Memoire Definitif Cedrick Ndanga
Memoire Definitif Cedrick Ndanga
Paix-Travail-Patrie Peace-Work-Fatherland
********** **********
UNIVERSITE DE YAOUNDE 2-SOA UNIVERSITY OF YAOUNDE 2-SOA
BP : 1365 Yaoundé/ BP : 18 Soa P.O Box: 1365 Yaoundé / P.O Box 18
FACULTE DES SCIENCES Soa
JURIDIQUES ET POLITIQUES FACULTY OF LAW AND POLITICAL
********** SCIENCES
Département De Droit Pénal Et **********
Sciences Criminelles Department of Criminal Law And
*********** Criminal Sciences
***********
Par :
Jury:
Présidente:
Année académique 2020/2021
Madame Jeanne-claire NCHIMI MEBU, Professeur, Université de Yaoundé 2-Soa
Examinateur/Membre :
Rapporteur/Directeur de mémoire :
z
Penser la complémentarité entre la Cour pénale internationale et la Cour africaine de justice, des droits de
l’homme et des peuples
« Quand l’État piétine les droits de l’individu au point d’en faire honte à l’humanité, l’être
humain, sujet ultime de tout système juridique, demeure sous la protection de l’humanité ».
AVERTISSEMENT
DEDICACES
… Puisses-tu trouver dans ces écris toute ma reconnaissance pour l’éducation que tu as su me
donner durant ton court séjour sur terre.
REMERCIEMENTS
Nous tenons à exprimer notre profonde gratitude à tous ceux qui nous ont aidés dans la
réalisation du présent travail de recherche, particulièrement :
Au Professeur NTONO TSIMI GERMAIN, qui, au-delà du fait d’avoir nourrit en nous dès
notre premier cours à l’université le goût de la recherche scientifique, a, malgré ses multiples
occupations administratives et académiques, accepté de diriger notre mémoire et nous a prêter une
oreille attentive en nous orientant en tant que de besoin ;
A DUPLEX, pour nous avoir fourni la documentation nécessaire pour la réalisation du présent
travail ;
A mon frère ainé, BRICE ARSENE, grâce à qui j’ai pu concrétiser le rêve des études
universitaires. Infiniment merci ;
A mes frères et sœurs, pour leur soutien et leur présence toujours fortifiantes ;
A tous ceux qui de près ou de loin ont contribué à la réalisation de ce travail, nous en sommes
infiniment reconnaissants.
SOMMAIRE
RESUMÉ
L’idée d’articulation des rapports entre les juridictions pénales hante les réflexions depuis
l’avènement d’une dimension internationale de la justice pénale et partant, l’émergence des
juridictions pénales internationales. Dans le domaine des rapports entre les ordres juridictionnels
nationaux et internationaux, la solution est celle de la complémentarité entre les deux matérialisée par
la primauté de l’ordre national sur l’ordre international dans la répression des infractions
internationales. Cependant qu’en est-il des rapports entre les ordres internationaux et régionaux en
matière de répression des crimes internationaux?
Mots clés : Complémentarité - Cour pénale internationale - Cour africaine de justice, des droits de
l’homme et des peuples – Crimes internationaux.
ABSTRACT
The idea of articulation of relations between criminal jurisdictions has haunted reflections
since the advent of an international dimension of criminal justice and hence the emergence of
international criminal jurisdictions. In the area of relations between national and international
jurisdictional orders, the solution is that of complementarity between the two materialized by the
primacy of national order over international order in the repression of international offenses.
However, what about the relationship between international and regional orders for the repression of
international crimes?
The question did not arise from the advent of the international dimension of criminal law, for
the simple reason that the faculty of repression of the category of international offense by nature was
the sole responsibility of the national order in complementarity with the international order. Regional
orders confined to the promotion and protection of human rights. However, since the advent in 2014
of concurrent criminal jurisdiction at the International Criminal Court before the African Court of
Justice, Human and Peoples' Rights, the question has arisen sharply; the risk being to see a competitive
referral from these two orders of courts which claim to be competent to prosecute those offenses when
they are committed on African soil, or when they involve a citizen of an African state. This work
postulates the articulation of competences between these two supra-state jurisdictional orders under
the prism of complementarity. However, the establishment of this report comes up against a double
difficulty which relates to the double context of mistrust and mistrust of the ICC in which the
jurisdiction of international criminal law of the Regional Court has emerged, suggesting a difficult
implementation of 'a political will from the leaders of the African Union in the direction of
reconnecting with the ICC; and the complexity of the African repressive system for the repression of
international offenses marked by the plurality of judicial mechanisms in the matter. However,
difficulty not being synonymous with impossibility, the second part of this work is responsible for
illustrating the possibility of establishing such a relationship between the two orders of jurisdiction
with in perspective the structuring of two possible models of complementarity: complementarity
Subsidiarity modeled on the model of the Rome Statute in which questions of admissibility
predominate on the one hand, and broad complementarity in which the distribution of international
crimes litigation between the two jurisdictional orders predominates.
Key Words: complementarity – international criminal court – African court of justice, human rights
and peoples – international crimes.
INTRODUCTION GÉNÉRALE
La problématique des rapports entre les ordres juridiques n’est pas nouvelle en droit.
Le débat autour de leur conception unitaire ou pluraliste avait au centre la question des modes
d’articulation des rapports entre les ordres juridiques1. Pour les partisans de l’unité de l’ordre
juridique, « le droit n’existe que sous la forme d’un système unique et universel »2 . Le maitre
à penser de cette école fut incontestablement Hans Kelsen. De sa Théorie générale du droit et
de l’Etat3 a sa Théorie pure du droit4, il s’est toujours proposé de voir dans l’ordre juridique
un système unitaire et clos ne comportant aucune lacune, et dont les règles s’articulent autour
d’une logique hiérarchique, les règles inférieures tirant leur validité des règles supérieures 5.
Les travaux de Hans Kelsen conduisent en effet à une considération des rapports entre
systèmes normatifs6 comme aboutissant à « l’intégration ou à l’indifférence totale »7. Sous
cette perspective, le droit est pensé au singulier8 et non au pluriel. A cette thèse de l’unité de
l’ordre juridique, s’est développée une thèse opposée faisant valoir l’impossibilité de
caractériser le système juridique par l’unité. Comme le souligne Santi Romano, « il y a autant
d’ordre juridique qu’il y a d’institution »9 ; « chaque institution, même la plus petite est un
véritable microcosme juridique, un monde juridique en soi complet dans son genre et pour ses
fins »10 .
Dans une posture médiane, Jacques Chevallier11 faisait remarquer que l’ordre
juridique, en tant qu’il est gouverné par « les principes de totalisation et d’exclusivité », ne
peut que se concevoir dans une perspective unitaire et ce à l’intérieur d’un espace social
donné car, « systématique, [l’ordre juridique] vise à articuler les diverses normes juridiques
selon un ensemble cohérent et hiérarchisé » ne laissant rien hors de son emprise ; et
« normatif, il repose sur l’édiction de prescriptions obligatoires » ne tolérant aucune
contradiction. Sur la base de cette lecture close de l’ordre juridique, on ne saurait
(apparemment) parlé de pluralisme, de compétition, de concurrence, sans « détruire ce qui fait
l’essence même de l’ordre juridique »12. Mais à la réalité cette thèse moniste « n’apparait pas
1
Ou systèmes juridiques.
2
F. ost, M. VAN DE KERCHOV, De la pyramide au Réseau ?, Pour une théorie dialectique du droit, Presse de
l’uniersité St LOUIS, Bruxelle, 2010, p. 262.
3
H. Kelsen, Théorie générale du droit et de l’Etat, 1998.
4
H. Kelsen, Théorie pure du droit, 2e edition BRUYLANT, L.G.D.J. 1999, 367 pages.
5
H. Kelsen, Théorie pure du droit , op.cit., p. 13.
6
Expression que Hans kelsen préfère à celle d’ordre juridique.
7
F. ost, M. van de Kerchove, op.cit., p. 276
8
Voir sur la question F. RIGAUX, « Le droit au singulier et au pluriel », R.I.E.F., Nº 9, 1982, p. 1 et suivant.
9
S. Romano, L’ordre juridique, p. 77.
10
Op.cit. p. 55
11
J. CHEVALLIER, op.cit., p. 36
12
Op.cit. P. 36.
vraiment convaincante car elle revient à concevoir la société13 comme un tout cohérent et
intégré grâce à l’emprise d’un droit homogène et à la pression d’une institution unificatrice
et pacificatrice »14. Il nous apparait ainsi que l’ordre juridique est nécessairement pluraliste.
L’ordre juridique étatique se trouve ainsi pris en tenaille entre des ordres juridiques infra
étatiques fondés sur des solidarités partielles ou locales et des ordres juridiques supra
étatiques nés de l’émergence de communautés plus larges, « régionales » (ordre juridique
africains, européens…) ou « mondiale » (l’ordre juridique international)15. De l’existence de
ce pluralisme, apparait l’urgence de penser les modes d’articulation de ceux-ci ; leur pluralité
n’impliquant pas l’absence de toute idée d’ordre et de cohérence entre eux, ils ne doivent pas
s’ignorer mutuellement.
La question n’a pas manqué de s’introduire dans le champ du droit pénal au travers de
la recherche de la systématicité de celui-ci16.
A l’origine, le droit pénal a été pensé sur la base du souverainisme étatique. En ce sens,
la responsabilité de protéger les populations et de réprimer leurs comportements jugés anti
sociaux pesait à titre exclusif sur les Etats. Seul l'Etat était pour ainsi dire habilité à prendre
des mesures visant à restreindre les libertés publiques et ce dans une optique de protéger
l'intérêt générale de la société, son ordre public. Le droit pénal était alors caractérisé par le
principe de la territorialité, avec l’Etat comme seul détenteur du ius puniendi17 et partant du
monopole incriminalibus18. Parler d'un droit pénal « international » apparaissait par
conséquent aberrant, inadmissible.
Dans ces systèmes répressifs ou ordres répressifs nationaux, deux tendances se sont
dégagées de la conception systémique du droit pénal : dans la première, l’idée de système
pénal fait référence à un système institutionnel constitué d’interactions entre les acteurs et les
organes intervenants dans la chaine pénale. C’est là l’idée que défendait le pénaliste français
Jean Paul Jean19. Dans la seconde conception, celle qui sied à notre étude, le système pénal est
un système normatif20, un ensemble de norme. L’enjeu d’une approche systémique du droit
pénal est de savoir « comment [x système pénal] a-t-il construit (ou construit-il) l’unité de ses
13
Dans la présente étude nous entrevoyons la société à l’échelle internationale.
14
J. CHEVALLIER, op.cit., p. 37.
15
Op. cit. p. 41.
16
P. Poncela, « Analyses systémiques et systèmes normatifs dans le champ pénal », Arch.Phil.Droit
17
Entendu droit de punir
18
Monopole de poser des incriminations
19
J. Paul Jean, le système pénal, Paris, La découverte, Coll. « repère », 2008, p. 3 et suivant.
20
Voir supra, note 1.
normes et donc garantit en même temps leur complétude et la cohérence des valeurs, au sens
de leur prévisibilité et de leur stabilité. C’est-à-dire comment ce système pénal a-t-il pensé
le(s) mode(s) d’articulation entre les normes qui composent sa structure et fonde son
unité »21. La perspective étant de voir dans la structure interne du système pénal d’un ordre
juridique les degrés de prise en considération des systèmes pénaux institués par des ordres
juridiques externes a lui.
Sur cette base, certains systèmes pénaux ont posé l’unité de leur ensemble en admettant
toute possibilité de communication ou d’échange avec d’autres systèmes pénaux 22. Cela dit, il
est ici possible d’envisager l’articulation des normes à l’intérieur d’un système juridique clos
(système pénal national). Il s’agit-là d’une dynamique inter-normative entre les systèmes
pénaux. A l’opposé, d’autres systèmes pénaux ont posé leur unité en rejetant quasi
systématiquement toute possibilité d’interaction avec d’autres systèmes.
La naissance d’une dimension internationale23 de la justice pénale et partant, une nouvelle
branche du droit pénal qualifiée de droit pénal international est venu rendre le débat des
rapports entre les espaces répressifs encore plus intéressant. Cette dimension internationale de
la justice pénale revêt deux acceptions : la première qui fait référence à l’action nationale face
aux infractions revêtant un élément d’extranéité, et la seconde aux infractions touchant à une
valeur internationalement protégée24. Nous sommes ainsi passés de la logique de l’étatisation
du droit pénal à celle de l’internationalisation du droit pénal25.
Face à cette nouvelle dynamique du droit pénal, il apparut l’impérieuse nécessité
d'organiser l’espace répressif (et donc régler les conflits de compétence) avant de pouvoir le
(l’espace répressif) faire fonctionner correctement afin de pouvoir ainsi compter sur une
coopération voire assistance pénale efficace26. On peut observer que ces deux axes posent des
problématiques transversales classiques en matière pénale tel qu’elles résultent de la logique
étatiste27, mais sans doute renouvelées du fait de la dimension internationale. La doctrine
21
G. NTONO TSIMI, « Le paradigme du crime contre l’humanité et la renaissance du pluralisme juridique dans
les droits pénaux africains », thèse, Université de Yaoundé 2, 2011/2012, p. 3.
22
L’ouverture du système pénal, système normatif.
23
V. Malabat et autres, « la dimension internationale du droit pénal », rapport des travaux de l’institut de
sciences criminelles et de la justice, université de Bordeau IV, 2011. P. 10.
24
C’est cette seconde acception, qui convoque les infractions internationales par nature, qui seront pris en
considération dans la présente étude
25
G. NTONO TSIMI., « Le paradigme du crime contre l’humanité et la renaissance du pluralisme juridique dans
les droits pénaux africains. Contribution à une théorie sur l’internormativité des systèmes pénaux nationaux en
transition », thèse, université de Yaoundé 2, 2011/2012, P. 32.
26
V. Malabat et autres, « la dimension internationale du droit pénal », Op.Cit, Ibid. p.11.
27
En droit pénal interne en effet, la question des compétences matérielles, temporelles et spéciales sont d’un
grande importance pour le bon fonctionnement des tribunaux pénaux nationaux.
28
Ibidem, P. 9.
29
CPJI 7 septembre 1927, Lotus, RDIP 1928, p. 354, note H. Donnedieu de Vabres, cité par V. Malabat et
autres, « la dimension internationale du droit pénal », Op.cit., P. 11.
30
Ibidem.
31
Dépassement des souverainetés.
32
Article 227 du traité de Versailles de 1919
33
Le 26 juin 1945 avec la signature de la Charte des Nations unies à San Francisco, entrée en vigueur le 24
octobre 1945 après la ratification de la majorité des Etats signataires.
créée après les négociations de Versailles34, la nouvelle institution internationale s’était fait le
devoir, à travers la Commission du Droit Internationale (CDI) en son sein, d’établir une Cour
pénale internationale permanente qui viendrait corriger les failles des précédentes institutions
pénales internationales. Les désastres perpétrés aux Rwanda et en Ex-Yougoslavie dans les
années 90 aux lendemains de la Guerre froide se sont révélés propices pour l’organisation
mondiale à poursuivre son chantier d’une JPI avec la résurgence par ces faits du droit pénal
international. C’est alors qu’en vertu du chapitre VII35 de la Charte des Nations Unies,
L’ONU pris deux résolutions instituant les tribunaux pénaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie36
et pour le Rwanda37. La création de ces tribunaux a renforcé au sein de la communauté
internationale, l’idée d’une justice pénale internationale permanente. Dès 1992, et sous
l’impulsion de l’Assemblée générale des Nations Unies, la CDI s’est attelée à la rédaction
d’un projet de Statut pour une Cour pénale internationale permanente. Chose faite, en 1998,
notamment le 15 du mois de Juin, cent soixante États se sont réunis lors d’une conférence à
Rome pour débattre de ce qui allait devenir la Cour Pénale Internationale (CPI). Après près
d’un mois d’échanges et de débats, un consensus fut trouvé et le 17 juillet de la même année,
la CPI vu le jour.
34
Traité de Versailles de 1919
35
Dont l’intitulé est « action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression ».
36
Résolution 827 du 25 Mai 1993.
37
Résolution 955 du 08 novembre 1994.
38
L’adoption de la complémentarité comme mode de fonctionnement de la Cour pénale internationale a fait
l’objet de vifs débats au sein de la Commission du droit international. Lorsque cet organe du système onusien fut
saisi en 1992 sur la question de l’élaboration des textes d’une Cour pénale internationale permanente, les débats
en son sein ont préalablement portés sur la nature de cette juridiction et ses liens avec les juridictions nationales.
Les avis étaient partagés. La question posée était la suivante : quel type de relation faut-il aménager avec les
tribunaux pénaux nationaux ? Au bout des débats, l’idée principale retenue s’est fondée sur « l’existence de deux
juridictions nationale et internationale en donnant une priorité à la juridiction nationale» puis la Cour doit jouer
un rôle complémentaire selon les possibilités indiquées à l’article 17 du Statut. Voir sur la question DAUDET
Y., « Travaux de la commission du droit international », Editions du CNRS, Paris, 1994, p.577 ; ASHNAN A.,
« le principe de complémentarité entre la cour pénale internationale et les juridictions nationale » Thèse,
Université François Rabelais de Tour, 2015, P.23., DAHMAN Abdelslem, « le principe de la complémentarité :
pierre angulaire des relations entre la CPI et les Etats », Op.cit., p. 18.
contre lesdits crimes ou alors que ceux-ci y engagent des poursuites mais dans un dessein de
soustraire le poursuivi de sa Responsabilité pénale. Le souci de la CPI est clair: celui de lutter
contre l'impunité.
Les Etats africains ont très vite adhérés à cette vision qui pour eux, apparaissait
comme une aubaine pour la répression des atrocités qu’avaient coutume de connaitre leur
continent. C’est ainsi que dès sa création, ces Etats ont montré leur engagement à soutenir le
processus de Rome et à le voir s’appliquer dans leurs Etats respectifs en vue de voir reculer
l’impunité et de sanctionner les violations des droits de l’Homme. C’est alors que le premier
Etat à ratifier le Statut de Rome fut le Sénégal le 02 février 1999. Plusieurs autres Etats
africains ont suivi cet exemple du Sénégal avec en soutien l’Organisation de l’Unité africaine
devenu Union Africaine en 2002.
39
Le Soudan n’étant pas parti au statut de Rome, c’est le conseil de sécurité de l’ONU en vertu des pouvoirs que
lui accorde l’article 13 du Statut de Rome qui avait déféré la situation à la CPI.
« Penser », un verbe qui nous rappelle fortement les études philosophiques menées par
René Descartes et Jean Jacques Rousseau. Lorsqu’on l’évoque, l’on a en ligne de mire « le
fait d’évoquer par la mémoire ou l’imagination ; d’avoir pour opinion, pour conviction », ou
encore simplement « le fait d’exercer son activité cérébrale, d’avoir des pensées ». C’est aussi
et surtout, dans un sens plus opérationnel, « le fait d’appliquer son esprit à concevoir […]
quelque chose »44. C’est dans ce dernier sens que nous l’employons dans la présente étude. Ce
sens évoque l’idée de la construction d’un rapport de complémentarité entre la CPI et la
CAJDHP dans la répression des crimes internationaux.
40
Nous la qualifions ainsi en raison de l’extension de ses compétences.
41
La doctrine remarquait déjà que La dimension internationale de la justice pénale se manifeste avant tout par un
partage de l’espace répressif au sens où plusieurs législateurs peuvent créer des incriminations et où plusieurs
juges, nationaux comme internationaux, peuvent retenir leur compétence pour juger d’une même infraction. Ce
partage de l’espace répressif aboutit ainsi bien plus à un partage concurrentiel qu’à un partage répartition de
l’espace répressif puisque de cette situation naissent inévitablement des chevauchements des compétences
répressives qu’elles soient normatives ou judiciaires. Voir sur la question V. Malabat et autres, « la dimension
internationale du droit pénal », Op.cit. p. 13.
42
Entendu infraction international par nature
43
C.T HUEYA, « l’extension de la compétence de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme en
matière de crimes internationaux », Mémoire de Master, Université de Yaoundé 2, 2011/2012, P. 15.
44
Dictionnaire Le petit Robert online.
La complémentarité, qui tire ses origines des travaux scientifiques menés par Neils
Bohr dans la physique quantique, n’a été définie par aucun texte aussi bien national
qu'international. Des travaux de Neils Bohr, il ressort que la clarté ne vient pas d’une
simplification, d’une réduction à un modèle unique, mais bien d’une prise en compte de
descriptions antagonistes et apparemment contradictoires45. Il en découle que pour Bohr, la
compréhension profonde d’un phénomène passe par la prise en compte des divers modes
contradictoires suivant lesquels il se déploie. Le dictionnaire de langue française Le Petit
Robert défini la complémentarité comme « le caractère de ce qui est complémentaire » avec
pour sens au mot complémentaire tout « ce qui sert à compléter l'autre », autre chose que
cette chose. C'est dire que la vocation première de la complémentarité au sens de la langue
française est de réunir deux éléments dans l'optique d'atteindre une seule fin. Réceptionné par
le droit, la complémentarité a été faite l’un des maillons de l’étude de l’internormativité, se
positionnant au confluent du dogme de la complétude et de l’ouverture de l’ordre juridique.
45
J. Fantino « La notion scientifique de complémentarité et l’objectivité du discours en science et en théologie »
Revue des Sciences Religieuses, Palais universitaire, 2003, p. 390.
46
F. MEGRET, « L’articulation entre tribunaux pénaux internationaux et juridictions nationales : centralité et
ambiguïté dans l’ordre juridique international », Thèse, Institut universitaire des hautes études
internationales/Université Paris I-Panthéon Sorbonne, 2006, p.152, cité par G. NTONO TSIMI « Le paradigme
du crime contre l’humanité et la renaissance du pluralisme juridique dans les droits pénaux africains.
Contribution a une théorie sur l’étude de l’internormativité des systèmes pénaux nationaux en transition »,
Thèse, Université de Yaoundé 2, 2011/2012, p. 444.
47
G. NTONO TSIMI « Le paradigme du crime contre l’humanité et la renaissance du pluralisme juridique dans
les droits pénaux africains. Contribution a une théorie sur l’étude de l’internormativité des systèmes pénaux
nationaux en transition », Op.cit., p. 71. L’auteur soutient que, contrairement à une certaine opinion doctrinale, la
règle de la complémentarité ne nait pas avec le Statut de Rome. Il affirme en effet888 que « historiquement, la
règle de la complémentarité semble être apparue pour la première fois en droit pénal international à l’occasion de
la signature du Traité de Paix de Versailles à travers l’introduction des dispositions relatives aux sanctions
pénales renvoyant au droit pénale interne des Etats parties à [ladite convention]. La seconde manifestation de
cette règle, poursuit notre auteur, fut la Convention de la ligue des nations unies pour la création d’une Cour
pénale internationale de 1937 » avec l’introduction à l’article 3 de la Convention sur la prévention et la
répression du terrorisme d’une règle prévoyant que les Etats parties à ladite convention étaient tenus de
transmettre les auteurs présumés des faits qualifiés dans ladite convention à la Cour en cas d’absence de
poursuite de leur part, mettant ainsi en œuvre le principe Aut dedere aut judicare, « qui constituait à l’époque
moderne la principale manifestation de la complémentarité en droit international pénal ». La 3e manifestation de
la règle de la complémentarité avant le Statut de Rome est, selon notre auteur, le régime de la bipolarité de la
légalité mis en place à l’occasion de la mise sur pied, après la seconde guerre mondiale, des tribunaux militaires
de 1945. Et à notre auteur de conclure que « la preuve de cette antériorité de la complémentarité à l’évocation
textuelle du statut de Rome, qui constitue dès lors une des formes d’expression, signifie que la règle se situe bien
à l’origine du droit pénal international. Elle relève de la philosophie de cette nouvelle matière en ce qu’elle
constitue une technique de fonctionnement des ordres juridiques interne et international en matière d’infractions
internationales », p. 73.
48
Ibid. p. 230.
49
G. NTONO TSIMI «Chapitre I. l’interprétation nationalisée de la légalité formelle du crime contre
l’humanité. » in G. NTONO TSIMI, « Le paradigme du crime contre l’humanité et la renaissance du pluralisme
juridique dans les droits pénaux africains. Contribution a une théorie sur l’étude de l’internormativité des
systèmes pénaux nationaux en transition », Op.cit., pp. 82-155.
50
G. NTONO TSIMI, « Chapitre 2. L’interprétation internationalisée de la légalité substantielle du crime contre
l’humanité. », Ibid., pp. 156-219.
son préambule, ses articles 1er et 17-1, et non toutes les règles du principe51 ; Ce qui induit la
possibilité de l'étendre au-delà des rapports que prévoient ledit statut52.
Le développement d’une JPI à caractère régional par le continent africain au côté d'une
JPI universelle et nationale nous invite de ce fait à une relecture du principe de
complémentarité, de sorte à l’étendre au-delà des rapports interne/internationale, vers le
désormais rapport concurrentiel régional/universel dans la course de la lutte contre l’impunité,
ce qui postulerait d’emblée une rupture de l’horizontalité des rapports entre les ordres
juridiques régionaux et universels pour la cause de l’humanité. Une meilleure compréhension
de cette prémisse commande de clarifier ce qu'est la Cour africaine de justice et des droits de
l'homme; la Cour pénale internationale l'ayant déjà été.
51
I. GREBENYUK, « la Cour pénale spéciale centrafricaine : une illustration de la « complémentarité
élargie » ? », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé 2018/1 (N°1), P. 8.
52
Le Professeur Mireille Delmas-Marty faisait d’ailleurs valoir qu’au-delà du principe de complémentarité
inscrit au Statut de Rome, il est possible d’envisager une variété des relations complémentaires que peuvent
proposer les juridictions pénales ou les mécanismes de transition de nature politico juridique, et ce, au regard de
la pluralité des juridictions pénales internationales et hybrides, dont les objectifs et les limites permettent sans
doute d’envisager des mécanismes juridiques ou institutionnels complémentaires, sinon alternatifs au service de
l’objectif d’une paix durable. Voir Eric C-F., Mireille D-M. Quelle(s) complémentarité(s) en droit international
pénal ?, Ed. A. PEDONE,
53
L’histoire de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples remonte en Juillet 1979 lorsque la
conférence de l’organisation de l’unité africaine (OUA) a adopté une résolution demandant à son secrétaire
général de former un groupe d’expert pour l’élaborer, préconisant entre autre choses des mécanismes visant à
promouvoir et à protéger les droits énoncé dans la Charte. Le projet a été adopté à l’unanimité par les chefs
d’Etat et de gouvernement de l’OUA a l’occasion de leur session tenue à Nairobi au Kenya le 21 octobre 1986.
C’est depuis lors que cette date est célébrée comme journée africaine des droits de l’homme. Voir sur la question
le GUIDE DE L’UNION AFRICAINE 2020, p. 135 et s.
54 e
3 instrument régional de promotion et de protection des droits de l'homme après la Convention européenne
des droit de l'homme signé le 04 novembre 1950 et entré en vigueur le 03 septembre 1953, et le Pacte américain
de San Jose mis sur pied le 22 novembre 1969 et entré en vigueur le 18 juillet 1978.
55
Article 41 alinéa 1 de la Charte.
56
Article 41 alinéa 2 ibid.
de l’Union Africaine à partir d’une liste d’experts présentée par les Etats parties à la charte
pour six (06) ans renouvelables, la commission fut installée le 02 novembre 1987 à Addis-
Abeba en Ethiopie après que ses tout premiers membres soient élus le 29 novembre 1987.
Son siège à Banjul en Gambie, où se trouve aussi son secrétariat permanent, fut inauguré le 12
juin 1989.
Le 11 juillet 2003 un autre Protocole à la charte africaine portant création d'une Cour
de justice de l’union africaine fut mis sur pied. Entré en vigueur en février 2009, soit
30 jours après sa ratification par 15 États membres, au mois de septembre 2019, 44 États
membres avaient signé le Protocole et 18 l’avaient ratifié62. La Cour n’ayant jamais vu le jour
malgré son entré en vigueur, la Conférence de l’UA a décidé, à sa session de juillet 2008, de
57
Article 41 alinéa 3 ibid.
58
Le président et le vice-président sont élus parmi les membres pour un mandat de deux ans renouvelables une
fois.
59
Article 02 du protocole d’Ouagadougou.
60
Guide de l’Union africaine 2020, P. 138.
61
Articles 11 à 15 du protocole d’Ouagadougou.
62
Guide de l’union africaine 2020, p. 140.
fusionner la Cour africaine de justice et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples
pour former la Cour Africaine de justice et des droits de l’homme.
Le 1er juillet 2008, un nouveau protocole fut adopté à Sharm El Shiekh en Egypte,
abrogeant les protocoles de 1998 et de 2003. C’est ce protocole qui porte fusion de la Cour
africaine des droits de l'homme et des peuple avec la Cour africaine de justice et donne
naissance à la Cour africaine de justice et des droits de l'Homme. La compétence de cette
Cour, conformément aux dispositions de l’article 28 du Statut de la Cour africaine de justice
et des droits de l’homme, annexés au Protocole de 2008, comprenait toute affaire ou
différend d’ordre juridique relatif notamment à l’interprétation et à l’application de l’Acte
constitutif de l’UA, aux traités de l’Union Africaine, à tous les instruments juridiques dérivés,
à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, à la Charte africaine des droits et
du bien-être de l’enfant, au Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des
peuples relatif aux droits des femmes en Afrique (Protocole de Maputo), à tout autre traité sur
les droits de l’homme ratifié par l’État partie concerné, et à toute question de droit
international.
Toute étude, pour que sa pertinence soit mieux saisie, commande que son champ soit
délimité avec précision, ce qui permettra de mieux comprendre ses contours. La présente
étude ne fera pas une exception. Cette délimitation porte tant sur le champ matériel que sur le
champ spatiotemporel.
Sur le premier élément de cette délimitation, notre étude aura pour point centrale la
complémentarité pris dans le sens de mode d’articulation des rapports entre différents ordres
juridictionnels. La référence aux infractions internationales devra être prise comme pour
63
Ibid.p.141.
