblé. Le fait que la Cour des
comptes soit dépourvue de pouvoir de sanction semble en particulier
compensé par le fait que le Parlement ait déjà témoigné être prêt à se servir
du sien si nécessaire.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• La Commission, les États membres et l’exécution du budget de l’UE
• La Cour des comptes européenne
RÉFÉRENCES
Commission européenne, Le règlement financier applicable au budget général de l’Union et
ses règles d’application, mars 2014.
Cour des comptes européenne, Rapport annuel sur l’exécution du budget 2019,
novembre 2020.
PARTIE 8
LES PRÉLÈVEMENTS
OBLIGATOIRES
Les ressources publiques, c’est-à-dire les ressources des administrations publiques, sont
constituées, outre de l’emprunt, essentiellement des prélèvements obligatoires (PO) et, plus
marginalement, d’autres ressources dites « non fiscales ». Ces dernières, à la différence
des PO, ne procèdent pas de prérogatives régaliennes mais s’apparentent à des
ressources de personnes privées, comme les produits du domaine.
La présente partie, après avoir commenté la structure des prélèvements obligatoires,
traitera des dépenses fiscales et des différents pans de la fiscalité, en incluant dans la
réflexion les autres prélèvements obligatoires.
CHAPITRE 21
La structure des prélèvements
obligatoires
NOTIONS À MAÎTRISER
• Impôts directs et impôts indirects.
• Impôts sur les revenus et les bénéfices ; impôts sur le patrimoine ; impôts sur les biens et
services ; impôts sur la production.
• Impôts proportionnels et impôts progressifs.
• Taxes affectées.
Une fois la notion de PO définie, dans sa diversité (cf. chapitre 3), une
typologie des impôts peut être esquissée, de manière à identifier les
particularités de la structure française des PO en général et du système
fiscal en particulier. Ce système fiscal se révèle être complexe en France.
1 Plusieurs typologies d’impôts
Au sein des impôts, qui constituent une sous-catégorie des prélèvements
obligatoires, plusieurs typologies peuvent être dressées.
1.1 Impôts directs et impôts indirects : laisse courte
ou laisse longue ?
Une première distinction peut être faite selon la manière dont un agent
économique est mis à contribution. Soit il acquitte directement un impôt,
soit il supporte économiquement le poids d’un impôt qu’il n’acquitte
pourtant pas directement.
À la première catégorie des « impôts directs » appartiennent ceux assis sur
les revenus, les bénéfices, le patrimoine ou une autre assiette permettant
d’appréhender directement une faculté contributive. L’impôt sur le revenu
(IR), l’impôt sur les sociétés (IS), l’impôt sur la fortune immobilière (IFI),
les taxes foncières, la taxe d’habitation sont ainsi des impôts directs. Un
impôt par capitation1 relèverait de cette même catégorie.
Les impôts directs sont proportionnels, lorsque leur taux ou leur tarif est
uniforme, ou progressifs, lorsque le taux, résultant d’un barème, croît avec
l’importance de l’assiette (un revenu plus élevé est ainsi imposé à un taux
moyen plus élevé qu’un revenu plus faible).
La seconde catégorie des « impôts indirects » abrite les impositions dont le
fait générateur est généralement une transaction portant sur un bien ou un
service. La taxe sur la valeur ajoutée, la taxe sur les transactions financières,
les taxes sur le chiffre d’affaires, les accises sur les produits de
consommation (énergie, tabacs, alcools…) sont des impôts indirects. Ils
sont pour la plupart dus non par le consommateur mais par l’entreprise
partie à la transaction, quand bien même le prix d’achat intègre le montant
de la taxe. Les droits de mutation à titre onéreux ou gratuit relèvent de cette
catégorie.
Ils sont généralement proportionnels mais peuvent être progressifs, à
l’instar des droits de mutation à titre gratuit (DMTG).
Cette classification n’est cependant pas totalement satisfaisante car, selon le
point de vue, un impôt peut être considéré comme direct ou indirect. Selon
qu’une taxe assise sur un salaire est due par le salarié (CSG, certaines
contributions salariales spécifiques) ou l’employeur (taxes sur les salaires,
forfait social…), elle sera considérée comme un impôt direct ou indirect du
point de vue du particulier. À l’inverse, du point de vue de l’entreprise, les
mêmes taxes peuvent être assimilées à un impôt indirect dans les deux cas
car la taxe due par le salarié renchérit la main-d’œuvre pour l’employeur,
tandis que la taxe due par ce dernier est assise sur une charge (et non sur un
bénéfice).
1.2 La classification la plus pertinente repose
sur l’assiette fiscale
Une seconde classification plus aisément exploitable, notamment pour les
comparaisons internationales, repose sur la nature économique de l’assiette
de l’impôt. À partir de la typologie retenue par l’OCDE, on peut ainsi
distinguer trois grands types d’impôts.
1°) Les impôts sur les revenus et les bénéfices.
Ils renvoient à une même approche d’imposition directe des facultés
contributives les plus immédiates des ménages (le revenu) et des entreprises
(le bénéfice).
Ils sont respectivement dus par les personnes physiques (IR et prélèvements
sociaux) et par les sociétés (IS et cotisations additionnelles).
2°) Les impôts sur le patrimoine.
Les facultés contributives peuvent aussi être appréhendées par d’autres
assiettes ou faits générateurs ayant pour point commun de renvoyer à la
détention, la jouissance ou la transmission d’un patrimoine.
La détention d’un ensemble de biens et de droits patrimoniaux immobiliers
est imposée dans le cadre de l’IFI. La transmission d’un patrimoine est
appréhendée par les droits de mutation à titre gratuit. La détention et
l’occupation de biens immobiliers sont taxées respectivement par les taxes
foncières et la taxe d’habitation (jusqu’à sa suppression) ou la cotisation
foncière des entreprises. La contribution à l’audiovisuel public est due à
raison de la jouissance d’un poste de télévision dans le foyer fiscal.
3°) Les impôts sur les biens et services (ou sur la « dépense »2).
La fiscalité des transactions constitue une troisième grande catégorie qui
embrasse les impôts portant sur la dépense. Elle comprend les impôts sur la
consommation de biens et services, qu’ils soient généraux (TVA),
spécifiques à des biens et services déterminés (tels les accises et les taxes
sur le chiffre d’affaires, à l’image de la taxe sur les billets de cinéma) ou
« autres » (rubrique balai intégrant les droits de timbre, dus à l’occasion de
la demande d’un passeport par exemple).
Il est possible d’y ajouter les impôts sur la production des entreprises. Cette
catégorie, agglomérée avec les impôts sur les biens et services dans les
enquêtes statistiques, renvoie aux impôts assis sur les salaires et la main-
d’œuvre, qui sont dus par l’employeur à raison d’une dépense, ou encore
aux impôts assis sur des soldes intermédiaires de gestion, telle la cotisation
sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).
Cette classification n’est naturellement ni exclusive, ni suffisante. Lorsque
l’on étudie les effets redistributifs de la fiscalité, on peut ainsi sérier cette
dernière entre impôts proportionnels, progressifs ou régressifs, en se
référant aux taux ou tarifs des impôts, tout en tenant compte des règles
d’assiette. Ainsi, plus le taux d’un impôt est progressif en fonction de son
assiette (typiquement : le revenu), plus il est redistributif.
2 Au regard de la structure moyenne dans l’OCDE,
la France se détache nettement
En reprenant la classification retenue par l’OCDE, la structure des
prélèvements obligatoires apparaît hétérogène selon les pays. Au regard de
la structure moyenne tant des PO que des impôts, la France se caractérise
par des singularités assez nettes.
2.1 La moyenne OCDE fait apparaître un équilibre entre
impôts sur les revenus, impôts sur les biens et services
et cotisations sociales
Au premier rang des prélèvements obligatoires dans l’OCDE figurent les
impôts sur les biens et services et sur les salaires, avec une moyenne de
11,4 % du PIB (cf. tableau 1). Viennent ensuite les impôts sur les revenus et
les bénéfices, avec 11,3 % du PIB. Les impôts sur le patrimoine
représentent une part moyenne relativement marginale, avec 1,9 % du PIB,
mais sont très variables selon les pays. Enfin, les cotisations sociales
représentent 9,0 % du PIB.
Cette part prise par les cotisations sociales peut sembler modérée au regard
du poids des assurances sociales dans les pays développés. Cela s’explique
par les modalités d’organisation et de financement diverses retenues pour
l’action publique en matière de protection sociale. En premier lieu, les
systèmes de protection sociale peuvent compter une part reposant sur
l’assurance privée, ce qui exclut les cotisations afférentes du champ des
prélèvements obligatoires3. En second lieu, l’assurance publique peut
également être financée par des prélèvements de nature fiscale, ce qui réduit
d’autant l’importance des cotisations sociales.
Tableau 1 : Structure des PO en France, en Allemagne et dans l’OCDE
En % du PIB
En 2019
France Allemagne OCDE (2018)
Impositions sur les revenus et les bénéfices 11,8 12,6 11,3
Impositions sur le patrimoine 4,0 1,1 1,9
Impositions sur les biens et services et sur les
salaires 14,1 10,4 11,4
Cotisations sociales 14,9 14,7 9,0
Source : Auteurs, à partir de données OCDE.
2.2 La France se caractérise par des impositions
sur le patrimoine et des cotisations sociales élevées
En comparaison, la structure des prélèvements obligatoires de la France fait
apparaître quatre faits notables.
Premièrement, avec 11,8 % du PIB, les impositions sur les revenus et les
bénéfices, malgré le doublonnement entre impôt sur le revenu et
prélèvements sociaux (cf. chapitre 23), sont en France seulement
légèrement supérieures à la moyenne OCDE. Cet écart a cependant été
réduit et est compensé par l’imposition sur le patrimoine.
Deuxièmement, les impôts pesant sur le patrimoine, avec 4,0 % du PIB,
sont environ deux fois plus élevés que la moyenne OCDE et quatre fois plus
qu’en Allemagne. Le niveau français n’apparaît cependant pas extravagant
(cf. chapitre 24).
Troisièmement, avec 14,1 %, la France est au-dessus de la moyenne du taux
d’impôts sur les biens et services et sur les salaires, en raison surtout du
poids des taxes sur ceux-ci.
Quatrièmement, les cotisations sociales représentent 14,9 % du PIB, soit
66 % de plus que la moyenne OCDE (cf. chapitre 3). Malgré cet écart, qui a
baissé depuis 2018, les cotisations sociales ne sont pas seules à financer la
protection sociale, qui bénéficie en outre du concours de plusieurs impôts
(cf. chapitre 17).
Certaines des spécificités de la structure du système fiscal français ne sont
pas sans lien avec l’existence des dépenses fiscales (cf. chapitre 22), qui ont
pour effet, toutes choses égales par ailleurs, de réduire le poids des impôts
dans le PIB. De fait, en proportion des recettes nettes qu’ils procurent, les
impôts français sur les revenus et les bénéfices sont les impôts les plus
marqués par les dépenses fiscales.
3 Un système fiscal complexe
3.1 Un nombre important et croissant d’impôts
Il n’existe pas de recensement exhaustif des impositions de toute nature
perçues en France, leur appréhension globale n’étant pas facilitée par la
pluralité des administrations chargées de leur gestion et par la difficulté à
tracer la frontière avec d’autres prélèvements, telles les contributions
volontaires obligatoires (CVO)4. En tout état de cause, il en existe plusieurs
centaines.
a Une propension française à créer de nouveaux impôts
Clemenceau relevait : « La France est un pays extrêmement fertile : on y
plante des fonctionnaires et il y pousse des impôts ». Il est vrai que l’on
crée davantage d’impôts que l’on en supprime. Les suppressions, par
exemple de l’imposition forfaitaire annuelle (IFA) en 2014, sont rares. Les
créations sont plus fréquentes. Ainsi, la LFI pour 2012 a créé six impôts,
dont seuls les deuxième et troisième cités n’existent plus : la contribution
sur les hauts revenus, la taxe de financement de la réserve des nouveaux
entrants dans le système d’échange de quotas de CO2, la taxe dite
« Apparu » sur les loyers élevés des logements de petite surface, deux
cotisations sur les boissons à sucre ajouté et celles contenant des
édulcorants, la taxe « brouillage » finançant les interventions de l’Agence
nationale des fréquences. On peut également citer la création par la loi du
27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et
d’affirmation des métropoles (dite MAPTAM) de la taxe pour la gestion des
milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI),
additionnelle à des impôts locaux qu’il suffisait d’augmenter.
La propension à créer de nouvelles taxes peut s’expliquer par plusieurs
facteurs, respectivement juridique, politique et technique.
1. La fiscalité est un domaine dans lequel la France a largement conservé
sa compétence, même si elle est souvent encadrée par le droit de
l’Union européenne.
2. Pour atteindre un objectif de politique publique donné, le recours à une
taxe ad hoc est rarement le seul choix qui s’offre au gouvernement.
Mais c’est souvent un choix commode : la visibilité médiatique est
forte et des recettes fiscales nouvelles sont toujours les bienvenues. La
France peut en outre compter sur une administration fiscale efficace et
sur une relativement bonne acceptation sociale de l’impôt.
3. La multiplication des impôts correspond souvent à un réglage fin (ou
fine tuning) dans la recherche d’un système fiscal compétitif et
équitable. Par ailleurs, un impôt se doit d’être cohérent et risquerait la
censure du Conseil constitutionnel s’il était composite et poursuivait
plusieurs objectifs.
La taxe professionnelle supprimée par la LFI pour 2010 (cf. chapitre 25) a
ainsi été remplacée par trois impôts : une contribution économique
territoriale (CET) composée d’une cotisation foncière des entreprises
(CFE), dont le taux est déterminé au niveau territorial, et d’une cotisation
sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), dont le taux est défini au
niveau national ; une imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux
(IFER), composée de diverses cédules (transformateurs électriques,
trains…) et destinée à faire payer les gagnants de la réforme. Cette réforme
montre que la France est capable de modifier en profondeur son système
fiscal. Mais modernisation n’est pas (toujours) simplification.
Cette multiplication des impôts trouve du reste des limites naturelles. D’une
part, modéliser les effets (budgétaire, économique, social,
environnemental…) de l’institution de nouveaux impôts est un exercice
complexe, reposant largement sur des conventions, de sorte que l’intention
initiale peut ne pas être atteinte. D’autre part, une taxe à faible rendement
soulève la question de son coût de gestion, généralement
proportionnellement plus élevé que pour des impôts à rendement élevé. La
logique économique conduit à privilégier des impôts dont le coût de gestion
est faible, afin de maximiser la rentabilité du système fiscal.
b L’équilibre du système fiscal repose sur des combinaisons
d’impôts aux caractéristiques propres
Les cotisations sociales obéissent à une logique à part : de nature
assurantielle et prélevées sur les revenus d’activité (exceptionnellement, sur
les revenus de remplacement), elles ouvrent des droits aux cotisants. Ces
droits étant souvent limités, les cotisations sont historiquement plafonnées,
c’est-à-dire calculées uniquement pour la seule fraction du salaire inférieure
au plafond de la Sécurité sociale. L’introduction d’une logique de
redistribution verticale, concrétisée par un large déplafonnement, a
cependant perverti la conception originelle des cotisations sociales.
Chaque impôt a, en principe, une fonction propre qui marque sa conception
et qui justifie que ses caractéristiques sont distinctes de celles d’un autre
impôt. Ces singularités expliquent la coexistence d’impôts que d’aucuns
pourraient envisager de fusionner voire de supprimer, comme l’IR et la
CSG.
S’agissant de l’imposition du revenu des personnes physiques, l’IR a pour
objet de taxer les revenus de manière progressive, dans une double optique
budgétaire et d’équité, en tenant compte de toutes les facultés contributives
du foyer ; par exception, des prélèvements proportionnels sont cependant
appliqués, notamment pour les revenus du capital (hors revenus fonciers).
Quant aux prélèvements sociaux, ils taxent proportionnellement les
catégories de revenus dans une logique de rendement, pour financer les
dépenses des ASSO. Enfin, la contribution exceptionnelle sur les hauts
revenus (CHR) se situe dans le prolongement de l’IR et surimpose, de
manière temporaire, dans une logique de solidarité nationale et de
rendement, les bénéficiaires de hauts revenus.
L’imposition de la détention du patrimoine est double. D’une part, l’IFI taxe
les grandes fortunes immobilières dans un objectif d’équité nationale, en
frappant une catégorie de redevables dotée d’une faculté contributive
potentielle particulièrement élevée. D’autre part, les taxes foncières ont
surtout pour objet de contribuer aux charges des collectivités territoriales,
notamment des charges fixes induites par la présence d’une habitation ou
d’un terrain.
L’imposition des entreprises est également plurielle. Les bénéfices, qui
représentent le plus directement les facultés contributives des entreprises,
sont imposés dans le cadre de l’IS ou de l’IR, selon le statut ou l’option de
l’entreprise. Pour faire contribuer les grandes entreprises, mêmes
déficitaires, une contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) assise
sur le chiffre d’affaires a été instituée. Des taxes affectées sont également
dues par l’ensemble des entreprises, notamment à raison de la masse
salariale, pour financer des dépenses (transport, formation…) dont les
entreprises profitent indirectement et ainsi internaliser le coût réel du
facteur travail, ainsi qu’à raison de la valeur ajoutée (CVAE) et des
immobilisations foncières (CFE), pour financer les charges des collectivités
territoriales.
Enfin, les impôts indirects ont pour une part un objectif de rendement ; c’est
le cas de la TVA. Certains intègrent cependant des objectifs
comportementaux et environnementaux, notamment les accises dues sur les
produits énergétiques, les tabacs, les alcools ou encore les boissons à sucre
ajouté…
L’existence d’un impôt trouve ainsi toujours au moins une justification, ce
qui explique qu’il soit difficile d’en supprimer. La révision générale des
prélèvements obligatoires (RGPO) engagée par le président de la
République Nicolas Sarkozy en 2008, malgré des réalisations importantes
(notamment la suppression de la taxe professionnelle), n’a ainsi pas eu le
même retentissement que la RGPP. D’autres ambitions de « remise à plat »
de la fiscalité (gouvernement Ayrault en 2014) ont buté sur les mêmes
écueils.
3.2 Des circuits financiers et comptables multiples
Nonobstant le principe d’universalité budgétaire, la destination des sommes
prélevées par l’impôt est une question qui intéresse le citoyen. Or les
affectations totales ou partielles de recettes fiscales et l’enchevêtrement de
flux financiers, même réalisés en toute transparence, ne facilitent pas la
compréhension du système fiscal, ce qui est susceptible de nuire au
consentement à l’impôt, comme l’a illustré la crise des Gilets jaunes
déclenchée à l’automne 2018 par la hausse de la composante carbone de la
TICPE.
a Des prélèvements revenant à l’Union européenne
Premièrement, des prélèvements obligatoires sont versés directement et
indirectement à l’Union européenne (cf. chapitre 20).
D’une part, les droits de douane et assimilés (cotisations sur le sucre, droits
agricoles) collectés par la France constituent des ressources propres
traditionnelles de l’UE et lui sont par conséquent directement reversés,
moyennant cependant une quote-part conservée par la France (25 %) au
titre des frais d’assiette et de recouvrement.
D’autre part, les recettes fiscales effectivement perçues par l’État sont
diminuées des prélèvements sur recettes reversées à l’Union européenne, au
titre des ressources TVA et RNB (revenu national brut) de l’UE.
b Des impositions affectées aux ASSO et aux APUL
Deuxièmement, des impôts sont affectés à la protection sociale
(cf. chapitre 17)5. Il s’agit principalement des prélèvements sociaux sur les
revenus, de la C3S et de certaines accises, notamment sur les tabacs.
Cependant, une fraction de la TVA nette de l’État est reversée aux ASSO,
ce vecteur permettant d’affecter à ces dernières le produit de certaines
réformes, par exemple de la diminution du plafond du quotient familial par
la LFI pour 2014 (1 Md€), ou de compenser certaines baisses de recettes de
la Sécurité sociale induite par la politique de l’État (e.g. des allégements de
charges).
Troisièmement, la fiscalité locale est un ensemble disparate (cf. chapitre 15)
dans lequel l’État se trouve aussi dans la position de contribuable.
Il existe tout d’abord un prélèvement sur recettes au profit des collectivités
territoriales, pendant à celui existant au profit de l’UE. Il est le vecteur de
dotations qui présentent un caractère budgétaire, tel le FCTVA, et ne
relèvent pas de la fiscalité locale.
À l’inverse, les impôts locaux, telles les taxes foncières, constituent bien
des ressources fiscales. Il en est de même de la fiscalité transférée aux
collectivités territoriales, c’est-à-dire des impôts dont ces dernières
perçoivent tout ou partie du produit sans avoir de marge de manœuvre,
notamment quant au taux (TICPE, TSCA…).
Il faut cependant ajouter que l’État prend en charge des dégrèvements
d’impôts locaux décidés par le législateur et, si la loi le prévoit, compense
aux collectivités locales des exonérations d’impôts. Dans cette mesure,
l’État est un contribuable local. Toutefois, il perçoit aussi des frais de
gestion sur ces impôts locaux ; ces frais constituent juridiquement et
comptablement des recettes fiscales de l’État.
c Des taxes affectées au sein de la sphère État
Quatrièmement, des impôts sont affectés, toujours en vertu d’une
disposition expresse de la loi de finances, à des opérateurs de l’État ou
organismes chargés de missions de service public, personnes morales
distinctes de l’État. Ce mode de financement public, dérogatoire au principe
d’universalité budgétaire (cf. chapitre 7), s’est fortement développé au cours
de la décennie passée. En juillet 2018, cinq ans après avoir publié un
premier rapport sur la fiscalité affectée, le Conseil des prélèvements
obligatoires recensait, hors collectivités locales et organismes de Sécurité
sociale, quelques 150 taxes affectées à des entités distinctes de l’État pour
des recettes fiscales de près de 30 Md€. 87 de ces taxes avaient un
rendement inférieur à 150 M€ en 2017.
Afin de maîtriser les dépenses des opérateurs et de réaffirmer les principes
budgétaires, le gouvernement a engagé un travail de limitation et de
pilotage des ressources des opérateurs provenant des taxes affectées. Certes,
l’affectation de recettes fiscales à des entités distinctes de l’État conserve
une justification économique dans de nombreux cas, lorsque les taxes sont
acquittées dans une logique de redevance (telle la contribution à
l’audiovisuel public) ou que l’opérateur recouvre lui-même les taxes.
Cependant, alors que les dépenses de l’État baissent (cf. chapitre 2), la
plupart des taxes affectées ont connu et connaissent encore une évolution
dynamique, sans que celle-ci soit nécessairement en adéquation avec les
besoins liés aux missions de service public qui leur ont été confiées.
C’est pourquoi l’article 46 de la LFI pour 2012, toujours applicable, a
introduit un principe de plafonnement individuel de certaines taxes
affectées : au-delà d’un certain montant défini par la loi de finances, les
recettes sont écrêtées et versées au budget général de l’État. Ce
plafonnement a été étendu à de nouvelles taxes par les LFI successives et
concerne désormais plus de 70 taxes dont les recettes représentent
18,8 Md€. Au-delà du plafonnement, des mesures exceptionnelles ont été
prises, consistant à opérer un prélèvement sur des fonds de financement et
des fonds de roulement de plusieurs opérateurs (chambres de commerce et
d’industrie, chambres d’agriculture et agences de l’eau) dont la trésorerie a
été jugée excessive au regard des missions assumées, pour un rendement de
350 M€ en 2017.
En termes statiques, cette mesure est neutre pour le contribuable, le montant
de l’impôt n’étant pas modifié. Toutefois, en termes dynamiques, elle
contribue à limiter les dépenses des opérateurs et donc leur financement par
l’impôt.
Enfin, la LPFP 2014-2019 (article 16) a construit une gouvernance de la
fiscalité affectée à des tiers (hors collectivités locales et organismes de
Sécurité sociale), largement reprise par la LPFP 2018-2022 (article 18).
Premièrement, une doctrine est fixée pour limiter le recours à l’affectation
de taxes à trois cas limitatifs, dans lesquels une taxe affectée est justifiée sur
le plan économique. Sont ainsi reconnues comme légitimes les taxes
affectées présentant une logique de « quasi-redevance » (la ressource résulte
d’un service rendu par l’affectataire à un usager), de prélèvement sectoriel
(la ressource finance des actions d’intérêt commun pour un secteur
d’activité) ou de contribution assurantielle (la ressource finance des fonds
dans une logique de mutualisation du risque). Deuxièmement, le
plafonnement d’une taxe affectée est la règle, toute exception devant être
dûment justifiée dans l’annexe du PLF sur les voies et moyens (tome 1).
Troisièmement, pour assurer son effectivité, le niveau du plafond ne peut
excéder de plus de 5 % le rendement prévisionnel de la taxe considérée.
*
La France montre des spécificités dans sa structure de PO : un niveau
encore élevé de cotisations sociales, malgré une fiscalisation partielle de la
protection sociale, une préférence pour les impôts indirects et les impôts sur
le patrimoine, plutôt que sur le revenu.
Sans parler de spécificité, la France se caractérise également par un système
fiscal complexe, avec des impôts nombreux et des flux financiers divers.
Cette complexité est néanmoins la contrepartie de la recherche d’un
système fiscal adapté aux enjeux économiques, sociaux et politiques que
connaît notre pays.
En réalité, au-delà du « système fiscal » proprement dit, il faut aussi
regarder plus globalement le système des PO, tant les liens entre fiscalité et
autres PO sont étroits. À cet égard, l’institution du crédit d’impôt
compétitivité emploi (CICE) par la LFI 2013 puis son remplacement par
des allègements de charges en LFSS 2018 témoignent de ce que les grands
enjeux de compétitivité des entreprises, de coût du travail et de taxation des
ménages ne peuvent être toujours traités en retouchant de manière ciblée un
impôt ou une cotisation.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• La structure des ressources des administrations publiques
• Impôts proportionnels / impôts progressifs
• Impôts directs et impôts indirects
• Les taxes affectées
RÉFÉRENCES
Commission européenne et Eurostat, Taxation Trends in the EU, Luxembourg, Publications
office of the European Union, 2020.
CPO, Les taxes affectées : des instruments à mieux encadrer, juillet 2018.
CHAPITRE 22
Les dépenses fiscales, point
de fuite de la dépense
publique ?
NOTIONS À MAÎTRISER
• Dépense fiscale, niche sociale, niche.
• Réduction d’impôt, crédit d’impôt, exonération, abattement, taux réduit.
Les Français, nicheurs devant l’Éternel
Rarement un instrument fiscal a été autant montré du doigt et rendu
impopulaire, sous le vocable de « niche », introduisant un grand
malentendu : les dépenses fiscales ne sont pas nécessairement des mesures
dérogatoires bénéficiant indûment à des particuliers aisés ou à de grandes
entreprises mais, plus souvent, des avantages dont bénéficie à des degrés
divers le plus grand nombre sans pour autant imaginer qu’il s’agit d’une
niche honnie !
Cette réalité explique largement pourquoi la publication du rapport du
comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales (dit rapport
Guillaume ou « IGF ») le 29 août 2011 n’a pas donné lieu au grand ménage
auquel on aurait pu s’attendre. En effet, 67 % et 37 % du coût,
respectivement, des dépenses fiscales et des niches sociales évaluées par le
comité résultent de mesures cotées « 0 » (inefficaces) ou « 1 » (peu
efficientes).
Selon la définition officielle, « Les dépenses fiscales sont des dispositions
législatives ou réglementaires dont la mise en œuvre entraîne pour l’État
une perte de recettes et donc, pour les contribuables, un allégement de leur
charge fiscale par rapport à ce qui serait résulté de l’application de la
norme, c’est-à-dire des principes généraux du droit fiscal français ». Les
« niches sociales » en sont l’équivalent dans le domaine des finances
sociales (impositions et cotisations sociales). À noter que l’on ne parle pas
de « niches locales » – qui existent pourtant.
Pour se limiter aux finances de l’État, on recense en 2021 475 dépenses
fiscales – plus qu’en 2017, où l’on en recensait 4511. Leur coût total est
estimé à 85,9 Md€ en 2021. Soit davantage que le rendement de l’IR prévu
pour cette même année (74,9 Md€).
L’importance de leur volume financier souligne que les dépenses fiscales
sont devenues un mode d’intervention de l’État, au même titre que les
subventions budgétaires, alors même que leur efficacité et leur efficience ne
sont pas systématiquement démontrées et que leur nature dérogatoire
fragilise l’équité du système fiscal. La question à se poser est moins celle de
leur suppression brutale et systématique que celle de leur évaluation et de
leur réforme.
Limitant le rendement des recettes fiscales, les niches fiscales ont un poids
croissant sans avoir toutes démontré leur efficacité (I). L’amélioration de
l’information sur leur périmètre et leur montant doit permettre de mener à
bien une réforme des niches fiscales pour les rendre plus cohérentes (II).
1 Les niches fiscales ont un poids croissant sans
avoir toutes démontré leur efficacité
Né dans des circonstances hétérogènes, obéissant à des motivations
diverses, l’ensemble composite que constituent les dépenses fiscales a pour
point commun d’avoir un coût aboutissant à une addition élevée alors même
que nombre d’entre elles sont mal évaluées.
1.1 Instrument de redistribution et d’incitation,
les dépenses fiscales coûtent cher
L’existence de dépenses fiscales n’est pas une situation anormale, cette
technique étant probablement aussi ancienne que l’impôt lui-même. Les
exigences modernes de transparence des finances de l’État ont cependant
conduit à les identifier, voire à les recenser. Dès 1967, l’Allemagne fédérale
publie un premier rapport sur les subventions (Erster Subventionsbericht),
incluant les avantages fiscaux. L’année suivante, l’administration
américaine présente un budget des dépenses fiscales (tax expenditures). En
France, faisant suite à un rapport du Conseil des impôts publié en 1979, le
gouvernement présente chaque année depuis 1980, en annexe du PLF, un
rapport sur les dépenses fiscales. Une démarche systématique remarquable
qui met la France à la pointe de la transparence sur le sujet. À titre de
comparaison, l’Allemagne ne procède pas à un suivi exhaustif et continu
des dépenses fiscales.
a Le concept de niches fiscales recouvre un ensemble de 470
mesures aux finalités différentes
Les dépenses fiscales prennent des formes variées :
• la réduction d’impôt (RI) diminue le montant de l’impôt (e.g. RI pour
dons aux œuvres d’intérêt général) ;
• le crédit d’impôt (CI) est également une somme venant diminuer
l’impôt mais, à la différence d’une RI, si cette somme est supérieure à
l’impôt dû, la différence est remboursée au contribuable (e.g. CI pour
services à la personne) ;
• l’exonération consiste à soustraire à l’impôt des éléments de son
assiette (e.g. exonération des allocations familiales) ;
• l’abattement consiste à ne soumettre à l’impôt qu’une fraction d’un
élément de son assiette (e.g. abattement de 10 % sur les pensions) ;
• le taux réduit d’imposition (e.g. le taux réduit de TVA sur la
restauration) ;
• d’autres dispositifs, tel un dégrèvement d’impôt (tout ou partie de
l’impôt n’est pas dû) ou encore une demi-part de quotient familial telle
celle accordée aux vieux parents (l’impôt est calculé de manière
avantageuse).
Attention, il ne suffit pas qu’un dispositif prenne une des formes énumérées
ci-dessus pour constituer une dépense fiscale ; encore faut-il qu’il soit
dérogatoire.
Les dépenses fiscales peuvent être « passives » (ou horizontales) ou
« actives » (ou verticales) : dans le premier cas, elles sont liées à une
situation de fait et ont généralement pour objectif d’aider une catégorie de
contribuable (par exemple les habitants des départements d’outre-mer),
dans le second, elles ont un objectif incitatif et concourent ainsi à une
politique publique (du logement par exemple).
b Le montant des dépenses fiscales a longtemps progressé
en dehors de la norme de dépense
Entre 2001 et 2009, les dépenses fiscales ont constamment augmenté, tant
en nombre (augmentation de plus de 20 % sur la période) qu’en montant
(augmentation de plus de 15 %). Après une baisse entre 2009 et 2013, le
coût des dépenses fiscales est reparti à la hausse à compter de 2014, sous
l’effet de la création du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE). La
baisse puis la suppression du CICE (cf. chapitre 25) ont permis de faire
décliner ce coût depuis 2019, mais en contrepartie de l’augmentation des
niches sociales…
Cette hausse ne résulte pas seulement d’une politique délibérée, tant il est
difficile de maîtriser le coût des dépenses fiscales, qui dépend du
dynamisme des recettes fiscales et des comportements des agents.
Néanmoins, le fait que les dépenses fiscales échappent aux normes de
dépense budgétaires (cf. chapitre 7) et puissent juridiquement figurer dans
des lois ordinaires a concouru à leur foisonnement.
1.2 Les dépenses fiscales limitent le rendement
de l’impôt alors que leur efficacité et leur efficience ne sont
pas toujours démontrées
a Les dépenses fiscales, très concentrées, limitent
le rendement des impôts
Le coût des dépenses fiscales est très concentré : 15 d’entre elles
représentent à elles seules plus de 50 % du coût total des dépenses fiscales,
comme l’illustre le tableau 1.
39 % du coût des dépenses fiscales, soit 33,9 Md€ en 2021, concerne
l’impôt sur le revenu (hors dépenses fiscales communes à l’IR et à l’IS).
Ainsi, en théorie2, la suppression de l’ensemble des dépenses fiscales
touchant l’impôt sur le revenu conduirait à augmenter son rendement de
près de moitié.
À cet égard, le fait que l’IR soit recouvré sur rôle n’est pas neutre. Le
recouvrement sur rôle appuyé sur une déclaration de revenus permet
aisément d’attribuer des réductions et crédits d’impôt dans ce cadre. Ceci y
compris lorsque le recouvrement sur rôle intervient à titre de régularisation
postérieurement à une retenue à la source (situation que connaît la France
depuis 2019). En revanche, un impôt comme la CSG, prélevé à taux
proportionnel par un tiers et non assorti d’un dispositif de régularisation en
N + 1, n’est pas compatible avec l’existence de réductions et crédits
d’impôt – ce qui n’empêche pas les exonérations et les taux réduits.
b L’efficacité et l’efficience des niches fiscales ne sont
pas systématiquement démontrées ex ante et ex post
Le constat sévère dressé par le comité d’évaluation des dépenses fiscales et
des niches sociales en 2011 ne révèle pas seulement que nombre de niches
sont pas ou peu efficaces, il fait également apparaître que les niches
n’étaient pas systématiquement évaluées.
Tableau 1 : Les principales dépenses fiscales
Numéro Chiffrage
Ordre de la Mesure pour
mesure 2021*
1 210324 Crédit d’impôt en faveur de la compétitivité et de l’emploi 8 027
2 200302 Crédit d’impôt en faveur de la recherche 6 400
Abattement de 10 % sur le montant des pensions (y compris
3 120401 4 257
les pensions alimentaires) et des retraites
4 110246 Crédit d’impôt au titre de l’emploi d’un salarié à domicile 3 800
5 730213 Taux de 10 % pour les travaux d’amélioration, de 3 360
transformation, d’aménagement et d’entretien, autres que
les travaux de rénovation énergétiques soumis au taux de
5,5 % en application de l’article 278-0 bis A, portant sur les
logements achevés depuis plus de deux ans
Taux de 10 % pour la restauration commerciale
6 730221 (consommation sur place et vente à emporter en vue d’une 3 020
consommation immédiate)
Exonération des sommes versées au titre de la participation,
de l’intéressement, de l’abondement ou d’un partage de plus-
7 120108 2 200
value, aux plans d’épargne salariale et aux plans d’épargne
retraite d’entreprise collectifs ou obligatoires
Niveau des taux en Guadeloupe, en Martinique et à La
8 710103 Réunion (8,5 % pour le taux normal et 2,1 % pour le taux 2 110
réduit)
Exonération de l’impôt sur le revenu dans une limite
annuelle égale à 5 000 € des rémunérations versées à raison
9 120146 des heures supplémentaires et complémentaires réalisées à 2 091
compter du 1er janvier 2019
Exonération des prestations familiales, de l’allocation aux
adultes handicapés ou des pensions d’orphelin, de l’aide à la
10 120202 famille pour l’emploi d’une assistante maternelle agréée, de 1 975
l’allocation de garde d’enfant à domicile, et, depuis le 1er
janvier 2004, de la prestation d’accueil du jeune enfant
Exonération en faveur des personnes âgées, handicapées
11 070101 1 944
ou de condition modeste
Exclusion des collectivités relevant de l’article 73
12 800401 1 745
de la Constitution du champ d’application
13 130201 Déduction des dépenses de réparations et d’amélioration 1 650
14 110201 Réduction d’impôt au titre des dons 1 510
Tarif réduit (remboursement) pour le gazole non routier,
15 800229 le fioul lourd et les gaz de pétrole liquéfié utilisés pour les 1 420
travaux agricoles et forestiers
Total 45 509
Source : Tome II du fascicule sur les voies et moyens annexé au PLF 2021.
Rares étaient les dépenses fiscales ayant fait l’objet d’une étude d’impact
préalable. Ce n’est que depuis la mise en œuvre de la loi constitutionnelle
du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République que
les nouvelles dépenses fiscales sont préalablement évaluées, pour autant
qu’elles figurent dans un projet de loi.
Quant à l’évaluation ex post, par manque d’organisation de l’État et par
facilité, elle était laissée aux rapports des corps de contrôle et d’inspection
(cf. le rapport du CPO, Entreprises et niches fiscales et sociales, 2010).
Cette situation regrettable a favorablement évolué depuis les années 2010.
2 L’amélioration de la gouvernance des dépenses
fiscales doit permettre de les rationaliser
En termes de règles, d’information, d’évaluation, les progrès de la science
et de la gestion des dépenses fiscales sont constants. Pour autant, la
situation actuelle reste insatisfaisante tant la révision des dépenses fiscales
n’a été que partielle.
2.1 L’information et l’encadrement du recours
aux dépenses fiscales ont été améliorés
a L’information du Parlement et des citoyens sur le périmètre
et le montant des dépenses fiscales a été perfectionnée
Depuis 1980, le PLF comprend chaque année un rapport sur les dépenses
fiscales (tome II du fascicule « Voies et moyens » annexé au PLF), qui
permet d’appréhender avec une vue d’ensemble le périmètre des dépenses
fiscales. En outre, chaque PAP présente depuis 2005 les dépenses fiscales
qui lui sont rattachées au même titre que ses crédits budgétaires.
Le tome II a été plusieurs fois enrichi, accroissant la transparence de
l’information fournie par le gouvernement. Depuis le PLF 2009, le tome II
met en valeur les mesures nouvelles et les dépenses supprimées. Depuis le
PLF 2012, il présente la norme fiscale de référence utilisée pour estimer
l’impact budgétaire d’une dépense fiscale. Depuis le PLF 2013, il intègre
une brève présentation des mesures considérées non comme des dépenses
fiscales mais comme des modalités de calcul de l’impôt.
Chaque dépense fiscale est accompagnée d’un chiffrage et de précisions sur
leurs bénéficiaires, notamment leur nombre. Toujours par transparence, le
tome II présente un indicateur de fiabilité du chiffrage. Ainsi, en 2021, le
chiffrage de près de 50 % des dépenses fiscales était très bon (143 sur 475)
ou bon (91) – pour les autres, seul un ordre de grandeur est indiqué (142), à
moins que la mesure ne soit pas chiffrable (65) ou soit considérée comme
« sans impact » (34) !
b Des règles d’encadrement du recours aux dépenses fiscales
ont été adoptées depuis 2009
Tout d’abord, des objectifs pesant sur le coût global des dépenses fiscales et
des niches sociales ont été fixés depuis 2009.
Un objectif de gel du montant des dépenses fiscales a d’abord été adopté.
Ainsi, les LPFP 2011-2014, 2012-2017 et 2014-2019 entendaient stabiliser
le coût global des dépenses fiscales en valeur, à périmètre constant (c’est-à-
dire hors déclassements ou reclassements). Cet objectif a été transposé aux
niches sociales à compter de 2015, mais avec un gel en volume. Geler le
coût des niches, surtout en valeur, était ambitieux puisque les recettes
fiscales progressent en général plus vite que l’inflation et que les dépenses
fiscales suivent pour la plupart l’évolution des recettes fiscales. De fait,
l’objectif n’a pas été atteint.
Aussi la LPFP 2018-2022 retient-elle un objectif exprimé en pourcentage
des recettes fiscales (pour les dépenses fiscales) et sociales (pour les niches
sociales). Son article 20 dispose que le rapport entre, d’une part, le montant
annuel des dépenses fiscales et, d’autre part, la somme des recettes fiscales
nettes du budget général de l’État et des dépenses fiscales ne peut excéder
28 % pour les années 2018 et 2019, 27 % pour l’année 2020, 26 % pour
l’année 2021 et 25 % pour l’année 2022. Cette décroissance tient compte de
la baisse du coût du CICE à compter de 2019. Plus réaliste, cet objectif est
respecté depuis 2018 et devrait l’être à nouveau en 2021, le ratio étant
anticipé à 24,1 % seulement – les restrictions sanitaires et la crise
économique liée à la Covid-19 ont en effet réduit le recours aux dépenses
fiscales (taux de TVA réduit dans la restauration, crédit d’impôt pour les
services à la personne à domicile, etc.).
C’est en revanche un pourcentage fixe qui a été retenu pour arrêter le
plafond applicable aux niches sociales : l’article 21 de la LPFP 2018-2022
prévoit que celles-ci, à savoir le montant annuel des exonérations ou
abattements d’assiette et réductions de taux s’appliquant aux cotisations et
contributions de Sécurité sociale affectées aux régimes obligatoires de base
ou aux organismes concourant à leur financement, ne doivent pas excéder
14 % du total constitué des recettes de la Sécurité sociale et des niches
sociales non compensées par l’État. Ce ratio est attendu à 12,8 % en 2021
(avec 66,6 Md€ de niches sociales), contre seulement 9,1 % en 2018, sous
l’effet notamment des allègements de cotisations patronales intervenus en
2019.
Ensuite, des règles de gouvernance pour une « gestion responsable des
finances publiques » ont été fixées.
Premièrement, selon une règle issue de la RGPP, les créations ou extensions
de niches ne sont applicables que pour une durée limitée, fixée par le texte
qui les institue. La LPFP 2018-2022 dispose que cette durée ne peut
dépasser quatre ans pour les dépenses fiscales (article 20) et trois ans pour
les niches sociales (article 21). Cette durée maximale plus longue pour les
dépenses fiscales se justifie par le fait que bon nombre d’entre elles
interviennent avec un an de décalage, ce qui décale d’autant le temps de
leur évaluation.
Deuxièmement, le gouvernement a institué le 4 juin 2010 par voie de
circulaire un « monopole fiscal » des lois de finances et des LFSS : une
mesure fiscale ne doit plus figurer dans un projet de loi ordinaire. Si les
gouvernements successifs ont confirmé ce principe3, les assemblées
parlementaires n’ont néanmoins pas pris d’engagement similaire.
Troisièmement, la circulaire du Premier ministre du 14 janvier 2013 relative
aux règles pour une gestion responsable des dépenses publiques prévoit
qu’une réduction de niche ne doit pas être recyclée en dépense budgétaire
et, surtout, que le recours à une dépense fiscale ne peut pas venir en
substitution à une dépense budgétaire et doit être compensé par la
diminution d’une autre dépense fiscale.
À cet égard, l’évolution en 2014 des normes de la comptabilité nationale,
suite à la mise en place du Système européen de comptes (SEC) 2010,
concourt à éviter que les contraintes budgétaires ne soient contournées par
le recours à des crédits d’impôt. Ces derniers sont en effet désormais traités
comme des dépenses budgétaires, ce qui signifie qu’ils sont pris en compte
dans les agrégats de dépenses publiques et, corrélativement, qu’ils ne
réduisent plus le taux de prélèvements obligatoires4.
Bien entendu, le respect de ces engagements non juridiquement
contraignants doit s’apprécier dans la durée. Des incartades sont hélas
régulièrement constatées, par exemple dans le cadre de la politique publique
du logement : sans limitation de durée, la LFI 2014 a ainsi basculé la
création et la rénovation de logements sociaux au taux réduit de TVA (alors
qu’elles relevaient du taux intermédiaire) et institué un régime fiscal
dérogatoire favorisant l’investissement institutionnel dans le logement
intermédiaire (TVA à taux intermédiaire et exonération de 20 ans de TFPB).
Les dépenses fiscales existantes en faveur du secteur n’ont pas été
diminuées en conséquence, pas plus que les crédits budgétaires de la
mission logement. Une fois encore, la dépense fiscale a servi de recours
pour financer une politique publique prioritaire dont le budget était
contraint. De même, les allégements de charges institués par la LFSS 2019
(allégements généraux pour les salaires inférieurs à 2,5 SMIC et
allégements ciblés sur les heures supplémentaires) l’ont été sans limitation
de durée.
2.2 L’évaluation des niches fiscales vise à supprimer
les dispositifs inutiles
a La réforme des niches fiscales passe par une évaluation
systématique et par un pilotage plus affirmé
Ces règles de gouvernance, si elles sont à même de freiner la création de
nouvelles dépenses fiscales, ne conduisent pas en tant que telles à revenir
avec discernement sur le stock de niches existant. Pour cela, leur évaluation
systématique et leur pilotage affirmé sont nécessaires.
Conformément à un engagement du gouvernement Fillon, l’intégralité des
niches fiscales et sociales a été ponctuellement évaluée dans le cadre du
comité d’évaluation des dépenses fiscales, sous la direction de l’inspecteur
général des finances Henri Guillaume. Son rapport de synthèse et
l’ensemble de ses annexes (au total 6 000 pages) ont été intégralement
publiés en toute transparence le 29 août 2011.
Bien que ce rapport ait été suivi de relativement peu d’effet, cette démarche
d’évaluation a été poursuivie. Les LPFP 2012-2017 puis 2014-2019
prévoyaient expressément que l’intégralité des niches, dans le premier cas,
puis seulement celles arrivant à échéance, dans le second cas, soient
évaluées. Le but était que les niches dont l’efficacité, au regard de l’objectif
de politique publique qui leur a été conféré, et l’efficience, c’est-à-dire leur
rapport efficacité/coût, ne seraient pas avérées ne soient pas reconduites ou,
a minima, soient réformées. Cependant, l’exécutif n’a pas mis en place de
dispositif d’évaluation systématique et s’est limité à des remises en cause
assez ponctuelles. Moins ambitieuse mais aussi plus réaliste, la LPFP 2018-
2022 ne contient aucune disposition relative à l’évaluation des dépenses
fiscales et niches sociales. Ce qui ne signifie pas qu’aucune évaluation n’est
menée (cf. infra).
L’amélioration de l’efficacité et de l’efficience des dépenses fiscales
suppose également que les ministères responsables des politiques publiques
auxquelles concourent les dépenses fiscales soient aussi responsables de ces
dernières, afin de les piloter – en assurant leur suivi, en proposant leur
adaptation voire leur suppression. Les dépenses fiscales ne doivent pas
« vivre leur vie » sans que l’on ne se pose la question de leur pertinence et
de leur devenir.
Ce pilotage par les ministères doit s’inscrire dans la politique fiscale du
gouvernement et impliquer le Parlement. C’est la raison pour laquelle la loi
organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la
gouvernance des finances publiques a formellement enrichi les éléments
fournis par le gouvernement dans le cadre des projets de loi de règlement :
ce qui est nouveau est que les RAP doivent expliquer l’évolution du coût
des dépenses fiscales (art. 54, 4° de la LOLF).
Des règles sont posées mais les actes suivent doucement. Pour créer une
dynamique de pilotage effectif des dépenses fiscales, le ministère des
finances a mis en place en 2013 des conférences fiscales annuelles ayant
pour objet, à l’instar des conférences budgétaires, de discuter ministère par
ministère du stock des dépenses fiscales et des mesures fiscales envisagées
pour le PLF.
Les premières conférences fiscales menées au printemps 2013 et les travaux
parlementaires ont permis de supprimer 21 dépenses fiscales dans le cadre
de la LFI 2014 – essentiellement de petites niches inutiles ou inefficientes
abrogées par l’article 26 de cette loi. Depuis, les LFI suppriment
régulièrement des dépenses fiscales jugées inefficientes ou injustifiées, en
quantité variable. L’article 66 de la LFI 2021 a ainsi supprimé seulement
deux dépenses fiscales, dont celle – qui était également une niche sociale –
consistant à exonérer d’IR et de contributions sociales les sommes perçues
dans le cadre de l’attribution du prix « French Tech Ticket » : ce prix
n’étant plus décerné, la niche était devenue virtuelle et, corrélativement,
sa suppression n’a rien rapporté.
b Le travail de réduction des niches fiscales et sociales
demande à être poursuivi
C’est à la faveur de la crise financière des subprimes, afin de dégager de
nouvelles ressources et de parer au risque de dégradation de la solvabilité
de la France, qu’un effort de réduction des dépenses fiscales a été engagé.
Deux mécanismes ciblant certaines niches dans une approche globalisante
ont été introduits respectivement par la LFI 2009 et la LFI 2011. L’avantage
en impôt total, procuré par les réductions d’impôt sur le revenu à finalité
incitative, a été mis sous un unique plafond annuel dit « plafonnement
global des niches » (PGN). Plusieurs fois durci, le PGN a été ramené à
10 000 € (ou 18 000 € dans certains cas) par la LFI 2013. Par ailleurs, par le
rabot, les mêmes réductions d’impôt ont fait l’objet d’une réduction
homothétique de leur taux (de 10 %5). Le rabot a à nouveau été appliqué en
LFI 2012 (à 15 %) mais ne pouvait être renouvelé sans compromettre
l’intérêt même des réductions d’impôt concernées.
Les mesures ciblant spécifiquement certaines niches se sont multipliées
entre 2011 et 2014 : suppression du taux réduit de TVA à 5,5 % sur les
offres composites dites « triple play » (LFI 2011), suppression du régime du
bénéfice mondial consolidé en matière d’IS (2e LFR pour 2011),
suppression en matière d’IS de l’abattement d’un tiers sur les résultats
provenant d’exploitations situées dans les départements d’outre-mer (LFI
2012), réduction des niches en matière de TVA (hôtellerie-restauration,
travaux de rénovation dans le logement…) avec le relèvement à 7 % puis
10 % du taux réduit (3e LFR pour 2011 puis 3e LFR pour 2012),
suppression de l’exonération fiscale et des allégements sociaux des heures
supplémentaires (LFI 2013) puis des majorations de pensions pour charges
de famille (LFI 2014)… D’autres niches ont été supprimées ou limitées plus
récemment, notamment outre-mer. La LFI 2019 a ainsi réduit la réduction
d’impôt sur le revenu en faveur des contribuables domiciliés dans les
départements d’outre-mer, dont les plafonds ont été diminués pour la
recentrer sur les ménages aux revenus moyens, ou encore supprimé la TVA
non perçue mais récupérable par les entreprises domiennes.
Toutefois, d’autres dépenses fiscales ont été créées (notamment le CICE ou
encore la RI dite Duflot, LFI 2013, cette dernière étant même renforcée
sous le nom de RI Pinel en LFI 2015), prorogées (abattement de TFPB dans
les zones urbaines sensibles, LFI 2014) voire pérennisées (dégrèvement de
CAP au titre des avantages acquis, LFI 2013) ou même rétablies (cas de
l’exonération d’IR des heures supplémentaires, dans la limite d’un plafond
annuel de 5 000 €, par la loi du 24 décembre 2018 portant mesures
d’urgence économiques et sociales). Signe que les dépenses fiscales
continuent à être un outil considéré comme utile et nécessaire.
La révision des niches reste malgré tout, dans une certaine mesure, une
ambition du gouvernement. Le rapport du Comité Action publique (CAP)
2022, en juin 2018, a proposé de supprimer ou limiter un certain nombre
d’entre elles, notamment dans les secteurs du logement, de la transition
énergétique ou des aides aux entreprises. Il a ainsi proposé de supprimer la
réduction d’impôt « Pinel » en faveur de l’investissement immobilier locatif
intermédiaire ou encore de basculer la TVA sur les travaux de rénovation
énergétique du taux réduit au taux intermédiaire. La suite apportée aux
propositions du CAP 2022 est cependant incertaine. À la suite du grand
débat national de 2019, le président de la République Emmanuel Macron a
souhaité que les niches en faveur des entreprises soient revues, mais a
privilégié le statu quo pour les niches existant pour les particuliers. Par la
suite, la pandémie de Covid-19 a conduit à privilégier le statu quo.
Toutefois, le crédit d’impôt pour la transition énergétique, accordé aux
particuliers engageant des travaux d’économie d’énergie dans leur
habitation, a été supprimé pour être transformé en système de subventions
directes aux ménages : on parle désormais de « MaPrimeRénov’ ». Celle-ci
a été mise en place en deux temps, en 2020 et 2021, et constitue un
instrument plus adapté pour apporter aux ménages une aide modulée en
fonction de leurs revenus et de leurs projets, ce qui devrait permettre d’en
augmenter l’efficience.
Il n’est pas question de supprimer toutes les dépenses fiscales mais de les
maîtriser afin qu’elles ne soient pas un point de fuite de la dépense
publique : la suppression ou révision de niches ne doit s’envisager qu’après
une évaluation rigoureuse et circonstanciée. Or le législateur et le
gouvernement ont mis en place les conditions d’une suppression des niches
inefficaces. Mais « derrière chaque niche se cache un chien » : revenir sur
un avantage, même injustifié économiquement et inéquitable, est difficile
politiquement et socialement. Peut-être une démarche plus globale de
suppression des niches inefficaces aurait-elle plus de réussite et d’impact
que la tactique du « pas à pas » ? Le renforcement du pilotage des dépenses
fiscales que les gouvernements successifs se sont efforcés de mettre en
œuvre va dans ce sens.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• Les dépenses fiscales
• Dépenses fiscales et niches sociales
RÉFÉRENCES
Évaluation des voies et moyens (tome II), en annexe au PLF (disponible sur le site
www.budget.gouv.fr)
Rapport du comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales (29/08/2011) :
https://www.economie.gouv.fr/rapport-du-comite-d-evaluation-des-depenses-fiscales-et-des-
niches-sociales-2011
Annexe V au PLFSS sur les niches sociales (disponible sur le site www.securite-sociale.fr)
Circulaire du Premier ministre du 14 janvier 2013 relative aux règles pour une gestion
responsable des dépenses publiques.
Comité Action publique 2022, Service public, se réinventer pour mieux servir, juin 2018 :
https://www.modernisation.gouv.fr/action-publique-2022/comprendre/rapport-cap22
CHAPITRE 23
L’imposition des revenus
NOTIONS À MAÎTRISER
• IR, CSG, prélèvements sociaux, CEHR.
• Redistributivité.
• Barème progressif, quotient conjugal et quotient familial, décote.
• Prélèvement libératoire, acompte.
• Recouvrement sur rôle, prélèvement à la source, contemporanéité du prélèvement,
déclaration de revenus.