64
L’article 18 de ce protocole précise que la nouvelle dénomination de cette juridiction est « cour africaine de
justice, des droits de l’homme et des peuples ».
désigner les infractions internationales par nature relevant de la compétence concurrente des
deux ordres de juridictions, et non les infractions tirant leur caractère international de la
présence d’un élément d’extranéité.
Sur le plan temporel, notre étude tire son assise la période marquant le début des
ruptures des relations entre la Cour pénale internationale et l’Union africaine jusqu’à la date
d’adoption du Protocole de Malabo portant amendements du Protocole portant Statut de la
Cour africaine de justice et des droits de l’homme. Cependant nous étendrons éventuellement
nos analyses au-delà de cette période pour des nécessités de compréhension.
Sur le plan spatial, notre étude porte principalement sur le sort des infractions
internationales commis sur le sol africain ou par un ressortissant africain d’un Etats parties au
Statut de la CPI et ayant ratifié le protocole de Malabo.
Tout compte fait, Au regard du caractère concurrentiel que préfigure la présence sur le
terrain de la répression des infractions internationales en Afrique de la Cour africaine de
justice, des droits de l’homme et des peuples, et la Cour pénale internationale, n’est-il pas
convenable de réaménager les rapports entre ces deux ordres de juridictions ? Autrement,
Peut-on envisager une complémentarité entre la Cour pénale internationale et la Cour
africaine de justice, des droits de l’homme et des peuples?
Tout travail de recherche se doit d’être bâti sur un sujet présentant un intérêt précis. De
ce fait, partir à la recherche d’une complémentarité entre la Cour pénale internationale et la
Cour africaine de justice, des droits de l’homme et des peuples revêt un double intérêt sur les
plans juridique et scientifique. Au plan juridique, cette recherche permettra de déceler
les modes d’articulation des rapports entre ces deux Cours pénales supra étatiques dans
l’optique d’une lutte efficace contre l’impunité. Elle permettra de résoudre bon nombre de
difficultés susceptibles de se poser lorsque la section de droit pénal international de la cour
africaine de justice, des droits de l’homme et des peuples entrera en fonction. Par exemple,
qu’adviendrait-il si en cas d’entrée en fonction de la section criminelle de cette cour, un Etat-
partie à la fois au Statut de Rome et au protocole relatif au statut de la cour africaine renvoie
l’affaire devant cette dernière, étant donné que cette forme de saisine est prévue65, et qu’en
même temps le procureur de la cour pénale internationale reçoit l’autorisation de la Chambre
préliminaire d’enquêter de sa propre initiative sur la même question ? Le mécanisme de
65
Article 46F protocole de Malabo
complémentarité que nous nous proposons de tisser, aura pour ambition de mettre fin à cette
potentielle concurrence des deux ordres de juridictions. Au plan scientifique, notre étude
permettra de mettre en lumière un nouveau versant du principe de complémentarité, une
vision de ce principe au-delà de la manière dont il est organisé dans le Statut de Rome, et un
renouvellement des rapports entre deux espaces normatifs de l’ordre juridique international.
PREMIERE PARTIE :
LA DIFFICILE ADMISSION D’UNE COMPLEMENTARITE ENTRE LA COUR
PENALE INTERNATIONALE ET LA COUR AFRICAINE DE JUSTICE, DES
DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
Cette considération découlait des analyses de ce mécanisme tel qu’il ressort des
dispositions du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, juridiction consensuelle, et
peut être étendue dans l’analyse de ce mécanisme tel qu’il ressort des dispositions du
Protocole de Malabo instituant une Section criminelle au sein de la Cour africaine de justice,
des droits de l’homme et des peuples. Si dans le premier texte, l’adoption de la
complémentarité comme mode d’articulation des rapports juridictionnels entre la CPI et les
juridictions nationales a été purement consensuelle en vue de limiter les conséquences
probablement néfastes69 du transfert du droit de punir de l’Etat à une institution
internationale, dans le second texte elle l’a moins été et visait plus une finalité de répulsion de
la CPI . Ce consensus aboutissait à l’assouplissement de la hiérarchie entre les ordres
nationaux et l’ordre internationale pour en faire une hiérarchie complémentaire.
66
A. ASHNAN, « Le principe de complémentarité entre la Cour pénale internationale et la juridiction pénale
nationale », thèse, université François- Rabelais De Tours, 2015.
67
M. DELMAS-MARTY, « Violence et massacres : entre droit pénal de l’ennemi et droit pénal de l’inhumain »,
Rev. Scie. Crim., 2009, pp. 59-68.
68
J. GÜNTER, Eser/Hassemer/Burkhard, Die deutshe Strafrechtswissensschaft in der jahrtaussendwende,
Berlin, 2002 ; J. GÜNTER, « Aux limites de l’orientation par le droit : le droit pénal de l’ennemi », Rev. Scie.
Crim., 2009, pp. 1-19.
69
Notamment sur la souveraineté des États. La doctrine estime à ce titre que « la complémentarité est présentée
comme une technique d’articulation des compétences plus respectueuse de la souveraineté, du moins lorsqu’elle
est comparée au principe de la primauté des juridictions internationales » G. NTONO TSIMI, « Le paradigme du
crime contre l’humanité et la renaissance du pluralisme juridique dans les droits pénaux africains. Contribution à
une théorie sur l’internormativité des systèmes pénaux nationaux en transition » ; Op.cit., p. 70.
instance juridictionnelle supra étatique (Chapitre 1). Sur le plan juridique, la position
horizontale dans laquelle se trouvent les deux juridictions supra étatiques, couplée au désordre
apparent du système répressif africain, ne manque pas de corser l’entreprise de mise en place
d’un rapport de complémentarité entre les deux instances (Chapitre 2).
CHAPITRE 1 :
LA DIFFICILE MISE EN ŒUVRE D’UNE VOLONTÉ POLITIQUE DES
DIRIGEANTS DE L’UA AU REGARD DU CONTEXTE D’EMERGENCE DE LA
COMPÉTENCE DE DROIT PÉNAL INTERNATIONAL DE LA CAJDHP
« Cette Cour est contre les gens qui ont été colonisés dans le passé et que les
occidentaux veulent recoloniser. Il s´agit de la pratique d´un nouveau terrorisme mondial. Si
nous acceptons une telle chose, qu´un président soit arrêté et jugé comme Bashir, nous
devrons aussi juger ceux qui ont tué des centaines de millions d´enfants en Irak et à Gaza ».
Ainsi s´exprimait le Guide libyen Muammar Kadhafi en 2009 lorsque la CPI a intenté les
poursuites à l´encontre d´Omar Al Bashir, martelant le désarroi des Etats africains au sujet de
la politique de poursuite de la CPI.
En effet, le soutien au processus de la CPI par les Etats africains ne s’est pas limité
aux seules adhésions à son Statut, ces Etats ont sans cesse œuvrés pour voir se déployer cette
Cour en lui donnant des cas à juger et en coopérant activement avec celle-ci. Ces Etats ont
saisi, de leur propre initiative conformément à l’article 13a du Statut de Rome, la CPI sur des
situations où les crimes relevant de sa compétente ont été commis sur leurs sols70, au point où
on serait tenté d’affirmer que l’Afrique a donné le moyen à la CPI de servir à quelque chose
pour rendre vivante la justice pénale internationale. Les États africains se sont ainsi montrés
disponibles en fournissant des aides à la CPI au travers des éléments de preuves, les témoins
et mêmes les accusés, ce qui marquait une volonté manifeste de ces États à voir s’émanciper
la CPI, d’autant plus que tant l’UA que la CPI avaient intérêt dans le travail mené par la CPI
notamment au regard de leur but commun qui est de lutter contre l’impunité71.
Mais cette situation ne dura pas très longtemps. Les États africains, se sentant dupés
par une justice pénale internationale dont les objectifs auraient d’après eux changés, vont
entreprendre de doter la Cour africaine de justice et des droits de l’Homme d’une section de
droit pénal international compétente pour statuer sur des crimes internationaux dont quatre
(04) ressortissent concurremment de la compétence de la CPI.
70
C’était les cas du Mali, de la République Démocratique du Congo, la République Centrafricaine et de
l’Ouganda.
71
Préambule du Statut de Rome, Article 4 Acte constitutif de l’UA.
Il est certes vrai que l’émergence d’une compétence en droit pénal international de la
CAJDHP marque un nouveau pas dans la construction d’une justice pénale internationale en
Afrique. Elle intervient après la tentative des chambres africaines extraordinaires près les
tribunaux pénaux sénégalais pour juger l’ex chef d’Etat tchadien Hissein Habré, de regrettée
mémoire, pour les crimes commis au Tchad entre le 07 juin 1982 et le 1er décembre 1990.
Ces Chambres marquaient déjà un mouvement inédit72 tant en droit international général
qu’en droit africain pour la double raison que celles-ci s‘analysaient comme une
expérimentation d’une nouvelle forme de justice internationale dans un cadre juridique défini
à la fois par le droit humanitaire et par le code pénal sénégalais73, et parce qu’elles offraient à
l’Afrique une nouvelle perspective de poursuite des crimes internationaux sous l’égide de
l’Union africaine74.
72
A. SOMA, « Vers une juridiction pénale régionale pour l’Afrique », Revue CAMES/SJP. Vol. I, nº001, 2014,
pp. 3-4.
73
Article 1er Accord du 22 aout 2012 signé entre l’UA et la République du Sénégal sur la création des Chambres
africaines extraordinaires dispose à ce sujet : « le gouvernement e la commission conviennent de créer au sein
des juridictions sénégalaises des Chambres africaines extraordinaires chargées de poursuivre le ou les principaux
responsables des crimes et violations graves du droit international, de la coutume internationale et des
conventions internationales ratifiées par le Tchad et le Sénégal, commis sur le sol tchadien du 07 juin 1982 au 1 er
décembre 1990
74
A. NGUEFEU, « Les chambres africaines extraordinaires pour la répression des crimes internationaux :
embryon d’une instance juridictionnelle pénale africaine? », in L’Afrique et le droit international pénal, Actes du
troisième colloque annuel de la Société africaine pour le droit international (SADI), ed. A. Pedone, 2015, p.129.
75
M. KAMTO, « L’ « Affaire Al Bashir » et les relations entre l’Afrique et la Cour pénal internationale » in
Liber Amicorum Ranjeva, L’Afrique et le droit international. Variation sur l’organisation internationale, Pédone,
2013, pp. 156 et s., cité par A. NGUEFEU, « Les chambres africaines extraordinaires pour la répression des
crimes internationaux : embryon d’une instance juridictionnelle pénale africaine? » Op.cit., p. 130.
76
Ibid.
(Section 2) laisser présager une réelle difficulté d’un accord en faveur de la mise en place
d’une complémentarité entre la Cour régionale et la CPI.
SECTION I :
DE LA MÉFIANCE DU SYSTÈME RÉPRESSIF DE LA CPI À LA MÉFIANCE D’UN
« MAUVAIS » ALLIÉ DANS LA RÉPRESSION DES CRIMES INTERNATIONAUX
EN AFRIQUE
Le bilan des poursuites engagées par la CPI depuis sa création à ce jour : le socle
du malaise des États africains
Bien que des conflits soient présents sur les autres continents, l’Afrique semble être la
plus ciblée pour les enquêtes et les poursuites devant la CPI. En 2014, au moment où la
méfiance des Etats africains de la justice au sens de la CPI était à son point culminant, la CPI
avait à son compteur 10 situations majoritairement africaines dont sept (07) sous examen
préliminaire. Il s’agissait notamment de : la situation en Répubique démocratique du Congo
avec les poursuites contre Thomas Lubanga Dyllo, Bosco Ntangana, Germain Katanga,
Calixte Mbarushimana, Sylvestre Maducumura et Mathieu Guidjolo ; la situation en
République centrafricaine qui a donné lieu à l’affaire Jean Pierre Bemba Gambo ; la
situation en Ouganda, de laquelle résulte l’affaire Joseph Kony, Vincent Otti (les deux
décédés) et Dominique Ongwen ; la situation au Darfour (Soudan) donnant lieu aux affaires
Muhammad Harun, Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman, Omar Hassan Ahmad Al Bashir et
Abdallah Banda Abakaer Nourain ; La situation en Côte d’Ivoire qui aboutit à l’affaire
Laurent Dossou Gbagbo et Charles Blé Goudé ; la situation au Kenya avec les affaires
William Samoei Ruto, Joshua Arap Sang et Uhuru Muigai Kenyatta ; la situation au Mali
avec l’affaire Ahamad Al Faqi Mahdi ; et enfin la situation en Lybie avec l’affaire Saif Al-
Islam Gaddafi et de Muammar Mohammed Abu Minyar Gaddafi.
Cet état de chose démontrait pour l’Union africaine une quête de justice à tout prix de
la part de la CPI qui la conduisit à ne s’intéresser qu’aux atrocités et abominations commises
sur le sol africain au point où l’ex guide libyen déchu Muammar Kadhafi a qualifié la
politique de la Cour de « deux poids deux mesures » parce que ne ciblant que les Etats
africains et ceux du tiers Monde77. Les poursuites engagées par la CPI à l’initiative du conseil
de sécurité des nations unies contre le président soudanais en exercice Omar Al Bashir vint
renforcer son sentiment de méfiance d’une justice afro-centrée78. Tout portait ainsi à croire
que l’Afrique apparaissait être « le plus gros client de la CPI » ; comme ci sans elle la CPI ne
saurait exister, l’intérêt de sa création en serait vidé. Il lui fallait à tout prix s’approvisionner
en matière première c’est-à-dire en criminels, et l’Afrique, présentée comme étant le terrain
des plus grands crimes, constituait aux yeux de la CPI « le marché idéal ». L’union africaine
77
P. MAMIZA, « L’Afrique et le système de justice pénale internationale », African journal of légal Studies
(2009), pp. 34.
78
H. KITTI, NATHANIEL, « La Cour pénale internationale à l’épreuve des poursuites en Afrique »,
CODESRIA, 08-12 Juin 2015.
dénonça une application inégalitaire de la justice pénale internationale qui semble protéger les
États puissants ou les alliés de ceux-ci, comme le démontrait la situation palestinienne.
Dans une situation proche de celle-ci, l’Union des Comores a saisi la CPI en
demandant à la procureure Fatou Ben Souda d’enquêter sur le raid israélien opéré le 31 mai
2010 sur une flottille humanitaire se dirigeant vers la bande de Gaza. En arguant de ce que les
critères posés par le statut de Rome n’étaient pas rempli, la procureure refusa d’enquêter ce
qui conduit la Chambre préliminaire I de la Cour à demander à la procureure de reconsidérer
sa décision. Celle-ci saisira la Chambre d’Appel qui dans une décision du 06 novembre 2015,
rejeta à la majorité l’appel et demanda à la procureure de reconsidérer sa position ; ce qui
permit de poursuivre l’affaire de la flottille de Gaza. Au regard de cette attitude de la
procureure de la cour pénale internationale, l’évidence est que lorsqu’il s’agit d’une situation
79
CPI, Déclaration de reconnaissance de la compétence de la Cour pénale internationale, Palestine
http://www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/74EE201-0FED-4481-95D4-
C807108102C/279777/20090122PalestianDeclaration2.pdf consulté le 16 juin 2021, 02h36.
80
CPI, déclaration du bureau du procureur sur la situation en Palestine, 03 avril 2012, https://www.icc-
cpi,int/nr/rdonlyres/c6162bbf-feb9-4faf-afa9-836106d2694a/284388/situationinpalestine030412fra.pdf consulté
le 16 juin 2021, 02h51.
81
Résolution 67/19 AG/ONU, 29 janvier 2009.
82
J. B. MBOKANI, « La cour pénale internationale : une cour contre les africains ou une cour attentive à la
souffrance des victimes africaines? », Revue québécoise de droit international, 2013.
83
CPI, l’Etat palestinien ratifie le Statut de Rome, ICC-CPI-20150107-PR1082, 07 Janvier 2015.
qui risquerait de mettre en cause les États puissants la procureure ne retient pas toujours
directement sa compétence. Ce qui attisa la flamme de la méfiance des États africains contre
cet « instrument néocolonialiste ».
84
Proposition de résolution du 26 juillet 2012, compte rendu nº131 demandant la création d’une commission
d’enquête sur le rôle de la force Licorne en Côte d’Ivoire. http://www.assemblee-
nationale.fr/14/propositions/pion0131.asp consulté le 14 avril 2021. 20h02.
85
Proposition de résolution du 26 juillet 2012, compte rendu nº131 demandant la création d’une commission
d’enquête sur le rôle de la force Licorne en Côte d’Ivoire. http://www.assemblee-
nationale.fr/14/propositions/pion0131.asp consulté le 14 avril 2021. 20h02
interpeller la CPI. Les forces licornes ayant sciemment laissées se perpétrer les exactions
alors qu’elles étaient censées protéger ces populations et avaient conscience des conséquences
de leur inertie. Pour quelle raison se sont-elles donc rendues en Côte d’ivoire? C’est justement
pour déceler ce mystère que le groupe de député français composé des honorables Jacques
Candelier, François Asensi, Alain Bocquet, Marie-george Buffet, Patrice Carvalho, Gaby
Charroux, André Chassaigne, Marc Dolez, Jacqueline Fraysse et Nicolas Sansu,86 a
demandé la création d’une commission d’enquête sur le rôle de ces forces. Dans cette
situation, la CPI aurait pu rechercher la responsabilité du supérieur hiérarchique 87 que prévoit
l’article 28 de son Statut comme elle le fit dans l’affaire Jean Pierre Bemba inculpé en sa
qualité de président du MLC.
86
Voir proposition du 26 juillet 2012 supra.
87
Sur la responsabilité du supérieur hiérarchique en droit pénal international, lire utilement G. NTONO TSIMI,
« Chapitre 5 : la systématisation d’un concept de responsabilité pénale internationale » in G. NTONO TSIMI,
« Le paradigme du crime contre l’humanité et la renaissance du pluralisme juridique dans les droits pénaux
africains. Contribution à une théorie sur l’internormativité des systémes pénaux nationaux en transition » thèse,
université de Yaoundé 2, 2012, Pp. 347 et suivant
88
B. GREY, « Les crimes de guerre des Etats unis et de l’OTAN en Libye », Mondialisation.ca du 27 janvier
2012, http://www.mondialisation.ca/les-crimes-de-guerre-des-etats-unis-et-de-l-otan-en-libye/28915 consulté le
14 juin 2021, 11h20.
89
Ibidem.
90
CPI, 3e Rapport de la Cour pénale internationale au conseil de sécurité des nations unies de l’ONU en
application de la résolution 1970 (2011), 16 mars 2012, http://www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/3CBOEAB8-
7BOO-450C-9A7C-99DBB8FB1421/0/UNSCrapportlibyaMay2012Fra.pdf consulté le 13 juin 2021, 14h54.
des morts et des blessés civils, étaient sciemment dirigées contre les populations. Par ailleurs,
elle évoqua que rien ne permettait de penser que le commandement général de l’opération
« Unified protector » avait autorisé ces frappes tout en sachant qu’elles causeraient des
victimes91. Ces arguments de la procureure ne presentent guère les éléments sur l’exacte
réalité des faits, ce qui rendait son rapport peu crédible. Il semble plus avoir pour ambition de
presenter, voire de défendre le défaut d’intention dans les actes des forces de l’OTAN. Cette
décision de ne par poursuivre dévoilait une fois encore le refus de la CPI de poursuivre
les « États-puissants » et renforçait l’argument de l’exclusivité de l’action de la CPI en
Afrique, faisant basculer cette juridiction pénale interntionale du projet d’une justice globale
au paternalisme occidental92. Les agissements de la CPI postérieurement à la réaction de
l’union africaine de mise sur pied d’une juridiction pénale africaine aurait pu reconforter les
Etats africains.
Pour la première fois le 27 janvier 2016 le procureur de la CPI, Fatou Ben Souda98 a
reçu l’autorisation de la Chambre préliminaire II de la CPI d’ouvrir une enquête dans la
situation en Géorgie99, dans laquelle entre le 1er juillet et le 10 octobre 2008, des
affrontements opposant la Russie à la Géorgie, ont eu lieu en Ossétie du Sud et où les deux
parties auraient commis des faits caractéristiques des crimes de Guerre et crimes contre
91
Voir 3e Rapport de la Cour pénale internationale cité Supra.
92
N. ZRYD, « La cour pénale internationale : du projet d’une justice globale à une justice paternaliste
occidental », mémoire de master, Université de Lausanne, 2019.
93
Pour les crimes prétendument commis depuis le 1er octobre 2009 et les crimes contre l’humanité prétendument
commis depuis le 1er novembre 2002 en Colombie. La situation en toujours pendante devant la CPI au stade de
l’examen de la recevabilité. Voir https://www.icc-cpi.int/colombia?In=fr consulté le 23 juin 2021.
94
Le 09 décembre 2020, le procureur de la CPI a clos l’examen préliminaire de la situation en Iraq/Royaume uni
et a décidé de ne pas demander l’ouverture d’une enquête, après avoir conclu, au terme d’un examen approfondi,
qu’aucune affaire susceptible de découler de la situation ne serait recevable devant la CPI à l’heure actuelle. Voir
https://www.icc-cpi.int/iraq/uk?In=fr consulté le 23 juin 2021.
95
Situation en cour devant la CPI (phase de recevabilité) pour les crimes présumés commis depuis le 1 er juillet
2016 au moins, dans le contexte de la campagne de « guerre contre la drogue ». voir https://www.icc-
cpi.int/Republicofphilippines/uk?In=fr consulté le 23 juin 2021.
96
Situation en cour devant la CPI , pour les crimes présumés commis dans le cadre de la situation en Ukraine
depuis le 21 novembre 2013. Voir https://www.icc-cpi.int/iUkraine/uk?In=fr consulté le 23 juin 2021.
97
Situation en cour, pour les crimes contre l’humanité présumés qui auraient été commis en Bolivie en Aout
2020. Voir https://www.icc-cpi.int/bolivia/uk?In=fr consulté le 23 juin 2021.
98
L’examen préliminaire fut ouvert par son prédécesseur Louis Moreno Ocampo le 14 Aout 2008.
99
Situation en Géorgie, http://www.icc-cpi.int/geogia?In=fr consulté le 23 juin 2021.
l’humanité. De toute évidence, sur le terrain politique, cette affaire risquerait d’avoir des
retombés négatifs : en cas de condamnation de la Russie qui, n’étant pas partie au Statut de
Rome est un membre permanent du conseil de sécurité des nations unies, et risquerait de nuire
à la politique extérieure de la Cour. A l’opposé, si aucune condamnation n’est prononcée
alors qu’il s’agissait là de la toute première situation extra africaine de la CPI, cela risquerait
de donner raison aux détracteurs de la CPI qui l’accusent d’instrument néocolonialiste100.
100
N. ZRYD, « La cour pénale internationale : du projet d’une justice globale à une justice paternaliste
occidental », mémoire de master, Université de Lausanne, 2019, p. 34.
101
http://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=pr1448&in=fr consulté le 23 juin 2021.
102
Condamner les États-Unis à La Haye, https://eclj.org/geopolitics/un/afghanistan-condamner-les-etats-unis-a-
la-haye-la-demesure-du-procureur-de-la-cpi?lng=fr consulté le 23 juin 2021.
103
Decision Pursuant to Article 15 of the Rome Statute on the Authorisation of an Investigation into the
Situation in the Islamic Republic of Afghanistan, in https://www.icc-cpi.int/CourtRecords/CR2019_02068.PDF
(consulté le 23 juin 2021) ; Les juges de la CPI refusent l’ouverture d’une enquête sur la situation en
Afghanistan, in https://www.icc-cpi.int//Pages/item.aspx?name=pr1448&ln=fr consulté le 23 juin 2021.
104
Les États-Unis menacent la Cour pénale internationale, in https://www.hrw.org/fr/news/2019/03/15/les-etats-
unis-menacent-la-cour-penale-internationale consulté le 23 juin 2021.
105
Afghanistan : la Chambre préliminaire II de la CPI autorise le Procureur à faire appel de la décision refusant
d’enquêter, in https://www.icc-cpi.int//Pages/item.aspx?name=pr1479&ln=fr consulté le 23 juin 2021.
et leur déportation au Bangladesh, elle annonça, le 18 janvier 2018, y ouvrir une enquête
préliminaire106. Elle adressa par la suite le 04 juillet 2019 une demande d’ouverture d’une
enquête107 à la Chambre préliminaire III de la CPI, et celle-ci la lui accorda le 4 novembre de
la même année108.
106
Déclaration du Procureur de la CPI, Mme Fatou Ben Souda, à propos de l’ouverture d’un examen
préliminaire concernant la déportation présumée du peuple rohingya de la Birmanie vers le Bangladesh, in
https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=180918-otp-stat-Rohingya&ln=fr consulté le 21 juin 2021.
107
Le Procureur de la CPI, Fatou Ben Souda, demande aux juges l’autorisation d’ouvrir une enquête à propos de
la situation au Bangladesh/Birmanie, in https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=pr1465&ln=fr consulté
le 23 juin 2021.
108
Les juges de la CPI autorisent l’ouverture d’une enquête sur la situation au Bangladesh/Myanmar, in
https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=pr1495&ln=fr consulté le 23 juin 2021.
109
Déclaration du procureur de la CPI, Fatou Ben Souda, à propos de l’examen préliminaire de la situation en
Palestine, et de sa requête auprès des juges de la Cour afin qu’ils se prononcent sur la compétence territorial de la
Cour https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=20191220-otp-statement-palestine&ln=fr consulté le 23
juin 2021.
110
Cet article prévoit que « Le Procureur peut demander à la Cour de se prononcer sur une question de
compétence ou de recevabilité. Dans les procédures portant sur la compétence ou la recevabilité, ceux qui ont
déféré une situation en application de l'article 13, ainsi que les victimes, peuvent également soumettre des
observations à la Cour. ».
111
Decision on the ‘Prosecution request pursuant to article 19(3) for a ruling on the court’s territorial jurisdiction
in Palestine’ https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?docNo=ICC-01/18-143&ln=fr consulté le 21 juin 2021.
112
Déclaration du procureur de la CPI, Mme Fatou Ben Souda à propos d’une enquête sur la situation
palestinienne, https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=210303-prosecutor-statement-investigation-
palestine&ln=fr consulté le 23 juin 2021.
Comme on peut le voir, les statistiques113 de la CPI de la période allant de son entrée
en vigueur à 2014, laissent voir une justice afro centrée. L’intervention de cette juridiction
pénale internationale permanente dans des situations extra africaines aurait sans doute
discréditée la méfiance des États africains si elle était intervenue avant la déchirure. Mais bien
que cette saisine extra africaine de la CPI puisse constituer un argument de poids, l’examen
des modes de saisine de cette juridiction, qui fait ressortir le malaise de sa saisine par renvoi
du conseil de sécurité des nations unies, concoure au renforcement de la méfiance des États
africains qui verraient en cette cour une solution occidentale aux problèmes africains114.
B) Le malaise des forts pouvoirs du conseil de sécurité des Nations unies dans le
fonctionnement de la CPI
L’examen des modes de saisine de la CPI pourrait permettre de justifier la forte présence
de l’action de la CPI en Afrique et battre en brèche le tort sur cette juridiction. En effet, aux
termes de l’article 12 du Statut de Rome, l’action de la CPI n’est possible que sur le territoire
de ses États-parties ou lorsque les crimes ont été commis par l’un des ressortissants de ses
États-parties. En ce sens, l’article 13 du même texte évoque les modes de saisine de la Cour
qui, pour être recevable, principe de complémentarité oblige, doit précéder l’inaction des
autorités nationales115.
Trois (03) modes sont prévues pour saisir la Cour : la saisine par un Etat-partie116, la
saisine par le procureur propio mutu117, et la saisine – controversée– par le conseil de sécurité
des nations unies118.
113
A ce jour, a enquêté sur 14 situations (RDC, Ouganda, soudan, RCA (2 situations, en 2004 et en 2014),
Kenya, Libye, Cote D’Ivoire, Mali, Géorgie, Burundi, Palestine, Bangladesh, Afghanistan) et examiné 30
affaires.
114
N. ZRYD, « La cour pénale internationale : du projet d’une justice globale à une justice paternaliste
occidental », mémoire de master, Université de Lausanne, 2019, p. 15 et s.
115
Article 17 Statut de Rome.
116
Article 13a ibid.
117
Article 13c ibid.
118
Article 13b ibid.
119
Article 13a in fine.
Rome, les États africains ont envoyé de leur propre initiative, quatre (04) des huit (8)
situations africaines qui ont eu cour devant la CPI. Il s’agit de la situation en Ouganda,
République démocratique du Congo, en République centrafricaine et au Mali. La situation de
la Cote d’Ivoire peut être nuancée parce que partagée en doctrine. En effet, en vertu de
l’article 12a, l’Etat ivoirien fît une déclaration de reconnaissance de la compétence de la Cour
par une lettre de reconnaissance de compétence120, reconnaissance qui fut par la suite
confirmée par le président Alassane Ouattara par trois lettres adressées au président de la
Cour, à la procureure, et au Greffier en chef de la même juridiction121.
Le débat résulte de l’assimilation de cette reconnaissance à un renvoi étatique122. Selon
JEAN BAPISTE MBOKANI, « l’assimilation d’un renvoi étatique à une déclaration de
reconnaissance de compétence est en théorie contestable, en raison du fait qu’elle est prévue
pour les États non parties et que la procédure qu’une telle reconnaissance entraine est celle
d’une saisine à l’initiative du procureur »123, ce qui permet d’exclure le cas ivoirien de la
saisine par un État. Les termes de la confirmation de reconnaissance de la compétence de la
CPI faite par le président ivoirien Alassane Ouattara, tendent à soutenir cet argument. Dans ce
document, on peut lire : « depuis le 02 décembre 2010, suite à l’élection présidentielle de
sortie de crise qu’elle a organisée les 31 octobre et 28 novembre 2010, la Cote d’Ivoire à un
nouveau président de la République dont la victoire a été proclamée par la commission
électorale indépendante […] En ma qualité de nouveau président de la République de Côte
d’Ivoire, et conformément à l’article 12 paragraphe 3 du Statut de Rome […], j’ai l’honneur
de confirmer la déclaration du 18 avril 2003. A ce titre, j’engage mon pays, la Cote d’Ivoire
à coopérer pleinement et sans délai avec la Cour Pénale Internationale, notamment en ce
qui concerne tous les crimes et exactions commis depuis 2004 »124.