L’impôt sur le revenu (IR) est un impôt paradoxal. Si son rendement est
relativement modeste au regard de celui de la TVA, il est, avant même sa
création en 1914, au cœur du débat public. Sans doute ce paradoxe est-il lié
à la proximité entre la philosophie de cet impôt et l’article 13 de la DDHC,
qui proclame que l’indispensable « contribution commune » « doit être
également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés ».
L’IR, encore parfois appelé de manière juridiquement erronée « impôt sur le
revenu des personnes physiques (IRPP) », est bel et bien un impôt assis sur
l’ensemble des revenus et dû par les personnes physiques. Il n’est en
revanche pas le seul impôt sur le revenu, puisqu’il coexiste notamment avec
la contribution sociale généralisée (CSG). Il est radicalement distinct
d’autres impôts comme la taxe foncière, qui n’est pas un impôt assis sur le
revenu perçu, et des cotisations sociales, qui ne sont pas des impôts.
Impôt par excellence, l’IR revêt une charge symbolique forte. Vieil impôt, il
connaît des réformes régulières visant à en modifier l’assiette, le taux ou
telle autre modalité de calcul. Impôt progressif, il occupe une place centrale
dans le système redistributif des PO en France. À ses côtés, la CSG,
imposition récente, focalise moins l’attention du grand public.
Après avoir exposé les caractéristiques – plurielles – de l’imposition des
revenus des ménages, le présent chapitre s’interrogera sur l’opportunité de
réformer, à nouveau, cette imposition.
1 Les ménages sont soumis, sur leurs revenus,
à plusieurs impôts différents
1.1 L’impôt sur le revenu impose l’ensemble
des revenus des foyers fiscaux
L’IR a été institué en 1914 sous la forme d’un impôt appréhendant
l’ensemble des catégories de revenus, partiellement progressif et s’appuyant
sur une déclaration de revenus. Malgré les réformes successives, ces
caractéristiques n’ont pas fondamentalement évolué.
a La détermination de l’assiette et le calcul de l’IR obéissent
à des logiques complexes destinées à répartir équitablement
la charge fiscale
Potentiellement large, l’assiette de l’IR est en réalité réduite par de
nombreux abattements et exonérations. Les personnes domiciliées en
France1 sont imposables sur la totalité de leurs revenus, qu’ils soient
d’origine française ou étrangère. Celles domiciliées à l’étranger ne le sont
que sur leurs revenus français.
C’est le revenu global, issu de l’addition des revenus catégoriels
(traitements et salaires ; pensions et retraites ; bénéfices industriels et
commerciaux ; bénéfices commerciaux ; bénéfices agricoles ; revenus de
capitaux mobiliers ; revenus fonciers ; plus-values) qui est soumis à l’IR.
Ces revenus catégoriels sont nets des frais engagés pour la conservation ou
l’acquisition de ces revenus. Ainsi, les intérêts d’emprunt afférents à un
logement mis en location sont déduits des loyers perçus. De même, les
salaires sont imposés nets de frais professionnels, lesquels sont soit évalués
forfaitairement par un abattement de 10 %, soit calculés et justifiés par le
contribuable lui-même.
En revanche, des revenus sont exonérés ou bénéficient d’abattements sans
lien avec de quelconques frais. Ainsi, les prestations sociales (minima
sociaux, allocations familiales…) sont exonérées par la loi et les pensions
bénéficient d’un abattement de 10 %. Par ailleurs, certains revenus ne sont
pas soumis au barème de l’IR mais sont imposés selon d’autres modalités.
Ainsi, les plus-values immobilières sont soumises à un prélèvement
proportionnel de 19 %.
La liquidation de l’IR procède ensuite de nombreuses étapes. Une fois le
revenu brut global, c’est-à-dire la somme des revenus nets catégoriels et des
déficits catégoriels, déterminé (1re étape), plusieurs éléments peuvent venir
en soustraction : des charges déductibles du revenu global, des déficits
d’années antérieures… On détermine ainsi le revenu net imposable (2e
étape), qui est soumis au barème progressif de l’IR en tenant compte du
quotient familial (3e étape, cf. encadré 1). Il en résulte une « cotisation »
d’impôt brute. Pour parvenir à l’impôt exigible (4e et dernière étape), c’est-
à-dire au montant qui est effectivement dû, on applique la décote, qui
permet d’annuler ou de minorer l’IR en deçà de 1 721 € (célibataire) ou
2 848 € (couple)2 d’impôt brut (cf. encadré 1), on impute les réductions et
crédits d’impôt et applique le plafonnement global des avantages fiscaux et,
enfin, on tient compte du seuil de recouvrement (l’impôt n’est dû que si son
montant avant crédits d’impôt est supérieur ou égal à 61 €).
ENCADRÉ 1
ENCADRÉ 1
Le barème de l’impôt sur le revenu, le quotient familial et la décote
Le barème de l’IR est un barème progressif en taux marginaux, ce qui signifie que le
revenu imposable est divisé en tranches, dont chacune est soumise à un taux différent, qui
croît avec le revenu. En conséquence, le taux moyen d’imposition est croissant avec le
revenu. Les seuils de revenus du barème sont en principe réévalués chaque année en loi de
finances pour tenir compte de l’inflation.
Taux applicables aux revenus 2020 (impôt 2021) – Revenu imposable par part
jusqu’à 10 084 € 0%
de 10 085 € à 25 710 € 11 %
de 25 711 € à 73 516 € 30 %
de 73 517 € à 158 122 € 41 %
plus de 158 122 € 45 %
Le quotient familial et son plafonnement
Ce barème s’applique au revenu par part de quotient familial : le revenu net imposable est
divisé par le nombre de parts du foyer. Le montant d’impôt résultant du barème est ensuite
multiplié par ce même nombre de parts. Ainsi, quelle que soit la composition du foyer,
l’ensemble des revenus imposables est bien soumis au barème mais la cotisation d’impôt
brute est différente puisque le taux d’imposition n’est pas proportionnel mais progressif.
Par exemple, un célibataire (1 part) disposant de 20 000 € de revenus est imposable, alors
qu’un couple (2 parts), à revenu égal, ne le sera pas.
Les parts de quotient familial sont attribuées en fonction de la composition du foyer. En
premier lieu, un quotient conjugal de 2 s’applique aux couples mariés ou pacsés. En
second lieu, des parts sont attribuées en fonction du nombre de personnes à charge (en
principe : ½ part par personne à charge, 1 part à partir de la 3e). Certaines demi-parts sont
accordées de manière dérogatoire en fonction du statut ou de la situation du contribuable,
sans lien avec des charges effectives (anciens combattants, parent élevant seul ses
enfants…).
Les effets du quotient conjugal, à savoir l’économie d’impôt résultant de son application
par rapport à une situation hypothétique où le couple serait imposé avec une seule part, ne
sont pas plafonnés. En effet, un tel plafonnement désavantagerait un couple marié ou pacsé
par rapport à un couple de concubins dont les deux membres sont chacun imposés
séparément avec une part, soit deux parts au total.
En revanche, pour renforcer la progressivité de l’IR et faire contribuer davantage les
ménages aisés, les effets du quotient familial sont plafonnés : l’avantage en impôt pour
chaque demi-part liée à un enfant ou une personne à charge est limité à 1 570 €3. D’autres
plafonds, généralement plus élevés, s’appliquent aux demi-parts dérogatoires.
Exemple : un couple marié avec un enfant (2,5 parts) dispose de X de revenu net
imposable. L’impôt théorique serait de Y. Sans enfant, l’impôt serait de Z. Soit une
différence de Z-Y. Si cette différence excède 1 570 €, elle est limitée à ce plafond, l’impôt
étant alors égal à Z-1551 et non à Y. Concrètement, pour ce couple, le plafonnement
s’applique à compter d’un revenu imposable de 60 982 €.
La décote
Le mécanisme de décote s’apparente à une réduction d’impôt automatique pour les
contribuables peu imposables. Son existence est justifiée par la volonté de soutenir
spécifiquement les ménages aux revenus moyens (les ménages modestes ne payant pas
d’IR). À l’inverse, une solution tel le relèvement du barème de l’IR allégerait aussi l’impôt
de l’ensemble des ménages imposables, y compris des ménages aisés.
La décote est accordée quand l’impôt brut est inférieur à un certain seuil qui, depuis 2016,
est partiellement conjugalisé. Ce seuil, auparavant unique quelle que soit la situation
conjugale du foyer, s’élève dans les faits4 à 1 595 € pour un célibataire et 2Ó627 € pour un
couple. Le rapport entre le montant applicable aux couples et celui applicable aux
célibataires, soit 1,65, ne résulte pas d’une logique proprement fiscale mais de la volonté
d’épouser les effets de la réduction d’impôt exceptionnelle en faveur des ménages
modestes applicable en 2014, laquelle était favorable aux couples.
La décote, qui vient en déduction de l’impôt brut, est égale à la différence entre 779 €
(célibataire) ou 1 289 € (couple) et 45,25 % du montant théorique de l’impôt.
Exemple 1 : le montant brut de l’impôt d’un contribuable célibataire est égal à 577 €.
Décote = 779 – 45,25 % × 1 154 = 767. Impôt final = 717 – 658 = 59, ramené à 0 compte
tenu du seuil de recouvrement.
Exemple 2 : le montant brut de l’impôt d’un couple marié est égal à 1 434. La décote est
égale à 1 970 – 3/4 × 1 434 = 895. Impôt final = 1 154 – 767 = 387.
En pratique, ce mécanisme est peu lisible et constitue bien souvent pour ceux qui en
bénéficient un cadeau fiscal inexpliqué.
Sur le plan économique, il est aussi à l’origine d’un effet pervers. En effet, l’avantage
fiscal résultant de la décote a pour contrepartie que le taux marginal effectif d’imposition
doit être plus élevé que le taux marginal issu du barème (11 %), pour neutraliser cet
avantage lorsque l’on atteint les niveaux d’impôt brut qui ne sont plus éligibles à la décote.
Or un taux marginal élevé peut désinciter à produire des revenus.
La formule de calcul actuelle aboutit à augmenter de 45,25 de sa valeur le taux marginal
d’imposition, qui est dans les faits de 16 % au lieu de 11 % : pour 100 € de revenus
supplémentaires dans la zone d’application de la décote, l’impôt avant décote augmente
bien de 11 € mais l’impôt après décote augmente de 16 €. Initialement, la pente de la
décote était plus élevée (le taux marginal était doublé), pour concentrer son bénéfice sur un
nombre restreint de contribuables. En LFI 2000, pour limiter la progressivité induite par
cette formule, la pente de la décote avait été adoucie. La LFI 2015 est revenue à la formule
initiale : la décote a été « pentifiée » pour renforcer son efficacité et concentrer ses effets
sur les foyers modestes et moyens sans en faire bénéficier les foyers aisés. Dès l’année
suivante, la LFI 2016 a refait un pas en avant en réduisant la pente de la décote à 0,75, de
manière à faire bénéficier davantage de foyers de la décote. Enfin, la LFI 2020 a poursuivi
ce mouvement en adoucissant à nouveau la pente de la décote, fixée à 0,4525, ce qui a
permis d’englober les effets de l’ancienne « surdécote » et donc de la supprimer. Cette
« dépentification », associée à une baisse du taux de la première tranche d’imposition,
a permis de réduire significativement le taux marginal effectif d’entrée dans le barème à
16 % (au lieu de 28 % en 2015).
La « surdécote » ou « RI Valls »
Pour étendre le nombre de contribuables ayant bénéficié d’une baisse d’IR sous sa
mandature sans pour autant faire diminuer sensiblement le nombre de foyers imposés, le
gouvernement Valls avait introduit en LFI 2017 une réduction d’impôt sous condition de
revenu. Les foyers dont le revenu fiscal de référence était inférieur à un seuil (18 500 €
pour un célibataire) voyaient leur IR après décote diminué de 20 % de son montant. Tout
comme la décote, dans le prolongement de laquelle elle s’inscrivait (d’où l’expression de
« surdécote »), cette réduction d’impôt conçue comme pérenne avait pour objet de réduire
l’impôt mais en bénéficiant à un grand nombre de ménages. Elle dégradait néanmoins
encore la lisibilité de l’IR, raison pour laquelle elle a été supprimée par la LFI 2020 : la
baisse du taux de la première tranche d’imposition et la réforme de la décote a permis d’en
absorber les effets sans faire de perdants.
b L’impôt sur le revenu combine système déclaratif
et prélèvement à la source
Une déclaration annuelle de revenus est effectuée par chaque foyer fiscal
pour les besoins de l’IR. La déclaration se fait a posteriori, une fois les
revenus de l’année précédente connus. Autrement dit, les revenus de
l’année N sont déclarés au deuxième trimestre de l’année N + 1.
Cette déclaration se fait au moyen d’un formulaire principal (la déclaration
« 2042 », où sont répertoriées les différentes catégories de revenus) et, le
cas échéant, de formulaires complémentaires, nécessaires pour déclarer
certains revenus spécifiques (notamment les revenus tirés d’activités
professionnelles non salariées), pour certains régimes (e.g. micro-
entrepreneur) ou encore pour certains crédits ou réductions d’impôt
(e.g. réduction d’impôt dite Pinel). Par simplification, tous les
contribuables, même ceux remettant une déclaration papier, sont dispensés
de joindre des pièces justificatives établies par des tiers, tels les reçus
fiscaux remis à l’occasion de dons éligibles à la réduction d’impôt pour
dons aux œuvres d’intérêt général.
La finalité de la déclaration est, pour l’administration, de disposer de
l’ensemble des éléments nécessaires à l’établissement de l’impôt. En effet,
la nature globale et la progressivité du barème de l’IR supposent, pour
calculer la cotisation d’impôt, que tous les éléments relatifs aux revenus et à
la situation du foyer soient connus.
Ces modalités d’imposition sont parfaitement compatibles avec la mise en
œuvre du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu depuis le
1er janvier 2019 – mode de prélèvement qui s’appliquait au demeurant déjà
pour certains revenus avant cette date. Dans tous les cas, la déclaration de
revenus permet à l’administration d’adresser à chaque foyer un avis
d’imposition, en août-septembre de l’année N + 1, qui rend l’impôt
définitivement exigible.
On parle de recouvrement sur rôle car, comme pour les impôts directs
locaux, la cotisation d’IR de l’ensemble des contribuables est indiquée sur
un rôle d’imposition homologué par le préfet du département (en pratique,
par les agents des finances publiques auxquels il a délégué cette
compétence), qui constitue le titre exécutoire en vertu duquel l’impôt est
recouvré. Le rôle est une liste de contribuables, assortie des éléments utiles
au recouvrement (identification du contribuable ; nature, base, taux et
montant de l’impôt), qui alimente les avis d’imposition.
Cependant, sans attendre l’émission du rôle d’imposition, des acomptes
sont dus dès l’année « N » de perception des revenus. Depuis le 1er janvier
2019, ce mode de prélèvement dit contemporain ou à la source est
généralisé à la quasi-totalité des revenus. Mais différentes modalités de
prélèvement à la source (PAS) coexistent.
En premier lieu, lorsque les revenus sont versés au contribuable par un tiers
collecteur (employeur, caisse de pensions, caisse d’assurance maladie, Pôle
Emploi, banques…), celui-ci est chargé de prélever un acompte d’IR sur les
revenus qu’il verse. Cela vaut pour les salaires, pensions et autres revenus
de remplacement (depuis 2019), mais aussi de longue date pour les
dividendes et les intérêts. Toutefois, le taux de PAS diffère entre ces revenus
salariaux et ces revenus du capital : les premiers font l’objet d’un
prélèvement sur la base d’un taux personnalisé, alors que les seconds se
voient appliquer un taux forfaitaire.
En effet, pour les intérêts et les dividendes, les établissements financiers
appliquent à l’ensemble des contribuables un PAS au taux global de 30 %
(aussi appelé flat tax, qui résulte de la LFI 20185), qui se décompose entre
12,8 % d’impôt sur le revenu et 17,2 % de prélèvements sociaux. Les
contribuables aux revenus modestes ou moyens (dernier revenu fiscal de
référence connu inférieur à 50 000 €, pour un célibataire, ou 75 000 €, pour
un couple) peuvent toutefois demander à être dispensés de l’application du
prélèvement de 12,8 % au titre de l’IR. Cette dispense évite aux
contribuables non imposables de faire une avance de trésorerie à l’État.
Cette retenue à la source est relativement simple à gérer pour les
établissements financiers car ils n’ont pas à appliquer un taux personnalisé.
La particularité de cet acompte, outre son taux, est qu’il est libératoire de
l’impôt sur le revenu : sauf option contraire du contribuable, les intérêts et
les dividendes ne seront pas soumis au barème progressif et auront ainsi été
taxés définitivement au taux de 12,8 %. On parle de ce fait de prélèvement
forfaitaire libératoire (PFL). À noter que certains revenus de capitaux
mobiliers sont soumis à des taux particuliers, notamment les produits de
contrats d’assurance vie ouverts depuis plus de 8 ans, qui sont soumis à un
taux de faveur de 7,5 % (après application d’un abattement annuel de
4 600 € pour un célibataire et 9 200 € pour un couple).
Pour les revenus salariaux, en revanche, qui représentent des masses
beaucoup plus importantes, le PAS n’est pas libératoire et une
personnalisation du taux est nécessaire pour minimiser l’écart entre l’impôt
prélevé à la source et l’impôt qui sera calculé en N + 16. C’est pourquoi,
pour déterminer le taux de PAS à appliquer en année N, la DGFiP utilise les
dernières données fiscales connues, c’est-à-dire celles afférentes à l’année
N − 2 de janvier à août et celles afférentes à l’année N − 1 de septembre à
décembre. Par exemple, pour déterminer le taux de PAS à appliquer à
M. Dupont de septembre 2021 à août 2022, la DGFiP calcule le rapport IR
brut (avant réductions et crédits d’impôt) dû en 2021 au titre des revenus
2020/revenus imposables (avant abattements) 2020, puis elle communique
ce taux au(x) tiers collecteur(s) concernés, en principe via le système
informatique qui sert à la déclaration sociale nominative (DSN). Ainsi, si la
situation financière et familiale du contribuable est stable, le PAS se
rapprochera au plus près de l’impôt qui sera effectivement dû. En outre, en
cas de changement de situation significatif, les contribuables peuvent
demander un recalcul du taux de PAS.
Le taux du PAS est par défaut celui du foyer. Toutefois, les contribuables
mariés ou pacsés, soumis à imposition commune, peuvent opter pour un
taux individualisé, qui ne tient compte que de leurs revenus propres. Cette
option permet aux couples qui connaissent des différences de revenus
importantes de subir un taux de PAS plus adapté à leur situation (celui qui
gagne plus subira un taux de PAS plus élevé et vice-versa) mais n’a pas
d’incidence sur l’impôt définitif, qui est bien calculé au niveau du foyer.
Quant aux enfants rattachés au foyer de leurs parents, ils ne se voient pas
appliquer le taux du foyer, qui serait bien souvent élevé au regard des
revenus qu’ils perçoivent, mais un taux par défaut, qui résulte d’une « grille
de taux ». Il s’agit d’un barème en taux moyen, fixé par la loi et qui tend à
épouser les effets du barème progressif pour une part de quotient familial7.
Ce même taux par défaut s’applique également lorsque le tiers collecteur
n’a pas connaissance du taux personnalisé de l’intéressé, par exemple en
début d’activité professionnelle. Enfin, les contribuables qui ne souhaitent
pas que leur taux soit communiqué à leur employeur peuvent demander que
ce taux non personnalisé leur soit appliqué ; toutefois, s’il en résulte pour
eux une économie par rapport à l’application de leur taux personnel, ils
doivent verser le différentiel à l’administration fiscale sous forme
d’acomptes.
En deuxième lieu, lorsqu’il n’existe pas de tiers collecteur chargé de
précompter l’impôt et de le reverser au Trésor, le contribuable doit
s’acquitter d’acomptes, qui sont en pratique prélevés sur son compte
bancaire par la DGFiP. Cela vaut pour les bénéfices des travailleurs
indépendants (bénéfices industriels et commerciaux ou BIC, bénéfices non
commerciaux ou BNC, bénéfices agricoles ou BA) et les revenus fonciers
(c’est-à-dire les loyers tirés de biens immobiliers loués nus). Les acomptes
sont calculés sur la base de la dernière situation connue, comme le taux
personnalisé applicable aux revenus salariaux. Ainsi, l’acompte mensuel est
égal à un douzième de l’impôt N – 2 puis N – 1 afférent aux bénéfices
professionnels et/ou aux revenus fonciers. Il est également possible d’opter
pour un acompte trimestriel. De même que le PAS applicable aux revenus
salariaux, cet acompte n’est qu’une simple avance de trésorerie à l’État : il
n’est pas libératoire mais est imputable en N + 1 sur l’IR calculé selon le
barème progressif.
En troisième lieu, d’autres revenus sont soumis à des régimes particuliers.
Ainsi, l’IR sur les plus-values immobilières est prélevé par le notaire, à un
taux proportionnel de 19 %. Il ne s’agit pas d’un simple acompte mais d’un
prélèvement définitif qui se substitue à l’IR, sans dispense ni option
possible pour une imposition au barème.
On notera enfin que le PAS, sous ses différentes formes, n’est pas
complètement généralisé. Les plus-values mobilières (gains nets sur les
cessions de titres financiers) sont uniquement imposables en N + 1, au
même taux de 12,8 % que les intérêts et dividendes, sans versement
d’acompte en N. Un prélèvement contemporain serait en effet peu adapté à
la nature fluctuante de tels gains : un contribuable réalisant une plus-value
peut la voir être effacée avant la fin de l’année par une moins-value, de
sorte qu’exiger des acomptes pourrait conduire à des régularisations
systématiques.
ENCADRÉ 2
ENCADRÉ 2
Avantages et inconvénients du prélèvement à la source
Recouvrer l’impôt à la source, de manière définitive ou non, est porteur d’avantages et
d’inconvénients tant pour l’État, les contribuables et les tiers opérant la retenue à la source.
Avantages
De manière générale : simplification et lisibilité accrues.
Pour l’État :
– moindre coût de gestion, sous réserve que l’intervention de l’administration fiscale soit
effectivement allégée, ce qui dépend de son rôle dans le cadre de la retenue à la source
puis de l’existence d’une régularisation ;
– accroissement du rendement via une diminution de la fraude et des omissions (sous-
déclaration) ;
– gain de trésorerie (les revenus de l’année N sont en principe plus élevés que ceux de
l’année N – 1) et lissage des recettes fiscales, en particulier si la retenue est à la source
est perçue et reversée mensuellement ;
Pour les contribuables :
– fin du décalage d’un an entre la perception du revenu et le paiement de l’impôt, qui est
problématique pour les contribuables dont le revenu fluctue fortement d’une année sur
l’autre ou en cas de perception de revenus exceptionnels ;
– meilleur consentement à l’impôt, dans la mesure, d’une part, où il n’est pas directement
décaissé et apparaît ainsi comme plus indolore et, d’autre part, où il est plus adapté aux
facultés contributives contemporaines.
Pour l’économie :
– la contemporanéité du prélèvement de l’IR assure, dans la mesure où le prélèvement
s’adapte effectivement aux variations de revenus, un caractère plus contra-cyclique de
l’IR (le prélèvement baisse dès que les revenus baissent) ;
– dans cette même mesure, les contribuables ont un moindre besoin de constituer une
épargne de précaution, ce qui est de nature à favoriser la consommation.
Inconvénients
Pour l’État : à court terme, la mise en place d’une retenue à la source induit des coûts de
gestion (développements informatiques…) ; en régime de croisière, les coûts de gestion ne
sont pas nécessairement moindres qu’en cas de recouvrement en N + 1.
Pour les contribuables :
– si leur situation personnelle actuelle n’est pas bien prise en compte pour déterminer le
taux de la retenue à la source, cette dernière se traduit soit par un trop versé (et donc une
avance de trésorerie), soit par une insuffisance de versement (le solde étant le cas
échéant à régler lors de la régularisation) ;
– si le taux de PAS dévoile leur situation personnelle à l’employeur, un problème de
confidentialité se pose et les relations de travail sont susceptibles d’être perturbées ;
– perte en trésorerie au bénéfice de l’État (contrepartie du gain précité pour l’État).
Pour les tiers payeurs (employeurs, caisses de retraite, établissements financiers, notaires) :
coût de gestion (« impôt papier »), en particulier si le taux de la retenue à la source est
personnalisé.
c La contribution exceptionnelle sur les hauts revenus se situe
dans le prolongement de l’impôt sur le revenu
Enfin, la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR ou
CHR), instituée en 2011 jusqu’au retour à l’équilibre des comptes publics et
parfois appelée « surtaxe Fillon », est proche dans ses modalités de calcul et
de recouvrement de l’IR.
Son assiette est constituée, modulo quelques ajustements, du revenu fiscal
de référence (RFR), dont l’objet est d’appréhender le plus fidèlement les
facultés contributives des foyers fiscaux, en intégrant certains revenus
exonérés ou qui ne sont pas soumis au barème de l’IR. La CEHR
s’applique, pour un célibataire, aux taux de 3 % entre 250 000 et 500 000 €
et de 4 % au-delà. Ces seuils sont doublés pour les couples mais aucun
quotient familial ne s’applique.
Elle est recouvrée sur le même article de rôle que l’IR, donc sur le même
avis d’imposition.
1.2 Les prélèvements sociaux, second impôt
sur le revenu
a Les prélèvements sociaux ont un rendement budgétaire
supérieur à celui de l’impôt sur le revenu
Le produit de l’IR s’élève en 2019 à 71,7 Md€8, ce montant comprenant la
CEHR. Il faut y ajouter le produit des retenues à la source et des
prélèvements forfaitaires sur les capitaux mobiliers (5,7 Md€) pour avoir
une image fidèle du rendement de l’imposition des revenus réalisée pour le
bénéfice de l’État : avec un total de 77,4 Md€, cette imposition représente
27,5 % des recettes fiscales de l’État, 7,3 % des prélèvements obligatoires
et 3,2 % du PIB.
Les recettes cumulées de la CSG (126,7 Md€ en 2019), de la contribution
au remboursement de la dette sociale (CRDS) (7,6 Md€) et des
prélèvements sociaux additionnels sur les revenus du capital (10,6 Md€)
s’élèvent à 145 Md€, soit 13,6 % des prélèvements obligatoires et 6,0 % du
PIB.
Ainsi, la première des impositions sur le revenu par le volume financier
n’est pas l’IR mais la CSG. Cet état de fait s’est accentué depuis 2018, avec
l’augmentation de la CSG de 1,7 point (soit environ 20 Md€, hors
dynamique spontanée).
b La CSG et les autres prélèvements sociaux sont
des impositions qui s’appliquent de manière différente selon
les catégories de revenus
Ce rendement important provient du caractère proportionnel de la CSG et
des autres prélèvements sociaux. À l’exception, principalement, des revenus
de remplacement, tous les contribuables payent la CSG, quels que soient
leurs revenus, dès le premier euro de revenu.
Chaque catégorie de revenu est soumise à une CSG différente (ou à un taux
différent), à laquelle s’ajoute la CRDS à un taux unique de 0,5 % et, pour
les revenus du capital, des prélèvements sociaux additionnels :
– les revenus d’activité sont soumis à la CSG à un taux de 9,2 % ;
– les revenus de remplacement (pensions et retraites, allocations
chômage) sont soumis à la CSG à des taux qui varient selon le revenu
fiscal de référence (RFR) du foyer. Pour les pensions, il n’existe
désormais pas moins de quatre niveaux d’imposition : le taux normal
s’élève à 8,3 % (soit moins que celui sur les revenus d’activité et du
capital), le taux intermédiaire de 6,6 %, qui était celui applicable avant
2018, s’applique pour les foyers à revenus moyens (en dessous de
23 147 € pour un célibataire et 35 505 € pour un couple9), le taux
réduit de 3,8 % s’applique pour les foyers modestes (en dessous de
14 914 € ou 22 878 € respectivement) et les foyers très modestes sont
exonérés (en dessous de 11 408 € et 17 500 € respectivement). Pour les
pensions, une contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie
s’ajoute au taux de 0,3 %, sauf pour les pensionnés exonérés ou
bénéficiant du taux réduit de CSG. La situation est un peu plus simple
pour les indemnités chômage, lesquelles sont imposées, toujours selon
le RFR du foyer, à 6,2 % ou 3,8 % ou bien exonérées ;
– les revenus du capital (revenus du patrimoine et produits de placement)
sont soumis à la CSG au taux de 9,2 %. En y ajoutant la CRDS et le
prélèvement de solidarité, affecté à l’État (7,5 %), les prélèvements
sociaux sur ces revenus s’élèvent au total à 17,2 %. À noter toutefois
que les prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine (cf. infra)
ne sont pas dus lorsque leur montant annuel est inférieur au seuil de
recouvrement de 61 €, ce qui correspond à 355 € de revenus.
c Les prélèvements sociaux sont en majorité recouvrés
à la source sans déclaration en N + 1
Les prélèvements sociaux sont recouvrés à la source pour la plupart des
revenus. Il en va ainsi pour les salaires, les revenus de remplacement et les
produits de placement (intérêts, dividendes, produits d’assurance-vie, plus-
values immobilières), pour lesquels la retenue à la source est opérée par les
tiers payeurs. La CSG-CRDS sur les salaires est versée aux unions de
recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et d’allocations familiales
(URSSAF) en même temps que les cotisations sociales.
Les revenus d’activité non salariaux donnent lieu à des versements
provisionnels en année N de la part de leurs titulaires aux organismes
sociaux, une régularisation ayant lieu en octobre de l’année N + 1. L’avis
d’imposition permet à cette date d’avoir une vision exacte de ces revenus.
Depuis 2020 et la fusion des déclarations fiscale et sociale des travailleurs
indépendants, la déclaration d’impôt sur le revenu de ces derniers sert aussi
à calculer leurs contributions sociales.
Enfin, les revenus du patrimoine, à savoir essentiellement les revenus
fonciers et les plus-values sur valeurs mobilières, sont recouvrés sur le
même article de rôle que l’IR. Comme pour l’IR, les revenus fonciers
donnent lieu à des acomptes en année N. Ainsi, pour les revenus du capital,
deux CSG distinctes, que différencient leurs modalités de recouvrement,
coexistent.
2 Faut-il encore réformer l’impôt sur le revenu ?
2.1 L’impôt sur le revenu présente certains défauts,
malgré les réformes successives
a De nombreux dispositifs affaiblissent le rendement,
la progressivité et la lisibilité de l’impôt sur le revenu
Une caractéristique de l’IR est que moins de la moitié des foyers fiscaux en
sont redevables10. En 2013, 67 % de l’impôt sur le revenu au barème était
dû par le dernier décile de revenu11 – une concentration qui demeure une
réalité aujourd’hui.
En soi, s’agissant d’un impôt progressif, cette situation n’est pas anormale :
les foyers aux revenus les plus élevés contribuent davantage et ceux aux
revenus modestes ou moyens sont dispensés de cet effort. Bien entendu,
d’autres modèles d’imposition des revenus, basés par exemple sur
l’imposition de tous, sont possibles.
Cependant, cette situation est pour partie due à l’importance des dépenses
fiscales applicables en matière d’IR. Leur estimation pour 2021 est en effet,
sans même tenir compte des dépenses fiscales communes à l’IR et à l’IS, de
33,9 Md€12. Cette dépense totale est à comparer à des recettes nettes
prévisionnelles d’IR de 74,9 Md€ : 31 % des recettes théoriques d’IR donne
lieu à des dépenses fiscales.
Moins d’un tiers de la dépense fiscale relative à l’IR est le fait de réductions
et crédits d’impôt, les autres niches (exonérations, abattements, demi-parts
de quotient familial dérogatoires, taux d’imposition spécifiques…) étant
plus coûteuses. Si, individuellement, certaines réductions d’impôt,
notamment celles en faveur de l’investissement outre-mer, peuvent avoir un
effet important sur la cotisation d’impôt de foyers aisés, les « niches »
répondent en réalité majoritairement à des objectifs d’ordre social et
profitent également à des foyers aux revenus modestes ou moyens.
Parmi les 15 dépenses fiscales dont le coût prévisionnel pour 2021 est le
plus élevé, sept sont relatives à l’IR dont notamment le crédit d’impôt pour
l’emploi d’un salarié à domicile (3,8 Md€), qui bénéficie désormais aussi
aux inactifs et vise notamment à lutter contre le travail au noir dans ce
secteur, l’abattement de 10 % sur les pensions (4,3 Md€) et l’exonération de
l’épargne salariale (2,2 Md€).
b L’imposition sur le revenu a été réaménagée à plusieurs
reprises
Tout d’abord, comme mis en évidence plus haut, l’imposition des revenus a
profondément évolué depuis 1990 avec la création de la CSG d’abord, dont
le taux a progressivement augmenté, puis de la CRDS (1996), des
prélèvements sociaux additionnels sur les revenus du capital et, en dernier
lieu, de la CASA (2013) – sans oublier la CEHR instituée en 2011.
L’IR proprement dit a également connu plusieurs réformes importantes. En
2005, le barème de l’IR a été réformé pour plus de lisibilité. Il a été
simplifié en passant de 7 à 5 tranches et, surtout, une « opération vérité sur
le tarif » a été réalisée, par l’intégration de l’abattement de 20 % sous forme
d’une baisse sensible des taux du barème – le taux marginal supérieur étant
ramené de 48 % à 40 %. Cet abattement s’appliquait aux revenus dont le
montant était en principe fidèle à la réalité des revenus perçus, notamment
les salaires et les revenus professionnels certifiés par un organisme de
gestion agréé. Les autres revenus professionnels, non certifiés, sont en effet
présumés sous-déclarés, ce qui justifie un différentiel d’imposition. Ce
dernier existe toujours mais sous la forme d’une majoration des revenus,
qui était initialement de 25 % mais sera totalement supprimée en 2023 et
décroît progressivement d’ici là.
La LFI 2013 a renforcé la progressivité de l’IR. Premièrement, la plupart
des revenus du capital ont été « barémisés », c’est-à-dire soumis au barème
progressif de l’IR avec suppression de l’option pour le PFL.
Deuxièmement, une nouvelle tranche à 45 % pour les revenus supérieurs à
150 000 € par part a été introduite. Troisièmement, le plafond du quotient
familial a été diminué de 2 336 € à 2 000 € par demi-part, avant d’être
ramené à 1 500 € par la LFI 2014. En outre, le plafonnement global des
avantages fiscaux (cf. chapitre 22) a été durci par la diminution du plafond
en valeur absolue (10 000 € en principe) et la suppression de la part variable
en fonction du revenu.
La présidence Macron n’est revenue que sur l’une de ces mesures, à savoir
la barémisation des revenus du capital. Comme nous l’avons vu, parmi les
revenus du capital, seuls les revenus fonciers sont obligatoirement soumis
au barème progressif. Intérêts, dividendes et plus-values mobilières, c’est-à-
dire le capital « liquide », bénéficient du taux forfaitaire de 12,8 %, sauf
option pour le barème.
Par ailleurs, le « bas du barème » de l’impôt sur le revenu a été allégé en
plusieurs étapes de 2014 à 2020. En 2014, une réduction d’impôt
exceptionnelle en faveur des ménages modestes (jusqu’à 1,3 SMIC) avait
été votée de manière rétroactive, pour soutenir le pouvoir d’achat des
ménages et, surtout, refaire sortir de l’IR les foyers qui y étaient entrés suite
au gel du barème de l’IR deux années de suite. En LFI 2015, pour prolonger
et amplifier cet effort, le gouvernement Valls a, en premier lieu, supprimé la
première tranche d’imposition (à 5,5 %) du barème de l’IR et réajusté ce
dernier en conséquence, pour éviter que les ménages déjà imposés dans la
tranche à 14 % ou au-delà ne soient gagnants. En second lieu, il a renforcé
et réaménagé la décote, par sa conjugalisation partielle et sa pentification
(cf. encadré 1). Au total, cette réforme a bénéficié à environ 9 millions de
foyers, dont 3 millions devenus non imposables. En LFI 2016, la décote a
été renforcée et « dépentifiée » pour en faire bénéficier davantage de foyers
(3 millions supplémentaires). Puis, en LFI 2017, la réduction d’impôt de
20 % en faveur des classes moyennes (cf. encadré 1) a encore étendu le
champ des bénéficiaires de baisses d’impôt durant le quinquennat de
François Hollande.
Enfin, ce mouvement de baisse générale de l’impôt sur le revenu a culminé
avec la diminution du taux de la première tranche d’imposition en LFI
2020. À compter de l’imposition des revenus 2020, le taux de cette tranche
a été ramené de 14 % à 11 % et la décote a été parallèlement renforcée et
étendue afin de pouvoir supprimer d’un même mouvement l’éphémère
surdécote créée trois ans plus tôt. Cette mesure d’un coût important de 5
Md€ constitue une des réponses du président de la République Emmanuel
Macron à la crise des Gilets jaunes. Les seuils du barème ont par ailleurs été
ajustés de manière à ce que la baisse d’impôt procurée par la réforme soit
réduite pour les contribuables imposés dans la tranche à 30 % et même
totalement neutralisée pour ceux qui sont dans les tranches à 41 % et 45 %.
Cette mesure renforce donc la concentration de l’IR sur le dernier décile.
c La qualité de service de l’administration a été améliorée
En parallèle, l’administration fiscale s’est réformée afin de parfaire la
qualité de service et ainsi renforcer le consentement à l’impôt du
contribuable. D’abord par la simplification des démarches fiscales.
Depuis 2006, les contribuables reçoivent une déclaration de revenus pré-
remplie par l’administration, grâce aux informations qu’elle collecte auprès
d’autres organismes (notamment les URSSAF) et de tiers. Le contribuable
n’a plus qu’à vérifier et, le cas échéant, compléter la déclaration. Les coûts
de gestion pour l’administration en sont réduits (moins de vérifications
manuelles à faire), de même que la sous-déclaration et les omissions
déclaratives.
La télédéclaration (au lieu de la traditionnelle déclaration papier), introduite
en 2002, réduit également les coûts de gestion et simplifie l’opération pour
le contribuable. Après une phase où la télédéclaration était facultative, elle
est devenue progressivement obligatoire à compter de 2016 et ce pour
l’ensemble des foyers depuis 2019. Seuls les foyers qui déclarent ne pas
être en situation de télédéclarer, par exemple faute d’accès à Internet,
peuvent déposer une déclaration papier sans recevoir de pénalité.
Enfin, depuis 2020, certains contribuables peuvent ne pas déclarer
expressément leurs revenus : ceux qui, l’année précédente, n’ont déclaré
que des revenus déjà connus de l’administration, soit environ un tiers des
foyers, sont éligibles à la déclaration tacite. Ils reçoivent une déclaration
préremplie complétée d’une estimation de leur impôt et mentionnant que,
en l’absence de déclaration expresse dans le délai de déclaration, ils seront
réputés avoir déposé leur déclaration sur la base des éléments déjà connus
de l’administration. Ils restent naturellement responsables de toute omission
et doivent par ailleurs effectuer une déclaration s’ils revendiquent le
bénéfice de réductions d’impôt par exemple. Ce système réduit les coûts de
gestion pour la DGFiP et facilite la déclaration du contribuable mais
pourrait réduire l’adhésion des Français à l’impôt, dans la mesure où la
déclaration de revenus constitue aussi un acte civique.
Par ailleurs, dès 2004, le programme « Pour vous faciliter l’impôt » s’est
traduit par des engagements de service à l’usager : interlocuteur identifié,
réponse immédiate aux appels téléphoniques, aux courriers sous 30 jours,
aux courriels sous 48 heures, droits et devoirs du contribuable vérifié, etc.
La fusion de l’ex-direction générale des impôts (DGI) et de l’ex-direction
générale de la comptabilité publique (DGCP) à compter de 2007
(cf. chapitre 28) a en outre permis de regrouper les services en charge du
calcul de l’impôt et de son recouvrement, ce qui est plus lisible pour
l’usager.
Enfin, les modalités de paiement de l’impôt ont été grandement
modernisées, c’est-à-dire facilitées et rendues plus efficientes. Comme
évoqué plus haut, le PAS a été généralisé en 2019 pour la quasi-totalité des
revenus. Cette réforme conduit en pratique à mensualiser son impôt sur
douze mois, là où il était auparavant dû (en N + 1) soit par tiers, soit par
mensualités sur dix mois de janvier à octobre (ou douze mois en cas de
solde important, alors étalé jusqu’en décembre). Elle conduit aussi à
généraliser le paiement dématérialisé. En effet, hors les cas où l’impôt est
retenu à la source (et reversé à l’administration par les tiers collecteurs de
manière dématérialisée), les acomptes contemporains sont acquittés par
prélèvement automatique. Quant au solde de l’IR en N + 1, comme
d’ailleurs tout impôt, il ne peut être réglé en espèces, par chèque ou
virement que lorsque la somme due est inférieure à 300 € ; au-delà, il est
obligatoire de recourir au prélèvement sur le compte bancaire ou au
paiement en ligne dans son espace personnel sur impots.gouv.fr.
2.2 Rendre l’imposition des revenus plus lisible
Des réformes plus profondes seraient nécessaires pour adapter l’impôt sur
le revenu aux attentes des citoyens et améliorer la cohérence de l’imposition
des revenus
a Vers de nouvelles simplifications à la suite du PAS ?
En premier lieu, la déclaration de revenus est à ce jour un outil
indispensable pour connaître les revenus et la situation personnelle des
contribuables. Elle permet non seulement d’établir l’IR en tenant compte
des capacités contributives de chaque foyer mais aussi de déterminer un
grand nombre de droits en matière fiscale ou sociale : les allégements de
taxe d’habitation, les droits aux prestations familiales etc. sont calculés en
fonction des données fiscales issues de l’avis d’IR. Elle sert également de
support pour déclarer et obtenir divers avantages fiscaux (réductions et
crédits d’impôt, déduction des cotisations aux plans d’épargne retraite…).
Pour autant, l’existence d’une régularisation en N + 1 apparaît comme une
sérieuse limite au prélèvement contemporain de l’IR. Tant le potentiel
d’économies en coûts de gestion que le service offert au contribuable en
sont réduits. Certes, si l’on souhaite conserver à l’impôt sur le revenu sa
progressivité, une régularisation apparaît en première analyse nécessaire :
l’impôt ne peut en effet être calculé qu’a posteriori une fois l’ensemble des
revenus du foyer connu. Le PAS serait naturellement plus aisé et plus utile
dans le cadre de l’instauration d’une taxation purement proportionnelle (flat
tax) avec une imposition individuelle, qui pourrait cependant être contestée
politiquement, voire constitutionnellement, au regard des principes de l’IR
depuis 1914.
Mais, sans aller jusque-là, il serait possible d’opter pour des solutions
intermédiaires. Pour les revenus salariaux, le PAS pourrait ainsi être rendu
libératoire, sauf option pour une régularisation, dès lors qu’il aurait été
appliqué sur la base du taux personnalisé : la progressivité serait ainsi
calculée non pas a posteriori en fonction de la situation N mais a priori en
fonction de la situation N – 2 ou N – 1. Ce décalage ne serait à vrai dire pas
très satisfaisant mais il existe déjà pour déterminer la progressivité de la
CSG sur les revenus de remplacement (cf. supra). Les Allemands
appliquent un système proche, si ce n’est que le taux du PAS n’est pas
exactement un taux personnalisé mais résulte de l’application par le tiers
collecteur au revenu qu’il verse de barèmes progressifs. Ceux-ci sont
comparables au taux par défaut précité si ce n’est que la situation
personnelle et notamment familiale du contribuable allemand est prise en
compte, d’où l’existence de plusieurs barèmes. Ce dernier a ensuite la
faculté de déposer une déclaration en N + 1, qui lui permet le cas échéant de
bénéficier d’un remboursement en cas de trop-perçu. Dans le contexte
français, on pourrait encore envisager que cette régularisation soit
obligatoire à partir d’un certain niveau de revenus. Mais, une chose est
sûre : en matière fiscale, l’équité est l’ennemie de la simplicité.
En second lieu, si l’IR est prélevé de manière contemporaine, les avantages
fiscaux restent versés avec une année de décalage. En effet, le taux du PAS
est déterminé à partir de l’IR brut, avant imputation des réductions et crédits
d’impôt et prise en compte de diverses déductions. Deux raisons à cela.
D’une part, les avantages fiscaux ne sont pas forcément récurrents, de sorte
que leur prise en compte dans le taux du PAS pourrait conduire le
contribuable à se retrouver redevable d’un important solde d’IR en N + 1,
les acomptes prélevés en N se révélant insuffisants. D’autre part, les
modalités retenues pour l’année de transition, lors de l’introduction du PAS
en 2019, rendaient difficile cette prise en compte. En effet, si l’impôt
afférent aux revenus 2018 concernés par la réforme a été neutralisé en 2019
par l’attribution d’un crédit d’impôt exceptionnel « modernisation du
recouvrement », le bénéfice cette même année des réductions et crédits
d’impôt acquis au titre de 2018 a été pleinement maintenu. Dans ces
conditions, calculer le taux de PAS en fonction de l’IR après avantages
fiscaux aurait conduit à un double impact budgétaire de ces derniers en
2019, ce qui n’était pas envisageable d’un point de vue budgétaire.
Le bénéfice des avantages fiscaux acquis au titre de N n’est donc effectif
qu’en N + 1. Si leur montant définitif ne peut être calculé qu’après la
déclaration de revenus et n’est donc versé qu’à l’été N + 1 un acompte est
toutefois versé en janvier N + 1. Cet acompte est égal à 60 % des
principaux réductions et crédits d’impôt dont le contribuable concerné a
bénéficié l’année précédente. Par exemple, l’acompte versé en janvier 2022
est calculé sur la base des avantages fiscaux acquis au titre de 2020 et
versés en 2021. Cette situation demeure néanmoins peu satisfaisante pour
les contribuables qui doivent attendre jusqu’à 20 mois pour bénéficier de
leurs avantages fiscaux alors qu’ils sont prélevés de l’impôt « en direct »
sur leurs revenus.
Il serait donc souhaitable que le taux du PAS tienne compte des avantages
fiscaux, au moins de ceux qui sont les plus récurrents (crédits d’impôt pour
l’emploi de salariés à domicile et pour les frais de garde de jeunes enfants,
réduction d’impôt Pinel etc.) et sous réserve de laisser au contribuable la
possibilité de déclarer un changement de situation en ce qui concerne ces
avantages. Il en résulterait certes un coût budgétaire l’année du changement
de mode de calcul du taux de PAS mais qui resterait ponctuel. Une autre
solution plus radicale serait, lorsque cela est possible, d’imaginer d’autres
modalités de versement de ces avantages, mettant ainsi fin à leur nature
fiscale, à l’instar de la transformation du crédit d’impôt pour la transition
énergétique en subvention budgétaire (MaPrimeRénov) en 2020-2021.
À ce stade, le gouvernement explore une piste intermédiaire consistant à
faire verser l’avantage fiscal par des tiers, lesquels sont ensuite remboursés
par l’État : ce système est expérimenté en 2021 dans deux départements
pour le crédit d’impôt au titre de l’emploi de salariés à domicile, au titre de
certaines dépenses versées à des agences de services à la personne. Une
généralisation est envisagée pour 2022. Pour autant, ce système ne peut être
étendu à l’ensemble des dépenses éligibles à ce crédit d’impôt (une femme
de ménage employée en direct ne fera pas l’avance du crédit d’impôt à son
employeur !) ni à tous les avantages fiscaux.
b L’articulation avec les autres impositions des revenus
pourrait être améliorée radicalement
Au-delà de la question du recouvrement de l’IR et des réformes déjà
effectuées, se pose la question de la cohérence de l’imposition des revenus
en France.
Premièrement, le choix, en partie « temporaire », de surtaxer les hauts
revenus par une taxe exceptionnelle distincte de l’IR (la CEHR) nuit à la
lisibilité de ce dernier. Or il pourrait être envisagé de l’intégrer dans le
barème de l’IR, sous la forme d’une tranche supplémentaire –
éventuellement deux.
Certes, le caractère plus large de l’assiette de la CEHR pourrait conduire à
une perte budgétaire dans cette opération, sauf à compenser cette perte
d’assiette par une hausse de taux. Concrètement, la différence d’assiette
entre les deux impôts provient notamment des revenus (intérêts, dividendes,
plus-values mobilières) bénéficiant du prélèvement forfaitaire de 12,8 %,
qui est aujourd’hui libératoire de l’IR mais pas de la CEHR. Pour éviter que
l’intégration de la CEHR dans le barème de l’IR ne soit un cadeau pour les
contribuables aisés bénéficiant de tels revenus du capital, une solution serait
de soumettre ces revenus à un taux d’imposition plus élevé au-delà d’un
seuil de revenus.
Bien évidemment, le principe de l’extinction de la CEHR lors du retour à
l’équilibre des comptes publics pourrait être sauvegardé par l’engagement,
politique ou juridique, de supprimer cette tranche supplémentaire à cet
horizon temporel, qui s’est éloigné avec la crise de la Covid-19.
Deuxièmement, la cohérence des prélèvements sociaux et leur articulation
avec l’IR ne paraissent pas satisfaisantes en équité et en lisibilité. S’agissant
des prélèvements sociaux, dès lors qu’ils sont des impôts et non des
cotisations sociales, il n’existe pas de raison valable pour qu’ils
s’appliquent de manière différente selon les catégories de revenus : une plus
grande homogénéité devrait être recherchée, qui pourrait passer par la
diminution des avantages dont bénéficient les titulaires de revenus de
remplacement13 et l’allégement de la pression fiscale, plus élevée, pesant
sur les titulaires de revenus du capital.
S’agissant de la coexistence de deux impôts sur le revenu, elle n’est pas en
soi problématique au regard de leurs objets différents. Toutefois, elle aboutit
à des paradoxes, résidant notamment :
– dans les efforts pour alléger la pression fiscale des ménages modestes
ou à revenus moyens, notamment des actifs par la prime d’activité,
alors que les prélèvements sociaux sont parallèlement acquittés ;
– dans le fait qu’une fraction de la CSG est déductible de la base
imposable à l’IR, sauf pour les revenus non soumis au barème
progressif, ce qui réduit l’assiette de ce dernier et conduit en outre à la
circonstance curieuse que les contribuables sont imposés sur une
fraction de revenus qu’ils ne perçoivent pas (la fraction non déductible
de CSG et les autres prélèvements sociaux) ;
– dans la territorialité plus limitée de la CSG qui, du fait de son
affectation aux ASSO, n’est due que par les résidents fiscaux français à
la condition qu’ils soient affiliés à un régime obligatoire de Sécurité
sociale14 : l’existence d’impôts spécifiques conduit à favoriser les non-
résidents au regard des résidents et nuit à la cohérence de l’imposition
des revenus.
C’est pourquoi la fusion de l’IR, de la CSG et des autres prélèvements peut
légitimement être envisagée. Mais une telle perspective soulève la question
des objectifs d’une telle réforme : cette dernière serait-elle de lisibilité et de
cohérence ou procéderait-elle d’une volonté d’accentuer encore la
progressivité de l’imposition des revenus ? ou au contraire d’instituer une
flat tax généralisée ?
Au-delà des contraintes constitutionnelles, réelles, le visage d’un impôt sur
le revenu unique dépendrait très largement des choix que formerait le
législateur. En revanche, une chose paraît certaine : la réforme serait
immanquablement à l’origine d’importants effets redistributifs (selon la
composition des revenus des foyers et les choix d’assiette, selon la
composition des foyers, selon l’évolution des dépenses fiscales…), qui ne
seraient pas nécessairement souhaités et maîtrisés. Elle ferait par
conséquent de très nombreux gagnants et perdants et, du fait de sa
complexité, ne serait par ailleurs pas sans risque opérationnel et budgétaire
(problèmes de mise en œuvre, erreurs dans les prévisions…). En affichage,
à pression fiscale constante, une fusion conduirait aussi à afficher des taux
d’imposition fort élevés.
Par conséquent, il paraît à court voire moyen terme plus raisonnable de
chercher à atteindre les objectifs poursuivis par le législateur, par exemple
l’accentuation de la progressivité et de l’équité de l’imposition des revenus,
en réformant directement l’IR et/ou les prélèvements sociaux. Ce faisant, il
est tout à fait possible de rapprocher progressivement les caractéristiques de
ces différents impôts, de manière à faciliter le moment venu une éventuelle
fusion. La mise en place du PAS de l’IR est allée dans ce sens.
L’IR est aussi l’impôt par excellence car il a été doté d’objectifs
innombrables : outre les objectifs de rendement et d’équité, moult
mécanismes et dépenses fiscales inscrivent l’IR dans des politiques
publiques variées. Si la complexité du calcul de l’IR et son caractère parfois
opaque pour le grand public peuvent s’expliquent par son raffinement dans
l’art d’appréhender les facultés contributives, la fiscalité dérogatoire
excessive, réelle et ressentie, qui se déploie dans le cadre de l’IR mine
l’image de cet impôt, sur lequel les critiques se sont concentrées. Aussi,
pour rendre l’imposition des revenus plus lisible et plus équitable, il n’est
pas indispensable de chercher à fusionner les différentes impositions
existantes sur le revenu. Plus séduisants sont les efforts de réduction des
dépenses fiscales et d’amélioration de la lisibilité du calcul de l’IR, qui
permettraient de faire du paiement de ce dernier un acte civique plus
largement partagé qu’aujourd’hui.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• Les faiblesses de l’impôt sur le revenu
• Le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu a-t-il tenu ses promesses ?
• Impôt sur le revenu et CSG
• Progressivité et CSG
• La fiscalité française est-elle progressive ?
• Volet social et volet fiscal de la politique familiale
RÉFÉRENCES
Conseil des prélèvements obligatoires, Impôt sur le revenu, CSG : quelles réformes ? 2015.
Rapport du gouvernement sur les modalités de mise en œuvre d’une fusion IR-CSG et sur la
retenue à la source de l’IR, 2012.
CHAPITRE 24
La fiscalité du patrimoine
NOTIONS À MAÎTRISER
• Stock et flux de patrimoine
• ISF, IFI, taxes foncières, DMTG, DMTO
• Bouclier fiscal, plafonnement IFI
• Revenus fictifs ou latents
Faut-il taxer le patrimoine ? Si oui, vaut-il mieux taxer le stock ou les flux
de patrimoine ? Si l’ensemble des pays de l’OCDE répondent par
l’affirmative à la première question, la réponse à la seconde question fait
moins consensus. Cette dernière fut posée explicitement lors du débat sur la
1re LFR 2011. Cette loi du 29 juillet 2011 avait en effet pour principal objet
de réformer la fiscalité du patrimoine, en allégeant l’impôt de solidarité sur
la fortune (ISF) mais en alourdissant les droits de mutation à titre gratuit
(DMTG). Or l’ISF frappait la détention d’un patrimoine, alors que les
DMTG sont dus lors de sa transmission. Telle est bien la distinction entre le
stock de patrimoine (un ensemble de bien ou de droits détenus à un moment
donné) et les flux de patrimoine (les mutations, par cession ou par
transmission, et les revenus que procure sa détention).
D’un point de vue budgétaire, on recherchera le mode de taxation du
patrimoine qui apporte les ressources les plus fiables et les plus dynamiques
pour les administrations publiques. D’un point de vue social et politique, il
paraît préférable de retenir le mode de taxation qui est le plus équitable et
répartit au mieux la charge fiscale en fonction des capacités contributives de
chacun. Enfin, d’un point de vue économique, la taxation du patrimoine
peut être dessinée de façon à être favorable à l’activité économique. Autant
d’objectifs distincts, dont la diversité est susceptible d’expliquer la pluralité
de la fiscalité du patrimoine.
1 L’imposition du patrimoine est parcellaire
et composite
Une photographie de la fiscalité du patrimoine révèle une réalité pluriforme.
Cette situation trouve des éléments d’explication dans la diversité des
finalités poursuivies par chaque impôt.
1.1 Une imposition éclatée et partielle
a Tant le stock que les flux de capitaux sont taxés
La fiscalité du patrimoine est éclatée puisqu’elle porte tant sur la détention
du capital que sur ses flux.
En ce qui concerne l’imposition du stock, on compte d’abord les taxes
foncières sur les propriétés bâties (TFPB) et non bâties (TFPNB). Elles ne
frappent certes que la fraction du patrimoine composée de biens
immobiliers, mais elles sont dues par l’ensemble des propriétaires. Tant les
ménages que les entreprises, qu’ils soient ou non fortunés, acquittent les
taxes foncières pour chaque bien immobilier possédé.
L’impôt sur la fortune immobilière (IFI) représente certes une charge non
négligeable pour ceux qui l’acquittent mais ces derniers ne sont qu’une
minorité : 140 000 foyers étaient redevables de l’IFI en 2019, soit environ
0,4 % des foyers fiscaux. En effet, cet impôt est dû sur l’ensemble du
patrimoine immobilier, qu’il soit détenu en direct ou via des structures
interposées (tels les fonds d’assurance-vie investis dans l’immobilier), y
compris les biens immobiliers déjà imposés aux taxes foncières, mais
seulement à compter d’un patrimoine taxable égal ou supérieur à 1,3 M€.
Les caractéristiques de cet impôt sont précisées dans l’encadré 1.
ENCADRÉ 1
ENCADRÉ 1
L’IFI, un impôt frappant la détention de patrimoine immobilier par les ménages
Fait générateur : l’IFI est dû annuellement au 1er janvier.
Assiette : valeur vénale nette du patrimoine immobilier (=valeur vénale – dettes).
Territorialité : ensemble du patrimoine immobilier détenu en France et à l’étranger pour
les contribuables domiciliés en France ; patrimoine immobilier situé en France seulement
pour les contribuables domiciliés hors de France.
Toutefois, pour inciter les non-résidents à venir s’installer en France (hormis ceux qui ont
été domiciliés en France au cours des cinq années précédentes), les personnes qui
transfèrent leur domicile en France sont imposables, pendant les cinq années suivant leur
installation en France, à raison de leurs seuls biens situés en France.
Redevable : foyer fiscal au sens de l’IFI, défini comme le couple et ses enfants mineurs. À
la différence du foyer au sens de l’IR, qui renvoie s’agissant du couple aux époux et aux
partenaires liés par un pacte civil de solidarité (PACS), le foyer au sens de l’IFI est aussi
constitué par des personnes vivant en concubinage notoire. Il est fait masse du patrimoine
de chacun des membres du foyer avant d’appliquer le barème et aucun quotient familial ni
dispositif équivalent n’est appliqué.
Barème : progressif (cf. tableau 3 infra).
Recouvrement : déclaratif. L’IFI est recouvré par voie de rôle. Les redevables joignent à
leur déclaration de revenus une déclaration spéciale d’IFI. Ils y mentionnent de manière
détaillée la valeur vénale de leurs actifs immobiliers, les dettes déductibles et tous les
éléments nécessaires au calcul de l’IFI. Ils reçoivent ensuite un avis d’imposition, distinct
de l’avis d’IR, qui rend l’impôt exigible.
S’agissant de l’imposition des flux de patrimoine, on compte d’abord celle
des revenus du patrimoine, dans le cadre général de l’imposition des
revenus (cf. chapitre 23).
Le patrimoine est ensuite taxé lorsqu’il change de propriétaire, que ce soit
par mutation à titre gratuit (donation et succession) ou à titre onéreux
(cession). Les DMTG reposent sur des barèmes progressifs, variables selon
le lien de parenté entre l’ancien et le nouveau propriétaire. Les droits de
mutation à titre onéreux (DMTO), qui s’appliquent aux cessions de biens
immobiliers et à certaines cessions de biens mobiliers, sont à l’inverse
déterminés par un taux proportionnel.
b Une part importante du patrimoine des ménages échappe
à la taxation
Les paramètres des impôts pesant sur le patrimoine et leurs exceptions font
que, selon les impôts, la plus grande part du patrimoine peut ne pas être
imposée.
Ainsi, en ce qui concerne l’IFI institué en 2018, il n’est premièrement dû
que sur le patrimoine immobilier, à l’exclusion donc du patrimoine mobilier
(actions, obligations et autres instruments financiers, meubles, liquidités). À
l’inverse, son prédécesseur l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) était en
principe dû sur l’ensemble du patrimoine et, même s’il était mité par
plusieurs exonérations, son assiette n’était composée de biens immobiliers
qu’à hauteur de 37 %. Deuxièmement, l’IFI n’est dû que par les personnes
physiques et non par les personnes morales, ce qui conduit à exclure une
partie du patrimoine immobilier français. Troisièmement, le seuil
d’assujettissement relativement élevé de l’IFI (1,3 M€) conduit à n’imposer
qu’une petite partie des biens immobiliers potentiellement taxables.
Quatrièmement, l’assiette de l’IFI connaît encore des mesures d’assiette
favorables : exonération des biens professionnels, exonération à hauteur de
75 % des bois et forêts, abattement de 30 % sur la résidence principale.
Ainsi, alors que le patrimoine des ménages s’élève à près de 12 000 Md€,
dont 55 % d’immobilier1, on peut estimer que l’assiette de l’IFI représente à
peine 2 % de ce total. Les caractéristiques de l’IFI peuvent d’ailleurs
apparaître peu équitables puisque, selon la composition du patrimoine d’un
ménage, sa cotisation d’IFI sera élevée… ou nulle2.
En outre, le plafonnement de l’IFI en fonction des revenus (cf. encadré 2)
conduit aussi à des inégalités entre contribuables assujettis à l’IFI, selon que
les revenus dont ils ont effectivement la disposition sont élevés ou non et
même à des abus.
La situation est différente en matière de taxes foncières, qui ne connaissent
pas d’exonérations majeures. S’agissant des ménages, seuls ceux à revenus
modestes et répondant à certaines caractéristiques, notamment d’âge, sont
exonérés de TFPB sur leur résidence principale. En revanche, en ce qui
concerne les locaux d’habitation, l’assiette de ces taxes est biaisée par le
caractère suranné des valeurs locatives foncières (cf. chapitre 15).
Les revenus du capital sont soumis à un taux global de prélèvements
sociaux élevé (17,2 %, à comparer à un taux de 9,7 % pour les revenus
d’activité) mais bénéficient de mesures dérogatoires, particulièrement à
l’impôt sur le revenu (taux forfaitaire de 12,8 %, alternativement au barème
de l’impôt sur le revenu, pour les revenus de capitaux mobiliers, taux
forfaitaire de 19 % pour les plus-values immobilières assorti d’abattements
pour durée de détention, exonération de la plus-value sur la résidence
principale, exonération des loyers fictifs3 que les propriétaires occupant leur
habitation sont réputés se verser à soi-même…).
Enfin, si les DMTO sont dus systématiquement, tel n’est pas le cas en
pratique des DMTG. En effet, moins de 20 % des successions sont in fine
taxables, avec un taux moyen d’imposition effectif d’environ 5 %4. Cet état
de fait s’explique d’abord par l’exonération totale des transmissions entre
conjoints, ainsi que par certaines autres exonérations, par exemple à hauteur
de 75 % pour les transmissions de sociétés conditionnées à un engagement
de conservation (« pacte Dutreil ») et les bois et forêts. En outre, des
abattements sont prévus, notamment de 100 000 € par enfant pour les
transmissions en ligne directe, avant que le barème progressif ne s’applique
(cf. tableau 1 pour celui applicable aux transmissions en ligne directe).
Tableau 1 : Barème des DMTG applicable aux transmissions (donations et successions)
en ligne directe
Fraction de part nette taxable Tarif applicable en %
N’excédant pas 8 072 € 5
Comprise entre 8 072 € et 12 109 € 10
Comprise entre 12 109 € et 15 932 € 15
Comprise entre 15 932 € et 552 324 € 20
Comprise entre 552 324 € et 902 838 € 30
Comprise entre 902 838 € et 1 805 677 € 40
Au-delà de 1 805 677 € 45
1.2 L’imposition du patrimoine résulte de l’addition
de mesures aux finalités diverses
a L’imposition du patrimoine est au total élevée en France
Tableau 2 : Impôts sur le patrimoine (en % du PIB)
2009 2017 2018 2019
République tchèque 0,4 0,5 0,5 0,4
France 3,4 4,4 4,1 4,0
Allemagne 0,8 1,0 1,0 1,1
Italie 2,6 2,6 2,6 2,4
Japon 2,6 2,5 2,6 2,6
Corée du Sud 2,6 3,1 3,3 3,1
Espagne 2,0 2,5 2,5 2,4
Suède 1,0 1,0 1,0 0,9
Suisse 2,1 2,0 2,1 2,1
Royaume-Uni 3,8 4,2 4,1 4,1
États-Unis 3,3 4,2 3,0 3,0
OCDE (moyenne non pondérée) 1,7 1,9 1,9 –
Source : Statistiques fiscales de l’OCDE, 2021. http://data.oecd.org/tax/tax-on-
property.htm
L’addition d’impositions, même « mitées » par de multiples exonérations
pour certaines et malgré la suppression de l’ISF, conduit la fiscalité
française du patrimoine à être l’une des plus élevées de l’OCDE (cf. tableau
2). Elle pèse 4,0 % du PIB en 2019, contre une moyenne OCDE de 1,9 %.
Elle est ainsi nettement plus élevée que dans d’autres pays d’Europe
continentale : 0,5 % en Tchéquie, 1,1 % en Allemagne, 2,1 % en Suisse,
2,4 % en Italie. Elle est en revanche proche du niveau des pays anglo-
saxons : 4,1 % au Royaume-Uni, 3 % aux États-Unis.
b L’imposition du stock, relativement élevée, poursuit
principalement un objectif budgétaire
Dans ce total, la fiscalité du stock ne revêt pas un poids négligeable. Les
taxes foncières, qui sont des taxes exclusivement locales, ont en effet pour
objet de faire contribuer les propriétaires aux charges des collectivités
locales sur lesquelles sont implantés les biens immobiliers imposés. Leur
rendement budgétaire est important (34,5 Md€ pour la TFPB et 1,1 Md€
pour la TFPNB en 2019) – plus élevé que celui résultant de la taxation des
occupants de ces mêmes biens immobiliers par la taxe d’habitation
résiduelle et la cotisation foncière des entreprises.
Les taxes foncières sont susceptibles d’avoir des finalités secondaires mais
qui sont relativement marginales. De manière générale, taxer la propriété,
incite à un usage rationnel des biens concernés et participe ce faisant à une
allocation optimale des biens immobiliers. De manière spécifique, des
dispositifs incitent à un comportement particulier. Par exemple la
majoration de valeur locative des terrains constructibles, facultative pour les
communes, incite les propriétaires à construire ou à céder leur terrain à un
promoteur.
L’objet de l’IFI apparaît de manière moins évidente mais, de par son
historique, on peut considérer qu’il a une finalité principalement sociale, de
participation à la redistribution verticale des patrimoines. Son rendement
budgétaire est en revanche relativement modeste, avec 2,1 Md€ en 2019.
Dans certaines situations individuelles cependant, son application en
combinaison avec les différents prélèvements sur le revenu peut aboutir à
un taux global d’imposition confiscatoire ; le contribuable est cependant
garanti par le plafonnement (cf. encadré 2) de l’IFI et de l’ensemble de
l’imposition directe sur le revenu.
c L’imposition du flux répond respectivement à des objectifs
budgétaires et d’équité
De manière générale, l’imposition des revenus trouve sa pleine légitimité
dans l’esprit de l’article 13 DDHC. Qu’il provienne du capital ou du travail,
le revenu confère à son titulaire une faculté contributive incontestable et
aisément mesurable, ce qui permet de le taxer sans l’appauvrir. L’imposition
des revenus, qui procure chaque année aux APU des ressources
relativement assurées, répond bien entendu à une finalité budgétaire mais
constitue également un outil de redistribution des richesses. Au regard de
ces deux objectifs, il serait peu cohérent de renoncer à imposer les revenus
du capital, lesquels représentent, au surplus, une proportion plus élevée des
revenus des ménages aisés.
Taxer les mutations présente un avantage similaire. Les droits de mutation
consistent en effet à taxer des biens au moment où le changement de
propriétaire crée une capacité contributive. Ils sont à l’origine, en 2019, de
17,0 Md€ pour les DMTO et de 15,2 Md€ pour les DMTG (perçus par
l’État).
Ainsi, lors de la vente d’un bien immobilier, ce bien est monétisé et son
acquéreur a par construction la capacité financière de l’acquérir. Il devient
alors possible d’ajouter au prix de vente une fraction de son montant
(jusqu’à 5,81 %), qui sera acquittée par l’acquéreur à cette occasion, qui est
unique et non récurrente. Les DMTO obéissent à la même logique que la
TVA. Ils tendent à renchérir le coût total des transactions ou, selon la
répartition du pouvoir de marché entre offreurs et demandeurs, à réduire le
prix hors taxe. Économiquement, ils sont donc susceptibles de nuire à la
fluidité du marché immobilier et à la mobilité des facteurs de production.
Lors d’une succession, son bénéficiaire n’est pas encore en possession de
l’héritage lors du fait générateur de l’impôt (le décès) : il n’est donc pas
appauvri quand il reçoit un patrimoine amputé des DMTG. Toutefois, le
bien n’est pas forcément reçu sous forme monétaire et le règlement des
DMTG peut dans certains cas conduire à céder une partie de l’héritage,
circonstance qui peut être vécue comme traduisant une imposition
« confiscatoire ».
Dans les sociétés occidentales contemporaines, une telle taxation paraît
socialement équitable, dans la mesure où l’on considère volontiers
qu’hériter d’un bien constitue une forme d’enrichissement sans cause et
qu’il convient, pour lutter contre les inégalités de répartition de patrimoine,
de prélever une fraction – croissante avec la valeur de ce dernier – de la
richesse transmise. Cette approche se double d’une stratégie économique
avantageant la création dynamique de richesses ; aux États-Unis il s’agit de
favoriser la New Money (enrichissement sur une génération) par rapport à la
Old Money (enrichissement par héritage). Dans d’autres sociétés ou en
d’autres époques, une telle manière de voir ne serait pas partagée tant elle
procède d’une conception individualiste de la vie sociale. En effet, si l’on
ne considère plus l’individu mais la famille ou le lignage, la transmission
entre M. X Senior et M. X Junior d’un bien de famille (un château par
exemple) ne crée aucune capacité contributive justifiant une quelconque
taxation5.
Finalement, la fiscalité française pesant sur le patrimoine apparaît largement
opportuniste : chaque événement et chaque situation touchant au patrimoine
sont identifiés comme révélant une capacité contributive et justifiant une
taxation.
2 Une fiscalité du patrimoine peu cohérente
et peu efficace
2.1 La fiscalité du patrimoine a connu plusieurs réformes
en sens contraire depuis 2011
a La fiscalité sur le stock du patrimoine, notamment mobilier,
a été allégée
L’ISF a longtemps été la cible de critiques récurrentes mais sa suppression
au 1er janvier 2018 est désormais également critiquée. Jusqu’à cette date, la
France était le seul pays européen doté d’un impôt pesant sur l’ensemble du
patrimoine des ménages. Dès lors, l’ISF était susceptible de pénaliser les
investissements productifs et d’encourager l’évasion fiscale. En effet, il
réduisait le rendement de ces investissements et décourageait notamment
les ménages fortunés à investir dans des placements à rendement incertain
et fluctuant, comme les actions. Il constituait également un frein à la
croissance des entreprises, tout particulièrement des PME et entreprises de
taille intermédiaire (ETI) familiales, les actionnaires sollicitant des
distributions de bénéfices régulières pour pouvoir payer leur ISF, au
détriment du réinvestissement des bénéfices dans l’entreprise. Enfin, l’ISF
contribuait à l’expatriation, chaque année, de centaines de résidents français
parmi les plus fortunés (635 départs nets en 2013), au risque de réduire
leurs investissements dans l’économie française et donc la croissance de
celle-ci.
Face à cette situation, le gouvernement Fillon avait entrepris en 2011 de
réformer la fiscalité du patrimoine. La première LFR 2011 a ainsi allégé
l’ISF. L’entrée dans le champ de cet impôt a été relevée de 800 000 € à
1,3 M€ et l’abattement sur la résidence principale a été porté de 20 à 30 % –
aménagements qui ont été conservés par la suite. Surtout, un barème en
taux moyen a alors été introduit, de façon à réduire les taux faciaux
d’imposition : au lieu d’un barème progressif allant de 0 à 1,8 %, le barème
« Sarkozy » reposait sur deux taux de 0,5 % et 0,75 %, assorti d’un
mécanisme de décote pour lisser les effets de seuil. En contrepartie de cette
réforme allégeant l’ISF, le « bouclier fiscal » (cf. encadré 2), qui avait
alimenté les critiques du fait de son fonctionnement et de son ciblage, qui
conduisait à rembourser des sommes élevées à des contribuables fortunés, a
été définitivement supprimé à compter de 2012.
Mais eu égard au caractère éminemment politique de l’ISF, cette réforme ne
survécut pas à l’alternance de 20126. Alors que « l’ISF Sarkozy » devait
pleinement s’appliquer pour la première fois en 2012, le gouvernement
Ayrault créa en deuxième LFR 2012 une contribution exceptionnelle sur la
fortune qui permit de neutraliser les effets de cette réforme cette même
année. Puis la LFI pour 2013 réforma l’ISF de manière pérenne. En
particulier, un barème progressif en taux marginaux, composé de six
tranches de 0 à 1,5 %, a été restauré pour renforcer la progressivité de cet
impôt, notamment pour les hauts patrimoines7. Ce barème a été repris à
l’identique pour l’IFI (cf. tableau 3). Enfin, un plafonnement à 75 % du
revenu a été restauré et demeure encore aujourd’hui (cf. encadré 2).
Tableau 3 : Barème de l’IFI depuis le 1er janvier 2018
Fraction de la valeur nette taxable du patrimoine Tarif applicable (en %)
N’excédant pas 800 000 € 0
Supérieure à 800 000 € et inférieure ou égale à 1 300 000 € 0,50
Supérieure à 1 300 000 € et inférieure ou égale à 2 570 000 € 0,70
Supérieure à 2 570 000 € et inférieure ou égale à 5 000 000 € 1
Supérieure à 5 000 000 € et inférieure ou égale à 10 000 000 € 1,25
Supérieure à 10 000 000 € 1,50
ENCADRÉ 2
ENCADRÉ 2
Bouclier fiscal et plafonnement de l’ISF puis de l’IFI
Le « bouclier fiscal » (mécanisme de plafonnement des impôts directs en fonction des
revenus)
Adopté en 2005 afin de limiter la charge fiscale globale et, ainsi, de protéger les fruits du
travail et de lutter contre l’évasion fiscale, il limitait à 60 % de ses revenus le montant
d’impôt maximum acquitté par chaque foyer fiscal. Il a été rendu plus favorable par la loi
du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, son taux passant à
50 %.
Les impositions prises en compte au numérateur étaient, à compter de 2007, l’IR, les
prélèvements sociaux, la taxe d’habitation, les taxes foncières et l’ISF. Le dénominateur
était constitué des revenus imposables auxquels étaient ajoutés certains revenus exonérés
(prestations familiales par exemple).
Sur environ 19 000 bénéficiaires, 60 % étaient des ménages aux revenus modestes,
relevant des quatre premiers déciles, et non assujettis à l’ISF, et 20 % avaient à la fois des
revenus et un patrimoine élevés. Cette seconde catégorie représentait 98 % du coût total du
bouclier fiscal. (600 M€)
Le plafonnement de l’ISF en fonction des revenus
En 1989, pour apporter une solution au syndrome de la veuve de l’Île de Ré redevable de
l’ISF du fait de la valeur élevée de sa résidence principale mais disposant de peu de
revenus, le gouvernement Rocard a instauré le plafonnement de l’ISF. Pour les redevables
domiciliés en France, la somme de l’ISF et des impositions sur le revenu (à l’exclusion
donc des taxes foncières et de la taxe d’habitation) était limitée à 85 % du revenu.
En 1996, le gouvernement Juppé a plafonné le plafonnement. Au-delà de la troisième
tranche d’ISF (patrimoine supérieur à 2,57 M€), le plafonnement ne pouvait aboutir à une
réduction de l’impôt supérieure à la moitié de l’impôt normalement dû. Un tiers des
redevables bénéficiant du plafonnement étaient ainsi plafonnés. Cette mesure permettait de
limiter l’optimisation fiscale des redevables organisant leur patrimoine (créations de trusts,
placement en assurance-vie…) de manière à ne pas percevoir davantage de revenus qu’ils
n’en ont l’utilité.
Le plafonnement a été supprimé en 2011, lors de la réforme de l’ISF. En 2012, le Conseil
constitutionnel, se prononçant sur la contribution exceptionnelle sur la fortune instituée par
la 2e LFR 2012, a considéré « que le législateur ne saurait établir un barème de l’impôt de
solidarité sur la fortune tel que celui qui était en vigueur avant l’année 2012 sans l’assortir
d’un dispositif de plafonnement ou produisant des effets équivalents destinés à éviter une
rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques » (CC, décision no 2012-654
DC du 9 août 2012, 2e LFR 2012, cons. 33).
Ainsi, la réforme de l’ISF par la LFI 2013 a été assortie de la restauration du plafonnement
de l’ISF. Son taux est cependant diminué à 75 %. Son dénominateur est in fine proche du
précédent plafonnement « Rocard ». En effet, les tentatives du législateur et du
gouvernement d’étendre les revenus pris en compte à certains revenus latents (produits
capitalisés dans une assurance-vie ou dans un trust, intérêts des plans d’épargne
logement…) ont buté sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel, pour lequel la prise
en compte dans les revenus de sommes dont les contribuables n’ont pas la disposition au
cours de l’année considérée méconnaît l’exigence de prise en compte des facultés
contributives (cf. notamment CC, décision no 2012-662 DC du 29/12/2012, LFI 2013,
cons. 95).
Ce plafonnement à 75 % des revenus a été repris pour l’IFI.
Un plafonnement qui donne lieu à des abus, auxquels l’État tente de répondre
Ce plafonnement est critiqué car il permet l’optimisation fiscale, voire les abus : en
minimisant les revenus effectivement perçus, il est possible de réduire fortement son
impôt. C’est effectivement ce qui se produit : ceux qui tirent leurs ressources de leur
capital – et non de leur travail ou de leurs retraites – peuvent organiser leur patrimoine de
manière à percevoir peu de revenus. Le coût du plafonnement de l’ISF a ainsi largement
dépassé celui de l’ancien bouclier fiscal et a augmenté jusqu’en 2017, année où il a atteint
1,3 Md€, en hausse de 88 % par rapport à 2013 ! Plus de 11 500 contribuables ont
bénéficié du plafonnement, soit 3,2 % des foyers soumis à l’ISF. L’allégement moyen
dépassait 115 000 €. 58 % des redevables dont le patrimoine dépasse 10 M€ bénéficiaient
du plafonnement. Ce plafonnement révèle ainsi l’absurdité de l’ISF, dont le barème était
tellement élevé que le Conseil constitutionnel a imposé au gouvernement d’ouvrir une voie
de contournement. Grâce à ce plafonnement, nombre de contribuables plafonnés renoncent
à l’exil fiscal, mais au prix d’un impôt illisible et injuste.
Ce sont les raisons pour lesquelles la LFI 2017 a introduit une clause anti-abus pour
redresser des abus, constatés chez des contribuables disposant de facultés contributives
substantielles mais reversant leurs revenus à une société holding patrimoniale interposée
(« cash box ») pour qu’ils ne soient pas pris en compte dans le calcul du plafonnement.
Dans ces cas abusifs, l’administration pourra, sur contrôle, réintégrer ces revenus
détournés dans le calcul du plafonnement, à condition de démontrer que ces revenus lui
bénéficient effectivement (CC, décision no 2016-744 DC du 29/12/2016). Cependant la
substitution de l’IFI à l’ISF a significativement réduit la portée du plafonnement.
Finalement, la LFI 2018 a supprimé l’ISF, pour les raisons indiquées plus
haut, et l’a remplacé par l’IFI. En pratique, l’ISF a été recentré sur le seul
patrimoine immobilier. Le raisonnement sous-jacent est que
l’investissement dans la pierre serait moins risqué et moins utile d’un point
de vue économique et social, raison pour laquelle on pourrait continuer à le
taxer, là où la taxation du patrimoine liquide serait en revanche davantage
nocive. Ce raisonnement n’a néanmoins pas été mis en avant lors de la
discussion du PLF 2018 car il aurait été fragile juridiquement : pour le
suivre jusqu’au bout, il aurait fallu maintenir l’ISF et en exonérer les seuls
investissements considérés comme risqués et/ou utiles, sur la base de
critères qui auraient pu être contestés devant le Conseil constitutionnel sur
le terrain de l’égalité devant les charges publiques. C’est pourquoi le
gouvernement Philippe a présenté l’IFI comme un impôt nouveau ayant un
objet purement budgétaire – nonobstant par ailleurs son rendement limité.
b La fiscalité sur les flux de patrimoine a été durcie, sauf pour
les revenus de capitaux mobiliers
Ces dernières années, les droits de mutations ont évolué dans le sens d’une
imposition plus élevée, tant en ce qui concerne les DMTG que les DMTO.
S’agissant des premiers, ils ont été renforcés tant par la première LFR 2011
que par la deuxième LFR 2012. En particulier, l’abattement pour enfant a
été ramené de 159 000 à 100 000 €8 et le délai de rappel des donations a été
porté de 6 à 15 ans9. S’agissant des seconds, le taux maximum cumulé
applicable à la plupart des mutations à titre onéreux (sur les biens
immobiliers anciens notamment) atteint 5,81 %, compte tenu du relèvement
du taux plafond départemental en 2014 (cf. chapitre 15).
Quant à l’imposition des revenus du capital, elle a connu les mêmes
soubresauts que l’ISF. Si la LFI 2013 avait barémisé les dividendes, intérêts
et plus-values mobilières, la LFI 2018 les a fait bénéficier du PFU de 30 %
(cf. chapitre 23). L’inspiration de cette dernière réforme est la même que
pour le remplacement de l’ISF par l’IFI : alléger la fiscalité sur le capital
mobilier, réputé davantage créateur de richesses que le capital immobilier.
Les fruits de ce dernier sont en effet davantage taxés : les revenus fonciers
sont imposables au barème de l’IR et aux prélèvements sociaux sur les
revenus du patrimoine, soit, avec la CEHR, un taux marginal supérieur
cumulé allant jusqu’à 66,2 %10. Les plus-values immobilières bénéficient
en revanche d’un régime particulier (cf. chapitre 23), eu égard au caractère
exceptionnel de ce revenu.
Ajoutons que l’exit tax (ou taxe à la sortie), introduite en 2011, a vu sa
portée réduite par la LFI 2019, à l’initiative du président Macron. Ce
dispositif, qui n’est en réalité pas un impôt en tant que tel, consiste à
soumettre à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux les plus-
values latentes sur des titres d’entreprises constatées lors du transfert du
domicile fiscal à l’étranger. L’impôt n’est dû que par les contribuables
disposant d’un patrimoine mobilier important (participations dans des
sociétés d’une valeur d’au moins 800 000 €) ou dont leurs participations
dans une société leur confèrent un droit à au moins 50 % des bénéfices de
cette société. Encore faut-il préciser que, compte tenu des principes
européens de liberté d’établissement et de libre circulation des capitaux,
l’impôt n’est pas effectivement acquitté lors du départ du territoire, un
sursis de paiement étant accordé, sauf lorsque le départ se fait pour un pays
qui n’a pas conclu de convention d’assistance administrative avec la France.
Surtout, depuis le 1er janvier 2019, l’impôt calculé lors du départ est
automatiquement dégrevé lorsque les titres grevés de la plus-value latente
ont été conservés pendant deux ans ou cinq ans pour les contribuables dont
la valeur globale des titres excède 2,57 M€ (contre 15 ans auparavant).
L’objectif de cet assouplissement est de favoriser la mobilité des
investisseurs créateurs de richesses.
2.2 L’imposition du patrimoine pourrait être davantage
centrée sur le stock
Imposer la détention de capital incite à son utilisation économiquement
efficace et contribue par conséquent à la croissance potentielle.
a L’imposition de la détention de patrimoine paraît
économiquement souhaitable
Pour optimiser le rendement du capital des Français, il est plus efficace de
les inciter à le faire fructifier (en taxant le patrimoine sans tenir compte du
revenu qu’il produit et en ne taxant pas le revenu) plutôt que de les
désinciter à créer du revenu (en leur prélevant, par l’imposition des revenus,
un taux d’impôt d’autant plus élevé que le revenu est élevé).
Telle est la logique défendue par Maurice Allais (1976), prix Nobel
d’économie. Concrètement, son adoption permettrait en théorie d’inciter à
orienter davantage l’épargne et le patrimoine des ménages vers
l’investissement productif (plus rentable pour le contribuable et plus
favorable au développement des entreprises et de l’économie) plutôt que sur
des produits sans risque ou improductifs (comme les œuvres d’art…).
Toutefois, la limite posée par le Conseil constitutionnel est que l’impôt ne
devienne pas confiscatoire (cf. chapitre 5).
Par ailleurs, la fiscalité peut jouer un rôle dans le bon fonctionnement du
marché immobilier. D’une part, il ne paraît pas souhaitable d’encourager
spécifiquement la détention de biens immobiliers, au risque de pousser les
prix à la hausse, ce qui est néfaste à plusieurs égards (risque de bulle
immobilière, réduction du pouvoir d’achat des ménages…). D’autre part,
les transactions de biens immobiliers ne doivent pas être pénalisées, au
risque de nuire à la fluidité du marché immobilier et à la mobilité
géographique des actifs. À cette fin, plusieurs propositions allant dans le
sens d’une juste imposition de la détention et d’une moindre taxation des
flux peuvent être formulées11.
En premier lieu, s’agissant des taxes foncières, il est important que
l’actualisation des valeurs locatives cadastrales soit engagée pour les locaux
d’habitation (cf. chapitre 15) afin qu’elles reflètent davantage la valeur
réelle du patrimoine, de manière à tarifer correctement la détention des
immeubles et de faciliter ainsi une allocation optimale du parc immobilier.
En deuxième lieu, les DMTO devraient être allégés, ce qui suppose en
pratique de conférer aux départements, voire aux communes, des recettes de
substitution. La refonte de la fiscalité locale corrélative à la suppression de
la TH pourrait fournir l’occasion de cet abaissement des DMTO mais pose
la question de son financement pour l’État.
En troisième lieu, afin d’éviter la rétention des biens immobiliers par les
propriétaires qui souhaitent échapper à la taxation de leurs plus-values
grâce aux abattements pour durée de détention (qui aboutissent à une
exonération totale au bout de 30 ans), ceux-ci pourraient être remplacés par
un coefficient d’érosion monétaire, qui viserait à une neutralité économique
dans le calcul de la plus-value.
En quatrième lieu, la fiscalité des revenus immobiliers mériterait d’être
harmonisée entre location nue (taxable en revenus fonciers) et location
meublée (taxables en bénéfices industriels et commerciaux), afin d’assurer
la neutralité fiscale de ces deux modes de location. Afin d’encourager
l’investissement immobilier locatif – de manière sans doute plus efficace
que les réductions d’impôt prévues à cet effet – il serait souhaitable, compte
tenu de ce que ces revenus ne bénéficient pas du prélèvement forfaitaire
unique de 30 %, soit de les en faire bénéficier, soit d’organiser cette
harmonisation par le bas, en autorisant le contribuable qui loue un bien
immobilier nu à déduire de ses revenus fonciers l’amortissement de ce bien.
b Si un impôt frappant la détention du patrimoine dans
son ensemble devait être rétabli, d’autres modèles que l’ISF
existent
Moins consensuelle est la question du rétablissement de l’ISF ou d’un autre
impôt qui pèserait sur le patrimoine immobilier mais aussi mobilier. Le
président de la République s’est engagé à ce que la suppression de l’ISF
fasse l’objet d’une évaluation afin de mesurer ses effets notamment
économiques et, le cas échéant, d’en tirer les conclusions qui s’imposent.
Cette évaluation se révèle néanmoins difficile, notamment dans le contexte
de crise économique liée à la Covid-1912.
En tout état de cause, l’hypothèse d’un rétablissement de l’ISF devrait
s’inscrire dans une réflexion plus globale sur l’organisation de la fiscalité
du patrimoine. Ainsi, nos voisins européens ayant supprimé des impôts
équivalant à l’ISF depuis les années 1990 ont à cette occasion opté pour
différentes formules de remplacement. L’Allemagne a augmenté son taux
marginal supérieur d’impôt sur le revenu, la Finlande a accentué
l’imposition du patrimoine immobilier, les Pays-Bas ont imposé les revenus
« fictifs » du patrimoine.
Ce dernier exemple s’inscrit dans la logique défendue par Maurice Allais :
le patrimoine des ménages, quelle que soit sa composition réelle (sous
réserve de certaines exceptions), est réputé procurer à son propriétaire un
rendement croissant avec le patrimoine, compris entre 2,9 % et 5,4 %13, ce
qui permet de définir une assiette de revenus fictifs auxquels on applique le
taux d’imposition de 30 % – soit un taux d’imposition du patrimoine
compris entre 0,87 % et 1,62 %. Si ce dernier taux peut paraître élevé au
regard du barème de l’IFI, il n’est pas comparable à ce dernier car il ne se
double pas d’une imposition des revenus « réels » du patrimoine comme
c’est encore le cas en France avec le cumul entre IFI et imposition des
revenus fonciers.
Enfin, dans la lignée des réflexions d’Olivier Fouquet, un éventuel
rétablissement de l’ISF pourrait aussi prendre la forme de la création d’un
nouvel impôt assis sur le patrimoine à assiette large et taux bas. Il s’agirait
d’instituer un impôt dû sinon par la totalité du moins par la majorité des
ménages, à l’image de l’IR, dépourvu de toute exonération et reposant sur
un ou plusieurs taux moyens d’imposition. Si ce nouvel impôt pesait sur les
12 000 Md€ de patrimoine des ménages français, un taux de 0,05 %
suffirait à dégager des ressources supérieures à l’ancien ISF !
c La fiscalité des mutations à titre gratuit dépend de choix
éminemment politiques
La fiscalité du patrimoine peut encore poursuivre d’autres objectifs, selon
les priorités des gouvernements. En matière de taxation des donations et des
successions, un objectif budgétaire pourrait conduire à instituer,
parallèlement aux DMTG, une taxe à taux proportionnel unique sur les
successions et donations, à l’image de ce que la CSG est à l’IR. Un objectif
de redistribution verticale appellerait plutôt à renforcer la progressivité des
DMTG, moins en augmentant leurs taux (déjà élevés) qu’en réduisant
encore les abattements. Enfin, un objectif de redistribution
intergénérationnelle conduirait à renforcer l’attractivité des donations,
notamment aux jeunes générations, par rapport aux successions, par
exemple par un taux plus faible ou un abattement plus élevé en fonction de
l’âge du donataire ou encore par une réduction du délai de rappel des
donations.
Relevons toutefois que, dans l’Union européenne, la tendance est à la
réduction voire à la suppression des DMTG depuis le début des années
2000. Ainsi, dix États membres ne prélèvent aucun impôt sur les donations
et successions, dont la Suède. Dans ces pays, la suppression de cet impôt a
été le plus souvent motivée par son inefficacité, compte tenu de son coût de
gestion élevé et de son rendement relativement faible. À l’inverse, la France
se distingue par des DMTG élevés (au 2e rang dans l’UE, derrière la
Belgique). Leur suppression pure et simple serait une mesure de
simplification remarquable mais soulève des questions d’opportunité
compte tenu de l’objectif redistributif assigné à cet impôt.
À l’inverse, l’OCDE, dont seuls 24 des 37 membres appliquent des droits
de succession et donation, pour des recettes moyennes de 0,5 % des PO,
recommande d’augmenter ces derniers à des fins budgétaires mais aussi
pour réduire les inégalités de patrimoine et favoriser l’égalité des chances.
Toutefois, du point de vue empirique, des DMTG élevés ne sont corrélés ni
à une situation budgétaire saine ni à des inégalités faibles : la France fait
ainsi partie des pays de l’OCDE où les DMTG sont les plus élevés, alors
que la Suède les a abolis en 2004. Du point de vue économique augmenter
les DMTG est même susceptible de nuire à la croissance d’un pays en
réduisant l’offre de travail et les incitations des contribuables à investir et
épargner14.
Quoi qu’il en soit, avec des droits de succession et donation qui comptent
pour 1,4 % des PO, la France n’est pas l’État le plus concerné par ces
recommandations. Au printemps 2021, le gouvernement songe au contraire
à instaurer un abattement exceptionnel supplémentaire pour les petites
donations aux jeunes générations, afin d’encourager la transmission de
l’épargne accumulée pendant la crise de la Covid-19.
La fiscalité du patrimoine est un exemple d’opposition de la théorie
économique, qui invite à imposer le stock, et de la pratique politique, en
partie fondée sur l’article 13 de la DDHC, qui privilégie la taxation des
flux. Dans ce cadre, la préférence française pour des impôts à assiette
étroite et taux élevé paraît néanmoins regrettable. Quelle que soit la priorité
d’une politique fiscale (objectif économique, social ou budgétaire), elle
pourrait tendre à corriger ce défaut.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• Faut-il rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune ?
• Les impositions foncières
• Trop d’impôt tue-t-il l’impôt ?
• L’impôt doit-il être neutre ?
• La fiscalité confiscatoire
• À quoi servent les droits de mutation ?
• Faut-il augmenter les droits de succession ?
RÉFÉRENCES
Maurice Allais, L’Impôt sur le capital et la Réforme monétaire, Paris, Hermann, 1976.
Patrick Artus, Antoine Bozio et Cecilia Garcia-Peñalosa, Fiscalité des revenus du capital, note
du Conseil d’analyse économique no 9, septembre 2013.
Alain Trannoy et Étienne Wasmer, La Politique du logement locatif, note du Conseil d’analyse
économique no 10, octobre 2013.
CPO, Les Prélèvements obligatoires sur le patrimoine des ménages, janvier 2018.
France Stratégie, « Peut-on éviter une société d’héritiers ? », note d’analyse no 51, janvier
2017.
OCDE, Impôt sur les successions dans les pays de l’OCDE, mai 2021 (septembre 2021 pour la
version française).
CHAPITRE 25
La fiscalité des entreprises
NOTIONS À MAÎTRISER
• Impôts sur les bénéfices, impôts sur les facteurs de production, impôts sur le chiffre
d’affaires
• Coin fiscalo-social
• CICE
• Impôt « papier »
• Pacte national pour la compétitivité, la croissance et l’emploi ; pacte de responsabilité et de
solidarité
La baisse progressive du taux d’impôt sur les sociétés à 25 % d’ici 2022,
adoptée en LFI 2018, est destinée à améliorer la compétitivité des
entreprises françaises. D’une certaine manière, c’est une reconnaissance du
caractère élevé, sinon excessif, de la fiscalité qui pèse sur les entreprises. La
fiscalité des entreprises est-elle trop lourde en France et, le cas échéant,
faut-il l’alléger ?
Dans un contexte de libre circulation des marchandises et des capitaux, une
fiscalité « trop lourde » sur les entreprises françaises peut en effet les
pénaliser, sur le marché intérieur comme à l’international. C’est donc à
l’aune de la fiscalité de nos partenaires commerciaux que l’on doit
apprécier le poids de la fiscalité des entreprises en France.
Par fiscalité des entreprises, il faut entendre l’ensemble des impôts qui
pèsent économiquement sur les entreprises, ce qui renvoie aux impositions
sur le bénéfice mais aussi sur le chiffre d’affaires et les salaires, ainsi qu’à
d’autres impôts, notamment à caractère local. Cela comprend des impôts
qui ne sont pas spécifiques aux entreprises, comme les taxes foncières. Cela
conduit en revanche à écarter du champ de la fiscalité des entreprises la
TVA, qui est économiquement supportée par le consommateur, et les
prélèvements obligatoires non fiscaux, notamment les cotisations sociales.
Toutefois, il ne peut être complètement fait abstraction des cotisations
sociales, du fait des liens existants entre fiscalité et coût du travail.
1 La fiscalité des entreprises est composite
et relativement lourde
De même que la fiscalité des ménages ne se résume pas à l’imposition des
revenus, la fiscalité des entreprises ne se résume pas à celle des bénéfices.
1.1 La fiscalité des entreprises n’est pas uniquement
assise sur les bénéfices
a De nombreux impôts sont assis sur les facteurs
de production ou le chiffre d’affaires
Parmi les impôts qui ne sont pas assis sur les bénéfices, on distingue ceux
qui pèsent respectivement sur les salaires, sur le capital et certains soldes
intermédiaires de gestion (voir schéma 1) et, enfin, sur le chiffre d’affaires.
On parle de manière générale d’impôts sur les facteurs de production, par
opposition aux impôts sur les bénéfices.
Premièrement, sur les salaires, la fiscalité se cumule avec les charges
sociales. Les différents prélèvements fiscaux assis sur les salaires ont un
poids significatif au regard de l’activité économique de notre pays. En ne
retenant que ceux classés en prélèvements obligatoires, ils représentaient,
en 2019, 1,8 % du PIB français, soit près de 39 Md€1.
Ce niveau d’imposition est supérieur à la moyenne de 1,1 % observée dans
les pays de l’OCDE ayant recours à ce type de prélèvements et, a fortiori, à
la moyenne OCDE de 0,4 %. L’importance de cette catégorie d’impositions
reste toutefois relativement limitée au regard de l’ensemble des
prélèvements obligatoires (les impôts sur les salaires comptent pour 3,7 %
de l’ensemble des PO, contre 34,0 % pour les cotisations de Sécurité
sociale).
Ces impositions répondent à des objectifs divers (cf. encadré 1) et
présentent l’inconvénient de reposer sur des règles, notamment de
recouvrement, peu harmonisées.
ENCADRÉ 1
ENCADRÉ 1
Les taxes assises sur les salaires
La taxe sur les salaires (TS) est le plus important de ces impôts en termes de
rendement
Créée en 1948, la TS est destinée à compenser l’avantage que certains employeurs trouvent
à ne pas être soumis à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ou à percevoir des flux financiers
non taxables à la TVA (subventions ou dividendes par exemple). Son rendement est de
14,0 Md€2 dont environ 40 % pèsent sur les secteurs hospitalier et médico-social et près
de 30 % sur les banques et les assureurs.
Son rendement est important mais doit être pour partie relativisé. La TS est en effet
affectée intégralement aux caisses de la Sécurité sociale, ce qui conduit à une forme de
« circularité » puisqu’elle est payée pour 40 % par des structures qui sont financées par la
Sécurité sociale.
Les autres taxes pesant sur la rémunération du travail pèsent par leur cumul
Les autres taxes assises sur les salaires et dues par l’employeur sont particulièrement
nombreuses. Elles répondent à deux logiques distinctes.
a) Taxes affectées à des dépenses bénéficiant aux salariés et à leurs employeurs
Afin de financer la formation professionnelle des salariés et des chômeurs et l’alternance,
une contribution unique à la formation professionnelle a été constituée en 2019. Elle
rassemble en fait deux taxes, qui préexistaient, à savoir la taxe d’apprentissage (TA, 3,3
Md€) et la contribution à la formation professionnelle (CFP – ex-participation des
employeurs à la formation professionnelle continue – 6,3 Md€). S’y ajoutent la
contribution supplémentaire à l’apprentissage (CSA), qui constitue une forme de pénalité
pour les entreprises qui emploient peu d’alternants, et la contribution dédiée au
financement du compte personnel de formation pour les titulaires d’un contrat à durée
déterminée (1 % CPF-CDD). Depuis 2021, ces contributions sont collectées par les
URSSAF et la MSA en lieu et place des anciens organismes paritaires collecteurs agréés
(OPCA).
La participation de l’employeur à l’effort de construction (PEEC) oblige les employeurs à
financer la construction de logements. Hors versements aux salariés, la PEEC représente
1,9 Md€, payés aux organismes collecteurs.
Les cotisations au Fonds national Action logement (FNAL), d’un rendement de 2,8 Md€,
s’ajoutent à la PEEC, avec laquelle elles partagent un objet similaire.
Le versement mobilité (ex-versement transport) procure des recettes de 9,2 Md€ aux
collectivités territoriales et au STIF en vue de financer les infrastructures de transport en
commun.
Le régime des garanties des salaires (AGS) est financé par une contribution d’un
rendement de 0,9 Md€, proche dans sa logique d’une cotisation sociale.
b) Taxes sur des catégories particulières de rémunérations et affectées à la Sécurité sociale
Un forfait social s’applique à des rémunérations non assujetties aux cotisations sociales,
pour un rendement de 5,3 Md€.
La contribution de solidarité en faveur de l’autonomie (CSA) due sur les salaires est
également à la charge de l’employeur (alors que celle due sur les pensions est à la charge
du titulaire des revenus). Le rendement est de 2,1 Md€ (hors CSA sur les revenus du
capital).
Des contributions spécifiques sont dues sur certaines catégories de rémunérations ne
relevant pas du régime social de droit commun : gains de levée d’option et d’attribution
d’actions gratuites (0,6 Md€), préretraites d’entreprise (80 M€), retraites chapeau
(215 M€)…
Deuxièmement, des impôts sont dus sur le capital et des soldes
intermédiaires de gestion.
Tout d’abord, le second facteur de production, le capital, est soumis à
l’impôt pour sa composante immobilière. Les immeubles des entreprises
sont en effet imposés dans le cadre des impôts dits fonciers (cf. chapitre 15).
La cotisation foncière (CFE) et les taxes foncières sur les propriétés bâties
(TFPB) et non bâties (TFPNB) sont assises sur les valeurs locatives
foncières des immeubles respectivement occupés et détenus par les
entreprises. La CFE est due par toute entreprise, dans le cadre de la
contribution économique territoriale (CET), à raison des immeubles
occupés. Les taxes foncières sont quant à elles dues par le propriétaire (ou
par le titulaire de droits réels, par exemple dans le cadre d’un bail
emphytéotique) ; lorsque l’entreprise est locataire de ses bâtiments, elle
n’est pas redevable de la taxe foncière, mais le loyer qu’elle acquitte peut
cependant en tenir compte. Des taxes additionnelles aux impôts directs
locaux s’ajoutent aux taxes foncières et à la CFE (TEOM, taxes pour frais
des chambres de commerce et d’industrie, de métiers et d’agriculture).
S’y ajoutent, le cas échéant, l’imposition forfaitaire sur les entreprises de
réseau (IFER), due par les exploitants de certaines installations
(transformateurs électriques, éoliennes, trains, réseaux de téléphonie…), ou
encore la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM).
La CET dispose d’une seconde composante, dont l’assiette reflète plus
directement les facultés contributives des entreprises que la CFE. Il s’agit
de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), assise sur le
solde intermédiaire de gestion (voir schéma 1) que constitue la valeur
ajoutée et dont le taux est fixé au niveau national (0,75 %, modulo un
dégrèvement dit barémique qui permet d’assurer une progressivité de ce
taux en fonction du chiffre d’affaires, de 0 % à moins de 500 000 € de
chiffre d’affaires à 0,75 % au-delà de 50 M€).
Source : Libre de droits (creative commons)
http://commons.wikimedia.org/wiki/File:SIG.png
Schéma 1 – Les soldes intermédiaires de gestion
Ces différents impôts sur les actifs physiques et les soldes intermédiaires de
gestion représentent au total une charge d’environ 58 Md€ pour le
contribuable en 2019 : 7,1 Md€ pour la CFE, 15,2 Md€ pour la CVAE,
1,4 Md€ pour l’IFER, 34,9 Md€ pour la TFPB, 1,1 Md€ pour la TFPNB et
1,0 Md€ pour la TASCOM.
Troisièmement, des impositions spécifiques peuvent s’appliquer sur le
chiffre d’affaires. Il s’agit généralement de taxes affectées, comme la taxe
sur les services de télévision (TST), affectée au centre national du cinéma et
de l’image animée (CNC). Cette taxe, dont le produit a atteint près de
500 M€ en 2019, est due à la fois par les éditeurs (taux proportionnel de
5,5 % du chiffre d’affaires) et les distributeurs (barème progressif de 0,5 à
4,5 % du chiffre d’affaires) de services de télévision. Le même affectataire
perçoit aussi le produit d’une taxe de 10,72 % sur les entrées en salle de
cinéma (TSA, 154 M€). Plus importante et générale est la contribution
sociale de solidarité des sociétés (C3S), due au taux de 0,16 % du chiffre
d’affaires et dont le rendement est de 3,9 Md€ en 2019, après son
rétrécissement dans le cadre du pacte de responsabilité (cf. infra). Ainsi,
depuis 2017, un abattement de 19 M€ s’applique sur l’assiette de la C3S, ce
qui a conduit à en exonérer 90 % des entreprises qui en étaient auparavant
redevables.
La liste des impôts cités n’est pas exhaustive mais suffit à illustrer le
caractère composite de la fiscalité pesant sur les entreprises qui, par son
accumulation, est importante avant même que n’intervienne la fiscalité
pesant sur les bénéfices.
b La fiscalité des bénéfices paraît relativement faible
L’impôt sur les sociétés (IS, cf. encadré 2), même avec ses contributions
additionnelles, n’atteint en effet pas le même poids que les impôts sur les
facteurs de production.
L’impôt sur les sociétés est dû sur le bénéfice généré en France par
l’ensemble des entreprises qui y disposent d’un établissement stable. Son
rendement s’élève à 33,5 Md€ en 2019. Des contributions additionnelles
exceptionnelles sur l’IS pesant sur les grandes entreprises ont régulièrement
été instituées, en dernier lieu en 2017 pour contribuer à hauteur de 5 Md€
au financement des remboursements contentieux de la contribution de 3 %
sur les bénéfices distribués annulée par le Conseil constitutionnel
(cf. chapitre 5). En outre, une contribution sociale sur les bénéfices des
sociétés est levée sur les grandes entreprises (chiffre d’affaires supérieur à
7,63 M€) pour un rendement de 1,2 Md€.
Par ailleurs, certaines entreprises sont imposées à l’IR. Il s’agit des
entreprises individuelles et, sauf option pour l’IS, des sociétés de personnes,
lesquelles fonctionnent selon un principe de transparence fiscale (les
bénéfices générés par l’activité de la société sont directement imposés en
tant que revenus des actionnaires, sans que l’entreprise elle-même ne soit
imposée).
Finalement, la fiscalité des bénéfices des entreprises semble simple au sein
de l’ensemble plus vaste de la fiscalité des entreprises.
ENCADRÉ 2
ENCADRÉ 2
L’impôt sur les sociétés
L’IS est essentiellement un impôt proportionnel sur les bénéfices des entreprises.
L’assiette : le bénéfice fiscal
L’entreprise est imposée sur son bénéfice, c’est-à-dire la valeur ajoutée dont sont déduites
ses charges inévitables (salaires, amortissements). Le bénéfice fiscal est proche du bénéfice
comptable. Il est constaté annuellement, en faisant la différence entre l’actif net à la clôture
et à l’ouverture de l’exercice fiscal.
Les charges ne sont admises en déduction de l’assiette de l’IS que pour autant qu’elles
relèvent d’une gestion « normale » de l’entreprise. Parmi les charges non déductibles, on
trouve ainsi des dépenses somptuaires (yachts…), les « parachutes dorés » au-delà d’un
certain seuil (6 fois le plafond annuel de la Sécurité sociale) ou encore des charges
s’apparentant à des sanctions ou procédant de mécanismes incitatifs (charges liées aux
accidents du travail par exemple).
La déduction des charges financières (intérêts d’emprunt) n’est autorisée que dans la limite
de 30 % du résultat avant impôts, intérêts, provisions et amortissements (EBITDA en
anglais) ou de 3 M€ (franchise préservant les PME)3. Afin de neutraliser les effets pro-
cycliques de cette règle de plafonnement (le plafond diminue lorsque le résultat se
rétracte), tant les charges excédant le plafond que les capacités de déduction inemployées
certaines années sont reportables sur les exercices suivants.
À noter que les règles d’assiette des entreprises imposées dans le cadre de l’IR sont
similaires à celles de l’IS.
Territorialité : le bénéfice français
Seuls sont imposables en France les bénéfices réalisés en France, quels que soient la
nationalité et le siège de la société. Par conséquent, les charges nées dans une succursale à
l’étranger ne sont pas déduites de l’assiette.
Taux d’imposition : un taux normal de 25 % à compter de 2022
L’IS est auto-liquidé par l’entreprise, qui souscrit à cette fin une déclaration.
L’IS dû au titre de l’année N est payé par acomptes en N, sur la base des données
afférentes au bénéfice des exercices N – 2 (premier acompte de mars), N – 1 (acomptes de
juin, septembre et décembre) voire N (les grandes entreprises doivent tenir compte du
résultat anticipé pour l’année N pour le calcul de leur acompte de décembre, improprement
appelé « 5e acompte »).
Un impôt annuel mais comportant des éléments de pluriannualité
Afin de prendre en compte les fluctuations d’activité des entreprises, des reports de déficits
d’autres années sur le bénéfice de l’exercice N sont admis. En effet, on considère qu’une
société dont le résultat est tantôt déficitaire, tantôt excédentaire, ne doit pas payer autant
d’impôt au titre d’une année excédentaire qu’une société qui est continûment en excédent.
Report en avant : le déficit de l’année N peut être reporté sans limitation de durée sur les
bénéfices des années ultérieures. Au titre d’une année, l’imputation d’un déficit antérieur
n’est possible que dans la limite de 1 M€ plus 50 % du bénéfice de l’année courante.
Exemple : la société A. a un déficit de 100 K€ en N et un bénéfice de 250 K€ en N + 1 : au
titre de N + 1, elle ne payera l’IS que sur un bénéfice de 150 K€ (soit un IS de 37,5 K€, au
lieu de 62,5 K€).