120
CPI, déclaration de reconnaissance de la compétence de la cour pénale internationale, République de Côte
d’Ivoire, 18 Avril 2003, https://www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/FF9939C2-E97-4463-934C-
BC8F351BA013/279779/ICDE1.PDF consulté le 16 juin 2021, 00h43.
121
CPI, confirmation de reconnaissance de la compétence de la cour pénale internationale, République de Côte
d’Ivoire, 14 décembre 2010, https://www.icc-cpi.int/nr/rdonlyres/498e8feb-7a72-4005-a209-
c14ba374804f/0/reconcpi.pdf consulté le 16 juin 2021, 00h53.
122
S.L. AGUEZOMO ELLA, « les tensions entre l’Union africaine et la Cour pénale internationale a l’occasion
de la poursuite des chefs d’Etat africains », Op.cit., P. 20.
123
J. B. MBOKANI, « La cour pénale internationale : une cour contre les africains ou une cour attentive à la
souffrance des victimes africaines? », Op.cit.,
124
CPI, confirmation de reconnaissance de la compétence de la cour pénale internationale, République de Côte
d’Ivoire, 14 décembre 2010, https://www.icc-cpi.int/nr/rdonlyres/498e8feb-7a72-4005-a209-
c14ba374804f/0/reconcpi.pdf consulté le 16 juin 2021, 00h53.
Quoi qu’il en soit, au vu de ces statistiques, les États africains semblent être les
responsables de ce tropisme125 des situations africaines devant la CPI.
- Concernant la saisine par le procureur,
Le pouvoir d’ouvrir une enquête de sa propre initiative est reconnu au procureur par
l’article 13c du Statut de Rome. Ce texte lui offre la possibilité de se saisir d’une situation
dans les limites des dispositions de l’article 12126, en toute impartialité, autonomie127 et
indépendance, quoique ces caractères semblent être battus en brèche par l’aval préalable de la
Chambre préliminaire d’ouvrir une enquête sur demande du procureur lorsqu’il « conclut
qu’il y a une base raisonnable pour ouvrir une enquête »128 . C’est ce pouvoir qui lui a permis
de se saisir de la situation Kenyane pour les violences commises après les élections de 2007-
2008, en Côte d’Ivoire au sujet de la crise post-électorale de 2010-2011, en Géorgie, et tout
récemment, au moment où l’Union africaine s’est déjà désolidariser de la Cour, la situation
palestinienne en décembre 2019 dont l’autorisation de la Chambre préliminaire a été accordée
le 05 février 2021. Le fait que le procureur ne se soit saisi que de deux situations, et que
celles-ci soient qui plus est africaines, a contribué à renforcer le sentiment de méfiance de la
CPI par les États africains.
S’il est un mal le plus profond dans le fonctionnement de la CPI pour les États africains,
c’est la forte présence du Conseil de sécurité des Nations unies dans le fonctionnement de
cette juridiction pénale internationale129. D’une part parce qu’aucun État africain n’en est
membre, d’autre part parce que la majorité des États qui le compose (3/5) ne sont pas partie
au Statut de Rome de la Cour pénale internationale130.
Le Statut de Rome réserve en son article 13b le pouvoir du Conseil de sécurité des
Nations unies de saisir la CPI pour des situations dans lesquelles un ou plusieurs crimes
125
F.M. FOKOU, « Union africaine et Cour pénale internationale : de la collusion à la collision, Note d’analyse
politique nº23, Janvier 2015.
126
Relatives aux conditions préalables à l’exercice de la compétence de la Cour.
127
L’article 15 du Statut de Rome accorde une large marge de manœuvre au procureur de la CPI dans
l’appréciation des situations et dans le choix des poursuivre ou non de sorte que même la poursuite des crimes
relevant de la compétence de la cour repose sur son bon vouloir. Selon ce texte, le procureur apprécie s’il existe
une base raisonnable pour ouvrir une enquête, sans fixer ce qui caractérise la base raisonnable.
128
Article 15 paragraphe 2 Statut de Rome.
129
Soulignons qu’au-delà du pouvoir dans le déclenchement des poursuites prévu à l’article 13b du Statut de
Rome, l’article 16 dudit Statut reconnait également au conseil de sécurité des nations unies le pouvoir de mettre
fin aux poursuites ayant cour devant la CPI.
130
La France et la Grande Bretagne sont parties au Statut de Rome, les Etats unis, la Russie et la Chine ne le sont
pas.
paraissent avoir été commis dans une quelconque partie du monde pour la simple raison que
l’action du Conseil de sécurité des Nations unies puise son fondement dans le chapitre VII de
la Charte des Nations unies c’est-à-dire dans le cadre d’une menace contre la paix, d’une
rupture de la paix. L’action de cette instance onusienne ne trouve donc aucune limite spatiale.
Elle peut se déployer au-delà des territoires des États-parties au Statut de Rome pour
s’intéresser à une situation dans un État-tiers, au sens que l’entend ledit Statut. La seule
condition de recevabilité demeure outre le respect du champ de compétence matérielle de la
CPI, le vote unanime des cinq (05) membres dudit conseil. Tout le problème des Etats
africains sur la légitimé de ce pouvoir du conseil de sécurité des Nations unies se trouve là. En
effet, les prises de position du conseil de sécurité des nations unies peuvent diriger la CPI
dans son action judiciaire. A titre d’exemple, il est fort possible que la CPI ne poursuive
jamais par renvoi par le conseil de sécurité des Nations unies131, une personnalité américaine
quand bien même celle-ci aurait commis les crimes relevant de la compétence de la Cour
parce qu’il suffirait aux Etats unis d’user du droit de veto pour empêcher les poursuites. La
situation serait identique dans le cas où une personnalité étatique africaine qui servirait les
intérêts des « États puissants ». La situation ivoirienne est forte évocatrice de ce dernier cas de
figure avec le soutien des forces pro Ouattara par la France.
Sur ce fondement, le conseil de sécurité a saisi la Cour pénale internationale sur deux
situations dont l’une en Lybie par la résolution 1970 et l’autre au Darfour (Soudan) par la
résolution 1593.
Il apparait donc clairement établi que cinq États (les membres permanents du conseil de
sécurité des Nation unies) disposent de l’opportunité de décider de soustraire la situation d’un
pays de la portée du procureur de la CPI comme ce fut le cas en Syrie en raison d’une division
de la communauté internationale sur la solution politique à y apporter132, ou au contraire
d’influencer pour qu’une situation ou plus précisément un cas particulier de cette situation
fasse l’objet d’enquête. Il s’agit là de « la mise en œuvre de la puissance d’un État qui écarte
lamentablement l’application du droit au détriment des États faibles que sont les États
africains »133. C’est également ce pouvoir entre les mains du conseil de sécurité de Nations
131
Encore que même par les autres mécanismes cela est peu probable, le conseil pouvant intervenir en vertu de
l’article 16 du Statut.
132
J. B. MBOKANI, « La cour pénale internationale : une cour contre les africains ou une cour attentive à la
souffrance des victimes africaines? », Op.cit.,
133
S.L. AGUEZOMO ELLA, « les tensions entre l’Union africaine et la Cour pénale internationale a l’occasion
de la poursuite des chefs d’Etat africains », Op.cit., P. 20.
unies qui est à l’origine des poursuites sélectives devant la CPI, la source du traitement
différencié devant cette Cour134.
Face à une justice pénale internationale afro centrée pratiquée par la CPI, une justice faite
par une institution perçue comme l’institution judiciaire qui, par ses actions bien que
légitimes, fragilise et menace la souveraineté des États, malades du « complexe du
colonisé »135, les États africains se devaient de réagir. Les poursuites engagées contre certains
chefs d’États en exercice constituant l’acte de trop. Les réactions africaines par le biais de
l’UA face à ce sentiment de méfiance se sont résumés en une série de demande allant des
demandes de rééquilibrage des forces dans le fonctionnement de la CPI (B) aux demandes de
suspensions de certaines poursuites engagées et retraits massif des États africains du Statut de
Rome (A).
134
Ibid. P.43.
135
S.L. AGUEZOMO ELLA, « les tensions entre l’Union africaine et la Cour pénale internationale a l’occasion
de la poursuite des chefs d’Etat africains », Op.cit., p., 47.
devant la CPI, et que, sur le terrain politique, les membres du Conseil de sécurité qui sont
contre la politique du président Al Bashir, s’y seraient opposés. Ce qui fut le cas, l’Union
africaine essuya le refus du Conseil de sécurité d’actionner son pouvoir que lui accorde
l’article 16 du Statut de Rome. Face à ce refus, l’UA réitéra sa demande lors de sa 4 e session
ordinaire de la Conférence des chefs d’États et de gouvernement tenue à Addis-Abeba du 31
janvier au 2 février 2010. Suite à cette seconde demande la Chambre préliminaire I lança un
second mandat d’arrêt contre le président soudanais le 12 juillet 2010, mandat que
l’organisation africaine a ordonné de ses États membres un sursis à exécution (voir infra). Le
sursis à enquêter dans la situation au Kenya aurait permis une juste application du principe de
la complémentarité en laissant préalablement la justice kenyane s’occuper du dossier. N’ayant
pas pu obtenir sa demande, l’UA demanda un rééquilibrage des forces dans le fonctionnement
de la CPI avec le retrait des pouvoirs accordés au Conseil de sécurité des Nations Unies.
B) Les « lettres mortes » des demandes de l’UA en faveur d’un rééquilibrage des
forces dans le fonctionnement de la CPI pour la sortie de crise.
L’union africaine préconisa la révision des dispositions accordant des pouvoirs au Conseil
de sécurité des Nations unies avant d’envisager le retrait collectif des États africains du Statut
de Rome.
En effet, l’UA fustige la relation étroite entre le Conseil de sécurité des Nations unies et la
CPI et considère que le conseil de sécurité est à l’origine du traitement différencié entre les
États devant la CPI136, lui qui, par la Résolution 1975 avait autorisé une opération militaire en
Côte d’Ivoire pour soutenir les forces pro-Ouattara lors des violences postélectorales de 2011.
La forte présence du Conseil de sécurité dans le fonctionnement de CPI donne l’impression
que celle-ci est un organe subsidiaire de ce Conseil. L’UA formula une demande à se Etats
membres de se prononcer sur un amendement de l’article 16 du Statut visant à permettre à
l’Assemblé Générale de l’ONU d’agir si le conseil ne se prononçait pas dans un délai de 06
mois conformément à la Résolution 377 (V). Lors de la Conférence des États parties au Statut
de Rome tenue à Kampala, cette proposition fut écartée et l’Assemblée des États parties
releva que « la proposition poserait de nombreux problèmes complexes mettant en jeu les
relations entre les organes du système des Nations unies »137 .
136
S.L. AGUEZOMO ELLA, « les tensions entre l’Union africaine et la Cour pénale internationale a l’occasion
de la poursuite des chefs d’Etat africains », Op.cit., p., 45
137
G.F. NTAWARI, « La proposition d’amendement de l’article 16 du Statut de Rome ou la dimension
institutionnelle de la mise en œuvre de la justice pénale internationale », Le Journal du Centre de Droit
International, Dossier sur la révision de la Cour pénale internationale, No 7, Décembre 2011.
Par la suite, l’UA entrepris de proposer à ses États parties un retrait collectif du Statut
de Rome. La première tentative de retrait collectif des États africains du Statut de Rome
remonte en juin 2009, lorsque ceux-ci se sont réunis pour adopter une résolution allant dans
ce sens pour contester l’inculpation du président Al Bashir. Cette tentative s’est soldée par un
échec. Les poursuites engagées en 2011 (aujourd’hui abandonnées) contre le président
kenyan Uhuru Kenyatta ont remis la question du retrait des États africains du Statut de Rome
à l’ordre du jour du 28e Sommet de l’UA. Après que le parlement kenyan ait voté la loi
portant retrait du Kenya du Statut de Rome, l’UA, lors de son 28 e Sommet clôturé à Addis-
Abeba adopta une résolution en faveur du retrait collectif des États africains du Statut de
Rome. Le président tchadien Idriss Déby Itno de regrettée mémoire, alors président en
exercice de l’UA en 2016 expliqua que « cette décision est motivée par l’acharnement de la
CPI contre les dirigeants du continent [africain] »138 . Il est une évidence que cette demande
de retrait collectif des États africains du Statut de Rome formulée par l’UA était un abus de
langage car cette stratégie n’existe pas en droit international. S’il n’y a pas d’adhésion
collective, à fortiori il ne saurait avoir de retrait collectif. Les États comme le Burundi, la
Gambie et l’Afrique du sud ont entrepris des démarches individuelles en vue de se retirer du
Statut de Rome.
En clair, il apparait des développements ci-dessus que l’un des axes de réflexion sur
l’émergence d’une compétence pénale internationale au sein de la Cour africain des droits de
l’homme et des peuples est le contexte de méfiance de la CPI par l’Afrique. Cette méfiance
découle du constat par les États africains d’une politique de poursuites concentrée sur le
continent africain menée par les organes de la CPI. En réponse, les États africains, par le biais
de l’UA ont entrepris plusieurs démarches en vue de résoudre cet état de chose. Face à l’échec
de toutes leurs démarches, ceux-ci ont entrepris de défier la juridiction pénale internationale et
permanente que représente la Cour pénale internationale.
138
F.M. FOKOU, « Union africaine et Cour pénale internationale : de la collusion à la collision, Note d’analyse
politique nº23, Janvier 2015.
SECTION II :
LA DÉFIANCE DE LA CPI PAR L’UA, MARQUE D’UNE DIFFICILE
RECONCIALIATION POUR UNE COMPLÉMENTARITÉ CPI/CAJDHP
Le Statut de Rome instituant la CPI et l’Acte constitutif de l’UA, les deux institutions
auxquelles sont parties bon nombre d’Etats africains, sont entrés en vigueur en juillet 2002,
soit le même mois et la même année. Aucun observateur ne pouvait à cette date, prédire les
fractures aujourd’hui observées entre ces deux institutions internationales, même pas les Etats
africains eux-mêmes en adhérant massivement au Statut de Rome, avec le soutien de l’OUA.
Suite au sentiment de méfiance longuement affiché par les États africains, et compte tenu des
résultats négatifs de toutes leurs demandes, ceux-ci, par le biais de l’organisation régionale
que constitue l’UA ont entrepris de défier la Cour pénale internationale. Cette défiance part
des refus de coopérer avec cette juridiction pénale internationale dans l’exécution des mandats
d’arrêt émis contre les présidents Omar Al Béshir et dans une certaine mesure Muammar
Kadhafi (§1). Dans ces deux situations en effet, comme le pense Pierre Éric BATCHOM, la
CPI et partant les Nations unies, a envisagé que la solution des problèmes au Darfour et en
Libye n’était pas exclusive d’une poursuite des responsables des crimes commis contre la
morale internationale, en tant que les libyens et les Darfouris massacrés ne sont plus
uniquement des individus territorialement marqués, mais « l’humanité considéré comme res
communis qui est bafouée »139. La communauté internationale ne pouvait rester silencieuse,
au risque de se voir reprocher quelque passivité comme ce fut le cas au Rwanda140.
L’Union africaine estima que l’insistance de la CPI de rendre justice dans ces deux cas
était un obstacle contre la paix. Pour elle, la détermination à faire rendre la justice par cette
institution est une menace contre la paix et la réconciliation entre les parties au conflit 141. En
réalité, l’UA revendiquait déjà le monopole de la justice en Afrique et estima que s’il fallait
juger les présidents Al Bashir et Kadhafi cela devrait se faire sur le sol africain par une
juridiction nationale renforcée ou alors au sein de la Cour africaine de justice et des droits de
l’homme. A ce titre, dans sa Résolution Assembly/AU/Dec.245(XII) portant sur le rapport de
139
P.E. BATCHOM, « La double présence au sein des institutions internationales. Une analyse de la position des
États africains face aux mandats d’Arrêt de la CPI », in L’AFRIQUE ET LE DROIT INTERNATIONAL
PÉNAL, Actes du troisième colloque annuel de la Société africaine pour le droit international (SADI), 2015, p.
68.
140
Ibidem.
141
Ibid. p. 69.
la réunion des Etats africains parties au Statut de Rome de la CPI, l’UA encouragea « les
États africains membres à entreprendre des programmes de coopération et de renforcement
des capacités des juristes dans leurs pays respectifs en matière de formulation et de sureté
d’une législation-type sur des crimes graves de préoccupation internationale, de formation
des agents de police et de la justice, et de renforcement de la coopération entre les organes
judiciaires et les agences d’enquêtes»,. Dans une Résolution ultérieure, elle demanda
« conformément à la décision Assembly/Dec. 213 (XII) adoptée en février 2009 chargeant la
commission, en consultation avec la commission des droits de l’homme et des peuples et la
Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, d’examiner les implications de l’octroi à
la Cour de la compétence à juger des cas de crimes graves de préoccupation internationale
tels que le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, qui seraient
complémentaires des juridictions et processus nationaux de lutte contre l’impunité ». Il se
trouvait là affirmées les prémisses d’une formulation africaine de la compétence pénale
régionale (§2).
Paragraphe §1- le refus par les États africains de coopérer avec la Cour
pénale internationale à la demande de l’Union africaine.
Après l’émission des mandats d’arrêt contre les présidents Omar Al Bashir et Muammar
Kadhafi, l’Union africaine avait systématiquement donné comme mot d’ordre à ses États
membres de ne pas coopérer avec la CPI en refusant d’arrêter ces personnalités. A l’issue de
son 17e Sommet à Malabo le 1er juillet 2011, l’Union africaine pris la résolution
Assembly/AU/Dec. 270 (XIV) par laquelle elle exhorta ses États membres à ne pas coopérer
avec la CPI dans l’exécution des mandats d’arrêt contre Omar Al Bashir, résolution résultant
du refus du conseil de sécurité des Nations unies de sursoir aux poursuites contre le président
soudanais en vertu de ses pouvoirs qu’il tire de l’article 16 du Statut de Rome. Il convient
d’analyser la posture des États africains face aux demandes de l’Union africaine (A) avant
d’examiner la posture en dents de scie de la CPI sur le fondement de la coopération des États
dans l’’arrestation des dirigeants des États tiers au Statut de Rome (B).
A) La bifacialité des positions des États africains face aux recommandations de l’Union
africaine.
Tous les États africains n’ont, en effet, pas été d’accord avec les résolutions de l’Union
africaine au sujet de la non coopération des États africains. La situation de double présence au
sein des institutions internationales que sont l’UA et la CPI dans laquelle ils se trouvent, et
compte tenu de l’absence de hiérarchie entre les sources du droit international, conduisit
certains d’entre eux à s’aligner sur la posture de l’UA en refusant de coopérer avec la CPI (1)
et d’autre à respecter leur engagement envers la CPI en coopérant activement avec celle-ci, au
grand mépris des résolutions de l’UA(2).
Le Tchad et la Malawi furent sanctionnés par la Cour pénal internationale pour leur
violation de leur engagement vis-à-vis de celle-ci en refusant de coopérer dans l’arrestation du
président Soudanais. Pour se défendre, le Malawi avança qu’il accorde au Chef d’État Omar
Al Bashir une immunité en raison des principes établis par le droit international public pour la
double raison que le Soudan n’est pas un État partie au Statut de Rome et que l’article 98
dudit Statut lui accorde cette faculté142. Il évoqua également qu’en tant que membre de
l’Union africaine, le Malawi avait fait le choix de s’aligner sur la position de l’organisation à
l’égard de la mise en accusation d’un chef d’État en exercice des pays qui ne sont pas parties
au Statut de Rome143.
Sur le terrain juridique, l’article 98 du Statut de Rome semble remettre en cause l’article
27 (2) du même texte.
142
CPI, Affaire le procureur c. Omar Hassan Ahmad Al Bashir, CHAMBRE PRÉLIMINAIRE I, ICC-02/05-
01/09-13J9-Corr-tFRA
143
Ibidem.
Et le premier que :
Certains États comme l’Afrique du sud, le Botswana et l’Ouganda ont refusé de s’aligner
sur la posture de l’Union africaine au sujet de la coopération des États africains avec la CPI
dans l’arrestation du président Soudanais. Le refus de l’Ouganda se manifesta par sa non
invitation du président Al Bashir au Sommet de l’UA de juillet 2010. Pour sa part, l’Afrique
du Sud a, en 2010, affirmé qu’il n’hésiterait pas à arrêter le président Al Bashir s’il se rendait
en Afrique du sud, affirmant ainsi sa détermination à coopérer avec la CPI. La doctrine a à ce
titre estimé que l’histoire politique de ce pays au siècle dernier, marquée par les dégâts de
l’apartheid, ont rendu les membres du Congrès National Africain (ANC), parti au pouvoir à
144
Ibidem.
cette époque, méfiants vis-à-vis des fauteurs de crimes contre l’humanité et renseignait sur
cette position145. Ce pays argua également de ce que l’appel de l’Union africaine à la non
coopération avec la CPI ne l’emporte pas sur les obligations internationales des États
membres de la CPI de coopérer avec elle146. En juin 2015, lorsque le président soudanais
s’est rendu à Johannesburg pour le Sommet de l’UA, il fut obligé d’abréger son séjour lorsque
la justice sud-africaine lui interdit de quitter le territoire de cet État en attendant l’examen de
l’injonction d’arrestation et de remise prononcée par la CPI. Déterminée à coopérer avec la
CPI, en mars 2016, la Cour suprême de ce pays, affirma l’obligation du gouvernement sud-
africain de coopérer à l’arrestation du président Soudanais et sa remise à la CPI147.
145
P.E. BATCHOM, « La double présence au sein des institutions internationales. Une analyse de la position des
États africains face aux mandats d’Arrêt de la CPI », Op.cit., P. 78.
146
Ibid. p. 77.
147
S. M. KIENOU, « Les décisions judiciaires relatives à l’arrestation du dirigeant de l’État tiers au Statut de
Rome », Revue Burkinabè de Droit, nº62-1er semestre 2021, p. 242.
148
P.E. BATCHOM, « La double présence au sein des institutions internationales. Une analyse de la position des
États africains face aux mandats d’Arrêt de la CPI », Op.cit., P. 79.
149
Kenya Section of the international commission of jurists V. Attorney General and another (2011) eKLR, 28
november 2011, pp. 16-19.
150
Voir décision supra.
pénales internationales et ne vaut que pour les États »151 , et qu’il en est de même du principe
Aut dedere Aut judicare152.
Comme on peut le constater, les États africains ont adoptés des postures diverses dans la
mise en œuvre des résolutions de l’Union africaine au sujet de la coopération avec la CPI dans
l’arrestation du président Al Bashir. Ces positions apparaissent plus soucieuses de
l’implémentation des politiques internes de ces États que d’une vision globale de défiance de
la CPI comme le souhaite l’Union africaine. A parcourir la jurisprudence de la CPI au sujet de
la détermination du fondement de l’obligation des États de coopérer avec la Cour dans
l’arrestation des dirigeants des États tiers au Statut de Rome, l’on s’aperçoit que cette
juridiction semble confuse.
Lorsqu’on parle de versatilité, l’on fait référence au caractère changeant d’une chose,
d’une personne voire d’une position sur une question donnée. A parcourir la jurisprudence de
la Cour pénale internationale sur la question de l’obligation de coopération des États dans
l’arrestation des dirigeants des États-tiers au Statut de Rome, l’on se rend compte que les
Chambres préliminaires de cette Cour adoptent des positions incohérentes et la Chambre
d’Appel des positions inconsistantes, ce qui peut être interprété comme une politisation de la
CPI et renforcer la méfiance des États africains.
Les incohérences désignent le fait pour une position prise par une personne de ne pas
être conforme à une position dont elle constitue la suite logique.
151
S. M. KIENOU, « Les décisions judiciaires relatives à l’arrestation du dirigeant de l’État tiers au Statut de
Rome », Op.cit., P. 238.
152
Ibid. p. 240
affaire »153. Elle soutenu ainsi que l’obligation de coopération des États parties au Statut de
Rome en ce qui concerne l’arrestation et la remise du dirigeant politique d’un État non-partie
audit Statut était uniquement basée sur le soucis de lutte contre l’impunité et dans ce sens,
l’application de l’article 27 (2) de son Statut trouvait sa place., en excluant toute source autre
que son Statut dans son fonctionnement.
153
CPI, Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins de délivrance d’un mandat d’arrêt à l’encontre
d’Omar Hassan Ahmad Al Bashir, Chambre préliminaire I, 04 mars 2009, ICC-02/05-01/09.
154
CPI, Rectificatif à la décision rendue en application de l’article 87-7 du Statut de Rome relativement au
manquement par la République du Malawi à l’obligation d’accéder aux demandes de coopération que lui a
adressé la Cour aux fins de l’arrestation et la remise d’Omar Hassan Ahmad Al Bashir, Chambre préliminaire I,
13 décembre 2011, ICC-02/05-09.
155
CPI, Décision rendue en application de l’article 87-7 du Statut de Rome relativement au manquement de la
République du Tchad d’accéder aux demandes de coopération délivrée par la Cour aux fins de l’arrestation et la
remise d’Omar Hassan Ahmad Al Bashir, Chambre préliminaire I, 13 décembre 2011, ICC-02/05-09.
156
CPI, Rectificatif à la décision rendue en application de l’article 87-7 du Statut de Rome relativement au
manquement par la République du Malawi à l’obligation d’accéder aux demandes de coopération, Para. 36.
157
CPI, Décision relative à la coopération de la République démocratique du Congo concernant l’arrestation et la
remise d’Omar Hassan Ahmad Al Bashir, Chambre préliminaire II, 13 décembre 2011, ICC-02/05-09, 09 avril
2014.
158
CPI, Décision rendue en application de l’article 87-7 du Statut de Rome concernant la non-exécution par la
Jordanie de la demande que lui avait adressé la Cour aux fins de l’arrestation et de la remise d’Omar Hassan
Ahmad Al Bashir, Chambre préliminaire, No ICC-02/05-09, 11 décembre 2017.
l’article 13b du Statut de Rome, que les États parties au Statut de Rome ne peuvent invoquer
les immunités dans leurs relations mutuelles ou encore dans leur relation avec la CPI car ayant
renoncés à toute immunité en ratifiant le Statut ; et que le fait que la situation ait été déférée
par le Conseil de sécurité impose au Soudan une obligation de coopérer avec la CPI et fait
tomber l’immunité du président Al Bashir. Par cette affirmation, la Chambre préliminaire
semble dire que le renvoi d’une situation d’un État tiers devant la CPI par le conseil de
sécurité fait de cet État un État temporairement partie audit Statut, ce qui n’a pas manqué de
soulever la critique de la doctrine159. Le dire, c’est remettre en cause les dispositions de
l’article 34 de la Convention de Vienne sur le droit des Traités internationaux qui prône la
liberté de consentement des États à être lié.
tenu du traitement en dent de scie de la question par la CPI elle-même, l’Union africaine
estima que la solution était d’instaurer une compétence pénale concurrente au niveau
régionale afin de faire obstacle à l’exercice de la compétence de la CPI en Afrique. Cela
aboutit en 2014 par la dotation de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme d’une
section de droit international pénal ayant des compétences concurrentes à celles de la CPI.
En droit, l’étude des fondements fait référence à l’étude de « la référence de base sur
laquelle repose une règle, une institution, un système juridique et qui éclaire l’esprit »164. Les
fondements de l’action de l’union africaine en faveur de la formulation d’une compétence
pénale régionale peuvent être recherchés sur sa légalité et sa légitimité.
La légalité ou licéité désigne en science juridique jus positivum, entendu droit positif.
L’introduction d’une section de droit pénal international au sein de la Cour africaine de
161
A. SOMA, « L’africanisation du droit international pénal », in L’AFRIQUE ET LE DROIT
INTERNATIONAL PÉNAL, Actes du troisième colloque annuel de la Société africaine pour le droit
international (SADI), p. 8.
162
Ibid.
163
J. SALMON, Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 387.
164
G. CORNU, Vocabulaire juridique, Paris, Dalloz, coll. « quadrige », 12e ed. 2016, P.469.
justice, des droits de l’homme et des peuples qui augure une nouvelle perspective de la
marche vers un régionalisme pénal en Afrique165 suscite des interrogations quant à sa
conformité à l’ordre juridique internationale. Cette légalité peut être recherchée tant en droit
international général qu’en droit international régional africain.
165
A. SOMA, « L’africanisation du droit international pénal », Op.Cit., p. 07.
166
Ibid., p.13.
167
G. SCELLE, Précis du droit des gens. Principes et systématique. Pp. 271 et ss. Cité par A. SOMA,
« L’africanisation du droit international pénal », in L’AFRIQUE ET LE DROIT INTERNATIONAL PÉNAL,
Actes du troisième colloque annuel de la Société africaine pour le droit international (SADI), Op.Cit., p. 13.
168
J-C GAUTRON, « Le fait régional dans la société internationale », SFDI, Régionalisme et universalisme dans
le droit international, Paris Pedone 1977, pp.3-44. Cité par G. SCELLE, Précis du droit des gens. Principes et
systématique. Pp. 271 et ss. Cité par A. SOMA, « L’africanisation du droit international pénal », Op.Cit., p. 13.
169
Ibid.
170
Le protocole de Malabo constituant désormais le dernier état de codification de la matière.
171
Cette obligation reposant sur une marge nationale d’appréciation et une obligation de compatibilité dont le
réfèrent normatif est le bien juridique que constituent les droits de l’Homme. Lire utilement sur la question la
première partie de la thèse G. NTONO TSIMI, « Le paradigme du crime contre l’humanité et la renaissance du
pluralisme juridique dans les droits pénaux africains. Contribution à une théorie sur l’internormativité des
systèmes pénaux en transition » intitulée « La bipolarité de légalité du crime contre l’humanité dans le champs
pénal interne », pp. 75-330.
172
Articles 97 et suivant Statut de Rome.
A parcourir la Charte des Nations unies, l’on se rend compte que ce texte comporte
des dispositions qui autorisent implicitement la régionalisation du droit international pénal.
Son article 52 prévoit qu’ « aucune disposition de la Charte ne s’oppose à l’existence
d’accords ou d’organismes régionaux destinés à régler les affaires qui, touchant au maintien
de la paix et de la sécurité internationales, se prêtent à une action de caractère régional,
pourvu que ces accords ou ces organismes et leurs activités soient avec les buts et les
principes des Nations unies173 ». Il en est de même de son article 41 qui octroi des pouvoirs au
conseil de sécurité des Nations unies dans la mise en place des tribunaux pénaux
internationaux. Sur le fondement de l’article 52 de la Charte des Nations unies, si nous
pouvons nous interroger sur la nécessite d’une telle entreprise de l’Union Africaine quand on
sait que les infractions que la CAJDHP entend réprimer sont du ressort de la CPI, et que bon
nombre d’Etats africains membre de l’Union africaine sont également États-parties au Statut
de Rome, l’extension des compétences matérielles de cette juridiction régionale qui fait naitre
de nouvelles infractions internationales fait de cette régionalisation de la justice pénale
internationale une contribution à l’évolution de la justice pénale internationale174.
En droit régional africain, le régionalisme pénal puise sa légalité dans les articles 3, 4
et 5 de l’Acte constitutif de l’UA qui constituent à bien y regarder les corollaires des articles
52 et 41 de la Charte des Nations unies. En effet, il pèse sur l’Union africaine, une obligation
de promotion de la paix, la sécurité et la stabilité du continent africain175, ainsi qu’une
responsabilité de protéger qui se traduit par le droit de l’union « d’intervenir dans un État
membre, sur décision de la conférence, dans certaines circonstances graves, à savoir les
crimes de guerre, le génocide, et le crime contre l’humanité »176. Si les Nations unies ont pu
valablement développer un droit international pénal et créer des juridictions pénales
internationales177 consubstantiellement au maintien de la paix, l’Union africaine doit pouvoir
en faire de même sur le fondement de son droit régional de maintien de la paix 178. De cette
manière, le pouvoir de créer une juridiction pénale internationale est un pouvoir implicite
inhérent à la compétence de maintien de la paix et de la sécurité internationale par des moyens
173
Charte des Nations Unies, CHAPITRE VIII : Accords régionaux, ARTICLE 52.
174
C.T. HUEYA, « L’extension de la compétence de la Cour africaine de justice, des droits de l’homme et des
peuples en matière de crimes internationaux », mémoire, Université de Yaoundé 2, 2012, pp. 43 et s.
175
Article 3 Acte constitutif de L’UA.
176
Article 4 Acte constitutif de l’UA.
177
Le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et pour le Rwanda (TPIR), ainsi que le tribunal
pénal spécial pour la Sierra Léone (TSSL).
178
A. SOMA, « L’africanisation du droit international pénal », Op.cit., p. 16.
spécifique179, et l’UA en tant que organisme régional autorisé à maintenir la paix et la sécurité
internationales par le règlement pacifique d’affaires se prêtant à un caractère régional, peut
créer une juridiction pénale à caractère régional en vertu des compétences qu’elle tire du
chapitre VIII de la Charte des Nations unies. Par ailleurs, l’article 5 de l’Acte constitutif de
l’UA qui, en ne délimitant pas la compétence de la juridiction régionale de protection et de
promotion des droits de l’homme et des peuples, laisse une perspective d’introduction de
nouvelles compétence à cette celle-ci comme le fit l’UA dans le protocole de Malabo.
179
Ibid. p. 15.
180
J. SALMON, Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 643.
181
P. BERTHOLOT, « La CPI face à la tragédie du Darfour », Géopolitique africaine, nº35, 2009, pp. 235-252.
internationaux graves commis sur le sol africain »182. De la sorte, cette formulation laisse
penser que la création d’une juridiction internationale pénale au niveau de la région Afrique
est une défiance à l’égard de l’exercice de la juridiction de la CPI sur le continent183. Le fait
que les relations entre la CPI et l’UA aient fonctionné normalement jusqu’au moment de
l’inculpation de certains chefs d’État en exercice, et que c’est seulement dès cet instant que
l’UA ait entrepris des démarches de défiance de la CPI démontre à suffire que pour les États
africains « aucune poursuite ne doit être engagée devant un tribunal international contre un
chef d’État ou de gouvernement en exercice ou tout autre personne agissant ou habilitée à agir
en cette qualité durant son mandat »184, et que la CPI qui veut contredire cette règle doit être
écarter de l’Afrique. Tout se passe comme si les États africains au moment de la ratification
du Statut de Rome de la CPI n’avaient pas connaissance des dispositions de l’article 27 du
Statut de Rome et de ses implications.
182
Décision sur la mise en œuvre des décisions de la Conférence relative à la CPI, UA,
Assembly/AU/Dec.366(XVII) du 1er juillet 2011. Voir également Doc Assembly/AU/13(XIII) du 03 juillet 2009.
183
M.B. HABA, « L’offensive de l’Union africaine contre la Cour pénale internationale : la remise en cause de
la lutte contre l’impunité », http://www.cdiph.ulaval.ca/blogue/loffensive-de-lunion-africaine-contre-lacour-
penale-internationale-la-remise-en-cause-de-limpunite consulté le 21 juin 2021.
184
Décision sur les relations entre l’Afrique et la CPI, EXT/Assembly/AU/Dec.1 du 12 octobre 2013.
185
A. SOMA, « L’africanisation du droit international pénal », Op.cit., p. 21.
Commission avait qualifiée de « dispositions relatives aux crimes commis par des entités
abstraites »186 ne devant pas être considérées comme crimes internationaux. Dans son texte de
2014, l’Union africaine introduisit 10 incriminations y relatives187, en y ajoutant
concurremment les 4 crimes toujours retenu en droit international pénale tel que prévu dans le
Statut de Rome. L’UA fixa également des règles de fonctionnement quasi similaires à ceux de
la juridiction mondiale.
L’UA, dans le protocole de Malabo de 2014 qui marque l’extension des compétences
de la CAJDHP et partant la formulation du régionalisme pénal africain, dote la section de
droit international pénal de cette juridiction des compétences matérielles et personnelle.
Sur le plan matériel, l’UA fait de la section criminelle de la CAJDHP compétente pour
connaitre deux catégories d’infraction internationales que l’on qualifiera respectivement
d’infractions générales et d‘infraction régionales. Les premières sont « les crimes les plus
graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale »188 entendu comme l’union
des peuples qui ont en commun un minimum de patrimoine commun de valeurs humaines
universelles189. A ce titre, le protocole de Malabo prévoit que la Cour régionale pourra
connaitre du crime de guerre, crime de génocide, et du crime contre l’humanité qui sont des
infractions qui ressortissent concurremment de la compétence de la CPI190. Les secondes sont
des crimes qui intéressent fondamentalement la communauté continentale africaine en
particulier. C’est par l’élaboration de ces infractions inédites sur la scène internationale que
l’Afrique marque sa contribution au développement du droit international pénal. Il s’agit des
crimes de changement anticonstitutionnels de gouvernement191, le crime d’exploitation
illicite des ressources naturelles, crime de piraterie, le terrorisme, la corruption, le
186
voir Annuaire de la Commission du droit international, 1951, vol. ii, docu- ment a/1858, par. 52, a, b et c.
187
crime relatif au Changement anticonstitutionnel de gouvernement ; de la Piraterie ; du Terrorisme ; du
Mercenariat ; de la Corruption ; du Blanchiment d’argent ; de la Traite des personnes ; du Trafic illicite des
stupéfiants ; du Trafic illicite des déchets dangereux ; et le crime d’exploitation illicite des ressources naturelles.
L’insertion de ces crimes avaient pour conséquence la consécration de la responsabilité pénale internationale des
personnes morales autre que l’État et ses démembrements.
188
Cf. préambule du Statut de Rome.
189
A. SOMA, « L’africanisation du droit international pénal », Op.cit., p. 24.
190
Article 5 du Statut de Rome.
191
Article 28 E protocole de Malabo.
Sur le plan personnel, l’union africaine innove en instituant une responsabilité pénale
internationale des personnes morales autre que l’Etat et ses démembrements à côté de la
classique responsabilité pénale internationale des personnes physiques.
Dans sa formulation d’une compétence pénale régionale par l’institution d’une section
de droit pénale internationale au sein de la Cour africaine de justice, des droits de l’homme et
des peuples, l’Union africaine, dans sa perspective de défiance de la Cour pénale
internationale, a accompagné cette compétence pénale d’un certain nombre de principe qui
peut faire de blocus à l’action de la Cour pénale internationale en Afrique.
A l’article 46A du protocole de Malabo, l’union africaine fait resurgir les immunités
en droit international pénal en disposant qu’« aucune procédure pénale n’est engagée ni
poursuivie contre un chef d’Etat ou de gouvernement de l’UA en fonction, ou toute personne
agissant ou habilitée à agir en cette qualité ou tout autre haut responsable public en raison de
ses fonctions ». Cette disposition qui institut expressis verbis une immunité aux chefs d’Etat
comme à tout membre du gouvernement y compris dans les cas où il s’agirait de crime de
génocide, crime contre l’humanité, crime de guerre et crime d’agression constitue un affront
clair à la Cour pénale internationale, notamment à l’article 27 de son Statut. Cette disposition
est la résultante des demandes infructueuses de l’Union africaine à la CPI lorsqu’elle affirmait
qu’ « aucune poursuite ne doit être engagée devant un tribunal international contre un chef
d’État ou de gouvernement en exercice ou toute autre personne agissant ou habilité à agir en
cette qualité durant son mandat193 ».
192
Article 28 BL (Bis) ibid.
193
Décision sur les relations entre l’Afrique et la CPI, EXT/Asembly/AU/Dec.1. Du 12 octobre 2013.
194
M. MABIALA, « L’élargissement du mandat de la Cour africaine de justice et des droits de l’Homme aux
affaires de droit international pénal », Revue internationale de droit pénal, vol. 85, 2014, p. 749-758.
195
P.E. BATCHOM, « La double présence au sein des institutions internationales. Une analyse de la position des
États africains face aux mandats d’Arrêt de la CPI », in L’AFRIQUE ET LE DROIT INTERNATIONAL
PÉNAL, Actes du troisième colloque annuel de la Société africaine pour le droit international (SADI), P. 61-88.
196
M. MABIALA, « L’élargissement du mandat de la Cour africaine de justice et des droits de l’Homme aux
affaires de droit international pénal », Op.Cit., P. 754.
197
A. SOMA, « L’africanisation du droit international pénal », Op.Cit., p.21.
198
M.B. HABA, « L’offensive de l’Union africaine contre la Cour pénale internationale : la remise en cause de
la lutte contre l’impunité », http://www.cdiph.ulaval.ca/blogue/loffensive-de-lunion-africaine-contre-lacour-
penale-internationale-la-remise-en-cause-de-limpunite consulté le 21 juin 2021.
199
Article 46H Protocole de Malabo.
200
Paragraphe 10 préambule du Statut de Rome, article 17 du même texte.
entière passe par une bonne cohésion des systèmes, voir des ordres de juridictions en
présence201 ».
201
C.T. HUEYA, « L’extension de la compétence de la Cour africaine de justice, des droits de l’homme et des
peuples en matière de crimes internationaux », Op.Cit., p. 20.
Seulement, si cet obstacle lié à la volonté des dirigeants africains est levé, la
complexité du système répressif africain des infractions internationales, avec le classique
rapport horizontal entre ces deux ordres juridictionnels, pourrait davantage rendre difficile la
mise en place d’une complémentarité entre ces deux ordres de juridiction.
CHAPITRE 2:
DIFFICULTÉS DÉCOULANT DE LA COMPLEXITÉ DU SYSTÈME REPRESSIF
DES INFRACTIONS INTERNATIONALES EN AFRIQUE ET DU RAPPORT
CLASSIQUE CPI/CAJDHP
Appliquée à l’analyse d’un système particulier, la théorie des systèmes juridiques peut
être transposée dans le champ pénal et faire référence au système pénal (ou répressif). De la
sorte, la doctrine enseigne que dans la compréhension du concept de système dans le champ
pénal, « l’unité du système pénal n’est jamais un donné du droit mais toujours un construit des
acteurs du système juridique appelés à faire des choix selon une certaine rationalité et à
202
J. CHEVALLIER, « L’ordre juridique », in J. CHEVALLIER, D. LOSCHOC, e.a, Le droit en procès, Paris,
1983, p. 7-49.
203
N. LUHMANN, « L’unité du système juridique », Arch. Phil. Droit., tome 31, 1986, p.163, cité par G.
NTONO TSIMI, « Le paradigme du crime contre l’humanité et la renaissance du pluralisme juridique dans les
droits pénaux africains. Contribution à l’étude sur l’internormativité des systèmes pénaux nationaux en
transition », Op.cit., P. 1.
204
H. KELSEN, Théorie générale du droit et de l’État, Trad. Franç.,B. LAROCHE e V. FAURE,
Paris/Bruxelles, LGDJ/Bruylant, coll. « La pensée juridique », pp. 281-301, cité par G. NTONO TSIMI,
OP.CIT., P. 1.
205
J. CHEVALLIER, « L’ordre juridique », Op.cit., p. 8.
206
Ibidem.
207
F. OST, M.VAN DE KERCHOVE, Le système juridique entre ordre et désordre, Paris PUF, coll. « Les
voies du droit », 1988.
208
J.B. BONNET, « Repenser les rapports entre les ordres juridiques », … ; dans le même ordre d’idée J.B.
BONNET (Dir.), Traité des rapports entre ordres juridiques, LGDJ…
209
F.OST, M. VAN DE KERCHOV, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit,
Bruxelles, Presses de l’université Saint-Louis, 2010.
A l’origine, les systèmes répressifs en Afrique ont largement été influencés par le
phénomène de la colonisation qui a orienté la production des politiques criminelles de ces
États en déterminant radicalement leurs structures normatives212. La principale influence fut
l’utilisation volontariste de la norme pénale comme clé de lutte contre le sous-
développement213 avec pour fil d’Ariane la construction de l’unité nationale214. Le droit pénal
devait être « l’instrument principal de la cohérence et de la stabilité de nouveaux États »
indépendants215. Cet état de chose conduisit les États africains à construire leurs systèmes
répressifs avec pour base la théorie kelsénienne de la hiérarchie stricte des normes qui
composent ces systèmes pris individuellement, rejetant toute possibilité de communicabilité
avec les systèmes répressifs des autres États216. Seulement, l’émergence de la catégorie des
infractions internationale, entendu comme les infractions qui portent atteinte aux fondements
de la société internationale217 par la négation de la vie humaine, est venu perturber cette
structure classique des systèmes répressifs africains caractérisés par l’unité et le rejet de toute
communicabilité. Ces systèmes se sont vus contraints de passer de leur complétude à leur
ouverture pour la cause de l’humanité, basculant ainsi des systèmes simples vers des systèmes
complexes218. La qualification de ces infractions internationales qui se caractérise par leur
dimension éminemment supranationale, emportait une double soumission de l’Etat et de son
droit au régime de cette nouvelle forme de répression219. C’est ainsi que les États africains ont
210
G. NTONO TSIMI, Op.cit., P. 2.
211
Ibid. p. 3.
212
Ibid. P. 5.
213
A. MINKOA SHE, « Essai sur l’évolution de la politique criminelle au Cameroun depuis l’indépendance »,
Thèse Dactylographiée, Université de Strasbourg III, 1987.
214
G. NTONO TSIMI, « Le paradigme du crime contre l’humanité et la renaissance du pluralisme juridique dans
les droits pénaux africains. Contribution à l’étude sur l’internormativité des systèmes pénaux nationaux en
transition », Op.cit., P. 6.
215
A. MINKOA SHE, « Essai sur l’évolution de la politique criminelle au Cameroun depuis l’indépendance »,
Op.cit., p. 7.
216
G. NTONO TSIMI, « Le paradigme du crime contre l’humanité et la renaissance du pluralisme juridique dans
les droits pénaux africains. Contribution à l’étude sur l’internormativité des systèmes pénaux nationaux en
transition », Op.cit., P. 7.
217
D. REBUT, Droit pénal international, précis Dalloz, 2 e ed. 2015, p. 3.
218
Voir infra chapitre 3, relativement à l’étude de la complexité en droit
219
G. NTONO TSIMI, Op.cit., p. 23.
largement collaboré avec le système des Nations unies dans la poursuite des infractions
internationales en instituant des juridictions pénales internationales sur leurs sols220, ou en
adhérant à ceux mis sur pied par la communauté des États à l’instar de la CPI. Les systèmes
répressifs des États africains se sont alors arrimés à l’obligation de conformisme imposée par
celle-ci en vue d’une meilleure poursuite des auteurs des crimes graves touchant à l’essence
de l’humanité.
Comme nous avons pu le constater dans le cadre du premier chapitre de notre étude,
les États africains par le biais de l’organisation régionale africaine (l’UA), se sentant dupés
par une justice pénale internationale qui, selon ces Etats, mène une politique de « deux poids
deux mesures », ont entrepris de défier la CPI dont le Statut constituait avant le Protocole de
Malabo, le dernier état de codification du droit des infractions internationales223, en instituant
au sein de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples une section de droit
international pénal dont les compétences sont concurrentes à celles de la CPI et dont les règles
de fonctionnement avec le maintien des immunités peuvent empêcher la CPI d’exercer sa
compétence en Afrique. En l’absence d’un texte international pour régler une telle
controverse, l’absence de hiérarchie entre le Statut de Rome et le Protocole de Malabo
constitue un réel obstacle à l’élaboration d’une complémentarité entre ces deux juridictions,
ce d’autant plus que le postulat de la complémentarité qui est de permettre une articulation des
compétences juridictionnelles entre différents ordres juridictionnels présuppose une certaine
hiérarchie entre celles-ci. En outre, l’existence de plusieurs formes de juridictions pénales
pour la répression des infractions internationales au sein du continent africain, avec,
curieusement, une clarté des modes d’articulation des rapports entre les juridictions pénales
220
Le TPIR établi par la résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations unies ; le TSSL résultant de l’accord
entre la Sierra Léone et l’ONU signé le 16 janvier 2002.
221
Nous nous referons ici à la définition du mot système proposée par Gérard Cornu qui le défini comme une « 2.
Construction intellectuelle issue d’une théorie doctrinale ou d’une création prétorienne.», in G. CORNU (Dir.),
Vocabulaire juridique, Paris, Dalloz, coll. « quadrige », 12e ed. 2016.
222
Ici la société africaine pris comme un tout.
223
Le Protocole de Malabo opérant un mimétisme du Statut de Rome.
nationale et internationalisée avec la Cour pénale internationale et un silence pour ce qui est
des rapports avec la Cour africaine de justice, des droits de l’homme et des peuples ne
manque pas de complexifier davantage cette entreprise.
SECTION I :
L’HORIZONTALITÉ DES RAPPORTS CPI/CAJDHP, COMME MARQUE DE LA
DIFFICILE ADMISSION D’UNE COMPLÉMENTARITÉ CPI/CAJDHP
224
Article 38 Statut de la Cour internationale de justice (CIJ).
sources du droit international. La première juridiction est de ce fait issue d’une convention
internationale et la seconde constitue la matérialisation d’un acte d’une organisation
internationale. Par le fait que ces deux juridictions soient la résultante de deux sources
distinctes du droit international considérés comme horizontales par le droit international
général du fait de l’absence de hiérarchie entre elles, les rapports entre celles-ci sont
également considérés comme horizontaux. Il convient d’analyser les implications de cette
absence de hiérarchie entre ces deux textes internationaux (A) avant de démontrer dans quelle
mesure cette caractéristique, au-delà de toute volonté politique, fait obstacle à l’élaboration
d’une complémentarité entre la Cour pénale internationale et la Cour africaine de justice, des
droits de l’homme et des peuples (B).
juridictions pénale internationales lorsqu’il prévoit sa liaison volontaire avec le système des
Nations unies par un accord225.
Comme on le voit, ces deux ordres de juridictions sont libres de toute jonction de leurs
missions, ce qui implique que cela ne peut leur être imposé. Cette marque de l’autonomie
fonctionnelle de ces deux ordres de juridiction est problématique et préoccupe sur le sort de la
lutte contre l’impunité, et partant de la protection des vies humaines contre leur atteinte. En
effet, elle fait peser le risque de conflits positifs de compétence entre ces deux Cours et
menace le sacrosaint principe du ne bis in idem226. Qu’adviendrait-il en cas de saisine
concomitante de la Cour pénale internationale et de la Cour africaine de justice, des droits et
des peuples sur un crime de guerre, un crime contre l’humanité, un crime de génocide ou
encore un crime d’agression commis sur le sol africain ou par un ressortissant d’un État
africain partie au Statut des deux ordres de juridiction? Plus complexe encore, en cas clôture
des poursuites devant la Cour africaine par un acquittement, la Cour pénale internationale
peut-elle se ressaisir du dossier estimant que les poursuites engagées devant la cour africaine
n’ont pas été sérieuses227? Si la réponse de toute évidence est négative du fait que ce
mécanisme n’est prévue que pour se jouer entre les Etats et la Cour pénale internationale, les
nouvelles poursuites seront constitutives d’une attaque frontale au principe du ne bis in idem
quoique la cour pénale internationale pouvant interpréter ces poursuites comme dilatoires
pour affirmer la non remise en cause de ce principe228.
225
Article 2 Statut de Rome.
226
Principe en vertu duquel personne ne peut être poursuivit deux fois pour les mêmes faits.
227
Soulignons que dans la mise en œuvre de la complémentarité de la cour pénale internationale, le Statut de
Rome prévoit que ce mécanisme est actionné en cas d’abstention des États ou de manque de volonté de ceux-ci,
en posant comme élément de caractérisation de ce manque de volonté entre autre la mise en ouvres des poursuite
dilatoires dans l’optique de soustraire le poursuivie de sa responsabilité pénale internationale. Voir article 17
Statut de Rome.
228
Article 20 Statut de Rome.
229
B. CONFORTI, « Unité et fragmentation du droit international : glissez, mortels, n’appuyez pas ! », RGDIP,
2007, vol.1, pp. 5-18 ; M. KOSKENNIEMI, « Fragmentation du droit international : difficultés découlant de la
B) L’absence de hiérarchie dans les rapports entre les deux ordres de juridictions
comme obstacle dans la recherche d’une complémentarité entre elles
La question de la hiérarchie des normes dont le père fondateur est le juriste de l’École
allemande du positivisme normativisme Hans Kelsen a suscitée au sein de la doctrine un vif
débat au sujet de la détermination de sa nature juridique. Il était question de déterminer s’il
s’agissait d’une règle de droit, d’un principe juridique ayant un caractère impératif ou d’une
simple théorie permettant de décrire la structure logique d’un ordre juridique235. L’éminent
professeur Dominique junior ZAMBO ZAMBO en vint à la conclusion qu’il ne s’agit pas
d’un principe juridique mais d’«une sorte de « principe général » de droit assurant une
certaine cohérence du système qu’elle régi »t236.
Le postulat de la complémentarité qui opère une ouverture des systèmes pénaux n’a
pas l’ambition de rompre avec la hiérarchie. Au contraire, elle se sert de celle-ci pour pénétrer
les systèmes pénaux sans les détériorer. C’est pourquoi elle postule le passage d’une
hiérarchie stricte au sens de l’épistémè kelsénnien, vers une hiérarchie souple qualifiée en
doctrine de hiérarchie complémentaire237.
235
G. NTONO TSIMI, Op.cit., p. 68.
236
D.J. ZAMBO ZAMBO, « Le législateur camerounais et la hiérarchie de norme », Revue Africaine de
Sciences Juridiques, Vol. 8, No 2, Pp. 62-90.
237
G. NTONO TSIMI, Op.cit., p. 65.
238
M. TROPPER, « En guise d’introduction : la théorie constitutionnelle et le droit constitutionnel positif », Les
Cahiers du conseil constitutionnel, No 9, 2000, p. 137, cité par G. NTONO TSIMI, Op.cit., p. 68.
caractérisation de l’égalité entre ces deux instruments en droit international (A) et voir sa
relativité par l’étude des fondements des relations entre l’Union africaine et la CPI (B).
Si cette égalité est affirmée, l’analyse profonde des relations entre l’Union africaine et
la Cour pénale internationale peut permettre de la relativiser.
L’étude des relations entre l’Union africaine et la cour pénale internationale permet de
relativiser le caractère égalitaire de la Cour pénale internationale et la cour africaine de
justice, des droits de l’homme et des peuples. En effet, les articles 53 et 54 de la charte des
Nations unies organisent spécifiquement les relations entre les organisations internationales et
l’ONU dans la logique de la décentralisation verticale242. Aux termes de l’alinéa 1er de
l’article 53 de la Charte des Nations unies, « le conseil de sécurité utilise, s’il y a lieu, les
accords ou organismes régionaux pour l’application des mesures coercitives prises sous
239
P-M. DUPUY, Y. KERBRAT, Droit international public, Dalloz, 14e éd. 2018, p. 53.
240
Chapitre VIII notamment les articles 41 et 52 de la Charte des nations unies. Voir sur la question nos
développements sur le fondement de la formulation africaine de la compétence pénale régionale au Chapitre 1 er
de la présente étude.
241
Voir articles 3,4 et 5 dudit texte.
242
J. MOUANGUE KOBILA, « l’Afrique et les juridictions internationales pénales », Op.cit. p. 48.
autorité ». L’article 54 précise pour sa part que « le conseil de sécurité doit, en tout temps, être
tenu pleinement au courant de toute action entreprise ou envisagée, en vertu d’accords
régionaux ou par des organismes régionaux, pour le maintien de la paix et de la sécurité
internationale ». À la lecture de ces deux dispositions, et compte tenu de la forte implication
du Conseil de sécurité des Nations unies dans le fonctionnement de la Cour pénale
internationale, il est tout à fait possible que ces deux hypothèses jouent en cas de saisine de la
CPI par le conseil de sécurité, ce qui fera de la CPI un organe supérieur à la Cour africaine de
justice, des droits de l’homme et des peuples.
Par ailleurs, la double appartenance des États africains au Statut de la CPI et à la Cour
africaine constitue un obstacle non négligeable à l’égalité entre la CPI et la CAJDHP. Il est
tout à fait possible que ces États fassent pencher la balance vers l’une ou l’autre des deux
juridictions en fonction de leur convenance, ce qui pourrait constituer une réelle
instrumentalisation de la justice pénale internationale, en faisant de cette double appartenance
une politique stratégique des États africains. Cela a déjà été le cas lors des poursuites
engagées contre le président soudanais Omar Al Bashir, au sujet de la résolution de l’UA
visant la non coopération de ses États membres dans l’exécution des mandats d’Arrêt de la
Chambre préliminaire de la CPI243. Dans leurs décisions, les États africains ont eu une
tendance à préférer tantôt la juridiction universelle, tantôt les décisions de l’organisation
africaine244.
SECTION II :
LA PLURALITE DES MECANISMES JURIDICTIONNELS DE REPRESSION DES CORES
CRIMES EN AFRIQUE, FACTEUR DE COMPLEXIFICATION DU RAPPORT
COMPLÉMENTAIRE CPI/CAJDHP
243
Voir supra : la bifacialité des positions africaines dans l’application des résolutions de l’Union africaine. P…
244
Ibid.
infractions internationales. On y retrouve aussi bien les juridictions de l’ordre national (les
différentes juridictions nationales) les juridictions de l’ordre universel (la Cour pénale
internationale), les juridictions de l’ordre internationalisé (le cas de la cour pénale spéciale
centrafricaine), que la juridiction de l’ordre régionale que représente la Cour africaine de
justice, des droits de l’homme et des peuples. Ces différentes juridictions coexistent dans la
répression des infractions internationales (§1) ce qui constitue au vu des implications que
cette coexistence apporte une complexification de la mise en place d’une complémentarité
entre la Cour pénale internationale et la cour africaine de justice, des droits de l’homme et des
peuples (§2)
245
Voir sur la question G. NTONO TSIMI, « Chapitre 1 : l’interprétation nationalisée de la légalité formelle du
crime contre l’humanité », in G. NTONO TSIMI, « Le paradigme du crime contre l’humanité et la renaissance
du pluralisme juridique dans les droits pénaux africains. Contribution à la théorie sur l’internormativité des
systèmes pénaux nationaux en transition », Op.cit., PP.89 et s.
246
D. REBUT, Droit pénal international, Op.cit., p. 608.
247
Ibid.
Milosevic poursuivi devant le TPIY248. Ces juridictions consistent à mettre en place des
juridictions pénales qui combinent les composantes internationales et nationales.
Généralement créées sous l’égide de la communauté internationale249, elles conservent leurs
caractères nationaux dans leur fonctionnement. C’est dans ce sillage que s’inscrit la Cour
pénale spéciale centrafricaine.
Du point de vue de sa source, la Cour pénale spéciale centrafricaine est une juridiction
nationale insérée au sein du système judicaire centrafricain252 siégeant à Bangui253, et dont la
composition (les organes) et le mode de fonctionnement lui donnent les caractères d’une
juridiction pénale internationale. C’est en cela que réside sa nature de tribunal pénal
internationalisé. Elle possède une composition mixte qui combine des organes nationaux et
internationaux. Présidé par un juge national254, la CPS dispose d’un procureur spécial qui est
un procureur international255 en la personne du magistrat congolais Toussaint Muntazini
Mukimapa, qui mène ses enquêtes en toute indépendance et impartialité. Au sein de Chambre
248
« Face à face entre le procureur du TPIY et le président yougoslave », Le Monde, 24 janvier 2001, cité par D.
REBUT, Op.cit., p. 608. Note 7.
249
Ce fut le cas du tribunal spécial pour la Sierra Léone, créé par un Accord conclu entre le gouvernement de
Sierra Leone et l’ONU du 16 janvier 2002 à la suite delà guerre civile survenue dans ce pays entre 1991 et 2002
donnant lieu à de nombreuses atrocités. Ce fut également le cas des Chambres extraordinaires au sein des
tribunaux cambodgiens, également créé par un accord conclu entre le Cambodge et l’ONU le 27 octobre 2004
pour juger les responsables des crimes commis dans ce pays suite à la guerre civile survenu dans ce pays entre le
7 janvier 1979 et 1998. Voir D. REBUT, Droit pénal international, Op.cit., pp 610-611, et 614-615.
250
I. GREBENYUK, « La cour pénale spéciale centrafricaine : une illustration de la « complémentarité
élargie »? », Revue de Science Criminelle et de droit pénal comparé, 2018/1 No 1, pp-1-20, note 3.