Report en arrière (carry-back) : le déficit de l’année N peut s’imputer sur le bénéfice de
l’année N – 1. Si une entreprise déficitaire en année N a payé des impôts au titre de l’année
N – 1, elle obtient une créance sur l’État à hauteur de la différence entre l’impôt
effectivement payé et l’impôt qui aurait été payé si l’assiette avait été diminuée de
l’exercice déficitaire. Cette créance peut être utilisée pour payer l’IS l’année suivante dans
la limite d’1 M€. À défaut, elle sera remboursée à l’entreprise après cinq ans.
Exemple : la société A. paye 50 K€ d’IS au titre de N – 1 (sur 200 K€ de bénéfice) et a un
déficit de 100 K€ en N. En N + 1 naît une créance de 25 K€ (car l’IS N – 1 est
recalculé sur 100 K€ de bénéfice), qui permettra de payer l’IS au titre de N + 1 ou sera
remboursée après cinq ans.
1.2 Au total, les prélèvements sur les entreprises sont
élevés
a La part des PO sur les entreprises est élevée mais
principalement du fait du poids des cotisations sociales
Le cabinet de conseil PwC (Price Waterhouse Coopers) propose une
comparaison du poids des prélèvements sur les entreprises par référence à
un « taux d’imposition » synthétique sur une entreprise type. Ce taux –
purement statistique – rapporte l’ensemble des impôts et des cotisations
sociales au bénéfice type de cette entreprise (cf. graphique 1).
Par taux de prélèvement croissant, en se limitant à l’Europe, la France est
en dernière position sur 32 pays. La marche est ouverte par la Roumanie et
le Luxembourg. Le taux de prélèvement français atteint 60,7 %, contre
48,8 % pour l’Allemagne (25e place).
Ce taux d’imposition se décompose pour la France entre 0,2 % pour
l’imposition du bénéfice, 50,0 % pour les charges sociales et 10,5 % pour
les autres taxes, ce qui souligne le poids des PO pesant sur les salaires. À
noter que le taux de prélèvement sur les bénéfices irlandais est supérieur à
celui de la France : 12,4 % ! En effet, l’assiette soumise en France à l’IS est
très entamée par les cotisations sociales et les impôts, davantage qu’en
Irlande. En outre, en 2018, le CICE réduisait encore l’IS en France.
Source : Auteurs, d’après PwC, décembre 2019, « Paying taxes 2020 ».
Graphique 1 – Niveau et décomposition des prélèvements sur les entreprises en Europe
b Toutefois, les taux nominaux d’imposition des bénéfices sont
au-dessus de la moyenne internationale
En masse financière, l’imposition des bénéfices n’est pas extrêmement
élevée en France. Mais les taux marginaux sont extrêmement élevés au
regard de la pratique dans les autres pays développés : le taux moyen
d’impôt sur les sociétés dans les pays de l’OCDE s’est en effet établi en
2021 à 23 %, en baisse quasi-continue depuis 1993 (38 %).
Or, pour les grandes entreprises, le taux d’imposition des bénéfices s’élève
au total à 28,4 % en France au 31 décembre 2021. À compter de 2022, ce
taux s’élève à 25,8 % : au taux normal de l’IS (25 %), il faut en effet ajouter
0,83 % (25 %*3,33 %) au titre de la contribution sociale due par les
entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 7,63 M€. Ce taux résulte
d’une baisse engagée par la LFI 2017 et amplifiée par la LFI 2018.
Auparavant, le taux normal d’IS s’élevait à 33,1/3 %, soit un taux
contribution additionnelle incluse de 34,4 % : un taux élevé qui constituait
un désavantage pour les entreprises françaises, en nuisant notamment à leur
autofinancement, puisque pour un même résultat avant impôt, le résultat
disponible après impôt était nettement plus réduit en France. Ce
désavantage est désormais atténué, d’autant plus que certains grands pays
augmentent désormais leur taux d’IS : le Royaume-Uni a annoncé un
relèvement de son taux de 19 % en 2020 à 25 % en 2025 et l’administration
Biden prévoit de faire passer le taux fédéral américain de 21 % à 28 %.
À noter par ailleurs que tous les bénéfices ne sont pas soumis au taux
normal. Un taux réduit existe en effet pour les PME (entreprises appartenant
à des personnes physiques, de moins de 250 salariés et dont le chiffre
d’affaires est inférieur à 7,63 M€), de 15 % pour la seule fraction du
bénéfice inférieure à 38 120 €. Par ailleurs, des régimes particuliers sont
prévus pour certains bénéfices spécifiques. Un taux de 19 % s’applique
notamment aux plus-values de cession des titres de participation, sauf s’ils
ont été conservés plus de deux ans, auquel cas, un taux de 0 % s’applique
(dispositif appelé « niche Copé ») mais une quote-part dite pour frais et
charges égale à 12 % de la plus-value brute est réintégrée dans le bénéfice
imposable au taux normal.
Enfin, pour les entreprises imposées dans le cadre de l’IR dans les
catégories des bénéfices non commerciaux, industriels et commerciaux ou
agricoles, c’est le barème progressif qui s’applique (cf. chapitre 23). Là
aussi, certains régimes particuliers sont prévus, par exemple un taux
proportionnel de 16 % pour les plus-values professionnelles de long terme.
À l’IR s’ajoutent naturellement les prélèvements sociaux, à savoir ceux
applicables aux revenus d’activité (9,7 %) lorsque l’activité est exercée à
titre professionnel et ceux prévus pour les revenus du capital (17,2 %) dans
le cas contraire. L’imposition des revenus peut ainsi se révéler élevée pour
les bénéfices tirés d’une entreprise.
2 Le mouvement d’allégement de la fiscalité
des entreprises a déjà été significatif
2.1 Les prélèvements pesant sur les facteurs
de production ont été allégés
Les prélèvements fiscaux et sociaux pesant sur le travail, le capital et le
chiffre d’affaires ont été allégés à plusieurs reprises depuis 2010, afin
d’améliorer la compétitivité des entreprises.
a Le coût du travail a été allégé par le CICE et les baisses
de charges
Le quinquennat Hollande (2012-2017) a porté l’effort sur la baisse du coût
du travail, sous l’impulsion de deux « pactes » successifs : le pacte national
pour la compétitivité et la croissance de 2012 puis le pacte de responsabilité
et de solidarité de 2014.
La compétitivité prix a été améliorée par une diminution du coût du travail
pour les entreprises. À cette fin a été institué, de 2013 à 2018, le crédit
d’impôt compétitivité emploi (CICE). Les entreprises soumises à
l’imposition des bénéfices (ce qui exclut le secteur non lucratif, notamment
les associations, les hôpitaux…) ont ainsi bénéficié d’un crédit d’impôt égal
à 4 % à 7 % (selon les années) de la masse salariale. N’était cependant prise
en compte que la masse salariale des salariés rémunérés à moins de
2,5 SMIC, ce qui favorisait les secteurs employant de la main-d’œuvre peu
ou moyennement qualifiée.
Le CICE a été retenu de préférence à une baisse de cotisations sociales pour
deux raisons : il permettait de concentrer l’effort sur le secteur lucratif et
évitait à l’État de décaisser trop rapidement les sommes correspondantes,
tout en produisant des effets immédiats dans la comptabilité des entreprises.
En effet, pour les entreprises qui demandent le CICE, celui-ci est assimilé à
une baisse du coût du travail mais ne produit des effets fiscaux que l’année
suivante (imputation du crédit d’impôt sur l’IS) voire au bout de trois ans
(restitution de la créance, pour les entreprises qui n’ont pas ou pas
suffisamment d’IS à payer). Ainsi, alors que le CICE s’est appliqué pour la
dernière fois au titre des exercices 2018, son coût prévisionnel pour 2021
s’élève encore à 8 Md€ – coût qui diminuera progressivement jusqu’en
2023.
À compter des exercices 2019, le CICE a été transformé en allégement de
cotisations sociales patronales, renforçant ainsi les allègements préexistants,
notamment ceux institués par le pacte de responsabilité et de solidarité
annoncé par le président François Hollande le 14 janvier 2014. Ce pacte –
connu pour être supposément financé par 50 Md€ d’économies budgétaires
sur la période 2015 à 2017 – a en effet réduit les cotisations patronales d’un
montant annuel de 10 Md€. Pour ce faire, le taux de cotisation a été
diminué de 1,8 point jusqu’à 3,5 SMIC tant pour salaires que pour les
bénéfices des travailleurs indépendants, ce qui a permis d’étendre l’effet de
la baisse du coût du travail à la main-d’œuvre qualifiée. En outre, les
allégements de cotisations sur les bas salaires ont été renforcés et
harmonisés, avec à la clé une exonération totale des cotisations de Sécurité
sociale au niveau du SMIC.
C’est afin de simplifier la baisse du coût du travail et rendre ses effets
immédiats en trésorerie pour l’ensemble des employeurs que le
gouvernement d’Édouard Philippe a remplacé le CICE – ainsi que le crédit
d’impôt de taxe sur les salaires qui avait entre-temps été institué au bénéfice
du secteur non lucratif exclu de fait du CICE – par de nouvelles baisses de
charges sociales au 1er janvier 2019, d’un coût total annuel d’environ
25 Md€4. D’une part, les rémunérations n’excédant pas 2,5 SMIC
bénéficient d’un allégement permanent de cotisations sociales patronales de
6 points – soit un effet équivalent au CICE. D’autre part, la baisse des
charges sociales sur les bas salaires (jusqu’à 1,4 SMIC) est amplifiée avec
une diminution des cotisations hors Sécurité sociale (chômage et retraite
complémentaire notamment) de 10 points au niveau du SMIC.
En 2019, le double impact budgétaire pour les APU des remboursements de
créances de CICE acquises notamment au titre de 2018 et des nouveaux
allégements de charges sur les salaires versés en 2019 a été à l’origine d’un
ressaut du déficit de l’État en 2019 (– 3,1 % du PIB, dont 1 point en raison
de cette transformation du CICE en baisses de charges).
L’objectif de ces dispositifs, en faisant passer le coût du travail pour les
salaires bas et moyens au-dessous du même coût en Allemagne, est de
rendre les entreprises plus compétitives tout en restaurant leurs marges, de
manière à ce qu’elles puissent investir et ainsi gagner en compétitivité
« hors prix ». Les évaluations conduites concluent jusqu’ici à un impact
positif significatif sur les marges des entreprises. Après avoir atteint un
point bas en 2013 (29,9 % de la valeur ajoutée), le taux de marge des
sociétés non financières s’est nettement redressé pour s’établir à 31,2 % en
2018 et même 33,2 % en 2019, avant de retomber à 29 % en 2020 sous
l’effet des restrictions sanitaires. Cet impact sur les marges a toutefois été
réduit par une augmentation du salaire horaire. Il y aurait en outre eu un
impact du CICE positif sur l’emploi, de l’ordre de 100 000 emplois sur les
années 2013-20155.
b Plusieurs impôts de production ont été transformés
ou allégés
En premier lieu, la suppression de la TP en 2010 a été faite dans l’objectif
de soulager les entreprises qui investissent le plus, c’est-à-dire les industries
(cf. encadré 3). Elle s’est traduite par un allégement d’impôt net estimé à
4,5 Md€.
ENCADRÉ 3
ENCADRÉ 3
La suppression de la taxe professionnelle et la réforme de la fiscalité directe locale
de 2010
La taxe professionnelle reposait essentiellement sur les facteurs de production des
entreprises
Créée en 1975, la TP était assise sur le capital (les biens immobiliers, les équipements et
les biens mobiliers) et le travail (à travers la masse salariale ou les recettes taxables). La
part salariale a néanmoins été définitivement supprimée en 2003. La TP reposait de ce fait
essentiellement sur les équipements et biens mobiliers, qui résultent des investissements.
Les taux étaient fixés au niveau territorial, par les communes et/ou les établissements
publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre.
Un plafonnement en fonction de la valeur ajoutée s’appliquait (3,5 % in fine) pour modérer
la pression fiscale. À l’inverse, une cotisation minimale était prévue pour les grandes
entreprises depuis 1996 (1,5 % in fine).
Un impôt réputé « d’imbécile » (F. Mitterrand)
La TP constituait un frein à l’investissement, puisque l’imposition des équipements et
biens immobiliers induit un renchérissement du coût du capital. Spécificité française, elle
représentait un handicap pour l’attractivité de la France, d’autant que les entreprises
industrielles, exposées à la concurrence internationale, étaient les plus imposées.
En décalage avec les facultés contributives des entreprises, la TP était d’autant plus
inéquitable que les taux d’imposition variaient fortement selon les territoires et qu’une part
importante de l’impôt était prise en charge par l’État du fait de nombreux dégrèvements.
La TP a été profondément transformée
La LFI 2010 a supprimé la TP et créé à sa place la contribution économique territoriale
(CET), constituée en réalité de deux impôts, reposant respectivement sur l’immobilier des
entreprises et sur leur valeur ajoutée, plus un nouvel impôt.
La cotisation foncière des entreprises (CFE) est assise sur les valeurs locatives cadastrales
des locaux occupés par les entreprises. Son taux est déterminé par les communes et/ou les
EPCI. Une cotisation minimale est cependant prévue, qui peut être lourde pour les petites
entreprises (seules les entreprises réalisant moins de 5 000 € de chiffre d’affaires sont
exonérées).
La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) est une réelle innovation,
quoique son assiette (la valeur ajoutée fiscale) s’inspire du plafonnement et du minimum
de la TP. Cette assiette confère à la CVAE une meilleure équité pour les entreprises mais
aussi une plus grande volatilité des recettes. Son taux (1,5 % initialement et 0,75 % depuis
2021) est fixé au niveau national. Un dégrèvement « barémique », pris en charge par l’État,
assure la progressivité de ce taux.
Enfin, l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER) a été instituée afin de
faire contribuer certains gagnants, en créant des taxes sur les immobilisations détenues par
des entreprises industrielles ou de réseau : trains (motrices), réseaux d’énergie, éolien…
La charge fiscale globale des entreprises a été diminuée
Pour les entreprises, le coût du capital a été abaissé, ce qui est à même de favoriser leur
investissement. Ce sont en environ 4,5 Md€ qui ont été transférés aux entreprises, pour un
gain moyen évalué à près de 25 % de la charge d’impôt économique local.
Plus précisément, ce sont les petites et moyennes entreprises qui ont vu leur charge
d’impôt baisser le plus, du fait notamment de la progressivité du taux de cotisation sur la
valeur ajoutée.
Du point de vue sectoriel, la réforme a davantage bénéficié aux entreprises de l’industrie
qu’à celles des services, les entreprises de l’industrie étant les plus capitalistiques et
bénéficiant le plus de la suppression de la part de la taxe qui pesait sur les équipements et
biens mobiliers.
En deuxième lieu, en 2017, le champ de la C3S a été rétréci (cf. supra),
pour un coût de 2 Md€. Le pacte de responsabilité et de solidarité prévoyait
initialement de la supprimer totalement mais le gouvernement y a renoncé,
pour consacrer davantage de moyens à la baisse de l’IS.
En troisième lieu, la LFI 2021 a réduit la fiscalité foncière des entreprises
industrielles et l’allègement de la CET pour toutes les entreprises, pour un
effort brut total d’environ 10 Md€ (coût qui sera réduit de quelque 2 Md€
par l’impact de ces mesures sur les bénéfices et donc sur l’IS).
Premièrement, le taux de la CVAE a été divisé par deux, passant de 1,5 % à
0,75 %. En outre, pour que les entreprises dont la CET est actuellement
plafonnée bénéficient aussi de cette baisse, le plafond de la CET a été
ramené de 3 % de la valeur ajoutée à 2 %. La baisse du plafond à
concurrence de 1 point est ainsi supérieure à la baisse du taux de CVAE
(0,75 point), ce qui revient à accroître la part de la CFE prise en charge par
l’État (en pratique, le plafonnement de la CET se traduit par un
dégrèvement de CFE). Le coût brut pour l’État est estimé à environ 7 Md€.
Ces mesures vont bénéficier plus que proportionnellement au secteur
manufacturier, notamment du fait de la baisse du plafond de CET.
Deuxièmement, la valeur locative foncière des établissements industriels
prise en compte pour l’établissement de la TFPB et de la CFE a été divisé
par deux, grâce à la baisse de moitié du taux d’intérêt qui est appliqué au
prix de revient des immobilisations pour déterminer la VL comptable (cf.
chapitre 15). Cette mesure d’un coût brut estimé à environ 3 Md€ bénéficie
exclusivement au secteur industriel, sans que l’on ne puisse a priori parler
d’une aide d’État (s’agissant de rétablir une imposition plus équitable de
l’industrie), et plus particulièrement aux ETI et grandes entreprises, dans la
mesure où les PME industrielles bénéficiaient déjà de mesures favorables
(la LFI 2019 a instauré un seuil de 300 000 € en deçà duquel la valeur
locative foncière des locaux industriels est évaluée comme s’il s’agissait de
locaux commerciaux).
c La compétitivité hors prix a été stimulée par une fiscalité
adaptée et stable
Parallèlement, les gouvernements successifs ont entendu mettre la fiscalité
au service de l’innovation et de la productivité.
D’une part, les mesures fiscales en faveur de l’innovation ont été
conservées et étendues. Le crédit d’impôt recherche (CIR) a été stabilisé et,
pour aller au-delà, la LFI 2013 a institué le crédit d’impôt innovation (CII).
Ce dernier, complémentaire du CIR, est accordé au taux de 20 % à raison de
dépenses qui ne relèvent plus de la recherche mais sont nécessaires au
développement de nouveaux produits ou services, à savoir les dépenses
relatives à la conception de prototypes de produits nouveaux. Avec un coût
évalué à 184 M€ pour 2021, il soutient le développement d’entreprises qui
innovent.
D’autre part, plusieurs dispositifs successifs d’amortissements dérogatoires
temporaires ont été institués, afin d’encourager les entreprises françaises à
moderniser leur appareil de production. La LFI 2014 avait déjà créé un
dispositif incitant les PME industrielles à investir dans les « robots » (2013-
2016), en leur accordant un amortissement plus rapide que la normale, ce
qui revient seulement à accorder un avantage en trésorerie. Le
gouvernement Valls a ajouté un dispositif plus large pour inciter les
entreprises industrielles à s’équiper en machines-outils et autres
investissements productifs (2015-2017). Le gouvernement Philippe a
restauré un dispositif similaire mais recentré sur les PME et limité aux
investissements dans la robotique et la transformation numérique (2019-
2020).
Ces deux derniers dispositifs ont pris la forme d’un « suramortissement »
permettant aux entreprises de déduire sur la durée d’amortissement d’un
investissement non pas seulement 100 % de son prix de revient mais 140 %,
ce qui revenait en pratique à accorder une économie d’impôt égale à
environ 13 % du montant de la dépense (40 % * 33,1/3 %).
2.2 Rationaliser les prélèvements sur les facteurs
de production et diminuer le taux d’IS
a Les impôts pèsent encore trop sur le haut de bilan
et se doublent d’un « impôt papier »
Malgré l’allègement de la fiscalité de production décrite ci-dessus, les
prélèvements fiscaux et sociaux pèsent encore lourd sur le haut de bilan,
financièrement et opérationnellement, ce qui ouvre trois axes de progrès :
1. Baisser les prélèvements pesant sur les salaires, tout particulièrement, car
ils se situent dans le haut du bilan et représentent mal les facultés
contributives des entreprises (ils sont assis sur une charge et non pas un
revenu).
Par exemple, faut-il maintenir la participation des employeurs à l’effort de
construction (PEEC) et la cotisation au FNAL, qui concourent à la politique
du logement ? Il n’est en effet pas évident qu’une telle politique doive être
financée par les entreprises et, a fortiori, par un impôt spécifique et affecté.
Au-delà de la fiscalité, ce sont les cotisations sociales patronales qui
constituent l’enjeu le plus important. Celles-ci ont certes été diminuées à
hauteur de 35 Md€ entre 2015 et 2019 (cf. supra), mais les comparaisons
internationales montrent que ces cotisations sont encore très importantes en
France (cf. chapitre 21). Notamment, les charges sur les salaires dépassant
3,5 SMIC sont restées inchangées. Pour aller plus loin, sauf à dégager
d’autres ressources de financement (hausse de TVA par exemple), une
réflexion sur le niveau de la protection sociale socialisée (c’est-à-dire prise
en charge par les pouvoirs publics) et son financement (cotisation
bismarckienne ou impôt beveridgien) est nécessaire.
Ainsi, on constate que le mode de financement de l’assurance chômage a
évolué en 2018, avec la suppression de la cotisation salariale et son
remplacement par une hausse de CSG. En revanche, ce régime demeure
assurantiel dans la mesure où il continue à être financé par des cotisations
patronales qui sont censées responsabiliser au moins collectivement les
employeurs. Cependant, compte tenu des conditions d’accès élargi aux
prestations chômage, qui rapprochent ce régime d’un système universel
d’assistance, un financement intégral par l’impôt pourrait être envisagé.
À cet égard, une suppression ou une baisse des cotisations patronales
chômage aurait vocation, au lieu d’être concentrée sur les bas salaires, à
être ventilée sur l’ensemble de la grille des salaires. Si les allégements de
charges portant sur les salaires moyens et élevés ont à court terme un effet
moindre sur l’emploi que s’ils sont ciblés sur les bas salaires, ils sont plus
favorables à la croissance et à l’emploi à moyen long terme en ce qu’ils
favorisent aussi la compétitivité des productions à forte valeur ajoutée.
2. Réduire le nombre d’impôts sur les salaires
Les taxes sur la masse salariale affectées à des dépenses bénéficiant aux
salariés et à leurs employeurs ont en commun, en principe, d’être assises sur
la masse salariale entendue au sens des règles applicables aux cotisations de
Sécurité sociale.
Si un effort d’harmonisation des règles de recouvrement des diverses taxes
sur les salaires a été entrepris, la plupart étant désormais recouvrées par les
URSSAF (à l’exception de la PEEC), les règles de calcul diffèrent encore.
En effet, certaines taxes sont assorties de systèmes incitatifs (ou punitifs
selon le point de vue) si les entreprises n’atteignent pas certains objectifs en
terme par exemple d’embauche d’apprentis ou d’investissement direct dans
le logement. En outre, ces impôts peuvent, au moins en partie, être acquis
via des dépenses dites libératoires, tels des versements à des organismes de
formation (pour la TA) ou des prêts pour l’acquisition du logement (pour la
PEEC), selon des règles spécifiques à chaque taxe.
Il en résulte une complexité de gestion pour les entreprises, malgré l’effort
de simplification qui a été entrepris. Ainsi, la TA a absorbé la contribution
au développement de l’apprentissage en 2014, avant d’être elle-même
fusionnée avec la PEPFC dans la contribution unique à la formation
professionnelle et à l’alternance en 2019. Les obligations déclaratives ont
également été facilitées, par exemple par la suppression de la déclaration de
PEEC en 2014, remplacée par l’exploitation des données de la déclaration
sociale nominative (DSN). De telles mesures sont à même de réduire
l’impôt papier.
3. Réduire le nombre des taxes à faible rendement
De manière générale, au-delà des taxes sur les salaires, de nombreuses
« petites » taxes sont dues par les entreprises et sont de nature à constituer
un désavantage compétitif pour la France. En tout, 192 taxes de moins de
150 M€ ont été identifiées en 2014 par l’Inspection générale des finances,
qui recommande d’en supprimer ou regrouper certaines ou encore d’y
substituer des redevances ou contributions volontaires obligatoires. Ces
taxes revêtent souvent une nature sectorielle, comme la surtaxe sur les eaux
minérales, ou incitative, comme la taxe sur les friches commerciales ; la
plupart d’entre elles sont affectées.
Si les LFI 2019 à 2021 ont supprimé des dizaines de ces taxes (par exemple,
en 2021, deux taxes spéciales dues par les producteurs de films
pornographiques ou d’incitation à la violence), la Cour des comptes a
parallèlement fait plusieurs propositions tendant à en supprimer (e.g. la taxe
de balayage) ou au moins rapprocher (e.g. taxes sur les cessions de terrains
constructibles) d’autres6.
b La fiscalité des bénéfices devient plus lisible
La baisse évoquée ci-dessus de la fiscalité de production et des cotisations
sociales n’est pas sans incidence sur l’IS. En effet, l’EBE et, par suite, le
résultat imposable sont mécaniquement accrus par leur baisse, entraînant un
accroissement des recettes d’impositions sur les bénéfices. C’est ce qui
explique, avec la volonté de réduire ce handicap en termes d’attractivité, la
baisse du taux d’IS évoquée ci-dessus, pour ne pas reprendre d’une main un
tiers de ce qui avait été donné de l’autre.
Ainsi, comme l’illustre le tableau 1, la trajectoire de réduction du taux d’IS
doit s’achever en 2022, sous réserve de nouvelles modifications :
Tableau 1 : Fin de la trajectoire de diminution du taux de l’impôt sur les sociétés
Taux d’IS 2021 À compter de 2022
Entreprises réalisant moins de 250 M€ de chiffre d’affaires 26,5 %
25 %
Entreprises réalisant 250 M€ de chiffre d’affaires et plus 27,5 %
Cette diminution importante du taux d’IS permet de se rapprocher de la
moyenne OCDE (23 %) et de la moyenne de l’UE (21 %). Les hausses
d’assiette induites par la baisse des cotisations sociales et de la fiscalité de
production atténuent les gains de cette diminution du taux d’IS pour les
entreprises.
Compte tenu des contraintes budgétaires, une diminution plus forte ne
paraît pas opportune et supposerait en tout état de cause d’autres mesures
d’extension de l’assiette de l’IS, de manière à afficher un taux nominal
d’imposition plus bas et donc plus attractif mais à pression fiscale
constante. Pour ce faire, on peut chercher à lutter contre l’évasion fiscale
(cf. chapitre 27), mais aussi réduire les prélèvements pesant sur les facteurs
de production et le chiffre d’affaires.
La fiscalité des entreprises n’est qu’un des paramètres qui influent sur la
compétitivité des entreprises. Elle influe cependant de manière importante
sur la compétitivité « prix » et peut, à travers certaines dépenses fiscales,
créer un contexte favorable à la compétitivité « hors prix ».
Par comparaison avec les autres États de l’OCDE, la France applique une
fiscalité relativement importante mais sans excès. En revanche, d’une part,
la fiscalité pesant sur les facteurs de production et les cotisations sociales
paraissent élevées. L’effet pervers est que l’intérêt des entreprises, qui
visent à générer des bénéfices, et des administrations publiques, dont les
recettes dépendent d’autres éléments comme les salaires, divergent. D’autre
part, la fiscalité française est composite et pas toujours lisible, ce qui peut
rendre le système fiscal moins attractif. La réduction du nombre d’impôts et
de dispositifs spécifiques est à cet égard une voie à explorer. Toutefois,
accepter des évolutions suppose de renoncer à court terme à la stabilité.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• La fiscalité des entreprises est-elle trop lourde en France ?
• Faut-il abaisser les prélèvements pesant sur les entreprises ?
• L’attractivité fiscale du territoire
• Quel avenir pour la contribution économique territoriale ?
RÉFÉRENCES
Conseil des prélèvements obligatoires, Adapter l’impôt sur les sociétés à une économie
ouverte, janvier 2017.
Conseil des prélèvements obligatoires, Les taxes affectées : des instruments à mieux encadrer,
octobre 2018.
Lettre Vernimmen, « Les taux d’impôt sur les sociétés dans le monde », no 188, avril 2021.
PwC, décembre 2019, « Paying Taxes 2020 ».
http://www.pwc.com/gx/en/services/tax/publications/paying-taxes-2020.html
CHAPITRE 26
L’imposition
de la consommation
et des transactions
NOTIONS ET DONNÉES À MAÎTRISER
• TVA ; taxes sur le chiffre d’affaires ; accises
• Principes du pays de destination et du pays d’origine
• TVA sociale
• Fiscalité environnementale
La TVA est un impôt sur la consommation qui, nonobstant son incidence
potentielle sur la marge des entreprises, est économiquement à la charge des
consommateurs qui acquièrent les biens taxés, c’est-à-dire des ménages
(cf. chapitre 21). Cet impôt d’invention française a été conçu par Maurice
Lauré, alors directeur général adjoint des impôts, et institué en France en
1954 dans le but d’alléger les impositions pesant sur les entreprises en
remplacement de l’ancienne taxe de 15 % sur la production ainsi que d’une
cascade de petites taxes nationales et locales pesant sur le chiffre d’affaires.
Il s’agit d’un impôt à très fort rendement, soit 174 Md€ en 2019 toutes APU
confondues. Ses 89 Md€ de recettes versées au budget général de l’État
représentent près de la moitié des recettes fiscales de l’État (30 % en 2021).
La TVA n’est cependant pas la seule imposition sur la consommation. On
compte également dans cette catégorie, aussi appelée fiscalité sur les
transactions, les accises et diverses taxes portant sur des transactions. Les
accises sont des prélèvements spécifiques frappant la consommation de
produits déterminés (énergie, alcool, tabac…), en général à raison d’un tarif
assis sur une quantité (le tarif n’est donc pas proportionnel au prix de
vente). Enfin, on peut citer les taxes sur les transactions de biens mobiliers
et immobiliers (taxe sur les transactions financières et DMTO) et les taxes
spécifiques sur le chiffre d’affaires, tels les prélèvements sur les jeux
d’argent et de hasard.
À l’inverse, les droits de douane, qui sont des impositions d’une nature
particulière, sont aujourd’hui devenus marginaux.
Ces deux types de prélèvements, fiscalité sur la consommation et droits de
douane, ont en commun de peser in fine sur le consommateur et de faire
l’objet, à des degrés divers, d’une harmonisation européenne. En outre,
TVA et droits de douane se rejoignent dans l’objectif de compétitivité du
« fabriqué en France ». Pourtant, la TVA apparaît comme un impôt massif
et d’avenir, alors que les droits de douane sont marginaux et en voie de
disparition, ce qui préjuge d’une efficacité différente dans l’atteinte d’un tel
objectif de compétitivité.
1 La TVA, les accises et les droits de douane
Bien que techniquement très différents, la TVA, les accises et les droits de
douane ont pour point commun de porter sur la consommation et d’être
largement harmonisés au niveau européen.
1.1 Fiscalité sur la consommation et droits de douane
se distinguent notamment par leur rendement et leur mode
de collecte
a La TVA se caractérise par un rendement élevé et une gestion
aisée qui repose sur les entreprises
La TVA est assise sur la consommation finale et la formation brute de
capital fixe des ménages ainsi que des administrations publiques, c’est-à-
dire des agents économiques qui ne sont pas assujettis à la TVA. Le
paradoxe est en effet que les personnes assujetties à la TVA n’en supportent
pas le poids sur leurs dépenses.
Les opérateurs assujettis sont les entreprises produisant des biens et des
services. Ils sont redevables de la TVA sur leurs ventes (chiffre d’affaires)
mais ils imputent la TVA acquittée sur leurs propres achats (consommations
intermédiaires) sur la TVA qu’ils collectent ensuite sur les ventes : ils
bénéficient d’un droit à déduction.
Pour ces opérateurs, la neutralité comptable de la TVA est donc assurée,
d’autant plus que, dans l’hypothèse où la TVA collectée est inférieure à la
TVA acquittée, les opérateurs assujettis bénéficient d’un remboursement de
la différence (crédit de TVA). Cette situation peut notamment se présenter
lorsque les produits vendus sont soumis au taux réduit alors que les produits
achetés sont soumis au taux normal. Cependant, l’existence des crédits de
TVA peut aussi alimenter la fraude.
À l’inverse, les opérateurs non-assujettis ne peuvent pas déduire la TVA sur
leurs achats et en supportent par conséquent la charge. Il s’agit
essentiellement des ménages et des administrations publiques1. Sont
également dans cette situation les organismes sans but lucratif (notamment
les associations exerçant des activités non lucratives) et le secteur financier,
qui n’est pas assujetti à la TVA car ses activités sont peu adaptées à ce
mode de taxation2. De même, certains produits sont hors du champ de la
TVA, tels les biens immobiliers anciens (assujettis aux DMTO) et les loyers
des logements, sachant que les biens immobiliers neufs ont déjà été soumis
à la TVA sur leur prix de vente.
Du fait de ces limites du champ de la TVA, on constate un phénomène de
rémanence de TVA : les opérateurs non assujettis la payent sur leurs
consommations intermédiaires mais ne peuvent la déduire, ce qui se traduit
par une charge fiscale implicite (pour les opérateurs et/ou leurs clients), qui
n’est pas formellement prévue par le système fiscal.
Il existe en France plusieurs taux de TVA : quatre en métropole, auxquels
s’ajoutent des taux spécifiques à la Corse et aux départements d’outre-mer3,
plus faibles. Le taux normal, qui est le taux de droit commun, s’élève à
20 % depuis le 1er janvier 2014. Le taux intermédiaire est un taux incitatif,
destiné à encourager certains secteurs économiques. Il s’élève à 10 %
depuis 2014 et s’applique par exemple aux travaux de rénovation des
logements anciens, à l’hôtellerie et à la restauration ou encore, sous
certaines conditions, au logement intermédiaire. Le taux réduit de 5,5 % est
en principe réservé aux biens de première nécessité, à savoir l’eau, les
produits alimentaires, l’électricité et le gaz… Son bénéfice a cependant été
étendu aux livres et spectacles (depuis 2013), ainsi qu’au cinéma, au
logement social et aux travaux de rénovation énergétique du logement
social (depuis 2014). Enfin, un ancien taux super-réduit de 2,1 %, antérieur
à l’harmonisation européenne des taux, s’applique à la presse, aux
médicaments remboursés par la Sécurité sociale et aux 120 premières
représentations de spectacle.
Moduler les taux de TVA a une incidence forte sur les recettes de l’État. La
valeur d’un point de TVA, tous taux confondus, est en effet estimée à plus
de 10 Md€, dont environ 6,5 Md€ pour le seul taux normal.
Le recouvrement de la TVA repose sur les entreprises. Elle est déclarée et
versée spontanément, en général mensuellement, par 6,4 millions
d’entreprises assujetties. Pour l’administration fiscale, la TVA présente de
ce fait un coût de gestion inférieur aux impôts directs. Pour les entreprises,
le système est relativement complexe, dans la mesure où le calcul de la
TVA à reverser à l’administration se réalise opération par opération et non
par agrégat global. Ainsi, suite à l’introduction du taux intermédiaire en
2012, les boulangers doivent distinguer les recettes provenant de produits
prêts à la consommation (tels les sandwiches, qui sont soumis au taux
intermédiaire) et ceux considérés comme des biens de première nécessité
(telle la baguette, qui bénéficie du taux réduit).
b Les autres impositions sur la consommation constituent un
ensemble composite
La fiscalité sur la consommation est complétée par des taxes aussi
nombreuses que diverses de par leurs caractéristiques et objectifs. Les
accises constituent l’ensemble le plus cohérent : elles sont dues sur certains
produits particuliers qui ont pour caractéristiques d’être largement
consommés et dont les consommateurs ne peuvent pas toujours se passer
(leur demande est donc peu élastique aux prix). À cet égard, les accises sont
les dignes descendantes de la gabelle (impôt sur le sel). Le recouvrement
des accises était traditionnellement assuré par la direction générale des
douanes et des droits indirects (DGDDI) mais est en cours de transfert
progressif à la DGFiP. En particulier, la taxe intérieure de consommation
sur les produits énergétiques (TICPE) et les taxes sur les tabacs et les
alcools seront recouvrées par la DGFiP à compter de 2024.
Leur rendement n’est pas négligeable (données 2019) : 31,3 Md€ pour la
TICPE, qui porte sur les produits pétroliers et est partagée entre l’État et les
collectivités territoriales, 13,2 Md€ pour les droits de consommation sur les
tabacs et 4,6 Md€ pour les droits sur les boissons, essentiellement au
bénéfice des ASSO… Les accises représentent la plus grande part de la
fiscalité environnementale (cf. infra).
On peut encore citer la contribution au service public de l’électricité
(CSPE), qui est supportée par le consommateur final d’électricité à hauteur
de 7,8 Md€, et les prélèvements sur les jeux de hasard et d’argent (ensemble
plus de 5 Md€4). Enfin, en 2012, une taxe sur les transactions financières
(TTF) a été instituée en France, qui pourrait un jour se fondre dans une taxe
européenne (cf. infra).
c Les droits de douane sont aujourd’hui d’un rendement faible
et sont collectés par l’administration
L’assiette des droits de douane était large à l’origine mais a été
extrêmement réduite par l’intégration européenne et l’ouverture
internationale. Elle est constituée potentiellement de l’ensemble des
importations et même des exportations, qu’il est possible de taxer
également. Aujourd’hui, elle est réduite aux importations ne provenant pas
de pays avec lesquels un accord de libre-échange total a été conclu et est
devenu effectif, tel celui avec l’AELE.
Les taux des tarifs douaniers sont bas : en moyenne 1,3 %5.
En conséquence, leur rendement est très faible. La France a recouvré en
2019 environ 1,8 Md€ de droits de douane (soit moins que la Belgique !),
qu’elle reverse à l’Union européenne mais dont elle conserve 25 %6 au titre
des frais d’assiette et de recouvrement.
Le recouvrement est effectué par la DGDDI, qui a fait des efforts de
modernisation : les procédures déclaratives sont réduites au minimum et les
douanes développent une politique partenariale avec les importateurs. Il
faut néanmoins savoir que la nomenclature internationale douanière
comporte plus de 10 000 « positions tarifaires » : pour un importateur
comme pour l’administration, il peut aisément y avoir un doute sur la
position correspondant au produit importé, d’où la nécessité d’entretenir un
dialogue entre administration et importateurs afin de ne pas contrôler
l’ensemble des marchandises.
1.2 Fiscalité indirecte et droits de douane sont
harmonisés par le droit de l’Union européenne
à des degrés divers
La fiscalité indirecte a été un champ privilégié de l’harmonisation fiscale
dans l’Union européenne car son harmonisation est un corollaire du marché
unique. Dans un marché unique, les différences de fiscalité indirecte
peuvent nuire à la libre circulation des biens et des services et introduire des
distorsions de concurrence. L’harmonisation de la fiscalité indirecte a donc
été prévue dès le traité de Rome et est aujourd’hui inscrite à l’article 113 du
traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Quant aux
droits de douane, le traité de Rome prévoyait leur unification complète
(cf. actuels articles 28 et suivants du TFUE).
a La TVA est fortement harmonisée au niveau européen
La TVA est l’impôt le plus fortement harmonisé à l’échelle européenne.
Cette harmonisation a été progressive, sur la base de directives successives.
En 1967, la TVA a été rendue obligatoire dans l’ensemble des États
membres. En 1977 a été adoptée la « 6e directive TVA », remplacée en 2006
par une directive refondue, sur laquelle repose le droit de l’UE en la
matière. Cette directive de 1977 a interdit toute taxe générale sur le chiffre
d’affaires7 autre que la TVA, harmonisé l’assiette, unifié les règles
d’assujettissement et d’activité taxable et créé la ressource TVA du budget
européen.
Après cette première étape de création d’une TVA répondant aux mêmes
règles, la deuxième étape a consisté en la suppression des frontières fiscales
entre États membres. Suite à l’Acte unique de 1985, il a été décidé de
trouver une solution pour que la TVA ne soit pas payée par l’exportateur
lorsque des biens franchissent une frontière interne à l’UE. La Commission
a proposé que ces biens soient taxés dans le pays d’origine du bien.
Finalement, un régime dit transitoire est entré en vigueur en 1993, qui a de
fait été pérennisé : les biens exportés dans un autre État membre sont taxés
dans le pays de destination du bien mais la TVA est payée par l’entreprise
importatrice – et non par l’entreprise exportatrice au moment du
franchissement de la frontière (cf. encadré 1).
ENCADRÉ 1
ENCADRÉ 1
La TVA et les échanges communautaires et internationaux
Principe général
Les exportations (« livraisons ») de marchandises sont exonérées et les importations
(« acquisitions ») supportent la TVA selon le « principe de destination » (la TVA est payée
dans le pays de destination, i.e. de consommation, du bien ou du service, par opposition à
son pays d’origine, i.e. de production).
Échanges extracommunautaires
Taxation à l’entrée du territoire national.
Échanges intracommunautaires de biens
Lorsque le produit est livré à une entreprise : l’entreprise importatrice calcule la TVA due
sur ses importations, la mentionne sur sa déclaration (elle autoliquide la TVA), puis la
déduit. Dès lors que l’entreprise est un opérateur assujetti, la TVA acquittée est
comptablement neutre.
Lorsque le produit est livré à un particulier : par exception au principe de destination, la
TVA est facturée dans l’État membre d’origine. Des exceptions importantes sont
néanmoins prévues pour éviter que la concurrence soit distordue par les différentiels de
taux de TVA : pour l’acquisition de moyens de transport neufs et pour la vente à distance
au-dessus d’un seuil fixé depuis 2021 à 10 000 € (tous autres États membres confondus),
destiné à simplifier les opérations des petites entreprises, la TVA due est celle du pays de
destination.
Exemple : un particulier résidant en France achète un disque sur la boutique en ligne
Amazon, auprès d’un vendeur établi dans un autre État membre, par exemple aux Pays-
Bas ; si le chiffre d’affaires du vendeur dépasse le seuil de 10 000 € applicable, la TVA
française est applicable ; en deçà de ce seuil, la TVA néerlandaise s’applique.
Échanges intracommunautaires de services
Les prestations de services rendues à des assujettis (« B2B ») sont imposées dans le pays
d’établissement de l’assujetti client (respect du principe du pays de destination).
Exemple : une entreprise établie en France acquiert une prestation de conseil juridique
auprès d’une entreprise établie au Belgique. La prestation est imposée en France.
Depuis le 1er juillet 2021, les prestations rendues à des non-assujettis (« B2C ») sont
imposées dans le pays d’établissement du client (même principe du pays de destination).
Dès 2015, il en allait de même pour les services de télécommunication, de radiodiffusion et
de télévision et les services fournis par voie électronique sont imposées dans le pays du
preneur (principe du pays de destination).
Exemple : un particulier résidant en France achète un livre électronique auprès d’Amazon
au Luxembourg. La TVA française est applicable (et non la TVA luxembourgeoise).
Références utiles : site de la DG TAXUD : http://ec.europa.eu/taxation_customs.
La structure des taux de TVA est également harmonisée. Au-delà du taux
normal, les États membres ont la faculté de se doter d’un ou deux taux
réduits pour des activités limitativement énumérées en annexe de la
directive TVA. Le taux normal ne peut être inférieur à 15 % et les taux
réduits doivent se situer entre 5 et 15 %. En outre, un engagement politique
formulé lors d’un Conseil européen, sans valeur normative, prévoit un
plafond de 25 % pour le taux normal.
Par ailleurs, une clause « grand-père » a autorisé les États membres à
conserver les taux super-réduits qui étaient d’ores et déjà appliqués, mais à
la condition qu’ils soient gelés : il n’est pas possible d’étendre leur champ,
pas plus que de créer d’autres taux super-réduits ou, à l’inverse, de créer des
taux majorés8.
On observe dans l’UE une grande disparité des taux de TVA. Certains pays
n’appliquent aucun taux réduit, comme le Danemark, dont le taux normal
est élevé (25 %). Le taux normal s’échelonne de 17 % (Luxembourg) à
27 % (Hongrie), sa moyenne non pondérée étant de 21,5 % au 1er janvier
2021. Par ailleurs certains pays possèdent même des taux nuls sur un
spectre large de produits de première nécessité, comme l’Irlande.
b L’harmonisation des accises est plus limitée
Les accises ont été harmonisées plus tardivement et moins profondément
que la TVA. Là aussi, il a été procédé par voie de directives : une directive
du 25 février 1992 relative au régime général, à la détention, la circulation
et les contrôles des produits soumis à accises, refondue par la directive du
19 décembre 2019 établissant le régime général d’accise, définit les
principes généraux de cette harmonisation. Elle est complétée par des
directives spécifiques à chaque catégorie de produits : tabacs, alcools,
bières et vins, produits pétroliers.
Le premier principe énoncé par ces directives est que la taxation a lieu lors
de la mise à la consommation, c’est-à-dire que l’on taxe le professionnel qui
se procure le produit pour le mettre sur le marché de la consommation.
Le second principe est que des tarifs minimaux, révisables tous les deux
ans, sont fixés pour chaque produit. Cette harmonisation des tarifs doit
néanmoins être nuancée : d’une part, des régimes transitoires sont prévus
pour les pays qui n’appliquent pas d’accises sur certains produits et, d’autre
part, les minima sont assez faibles. Ainsi, au 1er juillet 2020, le tarif
minimum pour le gazole utilisé comme carburant s’élève à 330 € pour
1 000 litres, sachant que les tarifs appliqués dans l’UE vont de 330 €
(Bulgarie) à 617 € (Italie), en passant par 594 € en France.
c Les droits de douane échappent à la compétence de l’État
Les droits de douane relèvent de la compétence de l’Union européenne et
non plus des États membres : le traité de Rome prévoyait déjà la création
d’une union douanière et le transfert des recettes des droits de douane et
assimilés à la Communauté européenne, dont ils constituent les ressources
propres traditionnelles (cf. chapitre 19).
Dans le cadre multilatéral de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)
et par des accords spécifiques (avec l’association européenne de libre-
échange, AELE, ou encore avec les pays dits Afrique-Caraïbes-Pacifique,
ACP), l’UE a procédé à un désarmement tarifaire. Par voie de conséquence,
les ressources propres traditionnelles déclinent et ne représentent plus que
21 Md€ en 2019, soit 0,13 % du PIB de l’UE. Les règles auxquelles l’UE
s’est contrainte l’empêchent de moduler librement ses droits de douane à
des fins de politique économique.
Au niveau national, il est cependant possible d’attirer les importateurs afin
qu’ils affranchissent leurs produits en France et non dans un autre État
membre. À cette fin, il est nécessaire de se doter d’infrastructures portuaires
compétitives et d’une politique douanière de service, ce qui peut toutefois
présenter un risque de dérives (course au moins-disant)9. À la clé de
l’affranchissement des produits dans un État : outre les retombées
économiques, ce dernier conserve 25 % des droits de douane.
Cette harmonisation européenne limite les possibilités d’exploitation,
notamment, de la TVA et des droits de douane au service de la politique
économique, alors même que les droits de douane apparaissent
historiquement comme un instrument de politique économique par
excellence.
2 Les nouveaux défis de la fiscalité indirecte :
taxation des transactions financières et fiscalité
environnementale
2.1 L’harmonisation européenne ne progresse plus
que de manière limitée
Quoique les volontés d’approfondir l’harmonisation de la fiscalité indirecte
n’aient pas abouti, l’institution d’une taxe sur les transactions financières
permettrait a minima d’en étendre le champ.
a Sur la période récente, le chantier de l’harmonisation de la
fiscalité indirecte a peu avancé
Le régime transitoire précité de TVA est devenu pérenne. L’avènement d’un
« régime définitif » de l’harmonisation de la TVA, qui aurait conduit à
appliquer le principe du pays d’origine dans les échanges
intracommunautaires, a été abandonné. En 2000, la Commission
européenne a défini une nouvelle « stratégie visant à améliorer le
fonctionnement du système de TVA dans le cadre du marché intérieur »,
soit une tactique des petits pas pour améliorer l’existant.
Une des avancées les plus visibles est l’adaptation de la directive TVA aux
enjeux du commerce électronique. Depuis 2015, la TVA sur les prestations
de service électroniques intracommunautaires à des particuliers est due dans
le pays du preneur de la prestation et non plus dans le pays du prestataire de
services ; depuis le 1er juillet 2021, il en va de même pour la TVA sur les
ventes de livres à distance, désormais due dans le pays de l’acquéreur si le
seuil de 10 000 € de vente à distance est franchi (cf. encadré 1). À cette fin,
un guichet unique dématérialisé a été mis en place dans chaque État
membre afin que les entreprises prestataires de services puissent déclarer
via ce guichet la TVA due dans les 26 autres États membres.
En matière d’accise, les avancées sont faibles. Plusieurs propositions de la
Commission européenne relatives à la taxation de l’énergie ont ainsi
échoué. En effet, chaque État membre a sa politique énergétique et ses
sources d’énergie privilégiées : la France ne souhaite par exemple pas taxer
lourdement l’électricité, essentiellement tirée du nucléaire, à l’inverse du
Danemark, dont l’électricité provient largement du charbon. Cependant,
dans le cadre du « Pacte vert pour l’Europe » (ou « Green Deal ») lancé en
décembre 2019, la Commission s’est engagée à faire une nouvelle
proposition de révision de la directive de 2003 relative aux accises sur les
produits énergétiques. Les principaux enjeux sont la taxation de l’aviation
et du transport maritime, actuellement exonérés, et la promotion des
carburants alternatifs pour la mobilité (hydrogène, électricité, gaz,
biocarburants, etc.).
b La fiscalité indirecte européenne pourrait être complétée
par une taxe sur les transactions financières
Suite aux négociations tenues dans le cadre du G20 en 2009, la Commission
européenne a proposé en 2011 l’institution d’une TTF – qui n’a pas fait
consensus. En 2013, le Conseil de l’UE a autorisé l’engagement d’une
procédure de coopération renforcée pour aboutir à l’institution d’une TTF
européenne dans onze États membres, dont la France, l’Allemagne et
l’Italie. Cependant, les négociations ont échoué fin 2014, en particulier du
fait d’une divergence sur l’assiette de la taxe (la France souhaitant
initialement exclure les produits dérivés, afin de protéger son industrie
bancaire). Le projet a été remis à l’ordre du jour par le Conseil européen de
juillet 2020, dont les conclusions indiquent que l’Union s’efforcera de
mettre en place d’autres ressources propres dans le cadre du CFP 2021-
2027 (cf. chapitre 19), qui pourraient inclure une taxe sur les transactions
financières.
La proposition de 2013 porte sur une taxe qui serait prélevée sur toutes les
transactions sur instruments financiers entre institutions financières
lorsqu’au moins une des parties à la transaction est située dans l’UE.
L’échange d’actions et d’obligations serait taxé à un taux de 0,1 % et les
contrats dérivés à un taux de 0,01 %. Selon l’estimation de la Commission,
les recettes s’élèveraient à entre 0,4 et 0,5 % du PIB des États membres
participants, soit environ 11 Md€ en France (cf. encadré 2 s’agissant de la
TTF applicable en France).
ENCADRÉ 2
ENCADRÉ 2
La TTF française
La TTF instituée par la 1re LFR 2012 du 14 mars 2012 se distingue sur plusieurs points de
la proposition de la Commission européenne de 2013.
Elle est limitée aux actions et exclut par conséquent les obligations et les produits dérivés.
Les actions concernées sont celles des sociétés de plus d’1Md€ de capitalisation dont le
siège social est en France. L’assiette est en outre réduite par différentes exemptions, par
exemple pour les transactions réalisées dans le cadre d’une activité de « tenue de marché »
(qui vise à assurer la liquidité d’un titre).
La territorialité de la TTF est définie par ce seul critère de lieu du siège de la société
émettant les actions (principe du pays d’émission). Par conséquent, la TTF est due quels
que soient le lieu de transaction et la localisation des parties à la transaction. A contrario,
la proposition initiale de la Commission européenne prévoyait que la TTF soit due dès lors
qu’une partie de la transaction est résidente dans un État ayant mis en place la taxe
(principe de résidence).
La TTF française repose sur l’acquéreur uniquement, alors que la TTF européenne en
projet serait due à la fois par l’acquéreur et le vendeur.
Son taux est de 0,3 % depuis le 1er janvier 2017 (0,2 % auparavant). Le taux envisagé pour
la TTF européenne est proche (deux fois54 0,1 % pour les actions et obligations, deux fois
0,01 % pour les produits dérivés).
Son produit est de 1,4 Md€ en 2019, dont une fraction (528 M€) est affectée au fonds de
solidarité pour le développement.
2.2 La fiscalité indirecte comme outil de politique
économique
Eu égard aux limites des droits de douane, augmenter la TVA pour diminuer
en contrepartie le coût du travail revient à mobiliser la fiscalité indirecte
pour chercher à améliorer la compétitivité de la production française.10
a La voie de l’augmentation des droits de douane ou d’un
mécanisme d’inclusion carbone n’offrirait qu’une réponse partielle
au déficit de compétitivité
Un relèvement des droits de douane destiné à améliorer la compétitivité des
produits français pourrait notamment prendre la forme d’une surtaxe pour
les produits venant de pays ne respectant pas certaines normes sociales ou
environnementales. La proposition d’un « mécanisme d’ajustement carbone
aux frontières de l’UE » (ou mécanisme d’inclusion carbone) relève de cette
logique, puisqu’elle conduirait à majorer le coût des produits fabriqués dans
des pays très émissifs en gaz à effet de serre. Cette voie permettrait de
rendre de facto moins compétitifs les biens importés de pays émergents, à
l’origine du déficit de la balance commerciale de l’UE et serait sans doute
une réponse efficace pour prévenir les délocalisations.
Conformément aux conclusions du Conseil européen de juillet 2020, la
Commission européenne a présenté un premier projet de ce mécanisme
(baptisé MACF, pour mécanisme d'ajustement carbone aux frontières) en
juillet 2021, en vue d’en faire une ressource propre de l’Union d’ici 202311.
Sur le plan juridique, une telle solution pourrait être contestée au regard du
droit de l’OMC. Cependant, la jurisprudence dite « tortues-crevettes » de
l’OMC12 permettrait de la défendre, sous réserve de pouvoir justifier que
les producteurs européens sont soumis à des contraintes équivalentes au
poids que représentera pour les productions étrangères le mécanisme
d’ajustement carbone.
Cependant, une part importante du déficit commercial français provient de
nos échanges internes à l’UE et notamment avec l’Allemagne. Une
amélioration de la compétitivité-prix française par rapport à l’Allemagne
peut venir de la TVA sociale mais non pas d’une politique douanière
européenne.
b La TVA apparaît comme un impôt d’avenir pour contribuer
à la compétitivité des entreprises françaises
La TVA « sociale » consiste en une baisse des cotisations sociales,
compensée à due concurrence par une hausse de la TVA ou, par extension,
d’autres impôts indirects. L’Allemagne a expérimenté cette solution en
2007 : la TVA a été relevée de trois points (de 16 % à 19 %), dont 1 point a
financé l’assurance chômage en lieu et place de cotisations sociales. En
France, à une échelle plus modeste, les cotisations sur les boissons sucrées
et sur les boissons contenant des édulcorants, qui sont des accises, ont été
créées par la 2e LFR 2011 pour, notamment, compenser des allégements de
charges dans le secteur agricole.
L’impact attendu de la TVA sociale, qui est proche de celui d’une
dévaluation, est triple.
1. Une meilleure compétitivité du travail en France : la baisse du coût du
travail tend à éviter les délocalisations ou la substitution du capital au
travail.
2. Une meilleure compétitivité des produits français à l’export : les
exportations françaises, qui ne sont pas soumises à la TVA en France,
diminuent leur coût de revient.
3. Un avantage pour les productions françaises sur le marché national :
les produits importés subissent l’augmentation de leur prix toutes taxes
comprises, alors que les produits français bénéficient d’un allégement
du coût du travail qui leur permet de réduire leur prix hors taxe et/ou
d’augmenter leur marge.