251
Il s’agit de la situation relative aux crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui auraient été commis dans
le contexte d’un conflit en République centrafricaine depuis le 1 er juillet 2002 qui a abouti à la condamnation de
Jean Pierre Bemba, Chef militaire du MLC (CPI, Chambre de 1ere instance III, Le procureur c/ Jean Pierre
Bemba Gombo, ICC-02/05-01/08); et de la situation relative aux crimes de guerre et crimes contre l’humanité
qui auraient été commis dans le contexte de la recrudescence des violences en RCA partir de 2012.
252
Article 1er loi organique du 22 avril 2015 instituant La Cour pénale spéciale centrafricaine.
253
Article 2 ibid.
254
Article 6, ibid.
255
Article 18 loi précitée.
d’assises dudit tribunal, les juges nationaux sont majoritaires256. A l’instruction par contre, on
retrouve une égalité des juges nationaux et internationaux257, à l’exemple de la répartition des
juge d’instruction dans les Chambres extraordinaires près les tribunaux cambodgiens. Au
niveau des Chambres spéciales d’accusation et de la Chambre d’Appel, principaux organes de
décision, on retrouve en majorité les juges internationaux258. La compétence de cette
juridiction comprend sur le plan matériel outre les infractions en vertu des obligations
internationales de la Centrafrique, les infractions prévues par le code pénal centrafricain et
commises depuis le 1er janvier 2003 parmi lesquels «le génocide, les crimes contre l’humanité
et les crimes de guerre objets des enquêtes en cour et avenir »259.
256
Avec 6 juges nationaux et 3 juges internationaux. Article 13, ibid.
257
1 juge national et 1 juge international par cabinet au sein de la Chambre. Le président est un juge national.
Article 12.
258
2 juges internationaux et 1 juge national au sein de la Chambre spéciale d’accusation ; pareil au niveau de la
Chambre d’Appel. Article 12, article 14.
259
Article 3.
260
Ibid.
A parcourir les dispositifs normatifs des États africains, on note une presque mise à
l’écart de la Cour africaine de justice, des droits de l’homme et des peuples dans la répression
des infractions internationales. Cela se manifeste par la non ratification par les États africains
du protocole de Malabo de 2014. Par contre, on constate avec la loi centrafricaine de 2015 qui
institue une Cour pénale spéciale centrafricaine que les rapports entre cette nouvelle
juridiction pénale internationalisée et la Cour pénale internationale, quoique cette juridiction
intervienne pourtant après la mise sur pied d’un ordre régionale et donc intermédiaire de
répression des mêmes catégories d’infractions. Deux axes de réflexions peuvent permettre
d’expliquer cette attitude de la République centrafricaine (A). Mais quoiqu’il en soit, cette
situation complexifie la mise en place d’une complémentarité entre la CPI et la CAJDHP (B).
Les rapports entre les juridictions nationales et la Cour pénale internationale ont été
élaborés par le Statut de Rome, de sorte que les États qui y adhèrent se doivent de s’y
conformer. En effet, Contrairement à ce que prévoyaient les statuts du TPIY et du TPIR à
l’effet que ces tribunaux ont la primauté sur les juridictions nationales261, la CPI est
complémentaire de ces dernières. Avec les années, cette primauté des TPI s’est transformée
en une plus grande collaboration avec les États suite à différents amendements au Règlement,
notamment au niveau de l’article 11 bis qui permet au Procureur de renvoyer une affaire
devant une juridiction nationale262.
261
Article 8 TPIY et article 9 TPIR. Ces deux textes prévoient que ces juridictions ont une compétence
concurrente aux juridictions nationales et précisent qu’ils prévalent sur ces dernières dans leur application. A ce
titre, l’article 9 du Règlement de procédure et de preuve du TPIY prévoit que le procureur de cette juridiction
peut demander le dessaisissement d’une juridiction nationale en faveur du Tribunal, (voir Règlement de
procédure et de preuve du TPIY, IT/32, (11 février 1994) art 9 (TPIY) [le Règlement].) Ce fut le cas dans
l’affaire Tadic alors que ce dernier se trouvait en Allemagne, (voir Le procureur c Dusko Tadic, IT-94-1-A,
Arrêt (15 juillet 1999) (TPIY)).
262
EL ZEIDY, MOHAMED, « From Primacy to Complementarity and Backwards: (re)-Visiting Rule 11 Bis of
the Ad Hoc Tribunals » (2008) 57:2 Int’l & Comp LQ 403 aux pp. 409-410. Cite par M. C.-TOUSIGNAN,
« l’instrumentalisation du principe de complémentarité de la CPI : une question d’actualité », Revue québécoise
de droit international, No 25.2, 2012, p. 77.
La question la plus préoccupante ici est celle de la non prise en compte par le Statut de
Cour pénale Spéciale centrafricaine, de la Cour africaine de justice, des droits de l’homme et
des peuples. Notons d’emblée que le protocole de Malabo portant amendements du protocole
à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif au Statut de la Cour africaine
de justice et des droits de l’Homme, a été signé en 2014. Rendu à ce jour, il est toujours en
attente des ratifications des États africains pour son entrée en vigueur. Pourtant, en 2015 la
loi sur la CPS a été votée en élaborant avec clarté les rapports entre cette juridiction et les
autres juridictions pénales centrafricaines d’une part, et la Cour pénale internationale d’autre
part.
Selon le premier rapport, la loi organique centrafricaine de 2015 prévoit que la CPS à
une compétence prioritaire sur les juridictions ordinaires, et qu’elle ne prive pas celles-ci de
l’exercice de leurs compétences mais est là pour compléter leurs actions265. Cette double
affirmation de la loi centrafricaine sur la CPS nous semble être contradictoire. En effet, on
263
M. C.-TOUSIGNAN, « l’instrumentalisation du principe de complémentarité de la CPI : une question
d’actualité », Revue québécoise de droit international, No 25.2, 2012, p. 77.
264
Convention américaine relative aux droits de l’homme, 22 novembre 1969, 1144 RTNU 123, art 46(1)a),
(entrée en vigueur : 18 juillet 1978) [Pacte de San José]; Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 213 RTNU 221, art 35, STE 5 (entrée en vigueur : 1er
janvier 1990) [Convention européenne des droits de l’homme]; Charte africaine des droits de l’homme et des
peuples, 27 juin 1981, 1520 RTNU 217, art 56 (entrée en vigueur 21 octobre 1986); Pacte international relatif
aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, 999 RTNU 171, art 41c), RT Can 1976 n° 47, 6 ILM 368
(entrée en vigueur : 23 mars 1976) [PIDCP].
265
Article 36 loi de 2015 précitée.
conçoit mal comment cette juridiction peut prétendre compléter des juridictions sur lesquelles
elle prime. Elle aurait été subsidiaire que sa vocation complétive de l’ordre juridictionnel
ordinaire serait remplie. Elle réserve malheureusement la vocation à être subsidiaire à la Cour
pénale internationale.
Sur le premier élément, nous pensons que placer l’action de la CPI en amont de celle
de la CPS revient à dénaturer la principale raison d’être des juridictions pénales
internationalisées. En effet, comme le souligne DIDIER REBUT, les tribunaux pénaux
internationaux sont toujours apparus dans un contexte où la substitution d’autorité d’une
justice internationale aux juridictions nationales était vue par la population comme une
justice étrangère et éloignée qui leur est imposée270. Cela s’observe dans la mise sur pied du
Tribunal Spécial pour la Sierra Leone, les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux
266
I. GREBENYUK, « La cour pénale spéciale centrafricaine : une illustration de la « complémentarité
élargie »? », Revue de Science Criminelle et de droit pénal comparé, 2018/1 No 1, pp-1-20. Voir aussi sur la
question J. GUILLAUME, « La cour pénale spéciale centrafricaine : un modèle novateur de justice pénale
internationale? », in J. FERNANDEZ (Dir.), Justice pénale internationale, Paris : CNRS Édition, 2016, P. 297.
267
Article 37 loi précitée.
268
Voir infra, 2e Partie.
269
Voir notamment P.I. LABUDA, « The Special Criminal Court in Central Africa Republic. Failure or
vindication of the complementarity ? », JICF, Vol. 15, 2017, pp. 175-206.
270
D. REBUT, Droit international pénal, Op.cit., p. 608.
Sur le deuxième élément, nous estimons que c’est prétentieux de la part du législateur
centrafricain de placer l’action de la CPI avant celle de la CPS. La primauté de la CPI sur la
CPS implique qu’en cas de faille de la CPI la CPS entrera en jeu. Autrement dit, cela revient à
dire que la CPS dispose des moyens plus importants que la CPI, juridiction disposant de
l’appui du conseil de sécurité des nations unies, pour rendre la justice pénale internationale.
Cela place la CPS au rang de juridiction de dernier ressort dans l’ordonnancement judiciaire
centrafricain et dénature par-là les dispositions de l’article 17 du Statut de Rome.
Chaque combinaison commande la mise en place des rapports entre les ordres de
juridiction qui la compose. Si les rapports entre l’ordre national et l’ordre international sont
clairement établis par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale et ne posent pas de
problèmes particuliers271; les rapports entre l’ordre nationale et l’ordre internationalisé encore
moins272 ; les rapports entre l’ordre régional et l’ordre national clairement établi sur le même
modèle que les rapports entre l’ordre international et l’ordre national273 (déjà problématique),
les rapports entre l’ordre international et l’ordre internationalisé complexe et difficile à
déployer274, l’élaboration d’un rapport « de complémentarité » entre l’ordre régional et l’ordre
universel ne viendra que créé le chaos au sein d’un système répressif africain agonisant. Nous
estimons en effet que le système répressif africain est agonisant du fait de la prolifération non
contrôlée des juridictions pénales internationales au gré des politiques politiciennes275 des
dirigeants des États. Penser une complémentarité entre la Cour pénale internationale nécessite
une sorte de réajustement du système répressif africain, afin de lutter efficacement contre
l’impunité des crimes graves qui touchent la communauté internationale en générale, et
africaine en particulier.
271
Le paragraphe 10, l’article 17 du Statut de Rome, sur la complémentarité entre la CPI et les juridictions
nationales.
272
L’article 36 de la loi organique centrafricaine sur la Cour pénale spéciale centrafricaine pose comme principe
la primauté de celle-ci sur les juridictions ordinaires.
273
Article 46A du Protocole de Malabo.
274
Article 37 loi centrafricaine précitée.
275
L’expression fait référence aux manœuvres des personnalités politiques qui placent les intérêts et leurs
ambitions personnelles avant les objectifs politiques qu’ils défendent devant leurs mandants et au détriment des
enjeux du moment et de l’ordre public.
Sur un tout autre plan, il est admis que le rapport de complémentarité présuppose
d’ordinaire l’existence d’une certaine hiérarchie entre les ordres juridictionnels qui souhaitent
unir leur force dans la répression des crimes internationaux. Pourtant, en vertu du droit
international général, il n’existe pas de hiérarchie entre la CPI et la CAJDHP. Ces deux
juridictions sont caractérisées par l’horizontalité, ce qui en fait deux juridictions égales, dotée
chacune d’une autonomie systémique et fonctionnelle. Cette autonomie fait en sorte qu’en
principe, une action ne peut leur être imposée par l’une ou l’autre d’entre elles. C’est dire que
la complémentarité entre ces Cours ne peut être imposée par l’une ou l’autre. Or, nous avons
vu que cet accord de volonté sera difficilement donné par les États africains.
Somme toute, l’analyse des éléments de fait et de droit, objet des développements qui
ont drainé la présente partie de notre étude, démontre la difficulté qu’il y a à mettre en place
un rapport de complémentarité CPI/CAJDHP.
Sur le plan factuel ou encore politique, l’on a observé que le contexte dans lequel s’est
construite la formulation africaine d’une compétence pénale régionale, prétexte de l’analyse
de l’hypothèse d’une complémentarité CPI/CAJDHP, rend difficile la mise en œuvre d’un
accord de volonté des dirigeants de l’Union africaine dans le sens de lier ces deux juridictions
par le mécanisme de la complémentarité. L’objectif inavoué de l’UA semble être la mise à
l’écart de la CPI et la résolution des problèmes africains par les africains et sur le sol africain.
Sur le terrain juridique, il ressort que l’absence de hiérarchie entre ces deux ordres
juridictionnels constitue un réel obstacle dans la recherche de ce rapport de complémentarité.
L’unique piste semble être la recherche d’un consensus entre les deux ordres juridictionnels,
chose qui se révèle difficile.
Mais cette situation ne doit pas occulter deux choses : la première est que la présence
sur le sol africain de ces deux ordres de juridiction dotées des compétences concurrentes et
des mécanismes sur la responsabilité pénale des personnes différents, risque de porter
gravement atteinte à la lutte contre l’impunité, ce d’autant plus que la juridiction régionale se
situe à un niveau intermédiaire de la Cour pénale internationale et des juridictions nationales.
La seconde c’est que la complémentarité, pris comme principe, ne se limite pas qu’aux règles
telles qu’élaborées par le Statut de Rome ; de sorte qu’il est tout à fait possible de l’aménager
afin que vive la justice pénale internationale sur le continent africain et que sortent les
populations africaines du gouffre des gouvernants politiques dont la soif du pouvoir conduit
souvent à la perpétration des crimes odieux. Cela dit, la construction de la complémentarité
CPI/CAJDHP passe inéluctablement par le dépassement des difficultés ci-dessus analysées.
SECONDE PARTIE :
LA POSSIBLE ORGANISATION D’UNE COMPLEMENTARITE ENTRE LA COUR
PENALE INTERNATIONALE ET LA COUR AFRICAINE DE JUSTICE, DES
DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
En effet, le projet de mise en place de cette Cour par l’UA, quoique non encore
opérationnelle, nous semble être un processus irréversible de la part de cette organisation
régionale. cependant, l’Union africaine doit mettre en avant la finalité première affichée de
son projet et faire fi des tensions politiques entre elle et la Cour pénale internationale au
risque d’exposer les populations africaines a la perpétration des crimes qui resteront impunies
en cas de conflit de compétence qui est envisageable entre la juridiction qu’elle a institué et la
CPI à laquelle sont parties bon nombre d’États africains.
276
C. APTEL, « Justice pénale internationale : entre raison d’État et État de droit », Revue Internationale et
Stratégique », 2007/3(No 67), pp. 71-80, spéc., P. 71.
CHAPITRE 3 :
L ´AFFIRMATION DE LA POSSIBILITÉ D’ORGANISER UNE
COMPLÉMENTARITÉ CPI/CAJDHP
Caractériser, c’est définir avec précision, mettre en relief les caractères distinctifs de
quelque chose277. C’est aussi présenter les traits dominants d’une chose, d’une personne voir
d’un phénomène. La caractérisation désigne le processus par lequel on y parvient.
Nous avons démontré dans la première partie de notre étude que la mise en place d’un
rapport de complémentarité entre la Cour pénale internationale et la Cour africaine de justice,
des droits de l’homme et des peuples s’avérait difficile à envisager, compte tenu du contexte
d’émergence de la compétence de droit international pénal de la Cour régionale et de la
complexité du système répressif africain des infractions internationales. Cependant, il ne faut
pas perdre de vue que difficulté n’est pas synonyme d’impossibilité. Il est tout à fait possible
d’opérer un renouvellement des rapports entre la Cour pénale internationale et la Cour
africaine de justice, des droits de l’homme et des peuples par la mise en place d’une
complémentarité entre celles-ci.
Cette interrogation est importante dans la mesure où ce n’est qu’après que soit établie
la possibilité de mettre en place un rapport de complémentarité entre ces deux ordres de
juridictions qu’on pourra effectivement s’atteler à élaborer celui-ci. Il s’agit de démontrer que
malgré les énormes difficultés, cela demeure possible.
Il est question de démontrer comment est-ce qu’il est possible de surmonter les
obstacles juridiques et politiques à la construction d’une complémentarité entre ces deux
juridictions. Pour ce faire en dépassant les tensions entre l’UA et la CPI par la prise en compte
des enjeux en cause dans l’isolement de la CPI et de la CAJDHP (Section 1), il sera
possible d’opérer une déconstruction du rapport classique CPI/CAJDHP par la prise en
compte des théories du droit en mouvement (Section 2).
277
Dictionnaire Le Robert Online.
SECTION I:
LE DEPASSEMENT DES TENSIONS UA/CPI PAR LA PRISE EN COMPTE PAR LES
DIRIGEANTS DE L’UA DES ENJEUX DÉCOULANT DE
L’ISOLEMENT/RAPPROCHEMENT DE LA CPI ET DE LA CAJDHP
Le terme enjeu est polysémique et n’est pas juridique. C’est un mot de la langue qui
fait étymologiquement référence à « ce qui est en jeu, ce qui est misé». Il renvoi à « ce que
l’on risque dans un jeu », ou encore « ce que l’on peut gagner ou perdre dans une
compétition ». Il peut s’agir de quelque chose de matériel comme de l’argent ou d’une chose
dématérialisée278.
Appliquée à notre étude, l’analyse des enjeux fait ici référence à l’analyse de ce que
risque de perdre la justice pénale internationale si la Cour pénale internationale et la Cour
africaine de justice, des droits de l’homme et des peuples restaient dans une situation
conflictuelle, sans que leur rapport ne soit de nature à les faire évoluer ensembles. Il est
mêmement question d’étudier, a contrario, ce que peut gagner la justice pénale internationale
par l’établissement d’un rapport de complémentarité entre les deux ordres de juridictions.
Autrement dit, il est question d’étudier les potentielles conséquences de l’isolement et du
rapprochement de la Cour pénale internationale et de la Cour africaine de justice, des droits de
l’homme et des peuples dans la répression des crimes internationaux commis sur le sol
africain.
Les enjeux dont il est question sont liés au sort de la lutte contre l’impunité des crimes
internationaux en Afrique (§1) et la difficulté qu’aura la Cour africaine de justice, des droits
de l’homme et des peuples à se déployer (§2).
Paragraphe §1- Les enjeux liés au sort de la lutte contre l’impunité des crimes
internationaux en Afrique.
La lutte contre l’impunité a assurément toujours été le cheval de bataille de la justice
pénale internationale même si les juridictions pénales internationales antérieures à la Cour
pénale internationale ne l’ont pas affirmé expressément. Des tribunaux pénaux militaires de
Nuremberg et de Tokyo aux tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et pour l’ex
Yougoslavie, passant par le Tribunal spécial pour la Sierra Léone et les Chambres spécialisées
près les tribunaux cambodgiens, la mission principale était de pourchasser les présumés
278
Dictionnaire Le Robert Online.
responsables des crimes odieux qui ont été commis durant les périodes indiquées par les
Statuts de ces juridictions, et partant de faire en sorte que ces crimes ne restent pas impunis.
De ce constat, il ressort que par définition, l’impunité apparait comme un état ou encore un
immobilisme279 (celui de l’absence de punition), et la lutte contre l’impunité un idéal
recherché par la justice pénale internationale 280. L’impunité est intimement liée à la question
des immunités dont la justice pénale internationale a due attaquer en raison de sa bataille pour
la protection de l’humanité (A). Mais l’Union africaine, dans son érection d’un droit pénal
régional, semble venir dénaturer cette vision du droit international pénal d’antan portant un
coup à la lutte contre l’impunité (B). Le mécanisme de la complémentarité, qui s’accompagne
de la nécessaire coopération entre les ordres juridictionnels, pourrait permettre à la Cour
régionale de mieux se déployer.
En effet, le droit international public général consacre deux formes d’immunité : les
immunités diplomatiques et les immunités des chefs d’État et de gouvernement. Les
premières s’entendent des « immunités dont bénéficient les agents diplomatiques accrédités et
279
O. BEAUVALLET, « La lutte contre l’impunité : concept et enjeux modernes de la promesse démocratique »,
LES CAHIERS DE LA JUSTICE, 2017/1, (No 1), pp. 15-27, spéc. p. 15
280
Ibidem.
281
Il en est de même des amnisties et de la question de la prescription, que nous n’aborderons pas dans la
présente recherche pour la raison qu’elles préoccupent moins notre étude.
282
Dictionnaire Le Robert Online.
283
G. CORNU, Vocabulaire juridique, Paris, Dalloz, coll. « quadrige », 12e ed. 2016, « Immunité », p. 522.
les membres de leur famille pour toutes les infractions qu’ils peuvent commettre »284. Les
secondes visent le principe coutumier « en vertu duquel un chef d’Etat en exercice ne peut
être poursuivi devant les juridictions pénales d’un État étranger »285 ou d’une juridiction
pénale internationale. C’est à ce niveau que se situe la bataille du droit international pénal.
Cette consécration de l’immunité des chefs d’États et de gouvernement faisait de ceux-ci des
êtres souverains pouvant faire ce que bon leur semble à leurs sujets au nom de leur pouvoir
discrétionnaire, en toute liberté sans jamais craindre une quelconque poursuite, tant par leur
propre juridiction que par une autre juridiction pénale.
A l’origine, l’immunité fut reconnue aux chefs d’État en ce sens que ceux-ci étaient
considérés comme la personnification de l’État dans ses rapports avec ses semblables. C’est
en cela que les chefs d’États étaient qualifiés de « Souverains ». Cette immunité était la
résultante du principe par in parem non habet imperium, qui consacrait l’égalité entre les
autorités souveraines. Selon ce principe, un souverain ne pouvait juger un autre car ceux-ci
étaient considérés comme liés par des rapports horizontaux286. Cette immunité fut par la suite
étendue aux chefs de gouvernements et aux ministres des affaires étrangères au regard de ce
que les fonctions de représentation de l’Etat et la nature des fonctions de ces hauts
représentants sont devenues d’une importance équivalente à celle du chef d’État287. L’objectif
était de fournir à ceux-ci la liberté en vue de l’accomplissement aisé de leurs fonctions.
Distinction était faite entre les immunités personnelles et les immunités fonctionnelles. Les
immunités fonctionnelles couvrent celui qui en est bénéficiaire durant l’exercice de sa
fonction et pour les actes accomplis dans l’accomplissement de ses fonctions; alors que
l’immunité personnelle couvre le concerné in personam, indépendamment de l’activité qu’il
exerce durant son mandat.
Force est cependant de constater que les immunités, autres fois élaborées dans
l’objectif de fournir à son bénéficiaire la liberté et la quiétude dans l’accomplissement de ses
fonctions a très souvent été utilisée dans l’optique de servir les intérêts personnels des chefs
d’Etats et de gouvernement. On peut d’ailleurs le constater chez les dirigeants africains qui
284
CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Paris, Dalloz, coll. « quadrige », 12 e ed. 2016, « immunité-
diplomatique », p. 522.
285
Ibidem.
286
N. EHRENFREUND, « L’immunité des hauts représentants étatiques en droit international public », mémoire
de master, Université de Lausanne, 2018, p.3.
287
CIJ, Mandat d’Arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, CIJ Recueil
2002, par. 53 ; activité armées sur le territoire du Congo du 3 février 2006 (République démocratique du Congo
c. Rwanda), arrêt, CIJ Recueil 2006, par. 46.
s’en servent très souvent pour mâter leurs populations civiles. Fort de ce constat, la doctrine a
estimé que le maintien de ces immunités constitue, au côté des amnisties et de la prescription,
une véritable mise en échec de la responsabilité pénale (internationale) et partant, un obstacle
majeur dans la lutte contre l’impunité288. Pour cette raison, le droit international pénal a du
influencer le droit international public général en opérant un retrait « systématique » des
immunités pour ce qui est de la répression des crimes internationaux289.
Pour sa part, le droit international pénal a dès ses origines, toujours rejeté le maintien des
immunités des hauts dirigeants et à fortiori des citoyens lambda. Dans le projet de création
d’un tribunal spécial pour juger l’empereur Allemand Guillaume II, le Traité de paix de
Versailles méconnaissait par son article 227 toute immunité à l’endroit de ce dernier. Par la
suite, l’instauration des Tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo visait
explicitement la volonté de soumettre les responsables allemands des exactions commises
dans les pays occupés à la justice pénale internationale. Cela fut affirmé dans la Déclaration
de Saint James du 13 janvier 1942290. Les deux Statuts précisaient que les positions officielles
des accusés ne les dégageaient pas de leur responsabilité pénale internationale291, écartant par
là des éventuelles objections d’immunités attachées aux fonctions exercées par les accusés292.
C’est dès cet instant que l’éviction générale de l’immunité traditionnelle des Chefs d’États et
de gouvernement a été consacrée comme un des principes du droit international reconnu par
le jugement du Tribunal militaire de Nuremberg293. Dès lors, cette règle est devenue usuelle
dans les Statuts des juridictions pénales internationales. On la retrouve à l’article 6 du TPIY et
à l’article 7 du TPIR. On la retrouve également dans le Statut du Tribunal spécial pour la
Sierra Léone qui prévoit expressément que « la qualité officielle de chef d’État ou de
gouvernement ou de haut fonctionnaire n’exonère pas son auteur de sa responsabilité pénale
de la même façon que la qualité de l’exécutant pouvait seulement donner lieu à diminution de
peine sur décision du tribunal »294. In fine, cette règle fut reprise par le Statut de Rome de la
Cour pénale international en son article 27 (2).
288
M. DELMAS-MARTY, « La responsabilité pénale en échec (prescription, amnistie, immunités) », IN A.
CASSESE, M. DELMAS-MARTY (Dir.), Juridiction nationales et crimes internationaux, PUF, 2002.
289
R. KOLB, « Les influences du droit international pénal sur le droit international public », AFRI, 2011.
290
D. REBUT, Droit pénal international, Op.cit., P. 540.
291
Art. 7 Statut du TMI de Nuremberg ; art. 6 Statut du TMI de Tokyo.
292
D. REBUT, Droit pénal international, Op.cit. p. 552.
293
CDI, « Formulation des principes de Nuremberg (Principes III) », in Rapport de la Commission du droit
international sur les travaux de sa deuxième session du 05 juin au 29 juillet 1950.
294
Art. 10 Statut du TSSL.
Il faut dire que l’Union africaine semble elle-même perplexe sur la question des
immunités, ou du moins, est partagée entre les questions politiques et les questions de justice.
Cela se démontre dans ses tergiversations sur la question de l’immunité dont l’option finale
suscite des interrogations.
Comme nous l’avons souligné dans le cadre de la première partie de la présente étude,
la première tentative de régionalisation de la justice pénale internationale sur le continent
africain a été amorcée par la mise en place des Chambres africaines extraordinaires près les
tribunaux sénégalais pour juger l’ex chef d’État tchadien Hissein Habré. Dans le Statut de ces
Chambres, l’organisation africaine était en adéquation avec les prévisions du droit
international pénal sur la question des immunités. A l’article 10 alinéa 3 du Statut de ces
Chambres, l’Union africaine prévoyait que « la qualité officielle d’un accusé, soit comme chef
d’État ou de gouvernement, soit comme haut fonctionnaire, ne l’exonère en aucun cas de sa
responsabilité pénale au regard du présent Statut, plus qu’elle ne constitue en tant que telle
un motif d’atténuation de la peine encourue ». Cette position de l’organisation régionale était
tout à fait conforme à son Acte constitutif dont l’article 4 (o) prône la lutte contre l’impunité
en affirmant que l’Union fonctionne conformément au « respect du caractère sacrosaint de la
vie humaine … et rejet de l’impunité, des assassinats politiques, des actes de terrorisme et des
activités subversives »295.
Faisant suite aux frictions entre elle et la CPI au sujet des poursuites engagées contre
les présidents Uhuru Kenyatta en 2011 et Omar Al Bashir du Soudan en 2009, deux
présidents en exercice, l’Union africaine a changé de cap en entreprenant de mettre sur pied
295
Voir Article 4 (o).
une juridiction pénale régionale reconnaissant les immunités aux chefs d’États et de
gouvernement pendant la durée de leur fonction. Elle a ainsi posé à l’article 46A du Protocole
de Malabo cette règle en disposant qu’ « aucune accusation ne peut être engagée ou poursuivi
[…] contre tout chef d’État ou de gouvernement en exercice de l’Union africaine, ou
quiconque agissant ou ayant le droit d’agir en cette qualité, ou tout autre haut représentant de
l’État sur la base de leurs fonctions, pendant la durée de leur mandat » ; ce qui n’est pas sans
conséquence pour la justice pénale internationale.
296
Human Rights Watch, « États d’Afrique : il faut rejeter l’immunité pour les dirigeants, 141 organisations dans
40 pays prennent la parole », http://www.hrw.org/fr/news/2014j/08j/25/etats-dafrique-il-faut-rejeter-l’immunite-
pour-les-dirigeants consulté le 09 juillet 2021.
la Cour régionale. Pour éviter cela, il sied d’aménager un rapport de complémentarité entre la
Cour régionale et la CPI, rapport qui devra lier les trois niveaux de répression national,
régional et universel. Dans ce rapport, la question des immunités devra été revue.
A cote de ces enjeux non négligeables, figurent les enjeux liés au difficile déploiement
efficace de la Cour régionale.
297
Efficacité de la juridiction, à distinguer de l’efficacité de la répression.
298
Ou « droit des infractions internationales » tel qu’entendu par D. REBUT lorsqu’il opère une distinction entre
le droit des infractions présentant un élément d’extranéité et le droit des infractions internationales par nature.
Voir D. REBUT, Droit pénal international, Op.cit. P. 4.
299
D. REBUT, Droit pénal international, Op.cit. p. 5.
300
Ibidem.
301
B. TCHIKAYA, « La juridictionnalisation du règlement des conflits internationaux en Afrique », RDP, No 2,
2006, PP. 159-186, Cité par A. SOMA, « L’Africanisation du droit international pénal », Op.cit., P. 32.
longtemps déniée au profit des mécanismes non juridictionnels302. D’un autre côté, on a la
pénalisation, entendue comme l’émergence des nouvelles catégories d’infractions
internationales par nature sur le continent africain303, qui marque également un phénomène
nouveau du fait de la réticence de l’organisation régional dans l’histoire de la justice pénale en
Afrique à utiliser des mécanismes sanctionnateurs. Celle-ci privilégiait en effet les voies
diplomatiques pacifiques304. Cependant, ce renouveau du continent quoique novateur pour la
justice pénale internationale doit se combiner avec les exigences du procès pénal international
pour pouvoir garantir les principales missions du droit international pénal que sont la
répression et le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Ces exigences sont de
l’ordre de l’efficacité de la juridiction pénale régionale et de l’opérationnalité de celle-ci. Au
regard de la difficile opérationnalité de la Cour régionale (A) et de la très peu garantie de son
efficacité (B), la mise en place d’un rapport de complémentarité entre la Cour pénale
internationale et cette Cour apparait être d’une nécessité particulière dans la course de
l’efficience de la justice pénale internationale sur le continent africain.
302
T. VAN MINH, « Les conflits », in S. CAMARA et .OWONA, Encyclopédie juridique de l’Afrique, Tome
deuxième : droit international et relations internationales, Abidjan, Dakar, Lomé, Les nouvelles Éditions
africaines, 1982, pp.331-340, cité par A. SOMA, « L’Africanisation du droit international pénal », Op.cit., P. 32.
303
Sur la Juridictionnalisation et la pénalisation en Afrique, voir A. SOMA, « L’Africanisation du droit
international pénal », Op.cit., P. 32 et s.
304
. VAN MINH, « Les conflits », in S. CAMARA et .OWONA, Encyclopédie juridique de l’Afrique, Tome
deuxième : droit international et relations internationales, Op.cit. 33.
305
D. REBUT, Droit pénal international, Op.cit., p. 536.
Les juridictions pénales internationales ayant suivi ont été opérationnelles sans difficulté
particulière. La Cour africaine de justice, des droits de l’homme et des peuples, première
expérience de régionalisation de la justice pénale internationale, semble s’inscrire au rang de
deuxième juridiction pénale internationale dont la mise en service peine à se concrétiser.
Il s’agit pour le cas de cette juridiction pénale, d’évaluer les pouvoirs et les capacités
de l’Union africaine à concrétiser diligemment son projet qui, rappelons-le, remonte à 2011306
et a atteint son point culminant en 2014307. Il apparait dès lors que cette lenteur dans
l’effectivité de la Cour régionale relève du manque d’expérience de l’Union africaine dont il
convient d’analyser.
Née des cendres de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) créée aux lendemains
des indépendances, l’Union africaine (UA) n’a aucune expérience dans la mise en place des
juridictions pénales internationales. Son prédécesseur n’ayant jamais disposé de juridictions
d’une telle envergure. L’organisation régionale s’est en effet toujours illustrée dans le
domaine de promotion et de protection des droits de l’Homme et des peuples. C’est d’ailleurs
dans ce domaine qu’elle a décidé, à la suite des actions menées par sa Commission des droits
de l’homme et des peuples, de se doter d’une juridiction régionale spécialisée en la matière, à
savoir la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples qui résulte du protocole de
Ouagadougou du 10 juin 1998. Cette juridiction qui marquait formellement l’option
juridictionnelle de l’Organisation de l’unité africaine dans la protection des droits de l’homme
et des peuples308, n’a été opérationnelle que le 25 janvier 2004 pour rendre sa première
décision au fond le 14 juin 2013309. Le 11 juillet 2003, alors que la Cour africaine des droits
de l’homme n’était pas encore entrée en vigueur, l’Union africaine a adopté à Maputo, un
nouveau protocole portant Statut de la Cour de justice de l’Union africaine. Alors que cette
dernière n’était pas encore entrée en vigueur, l’Union africaine entrepris sa fusion avec la
Cour africaine des droits de l’homme par l’adoption d’un nouveau protocole à Sharm El-
306
Le projet de la mise sur pied d’une juridiction pénale régionale remonte au 09 novembre 2011 avec la mise
sur pied d’un projet d’amendement du protocole portant statut de la cour africaine de justice et des droits de
l’homme, avec en perspective une extension de la compétence de cette cour sur le droit international pénal.
307
Avec l’adoption du protocole de Malabo portant amendements du protocole à la charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant Statut de la Cour africaine de justice et des droits de l’Homme.
308
F. QUILLERE-MAJZOUB, « L’option juridictionnelle de la protection des droits de l’homme en Afrique,
Étude comparée autour de la création de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples », cité par G.
NTONO TSIMI, « Le paradigme du crime contre l’humanité et la renaissance du pluralisme juridique dans les
droits pénaux africains. Contribution à l’étude des systèmes pénaux nationaux en transition », Op.cit. p. 454.
309
Il s’agit de l’Arrêt du 14 juin 2013 sur les affaires jointes Tangayika Law Society & The legal and human
Rights Center c. Tanzanie et Révérend Chistopher R. Mtikila c. Tanzanie. https://www.african-
court.org/wpafc/?lang=fr consulté le 08 juillet 2021.
Shiekh en Egypte donnant ainsi naissance à la Cour africaine de justice et des droits de
l’homme. L’article 2 de ce texte dispose en effet que :
Alors même que cette fusion n’est pas encore terminée, il a fallu que l’Union africaine
adjoigne à la Cour africaine de justice et des droits de l’homme une section de plus faisant
étendre les compétences de celle-ci sur les questions de droit international pénal avec
l’adoption en 2014 à Malabo d’un protocole portant amendements du Protocole de Sharm El-
Sheikh.
Cet état de chose démontre qu’en réalité, l’Union africaine n’a jamais pu
opérationnaliser une juridiction continentale générale. Comme le souligne Abdoulaye SOMA,
toute entreprise dans ce sens se solde par une grande léthargie312. Cette léthargie semble
d’ailleurs se poursuivre avec la mise en place d’une section de droit international pénal au
sein de la Cour régionale car, étant encore en attente des ratifications, le Protocole de Malabo
n’est pas encore entré en vigueur. Ce qui marque une lacune dans la lutte contre l’impunité et
dans la répression des crimes internationaux commis sur le continent africain. Mais là n’est
pas la difficulté, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale pouvant encore se
déployer en Afrique sans difficulté. Le problème résulte de ce que cette difficulté à se
déployer de la Cour africaine de justice, des droits de l’homme et des peuples est le résultat du
manque d’expérience de l’Union africaine, ce qui risque de rendre difficile la répression
pénale devant cette juridiction. On pourrait croire que l’Union africaine est toujours en attente
des juristes formés en matière de droit pénal international tel qu’elle avait exhorté ses Etats
membres lors de la formulation du projet d’extension des compétences de la Cour régionale
en 2011 (voir chapitre 1). Pour amortir le choc, il convient de joindre son action à celle de la
CPI, de sorte qu’en cas de lacune devant la Cour régionale, celle-là pourrait se déployer.
310
Voir sur la question de la fusion de la Cour africaine des droits de l’homme avec la Cour de justice de l’Union
africaine T. BARSAC, La Cour africaine de justice et des droits de l’Homme, éd. Paris Pédone, 2012.
311
Art. 16 Protocole de Sharm El-Sheikh
312
A. SOMA, « L’africanisation du droit international pénal », Op.cit. p. 33.
En effet, la Cour africaine de justice, des droits de l’homme et des peuples nous
semble défaillante pour poursuivre tout type de criminel. Cette défaillance résulte en premier
lieu de son Statut qui exclut explicitement les chefs d’Etats en exercice ainsi que les membres
de gouvernement et assimilés de toute poursuite devant elle314. Cette première exclusion
marque, on le sait, la principale raison de l’émergence d’une juridiction pénale africaine,
résultat des frictions entre la Cour pénale internationale et l’Union africaine dont le cœur
résidait sur la question du maintien des immunités des chefs d’Etat et de gouvernement en
exercice315. Par ce, l’Union africaine fait un pas en arrière dans sa détermination à poursuivre
tout présumé coupable de violation du droit pénal international.
313
L’article 11 du Protocole de Malabo prévoit en effet que celui-ci entrera en vigueur 30 jours après le dépôt
des instruments de ratification de 15 États membres. A ce jour, aucune ratification n’a été enregistrée.
314
Art. 46 A protocole de Malabo.
315
M. MADI DJABAKATE, Le rôle de la Cour pénale internationale en Afrique, Paris, l’Harmattan, 2014, pp.
18 et s. voir aussi M. BIENVENUE HABA, « L’offensive de l’Union africaine contre la Cour pénale
internationale : la remise en cause de la lutte contre l’impunité », Op.cit. ; lire aussi pour plus de détail le
Chapitre 1 du présent mémoire intitulé Le contexte d’émergence de la compétence de droit pénal international de
la Cour africaine de justice, des droits de l’homme et des peuples.
« la qualité officielle d’un accusé soit comme chef d’État ou de gouvernement, soit comme
haut fonctionnaire, ne l’exonère en aucun cas de sa responsabilité, […] pas plus qu’elle ne
constitue en tant que telle un motif d’atténuation de la peine encourue »316 . Cette disposition
faisait de la qualité officielle une non cause d’irresponsabilité pénale tant pendant l’exercice
des fonctions qu’après cessation de celle-ci. Or le protocole de Malabo fait de celle-ci une
cause d’irresponsabilité pénale pendant l’exercice des fonctions de celui qui en est titulaire.
Cet état de chose a conduit une bonne partie de la doctrine à estimer que l’objectif de
l’Union africaine n’est pas d’exclure les Chefs d’État et de gouvernement de leur
responsabilité pénale internationale mais de critiquer la poursuite de ceux-ci pendant
l’exercice de leur fonction et par une juridictions extra-africaine317. Cependant, en se limitant
à ce que prévoit le Protocole de Malabo, l’on s’interroge sur la possibilité de la Cour africaine
de justice, des droits de l’homme et des peuples à poursuivre les dirigeants africains à la fin de
leur mandat, quand on sait qu’en Afrique il est une forte tendance à la dévolution du pouvoir
politique de père en fils, et que la mise en œuvre de la justice pénale internationale est à forte
dominance politique. Il est à craindre que le reproche d’une justice afro centrée faite à la CPI
par les Etats africains ne se reproduise au niveau de la juridiction pénale régionale avec une
justice ne visant alors qu’une certaines catégories du dirigeants après leurs mandats.
En outre, les articles 28N et 46B du protocole de Malabo prévoient que toute personne
qui se rend coupable des infractions prévues par ledit protocole, que ce soit directement ou à
titre de complice ou de coauteur voire de conspirateur, peut voir sa responsabilité pénale
engagée devant la Cour régionale. Ces textes parlent de « toute personne » sans apporter plus
de précision, ce qui implique, en référence de la maxime latine ubi lex on distinguit nec nos
distinguere debemus318, qu’il peut s’agir d’un ressortissant africain comme d’un étranger. Ce
qui nous amène à nous interroger sur la possibilité pour la Cour africaine de poursuivre les
ressortissants des États puissants tels les États-Unis, la Russie, la France ou encore
l’Angleterre, quand on connait l’influence politique de ces États sur la politique africaine.
316
Art. 10 Statut des Chambres africaines extraordinaires.
317
. MADI DJABAKATE, Le rôle de la Cour pénale internationale en Afrique, Op.cit. ; M. BIENVENU
HABA, « L’offensive de l’Union africaine contre la Cour pénale internationale : la remise en cause de la lutte
contre l’impunité », Op.cit. ; G. NTONO TSIMI, « Quelques lignes directrice de politique criminelle dans le
cadre de l’Union africaine » APC, No 41, Quelle politique pénale pour l’Union européenne?, ed. A. pedone,
2019.
318
Interdiction de distinguer là où la loi ne distingue pas.
En outre, il est établi que la justice pénale internationale à un coût très élevé319. Et les États
africains, au regard de leur forte contrainte financière avec l’Union africaine, pourront
difficilement contribuer pour que vive la Justice pénale régionale. Pour que puisse fonctionner
le TPIR, il a fallu un budget moyen annuel de 100 millions de dollars320. La CPI pour sa part à
un budget presque similaire321. Pour le seul procès de l’ex-président Tchadien Hissein Habré
par les Chambres africaines extraordinaires, le Sénégal avait estimé son coût à 30 millions de
dollars322 ; somme que l’Union africaine ne put mobiliser. Lors d’une table ronde organisée le
24 novembre 2010 à Dakar au Sénégal, les donateurs ont convenu rassembler 13 millions de
dollars. L’Union africaine y a contribué à hauteur d’un millions de dollar.
Or, pour faire fonctionner une juridiction pénale régionale qui se veut permanente, le
financement devra également être permanent. Le budget 2021 de l’Union africaine s’élève à
environ 636 millions de dollars. Il faudra une volonté de la part des États membres de l’Union
africaine à augmenter le budget annuelle de celle-ci, de sorte qu’elle puisse faire fonctionner
la Juridiction pénale régionale ; de sorte qu’il soit possible à la Cour régionale d’octroyer les
réparations aux victimes. Quand on sait les difficultés financières que connaissent ces États, il
y a lieu de rechercher l’aide et l’appui de la communauté internationale pour le financement
du fond d’affectation spécial que prévoit le protocole de Malabo 323. L’établissement d’un
rapport de complémentarité entre la Cour pénale régionale et la Cour pénale internationale
pourrait aider en ce sens qu’en cas d’incapacité de la Cour régionale dû au manque de
financement pour un quelconque procès, la juridiction universelle devra connaitre de l’affaire.
Ce mécanisme permettra à la justice pénale internationale de suivre son cour, quoique la Cour
régionale se trouve dans l’incapacité de fonctionner.
319
D. WIPPMAN, « The cost of international justice », AJIL, Vol. 100, No 4, PP. 861-881. Cité par A.
SOMA, « L’africanisation de la justice pénale internationale», Op.cit., P. 34.
320
O. NEDELANDT, D. VANDERMEERSCH, « Le tribunal pénal international pour le Rwanda et le tribunal
spécial pour la Sierra Léone : quel bilan à l’heure de la clôture de leurs travaux? », in D. BERNARD, D.
SCALIA, Vingt ans de justice pénale internationale, Bruxelles, La Charte, 2014, pp. 189-217.
321
L. MAZE, « Article 115. Ressources financière de la Cour et de l’Assemblée des États parties », in J.
FERNANDEZ, X. PACREAU (Dir.), Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Commentaire article par
article. Pp. 2055-2070.
322
B. KAHOMBO, « Le projet de création d’une juridiction pénale panafricaine »
323
Art. 46M Protocole de Malabo.
En clair, la prise en compte des enjeux liés au sort de la lutte contre l’impunité et aux
inquiétudes quant à l’opérationnalité de la Cour africaine de justice, des droits de l’homme et
des peuples constituent les premiers éléments caractérisant la possibilité d’organisation d’un
rapport de complémentarité entre les deux ordres de juridiction. Le second, qui est de l’ordre
de la théorie du droit, consiste en la prise en compte des théories du droit en mouvement.
SECTION II :
LA DECONSTRUCTION DES RAPPORTS CLASSIQUES CPI/CAJDHP POUR UN
RAPPORT COMPLÉMENTAIRE PAR LA PRISE EN COMPTE DES THEORIES DU
DROIT EN MOUVEMENT
Comme nous l’avons souligné plus haut, la CPI et la CAJDHP évoluent classiquement
dans un rapport horizontal, sans hiérarchie. Ce qui obstrue l’élaboration d’une
complémentarité entre ces juridictions. Cependant, la prise en compte des théories du droit en
mouvement pourrait y remédier.
Le postulat de ces théories est le suivant : l’être doit être méthodiquement isolé du devoir
être, mais il est parfaitement possible de dériver un devoir être d’un être dès lors que celui-ci
324
S. DIEBOLT, « Le droit en Mouvement : éléments pour une compréhension constructiviste des
transformations complexes des systèmes juridiques », thèse pour le doctorat de droit public, Université Paris 10,
2000.
est énoncé en adéquation avec le projet déterminé325. Appliqué à notre étude, le postulat des
théories du droit en mouvement est le suivant :
325
Ibidem.
326
Ibidem.
327
G. NTONO TSIMI, « Le paradigme du crime contre l’humanité et la renaissance du pluralisme juridique dans
les droits pénaux africains. Contribution à l’étude de l’internormativité des systèmes pénaux nationaux en
transition », Op.cit. pp. 44 et s.
328
S. DIEBOLT, « Le droit en mouvement : éléments pour une compréhension constructiviste des
transformations complexes des systèmes juridiques », Op.cit. p. 66, cité par G. NTONO TSIMI, « Le paradigme
du crime contre l’humanité et la renaissance du pluralisme juridique dans les droits pénaux africains.
Contribution à l’étude de l’internormativité des systèmes pénaux nationaux en transition », Op.cit. p. 45.
329
E. MORIN, Introduction à la pensée complexe, Paris, éd. Seuil, 1990.
330
G. NTONO TSIMI, Op.cit, B. DAGENAS, « Edgar Morin et la pensée complexe », Rev. Hermes, No
48/2007, pp. 179-184.
331
Ibid. p. 10.
332
Ibid, p. 21, cité par G. NTONO TSIMI, Op.cit. p. 45.
333
G. NTONO TSIMI, Op.cit. p. 46.
334
R. DESCARTES, Discours de la méthode, Paris, éd. Livre de poche, 1973, p. 11. Cité par G. NTONO TSIMI,
Op.cit. p. 46.
système pénal de la Cour africaine de justice, des droits de l’homme et des peuples à celui de
la Cour pénale internationale dans l’optique d’une meilleure justice pénale internationale en
Afrique. Cette méthode est celle du constructivisme qui postule le dépassement de
l’épistémologie de la Substance (étude axée uniquement sur la norme) vers une épistémologie
de relations335. C’est là qu’intervient le basculement vers l’analyse des rapports entre les
composantes des ordres juridiques (dans le cadre de la présente étude l’ordre juridique
régional et l’ordre juridique international/universel).
Partant de là, contrairement à la pensée simplifiante qui isole par une pensée
disjonctive les différents éléments d’un système sans prendre en compte les interactions qui le
composent, la complexité « comporte la reconnaissance d’un principe d’incomplétude et
d’incertitude »336 permettant ainsi d’éviter le piège de « l ’intelligence aveugle qui détruit les
ensembles et les totalités, isole tous ses objets de leur environnement, et ne peut concevoir le
lien inséparable entre l’observateur et la chose observée »337. Ce qui explique qu’on ne saurait
désormais admettre que la CPI et la CAJDHP évoluent de manière parallèles au regard du fait
qu’elles poursuivent les mêmes finalités.
L’image de la pensée juridique complexe est en fait celle d’un édifice à plusieurs
étages, étant à la fois interdépendants les uns des autres et en même temps en relation les uns
avec les autres. Ce qui exclut d’office l’alternative du choix de l’un ou de l’autre. Sur cette
base, Edgar Morin estime que le paradigme de la complexité mobilise trois grands principes
permettant de le mettre en œuvre : le principe dialogique, le principe de récursion et le
principe hologrammatique.
335
G.NTONO TSIMI, Op.cit. p. 47. Voir aussi sur la question A-J. ARNAUD, M. J. FARINAS DULCE, Une
introduction à l’approche sociologique des systèmes juridiques, Bruxelles, Bruylant, 1998, pp. 167 et s.
336
E. MORIN, Introduction à la pensée complexe, Op.cit., P. 11.
337
Ibid. p. 19.
338
Ibid. p. 99.
339
Entendu comme « l’ensemble des moyens mis en œuvre dans une discussion pour démontrer ou réfuter un
fait ». En philosophie il s’entend d’une « démarche de la pensée reconnaissant le caractère inséparable des
propositions contradictoires que l’on peut unir dans la synthèse ». Dictionnaire Le Robert Online.
entre A et B, un mouvement de va et vient permanent entre les deux entités incluant les deux
en même temps. De la sorte, le choix de l’un ou l’autre devient alors quasiment impossible,
l’un ne pouvant plus se penser sans l’autre.
Plusieurs juristes ont eu recours à la pensée complexe pour décrire des phénomènes.
Dans le cadre de notre étude, trois (03) théories du droit en mouvement appliquant les
principes de la pensée complexe nous aideront à démontrer la possible organisation d’un
rapport de complémentarité entre la Cour pénale internationale et la Cour africaine de justice,
des droits de l’homme et des peuples afin de faire ressortir l’interdépendance nécessaire entre
ces deux ordres de juridictions. Il s’agit d’une part de la théorie du pluralisme ordonné de
340
Ibid. p. 99.
341
Ici A entre B ; B entraine C ; C entraine D ; et ainsi de suite.
342
Ibidem.
343
Ibid. p. 100. La même image fut reprise par S. DIEBOLT, « Le droit en mouvement : éléments pour une
compréhension constructiviste des transformations complexes des systèmes juridiques », Op.cit.
344
E.MORIN, Introduction à la pensée complexe, Op.cit. p. 101.
345
G. NTONO TSIMI, Op.cit. p. 52.
346
M. DELMAS MARTY, Les forces imaginantes (II), Le pluralisme ordonné, Paris, Seuil, coll. « La couleur
des idées », 2006, p. 7.
347
G. BACHELARD, L’eau et le rêve. Essai sur l’imagination de la matière, éd. José Corti, 1942, p.1. Cité par
G. NTONO TSIMI, Op.cit., p. 52.
Dans cet ordre d’idée, la théorie du pluralisme ordonné qui intervient après l’étude par
la professeure du « relatif et l’universel »349, lui permet de saisir avec beaucoup de rigueur les
phénomènes d’interaction entre les ensembles juridiques. Elle par de l’idée que le monde
« juridique » se transforme de « compliqué » avec la multitude et l’hétérogénéité de normes, à
« complexe »350 par la mise en relation de ses normes, l’interaction, l’instable351. Pour
résoudre cette difficulté elle préconise la thèse du pluralisme ordonné qui vise à « ordonner le
multiple sans le réduire à l’identique, à admettre le pluralisme sans renoncer à un droit
commun, à une commune mesure du juste et de l’injuste »352. « Pluralisme » parce que les
différences sont admises, et « ordonné » si le droit mondial réussissait ainsi à dépasser la
contradiction entre l’un et le multiple353. De la sorte, la professeure Mireille Delmas-Marty
préconise la distinction entre pluralité et pluralisme : la séparation permet la pluralité mais ne
garantit pas le pluralisme car « elle ne relie pas les systèmes entre eux ; elle juxtapose des
ordres juridiques différents mais ne construit pas un ordre commun »354. C’est là l’image des
ordres juridiques régional et universel objet de notre étude.
Elle estime que « Préconiser le pluralisme ordonné, c’est prendre le pari qu’il est
possible de renoncer au pluralisme de séparation – car la clôture des systèmes de droit
devenue illusoire à l’heure où la mondialisation multiplie les interdépendances – mais sans
adhérer pour autant à l’utopie de l’unité juridique du monde au nom d’une sorte de pluralisme
348
M. DELMAS-MARTY, « Post-scriptum sur les forces imaginantes du droit », in C. THIERGE et alii, La
force normative. Naissance d’un concept, Paris/Bruxelles, LGDJ/Bruylant, 2009, pp. 847-851, spec. 850.
349
M. DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes (I), Le relatif et l’universel, Paris, Seuil, coll. « La couleur
des idées », 2004.6
350
C. GODIN, « Les voies de la mondialisation », La totalité réalisée, Champ Vallon, vol. 6, 2003, p. 455, cité
par M. DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes (II), Le pluralisme ordonné, Paris, Seuil, coll. « La couleur
des idées », Op.cit., p. 26.
351
M. DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes (II), Le pluralisme ordonné, Op.cit. , p. 7.
352
M. DELMAS-MARTY, « Le pluralisme ordonné et les interactions entre les ensembles normatifs », Recueil
Dalloz, 2006, chron., p. 951.
353
M. DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes (II), Le pluralisme ordonné, Op.cit., p. 26
354
Ibid. p. 18.
de fusion »355. Il est question in fine de « maintenir une séparation, sans imposer la fusion, et
pourtant construire quelque chose comme un ordre, ou un espace ordonné : telle pourrait être
la réponse à la grande complexité juridique du monde »356.
La question centrale ici est celle de savoir en quoi la théorie du pluralisme ordonné
constitue-elle un maillon important dans le renouvellement des rapports entre la Cour pénale
internationale et la Cour africaine de justice, des droits de l’homme et des peuples?
355 355
M. DELMAS-MARTY, « Le pluralisme ordonné et les interactions entre les ensembles normatifs »,
Op.cit. Voir aussi M. DELMAS MARTY, Les forces imaginantes (II), Le pluralisme ordonné, Op.cit., pp. 9-17.
356
Ibid. pp. 26-27
357
Le processus de coordination par entrecroisement (Chapitre 1. Pp. 39-68), d’harmonisation par
rapprochement (Chapitre 2. Pp. 69-100), et enfin d’unification par hybridation (chapitre 3. Pp. 101-130).
358
Ibid. p. 28.
359
Ibid. p. 23.
360
M. DELMAS-MARTY, « les modèles d’harmonisation », in M. DELMAS-MARTY, S. MANACORDA, M.
PIETH, U. SIEBER, L. ARROYO ZAPATERO (Dir.), Les chemins de l’harmonisation pénale, Paris, SLC,
2006, p. 433. Cité par G. NTONO TSIMI, Op.cit. p. 55.
361
M. DELMAS MARTY, Les forces imaginantes (II), Le pluralisme ordonné, Op.cit., p. 29.
Ces apports pourront être complétés par ceux de la dialectique de la pyramide au réseau.
362
J. CARBONIER, Sociologie du droit, PUF, 1978, « quadrige », 1994, p. 317, cité par M. DELMAS MARTY,
Les forces imaginantes (II), Le pluralisme ordonné, Op.cit., p. 40.
363
Expression empruntée à M. DELMAS-MARTY, Pour un droit commun, p. 101.
364
G. NTONO TSIMI, « Le paradigme du crime contre l’humanité et la renaissance du pluralisme juridique dans
les droits pénaux africains. Contribution à l’étude de l’internormativité des systèmes pénaux nationaux en
transition », Op.cit. p. 446.
Faisant valoir dans les jalons pour une théorie critique du droit365 que le modèle
pyramidal des rapports entre les ordres juridiques ne permet plus de rendre compte des
relations entre les espaces normatifs du fait de la pluralité des ordres juridiques, les deux
auteurs Belges en arrivent au constat que « sans doute est-il avéré que chaque époque appelle
une théorie du droit déterminée. Saisir le contexte culturel de son temps s’impose donc
comme préalable obligé à toute intelligence du droit »366. Dans la recherche d’une théorie
susceptible de rendre compte des interactions entre les ordres juridiques à l’époque
postmoderne, ils se proposent de bousculer le modèle pyramidal qu’ils jugent être porteur du
grand désordre du système juridique de leur époque367 parce que considérant le système
juridique comme un système ordonné et clos, n’admettant aucun élément extérieur et rejetant
toute sorte de communicabilité ; ce qui pour eux ne reflète pas la réalité du droit368. Ils se sont
donc proposé de renouveler cette théorie en émettant l’hypothèse d’un droit réticulaire
découlant de la théorie de la pyramide au réseau369.
365
F. OST, M. VAN E KECHOVE, Jalons pour une théorie critique du droit, Bruxelles, Publications des facultés
universitaires de Saint Louis, 1987, Chapitre IV, « création et application du droit. Structure linéaire ou
circulaire du système juridique? », pp. 183-253.
366
F. OST, M. VAN E KECHOVE, Le droit ou les paradoxes du jeu, Paris, PUF, coll. « les voies du droit »,
1998, p. 7.
367
F. OST, M. VAN E KECHOVE, Le système juridique entre ordre et désordre, Paris, PUF, Coll. « les voies du
droit », 1988, pp. 32 et s.
368
Ibid. p. 149.
369
F. OST, M. VAN E KECHOVE, « De la pyramide au réseau. Vers un nouveau mode de production du
droit? » RIEJ, Vol. 44. 2000, pp.1-92, cet article fut plus tard élargie dans un ouvrage intitulé F. OST, M. VAN
E KECHOVE, De la pyramide au réseau? Pour une théorie dialectique du droit, Bruxelles, Publications des
facultés universitaires de Saint Louis, 2002.
370
Ibid, p. 14.
371
Ibid. p. 1-10
372
Ibid. p. 45.
373
J. CHEVALLIER, « L’ordre juridique », in J. CHEVALLIER, D. LOSCHOC, e.a, Le droit en procès, Paris,
1983.
374
F. OST, M. VAN E KECHOVE, De la pyramide au réseau? Pour une théorie dialectique du droit, Op.cit., p.
276. Nous soulignons.
375
Voir supra, dans l’analyse de la théorie du pluralisme ordonné.
376
Elle-même distincte de la poly-systémie en ce sens que cette dernière suppose l’hypothèse d’un heurt entre
systèmes juridiques contradictoires. Voir sur la question, A.J. ARMAND, M. J. FARINAS DULCE, Introduction
à l’analyse sociologique des systèmes juridiques, Op.cit., pp. 302-303, cité par F. OST, M. VAN E KECHOVE,
De la pyramide au réseau? Pour une théorie dialectique du droit, Op.cit., p. 304.
377
F. OST, M. VAN E KECHOVE, De la pyramide au réseau? Pour une théorie dialectique du droit, Op.cit.,
pp. 276-277.
Ainsi présentée, la théorie dialectique du droit fait montre d’un véritable théorème
dans la compréhension des changements complexes des systèmes juridiques. Il convient de ce
fait d’analyser dans quelle mesure elle serait utile à la recherche d’un rapport de
complémentarité entre la Cour pénale internationale et la Cour africaine de justice, des droits
de l’homme et des peuples.
Des auteurs ont démontré que le droit pénal était le secteur le plus touché par l’érosion
de la pyramide au sens que l’entendent les théoriciens de la dialectique de la pyramide au
réseau378. Leur démonstration s’appuyait principalement sur le phénomène de
l’internationalisation du droit pénal qui faisait jaillir dans le champ pénal l’image d’un droit
flou379 dont il fallait faire application du paradigme du droit pénal réticulaire. D’aucuns
comme les pénalistes Fiandaca et Musco ont même fait valoir que « dans le champ pénal, « la
thèse traditionnelle d’un système fermé » soit désormais écartée, pour configurer à sa place un
système en « réseau », c’est-à-dire, constitué de différents systèmes autonomes mis en rapport
d’intégration complexe et fluide d’associations et de dissociations de degré et d’intensité
différents »380.
378
M. VIGLIOTTI, « Mutation dans le champ pénal contemporain. Vers un droit pénal en réseau? », Revue de
sciences criminelles, 2002, pp. 701 et s.
379
M. DELMAS-MARTY, Le flou du droit, Paris, PUF, coll. « Quadrige. Essais débats », 2004.
380
G.NTONO TSIMI, Op.cit. p. 49.
renforcera la lutte contre l’impunité de ces infractions sur ce continent. Il sera donc question
de tisser un réseau solide mettant en exergue l’interdépendance de tous les maillons de la
Chaine de répression.