L’imposition accrue de la consommation peut cependant receler des effets
pervers sur le plan économique. Premièrement, une hausse de la TVA, tout
au moins si elle n’est pas compensée par une réduction d’autres
prélèvements obligatoires, a potentiellement un effet inflationniste. Dans le
contexte économique de faible croissance et de faible inflation que connaît
l’Europe depuis 2009, cet inconvénient paraît cependant négligeable.
Deuxièmement, similaire dans ses effets à une dévaluation, elle ne sera pas
suffisante pour compenser le différentiel de coût de production avec les
pays à bas coûts salariaux et pourra éventuellement inciter les partenaires
commerciaux proches à suivre la même stratégie, au risque d’annuler
l’avantage compétitif initial (jeu non coopératif).
Troisièmement, l’imposition de la consommation est réputée régressive car
la propension à consommer décroît avec le revenu, de sorte que la TVA
acquittée rapportée au revenu est plus élevée pour un ménage modeste que
pour un ménage aisé. Toutefois, la TVA est acquittée à proportion des
dépenses de consommation, de sorte qu’un ménage aisé paye davantage de
TVA qu’un ménage modeste. Surtout, la TVA n’est pas un impôt sur le
revenu et ne pourrait poursuivre efficacement un objectif redistributif.
Malgré la pluralité de ses taux, qui peut du reste être contestée en
opportunité (le Danemark, pays égalitaire s’il en est, applique un taux
unique de 25 %), la TVA a une fonction essentiellement budgétaire.
A contrario, les baisses ciblées de la TVA pour favoriser l’emploi, par
exemple en faveur du secteur de la restauration, n’emportent pas la
conviction. Elles sont considérées comme moins efficaces et efficientes que
les baisses de charges (cf. CPO, 2015), qui peuvent précisément être
financées par une hausse de TVA.
c Verdir et accroître la fiscalité environnementale, nouvelle
frontière de la fiscalité indirecte
Selon une définition restrictive, la fiscalité environnementale est une
fiscalité comportementale, inspirée de la « taxe pigouvienne »
(cf. chapitre 1), dont le but est d’inciter à protéger l’environnement en
internalisant dans les choix individuels les externalités négatives sur
l’environnement.
Selon une définition extensive, le concept de fiscalité environnementale
renvoie à toute mesure fiscale dont les paramètres, notamment l’assiette,
induisent un lien entre l’impôt payé et les nuisances environnementales, de
telle manière que le prix d’un comportement polluant soit augmenté. Or un
comportement polluant à même d’être appréhendé fiscalement procède en
général d’un acte de consommation, de sorte que la fiscalité
environnementale relève assez largement de la fiscalité portant sur la
consommation. Sont visées les taxes sur l’énergie (dont la TICPE), sur le
transport (comme l’écotaxe poids lourds) et sur les ressources ou les
pollutions (notamment la taxe générale sur les activités polluantes, TGAP).
Il est possible d’y ajouter des mesures positives, comme le taux réduit de
TVA pour les travaux d’amélioration de la qualité énergétique de logements
anciens.
Cette dernière approche, sous réserve des mesures positives, est retenue par
la Commission européenne, dont les statistiques font apparaître un niveau
moyen de la fiscalité environnementale en France. À 2,4 % (soit 56 Md€),
le ratio français fiscalité environnementale/PIB place la France en 17e
position dans l’Union européenne, la moyenne européenne pondérée étant
de 2,4 %13.
La fiscalité environnementale fait l’objet de préconisations de l’Union
européenne et de l’OCDE tendant à relever son poids dans la structure des
prélèvements obligatoires français. Pour autant, un tel objectif quantitatif,
budgétaire, n’est pas forcément cohérent avec un objectif strictement
environnemental d’incitation à modifier les comportements : un objectif
budgétaire peut conduire à privilégier une relative stabilité des
comportements de consommation, au détriment de l’objectif
comportemental.
La censure par le Conseil constitutionnel de la contribution climat énergie
en 2009, l’abandon de la taxe poids lourds en 2014 et la crise des Gilets
jaunes en 2018-2019 rappellent tant la difficulté technique que
l’acceptabilité limitée de l’institution de nouvelles taxes, fussent-elles
écologiques.
Plusieurs mesures récentes vont néanmoins dans le sens d’un
développement et d’un verdissement de la fiscalité environnementale.
D’une part, la LFI 2014 a introduit dans le tarif de la TICPE une
composante carbone (parfois improprement appelée taxe carbone) : au tarif
de base s’ajoute une tranche supplémentaire de tarif qui dépend de la
quantité de carbone émise par le carburant concerné et d’un prix du
carbone. La LFI 2014 a prévu une trajectoire de hausse de ce prix du
carbone, que la LFI 2018 a prolongée avant qu’elle ne soit suspendue fin
2019 : initialement fixée à 7 € en 2014, la valeur de la tonne de carbone a
atteint 44,60 € en 2018 et devait atteindre 86,20 € en 2022. D’autre part, la
LFR 2015 puis la LFI 2018 ont prévu une hausse supplémentaire du tarif de
TICPE sur le gazole afin de le faire converger avec le tarif applicable à
l’essence14.
Si les préoccupations environnementales n’étaient pas absentes, l’objectif
de ces mesures législatives, tel qu’explicité dans leurs évaluations
préalables, était prioritairement budgétaire. La montée en charge de la
composante carbone et la convergence entre le gazole et l’essence devaient
ainsi procurer 14,2 Md€ de recettes supplémentaires en 2022 par rapport à
2017, jouant un rôle clé dans l’objectif de réduction du déficit public du
quinquennat.
Toutefois, ces différentes mesures ont buté sur leur acceptabilité sociale.
Leur conjugaison devait en effet faire augmenter la TICPE sur le gazole de
plus de 75 % en l’espace de huit ans15, contribuant ainsi mécaniquement à
une hausse de près de 40 % du prix à la pompe. Cette décision a déclenché,
tout particulièrement dans la France périphérique – très dépendante de la
voiture et donc du carburant pour sa vie quotidienne – un mouvement
populaire de protestation fiscale baptisé « Gilets jaunes », qui a fortement
marqué de son empreinte la fin de l’année 2018 et le début de l’année 2019.
Ce mouvement a conduit l’exécutif à abandonner, à ce stade, la poursuite de
la hausse de la trajectoire carbone, qui avait initialement été votée en LFI
2018 pour les années 2019-2022. Cependant, la suppression brutale du tarif
réduit de TICPE sur le gazole non routier dont bénéficie le secteur des
travaux publics (dépense fiscale dont le coût est évalué à 0,9 Md€),
initialement prévue en PLF 2019 a finalement été adoptée par la LFI 2020,
qui a organisé une suppression plus progressive et l’a assortie de mesures
d’accompagnement pour aider les acteurs du secteur à moderniser leurs
équipements – ce qui serait une manière de combiner efficacité budgétaire
et efficacité environnementale de l’impôt.
De manière moins massive mais plus ciblée, la TGAP, qui est un impôt
incitatif frappant différents types de produits polluants et dont le rendement
total s’élève à 750 M€ en 2019, a vu son assiette et ses tarifs augmenter en
2013 et en 2014. À titre d’exemple, la TGAP « air », dont les tarifs avaient
doublé en 2013, a été étendue à de nouvelles substances polluantes, tel le
plomb.
La fiscalité sur la consommation et sur les transactions a essentiellement
une vocation budgétaire, y compris lors qu’elle est qualifiée
d’environnementale. Elle peut néanmoins servir d’autres objectifs : un
objectif comportemental, lorsque la fiscalité constitue un instrument plus
efficace que d’autres (droits à polluer, normes…), mais aussi un objectif
économique, soit de soutien de la demande dans un secteur particulier
(baisse ciblée de TVA), soit de compétitivité-prix des produits français
(TVA sociale). Enfin, sur le plan européen, l’harmonisation de la fiscalité
indirecte a été une brique de la construction du marché unique. Elle a
montré qu’il était possible d’avancer dans l’intégration européenne dans le
domaine de la fiscalité, malgré le principe de l’unanimité, sans pour autant
enclencher une dynamique d’harmonisation de la fiscalité au-delà de la
fiscalité indirecte.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• La TVA est-elle un bon impôt ?
• Quels sont les avantages et inconvénients d’une TVA sociale ?
• Faut-il réformer la fiscalité indirecte ?
• La fiscalité environnementale
• La taxation des transactions financières
• Faut-il reprendre la hausse de la composante carbone de la TICPE ?
• Faut-il instaurer un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ?
RÉFÉRENCES
OCDE, « Impôts sur la consommation : une solution d’avenir ? », Synthèses, octobre 2007.
CPO, La taxe sur la valeur ajoutée, décembre 2015.
Comité pour l’économie verte (Bénédicte Peyrol et Dominique Bureau). Comment construire
la fiscalité environnementale pour le quinquennat et après 2022 ? 2018.
(cf. https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/comite-leconomie-verte)
OECD/Korea Institute of Public finance, The distributional effects of consumption taxes in
OECD countries, OECD Tax policy studies, 2014, no22.
CHAPITRE 27
La concurrence et l’évasion
fiscales internationales
NOTIONS À MAÎTRISER
• Concurrence fiscale
• Taux nominal ; taux implicite
• Prix de transfert
• ACCIS / BEFIT
• Paradis fiscal / État ou territoire non coopératif
• FATCA / échange d’information automatique et sur demande
• BEPS / érosion des bases taxables / piliers 1 et 2
• Ruling
La fiscalité constitue un enjeu majeur de l’attractivité d’un pays, quand bien
même il ne s’agit ni du seul ni même du plus décisif – pensons par exemple
à la qualité de la main d’œuvre –, et est devenue un lieu de compétition.
La concurrence fiscale est le résultat d’une stratégie qui consiste à appliquer
une fiscalité faible, notamment en baissant ses taux d’imposition, pour
gagner en compétitivité et ainsi attirer des facteurs de production ou des
bases taxables supplémentaires. Ce comportement est nécessairement non
coopératif, dans le sens où il n’est intéressant que si les territoires
concurrents ne se comportent pas de la même façon.
Si cette concurrence peut s’exercer au sein même d’un pays, entre entités
infra-étatiques dotées de marges de manœuvre pour moduler leurs impôts,
c’est son exercice au niveau international qui soulève le plus de difficultés
dans un monde où marchandises, services, personnes et capitaux circulent
assez librement : comment réguler un phénomène qui ressortit de la
compétence des États ? Comment un État dont les taux d’imposition sont
élevés peut-il éviter la fuite de sa manière taxable et ne pas s’engager dans
une course au moins-disant ?
L’acuité de cette problématique est particulièrement prononcée lorsque
certains États font de la fiscalité et de l’opacité les principaux leviers de leur
attractivité. Ils sont en effet à l’origine d’une évasion fiscale, c’est-à-dire
d’une délocalisation de facteurs de production et de personnes – ou tout au
moins de matière taxable. Cette évasion recèle un lourd préjudice financier
pour les pays d’origine et peut être considérée comme moralement
condamnable, dans les cas où elle obéit à des motivations exclusivement
financières et de secret.
Ces États ou territoires non coopératifs (ETNC) – plus couramment appelés
paradis fiscaux – sont définis par l’OCDE comme offrant, d’une part, une
taxation faible ou nulle pour les non-résidents dans un contexte de faible
transparence du régime fiscal et assurant, d’autre part, une opacité dans
l’accès aux renseignements fiscaux, notamment sous couvert du secret
bancaire et du secret professionnel en matière fiscale.
Depuis 2011, de nouvelles mesures de lutte contre la fraude et l’évasion
fiscales internationales ont été adoptées suite aux travaux du G20 et de
l’OCDE. Il fait en effet consensus que la lutte contre l’évasion fiscale la
plus moralement condamnable et la plus financièrement préjudiciable passe
par la disparition des paradis fiscaux. Si l’efficacité de ces mesures fait
débat, le recul des paradis fiscaux semble réel.
1 La concurrence fiscale et l’harmonisation
européenne en matière d’imposition des sociétés
1.1 La concurrence fiscale peut engendrer des effets
pervers
a Entre pays développés, la concurrence porte notamment
sur l’imposition des bénéfices
Au sein de l’Union européenne, qui constitue un espace économique et
institutionnel relativement homogène, les choix de localisation des
investissements tiennent compte de la fiscalité et, plus largement, des
prélèvements obligatoires, qui influencent le coût des facteurs de
production.
La fiscalité des bénéfices constitue un élément particulièrement visible de
l’attractivité d’un pays, ce que confirme la baisse tendancielle du taux d’IS :
les États cherchent à afficher un taux faible pour attirer de la masse taxable.
Si la concurrence se concentre sur l’IS, c’est parce que le bénéfice est plus
mobile que le capital et, a fortiori, que le travail.
Ainsi, entre 1996 et 2021, le taux nominal moyen d’IS dans l’OCDE a
baissé de 15 points en 25 ans (cf. chapitre 25). Dans certains cas, cette
baisse de taux s’est accompagnée d’un élargissement de l’assiette, par la
limitation des charges déductibles du bénéfice. C’est de fait le cas des
baisses de taux décidées en LFI 2017 et 2018 en France, qui interviennent
parallèlement à des allégements de charges sociales, lesquels ont pour effet
mécanique d’augmenter l’assiette imposable à l’IS.
Cependant, les taux nominaux d’imposition ne sont pas de bons indicateurs
pour évaluer le poids réel de l’impôt sur les sociétés car ils ne prennent pas
en compte la diversité des règles d’assiette. Les principales règles induisant
une différence entre taux nominal et effectif d’imposition sont le régime de
déductibilité des intérêts d’emprunt voire des intérêts notionnels1, le régime
de taxation des dividendes ou des plus-values, ou encore les dispositifs
d’incitation à la recherche et développement (R&D).
Le taux de taxation implicite des bénéfices, qui mesure le taux d’impôt
rapporté à l’excédent net d’exploitation2, permet de mieux mesurer le poids
que représente l’impôt sur les sociétés, en intégrant l’effet à la fois du taux
nominal et des règles d’assiette, malgré diverses limites méthodologiques.
Dans certains pays, les règles d’assiette conduisent à un taux implicite très
inférieur au taux nominal : c’est le cas de la Belgique – qui accepte la
déduction des intérêts notionnels –, dont le taux implicite était de 20 % en
2012 contre un taux nominal de 34 %3 ! En France, la différence entre taux
implicite et nominal est moins sensible et ne permet pas d’effacer notre
désavantage compétitif : elle était de 8 points en 2012 (28 % contre 36 %)
et s’est réduite depuis.
b La concurrence en matière de fiscalité des entreprises
est susceptible de produire des effets pervers
La concurrence en matière de fiscalité des entreprises peut produire des
effets dommageables, pour les États mais aussi pour les entreprises.
La diversité des régimes fiscaux peut inciter les entreprises à tirer le
meilleur parti de chacun d’entre eux en termes de localisation de leurs
bénéfices – et entraîner en conséquence des pertes de bien-être pour les
États et des coûts de gestion supplémentaires pour les entreprises elles-
mêmes.
Empiriquement, la localisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés et
celle de l’activité sont imparfaitement corrélées4. Ainsi, un certain nombre
d’États membres de l’UE voient leur poids dans le total des bénéfices
imposés dans les pays européens dépasser leur poids dans le PIB européen,
comme l’Irlande et le Luxembourg. À l’inverse, pour d’autres pays telle la
France, ce poids est sensiblement inférieur. Or cette hiérarchie n’est pas
sans lien avec celle des taux nominaux : plus le taux nominal est élevé dans
un pays, plus le bénéfice qui y est imposé est faible.
Ce phénomène s’explique notamment par la latitude dont disposent les
groupes internationaux dans la tarification de leurs flux internes de ventes et
de charges : les « prix de transfert ». Au sein d’un groupe, des prix de
transfert déconnectés des réalités économiques ou des montages juridiques
et financiers permettent de localiser le bénéfice du groupe de préférence là
où il sera moins imposé5. Cette technique n’est légale que pour autant que
les prix pratiqués soient conformes au marché (principe de pleine
concurrence).
Les États sont donc exposés à un risque de perte de recettes si les taux
qu’ils affichent divergent trop (théorie des incitations microéconomiques).
Pour autant, s’engager dans une course à la baisse des taux nominaux est
une stratégie coûteuse et peu efficace pour les États. Si l’ensemble des pays
réduisent leurs taux, une diminution globale des recettes fiscales s’ensuivra,
au risque de ne pouvoir financer un niveau optimal d’équipements et de
services publics6 (cf. encadré 1). En outre, cette stratégie peut être efficace
pour inciter les groupes à localiser leur bénéfice mais moins pour attirer des
investissements créateurs d’activité économique et d’emploi.
Pour les entreprises, en principe gagnantes, la concurrence fiscale peut aussi
avoir des effets pervers. La variété des régimes d’imposition et leur
instabilité conduisent à des coûts administratifs supplémentaires pour les
entreprises. Après s’être organisée de manière à minimiser sa charge fiscale,
au prix de certains investissements et de dépenses improductives (services
comptables, recours à des conseils fiscaux…), une société est à la merci
d’un changement de législation augmentant sa charge fiscale. Par ailleurs,
s’implanter dans différents États signifie que l’imposition des bénéfices du
groupe s’effectuera État par État, sans consolidation des filiales déficitaires,
ce qui peut conduire à des situations de surimposition.
ENCADRÉ
Les effets économiques de la concurrence fiscale sur le bien-être collectif
La théorie économique n’est pas unanime sur les effets de la concurrence fiscale.
Selon Thiebout (« A pure theory of local expenditures », Journal of Political Economy,
1956), cette concurrence est saine car les entités inefficaces dans leurs choix n’attirent plus
aucun individu et celles qui font des choix fiscaux susceptibles de répondre aux
préférences de chacun sont favorisées, ce qui permet d’obtenir une allocation optimale des
biens publics.
Cette vision a cependant été remise en cause par Zodrow et Mieszkowski (1986, « Pigou,
Tiebout, property taxation, and the underprovision of local public goods », Journal of
Urban Economics), pour lesquels le caractère non coopératif de la concurrence fiscale
conduit à retenir un taux d’imposition inférieur et donc un niveau sous-optimal de biens
publics, au lieu de se mettre d’accord sur la fixation d’un taux permettant in fine
d’atteindre une offre optimale de biens publics. La concurrence fiscale est alors coûteuse
pour le bien-être collectif.
1.2 La concurrence fiscale a été encadrée dans l’Union
européenne
a La concurrence fiscale dommageable a été diminuée sous
l’action de l’Union européenne
L’IS est un impôt direct qui ne peut être harmonisé que sur le fondement de
l’article 115 du TFUE, par voie de directives rapprochant les législations
nationales afin d’améliorer le fonctionnement du marché unique. À ce
stade, l’imposition des bénéfices des sociétés a fait l’objet d’une
harmonisation limitée, principalement par deux directives en date du 23
juillet 1990 et une directive du 12 juillet 2016.
La première, dite directive fusions, instaure un régime fiscal commun
applicable aux sociétés mères et filiales. L’objectif est de susciter la création
de groupes de sociétés à l’échelle européenne, en facilitant les
restructurations transfrontalières. À cette fin, la directive prévoit un différé
d’imposition des plus-values naissant à l’occasion d’une fusion, du fait des
écarts comptables constatés entre actif et passif.
La seconde, dite directive mère-fille, facilite le développement des groupes
dans l’UE. Elle élimine les retenues à la source sur les paiements de
dividendes au sein d’un groupe, ainsi que les cas de double imposition de
sociétés mères sur les bénéfices de filiales. Pour bénéficier de ce régime, la
mère doit détenir au moins 10 % du capital de la fille.
Par la suite, des instruments juridiques non contraignants ont été déployés
pour réduire la concurrence fiscale dommageable, à travers le Code de
conduite européen en matière de fiscalité des entreprises, adopté dans le
cadre du « paquet fiscal » le 1er décembre 1997. Son objectif n’est pas de
neutraliser la concurrence fiscale au sein de l’Union européenne mais de
lutter contre les seuls régimes « dommageables », c’est-à-dire ceux qui se
caractérisent par un niveau d’imposition nettement inférieur à la normale,
un manque de transparence et un objectif de délocalisation vers leur
territoire (facilités offertes aux non-résidents, avantages fiscaux accordés en
l’absence d’activité économique réelle…).
Le code prévoyait le gel des régimes dommageables et leur démantèlement
progressif, sous la surveillance de la Commission européenne. Cette
dernière a établi une liste de 66 régimes en 1999, dont le régime des
quartiers généraux en France, qui a été réformé depuis. Si l’établissement
de cette liste a bien été suivi d’effets, le bilan du code de bonne conduite est
parfois ambigu. La concurrence fiscale est sans doute devenue plus
transparente et moins « dommageable » mais demeure réelle. Ainsi la
Belgique a-t-elle substitué à un régime dénoncé par la Commission la
déductibilité des intérêts notionnels, tout aussi attractive.
Enfin, à la faveur de la mise en œuvre du plan BEPS (cf. infra) a été
adoptée la directive du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter
contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le
fonctionnement du marché intérieur (directive ATAD). Elle prévoit
plusieurs règles qui marquent une nette avancée de l’harmonisation de l’IS
dans l’Union. La plus saillante est la limitation de la déductibilité des
intérêts d’emprunt à 30 % du bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciations
et amortissements (EBITDA) du contribuable, encore que la directive laisse
une assez grande latitude aux États dans les modalités d’application.
Plusieurs dispositifs sont prévus pour lutter contre des techniques d’évasion
fiscale, tels les dispositifs hybrides7, qui permettent une double déduction,
ou encore le transfert artificiel de bénéfices dans des pays à faible taux
d’imposition. Les États membres sont également autorisés à disposer d’une
clause anti-abus générale pour lutter contre les mécanismes d’évasion
fiscale qui ne font pas l’objet de clauses anti-abus spécifiques.
Désormais, la Commission européenne entend faire de nouvelles
propositions de directive en vue de mettre en œuvre de manière harmonisée
l’accord anticipé au sein de l’OCDE en 2021 sur de nouvelles règles de la
fiscalité des entreprises multinationales (cf. infra).
b Le projet européen d’assiette commune consolidée d’impôt
sur les sociétés (ACCIS) constituerait une réforme profonde
La réflexion autour d’une assiette commune consolidée de l’impôt sur les
sociétés (ACCIS) est ancienne et peine à aboutir. Les deux propositions de
directive soumises par la Commission européenne au Conseil en 2011 et
2016 n’ont pas été adoptées, butant sur l’opposition d’États membres telle
l’Irlande. Sans se décourager, la Commission a annoncé préparer d’ici 2023
une nouvelle proposition s’inscrivant dans le cadre ambitieux d’une
nouvelle fiscalité des entreprises pour le XXIe siècle8. Cette proposition, qui
serait intitulée « BEFIT » pour « Business in Europe: Framework for
Income Taxation » (entreprises en Europe : cadre pour l’imposition des
bénéfices) reprendrait assez largement la proposition ACCIS, tout en
capitalisant sur les travaux de l’OCDE en cours et en tenant compte des
évolutions de l’économie, notamment sa digitalisation.
La Commission justifie sa proposition d’ACCIS par l’existence de
nombreux obstacles fiscaux à la réalisation du marché intérieur : limites à la
compensation transfrontalière des gains et des pertes au sein d’un même
groupe, absence de règles homogènes en matière de prix de transfert en
Europe, retenues à la source opérées sur certains flux intra-groupes,
nécessité d’établir des comptes fiscaux conformes à chaque législation
nationale, stratégies d’évitement de l’impôt… C’est donc dans une optique
de renforcement du marché unique mais aussi de lutte contre la concurrence
fiscale que la Commission souhaite créer une forme d’impôt sur les sociétés
européen.
D’une part, l’assiette commune harmoniserait les règles de calcul de
l’assiette de l’IS dans l’ensemble de l’UE. D’autre part, serait mise en place
la consolidation du bénéfice de chaque société au niveau européen. Les taux
d’imposition demeureraient en revanche définis au niveau national. Pour
calculer l’impôt dû, l’assiette consolidée serait répartie entre États membres
en fonction de critères objectifs (chiffre d’affaires, masse salariale et
effectifs salariés, actifs corporels mais aussi, dans le cadre de la proposition
BEFIT à venir, incorporels), représentatifs de l’activité du groupe sur les
territoires où il est présent, afin d’appliquer les taux nationaux.
Ce régime serait obligatoire pour les grands groupes, dont le chiffre
d’affaires consolidé est supérieur à 750 M€ et qui sont souvent les plus à
même de déployer des stratégies de planification fiscale agressive, mais
resterait optionnel pour les autres sociétés, lesquelles choisiraient donc de
se placer sous le régime européen ou sous les régimes nationaux. Le
nouveau régime emporterait des avantages forts, notamment la
compensation des résultats transfrontaliers et l’élimination de la
problématique des prix de transfert intra-communautaires9.
c La diminution de la concurrence fiscale pourrait aussi résulter
d’initiatives bilatérales
Les efforts d’harmonisation ne sont pas en soi une réponse à une situation
de concurrence fiscale excessive : l’harmonisation entraîne une plus grande
comparabilité de l’imposition des bénéfices et réduit les risques juridiques
(changements de législation et répression des optimisations abusives par
exemple), de sorte qu’elle facilite une concurrence fiscale transparente et
organisée. Le projet ACCIS / BEFIT vise précisément à organiser la
concurrence fiscale, notamment par la fixation de règles d’imposition
communes et par une juste répartition de l’assiette imposable et du produit
fiscal entre États membres, non à la neutraliser.
D’autres scénarios d’évolution de l’IS au niveau européen sont
envisageables, comme le rapprochement de législations nationales d’États
souhaitant réduire la concurrence fiscale entre eux. À cet égard, la
convergence franco-allemande en matière de fiscalité des entreprises,
engagée en 2011-2012 avant d’être suspendue puis réexaminée un temps en
2017, avait pour objet de rendre l’IS neutre entre les deux pays10, la
concurrence se faisant par d’autres biais (coût du travail par exemple). Une
telle initiative peut être comparée à un cartel s’accordant sur les prix, dont
l’efficacité dans la lutte contre la concurrence est incontestée. Pour l’unité
du marché intérieur, il serait néanmoins préférable de parvenir à une
harmonisation européenne, ce qui requiert l’unanimité des États membres.
2 La lutte contre l’évasion et la fraude fiscales
internationales
2.1 Face à la fraude fiscale, l’administration fiscale
dispose de moyens d’information et de sanctions
a Importante, la fraude fiscale répond à des préoccupations
diverses
La fraude et, plus largement, l’évasion fiscale internationale est par
construction difficile à évaluer. Les pertes fiscales qu’elle engendre ont été
estimées à entre 1 et 4 % du PIB pour la France. Sur la base du rapport de la
commission d’enquête Bocquet du Sénat de 2013, on peut retenir le chiffre
de 60 Md€, soit près de 3 % du PIB.
Les paradis fiscaux sont d’abord utilisés par les entreprises qui souhaitent
bénéficier d’une réglementation financière, juridique ou administrative plus
souple – pour ne pas dire opaque – pour certaines opérations. Il peut par
exemple s’agir d’échapper au respect des exigences prudentielles pour
réaliser des opérations financières risquées. Des entreprises peuvent
également recourir à un paradis fiscal pour répondre à l’exigence du client
ou du fournisseur, notamment lorsque de l’argent « sale » intervient dans la
transaction.
Pour des sociétés comme pour des particuliers, le paradis fiscal offre
naturellement la possibilité de payer moins d’impôt. Il permet aussi d’y
localiser des revenus non déclarés ou d’y faire fructifier un patrimoine non
déclaré. Les motivations pour des particuliers sont essentiellement fiscales
mais peuvent se combiner avec l’existence d’une activité illégale ou de la
perception de commissions occultes.
b L’administration fiscale dispose de différents instruments
pour lutter contre la fraude fiscale internationale
Pour lutter contre ce phénomène, l’administration fiscale dispose d’abord
de moyens d’information sur les contribuables. Ainsi, les sociétés
implantées en France doivent déclarer les filiales qu’elles détiennent dans
les pays jouissant d’un « régime fiscal privilégié », c’est-à-dire permettant
une imposition inférieure d’au moins 50 % à ce qu’elle serait en France.
De manière plus contraignante, les groupes sont soumis à des obligations
documentaires à l’égard de l’administration en ce qui concerne les prix de
transfert qu’ils utilisent. La loi pose le principe que les prestations intra-
groupes ne doivent pas être tarifées différemment des prix de marché
pratiqués entre des sociétés indépendantes. L’existence d’une
documentation permet de s’assurer du respect de ces dispositions ou – tout
au moins – du fait que les prix retenus ne sont pas manifestement
anormaux. Ces obligations sont renforcées pour les transactions réalisées
dans les ETNC.
Depuis la LFI 2016, les grandes entreprises et les groupes sont en outre
tenus, lorsque leur chiffre d’affaires est supérieur à 750 M€, d’informer
l’administration fiscale de la répartition pays par pays des bénéfices et des
agrégats économiques, comptables et fiscaux (« reporting pays par pays »).
Un échange automatique de ces déclarations avec les administrations
fiscales des pays ayant adopté un dispositif équivalent s’applique depuis
2017. Une directive est en cours de discussion pour étendre cette
déclaration pays par pays à toute l’Union.
Les particuliers sont également soumis à des obligations d’information à
l’égard de l’administration, notamment l’obligation de déclarer les comptes
détenus à l’étranger. Pour ceux qui ne respecteraient pas cette règle,
l’administration fiscale peut consulter leurs relevés de comptes bancaires,
sans même engager de contrôle fiscal externe et, par conséquent, sans les
prévenir.
De manière plus générale, les droits de l’administration ont été adaptés à la
réalité technologique d’aujourd’hui. Ainsi, lorsqu’un contribuable refuse de
communiquer des données informatiques relatives à sa situation,
l’administration bénéficie d’un délai de 15 jours, susceptible d’être
prolongé, pour réaliser les opérations nécessaires au cassage de ces
protections informatiques dans des conditions qui préservent l’intégrité des
données saisies. Il en va de même pour les entreprises qui, lorsqu’elles
tiennent leur comptabilité au moyen de systèmes informatisés, doivent la
présenter sous cette forme en cas de contrôle.
L’administration dispose ensuite de moyens de sanction, sans cesse
complétés et renforcés pour les ETNC. Ces moyens peuvent tenir à la
capacité de rectifier l’impôt spontanément déclaré, voire de le reconstituer
totalement. Un contribuable qui ne peut justifier de la provenance
d’encaissements qu’il n’a pas déclarés au fisc peut ainsi être taxé d’office
sur ce qui sera considéré comme des revenus. Si ces sommes sont placées à
l’étranger et qu’il refuse d’en dévoiler la provenance, elles seront même
présumées provenir d’une donation et taxées à 60 %, soit le taux maximum
des DMTG.
Des sanctions administratives et notamment des amendes peuvent
s’appliquer. Les particuliers ne déclarant pas leurs comptes à l’étranger
s’exposent à une amende, dont le montant varie selon la gravité de
l’omission : l’amende minimale est de 1 500 € mais est majorée à 10 000 €
lorsque le compte est détenu dans un ETNC .
En sus peuvent s’appliquer des sanctions pénales. En cas de dissimulation
frauduleuse d’avoirs, des amendes jusqu’à 3 M€ sont applicables et le
coupable risque jusqu’à 7 ans d’emprisonnement dans certaines
circonstances (domiciliation fictive à l’étranger par exemple). En outre, les
contribuables condamnés pour fraude fiscale s’exposent à une peine
complémentaire d’affichage et de diffusion de la condamnation. Plus de
1 800 contribuables ont été pénalement poursuivis en 2019, ce nombre
ayant presque doublé par rapport à 2018 dans la mesure où l’administration
fiscale transmet désormais11 systématiquement au Parquet les dossiers les
plus importants (fraudes supérieures à 100 000 € assorties de manœuvres
frauduleuses ou de récidive notamment).
Enfin, s’agissant spécifiquement des paradis fiscaux, la fiscalité sur des
opérations en lien avec ces derniers est durcie. Les flux directs entre
résidents fiscaux français et les pays à fiscalité privilégiée sont imposés
selon des règles plus sévères. Les non-résidents localisés dans un ETNC
sont imposés sur leurs revenus de source française plus sévèrement, le taux
de plusieurs retenues à la source étant porté à 75 %.
La priorité donnée à la lutte contre la fraude fiscale internationale s’illustre
aussi dans la mise en place de deux services d’enquête spécialisés en
matière fiscale et dotés – à la différence des services de la DGFiP chargés
du contrôle fiscal – de pouvoirs de police judiciaire.
Le premier de ces services, créé en 2010, est la Brigade nationale de
répression de la délinquance fiscale (BNRDF), qui est rattachée à l’Office
central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales
(OCLCIFF) du ministère de l’intérieur. Elle poursuit les actes de fraude
fiscale résultant de l’utilisation de comptes, contrats ou sociétés à l’étranger
et s’inscrit ainsi plus largement dans la lutte contre la grande délinquance
financière.
Le second, qui s’est mis en place en 2019 à partir d’un service préexistant
de la DGDDI, est composé d’officiers fiscaux judiciaires et d’officiers
douaniers judiciaires. Sous l’autorité d’un magistrat, il procède à des
enquêtes sur saisine du Parquet national financier (PNF), créé en 2013 pour
conduire l’action publique en matière de lutte contre la fraude fiscale, la
corruption et le blanchiment d’argent. À la différence de la BNRDF, cette
« police fiscale » (ou Service national d’enquêtes judiciaires en matière
douanière et fiscale) dépend du ministre des finances. La création de ce
second service a été critiquée comme redondante avec le premier.
Par ailleurs de nombreux dispositifs ont été mis en place afin d’améliorer la
circulation d’information entre administrations et avec le service à
compétence nationale TRACFIN (Traitement du Renseignement et Action
contre les Circuits FINanciers clandestins), qui est le service de
renseignement financier.
2.2 Lutter contre les États non coopératifs et relocaliser
les matières taxables
a La lutte internationale contre les paradis fiscaux
s’est intensifiée à l’occasion de la crise financière
Tout d’abord, les ETNC ont été identifiés et désignés comme tels, aux
niveaux national et international.
Pour appliquer les régimes répressifs évoqués plus haut, il est en effet
nécessaire de définir précisément les pays concernés, ce que la France a fait
dès 2010. La définition légale retenue en 2010, qui était devenue
restrictive12, a été étendue par la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte
contre la fraude. Il existe désormais une articulation plus étroite entre la
liste française des ETNC et celle de l’Union européenne des pays et
territoires non coopératifs à des fins fiscales. Désormais, la liste est
déterminée à partir de deux catégories de critères alternatifs :
1. Sont des ETNC les pays qui ont fait l’objet d’un examen par le forum
sur la transparence de l’OCDE au regard de l’échange d’information et
qui n’ont signé ni avec la France ni avec au moins 12 États une
convention d’assistance administrative. L’échange effectif
d’informations est ainsi décisif.
2. Les pays qui figurent sur la liste européenne des ETNC et qui ne
respectent pas soit le critère d’équité (fair taxation) faute de faire
obstacle aux montages artificiels, soit un autre critère fixé par le
Conseil de l’UE dans ses conclusions du 5 décembre 2017 (mesures
préférentielles dommageables ; transparence fiscale ; application des
mesures du plan BEPS). Le gouvernement établit chaque année une
liste des ETNC, qui recense en 2021 treize pays (cf. tableau 1). Il s’agit
en pratique de petits pays dont le « modèle économique » repose sur
l’attraction d’actifs sur leur territoire.
Tableau 1 : Liste française des ETNC applicable en 2021 (arrêté du 12 février 2010 pris
en application du deuxième alinéa du 1 de l’article 238-0 A du code général des impôts)
Pas de convention d’assistance administrative ou convention
Iles Vierges britanniques
non effective
Idem + inscription sur la liste européenne des ETNC Anguilla, Panama, Seychelles
Inscription sur la liste européenne des ETNC en raison de la
Vanuatu
facilitation de montages artificiels (absence de fair taxation)
Inscription sur la liste européenne des ETNC pour un autre Dominique, Fidji, Guam, Iles
motif Vierges américaines, Palaos,
Samoa américaines, Samoa,
Trinité et Tobago
Au niveau international, la lutte contre les paradis fiscaux repose sur
l’OCDE, qui anime depuis 2000 le forum mondial sur la transparence et
l’échange de renseignements à des fins fiscales, qui réunit en 2021 162
pays. Le forum identifie les États qui, bien que s’étant engagés à respecter
les standards internationaux, ne donnent pas satisfaction.
Le forum mondial organise en effet une « revue par les pairs », destinée à
faire progresser ses membres vers la transparence et à exercer une amicale
pression sur ceux qui en sont éloignés. La revue repose sur deux phases :
– phase 1 : évaluation du cadre juridique et réglementaire de la
juridiction, s’agissant de la transparence et de l’échange d’information
en matière fiscale. Il s’agit d’évaluer les lois domestiques ainsi que les
accords conclus par la juridiction concernée en matière d’échange de
renseignements ;
– phase 2 : évaluation de la mise en œuvre des normes dans la pratique.
Même si des instruments internationaux sont en place ainsi qu’un
cadre juridique domestique solide, l’efficacité de l’échange de
renseignements dépend en effet de la pratique des autorités
compétentes. Une équipe d’évaluation conduit une visite sur place,
pour permettre un examen significatif du traitement des demandes de
coopération administrative, de la fiabilité des informations échangées
et de l’efficacité des processus internes.
Ces deux phases se reproduisent dans deux cycles de revues par les pairs :
le premier, commencé en 2010, vérifie l’échange d’information sur
demande (norme EOIR). Le deuxième cycle est prévu pour s’étendre de
2016 à 2022 et vérifie l’échange automatique d’information (norme AEOI,
pour échange automatique de renseignements financiers).
Dans le cadre du premier cycle d’examens, 116 États et territoires ont été
évalués13. 108 d’entre eux ont obtenu la note « conforme » (dont la France)
ou « conforme pour l’essentiel » (catégorie qui regroupe des pays aussi
différents que l’Allemagne, la Suisse et les Îles Vierges britanniques). 7 sont
« partiellement conformes », comme la Turquie. Enfin, 1 est « non
conforme » (Trinité-et-Tobago).
Dans le cadre du second cycle d’examens, la phase 1 a permis de constater
que 88 % des 100 pays qui se sont engagés dans l’échange automatique
d’information disposaient d’un cadre juridique satisfaisant fin 2020.
b Des résultats tangibles, qui doivent progresser grâce
à l’échange automatique d’information
De nombreux États ou territoires, dans lesquels d’importantes déficiences
avaient été constatées, ont engagé des réformes pour se conformer aux
attentes internationales. Certes, le développement des accords de
coopération ne préjuge pas de leur portée et de leur effectivité. Trop
souvent, en pratique, pour obtenir d’un État un renseignement sur un
contribuable, il faut déjà connaître la réponse car la demande doit être
formulée de manière très précise. Certains pays ne disposent pas non plus
de toutes les capacités techniques pour satisfaire la demande.
En 2013, la Suisse a modéré son secret bancaire, comme en ont témoigné
les informations transmises à la France dans le cadre de l’affaire Cahuzac14.
Ce revirement doit beaucoup au contexte de la loi américaine FATCA
(Foreign Account Tax Compliance Act), entrée en vigueur en 2014, que les
États-Unis ont imposé au monde à travers des accords bilatéraux. Ces
derniers ont pour objet d’organiser un échange automatique d’informations
sur les revenus et les comptes bancaires que les Américains détiennent à
l’étranger, sous peine de représailles économiques. À ce stade, les États-
Unis ne sont cependant pas en mesure de garantir que cet échange soit
réciproque, certains de ses États fédérés tel le Delaware étant incapables de
recenser les informations exigées par les États-Unis à l’étranger…
Passer de l’échange « sur demande » à l’échange « automatique »
d’informations est le nouvel axe de progrès de la lutte contre les paradis
fiscaux. Concrètement, si la Suisse, par exemple, fournit à la France chaque
année un tableau Excel comportant les données relatives aux comptes
bancaires détenus par des résidents français en Suisse, cacher des avoirs
dans ce pays n’est pratiquement plus possible. L’échange automatique
permet de ne plus être dépendant des informations dont on dispose et de
rendre le processus d’échange d’informations plus rapide et efficace, sous
réserve de pouvoir exploiter les informations transmises.
Le 29 octobre 2014, 51 juridictions ont signé sous l’égide du forum mondial
de l’OCDE un « accord multilatéral entre autorités compétentes », en vue
de généraliser sur une base partagée l’échange automatique d’information.
En effet, ce dernier n’a de sens que s’il est largement pratiqué par les États à
travers le monde. Et, à l’évidence, une convention multilatérale est une
solution plus efficace que la multiplication de stipulations ad hoc dans les
conventions bilatérales. Cet accord engage ses signataires à mettre en œuvre
l’échange automatique de renseignements. Les premiers échanges ont eu
lieu en septembre 2017.
Dès lors que l’échange automatique fait l’objet du second cycle d’examens
par les pairs dans le cadre du forum mondial, il devient le nouveau
« standard » à respecter. Les pays qui resteraient en dehors de ce processus
devraient, à terme, être désignés comme des paradis fiscaux. En l’absence
de respect de la nouvelle norme d’échange automatique, des sanctions
pourront être envisagées par la France, en ajoutant les pays concernés à la
liste des ETNC15.
Au sein de l’Union européenne également, l’échange d’information est
devenu automatique et obligatoire depuis septembre 2017. Il reste
maintenant à l’administration française à exploiter l’ensemble des données
obtenues via l’échange d’informations automatique, en les croisant avec les
déclarations des contribuables.
Selon l’OCDE, les programmes de régularisation volontaire, les contrôles
fiscaux appuyés sur la coopération administrative internationale et autres
mesures du même ordre mises en œuvre depuis 2009 ont permis d’identifier
plus de 107 Md€ de recettes fiscales supplémentaires à fin 2020.
c L’objectif ultime : relocaliser la matière taxable
Selon le G20 de Saint-Pétersbourg de septembre 2013, « les profits doivent
être taxés là où se situe l’activité économique permettant la réalisation de
ces profits et de la création de valeur ». Tel est bien l’objectif qui doit être
poursuivi afin que la concurrence autour de la fiscalité des bénéfices reste
équitable et ne conduise pas à localiser artificiellement les bénéfices là où
les taux d’imposition sont les plus bas.
Le G20 a ainsi approuvé le plan d’action défini par l’OCDE en juillet 2013
contre l’érosion des bases en matière de fiscalité des entreprises et les
transferts de bénéfices (Base Erosion and Profit Shifting – BEPS). En
octobre 2015, l’OCDE a remis des rapports pour chacune des 15 actions
composant ce plan. Ces rapports formulent des propositions que les États
sont invités à mettre en œuvre en adaptant leur législation et leurs
conventions bilatérales. Afin de mettre en œuvre plus rapidement les
mesures du plan d’action, elles ont été transcrites dans une Convention
multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions
fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de
bénéfices signée le 7 juin 2017. Cette convention BEPS modifie
directement les conventions bilatérales conclues par ses signataires, sous
réserve que ces derniers notifient auprès des autres États cocontractants leur
décision de modifier les différentes conventions bilatérales. La convention
multilatérale BEPS offre une grande souplesse, en permettant aux
signataires de choisir les conventions bilatérales qu’ils souhaitent modifier
et les articles de la convention multilatérale qu’ils souhaitent appliquer, de
formuler des réserves ou dans certains cas de former des options16. En
2021, plus de 90 États avaient ratifié la convention, dont la France, où elle
est entrée en vigueur au 1er janvier 2019.
Un premier ensemble d’actions du plan BEPS vise à lutter contre les abus :
neutraliser les effets des montages hybrides, qui consistent par exemple à
déduire dans un pays des intérêts d’emprunt qui sont considérés dans l’autre
pays comme des dividendes et y échappent par conséquent à l’impôt (action
2), lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables, par
exemple en encadrant le ruling17 (action 5), empêcher l’utilisation abusive
des conventions fiscales, qui repose sur des divergences de qualification
entre États (action 6), empêcher les mesures visant à éviter artificiellement
le statut d’établissement stable (action 7), accroître l’efficacité des
mécanismes de règlement des différends (action 14).
Une deuxième série d’actions porte spécifiquement sur les prix de transfert,
qui sont l’instrument le plus évident pour délocaliser des bénéfices sous les
cieux fiscaux les plus cléments : faire en sorte que les prix de transfert
calculés soient conformes à la création de valeur, en ce qui concerne la
facturation des biens incorporels (action 8), des risques et du capital (action
9), ainsi que des autres transactions à haut risque (action 10), réexaminer la
documentation des prix de transfert (action 13).
Un autre objectif est de renforcer le contrôle et la connaissance des
opérations économiques internationales : renforcer les règles relatives aux
sociétés étrangères contrôlées (action 3), mettre au point des méthodes
permettant de collecter et d’analyser des données sur l’érosion de la base
d’imposition et le transfert de bénéfices (action 11), obliger les
contribuables à faire connaître leurs dispositifs de planification fiscale
agressive (action 12).
D’autres actions ont une portée plus large et visent à adapter la fiscalité aux
évolutions économiques voire à harmoniser les règles fiscales nationales :
relever les défis fiscaux posés par l’économie numérique qui, dans le cadre
des règles fiscales actuelles, facilite la délocalisation de la matière taxable
(action 1), limiter l’érosion de la base d’imposition via les déductions
d’intérêts et autres frais financiers (action 4).
Certaines de ces actions ont été mises en œuvre de manière harmonisée au
niveau européen à travers la directive ATAD du 12 juillet 2016 (cf. supra).
d La difficile taxation du numérique et des multinationales
Les travaux BEPS se poursuivent au niveau de l’OCDE, au sein d’un
« cadre inclusif », tout particulièrement sur le défi du numérique qui n’a pas
encore donné lieu à des mesures ambitieuses.
Un accord politique était attendu en juillet 2021 sur de nouvelles règles
fiscales applicables aux grandes entreprises multinationales, fondées sur
deux « piliers ». Concrètement, il s’agit de modifier la répartition des droits
d’imposer les bénéfices de ces entreprises, telle qu’elle est
traditionnellement prévue par les conventions fiscales bilatérales.
Le pilier 1 réviserait la règle d’allocation des bénéfices afin qu’une partie
du bénéfice des entreprises multinationales revienne aux « juridictions de
marché », c’est-à-dire aux pays où ces entreprises déploient leur activité.
Ces pays imposeraient le « surprofit » éventuel de ces entreprises et la
rémunération « juste » des fonctions de distribution et de marketing qui y
sont établies. Est plus particulièrement visé le secteur du numérique. La
France ne gagnerait pas forcément grand-chose à cette mesure, compte tenu
de ce qu’elle dispose elle-même de nombreuses grandes entreprises actives
à l’international et ayant leur siège en France18.
Le pilier 2, aussi appelé Global Anti-Base Erosion (Globe), va au-delà du
plan d’action de l’OCDE, dont il comble les trous : quand une entreprise
échappe à une juste taxation, dans la mesure où elle bénéficie à l’étranger
de taux d’imposition effectifs inférieurs à un taux minimal (qui pourrait être
de 15 %), l’État de siège pourrait ajouter une taxation compensatrice. En
somme, le pilier 2 vise à réduire les transferts de bénéfices indus en
déterminant un niveau minimum global d’imposition des groupes
multinationaux, ce qui neutralise pour partie la concurrence fiscale
déloyale. La France a davantage intérêt à cette mesure, même si son impact
réel reste encore incertain, d’autant plus que les pays à fiscalité faible
pourraient augmenter leurs taux d’imposition pour le porter au minimum…
ou ne pas ratifier cette règle. Selon l’OCDE, il résulterait du pilier 2 une
hausse des recettes mondiales d’IS de 4 % (100 Md$).
Si accord politique il y a, il devra ensuite être transcrit dans une convention
multilatérale, laquelle devra ensuite être ratifiées. Ces mesures ne
commenceraient ainsi à produire leurs effets que dans plusieurs années.
En cas d’accord, la France s’est néanmoins engagée à retirer sa taxe sur les
services numériques (TSN) qui s’est appliquée pour la première fois au titre
de l’année 2019.
De son côté, l’Union européenne envisage d’instituer une taxe sur le
numérique19 à titre pérenne, indépendamment des résultats des travaux de
l’OCDE, pour en faire une nouvelle ressource propre de l’Union (cf.
chapitre 19). Ce projet, qui s’inscrirait aussi dans l’harmonisation
européenne de la fiscalité indirecte, ne pourra néanmoins voir le jour que
s’il réunit l’unanimité des États membres, ce qui est loin d’être acquis.
La TSN consiste à taxer au taux de 3 % les recettes brutes tirées de certains
services fournis par les grandes entreprises du secteur numérique qui tirent
une part significative de leurs revenus de la participation d’internautes
localisés sur le territoire national (services de ciblage publicitaire et services
d’intermédiation numériques telles les places de marché du commerce en
ligne). En taxant les recettes brutes et non le bénéfice net, cette taxe devrait
échapper aux règles de territorialité résultant des conventions fiscales (cf.
chapitre 5) mais appréhende moins bien les facultés contributives des
entreprises. Seules sont imposables les grandes entreprises, qui réalisent au
titre de ces services numériques au moins 750 M€ de chiffre d’affaires au
niveau mondial et au moins 25 M€ en France. Sont ainsi notamment visés
les « GAFA ». Cette taxe a rapporté moins de 300 M€ en 2019 mais son
assiette devrait être dynamique.
Dans un pays comme la France, où le niveau de dépenses publiques est
particulièrement élevé, la concurrence fiscale a des effets indésirables : le
niveau relativement élevé de la fiscalité pesant sur les entreprises est à
l’origine d’une fuite de la masse taxable à l’impôt sur les sociétés. La
France a donc a priori intérêt à une diminution de la concurrence fiscale et
donc à une plus forte harmonisation.
Les paradis fiscaux sont à l’origine d’une concurrence particulière,
parfaitement déloyale. Ils représentent un manque à gagner significatif pour
les finances publiques et autorisent des fraudes choquantes. La lutte efficace
contre la fraude et l’évasion fiscale vers les ETNC suppose certainement
une action répressive, ce qui passe par l’existence et l’utilisation d’un
arsenal juridique et humain adéquat, ainsi que par une action diplomatique
forte et coordonnée.
Pour autant, parallèlement aux efforts pour renforcer la transparence
internationale et relocaliser la matière taxable, la France aura aussi un effort
à faire pour rendre sa fiscalité plus attractive. À défaut, empêcher la
délocalisation de masses taxables risque surtout d’inciter les entreprises et
les particuliers à se délocaliser corps et biens !
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• La concurrence fiscale doit-elle être combattue ?
• L’harmonisation fiscale européenne
• L’attractivité fiscale du territoire
• La lutte contre les paradis fiscaux est-elle efficace ?
• Fraude et évasion fiscales
• La lutte contre l’érosion des bases taxables
• La taxation du numérique
RÉFÉRENCES
Site du forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales.
Site de l’OCDE dédié au projet BEPS.
Cour des comptes, Les services de l’État et la lutte contre la fraude fiscale internationale,
octobre 2013.
CPO, Adapter la fiscalité des entreprises à une économie mondiale numérisée,
septembre 2020.
Conseil d’analyse économique, « Fiscalité internationale des entreprises : quelles réformes
pour quels effets ? », Les notes du conseil d’analyse économique, no 54, novembre 2019.
CHAPITRE 28
L’administration fiscale
NOTIONS À MAÎTRISER
• Taux d’intervention sur l’impôt
• Interlocuteur fiscal unique
• Contrôle fiscal
Longtemps, l’administration fiscale a eu plusieurs visages. C’est moins le
cas depuis la constitution de la direction générale des finances publiques
(DGFiP) en 2008, dans le cadre de la fusion de l’administration des impôts
(ex-direction générale des impôts, DGI) et de celle du Trésor Public1 (ex-
direction générale de la comptabilité publique, DGCP). Avant leur fusion,
ces deux administrations rassemblaient 128 000 ETPT, répartis entre plus
de 5 000 structures. Leur regroupement a été une réforme phare de la
révision générale des politiques publiques (RGPP) de la présidence
Sarkozy, comme un test de la volonté de « faire mieux avec moins ».
Emblématique par l’ampleur des enjeux financiers, matériels et humains, la
fusion l’était aussi par les échecs précédents de la réorganisation des deux
directions générales.
Reste à se demander si la DGFiP accomplit ses missions avec efficience et
quel est le niveau du service rendu à l’usager – et si d’autres regroupements
peuvent être envisagés, notamment avec la DGDDI et les URSSAF, qui
assument également des missions fiscales.
1 Une dynamique de modernisation
et d’amélioration du service aux usagers
1.1 L’éclatement de l’administration fiscale appelait
une réorganisation
a L’éclatement de l’administration fiscale était facteur de sous-
performance
La DGI était chargée de missions exclusivement fiscales. D’une part, elle
avait compétence pour la législation fiscale, l’assiette de l’impôt, c’est-à-
dire la définition des éléments permettant de calculer l’impôt, le contrôle
fiscal et le contentieux fiscal. D’autre part, elle était chargée du
recouvrement de certains impôts, à savoir la plupart des impôts des
professionnels (TVA, IS…).
La DGCP, à côté de missions non fiscales (tenue des comptes de l’État et
des collectivités territoriales notamment), prenait en charge le recouvrement
des autres impôts, soit ceux des particuliers (IR, ISF…) et la fiscalité
directe locale.
Enfin, encore aujourd’hui, d’autres administrations interviennent telles que
la DGDDI, chargée du recouvrement de certaines contributions indirectes
(accises, sur les carburants, droits sur les tabacs…) ainsi que des droits de
douane, et les URSSAF, chargées du recouvrement des prélèvements
sociaux assis sur les revenus d’activité et de remplacement (dont
notamment la CSG) ainsi que des cotisations sociales.
C’est surtout le partage des tâches entre la DGI et la DGCP, qui
intervenaient sur les mêmes impôts, qui a été pointé comme facteur d’un
manque d’efficacité et d’efficience. Selon le rapport établi en 1999 par
l’inspection générale des finances sous la supervision de M. Lépine2, le
taux d’intervention de l’administration fiscale française était excessif. Ce
taux est le coût de gestion de l’impôt ; il est défini par le ratio coût de
l’administration/recettes fiscales.
b Le rapprochement des deux grandes directions à réseau
du ministère chargé du budget a été conduit par étapes
Pourtant, deux grands projets de réorganisation ont subi des échecs, en 1989
et en 2000, en raison des résistances des agents. Outre l’art et la manière de
faire, sans doute insuffisants, l’existence de cultures très différenciées entre
DGI et DGCP et les craintes des uns d’être absorbés par l’autre direction
expliquent les fortes résistances qui ont même conduit, dans le second cas, à
la démission du ministre de l’économie et des finances Christian Sautter en
2000.
Après les deux échecs de 1989 et 2000, une dynamique de rapprochement
plus pragmatique et efficace a été déployée, autour de la notion
d’« interlocuteur fiscal unique » (IFU).