Nous prendrons enfin en compte l’effritement du modèle pyramidal qui est au cœur de
l’émergence de la théorie dialectique de la pyramide au réseau. Comme l’ont à juste titre
souligné les auteurs de cette théorie, il ne s’agit pas de perdre les résidus important du
modèle pyramidal381, mais d’y apporter des ajustements. C’est pourquoi ils parlent à juste titre
de « l’effritement » du modèle pyramidal. Sur cette base, nous procéderons à une sorte
d’assouplissement du modèle pyramidal avec la mise en place d’une hiérarchie souple entre
les différents éléments devant composer notre réseau, de sorte que puisse être évitées les
questions de recherche de priorité des différents maillons dudit réseau. Le pénaliste
internationaliste camerounais Germain NTONO TSIMI, agrégé de droit privé et des sciences
criminelles, parle à cet effet d’une « hiérarchie complémentaire »382.
Dans un souci de clarté de notre analyse, nous précéderons d’abord à l’analyse du concept
de relevance juridique chez Santi Romano (A) avant de déceler l’apport de sa théorie dans la
recherche d’un rapport de complémentarité entre la Cour pénale internationale et la Cour
africaine de justice, des droits de l’homme et des peuples (B).
381
F. OST, M. VAN E KECHOVE, « De la pyramide au réseau. Vers un nouveau mode de production du
droit? » RIEJ, Vol. 44. 2000, pp.1.
382
G. NTONO TSIMI, « Le paradigme du crime contre l’humanité et la renaissance du pluralisme juridique dans
les droits pénaux africains. Contribution à l’étude de l’internormativité des systèmes pénaux nationaux en
transition », Op.cit. pp. 65 et s.
« relevance » pour désigner les rapports entre les ordres juridiques383. Il a basé sa théorie sur
une analyse institutionnelle de l’ordre juridique en soutenant qu’il ne saurait exister d’ordre
juridique sans institution. Pour cet auteur, ordre juridique et institution sont intimement liés 384.
Selon lui, « l’ordre juridique est … largement entendu comme une entité qui, dans une
certaine mesure, se conduit selon les normes mais conduit surtout, un peu comme les pions
sur un échiquier, les normes elles-mêmes »385. Etant entendu que selon cette théorie il y’a
autant d’ordre juridique qu’il y a d’institution386, Santi Romano se propose de rechercher les
rapports pouvant exister entre ceux-ci au travers du concept de relevance « juridique ».
Partant de là, pour qu’il ait relevance, explique l’auteur, « il faut que l’existence, le
contenu ou l’efficacité d’un ordre soit conforme aux conditions mises par un autre ordre : cet
ordre ne vaut pour cet autre ordre juridique qu’a titre défini par ce dernier»387. Pour une
meilleure compréhension de ce concept, l’auteur opère une énumération des titres de
relevance susceptibles d’exister entre les ordres juridiques. Il y distingue : la relation de
supériorité et de dépendance corrélative entre deux ordres juridiques ; la relation dans
laquelle un ordre est le présupposé d’un autre ; la relation dans laquelle plusieurs ordres
indépendants entre eux dépendent d’un autre ; la relevance conférée unilatéralement par un
ordre à un autre dont il est dépendant ; la relation de succession entre plusieurs ordres.
A contrario, Santi Romano pense que deux ordres juridiques peuvent être irrelevants
notamment lorsqu’il n’y a aucune relation entre les deux388 ; tout en soulignant que cette
irrelevance n’a aucune incidence sur l’existence d’un système (ordre) juridique, ni sur son
efficacité interne. Elle a seulement pour conséquence que ce système sera ignoré comme tel
par un autre et ne produira aucun effet juridique à l’égard de celui-ci389. Il s’agit là, comme
l’ont souligné les auteurs de la théorie dialectique de la pyramide au réseau, de « l’hypothèse
d’un système clos qui fonctionne naturellement en se refermant sur lui-même et en
n’admettant comme valables que les règles qu’il sécrète. »390. Ainsi se résume le concept de
relevance juridique chez Santi Romano. Ne reste plus qu’à analyser son apport dans la
383
S. ROMANO, L’ordre juridique, Paris, Dalloz, 1975.
384
Ibid. p. 29.
385
Ibid. p. 10.
386
Ibid. p. 77.
387
Ibid. p. 106.
388
Ibidem.
389
Ibid. p. 86.
390
F. OST, M. VAN E KECHOVE, De la pyramide au réseau? Pour une théorie dialectique du droit, Op.cit., p.
277.
Cependant, il nous est tout à fait possible, partant de cette théorie, de postuler le
renouvellement de la relevance juridique existant entre ces deux ordres de juridictions. Cela
en partant des approfondissements fait par la doctrine sur cette théorie392. Il sera question, sur
la base de ces approfondissements qui portaient essentiellement sur le caractère direct ou
indirect de la relevance pouvant exister entre des systèmes normatifs, de rechercher le point
de départ du rapport de complémentarité devant exister entre ces deux ordres de juridictions.
Cette relevance aura pour ambition, en adéquation avec la problématique centrale de notre
étude, de rompre avec le caractère conflictuel qu’augure la présence concurrentielle de la
Cour pénale internationale et la Cour africaine de justice, des droits de l’homme et des
peuples sur le terrain de la répression des infractions internationales en Afrique.
391
G. NTONO TSIMI, « Le paradigme du crime contre l’humanité et la renaissance du pluralisme juridique dans
les droits pénaux africains. Contribution à l’étude de l’internormativité des systèmes pénaux nationaux en
transition », Op.cit. pp. 459 et s.
392
G. GUIDICELLI-DELAGE, « Les jeux de l’interprétation entre discontinuité et interactions. L’inévitable
dialogue des juges? », in Le champ pénal. Op.cit. p. 29.
La première prise en compte, qui postule de dépassement des tensions UA/CPI, nous a
permis de démontrer que l’isolement de la Cour régionale de la Cour pénale internationale
pouvait porter un coup à la lutte contre l’impunité des crimes internationaux en Afrique, ceci
au regard de la dénaturation de la lutte contre l’impunité par l’Union africaine. Elle nous
a également permis de démontrer que la Cour régionale peine à se déployer et manquera sans
doute de moyen financier à même de garantir un procès équitable. La mise en place d’une
complémentarité entre les deux ordres de juridictions aura dans ce sens le mérite de ne pas
stopper le processus de justice pénale internationale sur le continent africain en cas de
déficience de l’une de ces juridictions pénales internationales.
CHAPITRE 4 :
LA STRUCTURATION D’UN MODÈLE DE COMPLÉMENTARITÉ ENTRE LES
DEUX ORDRES JURIDICTIONNELS SUPRA-ÉTATIQUES
Dans le précédent chapitre de notre étude, nous nous sommes attelés à l’examen de la
caractérisation de la possibilité d’organiser une complémentarité entre la Cour pénale
internationale et la Cour africaine de justice, des droits de l’homme et des peuples. De cette
analyse, il en ressortit que la possibilité d’organiser une complémentarité entre ces deux
ordres de juridictions découlait d’une double prise en compte matérialisant le pourquoi et le
comment de cette possibilité : d’une part, la prise en compte des enjeux en cause que
constituent le sort de la lutte contre l’impunité des crimes internationaux commis sur le sol
africain et la difficile opérationnalité de la Cour régionale couplée au doute sur l’efficacité de
celle-ci. D’autre part, la prise en compte des théories du droit en mouvement marquant le
processus par lequel la rupture des rapports classiques entre la Cour régionale et la Cour
pénale internationale devra s’opérer. Le présent chapitre, dans une posture complémentaire au
précédent dans le processus de matérialisation de la possibilité d’organiser une
complémentarité entre ces deux ordres de juridictions supranationales, est consacré à la
structuration d’un modèle de complémentarité entre ces juridictions.
La complémentarité rappelons-le, qui tire ses origines des travaux scientifiques menés
par Neils Bohr, est intervenu dans le domaine du droit pénal suite à la fracture de cette
matière occasionnée par la naissance d’une dimension internationale de la justice pénale
visant la répression des cores crimes393. Le Statut de Rome, et plus tard le Protocole de
Malabo, ont institué ce mécanisme comme organisateur des rapports entre l’ordre
juridictionnel supra étatique et l’ordre juridictionnel interne. Sur la base de ce mécanisme que
ces Statuts ont érigés en principe, l’ordre national et l’ordre international sont
complémentaires dans la répression des crimes internationaux prévus par les Statuts qui lient
ces ordres aux ordres nationaux. Il s’agit des crimes de guerre, crime contre l’humanité, crime
d’agression et du crime de génocide. En vertu de ce principe tel que prévu par ces Statuts,
l’ordre juridictionnel national dispose d’une compétence prioritaire dans la répression de ces
crimes sur l’ordre juridictionnel international. Cela se traduit par la totale autonomie
reconnue à l’ordre national dans la poursuite et la répression des crimes internationaux, mais
avec, en marge, une obligation plus ou moins grande de coopération entre l’ordre national et
l’ordre international. La doctrine a à cet effet estimé que « la complémentarité joue le rôle de
393
Entendu comme les infractions internationales par nature.
La question centrale de ce chapitre, qui constitue la clé de notre étude, est la suivante :
quelle(s) complémentarité(s) entre la Cour pénale internationale et la Cour africaine de
justice, des droits de l’homme et des peuples ?398
Soulignons pour résoudre cette énigme au combien importante pour notre étude, que
dans une relation de complémentarité, l’un des protagonistes occupe une position basse et
l’autre une position haute. Ce positionnement des deux protagonistes n’a pas vocation à
rendre l’un supérieur à l’autre, mais à organiser leur relation afin d’éviter les enchevêtrements
et mieux organiser la complexité que cela suppose. Si un des protagonistes pousse son rôle à
l’extrême, on assiste à une complémentarité rigide. Autrement dit, si l’un des protagonistes
estime devoir mettre en œuvre son rôle à tout prix, la relation est en risque de se corser. Le
modèle devant exister entre la CPI et la CAJDHP doit s’en écarter, ceci au regard du contexte
d’émergence de la compétence de droit international pénal de la Cour régionale, et de la
faiblesse de celle-ci dans son opérationnalité.
394
G.NTONO TSIMI, « Le paradigme du crime contre l’humanité et la renaissance du pluralisme juridique dans
les droits pénaux africains. Contribution à l’étude de l’internormativités des systèmes pénaux nationaux en
transition », Op.cit. p. 444.
395
Entendons par là l’ordre interne et l’ordre international.
396
Entendons par là l’ordre régional et l’ordre universel.
397
Entendons par là l’ordre interne.
398
Un auteur, MAIA-OUMEIMA HAMROUNI, « la complémentarité régionale dans le cadre de la Cour
africaine de justice, des droits de l’homme et des peuples », RDP No 4,. 2018, P. 1149 et s. s’est penchée sur
une question similaire et a envisagé la solution sous l’angle unique de coopération entre les deux juridictions
après avoir analysé les fondements de la compétence de la Cour régionale.
SECTION I :
L’ADMISSIBLE COMPLÉMENTARITÉ DE SUBSIDIARITÉ CALQUÉE SUR LE MODÈLE
DU STATUT DE ROME : LA QUESTION DE RECEVABILITE AU CENTRE DE LA
COMPLEMENTARITE.
La complémentarité de subsidiarité, tel que son nom l’indique si bien, fait en réalité
appel à la jonction de deux mécanismes d’organisation des rapports entre deux espaces
répressifs. D’un côté la complémentarité tel que nous avons de cesse présenté, et d’un autre le
principe de subsidiarité naguère en vigueur dans les rapports entre les juridictions nationales
et les juridictions internationales de protection des droits de l’homme. Ce modèle de
complémentarité n’est pas clairement défini en tant que tel dans le Statut de Rome. Il résulte
d’une interprétation constructive du modèle de complémentarité prévu par ce texte, au regard
des règles qu’il pose pour l’organiser, et notamment les questions autour de la recevabilité des
affaires devant la Cour pénale internationale.
La complémentarité de subsidiarité est le résultat d’un compromis entre les États lors
de l’adoption du Statut de Rome ; compromis résidant dans la réticence des États à
abandonner leur ius puniendi399 entre les mains d’une juridiction internationale. Il était
question pour la communauté internationale de trouver un forum devant permettre à la justice
pénale nationale de se déployer tout en positionnant la juridiction pénale internationale dans
une posture avant-gardiste de l’action des juridictions nationales400. A ce propos, tous les États
parties aux négociations de Rome n’étaient pas d’accord pour l’adoption de la
complémentarité. L’adoption de la complémentarité comme mode de fonctionnement de la
Cour pénale internationale a fait l’objet de vifs débats au sein de la Commission du droit
399
Entendu droit de punir.
400
M. DELMAS-MARTY, « La Cour pénale internationale et les interactions entre droit interne et international
à la phase d’ouverture du procès », Rev. Scie. Crim. 2005, p. 473. Voir aussi sur la combinaison de la
compétence internationale avec a compétence étatique, G. GUIDECLLI-DELAGE, « Poursuivre selon les
‘’interets de la justice’’. Complémentarité ou/et primauté », Rev. Scie. Crim., 2007, p. 475.
international. Lorsque cet organe du système onusien fut saisi en 1992 sur la question de
l’élaboration des textes d’une Cour pénale internationale permanente, les débats en son sein
ont préalablement portés sur la nature de cette juridiction et ses liens avec les juridictions
nationales. Les avis étaient partagés. La question posée était la suivante : quel type de
relation faut-il aménager avec les tribunaux pénaux nationaux ? Ladite Cour devrait-elle avoir
une compétence principale ou une compétence complémentaire ? Avoir une compétence
principale aurait signifié que la CPI aurait dû être capable de donner suite à une affaire que les
autorités nationales aient tenté ou non de les traiter401.
Au bout des débats, l’idée principale retenue s’est fondée sur « l’existence de deux
juridictions nationale et internationale en donnant une priorité à la juridiction nationale»
puis la Cour doit jouer un rôle complémentaire selon les possibilités indiquées à l’article 17
du Statut402.
401
Ce système fut en effet celui employé pour le tribunal militaire international de Nuremberg (1945) et pour le
tribunal militaire international pour l’Extrême orient (1946), qui tous deux avaient une primauté sur les
juridictions nationales. Il en était de même pour les TPIY et TPIR dans les années 90 qui avaient le droit de juger
des affaires même si les autorités de l’Allemagne de l’Est ou de l’Ouest, du Japon, du Rwanda ou des anciens
États yougoslaves désiraient le faire en premier lieu. Voir sur la question P. SEILS, « Guide de la
complémentarité. Introduction quant au rôle des juridictions nationales et de la Cour pénale internationale dans
la poursuite des crimes internationaux », Centre International pour la Justice Transitionnelle (CITJ), 2012, PP. 06
et s.
402
Voir sur la question DAUDET Y., « Travaux de la commission du droit international », Editions du CNRS,
Paris, 1994, p.577.
403
CPI, Communiqué de presse : 27 octobre 2017, « la CPI tient un symposium régional de haut niveau sur la
coopération et la complémentarité au Niger », https://www.icc-cpi.int/pages/item.aspx?name=pr1340&In=fr
consulté le 22 juillet 2021.
404
Du 24 au 26 octobre 2017.
405
CPI, Déclaration finale de Niamey sur la Cour pénale internationale, 25 octobre 2017. ICC-CPI-20171027-
PR1340
« a)L'affaire fait l'objet d'une enquête ou de poursuites de la part d'un État ayant
compétence en l'espèce, à moins que cet État n'ait pas la volonté ou soit dans l'incapacité de
mener véritablement à bien l'enquête ou les poursuites; b)L'affaire a fait l'objet d'une enquête
de la part d'un État ayant compétence en l'espèce et que cet État a décidé de ne pas
poursuivre la personne concernée, à moins que cette décision ne soit l'effet du manque de
volonté ou de l'incapacité de l'État de mener véritablement à bien des poursuites; c)La
personne concernée a déjà été jugée pour le comportement faisant l'objet de la plainte, et
qu'elle ne peut être jugée par la Cour en vertu de l'article 20, paragraphe 3; d)L'affaire n'est
pas suffisamment grave pour que la Cour y donne suite. »406.
Pour finir, l’article 20 (3) du Statut de Rome sur le principe de non bis in idem
empêche la Cour pénale internationale de rejuger l’affaire si cette dernière a déjà été jugée par
une juridiction interne, tant que le but de la procédure nationale n’a pas été de faire échapper
l’accusé à sa responsabilité pénale. A cet effet, la difficulté apparait généralement au niveau
de la prise en compte de manière isolée des éléments caractérisant les crimes du Statut de
406
Art. 17 al. 1 Statut de Rome.
407
Art. 17 al. 2 Statut de Rome.
408
Article 18 Statut de Rome.
Rome. Il apparait en effet qu’un État, n’ayant pas internalisé les crimes du Statut de Rome,
peut bien engager des poursuites pour meurtre commis dans le cadre d’une attaque généralisée
visant une communauté civile sous le couvert de la qualification de meurtre de son code pénal
et non sous celle de crime contre l’humanité. Sur la base de cette considération, il apparait que
le plus important c’est moins l’identité de définitions des crimes que la prise en compte du
comportement proscrit par le statut de Rome, commis par les mêmes individus recherchés par
la CPI. C’est d’ailleurs ce sur quoi porte la définition de la même affaire au sens de la CPI.
Dans une de ses décisions de 2006, la CPI a en effet identifié une affaire comme étant « des
incidents spécifiques durant lesquels un ou plusieurs crimes relevant de la compétence de la
Cour semblent avoir été commis par un ou plusieurs suspects ». Ce qui implique que trois
éléments rentrent dans la caractérisation d’une affaire : les suspects, des incidents et un
comportement409.
409
Cette question a été au centre des Appels interjetés dans les Affaires Germain Katanga et jean pierre Bemba
Gombo dans le cadre de la contestation par ceux-ci de la recevabilité de la CPI.
410
Article 19 Statut de Rome.
411
L’expression apparait pour la première fois dans le rapport du bureau du procureur, informal exper paper :
The principle of complementarity in practice, 2003,p. 3.
des crimes visés dans le Statut de Rome »412. Il est question ici de la coopération nécessaire
entre l’ordre international et l’ordre national dans la répression des crimes prévus dans le
Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
Aux termes de l’article 53 (1) du Statut de Rome, il ressort que le procureur, « après
avoir évalué les renseignements portés à sa connaissance », va ouvrir une enquête, à moins
qu’il n’y ait pas de « base raisonnable » pour le faire. La détermination de cette base
raisonnable est fonction de la prise en compte entre autre des intérêts de la justice, de la
recevabilité au sens de l’article 17, la certitude des renseignements fournis sur la commission
des crimes relevant de la compétence de la Cour.
Comme nous l’avons souligné dans le cadre de la prise en compte des théories du droit en
mouvement dans la structuration du rapport de complémentarité entre la Cour pénale
internationale et la Cour africaine de justice, des droits de l’homme et des peuples, la
complémentarité entre ces deux ordres de juridictions ne doit pas isoler la compétence
prioritaire des autorités nationales dans le cadre de la poursuite des crimes internationaux. A
cet effet, la structuration de ce rapport de complémentarité suppose que soit clarifiée la place
de l’ordre juridictionnel nationale. Cela suppose que soit superposées les hiérarchies
complémentaires. Par conséquent, compte tenu de la proximité de l’ordre régionale aux ordres
nationaux africains, il est impératif d’accorder une primauté à la complémentarité entre ces
412
CPI, Assemblée des États parties, Résolution ICC-ASP/Res. 9,Annexe 9, Bilan de la justice pénale
internationale, la complémentarité , adoptée à la séance plénière, 25 mars 2010, p.17.
deux ordres (A) avant de voir l’hypothèse de la subsidiarité de l’ordre universel à l’ordre
régional (B).
Rappelons que la complémentarité entre l’ordre régional et l’ordre national est prévue par
le Protocole de Malabo portant amendements du Protocole portant Statut de la Cour africaine
de justice, des droits de l’homme et des peuples, et notamment son article 46H. D’après ce
texte, « la juridiction de la Cour est complémentaire à celle des juridictions nationales ». C’est
dire que pour la Cour régionale, même si cela n’est pas clairement affirmé dans le texte de
Malabo, la juridiction nationale dispose de la primauté sur la Cour régionale. Cette
complémentarité est établie sur le même modèle que celle qui lie la CPI à ses États parties,
notamment au sujet des questions de recevabilité (1) et de la coopération dont il convient de
renforcer (2).
1- Le maintien des critères de recevabilité tel que prévu par le protocole de Malabo
couplé aux emprunts éventuels à la jurisprudence de la CPI
413
Article 46H Protocole de Malabo in fine. La parenthèse est de nous.
Dans ses décisions relatives à l’Appel interjeté par Germain Katanga416 sur la décision
de la Chambre de première instance II de la CPI, dans laquelle il contestait la recevabilité de
la CPI arguant de ce que la même affaire était pendante en interne, la CPI opère plusieurs
précisions que le Protocole de Malabo a incorporé. Le désaccord dans cet Appel résidait sur la
question de savoir si les autorités de la RDC avaient enquêté ou étaient en train d’enquêter sur
l’incident de Bogoro. Pour les autorités congolaises qui avaient saisi la CPI, elles
n’enquêtaient pas sur cette affaire et pour eux les documents relatifs à l’incident étaient
« uniquement procéduraux », en lien avec la prolongation de la détention de Katanga en RDC
pour un autre crime. Lorsque la Chambre de première instance fut saisie du dossier, elle ne fit
que rappeler le slogan417 de l’article 17 du Statut de Rome en considérant que la RDC n’avait
pas la volonté d’engager des procédures sur l’incident de Bogoro tout en ajoutant que la RDC
a déclaré formellement qu’elle n’avait pas l’intention d’enquêter sur cet incident, mais qu’elle
414
Article 46H al. 4. Ibid.
415
Art. 46H al. 3. Ibid.
416
Germain Katanga été poursuivi devant la CPI pour être soupçonné par le procureur de la CPI d’être le
commandant du Front de Résistance Patriotique en Iturie (FRPI) MATHIEU NGUIDJOLO CHUI et lui ont été
accusés de meurtre, d’exploitation d’enfant soldats, de viol, d’esclavage sexuel, d’attaque intentionnelle visant la
population civile et de pillage ; des crimes présumés s’être déroulés dans le contexte d’une attaque du village
Bogoro en Iturie par des troupes sous le commandement de Katanga et Nguidjolo le 24 février 2003.
417
D. ROBINSON, « Les mystères de la complémentarité », Forum du droit pénal, vol. 21, No 1, 2010.
s’était engagée à lever l’impunité et qu’elle n’avait clairement pas la volonté de poursuivre
Katanga sur cet incident, tout en soulignant que cette réticence avait pour but de permettre à la
CPI de se saisir du dossier. Sur le coup, la Chambre de première instance expliqua qu’il existe
deux sortes de réticence : une réticence visant à faire obstruction à la justice, et une réticence
visant à lever l’impunité.
La même question fut soulevée dans l’affaire Jean pierre Bemba. La conclusion qu’on
en tire est que l’examen de la même affaire repose sur une double identité : identité de
comportement, identité de suspects. En cela, la clarté de l’affirmation du Protocole de Malabo
est salutaire.
Cependant la Cour laisse un flou sur ce qu’il faut attendre par L’affaire n’est pas
suffisamment grave pour justifier d’autre action par la Cour418 qui représente un contenu au
principe de complémentarité posé par ce texte. Comment peut-on affirmer que les crimes
ressortissant de la compétence de la Cour sont des crimes les plus graves et estimer en même
temps que la Cour pourrait ne pas être compétente si « l’affaire n’est pas suffisamment
grave » pour justifier son action? Sur quoi repose l’élément quantitatif de la gravité d’une
affaire? Si cette précision vise visiblement à désengorger la Cour régionale, son imprécision
pose problème. La relevance directe entre la Cour régionale et la CPI pourrait permettre à la
première de se référer à la jurisprudence de la seconde afin d’apporter des éclaircis aux cas où
elle rencontrerait des difficultés d’interprétation419. A ce titre, la Chambre préliminaire I de la
CPI s’est essayée dans la clarification de cette question dans l’affaire Thomas Lubanga Diylo.
Dans une décision de février 2006, la Chambre préliminaire I de la CPI affirma que :
« Ce seuil supplémentaire de gravité est un élément clé, introduit par les auteurs du
Statut (de Rome) afin de maximiser l’effet dissuasif de la Cour. Par conséquent, la Chambre
418
Article 46H Protocole de Malabo in fine. La parenthèse est de nous.
419
G. GIUDICELLI-DELAGE, « Les jeux de l’interprétation entre discontinuité et interactions. L’inévitable
dialogue des juges? », In Le champs pénal. Cité par G. NTONO TSIMI, Op.cit. p. 459
ne peut que conclure que la fonction de châtiment de la Cour est nécessairement subordonnée
à l’objectif supérieur de prévention »420.
Elle précisa par la suite que
« Le seuil de gravité (de l’affaire) vient s’ajouter à la sélection soigneuse faite par les
rédacteurs s’agissant des crimes compris aux articles 6 à 8 du Statut, sélection fondée sur la
gravité et dont l’objectif est de limiter la compétence matérielle de la Cour au ‘crimes les plus
graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale’. Ainsi le fait qu’une affaire
vise ‘un de ces crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté
internationale n’est pas suffisant pour qu’elle soit recevable devant la Cour »421.
La Chambre préliminaire proposa de ce fait trois critères permettant d’apprécier le
caractère suffisamment grave d’une affaire. 1- le comportement criminel doit être
systématique et à grande échelle ; 2- la prise en compte de « l’indignation qu’un tel
comportement doit avoir déclenché au sein de la communauté internationale » ; 3- le critère
de gravité serait destiné à se concentrer sur « les plus hauts dirigeants suspectés de porter la
responsabilité la plus lourde des crimes relevant de la compétence de la Cour »422.
Cette décision de la Chambre préliminaire fut censurée par la Chambre d’Appel pour
erreur de droit423 et a été vertement critiquée par la doctrine du fait que la Chambre
préliminaire semble reprendre les dispositions de l’article 17 en la dénaturant par l’ajout du
critère d’indignation que doit produire une affaire pour acquérir le caractère grave424.
C’est donc l’opinion partiellement dissidente du juge M. Pikis qui semble plus
féconde. Dans cette opinion, il estime qu’ « à la question de savoir quelles affaires ne méritent
pas d’être examinées par la Cour pénale internationale, on peut répondre, les affaires qui n’ont
pas en elles-mêmes, l’importance requise, celles dans lesquelles les crimes commis restent
tout à fait marginaux, les cas limités. » il poursuit en disant qu’ « un crime n’a en soi pas
l’importance requise lorsque, même s’il induit les conditions légales formelles associées à ses
éléments psychologiques et matérielles, les actes qui le constituent sont totalement
secondaires par rapport aux objectifs poursuivis par le législateur qui l’a érigé en crime.
L’origine du crime comme ses conséquences doivent être négligeables. Dans ces
420
CPI, Le procureur c. Thomas Lubanga Diylo, Décision relative à la requête du procureur aux fins de
délivrance d’un mandat d’arrêt en vertu de l’article 58, Ch. Pr. Affaire No icc-01/04-01/06, 20 février 2006, p.
48.
421
Ibid. p. 41.
422
Ibid. pp. 4 et 50.
423
CPI, Le procureur c. Thomas Lubanga Diylo, Arret relatif à l’appel interjeté par e procureur contre la décision
de la Chambre préliminaire I, intitulé ‘Décision relative à l’enquête du procureur aux fins de délivrance d’un
mandant d’arrêt en vertu de l’article 58 du Statut’, Ch. Pr. Affaire No icc-01/04, 13 février 2006.
424
G. NTONO TSIMI, Op.cit., p. 450.
circonstances, la Cour n’a pas à connaitre, ni à exercer sa compétence en vue d’un procès si
la juridiction nationale concernée ne le fait pas. » Et a lui de conclure que « toute autre
interprétation de l’article 17-1-d serait contraire à ses objets et buts avoués et le viderait de sa
substance »425.
La prise en compte de cette clarification sera à coup sûr importante pour la Cour
régionale lorsqu’elle entrera en vigueur. Ce qui ouvre inévitable la voie au « dialogue des
juges »426 dans ce rapport de complémentarité qui passe aussi par la coopération entre l’ordre
régional et les ordres nationaux.
425
CPI, Le procureur c. Thomas Lubanga Diylo, Opinion partiellement dissidente du Juge Georghios M. Pikis
relative à l’arrêt du 13 février 2006.
426
G. GIUDICELLI-DELAGE, « Les jeux de l’interprétation entre discontinuité et interactions. L’inévitable
dialogue des juges? », In Le champs pénal. Cité par G. NTONO TSIMI, Op.cit. p. 459
427
Art. 46L al.2 Protocole de Malabo.
des juridictions nationales. Tout se passe comme si la Cour régionale ne se souci que de sa
compétence et moins de sa finalité. Pour mieux faire fonctionner la complémentarité entre la
Cour pénale internationale et la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples et éviter
ainsi que les critiques d’une justice afro centrée ne refassent surface du fait de l’incapacité de
l’ordre national et régional, il est impérieux de renforcer la coopération entre l’ordre
juridictionnel national et régional de sorte que ceux-ci puissent fusionner leur force dans la
répression des crimes internationaux.
En effet, il est question pour la Cour régionale de prêter mains forte en tant que de besoin
aux instances nationales afin que celles-ci puissent garantir leur vocation prioritaire dans la
répression des crimes internationaux. La Cour régionale pourra ainsi se baser sur la pratique
de la Cour pénale internationale dans ses rapports avec ses États parties. Le Statut de Rome
prévoit à cet effet à son article 93 qu’elle peut recevoir les demandes d’assistance de la part
des États dans les enquêtes menés par ceux-ci sur un crime ressortissant de la compétence de
la Cour. Ce n’est que de cette manière que la relation entre l’ordre régional et l’ordre
universel se déploiera avec moins de risque de réaffirmation d’une justice centrée sur
l’Afrique parce que devant faire face à un système africain de répression des crimes
internationaux solide qui laissera moins de marge de manœuvre à la Cour pénale
internationale. L’évitement de la Cour que souhaite l’Union africaine sera donc fonction de la
bonne concordance des juridictions nationales avec la Cour africaine.
Cela veut dire que pour les crimes commis sur le territoire d’un État partie à la fois au
Statut de Rome et ayant ratifié le protocole de Malabo, l’interprétation des conditions de
recevabilité de l’article 17 du Statut doit intégrer la Cour africaine de justice, des droits de
l’homme et des peuples. Pour faire simple, pour ne pas dénaturer le Statut de Rome,
l’incapacité de l’État ou son manque de volonté doit être apprécié à l’aune de la procédure
devant la Cour régionale. C’est dire en quelque sorte que l’ordre juridique national et l’ordre
juridictionnel régional doivent être pris comme étant une composante unique de l’ordre
juridictionnel national. Il s’agit là de tenir compte de la situation de double présence au sein
des organisations internationales dans laquelle se trouvent ces États428, en ne rompant pas
leurs engagements vis-à-vis de l’une ou l’ordre, mais en coordonnant les actions des deux. Il
est pour ainsi dire question de prendre en compte la pluralité429 pour en faire un pluralisme430.
Se trouve là appliquée la théorie du pluralisme ordonné dont le professeur Mireille Delmas-
Marty s’est fait l’écho en France431.
Dans cette théorie en effet, le professeur Mireille Delmas-Marty affirmait qu’il existe
des conditions pour la mise en ordre du pluralisme reposant sur deux phases aboutissant à une
coordination par entrecroisement. La première phase est « la phase dynamique » dans laquelle
il est question que les ordres en présence remplissent les conditions de réciprocité (qui
suppose que les mêmes États aient à la fois ratifiés les différents instruments concernés 432), et
428
BATCHOM (P.E.), « La double présence au sein des institutions internationales. Une analyse de la position
des États africains face aux mandats d’Arrêt de la CPI » Op.cit., pp.61-88.
429
Qui suppose la juxtaposition des ordres en présence sans rapports entre eux.
430
Qui présuppose la mise en relation de la pluralité
431
Voir sur la question M. DELMAS-MARTY, les forces imaginantes (II), Le pluralisme ordonné, Paris, Seuil,
coll. « La couleur des idées », 2006, pp.62-68.
432
Dans le cadre de notre étude le fait pour les États concernés par les poursuites d’être État partie au Statut de
Rome et d’avoir ratifié le Protocole de Malabo.
les conditions de dialogue entre les juges garantie par leur inamovibilité. Dans la seconde
phase qu’elle nomme « phase de stabilisation » il est question des interprétations basées sur le
caractère de jus cogens des normes qui composent ces instruments, et pour finir une certaine
hiérarchisation des ordres en présence. Ces conditions viennent d’être appliquées dans le
cadre de la complémentarité de subsidiarité entre la Cour pénale internationale et la Cour
africaine de justice, des droits de l’homme et des peuples.
Par contre, pour les crimes commis sur le territoire des États africains partie au Statut
de Rome et n’ayant pas ratifié le Protocole de Malabo, la double complémentarité ne joue pas,
et la Cour pénale internationale exerce sa procédure selon les conditions qui la lie audit État.
C’est dire en quelque sorte que la complémentarité de subsidiarité entre ces deux ordres de
juridictions pénale internationale ne va pas de soi. Il faut au préalable que la poursuite en
cause concerne un État parties aux Statut de ces deux ordres de juridictions. Il en est de même
pour l’Etat qui aura ratifié le Protocole de Malabo et n’étant pas partie au Statut de Rome.
considéré du fait qu'il mène ou a mené une enquête, ou qu'il exerce ou a exercé des poursuites
en l'espèce.
Dans toutes ces actions, la Cour régionale, parce qu’agissant comme un État, devra se
conformer aux conditions posées par le Statut pour exercer ces facultés ; et notamment pour
ce qui est des délais et des modalités d’action.
Dans ce rapport de complémentarité, les dispositions relatives aux immunités prévues par
le Protocole de Malabo devront être considérées comme inopérantes à l’égard de la Cour
pénale internationale. La considération des immunités par la Cour régionale devra être
considérée comme une manifestation du manque de volonté de l’ordre régional d’engager les
poursuites contre les chefs d’État et de gouvernement en exercice, ceci en raison du fait que le
Statut de Rome faisant partie des règles du jus cogens, ne saurait trouver de dérogation dans
ses dispositions relatives à la lutte contre l’impunité en vue du maintien de la paix et la
sécurité internationales. Le maintien des immunités constituant aux côté des amnisties et de la
prescription, une mise en échec de la responsabilité pénale.
SECTION II :
L’ENVISAGEABLE COMPLÉMENTARITÉ ÉLARGIE ENTRE LES DEUX ORDRES DE
JURIDICTION : AU-DELA DE LA QUESTION DE RECEVABILITÉ.
Lorsqu’on parle de complémentarité élargie, il ne fait aucun doute que notre point de
repère demeure la complémentarité au sens du Statut de Rome. La raison en est que ce texte
est considéré comme le premier à ériger ce mécanisme d’articulation des rapports
juridictionnels en principe et à en faire la pierre angulaire du système qu’il institue. Partant de
là, la complémentarité élargie postule un dépassement du mode de déploiement du principe de
complémentarité tel qu’il est organisé par le Statut de Rome en tissant de nouvelles règles
allant dans le sens de mettre en relation deux ordres juridictionnels indépendants et
autonomes. Cela dit, l’objectif est de voir la complémentarité au-delà des questions de
recevabilité des affaires devant la juridiction qui complète l’autre pour une perspective dans
laquelle les ordres juridictionnels en présence se complètent mutuellement en agissant
conjointement.
L’expression même de « complémentarité élargie » fut employée pour la première fois par
Iryna Grebenyuk dans une analyse portant sur les perspectives de reconstruction de la justice
pénale internationale433. Dans son analyse, la pénaliste d’origine Ukrainienne développe
l’idée selon laquelle en vertu de la lecture classique du principe de complémentarité, le Statut
de Rome confère à la CPI une fonction supplétive, à savoir que celle-ci n’a vocation à
intervenir qu’en cas de défaillance de l’ordre juridique national. Trouvant ce modèle que nous
avons qualifié de complémentarité de subsidiarité insuffisant, elle propose de l’élargir pour
fonder la complémentarité sur l’idée d’interaction et de partenariat des ordres juridiques
international et national s’appuyant sur une répartition du contentieux des crimes
internationaux à la fois légitime et efficace. De la sorte, dans l’ordre international, elle
préconise, d’un côté, d’instaurer une primauté sélective de la CPI pour les hauts dirigeants
étatiques ayant conçu et dirigé le dessein criminel, et d’un autre côté, pour le contentieux ne
concernant pas ces auteurs, d’impulser une dynamique de complémentarité qui permettrait
d’associer l’État à la procédure menée par la CPI, grâce à une dissociation des phases du
procès (dissociation enquête/poursuite ou jugement sur la culpabilité/prononcé de la peine).
Dans l’ordre étatique, elle pense qu’il conviendrait de renforcer la mise en œuvre de deux
perspectives conjointes : d’une part, devrait être confortée la restauration de la paix sociale
433
I. GREBENYUK, Pour une reconstruction de la justice pénale internationale Réflexions autour d'une
complémentarité élargie, Paris, Institut universitaire Varenne, coll. « thèse », LGDJ-Lextenso, 2018, 528 pages.
grâce à des commissions de vérité inspirées de la théorie de justice restauratrice 434 ; et d’autre
part devraient être diversifiés les mécanismes de lutte contre l’impunité consistant à recourir à
la justice accélérée (plaidoyers de culpabilité, pratiques ancestrales) ainsi qu’à la technique
des juridictions pénales hybrides.
434
La justice restauratrice encore appelée justice réparatrice, consiste a associer en complément de la réponse
juridictionnelle un auteur d’infraction et une victime, selon des modalités diverses, en vue d’envisager ensemble
les conséquences de l’acte et le cas échéant, de trouver des solutions pour dépasser, dans un objectif de
rétablissement de la paix sociale. Restauratrice donc pour l’objectif de restauration de la paix sociale. Voir sur la
question E. AAuclaire-Fournier, « Pour mieux comprendre ce qu’est la justice réparatrice », Alter Justice, mis en
ligne en Novembre 2015, http://www.altejustice.org/dossiers/articles/151118-justice-reparatrice-mieux-
comprendre.html consulté le 24 juillet 2021.
435
I. GREBENYUK, « La Cour pénale spéciale centrafricaine : une illustration de la « complémentarité élargie »
? », Rev. Sci. Crim. Et de droit pénal comparé, 2018/1, nº1 pp. 1- 20.
Précisons qu’il est possible que les modalités de saisine de ces deux ordres de juridiction
prévues par leurs Statuts entravent le processus de complémentarité élargie entre ces
juridictions. C’est notamment le cas de la saisine par renvoi de l’État partie438, par le conseil
de sécurité des nations unies (pour la CPI)439, et par le conseil de Paix et de sécurité (pour la
CAJDHP)440. Pour cette raison, le renvoie par État partie ou par l’un des deux conseils prévue
par ces textes doit se conformer au mécanisme de dissection ci-dessous. L’inaction de l’une
ou l’autre juridiction dans la mise en œuvre de ses pouvoirs de poursuite pourra susciter
l’intervention de l’autre juridiction. C’est dire dans la complémentarité élargie, les deux
juridictions sont potentiellement subsidiaires l’une de l’autre. En ce sens, la non saisine de la
Cour régionale par un État, ou par le conseil de sécurité, a fortiori par le procureur de la Cour,
sera donc assimilée au manque de volonté de poursuivre et tout se passera comme si la Cour
régionale n’existait pas, la Cour pénale internationale exercera alors pleinement sa
compétence.
Dans le cadre de cette dissection du contentieux des crimes internationaux, il sera donc
question pour la CPI de connaitre les affaires impliquant les hauts dirigeants étatiques ayant
conçu le dessein criminel (A) et la CAJDHP, le reste du contentieux (B).
436
Résolutions S/RES/1503, 28 Aout 2003 ; règles 11bis et 28 (a) du Règlement de procédure et de preuve
modifiées.
437
La doctrine a estimé qu’il s’agissait de la transformation de la primauté du TPIY en une complémentarité
distributive du fait de l’achèvement des travaux de cette juridiction qui faisait que les juridictions nationales
connaissent des affaires impliquant les « petits poissons ». I. GREBENYUK, « La Cour pénale spéciale
centrafricaine : une illustration de la « complémentarité élargie » ? », Op.cit., note 62.
438
Article 13a Statut de Rome ; article 46F(1)1 Protocole de Malabo.
439
Article 13b. Statut de Rome.
440
Article 46F(20 ) Protocole de Malabo.
Par souci de clarté de notre analyse, il sied de faire une démonstration des modalités de
circonscription du Champ de compétence « nouveau » de la CPI (1) et de voir quels en sont
les mérites (2).
Il faut entendre par « hauts dirigeants étatiques » les chefs d’États et de gouvernements
et toute personnalité nationale assimilée (les commandants des forces armées nationales, les
généraux et tout autre personnalité nationale dépositaire du pouvoir de commandement) ; les
membres des forces de l’Union africaine ou des forces de maintien de la Paix de l’ONU qui
semblent être impliqués dans les violences commises en Afrique.
Cette répartition fait figure du Slogan de l’article 17-1-d du Statut de Rome qui évoque
l’irrecevabilité d’une affaire devant la Cour lorsque « l’affaire n’est pas suffisamment grave »
pour susciter les poursuites devant cette Cour. La gravité ici résulte du fait que ces hauts
dirigeants sont ceux qui sont censés protéger les populations contre la perpétration de tels
crimes. Le fait que ce soit eux même qui les commettent est par conséquent suffisamment
grave pour que sa répression ressortisse de la compétence de la Cour pénale internationale.
L’image est similaire, dans le droit pénal interne, à la commission d’une infraction par un
441
Principal parce qu’en vertu de la coopération entre la CPI et la CAJDHP, cette dernière peut intervenir à titre
secondaire.
442
Pris dans les sens des dispositions de l’article 28 du Statut de Rome.
fonctionnaire dont la qualité fait office de circonstance aggravante ayant pour conséquence la
multiplication de la peine encourue par deux443.
Cela dit, la dissection du contentieux des crimes internationaux qui d’emblée rend les
deux ordres de juridictions complémentaires dans la course de la lutte contre l’impunité de ces
crimes en faisant de ceux actifs au même moment dans le processus de répression, tout en
allégeant les affaires devant la Cour pénale internationale, emporte plusieurs autres
conséquences bénéfiques pour la justice pénale internationale.
Doter la Cour pénale internationale d’un tel Champ de compétence matérielle est d’un réel
avantage sur deux points au moins. Elles ont trait à l’efficacité de la répression et à sa
légitimité.
Sur le second élément, la CPI semble être la plus légitime à poursuivre les hauts dirigeants
étatiques au sens que nous avons défini plus haut en ce sens que cette juridiction est la seule à
même de garantir la visibilité mondiale de la gravité extrême des agissements des hauts
dirigeants sur la paix et la sécurité internationale. Cela dit, le critère du dernier volet de
l’alinéa 1 de l’article 17 du Statut de Rome au sujet de l’intervention de la CPI dans les
affaires considérées comme étant « suffisamment graves » est déterminant dans cette
répartition du fait qu’il constituera le socle du partage des compétences entre l’ordre régional
et l’ordre universel dont les modalités de déploiement feront l’objet d’une analyse infra.
443
Sur cette précision, le code pénal camerounais de 2016 évoque à son article 89 la qualité de fonctionnaire
comme circonstance aggravante de la peine.
444
La notion de procès équitable renvoie à toutes les garanties procédurales conférée à tout plaideur qui
intervient au cours d’une procédure juridictionnelle. Il comprend le droit à un tribunal indépendant et impartial,
la présomption d’innocence, le droit à un conseil… la Cour africaine pourrait manquer de telles garanties du fait
des pressions politiques pouvant être exercé sur les juges de cette Cour.
En outre, il faut entendre par autres affaires les crimes ne faisant pas l’objet de
compétence concurrentielle entre la Cour pénale internationale et la Cour africaine de justice,
des droits de l’homme et des peuples. Ainsi, hors mis les quatre crimes ressortissant à la fois
de la compétence de la CPI et de celle de la CAJDHP, cette dernière sera seule compétente
pour connaitre, et ce peu importe la qualité de son auteur, des dix (10) autres crimes
internationaux prévues dans son Statut. Il s’agit du crime relatif au Changement
anticonstitutionnel de gouvernement ; de la Piraterie ; du Terrorisme ; du Mercenariat ; de la
Corruption ; du Blanchiment d’argent ; de la Traite des personnes ; du Trafic illicite des
stupéfiants ; du Trafic illicite des déchets dangereux ; et le crime d’exploitation illicite des
ressources naturelles445.
445
Art. 28 A : « Compétence internationale pénale de la Cour », Protocole de Malabo.
compétence de droit international pénal de cette juridiction, lui ôter totalement la possibilité
de connaitre ces crimes pourrait faire renaitre les mêmes critiques d’antan.
Cependant, dans sa poursuite des crimes prévus dans le Statut de Rome, la CPI
pourrait avoir un certain droit de regard se traduisant par sa possible intervention en termes
d’assistance à la Cour régionale. Cela dit, les deux ordres de juridictions se positionnent dans
ce rapport de complémentarité comme des juridictions partenaires.
Un partenaire renvoi une personne avec qui on est allié contre d’autres « joueurs ». Le
terme fait également référence à une personne avec laquelle on discute, on converse, on
partage446. Le partenariat entre la Cour pénale internationale et la Cour africaine de justice,
des droits de l’homme et des peuple fait donc référence à l’alliance entre ces deux ordres de
juridictions dans la répression des crimes internationaux et partant la lutte contre l’impunité
de ceux-ci. Cela dit, il est question pour ces juridictions supranationales de s’associer afin de
mieux réprimer ces crimes. Cette association peut passer par la dissociation des phases du
procès pénal (A) et par une coopération active entre les deux ordres de juridiction (B).
Le procès pénal qu’il soit national ou international se structure en trois phases faisant
intervenir chacune une fonction spécifique des autorités investies des fonctions répressives. Il
s’agit de la phase d’enquête, de la phase de l’instruction et de la phase de jugement. Dissocier
les phases du procès pénal international consiste en une distribution des taches entre les deux
ordres de juridictions.
De cette manière, pour les affaires ne mettant pas en cause les hauts dirigeants étatiques,
affaires que nous avons qualifié de moins graves, la cour régionale peut être en charge des
deux premières phases du procès ; c’est-à-dire la phase d’enquête et la phase d’instruction.
Cela aura le mérite de permettre à la Cour régionale de rassembler elle-même les éléments de
446
Larousse dictionnaire Online.
preuves qui feront l’objet de débat devant les juges de la Cour pénale internationale ; et de
permettre à cette dernière de trancher de manière impartiale.
Ce mécanisme de dissociation des phases du procès pénal ne peut être admis pour les
affaires impliquant les hauts dirigeants étatiques pour deux raisons : primo, la Cour régionale
reconnait expressis verbis une immunité juridictionnelle à ceux-ci et ne saurait de ce fait les
poursuivre encore moins enquêter sur une affaires les concernant. Et secundo, quand bien
même l’immunité serait levée, ces affaires sont suffisamment graves et les autorités de la
Cour régionale sont susceptibles de dissimuler les éléments de preuves dans les cas où elles
concerneront des dirigeants en exercice. Encore faut-il que ces autorités, l’Union africaine y
compris, soient d’accord pour poursuivre de telles dirigeants.
Il est question pour la Cour pénale internationale et la Cour africaine de justice, des droits
de l’homme et des peuples, de s’assister mutuellement dans les poursuites menées devant
chacune d’elles. Les Statuts de ces deux ordres de juridictions prévoient de manière implicite
cette possibilité.
A ce sujet, l’article 46L alinéa 3 du Protocole de Malabo dispose que « La cour a le droit
de chercher à coopérer ou à se faire aider par les États non parties, les Cours internationales
447
Le Petit Robert, dictionnaire de langue française Online.
448
Le Larousse français Online.
449
S. DAMERON-FRONQUERNIE, « Construction d’une grille de lecture appliquée aux cas d’une équipe de
projet », IXe Conférence Internationale de Management Stratégique, « Perspectives en management
Statégique », AIMS 2000, Montpellier 24-25-26 mai 2000, p. 2.
Pour sa part, le Statut de Rome prévoit ne prévoit pas expressément une forme de
coopération avec une autre Cour pénale internationale. La raison, nous semble-t-il, en est que
lorsque son Statut fut adopté en 1998, cette juridiction était la seule juridiction internationale
de répression des crimes relevant de sa compétence s’appliquant à plusieurs États, ce qui est
loin d’être le cas pour la Cour africaine dont l’élargissement du champ de compétence date de
sept ans à ce jour. L’article 87 alinéa 6 du Statut de Rome prévoit que
C’est dans cette disposition que peut résulter la possible coopération entre les deux ordres
de juridictions.
Cela dit, la Cour pénale internationale pourra assister l’ordre juridictionnel régional dans
la répression des infractions internationales, de la même manière que l’ordre régional devra
aider la Cour régionale dans la mise en œuvre de ses résolutions vis-à-vis des États africains.
Autrement dit, l’ordre régional pourrait faire pression, avec le soutien du conseil de paix et de
sécurité de l’Union africaine sur les États africains. Cela participera sans aucun doute du
renforcement de la répression de ces crimes, et partant d’une lutte efficace contre l’impunité
de ceux-ci.
La coopération entre ces deux ordres de juridiction peut aussi consister dans le partage des
éléments de preuve obtenus par l’une ou l’autre des deux juridictions. Etant susceptibles
d’enquêter sur une même situation bien que dans les affaires différentes, les Bureaux des
procureurs des deux juridictions peuvent se communiquer les éléments de preuve mettant en
cause ou disculpant les prévenus ressortissant de la compétence de chacune d’elles.
450
Art. 46L al. 3 Protocole de Malabo in fine. Nous soulignons.
Dans un premier temps, nous avons émis l’idée d’une admissible complémentarité de
subsidiarité calquée sur le modèle de la complémentarité national/international prévu par le
Statut de Rome. Ce modèle de complémentarité implique que soit dressé un double degré de
complémentarité dans lequel sera prioritaire la complémentarité entre l’ordre régional et les
juridictions nationales, et subsidiaire la complémentarité entre l’ordre régional et l’ordre
universel. Dans ce modèle de complémentarité les règles tels que prévues par les Statuts de
ces deux ordres de juridictions restent les mêmes, à la seule différence que dans le second
degré qui concerne les ordres juridictionnels internationaux, l’interprétation des règles
prévues par le Statut de Rome s’étend à la juridiction régionale en considérant celle-ci comme
étant une composante de l’ordre national, sans pour autant la confondre a celui-ci.
Dans un second temps, nous avons émis l’hypothèse d’une complémentarité élargie
dépassant l’acception que lui donne le Statut de Rome. Dans ce modèle, il est question
d’envisager une complémentarité au-delà des règles de recevabilité des affaires pour une
perspective de réelles interactions actives entre l’ordre régional et l’ordre national. De la sorte,
nous envisageons une dissection du contentieux des crimes internationaux faisant intervenir
l’ordre universel dans les affaires impliquant les hauts dirigeants étatiques, et l’ordre régional
pour les autres affaires. Pour finir, nous envisageons une réelle coopération entre les deux
ordres de juridiction, coopération se traduisant par une assistance mutuelle.
Cependant une réelle difficulté demeure, le dure contexte de rupture des rapports entre
l’instance faitière africaine initiatrice du projet d’extension des compétences de la Cour
régionale sur les questions de droit international pénal sera-il mis de côté au profit de la lutte
efficace contre l’impunité? L’histoire nous le dira!
CONCLUSION GÉNÉRALE
BIBLIOGRAPHIE
I- DOCTRINE
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II- LÉGISLATION
- CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Paris, Dalloz, coll. « quadrige », 12e ed. 2016.
AVERTISSEMENT ............................................................................................................................................... i
DEDICACES ........................................................................................................................................................ II
REMERCIEMENTS .......................................................................................................................................... III
PRINCIPAUX SIGLES ET ABBREVIATIONS ............................................................................................ IV
SOMMAIRE ……………………………………………………………………………………………………...v
RESUMÉ ........................................................................................................................................................... VII
ABSTRACT ...................................................................................................................................................... VIII
INTRODUCTION GÉNÉRALE ......................................................................................................................... 1
PREMIERE PARTIE : ....................................................................................................................................... 16
LA DIFFICILE ADMISSION D’UNE COMPLEMENTARITE ENTRE LA COUR PENALE
INTERNATIONALE ET LA COUR AFRICAINE DE JUSTICE, DES DROITS DE L’HOMME ET DES
PEUPLES............................................................................................................................................................. 16
CHAPITRE 1 : LA DIFFICILE MISE EN ŒUVRE D’UNE VOLONTÉ POLITIQUE DES
DIRIGEANTS DE L’UA AU REGARD DU CONTEXTE D’EMERGENCE DE LA COMPÉTENCE DE
DROIT PÉNAL INTERNATIONAL DE LA CAJDHP .................................................................................. 19
SECTION I : DE LA MÉFIANCE DU SYSTÈME RÉPRESSIF DE LA CPI À LA MÉFIANCE D’UN
« MAUVAIS » ALLIÉ DANS LA RÉPRESSION DES CRIMES INTERNATIONAUX EN AFRIQUE .. 22
PARAGRAPHE §1- LE REFOULEMENT DE LA POLITIQUE DE POURSUITE DE LA CPI PAR L’UNION AFRICAINE
.......................................................................................................................................................................... 22
A) Le constat de l’exclusivité de l’action de la CPI en Afrique. ................................................................ 22
B) Le malaise des forts pouvoirs du conseil de sécurité des Nations unies dans le fonctionnement
de la CPI ........................................................................................................................................ 30
PARAGRAPHE §2- L’ECHEC AFFICHEE D’UNE COOPERATION UA/CPI, SIGNE AVANT-COUREUR DU REFUS
D’ALLIANCE CAJDHP/CPI PAR LES DIRIGEANTS DE L’UA. .......................................................................... 34
A) Les refus de la CPI d’accéder aux demandes de l’UA en faveur de la suspension des
poursuites engagées contre les présidents Omar Al Bashir et Uhuru Kenyatta ............................ 34
B) Les « lettres mortes » des demandes de l’UA en faveur d’un rééquilibrage des forces dans
le fonctionnement de la CPI pour la sortie de crise. ...................................................................... 35
SECTION II : LA DÉFIANCE DE LA CPI PAR L’UA, MARQUE D’UNE DIFFICILE
RECONCIALIATION POUR UNE COMPLÉMENTARITÉ CPI/CAJDHP .............................................. 37
PARAGRAPHE §1- LE REFUS PAR LES ÉTATS AFRICAINS DE COOPERER AVEC LA .................... COUR PENALE
INTERNATIONALE A LA DEMANDE DE L’UNION AFRICAINE. ........................................................................... 38
A) La bifacialité des positions des États africains face aux recommandations de l’Union africaine.
....................................................................................................................................................... 38
B) La versatilité de la jurisprudence de la CPI sur le fondement de l’obligation de Coopération
des Etats dans l’arrestation de dirigeants des États-tiers au Statut de Rome., marque de la
politisation de cette Cour, et élément de discrédit de la confiance de l´UA .................................. 42
PARAGRAPHE §2- L’INTRODUCTION D’UNE SECTION DE DROIT PENAL INTERNATIONAL AU SEIN DE LA
COUR AFRICAINE DE JUSTICE ET DES DROITS DE L’HOMME .......................................................................... 45
A) La clarté des fondements de la l’action de l’union africaine dans la mise en place d’une
juridiction pénale africaine ............................................................................................................ 45
B) La dotation des compétences pénales internationales à la section criminelle de la Cour
régionale ........................................................................................................................................ 49
B) La très peu garantie de l’efficacité de la cour africaine de justice, des droits de l’homme et
des peuples. ................................................................................................................................... 91
SECTION II : LA DECONSTRUCTION DES RAPPORTS CLASSIQUES CPI/CAJDHP POUR UN
RAPPORT COMPLÉMENTAIRE PAR LA PRISE EN COMPTE DES THEORIES DU DROIT EN
MOUVEMENT ................................................................................................................................................... 94
PARAGRAPHE §1- L’APPORT DE LA THEORIE DU « PLURALISME ORDONNE » ET DE LA DIALECTIQUE DE
«LA PYRAMIDE AU RESEAU » DANS LA RECHERCHE D’UNE COMPLEMENTARITE ENTRE LES DEUX ORDRES
DE JURIDICTIONS. ............................................................................................................................................. 98
A) La mise en ordre des ordres juridictionnels régional et universel par la force du
« pluralisme ordonné ». ................................................................................................................. 98
B) L’affirmation d’une possible hiérarchisation des deux ordres juridictionnels par la
puissance de la dialectique de la « pyramide au réseau » ............................................................ 101
PARAGRAPHE §2- L’APPORT DE LA THEORIE DE LA « RELEVANCE JURIDIQUE» DANS LA RECHERCHE D’UNE
COMPLEMENTARITE ENTRE LES DEUX ORDRES DE JURIDICTIONS. .............................................................. 105
A) Le concept de « relevance juridique » chez Santi Romano. ............................................ 105
B) La recherche de la place des deux ordres de juridiction dans la possible complémentarité
par la détermination du type de relevance existant entre celles-ci. ............................................. 107
Conclusion Du Chapitre 3 : Pour un dépassement de la contradiction entre les deux ordres
juridictionnels supra étatiques ......................................................................................................... 109
CHAPITRE 4 : LA STRUCTURATION D’UN MODÈLE DE COMPLÉMENTARITÉ ENTRE LES
DEUX ORDRES JURIDICTIONNELS SUPRA-ÉTATIQUES ................................................................... 110
SECTION I : L’ADMISSIBLE COMPLÉMENTARITÉ DE SUBSIDIARITÉ CALQUÉE SUR LE
MODÈLE DU STATUT DE ROME : LA QUESTION DE RECEVABILITE AU CENTRE DE LA
COMPLEMENTARITE................................................................................................................................... 113
PARAGRAPHE §1 : LES CONTOURS DE LA COMPLEMENTARITE DE SUBSIDIARITE EN VERTU DU STATUT DE
ROME.............................................................................................................................................................. 115
A) L’affirmation négative de la compétence de la Cour pénale internationale : la
complémentarité passive. ............................................................................................................ 115
B) L’affirmation positive de la compétence de la Cour pénale internationale : la
complémentarité active................................................................................................................ 117
PARAGRAPHE §2- LA STRUCTURE DE LA COMPLEMENTARITE DE SUBSIDIARITE ENTRE LES DEUX ORDRES
JURIDICTIONNELS : LE DOUBLE DEGRE DE COMPLEMENTARITE. ................................................................ 118
A) La primauté de la complémentarité entre l’ordre régional et l’ordre national ................. 119
1- Le maintien des critères de recevabilité tel que prévu par le protocole de Malabo couplé aux
emprunts éventuels à la jurisprudence de la CPI .................................................................................. 119
2- Le renforcement de la coopération entre l’ordre régional et les ordres nationaux. ....................... 123
B) La subsidiarité de l’ordre juridictionnel universel (CPI) à l’ordre juridictionnel régional
(CAJDHP). .................................................................................................................................. 124
1- Les critères de passage de l’ordre régional à l’ordre universel : l’élargissement du champ
d’interprétation des critères de recevabilité de l’article 17 du Statut de Rome ..................................... 125
2- La possibilité de dessaisissement de l’ordre universel d’une affaire par l’ordre régional. ............ 126
SECTION II : L’ENVISAGEABLE COMPLÉMENTARITÉ ÉLARGIE ENTRE LES DEUX ORDRES
DE JURIDICTION : AU-DELA DE LA QUESTION DE RECEVABILITÉ. ............................................ 128
PARAGRAPHE §1- LA DISSECTION DU CONTENTIEUX DES CRIMES INTERNATIONAUX ENTRE LES DEUX
ORDRES DE JURIDICTIONS SUPRA ETATIQUES. .............................................................................................. 129
A) L’intervention de la Cour pénale internationale dans les affaires impliquant les hauts
dirigeants étatiques. ..................................................................................................................... 131
1- La circonscription du Champ de compétence « nouveau » de la CPI. .......................................... 131
2- Les mérites de l’intervention de la CPI dans ce champ : l’assurance d’un procès équitable et la
garantie de la visibilité de la gravité de tels crimes. ............................................................................. 132