À partir de 2003, les services d’assiette et de recouvrement au sein même
de la DGI ont été rapprochés, de manière à offrir un interlocuteur (presque)
unique aux contribuables professionnels. Ces derniers devaient encore se
tourner vers les services de la DGCP pour les impôts locaux des
professionnels, jusqu’à ce que le recouvrement de ces derniers soit transféré
à la DGI – chose qui fut faite avant 2007.
Les particuliers n’ont pas pu bénéficier de l’IFU avant la fusion, la DGCP
n’assumant pas de mission d’assiette. Cependant le rapprochement des
centres des impôts fonciers (CDIF) et des centres des impôts des
particuliers, qui, encore aujourd’hui, n’a pas été mis en œuvre sur
l’ensemble du territoire, a permis aux contribuables concernés d’avoir un
IFU pour leurs impôts locaux.
1.2 La DGFiP est issue d’une réforme majeure
a La création de la DGFiP en mai 2008 visait à améliorer
le service rendu aux usagers et à réduire les dépenses
Pour aller plus loin dans l’amélioration du service rendu à l’usager, une
réforme plus systémique était nécessaire. La fusion entre DGI et DGCP
était nécessaire pour créer au niveau territorial des services des impôts des
particuliers (SIP) rassemblant les services des deux anciennes directions
générales et ainsi capables de répondre aux questions des particuliers,
qu’elles portent sur l’assiette ou le recouvrement de l’impôt. Les SIP sont
présents dans les espaces urbains. Dans les territoires moins densément
peuplés, les trésoreries, qui émanaient du réseau du Trésor public, ont été
enrichies d’un « accueil fiscal de proximité » permettant de renseigner les
usagers sur les questions d’assiette de l’impôt.
Parallèlement, les services territoriaux chargés de gérer la fiscalité des
professionnels, qui existaient déjà de fait, ont été baptisés services des
impôts des entreprises (SIE).
Outre les contribuables, les collectivités locales bénéficient également d’un
service renforcé. Le conseil fiscal et financier qui leur était dispensé par
leur comptable a en effet été enrichi des compétences fiscales des services
de la DGI.
Le second objectif de cette réforme majeure de l’État était de contribuer à la
réduction des dépenses, en mutualisant les fonctions supports de la nouvelle
direction générale et en dégageant des synergies. Au-delà de la règle RGPP
du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, c’est
un ratio de deux sur trois qui a été appliqué à la DGFiP. C’est une réduction
sensible des effectifs qui a été mise en œuvre. De 140 000 agents en 2002,
la DGFiP est passée à 115 400 agents en 2012, année où la fusion a été
achevée.
S’agissant enfin des agents de la DGFiP, de nouvelles perspectives
professionnelles leur ont été offertes : environnement professionnel plus
vaste, statuts unifiés sur une base favorable, perspectives de carrière
élargies.
b La DGFiP a été progressivement mise en place de 2007
à 2012
La fusion a débuté par les structures et s’est poursuivie par les règles
concrètes. C’est d’abord l’administration centrale, au niveau du « siège
social », qui a été fusionnée. La DGFiP a été officiellement créée par le
décret du 3 avril 2008, avec à sa tête un directeur général unique, placé sous
l’autorité du ministre du budget.
Au niveau central, l’organigramme de la DGFiP comporte aujourd’hui huit
services, qui dépendent directement du directeur général Jérôme Fournel et
de son adjoint unique – selon un modèle d’organigramme inspiré de celui
de la direction générale du Trésor, elle aussi issue d’une fusion. S’y ajoutent
la direction de la législation fiscale (DLF), administrativement rattachée à la
DGFiP mais qui est placée sous l’autorité directe du ministre de l’économie
et des finances et est autonome d’un point de vue opérationnel, ainsi que la
direction de l’immobilier de l’État (ex-service France Domaine).
Après l’administration centrale, c’est l’administration déconcentrée qui a
été réorganisée. Progressivement, de 2008 à 2012, les directions des
services fiscaux et les trésoreries générales ont été constituées en directions
départementales (ou régionales) des finances publiques3. Leurs directeurs
relèvent du corps des administrateurs des finances publiques, souvent
critiqué pour ses hautes rémunérations, au grade d’administrateur général.
Parallèlement, au niveau infra-départemental, 710 SIP ont été constitués
entre 2008 et 2012, faisant du guichet fiscal unique pour les particuliers une
réalité. Dans chaque département a aussi été mis en place un pôle de
recouvrement spécialisé (PRS), compétent pour les impôts des particuliers
comme des professionnels.
La fusion des statuts, entrée en vigueur en 2011, s’est traduite par la
création de nouveaux corps, tel celui des inspecteurs des finances
publiques, en lieu et place des corps propres aux deux anciennes directions
générales.
S’agissant enfin des outils et règles propres aux différentes missions de la
DGFiP, leur harmonisation a été engagée. Ainsi, les règles juridiques en
matière de recouvrement forcé ont été unifiées à partir de 2011. En
revanche, la fusion des applications informatiques et des organisations
comptables en la matière est un travail de long terme. Le recouvrement des
impôts des professionnels et des particuliers, qui était géré par deux
systèmes comptables différents, n’est géré par une application informatique
unique (RSP, pour refonte des systèmes de paiement) que depuis 2021. Pour
aller plus loin, un guichet unique départemental du recouvrement forcé va
être expérimenté dans quatre départements à partir de 2021/2022, afin
qu’un même débiteur ne soit pas poursuivi par plusieurs postes comptables,
ce qui tendrait à spécialiser la fonction de recouvrement au sein des services
territoriaux la DGFiP.
2 De nouveaux défis s’annoncent pour la DGFiP
et le ministère des finances
2.1 La DGFiP devra distribuer les dividendes attendus
de la fusion
En 2018, la Cour des comptes a publié un rapport intitulé « La DGFiP, dix
ans après la fusion », dans lequel elle dresse un bilan contrasté de la
réforme, tant en matière de qualité de service que d’efficience. Elle invite à
une véritable transformation de la DGFiP, afin d’améliorer le service rendu
et de réduire les coûts.
Les objectifs assignés à la DGFiP sont notamment le gain d’efficience, la
qualité de service et l’amélioration de l’efficacité du recouvrement, de la
lutte contre la fraude fiscale et du traitement des dépenses.
a Des économies peuvent encore être dégagées, à la faveur
de la simplification et de la dématérialisation
Le paradoxe est que la DGFiP a diminué ses coûts et, surtout, ses effectifs,
sans réellement s’appuyer sur des réformes fondamentales, telle une
rationalisation de son réseau physique ou de ses procédures « métier ». Cela
conduit à une tension dans les effectifs aujourd’hui, mais ouvre surtout des
perspectives de nouvelles économies.
Un des objectifs assignés à la DGFiP par le projet annuel de performance
du programme 156 annexé au PLF 2021 est d’accroître son efficience,
c’est-à-dire maîtriser ses coûts. À cette fin doivent notamment être
envisagés la rationalisation de son organisation et de ses structures, le
recours à la dématérialisation et des mesures de simplification de ses
processus.
Jusqu’en 2013, la réduction des effectifs n’a pas permis d’économies nettes.
La revalorisation des grilles à la faveur d’un alignement par le haut des
statuts des corps de la DGFiP ainsi que la progression des effectifs de la
catégorie A+ (repyramidage) expliquent que les dépenses de personnel de la
DGFiP aient augmenté de près de 9 % en valeur entre 2007 et 2013.
Depuis 2013, à l’inverse, les suppressions d’emploi touchent de manière
relativement homogène l’ensemble des catégories, plus particulièrement la
catégorie A+. En 2021, les effectifs de la DGFiP sont passés à environ
98 000 ETPT. Entre 2013 et 2021, les dépenses de personnel du programme
156 ont baissé de 8 %.
La maîtrise des dépenses de personnel est l’un des éléments qui permet de
réduire le taux d’intervention sur l’impôt, qui constitue l’un des objectifs de
performance du programme 156 (cf. tableau 1). Entre 2011 et 2021, il
devrait avoir diminué sensiblement, passant de 1,02 à 0,79, soit une baisse
de plus de 20 %.
Tableau 1 : Taux d’intervention sur l’impôt de la DGFiP (sous-indicateur de performance
du programme 156)
2011 2019 2020 2021 2023
Unité
Réalisation Réalisation Réalisation Prévision Cible
Taux
d’intervention % 1,02 0,79 0,77 0,79 0,71
sur l’impôt
Source des données : RAP et PAP du programme 156 (Gestion fiscale et financière de
l’État et du secteur public local).
Pour atteindre cet objectif, la DGFiP met en œuvre une démarche
ambitieuse de simplification. En associant les agents à sa conception, son
objectif est double : améliorer leurs conditions de travail et simplifier les
démarches des usagers de la DGFiP et les relations avec ses partenaires
(collectivités territoriales, Banque de France…). Ce faisant, les tâches de
l’administration et les contraintes des contribuables sont allégées, comme
l’atteste la suppression, depuis 2013, de l’obligation de joindre des pièces
justificatives aux déclarations de revenus.
La simplification va de pair avec la dématérialisation, ainsi que l’illustre la
progression de la télédéclaration et le PAS de l’IR (cf. notamment chapitre
23). Cette démarche s’inscrit également dans l’amélioration de la qualité de
service de la DGFiP.
b La DGFiP est invitée à se transformer davantage
Parmi les critiques formulées par la Cour des comptes à l’endroit de la
DGFiP figurent les limites à l’amélioration de la qualité de service qui
devait résulter de la fusion de la DGI et de la DGCP.
S’agissant des particuliers, l’IFU n’est pas considéré comme effectif dans
les zones rurales, dans la mesure où les trésoreries ne peuvent pas répondre
à l’ensemble des besoins des contribuables, à la différence des SIP. Par
ailleurs, la qualité de l’accueil physique dans les zones urbaines modestes,
dans lesquelles les habitants ont encore l’habitude de venir au guichet, est
jugée insuffisante, de même que la qualité de l’accueil téléphonique.
S’agissant du service procuré aux collectivités locales, des marges de
progression apparaissent dans la gestion de la fiscalité directe locale et
notamment dans l’actualisation des valeurs locatives foncières, ainsi que
dans la qualité des comptes des collectivités par la DGFiP.
La Cour des comptes déplore également les rigidités qui freinent la capacité
d’adaptation de la DGFiP, comme l’ancienneté de ses systèmes
d’information4, la densité de son maillage territorial qui compte encore plus
de 4 000 implantations, y compris 1 600 petites trésoreries comptant moins
de 10 agents et n’ayant de ce fait pas la masse critique nécessaire pour
fournir un service répondant aux attentes, ou encore la rigidité des règles de
gestion, tout particulièrement en termes de mobilité géographique et
d’avancement de carrière.
Afin d’accroître la performance de la DGFiP, le gouvernement s’est engagé
dans une démarche de changement en ce qui concerne tant la manière dont
elle prend en charge ses missions que le périmètre de celles-ci. Cette
démarche s’inscrit ainsi dans le chantier « Action publique 2022 », qui
conduit à envisager de nouvelles réformes de structure (cf. infra 2.2).
Une amélioration du service rendu aux contribuables combinée à de
nouvelles économies de gestion conduit ainsi à développer l’offre de
services en ligne et à professionnaliser l’accueil téléphonique, l’accueil
physique devant être limité aux cas les plus complexes et aux contribuables
rencontrant des difficultés d’accès ou d’utilisation des services
dématérialisés. Ces derniers peuvent d’ailleurs s’adresser en premier lieu à
France Services, guichet unique de proximité présent sur l’ensemble du
territoire et qui donne accès dans un seul et même lieu aux principaux
organismes de services publics, dont la DGFiP. Les maisons France
Services apportent ainsi un soutien pour la déclaration de revenus.
La rationalisation des structures physiques devrait aller de pair avec la
numérisation accrue de l’administration fiscale. Si le nombre de SIP (plus
de 600) apparaît adapté, des trésoreries devraient être regroupées, le cas
échéant dans le cadre de France Services. Le nombre de SIE (plus de 500)
paraît également élevé compte tenu de ce que les relations entre entreprises
et administration fiscale sont désormais largement dématérialisées. La Cour
des comptes recommande également de remplacer les 354 services de
publicité foncière (qui tiennent le fichier de la propriété immobilière) par un
service à compétence nationale, la dématérialisation en cours des relations
avec les notaires ouvrant la perspective de gains d’efficience. Si la DGFiP
n’a pas suivi cette recommandation dans sa radicalité, elle a néanmoins
engagé un mouvement de fusion des services de publicité foncière, afin
d’avoir en 2021 un seul service par département, sauf cas particuliers.
De nouvelles initiatives, comme l’expérimentation du compte financier
unique (cf. chapitre 14), vont dans le sens d’une amélioration du service
rendu aux collectivités locales. Sur ce point, la Cour recommande
néanmoins aussi de redimensionner l’offre de services de la DGFiP à celles-
ci, qui est coûteuse alors que les prestations de conseil financier notamment
sont peu sollicitées, notamment par les grandes collectivités. En
conséquence, la DGFiP a mis en place les conseillers aux décideurs locaux
(cf. chapitre 13).
S’agissant des moyens humains et budgétaires dont dispose la DGFiP, la
rénovation de la gestion des ressources humaines, afin d’offrir plus de
souplesse dans les règles de recrutement et de mutation, est en cours. La loi
du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique fournit à cet égard
de nouveaux outils, permettant par exemple de recourir davantage aux
contractuels dans le domaine de l’informatique, où les compétences tendent
à être rares dans l’administration, ce qui induira néanmoins des dépenses de
personnel accrues. Un contrat d’objectifs et de moyens pluriannuel a été
conclu pour les années 2020 à 2022, de manière notamment à garantir à la
DGFiP sa capacité d’investissement en matière de systèmes d’information.
S’agissant enfin de la lutte contre la fraude par incompréhension, c’est-à-
dire la non-observation des obligations fiscales du fait de la
méconnaissance des règles ou de la difficulté à les appréhender, la DGFiP
s’efforce d’améliorer le civisme fiscal. Pour ce faire, elle développe
premièrement une pédagogie des finances publiques, par exemple en
intervenant dans les écoles en partenariat avec le ministère de l’éducation
nationale. Deuxièmement, elle facilite les démarches de l’usager, par leur
simplification (cf. supra) et en rénovant son offre numérique. La
consécration du droit à l’erreur du contribuable, mis en avant par le site
oups.gouv.fr, participe de cette volonté d’accompagner l’usager dans le bon
accomplissement de ses obligations déclaratives, y compris par la
régularisation spontanée d’erreurs involontaires. Troisièmement, elle entend
mettre en valeur le rôle pédagogique du contrôle fiscal, en tenant davantage
compte de la bonne foi des contribuables.
c Le contrôle fiscal est une mission devant concilier efficacité
et confiance
Le contrôle fiscal (cf. encadré 1) poursuit en effet plusieurs objectifs :
s’assurer que les contribuables n’éludent pas d’impôt (finalité budgétaire) et
sanctionner les irrégularités intentionnelles (finalité répressive) mais aussi
inciter l’ensemble des contribuables au civisme fiscal (finalité dissuasive).
La performance de cette mission peut être appréciée au regard des
indicateurs de performance du programme 156. En particulier, le taux de
recouvrement net, qui rapporte les montants recouvrés aux créances de CFE
(contrôle fiscal externe) prises en charge en N – 15, mesure l’effectivité des
conséquences du contrôle fiscal. Le taux cible est de 69 % pour 2023, ce
qui peut paraître faible et même insuffisant au regard des finalités du
contrôle fiscal. Cependant, il tient compte des difficultés de recouvrement
de créances souvent importantes que leurs débiteurs ne sont pas toujours en
état d’acquitter. Pour autant, en 2020, l’indicateur a atteint un taux de
74,6 %. Une meilleure collaboration entre services chargés du contrôle et
du recouvrement et une plus grande réactivité, s’agissant notamment des
fraudes internationales à la TVA, sont essentielles à la bonne tenue de cet
indicateur.
Par ailleurs, pour consolider le civisme fiscal et renforcer la sécurité
juridique des entreprises, la DGFiP a déployé en 2014 un « plan d’action
pour un contrôle citoyen avec les entreprises ». Il s’agit d’instaurer un
climat de confiance mutuelle entre les services chargés du contrôle fiscal et
les entreprises contrôlées. La DGFiP s’est ainsi engagée à mieux informer
les entreprises des évolutions du droit fiscal, ainsi qu’à faire œuvre de
prévention en publiant les montages qu’elle regarde comme des montages
abusifs, afin que les redevables puissent régulariser spontanément leur
situation fiscale.
ENCADRÉ 1
ENCADRÉ 1
Le contrôle fiscal et ses outils
Le contrôle fiscal se distingue de la sanction : l’expression vise les opérations visant à
détecter les irrégularités et la fraude fiscales, c’est-à-dire la non-application ou la mauvaise
application de règles fiscales par le redevable, au détriment des deniers publics.
Si la définition de la politique du contrôle est de la responsabilité du ministre chargé du
budget, son application à des situations individuelles est déléguée au maximum aux
services, le ministre ne statuant que sur leur proposition. C’est ainsi l’administration qui
programme les contrôles, le ministre étant simplement informé des dossiers les plus
importants.
Au niveau administratif, cette mission est pilotée par le service du contrôle fiscal de la
DGFiP et mis en œuvre par divers services spécialisés, à compétence nationale ou
territoriale, et par les services territoriaux généralistes.
Le contrôle fiscal prend différentes formes
Le contrôle fiscal est assuré via des procédures spécifiques, différentes selon les catégories
de contribuables (particuliers et professionnels), et qui peuvent se dérouler depuis le
bureau ou sur place :
– contrôle sur pièces (CSP) pour les entreprises et les particuliers : examen, depuis le
bureau, de la cohérence des déclarations des contribuables avec d’autres informations
détenues ou sollicitées par l’administration fiscale. Si le CSP n’appelle pas de question,
le contribuable ignorera avoir été contrôlé ;
– contrôle fiscal externe (CFE) : procédure plus approfondie, qui porte sur l’intégralité de
la situation fiscale du contribuable. Pour les particuliers, on parle d’examen de la
situation fiscale personnelle (ESFP). Pour les entreprises, il s’agit soit d’une vérification
de comptabilité, qui a lieu dans les locaux de l’entreprise, soit, depuis 2017, d’un
examen de comptabilité, qui est effectué à distance sur la base de la comptabilité
informatisée fournie par l’entreprise et dans le cadre duquel les contribuables vérifiés
bénéficient des mêmes garanties que pour la vérification de comptabilité. La vérification
et l’examen peuvent revêtir un caractère général ou être plus ciblés. Les contribuables
sont avertis préalablement du CFE.
En 2020, les droits et pénalités émis suite à contrôle fiscal s’élèvent au total à 8,2 Md€
(contre 12 Md€ en 2019). 365 000 contrôles ont été menés, dont près d’un tiers ont été
programmés sur la base de l’analyse de données de masse (datamining).
L’administration fiscale dispose d’un arsenal complet d’outils législatifs et
informatiques pour mener à bien le contrôle fiscal
Plusieurs possibilités sont offertes à l’administration pour obtenir des informations
supplémentaires :
– demandes directes aux contribuables (éclaircissements ou justifications). En l’absence de
réponse, une taxation d’office peut être mise en œuvre dans certains cas ;
– le droit de communication (art. L. 81 du livre des procédures fiscales, LPF) permet à
l’administration fiscale de solliciter des renseignements auprès de tiers (autres
administrations publiques, banques, assurances…) ;
– le droit de visite et de saisie (art. L. 16 B du LPF) autorise, en cas de présomption de
fraude, à visiter les locaux professionnels et privés des contribuables et de saisir des
documents relatifs à des agissements frauduleux ;
– l’assistance administrative peut être sollicitée auprès des administrations étrangères, au
sein de l’Union européenne ou dans les pays liés par une convention (cf. chapitre 27).
Des outils informatiques permettent d’organiser les contrôles :
– l’administration dispose d’informations relatives à la situation personnelle, économique
et fiscale des contribuables grâce à divers fichiers, tel FICOBA (fichier des comptes
bancaires ouverts en France) ;
– des applications (SIRIUS) permettent d’effectuer des recoupements entre les
informations disponibles pour identifier les contribuables « à risque » (exemple :
patrimoine élevé mais absence de revenu), mais aussi de calculer les montants rappelés
pris en charge par les services (application « conséquences financières ») ;
– depuis 2014, de manière plus élaborée, le service du contrôle fiscal met en œuvre une
nouvelle démarche d’analyse prédictive (« datamining ») pour automatiser et améliorer
le processus de sélection des dossiers en s’appuyant sur des données internes à la DGFiP
et externes, le but étant d’identifier les fraudes les plus importantes et les plus
complexes.
Les responsables de manquements à l’égard des obligations fiscales s’exposent à des
sanctions de différentes natures :
– sanctions administratives : au rappel de droits (l’impôt qui aurait dû être normalement
émis si les obligations avaient été respectées) et aux intérêts de retard (qui réparent un
préjudice financier) s’ajoutent des pénalités, plus ou moins élevées selon le degré de
fraude et de mauvaise foi (par exemple 40 % des droits en cas de manquement
délibéré) ;
– sanctions pénales en cas de fraude : l’administration fiscale peut déposer plainte en cas
d’infraction pénale en matière fiscale (délit de fraude fiscale). Elle est la seule habilitée à
le faire mais la saisine du parquet est désormais automatique pour les fraudes graves
(par exemple : manquement délibéré en récidive) d’un montant supérieur à 100 000 €
(art. L. 228 LPF). En 2019, plus de 1 800 dossiers ont été transmis à l’autorité judiciaire
par la DGFiP dont 965 dénonciations obligatoires.
2.2 Le ministère des finances peut envisager
de nouvelles réformes de structures
a L’articulation entre la DGFiP et d’autres administrations telle
la DGDDI évolue
L’unification du recouvrement au sein de la DGFiP pourrait encore se
poursuivre. De nombreux impôts, pas nécessairement d’un poids important,
sont suivis et recouvrés par d’autres ministères que ceux chargés du budget
et des affaires sociales. Si des raisons objectives ou historiques justifient cet
état de fait, par exemple pour les taxes d’aviation civile, force est de
constater qu’il en résulte un manque de cohérence de la politique fiscale –
qui est normalement du ressort du ministre des finances – et une
déperdition de moyens. Dans certains cas, par exemple pour la taxe de
séjour directement recouvrée par les communes, la compétence limitée de la
DGFiP contribue à un recouvrement insatisfaisant de l’impôt.
Au sein même du ministère chargé du budget, la DGDDI (cf. encadré 2) est
également chargée de missions fiscales pour certains impôts indirects :
participation à la législation fiscale, en lien avec la direction de la
législation fiscale, application et interprétation de la loi fiscale, gestion,
recouvrement et contrôle de l’impôt.
Ainsi, la LFI 2021 organise le transfert à la DGFIP d’ici fin 2022 de la
gestion des taxes d’urbanisme, précédemment gérées par le ministère
chargé de l’urbanisme. Ces taxes représentent près de 2 Md€. Ce transfert,
décidé par la circulaire du 12 juin 2019 du Premier ministre relative à la
mise en œuvre de la réforme de l’organisation de l’État, s’inscrit dans le
cadre de l’optimisation de l’organisation des services territoriaux de l’État
et contribue à l’unification des missions de gestion de l’impôt au sein de la
DGFiP. On en attend une modernisation du processus de collecte (peu
dématérialisé) et le développement de synergies avec la gestion des impôts
fonciers, ce qui pourrait permettre à la DGFiP de mieux mettre à jour les
valeurs locatives cadastrales des évolutions du bâti.
En 2020, elle a recouvré, outre les droits de douane, 76 Md€ de recettes
fiscales : accises et certaines autres contributions indirectes, la TGAP, la
TVA sur les produits importés des pays tiers à l’Union européenne et la
TVA sur les produits pétroliers. À noter que la DGDDI est compétente pour
des impôts de création récente telles les cotisations sur les boissons à sucres
ajoutés et sur les boissons contenant des édulcorants (depuis 2012). C’est
également la douane qui aurait dû recouvrer, en s’appuyant sur le prestataire
Ecomouv’, la taxe poids lourds dont la mise en place était prévue en 2014 et
à laquelle il a été renoncé sur fond de vives protestations. Elle assure sa
mission de recouvrement avec efficience, puisque son taux d’intervention
est faible, avec 0,45 % en 2020, mais 0,39 % en 2019.
Cependant, la DGDDI va progressivement transférer de 2021 à 2024 ses
missions fiscales à la DGFiP, dans la même logique d’unification de la
gestion de l’impôt, qui renforce le rôle d’interlocuteur fiscal unique de la
DGFiP auprès des professionnels. Ainsi, la gestion de la TVA sur les
produits pétroliers et de la TGAP est transférée dès 2021. Par la suite seront
transférées la TVA à l’importation et les taxes énergétiques sur l’électricité,
le gaz et le charbon (2022), les amendes douanières (2023) et les accises sur
les tabacs, alcools et carburants (2024). Ce mouvement est conforme aux
recommandations de la Cour des comptes qui, dans son rapport public
annuel de 2014, plaidait très résolument en ce sens, considérant que la
DGDDI assumait mal ses missions6.
ENCADRÉ 2
La direction générale des douanes et droits indirects
Les missions de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) sont définies
par l’article 2 du décret du 26/11/2007.
La DGDDI exerce des missions de police et contrôle : elle est notamment chargée de
fluidifier et de sécuriser les échanges économiques, au niveau national, international et
européen, en particulier en luttant contre la fraude. Elle veille à la protection de la sécurité
et de la santé publiques, ainsi que de l’environnement.
Elle exerce aussi une mission fiscale puisqu’elle perçoit des taxes et droits indirects pour le
compte de l’État, des administrations de Sécurité sociale et de l’Union européenne.
La DGDDI assume également des missions d’ordre économique, à savoir le soutien à la
compétitivité économique des entreprises (mission de conseil) et la conception de
statistiques.
b Vers une agence unique du recouvrement ?
Dans le cadre du plan de transformation « Action publique 2022 » du
ministère de l’action et des comptes publics, il est prévu « d’aller vers une
agence unique de recouvrement des prélèvements sur les entreprises ».
Le regroupement envisagé du recouvrement des prélèvements sur les
entreprises ne se limite pas aux deux directions générales de Bercy que sont
la DGFiP et la DGDDI mais s’étend aussi au réseau des URSSAF7,
lesquelles sont chargées des cotisations sociales, de la plupart des
prélèvements sociaux sur les revenus d’activité et de remplacement, ainsi
que de plusieurs autres taxes sur les salaires, tel le versement transport.
Les contours de ce projet d’agence restent néanmoins à préciser. Il ne
s’agirait en effet pas nécessairement de fusionner les structures qui relèvent
actuellement de la DGFiP, de la DGDDI et des URSSAF, qui consacrent
ensemble plus de 35 000 agents aux missions de recouvrement. Il pourrait
plus simplement s’agir de créer une structure centrale dotée d’un portail
commun, de manière à assurer un interlocuteur fiscal vraiment unique aux
entreprises. Il s’agit d’un projet de long terme, qui aurait vocation à se
prolonger après 2022.
La constitution de la DGFiP a démontré qu’il était possible de restructurer
des administrations importantes. Bien que des dividendes aient d’ores et
déjà été tirés de cette fusion, qui s’est accompagnée d’une importante
réduction d’effectifs, la révision des processus et des organisations, la
simplification et la dématérialisation offrent des potentialités pour améliorer
structurellement l’efficience et la qualité de service de la DGFiP. La fusion
demeure en outre exemplaire par son ampleur et son succès opérationnel. À
cet égard, elle ouvre de nouveaux horizons au ministère des finances : à
terme, la DGFiP est amenée à être la seule administration fiscale.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• Les contribuables et l’administration fiscale
• La lutte contre la fraude fiscale
• La direction générale des douanes et des droits indirects
• DGFiP, DGDDI et URSSAF : quelle organisation pour recouvrer l’impôt ?
RÉFÉRENCES
Rapports d’activité annuel de la DGFiP : https://www.economie.gouv.fr/dgfip
Résultats annuels de la DGDDI : http://www.douane.gouv.fr/
Cour des comptes, Les relations de l’administration fiscale avec les particuliers et les
entreprises, 2012.
Cour des comptes, Les méthodes et les résultats du contrôle fiscal, 2010.
Cour des comptes, La DGFiP, dix ans après la fusion. Une transformation à accélérer,
juin 2018.
PARTIE 9
LES AUTRES RESSOURCES
PUBLIQUES
La présente partie traite des ressources non fiscales (chapitre 29) et de la dette publique
(chapitre 30), qui représentent des ressources complémentaires à celles procurées par les
prélèvements obligatoires.
CHAPITRE 29
Les ressources publiques
non fiscales
NOTIONS À MAÎTRISER
• Ressources publiques non fiscales
• Produits des participations
• Agence des participations de l’État
• La Caisse des dépôts et consignations
• La Banque publique d’investissement (BPI ou Bpifrance)
• Fonds pour l’innovation et l’industrie (FII)
• Entreprise publique
Par ressources non fiscales, on entend plus largement les recettes des
administrations publiques non constituées de produits régaliens et hors
emprunt. Outre les impositions, peuvent également être exclues les amendes
et autres sanctions, regroupées dans la comptabilité générale de l’État avec
les recettes fiscales1 parce qu’elles procèdent du pouvoir régalien de l’État.
Les ressources dites non fiscales sont ainsi comparables à celles de
personnes privées. Plus particulièrement, les APU n’ayant en principe pas
directement d’activité industrielle ou commerciale, il s’agit essentiellement
de produits de leur patrimoine.
S’il fut une époque où le roi vivait du sien (cf. chapitre 1er), le patrimoine
des APU n’est aujourd’hui pas tel qu’il puisse financer une part
significative des dépenses publiques, dont le niveau est si élevé
(cf. chapitre 2). S’agissant de l’État, la ressource non fiscale la plus
importante est celle tirée de ses participations.
1 Les ressources publiques non fiscales sont
diverses mais d’un poids modeste
Au total, en comptabilité de caisse, les ressources non fiscales sont à
l’origine de 6,2 % des recettes nettes du budget général de l’État en 2020,
soit 16,3 Md€. Certaines recettes ne permettent pas réellement de contribuer
au financement des personnes publiques mais sont destinées à financer
certaines dépenses en particulier, voire relèvent de jeux d’écriture : fonds de
concours, cotisations sociales aux régimes de retraite publics, participations
de tiers à des investissements (par exemple participations financières de
l’Agence de financement des infrastructures de transports de France ou
AFITF, qui est un ODAC financé sur fonds publics)… Nous ne les
évoquerons pas ici et concentrerons le propos sur les ressources contribuant
à la diversification des ressources publiques. On peut distinguer les produits
de fonctionnement, d’une part, et les produits financiers, d’autre part2.
1.1 Les produits de fonctionnement ne contribuent
que faiblement au financement des APU
a Les produits de fonctionnement désignent d’abord les fruits
de la vente de biens et de la prestation de services
Les ventes de produits et marchandises (0,2 Md€ pour l’État en 20203)
correspondent notamment à des ventes de brochures et de documentation.
Les prestations de services rendus par l’État sont plus importantes et
représentent 1,6 Md€. Il s’agit essentiellement des prestations assurées par
la direction générale de l’aviation civile (DGAC), retracées dans le budget
annexe « Contrôle et exploitation aériens », et de celles réalisées dans le
cadre de l’exploitation industrielle des ateliers aéronautiques de l’État. Le
produit des prestations de la DGAC prend notamment la forme de
redevances, en baisse de 1 Md€ en 2020 en raison de la Covid-19. On
relèvera néanmoins que ces recettes ont essentiellement pour objet de
couvrir des coûts et ne génèrent en principe pas de bénéfices.
b Les autres produits de fonctionnement sont un ensemble
de recettes plus diversifiées
Le domaine – public ou privé – des personnes publiques est à l’origine de
recettes au titre de la location ou concession de biens (0,5 Md€ pour l’État)
ou, le cas échéant, de produits de cession (0,3 Md€). À noter que les
redevances domaniales perçues au titre du réseau autoroutier concédé
(0,4 Md€4) sont affectées à l’AFITF. Il faut y ajouter les redevances perçues
au titre des biens immatériels (concessions, brevets, licences, marques,
procédés, logiciels, droits et valeurs similaires), par exemple au titre de
l’utilisation du spectre hertzien. Ces redevances sont à l’origine de 0,8 Md€.
Enfin, on peut citer le remboursement par l’Union européenne des frais
d’assiette et de perception des droits perçus au profit de son budget (0,4
Md€).
1.2 Les produits financiers sont à l’origine de ressources
non négligeables récurrentes
Les produits financiers de l’État (hors reprises sur provisions et
dépréciations) s’élèvent à 18,3 Md€ en 2020 – presque 50 % de plus qu’en
2019 –, soit 0,8 % du PIB. Ils se décomposent entre produits des
immobilisations financières, c’est-à-dire des placements à moyen et long
terme de l’État, et produits qui y sont assimilés. À noter que, parmi les
autres APU, les collectivités territoriales ont également des participations,
notamment dans des sociétés d’économie mixte.
a Les immobilisations financières, si elles sont avisées,
rapportent à leur propriétaire
La source de revenus des immobilisations financières la plus régulière est
constituée des dividendes et assimilés (4,4 Md€, en nette baisse par rapport
à 2019). Les principaux dividendes sont ceux de la Banque de France
(3,4 Md€), qui engrange notamment d’importants montants d’intérêts sur
les obligations qu’elle acquiert dans le cadre de la politique de rachat de
titres conduite par le Système européen des banques centrales, de la Caisse
des dépôts et consignations (CDC) (0,7 Md€) et d’Orange (0,2 Md€).
Malgré les fluctuations, les participations de l’État sont à l’origine de
recettes certes instables mais globalement récurrentes, sauf en 2020 où
beaucoup de sociétés ont renoncé à verser des dividendes.
Les produits des cessions d’actifs sont plus irrégulières, même si l’État fait
désormais un peu « tourner » son portefeuille d’actifs (cf. infra). Ces
produits ne désignent pas les seules plus-values mais le total perçu à
l’occasion de la cession totale ou partielle de participations. Leur montant
est élevé en 2020 (9,7 Md€), essentiellement en raison de la restructuration
du groupe SNCF (SNCF SA ayant été revalorisé) ; qui en réalité a coûté à
l’État.
L’État n’est pas seulement actionnaire mais aussi prêteur, ce qui lui procure
des intérêts modestes. Il accorde en effet des prêts à des États étrangers,
notamment à des pays émergents en vue de faciliter les projets
d’infrastructures et à des pays en développement. Mais il lui arrive aussi
d’annuler ces dettes à l’égard du Soudan en 2021 pour 4 Md€.
b Les activités financières procurent également des ressources
Dans la catégorie des « autres intérêts et produits assimilés », on trouve
d’abord à hauteur de 0,8 Md€ les intérêts versés par les créanciers sur les
bons du Trésor à taux fixe et à intérêt précompté (BTF), dont les taux sont
actuellement négatifs (– 0,56 % en 2020). Chose remarquable, l’État
s’enrichit lorsqu’il emprunte pour couvrir ses besoins de trésorerie.
Plus substantiels sont les produits financiers tirés des garanties que l’État
accorde pour certains prêts ou à certains organismes : en 2020, l’État a ainsi
perçu des commissions de 360 M€ au titre des prêts garantis par l’État
(PGE) pendant la crise.
2 L’État actionnaire représente des enjeux
financiers mais aussi stratégiques
Alors que les produits des immobilisations financières de l’État représentent
la ressource non fiscale la plus significative, des doutes sont parfois émis
quant à la cohérence de la stratégie de l’État actionnaire5, voire quant à sa
légitimité pour intervenir dans un domaine qui ne ressortit pas de ses
missions régaliennes.
2.1 Malgré les privatisations successives, l’État reste
un acteur économique important du pays
a Le secteur public s’est certes rétracté depuis 1986
Fort du préambule à la Constitution de 1946, dont le 9e alinéa dispose que
« tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères
d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la
propriété de la nation », l’État avait pris une place majeure dans l’économie
du pays. Les entreprises publiques, c’est-à-dire les entreprises dont l’État
détient la majorité absolue des titres ou des droits de vote, couvraient
jusqu’à 8 % des emplois du secteur marchand non agricole dans les années
1970 : secteurs des transports, de l’énergie, des banques et assurances…
Une seconde vague de nationalisations a ensuite eu lieu en 1982, avec
plusieurs entreprises industrielles comme la Compagnie de Saint-Gobain,
mais aussi occasionnant une prise de contrôle importante du secteur
bancaire.
Dans le contexte de libéralisation, l’État a toutefois revu le périmètre du
secteur public à compter de 1986, engageant des privatisations et des
ouvertures partielles de capital. Le modèle de l’entreprise publique n’avait
en effet pas convaincu, tant sur le plan de la performance que sur celui de
préoccupations d’intérêt général, et représentait désormais un frein à
l’ouverture internationale. Ce mouvement de désengagement de l’État au
profit d’un recentrage sur sa fonction de régulateur a connu un nouvel élan
avec la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des
entreprises (dite PACTE), laquelle autorise des cessions de participations
publiques pour les sociétés ADP, ENGIE et Française des Jeux. En
novembre 2019, l’État a ainsi cédé 52 % de son capital de la Française des
Jeux.
b L’État demeure un actionnaire de poids dans l’économie
française, voire internationale
Source : https://www.economie.gouv.fr/agence-participations-etat/Les-participations-
publiques
Graphique 1 – Participations de l’État dans des entreprises cotées au 30 juin 2020
Les participations de l’État représentent 122 Md€ de capitaux propres fin
2019, soit 5 % du PIB. À travers des établissements publics ou des sociétés
de droit privé, l’État est engagé dans plusieurs secteurs économiques
(cf. graphique 1), notamment la défense (Airbus, Thales, Safran…),
l’énergie (EDF, ENGIE, Orano, Commissariat à l’énergie atomique…), les
transports (SNCF, Aéroports de Paris, Air France-KLM…) et les médias
(France télévision, Radio France…). Il faut y ajouter les services (La Poste,
Orange, FDJ) et l’industrie automobile (Renault).
Au-delà de ces participations directes, l’État détient des participations
indirectes via la CDC (cf. encadré), dont il est propriétaire, et la Banque
publique d’investissement (BPI ou Bpifrance), dont il est co-actionnaire
avec la CDC.
L’horizon des entreprises publiques françaises n’est pas seulement
hexagonal. Elles revêtent une dimension européenne et internationale, qui
tend même à s’approfondir. Certes, certaines entreprises ont un horizon
structurellement plus restreint, à savoir celles qui évoluent dans un secteur
de service public pas ou peu rentable (France Télévision par exemple).
Mais d’autres, qu’il s’agisse d’entreprises publiques (EDF, Orano, Nexter,
SNCF) ou à forte participation de l’État ou de la BPI (ENGIE, Orange,
Airbus, Safran, Renault, PSA…) étendent leur champ d’action à
l’international, comme toute entreprise privée.
À cet égard, certains pays européens ont souvent reproché à la France de ne
pas avoir démantelé ses grandes entreprises publiques, ce qui a facilité leur
expansion en dehors de la France. On peut ainsi citer la présence au
Royaume-Uni d’EDF et d’ENGIE, ce dernier groupe ayant racheté en 2011
l’ancienne entreprise publique britannique International Power, ou de la
Poste qui concurrence Royal Mail. À l’inverse, la France a protégé ses
entreprises, même sorties du giron public. Ainsi, la fusion entre Gaz de
France et Suez décidée en 2006 pour constituer l’actuel ENGIE a permis de
faire obstacle au rachat de Suez par l’entreprise publique italienne ENEL.
ENCADRÉ
ENCADRÉ
La caisse des dépôts et consignations (CDC)
La CDC a été instituée par la première loi de finances de l’État moderne, en 1816, afin de
rétablir la confiance dans le crédit de l’État et lui donner accès dans de bonnes conditions à
l’emprunt. Pour ce faire, la CDC a été chargée d’assurer la mission de dépositaire de
confiance de fonds privés, qu’elle peut ensuite prêter.
La loi du 28 avril 1816 dote la CDC d’un statut autonome : placée sous la direction d’un
directeur général, garant de l’inviolabilité des fonds déposés auprès d’elle, la Caisse est
aussi sous la surveillance et la garantie du Parlement. Le directeur général est Éric
Lombard, depuis décembre 2017.
Ses missions sont aujourd’hui diverses :
– gérer des fonds dans le cadre de missions d’intérêt général expressément confiées à la
CDC, notamment gérer l’épargne réglementée des Français et la transformer, sans prise
de risque importante, en prêts finançant des priorités publiques, principalement le
logement social ;
– investir à long terme comme actionnaire minoritaire, en contribuant au développement
économique de la France et, plus particulièrement, de ses territoires (via la Banque des
Territoires, cf. chapitre 16) et des PME. Des investissements financiers de long terme
« classiques » (actions, immobilier, capital investissement, infrastructures) produisent le
rendement nécessaire pour financer des investissements d’intérêt général ;
– animer des filiales opérationnelles issues de ses investissements.
La CDC, dont le siège est à Paris, dispose d’un réseau de 25 directions régionales, en
métropole et en outre-mer.
Elle déploie son activité dans de nombreux secteurs à travers des filiales : financement des
entreprises (Bpifrance), banque (Banque des territoires), logement (groupe SNI),
assurances (CNP Assurances), transports (Transdev), économie de la connaissance (France
Brevets), développement durable (CDC Biodiversité), tourisme (Compagnie des Alpes),
technologies numériques (Informatique CDC), appui aux territoires (SCET), financements
internationaux (CDC International capital). Elle a également des participations
stratégiques, notamment 66 % du groupe La Poste.
En 2020, le résultat net part du groupe de la CDC s’est élevé à 0,6 Md€ ; le résultat net de
son activité de fonds d’épargne est de 0,65 Md€.
Fin 2020, le bilan du fonds d’épargne géré par la CDC pour l’État est de 313 Md€, dont
263 Md€ d’encours provenant des dépôts du livret A et des autres livrets réglementés.
L’encours de prêts d’intérêt général est plus faible, à 190 Md€.
2.2 L’État actionnaire a redéfini sa doctrine de manière
à trouver sa place dans l’économie
a L’État actionnaire a plusieurs visages
La fonction d’État actionnaire a été confiée en 2004 à un service à
compétence nationale dénommé Agence des participations de l’État (APE).
Cette dernière a pour mission de veiller aux intérêts patrimoniaux de l’État
et d’assumer concrètement ses fonctions d’actionnaire. L’APE exerce
cependant sa mission en liaison avec l’ensemble des ministères intéressés
(ministère « technique » de tutelle, ministère chargé du budget). Elle ne
remplace donc pas les autres administrations dans leurs fonctions et peine
même parfois à s’imposer comme l’interlocuteur de référence des
entreprises, par exemple dans le secteur du transport dans lequel le
ministère chargé du développement durable a un leadership naturel.
L’APE est dirigée par un commissaire aux participations de l’État (Martin
Vial depuis août 2015), placé directement auprès du ministre chargé de
l’économie et des finances. C’est entre autres afin de l’éloigner des
contingences politiques que la Cour des comptes a recommandé de
transformer l’APE en agence autonome – recommandation que l’exécutif
n’a pas suivie à ce stade.
Parallèlement, l’État s’est doté d’un fonds souverain, désormais intégré
dans la BPI. C’est en 2009 qu’a été créé le Fonds stratégique
d’investissement (FSI), détenu par l’État et la CDC à hauteur,
respectivement, de 49 et 51 %. Dans le contexte de crise, il s’agissait de
soutenir l’économie et le tissu industriel français en investissant en fonds
propres, directement et via des fonds sectoriels ou partenaires.
En 2013, le FSI a été fusionné avec CDC Entreprises, qui intervenait
également en fonds propres, et Oséo, organisme de l’État qui accordait des
prêts. Ces trois structures, qui avaient pour point commun de financer des
entreprises françaises en développement (petites et moyennes entreprises et
entreprises de taille intermédiaire) et de nouer des partenariats avec des
investisseurs, ont été rapprochées au sein de Bpifrance. Bpifrance est
détenue à parité par l’État et la CDC et structurée en trois entités :
Bpifrance Participations (ex-FSI), Bpifrance Investissement (ex-CDC
Entreprises) et Bpifrance Financement (ex-Oséo).
S’agissant des activités d’investissement, l’APE et la BPI ont des logiques
d’intervention présentées comme distinctes et complémentaires :
– l’intervention directe de l’État (via l’APE) est centrée sur la
participation dans de grandes entreprises, le cas échéant majoritaire et
généralement assortie d’un objectif de présence à très long terme ;
– la BPI intervient principalement dans les petites et moyennes
entreprises et dans les entreprises de taille intermédiaire ou dans les
grands groupes lorsque cela est nécessaire pour stabiliser
l’actionnariat. Elle privilégie une détention minoritaire avec un horizon
à moyen et long terme, entre huit et dix ans.
Le comité stratégique et d’orientation de l’État actionnaire doit d’ailleurs
permettre d’assurer la bonne articulation et la complémentarité entre les
stratégies de l’APE et de la BPI. Il n’engage cependant pas la CDC pour ses
propres participations.
b De l’utilité et du rôle de l’État actionnaire
La doctrine actuelle de l’État actionnaire a été révisée en 2017. Assez
proche de la précédente, qui avait été adoptée en 2013, la doctrine révisée
entend rendre l’actionnariat public plus sélectif, en recentrant le portefeuille
de l’État actionnaire autour de trois axes prioritaires :
1. « Les entreprises stratégiques qui contribuent à la souveraineté de
notre pays (défense et nucléaire). »
L’État doit disposer d’un niveau de contrôle suffisant de ces entreprises, de
manière notamment à garantir qu’elles ne pourront pas faire l’objet d’offres
publiques d’achat de la part d’entreprises ou organismes étrangers.
2. « Les entreprises participant à des missions de service public ou
d’intérêt général national ou local pour lesquelles la régulation serait
insuffisante pour préserver les intérêts publics et assurer les missions
de service public. »
Le but n’est plus que l’État contrôle systématiquement toutes les grandes
entreprises de réseau (EDF, Engie, Orange…) ou les entreprises exploitant
de grandes infrastructures (comme ADP), nécessaires pour pourvoir aux
besoins fondamentaux du pays, dès lors que son intervention comme État
régulateur peut suffire à faire prévaloir l’intérêt général. C’est sur ce
fondement que le gouvernement souhaitait privatiser ADP – projet qui a été
compromis pour plusieurs raisons, dont la chute de la valorisation boursière
d’ADP en raison de la crise de la Covid-19.
3. « Les entreprises en difficulté dont la disparition pourrait entraîner un
risque systémique. »
L’État se réserve la possibilité d’intervenir en « sauvetage » d’entreprises
dont la faillite aurait d’importantes conséquences économiques. Il doit
néanmoins le faire dans le respect du droit de l’UE, lequel interdit aux APU
de subventionner une entreprise par une aide d’État (cf. chapitre 5) : sauf
exception, l’État ne peut financer les entreprises qu’en tant qu’investisseur
« prudent et avisé ».
Toutefois, la crise de la Covid-19 a infléchi cette doctrine pour se
rapprocher en pratique de la doctrine de 2013, qui admettait que l’État
accompagne le développement d’entreprises nationales dans des secteurs et
des filières déterminantes pour la croissance économique nationale. Ainsi,
l’APE a indiqué qu’elle interviendrait « à nouveau en fonds propres et quasi
fonds propres pour assurer la sécurisation financière à long terme
d’entreprises vulnérables et renforcer la souveraineté économique
française ».
c Des participations qui présentent un intérêt financier avéré
mais qui ne sont pas sans risque
Au-delà de ces préoccupations stratégiques, les participations présentent un
intérêt financier dans la mesure où elles apportent à l’État des revenus
réguliers et représentent des recettes de cession potentielles (cf. supra). À
cet égard, sur le périmètre de l’APE, en 2019, les dividendes (y compris
ceux versés en actions) ont procuré un rendement de 3,3 %. Eu égard aux
conditions de marché de refinancement de la dette française, la cession des
participations de l’État paraît globalement inopportune d’un strict point de
vue financier.
Une analyse au cas par cas doit cependant être faite. Il serait naturel que
l’État se désengage d’entreprises non stratégiques bien valorisées ou peu
rentables et dans lesquelles sa présence apporte peu de valeur ajoutée par
rapport à un actionnaire privé. De nombreuses cessions ont eu lieu ces
dernières années, l’État ayant réduit ses participations dans Safran, ENGIE
ou encore Airbus. La loi PACTE du 22 mai 2019 s’inscrit dans ce
mouvement mais innove en inscrivant les cessions prévues (ENGIE, ADP,
Française des Jeux) dans un nouveau mécanisme : les fonds résultant de ces
ventes abondent le Fonds pour l’innovation et l’industrie (FII) constitué en
janvier 2018 au sein de Bpifrance. Ce fonds a initialement été doté de
10 Md€, dont 8,4 Md€ en titres EDF et Thalès. Cependant, seuls les fonds
issus de la cession partielle de la FDJ, soit environ 2 Md€, ont pu venir
abonder le FII, les autres projets de cession étant à ce jour en suspens. On
peut en outre s’interroger sur le prix d’émission des titres FDJ, qui peut
paraître faible au regard de la progression importante du cours de bourse de
la FDJ depuis sa privatisation (+ 140 % en 18 mois environ).
Le principe du FII est simple : ses actifs, qui ont vocation à être investis en
OAT, produisent des revenus, lesquels sont investis en fonds propres dans
des entreprises innovantes, notamment dans le secteur industriel (par
exemple plan Batteries). Ainsi, ce ne sont pas 10 Md€ – voire davantage si
les cessions envisagées sont menées à bien malgré les obstacles politiques –
qui seront investis mais seulement 200 à 300 M€ par an, soit le rendement
attendu des actifs du fonds. Les cessions envisagées conduisent donc bien à
une diminution du montant des participations de l’État actionnaire. En
outre, la Cour des comptes a critiqué ce mécanisme6 dont force est de
constater qu’il déroge au principe d’universalité budgétaire et s’ajoute à
plusieurs structures préexistantes. Il devra donc faire ses preuves.
Enfin, bien entendu, les participations de l’État ne se limitent pas à leur
intérêt financier, qui n’est d’ailleurs pas sans responsabilité ni sans risque.
L’État se doit d’accompagner les entreprises dont il est actionnaire dans
leurs projets et dans les restructurations qui sont nécessaires à leur
développement voire à leur pérennité. C’est ainsi que l’État a participé à
hauteur de 3 Md€ à la recapitalisation d’EDF en mars 2017, notamment
pour financer le controversé projet Hinkley Point en Grande-Bretagne, et a
fait de même à concurrence de 4,5 Md€ pour Areva (devenu Orano) en
juin 2017.
Les ressources de l’État moderne ont vocation à être essentiellement
fiscales, ainsi que le reconnaît l’article 13 de la DDHC. Cela n’exclut pas
pour autant une certaine diversification financière par des ressources non
fiscales, lorsque ces dernières sont issues de missions pour lesquelles l’État
dispose d’une légitimité.
Pour assurer efficacement sa mission d’actionnaire, l’État doit cependant
être prêt à adapter son portefeuille de participations aux évolutions
économiques. Ce dernier semble résulter assez largement d’un héritage
historique, certes rentable pour l’État. En revanche, cet héritage ne permet
pas toujours à la puissance publique d’accompagner le développement de
ses entreprises et de soutenir, en capital-investissement, des activités
d’avenir pour contribuer à la croissance de long terme du pays. Telle est la
stratégie poursuivie par le gouvernement, que la crise de la Covid-19 a
néanmoins ralentie.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• Un développement des ressources non fiscales des APU vous semble-t-il possible ?
• L’État est-il un bon actionnaire ?
• Les institutions bancaires françaises
RÉFÉRENCES
Agence des participations de l’État, Rapport d’activité et rapport financier 2019-2020 de l’État
actionnaire, 2020.
Cour des comptes, L’État actionnaire (rapport public thématique), janvier 2017.
Institut Montaigne, L’impossible État actionnaire ?, janvier 2017.
CHAPITRE 30
La dette publique
NOTIONS ET DONNÉES À MAÎTRISER
• Déficit et dette publics rapportés au PIB depuis 2007
• Déficit ; déficit conjoncturel ; déficit structurel ; effort structurel
• Dette ; trésorerie ; charge de la dette
• Taux d’intérêt, taux d’intérêt apparent de la dette
• Effet boule de neige
• Soutenabilité ; solvabilité
• OAT, assimilation ; BTAN ; BTF
• Agence de notation
• Quantitative easing, APP, PEPP
• MES
Par dette publique, on entend l’ensemble des engagements financiers des
APU pris sous forme d’emprunts.
La dette de l’État et des autres APU est notée par des agences spécialisées.
La France, qui recevait auparavant la meilleure note (AAA), a vu sa note
être dégradée successivement par les trois principales agences de notation
(Standards & Poor’s, Moody’s et Fitch) en 2012-2013. Cet abaissement à
AA de la note française sanctionnait, outre le contexte institutionnel
européen, l’endettement public élevé de l’État et la faiblesse des
perspectives de croissance en France. Cette information financière fait peser
un doute, certes modéré mais persistant, sur la capacité de l’État à faire face
à l’ensemble de ses engagements financiers.
Pour l’État, l’enjeu de la dette est double : la maîtrise de l’endettement
public, d’une part, et la bonne gestion de la dette, d’autre part, de manière à
assurer un financement fiable et pérenne des missions des APU lorsque ces
dernières sont en déficit.
1 Les déficits nourrissent la dette
1.1 Des déficits
Par déficit, on entend le solde négatif annuel des comptes. Le déficit public
est celui des comptes des administrations publiques, au sens de la
comptabilité nationale (cf. chapitre 1). Lorsque le solde est positif, on parle
d’excédent. Toutefois, cette situation excédentaire étant devenue rare, on
parle couramment de déficit pour évoquer de manière plus générale le solde
budgétaire.
a Déficit conjoncturel et déficit structurel
Il convient de distinguer déficit conjoncturel et déficit structurel.
Le premier est lié à l’application des stabilisateurs automatiques
(cf. chapitre 1). Il est neutre à long terme car les excédents conjoncturels
neutralisent les déficits conjoncturels sur la durée du cycle économique.
Ainsi, en période de bas de cycle économique, les recettes fiscales
diminuent et les dépenses publiques augmentent (effet « ciseaux »),
contribuant à atténuer le choc conjoncturel : le déficit qui en résulte est
conjoncturel. Il est calculé en déterminant l’écart entre le solde courant (i.e.
celui qui est effectivement constaté) et celui qui serait enregistré si le niveau
de production correspondait au PIB potentiel1. L’écart entre le PIB courant
et le PIB potentiel est appelé écart de production ou output gap. Des
hypothèses devant être formulées, notamment quant à la croissance
potentielle, le déficit conjoncturel est une simple estimation.
Le second correspond à l’inverse au solde budgétaire qui serait enregistré si
le niveau de production correspondait au PIB potentiel. Il correspond donc
au solde courant corrigé du solde conjoncturel et également de mesures
ponctuelles et temporaires2. Un déficit structurel s’explique par des
dépenses excessives au regard de la capacité financière des APU. On dit
couramment d’un pays en déficit structurel qu’il « vit au-dessus de ses
moyens ». Une telle situation peut être temporaire, liée à des
investissements par exemple ; mais si elle est due à des dépenses
récurrentes ou qui ne se traduisent pas à moyen ou long terme par des
retombées positives (dépenses de fonctionnement et d’intervention,
dépenses d’investissement à mauvais escient…), le pays sera en
permanence en déficit et la dette augmentera.
C’est le déficit structurel dont l’évolution est désormais la plus surveillée
dans le cadre des obligations européennes en matière budgétaire
(cf. chapitre 4). Plus précisément, la Commission européenne observe
« l’effort structurel » de l’État, qui représente l’effort de réduction des
dépenses publiques, d’une part, et d’augmentation des ressources, d’autre
part. L’effort structurel constaté sur une année, qui s’exprime également en
points de PIB, est légèrement différent de l’évolution du déficit structurel
dans la mesure où l’incidence de l’élasticité des recettes3 est neutralisée.
Ainsi, l’effort structurel est un indicateur qui ne mesure vraiment que les
éléments dont un gouvernement est responsable.
b Déficit primaire et déficit courant
La distinction entre déficit primaire et déficit courant (ou effectif) a pour
objet d’identifier le poids de la dette dans le déficit. Emprunter n’est en
principe pas gratuit car le débiteur doit au créancier, outre le capital
emprunté, des intérêts d’emprunt. Ces derniers sont budgétés et dégradent
donc le solde budgétaire. Le déficit (ou excédent) primaire est le solde
courant avant ces intérêts d’emprunt.
Le solde primaire est une information financière qui permet d’apprécier la
situation qui serait celle du pays ou de l’organisme concerné s’il n’acquittait
pas d’intérêts d’emprunt, soit qu’il ne soit pas endetté, soit qu’il fasse
défaut sur sa dette, c’est-à-dire qu’il cesse de rembourser ses créanciers.
Ainsi, un pays en excédent primaire a la capacité, s’il ne peut plus ou ne
veut plus se refinancer sur les marchés, de faire défaut sur sa dette sans
compromettre son financement – à tout le moins tant qu’il reste en excédent
primaire.
Enfin, on parle de solde stabilisant pour caractériser le solde courant
permettant de ne pas dégrader le ratio dette/PIB (cf. infra).
1.2 De la dette
Les déficits sont des flux annuels. La dette est le stock d’emprunts qui en
résulte car, pour financer les déficits, les APU contractent des prêts.
a La dette révèle un besoin de financement de moyen
et de long terme, à la différence de la trésorerie
On parle d’endettement pour les emprunts dont la maturité, c’est-à-dire la
durée, est égale ou supérieure à un an. Il s’agit là d’un besoin de
financement de moyen et de long terme. À noter que, chaque année, ce
besoin de financement est supérieur au déficit annuel. En effet, les emprunts
doivent non seulement permettre de financer le déficit nouveau mais aussi
couvrir le renouvellement des emprunts arrivant à échéance. Il existe donc
un besoin de financement de moyen ou long terme en dehors de tout déficit
courant, du fait de la dette déjà accumulée.
Lorsque l’emprunt est infra-annuel, il relève de la trésorerie. Il s’agit d’un
besoin de financement de court terme. Il ne s’explique pas par les déficits
mais par le décalage entre les profils d’encaissement des ressources et de
décaissement des recettes. Emprunter à court terme n’est pas une situation
anormale, même s’il est préférable de lisser les entrées de ressources et les
dépenses tout au long de l’année.
b Les administrations publiques doivent émettre des emprunts
Le compte courant de l’État auprès de la Banque de France ne peut être à
découvert, ce qui serait un moyen détourné de couvrir un besoin de
financement. C’est vrai à court terme mais aussi à moyen et long terme,
puisque le droit de l’Union européenne interdit à l’État de se refinancer
auprès de sa banque centrale (article 123 TFUE)4. De nos jours, l’État et les
autres APU s’endettent par voie contractuelle, essentiellement en émettant
des obligations sur les marchés financiers.
Par le passé, l’État a recouru à des emprunts forcés. Le dernier en date est
« l’emprunt Delors ». Émis en 1983, il s’appuyait sur l’impôt sur le revenu :
les contribuables dont la cotisation d’IR était supérieure à un seuil étaient
redevables d’une surtaxe de 10 % de l’impôt dû, laquelle a été remboursée
trois ans après, augmentée des intérêts d’emprunt au taux de 11 %. Un tel
emprunt libératoire de l’impôt, qui mélange l’impôt et l’emprunt, est un
objet juridique curieux qui n’a encore jamais été soumis au Conseil
constitutionnel. Cette solution est adaptée lorsque l’État n’a pas accès au
refinancement sur les marchés financiers dans des conditions satisfaisantes.
2 La soutenabilité économique de la dette française
s’est érodée mais le cadre juridico-politique protège
sa signature
La donnée la plus couramment retenue pour mesurer l’endettement d’un
pays est la dette des APU en pourcentage de PIB calculée selon les normes
dites maastrichtiennes, c’est-à-dire celles prises en application des traités
européens. Il s’agit d’une dette brute, qui ne tient pas en compte des actifs
des APU.
2.1 L’endettement s’accroît et les perspectives
de croissance sont affaiblies
a L’endettement public s’est accru pour des raisons
conjoncturelles et structurelles
L’endettement public de la France s’est nettement accru à la faveur de la
crise économique et financière commencée en 2008 puis à nouveau dans le
contexte de la crise liée à la Covid-19 en 2020-2021. En cinq ans, entre
2007 et 2012, l’endettement s’était accru de plus de moitié en valeur
(cf. tableau 1). Entre 2012 et 2019, le ratio d’endettement avait encore
légèrement augmenté, à 98 % du PIB. En 2020, la conjonction de la
dégradation spectaculaire du solde public (– 9,2 %) et de la baisse tout aussi
impressionnante du PIB (– 7,9 %) ont porté le ratio dette/PIB à 115 %.
Malgré le fort rebond du PIB attendu en 2021 (+ 5 %), l’aggravation du
déficit ferait encore augmenter l’endettement en 2021. Ainsi, alors que la
dette publique était encore proche du critère de Maastricht de 60 % du PIB
avant la crise de 2008, elle tangente désormais le double de cette limite.
Tableau 1 : Déficit et dette publics maastrichtiens de la France depuis 2007
2021
2007 2012 2017 2018 2019 2020
(p)
Déficit (en % PIB) – 2,6 – 5,0 – 3,0 – 2,3 – 3,1 – 9,2 – 9,4
Dette (en % PIB) 64,5 90,6 98,3 98,1 97,6 115,1 117,2
Dette (en Md€) 1 253 1 893 2 253 2 315 2 380 2 650 2 843
Source : INSEE (mai 2021) et 1er PLFR 2021.
Au sein de la zone euro, la dette publique a continûment augmenté de 2008
à 2014, année à laquelle elle s’est établie à 92 %, avant de diminuer à 84 %
en 2019. En revanche, la France n’a connu l’amorce d’un infléchissement
qu’en 2018 et 2019. Elle est de ce fait entrée dans la crise de la Covid-19
avec une situation qui n’était pas assainie. Pire, compte tenu des choix
réalisés par la France pour gérer cette crise, sa dette a plus progressé que
dans d’autres États membres. En 2020, la dette publique moyenne de la
zone euro se situe à 98 % du PIB. Ce niveau recouvre cependant des
disparités, entre un ratio de 18 % en Estonie et de 206 % en Grèce, en
passant par 70 % en Allemagne et 156 % en Italie.
L’année 2020 est en réalité assez atypique par rapport à la décomposition du
solde public que l’on a observée par le passé : le solde conjoncturel s’est
élevé à – 5 %, le reste étant constitué de mesures ponctuelles et temporaires
(– 2,9 %) et du solde structurel (– 1,3). Précédemment, la part
conjoncturelle du déficit avait atteint une valeur haute en 2009 avec 2 % et
était presque nulle en 2018 et 2019. C’est ainsi l’accumulation de déficits
structurels qui expliquent le niveau élevé de la dette publique française. Ce
sera particulièrement le cas en 2021, où le déficit structurel est attendu à –
6,3 %5.
b La soutenabilité de la dette française est mise à mal par des
perspectives économiques affaiblies
Une dette est soutenable quand son coût (qui dépend du niveau
d’endettement et du taux d’intérêt nominal moyen de la dette) reste
proportionné à la croissance nominale du PIB, de sorte que la dette
rapportée au PIB n’augmente pas. À l’inverse, quand le service de la dette
est élevé, un effet « boule de neige » de la dette peut se produire : il faut
emprunter pour rembourser la dette existante, ce qui alourdit la dette et ses
charges, entraînant un cercle vicieux.
Pour définir les ratios retenus par le traité de Maastricht (limites de 3 %
pour le déficit et de 60 % pour la dette), une formule définissant le solde
public stabilisant a été utilisée. Il s’agissait, pour une croissance donnée et
un niveau d’endettement maximum, de définir un solde public socle
permettant, s’il est respecté, de ne pas accroître la dette en proportion du
PIB (cf. chapitre 4).
Appliquée à la situation française actuelle, cette formule conduit à un solde
public stabilisant d’environ – 6,1 % pour 2021 :
s* = – g * D(t – 1)6 <=> s* 2021 = – 5,3 % * 1,15 = – 6,1 %
Ainsi, dès lors que le déficit courant est supérieur à 6,1 % en 2021,
l’endettement s’accroît. Habituellement, cette valeur est plus haute (environ
3 %), compte tenu d’une croissance plus faible, ce qui rend plus exigeant le
fait de ne pas dégrader le ratio dette sur PIB. Il n’est d’ailleurs pas certain
que celui-ci se réduise à compter de 20227. On voit ainsi qu’une faible
croissance handicape la trajectoire de retour à l’équilibre des comptes
publics. À cet égard, on ne peut occulter que les caractéristiques de
l’économie française contribuent à entamer la soutenabilité de la France.
Premièrement, la croissance potentielle française est relativement faible,
comparée aux 2 % qu’elle affichait au début des années 2000. Le
programme de stabilité 2021 retient un taux de croissance potentielle de
0,6 % en 2021 en de 1,35 % par la suite. Ces estimations convergent avec
celles de la Commission européenne.
Deuxièmement, la crédibilité de l’euro s’est affaiblie au début des années
2010 dans le contexte de la crise des dettes souveraines, ce qui fait craindre
à long terme une inflation accrue et, notamment en cas de disparition de
l’euro, soit une hausse de l’endettement en monnaie étrangère, soit des taux
d’intérêt accrus.
Troisièmement, le solde du commerce extérieur des biens et services est
déficitaire à hauteur de 47 Md€ en 2020, ce qui reflète une compétitivité
internationale déficiente et induit des sorties de devises et donc un plus
grand recours à l’épargne extérieure.
2.2 La France est à ce stade protégée par sa crédibilité
institutionnelle
a La France a acquis une forte crédibilité à l’international
Un relatif consensus politique règne en France sur l’enjeu de maîtrise des
déficits publics. Les gouvernements français successifs ont pour objectif de
rétablir les comptes publics. Depuis 2011, des efforts importants ont été
réalisés dans ce sens, si l’on excepte le « quoi qu’il en coûte » assumé par le
président Macron pour faire face à la crise sanitaire de 2020-2021.
L’Agence France Trésor (AFT) gère la dette française de manière autonome
et professionnelle. Créée en 2001 sous la forme d’un service à compétence
nationale rattaché au directeur général du Trésor, qui la préside, l’AFT est
dirigée depuis 2015 par Anthony Requin, directeur général.
L’AFT a été placée en dehors de l’administration stricto sensu pour des
raisons opérationnelles (elle assume des missions particulières, distinctes
des attributions de la direction générale du Trésor) mais aussi de
mercatique. Son positionnement fait en effet de l’AFT l’interlocuteur des
intervenants sur le marché de la dette et permet d’assurer la lisibilité de la
gestion de la dette de l’État. Ce modèle d’organisation est d’ailleurs proche
de ceux pratiqués dans les autres pays développés : les États-Unis ont
également fait le choix d’une administration autonome, tandis que le
Royaume-Uni a confié cette tâche à une société anonyme à capitaux
publics.
L’AFT a mis en place des produits financiers performants et lisibles pour
assurer l’attractivité de la dette souveraine française. Un objectif prioritaire
est en effet d’assurer la liquidité de la dette française. La liquidité induit une
plus grande demande de titres de dette de la part des investisseurs, donc un
moindre coût de refinancement. L’excellente liquidité de la dette française
est du reste une des raisons de l’engouement pour cette dernière.
En vue d’assurer une liquidité optimale des obligations d’État, celles-ci sont
émises en continu pour une maturité se rattachant à un nombre limité de
lignes d’obligations d’État, auxquelles les obligations nouvellement émises
sont assimilables. C’est pourquoi on parle d’obligations assimilables du
Trésor (OAT). Par exemple une OAT émise en octobre 2021 peut être
rattachée à une OAT émise en avril 2019 pour une durée de dix ans soit une
échéance en mai 2029 : les deux OAT seront strictement identiques ;
comme ces OAT seront plus nombreuses à être en circulation sur le marché,
il sera plus aisé pour un de ses détenteurs de trouver un acquéreur s’il
souhaite la céder. À cet égard, l’importance de la dette de l’État joue en
faveur de sa liquidité.
L’AFT a en outre conçu des produits innovants, telles les OATi, qui sont des
OAT indexées sur l’inflation, émises pour la première fois en 1998. Il s’agit
d’obligations à taux variable, alors que la plupart sont à taux fixe. La France
a également émis des OAT d’une maturité record de 50 ans pour la première
fois en 2005. Enfin, des OAT « vertes » – réputées financer des dépenses de
la même couleur, lesquelles font l’objet d’un reporting annuel et d’une
évaluation ex post de leur impact environnemental – sont régulièrement
émises depuis 2017.
Historiquement, les OAT ne couvraient que le besoin de financement de
long terme, d’au moins 5 ans, tandis que le besoin de financement à court
terme, de 2 à 5 ans, était couvert par l’émission de bons du Trésor à taux
fixes et à intérêts annuels (BTAN). Cependant, l’État n’émet plus de BTAN
depuis 2013 et le dernier a été remboursé en 2017 : pour simplifier son
offre, l’AFT émet désormais des OAT pour toute émission de dette à
moyen-long terme, avec une maturité comprise entre 2 et 50 ans. Enfin, la
trésorerie est assurée par des bons du Trésor à taux fixe et à intérêt
précompté (appelés BTF) d’une maturité d’un an au plus.
Par ailleurs la dette française comporte un certain nombre de
caractéristiques sécurisantes pour les pouvoirs publics : la juridiction
désignée en cas de litige est nationale, la majorité de la dette est à taux fixe
et libellée en euro. Toutefois, même s’il y a débat juridique sur ce point,
cette dette de droit français serait convertie en francs en cas de retour à une
monnaie nationale.
b L’appartenance à la zone euro de la France soutient
la solvabilité et la crédibilité de la France
La monnaie unique est un facteur de stabilité pour la France, qui s’endette
dans une monnaie nationale qui a les caractéristiques d’une monnaie
internationale. Pour les prêteurs, le risque de change est réduit, a fortiori
s’ils sont des résidents d’un État membre de la zone euro. Ainsi, la balance
commerciale déficitaire de la France n’a-t-elle qu’une incidence marginale
sur le cours de l’euro, alors que si la France était encore dotée d’une
monnaie nationale, toutes choses égales par ailleurs, ce déficit commercial
pèserait sur le cours du franc et pousserait les taux d’intérêt à la hausse. Fin
2020, 50,1 % de la dette française est détenue par des non-résidents, contre
plus des deux tiers en 2010. La diminution de cette proportion est
notamment liée au rachat de titres de dette française par la Banque de
France.
De plus, l’union économique et monétaire offre une stabilité monétaire au
moyen d’une politique monétaire qui garantit que l’inflation restera
maîtrisée. Or des anticipations d’inflation faible concourent à un taux
d’intérêt faible à moyen et à long terme.
Enfin, la gouvernance économique de la zone euro donne des garanties aux
créanciers sur la soutenabilité de la dette française. Le pacte de stabilité et
de croissance, le pacte budgétaire européen et la transparence dans les
objectifs de déficits publics (cf. chapitre 4) offrent de la visibilité aux
marchés financiers. En principe, le contrôle des instances européennes,
notamment de la Commission et de l’agence statistique Eurostat, doit aussi
attester de la véracité des données communiquées par les États. Un principe
qui a cependant été démenti dans le cas de la Grèce.
En définitive, la France jouit d’un contexte très favorable à l’heure
actuelle : forte liquidité de la dette et relative sécurité quant au risque de
défaut, ce qui se traduit par des taux faibles – mais moins que ceux de
l’Allemagne.
3 Si la dette de l’État est actuellement
peu onéreuse, son caractère excessif plaide pour
une diversification du financement
3.1 L’État se refinance à ce jour à bon prix
a Un taux d’intérêt faible
De manière générale, le taux d’intérêt apparent de la dette de l’État est
aujourd’hui faible. Il est de 1,8 % en 2020 pour la dette totale. Malgré cela,
au regard de l’importance de l’endettement8, la charge de la dette (coût des
intérêts) s’élève en comptabilité budgétaire à 35,8 Md€ en 2020, soit le
troisième poste du budget de l’État après l’Enseignement scolaire et la
Défense. Encore faut-il préciser que cette charge, appréhendée en
comptabilité budgétaire, est gonflée par la politique d’émission de l’AFT
consistant à émettre fréquemment des OAT avec des taux d’intérêt au-
dessus des taux de marché, en contrepartie de primes d’émission9.
Les taux d’intérêt courants sont à un plus bas historique. Pour l’ensemble
des émissions à moyen et long terme de titres à taux fixe, le taux moyen
(primes d’émission déduites) est ressorti à – 0,13 % en 2020. Il a même
atteint – 0,86 % pour les émissions de BTF. Plus regardé, le taux de
référence pour les OAT à 10 ans était de 0,10 % début juin 2021 contre
4,15 % en moyenne au cours de la période 1998-2008.
La France subit certes un différentiel de taux d’intérêt (ou spread) par
rapport à la dette fédérale allemande, à hauteur d’environ 37 points de base
en juin 2021 (soit 0,37 %). Mais ce différentiel est faible et a été nettement
plus important à une époque récente, puisqu’il a atteint 200 points fin 2011.
Du fait de ces taux bas, la France est exposée, comme les autres pays
européens, à un choc de taux : une remontée des taux d’intérêt ferait
sensiblement croître la charge de la dette. Ainsi, selon le PLF 2021, un taux
supérieur de 1 point à la prévision, de 2021 à 2030, augmenterait de 121 %
la charge de la dette en comptabilité générale à horizon de 10 ans (+ 29
Md€).
Par ailleurs, le taux d’intérêt auquel emprunte l’État a une portée d’autant
plus grande qu’il représente le coût de l’emprunt réputé sans risque et que
les emprunteurs qui jouissent de sa garantie formelle ou implicite,
notamment les autres APU, en bénéficient également.
b Le besoin de financement est aisément satisfait
Malgré leur importance, les besoins de financement public sont satisfaits.
En 2020, l’État a dû emprunter 310 Md€, pour combler son déficit primaire,
régler ses intérêts d’emprunt et rembourser ses annuités de dette.
Le montant des annuités est relativement stable, dans la mesure où l’AFT
lisse le profil de remboursement du capital de la dette. Cette optimisation
est d’abord réalisée par le choix des lignes d’émission des OAT et par la
maturité retenue. En outre, le profil des décaissements est lissé par des
opérations plus spécifiques effectuées par l’AFT (swaps) et la Caisse de la
dette publique (rachats de dette).
Les émissions obligataires de la France sont toujours un succès, car les
investisseurs apprécient la liquidité et la signature de la dette française. En
2020, le ratio offre/montant des émissions obligataires de moyen et long
terme de l’État a atteint 2,18, ce qui est très confortable. Ce qui signifie que
pour 100 € d’obligations émises, les investisseurs étaient prêts à en acheter
218.
Par ailleurs, l’État optimise la maturité de la dette. Fin 2020, la maturité
moyenne de la dette est de plus de 8 ans (8 ans et 73 jours). Cette durée met
la France en partie à l’abri des fluctuations du marché financier, à l’inverse
d’une maturité très courte qui obligerait à réemprunter en permanence pour
rembourser le capital. Elle n’est cependant pas excessive au regard des taux
d’intérêt obtenus ; le coût de l’emprunt étant en principe fonction de sa
durée, une maturité plus longue a un coût plus élevé, qui a pour contrepartie
la sécurité du financement de l’État.
3.2 Le contexte économique et financier a fragilisé
la solvabilité à long terme de la France
a La crise économique et financière de 2008 a changé
les conditions de refinancement des États de la zone euro
Au-delà des conditions économiques dégradées par la crise des subprimes
de 2008, c’est en premier lieu la viabilité de la zone euro qui a été mise en
cause. Pour ses États membres, le contexte politico-institutionnel s’est donc
dégradé.
En premier lieu, pour les créanciers de la France et des autres États
membres, une double incertitude s’est manifestée. D’une part, un risque de
change apparaît à nouveau puisque la pérennité de la zone euro n’est plus
totalement garantie. D’autre part, le risque de défaut d’un État sur sa dette
n’est plus virtuel. Il l’est d’autant moins que la Grèce a été techniquement
en défaut en 2012 – fût-ce dans le cadre d’un défaut partiel et négocié avec
la plupart des créanciers. Ce surcroît significatif d’incertitude explique que
les taux d’intérêt des obligations souveraines des différents pays membres
soient désormais hétérogènes, d’abord dépendants de données nationales,
alors que le taux grec était auparavant peu supérieur au taux allemand
(phénomène de convergence dite nominale).
En second lieu, les opérations successives de « sauvetage » de la zone euro,
consistant à accorder des prêts aux pays en difficulté, se traduisent aussi par
une hausse de la dette de la France. Cet impact s’élève à 2,8 points de PIB
en 2020. À l’avenir, ces plans d’aide recèlent une hausse potentielle de la
dette. En effet, les ressources du Mécanisme européen de stabilité (MES),
dont le capital appartient aux États membres et qui peut accorder des prêts à
ceux qui en ont besoin, sont appelables de droit si la majorité qualifiée des
voix est réunie. La France y dispose cependant d’un droit de veto de fait
pour les décisions prises par le conseil d’administration – notamment les
décisions d’aides en urgence. À noter que la France pourra difficilement
bénéficier du MES car, si la France elle-même devait être aidée, le MES
n’aurait sans doute pas les moyens nécessaires à une telle aide et perdrait
toute crédibilité.
b La solvabilité à long terme de la France s’est dégradée
La solvabilité caractérise la capacité à payer sa dette, y compris en période
de dégradation conjoncturelle (quand la croissance nominale est inférieure à
la croissance potentielle) ou en cas de tension sur le marché obligataire
(quand l’État doit réemprunter pour rembourser ses échéances de prêt).
Lorsqu’un pays n’est plus solvable, il est contraint de faire défaut, c’est-à-
dire de ne plus rembourser sa dette, ce qui lui ferme l’accès aux marchés
financiers. La solvabilité va donc au-delà du concept de soutenabilité.
Les agences de notation évaluent la solvabilité à long terme. Ce rating étant
une pratique développée à l’origine pour le secteur privé, sa transposition
aux États a été contestée. À la différence des entreprises, les entités
souveraines sont en effet des agents économiques réputés immortels et qui
peuvent mobiliser la fiscalité pour ajuster leurs recettes à leurs dépenses (au
moins formellement mais pas de façon illimitée dans la pratique). Pour
autant, dès lors que les États sont devenus des emprunteurs sur les marchés
financiers dans des conditions proches de celles des entreprises et que le
prêteur encourt indubitablement un risque de non-remboursement, il est
naturel que la solvabilité de ces emprunteurs soit évaluée à l’aide de critères
adaptés.
Dès lors, les agences forment leur analyse à partir de cinq séries de critères :
1. le « score politique » résulte du contexte général politique et
institutionnel : volonté de faire face à ses engagements financiers,
risque politique, capacité à faire face aux crises financières et
économiques (qui s’apprécie pour la France aussi au niveau
européen) ;
2. le « score économique » dépend du contexte macroéconomique :
modèle de croissance, perspectives de croissance ;
3. le « score externe » mesure la capacité à rembourser ses créanciers
étrangers à partir, notamment, de la liquidité de la dette et du ratio
dette en monnaie étrangère sur exportations ;
4. le « score budgétaire » apprécie la performance et la résilience
budgétaire, l’endettement public ;
5. le « score monétaire » évalue la flexibilité monétaire, c’est-à-dire
essentiellement l’accès aux marchés monétaires.
L’analyse des agences est dynamique. Il s’agit d’apprécier la capacité des
États à rembourser les dettes contractées à leur échéance. À cet égard, les
notes qu’elles attribuent sont avant tout des indicateurs, dont les effets
immédiats sur les marchés financiers ne doivent pas être exagérés. La
France n’a ainsi pas pâti de l’abaissement de sa note.
S’agissant précisément de la France, la dégradation de sa note de long terme
s’explique d’abord par l’affaiblissement de la robustesse du contexte
politique et institutionnel de la zone euro. L’agence Standards & Poor’s,
lorsqu’elle a dégradé la note de long terme de la République française
regrettait ainsi que « l’efficacité, la stabilité et la prévisibilité des politiques
et des institutions européennes n’[aient] pas été suffisamment renforcées ».
Pour autant, la même agence pointait également l’endettement public déjà
« relativement élevé » et les « rigidités du marché du travail » en France10.
3.3 Diversifier les voies de financement de l’État
de manière à améliorer sa résilience
Au regard de cette hypothèque – encore théorique – quant à la capacité de
la France à s’endetter sur les marchés financiers, il est possible d’envisager
d’autres voies, complémentaires plutôt qu’alternatives, de refinancement
a Le recours à des émissions auprès du grand public mériterait
d’être envisagé au moins ponctuellement
Une bonne gestion de la dette suppose d’émettre les emprunts à un coût
faible. Or les émissions destinées à un grand public sont considérées
comme trop onéreuses, puisqu’elles sont intermédiées et donc plus chères
pour l’émetteur (il faut intégrer le coût de transaction, soit la marge de
l’intermédiaire). Y recourir aurait cependant du sens. On relève d’ailleurs
plusieurs exemples récents d’émissions obligataires auprès du grand public,
privées (EDF, Crédit foncier) et publiques (Italie, Belgique, ancienne région
Limousin).
Un des objectifs d’un tel emprunt « grand public » est de réduire la part de
l’endettement a) détenu par des non résidents et b) soumis aux fluctuations
du marché financier. En effet, le grand public agit de manière moins
spéculative : il acquiert les obligations pour les conserver jusqu’à leur
échéance et non pour spéculer sur l’évolution de leurs cours boursiers. S’y
ajoute un objectif politique visant à améliorer le lien entre la population et
les gouvernants et à démontrer la confiance de la population à l’égard de
leurs institutions.
De manière générale, l’épargne française recèle de grandes capacités qui
pourraient être davantage orientées vers les obligations d’État si le besoin
s’en faisait sentir. De fait, le livret A joue officieusement ce rôle, puisque
ses encours ne sont que partiellement consacrés au financement de projets
d’intérêt général comme le logement social (cf. chapitre 29). La mission de
contribuer au financement de l’État et, plus largement, des APU pourrait lui
être officiellement attribuée, de manière pérenne.
b Le recours à un refinancement public, dans un cadre
européen, redevient une perspective crédible
Enfin, en situation d’urgence, on pourrait imaginer que les institutions
financières nationales et européennes puissent intervenir sur le marché
primaire de la dette, c’est-à-dire acheter directement aux États les
obligations qu’ils émettent (il s’agirait d’une mesure dite « non
conventionnelle »).
D’ores et déjà, la Banque centrale européenne (BCE) contribue
indirectement – mais significativement – au financement des États. Après
avoir acheté ponctuellement, en 2010, de la dette publique sur le marché
secondaire pour faire face à des attaques spéculatives contre certains États
membres de la zone euro, la BCE a mis en place des programmes plus
systématiques.
Dans un premier temps, elle s’est attachée à jouer son rôle de prêteur en
dernier ressort, en assurant la liquidité du marché, notamment du marché
interbancaire. Ainsi, par le Long Term Refinancing Operation (LTRO), la
BCE a prêté en 2011-2012 au taux de 1 % plus de 1 000 Md€ aux banques
européennes pour une durée allant jusqu’à trois ans. Or, ainsi pourvues en
liquidités, les banques ont pu acheter des obligations d’État – pour une
rentabilité alors nettement supérieure à 1 %.
Dans un second temps, la BCE a systématisé son intervention sur le marché
secondaire de la dette publique. Depuis janvier 2015, à l’exception de la
période janvier-octobre 2019, elle a mis en œuvre un plan de rachats
d’actifs (aussi appelé « Quantitative easing » ou encore « Asset Purchase
Programme », APP), afin de relever l’inflation à 2 %, d’assurer la liquidité
du marché des emprunts d’État et d’abaisser les taux d’emprunt des États
membres. Dans ce cadre, le système européen des banques centrales (la
BCE à hauteur de 8 % et les banques centrales nationales à hauteur de
92 %, ces dernières assumant 80 % des risques du plan) a acheté jusqu’à
80 Md€ de titres par mois (essentiellement des titres d’État), mais
« seulement » 20 Md€ depuis début 2021. Sous cette pression acheteuse, les
taux d’emprunt des États membres de la zone euro ont battu des records à la
baisse (jusqu’à – 0,45 % pour les taux à dix ans des OAT françaises, en août
2019. Le stock de titres de dette détenu par les banques centrales dans le
cadre de ce programme de rachat d’actifs a dépassé les 3 000 Md€ en mai
2021, dont 80 % de titres publics.
En complément de ce programme, la BCE a créé en mars 2020 le
« Pandemic Emergency Purchase Programme » (PEPP, ou programme de
rachat d’urgence pandémique). Le PEPP consiste à racheter des titres de
dette publique et privée afin de faciliter le refinancement de leurs émetteurs.
Il est très similaire à l’APP, sinon qu’il est plus massif (les rachats s’élèvent
à quelque 80 Md€ par mois et le stock d’actifs s’élève à près de 1 100 Md€
fin mai 2021) et plus centré sur les titres publics (95 % des actifs rachetés),
que les titres de l’État grec y sont éligibles (à la différence de l’APP) et que
le PEPP est encore plus temporaire que l’APP puisqu’il a vocation à
s’arrêter lorsque la crise de la Covid-19 sera considérée comme terminée.
La BCE s’est néanmoins engagée à poursuivre ses rachats jusqu’à fin mars
2022 au moins et à réinvestir les titres arrivant à échéance jusqu’à fin 2023
au moins.
Le MES, entré en vigueur en septembre 2012, dispose également de
moyens financiers dédiés à la stabilisation financière de la zone euro. D’un
capital initial de 80 Md€ mais pouvant être complété en cas de besoin, le
MES peut intervenir de deux manières : accorder des prêts aux États et
racheter des obligations souveraines sur le marché secondaire. Il peut
émettre lui-même des obligations sur le marché à cette fin, de sorte que sa
capacité d’intervention a été fixée à 700 Md€.
Cependant, aux États-Unis et au Royaume-Uni, entre autres, les
mécanismes de financement par les institutions bancaires nationales sont
plus directs. Leurs banques centrales peuvent acquérir directement des
obligations nouvellement émises. Pour qu’une telle pratique soit possible
dans la zone euro, il serait cependant nécessaire de modifier l’article 123 du
TFUE. Certaines personnalités, tel Michel Rocard, l’ont recommandé, afin
que la BCE et les banques centrales nationales interviennent aussi
directement sur le marché primaire de la dette.
Par ailleurs, si la piste d’une mutualisation partielle des obligations
souveraines de la zone euro (blue bonds ou euro bonds, qui auraient été
émis par le MES par exemple et garantis par les États les plus solides), n’a
pas prospéré, la crise de la covid 19 a conduit à la création d’un étage de
dette européenne aux fins de financer le plan de relance Next Generation
EU (cf. chapitre 19).
C’est également dans le cadre de la gestion de la pandémie que l’Union
européenne a créé un programme baptisé « SURE11 » d’obligations
sociales. Celles-ci sont émises par la Commission européenne au nom de
l’UE et destinées à financer certaines dépenses ayant une incidence sociale
positive (comme le chômage partiel) de ceux des États membres qui
demandent à bénéficier de ces prêts, qu’ils devront naturellement
rembourser. Un plafond de 100 Md€ a été fixé pour ces émissions, qui ont
commencé en octobre 2020 avec succès, quoique le taux des obligations
SURE ait été légèrement supérieur à celui des OAT. La France, qui n’a pas
de difficulté à se refinancer à bon marché, n’a logiquement pas demandé à
bénéficier de ce programme.
Les déficits récurrents de l’État, de nature structurelle, ont nourri une dette
dont le niveau est désormais excessif. L’endettement induit en effet une
charge de la dette qui, malgré des taux d’intérêt bas, n’est pas négligeable
compte tenu du rythme de croissance en France. En cas de dégradation des
conditions de financement, le coût de la dette pourrait progressivement
devenir insupportable.
Un État peut toujours faire défaut : c’est un événement historique
relativement courant, qui peut être organisé et négocié. Cependant, dans le
contexte juridique et financier actuel, à défaut d’autres sources de
refinancement, faire « faillite », à l’instar de l’Argentine en 2002, ne serait
pas souhaitable. Un tel événement serait lourd de conséquences, ne serait-ce
que sur le plan des finances publiques, puisqu’un excédent primaire devrait
être immédiatement dégagé. La « dette Covid » a donc vocation à être
remboursée12.
Ainsi, nonobstant la nécessité de revenir à l’équilibre des finances
publiques pour éviter tout effet boule de neige de la dette, il serait opportun
de diversifier les sources de financement de l’État pour parer à toute
éventualité.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• L’État peut-il faire faillite ?
• La gestion de la dette de l’État
• L’Agence France Trésor
• Évolution de la dette publique
• Charge de la dette et taux d’intérêt
RÉFÉRENCES
Programme de stabilité 2021 de la France.
Cour des comptes, La Dette des entités publiques. Périmètre et risque, janvier 2019.
Rapport d’activité annuel de l’AFT.
PAP et RAP no 117 du programme charge de la dette et trésorerie de l’État.
Sujet-type concours ENA
SUJET
Question (à traiter en 1 heure en vous appuyant sur les documents 1 et 2 ci-
après) : Faut-il vraiment rembourser la dette publique ?
DOCUMENT 1
Trajectoire de la dette publique (programme de stabilité 2021-2027)
2019 2020 2021 2022 2023 2024 2025 2026 2027
97,6 115,7 117,8 116,3 117,2 118 118,3 118,2 117,7
DOCUMENT 2
Audition de M. François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque
de France, par la commission des finances de l’Assemblée nationale,
13 janvier 2021 (extrait)
« L’on me pose à ce sujet souvent deux questions. Tout d’abord, existe-t-il
une solution simple au problème de la dette publique massive, comme
l’annulation de la dette ou sa conversion en titres perpétuels ? Ensuite, s’il
n’y a pas de solution simple, quelle est l’issue au problème ?
L’annulation de la dette publique est une illusion séduisante, mais ne
constitue pas une solution. Un prêteur, privé ou public, qui n’est pas
remboursé, ne prêtera plus. L’annulation de la dette détenue par la BCE et
la Banque de France reviendrait à financer directement et durablement les
États, ce qui est interdit par les traités fondateurs de l’euro. En l’absence
de consensus pour modifier ces traités, la décision d’annulation de la dette
signifierait quitter l’euro. En outre, en dehors même de l’euro, aucun grand
pays (États-Unis, Canada, Japon, Grande-Bretagne) n’envisage
l’annulation des titres détenus par sa banque centrale. Une dette ne peut
pas être annulée ; elle peut être refinancée à échéance, mais cela n’est
jamais automatique. Le prêteur ne refinancera que s’il est confiant quant
au fait que cette dette est soutenable, c’est-à-dire remboursable tôt ou tard.
Quel est donc notre chemin possible vers le désendettement ? Nous devons
combiner trois leviers.
Nous avons d’abord besoin de temps : il faut éviter de supprimer trop tôt les
mesures budgétaires accommodantes. Il faudra attendre le retour de
l’économie à son niveau d’avant la crise, à partir de 2022, pour
commencer à réduire le ratio d’endettement.
Ensuite, la croissance constitue un déterminant clé du financement de la
dette – déterminant nécessaire mais non suffisant.
Enfin, le dernier levier est le maintien de nos coûts publics. (…) La Banque
de France ne suggère pas l’austérité, mais une double stabilité : celle des
dépenses publiques primaires en volume et celle des impôts et cotisations
sociales. (…)
Une telle stabilité serait de nature à tout changer. En dix ans, toutes choses
égales par ailleurs, nous aurions réduit la dette publique à hauteur
d’environ 20 % du PIB. Nous aurions ainsi inversé une tendance grave à
endetter les générations futures. Atteignant près de 120 % du PIB, la dette
publique est aujourd’hui deux fois plus élevée qu’il y a vingt ans, et six fois
plus qu’il y a quarante ans. »
PROPOSITION DE CORRIGÉ1
La crise économique résultant de la pandémie de Covid-19 et des réponses
qui y ont été apportées a propulsé la dette publique française d’un niveau
déjà élevé en 2019 (98 % du PIB) à un plus haut de 118 % en 2021, soit une
hausse de 20 points de PIB en seulement deux ans.
La progression de la dette conjuguée à une diminution du produit intérieur
brut, sous l’effet d’une crise considérée comme exogène, a conduit
plusieurs économistes, tel Thomas Piketty, aussi bien que des responsables
politiques, à recommander d’annuler au moins une partie des dettes des
États européens, plus particulièrement celle détenue par les banques
centrales. Or la présidente de la Banque centrale européenne, Christine
Lagarde, a fermement repoussé cette idée.
Faut-il pour autant écarter définitivement la perspective d’un non
remboursement total ou partiel de la dette de tout ou partie des
administrations publiques ?
La dette publique a vocation à être remboursée (I), de sorte que le scénario
d’un défaut doit être réservé à des situations exceptionnelles (II).
La dette publique a vocation à être remboursée
S’endetter oblige le débiteur, quel que soit son statut. L’État, de même que
les autres administrations publiques, nouent une relation contractuelle
lorsqu’ils empruntent des fonds auprès d’investisseurs directement sur les
marchés financiers ou, notamment pour les collectivités locales, lorsqu’ils
souscrivent à des emprunts auprès d’un établissement de crédit. Les
obligations que l’État émet (obligations assimilables du Trésor, OAT, ou
bons du Trésor à taux fixe, BTF) sont certes régies par un cadre légal
particulier (cf. infra) et les conditions de chaque émission sont fixées par
arrêté ministériel. Pour autant, l’État en tant que débiteur est tenu de
respecter ces conditions, le cas échéant sous le contrôle du juge du contrat.
À tous égards, les prêteurs ne prêtent des fonds aux emprunteurs que s’ils
escomptent être remboursés, de sorte qu’un mauvais payeur ne trouvera pas
à emprunter : selon le gouverneur de la Banque de France, François
Villeroy de Galhau, « Le prêteur ne refinancera que s’il est confiant quant
au fait que cette dette est soutenable, c’est-à-dire remboursable tôt ou
tard. » (audition par la commission des finances de l’Assemblée nationale
du 13 janvier 2021). Un État qui ne rembourserait pas sa dette se fermerait
ainsi l’accès aux marchés financiers, compte tenu de ce que cette
information sera connue de l’ensemble des investisseurs : dans une telle
situation, pour autant qu’il existe une offre de capitaux, ce qui est incertain,
elle exigerait des taux d’intérêt considérables, qui rendraient tout emprunt
déraisonnable.
Par ailleurs, si certains emprunteurs au profil risqué peuvent obtenir un
emprunt en recourant à une caution, on voit mal, dans le cas des APU
françaises, quelle caution pourrait être apportée pour garantir les montants
d’emprunt rendus nécessaires par la situation des finances publiques : pour
le seul État, le besoin de financement a atteint presque 310 Md€ en 2020 !
*
L’État n’est néanmoins pas un emprunteur comme un autre et, même très
endetté, il a normalement toujours la capacité de se refinancer. En effet, il
peut rester indéfiniment débiteur : étant éternel – à la différence d’une
personne physique et plus sûrement qu’une société –, il peut réemprunter en
continu, sans jamais solder totalement ses dettes. Cela lui permet de
réemprunter pour rembourser les dettes qui arrivent à échéance. Ce
phénomène se vérifie aussi, sans doute dans une moindre mesure, pour les
autres APU, lesquelles bénéficient au demeurant de la garantie explicite
(comme la Caisse d’amortissement de la dette sociale, CADES) ou
implicite (collectivités territoriales) de l’État.
Ensuite, il existe une clientèle captive des bons du Trésor, qui assure l’État
emprunteur de trouver toujours preneur. Les institutions financières, pour
les besoins de leurs ratios réglementaires de solvabilité et de liquidité, sont
fortement incitées à acquérir des titres de dette publique dont le risque est
réputé nul par les règles applicables. Et lorsqu’il s’agit de couvrir des
activités commerciales et d’investissement en France, les banques et
assurances se tournent plus particulièrement vers la dette publique
française.
En outre, les institutions financières publiques acquièrent de la dette
publique. Depuis 2015 et la décision du Système européen des banques
centrales de mettre en œuvre une politique de rachats d’actifs (publics
notamment), qui s’est renforcée pendant la crise de la Covid-19 avec un
programme spécial (PEPP), l’eurosystème est le premier acquéreur des
titres de dette publique. Il détenait ainsi, essentiellement via la Banque de
France, 600 Md€ de titres souverains français à la fin de l’année 2020, soit
environ 30 % de la dette négociable de l’État ! La Caisse des dépôts et
consignations (CDC), dans sa politique de placement (qu’on songe aux
liquidités provenant des livrets réglementés), investit aussi dans les titres
publics.
Ne pas rembourser cette dette là, en réalité « auto-détenue » par l’État via la
Banque de France ou la CDC, n’enrichirait nullement les Français, qui
perdraient symétriquement un passif et un actif et se priveraient en revanche
pour l’avenir de l’accès aux marchés financiers. Il faudrait donc de solides
raisons pour sortir de la situation actuelle, dans laquelle les APU n’ont pas
de mal à se financer et de surcroît à bon compte.
Le scénario d’un défaut ne doit être réservé qu’à des situations exceptionnelles
Force est de constater qu’une dette élevée n’est pas nécessairement un
problème. Tout dépend en pratique de la charge d’intérêts : si celle-ci est
maîtrisée, une dette élevée restera supportable. Concrètement, la dette se
traduit pour les APU par le paiement d’intérêts, qui obère les capacités
budgétaires. On sait qu’à la veille de la Révolution française, la moitié des
recettes de l’État servait à financer le service de la dette… Or nous sommes
à mille lieues d’une telle situation puisque les taux d’intérêts effectifs sont
proches de 0 % et que le taux d’intérêt apparent de la dette négociable de
l’État est inférieur à 2 %. Paradoxalement, la hausse exponentielle de la
dette depuis une quinzaine d’année s’est accompagnée d’une baisse de la
charge d’intérêts de l’État (36 Md€ en 2020 en comptabilité budgétaire, 30
Md€ en comptabilité générale).
De plus, la croissance du PIB permet aussi de relativiser le poids de la dette.
La capacité à rembourser est étroitement liée au PIB et à la capacité de
l’État à lever l’impôt. Ces dernières décennies, la croissance économique a
permis de contenir la progression du poids relatif de la dette (en France),
voire de diminuer ce poids (dans d’autres pays comme l’Allemagne). Mais
la machine se gripperait si notre modèle de développement n’était plus
centré sur la croissance : dans La Grande réinitialisation (2021), Klaus
Schwab et Thierry Malleret n’envisagent-ils pas une « croissance beaucoup
plus basse », dans le cadre d’une économie plus « inclusive et durable » qui
ferait davantage avec moins ?
Si ces conditions (taux d’intérêt bas et croissance du PIB) de nature à
relativiser le problème de la dette n’étaient plus réunies, un non
remboursement ne peut être exclu de prime abord. Il faut cependant relever
qu’un défaut pur et simple sur la dette de l’État soulève des enjeux
redoutables et pas seulement sur le plan budgétaire. En effet, un défaut
fermerait aux APU l’accès aux marchés financiers. Or, en présence d’un
solde primaire (i.e. avant paiement de la charge de la dette) négatif, la
fermeture de l’accès aux marchés financiers contraindrait les APU à
diminuer leurs dépenses, ce qui provoquerait des effets récessifs.
Il n’en irait autrement que si l’État pouvait se refinancer directement auprès
de la Banque de France, ce qui n’est pas légal aujourd’hui en l’état de nos
engagements européens puisque l’article 123 TFUE interdit la monétisation
de la dette, c’est-à-dire le financement direct et durable des déficits publics
par les banques centrales, qui ne peuvent intervenir que sur le marché
secondaire des titres de dette publique. Un défaut pourrait donc in fine
conduire à une sortie de la France de la zone euro, pour lui permettre de se
refinancer…
Eu égard à ces difficultés, l’hypothèse d’une restructuration de la dette, qui
est, elle, juridiquement possible, serait si nécessaire préférable à un défaut.
Il est en effet possible de renégocier les termes d’une obligation (taux,
maturité voire capital à rembourser) avec la majorité des créanciers – et
donc en conservant la possibilité de se refinancer sur les marchés. Plus
précisément, les « clauses d’action collective » dont sont assorties les OAT
émises depuis 2013 permettent à l’État de proposer aux créanciers
d’approuver un plan de restructuration de leur remboursement. Pour
modifier des caractéristiques essentielles des titres (taux, maturité, dette…),
il faut cependant réunir une majorité des trois quarts des votes.
Bien que possible, cette voie est incertaine et invite donc à chercher
d’autres moyens pour que la dette publique soit maîtrisée et donc
remboursable : poursuite d’une politique monétaire expansive du côté de la
Banque centrale européenne et politique de maîtrise des dépenses – sans
réduction des recettes – par l’État et les autres APU, tout en favorisant la
croissance économique. En revanche, la mise en œuvre d’un dispositif de
« cantonnement » d’une partie de la dette étiquetée « covid » n’est pas de
nature à changer la donne, sauf à jouer sur la maturité de cette dette pour se
donner le temps de la rembourser.
En conclusion, la France, soutenue en cela par la politique monétaire
européenne, peut pour l’instant rembourser sa dette et il n’est donc pas
nécessaire de travailler à des scénarios de non remboursement à court et
même à moyen terme, d’autant plus que cela donnerait de mauvais signaux
aux acquéreurs des titres de dette français. Pour autant, on sait bien que
l’avenir est imprévisible, ce que la crise de la Covid-19 est venue illustrer
avec fracas.
Abréviations
ACP : (pays) Afrique-Caraïbes-Pacifique
AE : autorisations d’engagement
AELE : Association européenne de libre-échange
AFITF : Agence de financement des infrastructures de transports de France
AFL : Agence France Locale
APB : avant-projet de budget
APE : Agence des participations de l’État
APU : administrations publiques
APUL : administrations publiques locales
art. : article
ASSO : administrations de Sécurité sociale
BAT : bureau d’assistance technique
BCE : Banque centrale européenne
BEPS : Base Erosion and Profit Shifting
BNRDF : Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale
BOFiP : Bulletin officiel des finances publiques
BOP : budget opérationnel de programme
BP : budget primitif
BPI : Banque publique d’investissement
BS : budget supplémentaire
C3S : contribution sociale de solidarité des sociétés
CAP : contribution à l’audiovisuel public
CASA : contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie
CBCM : contrôleur budgétaire et comptable ministériel
CC : Conseil constitutionnel
CDC : Caisse des dépôts et consignations
CE : Conseil d’État
CEDH : Cour européenne des droits de l’homme
CEE : Communauté économique européenne
CEHR : contribution exceptionnelle sur les hauts revenus
CESDH : Convention (européenne) de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales
CESER : Conseil économique, social et environnemental de région
CET : contribution économique territoriale
CFE : cotisation foncière des entreprises
CFL : comité des finances locales
CFP : cadre financier pluriannuel
CGE : compte général de l’État
CGEFI : contrôle général économique et financier
CHD : contrôle hiérarchisé de la dépense
CHR : contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (aussi : CEHR)
CI : crédit d’impôt
CICE : crédit d’impôt compétitivité emploi
CIDD : crédit d’impôt développement durable
CJUE : Cour de justice de l’Union européenne
CMP : Commission mixte paritaire (du Parlement)
COBU : Commission des budgets (du Parlement européen)
COCOBU : Commission du contrôle budgétaire (du Parlement européen)
cons. : considérant
CP : crédits de paiement
CPO : Conseil des prélèvements obligatoires
CRDS : contribution au remboursement de la dette sociale
CSG : contribution sociale généralisée
CSPE : contribution au service public de l’électricité
CRTC : chambres régionales (ou territoriales) des comptes
CTE : coopération territoriale européenne
CVAE : cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises
DDHC : Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789
DGAC : Direction générale de l’aviation civile
DGDDI : Direction générale des douanes et des droits indirects
DGF : dotation globale de fonctionnement
DGFiP : Direction générale des finances publiques
DLF : Direction de la législation fiscale
DMTG : droits de mutation à titre gratuit
DNO : dépenses non obligatoires
DO : dépenses obligatoires
DOB : débat d’orientation budgétaire
DPE : déficit public excessif
DPG : documents prévisionnels de gestion
DRP : décision relative aux ressources propres
DSS : Direction de la Sécurité sociale
EM : États membres (de l’Union européenne)
EPCI : établissement public de coopération intercommunale
EPL : établissement public local
EPN : établissement public national
EPS : établissement public de santé
ETNC : État ou territoire non coopératif
ETPT : équivalents temps plein travaillés
IEJ : initiative en faveur de l’emploi des jeunes
FATCA : Foreign Account Tax Compliance Act
FCTVA : Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée
FED : Fonds européen de développement
FESF : Fonds européen de stabilité financière
FPIC : Fonds de péréquation intercommunal et communal
FSI : Fonds stratégique d’investissement
GAFA : Google, Apple, Facebook, Amazon
GOPE : grandes orientations de politique économique
IFA : imposition forfaitaire annuelle
IFER : imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux
IFU : interlocuteur fiscal unique
IGF : Inspection générale des finances
INSEE : Institut national de la statistique et des études économiques
IR : impôt sur le revenu
IS : impôt sur les sociétés
ISF : impôt de solidarité sur la fortune
LF : loi de finances
LFI : loi de finances initiale
LFR : loi de finances rectificative
LFSS : loi de financement de la Sécurité sociale
LOLF : loi organique relative aux lois de finances [du 1er août 2001]
LPF : livre des procédures fiscales
LPFP : loi de programmation des finances publiques
LR : loi de règlement
MEC : mission d’évaluation et de contrôle
MECSS : mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la
Sécurité sociale
MES : mécanisme européen de stabilité
MESF : mécanisme européen de stabilité financière
OAT : obligations assimilables du Trésor
OCDE : Organisation de coopération et de développement économique
ODAC : organismes divers d’administration centrale
ODAL : organismes divers d’administration locale
OMC : Organisation mondiale du commerce
ONU : Organisation des Nations unies
OPCVM : organismes de placement collectifs en valeurs mobilières
OSS : organismes de Sécurité sociale
PAC : politique agricole commune
PAP : projet annuel de performance
PB : projet de budget
PBI : programmation budgétaire initiale
PE : Parlement européen
PECO : pays d’Europe centrale et orientale
PEP : Pandemic Emergency Purchase Program
PFL : prélèvement forfaitaire libératoire
PGN : plafonnement global des niches (officiellement : plafonnement
global de certains avantages fiscaux)
PIB : produit intérieur brut
PLF : projet de loi de finances
PME : petites et moyennes entreprises
PO : prélèvements obligatoires
PSR : prélèvement sur recettes
RAP : rapport annuel de performance
RBOP : responsable de budget opérationnel de programme
REOM : redevance d’enlèvement des ordures ménagères
REPSS : rapport d’évaluation des politiques de Sécurité sociale
RFR : revenu fiscal de référence
RGPO : révision générale des prélèvements obligatoires
RGPP : révision générale des politiques publiques
RI : réduction d’impôt
RNB : revenu national brut
ROBSS : Régimes obligatoires de Sécurité sociale
RPP : responsabilité personnelle et pécuniaire (des comptables publics)
RPROG : responsable de programme
RPT : ressources propres traditionnelles
RSA : revenu de solidarité active
RUO : responsable d’unité opérationnelle (de programme)
SIE : service des impôts des entreprises
SIP : service des impôts des particuliers
TASCOM : taxe sur les surfaces commerciales
TEOM : taxe d’enlèvement des ordures ménagères
TFPB : taxe foncière sur les propriétés bâties
TFPNB : taxe foncière sur les propriétés non bâties
TFUE : traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
TGAP : taxe générale sur les activités polluantes
TH : taxe d’habitation
TICPE : taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques
TP : taxe professionnelle
TS : taxe sur les salaires
TSCA : taxe spéciale sur les conventions d’assurance
TSCG : traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance
TTF : taxe sur les transactions financières
TVA : taxe sur la valeur ajoutée
UE : Union européenne
UEM : Union économique et monétaire
URSSAF : Unions de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale
et d’allocations familiales
VLC : valeurs locatives castrales (aussi appelées valeurs locatives
foncières)
Index
Abattement 1, 2
ACCIS (assiette commune consolidée d’impôt sur les sociétés) 1, 2, 3, 4
ACOSS (Agence centrale des organismes de Sécurité sociale) 1, 2
AE (autorisations d’engagement) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
AFL (Agence France Locale) 1, 2, 3, 4, 5
AFT (Agence France Trésor) 1, 2
Agence de notation 1
Aide d’État 1
Allais (Maurice) 1
APE (Agence des participations de l’État) 1, 2, 3, 4, 5, 6
Autonomie financière 1, 2, 3
BCE (Banque centrale européenne) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) 1, 2
BOFiP (Bulletin officiel des finances publiques) 1
BOP (budget opérationnel de programme) 1, 2, 3
Bouclier fiscal 1, 2
BPI (Banque publique d’investissement) 1, 2, 3, 4, 5
Budget primitif 1, 2
Budget supplémentaire 1, 2
C3S (contribution sociale de solidarité des sociétés) 1, 2, 3
CADES (caisse d’amortissement de la dette sociale) 1, 2, 3, 4
CAP (contribution à l’audiovisuel public) 1
Cavalier social 1
CDBF (Cour de discipline budgétaire et financière) 1, 2, 3, 4
CDC (Caisse des dépôts et consignations) 1, 2, 3, 4
CFE (cotisation foncière des entreprises) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11,
12, 13, 14
CGE (compte général de l’État) 1, 2, 3
Charte de budgétisation 1, 2
CHR (contribution exceptionnelle sur les hauts revenus) 1, 2
CICC (commission interministérielle de coordination des contrôles) 1
CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi) 1, 2, 3, 4
Commission consultative sur l’évaluation des charges 1
Comptabilité d’analyse des coûts (CAC) 1, 2
Comptabilité de caisse 1, 2, 3, 4, 5
Comptabilité en droits constatés 1, 2, 3
Comptabilité nationale 1, 2, 3
Compte administratif 1, 2, 3
Concours financiers 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Concurrence fiscale 1, 2
Conseil constitutionnel 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32
Conseil d’État 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Constitution 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26
Contrôle fiscal 1
Conventions d’objectifs et de gestion 1
Cotisations sociales 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Cour des comptes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,
18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33
Cour des comptes européenne 1, 2, 3, 4, 5
CP (crédits de paiement) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
CPO (Conseil des prélèvements obligatoires) 1, 2, 3, 4, 5
CRC (Chambres régionales des comptes) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Crédit d’impôt 1
CSG (contribution sociale généralisée) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12,
13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22
CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7,
8, 9, 10, 11, 12
CVO (contributions volontaires obligatoires) 1, 2
DAS (déclaration d’assurance) 1, 2, 3, 4, 5
DDHC (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789) 1, 2, 3,
4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
Décision modificative 1
Déficit conjoncturel 1
Déficit primaire 1, 2
Déficit structurel 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Dépense fiscale 1, 2, 3, 4, 5
Dépense publique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Dette 1
DGDDI (Direction générale des douanes et des droits indirects) 1, 2, 3, 4,
5, 6, 7, 8, 9, 10
DGFiP (Direction générale des finances publiques) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9,
10
DLF (Direction de la législation fiscale) 1, 2, 3, 4
DMTG (droits de mutation à titre gratuit) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
DMTO (droits de mutation à titre onéreux) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11,
12, 13, 14
DOB (débat d’orientation budgétaire) 1, 2
DOFP (débat d’orientation des finances publiques) 1, 2, 3, 4
DSS (Direction de la Sécurité sociale) 1
Effet boule de neige 1, 2
Effort structurel 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Établissement d’office 1, 2
État actionnaire 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
ETNC (État ou territoire non coopératif) 1, 2, 3, 4, 5, 6
Eurogroupe 1, 2
Exonération 1, 2, 3, 4, 5
FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) 1, 2
FCTVA (fonds de compensation de la TVA) 1, 2, 3
Fiscalité environnementale 1, 2, 3, 4, 5
Fonds de concours 1
Fongibilité 1
GBCP (décret relatif à la gestion budgétaire et comptable publique) 1, 2,
3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Haut Conseil des finances publiques 1, 2, 3, 4, 5, 6
IFER (imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau) 1, 2, 3, 4, 5, 6
IFU (interlocuteur fiscal unique) 1, 2
IGF (inspection générale des finances) 1, 2, 3, 4, 5, 6
Impôts directs 1, 2
IR (impôt sur le revenu) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35,
36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50
ISF (impôt de solidarité sur la fortune) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12,
13
IS (impôt sur les sociétés) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,
16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24
Keynésianisme 1
Laffer (courbe de) 1
Lettre de cadrage 1
Lettre plafond 1
LFI (loi de finances initiale) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,
16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34,
35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53,
54, 55, 56, 57, 58, 59
LFR (loi de finances rectificative) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,
14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26
LFSS (loi de financement de la Sécurité sociale) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9,
10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28,
29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43
LOLF (loi organique relative aux lois de finances) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9,
10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28,
29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47,
48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66,
67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85,
86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95
LOLFSS (loi organique relative aux LFSS) 1, 2, 3, 4, 5
LPFP (loi de programmation des finances publiques) 1, 2, 3, 4
LTRO (Long term refinancing operations) 1
MACF (mécanisme d’ajustement carbone aux frontières) 1, 2
MEC (mission d’évaluation et de contrôle) 1, 2
MECSS (mission d’évaluation et de contrôle des LFSS) 1, 2
MES (Mécanisme européen de stabilité) 1, 2, 3, 4, 5, 6
Multiplicateur 1
Next Generation EU 1
OAT (Obligation assimilable du Trésor) 1, 2, 3, 4
ODAC (organismes divers d’administration centrale) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8,
9, 10
ODETE 1
OMT (objectif de moyen terme) 1, 2, 3, 4
ONDAM (objectif national des dépenses d’assurance maladie) 1, 2, 3, 4,
5, 6, 7, 8
PAC (politique agricole commune) 1, 2
Pacte de stabilité et de croissance 1
Pandemic Emergency Purchase Programme 1
PAP (programme annuel de performance) 1, 2, 3, 4, 5, 6
Paradis fiscal 1
Pigouvienne (taxe) 1
PO (prélèvements obligatoires) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,
15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33,
34
Prix de transfert 1
Quantitative easing 1
RAP (rapport annuel de performance) 1, 2, 3, 4, 5
Redistribution 1
Réduction d’impôt 1
Relation de confiance 1
REPSS 1, 2
Réquisition 1
RFR (revenu fiscal de référence) 1
RGPO (révision générale des prélèvements obligatoires) 1
RGPP (révision générale des politiques publiques) 1, 2
Rôle (recouvrement sur) 1
RPP (responsabilité personnelle et pécuniaire) 1, 2, 3, 4, 5
Ruling 1
Solvabilité 1
Soutenabilité 1
Stabilisateurs automatiques 1
Tableau de financement 1, 2
TASCOM (taxe sur les surfaces commerciales) 1, 2, 3, 4
Taux d’intervention 1, 2
Taux nominal 1
Taxe de séjour 1
Taxes affectées 1, 2, 3
TEOM (taxe d’enlèvement des ordures ménagères) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
TFPB (taxe foncière sur les propriétés bâties) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10,
11, 12, 13, 14
TFPNB (taxe foncière sur les propriétés non bâties) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8,
9, 10
TH (taxe d’habitation) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) 1,
2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
TP (taxe professionnelle) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
TSCG (traité sur la stabilité, la compétitivité et la gouvernance en
Europe) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
TTF (taxe sur les transactions financières) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
TVA sociale 1, 2, 3, 4, 5
TVA (taxe sur la valeur ajoutée) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,
15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33,
34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52,
53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64
Union économique et monétaire 1, 2
VLC (valeurs locatives cadastrales) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Wagner (loi de) 1, 2
1. En dépit de l’intervention de la BCE sur le marché secondaire des titres d’État.
2. Cette opération parfois dite « bazooka » en référence au mot célèbre du secrétaire d’État au
Trésor américain Henry Paulson (« Si vous avez un bazooka dans votre poche et que les gens le
savent, vous n’aurez probablement pas à vous en servir »), consistait à mettre à la disposition des
banques environ 1 000 Md€ à un taux faible et pour une durée de trois ans afin de relancer le canal
du crédit et par conséquent l’activité économique.
3. On parle de « PELTROs » (Pandemic emergency longer-term refinancing operations).
4. Paul Leroy-Beaulieu, Traité de la science des finances, Paris, 1877.
5. Cf. Alain Testart, L’Esclave, la dette et le pouvoir, Errance, 2001.
6. Notamment avec l’apparition des cité-états sumériennes puis assyro-babyloniennes, de l’Empire
Egyptien et des empires au Nord : Hittite, du Mitani, Elamite etc. Voir en ce sens, LIVERANI,
Mario, The Ancient Near East : History, Society and Economy, Routledge, 2013.
7. Les premiers travaux de référence concernent la Chine sous la dynastie des Zhou, en particulier,
LI, Feng, Bureaucracy and the state in Early China : Governing the western Zhou, Cambridge
University Press, 2012 (reprint).
8. Cf. MIGEOTTE, Léopold, Les Finances des cités grecques, aux périodes classiques et
hellénistiques, Belles Lettres, 2014.
9. FRANCE, Jérôme, Fiscalité et souveraineté dans l’Empire romain, in Taxation and
Sovereignty : explorations in Fiscal History from Antiquity to Modernity, Florence 14-16 mai
2014.
10. On appelle « autopraxie » la faculté pour certains assujettis d’effectuer l’avance de la recette
fiscale à l’État pour ensuite la prélever sur les autres contribuables et ainsi se rembourser. Le
système étant endogène à la gestion publique et accompagnant l’exercice d’une charge ou dignité
dont il constitue la rémunération, il s’oppose à la prise à ferme qui suppose une
« contractualisation ». Voir en ce sens, Elisabeth Magnou-Nortier, Aux origines de la fiscalité
moderne, Genève, Droz, 2012.
11. Cf. Lydwine Scordia, Le roi doit vivre du sien, la théorie de l’impôt en France XIIIe-XVe siècles,
Instituts Études Augustiniennes, 2005.
12. DESSERT, Daniel, Le royaume de Monsieur Colbert, Perrin, 2007, ainsi que DURAND, Yves,
Les fermiers généraux au XVIIIe siècle, Maisonneuve-Larose, 1996.
13. Selon Adam Smith, « l’impôt peut entraver l’industrie du peuple et le détourner de s’adonner à
certaines branches de commerce ou de travail » (in La Richesse des nations, 1776).
14. Jean-Baptiste Say, Traité d’économie politique, livre III, chapitre IX, Paris, 1803.
15. La présentation qui en est faite ici s’inspire des trois fonctions attribuées par Richard Musgrave
à l’État, à savoir l’allocation optimale des ressources, la redistribution des revenus et des
patrimoines, ainsi que la régulation de la conjoncture économique (cf. Richard Musgrave, The
Theory of Public Finance, McGraw-Hill, 1959).
16. Ce rapport s’élève à 8,6 avant redistribution et à 4,3 après, selon une étude de la DREES
publiée en 2020 et relative à l’année 2017 (Minima sociaux et prestations sociales – Ménages aux
revenus modestes et redistribution – Édition 2020, p. 45).
17. Jan Tinbergen, Techniques modernes de la politique économique, Paris, Dunod (trad. fr.), 1961.
1. Qui, selon l’INSEE, « regroupent l’ensemble des unités privées dotées de la personnalité
juridique qui produisent des biens et services non marchands au profit des ménages. Leurs profits
proviennent de contributions volontaires en espèces ou en nature effectuées par les ménages en
leur qualité de consommateurs, de versements provenant des administrations publiques ainsi que
de revenus de la propriété. »
2. Précision apportée par le professeur Jacques Généreux, Économie politique, tome 1 : Économie
descriptive et comptabilité nationale, 2016.
3. INSEE.
4. Dossier législatif du Sénat sur le PLF 2021 (mission recherche et enseignement supérieur).
5. État et opérateurs.
6. Administrations centrales, locales et de Sécurité sociale.
7. Rapport annuel sur l’état de la fonction publique et les rémunérations (édition 2020).
8. Cour des comptes, Les relations entre l’État et ses opérateurs, janvier 2021.
9. Article premier de la Constitution du 4 octobre 1958.
10. Il convient pour cela de parvenir à bien estimer la croissance potentielle et l’écart de
production (output gap) de sorte de pouvoir identifier avec un degré de fiabilité suffisant la
position de l’économie au sein du cycle.
11. Les statistiques OCDE diffèrent de celles de l’INSEE, en raison de conventions différentes.
12. Avec moins de 36 milliards d’euros en 2020, la charge de la dette a baissé (plus de 40 milliards
en 2014) grâce à des taux d’intérêt historiquement bas ; la charge devrait être croissante désormais,
voire handicapante en cas de remontée des taux.
13. Au quatrième trimestre 2020, 3,6 millions de personnes n’avaient aucune activité et en
cherchaient une (chômeurs dits de catégorie A).
1. L’INSEE considère en effet que le redevable de la TEOM bénéficie d’une contrepartie
immédiate, à savoir l’accès au service d’enlèvement et de traitement des ordures ménagères.
Toutefois, ce classement est contestable dans la mesure où le champ et l’assiette de la TEOM sont,
au niveau individuel, sans lien avec le coût du service. Ainsi un garage est-il soumis à la TEOM
quand bien même son propriétaire ne produit pas d’ordures ménagères.
2. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a considéré que, pour l’application du
règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de
Sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur
famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, « la CSG [sur les revenus d’activité de
remplacement] présente un tel lien direct et suffisamment pertinent avec les lois qui régissent les
branches de Sécurité sociale énumérées à l’article 4 du règlement no 1408/71 pour qu’elle puisse
être regardée comme un prélèvement visé par l’interdiction de double cotisation » (CJUE, 15
février 2000, Commission c/ France, aff. C-169/98). La CJUE a ensuite étendu ce raisonnement à
la CSG sur les revenus du capital (CJUE, 26 février 2015, de Ruyter, aff. C-623/13). Par
conséquent, les personnes ne relevant pas de la législation française relative à la Sécurité sociale
mais de celle d’un autre État membre de l’UE ou de l’espace économique européen ne doivent pas
être redevables de la CSG.
3. Pour financer le service d’enlèvement et de traitement des ordures ménagères, les communes ou
leurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ont le choix entre une
ressource fiscale (la TEOM, dont le montant pour le redevable n’est pas lié au service qui lui est
rendu), une redevance (la REOM, dont le montant pour l’usager est fonction du service qui lui est
rendu) et le financement par le budget général.
4. Données INSEE (SEC2010). Il s’agit du taux effectif de PO, donné par le ratio PO/PIB. Cet
agrégat est distinct du taux de prélèvement propre à un impôt ou une cotisation, auquel est soumis
un revenu par exemple.
1. Fondé sur l’art. 121 TFUE.
2. Fondé sur l’art. 126 TFUE.
3. Schématiquement, le semestre européen se déroule de janvier (examen annuel de la croissance
des États membres par le Conseil, sur la base de travaux de la Commission, commencés en
novembre) à juin/juillet (application par le Conseil européen puis le Conseil de l’UE des
recommandations par État).
4. Cf. son rapport annuel 2020, publié en octobre 2020.
5. L’article 34 de la Constitution dispose que « les orientations pluriannuelles des finances
publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre
des comptes des administrations publiques. »
1. La convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a des
exigences similaires.
2. « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des
pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »
3. Sauf cas très particulier où le contribuable est titulaire d’une créance de nature fiscale,
susceptible d’être protégée par l’article 1er du 1er protocole additionnel à la convention européenne
de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) (Conseil d’État,
9 mai 2012, Société EPI).
4. Cette jurisprudence est transposable à l’impôt sur la fortune immobilière (en ce sens, cf. CC,
décision no 2018-755 QPC du 15/01/2019, M. Luc).
5. Le taux marginal d’imposition est le taux auquel est taxé un euro supplémentaire de revenu (en
l’occurrence). Il se distingue du taux moyen, qui résulte du rapport impôt payé/assiette de cet
impôt. Le taux est dit « cumulé » ou « global » lorsqu’il est donné par l’addition des taux de
différents impôts pesant sur la même assiette.
6. 132/(100+132) = 57 %. Le Conseil constitutionnel a explicitement privilégié cette approche,
plus pertinente s’agissant d’impositions dues par l’employeur (CC, décision no 2012-685 DC du
29/12/2013, LFI 2014, cons. 24).
7. Une partie de la doctrine universitaire fait la distinction entre le consentement à l’impôt, qui
relèverait des citoyens, et consentement de l’impôt, qui renverrait à son acceptation formelle par
l’intermédiaire de leurs représentants.
8. Les Anglais parlent d’accountability.
9. L’examen par la CJUE de la compatibilité des dispositions fiscales nationales avec les textes
européens et les principes tirés du TFUE peut découler d’une action en manquement introduite
contre un État membre mais aussi, plus souvent, d’un renvoi préjudiciel au cours d’un litige devant
une juridiction nationale.
10. Par un arrêt AFEP du 17 mai 2017, la CJUE a déclaré la taxe française sur les bénéfices
distribués partiellement contraire à l’art. 4 de la directive mère-fille, qui prohibe l’imposition des
dividendes reçus par une société mère de la part ses filiales européennes, dans la mesure où cette
taxe, en imposant « à la sortie » les dividendes distribués par les sociétés mères, conduisait de fait
selon la CJUE à imposer les dividendes perçus « à l’entrée ». Cet arrêt avait pour conséquence que
les distributions de bénéfices par une société mère française ne pouvaient être soumises à la taxe
que si ceux-ci ne provenaient pas de filiales établies dans d’autres États membres, ce qui revenait à
exonérer une partie des distributions. Le Conseil constitutionnel a estimé que la différence de
traitement qui en résultait selon que les sociétés recevaient des dividendes de filiales européennes
ou non n’était pas justifiée et a en conséquence annulé la taxe dans sa totalité (CC, décision
no 2017-660 QPC du 6 octobre 2017). L’État a dû rembourser aux contribuables qui avaient
réclamé 10 Md€, soit la quasi-totalité des recettes que la taxe avait procurées depuis son institution
en 2012.
11. S’agissant d’impositions affectées aux ASSO, les mesures législatives relatives aux
prélèvements sociaux trouvent en principe leur place dans les lois de financement de la Sécurité
sociale, dont la préparation revient aux ministères chargés respectivement du budget et des affaires
sociales et, plus particulièrement, à la DSS, en liaison avec les autres ministères intéressés, tel
celui de l’agriculture au titre de la Mutualité sociale agricole.
12. Cf. articles L. 199 et L. 281 du livre des procédures fiscales.
1. L’une des raisons de la guerre d’Indépendance américaine : les 13 colonies britanniques
refusaient de payer des impôts à la Grande-Bretagne puisqu’elles n’étaient pas représentées en son
parlement.
2. Décision no 94-351 DC, LFI 1995, cons. 6.
3. Suite à des révélations concernant le paiement en espèces, sur fonds spéciaux, de voyages
effectués par le président de la République et ses proches.
4. Ils sont complétés en partie par des crédits alloués aux ambassades et inclus dans le budget du
ministère des affaires étrangères.
5. C’est l’hypothèse développée de façon plus systématique par le philosophe allemand Peter
Sloterdijk dans son ouvrage « Repenser l’impôt », Paris, 2012.
6. Y compris le montant des attributions de produits.
7. À noter que l’inverse n’est pas vrai : on ne peut pas gager une baisse de recettes par une
économie en dépenses.
1. Ce qui exclut justice, défense, éducation nationale, enseignement supérieur, finances publiques.
2. La mission d’information sur la mise en œuvre de la LOLF (MILOLF) de l’Assemblée nationale
contrôle en particulier l’effectivité et la pertinence des indicateurs de performance. Elle publie des
rapports comprenant des recommandations à l’attention du gouvernement.
3. Jean Arthuis, 2005.
4. Lesquelles peuvent consister en des affections de tout ou partie de taxes.
5. Art. L. 131-7 du CSS, tel que modifié par la loi no 2004-810 du 13 août 2004 relative à
l’assurance maladie et art. LO. 111-3, introduit par la loi organique no 2005-881 du 2 août 2005
relative aux lois de financement de la Sécurité sociale.
1. Dans la pratique, il y a souvent plusieurs LFR par an.
2. Décision du Conseil constitutionnel du 24 juillet 1991.
3. Quatre LFR en 1981.
4. « (…) l’examen de loi de règlement, au printemps, est expédié en quelques jours, voire en un,
comme par une profonde et préoccupante indifférence aux résultats effectifs », Alain LAMBERT
dans « Le Bilan des dix années de mise en œuvre de la LOLF », Revue Gestion finances publiques
no 6 novembre-décembre 2016 (p. 12).
1. Cf. Robin DEGRON, « Fiscalité verte et « budget vert » : Critiques écologiques et perspectives
financières » in Revue française de finances publiques (no 153, p. 175, février 2021).
2. L’assemblée saisie se prononce alors par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion,
en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le gouvernement.
1. Effectués par décret.
2. Glossaire de la direction du budget.
3. Ce taux est inférieur à celui retenu sous le quinquennat précédent (l’article 12 de la LPFP 2014-
2019 prévoyait un taux de mise en réserve d’au moins 6 %), le gouvernement s’étant efforcé de
renforcer la sincérité de la budgétisation initiale afin de revenir à une pratique plus raisonnée des
outils de régulation.
4. Le chapitre 11 développera combien les acteurs sont structurés en France autour de la séparation
des ordonnateurs et des comptables.
5. La DGDDI est également une direction générale du ministère chargé des finances.
6. Cf. chapitre 11.
1. Article 53 du décret no 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et
comptable publique.
2. Soient toutes les APU au sens du règlement (CE) no 2223/96 du Conseil, du 25 juin 1996, relatif
au système européen des comptes nationaux et régionaux dans la Communauté.
3. En 2012, toute la comptabilité de l’État a basculé dans le nouveau système d’information appelé
« Chorus » et qui correspond à un standard d’entreprise (standard SAP).
4. Les données se rapportent à l’année 2020 (source : comptes de l’État annexés au projet de loi de
règlement du budget et d’approbation des comptes 2020).
5. L’équivalent du comptable public pour les OSS.
6. Niveau le plus élevé, atteignable après inscription sur la liste d’aptitude composée d’anciens
élèves de l’école nationale supérieure de Sécurité sociale (EN3S).
7. Par le décret no 2018-803 du 24 septembre 2018 modifiant le décret no 2012-1246 du
7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique et autorisant diverses
expérimentations.
8. Arrêt de la Cour des comptes du 23 août 1834, Commune de Roubaix.
9. Par exemple une association dirigée par des fonctionnaires qui utilise les moyens matériels d’un
organisme public et facture des prestations à des clients extérieurs.
1. Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à l’Assemblée
nationale, et commission des finances, au Sénat.
2. Qui n’ont pas de vocation généraliste mais se voient attribuer un domaine de compétences.
3. S’il s’agit, dans les faits d’une structure permanente, elle est constituée pour un an et reconduite
en principe chaque année.
4. Troisième et dernière catégorie de juridiction financière avec la Cour des comptes et les CRC.
5. Cf. II de l’art. 88 du décret no 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et
comptable publique.
6. Art 5 du décret no 2005-54 du 27 janvier 2005 relatif au contrôle financier au sein des
administrations de l’État.
7. Anciennement commissaire du gouvernement.
8. Il est à noter que dans le cadre de la LOLF, pour mesurer la performance des préfectures en
matière de conseil aux collectivités territoriales, l’un des trois indicateurs retenus est le taux de
saisines de la chambre régionale des comptes jugées recevables.
1. Données 2019. Source : INSEE.
2. Les frais de gestion sont des impositions additionnelles, généralement calculées en pourcentage
de l’impôt proprement dit (par exemple 3 % pour la TFPB), que l’État perçoit pour couvrir ses
frais d’assiette et de recouvrement, d’une part, et de dégrèvements et non valeurs, d’autre part.
C’est en effet l’État qui assure l’établissement et le recouvrement des impôts locaux et qui assume
en outre un risque financier lié à l’écart entre l’impôt émis (reversé aux collectivités) et l’impôt
effectivement recouvré.
3. Les dépenses « réelles » sont les dépenses qui se caractérisent par un décaissement en trésorerie.
Elles se distinguent des dépenses d’ordre, telles les dotations aux amortissements.
4. Instruction interministérielle relative à la mise en œuvre des articles 13 et 29 de la loi no 2018-
32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022,
NOR : INTB1806599J.
5. Ce concept de contractualisation financière a été discuté à la conférence nationale des territoires
qui s’est tenue à Cahors en 2017, avant d’être inscrit dans la loi.
6. Conformément à l’objectif affiché par le programme de stabilité 2021-2027 (avril 2021).
7. Cour des comptes, rapport sur les finances publiques locales, octobre 2014.
8. On retiendra essentiellement que les régions sont depuis lors compétentes pour le transport
interurbain et le transport scolaire.
9. A contrario, la péréquation verticale est le fait de l’État et prend donc la forme de dotations
budgétaires (dotation de solidarité urbaine, dotation de solidarité rurale, dotation nationale de
péréquation…).
10. Ce pourcentage, qui s’élevait initialement à 39,5 %, a été révisé pour intégrer des collectivités
uniques d’outre-mer (qui ont les compétences des régions et des départements).
11. Source : PLF 2021, jaune budgétaire Transferts financiers de l’État aux collectivités
territoriales.
12. Les fonds sont versés par l’État aux collectivités environ deux ans après les dépenses, sauf
pour les collectivités bénéficiant de dérogations, qui perçoivent le FCTVA en année N + 1 voire N.
13. Auxquels s’ajoutent 0,7 Md€ de DMTO transférés lors de la suppression de la taxe
professionnelle.
14. Une disposition de la loi égalité et citoyenneté, issue d’un amendement parlementaire, privait
de la dotation de solidarité urbaine les communes faisant l’objet d’une procédure de carence pour
insuffisance de logements sociaux. Le Conseil constitutionnel a jugé qu’elle restreignait les
ressources de ces communes au point d’entraver leur libre administration, dès lors que les
communes en cause étaient confrontées à une insuffisance de ressources et supportaient des
charges élevées et que certaines d’entre elles se verraient privées d’une part substantielle de leurs
recettes de fonctionnement (décision no 2016-745 DC du 26 janvier 2017, loi relative à l’égalité et
à la citoyenneté, cons. 61 à 69).
1. On parle de chambres territoriales des comptes dans les collectivités d’outre-mer régies par
l’article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie.
2. Les comptes des collectivités locales sont obligatoirement tenus par le comptable public
territorialement compétent. Ce dernier, appelé trésorier, relève des services territoriaux de la
direction générale des finances publiques.
3. Les dépenses obligatoires sont celles nécessaires à l’acquittement des dettes exigibles et celles
pour lesquelles la loi l’a expressément décidé (cf. art. L1612-15 CGCT), par exemple les dépenses
de personnel et l’entretien de l’hôtel de ville ou assimilé.
4. En outre, dans les départements d’outre-mer, les services déconcentrés de l’État et de l’Agence
française de développement assurent un accompagnement particulier des collectivités le
nécessitant. C’est notamment l’objet du dispositif « Cocarde » (contrat d’objectif communal d’aide
à la restructuration et au développement).
1. Dans ce tableau, la mention « communes » recouvre également les recettes des EPCI.
2. Le STIF n’est pas formellement une collectivité locale.
3. À part la région Île-de-France, qui bénéficie d’une taxe additionnelle à la TFPB et à la CFE
(TASA).
4. Pour mémoire, les droits de mutation à titre gratuit (droits de donation et de succession) ne sont
pas des impôts locaux, même lorsqu’ils portent sur des biens immobiliers.
5. Les plafonds en résultat peuvent être fort élevés : plus de 142 % dans le Tarn-et-Garonne pour la
TFPB et de 487 % dans le Lot pour la TFPNB en 2021.
6. Valeurs pour 2021. À titre d’exemple, si, dans une commune où le taux de CFE est de 20 %, un
contribuable dont le chiffre d’affaires est de 100 000 € occupe un local dont la VLC nette est de
8 000 €, sa cotisation devrait être de 1 600 €. Si la cotisation minimale applicable s’élève à
2 000 €, il sera redevable de cette dernière.
7. Ce coefficient peut être porté à 1,3 par les collectivités locales qui instaurent parallèlement
l’abattement de TFPB prévu par l’article 1388 quinquies C du CGI en faveur des petites boutiques
situées hors d’un ensemble commercial.
8. Par ailleurs, l’État perçoit des frais d’assiette et de recouvrement de 2,37 % de la taxe
départementale, soit 0,11 % lorsque le taux s’élève à 4,5 % .
9. À noter qu’une précédente révision, portant sur l’ensemble des locaux professionnels et
d’habitation, a été menée en 1990 mais n’a jamais été mise en œuvre, précisément du fait de ses
effets redistributifs.
10. Cf. l’avis du Conseil d’État du 31 janvier 2019 sur les conditions de constitutionnalité d’une
réforme de la taxe d’habitation (avis no 396589 au rapport de M. Uher, disponible sur
ConsiliaWeb).
11. Sur ce point, cf. le rapport au Premier ministre du député Jean-René Cazeneuve « Évaluation
de l’impact de la crise du Covid-19 sur les finances locales » (juillet 2020).
1. Dette négociable de l’État/recettes nettes en 2020.
2. Désormais la directive dite MIF 2 (directive 2014/65/EU du Parlement européen et du Conseil
du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers, cf. annexe II).
3. Introduit par la loi no 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités
bancaires.
4. Cf. Samuel-Frédéric Servière, « Agence de financement des collectivités locales. La fausse
bonne idée », septembre 2011.
1. Il s’agit de la caisse nationale des URSSAF.
2. Gestionnaire de la branche autonomie.
3. La mutualité sociale agricole (MSA), deuxième régime de Sécurité sociale.
4. 3. J. Tirole et alii, Refonder l’assurance-maladie, note CAE no 12, avril 2014.
5. Réalisé par l’institut Harris.
6. Par l’ordonnance no 96-50 du 24 janvier 1996.
7. Données prévisionnelles.
8. Codifiée à l’article 4 bis de l’ordonnance no 96-50 du 24 janvier 1996 relative au
remboursement de la dette sociale.
9. Selon la commission des finances du Sénat (avis sur le PLFSS 2021), toutes choses égales par
ailleurs, il est permis d’évaluer à 2035 l’amortissement total de la dette sociale.
10. Cf. rapport de Jacques Bichot pour l’Institut Montaigne, 2006.
11. Laquelle a remplacé la CMU en 2016.
1. Selon la formule de Marc Blondel, secrétaire général de Force ouvrière : « étatisation,
antichambre de la privatisation ».
2. À l’exception des régimes de base de moins de 20 000 cotisants avant 2005.
3. Source : annexe V au PLFSS 2021.
4. Contribution de l’assurance maladie aux dépenses en établissements et services pour personnes
âgées et pour personnes handicapées.
5. Anciennement programmes de qualité et d’efficience (PQE).
6. Régime général et régime agricole (MSA). Si le régime général compte quatre caisses nationales
(CNAM, CNAV, CNAF et ACOSS), le régime agricole comporte une seule caisse centrale.
7. Ce sont des commissaires aux comptes qui assurent cette mission pour le régime agricole.
8. Il est permis de penser ici au « quoi qu’il en coûte » édicté par le président de la République au
début de la pandémie le 12 mars 2020.
9. Cf. rapport de MM. Malvy et Lambert, Pour un redressement des finances publiques fondé sur
la confiance mutuelle et l’engagement de chacun, avril 2014.
1. La Commission peut désormais également modifier ce projet jusqu’à la convocation du comité
de conciliation.
2. Frais surévalués qui profitent aux États membres par lesquels passent les importations (avantage
pour les PaysBas notamment), qui étaient les plus perdants au transfert des droits de douane à
l’UE. Les frais étaient de 20 % pour le cadre financier pluriannuel 2014-2020.
3. Les chiffres se rapportent au CFP dans son ensemble, d’une durée de 7 ans.
4. Programme-cadre de l’UE pour la recherche et l’innovation.
5. Le programme européen pour l’éducation, la formation, la jeunesse et le sport, grâce auquel plus
de quatre millions de personnes peuvent travailler et étudier dans toute l’Europe.
6. Competitiveness for Small and Medium Enterprises (Programme pour la compétitivité des
entreprises et des petites et moyennes entreprises).
7. Le terme région étant ici à prendre au sens du droit de l’UE et non du droit public français. La
Nouvelle Calédonie et les collectivités d’Outre-mer (COM), notamment la Polynésie française,
bénéficient de financements communautaires mais au titre du FED : en droit européen, ces
collectivités sont des Pays et Territoires d’Outre-mer (PTOM).
8. C’est dans cette rubrique 4 que l’on trouve la facilité en faveur des réfugiés en Turquie,
cofinancée par l’UE et par les États membres, créée à la suite de la crise migratoire en 2015.
9. Cf. règlement (UE, Euratom) 2020/2093 du Conseil du 17 décembre 2020 fixant le cadre
financier pluriannuel pour les années 2021 à 2027.
10. PLF 2021, jaune budgétaire sur les relations financières avec l’Union européenne.
11. Carbon Boarder Adjustment mechanism.
1. La Commission a accepté que ses fonctionnaires puissent être entendus, et non pas seulement
ses membres.
1. Ou « impôt par tête » : la même somme pour chaque redevable quelle que soit sa situation.
2. Les impôts portant sur la dépense ne renvoient pas à la proposition de James Meade d’instituer
un impôt unique sur la dépense, lequel constitue plutôt une forme d’impôt personnel sur le revenu
dont l’assiette est limitée au revenu consommé (cf. James Edward Meade, « An Expenditure Tax »,
The Institute for Fiscal Studies newsletter, février 1990).
3. En Allemagne, par exemple, environ 10 % des assurés sociaux ont exercé l’option de s’affilier à
un système privé d’assurance maladie en lieu et place d’une affiliation au système général, qui est
notamment ouverte aux fonctionnaires et aux travailleurs indépendants.
4. Cette notion renvoie à des prélèvements spécifiques, dont l’initiative revient à un accord
professionnel mais institués formellement par l’État (dont l’intervention est nécessaire pour rendre
le prélèvement obligatoire). Ces CVO sont destinées à financer des actions d’intérêt collectif
(cf. chapitre 3).
5. On parle traditionnellement d’impôts et taxes affectées au financement de la Sécurité sociale
(ITAF).
1. Cette hausse résulte de la création de nouvelles dépenses fiscales mais aussi du classement dans
cette catégorie de mesures préexistantes.
2. Le chiffrage des dépenses fiscales est conventionnel. Il consiste, pour chaque dépense fiscale, à
évaluer le rendement de l’impôt concerné avec et sans cette dépense fiscale, la différence étant la
perte de recettes estimée. Ainsi, il n’est pas fait d’hypothèses quant à l’évolution du comportement
des contribuables. Par ailleurs, le chiffrage s’opérant dépense par dépense, les interactions entre
dépenses fiscales ne sont pas prises en compte.
3. En dernier lieu par la circulaire du Premier ministre Édouard Philippe du 17 juillet 2017 relative
aux règles de gouvernance en matière de prélèvements obligatoires.
4. Cette évolution de la comptabilité nationale n’a aucune incidence sur la présentation du budget
de l’État proprement dit. En particulier, les crédits d’impôts non restitués, c’est-à-dire ne se
traduisant pas par un décaissement, ne deviennent pas des dépenses budgétaires nécessitant
l’ouverture de crédits évaluatifs.
5. Ainsi, une réduction d’impôt au taux de 25 % est ramenée, après rabot, à un taux de 22,5 %.
1. La résidence fiscale en France suppose qu’un des critères de domiciliation fixés par le droit
interne soit rempli : critère personnel (foyer en France), professionnel (activité en France) ou
économique (centre des intérêts économiques en France). En cas de conflit entre les législations de
différents pays sur la domiciliation d’un contribuable, les critères fixés par les conventions
bilatérales prévalent.
2. Montant valables pour l’imposition des revenus 2020.
3. L’ensemble des montants et seuils indiqués dans cet encadré sont ceux applicables pour
l’imposition des revenus de l’année 2020.
4. Les montants fixés par la loi s’élèvent à 779 € et 1 289 €. Mais, compte tenu de son mode de
calcul, la décote réduit l’impôt jusqu’à des montants plus élevés.
5. Auparavant, entre 2013 et 2017, les intérêts et les dividendes étaient soumis à un prélèvement
forfaitaire obligatoire, sauf dispense, mais non libératoire, c’est-à-dire qu’ils étaient, sauf
exception, soumis au barème progressif de l’IR : c’est ce que l’on a appelé la barémisation des
revenus du capital (LFI 2013).
6. Nous parlons ici des revenus des résidents français. Les contribuables domiciliés hors de France
font à ce jour l’objet d’un régime particulier. Ainsi, ceux d’entre eux qui perçoivent des salaires en
France bénéficient, de longue date, d’une retenue à la source, calculée sur la base d’un barème
progressif simplifié, qui est partiellement libératoire.
7. Pour 2019, ce taux non personnalisé est nul jusqu’à une rémunération mensuelle nette de
1 419 €.
8. Source des données : PLF 2021.
9. Seuils applicables en 2021 en métropole (ils sont plus élevés dans les DOM) et donnés à titre
d’exemple pour des contribuables ne bénéficiant pas de parts supplémentaires de quotient familial.
10. En 2018, 43,3 % des foyers étaient imposables à l’IR, soit 16,6 millions sur 38,3 millions.
Cette proportion est en baisse par rapport à 2012 (49,7 %). Cette diminution est due aux baisses
d’impôt successives en « bas de barème ».
11. Cf. Conseil des prélèvements obligatoires, Impôt sur le revenu, CSG : quelles réformes ?
Février 2015.
12. Source : PLF 2021.
13. Eu égard aux difficultés qu’a suscitées le relèvement du taux normal de CSG sur les pensions
(cf. supra), une harmonisation des taux de CSG par le haut devrait se faire de manière très
progressive et sans s’accompagner d’un gel des pensions par ailleurs.
14. Le critère de résidence fiscale n’est pas exigé par l’Union européenne. Il y a d’ailleurs été fait
exception pour les revenus fonciers et les plus-values immobilières des non-résidents depuis 2012.
En revanche, la CJUE (26 février 2015, de Ruyter, C-623/13) est venue préciser que le critère
d’affiliation à un régime obligatoire de Sécurité sociale s’imposait à l’ensemble des prélèvements
affectés à la Sécurité sociale, y compris sur les revenus du capital. À la suite de cette jurisprudence
et des contentieux qui s’en sont suivis, la LFSS 2019 a dispensé de CSG et de CRDS sur les
revenus du capital l’ensemble des personnes affiliées à l’assurance maladie d’un autre État de l’UE
ou de l’Espace économique européen, mais en maintenant à leur charge un nouveau prélèvement
de solidarité intégralement affecté à l’État.
1. Données à fin 2018. Source : Le patrimoine économique national en 2018, Insee Première,
no 1787, 2020.
2. Le président de section honoraire du Conseil d’État Olivier Fouquet s’interrogeait déjà en 2010
sur la conformité de l’ISF au principe d’égalité devant les charges publiques, dès lors qu’il
conduisait à n’imposer qu’à peine plus de 4 % de son assiette potentielle. Le Conseil
constitutionnel a cependant validé l’institution de l’IFI en LFI 2018.
3. Cette exonération répond à la volonté de développer une politique favorable à l’accession à la
propriété. L’imposition des loyers fictifs supposerait corrélativement la déductibilité des intérêts
d’emprunt : n’est imposé que le loyer net des intérêts (proposition faite par le CAE dans sa note
no 2013/009). Dans certains pays tels les Pays-Bas, la taxation n’est même due que lorsque
l’emprunt finançant le bien acquis est éteint.
4. Source : France Stratégie. Peut-on éviter une société d’héritiers ?, janvier 2017.
5. On relèvera que, jusqu’en 2013, les biens et droits immobiliers situés en Corse étaient en
pratique totalement exonérés de droits de succession sur le fondement de l’arrêté Miot du 21
prairial an IX (1801).
6. Pour mémoire, l’ISF a été créé en 1982 sous le nom d’impôt sur les grandes fortunes par le
gouvernement Mauroy, supprimé en 1986 par le gouvernement Chirac et restauré sous le nom
d’ISF en 1989 par le gouvernement Rocard.
7. Pour autant, le taux marginal supérieur, soit 1,5 %, n’a pas été relevé à un niveau aussi élevé que
jusqu’en 2011, soit 1,8 %.
8. En complément de cet abattement, les dons familiaux de sommes d’argent bénéficient d’un
abattement de 31 865 €. En outre, la 3e LFR 2020 a créé, à titre exceptionnel du 15 juillet 2020 au
30 juin 2021 pour encourager la solidarité transgénérationnelle dans le contexte de la crise de la
Covid-19, un abattement de 100 000 € pour les dons familiaux lorsqu’ils sont affectés par le
donataire à la construction de sa résidence principale, à la rénovation énergétique de sa résidence
principale ou à la souscription au capital d’une petite entreprise dans laquelle il exerce.
9. Passé un certain délai, fixé à 15 ans depuis la 2e LFR pour 2012, les sommes ayant fait l’objet
d’une donation ne sont pas réintégrées dans la succession. A contrario, si un don a été effectué
14 ans avant la mort du donateur, la somme est imposée avec le reste de la succession au barème
des DMTG et les DMTG déjà acquittés, le cas échéant, 14 ans auparavant s’imputent sur les droits
dus.
10. 45 %+4 %+17,2 % = 66,2 % (taux nominal). Le taux effectif est in fine un peu moins élevé
(62,9 %), une fraction de CSG étant déductible de l’assiette de l’IR l’année suivante.
11. Cf. également le rapport du CPO sur Les Prélèvements obligatoires sur le patrimoine des
ménages (2018).
12. Cf. deuxième rapport du comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital, piloté par
France Stratégie (www.strategie.gouv.fr), octobre 2020.
13. Cette progressivité a été introduite en 2016. Auparavant, un taux constant de 4 % était retenu.
14. Cf. Goupille-Lebret Jonathan, Infante Arturo, « Impact des droits de succession sur le
comportement d’accumulation du patrimoine », Revue française d’économie, 2016/1 (Volume
XXXI), p. 187-206.
1. Source : statistiques OCDE. Ces dernières ne tiennent pas compte des impôts non classés
comme des PO.
2. Sauf mention contraire, les montants de recettes indiqués s’entendent de l’année 2019 (source :
fascicule sur les voies et moyens annexé au PLF 2021, tome I ; INSEE).
3. Cette règle, introduite par la LFI 2019 pour transposer la directive ATAD du 12 juillet 2016,
s’applique depuis les exercices 2019 et a remplacé la limitation des charges financières déductibles
à 75 % de leur montant qui avait été introduite en LFI 2013.
4. Si ce montant est supérieur à celui des dispositifs supprimés en parallèle, il s’agit d’un coût brut.
Or le coût net des baisses de charges pour les finances publiques est moindre compte tenu de ce
que ces allègements de cotisations viennent majorer l’assiette imposable à l’IS et se traduit donc
par une hausse de l’IS dû.
5. Rapport 2018 du comité de suivi du CICE (disponible sur www.strategie.gouv.fr).
6. Référé du 3 décembre 2018 sur les taxes à faible rendement :
https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-02/20190227-refere-S2018-3303-taxes-faible-
rendement.pdf
1. Toutefois, la charge de TVA pesant sur les collectivités territoriales au titre de leurs dépenses
d’investissement est compensée forfaitairement par le fonds de compensation de la TVA (FCTVA,
cf. chapitre 13).
2. Le chiffre d’affaires n’est pas une donnée pertinente pour le secteur financier : on n’imagine
pas, par exemple, qu’un particulier souscrivant un emprunt pour acquérir un appartement neuf
s’acquitte d’une TVA à 20 % sur le montant de l’emprunt ou des intérêts, qui s’ajouterait à la TVA
due à 20 % sur ce bien immobilier.
3. La TVA s’applique à La Réunion, en Martinique et en Guadeloupe. En revanche, elle ne
s’applique « provisoirement » pas en Guyane ni à Mayotte, compte tenu notamment de la relative
complexité de cet impôt pour les entreprises locales.
4. Cf. Véronique Bied-Charreton, « Quelle fiscalité du jeu en France ? », ENA hors les murs,
no 423, août-septembre 2012.
5. En 2019, les douanes des États membres de l’UE ont collecté pour 26,5 Md€ de droits sur des
importations d’une valeur en douane de 2 058 Md€ (y compris les importations non soumises à
droits de douane), soit un taux moyen de 1,3 %.
6. Le taux était de 20 % de 2014 à 2020.
7. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé les caractéristiques des taxes dont
l’institution était interdite : assiette générale ; paiement fractionné (en cascade) ; taxe
proportionnelle au prix (CJUE, 1985, Rousseau-Wilmot).
8. La Commission a déposé le 18 janvier 2018 une proposition de directive tendant à assouplir ces
règles, afin notamment de permettre d’étendre les taux super-réduits. Si elle était adoptée, ce qui
est envisagé pour 2021, cette directive régulariserait ainsi la situation de la France, où la loi fait
illégalement bénéficier la presse en ligne du taux super-réduit de 2,1 % initialement prévu pour la
presse papier.
9. À cet égard, les accords conclus entre l’Italie et la Chine le 23 mars 2019 dans le cadre du projet
chinois des « Nouvelles Routes de la Soie », qui prévoient notamment des investissements chinois
dans plusieurs ports italiens, ont suscité la méfiance des autres États membres, tout comme
précédemment le rachat du port grec du Pirée en 2016 par le groupe China Cosco Holdings.
10. L’acquéreur et le vendeur étant chacun redevable de la taxe.
11. Sur l’économie du projet de MACF, cf. DG Trésor (William L’Heudé, Maëva Chailloux,
Xavier Jardi), « A Carbon Border Adjustment Mechanism for the European Union » Tresor-
Economics no 280, mars 2021.
12. Cette décision de l’organe de règlement des différends de l’OMC (1998, affaires no 58 et 61)
énonce qu’au titre des règles de l’OMC, les États adhérents à l’OMC ont le droit de prendre des
mesures commerciales pour protéger l’environnement (en particulier la santé des personnes, des
animaux ou la préservation des végétaux) ainsi que les espèces en voie d’extinction et les
ressources épuisables.
13. Source : Taxation trends in the European Union 2020, données 2018.
14. Le diesel est traditionnellement sous-taxé par rapport à l’essence compte tenu de son caractère
plus économe. S’il est de ce fait moins émissif de CO2, il pollue en revanche davantage l’air.
15. De 44 €/hL en 2014 à une cible de 78 €/hL en 2022 mais cette hausse s’est arrêtée à 60,75
€/hL. Étant précisé que les taxes (TICPE majorée de la TVA) représentent à ce jour environ 60 %
du prix des carburants pour le consommateur.
1. Les intérêts notionnels sont une charge fictive destinée à tenir compte du coût estimé des
capitaux propres pour une société (versement de dividendes…), de la même manière que les
intérêts d’emprunts permettent de déduire du bénéfice le coût du financement par l’emprunt. La
déduction des intérêts notionnels est essentiellement acceptée en Belgique.
2. L’ENE est l’EBE dont on retranche les provisions (cf. chapitre 25).
3. Cf. CPO (A. Chouc et T. Madies), « Comment se situe la France dans la concurrence
internationale en matière d’impôt sur les sociétés », rapport particulier no 5 du rapport Adapter
l’impôt sur les sociétés à une économie ouverte, janvier 2017.
4. Cf. « Vers une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés », Rapport sur les
prélèvements obligatoires, annexé au PLF 2012.
5. Un groupe implanté dans deux pays, l’un à taux élevé mais à assiette étroite (par exemple avec
une pleine déductibilité des intérêts d’emprunt) et l’autre à taux bas, peut localiser ses bénéfices
dans le second : pour cela, il peut jouer sur la facturation de certains biens et services (intrants,
marketing, conception, marque...) par l’entité située dans le pays à taux bas ou localiser la dette du
groupe dans le pays à taux élevé (quand les intérêts d’emprunt y sont déductibles).
6. Cette concurrence intra-européenne ne peut se déployer sans fin en raison des contraintes
budgétaires.
7. Sur ce point, la directive ATAD a été modifiée par la directive ATAD 2 du 29 mai 2017, afin de
faire obstacle aux pratiques abusives faisant intervenir des pays tiers et pas seulement des pays de
l’UE.
8. Communication de la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil en date du
18 mai 2021 (COM(2021) 251 final), « Business Taxation for the 21st Century ».
9. Microéconomiquement cependant la mise en place du dispositif pourrait aiguiser la concurrence
relative aux taux et aux crédits d’impôt, puisque les bases fiscales seraient alors communes et donc
plus aisément comparables.
10. Il s’agissait de faire évoluer les législations nationales française et allemande de manière à
unifier les règles d’assiette et les taux d’imposition de l’IS dans les deux pays.
11. Depuis la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, qui a aménagé ce que le
grand public connaît sous le nom de « verrou de Bercy ».
12. Seulement sept ETNC répondaient jusqu’en 2019 à la définition d’un ETNC comme des États
ou territoires non membres de l’UE et n’ayant conclu ni avec la France ni avec au moins 12 États
une convention d’assistance administrative en matière fiscale effectivement appliquée.
13. Cf. OCDE (forum mondial), Transparence fiscale 2018, rapport d’étape, 2018.
14. Alors ministre délégué chargé du budget, Jérôme Cahuzac a démissionné suite à des
révélations sur la détention de comptes non déclarés détenus à l’étranger. La Suisse, interrogée par
les autorités françaises dans le cadre des échanges de renseignement, a confirmé cette information.
15. C’est ce que prévoyait la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance
financière, à horizon 2016, mais le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition dans la
mesure où le nombre de pays n’organisant pas l’échange automatique d’information était
susceptible d’être très important en 2016 et que, par conséquent, un régime fiscal sévère se serait
appliqué à un très grand nombre de contribuables (décision no 2013-679 DC du 4 décembre 2013).
16. Ainsi, l’Irlande n’appliquera pas l’article 12 de la convention BEPS qui modifie la définition
de l’établissement stable pour l’étendre aux personnes qui concluent des contrats au nom d’une
société étrangère (Google par exemple).
17. Le ruling consiste pour un État à délivrer des rescrits fiscaux. Ce procédé est normalement un
instrument de sécurité juridique, qui permet à un agent économique d’obtenir de l’administration
des précisions sur l’interprétation d’un texte fiscal ou sur l’appréciation de sa situation de fait au
regard d’un texte fiscal. Or des abus ont été constatés, notamment de la part du Luxembourg dont
il a été révélé qu’il accordait secrètement des rescrits réservant un traitement préférentiel à
certaines firmes multinationales (affaire dite Luxleaks). Suite à cette affaire, la Commission
européenne a engagé des procédures de contrôle au titre des aides d’État et a proposé au Conseil
de l’UE de mettre en place une obligation de transparence sur les rescrits délivrés par les États.
18. Cf. CPO, Adapter la fiscalité des entreprises à une économie mondiale numérisée,
septembre 2020 et Conseil d’analyse économique, « Fiscalité internationale des entreprises :
quelles réformes pour quels effets ? », Les notes du conseil d’analyse économique, no 54,
novembre 2019.
19. Cette taxe, qui a fait l’objet d’une proposition de la Commission en juillet 2021, diffère de
celle proposée par la Commission en 2018, qui a inspiré la TSN française.
1. Le Trésor public ne doit pas être confondu avec la direction générale du Trésor, direction d’état-
major des ministères chargés des finances et de l’économie dont les missions sont tout autres.
2. Mission d’analyse comparative des administrations fiscales.
3. Le ressort géographique du DRFiP correspond encore au découpage des régionss antérieures à
2016 (22 régions en métropole et cinq outre-mer).
4. Cet enjeu des systèmes d’information a été approfondi par la Cour des comptes dans un rapport
réalisé à la demande de la commission des finances de l’Assemblée nationale : Les systèmes
d’information de la DGFiP et de la DGDDI. Investir davantage, gérer autrement (avril 2019).
5. Le taux est dit net car sont exclues les créances réputées irrécouvrables (par exemple en cas de
procédure collective de l’entreprise redevable).
6. « Les taxes dont la Douane a la responsabilité constituent un ensemble composite, incluant des
prélèvements d’un faible rendement, dont la gestion est assurée par une organisation
administrative et territoriale éclatée et des applications informatiques souvent obsolètes. La
modernisation, longtemps retardée, de cette activité passe par un réexamen en profondeur des
missions confiées à la Douane et des taxes dont elle a la charge, afin de recentrer celle-ci sur son
cœur de métier. Elle impose également de revoir les modalités actuelles de gestion de la TVA à
l’importation, pénalisantes pour la compétitivité de l’économie et de regrouper à terme, au sein de
la direction générale des finances publiques, la fonction de recouvrement de l’ensemble des impôts
et taxes. » (Cour des comptes, 2014, « Les missions fiscales de la Douane : un rôle et une
organisation à repenser », rapport public annuel, tome I).
7. Ainsi qu’à la MSA, dont les missions particulières (elle offre un interlocuteur unique aux
agriculteurs en matière sociale) devraient cependant justifier qu’elle ne rejoigne pas ce projet.
1. Dans le compte général de l’État, les amendes et sanctions appartiennent avec les prélèvements
sur les jeux à la catégorie des « autres produits régaliens », dont le montant s’élève en 2020 à
9,0 Md€.
2. Rubriques 18.4 et 20.2 dans le compte général de l’État.
3. Sauf indication contraire, les données sont extraites du compte général de l’État 2020.
4. Données 2020. Source : AFITF.
5. Dans une note de janvier 2017, rédigée par l’ancien commissaire aux participations de l’État
David Azema, l’Institut Montaigne dénonce « l’impossible État actionnaire », qu’il figure par un
pachyderme assis sur une frêle branche.
6. Cour des comptes, Le Budget de l’État en 2018 (résultats et gestion), mai 2019.
1. Le PIB potentiel est l’offre de production qu’une économie est capable de soutenir durablement,
sans poussée inflationniste. Il résulte du niveau des facteurs de production et de leur productivité
globale. Son évaluation est cependant incertaine car dépendante des méthodes et hypothèses
retenues.
2. Cf. art. 3 § 3 du TSCG, transposé à l’art. 1er al. 2 de la loi organique relative à la programmation
et à la gouvernance des finances publiques du 13 décembre 2012.
3. L’élasticité des recettes au PIB est égale au rapport de leur croissance à celle du PIB. Lorsque
l’élasticité est supérieure à 1, une hausse du PIB induit une hausse plus forte des recettes – et vice-
versa (c’est par exemple le cas des recettes d’impôt sur les sociétés).
4. Avant l’entrée en vigueur du traité de Maastricht, cette possibilité existait mais de manière
limitée, dans les conditions fixées par la loi no 73-7 du 3 janvier 1973 sur la Banque de France.
5. Source : programmes de stabilité et 1er PLFR 2021.
6. Où s* est le solde public stabilisant, g la croissance nominale du PIB et D(t-1) la dette rapportée
au PIB l’année précédente.
7. Le PSATB 2021 prévoit un ratio d’endettement de près de 118 % en 2027, soit le niveau attendu
en 2021.
8. La dette négociable de l’État (à court, moyen et long terme) s’élève à 2 051 Md€ au 30 avril
2021.
9. Ainsi, l’OAT 1 % 25 mai 2027, émise pour la première fois en avril 2017, est achetée à un prix
supérieur à sa valeur nominale, l’État encaissant ainsi une « prime d’émission », qui vient dans
l’immédiat réduire sa dette mais qui sera compensée par le versement d’intérêts au taux de 1 %
jusqu’à l’échéance du titre. En comptabilité générale – qui est celle retenue pour les ratios
maastrichtiens –, la charge d’intérêts est calculée en compensant les primes d’émission et les
intérêts payés, de sorte qu’elle est moindre (23,8 Md€ pour les OAT et les BTF en 2020).
10. Communiqué de presse de l’agence Standards & Poor’s du 13 janvier 2012.
11. Pour « Support to mitigate Unemployment Risks in an Emergency ».
12. Sur ce thème, cf. le sujet-type ci-après « Rembourser ou ne pas rembourser la dette publique ».
1. À titre pédagogique, ce corrigé est plus développé que n’aurait besoin de l’être une réponse en
situation de concours. Pour autant, il ne vise pas à l’exhaustivité et le lecteur pourra utilement se
rapporter au chapitre 30 pour davantage de détails sur cette thématique.